Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
38 : Du baptême de Jean
Après avoir parlé de la circoncision et des autres observances, nous
devons considérer le baptême que le Christ a reçu, et comme il a reçu le
baptême de saint Jean, nous nous occuperons 1° du baptême de saint Jean en
général ; 2° du baptême du Christ. — Sur la première de ces deux considérations
il y a six questions à faire : 1° A-t-il été convenable que Jean baptisât ?
(Jean ne baptisait que d’après l’inspiration de l’Esprit-Saint, suivant ses
propres paroles (Jean, 1, 33) : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a
dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre.) — 2° Ce baptême était-il de
Dieu ? — 3° A-t-il conféré la grâce ? (Luther, Zuingle et
Calvin ont prétendu qu’il n’y avait pas de différence entre le baptême de Jean
et le baptême du Christ. Cet article et les précédents sont une réfutation de
cette erreur, qui a d’ailleurs été ainsi condamnée par le concile de Trente
(sess. 7, De bapt.,
can. 1) : Si quis dixerit baptismum Joannis habuisse eamdem vim cum baptismo Christi, anathema sit.) — 4° D’autres que le
Christ ont-ils dû recevoir ce baptême ? — 5° Ce baptême a-t-il dû cesser après
que le Christ a été baptisé ? — 6° Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean
devaient-ils ensuite recevoir le baptême du Christ ? (Luther, Zuingle et Calvin n’ayant pas admis de différence entre le
baptême de Jean et le baptême du Christ, ils ont nié naturellement que ceux que
Jean avait baptises aient dû être rebaptisés de nouveau par les apôtres. Saint
Thomas réfute cette opinion en redressant l’erreur dans laquelle était tombé à
ce sujet Pierre Lombard.)
Article 1 :
A-t-il été convenable que Jean baptisât ?
Objection N°1. Il
semble qu’il n’ait pas été convenable que Jean baptisât. Car tout rit
sacramentel appartient à une loi quelconque. Or, Jean n’a pas introduit une loi
nouvelle. Il n’a donc pas été convenable qu’il introduisît un nouveau rit pour
baptiser.
Réponse
à l’objection N°1 : Le baptême de Jean n’était pas un sacrement par
lui-même, mais une chose sacramentelle qui disposait au baptême du Christ.
C’est pourquoi il appartenait d’une certaine manière à la loi du Christ, mais
non à la loi de Moïse.
Objection
N°2. Jean a été envoyé de
Dieu en témoignage comme un prophète, d’après ces paroles de l’Evangile (Luc, 1, 76) : Et
vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut. Or, les
prophètes qui ont existé avant le Christ n’ont pas introduit un rit nouveau,
ils engageaient seulement à observer les rits légaux,
comme le fait Malachie quand il dit (4. 4) : Souvenez-vous de la loi de Moïse mon serviteur. Jean n’eût donc pas
dû introduire un nouveau rit pour baptiser.
Réponse à l’objection
N°2 : Jean n’a pas été
seulement un prophète, mais plus qu’un
prophète, comme on le voit (Matth., chap. 16).
Car il a été le terme de la loi et le commencement de l’Evangile. C’est
pourquoi il lui appartenait d’exciter les autres par ses paroles et ses œuvres
à suivre la loi du Christ plutôt que d’observer la loi ancienne.
Objection N°3. Quand
on a d’une chose plus qu’il ne faut, on ne doit pas y ajouter encore. Or, les
Juifs avaient plus de baptêmes qu’il n’en fallait, parce qu’il est dit (Marc,
7, 3) : Que les Pharisiens et tous les
Juifs ne mangeaient point sans se laver plusieurs fois les mains… que quand ils
viennent de la place publique, ils ne mangent pas non plus, sans s’être lavés (baptizantur) ; qu’il y a
encore beaucoup d’autres observances qu’ils ont reçues et qu’ils gardent, comme
de laver (baptismata) les coupes, les pots, les
vaisseaux d’airain et les lits. Il n’a donc pas été convenable que Jean
baptisât.
Mais c’est le
contraire. L’Ecriture après avoir parlé auparavant de la sainteté de Jean
ajoute (Matth., 3, 6) qu’il y en avait un très grand nombre qui allaient
à lui et qu’il les baptisait dans le Jourdain.
Conclusion Il a été convenable
que Jean baptisât pour que le Christ fût baptisé et manifesté, et pour que les
hommes s’habituassent au baptême du Christ, et devinssent aptes à recevoir plus
facilement les sacrements de pénitence et de baptême.
Il faut répondre
qu’il a été convenable que Jean baptisât pour quatre raisons : 1° Parce qu’il
fallait que le Christ fût baptisé par Jean, pour consacrer le baptême, comme le
dit saint Augustin (Sup. Joan., implic. tract. 5). 2° Pour
manifester le Christ. C’est pourquoi Jean Baptiste dit lui-même (Jean, 1, 31) : C’est
pour manifester le Christ dans Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. Car
il annonçait le Christ à toute la foule qui accourait à son baptême ; ce qu’il
a fait plus facilement que s’il avait parlé à chaque personne en particulier,
comme l’observe saint Chrysostome (Hom. 16 inter princ.). 3° Pour accoutumer par son baptême les hommes
au baptême du Christ. D’où saint Grégoire dit (Hom. 7 in Evang.) que Jean a baptisé pour
conserver l’ordre de sa mission de précurseur, de manière que comme il avait
prévenu par sa naissance le Seigneur qui devait naître, de même il prévint par
son baptême le Seigneur qui devait baptiser. 4° Pour engager les hommes à la
pénitence en les préparant à recevoir dignement le baptême du Christ. D’où le
vénérable Bède dit (Hom. circumcis.)
que le baptême de Jean a servi autant avant le baptême du Christ que
l’enseignement de la foi sert aux catéchumènes qui ne sont pas encore baptisés.
Car, comme il prêchait la pénitence, et qu’il annonçait à l’avance le baptême
du Christ, et qu’il amenait les autres à la connaissance de la vérité qui
venait de paraître dans le monde ; de même les ministres de l’Eglise
instruisent d’abord les catéchumènes, leur font ensuite déplorer leurs péchés,
et leur en promettent enfin la rémission dans le baptême du Christ.
Article 2 : Le
baptême de Jean a-t-il été de Dieu ?
Objection N°1. Il
semble que le baptême de Jean n’ait pas été de Dieu. Car les choses
sacramentelles qui viennent de Dieu ne tirent jamais leur nom d’un simple
mortel. Ainsi on ne dit pas que le baptême de la nouvelle loi est de Pierre ou
de Paul, mais du Christ. Or, ce baptême tire son nom de Jean, d’après ce
passage de l’Evangile (Matth., 21, 25) : D’où était le baptême de Jean ? du ciel ou des hommes ? Le baptême de Jean ne venait
donc pas de Dieu.
Réponse à l’objection N°1 :
Par le baptême de la loi nouvelle les hommes sont intérieurement baptisés par
l’Esprit-Saint ; ce que fait Dieu seul ; au lieu que par le baptême de Jean il
n’y avait que le corps qui fût purifié par l’eau. C’est pourquoi il dit (Matth., 3, 11) : Je
vous baptise dans l’eau… il vous baptisera dans l’Esprit-Saint. C’est pour
cette raison que le baptême de Jean tire de lui son nom, parce qu’il ne se
faisait rien dans ce baptême qu’il ne fit lui-même ; tandis que le baptême de
la loi nouvelle ne tire pas son nom du ministre qui ne produit pas l’effet
principal du baptême, c’est-à-dire la purification intérieure.
Objection N°2. Toute
doctrine provenant de Dieu nouvellement est démontrée par quelques prodiges.
Ainsi le Seigneur donna à Moïse le pouvoir de faire des miracles (Ex., chap. 4), et saint Paul dit (Héb., 2, 3) : Notre foi ayant été tout d’abord annoncée par le Seigneur lui-même, a
été ensuite confirmée en nous par ceux qui l’ont entendue, Dieu appuyant leur
témoignage par des miracles et des prodiges. Or, il est dit de Jean
Baptiste (Jean, 10, 41) : Qu’il n’a fait
aucun miracle. Il semble donc que le baptême dont il a baptisé n’était pas
de Dieu.
Réponse à l’objection
N°2 : La doctrine et les
actions de Jean avaient pour but le Christ qui a prouvé par la multitude de ses
miracles la doctrine de Jean et la sienne. Si Jean eût fait des miracles, les
hommes auraient fait également attention à lui et au Christ. C’est pourquoi,
pour qu’ils fissent principalement attention au Christ, il n’a pas été donné à
Jean de faire des prodiges. Cependant les Juifs lui ayant demandé pourquoi il
baptisait, il s’appuya sur l’autorité de l’Ecriture en leur disant : Je suis la voix de celui qui crie dans le
désert (Jean, 1, 23). L’austérité de
sa vie était aussi une recommandation pour ministère, parce que, comme le dit
saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 10), il était
admirable de voir dans un corps humain une aussi grande pénitence.
Réponse
à l’objection N°3 : Le baptême de Jean n’a été ordonné par
Dieu que pour durer un temps court, à cause des raisons que nous avons données.
C’est pourquoi il n’a pas été recommandé par un précepte général renfermé dans
l’Ecriture, mais par une révélation particulière de l’Esprit-Saint, comme nous
l’avons dit (art. préc.).
Mais c’est le
contraire. Jean dit lui-même (Jean, 1, 33)
: Celui qui m’a envoyé baptiser dans
l’eau m’a dit : Celui sur qui vous verrez l’Esprit-Saint, etc.
Conclusion Le baptême de Jean a été
de Dieu quant au rit, mais non quant à l’effet, puisqu’il ne produisait rien
qui fût au-dessus des forces humaines.
Article 3 : Le
baptême de Jean conférait-il la grâce ?
Objection N°1. Il
semble que le baptême de Jean conférait la grâce. Car il est dit (Marc, 1, 4) :
Jean était dans le désert baptisant et prêchant
le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés. Or, la pénitence
et la rémission des péchés sont produites par la grâce. Le baptême de Jean la
conférait donc.
Réponse
à l’objection N°1 : D’après ce passage, comme le dit Bède (chap. 2 in Marc., sup. illud : Fuit Joannes in deserto),
on voit qu’il y a deux sortes de baptême. L’un que Jean conférait en baptisant
et qui est appelé le baptême de pénitence, parce que ce baptême était une
exhortation à la pénitence et une sorte de protestation par laquelle les hommes
avouaient qu’ils feraient pénitence ; l’autre est le baptême du Christ par
lequel les péchés sont remis, et que Jean ne pouvait donner, mais qu’il
prêchait seulement en disant : Il vous
baptisera dans l’Esprit-Saint. — Ou bien on peut dire qu’il prêchait le
baptême de la pénitence, c’est-à-dire celui qui y dispose, et que cette
pénitence mène les hommes à la rémission des péchés. — Ou bien on peut encore
répondre que le baptême du Christ, comme le dit saint Jérôme (alius auctor sup. illud Marci, chap. 1 : Prædicans
baptismum), confère la grâce par laquelle les
péchés sont remis gratuitement ; mais ce qui est consommé par l’époux est
commencé par le paranymphe (Les anciens appelaient
ainsi celui qui faisait les honneurs de la noce, et qui se tenait à côté du
nouveau marié lorsqu’il conduisait sou épouse chez lui.), c’est-à-dire par
Jean. D’où il est dit qu’il baptisait et qu’il prêchait le baptême de la
pénitence pour la rémission des péchés, non qu’il l’ait produite lui-même, mais
parce qu’il y disposait en y préparant.
Objection
N°2. Ceux qui devaient être
baptisés par Jean confessaient leurs péchés, comme on le voit (Matth., chap. 3, et Marc, chap. 1). Or, la confession des péchés
a pour but leur rémission qui se produit par la grâce. La grâce était donc
conférée dans le baptême de Jean.
Réponse à l’objection
N°2 : Cette confession des péchés ne
se faisait pas pour en obtenir la rémission immédiatement au moyen du baptême
de Jean, mais pour l’obtenir par la pénitence que l’on faisait ensuite et par
le baptême du Christ auquel cette pénitence préparait.
Objection N°3. Le baptême
de Jean était plus près du baptême du Christ que la circoncision. Or, la
circoncision remettait le péché originel ; parce que, comme le dit Bède (Hom. circumc.), la circoncision était sous la loi un moyen
de guérir la blessure du péché originel, comme l’est maintenant le baptême sous
la loi de grâce. Donc à plus forte raison le baptême de Jean opérait-il la
rémission des péchés ; ce qui ne peut pas se faire sans la grâce.
Mais c’est le
contraire. L’Evangile dit (Matth., 3, 11) : Je vous baptise dans l’eau pour la pénitence,
ce que saint Grégoire explique en disant (Hom. 7 in Ev.) : Jean ne baptisait pas dans l’Esprit, mais dans l’eau,
parce qu’il ne pouvait pas effacer les péchés. Or, la grâce vient de
l’Esprit-Saint et c’est par elle que les péchés sont effacés. Le baptême de
Jean ne conférait donc pas la grâce.
Conclusion Le baptême de Jean ne
conférait pas la grâce, mais il y disposait par la doctrine qui préparait à la
foi, au baptême et à la pénitence.
Réponse à l’objection
N°3 : La circoncision
avait été établie pour remédier au péché originel, au lieu que le baptême de
Jean n’avait pas été établi pour cela, mais il était seulement une préparation
au baptême du Christ, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article et
art. 1). Quant aux sacrements ils produisent leur effet par la force même de
leur institution.
Article 4 :
Indépendamment du Christ, d’autres ont-ils dû être baptisés du baptême de Jean
?
Objection N°1. Il
semble que le Christ seul ait dû être baptisé du baptême de Jean. Car, comme
nous l’avons dit (art. 1), Jean a baptisé pour que le Christ fût, comme le dit
saint Augustin (Sup. Joan., tract. 13).
Or, ce qui est propre au Christ ne doit pas convenir aux autres. Aucun autre
n’a donc dû recevoir ce baptême.
Réponse
à l’objection N°1 : Le baptême de Jean n’a pas été établi uniquement pour
que le Christ fût baptisé, mais encore pour d’autres causes, comme nous l’avons
dit (art. 1). Et néanmoins, quand il aurait été établi uniquement pour cette
fin, il aurait fallu pour éviter l’autre inconvénient que d’autres le
reçussent.
Objection
N°2. Celui qui est baptisé
reçoit quelque chose du baptême ou lui confère quelque chose.
Or, personne ne pouvait recevoir quelque chose du baptême de Jean, parce qu’il
ne conférait pas la grâce, comme nous l’avons dit (art. préc.),
et personne ne pouvait conférer quelque chose à ce baptême, à l’exception du
Christ qui sanctifia les eaux par le contact de sa chair la plus pure. Il
semble donc qu’il est le seul qui ait dû le recevoir.
Réponse à l’objection N°2 : Les autres qui recevaient le baptême de Jean ne pouvaient à la
vérité rien conférer à ce baptême ; mais s’ils n’en recevaient pas la grâce,
ils en recevaient du moins le signe de la pénitence.
Objection
N°3. Si d’autres ont été
baptisés de ce baptême, c’était seulement pour être préparés au baptême du
Christ. Ainsi il paraissait convenable que comme le baptême du Christ est
conféré à tout le monde, aux grands et aux petits, aux gentils et aux juifs, il
en devait être de même du baptême de Jean. Or, on ne voit pas qu’il ait baptisé
les enfants, ni les gentils. Car il est dit (Marc, 1, 5) : Tous ceux de
Jérusalem venaient à lui, et il les baptisait. Il semble donc que le Christ
seul ait dû être baptisé par saint Jean.
Réponse à l’objection
N°3 : Parce que ce
baptême était un baptême de pénitence qui ne convient pas aux enfants, les
enfants ne le recevaient pas pour ce motif. Quant aux gentils, il était réservé
au Christ seul de leur montrer la voie, car il est appelé l’attente des nations, comme on le voit (Gen., chap. 50). Il défendit lui-même aux apôtres de prêcher
l’Evangile avant sa passion et sa résurrection. Par conséquent il convenait
encore beaucoup moins que les gentils fussent admis au baptême par Jean.
Conclusion
Non seulement le Christ, mais encore d’autres ont dû être baptisés du baptême
de Jean, soit pour être préparés à recevoir le Christ, soit aussi pour que l’on
ne pensât pas que le baptême de Jean était préférable au baptême du Christ.
Article 5 : Le
baptême de Jean a-t-il dû cesser aussitôt que le Christ a été baptisé ?
Objection N°1. Il
semble que le baptême de Jean ait dû cesser aussitôt que le Christ a été
baptisé. Car Jean dit (Jean, 1, 31) : Je suis venu baptiser dans l’eau, afin que
le Christ soit manifesté dans Israël. Or, le Christ ayant été baptisé, il a
été suffisamment manifesté par le témoignage de Jean, par la descente de la
colombe, et par le témoignage de la voix de son Père. Il semble donc que le
baptême de Jean n’ait pas dû aller au delà.
Réponse à l’objection N°1 :
Le Christ n’avait pas encore été manifesté lorsqu’il fut baptisé ; c’est
pourquoi il était encore nécessaire que Jean baptisât.
Réponse à l’objection N°2 : Le Christ ayant été baptisé, le baptême de Jean a cessé, non pas
immédiatement, mais après qu’il a été incarcéré. D’où saint Chrysostome dit (Hom. 28 sup. Joan.) : Je pense quo la mort
de Jean a été permise de manière qu’il cessât d’exister au moment où le Christ
a commencé de prêcher ; afin que les affections de la multitude entière se
portassent vers le Christ, et que les avis ne fussent plus partagés entre l’un
et l’autre.
Réponse à l’objection N°3 : Le baptême de Jean était une préparation non
seulement pour que le Christ fût baptisé, mais encore pour que les autres se
disposassent à recevoir le baptême du Christ : ce qui n’était pas encore
accompli, après que le Christ a été baptisé.
Mais c’est le
contraire. L’Evangile dit (Jean, 3, 23) : Que Jésus vint en Judée et y baptisait, et
que Jean baptisait aussi. Or, le Christ n’a baptisé qu’après qu’il a été
baptisé lui-même. Il semble donc qu’après que le Christ fut baptisé, Jean
baptisait encore.
Conclusion Puisque l’ombre de la
loi ancienne subsistait encore après le baptême du Christ, et qu’il ne
convenait pas que le précurseur cessât jusqu’à ce que la vérité fût manifestée,
le baptême de Jean n’a pas dû cesser une fois que le Christ a été baptisé.
Il faut répondre que
le baptême de Jean n’a pas dû cesser après que le Christ a été baptisé : 1°
Parce que, comme le dit saint Chrysostome (Hom. 28 in Joan.), si Jean eût cessé de baptiser, après avoir baptisé le
Christ, on croirait qu’il l’a fait par jalousie ou par colère (Parce qu’il
aurait vu avec peine que la manifestation éclatante du Christ l’avait surpassé.).
2° Parce que s’il eût cessé de baptiser, il aurait causé de la jalousie à ses
disciples. 3° Parce qu’en continuant à baptiser, il envoyait ceux qui
l’écoutaient au Christ. 4° Parce que, comme le dit Bède (hab. in glos. ord. sup. illud Joan., chap. 3 : Erat autem Joannes) : L’ombre de l’ancienne loi subsistait encore ;
son ministère n’a pas dû cesser jusqu’à ce que la vérité fût manifestée.
Objection N°1. Il semble
que ceux qui avaient reçu le baptême de Jean n’aient pas dû recevoir le baptême
du Christ. Car Jean n’a pas été moins que les apôtres, puisqu’il a été écrit de
lui (Matth., 11, 2) : Parmi les
enfants des hommes il n’y en a pas eu de plus grand que Jean Baptiste. Or,
ceux qui avaient été baptisés par les apôtres ne l’étaient pas de nouveau, mais
seulement on leur imposait les mains. Car il est dit (Actes, 8, 16) que pour ceux qui avaient été baptisés par Philippe au nom du Seigneur Jésus, alors les apôtres,
Pierre et Jean, imposaient les mains sur
eux et qu’ils recevaient l’Esprit-Saint. Il semble donc que ceux qui ont
été baptisés par Jean n’aient pas dû recevoir le baptême du Christ.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme le dit saint Augustin (Sup. Joan.,
tract. 5), on devait être rebaptisé après Jean parce qu’il ne donnait pas le
baptême du Christ, mais le sien, au lieu que le baptême que conférait Pierre ou
qu’eût conféré Judas était celui du Christ. C’est pourquoi si Judas eût baptisé
quelqu’un, il n’aurait pas fallu le baptiser de nouveau ; car le baptême est
tel que celui au nom duquel on le donne, mais il n’est pas tel que celui par le
ministère duquel il est donné. De là il résulte que ceux qui avaient été
baptisés par le diacre Philippe qui conférait le baptême du Christ, ne devaient
pas être baptisés de nouveau, mais les apôtres leur imposèrent les mains ;
comme maintenant les évêques confirment ceux qui ont été baptisés par des
prêtres.
Objection N°2. Les
apôtres ont reçu le baptême de Jean ; car quelques-uns d’entre eux ont été ses
disciples, comme on le voit (Jean, chap. 1). Or, ils ne paraissent pas
avoir reçu le baptême du Christ ; puisqu’il est dit (Jean, 4, 2) que ce n’était pas Jésus qui baptisait, mais ses
disciples. Il semble donc que ceux qui ont reçu le baptême de Jean ne
devaient pas recevoir celui du Christ.
Réponse à l’objection
N°2 : Comme le dit saint Augustin (ad Seleucian.,
epist. 265), nous croyons que les disciples du Christ
avaient été baptisés, soit du baptême de Jean, comme quelques-uns le pensent,
soit, ce qui est plus vraisemblable, du baptême de Jésus-Christ lui-même (Car
Jésus-Christ baptisait lui-même, et il faisait conférer le baptême par ses
disciples (Jean, 3, 22). Voyez dans cet endroit de l’Evangile la dispute qui s’éleva
entre les disciples de Jean et les disciples de Jésus.). Car il n’a sans doute
pas manqué de baptiser ceux par lesquels il voulait baptiser les autres,
puisqu’il n’a pas dédaigné, pour leur faire une leçon d’humilité, de s’abaisser
jusqu’à leur laver les pieds.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit saint Chrysostome (alius auctor, Sup. Matth.,
hom. 4, in op. imperf.), Jean ayant dit au Christ : C’est moi qui dois être baptisé par vous ;
celui-ci lui répondit : Laissez-moi faire
pour l’heure, ce qui prouve que le Christ a ensuite baptisé Jean (Saint
Thomas croit que le sacrement du baptême a été institué par le Christ au moment
où il a été baptisé par Jean dans le Jourdain. Nous retrouverons cette
question, qui est d’ailleurs controversée (quest. 66, art. 2).), et c’est ce
qui est rapporté dans quelques ouvrages apocryphes. Toutefois il est certain,
comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 3, super illud : Sine modo), que comme le Christ a été baptisé par Jean dans l’eau,
de même Jean devait être baptisé par le Christ dans l’Esprit.
Objection
N°4. L’Ecriture dit (Actes, 19, 1) que Paul
ayant trouvé quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit
depuis que vous avez embrassé la foi ? Ils lui répondirent : Nous n’avons pas
même ouï dire qu’il y ait un Saint-Esprit. Quel baptême, leur dit-il, avez-vous
donc reçu ? Ils lui répondirent : Le baptême de Jean. Et on voit plus
loin : Qu’ils furent baptisés de nouveau
au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il semble donc que, parce qu’ils ne
savaient pas que le Saint-Esprit existe, il ait fallu qu’ils fussent baptisés
de nouveau, comme le disent saint Jérôme (Sup. Joel.,
sup. illud chap. 3 : Effundam de Spiritu meo) et saint Ambroise (De Spir. sanct.,
liv. 1, chap. 3). Or, parmi ceux qui ont reçu le baptême de Jean, il y en avait
qui ont eu une pleine connaissance de la Trinité. Ils ne devaient donc pas de
nouveau recevoir le baptême du Christ.
Réponse à l’objection
N°4 : Ceux qui ont été baptisés par
Jean ont dû l’être de nouveau, non pas uniquement parce qu’ils n’avaient pas
connu l’Esprit-Saint, mais parce qu’ils n’avaient pas reçu le baptême du
Christ.
Objection N°5. Sur
ces paroles de saint Paul (Rom.,
10, 8) : c’est-à-dire, la parole de la
foi, que nous prêchons, la glose de saint Augustin dit (Ord., tract. 80 in Joan.) : D’où vient à l’eau une telle vertu qu’en
touchant le corps elle purifie le cœur, sinon de l’action de la parole, non
parce qu’on la prononce, mais parce qu’on y croit ? D’où il est évident
que la vertu du baptême dépend de la foi. Or, la forme du baptême de Jean a
signifié la foi du Christ dans laquelle nous sommes baptisés. Car saint Paul
dit (Actes, 19, 4) : Jean baptisait le peuple du baptême de la
pénitence, en disant qu’il devait croire en celui qui allait venir après lui,
c’est-à-dire en Jésus. Il semble donc qu’il ne fallait pas que ceux qui
avaient reçu le baptême de Jean reçussent de nouveau celui du Christ.
Réponse à l’objection
N°5 : Comme le dit saint
Augustin (Cont. Faust., liv. 19,
chap. 13), nos sacrements sont des signes de la grâce qui existe présentement,
au lieu que les sacrements de l’ancienne loi ont été des signes de la grâce
future. Ainsi par là même que Jean baptisa au nom du Christ à venir, cela nous
fait comprendre qu’il ne conférait pas le baptême du Christ, qui est un
sacrement de la loi nouvelle.
Conclusion
Il a fallu que tous ceux qui avaient reçu le baptême de Jean reçussent de
nouveau le baptême du Christ, qui était le seul qui conférât le caractère et la
grâce du salut.
Il faut répondre que, d’après le Maître des
sentences (Sentent., liv. 4, dist.
2), ceux qui ont été baptisés par Jean sans savoir que le Saint-Esprit existait
et en mettant leur espérance dans ce baptême, ont ensuite reçu le baptême du
Christ ; mais que ceux qui n’ont pas mis leur espérance dans le baptême de Jean
et qui croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit, n’ont pas été baptisés
ensuite, mais ils ont reçu l’Esprit-Saint du moment que les apôtres leur ont
imposé les mains (Les réformateurs disaient aussi que les apôtres ne les
baptisaient pas de nouveau, qu’ils se contentaient de leur imposer les mains (Calvin. instit., liv. 4, chap. 15, §
18).). — Ce sentiment est vrai quant à la première partie qui se démontre par
beaucoup d’autorités ; mais par rapport à la seconde il est absolument
déraisonnable : 1° Parce que le baptême de Jean ne conférait pas la grâce et
n’imprimait pas le caractère, mais qu’il consistait
seulement dans l’eau, comme le dit l’Evangile (Matth., chap. 3). Par conséquent la foi ou l’espérance que ceux
qui étaient baptisés avaient dans le Christ ne pouvait pas suppléer à ce
défaut. 2° Parce que quand on omet dans un sacrement quelque chose qui est de
nécessité, il ne faut pas seulement qu’on supplée à ce qui a été omis, mais il
faut qu’on le recommence totalement. Or, il est de nécessité pour le baptême du
Christ qu’il soit conféré non seulement dans l’eau, mais encore dans
l’Esprit-Saint, d’après ces paroles (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer dans
le royaume des cieux. Par conséquent à l’égard de ceux qui n’avaient été
baptisés que dans l’eau par le baptême de Jean, non seulement il fallait suppléer ce qui manquait
(en leur donnant, par exemple, l’Esprit-Saint par l’imposition des mains), mais
ils devaient être de nouveau complètement baptisés dans l’eau et l’Esprit-Saint
(Le baptême de Jean manquait de la forme qui constitue le baptême du Christ,
car en le conférant il exhortait ceux qui le recevaient à la pénitence, mais il
n’invoquait pas la sainte Trinité, et ce n’était pas au nom de Jésus qu’il
agissait.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
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