Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 38 : Du baptême de Jean

 

            Après avoir parlé de la circoncision et des autres observances, nous devons considérer le baptême que le Christ a reçu, et comme il a reçu le baptême de saint Jean, nous nous occuperons 1° du baptême de saint Jean en général ; 2° du baptême du Christ. — Sur la première de ces deux considérations il y a six questions à faire : 1° A-t-il été convenable que Jean baptisât ? (Jean ne baptisait que d’après l’inspiration de l’Esprit-Saint, suivant ses propres paroles (Jean, 1, 33) : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui tu verras l’Esprit descendre.) — 2° Ce baptême était-il de Dieu ? — 3° A-t-il conféré la grâce ? (Luther, Zuingle et Calvin ont prétendu qu’il n’y avait pas de différence entre le baptême de Jean et le baptême du Christ. Cet article et les précédents sont une réfutation de cette erreur, qui a d’ailleurs été ainsi condamnée par le concile de Trente (sess. 7, De bapt., can. 1) : Si quis dixerit baptismum Joannis habuisse eamdem vim cum baptismo Christi, anathema sit.) — 4° D’autres que le Christ ont-ils dû recevoir ce baptême ? — 5° Ce baptême a-t-il dû cesser après que le Christ a été baptisé ? — 6° Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean devaient-ils ensuite recevoir le baptême du Christ ? (Luther, Zuingle et Calvin n’ayant pas admis de différence entre le baptême de Jean et le baptême du Christ, ils ont nié naturellement que ceux que Jean avait baptises aient dû être rebaptisés de nouveau par les apôtres. Saint Thomas réfute cette opinion en redressant l’erreur dans laquelle était tombé à ce sujet Pierre Lombard.)

 

Article 1 : A-t-il été convenable que Jean baptisât ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il n’ait pas été convenable que Jean baptisât. Car tout rit sacramentel appartient à une loi quelconque. Or, Jean n’a pas introduit une loi nouvelle. Il n’a donc pas été convenable qu’il introduisît un nouveau rit pour baptiser.

Réponse à l’objection N°1 : Le baptême de Jean n’était pas un sacrement par lui-même, mais une chose sacramentelle qui disposait au baptême du Christ. C’est pourquoi il appartenait d’une certaine manière à la loi du Christ, mais non à la loi de Moïse.

 

Objection N°2. Jean a été envoyé de Dieu en témoignage comme un prophète, d’après ces paroles de l’Evangile (Luc, 1, 76) : Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-Haut. Or, les prophètes qui ont existé avant le Christ n’ont pas introduit un rit nouveau, ils engageaient seulement à observer les rits légaux, comme le fait Malachie quand il dit (4. 4) : Souvenez-vous de la loi de Moïse mon serviteur. Jean n’eût donc pas dû introduire un nouveau rit pour baptiser.

Réponse à l’objection N°2 : Jean n’a pas été seulement un prophète, mais plus qu’un prophète, comme on le voit (Matth., chap. 16). Car il a été le terme de la loi et le commencement de l’Evangile. C’est pourquoi il lui appartenait d’exciter les autres par ses paroles et ses œuvres à suivre la loi du Christ plutôt que d’observer la loi ancienne.

 

Objection N°3. Quand on a d’une chose plus qu’il ne faut, on ne doit pas y ajouter encore. Or, les Juifs avaient plus de baptêmes qu’il n’en fallait, parce qu’il est dit (Marc, 7, 3) : Que les Pharisiens et tous les Juifs ne mangeaient point sans se laver plusieurs fois les mains… que quand ils viennent de la place publique, ils ne mangent pas non plus, sans s’être lavés (baptizantur) ; qu’il y a encore beaucoup d’autres observances qu’ils ont reçues et qu’ils gardent, comme de laver (baptismata) les coupes, les pots, les vaisseaux d’airain et les lits. Il n’a donc pas été convenable que Jean baptisât.

Réponse à l’objection N°3 : Ces baptêmes ou ces ablutions des pharisiens étaient vides, puisqu’elles n’avaient pas d’autre but que de purifier la chair ; au lieu que le baptême de Jean avait pour but la purification spirituelle, car il portait les hommes à la pénitence, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Mais c’est le contraire. L’Ecriture après avoir parlé auparavant de la sainteté de Jean ajoute (Matth., 3, 6) qu’il y en avait un très grand nombre qui allaient à lui et qu’il les baptisait dans le Jourdain.

 

Conclusion Il a été convenable que Jean baptisât pour que le Christ fût baptisé et manifesté, et pour que les hommes s’habituassent au baptême du Christ, et devinssent aptes à recevoir plus facilement les sacrements de pénitence et de baptême.

Il faut répondre qu’il a été convenable que Jean baptisât pour quatre raisons : 1° Parce qu’il fallait que le Christ fût baptisé par Jean, pour consacrer le baptême, comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., implic. tract. 5). 2° Pour manifester le Christ. C’est pourquoi Jean Baptiste dit lui-même (Jean, 1, 31) : C’est pour manifester le Christ dans Israël que je suis venu baptiser dans l’eau. Car il annonçait le Christ à toute la foule qui accourait à son baptême ; ce qu’il a fait plus facilement que s’il avait parlé à chaque personne en particulier, comme l’observe saint Chrysostome (Hom. 16 inter princ.). 3° Pour accoutumer par son baptême les hommes au baptême du Christ. D’où saint Grégoire dit (Hom. 7 in Evang.) que Jean a baptisé pour conserver l’ordre de sa mission de précurseur, de manière que comme il avait prévenu par sa naissance le Seigneur qui devait naître, de même il prévint par son baptême le Seigneur qui devait baptiser. 4° Pour engager les hommes à la pénitence en les préparant à recevoir dignement le baptême du Christ. D’où le vénérable Bède dit (Hom. circumcis.) que le baptême de Jean a servi autant avant le baptême du Christ que l’enseignement de la foi sert aux catéchumènes qui ne sont pas encore baptisés. Car, comme il prêchait la pénitence, et qu’il annonçait à l’avance le baptême du Christ, et qu’il amenait les autres à la connaissance de la vérité qui venait de paraître dans le monde ; de même les ministres de l’Eglise instruisent d’abord les catéchumènes, leur font ensuite déplorer leurs péchés, et leur en promettent enfin la rémission dans le baptême du Christ.

 

Article 2 : Le baptême de Jean a-t-il été de Dieu ?

 

Objection N°1. Il semble que le baptême de Jean n’ait pas été de Dieu. Car les choses sacramentelles qui viennent de Dieu ne tirent jamais leur nom d’un simple mortel. Ainsi on ne dit pas que le baptême de la nouvelle loi est de Pierre ou de Paul, mais du Christ. Or, ce baptême tire son nom de Jean, d’après ce passage de l’Evangile (Matth., 21, 25) : D’où était le baptême de Jean ? du ciel ou des hommes ? Le baptême de Jean ne venait donc pas de Dieu.

Réponse à l’objection N°1 : Par le baptême de la loi nouvelle les hommes sont intérieurement baptisés par l’Esprit-Saint ; ce que fait Dieu seul ; au lieu que par le baptême de Jean il n’y avait que le corps qui fût purifié par l’eau. C’est pourquoi il dit (Matth., 3, 11) : Je vous baptise dans l’eau… il vous baptisera dans l’Esprit-Saint. C’est pour cette raison que le baptême de Jean tire de lui son nom, parce qu’il ne se faisait rien dans ce baptême qu’il ne fit lui-même ; tandis que le baptême de la loi nouvelle ne tire pas son nom du ministre qui ne produit pas l’effet principal du baptême, c’est-à-dire la purification intérieure.

 

Objection N°2. Toute doctrine provenant de Dieu nouvellement est démontrée par quelques prodiges. Ainsi le Seigneur donna à Moïse le pouvoir de faire des miracles (Ex., chap. 4), et saint Paul dit (Héb., 2, 3) : Notre foi ayant été tout d’abord annoncée par le Seigneur lui-même, a été ensuite confirmée en nous par ceux qui l’ont entendue, Dieu appuyant leur témoignage par des miracles et des prodiges. Or, il est dit de Jean Baptiste (Jean, 10, 41) : Qu’il n’a fait aucun miracle. Il semble donc que le baptême dont il a baptisé n’était pas de Dieu.

Réponse à l’objection N°2 : La doctrine et les actions de Jean avaient pour but le Christ qui a prouvé par la multitude de ses miracles la doctrine de Jean et la sienne. Si Jean eût fait des miracles, les hommes auraient fait également attention à lui et au Christ. C’est pourquoi, pour qu’ils fissent principalement attention au Christ, il n’a pas été donné à Jean de faire des prodiges. Cependant les Juifs lui ayant demandé pourquoi il baptisait, il s’appuya sur l’autorité de l’Ecriture en leur disant : Je suis la voix de celui qui crie dans le désert (Jean, 1, 23). L’austérité de sa vie était aussi une recommandation pour ministère, parce que, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 10), il était admirable de voir dans un corps humain une aussi grande pénitence.

 

Objection N°3. Les sacrements que Dieu a établis sont ordonnés dans quelque endroit de l’Ecriture. Or, nulle part dans la sainte Ecriture le baptême de Jean n’est commandé. Il semble donc qu’il n’ait pas été de Dieu.

Réponse à l’objection N°3 : Le baptême de Jean n’a été ordonné par Dieu que pour durer un temps court, à cause des raisons que nous avons données. C’est pourquoi il n’a pas été recommandé par un précepte général renfermé dans l’Ecriture, mais par une révélation particulière de l’Esprit-Saint, comme nous l’avons dit (art. préc.).

 

Mais c’est le contraire. Jean dit lui-même (Jean, 1, 33) : Celui qui m’a envoyé baptiser dans l’eau m’a dit : Celui sur qui vous verrez l’Esprit-Saint, etc.

 

Conclusion Le baptême de Jean a été de Dieu quant au rit, mais non quant à l’effet, puisqu’il ne produisait rien qui fût au-dessus des forces humaines.

Il faut répondre que dans le baptême de Jean on peut considérer deux choses, le rit du baptême et son effet. Le rit du baptême n’est pas venu des hommes, mais de Dieu qui a envoyé Jean pour baptiser d’après l’inspiration particulière de l’Esprit-Saint. Mais l’effet de ce baptême était de l’homme ; parce que ce baptême ne produisait rien que l’homme ne put faire (Parce que ce baptême ne produisait pas d’effet spirituel, comme le dit saint Thomas dans l’article suivant.). Par conséquent il n’a été de Dieu qu’autant que Dieu opère dans l’homme.

 

Article 3 : Le baptême de Jean conférait-il la grâce ?

 

Objection N°1. Il semble que le baptême de Jean conférait la grâce. Car il est dit (Marc, 1, 4) : Jean était dans le désert baptisant et prêchant le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés. Or, la pénitence et la rémission des péchés sont produites par la grâce. Le baptême de Jean la conférait donc.

Réponse à l’objection N°1 : D’après ce passage, comme le dit Bède (chap. 2 in Marc., sup. illud : Fuit Joannes in deserto), on voit qu’il y a deux sortes de baptême. L’un que Jean conférait en baptisant et qui est appelé le baptême de pénitence, parce que ce baptême était une exhortation à la pénitence et une sorte de protestation par laquelle les hommes avouaient qu’ils feraient pénitence ; l’autre est le baptême du Christ par lequel les péchés sont remis, et que Jean ne pouvait donner, mais qu’il prêchait seulement en disant : Il vous baptisera dans l’Esprit-Saint. — Ou bien on peut dire qu’il prêchait le baptême de la pénitence, c’est-à-dire celui qui y dispose, et que cette pénitence mène les hommes à la rémission des péchés. — Ou bien on peut encore répondre que le baptême du Christ, comme le dit saint Jérôme (alius auctor sup. illud Marci, chap. 1 : Prædicans baptismum), confère la grâce par laquelle les péchés sont remis gratuitement ; mais ce qui est consommé par l’époux est commencé par le paranymphe (Les anciens appelaient ainsi celui qui faisait les honneurs de la noce, et qui se tenait à côté du nouveau marié lorsqu’il conduisait sou épouse chez lui.), c’est-à-dire par Jean. D’où il est dit qu’il baptisait et qu’il prêchait le baptême de la pénitence pour la rémission des péchés, non qu’il l’ait produite lui-même, mais parce qu’il y disposait en y préparant.

 

Objection N°2. Ceux qui devaient être baptisés par Jean confessaient leurs péchés, comme on le voit (Matth., chap. 3, et Marc, chap. 1). Or, la confession des péchés a pour but leur rémission qui se produit par la grâce. La grâce était donc conférée dans le baptême de Jean.

Réponse à l’objection N°2 : Cette confession des péchés ne se faisait pas pour en obtenir la rémission immédiatement au moyen du baptême de Jean, mais pour l’obtenir par la pénitence que l’on faisait ensuite et par le baptême du Christ auquel cette pénitence préparait.

 

Objection N°3. Le baptême de Jean était plus près du baptême du Christ que la circoncision. Or, la circoncision remettait le péché originel ; parce que, comme le dit Bède (Hom. circumc.), la circoncision était sous la loi un moyen de guérir la blessure du péché originel, comme l’est maintenant le baptême sous la loi de grâce. Donc à plus forte raison le baptême de Jean opérait-il la rémission des péchés ; ce qui ne peut pas se faire sans la grâce.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Matth., 3, 11) : Je vous baptise dans l’eau pour la pénitence, ce que saint Grégoire explique en disant (Hom. 7 in Ev.) : Jean ne baptisait pas dans l’Esprit, mais dans l’eau, parce qu’il ne pouvait pas effacer les péchés. Or, la grâce vient de l’Esprit-Saint et c’est par elle que les péchés sont effacés. Le baptême de Jean ne conférait donc pas la grâce.

 

Conclusion Le baptême de Jean ne conférait pas la grâce, mais il y disposait par la doctrine qui préparait à la foi, au baptême et à la pénitence.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 de cette même question et art. 2, Réponse N°2), toute la doctrine et toutes les actions de Jean étaient une préparation au Christ, comme il appartient à un ministre et à un artisan inférieur de préparer la matière pour la forme qu’applique l’artisan principal. Or, la grâce devait être conférée aux hommes par le Christ, d’après ces paroles de saint Jean (1, 17) : La grâce et la vérité ont été produites par Jésus-Christ. C’est pour ce motif que le baptême de Jean ne conférait pas la grâce, mais il y disposait seulement de trois manières : 1° par la doctrine de Jean qui porte les hommes à la foi du Christ ; 2° en habituant les hommes au rit du baptême du Christ ; 3° par la pénitence en les préparant à recevoir l’effet du baptême du Christ.

Réponse à l’objection N°3 : La circoncision avait été établie pour remédier au péché originel, au lieu que le baptême de Jean n’avait pas été établi pour cela, mais il était seulement une préparation au baptême du Christ, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article et art. 1). Quant aux sacrements ils produisent leur effet par la force même de leur institution.

 

Article 4 : Indépendamment du Christ, d’autres ont-ils dû être baptisés du baptême de Jean ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ seul ait dû être baptisé du baptême de Jean. Car, comme nous l’avons dit (art. 1), Jean a baptisé pour que le Christ fût, comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., tract. 13). Or, ce qui est propre au Christ ne doit pas convenir aux autres. Aucun autre n’a donc dû recevoir ce baptême.

Réponse à l’objection N°1 : Le baptême de Jean n’a pas été établi uniquement pour que le Christ fût baptisé, mais encore pour d’autres causes, comme nous l’avons dit (art. 1). Et néanmoins, quand il aurait été établi uniquement pour cette fin, il aurait fallu pour éviter l’autre inconvénient que d’autres le reçussent.

 

Objection N°2. Celui qui est baptisé reçoit quelque chose du baptême ou lui confère quelque chose. Or, personne ne pouvait recevoir quelque chose du baptême de Jean, parce qu’il ne conférait pas la grâce, comme nous l’avons dit (art. préc.), et personne ne pouvait conférer quelque chose à ce baptême, à l’exception du Christ qui sanctifia les eaux par le contact de sa chair la plus pure. Il semble donc qu’il est le seul qui ait dû le recevoir.

Réponse à l’objection N°2 : Les autres qui recevaient le baptême de Jean ne pouvaient à la vérité rien conférer à ce baptême ; mais s’ils n’en recevaient pas la grâce, ils en recevaient du moins le signe de la pénitence.

 

Objection N°3. Si d’autres ont été baptisés de ce baptême, c’était seulement pour être préparés au baptême du Christ. Ainsi il paraissait convenable que comme le baptême du Christ est conféré à tout le monde, aux grands et aux petits, aux gentils et aux juifs, il en devait être de même du baptême de Jean. Or, on ne voit pas qu’il ait baptisé les enfants, ni les gentils. Car il est dit (Marc, 1, 5) : Tous ceux de Jérusalem venaient à lui, et il les baptisait. Il semble donc que le Christ seul ait dû être baptisé par saint Jean.

Réponse à l’objection N°3 : Parce que ce baptême était un baptême de pénitence qui ne convient pas aux enfants, les enfants ne le recevaient pas pour ce motif. Quant aux gentils, il était réservé au Christ seul de leur montrer la voie, car il est appelé l’attente des nations, comme on le voit (Gen., chap. 50). Il défendit lui-même aux apôtres de prêcher l’Evangile avant sa passion et sa résurrection. Par conséquent il convenait encore beaucoup moins que les gentils fussent admis au baptême par Jean.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Luc, 3, 21) : Il arriva que comme tout le peuple recevait le baptême, Jésus ayant aussi été baptisé et faisant sa prière, le ciel s’ouvrit.

 

Conclusion Non seulement le Christ, mais encore d’autres ont dû être baptisés du baptême de Jean, soit pour être préparés à recevoir le Christ, soit aussi pour que l’on ne pensât pas que le baptême de Jean était préférable au baptême du Christ.

Il faut répondre qu’il a fallu que d’autres que le Christ reçussent le baptême de Jean pour une double cause : 1° Comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., tract. 4 et 5), parce que si le Christ seul avait reçu le baptême de Jean, il y en aurait qui ne manqueraient pas de dire que le baptême de Jean que le Christ a reçu était plus noble que le baptême du Christ que les autres reçoivent. 2° Parce qu’il fallait que le baptême de Jean préparât les autres au baptême du Christ, comme nous l’avons dit (art. 1 et 3).

 

Article 5 : Le baptême de Jean a-t-il dû cesser aussitôt que le Christ a été baptisé ?

 

Objection N°1. Il semble que le baptême de Jean ait dû cesser aussitôt que le Christ a été baptisé. Car Jean dit (Jean, 1, 31) : Je suis venu baptiser dans l’eau, afin que le Christ soit manifesté dans Israël. Or, le Christ ayant été baptisé, il a été suffisamment manifesté par le témoignage de Jean, par la descente de la colombe, et par le témoignage de la voix de son Père. Il semble donc que le baptême de Jean n’ait pas dû aller au delà.

Réponse à l’objection N°1 : Le Christ n’avait pas encore été manifesté lorsqu’il fut baptisé ; c’est pourquoi il était encore nécessaire que Jean baptisât.

 

Objection N°2. Saint Augustin dit (Sup. Joan., tract. 4) : Le Christ a été baptisé et le baptême de Jean a cessé. Il semble donc qu’après avoir baptisé le Christ, Jean n’ait plus dû baptiser.

Réponse à l’objection N°2 : Le Christ ayant été baptisé, le baptême de Jean a cessé, non pas immédiatement, mais après qu’il a été incarcéré. D’où saint Chrysostome dit (Hom. 28 sup. Joan.) : Je pense quo la mort de Jean a été permise de manière qu’il cessât d’exister au moment où le Christ a commencé de prêcher ; afin que les affections de la multitude entière se portassent vers le Christ, et que les avis ne fussent plus partagés entre l’un et l’autre.

 

Objection N°3. Le baptême de Jean était une préparation au baptême du Christ. Or, le baptême du Christ a commencé aussitôt que le Christ a été baptisé lui-même, parce qu’il a communiqué à l’eau sa vertu régénératrice par le contact de sa chair très sainte, comme le dit Bède (chap. 10 in Luc. sup. illud Luc., chap. 3 : Factum est autem). Il semble donc que le baptême de Jean ait cessé après que le Christ a été baptisé.

Réponse à l’objection N°3 : Le baptême de Jean était une préparation non seulement pour que le Christ fût baptisé, mais encore pour que les autres se disposassent à recevoir le baptême du Christ : ce qui n’était pas encore accompli, après que le Christ a été baptisé.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Jean, 3, 23) : Que Jésus vint en Judée et y baptisait, et que Jean baptisait aussi. Or, le Christ n’a baptisé qu’après qu’il a été baptisé lui-même. Il semble donc qu’après que le Christ fut baptisé, Jean baptisait encore.

Conclusion Puisque l’ombre de la loi ancienne subsistait encore après le baptême du Christ, et qu’il ne convenait pas que le précurseur cessât jusqu’à ce que la vérité fût manifestée, le baptême de Jean n’a pas dû cesser une fois que le Christ a été baptisé.

Il faut répondre que le baptême de Jean n’a pas dû cesser après que le Christ a été baptisé : 1° Parce que, comme le dit saint Chrysostome (Hom. 28 in Joan.), si Jean eût cessé de baptiser, après avoir baptisé le Christ, on croirait qu’il l’a fait par jalousie ou par colère (Parce qu’il aurait vu avec peine que la manifestation éclatante du Christ l’avait surpassé.). 2° Parce que s’il eût cessé de baptiser, il aurait causé de la jalousie à ses disciples. 3° Parce qu’en continuant à baptiser, il envoyait ceux qui l’écoutaient au Christ. 4° Parce que, comme le dit Bède (hab. in glos. ord. sup. illud Joan., chap. 3 : Erat autem Joannes) : L’ombre de l’ancienne loi subsistait encore ; son ministère n’a pas dû cesser jusqu’à ce que la vérité fût manifestée.

 

Article 6 : Ceux qui avaient reçu le baptême de Jean devaient-ils recevoir ensuite le baptême du Christ ?

 

Objection N°1. Il semble que ceux qui avaient reçu le baptême de Jean n’aient pas dû recevoir le baptême du Christ. Car Jean n’a pas été moins que les apôtres, puisqu’il a été écrit de lui (Matth., 11, 2) : Parmi les enfants des hommes il n’y en a pas eu de plus grand que Jean Baptiste. Or, ceux qui avaient été baptisés par les apôtres ne l’étaient pas de nouveau, mais seulement on leur imposait les mains. Car il est dit (Actes, 8, 16) que pour ceux qui avaient été baptisés par Philippe au nom du Seigneur Jésus, alors les apôtres, Pierre et Jean, imposaient les mains sur eux et qu’ils recevaient l’Esprit-Saint. Il semble donc que ceux qui ont été baptisés par Jean n’aient pas dû recevoir le baptême du Christ.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., tract. 5), on devait être rebaptisé après Jean parce qu’il ne donnait pas le baptême du Christ, mais le sien, au lieu que le baptême que conférait Pierre ou qu’eût conféré Judas était celui du Christ. C’est pourquoi si Judas eût baptisé quelqu’un, il n’aurait pas fallu le baptiser de nouveau ; car le baptême est tel que celui au nom duquel on le donne, mais il n’est pas tel que celui par le ministère duquel il est donné. De là il résulte que ceux qui avaient été baptisés par le diacre Philippe qui conférait le baptême du Christ, ne devaient pas être baptisés de nouveau, mais les apôtres leur imposèrent les mains ; comme maintenant les évêques confirment ceux qui ont été baptisés par des prêtres.

 

Objection N°2. Les apôtres ont reçu le baptême de Jean ; car quelques-uns d’entre eux ont été ses disciples, comme on le voit (Jean, chap. 1). Or, ils ne paraissent pas avoir reçu le baptême du Christ ; puisqu’il est dit (Jean, 4, 2) que ce n’était pas Jésus qui baptisait, mais ses disciples. Il semble donc que ceux qui ont reçu le baptême de Jean ne devaient pas recevoir celui du Christ.

Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (ad Seleucian., epist. 265), nous croyons que les disciples du Christ avaient été baptisés, soit du baptême de Jean, comme quelques-uns le pensent, soit, ce qui est plus vraisemblable, du baptême de Jésus-Christ lui-même (Car Jésus-Christ baptisait lui-même, et il faisait conférer le baptême par ses disciples (Jean, 3, 22). Voyez dans cet endroit de l’Evangile la dispute qui s’éleva entre les disciples de Jean et les disciples de Jésus.). Car il n’a sans doute pas manqué de baptiser ceux par lesquels il voulait baptiser les autres, puisqu’il n’a pas dédaigné, pour leur faire une leçon d’humilité, de s’abaisser jusqu’à leur laver les pieds.

 

Objection N°3. Celui qui est baptisé est moindre que celui qui baptise. Or, on ne voit pas que Jean ait reçu le baptême du Christ. Par conséquent ceux qui étaient baptisés par Jean avaient encore moins besoin de l’être par le Christ.

Réponse à l’objection N°3 : Comme le dit saint Chrysostome (alius auctor, Sup. Matth., hom. 4, in op. imperf.), Jean ayant dit au Christ : C’est moi qui dois être baptisé par vous ; celui-ci lui répondit : Laissez-moi faire pour l’heure, ce qui prouve que le Christ a ensuite baptisé Jean (Saint Thomas croit que le sacrement du baptême a été institué par le Christ au moment où il a été baptisé par Jean dans le Jourdain. Nous retrouverons cette question, qui est d’ailleurs controversée (quest. 66, art. 2).), et c’est ce qui est rapporté dans quelques ouvrages apocryphes. Toutefois il est certain, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 3, super illud : Sine modo), que comme le Christ a été baptisé par Jean dans l’eau, de même Jean devait être baptisé par le Christ dans l’Esprit.

 

Objection N°4. L’Ecriture dit (Actes, 19, 1) que Paul ayant trouvé quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit depuis que vous avez embrassé la foi ? Ils lui répondirent : Nous n’avons pas même ouï dire qu’il y ait un Saint-Esprit. Quel baptême, leur dit-il, avez-vous donc reçu ? Ils lui répondirent : Le baptême de Jean. Et on voit plus loin : Qu’ils furent baptisés de nouveau au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il semble donc que, parce qu’ils ne savaient pas que le Saint-Esprit existe, il ait fallu qu’ils fussent baptisés de nouveau, comme le disent saint Jérôme (Sup. Joel., sup. illud chap. 3 : Effundam de Spiritu meo) et saint Ambroise (De Spir. sanct., liv. 1, chap. 3). Or, parmi ceux qui ont reçu le baptême de Jean, il y en avait qui ont eu une pleine connaissance de la Trinité. Ils ne devaient donc pas de nouveau recevoir le baptême du Christ.

Réponse à l’objection N°4 : Ceux qui ont été baptisés par Jean ont dû l’être de nouveau, non pas uniquement parce qu’ils n’avaient pas connu l’Esprit-Saint, mais parce qu’ils n’avaient pas reçu le baptême du Christ.

 

Objection N°5. Sur ces paroles de saint Paul (Rom., 10, 8) : c’est-à-dire, la parole de la foi, que nous prêchons, la glose de saint Augustin dit (Ord., tract. 80 in Joan.) : D’où vient à l’eau une telle vertu qu’en touchant le corps elle purifie le cœur, sinon de l’action de la parole, non parce qu’on la prononce, mais parce qu’on y croit ? D’où il est évident que la vertu du baptême dépend de la foi. Or, la forme du baptême de Jean a signifié la foi du Christ dans laquelle nous sommes baptisés. Car saint Paul dit (Actes, 19, 4) : Jean baptisait le peuple du baptême de la pénitence, en disant qu’il devait croire en celui qui allait venir après lui, c’est-à-dire en Jésus. Il semble donc qu’il ne fallait pas que ceux qui avaient reçu le baptême de Jean reçussent de nouveau celui du Christ.

Réponse à l’objection N°5 : Comme le dit saint Augustin (Cont. Faust., liv. 19, chap. 13), nos sacrements sont des signes de la grâce qui existe présentement, au lieu que les sacrements de l’ancienne loi ont été des signes de la grâce future. Ainsi par là même que Jean baptisa au nom du Christ à venir, cela nous fait comprendre qu’il ne conférait pas le baptême du Christ, qui est un sacrement de la loi nouvelle.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Sup. Joan., tract. 5) : Il fallait que ceux qui ont reçu le baptême de Jean reçussent le baptême du Christ.

 

Conclusion Il a fallu que tous ceux qui avaient reçu le baptême de Jean reçussent de nouveau le baptême du Christ, qui était le seul qui conférât le caractère et la grâce du salut.

Il faut répondre que, d’après le Maître des sentences (Sentent., liv. 4, dist. 2), ceux qui ont été baptisés par Jean sans savoir que le Saint-Esprit existait et en mettant leur espérance dans ce baptême, ont ensuite reçu le baptême du Christ ; mais que ceux qui n’ont pas mis leur espérance dans le baptême de Jean et qui croyaient au Père, au Fils et au Saint-Esprit, n’ont pas été baptisés ensuite, mais ils ont reçu l’Esprit-Saint du moment que les apôtres leur ont imposé les mains (Les réformateurs disaient aussi que les apôtres ne les baptisaient pas de nouveau, qu’ils se contentaient de leur imposer les mains (Calvin. instit., liv. 4, chap. 15, § 18).). — Ce sentiment est vrai quant à la première partie qui se démontre par beaucoup d’autorités ; mais par rapport à la seconde il est absolument déraisonnable : 1° Parce que le baptême de Jean ne conférait pas la grâce et n’imprimait pas le caractère, mais qu’il consistait seulement dans l’eau, comme le dit l’Evangile (Matth., chap. 3). Par conséquent la foi ou l’espérance que ceux qui étaient baptisés avaient dans le Christ ne pouvait pas suppléer à ce défaut. 2° Parce que quand on omet dans un sacrement quelque chose qui est de nécessité, il ne faut pas seulement qu’on supplée à ce qui a été omis, mais il faut qu’on le recommence totalement. Or, il est de nécessité pour le baptême du Christ qu’il soit conféré non seulement dans l’eau, mais encore dans l’Esprit-Saint, d’après ces paroles (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer dans le royaume des cieux. Par conséquent à l’égard de ceux qui n’avaient été baptisés que dans l’eau par le baptême de Jean, non  seulement il fallait suppléer ce qui manquait (en leur donnant, par exemple, l’Esprit-Saint par l’imposition des mains), mais ils devaient être de nouveau complètement baptisés dans l’eau et l’Esprit-Saint (Le baptême de Jean manquait de la forme qui constitue le baptême du Christ, car en le conférant il exhortait ceux qui le recevaient à la pénitence, mais il n’invoquait pas la sainte Trinité, et ce n’était pas au nom de Jésus qu’il agissait.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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