Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 39 : Du baptême du Christ

 

            Après avoir parlé du baptême de Jean, nous devons nous occuper de l’action du Christ qui le reçut. — A ce sujet il y a huit questions à faire : 1° Le Christ a-t-il dû être baptisé ? (Voyez sur ce mystère les Elévations de Bossuet, 22e semaine, élévation 2.) — 2° A-t-il dû être baptisé du baptême de Jean ? — 3° Du temps de son baptême. — 4° Du lieu. — 5° De ce que les cieux lui ont été ouverts. — 6° De l’Esprit- Saint apparaissant sous la forme d’une colombe. — 7° Cette colombe a-t-elle été un animal véritable ? — 8° De la voix qui fit entendre le témoignage du Père.

 

Article 1 : A-t-il été convenable que le Christ fut baptisé ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il n’ait pas été convenable que le Christ fût baptisé. Car être baptisé, c’est être purifié. Or, il ne convenait pas au Christ d’être baptisé, puisqu’il n’y avait pas en lui d’impureté. Il semble donc qu’il n’ait pas été convenable que le Christ fût baptisé.

Réponse à l’objection N°1 : Le Christ n’a pas été baptisé pour être purifié, mais pour purifier les autres, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°2. Le Christ a reçu la circoncision pour accomplir la loi. Or, le baptême n’appartenait pas à la loi. Il ne devait donc pas le recevoir.

Réponse à l’objection N°2 : Le Christ ne devait pas seulement accomplir ce qui appartenait à l’ancienne loi, mais encore commencer ce qui appartient à la loi nouvelle ; c’est pour cela qu’il n’a pas voulu seulement être circoncis, mais encore baptisé.

 

Objection N°3. Le premier moteur en tout genre est immobile par rapport au mouvement qu’il produit ; comme le ciel, qui est le premier principe du changement, est immuable. Or, le Christ est le premier qui ait baptisé, d’après ces paroles (Jean, 1, 33) : Celui sur qui vous verrez descendre et demeurer l’Esprit-Saint, c’est celui qui baptise. Il n’a donc pas été convenable qu’il fût baptisé.

Réponse à l’objection N°3 : Le Christ est le premier qui ait baptisé spirituellement ; par conséquent il n’a pas été baptisé de la sorte, mais seulement dans l’eau.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile rapporte (Matth., 3, 13) : Que Jésus vint de la Galilée sur le Jourdain trouver Jean pour être baptisé par lui.

 

Conclusion Quoique le Christ n’ait pas eu besoin d’être baptisé, néanmoins il a voulu l’être pour sanctifier les eaux, effacer nos souillures et nous apprendre ce que nous devons faire.

Il faut répondre qu’il a été convenable que le Christ fût baptisé : 1° parce que, comme le dit saint Ambroise (Sup. Luc., super illud chap. 3 : Factum est autem) : Le Seigneur a été baptisé, non pour être purifié, mais pour purifier les eaux, afin qu’étant purifiées par la chair du Christ, qui n’a pas connu le péché, elles eussent la vertu baptismale, et afin de laisser les eaux sanctifiées à ceux qui devaient être baptisés ensuite, selon la remarque de saint Chrysostome (alius auctor, Sup. Matth., hom. 4, in op. imperf.). 2° Parce que, d’après le même auteur (ibid.), quoiqu’il n’eût pas de péché, cependant il a pris une nature prévaricatrice et la ressemblance de notre chair de péché. C’est pour cette raison que, quoiqu’il n’ait pas eu besoin du baptême pour lui-même, sa nature charnelle en avait néanmoins besoin dans les autres. Et, selon la pensée de saint Grégoire de Nazianze (Orat. 39, quæ est In sancta lumina) : Le Christ a été baptisé pour plonger dans l’eau tout le vieil Adam. 3° Il a voulu être baptisé, comme le dit saint Augustin (Serm. de Epiph. 39 de temp., implic. parum à princ.), parce qu’il a voulu faire ce qu’il a commandé de faire à tous les autres. Et c’est ce qu’il dit lui-même : Il est convenable que nous accomplissions toute justice (Matth., 3, 15). Car, comme l’observe saint Ambroise (Sup. Luc., loc. sup. cit.), c’est une justice que ce qu’on veut faire faire à un autre, on commence à le faire soi-même, et qu’on exhorte les autres par son exemple.

 

Article 2 : Le Christ a-t-il dû être baptisé du baptême de Jean ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas dû être baptisé du baptême de Jean. Car le baptême de Jean a été le baptême de la pénitence. Or, la pénitence ne convenait pas au Christ, parce qu’il n’a pas eu de péché. Il semble donc qu’il n’ait pas dû être baptisé du baptême de Jean.

Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (art. préc.), le Christ a voulu être baptisé pour nous porter, par son exemple, à recevoir le baptême. C’est pourquoi, pour nous y engager d’une manière plus efficace, il a voulu recevoir un baptême dont évidemment il n’avait pas besoin, pour que les hommes s’approchassent du baptême qui leur était nécessaire. D’où saint Ambroise dit (Sup. Luc., chap. 3 : Factum est autem) : Que personne ne se soustraie au baptême de la grâce, puisque le Christ n’a pas craint de se soumettre à celui de la pénitence.

 

Objection N°2. Le baptême de Jean, comme le dit saint Chrysostome (In Matth., hom. 12), a tenu le milieu entre le baptême des Juifs et le baptême du Christ. Or, le milieu se sent de la nature des extrêmes. Par conséquent, puisque le Christ n’a pas été baptisé de son baptême, il semble que, pour la même raison, il n’ait pas dû recevoir le baptême de Jean.

Réponse à l’objection N°2 : Le baptême des Juifs ordonné dans la loi était seulement figuratif ; tandis que le baptême de Jean était réel d’une certaine manière, selon qu’il portait les hommes à s’abstenir du péché. Mais le baptême du Christ a l’efficacité de purifier du péché et de conférer la grâce. Le Christ n’avait pas besoin de recevoir la rémission de péchés qui n’existaient pas en lui, ni de recevoir la grâce dont il était rempli. De même, puisqu’il était la vérité, ce qui ne se passait qu’en figure ne lui convenait pas. C’est pourquoi il a été plus convenable qu’il reçût le baptême intermédiaire que l’un des extrêmes.

 

Objection N°3. Tout ce qu’il y a de meilleur dans les choses humaines doit être attribué au Christ. Or, le baptême de Jean ne tient pas le rang le plus élevé parmi les baptêmes. Il n’a donc pas été convenable que le Christ le reçût.

Réponse à l’objection N°3 : Le baptême est un remède spirituel. Plus on est parfait et moins on a besoin de remède. Par conséquent, par là même que le Christ a été le plus parfait, il a été convenable qu’il ne reçût pas le meilleur baptême ; comme celui qui se porte bien n’a pas besoin d’une médecine efficace.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Matth., 3, 33) : Que Jésus est venu sur le Jourdain pour être baptisé par Jean.

 

Conclusion Il a été convenable que le Christ reçût le baptême de Jean pour l’approuver.

Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., tract. 13) : Le Seigneur, après son baptême, baptisait ; mais il ne conférait pas le baptême qu’il avait reçu. Par conséquent, puisqu’il baptisait d’un baptême propre, il en résulte qu’il n’a pas reçu son baptême, mais le baptême de Jean. Et ce fut convenable : 1° à cause de la condition du baptême de Jean, qui n’a pas baptisé dans l’Esprit, mais seulement dans l’eau. Car le Christ n’avait pas besoin d’un baptême spirituel, puisqu’il a été rempli de la grâce de l’Esprit-Saint depuis le commencement de sa conception, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 34, art. 4). C’est la raison que donne saint Chrysostome (alius auctor, hom. 4, in op. imperf.). 2° Comme le dit Bède (chap. 4 in Marc.), il a reçu le baptême de Jean, pour approuver ce baptême par le sien. 3° D’après saint Grégoire de Nazianze (loc. cit., art. préc.), le Christ s’est approché du baptême de Jean pour sanctifier le baptême (Non le baptême de Jean, mais le baptême de la loi nouvelle, en sanctifiant les eaux et en leur donnant la vertu de purifier et de régénérer l’âme ; car dès lors, selon la remarque de Cajétan, qui suit ici l’opinion de saint Thomas, le baptême de la loi nouvelle fut institué.).

 

Article 3 : Le Christ a-t-il été baptisé dans le temps convenable ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas été baptisé dans le temps convenable. Car le Christ a été baptisé pour exciter les autres au baptême par son exemple. Or, on baptise avec raison les chrétiens, non seulement avant leur trentième année, mais encore pendant leur enfance. Il semble donc que le Christ n’ait pas dû être baptisé à l’âge de trente ans.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Grégoire de Nazianze (Orat. 40), le Christ n’a pas été baptisé comme s’il avait eu besoin de purification, et il n’y avait pas de péril pour lui à différer son baptême, tandis que pour tout autre il y a le plus grand danger qu’il sorte de cette vie sans avoir revêtu le vêtement d’incorruption, c’est-à-dire sans la grâce (Le concile de Trente a ainsi anathématisé ceux qui prétendent qu’on ne doit recevoir le baptême qu’à l’âge où le Christ a été lui-même baptisé (sess. 7, can. 12) : Si quis dixerit neminem esse baptizandum, nisi in œtate quâ Christus baptizatus est, vel in ipso mortis articulo, anathema sit.). Et quoiqu’il soit bien de conserver la pureté après le baptême, cependant il vaut mieux, comme il le dit lui-même, contracter pendant un temps quelques souillures que de manquer absolument de la grâce.

 

Objection N°2. On ne voit pas que le Christ ait enseigné, ou qu’il ait fait des miracles avant son baptême. Or, il aurait été plus utile au monde, s’il avait enseigné auparavant, en commençant à sa vingtième année ou avant. Il semble donc que le Christ qui était venu dans l’intérêt des hommes ait dû être baptisé avant sa trentième année.

Réponse à l’objection N°2 : Les avantages que les hommes retirent du Christ sont surtout produits par la foi et l’humilité ; sous ces deux rapports il est utile que le Christ n’ait pas commencé à enseigner dans son enfance ou dans son adolescence, mais dans l’âge mûr. C’était utile pour la foi, parce qu’on a vu en lui la véritable nature de l’humanité par là même que son corps a crû matériellement avec le temps, et de peur que ce développement ne parût être fantastique, il n’a pas voulu manifester sa sagesse ou sa vertu avant l’âge mûr. Il y avait aussi en cela une leçon d’humilité, de peur qu’avant la maturité de l’âge on eût la présomption d’accepter l’office de prélat (Par le mot prélat saint Thomas entend ici celui qui a charge d’âmes.) et le ministère de la prédication.

 

Objection N°3. C’est surtout dans le Christ que l’on a dû voir éclater des marques de la sagesse infuse. Or, ces marques se sont manifestées dans Daniel dès son enfance, d’après ces paroles (Dan., 13, 45) : Le Seigneur a suscité l’Esprit-Saint d’un jeune enfant appelé Daniel. Donc à plus forte raison le Christ a-t-il dû être baptisé et enseigner dans son enfance.

Réponse à l’objection N°3 : Le Christ se proposait aux hommes pour être leur exemple à tous. C’est pourquoi il a fallu montrer en lui ce qui convient à tous selon la loi commune, c’est-à-dire enseigner à l’âge mûr. Mais, comme le dit saint Grégoire de Nazianze (Orat. 39), ce qui arrive rarement ne fait pas loi générale, comme une hirondelle ne fait pas le printemps. Car il a été accordé à quelques-uns, d’après une disposition spéciale selon l’ordre et la raison de la divine sagesse, de commander ou d’enseigner en dehors de la loi commune avant l’âge mûr. Tels furent Salomon, Daniel et Jérémie.

 

Objection N°4. Le baptême de Jean se rapporte au baptême du Christ comme à sa fin. Or, la fin est la première dans l’intention et la dernière dans l’exécution. Le Christ a donc dû être baptisé le premier ou le dernier par Jean.

Réponse à l’objection N°4 : Le Christ n’a dû être baptisé par Jean ni le premier, ni le dernier, parce que, comme le dit saint Chrysostome (alius auctor, hom. 4, in op. imperf.), il s’est fait baptiser pour confirmer la prédication et le baptême de Jean, et pour en recevoir témoignage. Or, on n’a pu croire au témoignage de Jean qu’après qu’un grand nombre ont été baptisés par lui. C’est pourquoi Jean n’a pas dû le baptiser le premier. Il n’a pas dû non plus être baptisé le dernier ; parce que, d’après le même auteur, comme la lumière du soleil n’attend pas le coucher de l’étoile du matin, mais qu’il paraît lorsqu’elle brille encore, et obscurcit son éclat de sa lumière ; de même le Christ n’a pas attendu que Jean eût accompli sa course, mais il s’est montré lorsqu’il enseignait et qu’il baptisait encore.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Luc, 3, 21) : Il arriva que comme tout le peuple recevait le baptême, Jésus ayant été baptisé, etc. Et plus loin : Jésus avait environ trente ans lorsqu’il commença à paraître.

 

Conclusion Pour que le Christ fût considéré comme apte à enseigner et à prêcher, et pour montrer que le baptême enfante des hommes parfaits, il convenait qu’il fût baptisé dans sa trentième année.

Il faut répondre qu’il a été convenable que le Christ fût baptisé dans sa trentième année : 1° Parce que le Christ était baptisé, comme commençant dès lors à enseigner et à prêcher, et il faut pour cela l’âge parfait tel qu’on l’a à trente ans. Ainsi la Genèse rapporte (41, 46) que Joseph avait trente ans quand il reçut le gouvernement de l’Egypte. De même il est dit (2 Rois, 5, 4) : que David avait trente ans quand il commença à régner. Ezéchiel commença aussi à prophétiser dans sa trentième année, comme on le voit (Ez., chap. 1). 2° Parce que, comme l’observe saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 10), il devait arriver qu’après le baptême du Christ la loi commençât à cesser. C’est pourquoi le Christ est venu se faire baptiser à l’âge où l’on peut commettre tous les péchés, afin qu’ayant observé la loi, personne ne dise qu’il l’a abrogée, parce qu’il n’a pu l’accomplir. 3° Parce qu’en se faisant baptiser à un âge mûr, il nous a fait comprendre que le baptême enfante des hommes parfaits, d’après ces paroles de saint Paul (Eph., 4, 13) : Les pasteurs édifient le corps de Jésus-Christ jusqu’à ce que nous parvenions tous à l’unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’un homme parfait, à la mesure de l’âge selon laquelle Jésus-Christ doit être pleinement formé. D’ailleurs la propriété elle-même du nombre paraît se rapporter à cela ; car le nombre trente est composé du nombre ternaire multiplié par dix. Par le nombre ternaire on comprend la foi de la Trinité, et par le nombre dix l’accomplissement des préceptes de la loi, et la perfection de la vie chrétienne consiste dans ces deux choses.

 

Article 4 : Le Christ a-t-il dû être baptisé dans le Jourdain ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas dû être baptisé dans le Jourdain. Car la vérité doit répondre à la figure. Or, la figure du baptême a préalablement existé dans le passage de la mer Rouge, où les Egyptiens ont été submergés, comme les péchés sont effacés dans le baptême. Il semble donc que le Christ ait dû être baptisé dans la mer Rouge plutôt que dans le fleuve du Jourdain.

Réponse à l’objection N°1 : Le passage de la mer Rouge a figuré à l’avance le baptême en ce qu’il efface les péchés, au lieu que le passage du Jourdain l’a figuré en ce qu’il ouvre la porte du royaume céleste, qui est un effet plus important du baptême et qui a été accompli par le Christ seul. C’est pourquoi il a été plus convenable que le Christ fût baptisé dans le Jourdain que dans la mer.

 

Objection N°2. Le mot Jourdain signifie descente. Or, par le baptême on monte plutôt qu’on ne descend. D’où il est dit (Matth., 3, 16) que Jésus ayant été baptisé s’éleva de l’eau aussitôt. Il semble donc inconvenant que le Christ ait été baptisé dans le Jourdain.

Réponse à l’objection N°2 : Dans le baptême on monte par le mouvement de la grâce qui demande qu’on descende par l’humilité, d’après ces paroles de saint Jacques (4, 6) : Le Seigneur donne sa grâce aux humbles et c’est à cette descente qu’il faut rapporter le mot Jourdain.

 

Objection N°3. Lorsque les enfants d’Israël passèrent le Jourdain, les eaux du fleuve se retirèrent, comme on le voit (Josué, chap. 4, Ps. 113). Or, ceux qui sont baptisés ne vont pas en arrière, mais en avant. Il n’a donc pas été convenable que le Christ fût baptisé dans le Jourdain.

Réponse à l’objection N°3 : Selon la remarque de saint Augustin (in serm. Epiph.), comme les eaux du Jourdain se retirèrent, de même, une fois que le Christ fut baptisé, les péchés se retirèrent aussi. — Ou bien cela signifie que, contrairement aux eaux qui descendent, le fleuve des bénédictions remonte.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Marc, 1, 9) que Jésus a été baptisé par Jean dans le Jourdain.

 

Conclusion Il a été convenable que le Christ fût baptisé dans le fleuve du Jourdain, pour désigner que par le baptême on entre dans te royaume de Dieu.

Il faut répondre que c’est par le fleuve du Jourdain que les enfants d’Israël sont entrés dans la terre promise. Or, le baptême du Christ a cela de spécial entre tous les baptêmes, c’est qu’il fait entrer dans le royaume de Dieu dont la terre promise est la figure. D’où l’Evangile dit (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu. C’est aussi à cela que se rapporte l’action d’Elie, qui sépara les eaux du Jourdain, quand il devait être enlevé au ciel dans un char de feu, comme on le voit (4 Rois, chap. 2), parce que l’entrée du ciel est ouverte par le feu de l’Esprit-Saint à ceux qui passent par l’eau du baptême. C’est pourquoi il a été convenable que le Christ fût baptisé dans le Jourdain.

 

Article 5 : Les cieux ont-ils dû s’ouvrir quand le Christ a été baptisé ?

 

Objection N°1. Il semble que les cieux n’aient pas dû s’ouvrir quand le Christ a été baptisé. Car les cieux doivent s’ouvrir à celui qui a besoin d’y entrer et qui est en dehors. Or, le Christ était toujours dans le ciel, d’après ces paroles (Jean, 3, 13) : Le Fils de l’homme qui est au ciel. Il semble donc que les cieux n’aient pas dû être ouverts pour lui.

Réponse à l’objection N°1 : Selon la pensée de saint Chrysostome (ibid., in Matth.), comme le Christ a été baptisé par rapport à nous, quoiqu’il n’eût pas besoin du baptême pour lui-même ; ainsi les cieux lui ont été ouverts de la même manière, puisque selon sa nature divine il y était toujours.

 

Objection N°2. L’ouverture des cieux s’entend spirituellement ou corporellement. Or, on ne peut pas l’entendre corporellement, parce que les corps célestes sont impassibles et que rien ne peut les rompre, d’après ces paroles de Job (37, 18) : L’avez-vous aidé à tendre les cieux qui sont solides comme un miroir d’airain jeté en fonte ? On ne peut non plus les entendre spirituellement, parce que les cieux n’ont pas été fermés auparavant aux yeux du Fils de Dieu. Il semble donc qu’il ne soit pas convenable de dire que les cieux ont été ouverts pour lui, après qu’il a été baptisé.

Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 3), les cieux ont été ouverts, après le baptême du Christ, non par la séparation des éléments, mais aux regards de l’esprit, comme Ezéchiel dit au commencement de son livre que les cieux s’ouvrirent. Saint Chrysostome le prouve en disant (Sup. Matth., loc. sup. cit.) : Que si la créature elle-même, c’est-à-dire les cieux avaient été séparés, l’Evangile n’aurait pas dit : Ils lui ont été ouverts, parce que ce qui est ouvert matériellement l’est pour tout le monde. D’où l’écrivain sacré dit expressément (Marc, 1, 10) : Que comme Jésus sortait de l’eau il vit les cieux ouverts, comme si leur ouverture se rapportait à la vision du Christ. Il y en a qui entendent ces paroles d’une vision corporelle et qui disent qu’au moment où le Christ fut baptisé, il se fit une si grande clarté que les deux parurent ouverts. On peut aussi les entendre de la vision imaginaire. C’est ainsi qu’Ezéchiel a vu les cieux ouverts. Car par la vertu divine et la volonté de raison il a pu se former dans l’imagination du Christ une vision semblable, pour indiquer que le baptême ouvre aux hommes l’entrée du ciel. Enfin on peut également les rapporter à la vision intellectuelle, selon que le Christ a vu, après avoir sanctifié le baptême, que le ciel était ouvert aux hommes, ce qu’auparavant il avait vu comme devant se produire.

 

Objection N°3. Les cieux ont été ouverts aux fidèles par la passion du Christ, d’après ces paroles de saint Paul (Hébr., 10, 19) : Nous avons par le sang de Jésus la liberté d’entrer avec confiance dans le sanctuaire. Par conséquent ceux qui ont reçu son baptême n’ont pu entrer dans le ciel, s’ils sont morts avant sa passion. Les cieux ont donc dû plutôt s’ouvrir pendant sa passion que pendant son baptême.

Réponse à l’objection N°3 : La passion du Christ ouvre le ciel aux hommes, comme étant la cause commune ou générale de cette faveur. Mais il faut que cette cause commune soit appliquée à chaque individu pour qu’ils y entrent réellement, et c’est ce qui se fait par le baptême, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 6, 3) : Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort ? C’est pourquoi il est plutôt parlé de l’ouverture du ciel dans le baptême que dans la passion du Christ. — Ou bien, comme le dit saint Chrysostome (alius auctor, Sup. Matth., hom. 4, in op. imperf.) : Au baptême du Christ, les cieux se sont seulement ouverts ; mais après qu’il eut vaincu le tyran par sa croix, les portes du ciel n’étaient plus nécessaires, puisqu’il ne devait plus jamais être fermé. Aussi les anges ne dirent pas : Ouvrez les portes, car elles l’étaient ; mais enlevez-les. Par là saint Chrysostome nous fait comprendre que c’est la passion du Christ qui a totalement enlevé les obstacles qui s’opposaient auparavant à l’entrée des âmes des morts dans le ciel, mais que dans son baptême les cieux se sont ouverts pour laisser voir en quelque sorte aux hommes le chemin par lequel ils doivent y entrer.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Luc, 13, 20) : Que Jésus ayant été baptisé et faisant sa prière, le ciel s’ouvrit.

 

Conclusion Le Christ ayant été baptisé et priant, les cieux s’ouvrirent, pour montrer que le chemin qui y mène était ouvert à ceux qui recevaient le baptême.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), le Christ a voulu être baptisé pour consacrer par son baptême celui que nous recevrions. C’est pourquoi le baptême du Christ a dû manifester ce qui appartient à l’efficacité du nôtre. A cet égard il y a trois choses à considérer : 1° La vertu principale d’où le baptême tire son efficacité et qui est une force céleste. C’est pour cela qu’après que le Christ a été baptisé le ciel s’est ouvert, pour montrer qu’à l’avenir la vertu céleste sanctifierait le baptême. 2° La foi de l’Eglise et de celui qui est baptisé contribue à l’efficacité du baptême ; c’est pour ce motif que ceux qui sont baptisés font une profession de foi et qu’on appelle le baptême le sacrement de la foi. Or, par la foi nous voyons les choses célestes qui surpassent le sens de l’homme et sa raison, et c’est pour signifier cet effet qu’après que le Christ a été baptisé les cieux se sont ouverts. 3° Parce que le baptême du Christ nous ouvre tout spécialement l’entrée du royaume céleste, qui avait été d’abord fermée à l’homme par le péché. C’est encore pour cette raison qu’après le baptême du Christ, les cieux ont été ouverts, pour montrer que la voie du ciel est ouverte à ceux qui ont reçu le baptême. Après avoir reçu ce sacrement, il est nécessaire que l’homme prie continuellement pour entrer dans le ciel. Car quoique le baptême remette les péchés, il laisse néanmoins subsister le foyer de la concupiscence qui nous combat au dedans, le monde et le démon qui nous attaquent au dehors. C’est pourquoi l’Evangile dit expressément (Luc, chap. 3) que Jésus ayant été baptisé et priant, le ciel s’est ouvert ; parce que la prière est nécessaire aux fidèles après le baptême, ou pour nous faire comprendre que si le baptême ouvre le ciel à ceux qui croient, c’est par la vertu de la prière du Christ. D’où l’Evangile dit positivement (Matth., chap. 3) que le ciel lui a été ouvert, c’est-à-dire qu’il a été ouvert à tout le monde à cause de lui, comme si un empereur disait à quelqu’un qui fait une demande pour un autre : Ce n’est pas à lui que j’accorde ce bienfait, mais c’est à vous, c’est-à-dire c’est à lui à cause de vous, comme le dit saint Chrysostome (alius auctor, Sup. Matth., hom. 4, in op. imperf.).

 

Article 6 : Est-il convenable que l’Esprit-Saint soit descendu sur le Christ après son baptême sous la forme d’une colombe ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable de dire que l’Esprit-Saint est descendu sur le Christ baptisé sous la forme d’une colombe. Or, la plénitude de la grâce a été dans le Christ comme homme dès le commencement de sa conception, parce qu’il a été le Fils unique du Père, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 34, art. 4). L’Esprit-Saint n’a donc pas dû lui être envoyé dans son baptême.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 15, chap. 26), il est très absurde de dire que le Christ ait reçu l’Esprit-Saint à l’âge de trente ans ; car il est venu se faire baptiser étant sans péché, et par conséquent il n’était pas sans l’Esprit-Saint. En effet, ajoute-t-il, s’il a été écrit de Jean qu’il sera rempli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère ; que doit-on dire du Christ, de l’Homme-Dieu, dont la conception du corps n’a pas été l’œuvre de la chair, mais de l’Esprit ? Alors donc, c’est-à-dire dans son baptême, il a daigné figurer à l’avance son corps, c’est- à-dire l’Eglise, dans laquelle ce sont principalement ceux qui sont baptisés qui reçoivent l’Esprit-Saint.

 

Objection N°2. On dit que le Christ est descendu dans le monde par le mystère de l’Incarnation, quand il s’est anéanti en prenant la forme d’un esclave (Phil., chap. 2). Or, l’Esprit-Saint ne s’est pas incarné. Il n’est donc pas convenable de dire qu’il est descendu sur le Christ.

Réponse à l’objection N°2 : Selon la remarque de saint Augustin (De Trin., liv. 2, chap. 6), on ne dit pas que l’Esprit-Saint est descendu sur le Christ sous la l’orme sensible d’une colombe, comme si l’on eût vu la substance même de l’Esprit-Saint qui est invisible, ni comme s’il eût pris cette créature visible de manière qu’elle ne fît qu’une seule personne avec lui. Car on ne dit pas que l’Esprit-Saint soit une colombe, comme on dit que le Fils de Dieu est homme en raison de l’union. L’Esprit-Saint n’a pas été vu non plus sous la forme d’une colombe comme Jean a vu l’agneau tué dans l’Apocalypse (chap. 5) ; car cette vision s’est faite dans l’esprit parles images spirituelles des corps ; au lieu que pour la colombe personne n’a jamais douté qu’on ne l’ait vue des yeux. L’Esprit-Saint ne s’est pas non plus manifesté sous la forme d’une colombe, comme saint Paul dit (1 Cor., 10, 4) que la pierre était le Christ. Car cette pierre faisait partie des autres choses créées, et c’est par métaphore qu’elle a recul e nom du Christ qu’elle signifiait ; tandis que la colombe n’a existé immédiatement que pour signifier ce mystère, et elle a disparu ensuite, comme la flamme qui a apparu à Moïse dans un buisson ardent. Par conséquent on dit que le Saint-Esprit est descendu sur le Christ, non pas en raison de son union avec la colombe, mais soit en raison de la colombe elle-même qui le signifiait et qui est venue en descendant sur le Christ, soit en raison de la grâce spirituelle qui découle de Dieu sur la créature à la manière de ce qui descend, suivant ces paroles de saint Jacques (1, 17) : Toute grâce excellente et tout don parfait vient d’en haut, descendant du Père des lumières.

 

Objection N°3. On a dû voir dans le baptême du Christ, comme dans un type, ce qui se passe dans le nôtre. Or, dans notre baptême il n’y a pas une mission visible de l’Esprit-Saint. Cette mission visible n’a donc pas dû avoir lieu non plus dans le baptême du Christ.

Réponse à l’objection N°3 : Comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 12), au début des choses spirituelles il y a toujours des visions sensibles à cause de ceux qui ne peuvent avoir l’intelligence du monde immatériel, afin que si plus tard ces visions ne se renouvellent pas, du moins ils croient d’après ce qui s’est passé une première fois. C’est pourquoi quand le Christ a été baptisé, l’Esprit-Saint est descendu visiblement sous une forme sensible, pour que l’on crût ensuite qu’il descend invisiblement sur tous ceux que l’on baptise.

 

Objection N°4. L’Esprit-Saint se répand du Christ sur tous les autres, d’après ces paroles disaient Jean (Jean, 1, 15) : Nous avons tous reçu de sa plénitude. Or, l’Esprit-Saint est descendu sur les apôtres, non sous la forme d’une colombe, mais sous la forme du feu. Il n’aurait donc pas dû descendre sur le Christ sous la forme d’une colombe, mais sous la forme du feu.

Réponse à l’objection N°4 : L’Esprit-Saint a apparu sur le Christ après son baptême sous la forme d’une colombe pour quatre raisons : 1° A cause de la disposition requise dans celui qui est baptisé et qui consiste à ne pas s’approcher avec feinte ; parce que, comme le dit le Sage (Sag., 1, 5) : L’Esprit-Saint fuit le déguisement. Or, la colombe est un animal simple, sans astuce et sans fourberie). D’où il est dit (Matth., 10, 16) : Soyez simples comme des colombes. — 2° Pour désigner les sept dons du Saint-Esprit que la colombe signifie par ses propriétés. En effet, la colombe habite le long des fleuves, afin qu’aussitôt qu’elle aperçoit l’oiseau de proie, elle s’y plonge et lui échappe : ce qui appartient au don de sagesse qui fait que les saints se reposent près des saintes Ecritures, comme près d’un fleuve protecteur, pour échapper aux attaques du démon. 2° La colombe choisit les meilleurs grains, ce qui appartient au don de science d’après lequel les saints choisissent les saines maximes pour s’en nourrir. 3° La colombe nourrit les petits des autres ; ce qui appartient au don du conseil qui porte les saints à nourrir de leur conseil et de leur exemple les hommes qui ont été petits, c’est-à-dire qui ont imité le démon. 4° La colombe ne déchire rien du bec ; ce qui appartient au don d’intellect par lequel les saints ne pervertissent pas les bonnes doctrines, en les lacérant à la manière des hérétiques. 5° La colombe n’a pas de fiel : ce qui appartient au don de piété qui fait que les saints n’éprouvent pas de colère irraisonnable. 6° La colombe fait son nid dans des cavernes de pierre, ce qui se rapporte au don de force qui fait que les saints se reposent dans les plaies de la mort du Christ qui est la pierre ferme, c’est-à-dire qu’ils y établissent leur refuge et leur espérance. 7° La colombe gémit au lieu de chanter ; ce qui appartient au don de crainte qui fait que les saints se plaisent à gémir sur leurs péchés. — 3° L’Esprit-Saint s’est montré sous la forme d’une colombe, parce que le baptême a pour effet de remettre les péchés et de réconcilier avec Dieu. Car la colombe est un animal doux. C’est pourquoi, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 12), on a vu dans le déluge cet animal portant un rameau d’olivier et annonçant la tranquillité générale du monde entier, et maintenant il apparaît dans le baptême, nous montrant notre libérateur. 4° L’Esprit-Saint s’est manifesté sous la forme d’une colombe sur le Seigneur après qu’il a été baptisé, pour désigner l’effet général du baptême, qui consiste dans la formation de l’unité de l’Eglise. D’où saint Paul dit (Eph., 5, 25) que le Christ s’est livré lui-même… pour la faire paraître devant lui pleine de gloire, sans tache, sans ride, et sans aucun défaut, la purifiant par l’eau où elle est lavée et par la parole de vie. C’est pourquoi il est convenable que l’Esprit-Saint se soit montré dans le baptême sous la forme d’une colombe, qui est un animal aimable et sociable. D’où le Christ dit de l’Eglise (Cant., 6, 8) : Il n’y en a qu’une qui soit ma colombe. — Quant aux apôtres, l’Esprit-Saint est descendu sur eux sous la forme du feu pour deux motifs : de Pour montrer la ferveur dont leurs cœurs devaient être embrasés pour prêcher le Christ partout au milieu des persécutions ; et c’est pour cela qu’il a apparu en langues de feu. D’où saint Augustin dit (Sup. Joan., tract. 6) : Le Seigneur a montré visiblement l’Esprit-Saint de deux manières : par une colombe qui s’est reposée sur le Seigneur quand il a été baptisé, et par le feu qui a apparu sur les disciples assemblés ; ce qui montre d’une part la simplicité, de l’autre la ferveur. Ainsi de peur que ceux qui ont été sanctifiés par l’Esprit n’agissent par ruse, il s’est montré sous la forme d’une colombe, et de peur que la simplicité ne reste froide, il s’est montré sous la forme du feu. Et dans la crainte qu’on ne se laisse ébranler, parce que les langues ont été divisées, l’unité s’est montrée dans la colombe. 2° Parce que, comme le dit saint Chrysostome (hab. in Cat. Div. Thomæ, sup. illud Luc, chap. 3, Jesu baptizato), puisqu’il fallait pardonner les péchés, ce qui se fait dans le baptême, la mansuétude que la colombe démontre était nécessaire ; mais une fois que nous avons reçu la grâce, il reste le temps du jugement qui est signifié par le feu.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Luc, 3, 22) : Le Saint-Esprit descendit sur lui sous la forme sensible d’une colombe.

 

Conclusion Pour montrer que tous ceux qui doivent recevoir le baptême du Christ, s’ils s’en approchent avec un cœur simple et sans dissimulation, recevront la grâce de l’Esprit-Saint, il a été convenable que le Saint-Esprit se montrât sur le Christ après son baptême, sous la forme d’une colombe, qui est un animal simple.

Il faut répondre que ce qui s’est passé à l’égard du Christ dans son baptême, se rapporte, comme le dit saint Chrysostome (alius auct., hom. 4 in op. imp. Sup. Matth.), au mystère de tous ceux qui devaient être baptisés ensuite. Or, tous ceux qui sont baptisés du baptême du Christ reçoivent l’Esprit-Saint, s’ils s’approchent de ce sacrement avec droiture, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 3, 11) : Il vous baptisera dans l’Esprit-Saint. C’est pourquoi il a été convenable que l’Esprit-Saint descendît sur le Christ baptisé.

 

Article 7 : Cette colombe sous laquelle l’Esprit-Saint s’est manifesté était-elle un animal véritable ?

 

Objection N°1. Il semble que cette colombe sous laquelle l’Esprit-Saint a apparu n’ait pas été un animal véritable. Car ce qui se montre selon la ressemblance ne paraît exister qu’en apparence. Or, l’Evangile dit (Luc, 3, 22) que l’Esprit-Saint est descendu sur le Christ, comme une colombe, sous une forme sensible. La colombe n’a donc pas été véritable, mais c’était une apparence ou la ressemblance de cet animal.

Réponse à l’objection N°1 : On dit que l’Esprit-Saint est descendu sous la forme ou la ressemblance d’une colombe, non pour signifier que la colombe n’était pas véritable, mais pour montrer qu’il n’a pas apparu sous la forme de sa substance.

 

Objection N°2. Comme la nature ne fait rien en vain, de même Dieu non plus, ainsi qu’on le voit (De cælo, liv. 1, text. 32 ; liv. 2, text. 59). Or, puisque cette colombe n’a paru que pour signifier une chose et disparaître ensuite, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 2, chap. 6), il eût été inutile qu’elle fût véritable. Car on pouvait obtenir le même résultat par la ressemblance d’une colombe. Elle n’a donc pas été un animal véritable.

Réponse à l’objection N°2 : Il n’a pas été inutile de former une colombe véritable pour que le Saint-Esprit parût sous la forme de cet oiseau, puisque la vérité même de la colombe désigne la vérité de l’Esprit-Saint et de ses effets.

 

Objection N°3. Les propriétés d’une chose mènent à la connaissance de sa nature. Si donc cette colombe avait été un animal véritable, ses propriétés auraient signifié la nature d’un véritable animal, mais non l’effet de l’Esprit-Saint. Il ne semble donc pas que cette colombe ait été un animal véritable.

Réponse à l’objection N°3 : Les propriétés de la colombe servent tout à la fois à manifester sa nature et à faire connaître les effets de l’Esprit-Saint. Car, par là même que la colombe a ces propriétés, on voit qu’elle est la figure de l’Esprit-Saint.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de Agon. christ., chap. 22) : Nous ne prétendons pas que Jésus-Christ Nôtre -Seigneur ait eu seul un corps véritable, et que l’Esprit-Saint se soit manifesté aux yeux des hommes d’une manière fausse ; mais nous croyons que ces deux corps sont vrais.

 

Conclusion Comme le Fils de Dieu a pris un corps véritable, de même l’Esprit-Saint a formé une véritable colombe sous laquelle il s’est manifesté, quoiqu’il ne l’ait pas prise de manière à ne faire avec elle qu’une personne.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 5, art. 1), il ne convenait pas que le Fils de Dieu, qui est la vérité du Père, usât de fiction. C’est pourquoi il ne prit pas un corps fantastique, mais un corps véritable. Et comme l’Esprit-Saint est appelé l’Esprit de vérité, ainsi qu’on le voit (Jean, chap. 16), il a formé pour ce motif une colombe véritable sous laquelle il s’est manifesté, quoiqu’il ne l’eût pas prise dans l’unité de sa personne. C’est pour cela qu’après le passage cité saint Augustin ajoute : Comme il ne fallait pas que le Fils de Dieu trompât les hommes, de même il ne fallait pas non plus que l’Esprit-Saint les induisît en erreur. D’ailleurs il n’était pas difficile au Dieu tout-puissant, qui a créé de rien le monde entier, de former le corps d’une véritable colombe, sans le secours des autres colombes ; comme il ne lui a pas été difficile de former un corps véritable dans le sein de Marie sans l’action de l’homme ; puisque la créature corporelle obéit à l’ordre et à la volonté du Seigneur, pour former l’homme dans les entrailles de la femme et pour mettre au monde la colombe.

 

Article 8 : Est-il convenable qu’après le baptême du Christ on ait entendu la voix du Père qui le reconnaissait pour son Fils ?

 

Objection N°1. Il ne semble pas convenable qu’après le baptême du Christ on ait entendu la voix du Père qui le reconnaissait pour son Fils. Car on dit que le Fils et l’Esprit-Saint ont été visiblement envoyés, selon qu’ils se sont manifestés d’une manière sensible. Or, il ne convient pas au Père d’être envoyé, d’après saint Augustin (De Trin., liv. 2, chap. 12). Il ne lui convient donc pas non plus de se manifester.

Réponse à l’objection N°1 : La mission visible ajoute quelque chose à l’apparition ; elle y ajoute l’autorité de celui qui envoie. C’est pourquoi on dit que le Fils et le Saint-Esprit, qui viennent d’un autre, sont visiblement envoyés, et qu’ils n’apparaissent pas seulement ; au lieu que le Père, qui ne procède pas d’un autre, peut apparaître, mais il ne peut pas être envoyé visiblement.

 

Objection N°2. La voix est l’expression du Verbe conçu dans le cœur. Or, le Père n’est pas le Verbe. C’est donc à tort qu’il s’est manifesté par la voix.

Réponse à l’objection N°2 : Le Père ne se montre dans la voix que comme l’auteur de cette voix ou comme parlant par elle. Et parce qu’il est propre au Père de produire le Verbe, ce qui consiste à dire ou à parler, il s’ensuit qu’il est très convenable que le Père se soit manifesté par la voix qui signifie le Verbe. Par conséquent, c’est la voix elle-même sortie du Père qui atteste la filiation du Verbe, et comme la forme de la colombe, sous laquelle s’est montré l’Esprit-Saint, n’est pas la nature même de cet Esprit ; et que d’ailleurs la forme humaine sous laquelle s’est montré le Fils lui-même, n’est pas la nature du Fils de Dieu : de même la voix n’appartient pas non plus à la nature du Verbe ou du Père qui parle. D’où le Seigneur dit, en parlant de son Père (Jean, 5, 37) : Vous n’avez jamais entendu sa voix, ni vu sa forme. Par là, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Joan., hom. 39), il les mène insensiblement aux véritables notions philosophiques, en leur montrant que Dieu n’a ni voix, ni forme sensible, mais qu’il est en dehors de toute figure et de tout langage. Et comme c’est la Trinité entière qui a produit la colombe et la nature humaine prise par le Christ, de même c’est elle qui a formé cette voix. Mais dans la voix il n’y a que le Père qui soit annoncé comme parlant, comme il n’y a que le Fils qui ait pris la nature humaine, et comme il n’y a que le Saint-Esprit qui se soit montré sous la forme d’une colombe, comme on le voit par saint Augustin (Fulgentius, Lib. de fid. ad Pet., chap. 9).

 

Objection N°3. L’homme-Christ n’a pas commencé à être le Fils de Dieu dans le baptême, comme quelques hérétiques l’ont pensé ; mais il l’a été dès le commencement de sa conception. La voix du Père eût donc dû attester la divinité du Christ plutôt à sa naissance qu’à son baptême.

Réponse à l’objection N°3 : La divinité du Christ n’a pas dû être manifestée à tout le monde dans sa naissance ; elle a dû plutôt être voilée sous les défauts de l’enfance. Mais quand il est arrivé à l’âge mûr, alors qu’il fallait qu’il enseignât, qu’il fît des miracles, et qu’il convertît à lui les hommes, sa divinité devait être manifestée par le témoignage du père, pour que sa doctrine fût plus digne de foi. C’est pourquoi il dit lui-même (Jean, 5, 37) : Mon Père qui m’a envoyé rend lui-même témoignage de moi. Et c’est ce qui arrive principalement dans le baptême par lequel les hommes renaissent pour être les fils adoptifs de Dieu. Les fils de Dieu par adoption sont établis d’après la ressemblance qu’ils ont avec son fils naturel, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 8, 29) : Ceux qu’il a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l’image de son fils. D’où saint Hilaire dit (Sup. Matth., can. 2) que l’Esprit-Saint descendit sur Jésus après son baptême, et qu’on entendît la voix du Père qui disait : Celui-là est mon Fils bien-aimé, afin que d’après ce qui s’est passé dans le Christ nous sussions qu’après le baptême l’Esprit-Saint accourt des portes célestes en nous, et que nous devenons les enfants de Dieu par l’adoption du Père éternel.

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Matth., 3, 17) : On entendit du ciel une voix qui disait : Celui-là est mon Fils bien-aimé dans lequel j’ai mis toutes mes complaisances.

 

Conclusion Pour montrer par le baptême du Christ ce qui s’accomplit dans le nôtre, il a été convenable qu’après que le Christ a été baptisé on entendit la voix du Père qui le reconnaissait pour son Fils.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 6) dans le baptême du Christ, qui fut le type du nôtre, on a dû démontrer ce qui s’accomplit dans le nôtre. Or, le baptême que les fidèles reçoivent est consacré par l’invocation et la vertu de la Trinité, d’après ces paroles (Matth., 28, 19) : Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’est pourquoi dans le baptême du Christ, comme le dit saint Jérôme (Sup. illud Matth., chap. 3, Et ecce aperti, etc.), on a une démonstration du mystère de la Trinité. Car c’est le Seigneur qui est baptisé dans la nature humaine ; l’Esprit-Saint est descendu sur lui sous la forme d’une colombe, et on a entendu la voix du Père, qui rendait témoignage à son Fils. Il a donc été convenable que le Père se manifestât alors par cette voix.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

JesusMarie.com