Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
42 : De la doctrine du Christ
Article 1 : A-t-il
été convenable que le Christ prêchât aux Juifs et non aux gentils ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ ait dû prêcher non seulement aux Juifs, mais encore aux
gentils. Car le prophète dit (Is., 49, 6) : C’est
parce que vous me serviez pour rétablir les tribus d’Israël et réparer les
ruines de Jacob, que je vous ai établis pour être la lumière des nations et le
salut que j’envoie jusqu’aux extrémités de la terre. Or, le Christ a
éclairé et sauvé les hommes par sa doctrine. Il semble donc que c’eût été bien
peu, s’il ne l’eût précisée qu’aux Juifs et non aux gentils.
Réponse
à l’objection N°1 : Le Christ a été la lumière et le salut des nations par
ses disciples qu’il a envoyés pour prêcher à tous les peuples.
Objection
N°2. L’Evangile dit (Matth., 7, 29) : Il les
enseignait comme ayant puissance. Or, la puissance de la doctrine se montre
surtout dans l’instruction de ceux qui ne savaient absolument rien, comme les
gentils. D’où l’apôtre dit (Rom., 15,
20) : J’ai eu soin de prêcher l’Evangile
là où le Christ n’avait point encore été annoncé, pour ne pas bâtir sur le
fondement d’autrui. Par conséquent, le Christ eût dû prêcher beaucoup plus
aux gentils qu’aux Juifs.
Réponse à l’objection
N°2 : Il ne faut pas moins de
puissance, mais il en faut même davantage pour faire une chose par les autres
que par soi-même (C’est encore une des preuves les plus frappantes de sa
divinité, qu’il n’ait rien fait pour son œuvre pendant sa vie, et qu’il ait
néanmoins prononcé sur la croix le fameux consummatum est, que les événements ont parfaitement justifié.). C’est
pourquoi la puissance divine s’est surtout montrée dans le Christ en ce qu’il a
donné à ses disciples une doctrine si puissante qu’ils ont converti à lui des
nations qui n’avaient jamais entendu son nom. Quant à la puissance du Christ
lui-même elle se considère par rapport aux miracles par lesquels il confirmait
sa doctrine, par rapport à son efficacité persuasive, par rapport à l’autorité
de sa parole, parce qu’il parlait comme ayant une puissance supérieure à la
loi, quand il disait : Et moi je vous dis,
enfin par rapport à la droiture de sa vertu qu’il manifestait dans sa conduite,
en vivant sans péché.
Objection N°3.
L’instruction d’un grand nombre est plus utile que celle d’un seul, par, le
Christ a instruit quelques gentils, comme la Samaritaine (Jean, chap. 4) et
la Cananéenne (Matth., chap. 15). Il semble donc que
le Christ eût dû plutôt prêcher à la multitude des nations.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme le Christ n’a
pas dû dès le commencement instruire indifféremment tous les gentils de sa
doctrine, mais qu’il a dû d’abord faire connaître sa doctrine aux Juifs qui
étaient, pour ainsi dire, le premier-né d’entre les peuples ; de même il n’a
pas dû repousser absolument les gentils, de peur que l’espérance du salut ne
leur fût enlevée. C’est pour ce motif qu’il a reçu en particulier quelques
gentils à cause de l’excellence de leur foi et de leur dévotion.
Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Matth., 15, 24) : Je n’ai été envoyé qu’aux brebis de la
maison d’Israël qui sont perdues. Or, l’Apôtre écrie (Rom., 15, 10) : Comment prêcheront-ils s’ils ne sont envoyés ?
Le Christ n’a donc dû prêcher qu’aux Juifs.
Conclusion Il a été convenable
que le Christ ne prêchât d’abord le salut qu’aux Juifs, soit par les apôtres,
soit par lui-même, afin de montrer que les promesses faites autrefois aux Juifs
avaient été accomplies par son avènement.
Il faut répondre
qu’il a été convenable que le Christ ne prêchât d’abord qu’aux Juifs par
lui-même et par ses apôtres. 1° Pour montrer que son avènement était
l’accomplissement des promesses faites autrefois aux Juifs et non aux gentils.
C’est ce qui fait dire à saint Paul (Rom.,
15, 8) : Je déclare que Jésus-Christ a
exercé son ministère à l’égard du peuple circoncis, c’est- à-dire qu’il a
été l’apôtre et le prédicateur des Juifs, pour
montrer que Dieu est vrai et accomplir les promesses faites à nos pères. 2°
Pour faire voir que son avènement vient de Dieu. Car ce qui vient de Dieu est ordonné, comme le dit encore saint Paul (Rom., 13, 1). Or, l’ordre légitime
exigeait que la doctrine du Christ fût d’abord proposée aux Juifs, qui étaient
les plus rapprochés de Dieu par la foi et le culte de l’unité de Dieu, et
qu’elle fût transmise par eux aux gentils ; comme dans la hiérarchie céleste la
lumière divine est transmise par les anges supérieurs aux inférieurs. C’est pourquoi
à l’occasion de ces paroles de l’Evangile (Matth.,
chap. 15) : Je n’ai été envoyé qu’aux
brebis d’Israël qui périssaient, saint Jérôme observe que par là il ne dit
pas qu’il n’a pas été envoyé aux nations, mais qu’il a été d’abord envoyé vers
Israël. D’où le prophète dit (Is., 66, 19) : J’enverrai aux nations ceux des Juifs qui auront été sauvés, et ils
leur annonceront ma gloire. 3° Pour enlever aux Juifs l’occasion de le
calomnier. C’est pourquoi sur ces paroles de l’Evangile (Matth.,
10, 5) : N’allez pas vers les gentils,
saint Jérôme dit : Il fallait d’abord que l’arrivée du Christ fût annoncée aux
Juifs, pour qu’ils ne puissent pas légitimement s’excuser en disant, qu’ils ont
repoussé le Seigneur, parce qu’il a envoyé ses apôtres aux gentils et aux
Samaritains. 4° Parce que le Christ a mérité par la victoire de la croix la
puissance et l’empire sur les nations. D’où il dit lui-même (Apoc., 2, 26) : Celui qui aura vaincu, je lui donnerai la puissance sur les nations…
comme je l’ai reçue de mon Père. Et saint Paul dit de lui (Phil., 2, 8) que parce qu’il s’est rendu obéissant jusqu’à la mort de la croix Dieu l’a
élevé, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse et que toute langue le
bénisse. C’est pourquoi il n’a pas voulu que sa doctrine fût prêchée aux
nations avant sa passion, mais après il a dit à ses disciples (Matth., 28, 16) : Allez,
enseignez toutes les nations. C’est pour ce motif qu’à la veille de sa
passion, des gentils ayant voulu le voir il leur dit (Jean, 12, 24) : Si le grain de froment ne meurt après qu’on
l’a jeté en terre, il demeure seul ; mais quand il est mort, il porte beaucoup
de fruit, et, selon la pensée de saint Augustin (Tract. 51 in Joan.), il se disait le grain que l’infidélité des
Juifs devait faire périr et que la foi de tous les peuples devait multiplier.
Article 2 : Le
Christ a-t-il dû prêcher aux Juifs sans les offenser ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ ait dû prêcher aux Juifs sans les offenser. Car, comme le
dit saint Augustin (Lib. de Agon. christ., chap. 11), le Fils de Dieu s’est montré en
Jésus-Christ pour nous servir d’exemple. Or, nous devons éviter d’offenser non seulement
les fidèles, mais encore les infidèles, d’après ; ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 10, 32) : Ne donnez
aucun sujet de scandale ni aux Juifs, ni aux gentils, ni à l’Eglise de Dieu.
Il semble donc que le Christ ait dû aussi éviter d’offenser les Juifs par sa
doctrine.
Réponse à l’objection N°1 :
On ne doit scandaliser personne, c’est-à-dire qu’on ne doit être pour personne
par ses paroles ou ses actions une occasion de ruine ; mais quand c’est la
vérité qui scandalise, on doit supporter le scandale plutôt que d’abandonner la
vérité (Voyez ce que nous avons dit du scandale (2a 2æ,
quest. 43, art. 7).), comme le dit saint Grégoire (Hom. 7 in Ezech.).
Réponse à l’objection N°2 : En reprenant publiquement les scribes et les pharisiens, le
Christ n’a pas empêché sa doctrine de porter ses fruits, mais il l’a plutôt favorisée
; parce que le peuple, qui reconnaissait leurs vices, était moins éloigné du
Christ à cause des paroles des scribes et des pharisiens qui étaient toujours
opposés à sa doctrine.
Objection
N°3. L’Apôtre dit (1 Tim., 5, 1) : Ne reprenez
pas durement celui qui est avancé en âge, mais exploitez-le comme s’il était
votre père. Or, les prêtres et les princes des Juifs étaient les anciens de
la nation. Il semble donc que le Christ n’ait pas dû leur faire de dures
réprimandes.
Réponse à l’objection
N°3 : Ce passage de
l’apôtre doit s’entendre des vieillards qui sont tels non seulement par l’âge
ou l’autorité, mais encore par la vertu, d’après ces paroles de la loi (Nom, 11, 16) : Assemblez-moi
soixante et dix hommes d’entre les anciens d’Israël que vous saurez être du
nombre des anciens du peuple. Mais si les vieillards font de leur autorité
un instrument de malice, en péchant publiquement, on doit les reprendre
ouvertement et vivement, comme l’a fait Daniel (Dan., 13, 52) : Homme vieilli dans le mal, etc.
Mais c’est le contraire. Le prophète avait annoncé
(Is., 8, 14), que le Christ serait pour
les deux maisons d’Israël une pierre d’achoppement et de scandale.
Conclusion Puisque les scribes et
les pharisiens et les princes des Juifs étaient opposés au salut général de
tous les hommes, le Christ a dû, sans craindre de les offenser, enseigner la
vérité publiquement et s’élever contre leur conduite.
Il faut répondre que
le salut de la multitude doit être préféré à la paix de quelques individus
en particulier. C’est pourquoi quand il y a des hommes qui par leur perversité
empêchent le salut de la multitude, celui qui prêche ou qui enseigne ne doit
pas craindre de les offenser pour pourvoir au salut de la multitude. Or, les
scribes, les pharisiens et les princes des Juifs étaient un grand obstacle au
salut du peuple ; soit parce qu’ils étaient les ennemis de la doctrine du
Christ qui était le seul moyen par lequel on pouvait être sauvé ; soit parce
qu’ils corrompaient la vie du peuple par leurs mœurs déréglées. C’est pourquoi
le Seigneur, sans craindre de les offenser, enseignait publiquement la vérité
qu’ils haïssaient et leur reprochait leurs vices. Aussi les disciples ayant dit
au Seigneur (Matth., 15, 12) : Savez-vous
bien que les pharisiens ayant entendu cette parole, s’en sont scandalisés ? il leur répondit :
Laissez-les : ce sont des aveugles qui conduisent des aveugles ; si un aveugle
sert de guide à un autre, ils tombent tous les deux dans la même fosse.
Article 3 : Le
Christ a-t-il dû enseigner toutes choses publiquement ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas dû enseigner toutes choses publiquement. Car
nous voyons qu’il a dit à ses disciples beaucoup de choses à part, comme on le
voit dans le sermon de la cène. D’où il dit lui-même (Matth., 10, 27) : Ce que
vous avez entendu à l’oreille sera prêché sur les toits. Il n’a donc pas
tout enseigné publiquement.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme le dit saint Hilaire (Sup. Matth., can. 10) en expliquant ce passage, nous ne
voyons pas que le Seigneur ait eu la coutume de prêcher la nuit et d’exposer sa
doctrine dans les ténèbres, mais il s’exprime ainsi parce que tous ses discours
sont ténèbres pour les hommes charnels et que sa parole est obscure, comme la
nuit, pour les incrédules. C’est pourquoi il veut que ce qu’il dit soit rendu
avec la liberté de la foi et de ceux qui la confessent. — Ou bien, d’après
saint Jérôme (in hunc
loc.), il parle par manière de comparaison ; parce qu’il instruisait ses
disciples dans la Judée, qui était une contrée très-resserrée relativement au
monde entier, dans lequel sa doctrine devait être prêchée par les apôtres.
Objection N°2. On ne
doit exposer les profondeurs de la sagesse qu’aux parfaits, d’après ces paroles
de saint Paul (1 Cor., 2, 6) : Nous prêchons la sagesse aux parfaits.
Or, la doctrine du Christ renfermait la sagesse la plus profonde. Elle ne
devait donc pas être communiquée à la multitude qui est imparfaite.
Réponse à l’objection
N°2 : Le Seigneur n’a pas
manifesté par sa doctrine tous
les secrets de sa sagesse, non seulement à la foule, mais même à ses disciples
auxquels il a dit (Jean, 16, 12) : J’ai encore beaucoup d’autres choses à vous
dire, mais vous ne pouvez pas les porter maintenant. Cependant tout ce
qu’il a jugé cligne de transmettre aux autres à l’égard de sa sagesse, il ne le
leur a pas proposé en secret, mais en public, quoiqu’il ne fût pas compris de
tout le monde. D’où saint Augustin observe (Sup.
Joan., tract. 113) : que quand le Seigneur dit : J’ai parlé publiquement au monde ; on doit entendre cette parole
comme s’il avait dit : un grand nombre m’a entendu. Ce qu’il disait
n’était cependant pas manifeste, parce qu’ils ne le comprenaient pas.
Objection N°3. Il
revient au même de garder le silence sur une vérité et de l’exprimer par des
paroles obscures. Or, le Christ cachait à la foule la vérité qu’il lui
prêchait, en lui parlant en termes obscurs, puisqu’il ne s’exprimait qu’en paraboles (Matth.,
13, 34). Il pouvait donc pour la même raison garder le silence à son égard.
Réponse à l’objection N°3 : Le Seigneur parlait à la foule en paraboles, comme nous
l’avons dit (dans le corps de cet article.) : parce qu’elle n’était ni digne,
ni capable de recevoir la vérité nue qu’il exposait à ses disciples. Quant à ce
que dit l’évangéliste, qu’il ne leur
parlait pas sans paraboles, on doit l’entendre, d’après saint Chrysostome (Hom. 48 in Matth.), du discours dont il s’agit en cet endroit ;
car ailleurs il a dit à la foule beaucoup de choses sans paraboles. — Ou bien,
d’après saint Augustin (Lib. de quæst. Evang., quest. 15), l’évangéliste parle ainsi, non
parce qu’il n’a rien dit dans un sens propre, mais parce qu’il n’a presque rien
expliqué sans faire usage de quelque parabole, quoiqu’il y ait eu des choses
prises dans leur sens propre.
Mais c’est le
contraire. Le Seigneur dit (Jean, 18, 20)
: Je n’ai point parlé en secret.
Conclusion La doctrine du Christ
n’a pas été tenue secrète par envie de la part du maître, ni à cause du petit
nombre de ceux auxquels il la proposait, mais seulement quant à la manière
d’enseigner certaines choses que la multitude n’était pas capable de saisir.
Il faut répondre que
la doctrine de quelqu’un peut être secrète de trois manières : 1° Par rapport à
l’intention du maître qui se propose de ne pas manifester sa doctrine à
beaucoup de monde, mais plutôt de la cacher. Ce qui a lieu pour un double motif
: quelquefois par envie de la part du maître qui veut l’emporter par sa science
et qui ne veut pas pour ce motif la communiquer aux autres. C’est ce qui n’a
pas eu lieu dans le Christ, auquel l’Ecriture fait dire (Sag., 7, 13) : J’ai
appris la sagesse sans déguisement, j’en fais part aux autres sans envie, et je
ne cache point les richesses qu’elle renferme. D’autres fois on le fait à
cause de l’immoralité des choses que l’on enseigne. Car, comme le dit saint
Augustin (Tract. 96 sup. Joan.), il y
a des horreurs que la pudeur de l’homme ne peut pas supporter. Ainsi il est dit
de la doctrine des hérétiques (Prov.,
9, 17) : que les eaux dérobées sont plus
douces. Mais la doctrine du Christ n’a rien d’erroné, ni d’immoral. C’est
pourquoi le Seigneur dit (Marc, 4, 21) : Fait-on
apporter une lampe, c’est-à-dire la doctrine vraie et pure, pour la mettre sous le boisseau ? 2° Une
doctrine est occulte parce qu’elle est proposée à peu de monde. Le Christ n’a
rien enseigné en secret de cette manière, parce qu’il a proposé sa doctrine ou
à la foule entière ou à tous ses disciples en général. D’où saint Augustin dit
(Sup. Joan., tract. 113) : Parle-t-il
en secret celui qui parle devant les hommes ; surtout s’il dit à quelques-uns
ce que par eux il veut faire connaître à une multitude d’autres ? 3° Une
doctrine est occulte quant à la manière de l’enseigner. Il y avait des choses
que le Christ disait à la foule d’une manière qui était ainsi cachée ; se
servant de paraboles pour annoncer les mystères spirituels qu’elle n’était ni
capable, ni digne de comprendre. Toutefois il était encore mieux pour elle
d’entendre ainsi la doctrine spirituelle sous le voile des paraboles que d’en
être absolument privée. Mais le Seigneur exposait la vérité simple et nue de
ces paraboles à ses disciples pour qu’ils la transmissent à d’autres qui
seraient capables d’en profiter, suivant ces paroles de saint Paul (2 Tim., 2, 2) : Ce que vous avez appris de moi devant un grand nombre de témoins, donnez-le
en dépôt à des hommes fidèles qui seront eux-mêmes capables d’en instruire
d’autres. C’est ce que signifie le passage de la loi (Nom., chap. 4), où il est ordonné aux enfants d’Aaron d’envelopper
les vases du sanctuaire, pour que les lévites les portent.
Article 4 : Le
Christ a-t-il dû laisser sa doctrine par écrit ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ ait dû laisser sa doctrine par écrit. Car l’écriture a été
inventée pour transmettre la doctrine à la mémoire des générations à venir. Or,
la science du Christ devait durer éternellement, d’après ces paroles de
l’Evangile (Luc, 21, 33) : Le ciel et la terre passeront, mais mes
paroles ne passeront pas. Il semble donc que le Christ ait dû transmettre
par écrit sa doctrine.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme le dit saint Augustin (eod. liv. chap. ult. ad fin.), le Christ est à ses
disciples ce que la tête est aux membres du corps. C’est pourquoi puisqu’ils
ont écrit ce qu’il leur a montré et ce qu’il leur a dit (Ce qu’il leur a dit
d’écrire ; car leurs écrits ne renferment pas toute la doctrine qu’ils avaient
eux-mêmes prêchée aux fidèles (Voir 1
Cor., 11, 14 ; 1 Tim., 6,
20 ; 2 Tim., 2, 2, et Jean, ad
fin. ).), on ne doit pas dire qu’il n’a pas écrit, les membres ayant écrit sous
la dictée du chef ; car tout ce qu’il a voulu nous apprendre de ses
actions et de ses paroles, il leur a commandé de l’écrire, comme à ses propres
mains.
Objection N°2. La loi
ancienne a été préalablement la figure du Christ, d’après ces paroles de saint
Paul (Hébr., 10, 1) : La loi avait l’ombre des biens à venir. Or,
cette loi a été écrite par Dieu, d’après ces paroles (Ex., 24, 22) : Je vous
donnerai deux tables de pierre, la loi et les préceptes que j’ai écrits. Il
semble donc que le Christ ait dû écrire sa doctrine.
Réponse à l’objection
N°2 : La loi ancienne
ayant été donnée sous des figures sensibles, il est convenable qu’elle ait été
écrite par des signes sensibles. Au contraire la doctrine du Christ, qui est la
loi spirituelle de vie, n’a pas dû être
écrite avec de l’encre, mais avec l’esprit, du Dieu vivant, non sur des tables
de pierre, mais sur les cœurs, comme sur des tables de chair, ainsi que le
dit l’Apôtre (2 Cor., 3, 3).
Objection N°3.
C’était au Christ, qui était venu
éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et les ombres de la mort (Luc,
1, 79), qu’il appartenait d’écarter toutes les occasions d’erreur et d’ouvrir
la voie de la foi. Or, il l’aurait fait en écrivant sa doctrine. Car saint
Augustin dit (De consens. Evang., liv. 1, chap. 7) : Il y en a qui s’étonnent que
le Christ n’ait rien écrit, et qu’on soit obligé de croire à d’autres qui ont
écrit sur lui. C’est la question que se font surtout les païens, qui n’osent
pas accuser ou blasphémer le Christ, qui lui reconnaissent une très grande
sagesse, mais qui ne voient en lui qu’un homme ; prétendant que ses disciples
ont accordé à leur maître plus qu’il n’était en le disant Fils de Dieu et Verbe
de Dieu par lequel tout a été fait. Puis il ajoute : qu’ils paraissent prêts à
croire de lui ce qu’il en aurait écrit lui-même, mais qu’ils ne veulent pas
admettre ce qu’il a plu à d’autres d’en dire. Il semble donc que le Christ ait
dû transmettre sa doctrine par écrit.
Réponse à l’objection N°3 : Ceux qui n’ont pas voulu croire au récit des apôtres sur le
Christ, n’auraient pas cru davantage aux écrits du Christ lui-même dont ils
attribuaient les miracles à la magie (Sur la tradition et l’écriture,
consultez Bellarmin, De verbo scripto et tradito ;
Mœhler, De la symbolique et de l’unité de l’Eglise
; de Maistre, Du
principe générateur.).
Conclusion
Il a été convenable que le Christ n’écrive pas lui-même sa doctrine, soit à
cause de l’excellence du maître, soit à cause de celle de la doctrine.
Il faut répondre qu’il a été convenable que
le Christ n’écrivît pas sa doctrine. 1° A cause de sa dignité ; car un maître
d’un ordre supérieur doit enseigner de la manière la plus excellente. C’est
pourquoi il convenait au Christ, comme au premier des maîtres, d’imprimer sa doctrine
dans l’âme de ses auditeurs. C’est ce qui fait dire (Matth., 7, 29) : qu’il les enseignait
comme ayant puissance. C’est ainsi que chez les gentils, Pythagore et
Socrate, qui ont été les maîtres les plus
remarquables, n’ont rien voulu écrire. Car on n’écrit que pour imprimer sa
doctrine dans le cœur de ses disciples, sans avoir d’autre but. 2° A cause de
l’excellence de la doctrine du Christ qu’aucun livre ne peut contenir, d’après
ces paroles de saint Jean (Jean, 21, 25) : Jésus
a fait encore beaucoup d’autres choses, et si on les rapportait toutes en
détail, je ne crois pas que le monde même pût contenir les livres qu’on en
écrirait. Saint Augustin observe à cet égard (Tract. ult. in Joan.) que ce n’est pas le défaut d’espace qui
empêcherait le monde de les contenir, mais c’est parce que ceux qui les
liraient ne pourraient les comprendre. Et si le Christ eût écrit sa doctrine,
les hommes n’en auraient pas eu une idée plus haute que celle que l’Ecriture
leur en aurait donnée. 3° Pour que la doctrine découlât de lui sur tous les
hommes d’après un certain ordre. Ainsi il a enseigné lui-même immédiatement
tous ses disciples qui ont ensuite instruit les autres par leur parole et leurs
écrits ; au lieu que s’il eût écrit, sa doctrine serait immédiatement parvenue
à tout le monde. D’où il est dit de la sagesse de Dieu (Prov., 9, 3) qu’elle a envoyé
ses servantes pour appeler les autres sur les lieux les plus élevés. —
Cependant on doit se rappeler, comme le dit saint Augustin (De consens. Evang.,
liv. 1, chap. 9 et l0), qu’il y a des gentils qui ont cru que le Christ avait
composé des livres qui renfermaient les arts magiques par lesquels il faisait
ses miracles, ce que la doctrine catholique condamne. Aussi, ajoute le même
docteur, ceux qui disent qu’ils ont lu ces livres du Christ, n’ont cependant
rien fait de semblable aux merveilles dont ils prétendent que ces livres
renferment le secret. Dieu a permis qu’ils se trompassent au point de dire que
ces mêmes livres avaient été adressés à Pierre et à Paul, parce que dans
beaucoup d’endroits ils les ont vus peints avec le Christ. Ils ont été
évidemment trompés par cette peinture, puisque pendant tout le temps que le
Christ a été sur la terre avec ses disciples, saint Paul n’était pas l’un
d’eux.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
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