Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 43 : Des miracles faits par le Christ en général

 

            Nous devons considérer les miracles faits par le Christ. — Nous les examinerons : 1° en général ; 2° nous traiterons en particulier de chaque genre de miracles ; 3° nous nous occuperons spécialement de sa transfiguration. — Sur la première de ces considérations il y a quatre questions à faire : 1° Le Christ a-t-il dû faire des miracles ? (Les prophètes avaient annoncé que le Christ ferait des miracles (Is., 35, 4-6) : Dieu lui-même viendra, et il vous sauvera. Alors les yeux des aveugles verront, et les oreilles des sourds seront ouvertes. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la langue des muets sera déliée. Le Christ donne constamment ses miracles comme une preuve de sa mission (Matth., 11, 4-5) : Allez rapporter à Jean ce que vous avez entendu et vu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres sont évangélisés.) — 2° Les a-t-il faits par sa vertu divine ? — 3° En quel temps a-t-il commencé à faire des miracles ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des pharisiens, qui attribuaient au démon les miracles du Christ, et de celle des hérétiques, qui prétendaient qu’il faisait usage des arts magiques.) — 4° A-t-il suffisamment montré par ses miracles sa divinité ? (Tous les apologistes de la religion chrétienne s’appuient sur les miracles du Christ pour démontrer sa divinité. Consultez à ce sujet Bergier, Traité de la religion, ou les excellentes dissertations de M. de la Luzerne.)

 

Article 1 : Le Christ a-t-il dû faire des miracles ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas dû faire des miracles. Car ses actes ont dû être d’accord avec ses paroles. Or, il dit lui-même (Matth., 12, 39) : Cette race méchante et adultère demande un prodige ; il ne lui en sera point donné d’autre que celui du prophète Jonas. Il n’a donc pas dû faire des miracles.

Réponse à l’objection N°1 : Par ces paroles : Il ne leur sera pas donné d’autre signe que celui du prophète Jonas, on doit entendre, comme le dit saint Chrysostome (Hom. 44 in Matth.), qu’ils n’obtinrent pas un signe tel qu’ils le demandèrent, c’est-à-dire un signe du ciel, mais elles ne veulent pas dire qu’il ne leur en ait donné aucun autre ; ou bien elles signifient qu’il faisait des prodiges, non pour ceux qu’il savait durs comme la pierre, mais pour en gagner d’autres. C’est pour cela qu’il ne donnait pas de signes à ces derniers, mais qu’il en accordait aux autres.

 

Objection N°2. Comme le Christ doit venir dans son second avènement avec une grande vertu et une grande majesté, selon l’expression de l’Evangile (Matth., 24, 30), de même dans son premier avènement il est venu dans la faiblesse, d’après ces paroles du prophète (Is., 53, 3) : C’est un homme de douleurs qui connaît l’infirmité. Or, il appartient à la force plutôt qu’à la faiblesse de faire des miracles. Il n’a donc pas été convenable que le Christ en fît à son premier avènement.

Réponse à l’objection N°2 : Quoique le Christ soit venu dans l’infirmité de la chair, ce qui s’est manifesté par ses souffrances, il est venu aussi avec la puissance de Dieu, et c’est ce qu’il devait manifester par ses miracles.

 

Objection N°3. Le Christ est venu pour sauver les hommes par la foi, d’après ces paroles de l’Apôtre (Héb., 2, 2) : Jetant les yeux sur Jésus l’auteur et le consommateur de la foi. Or, les miracles diminuent le mérite de la foi ; d’où saint Jean dit (Jean, 4, 48) : Si vous ne voyez des miracles et des prodiges, vous ne croyez point. Il ne semble donc pas que le Christ ait dû faire des miracles.

Réponse à l’objection N°3 : Les miracles diminuent le mérite de la foi, selon qu’ils montrent la dureté de ceux qui ne veulent croire les choses que les saintes Ecritures renferment qu’autant qu’elles sont démontrées par des prodiges. Cependant il vaut mieux pour eux d’être convertis à la foi par des miracles que de rester absolument dans l’incrédulité. Car il est dit (1 Cor., 14, 22) : que les signes ou les prodiges sont pour les infidèles, afin qu’ils se convertissent à la foi.

 

Mais c’est le contraire. Les adversaires du Christ disaient entre eux (Jean, 11, 47) : Que ferons-nous ? car cet homme fait beaucoup de miracles.

 

Conclusion Puisqu’il fallait manifester aux hommes que Dieu était dans le Christ, non par la grâce d’adoption, mais par celle d’union, et que sa doctrine vient de Dieu, il a été convenable qu’il fît des miracles sur la terre.

Il faut répondre que la Divinité accorde à l’homme de faire des miracles pour deux motifs. Premièrement et principalement pour confirmer la vérité que l’on enseigne. Car les choses qui sont de foi surpassent la raison humaine ; on ne peut les prouver par des raisonnements, mais il faut les prouver par l’argument de la puissance divine (On les prouve par des preuves extrinsèques, et non par des arguments intrinsèques.) ; de manière que quand on fait des œuvres que Dieu seul peut faire, on croie que les choses que l’on dit viennent de Dieu ; comme quand on apporte des lettrés marquées du sceau d’un roi, on croit que ce qu’elles renferment est émané de la volonté du roi lui-même. 2° Pour montrer la présence de Dieu dans l’homme par la grâce de l’Esprit-Saint, afin que l’homme faisant les œuvres de Dieu, on croie que Dieu habite en lui par la grâce. C’est ce qui fait dire à saint Paul (Gal., 3, 5) : Celui qui vous communique l’Esprit-Saint fait des miracles parmi vous. Or, il fallait manifester aux hommes ces deux choses à l’égard du Christ ; c’est que Dieu était en lui non par la grâce d’adoption, mais par celle d’union, et que sa doctrine surnaturelle venait de Dieu. C’est pourquoi il a été très convenable qu’il fît des miracles. D’où il dit lui-même (Jean, 10, 38) : Si vous ne voulez pas me croire, croyez à mes œuvres, et ailleurs (Jean, 5, 36) : Les œuvres que mon Père m’a donné pouvoir de faire, ce sont elles qui rendent témoignage de moi.

 

Article 2 : Le Christ a-t-il fait ses miracles par la vertu divine ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas fait ses miracles par la vertu divine. Car la vertu divine est toute-puissante. Or, il semble qu’il n’ait pas été tout-puissant en faisant ses miracles ; puisqu’il est dit (Marc, 6, 5) : Qu’il ne pouvait dans son pays faire aucun prodige. Il semble donc qu’il n’ait pas fait ses miracles par sa vertu divine.

Réponse à l’objection N°1 : S’il est dit : Que le Christ ne pouvait faire dans son pays aucun miracle, ces paroles ne doivent pas se rapporter à sa puissance absolue, mais à ce qui peut être fait avec convenance. Car il n’était pas convenable que le Christ fît des miracles parmi des incrédules. Aussi l’écrivain sacré ajoute : Qu’il était dans l’étonnement à cause de leur incrédulité. C’est ainsi qu’il est dit (Gen.¸18, 17) : Pourrai-je cacher à Abraham ce que je dois faire ? (19, 22) : Je ne pourrai rien faire jusqu’à ce que vous soyez entré dans ce lieu.

 

Objection N°2. Il n’appartient pas à Dieu de prier. Or, quelquefois le Christ priait en faisant des miracles, comme on le voit dans la résurrection de Lazare (Jean, chap. 11) et dans la multiplication des pains (Matth., chap. 14). Il semble donc qu’il n’ait pas fait de miracles par sa vertu divine.

Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Chrysostome (Sup. illud Matth., chap. 14, Acceptis quinque panibus, hom. 50), il fallait croire du Christ qu’il vient de son Père et qu’il lui est égal. C’est pourquoi, pour montrer l’un et l’autre, tantôt il fait ses miracles par sa puissance, tantôt en priant : pour les moindres choses il regarde au ciel, comme dans la multiplication des pains ; mais pour les plus grandes que Dieu seul peut faire, il agit de lui-même avec autorité, comme quand il pardonne les péchés et qu’il ressuscite les morts. Quant à ce que dit saint Jean (chap. 11) que dans la résurrection de Lazare il leva les yeux vers le ciel, il ne le fit pas par nécessité, mais pour nous donner l’exemple : d’où il dit : J’ai prié à cause du peuple qui m’environne, afin qu’il croie que vous m’avez envoyé.

 

Objection N°3. Ce qui est produit par la vertu divine ne peut être produit par la vertu d’aucune créature. Or, les choses que le Christ faisait pouvaient être produites par la vertu d’une créature. C’est pourquoi les pharisiens lui disaient qu’il chassait les démons au nom de Belzébul, le prince des démons (Luc, 11, 15). Il semble donc que le Christ n’ait pas fait ces miracles par sa vertu divine.

Réponse à l’objection N°3 : Le Christ chassait les démons d’une autre manière que les démons les chassent par leur vertu. En effet, les démons sont chassés du corps des hommes par la vertu des démons supérieurs, de manière cependant qu’ils continuent à exercer leur empire sur l’âme. Car le diable n’agit pas contre son propre royaume. Au contraire le Christ chassait les démons non seulement du corps, mais surtout de l’âme. C’est pourquoi il repoussa le blasphème des pharisiens qui prétendaient qu’il chassait les démons par la vertu des démons : 1° parce que Satan n’est pas divisé contre lui-même ; 2° par l’exemple des autres qui chassaient les démons par l’esprit de Dieu ; 3° parce qu’il n’aurait pu chasser le démon, s’il ne l’eût vaincu par la vertu divine ; 4° parce qu’il n’y avait aucun rapport entre ses œuvres et celles de Satan, ni entre leurs effets ; puisque Satan désirait disperser ceux que le Christ réunissait.

 

Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jean, 14, 10) : Mon Père qui demeure en moi fait lui-même les œuvres que je fais.

 

Conclusion Tous les miracles que le Christ a faits ont été produits par sa vertu divine, puisqu’ils étaient de vrais miracles.

Il faut répondre que, comme nous l’avons vu (1a pars, quest. 110, art. 4), les vrais miracles ne peuvent être produits que par la vertu divine ; parce que Dieu seul peut changer l’ordre de la nature ; ce qui appartient à l’essence du miracle. D’où le pape saint Léon dit (Epist. 28 ad Flav., chap. 4) : que dans le Christ il y a deux natures, l’une divine qui brille par les miracles, l’autre humaine qui succombe sous les injures. — Toutefois l’une d’elles agit en communication avec l’autre, c’est-à-dire en tant que la nature humaine est l’instrument de l’action divine, et que l’action humaine tire sa vertu de la nature divine (Le Christ était Dieu, et c’est comme Dieu qu’il faisait ses miracles, d’après cette décision du cinquième concile général, tenu à Constantinople (sess. 8, chap. 3) : Si quis dicit… non unum esse Christum Dei verbum incarnatum et hominem factum, atque ejusdem miracula et passiones quas spontè passus est in carne : talis anathema sit.), comme nous l’avons vu (quest. 13, art. 3).

 

Article 3 : Est-ce aux noces de Cana que le Christ a commencé à faire des miracles ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas commencé à faire des miracles aux noces de Cana, en changeant l’eau en vin. Car on lit dans le livre de l’enfance du Sauveur (Cet ouvrage est apocryphe, et il est cité dans le décret du pape Gélase (Decret., dist. 15, chap. Sancta romana).) que le Christ a fait beaucoup de miracles dans son enfance. Or, il a fait le miracle du changement de l’eau en vin à l’âge de trente ou de trente-et-un ans. Il semble donc qu’il n’ait pas commencé alors à faire des miracles.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Chrysostome, d’après ces paroles de saint Jean Baptiste : Ut manifestetur in Israel (hom. 16), il est évident que les miracles que le Christ a faits dans son enfance sont des mensonges et des fictions. Car si le Christ eût fait des miracles dès son enfance, Jean ne l’aurait pas ignoré, et le reste de la multitude n’aurait pas eu besoin de maître pour le manifester.

 

Objection N°2. Le Christ faisait des miracles selon la vertu divine. Or, la vertu divine existait en lui dès le commencement de sa conception ; car dès lors il fut Dieu et homme. Il semble donc qu’il ait fait des miracles dès le commencement.

Réponse à l’objection N°2 : La vertu de Dieu opérait dans le Christ, selon qu’il était nécessaire au salut des hommes, pour lequel il s’était incarné. C’est pourquoi il a fait des miracles par sa vertu divine, de manière à ne pas porter préjudice à la foi qu’on avait dans la vérité de sa chair.

 

Objection N°3. Le Christ a commencé à réunir ses disciples après son baptême et sa tentation, comme on le voit (Matth., chap. 4 et Jean, chap. 1). Or, ses disciples se sont joints à lui surtout à cause de ses miracles ; c’est ainsi qu’il est dit (Luc, chap. 5) qu’il appela Pierre, frappé d’étonnement par le miracle qu’il avait fait dans la pêche des poissons. Il semble donc qu’il ait fait d’autres miracles avant celui qu’il a fait aux noces de Cana.

Réponse à l’objection N°3 : Ce qui fait l’éloge des disciples du Christ, c’est de l’avoir suivi, sans l’avoir vu faire aucun miracle, comme le dit saint Grégoire (Hom. 5 in Evang.). Et saint Chrysostome dit (Hom. 22 in Joan.). Il fut surtout nécessaire de faire des prodiges, quand ses disciples furent réunis, dévoués et attentifs à ce qu’il faisait. Aussi quand saint Jean dit (Jean, 2, 11) : Ses disciples crurent en lui, ces paroles ne signifient pas qu’ils commencèrent à croire, mais qu’ils crurent plus vivement et plus parfaitement. Ou bien il appelle disciples ceux qui devaient l’être, comme le dit saint Augustin (De consensu Evang., liv. 2, chap. 17).

 

Mais c’est le contraire. Saint Jean dit (Jean, 2, 14) : Tel fut le premier des miracles que fit Jésus à Cana de Galilée (Quelques interprètes pensent que ce miracle ne fut pas le premier que fît le Christ, mais qu’il fût le premier de ceux qu’il fît à Cana dans la Galilée. Le sens contraire adopté par saint Thomas est le plus universellement reçu.).

 

Conclusion Puisque les miracles que le Christ a faits avaient pour but de confirmer sa doctrine et de prouver sa divinité, il n’a dû les faire que dans l’âge mûr, après qu’il eut prêché, comme il l’a fait aux noces de Cana.

Il faut répondre que le Christ a fait des miracles pour confirmer sa doctrine et pour montrer la vertu divine qui était en lui. Sous le premier rapport, il n’a pas dû faire des miracles avant de commencer à enseigner, et il n’a pas dû commencer à enseigner avant l’âge mûr, comme nous l’avons dit (quest. 39, art. 3) en traitant de son baptême. Sous le second rapport, il a dû montrer sa divinité par des miracles, de manière à laisser croire la vérité de son humanité. C’est pourquoi, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Joan., hom. 20), il a été convenable qu’il n’ait pas commencé à faire des miracles dans le premier âge ; car on aurait pensé que son incarnation était un fantôme, et les Juifs l’auraient crucifié avant le temps convenable.

 

Article 4 : Les miracles faits par le Christ ont-ils suffisamment montrés sa divinité ?

 

Objection N°1. Il semble que les miracles que le Christ a faits n’aient pas été suffisants pour montrer sa divinité. Car il est propre au Christ d’être Dieu et homme. Or, les miracles que le Christ a faits ont été produits aussi par d’autres. Il semble donc qu’ils n’aient pas été suffisants pour montrer sa divinité.

Réponse à l’objection N°1 : Cette objection a été faite par les gentils, et saint Augustin la rapporte (Epist. ad Volus. 137) ; Il n’a rien paru en lui, dit-on, qui soit proportionné à une si grande majesté ; puisque les démons chassés, les malades guéris, les morts ressuscités, sont peu de chose pour un Dieu, surtout quand on considère que d’autres en ont fait autant. Et il répond : Nous demeurons d’accord que les prophètes ont fait de semblables miracles ; mais Moïse et les autres prophètes ont tous prophétisé Jésus-Christ et lui ont rendu la plus grande gloire. C’est pourquoi s’il a voulu faire les mêmes miracles qu’eux, c’est parce qu’il aurait été absurde qu’il ne fît pas par lui-même ce qu’il avait fait par eux. Mais il en a dû faire aussi qui lui fussent particuliers, comme sa naissance d’une vierge, sa résurrection, son ascension. Si on trouve que cela est peu de chose pour Dieu, je ne sais ce qu’on peut désirer de plus. Fallait-il qu’après s’être fait homme il créât un autre monde, pour nous convaincre que c’était par lui que le monde actuel avait été fait ? Ne voit-on pas qu’un monde ni plus grand, ni aussi grand que celui-ci ne se pouvait faire dans celui-ci ? Et s’il en avait fait un moindre, ne dirait-on pas encore que ce serait peu de chose pour Dieu ? — Toutefois ce que les autres ont fait, le Christ l’a fait d’une manière plus excellente. D’où le même docteur dit (Tract. 91, sup. illud Joan, chap. 15 : Si opera non fecissem in eis quæ nemo alius fecit, etc.) que dans les œuvres du Christ il n’y en a pas qui paraissent plus grandes que la résurrection des morts. Nous savons à la vérité que les prophètes ont fait de pareils prodiges. Mais le Christ a aussi fait des choses qu’aucun autre n’a faites. Il est vrai qu’on nous répond que les autres en ont fait qu’il n’a pas faites. Mais on ne voit pas qu’aucun des anciens ait guéri avec autant de puissance une multitude aussi considérable de vices, d’infirmités et de maladies. Car, pour ne pas parler de tous les individus qu’il a guéris par ses ordres à mesure qu’il les rencontrait, saint Marc dit que partout où il entrait dans les bourgs, les villes ou les cités, on apportait des malades sur les places publiques et qu’ils demandaient à toucher les franges de son vêtement, et que tous ceux qui les touchaient étaient sauvés. C’est ce qu’aucun autre n’a fait en eux. Car il est à remarquer qu’il dit en eux, et non parmi eux, ou en leur présence, mais en eux, parce qu’il les a guéris. Cependant nul autre n’a jamais fait en eux de pareilles œuvres ; parce que tout autre homme a fait quelqu’une de ces œuvres par l’effet de sa coopération, au lieu qu’il les a produites sans avoir besoin de leur secours.

 

Objection N°2. Il n’y a rien de plus grand que la vertu divine. Or, il y en a qui ont fait des miracles plus grands que le Christ. Car il est dit (Jean, 14, 12) : Celui qui croit en moi fera aussi les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes. Il semble donc que les miracles que le Christ a faits n’aient pas été suffisants pour montrer sa divinité.

Réponse à l’objection N°2 : Saint Augustin (Tract. 71, ad fin.) expliquant ce passage de saint Jean dit : Quelles sont ces œuvres plus grandes que doivent faire ceux qui croient en lui ? Est-ce que par hasard leur ombre guérissait les malades à leur passage ? Car c’est une plus grande chose de guérir par son ombre que par son vêtement. Mais quand le Christ parlait ainsi, il recommandait les effets et les œuvres de ses paroles. En effet, quand il a dit : Mon Père qui demeure en moi a fait ces œuvres, de quelles œuvres parlait-il alors, sinon des paroles qu’il proférait ? Le fruit de ses paroles était la foi. Aussi quand ses disciples prêchèrent, ils n’amenèrent pas à la foi un nombre aussi peu considérable qu’ils étaient, mais des nations entières (quæ seq. hab. tract. 72). Ce riche qui lui avait demandé conseil pour arriver à la vie éternelle ne n’en est-il pas allé ensuite plein de tristesse ? Et cependant ce qu’un seul homme n’a pas fait, après l’avoir entendu, une multitude d’individus l’ont fait, lorsqu’il a parlé par ses disciples. Voilà comment il a opéré de plus grands prodiges, lorsqu’il a été prêché par ceux qui croient que lorsqu’il a parlé à ceux qui l’écoutaient. Néanmoins il y a encore une chose qui étonne, c’est qu’il ait fait ses plus grandes choses par les apôtres. Mais ce n’est pas seulement d’eux qu’il a parlé, quand il dit : Celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais. Ecoutez donc et comprenez : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais. Je les ferai d’abord et ensuite il les fera ; parce que je ferai qu’il les fasse. Quelles œuvres ? sinon celles qui consistent à faire d’un impie un homme juste ? Ce que le Christ à la vérité opère dans les hommes, mais ce qu’il ne fait pas sans eux. Je considère cette œuvre comme beaucoup plus grande que la création du ciel et de la terre. Car le ciel et la terre passeront, tandis que le salut et la justification des prédestinés demeurera. Or, dans le ciel les anges sont les œuvres du Christ. Mais celui qui coopère avec le Christ pour sa justification ne fait-il pas quelque chose de plus grand que ces œuvres ? Que celui qui le peut juger si c’est une plus grande chose de créer les justes que de justifier les impies. Assurément si de part et d’autre la puissance est égale, cette dernière action suppose une miséricorde plus grande. D’ailleurs nous ne sommes pas obligés de croire qu’il s’agit de toutes les œuvres du Christ, quand il dit : Il fera des choses encore plus grandes que celles-là. Car il n’a sans doute voulu parler que de celles qu’il faisait alors. Or, il prononçait alors des paroles de foi. Et certainement c’est une chose moindre de prêcher les paroles de la justice, ce qu’il a fait sans nous, que de justifier les impies, ce qu’il fait en nous de manière que nous le fassions aussi.

 

Objection N°3. Le particulier ne suffit pas pour prouver l’universel. Or, chacun des miracles du Christ a été une œuvre particulière. Aucun d’eux n’a donc pu manifester suffisamment la divinité du Christ, à laquelle il appartient d’avoir une puissance universelle sur toutes choses.

Réponse à l’objection N°3 : Quand une œuvre particulière est propre à un agent, alors elle prouve toute sa vertu ; ainsi le raisonnement étant le propre de l’homme, un individu montre qu’il est homme par là même qu’il raisonne sur une proposition particulière. De même puisqu’il n’appartient qu’à Dieu de faire des miracles par sa propre vertu, le Christ a suffisamment démontré qu’il était Dieu par un miracle quelconque qu’il a fait par sa vertu propre.

 

Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jean, 5, 36) : Les œuvres que mon Père m’a donné le pouvoir de faire rendent témoignage de moi.

 

Conclusion Puisque les miracles du Christ surpassaient les forces humaines et étaient produits par sa vertu propre, ils prouvaient parfaitement sa divinité.

Il faut répondre que les miracles que le Christ a faits étaient suffisants pour manifester sa divinité de trois manières : 1° d’après l’espèce même des œuvres qui surpassaient toute la puissance d’une vertu créée ; c’est pour cela qu’elles ne pouvaient être produites que par la vertu divine. C’est ce qui faisait dire à l’aveugle, après qu’il eut recouvré la vue (Jean, 9, 32) : Depuis le commencement du monde, on n’a jamais ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né ; si cet homme n’était de Dieu, il ne pourrait rien faire de semblable. 2° A cause de la manière dont il faisait ses miracles, parce qu’il les faisait par sa propre puissance, sans avoir besoin de prier, comme les autres. D’où il est dit (Luc, 6, 19) : qu’une vertu sortait de lui et guérissait tout le monde. Ce qui montre, comme le dit saint Cyrille (Thes., liv. 12, chap. 14), qu’il ne recevait pas sa puissance d’un autre ; mais qu’étant Dieu par nature, il montrait sa propre vertu en guérissant les infirmes, et pour cela il faisait des miracles innombrables. Aussi, à l’occasion de ces paroles : Il chassait les esprits par sa parole (Matth., 8, 16), saint Chrysostome dit (Hom. 28 in Matth.) : Remarquez combien grande est la multitude des hommes guéris que les évangélistes indiquent, sans raconter chacune des guérisons, mais embrassant dans un seul mot un océan indicible de miracles. Par là il montrait qu’il avait une vertu égale à Dieu son Père, d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 5, 19) : Tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi. Et plus loin : Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît. 3° D’après la doctrine par laquelle il se disait Dieu, qui, si elle n’était pas véritable, ne pourrait être confirmée par des miracles faits par la vertu divine. C’est pourquoi il est dit (Marc, 1, 27) : Quelle est cette nouvelle doctrine ? Il commande même avec empire aux esprits impurs, et ils lui obéissent (Saint Thomas passe rapidement sur cette question, que les théologiens ont dû depuis examiner avec plus de détails, pour répondre à toutes les subtilités modernes, mais il donne néanmoins les trois raisons fondamentales sur lesquelles peut reposer cette thèse.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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