Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
43 : Des miracles faits par le Christ en général
Nous devons considérer les miracles faits par le Christ. — Nous les
examinerons : 1° en général ; 2° nous traiterons en particulier de chaque genre
de miracles ; 3° nous nous occuperons spécialement de sa transfiguration. — Sur
la première de ces considérations il y a quatre questions à faire : 1° Le
Christ a-t-il dû faire des miracles ? (Les prophètes avaient annoncé que le Christ
ferait des miracles (Is., 35, 4-6) : Dieu lui-même viendra, et il vous
sauvera. Alors les yeux des aveugles verront, et les oreilles des sourds seront
ouvertes. Alors le boiteux bondira comme un cerf, et la langue des muets sera
déliée. Le Christ donne constamment ses miracles comme une preuve de sa
mission (Matth., 11, 4-5) : Allez rapporter à Jean ce que vous
avez entendu et vu : Les aveugles voient, les boiteux marchent, les
lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent, les pauvres
sont évangélisés.) —
2° Les a-t-il faits par sa vertu divine ? — 3° En quel temps a-t-il commencé à
faire des miracles ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des
pharisiens, qui attribuaient au démon les miracles du Christ, et de celle des
hérétiques, qui prétendaient qu’il faisait usage des arts magiques.) — 4°
A-t-il suffisamment montré par ses miracles sa divinité ? (Tous les apologistes
de la religion chrétienne s’appuient sur les miracles du Christ pour démontrer
sa divinité. Consultez à ce sujet Bergier, Traité de la religion, ou les
excellentes dissertations de M. de la Luzerne.)
Article 1 :
Le Christ a-t-il dû faire des miracles ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas dû faire des miracles. Car ses actes ont
dû être d’accord avec ses paroles. Or, il dit lui-même (Matth., 12, 39) : Cette
race méchante et adultère demande un prodige ; il ne lui en sera point donné
d’autre que celui du prophète Jonas. Il n’a donc pas dû faire des miracles.
Réponse à l’objection N°1 :
Par ces paroles : Il ne leur sera pas
donné d’autre signe que celui du prophète Jonas, on doit entendre, comme le
dit saint Chrysostome (Hom. 44 in Matth.),
qu’ils n’obtinrent pas un signe tel qu’ils le demandèrent, c’est-à-dire un
signe du ciel, mais elles ne veulent pas dire qu’il ne leur en ait donné aucun
autre ; ou bien elles signifient qu’il faisait des prodiges, non pour ceux
qu’il savait durs comme la pierre, mais pour en gagner d’autres. C’est pour
cela qu’il ne donnait pas de signes à ces derniers, mais qu’il en accordait aux
autres.
Objection N°2. Comme
le Christ doit venir dans son second avènement avec une grande vertu et une grande majesté, selon l’expression de
l’Evangile (Matth., 24, 30), de même dans son
premier avènement il est venu dans la faiblesse, d’après ces paroles du
prophète (Is., 53, 3) : C’est un homme de douleurs qui connaît
l’infirmité. Or, il appartient à la force plutôt qu’à la faiblesse de faire
des miracles. Il n’a donc pas été convenable que le Christ en fît à son premier
avènement.
Réponse à l’objection
N°2 : Quoique le Christ soit venu
dans l’infirmité de la chair, ce qui s’est manifesté par ses souffrances, il
est venu aussi avec la puissance de Dieu, et c’est ce qu’il devait manifester
par ses miracles.
Objection N°3. Le
Christ est venu pour sauver les hommes par la foi, d’après ces paroles de l’Apôtre
(Héb., 2, 2) : Jetant les yeux sur Jésus l’auteur et le consommateur de la foi.
Or, les miracles diminuent le mérite de la foi ; d’où saint Jean dit (Jean, 4,
48) : Si vous ne voyez des miracles et
des prodiges, vous ne croyez point. Il ne semble donc pas que le Christ ait
dû faire des miracles.
Réponse à l’objection
N°3 : Les miracles
diminuent le mérite de la foi, selon qu’ils montrent la dureté de ceux qui ne
veulent croire les choses que les saintes Ecritures renferment qu’autant
qu’elles sont démontrées par des prodiges. Cependant il vaut mieux pour eux
d’être convertis à la foi par des miracles que de rester absolument dans
l’incrédulité. Car il est dit (1 Cor., 14, 22) : que
les signes ou les prodiges sont pour les
infidèles, afin qu’ils se convertissent à la foi.
Mais c’est le
contraire. Les adversaires du Christ disaient entre eux (Jean, 11, 47) : Que ferons-nous
? car cet homme fait beaucoup de miracles.
Conclusion Puisqu’il fallait
manifester aux hommes que Dieu était dans le Christ, non par la grâce
d’adoption, mais par celle d’union, et que sa doctrine vient de Dieu, il a été
convenable qu’il fît des miracles sur la terre.
Il faut répondre que
la Divinité accorde à l’homme de faire des miracles pour deux motifs.
Premièrement et principalement pour confirmer la vérité que l’on enseigne. Car
les choses qui sont de foi surpassent la raison humaine ; on ne peut les
prouver par des raisonnements, mais il faut les prouver par l’argument de la
puissance divine (On les prouve par des preuves extrinsèques, et non par des
arguments intrinsèques.) ; de manière que quand on fait des œuvres que Dieu
seul peut faire, on croie que les choses que l’on dit viennent de Dieu ; comme
quand on apporte des lettrés marquées du sceau d’un roi, on croit que ce
qu’elles renferment est émané de la volonté du roi lui-même. 2° Pour montrer la
présence de Dieu dans l’homme par la grâce de l’Esprit-Saint, afin que l’homme
faisant les œuvres de Dieu, on croie que Dieu habite en lui par la grâce. C’est
ce qui fait dire à saint Paul (Gal.,
3, 5) : Celui qui vous communique
l’Esprit-Saint fait des miracles parmi vous. Or, il fallait manifester aux
hommes ces deux choses à l’égard du Christ ; c’est que Dieu était en lui non
par la grâce d’adoption, mais par celle d’union, et que sa doctrine
surnaturelle venait de Dieu. C’est pourquoi il a été très convenable qu’il fît
des miracles. D’où il dit lui-même (Jean,
10, 38) : Si vous ne voulez pas me
croire, croyez à mes œuvres, et ailleurs (Jean, 5, 36) : Les œuvres que mon Père m’a donné pouvoir de
faire, ce sont elles qui rendent témoignage de moi.
Article 2 : Le
Christ a-t-il fait ses miracles par la vertu divine ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas fait ses miracles par la vertu divine. Car la
vertu divine est toute-puissante. Or, il semble qu’il n’ait pas été
tout-puissant en faisant ses miracles ; puisqu’il est dit (Marc, 6, 5) : Qu’il
ne pouvait dans son pays faire aucun prodige. Il semble donc qu’il n’ait
pas fait ses miracles par sa vertu divine.
Réponse à l’objection N°1 : S’il est dit : Que le
Christ ne pouvait faire dans son pays aucun miracle, ces paroles ne doivent
pas se rapporter à sa puissance absolue, mais à ce qui peut être fait avec
convenance. Car il n’était pas convenable que le Christ fît des miracles parmi
des incrédules. Aussi l’écrivain sacré ajoute : Qu’il était dans l’étonnement à cause de leur incrédulité. C’est
ainsi qu’il est dit (Gen.¸18, 17)
: Pourrai-je cacher à Abraham ce que je
dois faire ? (19, 22) : Je ne pourrai
rien faire jusqu’à ce que vous soyez entré dans ce lieu.
Objection N°2. Il
n’appartient pas à Dieu de prier. Or, quelquefois le Christ priait en faisant
des miracles, comme on le voit dans la résurrection de Lazare (Jean, chap.
11) et dans la multiplication des pains (Matth.,
chap. 14). Il semble donc qu’il n’ait pas fait de miracles par sa vertu divine.
Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Chrysostome (Sup. illud Matth., chap. 14, Acceptis quinque
panibus, hom. 50), il fallait croire du Christ
qu’il vient de son Père et qu’il lui est égal. C’est pourquoi, pour montrer
l’un et l’autre, tantôt il fait ses miracles par sa puissance, tantôt en priant
: pour les moindres choses il regarde au ciel, comme dans la multiplication des
pains ; mais pour les plus grandes que Dieu seul peut faire, il agit de
lui-même avec autorité, comme quand il pardonne les péchés et qu’il ressuscite
les morts. Quant à ce que dit saint Jean (chap. 11) que dans la résurrection de
Lazare il leva les yeux vers le ciel, il ne le fit pas par nécessité, mais pour
nous donner l’exemple : d’où il dit : J’ai
prié à cause du peuple qui m’environne, afin qu’il croie que vous m’avez
envoyé.
Objection N°3. Ce qui
est produit par la vertu divine ne peut être produit par la vertu d’aucune
créature. Or, les choses que le Christ faisait pouvaient être produites par la
vertu d’une créature. C’est pourquoi les pharisiens lui disaient qu’il chassait les démons au nom de Belzébul,
le prince des démons (Luc, 11, 15). Il semble donc que le Christ n’ait
pas fait ces miracles par sa vertu divine.
Mais c’est le contraire.
Le Seigneur dit (Jean, 14, 10) : Mon
Père qui demeure en moi fait lui-même les œuvres que je fais.
Conclusion Tous les miracles que
le Christ a faits ont été produits par sa vertu divine, puisqu’ils étaient de
vrais miracles.
Il faut répondre que,
comme nous l’avons vu (1a pars, quest. 110, art. 4), les vrais
miracles ne peuvent être produits que par la vertu divine ; parce que Dieu seul
peut changer l’ordre de la nature ; ce qui appartient à l’essence du miracle.
D’où le pape saint Léon dit (Epist. 28 ad
Flav., chap. 4) : que dans
le Christ il y a deux natures, l’une divine qui brille par les miracles,
l’autre humaine qui succombe sous les injures. — Toutefois l’une d’elles agit
en communication avec l’autre, c’est-à-dire en tant que la nature humaine est
l’instrument de l’action divine, et que l’action humaine tire sa vertu de la nature
divine (Le Christ était Dieu, et c’est comme Dieu qu’il faisait ses miracles,
d’après cette décision du cinquième concile général, tenu à Constantinople
(sess. 8, chap. 3) : Si quis dicit… non
unum esse Christum Dei verbum incarnatum
et hominem factum, atque ejusdem miracula et passiones quas
spontè passus est in carne
: talis anathema sit.), comme nous l’avons
vu (quest. 13, art. 3).
Article 3 : Est-ce
aux noces de Cana que le Christ a commencé à faire des miracles ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas commencé à faire des miracles aux noces de Cana,
en changeant l’eau en vin. Car on lit dans le livre de l’enfance du Sauveur (Cet
ouvrage est apocryphe, et il est cité dans le décret du pape Gélase (Decret., dist. 15, chap. Sancta romana).) que le Christ a fait
beaucoup de miracles dans son enfance. Or, il a fait le miracle du changement
de l’eau en vin à l’âge de trente ou de trente-et-un ans. Il semble donc qu’il n’ait
pas commencé alors à faire des miracles.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Chrysostome, d’après ces paroles de
saint Jean Baptiste : Ut manifestetur in Israel (hom. 16), il est évident que les miracles que le Christ a
faits dans son enfance sont des mensonges et des fictions. Car si le Christ eût
fait des miracles dès son enfance, Jean ne l’aurait pas ignoré, et le reste de
la multitude n’aurait pas eu besoin de maître pour le manifester.
Réponse à l’objection N°2 : La vertu de Dieu opérait dans le Christ, selon qu’il était
nécessaire au salut des hommes, pour lequel il s’était incarné. C’est pourquoi
il a fait des miracles par sa vertu divine, de manière à ne pas porter
préjudice à la foi qu’on avait dans la vérité de sa chair.
Objection
N°3. Le Christ a commencé à
réunir ses disciples après son baptême et sa tentation, comme on le voit (Matth., chap. 4 et Jean, chap. 1). Or, ses disciples se sont
joints à lui surtout à cause de ses miracles ; c’est ainsi qu’il est dit (Luc,
chap. 5) qu’il appela Pierre, frappé d’étonnement par le miracle qu’il avait
fait dans la pêche des poissons. Il semble donc qu’il ait fait d’autres
miracles avant celui qu’il a fait aux noces de Cana.
Réponse à l’objection
N°3 : Ce qui fait l’éloge
des disciples du Christ, c’est de l’avoir suivi, sans l’avoir vu faire aucun
miracle, comme le dit saint Grégoire (Hom. 5 in Evang.). Et saint
Chrysostome dit (Hom. 22 in Joan.). Il fut surtout
nécessaire de faire des prodiges, quand ses disciples furent réunis, dévoués et
attentifs à ce qu’il faisait. Aussi quand saint Jean dit (Jean, 2, 11) : Ses disciples crurent en lui, ces
paroles ne signifient pas qu’ils commencèrent à croire, mais qu’ils crurent
plus vivement et plus parfaitement. Ou bien il appelle disciples ceux qui
devaient l’être, comme le dit saint Augustin (De consensu Evang.,
liv. 2, chap. 17).
Conclusion
Puisque les miracles que le Christ a faits avaient pour but de confirmer sa
doctrine et de prouver sa divinité, il n’a dû les faire que dans l’âge mûr,
après qu’il eut prêché, comme il l’a fait aux noces de Cana.
Il faut répondre que
le Christ a fait des miracles pour confirmer sa doctrine et pour montrer la
vertu divine qui était en lui. Sous le premier rapport, il n’a pas dû faire des
miracles avant de commencer à enseigner, et il n’a pas dû commencer à enseigner
avant l’âge mûr, comme nous l’avons dit (quest. 39, art. 3) en traitant de son
baptême. Sous le second rapport, il a dû montrer sa divinité par des miracles,
de manière à laisser croire la vérité de son humanité. C’est pourquoi, comme le
dit saint Chrysostome (Sup. Joan., hom. 20), il a été convenable
qu’il n’ait pas commencé à faire des miracles dans le premier âge ; car on
aurait pensé que son incarnation était un fantôme, et les Juifs l’auraient
crucifié avant le temps convenable.
Article 4 :
Les miracles faits par le Christ ont-ils suffisamment montrés sa divinité ?
Objection N°1. Il
semble que les miracles que le Christ a faits n’aient pas été suffisants pour
montrer sa divinité. Car il est propre au Christ d’être Dieu et homme. Or, les
miracles que le Christ a faits ont été produits aussi par d’autres. Il semble
donc qu’ils n’aient pas été suffisants pour montrer sa divinité.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette objection a été faite par les gentils, et saint
Augustin la rapporte (Epist. ad Volus. 137) ; Il n’a rien paru en lui, dit-on, qui soit
proportionné à une si grande majesté ; puisque les démons chassés, les malades
guéris, les morts ressuscités, sont peu de chose pour un Dieu, surtout quand on
considère que d’autres en ont fait autant. Et il répond : Nous demeurons
d’accord que les prophètes ont fait de semblables miracles ; mais Moïse et les
autres prophètes ont tous prophétisé Jésus-Christ et lui ont rendu la plus
grande gloire. C’est pourquoi s’il a voulu faire les mêmes miracles qu’eux,
c’est parce qu’il aurait été absurde qu’il ne fît pas par lui-même ce qu’il
avait fait par eux. Mais il en a dû faire aussi qui lui fussent particuliers,
comme sa naissance d’une vierge, sa résurrection, son ascension. Si on trouve
que cela est peu de chose pour Dieu, je ne sais ce qu’on peut désirer de plus.
Fallait-il qu’après s’être fait homme il créât un autre monde, pour nous
convaincre que c’était par lui que le monde actuel avait été fait ? Ne voit-on
pas qu’un monde ni plus grand, ni aussi grand que celui-ci ne se pouvait faire
dans celui-ci ? Et s’il en avait fait un moindre, ne dirait-on pas encore
que ce serait peu de chose pour Dieu ? — Toutefois ce que les autres ont fait,
le Christ l’a fait d’une manière plus excellente. D’où le même docteur dit
(Tract. 91, sup. illud Joan, chap. 15 : Si
opera non fecissem in eis quæ nemo
alius fecit, etc.) que dans les œuvres du Christ
il n’y en a pas qui paraissent plus grandes que la résurrection des morts. Nous
savons à la vérité que les prophètes ont fait de pareils prodiges. Mais le
Christ a aussi fait des choses qu’aucun autre n’a faites. Il est vrai qu’on
nous répond que les autres en ont fait qu’il n’a pas faites. Mais on ne voit
pas qu’aucun des anciens ait guéri avec autant de puissance une multitude aussi
considérable de vices, d’infirmités et de maladies. Car, pour ne pas parler de
tous les individus qu’il a guéris par ses ordres à mesure qu’il les
rencontrait, saint Marc dit que partout où il entrait dans les bourgs, les
villes ou les cités, on apportait des malades sur les places publiques et qu’ils
demandaient à toucher les franges de son vêtement, et que tous ceux qui les
touchaient étaient sauvés. C’est ce qu’aucun autre n’a fait en eux. Car il est
à remarquer qu’il dit en eux, et non parmi eux, ou en leur présence, mais en eux,
parce qu’il les a guéris. Cependant nul autre n’a jamais fait en eux de
pareilles œuvres ; parce que tout autre homme a fait quelqu’une de ces œuvres
par l’effet de sa coopération, au lieu qu’il les a produites sans avoir besoin
de leur secours.
Objection
N°2. Il n’y a rien de plus
grand que la vertu divine. Or, il y en a qui ont fait des miracles plus grands
que le Christ. Car il est dit (Jean, 14,
12) : Celui qui croit en moi fera aussi
les œuvres que je fais, et il en fera de plus grandes. Il semble donc que
les miracles que le Christ a faits n’aient pas été suffisants pour montrer sa
divinité.
Réponse à l’objection
N°2 : Saint Augustin (Tract. 71, ad fin.) expliquant ce
passage de saint Jean dit : Quelles sont ces œuvres plus grandes que doivent
faire ceux qui croient en lui ? Est-ce que par hasard leur ombre guérissait les
malades à leur passage ? Car c’est une plus grande chose de guérir par son
ombre que par son vêtement. Mais quand le Christ parlait ainsi, il recommandait
les effets et les œuvres de ses paroles. En effet, quand il a dit : Mon Père
qui demeure en moi a fait ces œuvres, de quelles œuvres parlait-il alors, sinon
des paroles qu’il proférait ? Le fruit de ses paroles était la foi. Aussi quand
ses disciples prêchèrent, ils n’amenèrent pas à la foi un nombre aussi peu
considérable qu’ils étaient, mais des nations entières (quæ seq.
hab. tract. 72). Ce riche qui lui avait demandé conseil pour arriver à la vie
éternelle ne n’en est-il pas allé ensuite plein de tristesse ? Et cependant ce
qu’un seul homme n’a pas fait, après l’avoir entendu, une multitude d’individus
l’ont fait, lorsqu’il a parlé par ses disciples. Voilà comment il a opéré de
plus grands prodiges, lorsqu’il a été prêché par ceux qui croient que lorsqu’il
a parlé à ceux qui l’écoutaient. Néanmoins il y a encore une chose qui étonne,
c’est qu’il ait fait ses plus grandes choses par les apôtres. Mais ce n’est pas
seulement d’eux qu’il a parlé, quand il dit : Celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais.
Ecoutez donc et comprenez : celui qui croit en moi fera les œuvres que je fais.
Je les ferai d’abord et ensuite il les fera ; parce que je ferai qu’il les
fasse. Quelles œuvres ? sinon celles qui consistent à
faire d’un impie un homme juste ? Ce que le Christ à la vérité opère dans les
hommes, mais ce qu’il ne fait pas sans eux. Je considère cette œuvre comme
beaucoup plus grande que la création du ciel et de la terre. Car le ciel et la
terre passeront, tandis que le salut et la justification des prédestinés demeurera. Or, dans le ciel les anges sont les œuvres du
Christ. Mais celui qui coopère avec le Christ pour sa justification ne fait-il
pas quelque chose de plus grand que ces œuvres ? Que celui qui le peut juger si
c’est une plus grande chose de créer les justes que de justifier les impies.
Assurément si de part et d’autre la puissance est égale, cette dernière action
suppose une miséricorde plus grande. D’ailleurs nous ne sommes pas obligés de
croire qu’il s’agit de toutes les œuvres du Christ, quand il dit : Il fera des choses encore plus grandes que
celles-là. Car il n’a sans doute voulu parler que de celles qu’il faisait
alors. Or, il prononçait alors des paroles de foi. Et certainement c’est une
chose moindre de prêcher les paroles de la justice, ce qu’il a fait sans nous,
que de justifier les impies, ce qu’il fait en nous de manière que nous le
fassions aussi.
Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jean, 5, 36) : Les œuvres que mon Père m’a donné le
pouvoir de faire rendent témoignage de moi.
Conclusion Puisque les miracles
du Christ surpassaient les forces humaines et étaient produits par sa vertu
propre, ils prouvaient parfaitement sa divinité.
Il faut répondre que les miracles que le
Christ a faits étaient suffisants pour manifester sa divinité de trois manières
: 1° d’après l’espèce même des œuvres qui surpassaient toute la puissance d’une
vertu créée ; c’est pour cela qu’elles ne pouvaient être produites que par la
vertu divine. C’est ce qui faisait dire à l’aveugle, après qu’il eut recouvré
la vue (Jean, 9, 32) : Depuis le commencement du monde, on n’a
jamais ouï dire que personne ait ouvert les yeux à un aveugle-né ; si cet homme
n’était de Dieu, il ne pourrait rien faire de semblable. 2° A cause de la
manière dont il faisait ses miracles, parce qu’il les faisait par sa propre
puissance, sans avoir besoin de prier, comme les autres. D’où il est dit (Luc,
6, 19) : qu’une vertu sortait de lui et
guérissait tout le monde. Ce qui montre, comme le dit saint Cyrille (Thes., liv. 12, chap. 14), qu’il ne recevait
pas sa puissance d’un autre ; mais qu’étant Dieu par nature, il montrait sa
propre vertu en guérissant les infirmes, et pour cela il faisait des miracles
innombrables. Aussi, à l’occasion de ces paroles : Il chassait les esprits par sa parole (Matth.,
8, 16), saint Chrysostome dit (Hom. 28 in Matth.) : Remarquez combien grande est la multitude des
hommes guéris que les évangélistes indiquent, sans raconter chacune des
guérisons, mais embrassant dans un seul mot un océan indicible de miracles. Par
là il montrait qu’il avait une vertu égale à Dieu son Père, d’après ces paroles
de saint Jean (Jean, 5, 19) : Tout ce que
le Père fait, le Fils le fait aussi. Et plus loin : Comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils
donne la vie à qui il lui plaît. 3° D’après la doctrine par laquelle il se
disait Dieu, qui, si elle n’était pas véritable, ne pourrait être confirmée par
des miracles faits par la vertu divine. C’est pourquoi il est dit (Marc, 1, 27)
: Quelle est cette nouvelle doctrine ? Il
commande même avec empire aux esprits impurs, et ils lui obéissent (Saint
Thomas passe rapidement sur cette question, que les théologiens ont dû depuis
examiner avec plus de détails, pour répondre à toutes les subtilités modernes,
mais il donne néanmoins les trois raisons fondamentales sur lesquelles peut
reposer cette thèse.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
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