Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
45 : De la Transfiguration du Christ
Après avoir parlé des miracles du Christ en particulier, nous devons
nous occuper de sa Transfiguration. — A ce sujet il y a quatre questions à
examiner : 1° A-t-il été convenable que le Christ se transfigurât ? (Saint Paul
a montré la convenance de la Transfiguration par ce rapprochement qu’il établit
entre le Christ et Moïse (2 Cor., 3,
7-8) : Si le ministère de la mort, gravé
en lettres sur des pierres, a été tellement entouré de gloire, que les enfants
d’Israël ne pouvaient fixer la face de Moïse, à cause de l’éclat de son visage,
qui devait pourtant s’évanouir, combien le ministère de l’esprit ne sera-t-il
pas plus glorieux ?) — 2° La clarté de la Transfiguration a-t-elle été
une clarté glorieuse ? (L’Eglise suppose que la clarté de la gloire a été celle
de la Transfiguration, puisque dans l’office de cette fête elle se sert de ces
paroles : Christus Jesus splendor Patris et figura substantiæ ejus, portans omnia
verbo virtutis suæ, purgationem peccatorum
faciens, in monte excelso gloriosus
apparere hodie dignatus est. Cette question a donné lieu à l’erreur de
Barlaam, qui prétendait que la lumière qui avait paru
sur le mont Thabor était celle d’un spectre, et qu’elle n’était pas la
splendeur de la nature divine.) — 3° Des témoins de la Transfiguration. — 4° Du
témoignage de la voix du Père.
Article 1 : A-t-il
été convenable que le Christ se transfigura ?
Objection N°1. Il
semble qu’il n’ait pas été convenable que le Christ se transfigurât car il ne
convient pas à un corps véritable de prendre des figures diverses, cela ne
convient qu’à un corps fantastique. Le corps du Christ n’ayant pas été
fantastique, mais véritable, comme nous l’avons vu (quest. 5, art. 1), il
semble donc qu’il n’ait pas dû être transfiguré.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Jérôme (in illud Matth., chap. 17 : Et
transfiguratus est), on ne doit pas croire que le
Christ ait perdu dans sa Transfiguration son ancienne forme et son visage, ou
qu’il ait perdu son corps véritable et pris un corps spirituel ou aérien ; mais
l’évangéliste nous montre comment il s’est transformé, en disant : Sa face a resplendi comme le soleil, et ses
vêtements sont devenus blancs comme la neige. Quand le visage devient
resplendissant et les vêtements éclatants, la substance n’est pas détruite,
mais la gloire est changée.
Réponse à l’objection N°2 : La figure se considère par rapport à l’extrémité du corps ; car
la figure est ce qui est compris dans certains termes ou dans certaines
limites. C’est pourquoi toutes les choses qui se considèrent par rapport à
l’extrémité d’un corps paraissent appartenir d’une certaine manière à la
figure. Ainsi on considère la couleur, aussi bien que la clarté d’un corps qui
n’est pas transparent comme appartenant à sa surface.
C’est pourquoi on donne à la clarté que le Seigneur a prise le nom de Transfiguration
(Comme ayant appartenu à la figure de son corps.).
Objection
N°3. Un corps glorieux a
quatre qualités, comme nous le verrons (Supplem., quest. 82 et suiv.) : l’impassibilité, l’agilité, la
subtilité et la clarté. Il n’a donc pas dû être transfiguré plutôt sous le
rapport de la clarté que sous celui des autres qualités.
Réponse à l’objection N°3 : Parmi les quatre qualités désignées, la clarté est
la seule qui appartienne à la personne considérée en elle-même ; au lieu que
les trois autres qualités ne désignent qu’un de ses actes, ou un de ses
mouvements, ou une des choses qu’elle subit. Le Christ a donc montré certains
indices qui se rapportent à ces trois qualités : par exemple, il a témoigné son
agilité, lorsqu’il a marché sur les eaux de la mer ; sa subtilité, quand il est
sorti miraculeusement du sein de la Vierge ; son impassibilité, quand il s’est
échappé sans le moindre mal des mains des Juifs qui voulaient le précipiter ou
le lapider. Cependant on ne dit pas pour toutes ces choses qu’il a été
transfiguré, mais on le dit seulement à cause de la clarté, qui appartient à
l’aspect de la personne elle-même.
Mais c’est le
contraire. L’Evangile dit (Matth., 17, 2) :
que Jésus a été transfiguré devant
trois de ses disciples.
Conclusion Il a été convenable
que le Christ montrât par sa Transfiguration la gloire de sa résurrection et
celle des autres.
Il faut répondre que le
Seigneur, ayant annoncé à l’avance sa passion à ses disciples, les avait
engagés à marcher à sa suite dans le chemin de la souffrance. Or, pour qu’on
marche droit dans une voie, il faut que l’on connaisse à l’avance la fin vers
laquelle on tend ; comme un archer ne peut bien lancer une flèche qu’autant
qu’il a vu auparavant le but qu’il doit atteindre. D’où saint Thomas dit (Jean, 14, 5) : Nous
ne savons, Seigneur, où vous allez, et comment pourrions-nous en savoir ta voie
? C’est surtout nécessaire, quand la voie est difficile et pénible et le
chemin laborieux, tandis que la fin est agréable. Or, le Christ est parvenu par
sa passion à obtenir non seulement la gloire de l’âme qu’il a eue dès le
commencement de sa conception, mais encore celle du corps, d’après ces paroles
de l’Evangile (Luc, 24, 26) : Ne
fallait-il pas que le Christ souffrît toutes ces choses et qu’il entrât ainsi dans
la gloire ? C’est à cette gloire qu’il conduit ceux qui suivent les
vestiges de sa passion, d’après ces paroles (Actes, 14, 21) : Il faut que
nous entrions dans le royaume des cieux par une foule de tribulations.
C’est pourquoi il a été convenable qu’il montrât à ses disciples sa clarté
glorieuse, comme il l’a fait dans sa Transfiguration, puisque c’est dans cette
clarté qu’il transfigurera tous les siens, d’après ce passage de saint Paul (Phil., 3, 21) : Il transformera notre corps vil et abject, afin de le rendre conforme à
son corps glorieux. D’où le vénérable Rôde dit (Sup. Marc., chap. 37) : Dans sa miséricordieuse prévoyance, il leur
a donné à jouir pendant un temps très court de la contemplation de la joie qui
dure toujours, pour leur faire supporter plus courageusement l’adversité.
Article 2 : La
clarté du Christ dans la Transfiguration a-t-elle été la clarté de la gloire ?
Objection N°1. Il
semble que cette clarté n’ait pas été la clarté de la gloire. Car une glose dit
(Bedæ sup. illud Matth., chap. 17, Transfiguratus est coram eis) qu’il n’a pas montré
l’immortalité dans un corps mortel, mais une clarté semblable à l’immortalité
future. Or, la clarté de la gloire est la clarté de l’immortalité. La clarté
que le Christ a montrée à ses disciples n’a donc pas été celle-là.
Réponse à l’objection N°1 :
Ce passage ne montre pas que la clarté du Christ n’ait pas été la clarté de la
gloire, mais seulement qu’elle n’a pas été la clarté d’un corps glorieux, parce
que le corps du Christ n’était pas encore immortel ; car comme il est arrivé
par la volonté de Dieu que dans le Christ la gloire de l’âme ne rejaillissait
pas sur le corps ; de même il a pu se faire de la même manière qu’elle
rejaillît quant à la qualité de la clarté, mais non quant à celle de
l’impassibilité.
Objection N°2. Sur
ces paroles (Luc, 9, 27) : Il y en a
qui ne mourront pas qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu, la glose dit (interl.) : c’est-à-dire la glorification du
corps dans la représentation imaginaire de la béatitude future. Or, l’image
d’une chose n’est pas la chose elle-même. Cette clarté n’a donc pas été celle
de la béatitude.
Réponse à l’objection
N°2 : On dit que cette clarté a été
imaginaire, non parce qu’elle était la véritable clarté de la gloire, mais
parce qu’elle était une image qui représente cette perfection de la gloire,
d’après laquelle le corps sera glorieux.
Réponse à l’objection N°3 : Comme la clarté qui était dans le corps du Christ
représentait sa clarté future (Saint Thomas donne de ce fait une explication
mystique, parce qu’il est évident que l’objection, prise dans son sens propre,
n’est pas sérieuse, puisqu’il est tout naturel qu’un corps qui est éclatant répande
sa splendeur sur tout ce qui l’entoure.) ; de même la clarté de ses vêtements
désignait la clarté future des saints qui sera surpassée par celle du Christ,
comme l’éclat de la neige est surpassé par la splendeur du soleil. D’où saint
Grégoire dit (Mor., liv. 32, chap. 7)
: que les vêtements du Christ sont devenus resplendissants, parce que dans les
clartés célestes tous les saints s’attacheront à lui étant tout éclatant de la
lumière de la justice. Car les vêtements désignent les justes qui lui seront unis,
d’après ces paroles du prophète (Is., 49,
18) : Vous en serez vêtus comme d’un
ornement. L’éclat de la nuée indique la gloire de l’Esprit-Saint ou la
vertu du Père, comme le dit Origène (Hom. 3 in Matth.), par laquelle les saints seront protégés dans la
gloire future. On pourrait dire aussi avec raison qu’elle signifie la clarté du
monde renouvelé qui sera la tente des saints : c’est pourquoi saint Pierre se
disposant à dresser là des tentes, une nuée lumineuse couvrit les disciples.
Mais c’est le contraire.
Sur ces paroles (Matth., 17, 2) : Il fut
transfiguré devant eux, saint Jérôme dit : Il s’est montré aux apôtres tel
qu’il doit être au jour du jugement. Et sur celles-ci (Matth.,
16, 28) : Avant qu’ils ne voient le Fils
de l’homme, saint Chrysostome dit (Hom. 57 in Matth.) : que voulant montrer ce qu’est la gloire dans
laquelle il doit venir ensuite, il la leur a révélée dans la vie présente
autant qu’il leur était possible de l’apprendre, pour les consoler de la mort
du Seigneur.
Conclusion La clarté que le
Christ a montrée dans sa Transfiguration a été essentiellement celle de la
gloire, quoiqu’elle ait existé d’une autre manière, puisqu’elle a existé à la
façon d’une passion qui passe.
Il faut répondre que
cette clarté que le Christ a prise dans sa Transfiguration, a été la clarté de
la gloire quant à l’essence, mais non quant au mode d’être. Car la clarté du
corps glorieux découle de la clarté de l’âme, comme le dit saint Augustin (Epist. ad Diosc. 118). De même la clarté du corps du Christ dans la Transfiguration
est découlée de sa divinité, d’après le sentiment de saint Jean Damascène
(potest colligi ex ejus lib. Sent., in chap. De transfig. Christi), et de la gloire de son âme. Car si,
dès le commencement de la conception du Christ, la gloire de son âme ne
rejaillissait pas sur son corps, c’était par l’effet de la volonté divine, pour
qu’il remplît dans son corps passible les mystères de notre rédemption, comme
nous l’avons vu (quest. 14, art. 1, Réponse N°2). Mais le Christ n’a pas perdu
pour cela le pouvoir qu’il avait de faire rejaillir la gloire de son âme sur
son corps. Et c’est ce qu’il a fait par rapport à la clarté de la gloire dans
la Transfiguration, mais d’une autre manière que dans son corps glorifié. Car
la clarté rejaillit de l’âme sur un corps glorifié, comme une qualité
permanente qui affecte le corps ; c’est pourquoi ce n’est pas un miracle qu’un
corps glorieux brille extérieurement (C’est un effet qui résulte de sa nature.)
; au lieu que dans la Transfiguration, la clarté est découlée de la divinité et
de l’âme du Christ sur son corps, non à la manière d’une qualité immanente et
qui affecte le corps, mais plutôt à la manière d’une passion qui passe, comme
quand l’air est illuminé par le soleil. C’est pourquoi cet éclat s’est alors manifesté
miraculeusement dans le corps du Christ, comme son agilité quand il a marché
sur les eaux de la mer. D’où saint Denis dit (Epist. 4 ad Caïum) : Le Christ opérait
surnaturellement ce qui est de l’homme, comme le prouve sa conception
surnaturelle d’une vierge, et la consistance de l’eau qui supportait la
pesanteur de son corps. On ne doit donc pas dire avec Hugues de Saint-Victor
(id hab. Innocent. III, liv. 4 de Myst. missæ, chap. 12), que
le Christ a fait paraître en lui les quatre qualités des corps glorieux : la
clarté, dans sa Transfiguration ; l’agilité, en marchant sur la mer ; la
subtilité, en sortant du sein de la Vierge sans l’ouvrir ; l’impassibilité dans
la cène, quand il donna son corps à manger sans le partager ; parce que le mot
qualité indique quelque chose d’immanent dans les corps glorieux, tandis que le
Christ a eu par miracle ce qui appartient à ces propriétés. Et il en est de
même à l’égard de l’âme au sujet de la vision par laquelle saint Paul a vu Dieu
dans son ravissement, ainsi que nous l’avons dit (2a 2æ,
quest. 175, art. 3, Réponse N°2).
Article 3 : Etait-il
convenable qu’il y eut la des témoins de la Transfiguration ?
Objection N°1. Il
semble qu’il ne soit pas convenable qu’il y ait eu là des témoins de la Transfiguration.
Car on ne peut bien rendre témoignage que des choses que l’on connaît. Or, à
l’époque de la Transfiguration du Christ il n’y avait encore aucun homme qui
sût par expérience ce que serait la gloire future ; c’était une chose qui
n’était connue que des anges. Les témoins de la Transfiguration ont donc dû
être des anges plutôt que des hommes.
Réponse
à l’objection N°1 : Le Christ par sa Transfiguration a manifesté à ses
disciples la gloire du corps qui n’appartient qu’aux hommes. C’est pourquoi il
a été convenable qu’il ne prît pas des anges, mais des hommes pour témoins.
Objection
N°2. Pour des témoins de la
vérité il ne faut pas de fiction, mais la réalité- Or, Moïse et Elie n’ont pas
été là présents véritablement, ils n’y ont été qu’en imagination ; car il y a
une glose qui dit (Collig. ex liv. 3 de mirab. sanct. Script.,
chap. 9 et 40, inter op. August. sup. illud Luc, chap.
9 : Erant autem Moyses
et Elias, etc.) : Il faut savoir que ce ne sont pas les corps, mais les
âmes de Moïse et d’Elie qui parurent là, mais que ces corps ont été formés dans
une créature subalterne. On peut aussi croire que cela s’est fait par le
ministère des anges, de manière que les anges aient joué le rôle de ces
personnages. Il ne semble donc pas que ces témoins aient été convenables.
Réponse à l’objection N°2 : Cette glose est tirée d’un livre intitulé : De mirabilibus sacræ Scripturæ, qui n’est
pas un ouvrage authentique, mais qu’on attribue faussement à saint Augustin.
C’est pourquoi on ne doit pas s’y arrêter. Car saint Jérôme dit expressément (Sup. Matth.,
in chap. 22 : Et apparuerunt
illis Moyses) : Il faut remarquer qu’il ne voulut
pas donner des signes dans le ciel aux scribes et aux pharisiens qui lui en
demandaient ; mais ici pour augmenter la foi de ses apôtres il leur donne un
signe dans le ciel : Elie descend de là où il était monté et Moïse sort des
enfers. Ce que l’on ne doit pas entendre comme si l’âme de Moïse eût repris son
corps, mais ce qui signifie que son âme a apparu au moyen d’un corps qu’elle
avait pris, comme apparaissent les anges. Quant à Elie il a apparu dans son
propre corps qu’il n’a pas apporté du ciel empyrée, mais des régions
supérieures où il avait été enlevé sur un char de feu (4 Rois, 2, 11).
Objection
N°3. Il est dit (Actes, 10, 43) : que tous les
prophètes rendent témoignage au Christ. Moïse et Elie n’ont donc pas dû seuls paraître là comme témoins, mais encore tous les
prophètes.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme le dit saint Chrysostome
(Sup. Matth.,
hom. 57), Moïse et Elie sont appelés comme témoins
pour plusieurs raisons. La première, c’est que la foule disant qu’il était
Elie, ou Jérémie, ou l’un des prophètes, il prend avec lui les chefs des
prophètes, pour qu’on voie par là du moins la différence qu’il y a entre les
serviteurs et le maître. La seconde, c’est que Moïse a donné la loi et qu’Elie
a été plein de zèle pour la gloire de Dieu ; de sorte que par là même qu’on les
voit paraître simultanément avec le Christ, c’en est fait des calomnies des
Juifs qui accusaient le Christ comme un transgresseur de la loi et comme un
blasphémateur qui usurpe à son profit la gloire divine. La troisième, c’est
pour montrer qu’il a puissance de vie et de mort et qu’il est le juge des vivants
et des morts, puisqu’il a avec lui Moïse qui était déjà mort et Elie qui était
encore vivant. La quatrième, c’est que, comme le dit saint Luc, ils
s’entretenaient avec lui de sa fin qui devait avoir lieu à Jérusalem,
c’est-à-dire de sa passion et de sa mort. C’est pourquoi pour affermir le
courage de ses disciples à cet égard, il fait paraître ceux qui se sont exposés
à la mort pour Dieu ; car Moïse s’est présenté à Pharaon au péril de sa vie, et
Elie au roi Achab. La cinquième, c’est qu’il voulait que ses disciples
imitassent la douceur de Moïse et le zèle d’Elie. Saint Hilaire en ajoute une
sixième en disant que c’était (can. 17 in
Matth.) pour montrer qu’il a été annoncé par la
loi que Moïse a donnée et par les prophètes parmi lesquels Elie a été au
premier rang.
Réponse à l’objection N°4 : Les grands mystères ne doivent pas être exposés à
tout le monde immédiatement, mais ils doivent arriver à la connaissance des
autres dans le temps convenable par l’intermédiaire de ceux qui sont les plus
élevés (Ce principe général sert de base à toute la tradition catholique et à
l’enseignement de l’Eglise, dont les membres inférieurs apprennent de ceux qui
sont au-dessus d’eux ce qu’ils doivent croire et pratiquer.). C’est pourquoi,
selon la remarque de saint Chrysostome (loc.
cit.), il a pris avec lui les trois principaux de ses apôtres. Car Pierre
l’emporte par l’amour qu’il eut pour le Christ et aussi par le pouvoir qui lui
fut confié ; Jean par le privilège de l’amour que le Christ avait pour lui à
cause de sa virginité et aussi par la prérogative de sa doctrine évangélique,
et enfin Jacques par la gloire du martyre. Cependant il ne voulut pas qu’ils
annonçassent aux autres ce qu’ils avaient vu avant sa résurrection, de peur,
comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 17, Nemini dixeritis,
etc.), que ce prodige ne fût incroyable en raison de sa grandeur, et que la
croix venant à la suite d’une si grande gloire ne fût un scandale pour les
esprits grossiers : ou de peur que le peuple ne s’opposât absolument à sa mort
(hoc hab. Remig. in Cat. D. Thom.), et aussi pour qu’ils fussent les témoins des choses
spirituelles, lorsqu’ils seraient remplis de l’Esprit-Saint (hoc hab. Hilar., loc. sup. cit.).
L’autorité
de l’Ecriture démontre le contraire (Matth., chap. 17,
Marc, chap. 9 et Luc, chap. 9).
Conclusion Il a été convenable de
choisir pour témoins de la Transfiguration des saints qui ont vécu avant le
Christ, comme Moïse et Elie, et des saints qui ont vécu après, comme Pierre,
Jacques et Jean, afin de montrer qu’ils seraient tous glorifiés par la gloire
du Christ.
Il faut répondre que
le Christ a voulu être transfiguré pour montrer sa gloire aux hommes et pour
les porter à la désirer, comme nous l’avons dit (art. 1). Or, le Christ conduit
à la gloire de la béatitude éternelle non seulement les hommes qui ont existé
après lui, mais encore ceux qui ont existé auparavant. C’est pourquoi, quand il
allait à sa passion, la foule qui le précédait aussi bien que celle qui le
suivait criait : Hosanna ; lui demandant
en quelque sorte le salut (Matth., chap. 21).
C’est aussi pour cela qu’il a été convenable que parmi ceux qui l’ont précédé
il y eût des témoins, comme Moïse et Elie, et qu’il y en eût aussi parmi ceux
qui l’ont suivi, comme Pierre, Jacques et Jean, afin que cette parole fût
attestée par la déposition de deux ou trois témoins (D’après le droit divin et
le droit humain, le témoignage de deux ou de trois témoins suffît (Voir 2a
2æ, quest. 70, art. 2).).
Objection N°1. Il
semble qu’il ne soit pas convenable qu’on ait entendu le témoignage de la voix
du Père disant (Matth., 17, 5) : Celui-ci
est mon Fils bien-aimé. Car, comme le dit Job (33, 14) : Dieu ne parle qu’une fois et il ne répète
pas deux fois la même chose. Or, dans le baptême la voix du Père avait déjà
rendu ce même témoignage. Il n’a donc pas été convenable qu’elle le rendît une
seconde fois dans la Transfiguration.
Réponse à l’objection N°1 :
Ce passage de Job doit se rapporter à la parole éternelle de Dieu par laquelle
Dieu le Père a produit son Verbe unique qui lui est coéternel. D’ailleurs on
peut dire que quoique Dieu ait prononcé matériellement les mêmes paroles,
cependant il ne les a pas prononcées dans le même but, mais pour montrer les
différentes manières dont les hommes peuvent participer à la ressemblance de la
filiation éternelle.
Réponse à l’objection N°2 : Comme dans le baptême où l’on a manifesté le mystère de la
régénération première, l’Esprit-Saint s’est manifesté sous la forme d’une
colombe et le Père s’est fait connaître par la parole ; de même, dans la Transfiguration
qui est le sacrement de la seconde régénération, on a vu apparaître la Trinité
entière ; le Père dans la voix, le Fils dans l’homme et l’Esprit-Saint dans la
nuée éclatante : parce que, comme dans le baptême Dieu donne l’innocence qui
est désignée par la simplicité de la colombe ; de même dans la résurrection il
donnera à ses élus la clarté de la gloire et la délivrance de tout mal, ce que
désigne la nuée éclatante (C’est le sens adopté par l’Eglise, qui nous fait
dire dans l’office de la Transfiguration (in collecta) : Deus qui in unigeniti tui gloriosâ
Transfiguratione adoptionem
filiorum perfectam voce delapsâ in nube lucidâ mirabiliter prœsignasti.).
Réponse à l’objection N°3 : Le Christ était venu nous donner la grâce actuelle, et nous
promettre la gloire par sa parole. C’est pourquoi il a été convenable que dans
la Transfiguration il prit des hommes pour l’écouter,
tandis qu’il n’en était pas de même dans le baptême.
Objection
N°4. On ne doit pas dire à
quelqu’un des choses qu’il ne peut porter, d’après ces paroles de l’Evangile (Jean, 16, 12) : J’ai
encore beaucoup d’autres choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter
présentement. Or, les disciples ne pouvaient porter la voix du Père,
puisqu’il est dit (Matth., 17, 6) que les disciples l’ayant entendu, ils tombèrent
le visage contre terre, saisis d’une grande crainte. La voix du Père
n’aurait donc pas dû s’adresser à eux.
Réponse à l’objection
N°4 : Il a été convenable
que les disciples fussent saisis de crainte et renversés par la voix du Père,
pour montrer que l’excellence de cette gloire que l’on voyait alors surpasse
tous les sens et toutes les facultés des mortels, d’après ces paroles du
Seigneur (Ex., 33, 20) : Aucun homme
ne me verra sans mourir. C’est ce qui fait dire à saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 17 : Audientes discipuli ceciderunt, etc.) que la fragilité humaine ne peut
supporter la vue d’une gloire aussi grande. Mais le Christ guérit les hommes de
cette fragilité (C’est la pensée que l’Apôtre exprime dans une foule d’endroits
: C’est par lui que nous avons accès les
uns et les autres dans un même esprit auprès du Père (Eph., 2, 18) ; En qui nous
avons la liberté de nous approcher de Dieu avec confiance, par la foi en lui (ibid., 3, 12) ; Qui voulait conduire à la gloire un grand
nombre de fils (Héb., 2, 10).) en les faisant arriver à la
gloire ; c’est ce que signifient ces paroles qu’il leur dit : Levez-vous, ne craignez pas.
L’autorité des Evangiles est là
pour établir le contraire (Matth., chap. 17 et Marc,
chap. 9) (On peut ajouter le témoignage de saint Pierre lui-même, qui s’exprime
ainsi (2 Pierre, 1, 18) : Et nous avons entendu nous-mêmes cette voix qui
venait du ciel, lorsque nous étions avec lui sur la sainte montagne.).
Conclusion Comme dans le baptême
du Christ, de même dans la Transfiguration il était convenable qu’on entendît
la voix du Père rendre témoignage, pour indiquer que l’adoption des enfants de
Dieu, qui est imparfaite par la grâce du baptême, devient parfaite par la
gloire de la résurrection.
Il faut répondre que l’adoption des enfants
de Dieu résulte de la conformité de leur ressemblance avec le Fils naturel de
Dieu. Cette ressemblance est produite de deux manières : 1° par la grâce que
l’on a ici-bas et qui produit une conformité imparfaite ; 2° par la gloire du
ciel qui sera la conformité parfaite, d’après ces paroles de saint Jean (1 Jean, 3, 2) : Nous
sommes maintenant les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour
n’apparaît pas encore : car nous savons que quand il apparaîtra dans sa gloire
nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est. Par
conséquent, comme on obtient la grâce par le baptême, et que dans la Transfiguration
on a vu à travers la clarté de la gloire future, il s’ensuit qu’il a été
convenable que dans ces deux circonstances le Père manifestât par son
témoignage la filiation naturelle du Christ, parce qu’il est le seul, avec le
Fils et le Saint-Esprit, qui connaisse parfaitement cette génération parfaite.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous
moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
JesusMarie.com