Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
48 : Du mode par lequel la passion du Christ a produit son effet
Nous devons nous occuper de l’effet de la passion du Christ ; nous
parlerons : 1° du mode par lequel elle le produit ; 2° de l’effet lui-même. —
Sur la première de ces deux considérations six questions se présentent : 1° La
passion du Christ a-t-elle produit notre salut par manière de mérite ? (Le
Christ a été la cause méritoire de notre justification, d’après le concile de
Trente (sess. 6, chap. 7), et il a mérité, depuis le premier instant de sa
conception jusqu’à la fin de sa vie (Voyez ce que nous avons dit à ce sujet
quest. 34, art. 3).) — 2° L’a-t-elle produit par manière de satisfaction ? (Les
sociniens ont nié que le Christ eût véritablement satisfait pour nous, mais on
voit le contraire par une foule d’endroits de l’Ecriture : Qui s’est livré lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute
iniquité (Tite, 2, 14) ; Le Fils de l’homme n’est point venu pour
être servi mais pour servir et donner sa vie pour la rédemption de plusieurs
(Matth., 20, 28). Voyez l’Epitre de saint Paul aux Hébreux,
chap. 5, 7, 8, 9.) — 3° Par manière de sacrifice ? (Cet article est encore une
réfutation des sociniens, dont l’erreur est d’ailleurs en opposition manifeste
avec l’Epitre de saint Paul aux Hébreux (chap. 7 et suiv.).) — 4° Par manière
de rachat ? (D’après le sentiment le plus généralement admis parles thomistes,
le Christ a satisfait dans toute la rigueur du droit et de la justice : Ex toto
rigore justitiæ et ad apices
juris.) — 5° Est-ce le propre du Christ d’être rédempteur ? — 6°
A-t-elle produit notre salut par manière de cause efficiente ?
Article 1 :
La passion du Christ a-t-elle produit notre salut par manière de mérite ?
Objection N°1. Il
semble que la passion du Christ n’ait pas produit notre salut par manière de
mérite. Car les principes de la passion ne sont pas en nous. Or, on ne mérite
ou l’on n’est loué que pour les choses dont on a le principe en soi. La passion
du Christ n’a donc rien opéré par manière de mérite.
Réponse
à l’objection N°1 : La passion, comme telle, n’est pas méritoire, parce
qu’elle a son principe à l’extérieur ; mais si on la considère selon qu’on la
supporte volontairement et par conséquent selon qu’elle a son principe à
l’intérieur, de la sorte elle est méritoire.
Réponse à l’objection N°2 : Le Christ dès le commencement de sa conception a mérité pour
nous le salut éternel ; mais de notre part il y avait des obstacles qui nous
empêchaient d’obtenir l’effet de ces mérites antérieurs : ainsi, pour écarter
ces obstacles, il a fallu que le Christ souffrît, comme nous l’avons dit
(quest. 46, art. 3).
Réponse à l’objection N°3 : La passion du Christ a produit un effet que n’ont
pas eu ses mérites antérieurs, non parce que sa charité a été plus grande, mais
à cause du genre de l’œuvre qui était très convenable par rapport à cet effet,
comme on le voit d’après les raisons que nous avons données de la convenance de
la passion du Christ (quest. 46, art. 3 et 4).
Mais c’est le
contraire. Sur ces paroles de saint Paul (Philip.,
chap. 2) : Propter quod et Deus exaltavit illum, saint Augustin dit (Tract.
104 in Joan.) : L’humilité de la passion est le mérite de la glorification,
et la glorification est la récompense de l’humilité. Or, le Christ a été
glorifié non seulement en lui-même, mais encore dans ses fidèles, comme il le
dit (Jean, chap. 17). Il semble donc qu’il
ait mérité le salut de ses fidèles.
Conclusion Puisque la grâce a été
donnée au Christ comme au chef de l’Eglise, pour découler de lui sur ses
membres, il est évident que le Christ a mérité le salut éternel non seulement
pour lui, mais encore pour tous ses membres.
Il faut répondre que,
comme nous l’avons dit (quest. 8), la grâce a été donnée au Christ
non-seulement comme individu, mais encore comme chef de l’Eglise, c’est-à-dire
pour qu’elle découlât de lui sur ses membres. C’est pourquoi les œuvres du
Christ se rapportent tout à la fois à lui et à ses membres, comme les œuvres d’un
autre homme qui est en état de grâce se rapportent à lui. Or, il est évident
que celui qui est en état de grâce et qui souffre pour la justice, mérite par
là même le salut pour lui, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 5, 10) : Bienheureux
ceux qui souffrent persécution à cause de la justice. Par conséquent le
Christ a mérité le salut par sa passion non seulement pour lui, mais encore
pour tous ses membres.
Article 2 : La
passion du Christ a-t-elle produit notre salut par manière de satisfaction ?
Objection N°1. Il
semble que la passion du Christ n’ait pas produit notre salut par manière de
satisfaction. En effet, c’est à celui qui pèche qu’il appartient de satisfaire,
comme on le voit pour les autres parties de la pénitence ; car c’est à celui
qui pèche qu’il appartient d’être contrit et de se confesser. Or, le Christ n’a
pas péché, puisqu’il est dit (1 Pierre,
2, 22) : qu’il n’a pas fait de péché.
Il n’a donc pas satisfait par sa propre passion.
Réponse à l’objection N°1 :
La tête et les membres sont comme une personne mystique ; et c’est pour cela
que la satisfaction du Christ appartient à tous les fidèles comme à ses membres
; c’est ainsi que quand deux hommes ne font qu’un par la charité, l’un peut
satisfaire pour l’autre, ainsi qu’on le verra (Suppl., quest. 13, art. 2). Mais il n’en est pas de même de la
confession et de la contrition ; parce que la satisfaction consiste dans un
acte extérieur (C’est l’acquittement d’une dette qui peut être opéré par un
autre que par celui qui l’a contractée.), pour lequel on peut employer des
instruments, parmi lesquels on compte les amis.
Objection N°2. On ne
satisfait à personne par une plus grande offense. Or, la plus grande offense a
été commise dans la passion du Christ ; parce que ceux qui l’ont mis à mort ont
fait le plus grave des péchés, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 6). Il semble donc
que par la passion du Christ il n’ait pu satisfaire à Dieu.
Réponse à l’objection N°2 : La charité du Christ souffrant a été plus grande que la malice
de ceux qui l’ont crucifié. C’est pourquoi le Christ a pu satisfaire par sa
passion plus que ses bourreaux n’ont offensé Dieu en le mettant à mort ; de
telle sorte que sa passion a été suffisante et surabondante pour satisfaire
pour les péchés de ceux qui l’ont mis à mort.
Objection
N°3. La satisfaction
implique une certaine égalité avec la faute, puisqu’elle est un acte de
justice. Or, la passion du Christ ne paraît pas être égale à tous les péchés du
genre humain ; parce que le Christ n’a pas souffert selon la divinité, mais
selon l’humanité, d’après ces paroles (1
Pierre, 4, 1) : Le Christ a souffert dans
la chair. Et comme l’âme dans laquelle est le péché l’emporte sur la chair,
le Christ n’a donc pas satisfait par sa passion pour nos péchés.
Réponse à l’objection
N°3 : La dignité de la
chair du Christ ne doit pas être appréciée seulement d’après la nature de la
chair, mais encore d’après la personne qui l’a prise, c’est-à-dire selon
qu’elle était la chair d’un Dieu, ce qui lui donnait une dignité infinie.
Mais c’est le
contraire. Le Psalmiste fait dire au Christ (Ps. 68,
5) : J’ai payé ce que je n’avais pas
enlevé. Or, on ne paye qu’autant qu’on satisfait parfaitement. Il semble
donc que le Christ en souffrant ait parfaitement satisfait pour nos péchés.
Conclusion La passion du Christ
n’a pas été seulement une satisfaction suffisante, mais surabondante pour les
péchés du genre humain, à cause de la généralité de ses souffrances, de la
dignité de la vie qu’il a quittée, et de la grandeur de sa charité.
Il faut répondre
qu’il satisfait proprement pour une offense celui qui rend à l’offensé quelque
chose qu’il aime autant ou plus qu’il ne hait l’offense elle-même. Or, le
Christ en souffrant par charité et par obéissance a rendu à Dieu plus qu’il ne
fallait pour faire compensation à toutes les offenses du genre humain : 1° à
cause de la grandeur de la charité qui le faisait souffrir ; 2° à cause de la
dignité de la vie qu’il a donnée pour satisfaire, car c’était la vie d’un
homme-Dieu (Les thomistes croient que les œuvres du Christ avaient
intrinsèquement une valeur infinie, en raison du suppôt divin ; mais les
scotistes ne leur attribuent cette valeur infinie que d’uni manière
extrinsèque, par suite de l’acceptation de Dieu.) ; 3° à cause de la généralité
de la passion et de la grandeur delà douleur dont il s’est chargé, comme nous
l’avons vu (quest. 46, art. 6). C’est pourquoi la passion du Christ n’a pas été
seulement une satisfaction suffisante, mais encore surabondante, pour les
péchés du genre humain, d’après ces paroles de l’Ecriture (1 Jean, 2, 2) : Il
s’est fait victime de propitiation non seulement pour nos péchés, mais encore
pour ceux du monde entier.
Article 3 : La
passion du Christ a-t-elle opéré par manière de sacrifice ?
Objection N°1. Il
semble que la passion du Christ n’ait pas opéré par manière de sacrifice. Car
la vérité doit répondre à la figure. Or, dans les sacrifices de l’ancienne loi,
qui étaient des figures du Christ, on n’offrait jamais de chair humaine, et
même ces sacrifices étaient considérés comme immondes et criminels, d’après ces
paroles du Psalmiste (PS. 105, 38) : Ils ont répandu le sang innocent, le sang de
leurs fils et de leurs filles qu’ils ont sacrifiés aux idoles de Chanaan.
Il semble donc que la passion du Christ ne puisse pas être appelée un sacrifice.
Réponse à l’objection N°1 :
Quoique la vérité réponde à la figure sous un rapport, elle n’y répond
cependant pas sous tous les aspects ; parce qu’il faut que la vérité surpasse
la figure. C’est pourquoi il a été convenable que le sacrifice par lequel la
chair du Christ est offerte pour nous fût figuré, non par des sacrifices
humains, mais par des sacrifices d’animaux qui représentent la chair du Christ,
qui est le sacrifice le plus parfait : 1° parce qu’il convient que sa chair qui
appartient à la nature humaine soit offerte pour tous les hommes et reçue par
eux sous le sacrement ; 2° parce que, par là même qu’elle était passible et
mortelle, elle était apte à être immolée ; 3° parce que, par là même qu’elle
était sans péché, elle était apte à purifier les péchés ; 4° parce que, par là
même qu’elle était la chair de celui qui l’offrait, elle était agréable à Dieu,
à cause de l’amour qu’il avait pour celui qui l’offrait. D’où saint Augustin
dit (De Trin., liv. 4, chap. 14) :
Que pouvait-on recevoir des hommes, et que pouvait-on offrir pour eux d’aussi
convenable que la chair humaine, et qu’y avait-il d’aussi apte à ce sacrifice
que cette chair mortelle ? Quoi de plus pur pour purifier les vices de tous les
mortels que cette chair née dans le sein d’une Vierge sans la contagion de la
concupiscence charnelle ? Et que pouvait-on offrir et recevoir d’aussi agréable
que la chair de notre sacrifice devenue le corps de notre prêtre ?
Réponse à l’objection N°2 : Saint Augustin parle en cet endroit des sacrifices
visibles figuratifs ; la passion du Christ, quoiqu’elle soit désignée par
d’autres sacrifices figuratifs, est néanmoins elle-même le signe de ce que nous
devons observer, d’après ces paroles de saint Pierre (1 Pierre, 4, 1) : Le
Christ ayant souffert dans sa chair, armez-vous de cette pensée, que quiconque
est mort à la chair a cessé de pécher, de sorte que pendant le reste du temps
qu’il vit selon la chair, il ne vit plus selon les passions des hommes, mais
selon la volonté de Dieu.
Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Eph., 5, 2) : Il
s’est livré lui-même pour nous, en s’offrant à Dieu comme une oblation et une
victime d’une agréable odeur.
Conclusion Puisque le Christ en
souffrant sa passion a fait l’œuvre la plus agréable à Dieu, sa passion a été
un véritable sacrifice.
Article 4 : La
passion du Christ a-t-elle opéré notre salut par manière de rédemption ?
Objection N°1. Il
semble que la passion du Christ n’ait pas opéré notre salut par manière de
rédemption. Car personne n’achète ou ne rachète ce qui n’a pas cessé d’être à
lui. Or, les hommes n’ont jamais cessé d’être à Dieu, d’après ces paroles (Ps. 23, 1) : La terre
est au Seigneur et tout ce qu’elle renferme, ainsi que l’univers et tous ceux
qui l’habitent. Il semble donc que le Christ ne nous ait pas rachetés par
sa passion.
Réponse à l’objection N°1 : On dit que l’homme appartient à Dieu de deux manières : 1°
selon qu’il est soumis à sa puissance. De la sorte, l’homme n’a jamais cessé
d’appartenir à Dieu, d’après ces paroles du prophète (Dan., 4, 22) : Le Très-Haut domine sur les royaumes des
hommes, et il les donne à qui il veut. 2° Il lui appartient par l’union de
la charité avec lui, d’après ces paroles de l’Apôtre (Rom., 8, 9) : Si quelqu’un
n’a pas l’esprit du Christ, il n’est pas à lui. Dans le premier sens,
l’homme n’a pas cessé d’être à Dieu, mais dans le second, il a cessé de lui
appartenir par le péché. C’est pourquoi on dit qu’il a été racheté par la
passion du Christ, dans le sens qu’il a été délivré de ses péchés, le Christ
ayant satisfait pour lui par ses souffrances.
Réponse
à l’objection N°2 : En péchant l’homme s’était obligé envers
Dieu et envers le démon. En effet, par rapport à la faute, il avait offensé
Dieu, et il s’était soumis au démon, en y consentant. ; par conséquent, en
raison de sa faute, il n’était pas devenu le serviteur de Dieu, mais il s’était
plutôt éloigné de la soumission qu’il lui devait, et il était tombé sous la
servitude du démon, Dieu l’ayant permis avec justice, à cause de l’offense
commise contre lui. Mais quant à la peine, l’homme avait été principalement
obligé envers Dieu comme envers son souverain juge ; il l’avait été à l’égard
du diable comme envers son bourreau, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 5, 25) : De
peur que votre ennemi ne vous livre au juge, et le juge au ministre,
c’est-à-dire, ajoute saint Chrysostome (alius auctor, hom. 11, in op. imperf.),
à l’ange cruel des châtiments. Ainsi donc, quoique le diable ait tenu
injustement sous sa servitude l’homme qu’il avait trompé par fraude et qu’il
l’ait injustement asservi quant à la faute et quant à la peine, néanmoins il
était juste que l’homme le souffrît, Dieu le permettant quant à la faute et
l’ordonnant quant à la peine. C’est pourquoi, par rapport à Dieu, la justice
exigeait que l’homme fût racheté, mais il n’en était pas ainsi par rapport au
démon.
Mais c’est le contraire. Saint Pierre dit (1
Pierre, 1, 18) : Ce n’est point par des choses corruptibles, comme l’or et
l’argent, que vous avez été rachetés de la vanité de votre première vie, où
vous suiviez les traditions de vos pères, mais par le précieux sang de
Jésus-Christ, comme de l’agneau sans tache et sans défaut. Et saint Paul
ajoute (Gal., 3, 13) : Le Christ nous a, rachetés de la malédiction delà
loi, s’étant lui-même rendu un objet de malédiction pour nous. Or, il est
dit qu’il est devenu malédiction pour nous, selon qu’il a souffert pour nous
sur la croix, comme nous l’avons vu (quest. 46, art. 4, Objection N°3). Il nous
a donc rachetés par sa passion.
Conclusion Puisque la passion du
Christ a été une satisfaction surabondante pour les péchés et la dette du genre
humain, elle a opéré notre salut par manière de rédemption.
Il faut répondre que
l’homme avait contracté par le péché une double obligation. 1° Il avait été lié
par la servitude du péché, parce que celui
qui fait le péché en est l’esclave, selon l’expression de saint Jean (Jean,
8, 34) ; et qu’on devient le serviteur de
celui par lequel on a été vaincu, d’après saint Pierre (2 Pierre, 2, 19).
Ainsi, comme le diable avait vaincu l’homme en l’engageant à pécher, l’homme
était devenu l’esclave du démon. 2° Il avait été lié quant à la dette de la
peine, qui obligeait l’homme selon la justice de Dieu. Cette obligation est
encore une servitude ; car il appartient à la servitude de souffrir ce qu’on ne
veut pas, puisqu’il appartient à l’homme libre de faire usage de lui-même comme
il veut. Par conséquent, la passion du Christ ayant été une satisfaction
suffisante et surabondante pour le péché du genre humain et pour la peine qu’il
avait méritée ; sa passion a été une sorte de prix par lequel nous avons été
délivrés de cette double obligation. Car la satisfaction elle-même par laquelle
on satisfait pour soi ou pour les autres est appelée un prix par lequel on se
rachète ou on rachète un autre du péché et de la peine, d’après ces paroles du
prophète (Dan., 4, 24) : Rachetez vos péchés par des aumônes. Or,
le Christ a satisfait, non en donnant de l’argent ou quelque chose de
semblable, mais en donnant ce qu’il v a eu de plus grand, c’est-à-dire en se
donnant lui-même pour nous. C’est pourquoi il est dit que la passion du Christ
est notre rédemption (Les thomistes croient communément, pour cette raison, que
la satisfaction du Christ a été un acte de la justice commutative. Mais
d’autres théologiens l’attribuent à la justice légale ou à plusieurs autres
vertus, comme la religion et la charité.).
Article 5 : Est-il
propre au Christ d’être rédempteur ?
Objection N°1. Il
semble qu’il ne soit pas propre au Christ d’être rédempteur. Car il est dit (Ps. 30, 6) : Vous m’avez
racheté, Seigneur Dieu de vérité. Or, il convient à la Trinité entière
d’être le Seigneur Dieu de vérité. La rédemption n’est donc pas une chose
propre au Christ.
Réponse à l’objection N°1 :
La glose explique ainsi ce passage : Seigneur Dieu de vérité, vous m’avez
racheté dans le Christ, qui s’écriait : Je
remets, Seigneur, mon esprit entre vos mains. Par conséquent la rédemption
appartient immédiatement au Christ comme homme, et principalement à Dieu.
Objection N°2. On dit
que celui qui donne le prix de la rédemption rachète. Or, Dieu le Père a donné
son Fils pour le rachat de nos péchés, d’après ces paroles (Ps., 110, 9) : Le Seigneur a envoyé la rédemption à son peuple. La glose dit à ce
sujet (interl. Aug.) qu’il a envoyé le Christ, qui donne la rédemption aux
captifs. Par conséquent, non seulement le Christ, mais encore Dieu le Père nous
a rachetés.
Réponse à l’objection
N°2 : Le Christ, comme homme, a payé
immédiatement le prix de notre rédemption, mais d’après l’ordre de son Père,
qui en a été comme l’auteur primordial.
Objection N°3. Non seulement la
passion du Christ, mais encore celle des autres saints a servi à notre salut,
d’après ces paroles (Col., 1, 24) : Je me réjouis maintenant dans ce que je
souffre pour vous et de ce que j’accomplis dans ma chair ce qui manque aux
souffrances du Christ pour son corps, qui est l’Eglise. Le Christ seul ne
doit donc pas être appelé rédempteur, mais ce titre convient encore aux saints.
Réponse à l’objection
N°3 : Les passions des
saints sont utiles à l’Eglise, non par manière de rédemption (Il s’agit ici de
la rédemption, prise dans son sens propre et absolu ; car les mérites des
saints satisfont aussi pour nous ; mais ils ne peuvent satisfaire qu’en vertu
des mérites du Christ, et il faut qu’ ils nous soient appliqués par le pouvoir
des clefs que le souverain pontife tient lui-même du Christ.), mais par manière
d’exemple et d’exhortation, d’après ces paroles de saint Paul (2 Cor., 1, 6) : C’est pour
votre exhortation et votre salut que nous sommes affligés.
Mais c’est le
contraire. Saint Paul dit (Gal., 3, 13) : Le Christ nous a rachetés de la malédiction
de la loi, étant devenu malédiction pour nous. Or, le Christ seul s’est
fait malédiction pour nous. Il n’y a donc que lui que nous devions appeler
notre Rédempteur.
Conclusion Quoiqu’on puisse
assignera la Trinité entière l’œuvre de la rédemption, comme à sa cause
première, cependant il a été propre au Christ d’être notre rédempteur selon la
nature humaine, parce qu’il n’y a que lui qui ait sacrifié son propre sang et
sa propre vie pour la rédemption de tout le monde.
Article 6 : La
passion du Christ a-t-elle opéré notre salut par manière de cause efficiente ?
Objection N°1. Il
semble que la passion du Christ n’ait pas opéré notre salut par manière de
cause efficiente. Car la cause efficiente de notre salut est la grandeur de la
vertu divine, d’après ces paroles (Is., 59, 1) : La main du Seigneur n’est point raccourcie pour ne pouvoir plus nous
sauver. Or, le Christ a été crucifié
selon l’infirmité de la chair, suivant saint Paul (2. Cor., 13, 4). La passion du Christ n’a donc pas opéré notre
salut comme cause efficiente.
Réponse
à l’objection N°1 : La passion du Christ, selon qu’elle se
rapporte à la chair, convient à l’infirmité de la nature qu’il a prise ; mais
si on la rapporte à sa divinité elle en retire une vertu infinie, d’après ces
paroles de saint Paul (1 Cor., 1,
25) : La faiblesse de Dieu est plus forte
que tous les hommes ; c’est-à-dire que l’infirmité du Christ, selon qu’elle
appartient à Dieu, a une vertu qui surpasse toute vertu humaine.
Objection
N°2. Un agent corporel
n’agit comme cause efficiente que par le contact. Ainsi le Christ a guéri le
lépreux en le touchant, pour montrer que sa chair a une vertu salutaire, selon
la pensée de saint Chrysostome (implic. hom. 26 in Matth, et auct.
op. imperf., hom. 22,
et Cyrille. liv. 4 in Joan. super illud : Nisi
manducaveritis, etc.). Or, la passion du Christ
n’a pu atteindre tous les hommes. Elle n’a donc pu opérer le salut de tout le
monde à titre de cause efficiente.
Réponse
à l’objection N°2 : La passion du Christ, quoiqu’elle soit
corporelle, a cependant une vertu spirituelle par suite de la divinité qui lui
est unie ; c’est pourquoi elle tire son efficacité du contact spirituel (Car,
quoique le Christ soit mort pour tous les hommes, il n’y a que ceux qui lui
sont unis par la foi et la charité qui puissent jouir des fruits de la
rédemption qu’il a opérée.), c’est-à-dire de la foi et du sacrement de la foi,
d’après ces paroles de l’Apôtre (Rom.,
3, 25) : Dieu l’a destiné pour être une
victime de propitiation par la foi qu’on aurait en son sang.
Mais c’est le
contraire. Saint Paul dit (1 Cor., 1, 18) : La prédication de la croix est la vertu de
Dieu pour ceux qu’il sauve. Or, la vertu de Dieu opère notre salut comme
cause efficiente. La passion du Christ a donc opéré notre salut sur la croix de
cette manière.
Conclusion Quoique Dieu soit la
cause efficiente principale de notre salut, la passion du Christ en a été
néanmoins la cause efficiente instrumentale.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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