Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
49 : Des effets de la passion du Christ
Article 1 :
Avons-nous été délivrés du péché par la passion du Christ ?
Objection N°1. Il
semble que nous n’ayons pas été délivrés du péché par la passion du Christ. Car
c’est le propre de Dieu de délivrer du péché, d’après ces paroles du prophète,
qui fait dire au Seigneur (Is., 43, 25)
: C’est moi qui pour l’amour de moi-même
efface vos iniquités. Or, le Christ n’a pas souffert comme Dieu, mais comme
homme. Nous n’avons donc pas été délivrés du péché par la passion du Christ.
Réponse à l’objection N°1 :
Quoique le Christ n’ait pas souffert comme Dieu, cependant sa chair est
l’instrument de la divinité ; d’où il suit que sa passion a une vertu divine
par laquelle elle remet les péchés, comme nous l’avons dit (dans le corps de
cet article.).
Réponse à l’objection N°2 : Il faut répondre au second, que la passion du Christ,
quoiqu’elle soit corporelle, tire cependant une certaine vertu spirituelle de
la divinité à laquelle sa chair est unie à titre d’instrument ; et c’est en
raison de cette vertu qu’elle est la cause de la rémission des péchés.
Réponse à l’objection N°3 : Le Christ, par sa passion, nous a délivrés de nos péchés à titre
de cause, c’est-à-dire en établissant la cause de notre délivrance (Elle en est
la cause propre, selon l’observation de Cajétan, parce que sans elle il est
impossible que, selon la puissance ordinaire, l’homme obtienne la rémission de
ses péchés.), de manière que par elle tous les péchés, quels qu’ils fussent,
passés, présents ou futurs, pussent être remis ; comme si un médecin préparait
une médecine qui put guérir toutes les maladies, même celles qui seraient à
venir.
Réponse à l’objection N°4 : La passion du Christ ayant été antérieure, comme la cause
universelle de la rémission des péchés, ainsi que nous l’avons dit (dans le
corps de cet article.), il est nécessaire qu’elle soit appliquée à chacun pour
effacer ses propres fautes. C’est ce qui se fait par le baptême et la pénitence
et par les autres sacrements qui tirent leur vertu de la passion du Christ,
comme on le verra (quest. 62, art. 5).
Réponse à l’objection N°5 : Par la foi la passion du Christ nous est aussi
appliquée pour que nous en retirions les fruits, d’après ces paroles de saint
Paul (Rom., 3, 25) : Dieu l’a
destiné pour être la victime de propitiation par la foi que nous aurions en son
sang. Or, la foi par laquelle nous sommes purifiés du péché n’est pas la
foi informe qui peut exister avec le péché, mais c’est la foi formée par la
charité ; de manière que la passion du Christ nous soit appliquée non seulement
quant à l’intellect, mais encore quant à son effet. Et, de cette manière, c’est
aussi par la vertu de la passion du Christ que les péchés sont remis.
Mais c’est le contraire. Saint Jean dit (Apoc., 1, 5) : Il nous a aimés et nous a lavés de nos péchés
dans son sang.
Conclusion
La passion du Christ a été la cause de la rémission de nos péchés selon que par
elle nous sommes excités à la charité et que nous avons été rachetés, et
qu’elle a été l’instrument de la divinité par lequel les péchés de tous les
hommes ont été effacés.
Il faut répondre que
la passion du Christ est la cause propre de la rémission des péchés de trois
manières : 1° En excitant à la charité ; car, comme le dit saint Paul (Rom., 5, 8) : Dieu a fait
éclater son amour envers nous en ce que lors même que nous étions encore
pécheurs, Jésus-Christ est mort pour nous. Or, c’est par la charité qu’on
obtient la rémission de ses péchés, puisqu’il est dit (Luc, 7, 47) : Beaucoup de péchés lui ont été remis, parce
qu’elle a beaucoup aimé. 2° La passion du Christ produit la rémission des
péchés par manière de rachat. En effet, il est notre chef, sa passion qu’il a
supportée par amour et par obéissance, nous a délivrés du péché, nous qui
sommes ses membres, par le prix qu’elle vaut ; comme si un homme se rachetait
d’un péché qu’il aurait commis par ses pieds, au moyen d’une œuvre méritoire
qu’il aurait produite par ses mains. Car comme un corps naturel est n ne chose
une, composée de membres divers, de même toute l’Eglise, qui est le corps
mystique du Christ, est considérée comme une seule personne avec son chef, qui
est le Christ. 3° La passion du Christ produit la rémission des péchés par
manière de cause efficiente, dans le sens que la chair dans laquelle le Christ
a souffert sa passion est l’instrument de la divinité ; d’où il résulte que ses
passions et ses actions concourent par la vertu divine à l’expulsion du péché.
Article 2 :
Avons-nous été délivrés par la passion du Christ de la puissance du démon ?
Objection N°1. Il
semble que nous n’ayons pas été délivrés par la passion du Christ de la
puissance du démon. Car il n’a pas puissance sur les autres celui qui ne peut
rien faire sur eux, si on ne le lui permet. Or, le diable n’a jamais rien pu
faire qui fût nuisible aux hommes qu’autant que Dieu le lui a permis, comme on
le voit pour Job (chap. 1 et 2), que le
diable attaqua d’abord dans ses biens et ensuite dans son corps ; et il est dit
également dans l’Evangile (Matth., chap. 8) que les
démons ne purent entrer dans les porcs qu’après que le Christ le leur en eut
donné la permission. Le diable n’a donc jamais eu de puissance sur les hommes,
et par conséquent nous n’avons pas été délivrés de sa puissance par la passion
du Christ.
Réponse à l’objection N°1 :
On ne dit pas que le diable a eu puissance sur les hommes, comme s’il eût pu
leur nuire, sans que Dieu l’eût permis ; mais parce que Dieu lui permettait
avec justice de nuire à ceux qu’il avait amenés à lui par ses tentations de
leur propre consentement.
Réponse à l’objection N°2 : Le diable peut maintenant, avec la permission de Dieu, tenter
les hommes quant à l’âme et les tourmenter quant au corps ; mais néanmoins la
passion du Christ a préparé à l’homme un remède, par lequel il peut se défendre
contre les attaques de l’ennemi de manière qu’il ne soit pas entraîné dans
l’abîme de la mort éternelle (C’est la doctrine du concile de Trente (sess. 5
in decret. De peccat. orig., circ. fin.).).
Avant la passion du Christ, quiconque résistait au démon pouvait le faire par
la foi dans la passion elle même, quoiqu’elle n’ait pas encore été consommée.
Mais, sous un rapport, personne ne pouvait échapper aux mains du démon, de
manière à ne pas descendre dans l’enfer (C’est-à-dire aux limbes.), dont on
peut, depuis la passion du Christ, être préservé par sa vertu.
Objection
N°3. La vertu de la passion
du Christ dure perpétuellement, d’après ces paroles de saint Paul (Hébr., 10, 14) : Par une
seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés.
Elle s’étend également à tous les lieux. Or, on n’est pas partout délivré de la
puissance du démon, parce qu’il y a encore des idolâtres dans beaucoup de
parties du monde, et on n’en sera pas non plus délivré pour toujours, puisque
au temps de l’antechrist le diable exercera sa
puissance pour nuire plus que jamais aux hommes ; ce qui fait dire à l’Apôtre (2 Thess., 2, 9)
: que l’antechrist
doit venir. Accompagné de la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles,
désignés et de prodiges trompeurs, et avec toutes les illusions qui peuvent
porter à l’iniquité ceux qui périssent. Il semble donc que la passion du
Christ ne soit pas la cause de ce que le genre humain a été délivré de la
puissance du démon.
Réponse à l’objection
N°3 : Dieu permet au
démon de pouvoir tromper les hommes à l’égard de certaines personnes, en
certains temps et en certains lieux, d’après la raison secrète de ses
jugements. Néanmoins la passion du Christ a mis à la disposition des hommes le
remède par lequel ils pourront toujours se défendre contre la malice des
démons, même dans le temps de l’antéchrist. S’il y en a qui négligent de faire
usage de ce remède, leur négligence ne nuit en rien à l’efficacité de la
passion du Christ.
Mais c’est le
contraire. Le Seigneur dit à l’approche de sa passion (Jean, 12, 31) : C’est
maintenant que le prince de ce monde va être chassé dehors ; et pour moi, quand
j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. Or, il a été élevé de
terre par la passion de la croix ; c’est donc par elle que le diable a été
dépouillé de la puissance qu’il avait sur les hommes.
Conclusion Puisque par la passion
du Christ nos péchés nous ont été remis, et que nous avons été réconciliés avec
Dieu son Père, et que le diable a vainement travaillé contre la mort du Christ,
nous avons été par là délivrés de sa puissance.
Article 3 :
Par la passion du Christ les hommes ont-ils été délivrés de la peine du péché ?
Objection N°1. Il
semble que les hommes n’aient pas été délivrés de la peine du péché par la
passion du Christ. Car la peine principale du péché est la damnation éternelle.
Or, ceux qui avaient été condamnés à l’enfer pour leurs péchés, n’ont pas été
délivrés par la passion du Christ, parce que dans l’enfer il n’y a pas de rédemption. Il semble donc que la passion du Christ
n’ait pas délivré les hommes de la peine du péché.
Réponse
à l’objection N°1 : La passion du Christ produit son effet dans ceux
auxquels on l’applique par la foi, la charité, et les sacrements de la foi.
C’est pourquoi les damnés qui ne sont unis dans l’enfer à la passion du Christ
d’aucune de ces manières ne peuvent pas en recevoir les effets.
Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (art. 1, Réponse N°4), pour
obtenir l’effet de la passion du Christ il faut nous rendre conformes à lui.
Or, nous nous rendons conformes à lui par le sacrement de baptême, d’après ces
paroles de saint Paul (Rom., 6, 4) : Nous avons été ensevelis avec lui par le
baptême pour mourir au péché. Aussi aucune peine satisfacteur n’est imposée
à ceux qui sont baptisés, parce qu’ils ont été totalement délivrés par la
satisfaction du Christ. Car le Christ n’étant
mort qu’une fois pour nos péchés, comme le dit saint Pierre (1 Pierre, 3,
18), il s’ensuit que l’homme ne peut pas être une seconde fois rendu conforme à
sa mort par le sacrement de baptême. Par conséquent il faut que ceux qui
pèchent après leur baptême, soient rendus conformes au Christ souffrant par
quelques peines ou quelques souffrances qu’ils endurent en eux ; mais par suite
de la coopération de la satisfaction du Christ, il suffit d’une peine beaucoup
moindre que celle qu’exigerait en elle-même la nature de la faute (Cajétan a
fait observer, à ce sujet, combien grande est la vertu de la puissance
surnaturelle que le prêtre impose dans le sacrement de Pénitence, puisque la
plus légère reposant sur la satisfaction du Christ, devient suffisante, comme
si elle était plus grande.).
Objection
N°3. La mort est la peine
du péché, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 6,
23) : La solde du péché est la mort.
Or, depuis la passion du Christ les hommes meurent encore. Les hommes n’ont
donc pas été délivrés par elle de la peine due à leurs péchés.
Réponse à l’objection N°3 : La satisfaction du Christ a en nous son effet, en tant que
nous sommes incorporés à lui, comme les membres le sont à la tête, ainsi que
nous l’avons dit (art. 1). Or, les membres doivent être conformes à la tête.
C’est pourquoi comme le Christ a eu d’abord la grâce dans son âme avec la
passibilité du corps et qu’il est parvenu par sa passion à la gloire de
l’immortalité ; de même nous qui sommes ses membres, nous sommes délivrés par
sa passion de toutes les peines que nous avons méritées, de manière cependant
que nous recevons d’abord dans notre âme l’esprit d’adoption des enfants de
Dieu par lequel nous avons droit à l’héritage de la gloire immortelle, tout en
conservant notre corps passible et mortel ; puis, après que nous sommes devenus
semblables à la passion et à la mort du Christ, nous arrivons à la gloire
immortelle, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 8, 17) : Si nous sommes
les enfants de Dieu, nous sommes aussi les héritiers de Dieu et les cohéritiers
du Christ, pourvu toutefois que nous souffrions avec lui, afin que nous soyons
aussi glorifiés avec lui.
Mais c’est le contraire. Le prophète dit (Is., 53, 4) : Il s’est véritablement chargé de nos
infirmités et il a porté nos douleurs.
Conclusion La passion du Christ
ayant été une satisfaction surabondante pour les péchés et la cause de la
rémission des fautes pour lesquelles l’homme mérite d’être puni, il s’ensuit
que nous avons été délivrés par elle de la peine que nous avions encourue.
Il faut répondre que
par la passion du Christ nous avons été délivrés de la peine que nous avions
méritée de deux manières : 1° directement en tant que la passion du Christ a
été une satisfaction suffisante et surabondante pour les péchés de tout le
genre humain, et que du moment qu’on a satisfait suffisamment, on ne mérite
plus d’être puni. 2° Indirectement selon que la passion du Christ est la cause
de la rémission des péchés, et c’est sur les péchés que repose
la peine qu’on doit endurer.
Article 4 : Par
la passion du Christ avons-nous été réconciliés avec Dieu ?
Objection N°1. Il
semble que par la passion du Christ nous n’ayons pas été réconciliés avec Dieu.
Car la réconciliation n’a pas lieu entre amis. Or, Dieu nous a toujours aimés,
d’après ces paroles du Sage (Sag., 11, 25) : Vous
aimez tout ce qui existe, et vous ne haïssez rien de ce que vous avez fait.
La passion du Christ ne nous a donc pas réconciliés avec Dieu.
Réponse à l’objection N°1 : Dieu aime tous les hommes quant à la nature qu’il a faite,
mais il les hait quant à la faute qu’ils commettent contre lui, d’après ces
paroles de l’Ecriture (Ecclésiastique,
12, 3) : Le Très-Haut hait les pécheurs.
Objection N°2. La
même chose ne peut pas être principe et effet ; ainsi la grâce qui est le
principe du mérite ne peut pas en être l’objet. Or, l’amour de Dieu est le
principe de la passion du Christ, puisqu’il est dit (Jean, 3, 16) : Dieu a tellement aimé le monde qu’il lui a
donné son Fils unique. Il ne semble donc pas que par la passion du Christ
nous ayons été réconciliés avec Dieu de manière qu’il ait commencé à nous aimer
seulement depuis ce moment.
Réponse à l’objection N°2 : On ne dit pas que la passion du Christ nous a réconciliés avec
Dieu, comme s’il eût commencé à nous aimer alors, puisqu’il est écrit (Jérem., 31, 3) : Je
vous ai aimé d’un amour perpétuel, mais on le dit parce que par la passion
du Christ la cause de la haine a été détruite, soit parce que le péché a été
effacé, soit parce qu’elle a offert en retour un bien plus agréable à Dieu.
Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (Rom., 5, 10) : Nous avons été réconciliés avec Dieu par la mort de son
Fils.
Conclusion Puisque la passion du
Christ nous a délivrés du péché qui rend les hommes ennemis de Dieu, et que ce
sacrifice a été très-agréable à Dieu, il a été cause de notre réconciliation
avec lui.
Il faut répondre que
la passion du Christ est la cause de notre réconciliation avec Dieu de deux
manières : 1° en ce qu’elle a éloigné le péché qui rend les hommes ennemis de
Dieu, d’après ces paroles (Sag., 14, 9)
: Dieu hait également l’impie et son
impiété ; (Ps. 5, 7) Vous haïssez tous ceux qui opèrent
l’iniquité. 2° Elle en est la cause selon qu’elle est un sacrifice très agréable
à Dieu. Car l’effet propre du sacrifice c’est d’apaiser Dieu, comme quand
l’homme remet une offense commise contre lui à cause d’un témoignage qu’on lui
rend. D’où il est dit (1 Rois, 26, 19)
: Si c’est le Seigneur qui vous pousse
contre moi, qu’il reçoive l’odeur de ce sacrifice. De même la passion
volontaire du Christ a été un si grand bien, qu’à cause de ce bien qu’il a
trouvé dans la nature humaine Dieu a été apaisé à l’égard de toutes les
offenses du genre humain, relativement à ceux qui sont unis au Christ
souffrant, comme nous l’avons dit précédemment.
Article 5 :
Le Christ nous a-t-il ouvert la porte du ciel par sa passion ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ ne nous ait pas ouvert la porte du ciel par sa passion.
Car il est dit (Prov., 11, 18) : La récompense est assurée à celui qui sème
la justice. Or, la récompense de la justice est l’entrée dans le royaume
céleste. Il semble donc que les saints patriarches qui ont opéré des œuvres de
justice obtenaient par la foi l’entrée du royaume céleste, même sans la passion
du Christ. La passion du Christ n’est donc pas la cause qui nous ouvre la porte
du royaume céleste.
Réponse à l’objection N°1 : Les saints patriarches en faisant des œuvres de justice ont
mérité d’entrer dans le royaume céleste par la foi qu’ils ont eue dans la
passion du Christ, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 11, 33) : C’est par la foi
que les saines ont vaincu les royaumes et opéré la justice. C’est aussi
pour cela que chaque individu était délivré de ses péchés pour ce qui regarde
la purification de sa propre personne. Mais la foi ou la justice d’un homme ne
suffisait pas pour écarter l’obstacle qui résultait de la dette de tout le
genre humain, et qui a été enlevé par le prix du sang du Christ. C’est pourquoi
avant la passion du Christ personne ne pouvait entrer dans le royaume céleste,
en obtenant la béatitude éternelle qui consiste dans la pleine jouissance de
Dieu.
Réponse
à l’objection N°2 : Elie a été enlevé dans le ciel aérien, mais non dans
le ciel empyrée (Sur le ciel empyrée (Voy. 1a
pars, quest. 66, art. 3), qui est le lieu des saints ; de même Enoch a été
enlevé dans le paradis terrestre où l’on croit qu’il restera avec Elie jusqu’à
l’arrivée de l’antechrist.
Objection
N°3. Comme on le voit (Matth., chap. 3), après le baptême du Christ, les cieux lui
furent ouverts. Or, le baptême a procédé la passion. L’ouverture du ciel n’est
donc pas l’effet de la passion.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme nous l’avons dit (quest.
39, art. 5), après le baptême du Christ les cieux furent ouverts, non à cause
du Christ lui-même, à qui le ciel l’a toujours été, mais pour signifier que le
ciel est ouvert à ceux qui reçoivent le baptême du Christ, parce que ce
sacrement tire son efficacité de sa passion.
Objection N°4. Il est
dit (Mich., 2, 13) : Il est monté ouvrant le chemin devant eux. Or, il semble qu’ouvrir
le chemin du ciel ne soit rien autre chose qu’en ouvrir la porte. Il semble
donc que la porte du ciel nous ait été ouverte, non par la passion du Christ,
mais par son ascension.
Réponse à l’objection
N°4 : Le Christ nous a
mérité par sa passion l’entrée dans le royaume céleste, et a écarté ce qui nous
faisait obstacle ; au lieu que par son ascension il nous a, pour ainsi dire,
introduit dans la possession de ce royaume. C’est pourquoi il est dit qu’il est
monté, ouvrant le chemin devant eux (C’est aussi pour ce motif que le Christ a
dit (Jean, 16, 7) : Il est utile pour
vous que je m’en aille ; car si je ne m’en vais pas, le Paraclet ne
viendra pas à vous, mais si je m’en vais je vous l’enverrai.).
Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Héb., 10, 19) : Nous
avons par le sang du Christ la confiance d’entrer dans le saint des saints,
c’est-à-dire dans le ciel.
Conclusion Puisque nous avons été
délivrés par la passion du Christ, non seulement du péché originel, commun à la
nature humaine, quant à la faute et à la peine, mais encore des péchés propres
à chacun de nous, elle nous a ouvert par là même la porte du royaume des cieux.
Il faut répondre que,
quand la porte est fermée, c’est un obstacle qui empêche l’homme d’entrer. Or,
ce qui empêche les hommes d’entrer dans le ciel, c’est le péché ; car, comme le
dit le prophète (Is., 35, 8) : Cette voie sera appelée sainte et celui qui
est souillé ne passera point par elle. Il y a deux sortes de péché qui
empêchent d’entrer dans le royaume céleste. L’un est commun à toute la nature
humaine ; c’est le péché du premier homme ; il ferme à l’homme l’entrée du
royaume céleste. C’est pourquoi il est dit (Gen., 3, 24) qu’après le péché du premier homme Dieu plaça des chérubins qui agitaient çà et là des épées de feu, pour
garder le chemin qui conduisait à l’arbre de vie. L’autre péché est celui
que fait chaque individu et qui est commis par son acte propre. Or, par la
passion du Christ nous avons été délivrés non seulement du péché qui est commun
à toute la nature humaine quant à la faute et quant à la peine, par le prix
qu’il a payé pour nous, mais elle a encore délivré de leurs propres péchés ceux
qui participent à sa passion par la foi, par la charité et par les sacrements.
C’est pourquoi la passion du Christ nous a ouvert la porte du royaume céleste.
C’est ce qu’exprime l’Apôtre en disant (Hébr.,
9, 11) : Le Christ étant venu comme le
pontife des biens futurs, est entré une seule fois dans le sanctuaire avec son
propre sang, nous ayant acquis une rédemption éternelle. Et c’est ce qui
est figuré par la loi quand il est dit (Nom.,
35, 20) : L’homicide restera là,
c’est-à-dire dans une ville de refuge, jusqu’à
ce que le grand prêtre qui a été oint de l’huile sainte, meure ; après sa mort
il pourra retourner dans sa maison.
Article 6 : Le
Christ a-t-il mérité par sa passion d’être exalté ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas mérité d’être exalté par sa passion. Car, comme
la connaissance de la vérité est propre à Dieu, de même aussi l’élévation,
d’après ces paroles du Psalmiste (Ps.
113, 4) : Le Seigneur est élevé au-dessus de toutes les nations, et sa gloire est
au-dessus des cieux. Or, le Christ, comme homme, a eu la connaissance de
toute vérité, non d’après un mérite antérieur, mais d’après l’union même de
Dieu et de l’homme, suivant ces paroles de saint Jean (Jean, 1, 14) : Nous avons vu sa gloire qui est comme la
gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de vérité. Il n’a donc pas
été exalté par suite du mérite de sa passion, mais uniquement en vertu de
l’union hypostatique.
Réponse à l’objection N°1 :
Le principe du mérite vient de l’âme, tandis que le corps est l’instrument de
l’acte méritoire. C’est pourquoi la perfection de l’âme du Christ qui a été le
principe du mérite n’a pas dû être acquise en lui par le mérite, comme la
perfection du corps qui a été le sujet de la passion et par là même
l’instrument du mérite.
Réponse à l’objection N°2 : Par des mérites antérieurs à sa passion le Christ a mérité son
exaltation relativement à son âme dont la volonté était rendue parfaite par la
charité et les autres vertus. Mais dans sa passion il a mérité son exaltation
relativement à son corps par manière de récompense ; car il est juste que le
corps qui avait été soumis à la souffrance par charité reçoive dans la gloire
sa récompense.
Réponse à l’objection N°3 : Par un ordre spécial de la volonté de Dieu, il est
arrivé dans le Christ que la gloire de l’âme ne rejaillissait pas avant la
passion sur le corps, afin qu’il obtînt plus honorablement la gloire
corporelle, quand il l’aurait méritée par ses souffrances. Mais il ne convenait
pas que la gloire de l’âme fût ainsi différée, parce que l’âme était unie
immédiatement au Verbe : par conséquent il était convenable qu’elle fût remplie
de gloire par le Verbe lui-même ; tandis que le corps était uni au Verbe par
l’intermédiaire de lame.
Mais c’est le
contraire. Saint Paul dit (Phil., 2,
8) : Il s’est fait obéissant jusqu’à la
mort et jusqu’à la mort de la croix ; c’est pour cela que Dieu l’a exalté.
Conclusion Comme le Christ s’est
humilié par sa passion, de même il a été exalté par elle pour qu’il ressuscitât
glorieux, et qu’il montât au ciel où il est assis à la droite de Dieu son Père,
d’où il doit venir juger tous les hommes avec majesté.
Il faut répondre que le mérite implique une
certaine égalité de justice, d’où l’Apôtre dit (Rom., 4,
4) : La récompense qu’on donne à
quelqu’un pour ses œuvres lui est imputée comme une chose due. Or, quand
quelqu’un s’attribue injustement plus qu’il ne lui est dû, il est juste qu’on
lui prenne quelque chose de ce qui lui revenait. C’est ainsi que quand
quelqu’un vole une brebis, il doit en rendre quatre, d’après la loi (Ex., chap. 22). Et l’on dit qu’il l’a
mérité, parce qu’il est puni par là de sa volonté inique. De même quand
quelqu’un se retranche par justice quelque chose de ce qu’il devait avoir, il
mérite qu’on lui donne davantage par surcroît, en récompense de la droiture de
sa volonté. D’où il est dit (Luc, 14, 11) : que celui qui s’humilie sera exalté. — Or, le Christ s’est humilié
lui-même dans sa passion au-dessous de ce qu’il devait sous quatre rapports :
1° quant à sa passion et à sa mort qu’il ne devait pas souffrir ; 2° quant au
lieu, parce que son corps a été placé dans un sépulcre et que son âme est
descendue dans l’enfer ; 3° quant à la confusion et à l’opprobre dont il a été
couvert ; 4° quant à ce qu’il a été livre à la puissance humaine, selon qu’il
le dit lui-même à Pilate (Jean, 19, 11) : Vous
n’auriez aucun pouvoir sur moi, s’il ne vous avait été donné d’eu haut.
C’est pourquoi par sa passion il a mérité son exaltation de quatre manières (Ces
quatre sortes d’exaltation correspondent aux quatre espèces d’humiliation qu’il
a volontairement subies.) : 1° quant à sa résurrection glorieuse ; d’où il est
dit (Ps. 138, 1) : Vous avez connu mon abaissement,
c’est-à-dire l’humilité de ma passion, et
ma résurrection. 2° Quant à son ascension au ciel. Ainsi saint Paul dit (Eph., 4, 9) : Qu’il est descendu d’abord dans les parties
les plus basses de la terre, et celui qui est descendu est le même que celui
qui est monté au- dessus de tous les cieux. 3° Il a été élevé parce qu’il
s’est assis à la droite de son Père et qu’il a manifesté sa divinité, d’après
ces paroles du prophète (Is., 3, 13) : Il
sera grand et élevé et il montera au comble de la gloire, parce qu’il a fait
l’étonnement de plusieurs et que son visage a été défiguré plus que celui
d’aucun autre homme. Et c’est ce qui fait dire à l’Apôtre (Phil., 2, 8) : Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort et jusqu’à la mort de la croix
; c’est pourquoi Dieu l’a élevé et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout
nom, de telle sorte que tout le monde l’appelle Dieu et lui rend les
honneurs divins. C’est aussi ce qui lui fait ajouter : Afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans le ciel, sur la terre
et dans les enfers. 4° Il a été élevé par rapport à la puissance judiciaire
qu’il a reçue, car il est dit (Job, 36, 17) : Votre cause a été jugée comme celle d’un impie, vous recevrez en retour
la puissance et le jugement.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
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théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
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