Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 53 : De la résurrection du Christ

 

            Nous avons maintenant à considérer ce qui appartient à l’exaltation du Christ. — Nous traiterons : 1° de sa résurrection ; 2° de son ascension ; 3° de sa position à la droite de son Père ; 4° de sa puissance judiciaire. — Sur sa résurrection il y a quatre considérations à faire : la première a pour objet la résurrection même du Christ ; la seconde la qualité de celui qui ressuscite ; la troisième la manifestation de sa résurrection, et la quatrième sa causalité. — A l’égard de la première de ces considérations il y a quatre questions qui se présentent. — Nous devons nous occuper : 1° de la nécessité (Cet article est une réfutation de Cérinthe, qui disait que le Christ n’était pas ressuscité, mais qu’il ressusciterait ; des albigeois, qui ont nié sa résurrection d’une manière absolue, et de tous les incrédules.) ; — 2° du temps ; — 3° de l’ordre ; — 4° de la cause de la résurrection du Christ. (II y a eu quelques hérétiques qui ont nié que le Christ fut ressuscité par sa propre vertu. Cet article est une réfutation de leur erreur.)

 

Article 1 : A-t-il été nécessaire que le Christ ressuscitât ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il n’était pas nécessaire que le Christ ressuscitât. Car saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 4, chap. ult.) dit que la résurrection consiste en ce que l’animal qui était dissous et tombé se relève. Or, le Christ n’est pas tombé par le péché et son corps n’a pas été dissous, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 51, art. 3). Il ne lui a donc pas convenu proprement de ressusciter.

            Objection N°1 : Quoique le Christ ne soit pas tombé par le péché, cependant il est tombé par la mort, parce que, comme le péché est une déchéance de la justice, de même la mort est une déchéance de la vie. Ainsi on peut mettre dans la bouche du Christ ces paroles (Mich., 6, 8) : O mon ennemie, ne vous réjouissez point de ce que je suis tombé, je me relèverai. De même, quoique le corps du Christ ne soit pas tombé en dissolution, cependant par là même que l’âme s’est séparée du corps, il y a eu une sorte de dissolution.

 

            Objection N°2. Celui qui ressuscite est élevé à un plus haut degré ; parce que se lever c’est se mouvoir de bas en haut. Or, le corps du Christ est resté, après sa mort, uni à la divinité ; et par conséquent il n’a pas pu se porter vers quelque chose de plus élevé. Il ne lui convenait donc pas de ressusciter.

            Réponse à l’objection N°2 : Après la mort la divinité était unie à la chair du Christ d’une union personnelle, mais non d’une union de nature, comme l’âme est unie au corps à titre de forme pour constituer la nature humaine. C’est pourquoi par là même que son corps a été uni à son âme, il a été promu à un état de nature plus élevé, mais non à un état de personne.

 

            Objection N°3. Les choses qui ont été faites à l’égard de l’humanité du Christ ont pour but notre salut. Or, la passion du Christ qui nous a délivrés de la peine et de la faute, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 49, art. 1 et 3), suffisait à notre salut. Il n’a donc pas été nécessaire que le Christ ressuscitât d’entre les morts.

            Réponse à l’objection N°3 : La passion du Christ a opéré notre salut, à proprement parler, quant à l’éloignement des maux ; au lieu que sa résurrection l’a opéré quant au commencement des biens éternels et à leur modèle.

 

            Mais c’est le contraire. Il est dit (Luc, 24, 26) : Il fallait que le Christ souffrît et qu’il ressuscitât d’entre les morts.

 

            Conclusion Il a été nécessaire que le Christ ressuscitât d’entre les morts, non seulement pour nous faire connaître la justice divine, pour confirmer notre foi et exciter notre espérance, mais encore pour le renouvellement de notre vie et la consommation de notre salut.

            Il faut répondre qu’il a été nécessaire que le Christ ressuscitât pour cinq raisons : 1° pour manifester la justice divine à laquelle il appartient d’exalter ceux qui s’humilient à cause de Dieu, d’après ces paroles de l’Evangile (Luc, 1, 52) : Il a renversé les puissants de leur trône et a exalté les humbles. Par conséquent le Christ s’étant humilié jusqu’à la mort de la croix par amour et par obéissance pour Dieu, il fallait que Dieu l’exaltât jusqu’à la gloire de la résurrection. C’est pourquoi le Psalmiste lui fait dire (Ps. 138, 1) : Vous avez connu, c’est-à-dire vous avez approuvé, mon abaissement, c’est-à-dire mon humiliation et ma passion : et ma résurrection ou ma glorification dans la résurrection, selon l’interprétation de la glose (interl.). 2° Pour établir notre foi, parce que par la résurrection du Christ notre foi dans sa divinité a été confirmée. Car, comme le dit saint Paul (2 Cor., 13, 4) : Quoiqu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la vertu de Dieu. C’est pourquoi le même apôtre disait (1 Cor., 15, 14) : Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication est vaine et votre foi est vaine aussi. Et le Psalmiste fait dire au Christ (Ps. 29, 10) : De quelle utilité sera mon sang, c’est-à-dire le sang que j’ai répandu, si je descends, pour ainsi dire par degrés, dans la corruption ? C’est comme s’il disait, il ne servira de rien ; car si je ne ressuscite pas immédiatement, et que mon corps se corrompe, je ne prêcherai à personne, et je ne gagnerai aucune âme. 3° Pour exciter notre espérance ; parce qu’en voyant ressusciter le Christ qui est notre chef nous espérons que nous ressusciterons. D’où saint Paul dit (1 Cor., 15, 12) : Si l’on prêche que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui disent qu’il n’y a point de résurrection pour les morts ? Et Job dit (19, 25) : Je sais, c’est-à-dire j’ai la certitude de la foi, que mon Rédempteur, c’est-à-dire le Christ, vit, étant ressuscité d’entre les morts. C’est pour cela que je dois moi-même ressusciter au dernier jour ; c’est l’espérance que je conserve au fond de mon cœur. 4° Pour la réformation de la vie des fidèles, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 6, 4) : Comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts pour la gloire de son Père, ainsi nous devons marcher dans une vie nouvelle. Et plus loin : Parce que le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus : de même pensez aussi que vous êtes morts au péché et que vous ne vivez que pour Dieu. 5° Pour la consommation de notre salut : parce que, comme il s’est humilié par sa mort et qu’il a enduré tant de maux pour nous en délivrer ; de même il a été glorifié dans sa résurrection pour nous porter au bien, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 4, 25) : Il a été livré à cause de nos péchés et il est ressuscité pour notre justification (Il est à remarquer que les preuves que saint Thomas donne ici étant toutes tirées de l’Ecriture, s’adressent plutôt aux hérétiques qui admettent l’inspiration des livres saints, qu’aux incrédules qui ne l’admettent pas. Voyez à ce sujet les Dissertations de M. de la Luzerne ; Frayssinous, Défense du Christianisme ; Duvoisin, Démonstration évangélique.).

 

Article 2 : A-t-il été convenable que le Christ ressuscitât le troisième jour ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il n’ait pas été convenable que le Christ ressuscitât le troisième jour. Car les membres doivent être en harmonie avec la tête. Or, nous qui sommes les membres du Christ, nous ne ressuscitons pas de la mort le troisième jour ; mais notre résurrection est différée jusqu’à la fin du monde. Il semble donc que le Christ, qui est notre chef, n’ait pas dû ressusciter le troisième jour, mais que sa résurrection ait dû être différée jusqu’à la fin du monde.

            Réponse à l’objection N°1 : Le chef et les membres se ressemblent pour la nature, mais non pour la puissance ; car la vertu de la tête est plus excellente que celle des membres. C’est pourquoi, pour démontrer l’excellence de la vertu du Christ, il a été convenable qu’il ressuscitât le troisième jour, et que la résurrection des autres fût différée jusqu’à la fin du monde.

 

            Objection N°2. Saint Pierre dit (Actes, 2, 24) qu’il était impossible que le Christ fût détenu par l’enfer et la mort. Or, tant qu’on est mort, on est détenu par la mort. Il semble donc que la résurrection du Christ n’ait pas dû être différée jusqu’au troisième jour, mais qu’il ait dû ressusciter immédiatement le même jour, surtout puisque la glose dit (cit. art. préc.) que le sang répandu par le Christ serait sans utilité, s’il ne ressuscitait immédiatement.

            Réponse à l’objection N°2 : La détention implique une certaine contrainte. Mais le Christ n’était nullement enchaîné par la nécessité de la mort, puisqu’il était libre parmi les morts. C’est pourquoi il est resté mort quelque temps, non comme y ayant été forcé, mais par sa volonté propre, et il y est resté aussi longtemps qu’il l’a jugé nécessaire pour l’instruction de notre foi. D’ailleurs on dit qu’une chose s’est faite immédiatement quand elle a lieu après un court espace de temps.

 

            Objection N°3. Le jour paraît commencer au lever du soleil dont la présence produit la lumière. Or, le Christ est ressuscité avant le lever du soleil, puisqu’il est dit (Jean, 20, 1) que le premier jour de la semaine Marie Magdeleine alla dès le matin au sépulcre, lorsqu’il faisait encore nuit. Cependant le Christ était déjà ressuscité, puisque l’évangéliste ajoute : Elle vit que la pierre avait été enlevée de l’entrée du sépulcre. Le Christ n’est donc pas ressuscité le troisième jour.

            Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 51, art. 4 ad 2), le Christ est ressuscité dès le matin, lorsque le jour commençait à poindre, pour signifier que par sa résurrection il nous donnait entrée dans la lumière de la gloire ; comme il est mort au déclin du jour, lorsqu’on s’en va vers la nuit, pour nous faire voir que par sa mort il détruisait les ténèbres du péché et de la peine qui s’en est suivie. Cependant on dit qu’il est ressuscité le troisième jour, en prenant le mot jour pour un jour naturel, qui renferme un espace de 24 heures. Et, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 4, chap. 6), la nuit, jusqu’au matin où la résurrection du Seigneur a été annoncée, appartient au troisième jour. En effet Dieu, qui a dit à la lumière de sortir avec éclat des ténèbres, de manière à nous appliquer, au sujet de la grâce du Nouveau Testament et de la participation de la résurrection du Christ, ces paroles : Vous avez été autrefois ténèbres, et maintenant vous êtes lumière dans le Seigneur, nous indique d’une certaine manière que le jour commence par la nuit. Car, comme on compte les premiers jours en allant de la lumière à la nuit, à cause de la chute future de l’homme, de même on compte ceux-ci en allant des ténèbres à la lumière, à cause de sa réparation. Ainsi il est évident que quand même il aurait ressuscité au milieu de la nuit, on pourrait dire qu’il a ressuscité le troisième jour, en l’entendant du jour naturel. Mais, puisqu’il est ressuscité dès l’aurore, on peut dire qu’il est ressuscité le troisième jour, en entendant par là le jour artificiel qui est produit par la présence du soleil, parce qu’alors le soleil commençait à briller. Ainsi saint Marc dit (16, 1) que les femmes vinrent au tombeau au lever du soleil ; ce qui n’est pas contraire à ces paroles de saint Jean : Quand il faisait encore nuit, parce que, comme l’observe saint Augustin (Lib. 3 de consens. Evang., chap. 24), au lever du jour, les ténèbres qui restent sont d’autant plus faibles que le jour est plus élevé. Quand saint Marc dit : Au lever du soleil, on ne doit pas entendre ces paroles comme si l’on avait déjà vu le soleil sur la terre, mais elles signifient qu’il était sur le point de paraître à l’horizon.

 

            Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Math., 20, 19) : Ils le livreront aux gentils, afin qu’ils le traitent avec moquerie, qu’ils le fouettent et le crucifient et il ressuscitera le troisième jour (Saint Jean (Jean, chap. 20) et saint Paul disent (1 Cor., chap. 15) : Christus resurrexit tertiâ die, secundùm Scripturas, et dans tous les symboles on trouve également qu’il est ressuscité le troisième jour : Tertiâ die resurrexit à mortuis.).

 

            Conclusion Puisque la résurrection du Christ a été nécessaire pour confirmer notre foi aussi bien au sujet de sa divinité que de son humanité, il a été convenable qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la résurrection du Christ a été nécessaire pour l’instruction de notre foi. En effet notre foi a pour objet la divinité et l’humanité du Christ ; car il ne suffit pas de croire l’une sans l’autre, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (2a 2æ, quest. 2, art. 7 et 8). C’est pourquoi pour confirmer la foi dans la vérité de sa divinité, il a fallu qu’il ressuscitât promptement et que sa résurrection ne fût pas différée jusqu’à la fin du monde. D’un autre côté, pour établir la foi dans la vérité de son humanité et de sa mort, il a été nécessaire qu’il y eût un intervalle entre sa mort et sa résurrection. Car s’il eût ressuscité immédiatement après sa mort, on pourrait croire que sa mort n’a pas été véritable et que par conséquent sa résurrection ne l’a pas été non plus. Or, pour manifester la vérité de la mort du Christ, il suffisait que sa résurrection fût différée jusqu’au troisième jour : parce qu’il n’arrive pas qu’un homme qui paraît mort tandis qu’il est vivant, ne donne pendant ce temps quelques signes de vie. En ressuscitant le troisième jour, il nous a aussi montré par là la perfection du nombre ternaire qui est le nombre de toutes choses, selon qu’il renferme le principe, le milieu et la fin, comme on le voit (De cælo, liv. 1, text. 2). Il y a là aussi un autre mystère qui consiste en ce que le Christ par une seule mort corporelle (qui a été pour nous une lumière à cause de sa justice) a détruit nos deux morts ; c’est-à-dire celle du corps et celle de l’âme qui sont ténèbres à cause du péché. C’est pour cela qu’il est resté mort un jour entier et deux nuits, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 4, chap. 6). On indique aussi par là que la résurrection du Christ commençait un troisième âge ; car le premier a existé avant la loi, le second sous la loi, le troisième sous la grâce. La résurrection du Christ a aussi commencé pour les saints un troisième état : le premier a existé sous les figures de la loi, le second sous la vérité de la foi, et le troisième existera dans l’éternité de la gloire que le Christ a commencée en ressuscitant.

 

Article 3 : Le Christ est-il le premier d’entre les hommes qui soit ressuscité ?

 

            Objection N°1. Il semble que le Christ ne soit pas le premier qui soit ressuscité. Car dans l’Ancien Testament on voit qu’Elie et Elisée ont ressuscité des morts, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 11, 35) : Ils ont rendu des enfants à leurs mères, après les avoir ressuscités. De même le Christ a ressuscité trois morts avant sa passion. Il n’a donc pas été le premier de ceux qui sont ressuscités.

 

            Objection N°2. Parmi les autres miracles qui sont arrivés dans la passion du Christ, l’Evangile raconte (Math., 27, 52) que les sépulcres s’ouvrirent et que plusieurs corps des saints qui étaient dans le sommeil ressuscitèrent. Le Christ n’a donc pas été le premier de ceux qui sont ressuscités.

            Réponse à l’objection N°2 : A l’égard de ceux qui sont ressuscités avec le Christ il y a deux sortes d’opinion. Car il y en a qui croient qu’ils sont revenus à la vie pour ne plus mourir (Cajétan croit qu’ils sont ainsi ressuscités, pour que le Christ eût des compagnons qui jouissent avec lui Je la béatitude corporelle.), parce que s’ils avaient dû mourir de nouveau, ils auraient eu plus de tourment que s’ils n’étaient pas ressuscités. Alors on doit comprendre, comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 27 : Et multa corpora), qu’ils ne sont pas ainsi ressuscités, avant que le Seigneur ressuscitât lui-même. D’où l’évangéliste dit : que ceux qui sortirent des tombeaux vinrent après sa résurrection dans la cité sainte et apparurent à plusieurs. Mais saint Augustin rappelant cette opinion dit (Epist. ad Evod., 164) : Je sais qu’il y en a qui croient qu’à la mort de Jésus-Christ plusieurs justes ressuscitèrent de la même manière que nous espérons ressusciter à la fin du monde ; mais à moins qu’ils n’aient quitté de nouveau ces mêmes corps qu’ils venaient de reprendre, comment comprendre que le Christ est le premier-né d’entre les morts, puisque tant d’autres sont ressuscités avant lui ? Que si l’on répond que dans cet endroit de l’Evangile il y a une narration anticipée, et qu’il faut entendre qu’à la vérité les sépulcres s’ouvrirent au tremblement de terre qui arriva lorsque Jésus-Christ était encore attaché à la croix, et que les corps de ces justes ne ressuscitèrent pas alors, mais seulement après qu’il fut ressuscité lui-même ; il reste encore une difficulté. Car si cela est, comment saint Pierre a-t-il prouvé aux Juifs que ce n’était pas de David, mais du Christ qu’il a été dit, que sa chair ne verrait point la corruption, en leur rappelant que le tombeau de David se voyait encore parmi eux ? Il ne les aurait pas convaincus par là, si le corps de David n’y avait plus été. Car quand David serait ressuscité peu de jours après sa mort, et que sa chair n’eût point éprouvé la corruption, son tombeau n’en serait pas moins resté parmi les Juifs. D’ailleurs il paraît dur que David n’ait point été du nombre de ces justes qui ont reçu une vie qui ne doit pas finir, puisque c’est de sa race que le Christ devait naître. De plus, comment se tirer d’un endroit de l’Epître aux Hébreux où saint Paul dit des justes de l’Ancien Testament : que le Seigneur a voulu qu’ils ne reçussent qu’avec nous l’accomplissement de leur bonheur, s’il est vrai que par le bienfait de la résurrection, ils jouissent dès à présent de l’incorruptibilité que nous attendons comme le perfectionnement du nôtre. Par conséquent saint Augustin paraît croire qu’ils sont ressuscités pour mourir de nouveau. Il semble aussi que ce soit la pensée de saint Jérôme, qui dit (Sup. Math., loc. sup. cit.) que comme Lazare est ressuscité, de même beaucoup de saints sont ressuscités pour montrer que le Seigneur l’était aussi. Quoique dans un sermon sur l’assomption la chose soit laissée dans le doute, cependant les raisons de saint Augustin paraissent bien meilleures.

 

            Objection N°3. Comme le Christ, par sa résurrection, est cause de la nôtre, de même par sa grâce il est cause de notre grâce, d’après ces paroles (Jean, 1, 6) : Nous avons tous reçu de sa plénitude. Or, il y en a qui ont eu la grâce avant l’arrivée du Christ ; car tels ont été tous les justes de l’Ancien Testament. Il y en a donc qui sont arrivés à la résurrection corporelle avant que le Christ n’y arrive.

            Réponse à l’objection N°3 : Comme les choses qui ont précédé l’arrivée du Christ ont été une préparation à son avènement, de même la grâce est une disposition à la gloire. C’est pourquoi les choses qui appartiennent à la gloire, soit par rapport à l’âme (comme la jouissance parfaite de Dieu), soit par rapport au corps (comme la résurrection glorieuse), ont dû d’abord exister dans le Christ comme dans l’auteur de la gloire, au lieu qu’il convenait que la grâce existât antérieurement dans ceux qui se rapportaient au Christ (Puisqu’ils ne pouvaient arriver à lui que par sa grâce et la vertu de sa passion, c’est-à-dire par la foi qu’ils avaient en lui.).

 

            Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (1 Cor., 15, 20) : Le Christ est ressuscité d’entre les morts, il est devenu les prémices de ceux qui dorment du sommeil de la mort (Et ailleurs (Col., 1, 18) : C’est lui aussi qui est le chef du corps de l’Eglise ; lui qui est les prémices, le premier-né d’entre les morts, afin d’être en toutes choses le premier.), parce que, comme le dit la glose (interl.), il est ressuscité le premier sous le rapport du temps et de la dignité.

 

            Conclusion Le Christ est ressuscité le premier de tous d’entre les morts d’une résurrection parfaite, puisqu’il n’est pas ressuscité, comme les autres, pour mourir encore.

            Il faut répondre que la résurrection est une réparation qui va de la mort à la vie. Or, on délivre quelqu’un de la mort de deux manières : 1° on le délivre seulement de la mort en acte, c’est-à-dire de sorte qu’on recommence à vivre d’une certaine façon, après avoir été mort ; 2° il peut se faire qu’on soit délivré, non seulement de la mort, mais encore de la nécessité, et, ce qui est plus considérable encore, de la possibilité de mourir. Celle-ci est la résurrection véritable et parfaite, parce que tant qu’on vit, en restant soumis à la nécessité de mourir, on est, d’une certaine manière, dominé par la mort, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 8, 10) : Le corps est mort à cause du péché. Ce qui peut être, on dit qu’il existe sous un rapport, c’est-à-dire en puissance. Par conséquent, il est évident que cette résurrection, par laquelle on est seulement délivré de la mort actuelle, est une résurrection imparfaite. Si nous parlons de la résurrection parfaite, le Christ est le premier qui soit ressuscité ainsi, parce qu’en ressuscitant il est le premier qui soit parvenu à une vie absolument immortelle, d’après ces paroles de l’Apôtre (Rom., 6, 9) : Le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus. Mais il y en a d’autres qui sont ressuscités avant le Christ d’une résurrection imparfaite, pour être à l’avance le signe ou la figure de sa résurrection.

            La réponse à la première objection est par là même évidente, parce que ceux qui ont été ressuscités dans l’Ancien Testament, et ceux que le Christ a ressuscités, sont revenus à la vie, de manière à mourir de nouveau.

 

Article 4 : Le Christ a-t-il été la cause de sa résurrection ?

 

            Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas été la cause de sa résurrection. Car celui qui est ressuscité par un autre n’est pas cause de sa résurrection. Or, le Christ a été ressuscité par un autre, d’après ces paroles (Actes, 2, 24) : Dieu l’a ressuscité en le faisant sortir libre de l’enfer où l’avaient conduit les douleurs de la mort ; (Rom., 8, 11) : Il a ressuscité Jésus-Christ d’entre les morts, et il a aussi donné la vie à nos corps mortels. Le Christ n’est donc pas la cause de sa résurrection.

            Réponse à l’objection N°1 : La vertu et l’opération divine du Père et du Fils est la même (Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement (Jean, 5, 19).) ; par conséquent il s’ensuit que le Christ a été ressuscité par la vertu divine du Père et par la sienne.

 

            Objection N°2. Celui qui demande d’une autre une chose, on ne dit pas qu’il la mérite s’il en est la cause. Or, le Christ a mérité sa résurrection dans sa passion, car saint Augustin dit (Sup. Joan., tract. 104) que l’humilité de la passion est le mérite de la gloire de la résurrection ; et il demande aussi de son Père qu’il le ressuscite, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 40, 11) : Pour vous, Seigneur, ayez pitié de moi et ressuscitez-moi. Il n’a donc pas été la cause de sa résurrection.

            Réponse à l’objection N°2 : Le Christ en priant a demandé et a mérité sa résurrection comme homme, mais non comme Dieu.

 

            Objection N°3. Comme le prouve saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 4, chap. ult.), ce n’est pas l’âme qui ressuscite, mais le corps, puisque c’est le corps qui meurt. Or le corps ne peut pas s’unir l’âme qui est plus noble que lui. Ce qui est ressuscité dans le Christ n’a donc pas pu être cause de sa résurrection.

            Réponse à l’objection N°3 : Le corps selon sa nature créée n’est pas plus puissant que l’âme du Christ ; cependant il est plus puissant qu’elle selon la vertu divine ; et l’âme est aussi, selon la divinité qui lui est unie, plus puissante que le corps ne l’est selon sa nature créée. C’est pourquoi, selon la vertu divine, le corps et l’âme se sont repris réciproquement ; mais ils ne l’ont pas fait selon la vertu de leur nature créée.

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jean, 10, 18) : Personne ne me ravit mon âme, c’est de moi-même que je la quitte et que je la reprends (Détruisez ce temple et en trois jours je le relèverai. Et les Juifs dirent : Ce temple a été construit en quarante-six ans ! et toi en trois jours tu le relèveras ! Mais il parlait du temple de son corps. Lors donc qu’il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se rappelèrent qu’il avait dit cela (Jean, 2, 19-22).). Or, ressusciter n’est rien autre chose que de prendre son âme de nouveau. Il semble donc que le Christ soit ressuscité par sa propre vertu.

 

            Conclusion Le Christ a été cause de sa résurrection selon la vertu de sa divinité, mais selon son humanité il a été ressuscité par Dieu et non par sa vertu propre.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 2 et 3), la mort n’a séparé la divinité ni de l’âme du Christ, ni de son corps. On peut donc considérer l’âme du Christ, après sa mort, aussi bien que son corps, de deux manières : 1° en raison de la divinité ; 2° en raison de la nature créée. Selon la vertu de la divinité qui lui était unie, le corps a repris l’âme qu’il avait quittée et l’âme a repris le corps qu’elle avait abandonné ; et par conséquent le Christ est ressuscité par sa vertu propre. C’est pour cela qu’il est dit du Christ (2 Cor., 13, 4) que bien qu’il ait été crucifié selon la faiblesse de la chair, il vit néanmoins par la vertu de Dieu. Mais si nous considérons le corps et l’âme du Christ après sa mort, selon la vertu de la nature créée, de cette manière ils n’ont pas pu se réunir l’un à l’autre ; mais il a fallu que le Christ fût ressuscité par Dieu.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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