Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
54 : Des qualités du Christ ressuscité
Nous devons ensuite nous occuper des qualités du Christ après sa
résurrection. A ce sujet quatre questions se présentent : 1° Après sa
résurrection le Christ a-t-il eu un corps véritable ? (Cet article est une
réfutation des apellites et des passionistes, qui prétendaient que le Christ
n’est pas ressuscité dans sa chair.) — 2° Est-il ressuscité avec l’intégrité de
son corps ? — 3° Son corps a-t-il été glorieux ? (Cet article est une
réfutation de l’erreur des origénistes, qui
prétendaient que le Christ devait être encore crucifié dans les siècles futurs,
et de celle des agaréniens, qui disaient qu’il
mourrait à la fin du monde, après avoir fait périr l’antéchrist.) — 4° Des
cicatrices que l’on voyait dans son corps. (Ces cicatrices, qui sont les
insignes de son triomphe, ont été quelquefois imprimées ici-bas dans la chair
mortelle de quelques-uns de ses disciples les plus ardents du Christ. Saint
François d’Assise a spécialement reçu cette faveur. L’Eglise en célèbre la fête
au 17 septembre.)
Article 1 : Le Christ
a-t-il eu un corps véritable après sa résurrection ?
Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas eu un corps véritable
après sa résurrection. Car un vrai corps ne peut pas exister simultanément avec
un autre corps dans le même lieu. Or, le corps du Christ a existé simultanément
après sa résurrection avec un autre corps dans le même lieu, puisqu’il est
entré près de ses disciples les portes fermées, d’après l’Evangile (Jean, chap. 20). Il semble donc que le Christ n’ait pas eu
un corps véritable après sa résurrection.
Réponse à
l’objection N°1 : Le corps du Christ après sa résurrection est entré près de
ses disciples, les portes fermées, non par miracle, mais d’après sa condition
glorieuse, comme quelques-uns le pensent, existant simultanément avec un autre
corps dans le même lieu. Plus loin (Supplem., quest.
83, art.3), lorsque nous traiterons de la résurrection en général, nous verrons
si un corps glorieux peut avoir, d’après une propriété qui lui est innée, la
vertu d’exister simultanément avec un autre corps dans le même lieu. Mais
maintenant, pour les besoins de la thèse que nous défendons, nous devons dire
que ce n’est pas par sa nature, mais que c’est plutôt par la vertu de la
divinité qui lui est unie, que ce corps, tout véritable qu’il était, est entré
près des disciples, lorsque les portes étaient fermées. D’où saint Augustin dit
(Serm. 159) qu’il y en a qui font cette
objection : S’il avait un corps et si celui qui est ressuscité du tombeau était
le même que celui qui a été attaché à la croix, comment a-t-il pu entrer, les
portes fermées ? Et il leur répond : Si vous compreniez comment cela s’est
fait, il n’y aurait pas de miracle ; là où la raison fait défaut, la foi doit
édifier. Et dans ses traités sur saint Jean (Tract. 121) le même docteur observe : que les portes fermées ne
furent pas un obstacle pour l’étendue du corps du Christ qui était uni à la
divinité ; parce qu’il a bien pu entrer sans que les portes fussent ouvertes,
lui qui est né tout en laissant intacte la virginité de sa mère. Et saint
Grégoire dit la même chose (Hom. 26 in Evang.).
Réponse
à l’objection N°2 : Comme nous
l’avons dit (quest. préc., art. 3), le Christ est ressuscité pour la vie immortelle
de la gloire. Or, telle est la disposition d’un corps glorieux qu’il est
spirituel, c’est-à-dire soumis à l’esprit, comme le dit l’Apôtre (1 Cor., chap. 15). Et pour que le corps soit absolument soumis à
l’esprit, il faut que toutes ses actions soient soumises à sa volonté. D’un
autre côté, ce qui fait voir une chose, c’est l’action de l’objet visible sur
la vue, comme le dit Aristote (An.,
liv. 2, text. 73 et 74). C’est pourquoi celui qui a
un corps glorifié, peut se faire voir quand il le veut, et se rendre invisible
quand il ne le veut pas. Toutefois le Christ a eu ce privilège non seulement
d’après la condition de son corps glorieux, mais encore d’après la vertu de la
divinité, qui peut faire que les corps qui ne sont pas glorieux deviennent
invisibles par miracle. C’est ainsi qu’il a été accordé par miracle à saint Barthélémy
de se rendre visible ou invisible selon sa volonté (Nicolaï observe que ce fait
se trouve dans un ancien rituel des frères prêcheurs, qui parut en 1254, a l’époque où vivait saint Thomas.). Par conséquent on dit
que le Christ s’est évanoui aux yeux de ses disciples, non parce qu’il s’est
corrompu, ou changé en quelque chose d’invisible ; mais parce que par sa
volonté il a cessé d’être vu par eux, soit qu’il ait été présent, soit qu’il se
soit éloigné rapidement en vertu de son agilité.
Objection N°3. Tout corps véritable a une figure déterminée. Or, le corps du Christ
a apparu à ses disciples sous une autre forme, comme on le voit (Math.,
chap. 28). Il semble donc que le Christ après sa résurrection n’ait pas eu un
corps humain véritable.
Réponse à
l’objection N°3 : Comme le dit Sévérien (id hab. Pet. Chrysol., in Serm. 82), on ne
doit pas croire que le Christ a changé les traits de son visage dans sa
résurrection. Ce qui doit s’entendre de la disposition des membres ; parce
qu’il n’y avait rien de déréglé et de difforme dans le corps du Christ conçu
par l’Esprit-Saint, qui dût être corrigé dans sa
résurrection. Cependant il a reçu dans la résurrection la gloire de la clarté.
C’est pourquoi le même auteur ajoute : Son visage a été changé, puisque de
mortel il est devenu immortel, de manière qu’il a acquis la gloire, sans avoir
perdu sa substance. Il ne s’est cependant pas montré à ses disciples sous une
forme glorieuse ; mais comme il était en son pouvoir que son corps fût visible
ou qu’il ne le fût pas ; de même il était aussi en son pouvoir qu’à son aspect
il se formât dans les regards de ceux qui le considéraient une forme glorieuse
ou non glorieuse, ou une forme mixte, ou toute autre. D’ailleurs il ne faut
qu’une légère différence pour qu’il semble qu’on apparaît sous une physionomie
étrangère.
Conclusion Puisque la résurrection du Christ a été
véritable, son corps après sa résurrection a été un vrai corps, de même nature
qu’il était auparavant.
Il
faut répondre que, comme le dit saint Jean Damascène (De orth. fid., liv. 4, chap. ult.), il n’y a que ce qui est tombé qui se
relève ou qui ressuscite. Or, le corps du Christ est tombé par la mort, dans le
sens que l’âme qui était sa perfection formelle en a été séparée. Il a donc
fallu pour que la résurrection du Christ fût véritable, que son même corps fût
de nouveau uni à la même âme. Et parce que la vérité de la nature du corps
provient de la forme, il s’ensuit que le corps du Christ a été un corps
véritable après sa résurrection et qu’il a été de même nature qu’il était
auparavant. Si son corps eût été fantastique, sa résurrection n’aurait pas été
véritable, mais apparente.
Article 2 : Le
corps du Christ est-il ressuscité tout entier ?
Objection N°1. Il semble que le corps du Christ ne soit pas ressuscité
tout entier. Car le corps humain comprend dans son intégralité la chair et le
sang ; ce qui ne paraît pas avoir existé dans le Christ ; parce qu’il est dit (1 Cor., 15, 50) : La chair
et le sang ne posséderont pas le royaume de Dieu. Or, le Christ est
ressuscité dans la gloire du royaume de Dieu. Il semble donc qu’il n’ait eu ni
chair, ni sang.
Réponse à
l’objection N°1 : La chair et le sang ne se prennent pas en cet
endroit de l’Ecriture pour la nature de la chair et du sang, mais pour la faute
de la chair et du sang, comme le dit saint Grégoire (Mor., liv. 14, loc. sup. cit.), et pour la corruption de la chair
et du sang ; parce que, selon la pensée de saint Augustin (Epist. 205), la
corruption et la mortalité de la chair et du sang n’existeront plus dans le
ciel. La chair, prise selon sa substance, possède donc le royaume de Dieu,
selon ces paroles du Seigneur (Luc, chap. 24) : Un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. Mais
la chair, considérée par rapport à sa corruption, ne le possédera pas. Aussi
l’Apôtre ajoute-t-il : Que la corruption
ne possédera point ce qui est incorruptible.
Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (loc. cit.), peut-être qu’à l’occasion du
sang quelque esprit curieux et inquiet nous pressera en disant : S’il y a eu du
sang dans le corps de Jésus-Christ ressuscité, pourquoi n’y aurait-il pas de la
pituite ou du flegme ; pourquoi n’y aurait-il pas du fiel jaune ou de la bile,
et du fiel noir ou de la mélancolie, puisque, d’après la science de la
médecine, c’est l’assemblage de ces quatre humeurs qui compose le tempérament
du corps humain ? Mais que ceux qui voudraient aller jusque-là aient soin de ne
pas ajouter qu’il était aussi altérable et corruptible, s’ils veulent ne point
compromettre la droiture et la pureté de leur foi. Car Dieu peut, par sa
toute-puissance, ôter à ces corps visibles et sensibles quelques-unes de leurs
qualités sans toucher aux autres ; et par conséquent les affranchir de la corruption
et leur donner une forme inaltérable, les rendre capables de se mouvoir sans
qu’ils soient capables de se lasser, leur donner le pouvoir de manger sans les
soumettre à la nécessité de la faim.
Réponse à l’objection N°3 : Tout le sang qui a coulé du corps du
Christ, puisqu’il appartient à la vérité de la nature humaine, est ressuscité
dans son corps, et il en est de même de toutes les parties qui appartiennent à
la vérité et à l’intégrité de la nature humaine. Quant au sang que l’on
conserve dans certaines églises comme relique, il n’est pas sorti du côté du
Christ, mais on dit qu’il a coulé par miracle d’une image du Christ qui a été
frappée (Comme le rapporte saint Athanase ou plutôt un autre auteur (Orat. de passione imaginis Christi) ; ce fait est rapporté dans les actes du 7e
concile, act. 8).).
Mais
c’est le contraire. Après sa résurrection, le Seigneur s’adressant à ses
disciples leur dit (Luc, 24, 39) : Un esprit n’a ni chair, ni os, comme vous
voyez que j’en ai.
Conclusion
Puisque la résurrection du Christ a été parfaite, son corps ressuscité a été
glorieux et entier dans toutes ses parties.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), le corps du Christ dans sa résurrection a été de
même nature, mais qu’il a été différent sous le rapport de la gloire. Par
conséquent tout ce qui appartient à la nature du corps humain a existé tout
entier dans le corps du Christ après sa résurrection. Or, il est évident que
les chairs, les os, le sang et tout le reste appartiennent à la nature du corps
humain. C’est pourquoi toutes ces choses ont existé dans le corps du Christ
après sa résurrection et elles y ont été intégralement sans aucune diminution ;
autrement sa résurrection n’aurait pas été parfaite, s’il n’avait repris tout
ce qui était tombé sous les coups de la mort. C’est aussi ce que le Seigneur
promet à ses disciples en leur disant (Math., 10, 30) : Tous les cheveux de votre tête ont été
comptés. (Luc, 21, 18) : Aucun cheveu
de votre tête ne se perdra. Si l’on disait que le corps du Christ n’a eu ni
chair, ni os, ni les autres parties naturelles au corps humain, on tomberait
dans l’erreur d’Eutychius, évêque de Constantinople, qui disait (ut hab. Greg. XIV,
Mor., cap. 29) que notre corps sera
impalpable après sa résurrection glorieuse, qu’il sera plus subtil que le vent
et l’air, et que le Seigneur, après avoir rassuré les cœurs des disciples qui
le palpèrent, rendit ensuite subtil tout ce qu’on avait pu palper en lui. Saint
Grégoire attaque ce sentiment (Hom. 26 in Evang.) en disant que le corps du Christ après sa
résurrection est resté le même, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 6, 9) : Le Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus. Aussi
Eutychius sur son lit de mort rétracta ce qu’il avait avancé (Cette erreur
d’Eutychius n’eut pas de partisans, et saint Grégoire, qui rapporte ce fait (Mor., liv. 14, chap. 29, super illud Job : Et rursùm circumdabor pelle meâ), nous
dit lui-même que ce patriarche montrait sur son lit de mort, à tous ceux qui
venaient le voir, ses mains, et qu’il leur disait : Confiteor quià omnes
in hâc carne resurgemus.).
Car s’il n’est pas convenable que le Christ dans sa conception ait reçu un
corps d’une autre nature que le nôtre, par exemple un corps céleste, comme l’a
prétendu Valentin, à plus forte raison n’est-il pas convenable que le Christ
dans sa résurrection ait repris un corps d’une autre nature : parce que dans sa
résurrection il a repris pour la vie immortelle le corps que dans sa conception
il avait pris pour sa vie mortelle.
Article 3 : Le
corps du Christ est-il ressuscité glorieux ?
Objection N°1. Il semble que le corps du Christ ne soit pas ressuscité
glorieux. Car les corps glorieux sont brillants, d’après ces paroles de
l’Evangile (Math., 13, 43) : Les justes brilleront comme le soleil dans
le royaume de leur Père. Or, les corps paraissent brillants en raison de la
lumière, mais non en raison de la couleur. Par conséquent, puisque le corps du
Christ a été vu sous l’apparence de la couleur, comme on le voyait auparavant,
il semble qu’il n’ait pas été glorieux.
Réponse à
l’objection N°1 : Tout ce qui est reçu dans un sujet y est reçu selon la
manière d’être de ce sujet. Par conséquent comme la gloire du corps vient de
l’âme, selon la remarque de saint Augustin (Epist. ad Diosc., 118), l’éclat ou la clarté
du corps glorieux est selon la couleur naturelle au corps humain ; comme des
verres diversement colorés brillent à la lumière du soleil, selon le mode de la
couleur qui leur est propre. Or, comme il est au pouvoir de l’homme glorifié
que son corps soit visible ou qu’il ne le soit pas, ainsi que nous l’avons dit
(art. 1, Réponse N°2), de même il est en son pouvoir que sa clarté paraisse ou
ne paraisse pas. Par conséquent, il peut se faire qu’on le voie avec sa couleur
naturelle sans clarté. Et c’est de la sorte que le Christ a apparu à ses
disciples après sa résurrection.
Objection
N°2. Un corps glorieux est incorruptible. Or, le corps du Christ ne
parait pas avoir été incorruptible ; car il a été palpable, comme il le dit
lui-même (Luc, 24, 39) : Palpez et
voyez. Saint Grégoire dit aussi (Hom. 26 in Ev.) : Qu’il est nécessaire que ce
qu’on palpe se corrompe, et qu’on ne peut palper ce qui ne se corrompt pas. Le
corps du Christ n’a donc pas été glorieux.
Réponse
à l’objection N°2 : On dit qu’un corps est
palpable non seulement en raison de sa résistance, mais encore en raison de son
épaisseur. La ténuité et la densité ont pour conséquence la gravité et la
légèreté, le chaud et le froid, et tous les autres contraires qui sont les
principes de la corruption des corps élémentaires. Par conséquent, un corps qui
est palpable au toucher de l’homme est naturellement corruptible. Mais si un
corps résiste au tact sans être disposé selon les qualités dont nous venons de
parler, et qui sont les objets propres du tact de l’homme, tel que le corps
céleste, on ne peut pas dire que ce corps soit palpable. Or, le corps du
Christ, après sa résurrection, a été véritablement composé d’éléments, et il
avait en lui-même les qualités tangibles, selon que la nature du corps humain
l’exige, et c’est pour ce motif qu’il était naturellement palpable, et il
aurait été corruptible, s’il n’y avait rien eu en lui qui fût supérieur à la
nature du corps humain. Mais il a eu quelque chose qui l’a rendu incorruptible.
Toutefois ce n’est pas la nature du corps céleste, selon le sentiment de
quelques-uns dont nous parlerons plus loin (Supplém., quest. 82, art. 1), mais c’est la gloire qui rejaillit de l’âme
bienheureuse ; parce que, selon la pensée de saint Augustin (Epist. ad Diosc.),
Dieu a doté l’âme d’une nature si puissante, que de la plénitude de sa
béatitude il reflue sur le corps une plénitude de santé et une vigueur qui le
rendent incorruptible (Saint Paul dit (Rom.,
chap. 6) : Christus resurgens ex mortuis jam non moritur, mors illi ultra non dominabitur.).
C’est pour ce motif que, comme le dit saint Grégoire (ibid.), il est évident que le corps du Christ, après sa
résurrection, a été de la même nature qu’auparavant, mais qu’il a différé sous
le rapport de la gloire.
Objection
N°3. Un corps glorieux n’est pas un corps animal, mais spirituel,
comme on le voit (1 Cor., chap.
15). Or, le corps du Christ paraît avoir été un corps animal après sa
résurrection, puisqu’il a mangé et bu avec ses disciples, comme on le voit (Luc,
chap. 24 et Jean, chap. 21). Il semble donc qu’il n’ait pas été glorieux.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le
dit saint Augustin (De civ. Dei, liv.
13, chap. 22), notre Sauveur, après sa résurrection, ayant un corps spirituel,
mais cependant véritable, a bu et mangé avec ses disciples, non parce qu’il
avait besoin d’aliments, mais pour montrer qu’il pouvait en faire usage. Car,
selon la remarque de Bède (Sup. Luc.,
chap. 97), la terre sèche et les rayons ardents du soleil absorbent l’un et
l’autre l’eau, mais de différente manière ; l’une le fait par besoin et l’autre
par sa puissance. Le Christ a donc mangé après sa résurrection, non comme s’il
eût eu besoin de nourriture, mais pour montrer par là la vérité de son corps
ressuscité. C’est pour cela qu’il ne résulte pas de là que son corps ait été un
corps animal qui a besoin de manger pour exister.
Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Phil., 3, 21) : Il
transformera notre corps vil et abject, afin de le rendre conforme à son corps
glorieux.
Conclusion
Puisque le Christ a mérité sa résurrection par les humiliations de sa passion,
et que sa résurrection a été la cause et le type de la nôtre, son corps a dû
ressusciter glorieux.
Il faut répondre que le corps du Christ a été glorieux dans sa
résurrection. Ce qui est évident pour trois raisons : 1° Parce que la
résurrection du Christ a été le type et la cause de la nôtre, comme on le voit
(1 Cor., 15, 43). Or, les saints
auront leurs corps glorieux dans la résurrection, d’après ce passage de saint
Paul : Ce qui est vil et abject quand on
le met en terre, ressuscitera glorieux. Par conséquent, puisque la cause
l’emporte sur l’effet et le modèle sur la copie, à plus forte raison le corps
du Christ ressuscité a-t-il été glorieux. 2° Parce que par l’humiliation de sa
passion il a mérité la gloire de la résurrection. C’est pourquoi, après avoir
dit (Jean, 12, 27) : Maintenant mon âme
est troublée, ce qui appartient à la passion, le Christ ajoute ensuite : Mon Père, glorifiez votre nom, demandant
par là la gloire de la résurrection. 3° Parce que, comme nous l’avons vu
(quest. 34, art. 4), l’âme du Christ a été glorieuse dès le commencement de sa
conception, parce qu’elle jouissait parfaitement de la divinité. Mais il est
arrivé selon l’ordre de la Providence, comme nous l’avons dit (quest. 14, art.
1 ad 2), que cette gloire ne rejaillissait pas de l’âme sur le corps, afin
qu’il accomplît par sa passion le mystère de notre rédemption. C’est pourquoi,
après que le mystère de la passion et de la mort du Christ eut été accompli,
son âme fit rejaillir immédiatement sa gloire sur son corps qu’il avait repris
dans sa résurrection, et ce corps devint ainsi glorieux.
Article 4 : Le
corps du Christ a-t-il dû ressusciter avec des cicatrices ?
Objection N°1. Il semble que le corps du Christ n’ait pas dû
ressusciter avec des cicatrices. Car saint Paul dit (1 Cor., 15, 52) : que les
morts ressusciteront incorruptibles. Or, les cicatrices et les blessures
appartiennent à une sorte de corruption et de défaut. Il n’a donc pas été
convenable que le Christ qui est l’auteur de la résurrection ressuscitât avec
des cicatrices.
Réponse à
l’objection N°1 : Ces cicatrices qui sont restées dans le corps du Christ ne
sont ni une corruption, ni un défaut, mais elles mettent le comble à sa gloire,
selon qu’elles sont les insignes de sa vertu, et à l’endroit même des plaies on
verra briller une splendeur toute spéciale.
Réponse
à l’objection N°2 : Quoique cette
ouverture des plaies suppose une certaine discontinuité, le corps y trouve une
compensation par le surcroît de gloire dont il brille, de sorte que sans être
moins intègre, il est plus parfait. Quant à saint Thomas, non seulement il a
vu, mais il a encore touché les plaies, parce que, comme le dit le pape saint
Léon (August., Serm. 56 de diversis), il lui eût suffi pour sa
propre foi de voir ce qu’il avait vu, mais c’est pour nous qu’il a agi en
touchant ce qu’il voyait.
Objection
N°3. Saint Jean Damascène dit (De
orth. fid., liv. 4, chap. 19)
qu’après la résurrection du Christ, on dit de lui véritablement des choses
qu’il n’eut pas selon sa nature, mais qu’il eut d’après l’ordre de la
providence divine, pour certifier que son corps ressuscité était le même que
celui qui avait souffert. Telles furent, ajoute-t-il, ses cicatrices. Or, quand
la cause cesse, l’effet cesse aussi. Il semble donc qu’une fois que ses
disciples ont été certains de sa résurrection, il n’a pas dû conserver davantage
ses cicatrices. Mais comme d’ailleurs il ne convenait pas à l’immutabilité de
la gloire qu’il prît quelque chose qui ne devait pas rester en lui
perpétuellement, il semble que dans sa résurrection il n’ait pas dû reprendre
son corps avec des cicatrices.
Réponse à l’objection N°3 : Le Christ a voulu que les cicatrices de
ses plaies restassent dans son corps, non seulement pour rendre certaine la foi
de ses disciples, mais encore pour d’autres raisons, d’après lesquelles il est
évident que ces cicatrices y subsisteront toujours. Car, comme le dit saint
Augustin (Epist. 205), je crois que
le corps du Seigneur est au ciel tel qu’il était quand il y est monté. Et saint
Grégoire ajoute (Mor., liv. 14, chap.
29) : Si quelque chose a pu être changé dans le corps du Christ après sa
résurrection, c’est que le Seigneur, contrairement au sentiment de saint Paul,
serait mort de nouveau, et il n’y a personne d’assez insensé pour le dire ou
pour le penser, à moins qu’on ne nie qu’il soit véritablement ressuscité. D’où
il est évident que les cicatrices que le Christ a montrées dans son corps après
sa résurrection n’ont pas ensuite disparu.
Mais
c’est le contraire. Le Seigneur dit à Thomas (Jean, 20, 27) : Portez
ici votre doigt et considérez mes mains, approchez aussi votre main et
mettez-la dans mon côté, et ne soyez plus incrédule, mais fidèle.
Conclusion
Il a été convenable que l’âme du Christ reprit son corps avec ses cicatrices
dans sa résurrection, afin d’avoir avec elle les marques de sa victoire et de
son triomphe et d’affermir dans la foi ceux qui étaient chancelants.
Il faut répondre qu’il a été convenable que l’âme du Christ reprît son
corps avec ses cicatrices dans sa résurrection : 1° à cause de la gloire du
Christ lui-même. En effet Bède observe (Sup.
Luc., chap. 97) qu’il n’a pas conservé ses cicatrices parce qu’il était
dans l’impuissance de les guérir, mais qu’il l’a fait pour porter toujours avec
lui les marques de son triomphe et de sa victoire. C’est ce qui fait dire à
saint Augustin (De civ. Dei, liv. 22,
chap. 20) que dans le ciel nous verrons dans les corps des martyrs les
cicatrices des blessures qu’ils ont reçues pour la gloire du Christ ; parce
qu’elles ne seront pas en eux une difformité, mais une gloire, et la beauté de
leur vertu brillera par là en quelque sorte dans leur corps. 2° Pour affermir
les cœurs de ses disciples à l’égard de la foi dans sa résurrection. 3° Afin
qu’en suppliant son Père pour nous, il lui montre toujours quel genre de mort
il a souffert. 4° Pour faire voir à ceux qu’il a rachetés par sa mort, en leur
mettant sous les yeux les marques de son supplice, avec quelle miséricorde il
est venu à leur secours. 5° Pour faire voir, au jugement, la justice de l’arrêt
qu’il portera au sujet des damnés. Par conséquent, selon la pensée de saint
Augustin (De symb., liv. 2, chap. 8), le Christ savait pourquoi il
conservait des cicatrices dans son corps. Car, comme il les a montrées à Thomas
qui ne voulait croire qu’à la condition de les toucher et de les voir, de même
il les montrera aussi à ses ennemis, afin qu’après les avoir convaincus il leur
dise : Voilà l’homme que vous avez crucifié ; vous voyez les blessures que vous
lui avez faites ; vous voyez le côté que vous avez percé ; il a été ouvert par
vous et à cause de vous, et cependant vous n’avez pas voulu y entrer.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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