Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
55 : De la manifestation de la résurrection
Après avoir parlé des qualités du corps du Christ ressuscité, nous
devons nous occuper de la manifestation de sa résurrection. — A cet égard il y
a six questions à traiter : 1° La résurrection du Christ a-t-elle dû être
manifestée à tout le monde ou seulement à quelques personnes en particulier ?
(La loi providentielle que saint Thomas constate dans cet article, relativement
au gouvernement moral du monde, établit fondamentalement le principe
d’autorité, comme base de l’enseignement religieux. Car, puisqu’il n’y a eu
qu’un certain nombre de témoins de la résurrection, il faut que les autres
aient cru à la parole de ces témoins, et que dès le commencement il y ait eu
l’Eglise enseignante et l’Eglise enseignée.) — 2° Aurait-il été convenable
qu’il ressuscitât sous leurs yeux ? (Cet article n’est que le développement du
précédent.) — 3° Après sa résurrection a-t-il dû converser avec ses disciples ?
(Cet article est contraire à l’erreur de ceux qui ont prétendu que le Christ
était resté dans 1’arche d’alliance pendant les quarante jours qui se sont
écoulés depuis sa résurrection jusqu’à l’ascension.) — 4° A-t-il été convenable
qu’il leur apparut sous une forme étrangère ? — 5° A-t-il dû manifester
sa résurrection par des preuves ? (Il faut distinguer ici deux sortes de
preuves : les preuves purement rationnelles, qui font voir l’essence des choses
en faisant naître l’évidence intrinsèque, et les preuves de fait, qui sont
purement extrinsèques. Saint Thomas n’admet que ces dernières quand il s’agit
de la foi.) — 6° Ces preuves sont-elles suffisantes ? (Cet article établit
parfaitement que les apôtres n’ont pu être trompés au sujet de la résurrection
du Christ. Les apologistes ont ajouté qu’ils n’avaient pas non plus trompé, et
que, quand même ils l’auraient voulu, ils ne l’auraient pas pu. Voy. de la Luzerne, Dissertation
sur la vérité de la religion ; Abbadie et Bergier, Traité de la
religion ; Ditton, La religion chrétienne prouvée par le seul fait de la mort de
Jésus-Christ ; Sherlock, Les témoins
de la résurrection de Jésus-Christ examinés suivant les règles du barreau.)
Article 1 : La
résurrection du Christ a-t-elle dû être manifestée à tout le monde ?
Objection N°1. Il semble que la résurrection du Christ
ait dû être manifestée à tout le monde. Car comme un péché public mérite une
peine publique, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Tim., 5, 20) : Reprenez devant tout le monde ceux qui pèchent publiquement ; de
même on doit une récompense publique à celui qui l’a méritée publiquement. Or,
la gloire de la résurrection est la récompense des humiliations de la passion,
comme le dit saint Augustin (Sup. Joan.,
tract. 104). Par conséquent puisque la passion du Christ a été manifestée à
tout, le monde, et qu’il l’a soufferte publiquement, il semble que la gloire de
sa résurrection ait dû être aussi manifestée à chacun.
Réponse à
l’objection N°1 : La passion du Christ s’est accomplie dans son
corps, lorsqu’il avait encore sa nature passible qui est connue de tout le
monde d’après la loi commune. C’est pourquoi elle a pu être manifestée à tout
le peuple immédiatement. Mais la résurrection du Christ a été produite par la gloire du Père, selon
l’expression de saint Paul (Rom., chap. 6). Pour cette raison elle n’a pas
été manifestée immédiatement à tout le monde, mais seulement à quelques-uns.
D’ailleurs si l’on impose une peine publique à ceux qui pèchent publiquement,
on doit entendre ce principe des peines de la vie présente. De même il faut que
les mérites publics soient publiquement récompensés pour exciter les autres au
bien. Quant aux peines et aux récompenses de la vie future, elles ne sont pas
publiquement manifestées à tout le monde, mais elles le sont spécialement à ceux
que Dieu a choisis à l’avance pour cela.
Objection
N°2. Comme la passion du Christ se rapporte à notre salut, de même
aussi sa résurrection, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 4, 25) : Il est ressuscité à cause de notre justification. Or, ce qui
appartient à l’utilité commune doit être manifesté à tout le monde. Il semble
donc que la résurrection du Christ ait dû être manifestée à chacun et qu’elle
n’ait pas dû l’être spécialement à quelques personnes en particulier.
Réponse à
l’objection N°2 : Comme la résurrection du Christ a eu pour but le salut commun
de tous les hommes, de même elle est parvenue à la connaissance de tout le
genre humain ; mais il n’en résulte pas qu’elle ait été manifestée à tout le
monde immédiatement ; elle ne l’a été qu’à quelques-uns, pour que par leur
témoignage elle arrivât à la connaissance de tous les autres.
Objection
N°3. Ceux auxquels la résurrection du Christ a été manifestée en
ont été les témoins. C’est pourquoi les apôtres disaient (Actes, 3, 15) : Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes les témoins.
Or, ils rendaient ce témoignage en prêchant publiquement, ce qui ne convient
pas aux femmes, d’après saint Paul qui dit (1 Cor., 14, 34) : Que les femmes gardent le silence dans les églises ; (1 Tim., 2, 12) : Je ne permets pas à la femme d’enseigner. Il semble donc que ce
soit à tort que la résurrection du Christ ait été manifestée aux femmes plutôt
qu’à tout le monde en général.
Réponse
à l’objection N°3 : Il n’est
pas permis à une femme d’enseigner publiquement dans une église ; mais il lui
est permis d’instruire quelqu’un en particulier en lui parlant dans l’intérieur
de la maison. C’est pourquoi, comme le dit saint Ambroise (Sup. Luc., chap. 24 : Mulieres), la femme est envoyée vers ceux qui sont
au-dedans de la maison ; mais elle n’est pas envoyée pour rendre témoignage de
la résurrection devant le peuple. Le Christ a apparu d’abord aux femmes, afin
que la femme qui a la première apporté à l’homme la nouvelle
de la mort, fût aussi la première qui annonçât la vie du Christ ressuscité dans
la gloire. C’est ce qui fait dire à saint Cyrille (Lib. 12 in Jean. sup. illud : chap. 20, Vade
ad fratres) : La femme ayant servi de ministre à
la mort connaît et annonce la première le mystère sacré de la résurrection. Par
conséquent la femme a obtenu le pardon de sa faute et elle a été délivrée de la
malédiction. Par là on montre aussi que pour ce qui appartient à l’état de la
gloire la femme ne subira aucun détriment. Si elle est animée d’une charité
plus grande, elle jouira aussi d’une plus grande gloire d’après la vision
divine. Et parce que ce sont les femmes qui ont aimé le Seigneur plus
étroitement, puisqu’elles ne se sont pas éloignées de son tombeau, lorsque ses
disciples s’en sont éloignés ; elles ont vu les premières le Seigneur
ressuscité dans sa gloire.
Mais c’est le contraire. Saint Pierre dit (Actes, 10, 40) : Dieu l’a ressuscité le troisième jour et a voulu qu’il se fit voir non
à tout le peuple, mais aux témoins que Dieu avait choisis avant tous les temps.
Conclusion
Puisque les choses qui surpassent la connaissance commune des hommes arrivent
aux inférieurs par l’intermédiaire de quelques supérieurs, la résurrection
glorieuse du Christ n’a pas dû être manifestée à tout le peuple, mais seulement
à quelques témoins choisis par Dieu pour la faire connaitre et la faire croire
aux autres.
Il faut répondre que parmi nos connaissances les unes nous arrivent
d’après la loi commune de la nature, les autres d’après un don spécial de la
grâce, comme celles que Dieu nous révèle. Quand il s’agit de ces dernières, la
loi établie de Dieu, comme le dit saint Denis (De cœlest. hier., chap.
4), veut que les êtres supérieurs soient immédiatement éclairés par la
révélation et que les lumières qu’ils reçoivent soient ensuite communiquées aux
êtres inférieurs par leur intermédiaire. C’est ce qui est évident dans la
hiérarchie des esprits célestes. Or, les choses qui appartiennent à la gloire
future surpassent la connaissance commune des hommes, d’après ces paroles du
prophète (Is., 64, 4) : Sans vous, ô mon Dieu, l’œil n’a pas vu ce que vous avez préparé à ceux
qui vous attendent. C’est pourquoi elles ne sont connues de l’homme
qu’autant que Dieu les lui révèle, selon l’expression de l’Apôtre (1 Cor., 2, 10) : Dieu nous les a révélées par son Esprit. Le Christ étant ressuscité
de la résurrection glorieuse, pour ce motif sa résurrection n’a pas été
manifestée à tout le peuple, mais à quelques-uns, pour que par leur témoignage
ils la portassent à la connaissance des autres.
Article 2 : Aurait-il
été convenable que les disciples vissent le Christ ressusciter ?
Objection N°1. Il semble qu’il aurait été convenable que
les disciples vissent le Christ ressusciter. Car il appartenait à ses disciples
d’attester sa résurrection, d’après ces paroles (Actes, 4, 33) : Les apôtres rendaient témoignage avec une grande force à la
résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Or, le témoignage de visu est le plus certain. Il aurait
donc été convenable qu’ils vissent la résurrection même du Christ.
Réponse à
l’objection N°1 : Les apôtres ont pu attester la résurrection du Christ pour
l’avoir vue, parce qu’ils ont vu de leurs propres yeux le Christ, qu’ils
savaient mort, vivre après sa résurrection (Il n’était pas nécessaire qu’ils le
vissent ressusciter pour être sûrs de sa résurrection. Il ne faut pour
constater la résurrection que deux choses : être sur de la mort, et ensuite
être sûr que le même corps est redevenu vivant.). Mais comme on arrive à la
vision bienheureuse par l’audition de ce que l’on doit croire ; de même ils
sont parvenus à voir le Christ ressuscité par ce qu’ils ont d’abord appris des
anges.
Objection
N°2. Pour avoir la certitude de la foi les disciples ont vu
l’ascension du Christ, puisqu’il est dit (Actes, 1, 9) : Qu’ils le virent s’élever. Or, il faut de même avoir une foi
certaine dans la résurrection du Christ. Il semble donc que le Christ ait dû
ressusciter sous les yeux de ses disciples.
Réponse
à l’objection N°2 : L’ascension du Christ
quant au terme à quo ne surpassait
pas la connaissance commune des hommes, mais elle la surpassait seulement quant
au terme ad quem (Le terme à quo est le point de départ, qui était
ici la terre, et le terme ad quem est
le but vers lequel on tend ; ce qui était ici le ciel.). C’est pourquoi les
disciples ont pu voir l’ascension du Christ quant au terme à quo, c’est-à-dire selon qu’il s’élevait de terre ; mais ils ne la
virent pas quant au terme ad quem ;
parce qu’ils ne virent pas comment il fut reçu dans le ciel. Mais la
résurrection du Christ surpassait la connaissance commune et quant au terme à quo, selon que son âme est revenue de
l’enfer et que son corps est sorti du tombeau pendant qu’il était fermé, et
quant au terme ad quem, selon qu’il a
acquis la vie glorieuse. C’est pourquoi elle n’a pas dû se faire sous les yeux
des hommes.
Réponse à l’objection N°3 : Lazare a été ressuscité pour revenir à la
vie qu’il avait eue auparavant et qui ne surpasse pas la connaissance commune
des hommes. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.
Conclusion Puisque le Christ en ressuscitant n’est point
revenu à une vie généralement connue des hommes, ils n’ont pas dû voir
immédiatement sa résurrection, mais il fallait qu’elle leur fût annoncée par
des anges.
Il
faut répondre que, comme le dit l’Apôtre (Rom., 13, 1) : Tout ce qui vient de Dieu est ordonné. Or, l’ordre établi par Dieu
consiste en ce que les choses qui sont au-dessus des hommes leur soient
révélées par l’intermédiaire des anges, comme le dit saint Denis (De cœl. hier., chap. 4).
Le Christ en ressuscitant n’est pas revenu à la vie qui est généralement connue
de tous les hommes, mais il est revenu à une vie immortelle et conforme à Dieu,
d’après l’Apôtre qui dit (Rom., 6, 10) : que quant à la vie qu’il a maintenant, il vit pour Dieu. C’est
pourquoi sa résurrection n’a pas dû être vue immédiatement par les hommes, mais
les anges ont dû la leur annoncer. C’est ce qui fait dire à saint Hilaire (Sup.
Matth., can. ult.) que c’est un ange qui a dû tout
d’abord faire connaître la résurrection, afin que ce mystère fût annoncé par
ceux qui sont les serviteurs de la volonté du Père céleste.
Article 3 : Le Christ
a-t-il du converser continuellement avec ses disciples après sa résurrection ?
Objection N°1. Il semble que le Christ ait dû converser
continuellement avec ses disciples après sa résurrection. Car il a apparu à ses
disciples après qu’il a été ressuscité pour les rendre certains de la foi
qu’ils devaient avoir en sa résurrection, et pour les consoler dans leur
trouble, d’après ces paroles de l’Evangile (Jean, 20, 20)
: Les disciples se réjouirent après avoir
vu le Seigneur. Or, ils auraient été plus certains et plus consolés, s’il
eût été continuellement présent parmi eux. Il semble donc qu’il aurait dû
constamment converser avec eux.
Réponse à
l’objection N°1 : Des apparitions fréquentes du Christ suffisaient
pour rendre les disciples certains de la vérité de la résurrection. Mais une
conversation continue aurait pu les induire en erreur et leur faire croire
qu’il était ressuscité avec une vie semblable à celle qu’il avait eue
auparavant. Quant aux consolations qu’ils auraient pu tirer de sa présence
continue, il les leur promit dans l’autre vie en leur disant (Jean, 26, 22)
: Je vous reverrai, et alors votre cœur
se réjouira et personne ne vous ravira votre joie.
Objection
N°2. Le Christ ressuscité n’est pas monté immédiatement au ciel,
mais après quarante jours, comme on le voit (Actes, chap. 1). Or, pendant ce temps il n’a pu
être plus convenablement dans aucun autre lieu que là où ses disciples étaient
réunis. Il semble donc qu’il ait dû continuellement converser avec eux.
Réponse à
l’objection N°2 : Si le Christ ne conversait pas continuellement avec ses
disciples, ce n’est pas parce qu’il pensait qu’il était convenable qu’il fût
ailleurs, mais parce qu’il jugeait plus avantageux pour leur instruction qu’il
ne fût pas constamment avec eux, et cela pour la raison que nous avons donnée
(dans le corps de cet article.). D’ailleurs on ne sait pas en quels lieux il
était corporellement dans les intervalles (On ne pourrait pas, sans témérité,
soutenir qu’il a été pendant ce temps dans un endroit plutôt que dans un
autre.), puisque l’Ecriture n’en dit rien et que sa domination s’étend partout.
Objection
N°3. Le jour même de la résurrection, l’Evangile nous apprend que
le Christ a apparu cinq fois, comme le dit saint Augustin (Lib. 3 de consens. Evang., chap.
ult.) : 1° il apparut aux saintes femmes près du tombeau ; 2° à ces mêmes
femmes lorsqu’elles revenaient du tombeau ; 3° à saint Pierre ; 4° à deux de
ses disciples qui allaient dans un château ; 5° à plusieurs des apôtres qui
étaient à Jérusalem, parmi lesquels ne se trouva pas Thomas. Il semble donc que
les autres jours avant son ascension, il ait dû aussi apparaître au moins
plusieurs fois.
Réponse à l’objection N°3 : Le premier jour il a apparu plus souvent,
parce que ses disciples devaient être avertis par plusieurs preuves de sa
résurrection, afin qu’ils y crussent dès le commencement. Mais après qu’ils
eurent reçu la foi sur ce point, il n’était pas nécessaire, quand leur
conviction a été formée, qu’ils fussent instruits par des apparitions aussi
fréquentes. Ainsi on ne voit pas dans l’Evangile qu’après le premier jour il
leur ait apparu plus de cinq fois. Car, comme le dit saint Augustin (Lib. 3 de cons. Evang., chap. ult.), après les cinq premières apparitions il leur
apparut une sixième fois quand Thomas le vit ; une septième sur la mer de
Tibériade, à la pêche des poissons ; une huitième sur la montagne de Galilée, d’après
saint Matthieu ; une neuvième, d’après saint Marc, dans le dernier repas, parce
que, depuis ce moment, ses disciples ne devaient plus manger avec lui sur la
terre ; une dixième, le jour même de l’ascension, n’étant déjà plus sur la
terre, mais s’élevant dans les nues, lorsqu’il montait au ciel. A la vérité
toutes ses actions n’ont pas été écrites, comme l’avoue saint Jean. Car il
conversait souvent avec eux, avant son ascension, et il le faisait pour les
consoler. Ainsi, saint Paul rapporte (1 Cor., 15, 6) : Qu’il fut vu en
une seule fois par plus de cinq cents frères et qu’ensuite il se montra à
Jacques et aux apôtres, et l’Evangile ne fait pas mention de ces
apparitions.
Objection N°4. Le Seigneur avant sa passion avait dit à ses disciples (Matth., 26, 32)
: Après que je serai ressuscité je vous
précéderai en Galilée ; c’est aussi ce que dit l’ange et le Seigneur
lui-même aux saintes femmes après sa résurrection. Et cependant on le vit
auparavant à Jérusalem, le jour même de sa résurrection, comme nous l’avons dit
(art. préc.), et huit jours après, comme on le voit (Jean, chap. 20).
Il ne semble donc pas qu’il ait vécu avec ses disciples de la manière qui
convenait après sa résurrection.
Réponse à
l’objection N°4 : Saint Chrysostome expliquant ce passage (Matth., chap. 26) : Après
que je serai ressuscité je vous précéderai en Galilée, dit (Hom. 83 in Matth.)
: Il ne va pas dans une contrée éloignée pour leur apparaître, mais il s’est
montré à eux dans la nation et dans le pays même où ils avaient le plus
conversé avec lui, afin qu’ils fussent convaincus par là que celui qui est
ressuscité était bien le même que celui qui a été crucifié. C’est pourquoi il
dit qu’il va en Galilée pour les délivrer de la crainte des Juifs. Par
conséquent, comme l’observe saint Ambroise (Sup.
Luc., in fin. com.), le Seigneur avait promis à ses disciples qu’ils le
verraient en Galilée, mais il leur a apparu d’abord dans le conclave où la
crainte les tenait renfermés (et il n’a pas en cela manqué à sa promesse, il
s’est au contraire empressé par bonté à la remplir), mais ensuite après qu’ils
eurent repris courage, ils allèrent en Galilée. — D’ailleurs, rien n’empêche de
dire qu’il y en eut quelques-uns dans le conclave et un plus grand nombre sur
la montagne. Car, comme le remarque Eusèbe (hab. in Cat. div. Thom., sup. illud. Luc. ult., Stetit in medio), les deux évangélistes,
c’est-à-dire saint Luc et saint Jean, rapportent qu’il n’apparut qu’aux onze
apôtres dans Jérusalem tandis que les deux autres disent que l’ange et le
Sauveur n’ordonnèrent pas seulement aux onze d’aller dans la Galilée, mais ils
l’ordonnèrent encore à tous les disciples et à tous les frères, et c’est d’eux
que parle saint Paul quand il dit : qu’il
apparut en une fois à plus de cinq cents frères. — La réponse la plus vraie
c’est que d’abord il s’est montré une fois ou deux à ceux qui étaient cachés à
Jérusalem pour les consoler ; au lieu que dans la Galilée on ne l’a pas vu en
secret, ni une fois ou deux, mais il y a apparu avec une grande puissance,
prouvant par une foule de prodiges qu’il était vivant, malgré sa passion, comme
l’atteste saint Luc (Actes, chap. 1). Ou bien, comme le dit saint
Augustin (Lib. 3 de consens. Evang., chap. ult. ad fin.) :
Ce que l’ange et le Seigneur ont dit, en annonçant qu’il les précéderait en
Galilée, doit s’entendre prophétiquement. Car le mot Galilée signifie
transmigration, ce qui indique que la grâce du Christ devait passer du peuple
d’Israël dans les gentils, qui n’auraient pas cru aux prédications des apôtres,
si le Seigneur ne leur eut préparé la voie dans les cœurs des hommes, et c’est
ce qu’on entend par ces paroles : Il vous
précédera en Galilée. Ou bien si on prend le mot Galilée selon qu’il
signifie révélation, on ne doit plus considérer le Christ sous la forme de
l’esclave, mais sous la forme par laquelle il est égal à son Père et qu’il a
promise à ceux qui l’aiment. Il nous a précédés dans ce lieu d’où il n’est pas
sorti en venant à nous et où il est arrivé avant nous sans nous abandonner.
Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Jean, 20, 29)
: qu’après huit jours le Christ apparut à
ses disciples. Il ne conversait donc pas continuellement avec eux.
Conclusion
Après sa résurrection le Christ n’a pas dû converser longtemps avec ses
disciples, dans la crainte qu’on ne crût qu’il était revenu à la vie mortelle,
mais il a dû seulement leur apparaître pendant un temps, pour montrer qu’il était
véritablement ressuscité.
Il faut répondre qu’à l’égard de la résurrection du Christ il y avait
deux choses à faire connaître à ses disciples : la vérité de la résurrection et
la gloire du Christ ressuscité. Pour manifester la vérité de sa résurrection,
il suffit que le Christ leur ait apparu plusieurs fois, qu’il ait parlé
familièrement avec eux, qu’il ait bu et mangé et qu’il leur ait donné à palper
son corps. Mais pour manifester sa gloire, il n’a pas voulu converser
continuellement avec eux, comme il l’avait fait auparavant, dans la crainte
qu’il ne parût être ressuscité avec la même vie que celle qu’il avait eue
précédemment. C’est pourquoi il dit lui-même (Luc, 24,
44) : Ce que vous voyez est l’accomplissement de
ce que je vous ai dit, lorsque j’étais encore avec vous. Il était alors
présent corporellement au milieu d’eux, mais auparavant il l’avait été non seulement corporellement, mais encore avec un
corps mortel comme les leurs. Aussi Bède expliquant ces paroles : Cum adhuc essem vobiscum, dit (in Luc., chap. 97) : Quand j’étais encore avec vous,
c’est-à-dire quand j’étais encore dans une chair mortelle telle que celle que
vous avez. A la vérité il était ressuscité dans la même chair, mais elle
n’était plus mortelle comme la nôtre.
Article 4 : Le Christ
a-t-il du apparaître à ses disciples sous une autre forme que la sienne ?
Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas dû
apparaître à ses disciples sous une autre forme que la sienne. Car il ne peut
paraître d’une manière vraie que ce qu’il est. Or, dans le Christ il n’y a eu
qu’une seule forme, ou qu’une seule physionomie. S’il a apparu sous une autre,
son apparition n’a donc pas été véritable, mais feinte, ce qui répugne ; parce
que, comme le dit saint Augustin (Quæst., liv. 83,
quest. 13), si le Christ trompe, il n’est pas la vérité. Cependant il est la
vérité, et par conséquent il semble qu’il n’ait pas dû apparaître à ses
disciples sous une autre forme.
Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (De quæst. Evang., liv. 2, quest. ult.),
toutes les fictions ne sont pas des mensonges, mais il y a mensonge quand nous
feignons quelque chose qui ne signifie rien. Lorsque nos fictions ont une
signification, elles ne sont pas des mensonges, mais une figure de la vérité ;
autrement tout ce que les sages et les saints ont dit en figure, ou tout ce que
le Seigneur a dit lui-même, serait considéré comme autant de mensonges ;
puisque la vérité ne consiste pas dans ces expressions, d’après notre manière
ordinaire de penser. Mais comme il y a des paroles figurées, de même il y a des
faits que l’on peut feindre sans mentir pour signifier une chose. Et c’est ce
qui s’est passé à l’égard de la résurrection, comme nous l’avons dit.
Objection N°2. Rien ne peut apparaître sous une autre forme que celle
qu’il a, sans que les yeux de ceux qui le voient soient sous l’influence de
quelques prestiges. Or, ces prestiges étant l’effet des arts magiques, ne
conviennent pas au Christ, d’après ces paroles de saint Paul (2 Cor., 6, 15) : Qu’y a-t-il de commun entre le Christ et Bélial ? Il semble donc
qu’il n’ait pas dû apparaître sous une autre forme.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme le
dit saint Augustin (Lib. 3 de consens. Evang., chap. 25), le Seigneur pouvait transformer sa chair de
manière que sa figure fût véritablement autre que ses disciples n’avaient
l’habitude de la voir. Ainsi avant sa passion il s’est transformé sur la
montagne, de telle sorte que son visage est devenu éclatant comme le soleil.
Mais il n’en fut pas ainsi alors. Nous croyons avec raison que cet obstacle qui
pesait sur leurs yeux fut l’œuvre de Satan qui les empêcha de reconnaître
Jésus. C’est pourquoi l’Evangile dit (Luc, 24,16)
: que leurs yeux étaient tenus comme
fermés, afin qu’ils ne pussent le reconnaître.
Objection
N°3. Comme l’Ecriture sainte rend notre foi certaine ; de même les
disciples ont été rendus certains de la foi dans la résurrection du Christ par
ses apparitions. Or, comme le dit saint Augustin (Epist. ad Hier., epist. 8, chap. 3, et ep. 9, chap.
3), si l’on rencontrait dans les Ecritures un seul mensonge, leur autorité
serait entièrement détruite. Si donc le Christ était apparu à ses disciples une
seule fois autrement qu’il n’est, tout ce que ses disciples ont vu en lui
depuis sa résurrection se trouverait par là infirmé ; ce qui répugne. Il n’a
donc pas dû se montrer sous une autre forme.
Conclusion Le Christ après sa résurrection a dû
apparaître sous sa propre forme à ceux qui étaient disposés à croire, mais pour
ceux qui étaient moins bien disposés il a dû changer sa forme selon leur
disposition diverse.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 et 2), la résurrection du
Christ a dû être manifestée aux hommes de la même manière que les choses
divines leur sont révélées. Or, les choses divines sont manifestées aux hommes
de différentes manières, selon leurs différentes dispositions. En effet, ceux
qui ont l’esprit bien disposé les perçoivent véritablement telles qu’elles sont
; au lieu que ceux qui n’ont pas l’esprit bien disposé les perçoivent avec un
mélange de doute ou d’erreur : Car
l’homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l’esprit de Dieu,
comme le dit saint Paul (1 Cor., 2, 14). C’est pourquoi le Christ après
sa résurrection a apparu sous sa propre forme à ceux qui étaient bien disposés
à croire, tandis qu’il a apparu sous une autre à ceux qui semblaient être
tièdes dans la foi. C’est ce qui leur faisait dire (Luc, 24,
21) : Nous espérions qu’il rachèterait
Israël. D’où saint Grégoire observe (Hom. 23 in Evang.) qu’il s’est montré à eux
corporellement, tel qu’il était dans leur esprit, et parce que leur cœur était
encore éloigné de la foi, il feignit qu’il allait plus loin, comme s’il eût été
un étranger.
Article 5 : Le Christ
a-t-il dû établir la vérité de sa résurrection par des preuves ?
Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas dû
montrer la vérité de sa résurrection par des preuves. Car saint Ambroise dit (De fid., liv. 1, chap.
5) : Mettez de côté les arguments dès que vous cherchez la foi. Or, c’est la foi
qu’on demande au sujet de la résurrection du Christ. Il n’y a donc pas lieu
d’argumenter.
Réponse à l’objection N°1 : Saint Ambroise parle en cet
endroit des arguments qui procèdent de la raison humaine et qui sont à la
vérité impuissants pour montrer ce qui est de foi, comme nous l’avons dit (dans
le corps de cet article.).
Objection N°2. Saint Grégoire dit (Hom. 26 in Evang.) : La foi n’a
pas de mérite dès que la raison humaine vient à son aide. Or, il n’appartenait
pas au Christ de rendre inutile le mérite de la foi. Il ne lui appartenait donc
pas non plus de prouver sa résurrection par des arguments.
Réponse à l’objection N°2 : Le mérite de la foi provient de ce que l’homme croit ce
qu’il ne voit pas, d’après l’ordre de Dieu. Par conséquent le mérite n’est
exclu que par la raison qui fait voir au moyen de la science ce que l’on
propose à croire, et cette raison est la raison démonstrative. Mais le Christ
n’a pas employé cette espèce de raison pour faire connaître sa résurrection.
Objection N°3. Le Christ est venu en ce monde pour que
les hommes arrivent par lui à la béatitude, d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 10,10)
: Je suis venu pour qu’ils aient la vie
et pour qu’ils l’aient plus abondamment. Or, en donnant ces preuves il
semble avoir mis un obstacle à la béatitude des hommes ; car il est dit (Jean, 20,29)
: Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et
qui ont cru. Il semble donc que le Christ n’ait pas dû manifester sa
résurrection par des preuves.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme nous
l’avons dit (Réponse N°2), le mérite de la béatitude que la foi produit n’est
totalement exclu qu’autant que l’homme ne voudrait croire que ce qu’il voit.
Mais quand quelqu’un croit ce qu’il ne voit pas d’après des signes qu’il a vus
(Les preuves sont alors purement extrinsèques, et c’est pour ce motif que le
mérite de la foi n’en est pas affaibli.), cette circonstance ne détruit pas
totalement la foi, ni son mérite. C’est ainsi que le Seigneur dit à Thomas (Jean, 20, 29)
: Parce que vous m’avez vu vous avez cru ;
il a vu une chose et il en a cru une autre ; il a vu ses blessures et il a cru
qu’il était Dieu. Mais celui qui ne demande pas ces secours pour croire, a une
foi plus parfaite. Aussi le Seigneur dit à quelqu’un en lui reprochant son
défaut de foi (Jean, 4, 48)
: Si vous ne voyez des signes et des
prodiges, vous ne croyez pas. D’après cela on peut comprendre que ceux qui
ont l’esprit disposé à croire à Dieu, même sans voir de prodiges, sont
bienheureux comparativement à ceux qui ne croient qu’autant qu’ils en voient.
Mais c’est le contraire. Il est dit (Actes, 1, 3) que le Christ apparut à ses disciples pendant quarante jours, leur
démontrant par beaucoup de preuves qu’il était vivant et leur parlant du
royaume de Dieu.
Conclusion
Le Christ n’a pas prouvé sa résurrection à ses disciples par des arguments
évidents, mais il s’est contenté du témoignage de l’Ecriture ; seulement il a
démontré par des signes manifestes qu’il était véritablement ressuscité d’entre
les morts.
Il faut répondre que le mot d’argument s’entend de deux manières.
Quelquefois on entend par argument une raison qui nous rend certains d’une
chose qui était auparavant douteuse ; d’autres fois on entend par argument un
signe sensible que l’on emploie pour faire connaître une vérité. C’est ainsi
qu’Aristote se sert quelquefois du mot d’argument dans ses ouvrages (Lib. de Rhet. ad Alex.,
chap. 14 et 15). Si l’on prend le mot d’argument dans le premier sens, le
Christ n’a pas prouvé sa résurrection à ses disciples par des arguments. Car ce
genre de preuve serait parti de principes qui n’auraient rien appris aux
disciples, s’ils n’avaient été préalablement connus d’eux, parce que l’inconnu
ne peut mener au connu ; ou bien s’ils avaient été connus d’eux, ils n’auraient
pas été supérieurs à la raison humaine, et par conséquent ils auraient été
impuissants pour établir la foi de la résurrection qui surpasse notre raison ; car
il faut que les prémisses et la conclusion soient du même genre (Autrement on
tomberait dans le sophisme appelé transitus à genere ad genui.), comme
ledit Aristote (Post., liv. 1, text. 20). Mais il leur a prouvé sa résurrection par
l’autorité de l’Ecriture (Ce genre d’arguments repose sur des faits, sur le
fait de la révélation en général et de l’inspiration des livres saints en
particulier.) qui est le fondement de la foi, puisqu’il a dit : Il faut que tout ce qui a été écrit de moi
dans la loi de Moïse, dans les Psaumes et les prophètes, s’accomplisse (Luc, 24,
44). — Si on entend le mot argument de la seconde manière, on dit que le Christ
a manifesté sa résurrection par des arguments, dans le sens qu’il a montré par
des signes évidents qu’il était véritablement ressuscité (La résurrection étant
un fait, elle ne peut être démontrée que par des faits.). C’est pourquoi dans
le grec au lieu des mots in multis argumentis, on lit le mot
τεκμήριον qui signifie signe évident pour prouver. Le Christ a
donné à ses disciples des signes évidents de sa résurrection pour deux motifs :
1° Parce que leurs cœurs n’étaient pas disposés à croire facilement à sa
résurrection. C’est pourquoi il leur dit (Luc, 24, 25) : O insensés dont le cœur est tardif à croire,
et que d’après saint Marc (16, 14) : Il
leur reprocha leur incrédulité et la dureté de leur cœur. 2° Pour rendre
par les preuves qu’il leur a données leur témoignage plus efficace. Comme le
disait saint Jean (1 Jean, 1, 1) : Ce que nous avons vu, ce que nous avons
entendu, ce que nos mains ont touché… voilà ce que nous attestons.
Objection N°1. Il semble que les preuves dont Jésus-Christ
s’est servi n’aient pas suffisamment manifesté la vérité de sa résurrection.
Car le Christ n’a rien montré à ses disciples après sa résurrection, que les
anges qui ont apparu aux hommes ne leur aient montré ou n’aient pu leur
montrer. En effet les anges se sont montrés souvent aux hommes sous une figure
humaine ; ils parlaient avec eux, conversaient et mangeaient comme s’ils
eussent été des hommes véritables ; comme on le voit (Gen., chap. 18)
à l’égard des anges auxquels Abraham donna l’hospitalité, et de l’ange qui
conduisit et qui ramena Tobie (Livre de Tobie.). Cependant les anges n’ont pas
de corps véritables qui leur soient naturellement unis, ce qui est exigé pour la
résurrection. Les preuves que le Christ a données à ses disciples n’ont donc
pas été suffisantes pour manifester sa résurrection.
Réponse à
l’objection N°1 : Quoique chacun des arguments ne suffise pas pour
manifester parfaitement la résurrection du Christ, cependant tous pris dans
leur ensemble la manifestent parfaitement, surtout à cause du témoignage de
l’Ecriture et des paroles des anges, et de l’assertion du Christ lui-même
confirmée par des miracles. Mais les anges que l’on a vus n’assuraient pas qu’ils
étaient des hommes, comme le Christ a assuré qu’il était homme véritablement.
D’ailleurs le Christ et les anges n’ont pas mangé de la même manière ; car les
corps pris par les anges n’étant pas des corps vivants ou animés, ils ne
mangeaient pas véritablement, quoiqu’ils eussent véritablement reçu les
aliments et qu’ils les eussent fait passer dans la partie intérieure du corps
qu’ils avaient pris. C’est pourquoi l’ange dit à Tobie (Tob, 12, 18)
: Quand j’étais avec vous… je paraissais
manger et boire avec vous, mais je fais usage d’une nourriture invisible.
Au contraire le corps du Christ ayant été véritablement animé, il a
véritablement mangé. Car, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 13 , chap. 22), les
corps de ceux qui sont ressuscités ne perdront pas le pouvoir de manger, mais
ils n’en éprouveront pas le besoin. C’est ce qui fait dire à Bède (chap. 97 in Luc.) que le Christ a mangé pour
montrer qu’il le pouvait, mais non par besoin.
Réponse à l’objection N°2 : Il faut répondre
au second, que, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.), parmi les
arguments employés par le Christ, les uns avaient pour but de prouver la vérité
de sa nature humaine, les autres de prouver la gloire de son corps ressuscité.
Or, la condition de la nature humaine, selon qu’elle est considérée en
elle-même, c’est-à-dire quant à l’état présent, est contraire à la condition de
la gloire, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 15, 43) : Ce qui est sans
force quand on le met en terre ressuscitera plein de vigueur. C’est
pourquoi les preuves qu’il apporte pour montrer la condition de la gloire
paraissent être contraires à la nature, non d’une manière absolue, mais selon
l’état présent et réciproquement. C’est ce qui fait dire à saint Grégoire (Hom. 26 in Ev.) : que le Seigneur a montré
deux choses étonnantes et absolument contraires l’une à l’autre d’après la
raison humaine, lorsqu’après sa résurrection il a montré que son corps était
incorruptible et cependant palpable.
Objection N°3. Le corps du Christ n’était pas tel après sa résurrection
qu’il dût être touché par un mortel. C’est pourquoi il dit à Magdeleine (Jean, 20, 17)
: Ne me touchez pas, car je ne suis pas
encore monté vers mon Père. Il n’a donc pas été convenable que pour
manifester la vérité de sa résurrection il se soit donné à palper à ses
disciples.
Réponse à
l’objection N°3 : D’après saint Augustin (Sup.
Joan., tract. 121), ces paroles du Seigneur : Ne me touchez pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père,
doivent s’entendre de manière que la femme représente l’Eglise des gentils, qui
n’a cru au Christ qu’après son ascension vers son Père. Ou bien Jésus a voulu
qu’elle crût en lui, c’est-à-dire qu’elle sût dans son esprit qu’il est un avec
son Père, parce qu’il s’élève en quelque sorte vers son Père par l’intimité de
la pensée, celui qui avance assez en lui pour le reconnaître égal à son Père.
Au lieu que cette femme qui le pleurait comme un homme croyait encore en lui
charnellement. Quant à ce qu’il est rapporté ailleurs que Marie a touché le
Christ, quand elle s’en est approchée avec d’autres femmes et qu’elle a tenu
ses pieds embrassés, il n’y a pas en cela de difficulté, comme le dit Séverien (id hab. Chrysol., Serm. 76), puisque l’un s’entend
figurativement et l’autre se rapporte au sexe ; l’un se dit de la grâce divine
et l’autre de la nature humaine. Ou bien, d’après saint Chrysostome (Hom. 85 in Joan.), cette femme voulait
encore converser avec le Christ, comme avant sa passion, et elle ne pensait
rien de grand dans sa joie, quoique le corps du Christ soit devenu beaucoup
plus excellent depuis sa résurrection. C’est pourquoi il lui a dit : Je ne suis pas encore monté vers mon Père,
comme s’il eût dit : ne pensez pas que je mène encore une vie terrestre ; car
si vous me voyez encore sur la terre, c’est que je ne suis pas encore monté
vers mon Père, mais je suis sur le point d’y monter. D’où il ajoute : Je monte vers mon Père et votre Père.
Objection
N°4. Parmi les qualités d’un corps glorifié, la clarté paraît être la
principale ; et cependant il n’en a donné aucune preuve dans sa résurrection. Il
semble donc que ces arguments aient été insuffisants pour manifester la qualité
de la résurrection du Christ.
Réponse
à l’objection N°4 : Comme le dit saint
Augustin (Dial. ad Oros.,
quest. 14), le Seigneur est ressuscité avec un corps glorifié-, mais il n’a pas
voulu se montrer à ses disciples dans cette gloire, parce que leurs yeux
n’auraient pu en supporter la clarté. Car si, avant de mourir pour nous et de
ressusciter, ses disciples n’ont pu le voir quand il s’est transfiguré sur la
montagne, à plus forte raison n’auraient-ils pas pu le voir avec sa chair
glorifiée. Il faut aussi considérer qu’après la résurrection le Seigneur
voulait surtout montrer qu’il était le même que celui qui était mort ; ce qui
l’en aurait empêché, s’il leur avait montré la clarté de son corps. Car le
changement qui frappe la vue est celui qui montre le mieux la diversité de l’objet
que l’on voit ; parce que c’est surtout à la vue à juger des choses sensibles
communes, parmi lesquelles se trouvent l’un et le multiple, le même et le
divers. Mais avant sa passion, de peur que ses disciples ne méprisassent sa
faiblesse à l’instant de sa mort, le Christ se proposait, au contraire, de leur
faire voir la gloire de sa résurrection, que la clarté du corps démontre tout
principalement. C’est pourquoi, avant sa passion, il a démontré sa gloire à ses
disciples par la clarté, et après sa résurrection il l’a fait par d’autres
preuves.
Réponse à l’objection N°5 : Comme le dit saint Augustin (Lib. 3 de consensu Evang., chap. 24),
nous pouvons concevoir que les saintes femmes n’ont vu qu’un ange, d’après
saint Marc et saint Matthieu, de manière que nous supposions qu’elles sont
entrées dans le tombeau, c’est-à-dire dans l’espace qui se trouvait environné
de pierres, et que là elles ont vu un ange assis sur la pierre roulée de devant
le sépulcre, comme le dit saint Matthieu, de telle sorte qu’il se trouvait
assis à droite, d’après saint Marc ; ensuite, quand elles regardèrent le lieu
où avait été déposé le corps du Seigneur, elles virent deux autres anges,
d’abord assis, comme le dit saint Jean, et qui se levèrent après de manière à
paraître debout, comme le dit saint Luc.
Conclusion Le Christ a montré sa résurrection par des
témoignages et des signes qui suffisent dans leur genre.
Il
faut répondre que le Christ a manifesté sa résurrection de deux manières : par
des témoignages et par des preuves ou des signes ; et ces deux manifestations
ont été l’une et l’autre suffisantes dans leur genre. En effet, il a fait usage
de deux sortes de témoignage pour manifester sa résurrection à ses disciples,
et ni l’un ni l’autre ne peut être rejeté. Le premier de ces témoignages est
celui des anges qui ont annoncé aux saintes femmes la résurrection, comme le
rapportent tous les évangélistes ; l’autre est celui des Ecritures dont il
s’est lui-même servi pour montrer sa résurrection, comme le dit saint Luc (chap.
24). — Quant aux preuves, elles ont été également suffisantes pour montrer que
sa résurrection a été véritable et glorieuse. En effet il a montré la vérité de
sa résurrection, d’abord du côté du corps, et il l’a fait de trois manières. 1°
Il a prouvé que son corps était véritable et solide, que ce n’était pas un
corps fantastique ou rare comme l’air, et il l’a fait en montrant qu’il était
palpable. C’est pour cela qu’il dit (Luc, 24, 39) : Palpez et voyez ; car un esprit n’a ni
chair, ni os, comme vous voyez que j’en ai. 2° Il a montré que son corps
était un corps humain, en se faisant voir à leurs yeux avec son propre visage.
3° Il leur a démontré que c’était numériquement le même corps qu’il avait eu
auparavant, en leur découvrant les cicatrices de ses plaies. D’où il leur dit (Luc, 24,
39) : Regardez mes mains et mes pieds, et
reconnaissez que c’est moi-même. — Il a montré aussi la vérité de sa
résurrection par rapport à son âme, qui s’est unie de nouveau à son corps.
C’est ce qu’il a fait par les œuvres des trois vies qui existent dans l’homme :
1° par les œuvres de la vie nutritive, en ce qu’il a mangé et bu avec ses
disciples, comme on le voit (Luc, chap. 24)
; 2° par les œuvres de la vie sensitive, en ce qu’il répondait aux questions de
ses disciples et qu’il saluait ceux qui étaient présents, montrant par là qu’il
les voyait et les entendait ; 3° par les œuvres de la vie intellectuelle, en ce
qu’il leur parlait et qu’il discutait avec eux sur les saintes Ecritures. Et
pour qu’il ne manquât rien à la perfection de sa manifestation, il a montré
aussi qu’il avait la nature divine par le miracle qu’il a fait en prenant des
poissons, et ensuite parce qu’il s’est élevé au ciel sous leurs yeux. Car,
comme il le dit lui-même (Jean, 3, 13)
: Personne n’est monté au ciel, sinon celui
qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, lequel est dans le ciel. — Il
a montré la gloire de sa résurrection à ses disciples, par là même qu’il est
entré près d’eux les portes fermées. Car, d’après ce que dit saint Grégoire (Hom. 26 in Evang.),
le Seigneur leur a donné à palper le corps qui est entré dans le cénacle les
portes fermées, pour montrer qu’après sa résurrection son corps était de même
nature, mais qu’il différait sous le rapport de la gloire. De même il
appartenait aussi à la propriété de la gloire qu’il disparût subitement de
devant leurs yeux, comme le dit l’Evangile (Luc, chap. 24),
parce que par là il montrait qu’il était en son pouvoir d’être visible et
invisible, ce qui appartient à la condition du corps glorieux, comme nous
l’avons dit (quest. 54, art. 1, Réponse N°2, et art. 3, Réponse N°1).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
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la morale catholique et des lois justes.
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