Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
56 : De la résurrection du Christ considérée comme cause
Nous devons maintenant nous occuper de la résurrection du Christ,
considérée comme cause. — A cet égard deux questions se présentent : 1° La
résurrection du Christ est-elle cause de la nôtre ? — 2° La résurrection du
Christ est-elle cause de notre justification ? (Saint Paul dit (Rom., 14, 9)
: Car c’est pour cela que le Christ est
mort et qu’il est ressuscité, afin de dominer sur les morts et sur les
vivants ; (2 Cor., 5, 15) :
Le Christ est mort pour tous, afin que
ceux qui vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et
ressuscité pour eux.)
Article 1 : La
résurrection du Christ est-elle cause de la résurrection des corps ?
Objection N°1. Il semble que la résurrection du Christ ne
soit pas cause de la résurrection des corps. Car quand on pose une cause
suffisante, il est nécessaire qu’on pose aussi l’effet. Si donc la résurrection
du Christ est une cause suffisante de celle des corps, aussitôt qu’il a été
ressuscité tous les morts ont dû ressusciter aussi.
Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (dans
le corps de l’article.), la résurrection du Christ est la cause de la nôtre par
la vertu du Verbe qui lui est uni ; mais il l’opère selon sa volonté. C’est
pour ce motif qu’il n’est pas nécessaire que l’effet s’ensuive immédiatement,
mais seulement selon la disposition du Verbe de Dieu ; de telle sorte qu’il
faut d’abord que dans cette vie passible et mortelle nous soyons semblables au
Christ souffrant et mourant et qu’ensuite nous parvenions à participer à la
ressemblance de sa résurrection elle-même.
Objection N°2. La cause de la résurrection des morts est la justice
divine, c’est-à-dire c’est elle qui veut que les corps soient récompensés ou
punis avec leurs âmes, comme ils ont participé à ses mérites ou à ses fautes,
selon la pensée de saint Denis (De cœlest. hier., chap. ult.) et de saint Jean Damascène (De orth. fid., liv. 4, chap. 28). Or, il serait nécessaire que
la justice de Dieu s’accomplit, quand même le Christ
ne serait pas ressuscité. Par conséquent la résurrection du Christ n’est pas
cause de la résurrection des corps.
Réponse à l’objection N°2 : La justice de Dieu est la cause première de notre résurrection
; mais la résurrection du Christ en est la cause secondaire et pour ainsi dire
instrumentale. Or, quoique la vertu d’un agent principal ne doive pas
précisément être contrainte à employer tel ou tel instrument, cependant du
moment qu’elle opère par un instrument, celui-ci devient cause efficiente.
Ainsi la justice divine considérée en elle-même n’a pas été obligée à produire
notre résurrection par la résurrection du Christ ; car Dieu eût pu nous
délivrer d’une autre manière que par la passion du Christ et sa résurrection,
ainsi que nous l’avons dit (quest. 46, art. 2 et 3). Mais par là même qu’il a
résolu de nous délivrer de cette manière, il est évident que la résurrection du
Christ est la cause de la nôtre.
Réponse à l’objection N°3 : La résurrection du Christ n’est pas, à
proprement parler, la cause méritoire de la nôtre, mais elle en est la cause
efficiente et exemplaire. Elle en est la cause efficiente en tant que
l’humanité du Christ, selon qu’elle est ressuscitée (La vertu de ressusciter
les morts lui a été communiquée dans sa résurrection par appropriation, comme
elle a reçu celle de remettre les péchés, par suite de sa passion.), est en
quelque sorte l’instrument de sa divinité et opère par sa vertu, tel que nous
l’avons dit (quest. 13, art. 2 et 3). C’est pourquoi comme les autres choses
que le Christ a faites ou souffertes dans son humanité, nous sont salutaires
d’après la vertu de sa divinité, ainsi que nous l’avons dit (quest. 48, art. 6)
: de même sa résurrection est la cause efficiente de la nôtre par la vertu
divine, dont le propre est de vivifier les morts. Cette vertu atteint par sa
présence tous les lieux et tous les temps, et ce contact virtuel suffit pour
rendre compte de son efficacité. C’est pour cela que, comme nous l’avons dit (Réponse
N°2), la cause primordiale de la résurrection humaine est la justice divine qui
donne au Christ le pouvoir de juger selon qu’il est le Fils de l’homme, et la
vertu efficiente de sa résurrection s’étend non seulement aux bons, mais encore
aux méchants qui sont soumis à son jugement. D’ailleurs comme la résurrection
du corps du Christ, par là même que ce corps est personnellement uni au Verbe,
est la première dans le temps ; de même elle est aussi la première en dignité
et en perfection, comme le dit la glose (1 Cor., chap. 4, sup. illud : Primitiæ Christus). Et parce que ce qui est le plus
parfait est toujours le modèle de ce qui l’est moins selon son mode, il
s’ensuit que la résurrection du Christ est la cause exemplaire de la nôtre.
Cette cause est nécessaire non par rapport à celui qui ressuscite les morts,
puisqu’il n’a pas besoin de type ou de modèle pour agir, mais par rapport à
ceux qui sont ressuscités, parce qu’ils doivent être conformes à la
résurrection du Christ, d’après ces paroles de saint Paul (Phil., 3, 21) : Il
transformera notre corps vil et abject pour le rendre conforme à son corps
glorieux. Cependant, quoique l’efficacité de la résurrection du Christ
s’étende à la résurrection des bons aussi bien que des méchants ; sa vertu
exemplaire ne s’étend proprement qu’aux bons (Omnes quidem resurgemus,
sed non omnes immutabimur.), qui sont devenus conformes à sa
filiation (Il est le Fils naturel de Dieu, et nous en sommes les fils
adoptifs.), selon l’expression de saint Paul (Rom., chap. 8).
Mais
c’est le contraire. Sur ces paroles de saint Paul (1 Cor., 15, 12) : Si l’on prêche que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts,
etc., la glose dit (interl.) : qu’il est la cause efficiente de
notre résurrection.
Conclusion
Puisque le Christ est ressuscité comme étant les prémices de tous ceux qui
dorment du sommeil de la mort, sa résurrection est cause de la nôtre.
Il faut répondre que ce qui est le premier dans un genre est cause de
tout ce qui vient ensuite, comme le dit Aristote (Met., liv. 2, text. 4). Or, la résurrection
du Christ a été la première résurrection véritable, comme on le voit d’après ce
que nous avons dit (quest. 53, art. 3). Par conséquent il faut que la
résurrection du Christ soit cause de la nôtre, et c’est ce qui fait dire à
saint Paul (1 Cor., 15, 20) : Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts comme étant les prémices
de ceux qui sont dans le sommeil de la mort ; car c’est par un homme que la
mort est venue, et c’est aussi par un homme que la résurrection des morts doit
venir aussi. Et c’est avec raison ; car le principe de la vie de l’homme
est le Verbe de Dieu, dont il est dit (Ps. 35, 10) : C’est en vous qu’est la source de vie. C’est pourquoi il dit
lui-même (Jean, 5, 21)
: Comme le Père ressuscite les morts et
les vivifie, de même le Fils vivifie ceux qu’il veut. Or, l’ordre naturel
des choses que Dieu a établies demande que toute cause opère d’abord sur ce qui
lui est le plus proche et que par là elle opère sur les autres choses qui sont
plus éloignées. C’est ainsi que le feu échauffe d’abord l’air qui est près de
lui, et que par l’air il échauffe les corps qui sont à une certaine distance.
Et Dieu lui-même éclaire d’abord les substances qui sont les plus près de lui,
et par elles il éclaire celles qui en sont plus éloignées, comme le dit saint
Denis (De cœlest.
hier., chap.
13). C’est pourquoi le Verbe de Dieu accorde d’abord la vie immortelle au corps
qui lui est naturellement uni, et par ce corps il opère la résurrection dans
tous les autres.
Article 2 : La
résurrection du Christ est-elle cause de la résurrection des âmes ?
Objection N°1. Il semble que la résurrection du Christ ne
soit pas cause de la résurrection des âmes. Car saint Augustin dit (Tract. 23 sup. Joan.) que les corps
ressuscitent par la dispensation humaine, au lieu que les âmes ressuscitent par
la substance de Dieu. Or, la résurrection du Christ n’appartient pas à la
substance de Dieu, mais à la dispensation humaine. Par conséquent, quoique la
résurrection du Christ soit la cause de la résurrection des corps, cependant
elle ne paraît pas être la cause de la résurrection des âmes.
Réponse à l’objection N°1 : Saint Augustin dit que la
résurrection des âmes est produite par la substance de Dieu, quant à la
participation, parce que c’est en participant à la bonté divine que les âmes
deviennent bonnes et justes, et non en participant à une créature quelconque.
C’est pourquoi, après avoir dit : Les âmes ressuscitent par la substance de
Dieu, il ajoute : car l’âme devient heureuse par la participation de Dieu et
non par la participation d’une âme sainte. Au contraire, c’est en participant à
la gloire du corps du Christ que nos corps deviennent glorieux.
Réponse à l’objection N°2 : L’efficacité de la résurrection du Christ arrive jusqu’à
l’âme non par la vertu propre de son corps ressuscité, mais par la vertu de la
divinité à laquelle il est personnellement uni.
Objection N°3. La résurrection du Christ étant cause de la résurrection
des corps, les, corps de tous les hommes ressusciteront, d’après ces paroles de
saint Paul (1 Cor., 15, 51) : Nous ressusciterons tous. Or, les âmes de tous les hommes ne
ressusciteront pas, parce qu’il y en a qui
iront au supplice éternel, comme le dit l’Evangile (Matth., 25, 46).
La résurrection du Christ n’est donc pas cause de la résurrection des âmes.
Réponse
à l’objection N°3 : La résurrection des
âmes appartient au mérite qui est l’effet de la justification ; au lieu que la
résurrection des corps se rapporte aux peines ou aux récompenses qui sont des
effets du jugement. Or, il n’appartient pas au Christ de justifier tous les
hommes, mais de les juger tous ; c’est pour cela qu’il les ressuscitera tous
selon le corps, mais qu’il ne les ressuscite pas tous selon l’âme.
Objection
N°4. La résurrection des âmes est produite par la rémission des
péchés. Or, les péchés ont été remis par la passion du Christ, d’après ces
paroles (Apoc., 1, 5) : Il nous a lavés de nos péchés dans son sang. La passion du Christ
est donc plutôt cause de la résurrection des âmes que sa résurrection.
Réponse
à l’objection N°4 : Dans la
justification des âmes il y a deux choses, la rémission de la faute et le
renouvellement de la vie par la grâce. Quant à l’efficacité qui est l’effet de
la vertu divine, la passion du Christ aussi bien que sa résurrection est cause
de notre justification sous ces deux rapports. Mais si nous considérons la
cause exemplaire, la passion et la mort du Christ sont cause à ce titre de la
rémission de la faute par laquelle nous mourons au péché : au lieu que la
résurrection du Christ est cause de la vie nouvelle qui est produite par la
grâce ou la justice. C’est pourquoi l’Apôtre dit (Rom., 4, 25) qu’il a été livré ou mis à mort pour
nos péchés, c’est-à-dire pour les effacer ; et qu’il est ressuscité pour notre justification. Mais la passion
du Christ en est la cause méritoire, comme nous l’avons dit (art. préc. ad 4).
Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 4, 25) : Il est ressuscité pour notre justification, qui n’est rien autre
chose que la résurrection des âmes. Et sur ces paroles (Ps. 29, 6, Les pleurs se répandent le soir), la glose dit que la résurrection
du Christ est cause de la nôtre ; qu’elle est cause de la résurrection de notre
âme dans le présent et de celle de notre corps dans l’avenir.
Conclusion
Puisque la résurrection du Christ agit en vertu de la divinité, non seulement
elle est la cause efficiente et exemplaire de la résurrection des corps, mais
encore de celle des âmes.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°3), la
résurrection du Christ agit en vertu de la divinité ; et elle s’étend non seulement
à la résurrection des corps, mais encore à celle des âmes ; car il dépend de
Dieu que l’âme vive par la grâce et que le corps vive par l’âme. C’est pourquoi
la résurrection du Christ a instrumentalement une vertu efficiente, non
seulement par rapport à la résurrection des corps, mais encore par rapport à la
résurrection des âmes. Elle est aussi la cause exemplaire de la résurrection
des âmes, parce que nous devons également ressembler par l’âme au Christ
ressuscité. Car, selon la pensée de l’Apôtre (Rom., 6, 4) : Comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire de
son Père, de même nous devons marcher dans une voie nouvelle, et, comme le
Christ ressuscité d’entre les morts ne meurt plus, de même il faut que nous
nous considérions comme morts au péché pour revivre en lui.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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