Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 60 : Des sacrements

 

            Apres avoir parlé de ce qui regarde le mystère de l’Incarnation du Verbe, nous devons nous occuper des sacrements de l’Eglise qui tirent leur efficacité du Verbe incarné lui-même. — Nous traiterons d’abord des sacrements en général et ensuite de chaque sacrement en particulier. — Sur les sacrements en général il y a cinq considérations à faire. Il faut examiner : 1° ce que c’est qu’un sacrement ; 2° la nécessité des sacrements ; 3° leurs effets ; 4" leur cause ; 5° leur nombre. — Sur la première de ces considérations huit questions se présentent : 1° Un sacrement est-il du genre des signes ? (Le mot sacramentum est employé en divers sens. Chez les Latins, il signifiait autrefois l’argent que les partis qui étaient en contestation déposaient dans un lieu saint, et qui était perdu pour celui qui perdait sa cause. C’est le sens que lui donnent Cicéron (Pro Milone), Varron (De linguâ latinâ, liv. 4). Les jurisconsultes prennent ce mot pour synonyme de juramentum, serment. Dans l’Ancien Testament, il désigne une chose sacrée, qui est secrète : Sacramentum regit abscondere bonum est (Tob., 12, 7). Les Pères, les conciles et les théologiens entendent par là le signe d’une chose sacrée, et c’est le sens dans lequel saint Thomas emploie ici ce mot.) — 2° Tout signe d’une chose sacrée est-il un sacrement ? — 3° Un sacrement n’est-il le signe que d’une seule chose ou de plusieurs ? — 4° Un sacrement est-il un signe qui soit une chose sensible ? (Les hérétiques, aussi bien que les catholiques, admettent tous que les sacrements sont des signes sensibles, comme le dit la définition du catéchisme du concile de Trente : Invisibilis gratiæ visibile signum.) — 5° Faut-il pour un sacrement une chose sensible déterminée ? (Il est de foi que le Christ a institué les sacrements : Si quis dixerit sacramenta novæ legis non fuisse omnia à Jesu Christo Domino nostro institutaanathema sit. Il n’a pu les instituer sans en déterminer la matière et la forme, au moins en général.) — 6° Faut-il pour un sacrement une signification exprimée par des paroles ? (Le concile de Florence, dans son décret aux arméniens, publié sous Eugène IV, reconnaît en ces termes la nécessité des paroles pour la validité du sacrement : Hæc omnia sacramenta tribus perficiuntur, videlicet rebus tanquàm materiâ, verbis tanquàm formâ, et personâ ministri conferentis sacramentum cum intentione faciendi quod facit Ecclesia equorum si aliquod desit, non perficitur sacramentum.) — 7° Faut-il des paroles déterminées ? (Le Christ a-t-il déterminé en particulier et dans leur espèce la matière et la forme de tous les sacrements, comme il l’a fait pour le Baptême et l’Eucharistie ? Cette question est controversée parmi les théologiens. Mais le sentiment qui nous paraît le plus probable, c’est qu’il a déterminé lui-même la matière et la forme de tous les sacrements, et qu’il n’a pas laissé ce soin à ses apôtres.) — 8° Peut-on ajouter à ces paroles ou en retrancher quelque chose ?

 

Article 1 : Le sacrement est-il du genre des signes ?

 

            Objection N°1. Il semble que le sacrement ne soit pas du genre des signes. Car le mot sacrement paraît venir du mot consacrer, comme le mot médicament vient du mot médicamenter. Or, ceci paraît se rapporter plutôt à la nature de la cause qu’à celle du signe. Le sacrement est donc plutôt du genre de la cause que du genre du signe.

            Réponse à l’objection N°1 : La médecine étant la cause efficiente de la santé, il en résulte que toutes les choses qui tirent leur nom de la médecine se rapportent à un premier agent, et c’est pour cela que le médicament implique une certaine causalité. Mais la sainteté d’où le sacrement tire son nom n’est pas ainsi désignée par manière de cause efficiente, elle l’est plutôt par manière de cause formelle ou finale. C’est, pourquoi il n’est pas nécessaire que le sacrement implique toujours une causalité.

 

            Objection N°2. Le mot sacrement paraît signifier quelque chose de caché, d’après ces paroles (Tob. 12, 7) : Il est bon de cacher le sacrement du roi. (Eph., 3, 9) : Quelle est l’économie du sacrement caché de tout temps en Dieu. Or, ce qui est caché paraît contraire à la nature du signe ; car le signe est ce qui, indépendamment de l’image qu’il présente à nos sens, nous fait encore arriver à la connaissance de quelque autre chose, comme le dit saint Augustin (De doct. christ., lib. 2 in princ.). Il semble donc que le sacrement ne soit pas du genre du signe.

            Réponse à l’objection N°2 : Ce raisonnement suppose que le sacrement est la même chose qu’un secret sacré. Ainsi on appelle sacré et sacrement, non seulement le secret de Dieu, mais encore celui du roi, parce que, d’après les anciens, on appelait saintes ou sacrées toutes les choses qu’il n’était pas permis de violer ; comme les murs d’une cité, les personnes établies en dignité. C’est pourquoi ces secrets divins ou humains, qu’il n’est pas permis de violer en les divulguant à quelqu’un, sont appelés des choses sacrées ou des sacrements.

 

           Objection N°3. Quelquefois on donne au serment le nom de sacrement. Car il est dit (Dec. 22, quest. 5, chap. 14) qu’on ne force pas à jurer les enfants qui n’ont pas l’âge de raison ; et que celui qui a été parjure une fois ne soit plus témoin ensuite, et qu’on ne l’admette pas au serment (sacramentum). Or, le serment n’appartient pas à la nature du signe. Il semble donc que le sacrement ne soit pas du genre du signe.

            Réponse à l’objection N°3 : Le serment a aussi un certain rapport avec les choses sacrées, en ce qu’il est une attestation faite par quelque chose de sacré, et c’est dans ce sens qu’on dit que le serment est un sacrement, mais ce n’est pas sous ce rapport que nous envisageons ici les sacrements. Cependant le mot de sacrement n’est pas pris alors équivoquement, mais par analogie, c’est-à-dire selon qu’il se rapporte d’une manière différente à une même chose, qui est la chose sacrée.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 10, chap. 5) : Le sacrifice visible est le sacrement du sacrifice invisible, c’est-à-dire qu’il en est le signe.

 

            Conclusion Les théologiens se servant du mot sacrement pour exprimer un rapport de signe, il est évident que le sacrement est du genre du signe.

            Il faut répondre que tout ce qui se rapporte à une chose, quoique de différentes manières, peut tirer de cette chose sa dénomination. C’est ainsi que de la santé qui existe dans l’animal, on appelle sain, non seulement l’animal qui en est le sujet, mais encore on appelle saine la médecine, selon qu’elle en est la cause efficiente ; la diète, selon qu’elle en est la cause conservatrice ; et l’urine, selon qu’elle en est la cause significative. Par conséquent on peut donc appeler une chose un sacrement, soit parce qu’elle a en elle une sainteté cachée, et dans ce cas un sacrement est la même chose qu’un secret sacré ; ou bien parce qu’elle a un rapport quelconque avec cette sainteté, soit un rapport de cause, soit un rapport de signe ou tout autre. Mais ici nous parlons des sacrements spécialement, selon qu’ils impliquent un rapport de signe, et c’est en ce sens que le sacrement est du genre du signe.

 

Article 2 : Tout signe dune chose sacrée est-il un sacrement ?

 

            Objection N°1. Il semble que tout signe d’une chose sacrée ne soit pas un sacrement. Car toutes les créatures sensibles sont des signes des choses sacrées, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 1, 20) : Les perfections invisibles de Dieu ont été rendues visibles par les choses qu’il a faites. Cependant toutes les choses sensibles ne peuvent pas recevoir le nom de sacrement. Tout signe d’une chose sacrée n’est donc pas un sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : Les créatures sensibles signifient quelque chose de sacré, c’est-à-dire la sagesse et la bonté divine selon qu’elles sont sacrées en elles-mêmes, mais non selon qu’elles nous sanctifient. C’est pourquoi on ne peut pas leur donner le nom de sacrements dans le sens que nous l’entendons ici.

 

            Objection N°2. Toutes les choses qui se faisaient dans l’Ancien Testament figuraient le Christ, qui est le saint des saints, d’après saint Paul qui dit (1 Cor., 10, 11) : que tout ce qui leur arrivait était figuratif. Et ailleurs (Col., 2, 17) : que toutes ces choses étaient l’ombre des choses à venir, mais que le Christ en est la réalité. Cependant toutes les actions des patriarches de l’Ancien Testament, ou même toutes les cérémonies de la loi ne sont pas des sacrements ; il n’y a que quelques cérémonies spéciales, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 101, art. 4). Il semble donc que tout signe d’une chose sacrée ne soit pas un sacrement.

            Réponse à l’objection N°2 : Certaines choses qui appartiennent à l’Ancien Testament signifiaient la sainteté du Christ, selon qu’il est saint en lui-même ; tandis que d’autres signifiaient sa sainteté selon qu’elle nous sanctifie. C’est ainsi que l’immolation de l’agneau pascal signifiait l’immolation du Christ par laquelle nous avons été sanctifiés. Aussi on dit que ces choses sont, à proprement parler, des sacrements de l’ancienne loi.

 

            Objection N°3. Sous la nouvelle alliance il y a beaucoup de choses qu’on fait en signe d’une chose sacrée et que cependant on n’appelle pas des sacrements ; comme l’aspersion de l’eau bénite, la consécration d’un autel et d’autres choses semblables. Tout signe d’une chose sacrée n’est donc pas un sacrement.

            Réponse à l’objection N°3 : Les choses tirent leur dénomination de leur fin et de leur complément. Mais la disposition n’est ni la fin, ni la perfection. C’est pourquoi les choses qui indiquent une disposition à la sainteté ne sont pas appelées des sacrements (Ainsi il en est des images, des croix, de l’eau bénite et des autres sacramentaux.), et c’est sur ces choses que l’objection repose. Mais on ne donne ce nom qu’aux choses qui signifient la perfection de la sainteté de l’homme.

 

           Mais c’est le contraire. La définition est réciproque avec l’objet défini. Or, on définit le sacrement le signe d’une chose sacrée (Pour rendre cette définition complète, saint Thomas ajoute avec raison : Qui sanctifie l’homme. Sa définition revient ainsi à celle du catéchisme du concile de Trente, qui s’exprime ainsi : Sacramentum est invisibilis gratiæ visibile signum ad nostram justificationem institutum.), et cette définition parait être celle de saint Augustin (cit. art. préc., Mais c’est le contraire.). Il semble donc que tout signe d’une chose sacrée soit un sacrement.

 

            Conclusion Puisque les signes sont proprement donnés aux hommes, tout signe d’une chose sacrée n’est pas un sacrement, mais le signe d’une chose sacrée n’est un sacrement qu’autant qu’il sanctifie les hommes.

            Il faut répondre que les signes sont proprement donnés aux hommes auxquels il appartient d’arriver à l’inconnu parole connu. C’est pourquoi on donne proprement le nom de sacrement au signe d’une chose sacrée qui appartient aux hommes ; de telle sorte que le sacrement proprement dit, tel que nous le comprenons ici, est le signe d’une chose sacrée en tant qu’elle sanctifie l’homme.

 

Article 3 : Un sacrement ne signifie-t-il quune seule chose ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’un sacrement ne soit le signe que d’une seule chose. Car ce qui en signifie plusieurs est un signe ambigu et par conséquent une occasion d’erreur, comme on le voit évidemment à l’égard de tout ce qui est équivoque. Or, il ne doit y avoir dans la religion chrétienne rien de fallacieux, d’après ces paroles (Col., 2, 8) : Prenez garde de vous laisser séduire par la philosophie et par des raisonnements trompeurs. Il semble donc qu’un sacrement ne soit pas le signe de plusieurs choses.

            Réponse à l’objection N°1 : Un signe est ambigu et il devient une occasion d’erreur, quand il signifie beaucoup de choses dont l’une ne se rapporte pas à l’autre ; mais quand il signifie plusieurs choses qui reviennent, sous un certain rapport, au même but, alors ce n’est pas un signe ambigu, mais certain. C’est ainsi que le mot homme signifie l’âme et le corps, selon que la nature humaine se compose de l’un et de l’autre. De même un sacrement signifie les trois choses que nous avons dites, selon que, sous un certain rapport, elles n’en forment qu’une seule.

 

            Objection N°2. Comme nous l’avons dit (art. préc.), un sacrement signifie une chose sacrée, selon qu’elle est une cause de la sanctification de l’homme. Or, il n’y a qu’une seule cause de la sanctification de l’homme ; c’est le sang du Christ, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 13, 12) : Jésus voulant sanctifier le peuple par son sang, a souffert hors de la porte de la ville. Il semble donc qu’un sacrement ne signifie pas plusieurs choses.

            Réponse à l’objection N°2 : Le sacrement signifiant une chose qui sanctifie, il faut qu’il signifie l’effet (Cet effet est la sanctification de l’âme, et la cause qui le renferme, c’est la passion du Christ.) qui est compris dans la cause sanctifiante elle-même, selon qu’elle sanctifie.

 

            Objection N°3. Nous avons dit (art. préc., Réponse N°3) que le sacrement signifie proprement la fin même de la sanctification. Or, la fin de la sanctification est la vie éternelle, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 6, 22) : Le fruit que vous tirez de cet esclavage est votre sanctification et la vie éternelle en sera la fin. Il semble donc qu’un sacrement ne signifie qu’une chose, qui est la vie éternelle.

            Réponse à l’objection N°3 : Il suffit à la nature du sacrement qu’il signifie la perfection qui est la forme (Cette perfection, qui est la forme de la sanctification, consiste dans la grâce opérée par le sacrement, au lieu que la perfection qui est la fin de la sanctification, n’est pas autre chose que la gloire éternelle.) ; mais il ne faut pas qu’il signifie seulement la perfection qui est la fin.

 

            Mais c’est le contraire. Le sacrement de l’autel signifie deux choses, le corps véritable du Christ et son corps mystique, comme le dit saint Augustin (Lib. Sentent. Prosp. ut refertur, chap. Hoc est, De consecrat., dist. 11).

 

           Conclusion Un sacrement est un signe qui rappelle la passion du Christ, qui montre la grâce divine, et qui présage la gloire future.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), le sacrement proprement dit est établi pour signifier notre sanctification dans laquelle on peut considérer trois choses : la cause de notre sanctification qui est la passion du Christ ; la forme de notre sanctification qui consiste dans la grâce et les vertus, et la fin dernière de notre sanctification qui est la vie éternelle. Toutes ces choses sont signifiées parles sacrements. Par conséquent un sacrement est le signe commémoratif de ce qui a précédé, c’est-à-dire de la passion du Christ, le signe démonstratif de ce qu’opère en nous la passion du Christ, c’est-à-dire la grâce, et le présage de la gloire future (C’est ce que l’Eglise exprime par ces paroles, qui se rapportent au sacrement de l’Eucharistie : O sacrum convivium, in quo Christus sumitur, recolitur memoria passionis ejus, mens impletur gratiâ, et futuræ gloriæ nobis pignus datur.).

 

Article 4 : Un sacrement est-il toujours une chose sensible ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’un sacrement ne soit pas toujours une chose sensible. Car, d’après Aristote (Prior, liv. 2, chap. penult. et ult.), tout effet est le signe de sa cause. Or, comme il y a des effets sensibles, de même il y a aussi des effets intelligibles ; par exemple, la science est l’effet de la démonstration. Par conséquent tout signe n’est pas sensible. Et comme il suffit à la nature du sacrement d’être le signe d’une chose sacrée, selon que l’homme est sanctifié par elle, ainsi que nous l’avons dit (art. 2), il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire qu’il soit une chose sensible.

            Réponse à l’objection N°1 : Chaque chose tire principalement sa dénomination et se définit d’après ce qui lui convient premièrement et par lui-même, et non d’après ce qui lui convient par un autre. Or, l’effet sensible a, par lui-même, la vertu de conduire à la connaissance d’une autre chose, en la faisant ainsi connaître à l’homme primordialement et par lui-même, parce que toutes nos connaissances viennent des sens. Mais les effets intelligibles ne peuvent pas nous conduire à la connaissance d’une autre chose, sinon en tant qu’ils ont été manifestes par un autre, c’est-à-dire par des signes sensibles. De là il arrive qu’on donne premièrement et principalement le nom de signe à ce qui s’offre aux sens, comme l’observe saint Augustin, qui dit (De doct. christ., liv. 2) que le signe est ce qui, indépendamment de l’image qu’il présente à nos sens, fait arriver quelque autre chose à notre connaissance. Quant aux effets intelligibles ils ne sont des signes qu’autant qu’ils sont manifestés par d’autres signes. C’est de cette manière que des choses qui ne sont pas sensibles sont appelées des sacrements dans un sens, selon qu’elles ont été signifiées par des choses sensibles (Saint Thomas fait ici allusion au caractère que les sacrements impriment.) ; nous en parlerons (quest. 63, art. 1).

 

            Objection N°2. Les sacrements appartiennent au culte ou au royaume de Dieu. Or, les choses sensibles ne paraissent pas appartenir au culte de Dieu. Car il est dit (Jean, 4, 24) : Dieu est esprit, et il faut que ceux qui l’adorent le fassent en esprit et en vérité. (Rom., 14, 17) Le royaume de Dieu ne consiste ni dans le boire ni dans le manger. Les choses sensibles ne sont donc pas requises pour les sacrements.

            Réponse à l’objection N°2 : Les choses sensibles, considérées dans leur nature, n’appartiennent pas au culte ou au royaume de Dieu, mais elles n’y appartiennent qu’autant qu’elles sont les signes des choses spirituelles dans lesquelles le royaume de Dieu consiste.

 

            Objection N°3. Saint Augustin dit (De lib. arb., liv. 2, chap. 18 et 19) : que les choses sensibles sont les moindres biens sans lesquels l’homme peut vivre droitement. Or, les sacrements sont nécessaires au salut de l’homme, comme on le verra (quest. suiv.), et par conséquent l’homme ne peut vivre droitement sans eux. Les choses sensibles ne sont donc pas requises pour les sacrements.

            Réponse à l’objection N°3 : Saint Augustin parle là des choses sensibles, selon qu’elles existent dans leur nature, mais non selon qu’elles sont employées pour signifier les choses spirituelles qui sont les plus grands biens.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Sup. Joan., tract. 80) : La parole s’ajoute à l’élément, et le sacrement est produit. Il s’agit là de l’élément sensible qui est l’eau. Les choses sensibles sont donc requises pour les sacrements.

 

            Conclusion Puisqu’il est naturel à l’homme de parvenir à la connaissance des choses intelligibles par les choses sensibles, le sacrement qui signifie pour l’homme les biens spirituels et intelligibles, doit être une chose sensible.

            Il faut répondre que la sagesse divine pourvoit à chaque chose selon sa manière d’être. C’est pour cela qu’il est dit (Sag., 8, 1) : qu’elle dispose tout avec douceur, et ailleurs (Matth., 25, 15) : qu’elle a donné à chaque être selon sa propre vertu. Or, il est naturel à l’homme de parvenir par les choses sensibles à la connaissance des choses intelligibles. D’ailleurs le signe est le moyen par lequel on arrive à la connaissance d’une autre chose. Par conséquent, puisque les choses sacrées qui sont signifiées par les sacrements sont des biens spirituels et intelligibles qui sanctifient l’homme, il s’ensuit que la signification du sacrement est exprimée par des choses sensibles, comme dans l’Ecriture les choses spirituelles nous sont représentées sous l’image de choses sensibles (C’est ce qui fait dire à l’Eglise dans l’hymne du dimanche de la Passion : Hoc opus nostræ salutis ordo depoposcerat : multiformis proditoris ars ut artem falleret, et medelam ferret inde hostis undè læserat.). D’où il résulte que les choses sensibles sont requises pour les sacrements, comme le prouve saint Denis (De cælest. hier., chap. 1).

 

Article 5 : Les sacrements requièrent-ils des choses déterminées ?

 

            Objection N°1. Il semble que les sacrements ne requièrent pas des choses déterminées. Car les choses sensibles sont employées dans les sacrements pour avoir une signification, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, rien n’empêche que la même chose soit signifiée par des choses sensibles différentes. C’est ainsi que dans l’Ecriture Dieu est désigné métaphoriquement tantôt par une pierre, tantôt par un lion, tantôt par le soleil ou quelque autre chose de semblable. Il semble donc que différentes choses puissent convenir au même sacrement. Par conséquent les sacrements ne demandent pas des choses déterminées.

            Réponse à l’objection N°1 : Quoique la même chose puisse être signifiée par des signes divers, cependant il appartient à celui qui la signifie de déterminer de quel signe on doit user. Or, c’est Dieu qui signifie les choses spirituelles par les choses sensibles dans les sacrements et par des expressions métaphoriques dans l’Ecriture. C’est pourquoi, comme c’est l’Esprit-Saint qui a déterminé sous quelles images il fallait représenter les choses spirituelles dans divers passages de l’Ecriture, de même l’institution divine a dû déterminer aussi les choses significatives qui devaient être employées dans tel ou tel sacrement.

 

            Objection N°2. Le salut de l’âme est plus nécessaire que celui du corps. Or, dans les médecines corporelles, qui ont pour but le salut du corps, on peut prendre une chose pour une autre à son défaut. A plus forte raison, dans les sacrements qui sont des médecines spirituelles qui ont pour but le salut de l’âme, une chose peut-elle être prise pour une autre, quand celle-ci vient à manquer.

            Réponse à l’objection N°2 : Les choses sensibles ont naturellement les vertus qui les rendent utiles au salut du corps. C’est pourquoi il n’importe en rien que de deux choses qui ont la même vertu on emploie l’une ou l’autre. Au contraire les choses qui se rapportent à notre sanctification ne tirent pas de leur vertu naturelle leur efficacité, mais uniquement de l’institution divine. C’est pourquoi il a fallu que Dieu déterminât de quelles choses sensibles on devait faire usage dans les sacrements.

 

            Objection N°3. Il n’est pas convenable que le salut de l’homme soit rétréci par la loi divine et surtout par la loi du Christ qui est venu sauver tout le monde. Or, sous la loi de nature il n’y avait pas de choses déterminées pour les sacrements, mais on les employait d’après un vœu, comme on le voit par l’exemple de Jacob (Gen., chap. 28) qui fit vœu d’offrir à Dieu la dîme et des hosties pacifiques. Il semble donc que l’homme n’ait pas dû être restreint, et surtout sous la loi nouvelle, de manière à ne faire usage que de choses déterminées pour les sacrements.

           Réponse à l’objection N°3 : Comme le dit saint Augustin (Cont. Faust., liv. 19, chap. 16 et 17), il est convenable que les sacrements varient avec les temps ; comme on emploie des mots différents pour signifier des temps différents, tels que le présent, le passé et le futur. C’est pourquoi, comme sous la loi de nature les hommes n’avaient reçu aucune loi extérieure, et qu’ils n’étaient portés que par leur instinct intérieur à honorer Dieu, de même c’était aussi cet instinct qui leur déterminait les choses sensibles dont ils devaient faire usage pour l’adorer. Ensuite il a été nécessaire de donner une loi extérieure, soit parce que les péchés des hommes avaient obscurci la loi de nature, soit aussi pour signifier d’une manière plus expresse la grâce du Christ qui sanctifie le genre humain. C’est pour ce motif qu’il a été aussi nécessaire de déterminer alors les choses dont les hommes se serviraient pour les sacrements. La voie du salut n’est pas pour cela rétrécie, parce qu’on possède généralement ou l’on peut se procurer sans grande peine les choses dont on doit faire usage dans les sacrements.

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu.

 

            Conclusion Puisqu’il n’appartient pas aux hommes de déterminer les choses qui les sanctifient, il est évident que dans les sacrements de la loi nouvelle qui sanctifient les hommes, on doit faire usage des choses déterminées par l’institution divine.

            Il faut répondre que dans l’usage des sacrements on peut considérer deux choses : le culte de Dieu et la sanctification de l’homme. La première de ces deux choses appartient à l’homme par rapport à Dieu ; la seconde au contraire appartient à Dieu par rapport à l’homme. Or, il n’appartient pas à quelqu’un de déterminer ce qui est au pouvoir d’un autre, mais seulement ce qui est en sa puissance. Par conséquent la sanctification de l’homme étant au pouvoir de Dieu qui sanctifie, il n’appartient pas à l’homme de faire choix d’après son propre jugement des choses qui doivent le sanctifier, mais elles doivent être déterminées d’après l’institution divine. C’est pourquoi dans les sacrements de la loi nouvelle, par lesquels les hommes sont sanctifiés, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 6, 11) : Vous avez été purifiés, vous avez été sanctifiés, il faut que l’on use des choses qui ont été déterminées d’après l’institution divine (L’Eglise veut même que, par rapport aux cérémonies et à toutes les choses qu’on peut considérer comme accidentelles dans les sacrements, les pasteurs se conforment à ce qui leur est prescrit dans le rituel, sous peine de péché grave (Conc. Trid., sess. 8, De sacramentis, can. 13).).

 

Article 6 : Les paroles sont-elles requises pour la signification des sacrements ?

 

            Objection N°1. Il semble que les paroles ne soient pas requises pour la signification des sacrements. Car saint Augustin dit (Cont. Faust., liv. 19, chap. 16) : Les sacrements corporels sont-ils autre chose que des paroles visibles ? Par conséquent il semble qu’en ajoutant des paroles aux choses sensibles dans les sacrements ce soit ajouter des paroles à des paroles. Et comme c’est superflu, il semble qu’il ne soit pas nécessaire d’ajouter des paroles aux choses sensibles dans les sacrements.

            Réponse à l’objection N°1 : Les choses visibles des sacrements sont appelées des paroles par analogie, selon qu’elles participent à cette puissance de signification qui consiste principalement dans les mots eux-mêmes, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.). C’est pourquoi il n’y a pas une répétition inutile de paroles, quand dans les sacrements on ajoute des mots aux choses sensibles, parce que l’un de ces éléments est déterminé par l’autre, ainsi que nous l’avons dit (ibid.).

 

            Objection N°2. Un sacrement est quelque chose qui est un. Or, il ne semble pas qu’on puisse faire quelque chose d’un avec des choses qui sont de divers genres. Par conséquent les choses sensibles et les paroles étant de divers genres, puisque les choses sensibles viennent de la nature et les mots viennent de la raison, il semble que dans les sacrements les paroles ne soient pas requises avec les choses sensibles.

            Réponse à l’objection N°2 : Quoique les paroles et les autres choses sensibles soient de divers genres, en ce qui appartient à la nature de la chose ; néanmoins elles s’accordent sous le rapport de la signification qui existe plus parfaitement dans les mots que dans les autres choses. C’est pourquoi des mots et des choses il résulte dans les sacrements quelque chose d’un, comme de la forme et de la matière (On appelle ordinairement matière la chose ou l’acte sensible du sacrement, et on donne aux paroles le nom de forme. Ces expressions actuellement adoptées par tous les théologiens ne paraissent pas avoir été en usage dans les écoles avant l’an 1200. On ne les trouve ni dans Lanfranc, ni dans saint Anselme, ni dans saint Bernard, ni même dans Pierre Lombard. Elles y ont été introduites avec la philosophie péripatéticienne. Gotti pense que Guillaume d’Auxerre les a employées le premier.) il résulte un être, en ce sens que la signification des choses est perfectionnée par les mots, ainsi que nous l’avons dit (dans le corps de cet article, et art. préc., Réponse N°3). Mais dans les choses on comprend aussi les actes sensibles eux-mêmes, tels que l’ablution, l’onction, etc., parce que ces actes ont la même signification que les choses elles-mêmes.

 

            Objection N°3. Les sacrements de la loi nouvelle ont succédé aux sacrements de la loi ancienne : car, du moment que ceux-ci ont été détruits, les autres ont été établis, selon l’observation de saint Augustin (Cont. Faust., liv. 19, chap. 16 et 17). Or, dans les sacrements de l’ancienne loi on ne demandait pas de forme du côté des paroles. On ne doit donc pas non plus l’exiger dans les sacrements de la loi nouvelle.

           Réponse à l’objection N°3 : Comme le dit saint Augustin (Cont. Faust., liv. 19, chap. 16 et 17), les sacrements qui sont les signes du présent doivent être autres que ceux qui sont les signes de l’avenir. Or, les sacrements de l’ancienne loi devaient annoncer à l’avance le Christ à venir ; c’est pourquoi ils ne signifiaient pas le Christ aussi expressément que les sacrements de la loi nouvelle qui en découlent et qui ont en eux-mêmes une certaine ressemblance avec lui, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.). Cependant dans l’ancienne loi il y avait des paroles qui étaient employées en ce qui appartient au culte de Dieu, soit par les prêtres qui étaient les ministres de ces sacrements, d’après ce passage (Nom., 6, 23) : Vous bénirez ainsi les enfants d’Israël et vous leur direz : Que le Seigneur vous bénisse ; soit par ceux qui en faisaient usage, puisqu’il est dit (Deut., 26, 3) : Je professe aujourd’hui devant votre Dieu, etc.

 

            Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Eph., 5, 2) : Le Christ a aimé l’Eglise et il s’est livré lui-même pour elle, afin de la sanctifier, en la purifiant par l’eau où elle est lavée et par la parole de Dieu. Et saint Augustin ajoute (Sup. Joan., tract. 80) : La parole se joint à l’élément et le sacrement est produit.

 

            Conclusion Pour que les sacrements du Verbe incarné et de l’homme sanctifié aient une certaine ressemblance et une certaine proportion, et qu’ils signifient plus parfaitement les choses sacrées, il est très convenable qu’en eux les paroles s’ajoutent aux choses sensibles.

            Il faut répondre que les sacrements, comme nous l’avons dit (art. 3), sont employés pour la sanctification des hommes, comme des signes. On peut donc les considérer de trois manières, et sous ce triple aspect il est convenable sous tous les rapports que l’on joigne les mots aux choses sensibles. En effet : 1° On peut les considérer par rapport à la cause sanctifiante qui est le Verbe incarné. Les sacrements lui ressemblent d’une certaine manière en ce que la parole s’unit à une chose sensible, comme dans le mystère de l’Incarnation le Verbe de Dieu a été uni à une chair sensible. 2° On peut considérer les sacrements par rapport à l’homme qui est sanctifié. Comme il est composé d’un corps et d’une âme, le sacrement est un remède qui lui est proportionné, si par les choses sensibles il affecte le corps et que par la parole il touche l’âme par la foi. D’où saint Augustin dit (Tract. 80 in Joan.) sur ces paroles de saint Jean (Jean, 15, 3) : Vous êtes déjà purs, à cause des paroles que je vous ai dites : D’où vient à l’eau une si grande vertu qu’elle touche le corps et purifie le cœur, sinon par l’action du Verbe qui agit non parce qu’on le prononce, mais parce qu’on y croit. 3° On peut les considérer par rapport à la signification sacramentelle. Saint Augustin dit (De doct. christ., liv. 2, chap. 3) que les paroles sont les signes qui ont obtenu parmi les hommes le premier rang pour exprimer les pensées ; parce que l’on peut employer de différente manière les mots pour désigner les diverses conceptions de l’esprit ; et c’est pour cela que nous pouvons exprimer plus distinctement par des mots ce que nous avons conçu dans notre esprit. C’est pourquoi il a été nécessaire, pour que la signification sacramentelle fût parfaite, qu’on déterminât par des paroles la signification des choses sensibles. Car l’eau peut signifier l’ablution en raison de son humidité et le rafraîchissement en raison de sa fraîcheur ; mais quand nous disons : Je vous baptise, il est évident que nous nous servons de l’eau dans le baptême pour signifier la purification spirituelle.

 

Article 7 : Faut-il dans les sacrements des paroles déterminées ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire qu’il y ait pour les sacrements des paroles déterminées. Car, comme le dit Aristote (Periher., liv. 1), les mots ne sont pas les mêmes chez tous les peuples. Or, le salut auquel on cherche à arriver par les sacrements est le même pour tous les hommes. Il n’est donc pas nécessaire qu’il y ait pour les sacrements des paroles déterminées.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., tract. 80), la parole opère dans les sacrements, non parce qu’on la prononce, c’est-à-dire non en raison du son extérieur de la voix, mais parce qu’on y croit, c’est-à-dire à cause du sens des mots auquel la foi s’attache. Ce sens est le même pour tous, quoique les paroles ne soient pas les mêmes quant au son. C’est pour cela qu’en quelque langue qu’on exprime ce sens, le sacrement existe.

 

            Objection N°2. Les paroles sont requises dans les sacrements principalement en raison de ce qu’elles sont significatives, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, il arrive que l’on peut signifier la même chose par des mots différents. Il n’est donc pas nécessaire qu’il v ait pour les sacrements des paroles déterminées.

            Réponse à l’objection N°2 : Quoique en toute langue on puisse exprimer la même chose par des mots différents, cependant il y a toujours quelques-uns de ces mots qui se trouvent plus principalement et plus communément employés pour la signifier. C’est ce mot qu’il faut prendre pour la signification du sacrement. C’est ainsi que parmi les choses sensibles on prend pour la signification du sacrement celle dont l’usage est le plus commun relativement à l’acte que l’effet du sacrement exprime ; par exemple, l’eau étant la chose la plus commune que les hommes emploient pour l’ablution du corps qui signifie l’ablution spirituelle, on la prend pour ce motif comme matière dans le baptême.

 

            Objection N°3. La corruption d’une chose en change l’espèce. Or, il v en a qui prononcent mal les mots ; cependant on ne croit pas que ce soit une cause qui empêche les effets du sacrement, autrement les illettrés ou les bègues qui confèrent les sacrements, les rendraient souvent nuls. Par conséquent il ne semble pas qu’il y ait pour les sacrements des mots déterminés.

            Réponse à l’objection N°3 : Celui qui prononce mal les paroles sacramentelles, s’il le fait à dessein, ne paraît pas avoir l’intention de faire ce que fait l’Eglise, et par conséquent il ne semble pas qu’il confère un sacrement. S’il le fait par erreur ou par un défaut de prononciation, et qu’il altère tellement la formule qu’elle n’ait plus du tout de sens, il ne semble pas non plus qu’il y ait sacrement. C’est ce qui arrive surtout quand l’altération porte sur le commencement du mot (La règle la plus générale qu’on puisse donner à cet égard, c’est d’examiner si l’altération de la forme est substantielle ou accidentelle. Elle est substantielle, quand elle en détruit le sens ou qu’elle le corrompt totalement, alors le sacrement n’est pas valide ; elle n’est qu’accidentelle quand elle porte seulement sur la construction de la phrase ou du mot qu’elle change sans détruire le sens. Dans ce cas l’acte peut être illicite, mais le sacrement n’est pas invalide.) ; par exemple, si au lieu de dire : In nomine Patris, on disait : In nomine matris. Mais si l’altération de la formule n’en détruit pas absolument le sens, le sacrement n’en existe pas moins. C’est surtout ce qui arrive, quand l’altération porte sur la fin du mot, comme si l’on disait : In nomine patrias et filias. Car quoique ces mots mal prononcés ne signifient rien en vertu de leur imposition, néanmoins on les accepte comme signifiant quelque chose d’après l’usage. C’est pourquoi, bien que le son qui frappe l’oreille soit changé, le sens reste pourtant le même. Quant à ce que nous avons dit de la différence de l’altération, selon qu’elle porte sur le commencement ou la fin du mot, ceci a sa raison ; parce qu’en latin un changement dans le commencement du mot en change la signification, tandis que le plus souvent le changement qui tombe sur la fin du mot ne le change pas. Chez les Grecs la signification est aussi changée quand c’est le commencement du mot qui est modifié. Mais on doit plutôt faire attention à la nature de l’altération, parce que dans l’un et l’autre cas elle peut être si faible qu’elle ne détruise pas le sens des mots, et elle peut être tellement grave qu’elle l’anéantisse tout à fait. Seulement l’une de ces choses se rapporte plutôt au commencement du mot et l’autre à la fin (La raison en est que dans le premier cas le changement atteint le radical, et dans le second il ne modifie que la terminaison du mot.).

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur a prononcé des paroles déterminées clans la consécration du sacrement de l’Eucharistie, en disant (Matth., 26, 26) : Ceci est mon corps. De même il a ordonné à ses disciples de baptiser sous une forme de paroles déterminée en disant (Matth., 28, 19) : Allez, enseignez toutes les nations et baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit.

 

            Conclusion Puisque la matière des sacrements, c’est-à-dire les choses sensibles, est déterminée, à plus forte raison faut-il que la forme des paroles le soit.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°2), dans les sacrements les paroles remplissent le rôle de la forme, et les choses sensibles celui de la matière. Or, dans tout ce qui est composé de matière et de forme, le principe de la détermination vient de la forme qui est en quelque sorte la fin et le terme de la matière. C’est pour ce motif que l’existence d’une chose demande plutôt une forme déterminée qu’une matière déterminée ; car une matière déterminée demande à être proportionnée à une forme déterminée. Par conséquent, puisque dans les sacrements on exige que les choses sensibles qui en sont comme la matière soient déterminées ; à plus forte raison est-il nécessaire que la forme des paroles le soit aussi.

 

Article 8 : Est-il permis d’ajouter quelque chose aux mots dans lesquels consiste la forme des sacrements ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis d’ajouter quelque chose aux mots dans lesquels la forme des sacrements consiste. En effet ces paroles sacramentelles ne sont pas moins nécessaires que les mots de l’Ecriture sainte. Or, il n’est pas permis d’ajouter quelque chose à l’Ecriture, ni d’en rien retrancher ; car il est dit (Deut., 4, 2) : Vous n’ajouterez rien aux paroles que je vous dis et vous n’en retrancherez rien. Et saint Jean dit (Apoc., 22, 18) : Je déclare à tous ceux qui entendront les paroles de la prophétie de ce livre, que si quelqu’un y ajoute, Dieu ajoutera sur lui plaie sur plaie, le frappant de celles qui sont écrites dans ce livre, et si quelqu’un en retranche quelque chose, Dieu ne lui donnera aucune part à ce qui est écrit dans ce livre de vie. Il semble donc qu’il ne soit permis ni d’ajouter aux formes des sacrements, ni d’en rien retrancher.

            Réponse à l’objection N°1 : Il n’est pas permis d’ajouter quelque chose aux paroles de l’Ecriture quant au sens, mais les docteurs y ont ajouté beaucoup de choses pour l’interpréter. Cependant il n’est pas permis d’y ajouter des paroles, de telle sorte qu’on prétende qu’elles en l’ont partie intégralement, parce que ce serait se rendre coupable de fausseté ; et il en serait de même si l’on disait qu’une chose est nécessaire à la forme d’un sacrement, tandis qu’il n’en est rien (Ainsi l’addition que l’on fait peut ne pas nuire à la validité du sacrement, mais elle ne peut appartenir à son intégrité.).

 

            Objection N°2. Les paroles sont dans les sacrements à titre de forme, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, dans les formes toute addition ou tout retranchement en change l’espèce, comme dans les nombres, ainsi qu’on le voit (Metaph., liv. 8, text. 10). Il semble donc que si l’on ajoute quelque chose à la forme d’un sacrement ou si l’on en retranche quelque chose, le sacrement ne sera plus le même.

            Réponse à l’objection N°2 : Les mots appartiennent à la forme du sacrement en raison du sens qu’ils signifient. C’est pourquoi toute addition ou toute suppression de mots qui n’ajoute rien au sens voulu de la formule, ou qui n’en retranche rien, ne détruit pas l’espèce du sacrement.

 

            Objection N°3. Comme il faut pour la forme d’un sacrement un nombre déterminé de paroles, de même il faut dans ces paroles un ordre déterminé, et il est nécessaire qu’il y ait de la suite dans le discours. Si donc l’addition ou la suppression des mots ne détruit pas la vérité du sacrement, il semble que pour la même raison la transposition des mots, ou l’interpolation de la prononciation ne la détruise pas non plus.

            Réponse à l’objection N°3 : S’il y a une interruption de paroles assez grande (L’interruption nuit au sens dans le cas où l’on vient à intercaler entre les paroles d’autres actes tout différents, de manière qu’au jugement d’un homme de bon sens, les mots ne paraissent plus faire une même proposition.) pour que l’intention de celui qui les prononce soit interrompue, le sens du sacrement et par conséquent sa vérité est détruite ; mais le sacrement est valide quand l’interruption est courte et qu’elle ne nuit point à l’intention de celui qui prononce les paroles, ni à leur intelligence. Il en faut dire autant de la transposition des mots ; car si cette transposition enlève le sens de la phrase, le sacrement est nul, comme on le voit pour une négation mise avant ou après un signe. Mais si la transposition est telle qu’elle ne change pas le sens, la vérité du sacrement n’est pas détruite (Le sacrement serait valide si l’on disait par exemple : In nomine Patris, et Filii, et Spiritus sancti, ego te baptizo, mais il serait au moins douteux si l’on disait : Filii, ego te baptizo in nomine Patris et Spiritus sancti, et il faudrait le réitérer sous condition (Mgr Gousset, Théologie morale, t. 2, p. 7).), parce que, d’après Aristote (liv. 2, chap. 1), les noms et les verbes transposés ont la même signification.

 

            Mais c’est le contraire. Dans les formes des sacrements, il y a des mots que les uns ajoutent et que les autres n’ajoutent pas. Ainsi les latins baptisent sous cette formule : Je vous baptise, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et les grecs sous celle-ci : Que le serviteur du Christ N. soit baptisé au nom du Père, etc. Et cependant ils confèrent les uns et les autres un sacrement véritable. Il est donc permis d’ajouter aux formes des sacrements ou d’en retrancher quelque chose.

 

            Conclusion Il n’est pas permis d’ajouter aux mots dans lesquels la forme des sacrements consiste, ni d’en retrancher quelque chose qui en corrompe le véritable sens.

            Il faut répondre qu’à l’égard de tous les changements qui peuvent avoir lieu dans les formes des sacrements, il semble qu’on doive considérer deux choses : l’une se rapporte à celui qui prononce les paroles ; son intention est requise pour le sacrement, comme nous le dirons (quest. 64, art. 8). C’est pourquoi si par cette addition ou ce retranchement il a l’intention d’introduire un rite qui ne soit pas reçu par l’Eglise, alors il n’y a pas de sacrement ; parce qu’il ne paraît pas avoir l’intention de faire ce que l’Eglise fait. L’autre chose que l’on puisse considérer se rapporte à la signification des mots. Car puisque les mots opèrent dans les sacrements, d’après le sens qu’ils présentent, ainsi que nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°1 et 3), il faut examiner si ce changement détruit le sens que les mots doivent avoir ; parce que, dans ce cas, il est évident que la vérité du sacrement est détruite. Il est manifeste d’ailleurs que si l’on retranche quelque chose de ce qui appartient à la substance de la forme sacramentelle, on enlève le sens que les mots doivent avoir, et c’est pour cela qu’il n’y a pas de sacrements. C’est ce qui fait dire à Didyme (De Spirit. sanct., liv. 2, à princ.) : Si quelqu’un veut baptiser tout en omettant un des noms essentiels (c’est-à-dire celui du Père ou du Fils ou de l’Esprit-Saint), son baptême sera nul (On ne pourrait pas non plus baptiser validement au nom de la sainte Trinité, sans exprimer la distinction des personnes divines.). Mais si on retranche quelque chose qui ne soit pas de la substance de la forme, cette suppression ne détruit pas le sens que les mots doivent avoir, et par conséquent elle n’empêche pas non plus le sacrement d’exister. C’est ainsi que dans la forme de l’Eucharistie qui consiste dans ces paroles : Car ceci est mon corps, si le mot car est omis, la formule n’en conserve pas moins le sens qu’elle doit avoir, et c’est pour cela que cette omission n’empêche pas le sacrement d’exister, quoiqu’il puisse arriver que celui qui l’a faite, pèche par négligence ou par mépris (Si l’omission porte sur une chose purement accidentelle, comme le mot ego dans la formule : Ego baptizo, on croit généralement, dit Mgr Gousset, qu’il n’y aurait qu’un péché véniel quand même cette omission serait volontaire.). A l’égard de l’addition, il peut se faire que l’on ajoute quelque chose qui corrompe le sens que doit avoir la formule : par exemple, si l’on disait, comme le faisaient les ariens en baptisant : Je vous baptise au nom du Père qui est plus grand et du Fils qui est moindre ; alors cette addition détruirait la vérité du sacrement. Mais si l’addition n’est pas de nature à détruire le sens légitime, la vérité du sacrement reste. Peu importe d’ailleurs que cette addition se trouve au commencement, ou au milieu, ou à la fin. Ainsi le baptême serait véritable si l’on disait : Je vous baptise au nom de Dieu le Père tout-puissant, et de son Fils unique, et du Saint-Esprit le Paraclet. Il le serait encore en disant : Je vous baptise au nom du Père, du Fils, du Saint-Esprit, et que la bienheureuse Vierge vous assiste. — Mais si l’on disait : Je vous baptise au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit et de la bienheureuse Vierge Marie, le baptême serait nul. Car l’Apôtre dit (1 Cor., 1, 13) : Est-ce que Paul a été crucifié pour vous, ou avez-vous été baptisés au nom de Paul ? Le baptême ne vaudrait rien, si l’on entendait baptiser au nom de la bienheureuse Vierge, comme au nom de la Trinité par lequel le baptême est consacré ; car ce sens serait contraire à la vraie foi et par conséquent il détruirait la vérité du sacrement. Mais si en ajoutant : Et au nom de la bienheureuse Vierge, on le faisait non pour que ce nom opérât quelque chose dans le baptême, mais pour que son intercession fût utile à celui qui est baptisé, et pour qu’il conservât la grâce baptismale, la perfection du sacrement ne serait pas détruite.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

JesusMarie.com