Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
63 : Du caractère qui est un autre effet des sacrements
Apres avoir parlé de la grâce qui est l’effet principal des
sacrements, nous devons nous occuper du caractère. — A cet égard six questions
se présentent : 1° Les sacrements produisent-ils dans l’âme un caractère ? (Il
est de foi qu’il y a des sacrements qui impriment un caractère. Le concile de
Trente s’exprime ainsi à ce sujet (sess. 7, can. 9) : Si quis dixerit in sacramentis quibusdam non imprimi caracterem in animâ, hoc est, signum quoddam spirituale et indelebile, anathema sit.) — 2° Qu’est-ce
que ce caractère ? (Quand il s’agit de déterminer la nature du caractère, les
théologiens sont très partagés entre eux.) — 3° A qui appartient-il ? — 4° En
quoi existe-t-il comme dans son sujet ? (D’après saint Thomas, le caractère
réside dans la même puissance que la foi, c’est-à-dire dans l’intellect
pratique. Ainsi, quand on dit que les sacrements impriment leur caractère dans
l’âme, on doit entendre par là qu’ils le font médiatement.) — 5° Existe-t-il
dans l’âme d’une manière indélébile ? (Le concile de Florence et le concile de
Trente ont décidé que le caractère est indélébile : Si quis dixerit…
non imprimi caracterem in animâ, hoc est, signum quoddam spirituale et indelebile, undà ea iterari non possunt ; anathema sit. Aussi l’indélébilité de caractère est une chose de
foi.) — 6° Tous les sacrements impriment-ils caractère ? (Le concile de
Florence a ainsi décidé cette question : Inter
hæc sacramenta tria iunt : Baptismus. Confirmatio et Ordo, quæ caracterem, id est, spirituale quoddam signum imprimunt indelebile in animâ ; unde in eâdem personâ non reiterantur. Reliqua verò caracterem non imprimunt et reiterationem admittunt.)
Article 1 : Un
sacrement imprime-t-il un caractère dans l’âme ?
Objection N°1. Il semble qu’un sacrement n’imprime pas un
caractère dans l’âme. Car le caractère paraît désigner un signe distinctif. Or,
ce qui distingue les membres du Christ des autres est produit par la
prédestination éternelle, qui ne pose rien dans celui qui est prédestiné, mais
seulement en Dieu, qui le prédestine, comme nous l’avons vu (1a pars,
quest. 23, art. 2). Car saint Paul dit (2 Tim., 2, 19)
: Le solide fondement que Dieu a posé
demeure ferme, ayant pour sceau cette parole : Le Seigneur connaît ceux qui
sont à lui. Les sacrements n’impriment donc pas un caractère dans l’âme.
Réponse à
l’objection N°1 : Les fidèles du Christ sont destinés à la récompense de la
gloire future par le sceau de la prédestination divine ; mais ils sont destinés
aux actes qui conviennent à l’Eglise actuelle par un sceau spirituel dont ils
sont marqués et qu’on nomme caractère.
Objection
N°2. Un caractère est un signe distinctif. Or, le signe, d’après
saint Augustin (De doct. christ., liv. 2), est ce qui, indépendamment de l’image qu’il
présente aux sens, fait arriver une autre chose à notre connaissance. Or, il
n’y a rien dans l’âme qui présente aux sens une espèce quelconque. Il semble
donc que les sacrements n’impriment en elle aucun caractère.
Réponse à l’objection N°2 : Le caractère imprimé à l’âme a la nature
du signe, en tant qu’il est imprimé par un sacrement sensible. Car on sait que
quelqu’un est revêtu du caractère du baptême par là même qu’il a été lavé dans
l’eau d’une manière sensible. Néanmoins on peut donner par analogie le nom de
caractère ou de sceau à tout ce qui imprime une ressemblance ou à tout ce qui
distingue d’un autre ; quand même cette chose ne serait pas sensible. C’est
ainsi que le Christ est appelé la figure
ou le caractère de la substance du Père,
d’après l’Apôtre (Héb., chap. 1).
Objection N°3. Comme les sacrements de la loi nouvelle servent à
distinguer le fidèle de l’infidèle, de même aussi les sacrements de l’ancienne
loi. Or, les sacrements de l’ancienne loi n’imprimaient pas le caractère dans
l’âme ; c’est pourquoi saint Paul dit qu’ils appartenaient à la justice charnelle (Héb., chap. 9). Il semble donc que les sacrements de la loi
nouvelle n’en impriment pas non plus.
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (2 Cor., 1, 20) : C’est Dieu qui nous a oints, qui nous a marqués de son sceau, et qui
pour gage nous a donné l’Esprit-Saint dans nos cœurs. Or, le caractère n’implique
rien autre chose qu’une marque. Il semble donc que Dieu par ses sacrements nous
imprime son caractère.
Conclusion
Puisque les fidèles du Christ sont consacrés par les sacrements à quelque chose
de divin qui se rapporte au culte de Dieu, il faut qu’ils soient ornés par eux
d’un caractère spirituel.
Il faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(quest. préc.,
art. 1 et 5), les sacrements de la loi nouvelle sont établis pour deux choses :
pour remédier aux péchés et pour perfectionner l’âme en ce qui appartient ad
culte de Dieu, selon le rite de la vie chrétienne. Or, tout ce qui est destiné
à une fonction positive est ordinairement revêtu d’un insigne à cet égard.
Ainsi les soldats qui étaient autrefois enrôlés dans la milice, avaient coutume
d’être revêtus de certains caractères corporels, parce qu’on les destinait à
quelque chose de corporel. C’est pourquoi les hommes étant destinés par les
sacrements à quelque chose de spirituel qui appartient au culte de Dieu, il
s’ensuit qu’ils doivent revêtir les fidèles d’un caractère spirituel. D’où
saint Augustin dit (Cont. Parm., liv. 2, chap. 13) : Si un soldat, refusant de
combattre par crainte, vient à déshonorer le caractère de la milice qu’il
portait sur son corps, et qu’ensuite il implore la clémence de l’empereur,
qu’il obtienne par ses prières sa grâce et qu’il se mette à combattre, est-il
nécessaire, quand cet homme est libéré de sa peine et qu’il est corrigé, de
renouveler ce caractère ; et ne doit-on pas plutôt l’approuver après l’avoir
reconnu ? Les sacrements du Christ seraient-ils donc moins permanents que cette
marque corporelle ?
Réponse à
l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. préc. ad 6), les sacrements de l’ancienne loi n’avaient
pas en eux la vertu spirituelle d’opérer un effet spirituel quelconque. C’est
pour ce motif que dans ces sacrements il n’était pas nécessaire qu’il y eût un
caractère spirituel, mais il suffisait d’une circoncision corporelle, que
l’Apôtre appelle un sceau (Rom., chap. 4).
Article 2 : Le
caractère est-il une puissance spirituelle ?
Objection N°1. Il semble que le caractère ne soit pas une
puissance spirituelle. Car le caractère paraît être la même chose que la
figure. Ainsi dans ce passage de saint Paul (Héb., 1, 3) : La figure de sa
substance, le mot figure est
remplacé en grec par le mot character. Or, la
figure appartient à la quatrième espèce de qualité ; et par conséquent elle
diffère de la puissance qui appartient à la seconde. Le caractère n’est donc
pas une puissance spirituelle.
Réponse à l’objection N°1 : La figure est la délimitation
d’une quantité : par conséquent elle n’existe à proprement parler que dans les
choses corporelles, mais on emploie ce mot métaphoriquement quand il s’agit des
choses spirituelles. Comme une chose n’appartient à un genre ou à une espèce
que par ce qu’on dit d’elle dans son sens propre, il s’ensuit que le caractère
ne peut être rangé dans la quatrième espèce de qualité (D’après les Catégories
d’Aristote, la quatrième espèce de qualité comprend la forme et la figure.),
quoique quelques-uns l’aient fait.
Objection N°2. Saint Denis dit (De
eccles. hier., chap. 2) que la béatitude divine admet à la participation
de sa nature celui qui s’approche du baptême, et qu’elle lui transmet cette
participation d’elle-même par sa propre lumière, comme par un signe ; par
conséquent il semble que le caractère soit une lumière. Or, la lumière paraît
appartenir à la troisième espèce de qualité. Par conséquent le caractère n’est
pas une puissance, puisque la puissance appartient à la seconde espèce.
Réponse à l’objection N°2 : Dans la troisième espèce de qualité il n’y a que les
passions sensibles ou les qualités sensibles (La troisième espèce de qualité
est celle que les logiciens désignent sous les noms de passio et de patibilis.). Le caractère n’étant
pas une lumière sensible, il en résulte qu’il n’appartient pas à la troisième
espèce de qualité, comme quelques-uns l’ont dit.
Réponse à l’objection N°3 : La relation qu’implique le mot de signe doit être fondée
sur quelque chose. Mais la relation d’un signe tel que le caractère ne peut
avoir pour fondement immédiat l’essence de l’âme, parce qu’alors il
conviendrait à toute âme naturellement. C’est pourquoi il faut qu’il y ait dans
l’âme autre chose qui serve de fondement à cette relation ; et c’est ce qui constitue
l’essence du caractère. Par conséquent il ne faut pas que le caractère soit du
genre de la relation (Durand veut que le caractère ne soit qu’une relation de
raison ; ce qui revient au même que d’en nier la réalité, comme le font le hérétiques. Scot parait en avoir fait une relation
réelle.), comme quelques-uns l’ont prétendu.
Objection N°4. La puissance a la nature de la cause et du principe,
comme on le voit (Met., liv. 5, text. 17). Or, le signe que l’on
fait entrer dans la définition du caractère appartient plutôt à la nature de
l’effet. Le caractère n’est donc pas une puissance spirituelle.
Réponse à l’objection N°4 : Le caractère a la nature d’un signe par
rapport au sacrement sensible qui l’imprime ; mais considéré en lui-même il a
la nature d’un principe, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 2, chap. 5) qu’il y a dans l’âme trois choses : la
puissance, l’habitude et la passion. Or, le caractère n’est pas une passion,
parce que la passion passe rapidement, tandis que le caractère est indélébile,
comme nous le dirons (art. 5). Il n’est pas non plus une habitude (Bellarmin,
Suarez, Vasquez et d’autres théologiens croient que le caractère est une
habitude.), parce qu’il n’y a pas d’habitude qui puisse être employée au bien
et au mal, tandis que le caractère se rapporte à l’un et à l’autre ; car les
uns en font un bon usage et les autres un mauvais ; ce qui n’a pas lieu pour
les habitudes, puisqu’on ne peut faire mauvais usage d’une habitude vertueuse,
ni un bon usage d’une habitude vicieuse. Il faut donc qu’il soit une puissance.
Conclusion Puisque les hommes sont revêtus d’un caractère
par les sacrements pour faire les choses qui appartiennent au culte de Dieu, il
est nécessaire qu’il soit une puissance spirituelle conférée à l’âme qui
revient au genre de la qualité et à sa seconde espèce.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), les sacrements de la loi nouvelle impriment un
caractère, en ce sens que c’est par eux que les hommes sont consacrés et
destinés au culte de Dieu, selon le rite de la religion chrétienne. C’est
pourquoi saint Denis, après avoir dit (De
cœlest. hierarch., chap.
2) que Dieu transmet dans un signe à celui qui s’approche du baptême une participation
de sa nature, ajoute : en le rendant divin et en le faisant communiquer aux
choses divines. Or, le culte divin consiste : soit à recevoir les choses
divines, soit à les transmettre aux autres. Dans ces deux cas il faut une
certaine puissance. Car pour transmettre aux autres
une chose il faut une puissance active, et pour la recevoir il faut une
puissance passive. C’est pourquoi le caractère implique une puissance
spirituelle qui se rapporte à ce qui appartient au culte divin. Toutefois il
est à remarquer que cette puissance spirituelle est instrumentale, comme nous
l’avons dit plus haut (quest. préc., art. 4) au sujet de la vertu qui existe dans les
sacrements. Car il appartient aux ministres de Dieu d’être ennoblis du
caractère sacramentel ; et le ministre agit à la manière d’un instrument, comme
le dit Aristote (Pol., liv. 1, chap.
3). C’est pour cela que, comme la vertu qui existe dans les sacrements
n’appartient pas au genre par elle-même, mais par réduction, parce qu’elle est
quelque chose de passager et d’incomplet ; de même le caractère n’appartient
proprement à aucun genre, ni à aucune espèce, mais il se ramène à la seconde
espèce de qualité (Saint Thomas et les thomistes le ramènent à la seconde
espèce de qualité, c’est-à-dire à la puissance.).
Article 3 : Le
caractère sacramentel est-il le caractère du Christ ?
Objection N°1. Il semble que le caractère sacramentel ne
soit pas le caractère du Christ. Car saint Paul dit (Eph., 4, 30)
: Ne contristez pas l’Esprit-Saint par
lequel vous avez été marqués. Or, le caractère implique cette marque. On
doit donc attribuer le caractère sacramentel à l’Esprit-Saint plutôt qu’au
Christ.
Réponse à
l’objection N°1 : L’Apôtre parle là du sceau d’après lequel le
chrétien est destiné à la gloire future ; ce sceau est produit par la grâce et
il est attribué à l’Esprit-Saint, en ce sens que ce que Dieu nous accorde
gratuitement et qui appartient à la nature de la grâce provient de l’amour. Or,
l’Esprit-Saint est amour, et c’est pour cela qu’il est dit (1 Cor., 12, 4) : Les grâces sont divisées, mais l’Esprit-Saint est le même.
Objection
N°2. Le caractère a la nature d’un signe. Or, il est le signe de la
grâce que le sacrement confère, et la grâce est répandue dans l’âme par la
Trinité entière. D’où il est dit (Ps. 83, 12) : Le Seigneur donnera la grâce et la gloire. Il semble donc que le
caractère sacramentel ne doive pas être spécialement attribué au Christ.
Réponse à
l’objection N°2 : Le caractère est une chose sacramentelle par rapport au
sacrement extérieur et il est un sacrement par rapport au dernier effet. C’est
pourquoi on peut attribuer quelque chose au caractère de deux manières : 1°
comme sacrement, et de cette manière il est le signe de la grâce invisible qui
est conférée dans le sacrement ; 2° selon sa propre nature comme caractère. De
la sorte il est le signe de la ressemblance de l’agent principal dans lequel
réside toute autorité sur la chose à laquelle on est destiné. Ainsi les soldats
qui sont faits pour le combat, sont marqués du signe de leur chef et par là sa
ressemblance est en quelque sorte imprimée sur eux. De cette manière ceux qui
sont admis dans la religion dont le Christ est l’auteur, reçoivent le caractère
qui leur imprime sa ressemblance, et par conséquent ce caractère appartient en
propre au Christ (C’est au Christ à marquer les autres de ce caractère, mais il
n’en est pas marqué lui-même, parce qu’il a la plénitude de la puissance, et
qu’on ne marque d’un sceau quelconque que les serviteurs, les soldats et les
ministres d’une autre personne, tandis que le Christ est te roi, le chef et le
seigneur de toutes choses.).
Objection
N°3. On reçoit le caractère pour être par là distingué des autres. Or, les
saints sont distingués des autres hommes par la charité qui seule établit une
différence entre les enfants du royaume et les enfants de perdition, comme le
dit saint Augustin (De Trin., liv. 15,
chap. 18). C’est pourquoi il est dit que les enfants de perdition ont le
caractère de la bête (Apoc.,
chap. 13).
Comme on n’attribue pas la charité au Christ, mais plutôt à l’Esprit-Saint,
d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 5, 5) : La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui
nous a été donné, ou même au Père, suivant ces autres paroles du même
apôtre (2 Cor., 13, 13) : La grâce de
Notre-Seigneur Jésus-Christ et la charité de Dieu ; il s’ensuit qu’il
semble qu’on ne doive pas attribuer au Christ le caractère sacramentel.
Réponse
à l’objection N°3 : Le
caractère distingue un individu d’un autre par rapport à la fin à laquelle
celui qui l’a reçu est destiné. C’est ainsi que, comme nous l’avons dit (art.
1), le caractère militaire sert à distinguer par rapport au combat le soldat du
roi de celui de l’ennemi. De même le caractère des fidèles sert à distinguer
les fidèles du Christ des serviteurs du démon, soit par rapport à la vie
éternelle, soit par rapport au culte de l’Eglise présente. La première de ces
deux choses est produite par la charité et la grâce, comme l’objection le
suppose ; mais la seconde est l’effet du caractère sacramentel. Par conséquent
par le caractère de la bête on peut entendre, par opposition, soit la malice
obstinée par laquelle il y en a qui sont voués à la peine éternelle, soit la
profession d’un culte illicite.
Mais c’est le contraire. On définit le caractère : Une distinction
imprimée par le sceau éternel à l’âme raisonnable, selon l’image de Dieu,
marquant la Trinité créée du cachet de la Trinité qui crée et qui régénère, et
la distinguant de ceux qui ne lui ont pas été ainsi configurés selon l’état de
la foi. Or, le sceau éternel est le Christ lui-même, puisque, d’après saint
Paul (Héb., 1, 3)
: Il est la splendeur de la gloire, et la
figure ou le caractère de sa
substance. Il semble qu’on doive proprement attribuer le caractère au
Christ.
Conclusion
Le caractère que les sacrements impriment pour faire ce qui appartient au culte
divin, est le caractère du Christ par lequel les fidèles lui ressemblent.
Il faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(art. 1), le caractère proprement dit est un sceau dont une chose est marquée
selon qu’elle se rapporte à une fin. Ainsi la monnaie est marquée d’un
caractère pour servir aux échanges ; le soldat est aussi marqué de la même
manière, comme étant enrôlé pour la milice. Or, le fidèle est destiné à deux
choses. Il est destiné premièrement et principalement à la jouissance de la
gloire et il est pour cela revêtu du sceau de la grâce, suivant ces paroles (Ez., 9, 4)
: Marquez un Tau sur le front des hommes
qui gémissent et qui sont dans la douleur. (Apoc.,7, 3) : Ne faites point de mal ni à la terre, ni à
la mer, ni aux arbres, jusqu’à ce que nous ayons marqué au front les serviteurs
de notre Dieu. En second lieu chaque fidèle est destiné à recevoir ou à
transmettre à d’autres ce qui appartient au culte de Dieu : et c’est à cela
proprement qu’est destiné le caractère sacramentel. Et comme tout le rite de la
religion chrétienne découle du sacerdoce du Christ, il s’ensuit qu’il est
évident que le caractère sacramentel est spécialement le caractère du Christ,
au sacerdoce duquel les fidèles sont rendus conformes par les caractères
sacramentels qui ne sont rien autre chose que des participations du sacerdoce
du Christ qui découlent du Christ lui-même.
Article 4 : Le caractère
ex1ste-t-il dans les puissances de l’âme comme dans son
sujet ?
Objection N°1. Il semble que le caractère n’existe pas
dans les puissances de l’âme comme dans son sujet. Car on dit que le caractère
est une disposition à la grâce. Or, la grâce existe dans l’essence de l’âme
comme dans son sujet, ainsi que nous l’avons vu (1a 2æ,
quest. 130, art. 4). Il semble donc que le caractère soit dans l’essence de
l’âme, mais non dans ses puissances.
Réponse à l’objection N°1 : Le sujet est
attribué à l’accident en raison de l’objet auquel celui-ci dispose d’une
manière prochaine, mais non en raison de l’objet auquel celui-ci dispose d’une
manière éloignée ou indirecte. Or, le caractère dispose l’âme d’une manière
directe et prochaine à faire ce qui appartient au culte divin. Et parce que ces
choses ne se font pas convenablement sans le secours de la grâce, puisqu’il est
dit (Jean, 4, 24) que ceux
qui adorent Dieu doivent le faire en esprit et en vérité, il en résulte que
la bonté divine donne la grâce à ceux qui reçoivent ces caractères, afin que
par elle ils accomplissent dignement les choses auxquelles ils sont destinés.
C’est pourquoi on doit plutôt attribuer au caractère son sujet d’après la
nature des actes qui appartiennent au culte divin que d’après la nature de la
grâce.
Réponse à l’objection N°2 : L’essence de l’âme est le
sujet des puissances naturelles qui découlent des principes de son essence. Le
caractère n’est pas une puissance semblable, mais il est une puissance
spirituelle qui lui vient ab extrinseco. Par conséquent, comme l’essence de l’âme
par laquelle l’homme vit naturellement est perfectionnée par la grâce par
laquelle l’âme vit spirituellement ; de même la puissance naturelle de l’âme
est perfectionnée par la puissance spirituelle qui est le caractère. Car
l’habitude et la disposition appartiennent à la puissance de l’âme, parce
qu’elles se rapportent aux actes dont les puissances sont les principes. Et
pour la même raison tout ce qui se rapporte à l’acte doit être attribué à la
puissance.
Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (dans le corps de
l’article.), le caractère se rapporte à ce qui appartient au culte divin ;
c’est une profession de foi au moyen de signes extérieurs. C’est pourquoi il
faut que le caractère réside dans la puissance cognitive de l’âme, dans
laquelle la foi existe.
Mais
c’est le contraire. D’après la définition que nous avons donnée précédemment du
caractère (art.préc.), il est imprimé à l’âme raisonnable selon
l’image de la Trinité. Or, cette image se considère dans l’âme par rapport à
ses puissances. Le caractère existe donc dans les puissances de l’âme.
Conclusion Puisque les fidèles sont revêtus d’un
caractère pour recevoir ou transmettre aux autres ce qui appartient au culte
divin qui consiste dans des actes, il est nécessaire que ce caractère existe,
non dans l’essence, mais dans les puissances da l’âme.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), le caractère est un
sceau dont l’âme est marquée pour recevoir ou pour transmettre aux autres ce
qui appartient au culte divin. Or, le culte divin consiste dans certains actes.
Comme c’est aux actes que se rapportent proprement les puissances de l’âme, de
la même manière que l’essence se rapporte à l’être ; il s’ensuit que le caractère
n’existe pas dans l’essence de l’âme comme dans son sujet, mais dans une
puissance.
Article 5 : Le
caractère existe-t-il dans l’âme d’une manière indélébile ?
Objection N°1. Il semble que le caractère n’existe pas
dans l’âme d’une manière indélébile. Car plus un accident est parfait et plus
il est fortement inhérent. Or, la grâce est plus parfaite que le caractère,
parce que le caractère se rapporte à la grâce, comme à sa fin ultérieure. Par
conséquent la grâce se perdant par le péché, à plus forte raison le caractère.
Réponse à l’objection N°1 : La grâce et le caractère ne
sont pas dans l’âme de la même manière. Car la grâce y est comme une forme qui
a l’être complet en elle ; au lieu que le caractère y est comme une vertu
instrumentale, ainsi que nous l’avons dit (art. 2). Or, une forme complète
existe dans son sujet selon la condition de ce sujet lui- même. Et parce que
l’âme est changeante selon le libre arbitre, tant qu’elle existe ici-bas, il
s’ensuit que la grâce existe dans l’âme d’une manière qui est muable aussi.
Mais la vertu instrumentale se considère plutôt d’après la condition de l’agent
principal. C’est pour cela que le caractère s’attache à l’âme d’une manière
indélébile, non en raison de sa perfection propre, mais à cause de la
perfection du sacerdoce du Christ, d’où il découle comme une vertu
instrumentale.
Objection N°2. Le caractère fait que l’on est voué au culte divin, comme
nous l’avons dit (art. 1 et 2 et art. préc.). Or, il y en a qui
passent du culte divin à un culte contraire en apostasiant la foi. Il semble
donc que ceux-là perdent le caractère sacramentel.
Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (Lib. 1 de bapt. cont. Donat.), les
apostats eux-mêmes ne nous paraissent pas dépouillés de leur baptême, puisque
s’ils reviennent de leur erreur par la pénitence on ne les baptise pas de
nouveau, ce qui prouve qu’on pense que ce caractère est inamissible. La raison
en est que le caractère est une vertu instrumentale, comme nous l’avons dit (Réponse
N°1). Or, la nature d’un instrument consiste en ce qu’il est mû par un autre et
non en ce qu’il se meut lui-même ; ce qui appartient à la volonté. C’est pour
cela que quels que soient les écarts de la volonté, le caractère n’est pas
détruit, à cause de l’immutabilité du moteur principal.
Objection N°3. Quand la fin cesse, le moyen doit cesser
aussi ; autrement il subsisterait en vain. C’est ainsi qu’après la résurrection
on ne se mariera plus, parce que la génération qui est la fin du mariage
cessera. Or, le culte extérieur auquel le caractère se rapporte ne subsistera
plus dans le ciel, où l’on ne fera plus
rien en figure, mais où tout se présentera dans sa vérité simple et nue. Le
caractère sacramentel ne subsistera donc pas perpétuellement dans l’âme, et par
conséquent il n’est pas en elle d’une manière indélébile.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique
après cette vie il n’y ait plus de culte extérieur, cependant la fin de ce
culte existe. C’est pourquoi après cette vie, le caractère subsistera dans les
bons pour leur gloire, et dans les méchants pour leur ignominie ; comme le
caractère militaire subsiste encore dans les soldats après la décision de la
bataille. Il est une gloire pour ceux qui sont victorieux et une peine pour
ceux qui sont, vaincus.
Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Cont. Panormit., liv. 2, chap.
13) : Les sacrements des chrétiens n’ont pas moins de durée que l’insigne
corporel du soldat. Or, le caractère du soldat n’est pas imprimé de nouveau,
mais il est reconnu avec honneur dans celui qui a obtenu de l’empereur son
pardon, après avoir fait une faute. Le caractère sacramentel ne peut donc être
effacé.
Conclusion Puisque le caractère est dans les fidèles une
participation sacramentelle du sacerdoce du Christ, il est nécessaire qu’il
existe dans l’âme d’une manière indélébile.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 3), le caractère sacramentel
est une participation du sacerdoce du Christ dans les fidèles, de telle sorte
que, comme le Christ a la pleine puissance du sacerdoce spirituel ; de même les
fidèles lui ressemblent en ce qu’ils participent à sa puissance spirituelle par
rapport aux sacrements et aux choses qui appartiennent au culte divin. C’est pour
cela qu’il ne convient pas au Christ d’avoir un caractère ; mais la puissance
de son sacerdoce est au caractère, ce qu’une chose pleine et parfaite est à ce
qui en est la participation. Or, le sacerdoce du Christ est éternel, d’après
ces paroles (Ps. 109, 1) : Vous êtes prêtre éternellement selon l’ordre de Melchisédech. D’où
il résulte que toute sanctification qui est produite par son sacerdoce est
perpétuelle, c’est-à-dire qu’elle subsiste tant que la chose consacrée subsiste
elle-même. Ce qui est évident pour les choses inanimées : car la consécration
d’une église ou d’un autel subsiste toujours, à moins que l’objet consacré ne
soit détruit. Par conséquent, puisque l’âme est le sujet du caractère selon la
partie intellectuelle dans laquelle la foi réside, comme nous l’avons dit (art.
préc.,
Réponse N°3), il est évident que l’intellect étant perpétuel et incorruptible,
le caractère subsiste de même dans l’âme d’une manière indélébile.
Article 6 : Tous
les sacrements de la loi nouvelle impriment-ils caractère ?
Objection N°1. Il semble que tous les sacrements de la
loi nouvelle impriment caractère. Car ils rendent tous quelqu’un participant du
sacerdoce du Christ. Or, le caractère sacramentel n’est rien autre chose que la
participation de ce sacerdoce, comme nous l’avons dit (art. préc.).
Il semble donc que tous les sacrements de la loi nouvelle impriment caractère.
Réponse à l’objection N°1 : Tous les sacrements rendent
l’homme participant du sacerdoce du Christ, en lui faisant percevoir un de ses
effets ; mais tous les sacrements ne le rendent pas apte à faire ou à recevoir
quelque chose qui appartienne au culte du sacerdoce du Christ ; ce qui est
nécessaire pour qu’un sacrement imprime caractère.
Objection N°2. Le caractère est à l’âme dans laquelle il se trouve ce
que la consécration est aux choses consacrées. Or, l’homme reçoit la grâce
sanctifiante par tous les sacrements de la loi nouvelle, comme nous l’avons dit
(quest. préc., art. 1). Il semble donc que tous ces sacrements impriment
caractère.
Réponse à l’objection N°2 : L’homme est sanctifié par tous les sacrements, selon que
la sainteté implique la purification du péché qui est produite par la grâce ;
mais il y a des sacrements qui impriment caractère et qui sanctifient
spécialement l’homme par une certaine consécration, selon qu’il est destiné au
culte divin ; comme on dit que les choses inanimées sont aussi sanctifiées,
selon qu’elles sont consacrées à ce même culte.
Objection N°3. Le caractère est une chose et un
sacrement. Or, dans tous les sacrements de la loi nouvelle il y a quelque chose
qui n’est que la chose, quelque chose qui n’est que le sacrement, et quelque
chose qui est la chose et le sacrement. Donc tout sacrement de la loi nouvelle
imprime caractère.
Réponse à l’objection N°3 : Quoique le caractère soit la chose et le
sacrement, cependant il n’est pas nécessaire que tout ce qui est chose et
sacrement soit un caractère. Nous dirons d’ailleurs à l’occasion des autres
sacrements ce qu’est la chose et le sacrement (Voyez cette distinction de la
chose et du sacrement (quest. 66, art. 1), à l’occasion du baptême.).
Mais
c’est le contraire. Les sacrements qui impriment caractère ne se confèrent
qu’une fois, parce que le caractère est indélébile, comme nous l’avons dit
(art. préc.). Or, il y a des sacrements qui se confèrent plusieurs
fois, comme on le voit pour la pénitence et le mariage. Tous les sacrements
n’impriment donc pas caractère.
Conclusion Puisque l’homme n’est disposé que par le
baptême, la confirmation et l’ordre à recevoir ou à transmettre ce qui
appartient au culte divin ; il n’y a que ces trois sacrements de la loi nouvelle
qui impriment caractère.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 1 et 5), les
sacrements de la loi nouvelle sont établis pour deux fins : pour remédier au
péché et pour rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Tous ces sacrements ont
ceci de commun, c’est qu’ils offrent tous un remède contre le péché, par là
même qu’ils confèrent la grâce. Mais ils ne se rapportent pas tous directement
au culte divin, comme on le voit à l’égard de la pénitence qui délivre l’homme
du péché sans lui conférer quelque chose de nouveau qui appartienne au culte de
Dieu, mais qui le rétablit seulement dans son ancien état. Or, un sacrement
appartient au culte divin de trois manières : par le mode de l’action, par le
mode de celui qui agit et par le mode de celui qui reçoit. Par le mode de
l’action, l’eucharistie appartient au culte divin, qui consiste principalement
en elle, selon qu’elle est le sacrifice de l’Eglise. Ce sacrement n’imprime
cependant pas à l’homme de caractère, parce qu’il ne le rend pas apte à faire
ou à recevoir quelque autre chose ultérieurement en matière de sacrements,
puisqu’il est plutôt la fin et la consommation de tous les autres sacrements,
d’après saint Denis (De cœl. hier., chap. 3) ; mais il contient en lui le Christ, dans lequel
réside, non le caractère, mais la plénitude entière du sacerdoce. — Le
sacrement de l’ordre appartient à ceux qui agissent dans les sacrements, parce
qu’il consacre les hommes pour qu’ils transmettent aux autres les sacrements.
Le sacrement de baptême appartient à ceux qui reçoivent, parce qu’il donne à
l’homme le pouvoir de recevoir les autres sacrements de l’Eglise. C’est pour
cela qu’on dit que le baptême est la porte de tous les sacrements. La
confirmation se rapporte d’une certaine manière au même but, comme nous le
dirons en son lieu (quest. 72, art. 5). C’est pourquoi ces trois sacrements, le
baptême, la confirmation et l’ordre, impriment caractère.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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