Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 65 : Du nombre des sacrements

 

            Il nous reste enfin à considérer le nombre des sacrements, et à cet égard il y a quatre questions à examiner : 1° Y a-t-il sept sacrements ? (Il est de foi qu’il y a sept sacrements, contre les luthériens et les calvinistes, qui n’en reconnaissent que deux ou trois. C’est ce que le conciti de Trente a ainsi délini (sess. 12, can. 1) : Si quis dixerit sacramenta novæ legisaut esse plura vel pauciora quam septem, videlicet : Baptismum, Confirmationem, Eucharistiam, Pœnitentiam, Extremam-Unctionem, Ordinem et Matrimonium, aut etiam aliquod horum septem non esse verò et propriè sacramentum, anathema sit.) — 2° De leur ordre respectif. — 3° De leur comparaison. (Cet article est une réfutation de l’erreur de ceux qui considèrent tous les sacrements comme égaux ; ce que le concile de Trente a condamné en ces termes (sess. 7, can. 5) : Si quis dixerit hæc septem sacramenta ità esse inter se paria, ut nullâ ratione aliud sit alio dignius, anathema sit.) — 4° Sont-ils tous nécessaires au salut ?

 

Article 1 : Doit-il y avoir sept sacrements dans lEglise ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il ne doive pas y avoir sept sacrements. Car les sacrements tirent leur efficacité de la vertu divine, et de la vertu de la passion du Christ. Or, la vertu divine est une et la passion du Christ aussi ; puisque par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés, selon l’expression de saint Paul (Héb., 10, 14). Il n’a donc dû y avoir qu’un seul sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : Le même agent principal se sert d’instruments différents pour des effets divers, selon la convenance des œuvres. C’est ainsi que la vertu divine et la passion du Christ opèrent en nous par des sacrements différents, comme par des instruments divers.

 

            Objection N°2. Le sacrement a pour but de remédier au défaut du péché. Or, il y a dans le péché deux défauts : la peine et la faute. Il suffirait donc qu’il y eût deux sacrements.

            Réponse à l’objection N°2 : La faute et la peine différent entre elles, selon l’espèce, en ce sens qu’il y a différentes espèces de fautes et de peines, et selon les divers états des hommes et leurs différentes habitudes. C’est pour cela qu’il a fallu qu’il y eût plusieurs sacrements, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (dans le corps de l’article.).

 

            Objection N°3. Les sacrements appartiennent aux actions de la hiérarchie ecclésiastique, comme le prouve saint Denis (De eccles. hier., chap. 2 et 5). Or, d’après ce même Père, il y a trois actions qui sont propres à la hiérarchie : la purgation, l’illumination et la perfection. Il ne doit donc y avoir que trois sacrements.

            Réponse à l’objection N°3 : Dans les actions hiérarchiques on considère ceux qui agissent, ceux qui reçoivent et les actions. Ceux qui agissent sont les ministres de l’Eglise, auxquels le sacrement de l’ordre appartient ; ceux qui reçoivent sont ceux qui s’approchent des sacrements et que le mariage produit ; les actions sont la purgation, l’illumination et la perfection. La purgation seule ne peut pas être un sacrement de la loi nouvelle qui confère la grâce, mais elle appartient à certains sacramentaux, tels que le catéchisme et l’exorcisme. La purgation et l’illumination, prises ensemble, d’après saint Denis (De eccles. hier., chap. 3), appartiennent au baptême, et à cause de la rechute elles appartiennent secondairement à la pénitence et à l’extrême-onction. La perfection, quant à la vertu qui est en quelque sorte la perfection formelle, appartient à la confirmation ; mais quant à l’obtention de la fin, elle appartient à l’eucharistie.

 

            Objection N°4. Saint Augustin dit (Cont. Faust., liv. 19, chap. 13) que les sacrements de la loi nouvelle sont moins nombreux que ceux de la loi ancienne. Or, sous la loi ancienne, il n’y avait pas de sacrement qui répondit à la confirmation et à l’extrême-onction. On ne doit donc pas non plus compter ces sacrements parmi ceux de la loi nouvelle.

            Réponse à l’objection N°4 : Dans le sacrement de confirmation la plénitude de l’Esprit-Saint est donnée pour fortifier ; et dans l’extrême-onction, l’homme est préparé à recevoir immédiatement la gloire. Aucune de ces deux choses ne convient à l’Ancien Testament. C’est pourquoi il n’y a rien eu sous la loi qui pût répondre à ces sacrements. Cependant les sacrements, sous l’ancienne loi, furent plus nombreux à cause de la diversité des sacrifices et des cérémonies.

 

            Objection N°5. La luxure n’est pas le plus grave de tous les péchés, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (2a 2æ, quest. 154, art. 3). Or, on n’établit pas de sacrement contre les autres péchés. On n’eût donc pas dû établir le sacrement de mariage contre la luxure.

            Réponse à l’objection N°5 : Il a fallu spécialement remédier, par un sacrement, à la concupiscence charnelle ; d’abord parce que cette concupiscence corrompt non seulement la personne, mais encore la nature ; ensuite à cause de sa violence qui absorbe la raison.

 

            Objection N°6. Mais c’est le contraire. Il semble qu’il y ait plus de sept sacrements. Car on appelle sacrements des signes sacrés. Or, il se fait dans l’Eglise beaucoup d’autres sanctifications par des signes sensibles, comme l’eau bénite, la consécration d’un autel et d’autres choses semblables. Il y a donc plus de sept sacrements.

            Réponse à l’objection N°6 : L’eau bénite et les autres consécrations ne sont pas appelées des sacrements, parce qu’elles ne conduisent pas à l’effet du sacrement, qui est l’obtention de la grâce ; mais elles disposent aux sacrements, soit en écartant ce qui empêche de les recevoir, comme l’eau bénite, qui est un préservatif contre les embûches des démons et contre les péchés véniels ; soit en produisant une certaine aptitude pour que le sacrement existe et qu’on le reçoive, comme on consacre un autel et des vases par respect pour l’eucharistie.

 

            Objection N°7. Hugues de Saint-Victor dit (liv. 1 De sacram., part, 12, chap. 10) que les sacrements de l’ancienne loi ont été des oblations, des dîmes et des sacrifices. Or, le sacrifice de l’Eglise est un sacrement qui est appelé Eucharistie. On doit donc dire aussi que les oblations et les dîmes sont des sacrements.

            Réponse à l’objection N°7 : Les oblations et les dîmes avaient été établies sous la loi de nature aussi bien que sous la loi de Moïse, non seulement pour venir en aide aux ministres et aux pauvres, mais encore d’une manière figurative. C’est pour cela qu’elles étaient des sacrements. Mais maintenant qu’elles ne subsistent plus comme choses figuratives, elles ne sont plus des sacrements.

 

            Objection N°8. Il y a trois genres de péchés : le péché originel, le péché mortel, le péché véniel. Or, le baptême a pour but d’effacer le péché originel et la pénitence le péché mortel. Indépendamment des sept sacrements, il devrait donc y en avoir un autre qui eût pour but d’effacer le péché véniel.

            Réponse à l’objection N°8 : L’infusion de la grâce n’est pas nécessaire pour effacer le péché véniel. Par conséquent puisque dans tout sacrement de la loi nouvelle la grâce nous est infuse, il n’y a pas de sacrement qui soit directement institué contre le péché véniel qui est effacé par les sacramentaux ; comme l’eau bénite et les autres sacramentaux semblables. Cependant il y en a qui disent que l’extrême-onction a été établie contre le péché véniel. Mais nous en parlerons en son lieu (Suppl., quest. 30, art. 1).

 

            Conclusion C’est avec raison qu’il y a dans l’Eglise sept sacrements : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la pénitence, l’ordre, le mariage et l’extrême-onction, par lesquels l’homme est suffisamment perfectionné en ce qui appartient au culte divin et en ce qui regarde communément le défaut du péché.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 3, et quest. 63, art. 3), les sacrements de l’Eglise sont établis pour deux choses, c’est-à-dire pour perfectionner l’homme en ce qui appartient au culte de Dieu selon la religion de la vie chrétienne, et pour remédier au défaut du péché. C’est avec raison qu’à ce double point de vue on reconnaît sept sacrements. Car la vie spirituelle a une certaine ressemblance avec la vie corporelle, comme toutes les choses corporelles ont de l’analogie avec les choses spirituelles. Or, à l’égard de la vie corporelle, un individu est rendu parfait de deux manières : 1° quant à sa propre personne ; 2° par rapport à la société entière dans laquelle il vit ; parce que l’homme est naturellement un animal social. Relativement à lui-même, l’individu jouit parfaitement de la vie corporelle de deux manières : 1° absolument, en acquérant la perfection de la vie elle-même ; 2° par accident, en écartant ce qui fait obstacle à la vie, comme les maladies ou toute autre chose semblable. Absolument la vie corporelle est perfectionnée de trois manières. 1° Par la génération, par laquelle l’homme commence à exister et à vivre. Elle est remplacée pour la vie spirituelle par le baptême, qui est la régénération de l’âme, d’après saint Paul, qui l’appelle (Tite, 3, 5) l’eau de la régénération. 2° Par l’accroissement, qui fait qu’on arrive au développement et à la vertu de l’homme fait. Ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est la confirmation, qui nous confère l’Esprit-Saint pour nous fortifier. C’est pourquoi il est dit aux disciples qui ont reçu le baptême (Luc, 24, 49) : Demeurez dans la ville jusqu’à ce que vous soyez revêtus de la force d’en haut. 3° Par la nutrition, qui conserve dans l’homme la vie et la force ; elle est remplacée dans la vie spirituelle par l’eucharistie. D’où il est dit (Jean, 6, 54) : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Ces choses suffiraient à l’homme, s’il avait corporellement et spirituellement une vie impassible. Mais parce qu’il est soumis quelquefois à des infirmités corporelles et spirituelles, c’est-à-dire au péché, il s’ensuit qu’il est nécessaire qu’il soit guéri de ses infirmités. Or, ces guérisons sont de deux sortes : l’une a pour objet de rétablir la santé ; ce qui la remplace dans la vie spirituelle, c’est la pénitence, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 40, 5) : Guérissez mon âme, parce que j’ai péché contre vous. L’autre a pour objet de rendre la santé qu’on avait auparavant par une diète convenable et l’exercice. Ce qui en tient lieu dans la vie spirituelle, c’est l’extrême-onction, qui écarte ce qui reste du péché et rend l’homme prêt à la gloire finale. C’est ce qui fait dire à saint Jacques (5, 15) : S’il est dans le péché, il lui sera pardonné. — L’homme est perfectionné, relativement à la société tout entière, de deux manières : 1° Par ce qui lui donne le pouvoir de régir la multitude et d’exercer des actes publics ; ce qui a lieu dans la vie spirituelle par le sacrement de l’ordre, d’après saint Paul, qui dit (Héb., chap. 7) que les prêtres offrent des victimes, non seulement pour eux, mais encore pour le peuple. 2° Relativement à la propagation naturelle ; ce qui se fait par le mariage, dans la vie corporelle aussi bien que dans la vie spirituelle, parce que le mariage n’est pas seulement un sacrement, mais encore un devoir de la nature. — On reconnaît encore évidemment la nécessité du même nombre de sacrements, selon qu’ils ont pour but de remédier au péché. Car le baptême est établi contre la privation de la vie spirituelle ; la confirmation contre la faiblesse de l’âme qui se trouve dans ceux qui viennent de naître ; l’eucharistie contre la facilité qu’ils ont à pécher ; la pénitence contre le péché actuel commis après le baptême ; l’extrême-onction contre les restes du péché qui n’auraient pas été suffisamment effacés par la pénitence, soit par négligence, soit par ignorance ; l’ordre contre la dissolution de la société ; le mariage pour remédier à la concupiscence personnelle et empêcher la société de s’éteindre par la mort. — D’autres expliquent le nombre des sacrements selon qu’ils correspondent aux vertus et aux défauts qui résultent du péché et de la peine, en disant : que le baptême répond à la foi, et qu’il est établi contre le péché originel ; l’extrême-onction à l’espérance, et elle est établie contre le péché véniel ; l’eucharistie à la charité, et elle est instituée contre la pénalité de la malice ; l’ordre à la prudence, et il a pour but de combattre l’ignorance ; la pénitence à la justice, et elle est le remède contre le péché mortel ; le mariage à la tempérance, et il est opposé à la concupiscence ; la confirmation à la force, et elle remédie à la faiblesse.

 

Article 2 : Les sacrements sont-ils convenablement ordonnés selon le mode prescrit antérieurement ?

 

            Objection N°1. Il semble que les sacrements ne soient pas convenablement ordonnés selon le mode prescrit antérieurement (art. préc.). Car, comme le dit l’Apôtre (1 Cor., 15, 46) : Ce qui est animal existe d’abord, ensuite ce qui est spirituel. Or, l’homme est engendré par le mariage de la première génération qui est la génération animale, et il est régénéré par le baptême de la seconde génération qui est la génération spirituelle. Le mariage doit donc précéder le baptême.

            Réponse à l’objection N°1 : Le mariage selon qu’il a pour but la vie animale est un devoir de la nature ; mais selon qu’il se rapporte à la vie spirituelle, c’est un sacrement. Et parce que c’est de tous les sacrements celui qui est le moins spirituel, on le place en dernier lieu.

 

            Objection N°2. Par le sacrement de l’ordre on reçoit la puissance de l’aire les actions sacramentelles. Or, l’agent est avant son action. L’ordre doit donc précéder le baptême et les autres sacrements.

            Réponse à l’objection N°2 : Pour qu’une chose soit un agent, on présuppose qu’elle est parfaite en elle-même. C’est pourquoi les sacrements qui perfectionnent l’individu en lui-même sont antérieurs au sacrement de l’ordre qui rend une personne apte à perfectionner les autres.

 

            Objection N°3. L’eucharistie est une nourriture spirituelle ; tandis que la confirmation correspond à l’accroissement. Or, la nourriture est la cause de l’accroissement et par conséquent elle est avant lui. L’eucharistie est donc avant la confirmation.

            Réponse à l’objection N°3 : La nourriture précède l’accroissement, comme sa cause, et elle le suit selon qu’elle conserve l’homme dans une corpulence et une force parfaite. C’est pour cela que l’eucharistie peut être mise avant la confirmation, comme le fait saint Denis (Lib. de eccles. hier., chap. 3 et 4), et elle peut être mise après, comme le fait le Maître des sentences (Cet ordre, qui a été suivi par saint Thomas et tous les scolastiques, a été adopté par le concile de Florence et par le concile de Trente.) (4, Sent., dist. 7 et 8).

 

            Objection N°4. La pénitence prépare l’homme à l’eucharistie. Or, la disposition précède la perfection. La pénitence doit donc précéder l’eucharistie.

            Réponse à l’objection N°4 : Cette raison serait concluante si la pénitence était nécessairement requise comme une préparation à l’eucharistie. Mais il n’en est pas ainsi. Car si quelqu’un était sans péché mortel, il n’aurait pas besoin de la pénitence pour recevoir l’eucharistie. Et par conséquent il est évident que la pénitence prépare par accident à l’eucharistie, c’est-à-dire dans la supposition que le péché existe. D’où il est dit (2 Par., chap. 36) (?) : Pour vous, Seigneur, vous n’avez pas imposé de pénitence aux justes.

 

            Objection N°5. Ce qui est plus près de la fin dernière vient en dernier lieu. Or. l’extrême-onction est de tous les sacrements celui qui est le plus rapproché de la fin dernière de la béatitude. Elle doit donc tenir le dernier rang parmi les sacrements.

            Réponse à l’objection N°5 : L’extrême-onction pour la raison que nous avons donnée est le dernier des sacrements qui se rapportent à la perfection de l’individu.

 

            Mais c’est le contraire. Car les sacrements sont communément ordonnés par tout le monde, comme nous l’avons dit auparavant (art. préc.).

 

            Conclusion Parmi les sacrements on met en dernier lieu l’ordre et le mariage ; la pénitence et l’extrême onction sont après le baptême, la confirmation et l’eucharistie ; mais l’extrême-onction est après la pénitence ; par rapport aux trois autres, le baptême précède la confirmation et l’eucharistie.

            Il faut répondre que l’on voit la raison de l’ordre des sacrements d’après ce que nous avons dit (art. préc.). Car comme l’unité est avant la multiplicité, de même les sacrements qui sont établis pour la perfection de l’individu seul précèdent naturellement ceux qui sont établis pour la perfection de la société. C’est pourquoi parmi les sacrements on met en dernier lieu l’ordre et le mariage qui sont établis pour la perfection de la société. Cependant on met le mariage après l’ordre, parce qu’il participe moins à la nature de la vie spirituelle qui est le but des sacrements. Mais parmi ceux qui regardent la perfection de l’individu, ceux qui ont pour but par eux-mêmes la perfection de la vie spirituelle sont naturellement antérieurs à ceux qui ne s’y rapportent que par accident ; comme ceux qui ont pour fin d’écarter l’accident nuisible qui survient, tels que la pénitence et l’extrême onction. Mais l’extrême-onction qui consomme la guérison est naturellement postérieure à la pénitence qui la commence. Quant aux trois autres, il est évident que le baptême qui est la régénération spirituelle est le premier ; vient ensuite la confirmation qui a pour but la perfection formelle de la vertu ; et enfin l’eucharistie qui se rapporte à la perfection finale.

 

Article 3 : Le sacrement de leucharistie est-il le plus excellent des sacrements ?

 

            Objection N°1. Il semble que le sacrement de l’eucharistie ne soit pas le plus excellent des sacrements ; car le bien commun l’emporte sur le bien de l’individu, comme nous l’avons dit (Eth., liv. 1, chap. 2). Or, le mariage est établi pour produire le bien commun de l’espèce humaine par voie de génération ; tandis que le sacrement de l’eucharistie a pour but le bien propre de celui qui le reçoit. Il n’est donc pas le plus excellent des sacrements.

            Réponse à l’objection N°1 : Le mariage a pour but le bien commun corporellement, tandis que le bien commun spirituel de l’Eglise entière est substantiellement contenu dans le sacrement même de l’eucharistie.

 

            Objection N°2. Les sacrements les plus grands paraissent être ceux qui sont conférés par un ministre d’un ordre plus élevé. Or, le sacrement de confirmation et le sacrement de l’ordre ne sont conférés que par un évêque, qui est un ministre supérieur au simple prêtre qui confère le sacrement de l’eucharistie. Ces sacrements sont donc les plus excellents.

            Réponse à l’objection N°2 : Par l’ordre et la confirmation les fidèles du Christ sont consacrés à des offices spéciaux qui appartiennent à la charge du prince ; c’est pourquoi il n’appartient qu’à l’évêque qui est comme un prince dans l’Eglise de conférer ces sacrements. Mais par le sacrement de l’eucharistie on n’est pas voué à un office, ce sacrement est plutôt la fin de tous les offices quels qu’ils soient, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

            Objection N°3. Les sacrements sont d’autant plus élevés qu’ils ont une plus grande vertu. Or, il y a des sacrements qui impriment caractère, comme le baptême la confirmation et l’ordre, ce que ne fait pas l’eucharistie. Ces sacrements l’emportent donc sur elle.

            Réponse à l’objection N°3 : Le caractère sacramentel, comme nous l’avons dit (quest. 63, art. 3), est une participation du sacerdoce du Christ. Par conséquent le sacrement qui unit le Christ lui-même à l’homme est plus noble que le sacrement qui en imprime le caractère.

 

            Objection N°4. La chose la plus importante paraît être celle dont les autres dépendent, et non réciproquement. Or, l’eucharistie dépend du baptême : car on ne peut la recevoir, si l’on n’a pas été baptisé. Le baptême l’emporte donc sur elle.

           Réponse à l’objection N°4 : Cette raison s’appuie sur la nécessité ; car, comme le baptême est le plus excellent des sacrements, dans le sens qu’il est le plus nécessaire, de même l’ordre et la confirmation ont une certaine excellence en raison de leur ministère, et le mariage en raison de sa signification. D’ailleurs rien n’empêche qu’une chose soit plus noble sous un rapport, sans l’être davantage absolument.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Denis dit (De cœlest. hier., chap. 3) qu’il n’arrive pas que quelqu’un soit perfectionné de la perfection hiérarchique, sinon par la divine eucharistie. Ce sacrement l’emporte donc sur tous les autres.

 

            Conclusion Puisque le Christ est véritablement contenu selon sa substance dans le sacrement de l’eucharistie et que tous les autres sacrements se rapportent à celui-là comme à leur fin, il est évident qu’il est le plus excellent de tous les sacrements.

            Il faut répondre qu’absolument parlant le sacrement de l’eucharistie est le plus excellent de tous les sacrements. Ce qu’on peut rendre évident de trois manières : 1° Par ce qu’il renferme, car le Christ est substantiellement contenu dans le sacrement de l’eucharistie, tandis que les autres sacrements renferment une vertu instrumentale qui est une participation du Christ, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 62, art. 4, Réponse N°3). Or, ce qui existe par essence l’emporte toujours sur ce qui existe par participation. 2° Par le rapport que les sacrements ont entre eux. Car tons les autres sacrements paraissent se rapporter à celui-là comme à leur fin. En effet, il est évident que le sacrement de l’ordre se rapporte à la consécration de l’eucharistie, et le sacrement du baptême à sa réception. On est fortifié par la confirmation pour qu’on ne soit pas excité par la crainte à s’éloigner de ce sacrement ; la pénitence et l’extrême-onction préparent l’homme à recevoir dignement le corps du Christ ; enfin le mariage se rapporte du moins par sa signification à ce sacrement, en ce sens qu’il signifie l’union du Christ et de l’Eglise, dont l’unité est figurée par le sacrement de l’eucharistie. D’où l’Apôtre dit (Eph., 5, 31) : Ce sacrement est grand, je dis en Jésus-Christ et dans l’Eglise (C’est ainsi que tout dans le culte se rapporte au sacrifice.). 3° Par le rit des sacrements. Car presque tous les sacrements sont consommés dans l’eucharistie, comme le dit saint Denis (De eccles. hier., chap. 3). Ainsi ceux qui ont reçu les ordres communient, aussi bien que ceux qui ont reçu le baptême, s’ils sont adultes. — La comparaison des autres sacrements entre eux peut être faite à divers points de vue. Sous le rapport de la nécessité le baptême est le plus important des sacrements ; sous le rapport de la perfection c’est l’ordre ; le sacrement de confirmation tient le milieu ; le sacrement de pénitence et celui d’extrême-onction sont d’un rang inférieur aux autres. Car, comme nous l’avons dit (art. 1), ils se rapportent à la vie chrétienne non par eux-mêmes, mais comme par accident, c’est-à-dire pour remédier à un défaut qui survient. L’extrême-onction est à la pénitence ce que la confirmation est au baptême ; de telle sorte que la pénitence est plus nécessaire, mais l’extrême-onction plus parfaite (Le concile de Trente a sanctionné, de son autorité, ce sentiment sess. 13, chap. 3).).

 

Article 4 : Tous les sacrements sont-ils nécessaires au salut ?

 

            Objection N°1. Il semble que tous les sacrements soient nécessaires au salut. Car ce qui n’est pas nécessaire paraît être superflu. Or, aucun sacrement n’est superflu ; parce que Dieu ne fait rien en vain. Tous les sacrements sont donc nécessaires au salut.

            Réponse à l’objection N°1 : Pour qu’une chose ne soit pas superflue, il suffit qu’elle soit nécessaire de la première ou de la seconde manière ; et de la sorte tous les sacrements sont nécessaires, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

            Objection N°2. Comme il est dit du baptême (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint on ne peut entrer dans le royaume de Dieu, de même il est dit de l’eucharistie (Jean, 6, 54) : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Par conséquent, comme le baptême est un sacrement nécessaire, de même aussi l’eucharistie.

            Réponse à l’objection N°2 : Cette parole du Seigneur doit s’entendre de la manducation spirituelle et non de la manducation sacramentelle exclusivement (Si quis dixerit parvulis, antequam ad annos discretionis pervenerint, necessariam esse Eucharistiæ communionem : anathema sit (Conc. Trid., sess. 21, can. 4).), comme le dit saint Augustin (Tract. 26 sup. Joan.).

 

            Objection N°3. Sans le sacrement de baptême on peut être sauvé, pourvu que ce ne soit pas le mépris de la religion, mais la nécessité qui empêche de recevoir ce sacrement, ainsi que nous le dirons (quest. 68, art. 1 et 2). Or, en tout sacrement le mépris de la religion empêche le salut de l’homme. Donc, pour la même raison, tous les sacrements sont nécessaires au salut.

            Réponse à l’objection N°3 : Quoique le mépris de tous les sacrements soit contraire au salut, cependant il n’y a pas mépris d’un sacrement quand quelqu’un ne prend pas soin de s’en approcher, lorsqu’il n’est pas nécessaire au salut. Autrement tous ceux qui ne reçoivent pas l’ordre et qui ne se marient pas feraient mépris de ces sacrements,

 

            Mais c’est le contraire. Car les enfants sont sauvés par le baptême seul sans les autres sacrements.

 

            Conclusion Il y a trois sacrements nécessaires au salut : le baptême l’est absolument ; la pénitence pour celui qui est dans le péché mortel, l’ordre par rapport à l’Eglise ; tous les autres sacrements sont nécessaires dans le sens que par leur moyen on opère plus aisément son salut.

            Il faut répondre qu’on dit qu’une chose est nécessaire de deux manières par rapport à la fin dont nous parlons maintenant : 1° Elle est nécessaire quand on ne peut sans elle arriver à cette fin. C’est ainsi que la nourriture est nécessaire à la vie de l’homme. Ce qui est ainsi nécessaire pour une fin, l’est absolument. 2° On dit qu’une chose est nécessaire, quand on ne peut sans elle arriver convenablement à sa fin. C’est ainsi qu’un cheval est nécessaire pour voyager. Dans ce cas la nécessité n’est pas absolue. Il y a trois sacrements qui sont nécessaires de la première manière ; deux se rapportent à l’individu : le baptême qui est simplement et absolument nécessaire (Si quis dixerit baptismum liberum esse, hoc est, non necessarium ad salutem ; anathema sit (Conc. Trid., sess. 7, can. 5).), et la pénitence qui l’est dans le cas où l’on vient à pécher mortellement après le baptême (Si quis negaverit confeisionem sacramentalem, vel institutam, vel ad salutem necessariam esse, jure divino, anathema sit (Conc. Trid., sess. 14, can. 6).). Le sacrement de l’ordre est nécessaire à l’Eglise, parce que, selon la pensée du Sage (Prov., 11, 14) : Où il n’y a personne pour gouverner, le peuple périt. Les autres sacrements sont nécessaires de la seconde manière. Car la confirmation est dans un sens le perfectionnement du baptême, l’extrême-onction celui de la pénitence, et le mariage conserve la société de l’Eglise en la propageant.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

JesusMarie.com