Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 68 : De ceux qui reçoivent le baptême

 

            Nous avons maintenant à nous occuper de ceux qui reçoivent le baptême. — A ce sujet douze questions se présentent : 1° Tout le monde est-il tenu de recevoir le baptême ? (Indépendamment des manichéens et des autres hérétiques qui ont attaqué le baptême d’eau, la nécessité du baptême a été encore niée par les pélagiens, qui prétendaient qu’on pouvait sans ce sacrement arriver à la vie éternelle ; par Wiclef, Zuingle et Bucer, qui voulaient qu’il ne fût pas nécessaire aux enfants prédestinés ; par les sociniens, qui disaient que le précepte du baptême n’était pas universel et perpétuel. Toutes ces erreurs ont été ainsi condamnées par le concile de Trente (sess. 7, can. 5) : Si quis dixerit baptismum liberum esse, hoc est, non necessarium ad salutem : anathema sit.) — 2° Peut-on être sauvé sans le baptême ? (Le concile de Trente est formel sur ce point (sess. 7, can. 4) : Si quis dixerit : sine eis sacramentis, aut eorum voto, per solam fidem homines à Deo gratiam justificationis adipisci ; anathema sit. Et ailleurs (sess. 7, chap. 7) : Sacramentum baptismi est sacramentum fidei, sine quâ nulli unquàm contigit justificatio.) — 3° Le baptême doit-il être différé ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des vaudois, des pétrobusiens et des anabaptistes, qui prétendaient qu’on ne devait baptiser que ceux qui avaient l’âge de raison.) — 4° Les pécheurs doivent-ils être baptisés ? — 5° Doit-on imposer des œuvres satisfactoires aux pécheurs baptisés ? (Le concile de Florence s’exprime ainsi sur cette question : Hujus sacramenti effectus est remissio omnis culpæ originalis et actualis ; omnis quoque pœna quæ pro ipsâ culpâ debetur. Proptereà baptizatis nulla pro pereatis præteritis injungenda est satisfactio.) — 6° La confession des péchés est-elle requise ? (On ne peut recevoir aucun sacrement avant le baptême. C’est ce qui fait dire au pape Eugène IV : Primum omnium sacramentorum locum tenet sanctum baptisma, quod vitæ spiritualis janua est.) — 7° L’intention est-elle requise de la part de celui qui est baptisé ? (Cet article est une réfutation indirecte de l’erreur des cérinthiens, des marcionites et dos cataphrygiens, qui pensaient que l’on devait baptiser ceux qui étaient morts sans baptême, ou que l’on pouvait baptiser pour eux d’autres personnes vivantes.) — 8° Faut-il la foi ? (Le droit canon s’exprime ainsi de la manière la plus formelle (chap. Sicut in sacramentis, De consecr., dist. 4) : Non interest, cum de sacramenti integritate et sanctitate tractatur, quid credat et quali fide imbutus ille, qui accipit sacramentum : interest quidem plurimùm ad salutis viam, sed ad sacramenti quæstionem nihil interest.) — 9° Les enfants doivent-ils être baptisés ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des vaudois, des pétrobusiens, des anabaptistes, qui ont prétendu qu’on ne pouvait baptiser les enfants qui n’avaient pas l’usage de raison ; ce qui est contraire à toute la tradition, et ce que le concile de Trente a condamné en ces termes (sess. 7, can. 15) : Si quis dixerit parvulos, quod actum credendi non habent, suscepto baptismo, inter fideles computandos non esse, ac proptereà, cum ad annos discretionis pervenerint, esse rebaptizandos, aut præstare omitti eorum baptisma, quam eos, non actu proprio credentes baptizari in solâ fide Ecclesiæ, anathema sit.) — 10° Les enfants des juifs doivent-ils être baptisés, malgré leurs parents ? (Saint Thomas a traité déjà cette question 2a 2æ, quest. 10, art. 12.) — 11° Doit-on baptiser les enfants dans le sein de leur mère ? — 12° Doit-on baptiser les furieux et les fous ? (Toutes les décisions données par saint Thomas dans cet article sont sanctionnées par la pratique de toute l’Eglise.)

 

Article 1 : Tous les hommes sont-ils obligés de recevoir le baptême ?

 

            Objection N°1. Il semble que tous les hommes ne soient pas obligés de recevoir le baptême. Car le Christ n’a pas rétréci pour les hommes la voie du salut. Or, avant l’arrivée du Christ les hommes pouvaient être sauvés sans le baptême. Ils peuvent donc l’être aussi après son arrivée.

            Réponse à l’objection N°1 : Les hommes n’ont jamais pu être sauvés avant l’arrivée du Christ qu’autant qu’ils sont devenus ses membres. Car, comme le dit saint Paul (Actes, 4, 12), il n’y a point d’autre nom qui ait été donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés. Or, avant l’arrivée du Christ les hommes étaient incorporés au Christ par la foi qu’ils avaient en son avènement futur. La circoncision était le sceau de cette foi, d’après l’Apôtre (Rom., chap. 4), et avant qu’elle ne fût établie, les hommes étaient incorporés au Christ par la foi seule, suivant saint Grégoire (Mor., liv. 4, chap. 3), avec l’oblation des sacrifices par lesquels les anciens patriarches professaient leur foi. Depuis l’arrivée du Christ les hommes lui sont encore incorporés par la foi, d’après cette pensée de saint Paul, qui dit (Eph., 3, 17) : Que le Christ habite par la foi dans nos cœurs. Mais la foi en une chose présente se manifeste par d’autres signes que la foi dans cette même chose, quand elle était à venir, comme on ne se sert pas des mêmes expressions pour rendre le présent, le passé et le futur. C’est pour cela que quoique le sacrement de baptême n’ait pas toujours été nécessaire au salut, cependant la foi dont le baptême est le sacrement l’a toujours été.

 

            Objection N°2. Le baptême paraît avoir été établi principalement pour remédier au péché originel. Or, celui qui a été baptisé n’ayant plus le péché originel, il ne paraît pas qu’il puisse le transmettre à ses descendants. Il semble donc que les enfants de ceux qui sont baptisés ne doivent pas recevoir le baptême.

            Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 81, art. 3 ad 2), ceux qui sont baptisés sont renouvelés spirituellement par le baptême ; tandis que le corps reste soumis à la loi ancienne du péché, d’après ce passage de l’Apôtre (Rom., 8, 10) : Le corps est mort a cause du péché, mais l’esprit vit à cause de la justice. D’où saint Augustin conclut (Lib. 6 cont. Jul., chap. 17) que l’on ne baptise pas dans l’homme tout ce qu’il y a en lui. Or, il est évident que par la génération charnelle l’homme n’engendre pas selon l’esprit, mais selon la chair. C’est pourquoi les enfants de ceux qui sont baptisés naissent avec le péché originel, et par conséquent ils ont besoin du baptême (C’est ce qu’a nié Calvin (Inst., liv. 4), prétendant que les enfants des fidèles sont sanctifiés dans le sein de leur mère, et que, par conséquent, le baptême ne leur est pas nécessaire pour effacer le péché originel.).

 

            Objection N°3. On baptise pour qu’on soit purifié du péché par la grâce. Or, ceux qui sont sanctifiés dans le sein de leur mère obtiennent cet avantage sans le baptême. Us ne sont donc pas tenus de recevoir ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°3 : Ceux qui ont été sanctifiés dans le sein de leur mère obtiennent la grâce qui purifie du péché originel ; mais ils n’obtiennent pas pour cela le caractère qui leur imprime la ressemblance du Christ. C’est pourquoi s’il y avait maintenant quelqu’un qui fût sanctifié dans le sein de sa mère, il serait nécessaire de le baptiser pour qu’il reçût le caractère et qu’il devînt semblable aux autres membres du Christ.

 

            Mais c’est le contraire. Il est dit (Jean 3,5) : que si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Et Gennade ajoute (Lib. de eccles. dogmat., chap. 74) : Nous croyons que le chemin du salut n’est ouvert qu’à ceux qui sont baptisés.

 

            Conclusion Puisque l’on ne peut faire son salut qu’autant qu’on est incorporé au Christ, il est évident que tous les hommes sont obligés de recevoir le baptême par lequel ils sont incorporés au Christ et deviennent ses membres.

            Il faut répondre que les hommes sont tenus aux choses sans lesquelles ils ne peuvent faire leur salut. Or, il est évident que personne ne peut faire son salut que par le Christ. D’où l’Apôtre dit (Rom., 5, 18) : Comme par le péché d’un seul tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi par la justice d’un seul tous les hommes reçoivent la justification qui donne la vie. Le baptême étant conféré pour que celui qu’il régénère soit incorporé au Christ et devienne un de ses membres (Per ipsum, dit le concile de Florence, membra Christi, ac de corpore efficimur Ecclesiæ.), d’après ces paroles de saint Paul (Gal., 3, 27) : Vous tous qui avez- été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ, il s’ensuit évidemment que tout le monde est tenu à le recevoir et que sans lui les hommes ne peuvent être sauvés.

 

Article 2 : Peut-on être sauvé sans être baptisé ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’on ne puisse être sauvé sans le baptême. Car le Seigneur dit (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Or, il n’y a que ceux qui sont sauvés qui entrent dans le royaume de Dieu. Personne ne peut donc être sauvé sans le baptême qui fait renaître de l’eau et de l’Esprit-Saint.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit l’Ecriture (1 Rois, 16, 7) : L’homme voit les choses qui paraissent à l’extérieur, tandis que Dieu voit le fond du cœur. Or, celui qui désire renaître dans l’eau et de l’Esprit-Saint par le baptême, a été régénéré dans le cœur, quoiqu’il ne le soit pas corporellement. C’est ainsi que l’Apôtre dit (Rom., 2, 29) que la circoncision véritable est celle du cœur, qui se fait par l’esprit et non selon la lettre, et qui tire sa louange non des hommes, mais de Dieu.

 

            Objection N°2. Gennade dit (Lib. de eccles. dogm., chap. 74) : Nous ne croyons pas qu’un catéchumène qui meurt après avoir fait de bonnes œuvres ait la vie éternelle, à moins qu’il n’ait subi le martyre par lequel on accomplit tout ce qui appartient au sacrement de baptême. Or, si quelqu’un pouvait être sauvé sans le baptême, ce seraient surtout les catéchumènes qui font des bonnes œuvres et qui paraissent avoir la foi qui opère par la charité. Il semble donc qu’on ne puisse être sauvé sans le baptême.

            Réponse à l’objection N°2 : Personne n’est parvenu à la vie éternelle qu’autant qu’il a été absolument exempt du péché et de la peine qui lui est due. Cet affranchissement universel est produit par le baptême et par le martyre (Les théologiens croient que le martyre opère ex opere operato, dans les enfants, comme le baptême, et l’Eglise honore comme saints tous ceux qui ont été mis à mort pour la cause de Jésus-Christ, même quand ils auraient souffert avant d’avoir l’usage de la raison.). C’est pour ce motif qu’il est dit que tous les sacrements du baptême trouvent leur accomplissement dans le martyre, relativement à la pleine délivrance de la faute et de la peine. Si donc un catéchumène a le désir du martyre, parce qu’autrement il ne mourrait pas avec de bonnes œuvres, puisqu’elles ne peuvent exister sans la foi qui opère par la charité ; il n’arrive pas immédiatement à la vie éternelle, mais il souffre une peine pour ses péchés passés, et il est sauvé pour ainsi dire par le feu (1 Cor., 3, 5).

 

            Objection N°3. Comme nous l’avons dit (quest. 65, art. 3 et 4), le sacrement de baptême est nécessaire au salut. Or, on appelle nécessaire ce sans quoi une chose ne peut exister, d’après Aristote (Met., liv. 5, text. 6). Il semble donc qu’on ne puisse être sauvé sans le baptême.

            Réponse à l’objection N°3 : On dit que le sacrement de baptême est nécessaire au salut, parce que l’homme ne peut être sauvé, s’il n’a au moins la volonté de le recevoir, ce qui devant Dieu est réputé pour le fait.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Sup. Levit., quest. 48) que la sanctification invisible a été accordée à quelques-uns et leur a été utile sans les sacrements visibles ; tandis que la sanctification visible qui est produite par le sacrement peut être présente sans la sanctification invisible, mais elle ne peut être utile. Par conséquent puisque le sacrement de baptême appartient à la sanctification visible, il semble qu’on puisse être sauvé par la sanctification invisible, sans le sacrement de baptême.

 

            Conclusion Ils ne peuvent pas être sauvés ceux qui n’ont reçu le baptême ni de vœu, ni en réalité ; mais ceux qui ont reçu le baptême de vœu peuvent l’être, quoiqu’ils n’aient pas été réellement baptisés.

            Il faut répondre que le sacrement de baptême peut manquer à quelqu’un de deux manières : 1° On peut ne l’avoir reçu ni de vœu, ni réellement ; ce qui arrive à ceux qui ne sont pas baptisés et qui ne veulent pas l’être ; ce qui suppose évidemment un mépris du sacrement de la part de ceux qui ont l’usage du libre arbitre. C’est pourquoi ceux qui n’ont pas reçu le baptême et qui sont dans cet état ne peuvent pas être sauvés ; parce qu’ils ne sont ni sacramentellement, ni mentalement incorporés au Christ par lequel seul on peut être sauvé. — 2° On peut n’avoir pas reçu le sacrement de baptême réellement, mais le recevoir de vœu ; comme quand ou désire être baptisé, mais que par hasard on est prévenu par la mort avant de recevoir le baptême. Celui qui en est là peut être sauvé (Innocent III le décide formellement (Decretal., liv. 4, tit. 42, chap. 4). D’après saint Liguori, il n’est pas nécessaire que ce vœu soit explicite, il suffit qu’on soit en général dans la disposition de faire tout ce que Dieu a prescrit.) ; sans le baptême actuel, à cause du désir qu’il a de le recevoir. Ce désir vient de la foi qui opère par l’amour, et par cette foi Dieu dont la puissance n’est pas liée aux sacrements visibles, sanctifie l’homme intérieurement. C’est pourquoi saint Ambroise, en parlant de Valentinien, qui était mort catéchumène, dit (Lib. de orth. Valentin.) : J’ai perdu celui que je devais régénérer, mais il n’a pas perdu la grâce qu’il a demandée.

 

Article 3 : Le baptême doit-il être différé ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’on doive différer le baptême. Car le pape saint Léon dit (Epist. 4, chap. 5) qu’il y a deux temps, Pâques et la Pentecôte, que les souverains pontifes ont désignés avec raison pour le baptême. Par conséquent, ajoute-t-il, nous vous avertissons de ne choisir aucun autre jour pour l’administration de ce sacrement. Il semble donc qu’on ne doive pas baptiser quelqu’un immédiatement, mais qu’on doive différer de le faire jusqu’aux époques désignées.

            Réponse à l’objection N°1 : Ce décret du pape saint Léon sur les deux époques que l’on doit observer pour le baptême doit s’entendre des adultes, et il faut excepter le danger de mort, qui est toujours à craindre pour les enfants, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

            Objection N°2. On lit dans le concile d’Agde (can. 34, et hab., chap. 43 De consecrat., dist. 4) : que les juifs, dont la perfidie les fait revenir souvent à leur vomissement, restent, quand ils veulent entrer dans la religion catholique, huit mois à l’entrée de l’église parmi les catéchumènes, et si l’on reconnaît qu’ils sont sincèrement convertis, qu’alors ils reçoivent enfin la grâce du baptême. Les hommes ne doivent donc pas être baptisés immédiatement ; mais on doit différer leur baptême jusqu’à un certain temps.

            Réponse à l’objection N°2 : Ceci a été établi à l’égard des juifs pour la plus grande sûreté de l’Eglise, dans la crainte qu’ils ne corrompissent la foi des simples, s’ils n’étaient pleinement convertis ; et cependant, comme ce concile l’ajoute lui-même, si pendant le temps prescrit l’un d’eux se trouvait dangereusement malade, on devrait le baptiser.

 

            Objection N°3. Comme le dit le prophète (Is., 27, 9) : Le fruit de toutes choses c’est le pardon des péchés. Or, il semble que le péché soit plutôt effacé ou diminué, si le baptême est différé longtemps : 1° Parce que ceux qui pèchent après le baptême le font plus grièvement, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 10, 29) : Ne croyez-vous pas qu’il méritera un plus grand supplice celui qui aura souillé le sang de l’alliance, dans lequel il a été sanctifié par le baptême ? 2° Parce que le baptême efface les péchés passés, mais non les péchés futurs. Par conséquent plus le baptême est différé et plus il efface de péchés. Il semble donc qu’on doive le différer longtemps.

            Réponse à l’objection N°3 : Le baptême n’éloigne pas seulement les péchés passés par la grâce qu’il confère, mais il empêche encore de tomber dans les péchés à venir. Or, on doit principalement désirer que les hommes ne pèchent pas (Le concile de Trente a formellement condamné ceux qui prétendaient qu’on ne devait être baptisé qu’à l’âge où l’a été Notre-Seigneur, ou qui voulaient qu’on attendit à la fin de sa vie : Si quis dixerit neminem esse baptizandum, nisi ed ætate, quâ Christus baptizatus est, vel in ipso mortis articulo ; anathema sit.), en second lieu qu’ils pêchent plus légèrement, ou bien que leurs péchés soient effacés, d’après ces paroles (1 Jean, 2, 1) : Mes petits-enfants, je vous écris ceci afin que vous ne péchiez point ; que si néanmoins quelqu’un pèche, nous avons pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ qui est juste, et c’est lui qui est la victime de propitiation pour nous.

 

            Mais c’est le contraire. Il est dit (Ecclésiastique, 5, 8) : Ne tardez pas de vous convertir au Seigneur et ne différez pas de jour en jour. Or, ceux qui sont régénérés dans le Christ par le baptême se convertissent parfaitement à Dieu. On ne doit donc pas différer le baptême de jour en jour.

 

            Conclusion Les enfants doivent être baptisés immédiatement à cause du danger de mort ; les adultes ne doivent pas l’être immédiatement, mais à une certaine époque, à moins qu’ils ne soient parfaitement instruits dans la foi ou qu’ils ne soient évidemment en danger de mort.

            Il faut répondre qu’à cet égard il faut distinguer si ceux qui doivent être baptisés sont des enfants ou des adultes. Car si ce sont des enfants on ne doit pas différer le baptême (Il y a certainement péché mortel à différer le baptême pendant un mois ; il suffit même de quinze jours, si on n’a pas de raisons légitimes, et il y a même des docteurs qui prétendent que c’est une faute grave d’attendre au delà de huit jours. Voyez saint Liguori, liv. 6, n° 118.) : 1° parce qu’on n’attend pas en eux une instruction plus grande ou une conversion plus parfaite ; 2° à cause du danger de mort, parce qu’on ne peut pas leur venir en aide par un autre remède que par le sacrement de baptême (Cajétan avait prétendu, avec Gerson et quelques autres théologiens catholiques, que les enfants pouvaient être sauvés, par là même que leurs parents avaient conçu le désir qu’ils fussent baptisés. Mais saint Pie V a fait effacer cette opinion de Cajétan de ses commentaires sur saint Thomas, comme étant peu conforme à la foi.). Mais on peut subvenir aux adultes par le seul désir du baptême, comme nous l’avons dit (art. préc.). C’est pourquoi on ne doit pas leur conférer le sacrement de baptême aussitôt qu’ils sont convertis, mais il faut le différer jusqu’à un certain temps (Un curé ne doit baptiser un adulte qu’après en avoir donné avis à l’ordinaire pour se conformer ensuite à ce qui lui sera prescrit. Voyez à cet égard ce que dit le Rituel romain.) : 1° Pour que l’Eglise prenne ses précautions, afin qu’elle ne soit pas trompée en conférant ce sacrement à des personnes qui s’en approcheraient avec dissimulation, d’après ces paroles (1 Jean, 4, 1) : Ne croyez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits s’ils sont de Dieu. On soumet ceux qui s’approchent du baptême à cette épreuve, quand on examine leur foi et leurs mœurs pendant un certain temps. 2° Ce retard est nécessaire dans l’intérêt de ceux qui sont baptisés ; parce qu’ils ont besoin d’un certain espace de temps, pour s’instruire pleinement de la foi et s’exercer à l’égard de ce qui appartient à la vie chrétienne. 3° C’est nécessaire par respect pour le sacrement, puisque par là même qu’on ne baptise que dans les principales fêtes, à Pâques et à la Pentecôte, on reçoit ce sacrement avec plus de dévotion. — Mais on ne doit pas différer le baptême dans deux circonstances : 1° Quand ceux qui doivent être baptisés se montrent parfaitement instruits dans la foi et aptes à recevoir ce sacrement. C’est ainsi que Philippe baptisa immédiatement l’eunuque, comme on le voit (Actes, chap. 8) et que saint Pierre baptisa Corneille et ceux qui étaient avec lui (Actes, chap. 10). 2° Dans le cas d’infirmité ou de danger de mort. D’où le pape saint Léon dit (ubi suprà, chap. 6) : Ceux que la nécessité de la mort, d’une maladie, d’un siège, d’une persécution et d’un naufrage presse, doivent être baptisés en tout temps. — Toutefois si quelqu’un est prévenu par la mort sans avoir pu recevoir le sacrement, pendant qu’il attend le temps déterminé par l’Eglise ; il est sauvé, quoiqu’il le soit par le feu, comme nous l’avons dit (art. préc.). Mais il pèche, s’il diffère de recevoir le baptême au-delà du temps fixé par l’Eglise, à moins que ce ne soit pour une cause nécessaire et d’après la permission de ses supérieurs ecclésiastiques. Mais cependant ce péché peut être effacé avec les autres par la contrition qui vient après et qui tient lieu du baptême, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article et art. préc.).

 

Article 4 : Les pécheurs doivent-ils être baptisés ?

 

            Objection N°1. Il semble que les pécheurs peuvent être baptisés. Car il est dit (Zach., 13, 1) : En ce jour-là il y aura une fontaine ouverte à la maison de David et aux habitants de Jérusalem, pour y laver les souillures du pécheur et de la femme impure ; ce qui s’entend des fonts baptismaux. Il semble donc que le sacrement de baptême doive être aussi conféré aux pécheurs.

            Réponse à l’objection N°1 : Ce passage doit s’entendre des pécheurs qui ont la volonté de quitter le péché.

 

            Objection N°2. Le Seigneur dit (Matth., 9, 12) : Ceux qui se portent bien n’ont pas besoin de médecin, il n’y a que ceux qui se portent mal. Or, ceux qui se portent mal sont les pécheurs. Par conséquent, puisque le baptême est la médecine qu’emploie le médecin spirituel qui est le Christ, il semble qu’on doive conférer ce sacrement aux pécheurs.

           Réponse à l’objection N°2 : Le médecin spirituel, c’est-à-dire le Christ, opère de deux manières : 1° intérieurement par lui-même ; de la sorte il prépare la volonté de l’homme à vouloir le bien et à haïr le mal ; 2° il opère par ses ministres en appliquant les sacrements extérieurement. Et il opère ainsi en perfectionnant extérieurement ce qu’il a commencé (Intérieurement.). C’est pourquoi on ne doit administrer le sacrement de baptême qu’à celui en qui l’on remarque un signe de conversion intérieure (Quand il s’agit d’un adulte, indépendamment de la science suffisante et de la volonté de recevoir le baptême, on exige encore la contrition de ses fautes, avec un commencement d’amour de Dieu.) ; comme on n’administre à un malade une médecine corporelle qu’autant qu’on voit en lui un mouvement vital de la nature.

 

            Objection N°3. On ne doit soustraire aux pécheurs aucun secours. Or, les pécheurs baptisés sont aidés spirituellement par le caractère baptismal, puisqu’il est une disposition à la grâce. Il semble donc qu’on doive conférer le sacrement de baptême aux pécheurs.

            Réponse à l’objection N°3 : Le baptême est le sacrement de la foi. Or, la foi informe ne suffit pas au salut et elle n’en est pas le fondement, mais il n’y a que la foi formée qui opère par l’amour, comme le dit saint Augustin (Lib. de fid. et oper., chap. 16). Ainsi le sacrement de baptême ne peut pas sauver celui qui a la volonté de pécher, puisque cette volonté exclut la forme de la foi. On ne doit pas non plus disposer quelqu’un à la grâce en imprimant sur lui le caractère baptismal, tant qu’on voit en lui la volonté de pécher, parce que Dieu ne contraint personne à être vertueux, comme le dit saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 2, chap. 30).

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Tract. 72 in Joan., implic. a med. sed expressè Serm. 15 de Verb. apost., chap. 11) : Celui qui vous a créé sans vous ne vous justifiera pas sans vous. Or, quand le pécheur est mal disposé, il ne coopère pas avec Dieu, et même il fait plutôt le contraire. C’est donc en vain qu’on baptiserait quelqu’un qui serait mai disposé, car il ne serait pas pour cela justifié.

 

            Conclusion On ne doit pas baptiser les pécheurs qui ont la volonté de pécher et le dessein de persévérer dans leurs fautes, puisqu’ils ne peuvent être unis au Christ et purifiés de leur péché ; mais on doit le conférer aux autres qui ont la tache du péché et qui sont passibles de la peine qu’il mérite.

            Il faut répondre qu’on peut être appelé pécheur de deux manières : 1° A cause de la tache et de la peine qu’on a méritée. Le sacrement de baptême doit être conféré à ces pécheurs, puisque c’est pour eux spécialement qu’il a été établi afin d’effacer les souillures du péché, d’après ces paroles de saint Paul qui dit (Eph., 5, 26) que le Christ purifie l’Eglise par l’eau où elle est lavée et par la parole de vie. 2° On peut appeler pécheur celui qui a la volonté de pécher et qui est résolu à rester dans son péché. On ne doit pas conférer le sacrement de baptême à ces pécheurs : 1° Parce que par le baptême les hommes sont incorporés au Christ, suivant ce passage de l’Apôtre (Gal., 3, 37) : Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. Or, tant qu’on a la volonté de pécher, on ne peut être uni au Christ, car il est dit (2 Cor., 4, 14) : Qu’y a-t-il de commun entre la justice et l’iniquité ? C’est ce qui fait observer à saint Augustin (Lib. de pænit., chap. 2) qu’aucun individu qui est l’arbitre de sa volonté ne peut commencer une vie nouvelle, s’il ne se repent de sa vie ancienne. 2° Parce que dans les œuvres du Christ et de l’Eglise, il ne doit rien y avoir qui soit fait en vain. Or, ce qui n’arrive pas à la fin à laquelle on le destine est une chose vaine. Et comme celui qui a la volonté de pécher ne peut être simultanément purifié du péché ; ce qui est le but du baptême ; parce qu’alors ce serait supposer simultanément des choses contradictoires, il s’ensuit qu’il est inutile de baptiser. 3° Parce que dans les signes sacramentels il ne doit point y avoir de fausseté. Or, un signe auquel la chose signifiée ne répond pas est un signe faux. Ainsi celui qui se présente au baptême pour y être purifié indiquant par là qu’il se dispose à recevoir l’ablution intérieure, et cette disposition n’existant pas dans celui qui a la ferme résolution de persister dans son péché, il s’ensuit évidemment qu’on ne doit pas lui conférer le baptême (Le concile de Trente enseigne expressément que la pénitence est nécessaire aux pécheurs qui se présentent au baptême (sess. 14, chap. 1) : Fuit quidem pœnitentia necessaria illis etiam qui baptismi sacramento ablui petivissent, ut, perversitate abjectâ et eliminatâ, tantam Dei offensionem cum peccati odio et pio animi dolore detestarentur.).

 

Article 5 : Doit-on imposer des œuvres satisfactoires aux pécheurs qui sont baptisés ?

 

            Objection N°1. Il semble que l’on doive imposer des œuvres satisfactoires aux pécheurs qui sont baptisés. Car il semble appartenir à la justice de Dieu que l’on soit puni pour tout péché, d’après ces paroles (Ecclésiastique, 12, 14) : Toutes les actions que l’on fait, Dieu les soumettra à son jugement. Or, les œuvres satisfactoires sont imposées aux pécheurs en punition de leurs péchés passés. Il semble donc que des œuvres satisfactoires doivent être imposées aux pécheurs qui sont baptisés.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (Lib. 1 de Bapt. parvulor. seu de peccat. merit. et remiss., chap. 26), le baptême sert à incorporer au Christ ceux qui sont baptisés comme ses membres. Par conséquent la peine du Christ a été satisfactoire pour les péchés de ceux qui sont baptisés, comme la peine d’un membre peut être satisfactoire pour le péché d’un autre membre. C’est ce qui a fait dire au prophète (Is., 53, 4) : Il s’est véritablement chargé de nos maladies, et il a porté nos douleurs.

 

            Objection N°2. Les pécheurs récemment convertis s’exercent à la justice par des œuvres satisfactoires, et ces œuvres leur évitent l’occasion de pécher ; car la satisfaction a pour but de détruire les causes des péchés et de les empêcher de se reproduire. Or, ce double secours est principalement nécessaire à ceux qui viennent d’être baptisés. Il semble donc qu’on doive leur imposer des œuvres satisfactoires.

            Réponse à l’objection N°2 : Ceux qui viennent d’être baptisés (Pendant le catéchuménat, on les exerce à des œuvres plus pénibles, pour détruire en eux leurs vices, redresser leurs habitudes mauvaises et leur en faire prendre de bonnes.) doivent s’exercer à la justice, non par des œuvres pénales, mais par des œuvres faciles, afin qu’après avoir d’abord été nourris de lait, ils s’élèvent à quelque chose de plus parfait, comme le dit la glose (ord. implic.) sur ces paroles du Psalmiste (Ps. 130, 2) : Comme l’enfant que sa mère a sevré. Ainsi le Seigneur a exempté du jeûne ses disciples qui venaient de se convertir, comme on le voit (Matth., chap. 9). C’est ce qu’exprime saint Pierre en cet endroit (1 Pierre, 2, 2) : Comme des enfants nouvellement nés, désirez ardemment le lait spirituel et pur, afin qu’il vous fasse croître pour le salut.

 

            Objection N°3. L’homme ne doit pas moins satisfaire à Dieu qu’au prochain. Or, on enjoint à ceux qui viennent d’être baptisés de satisfaire au prochain, dans le cas où ils lui ont fait du tort. On doit donc aussi leur enjoindre de satisfaire à Dieu par des œuvres de pénitence.

            Réponse à l’objection N°3 : Restituer au prochain le bien qu’on lui a ravi injustement et lui donner satisfaction pour le tort qu’on lui a causé, c’est cesser de pécher, puisqu’il y a péché à garder ce qui est à autrui et à ne pas apaiser le prochain qu’on a lésé. C’est pourquoi on doit enjoindre aux pécheurs baptisés de satisfaire au prochain, afin que par là ils cessent de pécher ; mais on ne doit pas leur imposer de peine pour leurs péchés passés.

 

            Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Rom., chap. 11) : Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentir, saint Ambroise dit : La grâce de Dieu dans le baptême ne demande ni gémissement, ni plainte, ni aucune action semblable, mais elle ne demande que la foi et elle nous pardonne tout gratuitement.

 

            Conclusion On ne doit en joindre aucune œuvre de satisfaction à celui qui est baptisé, puisque la passion et la mort du Christ auquel l’homme est incorporé par le baptême, ont pleinement satisfait pour les péchés de tout le monde.

            Il faut répondre que, comme le dit l’Apôtre (Rom., 6, 3) : Nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, nous avons été baptisés en sa mort ; car nous avons été ensevelis avec lui par le baptême pour mourir au péché, de manière que l’homme est incorporé à la mort du Christ par le baptême. Or, il a été évident d’après ce que nous avons dit (quest. 48 et 49) que la mort du Christ a suffisamment satisfait non seulement pour nos péchés, mais encore pour ceux du monde entier, comme le dit saint Jean (1 Jean, 2, 5). C’est pourquoi il n’y a pas de satisfaction à enjoindre à celui qui est baptisé pour ses péchés quels qu’ils soient. Car ce serait faire injure à la passion et à la mort du Christ, comme si elles ne suffisaient pas pour satisfaire pleinement pour les péchés de ceux qui sont baptisés.

 

Article 6 : Les pécheurs qui sapprochent du baptême sont-ils tenus de confesser leurs péchés ?

 

            Objection N°1. Il semble que les pécheurs qui se présentent au baptême soient tenus de confesser leurs péchés. Car il est dit (Matth., 3, 6) : que Jean en baptisait beaucoup dans le Jourdain et qu’ils confessaient leurs péchés. Or, le baptême du Christ est plus parfait que celui de Jean. Il semble donc qu’à plus forte raison ceux qui doivent recevoir le baptême du Christ soient tenus de confesser leurs péchés.

            Réponse à l’objection N°1 : Le baptême de Jean ne remettait pas les péchés, mais il était un baptême de pénitence. C’est pourquoi ceux qui se présentaient à ce baptême confessaient avec raison leurs péchés, pour qu’on leur déterminât une pénitence selon la nature de leurs fautes. Mais le baptême du Christ existant sans la pénitence extérieure, comme le dit saint Ambroise (loc. sup. cit.), il n’y a donc pas de parité.

 

            Objection N°2. Le Sage dit (Prov., 28, 13) : Celui qui cache ses crimes ne rentre pas dans la droite voie, mais celui qui les confesse et qui les quitte obtient miséricorde. Or, il y en a qu’on baptise pour qu’ils obtiennent miséricorde de leurs péchés. Par conséquent il faut que ceux qui doivent être baptisés confessent leurs péchés.

            Réponse à l’objection N°2 : Il suffit pour ceux que l’on baptise qu’ils se confessent intérieurement à Dieu, et qu’ils fassent une confession générale extérieure pour qu’ils soient dirigés et qu’ils obtiennent miséricorde ; mais une confession spéciale extérieure n’est pas nécessaire, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

            Objection N°3. La pénitence est requise avant le baptême, d’après ces paroles (Actes, 2, 39) : Faites pénitence et que chacun de vous soit baptisé. Or, la confession est une partie de la pénitence. Il semble donc que la confession des péchés soit requise avant le baptême.

            Réponse à l’objection N°3 : La confession est une partie de la pénitence sacramentelle, qui n’est pas requise avant le baptême (Le sacrement de pénitence n’a été institué que pour remettre les péchés commis après le baptême, d’après cette décision du concile de Trente (sess. 14, can. 1) : Si quis dixerit, in catholicâ Ecclesiâ pœnitentiam non esse verè et propriè sacramentum pro fidelibus, quoties post baptismum in peccata labuntur, ipsi Deo reconciliandis à Christo Domino institutum : anathema sit.), comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.), au lieu que la vertu de la pénitence intérieure est nécessaire.

 

            Mais c’est le contraire. La confession des fléchés doit se faire avec larmes : car saint Augustin dit (alius auctor, Lib. de verâ et falsâ pœnitentia, chap. 14) : Toutes ces différentes circonstances doivent être confessées et pleurées. Or, comme le dit saint Ambroise (alius auctor, sup. illud Rom., chap. 11, Sine pœnitentia sunt dona Dei), la grâce de Dieu ne demande dans le baptême ni gémissements, ni larmes. On ne doit donc pas exiger la confession des péchés de ceux qui doivent être baptisés.

 

            Conclusion Puisque la confession des péchés appartient au sacrement de pénitence, il ne faut pas que ceux qui se présentent au baptême confessent leurs péchés à un prêtre, mais ils ne doivent les confesser qu’à Dieu, en y pensant et en les pleurant intérieurement.

            Il faut répondre qu’il y a deux sortes de confession des péchés : 1° l’une intérieure que l’on fait à Dieu. Cette confession est requise avant le baptême ; c’est-à-dire, qu’il faut que l’homme pense à ses péchés et les déplore ; car il ne peut commencer une vie nouvelle, s’il ne se repent de sa vie ancienne, selon la remarque de saint Augustin (Lib. de pœnit., hom. ult. inter 50, chap. 2). 2° L’autre est la confession extérieure des péchés que l’on fait à un prêtre. Cette confession n’est pas exigée avant le baptême : 1° Parce que cette confession se rapportant à la personne du ministre, appartient au sacrement de pénitence qui n’est pas exigé avant le baptême, parce que le baptême est la porte de tous les sacrements. 2° Parce que la confession extérieure que l’on fait à un prêtre a pour but que le prêtre absolve de ses péchés celui qui se confesse et qu’il lui impose des œuvres satisfactoires. Or, on ne doit pas imposer ces œuvres à ceux qui sont baptisés, comme nous l’avons dit (art. préc.), et ceux qui sont baptisés n’ont pas besoin non plus de la rémission des péchés que l’on obtient par les clefs de l’Eglise, puisque tous leurs fautes leur sont remises par le baptême. 3° Parce que cette confession particulière faite à un homme est une chose pénible à cause de l’humiliation de celui qui la fait. Et comme on n’impose à ceux qui sont baptisés aucune peine extérieure, il s’ensuit qu’on n’exige pas d’eux une confession spéciale de leurs péchés. Mais il suffit de la confession générale qu’ils font quand, selon le rite de l’Eglise, ils renoncent à Satan et à toutes ses pompes. C’est ainsi, dit la glose (ord. sup. illud : Ut baptizarentur ab eo, Matth. chap. 3), que le baptême de Jean donnait l’exemple à ceux qui devaient être baptisés de confesser leurs péchés et de promettre une vie meilleure. Cependant si ceux qui doivent être baptisés voulaient confesser leurs péchés par dévotion, on devrait entendre leur confession (Cette confession ne serait pas sacramentelle.), non pour leur imposer une satisfaction, mais pour leur donner une règle de vie spirituelle qui les empêchât de tomber dans leurs fautes accoutumées.

 

Article 7 : De la part de celui qui est baptisé lintention de recevoir le sacrement de baptême est-elle nécessaire ?

 

            Objection N°1. Il semble que de la part de celui qui est baptisé l’intention de recevoir le sacrement de baptême ne soit pas nécessaire. Car celui qui est baptisé est passif dans le sacrement. Or, l’intention n’est pas requise du côté du patient, mais du côté de l’agent. Il semble donc que par rapport à celui qui est baptisé l’intention de recevoir le baptême ne soit pas nécessaire.

            Réponse à l’objection N°1 : Dans la justification qui est produite par le baptême on n’est pas passif par contrainte, mais on l’est volontairement. C’est pourquoi on exige de celui qui est baptisé l’intention de recevoir ce qu’on lui donne.

 

            Objection N°2. Si l’on omet ce qui est requis pour le baptême, on doit le recommencer ; comme quand on omet l’invocation de la Trinité, ainsi que nous l’avons dit (quest. 66, art. 6). Or, on ne voit pas qu’on doive baptiser de nouveau quelqu’un, parce qu’il n’a pas eu l’intention de recevoir ce sacrement ; autrement, puisqu’on n’a pas de preuve de l’intention qu’a eue celui qui a reçu le baptême, tout le monde pourrait demander à être baptisé de nouveau pour défaut d’intention. Il ne semble donc pas que l’intention soit requise de la part de celui qui est baptisé pour recevoir le sacrement.

            Réponse à l’objection N°2 : Si un adulte n’avait pas eu l’intention de recevoir le sacrement, on devrait le rebaptiser. Mais si la chose n’était pas certaine, on devrait dire : Si tu n’es pas baptisé, je te baptise.

 

            Objection N°3. On baptise pour effacer le péché originel. Or, le péché originel se contracte sans l’intention de celui qui naît. Par conséquent il semble que le baptême ne requiert pas d’intention de la part de celui qui est baptisé.

            Réponse à l’objection N°3 : Le baptême a pour but d’effacer non seulement le péché originel, mais encore les péchés actuels qui sont produits par la volonté et l’intention.

 

            Mais c’est le contraire. D’après le rite de l’Eglise, ceux qui doivent être baptisés déclarent qu’ils demandent de l’Eglise le baptême ; et par là ils font connaître l’intention qu’ils ont de le recevoir.

 

            Conclusion Puisque par le baptême nous mourons à la vie ancienne, et nous en commençons une nouvelle, il est nécessaire que celui qu’on baptise ait l’intention de recevoir le baptême qui est le commencement d’une vie nouvelle.

            Il faut répondre que par le baptême on meurt à la vie ancienne du péché et on commence une vie nouvelle, d’après ces paroles de l’Apôtre (Rom., 6, 4) : Nous avons été ensevelis avec le Christ par le baptême pour mourir au péché, afin que, comme Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts par la gloire de son Père, nous marchions de même dans une vie nouvelle. C’est pourquoi, d’après saint Augustin (hom. ult. inter 50, cap. 2), comme il faut dans celui qui a le libre arbitre la volonté de se repentir de son ancienne vie, pour qu’il meure à cette vie de péché ; de même il faut qu’il ait la volonté de commencer une vie nouvelle, dont la réception elle-même du sacrement est le commencement. C’est pourquoi de la part de celui qui est baptisé la volonté ou l’intention de recevoir le sacrement est requise.

 

Article 8 : La foi est-elle nécessaire de la part de celui qui est baptisé ?

 

            Objection N°1. Il semble que la foi soit nécessaire de la part de celui qui est baptisé. Car le sacrement de baptême a été établi par le Christ. Or, le Christ en donnant la forme du baptême met la foi avant lui, car il dit (Marc, 16, 19) : Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé. Il semble donc que si l’on n’a pas la foi, on ne puisse recevoir le sacrement de baptême.

            Réponse à l’objection N°1 : Le Seigneur parle en cet endroit du baptême selon qu’il conduit les hommes au salut par la grâce sanctifiante ; ce qui ne peut avoir lieu sans la vraie foi. C’est pourquoi il dit expressément : Celui qui aura cru et qui aura été baptisé sera sauvé.

 

            Objection N°2. Dans les sacrements de l’Eglise on ne fait rien en vain. Or, d’après le rite de l’Eglise, on interroge sur sa foi celui qui se présente pour être baptisé, puisqu’on lui demande : Croyez-vous en Dieu le Père ? etc. Il semble donc que la foi soit requise pour le baptême.

            Réponse à l’objection N°2 : L’Eglise a l’intention de baptiser les hommes, pour les délivrer du péché, d’après la pensée du prophète qui dit (Is., 27, 9) : que tout le fruit qu’on se propose, c’est d’effacer le péché. C’est pourquoi elle veut, autant qu’il est en elle, ne baptiser que ceux qui ont la foi droite, sans laquelle les péchés ne sont pas remis. C’est pour ce motif qu’elle demande à ceux qui se présentent au baptême s’ils croient. Mais si quelqu’un reçoit le baptême hors de l’Eglise sans avoir la vraie foi, il ne le reçoit pas pour son salut. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. 4 de bapt. cont. Donat.) : L’Eglise comparée au paradis nous indique qu’on peut recevoir son baptême hors de son sein, mais que hors d’elle personne ne peut arriver au salut de la béatitude éternelle.

 

            Objection N°3. On requiert pour le baptême l’intention de recevoir ce sacrement. Or, on ne peut avoir cette intention, si l’on n’a une foi droite ; puisque le baptême est le sacrement de la foi véritable. Car c’est par lui qu’on est incorporé au Christ, comme le dit saint Augustin (Lib. 1 de Bapt. parv. seu de peccat. merit. et remiss., chap. 26), et on ne peut être incorporé au Christ sans la vraie foi, d’après l’Apôtre qui dit (Eph., 3, 17) : que le Christ habite dans nos cœurs par la foi. Il semble donc que celui qui n’a pas la vraie foi ne puisse recevoir le sacrement de baptême.

            Réponse à l’objection N°3 : Celui qui n’a pas la vraie foi sur d’autres articles peut l’avoir à l’égard du sacrement de baptême, et par conséquent rien n’empêche qu’il ne puisse avoir l’intention de recevoir ce sacrement. Si cependant à l’égard de ce sacrement il n’a pas des idées saines, il suffit pour le recevoir qu’il en ait l’intention générale, et qu’il se propose de recevoir le baptême, tel que le Christ l’a établi et que l’Eglise le confère.

 

            Objection N°4. L’infidélité est le péché le plus grave, comme nous l’avons vu (2a 2æ quest. 10, art. 3). Or, ceux qui restent dans le péché ne doivent pas être baptisés. On ne doit donc pas non plus baptiser ceux qui persévèrent dans l’infidélité.

            Réponse à l’objection N°4 : Comme on ne doit pas conférer le baptême à celui qui ne veut pas renoncer à ses péchés ; de même on ne doit pas baptiser non plus celui qui veut rester dans son infidélité. Cependant si on les baptise, ils reçoivent l’un et l’autre Je sacrement, quoiqu’ils ne le reçoivent pas pour leur salut (Ainsi on ne pourrait pas les rebaptiser de nouveau.).

 

            Mais c’est le contraire. Saint Grégoire écrivant à l’évêque Quirin dit (in Regist., liv. 9, epist. 61) : Les antiques traditions de nos pères nous apprennent que ceux qui sont baptisés parmi les hérétiques, au nom de la Trinité, quand ils reviennent à la sainte Eglise sont reçus dans son sein par l’onction du saint chrême, ou l’imposition des mains, ou la seule profession de foi. Or, il n’en serait pas ainsi, si la vraie foi était nécessaire au baptême. Elle n’est donc pas requise nécessairement pour qu’on reçoive ce sacrement.

 

            Conclusion La foi est nécessaire dans celui qui reçoit le baptême pour qu’il obtienne la grâce attachée à ce sacrement, mais elle n’est pas nécessaire pour qu’il en ait le caractère.

            Il faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 62, art. 1), et quest. 66, art. 9), le baptême produit dans l’âme deux choses : le caractère et la grâce. Par conséquent une chose est requise nécessairement pour le baptême de deux manières : 1° On peut appeler nécessaire ce sans quoi on ne peut avoir la grâce, qui est le dernier effet du sacrement. La vraie foi est ainsi requise nécessairement pour le baptême (Pour que le baptême sait fructueux, non seulement il faut l’intention de recevoir le sacrement et la vraie foi, mais il faut encore, comme nous l’avons dit, la contrition avec un commencement d’amour de Dieu quand il s’agit des adultes.), parce que, comme le dit saint Paul (Rom., 3, 22) : La justice de Dieu est produite par la foi de Jésus-Christ. 2° On regarde comme nécessairement requis pour le baptême ce sans quoi le caractère baptismal ne peut être imprimé. En ce sens la vraie foi n’est requise nécessairement pour le baptême, ni de la part de celui qui est baptisé, ni de la part de celui qui baptise ; pourvu que du reste on fasse toutes les autres choses qui sont nécessaires au sacrement. Car le sacrement n’est pas produit par la justice de l’homme qui donne ou qui reçoit le baptême, mais par la vertu de Dieu.

 

Article 9 : Les enfants doivent-ils être baptisés ?

 

            Objection N°1. Il semble que les enfants ne doivent pas être baptisés. Car il faut dans celui qui est baptisé l’intention de recevoir le sacrement, comme nous l’avons dit (art. 7). Or, les enfants ne peuvent avoir cette intention, puisqu’ils n’ont pas l’usage de leur libre arbitre. Il semble donc qu’ils ne puissent recevoir le sacrement de baptême.

            Réponse à l’objection N°1 : La régénération spirituelle qui est produite par le baptême ressemble d’une certaine manière à la naissance charnelle, du moins en ceci : c’est que comme les enfants qui sont dans le sein de leur mère ne se nourrissent pas par eux-mêmes, mais sont sustentés par la nourriture de la mère ; de même les enfants qui n’ont pas encore l’usage de raison, étant en quelque sorte dans le sein de l’Eglise, leur mère, ne reçoivent pas le salut par eux-mêmes, mais par l’action de l’Eglise. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De peccator. merit. et remiss., liv. 1, chap. 25) : L’Eglise notre mère prête aux petits enfants sa bouche maternelle pour les pénétrer des sacrés mystères ; parce qu’ils ne peuvent pas croire par leur propre cœur pour être justifiés, et qu’ils ne peuvent confesser leur foi par leur propre bouche pour être sauvés. Puis il ajoute (chap. 19) : Si on leur donne avec raison le nom de fidèles, parce qu’ils professent la foi d’une certaine manière par l’organe de ceux qui les enfantent au Christ, pourquoi ne leur donnerait-on pas le nom de pénitents, puisqu’ils renoncent au démon et au siècle par la bouche de ces mêmes personnes. Pour la même raison, on peut dire qu’ils ont l’intention d’être baptisés, non par l’acte de leur propre volonté, puisque quelquefois ils s’y opposent et qu’ils pleurent, mais par l’acte de ceux qui les présentent au baptême.

 

            Objection N°2. Le baptême est le sacrement de la foi, comme nous l’avons dit (quest. 65, art. 1). Or, les enfants n’ont pas la foi qui consiste dans la volonté de ceux qui croient, comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., tract. 26, et Lib. de prædest. sanct., chap. 5). On ne peut pas dire non plus qu’ils soient sauvés dans la foi de leurs parents-, puisque ceux-ci sont quelquefois des infidèles, et que par conséquent ils les damneraient plutôt par leur infidélité. Il semble donc que les enfants ne puissent pas être baptisés.

            Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin écrivant à l’évêque Boniface (Cont. duas. epist. Pelag., liv. 1, chap. 22), dans l’Eglise du Sauveur les petits enfants croient par les autres, comme ils ont contracté d’après les autres les péchés qui sont remis dans le baptême (C’est la double application de la grande loi de la solidarité.). Ils n’en sont pas moins sauvés quoique leurs parents soient des infidèles, parce que, comme l’observe le même docteur dans une de ses lettres au même évêque (Epist. 98) : Les enfants sont présentés pour recevoir la grâce spirituelle, moins par ceux qui les portent entre leurs bras (quoiqu’ils le soient aussi par ceux-là mêmes lorsqu’ils sont de véritables chrétiens) que par toute la société des saints et des fidèles. Car il faut comprendre qu’ils sont présentés par tous ceux qui sont contents qu’ils le soient, et dont la charité contribue à les mettre en union avec l’Esprit-Saint. Mais l’infidélité des parents ne nuit point aux enfants, quand même ils s’efforceraient de les faire participer aux sacrifices des démons après le baptême ; parce que, comme le dit saint Augustin (ibid.), un enfant, après avoir été engendré par la volonté charnelle des autres, et après avoir été une fois régénéré par une volonté étrangère et spirituelle, ne peut plus contracter aucun péché par la volonté d’autrui, si la sienne n’y consent. Car l’âme du père est à moi ainsi que l’âme du fils, dit Dieu par le prophète (Ez., 18, 4), et celle qui aura péché mourra. Ce qui fait que l’âme a reçu d’Adam une tache qui ne peut être effacée que par la grâce du sacrement, c’est qu’elle n’était point encore vivante séparée de lui, quand il a commis son péché. Ainsi la foi d’une personne, et même de toute l’Eglise, sert aux petits enfants par l’opération de l’Esprit-Saint, qui unit l’Eglise et qui communique les biens de l’un à un autre.

 

            Objection N°3. Saint Pierre dit (1 Pierre, 3, 21) : que le baptême sauve les hommes, non en purifiant la chair de ses souillures, mais en engageant l’homme à conserver sa conscience pure pour Dieu. Or, les enfants n’ont la conscience ni bonne, ni mauvaise, puisqu’ils n’ont pas l’usage de la raison ; et il n’est pas non plus convenable de les interroger, puisqu’ils ne comprennent pas. Ils ne doivent donc pas être baptisés.

            Réponse à l’objection N°3 : Comme l’enfant, quand on le baptise, ne croit pas par lui-même, mais par les autres ; de même on ne l’interroge pas par lui-même, mais par les autres ; et ceux qui sont interrogés confessent la foi de l’Eglise au nom de l’enfant, qui y est uni par le sacrement de la foi. Par la grâce sanctifiante, l’enfant reçoit en lui-même une conscience qui est pure ; cette grâce n’est pas actuelle (Elle ne peut être actuelle, car l’intelligence et la volonté ne sont pas susceptibles de recevoir son action et son mouvement.), mais habituelle.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Denis dit (chap. ult. De hier. ecclesiast.) : Nos chefs divins, c’est-à-dire les apôtres, ont approuvé qu’on baptisât les enfants.

 

            Conclusion On doit baptiser les enfants puisqu’ils sont souillés du péché originel, et pour qu’étant nourris dès leur enfance dans la religion chrétienne, ils y persévèrent plus sûrement.

            Il faut répondre que, comme le dit l’Apôtre (Rom., 5, 17) : Si à cause du péché d’un seul la mort a régné par ce seul homme, c’est-à-dire par Adam, à bien plus et des dons et de la justice, régneront-ils dans la vie par un seul forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce, et des dons de la justice, régneront-ils dans la vie par la vie d’un seul homme, qui est Jésus-Christ. Or, les enfants contractent le péché originel par suite du péché d’Adam : ce qui est évident par là même qu’ils sont soumis à la mort, qui a passé par le péché du premier homme dans tous les autres, comme le dit saint Paul (ibid.). A plus forte raison les enfants peuvent-ils recevoir la grâce par le Christ pour régner dans la vie éternelle. Et comme le Seigneur dit lui-même (Jean, 3, 5) : Que si l’on ne renaît de l’eau et de l’Esprit-Saint, on ne peut entrer dans le royaume de Dieu ; il s’ensuit qu’il a été nécessaire que les enfants fussent baptisés, afin que comme ils ont la damnation par Adam en naissant, de même ils arrivent au salut en renaissant par le Christ. — Il a encore été convenable qu’on baptisât les enfants, afin qu’étant nourris dès leur enfance dans les choses qui appartiennent à la vie chrétienne, ils y persévérassent plus fermement, d’après cette maxime (Prov., 22, 6) : Formez l’enfant à l’entrée de la vie, car il ne s’en éloignera point même dans sa vieillesse. Saint Denis donne cette raison (ult. chap. Eccles. hier., vers. fin.).

 

Article 10 : Doit-on baptiser les enfants des juifs ou des autres infidèles malgré leurs parents ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’on doive baptiser les enfants des juifs ou des autres infidèles malgré leurs parents. Car on doit plutôt venir en aide à l’homme contre le danger de la mort éternelle que contre celui de la mort temporelle. Or, on doit venir en aide à un enfant qui serait exposé au péril de la mort temporelle, quand même ses parents s’y opposeraient par malice. A plus forte raison doit-on venir en aide aux enfants des infidèles, en les délivrant par le baptême du danger de la mort éternelle, même malgré leurs parents.

            Réponse à l’objection N°1 : On ne doit pas délivrer quelqu’un de la mort corporelle contre le droit civil ; par exemple, si quelqu’un est condamné à mort par son juge, personne ne doit l’arracher à la mort violemment. On ne doit donc pas non plus aller contre le droit naturel, par lequel le fils est placé sous la tutelle du père, dans le but de le délivrer du danger de la mort éternelle.

 

            Objection N°2. Les enfants des serfs sont serfs et sous la puissance de leurs seigneurs. Or, les juifs sont les serfs des rois et des princes, et il en est de même de tous les autres infidèles. Les princes peuvent donc sans injustice faire baptiser les enfants des juifs et des autres serfs qui sont infidèles.

            Réponse à l’objection N°2 : Les juifs sont les serfs des princes d’après la servitude civile qui n’exclut pas l’ordre du droit naturel ou divin.

 

            Objection N°3. Tout homme appartient à Dieu, d’où lui vient son âme, plus qu’à son père charnel, dont il tient son corps. Il n’est donc pas injuste que les petits enfants des infidèles soient enlevés à leurs parents charnels et consacrés à Dieu par le baptême.

            Réponse à l’objection N°3 : L’homme se rapporte à Dieu par la raison, au moyen de laquelle il peut le connaître. Ainsi l’enfant, avant d’avoir l’usage de raison, est, d’après l’ordre naturel, mis en rapport avec la raison de ses parents, sous la tutelle desquels la nature le place, et c’est d’après leur disposition qu’on doit le traiter relativement aux choses divines.

 

            Mais c’est le contraire. Ainsi il est dit (Decret., dist. 45, chap. 5, et Conc. Tolet. 4, can. 57) : A l’égard des juifs, le saint concile ordonne qu’on ne fasse violence à personne pour l’obliger à croire ; car on ne doit pas sauver ces hommes malgré eux, mais il faut qu’ils le soient volontairement pour que la forme de la justice soit entière.

 

            Conclusion Les enfants des infidèles étant confiés aux soins de leurs parents avant qu’ils n’aient l’usage du libre arbitre, on ne doit pas alors les baptiser malgré ces derniers ; mais quand ils ont l’usage du libre arbitre et qu’ils sont maîtres d’eux- mêmes pour les choses divines, on peut avec raison les engager et les exciter à recevoir le baptême.

            Il faut répondre que les enfants des infidèles ont l’usage du libre arbitre ou ils ne l’ont pas. S’ils l’ont, par rapport à ce qui est de droit divin ou de droit naturel, ils commencent à être maîtres d’eux-mêmes. C’est pourquoi ils peuvent de leur volonté propre, malgré leurs parents, recevoir le baptême, comme ils peuvent aussi se marier. C’est pour cela qu’on peut licitement les engager à se faire baptiser et le leur conseiller. — Mais s’ils n’ont pas l’usage du libre arbitre, de droit naturel ils sont sous la garde de leurs parents, tant qu’ils ne peuvent pourvoir à eux-mêmes. C’est pourquoi il est dit des enfants des anciens qu’ils étaient sauvés dans la foi de leurs parents. C’est pour cela qu’il serait contraire à la justice naturelle que ces enfants fussent baptisés malgré leurs parents, comme si l’on baptisait quelqu’un qui a l’usage de raison malgré lui. D’ailleurs il serait dangereux de baptiser ainsi les enfants des infidèles, parce qu’ils retourneraient facilement à leur infidélité par l’affection naturelle qu’ils ont pour leurs parents. C’est pour ce motif que l’Eglise n’a pas coutume de baptiser les enfants des infidèles malgré leurs parents.

 

Article 11 : Les enfants qui sont dans le sein de leur mère doivent-ils être baptisés ?

 

            Objection N°1. Il semble que les enfants qui sont dans le sein de leur mère puissent être baptisés. Car le don du Christ est plus efficace pour le salut que le péché d’Adam pour la damnation, comme le dit l’Apôtre (Rom., chap. 5). Or, les enfants sont damnés dans le sein de leur mère à cause du péché d’Adam. A plus forte raison peuvent-ils être sauvés par le don du Christ, qui est produit par le baptême. Les enfants qui sont dans le sein de leur mère peuvent donc être baptisés.

            Réponse à l’objection N°1 : Les enfants qui sont dans le sein de leur mère n’ont pas encore vu le jour de manière à vivre avec les autres hommes. Ainsi ils ne peuvent pas être soumis à l’action des hommes de telle sorte qu’ils reçoivent les sacrements par leur ministère pour être sauvés. Mais ils peuvent être soumis à l’opération de Dieu en qui ils vivent, de manière à obtenir ainsi leur sanctification par un privilège de la grâce, comme on le voit à l’égard de ceux qui ont été sanctifiés dans le sein de leur mère.

 

            Objection N°2. L’enfant qui est dans le sein de sa mère paraît être quelque chose d’elle. Or, en baptisant la mère, on baptise tout ce qui est en elle et qui lui appartient. Il semble donc qu’en baptisant la mère on baptise l’enfant qui est dans son sein.

            Réponse à l’objection N°2 : Un membre intérieur de la mère est quelque chose d’elle par continuité et par l’union naturelle de la partie avec le tout ; tandis que l’enfant qui est dans son sein est quelque chose d’elle par suite du lien qui unit l’un à l’autre deux corps bien distincts. Il n’y a donc pas de parité.

 

            Objection N°3. La mort éternelle est pire que la mort corporelle. Or, de deux maux on doit choisir le moindre. Si donc l’enfant qui est dans le sein de sa mère ne peut être baptisé, il serait mieux qu’on ouvrît le sein de la mère et qu’on le baptisât après l’en avoir tiré de force, plutôt que de laisser mourir l’enfant sans baptême, pour être damné éternellement.

            Réponse à l’objection N°3 : On ne doit pas faire le mal pour que le bien arrive, selon la pensée de saint Paul (Rom., 3, 8). C’est pourquoi on ne doit pas tuer la mère pour baptiser l’enfant. Si cependant la mère mourait et que l’enfant fût vivant dans son sein, on devrait l’ouvrir pour baptiser l’enfant (Cette opération ne peut être faite que par un médecin ; si on trouve l’enfant encore vivant, on le baptise absolument ; si on doute de sa mort on le baptise conditionnellement.).

 

            Objection N°4. Il arrive quelquefois qu’il n’y a qu’une partie de l’enfant qui sort d’abord. Ainsi il est dit (Gen., 38, 27) : que Thamar étant en couche, l’un des deux enfants passa la main, et que la sage-femme la prit et y lia un ruban d’écarlate, en disant : celui-ci sort le premier. Mais cet enfant ayant retiré sa main, ce fut son frère qui sortit. Or, quelquefois dans ce cas il y a danger de mort. Il semble donc que cette partie doive être baptisée, l’enfant étant encore dans le sein de sa mère.

            Réponse à l’objection N°4 : On doit attendre que l’enfant soit totalement sorti du sein de la mère pour le baptiser, si la mort n’est pas imminente. Mais si la tête sort la première, comme elle est la partie où tous les sens ont leur siège, on doit le baptiser dans le cas de nécessité, et on ne doit pas le rebaptiser ensuite, s’il lui arrive de naître parfaitement. Il semble qu’on doive faire de même, quelle que soit la partie du corps qui se présente, si le danger est imminent. Mais, parce que la vie ne réside tout entière dans aucune des parties du corps comme dans la tête, il y en a qui pensent que, quelle que soit la partie du corps que l’eau ait touchée, en raison du doute, l’enfant, après qu’il est né complètement, doit être baptisé de nouveau sous cette forme : Si tu n’es pas baptisé, je te baptise (Le Rituel romain s’exprime ainsi à ce sujet : Si infans caput emiserit et periculum mortis immineat, baptizatur in capite, nec posteà, si rivus evaseriâ, erit iterùm baptizandus ; at si aliud membrum emiserit quod vitalem motum indicet in illo, in periculum impendeat, baptizetur ; et tunc, si natus vixerit, erit sub conditione baptizandus.).

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Epist. 287 ad Dardan.) : On ne renaît pas, si on ne naît d’abord. Or, le baptême est une régénération spirituelle. On ne doit donc pas être baptisé avant qu’on ne soit né.

 

            Conclusion Puisque le corps de l’enfant qui est dans le sein de sa mère ne peut recevoir l’ablution de l’eau, il est évident que l’enfant ne peut pas être ainsi baptisé.

            Il faut répondre qu’il est nécessaire pour le baptême que le corps de celui qui doit être baptisé soit lavé par l’eau de quelque manière, puisque le baptême est une ablution, comme nous l’avons dit (quest. 66, art. 1). Or, le corps de l’enfant, avant qu’il soit sorti du sein de sa mère, ne peut recevoir l’ablution de l’eau d’aucune manière ; à moins que par hasard on ne dise que l’ablution baptismale qui lave le corps de la mère n’arrive à l’enfant qui est dans son sein. Mais cela est impossible, soit parce que l’âme de l’enfant que le baptême doit sanctifier est distincte de l’âme de la mère ; soit parce que son corps qui est animé est déjà formé et par conséquent distinct aussi de celui de sa mère ; et c’est pour cela que le baptême que la mère reçoit ne rejaillit pas sur l’enfant qui existe dans son sein. C’est ce qui fait dire à saint Augustin contre Julien (liv. 4, chap. 44) : Si ce qui est conçu dans la mère appartient à son corps de telle sorte qu’on le considère comme une de ses parties, on ne baptiserait pas un enfant, dont la mère l’aurait été dans un danger de mort pressant, lorsqu’elle le portait dans son sein. Mais puisqu’on baptise néanmoins l’enfant, il est donc manifeste qu’il n’appartenait pas au corps de sa mère, lorsqu’il était dans son sein. Par conséquent il s’ensuit que les enfants qui sont dans le sein de leur mère ne peuvent être baptisés d’aucune manière (Le Rituel romain dit : Nemo in utero matris clausus baptizari debet. Cependant, ajoute Mgr Gousset, dans les accouchements laborieux, si on craint que l’enfant ne meure dans le sein maternel, la sage-femme ou le chirurgien doit, si on juge la chose possible, le baptiser, en faisant parvenir l’eau quo meliori modo, sauf à faire réitérer le baptême sous condition, si l’enfant vient à naître.).

 

Article 12 : Les furieux et les fous doivent-ils être baptisés ?

 

            Objection N°1. Il semble que les furieux et les fous ne doivent pas être baptisés. Car pour recevoir le baptême on requiert l’intention dans celui qui est baptisé, comme nous l’avons dit (art. 7). Or, les furieux et les fous ne peuvent avoir qu’une intention déréglée, puisqu’ils n’ont pas l’usage de raison. On ne doit donc pas les baptiser.

            Réponse à l’objection N°1 : Les fous qui n’ont jamais eu et qui n’ont pas l’usage de raison sont baptisés d’après l’intention de l’Eglise, comme ils croient et se repentent d’après son action, ainsi que nous l’avons dit au sujet des enfants (art. 9). Mais ceux qui ont eu dans un temps ou qui ont l’usage de raison, on les baptise d’après l’intention propre qu’ils ont ou qu’ils ont eue dans le temps où leur esprit était sain.

 

            Objection N°2. L’homme surpasse les animaux en ce qu’il a la raison. Or, les furieux et les fous n’ont pas l’usage de raison, et quelquefois on n’espère pas qu’ils l’aient comme on le fait des enfants. Il semble donc que comme on ne baptise pas les animaux, de même on ne doive pas baptiser les furieux et les fous.

            Réponse à l’objection N°2 : Les furieux ou les fous sont privés de l’usage de la raison par accident, c’est-à-dire par suite de l’empêchement d’un organe corporel, mais non à cause de ce qui manque à l’âme raisonnable, comme les animaux. Il n’y a donc pas de parité à établir.

 

            Objection N°3. L’usage de la raison est plus enchaîné dans les furieux et les fous que dans ceux qui dorment. Or, ordinairement on ne confère pas le baptême à ceux qui dorment. On ne doit donc pas le conférer aux fous et aux furieux.

            Réponse à l’objection N°3 : Ceux qui dorment ne doivent pas être baptisés, à moins qu’ils ne soient en danger de mort. Dans ce cas on doit les baptiser s’ils ont auparavant manifesté la volonté de recevoir le baptême, comme nous l’avons dit au sujet des fous (dans le corps de l’article.) et comme saint Augustin le raconte de son ami (Confess., liv. 4) qui fut baptisé sans le savoir, parce qu’il était en danger de mort.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit de l’un de ses amis (Conf., liv. 4, chap. 4), que, quand il fut dans un état désespéré, on le baptisa sans qu’il le sût. Le baptême n’en fut pas moins efficace. On doit donc quelquefois conférer le baptême à ceux qui sont privés de l’usage de la raison.

 

            Conclusion Ceux qui sont fous de naissance étant semblables à des enfants, on doit les baptiser ; mais on doit baptiser aussi ceux qui ont été raisonnables auparavant, s’ils ont eu l’intention de recevoir le baptême ou s’ils ont des intervalles lucides et qu’ils le demandent, pendant qu’ils ont l’usage de leur raison.

            Il faut répondre qu’à l’égard des fous et des furieux il faut faire une distinction. Car il y en a qui le sont de naissance, sans avoir aucun intervalle lucide, de manière qu’on ne voit jamais en eux aucune lueur de raison. Pour ceux-là il semble que relativement au baptême on doive porter sur eux le même jugement que sur les enfants que l’on baptise dans la foi de l’Eglise (C’est aussi ce que dit formellement le Rituel romain : Si tales à nativitate fuerint, de iis idem iudicium faciendum est quod de infantibus ; atque in fide Ecclesiæ baptizari possunt.), comme nous l’avons dit (art. 9). — Il y en a d’autres qui, après avoir eu l’esprit sain d’abord, sont devenus fous. On doit juger ceux-ci d’après les intentions qu’ils ont eues, lorsqu’ils avaient l’esprit sain. C’est pourquoi si l’on a vu qu’ils aient eu alors la volonté de recevoir le baptême, on doit le leur conférer dans leur fureur et leur démence, quand même ils feraient dans ce cas de l’opposition. Autrement, si l’on n’a pas remarqué en eux la volonté d’être baptisés, lorsqu’ils avaient l’esprit sain, on ne doit pas les baptiser. — Il y en a d’autres qui, quoiqu’ils soient furieux ou fous de naissance, ont néanmoins des intervalles lucides dans lesquels ils peuvent faire un usage convenable de leur raison. Si dans ce cas ils veulent être baptisés on peut le faire, même quand ils sont dans leur démence. On doit même leur conférer ce sacrement si l’on craint qu’il n’y ait danger. Autrement il vaut mieux attendre le temps où ils ont leur raison, pour qu’ils reçoivent le sacrement avec plus de dévotion. Mais si dans les instants lucides, on ne voit pas en eux la volonté de recevoir le baptême, on ne doit pas les baptiser quand ils sont dans leur folie. — Il y en a d’autres enfin qui, quoiqu’ils n’aient pas l’esprit absolument sain, ont cependant assez de raison pour pouvoir penser à leur salut et comprendre la vertu du sacrement. On doit raisonner à l’égard de ces derniers comme à l’égard de ceux qui ont l’esprit sain : on les baptise quand ils le veulent, mais on ne les baptise pas malgré eux.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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