Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 70 : De la circoncision qui a précédé le baptême

            Nous avons à nous occuper en dernier lieu de ce qui a préparé le baptême, et d’abord de la préparation qui l’a précédé, c’est-à-dire de la circoncision ; ensuite des préparatifs qui existent simultanément avec lui, c’est-à-dire du catéchisme et de l’exorcisme. — Sur la circoncision quatre questions se présentent : 1° La circoncision a-t-elle été une préparation et une figure du baptême ? — 2° De son institution. (Cet article et le suivant ont pour objet de rendre sensible la sagesse que Dieu a mise dans toutes ses œuvres (Sag., 11, 21) : Vous avez réglé toutes choses avec mesure, et avec nombre, et avec poids.) — 3° De son rite. — 4° De son effet. (A l’égard des enfants, la circoncision conférait la grâce ex opere operato passivè ; mais quand il s’agit des adultes, la question est beaucoup plus controversée. Un grand nombre de théologiens prétendent qu’elle ne conférait la grâce que ex opere operantis.)

 

Article 1 : La circoncision a-t-elle été la préparation et la figure du baptême ?

 

            Objection N°1. Il semble que la circoncision n’ait pas été la préparation et la figure du baptême. Car toute figure a de la ressemblance avec son objet figuré. Or, la circoncision n’a pas de ressemblance avec le baptême. Il semble donc qu’elle n’ait été ni la préparation, ni la figure de ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : La circoncision avait de la ressemblance avec le baptême par rapport à l’effet spirituel du sacrement. Car, comme on enlevait par la circoncision une partie du corps, de même par le baptême on dépouille l’homme de sa vie charnelle.

 

            Objection N°2. L’Apôtre dit en parlant des anciens pères (1 Cor., chap. 10) qu’ils ont tous été baptisés dans la nuée et dans la mer. Or, il ne dit pas qu’ils ont été baptisés dans la circoncision. La protection qui s’est manifestée dans la colonne de nuée et dans le passage de la mer Rouge a donc été plutôt une préparation au baptême et sa figure que la circoncision.

            Réponse à l’objection N°2 : Le miracle de la colonne de nuée et du passage de la mer Rouge ont été des figures de notre baptême par lequel nous renaissons de l’eau signifiée par la mer Rouge, et de l’Esprit-Saint signifié par la colonne de nuée ; mais ces miracles n’étaient pas une profession de foi comme la circoncision ; c’est pourquoi ils n’étaient que des figures et non des sacrements. Quant à la circoncision elle était un sacrement qui préparait au baptême ; cependant elle le figurait moins expressément que ces deux prodiges sous le rapport extérieur. C’est pourquoi l’Apôtre a plutôt fait mention de ces prodiges que de la circoncision (D’ailleurs rien n’empêche d’admettre que la même chose a été figurée de différentes manières sous la loi ancienne.).

 

            Objection N°3. Nous avons dit (quest. 38, art. 1, Réponse N°1) que le baptême de Jean a été une préparation au baptême du Christ. Si donc la circoncision a été préparatoire et figurative du baptême du Christ, il semble que le baptême de Jean ait été superflu ; ce qui répugne. Elle n’a donc été ni une préparation, ni une figure du baptême.

            Réponse à l’objection N°3 : Le baptême de Jean a été une préparation au baptême du Christ quant à l’exercice de l’acte, tandis que la circoncision l’a été quant à la profession de foi qui est requise dans le baptême, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

            Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (Col., 2, 11) : Vous avez été circoncis non de cette circoncision faite de main d’homme, qui consiste dans le dépouillement du corps, mais de la circoncision du Christ, et vous avez été ensevelis avec lui par le baptême.

 

            Conclusion. Puisque la foi des anciens a été la même que la nôtre, et que tout leur arrivait en figure, il est évident que la circoncision, qui est une profession de foi, a été une préparation et une figure du baptême.

            Il faut répondre qu’on appelle le baptême le sacrement de la foi, en ce sens que dans le baptême il y a une profession de foi, et que par le baptême on est agrégé à la société des fidèles. Or, notre foi est la même que celle des anciens patriarches, d’après ces paroles de saint Paul (2 Cor., 4, 13) : Nous croyons ayant le même esprit de foi. La circoncision était aussi une protestation de foi, et c’est pour cela qu’il est dit (Rom., 4, 11) : qu’Abraham reçut la circoncision comme le sceau de la foi, et c’était par conséquent par elle que les anciens étaient agrégés à la société des fidèles. D’où il est évident que la circoncision a été une préparation au baptême et qu’elle l’a figuré à l’avance, selon que tout ce qui arrivait aux juifs était une figure de l’avenir, d’après l’expression de saint Paul (1 Cor., chap. 10) ; comme leur loi avait aussi l’avenir pour objet.

 

Article 2 : La circoncision a-t-elle été convenablement établie ?

 

            Objection N°1. Il semble que la circoncision n’ait pas été convenablement établie. Car, comme nous l’avons dit (art. préc.), il y avait dans la circoncision une profession de foi. Or, personne n’a jamais pu être délivré du péché du premier homme que par la foi en la passion du Christ, d’après ces paroles (Rom., 3,25) : Celui que Dieu a destiné pour être la victime de propitiation par la foi qu’on aurait en son sang. La circoncision eût donc dû être établie immédiatement après le péché du premier homme et non dans le temps d’Abraham.

            Réponse à l’objection N°1 : Immédiatement après le péché du premier homme, par suite de la science d’Adam qui avait été pleinement instruit des choses divines, la foi et la raison naturelle étaient encore si puissantes dans l’homme qu’il n’avait pas besoin qu’on lui déterminât des signes particuliers de foi et de salut ; mais chacun exprimait sa foi à sa manière par les signes qui lui convenaient. Du temps d’Abraham la foi était affaiblie, un grand nombre se laissant déjà aller à l’idolâtrie. La raison naturelle avait été aussi obscurcie par l’accroissement de la concupiscence charnelle jusqu’au point de pécher contre nature. C’est pourquoi il a été convenable d’établir alors, et non auparavant, la circoncision pour professer la foi et pour diminuer la concupiscence de la chair.

 

            Objection N°2. Dans la circoncision l’homme faisait profession d’observer la loi ancienne, comme dans le baptême il fait profession d’observer la nouvelle. D’où l’Apôtre dit (Gal., 5, 3) : Je déclare à tout homme qui se fait circoncire, qu’il s’engage à observer la loi. Or, on n’a pas commencé à observer la loi du temps d’Abraham, mais plutôt du temps de Moïse. C’est donc à tort que la circoncision a été établie du temps d’Abraham.

            Réponse à l’objection N°2 : La loi n’a dû être observée que quand le peuple a été réuni ; parce que la loi a pour but le bien public, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 90, art. 2). Or, le peuple des fidèles devait être uni par un signe sensible ; ce qui est nécessaire pour que les hommes soient unis dans une religion quelconque, comme le dit saint Augustin (Cont. Faust., liv. 19, chap. 11). C’est pour cette raison qu’il a fallu que la circoncision fût établie avant qu’on ne promulguât la loi. Quant aux patriarches qui ont vécu avant la loi, ils ont instruit leurs familles des choses divines sous forme d’avertissement paternel. D’où le Seigneur dit à d’Abraham (Gen., 18, 19) : Je sais qu’il ordonnera à ses enfants et à toute sa maison après lui de garder la voie du Seigneur.

 

            Objection N°3. La circoncision a été une figure et une préparation du baptême. Or, on confère le baptême à tous les peuples d’après ces paroles (Matth., 28, 19) : Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant, etc. La circoncision n’a donc pas dû être établie pour être observée seulement par le peuple juif, mais par tous les peuples.

            Réponse à l’objection N°3 : Le baptême contient en lui la perfection du salut à laquelle Dieu appelle tous les hommes, d’après la pensée de saint Paul qui dit (1 Tim., 2, 3) : que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. C’est pourquoi le baptême est offert à tous les peuples. Mais la circoncision ne contenait pas la perfection du salut ; elle la figurait seulement comme une chose qui devait être accomplie par le Christ qui devait naître des Juifs. C’est pour ce motif qu’elle n’a été donnée qu’à ce peuple.

 

            Objection N°4. La circoncision charnelle doit répondre à la circoncision spirituelle, comme la figure à l’objet figuré. Or, la circoncision spirituelle, qui est produite par le Christ, convient indifféremment aux deux sexes ; parce qu’en Jésus-Christ il n’y a ni homme ni femme, comme le dit saint Paul (Gal., chap. 3). C’est donc à tort que l’on a établi la circoncision, qui ne convient qu’aux hommes.

            Réponse à l’objection N°4 : La circoncision a été établie comme le signe de la foi d’Abraham qui a cru qu’il serait le père du Christ qui lui a été promis. C’est pourquoi il était convenable qu’elle ne se rapportât qu’aux hommes. C’est aussi du père et non de la mère que vient le péché originel contre lequel la circoncision a été spécialement établie, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 81, art. 5, dans le corps de l’article et Réponse N°2). Mais le baptême contient la vertu du Christ qui est la cause universelle du salut de tous les hommes et de la rémission de tous les péchés.

 

            Mais c’est le contraire. Car, comme on le voit (Gen., chap. 17), la circoncision a été établie par Dieu dont les œuvres sont parfaites.

 

            Conclusion Puisque Abraham a reçu le premier la promesse du Christ qui devait naître et qu’il s’est séparé le premier de la société des infidèles, il est convenable que la circoncision ait été établie en lui.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la circoncision était une préparation au baptême en ce qu’elle était une profession de la foi du Christ que nous professons aussi dans ce sacrement. Or, parmi les anciens patriarches, Abraham est le premier qui ait reçu la promesse de l’avènement du Christ, puisqu’il lui a été dit (Gen., 22, 18) : Toutes les nations de la terre seront bénies en votre race. Il est aussi le premier qui se soit séparé de la société des infidèles, d’après l’ordre de Dieu qui lui a dit (Gen., 12, 1) : Sortez de votre terre et de votre famille. C’est pourquoi il est convenable que la circoncision ait été établie dans ce patriarche.

 

Article 3 : Le rite de la circoncision a-t-il été convenable ?

 

            Objection N°1. Il semble que le rite de la circoncision n’ait pas été convenable. Car la circoncision, comme nous l’avons dit (art. 1 et 2 préc.), est une profession de foi. Or, la foi existe dans la puissance qui perçoit, dont les opérations se manifestent surtout dans la tête. Le signe de la circoncision eût donc dû être placé sur la tête plutôt que sur le membre de la génération.

            Réponse à l’objection N°1 : C’était avec raison que la circoncision se pratiquait sur le membre de la génération : 1° parce qu’elle était le signe de la foi par laquelle Abraham a cru que le Christ naîtrait de sa race ; 2° parce qu’elle était un remède au péché originel, qui se transmet par l’acte de la génération ; 3° parce qu’elle avait pour but d’affaiblir la concupiscence de la chair, qui subsiste surtout dans cet organe à cause de l’abondance de la délectation charnelle.

 

            Objection N°2. Pour l’usage des sacrements nous employons les choses dont on se sert le plus communément, comme l’eau qui sert à laver et le pain à se nourrir. Or, pour couper on se sert plus communément d’un couteau de fer que d’un couteau de pierre. On n’eût donc pas dû faire la circoncision avec un couteau de pierre.

            Réponse à l’objection N°2 : Le couteau de pierre n’était pas nécessaire à la circoncision. Aussi on ne trouve pas que cet instrument ait été déterminé par un précepte divin. Généralement, les Juifs ne se servaient pas de cet instrument pour circoncire (Saint Justin, dans son Dialogue avec Tryphon, dit que la première circoncision a été faite avec un couteau de fer, et que les juifs de son temps se servaient généralement de cet instrument.), comme ils ne s’en servent pas non plus maintenant. Cependant on parle de circoncisions fameuses qui ont été faites avec un couteau de pierre. Ainsi il est dit (Ex., 4, 25) : Que Séphora prit aussitôt une pierre très tranchante et circoncit la chair de son fils. Le Seigneur dit à Josué (Josué, 5, 2) : Faites-vous des couteaux de pierre, et circoncisez une seconde fois les enfants d’Israël. Ce qui figurait que la circoncision spirituelle devait être produite par le Christ, dont il est dit (1 Cor., 10, 4) : La pierre était le Christ.

 

            Objection N°3. Comme le baptême est établi pour remédier au péché originel, de même aussi la circoncision, ainsi que le dit Bède (Hom. circumc.). Or, le baptême n’est pas différé jusqu’au huitième jour, dans la crainte que les enfants ne soient exposés au péril d’être damnés, à cause du péché originel, s’ils venaient à mourir n’étant pas encore baptisés. Cependant quelquefois on baptise aussi après le huitième jour. On n’eût donc pas dû déterminer pour la circoncision le huitième jour, mais on devait quelquefois prévenir ce délai, comme on devait aussi quelquefois attendre plus tard.

            Réponse à l’objection N°3 : Le huitième jour était fixé pour la circoncision ; soit pour une raison mystique, parce que dans le huitième âge, qui sera l’âge de la résurrection, la circoncision spirituelle sera consommée par le Christ (comme dans le huitième jour), alors qu’il délivrera les élus, non seulement de leur faute, mais encore de toutes leurs peines ; soit à cause de la tendresse du corps de l’enfant avant le huitième jour. C’est pour cette raison que la loi donne ce précepte au sujet des autres animaux (Lév., 12, 27) : Lorsqu’un veau, un agneau et un chevreau seront nés, ils seront sept jours à téter leur mère ; mais le huitième jour et les suivants ils pourront être offerts au Seigneur. Le huitième jour elle était de nécessité de précepte, de telle sorte que si on le dépassait on péchait, quand même c’eût été le jour du sabbat, d’après ces paroles (Jean, 7, 23) : On circoncit un homme le jour du sabbat, pour ne pas violer la loi de Moïse. Mais ce terme n’était pas nécessaire pour le sacrement. Car si quelques uns n’étaient pas circoncis le huitième jour, ils pouvaient l’être ensuite. — D’autres disent que dans le cas d’un danger de mort imminent on pouvait devancer le huitième jour. Mais ce sentiment ne peut être appuyé ni sur l’autorité de l’Ecriture, ni sur la coutume des Juifs. — Il vaut donc mieux dire, comme le remarque Hugues de Saint-Victor (liv. 1 De sacram., part. 12, chap. 2), qu’aucune nécessité ne faisait devancer le huitième jour (Ainsi le huitième jour était de nécessité de précepte.). C’est pourquoi, à l’occasion de ces paroles de Salomon (Prov., chap. 4) : J’étais aux yeux de ma mère comme un fils unique, la glose dit (ord.) qu’il ne parle pas de l’autre enfant de Bersabée, parce qu’étant mort avant le huitième jour il ne reçut pas de nom, et par conséquent ne fut pas circoncis.

            Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Rom., chap. 4) : Et signum accepit circumcisionis, la glose dit (ord.) : que le rite de la circoncision est déterminé d’une manière convenable.

 

            Conclusion La circoncision étant un signe de la foi établi par Dieu, son rite a été prescrit dans la loi d’une manière convenable.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la circoncision est un signe de la foi établi par Dieu, dont la sagesse est infinie. Or, il appartient à la sagesse de déterminer les signes qui conviennent. C’est pourquoi on doit reconnaître que le rite de la circoncision a été convenable.

 

Article 4 : La circoncision conférait-elle la grâce sanctifiante ?

 

            Objection N°1. Il semble que la circoncision ne conférait pas la grâce sanctifiante. Car saint Paul dit (Gal., 2, 21) : Si la justice s’acquiert par la loi, c’est donc en vain que Jésus-Christ est mort, c’est-à-dire sans motif. Or, la circoncision était une sorte d’obligation que l’on contractait de remplir la loi, d’après ces paroles du même apôtre (Gal., 5, 3) : Je déclare à tout homme qui se fait circoncire, qu’il est tenu d’observer toute la loi. Si donc la justice est produite par la circoncision, c’est en vain, c’est-à-dire sans cause que le Christ est mort. Comme cela répugne, il s’ensuit que la circoncision ne produisait pas la grâce sanctifiante qui délivre du péché.

            Réponse à l’objection N°1 : Ce raisonnement serait concluant, si la justice avait été produite par la circoncision autrement que par la foi dans la passion du Christ.

 

            Objection N°2. Avant l’établissement de la circoncision, la foi seule suffisait pour être justifié. Car saint Grégoire dit (Mor., liv. 4, chap. 3) : Que l’eau du baptême fait parmi nous ce qu’a fait la foi seule chez les anciens pour les petits enfants. Or, la vertu de la foi n’a pas été affaiblie par là même que la circoncision a été prescrite. La foi seule justifiait donc les petits enfants et non la circoncision.

            Réponse à l’objection N°2 : Comme avant l’établissement de la circoncision, la foi seule dans le Christ à venir justifiait les enfants, aussi bien que les adultes, il en a été de même après que la circoncision a été établie. Mais auparavant on n’exigeait pas un signe particulier qui fût une manifestation de cette foi, parce que les fidèles ne s’étaient pas encore séparés des infidèles pour s’unir entre eux et offrir un culte au seul vrai Dieu. Cependant il est probable que les parents qui avaient la foi adressaient à Dieu quelques prières pour leurs enfants, surtout quand ils étaient en danger de mort, ou bien qu’ils les bénissaient (ce qui était en quelque sorte le sceau de la foi), comme les adultes offraient pour eux-mêmes des prières et des sacrifices.

 

            Objection N°3. Il est dit (Josué, 5, 5) : Que le peuple qui est né dans le désert a été quarante ans sans recevoir la circoncision. Si donc la circoncision effaçait le péché originel, il semble que tous ceux qui sont morts dans le désert, les enfants aussi bien que les adultes, auraient été damnés. On peut faire la même objection au sujet des enfants qui mouraient avant le huitième jour de la circoncision, que l’on ne devait pas devancer, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°3).

            Réponse à l’objection N°3 : Le peuple dans le désert était excusable de ne pas se conformer au précepte de la circoncision, soit parce qu’il ne savait pas en quel temps il devait décamper, soit parce que comme le dit saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 4, chap. 26), il n’était pas nécessaire qu’il eût un signe pour le distinguer, puisqu’il habitait dans un lieu où il était séparé des autres nations. Cependant, comme le remarque saint Augustin (Lib. Quæst. in Jos., quest. 6), ils étaient coupables de désobéissance, ceux qui négligeaient de le faire par mépris (Estius et plusieurs autres commentateurs pensent que la négligence qu’ils mettaient à observer ce précepte était coupable.). Néanmoins il semble qu’aucun d’eux ne soit mort incirconcis dans le désert, parce que, comme le dit le Psalmiste (Ps. 104) : Il n’y avait personne d’infirme dans leurs tribus ; mais il paraît qu’il n’est mort dans le désert que ceux qui avaient été circoncis en Egypte (Le Talmud et plusieurs rabbins ont aussi fait cette remarque.). Si cependant il v en a qui sont morts sans être circoncis, on doit penser d’eux ce que l’on pense de ceux qui mouraient avant l’établissement de la circoncision. On doit aussi penser de même des enfants qui mouraient avant le huitième jour sous la loi.

 

            Objection N°4. Il n’y a que le péché qui empêche d’entrer dans le royaume céleste Or, ceux qui ont été circoncis avant la passion étaient empêchés d’y entrer. La circoncision ne justifiait donc pas les hommes du péché.

            Réponse à l’objection N°4 : La circoncision effaçait le péché originel quant à la personne, mais il restait un obstacle du côté de la nature entière qui ne permettait pas d’entrer dans le royaume céleste ; cet obstacle a été enlevé par la passion du Christ. C’est pour cela que le baptême n’introduisait pas non plus dans le ciel avant la passion du Christ. La circoncision y aurait aussi introduit, si on l’eût pratiquée après la passion du Christ.

 

            Objection N°5. Le péché originel n’est pas remis sans le péché actuel, parce que c’est une impiété que de n’attendre de Dieu qu’un demi-pardon, comme le dit saint Augustin (alius auctor, in lib. De vera et falsâ pœnit., chap. 9) Or, on ne lit nulle part que la circoncision remette le péché actuel. Elle n remettait donc pas non plus le péché originel.

            Réponse à l’objection N°5 : Les adultes, quand ils étaient circoncis, obtenaient la rémission non seulement du péché originel, mais encore des péchés actuels ; toutefois il ne s’ensuit pas qu’ils aient été délivrés de toute la peine due à leur péché, comme dans le baptême où l’on reçoit une grâce plus abondante.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin écrit au comte Valère contre Julien (De nupt. et concupisc., liv. 2, chap. 11) : Depuis que la circoncision a été établie parmi le peuple de Dieu, elle a été le sceau de la justice d la foi, et elle servait à effacer dans les enfants la tache originelle et l’ancien péché ; comme le baptême, depuis qu’il est établi, sert à la régénération de l’homme.

 

            Conclusion Quoique la grâce ait été conférée dans la circoncision comme dans le baptême, par rapport à tous ses effets, cependant le baptême la produit d’une autre manière ; car dans la circoncision la grâce vient de la foi et non de la vertu d la circoncision elle-même, au lieu que dans le baptême on l’obtient par la force du sacrement.

            Il faut répondre que tout le monde reconnaît communément que la circoncision remettait le péché originel (C’est, à la vérité, le sentiment le plus suivi ; cependant Bellarmin, Vasquez, Lherminier, Noël Alexandre, Tournély et quelques autres sont d’une opinion différente.). Mais il y en a qui ont prétend qu’elle ne conférait pas la grâce, et qu’elle effaçait seulement le péché. C’est ce que suppose le Maître des sentences (1, dist. 4 Sent. et Rom., chap. 4 in glossâ ord. sup. illud : Signum accepit). Mais il ne peut en être ainsi, parc que la faute n’est remise que par la grâce, d’après ces paroles (Rom., 3, 24) Vous avez été justifiés gratuitement par la grâce, etc. — C’est pourquoi d’autres ont pensé que la circoncision conférait la grâce, quant aux effets qui éloignent la faute, mais non quant aux effets positifs, dans la crainte d’être forcés de dire que la grâce que la circoncision conférait suffisait pour accomplir les préceptes de la loi, et que par conséquent l’avènement du Chris a été superflu. Mais on ne peut non plus soutenir cette hypothèse 1° Parce que la circoncision donnait aux enfants la faculté de parvenir la gloire dans le temps convenable ; ce qui est le dernier effet positif de la grâce. 2° Parce que selon l’ordre de la cause formelle les effets positifs sont naturellement antérieurs aux effets privatifs, quoique, selon l’ordre de la cause matérielle, ce soit le contraire. Car la forme n’exclut la privation qu’en informant le sujet. — C’est pour cela que d’autres ont pensé que la circoncision conférait la grâce, quant à son effet positif, qui consiste rendre digne de la vie éternelle, mais non quant à tous ses effets, parce qu’elle ne suffisait pas pour comprimer le foyer de la concupiscence, ni pour accomplir les préceptes de la loi. C’est le sentiment que j’ai suivi autrefois (4, dist. 1, quest. 2, art. 4, quest. 3). Mais en considérant la chose avec soin, on voit que ce sentiment n’est pas fondé, parce que la moindre grâce peut résister à toute concupiscence, quelle qu’elle soit, et éviter ton les péchés mortels qu’on commet en transgressant les préceptes de la loi. Car la moindre charité aime plus Dieu que la cupidité n’aime des monceaux d’or et d’argent. — Par conséquent, il faut dire que dans la circoncision la grâce était conférée par rapport à tous ses effets, mais d’une autre manière que dans le baptême. Car dans le baptême elle est conférée d’après la vertu que ce sacrement possède, selon qu’il est l’instrument de la passion du Christ, qui est maintenant parfaite, au lieu que dans la circoncision elle était conférée, non en vertu de la circoncision elle-même, mais en vertu de la foi en la passion du Christ, dont la circoncision était le signe ; de telle sorte que celui qui recevait la circoncision professait qu’il recevait cette foi ; l’adulte le professait pour lui-même, et un autre le professait pour les enfants. C’est ce qui fait dire à saint Paul (Rom., 4, 11) : qu’Abraham reçut la marque de la circoncision, comme le sceau de la justice qui venait de la foi qu’il avait eue, c’est-à-dire que la justice venait de la foi qui était signifiée, et non de la circoncision qui la signifiait. Et parce que le baptême opère instrumentalement en vertu de la passion du Christ, tandis qu’il n’en est pas de même de la circoncision, il s’ensuit que le baptême imprime un caractère qui incorpore l’homme au Christ, et qu’il confère une grâce plus abondante que la circoncision. Car l’effet de ce qui est présent est supérieur à celui que produit son espérance.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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