Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question 70 : De la circoncision
qui a précédé le baptême
Nous avons à nous occuper en dernier lieu de ce qui a préparé le
baptême, et d’abord de la préparation qui l’a précédé, c’est-à-dire de la
circoncision ; ensuite des préparatifs qui existent simultanément avec lui,
c’est-à-dire du catéchisme et de l’exorcisme. — Sur la circoncision quatre
questions se présentent : 1° La circoncision a-t-elle été une préparation et
une figure du baptême ? — 2° De son institution. (Cet article et le suivant ont
pour objet de rendre sensible la sagesse que Dieu a mise dans toutes ses œuvres
(Sag., 11, 21)
: Vous avez réglé toutes choses avec
mesure, et avec nombre, et avec poids.) — 3° De son rite. — 4° De son
effet. (A l’égard des enfants, la circoncision conférait la grâce ex opere operato passivè ; mais quand
il s’agit des adultes, la question est beaucoup plus controversée. Un grand
nombre de théologiens prétendent qu’elle ne conférait la grâce que ex opere operantis.)
Article 1 : La
circoncision a-t-elle été la préparation et la figure du baptême ?
Objection N°1. Il semble que la circoncision n’ait pas
été la préparation et la figure du baptême. Car toute figure a de la
ressemblance avec son objet figuré. Or, la circoncision n’a pas de ressemblance
avec le baptême. Il semble donc qu’elle n’ait été ni la préparation, ni la
figure de ce sacrement.
Réponse à l’objection N°1 : La circoncision avait de la
ressemblance avec le baptême par rapport à l’effet spirituel du sacrement. Car,
comme on enlevait par la circoncision une partie du corps, de même par le
baptême on dépouille l’homme de sa vie charnelle.
Objection N°2. L’Apôtre dit en parlant des anciens pères (1 Cor., chap. 10) qu’ils ont tous été baptisés dans la nuée et dans la mer. Or, il ne dit
pas qu’ils ont été baptisés dans la circoncision. La protection qui s’est
manifestée dans la colonne de nuée et dans le passage de la mer Rouge a donc
été plutôt une préparation au baptême et sa figure que la circoncision.
Réponse
à l’objection N°2 : Le miracle de la
colonne de nuée et du passage de la mer Rouge ont été des figures de notre
baptême par lequel nous renaissons de l’eau signifiée par la mer Rouge, et de
l’Esprit-Saint signifié par la colonne de nuée ; mais
ces miracles n’étaient pas une profession de foi comme la circoncision ; c’est
pourquoi ils n’étaient que des figures et non des sacrements. Quant à la
circoncision elle était un sacrement qui préparait au baptême ; cependant elle
le figurait moins expressément que ces deux prodiges sous le rapport extérieur.
C’est pourquoi l’Apôtre a plutôt fait mention de ces prodiges que de la
circoncision (D’ailleurs rien n’empêche d’admettre que la même chose a été
figurée de différentes manières sous la loi ancienne.).
Réponse à l’objection N°3 : Le baptême de Jean a été une préparation
au baptême du Christ quant à l’exercice de l’acte, tandis que la circoncision
l’a été quant à la profession de foi qui est requise dans le baptême, comme
nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Saint Paul dit (Col., 2, 11) : Vous avez été circoncis non
de cette circoncision faite de main d’homme, qui consiste dans le dépouillement
du corps, mais de la circoncision du Christ, et vous avez été ensevelis avec
lui par le baptême.
Conclusion.
Puisque la foi des anciens a été la même que la nôtre, et que tout leur
arrivait en figure, il est évident que la circoncision, qui est une profession
de foi, a été une préparation et une figure du baptême.
Il faut répondre qu’on appelle le baptême le sacrement de la foi, en
ce sens que dans le baptême il y a une profession de foi, et que par le baptême
on est agrégé à la société des fidèles. Or, notre foi est la même que celle des
anciens patriarches, d’après ces paroles de saint Paul (2 Cor., 4, 13) : Nous croyons ayant le même esprit de foi. La circoncision était
aussi une protestation de foi, et c’est pour cela qu’il est dit (Rom., 4, 11) : qu’Abraham reçut la circoncision comme le sceau de la foi, et c’était
par conséquent par elle que les anciens étaient agrégés à la société des
fidèles. D’où il est évident que la circoncision a été une préparation au
baptême et qu’elle l’a figuré à l’avance, selon que tout ce qui arrivait aux
juifs était une figure de l’avenir, d’après l’expression de saint Paul (1 Cor., chap. 10) ; comme leur loi avait aussi
l’avenir pour objet.
Article 2 : La
circoncision a-t-elle été convenablement établie ?
Objection N°1. Il semble que la circoncision n’ait pas
été convenablement établie. Car, comme nous l’avons dit (art. préc.), il y avait dans la circoncision une profession de foi.
Or, personne n’a jamais pu être délivré du péché du premier homme que par la
foi en la passion du Christ, d’après ces paroles (Rom., 3,25) : Celui que Dieu a destiné pour être la victime de propitiation par la
foi qu’on aurait en son sang. La circoncision eût donc dû être établie
immédiatement après le péché du premier homme et non dans le temps d’Abraham.
Réponse à
l’objection N°1 : Immédiatement après le péché du premier homme, par suite de
la science d’Adam qui avait été pleinement instruit des choses divines, la foi
et la raison naturelle étaient encore si puissantes dans l’homme qu’il n’avait
pas besoin qu’on lui déterminât des signes particuliers de foi et de salut ;
mais chacun exprimait sa foi à sa manière par les signes qui lui convenaient.
Du temps d’Abraham la foi était affaiblie, un grand
nombre se laissant déjà aller à l’idolâtrie. La raison naturelle avait été
aussi obscurcie par l’accroissement de la concupiscence charnelle jusqu’au
point de pécher contre nature. C’est pourquoi il a été convenable d’établir
alors, et non auparavant, la circoncision pour professer la foi et pour
diminuer la concupiscence de la chair.
Objection
N°2. Dans la circoncision l’homme faisait profession d’observer la
loi ancienne, comme dans le baptême il fait profession d’observer la nouvelle.
D’où l’Apôtre dit (Gal., 5, 3) : Je déclare à tout homme qui se fait circoncire, qu’il s’engage à
observer la loi. Or, on n’a pas commencé à observer la loi du temps
d’Abraham, mais plutôt du temps de Moïse. C’est donc à tort que la circoncision
a été établie du temps d’Abraham.
Réponse
à l’objection N°2 : La loi n’a
dû être observée que quand le peuple a été réuni ; parce que la loi a pour but
le bien public, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 90,
art. 2). Or, le peuple des fidèles devait être uni par un signe sensible ; ce
qui est nécessaire pour que les hommes soient unis dans une religion
quelconque, comme le dit saint Augustin (Cont.
Faust., liv. 19, chap. 11). C’est pour cette raison qu’il a fallu que la
circoncision fût établie avant qu’on ne promulguât la loi. Quant aux patriarches
qui ont vécu avant la loi, ils ont instruit leurs familles des choses divines
sous forme d’avertissement paternel. D’où le Seigneur dit à d’Abraham (Gen., 18, 19) : Je sais qu’il ordonnera à ses enfants et à toute sa maison après lui de
garder la voie du Seigneur.
Objection
N°3. La circoncision a été une figure et une préparation du
baptême. Or, on confère le baptême à tous les peuples d’après ces paroles (Matth., 28, 19) : Allez, enseignez toutes les nations, les
baptisant, etc. La circoncision n’a donc pas dû être établie pour être
observée seulement par le peuple juif, mais par tous les peuples.
Réponse à
l’objection N°3 : Le baptême contient en lui la perfection du salut
à laquelle Dieu appelle tous les hommes, d’après la pensée de saint Paul qui
dit (1 Tim., 2, 3) : que Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. C’est pourquoi le
baptême est offert à tous les peuples. Mais la circoncision ne contenait pas la
perfection du salut ; elle la figurait seulement comme une chose qui devait
être accomplie par le Christ qui devait naître des Juifs. C’est pour ce motif
qu’elle n’a été donnée qu’à ce peuple.
Objection
N°4. La circoncision charnelle doit répondre à la circoncision
spirituelle, comme la figure à l’objet figuré. Or, la circoncision spirituelle,
qui est produite par le Christ, convient indifféremment aux deux sexes ; parce
qu’en Jésus-Christ il n’y a ni homme ni
femme, comme le dit saint Paul (Gal., chap. 3). C’est donc à tort que l’on a
établi la circoncision, qui ne convient qu’aux hommes.
Réponse à
l’objection N°4 : La circoncision a été établie comme le signe de
la foi d’Abraham qui a cru qu’il serait le père du Christ qui lui a été promis.
C’est pourquoi il était convenable qu’elle ne se rapportât qu’aux hommes. C’est
aussi du père et non de la mère que vient le péché originel contre lequel la
circoncision a été spécialement établie, comme nous l’avons
dit (1a 2æ, quest. 81, art. 5, dans le corps de l’article
et Réponse N°2). Mais le baptême contient la vertu du Christ qui est la cause
universelle du salut de tous les hommes et de la rémission de tous les péchés.
Mais c’est le contraire. Car, comme on le voit (Gen., chap. 17),
la circoncision a été établie par Dieu dont les œuvres sont parfaites.
Conclusion
Puisque Abraham a reçu le premier la promesse du Christ qui devait naître et
qu’il s’est séparé le premier de la société des infidèles, il est convenable
que la circoncision ait été établie en lui.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la circoncision était une préparation au baptême
en ce qu’elle était une profession de la foi du Christ que nous professons
aussi dans ce sacrement. Or, parmi les anciens patriarches, Abraham est le
premier qui ait reçu la promesse de l’avènement du Christ, puisqu’il lui a été
dit (Gen., 22, 18)
: Toutes les nations de la terre seront
bénies en votre race. Il est aussi le premier qui se soit séparé de la
société des infidèles, d’après l’ordre de Dieu qui lui a dit (Gen., 12, 1) : Sortez de votre terre et de votre famille. C’est pourquoi il est
convenable que la circoncision ait été établie dans ce patriarche.
Article 3 : Le rite
de la circoncision a-t-il été convenable ?
Objection N°1. Il semble que le rite de la circoncision
n’ait pas été convenable. Car la circoncision, comme nous l’avons dit (art. 1
et 2 préc.), est une profession de foi. Or, la foi
existe dans la puissance qui perçoit, dont les opérations se manifestent
surtout dans la tête. Le signe de la circoncision eût donc dû être placé sur la
tête plutôt que sur le membre de la génération.
Réponse à l’objection N°1 : C’était avec raison que la
circoncision se pratiquait sur le membre de la génération : 1° parce qu’elle
était le signe de la foi par laquelle Abraham a cru que le Christ naîtrait de
sa race ; 2° parce qu’elle était un remède au péché originel, qui se transmet
par l’acte de la génération ; 3° parce qu’elle avait pour but d’affaiblir la
concupiscence de la chair, qui subsiste surtout dans cet organe à cause de
l’abondance de la délectation charnelle.
Réponse à l’objection N°2 : Le couteau de pierre n’était pas
nécessaire à la circoncision. Aussi on ne trouve pas que cet instrument ait été
déterminé par un précepte divin. Généralement, les Juifs ne se servaient pas de
cet instrument pour circoncire (Saint Justin, dans son Dialogue avec Tryphon, dit que la première
circoncision a été faite avec un couteau de fer, et que les juifs de son temps
se servaient généralement de cet instrument.), comme ils ne s’en servent pas
non plus maintenant. Cependant on parle de circoncisions fameuses qui ont été
faites avec un couteau de pierre. Ainsi il est dit (Ex., 4, 25) : Que Séphora prit
aussitôt une pierre très tranchante et circoncit la chair de son fils. Le
Seigneur dit à Josué (Josué, 5, 2) : Faites-vous
des couteaux de pierre, et circoncisez une seconde fois les enfants d’Israël. Ce
qui figurait que la circoncision spirituelle devait être produite par le
Christ, dont il est dit (1 Cor., 10, 4) : La pierre était
le Christ.
Objection N°3. Comme le baptême est établi pour remédier au péché
originel, de même aussi la circoncision, ainsi que le dit Bède (Hom. circumc.). Or, le
baptême n’est pas différé jusqu’au huitième jour, dans la crainte que les
enfants ne soient exposés au péril d’être damnés, à cause du péché originel,
s’ils venaient à mourir n’étant pas encore baptisés. Cependant quelquefois on
baptise aussi après le huitième jour. On n’eût donc pas dû déterminer pour la
circoncision le huitième jour, mais on devait quelquefois prévenir ce délai,
comme on devait aussi quelquefois attendre plus tard.
Réponse à l’objection N°3 : Le huitième jour
était fixé pour la circoncision ; soit pour une raison mystique, parce que dans
le huitième âge, qui sera l’âge de la résurrection, la circoncision spirituelle
sera consommée par le Christ (comme dans le huitième jour), alors qu’il
délivrera les élus, non seulement de leur faute, mais encore de toutes leurs
peines ; soit à cause de la tendresse du corps de l’enfant avant le huitième
jour. C’est pour cette raison que la loi donne ce précepte au sujet des autres
animaux (Lév., 12, 27) : Lorsqu’un veau,
un agneau et un chevreau seront nés, ils seront sept jours à téter leur mère ;
mais le huitième jour et les suivants ils pourront être offerts au Seigneur.
Le huitième jour elle était de nécessité de précepte, de telle sorte que si on
le dépassait on péchait, quand même c’eût été le jour du sabbat, d’après ces
paroles (Jean, 7, 23) : On
circoncit un homme le jour du sabbat, pour ne pas violer la loi de Moïse.
Mais ce terme n’était pas nécessaire pour le sacrement. Car si quelques uns
n’étaient pas circoncis le huitième jour, ils pouvaient l’être ensuite. —
D’autres disent que dans le cas d’un danger de mort imminent on pouvait
devancer le huitième jour. Mais ce sentiment ne peut être appuyé ni sur
l’autorité de l’Ecriture, ni sur la coutume des Juifs. — Il vaut donc mieux
dire, comme le remarque Hugues de Saint-Victor (liv. 1 De sacram., part. 12, chap. 2), qu’aucune
nécessité ne faisait devancer le huitième jour (Ainsi le huitième jour était de
nécessité de précepte.). C’est pourquoi, à l’occasion de ces paroles de Salomon
(Prov., chap. 4) : J’étais
aux yeux de ma mère comme un fils unique, la glose dit (ord.) qu’il ne parle pas de l’autre
enfant de Bersabée, parce qu’étant mort avant le huitième jour il ne reçut pas
de nom, et par conséquent ne fut pas circoncis.
Mais
c’est le contraire. Sur ces paroles (Rom.,
chap. 4) : Et signum accepit circumcisionis, la glose dit (ord.)
: que le rite de la circoncision est déterminé d’une manière convenable.
Conclusion La circoncision étant un signe de la foi
établi par Dieu, son rite a été prescrit dans la loi d’une manière convenable.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la circoncision est un
signe de la foi établi par Dieu, dont la sagesse est infinie. Or, il appartient
à la sagesse de déterminer les signes qui conviennent. C’est pourquoi on doit
reconnaître que le rite de la circoncision a été convenable.
Article 4 : La
circoncision conférait-elle la grâce sanctifiante ?
Objection N°1. Il semble que la circoncision ne conférait
pas la grâce sanctifiante. Car saint Paul dit (Gal., 2, 21) : Si la justice
s’acquiert par la loi, c’est donc en vain que Jésus-Christ est mort,
c’est-à-dire sans motif. Or, la circoncision était une sorte d’obligation que
l’on contractait de remplir la loi, d’après ces paroles du même apôtre (Gal., 5, 3) : Je déclare à tout homme qui se fait circoncire, qu’il est tenu
d’observer toute la loi. Si donc la justice est produite par la
circoncision, c’est en vain, c’est-à-dire sans cause que le Christ est mort.
Comme cela répugne, il s’ensuit que la circoncision ne produisait pas la grâce
sanctifiante qui délivre du péché.
Réponse à
l’objection N°1 : Ce raisonnement serait concluant, si la justice avait été
produite par la circoncision autrement que par la foi dans la passion du
Christ.
Réponse à l’objection N°2 : Comme avant l’établissement de la circoncision, la foi
seule dans le Christ à venir justifiait les enfants, aussi bien que les
adultes, il en a été de même après que la circoncision a été établie. Mais
auparavant on n’exigeait pas un signe particulier qui fût une manifestation de
cette foi, parce que les fidèles ne s’étaient pas encore séparés des infidèles
pour s’unir entre eux et offrir un culte au seul vrai Dieu. Cependant il est
probable que les parents qui avaient la foi adressaient à Dieu quelques prières
pour leurs enfants, surtout quand ils étaient en danger de mort, ou bien qu’ils
les bénissaient (ce qui était en quelque sorte le sceau de la foi), comme les
adultes offraient pour eux-mêmes des prières et des sacrifices.
Objection
N°3. Il est dit (Josué, 5, 5)
: Que le peuple qui est né dans le désert
a été quarante ans sans recevoir la circoncision. Si donc la circoncision
effaçait le péché originel, il semble que tous ceux qui sont morts dans le
désert, les enfants aussi bien que les adultes, auraient été damnés. On peut
faire la même objection au sujet des enfants qui mouraient avant le huitième
jour de la circoncision, que l’on ne devait pas devancer, comme nous l’avons
dit (art. préc., Réponse N°3).
Réponse
à l’objection N°3 : Le peuple
dans le désert était excusable de ne pas se conformer au précepte de la
circoncision, soit parce qu’il ne savait pas en quel temps il devait décamper,
soit parce que comme le dit saint Jean Damascène (Orth. fid.,
liv. 4, chap. 26), il n’était pas nécessaire qu’il eût un signe pour le
distinguer, puisqu’il habitait dans un lieu où il était séparé des autres
nations. Cependant, comme le remarque saint Augustin (Lib. Quæst. in Jos.,
quest. 6), ils étaient coupables de désobéissance, ceux qui négligeaient de le
faire par mépris (Estius et plusieurs autres
commentateurs pensent que la négligence qu’ils mettaient à observer ce précepte
était coupable.). Néanmoins il semble qu’aucun d’eux ne soit mort incirconcis
dans le désert, parce que, comme le dit le Psalmiste (Ps. 104) : Il n’y avait personne d’infirme dans leurs tribus ; mais il paraît
qu’il n’est mort dans le désert que ceux qui avaient été circoncis en Egypte
(Le Talmud et plusieurs rabbins ont aussi fait cette remarque.). Si cependant
il v en a qui sont morts sans être circoncis, on doit penser d’eux ce que l’on
pense de ceux qui mouraient avant l’établissement de la circoncision. On doit
aussi penser de même des enfants qui mouraient avant le huitième jour sous la
loi.
Réponse à l’objection N°4 : La circoncision effaçait le
péché originel quant à la personne, mais il restait un obstacle du côté de la
nature entière qui ne permettait pas d’entrer dans le royaume céleste ; cet
obstacle a été enlevé par la passion du Christ. C’est pour cela que le baptême
n’introduisait pas non plus dans le ciel avant la passion du Christ. La
circoncision y aurait aussi introduit, si on l’eût pratiquée après la passion
du Christ.
Objection N°5. Le péché originel n’est pas remis sans le péché actuel, parce
que c’est une impiété que de n’attendre de Dieu qu’un demi-pardon, comme le dit
saint Augustin (alius auctor, in lib. De vera et falsâ pœnit.,
chap. 9) Or, on ne lit nulle part que la circoncision remette le péché actuel.
Elle n remettait donc pas non plus le péché originel.
Réponse à l’objection N°5 : Les adultes, quand ils étaient circoncis,
obtenaient la rémission non seulement du péché originel, mais encore des péchés
actuels ; toutefois il ne s’ensuit pas qu’ils aient été délivrés de toute la
peine due à leur péché, comme dans le baptême où l’on reçoit une grâce plus
abondante.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin écrit au comte Valère contre Julien (De nupt. et concupisc.,
liv. 2, chap. 11) : Depuis que la circoncision a été établie parmi le peuple de
Dieu, elle a été le sceau de la justice d la foi, et elle servait à effacer
dans les enfants la tache originelle et l’ancien péché ; comme le baptême,
depuis qu’il est établi, sert à la régénération de l’homme.
Conclusion Quoique la grâce ait été conférée dans la
circoncision comme dans le baptême, par rapport à tous ses effets, cependant le
baptême la produit d’une autre manière ; car dans la circoncision la grâce
vient de la foi et non de la vertu d la circoncision elle-même, au lieu que
dans le baptême on l’obtient par la force du sacrement.
Il
faut répondre que tout le monde reconnaît communément que la circoncision
remettait le péché originel (C’est, à la vérité, le sentiment le plus suivi ;
cependant Bellarmin, Vasquez, Lherminier, Noël Alexandre, Tournély et quelques autres sont d’une opinion différente.).
Mais il y en a qui ont prétend qu’elle ne conférait pas la grâce, et qu’elle
effaçait seulement le péché. C’est ce que suppose le Maître des sentences (1,
dist. 4 Sent. et Rom., chap. 4 in glossâ ord. sup. illud : Signum
accepit). Mais il ne peut en être ainsi,
parc que la faute n’est remise que par la grâce, d’après ces paroles (Rom., 3, 24) Vous avez été justifiés gratuitement par la grâce, etc. — C’est
pourquoi d’autres ont pensé que la circoncision conférait la grâce, quant aux
effets qui éloignent la faute, mais non quant aux effets positifs, dans la
crainte d’être forcés de dire que la grâce que la circoncision conférait
suffisait pour accomplir les préceptes de la loi, et que par conséquent
l’avènement du Chris a été superflu. Mais on ne peut non plus soutenir cette
hypothèse 1° Parce que la circoncision donnait aux enfants la faculté de
parvenir la gloire dans le temps convenable ; ce qui est le dernier effet
positif de la grâce. 2° Parce que selon l’ordre de la cause formelle les effets
positifs sont naturellement antérieurs aux effets privatifs, quoique, selon
l’ordre de la cause matérielle, ce soit le contraire. Car la forme n’exclut la
privation qu’en informant le sujet. — C’est pour cela que d’autres ont pensé
que la circoncision conférait la grâce, quant à son effet positif, qui consiste
rendre digne de la vie éternelle, mais non quant à tous ses effets, parce
qu’elle ne suffisait pas pour comprimer le foyer de la concupiscence, ni pour
accomplir les préceptes de la loi. C’est le sentiment que j’ai suivi autrefois
(4, dist. 1, quest. 2, art. 4, quest. 3). Mais en considérant la chose avec
soin, on voit que ce sentiment n’est pas fondé, parce que la moindre grâce peut
résister à toute concupiscence, quelle qu’elle soit, et éviter ton les péchés
mortels qu’on commet en transgressant les préceptes de la loi. Car la moindre
charité aime plus Dieu que la cupidité n’aime des monceaux d’or et d’argent. —
Par conséquent, il faut dire que dans la circoncision la grâce était conférée
par rapport à tous ses effets, mais d’une autre manière que dans le baptême.
Car dans le baptême elle est conférée d’après la vertu que ce sacrement
possède, selon qu’il est l’instrument de la passion du Christ, qui est
maintenant parfaite, au lieu que dans la circoncision elle était conférée, non
en vertu de la circoncision elle-même, mais en vertu de la foi en la passion du
Christ, dont la circoncision était le signe ; de telle sorte que celui qui recevait
la circoncision professait qu’il recevait cette foi ; l’adulte le professait
pour lui-même, et un autre le professait pour les enfants. C’est ce qui fait
dire à saint Paul (Rom., 4, 11) : qu’Abraham reçut la marque de la circoncision, comme le sceau de la
justice qui venait de la foi qu’il avait eue, c’est-à-dire que la justice
venait de la foi qui était signifiée, et non de la circoncision qui la
signifiait. Et parce que le baptême opère instrumentalement en vertu de la
passion du Christ, tandis qu’il n’en est pas de même de la circoncision, il
s’ensuit que le baptême imprime un caractère qui incorpore l’homme au Christ,
et qu’il confère une grâce plus abondante que la circoncision. Car l’effet de
ce qui est présent est supérieur à celui que produit son espérance.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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