Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
74 : De la matière de l’eucharistie quant à l’espèce
Nous devons nous occuper ensuite de la matière de l’eucharistie. Nous
parlerons : 1° de l’espèce de la matière ; 2° de la conversion du pain et du
vin au corps du Christ ; 3° de la manière dont le corps du Christ existe dans
ce sacrement ; 4° des accidents du pain et du vin qui subsistent dans ce
sacrement. — Sur l’espèce de la matière il y a huit questions à examiner : 1° Le
pain et le vin sont-ils la matière de ce sacrement ? (Il est de foi que le pain
et le vin sont la matière du sacrement de l’eucharistie. Tertium est eucharistiæ sacramentum, cujus materia est panis triticeus et vinum de vite,
dit Eugène IV au concile de Florence. La même chose avait déjà été décidée par
le concile de Latran (chap. Firmiter), et le concile de Trente la répète presque dans
tous les chapitres qu’il a écrits sur cette matière (sess. 13).) — 2° Faut-il
pour la matière de ce sacrement une quantité déterminée ? (La quantité de la
matière n’ayant point été déterminée d’après l’institution du Christ, le prêtre
peut consacrer une matière plus ou moins considérable ; seulement si la matière
est peu considérable, il faut qu’elle soit sensible, et si elle est très
considérable, il faut qu’elle soit présente au prêtre qui la consacre, et
qu’elle soit déterminée in individuo par son intention. Pour remplir cette
dernière condition, il faut que le pain et le vin soient sur l’autel, que le
prêtre le sache et qu’il veuille les comprendre dans la consécration.) — 3° La
matière de ce sacrement doit-elle être du pain de froment ? (On ne peut faire
usage licitement et validement pour l’eucharistie que du pain naturel, du pain
de froment, panis triticeus. On
ne peut consacrer du pain d’orge, d’avoine ou de blé de sarrasin.) — 4° Est-ce
du pain azyme ou du pain fermenté ? (Les grecs et les arméniens prétendaient
qu’on ne pouvait consacrer validement avec du pain azyme, mais qu’il fallait se
servir de pain fermenté. Le concile de Florence a décidé que ces deux matières
étaient l’une et l’autre valides, et que chaque prêtre devait suivre à cet
égard l’usage de son Eglise : Definimus in azymo, sive fermentato
pane triticeo corpus Christi veraciter
confici, sacerdotesque in altero ipsorum Domini corpus conficere debere, unumquemque scilicet juxtà suæ Ecclesiæ, sive
occidentalis, sive orientalis, consuetudinem.)
— 5° Faut-il du vin fait avec du raisin ? (Le vin de la vigne est la matière
propre de la consécration, d’après la tradition constante de l’Eglise et le
concile de Florence, qui dit : Cujus materia est panis triticeus et vinum de vite.
Il n’importe en rien que le vin soit blanc ou rouge, qu’il soit de France ou
d’Espagne, pourvu qu’il soit véritable.) — 6° Doit-on y mêler de l’eau ? (Cet
article est une réfutation des luthériens et des calvinistes, qui ne font usage
que du vin dans la cène, et qui prétendent que la coutume contraire suivie par
l’Eglise romaine est sans fondement.) — 7° L’eau est-elle nécessaire pour la
validité de ce sacrement ? (Il n’est pas nécessaire pour la validité du
sacrement qu’on mette de l’eau avec le vin. C’est pourquoi il est dit dans les
rubriques du missel : Si celebrans ante consecrationem calicis advertat non fuisse appositam aquam, tunc imponat eam et proferat verba consecrationis. Si
id advertat post consecrationem
calicis, nullo modo apponat, quia non est de necessitate
sacramenti.) — 8° De la quantité de l’eau qu’on
ajoute. (Il ne faut pas qu’on mette une telle quantité d’eau qu’elle altère la
substance du vin. Le concile de Tribur a défendu, sur
la fin du IXe siècle, d’en mettre plus d’un tiers.)
Article 1 : Le
pain et le vin sont-ils la matière du sacrement de l’eucharistie ?
Objection N°1. Il semble que le pain et le vin ne soient
pas la matière de ce sacrement. Car il doit représenter la passion du Christ
plus parfaitement que les sacrements de l’ancienne loi. Or, la chair des
animaux qui était la matière des sacrements de l’ancienne loi représente la
passion du Christ plus expressément que le pain et le vin. La chair des animaux
doit donc être la matière de ce sacrement plutôt que le pain et le vin.
Réponse à l’objection N°1 : Quoique la chair des animaux
tués représente plus expressément la passion du Christ, cependant elle est
moins convenable pour l’usage général de ce sacrement et pour signifier l’unité
de l’Eglise.
Réponse à l’objection N°2 : Quoiqu’on ne récolte pas de froment, ni de vin dans toutes
les contrées, cependant on peut facilement en transporter partout autant qu’il
en faut pour l’usage de ce sacrement. Si l’on manque de l’un, on ne doit
cependant pas consacrer l’autre seul, parce que dans ce cas le sacrement ne
serait pas parfait.
Réponse à l’objection N°3 : Le vin pris en petite quantité ne peut
pas nuire beaucoup à un malade. Toutefois, si on craint que cela ne lui nuise,
il n’est pas nécessaire que tous ceux qui reçoivent le corps du Christ prennent
aussi le sang (Actuellement il n’y a que le prêtre qui communie sous l’espèce
du vin, puisque les fidèles ne communient que sous une espèce.), comme nous le
dirons (quest. 80, art. 12).
Mais
c’est le contraire. Le pape Alexandre Ier dit (epist. 1, chap. 4) : que dans
l’oblation des sacrements on n’offre en sacrifice que du pain et du vin mélangé
d’eau.
Conclusion La matière convenable du sacrement de
l’eucharistie instituée par le Christ n’est pas du pain et du fromage, ni du
sang d’enfant mêlé à de la farine, ni de l’eau, mais le pain et le vin,
c’est-à-dire les choses qui sont les plus aptes à l’usage du sacrement et qui
conviennent le mieux pour signifier la passion du Christ et désigner l’effet de
l’eucharistie.
Il
faut répondre qu’à l’égard de la matière de l’eucharistie il y a eu beaucoup
d’erreurs. Car les uns, qu’on appelle artotyrites (Aug., Lib. de hæres., hær. 28), offraient dans ce sacrement du pain et du
fromage, sous prétexte que les premiers hommes ont offert solennellement des
fruits de la terre et de leurs troupeaux. Les cataphrygiens
et les pépuziens prenaient du sang d’un enfant qu’ils
avaient fait sortir de son corps en le piquant dans toutes ses parties avec des
pointes d’aiguilles, et on dit qu’ils confectionnaient l’eucharistie en mêlant
ce sang avec de la farine pour en faire un pain. D’autres, qu’on appelle les aquaires,
n’offraient dans ce sacrement que de l’eau, sous prétexte de sobriété (Les
manichéens, les eucratites et les ébionites ne
faisaient pas non plus usage du vin, parce qu’ils croyaient que le vin venait
du mauvais principe.). Mais toutes ces erreurs et toutes les autres semblables
sont rejetées par là même que le Christ a institué l’eucharistie sous l’espèce
du pain et du vin, comme le rapporte l’Evangile (Matth., chap. 26).
Par conséquent le pain et le vin sont la matière convenable de ce sacrement. Ce
qui d’ailleurs est conforme à la raison : 1° Quant à l’usage de ce sacrement
qui est la manducation. Car comme on prend de l’eau dans le sacrement de
baptême pour servir à l’ablution spirituelle, parce que l’ablution corporelle
se fait communément avec de l’eau ; de même le pain et le vin, qui sont les
aliments les plus communs que l’homme emploie pour refaire ses forces, sont
employés dans l’eucharistie pour servir à la manducation spirituelle. 2° Par
rapport à la passion du Christ dans laquelle le sang a été séparé du corps.
C’est pourquoi dans ce sacrement, qui est le mémorial de la passion du
Seigneur, on prend à part le pain comme le sacrement du corps, et on prend le
vin comme le sacrement du sang. 3° Par rapport à l’effet considéré dans chacun
de ceux qui le reçoivent. Car, comme le dit saint Ambroise (alius
auctor sup. Ep.
1 ad Cor., chap. 11), ce sacrement sert à défendre l’âme et le corps. C’est
pourquoi le corps du Christ est offert sous l’espèce du pain pour le salut du
corps, et le sang sous l’espèce du vin pour le salut de l’âme, d’après ces
paroles de la loi (Lév., chap. 17) : L’âme de la chair est dans le sang. 4° Quant à l’effet relativement
à toute l’Eglise qui est composée de divers fidèles, comme le pain est formé de
divers grains et le vin découle de différentes grappes de raisin, selon la
remarque de la glose (ord. Aug., tract. 26 in Joan.) sur ces paroles de saint Paul (1 Cor., chap. 10) : Multi unum corpus sumus.
Objection N°1. Il semble qu’il faille une quantité de
pain et devin déterminée pour la matière de ce sacrement. Car les effets de la
grâce ne sont pas moins bien ordonnés que ceux de la nature. Or, comme le dit
Aristote (De anima, liv. 2, text. 41), dans tous les corps formés par la nature, il y a
une limite et un rapport de grandeur et d’accroissement. Donc, à plus forte
raison, dans ce sacrement qu’on appelle l’eucharistie (εὒ, bonne ; χάρις,
grâce) faut-il une quantité déterminée de pain et de vin.
Réponse à l’objection N°1 : La matière de toutes les
choses naturelles reçoit une quantité déterminée suivant qu’elle se rapporte à
une forme qui est déterminée elle-même. Or, le nombre des fidèles à l’usage
desquels l’eucharistie se rapporte, n’est pas déterminé. Il n’y a donc pas de
parité.
Objection N°2. Le Christ n’a pas donné aux ministres de l’Eglise le
pouvoir de faire des choses qui compromettraient la foi et les sacrements,
suivant cette parole de l’Apôtre (2 Cor., 10, 8) : Conformément à la puissance que Dieu nous a donnée pour édifier et non
pour détruire. Or, ce serait un acte qui tournerait à la dérision du
sacrement, si un prêtre voulait consacrer tout le pain qui se vend sur un
marché et tout le vin qui est dans un cellier. Il ne peut donc le faire.
Réponse
à l’objection N°2 : La puissance des
ministres de l’Eglise se rapporte à deux choses : à son effet propre et à la
fin de cet effet. La seconde chose ne détruit pas la première. Par conséquent
si un prêtre se propose de consacrer le corps du Christ pour une fin mauvaise,
par exemple, pour se moquer ou pour faire des maléfices, il pèche à cause de la
fin mauvaise qu’il se propose ; mais néanmoins le sacrement est valide à cause
de la puissance qui lui a été donnée.
Objection
N°3. Si on baptise quelqu’un dans la mer, toute l’eau de la mer
n’est pas sanctifiée par la forme du baptême. Il n’y a que l’eau qui a
touché le corps de celui qui a été baptisé. Dans l’eucharistie on ne peut donc
pas non plus consacrer une quantité de vin et de pain superflue.
Réponse à l’objection N°3 : Le sacrement de baptême se perfectionne
dans l’usage qu’on fait de la matière, et c’est pour cela que la forme du
baptême ne sanctifie pas plus d’eau qu’on en emploie pour l’ablution ; au lieu
que l’eucharistie est produite par la consécration même de la matière. C’est
pourquoi il n’y a pas de parité.
Conclusion La matière de ce sacrement étant déterminée
comparativement à l’usage qu’en font les fidèles dont le nombre est absolument
indéterminé, on ne peut pas dire que cette matière soit une quantité
déterminée.
Il
faut répondre qu’il y a des auteurs qui ont dit qu’un prêtre ne pourrait pas
consacrer une immense quantité de pain ou de vin, par exemple tout le pain
qu’on vend sur un marché, ou tout le vin qui est dans un tonneau. Mais il ne
semble pas que cette opinion soit vraie. Car dans tout ce qui a matière, la
raison de la détermination de la matière se prend de son rapport avec la fin.
Ainsi la matière d’une scie est de fer pour qu’elle puisse couper. Or, la fin
de l’eucharistie est l’usage des fidèles. Par conséquent il faut que la
quantité de la matière de ce sacrement soit déterminée comparativement à cet
usage. Mais il ne peut pas se faire qu’on la détermine comparativement à
l’usage des fidèles qui se présentent maintenant ; autrement un prêtre qui a
peu de paroissiens ne pourrait pas consacrer beaucoup d’hosties. Il faut donc
que la matière de ce sacrement soit déterminée comparativement à l’usage des
fidèles pris absolument. Et parce que le nombre des fidèles est indéterminé, on
ne peut donc pas dire que la quantité de la matière de ce sacrement le soit
(L’hostie dont le prêtre se sert pour la célébration de la messe doit être très
mince, de forme ronde, plus grande que celle qu’on donne aux fidèles. Cependant
dans le cas de nécessité on pourrait faire usage d’une petite hostie. Cette
coutume de l’Eglise est très ancienne, comme on le voit d’après saint Epiphane
(Anachoret., num.
57), saint Grégoire le Grand (Dial., liv. 4, chap. 55), saint Ildefonse de Tolède et les
témoignages cités par D. Mabillon et D. Martène (De antiqu Eccles. rit., liv. 1,
chap. 3 ad 7).
Article 3 : Est-il
requis pour la matière de l’eucharistie que le
pain soit de froment ?
Objection N°1. Il semble que pour la matière de
l’eucharistie il ne soit pas nécessaire que le pain soit de froment. Car ce
sacrement rappelle la passion du Seigneur. Or, le pain d’orge qui est plus
âpre, et dont le Christ a nourri la foule sur la montagne (Jean, chap. 6),
paraît mieux en rapport avec la passion du Seigneur que le pain de froment. Le
pain de froment n’est donc pas la matière propre de ce sacrement.
Réponse à
l’objection N°1 : Le pain d’orge était convenable pour signifier la dureté de
la loi ancienne par sa propre dureté, et aussi parce que, comme le dit saint
Augustin (Quæst., liv. 83, quaest.
61), l’amande de l’orge, qui est recouverte d’une paille très tenace, signifie
la loi elle-même, qui avait été donnée de telle sorte que l’aliment vital de
l’âme était voilé en elle par des sacrements corporels, ou bien elle signifie
le peuple qui n’était pas encore dépouillé du désir charnel qui restait attaché
à son cœur comme une paille. Mais le sacrement de l’eucharistie appartient au
joug du Christ qui est doux, et à la vérité manifestée et à un peuple
spirituel. Par conséquent le pain d’orge ne serait pas la matière convenable de
ce sacrement.
Réponse à l’objection N°2 : Celui qui engendre produit son semblable dans l’espèce ;
cependant il y a une différence entre celui qui engendre et celui qui est
engendré quant aux accidents, soit à cause de la matière, soit à cause de la
faiblesse de la vertu génératrice. C’est pourquoi s’il y a des grains qui
peuvent être engendrés par le froment (comme le seigle (Le mot siligo, d’après
Pline (liv. 18, chap. 8) et saint Isidore (Etym.,
liv. 17, chap. 5), désigne la plus pure espèce de froment. Si c’est le sens qu’y
attache saint Thomas, il n’y a pas de doute sur la validité de cette matière.
Billuart pense qu’il a voulu désigner le seigle, mais Sylvius est de l’avis
contraire. En tout cas le seigle est au moins une matière douteuse.) naît dans de mauvaises terres d’un grain de froment qu’on y
a semé), le pain fait avec ce grain peut être la matière de l’eucharistie ; ce
qui cependant ne parait avoir lieu ni pour l’orge, ni pour le blé sauvage (Il
n’est pas facile de déterminer quelle espèce de grain saint Thomas a voulu
désigner par les mots spelta
et farre,
que nous avons désignés sous le nom de blé sauvage et d’épeautre. Cf. Plin., liv. 18, chap. 8 et 21, et Columel,
liv. 2, chap. 6.), qui est en tout très semblable au grain de froment. Dans ce
cas, la ressemblance de la figure paraît plutôt signifier la proximité que
l’identité de l’espèce. C’est ainsi que la ressemblance de la figure montre que
le chien et le loup sont d’une espèce prochaine, mais non de la même espèce.
Par conséquent, avec ces grains qui ne peuvent être produits d’aucune manière
par le froment, on ne peut faire un pain qui soit la matière légitime de ce
sacrement.
Réponse à l’objection N°3 : Un léger mélange ne détruit pas l’espèce, parce que ce
qui est en petite quantité est en quelque sorte absorbé parce qui est plus
considérable. C’est pourquoi, si on mêle un peu d’autre grain à une quantité
beaucoup plus grande de froment, on peut néanmoins en faire un pain qui soit la
matière de l’eucharistie. Mais si on fait un mélange plus considérable, par
moitié, par exemple, ou à peu près, ce mélange change l’espèce. Alors le pain
qu’on en fait n’est pas la matière légitime de ce sacrement.
Réponse à l’objection N°4 : Quelquefois le pain est tellement altéré,
que l’espèce du pain est détruite, comme quand la continuité n’existe plus, que
la saveur, la couleur et les autres accidents sont changés. On ne peut pas
consacrer le corps du Christ avec une pareille matière. D’autres fois
l’altération n’est pas tellement profonde qu’elle détruise l’espèce. Mais il y
a une disposition à la corruption qui est manifestée par un changement de
saveur. On peut consacrer le corps du Christ avec ce pain, mais celui qui le
fait pèche par irrévérence pour le sacrement (C’est ce qu’observent les
rubriques du missel romain De defectibus.) ; et parce que l’amidon est fait avec du froment
corrompu, il ne semble pas que le pain qu’on en fait puisse être consacré (La
farine de froment pétrie avec du lait, du beurre, du miel, du sucre, n’offre
qu’une matière douteuse ou nulle ; et il en est de même de tout mélange qui
fait perdre au pain sa dénomination.), quoique quelques-uns disent le
contraire.
Mais
c’est le contraire. L’eucharistie contient le Christ qui se compare à un pain
de froment, en disant (Jean, 12, 24)
: Si le grain de froment qui tombe en
terre ne meurt pas, il reste seul. Le pain de froment est donc la matière
de ce sacrement.
Conclusion
Le pain de froment est la matière propre et le plus convenable du sacrement de
l’eucharistie, puisque les hommes s’en servent communément pour leur aliment et
qu’il signifie mieux l’effet de ce sacrement, parce qu’il a plus de puissance
pour fortifier celui qui le prend.
Article 4 : Doit-on
se servir pour l’eucharistie de pain azyme ?
Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas se servir de
pain azyme. Car nous devons dans l’eucharistie imiter l’institution du Christ.
Or, le Christ paraît avoir institué ce sacrement avec du pain fermenté, parce
que, comme on le voit (Ex., chap. 12), les Juifs, d’après la loi,
commençaient à se servir de pains azymes le jour de la Pâque qu’on célèbre le
quatorzième de la lune. Et le Christ a institué l’eucharistie dans la cène
qu’il a célébrée avant le jour de la fête
de Pâques, comme le dit l’Evangile (Jean, chap. 13).
Nous devons donc aussi célébrer ce sacrement avec du pain fermenté.
Réponse à
l’objection N°1 : Comme on le voit (Ex., chap. 12), la solennité pascale
commençait le soir du quatorzième jour de la lune, et c’est alors que le Christ
a institué l’eucharistie après l’immolation de l’agneau pascal. C’est pourquoi
saint Jean dit que ce jour a précédé le jour de Pâques, et les trois autres
évangélistes l’appellent le premier jour
des azymes, quand il n’y avait plus de levain dans les maisons des Juifs,
comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.). Nous avons d’ailleurs
parlé de cela plus longuement à propos de la passion du Christ (quest. 46, art.
9, Réponse N°1).
Objection
N°2. Les prescriptions légales ne doivent pas être observées sous
la loi de grâce. Or, l’usage des azymes a été une cérémonie légale, comme on le
voit (Ex., chap. 12). Nous ne devons donc pas faire
usage de pains azymes dans ce sacrement de grâce.
Réponse à
l’objection N°2 : Ceux qui consacrent avec du pain sans levain n’ont pas
l’intention d’observer les cérémonies de la loi, mais de se conformer à
l’institution du Christ. C’est pourquoi ils ne judaïsent pas ; autrement ceux
qui consacrent avec du pain fermenté judaïseraient aussi, parce que les Juifs
offraient des pains fermentés pour prémices.
Objection
N°3. Comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 3, Réponse N°3),
l’eucharistie est le sacrement de la charité de même que le baptême est celui
de la foi, ainsi que nous l’avons dit (quest. 65, art. 1). Or, la ferveur de la
charité est signifiée par le levain, comme on le voit dans la glose (interl.) sur ces paroles de l’Evangile (Matth., 13, 33)
: Le royaume du ciel est semblable au
levain, etc. On doit donc consacrer avec du pain fermenté.
Réponse
à l’objection N°3 : Le levain signifie la
charité, à cause de son effet, parce qu’il donne au pain plus de saveur et plus
d’apparence. Mais il signifie la corruption par la nature même de son espèce.
Objection
N°4. L’azyme et le levain sont des accidents du pain qui n’en changent pas l’espèce. Or, pour la matière du baptême on ne fait
pas de différence relativement aux accidents de l’eau ; par exemple, on
n’examine pas si elle est salée ou douce, chaude ou froide. A l’égard de
l’eucharistie, on ne doit donc pas faire de distinction entre le pain azyme ou
le pain fermenté.
Réponse à l’objection N°4 : Le levain ayant une certaine corruption,
comme on ne peut consacrer avec du pain qui est corrompu, ainsi que nous
l’avons dit (art. préc., Réponse N°4), on considère plus à l’égard du pain la
différence qu’il y a entre celui qui est fermenté et celui qui ne l’est pas,
qu’on ne considère à l’égard de l’eau du baptême la différence qu’il y a entre
celle qui est chaude et celle qui est froide. Car il pourrait se faire que le
levain fût tellement corrompu qu’on ne pût s’en servir pour consacrer.
Mais
c’est le contraire (in Decr., liv. 3, tit. 41, chap. Litteras). On punit un prêtre qui a eu la présomption de
célébrer une messe solennelle avec du pain fermenté et un calice de bois.
Conclusion
Quoiqu’on puisse consacrer l’eucharistie avec du pain fermenté, selon la
coutume de certaines Eglises, cependant il est plus convenable qu’on consacre
avec du pain azyme, soit à cause de l’institution du Christ, soit pour
signifier la sincérité des fidèles.
Il faut répondre qu’à l’égard de la matière de ce sacrement on peut
considérer deux choses, ce qui est nécessaire et ce qui convient. Il est
nécessaire que le pain soit de froment, comme nous l’avons dit (art. préc.) ; sans cela le sacrement n’existe pas. Mais il
n’est pas nécessaire au sacrement que le pain soit azyme, ni fermenté, parce
qu’on peut consacrer l’un et l’autre. Il est convenable que chacun suive le
rite de son Eglise dans la célébration du sacrement. A cet égard les coutumes
des Eglises sont différentes. Car saint Grégoire dit (in Regist., impl. id hab., Innoc.
III, liv. 4, De sacrif.
miss., chap.
4) : L’Eglise romaine offre des pains azymes, parce que le Seigneur a pris la
chair sans mélange. Les Eglises grecques offrent au contraire du pain fermenté,
parce que le Verbe du Père a été revêtu de la chair, comme le levain est mêlé à
la farine. Ainsi, comme un prêtre pèche s’il célèbre dans une Eglise latine
avec du pain fermenté, de même un prêtre grec pécherait si dans l’Eglise
grecque il célébrait avec du pain azyme, parce qu’il ne suivrait pas le rite de
son Eglise (La faute serait très grave, et la plupart des théologiens disent
qu’un prêtre latin ne pourrait se servir de pain fermenté, ni pour administrer
le viatique à un moribond, ni pour faire entendre la messe au peuple un jour
d’obligation. Ils ne font d’exception que pour le cas où il faudrait avoir
recours à du pain fermenté pour achever la messe et consommer le sacrifice.).
Cependant la coutume de célébrer avec du pain azyme est plus raisonnable. 1° A
cause de l’institution du Christ, qui a établi ce sacrement le premier jour des
azymes, comme on le voit (Matth., chap. 26,
Marc, chap. 14 et Luc, chap. 22).
Ce jour-là il ne devait pas y avoir de pain fermenté dans les maisons des
Juifs, ainsi que le commande la loi (Ex., chap. 12). 2° Parce que le pain est proprement
le sacrement du corps du Christ qui a été conçu sans corruption plutôt que le
sacrement de la Divinité elle-même, comme on le verra (quest. 76, art. 1). 3°
Parce que cette coutume convient mieux à la sincérité des fidèles, qui est
requise pour l’usage de ce sacrement, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 5, 7) : Le Christ, notre pâque, a été immolé ; c’est
pourquoi célébrons cette fête avec les azymes de la sincérité et de la vérité
(Les auteurs sont partagés sur l’époque à laquelle cette coutume s’est
introduite parmi les latins. Sirmond et le cardinal Bona pensent qu’elle n’est devenue générale en Occident que
du IXe au Xe siècle. Mabillon soutient que l’usage des pains
azymes remonte dans l’Eglise latine jusqu’au temps des apôtres. Juanin et d’autres veulent qu’on se soit servi
indistinctement de l’une et de l’autre espèce de pain pendant les six premiers
siècles et que l’usage du pain sans levain ait prévalu vers le VIIIe.).
La coutume des grecs a cependant aussi une certaine raison, soit à cause de sa
signification qu’indique saint Grégoire (loc.
cit.), soit pour détester l’hérésie des Nazaréens, qui mêlaient les
prescriptions légales à l’Evangile.
Article 5 : Le vin
de la vigne est-il la matière propre du sacrement de l’autel ?
Objection N°1. Il semble que le vin de la vigne ne soit
pas la matière propre de ce sacrement. Car comme l’eau est la matière du
baptême, de même le vin est la matière de l’eucharistie. Or, on peut baptiser
avec toute eau. On peut donc aussi consacrer avec toute espèce de vin, comme le
jus de grenades, de mûres ou d’autres fruits semblables, surtout puisque la
vigne ne vient pas dans tous les pays.
Réponse à l’objection N°1 : On ne donne pas proprement le
nom de vin à ces liqueurs, mais on le fait seulement par analogie. D’ailleurs
on peut transporter dans les pays où il n’y a pas de vignes du vin véritable
autant qu’il en faut pour consacrer.
Réponse à l’objection N°2 : Le vin se change en vinaigre par corruption : aussi le
vinaigre ne redevient pas du vin, comme le dit Aristote (Met., liv. 8, text. 14). C’est pourquoi
comme on ne peut pas consacrer avec du pain qui est totalement corrompu, de
même on ne le peut pas non plus avec du vinaigre. Cependant on peut consacrer
avec du vin qui se pique comme avec du pain qui commence à se corrompre,
quoiqu’on pèche en le faisant (Si vinum cœperit acescere,
vel corrumpi, vel fuerit aliquantum
acre, disent les rubriques du missel romain, conficitur sacramentum, sed conficiens graviter peccat.),
ainsi que nous l’avons dit (art. 3, Réponse N°4).
Objection N°3. Comme on fait avec le fruit de la vigne du vin pur, de
même on fait aussi du verjus et du vin doux. Or, il ne semble pas qu’on puisse
consacrer avec ces deux dernières espèces de vins, d’après ces paroles qu’on
lit dans le sixième concile œcuménique (hab., in conc. quini
sexto chap. 28, part. conc. Const. 3) : Nous avons
appris que dans certaines églises il y a des prêtres qui joignent les grappes
de raisin au sacrifice de l’autel et qui distribuent ainsi l’un et l’autre au
peuple. Nous ordonnons donc qu’aucun prêtre ne se permette à l’avenir d’agir
ainsi. Et le pape Jules Ier (Decret. 7) blâme
ceux qui offrent dans le sacrement du calice du Seigneur un vin que l’on vient
d’exprimer. Il semble donc que le vin de la vigne ne soit pas la matière propre
de ce sacrement.
Réponse à l’objection N°3 : Le verjus est en voie de production et il
n’est pas encore du vin ; c’est pour ce motif qu’on ne peut s’en servir pour
consacrer. Le vin doux a déjà l’espèce du vin, car sa douceur montre qu’il est
formé, puisque la formation des choses reçoit son complément de leur chaleur
naturelle, selon la remarque d’Aristote (Meteor., liv. 4, chap. 3). C’est pourquoi on peut consacrer avec
du vin doux (Le moût ou le vin doux est une matière valide, mais sa
consécration est gravement illicite. Voyez les rubriques du missel romain De defectibus.),
mais on ne doit pas y mêler des raisins qui seraient entiers, parce qu’alors il
y aurait autre chose que du vin. Il est aussi défendu d’offrir dans le calice
le jus du raisin immédiatement après qu’il a été exprimé ; parce qu’il y a là
quelque chose d’inconvenant, à cause que le jus ne peut être pur. Cependant on
peut le faire dans le cas de nécessité. Car le pape Jules dit (loc. cit.) : Si cela est nécessaire,
qu’on exprime la grappe dans le calice.
Mais
c’est le contraire. Comme le Seigneur s’est comparé au grain de froment, de
même il s’est aussi comparé à la vigne, en disant (Jean, 15, 1)
: Je suis la vigne véritable. Or, il
n’y a que le pain de froment qui soit la matière de l’eucharistie, comme nous
l’avons dit (art. 3). Il n’y a donc aussi que le vin qui vient de la vigne qui
soit la matière propre de ce sacrement.
Conclusion
Il n’y a que le vin de la vigne qui soit la matière propre de l’eucharistie
instituée par le Christ.
Il faut répondre qu’il n’y a que le vin de la vigne qui puisse être
consacré. 1° A cause de l’institution du Christ qui a établi ce sacrement avec
le vin de la vigne, comme on le voit par ces paroles qu’il dit lui-même à
l’occasion de son institution (Matth., 26, 29)
: Je ne boirai plus désormais de ce fruit
de la vigne. 2° Parce que, comme nous l’avons dit (art. 3), on emploie pour
la matière des sacrements ce qui a proprement et communément une telle espèce.
Or, on donne proprement le nom de vin à ce qui vient de la vigne ; on n’appelle
ainsi les autres liqueurs qu’en raison de la ressemblance qu’elles ont avec le
vin qui est le produit de la vigne. 3° Parce que le vin de la vigne a plus
d’analogie avec l’effet de ce sacrement qui est la joie spirituelle. Car il est
écrit (Ps. 103, 15) que le vin réjouit le cœur de l’homme.
Article 6 : Doit-on
mêler de l’eau au vin ?
Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas mêler de
l’eau au vin. Car le sacrifice du Christ a été figuré par l’oblation de
Melchisédech qui, d’après la Genèse (chap.
14), n’offrit que du pain et du vin. Il semble donc qu’on ne doive pas ajouter
de l’eau au vin dans l’eucharistie.
Réponse à
l’objection N°1 : Selon la pensée de saint Ambroise (loc. cit.), comme le sacrifice du Christ
a été figuré par l’offrande de Melchisédech, de même il l’a été par l’eau qui
est sortie du rocher dans le désert, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 10, 4) : Ils tiraient leur breuvage de la pierre spirituelle qui les
accompagnait.
Réponse à l’objection N°2 : On se sert de
l’eau dans le baptême pour l’ablution, au lieu que dans l’eucharistie on
l’emploie pour renouveler les forces, suivant le passage du Psalmiste (Ps. 22, 2) : Il m’a conduit
sur des eaux qui me raniment.
Réponse à l’objection N°3 : Le pain est fait
d’eau et de farine ; c’est pour cela qu’en mêlant de l’eau au vin, ils
n’existent ni l’un ni l’autre sans eau.
Mais
c’est le contraire. Le pape Alexandre Ier dit (Epist. 1 ad omnes orth.,
chap. 4) : Que dans l’oblation des sacrements que l’on offre au Seigneur dans
la messe solennelle, on n’offre en sacrifice que du pain et du vin mélangé
d’eau (Le concile de Florence dit : Materia est… vinum de vite cui ante consecrationem aqua modicissima admisceri debet.).
Conclusion Il est convenable qu’on consacre l’eucharistie
avec du vin mêlé d’eau, comme on croit que le Christ l’a fait.
Il
faut répondre qu’on doit mêler de l’eau au vin que l’on offre dans
l’eucharistie. 1° A cause de l’institution. Car on croit avec probabilité que
le Seigneur a institué l’eucharistie avec du vin mêlé d’eau selon la coutume de
ce pays (C’est ce que rapportent les liturgies de saint Jacques et de saint
Basile.). D’où il est dit (Prov., 9, 5) : Buvez le vin que je vous ai mélangé. 2° Parce que ce mélange convient
pour représenter la passion du Seigneur. D’où le pape Alexandre Ier
dit (loc. cit.) : On ne doit pas
offrir dans le calice du Seigneur du vin seul ou de l’eau seule, mais on doit
offrir l’un et l’autre mélangé ; parce que nous lisons que l’un et l’autre sont
sortis du côté du Christ à sa passion. 3° Parce que cela est convenable pour
signifier l’effet de l’eucharistie qui est l’union du peuple chrétien avec le
Christ. Car, comme le dit le pape Jules (hab., De consecr., dist. 2, chap.
Cum omne crimen), nous voyons que l’eau est le symbole du
peuple, et le vin montre le sang du Christ. Par conséquent puisque l’eau est
mêlée au vin dans le calice, le peuple est uni au Christ (Ces raisons ont été
reproduites par le concile de Florence et par le concile de Trente (sess. 22,
chap. 7).). 4° Parce que cela est en harmonie avec le dernier effet du
sacrement de l’eucharistie qui est l’entrée dans la vie éternelle. D’où saint
Ambroise dit (Lib. de sacram., liv. 5, chap. 4) : L’eau tombe dans le calice et
rejaillit jusqu’à la vie éternelle.
Article 7 : Le
mélange d’eau et de vin est-il nécessaire au sacrement de l’autel (2) ?
Objection N°1. Il semble que le mélange d’eau soit
nécessaire à l’eucharistie. Car saint Cyprien dit à Cécilius (liv. 2, epist. 3) : Il faut que le calice du Seigneur ne soit pas
de l’eau seule, ni du vin seul, mais un mélange de l’un et de l’autre, comme on
ne peut consacrer le corps du Christ avec de la farine seule, si on ne joint
ensemble de la farine et de l’eau. Or, le mélange d’eau avec la farine est
nécessaire pour que la consécration ait lieu. Le mélange de l’eau avec le vin
est donc aussi nécessaire pour le même motif.
Réponse à l’objection N°1 : Le passage de saint Cyprien
doit s’entendre dans le sens qu’on dit qu’une chose ne peut pas être du moment
qu’elle ne peut avoir lieu convenablement. Ainsi, cette comparaison se rapporte
à ce que l’on doit faire, mais non à ce qui est
nécessaire ; car l’eau est de l’essence du pain, tandis qu’elle n’est pas de
l’essence du vin.
Réponse à l’objection N°2 : L’effusion du sang appartenait directement à la passion
même du Christ. Car, quand le corps d’un homme a été blessé, il est naturel
qu’il en sorte du sang, tandis que l’effusion de l’eau n’a pas été nécessaire à
la passion ; elle a eu lieu seulement pour en démontrer l’effet, qui consiste à
effacer les péchés, et à tempérer l’ardeur de la concupiscence. C’est pourquoi,
dans l’eucharistie, on n’offre pas l’eau séparément du vin, comme on offre le
vin séparément du pain, mais on offre l’eau mêlée au vin pour montrer que le
vin appartient par lui-même à ce sacrement, comme une chose nécessaire, tandis
que l’eau ne lui appartient qu’autant qu’elle est jointe au vin.
Réponse à l’objection N°3 : Parce que le mélange de l’eau avec le vin
n’est pas nécessaire au sacrement, il n’importe pas, pour la validité de la
consécration, que l’eau qu’on ajoute soit de l’eau naturelle ou de l’eau
artificielle comme de l’eau de rose ; quoique, sous le rapport de la
convenance, celui qui ajoute une autre eau que l’eau naturelle et véritable
pèche (Si non fuerit admixta aqua, vel fuerit admixta aqua rosacea seu alterius
distillationis,
disent les rubriques du missel romain, conficitur sacramentum, sed conficiens graviter peccat.) ; parce que c’est de l’eau véritable qui est
sortie du côté du Christ attaché sur la croix, et non de l’humeur flegmatique,
comme quelques-uns l’ont dit, pour montrer que le corps du Christ était
véritablement composé des quatre éléments, comme par le sang qu’il répandait il
montrait qu’il était formé des quatre humeurs, selon la pensée d’Innocent III (Decr., liv. 3, tit.
41, chap. 8). Mais parce qu’il est nécessaire pour la validité de la
consécration qu’on mélange de l’eau véritable avec de la farine, pour en former
la substance du pain ; si on y mélangeait de l’eau de rose, ou toute autre
liqueur que de l’eau véritable, on ne pourrait consacrer, parce que ce ne
serait pas du vrai pain.
Mais
c’est le contraire. Saint Cyprien dit (liv. 2, epist. 3) : Si quelqu’un de nos
prédécesseurs a manqué par ignorance ou simplement de mêler de l’eau au vin
dans le sacrement de l’eucharistie, on peut le pardonner à sa simplicité ; ce
qu’il ne dirait pas, si l’eau était nécessaire au sacrement, comme le vin ou le
pain l’est. Le mélange de l’eau n’est donc pas nécessaire au sacrement.
Conclusion Puisque la participation à l’eucharistie par
les fidèles n’appartient pas à l’essence de ce sacrement, il s’ensuit que le
mélange de l’eau avec le vin, que l’on fait pour signifier cette participation,
n’est pas nécessaire au sacrement.
Il
faut répondre qu’on doit juger d’un signe d’après la chose qu’il signifie. Or,
on ajoute de l’eau au vin pour signifier que les fidèles participent à ce
sacrement, en tant que l’eau mêlée au vin signifie l’union du peuple avec le
Christ, comme nous l’avons dit (art. préc.). D’ailleurs, l’eau qui
est sortie du côté du Christ attaché sur la croix se rapporte à la même chose,
parce qu’elle signifie l’ablution des péchés, qui était produite par la passion
du Christ. Or, nous avons dit (quest. préc., art. 1,
Réponse N°3) que l’eucharistie est parfaite par la consécration de la matière,
et que l’usage des fidèles n’est pas nécessaire à ce sacrement, mais qu’il en
est une conséquence (C’est ce qu’exprime ainsi le concile de Trente (sess. 13,
chap. 5) : Illud in eucharistia excellens et singulare reperitur ; quod reliqua sacramenti tunc primùm sanctificandi vim habent, cùm
quis illis utitur ; at in ea ipse sanctitatis auctor ante usum est.). C’est pourquoi il s’ensuit que
le mélange de l’eau n’est pas nécessaire au sacrement.
Article 8 : Doit-on
ajouter de l’eau en grande quantité ?
Objection N°1. Il semble qu’il faille ajouter de l’eau en
grande quantité. Car, comme le sang a coulé sensiblement du côté du Christ, de
même aussi l’eau. D’où il est dit (Jean, 19, 35),
que celui qui a vu a rendu témoignage.
Or, l’eau ne pourrait pas exister sensiblement dans l’eucharistie, si on n’y en
mettait pas en grande quantité. Il semble donc qu’on doive l’ajouter en grande
quantité.
Réponse à
l’objection N°1 : Il suffit pour la signification de ce sacrement que l’eau
soit sensible quand on l’ajoute au vin : mais il n’est pas nécessaire qu’elle
soit sensible après le mélange.
Réponse à l’objection N°2 : Si on n’ajoutait point du tout d’eau, on exclurait
totalement la signification ; mais lorsque l’eau se change en vin, elle indique
que le peuple est incorporé au Christ.
Réponse à l’objection N°3 : Si on ajoutait de l’eau à un tonneau,
cela ne suffirait pas pour la signification du sacrement, mais il faut que l’on
ajoute l’eau au vin pour la célébration même du sacrement.
Mais
c’est le contraire. Le droit dit (extra, Decr., liv. 2, text. 41, chap. Perniciosum) : Un
usage pernicieux s’est introduit dans vos contrées, c’est que dans le sacrifice
on met plus d’eau que de vin, tandis que, d’après la coutume raisonnable de
l’Eglise universelle, on doit mettre plus de vin que d’eau.
Conclusion En consacrant le sacrement de l’eucharistie on
doit mettre un peu moins d’eau que de vin pour que l’espèce du vin ne soit pas
détruite.
Il
faut répondre qu’à l’égard de l’eau qu’on ajoute au vin, il y a trois opinions,
comme le dit le pape Innocent III (in Decret., cap. Cum Marth. De celebrat. mis.). En effet, les uns disent que l’eau ajoutée au vin
subsiste par elle-même, lorsque le vin est changé en sang. Mais cette opinion
est insoutenable, parce que, dans le sacrement de l’autel, après la
consécration il n’y a que le corps et le sang du Christ. Car, comme le dit
saint Ambroise (hab., in liv. De initiand., chap. 9) : Avant la consécration, c’est
l’espèce qu’on désigne, mais après, c’est le corps du Christ qui est signifié ;
autrement on n’adorerait pas le tout de l’adoration de latrie. C’est pourquoi
d’autres ont dit que, comme le vin se change en sang, de même l’eau se change
en l’eau qui est sortie du côté du Christ. Mais ce sentiment n’est pas
raisonnable, parce qu’alors l’eau serait consacrée séparément du vin, comme le
vin l’est séparément du pain. C’est pour ce motif que, comme le dit Innocent
III (loc. cit.), il est plus probable
de dire que l’eau se change en vin et le vin en sang (Cette opinion est
certaine, mais cependant elle n’est pas de foi ; car, comme l’observe Billuart,
les deux autres opinions que rejette saint Thomas n’ont pas été condamnées, et
l’illustre docteur ne les signale pas comme contraires à la foi. Le sentiment
de saint Thomas a été suivi par le catéchisme du concile de Trente, qui dit
(chap. 16) : Ecclesiasticorum scriptorum sententiâ et judicio aqua illa in vinum convertitur
; par le Pontifical romain, où on lit (p. 1, tract. 10, chap. 12) : Aqua quæ in calice
vino admiscetur, debet esse in modica quantitate, quia eam in vinum
converti oportet.), ce qui ne pourrait avoir
lieu, si on ne prenait pas si peu d’eau qu’elle fût changée en vin. C’est
pourquoi il est toujours plus sûr de mettre peu d’eau, surtout si le vin est
faible ; parce que, si on y en ajoutait une si grande quantité que l’espèce du
vin fût détruite, on ne pourrait plus consacrer. D’où
le pape Jules Ier (hab., De consecr., dist. 2, chap. Cum omne crimen)
reprend des prêtres qui conservaient pendant toute l’année une étoffe de lin
trempée dans du vin doux, et qui, au moment du sacrifice, en lavaient une
partie avec de l’eau, et offraient ainsi.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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la morale catholique et des lois justes.
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