Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
76 : De la manière dont le Christ existe dans l’eucharistie
Nous devons maintenant nous occuper de la manière dont le Christ
existe dans l’eucharistie. — A cet égard huit questions se présentent : 1° Le
Christ est-il tout entier dans l’eucharistie ? (Il est de foi que le Christ est
contenu tout entier dans l’eucharistie. C’est ce qu’exprime ainsi le concile de
Florence : Totus Christus continetur sub specie panis, et totus sub specie
vini, et le concile de Trente anathématise en ces
termes ceux qui le nient : Si quis negaverit, in venerabili sacramento eucharistiæ sub unaquaque specie, et sub singulis cujusque
speciei partibus, separatione
factâ, totum Christum contineri ; anathema sit.) — 2° Est-il
tout entier sous chaque espèce ? (Il est de foi que le Christ est tout entier
sous l’espèce du pain et tout entier sous l’espèce du vin, comme on le voit
d’après les conciles cités à l’occasion de l’article précédent.) — 3° Est-il tout
entier dans toutes les parties des espèces ? (Il est de foi que le Christ est
tout entier tous chacune des espèces consacrées après leur séparation. C’est ce
qu’exprime ainsi le concile de Florence : Sub qualibet quoque
parte hostiæ consecrata ;
et vini consecrati, separatione factâ, totus est Christus.) — 4° Les dimensions du corps du
Christ sont-elles tout entières dans ce sacrement ? (La réponse à cette
question est une conséquence de ce qui a été dit (art. 1) quand nous avons
observé que le corps du Christ était substantiellement le même dans le
sacrement que dans sa nature ; car il suit de là qu’il a la quantité et les
autres accidents internes et absolus qu’il a dans le ciel.) — 5° Le corps du
Christ y est-il localement ? (Il est de foi que le Christ est réellement
présent dans l’eucharistie sous les espèces du pain et du vin, mais y est-il
comme dans un lieu ? Si on prenait cette expression dans un sens large, on
pourrait répondre affirmativement, car il est réellement présent à un certain
espace, et le concile de Trente dit qu’il est dans le ciel selon sa manière
d’être naturelle, et qu’il est néanmoins présent d’une manière sacramentelle
dans beaucoup d’autres lieux (sess. 13, chap. 1). Mais saint Thomas prend ici
le mot lieu dans un sens strict et restreint, et c’est pour cela qu’il répond
négativement.) — 6° Le corps du Christ est-il mû au mouvement de l’hostie ou du
calice après la consécration ? (Cet article est une conséquence du précédent,
car le corps du Christ n’étant pas dans l’eucharistie comme dans un lieu
proprement dit, il s’ensuit qu’il n’y est d’une manière mobile que par accident
: Modo quo convenit
corporis Christi esse in loco ratione
dimensionum sacramentalium,
convenit sibi moveri in loco, dit saint Thomas (Opusc. 11, art. 54).) — 7° Le corps du Christ selon qu’il est dans
l’eucharistie peut-il être vu du moins par un œil glorifié ? — 8° Le corps
véritable du Christ subsiste-t-il dans l’eucharistie, quand il apparait
miraculeusement sous l’apparence d’un enfant ou de la chair ?
Article 1 : Le Christ
est-il contenu tout entier dans l’eucharistie ?
Objection N°1. Il semble que le Christ ne soit pas
contenu tout entier dans l’eucharistie. Carie Christ commence à être dans ce
sacrement par la conversion du pain et du vin, comme nous l’avons dit (quest. préc.,
art. 4). Or, il est évident que le pain et le vin ne peuvent être convertis, ni
en la divinité du Christ, ni en son âme. Par conséquent, puisque le Christ est
formé de trois substances, c’est-à-dire de la divinité, de l’âme et du corps,
comme nous l’avons vu (quest. 2), il semble que le Christ tout entier n’existe
pas dans l’eucharistie.
Réponse à l’objection N°1 : La conversion du
pain et du vin n’ayant pour terme ni la divinité, ni l’âme du Christ, il
s’ensuit que la divinité ou l’âme du Christ n’existe pas dans ce sacrement par
la force du sacrement, mais d’après la concomitance réelle. Car la divinité
n’ayant jamais quitté le corps qu’elle a pris, partout où le corps du Christ
existe, il est nécessaire que sa divinité existe aussi (Cette doctrine de saint
Thomas se trouve admirablement confirmée par les expressions mêmes du concile
de Trente (Conf., sess. 13,
chap. 3).). C’est pourquoi il est nécessaire que la divinité du Christ existe
dans l’eucharistie concomitamment avec son corps. C’est ce qui fait dire dans
le concile d’Ephèse (in conc., gen.
3, part. 1, chap. 26, in epist. Cyril., chap. 7) : Nous devenons participants du
corps et du sang du Christ que nous ne recevons pas comme une chair commune, ni
comme la chair d’un homme sanctifié et uni au Verbe selon l’unité de la
dignité, mais comme une chair véritablement vivifiante et qui est devenue la
propre chair du Verbe lui-même. Quant à l’âme elle a été réellement séparée du
corps, comme nous l’avons dit (quest. 50, art. 3 et 4). C’est pourquoi, si,
dans les trois jours où il a été mort, on eût consacré, l’âme du Christ
n’aurait été là ni par la force du sacrement, ni par la concomitance réelle.
Mais parce que le Christ qui est
ressuscité d’entre les morts ne meurt plus, d’après saint Paul (Rom., 6, 9), son âme est toujours réellement unie à son
corps. C’est pour cela que dans ce sacrement le corps du Christ y est par la
force sacramentelle, tandis que son âme y est par la concomitance réelle.
Objection N°2. Le Christ est dans l’eucharistie de la manière qu’il
convient pour nourrir les fidèles, ce qui consiste dans le boire et le manger,
comme nous l’avons dit (quest. 74, art. 4). Or, le Seigneur dit (Jean, 6, 56)
: Ma chair est véritablement une
nourriture et mon sang est véritablement un breuvage. Il n’y a donc que la
chair et le sang du Christ qui soient contenus dans ce sacrement, cependant il
y a dans le corps du Christ beaucoup d’autres parties, telles que les nerfs,
les os, etc. Le Christ n’est donc pas contenu tout entier sous ce sacrement.
Réponse à
l’objection N°2 : Par la force sacramentelle, l’eucharistie
contient, sous l’espèce du pain, non seulement la chair, mais encore le corps
tout entier du Christ, c’est-à-dire les os, les nerfs et les autres parties. Ce
qui est évident d’après la forme de ce sacrement, dans laquelle on ne dit pas : Ceci est ma chair, mais : Ceci est mon corps. C’est pourquoi,
quand le Seigneur a dit (Jean, 6, 56)
: Ma chair est véritablement une nourriture,
la chair désigne en cet endroit le corps tout entier, parce que suivant la
coutume des hommes la chair paraît être plus apte à être mangée, selon qu’ils
se nourrissent ordinairement de la chair des animaux, et non de leurs os et des
autres parties de leur corps.
Objection
N°3. Un corps d’une étendue plus grande ne peut être contenu tout
entier sous une étendue moindre. Or, l’étendue du pain et du vin consacré est beaucoup moindre que l’étendue propre du corps du
Christ. Il ne peut donc pas se faire que le Christ entier soit contenu sous ce
sacrement.
Mais
c’est le contraire. Saint Ambroise dit (Lib.
de initiand., chap. 9) : Le Christ est dans l’eucharistie.
Conclusion Puisque la divinité et l’âme du Christ sont
réellement unies à son corps, quoique la conversion du pain et du vin ne les
ait pas pour termes, on doit croire d’après la foi catholique que le Christ
tout entier est dans ce sacrement.
Article 2 : Le Christ
est-il contenu tout entier sous l’une et l’autre espèce du sacrement ?
Objection N°1. Il semble que le Christ tout entier soit
contenu sous l’une et l’autre espèce de ce sacrement. Car l’eucharistie a pour
but de produire le salut des fidèles, non par la vertu des espèces, mais par la
vertu de ce qui est contenu sous elles ; parce que les espèces existaient aussi
avant la consécration, d’où provient la vertu de ce sacrement. Si donc il n’y a
rien de contenu sous une espèce qui ne soit contenu sous l’autre, il semble que
l’une des deux soit superflue.
Réponse à l’objection N°1 : Il faut répondre au premier
argument, que quoique le corps du Christ soit tout entier sous l’une et l’autre
espèce, ce n’est cependant pas en vain. Car 1° ceci est utile pour représenter
la passion du Christ, dans laquelle le sang a été séparé du corps, et c’est
pour cela que dans la forme de la consécration du sang, il est dit qu’il a été
versé. 2° Il est convenable pour l’usage de ce sacrement que le corps du Christ
soit donné à part aux fidèles pour nourriture et son sang pour boisson. 3° Il
est convenable quant à l’effet, d’après ce que nous avons dit (quest. 74, art.
1), que le corps soit donné pour le salut du corps et le sang pour le salut de
l’âme.
Objection N°2. Non s avons dit (art. préc.) que sous le nom de la
chair on comprend toutes les autres parties du corps, comme les os, les nerfs
et le reste. Or, le sang est une des parties du corps humain, comme on le voit
(De genere anim., liv. 3, chap. 2, et De part. animal., liv. 2, chap. 11). Si
donc le sang du Christ est contenu sous l’espèce du pain, comme les autres
parties du corps y sont contenues, le sang ne devrait pas être consacré à part,
comme on ne consacre pas à part une autre partie du corps.
Réponse à l’objection N°2 : Dans la passion du Christ, dont ce sacrement est le
mémorial, il n’y a pas eu d’autres parties du corps que le sang qui aient été
séparées les unes des autres. Le corps est resté dans toute son intégrité,
d’après ces paroles (Ez., 12, 46) : Vous ne briserez pas ses os. C’est
pourquoi dans l’eucharistie le sang est consacré séparément du corps ; tandis
que les autres parties ne sont pas séparées les unes des autres.
Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (dans le corps de
cet article.),le corps du Christ n’existe pas sous l’espèce du vin d’après
la force du sacrement, mais d’après la concomitance réelle. C’est pourquoi la
consécration du vin ne fait pas par elle-même que le corps du Christ y soit,
mais il y est par concomitance.
Mais
c’est le contraire. Sur ces paroles de saint Paul (1 Cor., chap. 11) : Accipite et manducate, la glose dit (glos. ord.), que sous l’une et l’autre
espèce, c’est-à-dire sous l’espèce du pain et du vin, on reçoit la même chose.
Par conséquent il semble que le Christ soit tout entier sous l’une et l’autre
espèce.
Conclusion
Quoiqu’il n’y ait que le corps du Christ qui soit contenu sous l’espèce du pain
et qu’il n’y ait que le sang sous l’espèce du vin, d’après la force du
sacrement, cependant nous devons croire de la foi la plus certaine que le
Christ est contenu tout entier sous l’une et l’autre espèce d’après la
concomitance réelle.
Il faut répondre qu’on doit croire très certainement que le Christ est
tout entier sous l’une et l’autre espèce du sacrement, mais cependant de
différentes manières. Car sous les espèces du pain il y a le corps du Christ,
d’après la force du sacrement, et le sang d’après la concomitance réelle, comme
nous l’avons dit (art. préc.) au sujet de l’âme et de la divinité du Christ. Sous
les espèces du vin il y a le sang du Christ, d’après la force du sacrement, et
son corps d’après la concomitance réelle, aussi bien que son âme et sa divinité
(Le concile de Trente s’exprime ainsi sess. 13, chap. 5) : Corpus Christi est sub specie
panis, et sanguis sub specie vini,
ex vi verborum ; ipsum autem corpus sub specie vini, et sanguis sub specie
panis, animaque sub utraque, vi naturali illius communionis et concomitantiæ, quâ partes Christi Domini qui jam
ex mortuis resurrexit non ampliùs moriturus, inter se copulantur, divinitas vero propter admirabilem illam ejus cum corpore et animâ hypostaticam unionem.) ;
parce que maintenant le sang du Christ n’est pas séparé de son corps, comme il
l’a été au temps de sa passion et de sa mort. Par conséquent, si on eût alors
célébré ce sacrement sous les espèces du pain, le corps du Christ aurait été
sans le sang, et si on l’eût célébré sous les espèces du vin, le sang aurait
été sans le corps, tel qu’il était réellement et véritablement (Et après la
résurrection ils auraient été réunis, parce que le corps du Christ est dans le
sacrement substantiellement tel qu’il est dans la nature des choses.).
Article 3 : Le Christ
est-il tout entier sous toutes les parties des espèces du pain ou du vin ?
Objection N°1. Il semble que le Christ ne soit pas tout
entier sous toutes les parties des espèces du pain et du vin. Car ces espèces
peuvent se diviser à l’infini. Si donc le Christ était tout entier sous toutes
les parties de ces espèces, il s’en suivrait qu’il serait une infinité de fois
dans l’eucharistie, ce qui n’est pas admissible : car l’infini répugne non seulement
à la nature, mais encore à la grâce.
Réponse à l’objection N°1 : Le nombre suit la division.
C’est pourquoi, tant que la quantité reste indivise en acte, la substance d’une
chose n’existe pas plusieurs fois sous ses propres dimensions, et le corps du Christ
n’existe pas non plus plusieurs fois sous les dimensions du pain. Par
conséquent on ne le divise pas en une infinité de fois, mais en autant de fois
qu’il y a de parties.
Réponse à l’objection N°2 : Cette distance déterminée des parties dans un corps
organique est fondée sur sa quantité commensurable, mais la nature même de la
substance précède cette quantité. C’est pourquoi, parce que la conversion de la
substance du pain a directement pour terme la substance du corps du Christ, et
que le corps du Christ est directement et proprement au sacrement de l’autel
selon le mode de sa substance, cette distance des parties existe en effet dans
le véritable corps du Christ (Ce rapport symétrique des parties organiques
existe dans le corps du Christ sous le sacrement de l’autel, mais il n’existe
pas dans une quantité commensurable à la façon des corps qui ont le lieu pour
mesure, il y existe d’une manière indivisible proportionnée au corps même du
Christ qui est là selon le mode de la substance.), mais ce n’est pas selon
cette distance qu’il est dans l’eucharistie, c’est seulement selon le mode de
sa substance, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article et art. 1).
Objection N°3. Le corps du Christ conserve toujours sa véritable nature
corporelle et n’est jamais changé en esprit. Or, il est de l’essence du corps
qu’il soit une quantité ayant une position, comme on le voit (in Prædic., chap. De quantitate).
Or, il appartient à l’essence de cette quantité que ses différentes parties
existent dans différentes parties du lieu. Il semble donc qu’il ne puisse pas
se faire que le Christ soit tout entier sous toutes les parties des espèces.
Réponse à l’objection N°3 : Ce raisonnement s’appuie sur la nature
que le corps a d’après sa quantité commensurable. Or, nous avons dit (dans le
corps de l’article.) que le corps du Christ est dans l’eucharistie, non en
raison de sa quantité commensurable, mais en raison de sa substance, ainsi que
nous l’avons vu (ibid.).
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit dans un sermon (id. hab. Greg. in Sacrament. Dom. 5
post Epiph.) :
Chaque fidèle reçoit le corps du Christ Notre-Seigneur, et il est tout entier
dans chaque partie ; il n’est pas diminué par chacune d’elles, mais il se donne
tout entier en chacune.
Conclusion Puisque le corps du Christ est dans
l’eucharistie de la manière que la substance est sous les dimensions, il est
évident que le Christ est contenu tout entier sous toutes les parties des
espèces du pain et du vin, soit que l’hostie soit rompue, soit qu’elle reste
entière.
Il
faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc. et art. 1), la substance
du corps du Christ étant dans l’eucharistie par la force du sacrement, et sa
quantité commensurable y étant par la force de la concomitance réelle, il
s’ensuit que le corps du Christ est dans ce sacrement à la manière de la
substance, c’est-à-dire à la manière dont la substance est sous les dimensions,
mais non à la manière des dimensions, c’est-à-dire à la manière dont la
quantité commensurable d’un corps est sous la quantité commensurable d’un lieu.
Or, il est évident que la nature de la substance est tout entière sous chaque
partie des dimensions sous lesquelles elle est contenue. Ainsi, toute la nature
de l’air est sous chaque partie de l’air et toute la nature du pain est sous chaque
partie du pain. Et cela n’en est pas moins vrai, soit que les dimensions soient
divisées en acte (comme quand on divise l’air ou qu’on coupe le pain), soit
qu’elles soient indivises en acte, mais divisibles en puissance. C’est pourquoi
il est évident que le Christ est tout entier sous toutes les parties des
espèces du pain, quand l’hostie est entière et qu’il n’y est pas seulement
quand l’hostie est rompue (Il est certain que le Christ est aussi tout entier
sous toutes les parties de l’hostie avant qu’elles ne soient séparées. Car le
concile de Trente dit (sess. 13, chap. 5) qu’il est tout entier sous toutes les
parties de l’espèce, sans parler de la séparation ; mais comme il a introduit
ces mots separatione factâ dans
son canon, cette partie de l’article n’est pas de foi.), comme quelques-uns le
disent, en prenant pour exemple l’image qu’on voit dans un miroir. Il n’y en a
qu’une quand le miroir reste entier, mais il y en a autant qu’il y a de parties
quand le miroir est brisé. Cette comparaison n’est pas parfaite, parce que la
multiplication de ces images résulte dans un miroir qui est brisé des diverses
réflexions de l’objet par rapport aux différentes parties du miroir ; tandis
qu’ici il n’y a qu’une seule consécration qui fait que le corps du Christ est
dans ce sacrement.
Article 4 : Toute
la quantité commensurable du corps du Christ reste-t-elle dans l’eucharistie ?
Objection N°1. Il semble que toute la quantité
commensurable du corps du Christ ne soit pas dans l’eucharistie. Car nous avons
dit (art. préc.) que le corps entier du Christ est
contenu sous chacune des parties de l’hostie consacrée. Or, aucune quantité
commensurable n’est contenue tout entière dans un tout et dans chacune de ses
parties. Il est donc impossible que toute la quantité commensurable du corps du
Christ soit contenue dans ce sacrement.
Réponse à l’objection N°1 : Le mode d’être de chaque
chose est déterminé selon ce qui lui appartient absolument, mais non d’après ce
qui lui appartient par accident. Ainsi un corps est dans la vue selon qu’il est
blanc, mais non selon qu’il est doux ; quoique le même corps soit blanc et
doux. Par conséquent, la douceur est dans la vue selon le mode de la blancheur,
mais non selon le mode de la douceur. Ainsi donc, la substance du corps du
Christ étant sur l’autel par la force du sacrement, sa quantité commensurable y
est concomitamment et comme par accident. C’est pourquoi la quantité
commensurable du corps du Christ y est non selon son propre mode (c’est-à-dire
de manière qu’elle soit tout entière dans le tout et que chacune de ses parties
soit dans chaque partie), mais elle y est selon le mode de la substance (La
quantité commensurable du corps du Christ n’étant dans l’eucharistie qu’en
raison de la substance qu’elle accompagne, saint Thomas en conclut qu’elle doit
suivre l’état du corps qui y est et s’y trouver connue lui à la manière de la
substance et d’une façon indivisible.), dont la nature est d’être tout entière dans
le tout et tout entière dans toutes les parties.
Objection N°2. Il est impossible que deux quantités commensurables
existent simultanément, quand même l’une serait séparée et que l’autre
existerait dans un corps naturel, comme le prouve Aristote (Met., liv. 3, text. 9). Or, dans l’eucharistie
il reste la quantité commensurable du pain, comme les sens le prouvent. La
quantité commensurable du corps du Christ n’y est donc pas.
Réponse à l’objection N°2 : Deux quantités commensurables ne peuvent pas naturellement
exister ensemble dans un même lieu, de manière que l’une et l’autre y soient
selon le mode propre de cette quantité. Mais dans l’eucharistie la quantité
commensurable du pain y est selon son mode propre, c’est-à-dire selon ses
dimensions ; au lieu que la quantité commensurable du corps du Christ n’y est
pas ainsi, mais elle y est selon le mode de la substance, comme nous l’avons
dit (dans le corps de cet article et art. préc., Réponse N°2).
Objection N°3. Si l’on rapproche l’une de l’autre deux quantités
commensurables inégales, la plus grande s’étend au-delà de celle qui est
moindre. Or, la quantité commensurable du corps du Christ est beaucoup plus
grande que la quantité commensurable de l’hostie consacrée, selon toutes ses
dimensions. Si donc la quantité commensurable du corps du Christ existe dans ce
sacrement avec la quantité commensurable de l’hostie ; la quantité
commensurable du corps du Christ s’étendra au-delà de la quantité de l’hostie
qui n’existe cependant pas sans la substance du corps du Christ. Par conséquent
la substance du corps du Christ sera dans l’eucharistie, même en dehors de
l’espèce du pain ; ce qui répugne, puisque la substance du corps du Christ
n’existe dans ce sacrement que par la consécration du pain, comme nous l’avons
dit (art. 1). Il paraît donc impossible que la quantité commensurable du corps
du Christ soit tout entière dans ce sacrement.
Réponse à l’objection N°3 : La quantité commensurable du corps du
Christ n’est pas dans l’eucharistie selon le mode de la mesure et des
dimensions qui est le mode propre à la quantité (Ainsi saint Thomas considère
la quantité comme une chose différente de la substance, qui existe sans elle
par miracle. Il regarde le rapport de la quantité avec le lieu comme un effet
de la quantité, mais non comme une chose qui lui est essentielle. Cet effet
peut ne pas exister et il n’existe pas dans l’eucharistie ; c’est ce qui répond
aux difficultés qu’on peut faire à ce sujet.) et auquel il appartient qu’une
quantité plus grande s’étende au-delà d’une moindre, mais elle y est selon le
mode que nous avons désigné (dans le corps de cet article.).
Mais
c’est le contraire. La quantité commensurable d’un corps n’est pas séparée de
sa substance selon l’être. Or, la substance du corps du Christ existe tout
entière dans ce sacrement, comme nous l’avons vu (art. préc.). La quantité
commensurable du corps du Christ y est donc aussi tout entière.
Conclusion Toute la quantité commensurable du corps du
Christ est dans, l’eucharistie, non par la force du sacrement, mais par la
concomitance réelle.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1.), ce qui appartient au
Christ est dans l’eucharistie de deux manières : 1° par la force du sacrement ;
2° par la concomitance réelle. Par la force du sacrement la quantité
commensurable du corps du Christ n’est pas dans l’eucharistie ; car par la
force du sacrement il y a dans l’eucharistie ce que la conversion a directement
pour terme. Or, la conversion qui a lieu dans ce sacrement a directement pour
terme la substance du corps du Christ, mais non ses dimensions ; ce qui est
évident, parce qu’après la consécration, la quantité commensurable du pain
reste et il n’y a que la substance seule du pain qui passe. — Cependant, comme,
dans la réalité, la substance du corps du Christ n’est pas séparée de sa
quantité commensurable et de ses autres accidents, il s’ensuit que par la force
de la concomitance réelle il y a dans l’eucharistie toute la quantité
commensurable du corps du Christ et tous ses accidents (Ainsi la figure
organique du corps du Christ est dans le sacrement, et les parties sont
ordonnées entre elles de manière que la tête soit immédiatement unie au cou et
médiatement à la poitrine, aux mains et aux autres membres comme dans l’ordre
naturel. Corpus Christi, dit saint
Thomas lui-même, non est confusum, quia ordinem habent partes inter se, licèt secundùm ordinem illum non comparentur ad dimensiones exteriores (Sent., liv. 4, dist. 10 in fin. art. 2).).
Article 5 : Le
corps du Christ est-il dans l’eucharistie comme
dans un lieu ?
Objection N°1. Il semble que le corps du Christ soit dans
l’eucharistie comme dans un lieu. Car, être dans une chose d’une manière
définie ou circonscrite, c’est être dans un lieu. Or, le corps du Christ paraît
être d’une manière définie dans l’eucharistie, puisqu’il est où sont les
espèces du pain ou du vin, de telle sorte qu’il n’est pas dans un autre endroit
de l’autel. Il paraît aussi y être d’une manière circonscrite ; parce qu’il est
contenu sous la superficie de l’hostie consacrée, de manière qu’il ne va ni
au-delà, ni en deçà. Le corps du Christ est donc dans l’eucharistie comme dans
un lieu.
Réponse à l’objection N°1 : Le corps du Christ n’est pas
dans l’eucharistie d’une manière définie, parce qu’alors il ne serait pas
ailleurs que sur l’autel où on consacre ce sacrement ; tandis qu’il est dans le
ciel sous sa propre espèce, et dans beaucoup d’autres autels, sous l’espèce
sacramentelle. Il est également évident qu’il n’y est pas non plus d’une
manière circonscrite, parce qu’il n’y est pas selon la mesure de sa quantité
propre, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). S’il n’est pas
hors de la superficie de l’hostie, ni dans une autre partie de l’autel, ceci ne
provient pas de ce qu’il y est d’une manière définie ou circonscrite ; mais
cela provient de ce qu’il a commencé à être là par la consécration et la
conversion du pain et du vin, comme nous l’avons dit (quest. préc.,
art. 3 et 4).
Objection N°2. Le lieu des espèces du pain n’est pas
vide, car la nature ne souffre pas le vide. Il n’y a pas là non plus la
substance du pain, comme nous l’avons vu (quest. préc., art. 2), mais il n’y
a que le corps du Christ. Par conséquent, le corps du Christ remplit ce lieu,
et comme tout ce qui remplit un lieu y est localement, il s’ensuit que le corps
du Christ est localement dans le sacrement.
Réponse à l’objection N°2 : Ce lieu dans lequel est le corps du Christ n’est pas
vide ; il n’est cependant pas rempli proprement de la substance du corps du
Christ qui n’y est pas localement, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet
article.). Mais il est rempli par les espèces sacramentelles qui ont la vertu
de remplir un lieu, soit à cause de la nature de leurs dimensions, soit au
moins par miracle, comme elles subsistent aussi miraculeusement à la manière de
la substance.
Objection N°3. Comme nous l’avons dit (art. préc. et art. 3), le corps du
Christ est dans l’eucharistie avec sa quantité commensurable et avec tous ses
accidents. Or, être dans un lieu, c’est l’accident d’un corps : et celui-là est
compté parmi les neuf genres d’accident. Le corps du Christ est donc localement
dans ce sacrement.
Réponse à l’objection N°3 : Les accidents du corps du Christ sont
dans l’eucharistie, comme nous l’avons dit (art. préc.), d’après la concomitance
réelle. C’est pourquoi les accidents du corps du Christ qui lui sont
intrinsèques sont dans ce sacrement. Mais comme être dans un lieu est un
accident par rapport au contenant extrinsèque (Le corps du Christ est dans le
sacrement avec tous les accidents intérieurs qui adhèrent à son corps, mais il
n’y est pas avec ses accidents extérieurs. Et être dans un lieu par rapport à
la quantité commensurable n’est qu’une chose accidentelle, parce que c’est un
de ses effets qui peut être séparé d’elle, comme nous l’avons observé plus
haut, quest. 75, art. 6.), il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire que le Christ
soit dans l’eucharistie, comme dans un lieu.
Mais
c’est le contraire. Il faut que le lieu et l’objet qui l’occupe soient égaux,
comme on le voit (Phys., liv. 4, text. 30). Or, le lieu où est
l’eucharistie est beaucoup moindre que le corps du Christ. Le corps du Christ
n’existe donc pas dans ce sacrement, comme dans un lieu.
Conclusion Puisque le Christ est dans l’eucharistie, non
à la manière de la quantité commensurable, mais à la manière de la substance,
il n’y est pas comme dans un lieu, mais il y est de la manière dont la
substance est contenue par les dimensions.
Article 6 : Le
corps du Christ est-il dans l’eucharistie d’une manière mobile ?
Objection N°1. Il semble que le corps du Christ soit dans
l’eucharistie d’une manière mobile. Car Aristote dit (Top., liv. 2, chap. 3) que quand nous sommes mus, les choses qui
sont en nous le sont aussi ; ce qui est vrai aussi de la substance spirituelle
de l’âme. Or, le Christ est dans ce sacrement, comme nous l’avons vu (art. 1).
Il est donc dû à son mouvement.
Réponse à l’objection N°1 : Cette raison repose sur le
mouvement par accident qui fait que ce qui est en nous se meut avec nous.
Cependant, il n’en est pas des choses qui peuvent être par elles-mêmes dans un
lieu, telles que les corps, comme des choses qui ne peuvent y être par
elles-mêmes, telles que les formes et les substances spirituelles. On peut
ramener à ce dernier mode ce que nous disons du Christ, quand nous
reconnaissons qu’il est mû par accident, selon l’être qu’il a dans
l’eucharistie où il n’existe pas comme dans un lieu.
Objection N°2. La vérité doit répondre à la figure. Or, de l’agneau
pascal qui était la figure de l’eucharistie il ne restait rien jusqu’au matin, d’après le précepte de la loi (Ex., chap. 12). Par conséquent, si on
conserve l’eucharistie jusqu’au lendemain, le corps du Christ n’y est plus, et
ainsi il n’est pas d’une manière immobile dans ce sacrement.
Réponse
à l’objection N°2 : Il y a des auteurs qui
paraissent avoir été frappés de cette raison et qui ont supposé que le corps du
Christ ne subsiste pas dans l’eucharistie, si on réserve les espèces pour le
lendemain. Saint Cyrille les attaque en disant (hab. in Cat. D. Thomæ, sup. illud
Luc, chap. 22 : Hoc est corpus meum). Il y en a qui délirent en prétendant que les
espèces cessent d’être consacrées, s’il en reste pour le jour suivant ; car le
corps du Christ ne change pas quand il a été consacré, mais il conserve
toujours en lui la vertu de ses bénédictions et sa grâce vivifiante. Il en est
de cette consécration comme de toutes les autres qui subsistent d’une manière
immuable, tant que les choses consacrées subsistent elles- mêmes,
et c’est pour cela qu’on ne les réitère pas. D’ailleurs quoique la vérité
réponde à la figure, cependant la figure ne peut pas l’égaler.
Réponse à l’objection N°3 : Le corps du Christ reste dans
l’eucharistie non seulement jusqu’au lendemain, mais encore tous les jours
suivants tant que les espèces sacramentelles restent (Ce point de doctrine est
de foi, et il a été ainsi décidé par le concile de Trente : Si quis dixerit, peractâ consecratione, in admirabili Eucharistiæ sacramento non esse
corpus et sanguinem Domini nostri Jesu Christi, sed tantùm in usu,
dùm sumitur, non autem antè vel
post, et in hostiis seu particulis consecratis, quæ post communionem reservantur vel supersunt , non remanere verum corpus Domini ; anathema sit (sess. 13, can. 4).) ; du moment qu’elles cessent
d’exister, le corps du Christ cesse aussi d’être sous elles, non parce qu’il en
dépend, mais parce que le rapport qu’il avait avec elles est détruit, comme
Dieu cesse d’être le Seigneur d’une créature qui n’existe plus.
Conclusion Puisque le Christ n’est pas dans l’eucharistie
comme dans un lieu, il est évident qu’il y est d’une manière immobile par
lui-même, mais d’une manière mobile par accident.
Il
faut répondre que quand une chose est une subjectivement et multiple selon son
être, rien n’empêche qu’elle ne soit mue sous un rapport et qu’elle reste
immobile sous un autre. Ainsi, pour un corps autre chose est d’être blanc et
autre chose d’être grand ; par conséquent, il peut être mû selon la blancheur
et rester immobile selon la grandeur. — Mais pour le Christ ce n’est pas la
même chose d’exister en lui-même et d’exister dans l’eucharistie ; parce que
par là même que nous disons qu’il est dans l’eucharistie, on désigne un certain
rapport qu’il a avec ce sacrement. Par rapport à cet être le Christ n’est pas
mû par lui-même selon le lieu, mais il est mû seulement par accident ; parce qu’il
n’est pas dans ce sacrement, comme dans un lieu, ainsi que nous l’avons dit
(art. préc.), et ce qui n’est pas dans un lieu, n’est pas mû par
lui-même dans le lieu, mais il est mû seulement au mouvement de la chose dans
laquelle il est (Ainsi le corps du Christ dans l’eucharistie n’est mû qu’autant
qu’on meut les espèces sous lesquelles il existe réellement.). Il n’est pas dû
non plus par lui-même selon l’être qu’il a dans le sacrement et il ne subit
aucun changement ; comme celui, par exemple, par lequel il cesserait d’être
sous ce sacrement ; parce que ce qui a de lui-même un être indéfectible ne peut
être un principe de défaillance. Mais si l’autre (C’est-à-dire la chose dans
laquelle il est.) vient à manquer il cesse d’être en lui ; comme Dieu, dont l’être
est indéfectible et immortel, cesse d’être dans une créature corruptible par là
même que cette créature cesse d’exister. Ainsi puisque le Christ a de lui-même
un être indéfectible et incorruptible, il ne cesse d’être dans l’eucharistie,
ni parce qu’il cesse lui-même d’y être, ni par son mouvement local, comme on le
voit d’après ce que nous avons dit (art. préc.), mais
seulement parce que les espèces de ce sacrement cessent d’exister. D’où il est
évident que le Christ absolument parlant est dans ce sacrement d’une manière
immobile (Ainsi le corps du Christ dans l’eucharistie n’est susceptible ni de
nourriture, ni d’accroissement, ni de diminution.).
Objection N°1. Il semble que le corps du Christ, selon
qu’il existe dans l’eucharistie, puisse être vu par un œil corporel, du moins
par un œil glorifié. Car notre œil est empêché de voir le corps du Christ qui
existe dans l’eucharistie à cause des espèces sacramentelles qui le voilent.
Or, un œil glorifié ne peut être empêché par rien de voir tous les corps selon
qu’ils existent. Un œil glorifié peut donc voir le corps du Christ selon qu’il
existe dans le sacrement.
Réponse à l’objection N°1 : Notre œil corporel est
empêché par les espèces sacramentelles de voir le corps du Christ qui existe
sous elles, non seulement parce qu’elles le couvrent (comme nous sommes
empêchés de voir ce qui est couvert d’un voile quelconque) ; mais parce que son
corps n’est pas en rapport avec le milieu qui environne ce sacrement par
l’intermédiaire de ses accidents propres, mais par l’intermédiaire des espèces
sacramentelles.
Réponse à l’objection N°2 : L’œil corporel du Christ se voit lui-même existant sous
le sacrement (D’après ce passage de saint Thomas, les thomistes prétendent
généralement que par la puissance absolue de Dieu l’œil corporel pourrait voir
le corps du Christ dans l’eucharistie. Cependant quelques-uns d’entre eux ne
sont pas de ce sentiment, entre autres Jean de Saint-Thomas.). Cependant, il ne
peut pas voir la manière d’être par laquelle il y est, ce qui n’appartient qu’à
l’entendement. Il n’y a d’ailleurs pas de ressemblance à établir entre l’œil du
Christ et celui d’un bienheureux dans la gloire. Car l’œil du Christ est
lui-même dans le sacrement, et un autre œil glorifié ne lui ressemble en rien
sous ce rapport.
Réponse à l’objection N°3 : Un ange bon ou mauvais ne peut voir
quelque chose avec l’œil corporel, mais seulement avec l’œil intellectuel. Il
n’y a donc pas de parité, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (dans
le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. La même chose ne peut être vue simultanément par le même
sujet sous des espèces diverses. Or, l’œil glorifié voit toujours le Christ,
selon qu’il existe dans son espèce propre, d’après ces paroles (Is., 33,17) : Ils verront le roi dans sa gloire. Il semble donc qu’il ne voie pas
le Christ, selon qu’il existe sous les espèces sacramentelles.
Conclusion
Le Christ étant dans l’eucharistie à la manière de la substance, il ne peut
être vu ni par les yeux du corps, ni par l’entendement de l’homme ici-bas ; on
ne peut le voir que par la foi. Cependant l’entendement des bienheureux peut le
voir par la vision de l’essence divine.
Il faut répondre que l’œil s’entend de deux manières : il y a l’œil corporel
qui s’entend dans le sens propre et l’œil intellectuel qui s’entend par
analogie. Le corps du Christ selon qu’il existe dans l’eucharistie ne peut être
vu d’aucune manière par l’œil corporel. 1° Parce qu’un corps visible change le
milieu par ses accidents. Or, les accidents du corps du Christ sont dans
l’eucharistie par l’intermédiaire de la substance, de telle sorte qu’ils n’ont
de rapport immédiat ni avec ce sacrement, ni avec les corps qui environnent
celui du Christ. C’est pourquoi ils ne peuvent modifier le milieu par lequel la
vision s’opère et se rendre ainsi perceptibles à un œil corporel. 2° Parce que,
comme nous l’avons dit (art. 1, Réponse N°3), le corps du Christ est dans
l’eucharistie à la manière de la substance. Or, la substance comme telle n’est
pas visible à l’œil corporel, et n’est soumise à aucun sens ; elle échappe même
à l’imagination et ne peut être perçue que par l’intellect qui a pour objet
l’essence des choses (Ces arguments démontrent clairement que l’œil corporel ne
peut pas voir naturellement le corps du Christ dans l’eucharistie, et à cet
égard tous les théologiens sont d’accord.) (De
anima, liv. 3, text. 26). — C’est pourquoi, à proprement parler, le corps
du Christ selon le mode d’être qu’il a dans l’eucharistie ne peut être perçu ni
par les sens, ni par l’imagination ; il ne peut l’être que par l’intellect ou
l’entendement qu’on appelle l’œil de l’esprit. Mais il est perçu de différentes
manières par les divers entendements. Car le mode d’être par lequel le Christ
est dans ce sacrement, étant absolument surnaturel, il est visible en lui-même
pour l’entendement surnaturel, c’est-à-dire pour l’entendement divin. Par
conséquent, il peut être vu aussi par l’entendement bienheureux de l’ange ou de
l’homme, qui, selon qu’il participe à la lumière de l’entendement divin, voit
les choses qui sont surnaturelles par la vision de l’essence divine (Ainsi
toute intelligence créée a besoin d’une lumière surnaturelle pour le voir,
parce que, par là même que cet objet est surnaturel, il surpasse la portée de
tout entendement créé.). Mais l’entendement de l’homme ici-bas ne peut le voir,
sinon par la foi, comme toutes les autres choses surnaturelles. L’entendement
de l’ange n’est pas non plus capable par ses moyens naturels de le voir. Par
conséquent, les démons ne peuvent le voir dans ce sacrement par leur
entendement qu’au moyen de la foi (Il ne s’agit pas du don gratuit et infus de
la foi qui n’existe pas dans les démens, mais de cette croyance qui résulte des
preuves extérieures qui obligent l’entendement à donner son assentiment à une
chose.), à laquelle ils ne donnent pas volontairement leur assentiment, mais
dont ils sont convaincus par l’évidence des preuves, d’après cette expression
de saint Jacques (2, 19) : Les
démons croient et ils tremblent.
Objection N°1. Il semble que quand dans l’eucharistie on
voit par miracle de la chair ou un enfant, le corps du Christ n’y soit pas
véritablement. Car le corps du Christ cesse d’être sous ce sacrement, quand les
espèces sacramentelles cessent d’exister, comme nous l’avons dit (art. 6). Or,
quand on voit de la chair ou un enfant, les espèces sacramentelles cessent
d’exister. Le corps du Christ n’est donc plus là véritablement.
Réponse à l’objection N°1 : Cette apparition ayant lieu,
les espèces sacramentelles restent quelquefois totalement en elles-mêmes, et
d’autres fois elles subsistent selon ce qu’il y a de principal en elles, comme
nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Réponse à l’objection N°2 : Dans ces apparitions, comme nous l’avons dit (dans le corps
de l’article.), on ne voit pas l’espèce propre du Christ, mais une espèce
miraculeusement formée, soit dans les yeux des spectateurs, soit aussi dans les
dimensions sacramentelles elles-mêmes (Si ce sang ou cette chair sont
conservés, on ne doit pas leur rendre les mêmes honneurs qu’au corps du Christ
lui-même ; on doit seulement les honorer comme son signe ou son vêtement.),
comme nous l’avons observé (ibid.).
Réponse à l’objection N°3 : Les dimensions du pain et du vin consacré
subsistent, mais un changement se fait à leur égard par miracle, quant aux
autres accidents, comme nous l’avons dit (quest. 75, art. 5).
Conclusion Tant que les dimensions qui existaient
auparavant subsistent dans l’eucharistie, quoiqu’on y voie miraculeusement un
enfant ou de la chair pour montrer la vérité du corps du Christ, néanmoins le
corps du Christ y est contenu.
Il
faut répondre qu’il y a deux sortes d’apparition par lesquelles on voit par
miracle de la chair, ou du sang, ou un enfant dans l’eucharistie. Car
quelquefois cette apparition provient de ceux qui la voient. Leurs yeux sont
impressionnés comme s’ils voyaient extérieurement, d’une manière positive, de
la chair, du sang ou un enfant, sans cependant qu’il y ait rien de changé du
côté du sacrement. C’est ce qui a lieu quand l’un voit le sacrement sous
l’apparence de la chair ou d’un enfant, tandis que les autres le voient comme
il était auparavant sous l’espèce du pain ; ou quand la même personne le voit
dans un moment sous l’espèce de la chair ou d’un enfant, et qu’ensuite elle le
voit sous l’espèce du pain (Jean Diacre rapporte un fait semblable dans la vie
de saint Grégoire (liv. 2, chap. 41). Il raconte qu’une hostie parut être de la
chair, à la prière du saint, et qu’ensuite on la vit sous l’apparence ou
l’espèce du pain, telle qu’elle était auparavant.). Il n’y a pas cependant en
cela d’erreur, comme il arrive dans les prestiges des magiciens. Car cette
apparence se forme surnaturellement dans l’œil pour figurer une vérité,
c’est-à-dire pour manifester que le corps du Christ est véritablement dans
l’eucharistie. C’est ainsi que le Christ apparut aux disciples qui allaient à
Emmaüs sans les tromper. Car saint Augustin dit (Lib. de quæst. Evang., liv. 2) que quand une fiction se rapporte à une
signification, ce n’est pas un mensonge, mais elle est une figure de la vérité.
Et comme dans ce cas il n’y a rien de changé du côté du sacrement, il est
évident que le Christ n’a pas cessé d’y être, pendant que cette apparition
s’est faite. —D’autres fois cette apparition ne résulte pas seulement du
changement qui s’opère dans la vue, mais de l’espèce qu’on voit et qui existe
réellement à l’extérieur. Il en est ainsi quand tout le monde voit le sacrement
sous cette espèce, et qu’il n’y reste pas seulement un instant, mais pendant un
long temps. Dans ce cas, il y en a qui disent que c’est l’espèce propre du
corps du Christ. Ce n’est pas une difficulté, disent-ils, si quelquefois on ne
voit pas là le Christ tout entier, mais seulement une portion de chair, ou si
on ne le voit pas sous la forme d’un jeune homme, mais sous celle d’un enfant,
parce qu’il est au pouvoir d’un corps glorieux d’être vu par l’œil qui n’est
pas glorifié, soit dans sa totalité, soit en partie, soit sous sa propre
figure, soit sous une figure étrangère, comme nous le dirons (sup., quest. 85, art.
2 et 3). Mais ce sentiment ne paraît pas admissible : Parce que le corps du
Christ ne peut être vu sous sa propre espèce que dans un seul lieu qui le
renferme d’une manière définie. Par conséquent, puisqu’on le voit sous sa
propre espèce et qu’on l’adore dans les cieux, on ne le voit pas ainsi dans le
sacrement de l’autel (Saint Thomas n’admet pas qu’un corps puisse être d’une
manière circonscrite dans plusieurs lieux ; et d’ailleurs, quand la chose
serait possible, elle demanderait un miracle qu’il n’est nullement nécessaire
d’admettre ici.). 2° Parce que le corps glorieux, qui apparaît comme il veut,
disparait aussi quand il veut après son apparition. C’est ainsi que l’Evangile
nous dit (Luc, chap. 24)
que le Seigneur s’évanouit aux yeux de ses disciples. Au contraire, ce qui
apparaît sous l’espèce de la chair dans l’eucharistie reste longtemps, et on lit
même qu’on l’a quelquefois renfermé, et que, d’après le conseil de beaucoup
d’évêques, on l’a conservé dans un vase, ce qu’il ne serait pas permis de
penser du Christ selon sa propre espèce. C’est pourquoi il faut dire que les
dimensions qui avaient auparavant existé subsistant, il se fait miraculeusement
un changement à l’égard des autres accidents, comme la figure, la couleur et les
autres manières d’être semblables, de telle sorte qu’on voit de la chair, ou du
sang, ou un enfant (Mais, d’après saint Thomas, cette chair ou ce sang n’est ni
la chair ni le sang du Christ ; elle est seulement le signe de sa présence, et
le corps du Christ n’est véritablement alors sous l’espèce qu’autant que
l’espèce subsiste elle-même malgré ces changements extérieurs.). Et comme nous
l’avons dit plus haut, ce n’est pas une tromperie, parce que ce changement se
produit pour figurer une vérité ; par exemple, pour montrer par cette
apparition miraculeuse que le corps et le sang du Christ existent véritablement
dans le sacrement. Par conséquent les dimensions qui sont, comme nous le dirons
(quest. suiv., art. 2), les fondements des autres
accidents restant, le corps du Christ reste véritablement dans l’eucharistie.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
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