Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
78 : De la forme du sacrement de l’eucharistie
Nous devons nous occuper ensuite de la forme de ce sacrement. — A cet
égard il y a six questions à examiner : 1° Quelle est la forme de ce sacrement
? (Bucer a prétendu que l’on ne devait point prononcer de paroles, Calvin
disait que les paroles qu’on prononçait n’étaient que pour exciter la foi des
fidèles ; Luther voulait qu’il n’y eut pas de forme précise pour l’eucharistie.
Toutes ces erreurs se trouvent condamnées par le concile de Trente et le
concile de Florence qui dit : Formæ hujus sacramenti sunt verba Salvatoris quibus hoc conficit sacramentum. Sacerdos enim in persona Christi loquens,
hoc conficit sacramentum.)
— 2° La forme de la consécration du pain est-elle convenable ? (Cet article est
une explication de la forme Hoc est enim corpus meum, dont saint
Thomas rend compte de chaque expression.) — 3° La forme de la consécration du
sang est-elle convenable ? (Cet article a pour objet l’explication de la
formule de consécration du vin : Hic est enim calix sanguinis mei, novi et æterni
Testamenti ; mysterium fidei, qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum.) — 4°
De la vertu de ces deux formes. (Cette question revient à ce que nous avons dit
sur la manière dont les sacrements produisent la grâce, s’ils la produisent
physiquement ou moralement (Voy. quest. 62, art. 1).)
— 5° De la vérité de leurs expressions. — 6° De la comparaison d’une forme avec
une autre.
Objection N°1. Il semble que la forme de l’eucharistie ne
soit pas celle-ci : Ceci est mon corps
et ceci est le calice de mon sang.
Car il semble que la forme de ce sacrement doive comprendre les paroles par
lesquelles le Christ a consacré son corps et son sang. Or, le Christ a
auparavant béni le pain qu’il avait reçu et puis il a dit : Recevez et mangez, ceci est mon corps,
comme on le voit (Matth., 26, 26),
et il a fait de même pour le calice. Les paroles citées ne sont donc pas la
forme de ce sacrement.
Réponse à
l’objection N°1 : A cet égard il y a beaucoup d’opinions différentes. En effet,
les uns ont dit que le Christ qui avait une puissance d’excellence dans les
sacrements, a produit l’eucharistie sans aucune forme de paroles et qu’ensuite
il a prononcé les mots sous lesquels les autres devraient consacrer. C’est ce
que paraissent signifier ces paroles d’Innocent III (De myst. Mis., liv. 4, chap. 6) : On peut
dire certainement que le Christ a fait ce sacrement par sa vertu divine et qu’ensuite
il a exprimé la forme sous laquelle ceux qui viendraient après lui
consacreraient. Mais ce sentiment a expressément contre lui les paroles de
l’Evangile où il est dit que le Christ a béni ; et cette bénédiction s’est
faite sans doute avec des paroles. Par conséquent ce passage d’Innocent III
exprime plutôt une opinion (Cette opinion a été soutenue par Ambroise Catherine
dans deux opuscules qu’il a adressés au concile de Trente, mais elle n’a jamais
compté beaucoup de partisans.) qu’une décision. — D’autres ont prétendu que
cette bénédiction s’est faite par d’autres paroles qui nous sont inconnues.
Mais cette hypothèse n’est pas soutenable, parce que la bénédiction de la
consécration se fait maintenant en récitant ce qui a été fait alors ; par conséquent,
si la consécration n’avait pas été faite alors par ces paroles, elle ne le
serait pas non plus maintenant. — C’est pour cela que d’autres ont avancé que
cette bénédiction s’est faite avec les mêmes expressions qu’elle se fait
maintenant ; mais que le Christ les a prononcées deux fois, d’abord secrètement
pour consacrer et ensuite manifestement pour instruire. Mais cette opinion ne
vaut pas mieux que les autres, parce que le prêtre consacre en prononçant ces
paroles, non comme ayant été dites par le Christ dans une bénédiction secrète,
mais comme ayant été prononcées publiquement ; et puisque ces paroles n’ont de
force que parce que le Christ les a prononcées, il semble que le Christ ait
consacré en les prononçant manifestement. — C’est pour ce motif que d’autres
ont dit que les évangélistes n’ont pas toujours conservé le même ordre en
racontant la manière dont les choses se sont passées, comme on le voit dans
saint Augustin (De consensu
Evang., liv. 2, chap. 30, 31 et 44), et que par
conséquent on doit comprendre que l’ordre de la chose qui s’est passée peut
s’exprimer ainsi : Recevant le pain il le bénit en disant : Ceci est mon corps, et ensuite il le
rompit et le donna à ses disciples. Mais on peut obtenir le même sens sans
changer les paroles de l’Evangile. Car le participe disant implique la concomitance des mots que l’on prononce avec les
choses qui précèdent. Or, il ne faut pas que cette concomitance s’entende
seulement par rapport à la dernière parole qui a été prononcée, comme si le
Christ eût prononcé ces paroles seulement quand il donna les espèces consacrées
à ses disciples ; mais on peut l’entendre par rapport à tout ce qui précède, de
manière que le sens de cette phrase est celui-ci : Pendant qu’il bénissait le
pain, qu’il le rompait et le donnait à ses disciples, il dit ces paroles : Recevez, etc. (D’après saint Thomas la
bénédiction aurait été la consécration elle-même, mais saint Bonaventure (4, d.
8 Dom., d. 11) et plusieurs autres théologiens pensent que la bénédiction a
précédé la consécration ; ce qui nous paraît plus probable. Ainsi la
consécration n’aurait eu lieu que quand il dit : Accipite et manducate, hoc est corpus meum.).
Objection
N°2. Eusèbe d’Emèse dit (Hom. 5 de Pasch.)
que le prêtre invisible change en son corps les créatures visibles en disant : Recevez et mangez, ceci est mon corps.
Toutes ces paroles paraissent donc appartenir à la forme de l’eucharistie, et
il en est de même des paroles qui se rapportent au sang.
Réponse à l’objection N°2 : Par ces paroles buvez
et mangez on entend l’usage de la matière consacrée ; cet usage n’est pas
nécessaire pour le sacrement, comme nous l’avons vu (quest. 74, art. 7). C’est
pourquoi ces paroles ne sont pas de l’essence de la forme. Mais parce que
l’usage de la matière consacrée appartient à une certaine perfection du
sacrement, comme l’opération n’est pas la perfection première, mais la
perfection seconde d’une chose ; il s’ensuit que toutes ces paroles expriment
la perfection entière de l’eucharistie (C’est pour ce motif que toutes les fois
qu’un prêtre doit consacrer il est strictement obligé de commencer aux mots : Qui pridiè quam pateretur, et de prononcer toutes les paroles suivantes
pour la consécration, et de répondre à
simili modo postquam est, pour la consécration du
vin, quoique toutes ces paroles ne soient pas essentielles.). C’est ainsi
qu’Eusèbe a compris (loc. cit.) que
le sacrement est confectionné par ces paroles, relativement à sa perfection
première et à sa perfection seconde (La perfection première est la substance
même de la chose, et la perfection seconde est son opération.).
Réponse à l’objection N°3 : Dans le sacrement de baptême le ministre exerce un acte
relativement à l’usage de la matière, qui est de l’essence du sacrement, ce qui
n’a pas lieu dans l’eucharistie. C’est pourquoi la raison n’est pas la même.
Réponse à l’objection N°4 : Il y en a qui ont prétendu que la
consécration eucharistique ne peut être parfaite (Les grecs schismatiques
disent que la consécration n’est pas produite par ces paroles : Ceci est mon corps, ceci est le calice de
mon sang. Cabasilas, Mare d’Ephèse et Siméon de Thessalonique ont été les
principaux défenseurs de cette erreur. Ils ont été réfutés par le cardinal
Bessarion (Opusc. de Eucharistia) et par Allatius (De cons. Orient, et Occid. Eccles., liv.
3, chap. 15).), quand on ne prononce que les paroles qui sont citées et qu’on
omet les autres, surtout celles qui sont dans le canon de la messe. Mais cette
opinion est évidemment fausse, soit d’après le passage de saint Ambroise (in
arg. Sed contra), soit parce que le
canon de la messe n’a pas été le même dans toutes les Eglises, ni dans tous les
temps, et qu’il y a différentes choses qui y ont été ajoutées par différentes
personnes. — Par conséquent, il faut dire que si le prêtre ne prononçait que
ces paroles avec l’intention de consacrer, le sacrement serait valide, parce
que l’intention ferait que ces paroles auraient le même sens que si elles
étaient prononcées dans la personne du Christ, quand même on ne réciterait pas
les paroles précédentes. Cependant le prêtre qui consacrerait ainsi pécherait
très grièvement (C’est aussi ce que disent les rubriques du missel romain (De defectibus).),
comme n’observant pas le rite de l’Eglise. D’ailleurs il n’en est pas de
l’eucharistie comme du baptême qui est un sacrement nécessaire ; tandis qu’on
peut suppléer au défaut de l’eucharistie par la manducation spirituelle, selon
la remarque de saint Augustin (Tract. 26
in Joan.).
Mais
c’est le contraire. Saint Ambroise dit (De
sacram., liv. 4, chap. 4) : La consécration est produite par les
expressions et les paroles de Jésus-Christ ; car par toutes les autres choses
que l’on dit on loue Dieu, on lui adresse des prières pour le peuple, pour les
rois et pour tout le reste ; tandis qu’au moment de la consécration, le prêtre
ne fait plus usage de ses propres paroles, mais il se sert des paroles du
Christ. C’est donc la parole du Christ qui produit ce sacrement.
Conclusion La forme du sacrement de l’eucharistie doit
être celle que le Christ a exprimée en disant : Ceci est mon corps et ceci
est le calice de mon sang.
Il
faut répondre que ce sacrement diffère des autres en deux points : 1° En ce que
ce sacrement est rendu parfait par la consécration de la matière, tandis que
les autres ne sont consommés que par l’usage de la matière, consacrée. 2° En ce
que dans les autres sacrements la consécration de la matière ne consiste que
dans une bénédiction, de laquelle la matière consacrée reçoit instrumentalement
une vertu spirituelle qui, par le ministre qui est un instrument animé, peut
s’étendre à des instruments inanimés ; au lieu que dans l’eucharistie la
consécration de la matière consiste dans une conversion miraculeuse de la
substance qui ne peut être produite que par Dieu. Par conséquent, le ministre
en produisant ce sacrement ne fait pas autre chose que de prononcer des
paroles. — Et comme la forme doit convenir à la chose, il s’ensuit que la forme
de ce sacrement diffère des formes des autres sacrements de deux manières : 1°
Parce que les formes des autres sacrements impliquent l’usage de la matière,
comme le baptême ou la confirmation ; tandis que la forme de ce sacrement
n’implique que la consécration de la matière qui consiste dans la transsubstantiation,
comme quand on dit : Ceci est mon corps
ou ceci est le calice de mon sang. 2°
Parce que les formes des autres sacrements sont mises dans la bouche du
ministre, soit à la manière de celui qui exerce un acte, comme quand on dit : Je te baptise ou Je te confirme, soit à la manière de celui qui commande, comme
quand on dit dans le sacrement de l’ordre : Recevez
la puissance, etc., soit d’une manière déprécatoire, comme quand on dit
dans le sacrement de l’extrême-onction :
Par cette onction et par notre intercession, etc. ; au lieu que la forme de
l’eucharistie est mise en quelque sorte dans la bouche du Christ lui-même (C’est
pour ce motif que la consécration serait nulle si le prêtre disait : Hoc est corpus Christi, hic est calix sanguinis
Christi, parce qu’il est essentiel qu’il
parle au nom du Christ.), pour nous faire comprendre que le ministre dans la
confection de ce sacrement ne fait rien autre chose que de prononcer les
paroles du Christ.
Article 2 : Cette
forme de la consécration du pain : Ceci est mon corps, est-elle convenable ?
Objection N°1. Il semble que cette forme de la
consécration du pain : Ceci est mon corps,
ne soit pas convenable. Car par la forme d’un sacrement on doit en exprimer
l’effet. Or, l’effet qui est produit dans la consécration du pain est la
conversion de la substance du pain au corps du Christ, qui est plutôt exprimée
par le verbe est fait (fit) que par
le verbe est. On devrait donc dire
dans la forme de la consécration : Ceci
est fait (fit) mon corps.
Réponse à l’objection N°1 : La conversion qui est en voie
d’être faite n’est pas le dernier effet de la consécration, mais c’est la
conversion consommée, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
C’est pourquoi on doit plutôt exprimer celle-ci dans la forme.
Objection N°2. Saint Ambroise dit (De
sacram., liv. 4, chap. 4) : La parole du Christ produit ce
sacrement. Quelle est la parole du Christ ? celle par
laquelle tout a été fait. Le Seigneur a ordonné : et les cieux et la terre ont
été faits. La forme du sacrement serait donc plus convenable si l’on mettait le
verbe à l’impératif en disant : Que ce
soit (sit) mon
corps.
Réponse à l’objection N°2 : La parole de Dieu, qui a opéré dans la
création de l’univers, est celle qui opère aussi dans la consécration, mais
d’une manière différente. Car, dans l’eucharistie, elle opère d’une manière
efficiente et sacramentelle, c’est-à-dire selon la force de sa signification
(Les mots devant être pris selon sens naturel, c’est pour ce motif que le verbe
est ne peut être pris pour le mot significat, comme le veulent les
hérétiques.). C’est pourquoi il faut que dans cette parole on signifie le
dernier effet de la consécration par le verbe substantif mis à l’indicatif et
au présent. Mais dans la création elle a opéré seulement d’une manière
efficiente et cette efficacité a été réglée par l’ordre de sa sagesse. C’est
pour cela que dans la création la parole de Dieu est exprimée par le verbe à
l’impératif, d’après ce passage de la Genèse (1, 3) : Que la
lumière soit faite, et la lumière fut faite.
Réponse à l’objection N°3 : Le terme à quo quand la conversion est consommée ne conserve pas la nature
de sa substance, comme le terme ad quem
; et c’est pour cela qu’il n’y a pas de parité.
Réponse à l’objection N°4 : Par le pronom meum (Ce pronom ne signifie pas l’union, mais l’identité du
corps du Christ.), qui implique la démonstration de la première personne qui
est la personne de celui qui parle, on exprime suffisamment la personne du
Christ, puisque c’est en son nom qu’on prononce ces paroles, comme nous l’avons
dit (art. préc.).
Réponse à l’objection N°5 : La conjonction car est ajoutée à cette forme selon la coutume de l’Eglise romaine,
qui vient de l’apôtre saint Pierre, et on l’ajoute pour faire suite aux paroles
qui précèdent. C’est pourquoi elle n’appartient pas à la forme (Cette particule
n’est pas essentielle à la forme, cependant il y aurait faute grave si on
l’omettait de propos délibéré. Reverà, dit saint Liguori, in re tam gravi non
videtur levis materia quæcumque levis mutatio deliberatè opposita (liv. 6,
n° 220).), pas plus que les autres paroles qui la précèdent.
Mais
c’est le contraire. Le Seigneur s’est servi de cette forme en consacrant, comme
on le voit (Matth., chap. 26).
Conclusion
Puisque la forme sacramentelle doit signifier ce qui est produit dans le sacrement,
la forme de consécration dont le Christ s’est servi et qui consiste dans ces
paroles : Ceci est mon corps, est
très convenable.
Il faut répondre que cette forme de la consécration du pain est
convenable. Car nous avons dit (art. préc.)
que cette consécration consiste dans la conversion de la substance du pain au
corps du Christ. Or, il faut que la forme du sacrement signifie ce qui se fait
dans le sacrement. Par conséquent la forme de la consécration du pain doit
signifier la conversion elle-même du pain au corps du Christ, dans laquelle on
considère trois choses : la conversion elle-même, le terme à quo et le terme ad quem.
On peut considérer la conversion de deux manières : selon qu’elle est en voie
d’être produite et selon qu’elle l’est. Or, dans la forme sacramentelle la
conversion n’a pas dû être signifiée comme en voie d’être produite, mais comme
étant consommée : 1° Parce que cette conversion n’est pas successive, comme
nous l’avons dit (quest. 75, art. 7), mais instantanée. Dans ces sortes de changements,
le devenir et l’avoir été fait sont une seule et même chose. 2° Parce que les
formes sacramentelles sont à la signification de l’effet du sacrement ce que
sont les formes artificielles à la représentation d’un effet de l’art. Or, la
forme artificielle est la ressemblance du dernier effet vers lequel se porte
l’intention de l’artiste ; comme la forme de l’art dans l’esprit de
l’architecte est la forme de la maison bâtie principalement et se rapporte
conséquemment à sa construction. C’est pour cela que dans la forme
sacramentelle on doit exprimer la conversion comme la chose faite à laquelle
l’intention se porte. Et parce que la conversion est exprimée dans cette forme
comme une chose faite, il est nécessaire que les parties extrêmes de la conversion
soient signifiées telles qu’elles sont après que la conversion est opérée.
Alors le terme ad quem a la nature
propre de sa substance, tandis que le terme à
quo ne subsiste pas selon sa substance, mais seulement selon les accidents
par lesquels il est soumis aux sens et peut être déterminé à leur égard. Par
conséquent il est convenable que le terme à
quo de la conversion soit exprimé parle pronom démonstratif (Sylvius
observe que si au lieu du pronom hoc
on se servait du mot istud
la forme serait valide, mais qu’elle ne le serait pas si on mettait illud ; parce que le mot istud démontre une chose
présente, tandis qu’il n’en est pas de même du mot illud. Si on se servait du mot hic pris adverbialement, la consécration
serait nulle, parce qu’on ne signifierait pas un changement substantiel.) qui se rapporte aux accidents sensibles qui restent ; et que
le terme ad quem soit exprimé par un
nom qui signifie la nature de la chose en laquelle la conversion s’est faite,
et qui est le corps du Christ tout entier et non pas seulement sa chair, comme
nous l’avons vu (quest.76, art. 1 ad 2, et art. 2). Cette forme : Ceci est mon corps, est donc très convenable.
Objection N°1. Il semble que la forme convenable de la
consécration du vin ne soit pas celle-ci : Ceci
est le calice de mon sang, de la nouvelle et de l’éternelle alliance, mystère
de la foi, qui sera répandu pour vous et pour beaucoup pour la rémission des
péchés. Car, comme le pain est converti au corps du Christ par la force de
la consécration, de même le vin est converti en son sang, comme on le voit
d’après ce que nous avons dit (quest. 76, art. 1 à 3). Or, dans la forme de la
consécration on met directement le corps du Christ, sans rien ajouter autre
chose. C’est donc à tort que dans cette forme on met le sang du Christ à un
autre cas et qu’on ajoute le calice au nominatif, en disant : Ceci est le calice de mon sang.
Réponse à l’objection N°1 : Quand on dit : Ceci est le calice de mon sang, il y a
là une expression figurée qu’on peut entendre de deux manières : 1° Par
métonymie qui est une figure par laquelle on prend le contenant pour le
contenu, de sorte que le sens est celui-ci : Ceci est mon sang contenu dans le
calice dont il est fait ici mention ; parce que le sang du Christ est consacré
dans l’eucharistie pour être le breuvage des fidèles, ce que n’implique pas la
nature du sang, et c’est pour cela qu’il a fallu le désigner par un vase qui
fût en rapport avec cet usage. 2° On peut l’entendre métaphoriquement, selon
que par le calice on comprend par analogie la passion du Christ qui enivre à la
façon d’un calice, d’après ces paroles du prophète (Lam., 3, 15) : Il m’a rempli
d’amertume et m’a enivré d’absinthe. C’est pourquoi le Seigneur appelle
lui-même sa passion un calice quand il dit (Matth. 26, 39) : Que ce calice
s’éloigne de moi, de telle sorte que cette expression signifie : Ceci est
le calice de ma passion, dont il est fait mention par le sang que l’on consacre
séparément du corps ; parce que dans la passion le sang a été séparé du corps.
Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (Réponse
N°1 et quest. 76, art. 2, Réponse N°1), le sang consacré à part représente
expressément la passion du Christ. C’est pourquoi dans la consécration du sang
il est fait mention de l’effet de la passion plutôt que dans la consécration du
corps, qui est le sujet de la passion ; ce qui est désigné par ces paroles du
Seigneur : qui sera livré pour vous,
comme s’il eût dit : qui sera pour vous assujetti à la passion.
Objection N°3. Le Nouveau Testament paraît appartenir à l’inspiration
intérieure, comme on le voit d’après la citation que fait saint Paul (Héb., 8, 8) de ces paroles de Jérémie (31, 31)
: Je consommerai avec la maison d’Israël
une nouvelle alliance en donnant ma loi dans leur cœur. Or, le sacrement
extérieur se produit visiblement. C’est donc à tort que dans la forme du
sacrement on dit : le sang de la nouvelle
alliance.
Réponse
à l’objection N°3 : Un
testament est la disposition d’un héritage. Or, Dieu a disposé l’héritage
céleste pour être donné aux hommes par la vertu du sang de Jésus-Christ, parce
que, comme le dit saint Paul (Héb., 9, 16)
: Où il y a un testament, il est
nécessaire que la mort du testateur intervienne. Or, le sang du Christ a
été donné aux hommes de deux manières. 1° En figure, ce qui appartient à
l’Ancien Testament. C’est pour cela que l’Apôtre conclut (ibid.) : Le premier testament
ne fut confirmé qu’avec le sang. Ce qui est évident d’après le livre de la
loi où il est rapporté (Ex., chap. 24), que Moïse ayant récité toutes les ordonnances de la loi, il aspergea tout
le peuple en disant : Ceci est le sang du testament que Dieu a fait en votre
faveur. 2° Il a été versé en réalité, ce qui se rapporte au Nouveau
Testament. C’est ce qu’exprime auparavant l’Apôtre en disant : C’est pour ce motif que le médiateur du
Testament nouveau est le Christ, afin que par la mort qu’il a soufferte, ceux
qui sont appelés de Dieu reçoivent l’héritage éternel qu’il a promis. On
dit donc : Ce sang du Nouveau Testament,
parce qu’il n’est plus donné en figure, mais en vérité, et c’est pour cela
qu’on ajoute : qui sera répandu pour
vous. Quant à l’inspiration intérieure, elle procède de la vertu de ce
sang, selon que nous sommes justifiés par la passion du Christ.
Réponse à l’objection N°4 : Ce testament est nouveau en
raison de ce qu’il nous a été donné nouvellement (Par opposition à l’Ancien
Testament qui avait été donné auparavant et qui ne délivrait pas l’homme de son
ancien état de péché.) ; et on dit qu’il est éternel en raison du décret
éternel de Dieu qui l’a pré-ordonné, aussi bien qu’en raison de l’héritage
éternel dont ce testament dispose. D’ailleurs la personne du Christ, par le
sang duquel ce testament est disposé, est elle-même éternelle.
Objection N°5. On doit écarter tout ce qui peut être pour les hommes une
occasion d’erreur, d’après ces paroles du prophète (Is., 57, 14) : Enlevez du chemin de mon peuple tout ce qui peut être une pierre
d’achoppement. Or, il y en a qui se sont trompés en pensant qu’il n’y avait
dans l’eucharistie que le corps et le sang mystique du Christ. C’est donc à
tort qu’on met dans cette forme : Mystère
de foi.
Réponse
à l’objection N°5 : Le mot mystère est mis là, non pour exclure la
vérité de la chose, mais pour montrer ce qu’il y a en elle de caché ; parce que
le sang du Christ est dans l’eucharistie d’une manière voilée et que la passion
elle-même du Christ a été figurée aussi de la sorte dans l’Ancien Testament.
Réponse à l’objection N°6 : Il est dit : Mystère
de la foi, comme étant l’objet de la foi ; parce qu’il n’y a que la foi
seule qui sache que le sang du Christ est véritablement dans l’eucharistie, et
parce que c’est aussi par la foi que la passion du Christ justifie. On appelle
le baptême le sacrement de la foi, parce qu’il est une protestation de la foi ;
mais on dit que l’eucharistie est le sacrement de la charité, en raison de ce
qu’elle figure et de ce qu’elle produit.
Objection N°7. Ce sacrement tout entier, par rapport au corps aussi bien
que par rapport au sang, est le mémorial de la passion du Seigneur ; d’après
ces paroles de saint Paul (1 Cor., 11, 26) : Toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice,
vous annoncerez la mort du Seigneur. On n’aurait donc pas dû faire mention
de la passion du Christ et de son fruit dans la forme de la consécration du
sang plutôt que dans la forme de la consécration du corps, surtout puisque le
Seigneur a dit (Luc, 22, 19)
: Ceci est mon corps, qui sera livré pour
vous.
Réponse
à l’objection N°7 : Il faut répondre au
septième, que, comme nous l’avons dit (Réponse N°2), le sang consacré
séparément du corps représente plus expressément la passion du Christ. Et c’est
pour ce motif que dans la consécration du sang il est fait mention de la
passion du Christ et de ses fruits plutôt que dans la consécration du pain.
Réponse à l’objection N°8 : Le sang de la passion du Christ a été efficace non
seulement pour les Juifs choisis auxquels a été donné le sang de l’Ancien
Testament, mais encore pour les gentils ; non seulement pour les prêtres qui
consacrent ce sacrement ou pour les autres qui le reçoivent, mais encore pour
ceux pour lesquels il est offert. C’est pourquoi il est dit expressément : Pour vous, Juifs, et pour beaucoup, c’est-à-dire pour les gentils ; ou bien pour vous qui le mangez, et pour beaucoup pour lesquels il est
offert.
Réponse à l’objection N°9 : Les évangélistes n’ont pas eu l’intention
de donner les formes des sacrements qui dans la primitive Eglise devaient
rester secrètes, comme le dit saint Denis (De
eccles. hierarch., chap. 7), mais ils
ont voulu raconter l’histoire du Christ. Cependant on peut retrouver presque
toutes ces expressions dans les divers endroits de l’Ecriture. Car ces paroles
: Ceci est le calice, se trouvent (Luc, chap. 22 et 1 Cor, chap. 11). Dans saint Matthieu (chap. 26) il est dit : Ceci est mon sang, le sang du Nouveau
Testament qui va être répandu pour beaucoup, pour la rémission des péchés.
Quant aux mots éternel et mystère de foi, ils viennent de la
tradition (Ce serait une bien grande faute, dit Mgr Gousset, que de substituer
une autre forme eucharistique à celle du missel romain, sous prétexte que
celle-ci n’est pas entièrement tirée de l’Ecriture sainte, de supprimer, par
exemple, les mots æterni
et mysterium fidei, que nous tenons de la tradition.) du Seigneur,
qui est parvenue à l’Eglise par les apôtres, d’après ces paroles de saint Paul
(1 Cor., 11, 23) : C’est du Seigneur
que j’ai reçu ce que je vous ai transmis.
Conclusion La forme de la consécration du vin est
convenable, car elle est celle dont le Christ s’est servi, et elle consiste
dans ces paroles : Ceci est le calice de
mon sang, de la nouvelle et de l’éternelle alliance, mystère de foi, qui sera
répandu pour vous et pour un grand nombre, pour la rémission des péchés.
Il
faut répondre qu’à l’égard de cette forme il y a deux sortes d’opinion. Car il
y en a qui ont dit que ces paroles seules : Ceci
est le calice de mon sang, sont de l’essence de la forme et que celles qui
suivent n’en sont pas. Mais il semble que ce sentiment ne soit pas convenable ;
parce que les paroles qui suivent sont une détermination du prédicat,
c’est-à-dire du sang du Christ ; par conséquent elles appartiennent à
l’intégrité de cette formule (A cet égard, les thomistes sont partagés sur la
pensée véritable de saint Thomas au sujet de cette question. Il y en a qui
croient qu’il considérait absolument toutes les paroles de la formule jusqu’à quotiescumque comme étant essentielles au
point que la consécration serait nulle si on ne les prononçait toutes. Sylvius,
Billuart et un très grand nombre d’autres croient qu’il a seulement voulu dire
que ses paroles n’étaient nécessaires qu’à l’intégrité de la formule. Ils
pensent qu’il n’y a d’essentiel que ces mots : Ceci est le calice de mon sang ; ce qui est le sentiment le plus
commun et le plus probable.). — C’est pourquoi d’autres disent avec plus de
raison, que toutes les paroles qui suivent sont de la substance de la formule,
jusqu’à ce qui vient ensuite : Toutes les
fois que vous ferez cela, ce qui appartient à l’usage de ce sacrement ; ces
dernières ne sont donc pas de la substance de la forme. De là il arrive que le
prêtre prononce toutes ces paroles sous le même rite et de la même manière,
c’est-à-dire en tenant le calice dans ses mains. D’ailleurs dans saint Luc (22,
20) les paroles qui suivent sont mêlées à celles qui précèdent en disant : Ce calice est la nouvelle alliance en mon
sang. On doit donc dire que toutes les paroles citées (in arg. 1) sont de
la substance de la forme, mais que par les premières, quand on dit : Ceci est le calice de mon sang, on
signifie le changement du vin dans le sang de la manière que nous avons dite
(art. préc.), dans la forme de la consécration du
pain ; et par les paroles qui suivent on désigne la vertu du sang répandu dans
la passion, qui opère dans ce sacrement, et qui se rapporte à trois choses. 1°
Elle a principalement pour but de nous faire obtenir l’héritage éternel,
d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 10, 19)
: Nous avons par le sang de Jésus la
liberté d’entrer avec confiance dans le sanctuaire. C’est pour désigner
cette chose qu’on dit : Le sang de la
nouvelle et de l’éternelle alliance. 2° La justice de la grâce qui existe
par la foi, suivant ces autres paroles du même apôtre (Rom., 3, 25) : Dieu a destiné
le Christ pour être la victime de propitiation par la foi qu’on aurait en son
sang, pour qu’il soit évident qu’il est juste et qu’il justifie celui qui tend
à la justice par la foi en Jésus-Christ. Et c’est pour cela qu’on ajoute : Mystère de foi. 3° L’éloignement de ce
qui était un obstacle à ses deux effets, c’est-à- dire l’anéantissement du
péché, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 9, 14) : Le sang du Christ purifiera notre conscience des œuvres mortes,
c’est-à-dire des péchés, et c’est par rapport à cela qu’on ajoute : qui sera répandu pour vous et pour beaucoup,
pour la rémission des péchés (Dans le cas où un prêtre n’aurait prononcé
que les mots : Ceci est le calice de mon
sang, et omis le reste, saint Liguori pense qu’il devrait consacrer de
nouveau, en prononçant la forme en entier (liv. 6, n° 225).).
Objection N°1. Il semble qu’il n’y ait pas dans les
paroles de ces deux formules une puissance créée qui soit la cause efficiente
de la consécration. Car saint Jean Damascène dit (Orth. fid., liv. 4, chap.
14) : que c’est par la seule vertu de l’Esprit-Saint que s’opère la conversion
du pain au corps du Christ. Or, la vertu de l’Esprit-Saint est la vertu
incréée. Donc ce sacrement n’est point produit par la vertu créée de ces
paroles.
Réponse à l’objection N°1 : Quand on dit que c’est par la
seule vertu de l’Esprit-Saint que le pain est converti au corps du Christ, on
n’exclut pas la vertu instrumentale qui est dans la forme de ce sacrement ;
comme quand on dit qu’il n’y a qu’un coutelier qui fasse des couteaux, on
n’exclut pas la vertu du marteau.
Réponse à l’objection N°2 : Aucune créature ne peut faire des œuvres miraculeuses,
comme agent principal, mais elle peut en faire instrumentalement. C’est ainsi
que le contact de la main du Christ a guéri le lépreux. Les paroles du Christ
changent de cette manière le pain au corps du Christ ; ce qui n’a pu avoir lieu
dans la conception du corps du Christ, car il ne pouvait rien alors sortir de
son corps qui eût une vertu instrumentale capable de le former (Car il n’y a
rien qui se produise soi-même.). Dans la création, il n’y a rien eu non plus
sur lequel l’action instrumentale de la créature pût s’appuyer et qu’elle put
avoir pour terme. Par conséquent, il n’y a pas de parité.
Réponse à l’objection N°3 : Ces paroles par lesquelles se fait la
consécration opèrent sacramentellement. Par conséquent, la puissance de
conversion qui existe dans ces formules résulte de la signification qui est
complète quand la dernière parole est prononcée. C’est pourquoi, au dernier
instant où l’on prononce les paroles, ces formules obtiennent cette vertu, mais
par rapport à ce qui précède ; et cette vertu est simple en raison de la chose
signifiée qui est simple, quoiqu’il y ait quelque chose de composé dans les paroles qu’on
prononce extérieurement.
Mais
c’est le contraire. Saint Ambroise dit (De
sacr., liv. 4, chap. 4) :
Si les paroles de Jésus-Christ ont tant de force qu’elles donnent l’être à ce
qui n’existait pas, à plus forte raison doivent-elles faire que les choses qui
étaient existent et qu’elles soient changées en une autre. Par conséquent ce
qui était du pain avant la consécration est le corps du Christ après, parce que
la parole du Christ change une créature en autre chose.
Conclusion Le sacrement de l’eucharistie étant plus noble
que les autres, il est nécessaire que les paroles formelles de ce sacrement
aient une vertu créée qui produise la consécration.
Article 5 : Les
paroles consécratoires sont-elles vraies ?
Objection N°1. Il semble que les paroles consécratoires
ne soient pas véritables. Car, quand on dit : Ceci est mon corps, le mot ceci
est déterminatif de la substance. Or, d’après ce que nous avons dit (art. 2),
quand on prononce ce pronom hoc, la
substance du pain est encore là ; parce que la transsubstantiation se fait au
dernier instant où l’on prononce les paroles. Et comme il est faux de dire : Le pain est le corps du Christ, il est
donc faux aussi de dire : Ceci est mon
corps.
Réponse à l’objection N°1 : Le mot ceci désigne la substance, mais sans déterminer sa nature propre,
comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Réponse à l’objection N°2 : Le pronom ceci
ne désigne pas les accidents, mais la substance contenue sous les accidents,
qui fut d’abord du pain, et qui est ensuite le corps du Christ, lequel, quoique
ces accidents ne lui appartiennent pas, est cependant contenu sous eux.
Objection N°3. Ces paroles, comme nous l’avons dit (art. préc.), produisent, par leur
signification, la conversion du pain au corps du Christ. Or, la cause
efficiente se conçoit avant l’effet. La signification de ces paroles se conçoit
donc avant la conversion du pain au corps du Christ. Et comme avant la
conversion cette proposition est fausse : Ceci
est mon corps, on doit donc juger absolument qu’elle est fausse, et il en
est de même de cette formule : Ceci est
le calice de mon sang, etc.
Réponse à l’objection N°3 : La signification de cette formule est
conçue avant la chose signifiée (Ou opérée.) dans l’ordre de la nature, comme
la cause est naturellement avant l’effet. Mais il n’en est pas de même dans
l’ordre du temps, parce que cette cause se produit simultanément avec son
effet, et cela suffit pour que la formule soit vraie.
Mais
c’est le contraire. Ces paroles sont prononcées par le prêtre en la personne du
Christ, qui dit de lui-même (Jean, 14, 6)
: Je suis la vérité.
Conclusion
Puisque les paroles de la consécration ont la vertu de produire ce qu’elles
signifient, et que le mot ceci
démontre la substance sans déterminer sa nature propre, on doit croire qu’elles
sont très véritables.
Il faut répondre qu’à cet égard il y a eu beaucoup d’opinions
différentes. En effet, il y en a qui ont dit que dans cette formule : Ceci est mon corps, le mot ceci implique la démonstration selon
qu’elle est conçue dans l’entendement et non selon qu’elle est appliquée ;
parce que toute cette formule se prend matériellement, puisqu’on la prononce à
la manière d’une chose qu’on raconte (Comme on pourrait par exemple rapporter
les paroles par lesquelles Dieu a créé la lumière. Ces paroles ne produiraient
pas la lumière, mais elles donneraient à entendre que la lumière a été produite
par elles.). Car le prêtre rapporte que le Christ a dit : Ceci est mon corps. Mais ce sentiment n’est pas soutenable, parce
que, d’après cela, ces paroles ne seraient pas appliquées à la matière
corporelle qui est présente, et par conséquent le sacrement ne serait pas
produit. Car saint Augustin dit (Sup. Joan.,
tract. 80) : La parole s’ajoute à l’élément et le sacrement est produit. En
outre, on n’évite pas totalement par là la difficulté de cette question ; parce
que les mêmes raisons subsistent à l’égard de la première fois où le Christ a
prononcé ces paroles. C’est pourquoi il est évident qu’elles n’ont pas été
prises matériellement, mais significativement. Par conséquent on doit dire
aussi que quand le prêtre les prononce, elles sont prises significativement et
qu’elles ne le sont pas seulement d’une manière matérielle. Peu importe
d’ailleurs que le prêtre les prononce à la façon d’une chose qu’on rapporte,
comme ayant été dites par le Christ ; parce qu’en raison de la vertu infinie du
Christ, comme le contact de sa chair a communiqué une puissance régénératrice,
non seulement à ces eaux qui ont touché le Christ, mais encore à toutes les
eaux qui sont sur la terre et qui existeront dans tous les siècles futurs, de
même de ce que le Christ a prononcé ces paroles, elles ont acquis une puissance
consécratoire qu’exerce tout prêtre qui les prononce, absolument comme si le
Christ était présent et qu’il les prononçât lui-même. — C’est pourquoi d’autres
ont dit que dans cette formule, le mot ceci
fait une démonstration non pour les sens, mais pour l’entendement, de telle
sorte que le sens de ces paroles : Ceci
est mon corps, est celui-ci : ce qui est signifié par cela est mon corps.
Mais ce sentiment est également insoutenable. Car, puisque dans les sacrements
ce qui est signifié est produit, cette formule ne ferait pas que le corps du
Christ existât véritablement dans l’eucharistie, mais qu’il y fût seulement
comme dans un signe, ce qui est hérétique (Cette erreur a été renouvelée par
les réformateurs modernes, qui ont nié la présence réelle du Christ dans
l’eucharistie et qui ont voulu faire de ce sacrement un signe ou une figure.),
comme nous l’avons dit (quest. 75, art. 1). — C’est ce qui a fait dire à
d’autres que le mot ceci fait une
démonstration qui se rapporte aux sens. Mais cette démonstration s’entend, non
de l’instant où l’on prononce cette parole, mais du dernier instant où la
parole est proférée ; comme quand on dit : maintenant
je me tais ; l’adverbe maintenant
fait une démonstration pour l’instant qui suit immédiatement cette parole. Car
cette proposition signifie : immédiatement
après avoir dit ces mots, je me tais. Mais ce sentiment n’est pas non plus
solide ; parce que dans cette hypothèse le sens de cette formule serait
celui-ci : Mon corps est mon corps (Cela
reviendrait à cette tautologie : Le corps du Christ est le corps du Christ.),
et ce n’est pas là ce que produit la formule dont nous parlons, parce que ce
corps a été le corps du Christ avant que ces paroles fussent prononcées, et par
conséquent ce n’est pas là ce qu’elles signifient. — Il faut donc dire, comme
nous l’avons fait (art. préc.), que cette formule a une vertu qui produit la
conversion du pain au corps du Christ. C’est pourquoi elle est aux autres
formules qui n’ont qu’une puissance significative et non opérative, ce que la
conception de l’intellect pratique qui opère les choses est à la conception de
notre intellect spéculatif qui vient des choses elles-mêmes. Car les mots sont
les signes des pensées, d’après Aristote (Periherm., liv. 1, in princ.). C’est pour cette
raison que, comme la conception de l’intellect pratique ne présuppose pas la
chose conçue, mais la fait ; de même la vérité de cette formule ne présuppose
pas la chose signifiée, mais elle la produit. Car c’est ainsi que le Verbe de
Dieu se rapporte aux choses faites par lui. Toutefois cette conversion ne se
faisant pas successivement, mais instantanément, comme nous l’avons dit (quest.
75, art. 7), il s’ensuit qu’on doit comprendre que cette formule opère ce
qu’elle signifie au dernier instant où les paroles sont prononcées, non pas
cependant de telle sorte qu’on présuppose de la part du sujet ce qui est le
terme de la conversion, c’est-à-dire que le corps du Christ est le corps du
Christ, ni ce qui a été avant la conversion, c’est-à-dire le pain ; mais ce qui
se rapporte d’une manière commune à l’un et à l’autre, c’est-à-dire ce qui est
contenu en général sous ces espèces. Car ces paroles ne font pas que le corps
du Christ soit le corps du Christ, ni que le pain soit le corps du Christ, mais
que ce qui est contenu sous ces espèces et qui était auparavant du pain, soit
le corps du Christ. C’est pourquoi le Seigneur ne dit pas expressément : Ce pain est mon corps, ce qui
reviendrait au sens de la seconde opinion ; ni : Ce corps qui est te mien est mon corps, ce qui retomberait dans la
troisième ; mais il dit en général : Ceci
est mon corps, sans ajouter aucun nom du côté du sujet, mais en employant
seulement le pronom qui signifie la substance en général ; sans qualité, c’est-
à-dire sans forme déterminée (Ainsi le mot hoc
est pris substantivement et il démontre d’une manière indéterminée la substance
contenue sous les espèces du pain.).
Objection N°1. Il semble que la forme de la consécration
du pain ne produise pas son effet tant que la forme de la consécration du vin
n’est pas prononcée. Car, comme le corps du Christ commence à être dans
l’eucharistie par la consécration du pain ; de même son sang commence à y être
par la consécration du vin. Si donc les paroles de la consécration du pain
produisaient leur effet avant la consécration du vin, il s’ensuivrait que le
corps du Christ commencerait à être dans ce sacrement sans le sang ; ce qui
répugne.
Réponse à l’objection N°1 : Ceux qui ont fait cette
supposition paraissent avoir été induits en erreur par ce raisonnement. Par
conséquent on doit comprendre qu’après la consécration du pain, le corps du
Christ est là par la force du sacrement et son sang par la concomitance réelle
; tandis qu’au contraire, par la consécration du vin le sang du Christ est là
par la force du sacrement et son corps par la concomitance réelle : de telle sorte
que le Christ est tout entier sous l’une et l’autre espèce, comme nous l’avons
dit (quest. 76, art. 2).
Réponse à l’objection N°2 : Ce sacrement est un de l’unité de perfection, comme nous
l’avons vu (quest. 73, art. 2), en tant qu’il est formé de deux choses, de
l’aliment et de la boisson, dont l’une et l’autre a par elle-même sa perfection
(Dans un tout moral il n’est pas nécessaire que la perfection d’une partie
attende la perfection de l’autre.) : au lieu que les trois immersions du
baptême se rapportent à un seul et simple effet. C’est pourquoi il n’y a pas de
parité.
Réponse à l’objection N°3 : Les différentes paroles qui sont dans la
forme de la consécration du pain constituent la vérité d’une seule et même
formule (Le sens de la formule n’est complet qu’autant qu’elle est achevée,
mais ce sens est indépendant de la formule suivante.) ; mais il n’en est pas de
même des paroles qui appartiennent à des formules diverses. C’est pour cela
qu’il n’y a pas de parité.
Conclusion Les paroles de la consécration du pain
produisent leur effet, avant que celles de la consécration du vin soient
prononcées.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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