Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
80 : De l’usage de l’eucharistie en général
Nous devons nous occuper ensuite de l’usage ou de la réception de
l’eucharistie. — Nous parlerons : 1° de l’usage de ce sacrement en général ; 2°
de l’usage que le Christ en a fait. — Sur le premier point il y a douze
questions à examiner : 1° Y a-t-il deux manières de recevoir ce sacrement,
sacramentellement et spirituellement ? (Il est de foi que l’on reçoit le Christ
réellement et sacramentellement dans l’eucharistie, d’après ce canon du concile
de Trente (sess. 13, can. 8) : Si quis dixerit Christum in eucharistia exhibitum spiritualiter tantùm manducari et non etiam sacramentaliter
et realiter, anathema sit.) — 2° Ne convient-il qu’à l’homme de recevoir
spirituellement ce sacrement ? — 3° N’appartient-il qu’à l’homme juste de le
recevoir sacramentellement ? (La solution de cette question est une conséquence
de ce qui a été dit (quest. 76, art. 1, et quest. 77, art. 4), comme saint
Thomas le fait remarquer lui-même.) — 4° Le pécheur qui le reçoit
sacramentellement pèche-t-il ? (Pour prévenir cette faute le concile de Trente
s’exprime ainsi (sess. 13, can. 11) : Ne tantùm sacramentum indignè, atque ideò in mortem et condemnationem sumatur, statuit atque declarat ipsa sancta synodus,
illis quos conscientia peccati mortalis gravat, quantumcumque etiam se contritos existiment, habita copia confessoris,
necessariò prœmittendam
esse confessionem sacramentalem.
Si quis autem contrarium docere præsumpserit, eo ipso excommunicatus existât.) — 5° De la gravité de ce
péché. (Sur la communion indigne voyez ce que dit Bossuet dans ses méditations
sur l’Evangile, 44e jour (tom. 9, pag.
592, édit. de Versailles).) — 6° Le pécheur qui s’approche de ce sacrement
doit-il être repoussé ? — 7° La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir
ce sacrement ? — 8° Ne doit-on le recevoir qu’à jeun ? (Les vaudois et quelques
autres hérétiques ayant nié que le jeûne soit nécessaire avant la communion, le
concile de Constance s’est ainsi exprimé à ce sujet (sess. 13) : Sacrorum canonum auctoritas laudabilis et approbata consuetudo Ecclesiæ servavit et serval quod hujusmodi sacramentum non debeat confici post cœnam, neque à fidelibus recipi non jejunis, nisi in casu infirmitatis aut alterius necessitatis
à jure vel Ecclesia concesso aut admisso.)
— 9° Doit-on le conférer à ceux qui n’ont pas l’usage de raison ? (Dans les
premiers temps de l’Eglise on donnait généralement l’eucharistie aux enfants,
mais on ne la considérait pas comme nécessaire à leur salut. Ce sentiment a
d’ailleurs été ainsi condamné par le concile de Trente (sess. 21, can. 4) : Si quis dixerit parvulis, antequam ad annos discretionis pervenerint, necessariam esse eucharistiæ communionem, anathema sit.) — 10° Doit-on le recevoir tous les jours ? (Cette
question, qui a été l’objet de discussions si vives dans ces derniers temps,
est résolue avec autant de précision que de sagesse par le Docteur angélique.
Connue commentaire de sa doctrine on peut lire la lettre de Fénelon sur la fréquente communion, où l’on
trouvera exposée avec la plus grande
clarté la tradition de l’Eglise sur ce point (œuvres complètes, édit. de
Versailles, tom. 17, pag. 477 et suiv.).) — 11°
Est-il permis de s’en abstenir absolument ? (Indépendamment du précepte
ecclésiastique il y a aussi un précepte divin qui oblige à communier, d’après
ces paroles : Nisi manducaveritis,
etc. Ce sentiment de saint Thomas est communément suivi.) — 12° Est-il permis
de recevoir le corps sans le sang ? (Les bohémiens, les hussites, les taborites et les calixtins ont prétendu que la communion
sous les deux espèces était nécessaire ; ce qui a été condamné par le concile
de Constance. Calvin a renouvelé la même erreur (Inst., liv. 4, c. 17), qui a été ainsi anathématisée par le concile de
Trente (sess. 21, can. 1) : Si quis dixerit ex Dei præcepto vel necessitate
salutis omnes et singulos Christi fideles utramque
speciem eucharistiæ sacramenti sumere debere, anathema sit.)
Article 1 : Doit-on
distinguer deux manières de recevoir le corps du Christ ?
Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas distinguer
deux manières de recevoir le corps du Christ, sacramentellement et spirituellement.
Car, comme le baptême est la régénération spirituelle, d’après ces paroles de
l’Evangile (Jean, 3, 5)
: Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit
Saint, etc., de même l’eucharistie est la nourriture spirituelle. D’où le
Seigneur dit en parlant de ce sacrement (Jean, 6,
64) : Les paroles que je vous dis sont
esprit et vie. Or, comme à l’égard du baptême on ne distingue pas deux
manières de le recevoir, l’une sacramentelle et l’autre spirituelle, on ne doit
donc pas non plus faire cette distinction à l’égard de l’eucharistie.
Réponse à
l’objection N°1 : A l’égard du baptême et des autres sacrements on admet une
distinction semblable. Car les uns ne reçoivent que le sacrement et les autres le sacrement et la chose du sacrement. Cependant
ils diffèrent en ceci, c’est que les autres sacrements se perfectionnant dans
l’usage même de la matière, la réception du sacrement est sa perfection
elle-même ; tandis que l’eucharistie se perfectionne dans la consécration même
de sa matière. C’est pour cela que les deux espèces d’usage qu’on en fait sont
une conséquence de ce sacrement. De plus, dans le baptême et les autres
sacrements qui impriment un caractère, ceux qui reçoivent le sacrement,
reçoivent un effet spirituel qui est le caractère ; ce qui n’a pas lieu dans
l’eucharistie. C’est pour ce motif qu’on distingue l’usage sacramentel de
l’usage spirituel dans ce sacrement plutôt que dans le baptême.
Réponse à l’objection N°2 : La manducation sacramentelle qu’est jointe à la
manducation spirituelle ne se distingue pas par opposition de la manducation
spirituelle ; mais celle-ci la renferme. On ne distingue ainsi de la
manducation spirituelle que la manducation sacramentelle qui n’obtient pas son
effet ; comme on distingue du parfait l’imparfait qui n’étaient pas à la
perfection de l’espèce.
Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 73, art.
3), on peut percevoir l’effet de l’eucharistie, si on a le désir de recevoir ce
sacrement, quoiqu’on ne le reçoive pas réellement. Et c’est pour cela que comme
on est baptisé par le baptême de feu, à cause du désir qu’on a du baptême avant
de recevoir le baptême d’eau ; de même il y en a qui reçoivent spirituellement
l’eucharistie, avant de la recevoir sacramentellement. Ceci arrive de deux
manières : 1° A cause du désir que l’on a de recevoir ce sacrement. C’est en ce
sens qu’on dit qu’ils sont baptisés et qu’ils mangent spirituellement et non
sacramentellement, ceux qui désirent recevoir ces sacrements depuis qu’ils sont
établis. 2° Figurativement. C’est de la sorte que saint Paul dit (1 Cor., 10, 2), que les anciens pères ont été baptisés dans la nuée et la mer et qu’ils ont mangé la
nourriture spirituelle et bu le breuvage spirituel. Néanmoins la
manducation sacramentelle n’est point inutile, parce que par la réception
véritable du sacrement on obtient plus pleinement son effet que par son seul
désir, comme nous l’avons dit à l’égard du baptême (quest. 69, art. 4, Réponse
N°2).
Mais
c’est le contraire. Sur ces paroles (1
Cor., chap. 11) : Celui qui mange et
qui boit indignement, la glose dit (glos. ord.) : Nous reconnaissons
qu’il y a deux manières de recevoir le corps du Christ, l’une sacramentelle et
l’autre spirituelle.
Conclusion Il y a deux manières de recevoir l’eucharistie
: l’une sacramentelle, par laquelle on ne reçoit que le sacrement, et l’autre
spirituelle, par laquelle on reçoit l’effet du sacrement qui consiste à être
spirituellement uni avec le Christ.
Il faut
répondre que dans la réception de l’eucharistie il y a deux choses à
considérer, le sacrement lui-même et son effet ; nous avons déjà parlé de ces
deux choses (quest. préc.). La manière parfaite de la recevoir, c’est
quand on reçoit le sacrement de telle sorte qu’on reçoit aussi son effet. Mais
il arrive quelquefois, comme nous l’avons observé (quest. préc., art. 3 et 8), qu’on
est empêché d’en recevoir l’effet, et alors on ne reçoit qu’imparfaitement ce
sacrement. Par conséquent, comme le parfait se divise par opposition à
l’imparfait ; de même la manducation sacramentelle par laquelle on ne reçoit
que le sacrement sans son effet, se divise par opposition à la manducation
spirituelle (La manducation spirituelle se subdivise ainsi en deux : la
manducation spirituelle seule et la manducation spirituelle unie à la
manducation sacramentelle. De là trois manières de recevoir le Christ, comme
saint Thomas le dit lui-même dans un opuscule qu’on lui attribue (De sacram.,
ult., chap. 17, n° 20) : Primus sacramentalis tantùm, secundus spiritualis tantùm, tertius sacramentalis et spiritualis simul. Primò manducant
mali christiani, secundò omnes salvandi, tertiò soli boni christiani.
Cette triple distinction a été reproduite par le concile de Trente (sess. 13,
chap. 8).) par laquelle on reçoit l’effet de ce
sacrement, qui consiste en ce que l’homme est spirituellement uni au Christ par
la foi et la charité (Ainsi pour la manducation spirituelle il faut que le
désir de recevoir le Christ soit joint à une foi vive et à la charité ; par
conséquent ceux qui sont dans l’état du péché mortel ne peuvent arriver à cette
manducation. Aussi Bossuet dit : La communion spirituelle ne se fait que par
une foi vive et un désir ardent qui renferme la volonté de toutes les
dispositions que Dieu veut et que l’Evangile commande (Lettres de pieté et de direction, t. 38,
p. 675, édit. de Versailles).).
Article 2 : N’appartient-il qu’à l’homme de recevoir
spirituellement le saint sacrement de l’autel ?
Objection N°1. Il semble qu’il n’appartienne pas qu’à
l’homme de recevoir spirituellement l’eucharistie, mais que cela appartienne
encore aux anges. Car sur ces paroles (Ps. 77) : L’homme
a mangé le pain des anges, la glose dit (ord. et interl.)
: c’est-à-dire le corps du Christ qui est véritablement la nourriture des
anges. Or, il n’en serait pas ainsi, si les anges ne mangeaient pas le Christ
spirituellement. Ils le reçoivent donc de la sorte.
Réponse à
l’objection N°1 : La réception du Christ dans l’eucharistie a pour fin de nous
faire jouir de lui dans le ciel à la manière dont les anges en jouissent. Et
parce que les moyens découlent de la fin, il s’ensuit que cette manducation du
Christ par laquelle nous le recevons dans le sacrement, découle en quelque
sorte de celle par laquelle les anges en jouissent dans le ciel. C’est pour ce
motif qu’on dit que l’homme mange le pain des anges, parce qu’il appartient
premièrement et principalement aux anges qui en jouissent dans son espèce
propre ; mais il appartient secondairement aux hommes qui le reçoivent dans le
sacrement.
Objection
N°2. Saint Augustin dit (Tract.
26 in Joan., inter med. et fin.) : Que le Christ veut que par cette
nourriture et ce breuvage on comprenne la société de son corps et de ses
membres, qui est l’Eglise des prédestinés. Or, il n’y a pas que les hommes qui
appartiennent à cette société, mais les anges y appartiennent aussi. Les saints
anges le reçoivent donc spirituellement.
Réponse à l’objection N°2 : Les hommes et les anges appartiennent, il est vrai, à la
société du corps mystique du Christ ; mais les hommes y appartiennent par la
foi, tandis que les anges y appartiennent par la vision manifeste. Et comme les
sacrements sont proportionnés à la foi par laquelle on voit la vérité dans un
miroir et en énigme, il s’ensuit qu’à proprement parler il ne convient pas aux
anges, mais aux hommes, de recevoir ce sacrement spirituellement.
Objection N°3. Le même docteur dit (Lib. de Verb. Dom., serm. 46) : On doit recevoir le Christ spirituellement
puisqu’il dit : Celui qui mange ma chair
et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Or, ceci convient non seulement
aux hommes, mais encore aux saints anges ; car le Christ existe en eux par la
charité et eux en lui. Il semble donc qu’il appartienne non seulement aux
hommes, mais encore aux anges, de le recevoir spirituellement.
Réponse à l’objection N°3 : Le Christ demeure dans les hommes selon
l’état présent par la foi, au lieu qu’il est dans les anges par la vision
manifeste ; et c’est pour cela qu’il n’y a pas de parité, comme nous l’avons
dit (Réponse N°2).
Conclusion Puisque les anges n’ont pas le désir de
recevoir le Christ sous les espèces sacramentelles, mais qu’ils en jouissent
manifestement par la vision, ils le reçoivent ainsi spirituellement, mais ils
ne reçoivent pas le sacrement de l’eucharistie.
Article 3 : N’y a-t-il que l’homme juste qui puisse recevoir le
christ sacramentellement ?
Objection N°1. Il semble qu’il n’y ait que le juste qui
puisse recevoir le Christ sacramentellement. Car saint Augustin dit (Tract. 26 in Joan., circ. med.) : Pourquoi préparez-vous vos dents et votre estomac ?
Croyez, et vous avez mangé ; car, croire en lui, c’est manger le pain de vie.
Or, le pécheur ne croit pas en lui, parce qu’il n’a pas la foi formée à
laquelle il appartient de croire en Dieu, comme nous l’avons vu (2a
2æ, quest. 4, art. 5). Le pécheur ne peut donc pas manger ce
sacrement qui est le pain de vie.
Réponse à l’objection N°1 : Ces paroles et d’autres
semblables doivent s’entendre de la manducation spirituelle qui ne convient pas
aux pécheurs. C’est pourquoi il semble que l’erreur dont nous venons de parler,
soit venue de l’interprétation vicieuse de ces paroles, parce qu’on n’a pas su
distinguer entre la manducation corporelle et la manducation spirituelle.
Objection N°2. On appelle surtout ce sacrement le sacrement de la
charité, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 4, Réponse N°3). Or, comme les infidèles sont privés
de la foi, de même tous les pécheurs sont privés de la charité. Ainsi les
infidèles ne paraissent pas pouvoir recevoir l’eucharistie sacramentellement, puisque
dans la forme de ce sacrement on emploie ces expressions, mystère de foi. Pour la même raison un pécheur ne peut donc pas
recevoir le corps du Christ sacramentellement.
Réponse à l’objection N°2 : Si un infidèle reçoit les espèces sacramentelles, il
reçoit le corps du Christ sous ces espèces, et par conséquent il reçoit le
Christ sacramentellement, si le mot sacramentellement se rapporte à la chose
reçue : mais si on le rapporte à celui qui la reçoit, alors il ne reçoit pas le
Christ sacramentellement, à proprement parler ; parce qu’il ne fait pas usage
de ce qu’il reçoit, comme d’un sacrement, mais comme d’une simple nourriture ;
à moins que par hasard cet infidèle n’ait l’intention de recevoir ce que
l’Eglise confère, quoiqu’il n’ait pas la foi véritable à l’égard des autres
articles, ou même à l’égard de ce sacrement.
Objection N°3. Un pécheur est plus abominable à Dieu qu’une créature
irraisonnable. Car il est dit de l’homme pécheur (Ps. 48, 21) : L’homme qui est sans honneur et sans intelligence devient semblable aux
bêtes, et il meurt comme elles. Or, un animal brute
(comme un rat ou un chien) ne peut recevoir l’eucharistie, pas plus qu’il ne
peut recevoir le sacrement de baptême. Il semble donc que pour la même raison
les pécheurs ne puissent la recevoir non plus.
Réponse
à l’objection N°3 : Si un rat
ou un chien mange une hostie consacrée, la substance du corps du Christ ne cesse
pas d’être sous les espèces, tant que ces espèces subsistent, c’est-à-dire tant
que la substance du pain subsisterait, et il en serait de même si on la jetait
dans la boue. Et ceci ne déroge point à la dignité du corps du Christ, qui a
voulu être crucifié par des pécheurs sans que sa dignité en souffrit ; surtout
quand on réfléchit qu’un rat ou un chien ne touche pas le corps du Christ selon
son espèce propre, mais seulement selon les espèces sacramentelles. Il y en a
qui ont dit qu’aussitôt qu’un rat ou qu’un chien touche le sacrement, le corps
du Christ cesse d’y être présent, ce qui déroge aussi à la vérité du sacrement,
comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). On ne doit cependant pas
dire qu’un animal brute reçoive sacramentellement le corps du Christ, parce
qu’il n’est pas fait pour le recevoir, comme sacrement : par conséquent, il ne
mange pas le corps du Christ sacramentellement, mais par accident ; comme le
mangerait celui qui prendrait une hostie consacrée, sans savoir qu’elle l’est. Et
parce que ce qui existe par accident n’entre pas dans la division d’un genre
quelconque, c’est pour cela qu’on ne fait pas de cette manière de recevoir le
corps du Christ un troisième mode indépendamment de la manducation
sacramentelle et de la manducation spirituelle.
Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Jean, chap. 6)
: Vos pères ont mangé la manne dans le
désert et sont morts, saint Augustin dit (Tract. 26, à med.) : Il y en a beaucoup
qui reçoivent le sacrement de l’autel et qui meurent en le recevant. D’où
l’Apôtre dit : Qu’on mange son jugement
et sa condamnation. Or, il n’y a que les pécheurs qui meurent en recevant
le corps du Christ. Ils le reçoivent donc sacramentellement, et il n’y a pas
que les justes qui aient cet avantage.
Conclusion
Puisque le corps du Christ subsiste toujours dans l’eucharistie jusqu’à ce que
les espèces sacramentelles soient corrompues, il s’ensuit que ceux qui sont
injustes le reçoivent aussi.
Il faut répondre qu’à cet égard il y a des anciens qui se sont trompés
en disant que les pécheurs ne reçoivent pas le corps du Christ
sacramentellement, mais qu’aussitôt qu’il arrive sur leurs lèvres, il cesse
immédiatement d’être sous les espèces sacramentelles. Mais ce sentiment est
erroné ; car il déroge à la vérité de ce sacrement à laquelle il appartient,
comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 6 ad 3), que tant que les espèces
restent, le corps du Christ ne cesse pas d’être sous elles. Or, les espèces
restent tant que la substance du pain subsisterait, si elle était là, comme
nous l’avons vu (quest. 77, art. 5 et 8). Et comme il est évident que la
substance du pain que le pécheur reçoit ne cesse pas d’exister immédiatement,
mais qu’elle subsiste jusqu’à ce qu’elle soit digérée par la chaleur naturelle,
il s’ensuit que le corps du Christ reste pendant ce même temps sous les espèces
sacramentelles que le pécheur a prises. Ainsi, on doit dire que le pécheur peut
recevoir sacramentellement le corps du Christ et qu’il n’y a pas que le juste
qui le reçoive ainsi (C’est ce qui se trouve ainsi exprimé dans la prose de
l’office du saint Sacrement : Sumunt boni, sumunt mali ; sorte tamen inæquali, vitæ vel interitûs. Mors est malis, vita
bonis : vide paris sumptionis quam sit dispar exitus.).
Article 4 : Le
pécheur qui reçoit le corps du Christ sacramentellement pèche-t-il ?
Objection N°1. Il semble que le pécheur qui reçoit le corps
du Christ sacramentellement ne pèche pas. Car le Christ n’a pas plus de dignité
sous l’espèce du sacrement que sous son espèce propre. Or, les pécheurs qui
touchaient le Christ sous son espèce propre ne péchaient pas ; au contraire,
ils obtenaient le pardon de leurs péchés, comme on le voit de la femme
pécheresse (Luc, chap. 7),
et il est dit (Matth., 14, 36)
: Que tous ceux qui touchèrent les
franges de ses vêtements furent sauvés. Ils ne pèchent donc pas, mais ils
obtiennent plutôt leur salut en recevant le sacrement du corps du Christ.
Réponse à
l’objection N°1 : Le Christ apparaissant sous son espèce propre, ne
se donnait pas à toucher aux hommes en signe de leur union spirituelle avec
lui, comme il se donne dans l’eucharistie pour qu’on le reçoive. C’est pour
cela que les pécheurs qui le touchaient dans son espèce propre n’encouraient
pas le crime de fausseté à l’égard des choses divines, comme les pécheurs qui
le reçoivent dans le sacrement. De plus, le Christ portait encore la
ressemblance de la chair du péché, et c’est pour cela qu’il était convenable
qu’il se laissât toucher par les pécheurs ; mais cette ressemblance ayant été
détruite par la gloire de la résurrection, il a défendu à la femme, dont la foi
manquait encore d’une certaine perfection à son égard, de le toucher (Jean, 20, 17)
: Ne me touchez pas, dit-il, car je ne suis pas encore monté vers mon
Père, c’est-à-dire, ajoute saint Augustin (Tract. 121 in Joan.) : Je ne suis pas tel que je dois être dans
votre cœur. C’est pourquoi les pécheurs qui manquent de la foi formée à l’égard
du Christ, sont empêchés de s’approcher de ce sacrement.
Objection
N°2. L’eucharistie est comme tous les autres sacrements une
médecine spirituelle. Or, on donne les remèdes aux malades pour les guérir,
d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 9, 12)
: Ce ne sont pas ceux qui se portent bien
qui ont besoin de médecins, mais ceux qui se portent mal. Or, les infirmes
ou ceux qui sont malades spirituellement, ce sont les pécheurs. Ils peuvent
donc recevoir ce sacrement sans faire de faute.
Réponse à
l’objection N°2 : Toute médecine ne convient pas pour toute espèce de maladie.
Car le remède qu’on donne à ceux qui n’ont plus la fièvre pour les fortifier,
leur nuirait, si on le leur donnait quand la fièvre est encore très vive ; de
même, le baptême et la pénitence sont aussi des remèdes purgatifs que l’on
donne pour enlever la fièvre du péché, tandis que l’eucharistie est une
médecine fortifiante qu’on ne doit donner qu’à ceux qui sont délivrés de leurs
fautes.
Objection
N°3. L’eucharistie est le plus grand des
biens, puisqu’elle contient en elle le Christ. Or, les plus grands biens,
d’après saint Augustin (De lib. arb., liv. 2, chap. 19), sont tels que
personne ne peut en faire un mauvais usage. Comme on ne pèche qu’autant qu’on
fait mauvais usage d’une chose, aucun pécheur ne pèche donc en recevant
l’eucharistie.
Réponse à l’objection N°3 : Par les plus grands biens, saint Augustin (cit., Objection N°2) entend les vertus de l’âme, dont
personne n’abuse, comme des principes d’un mauvais usage. Mais il y en a qui en
usent mal, comme d’objets qu’on peut mal employer,
ainsi qu’on le voit à l’égard de ceux qui s’en enorgueillissent. De même
l’eucharistie, considérée en elle-même, n’est pas le principe du mauvais usage,
mais elle en est l’objet. D’où saint Augustin dit (Tract. 62 in Joan., circ. princ.) : Il y
en a beaucoup qui reçoivent indignement le corps du Christ ; ce qui nous
apprend avec quel soin nous devons éviter de recevoir mal ce qui est bon. Car
le bien se change en mal quand on reçoit mal ce qui est don au lieu que
l’Apôtre, au contraire, a changé le mal en bien, quand il a bien reçu le mal,
c’est-à-dire quand il a supporté avec patience l’aiguillon de Satan.
Réponse à l’objection N°4 : Par la vue on ne reçoit pas le corps lui-même du Christ,
mais seulement son sacrement ; parce que la vue n’atteint pas la substance du
corps du Christ, mais seulement les espèces sacramentelles, comme nous l’avons
dit (quest. 76, art. 7) ; au lieu que celui qui mange reçoit non seulement les
espèces sacramentelles, mais encore le Christ lui-même, qui est sous elles.
C’est pourquoi, de tous ceux qui ont reçu le sacrement du Christ, c’est-à-dire
le baptême, il n’y a personne qui soit empêché de voir le corps du Christ. Mais
on ne doit pas permettre à ceux qui ne sont pas baptisés de le contempler,
comme le prouve saint Denis (De eccles. hier., chap. 7).
On ne doit admettre à le recevoir que ceux qui sont unis au Christ non
seulement sacramentellement, mais encore réellement.
Objection N°5. Il arrive quelquefois qu’un pécheur n’a pas la conscience de son
péché. Cependant il ne paraît pas pécher en recevant le corps du Christ, parce
que dans ce cas tous ceux qui le reçoivent pécheraient en s’exposant au péril
de le recevoir indignement ; puisque l’Apôtre dit (1 Cor., 4, 4) : Quoique ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas pour cela
justifié. Il ne semble donc pas que le pécheur soit coupable, s’il reçoit
ce sacrement.
Réponse
à l’objection N°5 : Si l’on
n’a pas la conscience de son péché, ceci peut tenir à deux choses : 1° ce peut
être par sa faute ; soit parce que, par suite de l’ignorance du droit qui
n’excuse pas, on croit que ce qui est un péché n’en est pas un, comme si un
fornicateur pensait que la simple fornication n’est pas un péché mortel ; soit
parce qu’on a mis de la négligence à s’examiner, contrairement à ce que dit
l’Apôtre (1 Cor., 11, 28) : Que l’homme s’éprouve lui-même et qu’ensuite il mange de ce pain et
boive de ce calice. Le pécheur qui reçoit ainsi le corps du Christ n’en
pèche pas moins, quoiqu’il n’ait pas la conscience de son péché, parce que son
ignorance est elle-même une faute. 2° Il peut se faire que ce ne soit pas par
sa faute ; comme quand il s’est repenti de son péché, mais sans être
suffisamment contrit. Dans ce cas, il ne pèche pas en recevant le corps du
Christ (Loin de là, car la vertu du sacrement lui fait obtenir dans ce cas la
rémission de ses fautes. C’est ce que dit ailleurs saint Thomas : Si quis facta diligenti discussione suæ conscientiæ, quamvis forte non sufficienti, ad corpus Christi accedat,
aliquo peccato mortali in ipso manente, quod ejus cognitionem præter fugiat, non peccat ; imò magis
ex vi sacramenti remissionem
consequitur (in 4, dist. 9, quæst.
1, art. 5).), parce que l’homme ne peut savoir avec certitude s’il est
véritablement contrit ; et il suffit qu’il trouve en lui des signes de
contrition, par exemple qu’il se repente de ses fautes passées, et qu’il se
propose de les éviter à l’avenir. Mais s’il ignore que ce qu’il a fait était un
acte coupable, à cause de l’ignorance de fait qui excuse ; par exemple, s’il
s’était approché d’une femme étrangère, croyant que c’est la sienne, on ne
devrait pas pour cela lui donner le nom de pécheur. Il en est de même s’il a
totalement oublié son péché, la contrition générale suffit pour qu’il soit
effacé, comme nous le dirons (sup., quest. 2, art. 3, Réponse N°2). On ne doit
donc pas non plus le considérer alors comme pécheur.
Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (1 Cor., 11, 29) : Celui qui le mange et le boit indignement, mange et boit son jugement,
c’est-à-dire sa condamnation. Or, suivant la glose (Pet. Lomb.),
celui qui mange et boit indignement, c’est celui qui est dans le crime ou qui
traite ce sacrement sans respect. Par conséquent, celui qui est dans le péché
mortel, s’il s’approche de ce sacrement, reçoit sa condamnation en péchant mortellement.
Conclusion
Les pécheurs qui reçoivent l’eucharistie en état de péché mortel commettent une
fausseté dans le sacrement en indiquant par là qu’ils sont unis au Christ par
la foi que la charité anime, ils encourent le crime de sacrilège et pèchent
mortellement.
Objection N°1. Il semble que ce soit le plus grave de
tous les péchés que de s’approcher de l’eucharistie quand on se sait en état de
péché. Car saint Paul dit (1 Cor., chap. 11) : Quiconque aura mangé le pain et bu le calice du Seigneur indignement
sera responsable du corps et du sang du Seigneur, c’est-à-dire, d’après la
glose (interl. implic.),
qu’il sera puni comme s’il eût mis à mort le Christ. Or, le péché de ceux qui
ont mis à mort le Christ paraît avoir été le plus grave. Par conséquent, le
péché par lequel on s’approche de la table sainte avec une conscience en
mauvais état paraît être le plus grave.
Réponse à
l’objection N°1 : On compare le péché de ceux qui reçoivent indignement
l’eucharistie au péché de ceux qui ont mis à mort le Christ, en raison de la
ressemblance de ces deux fautes, parce que l’une et l’autre sont commises
contre le corps du Christ, mais non en raison de leur étendue. Car le péché de
ceux qui ont fait mourir le Christ a été beaucoup plus grave : 1° parce que
l’un a été commis contre le corps du Christ dans son espèce propre, au lieu que
l’autre est commis contre le corps du Christ dans l’espèce sacramentelle ; 2°
parce que l’un est résulté de l’intention que l’on a eue de nuire au Christ,
tandis qu’il n’en est pas de même de l’autre (Cette comparaison s’établit
ordinairement à l’égard de ceux qui reçoivent indignement le corps du Christ
par mépris, et qui ont ainsi l’intention de lui nuire autant qu’il est en
eux.).
Objection
N°2. Saint Jérôme dit (hab., quoad partem in Epist. ad Ocean. de vita cleric., int. ejus
op. asciticia) : Qu’y a-t-il de commun entre les
femmes et vous qui conversez à l’autel avec Dieu ? Dites-moi, prêtre,
dites-moi, clerc, comment vous baisez le Fils de Dieu avec ces mêmes lèvres que
vous avez appliquées sur la bouche d’une prostituée ? Avec Judas vous trahissez
le Fils de l’homme par un baiser. Ainsi, le fornicateur qui s’approche de la
table du Christ paraît pécher, comme l’a fait Judas, dont le crime fut le plus
grand. Cependant il y a beaucoup d’autres péchés plus graves que le péché de
fornication, et il y a principalement le péché d’infidélité. Le péché de tout
pécheur qui s’approche de la table du Christ est donc le plus grave.
Réponse à l’objection N°2 : Le fornicateur qui reçoit le corps du
Christ est comparé à Judas qui a trahi le Christ par un baiser, quant à la
ressemblance du crime, parce que l’un et l’autre offensent le Christ en lui
donnant une marque d’amour ; mais on ne les compare pas ensemble pour l’étendue
de la faute, comme nous l’avons dit (Réponse N°1). Cependant cette ressemblance
de faute ne convient pas moins aux autres pécheurs qu’aux fornicateurs. Car par
les autres péchés mortels on agit contre la charité du Christ, dont
l’eucharistie est le signe, et on y agit d’autant plus vivement que les péchés
sont plus graves. Toutefois, le péché de fornication rend sous un rapport
l’homme moins apte à recevoir l’eucharistie ; en ce qu’il soumet surtout
l’esprit à la chair et qu’il empêche ainsi la ferveur de l’amour qui est
requise dans ce sacrement. Mais l’empêchement qui atteint la charité elle-même,
a encore plus de poids que celui qui atteint sa ferveur.
Ainsi, le péché d’infidélité, qui sépare complètement l’homme de l’unité de
l’Eglise, absolument parlant, le rend encore plus indigne de recevoir ce
sacrement, qui est le sacrement de l’unité de l’Eglise, comme nous l’avons dit
(quest. 73, art. 4). Par conséquent, l’infidèle qui reçoit ce sacrement pèche
plus grièvement que le pécheur fidèle et il méprise plus le Christ, selon qu’il
est dans l’eucharistie, surtout s’il ne croit pas qu’il y est véritablement
présent. Car il diminue autant qu’il est en lui la sainteté de ce sacrement et
la vertu du Christ qui opère en lui, ce qui revient à mépriser le sacrement en
lui-même : au lieu que le fidèle qui le reçoit avec la conscience de son péché,
ne méprise pas ce sacrement en lui-même, mais quant à son usage, en le recevant
indignement. D’où l’Apôtre, donnant la raison de ce péché, dit (1 Cor., chap. 11) : Qu’il
ne discerne pas le corps du Seigneur, c’est-à-dire qu’il ne le distingue
pas des autres aliments ; ce que fait principalement celui qui ne croit pas que
le Christ est dans l’eucharistie.
Réponse à l’objection N°3 : Celui qui
jetterait ce sacrement dans la boue pécherait plus grièvement que celui qui
s’en approche, en sachant bien qu’il est dans le péché mortel. 1° Parce que le
premier agirait ainsi dans l’intention de faire injure à l’eucharistie, ce que
ne se propose pas le pécheur qui reçoit indignement le corps du Christ. 2°
Parce que le pécheur est capable de recevoir la grâce, et par conséquent il est
plus apte que toute autre créature irraisonnable à recevoir ce sacrement. Ainsi
ce serait faire un usage beaucoup plus déréglé de l’eucharistie si on la
donnait à manger aux chiens ou si on la jetait dans la boue pour être foulée
aux pieds (Melchior Canus pense qu’il y a deux péchés distincts dans une
communion indigne, l’un d’omission à cause du défaut de pénitence, et l’autre
de commission par suite de l’irrévérence commise envers l’eucharistie. Mais ce
sentiment que réfute Sylvius n’est pas suivi.).
Mais
c’est le contraire. Sur ces paroles (Jean, chap. 15) : Si je n’étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils ne
seraient pas coupables, saint Augustin dit (Tract. 89 in Joan., à princ.) que ces paroles doivent
s’entendre du péché d’infidélité, qui embrasse tous les autres, et, par
conséquent, il semble que ce péché ne soit pas le plus grave, mais que ce soit
plutôt le péché d’infidélité.
Conclusion Le péché de ceux qui s’approchent de
l’eucharistie ayant sur la conscience un péché mortel, quoiqu’il soit selon son
espèce plus grave que la plupart des autres, n’est cependant pas le plus grave
de tous.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 73,
art. 6, et 2a 2æ, quest. 73, art. 3), un péché peut être
dit plus grave qu’un autre de deux manières : 1° par soi ; 2° par accident. Par
soi, selon la nature de son espèce, qui se considère par rapport à son objet. A
ce point de vue, plus l’objet contre lequel on pèche est grand, et plus le
péché est grave. Et parce que la divinité du Christ est plus grande que son
humanité, et que l’humanité elle-même l’emporte sur ses sacrements, il en
résulte que les péchés les plus graves sont ceux que l’on commet contre la
Divinité elle-même, comme le péché d’infidélité et de blasphème (En général
tous les péchés qui sont directement opposés aux vertus théologales.). Les
péchés les plus graves qui viennent ensuite sont ceux que l’on commet contre
l’humanité du Christ (Considérée dans son espèce propre.). D’où il est dit (Matth., 12, 32)
: Celui qui aura parlé contre le fils de
l’homme, il lui sera pardonné ; mais pour celui qui aura parlé contre
l’Esprit-Saint, il ne lui sera pardonné ni en ce monde, ni dans le siècle à
venir. En troisième lieu viennent les péchés que l’on commet contre les
sacrements qui appartiennent à l’humanité du Christ, et il faut placer après
ceux-là les autres péchés que l’on commet contre de simples créatures. — Par
accident, un péché est plus grave qu’un autre de la part de celui qui pèche.
Ainsi, le péché qu’on fait par ignorance ou par faiblesse est plus léger que
celui qu’on fait par mépris ou de science certaine, et il en est de même des
autres circonstances. Sous ce rapport, ce péché peut être plus grave dans
quelques-uns, par exemple, dans ceux qui s’approchent de l’eucharistie avec
mépris et avec la conscience de leur faute, et il peut être moins grave dans
d’autres, par exemple, dans ceux qui s’approchent de ce sacrement en état de
péché, dans la crainte qu’on ne les croie coupables. Par conséquent, il est
évident que ce péché est plus grave que beaucoup d’autres, selon son espèce,
quoiqu’il ne soit pas le plus grave de tous.
Article 6 : Le
prêtre doit-il refuser le corps du Christ au pécheur qui le demande ?
Objection N°1. Il semble que le prêtre doive refuser le
corps du Christ au pécheur qui le demande. Car on ne doit pas agir contre un
précepte du Christ, pour éviter le scandale ou l’infamie de quelqu’un. Or, le
Seigneur a dit (Matth., chap. 7)
: Ne donnez pas aux chiens ce qui est
saint. Cependant, on donne aux chiens ce qui est saint, principalement
quand on donne l’eucharistie aux pécheurs. On ne doit donc pas pour éviter un
scandale ou l’infamie de quelqu’un donner ce sacrement au pécheur qui le
demande.
Réponse à
l’objection N°1 : Il est défendu de donner les choses saintes aux chiens,
c’est-à-dire aux pécheurs manifestes ; mais on ne peut pas punir publiquement
les fautes secrètes, on doit les réserver au jugement de Dieu.
Réponse à l’objection N°2 :
Quoique ce soit un plus grand mal pour un pécheur occulte de pécher
mortellement en recevant le corps du Christ que d’être diffamé, cependant pour
le prêtre qui administre le corps du Christ il y a plus de mal à pécher
mortellement en diffamant injustement un pécheur occulte que de lui laisser
commettre un péché mortel, parce que personne ne doit commettre un péché mortel
pour délivrer un autre du péché. D’où saint Augustin dit (Lib. Quæst. sup. Genes., quest. 42) :
Qu’il y a le plus grand danger à admettre à titre de compensation que nous
fassions quelque chose de mal pour empêcher qu’un autre ne fasse un mal plus
grave. Mais un pécheur occulte devrait mieux aimer être diffamé que de
s’approcher de la table du Seigneur indignement. — Toutefois on.ne doit donner
d’aucune manière une hostie non consacrée au lieu d’une hostie consacrée ;
parce que le prêtre qui agirait ainsi, ferait faire, autant qu’il serait en
lui, un acte d’idolâtrie à ceux qui croiraient que l’hostie est consacrée, à
tous ceux qui seraient là présents aussi bien qu’à lui-même qui la recevrait.
Car, comme le dit saint Augustin (in Ps. 98) : Que personne ne mange la chair du Christ, s’il ne
l’adore auparavant. C’est pour cela qu’il est dit (extra, De celebrat. Mis., chap. De homine) :
Quoique celui qui se sent coupable et qui se reconnaît indigne pèche
grièvement, s’il s’approche de ce sacrement sans respect ; cependant il paraît
encore faire une faute plus grande celui qui a la présomption de le simuler
d’une manière frauduleuse.
Objection N°3. On donne quelquefois le corps du Christ à ceux que l’on
soupçonne d’une faute pour rendre leur culpabilité manifeste. Car il est dit (Decr. 2, quest. 5, chap. 23) : Souvent il arrive que
dans les monastères des vols sont commis. C’est pourquoi nous ordonnons que
quand les frères eux-mêmes doivent se laver de ce crime, une messe soit
célébrée par l’abbé ou par quelqu’un à qui il en aura donné l’ordre, en
présence des frères, et qu’après la messe tous communient en disant : Que le
corps du Christ soit aujourd’hui pour moi une épreuve. Et plus loin (chap. 26)
: Si on a imputé à un évêque ou à un prêtre quelque maléfice, il doit célébrer
la messe et communier pour chacune des choses qui lui ont été imputées et se
montrer ainsi innocent à leur égard. Or, il ne faut pas manifester les pécheurs
occultes, parce que s’ils viennent à dépouiller toute pudeur, ils n’en pèchent que
plus librement, selon l’observation de saint Augustin (Lib. de Verb. Dom., serm.
16). On ne doit donc pas donner le corps du Christ aux pécheurs, quand même ils
le demanderaient.
Mais
c’est le contraire. Sur ces paroles (Ps. 21,
30) : Tous les riches de la terre ont
mangé et adoré, saint Augustin dit (hab., in Glos. ord. et De consecrat., chap. 67, dist. 2) : Que le dispensateur n’empêche pas
les riches de la terre, c’est-à-dire les pécheurs, de manger à la table du
Seigneur.
Conclusion La majesté divine et la discipline de l’Eglise
exigent qu’on refuse la sainte communion aux pécheurs manifestes et publics qui
la demandent, mais non aux pécheurs occultes, qui n’ont perdu par aucun crime
public le droit qu’ils ont reçu dans le baptême de s’approcher de la table du
Seigneur.
Il
faut répondre qu’on doit distinguer deux sortes de pécheurs ; car les vins sont
occultes et les autres publics, c’est-à-dire connus par une évidence de fait,
comme les usuriers publics, ou les ravisseurs publics, ou ceux qui ont été
frappés par un jugement ecclésiastique ou séculier (De là on distingue deux
sortes de notoriété : la notoriété de droit,
qui résulte de la sentence, du juge ou de l’aveu juridique du coupable, et la
notoriété de fait, qui existe quand
le péché est connu généralement dans le lieu où il a été commis.). On ne doit
pas donner la sainte communion aux pécheurs publics (Le rituel romain s’exprime
ainsi à ce sujet. Arcendi sunt publicè
indigni, quales excommunicati, intcrdicti, manifestique infames, ut meretrices, concubinarii, fœneratores, magi, sortilegi, blasphemi et alii ejus generis publici peccatores, nisi de eorum pœnitentia
et emendatione constet et
publico scandalo prius satisfecerint.) qui la demandent. C’est pour cela que saint Cyprien écrit
(liv. 1, epist. 10) : « Vous avez eu la bonté de
croire que vous deviez me consulter sur ce que je pense des histrions, et de ce
magicien qui étant établi parmi vous continue encore à exercer son art honteux,
et vous me demandez si l’on doit admettre ces personnes à la sainte communion
avec les autres chrétiens ; pour moi je crois qu’il ne convient ni à la majesté
divine, ni à la discipline évangélique, de souiller l’honneur et la pureté de
l’Eglise par une contagion aussi honteuse et aussi infâme. » —Mais si les pécheurs
ne sont pas manifestes et qu’ils soient occultes, on ne peut leur refuser la
sainte communion quand ils la demandent. Car, puisque tout chrétien, par là
même qu’il a été baptisé, est admis à la table du Seigneur, on ne peut lui
enlever son droit que pour une cause manifeste. C’est pour cela qu’à l’occasion
de ces paroles de saint Paul (1 Cor.,
5, 11) : Avec celui qui, portant le nom
de frère, etc., la glose de saint Augustin dit (hom.
ult. interl. inter med. et
fin.) : Nous ne pouvons éloigner personne de la communion, à moins que de
lui-même il ne s’avoue coupable, ou qu’il n’ait été désigné et convaincu comme
tel par un jugement ecclésiastique ou séculier. Cependant, un prêtre qui
connaît la faute d’un pécheur occulte, peut l’avertir en secret (Il faut dans
ce cas que la connaissance qu’on a du péché vienne d’ailleurs que de la
confession, parce que le sceau de la confession oblige le confesseur à l’égard
même du pénitent, et il ne peut lui parler de ce qu’il a appris de lui par la
confession sans son consentement.), et il peut aussi en public exhorter
généralement tout le monde à ne pas s’approcher de la table du Seigneur, avant
de s’être repenti de ses péchés et de s’être réconcilié avec l’Eglise. Car,
après qu’ils se sont repentis et réconciliés, on ne doit pas refuser même aux
pécheurs publics la communion, surtout à l’article de la mort (Quand il s’agit
des condamnés à mort, il ne faut les communier qu’autant qu’ils donnent des
signes non équivoques de pénitence, et même qu’ils ont fait hors de la
confession l’aveu de leur crime. A l’égard des pécheurs publics, on doit leur
donner le viatique, s’ils sont en danger de mort et qu’ils soient pénitents.
Les canons de l’Eglise sont formels à ce sujet.). D’où on lit dans le troisième
concile de Carthage (can. 35) qu’on ne refuse pas la réconciliation avec Dieu
aux acteurs (Mgr Gousset distingue entre les bistrions et les acteurs. Il
exclut les premiers en raison de leur profession, mais il n’exclut pas les
autres (Voy. Théolog. mor., tom. 3, p.
52 et suiv.).), aux histrions et à toutes les autres personnes semblables, ni
même aux apostats du moment qu’ils sont convertis.
Réponse à
l’objection N°3 : Ces décrets ont été abrogés par des lois
contraires émanant des souverains pontifes. En effet le pape saint Etienne dit
(cit. ab Alex. III, in epist. 19, ad fin.) : Les sacrés canons ne permettent
d’extorquer de personne un aveu par l’épreuve du fer rouge ou de l’eau
bouillante. Car c’est d’après l’aveu spontané des coupables ou la déposition
des témoins que nous devons juger les délits publics qui ont été commis ; quant
aux péchés secrets et inconnus, il faut les abandonner au jugement de celui qui
seul connaît les cœurs des enfants des hommes. On trouve la même chose (extra, De purgationibus,
chap. Ex tuarum).
Car dans toutes ces choses on paraît tenter Dieu. Par conséquent, on ne peut
les faire sans péché. Et la faute paraîtrait plus grave, si dans l’eucharistie,
qui a été établie pour remédier au salut, on encourait un jugement de mort. On
ne doit donc donner d’aucune manière le corps du Christ à quelqu’un qui est
soupçonné d’un crime, pour éprouver son innocence (Il n’est pas permis non plus
de recevoir l’eucharistie pour attester son innocence, comme on le rapporte
dans divers endroits de l’histoire ecclésiastique, à moins qu’on y soit poussé
par un mouvement de l’Esprit-Saint.).
Article 7 : La
pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir ce sacrement ?
Objection N°1. Rien n’empêche de recevoir le corps du
Christ sauf le péché. Or la pollution nocturne se produit sans péché car, comme
le dit saint Augustin (Gen ad litt., liv. 12, chap. 15, ante med.) : « La même image qui vient à l’esprit de celui qui
parle peut se présenter à l’esprit de celui qui dort, de manière que ce dernier
soit incapable de distinguer l’image de la réalité, la chair réagit, et entraîne
ce qui résulte de telles réactions ; il y a un péché aussi minime dans ceci
qu’il n’y en a quand on parle et par conséquent quand on pense à ces choses-là.
» La pollution nocturne n’empêche donc pas de recevoir ce sacrement.
Réponse à l’objection N°1 : Seul un péché mortel empêche
nécessairement une personne de recevoir ce sacrement ; mais la décence peut
l’empêcher pour d’autres raisons, comme nous l’avons dit. (dans
le corps de l’article.).
Objection N°2. Saint Grégoire dit dans une lettre à saint Augustin,
évêque des anglais (Regist., liv. 12, epist. 31, ad interrogat. 10,
vers, fin.) : « Ceux qui s’acquittent du devoir du mariage, non pour satisfaire
la chair, mais à cause du désir d’avoir des enfants, devraient décider
d’eux-mêmes s’ils doivent entrer dans l’église et recevoir le mystère du corps
de Notre-Seigneur après des rapports sexuels ; parce qu’on ne devrait pas leur interdire
de le recevoir puisqu’ils sont passés à travers le feu sans se brûler. » D’après
ceci, il est évident que la pollution, même de la part de quelqu’un d’éveillé, si elle est sans péché, n’empêche pas de recevoir
le corps du Christ. Par conséquent, c’est encore moins le cas pour une personne
qui le fait étant endormie.
Réponse à l’objection N°2 : Les rapports sexuels conjugaux, s’ils sont sans péché
(par exemple, si c’est pour avoir des enfants, ou de s’acquitter du devoir du
mariage), n’empêche pas de recevoir ce sacrement, comme nous l’avons dit (dans
le corps de l’article.) de la pollution nocturne qui se produit sans péché, à
savoir à cause de l’impureté corporelle, et la distraction mentale, comme
l’exprime saint Jérôme dans son commentaire sur saint Matthieu, (hab. in serm. De Esu agni, qui Hieron. adscribitur,
sub fin., et chap. Sciatis, 33, quæst.
4) : « Si les pains de propositions ne pouvaient pas être mangés par ceux qui
s’étaient approchés de leur femme, combien moins le pain qui est descendu du
ciel peut-il être souillé et touché par ceux qui, il y a peu, étaient unis
ensemble ? Nous ne condamnons pas le mariage, mais quand nous allons manger la
chair de l’agneau, nous devons nous éloigner des œuvres de la chair. » Or,
comme ceci doit être compris comme une décence et non comme une nécessité,
saint Grégoire dit que « ceci doit être laissé à notre jugement. » Mais si « ce
n’est pas le désir d’avoir des enfants, mais la luxure qui domine dans cette
union, » on doit interdire d'approcher de ce sacrement, comme le dit saint
Grégoire.
Réponse à l'objection N°3 : Comme saint Grégoire le dit dans la lettre citée plus
haut à saint Augustin, évêque des anglais (loc.
cit., Objection N°2), dans l’Ancien Testament certaines personnes nommées
impures de manière figurative : ce que le peuple de la nouvelle loi comprend
spirituellement. Par conséquent, ces mêmes impuretés du corps, si elles sont
perpétuelles, ou si elles sont de longue durée, n’empêchent pas de recevoir ce
sacrement salutaire, comme elles empêchaient d’approcher ces sacrements
figuratifs ; mais si elles sont de courte durée, comme l’impureté de la
pollution nocturne, la décence empêche de recevoir ce sacrement le jour où cela
s’est produit. Par conséquent, le Deutéronome dit (23, 10) : S’il y a parmi
vous un homme qui a eu une pollution en dormant ; il sortira du camp ; et il ne
reviendra pas sans s’être lavé avec de l’eau le soir.
Réponse à l’objection N°4 : Même si la contrition et la confession effacent la tache
de la culpabilité, elles n’enlèvent pas celle de l’impureté corporelle, ni la
distraction mentale qui s’ensuit.
Réponse à l’objection N°5 : Rêver d’un homicide n’entraîne pas une impureté
corporelle, ni une telle distraction de l’esprit la fornication, à cause de son
intense délectation ; cependant si le rêve d’homicide provient d’une cause qui
est un péché, en particulier s’il est mortel, il empêche pour cela de recevoir
ce sacrement.
Mais c’est le contraire. Le Lévitique (15, 16) dit : L’homme qui a un écoulement séminal sera
impur jusqu’au soir. Or l’impur ne peut s’approcher des sacrements. Il
semble donc que la pollution nocturne empêche de recevoir ce sacrement, qui est
le plus grand de tous.
Conclusion Quoique la pollution nocturne, quand elle n’est
précédée d’aucun crime mortel, n’empêche pas nécessairement de recevoir ce
sacrement ; on peut en être empêché par la décence.
Il
faut répondre qu’il y a deux choses à considérer au sujet de la pollution
nocturne : 1° quand elle empêche nécessairement un homme de recevoir ce
sacrement ; 2° quand elle ne l’empêche pas nécessairement, mais sous certaines conditions.
— Seul le péché mortel empêche nécessairement l’homme de recevoir ce sacrement.
Et quoique la pollution nocturne en elle-même ne puisse pas être considérée
comme un péché mortel, de par sa cause, le péché mortel peut s’y trouver. Pour
cette raison, nous devons considérer la cause de la pollution nocturne. Elle
peut provenir d’une cause spirituelle extérieure, à savoir, à cause de
l’illusion du démon, qui, comme nous l’avons dit (1a pars, quest.
111, art. 3), peuvent provoquer des illusions dont la pollution nocturne peut
s’ensuivre. Elle peut parfois provenir d’une cause spirituelle intérieure, comme
de pensées qui ont précédé. D’autres fois, elles viennent de causes corporelles
intérieures, comme l’abondance ou la faiblesse de la nature, ou même de l’excès
de viande ou de boisson. Chacune de ces trois causes peut être sans péché, avec
péché véniel ou exister avec le péché mortel. Si elle est sans péché ou avec
péché véniel, elle n’empêche pas nécessairement de recevoir ce sacrement, comme
s’il était coupable du corps et du sang de Notre-Seigneur. Mais si elle est
accompagnée d'un péché mortel, elle l’empêche nécessairement. — Les illusions
du démon peuvent parfois provenir d’une négligence de la préparation à la
dévotion, ce qui peut être un péché mortel ou véniel ; d’autres fois elles ne sont
dues qu’à la seule malice des démons qui veulent empêcher les hommes de
recevoir ce sacrement. D’où nous lisons dans les Conférences des Pères (collat. 22, chap. 6), que quand un
des frères souffrait toujours de pollution les jours de fête où il devait
communier, les supérieurs découvrirent qu’il n’y avait aucune faute de sa part,
décrétèrent qu’il ne devait pas cesser de communier à cause de cela, et l’illusion
démoniaque cessa. — Pareillement, des pensées impures qui ont précédé peuvent
tout à fait être sans péché : par exemple quand quelqu’un a ces pensées au lieu
de lire ou de discourir ; et si cela se fait sans concupiscence ni délectation,
ces pensées ne seront pas impures, mais honnêtes ; et même si la pollution peut
s’ensuivre de celles-ci, tout est clair d’après l’autorité de saint Augustin (Objection
N°1). D’autres fois, ces pensées viennent de la concupiscence et de la
délectation ; et si on y consent, il y a péché mortel ; sinon, il est véniel. —
De même, la cause corporelle est parfois sans péché, par exemple quand il y a
infirmité de la nature, par conséquent ceux qui souffrent d’un flux de semence
quand ils sont éveillés le font sans péché ; ou encore à cause de l’abondance
de la nature ; ainsi, comme le sang peut couler sans péché, de même pour la
semence, qui est une surabondance de sang, selon Aristote (De gener. animal, liv. 1, chap. 19, à princ.). Parfois elle est accompagné d’un péché, par
exemple quand elle provient d’un excès de nourriture ou de boisson ; elle peut
alors être avec péché véniel ou mortel ; même si le péché est plus fréquemment
mortel dans le cas des mauvaises pensées, à cause de la facilité qu’on a à y
donner son consentement, que dans la consommation de nourriture et de boisson. Par
conséquent, saint Grégoire (loc. sup. cit.), écrivant à saint Augustin, évêque
des anglais, dit qu’on devrait empêcher de communier celui qui se lève avec de
mauvaises pensées, mais pas quand ils ont trop mangé ou trop bu, en particulier
s’ils ont besoin de communier. On doit ainsi considérer si la cause de la
pollution nocturne empêche nécessairement la réception de ce sacrement. — En
vérité, jusqu’à un certain point, la décence l’empêche pour deux raisons : la
première est toujours vérifiée, à savoir la saleté du corps, qui, avec le
respect dû au sacrement, ne permet pas d’approcher de l’autel (par conséquent
ceux qui veulent toucher ce qui est sacré doivent se laver les mains) ; excepté
dans le cas où une telle impureté est perpétuelle ou de longue durée, comme
l’est la lèpre ou un flux de sang, ou autre chose du même genre. L’autre raison
est la distraction mentale, qui suit la pollution nocturne, en particulier
quand elle est en rapport avec des pensées impures. Cet obstacle qui empêche de
recevoir le sacrement, qui provient de la décence, peut être mis de côté en cas
de nécessité, comme le dit saint Grégoire (loc. cit. ad interrogat.
11), « comme quand par hasard un jour de fête ou le ministère l’exige, quand il
n’y a pas d'autres prêtres, la nécessité l’exige. »
Objection N°1. Il semble que la boisson ou la nourriture
qu’on a préalablement prise n’empêche pas de recevoir l’eucharistie. Car ce
sacrement a été établi par le Seigneur dans la cène. Or, le Seigneur l’a donné
à ses disciples après le repas, comme on le voit (Luc, chap. 22
et 1 Cor., chap. 11). Il semble donc que nous
devions aussi recevoir l’eucharistie après avoir pris d’autres aliments.
Réponse à
l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (loc. cit.), de ce que Jésus-Christ ne donna l’eucharistie à ses
disciples qu’après qu’ils eurent mangé, il ne s’ensuit pas que les chrétiens ne
doivent s’assembler pour la recevoir qu’après avoir diné ou soupé, ou qu’ils
doivent y participer au milieu de leur repas, comme faisaient ceux que saint
Paul reprend et corrige. Car le Sauveur, pour faire sentir plus vivement la
grandeur de ce mystère, a voulu que cette action ayant été la dernière de sa
vie, demeurât plus profondément gravée dans le cœur et la mémoire de ses
disciples. C’est pourquoi il n’a point ordonné de quelle manière on recevrait
dans la suite ce sacrement, laissant ce soin à ses apôtres, par lesquels il
devait établir et former des Eglises.
Objection
N°2. Saint Paul dit (1 Cor., 11, 33) : Lorsque vous vous assemblez pour manger, c’est-à-dire pour recevoir
le corps du Christ, attendez-vous les uns
les autres ; si quelqu’un est pressé du besoin de manger, qu’il mange chez lui.
Par conséquent, il semble qu’après avoir mangé à la maison, on puisse recevoir
à l’église le corps du Christ.
Réponse
à l’objection N°2 : Ce passage est ainsi
expliqué par la glose (interl.)
: Si quelqu’un a faim et que dans son impatience il ne veuille pas attendre les
autres, qu’il mange chez lui sa nourriture, c’est-à-dire qu’il se rassasie du
pain terrestre et qu’il n’aille pas ensuite se présenter à la table sainte (Les
agapes, qui étaient des repas que les premiers fidèles célébraient, avaient
sans doute lieu après l’eucharistie, mais ils ne durèrent pas longtemps à cause
des abus qui s’ensuivirent.).
Réponse à l’objection N°3 : Dans ce canon on s’exprime conformément à une coutume
qui a été observée à une époque dans quelques pays (Cette coutume fut observée
pendant quelque temps par quelques Eglises d’Afrique, mais elle fut ensuite
condamnée par le premier concile de Brague au VIe siècle.), et
d’après laquelle, pour représenter la cène du Seigneur, on recevait ce jour-là
le corps du Christ sans être à jeun ; mais cette coutume est maintenant
abrogée. Car, comme le dit saint Augustin (loc.
cit.), dans tout l’univers on observe la coutume de recevoir le corps du
Christ à jeun.
Réponse à l’objection N°4 : Comme nous l’avons vu (2a 2æ,
quest. 147, art. 6 ad 2), il y a deux sortes de jeûne ; le premier est le jeûne
de la nature qui implique la privation de tout ce que l’on peut prendre
préalablement à titre d’aliment ou de boisson (Le jeûne de la nature consiste
dans quelque chose d’indivisible ; il est aussi bien détruit par celui qui
mange peu que par celui qui mange beaucoup. Il n’y a pas en ce cas de légèreté
de matière.). Ce jeûne est requis pour l’eucharistie à cause des trois raisons
que nous avons données (dans le corps de l’article.). C’est pourquoi après
avoir pris de l’eau ou un autre aliment, ou une autre boisson, ou même une médecine,
en aussi petite quantité qu’on le voudra, il n’est pas permis de communier. Peu
importe d’ailleurs que ce que l’on a pris nourrisse ou ne nourrisse pas (Si
l’on avait avalé un morceau d’or, d’argent ou de fer, il est plus probable que
le jeûne ne serait pas rompu, parce que les corps ne sont pas des choses sur
lesquelles l’estomac puisse avoir action.), ou par soi ou avec d’autres choses,
pourvu qu’on l’ait pris à titre d’aliment ou de boisson. Quant aux restes des
aliments qui demeurent dans la bouche, si on les avale sans y faire attention,
ils n’empêchent pas de recevoir ce sacrement ; parce qu’ils n’entrent pas dans
le corps à la façon de la nourriture, mais à la manière de la salive : et il en
est de même des restes d’eau ou de vin au moyen desquels on se lave la bouche
(On peut priser, fumer, et il est probable qu’on peut mâcher du tabac, pourvu
qu’on en rejette le suc en crachant. Mais comme celte opinion n’est que
probable, et que d’ailleurs cette manière d’user du tabac est inconvenante, on
doit s’en abstenir avant de communier, à moins qu’on ait des motifs pour le
faire.) ; pourvu qu’ils ne passent pas en grande
quantité, mais qu’ils soient seulement mêlés à la salive, ce qui est
inévitable. — L’autre jeûne est celui de l’Eglise, qui est établi pour
mortifier la chair. Ce jeûne n’est pas troublé par les choses dont nous venons
de parler, parce qu’elles sont peu nourrissantes et qu’on les prend plutôt pour
altérer.
Réponse à l’objection N°5 : Quand on dit que l’eucharistie doit entrer dans la
bouche du chrétien avant toute autre nourriture, on ne doit pas entendre ces
paroles absolument par rapport à tout le temps, autrement celui qui aurait
mangé ou bu une fois ne pourrait plus recevoir ce sacrement, mais on doit les
entendre relativement au même jour. Et quoique le jour commence à divers
moments suivant les différents sentiments (car les uns le font commencer à
midi, les autres au coucher du soleil, les uns à minuit, les autres au soleil
levant), l’Eglise romaine le fait commencer au milieu de la nuit. C’est
pourquoi si après minuit on a pris quelque chose comme aliment ou comme
boisson, on ne peut communier le même jour. Mais on le peut, si on l’a fait
avant minuit. Il est indifférent par rapport à la nature du précepte qu’on ait
dormi après avoir mangé ou bu, ou que la digestion soit faite ; mais cela
importe relativement au trouble d’esprit qu’on éprouve par suite d’une insomnie
ou d’une indigestion. Si l’esprit en est profondément, troublé, on cesse d’être
en état de recevoir ce sacrement.
Réponse à l’objection N°6 : On requiert la plus grande dévotion pour recevoir
l’eucharistie, parce que c’est alors qu’on reçoit les effets du sacrement.
Cette dévotion est empêchée, à la vérité, plutôt par les péchés qui précèdent
que par ceux qui suivent. C’est pour cela que l’Eglise a ordonné de jeûner
avant de la recevoir plutôt qu’après. Cependant il doit y avoir un certain
intervalle entre le moment où l’on communie et celui où l’on prend d’autres
aliments. C’est pour ce motif que dans la messe on dit l’oraison d’action de
grâces après la communion, et que ceux qui communient disent aussi des prières
particulières. D’après les anciens canons, le pape Clément Ier a
rendu ce décret (epist. 2 à princ., ut hab. De consecrat., dist. 2, chap. 23) : Si c’est le matin qu’on reçoit le
pain du Seigneur, que les ministres qui l’auront pris jeûnent jusqu’à sexte ;
et s’ils l’ont reçu à la troisième ou à la quatrième heure, qu’ils jeûnent
jusqu’à vêpres. Car autrefois on célébrait solennellement la messe plus
rarement et avec de plus grandes préparations. Mais maintenant, parce qu’il
faut célébrer plus fréquemment les mystères sacrés, on ne pourrait pas
facilement observer cette règle (On demande actuellement qu’on ne prenne des
aliments qu’après l’action de grâces, c’est-à-dire environ un quart d’heure
après avoir communié.). C’est pour cela qu’elle a été abrogée par la coutume
contraire.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (Epist. 54 ad Januarium, chap. 6) :
Il a plu au Saint-Esprit que par respect pour un aussi grand sacrement le corps
du Seigneur entrât dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture.
Conclusion Il n’y a que le péché mortel qui empêche par
lui-même de communier ; les aliments ou la boisson qu’on aurait pris auparavant
n’empêchent de le faire que d’après une loi de l’Eglise qui est très raisonnable,
soit à cause de l’honneur dû à ce sacrement et de sa signification, soit encore
pour qu’on ne s’expose pas à vomir et à s’enivrer.
Il
faut répondre qu’une chose peut empêcher de recevoir l’eucharistie de deux
manières : 1° par elle-même, comme le péché mortel qui a de la répugnance avec
ce qui est signifié par ce sacrement, comme nous l’avons dit (art. préc. et art. 4). 2° A cause de
la défense de l’Eglise. On est ainsi empêché de communier après avoir mangé ou
bu, pour trois raisons : l° Par honneur pour ce sacrement, comme le dit saint
Augustin (loc. cit.), afin qu’il
entre dans la bouche de l’homme, lorsqu’elle n’est encore souillée par aucune
nourriture, ni boisson. 2° A cause de sa signification, pour nous faire comprendre
que le Christ qui est la chose de ce sacrement et sa charité, doivent avant
tout être établis dans nos cœurs, suivant ces paroles de l’Evangile (Matth., 6, 33)
: Cherchez d’abord le royaume de Dieu.
3° A cause du danger qu’il y a de vomir et de s’enivrer, ce qui arrive
quelquefois parce qu’on fait un usage déréglé des aliments, comme le dit aussi
l’Apôtre (1 Cor., 11, 21) : Les uns n’ont rien à manger, tandis que les autres sont ivres. —
Cependant on excepte de cette règle générale les infirmes, qu’on doit communier
même immédiatement après qu’ils ont mangé, s’ils sont en danger, dans la
crainte qu’ils ne meurent sans la communion ; parce que la nécessité n’a pas de
loi. D’où il est dit (De consecr., dist. 2, chap. 93) : Que le
prêtre communie immédiatement le malade, de peur qu’il ne meure sans la
communion (Il faut encore excepter le cas où un prêtre se trouve dans la
nécessité d’achever le saint sacrifice, et celui où il y aurait danger de
profanation pour la sainte hostie, car on reconnaît dans ce cas qu’un prêtre et
même un laïque pourrait la prendre sans être à jeun.).
Article 9 : Ceux
qui n’ont pas l’usage de raison
doivent-ils recevoir l’eucharistie ?
Objection N°1. Il semble que ceux qui n’ont pas l’usage
de raison ne doivent pas recevoir l’eucharistie. Car on exige qu’on s’approche
de ce sacrement avec dévotion et après s’être préalablement examiné, d’après
ces paroles (1 Cor., 11, 28) : Que l’homme s’éprouve lui-même et qu’ensuite il mange de ce pain et
boive de ce calice. Or, ces conditions ne peuvent être remplies par ceux
qui n’ont pas l’usage de raison. On ne doit donc pas leur conférer ce
sacrement.
Réponse à
l’objection N°1 : Ceux qui sont privés de l’usage de la raison peuvent avoir de
la dévotion envers l’eucharistie ; chez les uns elle existe présentement, chez
les autres elle a existé dans le passé.
Objection
N°2. Parmi ceux qui manquent de l’usage de la raison, se trouvent les possédés
et ceux qu’on appelle énergumènes. Or, on éloigne ceux qui sont dans cet état
de la vue de l’eucharistie, d’après saint Denis (De hier. eccles., chap. 3). On
ne doit donc pas donner ce sacrement à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison.
Réponse
à l’objection N°2 : Saint Denis parle (loc. cit.) en cet endroit des
énergumènes qui n’avaient pas encore été baptisés : la puissance du démon n’a
pas encore été éteinte en eux, et elle s’y maintient par le péché originel.
Mais pour ceux qui sont baptisés et que les esprits immondes tourmentent
corporellement, il faut raisonner à leur égard de la même manière qu’à l’égard
des autres insensés. D’où Cassien dit (Collat. 7,
chap. 30) : Nous ne nous rappelons pas que la sainte communion ait été jamais
interdite par nos pères à ceux qui sont tourmentés par les esprits immondes.
Réponse à l’objection N°3 : Il faut raisonner à l’égard des enfants
qui ne font que de naître de la même manière qu’à l’égard des insensés qui
n’ont jamais eu l’usage de la raison. Par conséquent on ne doit pas leur
accorder les saints mystères, quoique quelques grecs fassent le contraire ;
parce que saint Denis dit (De cœlest. hier., chap. 2) qu’on doit donner la sainte communion à ceux qui
sont baptisés. Ils ne comprennent pas qu’il parle à cet endroit du baptême des
adultes. Cependant les enfants n’éprouvent de cette privation aucun détriment
spirituel, malgré ces paroles du Seigneur (Jean, 6, 54) : Si
vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous
n’aurez pas la vie en vous, parce que, comme le dit saint Augustin (Voy. quest. 73, art. 3, Réponse N°1), chacun des fidèles
devient alors participant du corps et du sang du Seigneur, c’est-à-dire
spirituellement, quand le baptême le rend membre du corps du Christ. Mais quand
les enfants commencent à avoir un certain usage de raison de manière à pouvoir
témoigner de la dévotion envers ce sacrement, alors on peut le leur conférer
(Avant qu’un enfant n’ait fait sa première communion, s’il vient à tomber dangereusement
malade et qu’il ait assez d’intelligence pour savoir ce qu’est l’eucharistie,
on doit le communier en viatique. Benoit XIV s’exprime ainsi à ce sujet : Haud, leviter delinquere credimus, qui pueros etiam duodenes et perspicacis ingenii sinunt ex hac vita
migrare sine viatico, hanc unam ob
causam quia scilicet nunquam antea eucharisticum
panem degustârunt (De synod., liv. 7, chap.
12).).
Mais
c’est le contraire. Le concile d’Orange (1, can. 13) et le droit disent (Decr. 26, quæst. 6, chap. Qui recedunt)
: On doit conférer aux insensés tout ce qui appartient à la piété. Par
conséquent on doit leur conférer l’eucharistie qui est le sacrement de la
piété.
Conclusion On ne doit pas éloigner de l’eucharistie tous
ceux qui sont privés de l’usage de la raison, mais ceux qui ne l’ont jamais eue
; quant à ceux qui ont eu l’usage de la raison au commencement et qui l’ont
ensuite perdu, s’ils ont montré de la dévotion pendant qu’ils étaient en
jouissance de cette faculté, on peut leur donner l’eucharistie à l’article de
la mort, à moins que par hasard on ne craigne qu’ils ne vomissent la sainte
hostie ou qu’ils ne la crachent.
Il
faut répondre qu’il y a deux sortes de personnes qu’on dit n’avoir pas l’usage
de raison. 1° On le dit de ceux qui ne jouissent que faiblement de cette
faculté. C’est ainsi qu’on dit qu’une personne ne voit pas, parce qu’elle voit
mal. Comme ces personnes peuvent avoir pour l’eucharistie une certaine
dévotion, on ne doit pas leur refuser ce sacrement (Dès qu’il y a quelque
légère raison d’espérer que le sacrement sera utile, dit Mgr de la Luzerne, il
vaut mieux risquer le sacrement que l’homme, et l’exposer à être conféré sans
fruit que de priver un chrétien de ses salutaires effets (Instruct. sur le
rituel de Langres, ch. 5, art. 4).). 2° On
le dit de ceux qui n’ont point du tout l’usage de raison : soit qu’ils ne
l’aient jamais eu, et qu’ils soient ainsi depuis leur naissance ; alors on ne
doit pas leur donner l’eucharistie, parce qu’antérieurement la dévotion envers
ce sacrement n’a existé en eux d’aucune manière ; soit qu’ils n’aient pas
toujours été privés de cette faculté. Dans ce cas, si quand ils étaient maîtres
de leurs facultés on a vu en eux de la dévotion pour ce sacrement, on doit le
leur conférer à l’article de la mort ; à moins que par hasard on ne craigne
qu’ils ne le vomissent ou qu’ils ne le crachent (Le catéchisme du concile de
Trente s’exprime sur ce point absolument de la même manière (De Eucharist. sacram., § 68).). C’est pour cela qu’il
est dit (conc. Carth. 4,
can. 76, et hab. in Decret. 26, quæst. 6,
chap. 8) : Quand quelqu’un est malade et qu’il demande la pénitence, si par
hasard pendant que le prêtre qu’il a appelé vient à lui, il se trouve oppressé
par le mal au point de ne pouvoir plus parler, ou qu’il tombe dans une
frénésie, que ceux qui l’ont entendu rendent témoignage et qu’il reçoive la
pénitence, et si l’on croit qu’il va mourir, qu’on le réconcilie par
l’imposition des mains et qu’on lui mette l’eucharistie dans la bouche (Cependant
d’après saint Liguori on ne devrait pas donner la communion à quelqu’un qui
serait tombé en démence, si l’on était sûr qu’il était tout à fait impénitent
lorsqu’il a perdu la raison (Theolog. mor.,
liv. 6, n° 302).).
Article 10 : Est-il
permis de recevoir l’eucharistie tous les jours ?
Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis de
recevoir l’eucharistie tous les jours. Car, comme le baptême représente la
passion du Seigneur, de même aussi l’eucharistie. Or, il n’est pas permis de se
faire baptiser plusieurs fois, mais on ne doit l’être qu’une seule ; parce que
le Christ n’est mort qu’une fois pour nos péchés, selon l’expression de saint
Pierre (1 Pierre, 3, 18).
Il semble donc qu’il ne soit pas permis de recevoir l’eucharistie tous les
jours.
Réponse à
l’objection N°1 : Par le sacrement de baptême l’homme est configuré
à la mort du Christ, en recevant en lui-même son caractère. Et c’est pour cela
que comme le Christ n’est mort qu’une fois, de même l’homme ne doit être
baptisé qu’une fois. Mais par l’eucharistie l’homme ne reçoit pas le caractère
du Christ ; il reçoit le Christ lui-même dont la vertu demeure éternellement.
D’où saint Paul dit (Héb., 10, 14)
: que par une seule oblation il a rendu
parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés. C’est pourquoi, l’homme
ayant besoin chaque jour de la vertu salutaire du Christ, il peut avec raison
recevoir chaque jour ce sacrement. Et parce que le baptême est principalement
la régénération spirituelle, il s’ensuit que comme l’homme ne naît qu’une fois
charnellement, de même il ne doit renaître qu’une fois spirituellement par le
baptême, selon cette remarque de saint Augustin (Tract. 11 in Joan.) : Comment l’homme peut-il naître lorsqu’il est
vieux ? Mais l’eucharistie est la nourriture spirituelle. Par conséquent, comme
on prend chaque jour de la nourriture pour le corps, de même il est louable de
recevoir tous les jours ce sacrement (Le concile de Trente souhaite que les
fidèles qui assistent à chaque messe communient non seulement en esprit et de
cœur, mais encore par la réception sacramentelle de l’eucharistie, afin qu’ils
reçoivent un fruit plus abondant de ce sacrifice (sess. 22, cap. 6).). Aussi le
Seigneur nous apprend à le demander par ces paroles (Luc, 11, 3)
: Donnez-nous aujourd’hui notre pain
quotidien. En les expliquant, saint Augustin dit (Lib. de Verb. Dom., loc. sup. cit.) : Si
vous recevez chaque jour ce sacrement, chaque jour est pour vous aujourd’hui ;
le Christ ressuscite pour vous chaque jour, car aujourd’hui est pour vous tous les jours où le Christ ressuscite
pour vous.
Réponse à l’objection N°2 : L’agneau pascal a été la
principale figure de l’eucharistie, quant à la passion du Christ que ce
sacrement représente. C’est pour cela qu’on ne le recevait qu’une fois par an,
parce que le Christ n’est mort qu’une fois ; et c’est aussi pour cela que
l’Eglise ne célèbre qu’une fois par an la mémoire de la passion du Christ : au
lieu que dans l’eucharistie on nous donne le mémorial de la passion du Christ à
la manière d’une nourriture que l’on prend tous les jours. C’est pour ce motif
que sous ce rapport elle est figurée par la manne que l’on donnait tous les
jours au peuple dans le désert.
Objection N°3. On doit le plus grand respect à ce sacrement dans lequel
le Christ est contenu tout entier. Or, c’est une marque de respect que de
s’abstenir de le recevoir. C’est pourquoi on loue le centurion qui a dit (Matth., 8, 8)
: Seigneur, je ne suis pas digne que vous
entriez dans ma maison, et on fait aussi l’éloge de saint Pierre qui a dit
(Luc, 5, 8)
: Sortez de moi, Seigneur, parce que je
suis un homme pécheur. Il n’est donc pas louable de recevoir l’eucharistie
tous les jours.
Réponse
à l’objection N°3 : Le respect dû à
l’eucharistie comprend la crainte jointe à l’amour ; c’est pour cela que la
crainte respectueuse que l’on a pour Dieu est appelée une crainte filiale,
comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 67, art. 4, Réponse
N°2, et 2a 2æ, quest. 19). Car l’amour provoque le désir
de le recevoir et la crainte fait naître l’humilité
nécessaire pour le vénérer. C’est pour cela qu’il appartient au respect dû à ce
sacrement qu’on le reçoive tous les jours et qu’on s’en abstienne quelquefois.
D’où saint Augustin dit (epist. 54, chap. 3) : Si
l’un dit qu’il ne faut pas recevoir l’eucharistie tous les jours, et qu’un
autre dise le contraire ; que chacun fasse ce que les lumières de sa foi et de
sa piété lui conseilleront : car il n’y eut pas de contestation entre Zachée et
le centenier, quoique l’un ait reçu le Seigneur avec joie et que l’autre ait
dit : Je ne suis pas digne que vous
entriez dans ma maison. Tous deux honorèrent le Seigneur, quoiqu’ils ne le firent pas de la même manière. Cependant l’amour et
l’espérance auxquels l’Ecriture nous excite toujours sont préférables à la
crainte. C’est pour cela que quand saint Pierre eut dit : Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur, Jésus
répondit : Ne craignez pas.
Réponse à l’objection N°4 : Parce que le Seigneur dit : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, on ne doit pas
communier plusieurs fois dans un jour (Il y a des théologiens qui pensent qu’on
pourrait donner le même jour la communion en viatique à quelqu’un qui aurait
fait la communion ordinaire le matin et qui serait ensuite tout à coup tombé en
danger de mort. Benoît XIV examine la question et la laisse indécise (De synod., liv. 7, chap.
11).), afin que du moins en ne communiant qu’une fois dans un jour, on
représente l’unité de la passion du Christ.
Objection N°5. L’Eglise a l’intention de pourvoir à l’utilité des
fidèles par ses statuts. Or, d’après une loi de l’Eglise, les fidèles ne sont
tenus de communier qu’une fois par an. D’où il est dit (extra, De pœnit. et remiss.,
chap. 12) : Que tout fidèle de l’un et de l’autre sexe reçoive avec respect, au
moins à Pâques, le sacrement de l’eucharistie, à moins que, d’après le conseil
de son propre prêtre, il ne pense que pour une cause raisonnable il doive
s’abstenir pendant un temps de le recevoir. Il n’est donc pas louable de
recevoir tous les jours ce sacrement.
Réponse à l’objection N°5 : Selon les divers états de l’Eglise elle a
établi à cet égard des lois différentes. Car dans la primitive Eglise, quand la
foi chrétienne était dans sa plus grande ferveur, il a été statué que les
fidèles communieraient tous les jours. D’où le pape Anaclet dit (epist. 1, in med.
et hab. De consecrat.,
chap. 10, dist. 2) : Qu’après la consécration, tous ceux qui y assistent
communient ; car les apôtres l’ont ordonné ainsi et l’Eglise romaine le
maintient. Ensuite, la ferveur de la foi s’étant relâchée, le pape Fabien
ordonna (Decret. 7, et hab., De consecrat., chap. 16,
dist. 2) que si l’on ne communiait pas plus souvent, tous le fissent au moins
trois fois dans l’année, c’est-à-dire à Pâques, à la Pentecôte, et à Noël. Le
pape Sotère dit que l’on devait encore communier le
jeudi saint, comme on le voit (Decret. De consecrat, dist. 2, chap. 17). Enfin, l’iniquité
s’étant multipliée, la charité de la multitude se refroidit, et Innocent III
statua (De concil. Lateran.
4, chap. 21) que les fidèles communieraient au moins une fois par an,
c’est-à-dire à Pâques. Cependant Gennade conseille (Lib. de ecclesiast. dogmat., chap. 53) de communier tous les jours de fête.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (Lib.
de Verb. Dom., serm. 28, circ. med.) : C’est le
pain quotidien, recevez-le chaque jour pour qu’il vous serve chaque jour.
Conclusion Puisque la vertu de l’eucharistie est
extrêmement salutaire aux hommes, il est avantageux de la recevoir tous les
jours, si on se trouve tous les jours préparé avec toute la dévotion qu’elle
demande, ce qui n’arrive pas à tout le monde pour beaucoup de raisons qui s’y
opposent.
Il
faut répondre qu’à l’égard de l’usage de ce sacrement on peut considérer deux
choses : 1° l’une par rapport au sacrement lui-même dont la vertu est salutaire
aux hommes. C’est pourquoi il est utile de le recevoir chaque jour, afin que
chaque jour l’homme en reçoive les fruits. D’où saint Ambroise dit (De sacram., liv. 4, chap. 6) : Comme toutes les fois qu’on répand le
sang du Christ, on le répand pour la rémission des péchés, je dois toujours le
recevoir ; car puisque je pèche toujours, je dois toujours prendre le remède. —
2° L’autre considération se rapporte à celui qui le prend et dont on exige
qu’il s’en approche avec une grande dévotion et un grand respect. Et c’est pour
cela que, si tous les jours on s’y trouve préparé, il est louable de le
recevoir tous les jours. C’est pour ce motif que saint Augustin après avoir dit
: Recevez-le tous les jours, pour qu’il vous soit utile tous les jours, ajoute
: Mais vivez de telle sorte que vous méritiez de le recevoir ainsi chaque jour.
Toutefois, parce que souvent dans la plupart des hommes il se rencontre
beaucoup de choses qui empêchent cette dévotion, en raison de leur
indisposition corporelle, ou de l’indisposition de leur âme, il n’est pas utile
à tout le monde de s’approcher tous les jours de ce sacrement ; il n’est
avantageux de le faire que toutes les fois qu’on se sent préparé (La difficulté
est de savoir au juste ce que l’on doit exiger de perfection de la part de ceux
qui communient. On convient que plus une personne communie souvent, plus on
doit être exigeant à son égard, parce que si la communion est profitable aux
fidèles, ils doivent devenir toujours plus parfaits, et s’ils ne le deviennent pas
c’est un motif pour les empêcher de la recevoir aussi souvent. Saint Liguori
croit qu’on peut communier tous les huit jours quoiqu’on commette des péchés
véniels d’habitude ou par préméditation.). D’où il est dit (Lib. de ecclesiast.
dogmat., chap. 53) : Je ne loue, ni je ne
blâme l’usage de recevoir tous les jours la communion eucharistique.
Article 11 : Est-il
permis de s’abstenir absolument de communier ?
Objection N°1. Il semble qu’il soit permis de s’abstenir
absolument de communier. Car le centurion est loué pour avoir dit (Matth., 8, 8)
: Seigneur, je ne suis pas digne que vous
entriez dans ma maison. Celui qui pense qu’il doit s’abstenir de communier
lui ressemble, comme nous l’avons vu (art. préc., Réponse N°3). Par
conséquent, puisque l’Evangile ne dit pas que le Christ soit jamais venu dans
sa maison, ii semble qu’il soit permis à quelqu’un de s’abstenir de communier
pendant toute sa vie.
Réponse à
l’objection N°1 : Comme le dit saint Grégoire dans son Pastoral (part. 1, chap.
6), la véritable humilité consiste à ne pas repousser avec obstination ce qui
nous est utilement commandé. C’est pourquoi l’humilité ne peut être louable, si
elle va contre le précepte du Christ, et si on s’abstient ainsi absolument de
communier. Car il n’a pas été ordonné au centurion de recevoir le Christ dans
sa maison.
Réponse à l’objection N°2 : On dit que l’eucharistie n’est pas nécessaire, comme le
baptême, relativement aux enfants qui peuvent se sauver sans communier, mais
qui ne le peuvent pas sans être baptisés ; tandis que, par rapport aux adultes,
ces deux sacrements sont l’un et l’autre également nécessaires.
Objection N°3. Les pécheurs ne sont pas tenus de communier. Aussi, après
avoir dit : Que tout le monde communie trois fois par an, le pape Fabien a
ajouté (loc. cit., art. préc. ad 5) : A moins qu’on
n’en soit empêché par de grandes fautes. Par conséquent, si ceux qui ne sont
pas dans le péché sont tenus de communier, il semble que les pécheurs soient
dans une condition meilleure que les justes ; ce qui répugne. Il semble donc
qu’il soit également permis aux justes de s’abstenir de communier.
Réponse à l’objection N°3 : Les pécheurs subissent un grand dommage
d’être ainsi empêchés de recevoir ce sacrement ; ils ne sont donc pas pour cela
dans une condition meilleure. Et quoique ceux qui restent dans le péché ne
soient pas pour cela excusés de ce qu’ils transgressent ce précepte, cependant
on excuse les pénitents, qui, comme le dit Innocent III (loc. cit., art. préc.,
Réponse N°5), s’en abstiennent selon le conseil du prêtre qui les confesse
(Sauf cette exception il n’y a que l’évêque qui puisse permettre de communier
avant ou après le temps pascal. De droit commun le temps de la communion
pascale s’étend du dimanche des Rameaux an dimanche de Quasimodo. Dans certains diocèses il commence au dimanche de la
Passion et ne finit qu’au dimanche du Bon-Pasteur. C’est à l’ordinaire à régler
ce point de discipline.).
Mais
c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jean, 6, 54)
: Si vous ne mangez la chair du Fils de
l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous.
Conclusion
Puisque la réception spirituelle de l’eucharistie, qui est nécessaire au salut,
implique le vœu de recevoir ce sacrement, et que ce vœu devient vain si on ne
l’accomplit pas, quand il est opportun de le faire, il est évident que les
hommes sont obligés de recevoir l’eucharistie, non seulement d’après les lois
de l’Eglise, mais encore d’après l’ordre du Christ.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), il y a deux
manières de recevoir l’eucharistie, l’une spirituelle et l’autre sacramentelle.
Or, il est évident que tout le monde est tenu de la recevoir au moins
spirituellement, parce que c’est s’incorporer au Christ, comme nous l’avons dit
(quest. 73, art. 3, Réponse N°1). La manducation spirituelle implique
d’ailleurs le vœu ou le désir de recevoir ce sacrement, comme nous l’avons vu (ibid.). C’est pourquoi on ne peut être
sauvé sans avoir la volonté de le recevoir. — Et comme ce vœu serait vain, si
on ne l’accomplissait quand il y a lieu de le faire, il s’ensuit qu’il est
évident que l’on est tenu de recevoir ce sacrement, non seulement d’après les
préceptes de l’Eglise, mais d’après l’ordre du Seigneur, qui dit (Luc, 22, 19)
: Faites cela en mémoire de moi. Mais
les lois de l’Eglise ont déterminé l’époque où l’on devait exécuter le précepte
du Christ (D’après le concile de Latran de l’an 1215, on doit communier au
moins une fois chaque année à Pâques, de la main de son propre pasteur. Le
concile de Trente a ainsi renouvelé et confirmé ce décret (sess. 13, can. 9) : Si quis negaverit omnes et singulos Christi fideles utriusque
sexûs, cùm ad annos discretionis pervenerint, teneri singulis annis, saltem in Paschate, ad communicandum, juxtà præceptum sanctæ matris Ecclesiæ, anathema sit.).
Article 12 : Est-il
permis de recevoir le corps du christ sans le sang ?
Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis de
recevoir le corps du Christ sans le sang. Car le pape Gélase dit (hab., De consecr., dist. 2, chap.
12) : Nous apprenons qu’il y en a qui ne reçoivent que le corps sacré du
Christ, et qui s’abstiennent de recevoir le calice de son précieux sang, parce
qu’ils se laissent conduire, nous ne savons par quelle superstition, nous
ordonnons qu’ils reçoivent le sacrement tout entier, ou qu’ils en soient
complètement privés. Il n’est donc pas permis de prendre le corps du Christ
sans le sang.
Réponse à l’objection N°1 : Le pape Gélase parle des
prêtres qui, comme ils consacrent le sacrement tout entier, doivent aussi le
recevoir tout entier. Car, comme le dit un concile de Tolède (12, can. 5), quel
sera le sacrifice auquel on ne voit pas le sacrificateur lui-même prendre part
?
Réponse à l’objection N°2 : La perfection de ce sacrement n’existe pas dans l’usage
qu’en font les fidèles, mais dans la consécration de la matière. C’est pour
cela que le peuple en recevant le corps sans le sang ne déroge en rien à la
perfection du sacrement, pourvu que le prêtre qui le consacre reçoive l’un et
l’autre.
Conclusion Puisqu’il appartient au prêtre de consacrer et
de produire ce sacrement dont la perfection consiste dans ces deux choses, il
ne doit d’aucune manière prendre le corps du Christ sans le sang ; mais il y a
des Eglises qui ont prudemment la coutume de ne donner aux fidèles que le corps
du Christ, pour éviter tout danger d’irrévérence.
Il
faut répondre qu’à l’égard de l’usage de l’eucharistie, on peut considérer deux
choses, l’une par rapport au sacrement lui-même, l’autre par rapport à ceux qui
le reçoivent. Par rapport au sacrement lui-même, il convient qu’on reçoive le
corps et le sang, parce que la perfection du sacrement consiste dans l’un et
l’autre. C’est pourquoi, comme il appartient au prêtre de consacrer ce
sacrement et de le parfaire, il ne doit d’aucune manière prendre le corps du
Christ sans le sang (Cette double condition est nécessaire pour l’intégrité du
sacrifice (Voy. ailleurs, quest. 74, art. 1)). — Par rapport à ceux qui
le reçoivent, il faut un grand respect et de grandes précautions pour qu’il
n’arrive rien d’injurieux à un sacrement aussi élevé ; ce qui pourrait arriver
surtout en prenant le sang, qu’il serait facile de répandre, si on ne le
prenait avec beaucoup de soin. Et parce que la multitude des chrétiens a
augmenté et qu’elle renferme des vieillards, des jeunes gens, des enfants dont
quelques-uns ne sont pas assez raisonnables pour employer toutes les
précautions nécessaires dans l’usage de ce sacrement, on a établi, pour ce
motif, la coutume dans certaines Eglises de ne pas donner au peuple le sang,
mais de le faire prendre seulement par le prêtre (Cette coutume a été établie
d’après les meilleures raisons (Voyez à ce sujet le traité de Bossuet sur la
communion sous les deux espèces (edit. de Versailles,
tom. 23). Le concile de Trente a d’ailleurs ainsi anathématisé ceux qui la
censuraient (sess. 21, can. 2) : Si quis dixerit sanctam
Ecclesiam catholicam non factis, causis et rationibus adductam fuisse, ut laicos atque etiam clericos non conficientes, sub panis tantummodò
specie communicent, aut in eo errasse ; anathema sit.).
Réponse
à l’objection N°3 : La
représentation de la passion du Seigneur a lieu dans la consécration même de
l’eucharistie, dans laquelle on ne doit pas consacrer le corps sans le sang.
Mais le peuple peut prendre le corps sans le sang. Il ne résulte de là aucun
dommage, parce que le prêtre, dans la personne de tout le monde, offre le sang
et le reçoit, et que le Christ est contenu tout entier sous l’une et l’autre
espèce (C’est encore ce que le concile de Trente a ainsi défini (ibid., can. 5) : Si quis negaverit totum et integrum Christum, omnium gratiarum fontem et auctorem, sub una panis
specie sumi, quia, ut
quidam falsò asserunt, non secundùm ipsius Christi institutionem sub utraque specie sumatur ; anathema sit.), comme nous l’avons vu (quest. 76, art. 2).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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