Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 80 : De l’usage de l’eucharistie en général

 

            Nous devons nous occuper ensuite de l’usage ou de la réception de l’eucharistie. — Nous parlerons : 1° de l’usage de ce sacrement en général ; 2° de l’usage que le Christ en a fait. — Sur le premier point il y a douze questions à examiner : 1° Y a-t-il deux manières de recevoir ce sacrement, sacramentellement et spirituellement ? (Il est de foi que l’on reçoit le Christ réellement et sacramentellement dans l’eucharistie, d’après ce canon du concile de Trente (sess. 13, can. 8) : Si quis dixerit Christum in eucharistia exhibitum spiritualiter tantùm manducari et non etiam sacramentaliter et realiter, anathema sit.) — 2° Ne convient-il qu’à l’homme de recevoir spirituellement ce sacrement ? — 3° N’appartient-il qu’à l’homme juste de le recevoir sacramentellement ? (La solution de cette question est une conséquence de ce qui a été dit (quest. 76, art. 1, et quest. 77, art. 4), comme saint Thomas le fait remarquer lui-même.) — 4° Le pécheur qui le reçoit sacramentellement pèche-t-il ? (Pour prévenir cette faute le concile de Trente s’exprime ainsi (sess. 13, can. 11) : Ne tantùm sacramentum indignè, atque ideò in mortem et condemnationem sumatur, statuit atque declarat ipsa sancta synodus, illis quos conscientia peccati mortalis gravat, quantumcumque etiam se contritos existiment, habita copia confessoris, necessariò prœmittendam esse confessionem sacramentalem. Si quis autem contrarium docere præsumpserit, eo ipso excommunicatus existât.) — 5° De la gravité de ce péché. (Sur la communion indigne voyez ce que dit Bossuet dans ses méditations sur l’Evangile, 44e jour (tom. 9, pag. 592, édit. de Versailles).) — 6° Le pécheur qui s’approche de ce sacrement doit-il être repoussé ? — 7° La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir ce sacrement ? — 8° Ne doit-on le recevoir qu’à jeun ? (Les vaudois et quelques autres hérétiques ayant nié que le jeûne soit nécessaire avant la communion, le concile de Constance s’est ainsi exprimé à ce sujet (sess. 13) : Sacrorum canonum auctoritas laudabilis et approbata consuetudo Ecclesiæ servavit et serval quod hujusmodi sacramentum non debeat confici post cœnam, neque à fidelibus recipi non jejunis, nisi in casu infirmitatis aut alterius necessitatis à jure vel Ecclesia concesso aut admisso.) — 9° Doit-on le conférer à ceux qui n’ont pas l’usage de raison ? (Dans les premiers temps de l’Eglise on donnait généralement l’eucharistie aux enfants, mais on ne la considérait pas comme nécessaire à leur salut. Ce sentiment a d’ailleurs été ainsi condamné par le concile de Trente (sess. 21, can. 4) : Si quis dixerit parvulis, antequam ad annos discretionis pervenerint, necessariam esse eucharistiæ communionem, anathema sit.) — 10° Doit-on le recevoir tous les jours ? (Cette question, qui a été l’objet de discussions si vives dans ces derniers temps, est résolue avec autant de précision que de sagesse par le Docteur angélique. Connue commentaire de sa doctrine on peut lire la lettre de Fénelon sur la fréquente communion, où l’on trouvera  exposée avec la plus grande clarté la tradition de l’Eglise sur ce point (œuvres complètes, édit. de Versailles, tom. 17, pag. 477 et suiv.).) — 11° Est-il permis de s’en abstenir absolument ? (Indépendamment du précepte ecclésiastique il y a aussi un précepte divin qui oblige à communier, d’après ces paroles : Nisi manducaveritis, etc. Ce sentiment de saint Thomas est communément suivi.) — 12° Est-il permis de recevoir le corps sans le sang ? (Les bohémiens, les hussites, les taborites et les calixtins ont prétendu que la communion sous les deux espèces était nécessaire ; ce qui a été condamné par le concile de Constance. Calvin a renouvelé la même erreur (Inst., liv. 4, c. 17), qui a été ainsi anathématisée par le concile de Trente (sess. 21, can. 1) : Si quis dixerit ex Dei præcepto vel necessitate salutis omnes et singulos Christi fideles utramque speciem eucharistiæ sacramenti sumere debere, anathema sit.)

 

Article 1 : Doit-on distinguer deux manières de recevoir le corps du Christ ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas distinguer deux manières de recevoir le corps du Christ, sacramentellement et spirituellement. Car, comme le baptême est la régénération spirituelle, d’après ces paroles de l’Evangile (Jean, 3, 5) : Si on ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, etc., de même l’eucharistie est la nourriture spirituelle. D’où le Seigneur dit en parlant de ce sacrement (Jean, 6, 64) : Les paroles que je vous dis sont esprit et vie. Or, comme à l’égard du baptême on ne distingue pas deux manières de le recevoir, l’une sacramentelle et l’autre spirituelle, on ne doit donc pas non plus faire cette distinction à l’égard de l’eucharistie.

            Réponse à l’objection N°1 : A l’égard du baptême et des autres sacrements on admet une distinction semblable. Car les uns ne reçoivent que le sacrement et les autres le sacrement et la chose du sacrement. Cependant ils diffèrent en ceci, c’est que les autres sacrements se perfectionnant dans l’usage même de la matière, la réception du sacrement est sa perfection elle-même ; tandis que l’eucharistie se perfectionne dans la consécration même de sa matière. C’est pour cela que les deux espèces d’usage qu’on en fait sont une conséquence de ce sacrement. De plus, dans le baptême et les autres sacrements qui impriment un caractère, ceux qui reçoivent le sacrement, reçoivent un effet spirituel qui est le caractère ; ce qui n’a pas lieu dans l’eucharistie. C’est pour ce motif qu’on distingue l’usage sacramentel de l’usage spirituel dans ce sacrement plutôt que dans le baptême.

 

            Objection N°2. Les choses dont l’une existe à cause de l’autre ne doivent pas se diviser par opposition, parce que l’une tire de l’autre son espèce. Or, la manducation sacramentelle se rapporte à la manducation spirituelle, comme à sa fin On ne doit donc pas diviser la manducation sacramentelle par opposition à la manducation spirituelle.

            Réponse à l’objection N°2 : La manducation sacramentelle qu’est jointe à la manducation spirituelle ne se distingue pas par opposition de la manducation spirituelle ; mais celle-ci la renferme. On ne distingue ainsi de la manducation spirituelle que la manducation sacramentelle qui n’obtient pas son effet ; comme on distingue du parfait l’imparfait qui n’étaient pas à la perfection de l’espèce.

 

            Objection N°3. Les choses dont l’une peut exister sans l’autre ne doivent pas être divises par opposition entre elles. Or, il semble que personne ne puisse recevoir spirituellement ce sacrement sans le recevoir sacramentellement ; autrement les anciens pères l’auraient reçu spirituellement, et la manducation sacramentelle serait inutile, si la manducation spirituelle pouvait exister sans elle. Il n’est donc pas convenable de distinguer à l’égard de ce sacrement deux sortes de manducation, l’une sacramentelle et l’autre spirituelle.

           Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 3), on peut percevoir l’effet de l’eucharistie, si on a le désir de recevoir ce sacrement, quoiqu’on ne le reçoive pas réellement. Et c’est pour cela que comme on est baptisé par le baptême de feu, à cause du désir qu’on a du baptême avant de recevoir le baptême d’eau ; de même il y en a qui reçoivent spirituellement l’eucharistie, avant de la recevoir sacramentellement. Ceci arrive de deux manières : 1° A cause du désir que l’on a de recevoir ce sacrement. C’est en ce sens qu’on dit qu’ils sont baptisés et qu’ils mangent spirituellement et non sacramentellement, ceux qui désirent recevoir ces sacrements depuis qu’ils sont établis. 2° Figurativement. C’est de la sorte que saint Paul dit (1 Cor., 10, 2), que les anciens pères ont été baptisés dans la nuée et la mer et qu’ils ont mangé la nourriture spirituelle et bu le breuvage spirituel. Néanmoins la manducation sacramentelle n’est point inutile, parce que par la réception véritable du sacrement on obtient plus pleinement son effet que par son seul désir, comme nous l’avons dit à l’égard du baptême (quest. 69, art. 4, Réponse N°2).

 

            Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (1 Cor., chap. 11) : Celui qui mange et qui boit indignement, la glose dit (glos. ord.) : Nous reconnaissons qu’il y a deux manières de recevoir le corps du Christ, l’une sacramentelle et l’autre spirituelle.

 

            Conclusion Il y a deux manières de recevoir l’eucharistie : l’une sacramentelle, par laquelle on ne reçoit que le sacrement, et l’autre spirituelle, par laquelle on reçoit l’effet du sacrement qui consiste à être spirituellement uni avec le Christ.

            Il faut répondre que dans la réception de l’eucharistie il y a deux choses à considérer, le sacrement lui-même et son effet ; nous avons déjà parlé de ces deux choses (quest. préc.). La manière parfaite de la recevoir, c’est quand on reçoit le sacrement de telle sorte qu’on reçoit aussi son effet. Mais il arrive quelquefois, comme nous l’avons observé (quest. préc., art. 3 et 8), qu’on est empêché d’en recevoir l’effet, et alors on ne reçoit qu’imparfaitement ce sacrement. Par conséquent, comme le parfait se divise par opposition à l’imparfait ; de même la manducation sacramentelle par laquelle on ne reçoit que le sacrement sans son effet, se divise par opposition à la manducation spirituelle (La manducation spirituelle se subdivise ainsi en deux : la manducation spirituelle seule et la manducation spirituelle unie à la manducation sacramentelle. De là trois manières de recevoir le Christ, comme saint Thomas le dit lui-même dans un opuscule qu’on lui attribue (De sacram., ult., chap. 17, n° 20) : Primus sacramentalis tantùm, secundus spiritualis tantùm, tertius sacramentalis et spiritualis simul. Primò manducant mali christiani, secundò omnes salvandi, tertiò soli boni christiani. Cette triple distinction a été reproduite par le concile de Trente (sess. 13, chap. 8).) par laquelle on reçoit l’effet de ce sacrement, qui consiste en ce que l’homme est spirituellement uni au Christ par la foi et la charité (Ainsi pour la manducation spirituelle il faut que le désir de recevoir le Christ soit joint à une foi vive et à la charité ; par conséquent ceux qui sont dans l’état du péché mortel ne peuvent arriver à cette manducation. Aussi Bossuet dit : La communion spirituelle ne se fait que par une foi vive et un désir ardent qui renferme la volonté de toutes les dispositions que Dieu veut et que l’Evangile commande (Lettres de pieté et de direction, t. 38, p. 675, édit. de Versailles).).

 

Article 2 : Nappartient-il quà lhomme de recevoir spirituellement le saint sacrement de lautel ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il n’appartienne pas qu’à l’homme de recevoir spirituellement l’eucharistie, mais que cela appartienne encore aux anges. Car sur ces paroles (Ps. 77) : L’homme a mangé le pain des anges, la glose dit (ord. et interl.) : c’est-à-dire le corps du Christ qui est véritablement la nourriture des anges. Or, il n’en serait pas ainsi, si les anges ne mangeaient pas le Christ spirituellement. Ils le reçoivent donc de la sorte.

            Réponse à l’objection N°1 : La réception du Christ dans l’eucharistie a pour fin de nous faire jouir de lui dans le ciel à la manière dont les anges en jouissent. Et parce que les moyens découlent de la fin, il s’ensuit que cette manducation du Christ par laquelle nous le recevons dans le sacrement, découle en quelque sorte de celle par laquelle les anges en jouissent dans le ciel. C’est pour ce motif qu’on dit que l’homme mange le pain des anges, parce qu’il appartient premièrement et principalement aux anges qui en jouissent dans son espèce propre ; mais il appartient secondairement aux hommes qui le reçoivent dans le sacrement.

 

            Objection N°2. Saint Augustin dit (Tract. 26 in Joan., inter med. et fin.) : Que le Christ veut que par cette nourriture et ce breuvage on comprenne la société de son corps et de ses membres, qui est l’Eglise des prédestinés. Or, il n’y a pas que les hommes qui appartiennent à cette société, mais les anges y appartiennent aussi. Les saints anges le reçoivent donc spirituellement.

            Réponse à l’objection N°2 : Les hommes et les anges appartiennent, il est vrai, à la société du corps mystique du Christ ; mais les hommes y appartiennent par la foi, tandis que les anges y appartiennent par la vision manifeste. Et comme les sacrements sont proportionnés à la foi par laquelle on voit la vérité dans un miroir et en énigme, il s’ensuit qu’à proprement parler il ne convient pas aux anges, mais aux hommes, de recevoir ce sacrement spirituellement.

 

            Objection N°3. Le même docteur dit (Lib. de Verb. Dom., serm. 46) : On doit recevoir le Christ spirituellement puisqu’il dit : Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Or, ceci convient non seulement aux hommes, mais encore aux saints anges ; car le Christ existe en eux par la charité et eux en lui. Il semble donc qu’il appartienne non seulement aux hommes, mais encore aux anges, de le recevoir spirituellement.

            Réponse à l’objection N°3 : Le Christ demeure dans les hommes selon l’état présent par la foi, au lieu qu’il est dans les anges par la vision manifeste ; et c’est pour cela qu’il n’y a pas de parité, comme nous l’avons dit (Réponse N°2).

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Tract. 26 sup. Joan.) : Mangez spirituellement le pain de l’autel et apportez à l’autel l’innocence. Or, il n’appartient pas aux anges de s’approcher de l’autel pour en recevoir quelque chose. Il ne leur appartient donc pas de recevoir ce sacrement spirituellement.

 

            Conclusion Puisque les anges n’ont pas le désir de recevoir le Christ sous les espèces sacramentelles, mais qu’ils en jouissent manifestement par la vision, ils le reçoivent ainsi spirituellement, mais ils ne reçoivent pas le sacrement de l’eucharistie.

            Il faut répondre que le Christ est contenu dans l’eucharistie, non sous son espèce propre, mais sous l’espèce du sacrement ; par conséquent il arrive qu’on le reçoit spirituellement de deux manières : 1° Selon qu’il existe en son espèce. Les anges le reçoivent spirituellement de la sorte, en tant qu’ils lui sont unis par la jouissance de la charité parfaite et par la vision manifeste (et c’est là le pain que nous attendons dans le ciel), mais non par la foi, comme nous lui sommes unis ici-bas. — 2° Il arrive qu’on reçoit le Christ spirituellement selon qu’il existe sous les espèces eucharistiques, c’est-à-dire en tant que l’on croit au Christ et qu’on a le désir de recevoir ce sacrement. De la sorte, non seulement on reçoit le Christ spirituellement, mais encore on reçoit spirituellement l’eucharistie ; ce qui ne convient pas aux anges (La manducation spirituelle du Christ ne convient pas aux autres, parce qu’ils n’ont pas de corps, et que d’ailleurs jouissant de la vue de Dieu dans son espèce propre, ils ne peuvent désirer le voir sous une espèce étrangère.). C’est pour cela que, quoique les anges reçoivent le Christ spirituellement, cependant il ne leur convient pas de recevoir ce sacrement spirituellement.

 

Article 3 : Ny a-t-il que lhomme juste qui puisse recevoir le christ sacramentellement ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il n’y ait que le juste qui puisse recevoir le Christ sacramentellement. Car saint Augustin dit (Tract. 26 in Joan., circ. med.) : Pourquoi préparez-vous vos dents et votre estomac ? Croyez, et vous avez mangé ; car, croire en lui, c’est manger le pain de vie. Or, le pécheur ne croit pas en lui, parce qu’il n’a pas la foi formée à laquelle il appartient de croire en Dieu, comme nous l’avons vu (2a 2æ, quest. 4, art. 5). Le pécheur ne peut donc pas manger ce sacrement qui est le pain de vie.

            Réponse à l’objection N°1 : Ces paroles et d’autres semblables doivent s’entendre de la manducation spirituelle qui ne convient pas aux pécheurs. C’est pourquoi il semble que l’erreur dont nous venons de parler, soit venue de l’interprétation vicieuse de ces paroles, parce qu’on n’a pas su distinguer entre la manducation corporelle et la manducation spirituelle.

 

            Objection N°2. On appelle surtout ce sacrement le sacrement de la charité, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 4, Réponse N°3). Or, comme les infidèles sont privés de la foi, de même tous les pécheurs sont privés de la charité. Ainsi les infidèles ne paraissent pas pouvoir recevoir l’eucharistie sacramentellement, puisque dans la forme de ce sacrement on emploie ces expressions, mystère de foi. Pour la même raison un pécheur ne peut donc pas recevoir le corps du Christ sacramentellement.

            Réponse à l’objection N°2 : Si un infidèle reçoit les espèces sacramentelles, il reçoit le corps du Christ sous ces espèces, et par conséquent il reçoit le Christ sacramentellement, si le mot sacramentellement se rapporte à la chose reçue : mais si on le rapporte à celui qui la reçoit, alors il ne reçoit pas le Christ sacramentellement, à proprement parler ; parce qu’il ne fait pas usage de ce qu’il reçoit, comme d’un sacrement, mais comme d’une simple nourriture ; à moins que par hasard cet infidèle n’ait l’intention de recevoir ce que l’Eglise confère, quoiqu’il n’ait pas la foi véritable à l’égard des autres articles, ou même à l’égard de ce sacrement.

 

            Objection N°3. Un pécheur est plus abominable à Dieu qu’une créature irraisonnable. Car il est dit de l’homme pécheur (Ps. 48, 21) : L’homme qui est sans honneur et sans intelligence devient semblable aux bêtes, et il meurt comme elles. Or, un animal brute (comme un rat ou un chien) ne peut recevoir l’eucharistie, pas plus qu’il ne peut recevoir le sacrement de baptême. Il semble donc que pour la même raison les pécheurs ne puissent la recevoir non plus.

            Réponse à l’objection N°3 : Si un rat ou un chien mange une hostie consacrée, la substance du corps du Christ ne cesse pas d’être sous les espèces, tant que ces espèces subsistent, c’est-à-dire tant que la substance du pain subsisterait, et il en serait de même si on la jetait dans la boue. Et ceci ne déroge point à la dignité du corps du Christ, qui a voulu être crucifié par des pécheurs sans que sa dignité en souffrit ; surtout quand on réfléchit qu’un rat ou un chien ne touche pas le corps du Christ selon son espèce propre, mais seulement selon les espèces sacramentelles. Il y en a qui ont dit qu’aussitôt qu’un rat ou qu’un chien touche le sacrement, le corps du Christ cesse d’y être présent, ce qui déroge aussi à la vérité du sacrement, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). On ne doit cependant pas dire qu’un animal brute reçoive sacramentellement le corps du Christ, parce qu’il n’est pas fait pour le recevoir, comme sacrement : par conséquent, il ne mange pas le corps du Christ sacramentellement, mais par accident ; comme le mangerait celui qui prendrait une hostie consacrée, sans savoir qu’elle l’est. Et parce que ce qui existe par accident n’entre pas dans la division d’un genre quelconque, c’est pour cela qu’on ne fait pas de cette manière de recevoir le corps du Christ un troisième mode indépendamment de la manducation sacramentelle et de la manducation spirituelle.

 

            Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Jean, chap. 6) : Vos pères ont mangé la manne dans le désert et sont morts, saint Augustin dit (Tract. 26, à med.) : Il y en a beaucoup qui reçoivent le sacrement de l’autel et qui meurent en le recevant. D’où l’Apôtre dit : Qu’on mange son jugement et sa condamnation. Or, il n’y a que les pécheurs qui meurent en recevant le corps du Christ. Ils le reçoivent donc sacramentellement, et il n’y a pas que les justes qui aient cet avantage.

 

            Conclusion Puisque le corps du Christ subsiste toujours dans l’eucharistie jusqu’à ce que les espèces sacramentelles soient corrompues, il s’ensuit que ceux qui sont injustes le reçoivent aussi.

            Il faut répondre qu’à cet égard il y a des anciens qui se sont trompés en disant que les pécheurs ne reçoivent pas le corps du Christ sacramentellement, mais qu’aussitôt qu’il arrive sur leurs lèvres, il cesse immédiatement d’être sous les espèces sacramentelles. Mais ce sentiment est erroné ; car il déroge à la vérité de ce sacrement à laquelle il appartient, comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 6 ad 3), que tant que les espèces restent, le corps du Christ ne cesse pas d’être sous elles. Or, les espèces restent tant que la substance du pain subsisterait, si elle était là, comme nous l’avons vu (quest. 77, art. 5 et 8). Et comme il est évident que la substance du pain que le pécheur reçoit ne cesse pas d’exister immédiatement, mais qu’elle subsiste jusqu’à ce qu’elle soit digérée par la chaleur naturelle, il s’ensuit que le corps du Christ reste pendant ce même temps sous les espèces sacramentelles que le pécheur a prises. Ainsi, on doit dire que le pécheur peut recevoir sacramentellement le corps du Christ et qu’il n’y a pas que le juste qui le reçoive ainsi (C’est ce qui se trouve ainsi exprimé dans la prose de l’office du saint Sacrement : Sumunt boni, sumunt mali ; sorte tamen inæquali, vitæ vel interitûs. Mors est malis, vita bonis : vide paris sumptionis quam sit dispar exitus.).

 

Article 4 : Le pécheur qui reçoit le corps du Christ sacramentellement pèche-t-il ?

 

            Objection N°1. Il semble que le pécheur qui reçoit le corps du Christ sacramentellement ne pèche pas. Car le Christ n’a pas plus de dignité sous l’espèce du sacrement que sous son espèce propre. Or, les pécheurs qui touchaient le Christ sous son espèce propre ne péchaient pas ; au contraire, ils obtenaient le pardon de leurs péchés, comme on le voit de la femme pécheresse (Luc, chap. 7), et il est dit (Matth., 14, 36) : Que tous ceux qui touchèrent les franges de ses vêtements furent sauvés. Ils ne pèchent donc pas, mais ils obtiennent plutôt leur salut en recevant le sacrement du corps du Christ.

            Réponse à l’objection N°1 : Le Christ apparaissant sous son espèce propre, ne se donnait pas à toucher aux hommes en signe de leur union spirituelle avec lui, comme il se donne dans l’eucharistie pour qu’on le reçoive. C’est pour cela que les pécheurs qui le touchaient dans son espèce propre n’encouraient pas le crime de fausseté à l’égard des choses divines, comme les pécheurs qui le reçoivent dans le sacrement. De plus, le Christ portait encore la ressemblance de la chair du péché, et c’est pour cela qu’il était convenable qu’il se laissât toucher par les pécheurs ; mais cette ressemblance ayant été détruite par la gloire de la résurrection, il a défendu à la femme, dont la foi manquait encore d’une certaine perfection à son égard, de le toucher (Jean, 20, 17) : Ne me touchez pas, dit-il, car je ne suis pas encore monté vers mon Père, c’est-à-dire, ajoute saint Augustin (Tract. 121 in Joan.) : Je ne suis pas tel que je dois être dans votre cœur. C’est pourquoi les pécheurs qui manquent de la foi formée à l’égard du Christ, sont empêchés de s’approcher de ce sacrement.

 

            Objection N°2. L’eucharistie est comme tous les autres sacrements une médecine spirituelle. Or, on donne les remèdes aux malades pour les guérir, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 9, 12) : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins, mais ceux qui se portent mal. Or, les infirmes ou ceux qui sont malades spirituellement, ce sont les pécheurs. Ils peuvent donc recevoir ce sacrement sans faire de faute.

            Réponse à l’objection N°2 : Toute médecine ne convient pas pour toute espèce de maladie. Car le remède qu’on donne à ceux qui n’ont plus la fièvre pour les fortifier, leur nuirait, si on le leur donnait quand la fièvre est encore très vive ; de même, le baptême et la pénitence sont aussi des remèdes purgatifs que l’on donne pour enlever la fièvre du péché, tandis que l’eucharistie est une médecine fortifiante qu’on ne doit donner qu’à ceux qui sont délivrés de leurs fautes.

 

            Objection N°3. L’eucharistie est le plus grand des biens, puisqu’elle contient en elle le Christ. Or, les plus grands biens, d’après saint Augustin (De lib. arb., liv. 2, chap. 19), sont tels que personne ne peut en faire un mauvais usage. Comme on ne pèche qu’autant qu’on fait mauvais usage d’une chose, aucun pécheur ne pèche donc en recevant l’eucharistie.

            Réponse à l’objection N°3 : Par les plus grands biens, saint Augustin (cit., Objection N°2) entend les vertus de l’âme, dont personne n’abuse, comme des principes d’un mauvais usage. Mais il y en a qui en usent mal, comme d’objets qu’on peut mal employer, ainsi qu’on le voit à l’égard de ceux qui s’en enorgueillissent. De même l’eucharistie, considérée en elle-même, n’est pas le principe du mauvais usage, mais elle en est l’objet. D’où saint Augustin dit (Tract. 62 in Joan., circ. princ.) : Il y en a beaucoup qui reçoivent indignement le corps du Christ ; ce qui nous apprend avec quel soin nous devons éviter de recevoir mal ce qui est bon. Car le bien se change en mal quand on reçoit mal ce qui est don au lieu que l’Apôtre, au contraire, a changé le mal en bien, quand il a bien reçu le mal, c’est-à-dire quand il a supporté avec patience l’aiguillon de Satan.

 

            Objection N°4. Comme on perçoit l’eucharistie par le goût et le tact, de même aussi par la vue. Si donc un pécheur pèche par là même qu’il reçoit ce sacrement, il semble qu’il pécherait aussi en le voyant, ce qui est évidemment faux : puisque l’Eglise le propose à la vue et à l’adoration de tout le monde. Le pécheur ne pèche donc pas par là même qu’il reçoit ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°4 : Par la vue on ne reçoit pas le corps lui-même du Christ, mais seulement son sacrement ; parce que la vue n’atteint pas la substance du corps du Christ, mais seulement les espèces sacramentelles, comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 7) ; au lieu que celui qui mange reçoit non seulement les espèces sacramentelles, mais encore le Christ lui-même, qui est sous elles. C’est pourquoi, de tous ceux qui ont reçu le sacrement du Christ, c’est-à-dire le baptême, il n’y a personne qui soit empêché de voir le corps du Christ. Mais on ne doit pas permettre à ceux qui ne sont pas baptisés de le contempler, comme le prouve saint Denis (De eccles. hier., chap. 7). On ne doit admettre à le recevoir que ceux qui sont unis au Christ non seulement sacramentellement, mais encore réellement.

 

            Objection N°5. Il arrive quelquefois qu’un pécheur n’a pas la conscience de son péché. Cependant il ne paraît pas pécher en recevant le corps du Christ, parce que dans ce cas tous ceux qui le reçoivent pécheraient en s’exposant au péril de le recevoir indignement ; puisque l’Apôtre dit (1 Cor., 4, 4) : Quoique ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas pour cela justifié. Il ne semble donc pas que le pécheur soit coupable, s’il reçoit ce sacrement.

           Réponse à l’objection N°5 : Si l’on n’a pas la conscience de son péché, ceci peut tenir à deux choses : 1° ce peut être par sa faute ; soit parce que, par suite de l’ignorance du droit qui n’excuse pas, on croit que ce qui est un péché n’en est pas un, comme si un fornicateur pensait que la simple fornication n’est pas un péché mortel ; soit parce qu’on a mis de la négligence à s’examiner, contrairement à ce que dit l’Apôtre (1 Cor., 11, 28) : Que l’homme s’éprouve lui-même et qu’ensuite il mange de ce pain et boive de ce calice. Le pécheur qui reçoit ainsi le corps du Christ n’en pèche pas moins, quoiqu’il n’ait pas la conscience de son péché, parce que son ignorance est elle-même une faute. 2° Il peut se faire que ce ne soit pas par sa faute ; comme quand il s’est repenti de son péché, mais sans être suffisamment contrit. Dans ce cas, il ne pèche pas en recevant le corps du Christ (Loin de là, car la vertu du sacrement lui fait obtenir dans ce cas la rémission de ses fautes. C’est ce que dit ailleurs saint Thomas : Si quis facta diligenti discussione suæ conscientiæ, quamvis forte non sufficienti, ad corpus Christi accedat, aliquo peccato mortali in ipso manente, quod ejus cognitionem præter fugiat, non peccat ; imò magis ex vi sacramenti remissionem consequitur (in 4, dist. 9, quæst. 1, art. 5).), parce que l’homme ne peut savoir avec certitude s’il est véritablement contrit ; et il suffit qu’il trouve en lui des signes de contrition, par exemple qu’il se repente de ses fautes passées, et qu’il se propose de les éviter à l’avenir. Mais s’il ignore que ce qu’il a fait était un acte coupable, à cause de l’ignorance de fait qui excuse ; par exemple, s’il s’était approché d’une femme étrangère, croyant que c’est la sienne, on ne devrait pas pour cela lui donner le nom de pécheur. Il en est de même s’il a totalement oublié son péché, la contrition générale suffit pour qu’il soit effacé, comme nous le dirons (sup., quest. 2, art. 3, Réponse N°2). On ne doit donc pas non plus le considérer alors comme pécheur.

 

            Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (1 Cor., 11, 29) : Celui qui le mange et le boit indignement, mange et boit son jugement, c’est-à-dire sa condamnation. Or, suivant la glose (Pet. Lomb.), celui qui mange et boit indignement, c’est celui qui est dans le crime ou qui traite ce sacrement sans respect. Par conséquent, celui qui est dans le péché mortel, s’il s’approche de ce sacrement, reçoit sa condamnation en péchant mortellement.

 

            Conclusion Les pécheurs qui reçoivent l’eucharistie en état de péché mortel commettent une fausseté dans le sacrement en indiquant par là qu’ils sont unis au Christ par la foi que la charité anime, ils encourent le crime de sacrilège et pèchent mortellement.

            Il faut répondre que dans l’eucharistie comme dans les autres sacrements, ce qui est le sacrement est le signe de ce qui est la chose du sacrement. Mais dans l’eucharistie on distingue deux sortes de choses, comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 3) : l’une qui est signifiée et contenue, c’est le Christ lui-même ; l’autre qui est signifiée et qui n’est pas contenue, c’est- à-dire le corps mystique du Christ qui est la société des saints. — Par conséquent, quiconque reçoit ce sacrement signifie par là qu’il est uni au Christ et incorporé à ses membres : ce qui est produit par la foi formée (Par la foi formée, on entend la foi animée par la charité, contrairement à la foi informe qui désigne la foi sans l’état de grâce.) qui est incompatible avec le péché mortel. C’est pourquoi il est évident que celui qui reçoit l’eucharistie dans l’état de péché mortel, commet une fausseté dans ce sacrement et tombe pour ce motif dans le sacrilège, comme profanateur d’une chose sacrée, et par suite pèche mortellement.

 

Article 5 : Sapprocher de leucharistie quand on sait quon est en état de péché mortel, est-ce la plus grave de toutes les fautes ?

 

            Objection N°1. Il semble que ce soit le plus grave de tous les péchés que de s’approcher de l’eucharistie quand on se sait en état de péché. Car saint Paul dit (1 Cor., chap. 11) : Quiconque aura mangé le pain et bu le calice du Seigneur indignement sera responsable du corps et du sang du Seigneur, c’est-à-dire, d’après la glose (interl. implic.), qu’il sera puni comme s’il eût mis à mort le Christ. Or, le péché de ceux qui ont mis à mort le Christ paraît avoir été le plus grave. Par conséquent, le péché par lequel on s’approche de la table sainte avec une conscience en mauvais état paraît être le plus grave.

            Réponse à l’objection N°1 : On compare le péché de ceux qui reçoivent indignement l’eucharistie au péché de ceux qui ont mis à mort le Christ, en raison de la ressemblance de ces deux fautes, parce que l’une et l’autre sont commises contre le corps du Christ, mais non en raison de leur étendue. Car le péché de ceux qui ont fait mourir le Christ a été beaucoup plus grave : 1° parce que l’un a été commis contre le corps du Christ dans son espèce propre, au lieu que l’autre est commis contre le corps du Christ dans l’espèce sacramentelle ; 2° parce que l’un est résulté de l’intention que l’on a eue de nuire au Christ, tandis qu’il n’en est pas de même de l’autre (Cette comparaison s’établit ordinairement à l’égard de ceux qui reçoivent indignement le corps du Christ par mépris, et qui ont ainsi l’intention de lui nuire autant qu’il est en eux.).

 

            Objection N°2. Saint Jérôme dit (hab., quoad partem in Epist. ad Ocean. de vita cleric., int. ejus op. asciticia) : Qu’y a-t-il de commun entre les femmes et vous qui conversez à l’autel avec Dieu ? Dites-moi, prêtre, dites-moi, clerc, comment vous baisez le Fils de Dieu avec ces mêmes lèvres que vous avez appliquées sur la bouche d’une prostituée ? Avec Judas vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser. Ainsi, le fornicateur qui s’approche de la table du Christ paraît pécher, comme l’a fait Judas, dont le crime fut le plus grand. Cependant il y a beaucoup d’autres péchés plus graves que le péché de fornication, et il y a principalement le péché d’infidélité. Le péché de tout pécheur qui s’approche de la table du Christ est donc le plus grave.

            Réponse à l’objection N°2 : Le fornicateur qui reçoit le corps du Christ est comparé à Judas qui a trahi le Christ par un baiser, quant à la ressemblance du crime, parce que l’un et l’autre offensent le Christ en lui donnant une marque d’amour ; mais on ne les compare pas ensemble pour l’étendue de la faute, comme nous l’avons dit (Réponse N°1). Cependant cette ressemblance de faute ne convient pas moins aux autres pécheurs qu’aux fornicateurs. Car par les autres péchés mortels on agit contre la charité du Christ, dont l’eucharistie est le signe, et on y agit d’autant plus vivement que les péchés sont plus graves. Toutefois, le péché de fornication rend sous un rapport l’homme moins apte à recevoir l’eucharistie ; en ce qu’il soumet surtout l’esprit à la chair et qu’il empêche ainsi la ferveur de l’amour qui est requise dans ce sacrement. Mais l’empêchement qui atteint la charité elle-même, a encore plus de poids que celui qui atteint sa ferveur. Ainsi, le péché d’infidélité, qui sépare complètement l’homme de l’unité de l’Eglise, absolument parlant, le rend encore plus indigne de recevoir ce sacrement, qui est le sacrement de l’unité de l’Eglise, comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 4). Par conséquent, l’infidèle qui reçoit ce sacrement pèche plus grièvement que le pécheur fidèle et il méprise plus le Christ, selon qu’il est dans l’eucharistie, surtout s’il ne croit pas qu’il y est véritablement présent. Car il diminue autant qu’il est en lui la sainteté de ce sacrement et la vertu du Christ qui opère en lui, ce qui revient à mépriser le sacrement en lui-même : au lieu que le fidèle qui le reçoit avec la conscience de son péché, ne méprise pas ce sacrement en lui-même, mais quant à son usage, en le recevant indignement. D’où l’Apôtre, donnant la raison de ce péché, dit (1 Cor., chap. 11) : Qu’il ne discerne pas le corps du Seigneur, c’est-à-dire qu’il ne le distingue pas des autres aliments ; ce que fait principalement celui qui ne croit pas que le Christ est dans l’eucharistie.

 

            Objection N°3. L’impureté spirituelle est plus abominable à Dieu que l’impureté corporelle. Or, si quelqu’un jetait le corps du Christ dans la boue ou dans des ordures, son péché serait considéré comme le plus grave. On pèche donc plus grièvement, si on le reçoit avec le péché qui est une impureté spirituelle, et par conséquent ce péché est le plus grave.

            Réponse à l’objection N°3 : Celui qui jetterait ce sacrement dans la boue pécherait plus grièvement que celui qui s’en approche, en sachant bien qu’il est dans le péché mortel. 1° Parce que le premier agirait ainsi dans l’intention de faire injure à l’eucharistie, ce que ne se propose pas le pécheur qui reçoit indignement le corps du Christ. 2° Parce que le pécheur est capable de recevoir la grâce, et par conséquent il est plus apte que toute autre créature irraisonnable à recevoir ce sacrement. Ainsi ce serait faire un usage beaucoup plus déréglé de l’eucharistie si on la donnait à manger aux chiens ou si on la jetait dans la boue pour être foulée aux pieds (Melchior Canus pense qu’il y a deux péchés distincts dans une communion indigne, l’un d’omission à cause du défaut de pénitence, et l’autre de commission par suite de l’irrévérence commise envers l’eucharistie. Mais ce sentiment que réfute Sylvius n’est pas suivi.).

 

            Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Jean, chap. 15) : Si je n’étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils ne seraient pas coupables, saint Augustin dit (Tract. 89 in Joan., à princ.) que ces paroles doivent s’entendre du péché d’infidélité, qui embrasse tous les autres, et, par conséquent, il semble que ce péché ne soit pas le plus grave, mais que ce soit plutôt le péché d’infidélité.

 

            Conclusion Le péché de ceux qui s’approchent de l’eucharistie ayant sur la conscience un péché mortel, quoiqu’il soit selon son espèce plus grave que la plupart des autres, n’est cependant pas le plus grave de tous.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 73, art. 6, et 2a 2æ, quest. 73, art. 3), un péché peut être dit plus grave qu’un autre de deux manières : 1° par soi ; 2° par accident. Par soi, selon la nature de son espèce, qui se considère par rapport à son objet. A ce point de vue, plus l’objet contre lequel on pèche est grand, et plus le péché est grave. Et parce que la divinité du Christ est plus grande que son humanité, et que l’humanité elle-même l’emporte sur ses sacrements, il en résulte que les péchés les plus graves sont ceux que l’on commet contre la Divinité elle-même, comme le péché d’infidélité et de blasphème (En général tous les péchés qui sont directement opposés aux vertus théologales.). Les péchés les plus graves qui viennent ensuite sont ceux que l’on commet contre l’humanité du Christ (Considérée dans son espèce propre.). D’où il est dit (Matth., 12, 32) : Celui qui aura parlé contre le fils de l’homme, il lui sera pardonné ; mais pour celui qui aura parlé contre l’Esprit-Saint, il ne lui sera pardonné ni en ce monde, ni dans le siècle à venir. En troisième lieu viennent les péchés que l’on commet contre les sacrements qui appartiennent à l’humanité du Christ, et il faut placer après ceux-là les autres péchés que l’on commet contre de simples créatures. — Par accident, un péché est plus grave qu’un autre de la part de celui qui pèche. Ainsi, le péché qu’on fait par ignorance ou par faiblesse est plus léger que celui qu’on fait par mépris ou de science certaine, et il en est de même des autres circonstances. Sous ce rapport, ce péché peut être plus grave dans quelques-uns, par exemple, dans ceux qui s’approchent de l’eucharistie avec mépris et avec la conscience de leur faute, et il peut être moins grave dans d’autres, par exemple, dans ceux qui s’approchent de ce sacrement en état de péché, dans la crainte qu’on ne les croie coupables. Par conséquent, il est évident que ce péché est plus grave que beaucoup d’autres, selon son espèce, quoiqu’il ne soit pas le plus grave de tous.

 

Article 6 : Le prêtre doit-il refuser le corps du Christ au pécheur qui le demande ?

 

            Objection N°1. Il semble que le prêtre doive refuser le corps du Christ au pécheur qui le demande. Car on ne doit pas agir contre un précepte du Christ, pour éviter le scandale ou l’infamie de quelqu’un. Or, le Seigneur a dit (Matth., chap. 7) : Ne donnez pas aux chiens ce qui est saint. Cependant, on donne aux chiens ce qui est saint, principalement quand on donne l’eucharistie aux pécheurs. On ne doit donc pas pour éviter un scandale ou l’infamie de quelqu’un donner ce sacrement au pécheur qui le demande.

            Réponse à l’objection N°1 : Il est défendu de donner les choses saintes aux chiens, c’est-à-dire aux pécheurs manifestes ; mais on ne peut pas punir publiquement les fautes secrètes, on doit les réserver au jugement de Dieu.

 

            Objection N°2. De deux maux on doit choisir le moindre. Or, il semble que ce soit un moindre mal, qu’un pécheur soit diffamé ou qu’on ne lui donne pas une hostie consacrée, que de le laisser pécher mortellement en recevant le corps du Christ. Il semble donc qu’il vaille mieux diffamer le pécheur qui demande le corps du Christ ou lui donner une hostie non consacrée.

            Réponse à l’objection N°2 : Quoique ce soit un plus grand mal pour un pécheur occulte de pécher mortellement en recevant le corps du Christ que d’être diffamé, cependant pour le prêtre qui administre le corps du Christ il y a plus de mal à pécher mortellement en diffamant injustement un pécheur occulte que de lui laisser commettre un péché mortel, parce que personne ne doit commettre un péché mortel pour délivrer un autre du péché. D’où saint Augustin dit (Lib. Quæst. sup. Genes., quest. 42) : Qu’il y a le plus grand danger à admettre à titre de compensation que nous fassions quelque chose de mal pour empêcher qu’un autre ne fasse un mal plus grave. Mais un pécheur occulte devrait mieux aimer être diffamé que de s’approcher de la table du Seigneur indignement. — Toutefois on.ne doit donner d’aucune manière une hostie non consacrée au lieu d’une hostie consacrée ; parce que le prêtre qui agirait ainsi, ferait faire, autant qu’il serait en lui, un acte d’idolâtrie à ceux qui croiraient que l’hostie est consacrée, à tous ceux qui seraient là présents aussi bien qu’à lui-même qui la recevrait. Car, comme le dit saint Augustin (in Ps. 98) : Que personne ne mange la chair du Christ, s’il ne l’adore auparavant. C’est pour cela qu’il est dit (extra, De celebrat. Mis., chap. De homine) : Quoique celui qui se sent coupable et qui se reconnaît indigne pèche grièvement, s’il s’approche de ce sacrement sans respect ; cependant il paraît encore faire une faute plus grande celui qui a la présomption de le simuler d’une manière frauduleuse.

 

            Objection N°3. On donne quelquefois le corps du Christ à ceux que l’on soupçonne d’une faute pour rendre leur culpabilité manifeste. Car il est dit (Decr. 2, quest. 5, chap. 23) : Souvent il arrive que dans les monastères des vols sont commis. C’est pourquoi nous ordonnons que quand les frères eux-mêmes doivent se laver de ce crime, une messe soit célébrée par l’abbé ou par quelqu’un à qui il en aura donné l’ordre, en présence des frères, et qu’après la messe tous communient en disant : Que le corps du Christ soit aujourd’hui pour moi une épreuve. Et plus loin (chap. 26) : Si on a imputé à un évêque ou à un prêtre quelque maléfice, il doit célébrer la messe et communier pour chacune des choses qui lui ont été imputées et se montrer ainsi innocent à leur égard. Or, il ne faut pas manifester les pécheurs occultes, parce que s’ils viennent à dépouiller toute pudeur, ils n’en pèchent que plus librement, selon l’observation de saint Augustin (Lib. de Verb. Dom., serm. 16). On ne doit donc pas donner le corps du Christ aux pécheurs, quand même ils le demanderaient.

 

            Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Ps. 21, 30) : Tous les riches de la terre ont mangé et adoré, saint Augustin dit (hab., in Glos. ord. et De consecrat., chap. 67, dist. 2) : Que le dispensateur n’empêche pas les riches de la terre, c’est-à-dire les pécheurs, de manger à la table du Seigneur.

 

            Conclusion La majesté divine et la discipline de l’Eglise exigent qu’on refuse la sainte communion aux pécheurs manifestes et publics qui la demandent, mais non aux pécheurs occultes, qui n’ont perdu par aucun crime public le droit qu’ils ont reçu dans le baptême de s’approcher de la table du Seigneur.

            Il faut répondre qu’on doit distinguer deux sortes de pécheurs ; car les vins sont occultes et les autres publics, c’est-à-dire connus par une évidence de fait, comme les usuriers publics, ou les ravisseurs publics, ou ceux qui ont été frappés par un jugement ecclésiastique ou séculier (De là on distingue deux sortes de notoriété : la notoriété de droit, qui résulte de la sentence, du juge ou de l’aveu juridique du coupable, et la notoriété de fait, qui existe quand le péché est connu généralement dans le lieu où il a été commis.). On ne doit pas donner la sainte communion aux pécheurs publics (Le rituel romain s’exprime ainsi à ce sujet. Arcendi sunt publicè indigni, quales excommunicati, intcrdicti, manifestique infames, ut meretrices, concubinarii, fœneratores, magi, sortilegi, blasphemi et alii ejus generis publici peccatores, nisi de eorum pœnitentia et emendatione constet et publico scandalo prius satisfecerint.) qui la demandent. C’est pour cela que saint Cyprien écrit (liv. 1, epist. 10) : « Vous avez eu la bonté de croire que vous deviez me consulter sur ce que je pense des histrions, et de ce magicien qui étant établi parmi vous continue encore à exercer son art honteux, et vous me demandez si l’on doit admettre ces personnes à la sainte communion avec les autres chrétiens ; pour moi je crois qu’il ne convient ni à la majesté divine, ni à la discipline évangélique, de souiller l’honneur et la pureté de l’Eglise par une contagion aussi honteuse et aussi infâme. » —Mais si les pécheurs ne sont pas manifestes et qu’ils soient occultes, on ne peut leur refuser la sainte communion quand ils la demandent. Car, puisque tout chrétien, par là même qu’il a été baptisé, est admis à la table du Seigneur, on ne peut lui enlever son droit que pour une cause manifeste. C’est pour cela qu’à l’occasion de ces paroles de saint Paul (1 Cor., 5, 11) : Avec celui qui, portant le nom de frère, etc., la glose de saint Augustin dit (hom. ult. interl. inter med. et fin.) : Nous ne pouvons éloigner personne de la communion, à moins que de lui-même il ne s’avoue coupable, ou qu’il n’ait été désigné et convaincu comme tel par un jugement ecclésiastique ou séculier. Cependant, un prêtre qui connaît la faute d’un pécheur occulte, peut l’avertir en secret (Il faut dans ce cas que la connaissance qu’on a du péché vienne d’ailleurs que de la confession, parce que le sceau de la confession oblige le confesseur à l’égard même du pénitent, et il ne peut lui parler de ce qu’il a appris de lui par la confession sans son consentement.), et il peut aussi en public exhorter généralement tout le monde à ne pas s’approcher de la table du Seigneur, avant de s’être repenti de ses péchés et de s’être réconcilié avec l’Eglise. Car, après qu’ils se sont repentis et réconciliés, on ne doit pas refuser même aux pécheurs publics la communion, surtout à l’article de la mort (Quand il s’agit des condamnés à mort, il ne faut les communier qu’autant qu’ils donnent des signes non équivoques de pénitence, et même qu’ils ont fait hors de la confession l’aveu de leur crime. A l’égard des pécheurs publics, on doit leur donner le viatique, s’ils sont en danger de mort et qu’ils soient pénitents. Les canons de l’Eglise sont formels à ce sujet.). D’où on lit dans le troisième concile de Carthage (can. 35) qu’on ne refuse pas la réconciliation avec Dieu aux acteurs (Mgr Gousset distingue entre les bistrions et les acteurs. Il exclut les premiers en raison de leur profession, mais il n’exclut pas les autres (Voy. Théolog. mor., tom. 3, p. 52 et suiv.).), aux histrions et à toutes les autres personnes semblables, ni même aux apostats du moment qu’ils sont convertis.

            Réponse à l’objection N°3 : Ces décrets ont été abrogés par des lois contraires émanant des souverains pontifes. En effet le pape saint Etienne dit (cit. ab Alex. III, in epist. 19, ad fin.) : Les sacrés canons ne permettent d’extorquer de personne un aveu par l’épreuve du fer rouge ou de l’eau bouillante. Car c’est d’après l’aveu spontané des coupables ou la déposition des témoins que nous devons juger les délits publics qui ont été commis ; quant aux péchés secrets et inconnus, il faut les abandonner au jugement de celui qui seul connaît les cœurs des enfants des hommes. On trouve la même chose (extra, De purgationibus, chap. Ex tuarum). Car dans toutes ces choses on paraît tenter Dieu. Par conséquent, on ne peut les faire sans péché. Et la faute paraîtrait plus grave, si dans l’eucharistie, qui a été établie pour remédier au salut, on encourait un jugement de mort. On ne doit donc donner d’aucune manière le corps du Christ à quelqu’un qui est soupçonné d’un crime, pour éprouver son innocence (Il n’est pas permis non plus de recevoir l’eucharistie pour attester son innocence, comme on le rapporte dans divers endroits de l’histoire ecclésiastique, à moins qu’on y soit poussé par un mouvement de l’Esprit-Saint.).

 

Article 7 : La pollution nocturne empêche-t-elle de recevoir ce sacrement ?

 

            Objection N°1. Rien n’empêche de recevoir le corps du Christ sauf le péché. Or la pollution nocturne se produit sans péché car, comme le dit saint Augustin (Gen ad litt., liv. 12, chap. 15, ante med.) : « La même image qui vient à l’esprit de celui qui parle peut se présenter à l’esprit de celui qui dort, de manière que ce dernier soit incapable de distinguer l’image de la réalité, la chair réagit, et entraîne ce qui résulte de telles réactions ; il y a un péché aussi minime dans ceci qu’il n’y en a quand on parle et par conséquent quand on pense à ces choses-là. » La pollution nocturne n’empêche donc pas de recevoir ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : Seul un péché mortel empêche nécessairement une personne de recevoir ce sacrement ; mais la décence peut l’empêcher pour d’autres raisons, comme nous l’avons dit. (dans le corps de l’article.).

 

            Objection N°2. Saint Grégoire dit dans une lettre à saint Augustin, évêque des anglais (Regist., liv. 12, epist. 31, ad interrogat. 10, vers, fin.) : « Ceux qui s’acquittent du devoir du mariage, non pour satisfaire la chair, mais à cause du désir d’avoir des enfants, devraient décider d’eux-mêmes s’ils doivent entrer dans l’église et recevoir le mystère du corps de Notre-Seigneur après des rapports sexuels ; parce qu’on ne devrait pas leur interdire de le recevoir puisqu’ils sont passés à travers le feu sans se brûler. » D’après ceci, il est évident que la pollution, même de la part de quelqu’un d’éveillé, si elle est sans péché, n’empêche pas de recevoir le corps du Christ. Par conséquent, c’est encore moins le cas pour une personne qui le fait étant endormie.

            Réponse à l’objection N°2 : Les rapports sexuels conjugaux, s’ils sont sans péché (par exemple, si c’est pour avoir des enfants, ou de s’acquitter du devoir du mariage), n’empêche pas de recevoir ce sacrement, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.) de la pollution nocturne qui se produit sans péché, à savoir à cause de l’impureté corporelle, et la distraction mentale, comme l’exprime saint Jérôme dans son commentaire sur saint Matthieu, (hab. in serm. De Esu agni, qui Hieron. adscribitur, sub fin., et chap. Sciatis, 33, quæst. 4) : « Si les pains de propositions ne pouvaient pas être mangés par ceux qui s’étaient approchés de leur femme, combien moins le pain qui est descendu du ciel peut-il être souillé et touché par ceux qui, il y a peu, étaient unis ensemble ? Nous ne condamnons pas le mariage, mais quand nous allons manger la chair de l’agneau, nous devons nous éloigner des œuvres de la chair. » Or, comme ceci doit être compris comme une décence et non comme une nécessité, saint Grégoire dit que « ceci doit être laissé à notre jugement. » Mais si « ce n’est pas le désir d’avoir des enfants, mais la luxure qui domine dans cette union, » on doit interdire d'approcher de ce sacrement, comme le dit saint Grégoire.

 

            Objection N°3. La pollution nocturne semble n’entraîner qu’une impureté corporelle. Or, il y a d’autres impuretés corporelles qui selon la loi empêchaient d’entrer dans les lieux saints, mais qui sous la nouvelle loi n’empêchent pas de recevoir ce sacrement : comme quand une femme a eu un enfant ou qu’elle a ses règles ou qu’elle a un flux de sang, comme l’écrit saint Grégoire à saint Augustin, évêque des anglais (loc. cit.). Par conséquent il semble que la pollution nocturne n’empêche pas un homme de recevoir ce sacrement.

            Réponse à l'objection N°3 : Comme saint Grégoire le dit dans la lettre citée plus haut à saint Augustin, évêque des anglais (loc. cit., Objection N°2), dans l’Ancien Testament certaines personnes nommées impures de manière figurative : ce que le peuple de la nouvelle loi comprend spirituellement. Par conséquent, ces mêmes impuretés du corps, si elles sont perpétuelles, ou si elles sont de longue durée, n’empêchent pas de recevoir ce sacrement salutaire, comme elles empêchaient d’approcher ces sacrements figuratifs ; mais si elles sont de courte durée, comme l’impureté de la pollution nocturne, la décence empêche de recevoir ce sacrement le jour où cela s’est produit. Par conséquent, le Deutéronome dit (23, 10) : S’il y a parmi vous un homme qui a eu une pollution en dormant ; il sortira du camp ; et il ne reviendra pas sans s’être lavé avec de l’eau le soir.

 

            Objection N°4. Le péché véniel n’empêche pas l’homme de recevoir ce sacrement, ni le péché mortel après la pénitence. Or, même si on suppose que la pollution nocturne provient d’un autre péché qui l’a précédée, comme l’intempérance ou des mauvaises pensées, c’est la plupart du temps un péché véniel ; et si quelquefois il est mortel, l’homme peut s’en repentir le matin et confesser son péché. Il semble donc qu’on ne devrait pas l’empêcher de recevoir ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°4 : Même si la contrition et la confession effacent la tache de la culpabilité, elles n’enlèvent pas celle de l’impureté corporelle, ni la distraction mentale qui s’ensuit.

 

            Objection N°5. L’homicide est un péché plus grave que la fornication. Or, si quelqu’un rêve pendant la nuit qu’il tue quelqu’un, ou qu’il vole, ou qu’il commet un autre péché, il n’est pas empêché de recevoir le corps du Christ pour cela. Par conséquent, il semble qu’il devrait l’être bien moins quand il rêve d’une fornication qui entraîne une pollution.

            Réponse à l’objection N°5 : Rêver d’un homicide n’entraîne pas une impureté corporelle, ni une telle distraction de l’esprit la fornication, à cause de son intense délectation ; cependant si le rêve d’homicide provient d’une cause qui est un péché, en particulier s’il est mortel, il empêche pour cela de recevoir ce sacrement.

 

            Mais c’est le contraire. Le Lévitique (15, 16) dit : L’homme qui a un écoulement séminal sera impur jusqu’au soir. Or l’impur ne peut s’approcher des sacrements. Il semble donc que la pollution nocturne empêche de recevoir ce sacrement, qui est le plus grand de tous.

 

            Conclusion Quoique la pollution nocturne, quand elle n’est précédée d’aucun crime mortel, n’empêche pas nécessairement de recevoir ce sacrement ; on peut en être empêché par la décence.

            Il faut répondre qu’il y a deux choses à considérer au sujet de la pollution nocturne : 1° quand elle empêche nécessairement un homme de recevoir ce sacrement ; 2° quand elle ne l’empêche pas nécessairement, mais sous certaines conditions. — Seul le péché mortel empêche nécessairement l’homme de recevoir ce sacrement. Et quoique la pollution nocturne en elle-même ne puisse pas être considérée comme un péché mortel, de par sa cause, le péché mortel peut s’y trouver. Pour cette raison, nous devons considérer la cause de la pollution nocturne. Elle peut provenir d’une cause spirituelle extérieure, à savoir, à cause de l’illusion du démon, qui, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 111, art. 3), peuvent provoquer des illusions dont la pollution nocturne peut s’ensuivre. Elle peut parfois provenir d’une cause spirituelle intérieure, comme de pensées qui ont précédé. D’autres fois, elles viennent de causes corporelles intérieures, comme l’abondance ou la faiblesse de la nature, ou même de l’excès de viande ou de boisson. Chacune de ces trois causes peut être sans péché, avec péché véniel ou exister avec le péché mortel. Si elle est sans péché ou avec péché véniel, elle n’empêche pas nécessairement de recevoir ce sacrement, comme s’il était coupable du corps et du sang de Notre-Seigneur. Mais si elle est accompagnée d'un péché mortel, elle l’empêche nécessairement. — Les illusions du démon peuvent parfois provenir d’une négligence de la préparation à la dévotion, ce qui peut être un péché mortel ou véniel ; d’autres fois elles ne sont dues qu’à la seule malice des démons qui veulent empêcher les hommes de recevoir ce sacrement. D’où nous lisons dans les Conférences des Pères (collat. 22, chap. 6), que quand un des frères souffrait toujours de pollution les jours de fête où il devait communier, les supérieurs découvrirent qu’il n’y avait aucune faute de sa part, décrétèrent qu’il ne devait pas cesser de communier à cause de cela, et l’illusion démoniaque cessa. — Pareillement, des pensées impures qui ont précédé peuvent tout à fait être sans péché : par exemple quand quelqu’un a ces pensées au lieu de lire ou de discourir ; et si cela se fait sans concupiscence ni délectation, ces pensées ne seront pas impures, mais honnêtes ; et même si la pollution peut s’ensuivre de celles-ci, tout est clair d’après l’autorité de saint Augustin (Objection N°1). D’autres fois, ces pensées viennent de la concupiscence et de la délectation ; et si on y consent, il y a péché mortel ; sinon, il est véniel. — De même, la cause corporelle est parfois sans péché, par exemple quand il y a infirmité de la nature, par conséquent ceux qui souffrent d’un flux de semence quand ils sont éveillés le font sans péché ; ou encore à cause de l’abondance de la nature ; ainsi, comme le sang peut couler sans péché, de même pour la semence, qui est une surabondance de sang, selon Aristote (De gener. animal, liv. 1, chap. 19, à princ.). Parfois elle est accompagné d’un péché, par exemple quand elle provient d’un excès de nourriture ou de boisson ; elle peut alors être avec péché véniel ou mortel ; même si le péché est plus fréquemment mortel dans le cas des mauvaises pensées, à cause de la facilité qu’on a à y donner son consentement, que dans la consommation de nourriture et de boisson. Par conséquent, saint Grégoire (loc. sup. cit.), écrivant à saint Augustin, évêque des anglais, dit qu’on devrait empêcher de communier celui qui se lève avec de mauvaises pensées, mais pas quand ils ont trop mangé ou trop bu, en particulier s’ils ont besoin de communier. On doit ainsi considérer si la cause de la pollution nocturne empêche nécessairement la réception de ce sacrement. — En vérité, jusqu’à un certain point, la décence l’empêche pour deux raisons : la première est toujours vérifiée, à savoir la saleté du corps, qui, avec le respect dû au sacrement, ne permet pas d’approcher de l’autel (par conséquent ceux qui veulent toucher ce qui est sacré doivent se laver les mains) ; excepté dans le cas où une telle impureté est perpétuelle ou de longue durée, comme l’est la lèpre ou un flux de sang, ou autre chose du même genre. L’autre raison est la distraction mentale, qui suit la pollution nocturne, en particulier quand elle est en rapport avec des pensées impures. Cet obstacle qui empêche de recevoir le sacrement, qui provient de la décence, peut être mis de côté en cas de nécessité, comme le dit saint Grégoire (loc. cit. ad interrogat. 11), « comme quand par hasard un jour de fête ou le ministère l’exige, quand il n’y a pas d'autres prêtres, la nécessité l’exige. »

 

Article 8 : La boisson ou la nourriture quon a prise auparavant empêche-t-elle de recevoir leucharistie ?

 

            Objection N°1. Il semble que la boisson ou la nourriture qu’on a préalablement prise n’empêche pas de recevoir l’eucharistie. Car ce sacrement a été établi par le Seigneur dans la cène. Or, le Seigneur l’a donné à ses disciples après le repas, comme on le voit (Luc, chap. 22 et 1 Cor., chap. 11). Il semble donc que nous devions aussi recevoir l’eucharistie après avoir pris d’autres aliments.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (loc. cit.), de ce que Jésus-Christ ne donna l’eucharistie à ses disciples qu’après qu’ils eurent mangé, il ne s’ensuit pas que les chrétiens ne doivent s’assembler pour la recevoir qu’après avoir diné ou soupé, ou qu’ils doivent y participer au milieu de leur repas, comme faisaient ceux que saint Paul reprend et corrige. Car le Sauveur, pour faire sentir plus vivement la grandeur de ce mystère, a voulu que cette action ayant été la dernière de sa vie, demeurât plus profondément gravée dans le cœur et la mémoire de ses disciples. C’est pourquoi il n’a point ordonné de quelle manière on recevrait dans la suite ce sacrement, laissant ce soin à ses apôtres, par lesquels il devait établir et former des Eglises.

 

            Objection N°2. Saint Paul dit (1 Cor., 11, 33) : Lorsque vous vous assemblez pour manger, c’est-à-dire pour recevoir le corps du Christ, attendez-vous les uns les autres ; si quelqu’un est pressé du besoin de manger, qu’il mange chez lui. Par conséquent, il semble qu’après avoir mangé à la maison, on puisse recevoir à l’église le corps du Christ.

            Réponse à l’objection N°2 : Ce passage est ainsi expliqué par la glose (interl.) : Si quelqu’un a faim et que dans son impatience il ne veuille pas attendre les autres, qu’il mange chez lui sa nourriture, c’est-à-dire qu’il se rassasie du pain terrestre et qu’il n’aille pas ensuite se présenter à la table sainte (Les agapes, qui étaient des repas que les premiers fidèles célébraient, avaient sans doute lieu après l’eucharistie, mais ils ne durèrent pas longtemps à cause des abus qui s’ensuivirent.).

 

           Objection N°3. On lit dans les actes du concile de Carthage (3, can. 29, et hab. De cons., dist. 1, chap. 49) : Que le sacrement de l’autel ne soit célébré qu’à jeun, à l’exception du jour anniversaire où l’on célèbre la cène du Seigneur. On peut donc, du moins ce jour-là, recevoir le corps du Christ après avoir pris d’autres aliments.

            Réponse à l’objection N°3 : Dans ce canon on s’exprime conformément à une coutume qui a été observée à une époque dans quelques pays (Cette coutume fut observée pendant quelque temps par quelques Eglises d’Afrique, mais elle fut ensuite condamnée par le premier concile de Brague au VIe siècle.), et d’après laquelle, pour représenter la cène du Seigneur, on recevait ce jour-là le corps du Christ sans être à jeun ; mais cette coutume est maintenant abrogée. Car, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), dans tout l’univers on observe la coutume de recevoir le corps du Christ à jeun.

 

            Objection N°4. Celui qui prend de l’eau ou une médecine, ou une autre nourriture, ou une autre boisson en très petite quantité, ou qui avale des débris d’aliments qui lui restent dans la bouche, ne rompt pas le jeûne de l’Eglise et ne manque pas à la sobriété qui est exigée pour qu’on reçoive convenablement ce sacrement. Par conséquent, on n’est pas empêché par là de le recevoir.

           Réponse à l’objection N°4 : Comme nous l’avons vu (2a 2æ, quest. 147, art. 6 ad 2), il y a deux sortes de jeûne ; le premier est le jeûne de la nature qui implique la privation de tout ce que l’on peut prendre préalablement à titre d’aliment ou de boisson (Le jeûne de la nature consiste dans quelque chose d’indivisible ; il est aussi bien détruit par celui qui mange peu que par celui qui mange beaucoup. Il n’y a pas en ce cas de légèreté de matière.). Ce jeûne est requis pour l’eucharistie à cause des trois raisons que nous avons données (dans le corps de l’article.). C’est pourquoi après avoir pris de l’eau ou un autre aliment, ou une autre boisson, ou même une médecine, en aussi petite quantité qu’on le voudra, il n’est pas permis de communier. Peu importe d’ailleurs que ce que l’on a pris nourrisse ou ne nourrisse pas (Si l’on avait avalé un morceau d’or, d’argent ou de fer, il est plus probable que le jeûne ne serait pas rompu, parce que les corps ne sont pas des choses sur lesquelles l’estomac puisse avoir action.), ou par soi ou avec d’autres choses, pourvu qu’on l’ait pris à titre d’aliment ou de boisson. Quant aux restes des aliments qui demeurent dans la bouche, si on les avale sans y faire attention, ils n’empêchent pas de recevoir ce sacrement ; parce qu’ils n’entrent pas dans le corps à la façon de la nourriture, mais à la manière de la salive : et il en est de même des restes d’eau ou de vin au moyen desquels on se lave la bouche (On peut priser, fumer, et il est probable qu’on peut mâcher du tabac, pourvu qu’on en rejette le suc en crachant. Mais comme celte opinion n’est que probable, et que d’ailleurs cette manière d’user du tabac est inconvenante, on doit s’en abstenir avant de communier, à moins qu’on ait des motifs pour le faire.) ; pourvu qu’ils ne passent pas en grande quantité, mais qu’ils soient seulement mêlés à la salive, ce qui est inévitable. — L’autre jeûne est celui de l’Eglise, qui est établi pour mortifier la chair. Ce jeûne n’est pas troublé par les choses dont nous venons de parler, parce qu’elles sont peu nourrissantes et qu’on les prend plutôt pour altérer.

 

            Objection N°5. Il y en a qui mangent ou qui boivent bien avant dans la nuit, et qui après l’avoir passée tout entière sans dormir, reçoivent le matin les mystères sacrés, lorsque leur digestion n’est pas encore complètement faite. Or, l’on manquerait moins à la sobriété, si l’on mangeait un peu le matin et qu’on communiât ensuite vers l’heure de none, puisque quelquefois il y aurait encore un plus grand espace de temps. Il semble donc que la nourriture qu’on prend ainsi à l’avance n’empêche pas de communier.

            Réponse à l’objection N°5 : Quand on dit que l’eucharistie doit entrer dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture, on ne doit pas entendre ces paroles absolument par rapport à tout le temps, autrement celui qui aurait mangé ou bu une fois ne pourrait plus recevoir ce sacrement, mais on doit les entendre relativement au même jour. Et quoique le jour commence à divers moments suivant les différents sentiments (car les uns le font commencer à midi, les autres au coucher du soleil, les uns à minuit, les autres au soleil levant), l’Eglise romaine le fait commencer au milieu de la nuit. C’est pourquoi si après minuit on a pris quelque chose comme aliment ou comme boisson, on ne peut communier le même jour. Mais on le peut, si on l’a fait avant minuit. Il est indifférent par rapport à la nature du précepte qu’on ait dormi après avoir mangé ou bu, ou que la digestion soit faite ; mais cela importe relativement au trouble d’esprit qu’on éprouve par suite d’une insomnie ou d’une indigestion. Si l’esprit en est profondément, troublé, on cesse d’être en état de recevoir ce sacrement.

 

            Objection N°6. On ne doit pas moins de révérence à l’eucharistie lorsqu’on l’a reçue qu’avant de la recevoir. Or, il est permis de manger ou de boire après qu’on a communié. Il est donc permis de le faire aussi avant.

            Réponse à l’objection N°6 : On requiert la plus grande dévotion pour recevoir l’eucharistie, parce que c’est alors qu’on reçoit les effets du sacrement. Cette dévotion est empêchée, à la vérité, plutôt par les péchés qui précèdent que par ceux qui suivent. C’est pour cela que l’Eglise a ordonné de jeûner avant de la recevoir plutôt qu’après. Cependant il doit y avoir un certain intervalle entre le moment où l’on communie et celui où l’on prend d’autres aliments. C’est pour ce motif que dans la messe on dit l’oraison d’action de grâces après la communion, et que ceux qui communient disent aussi des prières particulières. D’après les anciens canons, le pape Clément Ier a rendu ce décret (epist. 2 à princ., ut hab. De consecrat., dist. 2, chap. 23) : Si c’est le matin qu’on reçoit le pain du Seigneur, que les ministres qui l’auront pris jeûnent jusqu’à sexte ; et s’ils l’ont reçu à la troisième ou à la quatrième heure, qu’ils jeûnent jusqu’à vêpres. Car autrefois on célébrait solennellement la messe plus rarement et avec de plus grandes préparations. Mais maintenant, parce qu’il faut célébrer plus fréquemment les mystères sacrés, on ne pourrait pas facilement observer cette règle (On demande actuellement qu’on ne prenne des aliments qu’après l’action de grâces, c’est-à-dire environ un quart d’heure après avoir communié.). C’est pour cela qu’elle a été abrogée par la coutume contraire.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Epist. 54 ad Januarium, chap. 6) : Il a plu au Saint-Esprit que par respect pour un aussi grand sacrement le corps du Seigneur entrât dans la bouche du chrétien avant toute autre nourriture.

 

            Conclusion Il n’y a que le péché mortel qui empêche par lui-même de communier ; les aliments ou la boisson qu’on aurait pris auparavant n’empêchent de le faire que d’après une loi de l’Eglise qui est très raisonnable, soit à cause de l’honneur dû à ce sacrement et de sa signification, soit encore pour qu’on ne s’expose pas à vomir et à s’enivrer.

            Il faut répondre qu’une chose peut empêcher de recevoir l’eucharistie de deux manières : 1° par elle-même, comme le péché mortel qui a de la répugnance avec ce qui est signifié par ce sacrement, comme nous l’avons dit (art. préc. et art. 4). 2° A cause de la défense de l’Eglise. On est ainsi empêché de communier après avoir mangé ou bu, pour trois raisons : l° Par honneur pour ce sacrement, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), afin qu’il entre dans la bouche de l’homme, lorsqu’elle n’est encore souillée par aucune nourriture, ni boisson. 2° A cause de sa signification, pour nous faire comprendre que le Christ qui est la chose de ce sacrement et sa charité, doivent avant tout être établis dans nos cœurs, suivant ces paroles de l’Evangile (Matth., 6, 33) : Cherchez d’abord le royaume de Dieu. 3° A cause du danger qu’il y a de vomir et de s’enivrer, ce qui arrive quelquefois parce qu’on fait un usage déréglé des aliments, comme le dit aussi l’Apôtre (1 Cor., 11, 21) : Les uns n’ont rien à manger, tandis que les autres sont ivres. — Cependant on excepte de cette règle générale les infirmes, qu’on doit communier même immédiatement après qu’ils ont mangé, s’ils sont en danger, dans la crainte qu’ils ne meurent sans la communion ; parce que la nécessité n’a pas de loi. D’où il est dit (De consecr., dist. 2, chap. 93) : Que le prêtre communie immédiatement le malade, de peur qu’il ne meure sans la communion (Il faut encore excepter le cas où un prêtre se trouve dans la nécessité d’achever le saint sacrifice, et celui où il y aurait danger de profanation pour la sainte hostie, car on reconnaît dans ce cas qu’un prêtre et même un laïque pourrait la prendre sans être à jeun.).

 

Article 9 : Ceux qui nont pas lusage de raison doivent-ils recevoir leucharistie ?

 

            Objection N°1. Il semble que ceux qui n’ont pas l’usage de raison ne doivent pas recevoir l’eucharistie. Car on exige qu’on s’approche de ce sacrement avec dévotion et après s’être préalablement examiné, d’après ces paroles (1 Cor., 11, 28) : Que l’homme s’éprouve lui-même et qu’ensuite il mange de ce pain et boive de ce calice. Or, ces conditions ne peuvent être remplies par ceux qui n’ont pas l’usage de raison. On ne doit donc pas leur conférer ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : Ceux qui sont privés de l’usage de la raison peuvent avoir de la dévotion envers l’eucharistie ; chez les uns elle existe présentement, chez les autres elle a existé dans le passé.

 

            Objection N°2. Parmi ceux qui manquent de l’usage de la raison, se trouvent les possédés et ceux qu’on appelle énergumènes. Or, on éloigne ceux qui sont dans cet état de la vue de l’eucharistie, d’après saint Denis (De hier. eccles., chap. 3). On ne doit donc pas donner ce sacrement à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison.

            Réponse à l’objection N°2 : Saint Denis parle (loc. cit.) en cet endroit des énergumènes qui n’avaient pas encore été baptisés : la puissance du démon n’a pas encore été éteinte en eux, et elle s’y maintient par le péché originel. Mais pour ceux qui sont baptisés et que les esprits immondes tourmentent corporellement, il faut raisonner à leur égard de la même manière qu’à l’égard des autres insensés. D’où Cassien dit (Collat. 7, chap. 30) : Nous ne nous rappelons pas que la sainte communion ait été jamais interdite par nos pères à ceux qui sont tourmentés par les esprits immondes.

 

            Objection N°3. Parmi ceux qui n’ont pas l’usage de raison les enfants paraissent être les plus innocents. Or, on ne confère pas ce sacrement aux enfants. On doit donc encore beaucoup moins le conférer à ceux qui n’ont pas l’usage de la raison.

            Réponse à l’objection N°3 : Il faut raisonner à l’égard des enfants qui ne font que de naître de la même manière qu’à l’égard des insensés qui n’ont jamais eu l’usage de la raison. Par conséquent on ne doit pas leur accorder les saints mystères, quoique quelques grecs fassent le contraire ; parce que saint Denis dit (De cœlest. hier., chap. 2) qu’on doit donner la sainte communion à ceux qui sont baptisés. Ils ne comprennent pas qu’il parle à cet endroit du baptême des adultes. Cependant les enfants n’éprouvent de cette privation aucun détriment spirituel, malgré ces paroles du Seigneur (Jean, 6, 54) : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous, parce que, comme le dit saint Augustin (Voy. quest. 73, art. 3, Réponse N°1), chacun des fidèles devient alors participant du corps et du sang du Seigneur, c’est-à-dire spirituellement, quand le baptême le rend membre du corps du Christ. Mais quand les enfants commencent à avoir un certain usage de raison de manière à pouvoir témoigner de la dévotion envers ce sacrement, alors on peut le leur conférer (Avant qu’un enfant n’ait fait sa première communion, s’il vient à tomber dangereusement malade et qu’il ait assez d’intelligence pour savoir ce qu’est l’eucharistie, on doit le communier en viatique. Benoit XIV s’exprime ainsi à ce sujet : Haud, leviter delinquere credimus, qui pueros etiam duodenes et perspicacis ingenii sinunt ex hac vita migrare sine viatico, hanc unam ob causam quia scilicet nunquam antea eucharisticum panem degustârunt (De synod., liv. 7, chap. 12).).

 

            Mais c’est le contraire. Le concile d’Orange (1, can. 13) et le droit disent (Decr. 26, quæst. 6, chap. Qui recedunt) : On doit conférer aux insensés tout ce qui appartient à la piété. Par conséquent on doit leur conférer l’eucharistie qui est le sacrement de la piété.

 

            Conclusion On ne doit pas éloigner de l’eucharistie tous ceux qui sont privés de l’usage de la raison, mais ceux qui ne l’ont jamais eue ; quant à ceux qui ont eu l’usage de la raison au commencement et qui l’ont ensuite perdu, s’ils ont montré de la dévotion pendant qu’ils étaient en jouissance de cette faculté, on peut leur donner l’eucharistie à l’article de la mort, à moins que par hasard on ne craigne qu’ils ne vomissent la sainte hostie ou qu’ils ne la crachent.

            Il faut répondre qu’il y a deux sortes de personnes qu’on dit n’avoir pas l’usage de raison. 1° On le dit de ceux qui ne jouissent que faiblement de cette faculté. C’est ainsi qu’on dit qu’une personne ne voit pas, parce qu’elle voit mal. Comme ces personnes peuvent avoir pour l’eucharistie une certaine dévotion, on ne doit pas leur refuser ce sacrement (Dès qu’il y a quelque légère raison d’espérer que le sacrement sera utile, dit Mgr de la Luzerne, il vaut mieux risquer le sacrement que l’homme, et l’exposer à être conféré sans fruit que de priver un chrétien de ses salutaires effets (Instruct. sur le rituel de Langres, ch. 5, art. 4).). 2° On le dit de ceux qui n’ont point du tout l’usage de raison : soit qu’ils ne l’aient jamais eu, et qu’ils soient ainsi depuis leur naissance ; alors on ne doit pas leur donner l’eucharistie, parce qu’antérieurement la dévotion envers ce sacrement n’a existé en eux d’aucune manière ; soit qu’ils n’aient pas toujours été privés de cette faculté. Dans ce cas, si quand ils étaient maîtres de leurs facultés on a vu en eux de la dévotion pour ce sacrement, on doit le leur conférer à l’article de la mort ; à moins que par hasard on ne craigne qu’ils ne le vomissent ou qu’ils ne le crachent (Le catéchisme du concile de Trente s’exprime sur ce point absolument de la même manière (De Eucharist. sacram., § 68).). C’est pour cela qu’il est dit (conc. Carth. 4, can. 76, et hab. in Decret. 26, quæst. 6, chap. 8) : Quand quelqu’un est malade et qu’il demande la pénitence, si par hasard pendant que le prêtre qu’il a appelé vient à lui, il se trouve oppressé par le mal au point de ne pouvoir plus parler, ou qu’il tombe dans une frénésie, que ceux qui l’ont entendu rendent témoignage et qu’il reçoive la pénitence, et si l’on croit qu’il va mourir, qu’on le réconcilie par l’imposition des mains et qu’on lui mette l’eucharistie dans la bouche (Cependant d’après saint Liguori on ne devrait pas donner la communion à quelqu’un qui serait tombé en démence, si l’on était sûr qu’il était tout à fait impénitent lorsqu’il a perdu la raison (Theolog. mor., liv. 6, n° 302).).

 

Article 10 : Est-il permis de recevoir leucharistie tous les jours ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis de recevoir l’eucharistie tous les jours. Car, comme le baptême représente la passion du Seigneur, de même aussi l’eucharistie. Or, il n’est pas permis de se faire baptiser plusieurs fois, mais on ne doit l’être qu’une seule ; parce que le Christ n’est mort qu’une fois pour nos péchés, selon l’expression de saint Pierre (1 Pierre, 3, 18). Il semble donc qu’il ne soit pas permis de recevoir l’eucharistie tous les jours.

            Réponse à l’objection N°1 : Par le sacrement de baptême l’homme est configuré à la mort du Christ, en recevant en lui-même son caractère. Et c’est pour cela que comme le Christ n’est mort qu’une fois, de même l’homme ne doit être baptisé qu’une fois. Mais par l’eucharistie l’homme ne reçoit pas le caractère du Christ ; il reçoit le Christ lui-même dont la vertu demeure éternellement. D’où saint Paul dit (Héb., 10, 14) : que par une seule oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés. C’est pourquoi, l’homme ayant besoin chaque jour de la vertu salutaire du Christ, il peut avec raison recevoir chaque jour ce sacrement. Et parce que le baptême est principalement la régénération spirituelle, il s’ensuit que comme l’homme ne naît qu’une fois charnellement, de même il ne doit renaître qu’une fois spirituellement par le baptême, selon cette remarque de saint Augustin (Tract. 11 in Joan.) : Comment l’homme peut-il naître lorsqu’il est vieux ? Mais l’eucharistie est la nourriture spirituelle. Par conséquent, comme on prend chaque jour de la nourriture pour le corps, de même il est louable de recevoir tous les jours ce sacrement (Le concile de Trente souhaite que les fidèles qui assistent à chaque messe communient non seulement en esprit et de cœur, mais encore par la réception sacramentelle de l’eucharistie, afin qu’ils reçoivent un fruit plus abondant de ce sacrifice (sess. 22, cap. 6).). Aussi le Seigneur nous apprend à le demander par ces paroles (Luc, 11, 3) : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. En les expliquant, saint Augustin dit (Lib. de Verb. Dom., loc. sup. cit.) : Si vous recevez chaque jour ce sacrement, chaque jour est pour vous aujourd’hui ; le Christ ressuscite pour vous chaque jour, car aujourd’hui est pour vous tous les jours où le Christ ressuscite pour vous.

 

            Objection N°2. La vérité doit répondre à la figure. Or, l’agneau pascal qui fut la principale figure de l’eucharistie, comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 9), n’était mangé qu’une fois l’an. L’Eglise ne célèbre aussi qu’une fois par an la passion du Christ, dont ce sacrement est le mémorial. Il semble donc qu’il ne soit pas permis de communier tous les jours, mais seulement une fois par an.

            Réponse à l’objection N°2 : L’agneau pascal a été la principale figure de l’eucharistie, quant à la passion du Christ que ce sacrement représente. C’est pour cela qu’on ne le recevait qu’une fois par an, parce que le Christ n’est mort qu’une fois ; et c’est aussi pour cela que l’Eglise ne célèbre qu’une fois par an la mémoire de la passion du Christ : au lieu que dans l’eucharistie on nous donne le mémorial de la passion du Christ à la manière d’une nourriture que l’on prend tous les jours. C’est pour ce motif que sous ce rapport elle est figurée par la manne que l’on donnait tous les jours au peuple dans le désert.

 

            Objection N°3. On doit le plus grand respect à ce sacrement dans lequel le Christ est contenu tout entier. Or, c’est une marque de respect que de s’abstenir de le recevoir. C’est pourquoi on loue le centurion qui a dit (Matth., 8, 8) : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison, et on fait aussi l’éloge de saint Pierre qui a dit (Luc, 5, 8) : Sortez de moi, Seigneur, parce que je suis un homme pécheur. Il n’est donc pas louable de recevoir l’eucharistie tous les jours.

            Réponse à l’objection N°3 : Le respect dû à l’eucharistie comprend la crainte jointe à l’amour ; c’est pour cela que la crainte respectueuse que l’on a pour Dieu est appelée une crainte filiale, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 67, art. 4, Réponse N°2, et 2a 2æ, quest. 19). Car l’amour provoque le désir de le recevoir et la crainte fait naître l’humilité nécessaire pour le vénérer. C’est pour cela qu’il appartient au respect dû à ce sacrement qu’on le reçoive tous les jours et qu’on s’en abstienne quelquefois. D’où saint Augustin dit (epist. 54, chap. 3) : Si l’un dit qu’il ne faut pas recevoir l’eucharistie tous les jours, et qu’un autre dise le contraire ; que chacun fasse ce que les lumières de sa foi et de sa piété lui conseilleront : car il n’y eut pas de contestation entre Zachée et le centenier, quoique l’un ait reçu le Seigneur avec joie et que l’autre ait dit : Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. Tous deux honorèrent le Seigneur, quoiqu’ils ne le firent pas de la même manière. Cependant l’amour et l’espérance auxquels l’Ecriture nous excite toujours sont préférables à la crainte. C’est pour cela que quand saint Pierre eut dit : Eloignez-vous de moi, Seigneur, parce que je suis un pécheur, Jésus répondit : Ne craignez pas.

 

            Objection N°4. S’il était louable de recevoir l’eucharistie souvent, plus on la recevrait fréquemment et plus on mériterait d’éloges. Or, on la recevrait plus fréquemment si on la recevait plusieurs fois dans le même jour. Il serait donc louable de communier plusieurs fois dans un jour, ce qui n’est cependant pas conforme à la coutume de l’Eglise. Il ne paraît donc pas louable qu’on reçoive ce sacrement tous les jours.

            Réponse à l’objection N°4 : Parce que le Seigneur dit : Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien, on ne doit pas communier plusieurs fois dans un jour (Il y a des théologiens qui pensent qu’on pourrait donner le même jour la communion en viatique à quelqu’un qui aurait fait la communion ordinaire le matin et qui serait ensuite tout à coup tombé en danger de mort. Benoît XIV examine la question et la laisse indécise (De synod., liv. 7, chap. 11).), afin que du moins en ne communiant qu’une fois dans un jour, on représente l’unité de la passion du Christ.

 

            Objection N°5. L’Eglise a l’intention de pourvoir à l’utilité des fidèles par ses statuts. Or, d’après une loi de l’Eglise, les fidèles ne sont tenus de communier qu’une fois par an. D’où il est dit (extra, De pœnit. et remiss., chap. 12) : Que tout fidèle de l’un et de l’autre sexe reçoive avec respect, au moins à Pâques, le sacrement de l’eucharistie, à moins que, d’après le conseil de son propre prêtre, il ne pense que pour une cause raisonnable il doive s’abstenir pendant un temps de le recevoir. Il n’est donc pas louable de recevoir tous les jours ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°5 : Selon les divers états de l’Eglise elle a établi à cet égard des lois différentes. Car dans la primitive Eglise, quand la foi chrétienne était dans sa plus grande ferveur, il a été statué que les fidèles communieraient tous les jours. D’où le pape Anaclet dit (epist. 1, in med. et hab. De consecrat., chap. 10, dist. 2) : Qu’après la consécration, tous ceux qui y assistent communient ; car les apôtres l’ont ordonné ainsi et l’Eglise romaine le maintient. Ensuite, la ferveur de la foi s’étant relâchée, le pape Fabien ordonna (Decret. 7, et hab., De consecrat., chap. 16, dist. 2) que si l’on ne communiait pas plus souvent, tous le fissent au moins trois fois dans l’année, c’est-à-dire à Pâques, à la Pentecôte, et à Noël. Le pape Sotère dit que l’on devait encore communier le jeudi saint, comme on le voit (Decret. De consecrat, dist. 2, chap. 17). Enfin, l’iniquité s’étant multipliée, la charité de la multitude se refroidit, et Innocent III statua (De concil. Lateran. 4, chap. 21) que les fidèles communieraient au moins une fois par an, c’est-à-dire à Pâques. Cependant Gennade conseille (Lib. de ecclesiast. dogmat., chap. 53) de communier tous les jours de fête.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de Verb. Dom., serm. 28, circ. med.) : C’est le pain quotidien, recevez-le chaque jour pour qu’il vous serve chaque jour.

 

            Conclusion Puisque la vertu de l’eucharistie est extrêmement salutaire aux hommes, il est avantageux de la recevoir tous les jours, si on se trouve tous les jours préparé avec toute la dévotion qu’elle demande, ce qui n’arrive pas à tout le monde pour beaucoup de raisons qui s’y opposent.

            Il faut répondre qu’à l’égard de l’usage de ce sacrement on peut considérer deux choses : 1° l’une par rapport au sacrement lui-même dont la vertu est salutaire aux hommes. C’est pourquoi il est utile de le recevoir chaque jour, afin que chaque jour l’homme en reçoive les fruits. D’où saint Ambroise dit (De sacram., liv. 4, chap. 6) : Comme toutes les fois qu’on répand le sang du Christ, on le répand pour la rémission des péchés, je dois toujours le recevoir ; car puisque je pèche toujours, je dois toujours prendre le remède. — 2° L’autre considération se rapporte à celui qui le prend et dont on exige qu’il s’en approche avec une grande dévotion et un grand respect. Et c’est pour cela que, si tous les jours on s’y trouve préparé, il est louable de le recevoir tous les jours. C’est pour ce motif que saint Augustin après avoir dit : Recevez-le tous les jours, pour qu’il vous soit utile tous les jours, ajoute : Mais vivez de telle sorte que vous méritiez de le recevoir ainsi chaque jour. Toutefois, parce que souvent dans la plupart des hommes il se rencontre beaucoup de choses qui empêchent cette dévotion, en raison de leur indisposition corporelle, ou de l’indisposition de leur âme, il n’est pas utile à tout le monde de s’approcher tous les jours de ce sacrement ; il n’est avantageux de le faire que toutes les fois qu’on se sent préparé (La difficulté est de savoir au juste ce que l’on doit exiger de perfection de la part de ceux qui communient. On convient que plus une personne communie souvent, plus on doit être exigeant à son égard, parce que si la communion est profitable aux fidèles, ils doivent devenir toujours plus parfaits, et s’ils ne le deviennent pas c’est un motif pour les empêcher de la recevoir aussi souvent. Saint Liguori croit qu’on peut communier tous les huit jours quoiqu’on commette des péchés véniels d’habitude ou par préméditation.). D’où il est dit (Lib. de ecclesiast. dogmat., chap. 53) : Je ne loue, ni je ne blâme l’usage de recevoir tous les jours la communion eucharistique.

 

Article 11 : Est-il permis de sabstenir absolument de communier ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il soit permis de s’abstenir absolument de communier. Car le centurion est loué pour avoir dit (Matth., 8, 8) : Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison. Celui qui pense qu’il doit s’abstenir de communier lui ressemble, comme nous l’avons vu (art. préc., Réponse N°3). Par conséquent, puisque l’Evangile ne dit pas que le Christ soit jamais venu dans sa maison, ii semble qu’il soit permis à quelqu’un de s’abstenir de communier pendant toute sa vie.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Grégoire dans son Pastoral (part. 1, chap. 6), la véritable humilité consiste à ne pas repousser avec obstination ce qui nous est utilement commandé. C’est pourquoi l’humilité ne peut être louable, si elle va contre le précepte du Christ, et si on s’abstient ainsi absolument de communier. Car il n’a pas été ordonné au centurion de recevoir le Christ dans sa maison.

 

            Objection N°2. Il est permis à tout le monde de s’abstenir des choses qui ne sont pas nécessaires au salut. Or, l’eucharistie n’est pas de nécessité de salut, comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 3). Il est donc permis de s’abstenir absolument de recevoir ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°2 : On dit que l’eucharistie n’est pas nécessaire, comme le baptême, relativement aux enfants qui peuvent se sauver sans communier, mais qui ne le peuvent pas sans être baptisés ; tandis que, par rapport aux adultes, ces deux sacrements sont l’un et l’autre également nécessaires.

 

            Objection N°3. Les pécheurs ne sont pas tenus de communier. Aussi, après avoir dit : Que tout le monde communie trois fois par an, le pape Fabien a ajouté (loc. cit., art. préc. ad 5) : A moins qu’on n’en soit empêché par de grandes fautes. Par conséquent, si ceux qui ne sont pas dans le péché sont tenus de communier, il semble que les pécheurs soient dans une condition meilleure que les justes ; ce qui répugne. Il semble donc qu’il soit également permis aux justes de s’abstenir de communier.

            Réponse à l’objection N°3 : Les pécheurs subissent un grand dommage d’être ainsi empêchés de recevoir ce sacrement ; ils ne sont donc pas pour cela dans une condition meilleure. Et quoique ceux qui restent dans le péché ne soient pas pour cela excusés de ce qu’ils transgressent ce précepte, cependant on excuse les pénitents, qui, comme le dit Innocent III (loc. cit., art. préc., Réponse N°5), s’en abstiennent selon le conseil du prêtre qui les confesse (Sauf cette exception il n’y a que l’évêque qui puisse permettre de communier avant ou après le temps pascal. De droit commun le temps de la communion pascale s’étend du dimanche des Rameaux an dimanche de Quasimodo. Dans certains diocèses il commence au dimanche de la Passion et ne finit qu’au dimanche du Bon-Pasteur. C’est à l’ordinaire à régler ce point de discipline.).

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jean, 6, 54) : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous.

 

            Conclusion Puisque la réception spirituelle de l’eucharistie, qui est nécessaire au salut, implique le vœu de recevoir ce sacrement, et que ce vœu devient vain si on ne l’accomplit pas, quand il est opportun de le faire, il est évident que les hommes sont obligés de recevoir l’eucharistie, non seulement d’après les lois de l’Eglise, mais encore d’après l’ordre du Christ.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), il y a deux manières de recevoir l’eucharistie, l’une spirituelle et l’autre sacramentelle. Or, il est évident que tout le monde est tenu de la recevoir au moins spirituellement, parce que c’est s’incorporer au Christ, comme nous l’avons dit (quest. 73, art. 3, Réponse N°1). La manducation spirituelle implique d’ailleurs le vœu ou le désir de recevoir ce sacrement, comme nous l’avons vu (ibid.). C’est pourquoi on ne peut être sauvé sans avoir la volonté de le recevoir. — Et comme ce vœu serait vain, si on ne l’accomplissait quand il y a lieu de le faire, il s’ensuit qu’il est évident que l’on est tenu de recevoir ce sacrement, non seulement d’après les préceptes de l’Eglise, mais d’après l’ordre du Seigneur, qui dit (Luc, 22, 19) : Faites cela en mémoire de moi. Mais les lois de l’Eglise ont déterminé l’époque où l’on devait exécuter le précepte du Christ (D’après le concile de Latran de l’an 1215, on doit communier au moins une fois chaque année à Pâques, de la main de son propre pasteur. Le concile de Trente a ainsi renouvelé et confirmé ce décret (sess. 13, can. 9) : Si quis negaverit omnes et singulos Christi fideles utriusque sexûs, cùm ad annos discretionis pervenerint, teneri singulis annis, saltem in Paschate, ad communicandum, juxtà præceptum sanctæ matris Ecclesiæ, anathema sit.).

 

Article 12 : Est-il permis de recevoir le corps du christ sans le sang ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis de recevoir le corps du Christ sans le sang. Car le pape Gélase dit (hab., De consecr., dist. 2, chap. 12) : Nous apprenons qu’il y en a qui ne reçoivent que le corps sacré du Christ, et qui s’abstiennent de recevoir le calice de son précieux sang, parce qu’ils se laissent conduire, nous ne savons par quelle superstition, nous ordonnons qu’ils reçoivent le sacrement tout entier, ou qu’ils en soient complètement privés. Il n’est donc pas permis de prendre le corps du Christ sans le sang.

            Réponse à l’objection N°1 : Le pape Gélase parle des prêtres qui, comme ils consacrent le sacrement tout entier, doivent aussi le recevoir tout entier. Car, comme le dit un concile de Tolède (12, can. 5), quel sera le sacrifice auquel on ne voit pas le sacrificateur lui-même prendre part ?

 

            Objection N°2. Manger le corps et boire le sang sont deux actes qui concourent à la perfection de l’eucharistie, comme nous l’avons vu (quest. 74, art. 1, et quest. 76, art. 2, Réponse N°1). Si donc on reçoit le corps sans le sang, le sacrement sera imparfait, ce qui semble être un sacrilège. C’est pourquoi le pape Gélase ajoute (loc. cit.) : Parce que la division d’un seul et même mystère ne peut avoir lieu sans un grand sacrilège.

            Réponse à l’objection N°2 : La perfection de ce sacrement n’existe pas dans l’usage qu’en font les fidèles, mais dans la consécration de la matière. C’est pour cela que le peuple en recevant le corps sans le sang ne déroge en rien à la perfection du sacrement, pourvu que le prêtre qui le consacre reçoive l’un et l’autre.

 

            Objection N°3. On célèbre ce sacrement en mémoire de la passion du Seigneur, comme nous l’avons dit (loc. cit.), et on le reçoit pour le salut de l’âme. Or, la passion du Christ est exprimée plus vivement par le sang que par le corps, et on offre aussi le sang pour le salut de l’âme, comme on le voit (quest. 76, art. 2, Réponse N°1). On devrait donc plutôt s’abstenir de recevoir le corps que de recevoir le sang : par conséquent, ceux qui s’approchent de l’eucharistie ne doivent pas recevoir le corps du Christ sans recevoir son sang.

 

            Mais c’est le contraire. C’est l’usage de beaucoup d’Eglises où l’on donne au peuple qui communie le corps du Christ sans lui donner son sang.

 

            Conclusion Puisqu’il appartient au prêtre de consacrer et de produire ce sacrement dont la perfection consiste dans ces deux choses, il ne doit d’aucune manière prendre le corps du Christ sans le sang ; mais il y a des Eglises qui ont prudemment la coutume de ne donner aux fidèles que le corps du Christ, pour éviter tout danger d’irrévérence.

            Il faut répondre qu’à l’égard de l’usage de l’eucharistie, on peut considérer deux choses, l’une par rapport au sacrement lui-même, l’autre par rapport à ceux qui le reçoivent. Par rapport au sacrement lui-même, il convient qu’on reçoive le corps et le sang, parce que la perfection du sacrement consiste dans l’un et l’autre. C’est pourquoi, comme il appartient au prêtre de consacrer ce sacrement et de le parfaire, il ne doit d’aucune manière prendre le corps du Christ sans le sang (Cette double condition est nécessaire pour l’intégrité du sacrifice (Voy. ailleurs, quest. 74, art. 1)). — Par rapport à ceux qui le reçoivent, il faut un grand respect et de grandes précautions pour qu’il n’arrive rien d’injurieux à un sacrement aussi élevé ; ce qui pourrait arriver surtout en prenant le sang, qu’il serait facile de répandre, si on ne le prenait avec beaucoup de soin. Et parce que la multitude des chrétiens a augmenté et qu’elle renferme des vieillards, des jeunes gens, des enfants dont quelques-uns ne sont pas assez raisonnables pour employer toutes les précautions nécessaires dans l’usage de ce sacrement, on a établi, pour ce motif, la coutume dans certaines Eglises de ne pas donner au peuple le sang, mais de le faire prendre seulement par le prêtre (Cette coutume a été établie d’après les meilleures raisons (Voyez à ce sujet le traité de Bossuet sur la communion sous les deux espèces (edit. de Versailles, tom. 23). Le concile de Trente a d’ailleurs ainsi anathématisé ceux qui la censuraient (sess. 21, can. 2) : Si quis dixerit sanctam Ecclesiam catholicam non factis, causis et rationibus adductam fuisse, ut laicos atque etiam clericos non conficientes, sub panis tantummodò specie communicent, aut in eo errasse ; anathema sit.).

            Réponse à l’objection N°3 : La représentation de la passion du Seigneur a lieu dans la consécration même de l’eucharistie, dans laquelle on ne doit pas consacrer le corps sans le sang. Mais le peuple peut prendre le corps sans le sang. Il ne résulte de là aucun dommage, parce que le prêtre, dans la personne de tout le monde, offre le sang et le reçoit, et que le Christ est contenu tout entier sous l’une et l’autre espèce (C’est encore ce que le concile de Trente a ainsi défini (ibid., can. 5)  : Si quis negaverit totum et integrum Christum, omnium gratiarum fontem et auctorem, sub una panis specie sumi, quia, ut quidam falsò asserunt, non secundùm ipsius Christi institutionem sub utraque specie sumatur ; anathema sit.), comme nous l’avons vu (quest. 76, art. 2).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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