Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 81 : De la manière dont le Christ a fait usage de l’eucharistie

 

            Nous devons ensuite considérer la manière dont le Christ a fait usage de l’eucharistie lorsqu’il l’a instituée. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Le Christ a-t-il pris son corps et son sang ? — 2° L’a-t-il donné à Judas ? (Toute la tradition cite le crime de Judas comme un sacrilège. Il n’y a que saint Hilaire qui ait été d’une opinion différente, et tout en combattant son sentiment particulier saint Thomas l’explique.) — 3° En quel état était le corps qu’il a pris ou qu’il a donné ? était-il passible ou impassible ? — 4° Que serait devenu le Christ dans l’eucharistie, si on l’eût conservé ou qu’on l’eût consacré pendant les trois jours qu’a duré sa mort ?

 

Article 1 : Le Christ a-t-il pris son corps et son sang ?

 

            Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas pris son corps et son sang. Car, à l’égard des faits et des paroles du Christ, on ne doit affirmer que ce que l’autorité de l’Ecriture sainte rapporte. Or, on ne voit pas dans les Evangiles que le Christ ait mangé son corps ou bu son sang. On ne doit donc pas l’affirmer.

            Réponse à l’objection N°1 : On lit dans les Evangiles que le Christ a reçu le pain et le calice ; mais on ne doit pas entendre qu’il l’ait reçu seulement dans ses mains, comme quelques-uns le prétendent ; mais qu’il l’a reçu de la manière qu’il l’a fait recevoir aux autres. Ainsi, quand il eut dit à ses disciples : Recevez et mangez, puis : Recevez et buvez, on doit entendre qu’il l’a reçu lui-même en mangeant et en buvant. C’est ce qui a fait dire au poète : Le roi est assis dans la cène, environné de ses douze apôtres ; il se tient dans ses mains et il est à lui-même sa nourriture.

 

            Objection N°2. Rien ne peut exister en soi-même, si ce n’est par hasard en raison des parties, selon qu’une partie d’un corps est dans une autre, comme on le voit (Phys., liv. 4, text. 34). Or, ce qu’on mange ou ce qu’on boit, est dans celui qui le mange ou qui le boit. Par conséquent, puisque le Christ est tout entier sous l’une et l’autre espèce sacramentelle, il semble impossible qu’il ait lui-même reçu ce sacrement.

           Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 5), le Christ, selon qu’il est dans l’eucharistie, se rapporte au lieu, non selon ses propres dimensions, mais selon les dimensions des espèces sacramentelles, de telle sorte que le Christ est dans tous les lieux où se trouvent ces espèces. Et parce que ces espèces ont pu être dans les mains et dans la bouche du Christ, le Christ a pu être tout entier dans ses mains et dans sa bouche. Mais c’eût été impossible selon que le corps se rapporte au lieu par ses propres dimensions (C’est la fameuse objection de Rousseau qui prétendait que puisque le Christ s’était lui-même communié, sa bouche l’avait contenu tout entier et que la partie avait été plus grande que le tout. Ce sophisme ne repose, comme on le voit, que sur une équivoque, car il ne serait concluant que pour le cas où le Christ dans l’eucharistie se rapporterait au lieu selon ses propres dimensions ; ce qui est contraire à l’enseignement théologique. Au reste il est de foi que le Christ a consacré, mais il n’est pas de foi qu’il s’est communié lui-même.).

 

            Objection N°3. Il y a deux manières de recevoir l’eucharistie, l’une spirituelle et l’autre sacramentelle. Or, la première ne convenait pas au Christ, parce qu’il n’a rien reçu du sacrement, et par conséquent la seconde ne lui convenait pas non plus, parce que la réception sacramentelle sans la réception spirituelle est imparfaite, comme nous l’avons vu (quest. préc., art. 1). Le Christ n’a donc reçu ce sacrement d’aucune manière.

            Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 79, art. 1, Réponse N°2), l’eucharistie a pour effet, non seulement d’augmenter la grâce habituelle, mais elle produit encore une délectation actuelle de la douceur spirituelle. Ainsi, quoique la grâce n’ait pas été augmentée dans le Christ par la réception de ce sacrement, cependant il a trouvé une certaine délectation spirituelle dans son institution. C’est ce qui lui faisait dire (Luc, 21, 15) : J’ai désiré du désir le plus vif de manger cette pâque avec vous ; ce qu’Eusèbe entend du nouveau mystère du Nouveau Testament, qu’il livrait à ses disciples (hab. in Cat. S. Thomæ). C’est pourquoi il a mangé son propre corps spirituellement et il l’a mangé de même sacramentellement, en tant qu’il l’a reçu sous les espèces sacramentelles (Quoique le Christ se voie clairement sous les espèces, il s’est reçu néanmoins sacramentellement, selon cette observation de saint Bonaventure : Nec oportet quod veniat signum tanquam velamen, sed sufficit quod veniat tanquam significans.) qu’il comprenait être le sacrement de son corps et qu’il avait lui-même disposées. Mais il l’a reçu autrement que le reçoivent sacramentellement et spirituellement les autres personnes, parce que celles-ci reçoivent une augmentation de grâce et qu’elles ont besoin des signes sacramentels pour la perception de la vérité.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Jérôme dit à Hédibie (quest. 2, à med.) : Jésus-Christ Notre-Seigneur est le convive et le festin, c’est lui qui mange et qui est mangé.

 

            Conclusion Le Christ ayant eu l’habitude d’observer le premier ce qu’il a établi pour être observé par les autres, non seulement il a établi le sacrement de son corps pour que les autres le prennent, mais il l’a encore pris lui-même.

            Il faut répondre qu’il y en a qui ont dit que dans la cène le Christ avait donné son corps et son sang à ses disciples, mais qu’il ne l’avait pas pris lui-même. Ce sentiment ne paraît pas convenable, parce que le Christ a observé le premier ce qu’il a établi pour être observé par les autres. Ainsi il a voulu être baptisé avant d’imposer aux autres le baptême, d’après ces paroles (Actes, 1, 1) : Jésus a commencé à faire et à enseigner. Par conséquent, il a pris d’abord son corps et son sang, et il l’a ensuite donné à prendre à ses disciples. C’est pour cela qu’à l’occasion de ces paroles (Ruth, 3, 7) : Et lorsque Booz, après avoir bu et mangé, etc., la glose dit (ordin.) : Que le Christ a mangé et a bu dans la cène, lorsqu’il a livré à ses disciples le sacrement de son corps et de son sang ; et que par là même que ses disciples ont communié à sa chair et à son sang, il y a aussi participé.

 

Article 2 : Le Christ a-t-il donné à Judas son corps ?

 

            Objection N°1. Il semble que le Christ n’ait pas donné à Judas son corps. Car, comme on le voit (Matth., 26, 29), après qu’il eut donné son corps et son sang à ses disciples, il leur dit : Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où je le boirai nouveau avec vous dans le royaume de mon Père. D’où il semble que ceux auxquels il avait donné son corps et son sang, le devaient boire avec lui de nouveau. Or, Judas ne l’a pas ensuite bu avec lui. Il n’a donc pas reçu le corps du Christ et son sang avec les autres disciples.

            Réponse à l’objection N°1 : Ce raisonnement est celui que fait saint Hilaire pour montrer que Judas n’a pas reçu le corps du Christ ; mais il n’est pas concluant, parce que le Christ parle aux disciples dont Judas s’est séparé lui-même. Car ce n’est pas le Christ qui l’a exclu, et c’est pour cela qu’autant qu’il est en lui, il boit encore avec Judas le vin dans le royaume de Dieu ; mais c’est Judas qui a lui-même répudié ce banquet.

 

            Objection N°2. Le Seigneur a accompli ce qu’il a commandé, d’après ces paroles (Actes, 1, 1) : Jésus a commencé à faire et à enseigner. Or, il a dit (Matth., 7, 6) : Ne donnez pas ce qui est saint aux chiens. Par conséquent, puisqu’il connaissait que Judas était un pécheur, il semble qu’il ne lui ait pas donné son corps et son sang.

           Réponse à l’objection N°2 : L’iniquité de Judas était connue du Christ, comme Dieu ; mais il ne la connaissait pas à la manière dont les hommes connaissent les choses. C’est pourquoi le Christ n’a pas repoussé Judas de la communion pour nous apprendre par cet exemple que les autres prêtres ne doivent pas repousser les pécheurs occultes.

 

            Objection N°3. On voit que le Christ a donné en particulier à Judas un morceau de pain trempé (Jean, chap. 13). S’il lui a donné son corps, il semble qu’il le lui ait donné sous ce morceau de pain, surtout quand on remarque qu’il est dit au même endroit : Que quand il eut pris ce morceau, Satan entra en lui. Saint Augustin dit à ce sujet (Tract. 62 in Joan.) : Ceci nous apprend combien nous devons prendre garde de mal recevoir ce qui est bon ; car si on reprend celui qui ne juge pas, c’est-à-dire qui ne discerne pas le corps du Christ des autres aliments, comment ne condamnerait-on pas celui qui s’approche de la table en ennemi, tout en feignant qu’il est ami. Or, Judas ne reçut pas le corps du Christ avec ce morceau de pain trempé. Car, comme l’observe le même Père (Tract. 62) sur ces paroles de saint Jean : Cùm intinxisset panem, dedit Judæ Simonis Iscariothis, etc. Ce ne fut pas en ce moment que Judas reçut le corps du Christ, comme le pensent quelques auteurs qui n’ont pas lu ce texte assez attentivement. Il semble donc que Judas n’ait pas reçu le corps du Christ.

            Réponse à l’objection N°3 : Certainement Judas n’a pas reçu le corps du Christ sous ce morceau de pain, mais il n’a reçu que du pain (Le récit de la trahison a été d’ailleurs placé après celui qui regarde l’institution de l’eucharistie et sa dispensation.). Comme l’observe saint Augustin (loc. cit.), ce morceau trempé signifie peut-être la dissimulation de Judas ; car il y a des choses que l’on trempe, pour leur donner une fausse couleur. Ou bien s’il signifie quelque chose de bon (c’est-à-dire la douceur delà bonté divine, parce que le pain trempé n’en est que meilleur au goût), ce n’est pas à tort que la damnation est venue frapper celui qui était ingrat à l’égard de ce bienfait. Et, à cause de cette ingratitude ce qui est bon est devenu pour lui mauvais ; comme il arrive à l’égard de ceux qui reçoivent indignement le corps du Christ. Et comme l’observe le même Père (ibid.), on doit comprendre que le Seigneur avait auparavant distribué à tous ses disciples le sacrement de son corps et de son sang, lorsque Judas était avec eux, ainsi que le raconte saint Luc : et c’est après cela que, suivant le récit de saint Jean, le Seigneur a désigné celui qui le trahirait en lui offrant vin morceau de pain trempé.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Chrysostome dit (Hom. 83 in Matth.) : Judas en participant aux mystères ne s’est pas converti : par conséquent son crime a été plus atroce sous un double rapport : soit parce qu’il s’est approché des mystères avec un pareil dessein ; soit parce qu’en s’en approchant il n’a été rendu meilleur, ni par la crainte, ni par le bienfait, ni par l’honneur.

 

            Conclusion Quoique Judas eût mérité d’être privé de l’eucharistie à cause de sa malice, cependant le Christ lui a donné son corps et son sang dans la crainte qu’on ne séparât de la communion des autres un pécheur occulte, sans accusateur et sans preuve évidente.

            Il faut répondre que saint Hilaire a supposé (Sup. Matth., can. 30) que le Christ n’avait pas donné à Judas son corps et son sang. C’eût été en effet convenable, si on considère la malice de Judas. Mais parce que le Christ a dû être pour nous un exemple de justice, il ne lui convenait pas, comme maître, de séparer de la communion des autres, Judas qui était un pécheur occulte sans accusateur et sans preuve évidente ; de peur de donner par là l’exemple aux prélats de l’Eglise d’agir de même, et que Judas exaspéré n’en prît l’occasion de pécher. C’est pourquoi il faut dire que Judas reçut le corps et le sang du Seigneur avec les autres disciples, comme le disent saint Denis (De eccles. hier., chap. 3) et saint Augustin (Tract. 62 sup. Joan.).

 

Article 3 : Le Christ a-t-il pris et a-t-il donné à ses disciples son corps impassible ?

 

            Objection N°1. Il semble que le Christ ait pris et qu’il ait donné à ses disciples son corps impassible. Car sur ces paroles (Matth., 17, 2) : Il fut transfiguré devant eux, la glose dit (ord.) : Ce corps qu’il a eu par nature il l’a donné à ses disciples dans la cène, non mortel et passible. Et sur ces autres paroles (Lévit., 2, 5) : Si votre oblation se fait d’une chose frite dans la poêle, la même glose ajoute : La croix qui est plus forte que toutes choses a rendu la chair du Christ apte à être mangée, quoiqu’elle ne parût pas l’être avant la passion. Or, le Christ a donné son corps comme étant apte à être mangé. Il l’a donc donné tel qu’il a été après la passion, c’est-à-dire impassible et immortel.

            Réponse à l’objection N°1 : Il est dit que le Christ n’a pas donné dans la cène son corps mortel et passible, parce qu’il ne l’a pas donné d’une manière mortelle et passible. Quant à la croix elle a rendu la chair du Christ apte à être mangée, en tant que ce sacrement représente la passion du Christ.

 

            Objection N°2. Tout corps passible souffre par le contact et la manducation. Si donc le corps du Christ avait été passible, il aurait souffert lorsqu’il aurait été touché et mangé par ses disciples.

            Réponse à l’objection N°2 : Cette raison serait concluante, si le corps du Christ, tout passible qu’il était, avait été aussi dans ce sacrement d’une manière passible.

 

            Objection N°3. Les paroles sacramentelles n’ont pas aujourd’hui plus de vertu, quand elles sont prononcées par le prêtre dans la personne du Christ, qu’elles n’en eurent alors quand le Christ les prononça. Or, maintenant par la vertu des paroles sacramentelles on consacre à l’autel le corps impassible et immortel du Christ ; à plus forte raison le Christ l’a-t-il fait alors.

           Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 4), les accidents du corps du Christ sont dans l’eucharistie par une concomitance réelle, mais non par la force du sacrement, d’après laquelle la substance du corps du Christ y est. C’est pourquoi la vertu des paroles sacramentelles s’étend à ce que le corps du Christ existe dans l’eucharistie (C’est-à-dire que la substance du pain soit changée en la substance du corps ; quant aux qualités du corps elles s’y trouvent par concomitance.), c’est-à-dire avec tous les accidents qui existent réellement en lui.

 

            Mais c’est le contraire. Comme le dit le pape Innocent III (De myster. Mis., liv. 3, chap. 12) : Il donna à ses disciples son corps tel qu’il était. Or, il était alors passible et mortel. Il le leur a donc donné en cet état.

 

            Conclusion Puisque le Christ a donné à ses disciples sous l’espèce du sacrement le même corps que celui qu’ils voyaient dans son espèce propre, il a pris et il leur a donné à manger son corps passible, mais d’une manière impassible.

            Il faut répondre que Hugues de Saint-Victor a supposé (Voy. sup., quest. 45, art. 2) qu’avant sa passion le Christ a pris à des époques différentes les quatre qualités du corps glorifié : la subtilité dans sa naissance, quand il est sorti du sein de la Vierge ; l’agilité, quand il a marché à pied sec sur la mer ; la clarté dans la transfiguration ; l’impassibilité dans la cène quand il a donné son corps à manger à ses disciples. Et d’après cela il leur a donné son corps impassible et immortel. Mais quoi qu’il en soit des autres qualités dont nous avons déjà dit (quest. 28, art. 2, Réponse N°3, et quest. 45, art. 2, et quest. 54, art. 1, Réponse N°1) ce que l’on en devait penser, à l’égard de l’impassibilité il est impossible qu’on admette ce sentiment. Car il est évident que c’était le même corps du Christ que ses disciples voyaient alors dans son espèce propre et qu’ils recevaient sous l’espèce du sacrement. Or, il n’était pas impassible, selon qu’on le voyait dans son espèce propre, et il était même tout prêt à souffrir la passion ; par conséquent ce même corps qu’on recevait sous l’espèce sacramentelle n’était pas impassible non plus. —Cependant quoiqu’il fût passible en lui-même, il était sous l’espèce du sacrement d’une manière impassible comme il y était d’une manière invisible, quoiqu’il fût visible en lui-même. Car, comme la vision requiert le contact du corps qui est vu avec le milieu environnant qui agit sur la vue, de même la passion demande le contact du corps qui souffre avec les choses qui agissent sur lui. Or, le corps du Christ, selon qu’il existe dans le sacrement, ainsi que nous l’avons dit (quest. 76, art. 4 à 6), n’est pas mis en rapport avec les choses qui l’environnent par l’intermédiaire de ses propres dimensions au moyen desquelles les corps se touchent, mais par l’intermédiaire des dimensions des espèces du pain et du vin. C’est pourquoi ce sont ces espèces qui pâtissent et que l’on voit, et non le corps lui-même du Christ.

 

Article 4 : Si leucharistie avait été conservée au temps de la mort du Christ ou quon leût consacrée, serait-il mort dans le sacrement ?

 

            Objection N°1. Il semble que si l’eucharistie avait été conservée dans un vase pendant le temps de la mort du Christ, ou qu’elle eût été consacrée par un des apôtres, il n’y serait pas mort. Car la mort du Christ est arrivée par sa passion. Or, le Christ était alors dans l’eucharistie d’une manière impassible. Il ne pouvait donc mourir dans ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.), la passion convient au corps qui souffre par suite de ses rapports avec un agent extérieur. C’est pourquoi le Christ selon qu’il est dans l’eucharistie ne peut pas souffrir, mais il peut mourir.

 

            Objection N°2. Dans la mort du Christ, son sang a été séparé du corps. Or, le corps du Christ et le sang existent ensemble dans l’eucharistie. Le Christ n’y serait donc pas mort.

           Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 2), le corps du Christ est sous l’espèce du pain par la force de la consécration, tandis que le sang est sous l’espèce du vin. Mais maintenant que le sang du Christ n’est pas réellement séparé de son corps, par la concomitance réelle (Cette concomitance n’existe qu’en vertu de leur connexion naturelle qui n’existait pas alors.), il arrive que le sang du Christ est sous l’espèce du pain simultanément avec le corps, et que le corps est sous l’espèce du vin simultanément avec le sang. Mais si au temps de la passion du Christ, quand le sang a été réellement séparé de son corps, ce sacrement avait été consacré, il n’y aurait eu que le corps sous l’espèce du pain et que le sang sous l’espèce du vin.

 

            Objection N°3. La mort arrive par la séparation de l’âme et du corps. Or, le corps aussi bien que l’âme du Christ sont contenus dans ce sacrement. Le Christ ne pouvait donc pas y mourir.

            Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 76, art. 1, Réponse N°1), l’âme du Christ est dans l’eucharistie par la concomitance réelle, parce qu’elle n’existe pas sans le corps, mais elle n’y est pas par la force de la consécration. C’est pourquoi si ce sacrement avait été alors consacré ou produit, quand l’âme était réellement séparée du corps, l’âme du Christ n’aurait pas été dans le sacrement, non parce que les paroles auraient manqué de vertu, mais en raison de la disposition de la chose, qui n’eût pas été la même.

 

            Mais c’est le contraire. Le même Christ qui était sur la croix aurait été dans l’eucharistie. Or, il mourait sur la croix. Il serait donc mort aussi dans le sacrement qu’on aurait conservé.

 

            Conclusion Puisque le même Christ qui était sur la croix aurait été aussi dans l’eucharistie, si ce sacrement avait été conservé au temps de sa mort, il s’ensuit que le Christ serait mort dans ce sacrement.

            Il faut répondre que le corps du Christ est substantiellement le même dans l’eucharistie et dans sa propre espèce, mais il n’y est pas de la même manière. Car dans sa propre espèce il touche les corps qui l’environnent par ses propres dimensions, tandis qu’il n’en est pas de même selon qu’il existe dans le sacrement, ainsi que nous l’avons dit (art. préc.). C’est pourquoi tout ce qui appartient au Christ, selon ce qu’il est en lui-même, peut lui être attribué selon qu’il existe dans son espèce propre et dans le sacrement, comme vivre, mourir, souffrir, être animé ou inanimé et toutes les autres choses semblables. Au contraire, tout ce qui lui convient par rapport aux corps extérieurs peut lui être attribué selon qu’il existe dans son espèce propre et non selon qu’il est dans le sacrement ; comme être insulté, conspué, crucifié, flagellé et toutes les autres choses de ce genre. D’où l’on a dit poétiquement : « En conservant le sacrement, vous auriez pu réunir la douleur qui lui est interne, mais celle qu’on lui inflige extérieurement n’aurait pu lui convenir (Ce sentiment est celui de Scot (in 4, dist. 10, quest. 6), de Richard de Saint-Victor (dist. 10, quest. 5, art. 2), de saint Bonaventure (dist. 2) et de la plupart des scolastiques.). »

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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