Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
82 : Du ministre de l’eucharistie
Nous avons maintenant à nous occuper du ministre de l’eucharistie. — A
ce sujet dix questions se présentent : 1° Est-ce le propre du prêtre que de
consacrer l’eucharistie ? (Les vaudois ont reconnu à tout laïque qui est en
état de grâce le pouvoir de consacrer. Luther leur accordait la même faculté (De civ. Babyl., liv. 1)
ainsi que Grotius, tout en soumettant l’usage de ce pouvoir à la délégation de
l’Eglise ; mais il est de foi que ce pouvoir n’appartient qu’aux évêques et aux
prêtres : Hoc sacramentum
nemo potest conficere, dit le concile de Latran, nisi sacerdos qui ritè fuerit ordinatus.
Si quis dixerit illis verbis, dit le concile
de Trente, Hoc facite
in meam commemorationem, Christum non instituisse apostolos sacerdotes, aut non ordinasse, ut ipsi aliique sacerdotes
offerrent corpus et sanguinem
sacrum ; anathema sit
(sess. 22, can. 2).) — 2° Plusieurs prêtres peuvent-ils ensemble consacrer la
même hostie ? (Cet article a pour objet de justifier la coutume qui existe dans
l’Eglise latine, où les prêtres qui viennent d’être ordonnés consacrent avec
l’évêque, et celle qui existe chez les grecs dont les prêtres qui accompagnent
l’évêque consacrent avec lui dans les lieux où il n’y a qu’un temple.) — 3° La
dispensation de ce sacrement n’appartient-elle qu’au prêtre ? (Le prêtre est le
ministre ordinaire de la dispensation de l’eucharistie. C’est ce qu’exprime
ainsi le concile de Trente (sess. 13, chap. 8) : Semper in Ecclesia Dei hunc
morem fuisse, tanquam ex apostolica traditione descendentem, ut laici eucharistiam à sacerdotibus acciperent.) — 4° Est-il permis à un prêtre qui
consacre de s’abstenir de la communion ? (La communion n’est pas considérée
généralement comme étant de l’essence du sacrifice, mais elle en est une partie
intégrante, comme le disent saint Thomas et ses disciples.) — 5° Un prêtre qui
est dans le péché peut-il confectionner ce sacrement ? (Les hussites, les wicleffistes, condamnés par le concile de Constance, les
vaudois et les donatistes, ont dit que les sacrements conférés par des
ministres dans l’état de péché mortel sont nuls ; ce qui a été ainsi anathématisé
par le concile de Trente (sess. 7, can. 12) : Si quis dixerit ministrum in peccato mortali existentem, modò omnia essentialia
quæ ad sacramentum conficiendum aut conferendum pertinent, servaverit,
non conficere, aut conferre sacramentum ; anathema sit.) — 6° La messe
d’un mauvais prêtre vaut-elle moins que celle d’un bon ? — 7° Les hérétiques,
les schismatiques ou les excommuniés peuvent-ils confectionner ce sacrement ?
(Le concile de Trente anathématise ceux qui croient que le caractère imprimé
par l’ordre soit amissible (sess. 27, can. 4) : Si quis dixerit per
sacram ordinationem non imprimi characterem, vel eum qui sacerdos
semel fuit, laicum rursus fieri posse ; anathema sit.) — 8° Les
dégradés le peuvent-ils ? (La dégradation, la déposition et la suspense sont
dis peines différentes. La dégradation consiste à enlever le grade,
c’est-à-dire l’honneur, la dignité et la place qui convenaient à l’ordre qu’on
a reçu ; la déposition enlève l’exercice du ministère sans aucune espérance de
le rendre à l’avenir, et la suspense en défend l’exercice pour un temps en laissant
l’espérance d’y être réintégré.) — 9° Ceux qui reçoivent la communion de
pareils prêtres pèchent-ils ? (Voyez sur cette question ce que nous avons dit
(quest. 64, art. 6, Réponse N°1).) — 10° Est-il permis à un prêtre de
s’abstenir absolument de célébrer ? (D’après le sentiment le plus commun et le
plus probable le prêtre est tenu de droit divin de célébrer la messe : Omnis namque pontifex, dit saint Paul, ex hominibus assumptus,
pro hominibus constituitur
in iis quæ sunt ad Deum, ut offerat dona et sacrificia pro peccatis.)
Article 1 : La
consécration de l’eucharistie est-elle propre au prêtre
?
Objection N°1. Il semble que la consécration de
l’eucharistie ne soit pas propre au prêtre. Car nous avons dit (quest. 78, art.
4) que ce sacrement est consacré par la vertu des paroles qui sont la forme de
ce sacrement. Or, ces paroles ne sont pas changées, soit qu’elles soient
prononcées par un prêtre, soit par tout autre. Il semble donc qu’il n’y ait pas
que le prêtre, mais que toute autre personne puisse consacrer ce sacrement.
Réponse à l’objection N°1 : La vertu sacramentelle
consiste dans plusieurs choses et elle ne consiste pas seulement dans une seule
; ainsi, la vertu du baptême consiste dans les paroles elles-mêmes et dans
l’eau. Par conséquent, la vertu consécratoire ne consiste pas seulement dans
les paroles elles-mêmes, mais encore dans la puissance que le prêtre a reçue
dans sa consécration et son ordi nation, lorsque l’évêque lui a dit : Recevez la puissance d’offrir dans l’Eglise
le sacrifice aussi bien pour les vivants que pour les morts. Car la vertu
instrumentale consiste aussi dans plusieurs instruments par lesquels l’agent
principal agit.
Objection N°2. Le prêtre consacre ce sacrement dans la personne du
Christ. Or, un saint laïc est uni au Christ par la charité. Il semble donc
qu’un laïc puisse consacrer ce sacrement. D’où saint Chrysostome dit (Hom. 43 in Matth. in opere imperf.) : Que tout
saint est prêtre.
Réponse à l’objection N°2 : Un laïc qui est juste est uni au Christ
d’une union spirituelle, par la foi et la charité, mais non par la puissance
sacramentelle. C’est pourquoi il a le sacerdoce spirituel pour offrir les
victimes spirituelles dont le Psalmiste dit (Ps. 50, 19) : L’esprit affligé
est un sacrifice agréable à Dieu ; (Rom., 12, 1) : Offrez vos corps
comme une hostie vivante. Et saint Pierre dit (1 Pierre, 2, 5) : Vous êtes un ordre de saints prêtres
destinés à offrir des victimes spirituelles.
Réponse à l’objection N°3 : La réception de l’eucharistie
n’est pas aussi nécessaire que celle du baptême, comme on le voit d’après ce
que nous avons dit (quest. 73, art. 3, et quest. 80, art. 11, Réponse N°2).
C’est pour cela que quoique dans le cas de nécessité un laïc puisse baptiser,
il ne peut cependant pas consacrer le sacrement de l’eucharistie.
Réponse à l’objection N°4 : L’évêque reçoit le pouvoir d’agir au nom
du Christ sur son corps mystique, c’est-à-dire sur l’Eglise ; le prêtre ne
reçoit pas cette puissance dans son ordination, quoiqu’il puisse la recevoir de
l’évêque par délégation. C’est pourquoi les choses qui n’appartiennent pas à la
disposition du corps mystique, comme la consécration de l’eucharistie, ne sont
pas réservées à l’évêque. Mais il lui appartient de transmettre non seulement
au peuple, mais encore aux prêtres, les choses d’après lesquelles ils peuvent
remplir leurs propres charges. Et parce que la bénédiction du chrême et de
l’huile sainte et de l’huile des infirmes et des autres choses que l’on
consacre, comme l’autel, l’église, les vêtements et les vases, rend apte d’une
certaine manière à la confection des sacrements qui appartiennent à l’office
des prêtres, il s’ensuit que ces consécrations sont réservées à l’évêque, comme
au prince de l’ordre ecclésiastique tout entier.
Mais
c’est le contraire. Saint Isidore dit, dans une de ses épîtres (ad Laudefred. quæ
hab. post concil. Tolet. 8, et hab. in Decret., dist. 25, chap. Perlectis) : Il appartient au
prêtre de consacrer sur l’autel de Dieu le sacrement du corps et du sang du
Seigneur.
Conclusion Le sacrement de l’eucharistie n’étant consacré
que dans la personne du Christ, cette consécration est la fonction propre des
prêtres auxquels cette puissance a été accordée.
Article 2 : Plusieurs
prêtres peuvent-ils consacrer une seule et même hostie ?
Objection N°1. Il semble que plusieurs prêtres ne
puissent pas consacrer une seule et même hostie. Car nous avons dit (quest. 67,
art. 6) que plusieurs prêtres ne peuvent pas simultanément baptiser une seule
personne. Or, la puissance du prêtre qui consacre n’est pas moindre que celle
de l’homme qui baptise. Plusieurs prêtres ne peuvent donc pas non plus
consacrer ensemble une seule hostie.
Réponse à l’objection N°1 : On ne voit pas que le Christ
ait baptisé simultanément avec les apôtres, quand il leur a enjoint l’office de
baptiser ; c’est pour cela que la raison n’est pas la même.
Réponse à l’objection N°2 : Si tous les prêtres opéraient par leur vertu propre, il
serait inutile qu’il y eût d’autres célébrants, du moment qu’un seul suffirait.
Mais parce que le prêtre ne consacre qu’au nom du Christ, et que plusieurs sont
un dans le Christ, il importe peu que ce sacrement soit consacré par un seul ou
par plusieurs, sinon qu’il faut observer le rite de l’Eglise.
Réponse à l’objection N°3 : L’eucharistie est le sacrement de l’unité
de l’Eglise, qui consiste en ce que la multitude des chrétiens sont un dans le
Christ.
Conclusion Plusieurs prêtres peuvent simultanément
consacrer la même hostie, pourvu qu’ils prononcent en même temps les mêmes
paroles.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), le prêtre, quand il est
ordonné, est élevé au rang de ceux qui ont reçu du Seigneur le pouvoir de
consacrer dans la cène. C’est pourquoi, d’après la coutume de certaines
Eglises, comme les apôtres ont fait la cène avec le Christ, de même les
nouveaux ordinants célèbrent avec l’évêque qui les a ordonnés. — Cependant on
ne réitère pas pour cela la consécration à l’égard de la même hostie ; parce
que, comme le dit Innocent III (De myst. Miss., liv. 4, chap. 25), tous doivent diriger
leur intention au même instant de la consécration (Il importe que l’on prononce
ensemble les paroles de la consécration de manière que l’on ne fasse qu’un, et
c’est pour ce motif que dans le pontifical romain il est dit : Ut benè advertat quod secretas morosè dicat et aliquantulùm altè, ita ut ordinati sacerdotes possini secum omnia dicere,
et præsertim verba consecrationis
quæ dici debent eodem momento
per ordinatos quo dicuntur
per pontificem.).
Article 3 : La
dispensation de l’eucharistie n’appartient-elle qu’au prêtre ?
Objection N°1. Il semble que la dispensation de
l’eucharistie n’appartienne qu’au prêtre. Car le sang du Christ n’appartient
pas moins à ce sacrement que son corps. Or, le sang du Christ est dispensé par
les diacres. D’où saint Laurent dit à saint Sixte : Essayez si vous avez choisi
un digne ministre en celui auquel vous avez confié la dispensation du sang du
Seigneur. Donc, pour la même raison, la dispensation du corps du Christ
n’appartient pas qu’aux prêtres.
Réponse à l’objection N°1 : Le diacre étant très proche
de l’ordre sacerdotal participe en quelque chose à son office, de manière qu’il
dispense le sang, mais non le corps, si ce n’est dans le cas de nécessité,
lorsque le prêtre ou l’évêque le lui ordonne : 1° Parce que le sang du Christ
est contenu dans un vase, et par conséquent il n’est pas nécessaire que celui
qui le dispense le touche, comme on est obligé de toucher le corps du Christ.
2° Parce que le sang désigne la rédemption qui a découlé du Christ sur le
peuple. C’est pour cela qu’on mêle au sang l’eau qui signifie le peuple. Et
comme les diacres sont entre le prêtre et le peuple, la dispensation du sang
leur convient mieux que la dispensation du corps (Du temps de saint Thomas il
paraît que l’on avait généralement restreint la fonction du diacre, pour les
raisons qu’il donne, à distribuer la communion sous l’espèce du vin.).
Réponse à l’objection N°2 : Il appartient au même de dispenser l’eucharistie et de
la consacrer pour la raison que nous avons donnée (dans le corps de
l’article.).
Objection N°3. Saint Denis dit (De
eccles. hier., chap. 3 à princ. et chap. 4) que
l’eucharistie a une vertu perfective aussi bien que le saint chrême. Or, il
n’appartient pas au prêtre, mais à l’évêque, de marquer du saint chrême ceux qui
ont été baptisés. Il appartient donc aussi à l’évêque et non au prêtre de
dispenser ce sacrement.
Réponse à l’objection N°3 : Comme le diacre participe sous un rapport
à la vertu illuminative du prêtre et qu’à ce titre il dispense le sang, de même
le prêtre participe à la dispensation perfective de l’évêque, et à ce titre il
dispense l’eucharistie par laquelle l’homme est perfectionné en lui-même par
rapport au Christ. Quant aux autres perfections par lesquelles l’homme est perfectionné
relativement aux autres, elles sont réservées à l’évêque.
Mais
c’est le contraire. Le droit dit (De consecrat., dist. 12, chap. 27) : Il est arrivé à notre connaissance
que des prêtres laissent aux laïcs ou aux femmes le soin de donner le corps du
Seigneur aux infirmes ; le concile défend de faire désormais un acte aussi
présomptueux, mais il ordonne aux prêtres de communier par eux-mêmes les
malades.
Conclusion Puisque les prêtres consacrent l’eucharistie
au nom du Christ et qu’ils sont des intermédiaires entre Dieu et le peuple,
c’est à eux surtout qu’appartient la dispensation d’un aussi grand sacrement.
Il
faut répondre que la dispensation du corps du Christ appartient au prêtre pour
trois motifs : 1° Parce que, comme nous l’avons dit (art. 1), il consacre au
nom du Christ. Or, comme c’est le Christ qui a consacré son corps dans la cène,
c’est aussi lui qui l’a donné à prendre aux autres. Par conséquent, comme la
consécration du corps du Christ appartient au prêtre, de même aussi sa dispensation.
2° Parce que le prêtre est établi médiateur entre Dieu et le peuple. Ainsi,
comme il lui appartient d’offrir les dons du peuple à Dieu, de même il lui
appartient de transmettre au peuple les dons qui ont été divinement sanctifiés.
3° Parce que, par respect pour ce sacrement, il n’est touché par aucune chose,
à moins qu’elle n’ait été consacrée. Ainsi, on consacre le corporal et le
calice, aussi bien que les mains du prêtre qui doivent toucher ce sacrement. Il
n’est donc permis à aucun autre de le toucher, sinon dans le cas de nécessité,
comme s’il tombait à terre, ou dans une autre circonstance semblable (Autrefois
le diacre administrait assez généralement la communion, dont il est le ministre
extraordinaire. Il le faisait sur la délégation du prêtre ou de l’évêque, mais
maintenant cet usage n’existe plus, Il n’y a que le cas de nécessité, où le
diacre à défaut d’un prêtre peut et doit même administrer le viatique à un
mourant. Omnes conveniunt, dit saint Liguori, quod
in necessitate extrema, absente sacerdote,
poterit et tenebitur viaticum ministrare, adhuc sine commissione (liv. 6,
n° 237).).
Article 4 : Le
prêtre qui consacre est-il tenu de communier ?
Objection N°1. Il semble que le prêtre qui consacre ne
soit pas tenu de communier. Car dans les autres consécrations, celui qui
consacre la matière ne s’en sert pas. Ainsi l’évêque qui consacre le saint
chrême n’est pas oint avec le chrême qu’il a consacré. Or, l’eucharistie consiste
dans la consécration de la matière. Le prêtre qui consacre n’est donc pas
obligé de faire usage de ce même sacrement, mais il peut licitement s’abstenir
de le prendre.
Réponse à l’objection N°1 : La consécration du chrême ou
de toute autre matière n’est pas un sacrifice, comme la consécration de
l’eucharistie ; et c’est pour cela qu’il n’y a pas de parité.
Objection N°2. Dans les autres sacrements, le ministre ne
s’administre pas le sacrement à lui-même. Car personne ne peut se baptiser
(quest. 66, art. 5, Réponse N°4). Or, comme le baptême se dispense d’après un
certain ordre, de même aussi l’eucharistie. Le prêtre qui consacre ne doit donc
pas se communier lui-même.
Réponse à l’objection N°2 : Le sacrement de baptême se perfectionne dans l’usage
même de la matière. C’est pourquoi personne ne peut se baptiser soi-même (On
admet généralement aussi qu’un prêtre peut se communier lui-même lorsqu’il est
dans l’impossibilité de dire la messe, et qu’il n’y a pas là d’autre prêtre qui
puisse lui donner la communion.), parce que dans un sacrement le même ne peut
être agent et patient. Mais dans l’eucharistie le prêtre ne se consacre pas
lui-même, mais il consacre le pain et le vin, et c’est dans cette consécration
que le sacrement se perfectionne. L’usage de l’eucharistie ne se rapporte à ce
sacrement que par voie de conséquence, et c’est pour cela qu’il n’y a pas de
parité.
Réponse à l’objection N°3 : Si le corps du Christ se montrait par
miracle sur l’autel sous l’espèce de la chair, ou le sang sous l’espèce du
sang, on ne devrait pas les prendre. Car Origène dit (Sup. Levit., implic.
Hom. 7 in Lev., à med.
et hab. De consecrat.,
chap. 76, dist. 2) : Il est permis de manger de cette hostie que l’on consacre
en mémoire du Christ, mais il n’est permis à personne de manger de celle que le
Christ a offerte sur la croix. Le prêtre ne ferait pas de transgression pour
cela, parce que ce qui se fait miraculeusement n’est pas soumis aux lois.
Cependant on devrait dans ce cas conseiller au prêtre de consacrer de nouveau
le corps et le sang du Seigneur et de le prendre.
Mais
c’est le contraire. On lit dans un concile de Tolède (12, can. 5) et le droit
dit (De consecrat, dist. 2, chap. Relatum) : On doit tenir de
toutes les manières à ce qu’on participe au corps et au sang du Christ par la
communion, toutes les fois qu’on offre le sacrifice de son corps et de son sang
sur l’autel.
Conclusion Puisque le prêtre qui consacre offre à Dieu le
sacrifice et qu’il le dispense au peuple, il doit recevoir ce sacrement.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 79, art. 5 et 7),
l’eucharistie n’est pas seulement un sacrement, mais elle est encore un
sacrifice. Or, quiconque offre un sacrifice doit y participer ; parce que le
sacrifice extérieur que l’on offre est le signe du sacrifice intérieur par
lequel on s’offre soi-même à Dieu, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 10, chap. 5). Ainsi en
participant au sacrifice, le prêtre montre que le sacrifice intérieur lui
appartient. De même en dispensant le sacrifice au peuple, il montre qu’il est
le dispensateur des choses divines, auxquelles il doit d’abord participer,
comme le dit saint Denis (De lib. eccles.
hier., cap. 3). C’est pourquoi il doit lui-même prendre ce
sacrement avant de le dispenser au peuple. C’est pour cela qu’il est dit dans
le même canon du concile de Tolède : Quel est ce sacrifice auquel celui qui
l’offre ne participe pas ? Or, on y participe par là même qu’on reçoit le
sacrement qui en est l’objet, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 10, 18) : Ceux qui mangent de la victime ne participent-ils pas à l’autel ?
C’est pourquoi il est nécessaire que le prêtre reçoive ce sacrement dans toute
son intégrité toutes les fois qu’il le consacre (On ne pourrait sans péché
grave réserver l’hostie qu’on a consacrée pour une procession, par exemple, et
prendre à la communion une autre hostie consacrée auparavant et qu’on aurait
prise dans le ciboire (Voy. à ce sujet Laymann, liv. 5, text. 1, chap. 5,
n° 14).).
Article 5 : Un
mauvais prêtre peut-il consacrer l’eucharistie ?
Objection N°1. Il semble qu’un mauvais prêtre ne puisse
consacrer l’eucharistie. Car saint Jérôme dit (Sup. Sophon., chap. 3 : Sacerdotes polluerunt)
que les prêtres qui administrent l’eucharistie et qui distribuent le sang du
Seigneur aux peuples, agissent d’une manière impie et contraire à la loi de
Dieu, en pensant que les paroles d’un pécheur consacrent l’eucharistie, que la
pureté de la vie et les mérites du prêtre ne sont point nécessaires, mais que
l’oraison solennelle est seule requise, quoiqu’il soit dit : Que le prêtre, de
quelque tache qu’il soit souillé, ne s’approche pas pour offrir au Seigneur des
oblations. Or, le prêtre qui est pécheur n’a ni la vie, ni les mérites qui
conviennent à ce sacrement, puisqu’il est couvert de souillures. Il ne peut
donc consacrer l’eucharistie.
Réponse à l’objection N°1 : Par ces paroles saint Jérôme
improuve l’erreur des prêtres qui croyaient qu’ils pouvaient dignement
consacrer l’eucharistie, par cela seul qu’ils sont prêtres, quoiqu’ils soient
pécheurs ; ce que ce docteur condamne, parce qu’il est défendu à ce qui est
souillé de s’approcher de l’autel ; mais il ne nie pas que dans le cas où ils
s’approchent de l’autel le sacrifice qu’ils offrent soit véritable (En
distinguant entre la licité et la validité du sacrement on trouve une réponse à
tous les passages semblables qu’on peut trouver dans les Pères.).
Objection N°2. Saint Jean Damascène dit (Orth. fid.,
liv. 4, chap. 14) que le pain et le vin par l’arrivée de l’Esprit-Saint passent
surnaturellement au corps et au sang du Seigneur. Or, le pape Gélase dit, comme
on le voit (Decret. 1, quæst. 1,
chap. Sacrosancta)
: Comment l’Esprit céleste que l’on invoque pour la consécration du mystère
divin arrivera-t-il, si le prêtre qui le prie de venir se trouve rempli
d’actions criminelles ? L’eucharistie ne peut donc être consacrée par un
mauvais prêtre.
Réponse à l’objection N°2 : Avant ces paroles le pape Gélase dit : La religion
sainte qui renferme la doctrine catholique revendique pour elle un si grand
respect afin que personne n’ose s’en approcher, sans avoir la conscience pure.
D’où il est manifestement évident qu’il a voulu dire qu’un prêtre qui est dans
le péché ne doit pas s’approcher de ce sacrement. Par conséquent, quand il
ajoute : Comment l’Esprit céleste
viendra-t-il lorsqu’il sera appelé ? on doit
entendre qu’il ne vient pas à cause du mérite du prêtre, mais d’après la vertu
du Christ, dont le prêtre prononce les paroles.
Objection N°3. L’eucharistie est consacrée par la bénédiction du prêtre.
Or, la bénédiction d’un prêtre pécheur n’est pas efficace pour la consécration
de ce sacrement ; puisqu’il est écrit (Mala., 2, 2)
: Je maudirai vos bénédictions, et
saint Denis dit dans sa lettre au moine Démophile (8,
circ. med.) : Il est absolument déchu de l’ordre
sacerdotal celui qui n’est pas illuminé ; et il me paraît excessivement
audacieux celui qui, étant dans cet état, ose mettre la main aux choses saintes
et prononcer, je ne dirai pas des prières, mais d’infâmes paroles sur les
symboles divins, en cherchant à imiter le Christ.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme la
même action selon qu’elle procède de l’intention dépravée d’un ministre peut
être mauvaise, tandis qu’elle est bonne selon qu’elle vient de la bonne
intention du Seigneur ; de même la bénédiction d’un prêtre qui est pécheur,
selon qu’elle vient de lui indignement, mérite la malédiction ; elle est une
sorte d’infamie ou de blasphème et n’est pas regardée comme une prière ; mais
selon qu’elle est donnée d’après la personne du Christ, elle est sainte et
efficace pour la sanctification. D’où il est dit expressément : Je maudirai vos
bénédictions (Dans son sens propre le mot benedictio ne désigne dans le prophète que les biens
temporels. Souvent ce mot est employé en ce sens dans l’Ecriture (1 Rois, 25,
27, et 30, 22, et 2 Cor., chap. 9).).
Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Paschasius, Lib. de corp.
Dom., chap. 12. Voy. chap.
78, 1, quæst. 1) : Dans l’Eglise catholique, à
l’égard du mystère du corps et du sang du Seigneur, un bon prêtre ne fait rien
de plus, et un mauvais prêtre rien de moins, parce que ce sacrement n’est pas
produit par le mérite de celui qui le consacre, mais par la parole du Créateur
et la vertu de l’Esprit-Saint.
Conclusion Puisque les prêtres ne consacrent pas en leur
propre nom, mais au nom du Christ, ils peuvent, s’ils sont mauvais, consacrer
néanmoins l’eucharistie.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 et 3), le prêtre consacre
l’eucharistie non par sa vertu propre, mais comme ministre du Christ, en la
personne duquel il consacre ce sacrement. Or, de ce qu’un homme est méchant, il
ne cesse pas d’être le ministre du Christ ; car le Seigneur a de bons et de
mauvais ministres ou serviteurs. D’où il dit lui- même (Matth., 24, 45)
: Quel est, à votre avis, le serviteur
fidèle et prudent ? Et puis il ajoute : Mais
si ce serviteur est méchant et qu’il dise dans son cœur. Saint Paul dit
aussi (1 Cor., 4, 1) : Que les hommes nous considèrent comme les ministres du Christ, ce
qui ne l’empêche pas d’ajouter : Ma
conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas pour cela justifié. Il
était donc certain qu’il était le ministre du Christ, quoiqu’il ne fût pas
certain qu’il était juste. Par conséquent on peut être
le ministre du Christ, quoiqu’on ne soit pas juste (Voyez sur cette question ce
que nous avons dit (1a 2æ, quest. 64, art. 5).). — Et
ceci appartient à l’excellence du Christ qui est servi, comme le vrai Dieu, non
seulement par les bonnes choses, mais encore par les mauvaises qu’au moyen de
sa providence il tourne à sa gloire. D’où il est évident que les prêtres,
quoiqu’ils ne soient pas justes, mais pécheurs, peuvent consacrer
l’eucharistie.
Article 6 : La
messe d’un mauvais prêtre vaut-elle celle d’un bon prêtre ?
Objection N°1. Il semble que la messe d’un mauvais prêtre
ne vaille pas moins que celle d’un bon prêtre. Car saint Grégoire dit (in Regist., hab., chap. Multi
sæcularem, 1, quæst. 1)
: Hélas, dans quel piège immense tombent ceux qui croient que les divins et
secrets mystères ont plus de puissance lorsqu’ils sont offerts par d’autres ;
tandis que c’est un seul et même Esprit-Saint qui les voile, et qui les
sanctifie par son opération invisible. Or, ces mystères secrets se célèbrent à
la messe. La messe d’un mauvais prêtre ne vaut donc pas moins que celle d’un
bon.
Réponse à l’objection N°1 : Saint Grégoire parle en cet
endroit par rapport à la sainteté du divin sacrement (Quoique l’effet du
sacrement et du sacrifice soit le même, cependant on peut obtenir par la
dévotion d’un saint prêtre des grâces particulières, comme l’a dit saint Thomas
(quest. 64, art. 1, Réponse N°2), et comme on le voit d’après cette décrétale
du pape Alexandre (Sacerdotes,
1 quest. 1, c.) qui dit : Quantò digniores fuerint sacerdotes, tanto faciliùs pro necessitatibus, pro quibus clamant, exaudiuntur.).
Réponse à l’objection N°2 : Dans le sacrement de baptême on ne fait pas de prières
solennelles pour tous les fidèles, comme à la messe. C’est pour cela que sous
ce rapport il n’y a pas de ressemblance, mais il y en a quant à l’effet du
sacrement.
Objection N°3. Comme les mérites des prêtres diffèrent par le bien et le
mieux, de même ils diffèrent aussi par le bien et le mal. Si donc la messe d’un
prêtre meilleur vaut mieux, il s’ensuit que celle d’un mauvais prêtre est
mauvaise ; ce qui répugne ; parce que la malice des ministres ne peut rejaillir
sur les mystères du Christ, comme le dit saint Augustin (De bapt., liv. 4, scilicet cont. Donat., chap. 12, ad fin. et Lib. 2 cont. epist. Parmen., chap.
11, et Lib. 2 cont. lit.
Petit., chap. 47). La messe d’un meilleur prêtre ne vaut donc pas mieux.
Réponse à l’objection N°3 : Par la vertu de l’Esprit-Saint qui par
l’unité de la charité communique de l’un à l’autre les biens des membres du
Christ, il arrive que le bien particulier qui résulte de la messe d’un bon
prêtre est fructueux pour d’autres. Mais le mal particulier d’un homme ne peut
nuire à un autre qu’autant que ce dernier y consent, comme l’observe saint
Augustin (Lib. 2 cont. Parmen. seu cont. epist. Parmen., chap. 12).
Mais
c’est le contraire. On lit (Decret. 1, quæst. 1, chap. 91) : Plus les
prêtres sont dignes, et plus ils sont facilement exaucés dans les nécessités
pour lesquelles ils prient.
Conclusion Quant au sacrement, la messe d’un mauvais
prêtre ne vaut pas moins que celle d’un bon, mais quant aux prières, celle d’un
prêtre meilleur est plus fructueuse, quoique les prières que fait un mauvais
prêtre au nom de l’Eglise ne soient pas sans fruit.
Il
faut répondre que dans la messe il y a deux choses à considérer : le sacrement
lui-même qui est la chose principale, et les prières que l’on fait à la messe
pour les vivants et pour les morts. — Quant au sacrement, la messe d’un mauvais
prêtre ne vaut pas moins que celle d’un bon ; parce que de part et d’autre
c’est le même sacrement qui est produit. — On peut aussi considérer la prière
que l’on fait à la messe de deux manières : 1° Selon qu’elle tire son
efficacité de la dévotion du prêtre qui l’adresse. A cet égard il n’est pas
douteux que la messe d’un prêtre meilleur soit plus fructueuse. 2° On peut la
considérer comme étant faite par le prêtre en la personne de toute l’Eglise,
dont il est le ministre. Ce ministère subsiste aussi dans les pécheurs, comme
nous l’avons dit (art. préc.) au sujet du ministère du Christ. Sous ce
rapport, non seulement la prière que le prêtre pécheur fait à la messe est
fructueuse (Sous ce point de vue, d’après saint Thomas, la messe d’un mauvais
prêtre est aussi fructueuse que celle d’un bon, parce que son efficacité ne
dépend pas du prêtre, mais du mérite de l’Eglise. Cependant, comme on doit
juger d’une chose d’après toutes ses circonstances, on doit dire absolument que
la messe d’un bon prêtre vaut mieux que celle d’un autre, comme le dit saint
Thomas lui-même (4, dist. 13, quest. 1, art. 1, quest. 5).), mais encore toutes
les prières qu’il fait dans les offices de l’Eglise où il représente l’Eglise
elle-même ; quoique ses prières particulières ne portent pas de fruit, d’après
ces paroles (Prov., 28, 9) : Celui qui détourne les oreilles pour ne pas entendre la loi, sa prière
sera exécrable.
Article 7 : Les
hérétiques, les schismatiques et les excommuniés peuvent-ils consacrer ?
Objection N°1. Il semble que les hérétiques, les
schismatiques et les excommuniés ne puissent consacrer l’eucharistie. Car saint
Augustin dit (Prosp. in Lib. Sent. August., chap. 16) : Que hors de l’Eglise catholique il
n’y a pas de lieu pour offrir le véritable sacrifice ; et le pape saint Léon
ajoute (epist. 40, chap. 2), et on lit dans le droit
(Decret., quest. 1, chap. 68) : Autrement,
c’est-à-dire ailleurs que dans l’Eglise qui est le corps du Christ, les
sacerdoces ne sont pas réels, ni les sacrifices véritables. Or, les hérétiques,
les schismatiques et les excommuniés ont été séparés de l’Eglise. Ils ne
peuvent donc offrir le véritable sacrifice.
Réponse à l’objection N°1 : Par ces passages et par
d’autres semblables, il faut entendre que hors de l’Eglise on n’a pas le droit
d’offrir le sacrifice. Par conséquent, hors de l’Eglise il ne peut y avoir le
sacrifice spirituel, c’est-à-dire le vrai sacrifice qui porte de véritables
fruits, quoiqu’il y ait le sacrifice qui est vrai de la vérité sacramentelle,
comme nous l’avons dit (quest. 80, art. 3), parce que le pécheur reçoit le
corps du Christ sacramentellement, mais non spirituellement.
Objection N°2. Comme on le voit (ibid.,
chap. 73, 1, quest. 1), le pape Innocent Ier dit (epist. 18, à med.)
: A l’égard des ariens et des autres fléaux de ce genre, nous recevons les
laïcs sous le voile de la pénitence, mais il ne semble pas qu’on doive recevoir
avec la dignité du sacerdoce ou de tout autre ministère leurs clercs auxquels
nous ne permettons de conférer que le baptême. Or, on ne peut consacrer
l’eucharistie qu’autant qu’on a la dignité du sacerdoce. Les hérétiques et ceux
qui sont séparés de l’Eglise ne peuvent donc consacrer ce sacrement.
Réponse à l’objection N°2 : On ne permet aux hérétiques et aux schismatiques que
d’administrer le baptême (Quand des hérétiques ou des schismatiques rentraient
dans le sein de l’Eglise et qu’il s’agissait de savoir si on les conserverait
dans leurs dignités ou non, c’était une question de discipline à examiner.
L’Eglise n’a pas toujours usé de la même sévérité, mais en tout cas sa défense
ne portait que sur la licité de l’acte et non sur sa validité.), parce qu’ils
peuvent licitement baptiser dans le cas de nécessité ; mais ils ne peuvent en
aucun cas consacrer licitement l’eucharistie ou conférer les autres sacrements.
Réponse à l’objection N°3 : A la messe, dans les oraisons, le prêtre
parle en la personne de l’Eglise, à l’unité de laquelle il appartient. Mais
dans la consécration de l’eucharistie, il parle en la personne du Christ, dont
il tient alors la place par son pouvoir d’ordre. C’est pourquoi si un prêtre
retranché de l’unité de l’Eglise célèbre la messe ; parce qu’il ne perd pas son
pouvoir d’ordre, il consacre véritablement le corps et le sang du Christ ; mais
parce qu’il est séparé de l’unité de l’Eglise ses prières n’ont pas
d’efficacité.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin dit (Cont.
Parmen., liv. 3, chap. 13, ant. med.)
: Comme le baptême reste entier dans les hérétiques, les schismatiques et les
excommuniés, de même aussi l’ordre. Or, d’après la force de l’ordination, le
prêtre peut consacrer l’eucharistie. Il semble donc que les hérétiques, les
schismatiques et les excommuniés puissent consacrer l’eucharistie, puisque leur
pouvoir d’ordre reste en eux tout entier.
Conclusion Puisque la consécration est un acte qui
résulte du pouvoir d’ordre, les schismatiques et les excommuniés peuvent, s’ils
sont ordonnés, consacrer l’hostie, quoiqu’ils n’aient pas le droit de le faire
et qu’en le faisant ils commettent un péché mortel.
Il
faut répondre qu’il y en a qui ont dit que les hérétiques, les
schismatiques et les excommuniés, parce qu’ils sont hors de l’Eglise, ne
peuvent consacrer. Mais ils ont commis à ce sujet une erreur, parce que, comme
le dit saint Augustin (Cont. Parmen., liv. 2, loc.
cit.), autre chose est de n’avoir pas le pouvoir de faire une chose, et
autre chose de n’en avoir pas le droit ; de même autre chose est de ne pas
donner et autre chose de donner injustement. Ainsi ceux qui sont dans l’Eglise
ont reçu le pouvoir de consacrer l’eucharistie lorsqu’ils ont été ordonnés
prêtres, ils possèdent ce pouvoir d’une manière légitime, mais ils n’en usent
pas licitement, s’ils sont ensuite séparés de l’Eglise par l’hérésie, ou le
schisme, ou l’excommunication. Ceux qui sont ordonnés (Il s’agit ici de ceux
qui sont ordonnés par des évêques véritables, car il peut se faire que des
schismatiques ou des hérétiques n’aient plus parmi eux le sacerdoce du Christ,
et que par suite leur ordination soit invalide.) après s’être séparés, ne
possèdent pas ce pouvoir légitimement et n’en usent pas licitement. Cependant
ce qui prouve qu’ils ont l’un et l’autre ce pouvoir, c’est que, selon
l’observation de saint Augustin (loc. cit.),
quand ils reviennent à l’unité de l’Eglise, on ne les ordonne pas de nouveau,
mais on les reçoit dans leurs ordres. Et comme la consécration de l’eucharistie
est un acte qui résulte de la puissance d’ordre, ceux qui ont été séparés de
l’Eglise par l’hérésie, ou par le schisme, ou par l’excommunication, peuvent à
la vérité consacrer l’eucharistie qui après leur consécration renferme le
véritable corps et le véritable sang du Christ ; quoiqu’ils ne le fassent pas
licitement, mais qu’ils pêchent en le faisant. C’est pour cela qu’ils ne
reçoivent pas le fruit du sacrifice qui est le sacrifice spirituel.
Article 8 : Un
prêtre dégradé peut-il consacrer ?
Objection N°1. Il semble qu’un prêtre dégradé ne puisse
pas confectionner l’eucharistie. Car on ne produit ce sacrement que par la
puissance de consacrer que l’on possède. Or, un prêtre dégradé n’a pas la
puissance de consacrer, quoiqu’il ait celle de baptiser, comme on le voit (can.
1, quest. 1, chap. Quod quidam, in appendic. Grat. ad can. illum). Il semble donc qu’un
prêtre dégradé ne puisse pas consacrer l’eucharistie.
Réponse à l’objection N°1 : Ce canon ne s’exprime pas
affirmativement, mais c’est seulement une question qu’il pose, comme on peut le
voir par le contexte.
Objection N°2. Celui qui donne une chose peut aussi
l’enlever. Or, c’est l’évêque qui donne au prêtre le pouvoir de consacrer, en
l’ordonnant. Il peut donc aussi le lui enlever, en le dégradant.
Réponse à l’objection N°2 : L’évêque ne donne pas la puissance de
l’ordre sacerdotal par sa propre vertu, mais instrumentalement, comme ministre
de Dieu, dont l’effet ne peut être enlevé par un homme, d’après cette parole de
l’Evangile (Matth., 19, 6) : Que l’homme ne
sépare pas ce que Dieu a uni. Et c’est pour cela que l’évêque ne peut
enlever cette puissance ; comme celui qui baptise ne peut enlever le caractère
baptismal.
Objection N°3. Par la dégradation le prêtre perd la puissance de
consacrer ou il n’en perd que l’usage. Or, il ne perd pas l’usage seul,
parce qu’alors celui qui est dégradé ne perdrait pas plus que celui qui est
excommunié et qui ne peut pas non plus faire usage de son pouvoir. Il semble
donc qu’il perde le pouvoir de consacrer, et que par conséquent il ne puisse
pas produire ce sacrement.
Réponse à l’objection N°3 : L’excommunication
est médicinale (Parce que l’excommunication est médicinale, elle ne doit être portée
que contre ceux qu’on espère ramener à de meilleurs sentiments, ou parce qu’on
croit imprimer par là une crainte salutaire aux fidèles : Et ideò non sunt excommunicandi ii de quibus correctio desperatur, nisi fiat ad terrorem aliorum, dit saint
Liguori, liv. 7, n. 1.). C’est pour ce motif qu’on n’enlève pas aux excommuniés
l’usage de leur puissance sacerdotale pour toujours, mais que dans le but de
les corriger on ne le leur enlève que pour un temps. Mais on enlève cet usage à
ceux qui sont dégradés comme étant condamnés à perpétuité.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin prouve (Cont.
Parm. liv. 2, chap. 13)
que ceux qui apostasient la foi, ne perdent pas le caractère du baptême, par
cela même que quand ils reviennent, au moyen de la pénitence, on ne les baptise
pas de nouveau, et c’est ce qui fait qu’on pense qu’il est inamissible. Or, de
même un prêtre dégradé, s’il se réconcilie, ne doit pas être ordonné de
nouveau. Il n’a donc pas perdu le pouvoir de consacrer, et par conséquent il
peut produire ce sacrement.
Conclusion Un prêtre dégradé peut consacrer, puisque par
la dégradation il n’a pas perdu son caractère.
Il
faut répondre que la puissance de consacrer l’eucharistie appartient au
caractère de l’ordre sacerdotal. Or, tout caractère, parce qu’il est donné avec
une certaine consécration, est indélébile, ainsi que nous l’avons dit (quest. 63,
art. 5), comme les consécrations de toutes les choses, quelles qu’elles soient,
sont perpétuelles et ne peuvent ni se perdre, ni se réitérer. D’où il est
évident que la puissance de consacrer ne se perd pas par la dégradation. Car
saint Augustin dit (Liv. 2 cont. Parmen., chap. 13, ante med.) : L’un et
l’autre, c’est-à-dire le baptême et l’ordre, sont des sacrements et se donnent
à l’homme avec une certaine consécration ; l’un lorsqu’on le baptise, l’autre
lorsqu’on l’ordonne. C’est pourquoi les catholiques ne permettent pas de les
réitérer. Ainsi il est évident qu’un prêtre dégradé peut consacrer
l’eucharistie.
Objection N°1. Il semble qu’on puisse licitement recevoir
la communion des prêtres hérétiques, ou excommuniés, ou pécheurs, et entendre
leur messe. Car, comme le dit saint Augustin contre Pétilien
(liv. 3, chap. 9, in fin. Voy. chap. Neque in homine, 1,
quest. 4) : Que personne ne fuie les sacrements de Dieu ni de la part d’un
homme bon, ni de la part d’un méchant. Or, les prêtres, quoiqu’ils soient des
pécheurs, des hérétiques ou des excommuniés, consacrent véritablement. Il
semble donc qu’on ne doive pas éviter de recevoir d’eux la communion ou
d’entendre leur messe.
Réponse à l’objection N°1 : En refusant d’entendre la
messe de ces prêtres, ou de recevoir d’eux la communion, nous ne refusons pas
les sacrements de Dieu, mais nous les vénérons plutôt. Ainsi on doit adorer
l’hostie consacrée par ces prêtres, et si elle est réservée dans un lieu, on peut
licitement la recevoir d’un prêtre légitime ; mais nous refusons de participer
à la faute de ceux qui administrent les sacrements indignement.
Réponse à l’objection N°2 : L’unité du corps mystique est le fruit du corps
véritable que l’on a reçu. Or, ceux qui le reçoivent ou qui l’administrent
indignement sont privés de ce fruit, comme nous l’avons dit (art. 7 et quest.
80, art. 4). C’est pourquoi on ne doit pas recevoir ce sacrement de la main de
ceux qui ne sont pas dans l’unité de l’Eglise.
Réponse à l’objection N°3 : Quoique la fornication ne soit pas plus
grave que les autres péchés, les hommes y sont cependant plus enclins à cause
de la concupiscence de la chair. C’est pour cela que ce péché a été
spécialement défendu par l’Eglise aux prêtres et qu’elle a interdit d’entendre
la messe d’un prêtre concubinaire. Mais ceci doit s’entendre d’un concubinaire
devenu notoire, soit par la sentence qu’on a portée contre lui après l’avoir
convaincu, soit par l’aveu qu’il a fait juridiquement de sa faute, soit par
l’évidence du fait, quand sa faute ne peut être cachée par aucune
tergiversation (Quand même on saurait son curé en état de péché mortel, on peut
lui demander les sacrements, si on ne peut les recevoir commodément d’un autre
prêtre, parce qu’on a à son égard un droit dont on peut user.).
Mais
c’est le contraire. Il y a un canon qui dit (dist. 32, chap. 5, Nullus) : Que personne n’entende la messe d’un prêtre
qu’il sait d’une manière certaine avoir une concubine. Et saint Grégoire
rapporte (Dial. 3, chap. 31, parum à princ.) qu’un père
perfide envoya un évêque arien à son fils pour qu’il reçût de sa main la
communion de sa consécration sacrilège, mais que cet homme de Dieu fit à
l’évêque arien, lorsqu’il s’approcha, les reproches qu’il méritait.
Conclusion Puisque les excommuniés, les hérétiques et les
schismatiques ont été privés par la sentence de l’Eglise de l’exercice du
pouvoir qu’ils ont de consacrer, ceux qui reçoivent d’eux un sacrement ou ceux
qui entendent leur messe communiquent avec eux dans leurs péchés et pèchent.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 7 et 8), les prêtres, s’ils
sont hérétiques, ou schismatiques, ou excommuniés, quoiqu’ils aient le pouvoir
de consacrer l’eucharistie, ne peuvent cependant pas en user licitement, mais
ils pêchent quand ils en usent. Or, quiconque communique avec quelqu’un dans
son péché, se rend lui-même participant de ce péché. D’où il est dit (2 Jean, 1, 11)
: que celui qui aura salué un hérétique
participe à ses œuvres perverses. C’est pourquoi il n’est pas permis de
recevoir la communion des prêtres dont nous venons de parler ou d’entendre la
messe. — Cependant il y a une différence à établir entre eux. Car les
hérétiques, les schismatiques et les excommuniés, ont été privés par la
sentence de l’Eglise de l’exercice de leur pouvoir. C’est pourquoi quiconque
entend leur messe ou reçoit d’eux les sacrements,
pèche. Mais tous les pécheurs n’ont pas été ainsi privés par une sentence de
l’Eglise de l’usage de leur puissance. Ainsi, quoiqu’ils soient suspendus par
rapport à eux d’après la sentence divine, ils ne le sont pas néanmoins quant
aux autres d’après la sentence de l’Eglise. C’est pourquoi, jusqu’à ce que
l’Eglise ait porté sa sentence, il est permis de recevoir d’eux la communion et
d’entendre leur messe. C’est ce qui fait dire à la glose tirée de saint
Augustin (hom. ult. inter 50, à med.)
sur ces paroles (1 Cor., chap. 5) : Cùm hujusmodi nec cibum sumere : En parlant ainsi, il n’a pas voulu que
l’homme fût jugé par l’homme sur un simple soupçon, ou d’après un jugement
extraordinaire qui serait usurpé, mais plutôt d’après la loi de Dieu, selon
l’ordre de l’Eglise, soit qu’il avoue de lui-même sa faute, soit qu’il soit
accusé et convaincu.
Objection N°1. Il semble qu’il soit permis à un prêtre de
s’abstenir absolument de la consécration de l’eucharistie. Car, comme il
appartient à l’office du prêtre de consacrer l’eucharistie, de même il lui
appartient aussi de baptiser et d’administrer les autres sacrements. Or, le
prêtre n’est tenu d’administrer les autres sacrements qu’à cause de la charge
d’âmes qu’il a acceptée. Il semble donc qu’il ne soit pas tenu non plus de
consacrer l’eucharistie, s’il n’a pas charge d’âmes.
Réponse à l’objection N°1 : Les autres sacrements se
perfectionnent dans l’usage qu’en font les fidèles. C’est pourquoi il n’y a que
celui qui doit prendre soin des fidèles, qui soit tenu de les administrer aux
autres (Celui qui a charge d’âmes est obligé de dire la messe tous les
dimanches et fêtes d’obligation ou de se faire remplacer par un autre prêtre,
et il est encore obligé de la dire toutes les fois que ses paroissiens la lui
demandent pour un mariage, ou pour des obsèques, ou pour d’autres causes
légitimes. C’est ce qu’exprime ainsi le concile de Trente (loc. sup. cit.) : Si presbyteri curam habuerint animarum, tam frequenter ut suo muneri satisfaciant
missas celebrent.).
Mais l’eucharistie se perfectionne dans la consécration même de ce sacrement,
dans lequel on offre à Dieu un sacrifice auquel le prêtre est obligé d’après
l’ordre qu’il a reçu.
Réponse à l’objection N°2 : Un prêtre pécheur, s’il a été privé de l’exercice de son
pouvoir par une sentence de l’Eglise, ou absolument, ou pendant un temps, se
trouve dans l’impuissance d’offrir le sacrifice ; c’est pour cela qu’il n’y est
pas obligé. Mais cette concession est plutôt au détriment de ses fruits
spirituels qu’à son avantage. S’il n’est pas privé du pouvoir de célébrer,
l’obligation subsiste, mais il n’est cependant pas perplexe (Quand un prêtre se
trouve en état de péché mortel et qu’il y a nécessité pour lui d’offrir le
saint sacrifice, s’il ne peut se confesser auparavant, il doit s’exciter à la
contrition parfaite et prendre la résolution de se confesser et de satisfaire
le plus tôt possible.), parce qu’il peut se repentir de son péché et célébrer.
Réponse à l’objection N°3 : L’infirmité ou la maladie qui survient à un
prêtre ne lui enlève pas l’ordre sacerdotal, mais elle lui en enlève l’usage quant
à la consécration de l’eucharistie : tantôt parce qu’il est dans
l’impossibilité de l’exercer, comme quand il est privé des yeux, ou des doigts,
ou de l’usage de la langue ; tantôt à cause du péril auquel il s’expose, comme
cela est évident pour celui qui tombe du mal caduc, ou qui souffre de quelque
aliénation mentale ; tantôt à cause de l’horreur qu’il inspire, comme il arrive
à l’égard d’un lépreux qui ne doit pas célébrer publiquement. Cependant il peut
dire la messe en secret, à moins que la lèpre n’ait tellement gagné qu’elle ne
l’ait rendu incapable de remplir ses fonctions, en s’attaquant à ses membres
(Le prêtre dont le cœur est selon Dieu, doit toujours avoir présentes ces
paroles de l’auteur de l’Imitation : Quandò sacerdos celebrat, Deum honorat, angelos lætificat, Ecclesiam ædificat, vivos adjuvat, defunctis requiem præstat, et sese omnium bonorum participem efficit.).
Conclusion Puisque tout homme doit user en temps opportun
de la faveur qui lui a été accordée, il n’est pas permis au prêtre, quoiqu’il
n’ait pas charge d’âmes, de s’abstenir absolument de consacrer, mais il est
tenu de célébrer au moins les jours de fêtes où les fidèles ont principalement
coutume de communier.
Il
faut répondre qu’il y a des auteurs qui ont dit qu’un prêtre peut licitement
s’abstenir absolument de consacrer, à moins qu’il ne soit tenu par la charge
qui lui a été confiée de célébrer pour le peuple et d’administrer les
sacrements. Mais ce sentiment est contraire à la raison ; parce que chacun est tenu
de faire usage en temps opportun de la grâce qui lui a été donnée, d’après ces
paroles de saint Paul (2 Cor., 6, 1) : Nous vous exhortons de ne pas recevoir la grâce de Dieu en vain.
Or, l’opportunité de l’oblation du sacrifice se considère non seulement par
rapport aux fidèles du Christ auxquels il faut que les sacrements soient
administrés, mais principalement par rapport à Dieu, à qui l’on offre un
sacrifice par la consécration de ce sacrement. C’est pourquoi il n’est pas
permis à un prêtre, quoiqu’il n’ait pas charge d’âmes, de s’abstenir absolument
de célébrer, mais il semble qu’il soit tenu de célébrer au moins dans les
principales fêtes (Les docteurs ne sont pas d’accord entre eux sur le nombre de
fois qu’un prêtre doit dire la messe pour être exempt de péché mortel. Il nous
semble qu’on en excuserait difficilement celui qui ne la dirait pas au moins
trois ou quatre fois par an. Et il y aurait péché véniel à négliger de la dire
les dimanches et les fêtes d’obligation, si on n’en était légitimement empêché.
C’est l’esprit du concile de Trente qui dit : Curet episcopus ut presbyteri
saltem diebus dominicis et festis solemnibus… missas celebrent (sess. 23, chap. 14)) et surtout dans les
jours où les fidèles ont coutume de communier. C’est ce qui fait que l’Ecriture
reproche à certains prêtres (2 Mach., 4, 14)
de ne plus s’attacher aux fonctions de l’autel, de mépriser le temple et de
négliger les sacrifices.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
JesusMarie.com