Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 84 : Du sacrement de pénitence

 

            Après avoir parlé du sacrement de l’eucharistie, nous devons nous occuper du sacrement de pénitence. — A cet égard il faut considérer : 1° la pénitence elle-même ; 2° son effet ; 3° ses parties ; 4° ceux qui reçoivent ce sacrement ; 5° la puissance des ministres qui appartient aux clefs ; 6° la solennité du sacrement. — Sur la première de ces parties il y a deux choses à considérer : 1° la pénitence selon qu’elle est un sacrement ; 2° la pénitence selon qu’elle est une vertu. — Sur la pénitence comme sacrement il y a dix questions à faire : 1° La pénitence est-elle un sacrement ? (Il est de fol que la pénitence est un sacrement. C’est ce que le concile de Trente a ainsi défini (sess. 14, can. 1) : Si quis dixerit, in catholica Ecclesia pœnitentiam non esse verè et propriè sacramentum pro fidelibus quoties post baptismum in peccata labuntur, ipsi Deo reconciliandis, à Christo Domino institutum, anathema sit.) — 2° De sa matière propre. (Eugène IV s’exprime ainsi sur la matière du sacrement de pénitence : Quartum sacramentum est pœnitentia, cujus quasi materia sunt actus pœnitentia, qui in tres distinguuntur partes, quarum prima est cordis contritio, secunda est oris confessio, tertia est satisfactio pro peccatis (Decret. in armen.). Le concile de Trente n’est pas moins formel (sess. 14, can. 4) : Si quis negaverit ad integram et perfectam peccatorum remissionem requiri tres actus in pœnitentia, quasi materiam sacramenti pœnitentiæ, videlicet, contritionem, confessionem et satisfactionem, quæ tres poenitentiae partes dicunturanathema sit. Le catéchisme du concile nous apprend que le mot quasi n’est point ici une expression dubitative ; elle est employée uniquement parce que cette matière n’est pas du même genre que celle des autres sacrements qui est extérieure.) — 3° De sa forme. (La forme d’absolution en usage dans l’Eglise latine est celle-ci : Ego te absolvo à peccatis tuis, in nomine Patris et Filii et Spiritûs sancti , mais il n’y a d’essentiel que ces mots : Te absolvo. Cependant il y aurait péché mortel à omettre les mots : à peccatis tuis que quelques docteurs croient nécessaires à la forme sacramentelle.) — 4° L’imposition de la main est-elle requise pour ce sacrement ? (L’imposition de la main n’est pas essentielle au sacrement. Cependant on ne doit pas l’omettre. Celle cérémonie est d’ailleurs très ancienne, comme on le voit (ex conc. Nicæn., chap. 9 ; ex conc. Carth. 3, can. 52, ex conc. 4, can. 76, et ex Ams. 1, can. 5), où l’on parle de l’imposition de la main, quand il s’agit du sacrement de pénitence.) — 5° Ce sacrement est-il nécessaire ? (Le sacrement est nécessaire de nécessité de moyen à ceux qui sont baptisés et qui sont tombés dans le péché mortel : Est autem hoc sacramentum pœnitentiæ lapsis post baptismum ad salutem necessarium, ut nondùm regeneratis ipse baptismus (Concil. Trid., sess. 14, chap. 2).) — 6° De son rapport avec les autres sacrements. (Cette expression se trouve dans saint Jérôme (Epist. 8, chap. 6), Tertullien (De pœnit., liv. 1, chap. 4), Pacien (Epist. ad Symphorianum), et dans saint Ambroise (ad virg. lapsam, chap. 8). Le concile de Trente l’a consacrée par ce décret (sess. 14, can. 2) : Si quis sacramenta confundens, ipsum baptismum pænitentiæ sacramentum esse dixerit ; quasi hæc duo sacramenta distincta non sint : atque ideò poenitentiam non rectè secundam post naufragium tabulam appellari : anathema sit.) — 7° De son institution. (Il est de foi que le Christ a institué ce sacrement : Christus sacramentum instituit pænitentiæ, cùm dixit : Accipite Spiritum sanctum ; quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, et quorum retinueritis retenta sunt (Conc. Trid., sess. 6, chap. 14). Comme le Christ a tout fait de la manière la plus parfaite, il s’ensuit qu’il a institué ce sacrement dans le temps le plus convenable.) — 8° De sa durée. — 9° De sa continuation. — 10° Peut-on le réitérer ? (Il est de foi que l’on peut recevoir le sacrement de pénitence autant de fois qu’on retombe dans le péché mortel : Ante hoc tribunal tanquam nos sisti voluit Christus, ut per sacerdotum sententiam, non semel, sed quoties ab admissis peccatis ad ipsum pœnitentes confugerint, possint liberari (Conc. Trid, sess. 14, chap. 2).)

 

Article 1 : La pénitence est-elle un sacrement ?

 

            Objection N°1. Il semble que la pénitence ne soit pas un sacrement. Car saint Grégoire dit (id hab., Isid., liv. 6 Etym., chap. ult. circ. med.) et on lit (Decret. 1, quest. 1, chap. Multi secularium) : Les sacrements sont le baptême, le chrême, le corps et le sang du Christ, on leur donne le nom de sacrements parce que sous le voile des choses corporelles la vertu divine opère secrètement le salut en eux. Or, ceci n’a pas lieu dans la pénitence, parce qu’on n’emploie pas de choses corporelles sous lesquelles la vertu divine opère le salut. La pénitence n’est donc pas un sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : Sous le nom de choses corporelles on comprend, dans un sens large, les actes sensibles extérieurs qui sont dans la pénitence ce que l’eau est dans le baptême ou le chrême dans la confirmation. Mais il est à remarquer que dans ces sacrements, par lesquels on confère une grâce excellente qui surabonde au-delà de toute la faculté de l’acte humain, on emploie extérieurement une matière corporelle. C’est ce qui a lieu dans le baptême, où l’on obtient la pleine rémission des péchés et quant à la faute et quant à la peine, et dans la confirmation où l’on reçoit la plénitude de l’Esprit-Saint, et dans l’extrême-onction où l’on confère dans l’ordre spirituel la santé parfaite qui provient de la vertu du Christ comme d’un principe extrinsèque. Par conséquent, s’il y a des actes humains dans ces sacrements, ils ne sont pas de leur essence, mais ils s’y rapportent comme dispositions. Mais dans les sacrements qui ont un effet qui correspond aux actes humains, les actes humains sensibles tiennent lieu de matière (Saint Thomas considère les actes du pénitent comme la matière prochaine du sacrement de pénitence, ainsi qu’il le démontre dans l’article suivant. Sa doctrine est d’ailleurs, comme nous le verrons, celle du pape Eugène IV et du concile de Trente.), comme il arrive dans la pénitence et le mariage. C’est ainsi que dans les médecines corporelles, il y a des choses qu’on emploie extérieurement, comme les emplâtres et les électuaires, tandis qu’il y en a d’autres qui sont les actions elles-mêmes de ceux qui doivent être guéris, comme certains exercices.

 

            Objection N°2. Les sacrements de l’Eglise sont conférés par les ministres du Christ, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 4, 1) : Que les hommes nous considèrent comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu. Or, ce ne sont pas les ministres de Dieu qui donnent la pénitence, mais c’est Dieu qui l’inspire aux hommes, d’après ces paroles du prophète (Jér., 31, 19) : Après que vous m’avez converti, j’ai fait pénitence. Il semble donc que la pénitence ne soit pas un sacrement.

            Réponse à l’objection N°2 : Dans les sacrements qui ont une matière corporelle, il faut que cette matière soit employée par le ministre de l’Eglise qui représente la personne du Christ, pour signifier que l’excellence de la vertu qui opère dans le sacrement vient du Christ. Mais dans le sacrement de pénitence, comme nous l’avons dit (Réponse N°1), les actes humains qui proviennent de l’inspiration intérieure tiennent lieu de matière. Par conséquent, la matière n’est pas formée par le ministre, mais par Dieu qui opère intérieurement ; toutefois le ministre complète le sacrement en absolvant le pénitent.

 

            Objection N°3. Dans les sacrements dont nous avons déjà parlé, il y a quelque chose qui n’est que sacrement, quelque chose qui est la chose et le sacrement, et quelque chose qui n’est que la chose, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 66, art. 4). Or, cela ne se trouve pas dans la pénitence. Elle n’est donc pas un sacrement.

            Réponse à l’objection N°3 : Dans la pénitence il y a aussi quelque chose qui n’est que sacrement ; c’est l’acte que produit extérieurement le pécheur qui se repent aussi bien que le prêtre qui absout ; il y a la chose et le sacrement, c’est la pénitence intérieure du pécheur ; et il n’y a que la chose seule sans le sacrement, et c’est la rémission des péchés. La première de ces trois choses, prise simultanément dans sa totalité, est cause de la seconde ; la première et la seconde sont d’une certaine manière cause de la troisième (Voyez sur cette triple distinction ce que nous avons dit, quest. 66, art. 1.).

 

            Mais c’est le contraire. Comme on se sert du baptême pour purifier du péché, de même aussi de la pénitence. D’où saint Pierre dit à Simon (Actes, 8, 22) : Faites pénitence de ce péché que vous avez commis. Or, le baptême est un sacrement, comme nous l’avons vu (quest. 66, art. 1). Pour la même raison la pénitence en est donc un aussi.

 

            Conclusion La pénitence, par laquelle le pécheur montre qu’il s’est éloigné du péché et par laquelle le prêtre signifie l’œuvre de Dieu qui pardonne, est un sacrement spécial.

            Il faut répondre que, comme le dit saint Grégoire (Objection N°1), il y a sacrement dans la célébration d’une chose, lorsqu’elle est faite de manière qu’on comprenne qu’elle signifie quelque chose qu’on doit recevoir saintement. Or, il est évident que dans la pénitence la chose que l’on fait est telle qu’elle signifie quelque chose de saint de la part du pécheur pénitent aussi bien que de la part du prêtre qui absout. Car le pécheur pénitent montre par ce qu’il dit et ce qu’il fait que son cœur s’est éloigné du péché. Egalement le prêtre par ce qu’il fait et ce qu’il dit à l’égard du pénitent, signifie l’œuvre de Dieu qui remet les péchés. D’où il est évident que la pénitence qui est en pratique dans l’Eglise est un sacrement.

 

Article 2 : Les péchés sont-ils la matière propre de la pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble que les péchés ne soient pas la matière propre de la pénitence. Car dans les autres sacrements la matière est sanctifiée par des paroles qu’on prononce, et c’est après qu’elle est sanctifiée qu’elle opère l’effet du sacrement. Or, les péchés ne peuvent être sanctifiés, par la même qu’ils sont contraires à l’effet du sacrement qui est la grâce qui remet les péchés. Les péchés ne sont donc pas la matière propre de ce sacrement.

            Réponse à l’objection N°1 : Ce raisonnement s’appuie sur ce qui est la matière la plus prochaine du sacrement.

 

            Objection N°2. Saint Augustin dit (Lib. de pœnitent., scil. hom. 27, inter. 50, chap. 1) : Personne ne peut commencer une vie nouvelle qu’autant qu’il se repent de sa vie ancienne. Or, la vie ancienne comprend non seulement les péchés, mais encore les peines de la vie présente. Les péchés ne sont donc pas la matière propre de la pénitence.

            Réponse à l’objection N°2 : La vie passée et mortelle est l’objet de la pénitence non en raison de la peine, mais en raison de la faute qui l’accompagne toujours.

 

            Objection N°3. Parmi les péchés il y a le péché originel, le péché mortel et le péché véniel. Or, le sacrement de pénitence n’a pas pour but d’effacer le péché originel qui est remis par le baptême, ni le péché mortel qui est effacé par la confession du pécheur, ni le péché véniel qu’on efface en se frappant la poitrine, en prenant de l’eau bénite ou par d’autres moyens semblables. Les péchés ne sont donc pas la matière propre de la pénitence.

            Réponse à l’objection N°3 : La pénitence a pour objet d’une certaine manière tout genre de péché, mais non de la même façon. Ainsi elle a proprement et principalement pour objet le péché mortel actuel ; proprement, parce que nous sommes dits proprement nous repentir des fautes que nous avons commises par notre propre volonté ; principalement, parce que c’est pour effacer le péché mortel que ce sacrement a été principalement institué. A l’égard des péchés véniels, ils sont son objet propre, dans le sens qu’ils ont été produits par notre volonté ; cependant ce n’est pas pour effacer ces fautes que ce sacrement a été institué principalement. Touchant le péché originel, la pénitence n’existe pas principalement (parce que ce n’est pas ce sacrement qui a pour objet ce péché, mais c’est plutôt le baptême) ; elle n’existe pas non plus proprement, parce que le péché originel n’a pas été produit par notre volonté, sinon en tant que la volonté d’Adam est considérée comme la nôtre, selon la manière de parler de l’Apôtre qui dit (Rom., 5, 12) : En qui tous ont péché. Cependant si l’on prend la pénitence, dans un sens large, pour toute détestation quelconque d’une chose passée, on peut dire qu’elle a pour objet le péché originel, comme le fait saint Augustin dans son livre de la pénitence (alius auctor, De vera et falsa pœnitentia, chap. 8).

 

            Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (2 Cor., 12, 21) : Ils n’ont point fait pénitence des impuretés, des fornications et des débauches qu’ils ont faites.

 

            Conclusion La matière la plus prochaine du sacrement de pénitence ce sont les actes du pénitent ; tandis que les péchés à détester et à détruire en sont la matière éloignée.

            Il faut répondre qu’il y a deux sortes de matière : l’une qui est très prochaine et l’autre qui est éloignée. Ainsi, la matière prochaine d’une statue, c’est le métal, et la matière éloignée l’eau. Or, nous avons dit (art. préc., Réponse N°1 et 2) que la matière la plus prochaine de la pénitence, ce sont les actes du pénitent. Comme ces actes ont pour matière les péchés qu’il déplore, qu’il confesse et pour lesquels il satisfait (Saint Thomas désigne ainsi les trois parties du sacrement, la contrition, la confession et la satisfaction.), il s’ensuit que la matière éloignée de la pénitence sont les péchés qu’on ne doit pas approuver, mais qu’on doit détester et anéantir.

 

Article 3 : La forme du sacrement de pénitence consiste-t-elle dans ces paroles : Je vous absous ?

 

            Objection N°1. Il semble que la forme de ce sacrement ne consiste pas dans ces paroles : Je vous absous. Car les formes des sacrements se déterminent d’après l’institution du Christ et la pratique de l’Eglise. Or, on ne voit pas que le Christ ait établi cette forme, et généralement elle n’est pas en usage. Même dans certaines absolutions qui se font publiquement dans l’église, comme à primes, à complies, et dans la cène du Seigneur, celui qui absout n’emploie pas la forme indicative, en disant : Je vous absous, mais il se sert de la forme déprécatoire lorsqu’il dit : Misereatur vestri omnipotens Deus ou Absolutionem et remissionem tribuat vobis omnipotens Deus. La forme de la pénitence ne consiste donc pas dans ces paroles : Je vous absous.

            Réponse à l’objection N°1 : Cette forme est empruntée aux paroles mêmes que le Christ a adressées à saint Pierre, en lui disant : Tout ce que vous délierez sur la terre, etc. L’Eglise fait usage de cette forme dans l’absolution sacramentelle. Quant aux autres absolutions que l’on fait en public, elles ne sont pas sacramentelles, mais ce sont des prières qui ont pour but la rémission des péchés véniels. Ainsi, dans l’absolution sacramentelle il ne suffirait pas de dire : Misereatur tui omnipotens Deus, ou Absolutionem et remissionem tribuat tibi Deus ; parce que par ces paroles le prêtre ne signifie pas qu’on est absous, mais il demande qu’on le soit. Cependant avant l’absolution sacramentelle on fait une prière semblable, pour que l’effet du sacrement ne soit pas empêché de la part du pénitent, dont les actes sont d’une certaine façon la matière du sacrement lui-même ; tandis qu’il n’en est pas de même dans le baptême ou la confirmation.

 

            Objection N°2. Le pape saint Léon dit (Epist. 108 ad Theodor., chap. 2) : Que le pardon de Dieu ne peut être obtenu que par les prières du prêtre. Or, il parle du pardon que Dieu accorde aux pénitents. La forme du sacrement de pénitence doit donc être déprécatoire.

            Réponse à l’objection N°2 : Ce passage de saint Léon doit s’entendre de la prière qu’on fait avant l’absolution ; mais il n’empêche pas les prêtres d’absoudre.

 

            Objection N°3. Absoudre du péché ou remettre le péché c’est la même chose. Or, il n’y a que Dieu qui remette le péché, puisqu’il n’y a que lui qui purifie l’homme intérieurement de ses fautes, comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., tract. 4, circ. med. et De peccat. merit. et remiss., liv. 1, chap. 23). Il semble donc qu’il n’y ait que Dieu qui absolve du péché, et par conséquent le prêtre ne doit pas dire : Je vous absous, comme il ne dit pas : Je vous remets vos péchés.

            Réponse à l’objection N°3 : Il n’y a que Dieu qui absolve du péché et qui le remette par autorité. Cependant les prêtres font ces deux choses comme ministres, en ce sens que les paroles du prêtre dans la pénitence opèrent instrumentalement par la vertu divine, comme dans les autres sacrements. Car c’est la vertu divine qui opère intérieurement dans tous les signes des sacrements, soit qu’ils soient des choses, soit qu’ils soient des paroles, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 62, art. 4, et quest. 64, art. 1 et 2). Aussi le Seigneur a exprimé l’un et l’autre. Car il a dit à saint Pierre (Matth., 16, 19) : Tout ce que vous lierez sur la terre, et il a dit à ses disciples (Jean, 20, 23) : Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Cependant le prêtre dit plutôt : Je vous absous, que de dire : Je vous remets vos péchés, parce que cette première formule s’accorde mieux avec les paroles que le Seigneur a dites, en montrant la vertu des clefs, par lesquelles les prêtres absolvent. Mais parce que le prêtre absout comme ministre, il ajoute avec raison quelque chose qui appartient à l’autorité première de Dieu ; de telle sorte qu’il dit : Je vous absous au nom du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint, pour montrer qu’il agit par la vertu de la passion du Christ ou par l’autorité de Dieu, comme saint Denis l’explique (De cœlest. hier., chap. 3, et De eccles. hier., chap. 7). Cependant parce que cela n’a pas été déterminé d’après les paroles du Christ, comme dans le baptême, on laisse cette addition à la volonté du prêtre (Si un prêtre omettait volontairement ces mots : Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, le sacrement n’en serait pas moins valide, et la plupart des théologiens pensent que ce prêtre ne pécherait que véniellement (Cf. saint Liguori, liv. 6, n° 430).).

 

            Objection N°4. Comme le Seigneur a donné à ses disciples le pouvoir d’absoudre des péchés, de même il leur a donné aussi celui de soulager les infirmités, en chassant les démons et en guérissant les maladies, comme on le voit (Matth., chap. 10, et Luc, chap. 9). Or, en guérissant les infirmes, les apôtres n’employaient pas ces paroles : Je vous guéris, mais : Que le Seigneur Jésus-Christ vous guérisse, comme saint Pierre le dit au paralytique, ainsi qu’on le voit (Actes, 9, 34). Il semble donc que les prêtres qui ont la puissance que le Christ a donnée aux apôtres ne doivent pas se servir de cette formule : Je vous absous, mais dire : Que le Christ vous accorde l’absolution.

            Réponse à l’objection N°4 : Les apôtres n’ont pas reçu la puissance de guérir les infirmes, seulement ils pouvaient obtenir leur guérison par leurs prières. Mais ils ont reçu la puissance d’opérer comme instruments ou comme ministres dans les sacrements. C’est pourquoi dans les formes sacramentelles ils peuvent exprimer leur action plutôt que dans la guérison des maladies. — Cependant, à l’égard de ces dernières, ils n’employaient pas toujours la forme déprécatoire, mais quelquefois la forme indicative et impérative. C’est ainsi que saint Pierre dit au boiteux (Actes, 3, 6) : Ce que j’ai, je vous le donne ; au nom de Jésus de Nazareth, levez-vous et marchez.

 

            Objection N°5. Il y en a qui se servent de cette formule : Je vous absous, et qui entendent par là : Je montre que vous êtes absous. Or, un prêtre ne peut même faire cela, si Dieu ne le lui révèle. D’où l’Evangile rapporte (Matth., 16, 19) qu’avant de dire à saint Pierre : Tout ce que vous délierez sur la terre, etc., le Seigneur lui dit : Vous êtes bienheureux, Simon fils de Jean, parce que ce n’est point la chair et le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel. Il semble donc que le prêtre qui n’a point eu de révélation soit présomptueux en disant : Je vous absous, quand même il entendrait par là : Je montre que vous êtes absous.

            Réponse à l’objection N°5 : Cette interprétation de la formule : Je vous absous, qui prétend qu’elle signifie : Je montre que vous êtes absous, est vraie sous un rapport, mais elle n’est pas complète (Ce serait une hérésie de considérer l’absolution du prêtre comme purement déclaratoire. Le concile de Trente a ainsi condamné cette erreur (sess. 19, can. 9) : Si quis dixerit absolutionem sacramentalem sacerdotis non esse actum judicialem, sed nudum ministerium pronuntiandi et declarandi, remissa esse peccata confitentium ; anathema sit.). Car les sacrements de la loi nouvelle ne signifient pas seulement, mais encore ils produisent ce qu’ils signifient. Par conséquent, comme le prêtre, en baptisant quelqu’un, montre que l’homme est intérieurement purifié par les paroles et les actions, et ne signifie pas seulement cette pureté intérieure, mais la produit encore ; de même quand il dit : Je vous absous, il signifie non seulement que l’homme est absous, mais encore il l’absout effectivement. Toutefois il n’en parle pas comme d’une chose incertaine. Car comme les autres sacrements de la loi nouvelle produisent d’eux-mêmes un effet certain d’après la vertu de la passion du Christ, quoique cet effet puisse être empêché de la part de celui qui le reçoit ; ainsi il en est du sacrement de pénitence. D’où saint Augustin dit (De adult. conjug., liv. 2, chap. 9) : Après que les adultères ont été consommés et pardonnés, la réconciliation des époux n’est ni honteuse, ni difficile, dès qu’on ne doute pas que l’on obtient la rémission des péchés par les clefs du royaume des cieux. Ainsi le prêtre n’a pas besoin d’avoir une révélation particulière, mais il lui suffit de la révélation générale de la foi par laquelle les péchés sont remis. D’où il est dit que la révélation de la foi a été faite à saint Pierre. L’explication serait plus complète si l’on disait : Je vous absous, c’est-à-dire : Je vous confère le sacrement de l’absolution.

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur a dit à ses disciples (Matth., 28, 19) : Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant, etc., et il a dit à saint Pierre (Matth., 16, 19) : Tout ce que vous lierez sur la terre. Or, le prêtre, appuyé sur l’autorité de ces paroles du Christ, dit : Je vous baptise. Il peut donc dire avec la même autorité dans la pénitence : Je vous absous.

 

            Conclusion Il n’y a pas de forme plus convenable pour le sacrement de pénitence que ces paroles : Je vous absous, puisqu’elles signifient très clairement ce que l’on fait dans ce sacrement.

            Il faut répondre qu’en toute chose la perfection est attribuée à la forme. Or, nous avons dit (art. 1, Réponse N°2) que le sacrement est rendu parfait par ce qui vient du prêtre. Il faut donc que ce qui vient du pénitent, les paroles ou les actions, soient la matière de la pénitence ; tandis que ce qui vient du prêtre doit en être comme la forme. — Les sacrements de la loi nouvelle produisant ce qu’ils figurent, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 1, Réponse N°2), il faut que la forme d’un sacrement signifie ce qui se passe dans le sacrement d’une manière proportionnée à sa matière. Ainsi la forme du baptême est celle-ci : Je vous baptise, et celle de la confirmation : Je vous marque du signe de la croix et je vous confirme par le chrême du salut ; parce que ces sacrements se perfectionnent dans l’usage de leur matière : au lieu que dans l’eucharistie, qui consiste dans la consécration elle-même de la matière, on exprime la vérité de la consécration en disant : Ceci est mon corps. — Quant au sacrement de pénitence, il ne consiste pas dans la consécration d’une matière quelconque, ni dans l’usage d’une matière sanctifiée ; mais plutôt dans l’éloignement d’une certaine matière qui est le péché, selon qu’on dit que le péché est la matière de la pénitence, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc.). C’est cet éloignement que le prêtre signifie quand il dit : Je vous absous. Car les péchés sont des liens, d’après ces paroles de l’Ecriture (Prov., 5, 22) : L’impie se trouve pris dans ses iniquités et chacun est engagé dans les liens de ses péchés. D’où il est évident que cette forme : Je vous absous (Eugène IV dit aussi : Forma hujus sacramenti sunt verba absolutionis quæ sacerdos profert, cùm dicit : Ego te absolvo. Et le catéchisme du concile de Trente dit de même : Hujus sacramenti forma est : Ego te ab solvo.), est la plus convenable.

 

Article 4 : Limposition des mains du prêtre est-elle requise pour la pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble que l’imposition des mains du prêtre soit requise pour la pénitence. Car il est dit (Marc, 24, 18) : Ils imposeront les mains sur les malades et ils guériront. Or, ceux qui sont malades spirituellement sont les pécheurs qui reçoivent par la pénitence une bonne habitude (On désigne ainsi l’état habituel de l’âme.). Donc dans sacrement on doit faire l’imposition des mains.

            Réponse à l’objection N°1 : Cette imposition des mains n’est pas sacramentelle, mais elle a pour but de faire des miracles, afin que l’infirmité corporelle soit détruite par le contact de la main d’un homme sanctifié. C’est ainsi qu’il est dit du Seigneur (Marc, 6, 5) qu’il guérit les malades en leur imposant les mains ; et il est dit aussi (Matth., chap. 8) qu’il guérit un lépreux par le contact.

 

            Objection N°2. Dans le sacrement de pénitence l’homme recouvre l’Esprit-Saint qu’il a perdu. Ainsi le Psalmiste fait dire au pénitent (Ps. 50, 14) : Rendez-moi la joie de votre salut et fortifiez-moi par l’esprit de piété. Or, on donne l’Esprit-Saint par l’imposition des mains. Car on lit (Actes, 8, 17) que les apôtres imposaient les mains sur eux et qu’ils recevaient l’Esprit- Saint ; et il est dit (Matth., 19, 19) qu’on offrit au Seigneur des petits enfants pour qu’il leur imposât les mains. On doit donc, dans la pénitence, imposer les mains.

            Réponse à l’objection N°2 : Toutes les fois qu’on reçoit l’Esprit-Saint il n’est pas nécessaire qu’il y ait imposition des mains. Car dans le baptême on reçoit l’Esprit-Saint, quoique l’imposition des mains n’ait pas lieu ; mais quand on reçoit l’Esprit-Saint dans sa plénitude, il faut l’imposition des mains, ce qui appartient à la confirmation.

 

            Objection N°3. Les paroles du prêtre ne sont pas plus efficaces dans la pénitence que dans les autres sacrements. Or, dans les autres sacrements, les paroles du ministre ne suffisent pas, à moins qu’il ne fasse un certain acte. C’est ainsi que dans le baptême, pendant que le prêtre dit : Je te baptise, il est nécessaire qu’il fasse en même temps l’ablution corporelle. Par conséquent, pendant qu’il dit : Je vous absous, il faut aussi qu’il fasse simultanément un acte à l’égard du pénitent, en lui imposant les mains.

            Réponse à l’objection N°3 : Dans les sacrements dont la perfection consiste dans l’usage d’une matière extérieure, le ministre a un acte corporel à exercer à l’égard de celui qui reçoit le sacrement, comme dans le baptême, la confirmation et l’extrême-onction. Mais la pénitence ne consiste pas dans l’usage d’une matière qu’on applique extérieurement. Ce qui tient lieu de matière, ce sont les actes et les paroles qui viennent du pénitent. Par conséquent, comme dans l’eucharistie le prêtre confectionne le sacrement uniquement en prononçant les paroles sur la matière, de même les paroles seules du prêtre qui absout sur le pénitent produisent le sacrement de pénitence. Et si un acte corporel était nécessaire de la part du prêtre, le signe de la croix qu’on emploie dans l’eucharistie ne serait pas moins convenable que l’imposition des mains, pour montrer que c’est par le sang de la croix du Christ que les péchés sont remis ; et cependant cela n’est pas plus nécessaire pour la pénitence que pour l’eucharistie.

 

            Mais c’est le contraire. Quand le Seigneur a dit à saint Pierre : Tout ce que vous lierez sur la terre, etc., il n’a fait aucune mention de l’imposition des mains. Il n’en a pas non plus parlé quand il a dit à tous ses apôtres ensemble : Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. L’imposition des mains n’est donc pas nécessaire à ce sacrement.

 

            Conclusion Puisque le sacrement de pénitence a pour but de nous procurer la rémission de nos péchés plutôt que de nous faire acquérir l’excellence de fa grâce ; comme on ne requiert pas l’imposition des mains pour le baptême, de même on ne la requiert pas non plus pour la pénitence.

            Il faut répondre que l’imposition des mains, dans les sacrements de l’Eglise, se fait pour désigner un effet abondant de la grâce. Ainsi, ceux auxquels on impose les mains approchent en quelque façon, d’après une certaine analogie, des ministres, dans lesquels il doit y avoir une grande abondance de grâce. C’est pour cela que l’imposition des mains se fait dans le sacrement de confirmation, où l’on confère la plénitude de l’Esprit-Saint, et dans le sacrement de l’ordre, où l’on confère une certaine excellence de puissance dans les mystères divins. D’où il est dit (2 Tim., 1, 6) : Pour que vous ressuscitiez la grâce de Dieu que vous avez reçue par l’imposition de mes mains. — Or, le sacrement de pénitence n’a pas pour but de nous faire obtenir l’excellence de la grâce, mais d’éloigner le péché. C’est pourquoi l’imposition des mains n’est pas nécessaire pour ce sacrement, comme elle n’est pas requise pour le baptême, quoique cependant on obtienne en lui une rémission plus complète des péchés.

 

Article 5 : La pénitence est-elle nécessaire au salut ?

 

            Objection N°1. Il semble que la pénitence ne soit pas nécessaire au salut. Car sur ces paroles (Ps. 125, 5) : Ceux qui sèment dans les larmes, etc., la glose dit (interl. Augusto) : Ne soyez pas triste, si vous avez la bonne volonté d’où vient la paix. Or, la tristesse est de l’essence de la pénitence, d’après ces paroles (2 Cor., 7, 10) : La tristesse qui est selon Dieu produit pour le salut une pénitence qui est stable. La bonne volonté sans la pénitence suffit donc pour être sauvé.

            Réponse à l’objection N°1 : Cette glose paraît devoir s’entendre de celui qui a la volonté bonne et qui n’a reçu aucune atteinte du péché. Car celui-là n’a pas de cause de tristesse. Mais par là même que la bonté de la volonté est détruite par le péché, elle ne peut pas être rétablie sans la tristesse par laquelle on se repent du péché passé, ce qui appartient à la pénitence.

 

            Objection N°2. Il est dit (Prov., 10, 12) : La charité couvre tous les péchés ; et plus loin (15, 27) : Les péchés sont purifiés par la miséricorde et la foi. Or, la pénitence n’existe que pour purifier les péchés. Par conséquent, si l’on a la charité, la foi et la miséricorde, on peut être sauvé, même sans le sacrement de pénitence.

            Réponse à l’objection N°2 : Du moment qu’on est dans le péché, la charité, la foi et la miséricorde n’en délivrent pas l’homme sans la pénitence. Car la charité requiert que l’homme se repente de l’offense qu’il a commise envers un de ses amis et qu’il s’efforce de lui satisfaire. La foi requiert aussi que par la vertu de la passion du Christ qui opère dans les sacrements de l’Eglise, on cherche à être justifié de ses péchés ; la miséricorde bien entendue exige également que l’homme subvienne par le repentir à sa propre misère qu’il a encourue par le péché (Sans la pénitence la charité parfaite, la foi vivante et la miséricorde chrétienne n’existent pas.), d’après ces paroles (Prov., 14, 34) : Le péché a rendu les peuples malheureux. D’où il est dit (Ecclésiastique, 30, 24) : Ayez pitié de votre âme en plaisant à Dieu.

 

            Objection N°3. Les sacrements de l’Eglise tirent leur origine de l’institution du Christ. Or, comme on le voit (Jean, chap. 8), le Christ a absous la femme adultère sans la pénitence. Il semble donc que la pénitence ne soit pas nécessaire au salut.

            Réponse à l’objection N°3 : Il a appartenu à la puissance d’excellence que le Christ seul a eue, comme nous l’avons dit (quest. 64, art. 3), qu’il ait conféré à la femme adultère l’effet du sacrement de pénitence, qui est la rémission des péchés, sans le sacrement de la pénitence extérieure, quoiqu’il ne l’ait pas fait sans la pénitence intérieure qu’il a opérée en elle par la grâce.

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Luc, 13, 3) : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous sans distinction.

 

            Conclusion Le sacrement de pénitence n’est pas absolument nécessaire au salut, comme le baptême, mais il ne l’est qu’à ceux qui sont en état de péché.

            Il faut répondre qu’une chose est nécessaire au salut de deux manières : absolument et hypothétiquement. Ce qui est nécessaire au salut absolument, c’est ce sans quoi personne ne peut être sauvé ; comme la grâce du Christ et le sacrement de baptême, par lequel on renaît dans le Christ. Le sacrement de pénitence est nécessaire hypothétiquement, car il ne l’est pas à tout le monde, mais à ceux qui sont dans le péché (Il s’agit ici du péché mortel, car ceux qui n’ont que des péchés véniels peuvent en obtenir le pardon par d’autres moyens.). En effet, il est dit (2 Paral., ult. in orat. Manass. ant. lib. 3 Esdræ) : Seigneur Dieu des justes, vous n’avez pas imposé de pénitence aux justes, à Abraham, Isaac et Jacob, et à ceux qui n’ont pas péché contre vous. Mais le péché, quand il a été consommé, engendre la mort, selon l’expression de saint Jacques (1, 15). C’est pourquoi il est nécessaire, pour que le pécheur soit sauvé, que le péché soit éloigné de lui ; ce qui ne peut se faire sans le sacrement de pénitence, dans lequel la vertu de la passion du Christ opère par l’absolution du prêtre, simultanément avec l’œuvre du pénitent qui coopère avec la grâce à l’anéantissement du péché. Car, comme le dit saint Augustin (Sup. Joan., implic. tract. 72 ante med. et expres., serm. 15 De verb. apost., chap. 11) : Celui qui vous a créé sans vous ne vous justifiera pas sans vous. D’où il est évident que le sacrement de pénitence est nécessaire (Il faut au moins qu’on ait le désir implicite de le recevoir.) au salut après qu’on a péché ; comme une médecine est nécessaire au corps quand on est tombé dans une maladie dangereuse.

 

Article 6 : La pénitence est-elle une seconde planche après le naufrage ?

 

            Objection N°1. Il semble que la pénitence ne soit pas une seconde planche après le naufrage. Car sur ces paroles (Is., 3, 9) : Ils ont publié hautement leur péché comme Sodome, la glose dit (interl. Hieron.) : C’est une seconde planche après le naufrage que de cacher les péchés. Or, la pénitence ne cache pas les péchés, mais elle les révèle plutôt. Elle n’est donc pas une seconde planche après le naufrage.

            Réponse à l’objection N°1 : On peut cacher les péchés de deux manières : 1° Quand on les fait ; c’est un plus grand mal de pécher publiquement qu’en secret ; soit parce qu’un pécheur public paraît pécher avec un plus grand mépris ; soit parce qu’il pèche en scandalisant les autres. C’est pourquoi c’est un remède pour le péché que de le commettre en secret. En ce sens, la glose dit qu’une seconde planche après le naufrage c’est de cacher les péchés ; non que le péché soit par là détruit, comme par la pénitence, mais parce qu’il est moindre. 2° On cache le péché après qu’on l’a fait, en négligeant de le confesser, et ceci est contraire à la pénitence. Alors, cacher le péché, n’est pas une seconde planche, mais c’est plutôt une chose contraire à la planche de salut. Car il est dit (Prov., 28, 13) : Celui qui cache ses péchés ne sera pas bien dirigé.

 

            Objection N°2. Le fondement dans un édifice ne tient pas le second rang, mais le premier. Or, dans l’édifice spirituel la pénitence est le fondement, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 6, 1) : Sans nous arrêter à jeter de nouveau les fondements de la pénitence qu’on doit faire des œuvres mortes. Ainsi elle précède le baptême lui-même, d’après cet autre passage (Actes, 2, 38) : Faites pénitence et que chacun de vous soit baptisé. On ne doit donc pas appeler la pénitence une seconde planche.

            Réponse à l’objection N°2 : La pénitence ne peut être appelée absolument le fondement de l’édifice spirituel, c’est-à-dire de la première construction. Mais il est le fondement de la seconde construction qui est produite par la destruction du péché. Car la pénitence est la première chose qui se présente à ceux qui reviennent à Dieu. Toutefois l’Apôtre parle en cet endroit du fondement de la doctrine spirituelle, et d’ailleurs la pénitence qui précède le baptême n’est pas le sacrement de pénitence (C’est la pénitence considérée comme vertu.).

 

            Objection N°3. Tous les sacrements sont des planches de salut, c’est-à-dire des remèdes contre le péché. Or, la pénitence ne tient pas le second rang parmi les sacrements, mais plutôt le quatrième, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 65, art. 1 et 2). On ne doit donc pas l’appeler la seconde planche après le naufrage.

            Réponse à l’objection N°3 : Les trois sacrements précédents appartiennent au navire qui est intègre, c’est-à-dire à l’état d’intégrité ou d’innocence, par rapport auquel la pénitence est appelée la seconde planche après le naufrage.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Jérôme dit (loc. cit.) : Que la pénitence est la seconde planche après le naufrage.

 

            Conclusion Le sacrement de pénitence n’étant nécessaire que dans l’hypothèse où l’on est dans le péché, il est comme la seconde planche après le naufrage.

            Il faut répondre que ce qui existe par soi est naturellement antérieur à ce qui existe par accident : comme la substance est elle-même antérieure à l’accident. Or, il y a des sacrements qui se rapportent par eux-mêmes au salut de l’homme ; comme le baptême qui est la génération spirituelle et la confirmation qui est l’accroissement de cette vie et l’eucharistie qui en est l’aliment (Le concile de Florence s’exprime de la même manière : Per baptismum spiritualiter renascimur ; per confirmationem augemur in gratia et roboramur in fide : renati autem et roborati nutrimur divina Eucharistiæ alimenta. Quod si per peccatum œgritudinem incurrimus animæ ; per pœnitentiam spiritualiter sanamur.). Mais la pénitence n’a pour but le salut de l’homme que par accident, c’est-à-dire dans la supposition qu’il est en état de péché. Car si l’homme ne péchait pas actuellement il n’aurait pas besoin de la pénitence. Cependant il aurait besoin du baptême, et de la confirmation et de l’eucharistie. C’est ainsi que dans la vie corporelle l’homme n’aurait pas besoin de médecin, s’il n’était pas malade, tandis qu’il aurait besoin absolument de naître, de se développer et de se nourrir. — C’est pourquoi la pénitence tient le second rang par rapport à l’état d’intégrité que confèrent et que conservent les sacrements dont nous venons de parler. D’où on l’appelle métaphoriquement la seconde planche après le naufrage. Car, comme le premier remède pour ceux qui passent la mer, c’est d’être conservés dans un vaisseau intact, et que le second consiste à s’attacher à une planche après que le vaisseau a été brisé ; de même sur la mer de cette vie le premier remède pour l’homme c’est de conserver son intégrité ; le second, c’est que s’il vient à la perdre par le péché, il la recouvre par la pénitence.

 

Article 7 : Le sacrement de pénitence a-t-il été convenablement institué sous la loi nouvelle ?

 

            Objection N°1. Il semble que la pénitence n’ait pas été convenablement instituée sous la loi nouvelle. Car les choses qui sont de droit naturel n’ont pas besoin d’être établies. Or, il est de droit naturel de se repentir du mal qu’on a fait. Car on ne peut aimer le bien sans déplorer ce qui lui est contraire. Il n’a donc pas été convenable que la pénitence fût établie sous la loi nouvelle.

            Réponse à l’objection N°1 : Il est de droit naturel qu’on se repente des maux qu’on a faits, de telle sorte qu’on s’attriste de ce que l’on a fait, qu’on cherche un remède à sa douleur d’une certaine manière, et qu’on donne des signes de cette douleur, comme l’ont fait les Ninivites, d’après le récit de Jonas (chap. 3). Cependant dans les Ninivites il y a eu de plus le sentiment de foi qu’ils avaient conçu d’après la prédication de Jonas, c’est-à-dire qu’ils agissaient avec l’espérance d’obtenir de Dieu leur pardon, d’après ces paroles de l’Ecriture (3, 9) : Qui sait si Dieu ne se retournera point vers nous pour nous pardonner ; et s’il n’apaisera point sa fureur et sa colère, afin que nous ne périssions pas ? Mais comme les autres choses qui sont de droit naturel ont reçu de l’institution de la loi divine leur détermination, ainsi que nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 91, art. 4, et quest. 95, art. 2, et quest. 99), de même aussi la pénitence.

 

            Objection N°2. Ce qui a existé sous la loi ancienne n’a pas dû être établi sous la nouvelle. Or, la pénitence a existé sous la loi ancienne. D’où le Seigneur se plaint par son prophète en disant (Jér., 8, 6) : Il n’y a personne qui fasse pénitence de ses péchés en disant : Qu’ai-je fait ? La pénitence n’a donc pas dû être établie sous la loi nouvelle.

            Réponse à l’objection N°2 : Les choses qui sont de droit naturel ont reçu leur détermination de différentes manières sous la loi ancienne et sous la loi nouvelle, selon qu’il convenait à l’imperfection de l’une et à la perfection de l’autre. Ainsi la pénitence sous la loi ancienne a eu une détermination particulière, qui consistait en ce que la douleur fût dans le cœur plutôt que dans des signes extérieurs, d’après ces paroles du prophète (Joël, 2, 13) ; Déchirez vos cœurs et non vos vêtements, et le remède que l’on devait chercher à sa douleur consistait à confesser ses péchés aux ministres de Dieu , d’une certaine manière qui fût au moins générale (On se reconnaissait comme pécheur en général, sans déclarer les fautes qu’on avait commises.). D’où le Seigneur dit (Lév., 5, 17) : Si un homme a péché par ignorance… il présentera au prêtre un bélier sans tache, pris du troupeau, selon l’estimation et l’appréciation du péché. Le prêtre priera pour lui, et parce qu’il a péché sans le savoir, il lui sera pardonné. Car par là même qu’on offrait une oblation pour son péché, on le confessait d’une certaine manière au prêtre. C’est dans ce sens qu’il est dit (Prov., 28, 13) : Celui qui cache ses crimes ne réussira pas, mais celui qui les confesse et qui les quitte obtiendra miséricorde. Mais la puissance des clefs qui découle de la passion du Christ n’avait pas encore été instituée, et par conséquent on n’avait pas établi qu’on se repentirait du péché et qu’on formerait le dessein de se soumettre par la confession et la satisfaction aux clefs de l’Eglise dans l’espérance d’obtenir le pardon par la vertu de la passion du Christ.

 

            Objection N°3. La pénitence se rapporte au baptême, puisqu’elle est la seconde planche après le naufrage, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, il semble que le Seigneur l’ait établie avant le baptême. Car l’Evangile rapporte qu’au commencement de sa prédication il a dit (Matth., 4, 17) : Faites pénitence, car te royaume des cieux approche. Ce sacrement n’a donc pas été convenablement institué sous la loi nouvelle.

            Réponse à l’objection N°3 : Si on considère les choses exactement, on voit que ce que le Seigneur a dit de la nécessité du baptême (Jean, chap. 3) a précédé temporairement ce qu’il a dit de la nécessité de la pénitence (Matth., chap. 4). Car ce qu’il a dit à Nicomède sur le baptême a eu lieu avant l’incarcération de saint Jean à l’égard duquel on ajoute qu’il baptisait ; et ce qu’il a dit de la pénitence (Matth., chap. 4) a été postérieur à l’incarcération du précurseur. — Toutefois, s’il eût engagé à la pénitence avant de parler du baptême, il l’aurait fait parce qu’avant le baptême on exige une certaine pénitence (La pénitence comme vertu qui d’ailleurs a toujours été nécessaire pour qu’on obtienne le pardon de ses fautes.), comme le dit saint Pierre (Actes, 2, 38) : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé.

 

            Objection N°4. Les sacrements de la loi nouvelle tirent leur institution du Christ, par la vertu duquel ils opèrent, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 5, et quest. 64, art. 1). Or, il ne semble pas que le Christ ait institué la pénitence, puisqu’il n’en a pas fait usage comme des autres sacrements qu’il a institués. Par conséquent ce sacrement n’a pas été convenablement institué sous la loi nouvelle.

            Réponse à l’objection N°4 : Le Christ n’a pas fait usage du baptême qu’il a établi, mais il a reçu le baptême de Jean, comme nous l’avons dit (quest. 39, art. 1 et 2). Il n’a pas usé activement de son ministère, parce qu’ordinairement il ne baptisait pas lui-même, mais ses disciples le faisaient, comme on le voit (Jean, chap. 4), quoique cependant on doive croire qu’il a baptisé ses disciples (On croit que Jésus-Christ a baptisé sa bienheureuse mère, saint Jean Baptiste, ses apôtres et quelques-uns de ses disciples.), comme le dit saint Augustin à Séleucianus (epist. 265 et De anima. et ejus orig., liv. 3, chap. 9). Quant à l’usage du sacrement de pénitence qu’il a établi, il ne lui convenait d’aucune manière, ni pour se l’appliquer à lui-même, puisqu’il fut sans péché ; ni pour le conférer aux autres, parce que pour montrer sa miséricorde et sa vertu il produisait l’effet du sacrement sans le sacrement lui-même, comme nous l’avons dit (art. 5, Réponse N°3).Mais il prit le sacrement de l’eucharistie et il le donna aux autres, soit pour faire voir l’excellence de ce sacrement, soit parce qu’il est un mémorial de sa passion, dans laquelle le Christ est prêtre et victime.

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Luc, 24, 46) : Il fallait que le Christ souffrît et qu’il ressuscitât d’entre les morts le troisième jour et que la pénitence et la rémission des péchés fût prêchée en son nom parmi toutes les nations.

 

            Conclusion Le sacrement de pénitence a été convenablement établi sous la loi nouvelle.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1, Réponse N°1 et 2), dans la pénitence l’acte du pénitent est comme la matière. Mais ce qui se rapporte au prêtre qui opère comme ministre du Christ est ce qu’il y a de formel et ce qui complète le sacrement. La matière dans les autres sacrements préexiste dans la nature, comme l’eau, ou elle est préalablement produite par l’art, comme le pain. Or, pour qu’une matière semblable soit employée pour un sacrement, il faut que l’institution la détermine. Quant à la forme du sacrement et à sa vertu, elle provient totalement de l’institution du Christ, à la passion duquel les sacrements doivent leur puissance. — Ainsi donc la matière de la pénitence préexiste de la part de la nature (car la raison naturelle porte l’homme à se repentir du mal qu’il a fait), mais c’est l’institution divine (C’est à l’institution divine à élever cette matière qui est préalablement existante à la dignité de sacrement.) qui détermine si l’homme doit faire pénitence de telle ou telle manière. D’où le Seigneur a commandé aux hommes, au commencement de sa prédication, non seulement de se repentir, mais encore de faire pénitence, leur indiquant ainsi la manière dont ils devaient faire les actes qui sont requis pour ce sacrement. Il a déterminé ce qui appartient à l’office des ministres (Matth., 16, 19) en disant à saint Pierre : Je vous donnerai les clefs du royaume des cieux (Ces paroles sont une promesse. Mais Jésus-Christ n’a véritablement établi le sacrement de pénitence qu’après sa résurrection : Dominus sacramentum pœnitentiæ tunc prœcipuè instituit, cùm à mortuis excitatus, insufflavit in discipulos suos, dicens : Accipite Spiritum sanctum ; quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, et quorum retinueritis, retenta sunt (Conc. Trid., sess. 14, chap. 1).). Il a manifesté l’efficacité de ce sacrement et l’origine de sa vertu après la résurrection (Luc, 24, 47), quand il a dit qu’il faut prêcher en son nom la pénitence et la rémission des péchés dans toutes les nations, après avoir parlé de la passion et de la résurrection. Car ce sacrement tire de la vertu du nom de Jésus-Christ, qui a souffert et qui est ressuscité, l’efficacité qu’il a pour remettre les péchés. Ainsi, il est évident que la pénitence a été convenablement établie sous la loi nouvelle.

 

Article 8 : La pénitence doit-elle durer jusquà la fin de la vie ?

 

            Objection N°1. Il semble que la pénitence ne doive pas durer jusqu’à la fin de la vie. Car elle a pour but d’effacer le péché. Or, celui qui est pénitent obtient immédiatement la rémission de ses péchés, d’après ces paroles (Ez., 18, 21) : Si l’impie a fait pénitence de tous les péchés qu’il a faits, il vivra et il ne mourra plus. Il ne faut donc pas que la pénitence s’étende au-delà.

            Réponse à l’objection N°1 : La vraie pénitence n’éloigne pas seulement les péchés passés, mais elle préserve encore des péchés à venir. Ainsi quoique l’homme dans le premier instant de sa vraie pénitence obtienne la rémission de ses péchés passés, il faut néanmoins que la pénitence persévère en lui (Il est à remarquer que quand la faute est effacée, toute la peine due au péché n’est pas remise pour cela, et c’est pour cette raison qu’on doit toujours faire pénitence.), dans la crainte qu’il ne tombe de nouveau dans le péché.

 

            Objection N°2. Il appartient à l’état des commençants de faire pénitence. Or, l’homme doit sortir de cet état pour passer à celui de ceux qui progressent et même de ceux qui sont parfaits. Il ne doit donc pas faire pénitence jusqu’à la fin de la vie.

            Réponse à l’objection N°2 : Il appartient à ceux qui commencent de faire tout à la fois la pénitence intérieure et extérieure, c’est-à-dire que c’est ce que doivent faire ceux qui viennent de quitter le péché. Mais la pénitence intérieure a encore lieu dans ceux qui progressent et dans ceux qui sont parfaits, d’après ces paroles (Ps. 83, 7) : Il a placé des degrés dans le cœur de ceux qui marchent dans cette vallée de larmes. D’où saint Paul disait (1 Cor., 15, 6) : Je ne suis pas digne d’être appelé un apôtre, puisque j’ai persécuté l’Eglise de Dieu.

 

            Objection N°3. Comme on doit observer les règles de l’Eglise dans les autres sacrements, de même dans la pénitence. Or, d’après les canons, il y a des temps déterminés pour faire pénitence ; ainsi celui qui a commis tel ou tel péché doit en faire pénitence tant d’années. Il semble donc que la pénitence ne doive pas s’étendre jusqu’à la fin de la vie.

            Réponse à l’objection N°3 : Ces temps sont prescrits aux pénitents relativement à la pénitence extérieure qu’ils ont à faire.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (alius auctor, De vera et falsa pœnitentia, chap. 13) : Que nous reste-t-il, sinon de toujours gémir ici-bas ? Car dès que la douleur cesse, la pénitence fait défaut, et du moment que la pénitence cesse que devient le pardon ?

 

            Conclusion Quoique la pénitence intérieure doive durer jusqu’à la fin de la vie, la pénitence extérieure ne doit cependant pas durer jusque-là nécessairement, mais elle doit durer jusqu’à un temps déterminé, selon la gravité du péché.

            Il faut répondre qu’il y a deux sortes de pénitence : l’une intérieure et l’autre extérieure. La pénitence intérieure est celle par laquelle on gémit du péché que l’on a commis. Cette pénitence doit durer jusqu’à la fin delà vie (Cette pénitence intérieure doit consister en deux choses : d’abord à ne jamais mettre son plaisir dans le péché, ensuite à détester les fautes que l’on a commises toutes les fois qu’elles se présentent à la mémoire.). Car l’homme doit toujours être fâché d’avoir péché ; puisque, s’il était content d’avoir péché, il pécherait par là même et perdrait le fruit de son pardon. Or, le regret produit de la douleur dans celui qui en est susceptible, comme l’homme l’est ici-bas. Mais après cette vie les saints ne seront plus susceptibles de souffrir ; et par conséquent leurs péchés passés leur déplairont sans qu’ils éprouvent aucune tristesse, d’après ces paroles du prophète (Is., 65, 16) : Les anciennes afflictions seront alors oubliées. — La pénitence extérieure est celle par laquelle on montre des signes extérieurs de douleur, on confesse de bouche ses péchés au prêtre qui absout et l’on satisfait selon sa volonté. Cette pénitence ne doit pas durer jusqu’à la fin de la vie, mais jusqu’à un temps déterminé, selon la gravité du péché qu’on a fait.

 

Article 9 : La pénitence peut-elle être continue ?

 

            Objection N°1. Il semble que la pénitence ne puisse pas être continue. Car le prophète dit (Jér., 31, 16) : Que votre bouche étouffe ses plaintes et que vos yeux cessent de répandre des larmes. Or, ceci ne pourrait se faire si la pénitence qui consiste dans les gémissements et les larmes était continue. Elle ne peut donc pas l’être.

            Réponse à l’objection N°1 : Les pleurs et les larmes appartiennent à l’acte de la pénitence extérieure, qui non seulement ne doit pas être continu, mais qui ne doit pas même durer jusqu’à la fin de la vie, comme nous l’avons dit (art. préc.). C’est pour cela que le prophète ajoute : Parce que vos œuvres auront leur récompense. Or, la récompense de l’œuvre du pénitent est la pleine rémission du péché et quant à la faute et quant à la peine. Après l’avoir obtenue, il n’est pas nécessaire que l’homme fasse ultérieurement une pénitence extérieure, quoique par là on n’exclue pas la continuité de la pénitence, telle que nous l’avons entendue (dans le corps de l’article et art. préc.).

 

            Objection N°2. L’homme doit se réjouir de toute espèce de bonne œuvre, d’après ces paroles (Ps. 99, 1) : Servez le Seigneur dans la joie. Or, c’est une bonne œuvre que de faire pénitence. On doit donc s’en réjouir. Mais comme on ne peut tout à la fois être triste et joyeux, selon la remarque d’Aristote (Eth., liv. 9, chap. 4), il s’ensuit qu’il ne peut se faire qu’un pénitent soit continuellement triste de ses péchés passés, ce qui appartient à l’essence de la pénitence. La pénitence ne peut donc pas être continue.

            Réponse à l’objection N°2 : Nous pouvons parler de la douleur et de la joie de deux manières : 1° Selon qu’elles sont des passions de l’appétit sensitif. De la sorte elles ne peuvent exister simultanément d’aucune manière, parce qu’elles sont absolument contraires ; soit de la part de l’objet, comme quand elles se rapportent à la même chose ; soit au moins de la part du mouvement du cœur, car la joie dilate le cœur, tandis que la tristesse le resserre. C’est dans ce sens que parle Aristote (Eth., liv. 9). — 2° Nous pouvons parler de la joie et de la tristesse, selon qu’elles consistent dans un acte simple de la volonté, à laquelle une chose plaît ou déplaît. Sous ce rapport elles ne peuvent avoir de contrariété que du côté de l’objet, comme lorsqu’elles ont pour objet la même chose et sous le même rapport. En ce sens la joie et la tristesse ne peuvent exister simultanément, parce que la même chose considérée sous le même rapport ne peut plaire et déplaire tout à la fois. Mais si la joie et la tristesse ainsi entendues ne se rapportent pas à la même chose sous le même rapport, mais à des choses diverses, ou à la même chose considérée sous des rapports différents ; alors elles ne sont pas contraires. Par conséquent rien n’empêche que l’homme ne soit tout à la fois triste et gai ; par exemple, si nous voyons que le juste est affligé, nous sommes satisfaits tout à la fois de sa justice et nous déplorons son affliction. De la même manière on peut être tout à la fois fâché d’avoir péché et être content de ce que ce sentiment nous donne l’espérance du pardon, de telle sorte que la tristesse elle-même devient la matière de la joie. D’où saint Augustin dit (Lib. de pœnit., loc. sup. cit.) : Que le pénitent gémisse toujours et qu’il se réjouisse de sa douleur. — D’ailleurs si la tristesse n’était d’aucune manière compatible avec la joie, ce ne serait pas la continuité habituelle de la pénitence qui serait par là détruite, mais la continuité actuelle.

 

            Objection N°3. L’Apôtre dit (2 Cor., 2, 7) : Consolez celui qui fait pénitence, de peur qu’il ne soit abîmé dans une trop profonde tristesse. Or, la consolation éloigne la tristesse qui est de l’essence de la pénitence. La pénitence ne doit donc pas être continue.

            Réponse à l’objection N°3 : D’après Aristote (Eth., liv. 2, chap. 3, 6, 7 et 9), il appartient à la vertu de tenir le milieu dans les passions. Or, la tristesse qui résulte dans l’appétit sensitif du pénitent de ce qui déplaît à la volonté est une passion. Elle doit donc être réglée selon la vertu, et son excès devient un vice, parce qu’il conduit au désespoir ; ce que l’Apôtre exprime en disant : De peur qu’il ne soit abîmé dans une trop profonde tristesse. Par conséquent la consolation dont parle l’Apôtre en cet endroit, doit modérer la tristesse, mais elle ne doit pas l’enlever totalement.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (alius auctor, De vera et fals. pœnit., chap. 13) : Il faut que dans la pénitence la douleur soit continuelle.

 

            Conclusion Il est impossible que la pénitence soit continuelle en acte, mais elle doit l’être sous le rapport de l’habitude.

            Il faut répondre qu’on dit qu’on se repent de deux manières, selon l’acte et selon l’habitude. Il est impossible que l’on fasse continuellement pénitence en acte ; parce qu’il est nécessaire que l’acte intérieur ou extérieur du pénitent soit interrompu au moins par le sommeil et par les autres choses qu’exigent nécessairement les besoins du corps. 2° On dit que l’on se repent sous le rapport de l’habitude, et dans ce sens il faut qu’on fasse continuellement pénitence, soit en ne faisant jamais rien de contraire à la pénitence qui détruise la disposition habituelle du pénitent ; soit parce que l’homme doit toujours persévérer dans le dessein qu’il a formé de détester ses péchés passés.

 

Article 10 : Doit-on réitérer le sacrement de pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas réitérer le sacrement de pénitence. Car l’Apôtre dit (Héb., 6, 4) : Il est impossible que ceux qui ont été une fois illuminés par le baptême, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été rendus participants du Saint-Esprit, qui se sont nourris de la sainte parole de Dieu et des merveilles du siècle à venir, s’ils viennent à tomber, qu’on les renouvelle une seconde fois par la pénitence. Or, tous ceux qui ont reçu la pénitence ont été illuminés et ont reçu le don du Saint-Esprit. Quiconque pèche après la pénitence ne doit donc pas recevoir ce sacrement une seconde fois.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme chez les Juifs on avait établi, d’après la loi, des piscines où l’on se purifiait plusieurs fois de ses souillures, il y en avait parmi eux qui croyaient que l’on pouvait aussi être purifié plusieurs fois par les eaux du baptême. C’est pour écarter cette erreur que saint Paul écrit aux Hébreux qu’il est impossible que ceux qui ont été illuminés une fois, c’est-à-dire par le baptême, soient de nouveau renouvelés par la pénitence, c’est-à-dire par le baptême, qui est le bain de la régénération et du renouvellement de l’Esprit-Saint, comme il le dit ailleurs (Tite, 3, 5). La raison qu’il en donne, c’est que par le baptême l’homme meurt avec le Christ. D’où il ajoute : Crucifiant de nouveau en eux-mêmes le Fils de Dieu.

 

            Objection N°2. Saint Ambroise dit (De pœnit., liv. 2, chap. 10) : Il s’en trouve qui pensent que ceux qui pèchent dans le Christ doivent faire pénitence plus souvent. Mais s’ils faisaient pénitence véritablement, ils ne penseraient pas qu’on doit la réitérer ensuite, parce que comme le baptême est un, de même la pénitence est unique. Or, le baptême ne se réitère pas. Donc la pénitence non plus.

            Réponse à l’objection N°2 : Saint Ambroise parle de la pénitence solennelle qui ne se réitère pas dans l’Eglise (On ne soumettait pas plusieurs fois la même personne à cette peine, soit pour éviter le scandale, soit pour inspirer plus de crainte.), comme nous le dirons plus loin (sup., quest. 28, art. 2).

 

            Objection N°3. Les miracles par lesquels le Seigneur a guéri les infirmités corporelles signifient la guérison des infirmités spirituelles, par lesquelles les hommes sont délivrés de leurs péchés. Or, on ne voit pas que le Seigneur ait deux fois rendu la vue à un aveugle, ou qu’il ait deux fois guéri un lépreux, ou qu’il ait deux fois ressuscité un mort. Il semble donc qu’un pécheur n’obtienne pas deux fois son pardon par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°3 : Comme le dit saint Augustin (in Lib. pœnit., loc. sup. cit.) : Le Seigneur a rendu la vue en divers temps à une foule d’aveugles et il a fortifié une multitude d’infirmes, pour montrer dans ces divers personnages qu’on remet souvent les mêmes péchés ; de telle sorte que celui qu’il a guéri de la lèpre dans un temps, il le délivre de la cécité dans un autre. Car il n’a guéri tant de fiévreux, tant de languissants, tant de boiteux, d’aveugles et de malades qui avaient les membres desséchés, que pour que le pécheur ne désespère pas de lui-même. Ainsi il n’est pas dit qu’une personne a été guérie plus d’une fois du même mal, pour qu’on craigne de retomber dans le même péché. Mais il s’est dit médecin, et il a ajouté qu’il était utile, non pas à ceux qui se portent bien, mais à ceux qui se portent mal. Or, que serait-ce de ce médecin s’il ne savait guérir un malade qui aurait fait une rechute ? Car il appartient aux médecins de guérir cent fois celui qui est cent fois malade ; et il serait inférieur aux autres, s’il ignorait ce qui leur est possible.

 

            Objection N°4. Saint Grégoire dit (Hom. quadrag. 34 in Evang.) : La pénitence consiste à pleurer les péchés qu’on a faits auparavant et à ne pas en commettre qu’on doive pleurer de nouveau. Et saint Isidore ajoute (De summ. bono, liv. 2, chap. 16) : C’est un moqueur et non un pénitent, celui qui fait encore les choses dont il se repent. Si on se repent véritablement, on ne pèche donc plus, et par conséquent il ne peut pas se faire que le sacrement de pénitence se réitère.

            Réponse à l’objection N°4 : La pénitence consiste à pleurer les péchés qu’on a commis et à n’en pas commettre qu’on doive pleurer, c’est-à-dire qu’on les pleure tout à la fois dans l’acte ou dans l’intention. Car il se moque et il n’est pas repentant celui qui, tout en faisant pénitence, fait la chose qu’il déplore, ou se propose de faire de nouveau ce qu’il a fait, ou retombe actuellement dans le même péché ou dans un péché d’un autre genre (Pour être vraiment pénitent il faut qu’on ait de la douleur d’avoir offensé Dieu, et qu’on ait le ferme propos de ne plus l’offenser à l’avenir.). Mais si l’on pèche ensuite ou en acte ou dans l’intention, cela n’empêche pas la première pénitence d’avoir été véritable. En effet, la vérité d’un acte antérieur n’est jamais détruite par l’acte contraire qui vient ensuite. Car comme celui qui s’assied ensuite a véritablement couru, de même celui qui pèche ensuite s’est véritablement repenti auparavant.

 

            Objection N°5. Comme le baptême tire son efficacité de la passion du Christ, de même aussi la pénitence. Or, on ne réitère pas le baptême à cause de l’unité de la passion et de la mort du Christ. Pour la même raison la pénitence ne se réitère donc pas non plus.

            Réponse à l’objection N°5 : Le baptême tire sa vertu de la passion du Christ, comme une génération spirituelle qui résulte de la mort spirituelle d’une vie antérieure. Or, il a été-résolu que les hommes ne meurent qu’une fois (Héb., 9, 27) et qu’ils ne naissent qu’une fois. C’est pour cela qu’on ne doit être baptisé qu’une fois. Mais la pénitence tire sa vertu de la passion du Christ, comme une médecine spirituelle qu’on peut souvent réitérer.

 

            Objection N°6. Saint Ambroise dit (sup. illud Ps. 118, Deprecatus sum faciem, etc.) que la facilité du pardon encourage à pécher. Si donc Dieu pardonne souvent par la pénitence, il semble qu’il engage par là même les hommes à pécher, et par conséquent il semblerait qu’il se délecte dans leurs fautes, ce qui ne convient pas à sa bonté. Le sacrement de pénitence ne peut donc pas être réitéré.

            Réponse à l’objection N°6 : D’après saint Augustin (Lib. de pœnit., loc. cit.), il est manifeste que les péchés déplaisent beaucoup à Dieu, qui est toujours prêt à les détruire dans la crainte que ce qu’il a créé ne se détruise et que ce qu’il a aimé ne s’abîme par le désespoir.

 

            Mais c’est le contraire. L’homme est porté à la miséricorde par l’exemple de la miséricorde divine, d’après ces paroles (Luc, 6, 36) : Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux. Or, le Seigneur fait à ses disciples un devoir de cette miséricorde, en voulant qu’ils pardonnent plus souvent à leurs frères qui pèchent contre eux. Ainsi saint Pierre lui ayant demandé (Matth., 18, 21) : Combien de fois pardonnerai-je à mon frère qui aura péché contre moi ? le ferai-je jusqu’à sept fois ? Jésus lui répondit : Je ne vous dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à septante fois sept fois. Dieu accorde donc plus d’une fois par la pénitence le pardon à ceux qui pèchent, surtout puisqu’il nous enseigne à dire (Matth., 6, 12) : Pardonnez-nous nos offenses comme nous les pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

 

            Conclusion Puisque la charité qu’on a une fois possédée peut, être perdue à cause du libre arbitre, et que fa miséricorde divine surpasse toute la grandeur et toute la multitude des péchés, il est évident que l’on peut réitérer le sacrement de pénitence plusieurs fois.

            Il faut répondre qu’à l’égard de la pénitence, il y en a qui ont erré en disant que l’homme ne peut pas obtenir une seconde fois le pardon de ses péchés par la pénitence. Les uns, comme les novatiens, sont allés jusqu’à dire que celui qui pèche, après la première pénitence qu’on fait dans le baptême, ne peut plus être rétabli de nouveau par la pénitence. Il y a eu d’autres hérétiques, d’après saint Augustin (Lib. de vera et falsa pœnit., chap. 5, in princ.), qui disaient que la pénitence est à la vérité utile après le baptême, mais qu’on ne peut la recevoir plusieurs fois. — Ces erreurs paraissent être provenues de deux causes : 1° De ce qu’ils se trompaient à l’égard de la nature de la vraie pénitence. Car comme on requiert pour la pénitence véritable la charité, sans laquelle les péchés ne sont pas effacés, ils croyaient que la charité ne peut pas se perdre une fois qu’on l’a eue (L’inadmissibilité de la grâce a été aussi une des erreurs de Calvin.), et que par conséquent, la pénitence, si elle est véritable, n’est jamais détruite par le péché, au point qu’il soit nécessaire de la réitérer. Mais ceci a été réfuté (2a 2æ, quest. 24, art. 11) où nous avons montré que la charité une fois qu’on la possède peut être perdue à cause du libre arbitre, et que par conséquent après la pénitence véritable on peut pécher mortellement. 2° Parce qu’ils se trompaient à l’égard de l’appréciation de la gravité du péché. Car ils pensaient que le péché qu’on commet après avoir été pardonné est si grave qu’il n’est pas possible de le remettre. A cet égard ils se trompaient par rapport au péché, qui, après le pardon qu’on a reçu, peut-être plus grave et plus léger que le péché qui a été remis auparavant ; et ils erraient encore beaucoup plus à l’égard de l’infinité de la miséricorde divine qui surpasse le nombre et la grandeur des péchés quels qu’ils soient, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 50, 1) : Ayez pitié de moi, mon Dieu, selon votre grande miséricorde et effacez mon iniquité selon la multitude de vos bontés. C’est pourquoi l’Ecriture condamne cette parole de Caïn (Gen., 4, 13) : Mon iniquité est trop grande pour que j’obtienne mon pardon. C’est pour cela que la miséricorde de Dieu offre dans la pénitence, sans aucun terme, un moyen de pardon à ceux qui pèchent, et qu’il est dit (2 Paral., ult. in orat. Manas. ante liv. 3 Esdr.) : La miséricorde immense et infinie de vos promesses l’emporte sur la malice des hommes (Pierre ayant dit à Jésus : Combien de fois, lorsque mon frère pèchera contre moi, lui pardonnerai-je ? Jusqu’à sept fois ? Jésus lui répondit : Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais jusqu'à soixante-dix sept fois (Matth., 18, 21-22).). D’où il est évident que le sacrement de pénitence peut être réitéré plusieurs fois.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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