Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 86 : De l’effet de la pénitence quant à la rémission des péchés mortels

 

            Nous devons ensuite nous occuper des effets de la pénitence : 1° quant à la rémission des péchés mortels ; 2° quant à la rémission des péchés véniels ; 3° quant au retour des péchés pardonnés ; 4° quant au recouvrement des vertus. — Sur la première de ces considérations il y a six questions à examiner : 1° Tous les péchés mortels sont- ils effacés par la pénitence ? (Il est de foi que tous les péchés peuvent être remis par la pénitence : Si post susceptionem baptismi, dit le concile de Latran, quisquam prolapsus fuerit peccatum, per veram pœnitentiam semper reparari potest. En établissant cette vérité saint Thomas réfute l’erreur des novatiens et des montanistes qui ont prétendu le contraire.) — 2° Peuvent-ils être effacés sans elle ? (Il est de foi que la pénitence, comme vertu, est nécessaire d’une nécessite de moyen aussi bien que d’une nécessité de précepte. C’est ce qu’exprime ainsi le concile de Trente (sess. 14, chap. 1) : Fuit quidem pœnitentia universis hominibus, qui se mortali aliquo peccato inquinassent, quovis tempore ad gratiam et justitiam assequendam necessaria, illis etiam qui baptismi sacramento ablui petivissent.) — 3° Un péché peut-il être remis sans l’autre ? (Il est certain et reconnu par tous les théologiens qu’un péché mortel ne peut être remis sans les autres d’après la puissance ordinaire de Dieu, mais il y en a qui croient qu’il le pourrait d’après sa puissance absolue.) — 4° La pénitence enlève-t-elle la faute eu laissant subsister la peine qui lui est due ? (Les luthériens et les calvinistes nient qu’après la rémission de la faute il reste une peine temporelle ; et c’est de là qu’ils partent pour attaquer le purgatoire, les indulgences et toutes les œuvres satisfactoires. Leur erreur a ainsi été condamnée par le concile de Trente : Si quis, post acceptam justificaitonis gratiam, cuilibet peccatori pœnitenti ità culpam remitti et reatum pœnæ æterna deleri dixerit, ut nullus remaneat reatus pœnæ temporalis exsolvendæ, vel in hoc sæculo, vel in futuro in purgatorio, antequam ad regna cælorum aditus patere possit, anathema sit (sess. 6, can. 3).) — 5° Les restes des péchés subsistent-ils ? (On entend ici par les restes du péché les habitudes mauvaises ou les dispositions qui résultent des fautes que l’on a commises auparavant ; l’âme est d’autant moins apte à faire le bien que les fautes qu’on a commises sont plus graves, ou qu’on est resté plus longtemps dans le péché, ou qu’on a péché plus souvent.) — 6° Est-ce un effet de la pénitence comme vertu ou comme sacrement d’enlever le péché ?

 

Article 1 : Tous les péchés sont-ils effacés par la pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble que tous les péchés ne soient pas effacés par la pénitence. Car l’Apôtre dit (Héb., 12, 17) qu’Esaü ne fut pas accessible à la pénitence, quoiqu’il l’eût demandée avec larmes (Ce passage de saint Paul s’entend plutôt de la pénitence d’Isaac que de celle d’Esaü, et il signifie qu’Esaü ne put obtenir de son père qu’il se repentît de la bénédiction qu’il avait donnée à Jacob, et qu’il ne put la lui faire rétracter, quoiqu’il lui eût demandé sa bénédiction avec larmes.) ; et la glose ajoute (interl.) : Il ne trouva pas lieu de se faire pardonner et bénir par la pénitence. Et il est dit d’Antiochus (2 Mach., 9, 13) : L’impie priait Dieu, dont il ne devait pas obtenir miséricorde. Il ne semble donc pas que tous les péchés soient effacés par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°1 : Esaü ne s’est pas véritablement repenti ; ce qui est manifeste, puisqu’il disait (Gen., 27, 41) : Le temps de la mort de mon père viendra, et je tuerai mon frère Jacob. De même Antiochus n’a pas été véritablement pénitent (Ce qui le prouve c’est que l’Ecriture en rapportant sa prière dit : Or ce scélérat priait ((2 Mach., 9, 13), et qu’elle lui donne les noms d’homicide et de blasphémateur, et que d’ailleurs il n’a point délivré les Juifs de la tyrannie qu’il exerçait sur eux.) ; car il déplorait ses fautes, non parce qu’elles offensaient Dieu, mais à cause des souffrances corporelles qu’il endurait.

 

            Objection N°2. Saint Augustin dit dans son livre (De sermone Dom. in monte, liv. 1, chap. 22) : Que le péché que l’on commet, lorsqu’après avoir connu Dieu par la grâce du Christ on attaque ses frères et on s’arme des torches de l’envie contre la grâce elle-même, est une faute si grave qu’on ne peut avoir l’humilité de la prière, quand même on serait forcé par sa conscience mauvaise à reconnaître son péché et à le proclamer. Tout péché ne peut donc être détruit par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°2 : Ces paroles de saint Augustin doivent s’entendre ainsi : la tâche du péché est si grave qu’on ne peut avoir l’humilité nécessaire pour en obtenir le pardon, c’est-à-dire qu’on ne le peut facilement. C’est ainsi qu’on dit qu’on ne peut guérir celui qu’on ne peut guérir qu’à grande peine. Cependant cet effet peut être produit par la vertu de la grâce divine qui soulève quelquefois jusqu’au fond de la mer, selon l’expression du Psalmiste (Ps. 67).

 

            Objection N°3. Le Seigneur dit (Matth., 12, 32) : Celui qui aura dit une parole contre l’Esprit-Saint, il ne lui sera pardonné ni en ce monde, ni en l’autre. Tout péché ne peut donc être remis par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°3 : Cette parole ou le blasphème contre l’Esprit-Saint est l’impénitence finale, comme le dit saint Augustin (Lib. de verbis Dom., serm. 11, chap. 12 et 13), et cette impénitence est absolument irrémissible, parce qu’après la fin de cette vie il n’y a plus de rémission pour les péchés. Ou bien si on entend par le blasphème de l’Esprit-Saint le péché que l’on commet par malice, ou le blasphème lui-même de l’Esprit-Saint, on dit qu’il est irrémissible, c’est-à-dire qu’on ne peut le remettre facilement ; soit parce que ce péché n’a pas en lui-même de cause d’excuse, soit parce qu’on est puni pour ce péché en ce monde-ci et dans l’autre, comme nous l’avons expliqué (2a 2æ, quest. 14).

 

            Mais c’est le contraire. Il est dit (Ez., 18, 22) : Je ne me souviendrai plus de toutes les iniquités qu’il a commises.

 

            Conclusion La liberté de l’homme et l’efficacité de la grâce divine montrent qu’il n’y a pas de péché ici-bas qui ne puisse être effacé par la pénitence véritable.

            Il faut répondre que si un péché ne pouvait être effacé par la pénitence, cela pourrait résulter de deux causes, ou de ce qu’on ne pourrait s’en repentir, ou de ce que la pénitence ne pourrait l’effacer. Les péchés des démons et des damnés ne peuvent être effacés par la pénitence pour le premier motif ; parce que leur volonté se trouve affermie dans le mal, de telle sorte que le péché ne peut leur déplaire, comme faute ; ils ne détestent que la peine qu’ils souffrent, et c’est pour cela qu’ils font une pénitence infructueuse, d’après ces paroles de l’Ecriture qui dit (Sag., 5, 3) qu’ils font pénitence et qu’ils gémissent dans les angoisses de leur cœur. Aussi cette pénitence n’est pas accompagnée de l’espérance du pardon, mais du désespoir. Il ne peut en être ainsi du péché de l’homme qui est ici-bas, dont le libre arbitre peut se porter vers le bien et vers le mal. C’est donc une erreur de dire que l’on fait dans ce monde des péchés dont on ne peut se repentir, parce que : 1° on détruirait par là le libre arbitre ; 2° on dérogerait à la vertu de la grâce par laquelle le cœur de tout pécheur peut être tourné au repentir, d’après ces paroles (Prov., 21, 1) : Le cœur du roi est dans la main de Dieu et il le tournera partout où il voudra. — C’est aussi une erreur de croire qu’on ne puisse effacer un péché par la pénitence véritable, parce que : 1° c’est une chose qui répugne à la miséricorde de Dieu, dont il est dit (Joël, 2, 13) qu’il est bon et miséricordieux, qu’il est patient et riche en miséricorde et qu’il l’emporte sur toute espèce de malice ; car Dieu serait en quelque sorte vaincu par l’homme, si l’homme voulait qu’un péché fût effacé et que Dieu ne le voulût pas ; 2° ce serait déroger à la vertu de la passion du Christ par laquelle la pénitence opère, comme les autres sacrements, puisqu’il est écrit (1 Jean, 2, 2) que le Christ a été victime de propitiation pour nos péchés, et non seulement pour les nôtres, mais encore pour ceux de tout le monde entier. On doit donc dire absolument que tout péché ici-bas peut être effacé par la pénitence véritable.

 

Article 2 : Peut-on remettre le péché sans la pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble que le péché puisse être remis sans la pénitence. Car la puissance de Dieu n’est pas moindre à l’égard des adultes qu’à l’égard des enfants. Or, il remet les péchés aux enfants sans la pénitence. Il le fait donc aussi aux adultes.

            Réponse à l’objection N°1 : Dans les enfants il n’y a que le péché originel qui ne consiste pas dans un dérèglement actuel de la volonté, mais dans un dérèglement habituel de la nature, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 82, art. 1). C’est pourquoi ce péché leur est remis avec une modification habituelle qui est produite par l’infusion de la grâce et des vertus, mais non avec une modification actuelle. Quant à l’adulte qui a des péchés actuels qui consistent dans le dérèglement actuel de la volonté, ses fautes ne lui sont pas remises, même dans le baptême (La contrition, jointe à un commencement d’amour de Dieu, est une des dispositions qu’on requiert des adultes qui se présentent pour recevoir le baptême.), sans un changement actuel de la volonté qui s’opère par la pénitence.

 

            Objection N°2. Dieu n’a pas enchaîné sa vertu aux sacrements. Or, la pénitence est un sacrement. Les péchés peuvent donc être remis par la vertu divine sans elle.

            Réponse à l’objection N°2 : Cette raison s’appuie sur la pénitence considérée comme sacrement.

 

            Objection N°3. La miséricorde de Dieu est plus grande que celle de l’homme. Or, l’homme remet quelquefois son offense à un de ses semblables, sans que celui-ci se repente. D’où le Seigneur dit (Matth., 5, 44) : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Donc à plus forte raison Dieu remet son offense aux hommes qui ne se repentent pas.

            Réponse à l’objection N°3 : La miséricorde de Dieu a une vertu plus grande que celle de l’homme en ce qu’elle change la volonté de l’homme pour qu’il se repente ; ce que ne peut faire la miséricorde de l’homme.

 

            Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit (Jér., chap. 18) : Si cette nation fait pénitence du mal qu’elle a fait, je me repentirai du mal que j’ai eu dessein de lui faire. Il semble donc au contraire que si l’homme ne fait pas pénitence, Dieu ne lui remette pas son péché.

 

            Conclusion Aucun péché actuel ne peut être remis ici-bas sans la vertu de pénitence.

            Il faut répondre qu’il est impossible que le péché mortel actuel soit remis sans la pénitence, si l’on parle de la pénitence qui est une vertu. Car le péché étant une offense contre Dieu, Dieu remet le péché de la même manière qu’il remet l’offense commise contre lui. Or, l’offense est directement opposée à la grâce ; car on dit que quelqu’un est offensé à l’égard d’un autre par là même qu’il lui retire sa grâce. Mais, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 110, art. 1), il y a cette différence entre la grâce de Dieu et la grâce de l’homme, c’est que la grâce de l’homme ne produit pas, mais qu’elle présuppose la bonté véritable ou apparente dans l’individu qu’elle gratifie ; au lieu que la grâce de Dieu produit la bonté dans l’homme qu’elle a pour objet, parce que la bonne volonté de Dieu, qu’on désigne sous le nom de grâce, est la cause de tout bien créé. Ainsi il peut se faire que l’homme remette l’offense à celui qui l’a offensé sans que la volonté de ce dernier subisse aucun changement ; tandis qu’il ne peut se faire (Tous les théologiens reconnaissent que cela est impossible d’après la loi ordinaire de Dieu, mais ils se demandent s’il le pourrait faire absolument au moyen de sa puissance extraordinaire. ils sont partagés à cet égard.) que Dieu remette l’offense à quelqu’un sans que la volonté de celui-ci soit changée. Et comme l’offense du péché mortel provient de ce que la volonté de l’homme s’est détournée de Dieu pour se porter vers un bien qui est changeant, il s’ensuit qu’il est requis pour la rémission de l’offense faite contre Dieu que la volonté de l’homme se modifie au point de se tourner vers Dieu en détestant le mouvement qu’elle suivait précédemment, et en prenant la résolution de se corriger ; ce qui appartient à l’essence de la pénitence considérée comme vertu. Et c’est pour cela qu’il est impossible que le péché soit remis à quelqu’un sans la pénitence, comme vertu. — Quant au sacrement de pénitence, il est produit, comme nous l’avons dit (quest. 84, art. 3), par le ministère du prêtre qui lie et qui délie, sans lequel Dieu peut remettre le péché (Dieu peut remettre à la vérité les péchés sans ce sacrement, mais depuis que le Christ l’a établi on ne peut être pardonné sans avoir au moins le désir de le recevoir.), comme le Christ l’a remis à la femme adultère, d’après saint Jean (chap. 8), et à la femme pécheresse, d’après saint Luc (chap. 7), quoiqu’il ne leur ait pas remis leurs fautes sans la vertu de pénitence. Car, comme le dit saint Grégoire (Hom. 33 in Evang.), il les a intérieurement attirées à la pénitence par la grâce qu’elles ont reçue extérieurement par sa miséricorde.

 

Article 3 : Un péché peut-il être remis par la pénitence sans qu’un autre le soit ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’un péché puisse être remis par la pénitence sans un autre. Car le Seigneur dit (Amos, 4, 7) : J’ai fait qu’il a plu sur une ville et qu’il n’a point plu sur une autre, qu’il a plu sur un endroit et que l’autre sur lequel il n’a point plu a été stérile ; ce que saint Grégoire explique en disant (Sup. Ezech., hom. 10) : Lorsque celui qui hait son prochain se corrige des autres défauts, la même cité reçoit la pluie d’un côté et reste sèche de l’autre ; parce qu’il y en a qui, quand ils retranchent certains vices, persistent dans d’autres d’une manière grave. Un péché peut donc être remis par la pénitence sans qu’un autre le soit.

            Réponse à l’objection N°1 : Ce passage de saint Grégoire ne doit pas s’entendre de la rémission de la faute, mais de la cessation de l’acte ; parce que quelquefois celui qui a eu l’habitude de commettre plusieurs péchés, abandonne l’un sans abandonner l’autre, ce qui est produit à la vérité par le secours de Dieu, sans arriver toutefois jusqu’à la rémission de la faute.

 

            Objection N°2. Saint Ambroise dit dans le psaume Beati immaculati (post explic. versic. Exitus aquarum, etc.) que la première consolation, c’est que Dieu n’oublie pas d’avoir pitié ; la seconde s’exerce par la punition, où, quoique la foi manque, la peine satisfait et relève. On peut donc être relevé d’un péché quoique le péché d’infidélité reste.

            Réponse à l’objection N°2 : Dans ce passage de saint Ambroise le mot fides ne peut pas s’entendre de la foi par laquelle on croit dans le Christ ; parce que, comme le dit saint Augustin sur ces paroles (Jean, chap. 15) : Si je n’étais pas venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils n’auraient pas de péché, c’est-à-dire ils ne seraient pas responsables de leur défaut de foi, car l’incrédulité est le péché qui renferme tous les autres. Mais le mot fides (Dans le passage cité ce mot indique plutôt un défaut de confiance ; quoique les Juifs n’aient pas eu confiance, Dieu les a néanmoins délivrés ; ce qui est une marque de sa miséricorde.) se prend en cet endroit pour la conscience ; parce que quelquefois, par les peines qu’on supporte patiemment, on obtient la rémission d’un péché dont on n’avait pas conscience.

 

            Objection N°3. Quand il s’agit de choses qui n’existent pas ensemble nécessairement, l’une peut être enlevée sans l’autre. Or, les péchés, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 73, art. 1), ne sont pas connexes, et par conséquent l’un d’eux peut exister sans l’autre. L’un d’eux peut donc être aussi remis sans l’autre par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°3 : Les péchés, quoiqu’ils ne soient pas connexes quant à l’acte par lequel on se tourne vers le bien qui change, le sont cependant par rapport à l’acte par lequel on se détourne du bien immuable, qui est l’acte commun à tous les péchés mortels. Sous ce rapport ils ont la nature de l’offense qui doit être effacée par la pénitence.

 

            Objection N°4. Les péchés sont des dettes dont nous demandons la remise, quand nous disons dans l’oraison dominicale : Remettez-nous nos offenses, etc. Or, l’homme remet quelquefois une dette sans une autre. Dieu remet donc aussi par la pénitence un péché sans l’autre.

            Réponse à l’objection N°4 : La dette d’une chose extérieure, comme une dette d’argent, n’est pas contraire à l’amitié d’après laquelle on fait la remise de ce qui est dû. C’est pourquoi on peut remettre une dette sans en remettre une autre. Mais la dette du péché est contraire à l’amitié. C’est pour cela qu’une faute ou une offense n’est pas remise sans une autre. Car il paraît ridicule qu’on demande pardon à un homme d’une offense sans lui demander pardon d’une autre.

 

            Objection N°5. Par l’amour de Dieu les péchés sont remis aux hommes, d’après ces paroles du prophète (Jér., 31, 3) : Je vous aime d’un amour éternel, c’est pour cela que je vous ai attiré par la compassion. Or, rien n’empêche que Dieu n’aime l’homme par rapport à une chose et qu’il soit son ennemi par rapport à une autre. C’est ainsi qu’il aime le pécheur quant à la nature et qu’il le hait quant à la faute. Il semble donc possible que Dieu remette par la pénitence un péché sans l’autre.

            Réponse à l’objection N°5 : L’amour par lequel Dieu aime la nature de l’homme ne se rapporte pas au bien de la gloire dont il est privé par tout péché mortel ; au lieu que l’amour de la grâce par laquelle on obtient la rémission du péché mortel met l’homme en rapport avec la vie éternelle, d’après ces paroles (Rom., 6,23) : La grâce de Dieu est la vie éternelle. Il n’y a donc pas de parité.

 

           Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (alius auctor, De ver. et fals. pœnit., chap. 9) : Il y en a qui se repentent d’avoir péché, mais non d’une manière complète, se réservant des choses dans lesquelles ils se délectent sans remarquer que le Seigneur a délivré du démon celui qui était tout à la fois muet et sourd, pour nous apprendre par là que nous ne sommes jamais guéris qu’autant que nous sommes délivrés de tous nos maux.

 

            Conclusion Puisque aucun péché mortel ne peut être remis sans la grâce et la pénitence et que tout péché mortel répugne à la grâce et à la pénitence, il ne peut se faire qu’un péché soit remis par la vertu de pénitence sans l’autre.

            Il faut répondre qu’il est impossible qu’un péché soit remis sans l’autre par la pénitence : 1° Parce qu’un péché est remis, selon que l’offense contre Dieu est effacée par la grâce. D’où nous avons vu (1a 2æ, quest. 109, art. 7, et quest. 113, art. 2) que comme le péché ne peut être remis sans la grâce, et que tout péché mortel est contraire à la grâce et l’exclut, par conséquent il est impossible qu’un péché soit remis sans l’autre. 2° Parce que, comme nous l’avons montré (art. préc.), le péché mortel ne peut être remis sans la véritable pénitence à laquelle il appartient d’abandonner le péché selon qu’il est contre Dieu, ce qui est commun à tous les péchés mortels. Or, dès que la cause est la même, l’effet est le même aussi. Il ne peut donc pas être véritablement pénitent celui qui se repent d’un péché, sans se repentir d’un autre. Car s’il détestait ce péché, parce qu’il est contre Dieu qu’il aime par-dessus toutes choses (ce qui est requis pour la pénitence véritable), il s’ensuivrait qu’il se repentirait de tous ses péchés (Tous les péchés mortels sont communs dans le sens qu’ils supposent tous que l’âme se détourne de Dieu. Or, elle ne peut se tourner vers lui qu’autant qu’elle rétracte ce mouvement par des sentiments opposés.). D’où il résulte qu’il est impossible qu’un péché soit remis sans l’autre par la pénitence. 3° Parce que ce serait contraire à la perfection de la miséricorde de Dieu, dont les œuvres sont parfaites, comme il est dit (Deut., chap. 32), et qui a par conséquent totalement pitié de celui qui est l’objet de sa miséricorde. Et c’est ce que dit saint Augustin (alius auctor loc. cit.). C’est une impiété et un défaut de foi que d’espérer un demi-pardon de celui qui est juste et qui est la justice.

 

Article 4 : Quand la faute est remise par la pénitence, la peine due à la faute subsiste-t-elle encore ?

 

            Objection N°1. Il semble que quand la faute a été remise par la pénitence, la peine ne subsiste plus. Car en écartant la faute, on écarte l’effet. Or, la faute est la cause de la peine qui lui est due ; puisqu’on mérite la peine, parce qu’on a commis la faute. Donc, une fois que la faute a été remise, la peine qui lui est due ne doit plus subsister.

            Réponse à l’objection N°1 : Le péché mortel implique deux choses : le mouvement par lequel on se détourne de Dieu, et celui par lequel on se porte vers le bien créé. Mais, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 71, art. 6), le premier de ces mouvements est ce qu’il y a de formel et le second ce qu’il y a de matériel. Or, quand on enlève ce qu’il y a de formel dans une chose, on enlève son espèce, comme en enlevant la raison on détruit l’espèce humaine. C’est pourquoi on dit que le péché mortel est remis par là même que la grâce amis l’âme en union avec Dieu, et qu’elle a simultanément enlevé l’obligation de se soumettre à la peine éternelle. Mais ce qui est matériel existe, c’est-à-dire qu’il reste le mouvement déréglé vers le bien créé, et la peine temporelle qu’on doit souffrir pour ce mouvement (Pœna æterna, dit le concile de Trente, vel sacramento, vel sacramenti voto unà cum culpa remittitur ; sed pœna temporalis, ut sacra littera docet, non tota semper dimittitur (sess. 6, chap. 14).).

 

            Objection N°2. Comme le dit l’Apôtre (Rom., chap. 5), le don du Christ est plus efficace que le péché. Or, en péchant, l’homme encourt tout à la fois la faute et la peine qu’elle mérite. Donc, à plus forte raison, le don de la grâce remet-il tout à la fois la faute et enlève-t-il la peine qui lui est due.

           Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 109, art. 7 et 8, et quest. 111, art. 2), il appartient à la grâce d’opérer dans l’homme en le justifiant du péché, et de coopérer avec lui pour faire le bien. La rémission de la faute et de la peine éternelle qui lui est due appartient donc à la grâce opérante, au lieu que la rémission de la peine temporelle appartient à la grâce coopérante, en ce sens que l’homme est délivré de cette peine lorsqu’il supporte patiemment ses souffrances avec le secours de la grâce divine. Ainsi, comme l’effet de la grâce opérante est avant celui de la grâce coopérante, de même la rémission de la faute et de la peine éternelle est avant la remise pleine et entière de la peine temporelle, et l’une et l’autre viennent de la grâce ; mais la première vient de la grâce seule, la seconde de la grâce et du libre arbitre (Ainsi la remise de la peine temporelle, exigeant la coopération du libre arbitre, si elle n’est pas complète et entière, ce n’est pas à cause de l’impuissance de la grâce, mais parce que le concours de l’homme n’a pas été suffisant.).

 

            Objection N°3. La rémission des péchés est produite dans la pénitence par la vertu de la passion, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 3, 25) : Dieu l’a destiné pour être la victime de propitiation, par la foi qu’on aurait en son sang, à cause de la rémission des péchés passés. Or, la passion du Christ satisfait suffisamment pour tous les péchés, comme nous l’avons dit (quest. 48, 49, et quest. 79, art. 5). Après la rémission de la faute, la peine qui lui était due ne subsiste donc plus.

            Réponse à l’objection N°3 : La passion du Christ est par elle-même suffisante pour effacer non seulement toute l’obligation de la peine éternelle, mais encore de la peine temporelle ; et, selon le mode dont l’homme participe à la vertu de la passion du Christ, il reçoit la remise de la peine qu’il a méritée. Ainsi, dans le baptême, l’homme participe totalement à la vertu de la passion du Christ, selon que, par l’eau et l’esprit du Christ, il meurt avec lui au péché et qu’il est régénéré en lui pour une vie nouvelle. C’est pour cela que dans le baptême l’homme obtient la rémission de toute la peine qu’il a méritée. Mais dans la pénitence il obtient la vertu de la passion du Christ selon le mode de ses propres actes qui sont la matière de la pénitence, comme l’eau est la matière du baptême, ainsi que nous l’avons dit (quest. 84, art. 1 et 3). C’est pourquoi toute la peine qu’il mérite n’est pas remise immédiatement par le premier acte de pénitence qui lui obtient la rémission de la faute ; mais il faut que tous les actes de la pénitence soient complets (C’est-à-dire qu’il faut que la contrition, la rémission, la satisfaction soient entières et parfaites, de manière qu’on ait satisfait complètement.).

 

            Mais c’est le contraire. L’Ecriture rapporte (2 Rois, 12, 13) que quand David pénitent eut dit à Nathan : J’ai péché contre le Seigneur, Nathan lui répondit : Le Seigneur a aussi transféré votre péché ; vous ne mourrez point, mais le fils qui vous est né sera frappé de mort ; ce qui eut lieu en punition de la faute précédente, comme le dit le prophète (ibid.). Donc, quand la faute est remise, il reste encore à expier quelque chose de la peine qu’elle a méritée.

 

            Conclusion Quoique la vertu de pénitence remette à l’homme la faute et qu’elle lui remette aussi la peine éternelle, il peut subsister encore quelque chose de la peine temporelle qu’il a méritée.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 87, art. 4), il y a deux choses dans le péché mortel : le mouvement par lequel on se détourne du bien immuable, et l’acte par lequel on se tourne vers le bien qui change. De la part de l’acte par lequel on se détourne du bien immuable le péché mortel mérite la peine éternelle, de telle sorte que celui qui a péché contre le bien éternel soit puni éternellement. Par rapport au mouvement par lequel on se tourne d’une manière déréglée vers le bien qui change, le péché mortel mérite une certaine peine ; parce que le dérèglement de la faute n’est ramené à l’ordre de la justice que par le châtiment. Car il est juste que celui qui s’est laissé aller à sa volonté plus qu’il ne devait, souffre quelque chose contrairement à sa volonté ; parce qu’alors l’égalité est rétablie. D’où il est dit (Apoc., 18, 7) : Multipliez ses tourments et ses douleurs en proportion de l’orgueil et des délices auxquelles il s’est abandonné. — Mais le mouvement par lequel on se tourne vers le bien qui change étant fini, le péché n’est pas tellement coupable sous ce rapport qu’il mérite une peine éternelle. Par conséquent, si le mouvement vers le bien qui change est déréglé et qu’on ne se détourne pas de Dieu, comme dans les péchés véniels, le péché ne mérite pas une peine éternelle, mais une peine temporelle. Ainsi donc, quand le péché est remis par la grâce, le mouvement par lequel l’âme est détournée de Dieu est détruit, puisque l’âme est unie à Dieu par la grâce. Par conséquent la peine éternelle est simultanément effacée ; mais il peut rester (Saint Thomas se sert à dessein de cette expression, parce que la contrition peut-être tellement parfaite ne laisse plus rien à expier et que la satisfaction soit entière, comme dans saint Paul et la femme pécheresse.) à subir une peine temporelle.

 

Article 5 : Quand le péché mortel est remis, tous les restes du péché sont-ils enlevés ?

 

            Objection N°1. Il semble que, quand le péché mortel est remis, tous les restes du péché soient enlevés. Car saint Augustin dit (alius auctor, De ver. et fals. pœnit., chap. 9) : Le Seigneur n’a jamais guéri quelqu’un sans le délivrer absolument. Ainsi il a guéri l’homme tout entier le jour du sabbat ; car il a délivré son corps de toute infirmité et son âme de toute contagion. Or, les restes du péché appartiennent à l’infirmité du péché. Il ne paraît donc pas possible qu’après que la faute est remise les restes du péché subsistent.

            Réponse à l’objection N°1 : Dieu guérit l’homme tout entier d’une manière parfaite ; mais quelquefois il le fait subitement. C’est ainsi qu’il rendit immédiatement la santé parfaite a la belle-mère du disciple Pierre, de telle sorte qu’elle se leva pour les servir, d’après l’Evangile (Luc, 4, 39) ; d’autres fois, il le fait successivement, comme nous l’avons dit (quest. 44, art. 3 ad 2) au sujet de l’aveugle qui recouvra la vue (Marc, chap. 8). De même, il touche quelquefois spirituellement le cœur de l’homme d’une manière si vive, qu’il lui donne tout à coup, d’une manière parfaite, la santé spirituelle, non seulement par la rémission de la faute, mais encore en enlevant tous les restes du péché, comme on le voit à l’égard de sainte Magdeleine (Luc, chap. 8). D’autres fois, il remet d’abord la faute par la grâce opérante, et il enlève ensuite successivement les restes du péché par la grâce coopérante (C’est ce qu’indique l’exemple de l’aveugle de l’Evangile qui ne recouvra la vue que successivement.).

 

            Objection N°2. D’après saint Denis (De div. nom., chap. 4), le bien est plus efficace que le mal, parce que le mal n’agit que par la vertu du bien. Or, l’homme en péchant encourt simultanément toute la souillure du péché. Donc à plus forte raison est-il délivré de tous les restes du péché quand il fait pénitence.

            Réponse à l’objection N°2 : Le péché produit quelquefois immédiatement une faible disposition, quand elle résulte d’un seul acte ; d’autres fois il en produit une plus forte (Il y a une grande différence sous ce rapport entre celui qui commet une faute rarement et un habitudinaire.), selon qu’elle est l’effet de beaucoup d’actes.

 

            Objection N°3. L’œuvre de Dieu est plus efficace que l’œuvre de l’homme. Or, les œuvres de l’homme, en se rapportant au bien, effacent les restes du péché contraire. Donc à plus forte raison sont-ils effacés par la rémission de la faute, qui est l’œuvre de Dieu.

            Réponse à l’objection N°3 : Tous les restes du péché ne sont pas enlevés par un seul acte, parce que, comme le dit Aristote dans les Catégories (chap. De opposit.), l’homme pervers ramené à de meilleures habitudes fera quelque progrès pour s’amender, et, en multipliant ses bonnes actions, il parviendra à être bon par la vertu qu’il aura acquise. Mais la grâce divine produit ce changement d’une manière beaucoup plus efficace (Elle est beaucoup plus efficace que la nature ne l’est relativement aux vertus acquises.) par un acte ou par plusieurs.

 

            Mais c’est le contraire. L’Evangile rapporte (Marc, chap. 8) qu’un aveugle, guéri par le Seigneur, recouvra d’abord la vue d’une manière imparfaite ; d’où il dit : Je vois marcher des hommes qui sont comme des arbres ; et ensuite il la recouvra parfaitement, de telle sorte qu’il voyait clairement toutes choses. Or, la guérison de cet aveugle signifie la délivrance du pécheur. Par conséquent, après la rémission de la faute par laquelle le pécheur recouvre la vue spirituelle, il y a encore en lui des restes de son péché passé.

 

            Conclusion Rien n’empêche qu’après la rémission du péché mortel il ne reste dans l’âme, par rapport au mouvement déréglé qui la porte vers les biens changeants, des dispositions produites par les actes antérieurs et qu’on appelle des restes du péché.

            Il faut répondre que le péché mortel, considéré par rapport au mouvement déréglé qui porte l’âme vers le bien qui change, produit en elle une disposition ou même une habitude, si l’acte se réitère fréquemment. Or, comme nous l’avons dit (art. préc.), la tâche du péché mortel est enlevée en tant que la grâce détruit le mouvement par lequel l’âme est éloignée de Dieu. Mais ce qui se rapporte à ce mouvement étant enlevé, ce qui regarde le mouvement par lequel l’âme se porte vers le bien qui change peut néanmoins subsister, puisqu’il arrive que l’une de ces choses subsiste sans l’autre, comme nous l’avons dit (art. préc.). C’est pourquoi rien n’empêche que, quand la faute est remise, il ne reste des dispositions produites par les actes antérieurs qu’on appelle les restes du péché (C’est ce que l’expérience nous apprend ; car quand l’homme a pris sincèrement la résolution de quitter le péché, il lui reste néanmoins beaucoup à faire pour rompre avec ses habitudes et ses inclinations, et résister aux séductions du mal.). Toutefois elles sont affaiblies et diminuées de telle sorte qu’elles ne dominent plus sur l’homme (Si l’homme succombe, il ne succombe pas nécessairement, parce qu’il était maître de prendre une détermination contraire.) ; et alors ces restes subsistent plutôt par manière de dispositions que par manière d’habitudes, comme le foyer de la concupiscence subsiste aussi après le baptême.

 

Article 6 : La rémission de la faute est-elle un effet de la pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble que la rémission de la faute ne soit pas un effet de la pénitence considérée comme vertu. Car la pénitence reçoit le nom de vertu selon qu’elle est le principe d’un acte humain. Or, l’acte humain n’opère pas pour la rémission de la faute, ce qui est un effet de la grâce opérante. La rémission de la faute n’est donc pas un effet de la pénitence comme vertu.

            Réponse à l’objection N°1 : L’effet de la grâce opérante est la justification de l’impie, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 113). Dans cette justification il y a, comme nous l’avons vu (ibid., art. 1 à 3), non seulement l’infusion de la grâce et la rémission de la faute, mais encore le mouvement du libre arbitre vers Dieu qui est un acte de foi formée (Fides formata, qui est la foi animée par la charité par opposition à la foi morte (fides informis).), et le mouvement du libre arbitre contre le péché qui est un acte de pénitence. Mais ces actes humains sont produits simultanément avec la rémission de la faute, comme des effets de la grâce opérante. Par conséquent la rémission de la faute n’a pas lieu sans l’acte de la vertu de pénitence, quoiqu’elle soit un effet de la grâce opérante.

 

            Objection N°2. Il y a d’autres vertus qui sont plus excellentes que la pénitence. Or, on ne dit pas que la rémission de la faute est l’effet d’une autre vertu. Il n’est donc pas non plus l’effet de la pénitence comme vertu.

            Réponse à l’objection N°2 : Dans la justification de l’impie il n’y a pas seulement un acte de pénitence, mais il y a encore un acte de foi, comme nous l’avons dit (Réponse N°1 et 1a 2æ, quest. 113, art. 4). C’est pourquoi la rémission de la faute n’est pas seulement un effet de la vertu de pénitence, mais elle est plus principalement l’effet de la foi et de la charité.

 

            Objection N°3. La rémission de la faute ne s’obtient que d’après la vertu de la passion du Christ, suivant ces paroles (Héb., 9, 22) : Il n’y a pas de rémission sans effusion de sang. Or, la pénitence, comme sacrement, opère en vertu de la passion du Christ tel que le font les autres sacrements, ainsi qu’on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 62, art. 4 et 5). La rémission de la faute n’est donc pas l’effet de la pénitence comme vertu, mais comme sacrement.

            Réponse à l’objection N°3 : L’acte de la vertu de pénitence est rapporté à la passion du Christ par la foi et par l’ordre qui le soumet aux chefs de l’Eglise : c’est pourquoi il produit, de ces deux manières, la rémission de la faute par la vertu de la passion du Christ (Comme vertu et comme sacrement c’est toujours à la passion du Christ qu’elle doit son efficacité.).

 

            Mais c’est le contraire. La cause propre d’une chose est ce sans quoi elle ne peut exister. Car tout effet dépend de sa cause. Or, la rémission de la faute peut venir de Dieu sans le sacrement de pénitence, mais non sans la pénitence comme vertu, ainsi que nous l’avons dit (quest. 84, art. 5, Réponse N°3, et quest. 85, art. 2). Ainsi, avant les sacrements de la loi nouvelle, Dieu remettait aussi les péchés à ceux qui se repentaient. La rémission de la faute est donc principalement l’effet de la pénitence comme vertu.

 

            Conclusion Puisque la vertu des clefs tient lieu de la forme dans le sacrement de pénitence et que les actes du pénitent tiennent lieu de matière, la rémission des fautes, quoiqu’elle n’existe pas sans l’acte de la vertu de pénitence, est plus principalement l’effet de la pénitence comme sacrement.

            Il faut répondre que la pénitence est une vertu, selon qu’elle est le principe de certains actes humains (Ces actes sont la contrition, la confession et la satisfaction, qui sont la matière du sacrement.). Les actes humains, qui viennent du pécheur, sont ce qui forme la matière dans le sacrement de pénitence. Or, tout sacrement produit son effet, non seulement par la vertu de sa forme, mais encore par la vertu de sa matière ; car un sacrement se compose de ces deux choses, comme nous l’avons vu (quest. 60, art. 6, Réponse N°2, et art. 7). Par conséquent, comme la rémission de la faute est produite dans le baptême, non seulement par la vertu de la forme, mais encore par la vertu de la matière, c’est-à-dire de l’eau, et qu’elle l’est plus principalement par la vertu de la forme de laquelle l’eau reçoit sa vertu : de même la rémission de la faute est l’effet de la pénitence, mais elle est produite plus principalement par la vertu des chefs que possèdent les ministres, auxquels on rapporte ce qu’il y a de formel dans ce sacrement, comme nous l’avons dit (quest. 84, art. 3), et elle provient secondairement de la puissance des actes du pénitent, qui appartiennent à la vertu de pénitence, toutefois selon que ces actes se rapportent de quelque manière aux chefs de l’Eglise (Ainsi quand on aurait véritablement la contrition de ses péchés, on ne pourrait en obtenir le pardon, si l’on n’avait pas la volonté de les soumettre aux clefs de l’Eglise. C’est ce que le concile de Trente exprime ainsi (sess. 14, chap. 4) : Docet sancta synodus etsi contritionem hanc aliquando perfectam esse contingat, hominemque Deo reconciliare priusquam hoc pœnitentiæ sacramentum actu suscipiatur ; ipsam nihilominùs reconciliationem ipsi contritioni sine sacramenti voto, quod in illo includitur, non esse adscribendam.). Ainsi, il est évident que la rémission de la faute est un effet de la pénitence comme vertu, quoiqu’elle soit plus principalement un de ses effets comme sacrement.

            Quant à ce que l’on objecte dans le sens contraire, il faut répondre que l’acte de la vertu de pénitence est tel que sans lui il ne peut y avoir rémission de la faute, parce qu’il est un effet inséparable de la grâce par laquelle la faute est remise principalement et qui opère dans tous les sacrements. C’est pourquoi on ne peut conclure de là qu’une chose, c’est que la grâce est une cause plus principale de la rémission de la faute que le sacrement de pénitence. Toutefois, il est à remarquer que sous la loi ancienne et sous la loi de nature, le sacrement de pénitence existait d’une certaine manière (Les Juifs étaient obligés de confesser leurs fautes d’une manière générale et d’en avoir la contrition.), comme nous l’avons dit (quest. 84, art. 7, Réponse N°2).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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