Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 89 : Du recouvrement des vertus par la pénitence

 

            Nous devons ensuite nous occuper du rétablissement des vertus par la pénitence. A cet égard il y a six questions à examiner : 1° Les vertus sont-elles rétablies par la pénitence ? (Il s’agit ici des vertus infuses que l’on perd par le péché mortel et non des vertus acquises qui sont le fruit d’actes multipliés.) — 2° Sont-elles rétablies au même degré ? — 3° Le pénitent est-il rétabli dans la même dignité ? — 4° Les œuvres des vertus sont-elles rendues mortes par le péché subséquent ? (Il est de foi que le juste, s’il vient à pécher, perd le droit qu’il avait à la récompense, et que ses bonnes œuvres sont ainsi détruites par rapport à leurs mérites : Prenez garde à vous, afin de ne pas perdre le fruit de votre travail, dit saint Jean (2 Jean, 1, 8), et ailleurs (Apoc., 3, 11) : Retiens ce que tu as, afin que personne ne prenne ta couronne. Cette question revient à l’amissibilité de la grâce que Calvin avait niée et qui se trouve établie par la doctrine du concile de Trente.) — 5° Les œuvres que le péché a fait périr revivent-elles par la pénitence ? (Quoiqu’il ne soit pas de foi que les mérites que le péché a fait périr revivent par la pénitence, cependant c’est une chose certaine et admise unanimement par tous les théologiens.) — 6° Les œuvres mortes, c’est-à-dire faites sans charité, sont-elles rendues vivantes par la pénitence ?

 

Article 1 : Les vertus sont-elles rétablies par la pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble que les vertus ne soient pas rétablies par la pénitence. Car les vertus qu’on a perdues ne pourraient être rétablies par la pénitence qu’autant que la pénitence les produirait. Or, la pénitence étant elle-même une vertu, ne peut être la cause de toutes les vertus ; surtout puisqu’il y a des vertus qui sont naturellement antérieures à la pénitence, comme la foi, l’espérance et la charité, ainsi que nous l’avons dit (quest. 85, art. 6). Les vertus ne sont donc pas rétablies par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°1 : La pénitence rétablit les vertus de la même manière qu’elle est cause de la grâce, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). Elle est cause de la grâce comme sacrement, car comme vertu elle en est plutôt l’effet. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que la pénitence, comme vertu, soit cause de toutes les autres vertus ; mais il faut seulement que l’habitude de la pénitence soit simultanément produite par le sacrement de pénitence avec les habitudes des autres vertus.

 

            Objection N°2. La pénitence consiste dans certains actes du pénitent ; tandis que les vertus gratuites ne sont pas produites par nos actes. Car saint Augustin dit (De lib. arbit., liv. 2, chap. 18, et in Ps. 118, conc. 26) que Dieu opère en nous les vertus sans nous. Il semble donc que les vertus ne soient pas rétablies par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°2 : Dans le sacrement de pénitence les actes humains en sont comme la matière, mais sa vertu formelle dépend du pouvoir des clefs. C’est pourquoi le pouvoir des clefs produit la grâce et les vertus d’une manière efficiente, mais instrumentale ; et le premier acte du pénitent, c’est-à-dire la contrition, est comme la disposition dernière nécessaire pour obtenir la grâce ; au lieu que les autres actes de pénitence qui viennent ensuite, procèdent de la grâce et des vertus.

 

            Objection N°3. Celui qui est vertueux fait des actes de vertu sans difficulté et avec plaisir. C’est ce qui fait dire à Aristote (Eth., liv. 1, chap. 8) : Qu’il n’est pas juste celui qui ne prend pas plaisir à une action juste. Or, il y a beaucoup de pénitents qui éprouvent encore de la difficulté à faire des actes de vertus. Les vertus ne sont donc pas rétablies par la pénitence.

           Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 86, art. 5), quelquefois après le premier acte de pénitence, qui est la contrition, il subsiste certains restes du péché, c’est-à-dire des dispositions produites par les actes des péchés antérieurs ; ces dispositions rendent difficile au pénitent l’accomplissement des actes de vertu (Ces observations prouvent qu’il ne s’agit pas ici des vertus acquises, ni des habitudes qui sont nécessaires pour qu’on fasse le bien facilement, mais seulement des vertus gratuites, comme nous l’avons fait remarquer.). Mais, par rapport à ce qui résulte de l’inclination elle-même de la charité et des autres vertus, le pénitent opère avec plaisir et sans difficulté de bonnes actions. C’est ainsi qu’un homme vertueux peut éprouver par accident de la difficulté pour faire des actes de vertu, parce que le sommeil ou une indisposition corporelle l’en empêchent.

 

            Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Luc, chap. 15) que le père a ordonné au fils pénitent de revêtir sa plus belle robe, qui, d’après saint Ambroise (in hunc locum), est le symbole de la sagesse de laquelle résultent simultanément toutes les vertus, suivant ces paroles (Sag., 8, 7) : Elle enseigne la tempérance et la justice, la prudence et la force, qui sont les choses du monde les plus utiles à l’homme en cette vie. Donc toutes les vertus sont rétablies par la pénitence.

 

            Conclusion Puisque la grâce est infuse dans l’âme par la pénitence et que toutes les vertus gratuites découlent de la grâce, il s’ensuit qu’elle rétablit dans l’homme toutes les vertus.

            Il faut répondre que les péchés sont remis-par la pénitence, comme nous l’avons dit (quest. 86, art. 1). La rémission des péchés ne pouvant être produite que par l’infusion de la grâce, il s’ensuit que la grâce est infuse dans l’homme par la pénitence. Et puisque toutes les vertus gratuites découlent de la grâce, comme toutes les puissances de l’âme découlent de son essence, ainsi que nous l’avons vu (quest. 110, art. 4, Réponse N°1), il en résulte que toutes les vertus (On voit d’après ce raisonnement de saint Thomas qu’il ne s’agit que des vertus qui sont le fruit de la grâce (qu’il appelle pour cela des vertus gratuites), et qui sont détruites par le péché. Ainsi la foi et l’espérance, qui peuvent exister malgré le péché, ne sont pas rétablies par la pénitence, puisqu’elles n’étaient pas perdues, seulement elles passent de l’état informe à l’état parfait par suite de la charité qui les anime.) sont rétablies par la pénitence.

 

Article 2 : Après la pénitence lhomme se relève-t-il avec une vertu égale à celle qu’il avait auparavant ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’après sa pénitence l’homme se relève avec une vertu égale à celle qu’il avait auparavant. Car l’Apôtre dit (Rom., 8, 28) : Que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu. La glose de saint Augustin dit à ce sujet (ord., liv. De corrept. et grat., chap. 9 ) : Que cela est si vrai, que si quelques-uns d’entre eux dévient et s’éloignent de leur chemin, Dieu sait faire tourner ces écarts à leur propre avantage. Or, il n’en serait pas ainsi, si l’homme se relevait avec une moindre vertu. Il semble donc que le pénitent ne se relève jamais avec une vertu moindre.

            Réponse à l’objection N°1 : Le péché par lequel on perd l’amour du Seigneur ne contribue pas toujours au bien de tous ceux qui aiment Dieu ; ce qui est évident pour ceux qui tombent et qui ne se relèvent jamais, ou pour ceux qui se relèvent et qui doivent tomber de nouveau. Cela ne profite qu’à ceux qui ont été appelés saints selon le décret de Dieu, c’est-à-dire aux prédestinés, qui, toutes les fois qu’ils tombent, se relèvent cependant finalement. Cette chute leur est profitable, non parce qu’ils se relèvent toujours avec une grâce plus forte, mais parce qu’ils se relèvent avec une grâce plus stable (Il y a des théologiens qui pensent que le pénitent se relève toujours avec une grâce et une vertu plus grandes, parce qu’ils supposent qu’il reçoit toute la grâce qu’il possédait auparavant, et qu’il y ajoute de plus une grâce nouvelle en raison de ses dispositions présentes et du sacrement qu’il reçoit. Nous rappellerons ce sentiment dans l’art. 5 de cette question.), non par rapport à la grâce elle- même, parce que la grâce est par elle-même d’autant plus stable qu’elle est plus grande ; mais de la part de l’homme qui demeure dans la grâce d’une manière d’autant plus ferme qu’il est plus humble et plus circonspect. D’où la glose dit (ibid.), que leur chute leur est avantageuse, parce qu’elle les rend plus humbles et plus instruits.

 

            Objection N°2. Saint Ambroise dit (hab., ex auct. Hypognostic., liv. 3, chap. 9 in fin.) : Que la pénitence est la meilleure des choses, qu’elle ramène tous les défauts à la perfection. Or, il n’en serait pas ainsi si l’on ne recouvrait les vertus au même degré. Donc on recouvre toujours par la pénitence une vertu égale à celle qu’on avait perdue.

            Réponse à l’objection N°2 : La pénitence considérée en elle-même à la vertu de réparer tous les défauts jusqu’à la perfection, et de nous élever à un état plus avancé que celui dans lequel nous étions auparavant. Mais cet effet est quelquefois empêché par l’homme qui se porte trop lâchement vers Dieu et à la détestation du péché. C’est ainsi que dans le baptême il y a des adultes qui obtiennent une grâce plus ou moins grande en raison de la diversité de leurs dispositions.

 

            Objection N°3. Sur ces paroles (Gen., 1, 5) : Du soir et du matin s’est fait le premier jour, la glose dit : La lumière du soir est celle de laquelle on tombe, et la lumière du matin celle dans laquelle on ressuscite. Or, la lumière du matin est plus grande que la lumière du soir. On ressuscite donc avec une grâce ou une charité plus grande que celle qu’on a eue auparavant ; ce qui paraît évident d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 5, 20) : Où il y a eu une abondance de péché, il y a eu une surabondance de grâce.

            Réponse à l’objection N°3 : Ce rapprochement entre ces deux grâces et la lumière du soir et du matin se fait à cause de la ressemblance d’ordre ; parce qu’après la lumière du soir viennent les ténèbres de la nuit, au lieu que la lumière du matin est suivie de la lumière du jour ; mais cette comparaison n’a pas pour base la ressemblance de la quantité en plus ou en moins. Quant au passage de saint Paul, il s’entend de la grâce du Christ qui surpasse toute la multitude des péchés des hommes. Mais il n’est pas vrai de dire de tous les hommes que plus leurs fautes sont abondantes et plus les grâces qu’ils obtiennent sont abondantes aussi ; en considérant l’étendue de la grâce habituelle. La grâce est cependant surabondante quand on la considère en elle-même, parce que le bienfait du pardon est accordé plus gratuitement à celui qui pèche davantage ; d’ailleurs les plus grands pécheurs font aussi quelquefois les plus grandes pénitences, et par conséquent ils obtiennent une habitude de grâce et de vertus plus abondante, comme on le voit pour sainte Magdeleine. — A l’égard de ce qu’on objecte dans le sens contraire, on doit dire que la même grâce est plus grande quand elle progresse que quand elle commence, mais quand il s’agit de personnes différentes, cela n’est pas nécessaire. Car il y en a qui commencent par une grâce plus grande que celle qui est dans les autres déjà à l’état de progrès, selon la pensée de saint Grégoire (Dial., liv. 2, chap. 1), qui dit que l’on conserve un vase miraculeusement réparé, pour faire connaître à tous les hommes qui vivaient alors et qui devaient vivre ensuite par quel degré de perfection saint Benoît avait commencé dès son enfance.

 

            Mais c’est le contraire. La charité qui progresse ou qui est parfaite est plus grande que celle qui commence. Or, quelquefois on tombe de la charité qui progresse et on se relève avec la charité qui commence. L’homme se relève donc toujours avec une vertu moindre.

 

            Conclusion Puisque le mouvement du libre arbitre, qui est la disposition dernière par rapport à la grâce, est dans la pénitence tantôt plus vif et tantôt plus relâché qu’il n’était auparavant, il arrive que celui qui est pénitent se relève avec une grâce et une vertu plus ou moins grande ou égale.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 86, art. 6, Réponse N°3, et art. préc., Réponse N°2), le mouvement du libre arbitre qui a lieu dans la justification de l’impie est la dernière disposition par rapport à la grâce. Ainsi dans le même instant il y a infusion de la grâce avec ce mouvement du libre arbitre, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 113, art. 5 et 7), et dans ce mouvement se trouve compris l’acte de la pénitence, ainsi que nous l’avons dit (quest. 86, art. 2). — En effet il est évident que les formes qui peuvent être susceptibles de plus et de moins sont plus ou moins vives selon les différentes dispositions du sujet, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 52, art. 1 et 2, et quest. 66, art. 1). D’où il suit que selon que le mouvement du libre arbitre dans la pénitence est plus ou moins ardent, le pénitent reçoit proportionnellement une grâce plus ou moins grande. Or, il arrive quelquefois que l’intensité du mouvement du pénitent est proportionnée à une grâce plus grande que celle qu’il a eue et dont le péché l’a fait déchoir (C’est ce que l’Ecriture nous dit de Zachée (Luc, chap. 19), de saint Pierre après sa pénitence, qui dit à Notre-Seigneur (Matth., 26, 33-35) : Quand tous seraient scandalisés à votre sujet, moi je ne serai pas scandalisé… Même s’il me fallait mourir avec vous, je ne vous renierai pas, de saint Paul, de sainte Marie Magdeleine, et à propos de la parabole de l’enfant prodigue.). D’autres fois elle répond à une grâce égale, ou à une grâce moindre. C’est pour cela que le pénitent se relève quelquefois avec une grâce plus grande que celle qu’il avait eue auparavant, d’autres fois avec une grâce égale, d’autres fois avec une grâce moindre (Tu as abandonné ton premier amour. Souviens-toi d’où tu es déchu, et fais pénitence, et pratique tes premières œuvres (Apoc., 2, 4-5). En lisant le second et le troisième chapitre de l’Apocalypse on peut se rendre compte de ces divers degrés.), et il faut raisonner de même à l’égard des vertus qui résultent de la grâce.

 

Article 3 : Par la pénitence lhomme est-il rétabli dans son ancienne dignité ?

 

            Objection N°1. Il semble que l’homme ne soit pas rétabli par la pénitence dans son ancienne dignité. Car sur ces paroles (Amos, 5, 2) : La vierge d’Israël a été renversée, la glose dit (ord. Hier.) : Il ne nie pas qu’elle puisse ressusciter, mais la vierge d’Israël ne se relèvera pas, parce que la brebis qui s’est égarée une fois, quoique le pasteur la rapporte sur ses épaules, n’a pas autant de gloire que celle qui ne s’est jamais égarée. L’homme ne recouvre donc pas par la pénitence son ancienne dignité.

            Réponse à l’objection N°1 : La même raison est applicable au recouvrement de la virginité et à celui de l’innocence, qui appartient à la dignité secondaire par rapport à Dieu.

 

            Objection N°2. Saint Jérôme dit (hab., chap. 30, dist. 50) : Que tous ceux qui ne conservent pas la dignité de leur rang se contentent de sauver leur âme ; car il est difficile qu’on les rétablisse dans leur ancienne dignité. Le pape Innocent Ier dit (Epist. 6 ad Agap. et habet., chap. Canones, dist. 50) que les canons du concile de Nicée excluent les pénitents des rangs les plus infimes de la cléricature. L’homme ne recouvre donc pas par la pénitence son ancienne dignité.

            Réponse à l’objection N°2 : Saint Jérôme, dans ce passage, ne dit pas qu’il est impossible, mais difficile à l’homme de recouvrer son ancien rang après le péché ; parce que cela n’est accordé qu’à celui qui est parfaitement pénitent, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). A l’égard des canons qui paraissent le défendre, saint Augustin répond dans une lettre à Boniface (Ep. 185, n° 45) : Quand l’Eglise a défendu qu’aucun de ceux qui auraient été mis en pénitence pour quelque crime ne fût ni admis, ni souffert, ni rétabli dans la cléricature, elle ne l’a fait que pour le maintien de la discipline, et non parce qu’elle désespère de leur pardon ; autrement, on contesterait à l’Eglise la puissance des clefs, dont il a été dit : Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel. Puis il ajoute : Car, quoique David ait eu besoin de faire pénitence des fautes mortelles qu’il avait commises, cependant il est resté sur son trône ; et saint Pierre n’en est pas moins resté apôtre, quoiqu’il ait répandu des larmes très amères pour avoir renié le Seigneur. Il ne faut cependant pas qu’on regarde comme inutile la sage précaution de ceux qui sont venus depuis et qui ont rendu les humiliations plus profondes pour mieux assurer le salut, ayant éprouvé apparemment que l’envie d’arriver aux dignités ecclésiastiques avait fait faire beaucoup de fausses pénitences.

 

            Objection N°3. Avant le péché on peut monter à un degré plus élevé. Mais après le péché on ne le permet pas au pénitent. Car il est dit (Ez., 44, 10) : Les lévites qui se sont éloignés de moi… ne s’en approcheront jamais pour remplir les fonctions du sacerdoce. Et comme on le voit dans le droit (dist. 50, chap. 52) et au concile de Lérida (can. 5) : Ceux qui servent au saint autel, s’ils viennent tout à coup à succomber à la déplorable fragilité de la chair, et que sous les regards du Seigneur ils fassent dignement pénitence, ils seront rétablis dans leurs charges, mais de telle sorte qu’à l’avenir ils ne puissent pas s’élever plus haut. La pénitence ne rétablit donc pas l’homme dans son ancienne dignité.

            Réponse à l’objection N°3 : Ce statut s’entend de ceux qui font une pénitence publique et qui ne peuvent pas être promus ensuite à un rang plus élevé. — Car saint Pierre, après avoir renié le Christ, a été mis à la tête de son troupeau, comme on le voit (Jean, chap. 21) où saint Chrysostome dit (Hom. 87 in Joan.) : Que saint Pierre, après son renoncement et sa pénitence, montre qu’il a dans le Christ une plus grande confiance. Car il n’osait pas l’interroger dans la cène, mais il pria Jean de l’interroger lui-même. Ayant été ensuite placé à la tête de ses frères alors non seulement il ne charge pas un autre de demander au maître ce qui le concerne, mais il l’interroge lui-même sur tout le reste à la place de Jean.

 

            Mais c’est le contraire. Comme on le voit au même endroit (Decret., dist. 50, chap. 46), saint Grégoire écrivant à Secundinus dit (liv. 7 Reg., indict. 2, epist. 54, circ. med.) : Nous croyons qu’après avoir dignement satisfait, l’homme peut être réintégré dans sa dignité. Et on lit au concile d’Agde (can. 2) : Que les clercs contumaces soient corrigés par les évêques, selon que l’ordre de leur dignité le permet, de telle sorte qu’après avoir fait pénitence ils soient rétablis dans leur rang et leur dignité.

 

            Conclusion L’homme peut par la pénitence retrouver la dignité principale qu’il a perdue par le péché, c’est-à-dire qu’il peut redevenir fils de Dieu, mais il ne peut recouvrer l’innocence qu’il a perdue ; il est défendu de rendre au pécheur les dignités ecclésiastiques ; soit parce qu’il ne se repent pas, soit parce qu’il fait pénitence avec négligence, soit à cause de l’irrégularité ou le scandale du crime qu’il a commis.

            Il faut répondre que par le péché l’homme perd deux sortes de dignité, l’une qui se rapporte à Dieu et l’autre qui se rapporte à l’Eglise. Par rapport à Dieu il perd une double dignité ; l’une qui est la principale est celle par laquelle il était compté parmi les enfants de Dieu par la grâce. Il recouvre cette dignité par la pénitence. C’est ce que signifie la parabole de l’enfant prodigue (Luc, chap. 15), auquel le père fait donner après sa pénitence la plus belle robe, un anneau et des souliers. Mais il perd la seconde dignité qui est la dignité secondaire, c’est-à-dire l’innocence, dont le fils aîné se glorifiait en disant, comme on le voit au même endroit de l’Evangile : Voilà tant d’années que je vous sers, et je ne vous ai jamais désobéi. Le pénitent ne peut recouvrer cette dignité, mais quelquefois il recouvre quelque chose de plus grand, parce que, comme le dit saint Grégoire (Hom. de centum ovib. 34 in Evang.) : Ceux qui considèrent qu’ils se sont éloignés de Dieu compensent leurs pertes antérieures par les profits qu’ils font ensuite. Il y a donc une plus grande joie dans le ciel à leur sujet, parce que dans le combat le chef aime mieux le soldat qui revient après s’être enfui et qui presse fortement l’ennemi que celui qui n’a jamais tourné le dos et qui n’a jamais combattu avec courage. — Par le péché l’homme perd aussi ses dignités ecclésiastiques, parce qu’il se rend indigne de faire les actions qui doivent être faites par ceux qui ont une charge de cette nature. Il est défendu au pécheur de recouvrer ces dignités : 1° parce qu’il ne se repent pas. D’où saint Isidore écrit à l’évêque Masson (à princ. et hab. int. op. Rabani), comme on le lit (dist. 4, chap. Dominus) : Les canons ordonnent de rétablir dans leurs anciennes charges ceux qui ont fait une pénitence satisfactoire ou qui ont dignement confessé leurs péchés. Mais au contraire ceux qui ne se sont pas corrigés de leurs vices ne doivent obtenir ni le rang qu’ils occupaient, ni la grâce de la communion. 2° Parce qu’il fait pénitence négligemment. Ainsi il est dit (ead. distinct, chap. Si quis diaconus) : Lorsqu’on ne voit en eux ni l’humilité de la componction, ni la ferveur de la prière, et qu’ils ne se livrent ni au jeûne, ni aux méditations, nous pouvons connaître par là avec quelle négligence ils s’acquitteraient de leurs fonctions, si on les rétablissait dans leur charge. 3° On perd sa dignité quand on commet un péché qui a une irrégularité qui lui est annexée. D’où il est dit (ead. dist., chap. 8), d’après le concile du pape Martin (hab. int. capit. Mart. Bracarensis, chap. 26) : Si quelqu’un a épousé une veuve ou une femme abandonnée par un autre, qu’il ne soit pas admis dans le clergé, ou s’il s’y est glissé, qu’il en soit exclu. De même si quelqu’un se rend coupable d’homicide (Saint Thomas veut que l’on encoure l’irrégularité pour toute espèce d’homicide, parce qu’il écrivit avant la Clémentine (Si furiosus, tit. De homicidio), où il est dit que si un clerc ne peut autrement éviter la mort, il n’est pas irrégulier s’il tue celui qui l’attaque.) après son baptême, soit par ses actions, soit par ses ordres, soit par ses conseils, soit par ses défenses. Il n’en est pas ainsi en raison du péché, mais en raison de l’irrégularité (On distingue deux sortes d’irrégularités Suivant qu’elles tirent leur origine d’un crime ou simplement d’un défaut ; c’est ce qu’on appelle les irrégularités ex defectu et les irrégularités ex delicto.). 4° A cause du scandale. Ainsi on lit dans la même distinction (chap. De his verò), et Raban dit (Liv. 1 pœnit. ad Heribald., chap. 1) : Que ceux qui auront été surpris ou saisis publiquement dans l’acte du parjure, du vol, de la fornication et de tous les crimes semblables, soient déchus de leur propre rang, d’après les saints canons, parce que c’est un scandale pour le peuple de Dieu d’avoir de pareilles personnes placées au-dessus de soi. Mais pour ceux qui se confessent en secret à un prêtre de ces péchés qu’ils ont commis d’une manière occulte, quand ils prennent soin de se purifier par les jeûnes, les aumônes, les veilles et des œuvres saintes, on doit leur faire espérer leur pardon de la miséricorde de Dieu, tout en les conservant dans leur propre rang. D’où il est dit (extra, De qualit. ordinand., chap. Quæsitum) : Si les crimes reprochés n’ont pas été prouvés judiciairement ou s’ils ne sont pas notoires d’une autre manière (On distingue la notoriété de droit qui résulte de la sentence du juge ou de l’aveu juridique du coupable, et la notoriété de fait qui existe quand le péché est tellement connu dans l’endroit où il a été commis, qu’il ne peut être ni nié, ni pallié d’aucune manière.), à l’exception de ceux qui sont coupables d’homicide, on ne peut les empêcher après avoir fait pénitence, soit de recevoir les ordres, soit d’en exercer les fonctions lorsqu’ils les ont reçus.

 

Article 4 : Le péché peut-il faire périr les œuvres des vertus produites dans la charité ?

 

            Objection N°1. Il semble que les œuvres des vertus produites dans la charité ne puissent pas devenir mortes. Car ce qui n’existe pas ne peut pas être changé. Or, la mortification (Ce mot se prend ici selon toute la force de son étymologie.) est un changement qui va de la vie à la mort. Puisque les œuvres des vertus, après qu’elles sont faites, n’existent plus, il semble qu’elles ne puissent pas devenir des œuvres mortes.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme les œuvres des péchés passent en acte et subsistent quant à la peine qu’elles ont méritée ; de même les œuvres produites dans l’état de grâce, après qu’elles sont passées en acte, subsistent dans l’acceptation de Dieu par leurs mérites ; et, sous ce rapport, elles deviennent mortes, en ce sens que l’homme est empêché de recevoir sa récompense.

 

            Objection N°2. Par les œuvres des vertus produites dans la charité, l’homme mérite la vie éternelle. Or, soustraire une récompense à celui qui la mérite, c’est une injustice dont Dieu n’est pas capable. Il ne peut donc pas se faire que les œuvres des vertus produites dans la charité soient rendues mortes par le péché que l’on commet ensuite.

            Réponse à l’objection N°2 : Une récompense peut être enlevée sans injustice à celui qui la mérite, quand il s’en est rendu indigne par une faute postérieure. Car ce que l’homme a reçu, il le perd quelquefois justement par une faute.

 

            Objection N°3. Ce qui est plus fort n’est pas corrompu par ce qui est plus faible. Or, les œuvres de la charité sont supérieures à tous les péchés, parce que, comme le dit le Sage (Prov., 10, 12) : La charité couvre toutes les fautes. Il semble donc que les œuvres produites dans la charité ne puissent être mortifiées par un péché mortel subséquent.

            Réponse à l’objection N°3 : Ce n’est pas la force des œuvres du péché qui frappe de mort les œuvres qui ont été auparavant faites dans l’état de grâce, mais c’est la liberté de la volonté qui peut tourner du bien au mal.

 

            Mais c’est le contraire. Il est dit (Ez., 18, 24) : Si le juste s’est éloigné de la justice, je ne me souviendrai plus des bonnes actions qu’il a faites auparavant.

 

            Conclusion On dit que les œuvres faites dans la charité sont frappées de mort par le péché mortel, dans le sens qu’il retarde ou qu’il empêche l’effet des actions vertueuses.

            Il faut répondre qu’une chose vivante perd par la mort ses opérations vitales. Ainsi on dit par analogie que les choses meurent quand elles sont empêchées de produire leur effet ou leur opération propre. — Or, l’effet des bonnes œuvres produites dans la charité, c’est de conduire à la vie éternelle ; ce qu’empêche le péché mortel subséquent qui enlève la grâce. C’est dans ce sens que l’on dit que les œuvres produites dans la charité deviennent des œuvres mortes par suite du péché mortel qui survient.

 

Article 5 : Les œuvres qui sont mortes par le péché revivent-elles par la pénitence ?

 

            Objection N°1. Il semble que les œuvres qui sont frappées de mort par le péché ne revivent pas par la pénitence. Car, comme les péchés passés sont remis par la pénitence subséquente, de même le péché qui suit rend mortes les œuvres qui ont été faites auparavant dans la charité. Or, les péchés remis par la pénitence ne reviennent pas, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 1 et 2). Il semble donc que les œuvres qui sont frappées de mort ne revivent pas par la charité.

            Réponse à l’objection N°1 : Les œuvres du péché sont effacées par la pénitence en elles-mêmes ; de telle sorte que par la miséricorde de Dieu on ne nous impute plus ni la tache, ni la peine qu’elles méritent. Mais les œuvres produites dans l’état de grâce ne sont pas effacées par Dieu, dans l’acceptation duquel elles subsistent. L’obstacle qu’elles rencontrent vient de l’homme qui opère. C’est pour cela que quand l’obstacle est levé de la part de l’homme qui opère, Dieu remplit de son côté ce que ces œuvres méritaient.

 

            Objection N°2. On dit que les œuvres sont frappées de mort à la ressemblance des animaux qui meurent, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, un animal mort ne peut pas redevenir vivant. Les œuvres qui sont frappées de mort ne peuvent donc pas revivre de nouveau par la pénitence.

            Réponse à l’objection N°2 : Les œuvres faites dans la charité ne sont pas frappées de mort en elles-mêmes, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.) : elles le sont seulement par suite de l’obstacle qui survient de la part de celui qui opère ; tandis que les animaux meurent en eux-mêmes, selon qu’ils sont privés du principe de la vie, et c’est pour cela qu’il n’y a pas de ressemblance.

 

            Objection N°3. Les œuvres faites dans l’état de grâce méritent la gloire en proportion de la grâce ou de la charité. Or, quelquefois l’homme se relève par la pénitence dans un état de grâce ou de charité moindre. Il n’obtient donc pas la gloire en raison du mérite de ses œuvres antérieures, et par conséquent il semble que les œuvres qui sont mortes par le péché ne revivent pas.

            Réponse à l’objection N°3 : Celui qui se relève par la pénitence avec une charité moindre obtiendra sa récompense essentielle (La récompense essentielle consiste dans l’union de l’âme avec Dieu, mais indépendamment de la joie que l’âme éprouvera par suite de cette union, elle en éprouvera une autre qui résultera des œuvres qu’elle aura faites, et c’est cette joie qu’on appelle la récompense accidentelle.), proportionnée à la charité dans laquelle il se trouve. Mais il aura une joie plus grande des œuvres qu’il a faites dans la charité première que des œuvres qu’il a faites dans la seconde, ce qui appartient à la récompense accidentelle.

 

            Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Joël, 2, 25) : Je vous rendrai les années qu’ont dévorées la sauterelle, la glose dit (interl.) : Je ne laisserai pas périr l’abondance que vous avez perdue dans le trouble de l’esprit. Or, cette abondance est le mérite des bonnes œuvres que l’on a perdu par le péché. Les œuvres méritoires que l’on a faites auparavant revivent donc par la pénitence.

 

            Conclusion Les œuvres qui sont mortes par le péché revivent par la pénitence, en tant qu’elles recouvrent par elle l’efficacité dont elles ont besoin pour arriver à la vie éternelle.

            Il faut répondre qu’il y en a qui ont dit que les œuvres méritoires que le péché a fait ensuite périr, ne revivent pas par la pénitence subséquente, sous prétexte que ces œuvres ne subsistent pas pour pouvoir être vivifiées de nouveau. Mais cela ne peut empêcher qu’elles ne redeviennent vivantes. Car elles n’ont pas la vertu de parvenir à la vie éternelle (ce qui appartient à leur vitalité), uniquement selon qu’elles existent en acte, mais encore après qu’elles cessent d’être en acte, selon qu’elles subsistent dans l’acceptation divine. Par conséquent, elles subsistent autant qu’il est en elles, même après qu’elles sont tuées par le péché, parce que Dieu agréera toujours ces œuvres, selon qu’elles ont été faites, et les saints s’en réjouiront, d’après ces paroles (Apoc., 3, 11) : Conservez ce que vous avez, dans la crainte qu’un autre ne reçoive votre couronne. — Mais si elles n’ont pas d’efficacité par rapport à celui qui les a faites pour le conduire à la vie éternelle, ceci provient de l’obstacle du péché qui survient, et qui le rend indigne de cette récompense. Or, cet obstacle est enlevé par la pénitence en tant qu’elle remet les péchés. D’où il résulte que les œuvres qui ont été frappées de mort auparavant recouvrent par la pénitence l’efficacité nécessaire pour mener à la vie éternelle celui qui les a faites, et par là même elles revivent. Ainsi il est évident que les œuvres qui ont été tuées revivent par la pénitence (Il y a controverse entre les théologiens sur la manière dont ces œuvres revivent. Les uns veulent que les mérites revivent dans toute leur étendue, quelle qu’ait été la ferveur de la pénitence par laquelle on a recouvré la grâce. C’est l’opinion de Suarez et de plusieurs autres théologiens tant anciens que modernes. D’autres veulent que les mérites revivent en raison des dispositions présentes. C’est le sentiment de saint Thomas, mais il est diversement interprété par ses disciples. Bannès, Sylvius et Contenson disent que le degré de mérite n’est qu’en raison de la pénitence qu’on a faite, et que les mérites antérieurs n’ajoutent qu’à la récompense accidentelle et non à la récompense essentielle. Gonet, Nugus, Sylvius, Alvarès, Ledesma, veulent qu’indépendamment du degré mérité par la pénitence qu’on a faite les mérites antérieurs donnent encore droit à une certaine récompense essentielle qui s’ajoute à cette dernière. Ce dernier sentiment, qui tient le milieu entre les deux autres, parait le plus conforme à la pensée de saint Thomas.).

 

Article 6 : Les œuvres mortes sont-elles vivifiées aussi par la pénitence subséquente ?

 

            Objection N°1. Il semble que les œuvres mortes, c’est-à-dire celles qui n’ont pas été faites dans l’état de grâce, soient vivifiées par la pénitence subséquente. Car il paraît plus difficile que ce qui a été mort parvienne à la vie (ce qui ne se fait jamais selon la nature) que ce qui n’a jamais été vivant soit vivifié ; parce que, selon la nature, il y a des choses vivantes qui sont engendrées de choses qui ne le sont pas. Or, les œuvres mortifiées sont vivifiées par la pénitence, comme nous l’avons dit (art. préc.). A plus forte raison, les œuvres mortes le sont-elles aussi.

            Réponse à l’objection N°1 : Dans l’ordre naturel les choses qui sont mortes aussi bien que celles qui sont mortifiées manquent d’un principe de vie. Mais on dit que les œuvres sont mortifiées (Ce qu’on appelle les œuvres mortifiées (opera mortificata) sont celles qui ont été produites par la grâce et qu’un péché subséquent a ensuite privées de leur effet. Elles ont été ainsi frappées de mort après avoir été vivantes.), non par rapport au principe d’où elles sont sorties, mais par rapport à un empêchement extrinsèque ; au lieu qu’on dit qu’elles sont mortes, par rapport à leur principe. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

            Objection N°2. En enlevant la cause, on enlève aussi l’effet. Or, la cause pour laquelle les œuvres qui sont du genre des bonnes actions et qui ont été faites sans charité ne sont pas vivantes, c’est le défaut de charité et de grâce. Ce défaut étant enlevé par la pénitence, il s’ensuit que les œuvres mortes sont aussi vivifiées par elle.

            Réponse à l’objection N°2 : Les œuvres qui sont bonnes moralement et qui ont été produites sans la charité sont appelées des œuvres mortes, à cause du défaut de charité et de grâce, qui est un défaut de principe. Mais la pénitence subséquente ne peut faire qu’elles procèdent de ce principe ; par conséquent la raison n’est pas concluante.

 

            Objection N°3. Saint Jérôme dit (in illud Aggæi : Seminastis militum) : Quand vous voyez les pécheurs faire quelque chose de bien au milieu de toutes leurs mauvaises actions, Dieu n’est pas assez injuste pour oublier le peu de bien qu’ils ont fait à cause de la multitude de leurs mauvaises œuvres. Or, il semble que ce soit surtout manifeste, quand la pénitence enlève les maux passés. Il semble donc que par la pénitence Dieu rémunère les bonnes œuvres qui ont été faites autrefois dans l’état du péché, et c’est là les vivifier.

            Réponse à l’objection N°3 : Dieu se rappelle les bonnes actions qu’on fait dans l’état du péché, non pour les récompenser dans la vie éternelle qui n’est due qu’aux œuvres vivantes, c’est-à-dire aux œuvres qui sont faites d’après la charité ; mais pour leur accorder une récompense temporelle (Ces œuvres méritent une récompense temporelle ex congruo.), comme le remarque saint Grégoire à propos de Lazare et du mauvais riche (Hom. 40 in Evang.) : Si ce riche, dit-il, n’eût fait quelque bien, et qu’il n’en eût pas reçu la récompense dans cette vie, Abraham ne lui dirait pas : Vous avez reçu des biens pendant votre vie. — Ou bien on peut entendre que l’on subira à cause de cela un jugement moins sévère. C’est ce qui fait observer à saint Augustin (Lib. de patient., chap. 26) : Nous ne pouvons pas dire du schismatique qu’il eût mieux fait de renoncer le Christ pour s’épargner les maux qu’il a soufferts en le confessant. Mais nous devons penser que son jugement sera moins sévère que s’il eût renié le Christ, pour ne subir aucun de ces tourments (Sa faute sans cela aurait été plus grave.). Ainsi quand l’Apôtre dit : Si je livrais mon corps pour être brûlé et que je n’aie pas la charité, cela ne me sert de rien, il faut entendre que cela ne sert de rien pour obtenir le royaume des cieux, mais non pour diminuer de quelque manière la rigueur des derniers supplices (Ce n’est pas que les actions moralement bonnes aient une vertu d’expiation ou de satisfaction, mais elles empêchent du moins de faire des fautes nouvelles qui auraient mérité de nouveaux châtiments.).

 

            Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (1 Cor., 13, 3) : Quand je distribuerais tout mon bien pour nourrir les pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai pas la charité, tout cela ne me sert de rien. Or, il n’en serait pas ainsi, si ces œuvres pouvaient être au moins vivifiées par la pénitence subséquente. La pénitence ne vivifie donc pas les œuvres qui étaient mortes auparavant.

 

            Conclusion Puisque la pénitence ne peut faire que les œuvres qui sont mortes par un défaut de charité et de grâce procèdent de ce principe, il s’ensuit qu’elle ne peut les rendre vivantes.

            Il faut répondre qu’on dit qu’une œuvre est morte de deux manières : 1° d’une manière efficiente, parce qu’elle est cause de la mort (Les œuvres qui détruisent dans l’homme la vie de la grâce sont appelées pour ce motif par les théologiens opera mortifera.). C’est dans ce sens qu’on appelle les œuvres du péché des œuvres mortes, d’après ces paroles de saint Paul (Héb., 9, 14) : Le sang du Christ purifiera nos consciences des œuvres mortes. Ces œuvres mortes ne sont donc pas vivifiées par la pénitence ; mais elles sont plutôt effacées, suivant ces autres paroles du même Apôtre (Héb., 6, 1) : Nous ne jetons pas de nouveau les fondements de la pénitence qu’on doit faire des œuvres mortes. — 2° On dit que les œuvres sont mortes (Ce sont ces œuvres qu’on appelle proprement des ouvres mortes, opera mortua.) dans un sens privatif, c’est-à-dire parce qu’elles manquent de la vie spirituelle qui vient de la charité par laquelle l’âme est unie à Dieu, d’après lequel elle vit, comme le corps vit par l’âme. C’est de la sorte que la foi qui existe sans la charité est appelée une foi morte, suivant ces paroles de saint Jacques (2, 20) : La foi sans les œuvres est morte. C’est aussi de cette manière que toutes les œuvres qui sont bonnes dans leur genre sont appelées des œuvres mortes, si elles se font sans la charité, parce qu’elles ne procèdent pas d’un principe de vie, comme si nous appelions une voix morte le son d’une guitare. — La différence de la vie et de la mort dans les œuvres résulte donc de leur rapport avec le principe dont elles procèdent. Mais les œuvres ne peuvent procéder de nouveau de leur principe, parce qu’elles passent, et qu’on ne peut de nouveau reproduire numériquement les mêmes. Par conséquent il est impossible que la pénitence rende de nouveau vivantes des œuvres qui sont mortes.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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