Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
90 : Des parties de la pénitence en général
Nous avons ensuite à nous occuper des parties de la pénitence. Nous en
parlerons d’abord en général et ensuite nous traiterons de chacune d’elles en
particulier. Sur les parties de la pénitence en général il y a quatre questions
à examiner : 1° La pénitence a-t-elle des parties ? (Il ne s’agit pas ici de la
pénitence comme vertu, mais de la pénitence comme sacrement, ainsi qu’on le voit
d’après le corps de l’article et la réponse au second argument.) — 2° Du nombre
de ces parties. (Luther voulait qu’il n’y eut dans la pénitence que deux
parties : la contrition et la foi ; par la contrition il entendait les terreurs
que l’on conçoit par suite des menaces de la loi, et par la foi il entendait
l’assurance que l’on a de la rémission des péchés d’après la promulgation de
l’Evangile. Par le même décret le concile de Trente a condamné cette erreur et
établit la doctrine qu’expose ici saint Thomas (sess. 14, can. 4) : Si quis negaverit ad integram et perfectam peccatorum remissionem requiri tres actus in pœnitente, quasi materiam sacramenti pœnitentiæ, videlicet, contritionem, confessionem et satisfactionem ; quæ tres pœnitentiæ partes dicuntur : aut dixerit duas tantùm
esse pœnitentiæ partes, terrores
scilicet incussos conscientiæ, agnito peccato, et fidem conceptam ex Evangelio, vel absolutione, quâ credit quis
sibi per Christum remissa peccata ; anathema sit.) — 3° Quelles
sont-elles ? (Les parties intégrantes sont celles dont un tout est composé de
telle sorte qu’on ne puisse le concevoir entier sans chacune d’elles ; c’est
ainsi que la tête, la poitrine, les mains sont des parties intégrantes du
corps.) — 4° De sa division en parties subjectives. (Cette division est la
division de la pénitence comme vertu en parties subjectives accidentelles.
Cette distinction est tirée de la diversité des états et des objets matériels,
et non de la fin et des objets formels.)
Article 1 : Doit-on
assigner des parties à la pénitence ?
Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas assigner de
parties à la pénitence. Car les sacrements sont des choses dans lesquelles la
vertu divine opère le salut secrètement. Or, la vertu divine est une et simple.
On ne doit donc pas assigner de parties à la pénitence puisqu’elle est un
sacrement.
Réponse à l’objection N°1 : Tout sacrement est simple en
raison de la vertu divine qui opère en lui ; mais la vertu divine, à cause de
sa grandeur, peut opérer par une seule et par plusieurs choses, en raison
desquelles on peut assigner à un sacrement des parties (Cette diversité de
parties, qui établit une pluralité dans la matière, n’empêche pas le sacrement d’être
un formellement.).
Réponse à l’objection N°2 : On n’assigne pas de parties à la pénitence comme vertu ;
car les actes humains qui sont multiples dans la pénitence ne se rapportent pas
à l’habitude de la vertu comme des parties, mais comme des effets. D’où il
résulte qu’on assigne des parties à la pénitence comme sacrement, selon que les
actes humains se rapportent à ce sacrement comme matière. Quant aux autres
sacrements, ils n’ont pas des actes humains (Le sacrement de pénitence est le
seul qui ait pour matière des actes humains distincts spécifiquement, et c’est
pour ce motif qu’il est le seul qu’on puisse diviser.) pour matière, mais ils
ont quelque chose d’extérieur qui est un ou simple comme l’eau ou l’huile, ou
composé comme le chrême. C’est pourquoi on n’assigne pas de parties aux autres
sacrements.
Réponse à l’objection N°3 : Les péchés sont la matière éloignée de la
pénitence, en tant qu’ils sont la matière ou l’objet des actes humains qui sont
la matière propre de la pénitence comme sacrement.
Conclusion Puisque plusieurs actes humains sont requis
pour la perfection de la pénitence, comme la contrition, la confession et la
satisfaction, il est nécessaire que le sacrement de pénitence ait aussi
plusieurs parties.
Il
faut répondre que les parties d’une chose sont les choses dans lesquelles le
tout se divise matériellement : car les parties sont au tout ce que la matière
est à la forme. C’est ce qui fait dire à Aristote (Phys., liv. 2, text. 31) que les parties sont
placées dans le genre de la cause matérielle et le tout dans le genre de la
cause formelle. Par conséquent, partout où l’on rencontre une certaine
pluralité du côté de la matière, il y a lieu de trouver une distinction de
parties. — Or, nous avons dit (quest. 84, art. 2 et 3) que dans le sacrement de
pénitence les actes humains sont ce qui tient lieu de matière. C’est pourquoi,
puisqu’il faut plusieurs actes humains pour la perfection de la pénitence, et
qu’on requiert la contrition, la confession et la satisfaction, comme on le
verra plus loin (art. suiv.), il s’ensuit que le sacrement de pénitence a des
parties.
Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas convenable
d’assigner comme parties de la pénitence la contrition, la confession et la
satisfaction. Car la contrition existe dans le cœur, et par conséquent elle
appartient à la pénitence intérieure ; tandis que la confession se fait de
bouche et la satisfaction s’opère par les œuvres, et que par conséquent ces
deux dernières choses appartiennent à la pénitence extérieure. Or, la pénitence
intérieure n’est pas un sacrement, il n’y a que la pénitence extérieure qui est
soumise aux sens. Il n’est donc pas convenable d’assigner ces parties au
sacrement de pénitence.
Réponse à l’objection N°1 : A la vérité la contrition
est, selon son essence, dans le cœur, et elle appartient à la pénitence
intérieure ; mais elle appartient virtuellement à la pénitence extérieure, en
tant qu’elle implique la résolution de se confesser et de satisfaire.
Objection N°2. Les sacrements de la loi nouvelle
confèrent la grâce, comme nous l’avons dit (quest. 62, art. 1 et 3). Or, dans
la satisfaction il n’y a point de grâce qui soit conférée. Elle n’est donc pas
une partie d’un sacrement.
Réponse à l’objection N°2 : La satisfaction confère la grâce, selon qu’elle existe
dans le ferme propos, et qu’elle l’augmente selon qu’elle existe dans
l’exécution, comme fait le baptême pour les adultes, ainsi que nous l’avons dit
(quest. 68, art. 2, et quest. 69, art. 8).
Objection N°3. Le fruit d’une chose n’est pas identique avec sa partie.
Or, la satisfaction est le fruit de la pénitence, d’après ces paroles (Luc, 3, 8)
: Faites de dignes fruits de pénitence.
Elle n’est donc pas une partie de la pénitence.
Réponse
à l’objection N°3 : La satisfaction est
une partie de la pénitence comme sacrement, tandis qu’elle est le fruit de la
pénitence comme vertu.
Réponse à l’objection N°4 : On requiert plus de choses pour le bien qui vient d’une
cause intègre que pour le mal qui est produit par toute défectuosité, d’après saint
Denis (De div. nom., chap. 4). C’est
pour ce motif que, quoique le péché soit consommé dans le consentement du cœur,
cependant il faut, pour que la pénitence soit parfaite, la contrition du cœur,
la confession de bouche et la satisfaction par les œuvres.
Conclusion Il y a trois parties dans le sacrement de
pénitence de la part du pénitent : la contrition par laquelle il veut réparer
l’offense qu’il a faite à Dieu, la confession par laquelle il se soumet au
jugement du prêtre qui tient la place de Dieu pour la rémission de ses fautes,
et la satisfaction par laquelle il satisfait à Dieu selon la volonté de son
ministre.
Il
faut répondre qu’il y a deux sortes de parties, comme le dit Aristote (Met., liv. 7, text. 33 et 34) : celle de
l’essence et celle de la quantité. Les parties de l’essence sont naturellement
la forme et la matière ; logiquement, le genre et la différence. De la sorte,
dans tout sacrement on distingue la matière et la forme (Cette distinction a
été précédemment appliquée au sacrement de pénitence (quest. 84, art. 2 et 5).)
comme des parties essentielles. D’où nous avons dit (quest. 60, art. 5 et 6)
que les sacrements consistent dans les choses et les mots. Mais, comme la
quantité se considère par rapport à la matière, les parties de la quantité sont
les parties de la matière. Dans ce sens, on assigne au sacrement de pénitence
spécialement des parties, comme nous l’avons dit (art. préc.),
quant aux actes du pénitent qui sont la matière de ce sacrement. — Or, nous
avons dit (quest. 85, art. 3, Réponse N°3) que la réparation de l’offense se
fait d’une autre manière dans la pénitence que dans la justice vindicative.
Car, dans la justice vindicative, la réparation se fait selon la décision du
juge, mais non selon la volonté de l’offenseur ou de l’offensé ; au lieu que
dans la pénitence la réparation de l’offense se fait selon la volonté du
pécheur et selon la décision de Dieu contre lequel on pèche ; parce qu’ici on
ne cherche pas seulement à rétablir l’égalité de la justice, comme dans la
justice vindicative, mais on se propose plutôt la réconciliation de l’amitié :
ce qui a lieu quand l’offenseur répare ses torts selon la volonté de celui
qu’il a offensé. Par conséquent on requiert du pénitent : 1° la volonté de
réparer ses torts, ce qui se fait par la contrition ; 2° le dessein de se
soumettre à la sentence du prêtre à la place de Dieu, ce qui a lieu par la
confession ; 3° la résolution de réparer ses torts conformément à l’arrêt du
ministre de Dieu, ce qui se fait dans la satisfaction. C’est pourquoi la contrition,
la confession et la satisfaction sont considérées comme des parties (Ce sont
des parties intégrantes, comme on le verra dans l’article suivant.) de la
pénitence.
Article 3 : Ces
trois choses sont-elles des parties intégrantes de la pénitence ?
Objection N°1. Il semble que ces trois choses ne soient
pas des parties intégrantes de la pénitence. Car la pénitence, comme nous
l’avons dit (quest. 84, art. 3), est établie contre le péché. Or, le péché du cœur,
de la bouche et de l’œuvre, sont des parties
subjectives du péché et non des parties intégrantes ; parce que le péché se dit
de chacune de ces choses. Donc aussi dans la pénitence la contrition du cœur,
la confession de bouche et la satisfaction des œuvres ne sont
pas des parties intégrantes.
Réponse à l’objection N°1 : Le péché, par là même qu’il a
la nature du mal, peut être consommé par une seule chose (C’est l’axiome : Bonum ex integra causa,
malum ex minimo defectu.), comme nous l’avons dit (art. préc.,
Réponse N°4). C’est pour cela que le péché qui se consomme dans le cœur
uniquement est une espèce de péché ; tandis que le péché qui se consomme dans
le cœur et la bouche est une autre espèce, et celui qui se consomme dans le
cœur, dans la bouche et dans l’action en forme une troisième. Et les parties de
ce péché, d’après lesquelles il existe dans le cœur, et dans la bouche, et dans
l’action, en sont comme les parties intégrantes. C’est pour cela que les
parties de la pénitence, qui devient parfaite par ces trois choses, en sont des
parties intégrantes.
Objection N°2. Aucune partie intégrante n’en contient en elle une autre
qui appartienne au même tout. Or, la contrition contient en elle la confession
et la satisfaction dans le ferme propos qui l’accompagne. Elles ne sont
donc pas des parties intégrantes.
Réponse à l’objection N°2 : Une partie intégrante peut contenir le tout, pourvu que
ce ne soit pas selon l’essence. Car le fondement contient l’édifice tout entier
d’une certaine manière virtuellement ; et c’est de la sorte que la contrition
contient virtuellement la pénitence tout entière.
Réponse à l’objection N°3 : Toutes les parties intégrantes ont un
certain ordre entre elles. Les unes n’ont qu’un ordre de position, soit
qu’elles se suivent comme les parties d’une armée, soit qu’elles se touchent
comme les parties d’un monceau, soit qu’elles soient réunies comme les parties
d’une maison, soit qu’elles soient continues comme les parties de la ligne.
D’autres ont de plus un ordre de vertu, comme les parties de l’animal, dont la
première par la vertu est le cœur, et dont les autres parties dépendent les
unes des autres d’après un certain ordre de vertu ou de puissance. En troisième
lieu, elles se rapportent les unes aux autres d’après l’ordre du temps, comme
les parties du temps et du mouvement. Ces parties de la pénitence ont donc
entre elles un ordre de vertu (Elles sont plus ou moins nécessaires ou
importantes, comme nous l’avons observé.) et de temps, parce qu’elles sont des
actes ; mais elles n’ont pas un ordre de situation, parce qu’elles n’ont pas de
position.
Conclusion Puisque toute l’essence ou toute la vertu de
la pénitence ne se trouve pas dans chacune de ces parties, il est évident que
la contrition, la confession et la satisfaction ne sont ni des parties
subjectives, ni des parties potentielles de la pénitence, mais qu’elles en sont
des parties intégrantes.
Il
faut répondre qu’il y en a qui ont dit que ces trois choses
sont des parties subjectives de la pénitence. Mais il ne peut en être ainsi,
parce que dans chaque partie subjective il y a simultanément et également toute
la vertu du tout ; ainsi toute la vertu de l’animal, considéré comme tel, se
trouve dans toutes les espèces d’animaux selon lesquelles on divise l’animal
d’une manière égale et simultanée. Ce qui n’a pas lieu dans l’hypothèse
actuelle. — C’est pourquoi d’autres ont dit que ce sont des parties
potentielles. Mais cela ne peut être vrai, parce que dans chaque partie
potentielle se trouve le tout selon toute son essence, comme toute l’essence de
l’âme est dans chacune de ses puissances. Ce qui n’est pas non plus applicable
à la thèse actuelle. — D’où il résulte que ces trois choses sont des parties
intégralités de la pénitence. A l’égard de ces parties, on n’exige pas que le
tout soit dans chacune d’elles, ou qu’il y soit selon toute sa vertu ou selon
son essence tout entière, mais qu’il soit formé de toutes simultanément (On
distingue deux sortes de parties intégrantes : celles qui sont principales et
celles qui sont secondaires. La contrition et la confession sont des parties
principales du sacrement de pénitence ; jointes à l’absolution, qui est la
forme de ce sacrement, elles en comprennent l’essence. La satisfaction est une
partie moins principale. Le sacrement peut véritablement exister sans elle, ce
qui prouve qu’elle n’est pas essentielle ; mais comme il ne peut exister que
d’une manière imparfaite, il s’ensuit qu’elle est nécessaire à son intégrité et
qu’elle doit être considérée comme partie intégrante.).
Article 4 :
Est-il convenable de diviser la pénitence en pénitence avant le baptême,
pénitence des péchés mortels et pénitence des péchés véniels ?
Réponse à l’objection N°1 : La pénitence qui se fait
avant le baptême n’est pas un sacrement, mais elle est un acte de vertu qui
dispose au sacrement de baptême.
Réponse à l’objection N°2 : La pénitence qui efface les péchés mortels efface aussi
les fautes vénielles, mais non réciproquement. C’est pourquoi ces deux
pénitences sont l’une à l’autre ce que le parfait est à l’imparfait.
Réponse à l’objection N°3 : Avant le baptême il n’y a pas de péchés véniels sans
péchés mortels (Saint Thomas a exposé ce sentiment (1a 2æ,
quest. 89, art. 6). Nous avons fait remarquer que cette opinion était
controversée. Mais quand même le péché véniel existerait il ne pourrait
néanmoins être remis sans le péché originel ou le péché mortel auquel il se
trouve uni.). Et parce que le péché véniel ne peut être pardonné sans le péché
mortel, comme nous l’avons dit (quest. 87, art. 4), pour cette raison on ne
distingue pas avant le baptême la pénitence des péchés mortels de celle des
fautes vénielles.
Mais
c’est le contraire. Saint Augustin reconnaît ces trois espèces de pénitence (Lib. de pœnitent., scil. hom.
ult. inter 50, chap. 2 à 4).
Conclusion La pénitence, comme vertu, se divise en
pénitence avant le baptême, pénitence des péchés mortels, et pénitence des
péchés véniels.
(Ici se termine ce qui nous est parvenu du travail de
saint Thomas lui-même sur cette dernière partie de la Somme ; la mort ne lui
ayant pas permis d’achever son œuvre.)
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements
du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était
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