CHASTETE. – I. Vertu. II. Conseil. III. Vœu.

I. VERTU. – 1° Définition. – Considérée comme vertu spéciale, la chasteté incline à s’abstenir de toute délectation charnelle volontaire, même permise dans l’état du mariage ou du moins à en régler l’usage selon les préceptes divins. – 1. Ce n’est donc qu’une subdivision de la vertu de tempérance dont l’objet général est de régler conformément à la raison les délectations des sens, principalement celles du toucher. S. Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. CXLI, a. 1-4. – 2. La délectation charnelle, sur laquelle s’exerce la vertu de chasteté, est spécifiquement caractérisée par son terme final, l’acte conjugal, en dehors duquel elle reste toujours rigoureusement interdite. Défendue en sa pleine consommation, elle l’est encore dans son stage initial, comme tout danger grave d’entraînement au péché. La simple délectation sensible peut aussi tomber sous la même interdiction, si par la fragilité individuelle ou la tyrannie de l’habitude elle devient, d’une façon coupable, cause d’une délectation charnelle suffisamment voulue et consentie. Lehmkuhl, Theologia moralis, t. I, , n. 861 sq. ; Génicot, Theologiæ moralis institutiones, t. I, n. 389. Pleinement involontaire, la délectation charnelle ne peut détruire la vertu morale qui relève uniquement de la volonté. S. Augustin, De continentia, c. II, P. L., t. XL, col. 352 ; Pierre Lombard, Sent., l. IV, dist. XXXIII, n. 5 ; S. Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. CLI, a. 1, ad 2um. – 3. Cette vertu peut s’appuyer sur un motif purement rationnel, tel que le commandement de la loi naturelle, le respect de la dignité humaine et les multiples avantages résultant d’une intègre et persévérante fidélité. Vertu purement naturelle dans son motif, mais cependant très précieuse si elle a été acquise par une lutte généreuse où se sont affaiblies les inclinations opposées et s’est affirmée la maîtrise de la volonté sur les sens. La vertu surnaturelle de chasteté puise dans l’enseignement de la foi un motif plus relevé : l’espérance de la gloire corporelle du ciel, l’exemple et l’enseignement de Jésus-Christ, le respect surnaturel du corps consacré par l’inhabitation du Saint-Esprit et par la réception de la divine eucharistie. Cette vertu surnaturelle peut être ou non accompagnée de l’habitude acquise qui seule comporte l’affaiblissement ou la destruction des inclinations contraires. – 4. Ainsi caractérisée, cette vertu se distingue spécifiquement de toute autre, particulièrement de l’abstinence ou de la tempérance commune. Car son objet moral, la juste répression des délectations de la fonction génératrice, diffère notablement de cette maîtrise des délectations de l’acte nutritif qu’est la simple abstinence. Celles-ci se règlent assez facilement, tandis que celles-là, par leur particulière véhémence et par l’obscurcissement qu’elles projettent sur la raison, opposent une plus forte résistance. S. Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. CLI, a. 3.

Subdivisions principales. – 1. Chasteté parfaite. – Ce qui la constitue au point de vue moral, c’est la ferme volonté de s’abstenir perpétuellement de toute délectation charnelle, même permise dans l’état du mariage. S. Thomas, ibid., q. CLII, a. 3. Cette vertu morale n’est aucunement atteinte par la perte involontaire de l’intégrité matérielle. S. Thomas, ibid., q. CLII, a. 1, ad 3um. Cette permanente volonté est-elle suffisamment garantie par une ferme et inébranlable résolution ou exige-t-elle l’appui d’un vœu ? Bien que le vœu assure une plus parfaite stabilité, rien ne démontre son absolue nécessité même en cette délicate matière. S. Thomas, ibid., q. CLII, a. 3 ; Dominique Soto, In IV Sent., l. IV, dist. XLIX, q. V, a. 2, concl. 2, Douai, 1613, p. 947 ; Salmanticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XXXI, n. 54 sq. ; Lessius, De justitia et jure, ceterisque virtutibus cardinalibus, l. IV, c. II, dub. XIV, n. 101, Paris, 1606, p. 666. Cependant cette ferme et inébranlable volonté n’étant ordinairement exprimée que par un vœu, l’on peut dire pratiquement : virginitas secundum quod est virtus importat propositum voto firmatum integritalis perpetuo calendæ. S. Thomas, ibid., q. CLII, a. 3, ad 4um.

Cette chasteté parfaite s’identifie avec la vertu morale de virginité, si celle-ci n’est que la ferme et perpétuelle volonté de s’abstenir de toute délectation charnelle même permise dans l’état du mariage, volonté d’ailleurs toujours subsistante malgré la perte involontaire de l’intégrité matérielle : In virginitate est sicut formate et completivum propositum perpetuo abstinendi a delectatione venerea. S. Thomas, ibid., q. CLII, a. 3. Unde virginitas secundum quod est virtus nunquam amittilur nisi per peccatum. Loc. cit., ad 4um.

La vertu morale de virginité ou de chasteté parfaite se distingue de l’état de virginité et de la virginité matériellement intègre. L’état de virginité est la condition fixe d’une personne irrévocablement engagée vis-à-vis de Dieu à s’abstenir perpétuellement des délectations charnelles permises dans le mariage. Pratiquement, le vœu de chasteté parfaite est la seule expression de cet irrévocable engagement et constitue seul l’état de continence parfaite ou de virginité. S. Thomas, ibid., q. CLXXXVI, a. 4. La virginité matériellement intègre ou virginité matérielle consiste dans la permanence de l’intégrité organique ou dans le fait constant de l’absence de toute délectation charnelle. S. Thomas, ibid., q. CLII, a. 3. Cette intégrité se perd irrévocablement même en dehors de toute faute ; elle ne peut être rétablie par le seul repentir. S. Thomas, loc. cit., ad 3um. Cependant les privilèges spéciaux promis à la virginité, comme l’auréole, voir t. I, col. 2571 sq., ne sont point refusés à qui perd seulement l’intégrité matérielle sans perdre la vertu. S. Thomas, Sum. theol., Suppl., q. XCVI, a. 5, ad 4um.

2. La chasteté imparfaite ne possède point cette double caractéristique de totale et perpétuelle abstinence des délectations charnelles qu’autorise le mariage. Une dans cette note générique, elle se diversifie suivant l’état de vie où elle est pratiquée. Antérieure au mariage, elle s’abstient de tout ce qui est défendu, mais sans renoncer à l’espérance ou à la possibilité du mariage. Dans l’état du mariage, elle règle, suivant la loi morale, l’usage de ce qui est permis. Postérieure à l’état du mariage, elle évite, dans l’état de viduité, tout ce qui y est défendu. Ce ne sont que trois espèces particulières d’une même vertu ; ce ne sont que trois états différents où se pratique une même vertu commune. Salmanticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XXVI, c. I, n. 42 sq.

Vertus complémentaires ou connexes. – 1. La pudeur. – Considérée comme complément de la chasteté, cette vertu a principalement pour objet la discrétion , la réserve et la retenue dans l’usage de du mariage et dans tout ce qui exprime, en suggère ou en rappelle l’idée. Ainsi elle assure l’intégral respect de la chasteté dans toute la conduite extérieure. S. Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. CLI, a. 4. – 2. L’abstinence. – Spécifiquement distincte de la chasteté par son objet immédiat, la juste modération des délectations de la fonction nutritive a cependant avec la chasteté une étroite affinité. S. Thomas, ibid., q. CLI, a. 3, ad 3um. Elle écarte les périls que peut susciter l’intempérance et elle fortifie la maîtrise de l’âme sur les sens, d’où résulte une plus grande énergie spirituelle pour le maintien de la chasteté : avantages fréquemment loués par les Pères et les auteurs ascétiques. Voir t. I, col. 261 sq.

II. CONSEIL DE CHASTETE. – I. SON EXISTENCE ET SA NATURE. – 1° Enseignement du Nouveau Testament. – 1. Enseignement évangélique. – Non omnes capiunt verbum istud, sed quibus datum est. Sunt enim eunuchi qui de matris utero sic nati sunt, et sunt eunuchi qui facti sunt ab hominibus ; et sunt eunuchi qui seipsos castraverunt propter regnum cælorum. Qui potest capere capiat. Matth., XIX, 11 sq. – a) Ce célibat dont parle Jésus est un état de vie permanent. C’est ce qu’indique la similitude établie entre ceux qui sont perpétuellement exclus du mariage par la nature ou par la cruauté des hommes et ceux qui s’en excluent volontairement propter regnum cælorum. L’un et l’autre état sont également permanents, bien que les motifs soient très différents. D’ailleurs, s’il ne s’agissait que d’un état transitoire, comment Jésus pourrait-il attribuer à une faveur divine toute spéciale, quibus datum est, ce qui échoit nécessairement pendant une période plus ou moins longue à presque toute l’humanité ? – b) Ce célibat permanent doit être embrassé volontairement et pour des motifs surnaturels. Son caractère entièrement volontaire résulte de l’antithèse manifeste entre les eunuques involontaires de naissance ou d’institution humaine et les eunuques qui sont tels par leur propre choix, v. 12. Le caractère surnaturel est proprement marqué par les expressions : propter regnum cælorum, v. 12, et quibus datum est, v. 11. Si la grâce céleste est nécessaire pour comprendre et goûter pratiquement les avantages du célibat, c’est parce qu’on les apprécie au point de vue surnaturel, comme l’indique l’unique motif assigné par Jésus, la récompense surnaturelle du ciel. Conclusion d’ailleurs marquée par l’antithèse évidente entre le motif si naturel proposé par les apôtres au v. 10 et celui que substitue Jésus. – c) Le secours de la grâce divine est en même temps assuré à quiconque veut garder ce célibat par motif surnaturel. Car, bien que ce secours soit indispensable, οὐ πάντες χωροῦσιν τὸν λόγον, άλλ᾽οἶς δέδοται, tous sont invités à cet heureux état, ό δυνάμενος χωρεῖν χωρείτω. – d) Cet état volontairement et surnaturellement embrassé est loué par Jésus comme plus parfait, puisqu’il est attribué à une faveur divine toute spéciale, indice d’un bien plus parfait.

2. Enseignement de saint Paul. – De virginibus autem præceptum Domini non habeo : consilium autem do, tanquam misericordiam consecutus a Domino ut sim fidelis. I Cor., VII, 25 sq. – a) Saint Paul parle du célibat pour l’un et l’autre sexe, comme l’indiquent les versets 28, 32, 33, dont la signification est universelle. – b) La principale raison sur laquelle saint Paul appuie sa recommandation du célibat, c’est qu’il donne à la vie humaine une réelle beauté, πρὸς τὸ εὔσχημον, avec la facilité d’être assidu au service de Dieu sans être distrait par d’autres affectations ou soucis, καὶ εὐπάρεδρον τῶ Κυρίῳ ἀπερισπάστως, v. 35. Cette conclusion se déduit rigoureusement des versets 32-34, dans lesquels l’apôtre insiste sur le secours très spécial que donne le célibat à l’âme désireuse de sa perfection au service de Dieu : éloignement des affections terrestres et de des soucis matériels qui habituellement troublent ou divisent le cœur de l’époux et de l’épouse, et orientation vers dieu et vers son service de toute l’énergie des affections et de l’affectivité. – c) Cette raison surnaturelle, sur laquelle s’appuie principalement la conclusion de saint Paul, est précédée de deux autres raisons plus brièvement indiquées : la courte durée absolue ou relative des biens de ce monde, v. 29 sq., et les tribulations inhérentes à l’état conjugal, v. 26, 28. Bien que le terme καιρὸς au v. 29, ὁ καιρὸς συνεσταλμένος ἐστιν, puisse par lui-même signifier indifféremment la durée particulière d’une vie humaine ou l’universelle durée de toutes les choses créées et que rien dans le contexte ne suggère nécessairement l’idée de la fin prochaine du monde, R. Cornely, Commentarius in S. Pauli priorem epistolam ad Corinthios, Paris, 1890, t. I, p. 204 sq., l’on ne peut prouver que toute pensée de la prochaine parousie est ici absolument écartée par saint Paul, quoiqu’elle le soit en plusieurs passages d’autres lettres. I Thess., V, 1 sq. ; II Thess., II, 2 sq. En admettant que saint Paul mentionne la prochaine parousie parmi les raisons de pratiquer le célibat, l’on doit encore convenir que cette raison n’est point celle sur laquelle saint Paul s’appuie principalement ou exclusivement, comme le prétend A. Sabatier, L’apôtre Paul, 3e édit., Paris, 1896, p. 160-161. Car la conclusion finale du v. 35 : Porro hoc ad utilitatem vestram dico non ut laqueum vobis injiciam, sed ad quid honestum est et quod facultatem præbeat sine impedimento Dominum obsecrandi, est immédiatement fondée sur la facilité que donne le célibat de s’adonner au service de Dieu sans empêchement et sans partage, v. 32 sq. La même remarque s’applique à la considération de l’apôtre sur les tribulations inhérentes à l’état du mariage : tribulationem tamen carnis habebunt hujusmodi, v. 28. Cette considération où l’apôtre fait allusion aux pénibles obligations imposées par le mariage, aux multiples douleurs, inquiétudes et embarras qu’il peut causer, peut avoir une réelle utilité bien exposée par plusieurs Pères. S. Chrysostome, De virginitate, c. XXVIII, LVI sq., P. G., t. XLVIII, col. 552 sq., 577 sq. ; S. Grégoire de Nysse, De virginitate, c. III, P. G., t. XLVI, col. 326 sq. ; S. Augustin, De sancta virginitate, c. XVI, P. L., t. XL, col. 403 sq. Saint Paul, tout en mentionnant cette raison, ne la donne point comme l’appui principal de sa doctrine sur l’excellence de la virginité. – d) L’apôtre recommande ainsi la virginité, non en son propre nom, mais avec l’intime persuasion qu’il parle selon l’inspiration divine qui doit lui mériter créance auprès de tous : De virginibus autem præceptum Domini non habeo, consilium autem do, tanquam misericordiam consecutus a Domino ut sim fidelis, v. 25 ; Beatius autem erit si sic permanserit secundum meum consilium, puto autem quod et ego Spiritum Dei habeam, v. 40. – e) D’où l’on peut conclure que l’expression consilium, γυώμην, v. 25, doit réellement s’entendre au sens théologique de conseil de perfection, suivant la définition donnée par saint Augustin, De sancta virginitate, c. XIV, P. L., t. XL, col. 402 ; Epist., CLVII, n. 39, P. L., t. XXXIII, col. 692, et par saint Thomas, Sum. theol., Ia IIæ, q. CVIII, a. 4. Ce sens est d’ailleurs fondé sur Matth., XIX, 12, comme nous l’avons montré précédemment.

Enseignements de la tradition chrétienne. – 1. Dans les quatre premiers siècles jusqu’à saint Augustin. – a) Le simple fait de l’existence de nombreux ascètes observant dès cette époque la continence parfaite pour parvenir à une plus intime union avec Dieu, voir ASCETISME, t. I, col. 2074, ne peut s’expliquer que par l’existence du conseil divin de chasteté parfaite, surtout si on rapproche ce fait de Matth., XIX, 12, et de I Cor, VII, 25 sq., et si l’on tient compte des difficultés extrêmes que devait rencontrer dans le monde presque entièrement païen une pratique si opposée aux mœurs du paganisme. – b) L’existence du conseil évangélique de chasteté parfaite, affirmée dans les premiers siècles de l’ère chrétienne par l’institution des ascètes, est expressément enseignée par les Pères depuis la fin du IIe siècle. Tertullien, Ad uxorem, l. I, c. III, P. L., t. I, col. 1279, d’après I Cor., VII, 34 ; S. Cyprien, De habitu virginum, c. XXIII, P. L., t. IV, col. 463, suivant Luc, XX, 35, 36 ; S. Ambroise, De virginibus, l. I, c. V sq., P. L., t. XVI, col. 195 sq., selon I Cor., VII, 32 sq. ; De viduis, c. I, XIII sq., P. L., t. XVI, col. 235, 257, 259, d’après I Cor. VII, 34, 39, 40 ; Matth., XIX, 11 sq. ; I Cor., VII, 7, 25 sq. ; De virginitate, c. VII, col. 273, suivant Matth., XIX, 12 ; S. Chrysostome, De virginitate, c. IX, P. G., t. XLVIII, col. 539 ; De non iterando conjugio, n 1, 3, col. 611, 614, d’après I Cor., VII, 35 ; S. Grégoire de Nysse, De virginitate, c. II, P. G., t. XLVI, col. 324 ; S. Jérôme, Epist., XXII, n. 19 ; CXXIII, n. 5, P. L., t. XXII, col. 405 sq., 10147 sq., suivant I Cor., VII, 39 ; Adversus Jovinianum, l. I, n. 9, 12 sq., P. L., t. XXIII, col. 222, 227 sq., d’après I Cor., VII, 8 sq. : Matth., XIX, 12 ; I Cor., VII, 25sq. ; S. Augustin, De sancta virginitate, c. XIV, P. L., t. XL, col. 402 sq., selon I Cor., VII, 25 sq. ; De bono viduitalis, c. II sq., XIX, col. 431 sq., 445, suivant I Cor., VII, 8, 34. Quant à la notion théologique de la différence entre le précepte divin et le simple conseil évangélique, esquissée d’abord par saint Ambroise, De viduis, c. XII, P. L., t. XVI, col. 256, elle est explicitement formulée par saint Augustin, De sancta virginitate, c. XIV, P. L., t. XL, col. 402 ; Epist., CLVII, n. 39, P. L., t. XXXIII, col. 692. En même temps que les Pères affirment le conseil évangélique de chasteté parfaite en l’appuyant sur l’enseignement de Jésus-Christ et de saint Paul, ils ajoutent parfois et d’une manière plutôt secondaire des raisons qui humaines qui doivent recommander et faire aimer cet heureux état : les pénibles obligations imposées par le mariage, les vives et fréquentes douleurs qui résultent des blessures faites aux affections familiales, les inquiétudes presque constantes, et de nombreux embarras de tout genre. S. Chrysostome, De virginitate, c. XXVIII, LVI sq., P. G., t. XLVIII, col. 552 sq., 577 sq. ; S. Grégoire de Nysse, De virginitate, c. III, P. G., t. XLVI, col. 326 sq. ; S. Augustin, De sancta virginitate, c. XVI, P. L., t. XL, col. 403 sq. Il est d’ailleurs incontestable que ces Pères, en recommandant la pratique du conseil de chasteté parfaite, ne déprécient aucunement le mariage. S. Chrysostome, De virginitate, c. IX, XXV sq., P. G., t. XLVIII, col. 539 sq., 550 sq. ; S. Augustin, De sancta viriginitate, c. XVI, P. L., t. XL, col. 404 sq. ; De bono viduitalis, c. III sq., col. 432 sq. Cette doctrine énoncée par les Pères comme enseignée par Jésus-Christ et prêchée par saint Paul est positivement affirmée par le pape saint Sirice en 389 ou 390 dans une lettre à l’Eglise de Milan où il réprouve les erreurs de Jovinien particulièrement sur la question de continence et de la virginité : Nos sane nuptiarum vota non aspernanter accipimus, quibus velamine intersumus, sed virgines quas nuptiæ creant, Deo devotas majore honorificienta honoramus. Facto igitur presbyterio constilit doctrinæ nostræ id est christianæ legi esse contrariam eorum sententiam.P. L., t. XVI, col. 1123.

2. Depuis saint Augustin jusqu’à saint Thomas, cette doctrine des Pères est simplement reproduite par les auteurs ecclésiastiques. Gennade de Marseille, De ecclesiasticis dogmatibus, c. LXIV, LXVIII, P. L., t. LVIII, col. 996 ; S. Fulgence de Ruspe, Epist., III, c. VI sq., P. L., t. LXV, col. 328 sq., d’après Matth., XIX, 12 ; Is., LVI, 4, 5 ; Apoc., XIV, 4 ; S. Isidore de Séville, Sent., l. III, c XL, P. L., t. LXXXIII, col. 643 sq., d’après Is., LVI, 4, 5 ; De ecclesiasticis officiis, l. II, c. XVII, n. 4 sq., col. 805 sq., d’après Matth., XIX, 12 ; I Cor., VII, 25 sq. ; Is., LVI, 4, 5 ; Pierre Lombard, Sent., l. IV, dist. XXXIII, n. 4, P. L., t. CXCII, col. 926, et insérée dans le Décret de Gratien, part. II, caus. XXXIII, q. V, 9, P. L., t. CLXXXVII, col. 1371 sq., 1467.

3. Au XIIIe siècle, saint Thomas en même temps qu’il s’appuie principalement sur Matth., XIX, 12 ; I Cor., VII, 25 sq., Sum. theol., IIa IIæ, q. CLII, a. 4 ; Cont. gent., l. III, c. CXXXVI, indique les convenances surnaturelles de l’état de virginité et son intime relation avec l’état de perfection. Les convenances sont déduites de ces trois considérations : le bien divin l’emporte sur le bien humain, le bien de l’âme est préférable à celui du corps, le bien de la vie contemplative est supérieur à celui de la vie active. Triple supériorité évidemment réalisée par l’état de virginité où l’on poursuit principalement le bien de l’âme par la contemplation paisible et ininterrompue des choses divines, tandis que l’état du mariage principalement adonné à la recherche des biens du corps et à la vie active apporte plutôt des obstacles à la vie contemplative. Donc l’état de virginité, dans la mesure où il favorise ces biens supérieurs, est de soi préférable à l’état du mariage où la recherche de ces biens rencontre beaucoup d’obstacles. Mais cette supériorité de l’état n’entraîne point nécessairement la supériorité de sainteté ou de perfection personnelle vis-à-vis de ceux qui vivent dans l’état inférieur. Sum. theol., IIa IIæ, q. CLII, q. 4, 2um ; q. CLXXXIV, a. 4. D’où il résulte encore que l’état de virginité est une partie intégrante de tout état de perfection à acquérir, puisqu’il est strictement nécessaire pour écarter efficacement et habituellement les obstacles à la perfection, tels qu’ils résultent communément de l’état du mariage. Sum. theol., IIa IIæ, q. CLXXXVI, , a. 4. En même temps saint Thomas réfute les principales objections contre la possibilité ou la supériorité de l’état de virginité ou de continence parfaite. Cont. gent., l. III, c. CXXXVI. Cet enseignement est communément reproduit dans toute cette période par les théologiens scolastiques ou ascétiques. Denys le Chartreux, In IV Sent., l. IV, dist. XXXIII, q. III ; S. Antonin de Florence, Summa theologica, part. III, tit. II, c. I, Vérone, 1740, t. III, p. 134 sq. ; Dominique Soto, In IV Sent., l. IV, dist. XXXi q. II ; dist. XLIX, q. V, a. 2 ; Cajétan, In IIam IIæ, q. CLII, a. 4.

4. Au XVIe siècle, Luther proclame les vœux monastiques contraires à son principe fondamental de la justification par la seule confiance aux mérites de Jésus-Christ. Denifle, Luther und Luthertum, 2e édit., Mayence, 1904, p. 76 sq. Il combat particulièrement le vœu de chasteté dont il affirme que l’objet est irréalisable, parce que la concupiscence de la chair est irrésistible, op. cit., p. 90 sq., et que la prière ne peut assurer une aide suffisante. Op. cit., p. 103 sq. Luther soutient donc que Jésus-Christ n’a nullement conseillé la virginité ou le célibat et qu’il en a plutôt détourné. Op. cit., p. 80 sq. Ces affirmations luthériennes communément adoptées par les réformateurs du XVIe siècle furent formellement condamnées par le concile de Trente, sess. XXIV, can. 10, et solidement réfutées par les théologiens catholiques. Canisius, De Maria Deipara Virgine, l. II, c. XII, Ingolstadt, 1583, t. II, p. 200 sq. ; Bellarmin, De monachis, l. II, c. XXII sq. ; Sylvius, In IIam IIæ, q. CLII, a. 4 ; Suarez, De religione, part. II, tr. VII, l. IX, c. I, n. 11 sq. ; Salmaticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XXVI, c. I, n. 62 sq. ; Gotti, Vera Ecclesia Christi, a. 5, n. 16 sq., Venise, 1750, p. 252 sq. ; Perrone, Prælectiones theologicæ, tr. De ordine, c. V, n. 189 sq. ; Pesch, Prælectiones theologicæ, Fribourg-en-Brisgau, 1897, t. VII, p. 390 sq. ; Billot, De Ecclesiæ sacramentis, 3e édit., Rome, 1901, t. II, p. 360 sq. ; Monsabré, Exposition du dogme catholique, carême de 1887, 6e conférence.

Dans leur démonstration positive ces théologiens s’appuient principalement sur Matth., XIX, 12 ; I Cor., VII, 25 sq., et sur l’autorité des Pères interprétant ces textes. Leur démonstration apologétique repose sur les raisons de convenance développées par saint Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. CLII, a. 4 ; Cont. gent., l. III, c. CXXXVI, et sur les réponses aux principales objections protestantes ou rationalistes : a) La pratique du conseil évangélique de chasteté parfaite est surnaturellement possible avec le secours de la grâce divine toujours assurée à ceux qui embrassent cet état avec une prudente certitude de l’appel divin. Affirmer avec Luther l’impossibilité de la lutte contre l’inclination ou l’impulsion physique, c’est supprimer toute liberté, même en face de devoirs indiscutables ; c’est nier l’obligation de la fidélité conjugale et légitimer en cette matière tout ce que la loi naturelle réprouve. C’est en même temps contredire un fait historique très évident dans son ensemble : le règne constant de la continence parfaite dans une élite de la société chrétienne et son rayonnement de sainteté et de dévouement à travers le monde. Il est d’ailleurs certain que l’excitation sensuelle ne vient point de la sensation d’un besoin non satisfait, mais de causes occasionnelles qu’une prudente et sévère vigilance peut le plus souvent écarter ou qu’une forte volonté aidée surtout par le secours divin, peut toujours suffisamment combattre. Debreyne-Ferrand, La théologie morale et les sciences médicales, 6e édit., Paris, 1886, p. 375 sq. ; Surbled, La morale dans ses rapports avec la médecine et l’hygiène, c. V, Paris, 1891, p. 22 sq. ; Eschbach, Disputationes physiologico-theologicæ, 2e édit., Rome, 1901, p. 482 sq. L’on doit toutefois reconnaître que l’idée de continence n’est point à conseiller à certains tempéraments à fortes propensions érotiques, d’où résulte un danger habituel d’entraînement. Eschbach, op. cit., p. 484 ; Gasparri, Tractatus canonicus de sacra ordinatione, n. 576, Paris, 1893, t. I, p. 375 sq. – b) La bienfaisante efficacité de la parfaite continence pour le vrai bien individuel de ses adeptes est évidente pour qui admet la supériorité de l’âme sur le corps, de l’intelligence sur les sens, de la grandeur morale et de la sainteté sur tous les avantages matériels. Pour qui ne voudrait point s’élever au-dessus du bien-être corporel, la bienfaisante efficacité de la continence est encore incontestable. Loin de favoriser les perturbations du système nerveux ou d’affaiblir les forces physiques, la continence a une salutaire influence sur la santé et la vigueur du corps tandis que les excès vénériens leur sont très funestes. Debreyne-Ferrand, op. cit., p. 70 sq. ; Surbled, op. cit., p. 25 sq. ; Eschbach, op. cit., p. 480 sq. – c) Les avantages sociaux que procure une élite morale librement vouée à la continence parfaite sont incontestables. Ses constants exemples de vertu et son généreux apostolat qu’aucune préoccupation humaine ne distrait, sont un puissant moyen de relèvement moral pour les sociétés. Son dévouement incessant à la diminution et au soulagement des misères intellectuelles, morales et matérielles de l’humanité, dévouement inspiré par une charité non partagée et servi par toutes les énergies disponibles, réalise incessamment dans toute la société un bien considérable : c’est ce qu’atteste manifestement toute l’histoire du catholicisme. Contre un tel ensemble de faits, quelques défaillances isolées, si lamentables qu’elles soient, ne peuvent fournir aucune preuve valable. – d) S’il est vrai que l’accroissement numérique des individus est un facteur important bien que secondaire du bonheur matériel d’un peuple, le maintien et même le progrès de ce facteur économique n’ont rien à redouter de cette élite morale des continents volontaires. En perfectionnant le niveau moral, ils écartent les principales causes morales de l’infécondité volontaire. En soulageant efficacement les misères sociales de toute nature, ils diminuent les principaux obstacles accidentels à l’accroissement numérique et à la valeur effective des membres de la société. C’est le témoignage de l’histoire.

En même temps que les apologistes justifiaient contre les ennemis de l’Eglise le conseil évangélique de la chasteté parfaite, les théologiens moralistes et ascétiques déterminaient avec soin les conditions sans lesquelles il ne peut être prudemment suivi, conditions que nous devons indiquer d’après leur enseignement.

II. SA PRATIQUE. – 1° Conditions antécédentes. – 1. La prudence exige que l’on ne s’engage point dans l’état de parfaite et perpétuelle chasteté sans une garantie suffisante d’entière fidélité. Ce devoir de prudence résulte de l’obligation toujours rigoureuse de ne point s’exposer témérairement à un grave danger de péché qui, dans la circonstance, serait moralement certain. La garantie devra être d’autant plus sérieuse que plus grande sera la difficulté d’obtenir une dispense ou une commutation du vœu par lequel on s’engage dans cet état. Cette garantie, toujours laissée à la prudente appréciation du confesseur, se fondera sur une fidélité assez constante dans la vertu toujours conservée ou généreusement recouvrée. Même pour la chasteté parfaite en dehors de l’état ecclésiastique ou de la vie religieuse, cette prudence doit être observée. Avant de permettre définitivement l’engagement irrévocable, le confesseur agira sagement en n’autorisant pendant quelque temps qu’un vœu temporaire renouvelable à des échéances plus ou moins rapprochées. Lehmkuhl, Theologia moralis, t. I, n. 480. – 2. Un appel de Dieu est-il nécessaire ? Puisque la divine providence dirige toutes les vies humaines avec toutes leurs circonstances vers la gloire du ciel et distribue à cette fin les aptitudes individuelles et les grâces nécessaires, y compris celles que requièrent certains états privilégiés, l’on doit rigoureusement conclure que la possession d’aptitudes spéciales est un effet particulier de la providence et un indice habituel, normal, régulier, d’un appel divin au moins permissif à tel état de vie. Conclusion certainement applicable à l’état de chasteté parfaite, suivant la parole évangélique : quibus datum est ; qui potest capere capiat. Cet appel divin, en l’absence de toute manifestation surnaturelle strictement préceptive, reste par lui-même simplement permissif. Cependant il devient impératif quand son inexécution expose à de graves dangers pour l’éternité en privant de moyens spéciaux de salut ou en suscitant de périlleuses occasions. S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, l. IV, n. 78.

Dispositions concomitantes. – Le conseil évangélique de chasteté parfaite n’étant qu’un moyen de tendre plus efficacement et plus sûrement à la perfection, S. Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. CLXXXIV, a. 3, 4, l’on ne doit jamais perdre de vue ce but final. Il serait donc déraisonnable de placer toute la réalisation de la perfection dans le simple fait de l’état de chasteté parfaite, ou de croire que cet état dispense des conditions essentielles ou habituelles de toute perfection. Il y a plutôt devoir très impérieux de pratiquer l’humilité et la vigilance, à cause de la perfection spéciale à laquelle on aspire et des obligations nouvelles librement assumées. Epîtres sur la virginité, attribuées à S. Clément, Patres apostolici, édit. Funk, Tubingue, 1901, t. II, p. 1 sq. ; S. Cyprien, De habitu virginum, c. II sq., P. L., t. IV, col. 412 sq. ; S. Ambroise, De virginibus, l. II, III, P. L., t. XVI, col. 207 sq. ; De viduis, c. II sq., col. 257 sq. ; De virginitate, c. XVI sq., col. 291 sq. ; De institutione virginis et sanctæ Mariæ virginitate perpetua, c. XIV sq., col. 326 sq. ; Exhortatio virginitatis, c. IX sq., col. 353 sq. ; S. Augustin, De sancta virignitate, c. XXXI sq., P. L., t. XI, col. 412 sq. ; Serm., CCCLIV, c. V sq., P. L., t. XXXIX, col. 1565 sq. ; S. Jérôme, Epist., XXII, n. 3 sq., P. L., t. XXII, col. 395 sq. ; CXVII, n. 7sq., col. 957 sq. ; CXXVII, n. 3 sq., col. 1097 sq. ; CXXX, n. 1 sq., col. 1107 sq. ; LIV, n. 7 sq., col. 553 sq. ; LXXIX, n. 6 sq., col. 728 sq. Parmi les devoirs recommandés aux vierges ou aux veuves qui demeurent en l’état de viduité, le soulagement des misères temporelles et spirituelles du prochain mérite une mention toute spéciale. Leur affranchissement de tout lien terrestre doit faciliter leur dévouement généreux et constant. S. Cyprien, De habitu virginum, c. XI, P. L., t. IV, col. 449 ; Testamentum D. N. J. C., édit. Rahmani, Mayence, 1899, p. 95-97, 101, 107.

III. VŒU DE CHASTETE. – I. OBJET. – 1° L’objet de la promesse faite à Dieu par le vœu de chasteté est la pratique intégrale et perpétuelle de la chasteté parfaite ou sa pratique temporaire, ou encore la fidélité à la chasteté nécessaire dans l’état de vie où l’on est actuellement engagé. En toute circonstance, l’objet directement atteint par le vœu n’est point seulement l’acte extérieur ; ce sont aussi les actes purement intérieurs, affections, désirs, ou complaisances de la volonté dans la mesure où ces actes sont opposés à la vertu de chasteté à laquelle on s’oblige intégralement par le vœu. Cf. Vasquez, In Iam IIæ, disp. CXII, c. II ; Lugo, De pænitentia, disp. XVI, sect. VI, n. 386 ; Salmaticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XXVI, c. IV, n. 13 ; Lehmkuhl, Theologia moralis, t. I, n. 385. – 2° Ainsi le vœu de chasteté se différencie du vœu de ne point s’engager dans l’état de mariage, votum non nubendi, et du vœu strict de virginité ou vœu de garder l’intégrité matérielle de la virginité, toujours irrévocablement perdue par le primum opus carnale consummatum. Gasparri, Tractatus canonicus de matrimonio, n. 437, 2e édit., Paris, 1900, t. I, p. 286 sq. Mais comme l’intention particulière de l’individu, dans l’expression du vœu de garder le célibat ou la virginité, se porte fréquemment ou même habituellement jusqu’à la chasteté parfaite, l’on devra examiner le motif particulier et les circonstances concrètes du vœu pour déterminer sa nature spécifique. Gasparri, loc. cit., p. 288 sq.

II. ESPECES OU SUBDIVISIONS. – Suivant son objet, le vœu de chasteté peut être ou le vœu perpétuel de chasteté parfaite, ou le vœu temporaire de chasteté, ou simplement le vœu de chasteté conjugale. Quant aux espèces particulières provenant de la manière dont le vœu est émis, vœu solennel ou simple, absolu ou conditionnel, explicite ou implicite, elles se comprennent suffisamment d’après les principes généraux. Voir VŒU.

III. CONDITIONS D’OBLIGATION. – 1° Connaissance suffisante de l’obligation contractée. – 1. Tout contrat de promesse, exigeant de celui qui s’engage un véritable consentement à l’obligation contractée, suppose nécessairement quelque connaissance de l’objet, de la nature et de l’obligation de la promesse. Toute erreur substantielle sur ce point empêcherait la formation même du contrat. Le vœu de chasteté, étant une promesse librement faite à Dieu, obéit à cette loi fondamentale. Toute ignorance ou erreur substantielle portant sur la nature du vœu, sur son objet, sur son obligation, s’oppose absolument à l’existence ou à la validité du vœu. Mais l’absence de prévision de certaines particularités accidentelles, comme la fréquence et la gravité des tentations ou la difficulté de la lutte, ne peut empêcher un vrai consentement à l’objet substantiel du vœu. – 2. En principe, dès lors que le vœu a été émis, on doit, jusqu’à preuve du contraire, le présumer régulièrement fait au point de vue de la connaissance. Cependant avant que soit atteint l’âge de sept ans, communément accepté comme point de départ des obligations ecclésiastiques ou canoniques, l’existence certaine de la connaissance suffisante devrait être strictement prouvée. S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, l. III, n. 196 ; Lehmkuhl, Theologia moralis, t. I, n. 430.

2° Les graves obligations personnelles imposées par le vœu de chasteté ne pouvant provenir que d’une volonté entièrement personnelle et suffisamment libre, le vœu des parents offrant à Dieu leurs enfants pour l’état religieux ou les ordres sacrés ne peut, en matière de chasteté, imposer aucune obligation personnelle, en dehors de l’acceptation formelle des enfants, quand ils ont la libre disposition d’eux-mêmes. Quels obstacles, d’après le droit naturel ou d’après le droit ecclésiastique, empêchent cette libre disposition de soi-même, on le déduira sans peine des conditions absolument requises pour la validité du vœu considéré d’une manière générale et pour la validité de la profession religieuse.

IV. EFFETS. – 1° Quant à la nature de la faute commise dans la violation de ce vœu. – 1. Outre la faute directement commise contre la vertu de chasteté, il y a sacrilège quand le vœu, par sa propre nature ou par l’acceptation de l’Eglise, donne à la personne un véritable titre de consécration au service de Dieu. Cette consécration effective au service de Dieu résulte certainement du vœu solennel ou simple chasteté prononcé dans une congrégation religieuse approuvée par l’Eglise. – 2. Pour les clercs obligés à la continence, la faute commise est toujours un sacrilège, s’il est vrai que cette continence leur est imposée par un vœu tacite résultant du simple acquiescement à l’ordination avec la condition déterminé par l’Eglise. S. Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. LXXXVIII, a. 11. C’est l’enseignement le plus autorisé parmi les théologiens, bien qu’il ne soit pas strictement démontré. Dans l’hypothèse d’une obligation provenant simplement de la loi ecclésiastique enjoignant aux clercs le célibat, il serait encore vrai qu’une double faute serait commise, l’une contre la vertu de chasteté, l’autre contre la loi de l’Eglise, Sanchez, De sancto matrimonii sacramento, l. VII, disp. XXVII, n. 9 sq., Anvers, 1626, t. II, p. 103 sq., bien qu’il y ait difficulté à expliquer comment les actes purement internes seraient atteints par la prohibition de l’Eglise. – 3. Quant au vœu entièrement privé, que l’Eglise n’approuve ni formellement ni tacitement, c’est un point assez discutable s’il donne effectivement à l’individu cette consécration au service divin dont la violation constitue le péché spécifique de sacrilège. Voir SACRILEGE. Mais en l’absence de sacrilège spécifique absolument démontré, il y aurait toujours quelque péché d’irréligion provenant de l’outrage à la majesté divine, nécessairement existant dans toute infidélité coupable à une promesse faite à Dieu. Lehmkuhl, theologia moralis, t. I, n. 455.

Quant au mariage à contracter ou déjà contracté. – 1. Quant au mariage à contracter. – a) Le vœu religieux solennel de chasteté, approuvé comme tel par l’Eglise, est un empêchement perpétuel à la validité de ce mariage, en vertu de la détermination ou de la constitution formelle de l’Eglise. Concile de Trente, sess. XXIV, c. IX. Voir EMPÊCHEMENTS DE MARIAGE. – b) Le vœu simple de chasteté émis en religion ne constitue point par lui-même, en dehors de privilèges spéciaux comme ceux dont jouit la compagnie de Jésus, un empêchement dirimant. Il rend seulement illicite le mariage ainsi contracté et a pour conséquence d’interdire le droit actif à l’usage du mariage. – 2. Le mariage déjà contracté et non consommé par l’opus carnale perfectum peut, suivant l’enseignement de l’Eglise, concile de Trente, sess. XXIV, can. 6, être entièrement dissous par la profession religieuse solennelle, comprenant nécessairement le vœu solennel de chasteté ; effet qui ne résulte jamais du vœu simple, religieux ou privé, dans quelque condition qu’il soit émis.

3° Le vœu perpétuel de chasteté parfaite, même privé et non accompagné d’autre vœu, place celui qui l’a émis dans un état intermédiaire de perfection, du moins au sens restreint d’une perpétuelle obligation à un conseil de perfection et aux moyens nécessaires pour sa réalisation.

V. ANNULATION ET DISPENSE DU VŒU DE CHASTETE. – 1° Annulation. – 1. L’autorité paternelle ou maternelle, pouvant annuler tout vœu fait par les enfants avant l’âge de puberté ou non ratifié après cette époque, peut s’exercer sur le vœu de chasteté émis dans ces conditions. Annulation toujours valide même quand elle se produit sans cause légitime, bien qu’en ce dernier cas elle entraîne toujours avec elle quelque faute vénielle. Ce pouvoir annulatoire, tout en répondant à une certaine exigence naturelle, n’est positivement déterminé que par l’autorité de l’Eglise approuvant tacitement sur ce point l’enseignement unanime des théologiens. – 2. Le mari peut-il, en vertu de l’autorité que le droit naturel lui confère sur son épouse, annuler directement le vœu de chasteté émis par elle pendant le mariage ? Beaucoup de théologiens l’affirment en s’appuyant principalement sur une certaine approbation de l’Eglise facilement présumable quand il s’agit d’une doctrine commune parmi les théologiens. S. Alphonse, Theologia moralis, l. III, n. 234 ; Lehmkuhl, Theologia moralis, t. I, n. 462. D’autres théologiens n’admettent dans le mari comme dans l’épouse que le droit d’annuler indirectement les vœux dont l’accomplissement s’opposerait à l’exercice de ses droits. Génicot, Theologia moralis, t. I, n. 325. Cette annulation directe ou indirecte peut-elle se faire même quand les deux époux ont mutuellement consenti à l’émission du vœu les liant tous les deux ? Saint Alphonse, Theologia moralis, l. III, n. 239, ne voit aucune raison convaincante pour nier en ce cas le pouvoir annulatoire vis-à-vis de l’autre partie ; cependant il n’ose se prononcer en faveur de cette solution, parce qu’elle contredit l’opinion commune. Néanmoins, Ballerini-Palmieri, Opus theologicum morale, 2e édit., Prato, 1882, t. II, p. 501 sq., soutient le légitime exercice du pouvoir annulatoire même en ce cas ; son opinion n’est point désapprouvée par Lehmkuhl, t. I, n. 463, ni par Génicot, t. I, n. 326.

Pouvoir et conditions de dispense. – 1. Pouvoir de dispenser. – a) L’Eglise ayant reçu de Jésus-Christ le pouvoir de dispenser, avec une juste raison et sans lésion des droits stricts d’un tiers, tous les vœux de quelque nature qu’ils soient, possède également et dans la même mesure le droit de dispenser du vœu de chasteté, vœu religieux ou privé, solennel ou simple. Conclusion évidemment confirmée par la pratique de l’Eglise, même pour le vœu solennel de chasteté, du moins dans les derniers siècles.

Cependant un grand nombre de théologiens ont, dans les siècles passés, soutenu l’opinion contraire, en s’appuyant principalement sur une décrétale d’Innocent III, sur l’autorité de saint Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. LXXXVIII, a. 11, et sur la nature spéciale du vœu solennel considéré comme étant de soi toujours absolument irrévocable et inaccessible à toute dispense. Cette opinion désormais écartée par le fait incontestable de dispenses concédées par le saint-siège ne repose sur aucune preuve convaincante. La décrétale d’Innocent III, Decret. Grigorii IX, l. III, tit. XXXV, c. VI, ne concerne que le moine toujours lié par ses vœux et continuant à vivre en moine. En face d’abus relatifs au droit de propriété personnelle pour des moines vivants dans le monastère, Innocent III affirme l’incompatibilité absolue entre la règle monastique et l’exercice du droit de propriété, incompatibilité telle qu’elle échappe à toute dispense même pontificale : Nec æstimet abbas quod super habenda proprietate possit cum aliquo monacho dispensare, quia abdicatio proprietatis sicut et custodia castitatis adeo est annexa regulæ monachali ut contra eam nec summus pontifex possit licentiam indulgere. L’impossibilité d’accorder une dispense en matière de chasteté monastique est incidemment affirmée dans le même sens, sans aucune allusion à l’hypothèse du moine cessant d’être moine par la dispense de ses vœux. De l’absence d’une telle hypothèse, comme de l’absence de dispense pontificale en cette matière à cette époque et aux siècles suivants, l’on ne peut déduire aucune conclusion positive. L’autorité de saint Thomas s’appuie uniquement sur la décision juridique qu’il rapporte : sed quia decretatis inducta expresse dicit quod nec summus pontifex potest contra custodiam castitatis monacho licentiam dare, ideo aliter videtur dicendum. Reflétant simplement le sens attribué à la décision juridique, cette réponse n’a par elle-même aucune valeur positive. De l’autorité juridique, saint Thomas donne, il est vrai, une raison de convenance, mais sans la faire réellement sienne comme le montre la forme dubitative, aliter videtur dicendum. Cette explication de la pensée de saint Thomas, donnée par Cajétan dans son commentaire sur ce passage et approuvée par Gotti, Theologia scolastico-dogmatica, tr. XIII, De matrimonio, q. VIII, dub. III, n. 17, Venise, 1750, t. III, p. 585, nous paraît être la seule vraie. Quant à l’absolue irrévocabilité que l’on attribue à toute profession solennelle, elle provient d’une fausse définition des vœux solennels. De quelque manière que l’on explique la nature intime de la profession solennelle, l’on doit au moins reconnaître que la détermination immédiate de la solennité avec tous ses effets canoniques procède de la législation de l’Eglise. A. Vermeersch, De religiosis institutis et personis, Bruges, 1902, t. II, p. 12 sq. Dès lors rien ne s’oppose à ce que l’Eglise, toujours maîtresse de sa législation, la modifie ou en accorde dispense, sans aller à l’encontre d’aucune détermination du droit divin.

b) Le pouvoir de dispenser du vœu de chasteté est ainsi réglé par l’Eglise dans ses concessions habituelles de juridiction ou de délégation de cette matière : a. Tout vœu perpétuel de chasteté parfaite, privé ou religieux, simple ou solennel, dès lors qu’il est absolu et n’est entaché d’aucun défaut essentiel, est toujours réservé au pape. Il n’est jamais compris dans les pouvoirs concédés, à moins que le contraire ne soit expressément stipulé. Colletanea S. C. de Propaganda fide, n. 2083 sq., Rome, 1893, p. 819 sq. ; J. Putzer, Commentarium in facultates apostolicas, n. 107 sq., 5e édit., New-York, 1898, p. 161 sq. – b. Après le mariage validement mais illégitimement conclu malgré le vœu privé ou le vœu simple de chasteté perpétuelle, dispense peut être concédée par l’évêque ou, en vertu d’un privilège spécial, par les réguliers, sous la réserve que la dispense soit limitée à ce qu’exige le mariage actuel. Lehmkuhl, op. cit., t. I, n. 748 ; Putzer, op. cit., p. 164 sq. – c. La réserve affectant le vœu perpétuel de chasteté parfaite ne s’applique ni au vœu temporaire de chasteté, ni au vœu de chasteté conjugale, ni au votum non nubendi.

2. Conditions de dispense. – La dispense ne peut être validement concédée que pour une raison grave, toujours indispensable au pouvoir ecclésiastique dispensant en matière de droit divin. Cette cause doit être encore plus grave quand le bien public de la société chrétienne est grandement intéressé, comme pour le vœu annexé à la réception des ordres sacrés. En dehors de ce vœu dont l’Eglise dispense très rarement, les causes ordinaires de dispense pour le vœu de chasteté sont : le danger de transgresser ce vœu ou une grande difficulté de l’accomplir, l’insistance et l’intensité des scrupules, quelque manque de délibération ou de liberté dans l’émission du vœu, un grave intérêt public ou même un grave intérêt particulier auquel on est strictement tenu de pourvoir et que l’on ne peut procurer autrement. Salmaticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XVII, c. III, n. 121 sq. ; S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, l. III, n. 252 sq. ; Lehmkuhl, Theologia moralis, t. I, n. 475 ; Putzer, op. cit., p. 163. Même dans le cas de dispense proprement dite, l’autorité ecclésiastique impose habituellement en cette matière quelque compensation spirituelle, consistant principalement dans la fréquentation des sacrements, faite un nombre de fois déterminé, dans des mortifications et des prières fixées. Lehmkuhl, op. cit., t. I, n. 480 ; Putzer, op. cit., p. 163. Quant au mode dispense et à l’interprétation des pouvoirs de dispense, l’on doit suivre les principes généraux. Voir DISPENSE.
 

 

Outre les auteurs cités dans l’article et les ouvrages généraux sur cette matière, on peut particulièrement consulter : Epîtres sur la virginité, attribuées à S. Clément Ier, Patres apostolici, édit. Funk, Tubingue, 1901, t. II, p. 1 sq. ; Tertullien, Ad uxorem, l. I, P. L., t. I, col. 1274 sq. ; S. Cyprien, De habitu virginum, P. L., t. IV, col. 441 sq. ; S. Ambroise, De virginibus, P. L., t. XVI, col. 187 sq. ; De viduis, col. 234 sq. ; De virginitate, col. 265 sq. ; De institutione virginis et S. Mariæ virginitate perpetua, col. 305 sq. ; Exhortatio virginitatis, col. 335 sq. ; S. Chrysostome, De virginitate, P. G., t. XLVIII, col. 533 sq. ; Ad viduam Jovinianum libri duo, col. 599 sq. ; Homilia de continentia, P. G., t. LVI, col. 291 sq. ; S. Grégoire de Nysse, De virginitate, P. G., t. XLVI, col. 317 sq. ; S. Jérôme, Epist., XXII, LIV, LXXIX, n. 6 sq., CXVII, CXXIII, CXXVII, CXXX, P. L., t. XXII, col. 394 sq., 550 sq., 728 sq., 953 sq., 1046 sq., 1087 sq., 1107 sq. ; Adversius Jovinianum libri duo, P. L., t. XXIII, col. 211 sq. ; S. Augustin, De continentia, P. L., t. XI, col. 349 sq. ; De bono conjugali, col. 373 sq. ; De sancta virginitate, col. 397 sq. ; De bono viduitatis, col. 431 sq. ; Serm., CCCLIV, P. L., t. XXXIX, col. 1563 sq. ; S. Pierre Damien, Opusculum, XLVII, De castitate et mediis eam tuendi, P. L., t. CXLV, col. 710 sq. ; Pierre Lombard, Sent., l. IV, dist. XXXIII, n. 4 sq. ; P. L., t. CXCII, col. 926, et ses commentateurs, particulièrement Denys le Chartreux, dist. XXXIII, q. III ; S. Thomas, Sum. theol., IIa IIæ, q. CLI, CLII ; Cont. gent., l. III, c. CXXXVI ; S. Bonaventure, In IV Sent., l. IV, dist. XXXIII, a. 2, 1889, t. IV, p. 753 sq. ; S. Antonin de Florence, Summa theologica, part. III, tit. II, De statu continentium, Vérone, 1740, t. III, col. 133 sq. ; Dominique Soto, In IV Sent., l. IV, dist. XXX, q. II ; dist. XLIX, q. V, a. 2 ; Cajétan, In IIum IIæ, q. CLI, CLII ; Canisius, De Maria Deipara virgine, l. II, c. XII, Ingolstadt, 1583, t. II, p. 200 sq. ; Bellarmin, De monachis, l. II, c. XXII sq. ; Sylvius, In IIum IIæ, q. CLI, CLII ; Lessius, De justitia et jure ceterisque virtutibus cardinalibus, l. IV, c. II, n. 92 sq., Paris, 1606, p. 665 sq. ; Suarez, De religione, tr. VII, l. IX, De voto castitatis ; Salmaticenses, Cursus theologiæ moralis, tr. XXVI, c. I, n. 37 sq. ; Eschbach, Disputationes physiologico-theologicæ, 2e édit., Rome, 1901, p. 487 sq. ; Kirchenlexikon, 2e édit., t. VII, col. 419 sq.

E. DUBLANCHY.