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Dictionnaire de Théologie Catholique

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INTERPRÉTATION DE L'ÉCRITURE. — On ne trouvera pas ici un exposé, même sommaire des règles ordinaires de l'herméneutique sacrée. Elles appartiennent à une autre discipline et on en trouvera le résumé dans le Dictionnaire de la Bible de M. Vigouroux, t. III, col. 612-619. Le théologien doit les suivre, comme l'exégète de profession, dans l'interprétation de l'Écriture, mais il n'est pas de son rôle de les exposer et de les justifier. Il n'a à remplir de devoir que pour ce qu'on a appelé les règles spéciales et catholiques de l'explication des saintes Écritures. La Bible, en effet, n'est pas pour lui un livre ordinaire, remarquable seulement par son antiquité, l'excellence de son contenu et la beauté de la forme littéraire de quelques-unes de ses parties. C'est un livre inspiré, écrit par les auteurs sacrés sous l'action du Saint-Esprit, contenant la parole que Dieu adressait aux hommes par ce moyen et confié à l'Église, qui a charge de l'interpréter, comme monument de la révélation divine. L'exégète catholique doit non seulement étudier la Bible avec foi, humilité et respect. Il est tenu encore de la recevoir comme l'œuvre de Dieu, qui ne peut se tromper ni tromper personne, et par suite comme absolument exempte de toute erreur, au moins dans le texte primitif, tel qu'il est sorti des mains des hagiographes. Voir Inspiration de l'Écriture. L'interprétation de la Bible, considérée comme livre divin, est donc soumise à des règles spéciales, qu'un exégète catholique doit connaître, suivre et appliquer. Il est donc nécessaire de les exposer ici et d'en justifier l'emploi. Or, ces règles particulières sont au nombre de trois. L'exégète catholique doit : I. Interpréter l'Écriture d'après le sens tenu par l'Église. II. Ne pas se mettre en contradiction avec le sentiment unanime des Pères de l'Église. III. Se conformer à l'analogie la foi.

De ces trois règles classiques, la première est de beaucoup la plus importante et la plus féconde ; les deux autres n'en sont guère qu'un cas particulier. Elles demanderont dès lors beaucoup moins d'explications.

I. Règle fondamentale : adopter le sens tenu par l'Église. — 1° Principe de cette règle. — Elle est fondée sur le droit que possède l'Église de juger du véritable sens de l'Écriture. En vertu du pouvoir que l'Église a reçu de Jésus-Christ, son fondateur, d'enseigner aux hommes les vérités révélées par Dieu, voir Église, t.iv, col. 2175 sq. elle a l'autorité de déterminer infailliblement la pensée divine, contenue dans les Écritures inspirées, et de juger les explications des Livres saints, proposées par les exégètes. Dès le IIe siècle, en face des hérétiques, qui tentaient de justifier leurs erreurs par des textes scripturaires, qu'ils interprétaient à leur guise, les Père sont affirmé le droit exclusif de l'Église d'expliquer infailliblement le sens des écrits inspirés, et ils ont adopté son interprétation. Ils ont déclaré qu'il était nécessaire d'apprendre la vérité révélée de la bouche des successeurs des apôtres, parce qu'ils avaient la mission de l'enseigner et de la transmettre sans péril d'erreur.

Saint Irénée, le premier Père de l'Église qui ait eu à discuter avec les hérétiques, en appelle souvent à la tradition apostolique, qui s'est transmise dans toutes les Églises par la succession ininterrompue des évêques pour expliquer l'Écriture. Celle-ci enseigne clairement

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les grandes vérités, par exemple, que Dieu a fait toutes choses par son Verbe. Cont. hær., 1. II, c. XXVII, n. 2, P. G., t. VII, col. 803. Mais elle est souvent obscure, ibid., c. XLVIII, col. 804-812, et elle a besoin d'être interprétée. Bien qu'elle soit une règle de la vérité, elle n'est pas l'unique règle de la foi. Elle ne contient pas toute la vérité. La plénitude de la vérité a été déposée dans l'Église par les apôtres. Les grandes vérités de la foi et du salut sont nettement enseignées par les Églises et transmises par la tradition. Si des doutes surgissent sur de petites questions, il faut recourir aux Églises d'origine apostolique. L. III, c. IV. n, 1, col. 855. Cette vérité est dans l'Église : Ubi charismata Domini posita sunt, ibi discere oportet veritatem, apud quos est ea quæ ab apostolis Ecclesiæ successit, et id quod est sanum et irreprehensibile conversationis et inadulteratum et incorruptibile sermonis constat. Ceux qui ont la foi en l'unique Dieu et dans l'œuvre de son Fils, ceux-là et Scripturas sine periculo nobis exponuni, neque Deum blasphémantes, neque patriarchas exhonorantes, neque prophetas contemnentes. L. IV, c. xxvi, n. 5, col. 1056. Les gnostiques n'ont pas conservé la vérité et ils expliquent mal l'Écriture, ou bien ils la rejettent ou ils la déclarent mensongère. Cum vero ad eam iterum traditionem, quæ est ab apostolis, quæ per successionem presbylerorum in ecclesils custoditur, provocamus eos,adversantur traditioni... Evenit itaque neque Scripturis neque traditioni consentire eos. L. III, c. i, n, 2, col. 845 sq. Cf. A. Dufourcq, Saint Irénée, Paris, 1905, p. 199-203 ; J. Hoh, Die Lehre des hl. Irenàus ûber das Neue Testament, Munster-en-Westphalie, 1919, p. 104-109 (qui discute l'opinion de Kunze, Glaubensregel, Hl. Schrift, Leipzig, 1899, p 101 sq.). Voir Irénée (Saint).

Dans son De præscriptionibus, Tertullien est très net sur le magistère de l'Église. Il oppose aux hérétiques une fin de non-recevoir dans leurs interprétations de l'Écriture. S'il y a des litiges, la tradition apostolique les tranchera, c. vi, vii, P. L., t. ii, col. 18, 19. Dans l'étude scientifique de l'Écriture, on ne doit pas perdre de vue la règle de la foi, c. xii, xiv, col. 26, 27. L'interprétation des Livres saints appartient à l'Église, aussi bien que leur conservation, c. xvii, xxxviii, xxxix, col. 30, 51, 92. Les hérétiques, qui n'acceptent pas la règle de la foi, que l'Église a reçue des apôtres, les apôtres du Christ, le Christ de Dieu, n'ont pas le droit d'interpréter les Écritures. Pour le faire dans leur sens, ils ajoutent, retouchent et modifient suivant leurs caprices, c. xxxvii, col. 50-51. Catholique, Tertullien a suivi ces principes, en expliquant le texte sacré ; devenu hérétique, il les a maintenus, mais la logique de l'erreur l'a entraîné, dans la pratique, à de fortes contradictions. A. d'Alès, La théologie de Tertullien, Paris, 1905, p. 242 ; J. Turmel, Tertullien, Paris, 1905, p. 43-57.

Clément d'Alexandrie, qui enseignait que l'Écriture est obscure et pleine de mystères, voir t. iii, col. 165-166, ne se bornait pas à dire que seul « le gnostique » chrétien pouvait la comprendre et expliquer ce que le Saint-Esprit avait dit obscurément, il ajoutait que le dépôt de la révélation est compris et manifesté par la tradition pieuse des apôtres du Seigneur. Les sens cachés et mystiques de l'Écriture, il faut les prêcher sur les toits, en expliquant les livres divins xaxà tov t5jç àXrfidcu. Strom., vi, 15, P. G., t. ix, col. 348.

Dans son homélie viii, n. 4, sur l'Épître aux Hébreux, P. G., t. lxiii, col 73-75, saint Chrysostome expose éloquemment à ses auditeurs comment ils pourront comprendre l'Écriture et comment, en face des hérétiques, qui l'expliquent diversement et qu'il nomme depuis Marcion jusqu'à Arius, il faut l'interpréter correctement. C'est un art qu'il est nécessaire

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d'apprendre, une doctrine qu'il faut suivre, en tenant la règle qui en a été donnée. Lui-même, il recherche le témoignage des autres, qui l'ont précédé, et il n'explique pas le texte sacré d'après quelques-uns seulement. C'est une manière discrète, mais claire pourtant, de dire qu'il y a une règle et qu'elle est commune dans l'Église catholique, la règle traditionnelle.

En étudiant personnellement les Livres saints, le grand docteur saint Jérôme ne recourait pas seulement à la grâce divine par la prière, il avait encore le culte de la tradition ecclésiastique. « Il s'en remettait si pieusement à l'autorité de la tradition, » a déclaré Benoit XV dans l'encyclique Spiritus Paraclitus du 15 septembre 1920, Acta apostolicæ sedis, 1920, t. xiii, p. 402, qu'il a pu affirmer avoir appris « tout ce qu'il sait, non par lui-même, c'est-à-dire auprès du maître très mauvais de la présomption, mais auprès des illustres hommes de l'Église. » (Epist., cviii, n. 26, P. L., t. xxii, col. 902). Il avoue, en effet, que jamais il ne s'est fié à ses propres forces en lisant les saints Livres (Ad Dominum et Rogalianum in l. 1. Par., præf. t. xxix, col. 401). Et voici comment dans une lettre, à Théophile d'Alexandrie (Epist., lxiii, n. 2, t. xxii, col. 607), il formule la loi suivant laquelle il avait ordonné sa vie et ses saints labeurs : « Sachez pourtant que nous n'avons rien plus à cœur que de sauvegarder les droits du christianisme, de ne rien changer au langage des Pères et de nous souvenir toujours de cette foi romaine louée par la bouche de l'apôtre. » La semence sainte, prédite par Isaïe, vi, 13, devait faire pulluler des apôtres sur toute l'Église. In Is., 1. III, c. vii, t. xxiv, col. 161. Cf. F. Valente, S. Girolamo e l’encyclica Spiritus Paraclitus, etc., Rome, s. d. (1921), p. 129-130.

Pour saint Augustin, l'Écriture est une règle de foi, quand elle est claire : Quidquid est, mihi crede, in Scripturis, altum et divinum est. De utilitate credendi, c. vi, 13, P. L., t. xxxiv, col. 74. Mais l'Écriture est parfois obscure, et quelques-uns de ses termes sont à tout le moins ambigus. Quand l'exégète se trouvera en présence de ces termes et ne pourra percer leurs obscurités que devra-t-il faire ? Consulat regulam fidet quam de Scripturarum planioribus locis et Ecclesiæ auctoritate percepit, conclut le docteur d'Hippone. De doctrina christiana, 1. III, c. ii, n. 2, P. L., t. xxxiv, col. 65. L'Écriture n'est donc pas une règle de foi parfaite et unique, l'autorité de l'Église est une règle de foi supérieure qui expliquera les obscurités de l'Écriture. D'autre part, l'abus que les hérétiques font de l'Écriture, en y cherchant un appui à leurs erreurs, oblige à soumettre l'interprétation de celle-ci à la règle de la foi de l'Église : Quoniam multi hæretici ad suam sententiam, quæ præter fidem est catholicæ disciplinæ, expositionem Scripturarum divinarum trahere consueverunt, ante tractationem hujus libri (la Genèse) catholica fides breviter exponenda est. De Genesi ad litteram, imperfectus liber, n. 1, t. xxxiv, col. 221. L'autorité de l'Église résulte de ce que son enseignement provient du Christ et des apôtres. Sequere viam catholicæ disciplinæ, quæ ab ipso Christo per apostolos ad nos usque manavit et ab hinc ad posteros manatura est, disait Augustin à Honorat, qu'il voulait retirer de l'erreur manichéenne. De utilitate credendi, c. viii, 20, t. xlii, col. 79. Cf. L. Moirat, Notion augustinienne de l'herméneutique, Clermont-Ferrand, 1906, p. 70-80.

Saint Vincent de Lérins connaît deux moyens d'éviter les pièges des hérétiques : l'autorité de la loi divine et la tradition de l'Église catholique. Si quelqu'un dit que l'autorité du canon biblique suffit et qu'il n'est pas nécessaire d'y joindre l'autorité de l'intelligence que l'Église en a, il répond : Quia videlicel Scripturam sacram pro ipsa sua altitudine non uno eodemque sensu universi accipiunt, sed ejusdem

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eloquia aliter atque aliter alius atque alius interpretatur, ut pene quot homines sunt, tot illius sententiæ erut posse videantur et il nomme les hérétiques Novatien, Sabellius, Donat, Arius, Eunomius, Macedonius, Photius, Apollinaire, Priscillien, Jovinien, Pélage, Célestius, enfin Nestorius, qui interprètent diversement l'Écriture en faveur de leurs erreurs. Il en tire cette conclusion : Atque idcirco multum necesse est, propter tantos tam varii erroris anfractus, ut propheticæ et apostolicæ interpretationis linea secundum ecclesiastici et catholici sensus normam dirigatur. In ipsa item catholica Ecclesia magnopere curandum est ut id teneamus quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditum est. C'est le propre des catholiques de suivre cette règle célèbre dans l'interprétation de l'Écriture. Commonitorium Ium, n. 2, P. L., t. L., col. 640.
Les théologiens n'ont pas manqué, à l'occasion, de soumettre l'interprétation de l'Écriture à la règle de la foi et à l'autorité de l'Église. Durand de Saint-Pourçain contient cette interprétation dans une juste mesure : videlicet, ut non subtrahatur fidei, quod sub fide est, nec attribuatur fidei illud, quod sub fide nori est. Utroque enim modo mensura fidei exceditur et a continentia sacræ Scripturæ, quæ fidei mensuram exprimit, deviatur. Aussi avec l'aide de Dieu, il veut suivre cette manière d'agir, il n'écrira ni n'enseignera rien qui soit en désaccord avec l'Écriture et parce que l'interprétation des passages douteux de l'Écriture appartient à l'Église catholique romaine, il lui soumet son livre et tous ses autres ouvrages. In IV Sent., præf., où il traite de l'excellence de l'Écriture, Lyon, 1563, fol.

Alain de Lille attribuait au souverain pontife le pouvoir et le droit d'interpréter l'Écriture. Pour lui, le royaume des cieux, dont parle l'Évangile, représentait quatre choses différentes, le Christ, l'Écriture sainte, l'Église et la vie éternelle. Or, les clefs qui ouvrent le royaume des cieux ont été confiées à Pierre. De même que Pierre ouvre aux âmes la porte du royaume des cieux, ainsi leur ouvre-t-il la seconde porte des cieux, c'est-à-dire l'Écriture. Et comment le souverain pontife le fait-il ? D'une manière pratique plutôt que théorique, en exerçant son autorité sur les consciences. Ainsi en absolvant un pénitent, en remettant la peine due au péché, il montre le nombre des péchés et aussi la convenance et la différence des péchés pour faire comprendre ainsi l'Écriture. Sent., n. 127, P. L., t. ccx, col. 245.

Gerson tenait l'Ecriture comme une règle de la foi, contre laquelle l'intelligence humaine ne peut raisonner. Cette règle est commune aux catholiques et aux hérétiques. Les livres de l'Ancien Testament ont été interprétés dans le Nouveau par des hommes, qui n'avaient pas seulement l'érudition humaine, mais encore, la révélation divine et l'inspiration du Saint-Esprit. Il faut recourir à ces interprètes et aux docteurs postérieurs, remarquables par la doctrine et la piété, si l'on veut bien interpréter l'Écriture. L'explication de celle-ci donnée per novellos homines d'après les seules formules scripturaires et sans recours aux explications précédentes, est pleine de périls et de scandales. De là sont venues et croissent chaque jour les erreurs des Béghards, des Pauvres de Lyon et autres hérétiques semblables, dont beaucoup sont des laïques, n'ayant qu'une traduction de la Bible en langue vulgaire. Scriptura sacra in sui receptione et expositione authentica finaliter resolvitur in aucloritatem, receptionem et approbationem universalis Ecclesiæ, præsertim pri-mitivæ, quæ recepit eam et efus intellectum a Christo, sive Spiritu Sancto in die Pentecostes et alias pluries. Contra hæresim de communione laicorum in utraque specie, Opéra omnia, Anvers, 1706, t. i, p. 457 sq.

Les sectes du xve siècle, les wycliffistes, les lollards et les hussites, ainsi que tous les précurseurs de la

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Réforme professaient strictement et pratiquaient le principe de l'Écriture, seule règle de la foi, et déclaraient qu'il fallait rejeter tout ce que les Pères avaient pensé et dit en dehors de l'Écriture et qu'on devait condamner ce que le pape et l'Église enseignaient, si cela n'était prouvé par l'Écriture. L'interprétation de la Bible par elle-même et par elle seule avait produit une telle variété de sens que le fameux prédicateur strasbourgeois, Geiler de Kaisersberg, comparait l'Écriture à un nez de cire, auquel on donne toutes les formes. Cet abus d'interprétations libres n'avait fait que sepropager au début du xvre siècle. Catholiques et protestants entendaient le texte sacré chacun à sa guise et sans règle comme sans autorité. Le concile de Trente eut, en 1546, à s'en préoccuper et à réagir là-contre, d'après les principes catholiques.
Le 8 avril 1546, à sa IVe session, le concile de Trente promulgua un décret De editione et usu sacrorum Librorum. Après le début du décret, qui déclarait la Vulgate authentique, le concile ajoutait, au sujet de l'interprétation de l'Écriture :

 
Præterea, ad coercenda petulantia ingénia, decernit (sancta synodus) ut nemo suæ prudentiæ innixus, in rébus fidei et morum ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium, sacram Scripturam ad suos sensus contorquens, contra eum sensum, quem tenuit et tenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare de vero sensu et interpretatione Scripturarum sanctarum, aut etiam contra unanimem consensum Patrum, ipsam Scripturam sacram interprétari audeat, etiamsi hujusmodi interprétationes nullo unquam tempore in lucem edendæ forent. Qui contravenerint, per ordinarios declarentur et pænis a jure statutis puniantur.
En outre, afin de contenir les esprits insubordonnés, le saint concile décrète que, sur les choses de la foi et des mœurs qui rentrent dans l'édifice de la doctrine chrétienne, personne n'ose, appuyé sur sa propre science, plier l'Écriture à ses propres sentiments et l'interpréter contrairement au sentiment qu'a tenu et que tient notre sainte mère l'Église, à qui il appartient de juger du vrai sens et de l'interprétation des saintes Écritures, ou même contrairement au consentement unanime des Pères, alors même que ces interprétations ne devraient jamais être publiées en aucun temps. Les contrevenants seront dénoncés par les ordinaires et punis des peines établies par le droit.

Denzinger-Bannwart, Enchiridion, 1921, n. 786 ;

Dans la profession de foi dite de Trente, que Pie IV publia, le 13 novembre 1564, dans la bulle Injunctum nobis, ce pape introduisit, sous une forme positive, la doctrine que le concile avait énoncée sous forme négative.
 
Item, sacram Scripturam juxta eum sensum, quem tenuit et tenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare de vero sensu et interpretatione sacrarum Scripturaram, admitto, nec eam unquam, nisi juxta unanimem consensum Patrum accipiam et interpretabor.
De même, j'admets la sainte Écriture selon le sens, que la sainte mère Église a tenu et tient, elle dont c'est le droit de juger du vrai sens et de l'interprétation des saintes Écritures, et je ne la recevrai et interpréterai jamais que selon le consentement unanime des Pères.

Denzinger-Bannwart, n. 995 ;

Le décret du concile de Trente, dont nous expliquerons le sens plus loin, fut renouvelé et précisé par le concile du Vatican. Dans le § 4e du c. ii, De revelatione, de la constitution dogmatique Dei Filius, promulguée à la IIIe session, le 24 avril 1870, on lit :
 
Quoniam vero, quæ sancta Tridentina synodus de interpretatione divinæ Scripturæ ad coercenda petulantia ingénia salubriter decrevit, a quibusdam hominibus prave exponuntur, nos idem
Mais parce que ce que le saint concile de Trente a salutairement décrété sur l'interprétation de la divine Écriture pour contenir les esprits insubordonnés, a été mal expliqué par quelques

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decretum rénovantes banc illius mentem esse déclaramus, ut in rébus fldei et morum ad ædificatlonem doctrinæ christianæ pertinen-tium is provero sensu sacræ Scripturæ habendussit.quem tenuit ac tenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare de vero sensu et interpretatione Scripturarum sanctarum ; atque ideo nemini licere contra hune sensum aut etiam contra unanimem consensum Patrum ipsam Scripturam sacram interpretari.
hommes, nous, renouvelant le même décret, nous déclarons que son esprit est celui-ci, que, dans les choses de la foi et des mœurs qui appartiennent à l'édifice de la doctrine chrétienne, on tienne pour le vrai sens de la sainte Écriture celui qu'a tenu et que tient la sainte mère Eglise à qui il appartient de juger du vrai sens et de l'interprétation des saintes Écritures ; et que dès lors il n'est permis à personne d'interpréter l'Écriture contre ce sens ou encore contre le consentement unanime des Pères.

Denzinger-Bannwart, n. 1788.

Dans l'encyclique Providentissimus Deus sur les études bibliques, du 18 novembre 1893, Léon XIII, après avoir rappelé, dans les règles d'herméneutique qu'il trace aux professeurs d'exégèse, l'existence de sens spirituels qui, dans l'Écriture, par la volonté du Saint-Esprit, se superposent au sens littéral, conclut qu'on ne peut pas douter que les Livres saints ne soient enveloppés d'une certaine obscurité religieuse, et que personne ne puisse y pénétrer si quelqu'un ne lui montre la voie. « Dieu l'a ainsi voulu, » comme le pensent généralement les Pères, pour que les hommes scrutassent les saintes Lettres avec plus de soin..., et qu'ils comprissent que Dieu a confié les Écritures à l'Église, et qu'ils la suivissent, comme on suit un maître très sûr, dans la lecture et l'étude des paroles divines. Car il faut apprendre la vérité là où résident les dons surnaturels du Seigneur, et les Écritures sont expliquées sans péril par les dépositaires de la succession apostolique, comme le disait déjà saint Irénée (voir col. 2290,) dont le concile du Vatican a embrassé la pensée, qui est celle des autres Pères, lorsque, renouvelant le décret du concile de Trente sur l'interprétation de la parole divine écrite, « il a déclaré que, son esprit est celui-ci, que, dans les choses de la foi et des mœurs qui appartiennent à l'édifice de la doctrine chrétienne, on tienne pour vrai sens de la -sainte Écriture, celui qu'a tenu et que tient la sainte mère l'Église, à qui il appartient de juger du vrai sens et de l'interprétation des saintes Ecritures, et que, dès lors, il n'est permis à personne d'interpréter l'Écriture contre ce sens, ni même contre le consentement unanime des Pères. »

La conclusion est celle-ci : « En conséquence, l'exégète catholique regardera comme son devoir principal et sacré, d'adopter exactement le sens donné à certains passages scripturaires par une déclaration authentique, soit qu'elle provienne, comme en beaucoup d'endroits du Nouveau Testament, des auteurs sacrés et du Saint-Esprit qui les inspirait, soit qu'elle provienne de l'Église, assistée par le même Esprit Saint et se prononçant » par un jugement solennel ou par son magistère ordinaire et universel. » (Concile du Vatican, sess. III, const. De flde, c. iii). Denzinger-Bannwart, n. 1942 ; au complet dans Cavallera, Thésaurus, n. 68, 70-73.

Le 25 novembre 1898, dans une lettre au ministre général des frères mineurs, Léon XIII mettait les exégètes catholiques en garde contre l'orgueil, la légèreté et l'imprudence qui portaient quelques-uns à adopter un genre d'interprétation audacieux et immodérément libre ou à favoriser les explications intempérantes d'exégètes non catholiques, qui corrompent les Écritures plutôt qu'elles ne les expliquent, et il rappelait les règles catholiques d'exégèse, qu'il avait tracées dans l'encyclique. Providentissimus Deus et

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qu'aucun catholique ne devait négliger. Acta Sanctæ Sedis, t.xxxi, p. 264.

Un peu plus tard, le 8 septembre 1899, s'adressant à tout le clergé français, le même pontife appelait de nouveau son attention, au sujet de l'étude des saintes Écritures, sur la même encyclique, que les professeurs devaient faire connaître et expliquer à leurs élèves. Les professeurs mettront spécialement leurs disciples » en garde contre des tendances inquiétantes qui cherchent à s'introduire dans l'interprétation de la Bible, et qui, si elles venaient à prévaloir, ne tarderaient pas à en ruiner l'inspiration et le caractère surnaturel. » Dans son encyclique, il a fait justice de ces dangereuses témérités. « Tout en encourageant nos exégètes à se tenir au courant des progrès de la critique, nous avons fermement maintenu les principes sanctionnés en cette matière par l'autorité traditionnelle des Pères et des conciles, renouvelés de nos jours par le concile du Vatican. » Ibid.

Dans ses lettres apostoliques, du 27 mars 1906, sur l'enseignement de l'Écriture dans les séminaires, Pie X rappelle dans le 13e article du règlement qu'il trace et impose, les sages règles de son prédécesseur relatives à l'interprétation de la Bible : Doctor sacræ Scripturæ tradendæ sanctum habebit nunquam a com muni doctrina ac traditione Ecclesiæ vel minimum discedere. Utique vera scientiæ hujus incrementa, quæcumque recentiorum sollertia peperit, in rem suam convertet, sed temeraria novatorum commenta negliget. Idem eas dumtaxat quæstiones tractandas suscipiet quarum tractatio ad intelligentiam et defensionem Scripturarum conducat ; denique rationem magisterit suiadeas normas diriget, prudentiæ plenas, quæ litteris encyclicis Providentissimus continentur. Acta Pii X, t.iii, p.75.

Nous signalerons plus loin plusieurs propositions des modernistes, qui concernent l'interprétation de l'Écriture et que le Saint-Office a condamnées dans son décret Lamentabili, du 3 juillet 1907.

Enfin, dans la conclusion de l'encyclique Spiritus Paraclitus, du 15 septembre 1920, Benoît XV déclare qu'il n'a pas seulement renouvelé et complété les enseignements de Léon XIII sur l'inspiration de l'Écriture et l'inerrance biblique, il recommande encore au clergé et au peuple chrétien d'observer avec grand soin lesprincipes qui sont exposés par Léon XIII dans l'encyclique Providentissimus et par lui-même dans cette encylique. Acta apostolicæ sedis, 1920, t. xiii, p. 422 ; Denzinger-Bannwart, Enchiridion, 1921, n. 2188 (à la fin).

2° Significalion et portée de cette règle. — Elles résultent des déclarations des conciles de Trente et du Vatican et des déclarations des souverains pontifes, Pie IV, Léon XIII et Pie X.

1. Le 5 mars 1546, les Pères de Trente, réunis en congrégation générale, avaient nommé une commission pour signaler les abus qui existaient alors touchant les Écritures et les remèdes qu'il fallait y apporter. Les théologiens désignés s'assemblèrent, le 8 et le 9 du même mois, et échangèrent de nombreuses observations. L'une d'elles porte sur l'interprétation et l'enseignement de l'Écriture faite par des indocti sans autorité. A. Theiner, Acta concilii Tridentini, Agram, 1874, t. i, p. 63-64 ; S. Merkle, Concilium Tridentinum, Fribourg-en-Brisgau, t. i, p. 36. Le 17 mars, l'archevêque d'Aix lut, en réunion plénière, le texte des abus signalés et des remèdes proposés.

« Le troisième abus est que, dans les choses de la foi et des mœurs qui entrent dans l'édifice de la doctrine chrétienne, sous prétexte que la parole de Dieu est facile, n'importe qui, sans autre appui que sa propre sagesse, pliant l'Écriture à sa propre pensée au lieu de rendre la pensée de l'Écriture, l'interprète, soit publiquement soit en particulier, contre le sens qu'a toujours tenu jusqu'à ce jour et que

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tient encore notre sainte mère l'Église et contre le consentement unanime des Pères.

Le remède est que, dans les choses de la loi et des mœurs qui entrent dans l'édifice de la doctrine chrétienne, il ne soit permis à personne en interprétant la sainte Écriture de se séparer sous aucun prétexte, soit en public soit en particulier, du sentiment de notre sainte mère l'Église, à qui il appartient de décider de la véritable interprétation et du sens des saintes Écritures, ou même du consentement unanime des Pères, sous les peines que le saint synode déterminera. A. Theiner, op. cit., t.i, p. 65 ; Et. Ehses, Concilium Tridentinum, 1911, t. v, p. 29.

Dans son IIIe Journal Massarelli a résumé cet abus en ces termes: Tertius est, quem libet interpretare ad suum sensum sacram Scripturam. Remedium est, ut nemini liceat. S. Merkle, op. cit., t. i, p. 436.

La discussion commença et fut continuée. Le cardinal de Trente déclara qu'il fallait statuer que l'Église seule devait interpréter l'Écriture. Le cardinal de Jæn opina que, dans le remède de cet abus, il fallait expliquer quelles personnes avaient, dans l'Église, l'autorité nécessaire pour interpréter l'Écriture. A son avis, seuls les docteurs et les maîtres approuvés par une université avaient ce droit ; il fallait, en outre, interdire absolument aux laïques de le faire en public ou en particulier ; enfin, il vaudrait mieux expliquer les paroles saintes d'après le sentiment de l'Église, afin de ne pas s'exposer à le faire d'après son sentiment propre. La majorité se rangea à l'avis du cardinal de Jæn au sujet de l'interdiction absolue aux laïques et de la restriction aux gradués parmi les ecclésiastiques eux-mêmes. Mais le projet de décret, rédigé d'après un rapport de l'évêque de Bitonto, ne détermina pas quelles personnes avaient le droit d'interpréter l'Écriture. On ne pouvait interdire l'explication faite privatim ; si, pour le faire en public, il fallait être docte, il n'était pas nécessaire d'être docteur. Saint Jérôme n'avait aucun grade académique, et l'Esprit Saint souffle où il veut.

L'évêque de Sassaris opina le premier que celui qui Interprétait l'Écriture dans son sens propre, était un hérétique et ne commettait pas seulement un abus. Plusieurs Pères répétèrent à sa suite qu'une telle interprétation était une hérésie, et non un abus. L'évêque de Sebenico en concluait qu'on devait procéder contre de tels interprètes comme on procède contre les hérétiques. Ces Pères visaient évidemment les interprétations qui auraient été contraires à des définitions formelles de l'Église sur le sens de l'Écriture. L'évêque des Canaries dit que les commentaires écrits devaient être approuvés, avant d'être édités. L'évêque de Chioggia distingua deux manières d'interpréter l'Écriture contrairement au sentiment commun de l'Église : la première et la principale se rencontre, quand l’Eglise a déjà dit son sentiment et la seconde, quand elle ne l'a pas fait. Dans ce dernier cas, il n'y a pas d'hérésie. Le remède à l'abus consistant à ne permettre l'interprétation de l'Écriture qu'à quelques personnes n'est pas bon ; car le Saint-Esprit est le seul docteur de l'interprétation de la Bible, qui par suite n'est ni un privilège ni une licence.

Le 7 avril, le décret qui avait été rédigé par la commission fut lu et fut approuvé, sans changement, même par le cardinal de Jæn, qui consentit à ce que les laïques ne fussent pas exclus du droit d'interpréter l'Écriture. Ehses, t. iv, p. 82, 84-86.

C'est là tout ce que les Actes du concile nous apprennent sur la discussion de ce décret. Le concile ne changea donc rien au droit des laïques ; il ne détermina pas de peines à infliger aux contrevenants, sinon celles que le droit ancien avait établies. Mais, d'autre part, il n'expliqua pas le sens des mots : in rébus fidei et morum ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium, qui apparaissent, dès le 17 mars 1546, dans

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la rédaction du troisième abus et de son remède, et qui seront discutés par les théologiens après le concile du Vatican. Ces Actes ne nous fournissent donc rien qui serve à déterminer le sens précis que le concile donnait à ces paroles et à résoudre la discussion des théologiens postérieurs. Enfin, le décret du concile de Trente avait une forme négative : il n'obligeait pas positivement les exégètes catholiques à adopter le sens de l'Écriture tenu par l'Église ou conforme au sentiment unanime des Pères ; il défendait seulement d'interpréter les textes sacrés, dans les choses de foi et de mœurs qui appartiennent à l'édifice de la doctrine chrétienne, contrairement au sens ainsi fixé.

2. Pie IV, dans la profession de foi qu'il imposa après la clôture du concile de Trente, donna une formule positive à la doctrine du concile sur l'interprétation de l'Écriture. Il fit promettre d'admettre le sens tenu par l'Église et de n'interpréter l'Écriture que selon le consentement unanime des Pères. D'autre part, il supprima les mots restrictifs : in rébus fidei et morum, suppression qui s'explique sans doute par l'intention d'abréger le texte conciliaire, plutôt que par celle d'en modifier l'objet.

3. Le concile du Vatican renouvela le décret de Trente ; mais il en précisa le sens, en lui donnant une forme positive et il y maintint les termes restrictifs : in rébus fidei et morum, etc., sous-entendus dans la profession de foi de Pie IV.

a) Occasion du décret. — Le schéma de constitution dogmatique sur la doctrine catholique, rédigé par Franzelin, nous la fait connaître : El quia non désuni petulantia ingénia, a quibus Scriptura sacra ad aliénos sensus detorquetur, contra eum sensum quem tenuit et tenet sancta mater Ecclesia, hinc rénovantes quæ a sacra Tridentina synodocirca Scripturæ interpretationem scripta fuerunt... Collectio Lacensis, t. vii, col. 508-509. Une note, annexée à ce schéma, expliquait la raison de ce renouvellement du décret. En le portant, le concile de Trente n'avait pas établi une loi nouvelle, comme Pallavicini l'a très bien prouvé dans son Histoire du concile de Trente, 1. VI, c. xviii, n. 3 sq. ; il a seulement déclaré l'obligation qui résulte pour tous les fidèles de l'infaillibilité reconnue à l'Église, quand elle interprète l'Écriture. Quelques critiques récents ont donc mal compris ce décret qu'ils détournaient témérairement de son sens réel. Quelques-uns prétendaient qu'il était de pure discipline et qu'il n'avait pas été porté pour tous les temps, mais seulement pour les circonstances dans lesquelles il a été édité. D'autres ont soutenu que le concile défend seulement d'interpréter l'Écriture contre le sens tenu par l'Église, de telle sorte qu'il est seulement interdit, en interprétant l'Écriture, d'exclure ou de nier quelque dogme de la foi défini par l'Église. Ainsi, quoique l'Église ait défini que le texte de saint Jacques, v, 14, concerne le sacrement de l'extrême onction, toutefois ce sens n'est pas nécessairement une règle d'interprétation de ce passage, et on pourrait dire que ce texte ne parle pas de l'extrême onction, pourvu qu'on ne nie pas ce dogme de l'Église. Il est donc nécessaire, ad hujusmodi ingénia coercenda, de déterminer la signification du décret de Trente, de façon à exclure ces deux erreurs, en établissant que le décret n'est pas disciplinaire, mais dogmatique, et qu'il n'exclut pas seulement une interprétation qui serait en contradiction avec un dogme, mais que l'Église a défini réellement que c'est le véritable sens de l'Écriture. Ibid., col. 523.

La même raison de renouveler le décret de Trente était donnée dans le schéma remanié par Mgr Martin, évêque de Paderborn : parce que les termes de ce décret a quibusdam hominibus prave exponuntur. Ibid., col. 1629. De fait, cette raison fut signalée dans le schéma proposé à l'examen des Pères du concile. Ibid , col. 72.

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Dans son rapport sur ce paragraphe de la constitution, Mgr Gasser faisait observer qu'il renouvelait le décret de Trente et qu'il en expliquait plus exactement l'esprit, afin de proscrire deux erreurs. Celle qui prétend que le décret de Trente est purement disciplinaire est écartée dans une constitution dogmatique où l'on affirme que l'on renouvelle un décret que, le concile de Trente avait salutairement porté. La seconde erreur est celle des auteurs qui distinguent entre l'interprétation dogmatique proposée par l'Église et le dogme qui, au sentiment de l'Église, se trouve dans un passage biblique. Ils prétendent que l'exégète catholique satisfait au décret de Trente, même quand il s'écarte de l'interprétation de l'Église catholique, pourvu qu'il ne rejette pas le dogme qui, au sentiment de l'Église, est contenu dans ce passage de la Bible. Pour proscrire cette erreur, il est dit que, dans les choses de la foi et des mœurs, le véritable sens de l'Écriture est celui qu'a tenu et que tient notre sainte mère l'Église. Ibid., col. 143-144.

Cette seconde erreur, avait été soutenue par quelques critiques catholiques d'Allemagne. J. Jahn avait enseigné à Vienne, dès 1818, que le concile de Trente avait seulement défendu aux exégètes de mépriser le magistère de l'Église catholique et par conséquent de détourner l'Écriture sainte à leur propre sentiment. Introductio in libros sacros Veleris Fœderis. 2e édit., revue par Ackermann, Vienne, 1830, part. I, §91, p. 88-89. D'autre part Arigler, Hermeneutica Bibliorum generalis, Vienne, 1813, p. 31-32, ouvrage publié de nouveau à Leipzig, par un anonyme en 1822, et Lang, Patrologie, Bade, 1859, p. 279, distinguaient entre l'interprétation dogmatique que l'Église fait d'un texte biblique et le dogme qui, au jugement de l'Église, serait exprimé dans ce texte. Un interprète catholique ne contreviendrait pas au décret de Trente, lors même qu'il rejetterait l'interprétation de l'Église, pourvu qu'il ne niât pas le dogme défini, et ils citaient l'exemple du texte de saint Jacques, mentionné par Franzelin.

b) Élaboration du texte du décret. — La déclaration proposée par Franzelin pour préciser le décret de Trente énonçait : In rébus fidei et morumad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium illum sacræScripturæ sensum verum habendum esse, quem ab Ecclesia, infallibili verbi Dei custode ac interprete, vel unanimi consensione Palrum declaratum aut définitum esse constiterit. Collectio Lacensis, t. vii col. 509 et 523. Ce théologien proposait donc déjà de substituer à la formule négative de Trente une formule positive, qui obligeait de tenir pour le véritable sens de l'Écriture celui que l'Église infaillible avait déclaré ou défini. Le schéma, remanié par Mgr Martin, conservait cette formule positive pour expliquer l'esprit du concile de Trente : Idem decretum (celui de Trente) hocapprobante concilio rénovantes, hanc ejus mentem esse definimus, ut in rébus fidei et morum, is pro vero Scripturæsensus habendus sil, quem tenuit ac tenet S. mater Ecclesia aut quem SS. Patrum consensus communis attestatur. Ibid., col 1629. La députation de la foi faisait observer, dans une note annexée, que le concile de Trente, par la forme négative de son décret, avait suffisamment indiqué que le sens de l'Écriture ainsi déclaré était le véritable sens et devait être tenu pour le vrai sens, et que Pie IV, dans sa profession de foi, avait déjà adopté la forme positive de l'affirmation. Ibid., col. 80.

Plusieurs amendements furent proposés au sujet de cette rédaction. L'un d'eux substituait au texte le suivant : Et quia non désuni petulantia ingénia a quibus Scriptura sacra ad alienos sensus detorquetur contra eum sensum, quem tenuit ac tenet sancla mater Ecclesia, hinc innovantes quæ a S. Tridentina synodo circa Scripturæ sacræ interpretationem præcepta fuere,

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declaramus, in rébus fidei et morum, ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium, illum Scripturæsacræ verum habendum esse, quem ab Ecclesia infallibili verbi Dei custode ac interprete vel etiam unanimi consensione Patrum declaratum aut definitum esse constiterit. Un autre demandait l'omission des mots in rébus fidei et morum. Un troisième disait qu'il ne convenait pas de laisser voir qu'on avait corrigé le décret de Trente. D'autre part, tenir le sens que l'Église a tenu et tient n'est pas pratiquement une règle adéquate d'interprétation, quoi qu'on dise dans les notes, et la profession de foi de Pie IV y ajoute aussitôt, comme le concile de Trente, le consentement unanime des Pères. Aussi trois autres évêques demandent d'ajouter la mention de ce consentement, que la députation de la foi avait supprimé. Ibid., col. 124.
Dans son rapport, Mgr Gasser discuta les amendements proposés. Aucune question n'a été plus fortement discutée dans les séances de la députation de la foi que celle de la forme à donner au décret. La forme négative a été écartée parce qu'elle ne suffisait pas à proscrire l'erreur que l'on voulait condamner. La formule positive suivant laquelle le sens d'un passage biblique est celui que l'Église a tenu et tient, ou encore celui que tient le consentement unanime des Pères, aurait pu être adoptée, car elle condamne très bien l'erreur qu'on veut proscrire et elle est certainement aussi dans l'esprit du concile de Trente. D'après Pallavicini, les Pères de Trente voulaient, en effet, imposer le sens biblique ainsi qualifié, et si néanmoins ils ont adopté la forme négative, ce fut pour exprimer avec quelque précision que l'interprète catholique peut en toute liberté proposer un nouveau sens d'un texte biblique, tant qu'il n'a pas constaté que l'esprit de l'Église, ou le consentement unanime des Pères, n'a pas défini dogmatiquement, comme nous disons, un passage de la Bible. La formule aurait donc pu être adoptée, et elle l'a été dans la profession de foi de Pie IV, qui est l'explication authentique du décret de Trente.

Cependant cette formule n'a pas été acceptée, ni dans les congrégations où on a discuté le premier schéma, ni par la majorité dans les réunions de la députation de la foi, et cela pour deux causes. La première est que quelques Pères ont pensé que cette règle positive restreignait par une loi nouvelle la liberté de l'exégète catholique. La seconde est qu'ainsi on constituait comme deux tribunaux, celui de l'Église définissant dogmatiquement un passage biblique, et un tribunal de jugement privé, celui du consentement unanime des Pères, qu'il aurait fallu tenir obstinément, même contre le sens défini par l'Église.

La députation de la foi a donc déterminé que le sens tenu par l'Église était le véritable sens de l'Écriture, en ne mentionnant pas les Pères, pour écarter ainsi au moins une des difficultés précédemment rapportées. Mais cette forme déplut vivement à la minorité de la députation de la foi et aussi à plusieurs Pères dans les congrégations générales.

La députation présenta donc une nouvelle formule : Declaramus decretum hoc rénovantes, hanc illius (scilicet decreti) esse mentem, ut in rébus fidei et morum, ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium, is pro vero sensu sacræ Scripturæ habendus sit quem tenuit ac tenet sancta mater Ecclesia, cujus est judicare de vero sensu et interpretatione sacrarum Scripturarum, atque ideo nemini licere contra hune sensum, aut etiam contra unanimem consensam Patrum ipsam Scriptu-ram sacram interpretari. La formule nouvelle était, pour ainsi dire, double : la première partie proscrivait directement l'erreur qu'on voulait condamner, la seconde reproduisait simplement la formule négative du concile de Trente.

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Cela étant, les amendements proposés nepouvaient être approuvés. En particulier, on ne pouvait omettre les mots in rébus, etc., il n'y avait aucune raison suffisante de le faire, surtout si l'on voulait conserver intégralement le texte du concile de Trente.

Le nouveau texte, proposé par Mgr Gasser fut admis par tous, à l'exception d'un petit nombre de Pères. Cette modification adoptée, il n'y avait plus lieu de voter sur les autres amendements, qui ne furent pas soumis au vote. Ibid., col. 144-147.

Après le vote de ce nouveau texte, un Père demanda la suppression des mots restrictifs : in rebus fidei et morum, etc., et il justifia longuement sa proposition. L'Église est, sans aucune exception, l'interprète infaillible de la révélation divine qui est contenue dans l'Écriture et la tradition. Cette divine prérogative d'interprétation parait être restreinte aux seules matières exprimées par ces mots, comme si elle ne valait pas pour les autres matières. Si ces termes ne sont pas exclusifs, mais significatifs, ils excluent les matières qui ne sont pas indiquées, ou ils les révoquent au moins en doute. Si on répond que tout le contenu de l'Écriture appartient à la foi et aux mœurs, la spécification faite des choses de la foi et des mœurs est absolument superflue et vaine. Ensuite, si on restreint l'interprétation de l'Église à ces choses de la foi et des mœurs dans l'interprétation des autres matières par exemple, des récits historiques et autres, on laissera à chacun la liberté d'interpréter la très sainte parole de Dieu avec une licence effrénée, surtout en ces temps de tempête où mythistes, rationalistes et mille autres erreurs ramènent presque toute l'Écriture à des fables. On dira peut-être que l'infaillibilité de l'Église ne porte que sur les choses de la foi et des mœurs, qu'en cela seulement nous sommes obligés de suivre son interprétation, mais que pour tout le reste nous sommes libres. Au contraire, tout ce qui est révélé est objet de foi et la révélation est contenue dans l'Écriture, à laquelle nous devons donner notre assentiment. Par conséquent, l'Écriture tout entière est soumise au jugement de l'Église, d'après l'affirmation de saint Paul, II Tim., iii, 16. Enfin ces mots sont empruntés au concile de Trente. Or ce concile ne les a pas employés, quand il a parlé du droit d'interprétation de l'Église comme s'il posait des barrières à l'exercice de son pouvoir infaillible ; il les a employés pour indiquer la matière sur laquelle les esprits insubordonnés qu'il voulait contenir détournaient l'Écriture à leur sens dépravé et ainsi l'offensaient très gravement. Ibid., col. 226.

Mgr Gasser discuta cet amendement en congrégation générale. L'objection est d'importance et l'évêque de Brixen demanda l'autorisation de s'y arrêter, d'autant que, par suite d'une inadvertance de la députation de la foi, la formule discutée avait été omise dans le texte imprimé soumis aux Pères. L'omission fut vite réparée, du reste. L'auteur de l'amendement demande que ces mots ne soient pas employés au sujet du sens véritable de l'Écriture qu'un catholique doit accepter. On ne peut pas les retrancher, puisqu'ils se lisent dans le décret de Trente. Mgr Gasser discute les arguments proposés. Quant au premier, il concède que l'Église a le droit de juger du véritable sens de l'Écriture, non seulement dans les choses de la foi, c'est-à-dire dans les dogmes spéculatifs, et dans les choses des mœurs, mais encore dans les vérités historiques, etc. Mais il nie la conséquence qui en est tirée.

Ces mots, ajoute-t-on, sont équivoques et n'ont pas dans la constitution Dei Filius le même sens que dans le décret de Trente. Ce concile, dit-on, les emploierait seulement pour indiquer les matières dans lesquelles il voulait arrêter les esprits inconsidérés. La constitution étudiée les emploie pour le pouvoir d'interpré-

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tation de l'Église. Cette objection n'est pas fondée. Dans le texte de Trente, les mots : ad coercenda petulantia ingénia, mis en avant, indiquent le motif du décret ; ce décret suit et défend à tout particulier d'oser au nom de son propre sentiment interpréter l'Écriture contre le sens tenu par l'Église. Sa décision comprend deux parties : que personne, dit-il, n'ose plier l'Écriture à son propre sentiment, ensuite que chacun soit tenu à ne pas interpréter l'Écriture autrement que selon le sentiment de l'Église, mais sous cette condition que ce soit inrébus, etc. Cette restriction porte, il est vrai, sur les deux parties du décret, et il n'y a pas de véritable différence entre ce décret et la constitution du Vatican. On ne pourrait y voir une différence que si les termes du décret de Trente étaient ainsi disposés : Præterea, ad coercenda, in rébus fidei et morum, etc., petulantia ingénia, decernit, etc. Si donc, dans le décret de Trente, les mots en question avaient été rattachés à ad coercenda petulantia ingénia, l'objection aurait quelque apparence de vérité. Mais comme ils se rapportent à l'autre partie du décret, c'est-à-dire à la règle d'interprétation scripturaire, il n'y a aucune différence entre les deux documents. Ibid., col. 240-241.

Le texte définitif fut promulgué à la IIIe session du concile le 24 avril 1870. Ibid., col. 251.

c) Valeur et portée du décret. — L'une et l'autre ont déjà été déterminées dans les pages précédentes ; car le texte n'a pu être établi sans que sa signification ait été fixée dans les rapports de Mgr Gasser. Mais nous devons tenir compte des interprétations des théologiens postérieurs qui, ou n'ont pas connu les Actes du concile du Vatican, ou, les ayant connus, tiennent compte des termes mêmes des décisions conciliaires bien plus que des idées émises au cours des discussions et que des explications officiellement données au nom de la députation de la foi pour diriger le vote de l'assemblée.

d) Quoi qu'il en ait été du décret de Trente, quoique, même après le concile du Vatican, U. Ubaldi, Introductio in sac. Scripturam. Rome, 1881, t. iii, p. 200, ait dit que ce texte n'était pas un décret dogmatique, puisqu'il n'était suivi d'aucun anathème, mais une simple loi disciplinaire imposant aux contrevenants des peines canoniques, en ajoutant toutefois qu'il renfermait une déclaration doctrinale, il est certain que l'affirmation du droit et du pouvoir de l'Église de juger du véritable sens des Écritures, l'assertion d'autre part qu'il faut interpréter l'Écriture, dans le sens qu'a tenu et que tient l'Église, insérées dans une déclaration dogmatique, n'ont pas une portée purement disciplinaire, mais une valeur doctrinale, qui s'impose à tous les catholiques. L'Église est donc l'interprète infaillible de l'Écriture inspirée. Aussi quand, par ses organes officiels elle a interprété le sens véritable d'un passage biblique, tout catholique doit accepter intérieurement, proposer et défendre extérieurement ce sens comme véritable et comme seul véritable, de telle sorte que celui qui refuserait de le faire, commettrait un péché contre la foi et un acte d'hérésie. Cf. cardinal Newman, L’inspiration de l'Écriture sainte, dans Le Correspondant, du 25 mai 1884, t. cxxxv, p. 684-686.

b.Bien plus importante et bien plus délicate est l'interprétation des termes : in rébus fidei et morum, ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium. Dans les décrets de Trente et du Vatican, ces mots ont indubitablement une signification restrictive et indiquent que le texte conciliaire ne vise pas tout le contenu de la Bible, mais seulement les choses de la foi et des mœurs qui appartiennent à l'édifice de la doctrine chrétienne. Aussi beaucoup de théologiens, avant et après le concile du Vatican, ont-ils soutenu qu'en

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vertu de ces décrets les exégètes catholiques n'étaient pas tenus d'accepter et de suivre le sens qu'a tenu et que tient l'Église dans des textes non dogmatiques ou moraux. Ainsi, avant le concile du Vatican, Bossuet, Instructions sur la version du N. T. imprimée à Trévoux, Iere instruction, lere remarque, n. 7, dans Œuvres complètes, Besançon, 1836, t. vii, p. 127-128 ; F. X. Patrizi, Institutio de interpretatione Bibliorum, 2e édit., Rome, 1876, p. 38-61, et, après ce concile, U. Ubaldi, Introductio in sac. Scripturam, Rome, 1881, t. iii, p. 259 ; Ch. Trochon, Introduction générale, dans La Sainte Bible de Lethielleux, Paris, 1886, t. i, p. 520 ; J. Corluy, L’interprétation de la sainte Écriture, dans La Controverse, juillet 1885, p. 430, et dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique de Jaugey, Paris, 1889, p. 957-959 ; S. di Bartolo, Critères théologiques, trad. franc., Paris, 1899, p. 264-265. Tous ces auteurs, qui n'avaient consulté ni les Actes du concile de Trente ni ceux du concile du Vatican, excluaient donc de l'objet des décrets de ces conciles l'interprétation des passages scripturaires où il s'agit de choses étrangères par elles-mêmes à la foi et aux mœurs, par conséquent ceux qui traitent de l'histoire profane, de la géographie et des sciences naturelles, disciplines sur lesquelles l'Église n'a pas coutume de se prononcer. La difficulté consistait, pour eux, à distinguer d'une façon précise les passages doctrinaux de l'Écriture de ceux qui ne le sont pas.

Quelques théologiens ont établi, pour tracer cette ligne de démarcations, des distinctions arbitraires et sans base doctrinale. L'abbé Motais, Le déluge biblique devant la foi, l’Écriture et la science, Paris, 1885, p. 118-126, regardait comme pouvant être l'objet de l'interprétation de l'Église les sujets d'une portée profonde, ayant un rapport immédiat et frappant avec les bases du dogme catholique, à savoir, la divinité de Jésus et la vie divine de l'Église. Les mille choses diverses qui, dans la Bible, sont sans connexion nécessaire ou même apparente avec ces vérités premières, n'entrent pas, par elles-mêmes, dans le patrimoine divin que l'Église a reçu la mission d'enseigner. L'anonyme allemand, dont Franzelin, Tractatus de divina traditione et Scriptura, 3e édit., Rome, 1882, p. 564-582, a réfuté l'opinion sur l'étendue de l'inspiration, prétendait que l'Église n'était infaillible que dans les seules choses qui concernent la foi et les mœurs et il ne tenait pour inspirés que les passages bibliques énonçant les vérités religieuses et les faits sans lesquels la vérité religieuse ne pouvait subsister. Le chanoine Jules Didiot, Logique surnaturelle subjective, Paris, Lille, 1881, p. 103 ; Traité de la Sainte Écriture, Paris, Lille, 1894, p. 161-170, 238-248, enseignait une doctrine semblable et pensait que la Bible et l'Église n'étaient infaillibles que dans les choses qui concernent la foi et les mœurs ; quant aux matières secondaires, que Dieu n'a pas voulu enseigner dans l'Écriture, et dont celle-ci ne fait que parler, elles ne sont pas l'objet de l'infaillible magistère de l'Église. Le cardinal Newman admettait deux dogmes relativement à l'autorité de l'Écriture et à son inspiration. » En ce qui regarde l'autorité de l'Écriture, nous sommes tenus de croire qu'elle est, en matière de foi et de mœurs, divinement et entièrement inspirée ; en ce qui regarde son interprétation, nous sommes tenus de croire que l'Église est, en matière de foi et de mœurs, le seul interprète infaillible de ce texte inspiré. » Or, il paraît indigne de Dieu que, dans la révélation qu'il nous a donnée de lui-même, il ait pris un rôle purement profane et ait assumé l'office de simple narrateur, d'historien, de géographe, sinon dans la mesure où les matières profanes importent directement à la vérité révélée. La foi et les mœurs sont, d'après les deux conciles, les deux objets garantis par l'inspiration. Cependant, les faits racontés

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dans l'Écriture ont, en quelque manière, la garantie de l'inspiration. Car les res fidei et morum, que l'Église a le droit d'interpréter, comportent des faits historiques, puisque des faits historiques sont des dogmes de notre foi. L'inspiration de la sainte Écriture, dans Le Correspondant, du 25 mai 1884, t. cxxxv, p. 681-685. Finalement, le P. J. Corluy reconnaissait que les faits historiques qui avaient un rapport direct avec la doctrine révélée étaient seuls doctrinaux et rentraient dans les res fidei et morum, visées par les conciles, mais en ajoutant que les faits qui n'avaient avec cette doctrine qu'un rapport indirect n'étaient pas l'objet de l'interprétation doctrinale de l'Église. L'interprétation de la sainte Écriture, dans La Controverse, juillet 1885, p. 432-433. Cf. Le Prêtre, 1892-1893, t. iv, p. 1381-1385.

Cependant, au cours de la discussion du décret, Mgr Gasser avait émis une distinction qui, bien comprise, avait une très grande et très juste portée. Dans la dernière congrégation générale qui précéda le vote définitif, ayant à répondre à un Père qui demandait la suppression des mots in rébus, etc., comme étant restrictifs du pouvoir d'interprétation de l'Église, il reconnut que l'Église avait le droit d'interpréter toute l'Écriture ; mais pour sauvegarder la liberté des exégètes catholiques dans l'explication des matières historiques et autres semblables, il fit observer que leurs interprétations ou bien ne vont pas contre le dogme de l'inspiration, ou bien lui sont contraires. Dans le premier cas, elles sont libres ; dans le second, elles ne le sont pas, puisqu'elles iraient à l’encontre du dogme de l'inspiration qui est une question de foi et dès lors l'Église a le droit d'intervenir et de se prononcer contre une interprétation qui nierait l'inspiration de l'Écriture. Coll. lac. t. vii, col. 240.

Cette distinction ne s'applique pas seulement aux questions d'histoire profane, que Mgr Gasser avait citées comme exemple ; mais elle s'applique à toutes les interprétations de l'Écriture entière, de telle sorte que celles qui seraient contraires au dogme de l'inspiration et à ses conséquences seraient à rejeter et seraient justiciables du droit qu'a l'Église de les réprouver. R. Cornely, Introductio in U. T. libros sacros, t.i,Introductio generalis, 2e édit, Paris, 1894, p. 592-607. Aussi le P. Th. Granderath ne trouve absolument rien à reprendre à l'exposé de Mgr Gasser. Il s'est demandé seulement si le décret du Vatican avait réellement le sens que lui a donné l'évêque de Brixen, si les mots in rébus fidei et morum, etc., y désignent les passages scripturaires dont l'objet est religieux, par opposition à ceux dont le contenu est profane, si, par conséquent, l'obligation imposée à l'exégète de suivre l'interprétation de l'Église est restreinte aux premiers. Le fait que cette explication du décret a été donnée en pleine assemblée conciliaire avant le vote final, par le représentant de la députation de la foi, donne à cette exégèse une très haute autorité ; à lui seul, il ne suffit pourtant pas, semble-t-il, à l'imposer définitivement. Si la députation de la foi avait trouvé elle-même cette formule, et si son rapporteur l'avait exposée en son nom, le sens ne saurait plus en être douteux. Mais ce n'est pas le concile du Vatican qui a rédigé cette partie du décret ; elle se trouve déjà dans le décret du concile de Trente sur l'interprétation des Écritures, que celui du Vatican a voulu se borner à renouveler. C'est donc d'après l'histoire du concile de Trente qu'on devra chercher à établir le sens exact de cette formule. Th. Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. C. Kirch, Bruxelles, 1911, t. ii, b, p. 135-137. Or, cette raison n'est pas valable.

Les Actes du concile publiés par le P. Granderath, prouvent que, tout en renouvelant le décret de Trente

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les Pères du Vatican interprétaient sa valeur doctrinale et sa portée positive. Si leur interprétation était valable dans ces cas, pourquoi ne le serait-elle pas relativement à la formule de Trente in rébus, etc. ? Mgr Gasser, au nom de la députation de la foi, maintenait son inversion, tout en en expliquant le sens. Son interprétation a eu une influence évidente sur la majorité des Pères qui vota le décret dans le sens expliqué. Ce sens, exposé au nom de la députation de la foi, ne saurait donc être douteux. D'ailleurs, nous avons vu plus haut, col 2297, que les Actes de Trente ne fournissent rien de précis sur le sens de la restriction in rébus fidei et morum, etc.

Le P. Granderath, usant de la liberté d'interprétation qu'il s'était octroyée, a proposé une explication de cette formule. Constitutiones dogmaticæ sac. oecumenici concilii Vaticani, Fribourg-en-Brisgau, 1892, p. 54-61. Dans les décrets des deux conciles, les choses qui concernent la foi et les mœurs ne sont pas opposées aux faits historiques, puisque certains dogmes de la plus haute importance, comme celui de la mort de Jésus-Christ, sont des faits historiques. Aux choses qui concernent la foi et les mœurs s'opposent les choses qui ne sont pas religieuses, qui n'ont point de rapport avec Dieu et avec la religion, qui n'appartiennent pas aux matières dont est construit l'édifice de la doctrine chrétienne. Or, il y a dans la Bible des choses qui ne concernent pas la religion. Ce ne sont pas les obiter dicta ; ce ne sont pas non plus les nombreux récits de guerre, qui, en apparence politiques et profanes, ont tous un rapport étroit avec l'histoire sainte : ce sont des vérités telles que la nature de la plante sous laquelle Jonas se reposait, l'étendue du déluge relativement à la terre entière et à tous les animaux, mais non pas aux hommes, cette universalité appartenant à l'histoire de la religion, puisque tous les hommes avaient péché. D'autres vérités d'ordre scientifique, telles que celle-ci : « Le soleil se lève, » qui est contenue dans la parole du Sauveur. « Dieu fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, » Matth., v, 15, n'appartiennent pas à la religion. L'Église pourra toutefois interpréter la parole de Notre-Seigneur ; elle ne sera pas l'interprète de la vérité : » Le soleil se lève », qui y est contenu. L'Église pourrait encore, mais seulement par un jugement solennel et non dans son magistère ordinaire, interpréter l'Écriture même au sujet d'une vérité qui n'est pas, de soi, religieuse, si celle-ci avait quelque connexité avec la révélation ; si, par exemple, une interprétation différente aboutissait à nier l'inspiration d'un passage scripturaire faussement expliqué.

D'autres théologiens entendaient le décret du Vatican dans un sens analogue. M. Vacant retrouvait la formule restrictive in rébus, etc., dans le décret de l'infaillibilité pontificale, dont l'objet est doctrina de fide et moribus tenenda. Elle doit donc s'expliquer, non seulement des vérités révélées, mais encore de toutes les autres qui sont en connexité avec elles. Elle s'étend donc, non seulement à l'essence de la doctrine révélée, mais aux éléments qui peuvent servir à l'édifier et à la construire. L'interprétation de l'Écriture par l'Église a ainsi pour objet tout ce qui touche à la révélation et rentre dans la doctrine chrétienne. Ce principe général établi, que nous devons admettre le sens de l'Écriture admis par l'Église sur les matières qui rentrent dans la doctrine chrétienne et qu'elle enseigne infailliblement, M. Vacant, après Dom Crets, (voir col. 2159), dans sa thèse de doctorat, De divina Bibliorum inspiratione dissertatio, Louvain, 1886, p. 326, 339, prouve que la restriction in rébus, etc., ne s'applique pas directement aux textes de l'Écriture, les uns traitant de la foi et des mœurs et les autres n'en traitant pas ; elle s'applique directement aux interprétations données

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par l'Église à l'Écriture, en distinguant celles que l'Église impose et celles qu'elle n'impose pas, et indirectement seulement aux textes interprétés en tant qu'ils ont le sens que l'Église leur attribue. Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican Paris, Lyon, 1895,t.1, p. 524-545.
Le décret qui nous intéresse a reçu des interprétations plus larges. M. Émilien Schœpfer, professeur au grand séminaire de Brixen, prouve par l'étude des documents que les mots in rébus, etc., sont restrictifs et restreignent l'interprétation de l'Écriture par l'Église aux seules matières de la foi et des mœurs. Saint Thomas d'Aquin lui fournit ensuite une explication plus précise par sa distinction entre les res fidei per se et les res fidei per accidens. Les premières représentent la substance de la foi ; les secondes n'appartiennent pas à la foi de leur nature propre, mais uniquement parce qu'elles sont consignées dans la sainte Écriture. M. Schœpfer cite plusieurs textes du docteur angélique : ainsi les mystères de la trinité et de l'incarnation sont opposés par lui à ces faits bibliques qu'Abraham eut deux fils, qu'un mort ressuscita au contact des ossements d'Elisée, Sum. Theol., Ier IIeme, q. i, a. 6, ad l°m ; le même exemple des deux fils d'Abraham est joint à la mention que David fut fils d'Isaï, ibid., q. ii, a. 5 ; cf. a. 7, q. viii, 1. 2. Au sujet des premières de ces vérités, on ne peut varier d'opinion, même si un ange annonçait un autre Évangile que celui de saint Paul ; mais les secondes, contenues dans l'Écriture que la foi nous dit avoir été inspirée par le Saint-Esprit, peuvent, sans danger, être ignorées par ceux qui ne lisent pas la Bible, telles que beaucoup de points d'histoire, et in his etiam sancti diversa senserunt, Scripturam divinam diversimode exponentes. Saint Thomas applique cette distinction à ce que la Genèse raconte de la création du monde : sur ce point, il appartient à la substance de la foi que le monde a eu un commencement et a été créé, et hoc omnes sancti concordiler dicunt. Quo autem modo et ordine factus sit (mundus) non pertinet ad fidem nisi per accidens, in quantum in Scriptura traditur, cujus veritatem diversa expositione sancti salvantes diversa tradiderunt. In Sent., I. II, dist. XII, q. i, a. 2. Saint Thomas applique sa distinction des res fidei per se et des res fidei per accidens à l'interprétation de l'Écriture par les saints Pères, et il a répété plusieurs fois cette application. Ibid., I. II, dist. II, q. i, a. 3. Or, ce que saint Thomas a dit de l'interprétation de l'Écriture par les Pères, nous pouvons le dire de l'interprétation de la même Écriture par l'Église, et ainsi introduire la distinction du docteur angélique sur les res fidei dans l'explication du décret des conciles de Trente et du Vatican. Le cardinal Franzelin, l'a fait explicitement. De divinatraditione et Scriptura, 3e édit., Rome, 1882, p. 527 sq., et personne ne l'a tenu pour un minimiste. Toutefois il faut remarquer que tous les faits de l'histoire profane, ne sont pas res fidei per accidens, que certains ont un rapport nécessaire avec le dépôt de la foi et que ce rapport peut justifier l'interprétation de l'Église pour exprimer leur réelle et juste signification. Bibel und Wissenschafl, Brixen, 1896, p. 92-107. M. Schœpfer explique ensuite les termes ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium, qui, selon lui, ne sont ni restrictifs ni explicatifs, mais répètent seulement la même chose. Ibid., p. 107-117.

L'interprétation de M. Schœpfer a été discutée par J. Vinati, De sacræ Scripturæ assertis ab Angelico doctore « de fide per accidens », dans Divus Thomas, 1886, n. 4, p. 50 sq. ; Mgr Egger, Streiflichter uber die freiere Bibelforschung, Brixen. 1899, p. 5 sq. Ces deux théologiens soutinrent que l'Église avait le droit positif d'interpréter toutes les propositions de l'Écriture.

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Le P. Granderath défendit et expliqua son opinion, dans Der Katholik, octobre et novembre 1898, p. 289 sq., 383 sq.
Le P. J.-B. Nisius, S. J., a placé la question de l'interprétation de l'Écriture par l'Église sur un terrain plus vaste. Ueber das Verhältnis der kirchlichen Lehrgewalt zur Schriftauslegung, dans Zeitschrift fur katholische Théologie, Inspruck, 1899, p. 282-311, 460-500. Dans l'interprétation des décrets de Trente et du Vatican, il prend les termes in rébus fidei et morum, etc., dans leur sens naturel, et en les comparant à la distinction de saint Thomas, rappelée plus haut, des credibilia per se et des credibilia per accidens, il constate leur ressemblance et il en conclut que très vraisemblablement les Pères de Trente avaient dans l'esprit cette distinction et qu'ils n'ont voulu imposer positivement aux exégètes catholiques que les seules interprétations de l'Église, qui portaient sur des textes de la première catégorie. C'était aussi la pensée de Mgr Gasser. Les res fidei et morum des décrets sont donc exclusivement, à ses yeux, les dogmala fidei et leurs interprétations obligatoires, si l'Église en a données. Telle est l'obligation positivement imposée par les décrets. Le P. Nisius ajoute toutefois que l'interprétation de l'Écriture par l'Église, ce qu'il appelle l’intellectus catholicus, influe négativement sur l'explication des autres passages scripturaires non officiellement interprétés par l'Église. Ceci n'est qu'une application de la troisième règle catholique d'interprétation, fondée sur l'analogie de la foi. Voir plus loin.

Son sentiment personnel établi, le P. Nisius réfute les opinions différentes des autres théologiens. M. Vacant a expliqué les décrets d'après l'objet de l'infaillibilité de l'Église. Sa démonstration théologique prouve bien que le pouvoir interprétatif de l'Écriture par l'Église s'étend au delà des vérités de foi et de mœurs. Cette étendue du pouvoir de l'Église ne peut être prouvée par les termes mêmes des décrets. L'opinion du P. Granderath est très vague et trop générale. La sphère d'interprétation de l'Écriture fixée positivement par les décrets ne comprend pas toutes les choses religieuses de leur nature, par opposition aux choses profanes, mais seulement les res fidei et morum. A M. Schœpfer, le P. Nisius ne reproche que des défauts de méthode ; mais il lui reconnait le mérite d'avoir bien saisi le sens positif des décrets.

Les opinions nouvelles que le P. Nisius a combattues tendent à prouver que le droit positif de l'Église à interpréter infailliblement l'Écriture s'étend à toutes les propositions de celle-ci, ou au moins à toutes les vérités religieuses qui y sont exprimées. Elles sont opposées au sentiment exprès de saint Thomas, rapporté plus haut. J. Vinati prétend, il est vrai, que les asserta per accidens, dont parle le saint docteur, appartiennent à la foi catholique et divine que l'Église a le droit d'interpréter infailliblement. Mais il n'est pas prouvé que ces asserta per accidens soient credenda fide Catholica et divina, et par conséquent soumis au jugement positif de l'Église. Tant que celle-ci n'a pas interprété un passage scripturaire, le sens de ce passage n'est pas de foi catholique. Assurément, l'Église a été instituée par Jésus-Christ comme la gardienne et l'interprète de toute la révélation chrétienne, dont les Livres inspirés contiennent une partie. Il n'en résulte pas que les asserta per accidens, qui sont consignés dans les livres inspirés, appartiennent directement à la révélation chrétienne et au droit positif que l'Église a de les interpréter infailliblement, de telle sorte que l’exégète catholique soit tenu d'en accepter le sens. L’église est la gardienne du dépôt de la foi, qu'elle doit conserver intact. Or, il ne lui suffit pas, pour conserver ce trésor, de sauvegarder le canon

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complet des Écritures ; elle doit aussi en conserver le sens ; elle n'est pas gardienne de la lettre morte de la parole de Dieu, elle l'est du sens vivant de cette parole, ce qui suppose son droit d'interpréter et de fixer ce sens vivant. Cet argument est indiscutable, à la condition d'entendre le depositum fidei au sens strict du mot. Mais il n'est pas prouvé que tout le contenu de l'Écriture, notamment de l’Ancien Testament, appartienne au dépôt de la foi confié par Jésus-Christ à l'Église, et par suite que l'Église ait le droit de l'interpréter infailliblement. Même dans le Nouveau Testament, comme on le voit par les Actes et les Épitres, il y a des faits qui sont postérieurs à la fondation de l'Église. Or, quoique ces faits soient relatés dans des écrits inspirés, ils ne sont pas objet de la révélation chrétienne, mais simplement objet de l'histoire inspirée. Mgr Egger fait état de la réponse de Mgr Gasser au concile du Vatican: l'Église a le droit de juger même les vérités historiques, qui sont contenues dans l'Écriture. Le rapporteur excepte au moins les choses profanes, dont l'interprétation peut être librement discutée, pourvu que l'exégète n'aille pas contre l'inspiration de l'Écriture. Voir col. 2301. Le concile du Vatican a donc reconnu la liberté des exégètes catholiques en ces matières.

Au sentiment du P. Nisius, il n'est donc pas prouvé que l'Église ait le pouvoir positif d'interpréter tous les passages de l'Écriture ; elle n'a reçu ce droit que comme gardienne du dépôt de la foi, c'est-à-dire pour la conservation du sens des vérités révélées. De soi, son pouvoir interprétatif ne porte que sur les vérités révélées contenues dans l'Écriture. Mais indirectement, elle peut porter un jugement négatif, c'est-à-dire condamner des interprétations de passages scripturaires n'appartenant pas directement au dépôt de la foi, si elles aboutissent à nier des vérités révélées, ou même simplement à mettre en doute l'inspiration de la Bible, qui est un dogme de notre foi.

Le P. Lagrange, L'interprétation-de la sainte Écriture, dans la Revue biblique, 1900, t. ix, p. 135-142, a analysé les deux articles du P. Nisius et en a adopté, la doctrine, sauf de légères nuances. En concluant p. 140, il s'est demandé quel intérêt pratique pouvait présenter la distinction entre le pouvoir négatif et indirect de l'Église d'interpréter même les faits historiques et les sujets profanes traités dans la Bible, et le pouvoir positif et direct qu'il restreint aux dogmes de la foi. Serait-ce une vaine subtilité, puisque l'exégète catholique est soumis à tout ce que l'Église a décidé et décidera, quel que soit le pouvoir dont elle use, puisque les décisions de l'Église pourraient éventuellement porter sur des points jugés purement historiques et qu'alors il faudrait reconnaître que l'Église y a justement reconnu un rapport avec la foi ? L'exégète n'est-il pas aussi lié que si le droit de l'Église d'interpréter l'Écriture était aussi universellement positif qu'il est indirectement universel  ? Pratiquement, la différence est cependant immense. « Dans toutes les matières historiques et scientifiques, l'exégète aura soin de ne porter aucune atteinte à la règle de foi, et ce soin lui sera aussi aisé que doux. De plus, il devra respecter toutes les explications dogmatiques positives données par l'Église. Elles sont peu nombreuses », comme nous le dirons bientôt.

La troisième des Questione bibliche du P. Bonac-corsi, Bologne, 1904, concerne l’interprétation de l’Écriture sainte selon la doctrine catholique. L'auteur restreint le pouvoir qu'a l'Église de déterminer infailliblement le vrai sens de l'Écriture aux choses de la foi et des mœurs strictement dites, c'est-à-dire à la révélation divine et il nie que ce pouvoir s'étende même aux faits dogmatiques. Un des exemples qu'il cite est le fait de la venue de saint

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Pierre à Rome et il conclut que l'Église n'aurait pas le droit de le définir, si le texte des Actes, xii, 17, s'y rapportait ; mais ce texte ne fait aucune allusion au départ du prince des apôtres pour Rome. On ne peut rien conclure d'un exemple isolé. Les théologiens admettent aujourd'hui que l'Église est infaillible dans les faits dogmatiques, quand elle condamne, par exemple, la doctrine d'un livre in sensu librorum. Voir Église, t, iv, col 2188-2192. Y aurait-il exception, parce qu'un fait dogmatique est rapporté dans un livre inspiré ? Non, évidemment, surtout s'il s'agit d'un fait connexe à la foi. La limitation des res fidei et morum, excluant tous les faits dogmatiques, ne peut donc pas être admise. Nous l'avons déjà dit, il y a des faits historiques, qui sont des dogmes de notre foi. Il aurait fallu restreindre la discussion au pouvoir positif qu'aurait l'Église, selon quelques théologiens modernes, de fixer le sens de ce que saint Thomas a appelé les inspirata per accidens.

Le P. Bonaccorsi a nié aussi que toute assertion biblique, appartienne à la révélation et doive être crue de foi divine, et il a ajouté qu'à supposer même qu'elle fût directement objet de foi divine, l'Église n'aurait pas le droit de l'interpréter directement. Le P. Chr. Pesch a discuté ces propositions de Bonaccorsi. Il maintient la conclusion tirée de l'inspiration de la Bible, que l'Écriture sainte est tout entière la parole de Dieu, qu'ainsi elle appartient par son origine à la révélation divine et que les hommes à qui elle est destinée doivent y croire de foi divine, ou au moins lui donner un assentiment surnaturel. Mais il insiste principalement sur la distinction de saint Thomas des inspirata per se et des inspirata per accidens. Dieu n'a ordonné à personne de faire un acte de foi aux seconds ; les chrétiens ne sont tenus qu'indirectement à croire comme vrai tout ce que Dieu a révélé de quelque manière, c'est-à-dire en inspirant les hagiographes qui rapportent ces vérités. Telle est la doctrine commune des théologiens. De inspiratione sacræ Scripturæ, Fribourg-en-Brisgau, 1906, p. 416-417, note.

Pour justifier sa conclusion le P. Bonaccorsi part des révélations privées, que l'Église n'a pas le droit d'interpréter directement. Le fait seul d'une révélation divine, conclut-il, ne donne pas à l'Église un droit d'interprétation. Mais la révélation contenue dans l'Écriture et confiée à l'Église est une révélation officielle, imposée par Dieu aux hommes. Sans doute, réplique-t-il ; mais la Bible n'est pas un code de propositions directement révélées par Dieu aux hagiographes, et, si la Bible entière est inspirée, elle n'est pas tout entière révélée. Donc, pour nier le droit de l'Église à interpréter la Bible entière, il faut nier que tout son contenu soit strictement révélé. C'est encore revenir à la distinction de saint Thomas entre les res fidei per se, res fidei per accidens.

Avec quelques dissidents qu'il cite, le P. Bonaccorsi conclut qu'il n'est pas certain, qu'il est plutôt tout à fait inadmissible que toute assertion des écrivains sacrés est une assertio Dei. » Lorsque, en effet, l'hagiographe écrit librement ce qu'il sait, sans qu'intervienne aucune révélation ou suggestion divine spéciale, on ne comprend pas comment son affirmation peut être dite, au sens strict, un assertum divinum, et deviendrait, ipso facto, objet immédiat de foi divine. La direction et l'assistance de l'Esprit Saint, souvent ignorées de l’hagiographe, ne changent pas la nature de la chose. A priori même, il ne répugnerait pas que l'assertion de l'hagiographe, dans des choses purement profanes pût, nonobstant cette direction et assistance être objectivement erronée. De fait, il est vrai, la tradition constante de l'Église nous assure la pleine véracité des Livres saints ; mais qu'en résulte-t-il ? Le théologien et l'exégète catholique devront retenir comme

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théologiquement certain que l'erreur ne peut se trouver dans les livres inspirés ; plus encore, si un jour l'absolue vérité de la Bible était définie comme dogme de foi (jusqu'à présent c'est simplement une doctrine theologice cerla), ils devraient condamner comme une hérésie le fait de refuser d'ajouter foi à une affirmation proprement dite des écrivains sacrés ; mais, nonobstant, cette affirmation demeurera toujours une affirmation entitativement humaine, laquelle, par conséquent, ne pourra jamais être objet direct et immédiat de foi divine. »

Les théologiens admettront difficilement cette conclusion. La tradition catholique est opposée à l'insertion d'une affirmation entitativement humaine de l'hagiographe lui-même dans son œuvre inspirée. D'autre part, si des affirmations de ce genre avaient pénétré dans la Bible, l'erreur n'aurait-elle pas pu se glisser en quelques-unes ? Ainsi, l'inerrance biblique serait compromise. Voir Inspiration. Saint Thomas reconnaît la vérité des inspirata per accidens, tout en constatant les interprétations différentes qu'on en a données. Mais quand l'Église s'est prononcée in rébus fidei et morum ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium sur le sens véritable de l'Écriture, les catholiques doivent admettre le sens ainsi défini. La Revue biblique, 1905, p. 287-289, qui a analysé et discuté l'étude du P. Bonaccorsi, ajoute : « Pour les choses profanes, nous sommes prêts à croire à la véracité de l'Écriture ; mais personne ne peut nous obliger à faire un acte de foi particulier sur aucune proposition, si claire qu'elle paraisse, parce que rien ne prouve que cette proposition soit affirmée par l'auteur et imposée par lui à notre croyance, et parce qu'ayant pour objet des choses profanes, elle ne peut, en elle-même, être un objet de foi. Que s'il s'agit de matières mixtes, il y aura lieu simplement à une étude plus attentive de la tradition, avec une soumission entière vis-à-vis des solutions à intervenir du côté de l'autorité légitime. Livre divino-humain, interprétation divino-humaine. » Les théologiens de la Revue biblique, sont demeurés fidèles à l'opinion de plusieurs thomistes, suivant lesquels la vertu infuse de la foi ne s'étend qu'aux choses que Dieu a révélées à l'Église pour le salut de l'humanité. Ils ne nient pas toutefois, le droit de l'Église d'intervenir dans l'interprétation des matières mixtes, consignées dans la Bible, et ils sont disposés, le cas échéant, à se soumettre entièrement à l'intervention de l'autorité ecclésiastique.

Pour nous, nous nous rallions entièrement à l'opinion du P. Nisius. Les conciles de Trente et du Vatican n'ont pas eu l'intention de définir l'étendue du pouvoir qu'a l'Église d'interpréter infailliblement l'Écriture. En face des abus de leur temps, ils ont seulement déclaré ce pouvoir et ils ont obligé les exégètes catholiques à recevoir comme le véritable sens de l'Écriture celui que notre sainte Mère l'Église a tenu et tient in rébus fidei et morum ad ædificationem doctrinæ christianæ pertinentium. Or, ces res fidei et morum ne sont que ce que saint Thomas appelait les inspirata per se, c'est-à-dire les dogmes de notre foi. Quand, en ces matières, l'Église a une fois adopté et fixé le vrai sens d'un passage biblique, les exégètes catholiques doivent l'accepter, le soutenir et le défendre contre ses adversaires. Les Pères de Trente et du Vatican ne sont pas allés plus loin et n'ont pas eu en vue des interprétations ecclésiastiques et officielles de passages bibliques, inspirata per accidens, énonçant non pas seulement des vérités profanes, comme le disait Mgr Gasser, mais encore des faits accessoires de l'histoire sainte elle-même. Vraisemblablement, ils n'en connaissaient aucune de ce genre, et puisqu'ils ne visaient que les interprétations intervenues de leur temps, ils n'ont pas tranché jusqu'où pouvaient s'étendre les interpré-

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tations futures de l'Église. En dehors de leur décision nous admettons la distinction faite par le P. Nisius, sur le pouvoir d'interprétation de l'Écriture par l'Église : l'Église a un pouvoir positif et direct de fixer le sens de la Bible dans les matières de foi ; dans les matières mixtes ou même simplement profanes, qui sont traitées dans la Bible, elle a seulement un pouvoir indirect et négatif de les interpréter. Existe-t-il des cas où l'Église aurait déjà exercé ce pouvoir indirect et négatif ? Nous n'en connaissons aucun exemple. Mais nous concevons qu'il pourrait se présenter des cas où, même dans les matières connexes à la foi ou simplement inspirées per accidens, fussent-elles purement profanes, des interprétations proposées aboutiraient à nier quelque point de foi ou même seulement le dogme de l'inspiration des Livres saints. Alors l'Église aurait le droit d'intervenir pour sauvegarder le dépôt de la foi, en condamnant au moins les interprétations contraires, sinon en déterminant le sens exact des passages mal compris. Elle userait ainsi de son pouvoir indirect et négatif d'interpréter l'Écriture et les catholiques seraient obligés de recevoir comme vraie et fondée la condamnation d'interprétations fausses, portée par l'Église. En attendant qu'elle exerce ce droit, nous laisserons aux théologiens le droit de discuter théoriquement le pouvoir interprétatif de l'Église, pourvu qu'ils ne sacrifient aucun point du dogme de l'inspiration et qu'ils soient disposés à se soumettre à l'autorité de l'Église, au cas où elle interviendrait en des matières pour lesquelles ils discutaient son pouvoir. N'admettons-nous pas tous que l'Église fixe elle-même son droit d'intervenir, quand elle intervient ? L'usage qu'elle fait de son magistère infaillible en détermine l'objet.

4. Dans le décret Lameniabili, du 3 juillet 1907, le Saint-Office a condamné plusieurs propositions fausses, qui concernent l'interprétation de l'Écriture par l'Église. Elles visent presque toutes des opinions de M. Loisy.

2° Ecclesiæ interpretatio sacrorum librorum non est quidem spernenda, subjacet tamen accuratiori exegetarum judicio et correctioni. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 2002 ; Cavallera, Thésaurus, n. 98, 2.

Cette proposition est vraisemblablement empruntée à M. Loisy, Autour d'un petit livre, Paris, 1903, p. 15 : « Sans doute, l'Église aussi est un témoin historique et qui n'est point à négliger pour l'interprétation du témoignage biblique, mais le témoignage historique de l'Église n'a pas la rigueur d'un jugement dogmatique ; avant d'être employé, il a besoin d'être analysé, discuté, pesé, comme tout autre témoignage. » Il s'agissait de l'interprétation des écrits évangéliques d'après la foi postérieure de l'Église. « On n'alléguera pas le symbole de Nicée pour déterminer le sens de la formule « fils de Dieu », dans les Évangiles synoptiques. Le sens des textes évangéliques est indépendant de l’interprétation qui en a été donnée plus tard, au moyen d'une philosophie religieuse qui n'est pas dans la prédication de Jésus. » Ibid., p. 15-16. Dans Simples réflexions sur le décret du Saint-Office Lameniabili et sur l'encyclique Pascendi dominici gregis, Paris, 1908, p. 32-33. M. Loisy a cherché à justifier sa pensée : « L'Église exploite à son gré l'Écriture pour l'instruction religieuse et l'édification morale de ses fidèles. Mais les opinions que l'Église a professées et professe touchant... sa façon de les interpréter (les Livres saints) et le sens qu'elle leur attribue ne s'imposent pas au critique comme des jugements qui fixeraient l'histoire de ces livres et leur sens original... Ce qu'elle a prêché, en s'autorisant de l'Écriture, est tout autre chose qu'un commentaire purement historique de la Bible... Entre la pensée des

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écrivains sacrés et l'enseignement ecclésiastique de nos jours, se place tout le travail de la pensée chrétienne depuis dix-huit siècles. L'historien en fait abstraction. » La critique ayant gagné son droit d'interpréter la Bible comme elle l'entend, droit que l'Église lui refuse pour la Bible, elle ne le lâchera plus. Il s'agit donc de l'interprétation courante, pratique, que l'Eglise a donnée à l'Écriture, plutôt que de l'interprétation officielle de quelques textes en particulier. C'est cette interprétation que M. Loisy ne tenait pas pour un jugement définitif sur le vrai sens des Écritures, et que la critique avait droit d'examiner, de contrôler et de rejeter.

La 4e proposition vise les interprétations officielles de l'Écriture par l'Église.

4° Magisterium Ecclesiæ ne per dogmaticas quidem definitiones genuinum sacrarum Scripturarum sensum determinare potest. Denzinger-Bannwart, n. 2004 ; Cavallera, n. 98,4.

Dans la lettre à un supérieur de grand séminaire M. Loisy, Autour d'un petit livre, p. 221, avait écrit : » L'histoire se fait, disais-je, avec des témoignages historiques, ce que ne sont pas les décrets du concile de Trente, si ce n'est en ce qui regarde la pensée de ceux qui les ont rédigés... Vous me citiez un décret qui définit le sens historique de ce texte du quatrième Évangile (Jean., iii, 5) : Si quelqu'un ne renait de l'eau et de l'esprit. Le concile veut que l'on entende au sens propre le mot eau. Je vous répliquai que le concile avait parfaitement raison, mais que le vrai sens du texte ne résultait pas de la définition et que le concile défendait qu'on tournât la parole en métaphore pour éluder la nécessité du baptême réel ; il ne visait directement ni l'authenticité du passage en tant que parole du Seigneur, ni la forme particulière de sa signification dans l'esprit de l'évangéliste. » Après avoir cité ces paroles dans Simples réflexions, p. 35-36, M. Loisy ajoute : « L'histoire est ce qu'elle est et l'on ne voit pas ce que les définitions des conciles et des papes pourraient changer à l'état des témoignages et des faits. Nonobstant les apparences, l'Église n'a jamais défini le sens historique d'aucun passage, mais elle a interprété sa propre tradition sur le sens de tels et tels passages, et cette interprétation ne tend pas à représenter strictement la pensée des auteurs, mais... tout le travail des siècles chrétiens sur les données primitives. Ce que le Saint-Office entend par le « sens propre » de l'Écriture n'est pas, au fond, le sens historique, dont la S. Congrégation n'a nul souci, et qui ne dépend d'aucune autorité, mais la signification que telle donnée biblique doit prendre pour la foi. »

Assurément, ni l'Église ni le pape ni un concile ne font le sens d'un passage biblique ; ce sens est déterminé par le texte du document : ils le constatent uniquement. S'ils le trouvent conforme à leur foi, ils ne l'y adaptent pas. Mais voilà ce qu'un « critique », tel que M. Loisy, ne peut plus comprendre.

5° Cum in deposito fidei veritates tantum revelatæ contineantur, nullo sub respectu ad Ecclesiam pertinet judicium ferre de assertionibus disciplinarum humanarum. Denzinger-Bannwart, n. 2005; Cavallera, n. 200.

M. Loisy a commenté ainsi cette proposition : « Je ne sais d'où vient cette proposition. Si on l'a déduite de mes livres, je ne proteste pas contre la conclusion. Mais je dirais : « Le magistère de l'Église ayant pour objet l'enseignement pratique de la religion et de la morale, il ne lui appartient pas de porter des jugements définitifs en matière de science. » Simples réflexions, p. 36-37.

Si le Saint-Office a eu en vue une proposition tendant à dénier à l'Église le droit d'interpréter l'Écriture

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dans les matières scientifiques que celles-ci contient, sa condamnation a rapport à notre sujet.

12° Exegetæ, si velit utiliter studiis biblicis incumbere imprimis, quemlibet præconceptum opinionem de supernaturali origine Scripturæ sacræ seponere debet, eamque non aliter interpretari quam cœtera documenta mere humana. Denzinger-Bannwart, n. 2012 ; Cavallera, n. 98,12.

M. Loisy a commenté cette proposition en ces termes : « L'intelligence d'un livre, quel qu'il soit, ne peut être que faussée, si, avant tout examen, l'on se fait une idée de son caractère à laquelle les conclusions de l'examen postérieur devront, coûte que coûte, se conformer. C'est ce qui arrive si l'on apporte à la lecture de la Bible l'idée commune du livre inspiré, exempt de toute erreur, et rempli de toute vérité. Il faut torturer les textes pour en adapter l'interprétation à ce concept absolu et sans réalité. Les livres de l'Écriture, ayant été rédigés par des hommes et pour des hommes, sont à interpréter selon les règles que l’on applique aux produits ordinaires de l'esprit humain. Et l'on ne voit pas bien, d'ailleurs quel autre principe on pourrait employer. Les prescriptions de l'Église touchant l'obligation d'interpréter l'Écriture selon la tradition des Pères et l'analogie de la foi ne concernent pas l'investigation du sens historique, qu'elles empêcheraient plutôt de découvrir, mais la prédication chrétienne et l'enseignement théologique. » Simples réflexions, p. 45-56.

Comme nous l'avons dit au début de cet article, les règles ordinaires d'herméneutique s'appliquent aux livres inspirés, et à leur texte entier en tout et avant tout, comme aux livres ordinaires de l'antiquité, puisqu'ils ont été écrits par des hommes, en langage humain, et pour des hommes. Mais la foi nous apprend qu'ils sont aussi divins par leur origine et qu'ils contiennent sans erreur des vérités surnaturelles, que Dieu a enseignées aux hommes par les hagiographes et dont il a confié la garde et l'interprétation à l'Église. Et c'est à ce titre que leur interprétation est sujette à des règles spéciales, qui ne s'appliquent pas directement à tout le contenu de l'Écriture, mais seulement aux vérités révélées, et indirectement aux vérités secondaires ou purement humaines, qui sont en connexité avec la révélation. Ce secours d'interprétation surnaturelle, quand il est donné, ce qui est rare, comme nous le dirons bientôt, loin d'empêcher de découvrir le sens véritable des pensées que Dieu a révélées aux hommes, en facilite, au contraire, la découverte, sans péril d'erreur. Ces considérations justifient l'emploi des règles catholiques d'interprétation de l'Écriture, que nous exposons dans cet article.

6. Enfin, dans l'encyclique Spiritus Paraclitus, du 15 septembre 1920, Benoît XV, exposant les dispositions que saint Jérôme apportait à l'étude de l'Ecriture sainte et les proposant comme modèles à tous les chrétiens, signale, à côté du culte de la tradition catholique, l'amour docile et dévoué que saint Jérôme portait à l'Église romaine, à la chaire de Pierre. « Persévéramment fidèle, dans l'étude de l'Écriture sainte à cette règle de foi, il invoque ce seul argument, pour réfuter une fausse interprétation du texte sacré : « Mais l'Église de Dieu n'admet point cette opinion. » In Daniel, iii, 37, P. L., t.xxv, col. 510. Acta apos tolicæ sedis, 1920, t.xii, p. 403. L'invitation du pape à imiter saint Jérôme dans l'étude de l'Écriture et dans sa soumission à la règle de foi du siège apostolique, confirme tout ce que nous avons dit de l'obligation d'interpréter l'Écriture conformément au sens qu'a tenu et que tient notre sainte mère l'Église. Cf. F. Valente, S. Girolamo e l’encyclica Spiritus Paraclitus del S. pontefice Benedetto XV sulla sacra Scriltura, Rome, s. d. (1921), p. 130-134.

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3° Application de cette règle. — Elle est toutentière dominée par les principes généraux relatifs au magistère ecclésiastique, dont l'interprétation des Écritures est un aspect ou une fonction. Il suffira de rappeler ici ce qui a trait à ce cas spécial. Pour le reste, voir Église, t. iv, col. 2175-2200.

1. Interprétation par le magistère extraordinaire. — Chargée de proposer au monde la vérité surnaturelle dont elle a reçu le dépôt, l'Église le fait de diverses façons. La plus saillante, sinon la plus importante, est le magistère extraordinaire, qui s'exerce par l'organe autorisé des conciles œcuméniques ou des papes prononçant ex cathedra. Il a pour caractère distinctif de s'exercer dans des circonstances rares et avec des formes solennelles, généralement pour trancher des controverses urgentes, et d'aboutir en conséquence à des documents officiels, où l'Église consigne sa pensée sur les erreurs à écarter ou les vérités à tenir. On conçoit dès lors que l'interprétation de l'Écriture soit particulièrement de son ressort.

a) Compétence du magistère extraordinaire. — Du moment que l'Église, comme tout catholique fait profession de le croire, a qualité pour garder et interpréter la révélation divine, il faut lui reconnaître les moyens nécessaires à cette fin. C'est pourquoi, avec la révélation elle-même, elle doit avoir juridiction sur les sources qui la contiennent. L'Écriture rentre donc, au premier chef, dans le domaine de son enseignement. Étant inspirée et, par conséquent, parole de Dieu, elle appartient directement, par sa nature même et dans tout son contenu, au dépôt doctrinal. Sans lui attribuer l'importance excessive que lui donnent les protestants, il s'ensuit du moins qu'elle devient, pour les croyants une autorité vénérable en matière d'enseignement religieux, un guide de leur conduite et de leur pensée. Ce principe est surtout vrai du Nouveau Testament, où est résumée la prédication de Jésus et la doctrine de ses témoins immédiats. Par conséquent, il est capital d'assurer aux fidèles la vraie signification de l'Écriture et de prévenir les erreurs qui pourraient se couvrir de son nom. C'est dire que l'Église manquerait à sa mission théorique et pratique si ses pouvoirs ne s'étendaient jusque-là.

Voilà pourquoi le concile de Trente et, après lui, le concile du Vatican, voir plus haut col. 2294 sq., posent comme une sorte de postulat le droit qui appartient à l'Église de se prononcer, soit, d'un point de vue extérieur, sur l'interprétation des Écritures, soit, d'un point de vue objectif et intérieur, sur leur véritable sens : Ecclesia cujus est judicare de vero sensu et interpretatione Scripturarum sanctarum, privilège lié à tout le dogme de l'Église, et dont la justification a pris un grand développement en théologie depuis la controverse protestante.

Or le magistère extraordinaire est, à n'en pas douter, un des moyens les plus autorisés par où se manifeste l'enseignement de l'Église. A ce titre, il bénéficie d'une assistance spéciale du Saint-Esprit et peut, dans les conditions voulues, offrir le caractère d'infaillibilité. Comme, par hypothèse, il entre en action dans des circonstances déterminées et s'exprime en documents précis, il a tout ce qu'il faut pour se prononcer avec la clarté désirable. Si donc le besoin se fait sentir d'éclairer sur quelque point le sens de l'Écriture ou de trancher quelque controverse soulevée à son sujet, le magistère extraordinaire est apte à le faire tout à la fois avec précision et avec autorité.

C'est évidemment à l'Église qu'il faut laisser le soin d'apprécier s'il est pour elle opportun ou non d'intervenir ; mais il est certain qu'en intervenant elle reste dans son rôle. Et si l'on suppose que le pape ou un concile interprète officiellement le sens de tel passage scripturaire, ne pas accepter cette interprétation

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serait mettre en cause l'autorité même de l'Église. Seul un protestant peut avoir l'idée d'opposer un texte mort au magistère vivant. Pour un catholique, dès là qu'il tient l'enseignement spéculatif de l'Église comme règle de foi, l'exégèse de l'Église ne peut pas ne pas être regardée comme fixant le sens authentique des Écritures, qui sont un des éléments et une des sources de la foi.

b) Diverses formes du magistère extraordinaire. — En matière d'interprétation scripturaire, comme dans l'enseignement doctrinal proprement dit, le magistère de l'Église peut prendre et a pris de fait des formes diverses. Non seulement les documents ecclésiastiques ne se présentent pas tous suivant le même moule extérieur, mais ils diffèrent considérablement par la manière plus ou moins catégorique d'affirmer la doctrine qui en fait l'objet. Sans prétendre énumérer toutes les modalités que l'étude des cas particuliers fait apparaître au lecteur attentif, il est indispensable d'indiquer au moins les principales. Quand il s'agit de textes officiels, les moindres nuances de rédaction ont leur prix. Ici elles ne vont à rien de moins qu'à nous donner la mesure dans laquelle l'Église entend s'engager.

On peut supposer tout d'abord que l'interprétation d'un texte scripturaire fasse l'objet direct et formel d'un acte conciliaire ou pontifical. Dans ce cas, il est évident que le magistère de l'Église revêt le maximum de valeur. Un vague rappel des Écritures ne pourrait donner que des indications générales : les cas de ce genre, s'il s'en présente, manquent nécessairement de netteté et d'efficacité pratiques. Mais il en va autrement quand il s'agit d'un texte circonscrit dont l'Église affirme le sens. Le cas peut se produire, et il s'est produit, pour des textes d'une particulière importance au point de vue dogmatique. Dès lors, l'objet étant nettement déterminé, si l'Église de son côté exprime clairement son intention de définir, on est en présence d'un véritable enseignement doctrinal, d'une définition stricte, qui ne diffère des autres que parce qu'elle repose sur une base documentaire. C'est, en effet, là ou jamais que l'Église remplit sa fonction de juge des Écritures, en arrêtant le sens contesté d'un texte qui est son bien, en interprétant d'une manière officielle sa signification dans l'ensemble d'une doctrine dont il contient partiellement l'expression.

Peu importe, en principe, que la formule de l'enseignement ecclésiastique soit positive ou seulement négative. Sans s'interdire les affirmations quand elles sont nécessaires, l'Église semble affectionner de préférence cette dernière méthode, qui s'oppose plus directement aux variétés de l'erreur. Mais toute négation comporte une affirmation correspondante, surtout quand la forme négative, comme il arrive le plus souvent, n'est qu'une manière de suggérer la contradictoire affirmative. Dans le cas d'une interprétation scripturaire, l'affirmation donne le sens à tenir, tandis que la négation se contente d'écarter un ou plusieurs sens inexacts. Quand le sens vrai en ressort immédiatement, le résultat est à peu près le même. Et s'il n'en ressort pas, c'est que l'Église a voulu manifester sa réprobation pour une erreur certaine, sans fixer à l'exégète sa voie parmi les interprétations librement reçues. Car la logique oblige d'admettre qu'il y a bien des moyens différents de se mettre en garde contre une erreur donnée. De toute façon, l'enseignement de l'Église demeure, avec la nuance spéciale que celle-ci a jugé à propos d'y attacher.

A ces diverses manières d'interpréter directement le sens de l'Écriture faut-il ajouter le cas de ce qu'on a parfois appelé les définitions indirectes ? Il se produirait lorsque l'Église rapporte un texte scripturaire comme preuve d'une vérité dogmatique, sans cepen-

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dant proprement le définir. Patrizzi, Institutio de interpretatione Bibliorum, Rome, 1876, p. 103 et Corluy, L'interprétation de la sainte Écriture, dans la Controverse, juillet 1885, p. 424, ont pensé qu'il y avait là une interprétation de fait équivalente à une définition. Là-contre on a fait observer que, d'après la jurisprudence universellement admise, il est entendu que l'autorité de l'Église ne porte que sur la définition proprement dite, sans garantir les arguments qu'elle peut invoquer à son appui.

Tout en reconnaissant « la justesse de cette raison », M. Vacant essaie de sauver la thèse au nom de « l'enseignement du magistère quotidien et universel, que les conciles et le pape supposent lorsqu'ils invoquent le sens d'un texte en preuve d'une définition. Invoquer ce sens, c'est dire, en effet, équivalemment qu'il est admis comme indubitable par l'Église. » Études théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895,t.i, p. 549. Sans doute ; mais ce n'est pas dire s'il est admis à titre dogmatique et comme intéressant la foi ou simplement utilisé à titre théologique, suivant les convictions personnelles de l'auteur ou la science du moment. Le principe est donc insuffisant en lui-même pour garantir une certitude. Au surplus, il serait difficile, de l'accommoder avec tant de cas où l'on voit un enseignement du magistère appuyé sur des arguments notoirement caducs. Qui voudrait soutenir, par exemple, que l'autorité de la bulle Unam sanctam couvre l'allégorie des deux glaives ou les autres adaptations scripturaires qui en forment le dispositif ? « Par conséquent, conclut le même théologien, les textes invoqués par un concile ou un pape en preuve d'une vérité définie doivent être considérés comme prouvant cette vérité. » Ibid. On ne peut admettre cette conclusion qu'en ajoutant : dans l'esprit de leur auteur. « Un texte apporté comme argument, même dans un document ex cathedra, n'est pas censé, par ce fait seul, être authentiquement défini, bien qu'il jouisse, de ce chef, d'une autorité particulière. » Alfred Durand, S. J., Dictionnaire apologétique., art. Exégèse, t.i, col. 1838.

Au lieu de chercher une solution de principe applicable à tous les cas, peut-être serait-il d'une meilleure méthode de distinguer les espèces. Il arrive quelquefois qu'un texte biblique soit invoqué par l'Église comme base unique d'une vérité et presque identique avec elle. Dans ce cas, il est juste de dire que la garantie de la vérité s'applique aussi à cette première énonciation scripturaire et que le texte en question bénéficie d'une définition implicite. Il n'en est plus de même pour les textes introduits entre bien d'autres et pour ainsi dire à titre d'explication, en tout cas sans rapport immédiat, nécessaire et exclusif, avec la vérité sur laquelle porte la déclaration dogmatique.

Peut-être pourrait-on trouver d'autres modes d'interprétation implicite en dehors du dossier justificatif plus ou moins compact qui précède généralement les définitions. Ce serait le cas lorsque la pensée de l'Église, sans être formellement exprimée, se déduit nécessairement d'un autre acte doctrinal autorisé. De même qu'il y a des conclusions théologiques plus ou moins rattachées à la foi, il peut y avoir des conclusions exégétiques plus ou moins imposées comme prémisses ou conséquences d'une manifestation plus générale du magistère où elles se trouvent comprises.

Il n'y a pas lieu, bien entendu, de faire état des textes allégués dans les documents officiels à titre d'exhortation pieuse ou de formule littéraire : l'Église s'en sert alors à des fins toutes pratiques et leur laisse leur sens usuel sans autrement le garantir. Autant faut-il en dire de tous les textes cités en passant, sans que rien indique la volonté de les définir. « C'est pour ce motif, dit le savant P. Corluy, toc. cit., p. 425 et

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426, que l'illustre commentateur Mgr Beelen n'a pas cru manquer de respect aux Pères du concile de Trente en interprétant de l'amour de Dieu pour nous ces paroles de l'apôtre : Charitas Dei diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum, Rom., v, 5, quoique le concile (Sess. vi, c. 7, Denzinger-Bannwart, n. 800) les eût employées incidemment dans le sens de l'amour que nous portons à Dieu. » Vacant, op. cit., p. 550.

Ce qu'il y a lieu de retenir de cette analyse, c'est que l'autorité du magistère ecclésiastique, en matière d'interprétation scripturaire comme en toute autre forme d'enseignement doctrinal, doit être vérifiée de près sur les textes eux-mêmes, sans autre souci que de recueillir la pensée de l'Église avec les diverses nuances dont il lui a plu de l'entourer.

c) Quelques exemples. — Tous les auteurs admettent que les interprétations authentiques de l'Écriture par le magistère extraordinaire sont rares. Ainsi Cornely, Introductio in U. T. libros sacros, Paris, 1894, t. i, p. 610 : Textus quorum sensum directadefinitione determinavit (Ecclesia) non admodum multi sunt ; Vacant, op. cit., p. 552 et le P. Lagrange, Revue biblique, 1900, p. 140. Corluy croit pouvoir préciser : « Nous doutons qu'il soit possible d'en énumérer une vingtaine. » Loc. cit., p. 426. Encore ce chiffre est-il sans doute bien approximatif. « On peut dire, écrit le P. Alfred Durand, que le nombre des textes directement définis par l'Église ne dépasse pas la douzaine. » Op. cit., col. 1838. Les interventions ecclésiastiques sont particulièrement rares dans les premiers siècles. Elles se sont surtout produites avec et après le concile de Trente, lorsque les protestants émirent la prétention de trouver dans l'Écriture une arme contre l'Église. Sans vouloir les énumérer toutes, nous en relevons ici quelques-unes à titre d'exemple, suivant les principales catégories que nous avons essayé de distinguer plus haut.

Le symbole de Nicée-Constantinople offre un spécimen de déclaration tout à fait gérérale, quand il écrit que le Christ est ressuscité le troisième jour selon les Écritures : citation de saint Paul, I Cor., xv, 4, qui s'applique sans doute plutôt à l'Ancien Testament, sans qu'il soit aisé de dire à quel texte exact, et que l'Église ne précise pas plus que l'apôtre. Il est évident qu'aucune exégèse ne saurait ressortir d'enseignements aussi indéterminés.

D'autres portent sur des textes précis, mais seulement d'une manière négative. Ainsi le concile de Carthage décide contre les pélagiens que des paroles telles que Matth., vi, 12 et I Joa., i, 8 ne doivent pas être entendues comme de simples formules d'humilité, Denzinger-Bannwart, n. 106 et 108, mais signifient que chacun de nous a vraiment des péchés sur la conscience, sans d'ailleurs dire lesquels. À l’encontre des protestants, le concile de Trente, ibid., n. 930, enseigne que le chapitre sixième de saint Jean ne donne pas comme étant de précepte divin la communion sous les deux espèces. Cet enseignement vise surtout les versets 54, 55 et 57, mais uniquement pour réprouver l'interprétation protestante, sans préjuger, comme le concile s'en explique formellement, aucune des opinions exégétiques accréditées par les Pères et les docteurs, ulcumque juxta varias sanctorum Patrum et doctorum interpretationes intelligatur. La condamnation de la doctrine luthérienne sur la concupiscence a la même portée par rapport à Rom., vi, 12 sq. Sess. v, can. 5; ibid., n. 792.

« Ainsi en condamnant cette proposition de Baius : Quamdiu aliquid concupiscentiæ carnalis in diligente est, non facit præceptum : Diliges Dominum Deumex toto corde tuo, Prop. 76, Denzinger-Bannwart, n. 1076, l'Église nous a laissés libres de choisir entre les divers autres

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sens que les exégètes catholiques donnent aux mots : ex toto corde tuo. » Vacant, op. cit., t.i, p. 548. Et l'on peut en dire autant des propositions 22, 50 et 75. Denzinger-Bannwart, n. 1022,1050 et 1075. Ces sortes de décisions ecclésiastiques ont moins pour but de déterminer le vrai sens de l'Écriture que de condamner l'abus que des hérétiques ou des théologiens mal inspirés en faisaient indûment au profit de thèses tendancieuses ou fausses.

Mais il est aussi des cas où la condamnation d'une interprétation erronée s'accompagne d'un enseignement positif, directement destiné aux croyants. Le plus ancien et le plus complet serait un symbole du concile de Sardique (343), qui rejette d'abord comme blasphématoire et insensée l'exégèse d'après laquelle les Ariens ne voient dans le texte : Ego et Pater unum sumus, Joa., x, 30, qu'un accord des volontés entre le Père et le Fils. « Quant à nous, continue-t-il, nous croyons, affirmons et pensons que cette parole divine est dite à cause de l'unité d'hypostase qui existe entre eux. » Mansi, Concil., t. iii, col. 85. Malheureusement cette profession de foi, qui n'est connue que par Théodoret, Hist. Eccl., ii, 6, P. G., t. lxxxii, col. 1013 et 1016, est regardée comme apocryphe. Voir la note de Séverin Binius, dans Mansi, col. 85-88. Il faut donc renoncer à s'en servir, comme on avait cru pouvoir le faire dans le Dictionnaire de la Bible, art. Herméneutique, t. ii, col. 621.

Le concile de Trente fournit des exemples non moins topiques et d'une incontestable authenticité. Ainsi le texte de Joa., iii, 5, doit s'entendre d'une « eau véritable et naturelle », c'est-à-dire du rite baptismal, et non pas d'un sens métaphorique quelconque. Sess. vii, De bapt., can. 2, Denzinger-Bannwart, n. 858. De même faut-il lire la présence réelle dans les paroles de l'institution eucharistique, cum propriam illam et apertissimam significationem præ se ferant secundum quam a Patribus intellecta sunt, sess. xiii, cap. 1, ibid., n. 874 ; le sacrement d'extrême-onction dans le texte de Jac, v, 14-15, avec l'indication de ses effets et de son ministre, sess. xiv, cap. 1-3, ibid., n. 908-910 ; le pouvoir sacramentel de remettre les péchés et non le droit de prêcher l'Évangile dans Joa., xx, 22, même session, can. 3, cf. can. 10 ibid., n. 913 et 920 ; l'institution du sacerdoce dans les paroles : Hoc facite in meam commemorationem, prononcées par le Christ à la dernière cène, sess. xxii, can. 2, ibid., n. 949.

Beaucoup plus nombreuses seraient les définitions indirectes, si l'on pouvait accorder ce titre à tous les arguments bibliques invoqués dans les documents conciliaires ou pontificaux. Mais on a vu plus haut qu'il faut apporter à ce principe de sérieuses atténuations. Tout au plus peut-on retenir les cas où un texte biblique est tellement incorporé au dogme qu'affirmer celui-ci équivaut à définir celui-là. Ainsi le célèbre passage de saint Paul, Rom., v, 12, déjà cité par le concile de Carthage comme preuve du péché originel, Denzinger-Bannwart, n. 102, et repris dans ce même sens par le concile de Trente, sess. v, can. 2 et 4, ibid., n. 789 et 791. Ou encore les textes évangéliques, Matth., xvi, 17-19 et Joa., xxi, 15-17, rapportés par le concile du Vatican pour légitimer la primauté universelle et immédiate de saint Pierre, sess. iv, cap. 1, ibid., n. 1822.

Plus lâche est déjà le lien que le concile d'Orange établit entre ses définitions dogmatiques et les textes scripturaires qu'il invoque pour les justifier. Can. 1 sq., ibid., n. 174 sq. De la grâce en particulier il est dit : Innumerabilia sunt sanctarum scripturarum testimonia quæ possunt ad probandam gratiam proferrri, sed brevitatis studio prætermissa sunt. Ibid., n. 199. Ce qui tend à suggérer que le dossier scripturaire du concile

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est plutôt une indication d'ordre théologique qu'une véritable interprétation. A plus forte raison en est-il ainsi pour Innocent III s'appuyant sur Rom., xiv, 23, en vue de définir la nécessité de la bonne foi dans la prescription. Conc. Lateran. iv, c. 41, ibid., n. 439, ou pour le concile du Vatican lorsqu'il applique à la crédibilité le rationabile obsequium que saint Paul, Rom., xii, 1, disait du culte dû à Dieu. Ibid., n. 1790.

Comme exemples d'interprétations implicitement comprises dans des actes ecclésiastiques d'un autre ordre, on peut citer la quatrième session du Ve concile œcuménique (553) où furent lus divers extraits théologiques et exégétiques de Théodore de Mopsueste, qui, tous ensemble, furent frappés d'une réprobation collective très véhémente. Mansi, Concil., t. ix, col. 202-230. Les tendances nestoriennes reprochées à l'auteur avaient inspiré maints détails de son exégèse. En condamnant celles-là, le concile invitait par là-même à rectifier celle-ci : Il faut d'ailleurs tenir compte du fait que la condamnation demeure tout à fait indéterminée. Quelques passages précis sont insérés dans le canon 12, relatif aux Trois Chapitres, comme infectés de nestorianisme, Denzinger-Bamrwart, n. 224 : l'exégète croyant y trouvera marquée la pensée de l'Église sur la portée christologique de Joa., xx, 22 et 28.

Plus récemment, les censures sévères dont le pape Pie VI a frappé l'ouvrage d'Isenbiehl sur la prophétie de l'Emmanuel, Bref Divina Christi Domini voce du 20 septembre 1779, Cavallera, Thésaurus, n. 109, sont bien faites pour accréditer l'interprétation traditionnelle d'Is., vii, 14. Voir Dictionn. de la Bible, t. i, col. 395. Encore faut-il observer que le docteur viennois est condamné pour avoir refusé à cet oracle une signification messianique quelconque, ullo sensu sive litterali sive typico. On voit, en conséquence, que le bref laisse une réelle latitude à l'exégète catholique, pourvu que cet extrême soit évité.

d) Valeur du magistère extraordinaire. — Quelle que soit la forme sous laquelle se présente le magistère extraordinaire, il faut lui reconnaître une portée double.

Il a d'abord et à tout le moins une valeur négative, en ce sens qu'on n'a plus le droit d'attribuer au texte scripturaire ainsi interprété une signification contraire à celle qu'impose l'Église. Mais cela ne suffit pas et il faut lui accorder une valeur positive, c'est-à-dire une autorité propre à nous fixer sur le vrai sens du texte et qui exige l'adhésion intérieure de notre esprit. Par hypothèse, en effet, la définition ecclésiastique ne consiste pas seulement à déclarer vraie telle doctrine, mais à la déclarer contenue dans tel passage de l'Écriture. Dès là que l'autorité de l'Église est formellement exprimée, elle s'étend à la question de fait non moins qu'à la question de droit. Voir Franzelin, Tractatus de divina traditione et Scriptura, 3e édition, Rome, 1882, p. 219.

Cette doctrine n'est qu'une conclusion des principes catholiques sur l'autorité enseignante de l'Église. Mais son application pratique reste également soumise aux règles générales posées par la théologie et qui se ramènent à une étude minutieuse de chaque document, de manière à réaliser, sans excès ni défaut, tout l'enseignement qu'il contient.

2. Interprétation par le magistère ordinaire. — Avec le magistère extraordinaire, faut-il faire intervenir dans l'interprétation des Écritures l'autorité du magistère ordinaire ? Il paraît que ce point aurait été contesté. Vacant, op. cit., p. 546. Contre quoi il est facile de faire observer que le magistère ordinaire représente, en principe, aussi bien que le magistère extraordinaire, la pensée de l'Église. Dès lors, il faut lui reconnaître la même qualité pour fixer le croyant sur le vrai sens de l'Écriture. Si l'on suppose qu'un texte scrip-

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turaire puisse être formellement interprété par ces voix diffuses où s'expriment la pensée et la vie de l'Église, il n'y a plus aucune raison valable qui empêche de reconnaître ce sens pour is... quem tenuit ac tenet sancta mater Ecclesia.

La question, si tant est qu'elle ait sérieusement existé, a d'ailleurs été résolue par Léon XIII, qui rappelle expressément que le sens des Écritures est authentiquement déclaré par l'Église, sensus authentice declaratur, suivant les principes posés au concile du Vatican, n. 1792, sive solemni judicio sive ordinario et universali magisterio. Encyclique Providentissimus, dans Cavallera, Thésaurus, n. 73.

Aussi bien cette minime divergence est-elle sans doute le fruit d'une équivoque. Tout ce que voulaient dire les théologiens qui ont l'air de s'opposer à la compétence du magistère ordinaire, c'est qu'il ne figure pas propris terminis dans le décret promulgué par le concile de Trente et renouvelé au concile du Vatican. La raison de cette omission, telle qu'elle résulte des délibérations conciliaires, est simplement celle-ci : que le magistère ordinaire est équivalemment désigné par les mots qui suivent sur le consentement unanime des Pères. Pratiquement donc ce deuxième mode d'enseignement ecclésiastique se confond avec les règles dont il nous reste à parler.

Du moins ne saurait-il en être autrement avec la conception du magistère ordinaire communément admise par les manuels. Peut-être cependant y aurait-il lieu de faire entrer dans cette catégorie les formes secondaires du magistère ecclésiastique, c'est-à-dire les enseignements des conciles et des papes qui ne revêtent pas un caractère définitif, puis encore les décisions doctrinales des congrégations romaines. Tous actes qui se réfèrent jusqu'à un certain point au magistère extraordinaire par la précision de leur teneur et la solennité relative de leur exercice, mais qui s'en distinguent par une moindre autorité.

Quoi qu'il en soit de la nomenclature, on ne saurait oublier que ces sortes d'actes renferment des enseignements importants dans l'ordre de l'interprétation scripturaire. Pour ne rappeler que les plus directs, le décret Lamentabili, publié par le Saint-Office en date du 3 juillet 1907, outre certaines indications générales, par exemple sur le caractère historique du quatrième Évangile, prop. 16, Denzinger-Bannwart, n. 2016, sur la preuve évangélique de la divinité du Christ, prop. 27 et 30, ibid., n. 2027 et 2030, sur le sens de ses miracles, prop. 28, ibid., n. 1028, en donne aussi de plus précises sur la foi primitive en la résurrection comme fait historique, prop. 37, ibid., n. 2037, sur l'idée de mort rédemptrice dans l'Évangile, prop. 38, ibid., n. 2038, et la fondation de l'Église par le Christ, prop. 52, ibid., n. 2052, sur l'usage apostolique de la confirmation, prop. 44, ibid., n. 2044. Il promulgue enfin des enseignements tout à fait déterminés sur le récit de l'institution eucharistique dans saint Paul, prop. 45, ibid., n. 2045, le fondement scripturaire des sacrements de pénitence, prop. 47, ibid., n. 2047 et d'extrême-onction, prop. 48, n. 2048.

Dans la suite, la commission biblique a tranché plusieurs questions relatives, non seulement à l'authenticité des livres saints, mais à l'explication de quelques passages jugés plus importants ou plus actuels. Un décret du 29 mai 1907 condamne l'application, totaliter vel ex parte, de la méthode allégorique au quatrième Evangile et confirme le caractère historique, affirmé déjà par le décret Lamentabili,des récits et des discours qu'il contient. Denzinger-Bannwart, n. 2112. Le 29 juin 1908, la commission impose d'admettre que les oracles que nous lisons au livre d'Isaïe et dans les autres livres de l'Écriture, passim in Scripturis, sans davantage préciser lesquels, sont veri nominis vali-

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cinia, c'est-à-dire de vraies prédictions de l'avenir et qui dépassent les intuitions naturelles du voyant. Ibid., n. 2115. A la date du 30 juin 1909, la commission se prononce, dans un décret très circonstancié, sur le caractère historique des trois premiers chapitres de la Genèse, en précisant qu'il faut se tenir au sens littéral ubi agitur de factis... quæ christianæ religionis fundamenta attingunt et indiquant en même temps la part de symbolisme qui reste autorisée. Ibid., n.2121-2128. Dans le décret du 1er mai 1910 sur le Psautier, la dernière question fournit l'occasion de proclamer qu'il y a plures psalmi prophetici et messianici et qu'il faut absolument rejeter l'opinion de ceux qui les voudraient entendre tous du peuple juif et de son avenir. Ibid., n. 2136. Plus tard, la commission s'est encore expliquée, d'une manière générale, sur la valeur historique de l'Évangile de saint Matthieu, ibid., n. 2153, de saint Luc, ibid., n. 2163 et du livre des Actes, ibid., n. 2170-2171. D'une manière plus précise, le 18 juin 1915, elle interdit de voir, au détriment de l'interprétation traditionnelle, l'affirmation de la parousie prochaine dans les écrits de saint Paul. Ibid., n. 2179-2181.

Ces divers décrets portent tous in rébus fidei vel morum et appartiennent, par conséquent, à l'objet sur lequel s'exerce d'une matière incontestable la juridiction de l'Église en matière d'exégèse biblique. Il est aujourd'hui reconnu qu'il n'en était pas de même pour le célèbre décret du saint-office qui condamne les théories de Galilée comme contraires à l'Écriture, et qu'un théologien prudent appelle notissimus casus erroris. Bainvel, De Scriptura sacra, p. 39. Voir Galilée, t. vi, col. 1075-1082.

Or le pape Pie X, par un motu proprio en date du 18 novembre 1907, a conféré à la commission biblique la même autorité qu'aux congrégations précédemment établies et, partant, imposé à tous les fidèles un devoir formel de soumission, sous .peine de désobéissance et de témérité. Denzinger-Bannwart, n. 2113-2114. La théologie analyse la nature exacte de cette autorité et le genre d'adhésion qui en est la conséquence. Voir Congrégations romaines, t. iii, col. 1108-1111 et L. Choupin, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du Saint-Siège, Paris, 2e édition, 1913. Il suffit de noter ici que cette source n'est pas à négliger pour connaître l'interprétation ecclésiastique des Écritures et que l'exégète doit tenir compte, dans la mesure prescrite par les principes généraux du droit, des enseignements qu'elle fournit.

II. Règles auxiliaires :Le sentiment des Pères de l'Église. — Après avoir étudié en détail la règle fondamentale d'interprétation catholique, qui consiste à suivre le sens tenu par l'Église, il reste peu à dire sur les autres règles, qui ne sont, au total, que des auxiliaires de la précédente et se réfèrent au même principe sans guère soulever de problèmes nouveaux. On se contentera de rappeler ce qui est propre à chacune. La première est fournie par la tradition patristique, dont l'autorité devait se retrouver dans la présente matière comme dans le reste de la théologie. Voir Pères de l'Église. !

1° Principe de cette règle. — 1. Elle est formellement énoncée dans le décret du concile de Trente cité plus haut. Il est même à remarquer, d'après la construction du texte, qu'elle est mise exactement sur le même pied que l'autorité de l'Église proprement dite : Nemo sacram Scripturam... contra eum sensum quem tenuit et tenet sancta mater Ecclesia... aut etiam contra unanimem consensum Patrum ipsam Scripturam sacram interpretari audeat. Désireux de contenir les petu-lantia ingénia dont l'esprit de la Réforme a multiplié les audaces, le concile oppose aux initiatives désordonnées du libre examen une double barrière : l'inter-

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prétation de l'Église et l'accord unanime des Pères. Ce rapprochement indique assez que ces deux règles ne sont pas étrangères l'une à l'autre : la voix des Pères, dans les conditions voulues, n'est qu'une autre manière de faire entendre la voix même de l'Église. Le concile venait de consacrer, à l’encontre des protestants, l'autorité de la tradition comme source de la révélation. Sess. iv, Décret. de can. script., Denzinger-Bannwart, n. 783. Il était normal qu'il fit à cette tradition, exprimée par le consensus des Pères, une place officielle dans l'interprétation des Écritures.

Cette règle n'avait, au demeurant, rien que de traditionnel. Il est inutile de démontrer ici l'autorité prépondérante de la tradition dans l'ancienne Église. Contre les hérétiques du temps, saint Irénée déjà, Contra hær., 1 iv, c xxvi, 5, P. G., t. vii, col. 1056, et Tertullien, De præscript. hær., c. xvii-xix, font profession d'y subordonner l'intelligence de l'Écriture sainte. Ainsi en est-il des grands exégètes catholiques du ive siècle. Convaincu qu'on ne peut rien comprendre aux « Écritures sans la grâce de Dieu et la doctrine des anciens, » saint Jérôme porte sur ce terrain ce souci habituel qu'il exprimait à Théophile : Nobis nihil esse antiquius quam Christi jura servare nec Patrum transferre terminos, Epist., lxiii, 2, P. L., t. xxii, col. 607. En conséquence, il se préoccupe de connaître et se fait un devoir de suivre, dans ses études scripturaires, la doctrine des anciens. Epist., xlviii, 15 et lxxxiii, 3, col. 505 et 745. A la même époque, saint Basile et saint Grégoire de Nazianze, au rapport de Rufin, cherchaient dans leur solitude la science des Écritures ex majorum scriptis et auctoritate..., quos et ipsos ex apostolica successione intelligendi regulam suscepisse constabat. Rufin, Hist. eccl., ii, 9, P. L., t. xxi, col. 518.

Pour justifier cette intelligendi régula, saint Augustin en appelle au bon sens. Si, pour apprendre la moindre science humaine on a besoin d'un maître, c'est folie de vouloir s'en passer pour la science divine. Quid temerariæ superbiæ plenius quam divinorum sacramen torum libros ab interpretibus suis nolle cognoscere ! De util. credendi,c. xvii,35, P.L.,t. xlii, col. 91. Saint Vincent de Lérins soumet l'interprétation des Écritures à son système général de la tradition, synthétisé dans l'adage : Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus creditumest. Commonitorium, 2 et 27, P.L.,t. l, col. 640, 674. En pleine controverse christologique saint Léon rappelle contre Eutychès le principe qui interdit aliter de Scripturis divinis sapere quam beati apostoli et patres nostri didicerunt alque docuerunt. Epist., lxxxii, 1, P. L , t. liv, col. 918. Aux juifs et aux hérétiques voués à un individualisme ruineux, saint Grégoire, ou du moins l'auteur du commentaire sur le livre des Rois qui porte son nom, oppose la sécurité du catholique. Securi sumus... quia per auctorilatem sanctorum prædicatorum Scripturæ intellectum agnoscimus. In I Reg. expos., 1. iv, c. v, 13, P. L., t. lxxix, col. 290.

De cette règle traditionnelle l'autorité ecclésiastique ne manqua pas, à l'occasion, de faire une loi. Le concile dit in Trullo, où l'Église d'Orient a fixé ses plus chères traditions, ordonne aux pasteurs d'âmes de prêcher surtout d'après l'Écriture, mais sans franchir les bornes fixées et la doctrine reçue des Pères. « Si une controverse sur l'Écriture, continue-t-il, vient à surgir, qu'ils ne l'interprètent pas d'une autre manière que les lumières de l'Église et les docteurs dans leurs écrits. Ils en retireront plus de gloire qu'à s'exercer à des compositions personnelles. » Can. 19, Mansi, Concil., t. xi, col. 952. Comme on le voit, ces dispositions sont d'ordre tout pratique, mais elles indiquent bien le sentiment commun de l'Église sur le respect dû aux Pères. On les retrouve en termes presque identiques au seuil des temps modernes. Dans la buhe

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Supernæ majestatis, qui termine le cinquième concile de Latran, le pape Léon X, s'adressant à tous ceux qui evangelicam veritatem populum docturi essent, leur demande ut... S. Scripturam juxta declarationem, interpretationem et ampliationem doctorum quos Ecclesia oel usus diuturnus approbavit explanarent. Mansi, t. xxxii, col. 946.

L'Église elle-même, dans les grandes circonstances, se conforme expressément à ce principe. Avant de condamner la fausse interprétation donnée par Olivi de Joa., xix, 33 sq., le pape Clément V se réfère ad tam præclarum testimonium ac sanctorum Patrum et doctorum communem sententiam, Denzinger-Bannwart, n. 480. En affirmant la primauté de saint Pierre, le concile du Vatican s'appuie sur la doctrine de l'Écriture, ut ab Ecclesia catholica semper intellecta est, Denzinger-Bannwart, n. 1822 : ce qui est une manière indirecte d'en appeler aux Pères, dont il est fait mention expresse un peu plus loin à propos de l'infaillibilité. Ibid., n. 1836. Plusieurs des décrets déjà cités de la commission biblique invoquent nommément l'autorité des Pères. Voir par exemple n. 2122, 2126, 2136, 2181.

Sans parler de ces faits plus récents, il est facile de voir, en tout cas, que le concile de Trente, en donnant comme règle d'interprétation l'accord unanime des Pères, ne formulait pas précisément une règle nouvelle. Il ne faisait que consacrer, avec le relief spécial que demandaient les circonstances, un principe depuis longtemps accrédité et parfaitement conforme à l'esprit de l'Église.

2. De là cette règle est passée dans la profession de foi de Pie IV, sauf qu'elle s'y présente sous une forme positive, résultant elle-même d'une double négation qui en accentue la vigueur et la portée. Après avoir affirmé sa pleine soumission au sens de l'Église, le croyant continue, comme pour tirer une conséquence de cette position initiale : Nec eam (Scripturam) unquam nisi juxta unanimem consensum Patrum accipiam et interpretabor. Denzinger-Bannwart, n. 995. La formule conciliaire n'est pas sensiblement modifiée ; mais la construction affirmative qu'elle reçoit, l'adverbe nec unquam qui en précise la stricte universalité, la conjonction nisi qui en marque le caractère absolu contribuent certainement à en mettre en plus grand relief la plénitude doctrinale et à rendre incontestables les obligations pratiques qu'elle impose.

2. En renouvelant le Decretum Tridentinum, le concile du Vatican s'est préoccupé d'en conserver intégralement la teneur. Cependant l'introduction de la clause relative au sentiment des Pères a eu toute une histoire, dont les actes du concile ont gardé longuement la trace.

Dans le premier projet, œuvre de Franzelin, le consentement des Pères figurait à côté du jugement de l'Église et sur le même plan positif : Illum s. Scripturæ sensum verum habendum esse, quem ab Ecclesia... vel unanimi consensione Patrum declaratum aut definitum esse constiterit. Coll. Lac, t. vii, col. 509. Une note justificative expliquait que ce parallélisme était voulu, parce que le consentement unanime des Pères n'est pas autre chose dans ce cas que le consentement même de l'Église : Quod præter judicium Ecclesiæ etiam unanimis consensus Patrum statuitur tamquam norma interpretationis, facile patet hujusmodi... consensum... esse consensum. ipsius Ecclesiæ. Ibid., col. 523.

C'est peut-être pour cela que cette mention fut jugée superflue. Toujours est-il que, dans les séances d'études tenues par la députation de la foi, les 4 et 6 mars, divers amendements furent présentés en vue de supprimer ce passage. Ibid., col. 1653 et 1655. Il fut, en effet, supprimé dans le nouveau texte soumis

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aux délibérations de l'assemblée. Ibid., col. 72. Une note additionnelle exposait le motif de cette suppression. Elle avait été demandée par la majorité des Pères, plurium non omnium Patrum sententia, parce que cette règle paraissait faire double emploi avec le jugement de l'Eglise qui précédait. In idem recidunt quod, cognito unanimi Patrum consensu, Ecclesiæ sensum cognoscitur. Etenim unanimis ille consensus Patrum Ecclesiæ sensum et fidem testatur et Ecclesia semper professa est se Patrum vestigiis inhærere. Ibid., col. 80.

Battue en commission, la minorité prit sa revanche dans la discussion publique. Cinq amendements proposaient avec des nuances diverses de rétablir, sous une forme ou sous une autre, l'idée, sinon le texte, du concile de Trente. La raison principale était qu'on ne voulait pas avoir l'air de corriger un document aussi vénérable. Mais il y avait en outre des scrupules théologiques : les uns tenaient ce critère pour insuffisant, practice non est régula interpretationis adæquata, tandis que d'autres semblaient le donner comme nécessaire, tessera ad cognoscendum quid Ecclesia teneat. Ibid., col. 124. Renvoyée à la commission, la question y fut l'objet de longs et vifs débats.

Nulla de re, témoigne le rapporteur, Mgr Gasser, toties et tam acriter in deputatione fidei disputatum et decertatum est quam de hac re. La formule positive insérée dans la première rédaction paraissait acceptable au regard des principes ; mais elle semblait imposer une nouvelle limite à la liberté des savants catholiques et instituer pour ainsi dire deux tribunaux : l'un officiel, celui de l'Église, l'autre soumis à l'appréciation privée, le sentiment des Pères. D'autre part, la « formule tronquée » de la deuxième rédaction soulevait des oppositions irréductibles de la part de la minorité. Cela étant, in tanta difficultate rerum, on aboutit à une transaction. Le rapporteur proposa une formule double, formula quasi duplicata. Elle affirmait d'une part le sens tenu par l'Église comme positivement obligatoire et par là précisait la pensée du concile de Trente contre les erreurs du jour. D'autre part, elle ajoutait, à titre de complément, la formule négative adoptée à Trente, où le consentement des Pères est inscrit à côté du sens de l'Église, le tout formant la double règle qu'il est interdit àl'exégète de violer. Ibid., col. 144-146.

Mgr Gasser concluait modestement : In tanta penuria boni concilii, nihil aliud possum facere quam hanc formulam commendare. Cet effort de conciliation ne fut pas vain. La formule à double étage ainsi élaborée donna satisfaction à la quasi-unanimité des Pères, ab omnibus admissa est paucissimis exceptis. Ibid., col. 147. C'est elle qui est entrée dans le projet définitif, et qui votée en congrégation générale, est devenue le texte officiel.

Il ressort des Actes conciliaires qu'on vient d'analyser que ces discussions n'eurent jamais pour cause une incertitude, ou seulement une hésitation, sur le bien fondé de cette règle, mais uniquement l'opportunité d'en faire mention expresse et, dans ce cas, la manière de la libeller. Le problème était de conserver l'affirmation traditionnelle sur l'autorité des Pères, sans avoir l'air de la mettre en concurrence avec l'assertion relative à l'autorité de l'Église. Il fut résolu par une distinction des plans logiques, où les deux éléments sont pratiquement sauvegardés et spéculativement équilibrés. La règle fondamentale d'interprétation scripturaire, positivement obligatoire pour le catholique, est de s'en tenir au sens reçu par l'Église : is pro vero sensu... habeatur quemtenuit ac tenet... Ecclesia. Mais il en résulte comme conséquence qu'il n'est permis à personne d'aller, soit contre ce sens, soit contre le sentiment unanime des Pères : atque ideo nemini licere contra hunc sensum aut etiam contra unani-

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men consensum Patrum ipsam Scripturam sacram interpretari. Ce qui tend à suggérer, une fois admis le principe dogmatique de la juridiction ecclésiastique sur l'interprétation des Écritures, qu'à défaut du magistère l'accord unanime des Pères est une des formes sous lesquelles le sentiment de l'Église se manifeste à nous.

Telle est, au regard même de l'Église la raison d'être de cette règle. C'est dans ce sens également que la théologie en comprend la valeur. « Souveraine, écrit Léon XIII, est l'autorité des Pères chaque fois qu'ils expliquent tous d'une seule et même manière quelque témoignage biblique comme appartenant à la doctrine de la foi ou des mœurs. Car de cet accord même il ressort nettement que, selon la foi catholique, ce point vient des apôtres par tradition. » Encycl. Providentissimus, Denzinger-Bannwart, ii. 1944. « En matière de doctrine dogmatique ou morale le consentement unanime des Pères n'est qu'un mode particulier de manifestation de la foi de l'Église et de son magistère ordinaire, de telle sorte que cette règle ne diffère de la précédente que pour la forme suivant laquelle l'enseignement ecclésiastique est donné, et non pour le fond. » Dict. de la Bible, art. Herméneutique, t. ii, col. 626.

2° Application de cette règle. — Pour remplir son rôle de règle efficace en matière exégétique, le consentement des Pères est soumis aux conditions générales que le traité De locis theologicis établit pour leur autorité. La vérification doit en être ici d'autant plus stricte qu'il s'agit d'un objet d'ordre plus précis.

1. Cet accord, suivant la formule conciliaire, doit être unanime. Alors seulement il exprime la pensée de l'Église, tandis que des voix isolées, à plus forte raison si d'autres les contredisent, ont chance de ne représenter que des opinions particulières. Bien entendu, il suffit d'une unanimité morale : l'autre serait pratiquement inconstatable et n'existe pour ainsi dire jamais. Cette unanimité morale est, du reste, assez difficile à vérifier. On peut en acquérir une assurance suffisante au profit d'une interprétation scripturaire quand elle apparaît notablement répandue, fermement affirmée chez des Pères d'écoles différentes et d'incontestable autorité, sans soulever nulle part d'opposition. A ces critères il faut toujours ajouter celui du temps. Il ne suffit pas que l'unanimité existe à un moment donné : il faut encore qu'elle s'affirme et qu'elle dure. Si elle venait à fléchir ou à disparaître, ce serait la preuve qu'elle procédait de quelque motif accidentel. Vacant, op. cit., t.i, p. 552 et t. ii, p. 115.

De toutes façons, l'unanimité des Pères ne doit pas être affirmée à la légère. C'est un fait positif, et qui demande à être établi preuves en mains. « Il sera utile de ne pas se fier aveuglément aux commentateurs lorsqu'ils allèguent l'autorité des Pères. Il y en a, en effet, qui donnent des conjectures de quelque Père pour un monument de la tradition ou pour un dogme réel. » Trochon, Introd. gén., Paris, 1901, t. i, p. 522. « C'est à une facilité indiscrète d'écrire : Omnes Patres consentiunt que nous devons le discrédit qui s'attache de nos jours à l'argument de tradition, tel qu'il a été pratiqué par beaucoup de théologiens et d'exégètes depuis le xvre siècle. » A. Durand, S. J., Dictionnaire apologétique, art. Exégèse, t. i, col. 1839.

2. A l'unanimité de consentement il faut joindre l'identité de son objet. Condition élémentaire de logique, mais que des exégètes compétents n'ont pas cru inuile de rappeler.

« Le seul fait du consentement des Pères, surtout en matière d'exégèse, autorise à présumer qu'il n'a pas eu sa cause dans une opinion purement humaine... Cependant ce n'est là qu'une présomption. Il faudra considérer encore l'objet précis sur lequel porte le consentement... : il peut arriver qu'il n'y ait pas réelle-

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ment accord sur un seul et même objet. » A. Durand, loc. cit., col. 1838-1839. Suit un exemple caractéristique rappelé par le même auteur d'après Cornely. « Le P. Patrizi : In Actus Ap., viii, 33, a fait une enquête complète de la tradition exégétique au sujet d'Is., liii, 8 : Generationem efus quis ennarabit ? A l'exception de trois auteurs seulement, avant le xvie siècle, tous les auteurs ont interprété ce texte de la génération du Christ, mais 39 de la génération éternelle, 4 de la génération temporelle, 20 de l'une et de l'autre. » D'où il suit qu'il n'y a pas de consentement réel et que les exégètes ont le droit, jusqu'à nouvel ordre, de revendiquer leur liberté.

3. Même unanime et univoque, l'autorité patristique n'a de valeur absolue que dans les limites fixées par le décret conciliaire, c'est-à-dire in rébus fidei et morum. Ce qui exclut les questions qui relèvent de la science profane, où les Pères ne pouvaient avoir que les lumières de leur temps, et réserve leur compétence aux doctrines qui intéressent la révélation.

« En effet, écrit le P. Cornely, le témoignage des Pères est à recevoir parce que et dans la mesure où ils sont les témoins de la foi apostolique... Rien n'empêche, par conséquent, que, dans les matières qui ne touchent pas la foi ou les mœurs, comme l'histoire, les sciences naturelles et autres questions de ce genre, nous puissions nous écarter de leurs explications. » Op. cit., p. 611-612. « De l'aveu de tous, l'obligation créée par le décret du concile ne s'étend pas, du moins directement, aux explications philologiques, scientifiques, purement historiques, sans connexion nécessaire avec la doctrine catholique, ni aux applications morales d'un caractère simplement édifiant, alors même que, pour des raisons étrangères à la révélation, les Pères s'accorderaient à entendre, de ce point de vue, un texte dogmatique. »A. Durand, loc. cit., col. 1837.

Les progrès de l'exégèse ont rendu les esprits contemporains plus attentifs à marquer ces limites ; mais le principe en appartient à la théologie la plus traditionnelle. Saint Thomas a pris soin de bien distinguer ce qui appartient à la substantia fidei et ce qui n'y touche que per accidens. A la différence du premier, ce dernier domaine a toujours autorisé la liberté des opinions. In his quæ de necessitate fidei non sunt, licuit sanctis diversimode opinari, sicut et nobis. In II Sent., dist. II, q. i, art. 3. Cette diversité, assure ailleurs le docteur angélique, sauvegarde parfaitement la vérité des Écritures. Ibid., dist. XII, q. i, art. 2. Léon XIII cite le premier de ces textes, Enc. Providentissimus, Denzinger-Bannwart, n. 1943, et plus loin il reconnaît lui-même que les Pères ont parlé quelquefois prout erant opiniones ætatis in locis edisserendis ubi physica aguntur, Ibid., n. 1948. Dans les controverses récentes sur l'autorité exégétique des Pères, on a vu plus haut quel grand rôle ont joué les principes de saint Thomas. Voir col. 2306.

4. Dogmatique dans son objet, le consentement des Pères, pour s'imposer à nous, doit être encore catégorique dans sa forme. Cette nouvelle condition est une conséquence de la précédente. La doctrine révélée est, en effet, de celles qui ne permettent pas d'hésitation. Si donc les Pères s'expriment avec une constante fermeté, on peut croire qu'ils s'appuient sur l'autorité de la révélation. Mais, quand ils se contentent d'énoncer une opinion ou une conjecture, il est évident qu'ils ne traduisent plus que leur sentiment personnel.

A cet égard il y a lieu de distinguer entre le caractère des ouvrages. Cornely, op. cit., p. 614, place au premier rang les commentaires proprement dits, puis les traités dogmatiques, enfin les écrits ascétiques et les sermons. Il est clair que, pour avoir la pensée ferme et réfléchie des Pères, ces derniers écrits offrent une moindre garantie que les précédents.

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Voilà pourquoi, dans les gloses qui accompagnaient le premier schéma de la constitution De Fide, Franzelin parle d'un unanimis consensus Patrum non opinando sed certa de firma sententia opinantium. Coll. Lac., t. vii, col. 523. Le P. Cornely précise quelques cas où cette condition n'est pas vérifiée. « S'ils parlent d'une manière hésitante ou hypothétique, s'ils exposent comme probables diverses explications du même texte, s'ils touchent à un texte seulement en passant et sans en marquer la signification avec soin, ils ne jouent plus le rôle de témoins, mais de docteurs privés. ... Il peut se faire aussi que les Pères soient unanimes à rejeter une certaine explication, mais qu'ils diffèrent entre eux sur l'exégèse positive du texte. Dans ce cas, il est clair que nous n'avons pas le droit d'admettre l'explication rejetée, mais que nous sommes libres de suivre pour la solution une voie différente de la leur. » Op. cit., p. 612.

5. Enfin il ne suffit même pas de vérifier isolément ces deux dernières conditions, il faut qu'elles soient réalisées simultanément. Le consentement des Pères doit présenter une exégèse ferme, et non seulement sur un objet de foi ou de mœurs, mais qui soit donné expressément comme tel et comme contenu dans tel texte donné. « C'est la circonstance la plus difficile à déterminer, mais aussi celle qui, malheureusement, retient le moins l'attention des auteurs. »A. Durand, loc. cit., col. 1839.

Il n'en est pourtant pas de plus nécessaire. Car si les Pères n'établissent pas une connexion directe et réfléchie entre telle interprétation scripturaire et telle affirmation doctrinale, nous n'avons pas le droit de l'établir en leur nom. On peut toujours, dans ce cas, supposer que l'uniformité de leur interprétation est due à des traditions d'école ou à toute autre cause accidentelle, que leur témoignage doctrinal provient d'autres sources et ne s'appuie sur le texte en question qu'à titre subsidiaire et scientifique. Il en va autrement lorsqu'ils font reposer expressément sur tel texte ou tel fait la foi même de l'Église. C'est dans ce sens que s'exprime Léon XIII. « Il faut soigneusement discerner dans leurs interprétations ce qu'ils enseignent en réalité comme appartenant à la foi ou tout à fait connexe avec elle, quænam reapse tradant tamquam speclantia ad fidem aut cum ea maxime copulata. » Enc. Providentissimus, Denzinger-Bannwart, n. 1948.

Suivant que cette connexion est plus ou moins marquée, divers cas se présentent. « Il nous semble qu'un fait peut avoir avec le dogme une connexion plus ou moins claire. Il est clair aussi qu'un fait peut être connexe avec le dogme sans que cette connexion soit nécessaire... Enfin un fait peut paraître certainement historique à une époque sans l'être en réalité. Ceci posé, il peut se faire que les Pères aient considéré un récit comme historique en notant clairement sa connexité avec le dogme : si le fait n'était pas réel, le dogme n'existerait pas. Il est clair que, dans ce cas, le consentement des Pères oblige, non seulement à recevoir l'enseignement dogmatique, mais aussi à admettre l'objectivité du fait. Mais il se peut aussi que tous les Pères qui ont traité d'un récit l'ont considéré comme historique pour des raisons indépendantes d'une connexité nécessaire entre les faits et le dogme... Les Pères ont suivi ici, non pas le sens de l'Église, mais le sens critique du temps. » Ces distinctions que le P. Lagrange, Revue Biblique, 1900, p. 140-141, énonce à propos des récits ou faits dogmatiques peuvent et doivent s'appliquer à toute autre espèce d'interprétation.

Ainsi les Pères anciens lisaient dans Prov., viii, 22, d'après la traduction des Septante : KiSpioç henaè ue et, pour répondre à l'objection des Ariens, appliquaient généralement ce texte au Verbe en tant

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qu'incarné. Apologétique de circonstance et qui reposait même sur une version inexacte. En supposant donc qu'il faille prendre à la lettre ce qu'en dit Tournely : Patres unanimiter hune locum intelligunt de Sapientia incarnata, d'après le témoignage d'Eusèbe au concile de Nicée, dans Gélase de Cyzique, Hist. conc. Nic.,ii, 18, P. G., t. lxxxv, col. 1265, on ne saurait conclure d'une exégèse dont le caractère relatif est aussi évident que ce texte est dogmatiquement interprété, beaucoup moins encore invoquer cette interprétation, comme on a voulu le faire, en faveur de la thèse scotiste sur la priorité de l'Incarnation. Voir P. Chrysostome, Le motif de l'Incarnation, Tours, 1921, p. 60-66.

Quand l'une ou l'autre de ces cinq conditions vient à faire défaut, le consentement des Pères ne peut plus s'imposer d'une manière absolue. Sans doute, suivant la remarque de Léon XIII, « il faut faire grand cas de leur opinion, alors même qu'ils se prononcent en ces matières comme docteurs privés » Enc. Providentissimus, dans Cavallera, Thésaurus, n. 75. Car ils se recommandent à nous tant par leur science que par leur sainteté. Mais ce ne sont là que des titres humains et qui n'interdisent pas la discussion, si elle est raisonnablement motivée par ailleurs. La Commission biblique réserve formellement la liberté de l'exégèse, à propos des premiers chapitres de la Genèse, in interpretandis illis horum capitum locis quos Patres et Doctores diverso modo intellexerunt, quin certi quippiam definitique tradiderint. Décret du 30 juin 1909, dub. iv, Denzinger-Bamrwart, n. 1924. On reste dans l'esprit de l'Église et dans la ligne de la bonne théologie en appliquant à des cas analogues le principe officiellement posé pour ce cas particulier.

3° Quelques exemples. — « Si le nombre est très petit des textes dont le sens a été défini par l'Église, ils sont moins nombreux encore, sauf erreur de notre part, ceux dont l'explication est garantie par l'accord unanime des Pères. »Cornely, op. cit., p. 615. Cf. Lagrange,loc. cit.,p. 140 et Vacant,op. cit., t.i, p. 552. Voir col. 2317. La raison de ce fait parait double. C'est que, d'une part, les décisions du magistère officiel s'étant de plus en plus multipliées au cours des âges, la place se fait d'autant plus restreinte à l'exercice isolé de cette forme du magistère ordinaire. D'autre part, celui-ci, par sa nature même, peut difficilement avoir une autorité décisive, sauf sur les points essentiels de la foi, tant qu'un enseignement formel de l'Église n'est pas intervenu.

C'est sans doute pour ce motif qu'on se contente le plus souvent d'énoncer la règle sans entreprendre d'en montrer l'application. Sous peine d'énoncer un principe en l'air, il faut cependant essayer de voir quelques cas où il ait chance d'entrer en jeu. Une enquête à travers le dossier scripturaire de la théologie courante en fait apparaître quelques-uns, dont l'importance et la certitude sont d'ailleurs fort inégales. Aussi les exemples cités le seront-ils surtout à titre d'indication, sans qu'on prétende en épuiser la série ni interdire d'en contrôler la valeur.

Un certain nombre de textes de l'Ancien Testament sont à peu près unanimement invoqués en faveur de certains dogmes du Nouveau. Ainsi le Protévangile, Gen., iii, 15, est regardé comme contenant la première promesse d'un rédempteur ; la conception virginale du Sauveur est établie sur l'oracle d'Isaïe, vii, 14 : Ecce virgo concipiet ; le chapitre liii du même prophète est appliqué à la passion du Christ et au caractère expiatoire de ses souffrances ; les descriptions de la sagesse, Prov.,viii-ix et Eccli., xxiv, au Fils éternel de Dieu ; le texte de Malachie, i, 11, au sacrifice eucharistique ; le fait de la prière pour les morts dont témoigne II Macch.,xii, 43 sq., à l'existence du purgatoire. Il

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est vrai qu'il n'est pas une seule de ces vérités qui ne soit attestée par ailleurs et dont, par suite, on puisse dire qu'elle dépende strictement de l'interprétation de ces textes. Cependant la tradition exégétique est assez ferme sur ces points pour qu'il semble bien qu'on ne puisse rompre avec elle sans quelque apparence de témérité.

Plus topique sans doute est l'accord des Pères à voir la création ex nihilo dans le premier verset de la Genèse. Voir Hurter, Theol. dogm. compendium, Inspruck, 10e édit., 1900, t. ii, p. 203 et Création, t. iii, col. 2046 ou Hexaméron, t.vi, col. 2347. Car il s'agit ici d'une vérité qui découle de la notion de Dieu et qui put appartenir dès lors à la première forme de la révélation. De fait, tout le monde s'accorde à en faire une des caractéristiques de la religion juive. A plus forte raison doit-on en dire autant de l'exégèse qui voit dans les premiers chapitres de la Genèse l'élévation de l'humanité à un état vraiment surnaturel, accompagnée de l'épreuve et suivie de la chute. Le dogme du péché originel postule la réalité historique et la signification traditionnelle de cet antique et unique témoignage. Ces divers points ont été précisément consacrés par le décret de la Commission biblique en date du 30 juin 1909. Denzinger-Bannwart, n. 2123.

Le Nouveau Testament est pour nous une source beaucoup plus riche et plus directe de révélation. Aussi avons-nous vu que le souci de veiller sur l'origine de certains dogmes particulièrement contestés a inspiré plusieurs actes du magistère ecclésiastique. Ces décisions furent précédées et préparées par l'enseignement traditionnel du magistère ordinaire, auquel le concile de Trente se réfère ex professo, Denzinger-Bannwart, n. 874 et 938, et tout de même le concile du Vatican, ibid., n. 1822.

On peut également citer quelques exemples de textes, non encore canoniquement interprétés par l'Église, où le sentiment des Pères semble bien réunir toutes les conditions pour s'imposer d'une manière indiscutable. Ainsi en est-il pour la consubstantialité du Verbe au Père dans Joa., i, 1, Trochon, op. cit., p. 521, ou encore pour la connaissance naturelle de Dieu dans Rom., i, 20-21 et pour l'universalité d'un minimum de conscience morale chez tous les hommes, Rom., ii, 14-15. La tradition a fixé de même ce qu'il pourrait y avoir d'un peu incertain dans les déclarations évangéliques sur le feu éternel. Voir Hurter, t. iii, p. 592-598. Elle a explicité la pleine portée des paroles : Hoc est corpus meum en invitant à y lire la transsubstantiation, que certains scolastiques, Scot notamment, ne trouvaient pas suffisamment exprimée dans le texte seul. Voir Turmel, Histoire de la théologie positive depuis l'origine jusqu'au concile de Trente, Paris, 1904, p. 314. Aux pseudo-mystiques qui attendaient la révélation du Saint-Esprit pour remédier à la corruption de l'Église, on a toujours opposé les promesses du Christ, Matth., xvi, 18, comme signifiant l'indéfectibilité autant que l'infaillibilité. Nul doute qu'il n'y eût une véritable imprudence à ne pas voir le sacrement de confirmation dans l'imposition des mains mentionnée par Act., viii, 17 et xix, 6. Les subtiles échappatoires de l'augustinisme se heurtent à la grande tradition catholique, qui a toujours entendu la parole de l'apôtre : Deus vult omnes homines salvos fleri, I Tim., ii, 4, d'une volonté effective en Dieu de fournir à tous les hommes les moyens suffisants du salut. Voir Hurter, t. ii, p. 81-82.

Chacun de ces cas et autres similaires doit faire l'objet d'un examen approfondi. Mais ces exemples suffiront sans doute à montrer que le consentement unanime des Pères en matière d'exégèse doctrinale est encore une règle qui a un sens, au moins à titre subsidiaire, à côté du rôle principal qui revient au magis-

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tère officiel de l'Église. Pour diffuse et parfois flottante qu'en puisse être l'expression, cette forme du magistère ordinaire est aussi pour l'exégète catholique, non seulement une autorité dont il doit tenir compte, mais une source dont il peut tirer parti.

4° Valeur de cette règle. — En théorie, cette règle possède, comme la précédente, une valeur positive aussi bien que négative. Le consentement des Pères, n'étant, quand il se présente dans les conditions requises de précision et d'unanimité, qu'un aspect du magistère ecclésiastique, il ne suffit pas d'éviter de le contredire : il faut le considérer comme apte à nous fixer sur le vrai sens des Écritures et donc suivre ses indications, sous peine de manquer à l'esprit même de l'Église.

Mais, àle considérer d'un point de vue pratique, il faut bien reconnaître que les services de ce magistère ordinaire ne sauraient égaler ceux du magistère extraordinaire. Sa nature même l'empêche d'avoir jamais la même netteté. Franzelin en fait justement la remarque. « De même que le pontife romain et le concile peuvent définir le véritable sens d'un texte, le sentiment de l'Église se manifeste dans le consentement unanime des Pères, quand ils s'accordent tous, certa et definita sententia, dans l'interprétation d'un passage dogmatique ou moral. Cependant la première manière fait ressortir le sentiment ecclésiastique plus clairement et plus facilement que la seconde. » De divina trad. et Script, p. 218-219. On ne peut, en effet, vraiment connaître la tradition patristique qu'au prix d'une enquête toujours longue et dont le résultat est parfois loin d'être clair. Ce défaut tient au caractère propre du magistère ordinaire et se retrouve en toute autre matière doctrinale sur laquelle on veut interroger son témoignage ; il est seulement accru ici d'un degré, à raison de la précision même de l'objet sur lequel on lui demande de se prononcer.

Il faut ajouter que les conditions indispensables auxquelles il est soumis se trouvent, quand on y regarde de près, moins souvent réunies qu'on ne.pourrait le croire. Or l'absence ou l'insuffisance d'une seule en infirme la valeur, suivant l'adage : Bonum ex intégra causa, malum ex quocumque defectu. A supposer qu'on puisse arriver à une certitude spéculative, il suffit que subsiste une raison de douter, même dénuée de fondement, pour que la règle perde en fait son efficacité. Seule une décision officielle peut exclure toutes les hésitations, tandis que le consentement des Pères reste toujours, comme on le fit observer au concile du Vatican, un critère relevant du jugement privé et qui ne porte pas en lui-même de quoi s'imposer en cas de contestation. Aussi a-t-on pu dire que, « pratiquement, le recours aux commentaires des Pères de l'Église fournit le plus souvent une direction plutôt qu'une règle de foi. » A. Durand, loc. cit., col. 1839. « On pourrait même soutenir, comme règle pratique, que l'exégète catholique qui respecte les termes des deux conciles ne peut être convaincu de manquer à cette règle qui dérive des principes généraux que si ses adversaires font réellement la preuve, au lieu d'alléguer vaguement : tous les Pères... qu'ils n'ont pas lus. » Lagrange, loc. cit., p. 141.

C'est surtout le cas pour les questions nouvelles que la controverse fait surgir ou qu'on peut croire n'avoir pas été envisagées par les Pères sous le même jour. « Même dans le cas où le commentaire traditionnel des anciens se présente avec un caractère dogmatique bien défini, s'il s'agit de questions controversées aujourd'hui entre catholiques, une intervention de l'Église sera le plus souvent nécessaire pour le faire accepter de tous. » A. Durand, ibid., col. 1840. Et l'on peut en dire autant des textes pour lesquels la tradition d'abord hésitante a fini par se fixer. Témoin le juge-

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ment que le P. Lebreton porte en historien sur les fondements patristiques de la doctrine de saint Thomas quant à la science humaine du Christ, à propos de Marc, xiii, 32. « C'est une théologie fondée sur une tradition très authentique et dont le témoignage, depuis le viie siècle du moins, est sur les points essentiels moralement unanime. » Les origines du dogme de la Trinité, 4e édit., Paris, 1919, note C, p. 543-544. Il s'en suit donc qu'avant le viie siècle cette unanimité n'existait pas, voir ibid., p. 515. La précédente édition du même ouvrage, p. 449-458, marquait mieux la diversité des interprétations anciennes sur ce point. Dès lors, la question se pose de savoir si l'on peut encore s'en tenir aux positions des Pères du ive et du ve siècle ou s'il faut accepter l'exégèse des âges suivants. La règle tirée du consentement des Pères ne peut toute seule en décider.

Il reste que l'exégète comme le théologien catholique doit avoir à cœur de connaître exactement la tradition patristique et, pour autant que la foi est en cause, de se conformer en toute loyauté à son enseignement.

5° Autorité des autres commentateurs. — Jusqu'ici il n'a été question, suivant les termes stricts des décrets conciliaires, que des Pères proprement dits. Qu'en est-il des commentateurs plus récents ?

A mesure qu'ils s'éloignent des origines, ils ont de moins en moins qualité pour être des témoins de la foi même. On ne peut oublier cependant, même mise à part leur valeur scientifique, qu'ils expriment dans une certaine mesure la tradition de l'Église. C'est à ce titre que Léon XIII invite l'exégète catholique à en tenir compte. « Leur autorité assurément est moindre (que celle des Pères). Étant donné cependant que les études bibliques ont suivi dans l'Église un progrès continu, il faut accorder également à leurs commentaires l'honneur qui leur est dû. On peut y trouver beaucoup d'éléments très heureux pour résoudre les objections ou débrouiller les points difficiles. » Enc. Providentissimus, Denzinger-Bannwart, n. 1945.

En pratique, « il faut garder son indépendance vis-à-vis des auteurs et n'accepter leurs explications que si elles sont conformes aux règles de la critique et de l'herméneutique. Il ne faut pas s'attacher obstinément à un interprète en particulier, mais consulter les principaux et les comparer entre eux. En agissant de cette façon, il sera difficile de ne pas y trouver quelque profit. Les divergences que l'on remarquera entre leurs opinions seront elles-mêmes fort utiles ; car elles forceront à réfléchir. » Trochon, op. cit., p. 522. Dans les diverses disciplines humaines, les travailleurs ne suivant pas d'autres principes à l'égard des spécialistes qui les ont précédés.

L'Église met très justement ses fidèles en garde contre les commentateurs hétérodoxes, sans méconnaître toutefois les services qu'ils peuvent rendre à qui les consulte avec la prudence voulue. Cette précaution s'impose surtout à l'égard des protestants, dont les travaux bibliques, pour importants qu'ils puissent être, restent si souvent tendancieux. « Il est particulièrement inconvenant, a dit Léon XIII, d'ignorer ou négliger les œuvres remarquables que les nôtres nous ont laissées en abondance pour leur préférer les livres des hétérodoxes, au péril de la saine doctrine et souvent même au détriment de la foi. » Enc. Providentissimus, ibid., n. 1945.

S'inspirant de ces principes, le décret Lamentabili a condamné la proposition suivante : Heterodoxi exegetæ fidelius expresserunt sensum verum Scripturarum quam exegetæ catholici. Prop. 19, Denzinger-Bannwart, n. 2019. Toutes choses égales d'ailleurs, il est certain que les exégètes catholiques, parce que fils dociles de l'Église, sont plus qualifiés pour interpréter le vrai sens

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des Écritures qui sont un bien d'Église, tandis que les adversaires restent exposés à l'esprit de secte ou aux caprices du libre examen. Ce qui n'empêche pas qu'on ne puisse utilement les consulter en matière de philologie, de critique et d'histoire, où leur compétence scientifique peut beaucoup servir à mieux entendre le texte sacré. Cornely, op. cit., p. 612-613.

III. RÈGLES AUXILIAIRES : L'ANALOGIE DE LA FOI.

Bien qu'elle ne soit pas expressément mentionnée par les conciles de Trente et du Vatican, cette troisième règle n'en doit pas moins être comprise dans le magistère ordinaire de l'Église.

Signification de cette règle. — Mot à mot, l'expression « analogie de la foi » est prise de saint Paul, qui, parmi les divers charismes répartis aux chrétiens, signale en premier lieu TtpotpTjTetavxaxà t)jv àvaXoyCav t ?I< ; 7u<TreG)ç, Rom., xii, 6 : texte que laVulgate a traduit par prophetiam secundum rationem fidei. Par où l'apôtre entend sans doute cette sorte de prophétie qui se conforme au caractère de la foi et a pour but de la commenter au lieu de la détruire, à la différence de celles qui diraient anathème à Jésus, I Cor., xii, 3. Telle est du moins l'interprétation des théologiens récents. Cornely, In Rom., p. 656.

Quoi qu'il en soit de sa signification originelle, l'analogie de la foi est devenue un terme d'école pour signifier la solidarité qui unit entre elles les vérités chrétiennes. Son acception dans ce sens paraît d'ailleurs avoir été assez tardive ; mais elle est acquise au moment de la Réforme et la controverse contribue à la propager. Car cette formule a la chance d'être acceptée dans les deux camps. Voir Bellarmin, De verbo Dei, iii, 10, édit. Vivès, t.i, p. 190, qui la recueille chez les protestants, et les frères Walenburg, De controv., i, 4, 1, dans Migne, Theologiæ cursus, t. i, col. 1043. Depuis longtemps elle a pénétré dans tous les manuels, où elle tient une place plus ou moins grande, plus ou moins explicite, au traité De locis theologicis.

Sous ce nom on désigne, non plus le rapport de la foi avec son objet transcendant, voir Analogie, t.i, col. 1142-1154, mais la cohésion intime du christianisme, due à l'harmonie de ses dogmes entre eux. C'est dans ce sens que le concile du Vatican a parlé, dans un contexte où il est précisément question d'analogie, du mysteriorum ipsorum nexu inter se et cum fine hominis ultimo. Const. Dei Fillus, cap. iv, Denzinger-Bannwart, n. 1796. L'étude de ce nexus est une des ressources que le concile offre aux théologiens pour acquérir l'intelligence de la foi et l'on sait que ceux-ci en ont toujours usé pour établir, soit la synthèse générale des dogmes chrétiens, soit l'analyse spéciale de chacun. Cette méthode se justifie par un postulat dogmatique élémentaire, savoir que la révélation, étant l'œuvre du Dieu de vérité, doit porter en elle la marque suprême du vrai, c'est-à-dire l'unité logique de ses éléments constitutifs, de telle façon que notre raison, puissance de vérité parce que fille de Dieu, a le droit et le devoir d'en découvrir la loi.

On peut chercher l'analogie de la foi, soit dans l'ordre scripturaire, soit dans l'ordre proprement dogmatique. Dans le premier cas il s'agit de comparer entre eux les divers livres de l'Écriture, pour retrouver l'unité profonde qui les régit au nom de leur origine divine et de leur commune inspiration. En termes d'école, on obtient ainsi l'analogie de la foi biblique. C'était la méthode favorite des anciens protestants, pour qui la Bible est la source unique de la révélation. Sans la dédaigner entièrement, les théologiens catholiques la complètent en rapportant l'Écriture elle-même à l'enseignement de l'Église, celle-ci ayant mission, en tant que source prochaine de la foi, d'interpréter celle-là, qui n'en est que la source lointaine. C'est alors proprement l'analogie de la

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foi catholique. Appliquer l’analogie de la foi en matière d'exégèse revient donc à entendre un texte scripturaire, soit en fonction de la doctrine générale des Écritures, soit en harmonie avec l'enseignement ecclésiastique postérieur.

Voilà pourquoi cette règle rentre comme un cas particulier dans le principe général qu'il faut s'attacher au sens de l'Église et à la régula fidei. Quelques théologiens, par exemple Franzelin, Tract, de divina trad., p. 222, la confondent de ce chef avec la prædicatio ecclesiastica, terme collectif sous lequel ils englobent à la fois le magistère ordinaire et le magistère extraordinaire. Rien de plus juste au fond, parce qu'il n'est pratiquement de foi certaine que celle qui est appuyée sur l'enseignement de l'Église. On peut cependant, suivant la division reçue chez la plupart des auteurs, maintenir l'analogie de la foi comme règle distincte. Elle désignerait alors la logique interne des dogmes chrétiens en tant que perceptible à notre intelligence, par opposition aux autres formes du magistère considérées comme norme extérieure. L'analogie de la foi serait au jugement de l'Église et au consentement des Pères comme l'argument de raison à l'argument d'autorité. Il est d'ailleurs évident que l'un conduit à l'autre et que les deux sont faits pour se soutenir.

2° Principe de celle règle. — Si elle ne figure pas dans les décrets conciliaires, l'analogie de la foi est indiquée comme règle spéciale d'interprétation par la tradition théologique commune et consacrée à ce titre par Léon XIII. Après avoir rappelé l'enseignement du concile de Trente reproduit au concile du Vatican et imposé, en conséquence, à l'exégète catholique le devoir de se conformer au jugement de l'Église dans les passages par elle interprétés, le pape continue :
 
In ceteris, analogia fidei sequenda est, et doctrina catholica, qualis ex auctoritate Ecclesiæ accepta, tamquam summa norma est adhibenda.
Denzinger-Bannwart, n. 1943 : Cavallera, n. 73.
Pour les autres, il faut suivre l'analogie de la foi et employer la doctrine catholique, telle qu'elle ressort de l'autorité de l'Église, comme suprême norme (d'interprétation).

On remarquera que, dans ce texte, l'analogie de la foi est associée, presque identifiée, à la doctrine qui résulte du magistère de l'Église. Car la deuxième partie du texte ne fait évidemment que répéter la première sous une autre forme. L'indication n'est pas à négliger pour avoir la signification exacte de ce terme dans le langage technique de la théologie. On retrouve la même formule et le même rapprochement dans le bref Vigilantiæ, du 30 octobre 1902, par lequel Léon XIII instituait la Commission biblique. Parlant des passages qui n'ont pas été interprétés par l'Église et qui laissent donc à chacun sa liberté d'opinion, le pape ajoute, en des termes qui sont un résumé littéral de l'encyclique : Quibus lamen in locis cognitum est analogiam fidei catholicamque doctrinam servari tamquam normam oportere. Cavallera, Thésaurus, n. 101 c.

L'analogie de la foi reparait dans les documents ecclésiastiques postérieurs. Dans son décret du 30 juin 1909, la commission biblique, en reconnaissant la liberté de l'exégète sur les points que les Pères n'ont pas tranchés, ne manque pas de la soumettre aux réserves de droit, salvo Ecclesiæ judicio servataque fidei analogia, Denzinger-Bannwart, n. 2124. Le serment anti-moderniste du 1er septembre 1910 réprouve « cette méthode d'interprétation qui consiste à négliger entièrement la tradition de l'Église, l'analogie de la foi et les normes du Saint-Siège. » Ibid., n. 2146.

Partout l'analogie de la foi s'affirme comme une règle catholique d'exégèse, à côté des autres formes du magistère ecclésiastique. C'est au même principe que

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se réfère la condamnation des deux propositions suivantes par le décret Lamentabili :

23° Exsistere potest et revera exsistit oppositio inter facta quæ in sacra Scriptura narrantur eisque innixa Ecclesiæ dogmata, ita ut criticus tamquam falsa rejicere possit facta quæ Ecclesia tamquam certissima crédit.

24° Reprobandus non est exegeta qui præmissas adstruit ex quibus sequitur dogmata historice falsa aut dubia esse, dummodo dogmata ipsa directe non neget.

Denzinger-Bannwart, n. 2023-2024.

M. Loisy n'a reconnu, dans le texte de ces deux propositions, aucune citation précise de ses écrits, Simples réflexions, p. 60-64. Il avoue cependant que la première est « peut-être en rapport » avec Autour d'un petit livre, p. 216-217 : « La crise (de la foi) est née de cette opposition que les jeunes intelligences perçoivent entre l'esprit théologique et l'esprit scientifique, entre ce qui est présenté comme la vérité catholique et ce qui se présente de plus en plus comme la vérité de la science. » Pour que le rapport fût tout à fait étroit, il n'y aurait qu'à appliquer aux « faits consignés dans l'Ecriture » ce que M. Loisy dit de « la vérité de la science » en général. Et ceci montre que le décret ne vise pas un état d'esprit absolument imaginaire. De même la proposition 24 « pourrait avoir été déduite de ce qui se lit dans l'Introduction d'Autour d'un petit livre, p. vii-ix », où l'auteur écrit de lui-même en parlant de la manière dont il avait présenté le Christ dans L'Évangile et l'Église: « Il s'était borné à exposer l'état et la signification des témoignages, s'occupant de ce qui est matière d'histoire, réservant ce qui est matière de foi. » On aperçoit ici la même tendance à opposer les faits historiques aux enseignements dogmatiques que l'Église prétend appuyer sur eux.

Il est clair, en tout cas, que l'Église, ayant le sentiment de garder une révélation historique, ne peut laisser mettre en cause les faits où cette dernière s'exprime. La réalité de ceux-ci est imposée et garantie par l'infaillibilité qu'elle se reconnaît dans l'interprétation de celle-là. Voilà pourquoi la proposition 23 condamne l'erreur extrême de ceux qui admettraient comme possible et réelle une opposition entre les faits de l'Écriture et les dogmes de l'Église. La proposition 24 vise la position plus subtile des exégètes qui croiraient pouvoir poser au nom de la critique des prémisses logiquement ruineuses du dogme et rester en règle avec l'Église tant qu'ils n'attaquent pas directement le dogme lui-même. C'est pour combattre une erreur de ce genre que le concile du Vatican a voulu reprendre en termes positifs le décret du concile de Trente. Voir plus haut, col. 2299.

Toutes ces décisions ecclésiastiques, anciennes ou récentes, reposent, au fond, sur l'analogie de la foi, qui prescrit d'étendre la vérité du dogme à la réalité des faits qui en sont la base et, par conséquent, à la signification des textes bibliques où ils sont racontés. Doctrine liée elle-même au principe fondamental rappelé au concile du Vatican que, la raison et la foi venant du même auteur, « Dieu ne peut se nier lui-même ni le vrai jamais contredire le vrai. » Const. Dei Filius, c. iv, Denzinger-Bannwart, n. 1797.

Aussi bien l'obligation de se conformer à l'analogie de la foi dans l'interprétation des Écritures fut-elle, sous une forme ou sous une autre, toujours traditionnelle dans l'Église. Tel est le sens profond du rôle suprême que les Pères des premiers siècles attribuaient à la régula fidei. Voir plus haut, col. 2290. Cette tradition primitive se résume dans les formules de saint Augustin : Consulat régulam fidei quam de Scripturarum planioribus locis et Ecclesiæ auctoritate percepit. De doctr. chr., 1. iii, c. ii, n. 2, P. L., t. xxxiv, col. 65, ou de saint Vincent de Lérins : Divinum canonem secundum universalis Ecclesiæ traditiones et luxta catholici

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dogmatis régulas interpretentur. Commonitorium, 27, P. L., t. l, col. 674. Aussi le même saint Augustin se faisait-il une règle d'écarter comme faux, dans les traités scientifiques de son époque, quidquid... his nostris litteris, id est catholicæ fidei, contrarium protuerint. De Gen. ad litt., 1.i,c. xxi, n. 41. P. L., t.xxxiv, col. 262. Il préférait supposer une erreur de copiste ou se déclarer incapable de comprendre plutôt que d'admettre aliquid... quod videatur contrarium verilati. Epist., lxxxii, 1, 3, P. L., t. xxxiii, col. 277. Ou bien, guidé par le même principe, il avait recours au sens figuré :quidquid insermone divino neque ad morum honestatem neque ad fidei veritatem proprie referri potest, figuratum esse cognoscas. De doctr. christ, 1. iii, c. x, n. 14, P. L., t. xxxiv, col. 71. Cette fidei veritas, cette catholici dogmatis régula ne sont pas autre chose que ce que la théologie moderne devait traduire en termes techniques par l'analogie de la foi.

La raison théologique de cette règle est fort bien dégagée par Léon XIII. « Étant donné que les livres saints et la doctrine déposée dans l'Église ont le même Dieu pour auteur, il ne peut se faire qu'on tire de ceux-là, par voie de légitime interprétation, un sens qui contredise celle-ci. D'où il suit, continue le pape par manière de conséquence, qu'il faut rejeter comme inexacte et fausse toute interprétation qui aboutit à mettre les écrivains inspirés en conflit quelconque, soit entre eux, soit avec la doctrine de l'Église. » Cavallera, Thésaurus, n. 73 et Denzinger-Bannwart, n. 1943.

Ces principes s'imposent tellement bien à l'exégète croyant que, parmi les premiers protestants eux-mêmes, quelques-uns faisaient profession de ne pas s'en écarter. Illam dumtaxat interpretationem pro orthodoxa recipimus, quæ ex ipsis Scripturis est petita... cum régula fidei et caritatis congruit et ad gloriam Dei hominumque salutem eximie facit, proclamait la deuxième confession helvétique. Niemeyer, Collectio confessionum, Leipzig, 1840, p. 469. Les presbytériens d'Ecosse affirmaient en termes tout semblables : Nullam interpretationem admittere audemus, quæ alicui principali articulo fidei aut alicui plano textui Scripturæ aut caritatis régulæ répugnat. Conf, Scolica, i, 18, ibid.,p.351.

Déclarations tendancieuses et quelque peu contradictoires, quand il s'agissait de vérifier un système doctrinal censément fondé sur l'Écriture seule. Les controversistes catholiques ont bien relevé la pétition de principe qu'elles recélaient, sans en méconnaître l'inspiration traditionnelle. « Ceux-ci désirent traiter les Ecritures suivant l'analogie de la foi réformée : nous, suivant l'analogie de la foi qui s'est continuée depuis les apôtres jusqu'à nous. Ceux-ci, suivant l'analogie établie par les confessions des Églises réformées de France ; nous, suivant l'analogie des confessions garanties par le consentement unanime des Pères. » Walenburg, De controv., I, 4, 1, dans Migne, Theologiæ cursus, t.i, col. 1043.

Au point de vue scientifique, l'analogie de la foi rentre dans une loi générale bien mise en évidence par le P. Lagrange : « Nous suivons une excellente méthode en pratiquant la critique sans jamais perdre de vue l'autorité de l'Église, parce que la règle même de la critique c'est de tenir compte du milieu, et que l'Église est précisément le milieu où a paru l’Écriture, » La méthode historique, Paris, 1903, p. 19, et aussi, faut-il ajouter, le milieu où l'Écriture n'a cessé de vivre et de fructifier. D'après les seules vraisemblances humaines, c'est en se jetant en plein courant du fleuve qu'on a toutes les chances de recueillir les eaux de la source, tandis que vouloir chercher celle-ci sans tenir compte de celui-là est toujours une entreprise risquée et que prétendre les mettre en opposition ne saurait être qu'un paradoxe aussi fragile que séduisant.

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Ce n'est pas que l'apriori ne puisse entraîner des abus. « Que l'exégèse traditionnelle se soit parfois laissé conduire par des préoccupations dogmatiques, et qu'à cause de cela elle ait méconnu le sens et la portée du texte ; qu'elle soit devenue, çà et là, tendancieuse et polémique à l'excès, c'est un fait que l'apologiste doit reconnaître. Du moins, peut-il plaider ici les circonstances atténuantes. » A. Durand, loc. cit., col. 1830. Et si c'est une raison pour montrer dans les applications le discernement nécessaire, ce n'en est pas une pour abandonner une règle que la tradition catholique et la méthode scientifique s'accordent à justifier.

3° Quelques exemples. — Plus encore que pour le consentement des Pères, les auteurs sont généralement discrets quand il s'agit de montrer des exemples où s'applique l'analogie de la foi. Sous le bénéfice des mêmes réserves que précédemment, on essaiera d'en indiquer ici quelques-uns.

1. Interprétation de l'Ancien Testament par le Nouveau. — On peut d'abord y faire entrer, au moins dans une certaine mesure, l'interprétation de l'Ancien Testament par le Nouveau. C'est le cas ou jamais de se rappeler qu'il y a continuité dans le développement providentiel de la révélation, à tel point que, d'après saint Thomas, quoad substantiam articulorum fidei, la foi des anciens était identique à la nôtre. Sum. th., IIa IIæ, q. i, art. 7. Novum Testamentum in Veteri latet, Vetus in Novo patet : cet adage augustinien a toujours été de règle dans l'Église. Les Evangiles et les écrits apostoliques attestent que le Christ et ses premiers disciples n'eurent rien plus à cœur que de relier la nouvelle économie à l'ancienne. Jésus déclare être venu pour « accomplir » la Loi, Matth., v, 17 ; il sait que les Écritures lui rendent témoignage, Joa., v, 39 ; d'une manière plus générale, saint Paul enseigne que tout l'Ancien Testament tend vers le Christ : Finis legis Christus, Rom., x, 4, et l'épître aux Hébreux y trouve « l'ombre des biens à venir ». Hebr., x, 11.

De cette conviction fondamentale est issu tout un dossier d'interprétations messianiques, commencé par Jésus lui-même, élargi par les Évangélistes, achevé par les premiers apôtres, dans le but de justifier par l'Ancien Testament la personne et l'œuvre du Sauveur. Personne ne conteste que, dans l'ensemble, le Nouveau Testament ne soit la clé de l'Ancien. « Il est aisé de constater, l'histoire en main, l'unité profonde de l'action divine mettant tout en œuvre pour conserver ce monothéisme qui doit être la religion de toute la terre et pour en préparer la diffusion. Il est aisé de saisir les liens qui unissent les deux Testaments comme les deux parts d'un seul et même tableau. » J. Touzard, art. Juif (peuple), dans Dictionnaire apologétique, t. ii, col. 1650. Mais avant d'étendre cette certitude à tous les détails, il faut se rappeler que « l'exégèse des auteurs du N. T. ne présente aucun caractère qui soit réellement nouveau ; elle a seulement accentué certains traits de l'exégèse communément reçue des Juifs et pratiquée par le Christ en personne. » Ainsi font-ils tous « au sens spirituel une large place » et saint Paul, en particulier, porte la marque de son éducation rabbinique : d'où il arrive que « le raisonnement perde parfois quelque peu de sa portée absolue. » A. Durand, loc. cit., col. 1817-1819.

En négligeant les traits qui peuvent tenir aux méthodes exégétiques du temps, il reste néanmoins incontestable que le christianisme dégage et précise les grandes lignes de l'économie religieuse qui l'avait préparé, que, dès lors, le Nouveau Testament nous aide à déchiffrer la signification de l'Ancien. Sur la notion du Dieu unique, Père des hommes et Providence du monde ; sur le caractère spirituel et universel du royaume promis aux vrais fils d'Abraham ; sur la venue du Messie Rédempteur et son double avène-

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ment, l'un dans l'humilité, l'autre dans la gloire, les texteset plus encore les faits du Nouveau Testament jettent une lumière décisive.

Il faut en dire autant pour l'abrogation des parties caduques de l'ancienne alliance. Jésus lui-même a marqué, dans le discours sur la montagne, l'opposition de son idéal moral et religieux avec l'esprit ou les pratiques de la Loi, Matth., v, 21-48 ; il a prononcé l'abolition du divorce et ramené le mariage à sa pureté primitive, ibid., xix, 3-10. Après lui, les apôtres ont annulé la circoncision et autres observances légales, proclamé la déchéance du temple et de son rituel. Ces positions fondamentales du christianisme fixent la valeur toute relative de la Loi et interdisent d'en concevoir, soit la perpétuelle conservation caressée par les judaïsants du premier jour, soit a fortiori la restauration rêvée par quelques visionnaires protestants. Ici l'analogie de la foi aboutit à des conclusions péremptoires, parce qu'elle se confond avec le dogme de l'Église et de sa surnaturelle mission.

2. Analogie de la foi biblique. — Sur le terrain plus proprement exégétique, l'analogie de la foi autorise et invite à expliquer les uns par les autres les écrits du Nouveau Testament. Chacun est incomplet et tous se ressentent plus ou moins de leur origine occasionnelle : ce qui interdit d'y chercher une doctrine absolument systématique et arrêtée. D'autre part, tous furent reçus par l'Église comme des expressions variées de la commune foi : ce qui permet de les considérer comme un tout moral, dont les diverses parties sont faites pour se compléter et s'éclairer. La Réforme a voulu établir entre eux des préférences exclusives conformes à son système doctrinal ; moins dogmatique, mais non moins individualiste, la critique moderne y a cherché des courants et des tendances qu'elle pousse volontiers jusqu'à l'opposition. Avec un sens plus exact des réalités, l'Église reconnaît l'identité fondamentale de leur inspiration et les reçoit dès lors comme un témoignage de ses croyances et un moment de sa vie. Cette conviction prescrit au théologien de ne jamais admettre aucune interprétation susceptible de rompre le lien de solidarité historique et religieuse qui les unit.

La commission biblique a consacré le principe de cette méthode, lorsque, pour déterminer le vrai caractère de l'enseignement eschatologique dans saint Paul, elle invite à faire entrer en ligne de compte, avec le dogme de l'inspiration et ses conséquences, la notion exacte de l'apostolat et la fidélité incontestable de l'apôtre aux doctrines du Maître, puis encore les textes de ses Épîtres où il se conforme au langage du Seigneur. Décret du 18 juin 1915, Denzinger-Bannwart, n. 2180. Ce qui revient à mettre saint Paul d'accord avec lui-même et avec la position générale de témoin qu'il adopte partout à l'égard de l'Évangile. Ainsi faut-il maintenir qu'il n'y a rien dans son enseignement qui ne concorde parfaitement avec cette ignorance du jour du Seigneur que le Christ lui-même proclamait être le lot des hommes ici-bas. La solution du problème très actuel des rapports entre Jésus et Paul tient pour une large part à une application généralisée de cette analogie de la foi néo-testamentaire et de même en est-il pour la relation de nos trois Synoptiques avec l'Évangile de saint Jean.

Il n'est pas jusqu'à certaines questions de critique textuelle qui ne puissent être tranchées par là. Le P. Lagrange en donne un exemple tout à fait précis. « Serait-ce d'un bon critique d'admettre comme génuine la leçon du sinaïtique Lewis (de Matth., i, 16), à supposer qu'elle compromette la conception surnaturelle de Jésus ? Je ne parle même pas de l'opposition de tous les autres endroits. Je dis qu'un pareil texte n'a pas pu naître dans l'Église à l'origine. Nous ne devons, en effet,

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jamais perdre de vue les rapports réciproques de l'Écriture avec l'Église, de l'Église avec l'Écriture. Un texte authentique des apôtres faisait loi ; mais par cela même il devenait donc la foi de l'Église. Un texte dont l'authenticité n'était pas certaine — à supposer qu'il pût prévaloir, comme l'admettent certains critiques — c'était donc qu'il était conforme à ce qu'on croyait déjà. » La méthode historique, p. 19-20. Ici l'affirmation nette de la conception virginale dans tous les textes évangéliques prouve à elle seule que la leçon divergente du manuscrit Lewis n'a pas d'autre portée que celle d'un accident isolé.

On invoque un semblable critère pour établir l'authenticité, dans le récit de la Cène au troisième Évangile, des versets 19b-20 omis par le Codex Bezæ et quelques autres manuscrits. Leur présence ferme dans tous les manuscrits grecs connus fait légitimement conclure à un accident de la tradition occidentale. Mgr Batiffol, L'Eucharistie, 5e édition, Paris, 1913, p. 121-126 et Mgr Ruch, art. Eucharistie, t. v, col. 2063-2064. Sous cet empirisme de la critique textuelle se trouve latent le principe qu'un texte obscur ou contesté ne saurait prévaloir contre les textes formels où s'accuse en traits précis la primitive tradition.

A plus forte raison l'analogie de la foi est-elle de mise en matière d'interprétation théologique. « On regardera donc saint Joseph comme le père putatif, et non comme le père réel de Jésus, conçu d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit. » Vigouroux-Brassac, Manuel Biblique, 14e édition, Paris, 1917, t. i, p. 254. La parole : Pater major me est, Joa., xiv, 28, doit être accordée avec cette autre non moins formelle : Ego et Pater unum sumus, x, 30. Ce fut à maintenir et combiner les deux que consista le principal effort de la christologie orthodoxe contre l'exclusivisme arien. De même les passages où s'énonce l'unité divine ne sauraient entrer en conflit avec ceux qui affirment la multiplicité des personnes, et vice versa. À l’encontre de l'ancien modalisme ou de l'unitarisme moderne, tous s'harmonisent dans le dogme chrétien de la Trinité.

C'est surtout la controverse protestante, avec sa tendance à jouer des Écritures comme d'une arme contre la tradition catholique, qui a donné lieu à de fréquentes applications de l'analogie de la foi. Le luthéranisme primitif se plaisait à mettre en opposition saint Paul et saint Jacques sur la justification. Seul l'esprit de système prétendrait immoler les œuvres préconisées par celui-ci à la foi réclamée par celui-là, quand il est élémentaire de les synthétiser en une harmonie supérieure, dont chacun d'eux contient du reste les éléments. Il est pareillement chimérique et tendancieux d'opposer le magistère unique du Christ, Matth., xxiii, 10, à la mission d'enseignement dévolue aux apôtres, ou les pouvoirs collectivement distribués aux douze, Matth., xviii, 18, à la primauté personnelle de Pierre, ibid., xvi, 18-19. Le sacerdoce universel dont il est question dans i Petr., ii, 5, 9 et Apoc, i, 6 ne peut s'entendre que d'un point de vue mystique, dès là qu'il appert que les fonctions proprement sacerdotales sont réservées aux apôtres et à ceux qui ontreçu d'eux l'imposition des mains.

Beaucoup moins encore peut-on admettre une contradiction chez le même auteur. Ainsi la fameuse exception nisi ob fornicationem, Matth., xix, 9, ne saurait-elle autoriser le divorce, qui est formellement exclu quelques lignes plus haut comme contraire au plan divin primitif, 4-6. Il est également contre toute méthode de vouloir réduire la sotériologie entière de l'Évangile au pardon gratuit qui s'affirme dans les paraboles, quand Jésus lui-même parle ailleurs de sa mort comme d'une rançon donnée pour nous, Matth., xx, 28, ou d'un sacrifice offert pour nos péchés, ibid., xxvi, 28. Et si saint Paul parle d'achever dans sa

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chair ce qui manque à la passion du Christ, Col, i, 24, ce ne peut être pour mettre en doute la valeur de l'œuvre rédemptrice dont il souligne tant de fois la souveraine efficacité. Dans tous ces cas et autres semblables, l'analogie de la foi est une condition élémentaire de saine exégèse et, même au seul point de vue psychologique, une garantie de vérité.

3e. Analogie de la foi catholique. — Enfin, au nom du même principe, on peut et doit faire intervenir l'enseignement dogmatique postérieurement développé par l'Église. C'est pour le croyant une simple conclusion du rôle qu'il reconnaît à celle-ci dans l'interprétation de la vérité révélée. Mais, à ne considérer les choses qu'au regard humain, n'est-ce pas sagesse que de compter avec cet esprit de conservation et de continuité dont l'Église se fit toujours une loi ? Établie sur la foi en Jésus prêchée par les apôtres, elle se pose historiquement comme tout à la fois soucieuse de maintenir le contact avec ces vénérables autorités et indépendante de leurs textes. Double condition pour que sa doctrine soit le commentaire vivant de leur pensée. S'il est vrai qu'en bonne logique les effets révèlent la cause, qu'est-ce qui pourrait mieux que le symbole catholique et la vie de la chrétienté naissante nous faire connaître le sens authentique de l'enseignement du Maître et de ses premiers représentants ?

C'est au nom de ce principe que les historiens les plus avertis de nos origines chrétiennes ont franchi l'abîme que la critique a prétendu creuser entre l'Évangile et l'Église. Il est impossible de concevoir que le dogme, la hiérarchie et la liturgie, dont on constate partout l'existence et l'importance dès l'Église apos tolique, soient le produit d'une génération spontanée qui n'aurait pas son germe dans l'Évangile ou, à plus forte raison, qui le contredirait. Dans l'Evangile lui-même, la prédication du royaume qui en forme la base doit garder ce caractère complexe que l'Église y a toujours vu, sans se croire tenue de choisir entre ses divers aspects.

Non moins qu'à ces grandes questions fondamentales, l'analogie de la foi préside légitimement à maints détails d'exégèse théologique. Personne n'est tenté de prendre à la lettre les anthropomorphismes dont la Bible enveloppe si souvent la notion de Dieu et de ses attributs, quand l'Église, d'accord avec la saine philosophie, proclame le caractère éminemment spirituel de l'être divin. Des déclarations comme celles de saint Paul : Cujus vult miseretur et quem vult indurat, Rom., ix, 18, ne peuvent se comprendre que sous le bénéfice de la réserve, bien établie par ailleurs, que Dieu ne saurait être l'auteur du péché. Et le Verbum caro factum est, Joa., i, 14, ou le Semetipsum exinanivit de saint Paul, Philip., ii, 7, doivent être interprétés en fonction du dogme de Chalcédoine qui condamne le monophysisme. De même l'eschatologie bien connue de la primitive Église empêche de lire dans Apoc., xx, 5 et 12, l'enseignement d'une double résurrection ou d'entendre la « seconde mort » dont il est ici question, comme aussi la destruction dont parle saint Paul, II Thess., i, 9, de cet anéantissement effectif du pécheur qu'ont imaginé les modernes tenants d'une immortalité conditionnelle. La pratique pénitentielle constatée dès la première heure commande l'interprétation de Hebr., vi, 4-6 : Impossibile est eos qui semel sunt illuminati... et prolapsi sunt rursus renovari ad pænitentiam et le renouvellement du sacrifice eucharistique éclaire ce qui est enseigné dans cette même épitre, ix, 28 et x, 12, sur l'unique oblation du Christ.

Au demeurant, ces diverses formes de l'analogie de la foi, que l'on vient de distinguer pour les besoins de l'analyse, sont rarement séparées en fait. Les enseignements dogmatiques de l'Église, bien qu'ils puissent à la rigueur s'appuyer sur une tradition purement orale,

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répondent en général à des passages formels de l'Écriture, et alors son autorité s'ajoute à celle du bon sens pour nous rappeller qu'il faut interpréter les textes obscurs et équivoques par les textes clairs, les obiter dicta par les endroits où la doctrine s'énonce ex professo, les déclarations occasionnelles ou polémiques par les enseignements sereins, les particularités individuelles par les témoignages qui nous font connaître la croyance de tous. De même, l'interprétation de l'Ancien Testament par le Nouveau ou l'harmonie des livres du Nouveau Testament entre eux n'ont leur pleine valeur que soutenues par la doctrine postérieure de l'Église. L'exemple des protestants anciens et modernes prouve tout ce qu'on peut tirer de la Bible, au nom d'un système préconçu. Dans l'Église catholique, au contraire, l'analogie de la foi est un préservatif contre l'arbitraire des créations personnelles ou la tyrannie des systèmes exclusifs, parce qu'elle invite à contrôler toutes les conceptions privées, fussent-elles les plus plausibles ou les plus séduisantes, par l'enseignement du magistère public, qui seul a qualité pour prononcer en dernier ressort.

Là où l'Église ne se prononce pas, l'analogie de la foi reste encore un secours précieux et un guide nécessaire pour la science théologique, sans que pourtant ses résultats puissent dépasser le domaine de l'opinion.

4e Valeur de cette règle. — Cet aperçu, bien que forcément très incomplet, montre pourtant la grande place que tient pratiquement l'analogie de la foi dans l'interprétation catholique des Écritures. Il faut également avoir ces exemples présents à l'esprit pour en apprécier la valeur théorique.

Elle est à tout le moins et sans conteste d'ordre négatif. Du moment que l'inspiration garantit pour nous la vérité de l'Écriture, que l'enseignement de l'Église a le privilège de l'infaillibilité, tout ce qui contredirait la doctrine certaine de l'une ou de l'autre doit être écarté comme faux. « Aucune interprétation ne peut donc être vraie, qui attribuerait à un texte quelconque des Écritures couvert par le jugement formel de l'auteur sacré un sens contraire à la règle prochaine de la foi. Car la vérité ne peut pas être en conflit avec la vérité. » Franzelin, op. cit., p. 221.

Faut-il aller plus loin et lui attribuer également une valeur positive ? Certainement l'analogie de la foi peut très utilement servir d'auxiliaire pour éclaircir le sens des passages obscurs. Le même auteur cite comme exemple le secours que fournit à l'exégète la doctrine catholique du sacrement du mariage pour comprendre le texte de Eph., v, 23 remis dans son contexte, la notion du caractère sacramentel pour expliquer II Cor., i, 22 et Eph., i, 13, ou encore les lumières que jette le pouvoir reconnu à l'Église d'accorder des indulgences sur Matth., xvi, 19, le dogme de l'union hypostatique sur Joa., x, 36 et xiv, 28, la théologie de la science du Christ sur Luc., ii, 53, la sainteté parfaite de la Vierge immaculée sur Luc., i, 28. Ibid., p. 221.

Il ne faut pourtant pas oublier que la vérité du dogme n'entraîne pas nécessairement qu'il soit contenu dans tel texte, même s'il s'est créé une tradition d'école pour l'invoquer à cet effet. De même un théologien catholique ne doit jamais perdre de vue que l'Ecriture n'a point prétendu tout dire et que la tradition bien constatée est par elle-même une preuve qui se suffit. Lorsqu'il s'agit d'interpréter l'Écriture, l'analogie de la foi peut suggérer que tel sens est possible, probable peut-être : seules des raisons d'ordre exégétique peuvent établir qu'il est réel. On retrouve ici la même règle qui préside à l'usage de l'apriori dans les sciences de fait. Autant il est imprudent d'en faire fi, autant il serait abusif de s'en contenter et de l'appliquer indistinctement à tous les cas.

En reprenant les exemples énumérés plus haut, on

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peut constater que la plupart, surtout les plus péremptoires, ne vont guère qu'à exclure des interprétations tendancieuses ou erronées, qui mettraient l'Écriture en contradiction flagrante avec elle-même ou avec l'enseignement authentique de l'Église. Il reste, au demeurant, bien des moyens d'échapper à l'erreur, entre lesquels la proscription de celle-ci laisse le choix. A cet égard l'analogie de la foi ne peut guère fournir qu'une direction générale que les lois de l'herméneutique serviront ensuite à préciser.

Théologiens et exégètes sont d'accord sur la portée qu'il convient, en dernière analyse, d'attribuer à cette règle. « Comme norme négative, pour écarter un sens erroné, l'analogie de la foi se suffit à elle-même ; mais, s'il s'agit d'en faire une norme positive, on n'avancera ici qu'à bon escient, avec toutes les précautions commandées par la nature même du procédé. » A. Durand, loc. cit., col. 1834. Franzelin aboutit à une semblable conclusion : « La règle de foi se recommande comme canon nécessaire et universel de l'interprétation des Écritures aussi bien que de toute autre science, si on comprend ce canon dans un sens seulement négatif. Il ne faut pourtant pas le donner sans distinction comme canon positif, en ce sens qu'il serait une source d'où l'on puisse tirer toutes les vérités de la science humaine ou l'interprétation de tous les passages de l'Écriture. » Op. cit., p. 223.

Enfin il y a lieu d'appliquer à l'analogie de la foi ce qui est vrai pour tous les arguments d'autorité. S'ils imposent des conclusions, ils ne déterminent pas la manière de les démontrer et ce serait une erreur de confondre leur valeur doctrinale avec leur portée scientifique. Une- même idée peut se présenter sous des formes bien différentes : au point de vue logique, elle peut être plus ou moins explicite et, au point de vue historique, plus ou moins associée à des nuances individuelles d'expression. Autant il serait excessif de sacrifier à ces contingences de forme l'identité du fond, autant il serait illicite d'étendre à celles-là la fixité de celui-ci. C'est dire qu'avec l'analogie de la foi il faut faire entrer en ligne de compte la loi du développement.

On a pu se plaindre qu'elle fût parfois négligée. « Le danger le plus sérieux que la formule actuelle du dogme fait courir à l'interprétation des anciens textes est de méconnaître le développement doctrinal qui s'est fait de l'Ancien Testament au Nouveau et de celui-ci jusqu'à nos jours. Si l’on n'y prend garde, on ne tient pas compte de la distance qui sépare deux textes l'un de l'autre, on voit dans le premier une plénitude de sens qui n'est en réalité que dans le second. » Pour parer à ce « danger », l'exégète, tout en s'attachant avec raison aux certitudes de la foi, doit se préoccuper de suivre une méthode strictement historique, de manière à ne pas confondre « la signification absolue d'une proposition avec le sens qu'elle pouvait avoir raisonnablement sous la plume de tel auteur, étant donné l'époque et les circonstances où il vivait. » A. Durand, loc. cit., col. 1832-1833.

La même règle s'applique également aux textes définis par le magistère ordinaire ou extraordinaire. « Même dans ce cas, observe le P. Lagrange, la critique pourrait suivre ses méthodes propres. » La méthode historique, p. 18. C'est-à-dire qu'en tenant pour vrai le sens imposé par le magistère, elle garde le droit de chercher dans quelle mesure et sous quelle forme il est contenu dans le texte en question. Tout le travail scientifique est là. Le même auteur en cite un exemple frappant. « C'est ainsi, dit-il, que le P. Cornely, auteur classique, après avoir cité dans son introduction le texte de saint Paul aux Romains sur le péché originel, Rom., v, 12, comme défini directement par l'Église, dans son commentaire de cette Épître écarte la tra-

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duction in quo récitée par le concile d'après la Vulgate.Commentaire, ad k. loc. »Ibid., note 1. Une fois admise, quand il y a lieu, la certitude de la thèse, cette précision critique de la preuve est tout ce qu'il y a de plus conforme aux principes de l'Église et aux traditions de la saine théologie.

Dans cette voie, on s'est demandé si l'Église, au moins dans certaines circonstances, ne s'attacherait pas à un sens spirituel qui relève des méthodes dogmatiques mais déborde la compétence de l'exégèse. Léon XIII a écrit des auteurs sacrés : « Sous leurs paroles l'Esprit Saint, auteur des Écritures, a caché bien des choses qui dépassent de beaucoup la portée et le regard de la raison humaine : savoir les mystères divins et les multiples éléments qui s'impliquent. Ce sont là des vues plus étendues et plus profondes que ne semble l'indiquer le sens littéral et que les lois de l'herméneutique ne suffisent pas à dégager. » Euc. Providentissimus, dans Cavallera, n. 71.

Après avoir relevé ce passage, le P. Lagrange continue : « Ces paroles semblent faire allusion à un sens en quelque sorte supra-littéral qui ne peut être déterminé que par une autorité compétente... Mais, le saint Père nous le fait remarquer, il peut arriver que cette interprétation dépasse de beaucoup le sens obvie tel qu'il résulterait des règles de l'herméneutique... Et dans ce cas le simple exégète ne pourrait-il pas le faire remarquer ? Il en résulterait qu'en admettant le sens fixé par l'Église, Il pourrait constater que ce sens ne résulte pas d'une simple explication littérale du texte pris en lui-même ; que par conséquent l'explication grammaticale du texte pourrait par exemple être différente de la forme donnée par un concile d'après la Vulgate. S'il en était ainsi, on serait frappé d'une harmonie parfaite entre l'enseignement divin infaillible donné au moyen des hommes... et... l'interprétation infaillible de l'Église qui saisirait cet enseignement divin à travers l'élément humain des instruments que Dieu a employés, laissant aux exégètes le soin de le déterminer, en usant eux aussi, et sous sa surveillance, des facultés humaines. Ne serait-ce pas l'accord de l'autorité et de la liberté ? » Revue biblique, 1900, p. 141-142.

Cette suggestion que le P. Lagrange rattache à l'Encyclique Providentissimus appuie et complète très à propos la doctrine classique formulée par le cardinal Franzelin : Si quando disciplina humanæ interpretationis scopum suum non assequeretur, non ideo sensus ecclesiastica definitione determinatus minus certus redderetur ; sed humanæ scientiæ proderetur defectus, et scientia ipsa ac bene consulta ratio postularet ut fateremur aliquid ad veram intelligentiam assequendam necessarium nos latere. Op. cit., p. 218.

Au moyen de ces principes et à l'exemple des maîtres qui s'y sont conformés, I'exégète catholique trouvera dans la pleine soumission au magistère de l'Église, tant ordinaire qu'extraordinaire, la direction à la fois large et sûre pour découvrir le vrai sens de l'Écriture sans manquer aux exigences ni de la science ni de la foi. Il lui revient ainsi de vérifier les promesses de Léon XIII : « Par ses règles pleines de sagesse, l'Église ne retarde ni n'arrête nullement les investigations de la science biblique. Tout au contraire, elle la prémunit contre l'erreur et contribue puissamment à son véritable progrès. Car devant chaque docteur privé s'ouvre un vaste champ où il peut en toute assurance se distinguer dans l'art de l'interprétation et servir utilement l'Église. Pour les endroits de la sainte Écriture qui attendent encore une exposition certaine et définie, il peut, suivant les desseins de la Providence, mûrir, par ses études préparatoires, le jugement de l'autorité ecclésiastique. Quant aux textes déjà définis, il peut également rendre des services, soit en les

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expliquant d'une manière plus claire aux fidèles, d'une manière plus ingénieuse aux savants, soit en les défendant mieux contre les adversaires... Sa mission est d'employer toutes les ressources de sa science à montrer que, d'après les lois d'une saine herméneutique, cette interprétation est la seule qui convienne au texte sacré. » Enc. Providentissimus, dans Denzinger-Bannwart, n. 1942 et Cavallera, n. 72-73.

S'il est vrai qu'« il est peu de pages plus honorables... que l'intervention du magistère de l'Église en matière d'interprétation biblique », Lagrange, La méthode historique, p. 13-14, il appartient à ses serviteurs d'en prolonger le bienfait en suivant ses enseignements et se pénétrant de son esprit.

I. Sources générales. — Cette question intéresse à la fois les théologiens et les exégètes. On la trouve étudiée :

Dans toutes les Introductions à l'Écriture Sainte. La plus substantielle reste encore celle de Cornely, Historica et critica Introductio in U. T. libros sacros, I : Introductio generalis, Paris, Lethielleux, nouvelle édition, 1894. — 2° Dans tous les traités Delocis theologicis. Le plus important est Franzelin, Tractatus de divina traditione et Scriptura, 3° édition, Rome, 1882, dont les conclusions sont passées dans Bainvel, De magisterio vivo et traditione, Paris, 1905 et De Scriptura sacra, Paris, 1910. — 3° Dans les commentaires consacrés ex professo à l'étude des documents ecclésiastiques. Les plus importants sont : Vacant, Études théologiques sur les Constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895 ; Th. Granderath, Constitutionesdogmaticæ Concilii vaticant, Fribourg-en-Brisgau, 1892 : J. Didiot, Traité de la sainte Écriture d'après Sa Sainteté Léon XIII, Paris, 1894.

II. Monographies. — E. Moirat, Notion augustinienne de l'herméneutique (thèse), Clermont-Ferrand, 1906 ; Corluy, L'interprétation de la sainte Écriture, dans La Controverse, juillet 1885 ; J.-B. Nisius, S. J., Kirchlicke Lehrgewalt und Schriflauslegung, dans Zeitschrift für katholische Théologie, 1899, avec analyse et mise au point de toute la littérature antérieure. Cet article est résumé et commenté par le P. Lagrange, L'interprétation de la sainte Écriture par l'Église, dans la Revue biblique, 1900, t. ix, p. 135-142, critiqué par Dessailly, La science catholique, 1900, t. xiv, p. 385-400, 497-512. Voir encore Lagrange, Laméthode historique, Paris, 1903 et Bonaccorsi, L'interpretazione della Scrittura, dans Questioni bibliche, Bologne 1904.

Les encyclopédies récentes donnent l'état actuel des opinions, et la bibliographie détachée du sujet. Kihn, art. Hermeneutik, dans Kirchenlexicon,t. v, col. 1844-1875: Mangenot, art. Herméneutique, dans Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, t. iii, col. 612-633 ; Alfred Durand, art. Critique biblique et Exégèse, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. i, col. 760-819 et 1811-1841.

E. Mangenot et J. Rivière.

INTERSTICES. On entend par interstices les délais que l'Église prescrit d'observer entre la réception des différents ordres. Nous étudierons I. la loi des interstices ; II. les raisons de cette loi ; III. les dispenses qui en peuvent être données.

I. La. loi des interstices. — 1° Avant les Décrétales. — 1. Formation de la loi. — La loi des interstices a ses racines premières dans les conseils de saint Paul à Timothée. Quand l'apôtre ordonnait à son disciple de ne pas choisir pour évêque un néophyte, ou quand il lui recommandait la circonspection avant d'imposer les mains à quelqu'un, I Tim., iii, 6 ; v, 22, il posait le principe duquel devait sortir ce point de discipline. Pour éprouver le futur chef, on jugea vite nécessaire d'imposer des délais pendant lesquels il aurait le temps de donner sa mesure dans les degrés inférieurs de la hiérarchie avant d'être admis aux degrés plus élevés ; or toute la loi des interstices se résume en cette épreuve.

La première prescription concernant les interstices a été formulée par le concile de Sardique, en 343 ou 344. Le canon 10, ordonne de faire passer par les diverses fonctions de lecteur, de diacre et de prêtre celui qui, de laïque, est demandé pour être évêque. Il faut qu'il monte au sommet de la hiérarchie en

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passant par les degrés préliminaires, s'il en est digne. « Il lui faut rester assez longtemps dans chacun de ces degrés, pour que l'on puisse être fixé sur sa foi, sur ses mœurs, sur son caractère et sur son talent et pour qu'il soit honoré de la plus haute dignité après avoir été jugé digne du sacerdoce. Car il n'est ni convenable, ni prudent, ni de bonne aaministration de procéder d'une manière hardie et légère et d'installer trop facilement un évêque, un prêtre ou un diacre. Il pourrait être comparé à un néophyte, et on sait que saint Paul, l'apôtre des nations, a fortement insisté pour que l'on évitât de pareils choix. Une épreuve durable fera connaître les habitudes et les moeurs de chacun. » Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t.i, p. 791.

Le principe ainsi posé ne semble pas avoir été discuté, tant il était sage et en harmonie avec les recommandations de l'apôtre. Mais quand on voulut donner des réglementations de détails, il fut plus difficile d'arriver à une pratique uniforme et constante.

Le pape saint Sirice, 384-399, exposant divers points de discipline à Himerius, évêque de Tarragone, établit ainsi les délais entre les ordinations : « S'il s'agit d'un homme qui a été, dès son enfance, voué au service de l'Église, il faut, avant l'âge de puberté, lui donner le baptême et l'admettre parmi les lecteurs ; à l'âge de trente ans, s'il en est digne, il devra être acolyte et sous-diacre ; puis après un temps d'épreuve, il sera ordonné diacre ; si, pendant cinq ans, il s'est bien acquitté de ses fonctions, il recevra la prêtrise ; et enfin après un nouveau délai de dix ans, s'il a montré pendant ce temps l'intégrité de sa vie et de sa foi, il pourra être élevé à l'épiscopat. La règle est un peu différente s'il s'agit d'un homme qui se destine sur le tard à la sainte milice : aussitôt après son baptême, on le mettra au nombre des lecteurs ou des exorcistes ; après deux ans, il sera fait acolyte et sous-diacre ; il restera cinq ans dans ces fonctions ; après quoi, il pourra être élevé au diaconat et ensuite plus haut, en observant les délais précédemment indiqués. » Epist., i, 9, 10, P. L., t. xiii, col. 1142, 1143.

La même distinction et des prescriptions analogues se retrouvent dans une lettre du pape Zozime, 417-418. Après avoir rappelé avec force les motifs de la loi qui ordonne de garder les interstices, il prend les décisions suivantes. Celui qui dès son enfance est destiné au ministère ecclésiastique, restera au nombre des lecteurs jusqu'à l'âge de vingt ans ; si au contraire il s'agit d'un homme qui s'y destine à un âge déjà mûr, on le placera tout de suite après son baptême parmi les lecteurs ou les exorcistes. A partir de ce moment, il semble que les progrès de l'un et de l'autre dans la hiérarchie, doivent suivre une marche semblable : ils resteront lecteurs ou exorcistes pendant cinq ans, puis pendant quatre ans acolytes ou sous-diacres : on pourra alors les admettre à la bénédiction du diaconat, s'ils en sont dignes ; et si, pendant cinq ans, ils ont accompli sans reproches les fonctions de diacre, ils pourront être promus au sacerdoce et même, s'ils remplissent les conditions voulues, espérer le pontificat suprême, c'est à-dire l'épiscopat. Epist., ix, 3, P. L., t. xx, col. 672-673.

Une discipline aussi rigoureuse devait cependant présenter des inconvénients de plus d'une sorte et il fallait y apporter de temps à autre des adoucissements. Nous en avons un exemple dans une lettre de saint Gélase, 492-496, aux évêques de Lucanie, du Brutium et de Sicile. Le pape constate les ravages causés par la guerre et la famine en Italie. Devant les difficultés du recrutement sacerdotal, il décide de tempérer pour un temps les prescriptions sur les interstices. En attendant que l'on puisse revenir à la sévérité des canons, il fait une exception en faveur des moines qui voudraient recevoir les ordres. S'ils rem-

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plissent par ailleurs les conditions exigées par les lois de l'Église, conditions que le pape énumère, ils pourront tout de suite « être lecteurs, ou notaires, ou défenseurs » ; au bout de trois mois, ils seront acolytes, s'ils ont l'âge suffisant ; trois mois après, on les admettra au rang des sous-diacres ; puis, s'ils se montrent de mœurs modestes et de volonté droite, après un nouveau délai de trois mois, ils seront diacres, et, après trois autres mois, prêtres. Epist., ix, 2 ; P. L., t. xx, col. 49.

2. Infractions à la loi des interstices. — Si sage qu'elle fût, et bien que tempérée par des adoucissements comme celui que nous venons de citer, la loi des interstices subit bien des infractions.

Dans certains cas, elles étaient légitimées par le mérite exceptionnel du candidat ou par les besoins urgents de l'Église. La hâte fut parfois si grande qu'on omit quelques-uns des ordres inférieurs. Mais devant la nécessité ou la valeur éclatante de l'élu, les protestations n’osaient se faire entendre. C'est ainsi que d'après le.diacre Pontius, il semble que saint Cyprien reçut la prêtrise sans passer par les premiers degrés de la cléricature, presbyterium et sacerdotium statim accepit. De vita et passione sancti Cypriani, c. 3, P.L., t. iii, col. 1484. Il en fut probablement de même pour saint Augustin, Possidius, Vita sancti Augustini, c. 4, P. L., t. xxxii, col. 37. Le cas de saint Ambroise est encore plus significatif. En quelques jours, Ambroise simple catéchumène reçoit le baptême et les ordres majeurs, y compris l'épiscopat.

Mais d'autres fois, de semblables dérogations à la loi étaient motivées surtout par des ambitions personnelles ou par des intrigues de parti ; elles furent alors causes de troubles parfois très graves. Rien d'ailleurs ne démontre mieux la persistance de la loi que de semblables violations, à cause des protestations véhémentes qu'elles soulevèrent. Nous ne citerons que quelques faits, parce qu'ils sont plus connus et paraissent plus significatifs, et surtout parce qu'ils manifestent l'état rudimentaire où est restée longtemps la théologie du sacrement de l'Ordre.

A la mort du pape Paul I, 28 juin 767, le duc de Népi, Toto, se met à la tête du parti militaire romain et fait proclamer pape son frère Constantin qui n'était même pas clerc. L'évêque de Préneste, Georges, lui confère immédiatement la tonsure ; le lendemain, on l'ordonne sous-diacre, puis diacre et prêtre ; le 5 juillet, il est consacré évêque de Rome. Les lois de l'Église avaient été violées ; d'abord la coutume qui réglait la forme des élections pontificales, ensuite et surtout la règle relative aux interstices à garder. Quand, l'année suivante, une réaction du parti ecclésiastique, excitée par le primicier Christophe, eut, avec le secours des Lombards de Spolète, renversé Constantin pour élever à sa place Etienne III (juillet-août 768), on s'occupa tout ensemble de régler les querelles de parti et en même temps de venger les lois et d'empêcher qu'elles fussent de nouveau violées. Un concile, où siégeaient avec les évêques italiens, un certain nombre de prélats francs, envoyés par Charlemagne, se réunit au Latran après les fêtes de Pâques 769. On fit sortir de sa prison le malheureux pape déchu, dont les yeux avaient été crevés par le peuple révolté, et les juges lui demandèrent compte de sa conduite. Parmi les reproches qui lui furent faits, celui d'avoir été ordonné hâtivement était certainement en bonne place d'après la réponse de Constantin et d'après les mesures prises. L'accusé essaya de se justifier en alléguant la violence qui lui avait été faite pour l'élever au trône pontifical ; il invoqua l'exemple d'autres évêques, en particulier ceux de Ravenne et de Naples, qui étaient encore laïques à la veille de leur élection. Pour toute réponse, on le frappa et on le

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chassa de l'église. Puis le décret de son élection fut brûlé ; les ordinations et autres actes accomplis par lui furent déclarés nuls à l'exception des baptêmes ; on défendit, sous peine d'anathème, d'élever un laïque au souverain pontificat ; il fut même spécifié que le pape ne pourrait désormais être choisi que parmi les cardinaux diacres ou prêtres. Voir Liber pontificalis, édit. Duchesne, t.i, p. 468 sq ; Duchesne, Les premiers temps de l'État pontifical, Paris, 1904, p. 114-125 ; Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t. iii, p. 727-737 ; Hemmer, art. Constantin II, t. iii, col. 1225. Pour résoudre la question théologique que soulève l'annulation des ordinations faites par Constantin, voir Saltet, Les réordinations, étude sur le sacrement de l'ordre, Paris, 1907, p. 104-106.

Un autre fait non moins typique est l'élection et la condamnation de Photius. Lorsqu'il fut choisi par le César Bardas pour remplacer sur le siège de Constantinople en 857, le patriarche Ignace exilé, Photius était simple laïque, et ses fonctions précédentes ne l'avaient nullement préparé aux dignités ecclésiastiques. Son élévation fut entachée de plusieurs irrégularités. Avant tout, Ignace était en vie et avait refusé d'abdiquer ; Photius était donc un intrus. Mais de plus il fut ordonné avec une précipitation que condamnaient les lois de l'Église, puisque, tonsuré le 20 décembre, il reçut les ordres inférieurs les jours suivants, fut proclamé patriarche le 23, dans un conciliabule tenu au palais impérial, et reçut la consécration épiscopale le 25 des mains de Grégoire Asbesta, archevêque de Syracuse, dont la situation ecclésiastique était loin d'être claire. Les divers documents qui critiquèrent ou condamnèrent Photius relèvent en particulier le caractère précipité de ses ordinations. Au concile du Latran de 863, on lui reprocha d'avoir été tonsuré trop tôt après avoir quitté le service de l'État et les rangs de l'armée, et le qualificatif de néophyte, qui soulignait l'opposition entre sa conduite et la prescription de saint Paul, I Tim., iii, 6, lui fut appliqué à diverses reprises. Anathem. 1 et 3, Hefele Leclercq, op. cit., t. iv, p. 327 et 329. Le même reproche, mêlé à beaucoup d'autres, se retrouve dans une lettre du pape Nicolas Ier à Photius, 13 novembre 866 : le pape lui oppose les lois du concile de Sardique qui ont prescrit les interstices et les ordres même de saint Paul. Epist., xcix, P. L., t. cxix, col. 1051. Au concile de Constantinople, 869-870, un disciple de Photius, Zacharie, évêque de Chalcédoine, s'efforça d'écarter de son maître la condamnation qui le menaçait ; il rappela divers exemples célèbres d'évêques pris dans les rangs des laïques et élevés sans retard à l'épiscopat ; il essaya d'interpréter les lois de l'Église et de démontrer que, si elles exigent des délais avant les ordinations, elles n'exigent pas qu'on dépose ceux qui ne les ont pas observés. Hefele-Leclercq, loc. cit., p. 506. Malgré les efforts de ses défenseurs, Photius fut condamné et le 5e canon rappela et précisa de nouveau la loi des interstices. Il est ainsi donné par Hefele, loc. cit., p. 523 : « Aucun sénateur, et en général aucun laïque qui reçoit la tonsure dans l'espoir d'arriver à un évêché ou à un patriarcat et devient ainsi clerc ou moine, ne doit être promu à cette dignité qu'il ambitionne, ou bien on attendra qu'il ait passé un temps d'épreuve suffisant dans tous les degrés et fonctions ecclésiastiques.... Par contre, celui qui, sans aucune ambition, abandonne une haute dignité du monde, devient clerc ou moine et passe dans chaque degré le temps requis, c'est-à-dire qui est un an lecteur, deux ans sous-diacre, trois ans diacre et quatre ans prêtre, peut être élevé à l'épiscopat. Pour ceux qui, n'étant que clercs ou moines, se sont pendant longtemps acquittés de leurs fonctions d'une manière exemplaire et qui paraissent dignes de l'épiscopat, les évêques pourront abréger le temps

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d'épreuve prescrit par les canons. » La loi des interstices demeure donc la même dans son fond, malgré des variations de détail ; les décrets de Constantinople sont un écho fidèle de ceux de Sardique.

Une nouvelle infraction notable à la loi des interstices, suivie également d'une condamnation, fut commise dans la première élection du pape Léon VIII. Un concile réuni à Saint-Pierre par l'empereur Othon Ier déposa le triste pape Jean XII à cause des désordres de sa vie privée et de sa politique brouillonne, 4 décembre 963. Séance tenante, on élut le protoscriniaire Léon qui n'était encore que laïque. En deux jours il reçut tous les ordres et fut sacré à Saint-Pierre le 6 décembre. Mais à peine l'empereur avait-il quitté Rome que Jean XII y rentra. Un nouveau concile se réunit au Latran au début de février 964 qui cassa tout ce qu'avait fait le concile de décembre 963. Jean XII posa à l'assemblée la question suivante : « Que décidez-vous au sujet de Sico, ordonné par moi évêque, et qui, sans aucun délai, a ordonné l'employé de la curie, Léon, de néophyte et ce parjure, portier, lecteur, acolyte, sous-diacre, diacre et prêtre, et l'a ensuite sacré pour ce siège, sans observer les interstices nécessaires ? »Le concile répondit : « Tous deux, celui qui a donné et celui qui a reçu les ordres, doivent être déposés. » Hefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, t, iv, p. 813. Le pape prononça, en conséquence, la déposition de Léon et y ajouta la dégradation de ceux qui avaient été ordonnés par lui. Voir Duchesne, Les premiers temps de l'État pontifical, p. 350 ; Hefele-Leclercq, loc. cit., p. 809-815 ; Saltet, Les réordinations, p. 169-171. La déposition de Léon VIII ne fut d'ailleurs pas plus durable que ne l'avait été celle de Jean XII : ce dernier mourut le 14 mai 964 ; son successeur, Benoit V, fut déposé presque aussitôt que nommé ; et Léon VIII fut reconnu pape le 23 juin 964.

Ainsi non seulement les textes des canons, mais même les faits qui sembleraient en opposition directe avec la loi des interstices montrent que cette loi n'avait pas cessé d'être en vigueur : ces faits n'étaient souvent qu'une occasion de la rappeler avec quelque sévérité.

Cette revue historique, que nous avons poursuivie jusqu'à la fin du x° siècle, nous a conduits presque jusqu'à la législation des Décrétales. La loi y prendra une forme plus stable et moins sujette aux variations, il nous suffira d'en noter les principaux points.

Les Décrétales. — Les règles concernant les interstices sont contenues surtout dans les titres De temporibus ordinationum et qualitate ordinandorum, et De co qui furtive ordinationem suscepit, Décret. Gregorii IX, lib. I, tit. xi et lib. V, tit. xxx, Friedberg, t. ii, col. 118-124 et 834-835. Les décrets insérés dans ces passages émanent des papes Alexandre III, 1159-1181, Célestin III, 1191-1198, Innocent III, 1198-1216 et Honorius III, 1216-1217. En général, la discipline des Décrétales au sujet des interstices se distingue de la discipline antérieure non seulement parce qu'elle y devient plus stable, mais aussi par les points suivants : les quatre ordres mineurs y sont définitivement fixés tels que nous les comptons actuellement ; le sous-diaconat en est séparé et compte désormais parmi les ordres sacrés ; enfin la loi est moins sévère soit sur le nombre, soit sur la durée des interstices.

En voici les principales dispositions : il est permis de recevoir en un seul jour les quatre ordres mineurs, Alexandre III dans les Décrétales, L.I, tit. xi, c. 3 ; mais on ne doit pas recevoir le même jour les ordres mineurs et le sous-diaconat, Célestin III, ibid., I. V, tit. xxx, c. 2 ; il est également défendu de donner deux ordres sacrés, soit le même jour, soit même deux jours consécutifs, et cela, sous peine de suspense pour l'évêque violateur de la loi, Célestin III, ibid., 1.V, tit. xxx,

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c. 3 ; Innocent III, ibid., 1.I, tit. xi, c. 13; Honorius III, ibid.,1. I, tit. xi, c. 15.

Le concile de Trente. — Les interstices avaient été réduits par les Décrétales jusqu'à n'être plus qu'une formalité sans but ni résultat pratique, comme un organe témoin de l'ancienne législation. La modification n'était pas heureuse, et on jugea bientôt nécessaire de revenir en arrière. Ce fut l'oeuvre du concile de Trente. La XXIIIe session, de reformatione, fut consacrée à rechercher les mesures les plus efficaces pour ramener et maintenir dans le clergé la dignité de la vie et la sainteté des mœurs. Elle édicte surtout les règles qui doivent présider au choix des ministres de l'Église, aux qualités qu'ils doivent présenter, à la préparation par laquelle ils doivent se former ; à cette occasion le concile prescrit l'institution des séminaires, qui devait avoir de si féconds résultats pour la réforme du clergé. Chemin faisant, le concile est amené à rétablir, en l'adoucissant, l'ancienne loi des interstices. Il le fait au chap. xi, pour les ordres mineurs et le sous-diaconat, au chap. xiii pour le diaconat, au chap. xiv pour la prêtrise. Nous négligeons, pour le moment, ce qui concerne les dispenses possibles, et aussi les motifs par lesquels le concile justifie ses prescriptions, pour nous attacher seulement aux dispositions législatives. Entre un ordre mineur et le suivant, on doit garder des interstices. Aucun laps de temps n'est déterminé : il faut que le clerc minoré se soit exercé dans les fonctions de son ordre et ait progressé dans les vertus ecclésiastiques avant d'être promu à un ordre plus élevé.

Un an doit s'écouler entre la réception du dernier ordre mineur et les ordres sacrés ; un an encore entre le sous-diaconat et le diaconat ; un an entre le diaconat et la prêtrise. Et si le concile permet que l'évêque abrège ces délais quand il le juge possible et opportun, il lui interdit absolument de conférer au même sujet deux ordres sacrés le même jour, et cela privilegiis ac indultis quibusvis concessis non obstantibus quibuscumque.

Ces dispositions législatives, qui, tout en maintenant l'obligation des interstices en principe, la tempéraient en pratique par de larges pouvoirs de dispenses accordés aux évêques, étaient très sages. Elles ont été, en somme, maintenues dans le Code de droit canonique, avec quelques mitigations.

4° Le Code de droit canonique. — Les prescriptions relatives aux interstices sont énoncées au canon 978. Le §1 rappelle le principe : il faut observer les interstices entre les différents ordres, afin de permettre à ceux qui ont reçu un ordre de s'y exercer avant d'être promus à un ordre supérieur.

Le §2 énonce la loi proprement dite avec ses détails. Il appartient à l'évêque de déterminer les interstices à observer entre la tonsure et l'ostiariat ou entre les divers ordres mineurs. On laissera passer un an au moins entre le dernier ordre mineur et le sous-diaconat, trois mois au moins entre le sous-diaconat et le diaconat, comme entre le diaconat et la prêtrise.

L'évêque ayant un large pouvoir de dispenser s'il le juge nécessaire ou utile à l'Église, le §3 détermine les limites qu'aucune dispense ne doit dépasser sans permission spéciale du souverain pontife. Jamais on ne conférera le même jour les ordres mineurs avec le sous-diaconat, ni deux ordres sacrés, reprobata quavis contraria consuetudine. Bien plus, il est interdit de donner ni la tonsure avec quelqu'un des ordres mineurs, ni les quatre ordres mineurs ensemble.

Il est utile sans doute de faire remarquer la manière dont est rédigé ce dernier §. La restriction reprobata quavis contraria consuetudine ne s'applique qu'au fait de donner ensemble ou les ordres mineurs avec le sous-diaconat, ou deux ordres sacrés. Pour les cas énumérés ensuite, à savoir la collation de la tonsure avec un

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ordre mineur ou des quatre ordres mineurs ensemble, on n'a pas à appliquer la même restriction ; donc avec une coutume légitime, remplissant les conditions indiquées au canon 5, il serait licite de continuer d'agir comme on le faisait avant le Code. C'est l'interprétation formelle de Prummer, Manuale juris ecclesiastici, quæst. 320, Fribourg-en-Brisgau, 1920, p. 387, et de Blat, Commentarium textus codicis juris canonici, LIII, de rébus, part. 1, Rome, 1920, p. 406.

II. Les raisons de la loi des interstices. — La plupart des documents qui ont porté la loi en ont également indiqué les raisons.

« Il faut, disait le concile de Sardique, canon 10, que (celui qui est promu aux ordres) reste assez longtemps dans chacun de ces degrés pour que l'on puisse être fixé sur sa foi, sur ses mœurs, sur son caractère et sur son talent... Une épreuve durable fera connaître les habitudes et les mœurs de chacun. » Hefele-Leclercq, t.i, p. 791.

La même raison est donnée en quelques mots par le pape saint Sirice. On veut éprouver les ministres de Dieu et ne les faire monter plus haut que s'ils se sont montrés, par leur fidélité dans un ordre inférieur, dignes et capables de supporter les charges que suppose un rang plus élevé : c'est ce que signifient les incidentes qui reviennent à chaque détail des prescriptions : Si probabiliter vixerit... si se ipse primitus continentia præeunie dignum probarit... si laudabiliter ministrarit... si integritas vitæ ac fidei eius fuerit approbata, etc. P. L., t.xiii, col. 1142-1143.

Saint Zozime est plus explicite. Il répondait à un évêque qui, témoin de faits où était violée la loi des interstices, lui demandait la conduite à tenir ; et, avant de formuler la loi, il voulait d'abord en montrer le bien-fondé. Il le fait en ces termes : « Si, dans les fonctions séculières, on appelle à la première place, non pas celui qui entre dans le vestibule de la vie publique, mais celui qui a longuement prouvé sa valeur dans de nombreux emplois, trouvera-t-on quelqu'un assez arrogant, assez prétentieux pour vouloir être tout de suite un chef dans la milice du ciel... sans y avoir fait d’apprentissage, pour vouloir enseigner avant d'apprendre ? Qu'il commence par s'exercer dans le camp du Seigneur, par s'instruire des rudiments du service divin dans le rang des lecteurs ; qu'il n'ait pas honte d'être successivement exorciste, acolyte, sous-diacre et diacre, et cela non pas d'un bond, mais aux époques établies par les décrets de nos pères ; et seulement ensuite, qu'il parvienne au sommet du sacerdoce, quand l'âge aura complété le titre, quand les services rendus auront attesté le mérite de sa vertu. » Epist., ix, 1, P. L., t. xx, col. 671.

Dans tous ces documents primitifs, c'est donc la même raison qui se retrouve : il faut avoir fait ses preuves dans un ordre avant d'aspirer plus haut ; il faut se former à la science, à la vertu, aux obligations des charges ecclésiastiques pour être digne d'exercer des fonctions plus élevées ; il faut faire un apprentissage, selon le mot du pape Zozime : les interstices ne sont autre chose que l'apprentissage progressif du métier divin qu'est la conduite des âmes et de l'Église.

Temps de probation, temps de formation, c'est encore le sens que le concile de Trente donne aux interstices et la principale raison qu'il invoque pour les prescrire. Il y ajoute l'utilité et la convenance qu'il y a à ce que le clerc se soit bien exercé dans les fonctions de son ordre avant de recevoir l'ordre suivant. Les textes du concile sont assez suggestifs pour que nous les citions. « Les ordres mineurs seront conférés en observant des interstices... pour que (ceux qui les reçoivent) puissent par là être instruits avec plus de soin de l'importance de cet apprentissage et s'exercer dans chacune de ces fonctions, selon les ordres de l'évêque... Il faut qu'en

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eux le mérite de la vie et la science croissent avec l'âge ; il faut qu'ils prouvent leurs progrès par l'exemple d'une bonne conduite, par l'assiduité de leur service dans l'Église, par un plus grand respect pour les prêtres et pour les ordres supérieurs, par une communion, plus fréquente qu'auparavant, du corps du Christ. Et comme c'est par les ordres mineurs qu'on entre aux rangs plus élevés et aux très saints mystères, on ne doit y admettre que ceux dont on peut espérer qu'ils seront dignes des ordres majeurs. » Sess. XXIII, de reform., c. xi. Les motifs qui justifient ces premiers interstices sont vrais également des suivants ; le concile se contente aux chap. xiii et xiv de brèves allusions qu'il est inutile de relever.

Le Code suppose ces motifs sans les reproduire. Il n'en exprime qu'un au §1 du can. 978 : on doit observer les interstices « pendant lesquels les promus puissent s'exercer dans les ordres reçus selon les prescriptions de l'évêque. «

III. Dispenses des interstices. — La discipline primitive ne semble pas avoir comporté de dispenses, du moins prévues dans les textes de lois. Dans la pratique, il y eut certainement de fort nombreuses exceptions : exceptions individuelles ; nous en avons signalé quelques-unes ; elles n'excitèrent aucune protestation quand elles étaient justifiées par la valeur exceptionnelle des élus ; elles furent quelquefois cause de troubles très graves quand elles avaient pour origine l'intrigue ou l'ambition. Exceptions générales aussi : nous en avons vu un exemple dans les règles provisoires portées par saint Gélase en raison des circonstances critiques que traversait l'Église.

Le IVe concile de Constantinople, 869-870, can. 5, après avoir rappelé la loi, prévoit des dispenses possibles : « Pour ceux qui, n'étant que clercs ou moines, se sont pendant longtemps acquittés de leurs fonctions d'une manière exemplaire et qui paraissent dignes de l'épiscopat, les évêques pourront abréger le temps d'épreuve prescrit par les canons. » Hefele, trad. Leclercq, t. iv, p. 523.

Ce pouvoir discrétionnaire de l'évêque, le concile de Trente et le Code de droit canonique le reconnaissent. La loi prévoit et prescrit les interstices ; mais dans l'application de la loi, l'évêque est seul juge, et il ne doit considérer que la nécessité ou l'utilité de son Église et subsidiairement, par voie de conséquence, le mérite et la capacité du candidat.

Le concile de Trente prescrit des interstices entre les divers ordres mineurs nisi aliud Episcopo expedire magis videretur ; entre le dernier ordre mineur et le sous-diaconat nisi necessitas aut Ecclesiæ utilitas, judicio Episcopi, aliud exposcat ; entre le sous-diaconat et le diaconat, nisi aliud Episcopo videatur ; entre le diaconat et la prêtrise, nisi ob Ecclesiæ ulilitatem ac nécessittem aliud Episcopo videretur.

Il en est de même dans le Code. Les interstices à garder avant ou entre les ordres mineurs sont laissés prudenti Episcopi judicio ; les interstices avant ou entre les ordres majeurs sont fixés, mais avec cette réserve : nisi necessitas aut utilitas Ecclesiæ, judicio Episcopi, aliud exposcat, can. 978, §2.

En réalité, ce n'est pas un droit de dispense qui est accordé à l'évêque ; car le mot de dispense n'est jamais prononcé ; c'est un pouvoir d'appliquer, comme il le jugera bon dans l'intérêt de son Église, la loi générale. Il y a des limites que l'évêque ne doit pas franchir, can. 978, §3 ; mais en deçà de ces limites, l'évêque est maître absolu. L'Église lui montre l'idéal, et rend cet idéal obligatoire ; mais elle laisse l'évêque juge des possibilités ; il agira comme il lui semblera meilleur dans l'intérêt de son Église, et de son jugement ou de sa conduite, il ne doit de comptes à personne.

Ce pouvoir officiellement reconnu à l'évêque ôte à la

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loi des interstices ce qu'elle pourrait avoir de trop gênant, si elle était appliquée dans sa rigueur. Elle reste un idéal ; les motifs sur lesquels elle est fondée gardent toute leur valeur et l'évêque doit en tenir compte ; elle doit être appliquée dans les cas ordinaires et normaux ; elle impose un minimum qu'on ne doit pas franchir, même dans des cas exceptionnels, sans la permission du pape ; mais elle est assez souple pour n'être jamais une gêne pour l'administration, moins encore un péril pour le recrutement du clergé ou pour le le ministère des âmes.

L. Godefroy.

INTUITIVE(Vision). — I. Définition. II. Possibilité. III. Existence. IV. Nature. V. Objet. VI. Caractères et propriétés.

I. Définition. — 1° Nominale. — Étymologiquement, le mot vision désigne l'acte du sens de la vue. Par analogie, on en étend la signification à toute espèce de connaissance. S. Thomas, Sum. theol., Ier, q. lxvii, a. 1. L'idée de vision, en toute espèce de connaissance, suppose l'influence directe, immédiate de l'objet perçu sur la faculté qui l'atteint : illa videri dicuntur, quæ per se ipsa movent intellectum nostrum vel sensum ad sui cognitionem. Id., ibid., IIéme IIéme ,q. i, a. 4. L'idée de vision exclut donc toute connaissance indirecte, médiate, par mode d'analogie, d'abstraction ou de raisonnement. Même confuse, la vision atteint l'objet en lui-même. Le mot intuitive n'ajoute rien par lui-même au concept de vision. Toute vision atteignant directement son objet est par là même une intuition. L'épithète intuitive ne fait donc que préciser le caractère immédiat, excluant l'analogie, l'abstraction, le raisonnement. Toutefois, par l'usage qu'en ont fait les théologiens, ce mot sert à mieux distinguer la connaissance surnaturelle qu'auront de Dieu, dans le ciel, les bienheureux, des divers moyens, ou manifestations surnaturelles par lesquels Dieu, dès ce monde, peut se faire connaître ou faire connaître ses volontés : visions intellectuelles, imaginatives, sensibles. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I*, q. xciii, a. 6, ad 4 ; Vision, dans le Dictionnaire de la Bible, de M. Vigouroux, t. v, col. 2439.

Réelle. — La vision intuitive peut se définir : l’acte de l'intelligence par lequel les bienheureux connaîtront Dieu en lui-même, clairement et immédiatement. — 1. Acte d'intelligence : plusieurs actes constituent, dans son intégralité, la béatitude des élus : vision, amour, jouissance, voir Béatitude, t. ii, col. 512 ; Gloire, t. vi, col. 1395-1401. Quelle que soit l'opinion professée sur l'élément formel de la béatitude ou de la gloire essentielle, tous les théologiens reconnaissent que l'acte de l'intelligence, la vision, est requis pour la béatitude ou la gloire. — 2. Il s'agit d'un acte d'intelligence des bienheureux, en tant que tels. On exclut, par là, tout acte d'intelligence appartenant à la condition des hommes encore sur cette terre. La connaissance par la foi est, de ce premier chef, éliminée du concept de la vision intuitive. On exclut aussi toute connaissance intellectuelle d'ordre naturel, telle que la connaissance infuse propre aux âmes séparées, bienheureuses ou non. — 3. Cet acte de connaissance, propre à l'état des bienheureux, atteindra Dieu en lui-même : par là se trouve exclu tout mode de connaissance médiate et analogique. Notre connaissance actuelle de Dieu ne peut être qu'analogique, parce qu'elle prend comme point de départ les créatures pour s'élever ensuite au créateur, dont elle conçoit l'être, la nature, les perfections, d'après les relations de cause à effet, par analogie avec l'être, la nature, les perfections des choses créées. Dans l'autre vie, la connaissance naturelle de Dieu, propre à l'état des âmes séparées, ne sera pareillement qu'analogique, puisque, comme l'ange, l'âme séparée connaît

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Dieu en se considérant soi-même. Bien que non discursive, cette connaissance demeure encore, comme toute connaissance de Dieu propre à l'état présent, une connaissance médiate. Enfin, la connaissance de Dieu en lui-même, exclut le mode abstractif dont notre intelligence se sert nécessairement ici-bas pour former, en les tirant des premières données sensibles, les concepts analogiques se rapportant à Dieu. — 4. Les mots clairement, immédiatement, ne font que préciser ces notions, sans y ajouter rien de nouveau. La distance infinie qui sépare l'intelligence créée n'empêche pas la vision intuitive d'être un acte de connaissance aussi claire que possible de Dieu : la lumière divine n'éblouit pas, mais éclaire et fortifie l'intelligence humaine ou angélique. Enfin, la vision intuitive ne connaît pas d'objet intermédiaire : elle atteint Dieu directement : elle est donc immédiate.

Chez les auteurs catholiques, le terme intuitive est souvent remplacé par béatifique, bienheureuse, béatifiante : visio beatifica, beata, beatifica. On exprime par là que la vision intuitive est la cause du bonheur des élus. En parlant de vision face à Jace, tout en remémorant I Cor., xiii, 12, on insiste sur le caractère immédiat de la connaissance de Dieu dans la vision intuitive : Dieu est vu sans intermédiaire et en lui-même.

II. Possibilité. — 1° Impossibilité radicale pour toute créature d'arriver à la vision intuitive par les seules forces de sa nature. — 1. Sens de cette affirmation. — Le sens exact de cette affirmation est bien précisé par les derniers mots : par les seules forces de sa nature. S'en tenant à l'ordre de la Providence actuelle, on veut dire que nulle créature, existante ou possible, ne peut, par ses seules forces, s'élever jusqu'à cette vision. C'est d'ailleurs sous cette forme expresse que saint Thomas entend proposer la solution à cette question : utrum aciquis intellectus creatus per sua naturalia divinam essentiam videre possit ? Sum. theol., Ie, q. xii, a. 4. Or, dans l'ordre actuel de la Providence, tel qu'il est connu de nous, la question posée ne concerne que les anges et les hommes. Et ni l'ange ni l'homme, par les seules ressources de leur nature, ne sauraient atteindre Dieu en lui-même dans un acte de connaissance intellectuelle. Restreinte à cette question de fait, il n'est pas exagéré de dire que c'est une vérité de foi catholique qu'il est impossible à une créature quelconque d'atteindre naturellement à la vision intuitive. En effet, cette vérité se trouve clairement enseignée dans l'Écriture, et authentiquement promulguée, comme appartenant à la révélation, par le magistère de l'Église.

    Données de l’Écriture. — Cette vérité se trouve enseignée par l'Écriture sous plusieurs formes : a) parce que la connaissance naturelle qu'ont les hommes de Dieu est présentée comme un raisonnement partant des choses visibles pour aboutir aux invisibles. Rom., i, 20 ; Sap., xiii, 1, 5 ; — b) parce que la vision intuitive de Dieu est présentée comme appartenant en propre aux personnes de la trinité. Joa., vi, 46 ; cf. i, 18 ; Matth., xi, 27 ; I Cor., ii, 11 ; — c) parce que la vision intuitive, concédée aux créatures, est dite appartenir à l'ordre de la grâce, I Joa., iii, 1-2 ; Rom., vi, 23 ; cf. Joa., xvii, 3 ; — d) parce qu'enfin Dieu est présenté comme essentiellement invisible, I Tim., i, 17, habitant une lumière inaccessible, où nul œil créé n'a jamais pu l'atteindre, I Tim., vi, 16 ; Joa., i, 18.
    La tradition des Pères. — Dans leurs discussions avec les Anoméens, voir t. i, col. 1325, et Eunoniius, t. v, col. 1508-1511, les Pères ont rappelé le caractère éminemment surnaturel de la vision intuitive, inaccessible aux seules forces de la nature. Pour réfuter Eunomius, ils accentuent même l'impossibilité où se trouve la créature d'atteindre Dieu. Voir l'exposé de leur doctrine à l'article Dieu (sa nature d'après les
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