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Dictionnaire de Théologie Catholique

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INTUITIVE (Vision). — I. Définition. II. Possibilité. III. Existence. IV. Nature. V. Objet. VI. Caractères et propriétés.
I. Définition. — 1° Nominale. — Étymologiquement, le mot vision désigne l'acte du sens de la vue. Par analogie, on en étend la signification à toute espèce de connaissance. S. Thomas, Sum. theol., Ier, q. lxvii, a. 1. L'idée de vision, en toute espèce de connaissance, suppose l'influence directe, immédiate de l'objet perçu sur la faculté qui l'atteint : illa videri dicuntur, quæ per se ipsa movent intellectum nostrum vel sensum ad sui cognitionem. Id., ibid., IIéme IIéme ,q. i, a. 4. L'idée de vision exclut donc toute connaissance indirecte, médiate, par mode d'analogie, d'abstraction ou de raisonnement. Même confuse, la vision atteint l'objet en lui-même. Le mot intuitive n'ajoute rien par lui-même au concept de vision. Toute vision atteignant directement son objet est par là même une intuition. L'épithète intuitive ne fait donc que préciser le caractère immédiat, excluant l'analogie, l'abstraction, le raisonnement. Toutefois, par l'usage qu'en ont fait les théologiens, ce mot sert à mieux distinguer la connaissance surnaturelle qu'auront de Dieu, dans le ciel, les bienheureux, des divers moyens, ou manifestations surnaturelles par lesquels Dieu, dès ce monde, peut se faire connaître ou faire connaître ses volontés : visions intellectuelles, imaginatives, sensibles. Cf. S. Thomas, Sum. theol., I*, q. xciii, a. 6, ad 4 ; Vision, dans le Dictionnaire de la Bible, de M. Vigouroux, t. v, col. 2439.
Réelle. — La vision intuitive peut se définir : l’acte de l'intelligence par lequel les bienheureux connaîtront Dieu en lui-même, clairement et immédiatement. — 1. Acte d'intelligence : plusieurs actes constituent, dans son intégralité, la béatitude des élus : vision, amour, jouissance, voir Béatitude, t. ii, col. 512 ; Gloire, t. vi, col. 1395-1401. Quelle que soit l'opinion professée sur l'élément formel de la béatitude ou de la gloire essentielle, tous les théologiens reconnaissent que l'acte de l'intelligence, la vision, est requis pour la béatitude ou la gloire. — 2. Il s'agit d'un acte d'intelligence des bienheureux, en tant que tels. On exclut, par là, tout acte d'intelligence appartenant à la condition des hommes encore sur cette terre. La connaissance par la foi est, de ce premier chef, éliminée du concept de la vision intuitive. On exclut aussi toute connaissance intellectuelle d'ordre naturel, telle que la connaissance infuse propre aux âmes séparées, bienheureuses ou non. — 3. Cet acte de connaissance, propre à l'état des bienheureux, atteindra Dieu en lui-même : par là se trouve exclu tout mode de connaissance médiate et analogique. Notre connaissance actuelle de Dieu ne peut être qu'analogique, parce qu'elle prend comme point de départ les créatures pour s'élever ensuite au créateur, dont elle conçoit l'être, la nature, les perfections, d'après les relations de cause à effet, par analogie avec l'être, la nature, les perfections des choses créées. Dans l'autre vie, la connaissance naturelle de Dieu, propre à l'état des âmes séparées, ne sera pareillement qu'analogique, puisque, comme l'ange, l'âme séparée connaît
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Dieu en se considérant soi-même. Bien que non discursive, cette connaissance demeure encore, comme toute connaissance de Dieu propre à l'état présent, une connaissance médiate. Enfin, la connaissance de Dieu en lui-même, exclut le mode abstractif dont notre intelligence se sert nécessairement ici-bas pour former, en les tirant des premières données sensibles, les concepts analogiques se rapportant à Dieu. — 4. Les mots clairement, immédiatement, ne font que préciser ces notions, sans y ajouter rien de nouveau. La distance infinie qui sépare l'intelligence créée n'empêche pas la vision intuitive d'être un acte de connaissance aussi claire que possible de Dieu : la lumière divine n'éblouit pas, mais éclaire et fortifie l'intelligence humaine ou angélique. Enfin, la vision intuitive ne connaît pas d'objet intermédiaire : elle atteint Dieu directement : elle est donc immédiate.

Chez les auteurs catholiques, le terme intuitive est souvent remplacé par béatifique, bienheureuse, béatifiante : visio beatifica, beata, beatifica. On exprime par là que la vision intuitive est la cause du bonheur des élus. En parlant de vision face à Jace, tout en remémorant I Cor., xiii, 12, on insiste sur le caractère immédiat de la connaissance de Dieu dans la vision intuitive : Dieu est vu sans intermédiaire et en lui-même.

II. Possibilité. — 1° Impossibilité radicale pour toute créature d'arriver à la vision intuitive par les seules forces de sa nature. — 1. Sens de cette affirmation. — Le sens exact de cette affirmation est bien précisé par les derniers mots : par les seules forces de sa nature. S'en tenant à l'ordre de la Providence actuelle, on veut dire que nulle créature, existante ou possible, ne peut, par ses seules forces, s'élever jusqu'à cette vision. C'est d'ailleurs sous cette forme expresse que saint Thomas entend proposer la solution à cette question : utrum aciquis intellectus creatus per sua naturalia divinam essentiam videre possit ? Sum. theol., Ie, q. xii, a. 4. Or, dans l'ordre actuel de la Providence, tel qu'il est connu de nous, la question posée ne concerne que les anges et les hommes. Et ni l'ange ni l'homme, par les seules ressources de leur nature, ne sauraient atteindre Dieu en lui-même dans un acte de connaissance intellectuelle. Restreinte à cette question de fait, il n'est pas exagéré de dire que c'est une vérité de foi catholique qu'il est impossible à une créature quelconque d'atteindre naturellement à la vision intuitive. En effet, cette vérité se trouve clairement enseignée dans l'Écriture, et authentiquement promulguée, comme appartenant à la révélation, par le magistère de l'Église.

    Données de l’Écriture. — Cette vérité se trouve enseignée par l'Écriture sous plusieurs formes : a) parce que la connaissance naturelle qu'ont les hommes de Dieu est présentée comme un raisonnement partant des choses visibles pour aboutir aux invisibles. Rom., i, 20 ; Sap., xiii, 1, 5 ; — b) parce que la vision intuitive de Dieu est présentée comme appartenant en propre aux personnes de la trinité. Joa., vi, 46 ; cf. i, 18 ; Matth., xi, 27 ; I Cor., ii, 11 ; — c) parce que la vision intuitive, concédée aux créatures, est dite appartenir à l'ordre de la grâce, I Joa., iii, 1-2 ; Rom., vi, 23 ; cf. Joa., xvii, 3 ; — d) parce qu'enfin Dieu est présenté comme essentiellement invisible, I Tim., i, 17, habitant une lumière inaccessible, où nul œil créé n'a jamais pu l'atteindre, I Tim., vi, 16 ; Joa., i, 18.
    La tradition des Pères. — Dans leurs discussions avec les Anoméens, voir t. i, col. 1325, et Eunoniius, t. v, col. 1508-1511, les Pères ont rappelé le caractère éminemment surnaturel de la vision intuitive, inaccessible aux seules forces de la nature. Pour réfuter Eunomius, ils accentuent même l'impossibilité où se trouve la créature d'atteindre Dieu. Voir l'exposé de leur doctrine à l'article Dieu (sa nature d'après les
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