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La Tentation

 

article du Dictionnaire de Théologique Catholique

TENTATION. – Cet article donnera des notions générales sur la doctrine théologique de la tentation, sa nature et ses divisions, et résumera l’enseignement de la théologie morale concernant deux questions plus spéciales : la tentation de Dieu, péché contre la vertu de religion, et la tentation source du péché humain et œuvre particulière du démon. Une étude plus complète de la tentation dans la vie spirituelle se trouverait dans les ouvrages ascétiques ; nous nous contenterons d’y renvoyer.

I. NOTIONS GENERALES. NATURE ET DIVISIONS DE LA TENTATION. – 1° D’après l’étymologie du mot, tenter quelqu’un, c’est le soumettre à un examen, à une épreuve, afin de se rendre compte de ses dispositions, de ses qualités, de ses défauts, spécialement de sa valeur morale. Tentare, dit saint Thomas, est experimentum sumere de aliquo ut sciatur aliquid circa ipsum…, Sum. theol., Ia, q. CXIV, a. 2. Ce qui peut être fait, ajoute-t-il, et verbis et factis. IIa-IIæ, q. XCVII, a. 1.

La tentation peut du reste être considérée soit dans son rapport avec celui qui procède à l’épreuve, tentation active – on parlera ainsi de tentation exercée sur l’homme par Dieu, par le démon, par d’autres hommes, ou même de celle à laquelle, d’une certaine manière, l’homme soumet Dieu (tentation de Dieu) – soit indépendamment de ce rapport, c’est-à-dire en tant que subie ou reçue ; la tentation est alors regardée en elle-même, dans l’objet qui la constitue, tentation passive ; dans la vie spirituelle, on envisage ainsi la tentation que l’homme doit supporter et surmonter, quelle qu’en soit l’origine.

2° Depuis saint Augustin s’est établie une division générale de la tentation que l’on peut regarder comme classique. En plusieurs passages de ses écrits, ce docteur distingue : tentatio probationis et tentatio deceptionis vel seductionis ; cf. De consensus evang., l. II, c. XXX, n. 71, P. L., t. XXXIV, col. 1113 ; In Heptateuchum, l. II, q. LVIII, t. XXXIV, col. 616 ; Epist., CCV, ad Consentium, n. 16, t. XXXIII, col. 947-948, etc. Cette division concerne la tentation regardée activement ; elle repose moins sur la diversité des objets que sur la fin et l’intention de celui qui l’exerce.

1. La tentation de simple épreuve (tentatio probationis) n’a pas pour but de nuire au sujet ou de le pousser au mal, mais au contraire de mettre en vue ce qu’il vaut, de le perfectionner en lui permettant d’exercer sa volonté, de manifester ou d’accroître ses qualités et son énergie, de le faire mériter et monter en force et en sainteté.

Dieu peut être l’auteur de la tentation ainsi comprise ; il ne l’envoie afin de connaître lui-même ce que vaut celui qu’il est dit tenter, autrement sa science infinie serait en défaut ; mais il veut ainsi manifester les qualités et les vertus de celui qu’il éprouve et le faire progresser. C’est ainsi que doivent être compris les textes de la Bible où Dieu est dit tenter son peuple et ses amis, afin d’apprendre ce qu’ils ont au fond du cœur et ce qu’ils peuvent à son service ; en particulier, Deut., XIII, 3 : " Jahvé votre Dieu, déclare Moïse aux Hébreux, vous éprouve afin de savoir si vous aimez Jahvé, votre Dieu, de tout votre cœur et de toute votre âme ", la Vulgate traduit très clairement dans ce sens : ut palam fiat ; Gen., XXII, 12 : l’ange de Jahvé, c’est-à-dire Dieu lui-même, dit à Abraham : " … Je sais maintenant que tu crains Dieu et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. "En ce sens, on peut même regarder l’ensemble des maux et des difficultés qui se présentent dans la vie des hommes comme des tentations voulues du maître souverain et entrant dans le plan divin. La vie humaine est, dans sa totalité, une épreuve, une tentation divine. A cette tentation de simple épreuve se rattache celle que, à l’inverse, l’homme peut exercer à l’égard de Dieu ; elle sera étudiée plus loin.

2. La tentation de déception ou de séduction (elle est dite encore par certains théologiens : tentatio subversionis) a pour but au contraire de faire commettre le péché, de séduire et d’amener la ruine spirituelle. Elle propose soit un mal sous l’apparence d’un bien, soit un bien relatif ou un objet indifférent qui, par leur attrait, par le plaisir ou par le trouble qu’ils causent, tendent à amener la volonté à abandonner le devoir, à se dérober à l’ordre divin.

Cette tentation, qui sollicite au péché, est celle qu’on entend le plus souvent en théologie, surtout en théologie spirituelle, par tentation : c’est la tentation proprement dite. Dieu, dont la bonté suprême ne peut vouloir le péché, ne saurait être dit l’auteur réel de la tentation ainsi comprise. Cf. Jac., I, 13-14 : " Que nul, lorsqu’il est tenté, ne dise : c’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne saurait être tenté de mal et lui-même ne tente personne… " Il ne peut que permettre la tentation de ce genre, en ce sens que, nous donnant les secours nécessaires pour en triompher, il tolère que ceux qui veulent la perte de nos âmes nous éprouvent ainsi et que, nous-mêmes, nous trouvions en nous des occasions de pécher et des sollicitations au désordre. La sixième demande du Pater, qui se traduit littéralement : " Ne nous induisez pas en tentation ", Matth., VI, 13 ; Luc, XI, 4, ne peut être comprise comme une supplication à ne pas nous solliciter au péché, mais simplement ou comme une demande de ne pas nous laisser succomber à cette sollicitation (et c’est ce que prote la traduction française habituelle), ou de ne pas permettre que nous soyons trop lourdement tentés. Notons, en terminant ces explications sur les deux espèces augustiniennes de tentations, qu’une même tentation peut appartenir à la fois à l’une et à l’autre, soit par suite de deux agents qui y concourent, soit du fait d’un seul et même agent : la tentation la plus fameuse de l’Ancien Testament, celle de Job, était de la part de Dieu simple épreuve et de la part du démon tentation de séduction ; la tentation de Notre-Seigneur après le jeûne du désert fut chez Satan d’abord une tentation d’épreuve, puisqu’il désirait avant tout savoir ce qu’était au juste ce saint extraordinaire, mais il cherchait en outre à le faire tomber, s’il était possible, dans le péché. On voit par ce qui vient d’être dit qu’il ne faut pas exagérer la rigueur de cette division : elle est plus utile à résoudre certaines difficultés, surtout bibliques, qu’à distinguer et classifier strictement les tentations.

3. A cette division, qui concerne la tentation considérée activement, ajoutons celles qui se rapportent plutôt à la tentation entendue passivement et en elle-même : elles sont établies d’après les objets ou matières des tentations. Ainsi les moralistes les classeront selon les vertus auxquelles elles s’opposent ; les auteurs ascétiques, dans leurs ouvrages descriptifs ou pratiques, les diviseront d’après les divers moments de la vie spirituelle et les difficultés qu’elles opposent au progrès de l’âme ; les orateurs sacrés retiendront surtout les plus fréquentes dans leur temps, celles contre lesquelles ils croiront utile de mettre spécialement en garde leurs auditeurs.

II. LA TENTATION DE DIEU. – Traitant, dans la somme théologique, des vices opposés par défaut à la vertu de religion, IIa-IIæ, q. XCVII sq., saint Thomas nomme en premier lieu et examine la tentatio Dei.

A l’article RELIGION (Vertu de), t. XIII, col. 2312, ce manque de respect envers Dieu n’étant que simplement indiqué, nous croyons devoir résumer, par mode de complément, la doctrine que présente sur lui la Somme théologique, en y ajoutant quelques précisions des commentateurs ou des moralistes plus modernes.

Le nom vient de la Bible : sous ce terme on présente toute une série de faits, où l’on voit soit le peuple hébreu, soit certains personnages mettre la patience de Dieu à l’épreuve, en manquant à son égard de confiance, de soumission, de sincérité, ou encore recourant avec irrévérence à sa puissance, cf. Nom., XIV, 22 ; Deut., IX, 22 ; XXXIII, 8 ; Judith, VIII, 11 ; Ps., LXXVIII, 18, 41, 56 ; XCV, 9 ; CVI, 14 ; Is., VII, 12, etc. Devant les faits de ce genre, Moïse recommande aux Hébreux, Deut., VI, 16 (Notre-Seigneur usera de ce texte dans la tentation au désert, Matth., IV, 7) : " Vous ne tenterez point Jahvé, notre Dieu, comme vous l’avez tenté à Massah " (où ils avaient douté du Seigneur, cf. Ex., XVII, 7). Et les livres sapientiaux invitent à prier et à agir en se gardant de tenter Dieu. Eccli., XVIII, 22 ; Sag., I, 2. Dans le Nouveau Testament, Ananie et Saphire sont dits avoir tentés Dieu par leur dissimulation. Act., V, 9 ; saint Paul prescrit aux premiers chrétiens de ne point tenter le Christ comme les Hébreux ont tenté Jahvé. I Cor., X, 9.

2. La doctrine de saint Thomas sur la tentation, de Dieu, IIa-IIæ, q. XCVII, est présentée en quatre articles. Dans les deux premiers, on recherche respectivement ce qu’elle est et ce qui constitue sa malice ; les deux autres traitent de questions secondaires : est-ce bien à la religion que s’oppose la tentation de Dieu ? Est-elle péché plus grave que la superstition ? Cette doctrine peut être résumée ainsi :

1. La tentation de Dieu est une épreuve que l’homme institue au sujet de quelque perfection de Dieu, de sa connaissance, de sa volonté, de sa puissance. Elle est faite en paroles ou en actes, ouvertement ou par ruse et, surtout, elle est soit expresse, soit interprétative : dans la tentation expresse, il y a le dessein conscient d’éprouver sa puissance, sa miséricorde, sa sagesse, etc… ; la tentation interprétative ne présente pas cette intention formelle ; " on y demande une chose qui n’a rien d’utile indépendamment de cette épreuve ", a. 1, corp. ; en elle, nul doute d’aucune perfection, mais négligence des moyens humains, présomption et défaut de prudence. A. 3, corp. C’est l’équivalent d’une épreuve faite en doutant ; ainsi dirait-on qu’on éprouve un cheval, si on le fait galoper sans aucune utilité. A. 1, corp.

2. Il n’y a pas tentation de dieu dans le cas des saints qui demandaient à Dieu des miracles : ils le faisaient avec quelque utilité ou nécessité, a. 1, ad 2um, ou bien ils avaient l’expérience du secours de dieu, comme sainte Agathe, refusant dans ses tortures les remèdes terrestres. Ibid., ad 3um. Les prédicateurs de l’Evangile, qui abandonnent les secours naturels pour s’adonner plus librement à la parole de Dieu, comptent sur lui sans le tenter : ils ont une raison de s’en remettre à Dieu. Ibid. Nous ne tentons pas Dieu en cherchant à faire l’épreuve expérimentale de sa volonté et à goûter sa douceur. A. 2, corp. Le roi Achaz avait tort en refusant de demander un signe, parce qu’il y était invité par le prophète en vue du salut de tous. A. 2, ad 3um. Abraham et tous ceux qui, sous l’impulsion du Saint-Esprit, demandent humblement une manifestation de la volonté de Dieu et de son bon plaisir, ne le tentent pas. Ibid.

3. La tentation de Dieu est immorale, avant tout parce qu’elle suppose un doute, une ignorance coupable sur Dieu, son action ou quelqu’une de ses perfections : c’est évident quant à la tentation expresse. A. 2, corp. La pensée de saint Thomas est-elle que la tentation interprétative participe à cette malice, puisqu’elle est l’équivalent de la première ? Ce n’est pas, nous semble-t-il, aussi clair et l’article 2 ne nous le dit pas nettement. En tout cas, dans l’article 3, ad 2um, il nous est affirmé fortement qu’elle est bien un manque de respect envers Dieu : " Vouloir être exaucé, sans faire soi-même ce que l’on peut… C’est équivalemment tenter Dieu… Or c’est précisément une irrévérence que se comporter, dans ses rapports avec Dieu, avec présomption et négligence. "

4. Aussi, sans conteste, même si une tentation de Dieu expresse ou interprétative peut s’opposer, à cause de ses motifs, à d’autres vertus, la foi, la prudence, etc., on doit dire que, étant à quelque degré un défaut de respect, elle doit être regardée comme contraire à la vertu de religion. A. 3. Comme telle, du reste, elle paraît en principe faute moins grave que la superstition : elle n’est tout au plus qu’un doute, qui demeure en soi moins injurieux qu’une profession ferme d’erreur, caractérisant la superstition. A. 4.

Les moralistes postérieurs. – Cette doctrine de saint thomas se retrouve chez ceux qui ont traité après lui de cette matière. Nous indiquerons simplement quelques précisions que les casuistes anciens et modernes y ont apportées.

1. Notion. – En tout respect, ils se sont demandés d’abord si la notion thomiste de la tentation de dieu était bien cohérente. Les dispositions sont en effet si diverses dans les deux groupes de tentation : dans l’un, l’on doute ; dans l’autre, n’y a-t-il pas un excès d’assurance ? Aussi certains, Suarez par exemple, De religione, tract. II, l. I, c. III, n. 6 sq., éd. Vivès, t. XIII, p. 450 sq., que suivront Ballerini-Palmieri, Op. mor., tr. VI, sect. I, n. 116, en viennent à tenir comme plus probable que nous avons là deux notions essentiellement équivoques et qui ne sont guère unies que par l’usage d’une même étiquette. Dans l’ensemble cependant l’unité notionnelle de la tentation de Dieu est plutôt reconnue et, semble-t-il, avec raison, si l’on met le motif, qui est à son origine, en dehors de sa définition et si l’on admet qu’une épreuve n’implique pas nécessairement doute ou ignorance : l’on peut mettre quelqu’un à l’épreuve simplement pour lui faire manifester une qualité que l’on connaît ; c’est ainsi que Dieu éprouve l’homme et que, dans la tentation interprétative de Dieu, l’homme cherche à lui faire exercer une puissance dont il ne doute nullement.

Les casuistes d’hier et d’aujourd’hui s’accordent donc en général pour définir, en termes divers du reste, la tentation de Dieu : " une parole, une prière, un acte par lequel on éprouve si Dieu possède ou exerce quelqu’une de ses perfections, science, puissance, miséricorde, etc. ". Noldin, De præceptis, 7e éd., n. 171. Ils reconnaissent qu’elle peut naître surtout de deux dispositions vicieuses : de l’infidélité, quand il y a doute sur la perfection en question, et de la présomption si, sans nécessité ou utilité, on demande à Dieu ou on attend de lui un effet extraordinaire. Par exemple, au sujet de l’eucharistie, ce sera tenter Dieu que de lui demander dans le doute sur la présence réelle, de voir le Christ sous les espèces sensibles ou, si l’on croit fermement à cette présence, de réclamer la faveur faite à plusieurs saints, de voir le divin Enfant dans l’hostie.

2. Division. – La théologie morale moderne retient généralement la division thomiste de la tentation expresse et tentation interprétative ; elle leur donne parfois des noms différents, la première est encore appelée explicite, formelle ; la deuxième virtuelle, matérielle. Certains moralistes voudraient même pousser plus avant l’analyse ; par exemple Noldin entend par virtuelle une tentation où l’intention de tenter Dieu ne serait nullement explicite et résulterait de l’acte lui-même. C’est peut-être compliquer la doctrine sans grand avantage.

Quoi qu’il en soit, les modernes notent avec soin que, pour être vraiment tentation de Dieu, la présomption imprudente ou téméraire doit présenter un rapport à Dieu, être une attente injustifiée de son intervention. Si rien n’est attendu de Dieu, il n’y a pas tentation : par exemple, affronter un duel sérieux quand on ne sait pas tenir une arme, repousser des remèdes humains dans une maladie grave, se présenter sans préparation et sans motif à un examen. Si un secours spécial de Dieu n’est pas, de quelque manière, réclamé, c’est être imprudent, ce n’est pas tenter Dieu.

Ils laissent aussi un champ très large aux inspirations divines qui, si elles sont réelles, font disparaître la tentation de Dieu et, si elles étaient illusoires, empêcheraient de pécher subjectivement. De même pas de tentation de Dieu quand les moyens ordinaires font défaut, ou que, dans des cas de nécessité, de grande utilité, l’on attend un effet de Dieu seul. Il est donc permis pour le salut de soi-même ou des autres de demander un miracle, à condition qu’on ajoute : " s’il plaît à Dieu ", mais normalement, on ne devrait pas proposer ou offrir un miracle pour la conversion des hérétiques ou des incroyants sans une inspiration divine spéciale, les témoignages de la foi chrétienne suffisant en principe à cet effet.

Parmi les exemples historiques de la tentation interprétative au sens thomiste, remarquent plusieurs auditeurs, il faut placer les jugements de Dieu ou ordalies, en vigueur durant plusieurs siècles du Moyen Âge. Voir à l’art. ORDALIES, t. XI, col. 1139 sq., les longues tolérances de l’Eglise, puis les efforts de l’autorité romaine contre elles et leur disparition à partir du XIIIe siècle ; cf. aussi Dictionnaire apologétique, art. DUEL, t. I, col. 1196 sq.

3. Malice morale. – Recherchant avec plus d’exactitude le degré et la limite du péché grave, les casuistes ont vu dans la tentation expresse ou formelle une faute grave ex toto genere suo, c’est-à-dire n’admettant pas de matière légère ; quant à la tentation interprétative, ils ont estimé en général que sa gravité dépend du degré d’imprudence. La première comporte une irrévérence de soi importante ; dans la deuxième il peut y avoir un degré assez bas de témérité et un recours à Dieu si atténué qu’il est difficile, en certains cas, d’en faire une faute plus légère. L’ignorance, le manque de délicatesse morale, une foi mal comprise, la légèreté diminuent du reste la gravité subjective des fautes.

Quand la tentation de Dieu vient d’un doute, elle s’oppose aussi à la foi ; une faute contre cette vertu est alors jointe à celle contre la religion. La tentation née de la présomption peut aisément être aussi contre la charité envers soi ou envers les autres (scandale).

D’après ces principes les modernes jugent un certain nombre de cas qui leur paraissent plus importants ou plus pratiques, comme ceux concernant la maladie (quand elle est grave, négliger tout remède sous prétexte que Dieu fera un miracle est estimé péché mortel ; si elle est légère, faute vénielle) ou la prédication (ne pas se préparer convenablement pour un prêtre instruit est déclaré véniel ; s’il s’agissait d’un ignorant et s’il y avait à craindre un sérieux scandale, ce serait mortel).

III. LA TENTATION ET LE PECHE. – Il ne s’agit plus de la tentation de simple épreuve, mais de la tentation de " séduction ", de la tentation origine et source du péché, sollicitation au péché humain. Elle est étudiée sommairement par la théologie morale dans l’un de ses traits généraux, celui De peccatis. Certains auteurs du reste passent très rapidement sur cette matière, la regardant comme du domaine de la théologie ascétique.

Nous ne donnerons ici que des indications assez brèves, renvoyant à divers articles de ce Dictionnaire où plusieurs des doctrines que nous résumerons ont déjà été étudiées.

L’origine du péché et la tentation. – 1. Le éché, acte délibéré de la volonté, suppose un moment, aussi court soit-il, où s’est produite cette délibération. Il faut, pour qu’il se forme et qu’on en soit responsable, au moins un instant où, l’intelligence se rendant compte qu’une pensée, un désir, une action à faire ou en cours de réalisation est moralement mauvaise, est défendue par la loi de Dieu, la volonté y donne son adhésion, la choisit, au moins l’accepte sans s’y opposer. Avant le péché, il y a eu sollicitation au péché : c’est cette sollicitation, plus ou moins accusée, vive ou répétée, qui constitue la tentation.

2. Elle est dite tentation légère, si elle porte sur un objet véniellement défendu ou sur un objet constituant un péché mortel, mais la sollicitation n’étant elle-même que peu pressante. La tentation est grave, quand l’objet à la fois est matière grave et sollicite vivement la volonté au consentement.

Toute tentation vraiment effective est intérieure en ce sens qu’elle est connue intellectuellement, mais par ces mots les moralistes entendent généralement une tentation qui produit un effet appréciable sur les facultés sensibles et, par là, incline la volonté à y céder ; la tentation purement extérieure serait celle qui, présentée au dehors du sujet, connue de lui, n’émeut ni ne remue son imagination et son appétit sensible.

3. Tous les hommes sont sujets aux tentations : en entrant au service du Seigneur, il faut se préparer à la tentation, Eccli., II, 1, prendre garde que l’on ne tombe pas en tentation. Gal., VI, 1. La force et la fréquence des tentations varient extrêmement d’après les circonstances personnelles, la nature des âmes, les caractères, l’éducation, les milieux, les desseins de Dieu aussi. Personne n’en a été excepté sauf Notre-Seigneur, en qui la tentation proprement intérieure était impossible, à cause de sa sainteté et de sa maîtrise divine sur ses facultés ; mais il a voulu, pour notre instruction, se soumettre à la tentation extérieure ; la bienheureuse vierge Marie, par une grâce spéciale de Dieu, a été préservée de la tentation intérieure ; quant à des tentations extérieures, autres que celles résultant des conditions générales de vie, nous ne voyons pas qu’elle y ait été soumise.

La tentation en elle-même n’est pas un mal ; c’est au contraire, comme le montrent avec insistance les auteurs ascétiques, un grand bien pour la vie spirituelle ; il a été dit à Tobie : " parce que tu as été agréable à Dieu, il a fallu que la tentation t’éprouvât ", Tob., XII, 13, et saint Jacques a déclaré : " Heureux l’homme qui a supporté l’épreuve ; devenu un homme éprouvé, il recevra la couronne de vie ! " Jac., I, 12.

4. On trouverait déjà dans la Bible l’indication des divers éléments qui composent la tentation quand elle présente son complet développement et suit son cours entier : dès les premières pages de la Genèse, dans le récit de la tentation et de la chute de nos premiers parents, ses diverses phases sont clairement indiquées ; d’autres passages des Psaumes et des Livres sapientiaux compléteraient cette analyse. Mais c’est surtout depuis que la révélation chrétienne est venue si profondément intérioriser la vie humaine, que l’étude de la tentation a pris toute son ampleur.

Déjà, dans les premiers écrits consacrés à la vie spirituelle, elle est un des thèmes sur lesquels on revient sans cesse. Le texte de saint Jacques (I, 14-15) : " Chacun est tenté par sa propre convoitise qui l’amorce et qui l’entraîne ; ensuite la convoitise, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché et le péché, lorsqu’il est consommé, engendre la mort ", est un de ceux qui le plus souvent sert de point de départ à cette étude.

Avec saint Augustin et saint Grégoire-le-Grand, la littérature spirituelle s’arrête surtout à trois éléments successifs de la tentation : la suggestio, la delectatio, le consensus. D’autres analyseront plus encore ; donnons ce seul exemple tiré de l’Imitation, l. I, c. XIII : " Ce n’est d’abord qu’une simple pensée qui vient à l’esprit ; vient ensuite une vive imagination, puis le plaisir, un mouvement déréglé et le consentement. Ainsi peu à peu l’ennemi malfaisant envahit l’âme entière, quand celle-ci ne lui résiste pas dès le début. "

Les auteurs ascétiques font en outre remarquer que la sollicitation au péché peut revêtir des formes multiples : elle sera directe ou indirecte, brusque et soudaine produisant une sorte de choc et une impulsion qui entraîne ou encore insinuante et insidieuse, provoquant une sorte de paralysie, qui endormira la volonté.

Quant au moralistes, ils ont une tendance à simplifier et à réduire les diverses phases de la tentation ; leur préoccupation étant surtout de déterminer ou commence le péché, ils se contenteront, quand ils poseront des principes moraux sur la tentation, de distinguer sentiment, comprenant du reste le plaisir, et consentement. Nous reviendrons tout à l’heure sur cette division.

Les causes des tentations : le démon, le monde et nous-mêmes. – D’après la doctrine traditionnelle, ces causes ont au nombre de trois : les deux premières viennent de nos ennemis extérieurs, le démon et le monde ; la troisième nous est purement intérieure, nous-mêmes, notre propre nature humaine. Le plus souvent elles s’unissent du reste et agissent en se combinant.

1. Le démon. a) Il est de foi divine que le démon existe et qu’il tente les hommes. La Bible nous le présente, dès son début, à l’origine de la tentation – trop bien réussie – de nos premiers parents, Gen., III, 1-6 ; Job au contraire est tenté par lui en vain, Job, I, 12 ; II, 6 ; Satan demande à passer au crible les apôtres, Luc, XXII, 31 ; il tente avec succès Judas, Joa., XIII, 2, Ananie et Saphire, Act., V, 3 ; il s’attaque au sauveur lui-même, Matth. IV, 3 sq. Saint Paul nous met à plusieurs reprises en garde contre lui, Eph., VI, 11 ; I Cor., VII, 5 ; II Cor., II, 11 ; I Tim., III, 7 ; II Tim., II, 26 ; saint Pierre nous le décrit comme rôdant autour de nous pour nous dévorer, I Petr., V, 8 ; il faut lui résister pour le mettre en fuite, ibid., 9 et Jac. IV, 7 ; c’est lui qui est l’auteur des persécutions contre les chrétiens. Apoc., II, 10. Aussi est-il appelé " le Tentateur, ? ????????, ” par excellence, Matth., IV, 3 ; I Thess., III, 5. Les P?res commentent ces textes et les théologiens en parlent dans leurs études sur l’action satanique.

Il est possible qu’autrefois on ait eu une tendance exagérée à attribuer au démon bien des faits qu’actuellement on estime pouvoir suffisamment expliquer par des causes naturelles ; mais il n’en reste pas moins vrai que, même si en nos pays chrétiens et sur nos terres baptisées son pouvoir peut être regardé comme diminué et en quelque sorte lié depuis le Christ, l’action du diable continue à s’exercer d’une manière persévérante et intense, principalement par la tentation. Ce n’est pas pour rien que l’Eglise profère contre Satan les mêmes exorcismes sacramentels et, depuis Léon XIII, nous fait réciter, à la fin de la plupart des messes non solennelles, un exorcisme général.

b) Sur le mode de cette action diabolique dans la tentation, les précisions nécessaires ont été données, spécialement dans l’article PECHE, t. XII, col. 207 sq. En résumé, d’après la doctrine de saint Thomas, devenue de plus en plus commune en théologie, le démon doit être regardé comme ne pouvant agir directement sur nos facultés supérieures : certainement il ne peut nous contraindre à pécher, en déterminant notre consentement volontaire, ce que prétendaient certains hérétiques, Valentin d’après saint Augustin, les Arméniens et peut-être les Albigeois. Quant à notre intelligence, il se garderait bien de l’éclairer et ne peut qu’indirectement l’obscurcir et empêcher son exercice, ce qui à un certain degré risque de diminuer notre responsabilité. C’est en agissant sur nos facultés sensibles et notre imagination qu’il peut atteindre nos facultés supérieures : il utilise ou même fait naître dans nos sens externes ou internes des représentations qui rendent plus attirants certains biens défendus ; il excite notre appétit sensible en rendant plus vives les passions qui nous détournent du devoir et du service divin ; il fortifie ou nous suggère certaines illusions qui nous invitent à nous contenter des satisfactions terrestres ; il trouble notre âme, spécialement à l’heure de la mort, par des scrupules, des pensées de haine, de désespoir, de luxure, de respect humain, etc… ; il se transforme parfois en ange de lumière, nous faisant croire à des illuminations ou directions divines, nous poussant à des excès et des déviations pieuses et nous inspirant une confiance périlleuse en nos propres vues. Même de nos jours, comme on peut le voir dans la vie de certains saints, le curé d’Ars, par exemple, les tentations du démon sont parfois extérieures ; le plus souvent elles restent purement internes, s’insérant avec une habileté d’autant plus insidieuse dans notre subconscient et dans la trame de notre vie spirituelle où nous avons de la peine à d’abord les reconnaître.

c) Tout péché a-t-il une origine diabolique ? – D’une certaine manière, on peut dire que tout péché humain, et donc toute tentation, a une origine diabolique, I Joa., III, 8 ; les péchés sont les œuvres du démon. C’est vrai en ce sens du moins qu’en tentant et en faisant tomber nos premiers parents, il est à la source de tous les péchés commis par leurs descendants et de l’ensemble des tentations qui les ont assaillis dans la suite des âges.

Mais il difficile d’admettre que l’intervention du démon soit nécessaire pour chacun des péchés humains et pour chaque tentation présente. Certains Pères ou auteurs ecclésiastique paraissent l’avoir admis, ainsi Origène, Evagre le Pontique dont le traité De octo vitiosis cogitationibus a eu une influence capitale, Cassien, Jean Damascène, le pape saint Léon, le Pseudo-Denys. Mais d’autres enseignent nettement le contraire et saint Thomas le tient fortement, Ia, q. CXIV, a. 3 et Ia-IIæ, q. LXXX, a. 4, s’appuyant sur cette bonne raison que, dans l’homme, se trouvent d’autres principes de tentation ; on ne voit donc pas qu’il soit nécessaire d’attribuer au démon l’origine de toutes nos fautes et de toutes nos tentations. Suarez, qui discute longuement la question, tient les deux opinions comme probables et il propose, pour les concilier, d’admettre que le tentateur, suivant avec le plus grand soin toute la suite de notre lutte morale, ne laisse passer aucune occasion d’intervenir et de seconder d’une manière voilée et difficilement discernable tout ce qui nous éloigne du service de Dieu. De angelis, l. VII, c. XIX, n. 20 sq., Vivès, t. II, p. 1082 sq.

En tout cas , il faut admettre qu’en fait le démon est souvent l’auteur des tentations humaines, surtout de celles qui nous sont plus importunes et qui nous surviennent sans cause connue, par exemple dans nos prières. Il faut ajouter du reste que le pouvoir de tenter n’est pas chez le démon sans limite, il est subordonné aux dispositions de la providence divine et ne peut s’exercer que quand et jusqu’où Dieu le permet.

2. Le monde. – Dans son sens le plus large, le monde, c’est l’ensemble des choses matérielles ; et l’on peut déjà admettre que, sans être mauvais en lui-même, tout en pouvant mener à Dieu, dont il manifeste certaines perfections et dont il nous parle à sa manière, le monde ainsi compris peut nous détourner de nos devoirs et du parfait service du Créateur, en tant que présentant à nos facultés sensibles, à nos passions, à notre imagination de quoi leur plaire, les contenter malgré les ordres divins.

Mais c’est surtout dans le sens le plus restreint où il est employé dans le Nouveau Testament, spécialement par saint Jean (Matth., XVIII, 7 ; Joa., XV, 18-19 ; XVI, 8, 33 ; XVII, 9-16 ; I Joa., II, 15-17 ; III, 13 ; IV, 5 ; V, 4, 19 ; Jac., IV, 4), que le monde doit être estimé l’ennemi de nos âmes et une source très effective des tentations. Le monde désigne dans ce sens l’ensemble des hommes qui s’attachent à la terre, n’estiment que les biens et les joies d’ici-bas, méconnaissent la vie surnaturelle et la destinée céleste des âmes, se font ainsi les ennemis de l’Evangile et de Notre-Seigneur, les alliés du démon. Adoptant pour règle de conduite unique ou principale les penchants de la nature inférieure, ils travaillent par leurs exemples, leurs conseils ou leur action à détourner les âmes de la vraie vie. Leurs maximes sont celles d’une apparente sagesse, mais d’une sagesse trop humaine et trop courte qui, par sa modération, peut donner le change et séduire les âmes. Leurs exemples influent d’autant plus que la vie sociale est plus développée et plus serrée. Leurs œuvres dissimulent souvent sous des dehors de bienfaisance ou de progrès tout humain des buts de déchristianisation et de lutte contre l’Eglise ; parfois le masque se lève et c’est l’attaque violente contre le Christ et sa doctrine qui tente de s’organiser. Il y a là toute une source de tentations, que le démon plus ou moins caché utilise et dont il s’aide.

3. Notre nature déchue, la concupiscence. – Mais notre principal ennemi, celui sans lequel les deux ennemis que nous venons de reconnaître ne pourraient guère agir efficacement sur nos âmes, la première sans contredit et la plus importante source de nos tentations, c’est nous-mêmes, notre nature déchue, ce qui, en langage théologique, est appelé notre concupiscence. Le sens exact de ce dernier mot et la manière dont doit l’entendre une étude de la tentation humaine sont précisés à l’art. CONCUPISCENCE, t. III, col. 803 sq. ; des compléments sur la doctrine que nous résumons se trouveront aussi à l’art. PECHE, t. XII, col. 195 sq.

a) C’est une des suites du péché originel : par la faute de notre premier père, nous avons été privés de ce don préternaturel qu’était la maîtrise de nos activités inférieures, de nos sens corporels et de nos facultés sensibles. Ces activités ont de la peine à rester soumise à notre volonté, à se laisser conduire et harmoniser pour le bien de l’ensemble. Elles présentent trop souvent à notre intelligence et à notre volonté des biens incomplets, des plaisirs parfois très attirants, qui les satisferaient, mais sont contraires à notre vie naturelle supérieure ou à notre vie surnaturelle et que la loi morale réprouve ou que la perfection chrétienne déconseille. C’est ainsi que les sens, l’appétit sensitif et ses passions avec l’aide des sens intérieurs et de l’imagination, en un mot la concupiscence, formant un fomes peccati, selon l’expression du concile de Trente, constituent une source de tentations, intérieure à chaque homme et dont seule la mort le délivrera. " Chacun, dit l’apôtre saint Jacques, est tenté par sa propre convoitise, qui l’amorce et qui l’entraîne. " Jac., I, 14. Et saint Jean, dans un texte célèbre, autour duquel s’est formé toute une littérature, détaillera les trois principaux points sur lesquels se porte cette tentation personnelle de chacun par soi-même : " Tout ce qui est dans le monde est concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie. " I Joa., II, 16.

Cette source de tentations toujours agissante suffirait à elle seule à nous fournir des occasions de lutte continuelle ; grâce à elle les appels du monde sont mieux accueillis ; par l’union des trois, la tentation se trouve grandie en force et en continuité.

b) Les sollicitations au péché ne sont pas, en elles-mêmes, des péchés. Le concile de Trente a défini contre les protestants que la concupiscence venait du péché et conduisait au péché, mais n’était pas péché. Sess. V, can. 5, Denz-Bannw., n. 792 ; cf. prop. 50 de Baïus, ibid., n. 1050. Mais indirectement elles agissent sur l’intelligence, en la troublant par la présentation des biens qui plaisent intensément à la chair et aux sens ; si la passion la troublait au point d’empêcher son exercice suffisant, elle créerait l’irresponsabilité. Quant à la volonté, la concupiscence ou appétit sensible, en tant que portant au péché, l’affaiblit par suite de l’union étroite des puissances appétitives dans le composé humain ; l’habitude de céder à la passion, à la tentation résultant de la passion, rend du reste cette volonté débile et sans force pour résister à de nouveaux assauts.

Questions morales concernant la tentation. – Quelques principes particuliers que divers moralistes présentent au sujet de la tentation complèteront les vues précédentes.

1. Il n’est pas permis de provoquer la tentation ou de s’y exposer témérairement et sans juste cause. La tentation en effet entraîne un péril de pécher plus ou moins sérieux. Or, en vertu de la charité envers soi-même, il est défendu de s’exposer sans raison suffisante à pécher. Cette juste cause permettant d’affronter la tentation devra être proportionnée à celle-ci, à l’état du sujet, aux diverses circonstances ; de toute manière le péril prochain de pécher devra être éloigné, au moins par des moyens surnaturels, en sorte qu’on obtienne l’espoir fondé de surmonter la tentation. Un jugement de prudence déterminera pour chaque cas quand cessera toute témérité grave ou légère.

2. Sentiment et consentement. – Seul le consentement, l’acceptation ou la tolérance du mal suffisamment reconnu comme tel constitue le péché. Dans ce qui précède le consentement – la témérité à s’exposer à la tentation ainsi que la négligence à y résister étant mises à part – rien n’est imputable comme vraiment coupable. Avoir intellectuellement conscience de la tentation, éprouver le plaisir qu’elle peut déjà apporter, s’émouvoir du mouvement de passion qu’elle détermine et en ressentir vivement l’élan, tout cela, que les moralistes résument dans ce mot de " sentiment ", n’est pas péché. Le péché est dans le consentement, il n’est pas dans le sentiment. Axiome de la plus grande importance dans la vie morale et chrétienne ! C’est un des premiers points dont il est nécessaire de se rendre compte au moment de la formation de la conscience, à l’adolescence, et qui fera éviter dans la suite bien des troubles et des scrupules, s’il est bien compris et appliqué.

Il n’est du reste pas toujours aisé de distinguer " sentiment " et " consentement " par suite de l’union étroite des activités humaines. Dans le doute, surtout en ce qui regarde le péché grave, l’âme de bonne volonté qui, d’habitude, lutte contre les tentations, pourra toujours trancher ou décider en sa faveur et n’estimer avoir consenti à la tentation que lorsqu’elle en aura une certitude vraiment complète ; si elle est timorée ou scrupuleuse, elle aura à s’en remettre au jugement d’un directeur.

3. La résistance aux tentations. Normalement, en dehors des cas plutôt rares de tentations purement extérieures, c’est en s’aidant des mouvements de la concupiscence que le monde ou le démon exercent leur action tentatrice. Poser la question de la résistance aux tentations, , c’est donc pratiquement se demander dans quelle mesure et comment il faut résister à ces mouvements.

a) Les moralistes exposent quelque peu diversement la manière dont cette résistance peut se faire. La division suivante paraît la plus claire et la plus pratique. On peut devant un appel de la concupiscence, de la tentation :

a. Se tenir dans une attitude purement négative ou passive ; on reste indifférent, sans employer aucun moyen contre la tentation.

b. Résister positivement mais indirectement, employer quelque moyen pour la vaincre, mais sans faire d’acte proprement contraire (par exemple courte prière, puis application au travail dans un mouvement contre la chasteté).

c. Résister positivement et directement, en émettant un acte contraire (par exemple acte d’humilité intérieure ou extérieure contre une pensée d’orgueil).

b) En principe l’attitude purement négative et passive doit être regardée comme insuffisante à moins de juste cause. C’est en effet se soucier peu de la tentation, risquer de trop se mettre en péril d’y consentir et de la fortifier. Il faudra donc, tout au moins si la tentation est vraiment formée et pressante, émettre un acte de désaveu, un ferme propos de ne point pécher, se mettre dans une disposition d’âme équivalente. Mais il est des cas où, cet acte étant supposé, une attitude plutôt passive peut suffire et même se trouver être la meilleure manière de se comporter, par exemple si la tentation survenait au cours d’une action honnête et utile, si une résistance positive risquait de rendre plus forte la tentation, si celle-ci se prolongeait et menaçait de demander un effort épuisant.

Hors de tels cas la résistance positive s’impose. Elle sera indirecte, quand une résistance plus directe serait impossible (par exemple, tentations internes contre la chasteté), quand la simple diversion avec désaveu paraît plus fructueuse, ce qui sera fréquent dans les tentations obsédantes contre la foi, la charité, etc.

D’une manière générale, la résistance contre les tentations doit être d’autant plus active et, si c’est possible, d’autant plus directe que le péril du consentement est plus grand et plus proche, c’est lui qui constitue la raison et établit la lutte contre la tentation.

A ces règles de théologie morale, dont les formules varient quant à l’expression suivant les auteurs, l’ascétique ajoute des conseils abondants sur la manière générale et particulière dont l’âme doit mener le combat spirituel contre les tentations ; nous ne pouvons que renvoyer à ses ouvrages, dont quelques-uns seront indiqués en fin de la note bibliographique.

Nous nous contenterons de donner l’indication de quelques ouvrages, où sont traitées avec plus de détails ou de clarté les deux questions spéciales ; étudiées dans cet article ; en certains d’entre eux on trouverait aussi des indications pour une étude générale de la tentation.

I. TENTATION DE DIEU. – Dictionnaire de la Bible, art. Tentation (Lesêtre) ; S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. XCVII ; Suarez, De religione, tract. III, l. I, c. II et III, Vivès, t. XIII, p. 445 sq. ; Lessius, De justitia, l. II, c. XLV ; Laymann, Theol. mor., l. IV, tr. X, c. V ; S. Alphonse, Theol. mor., l. IV, n. 29-32 ; Ballerini-Palmieri, Op. theol. mor., tr. VI, sect. I, dub. 1, 2e éd., t. II, p. 262 sq. ; Müller, Theol. mor., 5e éd., t. II, p. 261 sq. ; Prümmer, Man. Theol. mor., 2e éd., t. II, n. 526 sq. ; Merkelbach, Sum. theol. mor., 2e éd., p. 777 sq.

II. TENTATION ET PECHE. – S. Thomas, Sum. theol., Ia, q. CXIV ; Ia-IIæ, q. LXXV et q. LXXX ; IIIa, q. XLI ; De malo, q. III, a. 3 ; Suarez, De Deo creatore, I, De angelis, l. VIII, c. XVIII et XIX, t. II, p. 1067 sq. ; Noldin, Sum. theol. mor., De principiis, 7e éd., n. 320 sq. ; Merkelbach, Sum. theol. mor., 2e éd., t. I, n. 481 sq.

Et nous ajouterons quelques livres de doctrine spirituelle sur la psychologie et l’ascétique de la tentation : S. François de Sales, Vie dévote, IVe part., c. III-X ; Rodriguez, Pratique de la perfection, IIe part., 3e tr. ; W. Faber, Progrès de la vie spirituelle, c. XVI ; Mgr Gay, Vie et vertus chrétiennes, t. I, tr. VIII ; Ribet, L’ascétique, c. X ; P. de Smedt, Notre vie surnaturelle, IIIe part., c. III ; Dom Lehodey, Le saint abandon, p. 332-343 ; Ad. Tanquerey, Précis de théol. ascét., t. II, c. V. Signalons enfin pour l’excellente présentation en langage courant de la doctrine théologique : Mgr d’Hulst, Carême de 1894. Retraite pascale sur les tentations.

R. BROUILLARD.
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