INTRODUCTION
Pour comprendre combien il est agréable à Jésus-Christ
que nous pensions
souvent à sa passion et à la mort ignominieuse qu'il
a endurées pour nous, il
suffit de se rappeler qu'il a institué le Sacrement de l'autel
comme un
mémorial destiné à conserver au milieu de nous
le souvenir toujours vivant
de l'amour qu'il nous a témoigné en s'immolant sur la
croix pour notre salut.
Nous savons qu'il nous a donné ce Sacrement d'amour dans la
nuit même
qui précéda sa mort. Après avoir distribué
son corps à ses disciples, il leur a
dit, et par eux à nous tous, qu'en recevant la Sainte communion,
nous
devons nous rappeler tout ce qu'il a souffert pour nous (1 Co 11, 26).
Aussi
la Sainte Église ordonne-t-elle que, à la Messe, après
la consécration, le
célébrant dise au nom de Jésus-Christ : " Vous
ferez cela en mémoire de
moi. " C'est pour perpétuer en nous le souvenir du bienfait
de la
rédemption, dit saint Thomas, que Notre-Seigneur nous a laissé
son corps
pour aliment. Cet auguste Sacrement, ajoute le Docteur Angélique,
nous
rappelle sans cesse l'amour immense que Jésus-Christ nous a
montré dans
sa passion.
Si une personne, après avoir souffert des outrages et des blessures
pour un
ami, apprenait que cet ami ne veut pas entendre parler de cet acte
de
dévouement, ni même y penser, et que, chaque fois qu'on
en parle devant
lui, il s'empresse de dire : "Changeons de sujet", quelle peine ne
ressentirait-elle pas d'une telle ingratitude ! Quel plaisir, au contraire,
n'éprouverait-elle pas, si on lui disait que son ami se reconnaît
obligé envers
elle à une éternelle reconnaissance, et que jamais il
ne parle ni ne se souvient
de ses bienfaits sans en être touché jusqu'aux larmes
! Aussi, tous les Saints,
sachant que c'est une chose agréable à Jésus-Christ
de nous voir penser
fréquemment à sa passion, ont été presque
sans cesse occupés à méditer les
douleurs et les mépris que ce tendre Rédempteur a soufferts
pour nous dans
toutes sa vie et principalement à sa mort. Selon saint Augustin,
il n'y a point
d'application plus salutaire pour les âmes que de méditer
tous les jours la
passion du Sauveur. Dieu a révélé à un
saint anchorète qu'aucun exercice
n'est plus propre à embraser les coeurs de l'amour divin que
de penser à la
mort de Jésus-Christ. Louis de Blois rapporte que sainte Gertrude
a
pareillement appris par révélation que chaque fois qu'une
âme regarde le
crucifix avec dévotion, Jésus la regarde avec amour.
Le même auteur assure
qu'une considération ou une lecture quelconque sur la passion
fait bien plus
de bien que tout autre exercice de piété. Saint Bonaventure
ajoute que celui
qui la médite, de terrestre devient céleste. Il appelle
les plaies de Jésus
crucifié des blessures qui touchent les coeurs les plus durs
et enflamment
d'amour pour Dieu les âmes les plus froides. On lit dans la Vie
du
bienheureux Bernard de Corlion, capucin, que, les autres religieux
voulant
lui apprendre à lire, il alla consulter Jésus crucifié.
Le Seigneur lui répondit :
" Quoi ! des livres ? des lextures ? C'est moi qui suis ton livre,
dans lequel tu
peux toujours lire l'amour que j'ai eu pour toi. " Jésus crucifié
était aussi
l'objet de prédilection de saint Philippe Benizi. Étant
sur son lit de mort, il
demanda son livre. Les assistants ne savaient quel livre il désirait
; mais le
frère Ubald, son confident, lui présenta son crucifix.
Alors, le Saint s'écria : "
Voici mon livre !" Et en baisant les plaies sacrées du Seigneur,
il expira
doucement.
Quoique j'aie déjà traité plusieurs fois de la
passion de Jésus-Christ, dans
mes opuscules spirituels, je pense qu'il ne sera pas inutile aux âmes
de leur
offrir encore ici beaucoup d'autres réflexions que j'ai lues
dans différents
livres ou que j'ai faites moi-même. J'ai jugé bon de les
écrire pour le bien des
autres, mais plus encore pour mon propre avantage spirituel ; car,
me,
trouvant en ce moment à l'âgfe de soixante-dix sept ans,
et conséquemment
près de la mort, j'ai voulu m'occuper de ces considérations
pour me préparer
au jour de mes comptes. Et en effet, je m'en sers pour faire mes pauvres
méditations, en en lisant très souvent quelques passages,
afin de me trouver,
quand sonnera ma dernière heure, les yeux fixés sur Jésus
crucifié, qui est
toute mon espérance ; c'est ainsi que je compte avoir le bonheur
de rendre
mon âme entre ses mains. Entrons maintenant en matière.
CHAPITRE I
SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST
EN GÉNÉRAL
- I -
Nécessité d'un Rédempteur et sa qualité - Incarnation
du Verbe, sa vie - Erreur des Juifs - Prophéties
Adam pèche, il se révolte contre Dieu et comme il est
le premier homme,
père de tous les hommes, il entraîne dans sa perte le
genre humain tout
entier. L'injure ayant été faite à Dieu, ni Adam
ni les autres hommes, par
tous les sacrifices, même celui de leur propre vie ne pouvaient
offrir à la
Majestée divine offensée une satisfaction digne pour
l'apaiser pleinement. Il
fallait qu'une personne divine satisfit à la divine Justice.
C'est pourquoi le
Fils de Dieu, touché de compassion pour les hommes et poussé
par les
entrailles de sa miséricorde, consentit à se revêtir
de la chair humaine et à
mourir pour les hommes, afin d'offrir ainsi à Dieu une satisfaction
complète
pour tous leurs péchés et de leur rendre la grâce
qu'ils avaient perdue.
Notre tendre Rédempteur vint donc sur la terre et voulut, en
se faisant
homme, remédier à tous les maux que le péché
avaient apportés aux
hommes; il voulut, non seulement par ses leçons, mais encore
par les
exemples de sa sainte vie, amener les hommes à observer les
commandements de Dieu et à gagner par ce moyen la vie éternelle.
À cette
fin, Jésus-Christ renonça à tous les honneurs,
à tous les plaisirs et à toutes
les richesses, dont il aurait pu jouir ici-bas et qui lui appartenaient,
puisqu'il
était le Maître de l'univers. Il choisit une vie humble,
pauvre et pleine de
tribulations, au point de mourir de douleur sur une croix.
Ce fut une erreur des Juifs de penser que le Messie devait venir en
ce
monde pour triompher de tous ses ennemis par la force des armes, et
qu'après avoir établi sa domination sur toute la terre,
il rendrait ses partisans
riches et glorieux. Si le Messie se fût montré tel que
les Juifs se le figuraient,
un prince triomphant et honoré de tous les hommes comme souverain
du
monde entier, il n'aurait pas été le Rédempteur
que Dieu avait promis et que
les Prophètes avaient annoncé. C'est ce que Jésus-Christ
a nettement déclaré
lui-même, lorsqu'il répondit à Pilate que son royaume
n'était point de ce
monde (Jn 18, 36). Saint Fulgence a donc raison de reprocher à
Hérode la
crainte qu'il avait d'être privé de son royaume par l'Enfant
de Bethléem, ce
doux Sauveur n'étant pas venu pour vaincre les rois par la guerre,
mais pour
les attirer à lui par sa mort.
Les Juifs tombèrent dans une double erreur par rapport au Rédempteur
qu'ils attendaient. D'abord, ils voulurent entendre des biens terrestres
et
temporels ce que les Prophètes avaient dit des biens spirituels
et éternels
dont le Messie devait enrichir son peuple. Voici quelles devaient être
les
richesses du salut promis : la foi, la connaissance des vertus et la
crainte de
Dieu. Le Seigneur promettait encore aux pénitents le remède,
aux pécheurs
le pardon, aux esclaces du démons la liberté (Is 33,
6; 61,1). Les Juifs se
trompèrent en outre en appliquant au premier avènement
du Sauveur les
prophéties qui regardent le second, quand il viendra juger le
monde à la fin
des siècles. David, il est vrai, a prédit du Messie qu'il
doit vaincre les princes
de la terre et abattre l'orgueil d'un grand nombre (Ps 109, 5). Jérémie
annonce pareillement que l'épée du Seigneur ravagera
toute la terre (Jr
12,12). Mais tout cela se rapporte au dernier avènement de Jésus-Christ,
lorsqu'il paraîtra comme Juge, pour condamner les méchants.
Quant au premier avènement de Notre-Seigneur, où il devait
consommer
l'oeuvre de notre rédemption, les Prophètes ont annoncé,
de la manière la
plus claire, qu'il vivrait ici-bas dans la pauvreté et l'humiliation.
Zacharie a
prédit qu'il serait pauvre, et qu'on le verrait monté
sur un ânon (Za 9, 9).
Cette prophétie se vérifia particulièrement lorsque
Jésus-Christ fit son entrée
solennelle dans Jérusalem et qu'il y fut reçu avec honneur
comme le Messie
désiré, ainsi que saint Jean le rapporte, en ne manquant
pas de rappeler la
prédiction de Zacharie (Jn 12, 14). Nous savons d'ailleurs qu'il
fut pauvre
dès sa naissance, qui eut lieu dans une grotte et dans une ville
obscure,
Bethléem, suivant la prophétie de Michée (Mi 5,
1), prophétie notée par
saint Mathieu (Mt 2, 6) et par saint Jean (Jn 7, 42). De plus, Osée
a prédit
que le Fils de Dieu se trouverait en Égypte (Os 11, 1), ce qui
se vérifia
lorsque Jésus Enfant fut porté dans cette contrée,
où il demeura au milieu
d'un peuple étranger, y étant donc nécessairement
fort pauvre (Mt 2, 13-15).
De retour en Judée, il continua de vivre dans la pauvreté;
il avait lui-même
prédit par la bouche de David que toute sa vie devait être
pauvre et pleine de
travaux (Ps 87, 16).
Dieu ne pouvait voir sa justice pleinement satisfaite par tous les sacrifices
que les hommes lui eussent offerts, y compris celui de leur vie. Il
permit
donc que son propre Fils prit un corps humain et s'offrit comme une
victime
digne de le réconcilier avec les hommes et de leur obtenir le
salut (He 10, 5).
Le Fils unique de Dieu consentit à s'immoler pour nous; il descendit
sur la
terre pour accomplir ce sacrifice par sa mort, et opérer ainsi
la rédemption
des hommes d'une manière parfaite selon la volonté de
son Père (He 10, 7).
" À quoi servirait de vous frapper davantage ? " dit le Seigneur
en
s'adressant aux pécheurs (Is 1, 5). Il nous fait entendre par
là que, quel que
soit le châtiment de ceux qui l'outragent, leur supplice ne peut
réparer son
honneur blessé; c'est pourquoi il charge son propre Fils de
satisfaire pour les
péchés des hommes, le Fils de Dieu étant seul
capable de donner une digne
compensation à la Justice divine. Après cela, le Seigneur
déclare qu'il a
frappé Jésus-Christ comme la victime destinée
à expier nos fautes (Is 53, 8).
Il ne s'est pas contenté d'une satisfaction légère,
mais il a voulu voir cette
victime consumée dans les tourments (Is 53, 10).
Ô mon Jésus ! victime d'amour consumée de douleur
sur la croix pour
expier mes péch1s, je voudrais mourir de regret, quand je pense
que je vous
ai tant de fois méprisé, après avoir été
tant aimé de vous ! Ah ! ne permettez
pas que je continue de répondre par l'ingratitude à tant
de bonté !
Attirez-moi tout à vous; faites-le Seigneur, par les mérites
de ce sang que
vous avez répandu pour moi.
- II -
Figures de l'Ancien Testament - Autre prophéties -
Reconnaissance due au Père et au Fils
Lorsque le Verbe divin s'offrit pour racheter les hommes, deux voies
se
présentèrent à lui pour y parvenir, l'une de plaisir
et de gloire, l'autre de
souffrance et d'opprobre. Cependant, comme il voulait venir sur la
terre,
non seulement pour délivrer l'homme de la mort éternelle,
mais encore pour
se concilier l'amour de tous les coeurs, il renonçau au plaisir
et à la gloire et
choisit les souffrances et les opprobres (He 12,12). Afin donc de satisfaire
pour nous à la Justice divine, et de nous enflammer en même
temps de son
saint amour, il voulut se charger de toutes nos dettes et, en mourant
sur la
croix, nous obtenir la grâce de la vie bienheureuse. C'est ce
qu'Isaïe exprime
clairement quand il dit que le Sauveur a pris sur lui les peines que
nous
avons méritées. (Is. 53, 4).
L'Ancien Testament contient deux figures expresses de ce mystère.
La
première est la cérémonie annuelle du Bouc Émissaire
(Lv 16, 5). Le Grand
Prêtre le chargeait, avec imprécation, de tous les péchés
du peuple; après
quoi, on l'envoyait dans un désert comme étant devenu
l'objet de la colère
de Dieu. Ce bouc représentait notre Rédempteur, qui daigna
se charger de
nos fautes, et devenir la malédiction même, suivant l'expression
de saint
Paul (Ga 3, 13), afin de nous obtenir la bénédiction
divine. L'Apôtre dit
ailleurs : " Celui qui n'avait pas connu le péché, il
l'a fait péché pour nous,
afin que nous devenions en lui justice de Dieu" (2 Co 5, 21). Comme
l'expliquent saint Ambroise et saint Augustin, cela signifie que celui
qui était
l'innocence même a paru devant Dieu comme s'il eût été
le péché même. En
d'autres mots, il prit les dehors du pêcheur et voulut subir
les peines dues à
tous les pécheurs, afin d'obtenir leur pardon et de les rendre
justes auprès de
Dieu. La seconde figure du sacrifice que Jésus a offert pour
nous à son Père
éternel sur la croix est celle du Serpent d'Airain (Nb 21, 8)
élevé sur un
poteau. Les Hébreux mordus par les serpents, dont le venin brûlant
causait
la mort, n'avaient qu'à le regarder pour être guéris.
Notre Sauveur a donné
lui-même l'explication de cette figure, en ces termes: "Comme
Moïse éleva
le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils
de l'homme soit élevé;
afin que tout homme qui croit en lui, ne périsse point, mais
obtienne la vie
éternelle" (Jn 3, 14-15).
Observons ici avec quelle clarté la mort ignominieuse de Jésus-Christ
est
prédite dans le deuxième chapitre du livre de la Sagesse.
Quoique les
paroles de ce chapitre puissent s'entendre de la mort de tout homme
de
bien, selon saint Cyprien, saint Jérôme et beaucoup d'autres
Pères, elles
conviennent principalement à la mort du Sauveur. On y lit :
"S'il est
véritablement le Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense
et le délivrera" (Sg 2,
18). Ces paroles cadrent parfaitement avec ce que disaient les Juifs
pendant
que Jésus était en croix : "Il met sa confiance en Dieu
; si donc Dieu l'aime,
qu'il le délivre maintenant; car il a dit: Je suis le Fils de
Dieu" (Mt 27, 43). Le
Sage continue: "Interrogeons-le par l'outrage et le tourment (de la
croix);
éprouvons sa patience; condamnons-le à la mort la plus
infâme" (Sg 2,
19-20). Les Juifs choisirent pour Christ la mort de la croix, comme
la plus
ignominieuse, afin que son fût à jamais couvert d'infamie
et entièrement
oublié des hommes, ainsi que Jérémie l'avait prédit
(Jr 11, 19). Comment
dont les Juifs peuvent-il nier aujourd'hui que Jésus-Christ
ait été le Messie
promis, la vie lui ayant été ôtée par le
supplice le plus infamant, exactement
comme les prophètes l'avaient annoncé?
Jésus accepta une telle mort, parce qu'il mourait pour expier
nos péchés.
C'est pour cela qu'il voulut d'abord, comme s'il eût été
un pécheur, être
circoncis, être racheté lorsqu'il fut présenté
dans le temple, recevoir le
baptême de pénitence de la main de saint Jean-Baptiste.
Il voulut enfin, dans
sa passion, être cloué à la croix, pour expier
l'abus que nous avons fait de
notre liberté. Il voulut expier notre avarice par sa nudité,
notre orgueil par
ses humiliations, notre envie de dominer par sa soumission aux bourreaux,
nos mauvaises pensées par sa couronne d'épines, notre
intempérance par le
fiel qu'il goûta, et nos plaisirs sensuels par les souffrances
de son corps.
Après un tel bienfait, nous devrions sans cesse, avec des larmes
d'attendrissement, rendre grâces au Père éternel,
qui nous a aimés au point
de livrer à la mort son Fils innocent pour nous délivrer
de l'enfer, et qui, en
nous donnant son Fils unique, nous a tout donné (Rm 8, 32).
Ainsi parle
saint Paul, et comme Notre-Seigneur l'a déclaré lui-même,
tout cela est
l'effet de l'amour de Dieu son Père envers nous (Jn 3, 16).
Aussi la Sainte
Église s'écrie-t-elle dans son office du Samedi-Saint
: " Merveilleuse
condescendance de ta grâce ! Imprévisible choix de ton
amour ! Pour
racheter l'esclave, tu livres le Fils." Si nous croyons et confessons
cette
vérité, comment pouvons-nous vivre sans brûler
d'amour envers un Dieu si
aimant et si aimable ?Ô Dieu éternel ! ne regardez pas
mon âme souillée de
péchés; regardez votre Fils innocent suspendu à
une croix et vous offrant
ses souffrances et ses humiliations afin que vous ayez pitié
de moi. Ô Dieu
infiniment aimable et véritablement Ami de mon âme., pour
l'amour de ce
Fils qui vous est si cher, faites-moi miséricorde ! La miséricorde
que je vous
demande, c'est que vous me donniez votre saint amour. Ah ! tirez-moi
de la
fange de mes iniquités, et faites que je sois tout à
vous ! Ô Feu brûlanmt,
consumez tout ce qui se trouve d'impur dans mon âme et qui l'empêche
d'être entièrement à vous !
- III -
La Mort de Jésus-Christ est notre salut;
elle est un enseignement et un exemple,
un motif de confiance et d'amour
En somme, tout ce que nous pouvons avoir de bien et d'espérance
de salut,
nous le devons aux mérites de Jésus-Christ, ainsi que
saint Pierre le déclare
expressément: "Il n'y a pas sous le ciel d'autre nom donné
aux hommes
pour lequel il nous faille d'être sauvés" (Ac 4, 12).
Les théologiens concluent
de là, avec saint Thomas, qu'après la promulgation de
l'Évangile, nous
devons croire explicitement, non seulement de nécessité
de précepte, mais
encore de nécessité de moyen, que nous ne pouvons nous
sauver que par la
médiation de notre Rédempteur.
Tout le fondement de notre salut est donc dans la rédemption
des hommes
opérée sur la terre par le Verbe divin. Il faut observer
en outre que, quoique
toutes les actions de Jésus-Christ en ce comme, comme émanant
d'une
personne divine, fussent d'un prix infini, en sorte que la moindre
eût suffit
pour expier tous les péchés des hommes, néanmoins
la mort de
Jésus-Christ fut le grand sacrifice par lequel notre rédemption
s'est
accomplie. C'est pour cela que, dans les saintes Écritures,
la rédemption des
hommes est principalement attribuée à la mort de notre
Sauveur sur la croix
(Ph 2, 8). Ainsi, l'Apôtre dit qu'en recevant la Sainte Eucharistie,
nous
devons nous souvenir de la mort du Seigneur (1 Co 11, 26). Pourquoi
parle-t-il de la mort, et non de l'incarnation, de la naissance, de
la
résurrection ? Il parle de la mort, parce que ce supplice, le
plus douloureux
et le plus humiliant que Jésus-Christ ait souffert, est celui
par lequel il a
consommé l'oeuvre de notre rédemption.
Saint Paul disait encore qu'il ne prétendait pas savoir autre
chose que Jésus
crucifié (1 Co 2, 2). L'Apôtre n'ignorait pas que Jésus-Christ
est né dans une
grotte, qu'il a vécu trente années dans la maison d'un
pauvre artisan, qu'il est
ressuscité après sa mort, et qu'il est monté au
ciel ; pourquoi donc
proteste-t-il que tout sa science consiste à connaître
Jésus crucifié ? C'est
que la mort soufferte par Jésus-Christ sur la croix était
ce qui l'excitait le
plus vivement à aimer ce divin Sauveur, et à pratiquer
l'obéissance envers
Dieu, la charité envers le prochain, la patience dans les adversités,
vertus
spécialement exercées et enseignées par Notre-Seigneur
sur la croix, comme
du haut d'une chaire élevée pour nous instruire, suivant
la pensée du
Docteur Angélique et de saint Augustin.
Tâchons donc, âmes fidèles, d'imiter l'Épouse
des Cantiques, qui goûtait,
disait-elle un doux repos aux pieds de son Bien-Aimé (Ct 2,
3).
Mettons-nous fréquemment devant les yeux, surtout le vendredi,
Jésus
mourant sur la croix; arrêtons-nous quelque temps aux pieds de
ce divin
Sauveurm et contemplons avec attendrissement les souffrances qu'il
endure
et l'amour qu'il nous témoigne dans son agonie sur ce lit de
douleur.
Puissions-nous dire aussi que nous nous sommes reposés reposés
à l'ombre
de la croix. Oh ! quel heureux repos pour les âmes qui aiment
Dieu, au
milieu du tumulte de ce monde, des tentations de l'enfer et des craintes
qu'on éprouve à la pensée des jugements de Dieu,
que de considérer, dans
la solitude et le silence, notre tendre Rédempteur agonisant
sur la croix, où
l'on voit son sang divin couler de tous ses membres percés et
déchirés par
les fouets, les épines et les clous ! Comme, à l'aspect
de Jésus crucifié, notre
esprit se dégage de tout désir des honneurs mondains,
des biens terrestes et
des plaisirs sensuels ! Alors émane de la croix un souffle céleste,
qui nous
détache doucement des choses de la terre. Ce souffle allume
en nous un
saint désir de souffrir et de mourir pour l'amour de celui qui
a voulu souffrir
et mourir pour l'amour de nous.
Si Jésus-Christ, au lieu d'être ce qu'il est, Fils de Dieu
et vrai Dieu, notre
Créateur et notre souverain Maître, n'était simplement
qu'un homme, ah!
qui serait insensible à la vue de ce jeune homme de sang noble,
innocent et
saint, expirant dans les tourments sur un gibet infâme, pour
expier, non ses
propres fautes, mais les crimes de ses ennemis eux-mêmes, et
pour les
délivrer par ce moyen de la mort qu'ils ont méritée
? Comment donc un
Dieu n'obtient-il pas les affections de tous les coeurs, en mourant
dans un
abîme d'humiliation et de douleur pour l'amour de ses créatures?
Comment,
après cela, ces créatures peuvent-elles encore aimer
autre chose que ce Dieu
? comment peuvent-elles penser à autre chose qu'à se
montrer
reconnaissantes envers ce tendre bienfaiteur ?
Que ne connais-tu le mystère de la croix ! disait saint André
au tyran qui
voulait lui faire renier Jésus-Christ parce que Jésus
a été crucifié comme un
malfaiteur. Oh ! si tu comprenais l'amour que Jésus-Christ t'a
porté en
daignant mourir sur la croix pour expier tes péchés et
t'obtenir une félicité
éternelle, sans doute, loin de chercher à me persuader
de le renier, tu
renoncerais toi-même à tout ce que tu possèdes
et espères ici-bas, pour
obéir et plaire à un Dieu qui t'a tant aimé !
Telle fut en effet la conduite d'un
si grand nombre de Martyrs et d'autres Saints qui ont tout quitté
pour
Jésus-Christ. Ô honte pour nous ! combien de jeunes vierges
ont refusé la
main des grands, des princes, avec les richesses et tous les délices
de la
terre, et se sont empressées de sacrifier leur vie pour répondre
par quelque
marque de retour à l'amour que leur a témoigné
ce Dieu crucifié ! D'où vient
donc qu'il y a tant de chrétiens sur qui la passion de Jésus-Christ
fait peu
d'impression ? Cela provient de ce qu'ils ne s'appliquent point à
considérer
combien Jésus-Christ a souffert pour l'amour de nous.
Ah ! mon doux Rédempteur, j'ai été moi-même
du nombre de ces ingrats !
Vous avez sacrifié votre vie sur une croix pour ne pas me voir
perdu; et moi,
j'ai tant de fois consenti à vous perdre, vous qui êtes
un bien infini, en
perdant votre grâce! Maintenat le démon, en m'offrant
le tableau de mes
péchés, voudrait me faire croire que mon salut est devenu
trop difficile;
mais, en vous voyant crucifié pour moi, mon Jésus, j'ai
la confiance que
vous ne me rejetterez pas de votre présence, si je me repens
de vous avoir
offensé et si je veux vous aimer. Oui, je m'en repens, Seigneur,
et je désire
vous aimer de tout mon coeur. Je déteste ces plaisirs maudits
qui m'ont fait
perdre votre grâce. Je vous aime, ô Amabilité infinie,
et je suis résolu de
vous aimer toujours ! Le souvenir de mes péchés ne servira
qu'à
m'enflammer d'un plus grand amour pour vous, qui avez daigné
me
chercher quand je vous fuyais. Non, mon Jésus, je ne veux plus
me séparer
de vous ni cesser jamais de vous aimer !
Ô Refuge des pécheurs, tendre Marie, vous qui avez eu tant
de part aux
douleurs votre divin Fils dans sa passion, priez-le qu'il me pardonne
et qu'il
m'accorde la grâce de l'aimer !
CHAPITRE II
SUR LES PEINES QUE JÉSUS-CHRIST SOUFFRIT À SA MORT
- I -
Prophétie d'Isaië - Abaissements
du Rédempteur promis
Considérons maintenant les peines particulières que Jésus-Christ
endura
dans sa passion, et qui ont été prédites plusieurs
siècles auparavant par les
Prophètes, spécialement dans le chapitre cinquante-troisième
d'Isaïe. Ce
dernier, comme l'ont remarqué saint Irénée, saint
Justin, saint Cyprien et
d'autres encore, a parlé si clairement des souffrances de notre
Rédempteur,
qu'on pourrait le prendre pour un des Évangélistes. D'après
saint Augustin,
les paroles d'Isaïe concernant la passion de Jésus-Christ
ont plutôt besoin de
nos méditations et de nos larmes que de l'explication des interprètes.
Hughes Grotius dit que les anciens Hébreux eux-mêmes n'ont
pu nieux
qu'Isaïe, principalement au chapitre cinquante-troisième,
n'ait eu en vue le
Messie promis de Dieu. Quelques-uns ont voulu appliquer les passages
d'Isaïe à des personnes nommées dans l'Écriture,
autres que Jésus-Christ;
mais Grotius répond qu'on n'en peut trouver aucun à qui
ces textes
conviennent.
Isaïe commence par faire pressentir l'incrédulité
qui doit accueillir ce qu'il
annonce du Messie et le Messie lui-même: "Qui croirait ce que
nous
entendons dire, et le bras du Seigneur, à qui a-t-il été
dévoilé?" (Is 53, 1).
C'est ce qui s'est vérifié, comme le remarque saint Jean,
lorsque les Juifs,
malgré les nombreux miracles opérés par Jésus-Christ,
miracles qu'ils
avaient vus et qui prouvaient bien qu'il était le Messie envoyé
de Dieu,
refusèrent de croire en lui (Jn 12, 37). Qui reconnaîtra
le bras, c'est-à-dire, la
puissance du Seigneur ? C'est ainsi qu'Isaïe prédit l'obstination
des Juifs à
ne pas vouloir croire en Jésus-Christ comme en leur Rédempteur.
Ils se
figuraient que le Messie devait faire éclater parmi les hommes
sa grandeur et
sa puissance, et, après avoir triomphé de tous ses ennemis,
combler le
peuple juif de richesses et d'honneurs; ils pensaient que le Sauveur
devait
apparaître comme un superbe cèdre du Liban; mais le Prophète
déclare, au
contraire, qu'il croîtra péniblement comme un arbrisseau
ou comme un
faible rejeton qui sort d'une terre sèche (Is 53, 2).
Isaïe se met ensuite à décrire la passion du Seigneur:
"Nous l'avons vu,
s'écrie-t-il, et nous avons voulu le reconnaître: mais
nous ne l'avons pu. Il
nous a paru un objet de mépris, le dernier des hommes, et un
homme de
douleurs. Nous ne l'avons point reconnu." (Is 53, 2-3)
Adam, en refusant d'obéir à la loi de Dieu, a causé
la ruine de tous les
hommes par son orgueil; c'est pourquoi le Rédempteur a voulu
réparer ce
mal par son humilité, en consentant à être traité
comme le dernier et le plus
abject des hommes; c'est-à-dire, en se réduisant au plus
profond
abaissement. Saint Bernard admire cette union prodigieuse de la suprême
grandeur avec l'extrême bassesse: "Ô toi, le plus bas et
le plus élevé, ô toi le
méprisé et le sublime, ô opprobre des hommes et
gloire des anges! Nul n'est
plus grand que toi, mais nul n'est plus humble." Si donc, ajoute-t-il,
le
Seigneur, qui est le premier de tous les êtres, a voulu paraître
comme le
dernier, chacun de nous doit rechercher la dernière place, et
craindre d'être
préféré à qui que ce soit. Mais moi, mon
Jésus, je crains tout le contraire; je
voudrais être préféré à tout le monde.Seigneur!
donnez-moi l'humilité !
Vous embrasez avec amour les humiliations, pour m'apprendre à
être
humble, à aimer la vie obscure et méprisée, et
je voudrais être estimé de
tous et paraître en tout! De grâce, mon Jésus! donnez-moi
votre amour; il
me rendra semblable à vous! Ne me laissez pas vivre plus longtemps
dans
l'ingratitude envers vous, après que vous m'avez tant aimé.
Vous êtes
tout-puissant : faites que je sois humble, que je sois saint, que je
sois tout à
vous.
- II -
Humiliations
et souffrances de Jésus-Christ
Isaïe appelle notre Sauveur un Homme de douleurs (Is 53, 3). Aussi
applique-t-on justement à Jésus crucifié ce texte
de Jérémie: "Votre
affliction est semblable à une mer" (Lm, 2, 13). Comme toutes
les eaux vont
se jeter dans la mer, ainsi se réunirent dans le coeur de Jésus,
pour l'affliger,
toutes les souffrances des malades, toutes les austérités
des anachorètes et
toutes les humiliations des martyrs. Il fut rassasié de douleurs
dans l'âme et
dans le corps. Mon Père! disait-il par la bouche de David, vous
avez fait
passer sur moi tous les flots de votre colère (Ps 87, 8) ! Et
il ajouta en
mourant, qu'il expirait abîmé dans un océan de
douleurs et d'opprobres (Ps
68, 3). L'Apôtre a écrit que Dieu en envoyant son propre
Fils au monde
pour payer de son sang la dette de nos fautes, a voulu par là
montrer la
grandeur de sa justice (Rm 3, 25). Remarquez ces derniers mots.
Pour se faire une idée de tout ce que Jésus-Christ eut
à souffrir pendant sa
vie, et surtout à sa mort, il faut considérer ce que
dit encore saint Paul dans
sa Lettre aux Romains: "Dieu, en envoyant son propre Fils avec une
chair
semblable à celle du péché et en vue du péché,
a condamné le péché dans sa
chair" (Rm 8, 3). Jésus-Christ, envoyé par son Père
pour racheter l'homme,
se revêtit de notre chair infectée du péché
d'Adam. Quoiqu'il n'eût pas
contracté la tache du péché, il prit néanmoins
sur lui les misères dont la
nature humaine était affligée en punition du péch,
et il s'offrit
volontairement à son Père éternel, comme le dit
Isaïe, afin de satisfaire par
ses souffrances à la Justice divine pour toutes les dettes du
genre humain; et
Dieu le Père l'a chargé lui seul des iniquités
de nous tous (Is 53, 6-7). Voilà
donc Jésus sous le poids de tous les blasphèmes, de tous
les sacrilèges, de
toutes les impuretés, de tous les forfaits que les hommes ont
commis et
commettront jamais; le voilà, en un mot, devenu l'objet de toutes
les
malédictions divines que nous avons méritées par
nos fautes (Ga 3, 13).
Aussi saint Thomas assure-t-il que les douleurs de Jésus-Christ,
tant
intérieures qu'extérieures, ont surpassé tout
ce qu'on peut souffrir en cette
vie. Pour comprendre quelles ont dû être ses souffrances
extérieures, il suffit
de savoir que Dieu le Père lui avait formé un corps exprès
pour souffrir,
ainsi que Notre-Seigneur le déclara lui-même (He 10, 5).
Le Docteur
Angélique observe que Notre-Seigneur fut affligé dans
tous les sens: dans le
toucher, toutes ses chairs ayant été déchirées;
dans le goût, par le fiel et le
vinaigre; dans l'ouïe, par les blasphèmes et les dérisions;
dans la vue, en
regardant sa Mère qui assistait à sa mort. Il souffrit
également dans tous ses
membres: sa tête sacrée fut tourmentée par les
épines, ses mains et ses pieds
par les clous, son visage par les soufflets et les crachats, et tout
son corps
par les fouets, précisément comme Isaïe l'avait
prédit, ce Prophète ayant
annoncé que Notre Rédempteur, dans sa passion, semblable
à un lépreux,
dont la chair n'a plus aucune partie saine, et qui fait horreur à
voir, n'offrant
aux regards que plaies de la tête aux pieds. En un mot, Jésus
flagellé parut
aux yeux de Pilate dans un tel état qu'il espérait fléchir
les Juifs en le leur
montrant; il cru qu'il suffirait pour qu'on cessât de demander
sa mort, de le
présenter du haut de son tribunal aux regards du peuple, en
disant: "Voilà
l'Homme!" (Jn 19, 5).
Saint Isidore remarque en outre que, chez les autres hommes, lorsqu'une
douleur et lourde et dure un certain temps, la violence même
du mal fait
perdre la sensation de douleur. Il n'en fut pas ainsi pour notre Sauvuer:
les
dernières douleurs lui furent aussi sensibles que les dernières,
et les premiers
coups de fouets ne le furent pas moins que les derniers; et cela, parce
que sa
passion ne fut pas simplement l'ouvrage des hommes, mais ce fut un
acte de
la justice de Dieu, qui a voulu faire subir en toute rigueur à
son Fils innocent
le châtiment que méritaient les péchés de
tous les hommes.Ainsi, mon
Jésus! dans votre passion, vous avez voulu porter la peine qui
m'était due
pour mes péchés; si donc je vous avez moins offensé,
vous eussiez moins
souffert en ce moment pour moi. Et moi, sachant bien cela, pourrai-je
encore vivre sans vous aimer, et sans pleurer continuellement les offenses
que je vous ai faites? Mon doux Rédempteur, je me repens de
vous avoir
méprisé, et je vous aime par-dessus toutes choses. De
grâce, ne me rejetez
point comme je l'ai mérité; recevez-moi dans votre amour,
maintenant que
je vous aime et que je ne veux plus aimer que vous. Je serais bien
ingrat si,
après toutes les miséricordes que vous m'avez faites,
j'aimais encore à
l'avenir autre chose que vous.
- III -
Jésus-Christ
a souffert volontairement pour nous
Voici la suite des paroles d'Isaïe: "Nous l'avons considéré
comme un
lépreux, comme un homme que la main de Dieu a frappé
et humilié. Mais il
a été frappé pour nos iniquités, il a été
brisé pour nos crimes. Le châtiment
qui devait nous réconcilier avec Dieu, est tombé sur
lui, et nous avons été
guéris par ses blessures. Nous nous étions tous égarés
comme des brebis
errantes, chacun s'était détourné pour suivre
sa propre voie; et Dieu l'a
chargé lui seul de l'iniquité de nous tous." (Is 53,
4-6) Et Jésus, plein de
charité, consentit volontiers, sans réplique, au dessein
de son Père qui
voulut qu'il fût livré entre les mains des bourreaux pour
être tourmenté à
leur gré. "Il fut offert parce que c'était son propre
désir, et il n'ouvrit pas la
bouche; comme une brebis qu'on conduit à la boucherie, comme
devant les
tondeurs d'une brebis muette" (Is 53, 7). Comme un agneau qui se laisse
tondre sans se plaindre, notre tendre Sauveur se laissa enlever, non
la laine,
mais la peau, sans ouvrir la bouche.
Quelle obligation le Fils de Dieu avait-il d'expier nos fautes? Aucune,
sans
doute; mais il a voulu s'en charger, pour nous délivrer de la
damnation
éternelle; et après s'être ainsi rendu volontairement,
par pure bonté, débiteur
de toutes nos dettes, il a voulu se sacrifier entièrement pour
nous, jusqu'à
expirer dans les tortures de la croix, comme il l'a déclaré
lui-même (Jn 10,
17). Chacun de nous doit donc lui rendre grâces, et lui dire
avec le prophète
Isaïe: "Seigneur! vous avez arraché mon âme à
sa perte; vous avez pris sur
vous et vous avez effacé vous-même tous mes péchés"
(Is 38, 17).
- IV -
Les souffrances
de Jésus-Christ ont été extrêmes
Saint Ambroise, parlant de la passion du Sauveur, dit que ses souffrances
ne
peuvent être égalées. Les Saints ont tâché
d'imiter Jésus-Christ dans ses
souffrances pour se rendre semblables à lui; mais, y en a-t-il
un seul qui soit
parvenu à l'égaler? Il est certain que Notre-Seigneur
a souffert plus que tous
les pénitents, tous les anachorètes, et tous les Martys;
car Dieu l'a chargé de
satisfaire rigoureusement à sa justice pour tous les péchés
des hommes, et
conséquemment, comme le dit saint Pierre, Jésus porta
sur la croix le
fardeau de toutes nos iniquités, pour en subir la peine dans
son corps
adorable (1 P 2, 24). Selon saint Thomas, en nous rachetant, le Fils
de Dieu
n'a pas seulement eu égard à la vertu et au mérite
infini de ses souffrances,
mais il a voulu souffrir autant qu'il le fallait pour expier pleinement
et
rigoureusement tous les péchés du genre humain. Et selon
saint
Bonaventure, il a voulu souffrir autant que s'il eût été
lui-même l'auteur de
toutes nos fautes. Or Dieu sut tellement aggraver les douleurs de
Jésus-Christ, qu'elles atteignirent les proportions requises
pour acquitter
complètement toutes nos dettes. Ainsi s'est vérifiée
cette parole d'Isaïe, que
Dieu a voulu broyer son Fils dans les souffrances, pour le salut du
monde
(Is 53, 10-11).
Quand on lit les Actes des Martyes, il semble que quelques-uns d'entre
eux
ont plus souffert que Jésus-Christ; mais saint Bonaventure dit
que les
douleurs d'aucun Martyr n'ont jamais pu égaler en vivacité
celles de notre
Sauveur, qui furent les plus aiguës de toutes les douleurs. Saint
Thomas
assure pareillement que la douleur sensible qui affligea Jésus-Christ
fut la
plus grande que l'on puisse endurer dans la vie présente. Selon
saint Laurent
Justinien, dans chaque tourment que Notre-Seigneur eut à subir,
si l'on
considère la vivacité et l'intensité de la douleur,
il souffrit tous les supplices
des Martyrs. Tout cela d'ailleurs a été prédit
en peu de mots par le Roi David
lorsque, parlant à Dieu au nom du Messie, il s'écriait
: "Sur moi pèse ta
colère; ... tes épouvantes m'ont réduit à
rien" (Ps 87, 8.17), ce qui signifie
que toute la colère de Dieu excitée par nos péchés
est venue retomber sur la
personne du Sauveur. On entend dans le même sens ce que l'Apôtre
dit: "Il
est devenu malédiction pour nous" (Ga 3, 13). Jésus devint
la malédiction,
c'est-à-dire l'objet de toutes les malédictions que méritent
les pécheurs.
- V -
Peines intérieures de notre Sauveur
Jusqu'ici, nous avons parlé que des souffrances extérieures
de Jésus-Christ;
mais qui pourra jamais expliquer, ou seulement concevoir, l'étendue
de ses
souffrances intérieures, qui furent mille fois plus grandes
que les premières?
La douleur de son âme fut si violente que, dans le jardin de
Gethsémani, elle
lui causa une sueur de sang par tout le corps et lui fit dire qu'elle
suffisait
pour lui donner la mort (Mt 26, 58). Mais, puisque cette tristesse
suffisait
pour le faire mourir, pourquoi ne mourut-il pas? C'est, répond
saint
Thomas, parce qu'il retarda lui-même sa mort, voulant se conserver
la vie
pour la sacrifier bientôt après sur la croix. Remarquons
en outre que cette
tristesse mortelle ne fit qu'affliger plus sensiblement notre Sauveur;
car elle
fut le tourment de toute sa vie: dès le premier moment de son
existence, il
eut devant les yeux les causes de sa douleur intérieure; et
de toutes ces
causes, celle qui l'affligea le plus, ce fut de voir l'ingratitude
des hommes
après l'amour qu'il leur témoignait dans sa passion.
Il est vrai que, dans cette extrême désolation, un Ange
du ciel vint pour
fortifier le Seigneur, ainsi que saint Luc le rapporte. (Lc 22, 43).
Mais le
vénérable Bède fait observer que ce secours, loin
d'alléger sa peine, ne fit
que l'accroître, puisque l'Ange ranima ses forces pour qu'il
souffrit avec plus
de constance pour le salut des hommes, en lui représentant,
ajoute le même
auteur, la grandeur des fruits de notre passion, sans en diminuer la
douleur.
Aussi, immédiatement après l'apparition de l'Ange, l'Évangéliste
dit que
Jésus tomba en agonie et sua du sang en abondance au point d'en
baigner la
terre (Lc 23, 44).
Selon saint Bonaventure, la douleur de Jésus parvint au suprême
degré; de
telle sorte qu'à l'aspect des tourments qui allaient terminer
sa vie, il fut si
épouvanté qu'il supplia son Père de l'en délivrer
(Mt 26, 39). Cependant,
Notre-Seigneur ne fit pas cette prière précisément
pour échapper au supplice
qui l'attendait, puisqu'il s'y était soumis volontairement (Jn
10, 18); ce fut
pour nous faire entendre quelles angoisses il éprouvait en subissant
une
mort si amère selon les sens. Mais, reprenant aussitôt
selon l'esprit, tant
pour se conformer à la volonté de son Père que
pour nous obtenir le salut,
ce qu'il désirait si ardemment, il ajouta : "Néanmoins,
que votre volonté soit
faite, et non la mienne!" (Mt 26, 44). Et il continua de prier et de
se résigner
ainsi durant trois heures (Mc 14, 39).
- VI -
Patience
de Jésus-Christ - Fruits de sa mort
Reprenons les prophéties d'Isaïe. Il a prédit les
soufflets, les coups de poing,
les crachats et les autres mauvais traitements que Jésus-Christ
souffrit dans
la nuit qui précéda sa mort, de la part des bourreaux,
qui le tenaient
prisonnier dans le palais de Caïphe, en attendant le matin pour
le conduire à
Pilate et le faire condamner au supplice de la croix : "J'ai tendu
le dos à ceux
qui me frappaient, les joues à ceux qui m'arrachaient la barbe;
je n'ai pas
soustrait ma face aux outrages et aux crachats" (Is 50, 6). Ces outrages
ont
été décrits après l'événement
par saint Marc, qui ajoute que les bourreaux,
voulant se moquer de Notre-Seigneur comme d'un faux prophète,
lui
bandèrent les yeux et se mirent ensuite à lui donner
des coups de poing et
des soufflets, en lui disant de deviner qui l'avait frapper (Mc 14,
65).
Isaïe continue et dit que le Messie sera mené à la
mort comme une brebis
qu'on va égorger (Is. 53, 7). C'est ce passage que lisait l'eunuque
de la reine
Candace, lorsque saint Philippe vint le joindre par une inspiration
divine,
comme on le voit dans les Actes des Apôtres (Ac 8, 32): il lui
demanda de
qui les paroles devaient s'entendre, et le saint expliqua tout le mystère
de la
Rédemption opérée par Jésus-Christ. Alors,
l'eunuque, ouvrant les yeux à la
lumière que Dieu lui communiquait, voulut être baptisé
sur-le-champ.
Le Prophète termine en annonçant les fruits immenses que
la mort du
Sauveur devait produire dans le monde, et la multitude de saints qui
en
devaient naître spirituellement : "S'il offre sa vie en expiation,
il verra une
postérité, il prolongera ses jours; et ce qui plaît
au Seigneur s'accomplira par
lui. Il verra la lumière et sera comblé. Par ses souffrances,
mon Seviteur
justifiera des multitudes." (Is 53, 10-11).
- VII -
Prophéties
de David - Diverses particularités
Avant Isaïe, le Prophète-Roi avait prédit d'autres
circonstances encore plus
particulières de la passion de Jésus-Christ, principalement
dans le Psaume
21, où il dit que le Sauveur aurait les mains et les pieds percés
de clousm et
que ses membres seraient tellement étendus qu'on pourrait compter
ses os
(Ps 21, 15. 18). Il annonça également que, avant de le
crucifier, on lui ôterait
ses vêtements; que ses vêtements extérieurs seraient
partagés entre les
bourreaux, et que celui de dessous, étant une tunique sans couture,
serait
tiré au sort (Ps. 21, 19). Cette prophétie est rappelée
par saint Matthieu et
saint Jean (Mt 27, 35; Jn 19, 23).
Voici en oture ce que saint Matthieu rapporte des blasphèmes
et des
sarcasmes des Juifs contre Jésus, pendant qu'il était
sur la croix : " Ceux qui
passaient par là le blasphémaient, en branlant la tête
et en lui disant : Toi qui
détruis le temple de Dieu, et qui le rebâtis en trois
jours, que ne te sauves-tu
toi-même ? Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ! Les
Princes des
prêtres se moquaient aussi de lui avec les Scribes et les Anciens,
en disant :
Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver lui-même;
s'il est le Roi d'Israël,
qu'il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui. Il
met sa
confiance en Dieu; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant;
puisqu'il
a dit; Je suis le Fils de Dieu." (Mt 27, 40-43). Presque tous ces détails
ont été
prédits sommairement par David, en ces termes : " Tous ceux
qui me
voyaient, se sont moqués de moi; ils ont dit en branlant la
tête: Il a mis son
espérance dans le Seigneur, que le Seigneur le délivre;
qu'il le sauve, s'il est
vrai qu'il l'aime" (Ps 21, 8-9).
David a aussi prédit la grande peine que Jésus devait
éprouver sur la croix
en se voyant abandonner de tout le monde, même de ses disciples,
à
l'exception de saint Jean et de la Très Sainte Vierge. Mais
la présence de
cette Mère chérie n'adoucit point la peine d'un Fils
si tendre; elle
l'augmentait, au contraire, par la compassion qu'il avait de la voir
si affligée à
cause de sa mort. Notre-Seigneur, au milieu des angoisses de son cruel
supplice, ne trouva donc personne pour le consoler, précisément
comme
David l'avait annoncé (Ps 68, 21). Mais, la douleur qui affligea
le plus
profondément notre doux Rédempteur, ce fut d'être
abandonné même de
son Père éternel; aussi s'écria-t-il alors, conformément
à la prophétie de
David: "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ?
Loin de
me sauver les paroles de ma bouche " (Ps 21, 2). C'est comme s'il eût
dit :
"Mon Père ! les péchés des hommes, que j'appelle
les miens parce que je
m'en suis chargé, m'empêchent de me délivrer de
ces souffrances qui
consument ma vie ; mais vous, mon Dieu ! dans cette extrême désolation,
pourquoi m'avez-vous abandonné ?" Ces paroles du Prophète-Roi
correspondent parfaitement à celles que Jésus prononça
sur la croix, selon
l'Évangile de saint Mathieu, peu de temps avant sa mort : "
Eli ! Eli ! lema
sabachtani ? " (Mt 27, 46).
- VIII -
Jésus-Christ est le vrai Messie - Surabondance
de ses mérites
D'après toutes ces citations, on peut juger du grand tort qu'ont
les Juifs,
lorsqu'ils refusent de reconnaître Jésus-Christ comme
leur Messie et leur
Sauveur, parce qu'il est mort d'un supplicie ignominieux. Mais, ne
s'aperçoivent-ils pas que, si Jésus-Christ, au lieu de
mourir en croix comme
un criminel, avait eu une mort honorée et glorieuse aux yeux
des hommes,
il n'aurait pas été le Messie promis de Dieu et prédit
par les Prophètes, qui
annonçaient depuis tant de siècles que le Rédempteur
devait mourir rassasié
d'opprobres (Lm 3, 30) ? Au reste, toutes ces humiliations et toutes
ces
souffrances du Fils de Dieu, si bien prédites par les Prophètes,
ne furent
comprises, même de ses disciples, qu'après sa résurrection
et son ascension
dans le ciel (Jn 12, 16).
Enfin, la passion de Jésus-Christ a vérifié cette
parole de David: "La Justice
et la Miséricorde se sont donné le baiser de paix" (Ps
84, 11). En effet, d'un
côté, par les mérites du Sauveur, les hommes ont
été miséricordieusement
réconciliés avec Dieu; et de l'autre, par sa mort, la
Justice divine a été
surabondamment satisfaite, puisque, pour nous racheter, il n'était
pas
nécessaire que l'Homme-Dieu supportât tant de souffrances
et d'opprobres;
il suffisait, comme nous l'avons dit, d'une seule goutte de son sang,
d'une
simple prière de sa part, pour sauver le monde entier. C'est
pour nous
inspirer plus de confiance et nous enflammer d'un plus grand amour
envers
lui, qu'il a voulu que notre rédemption fût, non seulement
suffisante, mais
encore surabondante, ainsi que David l'annonçait: "Espère
Israël dans le
Seigneur, puisque auprès du Seigneur est la grâce, près
de lui l'abondance
du rachat" (Ps 129, 6).
Job a aussi prophétisé cette surabondance de la grâce
lorsque, parlant au
nom du Messie, il déclara que son affliction était incomparablement
plus
grande que ses péchés (Jb 6, 2). Ici encore, Jésus,
par la bouche de Job,
appelle ses péchés ceux des hommes, parce qu'il s'était
obligé à satisfaire
pour nous, afin que sa justice devint notre justice, suivant la pensée
de saint
Augustin. La Glose commente le texte de Job en disant que, dans la
balance
de la Justice divine, la passion de Jésus-Christ l'emporte sur
tous les péchés
du genre humain. Toutes les vies des hommes ne suffiraient point pour
expier un seul péché, mais les souffrances du Fils de
Dieu ont satisfait pour
toutes nos dettes (1 Jn 2, 2). De là, saint Laurent Justinien
encourage tout
pécheur véritablement contrit à espérer
son pardon avec assurance par les
mérites de Jésus-Christ. Pauvre pécheur, lui dit-il,
ne mesure point
l'espérance d'obtenir le pardon de tes fautes à la grandeur
de ton repentir, car
toutes tes oeuvres ne peuvent te le mériter; mais mesure-la
aux souffrances
de ton divin Rédempteur, qui a surabondamment satisfait pour
toi.Ô
Sauveur du monde ! dans vos chairs déchirées par les
fouets, les épines et
les clous, je reconnais votre amour pour moi et l'ingratitude que j'aie
eue de
répondre par tant d'injures à tant de bienfaits! Mais
votre sang est mon
espérance puisque c'est au prix de votre sang que vous m'avez
délivré de
l'enfer autant de fois que je l'ai mérité. Ah ! qu'en
serait-il de moi pour toute
l'éternité, si vous n'aviez pensé à me
sauver par votre mort ? Malheureux
que je suis ! je savais qu'en perdant votre grâce, je me condamnais
moi-même à rester à jamais, sans espoir, éloigné
de vous en enfer, et j'ai
souvent osé vous tourner le dos ! Mais, je le répète,
votre sang est mon
espérance. Ah ! que ne suis-je mort sans vous avoir jamais offensé
! Ô
bonté infinie, je méritais d'être aveuglé,
et vous m'avez éclairé de nouvelles
lumières; je méritais d'être endurci et vous m'avez
attendri et touché de
componction, au point que j'abhorre maintenant plus que la mort les
injures
que je vous ai faites, et que je me sens un grand désir de vous
aimer ! Ces
grâces que j'ai reçues de vous, me donnent l'assurance
que vous m'avez
pardonné et que vous voulez me sauver. Ô mon Jésus
! qui pourrait cesser
encore de vous aimer, et aimer autre chose que vous ? Je vous aime,
mon
Jésus ! et je me confie en vous; augmentez cette confiance et
cet amou, afin
que désormais j'oublie tout et ne pense plus qu'à vous
aimer et à vous plaire.
Ô Marie, Mère de Dieu, obtenez-moi la grâce d'être
fidèle à Jésus, votre Fils
et mon Rédempteur !
CHAPITRE III
SUR LA FLAGELLATION, LE COURONNEMENT D'ÉPINES ET LE
CRUCIFIEMENT
- I -
La flagellation
Saint Paul dit que Jésus-Christ s'est abaissé jusqu'à
prendre la forme de
serviteur (Ph 2, 7). Sur ce texte, saint Bernard fait la réflexion
suivante :
"Notre divin Rédempteur, qui est le Maître de l'univers,
ne s'est pas contenté
de prendre la condition de serviteur; il a voulu paraître mauvais
serviteur, et
d'expier ainsi nos fautes".
Il est certain que la flagellation fut le plus cruel des tourments que
notre
Sauveur eut à souffrir et celui qui abrégea le plus sa
vie; car la principale
cause de sa mort, ce fut la perte de son sang, qu'il devait répandre
jusqu'à la
dernière goutte selon ce qu'il avait prédit (Mt 26, 28).
Ce précieux Sang, il
est vrai, avait déjà coulé dans le jardin des
Olives; il coula encore dans le
couronnement d'épines et le crucifiement; mais la plus grande
partie en fut
répandue dans la flagellation. En outre, ce supplice fut extrêmement
humiliant pour Jésus-Christ, parce qu'il n'était infligé
qu'aux esclaves,
conformément à la loi romaine. C'est pourquoi les tyrans,
après avoir
prononcé leur sentence contre les Martyrs, ordonnaient qu'ils
fussent
flagellés avant d'être mis à mort; mais Notre-Seigneur
fut flagellé avant sa
condamnation. Il avait prédit pendant sa vie, à ses disciples
en particulier,
qu'il subirait cette peine ignominieuse (Lc 18, 32), et il leur donnait
à
entendre combien elle devait être douloureuse pour lui.
Il a été révélé à sainte Brigitte
qu'un de ses bourreaux ordonna d'abord à
Jésus de se dépouiller lui-même de ses vêtements;
il obéit et embrassa
ensuite la colonne, où il fut lié; on le flagella si
cruellement que son corps
fut tout déchiré. La révélation ne dit
pas simplement qu'on frappait, mais
qu'on sillonnait ses chairs sacrées. Les coups portèrent
jusque sur la
poitrine, au point que les côtes furent mises à découvert.
Tout cela est
conforme à ce que dit saint Jérôme, ainsi que saint
Pierre Damien qui assure
que les bourreaux frappèrent Notre-Seigneur jusqu'à ce
que les forces leur
manquèrent. Isaïe avait tout prédit par un mot :
"Il sera brisé (ou broyé) à
cause des fautes des autres" (Is 53, 5).Me voici, mon Jésus
! je suis un de
vos plus cruels bourreaux; je vous ai flagellé par mes péchés:
ayez pitié de
moi. Ô mon aimable Sauveur, c'est peu d'un coeur pour vous aimer.
Je ne
veux plus vivre pour moi-même, mais pour vous seul, mon Amour,
mon
Tout ! Je vous dirai donc avec sainte Catherine de Gênes : Ô
Amour ! ô
Amour ! plus de péchés !" Oui, mon Jésus ! je
vous ai offensé; maintenant,
j'ai la confiance que je suis à vous et, moyennant votre grâce,
je veux être à
vous pour toujours, pour toute l'éternité.
- II -
Le couronnement d'épines
La Mère de Dieu a encore révélé à
sainte Brigitte que la couronne d'épines
ceignait la tête sacrée de son Fils jusqu'au milieu du
front, et que les épines
furent si violemment enfoncées que le sang ruissela sur toute
la face, de telle
sorte qu'elle en parut toute couverte.
Origène dit que cette horrible couronne ne fût ôtée
de la tête de
Notre-Seigneur qu'après qu'il eût expiré. Cependant,
le vêtement intérieur de
Jésus n'avait point de couture, il était d'un seul tissu;
c'est pour cette raison
que les soldats ne le partagèrent point entre eux comme ses
autres
vêtements, mais le tirèrent au sort, ainsi que l'atteste
saint Jean (Jn 19, 23).
Cette tunique devant donc se tirer du côté de la tête,
il est très probable,
selon pluieurs auteurs, qu'on ôta la couronne à Jésus
pour faire passer la
tunique, et qu'on la lui remit ensuite avant de le clouer sur la croix.
On lit dans la Génèse: "La terre sera maudite à
cause de ton oeuvre; elle te
produira des épines et des ronces" (Gn 3, 17). C'est Dieu qui
a prononcé
cette malédiction contre Adam et contre toute sa postérité;
en cet endroit,
par la terre, encore la chair humaine qui, infectée par la faute
de notre
premier père, ne produit plus que des épines de péchés.
Pour remédier à
cette corruption de la chair, dit Tertullien, il a fallu que Jésus-Christ
offrit à
Dieu en sacrifice cette affreuse torture du couronnement d'épines.
Ce tourment, déjà si douloureux, fut encore aggravé
par d'autres mauvais
traitements que rapportent saint Matthieu et saint Jean. Les soldats
avaient
déshabillé de nouveau leur innocente victime, et lui
avaient jeté sur les
épaules un haillon de couleur rouge. Jésus, étant
couronné d'épines, ils lui
mirent un roseau en guise de sceptre; puis ils fléchirent le
genou devant lui,
par drision, en le saluant Roi des Juifs. Ils lui crachaient ensuite
au visage, et
prenaient le roseau pour lui en frapper la tête; ils lui donnaient
aussi des
soufflets (Mt 27, 28; Jn 19, 3).Ô mon Jésus ! combien
d'épines n'ai-je pas
ajoutés à cette couronne pour toutes les mauvaises pensées
auxquelles j'ai
consenti! Je voudrais en mourir de douleur; pardonnez-moi, par les
mérites
de ce tourment même que vous avez voulu souffir pour me pardonner.
Ah !
mon doux Seigneur, que je sois si maltraité et si humilié,
vous endurez tant
de douleurs et tant d'opprobres pour me toucher, afin que je vous aime
au
moins par compassion, et que je cesse de vous offenser. C'est assez,
mon
Jésus ! ne souffrez pas davantage; je suis persuadé de
votre amou pour moi,
et je vous aime de toute mon âme ! Mais que vois-je? vous n'êtes
pas encore
satisfit; vous ne serez rassasié de souffrances que lorsque
vous serez mort
de douleur sur la croix. Ô Bonté, ô Charité
infinie ! qu'il est malheureux, le
coeur qui ne vous aime pas !
- III -
Jésus porte sa croix
La croix commença à faire souffrir notre Sauveur avant
qu'il y fût cloué; car,
après la sentence prononcée par Pilate, on l'obligea
à la porter jusqu'au
Calvaire, où il devait mourir; et Jésus, sans résister,
la chargea sur ses
épaules (Jn 19, 17). Saint Augustin fait ici cette réflexion
: "Si l'on considère
la cruauté dont on usa envers Jésus-Christ, en le forçant
de porter lui-même
l'instrument de son supplice, ce fut une grande ignominie; mais, si
l'on
considère l'amour avec lequel ce divin Maître embrassa
sa croix, ce fut un
grand mystère" ; car, en portant sa croix, il a voulu, comme
notre Chef,
arborer l'étendard sous lequel devaient s'enrôler et combattre
ceux qui
voudraient le suivre, pour conquérir avec lui le royaume des
cieux.
"Il a reçu l'empire sur les épaules" (Is 9, 5). Sur ce
passage d'Isaïe, où le
Prophète annonce que le Messie portera sur son épaule
la marque de
principauté, saint Basile observe que, tandis que les tyrans,
pour accroître
leur puissance, surchargent injustement leurs sujets, Jésus-Christ
a voulu se
charger de sa croix et la porter lui-même pour y sacrifier sa
vie, afin de nous
prucurer le salut. Remarquons en outre que les rois de la terre fondent
leur
principauté sur la force des armes et l'accumulation des richesses;
Notre-Seigneur, au contraire, a fondé la sienne sur la croix,
c'est-à-dire, sur
l'humiliation et la souffrance; et il s'est soumis volontairement à
porter sa
croix sur le chemin douloureux du Calvaire, pour nous encourager par
son
exemple, et pour engager chacun de nous à se charger de sa croix
avec
résignation et à le suivre, comme il le dit à
tous ses disciples (Mt 16, 24).
Notons ici les beaux titres que saint Jean Chrysostôme donne à
la Croix
dans son homélie sur ce sujet. Il l'appelle:
L'Espérance des chrétiens et Le Salut des désespérés.
Quelle espérance de
salut auraient eu les pécheurs sans la croix sur laquelle Jésus-Christ
est mort
pour les sauver?
Le Guide des navigateurs. L'humiliation qui vient de la croix, c'est-à-dire
de
l'adversité, nous fait obtenir dans cette vie, qui ressemble
à une mer remplie
d'écueils, la grâce d'observer la loi de Dieu, et de nous
amender lorsque
nous l'avons transgressée, selon ce que dit le Psalmiste: "
Seigneur, c'est un
bien pour moi que vous m'ayez humilié, afin que j'apprenne à
garder vos
commandements" (Ps 118, 71).
Le Conseiller des Justes. L'adversité éclaire les justes
et les porte à s'unir
plus étroitement à Dieu.
Le Repos des affligés. Où, en effet, ceux qui sont affligés
trouvent-ils plus
de consolation que dans la croix, sur laquelle ils voient mourir de
douleur,
pour l'amour d'eux, leur Rédempteur et leur Dieu?
La Gloire des Martyrs. Ce qui fait la gloire des Saints Martyrs, c'est
d'avoir
pu unir leurs souffrances et leur mort aux souffrances et à
la mort de
Jésus-Chrit sur la croix. Aussi l'Apôtre disait-il qu'il
ne voulait point être
glorifié autrement (Ga 6, 14).
Le Remède dans les maladies. Oh ! quel heureux remède
que la croix pour
bien des personnes atteintes de maladies spirituelles! Les tribulations
les
font rentrer en elles-mêmes et les détachent du monde.
La Source qui désaltère ceux qui ont soif. La croix, c'est-à-dire,
souffrir pour
Jésus-Christ, c'est le désir, la soif des saints. Sainte-Thérèse
disait : "Ou
souffrir, ou mourir!" Sainte Marie-Madeleine de Pazzi allait plus loi,
et
s'écriait: "Souffrir, et ne pas mourir!" comme si elle eût
refusé de mourir et
d'aller joir du paradis, pour souffrir plus longtemps sur la terre.
Du reste, généralement parlant, juste ou pécheur,
chacun a sa croix.
Quoique les justes jouissent de la paix du coeur, ils ont néanmoins
leurs
vicissitudes : ils sont tantôt consolés par les douces
visites du Seigneur, et
tantôt affligés par les contrariétés, les
infirmités corporelles, et les dégoûts
spirituels, par les scrupules, les tentations, et les craintes pour
leur salut.
Mais la croix des pécheurs est beaucoup plus pesante, à
cause des remords
de leur conscience, des terreurs qui les saisissent quand ils songent
aux
peines éternelles, et des tourments qu'ils éprouvent
dans les adversités. Les
saints, dans l'adversité, se résignent à la volonté
divine, et supportent tout
patiemment ; mais le pécheur, comment pourra-t-il trouver le
repos dans la
résignation à la volonté de Dieu, s'il est ennemi
de Dieu ? Les peines des
ennemis de Dieu sont des peines sans mélange, sans consolation.
C'est ce
qui faisait dire à sainte Thérèse que celui qui
aime Dieu embrasse sa croix de
bon coeur et ne la sent pas, tandis que celui qui n'aime pas Dieu traîne
la
sienne par force et ne peut ainsi ne la sentir que trop.
- IV -
Le crucifiement
D'après les révélations faites à sainte
Brigitte, quand notre Sauveur se vit sur
la croix, il étendit de lui-même sa main droit à
l'endroit où elle devait être
clouée. Les bourreaux clouèrent ensuite sa main gauche,
et enfin ses pieds
sacrés; après quoi, ils laissère Jésus
mourir sur ce lit de douleur. Saint
Augustin dit que le supplice de la croix était extrêmement
cruel, parce qu'il
rendait la mort la plus lente, afin de prolonger la douleur.
Ô ciel ! quel spectacle de voir le Fils du Père éternel
crucifié entre deux
criminels ! C'est là précisément ce qu'Isaïe
avait prédit (Is 53, 12). Saint Jean
Chrysostome, considérant Jésus en croix, s'écrie
avec admiration et amour :
" Je vois mon Sauveur dans le ciel entre le Père et le Saint-Esprit;
je le vois
sur le mont Thabor entre deux Saints, Moïse et Élie; et
comment le vois-je
maintenant crucifié sur le Calvaire entre deux voleurs ?" Mais
cela devait
être ainsi; car, selon le décret divin, c'est ainsi qu'il
devait mourir, pour
expier par sa mort les péchés des hommes et les sauver,
conformément à la
prophétie d'Isaïe.
Le même Prophète fait cette question: "Quel est cet homme
si beau et si
fort, qui vient d'Édom, les vêtements couleur de sang
?" (Is 63, 3). Édom
marque la couleur rouge, mais un peu foncée, comme on le voit
dans la
Génèse (Gn 25, 30). Cette demande est suivie d'une réponse,
et, d'après les
interprètes, c'est Notre-Seigneur qui parle: "C'est moi qui
professe la justice,
et qui me montre grand pour sauver" (Is 63, 1).
Le Prophète interroge de nouveau: "Pourquoi donc vos vêtements
sont-ils
rouges, comme les habits de ceux qui foulent le vin dans le pressoir
au
temps de la vendange?" (Is 63, 2). Et le Seigneur répond: "J'ai
été seul à
fouler le vin; aucune homme ne s'est trouvé avec moi" (Is 63,
3). Par ce
pressoir, Tertullien, saint Cyprien et saint Augustin entendent la
Passion de
Jésus-Christ, dans laquelle son vêtement, c'est-à-dire
sa chair sacrée fut tout
couvert de sang et de plaies, selon ce que dit saint Jean dans l'Apocalypse:
"Le manteau qui l'enveloppe est trempé de sang; et son nom?
Le Verbe de
Dieu" (Ap 19, 13). Saint Grégoire dit que, dans ce pressoir
dont parle Isaïe,
notre Sauveur a été foulé et a foulé. Il
a foulé parce que, dans sa passion, il a
vaincu les démons; et il a été foulé, parce
que son corps adorable a été brisé
dans les tourments comme le raisin dans le pressoir, suivant cet autre
texte
du même Prophète, déjà cité: "Yahvé
s'est plu à l'écraser par la souffrance"
(Is 53, 10).
Voilà donc ce divin Maître, qui était "le plus beau
des hommes" (Ps 44, 3),
le voilà, sur le Calvaire, tellement défiguré
à force de tortures, qu'il fait
horreur à qui le regarde. Mais il en paraît d'autant plus
beau aux yeux des
âmmes dont il est aimé; car ces plaies, ces meurtrissures,
ces chairs
déchirées, sont autant de marques, autant de preuves
de son amour pour
nous. Écoutons un poète exprimer fort bien ce sentiment:
Lorsqu'on
te considère, ô Sauveur de mon âme,
Si maltraité pour nous par la main du bourreau,
Le coeur
reconnaissant de ton amour s'enflamme;
Plus on t'a déchiré, plus tu nous sembles beau.
Mais, ajoute saint Augustin, ce que Notre-Seigneur perd en beauté,
nous le
gagnons. En effet, c'est la difformité de Jésus crucifié
qui fait la beauté de
nos âmes. Elles étaient toutes défigurées;
mais, lavées dans son sang divin,
elles deviennent toutes pures et toutes belles, selon ce qu'on lit
dans
l'Apocalypse (Ap 7, 13). Tous les Saints, comme enfants d'Adam, excepté
la
Bienheureuse Vierge, ont été quelque temps couverts d'une
robe souillée du
péché de leur premier père et de leurs propres
fautes; mais, purifiée par le
sang de l'Agneau, elle est devenue toute blanche et agréable
aux yeux de
Dieu.Vous aviez donc raison de dire, ô mon Jésus ! qu'une
fois élevé en
croix, vous attireriez tout à vous (Jn 12, 32). Assurément,
vous n'avez rien
omis pour gagner l'affection de tous les coeurs. Aussi, combien d'âmes
heureuses, en vous voyant crucifié et mort pour leur amour,
ont tout
abandonné, richesses, dignités, patrie, parents, et ont
osé bravé les tortures
et la mort, pour se donner entièrement à vous! Malheur
à ceux qui rejettent
les grâces que vous leur avez procurées par tant de travaux
et de douleurs!
Ah ! leur plus grand tourment dans l'enfer, ce sera de penser qu'ils
ont eu un
Dieu qui, pour les attirer à son amour, a donné sa vie
sur une croix, et
qu'eux, de leur plain gré, ils ont voulu se perdre, se vouer
à une ruine
irréparable à jamais, durant toute l'éternité.
Eh quoi, mon doux Rédempteur,
j'ai moi-même mérité de tomber dans ce malheur,
pour les offenses que je
vous ai faites! Combien de fois n'ai-je pas résisté à
votre grâce, par laquelle
vous cherchiez à m'attacher à vous! Combien de fois,
méprisant votre
amour, ne vous ai-je pas tourné le dos, pour suivre mes inclinations
! Ah!
que ne suis-je mort plutôt que de vous offenser! que ne vous
ai-je toujours
aimé! Je vous rends grâce, ô mon Amour! de m'avoir
supporté avec tant de
patience, et même, au lieu de m'abandonner comme je le méritais,
d'avoir
multiplié envers moi vos invitations, vos traits de lumière,
et vos
miséricordieuses inspirations. Je vous en remercierai éternellement:
"L'amour du Seigneur, à jamais je le chante" (Ps 88, 2). Mon
Sauveur et
mon Espérance ! je vous en conjure, ne cessez pas de m'attirer
à vous et de
me fortifier de plus en plus par le secours de vos grâces, afin
que dans le ciel
je puisse vous aimer avec plus d'ardeur, en me rappelant tant de
miséricordes que vous m'avez faites, après tant de déplaisirs
que je vous ai
donnés. J'espère tout par les mérites de ce sang
précieux que vous avez
répandu et de cette mort douloureuse que vous avez endurée
pour moi.
Sainte Vierge Marie, protégez-moi, priez pour moi!
- V -
Jésus en croix
Jésus en croix fut un spectacle qui remplit d'étonnement
le ciel et la terre:
voir un Dieu tout-puissant, Maître de l'univers, condamné
comme un
malfaiteur et mourant sur un gibet infâme entre deux malfaiteurs!
Ce fut un
spectacle de justice: le Père Éternel, voulant que sa
justice soit satisfaite,
punit les péchés des hommes dans la personne de son Fils
unique qu'il aime
autant que lui-même. Ce fut un spectacle de miséricorde:
ce Fils innocent
subit une mort si cruelle et si ignominieuse pour sauver ses créatures
coupables. Ce fut surtout un spectacle d'amour: un Dieu offre et donne
sa
vie pour racheter des esclaves qui sont ses ennemis.
Ce spectacle a toujours été et sera toujours l'objet favori
de la contemplation
des saints; c'est ce qui leur a fait compter pour peu de se priver
de tous les
biens et de tous les plaisirs terrestes, et d'accepter avec empressement
et
avec joie toutes les peines et la mort même, afin de témoigner
quelque
reconnaissance envers ce Dieu mort pour leur amour.
Fortifiés en voyant Jésus méprisé sur la
croix, les saints aiment les mépris
plus que les mondains n'aiment les honneurs du monde. En voyant Jésus
mourir nu sur la croix, ils cherchent à se dépouiller
de tous les biens de la
terre. en le voyant tout en plaies, le sang dégouttant de tous
ses membres, ils
ont horreur des plaisirs sensuels et ne pensent qu'à affliger
leur chair le plus
qu'ils peuvent, afin de s'unir par leurs souffrances à Jésus
crucifié. En
voyant comment Jésus obéit et se conforme en tout à
la volonté de son
Père, ils s'efforcent de vaincre toutes leurs inclinations peu
conformes au
bon plaisir du Seigneur. Beaucoup d'entre eux, quoique adonnés
aux
oeuvres piété, sachant néanmoins que, renoncer
à sa propre volonté, c'est le
sacrifice le plus agréable au coeur de Dieu, prennent le parti
d'entrer en
religion pour mener une vie d'obéissance, en soumettant leur
volonté propre
à celle d'un autre. En voyant la patience avec laquelle Jésus
endure tant de
tourments et d'opprobres pour l'amour de nous, ils supportent avec
résignation, et même avec joie, les injures, les maladies,
les persécutions, et
toutes les cruautés des tyrans. En voyant enfin l'amour que
Jésus-Christ
nous témoigne dans le sacrifice qu'il fait pour nous de sa vie
sur la croix, ils
sacrifient à Jésus-Christ tout ce qu'ils ont biens, plaisirs,
honneurs, vie.
Et comment se fait-il après cela que tant d'autres chrétiens,
quoique sachant
et croyant que Jésus-Christ est mort pour eux, au lieu de se
consacrer sans
réserve à son service et à son amour, ne font
que l'offenser et le mépriser
pour des satisfactions viles et passagères? d'où vient
une telle ingratitude?
De ce qu'ils perdent le souvenir de la passion et de la mort de Jésus-Christ.
Mais hélas! quels seront leurs remords et leur confusion au
jour du
jugement, quand le Seigneur leur reprochera en face tout ce qu'il a
fait et
souffert pour eux!
Pour nous, âmes dévotes, ne cessont point d'avoir devant
les yeux Jésus
crucifié, expirant au milieu de tant de douleurs et d'ignominies
pour notre
amour. Tous les Saints ont puisé dans la passion de Jésus-Christ
cette
ardente charité qui leur a fait mépriser tous les biens
d'ici-bas, jusqu'à
s'oublier eux-mêmes, pour ne penser qu'à aimer et à
servir ce bon Maître,
lequel a témoigné tant d'amour aux hommes qu'il semble
ne pouvoir rien
faire de plus pour gagner leur affection. En un mot, c'est la croix,
ou la
passion de notre Sauveur, qui nous procurera la victoire sur toutes
nos
passions et sur tous les efforts que fera l'enfer pour nous séparer
de Dieu. La
croix est le chemin et l'échelle pour monter au ciel. Heureux
celui qui
embrasse la croix pendant sa vie et y demeure attaché jusqu'à
sa mort! Celui
qui meurt en embrasant la croix a un gage assuré de la vie éternelle
promise
à tous ceux qui portent leur croix à la suite de Jésus-Christ.
Mon Jésus crucifié! vous n'avez rien épargné
pour vous faire aimer des
hommes; vous êtes allé jusqu'à sacrifier votre
vie par une mort si cruelle;
comment donc ces hommes, qui aiment leurs parents, leurs amis, et même
les animaux dont ils reçoivent quelque signe d'affection, vous
montrent-ils
de l'ingratitude au point de mépriser votre grâce et votre
amour pour
s'attacher à des biens si méprisables et si faux? Hélas!
je suis moi-même un
de ces malheureux ingrats! Pour des choses de néant, j'ai renoncé
à votre
amitié et je vous ai tourné le dos! Je mériterais
d'être chassé de votre
présence vomme je vous ai chassé de mon âme; mais
j'entends que vous
continuez à me demander mon coeur. Oui, mon Jésus, puisque
vous désirez
encore que je vous aime, et que vous m'offrez mon pardon, je renonce
à
toutes les créatures, et je ne veux plus aimer que vous seul,
mon Créateur et
mon Rédempteur! Vous serez désormais l'unique amour de
mon âme.
Ô Marie, Mère de Dieu! ô Refuge des pécheurs,
priez pour moi,
obtenez-moi la grâce d'aimer Dieu, et je ne vous demande plus
rien !
CHAPITRE IV
SUR LES SARCASMES ESSUYÉS PAR JÉSUS SUR LA
CROIX
- I -
Agonie de Jésus sur la Croix
L'orgueil, comme nous l'avons dit, a été la cause du péché
d'Adam et, par
conséquent, de la perte du genre humain ; c'est pourquoi Jésus-Christ
a
voulu réparer ce malheur par son humilité, en acceptant
sans résistance la
confusion et tous les opprobres que ses ennemis lui préparaient,
ainsi qu'il
l'avait prédit par la bouche de David (Ps 68, 8). Toute la vie
de notre divin
Rédempteur fut pleine de confusions et de mépris qu'il
reçut des hommes;
et il ne refusa point de les souffrir jusqu'à la mort, afin
de nous délivrer de la
confusion éternelle (He 12, 2).
Qui ne pleurerait d'attendrissement, et qui n'aimerait pas Jésus-Christ,
si
chacun considérait tout ce qu'il a souffert durant ses trois
heures d'agonie
sur la croix ? Tous ses membres étaient blessés et souffrants;
l'un ne pouvait
secourir l'autre. Cruellement affligé sur ce lit de douleur,
Notre-Seigneur ne
pouvait changer de position, ayant les mains et les pieds cloués.
Toutes ses
chairs sacrées étaient en plaies, mais les blessures
de ses mains et de ses
pieds, qui devaient soutenir tout son corps, étaient les plus
douloureuses; s'il
voulait s'appuyer, soit sur les mains, soit sur les pieds, il y éprouvait
des
douleurs plus vives. On peut bien dire que Jésus endura autant
de morts
qu'il y eut d'instants dans ces trois heures d'agonie. Ô innocent
Agneau, qui
souffrez tant pour moi, ayez pitié de moi!
Telles étaient les souffrances corporelles de notre Sauveur,
et c'étaient les
moindres; ses peines intérieures étaient encore bien
plus grandes. Son âme
bénie était toute désolée, privée
de toute consolation ou de tout
soulagement possible; elle n'éprouvait qu'ennui, tristesse,
et affliction. C'est
ce qu'il a voulu faire entendre par ces paroles : "Mon Dieu ! mon Dieu
!
pourquoi m'avez-vous abandonné? (Mt 27, 46). Et c'est comme
submergé
dans cet abîme de douleurs, intérieures et extérieures,
que l'aimable Jésus a
voulu finir sa vie, conformément à la prophétie
de David: "Je suis entré dans
l'abîme des eaux et le flot me submerge" (Ps 68, 3).
- II -
Si tu es le Fils de Dieu,
descends de la croix (Mt 27, 40)
Tandis que notre divin Rédempteur agonisait ainsi sur la croix
et qu'il
approchait de la mort, tous ceux qui l'entouraient et passaient devant
lui,
prêtres, scribes, anciens et soldats, cherchaient à l'affliger
davantage par des
injures et des sarcasmes (Mt 27, 39). Ces dérisions ont encore
été prédites
par le Prophète-Roi, parlant au nom du Seigneur ! " Tous ceux
qui me
voient me bafouent, leur bouche ricane, ils me bafouent" (Ps 21, 8).
Ils lui criaient : "C'est toi qui t'es vanté d'abattre le Temple
et de le relever en
trois jours!" (Mt 27, 40). Jésus n'avait point parlé
du temple matériel, il avait
dit : "Détruisez ce temple, je le rétablirai en trois
jours" (Jn 2, 19). Par ces
mots, Notre-Seigneur entendait sans doute faire connaître quelle
était sa
puissance, mais comme le remarquèrent Euthymius et d'autres,
c'était un
langage allégorique; il prédisait que les Juifs, en lui
donnant la mort,
sépareraient un jour son âme de son corps, mais que, trois
jours après, il
ressusciterait.
Ils ajoutaient: "Que ne te sauves-tu toi-même!" (Mt 27, 40). Hommes
ingrats
! si le Fils de Dieu, après s'être fait homme, avait voulu
se sauver lui-même,
il ne se serait pas volontairement dévoué à la
mort.
Ils disaient encore: "Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix"
(Mt 27,
43). Mais, si Jésus était descendu de la croix, sans
accomplir par sa mort
l'oeuvre de sa mort, nous n'eussions pas été délivrés
de la mort éternelle;
c'est pour notre salut qu'il a voulu mourir sur ce gibet infâme
, dit saint
Ambroise. Selon Théphlylacte, les Juifs parlaient ainsi à
l'instigation du
démon, qui cherchait à empêcher notre salut que
Jésus-Christ devait
procurer par la croix. Mais, ajoute-t-il, Notre-Seigneur en serait
pas monté
sur la croix, s'il avait voulu en descendre sans consomme notre rédemption.
Saint Jean Chrysostome pense que l'intention des Juifs dans ce défi,
était de
faire en sorte que Jésus-Christ mourût déshonoré
aux yeux de tout le
monde comme un imposteur, convaincu de ne pouvoir se détacher
de la
croix, après s'être vanté d'êtrele Fils de
Dieu. Mais ils se trompaient, selon ce
qu'ajoute le saint Docteur; car, si Jésus était descendu
de la croix sans y
laisser sa vie, il n'eût pas été ce Fils de Dieu
qui nous était promis comme
devant nous sauver par sa mort sur la croix; ce n'est qu'à cette
fin qu'il était
venu en ce monde. Cette dernière réflexion est faite
également par saint
Athanase; il dit que notre Rédempteur a voulu se faire reconnaître
pour le
vrai Fils de Dieu, non en descendant de la croix, mais en y restant
jusqu'à sa
mort; puisque les Prophètes avaient annoncé qu'il devait
mourir crucifié,
comme l'atteste ce passage de saint Paul : "Jésus-Christ nous
a rachetés de
la malédiction de la loi, s'étant rendu lui-même
malédiction pour nous, selon
qu'il est écrit: Maudit celui qui est pendu au bois" (G 3, 13).
- III -
Il a sauvé les autres, et il ne peut se sauver
lui-même. (Mt 27, 42)
Saint Matthieu continue de rapporter les propos injurieux que les Juifs
tenaient contre Jésus crucifié. Ils lui reprochaient
d'avoir sauvé les autres, et
de pouvoir ne se sauver lui-même. En parlant ainsi, ils l'accusaient
d'imposture quant aux miracles qu'il avait opérés pour
rendre la vie à
plusieurs morts, et en outre d'impuissance à conserver sa propre
vie.
Saint Léon leur rapporte que ce n'était pas alors le moment
pour le Sauveur,
de manifester sa divine puissance, et qu'il ne devait pas négliger
la
rédemption des hommes pour empêcher les blasphèmes
de ces insensés.
Voici, d'après saint Grégoire, un autre motif pour lequel
Jésus-Christ n'a pas
voulu descendre de la croix. Il pouvait se soustraire au supplce de
la croix et
à tous ces outrages, mais ce n'était pas le temps opportun
pour faire éclater
sa puissance; c'était celui de nous enseigner la patience dans
les peines et la
résignation à la volonté de Dieu. De même,
saint Augustin nous dit que
Jésus-Christ n'a pas voulu se préserver de la mort, d'abord
pour accomplir la
volonté de son Père, et ensuite pour ne pas nous priver
de ce grand exemple
de patience.
La patience que Notre-Seigneur exerça sur la croix, en supportant
la
confusion de tant d'injures que les Juifs lui ont faites ou dites,
nous a valu la
grâce de souffrir patiemment et en paix les humiliations et les
persécutions
du monde. Aussi l'Écriture, en parlant de Jésus chargj
de sa croix sur le
chemin du Calvaire, nous invite à le suivre et à nous
unir à lui dans ses
ignominies (He 13, 13). Les saints, en recevant les injures, loin de
penser à
se venger et de se troubler, se réjouissent de se voir méprisés
comme
Jésus-Christ l'a été. Ne rougissons donc point
d'embrasser, pour l'amour de
Jésus-Christ, les humiliations que nous recevons, puisque Jésus-Christ
en a
tant subi pour l'amour de nous.Mon doux Rédempteur ! je n'ai
point fait
ainsi par le passé, mais à l'avenir, je veux tout supporter
pour votre amour,
donnez-moi la force d'exécuter cette résolution.
- IV -
Si Dieu l'aime, qu'il le délivre maintenant.
(Mt 27, 43)
Non contents de proférer des injures et des blasphèmes
contre Jésus-Christ,
les Juifs osèrent en outre s'attaquer à Dieu le Père
: "Il met sa confiance en
Dieu, s'écriaient-ils; si donc Dieu l'aime, qu'il le délivre
maintenant, puisqu'il
a dit : Je suis le Fils de Dieu" (Mt 27, 43).
Ce discours sacrilège tenu par les Juifs avait été
exactement prédit par David
(Ps 21, 9). Or, ceux qui parlaient ainsi, le Prophète-Roi les
appelle, dans le
même Psaume, des Taureaux, des Chiens et des Lions. Lors donc
que les
Juifs prononçaient ces mots rapportés par saint Matthieu;
ils montraient
manifestement eux-mêmes qu'ils étaient les taureaux, les
chiens et les
lionms prédits par David.
Ces blasphèmes des Juifs contre le Sauveur et contre Dieu avaient
été
annoncés encore plus expressément par le Sage, en ces
termes : "Il assure
qu'il a la science de Dieu, et il s'appelle le Fils de Dieu , et il
se glorifie
d'avoir Dieu pour Père. S'il est véritablement le Fils
de Dieu, Dieu prendra sa
défense , et il le délivrera des mains de ses ennemis.
Interrogeons-le par les
outrages et les tourments, afin que nous reconnaissions quelle est
sa
douceur, et que nous fassions l'épreuve de sa patience; condamnons-le
à la
mort la plus infâme." (Sg 2, 13-18).
Les Princes des Prêtres étaient poussés par la haine
et par l'envie à humilier
Jésus-Christ ; mais, en même temps, ils n'étaient
pas exempts de crainte
d'un grand châtiment, ne pouvant nier les miracles opérés
par le Sauveur.
Tous les prêtres et les chefs de la Synagogue étaient
donc en proie à une
vive inquiétude, et ils voulurent assister en personne à
sa mort afin que sa
mort les délivrât de la crainte qui les tourmentait. Lorsqu'ils
le virent
attachés à la croix sans que Dieu son Père vint
à son secours, ils conçurent
une audace toujours croissante et se mirent à lui reprocher
son impuissance
et la présomption qu'il avait eue de se faire passer pour le
Fils de Dieu. Ils
disaient alors, comme nous l'avons vu: "Puisqu'il se confie en Dieu,
et qu'il
le nomme son Père, pourquoi maintenant Dieu ne le sauve-t-il
pas, s'il l'aime
comme son Fils?" (Mt 27, 43). Mais, dans leur malice, ils se trompaient
grossièrement; car Dieu aimait Jésus-Christ, et l'aimait
comme son Fils; et il
l'aimait précisément parce qu'il sacrifiait sa vie sur
la croix pour le salut des
hommes, par obéissance envers son Père. C'est ce que
Notre-Seigneur avait
déclaré lui-même: "Je donne ma vie pour mes brebis...
Si le Père m'aime,
c'est que je donne ma vie" (Jn 10, 14. 17). Dieu le Père l'avait
destiné pour
être la victime de ce grand sacrifice qui devait lui procurer
une gloire infinie,
cette victime étant un Homme-Dieu, et opérer en même
temps le salut de
tous les hommes. Si le Père éternel avait préservé
son Fils de la Mort, le
sacrifice serait resté incomplet; ainsi, Dieu eût été
privé de cette gloire, les
hommes n'eussent point obtenu leur salut.
- IV -
Jésus a souffert les humiliations; pour nous sauver,
nous devons l'imiter.
Tertullien observe que tous les opprobres endurés par notre Sauveur
sont un
mystère de Salut, qui répare au genre humain le dommage
causé par
l'orgueil. Et en parlant des outrages faits à Jésus sur
la croix, il dit que ce fut
une injustice et une indignité par rapport à lui, mais
une chose nécessaire
pour nous; ce qui les rendait dignes aux yeux d'un Dieu qui voulait
tout
souffrir pour sauver l'homme.
Rougissons donc, nous qui nous vantons d'être disciples de Jésus-Christ,
de
recevoir avec impatience les humiliations qui nous viennent des hommes,
puisqu'un Dieu fait homme les souffre avec tant de patience pour notre
salut; et ne rougissons pas, au contraire, d'imiter ce divin Maître,
en
pardonnant à ceux qui nous offensent; car il déclare
qu'au jour du jugement,
il rougira de ceux qui auront rougi de lui pendant leur vie (Lc 9,
26).Mon
Jésus! comment pourrais-je me plaindre d'un affront que je reçois,
moi qui
ai tant de fois mérité d'être foulé aux
pieds des démons dans l'enfer ? Ah !
par le mérite de tant d'outrages que vous avez soufferts dans
votre passion,
accordez-moi la grâce de supporter patiemment tous ceux qui me
seront
faits, et cela pour l'amour de vous qui en avez tant supporté
pour l'amour de
moi ! Je vous aime par-dessus touites choses et je désire souffrir
pour vous
qui avez tant soufferts pour moi. J'espère tout de vous qui
m'avez racheté au
prix de votre sang, et j'espère aussi toutes les grâces
par votre intercession, ô
Marie, ma charitable Mère !
CHAPITRE V
SUR LES SEPTS PAROLES PRONONCÉES
PAR JÉSUS-CHRIST
SUR LA CROIX
- I -
Mon Père! pardonnez-leur,
car ils
ne savent pas ce qu'ils font! (Lc 23, 34)
Ô tendresse de l'amour de Jésus-Christ envers les hommes!
Saint Augustin
observe que le Sauveur demanda pardon pour ses ennemis dans le moment
même où il était maltraité par eux, considérant
moins les injures et la mort
reçues que l'amour qui le faisait mourir pour eux.
Mais, dira-t-on, pourquoi Jésus pria-t-il son Père de
pardonner à ses
ennemis, alors qu'il pouvait leur remettre lui-même les injures
qu'il en
recevait? Ce fut, répond saint Bernard pour nous apprendre à
prier pour
ceux qui nous persécutent. Chose admirable, dit ailleurs le
même Saint,
Jésus criait: "Pardonnez-leur!" et les Juifs: "Crucifiez-le!"
Arnauld de
Chartres ajoute: "Tandis que Jésus s'efforçait de sauver
les Juifs, ceux-ci
travaillaient à leur damnation; mais, auprès de Dieu,
la charité de son divin
Fils l'emporta sur l'aveuglement de ce peuple ingrat."
Saint Cyprien fait cette réflexion: "Jésus-Christ eut,
en mourant, un si grand
désir de sauver tous les hommes qu'il voulut faire participer
aux mérites de
son sang ceux-là mêmes qui le faisaient couler à
force de tourments."
"Regarde donc ton Dieu attaché en croix, s'écrie saint
Augustin, écoute
comme il prie pour ses bourreaux et ose ensuite refuser la paix à
ton frère
qui t'a offensé!"
Saint Léon attribue à cette prière de Jésus-Christ
la conversation de tant de
milliers de Juifs qui se rendirent à la voix de saint Pierre,
selon ce qu'on lit
dans les Actes des Apôtres (Ac 2, 41; 4, 1). Dieu, dit saint
Jérôme, n'a pas
permis que la prière de notre Sauveur restât sans effet;
il ouvrit à l'instant les
trésors de sa miséricorde, et aussitôt beaucoup
de Juifs embrassèrent la foi.
"Mais, pourquoi ne se sont-ils pas tous convertis? On répond
que la prière
du Seigneur était conditionnelle; elle ne devait s'appliquer
qu'à ceux qui
n'étaient pas du nombre de ces endurcis à qui saint Étienne
reprocha de
résister constamment à la grâce. (Ac 7, 51).Jésus
nous a aussi compris, nous
pécheurs, dans la prière qu'il fit alors: "Ô Père
éternel ! écoutez la voix de
votre Fils bien-aimé, qui vous prie de nous pardonner! Il est
vrai que nous
ne méritons pas cette grâce, mais Jésus la mérite
pour nous, lui qui, par sa
mort, a satisfait surabondamment pour nos péchés. Non,
mon Dieu, je ne
veux point m'obstiner comme les Juifs. Mon Père! je me repens
de tout
mon coeur de vous avoir offensé, et je vous en demande pardon
par les
mérites de Jésus-Christ." Et vous, mon Jésus,
vous savez que je suis un
pauvre malade, que je me suis même perdu par mes péchés;
mais vous êtes
venu du ciel sur la terre pour guérir les malades, et sauver
ceux qui se sont
perdus, dès qu'ils se repentent de leurs fautes (cf. Is 61,
1 et Mt 18, 11).
Ayez donc pitié de moi!
- II -
Je vous le dis en vérité: Vous serez aujourd'hui
avec moi dans le paradis (Lc 23, 43)
Saint Luc nous apprend que, des deux larrons qui furent crucifiés
avec
Jésus-Christ, l'un s'endurcit dans le péché, et
l'autre se convertit. Celui-ci
entendit que son malheureux compagnon injuriait le Seigneur, en lui
disant
que, s'il était le Messie, il devait se sauver lui-même
et les sauver avec lui.
Aussitôt il l'en reprit et protesta que, pour eux, ils étaient
punis comme ils le
méritaient, mais que Jésus était innocent. Et
s'adressant ensuite au Sauveur,
il le pria de se souvenir de lui dans son royaume. Par ces paroles,
il le
reconnaissait pour son véritable Seigneur et pour le Roi du
ciel. Jésus lui
promit alor le paradis pour ce jour-là même. Un savant
auteur pense que,
par suite de cette promesse, le Sauveur se fit voir au Bon Larron à
découvert
le même jour, immédiatement après sa mort, et qu'il
le rendît parfaitement
heureux, bien qu'il n'eût pas la jouissance de toutes les délices
du ciel avant
d'y entrer.
Arnauld de Chartres énumère toutes les vertus que saint
Dismas, cet
heureux converti, exerça sur la croix au moment de sa mort:
"Il crut, il se
repentit, il proclama, il aima, il eut confiance, il pria." Reprenons
chacun de
ces termes.
Il pratiqua la foi, en croyant que Jésus-Christ, après
sa mort, entrerait
victorieux dans le royaume de sa gloire. Il crut au règne de
celui qu'il voyait
mourir, dit saint Grégoire.
Il pratiqua la pénitence, en se reconnaissant coupable. Saint
Augustin
remarque qu'il n'osa espérer le pardon de ses péchés
qu'après les avoir
confessés. Par cette généreuse confession, dit
saint Athanase, il s'est emparé
d'une couronne immortelle.
Ce saint pénitent donna encore de beaux exemples d'autres vertus
dans ce
moment suprême. Il exerça même la prédication,
en proclamant l'innocence
de Jésus-Christ.
Il exerça l'amour envers Dieu, en acceptant la mort avec résignation,
comme
la peine que méritaient ses péchés. De là,
saint Cyprien, saint Jérôme, saint
Augustin, n'hésitent pas à l'appeler Martyr; et, suivant
la réflexion de
Silveira, il le fut en effet, car lorsque les bourreaux lui rompirent
les jambes,
ils le firent avec plus de fureur et de cruauté, parce qu'il
avait reconnu
l'innocence de Jésus, et le Saint accepta ce surcroit de peine
pour l'amour de
son divin Maître.
D'autre part, admirons dans ce fait la bonté de Dieu, qui donne
toujours
plus qu'on ne lui demande, comme le dit saint Ambroise; le pauvre pécheur,
dans sa confiance, fait cette prière à Jésus de
se souvenir de lui quand il sera
dans son royaume, et le Seigneur lui promet qu'ils s'y retrouveront
ensemble
ce jour-là même. Saint Jean Chrysostome remarque en outre
qu'avant le
Bon Larron personne n'avait mérité la promesse du paradis.
On vit alors se
vérifier ce que Dieu a déclaré par l'organe d'Ezéchiel:
lorsqu'un pécheur se
repent sincèrement de ses fautes, il lui pardonne entièrement,
comme s'il
avait oublié les offenses qu'il en a reçues (Ez 18, 21).
Isaïe nous assure que
le Seigneur est tellement porté à nous faire du bien
que, quand nous le
prions, il nous exauce aussitôt (Is 30, 19). Dieu, dit saint
Augustin, est
toujours prêt à embrasser les pécheurs repentants.
Voilà comment la croix, souffert avec impatience, par le mauvais
larron, ne
fit qu'augmenter son malheur dans l'enver, tandis qu'au Bon Larron,
soufferte avec patience, elle servit d'échelle pour monter au
ciel. Ô saint
pénitent! que tu as été heureux d'unir ta mort
à celle de ton Sauveur!Mon
Jésus! dès à présent, je vous sacrifie
ma vie, et je vous demande la grâce de
pouvoir, à l'heure de ma mort, unir le sacrifice de ma vie à
celui que vous
avez offert à Dieu sur la croix, j'espère mourir dans
votre grâce et en vous
aimant d'un amour pur de toute affection terrestre, pour continuer
de vous
aimer de toutes mes forces pendant toute l'éternité.
- III -
Femme, voici votre fils... Voici votre Mère
(Jn 19, 26-27)
On lit dans l'Évangile de saint Marc qu'il y avait sur le Calvaire
plusieurs
sainte femmes qui regardaient Jésus crucifié, mais de
loin (Mc 15, 40); on
doit donc croire que la Mère du Sauveur se troivait avec elles.
Cependant
d'après saint Jean, la Sainte Vierge était, non pas loin,
mais près de la croix
avec Marie, femme de Cléophas, et Marie-Madeleine (Jn 19, 25).
Euthymius
cherche à lever la difficulté en disant que la Sainte
Vierge, voyant que son
divin Fils allait bientôt expirer, s'approcha de la croix. Pour
arriver plus près
de son Fils bien-aimé, elle surmonta la crainte qu'inspiraient
les soldats, et
supporta patiemment toutes les insultes qu'elle eut à souffrir
de la part des
hommes qui gradaient les condamnés et qui la repoussaient brutalement.
Le
savant auteur d'une Vie de Jésus-Christ dit la même chose:
"Il y avait là des
amis qui l'observaient de loin; mais la Sainte Vierge, sainte
MArie-Madeleine et une autre Marie se tenaient auprès de la
croix avec saint
Jean. Jésus, voyant auprès de lui sa Mère et son
cher disciple, leur adressa
ces paroles..." La mort douloureuse de son Fils ne peut ébranler
cette Mère
incomparable, suivant la réflexion de l'abbé Gueric:
"Telle est cette Mère qui
même dans la terreur de la mort ne déserte pas son Fils."
Les mères fuient à
la mort de leurs enfants; les voir expirer dans pouvoir les secourir,
c'est un
spectacle auquel leur tendresse ne leur permet pas d'assister; Marie,
au
contraire, plus la mort de son Fils approchait, plus elle approchait
de la
croix.
Cette Mère affligée était donc debout près
de la croix et, de même Jésus
offrait le sacrifice de sa vie, elle offrait le sacrifice de sa douleur
pour le salut
des hommes, participant avec la plus parfaite résignation à
toutes les peines
et à tous les opprobres que son divin Fils souffrait en mourant.
Un auteur
observe qu'on ne fait pas honneur à la constance de Marie lorsqu'on
la
représente évanouie au pied de la croix; elle fut la
femme forte, qui ne faiblit
pas et ne pleure pas, comme le remarque saint Ambroise.
La douleur qu'éprouva la Sainte vierge dans la passion de son
Fils surpassa
tout ce que peut souffrir un coeur humain; et ce ne fut pas une douleur
stérile, comme celles des mères ordinaires à la
vue d'un enfant qui souffre,
mais ce fut une douleur qui produisit de grands fruits; car, par les
mérites de
ses douleurs et par sa charité, suivant la pensée de
saint Augustin, de même
que Marie est la Mère naturelle de Jésus-Christ, notre
Chef, elle devint alors
la Mère spirituelle des fidèles, qui sont les membres
de Jésus-Christ, en
coopérant pas sa charité à les faire naître
et à les rendre enfants de l'Église.
Saint Bernard dit que, sur le Calvaire, ces deux grands Martyrs, Jésus
et
Marie souffraient en silence : l'excès de la douleur qui les
oppressait leur
ôtait la faculté de parler. La Mère regardait son
Fils agonisant sur la croix, le
Fils regardait sa Mère agonisant au pied de la croix et mourant
de
compassion pour les peines qu'il endurait.
Marie et Jean étaient donc plus près de la croix que les
saintdes femmes qui
les accompagnaient, de sorte que, au milieu du tumulte, ils pouvaient
plus
facilement entendre la voix et distinguer les regards du Sauvuer. On
lit dans
l'Évangile que Jésus aperçut sa Mère et
son Disciple bien-aimé (Jn 19, 26).
Mais si Marie et Jean étaient accompagnés d'autres personnes,
pourquoi
est-il dit que Jésus aperçut sa Mère et son Disciple,
comme s'il n'avait pas vu
les femmes qui les suivaient ? C'est là, répond saint
Pierre Chrysologue, un
effet de l'amour; on voit toujours plus clairement les être qu'on
aime le plus.
Saint Ambroise exprime la même pensée. La Bienheureuse
Vierge a révélé
elle-même à sainte Brigitte que Jésus, pour voir
sa Mère, qui était auprès de
la croix, dut presser ses paupières avec effort, afin de dégager
ses yeux du
sang qui les couvrait et lui ôtait la vue.
Jésus dit à sa Mère, en lui désignant des
yeux saint Jean qui était à côté
d'elle: "Femme, voilà votre fils." Mais pourquoi l'appela-t-il
Femme plutôt
que Mère? Ce fut, peut-on répondre, parce que se trouvant
près de mourir, il
lui parla en prenant congé d'elle, comme s'il eût dit:
"Femme, dans peu je
serai mort; vous n'aurez plus de fils sur la terre; c'est pourquoi
je vous laisse
Jean qui vous servira et vous aimera comme un fils." Le Seigneur nous
donne à entendre par là que saint Joseph n'était
plus; car, s'il eût été encore
en vie, il ne l'aurait jamais séparé de sa sainte Épouse.
Toute l'antiquité atteste que saint Jean resta toujours vierge,
et que c'est
principalement à cause de ce mérite qu'il eut l'honneur
d'être donné pour fils
à Marie et de remplacer Jésus-Christ auprès de
sa Mère; aussi, la Sainte
Église a consacré dans ses chants cet éloge du
Disciple bien-aimé.
L'Évangile constate qu'après la mort de Notre-Seigneur,
saint Jean reçut
Marie dans sa maison, et qu'il l'assista et la servit comme sa propre
mère
tout le temps qu'elle vécut encore. Jésus-Christ a voulu
que ce Disciple
privilégié fût témoin oculaire de sa mort,
afin qu'il pût ensuite l'attester plus
fermement, ainsi qu'il l'a fait dans ses écrits (Jn 19, 35;
1 Jn 1, 1). C'est pour
cela que la Sauveur, quand ses autres disciples l'abandonnèrent,
donna à
saint Jean la force de le suivre jusqu'à sa mort au milieu de
tant d'ennemis.
Mais revenons à la Sainte Vierge, et tâchons de découvrir
la raison plus
intrinsèque pour laquelle Jésus l'appela Femme, et non
Mère. Il a voulu
nous faire entendre par là que Marie est la Femme par excellence,
annoncé
dans la Génèse comme devant écraser la tête
du Serpent (Gn 3, 15).
Personne ne doute que cette Femme ne soit la Bienheureuse Vierge Marie
qui, par le moyen de son divin Fils, si ce n'est ce Fils lui-même
par le moyen
de celle qui l'a mis au monde, devait écraser la tête
de Lucifer. Marie a
certainement dû être ennemie du Serpent, puisque Lucifer
fut orgueilleux,
ingrat et rebelle, tandis qu'elle fut toujours humble, reconnaissante
et
soumise. Il a été prédit qu'elle lui écraserait
la tête; car Marie en donnant le
jour au Sauveur du monde, abattit l'orgueil de Lucifer. Le Serpent
s'efforça
de mordre Jésus-Christ au talon, par lequel il faut entendre
sa sainte
humanité, partie la plus voisine de la tere; mais le Sauveur,
par sa mort, eut
la gloire de le vaincre et de le priver de l'empire que le péché
lui avait donné
sur le genre humain.
Dieu dit en outre au Serpent qu'il établirait une inimité
sans fin entre sa race
et celle de la Femme. Cela signifie qu'après la chute de l'homme
causée par
le péché, nonobstant la rédemption opérée
par Jésus-Christ, il devait y avoir
dans le monde deux familles et deux postérités: par la
race de Satan est
désignée la famille des pécheurs, qui sont ses
enfants, étant imbus de son
venin; par le race de Marie est désignée la famille sainte,
qui comprend tous
les justes avec Jésus-Christ, leur Chef. Marie fut donc destinée
à être la
Mère tant du Chef que de ses membres, qui sont les fidèles;
car, l'Apôtre le
dit expressément: "Vous n'êtes qu'un dans le Christ Jésus"
(Ga 3, 28). Les
fidèles ne forment qu'un seul corps avec Jésus-Christ,
le chef n'étant point
séparé de ses membres; et ces membres sont tous enfants
spirituels de
Marie, puisqu'ils ont le même esprit que son propre Fils, qui
est
Jésus-Christ. Ainsi, sur le Calvaire, saint Jean n'est pas désigné
par son
nom, il s'appelle le Disciple aimé du Seigneur, afin que nous
comprenions
que Marie est la Mère de tout chrétien fidèle,
qui est aimé de Jésus-Christ, et
en qui Jésus-Christ vit par son esprit. Cela est conforme à
la pensée
d'Origène: "Jésus dit à Marie: "Voici ton fils",
comme s'il lui vait dit: "Voici
Jésus que tu as enfanté"; car celui qui est parfait,
ce n'est plus lui qui vit,
c'est le Christ qui vit en lui."
Denis le Chartreux dit que, dans la passion, le sein de Marie se remplit
du
sang qui coulait des plaies de notre Sauveur, afin qu'elle pût
en nourrir ses
enfants. Il ajoute que cette divine Mère, par ses prières
et par les mérites
qu'elle acquit principalement en assitant à la mort de Jésus-Christ,
nous
obtint la grâce de participer aux mérites de sa passion
du Rédempteur.Ô
Mère de douleurs! vous savez que j'ai mérité l'enfer;
je n'ai d'autre espérance
de salut que dans la participation aux mérites de Jésus-Christ;
c'est la grâce
que j'attends de votre intercession, et je vous en prie de me l'obtenir,
pour
l'amour de ce divin Fils que, sur le Calvaire, vous avez vu de vos
propres
yeux baisser la tête et expirer! Ô Reine des Martyrs !
ô Avocate des
pécheurs ! secourez-moi toujours, et spécialement à
l'heure de ma mort! Il
me semble déjà voir les démons se presser autour
de moi durant mon
agonie, et faire tous leurs efforts pour me jeter dans le désespoir
à la vue de
mes péchés; ah! quand vous verrez mon âme ainsi
assiégée, ne
m'abandonnez pas, aidez-moi de vos prières, pour que j'obtienne
la
confiance et la sainte persévérance. Comme alors, perdant
peut-ême la
parole et même l'usage des sens, je ne pourrai plus prononcer
votre saint
nom ni celui de votre divin Fils, je vous invoque dès ce moment
et je vous
dis : " Jésus et Marie, je vous recommande mon âme !"
- IV -
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi
m'avez-vous abandonné ?
(Mt 27, 46)
Saint Matthieu dit que Notre-Seigneur prononça la parole "Mon
Dieu ! mon
Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné ? " en jetant un grand
cri (Mt 27,
46). Pourquoi ce cri retentissant ? Selon Euthymius, le Sauveur a voulu
montrer par là sa puissance divine en vertu de laquelle, quoique
sur le point
d'expirer, il pouvait faire entendre une voix si forte; ce dont les
hommes
agonisants sont incapables, à cause de l'extrême faiblesse
dnas laquelle ils
sont réduits. Ce fut en outre pour nous faire connaître
combien il souffrit en
mourant. On eût pu croire que, Jésus-Christ étant
homme et Dieu, sa
divinité aurait empêché les tourments de lui causer
de la douleur; pour
écarter ce soupçon, il voulut témoigner par ce
cri plaintif que sa mort fut la
plus douloureuse que jamais un homme ait endurée, et que, tandis
que les
Martyrs furent soutenus dans leurs tourments par les consolations divines,
lui, comme Roi des Martyrs, il voulut mourir privé de tout adoucissement,
et satisfaire en toute rigueur à la divine Justice pour tous
les péchés des
hommes. C'est aussi pour cette raison, remarque Silveira, que, s'adressant
à
son Père, il l'appela son Dieu, et non son Père ; il
devait lui parler alors
comme un coupable à son juge, et non comme un fils à
son père.
D'après saint Léon, ce cri du Seigneur sur la croix ne
fut pas proprement
une plainte, mais un enseignement. Il a voulu nous apprendre, par cette
expression de douleur, combien est grande la malice du péché,
puisque
Dieu fut en aquelque sorte obligé de livrer son Fils bien-aimé
au dernier
supplice sans lui accorder le moindre soulagement, et cela seulement
pour
s'être chargé d'expier nos fautes. Cependant, même
alors, Jésus-Christ ne
fut pas abandonné de la divinité ni privé de la
gloire qui avait été
communiquée à son âme bénie dès le
premier instant de sa création; mais il
fut privé de toutes les consolations sensibles que Dieu accorde
ordinairement à ses fidèles serviteurs, pour les fortifier
dans leurs
souffrances; il resta abandonné dans un abîme de ténèbres,
de craintes, de
dégoûts amers, autant de peines que nous avons méritées.
Notre Sauveur
avait déjà subi, dans le jardin de Gethsémani
cette privation de la présence
sensible de Dieu; mais celle qu'il souffrit sur la croix fut encore
plus grande
et plus cruelle.
Ô Père éternel ! quel déplaisir vous a donc
causé ce Fils innocent et
obéissant, pour que vous le punissiez par une mort remplie de
tant
d'amertume ? Regardez-le sur cette croix. Voyez comme sa tête
y est
tourmentée par les épines, comme son corps y est attaché
par trois crochets
de fer et ne repose que sur ses plaies ! Il est abandonné de
tout le monde,
même de ses disciples; ceux qui l'entourent ne font qu'augmenter
son
supplice par des dérisions et des blasphèmes; pourquoi
donc, vous qui
l'aimez tant, l'avez-vous abandonné aussi ? Mais il ne faut
pas oublier que
Jésus s'était chargé de tous les péchs
du monde. Quoiqu'il fût le plus saint
de tous les hommes, ou plutôt la sainteté même,
ayant pris sur lui la charge
de satisfaire pour tous nos péchés, il paraissait le
plus grand pécheur de
l'univers. Comme tel, devenu responsable pour tous, il s'était
offert à payer
toutes nos dettes envers la Justice divine; et comme nous méritioms
d'être à
jamais abandonnés dans l'enfer et livrés à un
désespoir éternel, il a voulu
être lui-même abandonné à une mort sans consolation,
afin de nous délivrer
de la mort éternelle.
Calvin, dans son commentaire sur saint Jean, a eu l'audace d'avancer
que
Jésus-Christ, pour réconcilier son Père avec les
hommes, devait éprouver
toute la colère de Dieu contre le péché et subir
toutes les peines des damnés,
spécialement celle du désespoir. C'est là une
exagération et une erreur.
Comment le Fils de Dieu aurait-il pu expier nos péchés
par un péché plus
grand, tel que le désespoir ? et comment ce désespoir,
rêvé par Calvin,
pouvait-il s'accorder avec la dernière parole de Jésus
remettant son âme
entre les mains de son Père? La vérité, comme
l'expliquent saint Jérôme,
saint Jean Chrysostome et d'autres interprètes, est que notre
divin Sauveur
ne fit entendre un cri plaintif que pour monter, non son désespoir,
mais la
douleur qu'il éprouvait en mourant ainsi privé de toute
consolation.
D'ailleurs, le désespoir de Jésus-Christ n'aurait pu
provenir d'aucune autre
cause que de se voir haï de Dieu ; mais comment Dieu pouvait-il
haïr ce Fils
qui, pour se conformer à sa volonté, avait consenti à
satisfaire à sa justice
pour les péchés des hommes ? Ce fut en retour de cette
obéissance que son
Père lui accorda le salut du genre humain, ainsi que l'Écriture
nous
l'enseigne (He 5, 7).
Du reste, cet abandon fut la plus cruelle de toutes les peines que
Jésus-Christ endura dans sa passion; car nous savons qu'après
avoir souffert
tant de douleurs atroces sans ouvrir la bouche, il ne se plaignit que
dans
cette dernière circonstance, et que ce fut en poussant un grand
cri (Mt 27,
50), accompagné de beaucoup de larmes et de prières (He
5, 7). Mais, par ce
cri et ces larmes, le divin Maître a eu en vue de nous faire
comprendre,
d'une part, combien il souffrait pour nous obtenir miséricorde
auprès de
Dieu et, de l'autre, combien est horrible le malheur d'être rejeté
de Dieu et à
jamais privé de son amour, selon la menace du Sauveur (Os 9,
15).
Saint Augustin observe en outre que, si Jésus-Christ se troubla
à l'aspect de
sa mort, ce fut pour la consolation de ses serviteurs, afin que, s'il
leur arrive
d'éprouver quelque trouble lorsqu'ils se voient sur le point
de mourir, ils ne
se regardent pas comme réprouvés et ne s'abandonnent
pas au désespoir,
puisque le Seigneur lui-même se troubla dans cette circonstance.
Rendons grâces à la bonté de notre Sauveur, qui
a daigné prendre sur lui les
peines qui nous étaient dues et nous délivrer ainsi de
la mort éternelle; et
tâchons d'être à l'avenir reconnaissants envers
ce divin Libérateur, en
bannissant de notre coeur toute affection qui ne serait pas pour lui.
Lorsque
nous nous trouvons dans la désolation spirituelle, et que Dieu
nous prive de
sa présence sensible, unissons-nous à ce que Jésus-Christ
souffrit lui-même
au moment de sa mort. Quelquefois, le Seigneur se cache aux yeux des
âmes qu'il chérit le plus, mais il ne s'éloigne
pas de leur coeur, et il continue
des les soutenir intérieurement par sa grâce. Il ne s'offense
point si, dans cet
abandon, nous lui disons ce qu'il disait lui-même à Dieu
son Père dans le
jardin des Olives: "Mon Père ! s'il est possible, que ce calice
s'éloigne de moi
!" (Mt 26, 39). Mais il faut ajouter aussitôt avec lui: "Néanmoins,
que votre
colonté soit faite, et non la mienne!" Si la désolation
continue, il faut
continuer à répéter cet acte de résignation,
comme Notre-Seigneur fit
lui-même durant les trois heures de son agonie. Saint François
de Sales dit
que Jésus, soit qu'il se montre, soit qu'il se cache, est toujours
également
aimable. Après tout, quand on a mérité l'enfer,
et qu'on s'en voit délivré, on
n'a qu'une chose à dire: "Seigneur! je louerai votre saint nom
en tout temps"
(Ps 33, 2). Je ne suis pas digne de vos consolations; accordez-moi
la grâce
de vous aimer, et je consens à vivre dans ma peine aussi longtemps
qu'il
vous plaira. Ah ! si les damnés pouvaient, dans leurs tourments,
se
conformer ainsi à la volonté divine, leur enfer ne serait
plus un enfer." Mais
vous, Seigneur, ne soyez pas loin, ô ma force, vite à
mon aide !" (Ps 21, 20).
Ô mon Jésus ! par les mérites de votre mort désolée,
ne me privezpas de
votre secours dans ce grand comabt qu'au moment de ma mort j'aurai
à
soutenir contre l'enfer. Quand tout le monde m'aura abandonné,
et que
personne ne pourra plus m'aider, ne m'abandonnez pas, vous qui êtes
mort
pour moi et qui pouvez seul me secourir dans cette extrémité.
Exaucez-moi,
Seigneur, par le mérite de la grande peine que vous avez soufferte
dans
votre abandon sur la croix, par lequel vous nous avez obtenu de n'être
point
abandonné de la grâce comme nous l'avons mérité
par nos fautes.
- V -
J'ai soif ! (Jn 19, 28)
On lit dans saint Jean : "Après cela, sachant que toutes choses
était
accomplies, afin qu'une parole de l'Écriture s'accomplit encore,
Jésus dit: J'ai
soif !" (Jn 19, 28). Le passage des saintes Écritures auquel
l'Évangéliste fait
ici allusion est cette parole prophétique de David: "Ils m'ont
donné du fiel
pour ma nourriture, et dans ma soif ils m'ont présenté
du vinaigre à boire"
(Ps 68, 22).
Grande fut la soif corporelle qu'éprouva Jésus-Christ
dans ses derniers
moments, après avoir répandu tant de sang ; d'abord dans
le jardin de
Gethsémani, ensuite dans le prétoire par sa flagellation
et son couronnement
d'épines, et enfin sur la croix où jaillissaient, comment
d'autant de sources,
quatre ruisseaux de sang. Mais bien plus grande fut sa soif spirituelle,
c'est-à-dire le désir ardent qu'il avait de sauver tous
les hommes et de
souffrir encore plus pour nous, comme le remarque Louis de Blois, afin
de
nous montrer la grandeur de son amour. Ce qui a fait dire à
saint Laurent
Justinien que cette soif provenait de l'amour de notre Sauveur pour
nous.Ah! mon Jésus ! vous aimez tant souffrir pour moi ! je
répugne tant
aux souffrances ! La moindre chose qui me contrarie, me rend si impatient,
envers moi-même et envers les autres que je deviens moi-même
insupportable. Mon doux Sauveur ! par le mérite de votre patience,
accordez-moi la patience et la résignation dans les maladies
et dans tout ce
qui m'arrive de fâcheux; rendez-moi semblable à vous avant
que je meure.
- VI -
Tout est accompli ! (Jn 19, 30)
Jésus prononça cette parole lorsqu'il eut goûté
du vinaigre qu'on lui
présenta. Avant de rendre le dernier soupir, le Seigneur se
mit devant les
yeux tous les sacrifices de l'Ancienne Loi, lesquels étaient
autant de figures
du Sacrifice de la croix, toutes les prières des anciens Patriarches,
et tout ce
que les Prophètes avaient prédit sur les mauvais tratements
et les
humiliations qu'il devait subir pendant sa vie et à sa mort
et il vit et déclara
que tout était accompli.
La lettre aux Hébreux nous exhorte à nous présenter
généreusement et
armés de patience au combat que nous avons à soutenir
en cette vie contre
les ennemis de notre salut; elle nous encourage à résister
avec confiance aux
tentations jusqu'à la fin, à l'exemple de Jésus-Christ,
qui ne voulut
descendre de la croix qu'après y avoir laissé la vie
(He 12, 1). C'est pour
nous instruire et nous fortifier par son exemple, dit saint Augustin,
que ce
divin Maître a voulu rester ainsi sur la croix. Il a voulu consommer
son
sacrifice jusqu'à la mort, pour nous convaincre que Dieu n'accorde
le prix de
la gloire qu'à ceux qui persévèrent dans le bien
jusqu'à la fin, selon ce qu'il a
déclaré (Mt 10, 22).
Ainsi, lorsque agités par nos passions, ou par les tentations
du démon, ou
par les persécutions des hommes, nous nous sentons poussés
à perdre la
patience et à nous livrer au péché, jetons un
regard sur Jésus crucifié, qui a
répandu tout son sang pour notre salut, tandis que nous n'en
avons pas
encore versé une goutte pour son amour (cf. He 12, 3). Et lorsqu'il
nous
arrive de devoir faire le sacrifice de notre amour-propre, d'un ressentiment,
d'une satisfaction, d'une curiosité, ou de quelque autre chose
qui n'est
d'aucune utilité pour notre âme, rougissons de refuser
cela à Jésus-Christ. Il
n'a pas été avare envers nous, il nous a donné
sa vie, tout son sang; nous
devons avoir honte d'être mesquins envers lui.
Opposons aux ennemis de notre âme toute la résistance que
nous devons
leur offrir, mais n'espérons la victoire que par les mérites
de Jésus-Christ;
c'est uniquement par ses mérites que les Saints, et surtout
les Saints
Martyrs, ont triomphé de toutes les souffrances et de la mort
(Rm 8, 37). Si
donc le démon nous présente à l'esprit certains
obstacles qui nous semblent
fort difficiles à surmonter à cause de notre faiblesse,
tournons les yeux vers
Jésus crucifié et, pleins de confiance en son secours
et en ses mérites,
disons avec l'Apôtre: "Je ne puis rien par moi-même, mais,
avec l'aide de
Jésus, je puis tout" (Ph 4, 15).
Que le vue des souffrances de Jésus crucifié nous encourage
donc à
supporter les tribulations de la vie présente. Regardez-moi,
nous dit ce divin
Sauveur du haut de la croix, voyez la multitude de douleurs et d'opprobres
que j'endure pour vous sur ce gibet : mon corps y est attaché
par trois clous
et pèse de tout son poids sur mes plaies; les malheureux qui
m'entourent ne
font que m'injurier et me tourmenter ; et intérieurement, mon
esprit est
encore beaucoup plus affligé que mon corps. Je souffre tout
pour votre
amour. Considérez donc l'affection que je vous porte, et aimez-moi
; ne
craignez pas de souffrir quelque chose pour moi, qui ai mené
une vie si
pénible et que vous voyez maintenant mourir d'une mort si douloureuse
pour vous.Ah! mon Jésus! vous m'avez mis au monde pour vous
servir et
vous aimer ; vous m'avez donné tant de lumières et de
grâces pour m'aider à
vous être fidèle ; et moi, combien de fois n'ai-je pas
eu l'ingratitude de
renoncer à votre grâce et de vous abandonner, plutôt
que de me priver d'une
misérable satisfaction! Pardonnez-moi, Seigneur, je vous en
conjure par
cette mort désolée que vous avez bien voulu subir pour
moi. Accordez-moi
la grâce de vous servir fidèlement le reste de mes jours;
je suis résolu de
bannir désormais de mon coeur toute affection qui n'est pas
pour vous, mon
Dieu, mon Amour, mon Tout !
Marie, ma douce Mère, aidez-moi à être fidèle
envers votre divin Fils, qui
m'a tant aimé !
- VII -
Mon Père ! je remets mon âme
entre vos mains (Lc 23, 46)
Notre Sauveur proféra cette dernière parole d'une voix
forte, "en un grand
cri" (Lc 23, 46). Selon Euthymius, ce fut pour faire entendre à
tout le monde
qu'il était le vrai Fils de Dieu, en l'appelant son Père.
Mais selon saint Jean
Chrysostome, le Seigneur fit retentir sa voix avec tant de vigueur
au
moment d'expirer, pour montrer qu'il mourait, non par nécessité,
mais de sa
propre volonté, ce qui s'accorde d'ailleurs avec ce qu'il avait
déclaré
d'avance, en disant qu'il donnait volontairement sa vie pour ses brebis,
et
qu'il ne cédait nullement à la malice de ses ennemis
(Jn 10, 13).
Saint Athanase ajoute que Jésus-Christ, en se recommandant lui-même
à
son Père, lui recommanda pareillement tous les fidèles,
qui devaient recevoir
par lui le salut éternel, parce que la tête et les membres
ne forment qu'un
seul corps. Jésus a donc voulu, dit ce saint Docteur, répéter
en ce moment
suprême la prière qu'il avait faite auparavant: "Père
saint ! conservez en
votre nom ceux que vous m'avez donnés, afin qu'ils soient un
comme
nous... Je désire que, là où je suis, il se trouvent
avec moi" (Jn 17, 11 et 24).
C'est ce qui faisait dire à saint Paul : "Je sais qui est celui
à qui je me suis
confié, et je suis persuadé qu'il est assez puissant
pour garder mon dépôt
jusqu'au jour du jugement" (2 Tm 1, 12). Voilà ce qu'écrivit
l'Apôtre, du
fond d'une prison où il souffrit pour Jésus-Christ; il
déposait entre les mais
de ce bon Maître le trésor de ses peines et toutes ses
espérances, sachant
avec quelle fidélité il récompense ceux qui souffrent
pour son amour.
David mettait toute son espérance dans le Rédempteur futur
: "En tes mains
je remets mon esprit, c'est toi qui me rachète, Dieu de vérité"
(Ps 30, 6). À
combien plus forte raison ne devons-nous pas nous confien en Jésus-Christ,
maintenant qu'il a accompli l'oeuvre de notre rédemption ! Disons-ui
donc
avec une confiance sans bornes, en empruntant les paroles du Roi-Prophète
et ses propres paroles: "Seigneur! c'est vous qui m'avez racheté;
ô mon Père,
je remets mon esprit entre vos mains." Ces paroles consolent et fortifient
beaucoup, au moment de la mort, contre les tentations de l'enfer et
contre
les craintes qu'inspire le souvenir des fautes passées.Pour
moi, ô Jésus, mon
Rédempteur, je ne veux pas attendre la mort pour vous recommander
mon
âme; je vous la recommande dès maintenant; ne permettez
pas qu'elle
s'éloigne encore de vous. Je vois que jusqu'ici la vie ne m'a
servi qu'à vous
déshonorer; ne souffrez pas que je continue à vous offenser
le reste de mes
jours. Ô Agneau de Dieu, immolé sur la croix et mort pour
moi comme une
victime d'amour consumée par les douleurs, faites que, par les
mérites de
votre mort, j'aie le bonheur de vous aiemr de tout mon coeur d'être
tout à
vous le reste de ma vie ! Et quand arrivera ma dernière heure,
faites-moi
mourir brûlant d'amour pour vous ! Vous êtes mort pour
mon amour; je
veux mourir pour votre amour. Vous vous êtes donné tout
à moi ; je me
donne tout à vous. Vous avez versé tout votre sang, vous
avez donné votre
vie pour me sauver; ne permettez pas que, par ma faute, tout cela soit
perdu
pour moi. Mon Jésus ! je vous aime, et j'espère par vos
mérites vous aimer
éternellement: "En vous, Seigneur, j'ai espéré;
sur moi pas de honte à
jamais" (Ps 30, 2).
Ô Marie, Mère de Dieu, j'ai confiance en vos prières;
obtenez-moi la grâce
de vivre et de mourir fidèle à votre divin Fils. Je vous
dirai aussi, avec saint
Bonaventure, que je mets mon espérance en vous.
CHAPITRE VI
SUR LA
MORT DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Jésus meurt et triomphe de la mort
Saint Jean rapporte que notre divin Rédempteur, avant d'expirer,
baissa la
tête (Jn 19, 30). Ce fut pour marquer qu'il acceptait la mort
de la main de
son Père avec une entière soumission, puisqu'il mettait
alors le comble à son
humble obéissance en subissant le supplice de la croix (Ph 2,
8).
Ayant les mains et les pieds cloués à la croix, Jésus
ne pouvait mouvoir
aucune partie de son corps, excepté la tête. Or, la mort,
dit saint Athanase,
n'osait s'avancer pour ôter la vie à l'Auteur de la vie;
il a donc fallu qu'il
l'invitât lui-même, en inclinant la tête, à
venir le frapper. Saint Matthieu,
parlant de la mort de Jésus-Christ, dit qu'il exhala ou envoya
hors de lui son
esprit (Mt 27, 50). Selon saint Ambroise, l'Évangéliste
se sert de cette
expression pour montrer que Notre-Seigneur mourut, non par nécessité
ni
par le fait des bourreaux, mais parce qu'il voulut bien mourir; il
ne perdit
point la vie, mais il la quitta de son plein gré. Il mourut
volontairement, afin
de sauver l'homme de la mort à laquelle il était condamné.
Tout cela avait été prédit par le prophète
Osée, en ces termes: "Je les
délivrerai des mains de la mort, je les rachèterai de
la mort. Ô mort! je serai
ta mort; ô enfer! je serai ta ruine!" (Os 13, 14). Saint Jérôme,
saint Augustin,
saint Grégoire et l'Apôtre lui-même, comme nous
le verrons bientôt,
appliquent littéralement ce passage à Jésus-Christ
qui, par sa mort, nous a
délivrés des mains de la mort, c'est-à-dire de
l'enfer, où l'on souffre une mort
éternelle. Et proprement, suivant l'explication des interprètes,
dans le texte
hébreu, au lieu de Mort, on lit le mot Scheol, qui signifie
Enfer.
Mais comment Jésus-Christ a-t-il été la mort de
la mort? C'est que notre
Sauveur, par sa mort, a vaincu et détruit la mort que le péché
nous avait
causée. L'Apôtre demande ce qu'est devenue, après
cette défaite, la mort de
son aiguillon, qui est le péché; il assure que la victoire
du Sauveur a tout fait
disparaître: "La mort a été engloutie dans la victoire"
(! Co 15, 54). Par sa
mort, l'Agneau divin a détruit le péché, qui était
la cause de notre mort. Tel
fut donc le triomphe du Fils de Dieu: en mourant pour nous, il a ôté
du
monde le péché, et nous a par conséquent délivrés
de la mort éternelle, à
laquelle tout le genre humain était assujetti.
Ce que nous disons se confirme par un autre texte de l'Écriture.
On y lit que
Jésus-Christ "a réduit à l'impuissance, par sa
mort, celui qui a la puissance
de la mort, c'est-à-dire, le diable" (He 2, 14). Jésus-Christ
a détruit le démon
qui avait le pouvoir de donner la mort temporelle et éternelle
à tous les
enfants d'Adam, infectés du péché. Et c'est là
cette victoire de la Croix
chantée par l'Église: Jésus, qui est la Vie même,
ou l'Auteur de la vie, en
mourant sur la croix, nous a procuré la vie éternelle.
Ce prodige est l'oeuvre de l'Amour divin qui, faisant les fonctions
de prêtre,
offrit en sacrifice au Père éternel la vie de son Fils
unique pour le salut des
hommes, comme la Sainte Église l'exprime dans ses chants.
Sur quoi saint François de Sales s'écrie: "Voyons-le,
ce divin Rédempteur,
étendu sur la croix comme sur son bûcher d'amour, où
il meurt d'amour
pour nous. Eh! que ne nous jetons-nous en esprit sur lui, pour mourir
sur la
croix avec lui qui pour l'amour de nous a bien voulu mourir !" Oui,
mon
doux Rédempteur, j'embrasse votre Croix! C'est ainsi que je
veux vivre et
mourir, ne cessant jamais de baiser avec amour vos pieds sanglants,
transpercés pour moi.
- II -
Jésus mort en croix
Arrêtons-nous un instant, et contemplons notre Sauveur mort sur
la croix,
en parlant d'abord à Dieu son Père, et ensuite à
lui-même.
Père éternel, "regardez la face de votre Christ!" (Ps
83, 10). Regardez votre
Fils unique qui, pour accomplir votre volonté de sauver l'homme
perdu, est
venu sur la terre, s'est revêtu de la chair humaine et, avec
notre chair, a pris
sur lui toutes nos misères, excepté le péché.
En un mot, il s'est fait homme.
Il a voulu passer toute sa vie parmi les hommes comme le plus pauvre,
le
plus méprisé et le plus affligé de tous les hommes.
Il a voulu mourir comme
vous le voyez, après que les hommes eux-mêmes lui eussent
déchiré les
chairs à coups de fouets, mis la tête en plaies par une
couronne d'épines, et
percé les mains et les pieds en les clouant sur la croix. Il
est mort de pure
douleur sur ce gibet infâme, traité comme l'homme le plus
méprisable du
monde, tourné en dérision comme un faux prophète,
outragé comme un
imposteur sacrilège pour avoir dit qu'il était votre
Fils, condamné à subir cet
horrible supplice comme le plus grand des scélérats.
Et vous-mêmes,
Seigneur, vous avez augmenté les horreurs de sa mort, en le
privant de toute
consolation ! Dites-nous: quelle faute a-t-il donc commise, ce Fils
que vous
aimez tant, pour mériter un châtiment si cruel? Vous qui
connaissez son
innocence, sa sainteté, pourquoi l'avez-vous traité ainsi?
Ah ! j'entends votre
réponse: "Pour les péchés de mon peuple, il a
été frappé à mort" (Is 53, 8).
Non, me dites-vous, mon Fils ne méritait et ne pouvait mériter
aucun
châtiment, étant l'innocence même, la sainteté
même; mais vous, vous
méritiez une peine pour vos fautes, vous méritiez la
mort éternelle; et moi,
pour ne point vous voir perdues à jamais, vous, mes créatures
bien-aimées,
pour vous délivrer d'un si grand malheur, j'ai cette mort douloureuse.
Considérez donc, ô hommes! quel a été mon
amour pour vous: "Dieu a tant
aimé le monde qu'il a donné son Fils unique" (Jn 3, 16).
Permettez que je m'adresse aussi à vous, ô Jésus,
mon doux Rédempteur!
Je vous vois sur cette croix, abandonné de tout le monde, pâle
et défiguré,
sans parole, sans respiration, sans vie, sans une seule goutte de sang,
l'ayant
versé entièrement, comme vous l'aviez prédit (Mc
14, 24). Vous n'avez plus
de vie, parce que vous l'avez sacrifiée pour rendre la vie à
mon âme, que ses
péchés avaient fait mourir; vous n'avez plus de sang,
parce que vous l'avez
répandu pour laver mes iniquités. Mais qu'est-ce qui
vous porte à donner
ainsi votre vie et tout votre sang pour de misérables pécheurs
tels que nous
? Ah! votre Apôtre nous l'a déclaré, c'est l'amour
dont vous brûlez pour
nous: "Il nous a aimés et s'est livré lui-même
pour nous" (Ep 5, 2).
- III -
Fruit de la mort du Sauveur
C'est ainsi que ce Pontife divin, qui fut tout à la fois le sacrificateure
t la
victime, en s'immolant pour le salut des hommes qu'il aimait, consomma
le
grand sacrifice de la croix, et accomplit l'oeuvre de notre rédemption.
Jésus-Christ, par sa mort, a fait disparaître tout ce que
notre mort avait
d'horrible. Elle n'était auparavant qu'un supplice infligé
à des rebelles; mais,
par la grâce et les mérites de notre Sauveur, elle est
devenue un sacrifice
tellement agréable à Dieu, qu'uni à celui de la
mort de Jésus-Christ, il nous
rend dignes de jouir de la gloire dont Dieu jouit lui-même, et
de l'entendre
un jour nous dire, comme nous l'espérons: "Entrez dans la joie
de votre
Seigneur!" (Mt 25, 21).
Ainsi, grâce à la mort de Jésus-Christ, notre mort
a cessé d'être un sujet de
douleur et de crainte. Notre-Seigneur en a fait un passage du danger
de se
perdre éternellement à l'assurance d'une félicité
éternelle, un passage des
misères de ce monde aux délices ineffables du paradis.
De là vient que les justes regardent la mort, non avec crainte,
mais avec joie
et désir. Saint Augustin dit que ceux qui aiment Jésus
crucifié supportent la
vie avec patience et reçoivent la mort avec plaisir. Et l'expérience
ordinaire
fait voir que les personnes vertueuses qui ont le plus à souffrir
durant leur
vie, à cause des persécutions, des tentations, des scrupules,
ou d'autres
choses fâcheuses, sont celles que Jésus crucifié
console le plus dans leurs
derniers moments, en leur procurant une grande paix au milieu de toutes
les
craintes et de toutes les angoisses de la mort. S'il est quelquefois
arrivé que
des Saints, selon ce qu'on lit dans leur Vie, ont éprouvé
beaucoup
d'appréhension au moment de la mort, le Seigneur l'a ainsi permis
pour
augmenter leurs mérites; car plus leur sacrifice a été
pénible, plus il est
devenu précieux aux yeux de Dieu, et profitable à eux-mêmes
pour la vie
éternelle.
Oh ! qu'il était plus dur de mourir, pour les fidèles,
avant la mort de
Jésus-Christ! Le Sauveur n'avait pas encore paru, on soupirait
après sa
venue; on l'attendait suivant sa promesse, mais on ne savait quand
il
viendrait; le démon avait un grand empire sur la terre, et le
ciel était
entièrement fermé pour les hommes. Mais à la mort
de notre Rédempteur,
l'enfer a été vaincu, la grâce a été
communiquée aux âmes, Dieu s'est
réconcilié avec les hommes, et la céleste patrie
a été ouverte à tous ceux qui
meurent dans l'innocence ou qui ont expié leur fautes par la
pénitence. Et si
quelques-uns, bien que mourant en état de grâce, n'entrent
pas
immédiatement en paradis, c'est qu'ils ne sont pas encore entièrement
purifiés; du reste, la mort ne fait que rompre leurs liens,
afin qu'ils puissent
allers'unir parfaitement à Dieu, dont ils se trouvent éloignés
sur cette terre
d'exil.
Tâchons donc, âmes chrétiennes, tant que nous vivons
dans cet exil, de
regarder la mort, non comme un malheur, mais comme la fin de notre
pélerinage si plein d'angoisses et de périls, et comme
l'arrivée de l'éternelle
félicité que nous espérons obtenir un jour par
les mérites de Jésus-Christ.
Cette pensée doit nous porter à faire tous nos efforts
pour nous détacher des
objets terrestres qui pourraient nous fire perdre le ciel et nous conduire
en
enfer. Offrons-nous à Dieu, en protestant de coeur que nous
voulons mourir
quand il lui plaira, en acceptant la mort qu'il nous a destinée,
quelle qu'elle
soit, et en le priant toujours, par les mérites de la mort de
Jésus-Chrit, de
nous faire sortir de cette vie en état de grâce.Mon Jésus
et mon Sauvuer qui,
pour me procurer une bonne mort, en avez choisi une si douloureuse
et si
désolée, je m'abandonne entre les bras de votre miséricorde!
Depuis
plusieurs années, à cause des offenses que je vous ai
faites, je devrais être
en enfer, séparé de vous à jamais; et vous, au
lieu de me punir comme je le
mériterais, vous m'avez appelé à la pénitence,
et j'ai la confiance que vous
m'avez maintenant pardonné; si cependant, par ma faute, je n'ai
pas encore
obtenu mon pardon, accordez-le-moi en ce moment que, prosterné
à vos
pieds, le coeur contrit, j'implore votre miséricorde. Mon Jésus
! je voudrais
mourir de douleur, quand je pense aux injures que je vous ai faites.
Mon
espérance est dans le sang que vous avez répandu pour
moi.
Pardonnez-moi, Seigneur, et aidez-moi à vous aimer de toutes
mes forces
jusqu'à la mort. Quand mon heure arrivera, faites que je meure
brûlant
d'amour envers vous, pour continuer de vous aimer éternellement.
Dès à
présent, j'unis ma mort à votre sainte mort, par laquelle
j'espère avec une
entière confiance me sauver: "En vous, Seigneur, j'ai mon abri,
sur moi pas
de honte à jamais!" (Ps 30, 2).
Ô puissante Mère de Dieu! après Jésus, vous
êtes mon espérance; je suis sûr
de n'être jamais trompé quand je me confie en vous!
CHAPITRE VII
SUR LES PRODIGES ARRIVÉS À LA MORT
DE JÉSUS-CHRIST
- I -
Deuil général de la nature - Les ténèbres
Cornelius rapporte que saint Denis l'Aéropagite, se trouvant
à Héliopolis, en
Égypte, s'écria un jour, au temps de la mort de Jésus-Christ:
"Ou l'Auteur de
la nature souffre, ou le monde se dissout." D'autres écrivains,
tel que Michel
Syngelus et Suidas, racontent la même chose autrement ; ils prétendent
que
le Saint a dit: "Le Dieu inconnu souffre en son corps, c'est pourquoi
ces
ténèbres couvrent l'univers."
Eusèbe, d'après Plutarque, dit que dans l'île de
Paxis, une voix fit entendre
ces mots: "Le grand Pan est mort!", et qu'on entendit ensuite des cris
de
gens qui se lamentaient. Selon Eusèbe, le nom de Pan désigne
Lucifer qui,
par suite de la mort de Jésus-Christ, se trouvait comme mort
lui-même, en
se voyant dépouillé de l'empire qu'il avait sur les hommes.
Barrada, au
contraire, pense que c'est Notre-Seigneur qui est ainsi appelé;
car, en grec, le
mot Pan signifie Tout, nom qui convient à Jésus-Christ,
Fils de Dieu et vrai
Dieu: le Tout, c'est-à-dire celui en qui se trouvent tous les
biens.
Ce que nous lisons dans l'Évangile, c'est que le jour de la mort
du Sauveur,
depuis la sixième heure (midi) jusqu'à la neuvième
heure (trois heures),
toute la terre fut couverte de ténèbres (Mt 27, 45).
Et, au moment où Jésus
expira, le voile du Temple se déchira en deux, et il survint
un tremblement
de terre universel qui fendit plusieurs rochers (Mt 27, 51).
Quant aux ténèbres, saint Jérôme observe
qu'elles ont été prédites par le
prophète Amos, en ces termes: "En ce jour-là, dit le
Seigneur, le soleil se
couchera en plein midi; et je couvrirai la terre de ténèbres,
lorsqu'elle devrait
être pleine de lumière" (Am 8, 9). Commentant ensuite
ce texte, le saint
Docteur dit que le soleil semble avoir alors retiré sa lumière,
afin que les
ennemis de Jésus en fussent privés. Il ajoute que l'astre
du jour se voila,
comme s'il n'eût osé regarder le Seigneur élevé
en croix. Mais saint Léon est
plus exact en disant que toutes les créatures voulurent exprimer,
à leur
manière, la douleur qu'elles ressentaient de la mort de leur
Créateur. Cette
pensée s'accorde avec celle de Tertullien qui, parlant spécialement
des
ténèbres, dit que le monde, par cet aspect lugubre, a
voulu célébrer, en
quelque sorte, les funérailles de notre divin Rédempteur.
Saint Athanase, saint Jean Chrysostome et saint Thomas font remarquer
que cette obscurité fut toute prodigieuse, car une éclipse
de soleil ne peut
avoir lieu qu'à la nouvelle lune, et la lune était alors
dans son plein. De plus,
le soleil étant beaucoup plus grand que la lune, celle-ci ne
peut en
intercepter complètement la lumière; or, l'Évangile
atteste que les ténèbres
furent répandues par toute la terre. Enfin, l'éclipse
du soleil eût-elle été
totale, l'obscurité n'aurait pu se prolonger au-delà
de quelques minutes, vu la
rapidité du mouvement des corps célestes; et il est constaté
par l'Évangile
qu'elle dura trois heures.
Tertullien cite cet événement dans son Apologétique,
en s'adressant aux
Gentils; il leur dit qu'ils trouvent consigné dans leurs propres
archives ce
grand miracles de l'obscurcissement du soleil, arrivé au moment
de la mort
de Jésus-Christ. Eusèbe confirme le fait dans sa Chronique
par un passage
de Phlégon, affranchi d'Adrien et auteur contemporain, qui parle
d'une
obscurité sans exemple arrivée à cette époque,
par la disparition du soleil en
plein midi, au point qu'on voyait les étoiles.
- II -
Le déchirement du voile du Temple
On lit en outre dans l'Évangile de saint Matthieu, ainsi que
nous l'avons déjà
vu, que le voile du Temple se déchira en deux de haut en bas
(Mt 27, 51).
Dans la Lettre aux Hébreux (He 9, 2-5), on décrit l'intérieur
du Tabernacle,
ou du Temple, lequel était divisé en deux sanctuaires
fermés chacun par un
voile. Le second s'appelait le Saint des Saints. Là reposait
l'Arche d'Alliance,
couverte par le Propitiatoire; elle contenait la Manne, le rameau d'Aaron
et
les deux Tables de la Loi. L'entrée du premier sanctuaire, qui
précédait le
Saint des Saints et qui était fermé par le premier voile,
n'était permise qu'aux
prêtres qui venaient y offrit leurs sacrifices. Le prêtre
qui sacrifiait pour
l'expiation des péchés, ayant trempé son doigt
dans le sang de la victime
offert, en faisait l'aspersion sept fois devant le voile du Saint des
Saints (Lv
4, 6 et 17). Quand au second sancturaie, qui était toujours
fermé et
inacessible même aux regards, nul ne pouvait y entrer si ce n'est
le Pontife,
et cela seulement une fois l'an, en portant le sang des victimes qu'il
offrait
pour lui-même et pour le peuple (Lv 16, 12 et 14).
Tout cela était mystérieux. Le sanctuaire, toujours fermé
signifiait la
séparation qui existait entre les hommes et la grâce de
Dieu, qu'ils ne
pouvaient obtenir que par le moyen du grand sacrifice que Jésus-Christ
devait offrir un jour de lui-même et dont tous les anciens sacrifices
étaient
des figures. C'est pourquoi notre Sauveur est appelé le Pontife
des biens
futurs qui, par un tabernacle plus parfait, c'est-à-dire par
le corps très saint
dont il s'est revêtu, devait entrer dans le sanctuaire de la
présence de Dieu,
comme Médiateur entre Dieu et les hommes, en offrant, non le
sang des
boucs et des veaux, mais son propre sang, pour consommer l'oeuvre de
notre rédemption et ainsi nous ouvrir les portes du ciel (He
9, 11-12).
Considérons bien ce texte inspiré. Il y est dit que Notre-Seigneur
est le
Pontife des biens futurs; à la différence d'Aaron et
des Pontifes de sa race,
qui ne procuraient que des biens présents et terrestres, Jésus-Christ
devit
nous obtenir les biens futurs, qui sont des biens célestes et
éternels. Il est
entré dans le sanctuaire par un tabernacle plus grand et plus
parfait; telle fut
la sainte humanité du Sauveur, vrai tabernacle du Verbe divin.
Ce tabernacle
n'a point été fait de main d'homme, puisque le corps
de Jésus-Christ a été
formé, non par la voie commune et ordinaire, mais par l'opération
du
Saint-Esprit. Le Sauveur n'a pas offert le sang des boucs ou des veaux,
mais
son propre sang; le sang de Jésus-Christ purifie les âmes
en leur obtenant la
rémission des péchés. Et en entrant ainsi une
fois dans le sanctuaire, il nous
a acquis une rédemption éternelle. Le mot acquis marque
bien que nous ne
pouvions prétendre à une telle rédemption, ni
l'espérer, avant la promesse
que Dieu nous en a faite; ce moyen de salut n'a pu être trouvé
ou inventé
que par la Bonté divine. Enfin, notre réhabilitation
ainsi opérée est
justement appelée éternelle: le pontife des Hébreux
devait entrer chaque
année dans le sanctuaire pour l'expiation; mais Jésus-Christ,
en offrant une
fois le sacrifice de sa vie, nous a mérité une rédemption
éternelle, qui doit
suffire à jamais pour expier tous nos péchés,
comme l'Écriture le déclare
(He 10, 14 et 9, 12).
C'est pourquoi, continue le texte sacré, Jésus-Christ
est appelé le Médiateur
du Nouveau Testament (He 9, 15). Moïse fut le médiateur
de l'Ancien
Testament ou de l'Ancienne Alliance, qui n'avait pas la vertu de réconcilier
entièrement les hommes avec Dieu en opérant leur salut,
car la Loi
Ancienne n'a rien conduit à la perfection (He 7, 19). Mais dans
la Nouvelle
Alliance, notre Sauveur, en satisfaisant pleinement à la Justice
divine pour
les péchés des hommes, leur a obtenu par ses mérites
le pardon et la grâce
de Dieu. Les Juifs s'offensaient d'entendre dire que le Messie opérerait
la
rédemption des hommes en subissant le supplice infâme
de la croix; ils
disaient que la Loi leur avait enseigné que le Christ devait,
non mourir, mais
vivre éternellement (Jn 12, 34). Mais ils étaient tout
à fait dans l'erreur;
Jésus-Christ s'est rendu Médiateur et Sauveur des hommes,
et c'est à cause
de sa mort que la promesse de l'héritage éternel a été
faite à ceux qui y sont
appelés (He 9, 15).
C'est pourquoi l'Écriture nous engage à mettre toutes
nos espérances dans
les mérites de la mort de notre Rédempteur (He 10, 19).
Nous avons, nous
dit-elle, un puissant motif pour espérer la vie éternelle,
dans le sang de
Jésus-Christ. Il nous a ouvert la voie du paradis, voie nouvelle,
parce que ce
divin Sauveur l'a parcourue le premier et nous l'a frayée en
sacrifiant sur la
croix sa chair sacrée, figurée par le voile du Temple.
Comme le remarque
saint Jean Chrysostome, de même que le voile du Temple, déchiré
à la mort
de Notre-Seigneur, a laissé ouvert le Saint des Saints, de même
que la chair
de Jésus-Christ, déchirée dans sa passion, nous
a ouvert le ciel, qui
jusque-là était fermé. C'est pourquoi on peut
désormais nous présenter avec
confiance devant le trône de la grâce, afin d'y recevoir
miséricorde (He 4,
16). Ce trône de la grâce, c'est Jésus-Christ, en
qui, si nous avons recours à
lui au milieu des périls qui nous menacent, nous trouverons
miséricordes,
malgré notre indignité. (Cette pensée sera développée
plus loin, au Chapitre
X, section II.)
Revenons au texte de saint Matthieu que nous avons cité plus
haut. Ce
déchirement du voile sacré, arrivé au moment même
de la mort de
Jésus-Christ, à la connaissance de tous les prêtres
et du peuple, n'a pu avoir
lieu que par une cause surnaturelle; le tremblement de terre seul n'aurait
pu
déchirer ce voile entièrement de haut en bas. Par ce
prodige, Dieu montra
qu'il ne voulait plus de ce sanctuaire fermé comme la Loi l'ordonnait,
et qu'à
l'avenir il serait lui-même le sanctuaire ouvert à tous
les hommes par
Jésus-Christ.
D'après saint Léon, par le déchirement du voile,
le Seigneur témoigna
clairement de ce que dit la lettre aux Hébreux: l'ancien sacerdoce
avait pris
fin pour faire place au sacerdoce éternel de Jésus-Christ,
que les anciens
sacrifices étaient abolis et une loi nouvelle instituée
(He 7, 12). Par là, nous
avons acquis la certitude que Jésus-Christ est le fondateur
de la première
comme de la seconde loi, et que la Loi Ancienne, son tabernacle, son
sacerdoce et ses sacrifices, n'existaient qu'en vue du Sacrifice de
la croix, qui
devait opérer la rédemption du genre humain. Ainsi, tout
ce qu'il y avait
auparavant d'obscur et de mystérieux dans la loi, les sacrifices,
les fêtes, les
promesses divines, s'est éclairci par la mort du Sauveur. Enfin,
selon
Euthymius, le voile déchiré signifiait que le mur qui
séprait le ciel et la terre
était renversé, et que le paradis était désormais
accessible aux hommes.
- III -
Le tremblement de terre
Nous lisons encore, dans l'Évangile, que la terre trembla et
que les rochers
se fendirent (Mt 27, 51). C'est un fait notoire qu'à la mort
de Jésus-Christ il y
eut un tremblement de terre violent et universel, tellement que le
globe
entier fut secoué, dit Paul Orose. Didyme assure que la terre
frémit jusque
dans son centre. Phlégon, cité par Origène et
Eusèbe, rapporte que ce
tremblement de terre causa la ruine d'un grand nombre d'édifices
à Nicée. en
Bithynie. De même, Pline l'Ancien, qui vécut du temps
de Tibère, sous le
règne duquel mourut Jésus-Christ, atteste qu'en Asie,
à cette époque, douze
villes furent détruites par un grand tremblement de terre; ce
fait est confirmé
par Suétone. Les savants prétendent qu'ainsi est accomplie
la prophétie
d'Aggée: "Encore un peu de temps et j'ébranlerai le ciel
et la terre" (Ag 2, 7).
Saint Paulin dit à ce sujet que notre Sauveur, du haut de la
croix même à
laquelle il était cloué, montra qui il était en
frappant le monde de terreur.
Adrichomius observe qu'on voit encore aujourd'hui des traces de cet
événement au mont du Calvaire même; on y découvre
du côté gauche, une
ouverture assez large pour recevoir le corps d'un homme et si profonde
qu'on a jamais pu la sonder. D'après Baronius, la même
cause a produit des
effets semblables dans beaucoup d'autres contrées. Notamment,
au
promontoire de Gaète, on voit aujourd'hui un rocher ouvert par
le milieu
depuis le sommet jusqu'à la base; on assure que cette ouverture
date de la
mort de Notre-Seigneur, et elle paraît en effet manifestement
prodigieuse,
car elle est assez grande pour donner passage à un bras de mer,
et l'on
remarque que les inégalités des deux parties du rocher
se rapportent
parfaitement. La même tradition existe relativement au mont Colombo,
près
de Rieti, au Montserrat en Espagne, et à plusieurs autres montagnes
voisines
de Cagliari dans l'île de Sardaigne. Mais, ce qu'on trouve de
plus
remarquable, c'est le mont Alverne en Toscane, où saint François
reçut les
sacrés stigmates: on y voit des masses énormes de rocher
roulées les unes
sur les autres, et Walding rapporte qu'un Ange a révélé
à saint François que
c'est une des montagnes qui s'écroulèrent à la
mort du Sauveur. Ô
insensibilité des Juifs! s'écrie saint Ambroise; les
pierres se fendent, et leurs
coeurs ne font que s'endurcir.
- IV -
Résurrections et conversions
Saint Matthieu signale encore d'autres miracles arrivés à
la mort de
Jésus-Christ; il dit que les sépulcres s'ouvrirent, et
que plusieurs justes, qui y
reposaient, ressuscitèrent à la suite du Sauveur et apparurent
à beaucoup de
personnes (Mt 27, 52). Cette ouverture des tombeaux, remarque saint
Ambroise, annonçait la défaite de la mort et la restitution
de la vie aux
hommes par la résurrection.
Tout comme le vénérable Bède et saint Thomas, saint
Jérôme nous fait
observer que, quoique les tombeaux se soient ouverts au moment de la
mort de Jésus-Christ, cependant les coups qu'il renfermaient
ne revinrent à
la vie qu'après la résurrection de Notre-Seigneur, afin
qu'il fût le premier des
ressuscités. Cela est conforme au texte de l'Apôtre, où
Jésus-Christ est
appelé "le Premier-Né d'entre les morts" (Col. 1, 18).
Il n'était pas
convenable qu'un autre homme ressuscitât avant celui qui avait
triomphé de
la mort.
L'Évangéliste dit que plusieurs justes ressuscitèrent,
et qu'étant sortis de
leurs sépulcres, ils apparurent à beaucoup de personnes.
Ce furent ceux qui
avaient cru et espéré en Jésus-Christ. Dieu voulut
ainsi honorer pour les
récompenser de leur foi et de leur confiance dans le Messie
futur, suivant la
prédiction du prophète Zacharie, qui adressait ces paroles
au Rédempteur
attendu: "Toi, par le sang de ton alliance, tu renvoies les captifs
de la fosse
sans eau" (Za 9, 11). Et toi, ô Christ, par le mérite
de ton sang, tu es
descendu dans la prison souterraine et aride, dans les Limbes, où
étaient
retenues les âmes des Saints Patriarches, où les eaux
de la joie ne pouvaient
pénétrer, et tu les as délivrées pour les
conduire dans la gloire éternelle!
Saint Matthieu nous apprend encore que, malgré l'aveugle obstination
des
Juifs, qui ne cessèrent point d'applaudir à la mort injuste
du Sauveur, le
centurion et ses soldats, qui avaient été chargés
d'exécuter la sentence, à la
vue des ténèbres et du tremblement de terre, furent frappés
de ces prodiges
et reconnurent pour le vrai Fils de Dieu celui qu'ils venaient de faire
mourir
(Mt 27, 52). Ces soldats furent les heureuses prémices des Gentils
qui
embrassèrent la foi en Jésus-Christ après sa mort;
par la vertu de ses
mérites, ils eurent le bonheur de reconnaître leur faute
et d'en espérer le
pardon.
Saint Luc ajoute que tous les autres qui assistaient à la mort
de Jésus-Christ,
après avoir vu les prodiges qui s'opéraient, s'en retournèrent
en se frappant
la poitrine, pour marquer leur repentir d'avoir coopéré,
ou du moins
consenti à cette grande iniquité (Lc 23, 48). Nous voyons
en outre, dans les
Actes des Apôtres, que beaucoup de Juifs, pénétrés
de componction en
entendant les discours de saint Pierre, lui demandèrent ce qu'ils
devaient
faire pour se sauver. Le Chef de l'Église naissante leur répondit
qu'ils
devaient faire pénitence et recevoir le baptême; ce qu'ils
exécutèrent aussitôt
au nombre de tois mille (Ac 2, 41).
- V -
Le coeur de Jésus est ouvert
Les soldats vinrent et rompirent les jambes aux deux larrons. Quant
à Jésus,
voyant qu'il était déjà mort, ils ne lui firent
point subir le même traitement;
mais l'un d'eux lui ouvrit le côté avec sa lance, et il
en sortit à l'instant du
sang et de l'eau (Jn 19, 32-34).
D'après saint Cyprien, la lance alla directement frapper le coeur
de
Jésus-Christ; et c'est précisément ce qui fut
révélé à sainte Brigitte. On croit
par conséquent que l'eau sortit du côté de Notre-Seigneur
avec le sang,
attendu que la lance, pour atteindre le coeur, a dû percer d'abord
le
péricarde, qui l'enveloppe.
Saint Augustin remarque que l'Évangéliste s'est servi
du mot ouvrir parce
que s'ouvrit alors dans le coeur du Sauveur la porte de la vie, et
que de là
sortirent les sacrements par lesquels on arrive à la vie éternelle.
On dit que le
sang et l'eau qui sortirent du côté de Jésus-Christ
figurent les sacrements,
parce que l'eau est le symbole du Baptême, qui est le premier
des
sacrements, et que le sang su divin Sauveur est contenu dans l'Eucharistie,
qui est le plus grand des sacrements.
Saint Bernard ajoute que Jésus-Christ voulut recevoir cette blessure
visible
pour nous donner à entendre que son coeur portait une blessure
invisible
d'amour envers les hommes. Qui donc, conclut-il, n'aimera pas ce coeur
blessé d'amour?
Enfin, saint Augustin observe, en parlant de l'Eucharistie, que le saint
sacrifice de la Messe n'est pas moins efficace aujourd'hui devant Dieu
que
ne le fut alors celui du sang et de l'eau qui jaillirent de la blessure
du
Sauveur.
- VI -
Sépulture et Résurrection de Jésus-Christ
Terminons ce chapitre par quelques réflexions sur la sépulture
et la
résurrection de notre divin Rédempteur.
Le Fils de Dieu est venu au monde non seulement pour nous racheter,
mais
encore pour nous enseigner par son exemple toutes les vertus, et
principalement l'humilité et la sainte pauvreté, compagne
inséparable de
l'humilité. C'est pour cela qu'il a voulu naître pauvre
dans une grotte, vivre
pauvre dans une boutique durant trente ans, et enfin mourir pauvre
et nu sur
une croix, après avoir vu ses propres vêtements partagés
entre les soldats,
sous ses yeux, avant d'expirer. Et lorsqu'il fut mort, il lui fallut
recevoir en
aumône un linceul pour être enseveli. Que les pauvres se
consolent donc, en
voyant Jésus-Christ, le Roi du Ciel et de la terre, vivre et
mourir si pauvre,
pour nous enrichir de ses mérites et de ses biens, comme le
dit l'Apôtre (2
Co 8, 9). Aussi, les Saints, désirant se rendre semblables à
Jésus pauvre, ont
méprisé toutes les richesses et tous les honneurs terrestres,
afin d'aller un
jour, avec leur divin Maître, jouir des richesses et des honneurs
célestes, que
Dieu a préparés pour ceux dont il est aimé, biens
ineffables dont saint Paul
nous apprend que l'homme ne peut se faire aucune idée ici-bas
(1 Co 2, 9).
Jésus-Christ ressuscita ensuite avec la gloire de posséder,
non seulement
comme Dieu, mais encore comme homme, tout pouvoir dans le ciel et sur
la
terre, de sorte que tous les Anges aussi bien que les hommes sont ses
sujets.
Réjouissons-nous donc de voir ainsi glorifié notre Sauveur,
notre Père, et le
meilleur Ami que nous ayons. Réjouissons-nous-en pour nous-mêmes,
puisque la résurrection de Notre-Seigneur est un gage certain
de notre
propre resurrection et de la gloire que nous espéribs avoir
un jour dans le
ciel, pour en jouir en corps et en âme. Cette espérance
donna aux Saints
Martyr le courage et la force de souffrir avec joie tous les maux de
cette vie
et les tourments les plus cruels inventés par les tyrans. Mais
il faut se
persuader que, pour être uni à Jésus-Christ dans
la joie du paradis, il est
nécessaire de prendre part à ses souffrances ici-bas:
on ne peut être
couronné qu'après avoir combattu comme on le doit (2
Tm 2, 5). Tel est
l'averitssemnt que nous donne l'Apôtre; mais soyons persuadés
en même
temps de ce qu'il ajoute, que toutes les peines de cette vie sont bien
courtes
et légères en comparaison des récompenses immenses
que nous espérons
dans la vie future (2 Co 4, 17). Soyons donc attentifs à nous
maintenir
toujours dans la grâce de Dieu et à lui demander sans
cesse la persévérance;
car sans la prière, et une prière continuelle, nous n'obtiendrons
pas la
persévérance, et sans la persévérance,
nous ne parviendrons pas au salut.Ô
doux, ô aimable Jésus, comment avez-vous pu tant aimer
les hommes que,
pour leur témoigner votre amour, vous ayez consenti à
mourir épuisé de
douleurs sur un bois infâme? et comment, après cela, y
a-t-il si peu
d'hommes qui vous aiment cordialement? Ah! mon cher Rédempteur,
je
veux être de ce petit nombre! Par le passé, j'ai eu le
malheur de perdre le
souvenir de votre amour, et de renoncer à votre grâce
pour de misérables
plaisirs; je reconnais ma fute, je m'en repens de tout mon coeur, je
voudrais
en mourir de douleur. Maintenant, ô mon Sauveur, je vous aime
plus que
moi-même, et je suis prêt à souffrir mille morts
plutôt que de perdre votre
amitié! Je vous remercie des lumières que vous me donnez.
Mon Jésus,
mon Espérance, ne m'abandonnez pas à moi-même,
continuez à m'aider
jusqu'à la mort!
Ô Marie, Mère de Dieu, priez Jésus pour moi!
CHAPITRE VIII
SUR L'AMOUR QUE JÉSUS-CHRIST NOUS
A
TÉMOIGNÉS DANS SA PASSION
- I -
Dieu a aimé les hommes au point de donner son Fils
pour les racheter
Saint François de Sales appelle le Calvaire "Le Mont des Amants",
et il
ajoute que "tout amour qui ne prend pas son origine de la passion du
Sauveur est frivole". Il veut nous faire entendre par là que
la passion de
Jésus-Christ est ce qu'il y a de plus efficace pour nous porter
à aimer
ardemment ce divin Rédempteur.
Pour comprendre en partie, car tout concevoir en cette matière
est chose
impossible, le grand amour que Dieu nous a témoignés
dans la passion de
Jésus-Christ, il suffit de jeter un coup d'oeil sur ce qu'en
disent les Saintes
Écritures; j'en citerai ici les principaux passages qui ont
trait à ce sujet.
Notre-Seigneur l'a dit lui-même: "Dieu a tellement aimé
les hommes qu'il a
donné son Fils unique pour les sauver" (Jn 3, 16). Le mot tellement
a ici une
grande valeur; il signifie que Dieu, en livrant son Fils unique pour
nous
racheter, a fait preuve envers nous d'un amour tel, que nous ne pourrons
jamais parvenir à le comprendre. Par suite du péché,
nous étions tous morts,
ayant perdu la vie de grâce; mais le Père éternel,
"voulant faire connaître au
monde sa bonté et son amour pour nous, a daigné envoyer
son Fils sur la
terre, afin que, par sa mort, il nous rendit la vie que nous ayions
perdue" (1
Jn 4, 9). Ainsi, pour nous pardonner, Dieu n'a point pardonné
à son propre
Fils, mais il a exigé qu'il satisfit pleinement à la
Justice Dibine pour toutes
nos iniquités, il "n'a pas épargné son propre
Fils, mais l'a livré pour nous
tous" (Rm 8, 32). Il l'a livré entre les mains des bourreaux,
qui devaient
l'accabler d'ignominies et de douleurs, jusqu'à le faire mourir
sur un gibet
comme un criminel. Le Seigneur chargera donc d'abord son divin Fils
des
péchés de tous! "Le Seigneur a fait retomber sur lui
les crimes de nous tous"
(Is 53, 6). Et il voulut ensuite qu'il fût brisé et consumé,
extérieurement et
intérieurement, par les afflictions les plus cruelles (Is 53,
6-8).
Saint Paul, considérant la grandeur de cet amour de Dieu envers
nous, va
jusqu'à l'appeler excessif, vu que, lorsque "nous étions
morts par suite de
nos péchés, le Seigneur nous a rendu la vie par la mort
de son Fils" (Ep 2,
5). Eh quoi ! est-ce qu'il peut y avoir excès en Dieu ? Non,
sans doute; mais
l'Apôtre s'est exprimé ainsi pour nous donner à
entendre que Dieu a fait
pour l'homme de telles choses que, si la foi ne nous en donnait la
certitude,
on ne pourrait les croire. Aussi la Sainte Église s'écrie-t-elle,
dans un
transport d'admiration: "Imprévisible choix de ton amour! Pour
racheter
l'esclave, tu livres le Fils!" qu'on remarque cette expression de l'Église:
choix
de l'amour. En effet, Dieu qui est l'amour même, comme le dit
saint Jean (1
Jn 4, 8), aime toutes les créatures (Sg 11, 25), mais il semble
avoir préféré,
dans son amour, l'homme à l'Ange même, puisqu'il a voulu
mourir pour les
hommes, et non pour les Anges qui se sont perdus.
- II -
Le Fils de Dieu s'est livré lui-même
par amour pour nous
Quant à l'amour du Fils de Dieu pour l'homme, nous savons que,
voyant
d'une part que l'homme s'était perdu par le péché,
et de l'autre que la Justice
divine exigeait une satisfaction entière pour l'injure faite
à Dieu, satisfaction
que l'homme était incapable de donner, il s'offrit spontanément
à satisfaire
pour l'homme. Il se soumit aux bourreaux avec la douceur d'un agneau,
en
leur permettant de lui déchirer les chairs et de le conduire
à la mort, sans se
plaindre, sans ouvrir la bouche, ainsi qu'Isaïe l'avait prédit
(Is 53, 7).
Nous lisons dans saint Paul que Jésus-Christ fut obéissant
envers son Père
jusqu'à souffrir la mort de la croix (Ph 2, 8); mais on ne doit
pas s'imaginer
d'après cela que ce fut malgré lui, et seulement pour
obéir à son Père, que
notre Rédempteur consentit à mourir crucifié;
il s'y offrit spontanément,
comme nous l'avons dit; c'est de son propre mouvement qu'il a voulu
mourir pour l'homme, poussé par l'amour qu'il lui portait, comme
il l'a
déclaré lui-même (Jn 10, 17). Il s'était
appelé auparavant le Bon Pasteur, en
ajoutant que l'office d'un bon pasteur est de donner sa vie pour ses
brebis
(Jn 10, 11). Et pourquoi a-t-il voulu mourir pour ses brebis? quelle
obligation avait-il, comme Pasteur, de donner sa vie pour ses brebis?
Il a
voulu mourir pour elles à cause de l'amour qu'il leur portait
(Ep 5, 2); ce fut
aussi pour les délivrer du joug de Lucifer.
Le Fils de Dieu s'est donc livré volontairement à la mort
par amour pour
nous, afin de nous soustraire à la puissance du démon;
et c'est ce qu'il fit
entendre clairement, lorsqu'il dit qu'une fois élevé
de terre, il tirerait tout à lui
(Jn 12, 32). Par ces mots, le Seigneur désignait le supplice
de la croix qu'il
devait subir, selon l'explication que l'Évangéliste en
donne lui-même. Et
d'après le commentaire de saint Jean Chrysostome, par l'expression
"je
tirerai", il indiquait qu'en mourant, il nous aurait, pour ainsi dire,
arrachés
par force des mains de Lucifer qui, tel qu'un cruel tyran, nous tenait
enchaînés comme des esclaves, en attendant notre mort
pour nous
tourmenter à jamais dans l'enfer.
Que nous serions malheureux si Jésus-Christ n'était pas
mort pour nous!
Nous serions tous destinés à l'enfer. Cette pensée
est pour nous un grand
motif d'aimer Jésus-Christ, pour nous, dis-je, qui avons mérité
l'enfer; par sa
mort, il nous a délivrés de ce supplice éternel,
il nous a rachetés au prix de
son sang!
Jetons ici, en passant, un coup d'oeil sur les peines de l'enfer, que
souffrent
déjà tant de malheureux réprouvés. Là,
ils se trouvent plongés dans un
abîme de feu, où ils endurent une agonie perpétuelle;
car ce feu vengeur leur
fait éprouver tous les genres de douleurs. Là, ils sont
sous la main des
démons qui, pleins d'une fureur insatiable, ne cherchent qu'à
tourmenter ces
misérables condamnés . Là, bien plus que par le
feu et toutes les autres
tortures, ils sont affligés par les remords de leur conscience,
par le souvenir
des péchés commis pendant leur vie, lesquels ont été
la cause de leur
damnation. Là, ils se voient à jamais privés de
tout moyen de sortir de ce
gouffre affreux. Là, ils se voient bannis pour toujours de la
société des
Saints et de la céleste Patrie, pour laquelle ils ont été
créés. Mais ce qui les
afflige le plus, ce qui fait leur véritable enfer, c'est de
se voir abandonnés de
Dieu, réduits à ne plus pouvoir l'aimer et à ne
le regarder durant toute
l'éternité qu'avec haine et avec la rage du désespoir.
Tel est le malheur dont Jésus-Christ nous a préservés,
en nous rachetant,
non au prix de l'or ou d'autres biens terrestres, dit saint Laurent
Justinien, en
répétant saint Pierre, mais au prix de son sang et de
sa vie sacrifiée sur la
croix (1 P 1, 18). Les rois de la terre envoient leurs sujets mourir
à la guerre
pour leur propre conservation; Notre-Seigneur, au contraire, a voulu
mourir
lui-même pour le salut de ses créatures.
- III -
Jésus est mort, non seulement pour nous tous,
mais encore pour chacun de nous
Considérons notre Sauveur conduit par les Scribes et les Prêtres
devant
Pilate comme un malfaiteur, afin de les faire juger et condamner à
la mort de
la croix. Ils réussissent dans leur dessein : ils voient Jésus
condamné et
crucifié comme ils l'ont demandé ! Quel spectacle, s'écrie
saint Augustin: le
Souverain Juge jugé, la Justice condamnée, la Vie même
réduite à la mort!
Et quelle fut la cause de tous ces prodiges? Ce fut uniquement l'amour
de
Jésus-Christ pour les hommes, répond l'Apôtre:
"Il nous a aimés, et s'est
livré lui-même pour nous" (Ep 5, 2). Oh ! que plût
au ciel que nous eussions
constamment sous les yeux ce texte de saint Paul! Alors, sans doute,
toute
affection aux biens terrestres sortirait bientôt de notre coeur,
et nous ne
penserions plus à autre chose qu'à aimer notre Rédempteur,
en nous
souvenant que, par amour pour nous, il a été jusqu'à
répandre tout son sang
pour nous en faire un bain de salut (Ap 1, 5). Saint Bernardin de Sienne
assure que Jésus-Christ, du haut de la croix, regarda en particulier
chaque
péché de chacun de nous, et il offrit son sang pour chacun
de nos péchés.
Ô puissance de l'Amour, s'écrie saint Bernard, le Maître
suprême de tous les
êtres paraît ici-bas comme le plus abject et le dernier
de tous!" Et qui a fait
ce prodige? demande le Saint. Il répond: "C'est l'Amour", lequel,
pour se
faire connaître à l'objet aimé, porte celui qui
aime à mettre de côté sa dignité
et à ne chercher qu'à se rendre utile et agréable
à l'objet de ses affections.
C'est ainsi, conclut-il, que Dieu, qui ne peut être vaincu par
aucune
puissance, s'est laissé vaincre par son amour envers les hommes:
"L'Amour
triomphe de Dieu !"
Il faut observer en outre que tout ce que Notre-Seigneur a souffert
dans sa
pssion, il l'a souffert pour chacun de nous en particulier. "Je vis,
dit saint
Paul, en la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé, et qui s'est
livré lui-même à la
mort pour moi" (Ga 2, 20). Ce que dit ici l'Apôtre, chacun de
nous doit le
dire pareillement. Saint Augustin infère de là que l'homme,
racheté à tel
prix, semble valoir autant que Dieu. Le Saint ose même ajouter:
"Seigneur!
vous m'avez aimé, non comme vous-même, mais plus que vous-même;
puisque, pour me délivrer de la mort; vous avez voulu mourir
pour moi!"
Mais, puisqu'une seule goutte de sang de Jésus-Christ suffisait
pour nous
sauver, pourquoi a-t-il voulu le répandre entièrement
à force de tortures?
Ah! répond saint Bernard: "Il a voulu tout donner, pour nous
montrer
l'amour excessif qu'il nous portait." Excessif, parce que Moïse
et Élie, sur le
mont Thabor, appelèrent la passion du divin Rédempteur
un excès, excès de
miséricorde et d'amour (Lc 9, 31). Saint Anselme, parlant de
la passion de
Notre-Seigneur, dit que la miséricorde a surpassé la
dette de nos péchés. En
effet, la mort de Jésus-Christ, étant d'une valeur infinie,
a surpassé
infiniment la satisfaction due par nous à la divine Justice
pour nos fautes.
L'Apôtre avait donc bien raison de s'écrier, et chacun
de nous peut le répéter
: "Pour moi, que jamais je ne me glorifie sinon dans la croix de
Notre-Seigneur Jésus-Christ!" (Ga 6, 14). Eh! que pouvais-je
avoir ou
espérer une plus grande gloire dans le monde que de voir un
Dieu mort pour
l'amour de moi?Dieu éternel, je vous ai déshonoré
par mes péchés, mais
Jésus, en satisfaisant pour moi par sa mort, a surabondamment
réparé votre
honneur; ayez donc pitié de moi, pour l'amour de Jésus
mort pour moi! Et
vous, mon doux Rédempteur, vous qui avez voulu mourir pour moi
afin de
me contraindre à vous aimer, faites que je vous aime! Ayant
méprisé votre
grâce et votre amour, je mériterais d'être condamné
à ne plus pouvoir vous
aimer; mais non, mon Jésus, infligez-moi tout autre châtiment,
et non
celui-là! C'est pourquoi, je vous en suplie, ne m'envoyez pas
en enfer,
puisqu'en enfer je ne pourrais plus vous aimer! Pourvu que je vous
aime,
punissez-moi comme il vous plaît. Privez-moi de tout, et non
de
vous-même. J'accepte toutes les maladies, toutes les humiliations,
tous les
maux que vous voudrez me faire souffrir; il me suffit que je vous aime.
Maintenant que je connais, par les lumières que vous m'accordez,
combien
vous êtes aimable et combien vous m'avez aimé, je ne saurais
plus vivre
sans vous aimer. Par le passé, j'ai aimé les créatures
et je me suis éloigné de
vous, qui êtes un bien infini; mais à présent,
je proteste que je ne veux plus
aimer que vous, vous seul et rien d'autre! Ah! mon bien-aimé
Sauveur, si
vous prévoyez qu'à l'avenir je doive encore cesser de
vous aimer, je vous
prie de m'ôter la vie; je consens plutôt à être
anéanti qu'à me voir encore une
fois séparé de vous!
Ô Vierge Sainte, ô Mère de Dieu, Marie, aide-zmoi
de vos prières;
otenez-moi la grâce de ne jamais plus cesser d'aimer mon Jésus,
qui a
daigné mourir pour moi, et vous, ma Reine, qui m'avez obtenu
tant de
miséricordes jusqu'à ce jour!
CHAPITRE IX
SUR LA RECONNAISSANCE QUE NOUS DEVONS
À JÉSUS-CHRIST
POUR SA PASSION
- I -
Jésus est mort pour nous; nous devons vivre et mourir
pour lui
Saint Augustin dit que Jésus-Christ, en donnant le premier sa
vie pour nous,
nous a obligé à donner notre vie pour lui. Puis le saint
Docteur ajoute que
lorsque nous nous approchons de la Sainte Table pour communier, comme
nous allons nous nourrir du corps et du sang de Notre-Seigneur, nous
devons également, être prêts à donner, s'il
le fallait, notre sang et notre vie
pour sa gloire.
"L'amour de Jésus-Christ nous presse", dit l'Apôtre (2
Co 5, 14). Et
qu'exige-t-il de nous? Que nous l'aimions! Écoutons les belles
paroles de
saint François de Sales sur ce texte: "Sachant que Jésus-Christ,
vrai Dieu,
nous a aimés jusqu'à souffrir pour nous la mort, et la
mort de la croix,
n'est-ce pas cela avoir nos coeurs sous le pressoir, et les sentir
presser de
force, et en sentir exprimer de l'amour par une contrainte d'autant
plus
violente qu'elle est tout aimable? ... Mon Jésus est tout à
moi, et je suis tout
à lui! Je vivrai et mourrai sur sa poitrine; ni la mort ni la
vie ne me
sépareront jamais de lui !"
Afin que nous n'oublions pas la reconnaissance que nous devons à
notre
Sauveur, saint Pierre nous rappelle que nous n'avons par été
rachetés de
l'esclavage de l'enfer à prix d'or ou d'argent, mais par le
précieux sang de
Jésus-Christ, immolé pour nous, comme un innocent agneau,
sur l'autel de
la croix (1 P 1, 18). Grand sera donc le châtiment de ceux qui
auront
répondu par l'ingratitude à un tel bienfait. Il est vrai
que le Fils de Dieu est
venu au monde pour sauver tous les hommes de l'état de perdition
où ils
étaient (Lc 19, 10). Mais, ce qui est vrai aussi, ce sont les
paroles
prophétiques prononcées par saint Siméon dans
le Temple, lorsque Jésus
Enfant y fut présenté par Marie: "Cet enfant est pour
la ruine et pour la
résurrection de beaucoup d'âmes, et pour être en
butte à la contradiction"
(Lc 2, 34). Le mot résurrection annonçait le salut que
Jésus-Christ devait
procurer à ceux qui croiraient en lui, et qui, par la foi, ressusciteraient
de la
mort du péché à la vie de la grâce; mais,
par le mot ruine, le saint vieillard a
prédit en même temps que bien des malheureux ne feraient
qu'empirer leur
état par leur ingratitude envers le Fils de Dieu, descendu sur
la terre pour
s'exposer aux traits de ses ennemis. Cela se vérifia littéralement
lorsque le
Sauveur supporta toutes les calomnies, toutes les injures et tous les
mauvais
traitements que les Juifs tramèrent contre lui. À présent,
Jésus-Christ est en
butte à la contradiction, non seulement des Juifs qui refusent
de le
reconnaître pour Messie, mais encore des chrétiens qui
répondent à son
amour par des offenses et par le mépris de ses préceptes.
Notre Rédempteur, dit saint Paul, est allé jusqu'à
donner sa vie pour nous,
afin de se rendre maître absolu de nos coeurs, par le moyen de
l'amour qu'il
nous a témoigné en mourant pour nous (Rm 14, 9). Ainsi,
conclut l'Apôtre,
après nous avoir rachetés par le sang de Jésus-Christ,
nous ne nous
appartenons plus à nous-mêmes; "soit que nous vivions,
soit que nous
mourions, nous sommes au Seigneur" (Rm 14, 8). Il s'ensuit que, si
nous ne
l'aimons pas, si nous n'observons pas ses préceptes, dont le
premier est de
l'aimer, nous sommes non seulement ingrats, mais injustes, et nous
méritons un double châtiment. Le devoir d'un esclave racheté
par
Jésus-Christ des mains du démon est de se consacrer tout
entier à l'amour et
au service de son divin Maître, à la vie et à la
mort.
Saint Jean Chrysostome fait une belle réflexion sur le passage
cité de saint
Paul: "Dieu, dit-il, s'occupe de nous plus que nous ne nous en occupons
nous-mêmes. Il regarde notre vie comme un bien et notre mort
comme un
mal pour lui ; si donc nous venons à mourir spirituellement,
notre mort est
une perte, non seulement pour nous, mais encore pour Dieu." Oh! quelle
gloire et quelle consolation pour nous de pouvoir dire, en vivant dans
cette
vallée de larmes, au milieu de tant d'ennemis et de tant de
périls qui nous
menacent: "Nous appartenons à Jésus-Christ, nous sommes
son bien; il
aura soin de nous conserver dans sa grâce en cette vie, et de
nous tenir
éternellement unis à lui dans la vie future.
- II -
Ce que c'est que vivre et mourir pour Jésus
Jésus-Christ est donc mort pour chacun de nous, afin que chacun
de nous
vive uniquement pour son Rédempteur, qui a donné sa vie
pour l'amour de
lui. "Il est mort pour nous tous, afin que les vivants ne vivent plus
pour
eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité
pour eux" (2 Co 5,
15). Celui qui vit pour lui-même se fait l'objet de tous ses
désirs, de toutes
ses craintes, de toutes ses douleurs, et met en lui-même sa félicité;
mais
celui qui vit pour Jésus-Christ, n'a d'autre joie que de lui
plaire ni d'autre
crainte que de lui déplaire; il ne s'afflige que de voir son
Jésus méprisé, il ne
se réjouit que de le voir aimé des autres. Voilà
ce qui s'appelle vivre pour
Jésus-Christ, et ce qu'il exige justement de ce chacun de nous:
il n'a voulu
souffrir tant de peines pour nous qu'afin de gagner tout notre amour.
Est-ce là une prétention excessive? Non, certes, répond
saint Grégoire; c'est
à bon droit que le Seigneur veut être ainsi aimé
de nous, après nous avoir
donné de telles preuves de son amour qu'il semble nous avoir
aimé jusqu'à
la folie. Il s'est donné à nous tout entier, sans réserve;
il a donc raison de
prétendre que nous nous donnions entièrement à
lui et que nous lui
consacrions tout notre amour. Si nous lui en ôtons une partie,
en aimant
quelque chose hors de lui ou non pour lui, il a juste sujet de se plaindre
de
nous; car alors, nous ne l'aimons pas comme nous le devons, dit saint
Augustin.
Que pouvons-nous aimer hors de Jésus-Christ, sinon des créatures?
Et
auprès de Jésus-Christ, les créatures sont-elles
autre chose que vers de terre,
fange, fumée, vanité? Le tyran qui martyrisa saint Clément,
évêque
d'Ancyre, lui ayant offert un monceau d'argent, d'or et de pirreries,
pourvu
qu'il renonçât à Jésus-Christ, le Saint
poussa un profond soupir et s'écria:
"Ah ! mon Jésus! vous qui êtes un bien infini, comment
souffrez-vous que
les hommes vous estiment moins que la boue ?"
Certes, dit saint Bernard, ce n'est pas la témérité
ou la démence qui portait
les Martyrs à braver les chevalets, les lames ardentes, et tous
les supplices
les plus cruels; c'est l'amour dont ils brûlaient pour Jésus-Christ,
en le
voyant mort sur la croix pour leur amour. Contentons-nous de citer
l'exemple de saint Marc et de saint Marcellien: après leur avoir
fait clouer les
mains et les pieds, le tyran leur reprochait comme une folie de vouloir
souffrir un tel tourment plutôt que de renier Jésus-Christ;
mais ils
répondirent qu'ils n'avaient jamais éprouvé de
délices plus douces que celles
qu'ils goûtaient en se voyant percés de ces clous pour
leur divin Maître.
Tous les Saints, pour plaire à Jésus-Christ, si maltraité
et si humilié pour
nous, ont embrassé avec joie la pauvreté, les persécutions,
les mépris, les
maladies, les douleurs et la mort. Les âmes qui ont épousé
le Sauveur sur la
croix ne trouvent rien de plus glorieux que de porter les insignes
de Jésus
crucifié: ces insignes sont les souffrances.
Écoutons ce que dit saint Augustin: "À nous, qui croyons
par la foi qu'un
Dieu est mort en croix pour notre amor, il n'est pas permis de l'aimer
faiblement; aucune affection ne doit trouver place dans notre coeur,
si ce
n'est pour celui qui a voulu mourir crucifié pour l'amour de
nous."
Unissons-nous donc tous à saint Paul, et répétons
avec lui: "J'ai été crucifié
avec Jésus-Christ; si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est
Jésus-Christ qui
vit en moi, lui qui m'a aimé au point de se livrer pour moi"
(Ga 2, 19-20).
Saint Bernard, commentant ces paroles, s'exprime ainsi: "Voici ce que
l'Apôtre faot emntendre, et ce que doit dire comme lui quiconque
aime
Jésus crucifié: J'ai cessé de vivre pour moi-même
depuis que je sais que
Jésus-Christ a daigné mourir pour moi, en prenant sur
lui la peine de mort
qui m'était due; c'est pourquoi je suis mort à toutes
les choses du monde, je
suis inattentif et insensible comme un mort à tout ce qui n'est
pas pour
Jésus-Christ. Mais s'il se présente des choses qui regardent
son bon plaisir et
sa gloire, elles me trouvent vivant et prêt à embrasser
quoi que ce soit, les
travaux, les humiliations, les souffrances, et la mort même".
"Ma vie c'est le
Christ" (Ph 1, 21) ajoutait saint Paul, c'est-à-dire: Jésus-Christ
est ma vie; car
il est mon unique pensée, mon unique but, mon unique espérance,
mon
unique désir, parce qu'il est tout mon amour.
Il dit encore: "La promesse est certaine: si nous mourons avec Jésus-Christ,
nous vivrons éternellement avec lui; si nous supportons patiemment
les
souffrances avec Jésus-Christ, nous régnerons avec Jésus-Christ"
(2 Tm 2,
11-12). Les rois de la terre, après la victoire, font part des
biens acquis à
ceux qui ont combattu avec eux; de même, au jour du jugement,
Notre-Seigneur fera part des biens célestes à tous ceux
qui auront travaillé et
souffert pour sa gloire. Mourir avec Jésus-Christ qui, au grand
jour des
comptes, si nous l'avons renié, nous reniera justement à
son tour; il refusera
de nous reconnaître pour siens (2 Tm 2, 12). Il faut observer
ici que nous
renonçons à Jésus-Christ, non seulement quand
nous renions la foi, mais
encore quand nous refusons de lui obéir en ce qu'il exige de
nous, comme
de remettre au prochain, pour son amour, un affront reçu, de
ne pas tenir au
vain point d'honneur, de rompre une liaison qui nous met en danger
de
perdre l'amitié de Jésus-Christ, de mépriser la
crainte de passer pour ingrats
devant les hommes, puisque nous devons être avant tout reconnaissants
envers Jésus-Christ, qui a donné son sang et sa vie pour
nous, ce que n'a fait
aucune créature.
Ô Amour de Dieu! comment peux-tu être si méprisé
des hommes ? Ô
hommes! voyez sur cette croix le Fils de Dieu s'immolant comme un
innocent agneau, pour expier vos péchés et gagner ainsi
votre amour;
regardez-le, contemplez-le et aimez-le !Mon Jésus infiniment
aimable ! ne
permettez plus que je sois ingrat envers vous après tant de
bonté. Par le
passé, j'ai vécu dans l'oubli de votre amour et de tout
ce que vous avez
souffert pour moi; mais à l'avenir, je ne veux plus penser qu'à
vous aimer. Ô
Plaies de Jésus, blessez-moi d'amour! Ô Sang de Jésus,
enivrez-moi
d'amour! Ô Mort de Jésus, faites-moi mourir à tout
amour qui n'est pas pour
Jésus! Mon Jésus! je vous aime par-dessus toutes choses,
je vous aime de
toute mon âme, je vous aime plus que moi-même! Je vous
aime, et parce
que je vous aime, je voudrais mourir de douleur, en pensant que j'ai
tant de
fois méprisé votre grâce. Ah! par vos mérites,
mon Sauveur crucifié,
donnez-moi votre amour, et faites que je sois tout à vous!
Ô Marie, mon Espérance, faites-moi aimer Jésus-Christ,
je ne vous
demande rien de plus!
CHAPITRE X
SUR NOTRE ESPÉRANCE ENTIÈRE
DANS LES MÉRITES DE
JÉSUS-CHRIST
- I -
Jésus crucifié est notre ressource
dans tous nos besoins
"Tout notre salut, dit saint Pierre, est en Jésus-Christ: (Ac
4, 12). C'est lui
qui, par le moyen de la croix, où il a sacrifié sa vie
pour nous, nous a ouvert
la voie pour espérer de Dieu tous les biens, si nous sommes
fidèles à ses
préceptes.
Écoutons ce que dit de la croix saint Jean Chrysostome: "La croix
(ou Jésus
crucifié) est l'espérance des chrétiens, l'appui
des boiteux, la consolation des
pauvres, la ruine de l'orgueil, la victoire sur les démons,
l'école des
commençants, le guide des navigateurs, le port ouvert, le conseiller
des
justes, le repos des affligés, le remède des malades,
la gloire des martyrs."
Chacune de ces appellations mérite un bref commentaire.
L'espérance des chrétiens. Sans Jésus-Christ, nous
n'aurions aucun espoir
de salut.
L'appui des boiteux. Dans notre état présent, qui est
un état de dégradation,
nous sommes tous spirituellement boiteux; nous n'avons d'autre force
pour
marcher dans la voie du salut que celle que nous recevons de la grâce
de
Jésus-Christ.
La consolation des pauvres. Comment un chrétien ne se dirait-il
pas pauvre?
Tout ce que nous avons, nous le devons à la charité de
Jésus-Christ.
La ruine de l'orgueil. Les disciples de Jésus crucifié
ne sauraient être
orgueilleux en voyant leur divin Maître mourir sur la croix comme
un
malfaiteur.
La victoire sur les démons. Le seul signe de la croix suffit
pour mettre les
démons en fuite.
L'école des commençants. Quels beaux enseignements la
croix donne à
ceux qui commencent à marcher dans les voies de Dieu!
Le guide des navigateurs. Oh! comme la croix nous dirige bien au milieu
des tempêtes de la vie présente.
Le port ouvert. Tous ceux que les tentations ou de violentes passions
mettent en danger de se perdre trouvent un abri sûr au pied de
la croix.
Le conseiller des justes. Que de salutaires conseils ne puise-t-on pas
dans la
croix, c'est-à-dire dans les tribulations qu'on éprouve
durant la vie!
Le repos des affligés. Où les personnes affligées
trouvent-elles plus de
consolation qu'au pied de la croix, sur laquelle elles voient un Dieu
qui
souffre pour leur amour?
Le remède des malades. Ceux qui embrassent la croix dans les
maladies
sont bientôt guéris de toutes les plaies de leur âme.
La gloire des Martyrs. Ce qui fait surtout la gloire des Martyrs, c'est
de
ressembler à Jésus crucifié, Roi des Martyrs.
En un mot, toutes nos espérances sont dans les mérites
de Jésus-Christ.
Paraphrasant à peine l'Apôtre (Ph 4, 12-13), on peut dire:
Instruit par le
Seigneur, je sais comment je dois me conduire en toutes circonstances.
Quand Dieu m'humilie, je sais me résigner à sa volonté,
et quand il m'élève,
je sais lui en rendre tout l'honneur. S'il me fait jouir de l'abondance,
je sais le
remercier, et s'il me fait souffrir de la pénurie, je le bénis
encore; mais je
n'agis pas ainsi pas ma propre vertu, c'est l'effet de la grâce
que Dieu me
donne. Celui qui se défie de lui-même et se confie en
Jésus-Christ acquiert
par son secours une force invincible.
Le Seigneur rend tout-puissants ceux qui mettent en lui leur confiance.
Ainsi parle saint Bernard, et il ajoute qu'une âme qui ne présume
point de
ses propres forces, mais qui est fortifiés par Jésus-Christ,
pourra devenir
tellement maîtresse d'elle-même qu'elle ne se laissera
dominer par aucun
péché. Il en conclut que, si quelqu'un s'appuie sur Jésus-Christ,
il n'y a ni
violence, ni fraude, ni plaisir qui puisse l'abattre.
L'Apôtre ayant prié Dieu par trois fois de le délivrer
d'une épreuve qui le
tenaillait, le Seigneur lui répondit que sa grâce le suffisait,
et que la vertu se
perfectionne dans la faiblesse (2 Co 12, 7-9). Mais, comment se fait-il
que la
vertu se perfectionne dans la faiblesse? Saint Thomas nous l'explique
avec
saint Jean Chrysostome: Plus nous sommes faibles et enclins au mal,
plus
Dieu nous communique de force, dès que nous recourons à
lui avec
confiance. C'est pourquoi l'Apôtre ajoute immédiatement:
"Je me glorifierai
donc volontiers de mes faiblesses, puisque ainsi la vertu de Jésus-Christ
s'établira mieux en moi." Et il continue: "Je me plais conséquemment
dans
mes faiblesses, souffrant avec joie, pour Jésus-Christ, les
injures, la
pauvreté, les persécutions, les angoisses; car plus je
me trouve faible, plus je
me confie en lui, et j'en deviens d'autant plus fort." (2 Co 12, 9-10).
Saint Paul dit encore que la croix paraît une folie à ceux
qui suivent la voie
de la perdition, mais que pour nous, qui marchons dans la voie du salut,
c'est la force de Dieu (1 Co 1, 18). Par ces paroles, il nous engage
à ne pas
imiter les mondains, qui mettent leur confiance dans les richesses,
ou dans
les parents et leurs amis, et qui regardent comme insensés les
saints, qui
font peu de cas des appuis terrestres. Au contraire, imitons ces derniers
en
plaçanmt comme eux toutes nos espérances dans l'amour
de la croix,
c'est-à-dire de Jésus crucifié, qui procure tous
les biens à quiconque se
confie en lui.
Il faut remarquer ici que la puissance du monde diffère entièrement
de celle
de Dieu: celle-là s'acquiert par les richesses et les honneurs,
tandis que
celle-ci s'obtient par l'humilité et la patience. Ce qui fait
dire à saint Augustin
que notre force est dans la connaissance de notre faiblesse et dans
l'humble
aveu de notre misère. Et, selon saint Jérôme, toute
la perfection de la vie
présente consiste à reconnaître ses imperfections.
En effet, dès que nous
nous reconnaissons imparfaits comme nous le sommes, nous défiant
alors
de nos propres forces, nous nous abandonnons entre les bras de Dieu,
qui
protège et sauve ceux qui se confient en lui, comme en témoigne
le
Psalmiste (Ps 17, 31 et 16, 7). Celui qui met sa confiance dans le
Seigneur,
ajoute-til, devient fort comme une montagne; tous les efforts de ses
ennemis ne sauraient l'ébranler (Ps 124, 1). De là, saint
Augustin nous
donne cet avie que, dans les tentations, lorsque nous sommes en danger
de
pécher, nous devons recourir à Jésus-Christ et
nous appuyer entièrement
sur lui; loin de se retirer et de nous laisser tomber, il nous tiendra
dans ses
bras et remédiera à notre faiblesse.
En prenant sur lui les misères de notre humanité, Jésus-Christ
nous a mérité
une force qui surpasse notre faiblesse; car, ayant été
lui-même tenté, dit
l'Écriture, il peut nous secourir dans les tentations (He 2,
18). Comment
cela? c'est que notre Sauveur, après avoir éprouvé
les tentations, en est plus
porté à compatir à nos maux et à nous aider
lorsque nous sommes tentés.
Cette explication nous est donnés dans un autre passage du même
texte:
"Nous n'avons pas un grand prêtre impuissant à compatir
à nos faiblesses,
lui qui a été éprouvé en tout d'une manière
semblable, à l'exception du
péché" (He 4, 15). L'auteur nous exhorte conséquemment
à recourir avec
confiance au trône de la grâce, c'est-à-dire à
la croix, pour recevoir du
Sauveur, qui y est attaché pour nous, les secours dont nous
avons besoin
(HE 4, 16).
L'Évangile atteste que Jésus-Christ, dans le jardin de
Gethsémani, la nuit qui
précéda sa mort, fut en proie à la crainte, à
l'ennui, à la tristesse (Mc 14, 33;
Mt 26, 37). En se soummettant à ces peines, notre Sauveur nous
a mérité le
courage de résister aux menaces de ceux qui veulent nous pervertir,
la
vigueur nécessaire pour surmonter l'ennui que nous éprouvons
dans
l'oraison, dans les mortifications, et dans les autres exercices de
piété, et la
force de souffrir en paix la tristesse qui nous afflige dans les adversités.
Nous savons en outre que, dans cette même circonstance, à
la vue des
douleurs et de la mort désolée qu'on lui préparait,
il voulut bien éprouver,
dans son humanité, une telle faiblesse qu'il dit à ses
disciples: "L'esprit est
prompt, mais la chair est faible" (Mt 26, 41) et qu'il alla jusqu'à
prier Dieu
son Père d'éloigner de lui cet horrible supplice. Mais
il ajouta aussitôt:
"Néanmoins, non comme je veux, mais comme vous voulez" (Mt 26,
42).
Durant tout le temps de sa pénible oraison dans le jardin des
Olives, il ne fit
que répéter la même prière. Ce Fiat nous
mérita et nous obtint la résignation
dans tout ce qui nous arrive de contraire, et valut aux Martyrs et
aux
Confesseurs de la foi la force de résister à toutes les
persécutions et à toute
la cruauté des tyrans, comme l'enseigne saint Léon.
De même, par l'hooreur qu'il eut alors de nos péchés,
et qui lui cause une si
dure agonie (Lc 22,43), Jésus nous a mérité la
grâce de la contrition. Par
l'abandon qu'il souffrit ensuite sur la croix, de la part de son Père,
il nous a
mérité la grâce de ne pas nous décourager
dans les désolations et les
obscurités spirituelles. En inclinant la tête, au moment
d'expirer sur ce gibet
pour obéir à la volonté de son Père (Ph
2, 8), il nous a mérité toutes les
victoires que nous obtenons contre les passions et les tentations,
ainsi que la
patience dans les maux de cette vie, et principalement dans les douleurs
et
les angoisses qui accompagnent la mort. En un mot, dit saint Léon,
Jésus-Christ est venu prendre sur lui nos infirmités
et nos misères, pour
nous communiquer sa vertu et sa constance.
L'Écriture nous assure que le Fils de Dieu a appris l'obéissance
par tout ce
qu'il a souffert (He 5, 8). Cela ne signifie pas que Jésus-Christ
ait appris
dans sa passion ce que c'est que la vertu d'obéissance, comme
s'il l'eût
ignoré auparavant; mais on entend par là, suivant l'explication
de saint
Anselme, que Notre-Seigneur, outre la connaissance qu'il en avait déjà,
apprit par expérience, dans sa passion, combien était
douloureuse la mort
qu'il devait souffrir pour obéir à son père. Il
éprouva aussi alors combien est
grand le mérite de l'obéissance, puisque, par elle, il
obtint pour lui-même le
plus haut degré de gloire, qui est d'être assis à
la droite de son Père, et pour
nous le salut éternel. C'est pourquoi l'auteur sacré
ajoute qu'ayant exercé
une obéissance parfaite, en endurant patiemment tout ce qu'il
eut à souffrir
dans sa passion, Jésus-Christ a mérité la grâce
du salut à tous ceux qui se
montrent obéissants envers lui, en supportant avec patience
les maux de la
vie présente (He 5, 9).
C'est cette patience du divin Sauveur qui a procuré aux Saints
Martyrs le
courage et la force d'embrasser avec patience les tourments les plus
atroces
que la cruauté des tyrans ait pu inventer, et non seulement
avec patience,
mais avec joie et avec le désir de souffrir encore davantage
pour l'amour de
Jésus-Christ. Qu'on lise la célèbre lettre que
saint Ignace Martyr, condamné
aux bêtes, écrivit aux Romains avant d'arriver au lieu
de son supplice: "Mes
enfants, leur dit-il, je suis le froment de Dieu; laissez-moi broyer
par les
dents des bêtes féroces, afin que je devienne un pain
agréable à mon
Rédempteur. Je ne cherche que celui qui est mort pour nous.
Permettez que
j'imite la passion de mon Dieu. Il est l'unique objet de mon amour,
il a été
crucifié pour moi; l'amour que je lui porte, me fait désirer
d'être crucifié
pour lui". Saint Léon dit du martyr saint Laurent, que le feu
qui brûlait son
corps sur le gril était moins ardent que celui dont son âme
était embrasée.
Eusèbe et Pallade rapportent de sainte Potamiène, vierge
d'Alexandrie,
qu'étant condamnée à être jetée dans
une chaudiède de poix bouillante, et
désirant souffrir davantage pour l'amour de son Époux
crucifié, elle pria le
tyran de l'y faire descendre peu à peu, afin que sa mort fût
plus
douloureuse. Elle obtint ce qu'elle demandait: on commença par
lui plonger
les pieds dans la poix, de sorte que son tourment dura trois heures;
elle
n'expira que lorsque la poix lui fut arrivée au cou. Telles
sont la patience et
la force que les Martyrs reçrent de la passion de Jésus-Christ.
Plein de ce courage que Jésus crucifié inspire à
ceux dont il est aimé, saint
Paul s'écriait qu'aucune pein, aucune privation, aucun danger,
aucun
supplice, n'était capable de le séparer de l'amour de
Jésus-Christ (Rm 8, 35).
Il espérait triompher de tout par la grâce et pour l'amour
de son divin Maître
(Rm 8, 37). L'amour des Martyrs envers Jésus-Christ était
invincible, parce
qu'il recevait sa force de celui qui ne saurait être vaincu.
Et ne pensons pas
qu'un miracle les ait rendus insensibles aux tourments, ni que les
consolations célestes aient absorbé la douleur qu'ils
éprouvaient; cela a pu
arriver quelquefois, mais d'ordinaire ils sentaient très bien
leurs douleurs; on
en voyait qui, par faiblesse, cédaient à la violence
des tortures. Quant à ceux
qui avaient la constance de résister jusqu'à la fin,
c'est Dieu qui leur donnait
la patience et la force nécessaire pour tout souffrir.
Le premier objet de notre espérance est la félicité
éternelle, c'est-à-dire la
jouissance de Dieu, comme l'enseigne saint Thomas. Quant aux moyens
d'arriver à cette suprême béatitude, tels que le
pardon des péchés commis, la
persévérance finale dans la grâce de Dieu et la
bonne mort, nous devons
tout attendre des mérites et du secours de Jésus-Christ,
sans compter sur
nos propres forces ni sur nos bonnes résolutions. Ainsi, pour
que notre
confiance soit ferme, nous devons avoir la certitude infaillible que
nous ne
pouvons obtenir ces moyens de salut que par les mérites de notre
Sauveur,
et que nous en pouvons tout espérer.
- II -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir le pardon de nos péchés
Nous savons que c'est pour procurer aux pécheurs le pardon et
le salut que
le Fils de Dieu est venu sur la terre, comme il l'a déclaré
lui-même (Mt 18,
11). Et lorsque saint Jean-Baptiste annonça aux Juifs la présence
du Messie
qu'ils attendaient, il s'exprima ainsi, en le montrant: "Voici l'Agneau
de
Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde"
(Jn 1, 29). Il dit l'Agneau,
avec l'article défini, d'après le texte grec; c'est donc
comme si le saint
Précurseur eût parlé de cette manière: Voici
l'Agneau divin prédit par Isaïe
(Is 53, 7) et par Jérémie (Jr 11, 19). Voici l'Agneau
préfiguré par Moïse dans
l'agneau pascal, ainsi que dans le sacrifice de l'agneau qu'on offrait
à Dieu
chaque matin, suivant la Loi, et dans plusieurs autres qui se faisaient
le soir
pour les péchés. Mais tous ces agneaux ne pouvaient abolir
un seul péché;
ils ne servaient qu'à représenter le sacrifice de l'Agneau
divin, qui devait
laver nos âmes de son sang, et les délivrer par ce moyen,
tant de la tache du
péché que de la peine éternelle encourue par le
péché, notre Sauveur
prenant sur lui la charge de satisfaire pour nous à la justice
de Dieu par sa
mort, selon ce qu'Isaïe a prédit: "Le Seigneur a fait retomber
sur lui les
crimes de nous tous" (Is 53, 6). C'est ce qui fait dire à saint
Cyrille:
Jésus-Christ a voulu se dévouer à la mort, pour
gagner à Dieu tous les
hommes qui étaient perdus.
Combien donc ne sommes-nous pas obligés envers ce généreux
Rédempteur! Si, au moment où un condamné à
mort est conduit au
supplice, la corde au cou, un ami venait le délivrer en prenant
sur lui la
corde fatale pour mourir à sa place, quel droit cet ami n'aurait-il
pas à sa
reconnaissance et à son amour! Eh bien! voilà ce que
Jésus a fait pour nous;
il est mort sur la croix pour nous délivrer de la mort éternelle.
Notre-Seigneur, dit saint Pierre, s'est chargé de tous nos péchés
et les a
portés sur la croix, pour les expier par sa mort, nous en obtenir
le pardon, et
nous rendre ainsi la vie que nous avions perdue (1 P2, 24). Qu'y-a-t-il
de
plus admirable, s'écrie saint Bonaventure, que de voir les plaies
de l'un
guérir les plaies des autres, et la mort d'un seul rappeler
à la vie tous ceux
qui étaient morts? Saint Paul dit que, des pécheurs que
nous étions, odieux
et abominbles, Dieu nous a rendus, par Jésus-Christ, agréables
et aimables à
ses yeux; car, par les mérites de son sang, il nous a remis
nos péchés, et
nous a communiqué surabondamment les richesses de sa grâce
(Ep 1, 6).
Tel fut l'effet du pacte de Jésus-Christ avec son Père:
le Seigneur nous a
pardonné nos fautes et nous a reçus dans son amitié,
en considération des
souffrances et de la mort de son Fils bien-aimé.
C'est dans ce sens que l'Écriture appelle Jésus-Christ
Médiateur du Nouveau
Testament (He 9, 15). Dans nos Saints Livres, le mot Testament se prend
en
deux sens: celui de pacte, ou d'accord entre deux parties qui étaient
en
opposition, et celui de promesse, ou de disposition de dernière
volonté, par
laquelle on transmet son bien à des héritiers, disposition
qui ne devient
irrévocable que par la mort du testateur. Nous parlerons plus
loin, à la
section IV de ce chapitre, du Testament considéré comme
promesse. Ici, il
ne s'agit que du Testament considéré comme pacte, tel
que l'entend
l'Écriture lorsqu'elle dit que Jésus-Christ est le Médiateur
du Nouveau
Testament.
Le péché avait rendu l'homme débiteur envers la
Justice divine et ennemi de
Dieu. Le Fils de Dieu vint sur la terre, se revêtit de la chair
humaine, et, dès
qu'il fut tout à la fois Dieu et Homme, se fit Médiateur
entre l'homme et
Dieu, agissant comme Dieu et comme Homme. Afin de rétablir la
paix entre
eux, en obtenant pour l'homme la grâce de Dieu, il offrit de
payer à la justice
de Dieu, au prix de son sang et de sa mort, la dette de l'homme. Cette
merveilleuse réconciliation avait été figurée
d'avance, sous l'Ancien
Testament, dans tous les sacrifices qui se faisaient alors, et dans
tous les
symboles que Dieu avait ordonnés, tels que le tabernacle, l'autel,
le voile, le
chandelier d'or, l'encensoir, et l'arche qui renfermait le rameau d'Aaron
et les
tables de la Loi. Tous ces objets étauient des signes et des
figures de la
rédemption promise. Comme cette rédemption devait s'accomplir
par le
sang de Jésus-Christ, Dieu avait prescrit que le sang des animaux,
représentant celui de l'Agneau divin, fût versé
dans tous les sacrifices, et que
tous les objets symboliques que nous venons de mentionner fussent arrosés
de ce sang (He 9, 18).
Le premier Testament, c'est-à-dire l'alliance, le pacte, ou la
médiation, qui se
fit dans l'Ancienne Loi, et qui représentait la médiation
de Jésus-Christ dans
la Loi Nouvelle, fut scellé par le sang des veaux et des boucs,
que Moïse prit
avec de la laine rouge et de l'hysipe (He 9, 19). La laine rouge était
aussi une
figure de notre Sauveur: comme la laine est naturellement blanche,
et qu'elle
ne devient rouge que par la teinture, de même Jésus, blanc
par sa nature et
par son innocence, parut tout rougi de son sang sur la croix, où
il fut
supplicié comme un malfaiteur. Ainsi s'est vérifié
ce que l'Épouse des
Cantiques disait de lui: "Mon Bien-Aimé éclate par sa
blancheur et par sa
rougeur" (Ct 5, 10). L'hysope, qui est une piante basse, marquait l'humilité
de Jésus-Christ.
Le texte continue en ces termes: "Moïse ayant pris du sang des
victimes, en
jeta sur le livre où l'alliance était écrite,
et sur tout le peuple, en disant: "C'est
le sang su Testament que Dieu a fait pour vous. Il jeta encore du sang
sur le
tabernacle et sur tous les vases sacrés. Enfin, selon la Loi,
presque tout se
purifie avec le sang et les péchés ne sont pas remis
sans effusion de sang.
(He 9, 19-22), En parlant ainsi aux Hébreux, l'auteur sacré
a voulu répéter
plusieurs fois le mot de sang, afin d'imprimer dans l'esprit et dans
le coeur
de tous les hommes que, sans le sang de Jésus-Christ, il n'y
aurait aucun
espoir de pardon. Et comme, sous l'Ancienne Loi, le sang des victimes
purifiait les Hébreux de la tache extérieure des fautes
qu'ils commettaient
contre la Loi, et leur remettait la peine temporelle que la Loi imposait,
de
même, sous la Loi Nouvelle, le sang de Jésus-Christ nous
lave de la tache
intérieure de nos péchés, suivant l'expression
de saint Jean (Ap 4, 5), et il
nous délivre de la peine éternelle de l'enfer.
Dans le présent contexte, il convient de reprendre ce qui a été
dit plus haut,
au Chapitre VII, section II. Le Pontife de l'Ancienne Loi entrait par
le
tabernacle dans le Saint des Saints et, au moyen de l'aspersion du
sang des
animaux, il purgeait les délinquants de la tache extérieure
qu'ils avaient
contractée et de la peine temporelle seulement. Pour obtenir
la rémission de
la coulpe et de la peine éternelle, il était absolument
nécessaire aux Hébreux
d'avoir la contrition avec la foi et l'espérance dans le Messie
futur, qui devait
mourir pour procurer aux hommes le pardon de leurs péchés;
mais Jésus-
Christ, le Pontife de la Loi Nouvelle, par un tabernacle plus grand
et plus
parfait, c'est-à-dire par son corps adorable, offert en sacrifice
sur la croix, est
entré dans le sanctuaire du ciel, qui nous était fermé
et qu'il nous a ouvert
par la rédemption.
Ensuite, pour porter à espérer le pardon de toutes nos
fautes, en mettant
notre confiance dans les mérites de notre Sauveur, le texte
ajoute que, si le
sang des animaux offerts en sacrifice avait la vertu d'ôter les
souillures
légales, à bien plus forte raison le sang de Jésus-Christ,
qui s'est offert
lui-même à Dieu comme une victime sans tache, doit purifier
notre
conscience des oeuvres mortes et nous rendre capables de servir Dieu
comme il convient. Notre divin Rédempteur s'est offert lui-même
à Dieu,
pur de toute tache, sans aucune ombre de faute; autrement, il n'eût
pas été
un digne médiateur, propre à réconcilier Dieu
avec l'homme pécheur, et son
sang n'eût pas eu la vertu de purifier notre conscience des oeuvres
mortes,
c'est-à-dire des péchés, qui sont des oeuvres
mortes, ou sans mérites, et des
oeuvres de mort, dignes des peines éternelles. Le Seigneur ne
nous
pardonne qu'à la condition que nous emploierons le reste de
notre vie à le
servir et à l'aimer.
Voilà pourquoi, conclut notre passage de la Lettre aux Hébreux,
Jésus-Christ est le Médiateur du Nouveau Testament. Ainsi,
notre
Rédempteur, poussé par l'amour immense qu'il nous portait,
a voulu nous
racheter de la mort éternelle au prix de son sang; c'est par
ce moyen qu'il
nous a obtenu de Dieu le pardon de nos péchés, sa grâce
en cette vie, et
l'éternelle félicité en l'autre, si nous le servons
fidèlement jusqu'à la mort. Tel
fut le Testament, médiation ou pacte, entre Jésus-Christ
et Dieu son Père, en
vertu duquel le pardon et le salut nous furent promis. (Cf. He 9 passim.)
Cette promesse du pardon qui devait nous être accordé en
considération des
mérites du sang de Jésus-Christ, nous a été
confirmée par notre Sauveur
lui-même, la veille de la mort lorsqu'il dit en instituant le
sacrement de
l'Eucharistie: "Ceci est mon Sang, le Sang de la Nouvelle Alliance,
qui sera
répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés"
(Mt 26, 28). Par le
mot "répandu", il annonçait que son sacrifice était
prochain, et qu'il devait y
laisser son sang, non en partie, mais entièrement, pour expier
nos péchés et
nous en obtenir le pardon. Notre-Seigneur a voulu encuite que ce divin
sacrifice se renouvelât tous les jours, à chaque Messe
qui serait célébrée,
afin que son sang intercédât continuellement en notre
faveur.
C'est pour cela que Jésus-Christ fut appelé Prêtre
selon l'ordre de
Melchisédech (Ps 109, 4). Aaron offrit des sacrifices d'animaux,
tandis que
le sacrifice de Melchisédech fut de pain et de vin, figure du
Sacrifice de
l'autel. Notre Sauveur institua cet auguste mystère lors de
la dernière cène,
en offrant à Dieu, sous les espèces du pain et du vin,
son corps et son sang,
qu'il devait sacrifier le lendemain dans sa passion, pour continuer
ensuite à
les offrir tous les jours par la main des prêtres, renouvelant
sans cesse par
leur ministère le Sacrifice de la croix.
La Lettre aux Hébreux explique pourquoi David appelle Jésus-Christ,
non
seulement Prêtre, mais Prêtre éternel. La mort mettait
fin au sacerdoce des
anciens Pontifes; mais, comme Jésus-Christ demeure éternellement,
son
sacerdoce est éternel (He 7, 24). Et si l'on demande comment
Notre-Seigneur continue dans le ciel l'exercice de son sacerdoce, le
texte
sacré fournit les réponses au verset suivant: "Du fait
qu'il demeure pour
l'éternité, il a un sacerdoce éternel" (He 7,
25). Le grand Sacrifice de la croix,
représenté et perpétué par le Sacrifice
de l'autel, ne cesse pas d'avoir la vertu
de sauver tous ceux qui, dûment disposés par la foi et
les bonnes oeuvres,
s'approchent de Dieu par l'entremise de Jésus-Christ. Ce sacrifice,
disent
saint Ambroise et saint Augustin, le Fils de Dieu continue comme homme
de l'offrir pour nous à son Père, ne cessant point de
faire dans le ciel,
comme il le faisait sur la terre, l'office de notre Avocat et Médiateur,
et
même de notre Pontife, office qui consiste à intercéder
en notre faveur,
suivant les dernières paroles du texte.
Saint Jean Chrysostome dit que les plaies de Jésus-Christ sont
autant de
bouches ouvertes, pour implorer de Dieu le pardon de nos péchés.
C'est
bien ce qu'affirme l'Écriture lorsqu'elle indique que son précieux
sang parle
bien plus efficacement en demandant miséricorde pour nous que
celui
d'Abel en réclamant la vengeance divine contre Caïn (He
12, 22). On lit dans
les révélations de sainte Marie-Madeleine de Pazzi que
Dieu lui adressa un
jou ces paroles: "Ma justice s'est changée en clémence
par la vengeance qu'a
prise sur la chair innocente de mon Fils. Son Sang ne me crie pas vengeance
comme celui d'Abel; il ne demande que miséricorde et, à
sa voix, ma justice
ne peut résister; le sang de Jésus lui lie les mains,
de sorte qu'elle ne peut
plus les lever pour punir les péchés comme auparavant."
Le Seigneur nous avait promis la rémission de nos péchés
et la vie éternelle;
mais, remarque saint Augustin, il a fait pour nous plus qu'il avait
promis.
Pour nous accorder le pardon et le paradis, il n'en eût rien
couté à
Jésus-Christ; mais, pour nous racheter, il a dû donner
son sang et sa vie.
L'apôtre saint Jean nous exhorte à fuir le péché;
mais, de peur que nous
perdions la confiance envers Dieu, à cause des fautes que nous
avons
commises, il nous en fait espérer le pardon, pourvu que nous
ayons la ferme
résolution de n'y plus retomber. À cet effet, il nous
dit que nous avons
affaire à Jésus-Christ qui, non seulement est mort pour
nous pardonner,
mais de plus, après sa mort, s'est fait notre Avocat auprès
de Dieu son Père
(1 Jn 2, 1). Nos péchés, selon la justice, méritent
la disgrâce de Dieu et la
damnation éternelle; mais la passion du Sauveur réclame
pour nous la grâce
et le salut, et cela en toute justice. Car le Père éternel,
en considération des
mérites de son Fils, lui a promis de nous pardonner et de nous
sauver, dès
que nous sommes disposés à recevoir sa grâce et
à observer ses
commandements, selon ce que dit l'Écriture (He 5, 9). Ainsi,
Jésus-Christ,
en mourant sur la croix consumé de douleurs, a obtenu le salut
éternel à
tous ceux qui observent sa loi. De là cette exhortation: Courons
avec ardeur,
armés de courage et de patience, au combat contre les ennemis
de notre
salut, en tenant toujours les yeux fixés sur Jésus crucifié,
qui, renonçant à
une vie de plaisirs sur la terre, a préféré d'y
passer ses jours dans des travaux
pénibles, terminés par une mort pleine de douleurs et
d'opprobresm et a
voulu accomplir ainsi l'oeuvre de notre rédemption (He 12, 1-2).Ô
précieux
Sans de mon Sauveur, vous êtes mon espérance; purifiez
un pauvre pécheur
qui se repent de ses fautes! Mon Jésus! mes ennemis, après
m'avoir entraîné
à vous offenser, me disent que je n'ai plus rien à espérer
de vous, qu'il n'y a
plus de salut pour moi (Ps 3, 3). Mais au contraire, plein de confiance
dans
le sang que vous avez répandu pour moi, je vous dirai avec David
que vous
êtes mon refuge (Ps 3, 4). Mes ennemis cherchent à me
troubler, en disant
qu'après tant de péchés, si je recours à
vous, je serai repoussé; mais saint
Jean me rassure par votre promesse de ne point rejeter celui qui revient
à
vous (Jn 6, 37). Je recours donc à vous avec une entière
confiance. Vous,
mon Sauveur, qui avez répandu tout votre sang avec tant de douleur
et tant
d'amour pour ne pas me voir perdu à jamais, ayez pitié
de moi,
pardonnez-moi et sauvez-moi !
- III -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la persévérance finale.
Pour persévérer dans le bien, nous ne devons pas nous
fier aux résolutions
que nous avons prises, ni ausx promesses que nous avons faites à
Dieu. Dès
que nous comptons sur nos propres forces, nous sommes perdus. C'est
dans les mérites de Jésus-Christ que nous devons placer
toute notre
espérance pour nous maintenir dans l'état de grâce;
son secours nous fera
persévérer jusqu'à la mort, fussions-nous combattus
par toutes les
puissances de la terre et de l'enfer. Quelquefois, sans doute, nous
nous
trouverons tellement abattus et assaillis de tant de tentations que
notre ruine
nous paraîtra presque inévitable; gardons-nous alors de
perdre courage eet
de nous abandonner au désespoir; recourons à Jésus
crucifiés, et il nous
empêchera de tomber.
Le Seigneur permet que les saints eux-mêmes aient quelquefois
à subir de
pareilles tempêtes. Saint Paul assure que les afflictions et
les craintesqu'il
souffrit en Asie étaient telles qu'il avait pris du dégoût
pour la vie (2 Co 1,
8). L'Apôtre déclare ainsi ce qu'il était selon
ses propres forces, pour nous
apprendre que Dieu nous laisse de temps en temps dans la désolation,
afin
que nous connaissions notre misère et que, nous défiant
de nous-mêmes, et
implorant humblement son assistance, nous obtenions de lui la force
qui
nous manque pour ne pas succomber (2 Co 1, 9). Il s'exprime plus
clairement encore dans un autre endroit, où il dit: "Nous nous
sentons
oppressés par la tristesse et par les passions, mais sans nous
abandonner au
désespoir; nous sommes jetés sur des eaux agitées,
mais sans y être
submergés; car le Seigneur, par sa grâce, nous donne la
force de résister à
tous nos ennemis (2 Co 4, 8). Mais en même temps, l'Apôtre
nous
recommande de ne jamais oublier que nous sommes fragile, que nous
pouvons facilement perdre le trésor de la grâce, et que
le moyen de le
conserver ne vient pas de nous, mais de Dieu seul (2 Co 4, 7).
Soyons donc fermement persuadés qu'en cette vie nous devons toujours
nous garder d'avoir la moindre confiance en ce que nous pouvons faire.
Notre arme la plus forte, avec laquelle nous ne manquerons jamais de
remporter la victoire dans nos luttes contre l'enfer, c'est la prière.
Elle fait la
principale force de cette divine armure dont parle saint Paul, en nous
recommandant d'en être sans cesse revêtus, pour triompher
des ruses de nos
ennemis, car, ajoute-t-il, nous n'avons pas à combattre contre
les hommes,
créatures de chair et de sang, mais contre les puissances infernales
(Ep 6,
11-12). Tâchons de bien comprendre la description que l'Apôtre
donne ici
de l'armure du chrétien (Ep 6, 14-17).
Que la vérité soit la ceinture de vos reins. - Allusion
à la ceinture que les
soldats portaient comme une marque de la fidélité qu'ils
avaient jurée à leur
souverain. La ceinture du chrétien doit être la vérité
de la doctrine de
Jésus-Christ, suivant laquelle ils sont obligés de réprimer
tous les
mouvements déréglés, et surtout les mouvements
impurs, qui sont les plus
dangereux.
Que la justice soit votre cuirasse. - Le chrétien doit avoir
pour cuirasse une
bonne vie; sans quoi, il sera incapable de résister aux attaques
de ses
ennemis.
Que votre zèle à propager l'Évangile de la paix
soit vos chaussures. - La
chaussure militaire dont un chrétien doit faire usage pour arriver
promptement où le bien l'appelle, à la différence
de celui qui, allant pieds
nus, marche avec peine et lenteur, c'est d'être toujours prêt
à pratiquer les
saintes maximes de l'Évangile et à les insinuer aux autres
par son exemple.
Servez-vous surtout du bouclier de la foi, afin de pouvoir éteindre
tous les
traits enflammés de Satan. - Le bouclier qui doit protéger
le soldat de
Jésus-Christ contre les flèches ennemies, lesquelles
pénètrent comme le feu,
c'est une foi constante, animée par la sainte espérance
et principalement par
la divine charité.
Prenez encore le casque du salut, et l'épée de la parole
de Dieu. - Le casque,
selon saint anselme, c'est l'espérance du salut éternel.
Enfin, l'épée de l'esprit
doit être la parole sacrée par laquelle le Seigneur nous
a promis plusieurs
fois d'exaucer nos prières: "Invoque moi et je te répondrai"
(Jr 33, 3),
"Demandez et vous recevrez" (Mt 7, 7), "Quiconque demande reçoit"
(Lc
11, 10).
L'Apôtre termine son tableau par ces paroles remarquables: Invoquant
le
Seigneur en esprit et en tout temps, par toute sorte de supplications
et de
prières, et cela avec vigilance, avec instance et persévérance,
en priant aussi
pour tous les saints (Ep 6, 18). La prière est donc notre arme
principale; c'est
par elle que nous obtenons de Dieu la victoire sur toutes nos mauvaises
inclinations et sur toutes les tentations de l'enfer. Mais il faut
qu'on prie en
esprit, c'est-à-dire non seulement de bouche, mais encore de
coeur. Il faut
en outre prier en tout temps, durant toute la vie; comme nous avons
toujours à combattre, notre prière ne doit jamais cesser.
Il faut prier avec
instance et persévérane: si la tentation ne cède
pas à la première prière, on
doit en faire une deuxième, une troisième, une quatrième;
et si elle persiste
malgré cela, il faut prier avec gémissements, avec larmes,
jusqu'à
l'importunité et la violence, comme si nous voulions forcer
le Seigneur à
nous accorder la grâce de la victoire; telle est la signification
de ces mots.
Enfin, l'Apôtre ajoute pour tous les Saints, ce qui veut dire
que nous devons
prier, non seulement pour nous, mais encore pour la persévérance
de tous
les fidèles, spécialement pour celle des prêtres,
afin qu'ils travaillent avec
zèle et avec fruit à la conversion des infidèles
et de tous les pécheurs. Il faut
supplier fréquemment Notre-Seigneur, dans nos oraisons, d'éclairer
ceux
qui sont aussi dans les ténèbres et dans les ombres de
la mort, selon ce que
Zacharie annonçait dans son Cantique (Lc 1, 79).
Il est fort utile, pour triompher dans les combats spirituels, de les
prévenir
dans nos méditations, en nous disposant d'avance à résister
de toutes nos
forces aux attaques qui peuvent nous surprendre. C'estainsi qu'on a
vu les
Saints parler avec douceur ou garder le silence, sans éprouver
aucun trouble,
en recevant une injure grave, en se voyant tout à coup persécutés
avec
violence, saisis d'une vive douleur dans le corps ou dans l'âme,
en perdant
un objet de grande valeur ou une personne chérie. De telles
victoires sur
soi-même ne s'obtiennent pas ordinairement sans avoir cette fermeté
qu'on
puise dans une vie bien réglée, dans la fréquentation
des sacrements, et dans
un continuel exercice de méditations, de lectures spirituelles
et de prières.
On ne les voit guère chez ceux qui ne sont pas fort attentifs
à fuir les
occasions dangereuses, ou qui sont attachés aux vanités
ou aux plaisirs du
monde et pratiquent peu la mortification des sens; chez ceux, en un
mot,
qui mènent une vie molle. Saint Augustin enseigne que, dans
le combat
spirituel, on doit vaindre d'abord le plaisir, et ensuite la douleur.
Lorsqu'on
est abandonné aux plaisirs sensuels, on résiste difficilement
à une passion
vive ou à une violente tentation; et lorsqu'on aime trop l'estime
du monde,
on ne peut guère essuyer un affront grave sans perdre la grâce
de Dieu.
Il est vrai que c'est de Jésus-Christ seul, et nullement de nous-mêmes,
que
nous devons attendre la force nécessaire pour éviter
le péché et faire de
bonnes oeuvres; mais, pour obtenir cette grâce, il faut que nous
prenions
grand soin de ne pas nous rendre, par notre faute, de plue en plus
faible.
Certains défauts dont nous ne tenons pas compte peuvent être
cause que la
lumière divine nous manque, et que le démon devienne
plus fort contre
nous. Tels sont, par exemple, le désir de passer dans le monde
pour savant
ou pour noble, la vanité dans les habits, la recherche des commodités
superflues, l'habitude de se piquer de toute parole choquante ou d'un
simple
manque d'attention, l'envie de plaire au monde au dépens du
bien spirituel,
la négligence des pratiques de piété par respect
humain, les petites
désobéissances, les petits murmures, les petites aversions
conservées dans
le coeur, les légers mensonges, les légères dérisions,
le temps perdu en des
conversations ou des curiosités inutiles. En un mot, tout attachement
aux
biens terrestres, tout acte d'amour-propre désordonné,
peut servir à notre
ennemi pour nous entraîner dans quelque précip[ice. Par
suite de pareilles
fautes commises de propos délibéré, Dieu nous
privera de ses secours
abondnts, sans lesquels nous ferons bientôt quelque lourde chute.
Nous nous plaignons de nous trouver plein de sécheresse et de
dégoût dans
l'oraison, dans la communion, et dans tous les exercices spirituels;
mais,
comment Dieu voudrait-il nous faire jouir de sa présence et
nous prodiguer
les marques de sa tendresse, lorsque nous sommes si avare envers lui
et si
négligent dans son service? L'Apôtre nous en avertit:
"Celui qui sème peu
moissonera peu" (2 Co 9, 6). Si nous donnons à Dieu tant de
déplaisirs, quel
droit avons-nous à ses consolations célestes? Tant que
nous ne serons pas
entièrement détachés de la terre, nous ne serons
jamais tout entiers à
Jésus-Christ; et qu sait où cela nous conduira? Et cependant,
notre Sauveur
nous a mérité, par son humilité, la grâce
de vaincre l'orgueil; par sa pauvreté,
la force de mépriser les biens terrestres; par sa patience,
le courage de
supporter les affronts et les injures. Ah! s'écrie saint Augustin,
où en
sommes-nous, si les exemples du Fils de Dieu, et tant de grâces
qu'il nous a
obtenues, ne peuvent nous guérir de nos vices? Si, d'un côté,
nous laissons
refroidir notre amour envers Jésus-Christ, et si nous négligeons
de le prier
sans cesse de nous secourir, tandis que, de l'autre, nous nourrisons
dans
notre coeur quelque affection terrestre, il nous sera bien difficile
de
persévérer dans la bonne voie. Prions donc, prions toujours;
par la prière,
nous obtiendrons tout.Ô Rédempteur du monde! ô mon
unique Espérance!
par les mérites de votre passion, délivrez-moi de toute
affection impure et de
tout ce qui pourrait faire obstacle à l'amour que je vous dois.
Faites que je
vive entièrement dépouillé de désirs mondains,
et que je n'aspire qu'à vous
posséder, vous qui êtes le bien suprême, le seul
digne d'être aimé. Par vos
plaies sacrées, guérissez les infirmités de mon
âme, et accordez-moi la grâce
de tenir éloigné de mon coeur tout sentiment qui n'est
pas pour vous; c'est à
vous que sont dues toutes mes affections. Jésus, mon Amour,
vous êtes
mon espérance! Ô douces paroles! ô douce consolation!
Jésus, mon
Amour, vous êtes mon espérance!
- IV -
De l'espérance que nous avons en Jésus-Christ
d'obtenir la félicité éternelle.
Revenons à la Lettre aux Hébreux, où on dit que
Jésus-Christ est le
Médiateur du Nouveau Testament, afin que, par sa mort, nous
recevions
l'héritage éternel qu'il nous a promis (He 9, 15). Dans
la section II du présent
chapitre, on a parlé du Nouveau Testament comme pacte; ici,
il en sera
question comme promesse, ou disposition de dernière volonté,
par laquelle
Notre-Seigneur nous a institués héritiers du royaume
des cieux. Or, un
testament n'étant valide qu'après la mort du testateur,
il était nécessaire que
Jésus-Christ mourût, pour que nous pussions, comme ses
héritiers, entrer
en possession du paradis (He 9, 16-17).
En vertu des mérites de Jésus-Christ, notre Médiateur,
nous avons reçu la
grâce d'être élevés, par le Baptême,
à la dignité d'Enfants de Dieu, tandis que
les Hébreux, dans l'Ancien Testament, quoiqu'ils fussent le
peuple élu de
Dieu, n'étaient cependant que ses serviteurs (cf. Ga 4, 24).
La première
médiation eut lieu sur le mont Sinaï, lorsque Dieu promit
aux Hébreux, par
l'entremise de Moïse, l'abondance des biens temporels, s'ils observaient
la
loi qu'il leur donnait. Quant aux chrétiens, écoutons
saint Paul: "Vous, mes
frères, à la manière d'Isaac, vous êtes
mes enfants de la promesse" (Ga 4,
28). Si donc, nous chrétiens, nous sommes les enfants de Dieu,
il s'ensuit,
toujours d'après l'Apôtre, que nous sommes aussi ses héritiers;
car tous les
enfants doivent avoir part à l'héritage paternel; et
l'héritage auquel nous
avons droit - cohéritiers de Jésus-Christ - c'est la
gloire éternelle du paradis,
que Jésus-Christ nous a méritée par sa mort (Rm
8, 17).
Cependant, saint Paul ajoute aussitôt une condition. Il est vrai
qu'en vertu
du titre d'enfants de Dieu, que notre Sauveur nous a acquis au prix
de son
sang, nous avons droit au paradis; mais cela s'entend, si nous
correspondons fidèlement à la grâce par la pratique
des bonnes oeuvres, et
surtout par la patience. C'est pourquoi l'Apôtre dit que, pour
obtenir la gloire
éternelle comme Jésus-Christ l'a obtenue, nous devons
souffrir sur la terre
comme Jésus-Christ y a souffert (Rm 8, 17). Il marche en avant
comme
notre Chef avec sa croix; c'est sous cette bannière que nous
devons le
suivre, chacun portant sa croix, ainsi qu'il nous l'a déclaré
lui-même par ces
paroles: "Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à
lui-même, qu'il
se charge de sa croix, et qu'il me suive" (Mt 16, 24).
L'Apôtre nous exhorte ensuite à souffrir avec constance,
soutenus comme
nous le sommes par l'espérance du ciel ; il nous assure que
la gloire qui
nous attend dans l'autre vie, sera incomparablement plus grande que
le
mérite de toutes nos souffrances d'ici-bas, si nous les supportons
avec
résignation à la volonté de Dieu (Rm 8, 18). Quel
indigent serait assez
insensé pour ne pas donner avec joie tous ses haillons pour
acquérir un
grand royaume? Nous ne jouissons pas à présent de cette
gloire, parce que
nous ne sommes pas encore sauvés, n'ayant pas encore terminé
notre vie
dans la grâce de Dieu; mais ce qui doit nous sauver, continue
saint Paul,
c'est l'espérance dans les mérites de notre Rédempteur.
Il ne manquera pas
de nous accorder toutes les grâces dont nous avons besoin pour
nous
sauver, si nous lui sommes fidèles, et si nous persévérons
à les lui
demander, vu la promesse qu'il a faite d'exaucer quiconque le prie
(Lc 11,
10). On me dira peut-être: Je ne crains pas que Dieu refuse de
m'exaucer, si
je le prie; mais je crains de ne pas savoir prier comme il faut. Saint
Paul
répond qu'on ne doit pas craindre cela non plus, car, lorsque
nous prions,
Dieu vient lui-même au secours de notre faiblesse, et nous fait
prier de
manière à être exaucés (Rm 8, 26). L'Esprit-Saint
prie pour nous,
c'est-à-dire, selon saint Augustin, nous fait prier.
L'Apôtre augmente encore notre confiance en disant que tout contribue
au
bien de ceux qui aiment Dieu (Rm 8, 28). Il nous fait entendre par
là que les
opprobres, les maladies, la pauvreté, les persécutions,
ne sont point des
disgrâces, comme le pensent les gens du monde; car Dieu les fait
tourner au
bien et à la gloire de ceux qui les supportent avec patience.
Saint Paul dit
enfin que le Seigneur a prédestinés ses élus pour
être conformes à l'image de
son divin Fils (Rm 8, 29). Par ces paroles, il veut nous persuader
que, pour
nous sauver, il faut que nous prenions la résolution de tout
souffrir plutôt
que de perdre la grâce de Dieu; car nul ne peut être admis
à la gloire des
Bienheureux si, au jour du jugement, sa vie ne se trouve pas avoir
été
conforme à celle de Jésus-Christ.
Mais, de peur que cette sentence ne décourage les pécheurs
et ne les jette
dans le désespoir au souvenir des fautes qu'ils ont commises,
saint Paul les
rassure en disant que le Père éternel n'a pas voulu pardonner
à son propre
Fils, qui s'était offert à expier nos péchés,
et qu'il l'a livré à la mort sans
miséricorde, afin de pouvoir pardonner aux pécheurs.
Et pour accroître
encore la confiance de ceux qui se repentent, il ajoute: "Qui donc
condamner? Le Christ Jésus qui est mort?", comme s'il disait:
Pécheurs,
vous qui détestez vos fautes, pourquoi craignez-vous d'être
condamnés à
l'enfer? Dites-moi: qui est-ce qui doit vous juger? n'est-ce pas Jésus-Christ?
Et comment pouvez-vous craindre d'être condamnés à
la mort éternelle par
ce tendre Sauveur, qui, pour n'avoir pas à vous condamner, a
voulu se
condamner lui-même au supplice ignominieux de la croix? (Cf.
Rm 8,
31-34). Ce langage s'adresse, bien entendu, à ceux qui, pénétrés
d'un sincère
regret, ont purifié leurs âmes dans le sang de l'Agneau
sant tache, suivant
l'expression de saint Jean (Ap 7, 14).Mon Jésus! quand je considère
mes
péchés, j'ai honte de vous demander le ciel, après
y avoir tant de fois
renoncé en votre présence pour des plaisirs indignes
et fugitifs. Mais, quand
je vous vois attaché à cette croix, je ne puis m'empêcher
d'espérer le paradis,
sachant que vous avec voulu mourir sur ce gibet douloureux pour expier
mes péchés et m'obtenir le bonheur céleste que
j'ai méprisé. Ah! mon doux
Rédempteur, j'ai la confiance que, par les mérites de
votre mort, vous
m'avez déjà pardonné les offenses que je vous
ai faites; je m'en suis repenti,
et maintenant encore je voudrais en mourir de douleurs. Hélas!
comment ne
pas penser que, quoique vous m'ayez pardonné, il sera toujours
vrai que j'ai
eu l'ingratitude de vous causer ces graves déplaisirs, à
vous qui m'abvez tant
aimé! Malheureusement, ce qui est fait, est fait. Au moins,
Seigneur, pour le
temps qu'il me reste à vivre, je veux vous aimer de toutes mes
forces, je ne
veux plus aimer que vous, je veux être tout à vous, tout
entier et pour
toujours. Mais c'est à vous de faire qu'il en soit ainsi: détachez-moi
de touts
les objets terrestres, et donnez-moi les lumières et la force
dont j'ai besoin
pour ne plus chercher que vous, mon unique Bien, mon unique Amour,
mon Tout!
Et vous, ô Marie, qui êtes l'espérance des pauvres
pécheurs, vous devez
m'aider par vos prières; priez donc, ô ma Mère,
priez pour moi, et ne cessez
pas de priez que vous ne me voyiez tout à Dieu!
CHAPITRE XI
SUR LA PATIENCE QUE NOUS DEVONS PRATIQUER
À LA SUITE DE JÉSUS-CHRIST
POUR PARVENIR AU SALUT
- I -
Il est nécessaire de souffrir,
et de souffrir avec patience
Parler de patience et de souffrance, c'est tenir un langage dont n'usent
guère
les personnes qui aiment le monde, et qu'elles n'entendent même
pas; il n'est
à la portée et à l'usage que des âmes qui
aiment Dieu. "Seigneur! disait saint
Jean de la Croix à Jésus-Christ, je ne vous demande pas
autre chose que de
souffrir et d'être méprisé pour vous." Sainte Thérèse
s'écriait souvent: "Mon
Jésus! ou souffrir ou mourir!" et sainte Marie-Madeleine de
Pazzi: "Souffrir,
et ne pas mourir!" Ainsi parlent les âmes éprises d'amour
pour Dieu; c'est
qu'elles savent qu'on ne peut donner à Dieu une preuve plus
certaine de son
amour qu'en souffrant de bon coeur pour lui plaire. Telle est aussi
la plus
grande preuve que Jésus-Christ nous ait donnée de son
amour pour nous.
Comme Dieu, il nous a témoigné de son amour en nous créant,
en nous
comblant de biens, en nous appelant à partager la gloire dont
il jouit; mais
rien ne montre mieux combien il nous aime que la charité qu'il
a eue de se
faire homme et de s'assujettir pour nous à une vie si pénible
et à une mort si
pleine de douleurs et d'ignominies. De notre côté, comment
pouvons-nous
montrer notre amour envers ce tendre Sauveur? Est-ce en menant une
vie
remplie de plaisirs et de jouissances terrestres?
Gardons-nous de penser que Dieu jouisse de nos souffrances; il n'est
pas
d'une humeur si cruelle qu'il se plaise à voir les douleurs
et à entendre les
gémissements de ses créatures. C'est un Maître
d'une bonté infinie, qui ne
désire que de nous voir pleinement satisfaits et heureux; il
est toute
douceur, toute affabilité, toute compassion envers ceux qui
l'invoquent (Ps
85, 5). Mais notre malheureux état de pécheurs et la
reconnaissance que
nous devons à Jésus-Christ exigent que nous renoncions,
pour sona mour,
aux plaisirs d'ici-bas, et que nous embrassions de bon coeur la croix
qu'il
nous donne à porter en cette vie, pour le suivre dans la voie
où il nous
précède, chargé d'une croix beaucoup plus pesante
que la nôtre; tout cela,
afin de nous faire jouir, après notre mort, d'une vie bienheureuse
qui ne
finira jamais. Dieu n'aime donc point à nous voir souffrir;
mais, comme il
est la souveraine Justice, il ne peut laisser nos fautes impunies;
c'est
pourquoi, afin que nos fautes soient expiées et que nous parvenions
un jour
à la félicité éternelle, il veut qu'en
souffrant avec résignation, nous purgions
nos consciences et méritions d'être éternellement
heureux. Quel ordre de
choses plus beau et plus doux que la divine Providence eût-elle
pu inventer
pour que la justice fût satisfaite et que nous fussions en même
temps sauvés
et heureux?
Nous devons donc mettre toutes nos espérances dans les mérites
de
Jésus-Christ, et attendre de lui tous les secours dont nous
avons besoin pour
vivre saintement et nous sauver; nous ne pouvons douter que son désir
ne
soit de nous voir parvenir à la sainteté (1 Th 4, 3).
Tout cela est vrai;
cependant, nous ne devons pas négliger de faire ce qui dépend
de nous pour
réparer les injures dont nous sommes coupables envers Dieu,
et pour
mériter la vie éternelle au moyen des bonnes oeuvres.
C'est ce qu'indique
l'Apôtre, lorsqu'il dit: "J'accomplis dans ma chair ce qui manque
à la passion
de Jésus-Christ" (Col 1, 24). S'ensuit-il que la passion de
Jésus-Christ ait été
incomplète, et qu'elle n'ait pas suffi elle seule pour nous
sauver? Non,
certainement; elle fut entière et complète quant à
sa valeur, et plus que
suffisante pour sauver tous les hommes; néanmoins, pour que
ses mérites
nous soient appliqués, dit saint Thomas, nous devons coopérer
de notre
côté, en souffrant patiemment les croix que le Seigneur
nous envoie, afin de
nous rendre conformes à Jésus-Christ, notre Chef, selon
ce que le même
Apôtre écrivait aux Romains: "Ceux qu'il a discernés,
il les a aussi
prédestinés à reproduire l'image de son Fils,
afin qu'il soit l'aîné d'une
multitude de frères" (Rm 8, 29). Il faut toutefois ne jamais
perdre de vue,
comme le Docteur Angélique nous en avertit, que toute la vertu
qu'ont nos
oeuvres, expiations, pénitences, leur est communiquéee
par les mérites de
Jésus-Christ. C'est ainsi qu'on répond à ceux
qui prétendent que nos
pénitences font injure à la passion du Sauveur, comme
si elle n'eût pas été
suffisante pour expier nos fautes.
Nous disons qu'afin de pouvoir participer aux mérites de Jésus-Christ,
il est
nécessaire que nous nous efforcions d'observer les commandements
de
Dieu, jusqu'à nous faire violence pour ne pas céder aux
tentations de l'enfer;
c'est ce que Notre-Seigneur nous fait entendre lorsqu'il déclare
que le
royaume des cieux souffre violence, et que ce sont les violents qui
l'emportent (Mt 11, 12). Il faut, dans les occasions, se faire violence
à
soi-même, et mortifier ses sens, pour n'être pas vaincu
par l'ennemi. Si l'on
se trouve coupable de quelque faute, dit saint Ambroise, on doit faire
violence au Seigneur, par les prières et les larmes, pour obtenir
son pardon.
Le même Saint ajoute, pour nous encourager: Ô heureuse
violence, que
Dieu ne punit point avec colère, mais qu'il accueuille avec
miséricorde! Il dit
encore que, plus cette sorte de violence est grande, plus elle est
agréable à
Jésus-Christ. Et il conclut en affirmant que nous devons d'abord
régner sur
nous-mêmes, en domptant nos passions, pour pouvoir un jour conquérir
le
ciel, que notre Sauveur nous a mérité. Il faut donc se
faire violence, soit
pour souffrir les contrariétés ou les persécutions,
soit pour vaincre les
tentations et les mauvais penchants.
Le Seigneur nous avertit que, pour ne point perdre notre âme,
nous devons
nous tenir prêts à subir toutes les épreuves, et
même à mourir, quand cela
est nécessaire; mais il promet en même temps de combattre
pour quiconque
est ainsi disposé, et de renverser ses enneis (Si 4, 28). Saint
Jean a vu devant
le trône de Dieu une grande multitude de Saints, vêtus
de robes blanches,
car rien de souillé ne peut entrer dans le ciel, et tous portant
à la mais des
palmes, symbole du martyre (Ap 7, 9). Quoi! les Saints sont-ils donc
tous
martyrs? Oui, tous les adultes qui se sauvent, doivent être au
moins martyrs
de patience, en résistant aux attaques du démon et aux
appétits déréglés de
la chair. Les plaisirs charnels entraînent en enfer une foule
innombrable
d'âmes; il faut qu'on prenne la résolution de les mépriser
avec une constance
invincible. Soyons persuadés que, si l'âme ne subjugue
le corps, ce sera le
corps qui subjuguera l'âme.
Il faut donc, je le répète, il faut se faire violence
pour se sauver. Mais, dira
quelqu'un, je n'en suis pas capable, si Dieu ne me fortifie pas sa
grâce. Saint
Ambroise lui répond: Vous dites bien: si vous regardez vos propres
forces,
vous ne pouvez rien; mais, si vous mettez votre confiance en Dieu,
en le
priant de vous aider, il vous donnera la force de résister à
tous vos ennemis
du monde et de l'enfer. Toutefois, cela ne se peut faire sans souffrir,
il n'y a
aucun moyen d'échapper à cette nécesité.
L'Écriture même nous le déclare:
Si nous voulons entrer dans la gloire des Élus, il faut auparavant
que nous
supportions avec patience beaucoup de tribulations et de peines (Ac
14, 21).
Aussi, comme saint Jean contemplait la gloire des Saints dans le ciel,
il lui
fut dit: "Voilà ceux qui sont venus ici après avoir passé
par la grande
tribulation, et qui ont lavé et blanchi leurs robes dans le
sang de l'Agneau"
(Ap 7, 14). Il est donc vrai que tous se trouvaient au nombre des
Bienheureux pour avoir été purifiés par le sang
de Jésus-Christ, mais aucun
d'eux n'était arrivé là qu'après avoir
beaucoup souffert en cette vie.
Soyez assurés, écrivait saint Paul à ses disciples,
que Dieu est fidèle à ses
promesses; il ne permettra jamais que vous soyez tentés au-dessus
de vos
forces (1 Co 10, 13). Or, ce que le Seigneur a promis, c'est de nous
donner
son secours pour vaincre toutes les tentations, pourvu que nous
l'invoquions: "Demandez et l'on vous donnera" (Mt 7, 7). Cette parole
est
infaillible. Des hérétiques ont osé prétendre
que Die commande des choses
que nous sommes dans l'impossibilité d'observer. Le Concile
de Trente, en
condamnant cette détestable erreur, répond que Dieu n'ordonne
rien
d'impossible; quand il ordonne, il nous avertit de faire ce que nous
pouvons,
et de demander son secours pour ce que nous ne pouvons pas; et alors
il
nous aide à tout accomplir. Si les hommes, dit sait Ephrem,
n'ont pas la
cruauté de charger leurs bêtes de somme de plus lourds
fardeaux qu'elles
n'en peuvent porter, à bien plus forte raison Dieu, qui aime
tant les hommes,
ne souffrira pas qu'ils aient à subir des tentations auxquelles
ils ne sauraient
résister.
On lit dans l'Imitation de Jésus-Christ: "La croix t'attend partout,
il est
nécessaire pour toi de prendre patience partout si tu veux avoir
la paix. Si tu
portes volontiers la croix, elle portera vers la fin désirée."
Chacun ici-bass
désire la paix et voudrait la trouver sans souffrir, mais cela
est impossible
dans notre état présent; il faut souffrir, en quelque
lieu que nous portions
nos pas, nos croix nous attendent partout. Comment donc trouverons-nous
la paix au milieu de toutes ces croix? En embrassant avec patience
celle qui
se présente à nous. Selon sainte Thérèse,
la croix semble pesante, fût-elle
bien légère, lorsqu'on la traîne malgré
soi; mais, quand on l'embrasse de bon
coeur, quelque grande qu'elle soit, on ne la sent pas. Et Thomas a
Kempis
affirme que, si quelqu'un porte sa croix avec résignation, elle
le conduira au
but auquel tout chrétien doit tendre, et qui est de plaire à
Dieu en vette vie et
de l'aimer éternellement en l'autre.
Le même auteur se demande quel saint a été admis
dans le ciel sans qu'il
portât le signe de la croix. Et comment pourrait-on y entrer
sans croix, si la
vie de Jésus-Christ, notre Chef et notre Rédempteur,
a été une croix, un
martyre continuel? Ansi, tandis que Jésus, innocent, saint,
Fils de Dieu, a
voulu souffrir durant toute sa vie, nous rechercherions les plaisirs
et le
repos? Tandis que lui, pour nous enseigner la patience par son exemple,
a
voulu mener une vie pleine d'ignominies et de souffrances, extérieures
et
intérieures, nous voudrions nous sauver sans souffrir, ou en
souffrant sans
patience, ce qui est souffrir doublement, et cela sans fruit et avec
un surcroît
de châtiment? Mais, comment pourrions-nous penser que nous aimons
Jésus-Christ, si nous refusons de souffrir pour l'amour de Jésus-Christ,
qui a
tant souffert pour l'amour de nous? Comment pourrons-nous nous glorifier
d'être disciples de Jésus crucifié, si nous repoussons
ou ne subissons
qu'avec répugnance les fruits de la croix, tels que les souffrances,
les
humiliations, la pauvreté, les douleurs, les maladies et tout
ce qui contrarie
l'amour-propre ?
- II -
La vue de Jésus crucifié nous console et nous soutient
dans les souffrances
Ne perdons point courage, regardons constamment les plaies de Jésus
crucifié; nous y puiserons les forces nécessaires pour
souffrir les maux de
cette vie, nons seulement avec patience, mais encore avec joie et allégresse,
comme ont fait les saints et comme l'annonçait Isaïe: "Vous
puiserez de
l'eau avec joie aux sources du salut" (Is 12, 3). Suivant le commentaire
de
saint Bonaventure, les sources du salut sont les plaies de Jésus-Christ.
C'est
pourquoi le Docteur Séraphique nous engage à tenir sans
cesse les yeux de
notre coeur fixés sur Jésus mourant en croix, si nous
voulons vivre toujours
unis à Dieu et conserver en nous la véritable dévotion.
La dévotion consiste,
selon saint Thomas, dans la disposition à nous conformer en
tout à ce que
Dieu demande de nous.
Voici la belle instruction que nous donne l'Écriture pour nous
maintenir
dans une continuelle union avec Dieu et pour supporter patiemment toutes
les tribulations. Parlant de Jésus, elle dit: "Songez à
celui qui a enduré de la
part des pécheurs une telle contradiction, afin de ne pas défaillir
par
lassitude de vos âmes" (He 12, 3). Pour souffrir avec résignation
et en paix
les maux présents, il ne suffit pas de penser légèrement,
et quelquefois
seulement dans l'année, à la passion de Jésus-Christ,
il faut y réfléchir
souvent et jeter au moins chaque jour un regard sur les peines que
Notre-Seigneur a souffertes pour l'amour de nous. Et quelles sont ces
peines? La contradiction que Jésus-Christ essuya de la part
de ses ennemis
fut telle qu'il devint, ainsi que le Prophète l'avait prédit,
le dernier des
hommes, un homme de douleurs (Is 53, 3). On alla jusqu'à le
faire mourir de
pure douleur, rassasié d'opprobres, sur un gibet réservé
aux plus grands
scélérats. Et pourquoin otre Sauveur a-t-il voulu endurer
tant de tourments
et d'outrages? C'est afin que, voyant tout ce qu'un Dieu a daigné
souffrir
pour nous donner l'exemple de la patience, nous soyons prêts
à tout
supporter, sans jamais perdre courage, pour nous délivrer du
péché.
Et la Lettre aux Hébreux nous demande ensuite, pour exciter notre
ardeur,
de songer que Jésus-Christ, dans sa passion, a épuisé
pour nous tout son
sang dans la violence des tortures. Elle dit aussi que les Saints Martyrs,
à
l'exemple de leur Roi, ont enduré avec constnce les lames ardentes,
les
ongles de fer, qui leur ont déchiré jusqu'aux entrailles.
Mais vous,
ajoute-t-elle, vous n'avez pas encore donné une goutte de votre
sang pour
Jésus-Christ, bien que vous soyez obligés d'être
toujours prêts à sacrifier
même votre vie plutôt que d'offenser Dieu (cf. He 12, 4
et 11, 37-38). Telles
étaient les dispositions de saint Edmond: "Je sauterais sur
un bûcher ardent
plutôt que de commettre un péché contre mon Dieu."
Et saint Anselme,
archevêque de Cantorbéry, disait: "Si je devais endurer
tous les corporels de
l'enfer ou commettre un péché, je choisirais l'enfer."
Durant toute notre vie, le lion infernal ne cesse de tourner autour
de nous,
cherchant à nous dévorer. Pour résister à
ses attaques, saint Pierre nous
engage à nous armer du souvenir continuel de la passion de Jésus-Christ
(1
P 4, 1). En effet, dit saint Thoms, le seul souvenir de la passion
est une
puissante défense contre toutes les tentations de l'enfer. Si
Notre-Seigneur
eût connu pour nous un autre moyen de salut, préférable
à celui des
souffrances, il nous l'aurait indiqué; mais, en marchant devant
nous avex sa
croix sur les épaules, il nous a montré que, le meilleur
moyen pour parvenir
au salut, c'est de souffrir avec patience et résignation; et
il a coulu nous en
donner lui-même un exemple dans sa personne.
Saint Bernard dit qu'en voyant les grandes afflictions de Jésus
crucifié, nous
devons trouver les nôtres légères. Il demande si
quelque chose peut nous
paraître dur quand nous considérons les peines endurées
par notre divin
Maître. Saint Elzéar, interrogé un jour par sa
vertueuse épouse, sainte
Delphine, comment il supportait tant d'injures avec un esprit si tranquille,
il
répondit: "Quand je reçois des injures, je pense à
celles de mon Sauveur, et
je ne perds point de vue cette pensée jusqu'à ce que
je me retrouve tout à
fait dans le calme."
Lorsqu'une âme désire plaire à Jésus-Christ,
dit encore saint Bernard, les
outrages qu'elle reçoit, loin de l'affliger, lui sont agréables.
Qui, en effet, ne
sera pas disposé à embrasser avec joie les opprobres
et les persécutions, s'il
considère seulement les outrages que notre Sauveur souffrit
au
commencement de sa passion, lorsque, dans cette cruelle nuit qu'il
passa
chez Caïphe, on prit plaisir à lui donner des coups de
poing et des soufflet, à
lui cracher au visage, et à le tourner en dérision comme
un faux prophète en
lui bandant les yeux, ainsi que le rapporte saint Matthieu? (Mt 26,
67).
Comment les Martyrs pouvaient-ils supporter avec tant de patience la
cruauté des bourreaux ? On leur déchirait le corps avec
le fer, on les brûlait
vifs sur des grils...; n'étaient-ils pas des hommes de chair
comme nous, ou
étaient-ils devenus insensibles? Pierre de Blois répond
que les Martyrs ne
regardaient pas leurs propres plaies, mais celles de leur divin Rédempteur,
et
qu'ainsi ils sentaient peu la douleur qu'ils éprouvaient; les
tourments ne
laissaient pas de les affliger, mais leur amour pour Jésus-Christ
les leur
faisait mépriser. Il n'est point de souffrance, si violente
qu'elle soit, ajoute le
même auteur, qu'on n'accepterait avec empressement à la
vue de Jésus mort
sur la croix.
L'Apôtre nous déclare que, par les mérites de Jésus-Christ,
nous avons été
enrichis de toutes sortes de biens (1 Co 1, 5). Mais Notre-Seigneur
exige
que, pour obtenir toutes les grâces que nous désirons,
nous ayons recours à
Dieu par la prière, et que nous lui demandions de nous exaucer
par les
mérites de son Fils. Jésus nous promet que, si nous faisons
ainsi, son Père
nous accordera tout ce que nous lui demanderons (Jn 16, 23). Ainsi
faisaient
les Martyrs; quand, dans les tortures, la douleur était fort
aiguë, ils
recouraient à Dieu, et le Seigneur leur donnait la patience
dont ils avaient
besoin. Saint Théodore, au milieu de tant de cruautés
qu'on exerça sur lui,
éprouvant surtout une vive douleur causée par des gragments
de poterie
rougis au feu, qu'on appliquait sur ses plaies, pria Jésus-Christ
de lui donner
la force de souffrir cet horrible supplice, et il remporta la couronne
du
martyre.
Ne craignons donc point les combats que nous avons à soutenir
contre le
monde et l'enfer; si nous avons toujours soin de recourir à
Jésus-Christ par
la prière, il nous procurera tous les biens désirables,
la patience dans les
épreuves, la persévérance, et enfin une bonne
mort.
- III -
La passion du Sauveur fait notre force
dans notre dernière lutte
Ce sont de grandes tribulations que celles qu'on souffre au moment de
la
mort. Jésus-Christ seul peut nous donner la constance nécessaire
pour les
supporter avec fruit. C'est alors surtout que nous avons à redouter
les
attaques de l'enfer; il s'efforce d'autant plus de nous perdre qu'il
nous voit
près de notre fin. Rainaldi rapporte de saint Elzéar,
qui avait mené une vie si
pure, qu'aux approches de sa mort les démons lui livrèrent
d'horribles
assauts, et qu'il dit alors: "Les tentations infernales sont bien grandes
en ce
moment, mais Jésus-Christ, par les mérites de sa passion,
de leur ôte leur
force." Aussi saint François voulut qu'à l'heure de sa
mort on lui lût la
Passion du Sauveur; et saint Charles Borromée, se voyant près
de mourir, fit
placer autour de lui des images représentant la Passion; c'est
en considérant
les souffrances de Jésus-Christ qu'il voulut rendre à
Dieu son âme bénie.
La Sainte Écriture affirme que le Fils de Dieu a voulu mourir
pour nous, afin
d'abattre par ce moyen la puissance du démon, qui exerçait
l'empire de la
mort, de nous soustraire ainsi à sa domination, et de nous délivrer
par
conséquent de la crainte de la mort éternelle (He 2,
14). Et le texte poursuit:
"Il a dû devenir en tout semblables à ses frères...
car du fait qu'il a lui-même
souffert par l'épreuve, il est capable de venir en aide à
ceux qui sont
éprouvés" (He 2, 17-18). Le Seigneur a donc daigné
prendre toutes les
conditions et les infirmités de la nature humaine, hormis toutefois
l'ignorance, la concupiscence, et le péché; et cela à
quelle fin? Pour qu'en
éprouvant en lui-même nos misères, il devint plus
compatissant envers
nous. On connaît beaucoup mieux les maux en les souffrant soi-même
qu'en les considérant seulement dans les autres; l'expérience
propre de Jésus
devait le rendre plus disposé à nous secourir, lorsque
nous sommes tentés
en cette vie, et surtout au moment de la mort. C'est à cela
que saint
Augustin fait allusion dans ce passage que nous avons déjà
cité:
Jésus-Christ, aux approches de la mort, a voulu sentir la peine
d'enm être
troublé, afin que, si nous éprouvons quelque trouble
à notre mort, nous
n'aillions pas jusqu'à perdre confiance, puisque nous devons
nous souvenir
alors que notre Sauveur lui-même est passé par cette épreuve.
Ainsi, dans nos derniers moments, l'enfer emttra tout en oeuvre pour
nous
faire désespérer de la divine miséricorde, en
nous remettant devant les yeux
tous les péchés de notre vie; mais le souvenir de la
mort de Jésus-Christ
nous portera à nous confier en ses mérites et nous ôtera
la crainte de la
mort, selon ce que dit saint Thomas sur le texte de la Lettre aux Hébreux
que nous venons de citer. Voici comment le Docteur Angélique
s'exprime:
Lorsque nous considérons que le Fils de Dieu a bien voulu souffrir
la mort
pour nous obtenir le pardon de nos fautes, la crainte de la mort s'éloigne
de
nous et fait place au désir de mourir. Pour les incrédules,
rien n'est plus
redoutable que la mort, parce qu'ils la regardent comme la fin de tous
les
biens; mais pour nous, la mort de Jésus-Christ nous donne la
ferme
espérance que, si nous mourons dans la grâce de Dieu,
nous passerons de la
mort à la vie éternelle. Saint Paul nous montre combien
cette espérance est
fondée, en disant que le Père éternel a livré
son propre Fils à la mort par
tous les hommes, et que par là il leur a tout donné (Rm
8, 32). Nous ayant
donné son propre Fils, Dieu ne peut rien nous refuser; il nous
accordera
certainement le pardon de nos péchés, la persévérance
finale, son amour,
une bonne mort, la vie éternelle, et tous les biens.
Si donc le démon cherche à nous troubler, soit dans le
cours de la vie, soit à
l'heure de la mort, en nous représentant les fautes de notre
jeunesse,
répondons-lui avec saint Bernard: Ce qui manque en moi-même
pour aller
en paradis, je le prends dans les mérites de Jésus-Christ,
qui a daigné
souffrir et mourir précisément pour me procurer la gloire
éternelle, dont
j'étais indigne. Ajoutons les paroles suivantes de l'Apôtre,
paroles bien
consolantes pour les pécheurs: "C'est Dieu qui justifie; qui
donc nous
condamnera ? Le Christ Jésus, celui qui est mort, que dis-je?
ressuscité, qui
est à la droite de Dieu, qui intercède pour nous?" (Rm
8, 34). Dieu lui-même
pardonne nos péchés et nous justifie par sa grâce;
or, si Dieu nous rend
justes, qui pourra nous condamner comme coupables? est-ce Jésus-Christ
qui nous condamnera, lui qui, pour ne pas nous condamner, s'est livré
à la
mort, et qui continue d'intercéder pour nous devant le trône
de son Père; lui
qui a versé son sang pour effacer nos péchés,
et nous retirer de la
corruption? (Ga 1, 4).
L'Apôtre vient de nous assurer que le Fils de Dieu, après
s'être chargé de
nos péchés, et avoir daigné les expier lui-même
en mourant pour nous, afin
de nous délivrer de ce monde d'iniquités et de nous conduire
dans son
royaume, s'y fait encore, en attendant, notre Avocat auprès
de son Père
éternel. Saint Thomas, expliquant ces paroles, dit que, dans
le ciel,
Jésus-Christ intercède pour nous en présentant
à son Père les plaies qu'il a
souffertes pour notre amour. Saint Grégoire le Grand ne fait
pas difficulté
d'affirmer, chose que tous n'osent pas admettre, que notre divin
Rédempteur, comme homme proprement, n'a pas cessé de
prier, même
après sa mort, pour l'Église militante, qui se compose
de tous les fidèles sur
la terre. Tel est aussi le sentiment de saint Grégoire de Naziance.
Saint
Augustin dit que Jésus-Christ prie pour nous dans le ciel, non
comme
demandant pour nous quelque grâce nouvelle, puisqu'il nous a
obtenu
pendant sa vie tout ce qu'il pouvait nous obtenir, mais comme exigeant
de
son Père, en vertu de ses mérites, notre salut déjà
obtenu et promis.
- IV -
Confiance et Amour envers Jésus-Christ
Revenons à la confiance que nous devons avoir en Jésus-Christ
relativement au salut. Saint Augustin continue de nous encourager,
en
disant que ce bon Maître, qui nous a rachetés au prix
de tout son sang, ne
veut pas que nous nous perdions. Si nos fautes nous séparent
de Dieu, et
nous rendent dignes d'en être méprisés, notre Sauveur
ne saurait mépriser le
sang qu'il a répandu pour nous. Suivons donc avec confiance
le conseil de la
Lettre aux Hébreux: ne cessont point de courir par la patience
dans la
carrière qui nous est offerte par Jésus-Christ lui-même,
notre Maître et notre
Modèle, préférant à tout comme lui les
souffrances et les humiliations, et
persévérant jusqu'au dernier soupir (He 12, 1). Il nous
servira peu d'avoir
bien commencé, si nous ne continuons pas jusqu'à la fin;
c'est par la
patience et la persévérance dans le combat que nous obtiendrons
la victoire
et la couronne promise au vainqueur.
Cette patience même sera pour nous une cuirasse, qui nous protégera
contre
les traits de nos ennemis. Mais, comment acquerrons-nous cette vertu?
En
tenant constamment, durant la lutte, nos regards sur Jésus crucifié
(He 12,
2), qui, comme le remarque saint Augustin, a méprisé
tous les biens de la
terre pour nous apprendre à les mépriser et à
ne pas chercher en eux notre
bonheur, mais qui a voulu, au contraire, souffrir tous les maux d'ici-bas,
pour nous apprendre à ne pas les craindre. Voilà pourquoi
ce divin Maître
s'est soumis lui-même à toutes les misères de cette
vie, à la pauvreté, à la
faim, à la soif, aux faiblesses, aux ignominies, aux douleurs
et jusqu'à la
mort de la croix.
Ensuite, par sa résurrection glorieuse, il a voulu nous affermir
contre la
crainte de la mort; puisque, si nous lui sommes fidèles jusqu'à
notre dernier
soupir, nous entrerons alors dans la vieéternelle, qui est exempte
de tous les
maux et pleine de tous les biens. C'est ce que signifient les paroles
du texte
sacré, où Jésus-Christ est appelé "l'Auteur
et le Consommateur de la foi"
(He 12, 2). En effet, comme il est pour nous l'Auteur de la foi, en
nous
enseignant ce que nous devons croire, et en nous donnant la grâce
nécessaire pour le croire, il est aussi le Consommateur de la
foi, en nous
promettant de nous faire jouir un jour de cette vie bienheureuse que
maintenant il nous enseigne à croire. Et afin que nous soyons
assurés de
l'amour que ce divin Rédempteur nous porte et de la volonté
qu'il a de nous
sauver, le passage de l'Écriture termine en nous rappelant ce
qu'il a fait pour
nous: "Jésus, au lieu de la joie qui lui était proposée,
endura une croix, dont
il méprisa l'infamie" (He 12, 2). Saint Jean Chrysostome, expliquant
ces
dernières paroles, dit que Jésus-Christ pouvait nous
sauver en menant sur la
terre une vie douce et heureuse; mais, pour nous rendre plus certains
de son
affection, a préféré une vie pénible et
une mort ignominieuse, au point d'être
condamné comme un malfaiteur et de subir le supplice de la croix.
Tâchons donc, ô âmes reconnaissantes envers Jésus
crucifié, tâchons, le
reste de notre vie, d'aimer autant que nous le pouvons notre aimable
Rédempteur, et de souffrir pour celui qui a daigné tant
souffrir pour nous!
Supplions-le sans cesse de nous accorder le don de son saint amour!
Quel
bonheur pour nous, si nous parvenons à avoir un ardent amour
envers
Jésus-Christ! Un grand serviteur de Dieu, le vénérable
Père Vincent Carafa,
dans une lettre adressée à quelques jeunes gens zélés
et pieux, s'exprimait
ainsi: "Pour réformer toute notre vie, nous devons nous adonner
entièrement à l'exercice de l'amour divin. La charité
envers Dieu, quand elle
entre dans un coeur et qu'elle parvient à le posséder,
suffit pour le délivrer
de tout affection déréglée et le rendre aussitôt
pur et docile. Le coeur est
pur, dit saint Augustin, lorsqu'il est vide de tout désir terrestre.
Saint Bernard
disait pareillement: Celui qui aime Dieu, ne souhaite pas autre chose
que de
l'aimer, et bannit de son coeur tout ce qui n'est pas Dieu. Et ainsi
un coeur
vide devient un coeur pleine, c'est-à-dire, rempli de Dieu,
qui apporte avec
lui tous les biens. Alors les choses terrestres, ne trouvant plus aucune
place
dans son coeur, n'ont plus la force de l'entraîner. Quelle force
peuvent avoir
sur nous les plaisirs de la terre, quand nous jouissons des consolations
divines? Que peut la passion des vains honneurs et des richesses de
ce
monde, quand nous avons l'honneur d'être aimés de Dieu,
et quand nous
commençons à posséder les trésors du ciel?
Si donc nous voulons mesurer
le progrès que nous avons fait dans les voies de Dieu, examinons
celui que
nous avons fait dans son amour. Boyons si nous produisons souvent,
dans
la journée, des actes d'amour envers Dieu, si nous parlons souvent
de
l'amour divin, si nous tâchons de l'inspirer aux autres, si nous
faisons nos
dévotions uniquement pour plaire à Dieu, si nous supportons
avec une
entière résignation à la volonté divine
tout ce qui nous arrive de fâcheux, les
maladies, les souffrances, la pauvreté, les mépris, les
persécutions. Les
Saints disent qu'une âme qui aime véritablement Dieu a
besoin d'aimer
autant que le corps a besoin de respirer; car la vie de notre âme,
dans le
temps comme dans l'éternité, consiste à aimer
le Bien suprême, qui est
Dieu."
Mais soyons-en persuadés, nous n'arriverons jamais à un
haut degré
d'amour divin que par le moyen de Jésus-Christ et par une dévotion
spéciale
envers sa passion, qui nous a fait rentrer en grâce avec Dieu.
Tout accès près
de lui nous serait fermé, à nous pécheurs, et
nous ne serions pas admis à lui
demander des faveurs, sans l'entremise de Jésus-Christ: "Par
lui nous avons
accès auprès du Père" (Ep 2, 18). C'est Jésus
qui nous ouvre la porte, dit
l'Apôtre, c'est lui qui nous introduit auprès de son Père,
et qui, par les
mérites de sa passion, nous obtient le pardon de nos péchés
et de toutes les
grâces que nous recevons. Que nous serions malheureuex, si nous
n'avions
pas Jésus-Christ! Pourrons-nous jamais assez louer et reconnaître
dignement l'amour et la bonté de ce généreux Rédempteur
envers nous,
pauvres pécheurs, pour qui il a daigné mourir, et qu'il
a délivrés par ce
moyen de la mort éternelle? À peine trouverait-on quelqu'un
qui consentit à
mourir pour un homme juste, tandis que Jésus-Christ a bien voulu
donner
sa vie pour nous, quand nous étions plongés dans l'iniquité
(Rm 5, 7).
Ainsi parle saint Paul. Ensuite il nous assure que, si nous sommes
déterminés à aimer Jésus-Christ à
tout prix, nous devons en espérer tous les
secours dont nous auront besoins et toutes les faveurs. Voici comment
il
raisonne: Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons
été
réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à
bien plus forte raison, étant
maintenant réconciliés, nous serons sauvés par
ce même Fils (Rm 5, 10).
Ceux qui aiment Jésus-Christ doivent donc remarquer ici que
c'est faire
injure à l'amour que nous porte ce bon Sauveur de craindre qu'il
ne leur
refuse les grâces nécessaires pour se sauver et se sanctifier.
Et afin que nous
ne perdions pas confiance à cause de nos péchés,
l'Apôtre ajoute que la
miséricorde de Dieu est infiniment plus grande que notre indignité.
Par ces
paroles, il veut nous faire entendre que nous recevons plus de bien
du don
de la grâce qui nous est acquise par la passion de notre Rédempteur
que le
péché d'Adam ne nous a fait de mal; car les mérites
de Jésus-Christ ont plus
de pouvoir pour nous faire aimer de Dieu que n'en a eu le péché
d'Adam
pour nous en faire haïr. En un mot, dit saint Léon, nous
avons plus gagné
par la grâce ineffable de notre Sauveur, que nous n'avions perdu
par la
malice du démon.
Terminons. Âmes dévotes, aimons Jésus-Christ, aimons
ce divin
Rédempteur qui mérite tant d'être aimé,
et qui nous atant aimés, et qui a tant
fait pour gagner notre amour qu'il semble ne pouvoir rien faire de
plus. C'est
assez de savoir que, pour notre amour, il a voulu mourir consumé
de
douleurs sur une croix. Et non content de ce grand sacrifice, il s'est
donné
lui-même à nous dans le sacrement de l'Eucharistie, où
il nous présente à
manger ce même corps qu'il a immolé pour nous sur la croix,
et à boire ce
même sang qu'il a répandu pour nous dans sa passion. Nous
sommes donc
coupables d'une extrême ingratitude envers un tel Bienfaiteur,
non
seulement quand nous l'offensons, mais encore quand nous l'aimons peu,
quand nous ne lui consacrons pas tout notre amour.Ô mon Jésus!
que ne
puis-je me consumer tout entier pour vous, comme vous vous êtes
consumé
tout entier pour moi! Ah! puisque vous m'avez tant aimé, et
que vous
m'avez tant obligé à vous aimer, faites maintenant que
je ne sois pas ingrat
envers vous! Et je serais bien ingrat, si j'aimais autre chose que
vous! Vous
m'avez aimé sans réserve, je veux vous aimer aussi sans
réserve. Je laisse
tout, je renonce à tout, pour me donner tout à vous,
et pour n'avoir dans
mon coeur aucun autre amour que le vôtre. De grâce, mon
Amour,
acceptez-moi, sans vous souvenir de tous les déplaisirs que
je vous ai
donnés par le passé; ne voyez en moi qu'une de ces brebis
pour lesquelles
vous avez répandu votre sang! Mon cher Sauveur, oubliez toutes
les
offenses que je vous ai faites! Punissez-moi selon votre volonté,
pourvu que
vous m'épargniez le malheur de ne plus pouvoir vous aimer; disposez
de
moi comme il vous plaît. Privez-moi de tout, mais mon Jésus,
ne me privez
pas de vous, qui êtes mon unique bien! Faites-moi connaître
ce que vous
demandez de moi; je veux tout accomplir, moyennant votre grâce.
Faites
que j'oublie tout, pour ne me souvenir que de vous et de toutes les
peines
que vous avez endurées pour moi. Faites que je ne pense plus
qu'à vous
plaire et à vous aimer. Ah! regardez-moi avec cet amour avec
lequel vous
m'avez regardé du haut du Calvaire en agonisant pour moi sur
la croix, et
exaucez-moi! Je remets en vous toutes mes espérances, ô
mon Jésus, mon
Dieu, mon Tout!
Ô vierge Sainte, ma Mère et mon Espérance, tendre
Marie,
recommandez-moi à votre divin Fils, et obtenez-moi la fidélité
à l'aimer
jusqu'à la mort!