Supplique de l'auteur à
Jésus et Marie
Mon très Aimant Rédempteur
et Seigneur Jésus-Christ, moi votre misérable serviteur,
sachant combien
réjouissent votre coeur ceux
qui s'efforcent de glorifier votre très sainte Mère, que
vous aimez tant, et que
vous désirez si vivement
de voir aimée et honorée de tout le monde, j'ai formé
le dessein de publier ce
livre qui traite de ses gloires.
Or, je ne sais à qui je pourrais mieux recommander qu'à vous-même,
puisque vous avez tant à
coeur la gloire de cette auguste Mère. C'est donc à vous
que je le dédie et le
recommande. Daignez agréer
ce faible hommage de mon amour pour vous et pour votre Mère chérie
;
protégez-le ; remplissez
ceux qui le liront d'une pleine confiance et d'un amour ardent envers cette
Vierge
Immaculée, en qui vous avez
placé l'espérance et le refuge de toutes les âmes rachetées
par vous. Et,
pour récompense de mon humble
travail, je vous prie de m'accorder autant d'amour envers Marie que j'ai
voulu en allumer par cet ouvrage
dans le coeur de tous mes lecteurs.
Je m'adresse aussi à vous,
ô ma douce Souveraine et ma tendre Mère, Marie. Après
Jésus, vous le savez,
c'est en vous que j'ai mis toute
l'espérance de mon salut éternel ; car, tout mon bien, ma
conversion, ma
vocation à quitter le monde,
et toutes les autres grâces que j'ai reçues de Dieu, je m'en
reconnais
redevable à votre intercession.
Vous savez aussi que, pressé de vous voir aimée de tous les
hommes
comme vous le méritez, et
de vous donner quelque marque de ma gratitude pour les bienfaits que vous
m'avez prodigués, j'ai cherché
sans cesse, en public et en particulier, à vous faire connaître
en tous lieux
et à inspirer à tous
le goût des douces et salutaires pratiques de votre culte. J'espère
continuer ainsi
jusqu'à mon dernier souffle
; mais mon âge déjà avancé et ma santé
affaiblie m'avertissent que j'entrerai
bientôt dans l'éternité
; c'est pourquoi j'ai voulu, avant de mourir, laisser au monde ce livre,
afin qu'après
moi il continue à vous louer
et à porter aussi les autres à publier vos gloires et votre
grande bonté envers
vos dévots serviteurs. Ma
bien-aimée Reine ! j'ai la confiance que ce pauvre don, quoique
si inférieur à
votre mérite, ne laissera
pas d'être agréable à votre coeur généreux,
car c'est un don tout d'amour.
Étendez donc cette main si
douce qui m'a délivrée du monde et de l'enfer, acceptez mon
livre et
protégez-le comme une chose
qui vous appartient. Mais sachez que j'attends de vous, pour cette légère
offrande, une récompense
: faites que désormais je vous aime plus ardemment, et que chacun
de ceux
entre les mains de qui parviendra
cet ouvrage, s'embrase d'amour pour vous ; qu'il sente aussitôt croître
en lui le désir de vous aimer
et de vous voir aimer aussi des autres, et qu'en conséquence il
s'emploie de
tout coeur à publier vos
louanges et à augmenter autant qu'il le pourra chez les autres la
confiance en
votre puissante intercession. Ainsi
j'espère, ainsi soit-il.
ALPHONSE DE LIGUORI,
du Très Saint Rédempteur.
INTRODUCTION qu'il est nécessaire
de lire
Mon cher Lecteur, et mon frère
en Marie, puisque la dévotion qui m'a porté à écrire
et qui vous porte
maintenant à lire ce livre,
nous rend tous deux heureux enfants de cette bonne Mère, si vous
entendez
dire que je pouvais m'épargner
ce travail, vu qu'il existe déjà tant d'ouvrages savants
et renommés sur le
même sujet, répondez,
je vous prie, par les paroles de l'abbé Francon, dans la Bibliothèque
des Pères : «
La louange de Marie est une source
tellement abondante, que, plus on la dilate, plus elle se remplit, et,
plus on la remplit, plus elle se
dilate. » En d'autres termes, cette bienheureuse Vierge est si grande
et si
sublime, que, plus on célèbre
ses louanges, plus on trouve de nouveaux sujets de la louer. Et, selon
la
pensée de saint Augustin,
quand même tous les membres des hommes se changeraient en autant
de
langues, ces langues, si nombreuses
fussent-elles, ne sauraient la louer autant qu'elle le mérite.
J'ai vu, il est vrai, une quantité
innombrable de livres, grands et petits, qui traitent des gloires de Marie
;
mais, considérant qu'ils
sont ou fort rares ou trop volumineux ou peu conformes à mon dessein,
j'ai pris à
tâche d'extraire de tous les
auteurs que j'ai pu avoir en main, et d'exposer brièvement, comme
on le verra
dans cet ouvrage, ce qu'il y a de
plus exquis et de plus substantiel dans les sentiments des Pères
et des
théologiens. Mon désir
a été que les personnes pieuses puissent avoir à peu
de frais un livre d'un usage
facile et propre à leur inspirer
un ardent amour envers Marie ; et les prêtres, des matériaux
pour des
prédications tendant à
favoriser le progrès du culte de cette divine Mère.
On est naturellement porté
à parler souvent et à faire l'éloge des personnes
qu'on aime, afin de voir l'objet
de ses affections estimé
et loué aussi des autres ; il faut donc supposer bien faible l'amour
de ceux qui,
tout en se glorifiant d'aimer Marie,
pensent peu à parler d'elle et à la faire aimer des autres.
Bien
différente est la conduite
de ceux qui aiment véritablement cette très aimable Dame
: ils voudraient publier
ses louanges en tout lieu et la
voir aimée de tout le monde ; aussi, chaque fois qu'ils le peuvent,
soit en
public, soit en particulier, ils
tâchent de communiquer à tous les coeurs les heureuses flammes
dont ils se
sentent embrasés envers leur
bien-aimée Reine.
Pour se persuader du bien qu'on se
fait à soi-même, et qu'on procure aux peuples, en propageant
la
dévotion envers Marie, il
est bon d'entendre ce qu'en disent les docteurs. Selon saint Bonaventure,
ceux
qui s'emploient à publier
les gloires de Marie, sont assurés du paradis ; ce que confirme
Richard de
Saint-Laurent, en disant qu'honorer
la Reine des Anges est la même chose que faire l'acquisition de la
vie
éternelle ; car, ajoute-t-il,
cette Dame pleine de gratitude ne manquera pas d'honorer dans l'autre monde
ceux qui ont soin de l'honorer dans
celle-ci. Et qui d'ailleurs ignore cette promesse de Marie elle-même
à
ceux qui s'attachent à la
faire connaître et aimer sur la terre : Ceux qui me font connaître
auront la vie
éternelle. Ces paroles, la
sainte Église les applique à Marie, dans l'office de son
Immaculée Conception. -
Réjois-toi donc, mon âme,
s'écriait saint Bonaventure, qui a déployé tant de
zèle à publier les grandeurs
de Marie ; tressaille de joie en
elle ; car des biens sans nombre sont réservés à ceux
qui la glorifient. Et,
puisque les saintes Écritures,
ajoute un autre auteur, sont remplies des louanges de Marie, ne cessons
pas
de célébrer de coeur
et de bouche cette divine Mère, afin qu'un jour elle nous conduise
au royaume des
Bienheureux.
Le bienheureux Héming, évêque,
avait coutume de commencer ses sermons par les louanges de Marie.
La sainte Vierge apparut un jour
à sainte Brigitte, et lui parla ainsi : « Dites à ce
prélat qui a coutume de
commencer ses sermons par mes louanges,
que je veux lui servir de mère, que je présenterai son âme
à
Dieu, et qu'il fera une bonne mort
». En effet, il mourut saintement, en priant, et dans une paix céleste.
-
On rapporte ainsi d'un religieux
dominicain, qui terminait ses sermons en parlant de Marie, qu'elle lui
apparut au moment de sa mort, le
défendit contre les démons, le fortifia, et conduisit elle-même
dans le
ciel son âme bienheureuse.
- Le dévot Thomas a Kempis présente Marie recommandant à
son divin Fils
ceux qui publient ses kouanges,
et la fait ainsi parler : O mon Fils, ayez pitié d'une âme
qui m'a aimée et
glorifiée.
Pour ce qui concerne l'utilité
que retire le peuple de la prédication des gloires de la divine
Mère, saint
Anselme affirme que, l'auguste sein
de Marie étant la voie par laquelle le Fils de Dieu est venu ici-bas
sauver les pécheurs, il ne
peut se faire que la prédication des louanges de Marie n'amène
pas les pécheurs
à se convertir et à
se sauver. Et s'il est vrai, comme je le pense, s'il est même indubitable,
comme je le
prouverai au Chapitre Ve de cet
ouvrage, que toutes les grâces nous sont disposées uniquement
par les
mains de Marie, et que tous ceux
qui se sauvent, ne sont sauvés que par l'entremise de cette divine
Mère,
on peut dire, par une conséquence
nécessaire, que le salut de tous les hommes est attaché à
la prédication
des grandeurs de Marie, et de la
confiance en son intercession. Et c'est par ce moyen, on le sait, que saint
Bernardin de Sienne sanctifia l'Italie,
et que saint Dominique convertit tant de provinces. Saint Louis
Bertrand ne prêchait jamais
sans exhorter la dévotion envers Marie ; il en est de même
pour beaucoup
d'autres.
Le Père Paul Segneri le Jeune,
célèbre missionnaire, faisait dans toutes ses missions un
sermon sur la
dévotion à Marie,et
il l'appelait son sermon favori. Et nous qui, dans nos missions, avons
pour règle
invariable de ne jamais ommettre
le sermon sur la sainte Vierge, nous pouvons attester en toute vérité
qu'aucun discours, pour l'ordinaire,
n'excite autant la componction, et ne produit autant de fruit que le
sermon sur la miséricorde
de Marie. Je dis : " Sur la MISÉRICORDE de Marie " ; car, selon
saint
Bernard, nous louons, il est vrai,
son humilité, nous admirons sa virginité ; mais, parce que
nous sommes
de pauvres pécheurs, ce qui
nous touche et nous attire davantage, c'est d'entendre parler de sa
miséricorde ; et certes,
c'est sa miséricorde que nous embrassons le plus affectueusement,
que nous nous
rappelons le plus souvent, et que
nous invoquons le plus fréquemment.
Voilà pourquoi, dans cet ouvrage,
laissant à d'autres le soin de décrire les autres prérogatives
de Marie, je
me suis principalement attaché
à parler de sa grande miséricorde et de sa puissante intercession.
Dans ce
dessein, j'ai recueilli, autant
qu'il m'a été possible par un travail de plusieurs années,
tout ce que les saints
Pères et les auteurs le plus
célèbres ont dit de la miséricorde et de la puissance
de Marie ; et comme cette
miséricorde et cette puissance
de la bienheureuse Vierge se trouvent merveilleusement caractérisées
dans
la magnifique antienne Salve Regina,
que l'Église a elle-même approuvée et donnéee
à réciter pendant la
majeure partie de l'année
à tout le clergé, régulier et séculier, j'ai
entrepris d'expliquer cette dévote prière.
Pieux Lecteur, si vous agréez
mon travail, comme je l'espère, je vous prie de me recommander à
la sainte
Vierge, afin qu'elle me donne une
grande confiance en sa protection ; et si vous me faites la charité
de
demander pour moi cette grâce,
qui que vous soyez, je vous promets de la demander aussi pour vous. Oh
! heureux celui qui s'attache fortement,
par l'amour et la confiance, à ces deux ancres de salut, Jésus
et
Marie ! Certainement, il ne périra
point ! Disons donc, mon cher Lecteur, et répétons l'un et
l'autre du
fond de notre coeur, avec le dévot
Alphonse Rodriguez : Jésus et Marie, doux objets de mes amours !
que je souffre pour vous, que je
meure pour vous, que je soit tout à vous, et plus aucunement à
moi-même. Aimons Jésus
et Marie, et tâchons de nous sanctifier ; c'est la plus grande fortune
à laquelle
nous puissions aspirer. Adieu !
au revoir dans le paradis, aux pieds de cette tendre Mère et de
Fils si
aimant, pour les louer, les remercier,
et les aimer ensemble, en jouissant de leur douce présence pendant
toute l'éternité !
Amen.
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PRIERE A LA BIENHEUREUSE VIERGE pour obtenir une bonne mort.
O Marie, doux refuge des malheureux
pécheurs, quand mon âme devra sortir de ce monde, je vous
en
supplie, ma très douce Mère,
par la douleur que vous ressentîtes en voyant votre Fils qui se mourrait
sur la Croix, assistez-moi alors
de votre miséricorde, Éloignez de moi les ennemis infernau,
et venez
vous-même recueillir mon âme,
pour la présenter au juge éternel. Ma souveraine, ne m'abandonnez
pas. Vous devez être, après
Jésus, mon appui dans ce moment redoutable. Priez votre Fils de
m'accorder dans sa bonté
la faveur de mourir en embrassant vos pieds, et d'exhaler mon âme
dans ses
saintes plaies, en disant : Jésus
et Marie, je vous donne mon coeur et mon âme !
===========
LES GLOIRE DE MARIE
CHAPITRE I
Salve Regina, Mater misericordiae !
Nous vous saluons, ô Reine, Mère de miséricorde.
MARIE, NOTRE REINE, NOTRE MÈRE
I
Combien doit être grande notre confiance en Marie, parce qu'elle est Reine de miséricorde.
L'auguste Vierge Marie ayant été
élevée à la dignité de Mère du Roi des
rois, la sainte Église a raison de
l'honorer et de voulour que tous
l'honorent du glorieux titre de Reine.
Si le Fils est Roi, dit saint Anathase,
la Mère a le droit d'être tenue pour Reine et d'en porter
le nom. Oui,
ajoute saint Bernardin de Sienne,
quand Marie consentit à être la Mère du Verbe éternel,
à l'instant même
et par ce consentement, elle mérita
et obtint la principauté de la terre, le domaine du monde, le sceptre
et
la qualité de Reine de toutes
les créatures. Et, comme l'observe Arnauld de Chartres, si par la
chair Marie
est unie si intimement à
Jésus, comment cette divine Mère serait-elle séparée
de son Fils quant à la
puissance souveraine ? Il faut donc
le reconnaître, la dignité royale n'est pas seulement commune
au Fils
et à la Mère, mais
ils n'ont qu'une seule et même royauté.
Or, si Jésus est Roi de l'univers,
c'est de l'univers aussi que Marie est Reine : " Reine du ciel, dit l'abbé
Rupert, elle commande à bon
droit à tout le royaume de son Fils ". De là cette conséquence
exprimée par
saint Bernardin de Sienne : Autant
de créatures servent Dieu, autant doivent servir Marie. LEs anges,
les
hommes et tout ce qui existe au
ciel et sur la terre, étant soumis à l'empire de Dieu, le
sont pareillement à
la domination de cette glorieuse
Vierge. De là aussi cette exclamation de l'abbé Guéric,
s'addressant à la
divine Mère : Continuez donc,
ô Marie, continuez de régner en toute sécurité
; disposez à votre gré des
biens de votre Fils ; puisque vous
êtes la Mère et l'Épouse du Roi de l'univers, vous
êtes Reine, et avez
droit à l'empire et à
la domination sur toutes les créatures.
Marie est notre Reine ; mais sachons-le
pour notre commune consolation, elle est une Reine pleine de
douceur et de clémence, toute
disposée à répandreses bienfaits sur notre misère.
C'est pourquoi, la sainte
Église veut qu'en la saluant
dans la belle prière que nous méditons, nous lui donnions
le titre de Mère de
miséricorde. Selon la remarque
du Bienheureux Albert le Grand, le nom même de Reine éveille
l'idée de
compassion, de sollicitude en faveur
des pauvres, à la différence du nom d'Impératrice,
qui signifie
sévérité et
rigueur. Et, d'après Sénèque, la vraie grandeur des
rois et des reines consiste à soulager les
malheureux. A la différence
donc des tyrans qui gouvernent dans des vues exclusivement personnelles,
les
rois doivent se proposer pour unique
fin le bien de leurs peuples. Et voilà pourquoi, dans la cérémonie
de
leur sacre, on leur oint la tête
d'huile, emblême de miséricorde ; ils sont avertis par là
que, sur le trône, ils
devront surtout nourrir, envers
leurs sujets, des sentiments de commisération et de bonté.
Il est donc dud evoir des rois de
s'appliquer principalement aux oeuvres de miséricorde, mais non
au point
d'oublier l'exercice de la justice
à l'égard des coupables, quand cela est nécessaire.
Cependant, il n'en est
pas ainsi de Marie : elle est Reine,
mais elle n'est pas Reine de justice, obligée d'office à
punir les
malfaiteurs ; elle est Reine de
miséricorde, et son unique attribution est d'avoir pitié
des pécheurs et de
leur ménager le pardon. Telle
est la raison du nom de Reine de miséricorde, sous lequel l'Église
nous
apprend à l'invoquer. J'ai
appris ces deux choses, chantait David, que la puissance appartient à
Dieu, et
que vous êtes, Seigneur, rempli
de miséricorde. Voici sur ces paroles le commentaire du célèbre
Gerson,
chancelier de Paris : La royauté
de Dieu comprend l'exercice de la justice et celui de la miséricorde
; or le
seigneur l'a partagée : il
s'est réservé à lui-même le règne de
la justice, et il a cédé à Marie le règne de
la
miséricorde, voulant que
toutes les grâces accordées aux hommes passent par les mains
de cette douce
Reine, pour être départies
à son gré. Cette explication est confirmée par saint
Thomas, dans sa préface
aux Épîtres canoniques
; quand la Bienheureuse Vierge, dit-il, conçut et enfanta le Verbe
divin, elle obtint
la moitié du règne
de Dieu, et devint Reine de miséricorde, Jésus-Christ restant
Roi de justice.
Le Père Éternel a établi
Jésus-Christ Roi de justice, et, en cette qualité, Juge universel
du monde ; c'est ce
que le Prophète célèbre
en ces termes : O Dieu, donnez votre justice au Fils du Roi. Seigneur,
ajoute ici
un savant interprète, vous
avez donné à votre Fils la justice, parce que vous avez donné
la miséricorde à
sa Mère. Avec non moins de
bonheur, saint Bonaventure paraphrase ainsi les mêmes paroles du
Psalmiste : Seigneur ! donnez votre
justice au Roi, et votre miséricorde à la Reine, sa Mère.
- Ernest,
archevêque de Prague, dit
pareillement que le Père Éternel a confié au Fils
l'office de juger et de punir et
à la Mère celui de
compatir et de soulager. A Marie peut donc s'appliquer la prophétie
du même David :
Dieu a fait couler sur votre front
une huile d'allégresse. Oui, car Dieu a en quelque sorte sacré
de ses
propres mains Marie Reine de miséricorde,
et nous a donné à nous tous, infortunés enfants d'Adam,
un
motif de vive allégresse
dans la personne de cette grande Reine que nous avons au ciel, et qui est
toute
détrempée du baume
de la miséricorde, comme dit saint Bonaventure, et toute pleine
de l'huile d'une
maternelle tendresse à notre
égard.
Le bienheureux Albert le Grand fait
intervenir ici, de la manière la plus heureuse, l'histoire de la
reine
Esther, qui fut d'ailleurs une des
figures de notre Reine Marie.
On lit au livre d'Esther, que, sous
le règne d'Assuérus, un édit fut publié qui
condamnait à la mort tous les
Juifs de ses États. Alors
MArdochée, l'un des condamnés, recommanda leur salut à
Esther, et la pria
d'intercéder pour eux auprès
du Roi, afin d'obtenir les révocations de la sentence. Au premier
abord,
Esther refusa de faire cette démarche,
craignant d'accroître par là l'indignation d'Assuérus.
Mais
Mardochée lui envoya quelqu'un,
chargé de lui faire des remontrances : elle ne devait pas, lui faisait-il
dire, songer uniquement à
sa propre sûreté, puisque le Seigneur l'avait élevée
sur le trône pour procurer le
salut de tous les Juif. Ne croyez
pas que vous puissiez vous sauver seule, parce que, dans la maison du
roi, vous tenez un rang supérieur
à tous les Juifs. Ainsi parlait Mardochée à la reine
Esther ; ainsi
pourrions-nous aussi, nous, pauvres
pécheurs, parler à notre Reine Marie, si jamais elle répugnait
à nous
obtenir de Dieu la remise de la
peine due à nos péchés : Ne pensez pas qu'il vous
soit permis de vous
sauver seule, parce que, dans la
maison du Roi, vous occupez un rang plus haut qu'aucun homme. Non,
auguste Souveraine, ne pensez pas
que Dieu vous ait élevée à la dignité de Reine
du monde, uniquement
en vue de votre bonheur ; il a voulu
aussi que cette sublime grandeur vous mît à même de
compatir plus
efficacement à nos misères
et de les soulager mieux.
Lorsqu'Assuérus vit Esther
en sa présence, il lui demanda avec amour ce qu'elle désirait.
O mon Roi,
répondit-elle, si j'ai trouvé
grâce devant vos yeux, accordez-moi le salut de mon peuple pour lequel
j'implore votre clémence.
- Assuérus l'exauça et ordonna aussitôt que la séquence
fût révoquée. Or, si
Assuérus accorda le salut
des Juifs à Esther, parce qu'il l'aimait, comment Dieu, qui aime
Marie d'un
amour immense, pourrait-il ne pas
l'exaucer lorsqu'elle le prie pour les pauvres pécheurs qui réclament
son intercession, et qu'elle lui
dit : O mon Roi et mon Dieu, si j'ai trouvé grâce devant vous,
si vous
m'aimez, accordez-moi le salut de
ces pécheurs pour lesquels j'intercède auprès de vous.
- Si vous
m'aimez !... Ah ! elle n'ignore
pas, cette divine Mère, qu''elle est la bénie, la bienheureuse,
celle qui, seule
entre tous les enfants d'Adam, a
trouvé la grâce perdue par l'homme ; elle sait qu'elle est
la Bien-Aimée
de son Seigneur, plus aimée
que tous les saints et tous les anges ensemble ; comment donc Dieu
pourrait-il ne pas l'exaucer ? Qui
ne connaît pas la force des prières de Marie auprès
de Dieu ? Une loi de
clémence sort de ses lèvres,
dit le Sage, chacune de ses prières est comme une loi aussitôt
sanctionnée
par le Seigneur, et qui garantit
un arrêt de miséricorde à tous ceux pour qui elle intercède.
- Saint Bernard
demande pourquoi l'Église
appelle Marie Reine de miséricorde, et il répond : C'est
que l'on croit qu'elle
ouvre l'abîme de la miséricorde
divine à qui elle veut, quand elle veut, et comme elle veut ; en
sorte que
nul pécheur, si criminel
soit-il, ne se perd, pourvu que Marie le protège.
Mais n'est-il pas à craindre
que Marie ne refuse de s'entremettre our certains pécheurs qui lui
paraîtront
trop souillés ? ou bien ne
devons-nous pas nous laisser intimider par la majesté et la sainteté
de cette
grande Reine ? - Oh ! non, réponds
saint Grégoire VII ; autant elle est sainte et élevée,
autant elle est
douce et miséricordieuse
envers les pécheurs qui l'invoquent avec un vrai désir de
s'amender. Les airs de
grandeur que prennent les rois et
les reines de la terre, inspirent la terreur, et sont cause que leurs sujets
craignent de paraître en leur
présence ; mais demande saint Bernard, quelle appréhension
pourrait
empêcher les malheureux d'aller
à cette Reine de miséricorde ? Elle ne laisse rien paraître
de terrible ou
d'austère en sa présence,
elle ne montre que douceur et bonté à quiconque va la trouver
; " à tous, elle
offre le lait et la laine " ; non
contente de les donner à qui les lui demande, elle les offre même
à tous ; elle
leur offre le lait de la miséricorde
pour les animer à la confiance, et la laine de sa protection pour
les
garantir des foudres de la justice
divine.
Au rapport de Suétone, quelque
faveur qu'on demandât à l'empereur Titus, il ne savait la
refuser ; parfois
même, il promettait plus qu'il
ne pouvait tenir ; et à ceux qui l'avertissaient : un prince, répondait-il,
ne
doit renvoyer mécontent aucun
de ceux qu'il a une fois admis en sa présence. Ainsi parlait Titus,
mais,
dans le fait, il lui arrivait peut-être
souvent de faire de fausses promesse ou de manquer à sa parole.
Notre
Reine, au contraire, est incapable
de nous tromper, et elle est assez puissante pour procurer tout ce qu'elle
veut à ses dévots
; elle a d'ailleurs le coeur si bon, si compatissant, assure Lansperge,
qu'elle ne saurait
renvoyer sans consolation un malheureux
qui la prie. Mais, ô Marie, s'écrie saint Bernard, comment
pourriez-vous refuser votre appui
aux misérables, quand vous êtes Reine de miséricorde
? quels sont les
sujets de la miséricorde,
sinon les misérables ? Vous êtes Reine de miséricorde,
et moi, je suis le plus
misérable de tous les pécheurs
; je tiens donc le premier rang parmi vos sujets, et vous devez prendre
soin
de moi plus que de tous les autres.
Ayez donc pitié de nous, ô Reine de miséricorde, et
pensez à nous
sauver.
Et ne dîtes pas, ô Vierge
sainte, semble ajouter saint Georges de Nicomédie ; ne dîtes
pas que la
multitude de nos péchés
vous empêche de nous secourir ; car telles sont votre puissance et
votre bonté,
qu'il n'est pas de fautes si nombreuses
qui puissent en dépasser les bornes. Rien ne résiste à
votre
puissance, parce que votre Créateur,
qui est aussi le nôtre, regarde votre gloire comme la sienne, et
croit
se faire honneur à lui-même
en honorant sa Mère ; aussi le fait-il avec une joie extrême
: on dirait qu'en
exauçant vos prières,
il acquitte une dette. Oui, une dette, car, veut dire le saint, bien que
Marie soit
infiniment obligée envers
son Fils, qui l'a choisie pour Mère, on ne peut nier qu'à
son tour il ne soit,
lui-même fort obligé
envers Marie, puisqu'elle lui a donné l'être humain. Eh bien
! pour payer en quelque
sorte à sa Mère tout
ce qu'il lui doit, Jésus se plaît à accroître
sa gloire, qui lui est si chère, et spécialement
en lui accordant toutes ses requêtes.
Quelle confiance ne devons-nous donc
pas avoir en cette auguste Reine, nous qui la savons si puissante
auprès de Dieu, et en même
temps si riche de miséricorde, que personne au monde n'est exclu
de sa
tendresse et de ses faveurs ! C'est
ce que la bienheureuse Vierge a révélé elle-même
à Sainte Brigitte : "
Je suis, lui dit-elle un jour, la
Reine du ciel et la Mère de miséricorde ; je suis la joie
des justes et la porte
par laquelle les pécheurs
ont accès auprès de Dieu. Il n'est pas de pécheur
maudit au point d'être privé
des effets de ma miséricorde
tant qu'il vit sur la terre ; car il n'en est aucun qui ne doive quelque
grâce à
mon intercession, ne fût-ce
que celle d'être moins tenté par les démons. Aucun
pécheur, ajute-t-elle, à
moins qu'il ne soit tout à
fait maudit (c'est-à-dire frappé de la malédiction
finale et irrévocable qui se
prononce contre les damnés),
aucun pécheur n'est tellement rejeté de Dieu, qu'il ne puisse,
en m'appelant
à son aide, retourner à
Dieu et obtenir miséricorde. Tout le monde, dit-elle encore, m'appelle
Mère de
miséricorde, et vraiment,
c'est la miséricorde de Dieu envers les hommes qui m'a rendue si
miséricordieuse à
leur égard. Enfin, elle conclut en ces termes : Bien malheureux
sera donc, dans la vie
future, et malheureux à jamais,
celui qui se sera damné faute de recourir à moi, comme il
le pouvait, dans
la vie présente, à
moi, si miséricordieuse envers tous les hommes, et si désireuse
de venir en aide aux
pécheurs. "
Voulons-nous donc assurer notre salut,
allons souvent, allons sans cesse nous réfugier aux pieds de cette
douce Reine, et, si la vue de nos
péchés nous épouvante et nous décourage, souvenons-nous
que Marie a
été établie
Reine de miséricorde pour sauver, par sa protection, les pécheurs
les plus coupables et les plus
désespérés
pourvu qu'ils se recommandent à elle. Ils doivent former sa couronne
dans le ciel, comme lui
lui fait entendre l'Époux
divin, en lui disant : Viens du Liban, mon Épouse ; viens du Liban,
viens, tu
seras couronnée . . . des
cavernes des lions et des montagnes qui servent de retraite aux léopards.
Quelles sont, en effet, ces retraites
de bêtes monstrueuses, sinon les malheureux pécheurs ? leurs
âmes ne
sont-elles pas réceptacles
de péchés divers, monstres les plus affreux que l'on puisse
concevoir ? - Oui, ô
Marie ! je le dis avec l'abbé
Rupert, c'est le salut de ces pauvres pécheurs qui sera votre couronne
en
paradis, couronne bien digne de
vous et la mieux appropriée à une Reine de miséricorde.
On peut lire à ce sujet l'exemple suivant.
EXEMPLE
Il est raconté dans la vie
de la soeur Catherine de Saint-Augustin, que, dans l'endroit où
habitait cette
servante de Dieu, se trouvait une
femme appelée Marie, qui avait mené une vie scandaleuse dès
sa
jeunesse, et qui, parvenue à
un âge avancé, persistait avec obstination dans ses désordres.
Chassée enfin
par les habitants, et réduite
à se retirer dans une grotte solitaire, elle y mourut consumée
par une horrible
maladie, sans secours humains et
sans sacrements. Après une telle vie et une telle mort, son cadavre
fut
enfoui comme celui d'un animal immonde.
Soeur Catherine avait coutume de recommander instamment à
Dieu les âmes de tous ceux
qui passaient à l'autre vie ; néanmoins, ayant appris la
triste fin de cette
malheureuse, elle ne songea nullement
à prier pour elle, la croyant, comme tout le monde, à jamais
perdue. Quatre ans s'étaient
écoulés, lorsqu'un jour se présenta devant elle une
âme du purgatoire, qui lui
dit : " Soeur Catherine, quel malheur
est le mien ! vous recommandez à Dieu les âmes de tous ceux
qui
meurent ; je suis la seule dont
vous n'ayez pas eu compassion ! - Et qui êtes-vous ? demanda la servante
de Dieu. - Je suis, répondit-elle,
cette pauvre Marie qui mourut dans la grotte. - Quoi ! êtes-vous
donc
sauvée ? - Oui, je suis sauvée,
grâce à la miséricorde de la sainte Vierge. - Et comment
? - Quand je me
vis près de mourir, me trouvant
ainsi abandonnée de tout le monde et chargée de tant de péchés,
je me
tournai vers la Mère de Dieu
et lui dis : " Reine du ciel, vous
êtes le refuge des pauvres
délaissés, et me voici abandonnée de tout le monde
; vous êtes mon unique
espérance, vous seule pouvez
me secourir, ayez pitié de moi ". La douce Marie m'obtint la grâce
de faire
un acte de contrition, je mourus
et je fus sauvée. Cette bonne mère m'a procuré en
outre la faveur de voir
ma peine abrégée,
en rachetant par l'intensité de mes souffrances une bonne partie
des années qu'elles
devaient durer. Il ne faut que quelques
messes pour me délivrer du purgatoire ; je vous prie de me les
faire dire, et je vous promets de
ne jamais cesser, après cela, de prier Dieu et la bienheureuse Vierge
pour
vous ". Soeur Catherine fit aussitôt
célébrer des messes pour elle, et, au bout de quelques jours,
cette âme
lui apparut de nouveau, plus brillante
que le soleil, et lui dit : " Je vous remercie, ma chère Catherine
; je
vais maintenant en paradis chanter
les miséricordes de mon Dieu et prier pour vous ".
PRIÈRE
O Marie, Mère de mon Dieu
et ma souveraine Maîtresse, tel que se présenterait à
une grande reine un
misérable tout couvert de
plaies et de souillures, tel je me présente à vous, qui êtes
la Reine du ciel et
de la terre ; du haut de ce trône
glorieux où vous êtes assise, ne dédaignez pas, je
vous en supplie,
d'abaisser vos regards sur ce pauvre
pécheur, Dieu vous a rendue riche comme vous l'êtes, pour
que
vous secouriez les pauvres, et il
vous a établie Reine de miséricorde oiyr viys nettre à
même de
soulager les misérables L
regardez-moi donc, et prenez compassion de moi ; regardez-moi et ne
m'abandonnez pas que vous ne m'ayez
changé de pécheur en saint. Je reconnais que je ne mérite
rien,
ou plutôt, en punition de
mon ingratitude, je mériterais de me voir dépouillé
de toutes les grâces qui
me sont venues du Seigneur par votre
entreprise ; heureusement, la Reine de miséricorde, ne va pas
cherchant des mérites, mais
des misères ; tout son désir est de scourir les nécessiteux
; et qui est plus
pauvre et plus nécessiteux
que moi ? O glorieuse Vierge, je sais que vous êtes la Reine du monde,
et
par conséquent ma Reine ;
je veux me consacrer à votre service d'une manière plus spéciale,
et vous
laisser disposer de moi comme il
vous plaît. Je vous dis donc avec saint Bonaventure : Gouvernez-moi,
ô ma Reine, et ne me laissez
pas à moi-même ; commandez-moi, employez-moi selon votre gré,
et
même châtiez-moim quand
je ne vous obéis point ; oh ! combien me seront salutaires les châtiments
de
votre main ! J'estime plus l'honneur
de vous servir que celui de commander à toute la terre. JE SUIS
A
VOUS, SAUVEZ-MOI. Recevez-moi au
nombre des vôtres, ô Marie, et, comme tel, pensez à
me sauver.
Non, je ne veux plus m'appartenir
à moi-même, je me donne à vous ! Et si dans le passé,
je vous ai mal
servie, ayant laissé échapper
tant d'occasions de vous honorer, je veux désormais m'unir à
vos
serviteurs les plus affectionnés
et les plus fidèles. Je ne veux pas qu'à partir de ce jour
personne vous
honore et vous aime plus que moi,
ô mon aimable Reine. Je vous le promets et cette promesse, j'espère
la tenir avec votre secours. Amen.
II Combien notre confiance
en Marie doit être plus grande encore, parce qu'elle est notre Mère.
Les serviteurs de Marie se plaisent
à l'appeler leur Mère ; ils ne savent même, ce semble,
l'invoquer sous
un autre titre ; jamais ils ne se
lassent de la nommer ainsi. Ce n'est pas au hasard ni sans motif, car elle
est bien réellement leur
Mère. Marie est notre Mère à tous, non pas selon la
chair, mais selon l'esprit : elle
est la Mère de nos âmes
et de notre salut.
Le péché avait dépouillé
nos âmes de la grâce divine, qui est leur vie, et les avait
livrées à la plus
déplorable des morts. Dans
l'excès de sa miséricorde et de son amour, Jésus,
notre Rédempteur, vint à
nous et nous rendit, au prix de
sa mort sur la croix, la vie que nous avions perdue : Je suis venu, a-t-il
dit
lui-même, afin que mes brebis
aient la vie, et qu'elles l'aient plus abondamment. Il dit : Plus
abondamment, car selon les théologiens,
Jésus-Christ nous apporta plus debien en nous rachetant,
qu'Adam ne nous avait causé
de mal par son péché. Ainsi, en nous réconciliant
avec Dieu, Jésus est
devenu, sous le régime de
la loi de grâce, le Père de nos âmes ; c'est là
ce qu'Isaïe avait prédit, en
l'appelant le Père du siècle
futur, le Prince de la paix. Or, si Jésus-Christ est le Père
de nos âmes, Marie
en est la Mère ; car, en
nous donnant Jésus, elle nous a donné la véritable
Vie, et, en offrant ensuite sur le
Calvaire la vie de son Fils pour
notre salut, elle nous a enfantés à la vie de la grâce.
Ce fut donc en deux circonstances,
comme nous l'aprennent les saints Pères, que Marie devint Mère
spirituelle.
Ce fut premièrement quand
elle conçut dans son sein virginal le Fils de Dieu ; tel est l'enseignement
du
bienheureux Albert le Grand ; et
saint Bernardin de Sienne nous l'explique en ces termes : Quand Marie,
instruite par l'Ange des desseins
de Dieu sur elle, donna le consentement que le Verbe éternel attendait
pour devenir son Fils, elle demanda
en même temps à Dieu, avec un amour immense, le slut du genre
humain, et elle se dévoua
tellement à l'oeuvre de notre rédemption que, comme la plus
tendre des mères,
elle nous porta tous dès
lors dans les entrailles de sa charité.
Dans le récit de la naissance
de notre Sauveur, saint Luc dit que Marie mit au monde son premier-né.
Cela fait supposer, observe un auteur,
qu'elle a eu d'autres enfants après celui-là ; mais, continue-t-il,
puisqu'il est de foi que la Vierge
n'a pas eu, selon la chair d'autres enfants que Jésus-Christ, il
s'ensuit
qu'elle a dû en avoir selon
l'esprit, et c'est nout tous. Cette explication fut révélée
par le Seigneur
lui-même à sainte Gertrude
: lisant un jour dans l'Évangile le passage en question, elle en
fut troublée ; elle
ne pouvait comprendre comment Jésus-Christ
peut s'appeler le premier-né d'une Mère dont il est le Fils
unique ; or, Dieu lui fit comprendre
que Jésus est le premier-né de Marie selon la chair, et les
autres
hommes ses puînés selon
l'esprit.
Ainsi s'entend encore ce qui est
dit de la bienheureuse Vierge dans les Cantiques : Votre sein est comme
un monceau de froment, tout environné
de lis. - Saint Ambroise commente ces paroles en disant que,
dans le sein très pur de
Marie, il n'y eut qu'un seul grain, à savoir, Jésus-Christ,
lequel est néanmoins
comparé à un morceau
de froment, parce que dans ce seul grain étaient renfermés
tous les élus, dont
Marie devait être aussi la
Mère. La même pensée est ainsi exprimée par
l'abbé Guillaume : En mettant au
monde Jésus-Christ, notre
Sauveur et notre Vie, Marie nous a tous enfantés au salut et à
la vie.
En second lieu, Marie nous a enfantés
à la grâce sur le Calvaire, lorsque, d'un coeur brisé
par la douleur,
elle offrit au Père Éternel
pour notre salut la vie de son Fils bien-aimé. Saint Augustin affirme
en effet
qu'en contribuant alors par sa charité
à faire naître les fidèles à la vie de la grâce,
Marie devint notre Mère
à tous, la Mère spirituelle
de tous les membres du corps mystique de Jésus-Christ. Et c'est
dans ce sens
qu'on applique à la bienheureuse
Vierge ces mots des Cantiques : Ils m'ont placée comme gardienne
dans
les vignes, et je n'ai pas gardé
ma propre vigne. Car, dans son désir de sauver nos âmes, Marie
consentit à sacrifier, à
livrer à la mort son propre Fils : En vue du salut d'un grand nombre
d'âmes, dit
Guillaume, elle a abandonné
son âme propre à la mort. Or, l'âme de Marie, n'était-ce
pas son Jésus ?
n'était-il pas la vie et
l'unique amour de sa Mère ? Saint Siméon avait donc raison
de prédire à cette
tendre Mère qu'un jour son
âme bénie serait transpercée d'un glaive cruel ; ce
glaive fut la lance qui perça
le côté de Jésus,
et, je le répète, Jésus était l'âme de
Marie. Eh bien ! ce fut en ce moment que, par ses
douleurs, elle nous enfanta à
la vie éternelle, et dès lors tous nous pouvons nous dire
les enfants des
douleurs de Marie. Cette Mère
très aimante fut toujours parfaitement unie à la volonté
de Dieu ; c'est
pourquoi, voyant le Père
porter l'amour enver nous jusqu'à vouloir sacrifier son Fils à
notre salut, et le
Fils nous aimer jusqu'à vouloir
mourir pour nous, elle conforma son amour envers le genre humain à
l'amour excessif du Père
et du Fils. C'est la pensée de saint Bonaventure : " Il ne faut
nullement douter,
écrit-il, que Marie n'ai
voulu, elle aussi, livrer son Fils pour le salut du genre humain, afin
que la Mère fût
de toute façon la fidèle
imitatrice du Père. "
Il est vrai que Jésus a voulu
être le seul à mourir pour la rédemption du genre humain,
et, selon
l'expression d'Isaïe, à
fouler le vin de notre salut ; néanmoins, ayant égard à
l'ardent désir qui pressait
Marie de coopérer de son
côté à ce grand ouvrage, il décida qu'elle y
prendrait part en l'offrant, lui, Jésus,
à l'autel du sacrifice, et
qu'ainsi elle deviendrait la Mère de nos âmes. Ce mystère
nous fut dévoilé par
notre Sauvuer lui-même : sur
le point d'expirer, il abaissa ses regards sur sa Mère et sur son
disciple saint
Jean, tous deux debout au pied de
sa croix, et dit d'abord à Marie : Ecce filius tuus, " voilà
votre fils ".
C'est comme s'il eût dit :
Voilà l'homme que vous venez de faire naître à la grâce
en offrant ma vie pour
son salut. S'adressant ensuite au
disciple : Ecce Mater tua, lui dit-il, " voilà votre Mère
". Par ces paroles,
remarque saint Bernardin, Jésus
donnait Marie pour mère, non pas au seul saint Jean, mais à
tous les
hommes, en raison de son amour pour
eux. Et c'est là, selon Silveira, le motif pour lequel saint Jean,
qui
rapporte lui-même ce fait
dans son Évangile, se désigne sous le nom commun de disciple
: Jésus dit au
disciple : Voilà votre Mère
; le Sauveur ne parlait donc pas à Jean, mais au disciple ; c'est-à-dire
qu'en
lui il voyait tous ceux qui, par
la foi, sont ses disciples ; et c'était à eux tous qu'il
donnait Marie pour
Mère.
Je suis la Mère du bel amour,
dit Marie. Elle parle ainsi, observe un auteur, parce que son amour pour
nos âmes les rend belles aux
yeux de Dieu, et l'engage elle-même à nous adopter avec toute
la tendresse
d'une mère. Et quelle mère,
s'écrie saint Bonaventure, quelle mère aune ses enfants et
prend soin de leur
bien-être, comme vous, ô
très douce Reine, vous nous aimez et veillez sur tous nos intérêts
? Heureux
ceux qui vivent sous la protection
d'une Mère si aimante et si puissante ! Bien qu'au temps de David
Marie ne fut pas encore née,
cependant, au dire de saint Augustin, ce prophète demandait déjà
à Dieu de
le sauver à titre d'enfant
de cette Vierge glorieuse : Sauvez, disait-il, le fils de votre Servante.
De quelle
servante ? demande ce saint Docteur,
si ce n'est de celle qui a dit : Je suis la Servante du Seigneur ? Eh !
s'écrie Bellarmin, qui aura
l'audace d'arracher les bras de Marie ses enfants, lorsqu'ils y cherchent
un asile
contre les poursuites de leurs ennemis
? Quel démon assez furieux, quelle passion assez violente pour les
vaincre, s'ils placent leur confiance
dans la protection d'une Mère si puissante ? Quand la baleine voit
son
petit exposé à périr
dans une tempête ou à être pris par les pêcheurs,
elle ouvr la bouche, dit-on, et le
reçoit dans son sein. Ce
qui est sûr, c'est qu'ainsi fait Marie : quand cette bonne Mère
voit ses enfants
exposé à de trop grand
périls par la violence des tentations, elle les cache avec amour
comme dans ses
propres entrailles, assure Novarin,
les y tient à l'abri du danger, et ne cesse de les garder jusqu'à
ce qu'elle
les ait mis en sûreté
dans le port du salut.
O Mère pleine de tendresse
! ô Mère pleine de bonté ! soyez à jamais bénie
! et béni soit à jamais le Dieu
qui vous a donnée à
nous pour Mère, et pour refuge assuré contre tous les hasards
de cette vie ! - Dans
une révélation faite
par elle-même à sainte Brigitte, la très sainte Vierge
s'est comparée à une mère qui,
voyant son fils entre les épées
de ses ennemis, n'épargnerait aucun effort pour lui sauver la vie.
C'est ainsi
que j'agis, ajouta-t-elle, et que
j'agirai toujours en faveur de mes enfants, quelque coupables qu'ils soient,
pourvu qu'ils invoquent mon secours.
Voilà donc le moyen de vaincre l'enfer, et de le vaincre à
coup sûr,
dans tous les combats qu'il nous
livre ; nous n'avons qu'à recourir à celle qui est la Mère
de Dieu et la
nôtre, en disant et en répétant
sans cesse : Je me réfugie sous votre protection, ô sainte
Mère de Dieu ! -
Combien de victoires les fidèles
n'ont-ils pas remportées sur l'enfer par cette courte, mais puissante
prière
! C'est par ce moyen qu'une grande
servante de Dieu, la soeur Marie-Crucifiée, bénédictine,
triomphait
toujours des démons.
Courage donc, ô vous qui êtes
les enfants de Marie ; et nous savons qu'elle reçoit pour ses enfants
tous
ceux qui désirent l'être
; courage et confiance ! Pouvez-vous craindre de périr, défendus
et protégés
comme vous l'êtes par une
telle Mère ? Voici ce que doit se dire, à la suite de saint
Bonaventure,
quiconque aime cette bonne Mère
et se met sous sa protection : O mon âme ! que crains-tu ? tu ne
saurais perdre la cause de ton salut
éternel, puisque la sentence est laissée à la décision
de Jésus, qui est
ton Frère, et de Marie, qui
est ta Mère. - La même pensée remplissait saint Anselme
d'une joie qu'il nous
communique en s'écriant :
O heureuse confiance ! ô refuge assuré ! La Mère de
Dieu et ma Mère ; avec
quelle certitude ne devons-nous
pas espérer, puisque l'affaire de notre salut est entre les mains
d'un Frère
si bon et d'une Mère si compatissante
!
Écoutons donc la voix de notre
Mère, qui nous appelle : Si quelqu'un est petit et faible comme
un enfant,
nous crie-t-elle, qu'il vienne à
moi. Les enfants ont toujours à la bouche le nom de leur mère
; et, dans
tous les dangers qui les menacent,
à la moindre crainte qui les saisit, on les entend aussitôt
s'écrier : Ma
mère ! ma mère ! -
Ah ! douce Marie, ah ! douce Mère, c'est là précisément
ce que vous désirez que,
comme vos enfants, nous vous appelions
à notre secours dans tous les périls, parce que vous voulez
nous
protéger et nous sauver,
ainsi que vous avec toujours fait quand vos enfants ont eu recours à
vous.
EXEMPLE
L'histoire des fondations de la Compagnie
de Jésus au royaume de Naples rapporte ce qui suit d'un jeune
gentilhomme écossais, nommé
Guillaume Elphinstone, et parent du roi Jacques. Né dans l'hérésie,
il en
suivait les fausses doctrines ;
mais, éclairé d'une lumière divine qui lui faisait
entrevoir son erreur, il vint
en France, où, grâce
surtout à l'intercession de la bienheureuse Vierge, il connut enfin
la vérité, abjura
l'hérésie, et se fit
catholique. Il passa ensuite à Rome. Là, un de ses amis,
le voyant un jour fort affligé et
en pleurs, lui en demanda la cause.
Le jeune homme répondit que, pendant la nuit, sa mère lui
était
apprue et lui avait dit : " Mon
fils, que tu es heureux d'être entré dans le sein de la véritable
Église ! pour
moi, ayant eu le malheur de mourir
dans l'hérésie, je suis à jamais perdue ! " Dès
lors, i redoubla de
ferveur dans la dévotion
à Marie, qu'il choisit pour son unique Mère ; elle lui inspira
la pensée
d'embrasser la vie religieuse, et
il en fit le voeu.
Cependant, comme il était
malade, il se rendit à Naples, espérant que le changement
d'air rétablirait sa
santé ; mais le Seigneur
voulait qu'il y mourût ; et qu'il mourût religieux. Peu après
son arrivée en cette
ville, sa maladie ayant été
jugée mortelle, il obtint des pères jésuites, à
force de prières et de larmes, son
admission dans leur Ordre ; et lorsqu'il
reçut le Viatique, il prononça ses voeux en présence
du saint
sacrement, et fut déclaré
membre de la Compagnie.
Ainsi consolé, il attendrissait
tout le monde par la vie effusion avec laquelle il remerciait Marie, sa
bonne
Mère, de l'avoir arraché
à l'hérésie, ramené dans le sein de la véritable
Église, et conduit enfin dans la
maison de Dieu, pour y mourir au
milieu des religieux, ses frères. " Oh ! s'écriait-il, quelle
gloire de mourir
environné de tous ces anges
" ! Comme on l'exhortait à prendre un peu de repos, il répondit
: " Ah ! ce
n'est pas le moment de me reposer,
maintenant que la fin de ma vie approche ". Au moment de mourir, il
dit à ceux qui étaient
présents : " Mes frères, ne voyez-vous pas ici les anges
du ciel qui m'assistent ? "
Un des religieux, l'ayant entendu
prononcer quelques mots à vois basse, lui demanda ce qu'il disait.
Il
répondit que son ange gardien
lui avait révélé qu'il n'aurait que fort peu de temps
à passer en purgatoire,
et qu'il entrerait bientôt
dans le ciel. Il reprit ensuite ses doux entretiens avec Marie, sa Mère
bien-aimée ;
et, en répétant :
" Ma Mère ! ma Mère ! " comme un enfant qui s'endort dans
les bras de sa mère, il
expira paisiblement. Peu après,
un saint religieux sut par révélation qu'il était
déjà en paradis.
PRIÈRE
O Marie, ma très sainte Mère,
comment est-il possible qu'ayant une Mère si sainte, je sois si
pervers ;
qu'ayant une Mère si embrasée
d'amour pour Dieu, je sois si attaché aux créature ; qu'ayant
une Mère
si riche de vertus, j'en sois si
dénué ? Ah ! ma très aimable Mère, il est vrai,
je ne mérite plus d'être
appelé votre enfant, je m'en
suis rendu trop indigne par ma mauvaise vie ; je serai content si vous
daignez me recevoir au nombre de
vos serviteurs ; pour être compté parmi les derniers de vos
serviteurs, bien volontiers je donnerais
tous les royaumes de a terre. Oui, je serai content, si vous
m'accordez cette grâce ; cependant,
ne me refusez pas celle de vous appeler ma Mère ; ce nom me
console, me touche le coeur, et
me rappelle l'obligation où je suis de vous aimer ; ce nom m'inspire
une grande vonfiance en vous ; quand
le souvenir de mes péchés et de la justice divine me remplit
de
terreur, je me sens fortifié
et tout rassuré par la pensée que vous êtes ma Mère.
Permettez-moi donc de
vous dire : Ma Mère, ma très
aimable Mère ! C'est ainsi que je vous appelle et veux toujours
vous
appeler. Après Dieu, vous
devez être en tout temps dans cette vallée de larmes, mon
espérance, mon
refuge et mon amour. J'espère
mourir dans ces sentiments, en remettant, à mon dernier soupir,
mon
âme entre vos mains bénies,
et en vous disant : Ma Mère Marie, Marie ma Mère ! assistez-moi,
ayez
compassion de moi, Amen.
III
Combien est grand l'amour que nous porte Marie, notre Mère.
Après avoir établi
que Marie est notre Mère, il est juste de considérer à
quel point elle nous aime.
L'amour des parents envers leurs
enfants est un amour nécessaire ; c'est pour cette raison, suivant
la
remarque de saint Thomas, que la
loi divine, qui impose aux enfants l'obligation d'aimer leurs parents,
ne
fait point aux parents un précepte
formel d'aimer leurs enfants. La nature a si profondément implanté
dans les entrailles de tout être
vivant l'amour de sa progéniture, que, comme le dit saint Ambroise,
les
bêtes même les plus
sauvages ne peuvent s'empêcher d'aimer leurs petits. On raconte même
qu'aux cris
de leurs petits, embarqués
par les chasseurs, les tigres se jettent à la met, et suivent le
vaisseau à la nage
jusqu'à ce qu'ils le rejoignent.
Si donc, nous dit notre tendre Mère Marie, si les tigres mêmes
aiment tant
leurs petits, comment pourrais-je,
moi, cesser de vous aimer, d'aimer mes enfants ? Une mère peut-elle
oublier son enfant, et perdre toute
tendresse à l'égard du fruit de ses entrailles ? mais, quand
même
elle l'oublierait, moi, je ne l'oublierai
point, disait le Seigneur à son peuple ; Marie nous dit la même
chose : Non, quand même, par
impossible, une mère oublierait son fils, il n'arrivera jamais que
je renonce
à ma tendresse envers une
âme.
Marie, est notre Mère, comme
nous l'avons dit, non par la chair, mais par l'amour : Je suis la Mère
de
belle dilection. C'est donc uniquement
en raison de sa tendresse à notre égard qu'elle est notre
Mère ; et
voilà, remarque un auteur,
pourquoi elle se glorifie d'être Mère d'amour ; nous ayant
adoptés pour ses
enfants, elle est toute amour pour
nous. Qui pourrait expliquer l'amour que Marie nous porte parmi nos
misères ? Selon le même
auteur, en assistant à la mort de Jésus-Christ, elle brûlait
d'un extrême désir de
mourir avec son divin Fils pour
l'amour de nous. Ainsi, ajoute saint Ambroise, pendant que le Fils mourait
pour nous sur la croix, la Mère
se présentait aux bourreaux, toute prête à donner également
sa vie pour
notre amour.
Mais nous nous ferons une plus juste
idée du grand amour de cette bonne Mère envers nous, si nous
en
considérons les motifs.
Le premier, c'est son immense amour
pour Dieu. Selon saint Jean, l'amour de Dieu et celui du prochain,
sont l'objet du même précepte
: C'est là un commendement que nous avons reçu de Dieu :
elui qui aime
Dieu, doit aimer aussi son frère
; aussi ces deux amours sont toujours unis, et l'un ne peut grandir sans
que l'autre grandisse d'autant.
Voyez les saints, qui aimaient Dieu si ardemment, que n'ont-ils pas fait
pour le bien du prochain ! Dans
leur désir de le sauver, ils en sont venus jusqu'à exposer
et sacrifier leur
liberté, et même leurs
jours. Leurs histoires sont pleines de traits de la plus héroïque
charité. Afin de venir
en aide aux peuplades barbares de
l'Inde, saint François Xavier gravissait en rampant des montagnes
escarpées, et allait à
travers milles dangers, trouver au fond des cavernes les malheureux qui
y vivaient
comme des bêtes sauvages,
et qu'il voulait amener à Dieu. Dans ses missions aux hérétiques
du Chablais,
saint François de Sales se
hasarda chaque jour, une année durant, à passer une rivière
en se cramponnant
des mains et des pieds sur une poutre
parfois couverte de glaçons, afin d'aller sur l'autre rive prêcher
ses
obstinés. Saint Paulin se
fit esclave, pour rendre à liberté le fils d'une pauvre veuve
; saint Fidèle de
Sigmaringen s'estima heureux de
perdre la vie en prêchant la vraie foi à un peuple hérétique.
Comment les
saints ont-ils pu pousser si loin
l'amour du prochain ? C'est qu'ils aimaient Dieu très ardemment.
Or, qui
l'a plus aimé que Marie ?
Elle a plus aimé Dieu au premier moment de sa vie, que ne l'ont
aimé tous les
saints et tous les anges dans tout
le cours de leur existence, comme nous le feront voir au long, en parlant
de ses vertus.
D'après une révélation
de la bienheureuse Vierge elle-même à la soeur Marie-Crucifiée,
le feu dont elle
brûle pour Dieu, mettrait
en cendres en un instant le ciel et la terre, et, auprès de ses
ardeurs, toutes celles
des séraphins sont comme
le souffle d'un vent frais. Si donc, parmi tous les esprits célestes,
aucun n'aime
Dieu plus que Marie, nous n'avons
ni n'auront jamais, Dieu seul excepté, qui nous aime plus que cette
tendre Mère. Quand même
on réunirait l'amour de toutes les mères pour leurs enfants,
de tous les époux
pour leurs épouses, de tous
les saints et de tous les anges pour leurs protégés, tous
ces amours
n'égaleraient point ensemble
celui que Marie porte à une seule âme. La tendresse de toutes
les mères pour
leurs enfants est une ombre en comparaison
de celui que Marie porte à chacun de nous, assure
Nieremberg ; et elle nous aime,
à elle seule, immensément plus que tous les anges et tous
les saints
ensemble.
Un autre motif pour lequel notre
sainte Mère nous aime beaucoup, c'est que nous lui fûmes donnés
pour
enfants, et recommandés par
son bien-aimé Jésus, quand, sur le point d'expirer, il lui
dit : Femme, voilà
votre Fils. Comme il a été
vu plus haut, il lui désignait ainsi tous les hommes dans la personne
de saint
Jean. Ces paroles furent les dernières
que son divin Fils lui adressa en ce monde. Trop précieuses sont
les
suprêmes recommandations d'une
personne chérie aux prises avec la mort, pour qu'on en puisse jamais
perdre la mémoire.
De plus, nous sommes des enfants
excessivement chers à Marie, parce que nous lui coûtons d'excessives
douleurs. Une mère ressent
toujours une affection spéciale pour l'enfant auquel elle n'a conservé
la vie
qu'à force de soins et de
peines. Tels sommes-nous à l'égard de Marie : pour nous faire
naître à la vie de
la grâce, il lui a fallu -
quel supplice pour son coeur ! - il lui a fallu sacrifier elle-même
la vie si précieuse
de son Jésus, et se résigner
à voir de ses yeux ce fils qui expirait dans les tourments. C'est
à ce grand
sacrifice de Marie, je le répète,
que nous sommes redevables de la vie de la grâce ; sa tendresse pour
nous, pour des enfants qui lui ont
coûté tant de peines, est donc extrême. Ainsi, ce qui
est dit du Père
éternel, à savoir,
qu'il a aimé les hommes jusqu'à livrer pour eux son Fils
unique, nous pouvons,
remarque saint Bonaventure, le dire
pareillement de Marie : elle nous a aimés, elle aussi, au point
de nous
donner son Fils unique. Et quand
nous le donna-t-elle ? Elle nous le donna,. répond le père
Nieremberg,
d'abord, quand elle lui permit d'aller
à la mort. Elle nous le donna quand, les autres manquant à
leur
devoir par haine ou par crainte,
elle pouvait bien, elle seule, défendre auprès des juges
la vie de son Fils.
Ne doit-on pas croire, en effet,
que les paroles d'une mère si sage, si tendre à l'égard
de son Fils, eussent
pu faire assez d'impression, du
moins sur Pilate, pour le dissuader de condamner à mort un homme
dont
il avait lui-même reconnu
et proclamé l'innocence ? Mais non, Marie ne voulut pas prononcer
le moindre
mot en faveur de son Fils, afin
de ne pas s'opposer à sa mort, à laquelle notre salut était
attaché.
Elle nous le donna enfin, elle nous
le donna mille et mille fois, pendant ces trois heures qu'elle passa au
pied de la croix, veillant sur l'agonie
de son Fils. Oui, autant d'instants il y eut dans ces trois heures, autant
de fois elle fit pour nous, avec
une douleur extrême et un extrême amour enver nous, le sacrifice
de son
Jésus. Et, selon saint Anselme
et saint Antonin, telle était sa constance, qu'au défaut
des bourreaux, elle
l'eût crucifié elle-même
pour obéir au Père éternel, qui voulait nous sauver
par la mort de son Fils. Et, en
effet, si Abraham eut la force de
consentir à immoler son Fils de sa propre main, nous ne devons pas
en
douter, bien plus sainte plus obéissante
qu'Abraham, Marie eût accompli le sacrifice avec plus de courage
encore.
Mais, pour revenir à notre
sujet, combien de reconnaissance ne devons-nous pas à Marie en retour
d'un
acte d'amour si généreux,
je veux dire, du douloureux sacrifice qu'elle a fait de la vie de son Fils
unique,
afin de nous voir tous sauvés
! Magnifique fut le prix dont le Seigneur récompensa le sacrifice
qu'Abraham avait voulu lui faire
de son fils Isaac : mais nous, que pouvons-nous rendre à Marie pour
nous avoir réellement sacrifié
la vie de son Jésus, Fils bien plus auguste et bien plus aimé
que le fils
d'Abraham ? Cet amour de Marie nous
impose une grande obligation de l'aimer ; car, selon la remarque
de saint Bonaventure, jamais créature
ne nous aimera à l'égal de Celle qui nous a abandonné
son unique
Fils, un Fils qui lui était
plus cher que sa propre vie.
De là pour Marie un nouveau
mortif qui la presse de nous aimer : elle considère en nous le prix
auquel
nous fûmes achetés,
la mort de Jésus-Christ. Une reine qui aurait un serviteur racheté
par son fils chéri au
prix de vingt années de prisons
et de souffrances, combien, à ce seul point de vue, n'estimerait-elle
pas ce
serviteur ! Marie sait que son Fils
est venu en ce monde à l'unique fin de nous arracher à notre
misère,
ainsi qu'il l'a déclaré
lui-même : Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui
était perdu ; elle
sait que, pour nous racheter, il
a bien voulu donner jusqu'à son sang, et s'est fait obéissant
jusqu'à la
mort. Nous aimer peu après
cela, ce serait, de la part de Marie, faire peu de cas du sang versé
par son
Fils pour notre rançon. Il
fut révélé à la vierge sainte Élisabeth,
qu'à partir de son entrée dans le temple, la
vie de Marie fut une prière
incessante pour qu'il plût à Dieu d'envoyer sans retard son
Fils au secours du
monde perdu ; or, nous devons le
penser, elle nous aime bien plus encore, depuis qu'elle a vu son Fils
nous priser si haut, et payer si
cher notre délivrance.
Et, comme tous les hommes ont été
rachetés par Jésus-Christ, Marie les aime et ne refuse à
aucun ses
faveurs. C'est d'elle qu'il s'agit
dans ce passage de l'Apocalypse : Un grand signe parut dans le ciel : une
Femme revêtue du soleil. Elle
fut montrée ainsi à saint Jean, pour signifier que comme,
selon le psaume,
il n'est personne sur la terre qui
échappe à la chaleur du soleil, de même nul homme vivant
n'est exclu
de la tendresse de Marie. C'est
l'explication de l'Idiot : Par la chaleur du soleil, dit-il, il faut entendre
ici
l'amour de Marie. Eh ! s'écrie
saint Antonin, qui pourrait comprendre la sollicitude de cette tendre Mère
envers chacun de nous ? Elle ouvre
à tous le sein de sa miséricorde, à tous elle prodigue
ses bienfaits. Car
elle a désiré le salut
de tous les hommes et contribué au salut de tous. Il est certain,
dit saint Bernard,
qu'elle s'est vivement intéressées
au bien du genre humain tout entier. On voit par là combien est
utile la
pratique familière plusieurs
serviteurs de Marie, de prier le Seigneur qu'il leur accorde les grâces
dont la
bienheureuse Vierge lui fait pour
eux la demande. Or, cette manière de prier, est fondée en
raison,
remarque Conelius a Lapide, car
notre céleste Mère nous souhaite des biens plus excellents
que nous n'en
pouvons nous-mêmes désirer.
Et, comme l'assure le pieux Bernardin de Bustis, Marie est plus empressée
à nous combler de ses bienfaits,
à nous dispenser des grâces, que nous-mêmes à
les recevoirs. Aussi le
bienheureux Albert le Grand lui
applique-t-il ces paroles de la Sagesse : Elle prévient ceux qui
la désirent,
et elle se montre à eux la
première. Oui, Marie, elle la trouvent avant de l'avoir cherchée.
Telle est à
notre égard la tendresse
de cette bonne Mère, ajoute Richard, qu'à la première
vue de nos besoins et
avant même d'être invoquée
par nous, elle vient à notre secours.
Mais si Marie est si bonne envers
tout le monde, sans en excepter les ingrats qui l'aiment peu et qui sont
négligents à l'invoquer,
combien plus tendre sera-t-elle à l'égard de ceux qui l'aiment
sincèrement et
l'invoquent fréquemment ?
Ceux qui l'aiment la découvrent aisément, et ceux qui la
cherchent la trouve.
Oh ! s'écrie le même
bienheureux Albert, qu'il est facile à qui aime Marie de la trouver,
et de faire
l'heureuse expérience de
sa bonté, de son amour ! J'aime ceux qui m'aiment, dit-elle par
la bouche du
Sage. Or, bien que cette très
aimante Souveraine aime tous les hommes comme ses enfants, elle sait
néanmoins ceux qui l'aiment
davantage, assure Saint Bernard, et elle a pour eux des tendresses de choix.
Selon l'Idiot, quand une âme
est assez heureuse pour brûler ainsi de l'amour de Marie, celle-ci
ne se
contente pas de la chérir,
elle s'abaisse jusqu'à la servir : " Trouvez la Vierge Marie, dit-il,
c'est trouver
tous les biens, car elle aime ceux
qui l'aiment, elle sert même ceux qui la servent. "
Il est question, dans les chroniques
des Dominicains, d'un frère nommé Léodat, qui avait
coutume de se
recommander deux cent fois le jour
à cette Mère de miséricorde. Quand il fut sur le point
de mourir, il vit
tout à coup près de
son lit une reile d'une merveilleuse beauté, qui lui dit : " Léodat,
voulez-vous mourir,
et venir auprès de mon Fils
et de moi " ? Il répondit : " Mais, qui êtes-vous " ? Et la
sainte Vierge reprit : "
Je suis la Mère de miséricorde,
que vous avez tant de fois invoquée ; me voici venue pour vous prendre
avec moi, allons-nous en en paradis
". Léodat mourut ce jour-là même ; et, comme il y a
tout lieu de le
croire, il alla rejoindre Marie
au séjour des Élus.
O douce Marie ! heureux celui qui
vous aime ! - Le saint frère Jean Berchans, de la Compagnie de Jésus,
disait : " Si j'aime Marie, je suis
assuré de la persévérence, et j'obtiendrai de Dieu
tout ce que je désire ".
Aussi, le pieux jeune homme ne se
lassait pas de renouveler sa résolution de l'aimer ; il répétait
souvent
en lui-même : " Je veux aimer
Marie ! Je veux aimer Marie ! "
Oh ! combien cette bonne Mère
surpasse en amour tous ses enfants ! Qu'ils l'aiment autant qu'ils le
pourront, dis saint Ignace martyr,
jamais ils ne l'égaleront en amour.
Qu'ils l'aiment donc autant qu'un
saint Stanislas Kotska, dont la tendresse pour sa céleste Mère
était si
vive, qu'à l'entrendre seulement
parler d'elle on sentait le désir de l'aimer aussi. Il avait imaginé
des
expressions nouvelles et de nouveaux
titres pour l'honorer. Il ne commençait aucune action, sans s'être
tourné d'abord vers une image
de Marie pour demander sa bénédiction. Quand il récitait
en son honneur
l'office, le rosaire, ou d'autres
oraisons, c'était avec le sentiment, l'expression d'une personne
qui parlerait
face à face avec Marie. Entendait-il
chanter le Salve Regina, l'embrasement de son coeur colorait son
visage. Comme il allait un jour
visiter une image de la bienheureuse Vierge avec un père de la Compagnie,
celui-ci lui demanda s'il aimait
beaucoup Marie : " Mon père, répondit Stanilas, elle est
ma Mère ! Que
puis-je vous dire de plus ? " Mais,
racontait ensuite ce religieux, le saint jeune homme prononça ces
mots
d'une vois si émue, d'un
air si affectueux, d'un coeur si pénétré, qu'on eût
dit un ange qui parlait de
Marie.
Qu'ils l'aiment autant qu'un bienheureux
Herman Joseph, qui l'appelait son Épouse d'amour, Marie ayant
daigné l'honorer du nom d'Époux
; autant qu'un saint Philippe de Néri, qui était tout consolé
au seul
souvenir de Marie, et qui la nommait
ses Délices ; autant qu'un saint Bonaventure, qui, non content de
lui
donner les titre de Dame et de Mère,
osait encore, pour mieux exprimer la tendresse de son affection,
l'appeler son Coeur et son Ame.
Qu'ils l'aiment autant que ce grand
serviteur de Marie, saint Bernard : il aimait tant cette douce Mère,
qu'il
l'appelait la Ravisseuse des coeurs
: Raptrix cordium ; et, ne sachant comment lui dire l'amour dont il
brûlait pour elle : N'est-il
pas vrai, lui disait-il, que vous avez ravi mon coeur ?
Qu'ils l'appellent leur Amante, comme
un saint Bernardin de Sienne, qui allait la visiter chaque jour dans
une dévote image ; là
il épanchait son coeur dans de tendres colloques avec sa Reine bien-aimée
; et,
quand on lui demandait où
il se rendait tous les jours, il répondait qu'il allait trouver
son Amante.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint
Louis de Gonzague, qui brûlait continuellement d'un sigrand amour
envers Marie : rien qu'à
entendre le nom si doux de cette Mère chérie, il sentait
son coeur tout embrasé ;
la flamme qui le consumait apparaissait
à l'extérieur ; son visage en rougissait et attirait tout
les regards.
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint
François Solano qui semblait transporter d'une sainte folie d'amour
envers Marie ; parfois, devant une
de ses images, on le voyait qui chantait en s'accompagnant d'un
instrument de musique ; il voulait,
disait-il, à l'imitation des amants du monde, donner une sérénade
à la
Reine de son coeur.
Qu'ils l'aiment comme l'ont aimée
un si grand nombre de ses serviteurs, qui croyaient n'avoir jamais assez
fait pour lui témoigner leur
amour. - Le père Jean de Trexo, de la Compagnie de Jésus,
prenait plaisir à
s'appeler esclave de Marie, et,
en signe de sa serviture, il allait souvent la visiter dans une de ses
églises ;
là, que faisait-il ? à
peine arrivé, il se livrait tellement aux tendres émotions
de son amour pour Marie qu'il
arrosait l'église de ses
larmes, puis les essuyait avec la langue et le visage, baisant mille fois
le pavé, tant il
était touché de se
trouver dans la maison de sa chère Dame. - En récompense
de sa dévotion, le père
Jacques Martinez, de la même
Compagnie, se voyait porté au ciel par les anges, en chacune des
fêtes de
Notre-Dame, pour être témoin
de la pompe avec laquelle elles s'y célèbrent. Il avait coutume
de dire : " Je
voudrais avoir tous les coeurs des
anges et des saints, afin d'aimer Marie comme ils l'aiment ; je voudrais
avoir les vies de tous les hommes,
pour les consacrer toutes à l'amour de Marie.
Qu'ils parviennent à l'aimer
autant que l'aimait Charles, fils de sainte Brigitte ; rien au monde, assurait-il,
ne le réjouissait comme de
savoir combien Marie est aimée de Dieu. " Et, disait-il encore,
si la grandeur
de Marie pouvait subir quelque amoindrissement,
de bon coeur je souffrirais n'importe quelle peine pour
lui épargner cette perte
; il y a plus : si la gloire de Marie m'appartenait, j'y renoncerais en
sa faveur,
sachant qu'elle en est incomparablement
plus digne que moi. "
(NOTE DE L'ÉDITEUR) Nous qui traduisons notre Bienheureux Père, pourquoi n'ajouterions-nous pas :
Qu'ils l'aiment autant qu'un saint
Alphonse-Marie de Liguori, fondateur de la Congrégation du très
saint
Rédempteur, lequel sera dorénavant
cité avec les Bernard, les Bonaventure, les Anselme, parmi les plus
fidèles et les plus zélés
serviteurs de cette glorieuse Vierge.
Encore enfant, il passait déjà
des heures entières dans une oraison extatique devant l'image de
la Madone.
Ce fut à ses pieds que, résolu
de quitter le monde, il déposa son épée. Il s'obligea
par voeu à réciter
chaque jour le chapelet et à
prêcher tous les samedis les gloires de Marie.
Il récitait l'Ave Maria à
tous les quarts d'heure ; il jeûnait tous les samedis et la veille
de toutes les fêtes de
la Vierge, s'abstenant alors de
toute boisson et se contentant d'un morceau de pain pour toute nourriture.
Jusque dans son extrême vieillesse
il se plaisait à appeler Marie sa Mère : " Le démon
a voulu me jeter
dans le désespoir, disait-il
au sortir d'une violente tentation ; mais ma Mère Marie m'a secouru,
je n'ai pas
offensé Dieu ".
Il aspirait à tenir après
Dieu la première place parmi ceux qui aiment la Reine du ciel ;
le nom béni de
Marie se retrouve presque à
toutes les pages de ses nombreux ouvrages, sans compter le livre des
Gloires, le plus beau peut-être
que l'ont ait composé sur ce sujet.
Enfin, il fit un précepte
spécial aux membres de son Ordre de professer un amour filial envers
la divine
Mère.
De son côté, Marie sut
bien faire éclater sa tendresse envers son cher Alphonse. Elle le
guérit subitement
d'une maladie mortelle occasionnée
par un excès de travail.
Elle lui apparaissait fréquemment
dans une grotte où il se livrait à la prière et à
la pénitence, et lui donnait
conseil sur tout ce qui concernait
la Congrégation fondée par lui.
A plusieurs reprieses, elle se montra
à lui et le ravit tandis qu'il prêchait et s'efforçait
d'animer ses
nombreux auditeurs à la confiance
envers elle.
Elle lui apparut encore deux fois
la veille de sa mort, comme il l'en avait priée tant de fois, et
changea son
agonie en une douce extase. (FIN
DE LA NOTE DE L'ÉDITEUR)
Qu'à l'exemple d'Alphonse
Rodriguez, ils désirent donner leur vie en preuve de leur amour
pour Marie ;
qu'à l'imitation du saint
religieux François Binans, et de sainte Radegonde, femme du roi
Clotaire, ils
aillent jusqu'à graver avec
une pointe de fer, l'aimable nom de Marie sur leur poitrine, ou bien que,
pour
rendre l'empreinte plus profonde
et ineffaçable, ils l'y impriment à l'aide d'un fer rouge,
comme firent
dans le transport de leur amour
ses dévots serviteurs Jean-Baptiste Archinto et Augustin d'Espinosa,
tous
deux de la Compagnie de Jésus.
En un mot, qu'ils fassent ou aspirent
à faire tout ce qui est possible à un amant désireux
de témoigner son
affection à la personne qu'il
aime : jamais ils n'arriveront à aimer Marie autant qu'elle les
aime. Gracieuse
Souveraine, s'écriait saint
Pierre Damien, je sais qu'en fait d'amour vous l'emportez sur tous ceux
qui
vous aiment ; vous nous aimez d'un
amour qui ne se laisse vaincre par aucun autre amour.
Le saint frère Alphonse Rodriguez,
de la Compagnie de Jésus, se trouvant un jour au pied d'une image
de
Marie, se sentit tellement embrasé
d'amour pour cette glorieuse Vierge, qu'il laissa échapper ces paroles
:
" Ma très aimable Mère,
je sais que vous m'aimez ; mais vous ne m'aimez pas autant que je vous
aime. "
Alors Marie, comme blessée
en son amour, lui répondit par cette image : " Que dis-tu, Alphonse
? que
dis-tu ? oh ! combien mon amour
pour toi l'emporte sur ton amour envers moi ! Il y a, sache-le bien,
moins de distance entre le ciel
et la terre, qu'entre mon amour et le tien ".
Saint Bonaventure a donc raison de
s'écrier : Heureux ceux qui aiment et servent fidèlement
cette tendre
Mère ! - Oui, heureux sont-ils,
car cette Reine généreuse ne se laisse jamais vaincre en
amour par ses
dévots serviteurs : elle
leur rend amour pour amour, dit un auteur, et, à ses faveurs passées,
elle en ajoute
toujours de nouvelles. Pareille
en cela à Jésus, notre très aimant Rédempteur,
elle leur paie au double, en
les comblant de grâces, l'amour
qu'ils ont pour elle.
J'emprunterai donc ici les amoureux
accents de saint Anselme et je m'écrierai comme lui : Que mon coeur
brûle à jamais, que
mon âme se consume tout entière pour vous, ô Jésus,
mon bien-aimé Sauveur, et ma
chère Mère Marie !
Et, puisque, sans votre grâce, je ne puis vous aimer, ô Jésus
et Marie, faites, je vous
en supplie par vos mérites,
et non par les miens, faites que je vous aime autant que vous le méritez.
O
Dieu plein d'amour pour les hommes
! vous avez pu mourir pour vos ennemis, et vous pourriez refuser, à
qui vous le demande, la grâce
de vous aimer, vous et votre sainte Mère ?
EXEMPLE
Une pauvre jeune fille chargée
de la garde d'un troupeau, aimait tendrement la Vierge Marie, raconte le
père Auriemma ; tout son
plaisir était de se rendre sur une montagne, à une petite
chapelle de
Notre-Dame ; tandis que ses brebis
paissaient à l'entour, elle se retirait dans ce sanctuaire, s'y
entretenait
avec sa Mère chérie
et lui offrait ses hommages. Voyant la petite statue de la sainte Vierge
sans
ornements, elle entreprit de lui
faire un manteau du travail de ses mains ; et un jour, ayant cueuilli
quelques fleurs dans la campagne,
elle en composa une guirlande, monta ensuite sur l'autel, et la mit sur
la
tête de la statue, en disant
: " Ma Mère ! je voudrais poser sur votre front une couronne d'or
et de pierres
; mais, parce que je suis pauvre,
recevez de moi cette pauvre couronne de fleurs, et acceptez-la en signe
de l'amour que je vous porte ".
Cette pieuse bergère ne cessait point de servir et d'honorer ainsi
sa Dame
bien-aimée.
Voyons maintenant comment, de son
côté, la bonne Mère récompensa les visites et
l'affection de sa fille.
Il arriva que deux religieux passant
dans cette contrée, s'arrêtèrent sous un arbre pour
se remettre des
fatigues du voyage ; l'un s'endormit,
pendant que l'autre veillait, et néanmoins tous deux eurent la même
vision. Ils virent une troupe de
vierges extrêmement belles, au milieu desquelles il s'en trouvait
une qui
surpassait toutes les autres en
beauté et en majesté. L'un d'eux dit à celle-ci :
" Auguste Dame, qui
êtes-vous ? et où allez-vous
par ce chemin ? - Je suis, répondit-elle, la Mère de Dieu
; je vais avec ces
saintes vierges visiter, au hameau
voisin, une jeune bergère qui est sur le point de mourir et qui
m'a rendu
visite bien des fois. " Cela dit,
la vision disparut ; et aussitôt les deux serviteurs de Dieu s'écrièrent
en
même temps : " Allons aussi
la voir ". Ils se mirent en chemin, et trouvèrent bientôt
l'habitation où était la
mourante ; c'était une pauvre
chaumière, où, étant entrés, ils la virent
couchée sur un peu de paille. Ils la
saluèrent, et elle leur dit
: " Mes frères, priez Dieu qu'il vous fasse voir la compagnie qui
m'assiste ". Ils se
mirent à genoux, et aperçurent
Marie, qui se tenait à côté de la mourante, avec une
couronne en main, et
la consolait. Alors, les saintes
qui formaient son cortège, se mirent à chanter : et à
ces doux accents, l'âme
bénie de la pauvre fille
s'étant détachée de son corps, Marie lui posa la couronne
sur la tête, et la conduisit
avec elle en paradis.
PRIÈRE
O douce Souveraine, vous dirai-je
avec saint Bonaventure ; vous qui, par les marques de votre amour
et par vos bienfaits, ravissez les
coeurs de ceux qui vous servent, ravissez aussi mon misérable coeur,
qui désire vous aimer beaucoup.
Quoi ! auguste Mère, par votre beauté, vous avez touché
le coeur d'un
Dieu, vous l'avez attiré
du ciel dans votre sein ; et moi je vivrais sans vous aimer ? Non, certes
; et je
dis avec un autre de vos enfants
qui vous a tant aimée, le pieux Jean Berchmans : Je suis résolu
de ne
me donner aucun repos, jusqu'à
ce que je sois sûr d'avoir obtenu un amour tendre et constant pour
vous, ma Mère, qui m'avez
si tendrement aimé, lors même que j'étais ingrat envers
vous. Où en
serais-je maintenant, ô Marie
! si vous ne m'aviez pas aimé et ne m'aviez pas obtenu tant de
miséricordes ? Si donc vous
m'avez tant aimé et favorisé quand je ne vous aimais pas,
combien plus
dois-je espérer de votre
bonté maintenant que je vous aime ! Oui, je vous aime, ô ma
Mère ! et je
voudrais avoir un coeur capable
de vous aimer pour tous les malheureux qui ne vous aiment point ; je
voudrais avoir une langue capable
de vous louer autant que mille langues, pour faire connaître à
tout
le monde votre grandeur, votre sainteté,
votre miséricorde, et votre amour envers ceux qui vous
aiment.
Si j'avais des richesses, je voudrais
les employer toutes à vous honorer ; si j'avais des sujets, je
voudrais leur inspirer à
tous votre amour ; je voudrais enfin sacrifier pour votre amour et votre
gloire,
s'il le fallait, ma vie même.
Je vous aime donc, ô ma Mère ! mais, en même temps,
hélas ! je crains de
na pas vous aimer ; car j'entends
dire que l'amour rend ceux qui aiment semblable à la personne
aimée. Je dois donc croire
que je vous aime bien peu, en me voyant si loin de vous ressembler ; vous
si
pure, et moi si souillé !
vous si humble, et moi si orgueuilleux ! vous si sainte, et moi si criminel
!
Mais, ô Marie, c'est à
vous de rémédier à mes maux ; montrez-moi votre amour
en me rendant
semblable à vous. Vous êtes
assez puissante pour changer les coeurs ; prenez donc mon coeur et le
changez ; faites voir au monde de
quelle puissance vous disposez en faveur de ceux que vous aimez ;
rendez-moi saint, faites que je
sois votre digne enfant. Ainsi j'espère, ainsi soit-il.
IV Marie est aussi la Mère
des pécheurs repentants
La bienheureuse Vierge n'est pas
seulement la Mère des âmes justes et innocentes ; elle nourrit
encore,
comme elle le déclarait un
jour à sainte Brigitte, des sentiments tout maternels pour les pécheurs,
pour
ceux du moins qui sont résolus
de s'amender. Oh ! quand un pécheur veut changer de vie, vient se
jeter
aux pieds de Marie il trouve cette
bonne et miséricordieuse Mère bien plus empressée
à l'embrasser et à le
secourir, qu'aucune mère
selon la chair ! C'est ce qu'écrivait Grégoire VII à
la comtesse Mathilde, qu'il
engageait à en faire l'expérience.
Ainsi, quiconque aspire à
la dignité d'enfant de cette divine Mère, doit d'abord renoncer
au péché ; après
cela, il peut espérer d'être
bien reçu par elle. Sur ces paroles des Proverbes, appliquées
à la sainte Vierge :
Ses enfants se sont levés,
Richard de Saint-Laurent observe que le mot surrexerunt, "se sont levés",
est
placé dans le texte avant
les mots filii ejus, "ses enfants", pour faire entendre qu'on ne peut être
enfant
de Marie, si l'on ne songe d'abord
à sortir du péché. En effet, suivant la remarque de
saint Pierre
Chrysologue, ne pas marcher sur
les traces de ses parents, c'est les renier ; et celui qui dans sa conduite
se met en opposition avec Marie,
celui-là déclare en fait qu'il ne veut pas être son
enfant. Marie est
humble, Marie est pure, Marie est
charitable ; et lui, il est orgueilleux, il est adonné au vice,
il hait son
prochain : qu'est-ce à dire,
sinon qu'il répudie le nom d'enfant d'une Mère si sainte
? - Les enfants de
Marie, reprend Richard, sont ceux
qui tâchent de lui ressembler par la pratique des vertus, spécialement
de la chasteté, de l'humilité,
de la douceur, de la charité.
De quel front donc prétendrait-il
à la qualité d'enfant de Marie, celui qui, par les désordres
de sa vie,
l'abreuve de déplaisirs ?
Un pécheur la priait un jour et lui disait : " Montrez que vous
êtes ma Mère. - Et
toi, lui répondit-elle, montre
que tu es mon fils " Un autre l'ayant invoquée en l'appelant Mère
de
miséricorde, elle lui dit
: " Vous autres, pécheurs, quand vous voulez que je vous aide, vous
m'appelez
Mère de miséricorde
; et puis vous ne cessez, par vos péchés, de faire de moi
une Mère de misère et de
douleur ". Celui-là est maudit
de Dieu, qui afflige sa Mère, dit le Sage. Quelle est cette mère,
demande
Richard, sinon Marie ? Ainsi Dieu
maudit ceux qui par leur mauvaise vie, ou plutôt par leur obstination,
contristent le coeur de cette bonne
Mère.
J'ai dit : " par leur obstination
" ; car lorsqu'un pécheur, quoique non encore dégagé
des liens du péché,
s'efforce néanmoins d'en
sortir, et réclame pour cela le secours de Marie, cette tendre Mère
ne laisse pas
de lui venir en aide et de le faire
rentrer en grâce avec Dieu. C'est ce que Sainte Brigitte entendit
un jour
de la bouche de Jésus-Christ
même ; il disait, en s'adressant à sa mère : Vous prêtez
cotre appui à
quiconque désire sincèrement
revenir à Dieu, et jamais vous n'en laissez aucun sans consolation.
Ainsi,
quand le pécheur s'obstine,
Marie ne peut l'aimer, mais si, se trouvant retenu dans l'esclavage de
Satan
par quelque passion violente, il
se recommande du moins à la Sainte Vierge, et la prie avec confiance
et
persévérance de le
retirer du péché, sans aucun doute cette bonne Mère
étendra vers lui sa main
puissante, elle brisera ses chaînes,
et le remettra au chemin du salut.
C'est une hérésie condamnée
par le Concile de Trente, de prétendre que toutes les prières
et toutes les
oeuvres faites en état de
péché, sont des péchés. Bien que difforme,
faute d'être accompagnée de charité,
la prière du pécheur
ne laisse pas de lui être utile, dit Saint Bernard ; elle peut du
moins l'aider à sortir du
péché. C'est que,
selon l'enseignement de saint Thomas, toute dénuée qu'elle
est de mérite, elle conserve
néanmoins la vertu de lui
attirer la grâce du pardon ; parce que la force d'impétration
de la prière ne lui
vient pas des mérites de
celui qui pries, mais de la bonté divine et des mérites et
des promesses de
Jésus-Christ, qui nous a
dit : Quiconque demande, reçoit. Il n'en est pas autrement des prières
adressées
à la Mère de Dieu.
Si celui qui prie ne mérite pas d'être exaucé, il le
sera néanmoins, en vertu des mérites
de Marie à qui il se recommande.
Aussi, saint Bernard exhorte tous
les pécheurs à prier Marie, et à le faire avec une
grande confiance ; le
pécheur est, à la
vérité, indigne d'être exaucé dit-il ; mais
les mérites de Marie lui ont valu le privilège
d'obtenir aux pécheurs toutes
les grâces qu'elle sollicite de Dieu en leur faveur. Et en cela,
ajoute le même
saint, elle ne fait que s'acquitter
du devoir d'une bonne mère : une mère qui saurait ses deux
fils divisés
par une haine mortelle, au point
d'en vouloir aux jours l'un de l'autre, pourrait-elle faire moins de mettre
tout en oeuvre pour les réconcilier
? Eh bien ! Marie est la Mère de Jésus et la Mère
de l'homme ; quand
elle voit l'homme devenu par le
péché l'ennemi de Jésus-Christ, elle ne sait le souffrir,
elle ne néglige rien
en vue de rétablir la paix
entre eux.
Tout ce que cette Reine très
clémente exige du pécheur, c'est qu'il se recommande à
elle et ait l'intention
de se corriger. Lorsqu'elle voit
à ses pieds un coupable qui implore sa miséricorde, elle
ne regarde pas aux
péchés dont il est
chargé, mais seulement à l'intention qui l'amène :
eût-il commis tous les péchés du
monde, pourvu qu'il vienne avec
une bonne volonté, cette tendre Mère ne dédaigne pas
de l'embrasser et
de guérit toutes les plaies
de son âme ; car, non contente de porter le titre de Mère
de miséricorde, elle
prétend l'être en effet,
et elle se montre telle par l'amour plein de tendresse qu'elle déploie
en faveur des
misérables. Tout cela a été
dit expressément à sainte Brigitte par la Bienheurese Vierge
elle-même en ces
termes : " Si coupable que soit
un homme, s'il revient à moi touché d'un vrai repentir, je
suis prête à
l'accueillir sans retard ; et je
ne refuse point d'appliquer le remède à ses plaies et de
les guérir, car je
m'appelle et je suis réellement
la Mère de miséricorde. "
Marie est la Mère des pécheurs
qui veulent se convertir, et elle ne peut s'empêcher de s'apitoyer
sur eux ;
elle semble même ressentir,
comme s'ils lui étaient propres, les maux des ses propres enfants.
Lorsque la
Chananéenne vint supplier
le Sauveur de délivrer sa fille, elle lui dit : Ayez pitié
de moi, Seigneur, Fils de
David, ma fille est cruellement
tourmentée par le démon. - Mais puisque que ce n'était
pas elle, mais sa
fille, qui était en proie
aux tourments, ne semble-t-il pas qu'elle dût dire, non pas : " Ayez
pitié de moi ",
mais plutôt : " Ayez pitié
de ma fille " ? - Oh ! non, c'est avec raison qu'elle a dit : Ayez pitié
de moi,
parce que toutes les douleurs des
enfants sont ressenties par leurs mère comme des douleurs personnelles.
Et voilà précisément,
assure Richard de Saint-Laurent, comment parle Marie, quand, invoquée
par un
pécheur, elle le recommande
à Dieu : Seigneur, semble-t-elle lui dire, cette pauvre âme
en état de péché
est mon enfant ; ayez donc pitié,
non pas tant d'elle que de moi, qui suis sa Mère.
Ah ! plût à Dieu que
tous les pécheurs eussent recours à cette douce Mère
! assurément tous
obtiendraient le pardon. - O Marie,
s'écrie tout émerveillé saint Bonaventure, vous recevez
dans vos bras
maternels le pécheur méprisé
de tout le monde, et vous ne l'abandonnez point que vous ne l'ayez
réconcilié avec son
Juge. La pensée du saint est que l'homme en état de péché
est haï et repoussé de tous
les êtres ; il ne l'est pas
jusqu'aux créatures inanimées, le feu, l'air, la terre, qui
ne voulussent le châtier et
venger sur lui l'honneur de leur
Maître outragé. Mais, si ce malheureux a recours à
Marie, le
repossera-t-elle ainsi ? Non, certes
; s'il vient dans le but d'être aidé à se corriger,
elle l'embrasse avec la
tendresse d'une mère, et
fait si bien, par sa puissante intercession, qu'elle le remet dans la grâce
de Dieu.
Le second livre des Rois nous a conservé
le discours adressé à David par le sage Thécuite :
" Seigneur,
j'avais deux fils ; pour mon malheur,
l'un des deux a tué l'autre, en sorte que j'ai déjà
perdu un de mes fils
; or, la justice veut maintenant
m'enlever mon autre fils, le seul qui me reste. Ayez pitié d'une
pauvre
mère ; faites que je ne demeure
pas privée à la fois de mes deux enfants ". - David eut compassion
de
cette mère affligée,
et lui accorda la grâce du coupable. Tel est, ce semble, le langage
que Marie tient à
Dieu, quand elle le voit irrité
contre un pécheur qui se recommande à elle : Mon Dieu, lui
dit-elle, j'avais
deux fils, Jésus et l'homme
; l'homme a fait mourir mon Jésus sur la croix, et maintenant votre
justice
veut condamner l'homme. Seigneur,
mon Jésus est mort, ayez compassion de moi ; et, si j'ai perdu l'un
de mes fils, ne me faites pas perdre
encore l'autre.
Oh ! non, assurément, Dieu
ne condamne pas les pécheurs qui recourent à Marie, et pour
qui elle
intercède, puisqu'il l'a
lui-même chargée de veiller sur eux comme sur ses enfants.
Voici comment le
dévot Lansperge fait parler
le Seigneur : J'ai recommandé les pécheurs à Marie
en les lui donnant pour
enfants ; aussi, dans sa sollicitude
à remplir son devoir de Mère, elle ne veut pas qu'aucun de
ceux qui lui
sont confiés, surtout s'ils
l'invoquent, vienne à périr, et elle s'efforce autant qu'il
est en elle, de me les
ramener tous. - Et Louis de Blois
dit à son tour : Il n'est pas de termes pour exprimer la bonté,
la
miséricorde, la fidélité
et la charité avec lesquelles notre Mère Marie cherche à
nous sauver, quand nous
l'appelons à notre secours.
Prosternons-nous donc devant cette
bonne Mère conclut saint Bernard, embrassons ses pieds sacrés,
et
ne la quittons pas qu'elle ne nous
ait bénis et acceptés pour ses enfants. Et qui pourrait douter
de sa
tendresse maternelle ? Quand même
elle me donnerait la mort, dit un auteur, je ne cesserais point
d'espérer en elle ; plein
de cette confiance, je désire mourir auprès de son image,
car, si j'ai ce bonheur, je
serai sauvé. Tout pécheur
qui recourt à cette Mère compatissante, doit donc lui dire
aussi :
Ma Souveraine et ma Mère,
je suis un pécheur, je mérite que vous me chassiez de votre
présence et me
traitiez en toute rigueur de justice
; néanmoins, quand même vous me rebuteriez, quand même
vous me
donneriez la mort, je ne cesserai
jamais d'avoir la confiance que vous me sauverez. Oui, je mets toute ma
confiance en vous ; que j'aie seulement
le bonheur de mourir devant une de vos images, en me
recommandant à votre miséricorde,
et je suis assuré de ne point me perdre, mais d'aller vous louer
dans le
ciel en compagnie de vos nombreux
serviteurs, qui, vous ayant invoquée au moment de la mort, on tous
été sauvés
par votre puissante intercession.
En lisant l'exemple suivant, on verra
si jamais aucun pécheur peut douter de la miséricorde et
de la
tendresse maternelle de Marie, lorsqu'il
réclame sa protection :
EXEMPLE
Vincent de Beauvais raconte que,
dans une ville d'Angleterre, un jeune homme de sang noble, nommé
Ernest, avait donné aux pauvres
tout son patrimoine, et était entré dans un monastère,
où il avait bientôt
conquis l'estime de ses supérieurs
par une vie très parfaite et spécialement par sa grande dévotion
à la
Sainte Vierge. Survint une peste
qui obligea les habitants de la ville à s'adresser aux moines et
à réclamer
le secours de leurs prières.
L'abbé commanda à Ernest d'aller se mettre en prières
devant l'autel de Marie,
et de ne pas se retirer que la Reine
du ciel ne lui eût donné une réponse. Au bout de trois
jours, Marie lui
indiqua certaines prières
que l'on devait réciter ; on le fit, et le fléau cessa. Or,
il advint qu'Ernest s'étant
ensuite refroidi dans sa dévotion
à Notre-Dame, se vit assailli de fréquentes tentations, principalement
contre la pureté ; le démon
lui suggéra même l'idée de sortir du monastère
; et, faute de s'être
recommandé à Marie,
le malheureux en vint à former le projet de s'enfuir en escaladant
le mur de clôture.
Comme donc il passait dans un corridor
vis-à-vis d'une image de Marie, il entendit la Mère de Dieu
qui lui
disait : " Mon fils, pourquoi me
quittes-tu ? " A ces mots, Ernest, interdit et confus, tomba par terre
et
répondit : " Mais Vierge
sainte, ne voyez-vous pas que je ne puis plus résister ? pourquoi
ne venez-vous
pas à mon secours ? " La
bonne Mère reprit : " Et toi, pourquoi ne m'as-tu pas invoquée
? Si tu n'avais
pas négligé de te
recommander à moi, tu n'en serais pas venu là. A l'avenir,
invoque-moi dans le péril, et
ne crains rien. ". Le jeune homme
retourna à sa cellule ; mais, les tentations revenant à la
charge, il
négligea, comme par le passé
de se recommander à Marie, et il finit par s'enfuir du couvent.
Dès lors, il se livra à
une vie criminelle, et, de péché en péché,
il en vint jusqu'à louer une auberge pour y
assassiner de nuit les voyageurs
et s'emparer de leurs dépouilles. Il égorgea ainsi entre
autres le cousin du
gouverneur de l'endroit. Celui-ci
lui fit son procès et, sur les indices qu'il put recueillir, il
le condamna à la
potence. Mais, pendant que le procès
s'instruisait, arriva à l'auberge un jeune cavalier, et aussitôt
le
scélérat de songer
à le traiter, comme d'ordinaire il traitait ses hôtes. Il
entre la nuit dans la chambre de
l'étranger pour l'assassiner,
et que voit-il ? Au lieu du cavalier, il voit sur le lit un crucifix tout
couvert de
plaies, qui, le regardant avec bonté,
lui dit : " Ne te suffit-il pas, ingrat, que je sois mort une fois pour
toi ?
veux-tu de nouveau m'oter la vie
? eh bien ! lève le bras, et tue-moi ! ". Tout hors de lui-même,
à cette
vue, Ernest fond en larmes : " Seigneur,
s'écrie-t-il en sanglotant, je me rends à vous ; puisque
vous
daignez me faire miséricorde,
je veux me convertir. "
Il quitte aussitôt l'auberge
et se dirige vers son monastère pour y faire pénitence ;
mais, rencontré en
chemin par les ministres de la justice,
il est saisi et mené au juge ; il avoue tous ses forfaits ; on le
condamne à la corde, on ne
lui donne pas même le temps de se confesser. Pendant qu'on le traînait
au
supplice, il se recommanda à
Marie ; elle lui conserva la vie, le détacha elle-même de
la potence et lui dit :
" Retournes au couvent, fait pénitence
; et, quand tu me verras à la main la sentence du pardon de tes
péchés, prépare-toi
à la mort :. Ernest rentra au monastère, raconta le tout
à l'abbé, et fit une rigoureuse
pénitence. Plusieurs années
après, il vit Marie tenant à la main l'acte de son pardon
; aussitôt, il se prépara
à la mort, et il mourut saintement.
PRIÈRE
O ma Souveraine, digne Mère
de mon Dieu, très sainte Vierge, en me voyant si méprisable
et si
souillé, je ne devrais pas
oser m'approcher de vous et vous appeler ma Mère ; mais je ne veux
pas que
mes misère me privent de
la consolation et de la confiance dont je suis pénétré
en vous donnant ce
doux nom. J'ai mérité,
il est vrai, que vous me repoussiez ; mais je vous prie de considérer
ce qu'a fait
et souffert pour moi votre divin
Fils, Jésus ; et puis, repoussez-moi si vous le pouvez. Je suis
un
misérable pécheur
; plus que les autres, j'ai outragé la Majesté divine ; mais
le mal est fait ; j'ai
recours à vous, vous pouvez
me secourir ; ô ma Mère, venez à mon aide.
Ne me dites pas que vous ne pouvez
m'aider ; car je sais que vous êtes toute-puissante, vous obtenez
de
votre Dieu tout ce que vous désirez.
Et si vous me répondez que vous ne voulez pas me secourir,
dites-moi du moins à qui
je dois m'adresser pour être soulagé dans mon excessive détresse.
Souffrez
qu'avec saint Anselme, je vous dise,
à vous et à votre divin Fils : Ou bien ayez pitié
de moi, vous mon
Rédempteur, en me pardonnant
et vous ma Mère, en intercédant pour moi ; ou apprenez-moi
à qui je
dois recourir, montrez-moi en qui
je puis trouver plus de miséricorde et avoir plus de confiance.
Ah !
certes, je ne saurais trouver personne,
ni sur la terre, ni dans le ciel, qui ait plus que vous compassion
des malheureux, et qui puisse mieux
me secourir. Vous, Jésus, vous êtes mon Père ; et vous,
Marie,
vous êtes ma Mère.
Vous aimez jusqu'aux plus misérables, et vous allez les chercher
pour les sauver. Je
suis un coupable digne de l'enfer,
le
plus misérable de tous les pécheurs ; mais vous n'avez pas
besoin
d'aller me chercher, et je ne prétends
pas que vous le fassiez : je me présente à vous dans la ferme
espérance que vous ne m'abandonnerez
pas. Me voici à vos pieds : mon Jésus, pardonnez-moi ; Marie,
ma Mère, secourez-moi.
CHAPITRE II
Vita, dulcedo.
Notre vie, notre douceur.
MARIE, NOTRE VIE, NOTRE DOUCEUR
I Marie est notre vie, parce qu'elle nous obtient le pardon de nos péchés.
L'Église veut que nous appelions
Marie notre Vie. Pour bien comprendre ce titre, il faut savoir que,
comme l'âme donne la vie au
corps, ainsi la grâce de Dieu donne la vie à l'âme ;
car, sans la grâce, l'âme
peut paraître vivante, mais
en réalité elle est morte, selon ce qui est dit dans l'Apocalypse.
Ainsi Marie
rend la vie aux pécheurs,
quand, par son intercession, elle leur obtient de rentrer en grâce
avec Dieu.
L'Église applique à
Marie et lui met dans la bouche les paroles suivantes du livre des Proverbes
; Ceux
qui sont diligents à recourir
à moi dès le matin, c'est-à-dire, aussitôt qu'ils
le peuvent, me trouveront
certainement. Au lieu de : Me trouveront,
on lit dans la version de Septante : Trouveront la grâce de
Dieu. - Un peu plus loin, il est
dit : Celui qui m'aura trouvée, trouvera la vie, et recevra de Dieu
le salut
éternel. - Écoutez,
s'écrie là-dessus saint Bonaventure : honorez Marie, et vous
aurez la vie et le salut.
Au dire de saint Bernardin de Sienne,
ce qui empêcha Dieu d'anéantir l'humanité après
le péché originel,
ce fut son amour de prédilection
pour cette Fille bénie qui devait naître d'Adam. Le saint
ne doute
nullement que toutes les miséricordes
et toutes les grâces reçues par les pécheurs sous l'ancienne
loi, ne
leur aient été accordées
à la seule considération de cette bienheureuse Vierge.
Elle est donc bien fondée,
cette exhortation de saint Bernard : " Cherchons la grâce, et cherchons-la
par
l'intermédiaire de Marie
". Oui, si nous sommes assez malheureux pour avoir perdu la grâce
de Dieu,
cherchons-la ; et, afin de la recouvrer
sûrement, adressons-nous à Marie ; car, si nous avons perdu
cette
perle précieuse, Marie l'a
retrouvée ; et de là le nom d'inventrice de la grâce,
que lui donne le même saint.
Et n'est-ce pas là la vérité
si consolante pour nous qu'exprimait l'ange Gabriel, quand il disait à
la Vierge :
Ne craignez point, Marie, car vous
avez trouvé la grâce. Mais, puisque Marie n'avait jamais été
privée
de la grâce, comment le saint
archange pouvait-il dire qu'elle l'avait trouvée ? La vierge Immaculée
fut
toujours unie à Dieu, toujours
ornée de la grâce, ou plutôt toujours pleine de grâce,
comme l'archange le
fit connaître au monde, quand
il la salua en ces termes : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur
est
avec vous. Ce n'est donc pas pour
elle-même que Marie a trouvé la grâce dont elle fut
toujours remplie ;
pour qui donc ? Pour ceux qui l'avaient
perdue, pour les pécheurs, répond le cardinal Hugues ; et,
commentant les paroles de saint
Gabriel, le pieux auteur ajoute : Qu'ils courent donc à Marie, les
pécheurs
qui ont perdu la grâce, et
ils la trouveront sans faute auprès d'elle ; qu'ils lui disent avec
assurance :
Auguste Dame, une chose trouvée
doit être restituée à qui l'a perdue ; vous devez donc
nous rendre la
grâce. Richard de Saint-Laurent
développe la même pensée et conclut ainsi : Si donc
nous désirons
trouver la grâce du Seigneur,
allons à Marie, qui l'a trouvée et qui la trouve toujours
; comme elle fut et
sera toujours chère à
Dieu, notre confiance en elle ne saurait être frustrée.
La sainte Vierge dit dans les Cantiques,
que Dieu l'a placée en ce monde pour être notre défense,
et qu'il
l'a établie Médiatrice
de paix entre lui et les pécheurs : " Je suis un mur et mon sein
est un asile assuré
comme une forte tour, depuis qu'il
m'a faite entremetteuse de la paix. " Saint Bernard s'appuie sur ces
paroles pour relever le courage
du pécheur : Va, dit-il, va, pauvre pécheur, à cette
Mère de miséricorde,
et montre-lui les plaies que tes
fautes ont laissées dans ton âme ; elle ne manquera pas de
solliciter ton
pardon auprès de son divin
Fils, en lui rappelant qu'elle l'a nourri de son lait ; et ce Fils qui
l'aime si
tendrement, ne manquera pas de l'exaucer.
- Et la sainte Église elle-même nous met sur les lèvres
une
oraison où elle prie le Seigneur
de nous accorder la faveur d'être aidés par la puissance secourable
des
prières de Marie à
sortir du péché : " O Dieu miséricordieux, venez en
aide à notre fragilité, afin que,
célébrant la mémoire
de la sainte Mère de Dieu, nous puissions avec l'appui de son intercession,
nous
relever de nos iniquités.
Ainsi donc saint Laurent Justinen
a raison d'appeler Marie l'Espérance des coupables, puisque seule
elle
leur obtient de Dieu le pardon de
leurs fautes. Saint Bernard fait bien de lui décerner le titre d'Échelle
des
pécheurs, puisque cette Reine
compatissante leur tend une main secourable, les retire de l'abîme
où ils
sont misérablement tombés,
et les fait remonter à Dieu. Et saint Augustin n'a pas tort de la
proclamer
notre unique Espérance, puisque
c'est par elle seule que nous espérons la rémission de tous
nos péchés.
Saint Jean Chrysostôme ne
parle pas autrement que l'illustre évêque d'Hippone : " Par
elle, dit-il, nous
obtenons le pardon de nos péchés
". Et, plein de confiance en sa médiation, il lui adresse cette
prière au
nom de tous les pécheurs
: Nous vous saluons, ô Mère de Dieu et notre Mère,
Ciel où Dieu réside, Trône
du haut duquel le Seigneur dispense
toutes ses grâces ! priez sans cesse Jésus pour nous, afin
que, par
votre entremise, nous puissions
trouver miséricorde au jour du jugement, et partager la gloire des
élus
dans l'éternité.
C'est avec raison, enfin, comme le
remarque Innocent III, que Marie est comparée à l'aurore
dans ce
passage du Cantique : Quelle est
celle-ci qui s'avance comme une aurore naissante ? Car la naissance de
Marie mit fin au règne des
cives, comme l'aurore met fin aux ombres de la nuit. Ainsi parle ce pontife.
Or, le changement opéré
autrefois dans le monde par cette bienheureuse naissance, se reproduit
dans
toute âme où naît
la dévotion à Marie : elle en bannit les ténèbres
du péché et guide ses pas dans la voie
des vertus. De là l'exclamation
de saint Germain : " O Mère de Dieu, votre protection nous donne
l'immortalité ; votre intercession,
c'est la vie. " Le même saint assure que le nom de Marie, dans la
bouche de celui qui le prononce
avec affection, est le signe de la vie, ou du moins le présage d'un
prompt
retour à la vie.
Sur les paroles du Cantique de Marie
: Voici qu'à parti de ce moment toutes les nations m'appelleront
bienheureuse, saint Bernard s'écrie
: Oui, ô ma Souveraine, vous serez proclamée bienheureuse
par tous
les hommes, parce que votre intercession
assure à tous vos serviteurs la vie de la grâce et la gloire
céleste.
En vous les pécheurs trouvent
le pardon, les justes la persévRrance, et ensuite la vie éternelle.
- Ne perds
donc pas confiance, ô pécheur,
dit le pieux Bernardin de Bustis ; ne te décourage point, quand
même tu
te serais souillé de toutes
les iniquités, mais recours avec assurance à cette glorieuse
Reine ; tu la
trouveras toujours les mains pleine
de miséricorde, et plus désireuse de te combler de ses dons,
que
toi-même de les recevoir.
Un titre encore qui convient à
Marie, selon saint André de Crète, c'est celui de Caution
ou de Gage de
notre réconciliation avec
Dieu. Et, en effet, quand les pécheurs s'adressent à Marie,
pour être réconciliés
avec Dieu, non content de leur promettre
leur pardon, Dieu leur en donne même un gage ; et ce gage
n'est autre que Marie elle-même
qu'il nous a donnée pour Avocate : tout pécheur qui se réfugie
auprès
d'elle, obtient par son entremise
le pardon de ses fautes en vertu des mérites de Jésus-Christ.
D'après la
révélation faite par
un ange à sainte Brigitte, les prophètes étaient ravis
de joie dans la prévision que,
fléchi par l'humilité
et la pureté de Marie, Dieu allait faire grâce aux pécheurs,
et recevoir dans son amitié
ceux qui auraient provoqué
sa colère.
Aucun pécheur ne doit jamais
craindre d'être repoussé par Marie, quand il implore sa pitié
; non, car elle
est une Mère de miséricorde,
et, à ce titre, elle désire sauver les plus misérables.
Marie est pour nous une
Arche du salut, dit saint Bernard
; quiconque s'y réfugie, échappera au naufrage de la damnation
éternelle.
Dans l'arche de Noé les brutes
même furent à couvert des eaux du déluge ; sous le
manteau de Marie, les
pécheurs même trouvent
le salut. Sainte Gertrude vit un jour cette clémente Reine qui tenait
son manteau
ouvert : une multitude de lions,
d'ours, de tigres et d'autres bêtes féroces, s'y étaient
réfugiés ; et, bien loin
de les chasser, Marie les retenait
autour d'elle et les caressait doucement. Cet emblême apprit à
la sainte
que Marie ne repousse pas les pécheurs,
si enfoncés soient-ils dans la fange du vice, mais qu'elle les
accueuille avec tendresse et les
met à l'abri de la mort éternelle. Entrons donc dans cette
Arche, courons
nous réfugier sous le manteau
de Marie ; elle se gardera bien de nous rejeter, elle nous sauvera
infailliblement.
EXEMPLE
Le père Bovio raconte l'admirable
conversion d'une femme de mauvaise vie nommée Hélène.
Étant
entrée un jour sans intention
dans une église, et y ayant entendu un sermon sur la dévotion
du Rosaire,
elle avait fait l'emplette d'un
chapelet en retournant chez elle ; mais le tenait caché par respect
humain.
Elle se mit néanmoins à
le réciter ; et, quoique ce fût d'abord sans décotion,
la très sainte Vierge lui fit
goûter tant de consolations
et de douceurs dans cet exercice, qu'elle ne pouvait plus s'en détacher.
Elle
conçut en même temps
une vive horreur de ses désordres, au point d'un predre le repos,
et elle se vit ainsi
comme forcée d'aller se confesser
; ce qu'elle fit avec tant de contrition, que le confesseur en était
étonné.
Après sa confession, elle
alla se prosterner au pied d'un autel de Marie, pour remercier son Avocate
; elle
y récita le Rosaire, et la
Mère de Dieu, faisant parler la statue, lui dit : " Hélène,
tu assez offensé Dieu et
moi ; désormais change de
conduite et tu auras une bonne part dans mes faveurs ". La pauvre pécheresse
toute confuse, répondit :
" Ah ! Vierge sainte, il est vrai que jusqu'ici j'ai été
une scélérate, mais vous qui
pouvez tout, aidez-moi ; je me donne
à vous, et je veux employer le reste de ma vie à faire pénitence
de
mes péchés."
Avec le secours de Marie, Hélène
distribua aux pauvres tout ce qu'elle possédait, et se livra à
une
pénitence rigoureuse. Elle
éprouva de terribles tentations, mais, sans faire autre chose que
de se
recommander à la Mère
de Dieu, elle remportait toujours la victoire. Elle alla jusqu'à
recevoir beaucoup
de grâces surnaturelles, telles
que visions, révélations, don de prophétie. Enfin,
à sa mort, qui lui fut
annoncée par Marie plusieurs
jours d'avance, la bienheureuse Vierge vint la visiter elle-même
avec son
divin Fils ; et, lorsque cette pécheresse
expira, on vit son âme, sous la forme d'une belle colombe,
s'envoler aux cieux.
PRIÈRE
Voici, ô Mère de mon
Dieu, mon unique espérance, Marie ! voici à vos pieds un
malheureux pécheur
qui implore votre pitié.
Toute l'Église et tous les fidèles vous proclament le Refuge
des pécheurs ; vous
êtes donc mon refuge, c'est
à vous de me sauver. Vous savez, vous dirai-je avec Guillaume de
Paris,
combien votre divin Fils désire
notre salut. Vous savez ce que Jésus-Christ a souffert pour me sauver
;
ô ma Mère, je vous
présente les souffrances de Jésus : le froid qu'il endura
dans l'étable de Bethléem,
les pas qu'il fit dans le voyage
d'Égypte, ses fatigues, ses sueurs, le sang qu'il répandit,
la douleur qui
le fit expirer à vos yeux
sur la croix. Montrez, en me secourant, que vous aimez ce Fils adorable,
puisque c'est au nom de votre amour
pour lui que je vous prie de me secourir. Tendez la main à un
malheureux qui est tombé,
et qui vous supplie d'avoir pitié de lui.
Si j'étais un saint, je ne
vous demanderais pas miséricorde ; mais parce que je suis un pécheur,
j'ai
recours à vous, qui êtes
la Mère des miséricordes. Je sais que votre coeur compatissant
trouve sa
consolation à aider les misérables,
quand leur obstination ne vous empêche pas de les aider ; consolez
donc votre coeur compatissant et
consolez-moi, aujourd'hui que vous avez occasion de sauver un
malheureux condamné à
l'enfer, aujourd'hui que vous pouvez m'aider, puisque je ne veux pas être
obstiné. Je me remets entre
vos mains : dites-moi ce que j'ai à faire, et obtenez-moi la force
de
l'exécuter ; je suis résolu
de faire tout ce qui est en mon pouvoir, pour rentrer dans l'amitié
de Dieu.
Je me réfugie sous votre manteau
; Jésus veut que j'aie recours à vous ; il veut que, pour
votre gloire et
pour la sienne, puisque vous êtes
ma Mère, je sois redevable de mon salut, non seulement à
son sang,
mais encore à vos prières.
C'est lui qui m'envoie auprès de vous, pour que vous me secouriez.
O
Marie, me voici, je recours à
vous, et je mets en vous ma confiance ; vous qui priez pour tant d'autres,
priez aussi, dites au moins une
parole pour moi ; dites à Dieu que vous voulez mon salut, et Dieu
me
sauvera certainement ; dites-lui
que je suis à vous, je ne vous demande pas autres chose.
II Marie est notre vie, parce qu'elle nous obtient la persévérance.
La persévérance finale
est un don de Dieu, don si excellent, que, comme l'a déclaré
le Concile de Trente,
il est purement gratuit, nous ne
saurions le mériter ; néanmoins, selon l'enseignement de
saint Augustin ;
Dieu l'accorde à tous ceux
qui le lui demandent ; et, suivant le Père Suarez, on l'obtient
infailliblement si
l'on a soin de le solliciter jusqu'à
la fin de la vie ; car, dit Bellarmin, la persévérance doit
être demandée
tous les jours, pour être
obtenue tous les jours. Or, s'il est vrai, dis-je, que toutes les grâces
qui nous
viennent de Dieu, passent par les
mains de Marie, il sera également vrai que nous ne pouvons espérer
et
obtenir la grâce suprême
de la persévérance, si ce n'est par l'entremise de Marie.
Et nous l'obtiendrons
indibutablement, si nous la lui
demandons toujours avec confiance ; c'est la récompense qu'elle
promet à
tous ceux qui la servent fidèlement
en cette vie : Ceux qui me glorifient auront la vie éternelle. Ces
paroles lui sont appliquées
par la sainte Église.
Pour conserver la vie de grâce,
il faut que nous ayons la force de résister à tous les ennemis
de notre salut
; or, cette force ne s'obtient que
par le moyen de Marie ; Le don de force est entre mes mains, dit Marie
;
Dieu me l'a remis afin que je le
dispense à mes serviteurs. Par moi règnent les rois ; soutenus
par moi,
mes dévots règnent
sur la terre, en commandant à tous leurs sens et à toutes
leurs passions, et ils se
rendent ainsi dignes de régner
éternellement dans le ciel. Oh ! de quelle force victorieuse sont
revêtus les
sujets de cette grande Reine pour
leurs luttes avec l'enfer ! A Marie convient ce passage des cantiques :
Votre cou est comme la tour de David,
munie de travaux avancés, et où l'on voit suspendus mille
boucliers et toute l'armure des
vaillants. Pour ceux qui l'aiment et qui l'invoquent dans le combat, elle
est en effet pareille à une
tour environnée de puissants moyens de défense ; ils trouvent
en elle tous les
boucliers et toutes les armes dont
ils ont besoin pour repousser les attaques de Satan.
Pour la même raison, la très
sainte Vierge se dit semblable au platane qui s'élève le
long de la route, au
bord d'un courant d'eau. Le platane
est un nouvel emblême de la protection dont Marie favorice ceux qui
se réfugient auprès
d'elle ; car, selon la remarque du cardinal Hughes, cet arbre a des feuilles
en forme de
boucliers. Le bienheureux Amédée
donne une autre explication : comme le feuillage du platane mes les
voyageurs à couvert du soleil
et de la pluie, ainsi, dit-il, Marie nous offre sous son manteau royal
un abri
contre l'ardeur des passions et
la violence des tentations.
Malheur aux âmes qui se privent
de cet abri salutaire, en négligeant d'honorer Marie et de l'invoquer
dans
les occasions dangereuses ! Si le
soleil cessait de paraître, dit saint Bernard, que deviendrait le
monde,
sinon un chaos de ténèbres,
et de ces ténèbres dont l'Esprit Saint dit qu'elles permettent
aux bêtes
sauvages de rôder en toute
liberté. Dès qu'une âme n'est plus éclairée
de la divine lumière, la nuit s'y fait
et elle devient le repaire de tous
les péchés et des démons. De là ce cri de saint
Anselme : " Malheur à
ceux qui méprisent la lumière
du Soleil ", c'est-à-dire la dévotion envers Marie !
Saint François de Borgia craignait
avec raison pour la persévérance de ceux en qui il ne trouvait
pas une
dévotion particulière
envers la bienheureuse Vierge. S'entretenant un jour avec des novices,
il voulut
savoir d'eux à quel saint
chacun était surtout dévot, et, s'apercevant que quelques-uns
manquaient cette
dévotion spéciale
à Marie, il avertit le maître des novices de surveiller plus
attentivement ces pauvres
jeunes gens ; or, qu'arriva-t-il
? tous perdirent malheureusement leur vocation et quittèrent l'institut.
Ce n'est donc pas à tort que
saint Germain proclame Marie la Respiration des chrétiens ; en effet,
comme
le corps ne peut vivre sans respirer,
de même l'âme ne peut vivre sans recurir et se recommander
à cette
divine Mère, par le moyen
de qui nous naissons à la vie de grâce et nous la conservons
sûrement. Voici
les propres termes du saint : "
De même que la respiration n'est pas seulement le signe mais encore
la
cause de la vie corporelle ; ainsi
le nom de Marie, que les serviteurs de Dieu ont sans cesse sur les lèvres,
est tout à la fois une preuve
qu'ils ont la vie spirituelle, et un moyen qui produit et conserve en eux
cette
vie, et leur attire toutes sortes
de biens. ".
Alain de la Roche pensa un jour se
perdre, faute de s'être recommandé à Marie dans une
violente
tentation ; mais la Sainte Vierge
lui apparut, et, afin qu'un autre fois il se tînt mieux sur ses gardes,
elle lui
donna un soufflet, en lui disant
: " Si tu m'avais invoquée, tu ne te serais pas trouvé dans
ce péril. "
D'autre par, la Reine du Ciel nous
adresse ces paroles : Heureux celui qui écoute ma voix, et qui a
soin de
venir sans cesse frapper à
la porte de ma miséricorde, et réclamer de moi lumière
et secours ! - Marie
s'emploie de grand coeur à
procurer à ceux qui l'invoquent ainsi tous les secours nécessaires
pour sortir
du vice et marcher dans la voie
de la vertu. De là les beaux titres de Lune, d'Aurore et de Soleil
que lui
donne Innocent III. Lune pour le
malheureux plongré dans la nuit du péché, elle lui
fait voir l'état de
damnation où il se trouve.
Aurore, c'est-à-dire, avant-courrière du soleil, pour l'âme
qui se reconnaît déjà,
elle l'aide à sortir du péché
et à entrer dans l'amitié de Dieu. Soleil, enfin, pour l'âme
en état de grâce, elle
l'empêche de tomber de nouveau
dans quelque précipice.
Les docteurs appliquent à
Marie les paroles de l'Ecclésiastique : Ses liens sont des liens
salutaires. - La
sainte Vierge lie ses serviteurs
par ses exemples et ses secours, dit Richard de Saint-Laurent, de peur
qu'ils n'aillent s'égarer
dans les voies du vice. Saint Bonaventure explique dans le même sens
cet autre
texte, qu'on lit dans l'office de
Marie : Je me tiens au milieu des saints. La divine Mère, dit-il,
ne se tient
pas seulement au milieu des saints,
mais elle maintient les saints, afin qu'ils ne retournent pas en arrière
;
elle soutient leurs vertus, afin
qu'ils ne viennent pas à défaillir ; et elle contient les
démons, afin qu'ils n'en
reçoivent aucun dommage.
Il est dit des serviteurs de Marie,
qu'ils sont couvers d'un double vêtement. Selon Cornelius, cela signifie
que Marie orne ses fidèles
serviteurs des vertus de son divin Fils et des siennes propres ; et, protégés
par
ce double vêtement, ils conservent
la sainte persévérance.
Aussi saint Philippe de Nérie
ne se laissait pas de répéter à ses pénitents
: " Mes enfants, si vous désirez la
persévérance, soyez
dévots à la sainte Vierge. ". Le saint frère Jean
Berchmans, de la Compagnie de
Jésus, disait pareillement
: " Celui qui aime Marie, aura la persévérance ". Ici vient
à propos la belle
réflexion de Rupert sur la
parabole de l'Enfant prodigue. Si ce jeune étourdi eût eu
encore sa mère, dit-il,
ou bien il n'aurait jamais quitté
la maison paternelle, ou bien il y serait revenu beaucoup plus tôt.
La
pensée du pieux abbé
est qu'un enfant de Marie ne s'éloigne jamais de Dieu, ou du moins
ne tarde pas à
être ramené par elle,
si par malheur il vient à s'en éloigner.
Ah ! si tous les hommes aimaient
cette Reine pleine de clémence et de tendresse, et si, dans les
tentations,
ils avaient toujours et aussitôt
recours à elle, en verrait-on jamais faire une chute ? en verrait-on
un seul
se perdre ? Celui-là tombe
et se perd, qui ne recourt point à Marie. On lit au livre de l'Ecclésiastique
: J'ai
marché sur les flots de la
mer ; ces mots, Richard de Saint-Laurent les applique à la Vierge
et les
commente ainsi : Je marche avec
mes serviteurs au milieu des tempêtes qui viennent les assaillir
; je les
environne de ma protection et les
empêche d'être engouffrés dans l'abîme du péché.
Voici un trait raconté par
le père Bernardin de Bustis. Un oiseau avait été dressé
à dire : Ave Maria ; se
voyant poursuivi par un épervier,
il cria : Ave Maria ! et l'épervier tomba mort. - Le Seigneur a
voulu
nous montrer par cet exemple, que,
si un pauvre animal a pu être sauvé en prononçant le
nom de Marie,
à plus forte raison tout
homme échappera-t-il aux mains du démon qui l'attaque, s'il
a soin d'invoquer ce
nom béni. Ainsi, dit saint
Thomas de Villeneuve, lorsque les démons viennent nous tenter, nous
n'avons
qu'à imiter les poussins
effrayés à la vue du mlan : de même qu'ils courent
aussitôt se réfugier sous l'aile
maternelle, allons sans retard,
et sans raisonner avec la tentation, nous mettre en sûreté
sous le manteau
de Marie. Car c'est à vous,
ô notre Reine et notre Mère, continue le même, c'est
à vous de nous défendre
; car, après Dieu, nous n'avons
pas d'autre refuge que vous ; vous êtes notre unique espérance,
la seule
protectrice en qui nous mettons
notre confiance.
Concluons par ces paroles de saint
Bernard : O vous, qui comprenez que, dans le tourbillon de ce siècle,
vous naviguez sur une mer agitée
par la tempête, plutôt que vous ne marchez sur la terre ferme,
voulez-vous ne pas être submergé
par les vents contraires ? gardez-vous de détourner les yeux de
cette
brillante Étoile. Etes-vous
en danger de tomber dans le péché, pressé par de fâcheuses
tentations, ou bien,
dans vos doutes, ne savez-vous que
résoudre ? regardez l'Étoile, pensez que Marie est assez
puissante
pour vous secourir, invoquez-la
sans retard. Que son Nom puissant soit toujours dans votre coeur par la
confiance, et sur vos lèvres
par la fidélité à l'invoquer. En suivant Marie, vous
ne sauriez vous écarter de
la voie du salut ; pourvu que vous
ayez soin de vous recommander à elle, vous ne tomberez point ; si
elle
vous protège, vous n'avez
pas à craindre de vous perdre ; si elle vous guide, vous vous sauverez
sans
peine. En un mot, si Marie vous
prend sous sa défense, vous arriverez certainement au royaume des
Bienheureux.
Faites ainsi et vous vivrez.
EXEMPLE
C'est une histoire célèbre
que celle de sainte Marie d'Égypte, rapportée dans la Vie
des Pères. A l'âge de
douze ans, elle s'enfuit de la maison
paternelle et se rendit à Alexandrie, où sa conduite devint
le scandale
de toute la ville. Après
seize années de désordres, elle alla, courant le monde, jusqu'à
Jérusalem, où l'on
célébrait alors la
fête de la Sainte Croix, et voulut, elle aussi, entrer dans l'Église,
plus par curiosité que
par dévotion ; mais, en arrivant
à la porte, elle se sentit repoussée en arrière par
une force invisible ; elle
essaya une seconde fois d'entrer
et fut encore repoussée ; une troisième et une quatrième
tentative qu'elle
fit, n'eurent pas plus de succès.
S'étant alors retirée dans un coin du parvis, la malheureuse
comprit, à
l'aide d'une lumière céleste,
qu'en punitions de sa mauvaise vie, Dieu la rejetait, et de sa présence
et
même de son temple.
Elle en était là quand,
levant les yeux, elle aperçut pour son bonheur une peinture représentant
la sainte
Vierge ; elle s'adressa à
cette Reine du ciel et lui dit, d'une voix entrecoupée de sanglots
: " O Mère de
Dieu, prenez pitié d'une
pauvre pécheresse. Mes crimes me rendent indigne du moindre de vos
regards, je
le reconnais ; mais vous êtes
le refuge des pécheurs ; pour l'amour de Jésus, votre Fils,
assistez-moi ;
faites que je puisse entrer dans
l'église, car je suis résolue de changer de vie et d'aller
faire pénitence en tel
lieu qu'il vous plaira de m'indiquer
". Une voix qu'elle prit pour celle de la bienheureuse Vierge, lui
répondit au fond du coeur
: " Eh bien ! puisque tu recours à moi, et que tu veux changer de
vie, entre
dans l'église, la porte n'en
sera plus fermée pour toi ". La pécheresse entre, et adore
la Croix avec les
sentiments de la plus vive componction.
Elle retourne ensuite devant l'image de Marie : " Ma Reine,
dit-elle, me voici, prête
à vous obéir ; où voulez-vous que je me retire pour
faire pénitence ? " - Va, lui
répondit la sainte Vierge,
passe le Jourdain, et tu trouveras le lieu de ton repos ". Elle se confessa,
communia, passa le fleuve et arriva
au désert, et comprit que c'était là le lieu de sa
pénitence.
Pendant les dix-sept premières
années que la saint vécut dans la solitude, quels assauts
ne lui livrèrent pas
les démons pour la faire
retomber ! Et que fasait-elle alors ? pas autre chose que de se recommander
à
Marie ; et Marie lui obtint la force
de résister pendant ces dix-sept années ; après quoi,
ses combats
cessèrent. Enfin, après
avoir passé quarante-sept ans dans le désert, et se trouvent
parvenue à la
soixante-dix-septième année
de son âge, elle fut découverte par l'abbé Zozime,
que la Providence conduit
en ce lieu. Elle lui raconta toute
sa vie, et le pria de revenir l'année suivante pour lui apporter
la sainte
communion. L'abbé revint
selon son désir, et la communia. Ensuite, la sainte lui renouvela
sa prière de la
visiter encore une fois. Zozime
le fit, et il la trouva morte. Son corps était environné
de lumière, et près
de sa tête étaient
tracés ces mots : " Ensevelissez ici le corps d'une misérable
pécheresse que je suis, et
priez Dieu pour moi ". Le saint
abbé la descendit dans une fosse qu'un lion vint creuser ; et, de
retour au
monastère, il racomta les
merveilles de la divine miséricorde envers cette heureuse pénitente.
PRIÈRE
O Vierge sainte, Mère de miséricorde
! voici à vos pieds le perfide qui, payant d'ingratitude les grâces
qu'il a reçues de Dieu par
votre intercession, a trahi Dieu et vous. Mais sachez-le, ô douce
Reine !
loin de diminuer ma confiance en
vous, ma misère ne fait que l'augmenter ; car je vois qu'elle redouble
votre compassion envers moi. Faites
connaître, ô Marie, que, pour moi comme pour tous ceux qui
vous
invoquent, vous êtes pleine
de bonté et de miséricorde. Je ne réclame de vous
qu'un regard de
compassion : si votre coeur a compassion
de moi, il ne saura refuser de me protéger ; et, si vous me
protégez, qu'ai-je à
craindre ? Non, je ne craindrai rien : je ne craindrai pas mes péchés,
puisque vous
pouvez réparer le mal que
j'ai fait ; je ne craindrai pas les démons, puisque vous êtes
plus puissante
que l'enfer ; je ne craindrai même
pas la juste indignation de votre divin Fils, puisqu'une seule de vos
paroles suffit pour l'apaiser.
Je me trompe, il me reste une crainte
: je pourrais, au moment de la tentation, faire la faute de ne pas
recourir à vous, et ce serait
ma perte. Mais je suis résolu de ne jamais cesser de me recommander
à
vous, je vous en fais aujourd'hui
la promesse, aidez-moi à la tenir. Voyez quelle belle occasion pour
vous de contenter votre coeur en
faisant le bonheur d'un misérable tel que je suis. O Mère
de Dieu, j'ai
une grande confiance en vous. J'attends
de vous la grâce de pleurer mes péchés comme je le
dois, et la
force de n'y plus retomber : si
je suis malade, vous pouvez me guérir ; si mes fautes m'ont rendu
faible,
votre secours me rendra fort. J'espère
tout de vous, ô Marie, parce que vous pouvez tout auprès de
Dieu. Amen.
III Marie est notre douceur : elle rend la mort douce à ses serviteurs.
L'ami sincère aime en tout
temps ; et le frère se connaît dans l'affliction. Les vrais
amis et les vrais
parents ne sont pas bien connus
dans les temps de prospérité, mais seulement dans la détresse
et la
misère. Les partisans du
monde restent attachés à un ami tant que la fortune lui sourit
; mais qu'il vienne
à essuyer quelque disgrâce,
que surtout la mort approche, et aussitôt les amis de s'éloigner.
Marie n'agit
pas ainsi avec ceux qui lui sont
dévoués : bonne Maîtresse et bonne Mère, elle
ne saurait abandonner ses
fidèles serviteurs dans leurs
tribulations, surtout dans les angoisses de la mort, qui sont les plus
terribles
qu'on puisse éprouver ici-bas
; et, après avoir été notre Vie durant tout le temps
de cet exil, elle devient
notre Douceur au terme de ntore
carrière, en nous ménageant une mort douce et heureuse.
En effet, depuis le jour mémorable
où elle eut à la fois le bonheur et la douleur d'être
présente à la mort
de Jésus-Christ, son Fils,
qui est le Chef des prédestinés, Marie est en possession
du privilège d'assister
tous les prédestinés
à l'heure de la mor. C'est pourquoi l'Église nous fait prier
cette bienheureuse Vierge
de venir à notre secours
principalement à nos derniers moments : Priez pour nous, pécheurs,
maintenant
et à l'heure de notre mort.
Bien cruelles sont les angoisses
des pauvres mourants ! remords des péchés commis, incertitude
du salut,
tout est pour les tourmenter. En
ce moment où l'âme va passer à l'éternité,
l'enfer fait appel plus que
jamais à toutes ses armes
; il met en jeu toutes ses forces pour s'en rendre maître ; il sait
qu'il lui reste peu
de temps pour la gagner, et que,
s'il la perd alors, c'est pour toujours : Le diable descend vers vous plein
d'une grande fureur, sachant qu'il
n'a plus qu'un peu de temps. Alors, le démon qui la tentait
ordinairement pendant sa vie, ne
vient pas seul l'attaquer, mais il en appelle d'autres à son aide,
et la
maison se remplit d'esprits invernaux
qui unissent leurs efforts pour la perdre : Leur demeure se remplira
de dragons.
On raconte de saint André
d'Avellin, qu'au temps de sa mort, dix mille démons vinrent le tenter
; ils lui
livrère surtout de rudes
assauts quand il fut à l'agonie ; tous les religieux présents
étaient épouvantés du
spectacle qui s'offrait à
leurs regards. Le visage du sain se gonflait jusqu'à paraître
tout noir par l'effet de
son agitation intérieure
; il tremblait de tous ses membres et se débattait étrangement
; de ses yeux
sortaient deux torrents de larmes,
sa tête était en proie à des secousses violentes :
autant d'indices de
l'horrible combat qu'il soutenait
contre l'enfer. Tous les assistants, émus jusqu'aux larmes, redoublaient
de
prières et tremblaient de
crainte, en voyant un saint mourir de la sorte. On se consolait toutefois,
en le
voyant tourner souvent les yeux
vers une pieuse image de Marie, comme pour réclamer son secours
; et
on se souvenait de lui avoir entendu
dire bien des fois, dans le courant de sa vie, que la sainte Vierge
serait son refuge à l'heure
de sa mort.
Il plut enfin au Seigneur de mettre
fin à ce combat par une glorieuse victoire : les convulsions cessèrent,
le
visage désenflé reprit
sa première couleur, et on vit le saint, tenant les yeux tranquillement
fixés sur
l'image, faire une dévote
inclination comme pour remercier Marie, laquelle, pense-t-on, se faisait
voir à lui
; après cela, il remit paisiblement
son âme bénie entre les mains de la divine Mère, et
ses traits prirent une
expression de paix céleste.
En ce moment-là même, une religieuse capucine à l'agonie,
se tourna vers les
soeurs qui l'assistaient, et leur
dit : " Récitez l' Ave Maria ; car un saint vient de mourir ".
A l'aspect de la Reine, les rebelles
prennent la fuite. Si, à l'heure de la mort, nous avons Marie de
notre
côté, que pourrons-nous
craindre de la part de tous nos ennemis infernaux ? Dans les craintes que
lui
inspirait la pensée de cette
lutte suprême, David reprenait courage en s'appuyant sur le sacrifice
du
Rédempteur futur et sur l'intercession
de la Vierge Marie ; Alors même, disait-il que je marcherais au
sein des ombres de la mort, je ne
craindrais rien... votre verge et votre bâton me rassurent. Par le
mot
bâton, le cardinal Hughes
entend ici la croix du Sauveur : et, par le mot verge, notre Médiatrice
Marie,
qui fut prédite en ces termes
par Isaïe : Il sortira une verge de la racine de Jessé, et
une fleur s'élèvera
de sa racine. Vierge puissante,
dit saint Pierre Damien, par elle sont réprimées toutes les
violences des
esprits infernaux. Courage donc,
s'écrie saint Antonin ; car, " si Marie est vec nous, qui osera
nous
attaquer "?
Quand le père Mauel Padial,
jésuite, était près de mourir, Marie lui apparut,
et lui adressa ces consolantes
paroles : " Voici enfin le moment
où les anges vont te féliciter et te dire : O heureux travaux
! O
mortifiction bien récompensées
" ! On vit ensuite une troupe de démons qui fuyaient, en criant
avec
désespoir : " Hélas
! nouve ne pouvons rien ; celle qui est sans tache, le protège "
! Le Père Gaspard
Hayewood fut assailli par les démons
à ses derniers moments et violemment tenté contre la foi
; il se
recommanda aussitôt à
la sainte Vierge, et on l'entendit ensuite s'écrier : " Je vous
rends grâces, ô Marie,
d'être venue à mon
secours " !
Selon saint Bonaventure, quand un
serviteur de Marie est sur le point de mourir, elle lui envoie saint
Michel et tous les anges dont il
est le chef, afin qu'ils le défendent contre les attaques des démons
; elle les
charge de recevoir les âmes
de tous ceux qui ont eu l'heureuse habitude d'implorer avec ferveur sa
maternelle protection.
Lorsqu'une âme va sortir de
ce monde, l'enfer s'émeut, dit Isaïe, et il envoie les plus
terribles d'entre les
démons la tenter avant qu'elle
quitte son corps, et l'accuser au tribunal de Jésus-Christ, quand
elle s'y
présentera : L'enfer s'est
mis en mouvement à ton arrivée ; il suscitera contre toi
des géants. Mais, si
cette âme est défendue
par Marie, les démons n'oseront entreprendre de l'accuser, assure
Richard ; ils
savent trop bien que le divin Juge
n'a jamais condamné et ne condamnera jamais une âme protégée
par
son auguste Mère.
Dans son épître à
sainte Eustochie, saint Jérôme enseigne que, non contente
de secourir ses chers
serviteurs au moment de leur mort,
Marie vient encore à leur rencontre quand ils passent à l'autre
vie, les
encourage par sa douce présence,
et les accompagne au tribunal suprême : " Quel jour que celui où
Marie, Mère du Seigneur,
viendra au devant de vous, suivie du choeur des vierges " ! et cela est
conforme à ce que la bienheureuse
Vierge a dit elle-même à sainte Brigitte, touchant ses serviteurs
à leurs
derniers moments : " Moi, leur Maîtresse
bien-aimée et leur Mère, j'irai à leur rencontre quand
ils seront
pour mourir, afin que, dans la mort
même, ils trouvent consolation et soulagement ".
Saint Vincent Ferrier ajoute qu'elle
reçoit leurs âmes. Oui, cette Reine pleine de tendresse les
reçoit en
quelque sorte dans les plis de son
manteau, et les présente elle-même à leur Juge, qui
est son Fils ; et ainsi
elle leur obtient infailliblement
la grâce du salut. Tel fut, par exemple, le bonheur de Charles, fils
de sainte
Brigitte : comme il était
mort dans le périlleux métier des armes et loin de sa mère,
la sainte craignait pour
son salut, mais la bienheureuse
Vierge lui révéla que Charles était sauvé ,
grâce à son amour pour elle.
Elle-même, ajouta-t-elle,
l'avait assisté dans ses derniers moments, et lui avait suggéré
les actes que tout
chrétien doit faire en cette
circonstance. Sainte Brigitte vit en même temps Jésus-Christ
sur un trône, et le
démon qui portait deux accusations
contre la divine Mère. En premier lieu, disait-il, elle m'a empêché
de
tenter Charles au moment de sa mort
; en second lie, elle a présenté elle-même au jugement
l'âme de ce
soldat, et l'a ainsi sauvée,
sans même me permettre d'exposer les droits que je prétends
avoir sur cette
âme. La sainte vit ensuite
le démon reoussé par le divin Juge, et l'âme de Charles
porté au ciel.
Oh ! quel bonheur pour vous, mon
cher frère, si à la mort, vous vous trouvez attaché
à la Mère de Dieu
par les douces chaîne de l'amour
! Ses chaînes sont des chaînes de salut, c'est-à-dire
qu'elles vous
assurent le salut éternel.
Elles vous feront goûter à la mort une heureuse paix, qui
sera pour vous le
commencement d'un repos et d'un
bonheur sans fin. - Le Père Binet rapporte qu'un pieux serviteur
de
Marie disait en mourant : " Si vous
saviez quel contentement on sent en son âme, au moment de la mort,
d'avoir essayé de bien servir
la très sainte Mère de Dieu durant le cours de sa vie, vous
en seriez étonné
et consolé ; je ne saurai
dire la joie que je ressens en mon coeur à l'heure que vous me voyez
". - Ainsi
mourut également le Père
Suarez, si dévot envers la sainte Vierge qu'il aurait donné
toute sa science,
disait-il, pour le mérite
d'un seul Ave Maria ; il déclara au moment d'expirer, qu'avant d'en
avoir fait
l'expérienve, il ne se serait
jamais imaginé que la mort pût être si douce.
Tel sera sans doute aussi votre contentement,
pieux lecteur, telle sera votre joie au moment de la mort, si
vous pouvez vous rendre alors le
témoignange d'avoir aimé cette bonne Mère, toujours
fidèle à
récompenser ceux de ses enfants
qui ont été fidèles à la servir et à
l'honorer par des visites, par la
récitation du rosaire, par
des jeûnes, et surtout à la remercier, à la louer,
et à implorer souvent sa
puissante protection. Vous ne serez
même pas privé de cette consolation pour avoir vécu
un temps dans
le péché, si désormais
vous tâchez de vous bien conduire et de servir fidèlement
cette Reine si clémente
et si généreuse ;
dans les angoisses de votre dernière heure, et dans les tentations
par où le démon
cherchera à vous jeter dans
le désespoir, elle vous fortifiera et portera la bonté jusqu'à
venir elle-même
vous assister au moment de votre
mort.
Saint Pierre Damien raconte qu'un
jour son frère Martin, ayant eu le malheur d'offenser Dieu, se rendit
devant un autel de Marie pour se
consacrer à elle en qualité d'esclave ; en signe de quoi,
il se passa sa
ceinture autour du cou, et parla
ainsi : " O ma Souveraine, Miroir de pureté ! je suis un pauvre
pécheur,
j'ai offensé mon Dieu et
vous, en blessant la chasteté ; je ne puis mieux réparer
ma faute qu'en m'offrant
à vous pour esclave ; me
voici donc à vos pieds, recevez-moi, tout rebelle que je suis, ne
me rejetez pas
". Ensuite, il déposa sur
le marchepied de l'autel une certaine somme d'argent, qu'il promit de payer
chaque année comme esclave
tributaire de Marie. Quand il fut près de mourir, on l'entendit
un matin qui
s'écriait : " Levez-vous
; saluez ma Souveraine " ! Puis, il ajouta : " O Reine du ciel ! quelle
est votre
bonté de daigner visiter
ce pauvre serviteur ! De grâce, bénissez-moi, ma Souveraine,
et ne permettez pas
que je me perde, après que
vous m'avez honoré de votre présence ". Pierre étant
alors arrivé, Martin lui
raconta comment la sainte Vierge
l'avait visité et béni, se plaignant de ce que les assistants
ne s'étaient pas
levés en présence
de la Mère de Dieu. Peu après, il passa doucement dans le
sein du Seigneur.
Oui, mon cher lecteur, telle aussi
sera votre mort, si vous êtes fidèles à Marie ; eussiez-vous
d'ailleurs
offensé Dieu dans le passé,
elle ne laissera pas de faire que votre fin soit douce et heureuse. Et
si alors,
une crainte excessive au souvenir
de vos péchés d'autrefois, ébranle votre confiance,
elle viendra
elle-même soutenir votre courage.
Ainsi fit-elle pour Adolphe, comte d'Alsace, dont l'histoire se lit aux
chroniques des Frères Mineurs.
Ce prince avait renoncé au monde pour entre dans l'ordre de Saint
François, et s'y était
distingué par sa dévotion à la Mère de Dieu.
Sur la fin de ses jours, il se remit devant
les yeux la vie qu'il avait menée
dans le siècle et la rigueur des divins jugements ; ces pensées
lui
inspirèrent des doutes touchant
son salut et une vive crainte de la mort. Mais, quand les pieux serviteurs
de Marie sont dans la peine, elle
ne dort pas. Escortée d'une multitude de saints, elle se présenta
tout à
coup au mourant , et le rassura
par ses tendres paroles : Mon cher Adolphe, tu m'appartiens, tu t'es donné
à moi, et tu redoutes la
mort ? - A ces mots le serviteur de Marie se sentit entièrement
consolé, toutes ses
craintes s'évanouirent, et
il mourut au sein d'une paix profonde et d'un doux consentement.
Ayons bon courage, nous aussi, bien
que pécheurs ; et si, pendant le reste de notre pélerinage
ici-bas,
nous servons Marie avec amour, espérons
qu'elle viendra nous secourir dans les angoisses de notre mort,
et nous consoler par sa présence.
Notre bonne Reine en fit la promesse, un jour qu'elle s'entretenait avec
sainte Mechtilde : " Tous ceux,
lui dit-elle, qui me servent pieusement, peuvent compter qu'à leur
heure
dernière, je me ferai un
devoir de me tenir à leurs côtés, comme la plus tendre
des mères pour les
consoler et les défendre
". O Dieu ! à ce moment où nous attendrons la décision
de notre éternel sort,
quelle joie pour nous, de voir auprès
de nous la Reine du ciel qui nous assistera et relèvera notre
confiance, en nous assurant de sa
protection !
C'est là une faveut dont on
voit dans les livres une multitude innombrable d'exemples, outre ceux que
nous avons déjà cités.
Elle fut accordée à sainte Claire, à saint Félix
de Cantalice, à sainte Claire de
Montefalco, à sainte Thérèse,
à saint Pierre d'Alcantara. Mais, pour notre commune consolation,
nous en
relaterons quelques autres encores.
Au rapport du Père Crassetm sainte Marie d'Oignies vit un jour la
bienheureuse Vierge au chevet d'une
pieuse veuve de Willembroc ; elle se tenait tout à côté
de la malade ;
et, comme celle-ci était
en proie aux brûlantes ardeurs de la fièvre, elle la consolait
et la rafraîchissait à
l'aide d'un éventail. Saint
Jean de Dieu allait mourir et attendait la visite de Marie, à laquelle
il était très
dévot ; mais, ne la voyant
point paraître, il en était tout triste, et peut-être
même s'en plaignait-il. Tout à
coup, le moment suprême arrivé,
la divine Mère lui apparut, et, comme pour lui reprocher son peu
de
confiance, elle lui adressa ces
tendres paroles, qui doivent remplir de courage tous ses serviteurs : "
Cette
heure est celle où jamais
je ne délaisse mes serviteurs dévoués ". C'est comme
si elle eût dit : Mon cher
Jean, que pensais-tu ? que je t'avais
abandonné ? Ne sais-tu donc pas que je ne saurais abandonner mes
serviteurs à l'heure de la
mort ? Je ne suis pas accourue plus tôt parce que le temps n'était
pas encore
venu ; maintenant qu'il est arrivé,
me voici prête à te prendre avec moi ; allons en paradis.
- Peu après, le
saint expira, et son âme s'envola
vers les cieux, pour y remercier à jamais sa très aimante
Reine.
Terminons cet entretien, par l'exemple
suivant, qui montre jusqu'où va la tendresse de cette bonne Mère
envers ses enfants, lorsqu'ils se
trouvent au lit de la mort.
EXEMPLE
Un curé avait été
appelé auprès d'un homme riche qui allait mourir. Il le trouva
dans une maison bien
meublée, entouré des
soins de ses domestiques, de ses parents et des amis ; mais il vit en même
temps les
démons sous forme de chiens,
qui attendaient sa mort pour s'emparer de son âme ; et ils l'eurent
en effet,
car ce malheureux mourut dans le
péché. Or, pendant que le curé était là
occupé, on vint le demander de
la part d'une pauvre femme, proche,
elle aussi de sa fin, et qui désirait recevoir les Sacrements. Le
curé
ne pouvait abandonner ce riche dans
un moment si critique ; il envoya à sa place un autre prêtre,
qui prit
le saint ciboire et partit.
Arrivé au logis de cette bonne
femme, le prêtre ne vit ni domestique, ni compagnie, ni meubles précieux,
parce que la malade était
pauvre et n'avait guère pour lit qu'un peu de paille ; mais que
voit-il ? dans la
chambre, une grande lumière,
et, près du lit de la mourante, la Mère de Dieu, qui la consolait,
et essuyait
avec un linge son front couvert
des sueurs de l'agonie. A la vue de la sainte Vierge, le prêtre n'osait
approcher ; mais, sur un signe qu'elle
lui fit, il entra, et Marie, lui indiquant un escabeau, l'invita à
s'asseoir pour entendre la confession
de sa servante. Celle-ci se confessa, et, après avoir communié
avec
beaucoup de dévotion, elle
expira heureusement entre les bras de Marie.
PRIÈRE
O ma très douce Mère,
quelle sera la mort d'un pauvre pécheur tel que moi ? Dès
à présent, quand je
pense au moment redoutable où
je devrai quitter cette vie et comparaître au tribunal de Dieu, et
qu'en
même temps je me rappelle
avoir tant de fois écrit moi-même, par des actes pervers,
la sentence de ma
condamnation, je tremble, je demeure
confondu, et je crains beaucoup pour mon salut éternel. O
Marie, c'est dans le sang de Jésus
et dans votre intercession que sont mes espérances. Vous êtes
la
Reine du ciel, la Maîtresse
de l'univers ; vous êtes, c'est tout dire, la Mère de Dieu
! Vous êtes donc
bien grande ! Mais votre grandeur
ne vous éloigne pas de nous, au contraire, elle vous dispose à
une
plus vive compassion pour nos misères.
Les amis d'ici-bas ne se voient pas
plus tôt revêtus de quelque dignité, qu'ils se tiennent
sur la réserve
; ils ne daignent même plus
accorder un regard à un ancien ami victime des revers dela fortune.
Votre
noble et tendre coeur n'est pas
ainsi fait : où vous voyez plus de misère, c'est là
surtout que vous portez
votre assistance ; à peine
invoquée, vous volez aussitôt à notre secours ; vos
faveurs préviennent même
nos prières ; vous nous consolez
dans nos affections, vous dissipez les tempêtes, vous terrassez nos
ennemis ; en un mot, vous ne laissez
échapper aucune occasion de nous faire du bien. Bénie soit
à
jamais la divine Bonté, qui
a réuni en vous tant de majesté et tant de tendresse, tant
d'élévation et tant
de charité ! J'en remercie
sans cesse le Seigneur, et je m'en félicite moi-même, parce
que je mets tout
mon bonheur dans le vôtre.
O consolatrice des affligés,
consolez un affligé qui se recommande à vous ; je me sens
tourmenté par
les remords d'une conscience chargée
d'innombrables péchés ; j'ignore si je les ai pleurés
comme je
devais ; je vois toutes mes oeuvres
pleine d'imperfections et de souillures ; l'enfer attend ma mort pour
m'accuser ; la divine justice outragée
veut être satisfaite. Ma Mère qu'en sera-t-il de moi ? Si
vous ne
venez à mon aide, je suis
perdu. Dites-moi : voulez-vous me secourir ?
O Vierge compatissante, consolez-moi
; obtenez-moi une vraie douleur de mes péchés ; obtenez-moi
la
force de me corriger et d'être
fidèle à Dieu le reste de mes jours. Et, quand je me trouverai
dans les
extrêmes angoisses de la mort,
ô Marie, mon espérance, ne m'abandonnez pas. Assistez-moi
plus que
jamais à cette heure, et
soutenez-moi, afin que je ne tombe pas dans le désespoir à
la vue de mes
fautes, que le démon me remettra
sous les yeux.
Ma Reine, pardonnez ma témérité
; venez vous-même alors me consoler par votre présence. Cette
grâce, vous l'avez faite à
tant d'autres ; je la réclame aussi pour moi. Si ma témérité
est grande, plus
grande encore est votre bonté,
qui va chercher les plus misérables pour les consoler ; c'est là
ce qui
fait ma confiance. Que votre gloire
éternelle soit d'avoir sauvé de l'enfer un malheureux damné,
et de
l'avoir conduit dans votre royaume,
où j'espère avoir un jour le bonheur de me tenir à
vos pieds pour
vous rendre grâces, vous bénir
et vous aimer, sans cesse et sans fin. O Marie ! je vous attends, ne me
privez pas cette consolation ! Fiat,
fiat ! Amen, amen !
CHAPITRE III
Spes, nostra, salve !
O notre espérance, nous vous saluons.
MARIE, NOTRE ESPÉRANCE
I
Marie est l'espérance de tous les hommes
Les hérétiques modernes
sont révoltés de nous entendre saluer et invoquer Marie comme
notre
Espérance. Spes nostra, salve
! Dieu seul, disent-ils, est notre espérance, et il maudit quiconque
met son
espérance dans la créature,
car il est écrit : Malédiction à l'homme qui se confie
en un homme. Comment
donc Marie peut-elle être
notre espérance, puisqu'elle est une simple créature ? Ainsi
disent les hérétiques
; mais, nonobstant leurs clameurs,
la sainte Église veut que, chaque jour, tous les ecclésiastiques
et tous
les religieux élèvent
la voix vers Marie, et qu'au nom de tous les fidèles, ils l'invoquent
et la saluent du
nom si doux de notre Espérance,
Espérance de tous les hommes : Spes nostra, salve ! " ô notre
Espérance, nous vous saluons
! "
Selon saint Thomas, il est deux manières
de placer son espérance en une personne, selon qu'on la
considère comme cause principale,
ou comme cause intermédiaire, Ceux qui attendent du roi quelque
faveur, l'attendent de lui comme
souverain, et de son ministre ou favori comme intercesseur. Si la grâce
est accordée, elle viendra
principalement du roi, mais par l'intercession de son favori ; ainsi, celui
qui la
sollicite, a bien raison d'appeler
l'intercesseur son espérance. Le Roi du ciel, en raison de sa bonté
infinie,
désire extrêmement
nous enrichir de ses grâces ; mais pour cela la confiance est nécessaire
de notre part ;
voulant donc augmenter en nous cette
confiance, il nous a donné pour Mère et pour Avocate sa propre
Mère, et l'a investie de
tout pouvoir pour nous appuyer ; il veut en conséquence que nous
mettions en elle
l'espoir de notre salut et de tous
les biens. Ceux qui placent leur espérance dans les créatures,
et d'une
manière indépendante
de Dieu, comme font les pécheurs, qui ne reculent pas devant l'offense
de Dieu,
pour gagner l'amitié ou la
faveur d'un homme, ceux-là sans aucun doute sont maudits de Dieu,
ainsi que
le déclare le prophète.
Mais ceux qui espère en Marie comme Mère de Dieu, ayant le
pouvoir de leur
obtenir la grâce et la gloire,
sont bénis du Seigneur ; ils font ce qui est agréable à
son coeur, car Dieu se
plaît à voir honorer
cette sublime créature, qui l'a aimé et glorifié en
ce monde plus que tous les hommes
et tous les anges.
C'est donc à juste titre que
nous proclamons la bienheureuse Vierge notre Espérance, puisque,
selon le
cardinal Bellarmin, nous espérons
obtenir par son intercession ce que n'obtiendraient pas nos prières
seules - Nous la prions, dit Suarez,
afin que la dignité d'une telle Médiatrice supplée
à notre bassesse. Or,
ajoute-t-il, prier Marie avec une
telle espérance, ce n'est pas témoigner que nous nous défions
de la
miséricorde divine, mais
que nous tremblons à la pensée de notre indignité.
Ainsi, l'Église a raison d'appeler
Marie, par un mot emprunté à l'Ecclésiastique, la
Mère de la sainte
espérance, c'est-à-dire,
celle qui fait naître en nous, non la vaine espérance des
biens misérables et
passagers de cette vie, mais la
sainte espérance des biens immenses et éternels de la vie
future.
Saint Ephrem, s'adressant à
la divine Mère, s'écrie : " Recevez mes hommages, ô
Marie, ô l'espérance de
mon âme, le slut assuré
des chrétiens, le refuge des pécheurs, le rampart des fidèles
et le salut du monde
entier " ! - Saint Bonaventure nous
avertit qu'après Dieu, nous n'avons pas d'autre espérance
que Marie.
Et saint Ephrem, considérant
l'ordre présent de la Providence, selon lequel Dieu a décrété,
comme
l'affirme saint Bernard, que tous
ceux qui se sauvent, soient redevables de leur salut à l'intercession
de
Marie, saint Ephrem, disons-nous
la prie en ces termes : O grande Reine ! ne cessez point de veiller sur
nous et de nous couvrir du manteau
de votre protection, car après Dieu, vous être notre seul
espoir. Saint
Thomas de Villeneuve proclame également
Marie notre unique refuge, notre unique ressource, notre
unique asile.
Tous ces beaux titres décernés
à la divine Mère, saint Bernard semble vouloir les justifier
quand il écrit : "
Considère, ô homme,
le dessein de Dieu, en vue de nous dispenser ses miséricordes avec
plus
d'abondance : ayant décrété
le rachat du genre humain, il a remis entre les mains de Marie tout le
prix de
la rédemption afin qu'elle
le leur distribue à son gré ".
Quand Dieu commanda à Moïse
de faire le propitiatoire : Tu le feras, dit-il, d'un or très pur
; c'est de là
que je te parlerai et te donnerai
mes ordres. Selon la remarque d'un auteur, Marie est le vrai propitiatoire
d'où le Seigneur parle aux
hommes, et leur accorde le pardon de leurs fautes, ses grâces, et
tous ses
bienfaits : " Vous êtes pour
l'univers entier le propitiatoire d'où le Seigneur nous parle au
coeur, rend des
oracles pleins de douceur et de
clémence, nous distribue ses faveurs, et répand, en un mot,
tous les biens
sur nous ". Avant de s'incarner
dans le sein de Marie, le Verbe divin lui fit demander son consentement
par un archange. Pourquoi cela ?
Il voulait, répond saint Irénée, que de Marie nous
vinssent tous les
biens, notamment l'Incarnation,
qui les renferme tous. Ainsi, conclut le savant Idiot, tout ce que les
hommes ont reçu ou recevront
jamais de biens, de secours, de grâces, c'est pas l'intercession
et par les
mains de Marie que Dieu le leur
a toujours accordé, et le leur accordera toujours.
O Marie, s'écrier avec raison
le pieux Louis de Blois, quel sera l'insensé, le malheureux qui
refusera de
vous aimer, vous, si aimable et
si généreuse envers ceux qui vous aiment ! Vous éclairez
l'esprit de ceux
qui s'adressent à vous dans
leurs doutes et leurs perpléxités ; vous consolez dans leurs
afflictions ceux qui
se confient en vous ; vous secourez
ceux qui vous invoquent dans le péril. Après votre divin
Fils, vous
êtes le salut assuré
de vos serviteurs fidèles. Je vous salue donc, ô espérance
des désespérés et secours
des abandonnés ! O Marie,
vous êtes toute-puissante, puisque votre Fils vous honore au point
d'accomplir
sans nul retard vos désirs.
A son tour, saint Germain voyait
en Marie la source de tous les biens et en attendait la délivrance
de tous
les maux. " O ma Souveraine, lui
disait-il, par la volonté de Dieu, vous êtes ma consolation,
le guide de
mon pèlerinage, la force
de ma faiblesse, la richesse de mon indigence, le remède de mes
blessures, le
soulagement de mes douleurs ; vous
seule pouvez briser mes chaînes, sur vous je fonde l'espoir de mon
salut ; exaucez mes prières,
soyez touchée de mes soupirs, ô vous, ma Maîtresse,
mon refuge, ma vie,
mon secours, ma force et mon espérance
" !
Elle est donc pleine de justesse,
l'application que fait saint Antonin à Marie, de ces mots de la
Sagesse :
Tous les biens me sont venus conjointement
avec elle. Et, en effet, comme l'affirme ce saint, Marie étant
la Mère et la Dispensatrice
de tous les biens, le genre humains, et spécialement quiconque qui
est attaché
au service de cette grande Reine,
peut se féliciter d'avoir obtenu tous les biens par le moyen de
Marie et
de la dévotion envers elle.
De là cette affirmation absolue de l'abbé De Celles : " Qui
trouve Marie, trouve
tous les biens ". Il trouve toutes
les grâces, toutes les evertus, car, par sa puissante intercession,
elle lui
obtient tout ce dont il a besoin,
et l'enrichit de tous les dons célestes. Elle-même nous fait
savoir par la
bouche du Sage, qu'elle tient entre
ses mains toutes les richesses de Dieu, c'est-à-dire, les divines
miséricordes, pour les distribuer
à ceux dont elle est aimée. Nous devons donc, selon l'avertissement
de
saint Bonaventure, tenir sans cesse
les yeux fixés sur les mains de cette tendre Mère, afin de
recevoir par
son moyen les biens que nous souhaitons.
Oh ! combien d'orgueilleux ont trouvé
l'humilité dans la dévotion à Marie ! combien de colères,
la
mansuétude ! combien d'aveugles,
la lumière ! combien de désespéré, la confiance
! combien d'âmes
perdues, le salut ! Mais tout cela,
n'est-il pas renfermé dans quelques mots prophétiques de
Marie
elle-même ? Dans le sublime
cantique qu'elle chanta chez Élisabeth, n'a-t-elle pas dit : Voici
que
désormais toutes les nations
me proclameront bienheureuse ? Ces paroles, saint Bernard les lui redit
en
les complétant : Oui, toutes
les générations vous proclameront bienheureuse, parce qu'à
toutes les
générations vous avez
donné la vie et la gloire ; car en vous les pécheurs trouvent
le pardon, et les justes
la persévérance dans
la grâce de Dieu.
Le pieux Lansperge fait ainsi parler
Notre-Seigneur à l'humanité entière : Pauvres enfants
d'Adam, qui
vivez au milieu de tant d'ennemis
et parmi tant de misères, ayez soin d'honorer avec une affection
particulière celle qui est
ma Mère et la vôtre. Car j'ai donné Marie au monde
comme le modèle dont vous
puissiez apprendre à vivre
saintement, et comme le refuge auquel vous puissiez recourir dans vos
afflictions. Je l'ai formée
moi-même de telle sorte que personne ne puisse la craindre ni avoir
de
répugnance à l'invoquer
; c'est pourquoi je l'ai créée avec un naturel si plein de
bonté et de compassion,
qu'elle ne saurait mépriser
aucun de ceux qui ont recours à elle, ni refuser une faveur qu'on
lui demande ;
elle tient ouvert à tous
le sein de sa miséricorde, et ne permet jamais qu'après s'être
jeté à ses pieds, on se
retire sans être consolé.
- Louée soit donc et bénie à jamais l'immense bonté
de notre Dieu, qui nous a
donné cette Mère,
et cette Avocate si tendre et si aimante.
O Dieu ! quelle tendresse dans les
sentiments de confiance que saint Bonaventure, si embrasé du divin
amour, ressentait à l'égard
de notre très aimant Rédempteur Jésus, et de notre
très aimante Avocate Marie
! Le Seigneur m'eût-il réprouvé,
disait-il, je sais qu'il ne peut se refuser à quiconque l'aime et
le cherche
de coeur. Je le serrerai dans les
bras de mon amour, et, s'il ne me bénit, je ne le laisserai point
aller ; il ne
pourra se retirer, sans m'entraîner
avec lui. Si je ne puis faire autre chose, je me cacherai au moins dans
ses plaies ; tant que je demeurerai
là, il ne pourra me trouver hors de lui. - Enfin, ajoutait-il, si,
en haine
de mes péchés, mon
Rédempteur me chasse loin de lui, j'irai me jeter aux pieds de sa
Mère ; et là
prosterné, je ne partirai
point qu'elle ne m'ait obtenu mon pardon. Car cette Mère de miséricorde
ne sait
et n'a jamais su être insensible
aux misères, ni refuser d'exaucer les misérables qui ont
recours à sa
protection. Ainsi, concluait le
saint, si ce n'est par obligation, au moins par compassion, elle ne manquera
pas d'engager son divin Fils à
me pardonner.
Terminons, en disant avec Euthymius
: Abaissez, ô Mère de miséricorde, abaissez vos regards
miséricordieux sur nous,
qui sommes vos serviteurs, et qui avons mis en vous toute notre espérance.
EXEMPLE
On lit dans le Trésir du Rosaire,
qu'un gentil homme, animé d'une grande dévotion envers la
Mère de
Dieu, s'était fait dans sa
maison un pieux oratoire où il allait souvent prier devant une belle
image de
Marie, non seulement pendant le
jour, mais encore pendant la nuit, interrompant son repos pour honorer
ainsi sa Reine bien-aimée.
Or, son épouse, personne du reste de beaucoup de piété,
observant qu'il se
levait dans le plus profond silence
de la nuit, sortait de la chambre, et ne revenait qu'au bout d'un temps
considérable, conçut
malheureusement de mauvais soupçons. Tourmentée par cette
cruelle épine, elle
hasarda un jour de demander à
son mari s'il aimait une autre femme qu'elle. Il lui répondit en
souriant : "
Sache que j'aime la dame la plus
aimable du monde. Je lui ai donné tout mon coeur, et je mourrais
plutôt
que de cesser de l'aimer. Si tu
la connaissais davantage, tu me dirais toi-même de l'aimer davantage.
"
Il entendait parler de la Sainte
Vierge, qu'il aimait d'un amour si tendre ; mais la pauvre femme, ne faisant
que tomber dans une plus grande
inquiétude, voulut s'assurer de la vérité et l'interrogea
de nouveau, afin
de savoir si c'était pour
aller trouver cette dame qu'il se levait la nuit et sortait de l'appartement.
Le
gentilhomme, qui ne connaissait
pas la violente agitation de son épouse, répondit que oui.
Ainsi persuadée
d'une chose qui n'était pas,
et aveuglée par la passion, que fit alors cette malheureuse ? Une
nuit que son
mari était sorti de sa chambre
à l'ordinaire, de désespoir, elle prit un couteau et se coupa
la gorge ; peu
après, elle expira.
Le mari, ayant accompli sa dévotion,
retourne dans l'appartement, va pour se remettre au lit, et le trouve
tout trempé ; il appelle
sa femme, et elle n rµpond point ; il la secoue de la main, et elle
reste insensible. A
la fin, ayant pris de la lumière,
il voit le lit plein de sang et son épouse étendue morte.
Il comprit alors
qu'elle s'était tuée
dans un accès de jalous, et que fit-il ? Il ferma la chambre à
clef, et revint à la chapelle,
se prosterna devant la sainte Vierge,
et là, pleurant à chaudes larmes, il se mit à dire
: " Ma Mère ! voyez
dans quelle affliction je me trouve
; si vous ne me consolez, à qui dois-je recourir ? Songez que c'est
pour
être venu ici vous honorer,
que j'ai le malheur de voir mon épouse morte et damnée. Ma
Mère ! vous le
pouvez, ah ! réparez ce malheur
". Lorsqu'on invoque avec conviance cette Mère de Miséricorde,
on en
obtient tout ce qu'on veut. A peine
le gentilhomme a-t-il fini sa prière, qu'il entend une servante
lui dire : "
Monsieur, veuillez retourner à
votre chambre ; Madame vous demande ". Mais, dans l'excès de sa
joie, il
n'ose croire cette heureuse nouvelle
: " Allez voir, répond-il, s'il est bien vrai qu'elle me demande.
- Oui,
dit la servante au retour, venez
vite ; Madame vous attend ".
Il va, ouvre la chambre, et voit
son épouse pleine de vie, qui, se jetant à ses pieds, les
arrose de ses
larmes et le prie de lui pardonner,
en disant : " Ah ! mon fidèle époux ! grâce à
vos prières, la Mère de
Dieu m'a délivrée
de l'enfer " ! Alors tous deux, pleurant de joie, se rendirent à
l'oratoire pour remercier la
bienheureuse Vierge. Le lendemain,
le mari invita tous ses parents à un festin, et leur fit raconter
le fait
par sa femme elle-même ; celle-ci
leur montra la marque de sa blessure, qui était encore visible ;
et toute
la famille conçut pour la
divine Mère des sentiments de confiance plus vifs que jamais.
PRIERE
O Mère du saint amour, notre
vie, notre refuge, et notre espérance ! vous savez que Jésus-Christ,
votre
Fils, non content de se faire notre
perpétuel avocat auprès de son Père, veut en outre
que vous
intercédiez auprès
de lui-même pour nous obtenir les divines miséricordes. Il
a décrété que vos prières
nous aideraient à nous sauver,
et il leur a donné tant de force qu'elles sont toujours exaucées.
C'est
donc à vous, ô espérance
des malheureux, c'est à vous que je m'adresse, moi misérable
pécheur ;
j'espère que, par les mérites
de Jésus-Christ et par votre intercession, je ferai mon salut. Telle
est ma
confiance, et elle va si loin que,
si mon salut éternel était entre mes mains, je le remettrais
dans les
vôtres ; car je me fie plus
en votre miséricorde et en votre protection que dans toutes mes
oeuvres. Ma
Mère et mon espérance,
ne m'abandonnez pas, comme je le mériterais ; considérez
ma misère, et
laissez-vous toucher de ma compassion
; secourez-moi et sauvez-moi. Bien des fois, je le confesse, mes
péchés ont fermé
la porte aux lumières et aux secours que vous m'avez obtenu de Dieu
; mais votre
compassion pour les misérables
et votre pouvoir auprès du Seigneur surpassent le nombre et la malice
de mes iniquités. C'est une
chose connue du ciel et de la terre que celui que vous protégez
ne saurait se
perdre. Que je sois donc oublié
de toutes les créatures, mais non de vous, ô Mère du
Tout-Puissant !
Dites à Dieu que je suis
votre serviteur, dites-lui que vous prenez ma défense, et je serai
sauvé. O
Marie, je me confie en vous ; c'est
avec cette confiance que je vie et que je veux et espère mourir,
disant toujours : " Mon unique espérance
est Jésus, et, après Jésus, la vierge Marie ".
II
Marie est l'espérance des pécheurs.
Après avoir créé
la terre, Dieu fit deux grands luminaires, l'un plus grand, pour présider
au jour,
l'autre moindre, pour présider
à la nuit. Selon le cardinal Hughes, le premier de ces deux luminaires,
le
soleil, est la figure de Jésus-Christ,
dont la lumière éclaire les justes qui vivent dans la grâce
de Dieu ; et le
second, la lune, est la figure de
Marie, dont la douce lueur reste aux malheureux plongés dans la
nuit du
péché. Marie étant
donc cet astre propice aux pécheurs, que doit faire le malheureux
qui se trouve
environné des ténèbres
de l'iniquité ? Puisqu'il a perdu la lumière du Soleil de
Justice en perdant la grâce
divine, répond Innocent III,
qu'il tourne ses regards vers l'astre qui brille pour lui ; qu'il invoque
Marie ;
elle l'éclairera sur le malheur
de son état et lui donnera la force d'en sortir sans retard. Au
dire de saint
Méthode, on pourrait à
peine compter les conversions dues au prières de Marie.
Parmi les titres sous lesquels la
sainte Église veut que nous invoquions la Mère de Dieu, le
plus
encourageant pour les pauvres pécheurs,
c'est le titre de Refuge des pécheurs, que nous lui donnons dans
les litanies. Anciennement, il y
avait en Judée plusieurs villes de refuge, où les délinquants
pouvaient se
retirer, afin d'échapper
à la peine qu'ils avaient encourue ; à présent, il
n'y a plus qu'une seule Cité de
refuge, et c'est Marie, à
qui s'applique cette parole prophétique : Bien glorieuse, ô
Cité de Dieu, sont les
choses qui ont été
dites à ton sujet. Mais il est une différence entre elle
et les asiles de la loi ancienne :
ceux-ci n'étaient pas ouverts
à tous les coupables, mais seulement à ceux qui étaient
prévenus de certains
délits ; au contraire, dès
qu'ils se réfugient sous le manteau de Marie, tous les pécheurs,
quelles que soient
leurs fautes, sont à l'abri
du châtiment. " Je suis, nous dit-elle, par la bouche de saint Jean
de Damas, je
suis la cité de refuge, tous
ceux qui viennent à moi sont sauvés ". Il suffit de se réfugier
dans cette Cité ;
quiconque est assez heureux pour
y entrer, y trouve toute sûreté, avant même d'avoir
plaidé sa cause.
Venez, entrons dans la ville forte,
dit Jérémie, et demeurons-y en silence. D'après le
bienheureux Albert
le Grand, cette ville forte est
la sainte Vierge, que la grâce et la gloire environnent comme un
rempart ; et
il ajoute, en citant la Glose :
Puisque nous n'osons demander nous-mêmes au Seigneur le pardon de
nos
péchés, nous pouvons
du moins nous retirer dans cette citadelle et nous y tenir en silence ;
ce sera assez,
Marie se chargera de parler et d'intercéder
pour nous. Un autre pieux auteur exhorte également tous les
pécheurs à s'abriter
sous le manteau de la Reine du ciel : " Réfugiez-vous, Adam et Eve,
et vous aussi,
leurs pauveres enfants, réfugiez-vous
tous dans le sein de cette bonne Mère. Ne savez-vous par qu'elle
est l'unique Cité de refuge,
et l'unique espérance des pécheurs ? " Oui, l'unique espérance
des pécheurs ;
ainsi l'appelle déjà
saint Augustin.
" O Marie, vous êtes l'unique
avocate des pécheurs et de ceux qui sont dénués de
toute ressource ", dit à
son tour saint Ephrem ; puis il
s'écrie : " Salut, ô vous, le refuge des pécheurs et
leur asile ; en vous seule,
ils peuvent trouver sûreté
et protection ". Et, selon un auteur, David désignait déjà
Marie quand il disait :
Dieu m'a mis à couvert dans
le secret de son tabernacle. Quel est, en effet, le tabernacle de Dieu,
sinon
Marie ? ainsi la nomme saint André
de Crète : " Vous êtes, dit-il, le tabernacle que Dieu lui-même
a
dressé, et dans lequel lui
seul est entré, pour accomplir les grands mystères de la
rédemption des hommes
".
L'illustre saint Basile dit à
ce propos qu'en nous donnant Marie, Dieu nous a en quelque sort ouvert
un
hôpital public, où
peuvent être reçus tous les malades pauvres et privés
de tout autre ressource. Or, je le
demande, les hôpitaux étant
fondés spécialement pour les pauvres, quels sont ceux qui
ont le plus de titre
à y être admis ? ne
sont-ce pas les plus indigents et les plus malades ? Celui donc qui se
trouve plongé
dans la misère, c'est-à-dire
dépourvu de tout mérite et chargé de péchés,
qui sont les maladies de l'âme, il
peut, ce semble, dire à Marie
: Auguste Dame ! vous êtes l'asile des pauvres malades ; ne me rejetez
donc
pas, puisque, plus pauvre et plus
malade que tous les autres, j'en aiplus de droit à être accueilli
par vous.
Disons-lui avec saint Thomas de Villeneuve
: O Marie, nous, pauvres pécheurs, nous ne connaissons
point d'autre refuge que vous ;
vous êtes notgre unique espérance dans l'affaire de notre
salut ; vous êtes
après Jésus-Christ
l'unique avocate vers laquelle nous tournons nos regards.
Dans les révélations
de sainte Brigitte, Marie est dite l'astre avant-coureur du soleil, pour
nous donner à
entendre que, quand la dévotion
à la divine Mère fait son apparition dans l'âme d'un
pécheur, c'est un
présage infaillible que bientôt
le Seigneur reviendra à elle avec les richesses de sa grâce.
Le glorieux saint
Bonaventure, pour réveiller
la confiance des pécheurs en la protection de Marie, les représente
d'abord
comme exposés à périr
dans une mer orageuse. Déjà tombés du navire dela
grâce, et ballotés ça et là par
le remords de leur conscience et
la crainte des jugements de Dieu, sans lumière et sans guide, les
infortunés se voient au moment
de perdre le dernier souffle d'espérance qui les fait encore vivre.
C'est
alors que le Seigneur, leur montrant
Marie, si connue sous le nom d'Étoile de la mer, élève
en quelque
sorte la voix pour crier à
ces naufragés : Pauvres pécheurs qui vous croyez perdus,
ne désespérez pas ;
levez les yeux vers cette belle
Étoile, reprenez haleine et courage ; car Marie vous retirera du
milieu de la
tempêtel et vous conduira
au port du salut. - Saint Bernard exprime la même pensée :
Si vous ne voulez
pas être submergé par
la tempête, regarde l'Étoile, appelez Marie à votre
secours.
Et, en effet, selon Louis de Blois,
"Marie est l'unique refuge de ceux qui ont eu le malheur d'offenser
Dieu ; elle est l'asile de tous
ceux qui sont en butte aux tentations et aux coups de l'adversité
; elle est
toute bonté, toute douceur,
non seulement envers les justes, mais encore envers les pécheurs
les plus
désespérés
: aussi, quand elle les voit venir à elle, et qu'elle les entend
implorer de tout coeur son
assistance, elle s'empresse de les
secourir, les accueille, et leur obtient leur pardon de son divin Fils.
Elle
n'en sait mépriser aucun,
si indigne qu'il soit ; elle ne refuse à aucun sa protection ; elle
les console tous ;
et à peine l'a-t-on invoquée,
qu'on en est aussitôt secouru. Bien souvent, par sa douceur, elle
sait attirer à
son culte et réveiller les
pécheurs les plus étrangers à l'amour de Dieu, les
plus profondément ensevelis
dans la léthargie du vice
; par là ils se disposent à recevoir la grâce divine
et à se rendre enfin dignes de la
gloire éternelle. En formant
cette Fille de prédilection, Dieu l'a douée d'un caractère
si compatissant et si
prévenant, que personne ne
peut jamais, par défaut de confiance, hésiter à réclamer
son intercession.
Enfin, conclut le pieux auteur,
il n'est pas possible qu'une âme se perde, qui cultive avec zèle
et humilité
la dévotion à cette
divine Mère."
Elle est comparée au platane
: Je me suis élevée comme le platane. C'est encore un encouragement
pour
les pauvres pécheurs. Le
platane protège contre les ardeurs du soleil les voyageurs qui se
réfugient sous
son feuillage, et quand Marie voit
la colère divine près d'éclater sur la tête
des pécheurs, elle les invite à se
réfugier sous l'ombre de
sa protection. C'était avec raison, remarque saint Bonaventure,
que le prophète
Isaïe se désolait de
son temps, et disait à Dieu : Vous voilà irrité contre
nous, et votre colère est juste,
car nous avons péché
; et il n'est personne qui se lève pour retenir votre bras, personne
qui puisse vous
fléchir en notre faveur.
Il disait vrai, car, en ces temps, Marie n'était pas encore au monde
; et, avant sa
naissance, dit le saint, personne
n'eût osé comme elle retenir le bras vengeur du Très-Haut.
Mais
aujourd'hui, quelque irrité
que soit le Seigneur contre un pécheur, si Marie le prend sous sa
protection,
elle parvient à le sauver
en empêchant son Fils de le punir. Et aucune créature, continue
le même saint, ne
pourrait, aussi bien qu'elle, aller
jusqu'à mettre la main sur le glaive de la divine justice, et suspendre
les
coups dont il menace les coupables.
Richard de Saint-Laurent exprime la même pensée : Avant la
naissance de Marie, dit-il, Dieu
se plaignait que personne ne s'opposât à ses vengeances sur
les pécheurs ;
mais, à présent que
Marie est dans le monde, elle apaise sa colère.
Basile de Séleucie encourage
aussi le pécheur, en lui disant : " Pécheur, ne perds pas
confiance, mais, en
toute circonstance, recours à
Marie et invoque-là ; tu la trouveras toujours prête à
te secourir, car c'est la
volonté de Dieu qu'elle nous
aide dans tous nos besoins ". - Cette Mère de miséricorde
est si désireuse de
sauver les pécheurs les plus
désespérés, qu'elle va elle-même à leur
recherche pour les secourir ; et, s'ils
implore son assistance, elle sait
bien trouver le moyen de les rendre chers à Dieu.
Isaac désirait un jour manger
du gibier ; il appela Ésaü et lui promit de le bénir
quand il lui en aurait
apporté. Mais Rébecca,
qui voulait que cette bénédiction fût l'apanage de
son autre fils Jacob, ordonna à
celui-ci de lui amener deux chevreaux,
qu'elle apprêterait au goût d'Isaac. Selon saint Antonin, Rébecca
fut ici la figure de Marie, et les
chevreaux celle des pécheurs : la Reine du ciel dit aux anges :
Amenez-moi
des pécheurs ; je leur procurerai
le repentir de leurs fautes avec une ferme résolution de ne plus
pécher, et
je saurai, par ce moyen, les rendre
agréable et chers au Seigneur. - L'abbé Francon, développant
la même
pensée, ajoute que Marie
sait si bien apprêter ses chevraux, qu'ils deviennent, pour le goût,
non seulement
comparables, mais parfois même
supérieurs aux cerfs.
Il n'est pas au monde de pécheur,
pour éloigné qu'il soit de Dieu, qui ne puisse se convertir,
et recouvrer
l'amitié divine, s'il veut
seulement recourir à Marie et réclamer son assistance. Elle-même
l'a révélé ainsi à
sainte Brigitte. La même sainte
entendit un jour Jésus-Christ dire à sa Mère, qu'elle
serait disposée à
demander la grâce pour Lucifer
même, si celui-ci pouvait s'humilier jusqu'à se recommander
à elle : "
Vous ne refuserie pas votre compassion
au démon lui-même, s'il vous priait humblement ". Jamais on
ne
verra cet esprit superbe s'abaisser
au point d'implorer la protection de Marie ; mais, si cela pouvait arriver,
la Mère de Dieu serait assez
bonne, assez puissantes seraient ses prières, pour lui obtenir du
Seigneur le
pardon et le salut. Mais ce qui
ne peut avoir lieu pour le démon, se réalise tous les jours
en faveur des
pécheurs qui ont recours
à cette Mère de miséricorde.
L'arche de Noé fut sans doute
une figure de Marie ; car, si l'arche offrit un abri à tous les
animaux de la
terre, le manteau de Marie sert
de refuge à tous les pécheurs, que leurs vices et leurs péchés
sensuels
assimilent aux brutes. Il y a cependant
une différence, observe un auteur : Les animaux entrés dans
l'arche demeurèrent ce qu'ils
étaient : le loup demeura lou, le tigre demeura tigre ; au lieu
que, sous le
manteau de Marie, le loup se transforme
en agneau, et le tigre en colombe. Sainge Gertrude vit un jour la
bienheureuse Vierge qui tenait son
manteau ouvert ; sous ce manteau, la sainte aperçut grand nombre
de
bêtes féroces de différentes
espèces, tels que léopards, lions, ours ;elle remarqua que
Marie, loin de les
chasser, les recevait avec bonté
et les caressait de sa douce main. Gertrude comprit que ces bêtes
féroces
sont les malheureux pécheurs,
que Marie accueille avec amour quand ils ont recours à elle.
Saint Bernard avait donc bien raison
de dire à Marie : Auguste Souveraine, jamais vous ne repoussez un
pécheur, si souillé
et abominable soit-il, s'il se réfugie auprès de vous ; dès
qu'il implore votre secours,
vous ne dédaignez pas d'étendre
votre main miséricordieuse pour le retirer de l'abîme du désespoir.
O
aimable Marie ! béni et remercié
soit à jamais le Seigneur qui vous a faite si douce et si bonne,
même
envers les misérables pécheurs
! Malheureux celui qui ne vous aime pas, malheureu celui qui pouvant
implorer votre pitié, ne
met pas en vous sa confiance ! - Celui-là se perd, qui ne recourt
pas à Marie.
Mais qui, après l'avoir fait,
s'est jamais perdu ?
On lit dans l'Écriture que
Booz permit à Ruth de ramasser les épis tombés des
mains des moissoneurs.
Saint Bonaventure fait là-dessus
cette réflexion : De même que Ruth trouva grâce aux
yeux de Booz, ainsi
Marie a trouvé grâce
aux yeux du Seigneur, qui lui a permis de recueuillir les épis échappés
aux
moissoneurs. Les moissoneurs sont
les ouvriers évangéliques, les missionaires, les prédicateurs,
les
confesseurs, dont les travaux gagnent
chaque jour des âmes à Dieu. Mais il est des âmes rebelles
et
endurcies que, malgré tout
leur zèle, ils se voient forcés d'abandonner ; c'est le privilège
exclusif de Marie
d'empêcher par sa puissante
intercession, que des épis délaissés ne se perdent.
Mais aussi, malheur aux
âmes qui résistent
à la main de cette douce glaneuse ! Assurément, elles resteront
à jamais perdues et
maudites. Bienheureuses, au contraire,
celles qui ont recours à une si bonne Mère ! Il n'y a pas
au
monde, dit le pieux Louis de Blois,
un pécheur tellement désespéré et plongé
dans la fange du vice, que
Marie en ait horreur et le repousse
: ah ! qu'il vienne seulement réclamer l'assistance de cette tendre
Mère
; il verra si elle veut et peut
le réconcilier avec son divin Fils, et lui obtenir son pardon.
Ce n'est donc pas à tort,
ô ma très douce Souveraine, que saint Jean Damascène
vous salue l'Espérance
des désespérés,
que saint Laurent Justinien vous proclame l'Espérance des coupables,
saint Augustin,
l'unique Ressource des pécheurs,
saint Ephrem, le Port assuré des naufragés. Le même
sait pousse la
hardiesse jusqu'à vous appeler
la protectrice des damnés.
C'est avec raison enfin que saint
Bernard exhorte les désespérés eux-mêmes à
ne pas désespérer ; et que,
plein de joie et de tendresse envers
sa Mère chérie, il lui dit amoureusement : Vierge sainte
! qui donc
n'aura pas confiance en vous, si
vous secourez même les désespérés ? Je ne doute
nullement, ajoute-t-il,
qu'à la seule condition de
réclamer votre secours, nous n'obtenions tout ce que nous voudrons
; celui
donc qui n'a plus d'espoir, doit
encore espérer en vous.
Saint Antonin raconte qu'un homme
qui vivait dans la disgrâce de Dieu, eut un jour une vision dans
laquelle il lui sembla se trouver
au tribunal de Jésus-Christ ; le démon présenta le
dossier de ses péchés,
lesquels, mis dans la balance de
la justice divine, l'emportèrent de beaucoup sur toutes ses bonnes
oeuvres. Que fit alors sa puissante
Avocate ? elle étendit sa douce main et l'appuya sur l'autre bassin
de la
balance qu'elle fit pencher en faveur
de son client. Par là, elle lui donnait à entendre qu'elle
lui obtiendrait
son pardon, s'il voulait changer
de vie ; et, en effet, après cette vision, le pécheur se
convertit et vécut en
bon chrétien.
EXEMPLE
Le vénérable Jean Herolt,
qui par humilité prit le nom de Disciple, rapporte le trait qu'on
va lire. Un
homme marié vivait dans le
désordre ; son épouse, femme vertueuse, ne pouvant lui persuader
de
renoncer au péché,
le pria de vouloir au moins, dans cet état misérable, pratiquer
quelque dévotion envers
la Mère de Dieu, ne fût-ce
que de la saluer en récitant un Ave Maria toutes les fois qu'il
passerait devant
une de ses images. Il consentit
à observer cette pratique.
Une nuit que ce malheureux était
sorti dans le dessein de se livrer au péché, il aperçut
de loin une lumière,
s'approcha et vit que c'était
une lampe qui brûlait devant une statue de Marie tenant entre ses
bras Jésus
enfant. Il récite l'Ave Maria
selon sa coutume ; mais ensuite, quel objet s'offre à ses regards
! Le divin
Enfant lui apparaît tout couvert
de plaies fraîchement ouvertes et d'où le sang tombe à
grosses gouttes.
Épouvanté et en même
temps attendri, considérant que c'était lui qui, par ses
péchés, avait ainsi déchiré
les membres de son Rédempteur,
il se mit à pleurer ; mais il remarqua que Jésus lui tournait
le dos. Alors,
tout pénétré
de confusion, il eut recours à la sainte Vierge, et lui parla ainsi
: " Mère de miséricorde, votre
Fils me repousse ; je ne puis trouver
d'avocate plus bienveillante ni plus puissante que vous, qui êtes
sa
Mère ; ô ma Reine,
assistez-moi, priez-le pour moi. " La Mère du Sauver lui répondit
par sa statue : "
Vous autres, pécheurs, vous
m'appelez Mère de miséricorde, mais, en même temps,
vous ne cessez de
faire de moi une mère de
misère, en renouvelant continuellement la passion de mon Fils et
mes propres
douleurs".
Néanmoins, comme Marie ne
sait jamais renvoyer sans consolation celui qui se jette à ses pieds,
elle se
tourna vers son divin Fils et le
pria de pardonner à ce malheureux. Jésus continuait de montrer
de la
répugnance à accorder
ce pardon ; mais la sainte Vierge, déposa son cher Enfant dans la
niche, se
prosterna devant lui, en disant
: " Mon Fils, je ne me relève pas, je reste ici à vos pieds,
si vous ne
pardonnez à ce pécheur.
- Ma Mère, dit alors Jésus, je ne vous puis rien refuser
: vous voulez qu'il lui soit
pardonné ; pour l'amour de
vous, je lui pardonne, faites-le venir baiser mes plaies ". Le pécheur
s'approcha tout en larmes ; et,
à mesure qu'il baisait les plaies du saint Enfant, elles guérissaient
aussitôt.
Enfin, Jésus l'embrassa en
signe de réconciliation. Dès ce moment, cet homme changea
de conduite,
mena une vie édifiante, et
donna des marques d'une ardente dévotion à la bienheureuse
Vierge, qui lui
avait obtenu une fabeur si grande.
PRIÈRE
O Vierge Immaculée, je vénère
votre très saint Coeur, qui fut les délices et le repos d'un
Dieu, ce
Coeur tout plein d'humilité,
de pureté et d'amour divin, Moi, malheureux pécheur, je viens
à vous, le
coeur rempli de fanges et d'ulcères
; ô Mère de miséricorde, ne me dédaignez pas
pour cela, mais n'en
ayez que plus de compassion, et
secourez-moi. Ne cherchez pas en moi, pour venir à mon aide, ni
vertus, ni mérites ; je suis
une âme perdue et qui ne mérite que l'enfer. Considérez
uniquement, je vous
prie, la confiance que j'ai en vous
et la résolution où je suis de me corriger. Considérez
ce que Jésus a
fait et souffert pour moi, et puis
abandonnez-moi si vous le pouvez. Souffrez que je vous remette sous
les yeux toutes les peines de sa
vie, le froid qu'il endur dans l'étable, le voyage qu'il fit en
Égypte, le
sang qu'il répandît,
la pauvreté, les sueurs, les tourments, la mort qu'il souffrit en
votre présence pour
l'amour de moi ; et, pour l'amour
de Jésus, songez à me sauver.
Ah ! ma Mère, je ne veux ni
ne puis craindre que vous me repoussiez, maintenant que j'ai recours à
vous et que j'implore votre assistance.
Si j'avais une telle crainte, je ferais injure à votre miséricorde,
qui va cherchant les malheureux
pour les secourir. Sainte Reine, ne refusez pas votre pitié
à celui à
qui Jésus-Christ n'a pas
refusé son sang. Mais les mérites de ce sang précieux
ne me seront pas
appliqués, si vous ne em
recommandez à Dieu. C'est de vous que j'espère mon
salut ; je ne vous
demande ni richesse, ni honneurs,
ni autres biens terrestres, je vous demande la grâce de Dieu,
l'amour de votre Fils, Jésus,
la grâce d'accomplir sa volonté, et enfin le paradis pour
l'aimer
éternellement. Est-il
possible que vous refusiez de m'exaucer ? Non, vertes ; vous m'exaucez
dès à
présent, j'en ai la confiance
: déjà vous priez pour moi, déjà vous me procurez
les grâces ue je sollicite
: déjà vous me prenez
sous votre protection. Ma Mère, ne m'abandonnez point ; continuez,
oui,
continuez de prier pour moi, jusqu'à
ce que vous me voyiez sauvé, reçu dans le ciel, et prosterné
à vos
pieds pour vous bénir et
vous remercier pendant toute l'éternité. Amen.
CHAPITRE IV
Ad te clamamus, exules filii Evae
Enfants d'Ève, pauvres exilés, nous crions vers vous.
MARIE, NOTRE SECOURS
I
Combien Marie est prompte à secourir ceux qui l'invoquent
Pauvres enfants de la malheureuse
Ève, et, comme tels, coupable aux yeux de Dieu de la même
faute et
condamnés à la même
peine, nous errons çà et là dans cette vallée
de larmes, exilés de notre patrie,
gémissant sous le poids de
maux innombrables qui nous affligent dans le corps et dans l'âme
! Mais, au
milieu de ces peines, heureux celui
qui tourne souvent ses regards vers la Consolatrice du monde, le
Refuge des misérables, l'auguste
Mère de Dieuu, et l'invoque et la prie avec ferveur ! Heureux, dit
Marie,
celui qui écoute mes conseils,
et qui veille continuellement aux portes de ma miséricorde, pour
invoquer mon intercession et mon
secours !
La sainte Église, notre Mère,
nous enseigne clairement, par le culte spécial qu'elle lui voue,
avec quel
empressement et quelle confiance
nous devons recourir sans cesse à cette bienveillante Protectrice
: elle
célèbre dans le courant
de l'année un grand nombre de fêtes en l'honneur de Marie
; elle consacre
spécialement à son
service un jour chaque semaine ; elle veut que, chaque jour, dans l'office
divin, les
ecclésiastiques et les religieux
l'invoquent au nom de tout le peuple chrétien ; trois fois le jou,
au son des
cloches, elle invite les fidèles
à la saluer. Au surplus, comment douter de l'intention de l'Église
à cet égard,
quand on la voit, dans toutes les
calamités publiques, s'adresser à la Mère de Dieu
et ne négliger, pour se
la rendre favorable, aucune des
pratiques pieuses, telles que neuvaines, prières spéciales,
processions,
vistes de ses églises ou
de ses images ? Et, remarquons-le bien, si Marie désire être
invoquée et priée ainsi
pour nous en toute occurence, ce
n'est pas qu'elle mendie nos hommages, toujours fort au-dessous de son
mérite, mais elle veut que,
par des progrès toujours nouveaux en confiance et en dévotion
envers elle,
nous méritions de sa part
une plus grande abondance de secours et de consolations. Ainsi l'entendait
saint
Bonaventure : " Marie cherche, dit-il,
des âmes qui recourent à elle avec de vifs sentiments de respect
et
d'amour ; car ce sont celles-là
qu'elle chérit, qu'elle nourrit, qu'elle embrasse comme ses enfants.
"
Selon la pensée du même
Docteur, Marie fut préfigurée par Ruth, dont le nom signifie
" celle qui voit et
qui se hâte " ; car, quand
Marie nous voit dans la tribulation, elle en est touchée et se hâte
de nous venir
en aide. Dans son désir de
nous favoriser, ajoute Novarin, elle ne peut souffrir de retard ; et, loin
de
retenir ses grâces d'une main
avare, cette Mère de miséricorde n'a rien de plus pressé
que de répandre sur
ses serviteurs les trésors
de munificience."
Oh ! comme cette bonne Mère
est prompte à secourir quiconque l'invoque ! En expliquant un passage
des
Cantiques, Richard de Saint-Laurent
fait cette remarque : " Le coeur maternel de Marie n'est pas moins
prompt à donner le lait de
la miséricorde à ceux qui le demandent, que les jeunes chevreuils
ne le sont à
bondir ; un simple Ave Maria suffit,
assure-t-il, pour faire jaillir à flots ce lait bienfaisant. " Et,
selon
Novarin, la bienheureuse Vierge
ne se contente pas de courir, elle vole au secours de ceux qui l'invoquent.
Dans l'exercice de la miséricorde,
dit-il, elle ne peut manquer d'imiter le Seigneur : fidèle à
la promesse
qu'il nous a faite en ces termes
: Demandez et vous recevrez, Dieu semble prendre des ailes quand il s'agit
d'aller tirer de la peine une âme
qui l'appelle à son aide ; ainsi fait aussi Marie quand nous la
prions ; elle
ne sait nous différer son
assistance. Par là, on comprend quelle est cette femme dont il est
dit dans
l'Apocalypse : Il fut donné
à la femme deux grandes ailes pareilles à celle de l'aigle.
Par ces ailes,
Ribeira entend celles de l'amour,
à l'aide desquelles Marie s'élevait sans cesse vers Dieu.
Mais le
bienheureux Amédée
donne une explication plus conforme à notre sujet ; pour lui, ces
ailes d'aigle
marquent la promptitude de Marie
à secourir ses enfants. Les séraphins eux-mêmes, ajoute-til,
ne
sauraient égaler la rapidité
de son vol.
Tout ceci est confirmé par
un passage de l'Évangile. Quand Marie alla visiter Élisabeth
et combler de
grâces toute cette heureuse
famille, elle ne marcha pas avec lenteur, mais selon la remarque de saint
Luc,
elle fit grande diligence pendant
tout le trajet ; ce qui n'est pas dit de son retour. Pourquoi, dans les
sacrés
Cantiques, est-il dit des mains
de Marie qu'elles semblaient faites au tour ? " L'art du tour, répond
Richard est de tous le plus prompt
et le plus expéditif ; et Marie est plus prompte qu'aucun autre
saint à
tendre une main secourable à
ses dévots". Ineffable est son désir de consoler tout le
monde, ajoute Louis
de Blois ; aussi elle n'a pas sitôt
entendu une voix suppliante s'élever vers elle, qu'elle y prête
une oreille
favorable et l'exauce. Qu'il avait
donc raison saint Bonaventure, quand, s'adressant à Marie, il s'écriait
: "
O toi, le salut de ceux qui t'invoquent
" ! Par là il donnait à entendre qu'il suffit pour être
sauvé
d'invoquer cette divine Mère,
toujours prête, assure Richard de Saint-Laurent, à secourir
quiconque la
prie. Et nous ne devons point nous
en étonner, puisque, selon Bernardin de Bustis, cette grande Reine
ressent un plus vif désir
de nous accorder des grâces, que nous de les recevoir.
La multitude même de nos péchés
ne doit pas diminuer en nous la confiance d'être exaucés de
Marie,
quand nous irons nous jeter à
ses pieds : elle est Mère de miséricorde ; or, la miséricorde
resterait sans
emploi, si elle ne trouvait des
misères à soulager. Une bonne mère qui verrait son
enfant infecté de la
lèpre, ne saurait lui refuser
ses soins, bien qu'il lui en coûtât beaucoup de peines et de
dégoûts ; et, quand
nous réclamons les soins
de Marie, elle ne saurait nous repousser, si grande que soit l'infection
de péchés
dont nous sollicitons la guérison
; elle n'a pas oublié, ajoute Richard, que c'est en faveur des pécheurs
qu'elle est devenue la Mère
d'un Dieu qui est la miséricorde en personne. Et tel est précisément
le sens
d'une vision dont fut favorisée
sainte Gertrude : elle voyait la glorieuse Vierge ouvrant son manteau
comme pour donner asile à
tous ceux qui voulaient se réfugier auprès d'elle. La sainte
comprit en même
temps que les anges sont attentifs
à défendre les pieux serviteurs de leur Reine contre les
attaques de
l'enfer.
Au reste, la tendresse vraiment maternelle
de Marie à notre égard et sa compassion pour nos maux vont
si
loin, qu'elle n'attend pas nos prières
pour nous secourir : Elle prévient ceux qui la désirent et
se présente
à eux la première.
Ces paroles de la Sagesse lui sont appliquées par saint Anselme
: Sur un simple désir
de notre part, dit-il, Marie nous
accorde sa protection ; ce qui veut dire qu'elle nous obtient de Dieu
beaucoup de grâces avant que
nous l'ayons priée. C'est pourquoi, selon Richard de Saint-Victor,
le Sage
la compare à la lune. Ce
bel astre l'emporte sur les autres en rapidité, et, nous l'avons
dit, rien n'égale la
promptitude de Marie à nous
secourir. Mais de plus, elle ne se montre pas telle seulement quand nous
l'invoquons : elle pousse le zèle
de notre bien jusqu'à prévenir nos prières quand elle
nous voit dans le
besoin ; et nous sommes moins prompt
à implorer son appui, qu'elle à nous le prêter. Écoutons
la
touchante raison qu'en donne cet
auteur : " Le Seigneur, ô Marie, a tellement rempli de tendresse
votre
sein maternel, que la simple connaissance
de notre misère en fait couler le lait de la miséricorde
; et vous
ne sauriez, ô douce Reine,
être témoin des besoins d'une âme, sans lui venir aussitôt
en aide."
Mais déjà pendant sa
vie terreste, Marie donnait des marques de cette grande bonté qui
la porte à
compatir à nos peines et
à les adoucir, alors même que nous ne la prions pas : à
preuve ce que, selon saint
Jean, elle fit aux noces de Cana.
Voyant le cruel embarras des deux époux, désolés et
confus de ce que le
vin allait manquer à la table
du banquet, cette tendre Mère n'attendit point qu'on eut recours
à elle ; mais,
cédant à la seule
inclination de son coeur, incapable de voir l'affliction d'autrui sans
la partager, elle vint
prier son divin Fils de consoler
ses hôtes ; et, lui exposant simplement le besoin dans lequel ceux-ci
se
voyaient : Ils n'ont plus de vin,
lui dit-elle. Et Jésus, désireux de tirer cette famille de
la peine, désireux
surtout de contenter le coeur compatissant
de sa Mère, Jésus, disons-nous, opéra le miracle que
tout le
monde connaît : il changea
en vin l'eau dont on avait rempli six grandes urnes. Sur quoi Novarin raisonne
ainsi : Si Marie, même sans
être priée, se montre si empressée à secourir
les affligés, combien plus le
sera-t-elle à consoler ceux
qui l'invoquent et qui réclament son assistance.
Et si quelqu'un craignait de voir
sa prière par Marie, Innocent III le reprendrait de sa défiance
en ces
termes : " Et qui donc invoqua jamais
cette douce Souveraine sans être exaucé ? "
Que celui-là écoute
le bienheureux Eutychien, lequel s'écrie pareillement : O glorieuse
Vierge, qui a jamais
imploré votre protection
assez puissante pour soulager tous les malheureux et sauver les pécheurs
les plus
désespérés,
et s'est vu abandonné de vous ? Cela n'est jamais arrivé,
et n'arrivera jamais.
Qu'il écoute saint Bernard
: " Je le veux bien, ô Vierge sainte, dit le saint Docteur ; que
celui-là ne parle
plus de votre miséricorde,
n'en fasse plus l'éloge, qui vous aurait invoquée dans ses
besoins, et se
souviendrait d'avoir été
délaissé par vous ".
" On verra le ciel et la terre tomber
en ruines, ajoute Louis de Blois, avant que Marie refuse son secours à
une âme qui le lui demande
avec une intention droite et en plaçant son espoir en elle. "
Saint Anselme ajoute encore à
tous ces motifs de confiance : Non seulement nous devons compter sur la
protection de la divine Mère
quand nous nous recommandons à elle, dit-il, mais parfois nous serons
plus
vite exaucés et sauvés
en invoquant le saint nom de Marie, qu'en invoquant le saint nom de Jésus,
notre
Sauveur. " La raison en est, ajoute-t-il,
que le Fils est notre Seigneur et notre juge... ; mais quand nous
invoquons le nom de la Mère,
si nous ne méritons pas d'être exaucés, les mérites
de la Mère interviennent
en notre faveur et nous font exaucer
". C'est-à-dire : si nous parvenons plus vite au salut en priant
la Mère
qu'en priant le Fils, ce n'est pas
que Maria ait plus de pouvoir que son divin Fils pour nous sauver ; nous
savons, en effet, que Jésus-Christ
est notre unique Sauveur, que lui seul, par ses mérites, nous a
obtenu
et nous obtient le salut ; mais,
en recourant à Jésus-Christ, nous voyons en lui non seulement
notre
Sauveur, mais encore notre Juge,
à qui revient de punir les ingrats ; et il peut nous arriver ainsi
de
manquer de la confiance requise
pour être exaucé.
Il n'en est pas de même quand
nous nous adressons à Marie, dont l'unique office est de compatir
à nos
peines comme Mère de miséricorde,
et de nous défendre comme notre Avocate : notre confiance alors
est
plus ferme, ce semble, et plus entière.
Nicéphore nous donne de ceci une autre raison non moins solide :
On demande beaucoup de choses à
Dieu, et on ne les obtient pas, nous dit-il ; on les demande à Marie
et
on les obtient ; comment cela se
fait-il ? ce n'est pas que Marie soit plus puissante que Dieu, mais c'est
que Dieu a voulu honorer ainsi sa
Mère.
Elle est bien consolante, la promesse
que sainte Brigitte recueillit à ce sujet de la bouche du Seigneur
lui-même. On lit dans ses
Révélations, qu'elle entendit un jour Jésus qui parlait
ainsi à sa Mère : Ma
Mère, demandez-moi tout ce
que vous voudrez ; je ne rejetterai jamais aucune de vos requêtes.
Sachez
en outre, ajoute-t-il, que tous
ceux qui solliciteron de moi quelque grâce, en me priant de la leur
accorder
par l'amour de vous, je promets
de les exaucer, fussent-ils pécheurs, pourvu qu'ils aient la volonté
de
s'amender. - La même chose
fut révélée à sainte Gertrude. Elle entendit
notre fin Rédempteur dire à
Marie que, dans sa toute-puissance,
il lui avait accordé d'user de miséricorde envers les pécheurs
qui
l'invoqueraient, et de le faire
en la manière qui lui plairait davantage.
Que chacun donc, en invoquant cette
Mère de miséricorde, lui dise avec grande confiance ce que
lui disait
saint Augustin : " Souvenez-vous,
ô très clémente Reine, que, depuis l'origine du monde,
on n'a jamais
ouï dire que vous ayez abandonné
personne. Pardonnez-moi donc, si j'ose vous déclarer que ne veux
pas
être abandonné de vous,
après avoir eu recours à votre protection ".
EXEMPLE
Saint François de Sales fit
l'heurese expérience de l'efficacité de cette prière,
ainsi qu'on le voit dans
l'histoire de sa vie. Il se trouvait
à Paris pour ses études, à l'âge de dix-sept
ans environ ; et il se livrait
sans réserve à la
dévotion et à l'amour de Dieu ; il y goûtait des délices
toutes célestes, quand, en vue
sans doute de mettre sa vertu à
l'épreuve et l'attacher toujours plus étroitement, Dieu permit
que son
bonheur fut troublé. Le démon
lui mit dans l'esprit que tout ce qu'il faisait ne lui servirait de rien,
attendu
que, dans les décrets divins,
il était réprouvé. Ce qui prêta de nouvelles
forces à la tentation et la rendit
plus affligeante pour le coeur du
saint jeune homme, ce fut l'état d'obscurité et de sécheresse
dans lequel
il plut à Dieu de le laisser
pendant ce temps : il était devenu insensible aux pensées
les plus consolantes
tirées de la bonté
divine ; enfin, ses craintes et ses désolations allèrent
si loin, qu'il en perdit l'appétit, le
sommeil, le teint, la gaieté
; il faisait compassion à tous ceux qui l'observaient.
Pendant cette horrible tempête,
le saint ne pouvait ni concevoir de pensées ni proférer de
paroles, qui ne
fussent inspirées par la
désolation et la douleur. " Je serai donc, s'écriait-il,
privé de la grâce de mon Dieu,
qui par le passé a été
pour moi si aimable et si doux ! O Amour, ô Beauté, à
laquelle j'ai voué toutes mes
affections, je ne jouirai donc plus
de vos consolations ? - O Vierge, Mère de Dieu, la plus belle de
toutes
les filles de Jérusalem,
je ne vous verrai donc jamais en paradis ? Ah ! s'il ne m'est pas donné
de
contempler vos traits ravissants
dans le ciel, ne permettez pas du moins que je sois réduit à
vous
blasphémer et à vous
maudire dans l'enfer " ! Tels étaient alors les tendres sentiments
de ce coeur affligé
et plein d'amour pour Dieu et Marie.
La tentation dura plus d'un mois
; mais enfin le Seigneur voulut bien l'en délivrer par l'entremise
de la
Consolatrice du monde, la bienheureuse
Vierge, à qui le saint avait déjà consacré
sa virginité, et en qui il
disait avoir placé toutes
ses espérances. Un soir, en retournant chez lui, il entre dans une
église et
aperçoit, fixée au
mur, une tablette sur laquelle il trouve tracée l'invocation de
saint Augustin : "
Souvenez-vous, ô très
miséricordieuse Marie, que jamais on n'ouït que personne, après
s'être réfugié sous
votre protection, se soit vu abandonné".
Aussitôt, proterné devant l'autel de la Mère de Dieu,
il récite
avec ferveur cette prière,
renouvelle son voeu de virginité, promet de réciter chaque
jour le chapelet, et
termine par ces mots : " Ma Reine,
soyez mon avocate auprès de votre divin Fils, auquel je n'ai pas
la
hardiesse de m'adresser. O ma Mère,
si j'ai le malheur de ne pouvoir aimer mon Dieu dans l'autre monde
quoique je le sache si digne d'être
aimé, obtenez-moi du moins que je l'aime en cette vie le plus que
je
pourrai ; c'est la grâce que
je vous demande, et j'espère l'obtenir de vous".
Après avoir ainsi prié
la sainte Vierge, il s'abandonne entre les bras de la divine miséricorde,
et se résigne
entièrement à la volonté
de Dieu. Mais sa prière était à peine finie, qu'en
un instant il fut délivré de la
tentation par sa tendre Mère.
Il recouvra aussitôt la paix intérieur, et avec elle la santé
du corps ; et puis, il
conserva toujours la plus vive dévotion
envers Marie, dont il ne cessa, tant qu'il vécut, de publier les
louanges et les miséricordes,
dans ses discours et ses écrits.
PRIÈRE
O Mère de Dieu, Reine des
anges et espérance des hommes, écoutez un pécheur
qui vous implores et
vous appelle à son secours.
Me voici aujourd'hui prosterné à vos pieds ; moi, misérable
esclave de
l'enfer, je me consacre pour toujours
à vous comme votre serviteur, et je m'offre à vous servir
et à vous
honorer de tout mon pouvoir, pendant
toute ma vie. Vous ne retirerez aucune gloire, je le reconnais,
des services d'un esclave vil et
pervers comme moi, qui ai tant offensé Jésus-Christ, votre
Fils et mon
Rédempteur.
Mais si vous recevez un indigne au
nombre de vos serviteurs ; si vous le rendez digne de cette qualité
en le changeant par votre intercession,
cette miséricorde même envers lui vous procurera la gloire
que
ne saurait vous rendre un misérable
tel que je suis. Daignez me recevoir, ô ma Mère, et ne point
me
rebuter. Pour chercher les brebis
perdues, le Verbe éternel est descendu du ciel sur la terre ; pour
les
sauver, il s'est fait votre Fils,
et vous pourriez dédaigner une pauvre brebis qui vous prie de lui
faire
retrouver Jésus ? Déjà
le prix de mon salut est acquitté ; déjà, en versant
son sang précieux, mon
Sauveur a payé pour moi une
rançon qui suffirait à racheter des mondes en nombre infini
; il ne reste
plus qu'à m'en appliquer
les mérites, et cela dépend de vous, ô Vierge bénie
! Oui, dit saint Bernard,
c'est à vous de dispenser
à qui il vous plaît les mérites de son sang divin.
Oui, dit aussi saint
Bonaventure, vous pouvez sauver
qui vous voulez.
Ainsi, ô ma Reine, assistez-moi
; ma douce Souveraine, sauvez-moi. Je remets aujourd'hui entre vos
mains toute mon âme ; songez
à la sauver. Je finis en vous disant avec le même saint Bonaventure
: O
vous, le salut de ceux qui vous
invoquent, sauvez-moi !
II
Combien Marie est puissante à défendre ceux qui l'invoquent contre les attaques du démon
La très sainte Vierge n'est
pas seulement Reine du ciel et des saints ; son pouvoir s'étend
encore sur
l'enfer et sur les démons,
dont elle a triomphé par l'héroïsme de ses vertus. Déjà
à l'origine du monde,
Dieu prédit au serpent infernal
cette glorieuse victoire de notre Reine, et l'empire que par suite elle
devrait
exercer sur lui ; car, dès
lors, il lui annonça la venue en ce monde d'une Femme qui ruinerait
sa puissance
: Je mettrai, lui dit-il, des inimitiés
entre toi et la femme ; elle te brisera la tête.
Quelle fut en effet, cette Femme,
cette ennemie du serpent, si ce n'est Marie, qui, par son admirable
humilité et sa sainte vie,
le vainquit toujours et anéantit ses forces ? C'est ce qu'enseigne
saint Cyprien, et
après lui un autre ancien
auteur, lequel fait observer en outre que Dieu ne dit pas, au présent
: Je mets,
mais au futur : Je mettrai, pour
indiquer que cette Femme victorieuse de Satan, ne serait pas Ève,
alors
vivante, mais une autre Femme qui
descendrait d'elle, et apporterait à nos premiers parents, selon
la
pensée de saint Vincent Ferrier,
plus de biens qu'ils n'en avaient perdu par leur faute. Marie est donc
cette
Femme par excellence, qui a vaincu
le démon et lui a brisé la tête, selon la divine prédiction,
en réprimant
son orgueil. Quelques-uns doutent,
à la vérité, si cette prophétie ne concerne
pas plutôt Jésus-Christ que
Marie, parce que la version des
Septante porte : Il te brisera la tête ; mais, dans notre Vulgate,
seule
version approuvée comme règle
de foi par le Concile de Trente, nous lisons : Elle, et non : Il te brisera
la
tête. Ainsi d'ailleurs ont
lu et compris saint Ambroise, saint Jérôme, saint ugustin,
saint Jean Chrysostôme,
et beaucoup d'autres. Quoi qu'il
en soit, il demeure certain, ou que le Fils a défait Lucifer par
le moyen de
Marie, ou que la Mère en
a triomphé par la puissance de son Fils ; en sorte que l'esprit
superbe s'est vu, à
son grand dépit, abattu et
foulé aux pieds de cette Vierge bénie, dit saint Bernard
; et, comme un
prisonnier de guerre est de droit
l'esclave de son vainqueur, Satan se voit pour toujours forcé d'obéir
aux
injonctions de notre Reine. En se
laissant vaincre par le serpent, Ève nous apporta la mort et les
ténèbres,
remarque saint Bruno ; mais, en
domptant, en enchaînant le démon, Marie nous apporta la vie
et la
lumière. Oui, elle l'a enchaîné,
et de telle sorte que cet ennemi est hors d'état de nuire en rien
à ceux qui
la servent avec amour.
Bien beau est le commentaire de Richard
sur les paroles des Proverbes : Le coeur de son époux se confie
en elle, et il ne manquera point
de dépouilles. Jésus est l'Époux de toutes les âmes
saintes, et avant tout
celle de Marie. Or, dit cet auteur,
il ne saurait manquer de dépouilles, parce que, tous les esclaves
du
démon que Marie délivre
par ses prières, ses mérites et ses exemples, elle les soumet
au domaine de cet
Époux divin. Toute semblable
est l'interprétation de Cornelius : Dieu, dit-il, a remis entre
les mains de
Marie le Coeur de Jésus,
afin qu'elle prenne soin de le faire aimer des hommes. Comment donc
manquerait-il de dépouilles
? Marie lui apporte un nombe infini d'âmes, dépouilles opimes
que sa
puissance secourable enlève
à Satan.
On sait que la palme est le symbole
de la victoire ; c'est pourquoi notre Reine a été placée
sur un trône
élevée, en face de
tous les potentats, comme un palmier, pour signifier la victoire que peuvent
se
promettre en toute assurance ceux
qui se mettent sous sa protection. Ainsi peuvent s'entendre ces paroles
dans sa bouche : J'ai été
élevée comme un palmier en Cadès, - et cela, pour
vous défendre, ajoute le
bienheureux Albert le Grand. Mes
enfants, semble-t-elle nous dire par là, quand l'ennemi vous attaque,
recourez à moi ; regardez-moi,
et prenez courage ; car vous verrez en moi votre défense et votre
victoire
tout à la fois. - Le recours
à Marie est donc un moyen très sûr de vaincre tous
les assauts de l'enfer. Et,
en effet, selon saint Bernardin
de Sienne, elle étend son empire jusque dans l'enfer ; elle règne
en
souveraine sur les démons
eux-mêmes ; c'est elle qui les dompte et les terrasse. Aussi est-il
écrit de Marie
qu'elle est terrible pour les puissances
de l'enfer, comme une armée en bon ordre, tant elle sait bien
disposer son soin de ses ennemis,
et pour le plus grand bien de ses serviteurs qui, dans les tentations,
invoquent son tout-puissant secours.
Semblable à la vigne, lui
fait dire l'Esprit-Saint, j'ai produit des fleurs d'une odeur agréable.
- Or,
remarque saint Bernard sur ce passage,
lorsque la vigne fleurit, on assure que tous les reptiles vénimeux
s'en éloignent ; de même,
les démons fuient loin de ces âmes heureuses dans lesquelles
ils sentent l'odeur
de la dévotion envers Marie.
- Elle est aussi comparée au cèdre : Je me suis élevée
comme le cèdre sur le
Liban ; parce que, si le cèdre
est incorruptible, Marie fut exempte du péché ; et plus encore
parce que,
selon la remarque du cardinal Hughes,
comme l'odeur du cèdre met en fuite les serpents, la sainteté
de
Marie met en fuite les démons.
L'arche d'alliance assurait la victoire
aux Israélites. C'est sur son secours que comptait Moïse pour
voir les
ennemis en déroute : Quand
on élevait l'arche, Moïse disait : Levez-vous Seigneur, et
que vos ennemis
se dispersent. Ainsi tombèrent
les murs de Jéricho ; ainsi furent vaincus les Philistins ; car
l'arche de
Dieu était là, dit
l'Écriture, rendant compte de ces glorieux triomphes. Or, on le
sait, l'arche était la figure
de Marie. Dans l'arche se trouvait
la manne, dit le père Cornelius, et en Marie se trouve Jésus,
préfiguré
par la manne ; et c'est par le moyen
de cette Arche qu'il nour rend victorieux des ennemis que la terre et
l'enfer arment contre nous. De là
cette pensée de Bernardin de Sienne, que, quand Marie, cette Arche
du
nouveau Testament, fut élevée
au ciel pour en être la Reine, le pouvoir de l'enfer sur l'humanité
fut
affaibli et ruiné.
" Oh ! s'écrie saint Bonaventure,
comme les démons redoutent Marie, comme son grand nom les fait
trembler " ! Le même saint
compare ces ennemis des âmes aux larrons dont il est écrit
au livre de Job : A
la faveur des ténèbres,
ils vont piller les maisons où ils pénètrent en perçant
le mur ; mais quand
l'aurore vient à paraître,
ils s'enfuient comme s'ils voyaient l'ombre de la mort. Ainsi font
les démons,
dit saint Bonaventure ; ils entrent
dans nos âmes à la faveur des ténèbres de l'ignorange
; mais, aussitôt
qu'apparaissent dans une âme
la grâce et la miséricorde de Marie, les ténèbres
se dissipent devant cette
belle Aurore, et les mauvais esprits
s'enfuient comme pour éviter la mort. Heureux donc celui qui,
dans
ses luttes contre l'enfer, invoque
le beau nom de Marie.
Cette doctrine fut confirmée
par une révélation faite à sainte Brigitte.
Dieu, apprit-elle, a donné à Marie
un tel pouvoir sur tous les démons,
que, quand un de ses serviteurs assailli par eux réclame son secours,
d'un signe elle les épouvante
et les met en fuite ; ils aimeraient mieux voir redoubler leurs supplices,
que
de sentir peser plus longtemps sur
eux le joug de la puissance de la Vierge.
Faisant l'éloge de cette Épouse
bien-aimée, l'Époux divin la compare au lis, et dit qu'elle
est entre les
autres vierges ce que le lis est
entre les épines. Sur quoi Cornelius fait la réflexion
suivante : " Le lis est
un spécifique contre le venin
des serpents et les autres poisons ; et l'invocation de Marie est un remède
souverain contre toutes les tentations,
spécialement celles d'impureté ; c'est ce dont peuvent rendre
témoignage tous ceux qui
en ont fait l'expérience ".
Saint Jean Damascène disait
à Marie, et quiconque a le bonheur d'être attaché au
service de cette grande
Reine, peut lui dire pareillement
: " O Mère de Dieu, si j'espère en vous, bien certainement
je ne
succomberai point ; soutenu par
vous, je poursuivrai mes ennemis ; à leurs traits j'opposerai le
bouclier de
votre protection et de votre puissance
tutélaire, et je me tiens sûr de les vaincre". Le savant
moine
Jacqwues, compté parmi les
Père grecs, a donc pu s'exprimer ainsi en s'adressant au Seigneur
: En nous
donnant cette sainte Mère,
vous nous avez remis entre les mains l'arme la plus puissante contre tous
nos
ennemis, et le gage le plus assuré
de la victoire.
Selon le récit des Livres
saints, quand le peuple juif fut sorti de l'Égypte, le Seigneur
le guida depuis ce
pays jusqu'à la Terre promise,
le jou par une colonne de nuée, et la nuit par une colonne de feu.
Cette
merveilleuse colonne, tantôt
nuée et tantôt feu, préfigurait Marie, remarque Richard,
et le double office de
charité qu'elle exerce en
notre faveur : comme nuée, elle nous met à couvert des ardeurs
vengeresses de
la divine justice ; et, comme feu,
elle nous protège contre les démons. Car, à l'égard
des démons, cette
glorieuse Créature est un
feu dévorant : la cire approchée d'un brasier se fond et
s'écoule ; de même,
assure saint Bonaventure, les esprits
impurs sentent leurs forces brisées en présence des âmes
qui se
rappellent fréquemment le
nom de Marie et l'invoquent avec dévotion, surtout si elles s'étudient
à l'imiter.
Oh ! comme les démons tremblent,
dès que retentit à leurs oreilles le nom de Marie ! " Non
seulement les
rebelles craignent la Vierge, dit
saint Bernard ; mais, de plus, s'ils biennent seulement à entendre
son nom
de Marie, les voilà qui tremblent
de frayeur ". Thoms a Kempis en parle de même : " Les esprits
malins
redoutent la Reine du ciel ; son
nom seul est pour eux comme un feu aux atteintes duquel ils se dérobent
par la fuite. Et si les hommes
se laissent tomber de frayeur quand la foudre éclate à leurs
pieds, les
démons ne sont pas moins
épouvantés, abattus par le nom de Marie".
Et combien de glorieuses victoires
sur ces ennemis du salut les serviteurs de Marie ont dues à la vertu
de
son saint nom ! Ainsi les a vaincus
saint Antoine de Padoue, ainsi le bienheureux Henri Suson, ainsi tant
d'autres amants de Marie.
On sait par les relations des missionnaires du Japon, qu'un jour, dans
ce pays,
une troupe de démons apparurent
à un chrétien sous la forme d'animaux féroces ; comme
ils cherchaient
à l'épouvanter par
leurs menaces, il leur répondit : " Je n'ai point d'armes qui puissent
vous nuire ; si le
Très-Haut vous le permet,
faites de moi tout ce que vous voudrez ; seulement, j'emploierai les noms
de
Jésus et de Marie ".
Il avait à peine dit, et voilà qu'au son de ces noms redoutables,
la terre s'ouvre, et
ces esprits superbes s'y précipitent.
Saint Anselme atteste que beaucoup de personnes qu'il a lui-même
vues et entendues, ont soudainement
échappé, pour avoir prononcé le nom de Marie, aux
périls qui les
menaçaient.
Que votre nom est glorieux et admirable,
ô Marie ! ceux qui n'oublient pas de le prononcer à l'article
de la
mort, n'ont rien à craindre,
eussent-ils contre eux l'enfer tout entier ; car les démons abandonnent
une
âme sitôt qu'ils l'entendent
prononcer le nom de Marie. - Ainsi parle saint Bonaventure ; et il
ajoute que
les rois en guerre avec leurs voisins
ne redoutent pas une nombreuse armée, comme les puissances de
l'enfer redoutent le nom de Marie
et sa protection. O Vierge puissante, dit saint Germain, la seule
invocation de votre nom met vos
serviteurs en sureté contre tous les efforts de leurs ennemis.
Ah ! plût au ciel que, dans
les tentations, les chrétiens fûssent attentifs à invoquer
avec confiance le nom
de Marie ! il est certain qu'ils
ne tomberont jamais. Non jamais, dit Alain de la Roche, car, dès
que le
tonerre de ce grand nom vient à
éclater, les démons fuient, et l'enfer tremble. Et,
selon une révélation de
notre céleste Reine à
sainte Brigitte, il n'est pas de pécheur tellement désespéré,
tellement éloigné de Dieu
et livré au pouvoir des démons,
que ces ennemis ne l'abandonnent tout d'abord, pourvu qu'avec un
sincère propos de s'amender,
il ait recours au tout-puissant nom de Marie. Seulement, ajouta-t-elle,
si
l'âme pécheresse ne
se corrige, et ne se purifie du péché par le repentir, les
démons reviennent bientôt à
elle, et continuent de la tenir
sous leur joug.
EXEMPLE
Au monastère de Reichersperg,
en Bavière, vivait un chanoine régulier, nommé Arnould,
très dévot à la
sainte Vierge. Se trouvant à
l'article de la mort, il reçut les Sacrements, puis il fit venir
ses confrères
auprès de son lit, et les
pria de ne pas l'abandonner dans ce dernier passage. Il avait à
peine dit, qu'ils le
virent trembler de tous ses membres,
rouler des yeux hagards et se couvrir d'une froide sueur : " Ne
voyez-vous pas, leur dit-il d'une
voix entrecoupée, ces démons qui veulent m'entraîner
en enfer ?"
Ensuite il s'écria : " Mes
frères, implorez pour moi le secours de Marie ; j'ai la confiance
qu'elle me
donnera la victoire ".
A ces mots, les assistants récitèrent Les Ltanies de la sainte
Vierge ; et lorsqu'ils
dirent : Sancta Maria, ora pro eo
; le moribond reprit : " Répétez, répétez le
nom de Marie ; car je suis
déjà au tribunal de
Dieu ". Il s'arrêta quelques instants, et puis il ajouta : " Il est
vrai que je l'ai fait ; mais
j'en fais pénitence ". Et
s'adressant alors à la divine Mère, il s'écria : "
O Marie, je serai délivré, si vous
venez à mon aide. " Après
cela, les démons lui donnèrent encore un assaut ; mais il
se défendait avec le
crucifix et en invoquant Marie.
Ainsi passa-t-il la nuit entière.
Enfin, le matin venu, Arnould reprit un air serein, et s'écria plein
de joie
" Marie, ma Protectrice et mon Refuge
m'a obtenu le pardon et le salut ". Regardant ensuite la
bienheureuse Vierge, qui l'invitait
à la suivre : " Je viens, dit-il, ma Reine ! je viens". Il
fit en même temps
un effort comme pour la suivre,
et il expira doucement. Si son corps demeura ici-bas, son âme
du moins,
nous en avons la confiance, suivit
Marie au royaume de la gloire.
PRIÈRE
Voici à vos pieds, ô
mon espérance, Marie, un pauvre pécheur, qui s'est fait bien
des fois l'esclave
volontaire de l'enfer. Si
je me suis laissé vaincre par les démons, je le confesse,
c'est pour n'avoir pas
eu recours à vous, mon unique
refuge : si je n'y eusse manqué, si toujours je vous eusse invoquée,
jamais je n'aurais succombé.
Grâce à vous, j'en ai la confiance, ô tout aimable Reine,
je suis
maintenant échappé
aux mains des démons et rentré en grâce avec Dieu.
Mais je tremble pour
l'avenir, je crains de retomber
dans l'esclavage du péché : je sais que mes ennemis n'ont
pas perdu
l'espoir de me vaincre encore une
fois, et que déjà ils me préparent de nouveaux assauts,
de nouvelles
tentations. Ah ! ma Souveraine
et mon refuge, secourez-moi, cachez-moi sous votre manteau, ne
souffrez pas qu'on me voie redevenu
leur esclace. A condition de vous invoquer, je suis assuré
de votre
secours et de la victoire ; mais
il me reste une crainte : il pourrait m'arriver de ne pas me souvenir de
vous dans les tentations, et d'oublier
de vous invoquer.
Ainsi, ô Vierge sainte ! la
grâce que je sollicite et que je désire obtenir de vous, c'est
de me souvenir
toujours de vous, surtout dans les
combats que j'ai à soutenir ; accordez-moi d'être fidèle
à vous
invoquer fréquemment, en
disant : Marie, secourez-moi ; secourez-moi, ô Marie ! - Et quand
enfin
viendra le jour de ma dernière
lutte contre l'enfer, à l'heure de ma mort, ah ! ma Reine, assistez-moi
plus puissamment encore en ce moment-là,
et vous-même, faites-moi penser alors à vous invoquer plus
souvent, soit de bouche, soit au
moins de coeur ; afin qu'en expirant avec votre doux nom et celui de
votre divin Fils Jésus sur
les lèvres, je puisse être admis à vous bénir
et à vous louer en paradis, pour
ne plus cesser de me tenir à
vos pieds pendant toute l'éternité. Amen.
CHAPITRE V
Ad te supiramus, gementes et flentes in hac lacrymarum valle
Nous soupirons vers vous, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes.
MARIE, NOTRE MÉDIATRICE
I
Que l'intercession de Marie nous est nécessaire pour nous sauver
La foi nous enseigne qu'il est, non
seulement permis, mais encore utile et conforme à la piété,
d'invoquer et de prier les saints, et
principalement leur Reine, la très
sainte Vierge Marie, afin d'obtenir la grâce divine par leur intercession.
Cette vérité, l'Église l'a définie
en divers conciles, et elle a condamné
comme hérétiques ceux qui réprouvaient l'invocation
des saints comme injurieuse à
Jésus-Christ, notre unique
Médiateur. Si, après sa mort, Jérémie prie
Jérusalem ; si les vieillards de l'Apocalypse présentent
à Dieu les
prières des justes ; si saint
Pierre promet à ses disciples de se souvenir d'eux dans l'autre
vie ; si saint Étienne prie pour ses
persécuteurs ; si saint Paul
prie pour ses compagnons et ses amis ; il est clair que les saints peuvent
prier pour nous ; mais alors,
pourquoi ne pourrions-nous pas supplier
les saints d'intercéder en notre faveur ? D'un autre côté,
saint Paul se recommande aux
prières de ses disciples
: Priez pour nous, dit-il aux Thessaloniciens ; saint Jacques exhorte les
fidèles en ces termes : Priez les uns
pour les autres, afin que vous soyez
sauvés. Nous pouvons donc, nous aussi,quêter les prières
d'autrui, et en particulier celles des
saints.
Que Jésus-Christ soit notre
unique Médiateur de justice ; que lui seul nous ait obtenu par ses
mérites la réconciliation avec Dieu ; qui le
nie ? Mais, d'autre part, c'est
une impiété de nier que Dieu se plaise à octroyer
ses grâces en ayant égard à l'intercession des saints,
et
surtout à celle de la divine
Mère, Marie, que Jésus désire tant de voir aimée
et honorée de nous. Qui ne sait que l'honneur rendu aux
parents rejaillit sur leurs enfants
? Les pères sont la gloire de leur fils, selon le Sage. Qu'on ne
craigne donc pas d'obscurcir la gloire
du Fils à force de louer
la Mère, car honorer la Mère, c'est louer le Fils : " Il
n'est nullement douteux, dit saint Bernard, que toutes les
louanges que nous donnons à
la Mère et à la Reine, retourne au Fils et au Roi. En effet,
personne n'en doute, c'est en considération des
mérites de Jésus-Christ
que Marie fut inverstie de ce grand pouvoir qui la constitue Médiatrice,
disons-nous non pas à titre de justice,
mais à titre de grâce
et par intercession. Saint Bonaventure n'hésite pas à l'appeler
ainsi ; et saint Laurent Justinien demande : Comment
ne serait-elle pas pleine de grâce,
celle qui est devenue l'Échelle du paradis, la Porte du ciel, la
véritable Médiatrice entre Dieu et les
hommes ?
A ce propos, Suarez observe avec
raison que prier la sainte Vierge de nous obtenir des grâces, c'est
témoigner que nous nous défions,
non pas de la miséricorde
divine, mais de nous-mêmes et de notre indignité ; nous nous
recommandons à Marie, afin que sa dignité
supplée à notre misère.
Ainsi, que ce soit une chose utile
et sainte de recourir à l'intercession de Marie, ceux-là
seuls peuvent le révoquer en doute qui
renoncent à la foi. Mais
le point que nous prétendons établir ici, c'est que l'intercession
de Marie nous est même nécessaire pour le
salut, c'est-à-dire, pour
parler avec précision, non pas absolument, mais moralement nécessaire.
Et nous disons que cette nécessité
découle de la volonté
de Dieu même, lequel ne veut pas nous faire de grâces qui ne
passent par les mains de Marie. C'est le sentiment
de saint Bernard ; et nous pouvons
ajouter, avec l'auteur du Règne de Marie, que ce sentiment est communément
suivi aujourd'hui par
les théologiens et les docteurs.
Ainsi ont enseigné Vega, Mendoza, Paciuchelli, Segneri, Poiré,
Crasset et un très grand nombre d'autres
savants écrivains. Le Père
Noël Alexandre lui-même, pourtant si réservé dans
ses propositions, affirme aussi que la volonté de Dieu est
que nous attendions toutes les grâces
par l'intercession de Marie ; et il cite à l'appui le mot célèbre
de saint Bernard : " La volonté de
Dieu est que nous ayons tout par
Marie ". Le Père Contenson soutient la même doctrine ; il
explique en ce sens les paroles adressées
par Jésus du haut de la croix
à saint Jean, et il les comment en ces termes : " Voilà votre
Mère, comme si le Sauveur eût dit : Personne
n'aura part aux mérites du
sang que je répands, si ce n'est par l'intercession de ma Mère.
Mes plaies sont les sources de la grâces ;
mais les ruisseaux n'en couleront
sur aucune âme que par le canal de Marie. Jean, mon cher disciple,
vous serez aimé de moi en
proportion de l'amour filial que
vous aurez pour elle. "
Selon saint Bernard, Dieu a comblé
Marie de toutes les grâces, afin que tous les biens destinés
aux hommes leur arrivent par elle
comme un canal céleste :
" Pareil à un aqueduc plein jusqu'au bord, elle donne à tous
sa plénitude ". Le saint fait en outre une réflexion
bien remarquable ! Si, dit-il, avant
la naissance de la bienheureuse Vierge, on ne voyait pas dans le monde
ce courant de grâces qui
s'épanchent aujourd'hui sur
tous les hommes, c'est qu'alors cet Aqueduc si désirable y manquait.
Marie a été donnée au monde afin
que, par ce canal de grâces,
les dons célestes descendent continuellement jusqu'à nous.
Le démon le saint bien ; aussi,
de même que, pour réduire la ville de Béthulie, Holopherne
en fit couper les aqueducs, cet esprit malin
s'attache de tout son pouvoir à
détruire dans les âmes la dévotion envers la Mère
de Dieu ; car, ce canal salutaire une fois fermé, il lui
devient facile de les subjuguer.
" Voyez donc, conclut le même Père, voyez, âmes fidèlesm
avec quelle affectueuse dévotion le
Seigneur veut que nous honorions
notre Reine ! Il a mis en elle la plénitude de tous les biens, afin
de nous obliger à recourir sans cesse
à elle avec une entière
confiance en sa protection, et à reconnaître ainsi que, désormais,
s'il est pour nous quelque espérance d'obtenir
la grâce et d'arriver à
la gloire, nous ne pouvons la voir réaliser que par l'entremise
de Marie ". - Saint Antonin dit pareillement : "
Toutes les grâces qui ont
jamais été départies aux hommes, leur sont venues
par le moyen de Marie. "
Voilà pourquoi elle est comparée
à la lune. Placée entre le soleil et la terre, dit saint
Bonaventure, la lune renvoie à cette dernière la
lumière qu'elle-même
reçoit du soleil ; et Marie reçoit du soleil divin les célestes
influences de la grâce, pour nous les transmettre
ici-bas.
C'est pour le même motif que
la saint Église l'invoque sous le titre de Porte du ciel : Felix
coeli porta. Toute lettre de grâce émanée du
roi passe par la porte de son palais
; ainsi, remarque saint Bernard, nulle grâce ne descend du ciel sur
la terre, sans passer par les
mains de Marie. Et, rendant raison
de la même appellation, saint Bonaventure ajoute que nul ne peut
entrer dans le ciel, sans passer par
cette bienheureuse Porte qui est
Marie.
Nous sommes encore confirmés
dans notre sentiment par saint Jérôme, ou, comme certains
le veulent, par un autre auteur ancien,
dont le sermon sur l'Assomption
a été inséré parmi les oeuvres de ce Père.
On lit dans ce sermon que la plénitude de la grâce est en
Jésus-Christ comme dans la
tête, d'où découlent et se répandent en nous,
ses membres, tous les esprits vitaux, c'est-à-dire, les
secours divins nécessaires
au salut ; et que la même plénitude se trouve en Marie comme
dans le cou par lequel les esprits vitaux
descendent dans les membres. Saint
Bernardin s'empare de cette pensée et la développe : " C'est
par la bienheureuse Vierge, dit-il, que
toutes les grâces de la vie
spirituelle descendent de Jésus-Christ, Chef sacré de l'Église,
dans son corps mystique, c'est-à-dire dans les
fidèles ". Et, rendant compte
de cette prérogative de la divine Mère, il ajoute : " Depuis
qu'il a plu au Seigneur d'habiter dans le sein de
la bienheureuse Vierge, elle a en
quelque sorte acquis une certaine juridiction sur toutes les grâces
; car Jésus-Christ, en sortant de ses
chastes entrailles, fit en même
temps sortir d'elle, comme d'un céleste réservoir, tous les
courants des dons divins. " - Le saint répète
la même chose ailleurs, et
en tire cette conclusion qu'à partir de l'Incarnation du Verbe,
" nulle créature n'a obtenu de Dieu une grâce
quelconque, si ce n'est par les
mains de notre bonne et tendre Mère. "
Un auteur interprète dans
le sens de notre thèse, le passage où Jérémie
prédit, à propos de l'Incarnation du Verbe dans le sein de
Marie,
qu'une Femme environnera l'Homme-Dieu.
" De même, dit-il, qu'une ligne tirée du centre d'un cercle
ne peut en sortir sans passer par
la circonférence, ainsi aucune
grâce ne peut nous venir de Jésus-Christ, centre de tout bien,
sans passer par Marie, qui, en recevant le
Fils de Dieu dans son sein, l'a
réellement environné de toute part. "
Il résulte de là, selon
saint Bernardin, que tous les dons, toutes les vertus et toutes les grâces,
sont dispensés par les mains de Marie, à
qui elle veut, quand elle veut,
et comme elle veut.
Richard de Saint-Laurent dit pareillement
: " Dieu n'accorde aucun bien à ses créatures sans le faire
passer par les mains de la Vierge
Mère ". Aussi le vénérable
abbé de Celles exhorte chacun de nous à recourir à
cette Trésorière des grâces, comme il l'appelle, assurant
qu'elle est le seul canal par où
le monde et chaque homme en particulier puissent recevoir les faveurs qu'ils
attendent de Dieu.
On le voit clairement : en affirmant
que toutes les grâces nous viennent par l'entremise de Marie, tous
ces saints, tous ces pieux
auteurs n'ont pas voulu attacher
à leurs paroles ce sens restreint, à savoir : que de Marie
nous avons reçu Jésus-Christ, la source de
tout bien. Ils nous déclarent
en termes formels, qu'à partir de la naissance de Jésus-Christ,
et cela en vertu d'un décret divin, toutes les
grâces provenant de ses mérite
furent distribuées aux hommes, le sont actuellement, et le seront
jusqu'à la fin du monde par les mains
et moyennant l'intercession de Marie.
Pour conclure, nous dirons avec le
Père Suarez que, selon le sentiment aujourd'hui universel de l'Église,
l'intercession de Marie ne
nous est pas seulement utile, mais
encore nécessaire. Il ne s'agit pas ici, nous le répétons,
d'une nécessité absolue : la médiation de
Jésus nous est seule absolument
nécessaire ; nous parlons d'une nécessité morale fondée
sur cette raison que, comme le pense
l'Église, d'accord avec saint
Bernard, Dieu a décrété de ne nous accorder aucune
grâce, si ce n'est par l'entremise de Marie. Et avnt
saint Bernard, saint Ildephonse
avec affirmé la même chose, en parlant ainsi à la glorieuse
Vierge : " O Marie ! il a plu au Seigneur de
remettre entre vos mains tous les
biens qu'il a préparés aux hommes ; il vous a confié
tous les trésors et toutes les richesses de ses
grâces ". Selon saint Pierre
Damien, si Dieu n'a pas voulu se faire homme sans le consentement de Marie,
c'est pour deux raisons :
premièrement, afin de nous
obliger à une extrême reconnaissance envers cette divine Mère
; secondement, pour nous apprendre que le
salut de tous les hommes est remis
à sa décision.
Saint Bonaventure considère
le passage où le prophète Isaïe annonce, sous l'emblême
d'une tige et de sa fleur, la naissance de Marie et
celle du Verbe fait chair : Il sortira
une tige de la Racine de Jessé, et une fleur s'élèvera
de sa racine, et sur cette fleur reposera
l'Esprit du Seigneur ; or voici
la réflexion que lui inspire ce beau texte : " Quiconque désire
obtenir la grâce du Saint-Esprit, doit
chercher la Fleur sur la Tige, c'est-à-dire
Jésus en Marie : car par la Tige nous arrivons à la Fleur,
et par la Fleur nous arrivons à Dieu.
Et voulez-vous, ajoute-t-il, avoir
cette Fleur ? tâchez, à force de prières. d'incliner
vers vous la Tige, et vous l'aurez ". Le Docteur
Séraphique appuie ce conseil
sur le texte de l'Évangile : Les Mages trouvère l'enfant
avec Marie sa Mère. Jamais, dit-il, on ne trouve
Jésus qu'avec Marie et par
Marie ; ainsi donc, conclut-il, celui-là cherche en pure perte Jésus-Christ,
qui ne cherche pas à le trouver
avec Marie ". De là ce mot
de saint Ildephonse : " Pour être serviteur du Fils, je veux l'être
de la Mère ". J'aspire à être le serviteur du
Fils ; et, comme sela est impossible
à quiconque ne l'est pas de la Mère, toute mon ambition est
de mériter le titre de serviteur de
Marie.
EXEMPLE
Vincent de Beauvains et Césaire
racontent qu'un jeune gentilhomme, ayant dissipé dans la débauche
les grands biens qu'il avait hérités
de son père, s'était
vu réduit à l'indigence, si bien qu'il était obligé
de mendier son pain. Afin de cacher sa honte avec son nom, il avait
pris le parti de quitter sa patrie
et d'aller vivre ans une contrée lointaine ; déjà
même il était en route, quand il fit la rencontre d'un
ancien serviteur de sa maison. C'était
un impie magicien. Voyant le pauvre jeune homme plongé dans la tristesse
à cause de sa misère,
il lui dit de se consoler, ajoutant
qu'il allait le présenter à un prince généreux
qui pouvoirait à tous ses besoins.
Il le prit en effet un beau jour
et le mena dans un bois près d'une mare, où il se mit à
parler avec un personnage invisible. Le jeune
homme lui demanda à qui il
parlait. Il lui répondit : " Avec le démon " ; et, le voyant
épouvanté, il l'engagea à ne rien craindre. Il dit
ensuite à l'esprit malin
: " Seigneur, ce jeune homme est réduit à une extrême
nécessité, et il voudrait recouvrer son premier état.
-
Pourvu qu'il veuille m'obéir,
répondit l'ennemi du salut, je le rendrai plus riche qu'auparavant
; il faut d'abord qu'il renie Dieu ". A cette
proposition, le malheureux fut saisi
d'horreur ; mais pressé par le maudit magicien, il fit ce qu'on
exigeait de lui, il renia Dieu. " Cela ne
suffit pas, reprit le démon
; il faut qu'il renie aussi Marie ; car, nous ne pouvons nous le dissimuler,
c'est elle qui nous occasionne nos
plus grandes pertes. Combien d'âmes
ne retire-t-eille pas de nos mains pour les ramener à Dieu et les
sauver ! - Oh ! pour cela, non,
répliqua le jeune homme :
je ne renie point ma Mère, celle qui est toute mon espérance
; j'aime mieux mendier le reste de ma vie ". Et
là-dessus, il s'en alla.
Comme il retournait sans son pays,
il vint à passer devant une église dédiée à
Marie ; il y entre tout désolé, va se prosterner devant
l'image de la sainte Vierge, et
le supplie avec larmes de lui obtenir le pardon de ses fautes. Cette bonne
Mère se met aussitôt à prier son
divin Fils pour ce misérable.
Jésus lui dit d'abord : " Mais cet ingrat, ma Mère, vient
de me renier " ! Comme elle ne cessait, malgré
cela, de le prier, il ajouta : "
O ma Mère, je ne vous ai jamais rien refusé ; je lui pardonne
puisque vous me le demandez ". Un homme
avait secrètement observé
tout ceci : c'était celui-là même qui avait acheté
les biens du dissipateur. Témoin de la tendre commisération
de Marie pour ce pécheur,
il lui donna en mariage sa fille, qui était son unique enfant, et
le fit héritier de toute sa fortune. Ainsi ce jeune
homme récupéra, par
l'entremise de Marie, la grâce de Dieu et même ses biens temporels.
PRIÈRE
Tu vois, mon âme, quelle belle
espérance de salut et de vie éternelle le Seigneur t'a donnée
lorsque, malgré les péchés, par où, si
souvent, tu as mérité
sa disgrâce et l'enfer, il a eu la bonté de t'inspirer une
vive confiance dans la protection de sa Mère. Remercie
donc ton Dieu et remercie aussi
ta céleste Protectrice, Marie, qui a daigné te prendre sous
sa tutelle, ainsi que t'en donnent
l'assurance les innombrables faveurs
que tu as reçues par son intercession.
Oui, ô ma tendre Mère,
je vous remercie de tout le bien que vous avez fait à un malheureux
déjà condamné à l'enfer. De combien de
périls ne m'avez-vous pas
délivré, ô Reine puissante, combien de lumières
ne m'avez-vous pas obtenues de Dieu ! Quel si grand bien,
quel si grand honneur avez-vous
donc reçu de moi, pour être si empressée à me
prodiguer vos faveurs ?
C'est uniquement à votre bonté
que j'en suis redevable. Ah ! quand je livrerais mon sang et ma vie, ce
serait peu pour m'acquitter
envers vous : vous m'avez délivré
de la mort ; vous m'avez fait recouvrer, comme j'en ai la confiance, la
grâce de Dieu : en un mot,
je vous dois tout. Que vous rendrais-je,
ô mon aimable Souveraine ? tout ce que je puis dans ma misère,
c'est de vous louer et de vous
aimer à jamais.
Ah ! ne dédaignez pas l'hommage
d'un pauvre pécheur épris d'amour pour votre bonté.
Si son coeur est indigne de vous aimer, parce
qu'il est plein de souillures et
d'affections terrestres, il dépend de vous de le changer ; de grâce,
changez-le. Attachez-moi à mon Dieu,
et attachez-moi tellement que je
ne puisse jamais plus me séparer de son amour. Vous demandez de
moi que j'aime votre Dieu, et c'est
la grâce que je vous demande
; obtenez-moi de l'aimer, et de l'aimer toujours, et je ne désire
plus rien. Amen.
II
Suite du même sujet
Un homme et une femme ayant coopéré
à notre ruine, il convenait, remarque saint Bernard, qu'un autre
homme et une autre femme
coopérassent à notre
réparation ; et c'est ce qu'ont fait Jésus et Marie. Sans
doute, ajoute-t-il, pour nous racheter, c'était assez de
Jésus-Christ seul ; mais
il était plus convenable que les deux sexes concurussent à
notre salut, comme ils avaient concouru à notre
perte. C'est pourquoi le bienheureux
Albert le Grand donne à Marie le titre de Coopératrice de
la Rédemption. Elle disait elle-même un
jour à sainte Brigitte que,
comme Adam et Ève ont vendu le monde pour un seul fruit, elle et
son divin Fils l'ont racheté d'un même
coeur. Selon la pensée de
saint Anselme, Dieu a bien pu créer le monde de rien ; mais, le
monde s'étant perdu par le péché, Dieu n'a
pas voulu le restaurer sans la coopération
de Marie.
Suivant Suarez, la divine Mère
a contribué à notre salut de trois manières : c'est
d'abord qu'elle a mérité d'un mérite de convenance,
comme disent les théologiens,
l'Incarnation du Verbe ; c'est ensuite que, pendant sa vie mortelle, elle
s'est appliquée avec beaucoup de
zèle à prier pour
nous ; c'est enfin qu'elle a fait généreusement le sacrifice
de la vie de son Fils pour notre rédemption. Eh bien ! en
récompense de l'immense gloire
qu'elle a rendue à Dieu et de l'ineffable amour qu'elle nous a témoigné
en travaillant ainsi à la
réhabilitation de tous les
hommes, Dieu a statué avec justice qu'aucun n'obtiendrait le salut,
si ce n'est par son intercession.
Suivant Bernardin de Bustis, Marie
s'appelle la Coopératrice de notre justification, parce que Dieu
lui a confié toutes les grâces qu'il
voulait bien nous faire. Et saint
Bernard en conclut qu'elle est le centre et le point culminant des siècles,
et comme le phare salutaire qui
attira les regards des générations
passées, qui doit attirer ceux de la génération présente,
et de toutes les générations futures.
Personne, a dit Jésus, ne
peut venir à moi si d'abord mon Père qui m'a envoyé,
ne l'attire par sa grâce.
Or, selon Richard, il dit pareillement
: " Personne ne peut venir à moi si ma Mère ne l'attire par
ses
prières". Jésus est
le fruit des entrailles de Marie, selon l'expression de sainte Élisabeth
: Vous êtes
bénie entre toutes les femmes,
et béni est le fruit de votre sein. Mais celui qui veut le fruit,
doit aller à
l'arbre ; et partant, si quelqu'un
veut trouver Jésus, il faut qu'il aille à Marie, qu'on ne
trouve jamais
sans trouver en même temps
Jésus. Quand sainte Élisabeth vit la très sainte Vierge
qui venait la visiter
dans sa maison, ne sachant comment
lui témoigner sa reconnaissance, elle s'écria avec une profonde
humilité : Comment ai-je
pu mériter que la Mère de mon Dieu vînt à moi
? - Mais, demandera-t-on,
sainte Élisabeth ne savait-elle
pas qu'elle avait chez elle non seulement Marie, mais encore Jésus
? Au
lieu donc de se dire indigne de
recevoir la viste de la Mère, pourquoi ne se dit-elle pas plutôt
indigne
de recevoir celle du Fils ? - Ah
! la sainte savait très bien que, lorsque Marie vient, elle amène
avec
elle Jésus ; en conséquent,
il lui suffisait de remercier la Mère, sans nommer le Fils.
Il est écrit de la Femme forte
: Pareille au navire d'un marchand, elle apporte son pain de loin. Telle
est bien Marie, vaisseau béni qui
apporta au monde Jésus-Christ,
le Pain vivant descendu du ciel pour nous donner la vie éternelle.
Je suis, dit-il, le Pain vivant
descendu du ciel ; si quelqu'un
mange de ce pain, il vivra éternellement. D'un autre côté,
selon la remarque de Richard, tous ceux-là
périront qui voguent sur
la mer orageuse du monde en dehors de ce mystique navire, c'est-à-dire
sans être protégés par Marie. Ainsi
donc, ajoute-t-il, chaque fois que
les tentations ou les révoltes des passions, si fréquentes
dans cette vie, nous mettent en péril, il nous
faut recourir à Marie et
pousser vers elle ce cri de détresse : Au secours, ô notre
Reine ! sauvez-nous, ou bien vous aller nous voir
perdus.
D'après le glorieux saint
Gaétan, nous pouvons bien demander les grâces, mais nous ne
pourrons jamais les obtenir sans cet appui. Ce
que confirma saint Antonin par cette
belle expression : " Demander et vouloir obtenir les grâces sans
l'intercession de Marie, c'est
prétendre voler sans ailes
". - Pharaon confia à Joseph un plein pouvoir sur toute l'Égypte
; et, dès lors, tous ceux qui venaient au
palais demander des secours, il
les renvoyait en leur disant : Allez à Joseph ; ainsi, quand nous
sollicitons des grâces, le Seigneur nous
renvoie à la bienheureuse
Vierge : Allez, dit-il, allez à Marie. Car il a décrété,
assure saint Bernard, de ne rien nous accorder, si ce n'est
par les mains de Marie. " Si donc
les Égyptiens ont pu dire à Joseph : Notre salut est entre
vos mains, nous avons bien plus de sujet,
remarque Richard de le dire à
Marie ; car vraiment "not salute" est en son pouvoir ". Le vénérable
Idiot exprime la même pensée dans
les mêmes termes ; et Cassien,
enchérissant encore, dit d'une manière absolue, que le salut
de tout homme consiste à être favorisé et
protégé par Marie
; en d'autres mots, celui-là se perd qui en est privé. Puissante
Reine, lui dit saint Bernardin de Sienne, vous êtes la
dispensatrice de toutes les grâces
; la grâce du salut ne peut donc nous venir que de votre main, et
partant notre salut dépend de vous.
Richard a donc eu raison de dire
: " Comme une pierre tombe dès qu'on ôte ce qui la soutient,
ainsi une âme qui perd l'appui de Marie,
tombe d'abord dans le péché
et puis dans l'enfer. "
Saint Bonaventure ajoute que Dieu
ne nous sauvera pas si Marie n'intercède pas pour nous ; comme un
enfant ne saurait vivre qui n'a
pas de nourrice, dit-il encore,
ainsi une âme ne saurait se sauver sans l'aide de Marie. " Que votre
âme, conclut-uil, soit donc comme
altérée des pratiques
de dévotuion envers Marie ; attachez-vous à cette bonne Mère,
et ne la quittez point que vous n'ayez reçu sa
bénédiction en paradis.
"
Ici trouvent leur place les belles
paroles adressées à Marie par saint Germain : " Qui jamais,
ô Vierge très sainte, parviendrait sans vous
à connaître Dieu ?
Qui serait sauvé, s'il ne l'était par vous, ô divine
Mère ? Qui pourrait, ô Vierge féconde, échapper
aux périls de cette
vie, si vous ne l'en délivrez
? Qui recevrait enfin de Dieu une grâce quelconque sinon par votre
entremise, ô pleine de grâces ? " Et
ailleurs il lui dit : " Si vous
ne nous ouvriez la voie, nul ne marcherait dans les sentiers de la perfection,
nul n'éviterait les atteintes de la
chair et du péché
".
Nous n'avons accès au Père
éternel que par Jésus-Christ ; de même, nous n'avons
accès auprès de Jésus-Christ que par Marie. C'est
saint Bernard qui nous l'assure
; et bien belle est la raison qu'il en donne : " Le Seigneur, dit-il, veut
que tous nous soyons sauvés par
l'intercession de Marie, afin que
ce divin Sauveur nous reçoive des mains de Marie, comme il nous
a été donné par le moyen de Marie
" ; et conséquemment, le
saint proclame Marie la Mère de la grâce et de notre salut.
" Quel serait donc notre sort ? reprend
saint Germain ; quel espoir nous resterait-il d'être sauvés,
si vous nous abandonniez, ô Marie,
vous qui êtes la Vie des chrétiens
" !
Mais, si toutes les grâces
passent par Marie, il faudra donc, quand nous implorerons l'intercession
des saints, que ceux-ci recourent
eux-mêmes à la médiation
de Marie, s'ils veulent nous obtenir les grâces que nous leur demandons
?
Je répondrai d'abord que,
prie en elle-même, cette conséquence ne renferme aucune erreur,
aucun inconvénient. En vue d'honorer sa
Mère, Dieu l'a établie
Reine de tous les saints ; il lui plaît en outre de n'accorder des
grâces que par son entremise ; quel inconvénient
peut-il y avoir à dire qu'il
oblige encore les saints à recourir à elle pour
obtenir les grâces dont leurs protégés ont besoin ?
Cette doctrine est affirmée
expressément par saint Bernard, saint Anselme, saint Bonaventure,
Suarez et d'autres. " En vain,
prierions-nous les autres saints,
dit le premier ; si Marie ne nous venait en aide, aucune grâce ne
nous serait accordée ". Un auteur
explique dans ce sens les paroles
suivantes de David : Tous les riches du peuple vous offriront leurs humbles
prières. Les riches du
peuple par excellence, c'est-à-dire
du peuple de Dieu, ce sont les saints ; quand ils souhaitent quelque grâce
pour l'un de leurs clients,
ils s'adressent à Marie afin
qu'elle la lui procure. " Nous n'avons pas coutume, remarque Suarez, d'employer
l'intercession d'un saint
auprès d'un autre saint,
vu que tous sont d'un même ordre ; mais nous faisons bien de les
prier de se faire nos intercesseurs auprès de
la Vierge, qui est leur Maîtresse
et leur Reine ". Et telle fut précisément, au rapport du
père Marchese, la promesse de saint Benoît à
sainte Françoise Romaine
: lui apparaissant un jour, il l'assura de sa protection, et ajouta qu'il
se ferait son avocat auprès de la divine
Mère.
A l'appui de cette doctrine, citons
encore les paroles de saint Anselme à la bienheureuse Vierge : "
Grande Reine, ce que peut obtenir
l'intercession de tous les saints
faisant cause commune avec vous, votre intercession seule, sans leur concours,
le peut de même. Et
d'où vient cette puissance
illimitée ? De ce que vous êtes la Mère de notre Sauveur
à tous, l'unique Épouse de Dieu, la Reine du ciel et
de la terre. Si vous ne parlez,
aucun saint ne priera pour nous, aucun ne nous aiderai ; mais si vous consentez
à intercéder pour nous,
tous aussitôt nous prêteront
le secours de leurs prières, et s'empresseront d'appuyer nos requêtes."
La sainte Église applique
à Marie les paroles de la Sagesse : J'ai fait seule le tour du ciel
; et voici comment le Père Segneri justifie
cette application : La première
sphère céleste communique son mouvement à toutes les
autres ; et quand la très sainte Vierge se met à
prier pour une âme, elle entraîne
tout le paradis à prier avec elle. Saint Bonaventure va plus loin
et assure qu'en sa qualité de Reine, elle
commande alors à tous les
anges et à tous les saints de se joindre à elle et d'offrir
à Dieu leurs prières en union avec les siennes.
C'est donc à bon droit que
l'Église nous prescrit de saluer et d'invoquer la divine Mère
sous le glorieux titre de notre Espérance : " O
vous, notre Espérance, salut
! " L'impie Luther ne pouvait souffrir, disait-il, ce titre donné
par l'Église romaine à Marie, à une simple
créature. Car enfin, ajoutait-il,
Dieu seul, et Jésus-Christ comme notre Médiateur, sont notre
espérance, et, selon le mot de Jérémie,
Dieu maudit quiconque met son espoir
dans la créature. Mais quoi qu'il ait pu dire, l'Église nous
enseigne par sa pratique universelle à
invoquer Marie en ces termes : "
O notre Espérance, salut ! " Celui qui place son espérance
dans une créature indépendamment de
Dieu, encourt certainement la malédiction
de Dieu ; car Dieu est l'unique sour et le dispensateur de tous les biens
; la créature n'a rien,
ne peut rien donner qu'elle n'ait
reçu de lui. Mais s'il est vrai, comme nous l'avons prouvé,
qu'en vertu d'un décret divin, tutes les
grâces nous viennent par Marie
comme par un canal de miséricorde, nous pouvons, nous devons même
affirmer qu'elle est notre
espérance.
Aussi saint Bernard n'hésitait
pas à dire : " Mes enfants, en Marie est ma principale confiance
; Marie est toujours le fondement de mon
espérance ". Saint Jean Damascène
priait la sainte Vierge en termes non moins expressifs : " Ma Souveraine,
j'ai mis en vous toute ma
confiance ; et, les yeux fixés
sur vous, j'attends de vous mon salut ". " Marie est toutes l'espérance
de notre salut ", dit également saint
Thomas ; et saint Ephrem lui parle
ainsi à elle-même : " Notre espérance n'a point d'appui
en dehors de vous, ô Vierge très pure ; si
donc vous voulez nous voir sauvés,
recevez-nous sous l'aile de votre tendresse, et gardez-nous. "
Pour conclure, je dirai avec saint
Bernard : " Consacrons toutes les affections de notre coeur à honorer
Marie, car telle est la volonté
que nous a manifestée le
Seigneur, en réglant que tout bien nous viendrait par l'entremise
de cette divine Mère ". Chaque fois donc que
nous désirons et sollicitons
une grâce, efforçons-nous de faire appuyer notre requête
par Marie, et tenons-nous sûr de l'obtenir par elle
: " Cherchons la grâce, dit
saint Bernard, et cherchons-la par Marie ; car si nous sommes indignes
d'être exaucés, Marie en est digne,
elle, et le faveur que nous souhaitons,
elle la demandera pour nous ".
Enfin, voulons-nous faire agréer
au Seigneur l'offrande de quelque bonne oeuvre, de quelque prière
? suivons le conseil du même saint,
ayons soin de remettre tout entre
les mains de Marie ; par là. jamais nous ne serons rebuté.
EXEMPLE
C'est une histoire célèbre
que celle de Théophile, écrite par Eutychien, patriarche
de Constanttinople et témoin oculaire de ce que nous
allons raconter. Elle est d'ailleurs
confirméee par saint Pierre Damien, saint Bernard, saint Bonaventure,
saint Antonin, et plusieurs
autres que cite le Père Crasset.
Théohile était archidiacre
de l'Église d'Adana, en Cilicie. Il jouissait d'une si grande estime,
que le peuple le voulait pour évêque ; mais il
refusa par humilité. Dans
la suite, il se vit néanmoins déposer de sa charge sur une
accusation mensongère de la part de ses envieux ;
et il se laissa aveugler par le
chagrin jusqu'à aller solliciter d'un magicien juif le remède
à sa disgrâce. Celui-ci l'aboucha avec Satan, qui
lui promit de l'aider, à
condition qu'il renierait Jésus-Christ et la Vierge Marie, et lui
remettrait, écrit de sa propre main, l'acte de ce
renoncement. Théophile traça
l'abominable écriture. Le jour suivant, l'évêque reconnut
ses torts et en demanda pardon à Théophile et
lui rendit sa charge ; mais, déchiré
par le remords de sa conscience qui lui reprochait son énorme péché,
le malheureux archidiacre ne
faisait que pleurer. Il se rend
enfin dans une église, et là, se jetant tout en larmes aux
pieds d'une image de Marie : " O Mère de Dieu,
lui dit-il, je ne veux pas me livrer
au désespoir ; vous me restez encore, vous si compatissante, et
qui pouvez me secourir. "
Il passa ainsi quarante jours, pleurant
sa faute et priant la sainte Vierge. Ce temps écoulé, la
Mère de miséricorde lui apparut pendant la
nuit et lui parla ainsi : " Ah !
Théophile, qu'as-tu fait ? tu as renoncé à mon amitié
et à celle de mon Fils ; et en quelles mains ? dans les
mains de ton ennemi, de mon ennemi
! - Ma Souveraine, répondit le pécheur, c'est à vous
de remédier au mal que j'ai fait ; ne pensez
plus qu'à me pardonner par
votre divin Fils ". Voyant en lui cette confiance, Marie lui dit : "Aie
bon courage ; je vais prier Dieu pour toi
". Fortifié par cette vision,
Théophile ne fit que redoubler ses larmes, ses pénitences
et ses prières sans s'éloigner de la sainte image.
Tout à coup, Marie lui apparut
de nouveau, et lui dit d'un air joyeux : " Console-toi, Théophile
; j'ai présenté à Dieu tes larmes et tes
prières ; il les a reçues
et t'a pardonné. Désormais, sois reconnaissant et sois fidèle.
- O ma bonne Dame, répliqua Théophile, cela ne
suffit pas pour me consoler pleinement
: l'ennemi tient encore entre ses mains l'écrit impie par lequel
je vous ai reniés, vous et votre
divin Fils ; vous pouvez me le faire
rendre. " Trois jours après, Théophile, en s'éveillant
la nuit, trouva l'écrit sur sa poitrine.
Le lendemain, pendant que l'évêque
se trouvait à l'église en présence d'un peuple nombreux,
Théophile alla se jeter à ses pieds, lui
raconta son histoire en pleurant
à chaudes larmes, et lui remit entre les mains l'infâme billet,
que l'évêque fit aussitôt brûler devant la
multitude. Tous pleuraient de joie,
exaltant la bonté de Dieu et la miséricorde avec laquelle
Marie avait traité ce malheureux pécheur.
Quant à lui, il retourna
à l'église de la Vierge, et y demeura trois jours, au bout
desquels il mourut plein de joie, en rendant grâces à
Jésus-Christ et à
sa sainte Mère.
PRIÈRE
O Marie, vous êtes à
la fois Reine et Mère de miséricorde : tous ceux qui vous
invoquent le reconnaissent à la munificience vraiment
royale, à la tendresse toute
maternelle avec lesquelles vous leur distribuez les grâces. Souffrez
donc que je me recommande
aujourd'hui à vous, moi si
dénué de mérites et de vertus, et si chargé
de dettes envers la Justice divine. O Marie, vous tenez la clef du
trésor des divines miséricordes
; ne dédaignez pas un misérable, nel le laissez pas en proie
à son extrême indigence. Prodigue de vos
bienfaits envers tous les hommes,
vous êtes accoutumée à donner plus qu'on ne vous demande
; montrez-vous la même à mon égard,
Sainte Vierge ! protégez-moi
; c'est tout ce que je vous demande.
Si vous me protégez, je ne
crains rien : rien du côté des démons, parce que vous
êtes plus puissante que tout l'enfer ; rien du côté
de
mes péchés, parce
qu'il vous suffit de dire une parole à Dieu pour m'obtenir un pardon
général ; si vous m'êtes favorable, je ne crains
rien, même de la colère
du Seigneur, parce qu'une seule de vos prières l'apaise aussitôt.
En un mot, si vous me protégez, j'espère tout,
puisque vous pouvez tout. O Mère
de miséricorde, je le sais, vous mettez votre plaisir et votre gloire
à aider les plus misérables, et
vous pouvez les aider, tant qu'ils
ne sont pas obstinés. Je suis un pécheur, mais je ne suis
pas obstiné, je veux changer de vie ; vous
pouvez donc me secourir ; secourez-moi,
sauvez-moi. Aujourd'hui, je me remets tout entier entre vos mains : dites-moi
ce que j'ai à
faire, et j'espère y réussir
avec votre secour, ô Marie, ma Mère, ma lumière, ma
consolation, mon refuge, mon espérance ! Amen,
amen, amen.
CHAPITRE VI
Eia ergo advocata nostra
Montrez donc que vous êtes notre avocate.
MARIE, NOTRE AVOCATE
I
Marie est une Avocate assez puissante pour nous sauver tous
L'autorité des mères
sur leurs fils est si grande, qu'elles ne peuvent jamais devenir leurs
sujettes, alors même qu'ils seraient rois et
disposeraient d'un pouvoir absolu
sur toutes les personnes vivant dans leurs états. Aujourd'hui que
Jésus-Christ est assis dans les
cieux, son humanité sainte
y tient la première place à la droite du Père, en
vertu de son union hypostatique avec la personne du Verbe ;
même en tant qu'homme, il
a le souverain domaine de tout le créé, sans en excepter
Marie ; tel est l'enseignement de saint Thomas ;
néanmoins, il reste toujours
vrai que notre Rédempteur fut un certain temps soumis à l'autorité
de Marie. L'Évangile atteste en effet
que, pendant sa vie mortelle, Jésus
voulut bien s'abaisser jusque-là : Il leur était soumis,
dit saint Luc. Saint Ambroise avance mêne
qu'ayant daigné prendre Marie
pour sa Mère, Jésus-Christ était vraiment tenu, à
ce titre, de lui obéir. En parlant des autres élus,
remarque Richard, on dit qu'ils
sont avec Dieu ; de Marie seule on peut dire qu'elle eut le double bonheur
de se tenir soumise à la
volonté de Dieu, et de voir
Dieu se soumettre à la sienne. Des autres vierges, ajoute-t-il,
il est écrit qu'elles suivent l'Agneau partout où
il va ; mais de la Vierge Marie
on peut dire qu'ici-bas le divin Agneau la suivait partout docilement.
Si donc il est vrai que dans le ciel
Marie ne peut plus commander à son Fils , il est vrai aussi que
ses prières sont les prières d'une
Mère, et, comme telles, bien
propres à obtenir tout ce qu'elles réclament. " C'est là
le grand privilège de Marie, dit saint Bonaventure,
elle peut tout auprès de
Dieu ". Pourquoi ? Précisément pour la raison que nous venons
d'indiquer, et que nous développerons ci-après,
savoir, que les prières de
Marie, sont les prières d'une Mère.
Tel est aussi le motif sur lequel
se fonde saint Pierre Damien pour parler à la bienheureuse Vierge
en ces termes : " Toute puissance
vous a été donnée
au ciel et sur la terre ; rien ne vous est impossible, vous pouvez même
rendre aux désespérés l'espérance de la
béatitude ". Voici en effet
ce que le saint ajoute : " Vous approchez de cet Autel ; de notre réconciliation,
plutôt en commandant qu'en
suppliant, comme maîtresse
plutôt que comme servante ". Cet autel au pied duquel les pécheurs
trouvent miséricorde et pardon, c'est
Jésus-Christ. Quand Marie
sollicite de lui quelque grâce en notre faveur, ses prières
ont tant de poids auprès de lui, ce divin Fils se
montre si empressé de complaire
à sa Mère, qu'il semble, non pas exaucer les humbles voeux
d'une sujette, mais accomplir les ordres
d'une Reine. Ainsi, Jésus
se plaît-il à honorer cette Mère chérie qui
l'a tant honoré lui-même ici-bas : il lui accorde sans délai
tout ce
qu'elle demande ou désire.
Tout cela est confirmé par ces belles paroles de saint Germain :
" O Marie, vous êtes toute-puissante pour
sauver les pécheurs ; vos
prières n'ont pas besoin d'être appuyées par qui que
ce soit auprès de Dieu, parce que vous êtes la Mère
de
la Vie véritable. "
Saint Bernardin de Sienne ne craint
pas de dire que tout est soumis à l'empire de Marie, et que Dieu
même lui obéit, ce qui signifie
proprement dit que le Seigneur exauce
ses prières comme s'il éxécutait ses ordres. " O Vierge
Sainte, s'écrie à son tour saint Anselme,
Dieu vous a placée si haut
dans sa faveur que vous pouvez obtenir à vos dévots serviteurs
toutes les grâces possibles ; - car votre
protection est toute-puissante,
assure Côme de Jérusalem. " " Oui, Marie est toute-puissante,
reprend Richard de Saint-Laurent,
puisque, suivant toutes les lois,
la Reine doit partager toutes les prérogatives du Roi ; et comme
le Roi du ciel peut tout, il a
communiqué son omnipotence
à sa Mère. " De là saint Antonin conclut que Dieu
a placé l'Église entière non seulement sous les
auspices, mais encore sous le pouvoir
de Marie.
Ainsi, la Mère devant avoir
le même pouvoir que son Fils, le pouvoir sans bornes de Jésus-Christ
a dû rendre Marie toute-puissante ;
mais il reste toujours vrai que
le Fils est tout-puissant par nature, et la Mère seulement par grâce.
Or, cela se vérifie en la manière que
nous avons indiquée plus
haut : le Fils ne refuse à la Mère absolument rien de ce
qu'elle lui demande. Sainte Brigitte en fut assurée par
révélation ; elle
entendit Jésus qui disait à Marie : " Ma Mère, vous
savez combien je vous aime ; demandez-moi donc tout ce qu'il vous
plaît ; je ne saurais manquer
de faire droit à une requête quelconque de votre part :. Et
il lui déclara l'admirable motif de cette promesse
: " Quand vous étiez sur
la terre, jamais vous ne vous êtes refusée à faire
quoi que ce fût pour mon amour ; il est donc juste que moi,
maintenant assis dans le ciel, je
ne me refuse jamais à faire ce dont vous me priez ". Quand donc
nous donnons à Marie le titre de
toute-puissante, il faut l'entendre
dans le sens possible à une créature, laquelle n'est point
capable d'une perfection divine ; Marie est
toute-puissante en ce sens que,
par le moyen de la prière, elle obtient tout ce qu'elle veut.
C'est donc avec raison , ô
notre grande Avocate, que saint Bernard vous dit : " Vous n'avec qu'à
vouloir, et tout se fera ", si vous
voulez élever à une
haute sainteté le pécheur le plus désespéré,
il ne tient qu'à vous. - Saint Anselme vous parle de même
: " Dites que
vous voulez notre salut, et nous
serons infailliblement sauvés ". Et le bienheureux Albert le Grand
en conclut qu'on doit vous prier de
vouloir, puisque tout ce que vous
voulez, se fait nécessairement.
Encouragé par la pensée
de cette souveraine puissance de Marie, saint Pierre Damien implorait sa
pitié en ces termes : " Que votre
bonté et le pouvoir dont
vous disposez, vous engagent à nous secourir : plus vous êtes
puissante, plus vous devez être
miséricordieuse. " Oui, ô
Marie, oui, ô notre Avocate, votre coeur si tendre est incapable
de voir les malheureux sans compatir à leur
maux ; et votre crédit auprès
de Dieu est assez grand pour sauver toute âme dont vous prenez la
défense ; ah ! ne dédaignez pas de
plaider la cause des misérables
que vous voyez à vos pieds, et qui mettent en vous toutes leurs
espérances. Si nos prières ne vous
touchent point, suivez au moins
l'impulsion de votre bon coeur, faites usage de cette toute-puissance dont
le Seigneur vous a revêtue,
afin qu'étant plus à
même de nous faire du bien, vous en soyez plus miséricordieuse
et mieux disposée à nous secourir. - Or, il en est
bien ainsi, car, au témoignage
de saint Bernard, Marie est immensément riche en puissance et en
miséricorde, à sa puissante charité
répond la tendre compassion
qui la porte à nous venir en aide, et elle ne cesse de nous le prouver
par les effets.
Dès le même temps que
Marie vivait sur la terre, son unique pensée, après la gloire
de Dieu, était de secourir les malheureux. Elle
jouissait dès lors du privilège
de faire agréer et exaucer toutes ses requêtes ; nous le savons
par ce qui se passa aux noces de Cana en
Galilée. Le vin étant
venu à manquer, la sainte Vierge fut touchée de l'affliction
et de la confusion de ses hôtes, et elle pria son divin
Fils de les consoler par un miracle
Le vin manque, lui dit-elle. Jésus lui répondit : " Femme,
que vous importe à vous et que m'importe
à moi si le vin manque ?
il ne me convient pas de faire aucun miracle maintenant ; le temps n'en
est pas encore venu ; " ce temps sera
celui de ma prédication lorsque
je devrai confirmer ma doctrine par des prodiges. Par cette réponse,
Notre-Seigneur semblait opposer
un refus à la prière
de sa Mère ; et pourtant, remarquons-le bien, Marie agit et parle
tout comme si la grâce sollicitée lui eût été
accordée. Elle dit aux gens
de la maison de faire ce que son Fils ordonnerait, leur promettant qu'ils
seraient consolés. Et, en effet, pour
complaire à sa Mère,
Jésus fit emplir d'eau de grandes urnes, et puis changea cette eau
en un excellent vin.
Mais, direz-vous, si le temps fixé
pour les miracles était celui de la prédication, comment
ce premier miracle a-t-il pu se faire alors,
contrairement au décret divin
? Il est vrai qu'à parler d'une manière générale,
le temps des miracles n'était pas encore arrivé ; mais, de
toute éternité, Dieu
avait arrêté, par un autre décret général,
que jamais aucune supplique de Marie ne serait rejetée. La glorieuse
Vierge
connaissait bien son privilège,
aussi ne tint-elle nul compte du refus apparent de son Fils, mais elle
fît comme si la grâce lui eût été
accordée. Ainsi l'a entendu
saint Jean Chrysostôme. Sur ces paroles : Femme, que vous importe
à vous, et que m'importe à moi?, il
remarque que, nonobstant une réponse
si peu encourageante, Jésus ne laissai pas, pour honorer sa Mère,
d'obtempérer à sa demande.
Cette explication est ainsi confirmée
par saint Thomas : " Par ces mots : Mon heure n'est pas encore venue, le
Seigneur voulut
témoigner qu'il eût
refusé alors le miracle si tout autre le lui eût demandé
; mais parce que la solliciteuse était sa Mère, il le fit
". Tel est
aussi, selon Barrada, le sentiment
de saint Cyrille, de saint Jérôme et de Jansenius de Gand.
En résumé, nulle créature
ne saurait faire descendre sur nous, pauvres pécheurs, les divines
miséricordes à l'égal de cette douce
Avocate, que Dieu se plaît
à honorer, non seulement comme sa Servante chérie, mais encore
comme sa véritable Mère. C'est là ce que
Guillaume de Paris disait à
Marie elle-même : Il suffit à Marie de parler pour voir tous
ses désirs accomplis par son Fils. Le Seigneur
dit à l'Épouse des
Cantiques, laquelle est une figure de Marie : Vous qui habitez dans les
jardins, nos amis écoutent ; faites-moi
entendre votre voix. - Ces amis,
ce sont les saints ; lorsqu'ils sollicitent quelque grâce au profit
de leurs clients, ils attendent que leur
Reine la demande à Dieu et
l'obtienne ; car, nous l'avons démontré au Chapitre V, aucune
grâce n'est accordée sans l'intervention de
Marie. Or, à quelle condition
Marie obtient-elle les grâces ? à la seule condition de faire
retnetir sa voix aux oreilles de Jésus, comme
lui-même l'y invite : Faites-moi
entendre votre voix ; dès qu'elle parle, son Fils l'exauce. A propos
du susdit passage des cantiques,
l'abbé Guillaume fait parler
ainsi Jésus à Marie : " O vous qui habitez les jardins célestes,
intercédez avec confiance pour qui il vous
plaira ; car je ne puis oublier
que je suis votre Fils, au point d'avoir la pensée de refuser quelque
chose à ma Mère ". " Pour l'obtenir,
ajoute un autre auteur, elle n'a
qu'à prononcer un mot ; pour elle, être entendue de son Fils,
c'est être exaucée ". Selon l'abbé Geoffroi,
quoique Marie obtienne, elle aussi,
en priant, elle prie néanmoins avec une certaine autorité
de Mère d'où nous devons tenir pour
indubitable qu'aucune de ses requêtes
en notre faveur ne reste jamais sans effet.
Selon le récit de Valère
Maxime, lorsque Coriolan tenait Rome assiégée, les prières
de ses concitoyens et de ses amis ne purent le
décider à se retirer
; mais, lorsque sa mère Véturie se présenta devant
lui, il lui fut impossible de résister, et il leva le siège
sans aucun
retard. Or, les prières de
la sainte Vierge sont bien plus efficaces que celles de Véturie,
puisqu'elles s'adressent à un Fils bien plus
reconnaissant et plus affectionné
envers sa Mère. D'après le Père Justin de Miéchovie,
un seul soupir de Marie a plus de valeur auprès
de Dieu que les suffrages réunis
de tous les saints. Et c'est mot pout mot ce que, contraint par l'ordre
de saint Dominique, le démon
lui-même avoua un jour par
la bouche d'un possédé.
A son tour, saint Antonin parle ainsi
: " Pour Jésus, la prière de la bienheureuse Vierge est une
sorte de commandement, comme étant
celle de sa Mère, et partant
il ne saurait point ne l'exaucer. " Dans la même pensée, saint
Germain tient à Marie elle-même ce langage
qui doit encourager les pécheurs
à implorer la protection d'une si puissante avocate : " O Marie,
cotre crédit auprès de Dieu est celui
d'une mère auprès
de son Fils, et il n'est pas de si grand pécheur à qui vous
n'obteniez le pardon. Que pourrait en effet vous refuser un
Dieu qui se plaît à
contenter tous les désirs de sa vraie et immaculée Mère
?" Les saints du ciel ne pensent pas autrement. Sainte
Brigitte les entendit un jour qui
disaient à la Vierge : " O notre Reine bénie, qu'y-a-t-il
qui dépasse votre pouvoir ? Une chose voulue par
vous, est pour ainsi dire déjà
faite ". C'est ce qu'exprime heureusement un vers bien connu :
Quod Deus imperio, tu prece, Virgo potes !
" Que le Seigneur commande, ou que ta voie le prie,
tout s'accomplit de même, ô puissante Marie ! "
Eh quoi ! s'écrie saint Augustin,
c'est-ce pas chose digne de la bonté du Seigneur d'honorer ainsi
sa Mère ? N'a-t-il pas déclaré qu'il
était venu en ce monde, non
pour abroger, mais pour accomplir la loi, qui nous ordonne entre autres
choses d'honorer nos parents ?
Selon saint Georges, archevêque
de Nicomédie, une des fins que Jésus-Christ se propose en
exauçant toutes les prières de sa Mère,
c'est d'acquitter en quelque sorte
la dette qu'il a contractée envers Celle dont il a reçu l'être
humain. Le martyr saint Méthode s'écriait
dans le même sens : " Réjouissez-vous,
ô Marie, vous avez pour débiteur un Fils qui donne à
tous et ne reçoit rien de personne. Nous
autres, nous sommes tous redevables
à Dieu de tout ce que nous avons, puisque tout vient de lui ; mais
Dieu lui-même vous est
redevable à vous, depuis
qu'il a daigné prendre de vous la chair humaine. "
Sur quoi saint Augustin reprend :
" Marie ayant mérité de donner au Verbe divin ce corps qui
nous a servi de rançon et qui nous a
délivrés de la mort
éternelle par son immolation, elle peut, mieux que tous les autres
saints, nous aider dans l'affaire de notre salut. "
On lit également dans les
oeuvres de saint Théophile, patriarche d'Alexandrie et contemporain
de saint Jérôme : " Le Fils aime à être
prié par sa Mère,
parce qu'il veut accorder par amour pour elle tout ce qu'il accorde de
grâces, et reconnaître ainsi le service qu'elle lui
a rendu en le revêtant de
la chair humaine ". Enfin, dans sa liturgie, l'Église grecque parle
ainsi à la Vierge : " Vous pouvez nous sauver
tous, ô Marie, puisque vous
êtes la Mère de Dieu ; l'autorité d'une Mère
auprès de son fils donne à vos prières une valeur
sans bornes.
"
Au souvenir de l'immense bienfait
que le Seigneur accorda aux hommes quand il leur donna Marie pour avocate,
saint Bonaventure lui
adresse à elle-même
ces paroles qui nous serviront de conclusion : " O immense, ô adorable
bonté de notre Dieu, qui a daigné donner à
des malheureux, à des criminels,
une avocate telle que vous, ô notre Reine, qui pouvez, par votre
intercession, leur obtenir tout ce qu'il
vous plaît ! O ineffable clémence
de notre Dieu, qui, ne voulant pas que nous ayons trop à redouter
la sentence qu'il doit prononcer
dans notre cause, nous a destiné
pour avocate sa propre Mère et la Maîtresse de la grâce
!"
EXEMPLE
Le père Razzi, camaldule,
rapporte l'histoire d'un jeune homme, qui, par suite de la mort de son
père, avait été envoyé par sa mère à
la
cour d'un prince. En lui faisant
ses adieux, sa mère, qui était fort dévote à
Marie, lui avait fait promettre de réciter chaque jour un Ave
Maria avec cette invocation : "
Vierge bénie, assistez-moi à l'heure de ma mort ! " Arrivé
à la cour, le jeune homme se livra bientôt au
vice avec un emportement qui obligean
le prince de le congédier. Privé ainsi de tout moyen d'existence
et ne sachant que devenir,
l'infortuné se mit à
courir les grands chemins, et à rançonner et parfois assassiner
les voyageurs, sans toutefois renoncer à sa coutume
de se recommander selon le conseil
de sa mère, à la très sainte Vierge. Il finit par
être arrêté et condamné à mort. La veille
du jour
marqué pour son supplice,
il pleurait amèrement dans sa prison, en pensant à son déshonneur,
à la douleur de sa mère, à la mort qu'il
devait subir.
Voyant son extrême abattement,
et voulant en profiter, tout à coup le démon lui apparaît
sous la forme d'un beau jeune homme, et lui
romet de l'arracher à la
mort et de le tirer de sa prison, sous certaines conditions qu'il lui fera
connaître. Le condamné se montrer prêt
à tout. Jetant alors le masque
: " Je suis le démon, dit le fantôme au jeune homme ; je suis
venu pour t'aider ; mais d'abord il faut que
tu renies Jésus-Christ et
les saints sacrements. " Le malheureux y consentit. - " Maintenant, ajoute
le malin esprit, il faut encore renier
la Vierge Marie et renoncer à
sa protection. - Oh ! pour cela, réplique le jeune homme, je ne
le ferai jamais ". Et aussitôt, s'adressant à
Marie, il répète la
prière qu'il a apprise de sa mère : " Vierge bénie,
assistez-moi à l'heure de ma mort " ! A ces mots, le démon
disparut,
Mais le jeune homme demeura excessivement
affligé du crime énorme qu'il avait commis en reniant Jésus-Christ.
Il eut cependant
recours à la sainte Vierge,
et elle lui obtint une grande douleur de tous ses péchés,
qu'il confessa avec de vifs sentiments de contrition
et en versant un torrent de larmes.
Comme il se rendait au lieu du supplice, il rencontra en chemin une statue
de Marie, et il la salua en
récitant sa prière
accoutumée : " Vierge bénie, assistez-moi à l'heure
de ma mort " Il vit alors, et tous les assistants purent voir que la
statue inclinait la tête comme
pour lui rendre le salut. Vivement ému, il demanda qu'on lui permît
de baiser les pieds de la statue, par un
nouveau prodige, celle-ci étendit
le bras, saisit le condamné par la main, et le retint avec tant
de force qu'il fut impossible de l'arracher
de là. A cette vue, tous
les spectateurs de crier : " Grâce ! grâce ! " et la grâce
fut accordée. Revenu ensuite dans son pays, ce jeune
homme y mena une vie exemplaire,
et se montra toujours dévoué à la bienheureuse Vierge,
qui l'avait délivré de la mort temporelle et
de la mort éternelle.
PRIÈRE
Auguste Mère de Dieu, je vous
dirai avec saint Bernard : " Votre divin Fils vous écoute, et il
est disposé à vous accorder tout ce que
vous lui demanderez ; parlez donc,
ô Marie, notre avocate, parlez pour nous, misérables que nous
sommes ". Daignez ne pas l'oublier
: ce n'est pas pour votre seul avantage,
mais pour le nôtre aussi, que vous avez été élevée
à une si haute dignité et inverstie d'une si
grande puissance. Si un Dieu a voulu
se rendre votre débiteur en prenant de vous la nature humaine, ce
fut afin que vous puissiez, à
votre gré, faire part aux
pauvres pécheurs des trésors de la miséricorde divine.
Nous sommes vos serviteurs, nous
nous sommes consacrés d'une manière spéciale à
votre culte ; je parle ainsi parce que j'ai la
confiance d'être de ce nombre
; nous nous faisons gloire de vivre sous votre protection ; si vous faites
du bien à tous, même à ceux
qui ne vous connaissent pas ou qui
négligent de vous honorer, à ceux même qui vous outragent
et vous blasphèment, combien plus ne
devons-nous pas espérer de
votre bonté, qui va cherchant les malheureux pour les soulager,
nous qui vous honorons, qui vous aimons,
et qui nous confions en vous ! Nous
sommes de grands pécheurs ; mais Dieu vous a enrichie d'une bonté
et d'une puissance bien
au-dessus de toutes nos iniquités.
Vous pouvez nous sauver, vous le voulez ; et nous, de notre côté,
nous voulons attendre de vous
notre salut avec d'autant plus de
confiance que nous en sommes plus indignes, afin de vous glorifier davantage
dans le ciel, quand
nous y entrerons par votre intercession.
O Mère de miséricorde,
nous vous présentons nos âmes, autrefois belles, lavées
qu'elles étaient dans le sang de Jésus-Christ, mais
qu'ensuite nous avons horriblement
souillées par le péché ; nous vous les présentons,
afin que vous pensiez à les purifier.
Obtenez-nous un sincère amendement
; obtenez-nous l'amour de Dieu, la persévérance, le paradis.
Nous vous demandons de grandes
choses, mais, quoi ! n'êtes-vous
pas assez puissante pour nous les obtenir ? dépassent-elles les
bornes de l'amour dont vous êtes l'objet
de la part de Dieu ? Il vous suffit
d'ouvrir la bouche et de prier votre divin Fils ; il ne vous refuse rien.
Priez donc, ô Marie, priez
pour nous, priez, et vous serez
certainement exaucée, et nous serons infailliblement sauvés.
II
Marie est une Avocate compatissante, qui ne refuse pas de défendre la cause des plus misérables.
Combien de motifs nous font une loi
d'aimer notre affectueuse Reine ! Quand même on louerait Marie d'un
bout de l'univers à l'autre ;
quand même on ne parlerait
que de Marie dans tous les sermons ; quand même tous les hommes donneraient
leur vie pour l'amour de
Marie, ce serait peu encore pour
honorer et reconnaître l'amour si tendre dont elle aime tous les
hommes, sans en excepter les plus
misérables pécheurs,
ceuz-là du moins qui conservent en elle quelque sentiment de dévotion.
Le bienheureux Raymond Jourdain,
qui prit par humilité le nom d'Idiot, disait que Marie ne sais se
défendre d'aimer ceux qui l'aiment,
qu'elle ne dédaigne pas de
servir ceux qui la servent, et que, s'ils sont pécheurs, elle déploie
toute la puissance de son intercession pour
les réconcilier avec son
divin Fils. " Telle est, continue-t-il, sa bonté, telle est sa miséricorde,
que nul, pour désespéré que paraisse son
état ne doit craindre de
se jeter à ses pieds ; car elle ne reposse jamais celui recourt
à sa protection ". Remplissant à notre égard l'office
de l'avocate la plus dévouée,
Marie offre elle-même à Dieu les prières de ses serviteurs,
et spécialement celles qui lui sont adressées ;
car, si le Fils intercède
pour nous auprès du Père, Marie intercède pour nous
auprès du Fils ; et elle ne cesse de traiter, auprès de l'un
et de l'autre, la grande affaire
de notre salut, et de nous obtenir les grâces que nous sollicitons."
Denis le Chartreux a donc raison
de proclamer Marie l'unique Refuge des âmes abandonnées, l'Espérance
des malheureux, et l'Avocate
de tous les pécheurs qui
ont recours à elle.
Et si quelque pécheur, tout
en croyant à la puissance de Marie, manquait de confiance en sa
miséricorde, et craignait que, vu
l'énormité de ses
fautes, elle ne refusât de l'aider, saint Bonaventure relèverait
son courage, en lui disant : " Marie jouit auprès de son
Fils d'un grand et singulier privilège
: par sa prière, elle en obtient tout ce qu'elle veut. Or, ajoute-t-il,
de quoi nous servirait cette grande
puissance de Marie, si elle ne prenait
nul souci de nous ? Mais bannissons tout doute à cet égard,
conclut le Saint, et rendons
d'incessantes actions de grâces
au Seigneur et à sa glorieuse Mère, dans la persuasion que,
si elle est auprès de Dieu plus puissante que
tous les saints, elle est également
l'Avocate la plus bienveillante et la plus zélée pour nos
intérêts."
" Et en effet, ô Mère
de miséricorde, s'écrie avec joie saint Germain, quel autre,
après votre Fils Jésus, se montre aussi affectionné
que
vous à nos personnes, aussi
soucieux de notre bien ? Qui nous protège comme vous dans les maux
dont nous sommes affligés ? Qui
prend la défense des pécheurs
à l'égal de vous ? Qui va comme vous jusqu'à combattre
en quelque sorte pour eux ? O Marie, les soins
dont vous nous entourez sont si
efficaces et si tendres que nous ne parviendrons jamais à le comprendre
".
" Les autres saints, ajoute le pieux
Idiot, peuvent plus en faveur de leurs clients particuliers qu'en faveur
des autres ; mais Marie est
l'Avocate et la Protectrice de tous,
aussi bien qu'elle est la Reine de tous ; et elle prend à coeur
le salut de tous ".
Elle s'intéresse à
tous les fidèles, sans en excepter les pécheurs ; c'est même
de ceux-ci surtout qu'elle se glorifie d'être appelée
l'Avocate, comme elle l'a déclaré
à la vénérable soeur Marie Villani : " Après
le titre de Mère de Dieu, lui dit-elle, je me fais surtout
gloire d'être nommée
l'Avocate des pécheurs ".
Le bienheureux Amédée
assure que notre Reine se tient sans cesse en la présence de la
divine Majesté et lui offre continuellement en
notre faveur ses toutes-puissantes
prières. " Du haut des cieux, ajoute-t-il, elle connaît parfaitement
nos misères et nos besoins, son
coeur vraiment maternel, son coeut
tout plein de bonté et de tendresse ne songe qu'à nous secourir
et à nous sauver. "
C'est pourquoi Richard de Saint-Laurent
engage chacun de nous, si misérable soit-il, à recourir avec
confiance à cette douce Avocate,
en tenant pour certain qu'il la
trouvcera toujours prête à l'assister. Car, selon l'abbé
Geoffroi, Marie est toujours toute disposée à prier
pour tout le monde.
Oh ! avec quel amour et avec quel
succès cette douce Avocate traite nos intérêts éternels
! Parlant de l'Assomption de Marie : " Du
milieu des exilés, dit saint
Bernard, s'est élevée vers la patrie une Avocate que son
double titre de Mère du Juge et de Mère de
miséricorde rend plus zélée
et plus apte à plaider l'affaire de notre salut. " Saint Augustin
célèbre également l'affectueux empressement
de Marie à prier pour nous,
à supplier la divine Majesté de nous accorder la remise de
nos péchés, le secours de sa grâce,
l'éloignement des dangers,
le remède des maux ; et il s'écrie : " O Marie, nous savons
qu'entre tous les saints, vous êtes la seule
Protectrice de la sainte Église
". Et il dit bien ; car, ô notre Reine, bien que tous les saints
désirent notre salut et prient pour nous,
néanmoins, à la vue
de cette charitém de cette tendresse que vous nous témoignez
du haut des cieux, d'où votre prière fait descendre
sur nous les flots des divines miséricordes,
nous sommes bien obligés de confesser que vous êtes au cie
notre unique Avocate, la seule
qui s'emploie avec amour et zèle
à procurer notre bonheur.
Qui, en effet, pourrait comprendre
la sollicitude avec laquelle Marie intercède continuellement pour
nous auprès de Dieu ? " Son ardeur
à nous défendre est
insatiable ". Cette belle expression est de saint Germain. Oui, pressée
par sa tendresse et par compassion pour nos
misères, Marie prie toujours,
et recommence toujours à prier, et ne se rassasie jamais de prier
afin de nous préserver des maux qui
nous menacent, et de nous obtenir
les grâces dont nous avons besoin : son ardeur à nous protéger
est vraiment insatiable.
Que nous serions à plaindre,
nous, pauvres pécheurs si nous n'avions pas cette grande Avocate
! Elle est si puissante, si
miséricordieuse, et en même
temps si prudente et si sage, dit Richard de Saint-Laurent, que le divin
Juge, son Fils, ne peut condamner
les coupables dont elle prend la
défense. De là cette exclamation de Jean le Géomètre
: " Salut, ô vous qui mettez fin à tous les
différends ". Toutes les
causes soutenues par cette très sage Avocate sont, en effet, autant
de causes gagnées.
Voilà pourquoi saint Bonaventure
désigne Marie sous le nom de la sage Abigaïl. Selon le récit
de l'Écriture, cette femme fit si bien par
ses éloquentes prières,
qu'elle apaisa la colère de David contre Nabal ; et ce prince la
bénit et la remercia de l'avoir, par ses gracieux
procédés, empêcher
de venger lui-même ses injures : Soyez bénie, vous qui m'avez
retenu, lorsque j'allais me venger de ma propre
main. Ce qu'Abigaïl fit pour
Nabal, Marie le fait chaque jour au ciel, en faveur d'un nombre infin de
pécheurs. Par ses sages et tendres
prières, elle sait si bien
apaiser la justice divine, que Dieu lui-même la bénit et la
remercie, en quelque sorte, de ce qu'elle l'empêche
ainsi de rejeter les coupables et
de les punir comme ils le méritent.
C'est parce qu'il veut user envers
nous de toute la miséricorde possible que, non cotnent de nous avoir
donné Jésus comme principal
Avocat, chargé de nous défendre
auprès de lui, le Père éternel nous a encore donné
Marie pour Avocate auprès de Jésus lui-même.
Ainsi parle saint Bernard. Sans
doute, ajoute-t-il, Jésus-Christ est l'unique médiateur de
justice entre Dieu et les hommes ; lui seul peut,
en vertu de ses mérites,
et il veut conformément à ses promesses, nous obtenir le
pardon de nos fautes et la grâce divine. Mais en
Jésus-Christ nous redoutons
encore la majesté divine qui réside toujours en lui, puisqu'il
est tout à la fois homme et Dieu ; c'est
pourquoi il a été
nécessaire de nous assigner un autre avocat, auquel nous puissions
recourir avec moins de crainte et plus de
confiance. Eh bien ! le choix du
Seigneur est tombé sur Marie, l'Avocate la plus puissante auprès
de sa divine majesté, la plus
miséricordieuse envers nous
que nous puissions trouver.
Le même saint continue : Celui-là
ferait injure à la bonté de Marie, qui appréhenderait
encore d'aller se jeter aux pieds de cette douce
Avocate, qui n'a rien de sévère,
rien de terrible, qui n'est que prévenance, amabilité et
tendresse. Lisez et relisez tant que vous voudrez,
toute l'histoire évangélique
; et si vous y trouvez un seul acte de sévérité de
la part de Marie, craignez alors de vous approcher d'elle.
Mais vous n'en trouverez aucun ;
ayez donc recours à elle avec une joyeuse confiance, et elle vous
sauvera par son intercession.
Voici le discours touchant que Guillaume
de Paris met dans la bouche du pécheur recourant à Marie
: " O Mère de mon Dieu, dans
l'état misérable où
je me vois réduit par mes péchés, j'ai recours à
vous avec une pleine confiance ; et si vous me rejetez, je vous
représenterai que vous êtes
d'une certaine manière tenue de m'assister, puisque toute l'Église
vous appelle et vous proclame Mère de
miséricorde. O Marie, vous
êtes bien celle que Dieu chérit au point de l'exaucer toujours
; votre grande miséricorde n'a jamais manqué
à personne ; votre douce
affabilité n'a jamais dédaigné aucun pécheur,
si coupable fût-il, dès qu'il s'est recommandé à
vous.
Eh quoi ! serait-ce à tort
ou en vain que toute l'Église vous nomme son Avocate et le Refuge
des malheureux ? Non, ô ma Mère,
jamais il n'arrivera que mes fautes
puissent m'empêcher de remplir l'auguste ministère de bonté
dont vous êtes chargée, et en vertu
duquel vous êtes à
la fois l'Avocate et la Médiatrice de paix entre Dieu et les hommes,
et, après votre divin Fils, l'unique Espérance et
le Refuge assuré des misérables.
Tout ce que vous avez de grâce et de gloire, et la dignité
même de Mère de Dieu, vous en êtes
redevable, s'il est permis de le
dire, aux pécheurs ; car c'est à cause d'eux que le Verbe
divin s'est fait votre Fils. Ah ! loin de cette
divine Mère, qui a donné
au monde la source de la miséricorde, loin d'elle la pensée
de refuser sa miséricorde à aucun misérable qui
l'appelle à son aide ! Ainsi,
ô Marie, puisque c'est votre office de réconcilier les hommes
avec Dieu, n'écoutez, pour venir à mon aide,
que votre douce miséricorde,
qui est bien plus grande que tous mes péchés."
Consolez-vous donc, ô âmes
pusillanimes, dirai-je enfin avec saint Thomas de Villeneuve ; respirez
et prenez courage, ô pauvres
pécheurs ; cette auguste
Vierge, Mère de votre Juge et de votre Dieu, est l'Avocate du genre
humain : Avocate puissante, qui peut tout
ce qu'elle veut auprès du
Seigneur ; Avocate pleine de sagesse, qui connaît tous les moyens
de l'apaiser ; Avocate universelle, qui
accueille tout le monde et ne refuse
à personne de le défendre.
EXEMPLE
Cette miséricorde à
l'égard des pauvres pécheurs, notre céleste Avocate
la manifesta d'une manière bien éclatante par ce qu'elle
fit,
selon Césaire et le Père
Rho, en faveur d'une religieuse de Fontevreault, nommé Béatrix.
Cette malheureuse s'était éprise d'une folle
passion pour un jeune homme ; de
concert avec lui, elle avait formé le complot de s'enfuir pour le
suivre ; et un jour, en effet, elle s'en
alla auprès d'une statue
de Marie, déposa à ses pieds les clefs du couvent, dont elle
était portière et partit sans pudeur. S'étant rendue
dans une contrée éloignée,
elle s'oublia jusqu'à faire le métier de courtisane, et vécut
quinze années dans cette dégradation. Au bout de
ce temps, elle rencontra dans la
ville qu'elle habitait le pourvoyeur de son couvent ; et, persuadée
qu'il ne pouvait la reconnaître, elle lui
demanda s'il connaissait la soeur
Béatrix. " Parfaitement, répondit-il. c'est une sainte religieuse,
et elle est à présent maîtresse des
novices. " Stupéfaite et
tout interdite à cette réponse, la pécheresse ne savait
que penser. Afin de savoir le mot de l'énigme, elle se
travestit, et se transporta au couvent.
Là, elle demanda la soeur Béatrix ; et voilà que se
présente devant elle la sainte Vierge, sous les
trait de cette statue même
aux pieds de laquelle elle avait déposé ses clefs et ses
vêtements. " Béatrix, lui dit la divine Mère, sachez
que,
pour sauver votre honneur, j'ai
pris vos traits, et rempli votre charge pendant ces quinzes années
que vous avez vécu loin du couvent.
Revenez à Dieu, ma fille
; mon Fils est encore prêt à vous recevoir ; faites donc pénitence,
et tâchez de conserver, par une vie
édifiante, la bonne réputation
que je vous ai acquise ici. " Elle dit, et disparut. Béatrix, touchée
de reconnaissance pour cette extrême
miséricorde de Marie envers
elle, reprit l'habit religieux, et y vécut saintement le reste de
ses jours. A sa mort, elle découvrit le tout
pour la gloire de la Reine du ciel.
PRIÈRE
Glorieuse Mère du Sauveur,
je le confesse, l'ingratitude dont j'ai si longtemps usé envers
Dieu et vous, mériterait que, par un juste
retour, vous me retirassiez tous
vos soins ; car l'ingrat n'est plus digne des bienfaits. Mais, ma douce
Souveraine, j'ai une haute idée
de votre bonté ; je suis
convaincu qu'elle surpasse de beaucoup mon ingratitude. Continuez donc,
ô Refuge des pécheurs, et ne cessez
jamais de secourir un pauvre pécheur
qui se confie en vous. O Mère de miséricorde, daignez tendre
la main à un malheureux qui est
tombé, et qui implore votre
pitié, Défendez-moi, ô Marie, ou bien dites-moi à
qui je dois m'adresser qui puisse me défendre mieux que
vous. Mais où irai-je chercher
une Avocate plus compatissante et plus puissante auprès de Dieu
que vous qui êtes sa Mère ? En
devenant la Mère du Sauveur,
vous fûtes investie de l'office de sauver les pécheurs, et
vous m'avez été donnée pour me guider au port
du salut ; ô Marie, sauvez
celui qui a recours à vous.
Je ne mérite point votre amour
; mais le désir que vous avez de sauver ceux qui sont perdus m'inspire
la confiance que vous m'aimez ;
et si vous m'aimez, comment pourrai-je
périr à jamais ? Ma chère Mère, si je me sauve
par votre secours, comme je l'espère, je ne
vous serai pas ingrat : par des
louanges éternelles, je réparerai mon ingratitude passée
; et ce sera en vous consacrant toutes les
affections de mon âme que
je reconnaîtrai l'amour dont vous m'avez donné tant de preuves.
Au ciel, où vous régnez et règnerez
éternellement, je chanterai
avec joie et sans fin vos miséricordes, et je baiserai cette main
charitable qui m'a délivré de l'enfer autant
de fois que je l'ai mérité
par mes péchés. O Marie, ô ma libératrice !
ô mon espérance ! ô ma Reine ! ô mon Avocate !
ô ma Mère ! je
vous aime, je vous aime, et je veux
vous aimer à jamais. Amen, amen. Ainsi, j'espère, ainsi soit-il.
III Marie réconcilie les pécheurs avec Dieu
La grâce de Dieu est pour toute
âme un trésor extrêmement désirable. " C'est
un trésor infini, dit l'Esprit-Saint, car elle élève
ceux qui
la possèdent à la
dignité d'amis de Dieu ". Aussi, Jésus, notre Rédempteur
et notre Dieu, n'a pas dédaigné de donner ce titre à
ceux qui
sont en état de grâce
et de leur dire : Vous êtes mes amis. Ah ! maudit soit le péché
qui rompt les liens de cette belle amitiés ! Ce sont
vos iniquités, dit Isaïe,
qui ont mis la division entre vous et votre Dieu ; maudit soit le péché,
qui, entrant dans une âme, la rend
odieuse à Dieu, et, d'amie
qu'elle était de son Seigneur, la rend son ennemie, selon cette
parole du Sage : Dieu hait l'impie et son
impiété.
Que doit donc faire celui qui a le
malheur de se trouver dans l'inimitié de Dieu ? - Il faut qu'il
cherche un médiateur, qui lui obtienne
son pardon et lui fasse recouver
la divine amitié qu'il a perdue. " Console-toi, pauvre pécheur
qui a perdu la grâce de Dieu, dit saint
Bernard ; ce Dieu lui-même
t'a donné un Médiateur dans la personne de son propre Fils
Jésus, lequel peut t'obtenir tout ce que tu
désires. "
Mais, grand Dieu ! s'écrie
ici le Saint, d'où vient que les hommes se figurent sévère
ce miséricordieux Sauveur qui les a rachetés au
prix de sa vie ? comment peut leur
paraître terible celui qui est tout aimable ? Que craignez-vous,
pécheurs, pourquoi manquez-vous
de confiance ? Si ce sont vos péchés
qui vous effraient, sachez que Jésus lui-même les a attachés
à la croix avec ses mains déchirées,
qu'il en a payé la peine
à la justice divine et en a purgé vos âmes. Mais peut-être
vous n'osez encore vous adresser directement à
Jésus-Christ, peut-être
sa majesté divine vous épouvante ; en se faisant homme, dites-vous,
il n'a pas cessé d'être Dieu ; voulez-vous
donc un autre avocat auprès
de ce divin Médiateur ? Eh bien ! recourez à Marie ; elle
intercédera pour vous auprès de son Fils, qui
l'exaucera certainement ; et Jésus
intercédera auprès de son Père, qui ne peut rien refuser
à un tel Fils. Saint Bernard termine ainsi
cette exhortation : " Cette divine
Mère, ô mes enfants, est l'échelle des pécheurs
; c'est par elle qu'ils remontent à la hauteur de la grâce
; elle est ma confiance la plus
assurée, elle est tout le fondement de mon espérance. "
Voici comment l'Esprit-Saint fait
parler la bienheureuse Vierge dans les Cantiques : " Je suis la défense
de ceux qui recourent à moi, et
ma miséricorde est pour eux
comme une tour de refuge ; c'est pourquoi le Seigneur m'a établie
Médiatrice de paix entre lui et les
pécheurs. " - Marie, dit
le cardinal Hugues sur ce texte, Marie est la Pacificatrice universelle
: elle réconcilie Dieu avec ses ennemis,
elle procure le salut à ceux
qui sont perdus, le pardon aux pécheurs, la miséricorde aux
désespérés. C'est pourquoi le divin Époux la
trouve belle comme les pavillons
de Salomon. Sous les pavillons ou les tentes de David, on ne traitait que
de guerre ; mais sous ceux
de Salomon, on traitait uniquement
de choses pacifiques. Par cette comparaison donc, l'Esprit-Saint nous donne
à entendre que cette
Mère de miséricorde
ne traite jamais de guerre et de vengeance contre les pécheurs,
mais seulement de paix et de pardon.
Une autre figure de Marie sous ce
rapport, ce fut la colombe qui, sortie de l'arche de Noé, y revint
avec un rameau d'olivier, emblême
de la paix que Dieu accordait au
genre humain. C'est l'interprétation de saint Bonaventure : " O
Marie, dit-il, vous êtes la fidèle Colombe
qui, par son entremise auprès
de Dieu, a ménagé au monde, après sa ruine, la paix
et le salut ". Céleste Colombe, elle apporta au monde
submergé dans les eaux du
péché, le rameau pacifique, le gage du pardon, quand elle
donna le jour à Jésus-Christ, source de toute
miséricorde ; et c'est elle
qui, depuis lors, nous a obtenu, en vertu des mérites du sauveur,
toutes les grâces que Dieu nous a faites. Et
de même que la paix du ciel
a été donnée au monde par Marie, comme le lui dit
saint Épiphane, c'est par le moyen de Marie que,
chaque jour encore, les pécheurs
sont réconciliés avec Dieu. De là ces paroles que
le bienheureux Albert le Grand lui met sur les lèvres
: " Je suis la Colombe de Noé
; c'est moi qui apporte à l'Église la paix universelle. "
" Nous avons encore une figure expresse
de Marie dans l'arc-en-ciel, dit le cardinal Vitale, c'est Marie, toujours
présente au tribunal de
Dieu pour adoucir les sentences
et les châtiments suspendus sur la têtes des pécheurs.
" D'après saint Bernardin de Sienne, c'était de
cet arc-en-ciel que parlait le Seigneur
quand il disait à Noé : Je placerai mon arc dans les nuages,
en signe de l'alliance entre moi et la
terre... ; en le voyant, je me souviendrai
de la paix perpétuelle que je fais avec les hommes. La bienheureuse
Vierge est bien cet arc de
paix éternelle, dit le saint,
car, de même qu'à la vue de l'arc-en-ciel Dieu se souvient
de la paix promise à la terre, ainsi, à la prière
de
Marie, il remet aux pécheurs
les offenses qu'ils lui ont faites, et conclut la paix avec eux.
En outre, toujours pour la même
raison, Marie est comparée à la lune. Cet astre, remarque
saint Bonaventure, est entre le ciel et la
terre, et Marie s'interpose continuellement
entre Dieu et les hommes, elle apaise le Seigneur irrité contre
les coupables, et éclaire
ceux-ci pour les ramener à
lui.
Et tel fut le principal office dont
Dieu chargea Marie quand il la donna à la terre, à savoir,
de relever les âmes déchues de la grâce, et
de les réconcilier avec lui.
- Paissez vos chevreaux, lui dit le Seigneur en la créant. Les chevreaux,
on le sait, représentent les pécheurs
qui, dans la vallée du Jugement,
devront rester à la gauche, tandis que les élus, figurés
par les brebis seront placés à la droite. Or, dit
l'abbé Guillaume en s'adressant
à Marie, ces chevreaux vous seront confiés, ô puissante
Reine, afin que vous les changiez en brebis, et
que ceux qui, par leurs fautes,
ont mérité d'être jetés à la gauche,
soient admis à la droite par votre intercession. Ce commentaire
s'accorde avec une révélation
faite à sainte Catherine de Sienne. Le Seigneur lui déclara
qu'il avait créé Marie, sa Fille bien-aimée,
comme un doux appât pour prendre
et attirer à lui les hommes, et particulièrement les pécheurs.
Mais il faut noter ici la belle réflexion
de Guillaume sur le texte sacré
que nous venons de citer : " Dieu, dit-il, recommande à Marie les
chevreaux qui sont à elle : Paissez vos
chevreaux ; parce que la Vierge
ne sauve pas tous les pécheurs, mais seulement ceux qui la servent
et l'honorent, quelques souillés
qu'ils soient d'ailleurs. Quant
à ceux qui vivent dans le péché, ajoute-t-il, sans
honorer Marie par quelque hommage spécial, et sans se
recommander à elle pour sortir
de leur triste état, ils ne sont point ses chevreaux ; au jour du
jugement, ils seront misérablement placés
à gauche pour être
damnés ".
Un gentilhomme désespérait
de son salut à cause de l'énormité de ses fautes ;
un religieux lui conseilla de se rendre dans une certaine
église où l'on vénérait
une image de Marie, et d'implorer le secours de cette bonne Mère.
Il se transporte à l'église et, à l'aspect de la
pieuse image, il se sent comme invité
par la Vierge à se jeter à ses pieds et à prendre
confiance. Il approche, se prosterne, et se dispose
à baiser les pieds de la
statue ; mais elle s'anime à l'instant, et lui présente à
baiser sa main bénie sur laquelle il lit ces mots : Ego
eripiam te de affligentibus te ;
c'est-à-dire : " Mon fils, ne t'abandonne pas au désespoir
; je te délivrerai de tes péchés, et de toutes les
craintes qui t'affligent ". - On
rapporte qu'en lisant ces douces paroles, le pécheur conçut
une si grande douleur de ses fautes, et fut
pénétré d'un
si ardent amour envers Die et sa tendre Mère, qu'il mourut là
même aux pieds de Marie.
Oh ! combien de pécheurs obstinés
sont attirés tous les jours à Dieu par cet Aimant des coeurs
! C'est ainsi qu'elle s'est appelée
elle-même, en disant à
sainte Brigitte : " Comme l'aimant attire le fer, ainsi j'attire les coeurs
les plus endurcis pour les réconcilier avec
Dieu ". Et ce prodige se renouvelle,
non pas rarement, mais chaque jour. Je pourrais en citer, pour ma part,
un grand nombre de cas
arrivés dans nos seules missions
: souvent des pécheurs restés plus insensibles que le fer
à tous les autres sermons, sont touchés de
repentir et reviennent à
Dieu, dès qu'ils entendent prêcher la miséricorde de
Marie. Saint Grégoire dit que la licorne est une bête si
féroce qu'aucun chasseur
ne peut réussir à la prendre, mais qu'à la voix d'une
vierge elle devient docile, s'approche et se laisse lier par
elle sans résistance. Oh
! combien de pécheurs qui, plus intraitables que les bêtes
férocesm fuyaient loin de Dieu, accourent auprès de
la Reine des Vierges aussitôt
qu'ils entendent sa voix, et se laissent doucement enchaîner par
elle au joug du Seigneur !
D'après saint Jean Chrysostome,
Marie a encore été élevée à la dignité
de Mère de Dieu, afin que sa douce miséricorde et sa puissante
intercession sauvent les misérables
que leur mauvaise vie obligerait la justice divine à réprouver.
" Il en est bien ainsi, assure saint
Anselme, car c'est pour les pécheurs
plue que pour les justes qu'elle est devenue Mère de Dieu ; Jésus-Christ
n'a-t-il pas déclaré qu'il
était venu appeler, non les
justes, mais les pécheurs " ? Aussi la sainte Église n'hésite
pas à chanter :
Peccatores non exhorres,
Sine quibus nunquam fores
Tali digna Filio :
" Vous n'avez pas horreur des pécheurs,
sans lesquels vous n'eussiez jamais été Mère d'un
tel Fils ". - Et Guillaume de Paris va jusqu'à
lui tenir ce langage encore plus
pressant : O Marie, vous êtes obligée à secourir les
pécheurs, puisque tout ce que vous avez reçu de
dons, de grâces et de grandeurs,
en un mot, tout ce que renferme votre sublime dignité de Mère
de Dieu, vous en êtes, s'il est permis
de le dire, redevable aux pécheurs
; car c'est à cause d'eux que vous avez été rendue
digne d'avoir un Dieu pour Fils. S'il en est ainsi,
conclut saint Anselme, comment puis-je
désespérer d'obtenir le pardon de mes fautes, quelle qu'en
soit l'énormité ?
Dans la messe de la vigile de l'Assomption,
l'Église nous apprend que la Mère de Dieu a été
transportée de la terre au ciel, afin
d'intercéder pour nous auprès
du Seigneur avec une entière assurance d'être exaucée.
De son côté, saint Justin donne à Marie un nom
qui signifie l'arbitre d'un différend,
la personne à qui deux parties en procès remettent tous leurs
titres. Par là, le saint veut faire
entendre que, comme Jésus
est notre Médiateur auprès du Père éternel,
ainsi Marie est notre Médiatrice auprès de Jésus,
notre Juge,
qui remet à son pacifique
arbitrage tous ses griefs contre nous.
Pour saint André de Crète,
Marie est " la caution, la garantie, ou le gage de notre réconciliation
avec Dieu ". Et voici quelle est sa
pensée : tout le désir
de Dieu est de se réconcilier avec les pécheurs en leur remettant
leurs fautes ; or, afin qu'ils ne doutent
aucunement de sa disposition à
leur pardonner, il leur en donne comme un gage dans la personne de Marie.
De là, cette exclamation du
même saint : " Je vous salue,
ô vous qui êtes la paix entre Dieu et les hommes " ! Saint
Bonaventure s'appuie sur cette pensée pour
encourager le pécheur : "
Tu crains peut-être, lui dit-il, que dans son courroux le Seigneur
ne veuille tirer vengeance de tes fautes ;eh
bien ! suis mon conseil, recours
à l'Espérance des pécheurs, adresse-toi à Marie
; et si tu doutes aussi qu'elle consente à plaider ta
cause, sache qu'elle ne peut s'y
refuser : Dieu lui-même l'a chargée de secourir d'office les
plus misérables. "
Mais quoi ! s'écrie l'abbé
Adam, un pécheur doit-il jamais craindre de périr, quand
la Mère même de son Juge s'offre à lui servir de
mère et d'avocate ? Et vous,
ô Marie, ajoute-t-il ; vous, la Mère de miséricorde,
dédaignerez-vous de prier votre divin Fils, qui est
notre Juge, pour un autre fils,
qui est le pécheur ? refuserez-vous d'intercéder en faveur
d'une âme rachetée, auprès de son
Rédempteur, qui est mort
sur la croix pour sauver les pécheurs ? Oh ! non, vous ne le refuserez
point ; vous vous emploierez avec
toute l'ardeur de votre zèle
à prier pour tous ceux qui ont recours à vous ; car vous
savez que le Seigneur, qui a établi votre Fils
Médiateur de paix entre Dieu
et l'homme, vous a établie en même temps Médiatrice
entre le Juge et le coupable.
Concluons avec saint Bernard : Pécheur,
quel que tu sois, fusses-tu tout couvert de la fange de tes fautes, eusses-tu
vieilli dans
l'iniquité, garde-toi de
te livrer au désespoir. Rends grâces à ton Seigneur
qui, dans son désir de te faire miséricorde, ne s'est pas
contenté de donner son Fils
pour avocat, mais a voulu t'inspirer plus de courage encore et plus de
confiance, en te remettant aux
mains d'une Médiatrice qui
obtient par ses prières tout ce qui lui plaît. Va donc, recours
à Marie et tu seras sauvé.
EXEMPLE
L'histoire qu'on va lire est rapportée
par Alain de la Roche et Bonifacius. Il y avait à Florence une jeune
fille nommée Benoîte (Bénie),
mais qui méritait bien plutôt
le nom de maudite par la vie scandaleuse qu'elle menait. Par bonheur pour
elle, saint Dominique vint
prêcher dans cette ville.
Elle alla un jour l'entendre par pure curiosité ; mais Dieu lui
toucha le coeur par le moyen de ce sermon,
tellement que, fondant en larmes,
elle alla se confesser au Saint. Celui-ci l'entendit, lui donna l'absolution,
et lui imposa pour pénitence
la récitation du rosaire.
Mais bientôt, entrainée
par la force de l'habitude, la malheureuse retomba dans ses désordres.
Saint Dominique l'apprit, il alla trouver,
et obtint qu'elle se confessât
de nouveau. De son côté, afin de l'affermir dans le bien,
Dieu lui fit voir un jour l'enfer, lui montra ceux
qui, à cause d'elle, s'étaient
déjà damnés, et la força ensuite de lire, dans
un livre ouvert devant ses yeux, l'épouvantable série de
ses
péchés. A cette vue,
la pénitente fut saisie d'horreur ; mais, pleine de confiance en
la sainte Vierge, elle invoqua son secours, et
comprit que cette miséricordieuse
Mère lui obtenait du Seigneur le temps nécessaire pour pleurer
ses énormes excès.
La vision finit là, et Benoîte
se mit dès lors à vivre d'une manière exemplaire ;
mais, ayant sans cesse devant les yeux l'affreux dossier
qui lui avait été
montré, elle adressa un jour cette prière à sa douce
Consolatrice : " Ma mère, je le confesse, en punition de mes
crimes, je devrais être maintenant
au fond de l'enfer ; mais, puisque vous m'avez obtenu le temps de faire
pénitence, ô Reine
compatissante, je vous demande encore
une grâce : je ne veux jamais cesser de pleurer mes péchés
; mais faites qu'ils soient effacés
de ce livre ". Marie entendit sa
prière, lui apparut et lui dit que, pour obtenir ce qu'elle désirait,
elle ne devait jamais perdre de vue le
souvenir de ses péchés
et de la miséricorde avec laquelle Dieu l'avait traitée ;
elle devait penser sans cesse à la passion soufferte par
Jésus pour l'amour d'elle,
et considérer combien de malheureux étaient damnés
pour des fautes moins nombreuses que les siennes ;
elle lui révéla en
même temps que, ce jour-là, un enfant de huit ans devait être
précipité en enfer pour un seul péché. - Benoîte
ayant
obéi fidèlement à
la très sainte Vierge, Notre-Seigneur daigna un jour lui apparaître
lui-même, et lui montrant le livre tant redouté, il lui
dit : " Voici que tes péchés
sont effacés, le livre est blanc ; écris-y maintenant des
actes d'amour et de vertu ". C'est ce que fît Benoîte,
et elle mena depuis une vie sainte,
qui fut couronnée par une sainte mort.
PRIÈRE
Si donc, ô ma très douce
Souveraine, si votre office est, comme vous le dit Guillaume de Paris,
de vous porter Médiatrice entre Dieu
et les pécheurs, je vous
adresserai la prière de saint Thomas de Villeneuve, et vous dirai
: Montrez que vous êtes notre Avocate et, en
ma faveur aussi, acquittez-vous
de votre office. Ne me dites pas que ma cause est trop difficile à
gagner, car je le sais, et tout le
monde me l'assure : jamais cause
défendue par vous, si désespérée fût-elle,
n'a été perdue, et la mienne le serait ? Non, je ne le crains
pas.
A la vérité, si je
ne voyais que mes innombrables péchés, j'aurais lieu de douter
de votre disposition à me défendre, mais quand je
pense à votre immense miséricorde,
et à l'extrême désir qui anime votre bon coeur, de
secourir les pécheurs les plus désespérés,
je ne
saurais non plus m'arrêter
à cette crainte-là. Et qui jamais s'est perdu, après
avoir eu recours à vous ? Je vous appelle donc à mon
secours, ô Marie, ma puissante
Avocate, mon refuge, mon espérance et ma Mère ; je remet
entre vos mains la cause de mon salut
éternel ; je vous confie
mon âme : elle était perdue, mais c'est à vous de la
sauver. Je rends de continuelles actions de grâces au
Seigneur qui me donne une si grande
confiance en vous ; car je le sens : nonobstant mon indignité, cette
confiance m'assure de mon
salut.
Une seule crainte me reste et m'afflige,
ô ma bien-aimée Reine, c'est que je vienne à perdre
un jour, par ma négligence, cette
confiance en vous. Je vous en supplie
donc, ô Marie, par tout l'amour que vous portez à votre Jésus,
conservez et augmentez sans
cesse en moi l'heureuse confiance
en vos prières par lesquelles j'espère avec certitude récupérer
l'amitié divine. Cette amitié, je l'ai
fortement méprisée
et perdue par le passé ; mais, une fois recouvrée, j'espère
la conserver par votre secours ; et ainsi, je l'espère
encore, un jour enfin j'irai en
paradis vous remercier et chanter les miséricordes de Dieu et les
vôtres pendant toute l'éternité. Amen.
Tel est mon espoir. Puisse-t-il
être rempli ! Il le sera.
CHAPITRE VII
Illos tuos misericordes ocula as nos converte
Tournez vers nous vos yeux plein de miséricorde.
MARIE, NOTRE GARDIENNE
Marie est tout yeux pour compatir à nos misères et les soulager
Saint Épiphane appelle la
Mère de Dieu Multocula, c'est-à-dire, celle qui est tout
yeux pour soulager nos misères ici-bas. Un jour, en
exorcisant un possédé.
on demanda au démon ce que faisait Marie : " Elle descend et elle
monte ", telle fut la réponse de l'esprit malin.
Par là, il voulait dire que
cette bonne Reine ne fait autre chose que descendre sur la terre pour apporter
des grâces aux hommes, et
monter au ciel pour présenter
nos suppliques au Seigneur et les lui faire agréer. Saint André
d'Avellin avait donc raison d'appeler la
bienheureuse Vierge la Femme d'affaires
du paradis, celle que sa miséricorde tient toujours en action, et
qui ménage des grâces à tous,
justes et pécheurs. Le Seigneur,
dit David, a les yeux ouverts sur les justes ; mais les yeux de Notre-Dame,
observe Richard de
Saint-Laurent, sont également
fixés sur les justes et sur les pécheurs. C'est, ajoute-t-il,
que les yeux de Marie sont des yeux de Mère,
et qu'une mère regarde sans
cesse son enfant, non seulement pour l'empêcher de tomber, mais encore
pour le relever, s'il tombe.
Jésus-Christ lui-même
a daigné manifester cette vérité à sainte Brigitte
; elle l'entendit un jour parler ainsi à sa glorieuse Mère
; " Ma
Mère, demandez-moi tout ce
que vous désirez ". - Tel est le langage que Jésus tient
sans cesse à Marie dans le ciel ; car il aime à
contenter cette Mère chérie
en tout ce qu'elle lui demande. - Mais que lui demande Marie ? Sainte Brigitte
l'entendit qui répondait à son
divin Fils : Je demande miséricorde
pour les misérables ; comme si elle eût dit : Mon Fils, vous
avez voulu que je sois la Mère de
miséricorde, le Refuge des
pécheurs et l'Avocate des malheureux ; et vous me dites de vous
demander ce que je veux ; mais, que
puis-je vouloir, sinon que vous
usiez de miséricorde envers les misérables ? c'est là
que je vous demande : Misericordiam peto miseris.
:" Ainsi, ô Marie, s'écrie
avec attendrissement saint Bonaventure ; vous êtes si pleine de miséricorde,
si attentive à secourir les
malheureux, que vous semblez n'avoir
aucun autre désir, aucune autre sollicitude, que de les assister."
Et, comme, entre tous les
malheureux, les pécheurs
sont les plus à plaindre, le vénérable Bède
assure que Marie est continuellement occupée à prier son
divin Fils
pour les pécheurs.
Dès le temps même que
Marie vivait sur la terre dit saint Jérôme, elle avait le
coeur si compatissant et si tendre envers les hommes,
que personne n'a jamais souffert
de ses propres peines autant que cette bonne Mère souffrait celle
des autres. Elle donna une belle
preuve de cette commisération
dont elle était pénétrée pour les peines d'autrui,
dans le trait déjà cité des noces de Cana : le vin
y étant
venu à manquer, Marie n'attendit
pas qu'on recourût à elle, remarque saint Bernardin, mais
ce fut spontanément qu'elle se chargea du
charitable office de consoler les
affligés ; et, par pure compassion pour la peine des jeunes époux,
elle intercéda auprès de son Fils, et
en obtint le miracle du changement
de l'eau en vin.
Mais, ô bienheureuse Vierge,
s'écrie ici saint Pierre Damien, depuis que vous êtes élevée
à la dignité de Reine du ciel, auriez-vous
peut-être oublié vos
pauvres serviteurs ? A Dieu ne plaise qu'on ait jamais une telle pensée
! reprend-il aussitôt ; une miséricorde telle
que celle qui règne dans
le coeur de Marie, ne saurait oublier une misère comme la nôtre.
A Marie ne s'applique pas le proverbe si
connu, que les honneurs changent
les moeurs. Cela est vrai quant aux mondains, qui ne peuvent parvenir à
quelque dignité sans
s'enorgueillir et oublier leurs
anciens amis restés pauvres ; il n'en est pas ainsi de Marie ; si
elle se réjouit de son élévatopm. c'est qu'elle
y trouve un moyen de secourir plus
efficacement les malheureux.
C'est précisément pour
ce motif que saint Bonaventure lui applique les paroles dites à
Ruth : Vos dernières bontés ont surpassé les
premières. Le saint entend
par là, comme il l'explique ensuite, que la compassion envers les
malheureux, déjà si grande en Marie, alors
qu'elle était encore ici-bas,
est encore bien plus grande aujourd'hui qu'elle règne dans les cieux.
Et il en donne la raison : " Si cette
divine Mère, dit-il, nous
témoigne maintenant, par les innombrables grâces qu'elle nous
obtient, une plus grande miséricorde, c'est
qu'elle connaît mieux nos
misères". " Oui, ajoute-t-il, autant l'éclat du soleil surpasse
celui de la lune, autant la compassion de Marie
pour nous, maintenant qu'elle est
dans la gloire, surpasse celle qu'elle nous portait ici-bas." Le saint
conclut en ces termes : "Est-il au
monde un homme qui ne jouisse de
la lumière du soleil ? de même, il n'est personne sur qui
ne tombent les rayons de la miséricorde de
Marie". Voilà pourquoi elle
est comparée au soleil ; et le docteur séraphique lui applique
ce qui est dit de cet astre : Il n'est personne qui
échappe à sa chaleur.
Cet enseignement est confirmé
par une révélation de sainte Agnès à sainte
Brigitte ; on y lit : Maintenant que notre Reine est
étroitement unie avec son
Fils dans le ciel, elle ne s'est pas dépouillée de la bonté
qui lui est naturelle ; aussi fait-elle sentir les effets de
sa tendresse à tous les hommes,s
ans en excepter les pécheurs les plus impies. Et comme le soleil
éclaire tous les corps, les terrestres
aussi bien que les célestes
; ainsi, grâce à la douceur de Marie et par son entremise,
il n'est personne au monde qui n'ait part aux
divines miséricordes, pourvu
qu'il les implore.
Au royaume de Valence, un grand criminel
avait résolu de passer chez les Turcs et d'y prendre le turban ;
il désespérait d'échapper
autrement aux coups de la justice.
Déjà même il se rendait au port pour s'embarquer lorsque,
passant devant une église, il y entra et
assista au sermon qu'y prêchait
en ce moment le Père Jérôme Lopez de la Compagnie de
Jésus. A ce sermon, qui roulait sur la
miséricorde divine, le pécheur
se convertit et se confessa au prédicateur lui-même. Celui-ci
lui demandan s'il avait conservé quelque
pratique pieuse en retour de laquelle
Dieu lui aurait fait cette grâce insigne. " La seule dévotion
que j'aie pratiquée, répondit-il, a été de
prier chaque jour la sainte Vierge
de ne pas m'abandonner".
Le même religieux rencontra
un jour à l'hôpital un autre pécheur qui ne s'était
pas confessé depuis cinquante ans ; toute sa religion
pendant cet intervalle s'était
réduite à ceci : quand il voyait une image de Marie, il la
saluait et priait la divine Mère de ne pas le laisser
mourir dans le péché
mortel. Or, il raconta que, dans une rixe avec un de ses ennemis, son épée
s'était rompue; et alors, se tournant
vers le bienheureuse Vierge, il
s'était écrié; "Hélas ! me voilà mort
et damné. Mère des pécheurs ! secourez-moi." Et, en
disant ses
mots, il s'était trouvé,
sans savoir comment, en lieu sûr. Cet homme fit une confession générale
et mourut plein de confiance.
Selon saint Bernard, Marie se fait
tout à tous ; elle ouvre à tous les hommes le sein de sa
miséricorde, afin que tous reçoivent de sa
plénitude : l'esclave, la
liberté, le malade, la santé, l'affligé des consolations,
le pécheur, la remise de ses fautes ; il n'est pas jusqu'à
Dieu qui n'en reçoive une
grande augmentation de gloire ; en un mot, il n'est personne qui ne ressente
la chaleur de ce bienfaisant
Soleil.
Et qui dans le monde pourrait ne
pas aimer cette Reine tout aimable, s'écrie saint Bonaventure ?
elle est plus belle que l'astre du jour,
plus douce que le miel ; crai trésor
de bonté, elle est tendre et affable envers tout le monde. Je vous
salue donc, ô ma Souveraine et ma
Mère, je dirai même
mon Coeur, mon Ame ! Pardonnez-moi, ô Marie, si j'ose dire que je
vous aime ; car, si je ne suis pas digne de
vous aimer, vous êtes assurément
bien digne d'être aimée de moi.
Selon une révélation
faite à sainte Gertrude, lorsqu'on adresse avec dévotion
à Marie ces paroles du Salve Regina : Eia ergo, Advocata
nostra ! illos tuos misericordes
oculos ad nos converte : "De grâce, ô notre Avocate, tournez
vers nous vos yeux miséricordieux " ; -
cette bonne Mère ne peut
s'empêcher de se rendre au désir de qui la prie ainsi.
Oui, dit saint Bernard, l'immense
miséricorde de Marie remplit tout l'univers. Et, selon saint Bonaventure,
cette Mère pleine de
tendresse, a un tel désir
de faire du bien à tout le monde, qu'elle se tient pour offensée,
non seulement par ceux qui l'outragent
positivement ; - car il est des
hommes, spécialement les joueurs, qui, dans la colère, poussent
la perversité jusqu'à blasphémer et
insulter cette douce Reine ; - mais
Marie se croit offensée aussi par ceux qui ne lui demandent jamais
aucune grâce. Ainsi, ô Marie !
ajoute saint Hildebert, vous nous
enseignez à espérer des grâces au-dessus de nos mérites,
puisque vous ne cessez de nous en
distribuer qui dépassent
de beaucoup ce que nous méritons.
Le prophète Isaïe avait
prédit que la grande oeuvre de notre rédemption, aurait pour
effet de préparer un trône où la divine miséricorde
donnerait audience à notre
misère. Quel est ce trône? " C'est Marie, répond saint
Bonaventure, car en elle, justes et pécheurs, tous les
hommes trouvent les consolations
de la miséricorde". Ensuite, il ajoute : " De même que Notre-Seigneur,
Notre-Dame est pleine de
miséricorde ; et la Mère,
non plus que le Fils, ne sait refuser sa commisération à
ceux qui l'implorent " : Dans le même sens, l'abbé
Guéric fait parler ainsi
Jésus à sa Mère : Ma Mère, je placerai en vous
le siège de mon empire ; car c'est par vous que j'accorderai les
grâces qui me seront demandées
: vous m'avez donné ce que j'ai d'humain ; je vous donnerai ce que
j'ai de divin, c'est-à-dire, la
toute-puissance, en vertu de laquelle
vous pourrez aider à se sauver ceux que vous voudrez.
Un jour que sainte Gertrude adressait
avec ferveur à la Mère de Dieu les paroles citées
plus haut : " Tournez vers nous vos yeux
miséricordieux", elle vit
tout à coup la bienheureuse Vierge, qui lui dit en montrant les
yeux de son Fils qu'elle tenait dans ses bras : "
Voici les yeux pleins de miséricorde
qui se tournent à mon gré pour sauver ceux qui m'invoquent."
Comme un pécheur fondait en
larmes devant une image de Marie, la priant de lui obtenir de Dieu son
pardon, il entendit cette auguste
Mère dire au Sauver enfant,
qu'elle portait entre ses bras : " Mon Fils, ces larmes seront-elles versées
en pure perte" ? Et il comprit que
Jésus-Christ lui pardonnait.
Comment, en effet, pourrait-il périr,
celui qui se recommande à cette clémente Reine, vu que le
Sauveur lui-même, parlant avec la
suprême autorité d'un
Dieu, a promis à sa Mère d'user pour l'amour d'elle de toute
la miséricorde qu'elle voudra envers ceux qui la
prendront pour avocate ? Ceci fut
révélé à sainte Brigitte : elle entendit Jésus-Christ
qui adressait ces paroles à Marie : " En vertu de ma
toute-puissance, je vous ai accordé,
à vous mon auguste Mère, le pouvoir de faire grâce
à tous les pécheurs qui invoqueront
pieusement le secours de votre maternelle
bonté, et de le faire de telle manière qu'il vous plaira."
Plein de confiance en considérant
ce haut crédit de Marie auprès de Dieu, et son ineffable
tendresse à notre égard, l'abbé Adam de
Perseigne lui parlait ainsi : O
Mère de miséricorde, votre bonté égale votre
puissance, et vous n'êtes pas moins indulgente envers les
pécheurs que votre intercession
est efficace. Quand pourra-t-il se faire que vous refusiez votre compassion
aux malheureux, vous qui
êtes la Mère de la
toute-puissance ? Jamais, car il vous est aussi facile d'obtenir une grâce
quelconque, que de connaître nos misères.
Rassasiez-vous donc, ô grande
Reine, s'écrie l'abbé Guéric, rassasiez-vous de la
gloire de votre divin Fils, et, sinon pour nos mérites,
du moins par compassion, laissez
tomber ici-bas, pour nous, vos pauvres serviteurs et enfants, les miettes
de votre table.
Si nos péchés nous
inspirent de la défiance, disons avec Guillaume de Paris : Ma douce
Souveraine, n'alléguez pas mes péchés contre
moi, car, contre mes péchés,
j'allègue votre miséricorde. Ah ! qu'il ne soit pas dit que
mes péchés ont pu tenir en échec votre
miséricorde ; elle peut bien
plus pour me faire absoudre, que toutes mes fautes pour me condamner.
EXEMPLE
On lit dans les Annales des Capucins,
qu'il y avait à Venise un célèbre avocat qui s'était
enrichi par des moyens frauduleux et injustes ;
de sorte qu'il vivait dans l'état
de péché. Peut-être n'avait-il autre chose de bon que
la coutume de réciter chaque jour certaine prière à
la sainte Vierge ; et cependant,
grâce à la miséricorde de Marie, cette pauvre dévotion
lui valut d'échapper à la mort éternelle. Voici
comment. Il avait eu le bonheur
de se lier d'amitié avec le Père Matthieu de Basso ; et il
lui faisait si souvent des insistances pour l'avoir
à dîner, qu'enfin le
bon religieux lui donna sa parole. En le voyant arriver, l'avocat lui dit
: "Maintenant, mon Père, je vais vous faire une
chose que vous n'avez jamais vue.
J'ai un singe admirable qui me sert comme un valet : il lave les verres,
met la table, ouvre la porte...
- Prenez garde, répondit le
père, que ce ne soit pas le singe, mais quelque chose de plus ;
veuillez le faire venir ici". On appelle le singe,
on l'appelle encore, on le cherche
partout, et le singe ne paraît point. On le trouva enfin, caché
sous un lit au rez-de-chaussée, mais
l'on ne put le faire sortir de là.
" Eh bien ! dit alors le religieux, allons nous-mêmes le trouver
". Arrivé avec l'avocat à la retraite du
singe : " Bête infernale,
lui dit-il, sors à l'instant, et je t'ordonne, au nom de Dieu, de
déclarer qui tu es ". Le prétendu singe répondit
aussitôt qu'il était
le démon. " J'attendais, ajouta-t-il, que ce pécheur laissât
passer un jour sans réciter sa prière accoutumée en
l'honneur de la divine Mère
; car Dieu m'avait donné la permission de l'étrangler la
première fois qu'il négligerait cette pratique, et de
l'emporter en enfer." Là-dessus,
le pauvre avocat se jette à genous et réclame l'assistance
du serviteur de Dieu. Celui-ci le rassure, et
commande à l'esprit malin
de quitter cette maison, sans aucun dommage. "Je te permets seulement,
ajouta-t-il, de percer le mur en
signe de ton départ ". Il
l'avait à peine dit, qu'on entendit un grand bruit, et l'on vit
une ouverture faite au mur. A plusieurs reprises,
mais toujours en vain, on essaya
de la combler avec de la chaux et des pierres ; Dieu voulut qu'elle subsistât
longtemps ; et l'on ne
parvait à la fermer qu'en
y plaçant, d'après le conseil du serviteur de Dieu, une plaque
de marbre où était fixée une figure d'ange. Quant
à notre avocat, il se convertit,
et nous avons lieu de croire qu'il persévéra jusqu'à
la mort dans ce changement de conduite.
PRIÈRE
O la plus grande et la plus sublime
de toutes les créatures, Vierge très sainte, du fond de mon
exil je vous salue, moi misérable qui,
tant de fois, me suis révolté
contre Dieu, moi qui mérite des châtiments et non des grâces,
des rigueurs et non des miséricordes. Ma
Souveraine, ce n'est pas la défiance,
qui m'inspire ce langage, votre bonté m'est connue : je sais que,
plus vous êtes grande, plus vous
vous glorifiez d'être douce
et bienfaisante ; je sais que vos immenses richesses ont du prix à
vos yeux, précisément parce qu'elles vous
permettent de venir en aide à
notre indigence ; je sais que la pauvreté même de ceux qui
vous invoquent, est un titre chez vous pour
redoubler de zèle à
les protéger, à les sauver.
C'est vous, ô ma Mère,
qui pleurâtes un Fils mort pour l'amour de moi : vos larmes, offrez-les
à Dieu, je vous en supplie, afin de
m'obtenir une vraie douleur de mes
péchés. Oh ! quelle douleur vous causèrent en ce jour
les pécheurs ; dans quelle amertume, moi
aussi, je vous plongeai par mes
crimes ! O Marie, obtenez-moi la grâce de ne plus vous affliger du
moins à l'avenir, vous et votre
Fils, en renouvelant mes ingratitudes
à votre égard. De quelle utilité me seraient vos lamermes
si je continuais de me montrer ingrat
envers vous ? Ah ! ma Reine, ne
le souffrez pas. Vous avez suppléé à toute mon indignité
; vous obtenez de Dieu tout ce que vous
voulez ; vous exaucez tous ceux
qui vous prient ; eh bien ! voici deux grâces que je vous demande
; je les attends de vous avec
assurance, je les veux : obtenez-moi
d'être fidèle à Dieu, de ne l'offenser jamais plus,
et de l'aimer le reste de ma vie autant que je l'ai
offensé.
CHAPITRE VIII
Et Jesum benedictum Fructum ventris tui, nobis post hoc exilium ostende.
Et après cet exil, montrez-nous Jésus, le fruit béni de vos entrailles.
MARIE, NOTRE SALUT
I
Marie préserve de l'enfer ceux qui l'honorent
Il est impossible qu'un serviteur
de Marie se damne, pourvu qu'il la serve fidèlement et qu'il se
recommende à elle. - A première vue,
cette proposition paraîtra
peut-être à quelques-uns bien hasardée ; mais je le
prierai de ne pas la condamner, avant d'avoir lu les
éclaircissements que je vais
y donner.
Quand nous disons qu'il est impossible
qu'un serviteur de la sainte Vierge se damne, cela ne s'étend point
de ceux qui se prévalent de
leur dévotion pour pécher
avec plus de sécurité. C'est donc bien à tort, ce
nous semble, que l'on nous blâme de tant exalter la
miséricorde de Marie envers
les pécheurs, sous prétexte que ces malheureux s'en autorisent
pour pécher plus librement ; car nous
disons que de tels présomptueux,
par leur téméraire confiance, se rendent dignes de châtiment,
et non de miséricorde. Ainsi, les
pécheurs, dont il est ici
question, sont ceux qui, au désir de s'amender, joignent la fidélité
à servir et à invoquer la Mère de Dieu. Pour
ceux-ci, je le soutiens, il est
moralement impossible qu'ils se perdent ; et je trouve que ce sentiment
est aussi celui du Père Crasset, et,
avant lui , de Vega, de Mendoza,
ainsi que d'autres théologiens. Mais, pour nous assurer qu'ils n'ont
point parlé au hasard, voyons quel
est sur ce point l'enseignement
des docteurs et des saints. Que l'on ne s'étonne pas, si plusieurs
de mes citations sont uniformes ; j'ai
voulu les enregistrer toutes, afin
de démontrer combien les auteurs sont d'accord sur cette question.
Selon saint Anselme, autant il est
impossible que celui-là se sauve, qui, faute de dévotion
envers Marie, n'est pas protégé par elle ;
autant il est impossible que celui-là
se damne, qui se recommande à la Vierge, et sur qui elle abaisse
ses regards avec amour. Saint
Antonin exprime la même chose
presque dans les mêmes termes, et va jusqu'à dire que les
dévots serviteurs de Marie se sauvent
nécessairement. " Comme il
est impossible, écrit-il, que ceux dont Marie détourne les
yeux de sa miséricorce, parviennent au bonheur
céleste ; ainsi ceux vers
qui elle tourne ses regards et dont elle plaide la cause, seront nécessairement
justifiés et glorifiés."
On remarquera d'abors la première
partie de cette proposition, et ceux-là trembleront, qui font peu
de cas de la dévotion à la Mère de
Dieu, ou qui l'abandonnent par négligence.
Les deux saints nous assurent qu'il est impossible de se sauver, quand
on n'est point
protégé par Marie.
- Et ils ne sont pas les seuls à l'affirmer ; écoutons le
bienheureux Albert le Grand : " Ceux qui ne sont pas vos
serviteurs, ô Marie, périront
tous". Écoutons saint Bonaventure : " Celui qui néglige le
service de Marie, mourra dans son péché. Non,
celui qui ne recourt point à
vous en cette vie, ô Vierge sainte, n'entrera point en paradis ".
- Et dans un autre endroit, le séraphique
docteur va plus loin : Non seulement,
dit-il, ceux-là ne se sauveront point dont Marie détourne
sa face, " mais il ne leur restera même
aucun espoir de salut ". Et, longtemps
avant lui, saint Ignace Martyr affirmait pareillement qu'aucun pécheur
ne peut se sauver, si ce
n'est par le secours de cette glorieuse
Vierge, dont la miséricordieuse intercession en sauve un grande
nombre qui, selon les lois de la
justice divine, seraient damnés.
Quelques-uns font difficulté d'admettre que cette pensée
soit de saint Ignace ; mais au moins, dit le
père Crassetm saint Jean
Chrysostome se l'est appropriée. Elle se trouve aussi répétée
par l'abbé Celles. Et l'Église applique dans le
même sens à Marie ces
paroles des Proverbes : Tous ceux qui ne m'aiment point, aiment la mort
éternelle ; - car, comme l'observe
Richard sur un autre passage où
Marie est comparée à un vaisseau, " la mer de ce monde engloutira
tous ceux qui se trouveront hors
de ce navire sacré ". - Enfin,
l'hérétique Écolampade lui-même regardait comme
un signe certain de réprobation le peu de dévotion
envers la Mère de Dieu ;
aussi protestait-il que jamais il ne se rendrait coupable d'une marque
de mépris envers elle.
D'un autre côté, la
bienheureuse Vierge nous parle en ces termes : Celui qui m'écoute
ne sera point confondu ; celui qui a recours à
moi et qui suit mes conseils, ne
se perdra point. Celui donc, s'écrie saint Bonaventure, qui s'attachera
à votre service, celui-là, ô grande
Reine, sera bien loin de se damner
! Non, ajoute saint Hilaire, un serviteur de Marie ne périra pas,
eût-il été dans le passé le plus grand
des pécheurs.
Voilà pourquoi le démon
fait tant d'efforts auprès des pécheurs, afin qu'après
avoir perdu la grâce de Dieu, ils perdent encore la
dévotion à Marie.
Ayant remarqué qu'Ismaël, en jouant avec Isaac, lui faisait
contracter de mauvaises habitudes, Sara voulut
qu'Abraham le congédiât,
et avec lui sa mère Agar : Chassez, lui dit-elle, cette servante
et son fils. Ce n'était point assez pour elle que le
fils fût éloigné,
si la mère n'était point renvoyée en même temps
; elle pensait bien qu'autrement, le fils continuerait de fréquenter
la
maison, ne fût-ce qu'en venant
voir sa mère. De même, c'est peu pour le démon que
Jésus soit expulsé d'une âme : pour le contenter,
il faut qu'elle bannisse aussi la
Mère de Jésus : Chasse, dit-il lui aussi, cette servante
avec son fils. Car il craint que la Mère ne ramène
le Fils par son intercession. Or,
sa crainte est fondée ; car, selon le docte Père Paciucchelli,
" un pécheur fidèle à honorer la Mère de
Dieu ne peut guère tarder
à rentrer, grâce à elle, en possession de Dieu même
".
C'est donc à bon droit que
saint Ephrem appelait la dévotion à Marie " un sauf-conduit
" pour éviter l'enfer ; et qu'il proclamait Marie
elle-même " la protectrice
des réprouvés ". En effet, on ne saurait révoquer
en doute le mot de saint Bernard, que " ni la puissance ni la
volonté de nous sauver ne
peuvent faire défaut à cette divine Mère ". La puissance
ne lui fait pas défaut, puisque, au témoignage de
saint Antonin, il est impossible
que ses prières soient rejetées. Saint Bernard affirme la
même chose : " Ses prières, dit-il, ne peuvent
jamais rester sans effet ", elle
obtient tout ce qu'elle demande. Serait-ce la volonté de nous sauver
qui manquerait à Marie ? Pas
davantage ; elle est notre Mère,
et désire notre salut plus ardemment que nous-mêmes. Si donc
tout cela est vrai, comment un
serviteur de Maire pourrait-il se
perdre ? C'est un pécheur, dira-t-on ; mais si, avec fidélité
et désir de s'amender, il se recommande à
cette bonne Mère, elle se
chargera de lui procurer les lumières nécessaires pour sortir
de son mauvais état, le repentir de ses fautes, la
persévérance dans
le bien, et enfin une bonne mort. Est-il une mère qui, pouvant arracher
son fils à la mort en toute facilité, et en
demandant seulement sa grâce
au juge, ne le ferait pas ? De toutes les mères, Marie est la plus
tendre à l'égard de ses serviteurs
dévoués ; et elle
ne délivrerait pas un de ses enfants de la mort éternelle,
alors qu'elle le peut sans aucune difficulté ? pourrions-nous le
penser ?
Ah ! pieux lecteur, si nous trouvons
en nous l'affection et la confiance à l'égard de la Reine
du ciel, remercions-en le Seigneur qui nous
as fait cette grâce, car,
selon saint Jean de Damas, il ne l'accorde qu'à ceux qu'il veut
voir sauvés. Voici les belles paroles par
lesquelles ce grand saint ranime
son espérance et la nôtre : " O Mère de Dieu, si je
mets ma confiance en vous, je serai sauvé ; si vous
daignez me protéger, je n'ai
rien à craindre, car quiconque vous est dévoué, est
par là même muni d'une armure qui lui assure la
victoire, et que Dieu accorde à
ceux-là seuls dont il veut le salut ". De là, cette belle
exclamation du savant Erasme : " Salut, ô vous la
terreur de l'enfer et l'espérance
des chrétiens ! autant vous êtes grande et puissante, autant
est assurée notre confiance en vous ".
Oh ! combien il déplaît
au démon de voir une âme persévérer dans la
dévotion à la Mère de Dieu ! On lit dans la vie du
Père Alphonse
Alvarez, grand serviteur de Marie,
que, comme il était un jour en oraison et se sentait tourmenté
par des tentations impures, le démon
lui dit : " Laisse là ta
dévotion à Marie, et je cesserai de te tenter ".
Le Seigneur a révélé
à sainte Catherine de Sienne, comme le rapporte Louis de Blois,
que, dans sa miséricorde et pour l'amour de son
Fils unique dont Marie est la Mère,
il a promis à la bienheureuse Vierge qu'aucun pécheur ne
deviendra la proie de l'enfer, s'il se
recommande à elle avec ferveur.
Le prophète David lui-même
priait Dieu de le préserver de l'enfer en considération de
son zèle pour l'honneur de Marie : Seigneur, j'ai
aimé la gloire de votre maison
... ; ne souffrez pas mon Dieu, que mon âme soit perdue et reléguée
parmi les impies. Il appelle Marie
la maison du Seigneur, parce qu'elle
est bien véritablement la demeure qu'il s'est bâtie lui-même
pour y venir habiter et y prendre son
repos lors de son Incarnation, selon
ce qui se lit au livre des Proverbes : La sagesse s'est bâti une
maison.
" Assurément non, disait le
saint Martyr Ignace, celui-là ne périra point, qui s'appliquera
à honorer la Vierge mère ". Et cette pensée est
encore appuyée par saint
Bonaventure, qui s'exprime ainsi : " Elle est grande, ô ma Souveraine,
la paix dont jouissent en cette vie ceux
qui vous aiment ; et, dans l'autre
vie, ils ne connaîtront pas la mort éternelle ". - Il n'est
jamais arrivé, nous assure le pieux Louis de
Blois, qu'un humble et zélé
serviteur de Marie se soit perdu ; cela n'arrivera jamais.
Ah ! combien de pécheurs eussent
été condamnés à jamais, ou seraient restés
dans l'obstination, si Marie n'était intervenue auprès de
son divin Fils, pour leur obtenir
miséricorde ! Ainsi parle Thomas a Kempis. Il y a plus. Au sentiment
de beaucoup de théologiens, et
notamment de saint Thomas, la Mère
de Dieu a obtenu à bien des personnes mortes en péché
mortel, que leur sentence fût suspendue,
et qu'elles revinssent à
la vie pour faire pénitence.
Entre autres exemples cités
par de graves auteurs, Flodoard, qui évrivait au Xe siècle,
raconte celui d'un diacre de Verdun nommé
Adelmar, que déjà
on croyait mort et qu'on allait ensevelir, quand il se ranima et déclara
avoir vu en enfer le cachot qui lui était destiné
; mais, ajouta-t-il, grâce
aux prières de la bienheureuse Vierge, Dieu l'avait renvoyé
dans le monde pour y faire pénitence. Au rapport
de Surius, un romain du nom d'André,
était mort dans l'impénitence, et Marie lui obtint également
la faveur de revivre pour pouvoir
mériter le pardon de ses
péchés.
Personne ne doit avoir la témérité
de s'autoriser de ces exemples ou d'autres semblables pour vivre dans le
péché sous prétexte que,
quand même il viendrait à
mourir en mauvais état, Marie le préserverait de l'enfer.
Car, s'il y aurait folie à se jeter dans un puits, avec
l'espoir d'échapper à
la mort par les soins de Marie, comme il est arrivé à quelques-uns
en pareil cas, ce serait une folie bien plus
grande encore de s'exposer au danger
de mourir dans le péché, en comptant sur le secours de Marie
pour échapper à l'enfer. Mais ces
exemples doivent servir à
ranimer notre confiance, par la pensée que, si l'intercession de
cette divine Mère a pu même exempter de la
damnation des personnes mortes en
état de péché, à plus forte raison pourra-t-elle
garantir de ce malheur ceux qui, pendant leur vie,
recourent à elle avec l'intention
de s'amender, et la servent fidèlement.
O Marie, notre Mère, nous
vous le demandons avec saint Germain, qu'en sera-t-il de nous, qui sommes
pécheurs, mais qui voulons
nous amender et recourons à
vous, ô Vie des chrétiens ? Saint Anselme nous assure, auguste
Souveraine, que celui-là ne sera point
condamné à l'enfer,
pour qui vous aurez offert à Dieu, ne fût-ce qu'une fois,
vos saintes prières. Ah ! priez donc pour nous, et nous
serons sauvés. - Nous entendons
pareillement Richard de Saint-Victor s'écrier : Qui jamais osera
me dire qu'au divin tribunal, je ne
trouverai point mon Juge favorable,
si j'ai pour défendre ma cause, la Mère de miséricorde
? - Le bienheureux Henri Suson déclarait
qu'il vous avait remis son âme
: "Si donc, ajoutait-il, le Juge veut condamner son serviteur, je demande
que la sentence passe par vos
mains ". Il espérait que,
cette sentence une fois entre vos mains miséricordieuses, vous en
empêcheriez certainement l'exécution. Je
dis et j'espère la même
chose pour moi, ô ma très sainte Reine. C'est pourquoi je
veux vous répéter sans cesse, avec saint Bonaventure
: Ma Souveraine, j'ai mis en vous
tout mon espoir ; et j'ai la ferme confiance de n'être pas perdu
à jamais, mais de me voir un jour
sauvé et tout occupé
dans le ciel à vous louer et aimer sans fin.
EXEMPLE
En 1604, dans une ville de Belgique,
se trouvaient deux jeunes étudiants qui, au lieu de s'appliquer
à l'étude, ne pensaient qu'à vivre
dans les plaisirs et la débauche.
Une nuit entre autres, ils se rendirent chez une femme de mauvaise vie
; mais l'un se retira au bout de
quelque temps ; l'autre resta. Arrivé
dans sa demeure, le premier se déshabillait pour se mettre au lit,
quand il se ressouvint de n'avoir
pas récité ce jour-là
les quelques Ave Maria qu'il avait coutume de dire en l'honneur de la sainte
Vierge. Comme il était accablé de
sommeil, cet acte religieux lui
coûtait ; néanmoins, il fit un effort sur lui-même et
s'en acquitta, quoique sans dévotion et presque en
dormant ; ensuite, il se coucha.
Dans son premier sommeil, il entend
tout à coup frapper rudement à la port; et, immédiatement
après, la porte restant fermée, il voit
devant lui son compagnon tout défiguré
et tout hideux. "Qui es-tu ?" lui dit-il. "Eh quoi ! ne me reconnais-tu
pas ?" répond le fantôme.
" Mais, comment se fait-il que tu
sois si changé ? tu ressembles à un démon ! - Ah !
plains-moi, je suis damné ! - Comment cela ? -
Sache qu'au sortir de cette maison
infâme, un démon s'est jeté sur moi et m'a étranglé.
Mon corps est demeuré au milieu de la rue, et
mon âme est en enfer. Sache
en outre que le même chatiment t'attendait ; mais la bienheureuse
Vierge t'en a préservé, grâce au faible
hommage que tu lui rends, en récitant
des Ave Maria. Heureux, si tu sais profiter de cet avis que te fait donner
par moi la Mère de
Dieu " ! Cela dit, le réprouvé
entr'ouvrit son vêtement, laissa voir les flammes et les serpents
qui le tourmentaient, et disparut.
Alors le jeune homme, fondant ne
larmes, se jeta la face contre terre pour remercier Marie, sa libératrice
; et, pendant qu'il réfléchissait
à la manière dont
il devait dorénavant régler sa vie, il entendit sonner matines
au couvent des Franciscains. A l'instant même, il s'écria
:
" C'est là que Dieu m'appelle
à faire pénitence ". Il partit sur l'heure pour aller au
couvent prier les pères de le recevoir. Ceux-ci
connaissant sa mauvaise vie, faisaient
difficulté ; mais il leur raconta, en versant un torrent de larmes
tout ce qui s'était passé ; et deux
des religieux, s'étant rendus
dans la rue indiquée, y trouvèrent en effet le cadavre de
son malheureux compagnon, noir comme un
charbon. Après cela, le protégé
de Marie fut reçu et passa le reste de sa vie dans l'exercice de
la pénitence.
La mort funeste du jeune libertin
fut encore utile à un autre jeune homme nommé Richard, qui
en avait été témoin oculaire. Il en fut si
vivement frappé, bien que
sa conduite fût déjà exemplaire, qu'il se décida,
lui aussi, à entrer chez les Récollets. Il alla dans la suite
prêcher la foi aux Indes,
et passa enfin au Japon, où il eut le bonheur de mourir martyr de
Jésus-Christ. Il fut brûlé vif.
PRIÈRE
O Marie, ô ma Mère bien-aimée,
dans quel abîme de maux ne me trouverais-je pas plongé, si
votre main miséricordieuse ne m'en
avait tant de fois préservé
! Depuis combien d'années ne serais-je pas même en enfer,
si vos prières toutes-puissantes ne m'avaient
délivré ! Mes péchés
graves m'y poussaient, la justice divine m'y avaient déjà
condamné, les démons frémissants, brûlaient
d'exécuter
la sentence ; vous êtes accourue
à mon secours, ô Mère, sans que je vous eusse même
priée, sans que je vous eusse invoquée et vous
m'avez sauvé.
O ma chère libératrice,
que pourrai-je jamais vous rendre pour un si grand bienfait, pour une si
grande charité ? Après cela, vous
avez vaincu la dureté de
mon coeur, vous m'avez amené à vous aimer et à prendre
confiance en vous. Et dans quels précipices ne
serais-je pas encore tombé
depuis, si votre main miséricordieuse ne m'avait tant de fois soutenu
dans les périls imminents que j'ai
courus !
Continuez, ô mon espérance,
continuez de me présevcer de l'enfer, et avant tout, des péchés
dansd lesquels je pourrais retomber ; ne
permettez pas que j'aille vous maudire
en enfer. Ma bien-aimée Souveraine, je vous aime ; comment votre
bonté pourrait-elle souffrir
de voir au nombre des réprouvés
un serviteur qui vous aime ? Ah ! obtenez-moi de n'être plus ingrat
envers vous et envers mon Dieu,
qui, par amour pour vous, m'a comblé
de tant de grâces. O Marie, que me dites-vous ? serai-je damné
? Je me damnerais, si je vous
abandonnais ; mais pourrai-je encore
vous abandonner ? pourrai-je encore oublier l'affection que vous m'avez
témoignée ? Après
Dieu, vous êtes l'amour de
mon âme, je ne saurais plus vivre sans vous aimer. Je vous aime,
oui, je vous aime, et j'espère vous aimer
toujours, dans le temps et dans
l'éternité, ô Créature la plus belle, la plus
sainte, la plus douce, la plus aimable, qui soit au monde !
Amen.
II
Marie secourt ses serviteurs dans le purgatoire.
Heureuses les âmes qui se dévouent
au service de cette Reine compatissante ! elle ne se borne pas à
les secourir en cette vie, sa
protection les suit dans le purgatoire,
où elle les assiste encore et les console. Ou plutôt, comme
elles éprouvent là un plus grand
secours, vu leurs souffrances et
l'impuissance où elles sont de se soulager elles-mêmes, cette
Mère de miséricorde redouble de zèle à
leur venir en aide. Selon saint
Bernardin de Sienne, dans cette prison où gémissent des âmes
épouses de Jésus-Christ, Marie est
comme souveraine maîtresse,
elle y jouit du plein pouvoir soit d'adoucir leurs perines, soit même
de les en délivrer entièrement.
D'abord, elle adoucit leurs peines.
Expliquant les paroles de l'Écriture : J'ai marché sur les
flots de la mer, le même Saint les applique à
Marie et lui fait ajouter : " Si
je marche sur les flots, c'est afin de visiter mes serviteurs et de leur
porter secours dans leurs besoins et
leurs tourments, parce que je suis
leur mère ". Les flots dont il est ici question, dit-il, sont les
peines du purgatoire, ainsi appelées parce
qu'elles sont passagères,
à la différence de celles de l'enfer, qui ne passent jamais
; de plus elles sont comparées aux flots de la mer en
raison de leur grande amertume.
Or, pendant qu'ils sont au sein de ces peines, les serviteurs de Marie
reçoivent souvent sa visite et ses
consolations. On voit donc, observe
Novarin, combien il importe d'honorer sur la terre cette excellente Riene,
puisqu'elle ne sait oublier
ses serviteurs dans les flammes
expiatrices ; il est vrai qu'elle secoure toutes les âmes qui y sont
plongées ; cependant, ses dévôt
serviteurs sont traités avec
plus d'indulgence et sont de sa part l'objet de ses soins plus empressés.
Voici en quels termes la divine Mère
s'exprimait dans une révélation à sainte Brigitte
: Je suis la Mère de toutes les âmes captives en
purgatoire ; car à toute
heure mes prières adoucissent de quelque manière les châtiment
dus aux fautes qu'elles ont commises pendant
leur vie mortelle.
Cette Mère compatissante ne
dédaigne même pas d'entrer de temps à autre dans cette
sainte prison, afin de consoler par sa présence
ses enfants affligés. C'est
ce que nous assure saint Bonaventure, en appliquant à Marie ce texte
sacré : J'ai pénétré dans les
profondeurs de l'abîme. Oh
! s'écrie saint Vincent Ferrier, combien Marie se montre prévenante
et bonne envers les âmes qui souffrent
dans le purgatoire ! par ses soins,
leur courage est continuellement relevé et leurs souffrances allégées.
Et quelle autre consolation peuvent-elles
avoir dans leurs peines, si ce n'est Marie, et l'assistance de cette Mère
de miséricorde ? Aussi
sainte Brigitte entendit un jour
le Sauveur qui disait à sa Mère : " Vous êtes ma Mère,
vous êtes la Mère de miséricorde, vous êtes la
consolation de ceux qui sont en
purgatoire ". Et, selon une révélation de la bienheureuse
Vierge elle-même à la même sainte, comme
une parole amie ranime un pauvre
malade abandonné sur son lit de douleurs, ainsi ces âmes affligées
se sentent toutes consolées, rien
qu'à entendre le nom de Marie.
Oui, reprend Novarin, le seul nom de Marie, nom d'espérance et de
salut que ces bonnes âmes
invoquent souvent du fond de leur
prison, est déjà pour elles un grand soulagement ; mais les
prières que cette tendre Mère adresse
ensuite à Dieu, dès
qu'elle s'entend invoquer par elles, sont comme une rosée céleste
qui vient les rafraîchir dans les vives ardeurs dont
elles sont consumées.
Mais Marie ne se borne pas à
consoler et à soulager ses serviteurs dans le purgatoire; souvent
encore, elle les en retire par son
intercession. Le sjour de son Assomption
glorieuse, comme Gerson l'assure, toute cette prison des âmes demeura
vide. C'est ce que
confirme Novarin : "D'après
des auteurs graves, dit-il, Marie, sur le point de monter au ciel, demanda
à son Fils la faculté d'emmener
avec elle toutes les âmes
qui se trouvaient alors en purgatoire. Depuis lors, continue Gerson, la
bienheureuse Vierge est en possession
du privilège d'en délivrer
ses pieux serviteurs. Saint Bernardin de Sienne affirme la même chose
comme indibutable : " Ce pouvoir,
ajoute-t-il, elle l'exerce tant
par ses prières que par l'application de ses mérites, et
cela en faveur de toutes les âmes, mais
principalement de celles qui lui
furent dévotes. Novarin exprime le même sentiment, à
savoir que, par les mérites de Marie, non
seulement les perines des âmes
du purgatoire sont adoucies, mais encore le temps de leur expiation est
abrégé. Une prière d'elle suffit.
Saint Pierre Damien rapporte qu'une
femme, nommé Marozie, apparut après sa mort à une
de ses amies, et lui apprit que le jour de
l'Assomption, elle avait été,
par Marie, délivrée du purgatoire avec d'autres âmes,
dont le nombre dépassait celui des habitants de
Rome. Selon Denis le Chartreux,
la même chose arrive à la fête de Noël et à
celle de Pâques ; "ces jours-là, assure-t-il, Marie descend
dans le purgatoire, accompagnée
d'une multitude d'anges, et en retire un grand nombre d'âmes". "Et,
ajoute Novarin, j'incline à penser
qu'elle fait de même à
toutes les fêtes solennelles qui se célèbrent en son
honneur ".
On connaît la promesse faite
par la Reine du ciel au pape Jean XXII, lorsqu'elle lui apparut et lui
ordonna de faire savoir à tous ceux
qui porteraient le saint Scapulaire
du Carmel, qu'ils seraient délivrés du purgatoire le premier
samedi après leur mort. C'est ce que le
Pontife lui-même déclara
par une Bulle, comme le rapporte le Père Crasset. Cette Bulle fut
confirmée par Alexandre V, Clément VII,
Pie V, Grégoire XII, et Paul
V, lequel dans un Décret de l'an 1613, s'exprime ainsi : " Le peuple
chrétien peut croire pieusement que la
bienheureuse Vierge assistera de
sa continuelle intercession, de ses mérites, de sa protection spéciale,
après leur mort, et
principalement le samedi, jour qui
lui est consacré par l'Église, les âmes des membres
de la Confrérie de Notre-Dame du Mont-Carmel,
morts en état de grâce,
pourvu qu'ils aient porté le Scapulaire en gardant la chasteté
selon leur état, et qu'ils aient récité le petit Office
de la sainte Vierge, ou, s'ils n'ont
pu le réciter, qu'ils aient observé les jeûnes de l'Église
et se soient abstenus de manger de la viande les
mercredis et les samedis, excepté
le jour de Noël ". Et, dans l'office pour la fête de Notre-Dame
du Mont-Carmel, on lit également :
Selon une croyance pieuse, la sainte
Vierge console les confrères du Mont-Carmel dans le purgatoire avec
la tendresse d'une mère, et,
par son intercession, elle ne tarde
pas à les en retirer pour les introduire dans la céleste
patrie.
Ces grâces, ces privilèges,
pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, les espérer, si nous
faisons profession d'une vraie dévotion à
cette bonne Mère ? Et si,
par un plus tendre amour, nous nous distinguons entre ses serviteurs, pourquoi
ne pourrions-nous pas
espérer même d'être
admis dans le ciel aussitôt après la mort, et sans entrer
dans le purgatoire ? Voici du moins ce que la sainte Vierge
envoya dire par le frère
Abond au bienheureux Godefroi, de l'abbaye de Viller en Brabant : " Dis
au frère Godefroi qu'il s'efforce
d'avancer dans les vertus ; par
là, il se rendra cher à mon Fils et à moi ; et, quand
son âme se séparera de son corps, je ne souffrirai
pas qu'elle aille en purgatoire,
mais je la prendrai et je l'offrirai à mon Fils ".
Enfin, si nous désirons aider
de nos suffrages les saintes âmes du purgatoire, ne manquons pas
de les recommander à la glorieuse
Vierge dans toutes nos prières
; appliquons-leur spécialement le saint Rosaire, qui leur procure
un grand soulagement, comme on le
verra par l'exemple qu'on va lire.
EXEMPLE
Le père Eusèbe Nieremberg
rapporte que, dans une ville d'Aragon, une jeune fille nommée Alexandra,
noble et d'une grande beauté,
était recherchée avec
passion par deux jeunes gens. Ceux-ci, emportés par la jalousie,
se prirent un jour de querelle, tirère l'épée et se
tuèrent l'un l'autre. Outrés
de douleur, les prents tournèrent leur ressentiment contre la pauvre
demoiselle, cause première d'un si grand
malheur, la mirent à mort
et lui coupèrent la tête, qu'ils jetèrent dans un puits.
A quelque temps de là, saint Dominique passa par la
ville, et, par une inspiration divine,
il s'approcha du puits et s'écria : " Alexandra, venez dehors ".
O prodige ! la tête de la mort apparaît,
se place sur le bord du puits, et
prie le saint de l'entendre en confession. Il l'entend ; puis, en présence
d'une foule immense attirée par
cette merveille, il lui donne la
communion. Saint Dominique lui commanda ensuite de déclarer comme
elle avait obtenu une si grande
grâce. Alexandra répondit
qu'au moment où on lui avait tranché la tête, elle
se trouvait en état de péché mortel, mais que la
bienheureuse Vierge lui avait conservé
la vie en récompense de sa dévotion à réciter
le Rosaire.
Pendant deux jours, la tête
demeura ainsi vivante sur le bord du puits, à la vue de tout le
monde, après quoi l'âme d'Alexandra s'en alla
en purgatoire. au bout de quinze
jours, elle apparut à saint Dominique belle et resplendissante comme
une étoile, et lui fit qu'un des
principaux moyens de secourir les
âmes dans les peines du Purgatoire, c'est de réciter pour
elles le rosaire, et qu'en retour, une fois
entrées en paradis, elles
intercèdent pour ceux qui leur ont appliqué cette puissante
prière. Quand elle eut fini de parler, le saint vit cette
âme bienheureuse s'élever
toute transportée de joie, vers le royaume des élus. (1)
(1) NOTE DU TRADUCTEUR : Le père
Van Ketwigh, savant dominicain dAnvers, dans son excellent ouvrage publié
en 1720 sous le
titre de Panoplia Mariana, défend
contre toute critique ce miracle de saint Dominique. Il prouve au long,
d'après les meilleures
autorités, à la tête
desquelles figure le Docteur Angélique, ce que saint Alphonse dit
brièvement au paragraphe précédent, savoir, que la
Mère de Dieu peut sauver
certains pécheurs, même quand ils sont morts en état
de damnation, en obtenant que leur jugement demeure
suspendu jusqu'à ce qu'ils
se soient dûment réconciliés avec Dieu.
PRIÈRE
O Reine du ciel et de la terre, ô
Mère du Souverain Seigneur de l'univers, ô Marie la plus grande,
la plus élevée des créatures, il est
vrai que, sur la terre, il en est
beaucoup dont vous n'êtes ni aimée ni connue ; mais, dans
le ciel, combien de millions d'anges et de
bienheureux vous aiment et vous
louent sans cesse ! Ici-bas même, combien d'âmes heureuses
brûlent d'amour pour vous, et sont toutes
éprises de votre bonté
! Ah ! puissé-je vous aimer aussi, ma très aimable Souveraine
! puissé-je ne penser qu'à vous servir, à vous
louer, à vous honorer, et
à vous gagner tous les coeurs. Vous avez gagné, par votre
beauté, le coeur d'un Dieu; vous l'avez, pour ainsi
dire, arraché du sein de
son père éternel, pour se faire homme et votre Fils ; et
moi, misérable vermisseau, je ne vous aimerais pas ?
Ah ! ma très douce Mère,
je veux vous aimer, et vous aimer beaucoup, et je veux faire tout ce qui
sera en mon pouvoir pour amener
aussi les autres à vous aimer.
Agréez donc, ô Marie, agréez le désir que j'ai
de vous aimer, et secondez mes efforts pour y parvenir.
Je sais que votre Dieu regarde d'un
oeil de complaisance ceux qui vous aiment; après sa propre gloire,
il ne désire rien tant que la
vôtre, il veut vous voir honorée
et aimée de tous. C'est de vous, ô ma Reine, que j'espère
toute ma félicité : c'est vous qui devez
m'obtenir le pardon de tous mes
péchés, et ensuite la persévérance ; c'est
vous qui devez m'assister à l'heure de ma mort ; c'est vous
qui devez me retirer du purgatoire
; c'est vous, enfin, qui devez me conduire en paradis. Toutes ces grâces,
ceux qui vous aiment les
attendent de vous, et moi aussi
je les espère, moi qui vous aime de tout mon coeur et par-dessus
toutes choses après Dieu.
III
Marie conduit ses serviteurs en paradis
Oh ! le beau signe de prédestination,
que la dévotion à Marie ! La sainte Église, appliquant
à cette divine Mère les paroles de
l'Ecclésiastique, lui fait
dire pour la consolation de ses serviteurs : J'ai cherché en tout
mon repos, et je fixerai mon séjour dans
l'héritage du Seigneur. -
Heureux donc, s'écrie le cardinal Hughes en commentant ce texte
; heureux celui en qui Marie aura trouvai
son repos ! La sainte Vierge, parce
qu'elle aime tous les hommes, s'efforce de faire régner dans tous
les coeurs la dévotion envers
elle-même ; mais beaucoup
ne veulent pas la recevoir, ou ne la conservent pas ; heureux celui qui
la reçoit et la conserve ! - Je
demeurerai dans l'héritage
du Seigneur, c'est-à-dire, selon le docte cardinal, dans le coeur
de ceux qui sont l'héritage du Seigneur. -
l'héritage du Seigneur, c'est-à-dire,
qui sont destinés à le louer éternellement dans les
cieux. - La bienheureuse Vierge continue de
parler ainsi, dans le passage cité
de l'Ecclésiastique : Celui qui m'a créée a reposé
dans mon tavernacle ; il m'a dit : Habite en Jacob,
prends Israël pour héritage,
et enracine-toi dans mes élus ; ce qui signifie : Mon créateur
a daigné venir reposer dans mon sein ; il a
voulu que j'habite dans le coeur
de tous les élus, dont Jacob fut la figure et qui sont mon héritage
; il a décrété que la dévotion et la
confiance envers moi s'enracineraient
dans le coeur de tous les prédestinés.
Ah ! combien de bienheureux qui ne
seraient pas au ciel à l'heure qu'il est, si Marie ne les y avait
introduits par sa puissante
intercession ! C'est la réflexion
du Cardinal Hughes à propos de cet autre verset de l'Ecclésiastique
: J'ai fait briller dans les cieux une
lumière inextinguible. Il
y a au ciel autant de lumières éternelles qu'il y a eu sur
la terre de serviteurs de Marie.
Saint Bonaventure dit que la porte
du ciel s'ouvrira devant tous ceux qui se confient en la protection de
Marie. Aussi, la dévotion à
cette auguste Mère est de
la céleste Jérusalem. Et le dévot Louis de Blois lui
parle en ces termes : Grande Reine, c'est à vous que sont
confiés les trésors
et les clefs du royaume des cieux. - Nous devons donc lui répéter
avec saint Ambroise : Ouvrez-nous, ô Marie, les
portes du paradis, car vous en avez
les clefs, ou plutôt, comme le proclame la sainte Église,
vous êtes vous-même la Porte du ciel.
Pour le même motif, l'Église
appelle encore Marie l'Étoile de la mer : Ave Maris Stella ! car,
dit saint Thomas, comem les navigateurs
se dirigent vers le port par le
moyen des étoiles, ainsi les chrétiens sont guidés
vers le paradis par le moyen de la bienheureuse Vierge.
Pour le même motif encore,
elle est appelée, par saint Fulgence, l'Échelle du ciel,
parce que par elle Dieu est descendu du ciel sur la
terre, afin que par elle aussi les
hommes méritent de monter de la terre au ciel : " Vous avez été
remplie de grâces, ô Marie, s'écrie
saint Anathase le Sinaïte,
afin de devenir pour nous la voie du salut, et l'échelle par où
nous puissions arriver à la céleste patrie ".
Enfin, et toujours pour la même
raison, Marie est proclamée par saint Bernard et par Jean le Géomètre,
le noble char qui transporte ses
pieux serviteurs au ciel. Et saint
Bonaventure
lui tient ce langage : " Heureux ceux qui vous connaissent et vous louent
ô Mère de Dieu
! car vous connaître, c'est
avoir trouvé le chemin de l'immortalité ; et publier vos
vertus, c'est marcher dans la voie du salut éternel ".
On lit dans les chroniques franciscaines,
que le frère Léon vit un jour une échelle rouge, au
sommet de laquelle se tenait Jésus-Christ,
et une échelle blanche, au
haut de laquelle se tenait Marie. Plusieurs voulaient monter par l'échelle
rouge ; mais, après avoir fait
quelques degrés, ils tombaient
; ils recommençaient de nouveau, et ils tombaient de nouveau. Alors,
saint François les engagea à
prendre la voie de l'échelle
blanche, et par là ils arrivèrent heureusement ; car la bienheureuse
Vierge leur tendit la mains ; ils entrèrent
ainsi sans obstacle en paradis.
Un auteur demande quel est celui
qui se sauve, qui parvient à régner dans le ciel ? et il
répond : Ceux-là se sauvent et arrivent
certainement au royaume des cieux,
pour qui la Reine de miséricorde offre à Dieu ses prières.
Et Marie l'affirme elle-même lorsqu'elle
dit : Par moi règnent les
rois. Par l'effet de mon intercession, les âmes règnent d'abord
sur la terre, le temps de leur vie mortelle, en
dominant leurs passions ; et elles
viennent régner éternellement dans le ciel, dont les habitants,
suivant l'expression de saint Augustin,
sont autant de rois : Quot cives,
tot reges. En un mot, Marie est la Maîtresse du ciel, puisqu'elle
y commande à son gré et y fait entrer
ceux qu'elle veut, comme le dit
Richard de Saint-Laurent, en lui appliquant ces paroles de l'Écriture
: J'exerce ma puissance dans
Jérusaleme. Et de fait, ajoute
l'abbé Rupert, comme elle est la Mère du Roi du paradis,
il est juste qu'elle soit Reine du paradis, et que
tout l'empire de son Fils lui soit
soumis.
Par ses prières, par son puissant
secours, cette divine Mère nous a ouvert l'entrée du céleste
royaume ; seulement ne mettons pas
d'obstacle à notre bonheur.
Celui donc qui sert Marie, et pour qui Marie intercède, est aussi
sûr d'aller en paradis, ajoute l'abbé Guéric
que s'il y était déjà.
Selon la remarque de Richard, " être au service de Marie et faire
partie de sa cour, c'est le plus grand honneur
auquel nous puissions aspirer ;
car, servir la Reine du ciel c'est déjà régner dans
le ciel ; et être assujetti à ses lois, c'est la plus haute
liberté. Par contre, point
de salut pour ceux qui refusent de la servir ; car, privés des secours
de cette auguste Mère, ils sont par là
même abandonnés de
son Fils et de toute la cour céleste."
Louée soit à jamais
la bonté infinie de notre Dieu, qui a daigné nous donner
Marie pour avocate dans le ciel, afin qu'en sa double qualité
de Mère du Juge et de Mère
de miséricorde, elle plaide par ses prières toujours efficaces,
la grande affaire de notre salut. Cette pensée
est de saint Bernard. Et le moine
Jacques, compté parmi les Pères grecs, dit que Dieu a fait
de Marie comme un pont de salut, à l'aide
duquel nous pouvons franchir la
mer agitée de ce monde et arriver à l'heureux port du paradis.
Écoutez donc, ô peuples qui désirez
arriver au ciel, s'écrie
saint Bonaventure ; servez, honorez Marie, et vous obtiendrez sûrement
la vie éternelle.
Ceux mêmes qui ont mérité
l'enfer, ne doivent pas perdre l'espoir de parvenir à la vie bienheureuse,
à condition d'être dorénavant les
serviteurs fidèles de cette
grande Reine. - "O Marie, lui dit saint Germain, les pécheurs ont
cherché Dieu par votre entremis, et ils sont
sauvés." Richard de Saint-Laurent
observe que, d'après saint Jean, la glorieuse Vierge est couronnée
d'étoiles : Sur son front brillait un
diadème de douze étoiles
; tandis que, d'après les Cantiques, sa couronne est composée
de bêtes féroces, de lions, de léopards. N'y
a-t-il pas là une contradiction
? Non, répond Richard ; par la faveur et l'intercession de Marie,
les bêtes féroces ou les pécheurs se
transforment en étoiles du
paradis, et forment sur la tête de cette Reine de miséricorde,
une couronne plus glorieuse pour elle que ne
sauraient tous les astres du firmament.
Voici ce que nous lisons dans la
vie de la servante de Dieu, soeur Séraphine de Capri. Étant
un jour en prière pendant la neuvaine de
l'Assomption de la très sainte
Vierge, elle lui demanda la conversion de mille pécheurs, et elle
craignit ensuite d'avoir demandé trop ;
mais la Mère du Sauveur lui
apparut et la reprit de cette vaine appréhension, en lui disant
: " Pourquoi crains-tu ? ne suis-je pas assez
puissante pour obtenir de mon Fils
le salut de mille pécheurs ? Cela est déjà fait, les
voilà ". Alors elle la conduisit en esprit dans le
paradis, où elle lui montra
des âmes sans nombre, qui avaient mérité l'enfer, et
qui, sauvés par son intercession, jouissaient de la
béatitude éternelle.
Il est vrai qu'en cette vie nul ne
peut être assuré de son salut : Nul ne sait s'il est digne
d'amour ou de haine ; mais toutes choses
demeurent incertaines jusqu'au siècle
à venir. Toutefois, à la question du psalmiste : Seigneur,
qui sera reçu dans votre tabernacle ?
qui sera sauvé ? Saint Bonaventure
répond : " Nous tous, pécheurs, baisons les traces des pieds
de Marie, prosternons-nous à ses
pieds sacrés, tenons-les
embrassés, et ne la laissons point aller qu'elle ne nous ait bénis
; car sa bénédiction sera pour nous un gage
certain du bonheur céleste
".
O grande Reine, s'écrie saint
Anselme, dites seulement que vous voulez notre salut, et nous ne pourrons
manquer d'être sauvés. Saint
Antonin ajoute que les âmes
protégées par Marie se sauvent nécessairement.
Selon la remarque de saint Idelphonse,
la sainte Vierge a eu raison de prédire que tous les générations
la proclameraient Bienheureuse :
Beatam me dicent omnes generationes,
puisque c'est par elle que tous les élus parviennent à l'éternelle
béatitude. De là, cette
exclamation de saint Méthode
: " Vous êtes, ô Mère de Dieu, le commencement, le milieu
et la fin de notre félicité ". - Il dit : Le
commencement, parce que Marie nous
obtient le pardon de nos péchés ; le milieu, parce qu'elle
nous obtient la persévérance dans la
grâce ; la fin, parce qu'à
la mort elle nous obtient le paradis. - De là encore ces belles
paroles de saint Bernard à Marie : " Par vous, le
ciel a été rempli,
par vous l'enfer a été dépeuplé (1) ; par vous,
les ruines du paradis ont été relevées ; par vous,
en un mot, la vie
éternelle a été
accordée à une multitude de malheureux qui s'en étaient
rendus indignes.
(1) L'enfer a été dépeuplé, c'est-à-dire : l'enfer a perdu une multitude d'âmes qui, sans vous, y seraient tombés.
Mais ce qui doit surtout nous faire
attendre avec une inébranlable confiance le bonheur céleste,
c'est la magnifique promesse faite par
Marie elle-même à ceux
qui l'honorent, et spécialement à ceux qui, par leurs discours
et leurs exemples, s'efforcent de la faire
connaître et honorer aussi
des autres : Ceux qui travaillent pour moi, ne tomberont pas dans le péché
; ceux qui me font connaître,
auront la vie éternelle.
Heureux donc, s'écrie saint Bonaventure, heureux ceux qui savent
mériter les bonnes grâces de Marie ! Ils sont
reconnus d'avance par les habitants
de la céleste Jérusalem pour les compagnons de leur gloire
; et quiconque porte la marque de
serviteur de Marie, a déjà
son nom inscrit au livre de vie.
Que set-il après cela, de
nous embarasser de la question tant agitée dans l'école :
si la prédestination à la gloire précède ou
suit la
prévision des mérites,
et de nous demander avec inquiétude si nous sommes inscrits, oui
ou non, au livre de vie ? - Pourvu que nous
soyons de vrais serviteurs de Marie,
et que nous obtenions sa protection, nous serons certainement du nombre
des élus ; car, saint
Jean Damascène nous l'assure,
Dieu n'accorde la dévotion envers sa sainte Mère qu'à
ceux qu'il a résolu de sauver. Cela paraît
conforme à ce que le Seigneur
révéla expressément par l'organe de saint Jean : Quiconque
sera victorieux, j'écrirai sur lui le nom de
mon Dieu et le nom de la cité
de mon Dieu. Celui qui doit vaincre et se sauver, portera donc écrit
sur son coeur le nom de la cité de
Dieu ; et quelle est cette cité
de Dieu, sinon Marie, comme l'explique saint Grégoire à propos
de ce passage de David : On a dit de
vous des choses glorieuses, ô
cité de Dieu !
On peut donc très bien dire,
en empruntant les expressions de saint Paul : A ce signe le seigneur reconnaît
ceux qui sont à lui. Ce signe
est la dévotion à
Marie ; celui qui en est marqué, Dieu le reconnaît comme l'un
des siens. Aussi Pelbart affirme que la dévotion à la
Mère de Dieu est le signe
le plus assuré qu'on fera son salut. Et Alain de la Roche dit que
l'habitude d'honorer souvent la sainte Vierge
par la récitation de la salutation
angélique, est une très grande marque de prédestination.
Il en dit autant de la fidélité à réciter chaque
jour le saint Rosaire. Ce n'est
pas tout, et les privilèges et les faveurs réservés
aux serviteurs de la divine Mère ne se bornent pas à la
vie présente ; dans le ciel
encore, ils sont honorés d'une manière particulière,
assure le père Nieremberg, et, à certaines marques
distinctives et d'un éclat
extraordinaire, on reconnaîtra en eux les familiers de la Reine du
Ceil et les gens de sa cour : Tous ceux de sa
maison, dit le sage, sont munis
d'un double vêtement.
Sainte Marie-Madeleine de Pazzi vit
un jour sur la mer une nacelle où s'étaient réfugiés
tous les serviteurs de Marie, qui faisait
elle-même l'office de pilote
et les conduisait sûrement au port. Cette vision apprit à
la sainte qu'au sein des périls de la vie présente, les
protégés de Marie
échappent au naufrage du péché et de la damnation,
guidés qu'ils sont par elle vers le port du paradis. Hâtons-nous
donc d'entrer dans cette heureuse
nacelle, en méritant la protection de Marie, et là, tenons-nous
assurés de parvenir au royaume
céleste, puisque l'Église
chante : Sainte Mère de Dieu, tous ceux qui participeront aux joies
célestes, habitent en vous et vivent sous
votre tutelle.
EXEMPLE
Césaire raconte qu'un cistercien,
grandement dévot à Notre-Dame, désirait une visite
de cette Reine bien-aimée, et lui en faisait
continuellement la demande. Étant
sorti, une nuit, au jardin, comme il regardait le ciel, en adressant d'ardents
soupirs à celle qu'il
brûlait de voir, il en vit
tout à coups descendre une vierge éclatante de beauté
et de lumière, qui lui dit : " Thomas, voutrais-tu
m'entendre chanter ? - Certainement
", répondit-il. Aussit/t elle se mit à chanter, mais d'une
voix si douce que le pieux moine se croyait
en paradis. Après cela, elle
disparut à ses yeux, non sans le laisser bien en peine de savoir
qui elle était.
Mais voilà qu'o; se trouve
en présence d'une autre jeune vierge non moins belle, qui lui fit
aussi entendre son chant. Il ne put
s'empêcher de lui demander
qui elle était. Elle répondit : " Celle que tu viens de voir,
c'est Catherine ; moi je suis Agnès. Nous sommes
toutes les deux martyres de Jésus-christ,
et notre Reine nous a envoyées te consoler. Rends grâce à
Marie, et prépare-toi à une plus
grande faveur ". Cela dit, elle
disparut comme la première ; mais le religieux conçut dès
lors l'espérance de voir enfin ses voeux
exaucés. Il ne fut pas trompé
dans son attente ; car, peu après, il aperçut une grande
lumière et sentit son coeur se remplir d'une joie
toute nouvelle ; et voilà
qu'au milieu de cette lumière lui apparaît la Mère
de Dieu environnée d'anges, et surpassant immensément en
beauté les deux martyres.
Elle lui dit : " Mon cher serviteur et mon fils, j'ai agréé
tes hommages et exaucé tes prières : tu as désiré
me
voir ; me voici, et, de plus, je
veux aussi te faire entendre mon chant ". Et la glorieuse Vierge chante,
et, ravi hors de lui-même par la
mélodie de ses accents, le
dévot religieux tomba la face en terre.
Les Matines sonnèrent, et
les moines se réunirent ; ne voyant point le frère Thomas,
ils le cherchèrent d'abord dans sa cellule, puis
dans d'autres endroits ; finalement,
étant allés voir au jardin, ils le trouvèrent là
comem mort. Le supérieur lui ordonna de dire ce qui
était arrivé l alors,
revenant à lui par la force de la sainte obéissance, il raconta
toutes les faveurs qu'il avait reçues de la divine Mère.
PRIÈRE
O Reine du paradis, Mère du
saint amour ! puisque vous êtes entre toutes les créatures
la plus aimable, la plus aimée de Dieu, et sa
première amante, ah ! daignez
consentir à être aimé du pécheur le plus ingrat
et le plus misérable qui soit sur la terre, mais qui, se
voyant délivré de
l'enfer par votre intercession et comblé de vos bienfaits sans aucun
mérite de sa part, s'est épris d'amour pour vous.
Je voudrais, s'il m'était
possible, faire comprendre à tous les hommes qui ne vous connaissent
pas, combien vous êtes digne d'être
aimée, afin de les amener
tous à vous aimer et à vous honorer. Je voudrais même
mourir pour l'amour de vous, en défendant votre
virginité, votre dignité
de Mère de dieu, votre immaculée conception, si, pour défendre
ces glorieuses prérogatives de votre personne
sacrée, il me fallait mourir.
O Mère chérie, agréez
cette expression de mes sentiments, et ne permettez pas qu'un de vos serviteurs
qui vous aime, devienne jamais
l'ennemi de votre Dieu, que vous
aimez tant ! Ah ! malheureux, voilà ce que j'étais autrefois,
quand j'offensais mon divin Maître.
Mais alors, ô Marie, je ne
vous aimais pas, et je ne me souciais guère d'être aimé
de vous ; à cette heure, au contraire, je ne désire
rien tant, après la grâce
de Dieu, que de vous aimer et d'être aimé de vous. Mes fautes
passées ne m'empêchent pas d'espérer cette
faveur ; car, je le sais, ô
ma douce et gracieuse Souveraine, vous ne dédaignez pas d'aimer
même les plus misérables pécheurs dont
vous vous voyez aimée ; au
contraire, jamais vous ne vous laissez vaincre en amour par personne. Ah
! Reine tout aimable, je veux
aller vous aimer en paradis : là,
prosterné à vos pieds, je connaîtrai mieux combien
vous êtes aimable, et combien vous avez
contribué à mon salut
; et ainsi, je vous aimerai d'un plus grand amour, et je vous aimerai éternellement,
sans crainte de jamais cesser
de vous aimer. O Marie, j'espère
avec une entière confiance d'être sauvé par votre secours.
Priez Jésus pour moi ; cela suffit ; c'est à
vous de me sauver ; vous êtes
mon espérance. J'irai donc toujours chantant :
O mon unique espoir, sainte Vierge Marie,
A vous de me conduire à l'éternelle vie.
CHAPITRE IX
O clemens, o pia!
O clémente, ô bonne.
CLÉMENCE ET BONTÉ DE MARIE
Combien sont grandes la clémence et la bonté de Marie
Pour exprimer la merveilleuse bonté
de Marie envers nous, pauvres enfants d'Ève, saint Bernard l'appelle
la véritable " terre promise où
coulent le lait et le miel ". Selon
saint Léon, on devrait la nommer, non pas simplement Reine miséricordieuse,
mais la miséricorde en
personne, tellement ses entrailles
maternelles surabondent de tendresse. Telle était également
la pensée de saint Bonaventure. Voyant
d'un côté Marie devenue
Mère de Dieu en faveur des malheureux et investie de l'office de
leur départir les grâces ; songeant d'un autre
côté à sa vive
sollicitude pour eux tous, et à l'extrême compassion qu'elel
leur porte, et qui semble ne lui plus laisser qu'un désir, celui
de subvenir à leurs besoins
; le saint disait qu'en présence de la bienheureuse Vierge, il oubliait
presque la justice divine, pour ne plus
voir que la divine miséricorde
dont elle est toute remplie. Voici ce passage plein d'onction : " Oui,
auguste Souveraine, quand je vous
regarde, je ne vous plus que miséricorde
; car c'est pour les misérables que Dieu vous a faite sa Mère
et vous a confié la charge de
faire miséricorde ; il n'est
pas une misère qui vous trouve indifférente ; vous êtes
tout enveloppée de miséricorde ; vous semblez
n'avoir à coeur que de faire
miséricorde ".
Telle est en un mot, la bonté
du coeur compatissant de Marie, que, selon le mot de l'abbé Guéric,
il ne peut cesser un instant de
produire pour nous des fruits de
bonté. Eh ! s'écrie saint Bernard, que pourrait-il jaillir
d'une source de bonté, sinon de la bonté ?
Voilà pourquoi Marie elle-même
se dit : Pareille à un bel olivier qui croît dans les champs.
De l'olivier il ne sort que de l'huile, symbole
de miséricorde ; et des mains
de Marie il ne tombe que grâces et miséricordes. On pourrait
donc, avec le vénérable Louis du Pont,
appeler le coeur de Marie la source
de l'huile, puisqu'il est la source de miséricorde. Ainsi, lorsque
nous recourons à cette tendre Mère
pour lui demander l'huile de sa
bonté, nous n'avons pas à craindre qu'elle ne nous réponde
par un refus, comme firent les vierges
prudentes aux vierges folles, en
alléguant l'insuffisance de leur provision. Non, l'huile de miséricorde
ne saurait lui manquer ; car elle
en est toute remplie, selon la remarque
de saint Bonaventure. Aussi la sainte Église la proclame-t-elle,
non pas seulement Vierge
prudent, mais Vierge très
prudente ; c'est nous donner à entendre, dit Hughes de Saint-Victor,
qu'elle est assez riche de grâce et de
bonté pour nous en pourvoir
tous abondamment, sans courir le risque de la voir jamais s'épuiser
: " O pleine de grâce, vous en êtes
tellement pleine, que le monde entier
peut aller puiser en vous et s'enrichir de votre surabondance ; les vierges
prudentes prirent de
l'huile dans leurs vases pour entretenir
leurs lampes ; mais vous, qui êtes la Vierge très prudente,
vous avez pris avec vous un vase
inépuisable, et d'où
l'huile de la miséricorde déborde et suffit à tenir
enflammées les lampes de tous les mortels."
Mais pourquoi, dans le texte que
nous expliquons, est-il dit de ce bel olivier qu'il se trouve au milieu
des champs ? Pourquoi pas plutôt
dans un jardin entouré de
murs ou de haies ? C'est, répond Hughes de Saint-Victor, afin que
tous puissent aisément le voir et s'en
approcher, pour en obtenir le remède
dont ils ont besoin. - Saint Antonin confirme cette belle pensée.
" Quand un olivier est exposé
dans un champ ouvert à tout
le monde, observe-t-il, chacun peut aller en cuillir les fruits ; ainsi
en est-il de Marie : tous les hommes,
justes et pécheurs, peuvent
recourir à elle pour avoir part à ses bontés ". Oh
! continue le saint, combien de sentences, de châtiments,
la bienheureuse Vierge a su faire
révoquer par ses charitables prières, en faveur des pécheurs
qui ont recours à elle ?" - " Et quel
refuge plus assuré pour nous
que le sein compatissant de Marie ? Là, le pauvre a un asile, le
malade y puise des remèdes et l'affligé des
consolations ; dans la perplexité
on y trouve des conseils, et dans le délaissement un appui ". Ainsi
parle le dévot Thomas a Kempis.
Que nous serions à plaindre,
si nous n'avions pas cette Mère de miséricorde, si attentive
et si empressée à nous secourir dans nos
misères ! Où la femme
manque, dit l'Esprit-Saint, l'indigent souffre et gémit. Par cette
femme, saint Jean Damascène entend Marie,
sans laquelle nous sommes tous infirmes
et souffrants. C'est bien dit, car, Dieu ayant décrété
qu'aucune grâce ne s'accordera qu'à la
prière de Marie, là
où cette prière n'intervient pas, il n'est nul espoir de
miséricorde ; ainsi le Seigneur lui-même l'a-t-il déclaré
à sainte
Brigitte.
Mais qui sait ? peut-être Marie
ne voit pas nos misères, ou les voit sans compassion. Gardons-nou
de cette pensée : bien mieux que
nous-mêmes elle les voit et
elle est loin d'y être insensible. " Entre tous les saints, il n'en
est aucun qui compatisse comme elle à nos
maux ", dit saint Antonin. Aussi,
" partout où elle aperçoit des souffrances, elle y court
avec les remèdes de sa grande miséricorde ".
Cette pensée de Richard de
Saint-Laurent est confirmée en ces termes par Mendoza : " Oui, ô
Vierge bénie et notre Mère, vous
répandez à pleines
mains vos bienfaits là où vous rencontrez nos besoins ".
- Et ce charitable office, notre bonne Mère ne cessera
jamais de le remplir ; c'est elle
qui nous l'assure ; Je ne cesserai jusqu'au siècle futur, de remplir
mon ministère en présence du
Seigneur dans la sainte demeure.
Paroles que le cardinal Hughes commente ainsi : " Je ne cesserai pas, jusqu'à
la fin du monde, de
secourir les hommes dans leurs besoins,
et de prier pour les pécheurs, afin qu'ils se sauvent et qu'ils
soient préservés du malheur
éternel ".
Au rapport de Suétone, l'empreur
Titus était si désireux d'accorder ses faveurs à qui
les lui demandait que, si parfois il n'avait pas eu
l'occasion d'accorder quelque grâce,
il disait tout contristé : Diem perditi, ce jour est un jour perdu
pour moi, puisque je l'ai passé sans
faire de bien à personne.
- Vraisemblablement, Titus parlait ainsi plus par vanité, ou par
recherche ambitieuse de l'estime du monde que
par un sentiment d'humanité.
Il n'en est pas ainsi de notre Reine Marie ; si jamais un de ses jours
se passait sans être signalé par aucun
bienfait, elle dirait aussi : J'ai
perdu ma journée ; mais elle le dirait uniquement parce qu'elle
est pleine de charité et animée du désir de
nous faire du bien. Ce désir
va si loin que, selon Bernardin de Bustis, il surpasse notre aividité
à recevoir ses bienfaits. Aussi, ajoute le
même, jamais nous ne recourrons
à elle sans lui trouver les mains pleines de miséricorde
et de libéralité.
Marie a été figurée
par Rébecca, dont on sait l'histoire. Comme le serviteur d'Abraham
lui demandait un peu d'eau à boire : Buvez,
Seigneur, lui répondit-elle
; de plus je vais puiser de l'eau en assez grande quantité pour
abreuver tous vos chameaux. Ce trait inspire
au dévot saint Bernard les
paroles suivantes qu'il adresse à la Vierge : Auguste Reine, le
vaisseau de vos miséricordes déborde de toutes
parts ; versez donc, non seulement
au serviteur d'Abraham, mais aussi à ses chameaux. C'est-à-dire
: Vous êtes pleine de bonté et plus
libérale que Rébecca
; aussi, non contente de faire sentir les effets de votre immense miséricorde
au serviteur d'Abraham, qui
représente les fidèles
serviteurs de Dieu, vous en faites encore part aux bêtes de somme,
qui sont la figure des pécheurs. D'un autre
côté, Rébecca
donna plus qu'on lui demandait, et Marie donne toujours plus qu'on ne lui
demande. La libéralité de Marie, dit Richard de
Saint-Laurent, ressemble à
celle de son Fils, dont les largesses vont toujours au-delà de nos
requêtes, et qui, pour cette raison, est
appelé par saint Paul un
Dieu riche de grâces, et prodigue de ses dons à l'égard
de tous ceux qui le prient. De là cette prière d'un pieux
auteur à Marie : " Vierge
sainte, daignez prier vous-même pour moi ; car vous solliciterez
les grâces pour moi avec bien plus de
dévotion que je ne saurais
le faire, et vous m'obtiendrez beaucoup plus que je ne saurais demander
".
Les Samaritains ayant refusé
de recevoir Jésus-Christ et sa doctrine, saint Jacques et saint
Jean dirent au divin Maître : " Seigneur,
voulez-vous que nous commandions
au feu du ciel de descendre sur eux et de les dévorer ? " Mais le
Sauveur répondit : Vous ne savez
pas de quel esprit vous êtes.
C'est-à-dire : Mon esprit n'est que miséricorde et douceur
; car je suis venu du ciel pour sauver les
pécheurs, et non pour les
punir ; et vous demander leur perte Quoi ! du feu, des châtiments
! taisez-vous, ne me parlez plus de
châtiments ; ce n'est pas
là mon esprit. - Or, l'esprit de Marie étant entièrement
conforme à celui de son Fils, nous ne pouvons douter
de son inclination à user
de miséricorde ; elle-même disait un jour à sainte
Brigitte : " On m'appelle la Mère de miséricorde ; c'est
avec
raisons, ma fille, car la miséricorde
de mon Fils m'a rendue compatissante et douce envers tout le monde ". C'est
dans ce sens que
saint Bernard interprète
la vision où Marie fut montrée à saint Jean revêtue
du soleil : " Céleste Reine, dit le saint Docteur, vous revêtez
le soleil, et le soleil vous revêt
" ; vous avez revêtu le Verbe divin de la chair humaine, et à
son tour il vous a revêtue de sa puissance et
de sa miséricorde.
Cette Reine est donc si clémente
et si bonne que, quand un pécheur vient réclamer son assistance,
elle ne commence point par
examiner ses mérites, assure
le même saint, ni s'il est digne ou non d'être exaucé
; mais elle exauce quiconque se présente. Voilà
pourquoi, remarque saint Hildebert,
elle est dite belle comme la lune. Elle éclaire et aide les plus
indignes pécheurs, comme cet astre
répand ici-bas sa douce et
bienfaisante lumière sur les êtres les plus vils. D'autre
part, bien que la lune emprunte au soleil toute sa
lumière, elle la distribue
en bien moins de temps que lui ne distribue la sienne : ce qu'il fait en
un an, remarque un auteur, elle le fait en
un mois. Et, selon saint Anselme,
nous obtenons parfois plus promptement le secours du ciel en invoquant
le nom de Marie qu'en
invoquant le nom de Jésus.
Hugues de Saint-Victor ajoute que, si nos péchés nous font
nous craindre de s'approcher de Dieu, Majesté
infinie et offensée par nous,
du moins nous ne devons pas hésiter d'aller à Marie, en qui
nous ne trouvons rien de redoutable. Sans
doute, elle est sainte, elle est
immaculée, elle est Reine de l'univers, elle est Mère de
Dieu ; mais enfin elle est revêtue de la même chair
que nous ; comme nous elle est enfant
de Marie.
En un mot, dit saint Bernard, en
Marie tout est grâce et bonté ; comme Mère de miséricorde,
elle se fait tout à tous ; et, dans sa grande
charité, elle s'est rendue
débitrice à l'égard des justes et des pécheurs
; elle ouvre à tous le sein de sa miséricorde, afin que tous
viennent y puiser. De même
donc que le démon rôde sans cesse, cherchant quelqu'un à
qui il puisse donner la mort, ou, selon le mot
de saint Pierre, qu'il puisse dévorer,
ainsi, remarque Bernardin de Bustis, Marie est sans cesse à la recherche
d'âmes à qui elle puisse,
au contraire, donner la vie et le
salut.
Nous devons d'ailleurs être
persuadés avec saint Germain que la protection de Marie est plus
étendue et plus puissante que nous ne
pouvons l'imaginer. " Et d'où
vient, demande le Père Pelbart, que le Seigneur, qui, dans l'ancienne
loi, punissait avec tant de rigueur les
moindres fautes, use à présent
de tant de miséricorde envers les plus grands coupables ? Dieu le
fait, répond-il, pour l'amour de Marie
et en considération de ses
mérites ". Ah ! s'écrie saint Fulgence, depuis combien de
temps le monde ne serait-il pas abîmé, si Marie ne
l'avait soutenu par son intercession.
Mais nous pouvons, dit Arnauld de Chartres, nous présenter à
Dieu avec assurance et en espérer
tous les biens, maintenant que le
Fils est notre Médiateur auprès du Père, et que la
Mère intercède pour nous auprès du Fils. En effet,
comment le Père n'exaucerait-il
pas son Fils, lui montrant les plaies qu'il a souffertes pour les pécheurs
? Et comment le Fils
n'exaucerait-il pas sa Mère,
lui montrant le sein qui l'a nourri ? Et saint Pierre Chrysologue assure,
avec une énergie remarquable, que
cette Vierge unique, ayant logé
le Seigneur dans son chaste sein, en exige, pour prix de l'hospitalité
qu'elle lui a donnée, la paix du
monde, le salut de ceux qui étaient
perdus, et la vie de ceux qui étaient morts.
Oh ! s'écrie l'abbé
de Celles, combien de pécheurs qui mériteraient d'être
condamnés par la justice de Dieu, sons sauvés par la
miséricorde de Marie ! Car
elle est le trésor de Dieu et la trésorière de toutes
les grâces ; de sorte que notre salut est entre ses mains.
Recourons donc toujours à
cette auguste Mère de miséricorde, avec le ferme espoir d'être
sauvés par son intercession ; car elle est,
comme l'appelle Bernardin de Bustis,
notre salut, notre vie, notre espérance, notre conseil, notre refuge,
notre secours. Selon saint
Antonin, Marie est ce trône
de la grâce devant lequel l'Apôtre nous exhorte à nous
présenter avec confiance, afin d'obtenir la divine
miséricorde et tous les secours
nécessaires à notre salut. Et sainte Catherine de Sienne
avait coutume de l'appeler " la dispensatrice de
la divine miséricorde ".
Concluons par la belle et touchante
exclamation de saint Bernard sur ces paroles : " O clémente, ô
bonne, ô douce Vierge Marie ! "
Voici comment il s'exprime : " O
Marie ! vous êtes clémente envers les misérables, bonne
envers ceux qui vous prient, douce envers
ceux qui vous aiment. Vous êtes
clémente envers les pénitents, bonne envers ceux qui font
des progrès, douce envers ceux qui sont
arrivés à la perfection.
Vous montrez votre clémence en nous préservant des châtiments,
votre bonté en nous dispensant les grâces,
votre douceur en vous donnant à
ceux qui vous cherchent. "
EXEMPLE
Le père Charle Bovio rapporte
qu'à Dormans, en Champagne, un homme marié entreprenait un
commerce criminel avec une femme.
Son épouse, indignée
de cette conduite, ne faisait qu'appeler les châtiments de Dieu sur
les deux coupables. Un jour entre autres, elle
alla dans une église, devant
l'autel de la sainte Vierge, pour demander justice conte celle qui lui
avait ravi l'affection de son mari. Or, la
femme pécheresse avait coutume
de venir prier aussi devant cet autel, et y récitait chaque jour
un Ave Maria. Une nuit, la divine Mère
apparut en songe à l'épouse
affligée ; celle-ci ne l'eut pas sitôt vue, qu'elle se mit
à répéter son invocation ordinaire : " Justice, ô
Mère
de Dieu ! justice ! " Mais Marie
lui répondit : " Quoi ! justice ! c'est à moi que tu demandes
justice ? adresse-toi pour cela à quelque
autre ; moi, je ne puis faire justice
". Ensuite, elle ajouta : " Sache que cette pécheresse me récite
chaque jour certaine prière, et je ne
puis souffrir qu'aucune personne
qui récite cette prière soit châtiée pour ses
péchés ".
Lorsqu'il fit jour, cette pauvre
femme se rendit entendre la messe dans l'église susdite ; et, comme
elle en sortait, elle rencontra celle
qui lui causait tant de peine. Dès
qu'elle l'aperçut, elle se mit à l'injurier, la traitant
de sorcière, qui, par ses enchantements, était venue à
bout d'ensorceler la sainte Vierge
elle-même. " Taisez-vous, lui cria-t-on alors ; que dîtes-vous
là ? - Et pourquoi me tairais-je ?
répondit-elle ; ce que je
dis, n'est que trop vrai ; cette nuit, la sainte Vierge m'est apparue ;
et, comme je lui demandais justice, elle m'a
répondu qu'elle ne pouvait
me satisfaire, à cause d'une prière que cette scélérate
lui récite tous les jours." Là-dessus, on demanda de
celle-ci quelle était la
prière qu'elle récitait à la Mère de Dieu ;
elle répondit que c'était l'Ave Maria. Mais, apprenant que
la bienheureuse
Vierge, pour cette simple dévotion,
usait envers elle d'une si grande miséricorde, elle alla immédiatement
se jeter aux pieds de son
image ; et là,e n présence
de tout le monde, elle demanda pardon du scandale qu'elle avait causé,
et fit voeu de continence perpétuelle.
De plus, s'étant revêtue
d'un habit religieux, et s'étant construit une petite cellule dans
le voisinage de cette église, elle s'y renferma, et
persévéra dans les
exercices de la pénitence jusqu'à sa mort.
PRIÈRE
O Mère de miséricorde,
puisque vous êtes si compatissante, et que vous avez un sigrand désir
de nous faire du bien, à nous,
misérables pécheurs,
et de nous accorder ce que nous vous demandons, moi, le plus misérable
de tous les hommes, je viens implorer
votre bonté ; daignez m'exaucer.
Que d'autres vous demandent tout ce qu'ils voudront, santé, biens
et avantages temporels ; pour moi,
ô Marie, je vous demande ce
que vous-même désirez trouver en moi, ce qui est le plus conforme
et le plus agréable à votre très saint
coeur. Vous êtes si humble
; obtenez-moi donc l'humilité et l'amour des mépris. Vous
avez été si patiente dans les peines de cette vie ;
obtenez-moi la patience dans les
contrariétés. Vous êtes si remplie d'amour pour Dieu
; obtenez-moi le don du saint et pur amour.
Vous êtes toute pleine de
charité pour le prochain ; obtenez-moi la charité envers
tous, et surtout envers ceux qui me sont opposés.
Vous fûtes toujours unie à
la volonté de Dieu ; obtenez-moi une entière conformité
à toutes les dispositions de la providence qui me
concernent.
En un mot, vous êtes la plus
sainte de toutes les créature ; ô Marie, rendez-moi saint.
L'amour ne vous manque point, vous pouvez et
vous voulez me procurer tous les
biens ; la seule chose donc qui puisse m'empêcher de recevoir vos
grâces, c'est, ou ma négligence à
vous invoquer, ou mon peu de confiance
en votre intercession ; mais, ce deux dispositions essentielles, la fidélité
à vous invoquer et la
confiance en vous, c'est vous-même
quid evez me les obtenir, et c'est à vous que je les demande, c'est
de vous que je les veux, d'est de
vous que je les espère, et
je les attends de vous avec assurance, ô Marie, ma Mère, mon
espérance, mon amour, ma vie, mon refuge,
mon secours et ma consolation !
Amen.
CHAPITRE X
O dulcis Virgo Maria
O douce vierge Marie.
DOUCEUR DU NOM DE MARIE
Combien le nom de Marie est doux pendant la vie et à la mort
L'auguste nom de la Mère de
Dieu, le nom de Marie, n'est pas d'origine terrestre ; il ne fut pas, comme
les autres noms, inventé par
l'esprit des hommes ; il ne lui
fut pas donné par livre choix : descendu du ciel, il lui fut imposé
par un décret divin ; ainsi l'attestent
saint Jérôme, saint
Épiphane, saint Antonin et d'autres auteurs.
" Le nom de Marie, dit saint Pierre
Damien, fut tiré du trésor de la Divinité ". Oui,
ô Marie, ajoute Richard de Saint-Laurent, votre nom
sublime et admirable est sorti du
trésor de la Divinité ; les trois personnes de la Trinité
sainte vous l'ont donné d'un commun accord,
ce nom qui éclipse tous les
noms après celui de votre Fils ; elles l'ont rempli de tant de majesté
et de puissance que, quand il est
prononcé, il faut que tout
se prosterne pour le vénérer, au ciel, sur la terre et dans
les enfers ". Mais, sans parler des autres
prérogatives que le Seigneur
a voulu attacher au nom de Marie, considérons ici combien il l'a
rendu doux aux serviteurs de cette
céleste Reine, soit pendant
la vie, soit à l'heure de la mort.
Premièrement, le nom de Marie
est doux à ses serviteurs pendant leur vie. Le saint anachorète
Honorius le trouvait plein de tout ce qu'il
y a de douceur et de suavité
en Dieu ; et, pour le glorieux saint Antoine de Padoue, ce nom avait les
mêmes charmes que saint Bernard
trouvait dans celui de Jésus.
" Le nom de Jésus, avait dit Bernard, le nom de Marie, reprenait
Antoine, est une joie au coeur de ses
pieux serviteurs, un miel sur les
lèvres, une mélodie pour leurs oreilles ". Le vénérable
Juvénal Ancina, évêque de Saluces, goûtait, en
prononçant le nom de Marie,
une douceur sensible telle, dit son historien, qu'il s'en léchait
les lèvres. On lit la même chose d'une
femme de Cologne : " Je ne prononce
jamais le nom de Marie, assurait-elle à l'évêque Massilius
sans que mon palais soit flatté d'une
saveur supérieure à
celle du miel ". Massilius adopta sa pratique la même douceur.
Lors de l'Assomption de la Vierge,
les anges demandèrent à trois reprises quel était
son nom ; on peut le conclure de ces trois passages
des Cantiques : " Quelle est celle-ci
qui mont du désert comme un nuage d'encens ? - Quelle est celle-ci
qui s'avance comme une
aurore naissante ? - Quelle est
celle-ci qui s'élève du désert, nageant dans les délices
? " Pourquoi, se demande Richard, pourquoi les
anges répètent-ils
tant de fois leur question : Quelle est celle-ci ?. . . C'est sans doute,
répond-il, afin d'entendre répéter le nom de
Marie, tant ce nom résonne
délicieusement à l'oreille des anges eux-mêmes.
Mais ce n'est pas de cette douceur
sensible que j'entends parler ici : il n'est pas donné à
tous de la sentir ; je veux parler d'une douceur
spirituelle, d'un sentiment salutaire
de consolation, d'amour, de joie, de confiance et de force, que le nom
de Marie inspire
communément à ceux
qui le prononcent avec dévotion.
L'abbé Francon dit à
ce sujet : " Après le saint nom de Jésus, le nom de Marie
est si fécond en biens de tout genre, que, ni sur la terre,
ni dans le ciel, on n'entend prononcer
aucun nom qui remplisse les âmes dévotes d'autant de grâces,
de consolation et d'espérance. En
effet, continue le même auteur,
le nom de Marie renferme je ne sais quoi d'admirable, de doux et de divin,
qui fait qu'il ne peut retentir
dans un coeur aimant sans l'embaumer
d'une odeur de sainte suavité. Et voici, dit-il en finissant, la
merveille de cet auguste nom : mille
fois répété,
il paraît toujours nouveau à ceux qui aiment Marie, aussi
bien que le plaisir avec lequel ils l'entendent ".
Le bienheureux Henri Suso avait bien
fait, lui aussi, l'expérience de cette douceur du nom de Marie.
En le prononçant, il se sentait,
disait-il lui-même, pénétré
de confiance et enflammé d'amour ; aussi, versant des larmes de
joie et transporté hors de lui-même, il eut
voulu que le coeur lui bondît
de la poitrine jusque sur les lèvres ; car, assurait-il, ce nom
si doux, si cher, se liquéfiait au fond de son
âme comme un rayon de miel.
Après quoi, il s'écriait : " O nom plein de suavité
! O Marie ! que devez-vous donc être vous-même, si
votre nom seul est déjà
si aimable et si gracieux ? "
De son côté, saint Bernard,
s'adressant à sa bonne Mère, lui disait, en ces termes pleins
de tendresse, la flamme dont il brûlait pour elle
: " O grande, ô clémente,
ô admirable Marie ! ô Vierge très sainte et digne de
toute louange, combien doux et aimable est votre nom !
On ne peut le prononcer sans se
sentir embrasé d'amour et pour vous et pour Dieu ; il suffit même
que ce nom se présente à la pensée
de ceux qui vous aiment, pour accroître
beaucoup leur amour et les consoler ". - Ah ! si les richesses consolent
les pauvres, en les
tirant de leur misère, ajoute
Richard de Saint-Laurent, combien plus, ô Marie, votre nom nous console
dans nos peines, car, bien
mieux que les richesses de la terre,
il adoucit les angoisses de la vie présente !
En un mot, ô Mère de
Dieu, votre nom est tellement rempli, comme le dit saint Méthode,
de grâces et de bénédictions divines, que,
comme l'affirme saint Bonaventure,
on ne saurait le prononcer dévotement sans en tirer quelque bien.
Quelque endurci que puisse être
un pécheur, eût-il
même perdu toute confiance en Dieu, qu'il vous nomme seulement, ô
Vierge pleine de bonté ; et, ajoute le pieux
Idiot, telle est la vertu de votre
nom qu'il sentira sa dureté s'ammolir d'une manière merveilleuse
; car c'est vous qui faites revivres les
pécheurs à l'espérance
du pardon et de la grâce.
Votre doux nom, dit à son
tour saint Ambroise, est un baume qui répand l'odeur de la grâce
; ah ! que ce bauime de salut descende au
fond de nos âmes ! Voici donc
ce que le saint vous demandait par ces paroles, ô Marie, et ce que
nous vous demandons après lui :
faites que nous pensions souvent
à invoquer votre nom avec amour et confiance ; car c'est là,
sinon un signe de la présence de la
grâce divine en nous, du moins
un gage de son prochain retour. Il en est bien ainsi, car, ô Marie,
selon la pensée de Ludolphe de Saxe,
" le souvenir de votre nom console
les affligés, remet dans la voie du salut ceux qui en sont sortis,
et fortifie les pécheurs contre la
tentation du désespoir. "
" De même donc que, par ses
cinq plaies, Jésus-Cbhrist a préparé le remède
à tous les maux du monde ; ainsi, par la vertu de son très
saint nom composé de cinq
lettres, Marie ménage chaque jour aux pécheurs, observe Pelbart,
la rémission de leur faute ". Voilà
pourquoi il est dit dans les cantiques
sacrés : Votre nom est comme une huile répandue ; paroles
qu'Alain de l'Isle commente ainsi : "
L'huile guérit les malades,
répand une odeur agréable, et nourrit la flamme ; et le nom
de Marie guérit les pécheurs, réjouit les âmes,
et
les embrase du divin amour." Aussi,
Richard de Saint-Laurent exhorte tous les pécheurs à invoquer
ce nom assez puissant à lui seul
pour les délivrer de tous
les maux ; car il n'est point de maladie si funeste, assure-t-il, qui ne
cède aussitôt à sa vertu salutaire.
D'autre part, au témoignage
de thomas a Kempis " les démons redoutent à tel poinjt la
Reine du ciel, que, si quelqu'un vient à
prononcer son nom, ils fuient incontinent
loin de lui, comme on fait pour échapper aux atteintes de la flamme
". Et, d'après une
révélation de la bienheureuse
Vierge elle-même à sainte Brigitte, il n'est pas en cette
vie de pécheur, si froid, si étranger soit-il à l'amour
divin, qui ne puisse forcer l'esprit
malin à s'éloigner, à la seule condition d'invoquer
le saint nom de Marie avec le bon propos de se
convertir. Une autre fois, revenant
sur le même sujet, Marie disait à la même sainte : "
Tous les démons révèrent mon nom et le
redoutent ; et, rien qu'à
l'entendre, ils relâchent au plus vite l'âme qu'ils tenaient
déjà entre leurs griffes ". Par contre, pendant que les
anges rebelles s'éloignent
des pécheurs qui incoquent le nom de Marie, les bons anges se rapprochent
davantage des âmes justes qui le
prononcent dévotement ; c'est
ce qu'a dit encore Notre-Dame à sainte Brigitte.
Selon saint Germain, comme la respiration
est un signe de vie, ainsi la répétition fréquente
du nom de Marie est un signe, ou que déjà la
grâce vit en nous, ou qu'elle
y revivra bientôt ; car ce nom puissant a la vertu d'attirer en ceux
qui l'invoquent, le secours de Dieu et la
vie.
Enfin, Richard de Saint-Laurent dit
que ce nom admirable est comme une forte tour où le pécheur
qui s'y réfugie est à l'abri de la
mort, où les plus désespérés
trouvent une défense sûre et le salut. Mais, continue le même,
cette tour céleste ne préserve pas
seulement les pécheurs du
châtiment qui leur serait dû ; elle protège encore les
justes contre les assauts de l'enfer ; et, après le nom de
Jésus, aucun nom n'est secourable
aux hommes, aucun n'est salutaire à l'égal du grand nom de
Marie.
Notamment, c'est chose universellement
reconnue, et dont les serviteurs de Marie font tous les jours l'expérience,
que son nom
puissant donne la force de vaincre
les tentations contre la chasteté. Sur ces paroles de saint Luc
: " Et le nom de cette vierge est Marie
", le même Richard observe
que l'évangéliste a joint ensemble le nom de Marie et celui
de Vierge, pour nous donner à entendre que le
nom de cette Vierge très
pure ne va jamais sans la chasteté. De là, cette sentence
de saint Jean Chrysostôme : " Ce nom béni est indice
de chasteté ". C'est-à-dire
: celui qui doute s'il n'a pas consenti à un tentation impure, mais
qui se souvient en même temps d'avoir
invoqué le nom de Marie,
qu'il se rassure, il n'a pas blessé la sainte vertu ; cette invocation
même en est un signe certain.
Puisqu'il en est ainsi, soyons fidèle
à suivre le sage conseil de saint Bernard : " Dans les périls,
dans les difficultés, dans les
perplexictés, pensez à
Marie, dit-il, invoquez Marie ; que son nom ne quitte jamais vos lèvres,
qu'il soit consamment dans votre coeur
". Oui, toutes les fois que nous
sommes en danger de perdre la grâce de Dieu, pensons à Marie,
invoquons le nom de Marie,
conjointement avec celui de Jésus
; car ces deux noms ne doivent jamais se séparer. Que ces deux noms
si doux et si puissants ne
s'éloignent jamais de notre
coeur ni de nos lèvres ; ils nous donneront la force de ne pas succomber
et de vaincre toutes les tentations.
Admirables sont les faveurs promises
par Jésus-Christ à ceux qui sont dévots au nom de
Marie ; sainte Brigitte les apprit de la bouche
du Sauveur lui-même s'entretenant
avec sa sainte Mère : " Quiconque , lui disait-il, invoquera votre
nom avec confiance et avec le
propos de s'amender recevra trois
grâces signalées, savoir : un parfait repentir de ses péchés,
la grâce d'en faire pénitence avec la
force de parvenir à la perfection,
et finalement la gloire céleste. Car, ô ma Mère, ajouta
le divin Sauvuer, vos paroles me sont si douces
et si agréables, que je ne
puis vous refuser aucune de vos demandes ".
Saint Éphrem va jusqu'à
dire que " le nom de Marie est la clef du ciel " pour ceux qui l'invoquent
dévotement. Saint Bonaventure a
donc raison de proclamer Marie le
Salut de tous ceux qui l'invoquent : O salus te invocantium ! comme si
c'était une même chose
d'invoquer le nom de Marie et d'obtenir
le salut éternel. Et, en effet, Richard de Saint-Laurent nous assure
que, par l'invocation de ce
nom si saint et si doux, nous acquérons
une grâce surabondantes en cette vie et un sublime degré de
gloire en l'autre.
Concluons par cette exhortation de
Thomas a Kempis : " Voulez-vous donc, mes frères, être consolés
dans toutes vos peines,
recourez à Marie, invoquez
Marie, recommandez-vous à Marie ; réjouissez-vous avec Marie,
pleurez avec Marie, priez avec Marie,
marchez avec Marie, cherchez Jésus
avec Marie, désirez enfin vivre et mourir avec Jésus et Marie.
Par ce moyen, ajoute-t-il, vous
avancerez toujours dans la voie
du Seigneur ; car Marie priera volontiers pour vous, et le Fils exaucera
certainement sa Mère ".
Le saint nom de Marie est donc pour
ses serviteurs pendant leur vie la source de bien des douceurs et de grâces
bien précieuses ; il
nous reste à voir combien
plus doux encore il leur devient au dernier moment, en rendant leur mort
tranquille et sainte.
Le Père Sertorius Caputo de
la Compagnie de Jésus, engageait tous ceux qui doivent assiter un
mourant, à lui répéter fréquemment le
nom de Marie ; prononcé à
l'heure, disait-il, ce nom de vie et d'espérance suffit à
lui seul pour mettre en fuite tous les démons et
fortifier les mourants dans toutes
leurs angoisses. Avec non moins de zèle, saint Camille de Lellis
recommandait à ses religieux
d'exciter souvent les moribonds
à invoquer les noms de Jésus et de Marie. Après avoir
lui-même suggéré toujours cette sainte pratique
aux autres, il apprit par sa propre
expérience combien elle est douce et salutaire à l'heure
de la mort. En ce moment suprême, raconte
l'auteur de sa vie, il prononçait
avec tant de tendresses les noms, si chers à son coeur, de Jésus
et de Marie, que les flammes dont il
était consumé, se
communiquaient aux assistants. Enfin, les yeux amoureusement fixés
sur les images de Jésus et de Marie, le front
serein et les bras en croix, il
expira dans une paix céleste, en invoquant encore ces doux noms,
qui furent les dernières paroles de sa
vie.
Jésus ! Marie ! . . . est-il
prière plus courte que celle-là ? et pourtant, remarque Thomas
a Kempis, autant elle est facile à retenir, autant
elle est douce à méditer,
et elle est une puissante sauvegarde contre tous les ennemis de notre salut.
Heureux, s'écriait saint Bonaventure,
heureux celui qui aime votre doux nom, ô Mère de Dieu ! Votre
nom est si glorieux, si admirable
en est la vertu, que tous ceux qui
ont soin de l'invoquer à l'article de la mort, n'ont rien à
craindre des attaques de l'ennemi.
Ah ! quel bonheur de mourir comme le Père Fulgence d'Ascoli, capucin, qui rendit le dernier soupir en chantant :
O beauté sans égale ! ô Marie, ô Marie !
Je veux quitter la terre en votre compagnie.
Quel bonheur de mourir comme le bienheureux
Henri, moine de Citeaux, qui, d'après les annales de l'Ordre, sortit
de ce monde en
articulant le nom de Marie.
Prions donc, pieux lecteurs, prions
Dieu de nous faire cette grâce que la dernière parole de nos
lèvres mourantes soit le nom de Marie.
Tels étaient le désir
et la prière de saint Germain : " Que ma langue, au moment de se
glacer, répète encore une fois le nom de Marie ".
Oh ! que la mort est douce et paisible,
sous les auspices et la protection de ce nom de salut, de ce nom que Dieu
accorde d'invoquer
au moment de mourir, à ceux-là
seuls qu'il veut voir sauvés !
Ma douce Souveraine et Mère,
je vous aime beaucoup ; et par amour pour vous, j'aime aussi votre saint
nom ; je suis résolu et
j'espère, avec votre secours,
de l'invoquer pendant toute ma vie, et à ma mort. Je vous adresse
donc, en terminant, cette tendre prière
de saint Bonaventure : Pour la gloire
de votre nom lorsque mon âme sortira de ce monde, venez au-devant
d'elle, ô Vierge bénie, et
daignez la recevoir entre vos bras.
Ayez la bonté de venir la consoler alors par votre douce présence
: soyez pour elle l'échelle et la voie
du ciel ; obtenez-lui la grâce
du pardon et l'éternel repos. O Marie, notre Avocate, c'est à
vous de défendre vos serviteurs et de plaider
leur cause au tribunal de Jésus-Christ.
EXEMPLE
Le fait qu'on va lire est rapporté par le Père Rho et par le Père Lyroeus, comme arrivé vers l'an 1465, dans la province de Gueldre.
Une jeune fille nommée Marie
fut un jour envoyée par son oncle au marché de Nimègue,
pour acheter divers objests, avec ordre de se
retirer le soir chez une tante qu'elle
avait en cette ville. Elle obéit ; mais, le soir, étant allée
trouver sa tante, elle en fut durement
repousséee, et elle dut se
remettre en chemin pour regagner sa maison. Mais bientôt, se voyant
surprise par la nuit, elle entre dans une
si grande colère, qu'elle
appelle le démon à haute voix. Celui-ci lui apparaît
aussitôt sous la forme d'un homme, et lui promet de l'aider,
à une condition. " Je suis
prête à tout faire ", répond la malheureuse. " Tout
ce que je veux, lui dit alors le malin esprit, c'est que
dorénavant vous ne fassiez
plus le signe de la croix, et que vous changiez de nom. - Quant au signe
de la croix, répliqua-t-elle, je ne le
ferai plus ; mais, pour mon nom
de Marie, il m'est trop cher, je ne veux pas le changer. - Et moi, je ne
vous aide pas, reprend le
démon ". Enfin, après
beaucoup de débats, ils convinrent qu'elle s'appellerait de la première
lettre du nom de Marie, Emme ou Emma.
Cela conclu, ils se rendirent à
Anvers, où la misérable passa six années de sa vie
en cette détestable compagnie, et se livra au
libertinage jusqu'à devenir
le scandale de la ville entière.
Un jour, elle dit au démon
qu'elle désirait revoir son pays. L'esprit infernal fit d'abord
des difficultés, mais il dut finir par céder.
Lorsqu'ils arrivèrent à
Nimègue, on y représentait un drame tiré de la vie
de la sainte Vierge. Ce spectacle toucha la pauvre Emma, qui
avait conservé un reste de
dévotion à la Mère de Dieu ; elle se mit à
pleurer. " Que faisons-nous ici ? dit alors son compagnon ;
allons-nous jouer, nous aussi, la
comédie ?" Il la saisit en même temps pour l'entraîner
ailleurs ; mais, voyant qu'elle résiste, et que déjà
elle lui échappe, de rage,
il l'élève en l'air et la jette au milieu du théâtre.
Ainsi délivrée, la pauvre fille raconta ce qui lui était
arrivé et se
présenta ensuite au curé
pour se confesser ; mauis le curé la renvoya à l'archevêque
de Cologne, et l'archevêque au pape. Ce dernier
entendit sa confession, et lui imposa
pour pénitence de porter continuellement trois anneaux de fer, dont
un au cou et un à chaque
bras. Elle obéit, revint
à Maestricht, et s'y renferma dans un couvent de repenties, où
elle vécut quatorzes ans, dans l'exercice de rudes
pénitences. Après
ce laps de temps, un matin à son lever, elle trouva les trois anneaux
brisés d'eux-mêmes. Deux ans plus tard, elle
mourut en odeur de sainteté,
et voulut qu'on l'ensevelît avec ces trois mêmes anneaux qui,
d'esclave de l'enfer, l'avaient rendue
l'heureuse captive de sa Libératrice.
PRIÈRE
O Marie, auguste Mère de Dieu
et ma Mère, il est vrai que je ne suis pas digne de prononcer votre
nom ; mais, puisque vous m'aimez
et que vous désirez mon salut,
vous m'accorderez de pouvoir toujours, quelque impure que soit ma langue,
appeler à mon aide ce nom
si saint et si puissant, notre soutien
pendant la vie, et notre salut à l'heure de la mort. Ah ! Marie,
vierge pleine de pureté et de
douceur, faites que votre nom soit
désormais la respiration de mon âme ; et ne tardez pas à
me secourir, chaque fois que je vous
invoquerai ; dans toutes les tentations
et dans tous les besoins que j'éprouverai dorénavant, je
suis résolu de recourir à vous, en
répétant toujours
: Marie ! Marie !
Voilà, je l'espère,
ce que je ferai durant le reste de ma vie, et surtout dans les derniers
moments, pour aller ensuite louer éternellement
en paradis votre nom bien-aimé,
ô clémente, ô bonne, ô douce Vierge Marie ! Ah
! aimable Marie, quelle consolation, quelle douceur,
quelle confiance, quelle tendresse
ressent mon âme, quand je prononce votre nom, ou seulement quand
je pense à vous ! Je remercie le
Seigneur mon Dieu de vous avoir
donné, pour mon bonheur, ce nom si doux, si aimble et si puissant.
Mais, ma Souveraine, je ne me
contente pas de prononcer votre
nom, je veux encore le prononcer avec amour, je veux que mon affection
m'avertisse de répéter à
toute heure, en sorte que je puisse
m'écrier avec saint Anselme de Lucquers : O Nom de la Mère
de Dieu, tu es mon amour !
Ma chère Marie, mon bien-aimé
Jésus, que vos doux noms vivent à jamais dans mon coeur et
dans tous les coeurs ! Que mon âme
perde le souvenir de tous les autres
noms, pour se rappeler uniquement et invoquer sans cesse vos noms vénérés
! Ah ! Jésus, mon
Rédempteur, et Marie, ma
Mère, quand je serai arrivé à l'article de la mort,
à ce moment décisif où mon âme devra sortir
de cette vie,
je vous en conjure par vos mérites,
accordez-moi cette grâce qu'avant de devenir à jamais muette,
ma bouche répète une dernière fois
ces mots : Je vous aime, Jésus
et Marie ! - Jésus et Marie ! je vous donne mon coeur et mon âme.
Oeuvres complètes de saint Alphonse-Marie de Liguori, traduites en français, éditées chez Parent-Desbarres, à Paris, 48, rue de Seine, 1838, 29 tomes.