LES
GLOIRES DE MARIE.
SECONDE PARTIE,
DANS LAQUELLE ON PARLE DE SES PRINCIPALES FÊTES, DE SES DOULEURS
EN GÉNÉRAL ET EN PARTICULIER, DES SEPT DOULEURS, DE SES VERTUS,
ET DES DJÉVO-TÏONS A PRATIQUER EN SON HONNEUR.
DISCOURS
Sur les principales fêtes de Marie, et sur ses douleurs.
PREMIER DISCOURS,
sur l'immaculée conception dé marié.
Combien il était convenable aux trois personnes divines de préserver
Marie du péché originel.
La ruine que le maudit péché causa à Adam et à
tout le genre humain fut extrême, car, en perdant malheu-reusement
la grâce, le premier homme perdit en même temps tous les autres
biens dont il avait été enrichi dès le commencement,
et il attira sur lui et sur toute sa pos-térité le comble
de tous les maux avec la haine de Dieu. Mais Dieu voulul exempter de celle
commune disgrâce la
1.
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LES GLOIRES
vierge bénie qu'il avait destinée pour être la
mère du second Adam, J.-C, qui devait réparer tous les dommages
que le premier avait causés au monde. Voyons maintenant combien
il était digne de Dieu et des trois personnes di-vines d'en préserver
Mai'ie : le Père devait le faire, parce qu'elle était sa
fille , le Fils, parce qu'elle était sa mère, le Si-Esprit,
parce qu'elle était son épouse.
Premier point. — II convenait d'abord que Dieu le père
préservât Marie du péché originel, parce qu'elle
était sa fille, et sa fille première-née, comme elle
l'at-teste elle-même : « Ego ex ore Altissimi providi, primo-»
genitaante omnem creaturam. » (Eccli.xxm.) Les saints interprètes,
les saints pères, et l'Église elle-même, dans la fête
de sa Conception, appliquent unanimement ce pas-sage à Marie ; car,
soit que Marie fût première-née, parce qu'elle fut
prédestinée en même temps que son fils dans les décrets
divins, avant toutes les créatures, comme le veut l'école
des scolisles, soit qu'elle fût première-née de la
grâce, comme prédestinée pour être la mère
du Rédempteur depuis la prévision du péché,
comme le veut l'école des thomistes, ils ne s'accordent pas moins
tous ensemble à l'appeler la première-née de Dieu.
Cela posé, il était bien" convenable que Marie ne fût
jamais l'esclave de Lucifer, mais qu'elle fût au contraire toujours
la possession de son Créateur, comme elle le fut, et comme elle
le dit elle-même : « Dominus possedit me » ab initio
viarum suarum. » (Eccli. e.) C'est donc avec raison que Marie a été
appelée par Denis, archevêque d'Alexandrie t « Una et
sola filia vitae. » (Ep. contre Paul Samosat.) Seule et unique fille
de la vie, bien diffé-rente des autres, qui sont filles de la mort,
parce qu'elles naissent dans le péché,
DE MARIE.
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II convenait, en outre, que le Père Éternel la créât
dans la grâce, puisqu'il la desiinail pour être la répa-ratrice
du monde, qui était perdu, et la médiatrice de la paix entre
Dieu et les hommes, comme l'appellent précisément les saints
pères, et surtout S. Jean Damas-cène , qui lui dit : «
Vierge bénie, vous êtes née pour « être
l'instrument du salut de toute la terre! In vitam » prodiisli ut
orbis universi adminislram le^praeberes. » (Or. 1. de nat. Yirg.)
C'est pourquoi S. Bernard dit que Marie élaildéjà
figurée par l'arche de Noé ; car, de même que les hommes
furent, par celte arche, délivrés du déluge, ainsi
nous sommes délivrés du naufrage du pé-ché
par Marie; mais avec la différence que peu de per-sonnes purent
se sauver par le moyen de l'arche, au lieu que tout le genre humain a été,
délivré par Marie ; « Sicut per illam omnes evaserunt
diluvium, sic per is-» tam peccati naufragium. Per illam paucorum
facta est » liberatio, per istam humani generis salvatio. »
(Serm. de ?. Yirg.) Aussi Marie est-elle appelée par S. Alha-nase
: « Nova Eva, mater vitae. » (Orat. de S. Deipara.) Nouvelle
Eve, parce que l'ancienne fut mère de la mort, tandis que Marie
est mère de la vie. S. Théophane, évêque de
Nice, lui disait : « Salve, quae sustulisti tristi-tiam Evae. »
S. Basile l'appelle la médiatrice de la paix enlre Dieu et les hommes
: « Ave Dei hominumque se-» queslra conslituta. » Et
S. Ephrem, la pacificatrice de lout le monde: « Ave totius orbis
conciliatrix. »
Or, il ne convient certainement pas que celui qui négocie la
paix soit l'ennemi de l'offensé, el il convient moins encore qu'il
soit le complice de l'offense même. S. Gré-goire dit que l'ennemi
d'un juge ne peut se présenter devant lui pour l'apaiser, el que
s'il se présentait, au
6
LES GLOIRES
lieu d'adoucir ce juge, il l'irriterait davantage. C'est peurquoi,
Marie devant être la médiatrice de paix entre Dieu et les
hommes, il convenait sous tous les rapports quelle ne parût pas,
elle aussi, comme pécheresse et ennemie de Dieu, mais qu'elle fût
tout amie de son Créateur et exempte de péché.
Il convenait encore que Dieu la préservât du péché
originel > parce qu'il la destinait à écraser la tête
du ser-pent infernal qui, en séduisant nos premiers pères,
causa la mort de tous les hommes. C'est ce que le Seigneur avait prédit
: « Inimicitias ponam inler te et mulierem , » et semen tuum
et semen illius : ipsa conteret caput « tuum.» (Gen. hi. 45.)
Or, si Marie devait être la femme forte placée dans le monde
pour vaincre Lucifer, certes , il ne convenait point qu'elle fût
vaincue d'abord par Lu-cifer , ni qu'elle devînt son esclave; la
raison voulait bien plutôt qu'elle fût exemple de toute tache
et de toute su-jétion à l'égard de l'ennemi. Comme
ce superbe avait déjà infecté de son poison tout le
genre humain, il s'ef-força d'en infecter l'âme très-pure
de cette vierge ; mais que la bonlé divine soit à jamais
louée de ce qu'elle la prévint, pour parvenir à ses
fins, d'un si grand nombre de grâces, que-, se trouvant préservée
de toute tache du péché, elle put ainsi abattre et confondre
l'orgueil de l'esprit malin, comme dit S. Augustin, ou l'auteur, quel qu'il
soit, des commentaires sur la Genèse : « Cum » peccati
originalis caput sit diaboli, tale caput Maria » contrivit, quia
nulla peccati subjectio ingressum ha-» buit in animam Virginis, et
ideo ab omni macula im-» munis fuit. » (Cit. loc. Gen.) S.
Bonaventure dit encore plus clairement .· « Congruum erat,
ut B. M. V. per quam » aufertur nobis opprobrium, vinceret diabolum,
iit nec
DE MARIE.
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» ei succuroberel ad modicum. » (In 5. dist. 5. art. 4.
qusesl. 41.)
Mais surtout il convenait que le Père Éternel rendît
cette fille bien-aimée entièrement exemple du péché
d'Adam, parce qu'il la destinait à être la mère de
son fils unique : « Tu ante omnem creaturam in mente » Dei
prseordinata fuisti, ut Deum ipsum hominem pio-» creares, »
dit S. Bernardin de Sienne. (Serm. p. 14.) Il était donc raisonnable
que le Père Éternel la créât pure de toule tache,
sinon pour un autre motif, du moins pour l'honneur de son fils, qui était
Dieu. S. Thomas , le docteur angélique, dit que tout ce qui est
disposé par rapport à Dieu doit être saint et purifié
de toule souillure : « Sanctitas iliis rebus attribuitur, quœ in
Deum sunt » ordinatae. » (2. p. q. 36. art. 1.) Que David,
pour celte raison, méditant la.construction du temple de Jérusalem
avec la magnificence qui convenait au Seigneur , disait : « Neque
enim homini praeparatur habitatio, sed Deo. ? (1. Par. 29. 1.) Or, combien
n'est-il pas plus raisonnable de croire que le souverain Créateur,
destinant Marie pour être la mère de son propre fils, a dû
orner l'aine de cette vierge de tous les dons les plus excellens, pour
qu'elle fût une demeure digne d'un Dieu ? Le B. Denys le Chartreux
assure que : « Omnium artifex Deus, filio suo » dignum habitaculum
fabricalurus, eam omnium gra-» tificantium charismatum adornavil.
» (Lib. 2 de laud. Virg. art. 2.) Et l'Eglise elle-même nous
l'assure, lors-qu'elle atteste que Dieu prépara le corps et l'ame
de la Vierge pour être sur la terre un asile digne de son fils unique
: « Omnipotens sempilerne Deus, » ainsi prie la sainte Église,
« qui gloriosae Virginis et matris Mariai cor-» pus et animam,
ul dignum habitaculum filii lui effici
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LES GLOIRES
» meierelur, Spiritu sancto cooperante, praeparasti, etc.»
On sait que le premier avantage des enfans est de naître de parens
nobles : « Gloria filiorum patres eorum.» (Prov. xvii. 6.)
Ainsi, on tolère plutôt dans le monde la réputation
d'homme dépourvu de biens et de science, que celle d'une méprisable
naissance ; car l'industrie du pau-vre peut l'enrichir, et l'élude
de l'ignorant peut l'ins-truire ; mais celui qui naît dans l'abjection
peut diffici-lement s'ennoblir, et quand il y parviendrait, on pour-rait
toujours lui reprocher sa loche ancienne et originaire. Comment pourrions-nous
donc penser que Dieu , pouvant faire naître son fils d'une mère
noble, en la préservant de toute souillure, ait voulu néanmoins
lui faire prendre un corps dans le sein d'une mère infectée
du péché, et qu'il ait permis que Lucifer pût lui reprocher
l'opprobre d'une mère qui eût été son esclave
et l'ennemie de Dieu? Non, le Seigneur ne l'a point permis; mais il a pourvu
à l'honneur de son fils, en accordant à sa mère le
.pri-vilège d'être toujours sans tache, afin qu'elle fût
une mère digne d'un tel fils. C'est aussi ce que nous atteste l'Église
grecque : « Providentia singulari perfecit, ut SS. » Virgo
ab ipso vitae suae principio tam omnino existeret » pura, quam decebat
illam quae Christo digna mater » existeret. » (In. men. die.
25. Martii.)
C'est un axiome ordinaire parmi les théologiens que, de tous
les dons accordés aux créatures, il n'en est aucun que la
S. V. Marie n'ait aussi reçu. Voici comment parle S. Bernard : «
Quod vel paucis mortalium constat esse » collatum , fas certe non
estsuspicari tantae virgini fuisse » negatum. » (Epil. 174.)
Et S. Thomas de Villeneuve : « Nihil unquam alicui sanctorum concessum
est, quod à » principio vilse cumulalius non piaefulgerel
in Maria. »
DE MARIE.
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(Serm. 2· de ass·) Et puisqu'il est certain qu'il y a
une dislance infinie enlre la mère de Dieu et les serviteurs de
Dieu, selon le mot célèbre de S. Jean Damascène :
« Dei matris et servorum Dei infinitum est discrimen, » (Or.
2. de ass.) il faut assurément supposer, comme l'enseigne S. Thomas,
que Dieu a conféré de plus grands privilèges de grâce
en tout genre à la mère qu'aux ser-viteurs : « Majora
in quovis genere privilegia gralise defe-» renda sunt malri, quam
servis Dei. »(5 p. q. 27. art. 2). Or, ceci étant posé,
reprend S. Anselme, le grand défenseur de Marie immaculée
: « Impotens ne fuit » sapientia Dei mundum habitaculum condere,
remota » omni labe conditionis humanae? » (Serm. de concept.)
Est-ce que la divine sagesse ne put préparer à son fils une
habitation pure, en la préservant de toutes les souil-lures du genre
humain? Dieu, continue S. Anselme, a pu conserver intacts les anges du
ciel, au moment de la chute d'un si grand nombre, et il n'aurait pu pré-server
la mère de son fils et la reine des anges de la chute commune des
hommes ? « Angelos, aliis peccanti-» bus, à peccato
reservavit et matrem, ab aliorum pec-» calis exortem servare non
potuit? » (Loc. cil.) J'ajou-terai : Dieu a pu donner à Eve
la grâce de naître sans tache, el il n'aurait pu l'accorder
à Marie?
Oh non! ce que Dieu a pu faire il Ta fait; parce qu'il élail
convenable sous tous les rapports, comme dit le même S. Anselme,
que celle vierge, à laquelle Dieu vou-lait donner son fils unique,
fût ornée d'une telle pureté, qn'elle surpassât
non-seulement celle des hommes el des anges, mais qu'elle fût encore
la plus grande qu'on puisse imaginer après celle de Dieu : «
Decens erat ut » ea puritate, qua major sub Deo nequit intelligi,
virgo
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LES GLOIBES
» illa niieret, cui Deus pater unicum sibi filium dare »
disponebat. » (Dici. lib. de conc. ) S. Jean Damascène parle
encore plus clairement : « Cum virginis una cum » corpore animam
conservaret, ut eam decebat quse » Deum in sinu suo exceptura erat
: sanctus enim ipse » cum sit, in sanctis requiescit. » (L.
4. de fid. ort. e. 45.) Ainsi. le Père Éternel pouvait bien
dire à cette fille bien-aimée : « Sicut lilium inler
spinas, sic arnica mea » inler filias. » Ma fille, vous êtes
entre toutes mes au-tres filles comme un lys entré les épines,
puisque toutes les autres sont souillées par le péché,
el que toujours vous avez été sans tache et toujours mon
amie.
Deuxième point. — En second lieu , il convenait que le fils
préservât Marie du péché, parce qu'elle était
sa mère. 11 n'est point donné à tous les autres fils
de se choisir une mère selon leur bon plaisir ; mais si ce pri-vilège
était une fois accordé , quel serait celui qui, pou-vant
avoir pour mère une reine, prendrait une esclave? qui, pouvant l'avoir
de noble extraction, la prendrait roturière? qui, pouvant l'avoir
amie de Dieu, la pren-drait son ennemie? Si donc le fils de Dieu put se
choisir une mère selon son bon plaisir, certes, il doit être
cer-tain qu'il l'a choisie telle qu'elle devait être pour conve-nir
à un Dieu. C'est ainsi que s'exprime S. Bernard : « Nascens
de homine factor hominum , talem sibi debuit » matrem eligere, qualem
se decere sciebat. » (Hom. 3. sup. miss.) Et comme il convenait à
un Dieu Irès-pur d'avoir une mère pure de tout péché,
il se l'est choisie précisément telle, comme S. Bernardin
de Sienne l'af-firme" par ces paroles : « Tertio fuit sanctificatio
mater-»nalis, et hœc removet omnem culpam originalem. » Hsec
fuit in B. Virgine : sane Deus talem (am nobili-
»E MARIE.
11
» late natura?, quam perfectione gratia? condidit matrem, »
qualem eum decebat habere suam matrem. » (T. 2. serm. 51. e. 1.)
C'est ce que prouvent encore ces paroles de l'apôtre: « Talis
enim decebat ut nobis esset pontifex, » sanctus, innocens, impollutus
, segregatus à peccatori-» bus, etc. » (Hebr. 7.) Un
savant auteur remarque ici que, selon S. Paul, il convenait que notre Rédempteur
ne fût pas seulement séparé du péché,
mais qu'il fût en-core séparé des pécheurs,
comme explique S. Thomas : « Oportuit eum, qui peccata venit tollere,
esse segrega-» tum à peccatoribus, quantum ad culpam cui Adam
» subjacuit. » (5. par. quaist. 4. art. 6.) Mais comment J.-G.
pourrait-il ôtre qualifié de pontife séparé
des pé-cheurs , s'il avait une mère pécheresse?
S. Ambroise dit : « Non de terra, sed de cœlo, vas » sibi
hoc, per quod descenderet, Christus elegit, et sa-» cravit templum
pudoris. » (De inst. Virg. cap. 5.) Le S. fait allusion au texte
de S. Paul : « Primus homo de » terra terrenus , secundus homo
de cœlo coelestis. » (I. Cor. 15.) S. Ambroise appelle la divine
mère vuse céleste, non que Marie ne fût terrestre de
sa nature, comme l'ont rêvé les hérétiques,
mais parce qu'elleélaitcéleste par grâce , étant
supérieure en sainteté et en pureté aux anges du ciel,
comme cela convenait au roi de gloire qui de-vait habiter dans son sein;
c'est ce que S. J.-Baptiste révéla à sainte Brigitte
: « Nondecuil regem gloria} jacere » nisi in vase purissimo
et eleclissimo, pra? omnibus an-« gelis et hominibus. » (Rev.
lib. i. c. 47.)U faut joindre à ces paroles ce que le Père
Éternel dit à la même sainte : « Maria fuit vas
mundum et non mundum : mundum, quia » de peccatoribus "nata est,
licet sine peccalo concepta, ut » filius meus de eà sine peccato
nasceretur.» (Lib. hi. c.
42
LES GLOIRES
45.) Et remarquons ces dernières paroles, savoir, que Marie
fut conçue sans péché, afin que le fils de Dieu na-quît
d'elle sans péché. Non que le fils de Dieu fût ca-pable
de contracter une souillure, maisc'éiail pour qu'il n'essuyât
pas même l'opprobre d'être conçu dans le sein d'une
mère infectée du péché et esclave du démon.
L'Esprit-Saint dit que l'honneur du père est la gloire du fils,
et que le déshonneur du père est l'opprobre du fils : «
Gloria enim hominis est honor patris ejus, et dede-» eus filii pater
sine honore. » (Eccl. hi. 13.) C'est pour cela, dit S. Augustin,
(Serm. de ass. B. V.) que Jésus-Christ préserva le corps
de Marie de la corruption après sa mort, parce qu'il en eût
rejailli sur lui-même un déshon-neur, si cette chair virginale,
dont il s'était revêtu, avait été flétrie
par la pourriture du tombeau : « Putredo nam-» que humanae
est opprobrium conditionis, a quo cum » Jésus sit alienus,
natura Mariae excipilur; caro. enim » Jesu caro Mariae est. »
(Serm.de ass. B. V.) Or, si c'eût élé un opprobre pour
Jésus-Christ de naître d'une mère dont le corps fût
sujet à la pourriture, combien n'eût-il pas été
plus déshonorant de naître d'une mère dont l'ame eût
été infectée de la corruption du péché?
en outre, il n'est pas douteux que la chair de Jésus ne soit la
même que celle de Marie, si bien que la chair du Sauveur, selon la
remarque de ce saint, est demeurée même après sa résur-rection,
la même chair qu'il avait reçue de sa mère : «
Caro Christi, caro est Mariae, et quamvis gloria resur-» reclionis
fuerit glorificata, eadem tamen mansit, quae » de Maria sumpta est.
» (Loc. cit.) C'est ce qui fait dire à saint Arnould de Chartres
: » Una est Mariae et Christi » caro ; atque adeo Filii gloriam
cum maire non tamcom-» munem judico, quam eamdem, » (Delaud.
Yirg.)Or,
DE MARIE.
43
cela posé, si la bienheureuse Vierge Marie eût été
conçue en péché, quoique son Fils n'en eût point
contracté la souillure, c'eûl été néanmoins
pour lui une tache que de s'être uni à une chair infectée
quelque temps du péché, vase de souillure, et assujétieà
Lucifer.
Marie ne fut point seulement la mère, mais elle fut la digne
mère du Sauveur. C'est ainsi que l'appellent tous les saints pères.
S. Bernard : «Tu sola inventa esdigna, » ut in tua virginali
aula rex regum primam sibi man-» sionem eligeret. » (In depr.
ad V.) S. Thomas de Ville-neuve: «Antequam conciperet, jam idonea
erat ut esset » mater Dei, » (Serm. hi. de nat, ?. V.) L'Église
même nous atteste que la Vierge mérita d'être mère
de Jésus-Christ : « Beata Virgo, cujus viscera meruerunt porlare
» Christum Dominum. » (Resp. I. noct. 2. in naliv. M.) S. Thomas
d'Aquin, expliquant ces paroles, dit : « Beala » Virgo dicitur
meruisseporlare Dominum omnium, non » quia meruit ipsum incarnari,
sed quia meruit ex gra-» lia sibi data illum puritatis et sanctitatis
gradum, ut » congrue posset esse mater Dei. » (5. p. q. 2.
ad 2. ad S.) Le docteur angélique dit donc que Marie ne pouvait
mériter l'incarnation du Verbe, mais que, par la grâce divine,
elle mérita d'arriver à un degré de perfection qui
la rendît digne mère d'un Dieu, comme dit encore S. Pierre
Damien : « Singularis ejus sanctitas ex gratia hoc prome-»
mit, quod susceptione Dei singulariter judicata est » digna. (De
ass. Serm. 2.)
Or, dès qu'on admet que Marie fut digne mère de Dieu,
quelle excellence et quelles perfections ne lui convenaient point ! dit
S. Thomas de Villeneuve. « Quœ autem excel-» lentia, quae perfectio
decuileam, vit esset mater Dei? » (Serm. de nativ. V.) Le docteur
angélique enseigne de
44
LES GLOIRES
même, que quand Dieu choisit quelqu'un pour l'élever à
une dignité, il le rend aussi capable d'en êlre revêtu
; d'où il conclut que Dieu ayant choisi Marie pour sa mère,
il la rendit certainement encore digne de l'être par sa grâce
: « Beata autem Virgo fuit electa divinitus, ul esset mater »
Dei ; et ideo non est dubitandum quin Deus per suam » gratiam eam
ad hoc idoneam reddiderit juxta illud : » (Luc. 1.) « Invenisti
gratiam apud Deum, ecce concipies » et paries, etc. » (3. p.
q. 27. a. 4.) Le saint en tire la conséquence, que la Vierge Marie
ne commit jamais aucun péché actuel, pas même véniel,
sans quoi, dit-il, elle n'aurait point été digne mère
de Jésus-Christ, parce que l'ignominie de la mère serait
retombée sur le Fils, qui aurait eu une pécheresse pour mère
: « Non fuisset idonea » mater Dei, si peccasset aliquando,
quia ignominia ma-» tris ad filium redundassel. » (Loc cit.)
Or, si Marie en se rendant coupable d'un seul péché véniel,
qui ne prive point l'ame de la grâce divine, n'eût pas été
une mère digne, combien n'en eût-elle pas été
moins digne, si elle se fût trouvée coupable du péché
originel, qui l'aurait rendue ennemie de Dieu et esclave du démon
1 c'est pour-quoi S. Augustin dit, dans sa célèbre maxime,
qu'en par-lant de Marie, il ne voulait point faire mention du péché,
pour l'honneur du Seigneur qu'elle avait mérité d'avoir pour
Fils, et de qui elle obtint la grâce de vaincre entière-ment
le péché : « Excepta itaque sancta Virgine Maria, »
dequa, propter honorem Domini, nullam prorsus, cum » de peccatis
agitur, habere volo quaestionem. Unde enim » scimus quod ei plus
gratiae collatum fuerit ad vin-» cendum ex omni parle peccatum, quas
concipere et >/parere meruit eum quem constat nullum habuisse pec-»
calum. » (De natur, et grat. conlia Pel. t. ??. e. 36.)
DE MAIUE.
15
Nous devons donc tenir pour certain, que le Verbe incarné s'est
choisi une mère telle qu'il lui convenait de l'avoir, et donl il
ne dût point rougir, comme parle S. Pierre Damien : « Christus
talem matrem sibi elegit, quam » meruit habere, de qua non erubescere^
» S. Proclus dit de même : « Intra viscera quse citra
ullam sui dedecoris » notam creaverat, habitavit. » (Or denat.
Dom.) Ce ne fut donc point un opprobre à Jésus-Christ de
s'entendre appeler par les Juifs Fils de Marie, comme étant le Fils
d'une pauvre femme : «Nonne mater ejus dicitur Maria?» (Matih.
xiii. 55.) Car il est venu sur la terre pour y donner des exemples de patience
et d'humilité ; mais au contraire, quel déshonneur n'y aurait-il
point eu pour lui si les démons eussent pu dire : «Nonne mater
ejus exlilil pecca-ti trix?» Eh quoi! n'est-il point né d'une
mère péche-resse et qui fut autrefois notre esclave ? 11
n'était pas même décent que Jésus-Christ naquît
d'une femme difforme et estropiée, ou dont le corps eût été
porsédé du démon ; mais combien eût-il encore
été plus indigne de lui de naî-tre d'une femme dont
l'ame aurait été autrefois difforme et possédée
de Lucifer.
Ah ! Dieu, qui est la sagesse même, sut bien préparer
sur la terre d'une manière convenable la maison où il devait
habiter : « Sapientia aedificavit sibi domum. » (Prov. ix.
1.) «Sanctificavit tabernaculum suum Àltissi-» mus...
adjuvabit eum Deus mane diluculo. » (Psalm. xlv.) Le Seigneur, dit
David, a sanctifié sa demeure, « mane diluculo,» c'est-à-dire,
dès le commencement de sa vie, pour la rendre digne de lui ; car
il ne convenait point à un Dieu saint de se choisir une maison qui
ne fût pas sainte : « Domum tuam decet sanctitudo. »
(Ps. xcii.) El s'il nous proteste qu'il n'entrera jamais dans une ame
16
LES GLOIRES
de mauvaise volonté, ni dans un corps assujéli au péché
: « In malevolam animam non intrabit sapientia, nec habi-»
tabil in corpore subdito peccatis. » (Sap. ?.) Comment pourrions-nous
penser que le Fils de Dieu ait voulu habi-ter dans l'ame et dans le corps
de Marie, sans l'avoir d'a-bord sanctifiée et préservée
de toute souillure du péché ? car, selon l'enseignement de
S. Thomas, le Fils de Dieu n'habila pas seulement dans l'ame de Marie,
mais encore dans son sein : « Dei Filius in ipsa habitavit, non solum
» in anima, sed etiam in utero. » (III. p. q. xxvn. a. 4.)
La sainte Église chante : Seigneur, vous n'avez point eu horreur
d'habiter dans le sein de la Vierge: « Non horruisti » Virginis
uterum. » Oui, parce qu'un Dieu aurait eu horreur de s'incarner dans
le sein d'une Agnez, d'une Gerlrude, d'une Thérèse ; car
ces vierges, quoiqu'elles fussent saintes, ne laissaient point d'avoir
été souillées quelque temps par le péché
originel; mais il n'eut point horreur de se faire homme dans le sein de
Marie, parce que cette Vierge bien-aimée fut toujours exemple de
toute tache du péché, et parce qu'elle ne fut jamais possédée
parle serpent ennemi. C'est ce qui a fait dire à S. Augus»
tin : « Nullam digniorem domum sibi Filius Dei sedifica-» vit
quam Mariam, quae nunquam fuit ab hostibus capta» » neque suis
ornamentis spoliata. »
D'un autre côté, dit S. Cyrille d'Alexandrie, qui jamais
a ouï dire qu'un architecte se soit bâti une maison pour son
propre usage, et qu'il en ait mis d'abord en posses-sion son principal
ennemi : « Quisquam audivit archi-» lectum, qui sibi domum
aedificavit, ejus occupationem et possessionem primo suo inimico cessisse
? (In conc. Eph.n.G.)
Assurément, reprend S.Méihode, le Seigneur qui nous
Î>É MARIE.
17
a donné le précepte d'honorer les auteurs de nos jours,
a voulu, en se faisant homme comme nous, l'observer lui-même, en
comblant sa mère de toute grâce et tout honneur : «
Qui dixit : honora patrem et matrem, ut » decretum a se promulgatum
servaret, omnem matri » gratiam et honorem impendit. » (Or.
in Hyp.) C'est pour-quoi S. Augustin dit qu'il faut croire avec certitude
que Jésus-Christ a préservé Marie après sa
mort de la corrup-tion corporelle, comme nous l'avons dit ci-dessus; car,
s'il ne l'eût point fait, il n'eût point observé la
loi qui, « sicut honorem matris praecipit, ita inhonorationem »
damnat. » (Serai, de ass. ?. V.) Or, combien moins Jésus-Christ
eût-il pourvu à l'honneur de sa mère, s'il ne l'eût
point préservée du péché d'Adam? Le P. Thomas
d'Argentine, auguslinien, dit qu'un fils qui ne préserve-rait point
sa mère du péché originel, pouvant le faire, pécherait;
or, ce qui serait un péché pour nous, dit le même auteur,
ne serait point digne du Fils de Dieu, qui, pouvant rendre sa mère
immaculée, ne l'aurait point fait. Oh ! non, ajoute Gerson : «
Cum tu summus princeps » velis habere matrem, illi certe debebis
honorem. Nunc » autem apparet illam legem non bene adimpleri, si
in » abominationem peccati originalis permilleres illam quae »
esse debet habitaculum totius puritatis. » (Serm. de conc. B. M.
V.)
On n'ignore pas, en outre, que le divin Fils avait en vue plutôt
la rédemption de Marie que celle des autres hommes, lorsqu'il vint
au monde, comme dit S. Bernar-din de Sienne : « Christus plus pro
redimenda Virgine » venit, quam pro omni alia creatura. » Et
comme il y a deux manières de racheter, selon la doctrine de S.
Augus-tin, l'une, en relevant celui qui est déjà tombé,
l'autre en vu.
2
18
LES CLOIWfS
empêchant qu'il ne tombe : « Duplex eslredimendi modiis,
$ unus redimendo lapsum, alter redimendo non lapsum, » ne cadal,
» cette dernière est sans aucun doute la plus excellente:
«Nobilius redimitur cui providetur ne cadat, » quam ul lapsus
erigatur. » (S. Anton.) Parce que de celle manièie l'ame esj
préservée du dommage pu de la tache qu'elleconlracle toujours
par lachutequ'eUerUit. C'est pour-qupi il faut erpire, comme dit S. Bonaventura,
que Marie fut rachetée de la manière la plus excellente,
comme il convenait à la mère d'un Dieu : « Credendum,
est enim » quod novo, sanctificationis, genere in ejus conceptionis
» primbrdip Spiritus sanctus eam a peccato originali, » (non
quod infuit, sed quod infujsset) redemi^ atque » singulari gratia
praeservavit. » (Serrau 2. de assump.) f lassen prouve que ce discours
est véritablement du sain^ docteur. (Scot. açad. t. vin.
a. 3. sçct. 3. q. 1. §. 5.) A ce sujet, le cardinal Cusan dit
fort élégamment : «Aliilibe-» ralorem, Yirgo
s,ancta praeliberatorem habuit. » Les au·: 1res ??,? eu un
Rédempteur qui les a délivrés de la tache du péché
déjà contractée, mais la sainte Vierge a eu un. Rédempteur
(parce qu'il était s.on Fils) qui la préserva ? contracter
celle tache,
?? un mot, pour conclusion de ce points Hugues de S.-ViçlQrdii
que c'est par le frasque l'on connaît l'arbre. Si l'Agneau fut toujours
sans tache, la mère dut être aussi toujours immaculée
: « Talis agnus, qualis mater agni ; > quoniam omnis aibor ex fluctu
suo cognoscitur » (Coll. 5. de Yerb. ioc.) C'est pourquoi, ce mêmfc
docteur saluait Il^arie en l'appelant : « ? digna digni ! »
? digne mère d'un digne fils! voulant dire pai là que nulle
autre que marie n'était digne d'êlre la mère d'un tel
fils, et que nul %ulre que Jésus-Christ n'étai,l digne d'eue
Je fils d'une
DE MARIE.
49
telle mère : « 0 digna digni, poursuit-il, formosa pulchri,
» excelsa altissimi, mater Dei. » (Hug. de S. Y. serm.de ass.)
Disons donc avec S. Ildephonse : Allaitez, ô Marie, allaitez voire
Créateur; allaitez celui qui vous a faite, et qui vous a faite assez
pure et assez parfaite pour qu'il prît en vous la nature humaine.
» Lacta, ? Maria, Creatorem » tuum, lacla eum qui te fecit,
et qui talem fecit le, ut » ipse fieret ex le. (Seim. denat. Virg.)
thoj&ième point. S'il était convenable au Père
de pré-server Marie du péché, parce qu'elle était
sa fille, et au Fils parce qu'elle était sa mère, il n'était
pas moins con-venable que l'Esprit-Saint l'en préservât, comme
son épouse. Marie, dit S. Augustin, fut la seule créature
qui méritât d'être appelée mèïe et
épouse de Dieu : « Haec est » quae sola meruit mater
ei sponsa Dei vocari. (Serm. do ass.) En effet, S. Anselme assure que liEsprit
de Dieu vint habiter corporelkment en Marie, et que, l'ayant enrichie de
grâces sur toutes les créatures, il se reposa en elle, et
fit reine du ciel et de la terre son épouse bien aimée :
« Ipse spiritus Dei, ipse amor patris ei Filii, corporaliter »
venit in eam, singularique gratia prae omnibus in ipsa » requievit,
et reginam coeli et terrae fecit sponsam suam. » (de excel. V. e.
4.) Il dit que l'Esprit-Sainl vint en elle corporellement, quant à
l'effet, puisqu'il y vint pour y former de son corps immaculé le
corps immaculé de Jésus-Christ, comme l'archange le lui avait
prédit : «Spi-» ritus sanctus superveniet iu le.»
(Luc. i.) Marie, dit S. Thomas, est appelée le temple du Seigneur
et le sanc-tuaire du S.-Esprit, parce qu'elle fut mère du Verbe
incarné par l'opération du S.-Esprit : « Unde dicitur
» templum Domini, sacrarium Spiritus Snncti, quia con-» cepit
ex Spiiitu Sancto, a (Opusc. 8.)'
2.
20
LES GLOIRES
Or, si un excelleni peintre pouvait choisir son épouse, belle
ou difforme, selon qu'il la représentait lui-même, avee quel
soin ne s'appliquerait-il pas à la rendre aussi belle qu'il lui
serait possible? Qui pourrait donc soutenir que l'Esprit-Sainl ail agi
différemmentà l'égard de Marie, et que, pouvant lui-même
se former une épouse toute belle, comme il convenait qu'elle fût,
il ne l'ait point fait? Non, il a fait ce qu'il convenait qu'il fil, comme
le Seigneur lui-même l'allesla à Marie, lorsque, pu-bliant
ses louanges, il dit : .« Tota pulchra es, arnica »mea, et
macula non est in te.» (Cant. iv. 7.) S. Ilde-phonse et S. Thomas
disent que ces paroles s'entendent proprement de Marie, comme l'atteste
Cornelius à La-pide, en expliquant ce passage ; et S. Bernardin
de Sienne (lom. h. serm. 52), avec S. Laurent-Justinien (Serm. de nat.
V.), assurent que les paroles citées s'entendent précisément
de son immaculée conception ; c'est pourquoi un docteur lui dil
: « Tota pulchra es, virgo gloriosissima, » non in parle, sed
in loto ; et macula peccati, sive mor-» talis, sive venialis, sive
originalis, non est in te. » (In conlempl. ?. V. C. m.)
Le S.-Esprit exprima la même chose lorsqu'il appela cette vierge,
qui est son épouse, jardin fermé, fontaine scellée
: « Hortus conclusus, soror mea sponsa, hortus «conclusus,
fons signatus. » (Cant. 5. 42.) Marie fut précisément,
dit S. Jérôme, ce jardin fermé et celle fontaine scellée,
puisque les ennemis n'entrèrent jamais en elle pour lui nuire, mais
qu'elle fut toujours inlacle, en demeurant sainte de corps et d'ame : «
Haec est hor-» lus conclusus, fons signatus , ad quam nulli potuerunt
» doli irrumpere, nec praevalere fraus inimici ; sed per-»
mansit sancta mente et corpore. » (Hier. ep. x. ad.
DE MARIE.
21
Eusl. de ass.) S. Bernard dit de même, en parlant à la
B. V M. : « Hortus conclusus tu es, quem ad deflo-» iandum
manus peccatorum nunquam introivit. »(Vid. in loc. cil. Cant. iv.)
Sachons que ce divin époux préféra Marie à
tous les aulres saints et à fous les anges réunis ensemble,
comme l'assure le P. Suarez, avec S. Laurenl-Justinien et d'au-tres docteurs
; il l'aima dès le commencement, et il l'éleva en sainteté
au-dessus de tous les autres, comme le témoigne David : «
Fundamenta ejus in montibus sanctis; diligit » Domunis portas Sion
super omnia tabernacula Jacob... » Homo natus est in eâ, et
ipse fundavit eam Altissimus.» (Psalm. lxxxvi.) Paroles qui toutes
signifient que Marie fut sainte dès l'instant de sa conception.Et
c'est ce que l'Esprit Saint indique encore ailleurs : « Multae filiae
congregave-» runl divilias, tu supergressa es universas. »
(Prov. xxxi.) Si Marie a surpassé tout le monde en richesses spirituelles,
elle a donc aussi la justice originelle comme l'eurent Adam et les anges
: « Adulescentularum non est numerus, » una est columba mea,
perfecta mea (l'hébreu dit : In-» tegra, immaculata mea, )
una est matri sine. » (Cant. ??.) Toutes les âmes justes sont
filles de la grâce divine, mais, entre elles, Marie fut la colombe
sans amertume de péché, la parfaite sans tache d'origine,
et l'unique conçue en grâce.
C'est pourquoi, avant qu'elle fût mère de Dieu, l'ange
la trouva pleine de grâce, el la salua ainsi : « Ave gratia
plena. » Sophronius dit, à propos de ces paroles, que Dieu
donna une partie de la grâce aux au-tres saints, mais qn'il la donna
entièrement à Marie · « Bene graliâ plena
dicitur, quia caeteris per parles praes-tatur, Mariae vero, simul se Iota
infundit plenitudo
22
LES GLOIRES
» gratiae. » (Serin, de ass. B. Y.) De telle sorte, dit
S. Thomas, que la grâce ne rendu pas seulement l'ame de Marie sainte,
mais qu'elle sanctifia encore sa chair, afin qu'elle pût ensuite
en revêtir le Verbe éternel : « Anima B. V. ita fuit
plena, quod ex eâ refundil gra-» tiam in carnem, ut de ipsa
conciperet Deum. » (Opusc. 8.) Or, loutceci nous fail voir que Marie
fut enrichie et rem-plie de grâces par le S.-Espritdès l'instant
de sa concep-tion, comme conclut Pierre de Celles : « Simul in eâ
» collecta est gratiae plenitudo, quia ab exordio suee con-ceptionis,
aspersione Spiritus Sancti, tota deitatis gratia » est superfusa.
» (Lib. de Panib. cap. 10.) Ce qui fait dire à S. P. Damien
: « A Deo electam et proelectam » totam eam rapturus erat sibi
Spiritus Sanclus. » (Serm. de Ann.) Par ce mol, rapturus, le saint
veut expliquer la vélocité avec laquelle le S.-Esprit la
prévint et la fit son épouse, avant que Lucifer pût
la posséder.
Je veux enfin terminer ce discours, dans lequel je me suis étendu
plus que dans tous les autres, parce notre petite congrégation a
pris pour protectrice spéciale la sainle Vierge Marie, précisément
sous le titre de son immaculée conception ; je veux, dis-je, finir
en exposant succincte-ment quels sont les motifs qui me donnent la certitude,
et qui, à mon avis,devraient la donner à tout le monde, de
cette croyance si pieuse et si glorieuse à la divine mgre, savoir,
qu'elle a été préservée du péché
originel.
Il y a plusieurs docteurs qui soutiennent que Marie a été
exemple de la dette du péché, comme sont le cardi-nal Galalin
(De arca, 1. vu. c. 48.), le cardinal Cusan (lib. vin. exerc. 8), de Pont
(lib. ?. cant. ex dO), Salazar (De Virg. conc. c. 7. § 7.), Camarin
(De pec. orig. 1. ull.), Navarre (Umbra Virg. c. 10. exe. 28.), Vivn(P.
8. d. 1.
DE MAftlE.
23
q. 2. a. S.) -, de Lugo, Egidius, Richelieu, et beaucoup d'autres.
Or, celle opinion est Irès-probable; car, s'il est vrai que la volonté
de tous les hommes Fut renfermée dans la volonté d'Adam,
comme étant le père de tous, ainsi que l'enseignent avec
probabilité Gonel (Man. t. m. tr. 5. c. 6. §. 2,), Haberi (t.
m. de pecc. c. 7.), et plusieurs autres qui se fondent comme eux sur le
texte de S. Paul : « Ôm-» nes in Adam peccaverunt. »
(Rom. v.) Sidone ce sen-timent est probable, il est bien probable aussi
que Marie n'a point contracté fa dette du péché; car,
Dieu Payant distinguée, dans l'ordre de la grâce, du commun
des hommes, il faut croire pieusement aussi qu'il n'avait point renfermé
la volonté de Marie dans celle d'Adàhi.
Cette opinion n'esl que probable, et j'y adhère parce qu'elle
est plus glorieuse à ma souveraine ; mais je tiens comme une chose
certaine que Marie n'a point contracté le péché d'Adam;
et le cardinal Everaré (In Ex. ïheol.), DuvâT (1. 2.
qu. 2. de pecc), Renaud (Pict. lugd. n. 29.), Losade (Disc, theol. de im.
conc), Viva (QU. prad. ad Tfui.), et plusieurs autres, la tiennent unanimement
pour certaine, et même la regardent, selon leur expression, comme
presque de foi. ïe ne parlerai pas des révélations qui
Confirment ce sentiment, et en particulier de celles de sainte Brigitte,
approuvées par le cardinal Turrëcremata, et par quatre souverains
pontifes, comme on lit en plu-sieurs endroits du lîv. 6 de ces révélations.
(C. 12. 49, et 55.) Mais je ne puis absolument passer sous silence les
témoignages des S. Pères sur ce sUjël, témoignages
que je rapporterai pour faire voir avec quelle unanimité ils ont
accordé ce privilège à la divine mère. S. Ambroisé
dit : « Suscipe me non ex Sara, sed ex Maria, ut incór-»
hipta sit virgo, sed vif go per gratîafn ab omni integra
24
LES GLOIRES
»labe peccati. (Serai. 22. in Ps. xvni.) » Origène,
par-lant de Marie, s'exprime ainsi : « Nec serpentis venenosis »
afflatibus infecta est. (Homil. 1.) » S. Ephrem : « Im-»
maculata, et ab omni peccati Jabe alienissima. (Ho. 5. » or. ad.
Dei gen.) » S. Augustin, sur ces paroles de l'ange, «-Ave gratia
plena, » dit : « Quibus ostendit ex » integro (remarquez
ex integro), iram primae sententiae » exclusam , et plenam benedictionis
gratiam restitutam. (Serm. 41. in nat. Dom. ) » S. Jérôme
: « Nubes illa non » fuit in tenebris, semper in luce. (In
Ps. lxxyii. ) » S. Cy-prien, ou un autre écrivain sous son
nom : « Nec sus-» tinebat justilia, ut illud vas electionis
communibus » laxaretur injuriis, quoniam plurimum a caeleris distans
» natura communicabat, non culpa.»(Lib. de carn. Christi »
op. de naliv.) » S. Amphiloque : « Qui antiquam viv-»
ginem sine probro condidit, ipse et secundam sine nota » et crimine
fabricatus est. » (Tr. deDeip.) Sophronius : « Virginem ideo
immaculatam dici, quia in nullo comip-» ta est. » (In. ep.
ap. 6. syn. to. 3. p. 307.) S. Hde-phonse : « Constat eam ab originali
peccato fuisse itnmu-» nem. » (Cont. disp. de Virg. M.) S.
Jean Damascène : « Ad hunc paradisum serpens aditum non habuit.
» (Or. 2. de nat. M. ) S. Pierre Damien : « Caro virginis ex
» Adam sumpta, maculas Adam non admittit. » (Serm.de Ass. V.)
S. Bruno : « Haec est incorrupta terra illa, » cui benedixit
Dominus ; ab omni propterea peccati con-» Ungione libera. »
(In Ps. ei. ) S. Bonaventure : « Do-» mina nostra fuil plena
gratia praeveniente in sua sanc-» tificalione, gratia scilicet praeservata
contra foeditatem » culpae- originalis. (Serm. 2. de Ass.) »
S. Bernardin de Sienne : « Non enim credendum est quod ipse filius
Dei » voluerit nasci ex virgine, et sumere ejus carnem quae
DE MARIE.
25
» esset maculata aliquo originali peccato. (Tom. hi. Serm. »
49.) » S. Laurenl-Justinien : « Ab ipsa conceptione »
fuit in benedictionibus prsevenla. »(Serm. de Annunt.) Sur ces paroles
: « Invenisti gratiam, » un docleurdil : Gra-» tiam singularem,
? dulcissinia virgo, invenisti, quia » fuerunt in te ab originali
labeprseservatio. etc. »(Cap. 6.) Une foule d'autres docteurs disent
la même chose.
Maie il y a surtout deux motifs qui nous garantissent la vérité
de celle pieuse croyance : le premières! le consen-lement unanime
des fidèles sur ce point. Le P. Gilles, au sujet de la présentation
(de Praes. v. q. 6. a. 4.) atteste que tous les ordres religieux suivent
cette opinion ; dans l'ordre même de S. Dominique, dit un auteur
moderne, où l'on compte 92 auteurs qui soutiennent l'opinion con-traire,
on en trouve néanmoins 136, qui sont d'acccrd avec nous. Mais ce
qui doit surtout nous persuader que notre pieuse opinion est conforme au
sentiment commun des catholiques, c'est le témoignage que nous en
donne le pape Alexandre "VII dans sa bulle célèbre : «
Solli-» citudo omnium ecclesiarum, » publiée en 4661,
et dans laquelle il est dit : « Aucta rursus et propagata fuit »
pielas hœc et cultus erga Deiparam... ita ut, acceden-» tibus academiis
ad hanc sententiam (savoir à la croyance » pieuse), jam fere
omnes catholici eam complectantur.» Et en effet, cette opinion est
soutenue par les académies de Sorbonne, d'Alcala, de Salamanque,
de Coïmbro, de Cologne, de Mayence, de Naples, et de plusieurs autres,
dans lesquelles chaque lauréat s'engage par serment à être
le défenseur de Marie immaculée. Cette preuve qui se lire
du consentement unanime des fidèles est le principal fondement sur
lequel s'appuie le docte Peleau pour en éta-blir la vérité,
(t. v. p. 2. lib. 14. c. 2. n. 10.) Et le très
26
LES GLOIRES
savant évêque D. Jules de Torni (in adn. adâôst.
1. 2. Dist. 3. §, 2.) dit que cette raison doit convaincre nécessai-rement;
car, en vérité , si le commun consentement des fidèles
suffit seul pour vous assurer de la sanctification de Marie dans le sein
de sa mère, et de son assomplion au ciel en corps et en ame, pourquoi
ce même consentement ne nous donnerait-il pas la certitude de son
immaculée conception?
L'autre motif, plus solide encore, qui me donne une conviction entière
que Marie a été exemple du péché ori-ginel
, c'est la célébration de sa conception immaculée,
ordonnée par l'Église universelle. Sur ce poini, je vois,
d'une part, que l'église célèbre le premier instant
où l'ame de Marie fut créée el unie à son corps,
comme déclare Alexandre VII dans la bulle que nous avons citée,
où le pontife affirme que l'église rend à la conception
de Marie le même culte que la pieuse croyance qui lui attribue l'exemption
du péché originel ; d'une autre part, je vois qu'il est certain
que l'Église ne peut célébrer une chose qui ne serait
pas sainte, selon l'oracle de S. Léon pape (Ep. décret. 4.
c. 2<), et de S. Eusèbe pontife : « Insedeapos-»
tolica extra maculam semper eslcatholica servata religio.» (Decr.
24. q. 4. c. in sede.) Et comme enseignent tous les théologiens
avec S. Augustin (Sermu 9S, et 113.); S. Bernard (ep. ad con. Lugd.), el
Si Thomas, qui, pour prouver que Marie fut sanctifiée avant que
de naître, s'ap-puie précisément sur cette raison,
savoir, sur la célébration de sa nativité usitée
dans l'Église, et dit : « Ecclesia ce-» lebrat nativitatem
Beatae Virginis : non autem celebratur » feslum in ecclesia, nisi
pro aliquo sancto; ergo Beata » Virgo fuit in utero sanctificata.
» (3. p. 9. 27. a. 2.) Or, s'il est certain, comme dit le docteur
angélique, que
DE MARIE.
27
Marie fut sanctifiée dans le sein de sa mère, parce que
l'É-glise célèbre la fête de sa naissance, pourquoi
ne tiendrions-nous pas pour certain qu'elle fut préservée
du péché origi-nel depuis le premier instant de sa conception,
lorsque nous savons que l'Église en célèbre aussi
la fête dans ce sens? A l'appui de ce grand privilège de Marie,
on con-naît les grâces innombrables et miraculeuses que le
Sei-gneur se plaîl à répandre chaque jour sur le royaume
de Naples par le moyen de la petite image de son imma-culée conception.
Je pourrais en rapporter plusieurs dont les pères de notre congrégation
ont été les instrumens ; mais je me borne à deux qui
sont vraiment admirables.
EXEMPLES.
Dans une maison de ce royaume qu'occupe notre petite congrégalion,
vint se présenter une femme qui raconta à l'un de nos pères
que son mari ne s'était point confessé depuis plusieurs années,
et qu'elle ne savait plus quel moyen prendre pour l'y déterminer,
attendu que quand elle lui parlait de confession, il l'accueillait à
coups de bâton; le père conseilla à celle femme de
donner à son mari un écusson de la Vierge immaculée.
Le soir étant ve-nu, celte femme engagea de nouveau son mari à
se confies* ser; mais comme il faisait la sourde oreille, selon sa cou-tume,
elle lui donna celte image; à peine le mari l'eul-il reçue,
qu'il dil à sa femme: Hé bien! quand veux-lu que j'aille
me confesser? je suis prêta le faire. La femme se mit à pleurer
de joie en voyant un changement si subit. Le lendemain malin, letnari vint
en effet à notre église, et le même père lui
ayant demandé depuis combien de lemps il ne s'était poini
confessé, il répondit : depuis vingt-
28
LES GLOIRES
huit ans. Et comment, lui dit le père, vous ètes-vous
décidé à venir vous confesser ce matin? Mon père,
lui répondit-il, j'étais obstiné, mais hier soir,
ma femme me donna un écusson de la Vierge, et je sentis aussitôt
changer mon coeur, de sorte que chaque moment de cette nuit me sem-blait
retarder de mille ans le jour où je pourrais venir me confesser.
Il se confessa en effet avec une grande com-ponction , changea de vie,
et continua long-temps à se con-fesser souvent au même père.
Dans un autre endroit du diocèse de Salerne, pendant que nous
y faisions la mission, il y avait un homme qui gardait une grande inimitié
contre quelqu'un qui l'avait offensé. Un de nos pères lui
parla du pardon des offenses, et il répondit : Mon père,
m'avez-vous jamais vu à vos sermons?—Non.— C'est pour cette raison
quejen'y vais pas : je vois bien que je suis damné ; mais quoi qu'il
en arrive, je veux me venger. Le père s'épuisa inutilement
pour le convertir, mais, voyant qu'il y perdait ses paro-les: prenez, lui
dil-il, celte image de la Vierge. Le pé-cheur répondit d'abord
: et de quoi me servira-t-elle? Toutefois, l'ayant prise, il dit au missionnaire,
comme s'il n'eût jamais refusé d'accorder le pardon qu'on
exigeait de lui : Mon père, je ne demande pas mieux que de par-donner,
j'y suis disposé, et il se prépara pour le lende-main matin.
Mais le jour étant venu, il se trouva changé de nouveau,
et il n'en voulut plus rien faire. Le même père lui remit
une autre image, qu'il ne voulait point re-cevoir : enfin il la prit avec
peine; mais quoi ! dès qu'il l'eut reçu, il s'écria
: Allons, hâtons-nous, ou est mon ennemi? il pardonna aussitôt,
et puis il se confessa.
DE MARIE.
29
PRIÈRE.
0 ma reine immaculée, je me réjouis de vous voir enrichie
d'une si grande pureté. Je remercie riotre com-mun Créateur,
et je me propose de le remercier sans cesse, de ce qu'il vous a préservée
de toute souillure, comme je le crois sans hésiter, et comme je
suis prêt à le prouver, en faisant, s'il est nécessaire,
le sacrifice de ma vie même, pour défendre le grand, le singulier
privilège de votre immaculée conception. Je voudrais que
tout le monde vous connût, et confessât que vous êtes
celte belle aurore, qui a toujours été décorée
de la lumière divine; celle arche élue de salut, préservée
du naufrage commun du péché ; cette parfaite et celle immaculée
colombe, comme vous nommait voire divin époux; ce jardin fermé
qui fit les délices de Dieu; cette fontaine scellée dans
laquelle l'ennemi ne porta jamais la main pour troubler ses eaux; ei enfin,
ce lys éclatant de blancheur, qui, étant né entre
les épines des enfans d'Adam, où tous les autres naissent
souillés du péché et ennemis de Dieu, avez été
dès votre naissance toute pure, toute brillanle et l'amie de votre
Créateur.
Permettez donc que je vous loue, comme vous loue votre Dieu : «
Tota pulchra es, et macula non est in » le. » ? très-pure
colombe, toute blanche, toute belle, et toujours amie de Dieu! «
? quam pulchra es, arnica » mea, quam pulchra es !» Ah ! tics-douce,
très-aimable Marie immaculée, vous qui êles si belle
aux yeux de votre Seigneur, ne dédaignez point de regarder de vos
yeux miséricordieux lès plaies affreuses de mon aine. Regardez-moi
, ayez pitié de moi, et guérissez-moi. ? belle amante
30
LES GLOIRES
des cœurs, attirez encore à vous mon misérable cœur.
Vous qui, dès le premier inslanl de voire vie, avez paru pure et
belle devant Dieu, ayez pitié de moi, qui non-seu-lement suis né
dans le péché, mais qui encore depuis mon baptême ai
souillé de nouveau mon ame. Ce Dieu qui vous a choisie pour sa fille,
sa mère et son épouse, qui, à cet effet, vous a préservée
de toute tache, et vous a préférée, dans son amour,
à toutes les créatures, que pourrait-il vous refuser? Vierge
immaculée, vous dirai-je avec S. Philippe de Néri : vous
devez me sauver, Failes que je me souvienne toujours de vous, et ne m'oubliez
jamais. 0 ma mère, ma reine, ma bien-aimée, uès-douce,
très-belle, très-pure, immaculée Marie, il me semble
que j'ai eticore mille ans à vivre tant il me larde de voir voire
beauté dans le paradis, pour vous louer et pour vous aimer davantage.
Amen.
DE MARIE.
IIe DISCOURS.
SUR LA NATIVITÉ DE MARIE.
Marie naquit sainte, et très-sainte, puisque la grâce
dont Dieu l'enrichit dès le commencement fut grande, et que la fidé-lité
avec laquelle elle correspondit sans délai à la grâce
de Dieu, fut également grande.
Les hommes ont coutume de célébrer la naissance de leurs
enfans avec l'appareil $Ç la joie et de l'allé-gresse; nwis
ils devraient plutôt donner des. signes dfi, tristesse ei de deuil,
en considérant que ceux qui vien-nent au monde ne sont pas seulement
privés de mériles et de raison, mais qu'ils sont encore infectés
du péché, enfans de colère, et condamnés comme
tels aux misères et à la mort. Mais il est juste que la naissance
de notre petite Marie soit célébrée par une fête
et une joie universelles ; car elle vient à la lumière du
monde, petite, quant à son âge, mais grande en mérites
et en vertus. Marie naît sainte et très-sainte. Mais pour
comprendre le degré de sainteté qu'elle apporta en naissant,
il faut considérer 1° combien fut grande la première
grâce dont Dieu l'en-richil ; 2° combien fut grande la fidélité
avec laquelle Marie correspondit sans délai à cette grâce
de Dieu.
premier point. — El poui parler d'aboi'd de la grâce reçue,
il est certain que Marie fut la plus belle ame que Dieu ait créée;
elle fut môme l'œuvre la plus grande qu'ail faite le Tout-Puissant
en ce monde, et la plus dignç
32
LES GLOIRES
de lui, après l'incarnation du Verbe : « Opus quod solus
» Deus supergredilur. » Ainsi l'appelle S. Pierre Damien. En
outre, la grâce ne tomba pas goutte à goutte sur Ma-rie comme
sur les autres saints, mais, « Sicut pluvia in » vellus, »
comme le prédisait David (Psalm. ixxi. 6.) L'ame de Marie fut semblable
à une toison qui s'imbibait heureusement de la pluie abondante de
la grâce, sans en perdre une seule goutte : « Virgo sancta
totam sibi hìui-» serat Spiritus Saneli gratiam, » dit
S. Basile. (In Cant. D. Th. in 1. Luc.) En sorte qu'elle pouvait dire par
la bouche de l'Ecclésiastique : « In plenitudine sanctorum
» detentio mea. (G. xxiv. 16.) C'est-à-dire, comme l'ex-plique
S. Bonavenlure : « Totum teneo in plenitudine » quod alii sancti
tenent in parte. » Je possède en pléni-tude tout ce
que les autres saints possèdent en partie. (S, Bonav. Serm. 3. de
B. V.) Et S. Vincent Ferrier, parlant particulièrement de la sainteté
qu'avait Marie avant sa naissance, dit qu'elle surpassa celle de tous les
saints et de tous les anges : « Virgo sanctificata fuit in »
utero, super omnes sanctos et angelos. »
La grâce que reçut Marie surpassa non-seulement celle
de chaque saint en particulier, mais encore celle de tous les saints et
de tous les anges réunis, comme le prouve le très-docte père
François Pepe, de la compagnie de Jésus, dans son bel ouvrage
sur les grandeurs de Jésus et de Marie. (Tom. 3. lez. 436.) Il assure
que cette opinion, si glo-rieuse à notre reine, est aujourd'hui
commune, et regar-dée comme certaine par les théologiens
modernes (tels que Carlàgene, Suarez, Spinelli, Recupito, Guerra,
et beau-coup d'autres qui l'ont examinée ex professo ; chose que
les anciens n'avaient jamais faite). El il raconte encore que la mère
divine envova leP.MartinGullierez remercier de sa
DE MARIE.
33
part le P. Suarez d'avoir défendu si courageusement cette opinion
très-probable, qui, selon le témoignage du P. Se-gneri, dans
son Dévotà Marie, a été ensuite appuyée
par le sentiment unanime de l'école de Salamanque.
Or, si celle opinion est commune et certaine, il faut regarder comme
bien probable encore l'autre opinion, selon laquelle, dès le premier
instant de sa conception immaculée, Marie reçut une grâce
supérieure à celle de tous les saints el de tous les anges
réunis ensemble. Le P. Suarez soutient fortement cet avis, et les
pères Spinelli, Recupito (le P. Pepe au 1. cit.), et La Colombière
(Serm. 29.) l'ont adopté. Mais, oulre les autorités des ihéologiens,
il y a deux raisons fortes et convaincantes qui établissent suffisamment
l'opinion dont je parle. La première, c'est que Marie fut choisie
de Dieu pour être la mère du Verbe divin. Ce qui fait dire
au bienheureux Denys-le-Gharlreux que Marie ayant été choisie
dans un ordre.supérieur à toules les créatures, vu
que la dignité de mère de Dieu appartient en quelque sorte,
comme dit le P. Suarez, à l'ordre de l'union hypostatique, il était
juste que, dès le commencement de sa vie, des dons d'un ordre supérieur
lui fussent conférés, en sorte qu'ilssurpassassent incompa-rablement
tous les dons accordés aux autres créatures. El certes, l'on
ne peut douter qu'au même instant où, dans les décrets
divins, la personne du Verbe fut prédestinés à se
faire homme, la mère donlil devait recevoir la nalure humaine ne
lui fût aussi préparée. El celle mère élail
noire petite Marie. Or, S. Thomas (3. p. q. 27. a. 5. ad \.) enseigne que
le Seigneur donne à chacun la grâce propor-tionnée
à la dignilé à laquelle il le desline : « Unicuique
» diilur gratia secundum id ad quod eligitur. » Et S. Paul
l'avait déjà enseigné, lorsqu'il écrivait :
« Quiet idoneos vit.
g
34
LES GL01BES
» nos fecit ministros novi Testamenti-, » (I. Cor. ?. 6.)
Pour nous faire comprendre que les apôtres avaient reçu de
Dieu des dons proportionnés au grand ministère pour lequel
ils avaient été chqisis. S. Çernardin de Sienne ajoute
que quand quelqu'un est élu de Dieu pour un étal, il reçoit,
non-seulement les dispositions dont il a besoin pour le remplir, mais encore
les dons nécessaires pour soutenir cet emploi d'une manière
honorable : «. Regula » firma est in sacra theologia , quod
quandocumque Deus » aliquem elegit ad aliquem statum, omnia bona
illi dis-» pensai quee illi statui necessaria sunt, et illud copiose
» décorant. » (Serm.40. a. 2. e. l.)Qr, si Marie fut
choi-sie pour être la meye de Dieu, il était convenable que
Dieu l'ornât, dès le premier moment, d'u,n.e grâce immense
et d'un oidre supérieur à la grâce de lous les autres
hommes et de lous les anges ; car la grâce deva.il eprrespondre à
la dignité immense et très-haute à laquelle Dieu l'élevait,
eomnie le concluent tous les théologiens avec S. Thomas, qui dit
(loco cit. art 4.) : « Yirgo fuit elec(a ut esset mater » Dei,
et ideo non est dubiuuidqni, quin Deus pqr suam » gratiam eam ad
hoc idoneam reddiderit. >, D5 sav-ie que Marie, avant d'être mère
de Dieu , fut ornée d'une sain-teté si parfaite, qu'elle
la rendit capable de soutenir cette grande dignité : « In
beata Virgine fuit perfectio quasi » disposilha, per quam reddebalur
idonea ad hoc quod » esset mater Christi, ethocfuit perfectio sanctificationis.»
Ainsi s'exprime.le saint docteur. (Cit. q. 27. a. 5. ad 2.) H avait déjà
dit (o. p. q. 7. a. 10. ad i.) que Marie élait appelée pleine
de grâces, non pas à l'égard de la grâce elle-même,
paice qu'elle ne l'eut point dans le degié souverain d'excellence
où il est possible de l'avoir; ainsi, selon le même saint
docteur, la grâce habituelle de
DJB MARIE.
35
Jésus-Ghrisl ne fut pas souveraine en ce sens que la puis-sance
divine n'eût pu absolument la rendre plus grande, quoiqu'elle correspondît
suffisammenl à la fin à laquelle la divine sagesse avait
destiné l'humanité du Sauveur, c'est-à-dire à
l'union avec la personne du Verbe : « Virtus, divina » licet
possit facere aliquid majus et melius, quam sit » habitualis gratia
Christi, non (amen posset facexe quod » ordinareturadaliquid majus,
quam bit unio personalis » ad filium unigenitum a Patre; cui unioni
sufficienter » talis correspondet mensura gratiae, secundum definilio-».
nem divinae sapientiae. » (?. q.7. a. 42. ad2.)Lemème docteur
angélique enseigne que la puissance divine es(, si grande, qu'il
lui reste toujours, quoi qu'elle donne, quel-que chose à donner;
et quoique la puissance naturelle de la créature soit limitée
en soi, quant à l'acte de recevoir, de sorte qu'elle peut être
entièrement remplie ; néan-moins sa puissance d'obéissance
à la divine volonté est illimitée, et Dieu peut sans-cessela
rempliç davantage, en lui donnant une plus grande capacité
de recevoir. « P-q-» tentiam naturalem ad recipiendum posse
tolam ini-» pleri, non autem potentiam obedjendi. » (S Thon»
q. 29. de Verit. a. S. ad 5.) Pour revenir à notre sujet, S. Thomas
dit donc que la bienheureuse Vierge Marie, quoiqu'elle ne fût point
pleine de grâce quant à la grâce même, était
néanmoins appelée pleine de grâce à l'égard
d'elle-même, parce qu'elle eut une grâce immense, suf-fisante,
et correspondante à son immense dignité, de tellesorte qu'elle
la rendît propre à devenir la mère d'un dieu : «
Beata Viiigtfest plena gratiae, non ex parle ipsius » gratiae, quia
non habuit gratiam in summa excellentia » qua potest haberi, nec
ad omnes effectus gratiae : seddicir » tur fuisse plena gratia per
compaxaUanem ad ipsam, quia
3.
56
LES GLOIRES
» scilicet habebat gratiam sufficientem ad statum illum »
ad quem erat a Deo elecla, ut esset mater unigeniti » ejus. »
(D. q. 7. a. 40. ad 1.) C'est pourquoi Benoît Fernandez ajoute que
la mesure dont il faut se servir pour connaître le degré de
grâce qui a été communiqué à Ma-rie est
la dignité de mère d'un dieu : « Est igitur digni-»
tas matris Dei regula, per quam meliendum est quid-» quid virgini
ab eo collatum credimus. »
David disait donc avec raison que les fondemens de celle cité
de Dieu, qui estMarje, devaient être posés sur la cime des
monts : « Fundamenla ejus in montibus » sanctis, » (Ps.
xxix.) c'est-à-dire, que les premiers mo-mens de la vie de Marie
devaient être plus élevés que tou-tes les vies des
saints les plus consommés en vertu : « Di-» ligit Dominus,
poursuit le prophète, portas Sion, super )> omnia tabernacula Jacob.
» Et le même David nous en donne la raison ; c'est parce Dieu
devait se faire homme dans son sein virginal : « Homo natus est in
ea. » II fut donc convenable que Dieu donnât à celte
vierge, dès le premier moment qu'il la créa, une grâce
correspondante à Ja dignité d'une mère de Dieu.
Isaïe veut nous faire comprendre la même chose, quand il
dit que dans les temps à venir la montagne de la maison du Seigneur
(qui fut la bienheureuse Vierge) devait être préparée
sur le sommet de toutes les autres monta-gnes , et que toutes les nations
devaient en conséquence y affluer pour recevoir les divines miséricordes
: « El erit » in novissimis diebus praeparatus mons domus Domini
» in vertice monlium, ei elevabilur super colles, ei fluent »
adeumomnesgentes.» (Isai. 2.2.)S. Grégoire l'explique ainsi
: « Mons quippe in vertice monlium, quia altitudo » Mariae
supra omnes sançlosrefulsit. » (Lib. \. in i, Reg.
DE MARIE.
37
c. 4.) Et S. J. Damascène : « Mons in quo beneplacitum
» est Deo habitare in eo. » Montagne que Dieu s'est plu à
choisir pour sa demeure. C'est pour cela que Marie fut appelée cyprès
du mont Sion ; cèdre, mais cèdre du mont Liban : olive, mais
olive toute belle : choisie, mais choi-sie comme le soleil ; car, dit S.
P. Damien, comme le so-leil surpasse en lumière la clarté
des étoiles au point de les faire disparaître : « Siderum
rapil positionem, ut sint » quasi non sint ; » ainsi l'auguste
Vierge mère surpassa en sainteté les mérites de toute
la cour céleste : « Sic virgo « merita singulorum et
omnium antecedit. » (Serai, de ass.) Ce qui fait dire élégamment
à S. Bernard que Marie fut si sublime en sainteté, qu'aucune
autre mère que Marie ne convenait à Dieu, et qu'aucun autre
fils que Dieu ne convenait à Marie : « Neque enim decebat
Deum » alia maler quam Virgo, neque Virginem alius filius »
quam Deus. »
La deuxième raison par laquelle on prouve que Marie surpassa
en sainteté tous les saints réunis, dès l'instant
de sa conception, est fondée sur le grand office de médiatrice
des hommes qu'elle exerça dès le commencement ; c'est pourquoi
il fallait qu'elle possédât, dès le commencement, un
fonds plus abondant de grâces que tous les hommes ensemble. On sait
cornbien ce titré de médiatrice est fré-quemment donné
à Marie par les SS. Pères et par les théologiens,
parce qu'elle a obtenu le salut à tout le genre humain par sa puissante
intercession et par un mérite de congruité, en procurant
au monde perdu le bienfait de la rédemption. On dit : « mérite
de congruilé, » parce que Jésus-Christ seul est notre
médiateur par voie de justice, et par mérite « de condigno
» pour parler le langage des écoles, ayant offert ses mérites
au Père Eternel, qui les a
38
LES GtOIRES
acceptés pour noire salut. Marie, au contraire, est média-trice
de grâce par voie de simple intercession j et de mérite »
de congruo, » ayant offert à Dieu, comme disent les théologiens
avec S. Bonaventura, ses mérites pour le salut de tous les hommes,
et Dieu les ayant acceptés, par grâce, avec les mérites
de Jésus-Christ. A ce sujet S. Arnould de Chartres dit : «
Ipsa in nostra salute communem cum » Christo effectum obtinuit. »
Et Richard de S.-Victor : » Omnium salutem desideravit j quaesivit^
obtinuit : imo » omnium salus per ipsam effecta.» (Cap.26.in
Cant.) Ea sorte que tout bien, tout don de vie éternelle, que chacun
des saints a reçu de Dieu, leur a été dispensé
par le canal de Marie.
C'est ce que veiU nous foire entendre la sainte Église j lorsqu'elle
honore la divine mère en lui appliquant ce passage de l'Ecclésiastique
(24. 25.) « In me gratia omnis » vise et veritatis. »
Elle dit vice, parce que toutes les grâces que reçoivent les
voyageurs lear sont dispensées par Marie; veritatis, parce que la
lumière de la vérité se donne par Marie. « In
me omnis spes vitae et virtutis : » vitce, parce que nous espérons
obtenir par Marie la vie de la grâce en ce monde et la gloire du
ciel ; virtutis > parce qu'on acquiert par Marie toutes les vertus, et
spécia-lement les vertus ihéologales, qui sont les principales
vertus des saints. « Ego mater pulchrae dilectionis, timoris»
» agnitionis et sanctae spei. » Marie obtient à ses
servi-teurs, par son intercession^ les dons de l'amour divin* de la sainte
crainte, de Ja lumière céleste, et de la saime con-fiance.
S. Bernard conclut de là, que selon l'enseignement de l'Église,
Marie est la médiatrice universelle de notre salut : « Magnifici»gratiae
interveniricem, mediatricem sa-« lutis, restauratricem saeculorum.
Haeeniihi de illa cantat
Ì>E HARIÈ.
S'9
« ecclesia, ei me eàd^m docuit decantate. » i(Ep1st.
474. ad. can.Lugd.)
C'est pour cela, dil S. Sophrone, patriarche de Jérusa-lan,
que l'archange Gabriel l'appela pleine de grâce : « Ave gratia
plena ; » tandis que la grâce, dit ce saint, a été
donnée aux. autres avec mesure, elle a été donnée
tout entière à Marie : « Bene plena, quia cseteiis
sanctis datur » gratia per pirtes; Maiiœ vero tota se infundit plenitudo
» |raii». S> {Serm. de Aes.) H eii fut ainsi, selon lc témoi-gnage
dé S. Basile-, pour qu'elle pût être de la ïorlê
la digne médiakiee erilrè Dieu et les hommes : « Ave
gratia » plena, propterea Deum intcr et hominesmediatiix inter-»
cedens. » Si la Vierge Marie n'eût point été
remplie delà divine grâce, poursuit S. Laurent-Justinien,
comment aurait-elle pu être l'échelle du paradis, l'avocate
du monde et la vraie médiatrice des hommes avec Dieu ? « Quomodo
» non est Maria plena gratia, quae effecta est paradisi » seala,
mundi interventrix, Dei atque hominum veris-» sima mediatrix? »
(Serm. de ann. ? ?.)
Là seconde raison que nous avons énoncée a donc
acquis le dernier degré d'évidence. Si Marie, en qualité
de mère destinée au commun Redempterir, reçut dès
le commence-ment la fonction de médiatrice pour tous les hommes,
el par conséquent aussi pour tous les-saints, il fui bien encore
nécessaire qu'elle reçût, dès le commencement,
inwgiâce supérieure, telle que n'ont pu l'avoir tous les saints
pour lesquels elle devait intercéder. Je m'explique plus claire-ment
: Si tous les hommes devaient devenir -agréables à Dieu par
l'intermédiaire de Marie, il fall.iil bien que Slaiie fût
pins sainte et bliis agréable à Dreil que tous les hommes
feuscmble. Autrement, comment aurait-elle pu interctkM· pour tous
te horirrMîs? H est absolument nécessaire qu'îm
•40
LES GLOIRES
intercesseur soit plus agréable à son monarque que tous
ses sujets, pour qu'il obtienne à tous la grâce du prince.
Si donc Marie, conclut S..Anselme, mérita de devenir la digne réparatrice
du monde égaré, c'est parce qu'elle fut la plus sainte et
la plus pure de toutes les créatures : « Pura sanctitas pectoris
ejus, omnis creaturae puritatem » sanctitatemque transcendens, promeruit,
ut reparatrix » perditi orbis dignissime fieret. » (Deexcell.
Virg. e. 9.)
Marie fut donc médiatrice des hommes, dira-t-on ; mais comment
peut-on encore l'appeler médiatrice des anges? Plusieurs théologiens
assurent que Jésus-Christ mérita même aux anges la
grâce de la persévérance; ainsi, comme Jésus
fut leur médiateur de condigno, on peut dire aussi que Marie a été
leur médiatrice de congruo, puisqu'elle a accéléré
par ses prières la venue du Rédemp-teur. Du moins on peut
dire qu'en méritant de congruo, de devenir h mère du Messie,
elle mérita aux anges la réparation de leurs trônes,
que les démons avaient perdus ; donc, elle mérita au moins
aux anges cette gloire acciden-telle; c'est pourquoi, Richard de S.-Victor
dit : « Ulra-» que creatura per hanc reparatur, et angelorum
ruina per » hanc instaurata est, et natura humana retoncilrala. (In
Cant. IV.) El S. Anselme l'avait déjà dit : « Cuncta
per » hanc virginem in statum pristinum revocata sunt et »
instaurata. » (Deexcel. Virgin, c. 11.)
Ainsi notre céleste enfant, soit parce qu'elle fut établie
la médiatrice du monde, soit parce qu'elle fut destinée à
être la mère du Rédempteur, reçut dès
sa naissance une grâce supérieure à celle de tous les
sainis réunis ensemble. Quel agréable spectacle n'offrait
donc point au ciel et à la terre la-belle ame de celle heureuse
enfant, bien qu'elle fût encore renfermée dans le sein de
sa mère? Elle était, aux
DE MARIE.
41
yeux de la Divinité la plus aimable créature ; car, étant
pleine de grâce et démérite, elle pouvait déjà
diie alors: « Cum essem parvula, placui Altissimo. » Elle était
en même temps la créature la plus amanle de Dieu qui eût
jusqu'alors paru dans le monde; de telle sorte que si Marie fût née
immédiatement après sa conception Irès-pure, elle
serait venue au monde plus riche en mérites et plus sainte que tous
les saints ensemble. Or, pensons combien plus sainte elle était
encore quand elle naquit, alors qu'elle vil la lumière après
avoir acquis des mérites durant les neuf mois qu'elle fut enfermée
dans le sein de sa mère ! Passons maintenant au second point, et
consi-dérons combien fut grande la fidélité avec laquelle
Marie correspondit sans délai à la grâce divine.
deuxième point.— Ce n'est pas une simple opinion, dit nn savant
auteur (le P. La Colombière, Serm. 31.), mais c'est l'opinion du
monde entier, que Marie enfant, ayant reçu dans le sein de sainte
Anne la grâce sancti-fiante, reçut dans le même instant
le parfait usage de la raison, avec une grande lumière divine correspondante
à la grâce dont elle fut enrichie, de sorte que nous pouvons
croire que dès l'instant où sa belle ame fut unie à
son corps très-pur, elle fut éclairée de toutes les
lumières de la divine sagesse, pour bien connaître les vérités
éternel-les, la beauté des vertus, et surtout la bonté
infinie de son Dieu, le droit qu'il avait d'être aimé de toutes
les créatures, et particulièrement d'elle-même, à
cause des dons inestimables dont le Seigneur l'avait ornée, et par
lesquels il l'avait distinguée de toutes les créatures, en
la préservant de la souillure du péché originel, en
lui don-nant une grâce immense, et en la destinant à être
la mère du Verbe et la reine de l'univers.
42
LES BLOIRES
II suit de là que dès ie premier moment, Marie, re-connaissante
envers son Dieu, commença salis relard à opérer tout
ce qu'elle put, faisant fructifier c'ès lors fidèlement ce
grand capital de grâces qui lui a\ait été con-fié.
Tout appliquée dès ce moment à aimer la bonté
di-vine et à lui pliure,, elle l'aima de toutes ses forces, et elle
continua à l'aimer sans cesse durant les neuf mois qui précédèrent
sa naissance, et qu'elle employa sans relâ* ehe à s'unir de
pliiSÎii plus avec son Dieu par des actes fervens d'amour. Exempte
de la faute originelle "die était par là même libre
de tout attachement terrestre, de tout mouvement désordonné,
de toute distraction, de toute opposition des sens, qui auraient pu l'empêcher
d'a-vancer de plus en plus dans le divin amour; tous ses sens étaient
d'aecord avee son esprit pour s'élever vers Dieu : ainsi sa belle
ame, délivrée de tout empêchement, et ne s'arrêtant
jamais, volait sans cesse vers Dieu, l'aimait sans cesse et croissait sans
relâche dans son amour. C'est pour cela qu'elle se nomme elle-même
un platane élevé sur le courant des eaux : ? Quasi platanus
exaltata sum juxla » aquam. » (Ecel. xxix. 19.) Car elle fuleelte
noble plante de Dicuqni ne cessa de croître près du courantdela
grâce divine.C'est encorepour cela qu'elles'appelle vigne : ? Ego
» quasi vitis fructificavi suavitatem odoris. (Ecel. xxiv. 23.) Non-seulement
parce qu'elle fut si humble aux yeux du monde, mais encore parce que, comme
la vigile va toujours cioissanl > selon le proverbe reçu : «
Yilis nullo » fine crescit, » (les autres arbres, l'oranger,
le mûriei, le poirier ont une stature déterminée, mais
le sarment de vigne croît toujours , et il grandit à l'égal
de l'arbre au-quel il s'attache), ainsi la ircs-sainte Vierge croissait
tou-jours en perfection : « Ave vitis semper vigens. » Ainsi
DE MARtE.
43
la saluait S. Grégoire Thaumaturge (Serrrh 4 in Ann.) et toujours
elle fut unie à son Dieu, qui était sort unique ap-pui. L'Esprit-Sainl
parlait encore d'elle> lorsqu'il disait: « Quse est ista quae ascendit
de deserto deliciis affluens, » innixa super dilectum suum? »
(Cant. v.) S. Ambroise commente ainsi ce passage : « Haec esl quae
ascendit ita ut » adhsereat Dei verbo sicut vitispropago. »
(Ap. seq. 40. de Ann.) Quelle esl celle qui, se tenant unie au YeAe divin,
croît comme un plant de vigne appuyé sur tin grand arbre?
Plusieurs graves théologiens disent que l'ame qui pos* gèdè
«ne habitude de venu produit toujours un acte égal en intensité
à l'habitude qu'elle possède > toutes les fois qu'elle correspond
fidèlement à la grâce actuelle qu'elle reçoit
ensuite de Dieu 4 d'où il suit qu'elle acquiert chaque fois un nouveau
et double mérile 4 égal à la sommé des mérites
qu'elle avait déjà acquis. Celle augmentation, eomme ils
disent, fui accordée aux anges> lorsqu'ils étaient dans la
voie ; et si elle fut accordée aux anges > qui pourra croire qu'elle
ait été refusée à la divine Mère pen-dant
qu'elle vécut sur la terre, mais surtout dans le (émps dont
je parle, où elle était dans le sein de sa mëré*
époque à laquelle sa fidélité à correspondre
à la grâce surpassa Certainement celle des anges? Donc Marie,
pendant tout ce temps-là, doublait à chaque instant celle
grâce sublime* qu'elle posséda dès le commencement
de sa conception, puisqu'en correspondant de toulessesftireesel d'une ma-nière
parfaite dans chacun des actes qu'elle produisait, elle multipliait eoriséquemment
ses mérites à chaque instant. De sdrie que, si dans le premier
ihslàni elle eut millede-grés dé grâces; elle
en eut deux mille dans le second> quatre mille dans le troisième
> huit fnille dans le qua-
44
LES GLOIRES
trième, seize mille dans le cinquième et trente-deux
mille dans le sixième. Nous ne sommes maintenant qu'au sixième
instant; mais multipliez celle somme par un joui-entier, multipliez-la
par neuf mois , et considérez quels trésors de grâces,
de mérites et de sainteté Marie apporta au monde lors de
sa naissance.
Réjouissons-nous donc avec notre petite Marie, qui naît
si sainte, si agréable à Dieu, et si pleine de grâce.
Et ré-jouissons-nous, non-seulement pour elle, mais encore pour
nous, puisqu'elle vient au monde pleine de grâce, non-seulement pour
sa gloire, mais encore pour notre bien. S. Thomas considère dans
son quatrième opuscule que la très-sainte Vierge fut pleine
de grâce en trois ma-nières. 4° Elle fut remplie des grâces
dans son ame, de sorie que dès le commencement sa belle ame fut
tout à Dieu; 2° dans son corps, en sorte qu'elle mérita
de re-vêtir le Verbe éternel de sa chair très-pure
; 3° elle fut pleine de grâce pour l'avantage commun, afin que
tous les hommes pussent y participer : « Fuit etiam gratia »
plena, quantum ad refusionem ad omnes homines. » Quelques saints,
ajoute le docteur angélique, ont Iant de grâce qu'elle ne
suffit pas seulement pour eux, mais qu'elle peut encore servir à
sauver plusieurs autres hom-mes, mais non pas tous les hommes ; à
Jésus-Christ seul et à Marie, fut accordée une grâce
suffisante pour sauver tous les hommes : « Sed quando quis haberet
tantum, quod » sufficere! ad salutem omnium, hoc esset maximum; et
hoc fuit in Christo et in beata Virgine. » Ainsi parle S. Thomas.
(Opusc. 8.) En sorte que ce que S. Jean dit de Jésus-Christ (c.
i. 16.) : « Et de plenitudine ejus accepi-» mus omnes, »
les saints le disent de Marie. S. Thomas de Villeneuve : « Gratia
plena de cujus plenitudine acci-
DE MARIE.
45
» piunt universi. » Tellement, dit S. Anselme, qu'il n'y
a personne qui ne participe à la grâce de Marie : «
Ita ut » nullus sit qui de plenitudine ejus non sit particeps. »
Et y a-t-il au monde quelqu'un envers qui Marie ne soit pas bonne, et auquel
elle n'accorde pas quelque miséri-corde ? « Quis unquam reperitur
cui propitia Virgo non sit ? » Quis adquem ejus misericordia non
seexlendal? » Ilfaut cependant bien remarquer que nous recevons la
grâce de Jésus, comme auteur de la grâce, et de Marie,
comme médiatrice ; de Jésus, comme sauveur, et de Marie,
comme avocate; de Jésus, comme source, de Marie, comme canal.
C'est pourquoi S. Bernard dit que Dieu a établi Marie comme
l'aqueduc des miséricordes qu'il voulait départir aux hommes,
et qu'il la remplit de grâces, afin que chacun reçût
une portion de sa plénitude : « Plenus aquae-» ductus,
ut accipiant cseteri de plenitudine ejus, non au-» tem plenitudinem
ipsam. » Ce grand docteur nous ex-horte donc à considérer
avec tjuel amour Dieu veut que nous honorions celle auguste vierge, puisqu'il
a placé en elle tous les trésors de ses biens, afin que nous
témoi-gnions notre reconnaissance à notre reine bien-aimée
de tout ce que nous avons d'espérance, de grâce el de moyens
de salut ; puisque tout nous vient par ses mains et par son intercession.
Voici ses belles paroles: « Inluemini quanto » devotionis affectu
a nobis eam voluit honorari, qui lo-» lius boni pleniludinem posuit
in Maria ; ut proinde, si » quid spei nobis est, si quid salutis,
ab ea noverimus » redundare. » (Serm. de Aquaed.) Malheur à
l'ame qui, négligeant de se recommander à Marie, se ferme
ce canal de grâces ! Lorsqu'Holopherne voulut s'emparer deBélhu-lie,
il rompit les aqueducs de çet^ ville : « Incidi praecepit
4&
LES GLOIRES
?» aquaeductus illorum. » (Jud. vu. 6.) C'est ce que fait
le démon lorsqu'il veut se rendre maître d'une ame : il commence
par lui faire abandonner la dévolion envers la très-sainte
Vierge ; ce canalélanl fermé, l'ame perdra fiicilemeni la
lumière, la crainte de Dieu, et, enfin, le sa-lut éternel.
Qu'on lise l'exemple suivant, dans lequel on verra la bonté du cœur
de Marie, et la perte à laquelle s'expose celui qui se ferme ce
canal, en abandonnant la dévolion envers cette reine du ciel.
Exemple.
Trilhème, Canisius el d'autres encore, racontent qu'à
Magdebourg, ville de Saxe, il y avait un homme appelé Udon qui eut,
dès l'enfance, un entendement Irès-borné, ce qui le
rendait l'objet de la dérision de tous ses con-disciples. C'est
pourquoi, un jour qu'il était plus af-fligé qu'à l'ordinaire
de son incapacité, il alla se recom-mander à la très
sainle Vierge, devant une de ses image*. Marie lui apparut en songe, et
lui dit : Udon, je veux le consoler, el je veux l'obtenir de Dieu, non
seulement une habileté suffisante pour le soustraire à la
moquerie, mais encore des latens qui te rendront admirable ; en oulre,
je te promets, qu'après la mort de l'évêque de celle
ville, tu seras élu en sa place. Tout se vérifia comme Marie
le lui avait dit; il avança rapidement dans les sciences, el il
oblinl l'évèché de celte ville ; mais Udon fut si
ingrat envers Dieu et envers sa bienfaitrice, qu'après avoir aban-donné
toute dévolion, il devint le scandale du monde. Unenuil qu'il était
dans son Ht avec une compagne sacri-lège, il entendit une voix qui
lui disait : « Udo, cessa de » kdo ; ksisti satis, Udo. »
Udon, cessez vos jeux, qui of-
DE MARIE.
47
fenseiu pieu ; vous avez assez jo^é, Udoi^. La ptemiète
fois, il s'irrita en entendant ces paroles, pensant qu'un homme les lui
adressait pour le corriger; mais, étendant répéter
la même chose, la seconde et la troisième nuit, il craignit
qu,e ce ne fût une voix du ciel ; néanmoins il ne laissa pas
que de continuer s$ mauvaise vie. Mais voici le châtiment qui lui
arriva après que Pieu lui eut encore donné trois mois pour
rentrer en lui-même. Un vieux chanoine, nommé Frédéric,
était une nuit dans l'église de saint Maurice > priait Dieu
qu'il voulût bien remé-d,ier au scandée que donnait
le prélat, lorsqu'un vent furieux ouvrit la porte de l'église;
deux jeunes gens en-trèrent ensuite portant à la main des
torches allumée^, el se placèrent aux côtés
du griuid autel. Deux autres les suivirent el vinrent étendre devant
l'autel un lapis sur lequel ils placèrent deux sièges d'or.
Çientôl après vint un au ire jeune homme, vêtu
d'un habit militaire, tenant une épée à la main, elqui,
arrêté au milieu de l'Eglise, s'é-cria : ò vous,
saints du ciel, dont les saintes reliques sont dans celle église,
venez assister à la grande justice que va faire le juge souverain.
A ces mots, plusieurs saints el même les douze apôtres comparurent,
comme assesseurs du juge. Enfin Jésus-Chrit entra, el il alla s'asseoir
sur l'un des deux sièges. Marie parut aussi, entourée d'un
grand nombie de vierges, et elle fut platée sur l'autre siège
k, côté de son fils ; alors le juge ordonna qu'on lui amenât
le coupable, et ce fut le malheureux Udon. S. Maurice parla, el il demanda
justice, de la part du peuple, scan-dalisé de la vie infâme
du coupable ; tous élevèrent la voix, el dirent : Seigneur,
il mérite la mort. Qu'il meure donc, dit le juge éternel
; mais , voyez combien est grande la bonté de Marie! Avant que la
sentence fût
48
LES GLOIRES
exécutée, Ja pieuse mère sortit de l'église
pour ne pas assister à cet acte terrible de justice, et ensuite,
le mi-nistre qui était entré des premiers avec l'épée
s'approcha d'Udon, et, d'un seul coup, il lui trancha la tête; et
la vision disparut. L'église était restée dans l'obscurité
; le chanoine, tout tremblant, va allumer un flambeau à une lampe
qui brûlait sous l'église; de retour, il voit le corps d'Udon
séparé de sa tête, et le pavé tout ensanglanté.
Lorsque le jour parut, et que le peuple accourut à l'église,
le chanoine raconta toute la vision, et le fait de celte hor-rible tragédie.
Le même jour, le malheureux Udon apparut sous la forme d'un réprouvé,
à un de ses chapelains, qui ignorait ce qui s'était passé
dans l'église. Cependant le ca-davre d'Udon fut jeté dans
un bourbier, et son sang de-meura comme un monument perpétuel sur
le pavé, qu'on tient toujours couvert d'un lapis. Depuis celte époque,
on observe la coutume de le découvrir lorsqu'un évêque
prend possession de ce siège, afin qu'à la vue d'un tel châtiment,
il pense à bien régler sa vie, et à ne pas payer d'ingra-titude
les grâces du Seigneur et de sa irès-sainle mère.
Prière.
? sainte et céleste enfant, vous qui êtes la mère
destinée à mon Rédempteur, et la grande médiatrice
des misérables pécheurs, ayez pitié de moi, voici
à vos pieds un autre ingrat, qui recourt à vous, et qui vous
demande misé-ricorde. Il est vrai que, par mes ingratitudes envers
Dieu et envers vous, je mériterais d'être abandonné
de vous ; mais j'entends dire, et je crois, puisque je sais combien votre
miséricorde est grande, que vous ne refusez poinl de se-courir celui
qui se recommande à vous avec confiance. ? créature la plus
élevée du monde, puisque Dieu seul est
au-dessus de vous, et puisque les plus grandi dans le ciel sont pelils
devant vous; ô sainle des saint! ! ô abîme de grâce,
el pleine de grâce ! secourez donc un miséra-ble qui a perdu
ce trésor par sa faute. Je sa s que vous êtes si agréable
à Dieu, qu'il ne vous refuse rien. Je sais encore que votre bonheur
est d'employer voire gran-deur à secourir les misérables
pécheurs. Ah ! faites donc voir combien est grande la faveur que
vous pi tssédez près de Dieu, en m Obtenant une lumière
et une flamme di-vine si puissante, qu'elle me change de pèche ir
en saint, et que, me détachant de toute affection teirestre, elle
m'embrase entièrement de l'amour divin, faites-le, ô ma souveraine!
puisque vous pouvez le faire; fuiles-le pour l'amour de ce Dieu qui vous
a rendue si grande, si puissante et si miséricordieuse ; telle est
mon espérance. Amen.
50
LES CLOIRKS
IIIe DISCOtftS.
SUR LA PRÉSENTATION DE MARIE.
L'offrande qne Marie fit d'elle-même à Dieu fut prompte
et sans délai, entière et sans réservé.
Il n'y a jamais eu > et il n'y aura jamais d'offrande d'une pure créature,
plus grande ni plus parfaite, que celle que Marie, enfanl de trois ans»
fil à Dieu, lorsqu'elle se présenta au temple pour lui offrir,
non des parfums, ni des victimes, ni des (alens d'or » mais l'holocauste
par-fait d'elle-même, qu'elle fit en se consacrant comme une victime
perpétuelle en son honneur. Elle avait bien en-tendu la voix de
Dieu qui l'invitait dès-lors à se consacrer tout entière
à son amour, par ces paroles: < Surge, pro-» pera, arnica
mea, et veni. » (Gant, u, 10.) Son Sei-gneur voulait qu'elle oubliât
dès ce moment sa patrie, ses païens, et tout le reste, pour
s'appliquer uniquement à l'aimer et à lui plaire : «
Audi, filia, et vide, et inclina » aurem tuam, etobliviscere populum
tuum, eldomum pa-ît tris lui. »(Psalm.xuv, H. ) Marie obéit
avec promptitude à la voix divine. Considérons dono combien
fut agréable à Dieu celte offrande que Marie lui fit d'elle-même.,
parce qu'elle la fil promptement et entièrement; promplemenl et
sans délai, premier point ; entièrement et sans réserve,
second point.
Premier point. — Commençons. Marie s'offrit à Dieu promplemenl.
Dès le premier moment où celle enfant
DE MARIE.
51
céleste fut sanctifiée dans le sein de sa mèrej
et qui fut celui de sa conception immaculée, elle reçut le
parfait usage de la raison, pour pouvoir commencer à mériter
dès-lors, selon l'opinion commune de tous les docteurs avec le père
Suarez, qui dit que la manière la plus parfaite que Dieu emploie
pour sanctifier une ame, étant de la sanctifier par son propre mérite,
selon ce ju'enseigne
5. Thomas, (3. p. q. 49. a. 3.) il faut croire que la très-sainte
Vierge a été sanctifiée ainsi : « Sanclific
>ri per pro-» prium actum est perfectior modus; ergo credendum est
» hoc modo fuisse sanctificatam Virginem. » (4. 2. in 3. p.
D. 4. 5. 8.) Et si ce privilège fut accordé aix anges et
à Adain, comme dû le docteur angélique, (1. p. q. 6-5.
a.
6. et q. 95 a. 2.) à plus forte raison , devons nous croire
qu'il fut concédé à la mère divine, à
laquelle on doit cer-tainement supposer que Dieu a conféré
des doi s supérieurs à ceux de toutes les autres créatures,
puisqu'il daignait lu choisir pour être sa mère, selon ce
qu'enseigne le même docteur : « Ex ea accepit humanam naturam,
et ideo prae » capieris majorem debuit a Christo gratiae ? eniludinem
» obtinere. » (3. p. q. a. 27. 5.) Cur, étant mère,
ajoute le père Suarez, elle a un droit particulier à Dus
les dons de son fils : « Unde fil ut singulare jus habeat ad dona
» filii sui. » (T. 2. in 3. p. d. i. 5. 2.) El commj il foi*
lait que Jésus-Christ eût, par l'union hypostatique, la plénitude
de toutes les grâces, il était convenu! le aussi que Jésus,
en conséquence d'une dette naturelle, contractée envers la
maternité divine, conférât à Marie d »
grâces su*
périeures à celles qui avaient été accordées
à to|is les au as saints et à tous les anges.
Ainsi, dès le commencement de sa x'.e, Marie connut Dieu, et
elle le connut tellement « qu'aucijne langui*,
52
LES GLOIRES
» dil l'ange à sainle Brigilte, ne sera capable d'exprimer
»'combien l'intelligence de la sainle Vierge pénélrait
dans » les profondeurs de Dieu, dès le premier inslanl qu'elle
le » connut. » (Serai. Ang. c. 14.) Et dès-lors, gardée
par celle première lumière dont elle fut éclairée,
Marie s'offrit toute à son Seigneur, se dédiant entièrement
à son amour et à sa gloire, comme l'ange conlinue de le dire
à sainte Brigitte : <; Dès-lors, notre reine résolut
de sacrifier à Dieu » sa volonté avec tout son amour
durant tout le temps de » sa vie; et personne ne peut comprendre
combien sa vo-» lonté se soumit à embrasser tout ce
qui pourrait lui être » agréable. » (Loc. cit.)
Mais l'eefunt immaculée savait que ses saints parens, Ioachim
et Anne, avaient promis à Dieu, et avaient même fail vœu,
comme le rapportent plusieurs auteurs, de lui consacrer, pour le servir
dans le temple, l'enfant quinaîlrait d'eux, s'il voulait bien le
leur donner ; c'était d'ailleurs la coutume chez les Juifs d'enfermer
leurs fillesdans quelques-unes des cellules qui entouraient le temple pour
les y éle-ver convenablement ; comme lerapporlenl Baronius, Ni-céphore,
Cédrenus, et Suarez avec l'historien hébreu Jo-sèphe,
etd'après l'auiorité de S. JeanDamascène, deS<
Gré-goire de Nicomédie, de S. Anselme, (de form. et mor.
B. ftf.) et S. Ambroise, (deVirg. 1.1.) Et comme il est rap-porté
clairement au liv. des Machabées, (IIMach.m, 2.) où, en parlant
d'Iléliodore, qui voulait assailli rie temple pour prendre le irésor
qui y était renfermé, il est dit que : « Pro eo quod
in contemptum locus esset venturus... vir-»gines, quse conclusse
erant, procurrebant ad Oniam. » Marie, dis-je, savait cela, et c'est
pourquoi, à peinearrivée à l'âge de trois ans,
comme l'attestent S. Germain et S. Epi-phane qui dil : « Tertio anno
oblata est in templo, » (Serm.
DE MARTE.
5S
delaud. V.) âge auquel les enfans désirent l'assistance
de leurs parens, et en ont le plus de besoin, Marie voulut s'offrir solennellement
à Dieu, et se consacrer à lui, en se pré-seniantau
lemple ; en sorte que ce fut elle qui, la première, alla prier instamment
ses parens de la conduire au lemple, pour accomplir leur promesse. Et sa
sainte Mère, dit S. Gré-goire delNysse, « Anna haud
cunclata est eam ad templum » adducere, ic Deo offerre. » (Or.
de Nat. Christi.)
Et voilà comment Joachim et Anne, sacrifiant gcné-reusemenl
à Dieu le bien le plus cher à leurs cœurs qu'ils possédassent
sur la terre, partirent deNazarelh,porlantdans leurs bras, l'un après
l'autre, leur chère petite fille; car elle n'était point
capable de faire un voyage aussi long qu'clailcelui de Nazareth à
Jérusalem, voyage de quatre-vingt milles de dislance, comme disent
plusieurs auteurs. Ils étaient accompagnés-d'un petit nombre
de parens; mais, comme dit S. Grégoire de Nicomédie, (de
oblal. Deipar.) les anges les accompagnaienl par troupes durant ce voyage
, et servaient la Vierge immaculée qui allait se consacrer à
la majesté divine. « Quam pulchri sunt gressus » tui,
fllia principis! » (Cant. vu. 4.) Les anges allaient sans doute chantant
: ? combien vos pas sont beaux, com-bien ils sont agréables à
Dieu, ces pas que \ous faites pour aller vous offrir à lui, ô
fille auguste, choisie entre louteaies autres, par noire commun Seigneur.
S. Bernar-din de Busto dit que Dieu même fit une grande fêle
ce jour là avec toute sa cour, en voyant conduiie son épouse
au lemple : « Magnam quoque festivitatem fecit Deus cum » Angelis
in d,educiione suae sponsas ad templum. » (Mar-tal. p. 4. serm. 4.)
Car il ne vit jamais de créature plus sainle el plus chérie
qui allai s'offrir à lui : « Quia nullus » unquam Deo
gratior usque ad illud tempus ascendit. »
54
LES GLOIRES
(Loc. cit.) Allez donc, lui disait S. Germain, archevêque de
Constantinople, allez, ô reine du monde! ô mère de Dieu,
allez gaiement à la maison du Seigneur, pour y attendre la venue
de l'Esprit saint, qui vous rendra mère du Verbe éternel
: « Abi ergo, ? Domina mater Dei, in alria Domini, » exullansel
expectans sancti Spirilus adventum, et uni-» geniti Filii conceptionem,
» (de oblal. Virg.)
Dès que le saint cortège fut arrivé au lemple,
l'ai-mable enfant s'adressa à ses parens, et, s'étant mise
à genoux, elle baisa leurs mains, et leur demanda la béné-diction
: puis, sans regarder en arrière, elle monta les quinze degrés
du temple, comme rapporte Arias Monlanus d'après l'histoiien Josèphe,
et se présenta au prêlre S. Zacharie, selon le léoioignage
de S. Germain. Alors, disant adieu au monde, et renonçant à
tous les biens qu'il promet à ses sectaleurs, elle s'offre et se
consacre à son Créateur.
Au temps du déluge, le corbeau que Noé fil sortir de
l'arche resla dehors pour:se nourrir de cadavres; mais la colombe y revint
promplemenl sans avoir mis le pied à terre : « Reversa est
ad eum in arcani. » (Gen. vin. 9.) Grand nombre d'infortunés,
envoyés de Dieu en ce monde, s'y arrêtent pour se repaître
de biens terrestres; mais il n'en fut pas ainsi de la colombe Marie; elle
connut que noire unique bien, noire unique espérance, notre uni-que
amour doit être Dieu; elle connut que le monde est plein de périls,
et que celui qui l'abandonne le plus tôt est le plus libre de ses
filets; c'est pourquoi elle s'em-pressa de le faire dès l'âge
le plus tendre, et alla s'en-fermer dans la retraite sacrée du temple,
où elle pouvait mieux entendre la voix de Dieu, mieux l'honorer,
mieux l'aimer. Ainsi, la très-sainte Vierge, dès le premier
instant
DE MARIE.
55
où elle fut capable d'agir, se rendit toute chère ei
toute agréable à son Seigneur, selon le langage que l'Eglise
lui prêle : « Congratulamini mihi, omnes qui diligitis Do-»
minum, quia, cum essem parvula, placui Altissimo. » (In 2. Resp.
1. noct. in fest. S. M. ad Ni.) C'est pour celte raison qu'elle fut comparée
à la lune, parce que, comme celle planète décrit son
cours plus rapidement que les autres, ainsi Majrie parvint à la
perfection plus vile que tous les autres saints, en se donnant à
Dieu prompte-ment et sans délai, entièrement el sans réserve.
Passons au second point où nous aurons beaucoup de choses à
dire. Second point. -^Eclairée d'en haut, la sainte enfant gavait
bien que Dieu n'accepte pas un cœur divisé, mais qu'il le veul loul
entier consacré à son amour, selon le précepte qu'il
nous a donné : « Diliges Dominum Deum » tuum ex toto
corde luo. » Ainsi dès le monienl où elle commença
à vivre, elle commença à aimer Dieu de toutes ses
forces, et elle se donna toute à lui ; mais sa très-sainte
ame attendait avec un grand désir le moment de se con-sacrer entièrement
à lui en effet et avec solennité. Con-sidérons donc
la ferveur qu'éprouva celle amoureuse vierge lorsqu'elle se vil
enfermée dans ce saint lieu : d'abord, elle se prosterna pour baiser
la terre dans la maison du Sei-gneur; elle adora ensuite sa majesté
infinie, la remercia de la faveur qu'il lui avait faite en l'obligeant
à demeurer pour un temps dans son temple; puis elle s'offrit toute
à Dieu, sans aucune réserve, lui consacrant toutes ses puissances
el tous ses sens, loul son esprit et tout son cœur; car ce fut alors, comme
on le croit, qu'elle fil son vœu de virginité, vœu qui n'avait jamais
été fuit avant elle, comme dit l'abbé Rupert : «
Votum virginilatis prima » emisit. » (Lib. 1. d,e insl. Virg.)
Elle s'offrit lout en-
66
LÈS GLOIRES
tière sans limitation de temps, comme assure Bernardin de Busto
: « Maria se ipsam perpetuis Dei obsequiis obtu-» lit et dedicavit.
» (Mar. p. 4.senn. l.)Car elle eut alors l'intention de se dédier
au service de la divine majesté, dans le temple, durant toute sa
vie, si telle était lu vo-lonté de Dieu, sans sortir désormais
de ce saint lieu. Oh ! avec quelle affection devait-elle dire alors : «
Dilectus » meus mihi et ego illi! » (Cant. ii. 16*) Le cardinal
Hugues commente ainsi ces paroles : « Ego illi tota vivam, »
et tota moriar. » Mon Seigneur et mon Dieu, disait-elle, je ne suis
venue ici que pour vous plaire et pour vous honorer de tout mon pouvoir;
c'est ici que je veux vivre et mourir toute à vous, si cela vous
est agréable ; acceptez le sacrifice que vous fait votre pauvre
servante, et donnez» moi la grâce de vous être fidèle.
Considérons ici combien fut sainte la vie de Marie dans le temple
; là, « quasi aurora consurgens, » croissant tou-jours
en perfection, comme l'aurore croit en lumière, on ne saurait expliquer
combien les vertus toujours plus belles de charité, de modestie,
d'humilité, de silence, de mor-tification, de douceur, brillaienten
elle davantage de jour en jour. Co bel olivier, planté dans la maison
du Seigneur, dit S. JeanDamascène, engraissé par l'Esprilsaint,
devint l'asile de toutes les vertus. « Ad templum adducitur, ac »
deinde in domo Dei plantata, atque per Spiritum sagi-» nata, instar
olivae frugiferae, virtutum omnium domici-» lium efficitur. »
(Lib. 4. de Fid. e. 15.) Le même saint dit ailleurs : Le visage de
la Vierge était modeste, son esprit était humble, ses paroles
amoureuses, parce qu'elles sortaient d'un intérieur bien réglé
( Or. 1. de nat. Virg.) El dans un autre endroit il assure que la Vierget
bannissant de sa pensée toutes les choses terrestres, em-
DE MARIE.
67
brassant toutes les vertus, et s'exerçant ainsi à \a
perfec-tion , fil, en peu de temps, des progrès si consic érables,
qu'elle melita de devenir un temple digne de Djeu. (De fid. ort. L. 4.
e. ib.)
S. Anselme, parlant aussi de la vie que mena a sainte Vierge dans le
temple, dit : Marie était docile, elle par-lait peu, son exléiieur
était toujours bien composé; elle ne riait pas, et elle n'éprouvait
aucune agitation. Elle per-sévérait dans l'oraison, dans
la lecture des sain [es Écri-tures, dans les jeûnes et dans
toutes les œuvres ce vertu. (Deform. cl mor. R. M.)S. Jérôme
rapporte des dé ails plus particuliers de cette vie : Marie avait
ainsi réglé son temps': le maiinelle était en prières
jusqu'à la Iroisièmehei ire; de la troisième à
la neuvième, elle s'occupait à quelqu' >uvrnge; à
neuf heures elle reprenait l'oraison, jusqu'à ce q îe l'ange
lui apportât à manger selon sa coutume. Elle Idisait en sorte
d'être la première à s'éveiller, la plus exacte
ì remplir la loi divine, la plus profonde en humilité, et
la >Ius par-faite dans toutes les vertus. Personne ne la vit jî mais
en colère. Ses paroles sortaient de sa bouche si pi eines de douceur,
que Dieu se produisait toujours sur sa langue. (S. Jérôme,
cité dans l'Hist. de la Vie de Marie, par e P. Jos. de Jésus
et Marie, carmélite déchaussé. Liv. ?. cl.)
La divine mère révéla un jour à sainte
Eisabeth, vierge bénédictine du monastère de Sconaugia,
comme on le lit dans S. Bonaventure, (de vit. Christ, c. 3.) que quand
ses parens l'eurent laissée dans le temple, elle dé-libéra
et résolut de n'avoir que Dieu pour 3ère, et qu'elle pensait
souvent à ce qu'elle pourrait fi ire pour lui être agréable
: « Cum pater meus et maler mea di-» miserant me in templo,
statui in corde meo habere » Deum in patrem, et saepe cogitabam quid
poss| ? facere
58
LES GLOIRES
» illi gratum. » Elle se détermina donc à
lui consacrer sa virginité, et à ne rien posséder
au monde, donnant à Dieu toute sa volonté. « Statui
servare ?virginitatem, nihil «unquam possidere in mundo, et omnem
voluntatem » meam Deo commisi. » Elle lui dit en outre, qu'entre
tous les préceptes qu'elle devait observer, elle eût princi-palement
devant les yeux celui-ci ; « Diliges Dominum » Deum tuum »
: et qu'au milieu de la nuit elle allait prier le Seigneur devant l'autel
du temple, pour lui demander la grâce d'observer ses préceptes,
et de lui faire voir la mère du Rédempteur, le suppliant
de lui conserver les yeux pour la contempler, ia langue pour la louer,
les pieds pour la servir, et les genoux pour adorer son divin fils dans
son sein. Sainte Elisabeth, à ces mots, lui dit : « Mais,
ma reine, n'éliez-vous point pleine » de grâce et de
vertu ?» Et Marie lui répondit : « Ap-» prends
que je me croyais la plus vile dos créatures, et » la plus
indigne de la grâce divine, et que c'est pour » cela que je
demandais ainsi la grâce et la vertu. » En lin, pour nous persuader
de la nécessité absolue où nous som-mes lous de demander
à Dieu les grâces qui nous sont nécessaires, elle ajouta
: « Pensez-vous que j'aie eu la » grâce el les vertus
sans peine? apprenez que je n'ai » pas obtenu une seule grâce
sans de grands travaux, » sans l'oraisoncoutinuelle, sans des désirs
ardens, sans » un grand nombre de pénitences et de larmes,
»
Mais ce qui est digne surtout de nos réflexions, ce sont les
révélations de sainte Biigilte, en ce qui concerne les vertus
elles exercices pratiqués par la bienheureuse Yierge daqsson enfance.
Voici ses paroles : Marie fut remplie du St.rEspril dès sa plus
tendre enfance, et elle croissait en grâce à mesure qu'elle
croissait en âge. Elle résolut dès-lors d'ai-
?)? MARIE,
59
mer Dieu de tout son cœur, en sorte qu'il ne fut jamais offensé
ni par ses paroles, ni par ses actions. À cet effet, elle méprisai!
tous les biens de la terre. Elle don-nait tout ce qu'elle pouvait aux pauvres.
Elle était si tem-pérante dans ses repas, qu'elle ne prenait
que le néces-saire pour soulenir son corps, Ayant compris, par la
sainte Écriture, que ce Dieu devait naître d'une Vierge pour
ra-cheter le monde, son cœur s'embrasa tellement du divin amour, qu'elle
ne soupirail qu'après Dieu et ne pensait qu'à lui. Ne trouvant
de bonheur qu'en Dieu, elle évitait même la conversation de
ses parens, de peur qu'ils ne la détournassent de la pensée
de Dieu. Enfin, elle désirait vivre à l'avènement
du Messie pour pouvoir se l'aire la servante de la Vierge bienheureuse
qui mériterait d'être sa mère. C'est ce que disent
les révélations de sainte Bri-gitte. (Lib. i. et 1. 3. c.
8.)
Ah! n'en doutons pas, le Sauveur accéléra sans doute
le moment de sa venue, pour l'amour de celle auguste enfant ; car tandis
que, par humilité, elle s'eslimail indi-gne de devenir la servante
de la divine mère, elle fut choisie elle-même pour être
cette mère; et elle attira le divin fils dans son sein virginal,
par l'odeur de ses vertus, et par la puissance de ses prières. C'est
pour cela que Marie fut appelée tourterelle par son divin époux
: « Vox » turturis audita est in terra nostra ; » (Cant.
ii. 42.) non-seulement parce qu'elle aima la solitude comme les tourterelles,
vivant dans ce monde comme dans un désert j mais encore parce que,
semblable à la tourterelle qui va gémissant dans les. campagnes,
Marié gémissait sans cesse dans le temple, touchée
de compassion pour les misères du monde perdu, et demandait à
Dieu la commune ré-demption. Oh ! avec combien plus d'affection
et d'ardeur
60
LES GLOIRES
ne répétait-elle pas à Dieu, dans le temple, les
prières et les soupirs des prophètes, afin qu'il envoyât
le Ré-dempieur! « Emitte Agnum, Domine, Dominatorem terrae
» (Isaï. xvi. 4.) « Rorate cœli desuper, et nubes »
pluant justum. (Id. xlv. 8.) Utinam dirumperes coelos, » et descenderes.
» (Id. lxiv. 1.)
En un mot, Marie était l'objet des complaisances de Dieu, qui
voyait celte jeune Vierge s'avancer toujours à une plus haute perfection,
comme une colonne de fumée, chargée de l'odeur de toutes
les vertus, ainsi que la dé-peint le St.-Esprit dans les saints
cantiques : « Quae est » ista, quae ascendit per dasertum ,
sicut virgula fumi, » ex aromatibus mirrhae et thuris, et omnis pulveris
» pigmentarii. » (Cant. hi. 6.) Cette petite enfant était
vraiment, comme dit Sophrone, le jardin de délices du Seigneur,
puisqu'il trouvait en elle toutes sortes de fleure, avec l'odeur de toutes
les vertus : « Vere Virgo erat hor-» tus deliciarum, in quo
consila sunt universa florum » genera, et odoramenta virtutum. »
(Serm. de Ass.) Ce qui fait dire à S. Jean Chrysoslôme (Ap.
Canis. L. i. de B. V, c. 15.) que Dieu choisit Marie pour être sa
mère sur la terre, parce qu'il ne trouva pas sur la terre une vierge
plus sainte ni plus parfaite que Marie , ni un lieu plus digne d'être
sa demeure que son sein très-sacré. C'est ce que dit encore
S. Bernai d : « Nec in terris Jocus » dignior utero virginali.
» S. Anlonin assure que la bienheureuse Vierge, pour être élue
et destinée à la qua-lité de mère de Dieu,
devait posséder,une perfection si consommée, qu'elle surpassât
la perfection de toutes les autres créatures. « Ullima gratia
perfectionis, est praeparatio » ad Filium Dei «incipiendum.
» (P. ,4. Til. ??. e. 6.)
Donc, comme la sainte petite Marie se présenta et s'of-
DE MARIE.
61
frit à Dieu dans le temple promplement et entièrement
; présentons-nous aussi aujurd'hui à Marie sans délai,
et sans réserve, et prions-la de nous offrir à Dieu qui ne
nous refusera poinl eh nous voyant offerts par les mains de celte Vierge
qui fut le temple vivant du St.-Esprit, les délices de son Seigneur,
et la mère choisie du Verbe éter-nel. Espérons beaucoup
en celle reine souveraine el recon-naissante, qui récompense, avec
un amour extrême, les hommages qu'elle reçoit de ses dévots
serviteurs, comme on peut s'en convaincre par l'exemple suivant.
EXEMPLE.
On lit dans la vie de sœur Dominique de Paradis, écrite par
le père Ignace de Niente, dominicain, que eelte vierge naquit de
parens pauvres dans un village nommé Paradis, près de Florence.
Elle commença à servir la mère de Dieu dès
son enfance. Elle jeûnait en son honneur tous les jours de la semaine,
donnait aux pauvres le sa-medi la nourriture dont elle s'était privée;
allaitée même jour dans un jardin de la maison, ou dans"les
champs voisins, recueillir toutes les fleure qu'elle pouvait trouver, et
les plaçait sur une image de la Vierge, tenant entre ses bras l'enfanl'Jésus,
qu'elle-avait chez elle. Mais voyons maintenant par combien de faveurs
la reine très-recon-naissante récompensa les hommages que
lui rendait sa servante. A l'âge de dix ans, Dominique étant
un jour à la fenêtre, vit une dame d'un bel extérieur,
elavec elle un petit enfapt, l'un et l'autre levant les mains comme pour
demander l'aumône. Dominique va chercher le pain, mais au même
moment, sans que la porte fût ouverte, elle les voit dans sa chambre,
el s'aperçoit que le petit en-fant avait les mains, les pieds et
la poitrine blessés. Elle
62
LES GLOIRES
demande donc à la dame : Qui a blessé cet enfant? la
mère lui répondit : « C'est l'amour. » Dominique,
ravie de la beauté et de la modestie de cet enfant, lui demanda
si ses plaies lui faisaient mal ; mais il ne répondit que par un
sourire. Cependant comme ils s'approchaient tous de l'imnge de Jésus
et de Marie, la dame dit à Dominique : « Dis-moi, ma fille,
qui te porte à couronner ces images » de fleurs? » Elle
répondit : « C'est l'amour que j'ai » pour Jésus
et Marie. — El comment les aimes-tu ?—Je » les aime autant que je
peux. — Et jusqu'à quel point » peux-tu les aimer ? — Autant
qu'ils me donnent la » grâce de le faire. » Alors, la
divine mère lui dit : « Continue, Dominique, continuée
les aimer, car ils » le payeront bien ton amour en paradis. »
Dominique sentit alors une odeur céleste qui sortait des plaies
de l'enfant, et elle demanda à la mère avec quelle essence
elle le parfumait, et si elle pouvait elle-même en acheter de semblable.
La mère lui répondit : « On l'achète par la
foi et par les œuvres. » Dominique lui offrit le pain ; mais elle
lui répondit : « Le pain dont se nourrit mon fils, c'est l'amour
: Dis-lui que tu aimes Jésus, et tu le contenteras. » A ce
nom d'amour, l'enfant tressaillit, et s'adressanl à,k petite Dominique,il
lui de-manda comment elle aimait Jésus. Celle jeune enfant lui ayant
répondu qu'elle l'aimait tellement qu'elle ne pensai! qu'à
lui jour et nuit et qu'elle ne cherchait qu'à lui être agréable
; eh bien ! lui dit-il, aime le, et l'umour t'instruira de ce qu'il faut
faire pour le contenter. En ce moment l'odeur qui sortait des plaies de
l'enfant croissant toujours,, Dominique s'écria : Oh Dieu ! cette
odeur me fait mourir d'amour. Si l'odeur que répand un petit enfant
est si douce, quelle sera l'odeur du paradis ! mais
alors la seène changea : la mère apparut aved des vÊte-mens
de reine, el environnée de lumière; le polit enfant brillant
de beauté, comme le soleil, prit les fleurs qui couronnaient l'image
et les répandit sur la lêle de Domi-nique, qui, ayant reconnu
dans ces personnes Jésus et Marie, s'était prosternée
pour les adorer. Ainsi finit la vision. Dominique prit ensuite l'habit
de l'ordre des do-minicaines et mourut l'an 4553 en odeur de sa nlelé.
PRIÈRE.
? bien-aimée de Dieu, très-aimable petite M rie, oh !
que ne puis-je vous offrir aujourd'hui les premiè es années
de ma vie, pour me dédier tout entier à voir; service, comme
vous, ô ma douce reine, vous vous êtes présentée
dans le temple, et consacrée sans délai à la gloire
et à l'amour de votre Dieu ! mais je n'en ai plus le temps, malheureux
que je suis! puisque j'ai perdu (an d'années à servir le
monde el mes caprices, comme si je cous avais entièrement oubliée
ainsi que Dieu. « Vse tempori illi, in » quo non amavi le!
» Mais il vaut mieux comm ;ncer lard que de'ne le faire jamais. ?
Marie ! voilà qu'ai jourd'hui je me présente el je m'offre
tout à votre service, pour le temps, court ou long, qui me reste
à vivre sur e ille terre ; je renonce en même temps avec vous,
à toutes les créatures, et je me consacre entièrement
à l'amour de mon créateur. Je vous consacre donc, ô
ma reine, mon ame, pt ur qu'elle pense toujours à l'amour que vous
méritez; mi langue, pour chanter vos louanges, et mon cœur poui
vous ai-mer. Acceptez, 6 trèsrsainte Vierge, l'offrande que vous
fait ce misérable pécheur ; agréez-la, je vous en
prie , par ces consolations que sentit voire cœur, lorsque rous vous donnâtes
à Dieu dans le temple. Il est juste que, commen-
64
LES GLOIRES
çanl si tard à vous servir, je compense le temps perdu
en doublant mes hommages et mon amour. Aidez par voire intercession puissante,
ô mère de miséricorde! ai-dez ma faiblesse, en m'oblenanl
de votre Jésus la persé-vérance, et la force de vous
êlre fidèle jusqu'à la mort; afin qu'en vous servant
sans cesse duranl celle vie, je puisse parvenir à vous louer éternellement
dans le paradis. Amen.
DE MARIE.
65
IVe DISCOURS.
suk l'annonciation de marie.
Dans l'incarnation du Verbe, Marie ne put s'humilier plus qu'elle ne
le fit. De son côté, Dieu ne put l'exalter plus qu'il ne l'exalta.
Celui qui s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse
sera élevé. C'est la parole du Sauveur tjui ne peut faillir
: » Qui autemseexallaverit humiliabitur, et qui se humilia-verit
exaltabitur. » (Matlh. ????. 12.) Dieu avait ré* solu de se
faire homme pour racheter l'homme qui élait perdu, et pour manifester
ainsi au monde sa bonté infinie ; devant, en conséquence;
se choisir une mère sur la terre, il cherchait à celte fin
la femme la plus sainte et la plus humble entre tout-s les femmes. Parmi
elfes, il en distin-gua une, et ce fut la vierge Marie, qui était
d'autant plus parfaite en vertus, que, semblable à la colombe, elle
était plus simple et plus humble dansées pensées.
« Àdo-» lescenlularum, disait le Seigneur, non est numerus:
»j^na est columba mea, perfecta mea. » (Cant. vi. 8.) C'est
pourquoi Dieu dit : Que celle-là soit dhoisie pour être ma
mère. Voyons maintenant combien Marie fut humble, et combien Dieu
l'éleva à cause de son humilité. Marie, dans l'incarnation
du Verbe, ne pul s'humilier plus qu'elle ne le fit; ce sera le sujet du
premier point/Dieu ne put exalter Marie plus qu'il ne l'exalta; ce sera
le sujet du se-cond.
vu.
?
66
LES GLOIRES
Premier point. — Le Seigneur, parlant expressément dans les
saints Cantiques de l'humilité de celle Vierge très-humble,
dit-: « Dum esset rex in accubitu suo, nardus » mea dedit odorem
suum. » (Cant. i. 11.) S. Anlonin expliquant ces paroles, dit que
la plante du nard, si basse el si petite, figurait l'humilité de
Marie, dont l'o-deur monla jusqu'au ciel, et attira, du sein du Père
éter-nel , le Verbe divin dans ses entrailles virginales : «
Nar-» dus est herbaparvà, quae signiBcal beatam Virginem,
quae » dedit humilitatis odorem : qui odor usque ad coelum as-»
cendit, et in coelo accumbenlem fecit quasi evigilare et » in utero
suo quiescere. »{P. iv. Iit. xv. e. 21. §2.) De sorte que le
Seigneur, attiré par Podeur de celle humble Vierge, la choisit pour
sa mère, lorsqu'il voulut se faire homme pour ? acheter le monde.
Mais, pour augmenter la gloire et le mérite de celle mère,
il ne voulut point de-venir son fjls avant d'avoir obtenu son consentement.
« No-» luit carnem sumere ex ipsa, non dante ipsa, »
dit l'abbé Guillaume.(In Cant. S.) Ainsi, tandisque l'humble Vierge
élaildans sa pauvre maison, soupirant, el priant Dieu, avec un plus
grand défir que jamais, d'envoyer le Rédempteur, ( comme
cela fut révélé à sainte Elisabeth, religieuse
béné-dictine) voilà que l'archange Gabriel vient remplir
la grande ambassade. Il entre, et la salueenluidisant: «Ave, »
gralia plena ; Dominus lecum ; benedicta tu in mulieri-» bus. »
(Luc. 1.) Je voussalue, ô Vierge pleine de grâce ! car vous
fuies toujours plus riche en grâce que les autres sainls. Le Seigneur
est avec vous, parce que vous êles si hum-ble. Vous êles bénie
entre toutes les femmes, puisque toutes ont encouru la malédiction
du péché, au lieu que vous, deyant êlre la mère
de celui qui est béni, vous avez élé, el vous serez
toujours bénie et préservée de toute souillure.
Cependant, que répond l'humble Marie à un salut si
DE MARIE.
67
flatteur? rien ; elle ne répond pas, mais elle se trouble en
y réfléchissant. « Quae cum audisset, turbata est in
sermone » ejus, et cogitabat qualis esset ista salutatio. »
El pour-quoi se troubla-t-elle? peut-être par la crainte d'une illusion?
peut-être encore se troubla-t-elle par modestie, en voyant un homme,
selon l'opinion de quelques-uns qui croient que l'ange lui apparut sous
la forme humaine? non ; le texte est clair : « Turbata est in sermone
ejus, re-» marque Eusèbe; non in vullu, sed in sermone ejus.
» Ce trouble fut donc l'effet d'un sentiment d'humilité qu'elle
éprouva en entendant ces louanges si éloignées de
ses humbles pensées. Ainsi, plus elle se voit élevée
par l'ange, et plus elle s'abaisse, et plus elle entre dans la con-sidération
de son néant. Ici S. Bernardin remarque que si l'ange avait dit
à Marie qu'elle était la plus grande péche-resse du
monde, Marie n'en eût point été si étonnée
; mais lorsqu'elle entendit publier des louanges si élevées,
elle se troubla : « Si dixisset : ? Maria, lu es major ribalda quae
» est in mundo, non ita admirata fuisset :r unde turbata »
fuit de laudibus. (Serm. xxxv, de An. Inc. p. 3.) Elle se troubla, parce
qu'étant pleine d'humilité, elle déles-tait toutes
les louangtjs, et désirait que son Créateur et l'auteur de
tous ses biens fût seul loué et béni ; c'est préci-sément
ce que Marie dit à sainte Brigitte, en parlant du moment où
elle devint mère de Dieu. « Nolui laudem » meam, sed
solius datons et Creatoris. (L. I, Rev. c. 25.) Mais au moins, dira-t-on,
la bienheureuse Vierge savait bien, d'après les saintes Écritures,
que le temps prédit par les prophètes pour la venue du Messie
étail arrivé; que les semaines de Daniel étaient accomplies
; que, selon la pro-phétie de Jacob, le sceptre de Juda était
passé dans les mains d'Hérode, prince étranger. Elle
savait qu'une Vierge
S.
68
LES GLOIRE
devait êlre la mère du Messie. Lors donc qu'elle entendit
l'ange lui donner ces louanges qui ne paraissaient pouvoir convenir à
aucune autre qu'à la mère d'un Dieu, peut-être lui
vint-il en pensée de douter au moins si elle ne serait pas celte
mère choisie de Dieu? non; sa profonde humi-lité ne lui permit
pas même d'avoir celle pensée. Ces louan-ges ne servirent
qu'à lui inspirer une grande crainle, tellemenì, remarque
S. Pierre Chrysologue, que : « Si-»cul Christus per angelum
voluit confortari, ita per an-» gelum debuit Virgo animari. »
Comme le Sauveur vou-lut êlre fortifié par un ange, il fallut
que S. Gabriel, voyant Marie si effrayée de celle salutation, l'encourageât,
en lui disant :« Ne timeas, Maria, invenisti gratiam apud «Deum.
» Ne craignez point, ô Marie, et ne soyez pas surprise des
titres élevés que je vous ai donnés en vous sa-luant;
car, si vous êtes si petite et si basse à vos propres yeux,
Dieu, qui élève les humbles, vous a rendue digne de retrouver
la grâce que les hommes oni perdue. C'est pour cela qu'il vous a
préservée de la souillure commune à tous les enfans
d'Adam ; c'est pour cela qu'il vous a ho-norée d'une grâce
supérieure à celle de tous les saints, dès l'instant
de voire conception; enfin, c'est pour cela qu'il vous élève
maintenant jusqu'à vous rendre sa mère. « Ecce y> concipies
et paries filium, et vocabis'nomen ejus iesum. » Eh bien! pourquoi
larder? « Expectat angelus, dit »S. Bernardin, expectamus et
nos, ô Domina, verbum mi-» seralionis, quos miserabillter premit
sententia damna-» lionis. » (Hom. 4, sup. Miss.) Marie, l'ange
attend vo-tre réponse ; et nous, qui sommes condamnés à
la mort, nous l'allendons bien plus encore. « Ecce offertur tibi
pre-» dum salutis nostrae ; slalim liberabimur, si consentis, »
continues. Bernardin. Voilà, ô noire mère, que l'on
DE MARIE.
69
vous offre le prix de notre salut, qui est le ^erbe divin fait homme
en votre sein; si vous l'acceptez pour fils, nous serons à l'instant
délivrés de la mort. « Ipse quoque «Dominus,
quantum concupivit decorem tuum, tantum » desiderat et responsionis
assensum, in quo nimirum % proposuit salvare mundum. » (S. Bern.
loc. cil.) Le Sei-gneur lui-même, qui est devenu si amoureux de voire
beauté, attend aussi votre réponse, d'après laquelle
il a résolu de sauver le monde. * Responde jam, Virgo sacra, »
reprend S. Augustin : (Serai. 21. déTemp.) vitam quid. » lardas
mundo ? » Répondez, Marie, à I.'inslaitt ; ne diffé-rez
point le salut du monde, qui dépend maintenant de votre consentement.
Mais voilà que Marie répond : telle répond à
l'ange en ces termes : « Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum
» verbum tuum. » ? réponse plus belle,plus humble et
plus prudente que celle qu'aurait pu inventer toute la sa-gesse des hommes
et des anges réunie, quand ils y au-raient pensé durant un
million d'années! ô réponse puis-sante, q«i réjouis
le ciel, et qui apportes à la terre un océan, immense de
grâces et de biens ! ô réponse qui, à peine sortie
de l'humble cœur de'Marie, attiras du sein du Père élerriel
son fils unique pour se faire homme dans les en-trailles très-pures
de celle Vierge! oui, parce qu'à peine eae paroles : « Ecce
ancilla Domini, fiat mihi secundum » verbum tuum, » furent-elles
proférées, que le fils de Dieu devint aussi lefilsde Marie.
O, s'écrie S. Thomas de Ville-neuve, « ? fiat potens ! ô
fiat efficax ! ô fiat super omni fiat » venerandum. »
(Conc. 4 de Ann.) Car par.-les autres fiat, Dieu créa la lumière,
le ciel, la terre; mais par ce fiat de Marie, dit le saint, un Dieu devint
homme comme nous.
Mais, pour ne point sortir de poire sujet, considérons
70
LES GLOIRES
la grande humilité que la Vierge fit paraître dans celte
réponse. Elle était assez éclairée pour connaître
combien était élevée la dignité de mère
de Dieu ; l'ange l'avait déjà assurée qu'elle était
cette bienheureuse mère choisie du Seigneur. Néanmoins, elle
ne conçoit pas une plus haute estime d'elle-même ; elle ne
s'arrête point à se complaire dans son élévation.
Regardant, d'un côté, son néant, et de l'autre, l'infinie
majesté de son Dieu, qui la choisit pour sa mère, elle se
reconnaît indigne d'un tel honneur, mais elle ne veut point s'opposer
à sa volonté. Que fait-elle donc , lorsqu'on lui demande
son consentement ? que dit-elle? toute anéantieau-dedansd'elle-même,
toute en-flammée, d'ailleurs, du désir de s'unir plus parfaitement
à Dieu par ce moyen, s'abandonnant entièrement à la
vo-lonté divine : Voici, dit-elle, voici la servante du Seigneur
: « Ecce ancilla Domini. » Voici l'esclave du Seigneur, obli-gée
à faire ce que le Seigneur commande- Elle voulait dire par là
: si le Seigneur me choisit pour sa mère, moi qui n'ai rien de moi-même,
et qui ai tout reçu de sa main libérale, qui pourra croire
qu'il me choisisse à cause de mon mérite? « Eçce
ancilla Domini. » Quel mérite peut avoir une esclave, pour
être faite la mère de son Seigneur? «Ecce ancilla Domini.
» Que la bonté du Seigneur soit louée, et non pas l'esclave
; car c'est de sa part une œu-vre de bonté que de jeter les yeux
sur une créature aussi basse que je le suis, pour l'élever
si haut.
? humilité îs'écrieici S. Guerricabbé. «
? humilitas, an-» gusla sibi, ampla divinitati! insufficiens sibi,
sufficiens » ei quem non capit orbis! » ? grande humilité
de Marie, qui la rend petite à ses yeux, mais grande aux yeux de
Dieu ; indigne à ses yeux, mais digne aux yeux de ce Sei-gneur immense
que le monde ne peut contenir! S. Ber-
1>? ??????.
71
nard, dans le quatrième sermon sur l'Assomption de Marie, fait
à ce sujet une exclamation plus belle encore; admirant l'humilité
de Marie, il dit : 0 Marie! comment avez-vous pu allier dans votre cœur
des senlimens aussi humbles de vous-même, avec tant de pureté,
tant d'inno-cence, et avec la plénitude de grâce que vous
possédez? « Quanta humilitatis virtus cum tanta puritate,
cum in-» nocenlia tanta, imo cum tanta gratiae plenitudine? »
? Vierge bienheureuse, poursuit le saint, et comment, lorsque vous vous
êtes vue si honorée et si élevée par vo-tre
Dieu, cette humilité si grande a-t-elle pu être si bien enracinée
en vous? « Unde tibi humilitas, et tanta hu-» militas, ô
beata? » Lucifer se voyant doué d'une grande beauté,
ambitionna d'élever son trône au-dessus des étoiles,
et de se rendre semblable à Dieu : « Super astra » Dei,
dit-il,· exaltabo solium meum, et similis ero Allis-» simo.»(Isaï.
xiv.l3.)Or, qu'aurait dit le superbe, à quoi aérail-il prétendu
, s'il eût été orné des dons que posséda
Marie? L'humble Marie ne fil point ainsi : plus elle se vil exallée,
et plus elle s'humilia. Ah ! Marie, conclut S. Ber* nard, vous êtes
devenue digne, par votre grande humililé, d'être regardée
de Dieu avec un amour tout particulier ; digne, par votre beauté,
d'enflammer le cœur de votre roi;digne, par l'odeur agréable de
votre humililé, d'at-tirer le fils éternel du lieu de son
repos, qui était le sein de Dieu, dans votre sein virginal : «
Digna plane quam » respiceret Dominus, cujus decorem concupisceret
rex, » cujus odore suavissimo ab aeterno illo paterni sinus al-»
traheretur accubitu. » (Loc. cil.) Aussi S. Bernardin de Buslodil
que Marie mérita plus parcelle réponse, « Eccean-»
cilla Domini, » que ne pourraient mériter toutes les créatures
par toutes leurs bonnes œuvres. « Beata virgo
72
CES GLOIRES
» plus mci'uil dicendo humiliter: Ecce ancilla Domiui, »
quam simul mereri possent omnes purœ crealurae. (Mar. xii. p. 5. p. 2.)
Oui, dit S. Bernard, parce que celte Vierge innocente, bien qu'elle
se soit rendue agiéable à Dieu par sa virginité, s'est
rendue par son humilité digne, autant que le pouvait une créature,
d'être la mère de son Créateur. «Etsi placuit
» ex virginitate, tamen ex humilitate concepit. » (Hom. ?.
sup. Miss.) S. Jérôme appuie ce sentiment, lorsqu'il dit que
Dieu la choisit pour mère, plutôt à cause de son humi-lité
qu'à cause de ses autres vertus : « Maluit Deusde Vir-»
gine incarnari propter humilitatem, quam propter aliam » quamcumque
virtutem. » Marie elle-même s'exprima dans ce sens à
sainte Brigitte, en disant : Et comment ai-je mérité h grâce
de devenir la mère de mon Seigneur, sinon parce que j'ai connu mon
néant et que je me. suis humiliée? « Unde. promerui
tantam gratiam, nisi quia » cogitavi étscivi nihil me esse,
vel habere ?» (L. ii.rev. e. 35.) Elle l'avait déjà
proclamé dans son très-humble cantique, lorsqu'elle dit :
« Quia respexit humilitatem » ancillae sua?... Fecit mihi magna
qui potens est. » (Luc. 1.) De là, S. Laurent Juslinien remarque
que lu bienheu-reuse Vierge « non ait : Respexit virginitatem, innocen-»
liam; sed tantum humilitatem;» Et par ce mol d'humi-lité,
remarque S. François de Sales, elle n'entendait point parler avec
éloge de sa vertu d'humilité, mais elle voulait dire que
Dieu avait regardé son néant « ( humilitatem , »
id est nihililalem) », et avait voulu l'élever ainsi par un
pur effet de sa bouté.
En un mot, dit S. Augustin, l'humilité de Marie fut comme une
échelle par laquelle le Seigneur daigna des-cendre du ciel sur la
terre pour se faire homme dans son
sein : « Facta est Mariae humilitas scala coelestis, Àet
quam » Deus descendit ad terras. » (Sup. magn.) Et S. Anlonin
fortifie cesenlimenl, en disant que l'humilité de a Vierge fut sa
disposition la plus parfaite et la plus pu chaîne à être
la mère de Dieu: « Ultima gratia perfectionis est prse-»
paralioad filium Dei concipiendum; quae praeparatio fuil » per profundam
humilitatem. » (?. ?. ti. 15. e. 6 ei 8.) Du reste, Isaïe l'avait
prédit: « Egredietur Virga ie radice » jesse, ei Hos
de radice ejus ascendet. » (Is. ??. 1.) Le bienheureux Albert-le-Grand
remarque que la flei r divine, c'est-à-dire, le fils unique de Dieu,
selon ce que dit Isaïe, devait naître, non de la cime, ni du
tronc de la plante de Jessé, mais de la racine, précisément
pour montrer l'hu-milité de sa mère: « De radice ejus,
humilitas eo dis in tel-» ligitur. » El l'abbé de Celles
l'explique encore plus clai-rement : « Nota quod non ex summitate,
sed je radice » ascendet flos. » C'est pourquoi le Seigneur
dis iit à celte fille bien-aimée : « Averte, oculos
luos, quia ipsi me avo-» lare fecerunt. » (Cant. ?.) «
Unde avolare, dit !>. Augus-» lin, nisi a sinu patris in uterum matris?
» Le docte com-mentateur Fernandez dit à ce sujet, que les
yeux ? rès-hum-bles de Marie, avec lesquels elleregaida toujours
la gran-deur divine, sans jamais perdre de vue son néant, firent
une telle violence à Dieu même, qu'ils l'attirèrent
dans son sein : « Ita illius oculi humillima Deum tenuerunt, ut »
suavissima quadam violentia ipsummet Dei pitris Ver-> bura in merum suum
Virgo attraxerit. » (lue. xiv. gen. sed. A.) On voit par là,
dit l'abbé Francon, pourquoi le Saint-Esprit donna tant de louanges
à la beauté de son épouse, à cause de ses yeux
de colombe : « Quam pulchra » es, arnica mea, quam pulchra
es ! oculi tui columba-» rujn. » (Cant. ??. 1.) Parce que Marie,
en egardant
7*
LES GLOIRES
son Dieu avec les yeux d'une simple et humble colombe, le charma tellement
par sa beauté, qu'elle le fit prisonnier dans son sein virginal,
par les liens de l'amour. Ainsi parle l'abbé Francon : « Ubinam
terrarum tam speciosa » Virgo inveniri posset, quae regem coelorum
caperet, ei » vinculischarilatis pia violentia captivum trahere!
? » (De grat. No. Test. tr. ?.) Ainsi, pourconcluie ce point, Marie
dans l'incarnation du Verbe, comme nous l'avons vu dès le commencement,
ne put s'humilier plus qu'elle ne s'humilia: voyons maintenant comment
Dieu, en la fai-sant sa mère, ne put l'élever plus qu'il
nel'éleva.
Deuxième point. — Pour comprendre la hauleur à la-quelle
Marie fut élevée, il faudrait comprendre combien est sublime
Ja hauleur et la grandeur de Dieu. Il suffira doncde dire que Dieu rendit
celte Vierge sa mère, pour comprendre que Dieu ne put l'exalter
plus qu'il ne l'exalta. S. Àrnould de Chartres assure avec raison,
que Dieu en devenant fils de la Vierge, la plaça dans un degré
d'élévaiionsupérieureà celle de tous les saints
et de tous les anges : « Maria consti-» tula est super omnem
creaturam. » (Tract. deL. V.) En-sorle qu'après Dieu, elle
est sans comparaison la plus éle-vée delous les esprils célestes,
comme parle S. Ephrem : « Nulla comparatione cseleris superis est
gloriosior. » (Or. delaud. Deip.)ElS. André de Crète
assure la même chose : « Excepto Deo, omnibus altiorJ »
(Or. de laud. Deip.) avec S. Anselme qui dit : Marie, il n'y a personne
qui vous égale, parce que tous les autres sont au-dessus ou au-dessous
de vous; Dieu seul vous est supérieur, el tous les aulres êtres
vous sont inférieurs : « Nihil tibi, Domina, » esl aequale;
omne enim quod esl, aut supra te est, aut » ìnfra : quod supra,
solus Deus; quod infra, est omne » quod Dcus non esl. » (Ap.
Pelb. Slellar. ii. p. 5. a. 2.)
DE MARIE.
75
En un mot, ajoute S. Bernard, l'élévation de cette Vierge
est si grande, que Dieu seul peut et sait la comprendre: « Tanta
est perfectio Virginis, ut soli Deo cognoscenda » reservetur. »
(Tom. ?. serm. 51, a. 5. e. 2.)
Et si quelqu'un était étonné, remarque S. Thomas
de Villeneuve, de ce que les saints Évanglistes, qui ont publié
si au long les louanges d'un Jean-Baptiste et d'une Made-leine, ont été
si sobres de paroles en indiquant les dons qui ont orné Marie, celle
considération doit suffire à dissi-per son étonnement.
« Satis est, continue le saint, de ea » dicere: De qua natus
est Jésus. » Que voulez-vous, pour-suit-il, que les Évangélistes
disenkde plus des grandeurs de celte Vierge? Il doit vous suffire qu'ils
attestent qu'elle est la mère de Dieu. Et puisqu'ils avaient énoncé
en ce seul mol le plus grand, ou plutôt, la totalité de ses
avanta-ges, il n'étailpointnécessairequ'ilsenfissenlla description
détaillée: « Quid ultra requiris? Sufficit tibi quod
ma-ii ter Dei est. Ubi ergo totum erat, pars scribenda non » fuit.
«(Conc. 2, de Nal. Virg.) Et comment n'en serait-il pas ainsi ? reprend
S. Anselme ; dire de Marie qu'elle est mère de Dieu, c'est dépasser
tous les degrés de grandeur que l'on peut imaginer, ou exprimer
après celle de Dieu : « Hoc solum de sancta Virgine praedicari,
quod Dei mater » sit, excedit omnem alliludinem, quae post Deum dici
» vel praedicari potest. » (de excel. Virg. e. 4.) El Pierre
de Celles ajoute à ce sujei : Quelque nom que vous lui donniez,
soit· que vous l'appelliez reine du ciel, ou reine des anges, soit
que vous lui donniez quelque titre que ce puisse être, il ne l'honorera
jamais autant que le seul titre de mère de Dieu : « Si cœli
reginam, si angelorum » dominam, vel quodlibet aliud proluleris,
non assurges » ad honorem , quo praedicatur Dei genitrix. »
(Lib. de Pan. c. 31.)
76
LES GLOIRES
La raison en est évidente, parce que, comme l'enseigne le docteur
angélique, plus une chose approche de son principe, et plus elle
en reçoit de perfection; et comme Marie est la créature qui
a le plus approché de Dieu, elle est aussi celle qui a le plus participé
à ses grâces, à ses perfections et à sa grandeur
: « Quanto aliquid magis » participat illius effectum, etc.,
Beata autem virgo Maria » propinquissi ma Christo fuit, quia ex ea
accepit humanam » naturam ; ei ideo prae cseteris majorem debuit
a Christo » gratiae plenitudinem obtinere. » (HI. p. q. 27.
a. 5.)Le P. Suarez déduit de ce principe la raison pour laquelle
la dignité de mère de Dieu est d'un ordre supérieur
à toute autre dignité créée ; car cette dignité
appartient d'une cerlaine manare à l'ordre d'union avec une personne
divine, ordre auquel elle se trouve nécessairement liée:
« Dignitas matris est altioris ordinis, pertinet enim quo-«
-dam modo ad ordinem hypostatice· unionis ; illum enim » intrinsece
respicit, et cum illa necessariam conjunc-» tionem habet. »
(To. 2. in 3. p. D. 2. S. 2.) C'est ce qui fait dire à S. Dénis
le Chartreux, qu'après l'union hy-postatique, nulle autre n'est
aussi étroite que l'union de cette mère de Dieu avec son
fils : « Post hypostaticam » conjunctionem, non est alia ium
vicina, ut unio ma-» tris cum filio suo. » (L.S.delaud. Virg.)
Telle est, dit S. Thomas, l'union la plus parfaite qu'une créature
puisse former avec son Dieu : « Est suprema quaedam conjunclio »
cum persona infinita. »(I. p. q. 25. a. 6.) Et le bienheu-reux Albert-le-Grand
assure qu'être mère deDieu c'esl^ossé-der unedigniié
immédialemenl inférieure à celle de Dieu : «
Immediate post esse Deum , est esse matrem Dei. » (Super, miss. cap.
180.) D'où il conclut qu'à moins de de-venir Dieu, Marie
ne pouvait être plus unie à Dieu qu'elle
DE MARIE.
11
ne le fui : « Magis Deo conjungi, nisi fieret Deus, non »
potuit. »
S. Bernardin assure que, pour êlre mère de Dieu, la sainte
Vierge eut besoin d'être élevée à un certain
état d'égalité avec les personnes divines, par une
infusion presque infinie de grâces : « Quod foemina conciperet
et » pareret Deum, oporluit eam elevari ad quamdam sequa-»
lilalem divinam per quamdaminfinilalemgratiarum.» (Tom. 1. Ser. 61.
e. 16.) Et comme, moralement par-lant, les enfans sont réputés
une même chose avec leurs pères, de sorte que les biens el
les honneurs sont com-muns entr'eux ; de là, dit S. Pierre Damien,
il suit que si Dieu habite en diverses manières dans ses créatures,
il habita en Marie d'une manière plus spéciale, en deve-nant
une même chose avec Marie : « Quarto modo inest » Deus
creaturae, scilicet virgini Mariae, per identitatem, » quia idetn
est quam illa. » (Serm. 1. de Nat. Virg.) Enfin il s'écrie,
en proférant ces paroles célèbres : « Hic »
taceat et conlremiscat omnis creatura, el vix audeat, as-» picere
tantae dignitatis immensiialem. Habitat Deus in » Virgine, cum qua
unius naturae habet identitatem. » ( Loc. cit.)
C'est pourquoi S. Thomas assure que Marie étant de-venue mère
de Dieu,reçut, à cause d'une union si étroite avec
un bien infini, une certaine dignité infinie, que le P. Suarez appelle
infinie en son genre : « Dignitas ma-» tris Dei, suo genere
est infinita. » (Tom. 5. in 5. p. D. 18. S. 4.) Parce que la dignité
de mère de Dieu est la plus grande qui puisse êlre conférée
à une simple créa-ture. Selon l'enseignement du docteur angélique,
l'hu-manité de Jésus-Chrisl, bien qu'elle eût pu recevoir
de Dieu une plus grande abondance de grâce habituelle : « Cum
78
LES GLOIRES
» enim gratia habitualis sit donum creatum, confiteri »
oportet quod habeat essentiam finitam. Est cujuslibet » creaturae
determinatae capacitatis mensura, quas tamen » divinae potestati
non praejudicat, quin possit aliam crea-» turam majoris capacilatis
facere.» (Opusc. 2. comp. Th. e. 213.) Néanmoins, quant à
l'union avfic une per-sonne divine, elle ne peut recevoir une plus grande
per-fection : « Virtus divina, licet possit facere aliquid majus
» et melius quam sit habitualis gratia Christi, non tamen »
posset facere quod ordinarelur ad aliquid majus, quam ?» sit unio
personalis ad filium unigenitum a patre. » (III. p. q. 7. a. 12.
ad.2.) De même, selon le saint doc-teur , la bienheureuse Vierge
ne peut être élevée de son côlé à
une plus hauie dignité que celle de mère de Dieu: «
Beata Virgo ex hoc quod est maler Dei, habet quam-» dam dignitatem
infinitam, ex bono infinilo, quod est » Deus; ei hac parle non potest
fieri melius. » (I. p. q. 25. a. 6. ad. 4 ) S. Thomas de Villeneuve
dit la même chose : « Clique habet quamdam infinilatem esse
matrem » Infiniti. » (Conc. 3. deNat. Mar.) S. Bernardin assure
que l'état auquel Dieu éleva Marie, sa mère, fui si
parfait, qu'il ne put l'élever davantage: « Status maternitatis
Dei » erat summus status, qui purse creaturae dari posset. »
(Tom. 5. Serm. C. a. 3. e. 4.) Et le bienheureux Albert vienl à
l'appui en disant : « Dominus beatae Virgini sum-» mum donavit,
cujus capax fuit pura creatura, scilicet » Dei maternitatem. »
(Lib.l. deLuud. Virg. e. 478.)
De là celte célèbre maxime proférée
par S. Bonaven-lure, que Dieu peut faire un monde plus grand, un ciel plus
spacieux, mais qu'il ne peut faire une créature plus élevée,
qu'en la rendant sa mère: « Esse mater Dei, » est gratia
maxima purae creaturae conferibilis. Ipsa est
DE MARIE.
79
» qua majorem facere non potest Deus. Majorem mun-» dum
facere potest Deus, majuscœlum; majorem quam » matrem Dei facere
non polest. » (Spec. B. V. lect. ?0.) Mais bien mieux que les docteurs,
Marie explique elle-même la grandeur à laquelle Dieu l'avait
élevée, lors-qu'elle dit: « Fecit mihi magna qui potens
est. » (Luc.i.) El pourquoi la sainte Vierge ne délailla-t-elle
point ces grandes choses que Dieu lui avait accordées? S. Thomas
deVilleneuve répond qu'elle ne le fit point, parce qu'elles étaient
trop grandes pour pouvoir être exprimées : « Non »
explicat quaenam haec magna fuerint, quia inexplica-» bilia. »
(Conc. 5. de Nal. V.)
C'est donc avec raison que S. Bernard disait que Dieu a créé
tout le monde pour celle Vierge qui devait êlre sa mère :
« Propter hanc, totus mundus factus est. » (Serm. 7. in Salv.
Reg.) Et S. Bonavenlure n'avait point tort de dire que le monde se maintient
par la disposition de Marie : « Dispositione tua, Virgo sanctissima,
perseverat » mundus, quem, et tu cum Deo ab initio fundasti. »
( ??. ?. Pepe, lec. 371.) Le.saint s'appuyait en cet endroit sur les paroles
des Proverbes que l'Eglise applique à Marie: « Cum eo eramcuncta
componens. » (Prov. vin.) S. Ber-nardin ajoute que Dieu pour l'amour
de Marie ne détruisit point l'homme après le péché
d'Adam : « Propter singu-» larissimam dilectionem ad hanc Virginem
praeservavil.» (Tom. 1. Serm. 61, c. 8.) C'est pourquoi l'Eglise
chante avec raison au sujet de Marie : « Optimam partem elegit »
sibi. » (In officio Ass. ?. M.) Puisque celte mère vierge
ne chojsil pas seulement les meilleures choses, mais que parmi les meilleures,
elle choisit la meilleure pnrt, le Seigneur l'ayant douée au suprême
degré, comme l'as-sure le bienheureux Albert-le-Grand, de tous les
dons gé-
80
LES GLOIRES
néraux et particuliers, conférés à toutes
les autres créa-tures; tout cela, en conséquence de la dignité
de mère di-vine qu'il lui avait conférée : «
Beatissima Virgo gratia » fuit plena, quia omnes gratias generales
et speciales » omnium creaturarum in summo habuit. » (Bibl.
ma. in Luc. 43. ) Ainsi Marie fut enfant, mais elle n'eut de cet âge
que l'innocence, et non le défaut de capacité, puisqu'elle
jouit dès sa conceplion du parfait usage de la raison. Elle fut
vierge, mais sans éprouver l'ignominie de la stérilité.
Elle fut mère, mais seulement avec le trésor de la virginité.
Elle fut belle, et même très-belle, comme dit Richard de S.
Viclor , d'après S. Grégoire de Nicomédie, et S. Denisl'Aréopagite,
qui eut le bon-heur, comme plusieurs le prétendent, de voir une
seule fois en sa vie sa beauté, et qui dit que si la foi ne lui
eût appris que Marie était une créature, il l'aurait
adorée comme une divinité. Le Seigneur révéla
aussi à sainte Bri-gitte que la beauté de sa mère
surpassa la beauté de tous les anges, lorsqu'il lui fit entendre
ces paroles qu'il adressait à Marie: « Omnes angelos, et omnia
quae creata sunt « excessu pulchritudo tua. » (Lib. 1. rev.
e. 45.) EUe fut très-belle, dis-je, sans exposer à aucun
péril quiconque la regardait, parce que sa beauté éloignait
les mouvemens impurs, et inspirait même des pensées modestes,
comme l'assure S. Anibroise : « Tanta erat ejus gratia, utnonso-»
Ium in se virginitatem servaret, sed etiam si quos in-» viseret,
integritatis donum insigne conferret. » (delnslit. Virg. e. 7.) S.
Thomas dit la même chose : « Gratia » sanctificationis
non solum répressif in-Virgine motus » illicilos, sed etiam
in aliis efficaciam habuit; ita ut » quamvis esset pulchra in corpore,
a nullo concupisco-x relur. » (In 3. dist. disp. 2.qu. 2. a. 2.)
C'est pour
DE MARIE.
81
cela qu'elle fut appelée myrrhe, comme préservant de
la corruption : « Quasi myrrha electa dedit mihi suavi-» talem
odoris. » Paroles que l'Église lui applique. Elle se livrait
aux exercices de la vie active, mais sans que ses actions la détournassent
de l'union avec Dieu. Dans la vie contemplative elle était recueillie
en Dieu, mais sans négliger les choses temporelles, et les devoirs
de la chanté envers le prochain. La mort la frappa, mais ce fut
sans angoisses, et sans que la corruption s'emparât de son corps.
v
Concluons donc. Cette divine mère est infiniment infé-rieure
à Dieu, mais elle est immensément supérieure à
toutes les créatures. Et, s'il est impossible de trouver un fils
plus noble que Jésusx, il est impossible aussi de trouver une mère
plus noble que Marie. Ceci doit être pour les serviteurs dévols
de celle reine, non-seulement un motif de joie à la vue de ses grandeurs,
mais encore un motif de confiance en sa puissante protection ; puis-qu'étanl
mère de Dieu, dit le P. Suarez,elle a un certain droit sur ses dons,
pour les obtenir à ceux pour qui elle prie : « Unde fif, ul
singulare jus habeat ad dona » filii sui. » (??. 2, in ?. p.
D. i. 5. 2.) D'un autre côté, S. -Germain dit que Dieu ne
peut pas ne point exaucer les prières de celle mère, parce
qu'il ne peut pas ne pas la reconnaître pour sa véritable
et immaculée mère. Le saint s'exprime ainsi en parlant à
la mère divine : « Tu » autem, quae materna in Deum
auloritale polies, etiam » iis, qui enormiler peccant, eximiam reconciliationis
» gratiam concilias; non enim potes non exaudiri, cum » Deus
libi et vera? et intemeratae malri suae in omnibus » morem gerat.
» (De Zona Virg.) Ainsi, ô mère de Dieu , et notre mère,
vous ne manquez point de puissance vu.
6
82
LES GLOIRES
pour nous secourir. La volonté ne vous manque pas non plus:
« Nec facultas, nec voluntas illi deesse potest. » ( S. Bern.
serai, de Ass.) Vous savez, vous dirai-je avec votre serviteur l'abbé
de Celles,, que Dieu ne vous a point créée seulement pour
lui, mais qu'il vous a donnée aux anges pour les relever, aux hommes
pour les déli-vrer, el aux démons pour les abattre car, par
vous, nous recouvrons la grâce divine, el par vous l'ennemi est vaincu
el terrassé : « Non tantum sibi te fecit, sed le » angelis
dedit in instaurationem, hominibus in repara-» tionem, daemonibus
in hostem ; nam per le Deushomini » pacificaiur, diabolus vincitur
el conteritur. » (Y. in proI.Cont. Virg.)
Si nous désirons plaire à la divine mère, saluons-la
souvent par l'Ave Mark. Un jour Marie apparut à sainte Mathilde,
et lui dit, qu'on ne pouvait mieux l'honorer qu'en lui adressant celle
salutalion. Nous obtiendrons par celle prière des grâces spéciales
de celte mère de misé-ricorde, comme on le verra par l'exemple
suivant.
exemple.
L'événement que rapporte le P. Paul Ségneri, dans
son Chrétien Instruit, (P. 3. Rec. 34.) est forl célèbre.
Un jeune homme chargé de péchés déshonnêles
et de mauvai-ses habitudes, alla se confesser à Rome au P. Nicolas
Zucchi; le confesseur l'accueilit aveccharilé, et compatissant à
sa misère, il lui dit que la dévolion à Notre-Dame
pouvait le délivrer d© ce maudit vice. Il lui imposa donc,
pour péni-tence, de réciter, chaque jour jusqu'à sa
prochaine confes-sion , un 4 ue Maria en l'honneur de la Vierge en se couchant
et en se levant, de lui offrir ses yeux, ses mains et tout son
DE MARIE.
35
corps, en la priant de le garder comme sa propriété,
et en baisant trois fois la terre. Le jeune homme pratiqua cette pénitence,
et dans le commencement, avec très-peu de suc-cès, pour son
amendement. Mais le père continua à lui suggérer de
ne jamais l'abandonner, l'encourageant à se confier en la protection
de Marie. A cette époque le péni-tent partit avec d'autres
compagnons, et il courut le monde pendant plusieurs années. De retour
à Rome, il se présenta de nouveau à son confesseur,
qui fut ravi de joie et d'admiration en le trouvant tout changé,
et déli-vré de ses anciennes souillures. Mon enfant, lui
dit-il, comment avez-vous obtenu de Dieu un si beau change-ment? Le jeune
homme répondit : Mon père, Noire-Dame m'a obtenu cette grâce,
pour celle petite dévotion que vous m'aviez enseignée. Mais
ce n'est pas tout encore. Le confesseur ayant raconté ce lait en
chaire, fut entendu par un capitaine qui avait contracté une mauvaise
liaison avec une femme : il résolut donc, lui aussi, de prati-quer
la même dévotion pour briser cette horrible chaîne,
qui le retenait dans l'esclavage du démon; c'est ce que doivent
avoir en vue les pécheurs, s'ils veulent que la Vierge les secoure.
Le capitaine parvint ainsi à quitter sa mauvaise habitude el à
changer de vie.
Mais quoi ! au bout de six mois, se fiant trop en ses pro-pres forces,
il veut un jour se rendre imprudemment chez cetie femme, pour voir si elle
a aussi changé de vie. Comme il approchait de la porte de la maison,
où il allait courir manifestement le risque de retomber, il sentit
une force invisible qui le repoussait en arrière, et il se trouva
distant de cette maison de toute la longueur de la rue, et placé
devant sa porte : il vit alors, comme par un trait de lumière, que
Marie le délivrait ainsi de sa perdition. On
84
LES GtOIRES
peut comprendre par fà combien noire bonne mère a soin,
non-seulement de nous retirer du péché, lorsque nous nous
recommandons à elle dans ce dessein, mais encore de nous préserver
du danger d'y retomber.
PRIÈRE.
? Vierge sainte et immaculée ! ô créature la plus
hum-ble et la plus grande devant Dieu ! vous avez été bien
petite à vos propres yeux, mais vous avez élé si grande
aux yeux de votre Seigneur, qu'il vous éleva jusqu'à vous
choisir pour sa mère, et jusqu'à vous établir la reine
du ciel et de la terre. Je remercie donc ce Dieu qui vous a tant élevée,
et je me réjouis avec vous de vous voir si unie à Dieu, qu'il
ri'est pas possible à une simple créature de s'y unir davantage,
Je rougis, pécheur misérable et su-perbe , de paraître
devant vous, qui êles si humble avec tant de perfections. Mais, tout
misérable que je suis, je veux encore vous saluer : Ave, Maria,
gratia plena. Vous Êles pleine de grâce, obtenez-m'en une partie.
Dominus teeum. Le Seigneur qui a élé avec vous dès
le premier instant de votre création, s'est uni maintenant plus
étroi-tement à vous en devenant votre fils. Benedicta tu
inter mu· 'titres. ? femme bénie entre toutes les femmes,
oblenez-nous aussi les divines bénédictions. Et benedictus
fructus ventris tui. Plante bienheureuse, qui avez donné au inonde
un fruit si noble et si saint. Sancta Maria mater Dei. ? Marie, je confesse
que vous êles la vraie mère de Dieu, et je suis disposé
à donner mille fois ma vie pour soutenir' celle vérité.
Ora pro nobis peccatoribus. Mais si vous êtes la mère de Dieu,
vous êles encore la mère de notre salut et de nous tous, pauvres
pécheurs, puisque
DE MARIE.
85
Dieu s'est fait homme pour sauver les pécheurs, et puis-qu'il
vous a rendue sa mère afin que vos prières eussent la vertu
de les sauver lous. Donc, Marie, priez pour nous ; nunc et in hora mortis
nostrœ. Priez toujours ; priez maintenant, pendant que nous vivons au milieu
de tant de tenlations et exposés au danger de perdre Dieu; mais
priez encore à l'heure de noire mort, quand nous serons sur le point
de quiller ce monde el de comparaître de-vant le tribunal de Dieu;
afin que nous sauvant -par les mérites de J.-C, et par voire intercession,
noirs puissions' un jour, sans craindre de nous perdre, aller vous saluer
el vous louer avec voire fils dans le ciel pendant loule l'éter-nité.
Amen,
LES GLOIRES
Ve DISCOURS.
SUR LA VISITATION DE MARIE.
Marie est la trésorière de toutes les. grâces divines.
C'est pour-quoi , celui qui désire les grâces, doit recourir
à Marie ; et celui qui recourt à Marie, doit être certain
d'obteuir les grâces qu'il désire.
La maison qui est visitée par quelque personnage royal s'estime
heureuse, à cause de l'honneur qu'elle en reçoit et des avantages
qu'elle en espère. Mais on doit estimer bien plus heureuse l'ame
visitée par la Irès-sainle Marie, reine du monde, qui remplit
de biens et de grâces les âmes fortunées qu'elle daigne
visiter par ses faveurs. La maison d'Obédédom fut bénie
lorsqu'elle fut visitée par l'arche du Seigneur ; « Benedixit
Dominus domui ejus, » (1. Parai, xiii. ) Mais combien n'est-elle
pas plus grande la bénédic-tion que reçoivent les
personnes auxquelles l'arche vi-vante.de Dieu, c'est-à-dire, sa
divine mère, daigne faire une visite amoureuse! « Félix
illa domus, quam mater Dei visitat, » dit Engelgrave. La maison de
Jean-Baptiste en fil l'heureuse expérience ; car à peine
Marie y fut elle entrée, qu'elle combla toute cette famille de grâces
et de bénédictions célestes. C'est même pour
celle raison qu'on appelle communément la fête de la Visitation,
fêle de Nolre-Dame-des-Grâces. Nous verrons donc aujourd'hui
dans ce discours comment la mère divine est la trésorière
de toutes les grâces, et nous diviserons le sujet en deux
DE MARIE.
87
points. Nous verrons dans le premier que celui qui désire les
grâces doit recourir à Marie ; et dans le deuxième,
que celui qui recourt à Marie doit êlre assuré d'obtenir
les grâces qu'il désire.
Premier point. — Après que la sainte Vierge eut appris de l'ange
S. Gabriel, que sa cousine sainte Elisabeth était enceinte de six
mois, elle fut éclairée intérieurement par le St.-Esprit,
de manière à connaître que le Verbe fait chair, et
déjà devenu son fils, voulait commencer à manifester
au monde les richesses de sa miséricorde, pav les premières
grâces qu'il voulait répandre sur toute celle famille. C'est
pourquoi elle partit sans délai, comme ra-conte S. Luc, (i. 35.
) « Exurgens Maria abiit in montana » cum festinatione. »
Sortant alors du repos de la con-templation auquel elle s'élait
toujours appliquée, et quit-tant sa chère solitude, elle
partit subitement pour se ren-dre à la maison d'Elisabeth. Comme
la sainle charité supporte tout, « Charitas omnia suffert
» ; et qu'elle ne souf-fre point de retard, comme dit S. Ambroise,
à l'occasion de ce passage de l'Évangile ; « Nescit
tarda molimina » Spiritus' sancti gralia » ; c'est pourquoi,
sans s'inquiéter des fatigues du voyage, la tendre et délicate
Vierge se mit de suite en chemin. Arrivée chez sa cousine, elle
la salua, « Et inlravit in domum Zachariae, et salutavit »
Elisabeth. » Marie, remarque S. Ambroise, fut la pre-mière
à saluer Elisabeth, « Prior sa lu la vil. » Mais la
visile de la sainte Yierge ne fut point comme les visites des mondains,
qui se réduisent le plus souvent à des cérémonies
et à de fausses démonstrations. La visite de Marie apporta
dans celte maison l'abondance des grâces; car, dès qu'elle
fut entrée , et qu'elle eut fait le premier salut, Elisabeth fut
remplie du Si.-Esprit, et Jean fut
88
LES GLOIRES
délivré du péché et sanctifié; c'est
pourquoi il fil paraître sa joie en tressaillant dans le sein de
sa mère. Il voulait ainsi manifester la grâce qu'il avait
reçue parla visite de la sainle Vierge, comme le déclare
Elisabeth elle-même : « Ut facta est vox salutationis lusein
auribus meis, exullavit » in gaudio infans in utero meo. »
Ainsi, comme le re-marque Bernardin de Busio, ce fut en vertu du salut
de Marie que Jean reçut la grâce de l'Esprit divin, qui le
sanctifia : « Cum beata Virgo salutavit Elisabeth, vox salu-»
Ultionis per aures ejus ingrediens, ad puerum descen-» dit, virtute
cujus salutationis puer Spiritum sanctum » accepit. » (Part.
7. Serm. iv.)
Or, si ces premiers fruits de la rédemption passèrent
tous par Marie, et si Marie fut le canal par lequel la grâce fut
communiquée à Jean-Bnpiiste, l'Esprit saint à Elisa-beth
, le don de prophétie à Zacharie, et tant d'autres bénédictions
à .toute cette famille, lesquelles furent les premières grâces
que nous sachions avoir élé accordées sur la terre
par le Verbe, depuis son incarnation ; il est juste de croire que Dieu
avait dès-lors établi Marie comme l'aqueduc universel, selon
l'expression de S. Bernard, par lequel dorénavant devaient nous
arriver toutes les autres grâces que le Seigneur voulait nous dispenser,
selon ce qui est dit daus la première partie, au C. V.
C'est donc avec raison que «elle divine mère-est appelée
le trésor, la trésorière ei la dispensatrice des grâces
du ciel. C'est ainsi que la nomme le vénérable abbé
de Cel-les : « Thesaurus Domini, et thesauraria gratiarum. »
(Prol. con. Virg. c. 4.) Ainsi l'appelle S. Pierre Damien : « Thesaurus
divinarum gratiarum. » Ainsi le bienheureux Albert-Ie-Grand : «
Thesauraria Jesu Christi. » S. Bernar-din : « Dispensatrix
gratiarum. » Un docteur grec, cilépar
DE MARIE.
89
Teleau (deTrin.) : « Proinpluarium omnium bonorum. » Dispensatrice
de tous les biens. Ainsi l'appelle encore S. Grégoire Thaumaturge
qui dit : « Maria sic gratia plena » dicitur, quod in illa
gratiae thesaurus recondimr. » Richard de S. Laurent ajoute que Dieu
a placé en Marie, comme dans un trésor de miséricordes,
tous les dons de la grâce, el que, de là , il lire de quoi
enrichir ses ser-vileurs : « Maria esl thesaurus, quia in ea, ut
in gazo-» phylacio, reposuit Dominus omnia dona gratiarum; »
et (Je hoc thesauro largitur ipse larga stipendia suis » militibus,
et operariis. » (De laud. Virg. 1. 4.).
En parlant du champ de l'Evangile, où est caché le tré-sor,
et qui doit être acheté à tout prix, selon le témoi-gnage
de Jésus-Christ : «Simile esl enim regnum coelorum »
thesauro abscondito in agro, quem, qui invenit homo, » vadit, et
vendit universa quae habet, ei emit agrum » illum. » (Matlh.
xm. 44.) S. Bonaventure dit que ce champ est notre reine Marie, où
esl caché le trésor de Dieu, qui est Jésus-Christ,
el avec Jésus-Christ la source et la fontaine de toutes les grâces
: « Ager iste esl Maria, in qua » thesaurus Dei patris absconditus
est. » (Spec. e. vu. ) S. Bernard avait déjà dit que
le Seigneur a mis entre les mains de Marie toutes les grâces qu'il
voulait nous dis-penser, afin de nous faire savoir que tout ce que nous
recevons de biens, nous le recevons par ses mains. « To-» lius
boni plenitudinem posuit in Maria, ut proinde si » quid spei in nobis
est, si quid gratiae, si quid salutis. » ab ea noverimus redundare.
» (Serm. de aqused.) Et Marie elle-même nous en assure, en
disant : « In me gra-» lia omnis viœ et veritatis. »
(Eccli. ????.) ? hommes, en moi sont lous les vrais biens que vous pouvez
désirer en voire vie, Oui, noire mère el notre espérance,
disait
90
LES GLOIRES
S. Pierre Damien, nous savons que tous les trésors des miséricordes
divines sont entre vos mains: « In manibus » tuis omnes thesauri
miserationum Dei. » EIS. Ildefonse l'avait assuré avant lui,
d'une manière plus expresse, lors-que s'adressant à la Vierge,
il lui disait : Marie, toutes ks grâces que le Seigneur a résolu
de faire aux hommes, il a résolu de les faire passer par vos mains
; et c'est pour cela qu'il vous a confié tous les (résors
de la grâce : « Omnia » bona, quae illis summa majeslas
decrevit facere, tuis » manibus decrevit commendare; commissi quippe
(ibi » sunt thesauri et ornamenta gratiarum. » (In cor. Virg.
cap. xv ) Ainsi donc, ôMarie ! concluait S. Germain, nulle grâce
n'est accordée à un mortel, sans qu'elle ne passe par vos
mains : « Nemo qui salvus fiet, nisi per te ; nemo » donum
Dei suscipit, nisi per le. » (Serm. de zona Virg.) Le bienheureux
Albert-le-Grand, parlant sur les paroles que l'ange adressa à la
très-sainte Vierge : « Ne timeas, » Maria, invenisti
enim gratiam apud Deum, » (Luc. ?.) y joint celle belle réflexion
: « Ne timeas, quia invenisti. » Non rapuisti, ut primus angelus
: non perdidisti, ut » primus parens; non emisli, ut Simon magus
; sed inve-» nisli, quia quaesivisti- Invenisti gratiam increatam,
ei in » illa omnem creaturam. » (In Mariai, cap. ccxxxvn.)
0 Marie! vous n'avez point usurpé la grâce, comme voulait
l'usurper Lucifer; vous ne l'avez point perdue, comme Adam; vous n'avez
point voulu l'acheter, comme Simon le magicien; mais vous l'avez trouvée,
parce que vous l'a-vez désirée, el parce que vous l'avez
demandée; vous avez trouvé la grâce incréée
qui est Dieu même, devenu votre fils, et avec elle, vous avez trouvé
lous les biens créés. S.-Pierre Chrysologue appuie ce senliment
lorsqu'il dit que l'auguste Marie trouva celle grâce pour rendre
le salut à
DE MARIE.
91
tous les hommes : « Hanc gratiam accepit Virgo, salutem »
saeculis redditum. » (Serm. ni, de Ann.) Et ailleurs il ajoute que
Marie trouva une grâce si abondante, qu'elle suffisait pour sauver
tous les hommes : « Invenisti gratiam » quantam? quantam superius
dixerat, plenam ei vere » plenam, quae largo imbre totam infunderei
creaturam. » (Serm. gxlii.) En sorte, dit Richard de S. Victor, que
comme Dieu a créé le soleil pour éclairer la terre,
ainsi il a fait Marie pour dispenser par elle toutes ses miséricor-des
au monde : « Sicut sol factus est, ut illuminet totum » mundum,
sic Maria facta est, ut misericordiam impetret » toti mundo.»
(De laud. Virg. lib. vu.) S. Bernardin ajoute que la Vierge, dès
qu'elle fut faite mère du Rédemp-teur, acquit une espèce
de JHïidiction sur toutes les grâces : « A tempore quo
Virgo mater concepit in utero Verbum y> Dei, quamdam, ut sic dicam, jurisdiclionem
obtinuit » in omni Spiritus sancti processione temporali ; iia ul
» nulla creatura aliquam a Deo obtinuerit gratiam, nisi » secundum
ipsius pise matris dispensationem. » (Serm. lxi. tract, ?. art. 8.)
Concluons donc ce point avec Richard de S. Laurent, qui dit que si
nous voulons obtenir quelque grâce, nous devons recourir à
Marie, parce qu'elle ne peut pas ne point obtenir à ses serviteurs
tout ce qu'elle demande, ayant trouvé et trouvant sans cesse la
grâce divine. « Cupientes » invenire gratiam, quaeramus
inventricem gratiae, quae, » quia semper invenit, frusliari non potest.
» (De laud. Virg. lib. ii. p. 5.) Il avait emprunté celte
pensée à S. Bernafd, qui dit: «Quaeramus gratiam, et
per Mariam » quaeram^; quia quod quaerit invenit, et frustrari non
» potest. »(Serm. deAquaed.) Si donc nous désirons les
grâces, iT faut que nous allions à cette irésorière,
et à cette
92
LES GLOIRES
dispensatrice des grâces, parce que c'est la volonté su-prême
du souverain donateur de toul bien, comme nous l'assure le même S.
Bernard, en disant que toutes les grâ-ces se dislribuent par les
mains de Marie : « Quia sic est » volunlasejus, qui totum nos
habere voluit per Mariam. » (Loc. cit.) «Totum, totum, »
qui dit tout n'exclut rien. Mais parce que la confiance est nécessaire
pour obtenir la grâce, voyons maintenant combien nous devons être
cer-tains de l'obtenir, en recourant à Marie.
Second point.—Pourquoi Jésus-Christ a-l-il placé entre
les mains de sa mère loules les richesses des miséricordes
dont il veut user à noire égard, sinon pour qu'elle enrichisse
tous ses pieux serviteurs, qui l'aiment, qui l'honorent, et recourent à
elle avec confiance ? « Mecum sunt divitiae.. » ut ditem diligentes
me. » (Prov. vin.) Ainsi la Vierge elle-même nous l'assure
par ce passage que l'Eglise lui applique dans'plusieurs de ses fêtes.
En sorte que selon l'abbé Adam, ces richesses de la vie éternelle
sont déposées entre les mainsde Marie, uniquement pour nous
servir. Le Sauveur a placé dans son sein le trésor des malheu-reux,
afin que les pauvres pussent s'enrichir en y venant puiser : « Divitiae
salutis penes Virginem nostris usibus » reservantur. Christus in
Virginis utero pauperum gazo-» pbylacium collocavit; inde pauperes
locupletati sunt. » (In alleg. utr. Test. cap. xxiv. Eccl.) S. Bernard
ajoute, comme je l'ai lu dans un auteur, que Marie a été
don-née au monde comme un canal de miséricorde, afin que
par son moyen les grâces descendissent continuelle-ment du ciel sur
les hommes ; voici ses paroles mémora-bles : « Ad hoc enim
data est ipsa mundo quasi aquseduc-» tus, ut per ipsam a Deo ad homines
dona coelestia jugi-» ter descenderent. » Le même père
se demande ensuite
DE MARIE.
95
pourquoi S. Gabriel, ayant trouvé Marie déjà pleine
de grâces, comme il le dit en la saluant : « Ave gratia plena,
» l'assure ensuite que le Saint-Esprit devait survenir en elle pour
la remplir de nouvelles grâces ? si elle était déjà
pleine de giâce, que pouvait opérer de plus la venue de l'Esprit
divin? S. Bernard répond: « Ad quid? nisi, ut adve-»
niente jam Spiritu plena sibi, eodem superveniente, nobis » super
plena et superfluens fiat? » (Serm. ii. de Ass.) Marie était
déjà pleine de grâces, dit le saint, mais le Saint-Esprit
lui en donna une surabondance pour notre bien ; afin que de sa surabondance,
nous, misérables, nous fus-sions tous pourvus. C'est pour cela que
Marie a été compa-rée à la Lune, dont il est
dit : « Luna plena sibi et aliis. » « Qui me invenerit
inveniet vitam, et hauriet salutem » a Domino.» (Prov. tui.'"55.)
Heureux celui qui me trouve en,recourant à moi, dit notre mère
; il trouvera la vie, et il la trouvera facilement; car, comme il est facile
de trouver et de puiser de Veau d'une fon-taine, autant qu'on le désire;
ainsi il est facile de trouver les grâces et le salut éternel,
en recourant à Marie. Une ame sainte disait : il suffit de demander
des grâces à Notre-Dame pour les obtenir. Et S. Bernard assurait
qu'avant la naissance de Marie le monde ne man-quait de Iant degrâces
que nous voyons aujourd'hui répan* dues sur la terre, que parce
que le canal désirable, qui est Marie, manquait aussi : «
Ideo (anto tempore defue-» runt omnibus fluenta gratiarum , quia
nondum inler-» cesserai hic aquaeductus. » (Serm. de Àq.)
Mais main-tenant que nous avons cette mère de miséricorde,
quelles grâces pouvons-nous craindre de ne point obtenir en nous
réfugiant à ses pieds? Je suis la ville de refuge, lui fait
dire S. Jean Damascène, pour tous ceux qui recourent
W
LES CLOIRES
à moi. Venez donc, mes enfans, et vous obtiendrez de moi des
grâces plus abondantes que vous ne sauriez l'ima-giner : «
Ego civitas refugii iis, qui ad me confugiunt; » accedite et gratiarum
dona affluenlissime haurite. » (Serm. ?. de dorm. ?. V.)
Il est vrai qu'il arrive à plusieurs ce que la Vén. gœurMarie
Villani aperçut dans une vision céleste: Celte servante de
Dieu vil un jour la mère de Dieu sous la forme d'une grande fontaine,
à laquelle plusieurs allaient puiser, et dont ils rapportaient les
eaux de la grâce en abondance; mais qu'arriva-l-il ensuite? ceux
qui portaient des vases neufs et entiers, conservaient les grâces
qu'ilsavaient reçues; mais ceux qui portaient des vases vieux ou
brisés, c'est-à-dire, ceux dont l'ame élait chargée
dépêchés, recevant les grâces* les perdaient
ensuite. Il est du reste certain que les hommes, même les ingrats,
les pécheurs, et les plus misérables, obtiennent tous les
jours par Marie des grâces innombrables. S. Augustin diten parlant
à la Vierge: « Per te hsereditamus misericordiam miseri, ingrati
gra-» tiam , peccatores veniam, sublimia infimi, coelestia »
terreni, mortales vitam, et patriam peregrini. » (Serm, de Ass. B.
V.)
Ranimonsdonc toujours davantage notre confiance, nous tous qui sommes
les serviteurs de Marie, toutes les fois que nous recourons à elle
pour en obtenir les grâces qui nous sont nécessaires ; et
pour cela, souvenons-nous sans Cesse des deux grandes qualités que
celte bonne mère pos-sède, c'est-à-dire, du désir
quelle éprouve de nous faire du bien, et de la puissance qu'elle
a auprès de son fils pour obtenir tout ce qu'elle demande.Pour connaître
quel désir a Marie de secourir tout le monde, il suffirait de considérer
le mystère que l'Eglise célèbre en celle fêle,
c'est-à-dire,
DE MARIE.
9â
la visite que Marie fit à Elisabeth. Le voyage depuis Naza-reth,
où habitait la sainte Vierge, jusqu'à la villed'Hébron,
que S. Luc appelle Cité de Juda, où habitait Elisabeth, selon
Baroniuset d'autres auteurs, ce voyage était bien de soixante-neuf
milles environ, d'après l'auteur delà vie de Marie, frère
Joseph de Jésus et Marie, carmélite déchaussé,
(Lib. m. cap. 42.) qui s'appuie sur le témoignage de Bède
et de Brocard ; mais nonobstant celte distance, la bienheureuse Vierge,
fille tendre et délicate, comme elle l'était alors, et peu
habituée à de semblables fatigues, ne laisse point de se
mettre en chemin. El qui )a poussait à cela? elle était poussée
par cette grande charité, dont son tendre cœur fut toujours rempli,
à commencer dès-lors sa grande fonction de dispensatrice
des grâces. C'est juste-ment ce que dit S. Ambroise en parlant de
ce voyage: « Non abiit quasi incredula de oraculo, sed quasi laela
s pro voto, festina prae gaudio, religiosa pio officio. » (In cap.
?. Luc.) Marie, dit S. Ambroise, ne partit point pour ?vérifier
si ce que l'ange lui avait dit touchant la grossesse d'Elisabeth était
vrai; mais brûlant du désir d'être utile à cette
maison, et poussée par la joie qu'elle éprouvait de faire
du bien aux autres, elle se livra toute entière à cet emploi
de charité : « Exurgens abiit cum festinatione. » II
faut remarquer ici, que l'Evangéliste, en parlant du départ
de Marie pour la maison d'Elisabeth, dit qu'elle y alla avec empressement,
« Cum festinatione ; » mais en rapportant ensuite son retour,
il ne fait plus mention d'empressement, disant simplement : « Mansit
autem » Maria cum illa quasi mensibus tribus, et reversa »
est in domum suam. » (Luc. ?. 56.) Quel autre motif, dit S. Bonaventure,
forçait donc Marie à se donner tant de mouvement pour aller
visiter S. Jean-Baptiste, sinon
96
LES GLOIRES
le désir de faire du bien à celte famille? « Quid
eam ad » officium claritatis festinare cogebat, nisi charitas quse
in » corde fervebat ? » (Spec. cap. uv.)
Marie élan l montée au ciel,ne s'est pointdépouilléedecette
tendre charité à l'égard des hommes; au contraire,
elle l'exerce avec plus d'étendue, parce qu'elle connaît mieux
là nos besoins, et qu'elle compatit mieux à nos misères.
Ber-nardin de Buslo dit que Marie désire nous faire du bien plus
que nous ne désirons le recevoir : « Plus vuliilla bonum tibi
» facere, et gratiam largiri, quam tu accipere concupiscas. »
(Mar. ?. ?. serm. 5.) Cela est si vrai, dit S. Bonavenlure, qu'elle se
lient pour offensée par ceux qui ne lui deman-dent pas des grâces
: « In te, Domina, peccant non solum » qui tibi injuriam irrogant,
sed etiam qui te non rogant, » (S. Bon. inspec. Virg.JPuisquelepenchantnatureldeMarie
est d'enrichir1 tout le monde de grâces, comme elle enri-chit surabondamment
ses serviteurs, selon ce que dit Idiota : « Maria thesaurus est Domini,
et ihesauraria » gratiarum ipsius. Donis specialibus dital copiosissime
» servientes sibi. » (in prol. cont. B. V. e. 1.)
C'est pourquoi, dit le même auteur, celui qui trouve Marie, trouve
tous les biens : « Inventa Maria, invenitur » omne bonum. »
Et il ajoute que chacun peut la trouver, fût-il même le plus
grand pécheur du monde, parce qu'elle est si bonne qu'elle ne repousse
aucun de ceux qui recou-rent à elle: « Tanta est ejus benignitas,
quod nulli formi-» dandum est ad eam accedere. Tantaque misericordia,
» quod ab ea nemo repellilur. » Thomas à Kempis la fait
pailer ainsi : J'invite tous les hommes à recourir à moi,
je les attends tous, je les désire tous, eijumnis je ne mé-prise
aucun pécheur, quelque indigne qu'il puisse être, loitqu'il
vient demander mon secours : « Omnes invito,
DE MARIE.
97
» omnes expecto, omnes desidero, nullum peccatorem » despicio.
» Quiconque va demander la grâce « inveniet » semper
paratam auxiliari,» dil Richard, la trouvera toujours prêle,
toujours disposée à le secourir, et à lui obtenir
toutes les grâces nécessaires au salut éternel par
ses puissantes prières.
J'ai dit par ses puissantes prières, parce que la seconde réflexion
qui doit augmenter notre confiance, c'est que Marie obtienl de Dieu tout
ce qu'elle demande pour ses serviteurs· Observez attentivement,
dit S. Bonavenlure, dans cette visite que Marie fait à Elisabeth,
la grande venu de ses paroles, puisqu'à sa voix la grâce de
l'Esprit-Saint fui conférée à Elisabeth aussi bien
qu'à Jean, son fils, comme le remarque l'Évangélisle
: « Et factum est, ut « audivit salutationem Mariae Elisabeth,
exultavit infans » in utero ejus, et repleta est Spiritu sancio.
» (Luc. ?.) C'est pourquoi S. Bonaventura ajoute : « Vide quanta
» virtus sit verbis Dominae, quia ad eorum pronuntiatio-» nem
confertur Spiritus sanctus.» (Tract, de Vit. Christ.) Théophile
d'Alexandrie dit que Jésus se réjouit quand Marie le prie
pour nous, parce qu'alors toutes les grâces qu'il nous accorde par
les prières de Marie, il pense moins nous les accorder, à
nous, qu'à sa propre mère: « Gaudet » filius
orante Maire, quia omnia, quae nobis precibus » suae genitricis eviclus
donat, ipsi malri se donasse pu-» lal. » (Ap. Bald. Jard. de
Mar. piœf.) El remarquez ces paroles: « Precibus suae genitricis
eviclus donal. » Sans doute, parce que Jésus, comme l'allesle
S. Germain, ne peut s'empêcher d'exaucer Marie en tout ce qu'elle
lui demande, voulant, pour ainsi dire, lui obéir en cela comme à
sa véritable mère : c'est ce qui fait dire au saint que ses
prières ont une certaine autorité sur Jésus-Chrisl,
vu.
7
98
LES GLOIRES
et qu'elle obtient de lui le pardon môme aux plus grands pécheurs
qui se recommandent à elle : « Tu autem, ma-ii terna in Deum
aulorilate pollens, eliam iis, quienor-» miter peccant, eximiam remissionis
gratiam concilias. » Non enim pôles non exaudiri, cum Deus
tibi ut verse » et intemeratae matri in omnibus amorem gerat. »
(Or. de Dorm. V.) Ce qui se vérifie bien, selon la remarque de S.
Jean Chrysoslôme, par le fait des noces de Cana, où Marie
demandant à son fils le vin qui manquait : « Vinum »
non habent; » Jésus répondit : « Quid mihi et
tibi, mu-» lier? Nondum venit hora mea. » (Joan. n. 4.) Toutefois
quoique le temps destiné aux miracles ne fût point encore
arrivé, comme l'expliquent Théophilacte et S- Jean Chry-soslôme,
néanmoins, dit ce dernier père, le Sauveur, pour obéir
à sa mère, fit le miracle qu'elle demandait, et changea l'eau
en vin : « Et licet ita respondit, tamen « maternis precibus
oblemperavit. » (S. JoanGhrys. ap. Corn, à Lap. in Joan. ii.
5.)
» Adeamus ergo cum fiducia, dit l'Apôtre, ad thro-»
num gratiae, ut misericordiam consequamur, et gra-» tiam inveniamus
in auxilio opportuno.» (Hebr. iv. 16.) » Thronus gratiae est
beata Virgo, » dit le bienheureux Albert-le Grand. (Serai, de Ded.
Eccles.) Si donc nous voulons des grâces, allons à Marie,
qui est le trône de la grâce, et allons-y avec l'espérance
d'être exaucés, puisque nous avons pour nous l'intercession
de Marie, qui obtient tout ce qu'elle demande à son fils. «Quaeramus
gratiam,» dirai-jeencore avec S. Bernard, « et per Mariam quaera-»
mus; » M'appuyant sur ce que la Vierge mère dit elle-même
à sainte Mecthilde, que le Saint-Esprit, la remplis-sant de toute
sa douceur, l'avait rendue si agréable à Dieu, que tous ceux
qui demanderaient des grâces par son canal
DE MARIE.
9g
les obtiendraient certainement : « Spiritus sanctus, tota sua
» dulcedine me penetrando, tam gratiosam effecit, ut » omnis
qui per me gratiam quaerit, ipsam inveniet. » (Ap. Canis.lib. l.c.43.)
Et si nous admettons cette maxime célèbre de S. An-selme
: « Velocior est nonnunquam salus nostra, invo-» cato nomine
Mariae, quam invocato nomine Jesu, » II nous arrivera quelquefois,
comme dit ce saint, d'ob-tenir plus tôt In grâce en recourant
à Marie, qu'en recou-rant à notre propre Sauveur Jésus;
ce n'est pas, sans doute, qu'il ne soit la source et le maître de
toutes les grâces, mais c'est parce qu'en recourant à la mère,
et en obtenant qu'elle prie pour nous, ses prières auront plus de
force que les nôtres, parce que ce sont les prières d'une
mère. Ne quittons donc jamais les pieds de cette trésorière
des grâces, et disons lui sans cesse avec S. Jean Damascène
: « Misericordiae januam aperi nobis, benedicta » deipara;
tu enim es salus humani generis. » ? mère de Dieu, ouvrez-nous
la porte de votre miséricorde, en priant toujours pour vous ; parce
que vos prières sont le salut de tous lés hommes. En recourant
à Marie, le mieux sera de la prier qu'elle demande pour nous et
qu'elle nous obtienne les grâces qu'elle sait être les plus
utiles à notre salut ; c'est ce que fit justement frère Régi-nald,
dominicain, comme il est rapporté dans les chro-niques de l'ordre,
(lib. 1. p. 1. c. 5.) Ce serviteur de Ma-rie étant malade, il lui
demandait la santé corporelle : sa reine lui apparut accompagnée
dé sainte Cécile et de sainte Catherine, et lui dit avec
une extrême douceur : « Mon fils., que voulez-vous que je fasse
pour vous ?» Le religieux, à cette offre si obligeante de
Marie, resta confug, et il ne savait que répondre. Alors une des
deux saintes
7.
100
LES GLOIRES
qui accompagnaient Marie lui donna ce conseil : Réginald, sais-tu
ce que lu dois faire ? ne demande rien, mais re-mels^loi entièrement
entre ses mains, parce que Marie saura te donner une grâce bien meilleure
que celle que lu pourrais demander. Le malade suivit le conseil > et la
mère de Dieu lui obtint la grâce de sa guérison.
Mais si nous désirons aussi les visites fortunées de
cette reine du ciel, il nous sera très-utile.de la visiter dans
quelqu'une de ses images, ou dans quelque Eglise qui lui soit dédiée.
Qu'on lise l'exemple suivant, et qu'on voie par-là combien Marie
prodigue de récompenses pour les visites pieuses que lui font ses
serviteurs.
EXEMPLE.
11 est raconté dans les chroniques de l'ordre de S. Fran-çois,
que deux religieux de cet ordre étant allés visiter un sanctuaire
de la Vierge, il leur arriva d'être surpris par la nuit dans une
grande forêt. Confus et affligés , ils ne savaient que devenir;
mais en s'avançant un peu plus, du milieu de l'obscurité
où ils étaient, ils crurent voir de-vant eux une maison :
ils approchent leurs mains., et tâ-tenl les muts ; ils cherchent
la porte, ils frappent, et en-tendent quelqu'un demander: Qui est là?
Ils répondent qu'ils sont deux pauvres religieux égarés
par hasard dans le bois durant la nuit, et qui cherchent un petit refuge
pour éviter d'être mangés par les loups. Voilà
que la porte s'ouvre, et qu'ils voient deux pages richement vêtus,
qui les reçoivent avec une grande politesse. Les religieux leur
ayant demandé qui habilait ce palais ? les pages répon-dirent
que c'était une dame fort pieuse. Nous voulons la saluer, dirent
les religieux, et Ja remercier de sa charité,
DE MARIE.
101
Nous vous conduirons à l'instant devant elle, répondirent»
ils ', parce qu'elle veut vous parler. Ils montent les esca-liers , et
trouvent les appartemens tout éclairés, décorés,
et parfumés d'une odeur céleste. Ils entrent enfin dans l'appartement
de la maîtresse, et y trouvent une dame très-belle et très-majestueuse,
qui les accueille avec une extrême bonté, et qui leur demande
ensuite quel élait le but de leur voyage. Ils répondirent
qu'ils allaient vi-siter une église de la bienheureuse Vietge :
Eh bien l si cela est, répondit alors cette dame, je veux vous donner
à votre départ une lettre qui vous sera d'un grand secours.
Pendant qu'elle leur parlait, ils sentaient leurs cœurs tout enflammés
de l'amour de Dieu, et ils éprouvaient une joie intérieure
qui leur avait été inconnue jusque là. Ils allèrent
ensuite se livrer au sommeil, si toutefois il leur fut possible de dormir
en éprouvant une si grande joie. Le ma-tin ils allèrent de
nouveau prendre congé de la maîtresse, la remercier, et recevoir
la lettre, qu'elle leur donna en effet, et ils partirent. Dès qu'ils
furent un peu éloignés de la maison ils s'aperçurent
que celle lettre ne portait point d'adresse; mais ils ont beau tourner
et retourner en tous sens, ils ne trouvent plus la maison. Enfin ils ouvrent
la lettre pour voir à qui ils devaient la remettre, et ce qu'elle
contenait ; ils reconnaissent qu'elle leur étuit adres-sée
à euxrmêmes par la très-sainte Vierge, pour leur expli-quer
qu'elle était cette dame qu'ils avaient vue la nuit, et leur dire
qu'elle avait voulu, pour récompenser la dévotion qu'ils
liu portaient, leur fournir dans celle forêt l'asile et la nourriture.
Elle les engageait à continuer de l'aimer et de la servir, leur
promenant de bien récompenser les hommages qu'ils lui rendraient,
et de les secourir durant la vie et à la mort. Au bas de la lettre
était la signature
102
LES GLOIRES
suivante : Moi, Marie Vierge. Que chachun considère ici quelles
furent les actions de grâces que rendirent à la mère
divine les bons religieux, et avec quelle nouvelle ardeur ils furent embrasés
du désir de l'aimer et de la servir durant teute leur vie.
PRIÈRE.
Vierge immaculée et bénie, puisque vous êtes la
dis-pensalrice universelle de toutes les grâces divines, vous êtes
donc mon espérance et celle de tous les hommes. Je remercie sans
cesse mon Seigneur, qui m'a donné de con-naître, et qui m'a
fait comprendre le moyen que je dois prendre pour obtenir ses grâces,
et pour me sauver : ce moyen, c'est vous, auguste mère de Dieu ;
car je com-prends que je dois opérer mon salut, d'abord pour les
mé-> rites de Jésus-Christ, et ensuite, par votre puissante
inter-cession. Ah ! ma reine, vous qui vous êles donné tant
de mouvement pour aller visiter et sanctifier la maison d'E-lisabeth ,
visitez, visitez de suite la pauvre maison de mon ame. Halez-vous : mieux
que moi vous savez com-bien elle est remplie d'affections déréglées,
de méchantes habitudes et de péchés commis, qui sont
autant de mala-dies pestilentielles qui la conduisent à la mort
éternelle ? trésorière de Dieu ! vous pouvez l'enrichir,
et la guérir de toutes ses infirmités. Visitez-moi donc durant
ma vie, et visitez-moi surtout au moment de ma mort, parce qu'alors voire
assistance me sera encore plus nécessaire. Je ne prétends
pas être digne que vous me visitiez sur cette terre par votre présence
visible, comme vous l'avez fait à l'égard d'un si grand nombre
de vos serviteurs qui le méritaient, et qui n'étaient point
ingrats comme je le suis;
DE MARIE.
105
je me contente d'espérer vous voir dans voire royaume céleste,
pour vous y remercier de tous les biens que vous m'avez faits, et pour
vous y aimer davantage. Je serai assez heureux que vous me visitiez par
votre miséri-corde : il me suffit que vous priiez pour moi.
Priez donc, ô Marie! et recommandez-moi à votre fils.
Vous connaissez mieux que moi mes besoins et mes mi-sères. Que vous
dirai-je de plus? Ayez pitié de moi. Je suis si malheureux et si
ignorant, que je n.e sais pas même demander les grâces dont
j'ai le plus besoin. Ma reine, et ma très-douce mère, demandez
pour moi, et obtenez-moi de votre fils les grâces que, vous savez
être les plus utiles et les plus nécessaires à moxi
ame. Je (n'abandonne tout entre vos mains, et je prie seulement la divine
majesté que , par les mérites de mon Sauveur Jésus,
elle m'accorde les grâces que vous demandez pour moi. Demandez, demandez
donc pour moi, ô Yierge très-sainte, ce qui vous plaira davantage
j vos prières ne sont point repousées ; ce sont les prières
d'une mère adressées à un fils qui vous aime tant,
et qui se réjouit de faire tout ce que vous lui de-mandez, pour
vous honorer par-là davantage, et pour vous témoigner en
même temps le grand amour qu'il vous porte. Demeurons ainsj, ô
ma souveraine! je me confie en vous ; chargez-vous de me sauver. Amen.
104
LES GLOIRES
VIe DISCOURS.
SDR LA PURIFICATION DE MARIE.
Du grand sacrifice que Marie fit à Dieu en ce jour, en lu! offrant
la vie de son fils.
H y avail deux préceptes dans l'ancienne loi touchant les premiers-nés
qui venaient au monde. Le premier obli-geait la mère môme
à vivre retirée dans sa maison, comme impure, pendant quarante
jours. Le second obligeait les parens du premier-né à le
porter dans le temple pour l'y offrir à Dieu. La très-sainte
Vierge veut obéir en ce jour à l'un et à l'autre de
ces deux préceptes. Quoique Marie ne fût point tenue à
la loi de la purification, ayant toujous été vierge é\
toujours pure, néanmoins elle veut, par amour pour l'humilité
et pour l'obéissance aller, se purifier comme les autres mères.
Elle obéit encore au se-cond précepte, en voulant offrir
et présenter son fils au Père éternel : « El
postquam impleti sunt dies purgationis Mariae, » secundum legem Moysi,
tulerunt Jesum in Jérusalem, » ul sisterent eum Domino. »
(Luc. ii. 22.) Maisla Vierge offrit son fils d'une manière bien
différente des autres femmes. Les autres offraient leurs enfans,
mais elles sa-vaient que cette obligation était une simple cérémonie
de la loi, de sorte qu'en les rachetant elles les remettaient en leur possession,
sans crainte de les dévouer encore à la mort. Marie offrit
réellement son fils à la mort, certaine
DE MARIE.
105
que le sacrifice de la vie de Jésus, qu'elle fit alors, devait
se consommer un jour sur l'autel de la croix. Ainsi, le sacrifice que fit
Marie de la vie de son fils fut vraiment le sacrifice d'elle même,
à cause de l'amour qu'elle portait à ce divin enfant. Laissant
donc à part toutes les autres considérations que nous pourrions
faire sur les nombreux mystères de cette solennité , considérons
seulement com-bien fut grand le sacrifice que Marie fit d'elle-même
à Dieu, en lui offrant en ce jour la vie de son fils. Ce sera l'unique
sujet de ce discours.
Le Père éternel avait résolu de sauver l'homme
que le péché avait perdu, et de le délivrer delà
mort élernelle. Mais, voulant que sa justice divine ne perdît
aucun de ses droits, et qu'elle fût entièrement satisfaite,
il exigea par là même que son propre fils, dont il n'épargna
pas k vie, dès qu'il se fut fait homme pour racheter les hommes,
subît en toute rigueur la peine que ces hommes avaient mé·
» ritée: « Qui proprio filio suo non pepercit, dit l'Apôtre,
» sed pro nobis omnibus tradidit illum. » (Rom. vin, 32.) Il
l'envoie donc sur la terre pour y prendre la nature hu-maine; il lui choisit
une mère, et cette mère, il veut que ce soit la Vierge Marie.
Mais comme il ne voulut point que son Verbe devînt le fils de Marie,
avant que celle-ci n'y eût donné son consentement exprès,
ainsi il ne voulut point que Jésus sacrifiât sa vie pour le
salut des hommes avant que le consentement de Marie n'y concourût
de nouveau, afin que le cœur de la mère fût sacrifié
en même temps que la vie du fils. S. Thomas enseigne que la qualité
de mère donne un droit spécial sur les enfans : d'où
il suit que, Jésus étant en soi innocent, et ne méritant
aucun sup-plice pour ses propres fautes, il parut convenable qu'il ne fût
point destiné à mourir sur la croix comme victime
106
LES GLOIRES
des péchés du monde, sans le consentement par lequel
Marie l'offrit spontanément à la mort.
Mais quoique Marie eût consenti à la mort de son fils
dès l'instant où elle consentit à devenir sa mère,
le Sei-gneur voulut néanmoins qu'en ce jour elle fit dans le tem-ple
un sacrifice solennel d'elle-même, en lui offrant so-lennellement
son fils, et en sacrifiant sa vie précieuse à la divine justice.
C'est pour cela que S. Épiphane l'appelle prêtre : «
Virginem appello velut sacerdotem. » (Or. de Laud. Dei p.) Or, commençons
ici à considérer combien de douleurs lui coûta ce sacrifice,
et quelles vertus héroïques elle dut exercer en se voyant obligée
de souscrire elle-même la senlence qui condamnait son cher Jésus
à la mort. Voilà que Marie prend le .chemin de Jérusalem
pour offrir son fils ; elle hâle ses pas Vers le lieu du sacrifice,
et elle porte elle-même dansées bras le douloureux far-deau
de sa victime. Elle entre dans le temple, elle s'ap-proche de l'autel,
et là, toute pleine de modestie, d'hu-milité et de dévotion,
elle présente son fils au Père éter-nel. Voilà
qu'en même temps le saint vieillard Simeon, à qui Dieu avait
promis qu'il ne mourraii pas avant d'avoir vu le Messie attendu, prend
le divin enfant des bras de la sainte Vierge, et, éclairé
par le SainlrEsprit, annonce à Marie tout ce que devait lui couler
le sacrifice qu'elle faisait de son fils, avec lequel son ame bénie
devait aussi être immolée. Ici, S. Thomas de Villeneuve {Ser.
de Purifie. Virg.) contemple le saint vieillard qui, devant pro-férer
la funeste prédiction à cette pauvre mère, se trouble
d'abord, et garde le silence. Ensuite, le saint considère Marie
qui lui demande : « Unde tanta turbatio? » ? Simeon, pourquoi
vous troublez-vous ainsi au milieu de ces grandes consolations? El le vieillard
lui répond : « OVirgoregia,
DE MARIE.
107
» nollem tibi talia nuntiare, sed audi. » 0 noble et sainte
Vierge, dit-il, je ne voudrais point être le porteur d'une nouvelle
si affligeante ; mais puisque le Seigneur le veut, pour augmenter votre
mérite, écoulez ce que je vais vous dire : Cet enfant qui
vous cause maintenant une joie si légitime, ô Dieu ! il doit
un jour vous occasionner des douleurs plus déchirantes qu'aucune
créature n'en a jamais éprouvées dans le monde, et
ce sera lorsque vous le verrez persécuté par toute sorte
de personnes, el placé sur la terre comme le but des railleries
el des outrages des hommes, qui le poursuivront jusqu'à lui infliger
sous vos yeux le supplice de la mort : « Nimium nunc pio islo »
infante laelaris ; sed ecce iste positus est in signum cui » contradicetur.
» Sachez qu'après sa mort il y aura plu-sieurs martyrs qui,
pour l'amour de votre fils, seront tour-mentés et mis aussi à
mort; mais ils n'endureronl le mai> tyre que dans le corps, au lieu que
vous, ô divine Mère ! vous l'endurerez dans le cœur : «
? quot millia homi-» num pro isto puero laniabunlur, et jugulabuntur
! et » si omnes patientur in corpore, lu, Virgo, in corde palie-»ris.
» (Loc.cit.)
Oui., dans le cœur, puisque la seule compassion aux peines de ce fils
si cher devait eue le glaive de douleur dont serait percé le cœur
de cetle mère, comme le pré-dit S- Simon : « Et tuam
ipsius animam doloris gladius » pertransibit. » (Luc ?. 55.)
La sainte Vierge, comme dit S. Jérôme, avait déjà
été instruite, par la lumière des saintes Écritures
des souffrances que devaitendurer le Rédempteur duranUsa vie. el
bien plus encore au moment de sa morl; elle avail appris des prophètes
qu'il devait êlre trahi par un de ses amis : « Qui edebat panes
meos, ma-» gnificavil super me supplanlalionem, » comme David
108
LES GLOIRES
l'avait annoncé; (Ps. xl.) Abandonné de ses disciples
: « percutiam pastorem, et dispergentur oves. » (Zach. xm.)
Elle connaissait les mépris, les crachats, les soufflets, les dérisions
qu'il devait souffrir de la part du peuple : « Corpus meum dedi percutientibus,
et gênas meas vel-» lentibus, faciem meam non averti ab increpantibus
et » conspuentibus in me. » (Isa. l, 1.) Elle savait qu'il
devait devenir l'opprobre des hommes, et l'abjection de la plus vile populace,
jusqu'à être rassasié d'injures et de grossièretés
dégoûtantes : « Ego autem sum vermis, et non »
homo, opprobrium hominum, et abjeclio plebis. » (Psalm.xxi.) «
Saturabitur opprobriis. » (Thren.ni.) Elle savait qu'à la
fin de sa vie sa très-sainte chair devait êlre déchirée
et mise en lambeaux par les coups de fouets : « Ipse autem vulneratus
est propter iniquitates nostras, » allrilusesl propler scelera noslra;
(Is. xxxm.) » Tellement que son corps devait perdre sa forme, et
devenir comme celui d'un lépreux, tout couvert de plaies, jusqu'à
laisser paraître ses os à découvert : « Non est
species ei, neque » decor, et nos putavimus eum quasi leprosum. »
(Is. xvi.) « Dinumeraverunt ossa mea. » (Ps. xxi.) Elle savait
qu'il devait êlre percé de clous : « Foderunt manus
meas et pe-» des meos ; » (Ibid.) placé entre des malfaiteurs
: « El cum » sceleratis reputatus est; » (Is. lui.) et
qu'enfin, suspendu à la croix, il devait être exécuté
pour le salut des hom-mes : « Et aspicient ad me quem confixerunt.
» (Zach. xii.) Marie, dis-je, savait toutes les peines que devait
souf-frir le Fils de Dieu ; mais lorsque Simeon lui dit ces pa-roles :
« Et tuam ipsius animam doloris gladius pertran-» sibit, »
toutes les circonstances particulières des dou-leurs exlérieures
qui devaient tourmenter son Jésus dans sa passion lui furent dévoilées,
comme le Seigneur le
DE MARIE.
révéla à sainte Thérèse. Marie consentit
à tout, et, avec une constance qui ravit les anges d'admiration,
elle pro-nonça la sentence : Que mon fils meure, qu'il meure de
cette mort douloureuse et ignominieuse; Père éternel, puisque
vous le voulez, « non mea voluntas, sed tua » fiat ; »
j'unis ma volonté à votre volonté sainte, et je vous
sacrifie mon fils : je consens qu'il perde la vie pour votre gloire et
pour le salut du monde. Je vous sacrifie encore mon cœur ; qu'il soit percé
de douleurs autant qu'il vous plaira ; il me suffit, ô mon Dieu !
que ce soit pour voire gloire et pour l'accomplissement de votre bon plaisir
; « non mea voluntas, sed tua fiat ! » ? charité sans
mesure ! ô constance sans exemple ! ô vic-toire qui mérite
l'admiration éternelle du ciel et de la terre !
Voilà pourquoi Marie se lut dans la passion de Jésus,
lorsqu'on l'accusait injustement; voilà pourquoi elle ne dit rien
à Pilate qui penchait à le délivrer parce qu'il recon-naissait
son innocence ; mais elle se contenta de paraître en public pour
assister au grand sacrifice qui devait s'ac-complir sur le Calvaire : elle
l'accompagna au lieu du supplice, elle l'assista dès le moment où
il fut placé sur le gibet : « Stabat juxla crucem Jesu mater
ejus, «jus-qu'à ce qu'elle le vît expirer, et que le
sacrifice fût con-sommé ; tout cela, pour accomplir l'offrande
qu'elle avait faite à Dieu dans le temple.
Pour comprendre la violence que dut se faire Marie du-rant ce sacrifice,
il faudrait comprendre l'amour que celte mère portait à Jésus.
Généralement parlant, l'amour des mères est si tendre
pour leurs enfans, que quand ils sont en péril de mort, et qu'on
craint de les perdre, elles ou-blient tous leurs défauts,
leur difformité, et même les
HO
LES GLOIRES
injures qu'elles en avaient reçues, et éprouvent des
dou-leurs inexprimables. Néanmoins l'amour de ces mètes est
partagé entre plusieurs en.fans, ou se répand sur plusieurs
auties créatures. Marie n'a qu'un fils, et ce lils est le plus beau
de tous les enfans d'Adam : il est très-aimable, parce qu'il a toutes
les qualités qui font aimer; il est obéissant, vertueux,
innocent et saint; en un mot, il est Dieu. D'ailleurs l'amour de celle
mère n'est point réparti sur d'autres objets ; elle a placé
tout son amour en ce fils, et elle ne crainl point de l'aimer à
l'excès, puisque ce fils est Dieu, et qu'il mérite un amour
infini. Et ce fils est la victime qu'elle doit dévouer volontairement
à la mort !
Que chaicun examine donc combien il dut en coûter à Marie
,^ét quelle force d'ame elle dut mettre en œuvre dans l'acte par
lequel elle dévoua au sacrifice de la croix la vie d'un fils si
aimable. Voilà comment la plus fortunée des mères,
parce qu'elle était mère d'un Dieu, fut en même temps
la mère la plus digne de compassion, parce qu'elle fut la plus accablée
de douleurs, étant mère d'un fils qu'elle voyait destiné
au gibet, dès le jour où il lui fut donné pour enfant.
Quelle mère accepterait un fils, sachant qu'elle devrait le perdre
ensuite misérablement par une mort infâme, et qu'elle se trouverait
présente à sa morl ? Marie accepte volontiers ce fils avec
des conditions si dures, et non-seulement elle l'accepte, mais elle l'offre
elle-même en ce jour à la mort, de ses propres mains, l'immolant
à Ja divine justice. S. Bonavenlure dit que la bonne Vierge aurait
accepté bien plus volontiers pour elle-même les peines et
la morl de son fils ; mais que, pour obéir à Dieu, elle fit
l'offrande immense de la vie divine de son bien-aimé Jésus,
surmontant, quoiqu'avec une douleur extrême, toute la tendresse de
l'amour qu'elle
DE MARIE.
411
lui portait : « Si fieri potuisset, omnia tormenta, quae »
filius pertulit, sustinuisset ; et nihilominus placuit » ei, quod
unigenitus ejus pro salute generis Immani offerretur » (In p. 1.
Dist. 48. qusest 2.) d'où il suit que, dans celte offrande, Marie
eut plus de violences à se faire, et qu'elle fut plus généreuse,
que si elle se fût dé* vouée elle-même à
souffrir tout ce qui était préparé à son fils.
Sa générosité surpassa alors celle des martyrs, parce
que les martyrs offrirent leur vie, au lieu que la sainte Vierge offrit
la vie du fils qu'elle aimait, et qu'elle esti-mait immensément
plus que la sienne propre.
Mais la peine que lui fit éprouver celte douloureuse offrande
ne se borna point là; au contraire^ elle ne fit que commencer, puisque
dès-lors, durant toute la vie de Jésus, Marie eut continuellement
devant ses yeux la mort el toutes les douleurs qu'il devait endurer dans
ce dernier moment. Ainsi, plus elle découvrait en lui de beautés,
plus elle trouvait son fils gracieux et aima-ble, el plus l'angoisse de
son cœur allait croissant. Àh! mère de douleurs, si vous
eussiez été moins éprise de votre fils, ou si votre
fils eût été moins aimable, ou qu'il vous eût
moins aimée, sans doule votre peine,eût été
moins grande en l'offrant à la mort. Mais il n'y a pas eu, il n'y
aura jamais de mère plus amante'de son fils, que vous, parce que
jamais il n'y a eu et qu'il n'y aura jamais de fils plus aimable ni plus
amant de sa mère que votre Jésus. Oh Dieu! si nous avions
vu la beauté, la majesté du visage de ce divin enfant, aurions-nous
eu le courage de sacrifier sa vie pour noire salut? Et vous, ô Marie!
qui êtes sa mère, et une mère si remplie d'amour pour
lui, vous avez pu offrir votre fils innocent pour le salut de tous les
hommes, et l'offrir à la mort la plus cruelle et
H2
LES GLOIRES
la plus douloureuse qu'aucun coupable ait jamais en-durée sur
la terre !
Hélas! quelle scène funesle l'amour devait metire con-tinuellement
sous les yeux de Marie depuis ce jour, en lui représentant tous
les outrages et les mépris qui de-vaient accab'er ce pauvre fils
! voilà que l'amour le lui montre tantôt agonisant de tristesse
dans le jardin, tantôt flagellé, déchiré et
couronné d'épines dans le prétoire, et enfin suspendu
à un bois infâme sur le Calvaire. ? mère, lui disait
l'amour, voilà le fils aimable et innocent que tu as offert à
tant de souffrances et à une si horrible mort! et de quoi te servira
de l'avoir soustrait aux mains d'Hérode, pour le réserver
ensuite à une fin si digne de eompassion?
Ainsi Marie n'offrit pas seulement dans le temple son fils à
la mort, mais elle l'offrit encore à tous les momens de sa vie ;
car elle révéla à sainte Brigitte que les douleurs
dont lui avait parlé Simeon furent continuellement dans son cœur
jusqu'à son Assomption au ciel. « Dolor iste, usque-»
dum assumpta fui corpore et anima in coelum, nun-» quam defecit a
corde meo. » C'est pourquoi S. Anselme lui dit : ? Marie, je ne puis
croire qu'avec une telle dou-leur vous eussiez pu vivre un seul moment,
si le même Dieu qui donne la vie ne vous eûl fortifiée
par sa verlu divine : « Pia Domina, non crediderim le ullo puncto
» potuisse stimulos tanti cruciatus, quin vilam emitte-» res,
sustinere, nisi ipse Spirilus vitae teconforlasset. » Mais S. Bernard
nous atteste, en parlant précisément du grand chagrin que
Marie éprouva en ce jour, que dès-lors, « moriebatur
vivens, dolorem ferens morte crudeliorem. » Elle vivait en mourant
à tout instant, parce qu'à tout instant elle était
assaillie par la douleur de la mort de
DE HATtlE.
son bien-aimé Jésus, qui était plus cruel que
la mort même.
Marie est donc justement appelée par S. Augustin la réparatrice
du genre humain, à cause du grand mérite qu'elle acquit en
ce sacrifice qu'elle offrait à Dieu pour le salut du monde : «
Reparatrix generis humani » (DeFid. ad Pair.) ; par S. Épiphane,
la rédemptrice des esclaves : « Redemptrix captivorum »
(De Laud. Virg.); par S. II-defonse, la réparatrice du monde perdu
: « Reparatrix » perditi orbis * (Serm. 1. de Ass.) ; par S.
Germain, le remède de nos misères : « Restauratio calamitatum
nos-» trarum » (In Ex. Virg.) ; par S. Ambroise, la mère
de tous les fidèles : « Mater omnium credentium » (??.
S. Bon. Spec. c. 40.) ; par S. Augustin, la mère des vivans : «
Ma-» 1er viventium » (Serm. 2. de Ass.) ; et par Si André
de Crèle, la mère de la vie : « Mater vitae »
(Hom. 2. de Ass.) ; puisque S. Arnould de Chartres dit : « Omnino
tunc » erat una Christi et Mariae voluntas, unumque holo-»
causlum ambo pariter offerebant; unde communem in » mundi salute
cum illo effectum ostendit. » (Tr.de Laud. Virg.) A la mort de Jésus·
Christ, Marie unit sa volonté à celle de son fils, tellement
que toutes deux offrirent un même sacrifice ; et c'est pour cela,
dit le saint abbé, que la mère opérait comme le fils
la rédemption des hom-mes : Jésus, en obtenant le salut aux
hommes, par la sa-tisfaction qu'il offrait pour leurs péchés;
et Marie, en obtenant que cette satisfaction nous fût appliquée.
C'est pour cela que le bienheureux Denis-Ie-Charlreux assure égalen
ml que la divine Mère peut être appelée rédemp-trice
du monde, parce qu'en sacrifiant volontairement son fils à la divine
justice, elle compatit à ses souffran-s d'une manière si
vive, qu'elle mérita que les mérites vu.
8
414
LES GLOIRES
du Rédempteur fussent communiqués aux hommes : «
Dici potest Virgo mundi salvatrix propter meritum suae » coin passionis,
quas, patienti filio acerbissi me condo-» lendo, excellenter promeruit,
ut per preces ejus me* » ritum passionis Christi hominibus communicetur.
» (Lib. 2. de Laud. Virg. art. 23.)
Marie étant donc devenue la mère de tous les hommes ra-cheiés,
par le mérite de ses douleurs et de l'offrande qu'elle fit de son
fils, il est juste de croire que le lait de la divine grâce, qui
est le fruit des mérites de Jésus-Christ, ellemoyen pour
arriver à la vie éternelle, n'est donné aux fidèles
que par les mains de Marie. C'est à quoi S. Bernard fait allusion
quand il dit que Dieu a mis dans les mains de Marie tout le prix de notre
rédemption : « Redempturus humanum » genus, universum
pretium contuli tin Maria. » (Serm.de Aquaed.) Le sainl nous fait
comprendre par ces paroles que les mérites du Rédempteur
s'appliquent aux âmes par l'intercession de la bienheureuse Vierge,
puisque les grâces, qui sont précisément les mérites
de Jésus-Christ, nous sont distribuées par ses mains.
Si Dieu regarda avec tant de faveur le sacrifice qu'A-braham lui fit
de son fils, qu'il lui promit, en récom-pense, de multiplier sa
postérité comme les étoiles du ciel : « Quia
fecisti rem hanc, et non pepercisti filio tuo » unigenito propter
me, benedicam tibi, et multiplicabo » semen tuum sicut stellas cœli.
» (Gen. xxu.) Nous de-vons assurément croire que le sacrifice
de Jésus, fait au Seigneur par son auguste mère, lui a été
bien plus agréa-ble , et que pour cela Dieu lui a accordé
de multiplier, par ses prières, le nombre des élus, c'est-à-dire,
l'heureuse postérité de ses dévots serviteurs, qu'elle
regarde et qu'elle protège comme ses enfans.
S. Simeon reçut de Dieu la promesse de ne t>as mou-rir avant
qu'il ne vît la naissance du Messie : « Responsum » acceperat
a Spiritu sancto non visurum sel mortem «nisi prius videret Christum
Domini. (Luc. ii. 26.) Mais cette grâce, il ne la reçut que
par le canal de Marie, puisqu'il ne trouva le Sauveur que dans ses bris.
Ainsi, celui qui veut trouver Jésus ne le trouvera que par Marie.
Allons donc à cette divine mère, si nous voulois trouver
Jésus, et allons-y avec une grande confiance. Marie dit à
sa servante, Prudenlienne Zagnoni (Ap. Marc.) que tous les ans, en ce jour
de la purification, une granc e miséri-corde serait accordée
à un pécheur. Qui sait si quelqu'un d'entre nous ne sera
pas aujourd'hui cet heureux pécheur? Si nos péchés
sont grands, la puissance de Mari ; est plus grande encore. Le fils ne
sait rien refuser à celte mère : « Exaudiet utique
matrem filius, » dit S. Bernard, (de Aquaeductu.) Si Jésus
est courroucé contre nois, Marie l'apaise à l'instant. Plularque
raconte qu'Anlips 1er écrivit à Alexandre-le-Grand une longue
lettre pleine d'accusa-tions contre Olympias, mère de ce prince;
Alexan ire, après avoir lu celle lettre, lui répondit : Antipater
ignore-l-il qu'une petite larme de ma mère suffît pour effacer
une mul. .titude de lettres écrites contre elle? « Ignorare
Antipatrum » sexcenlas epistolae una deleri matris lacryinula ? »
(Plut, in Alex.) Figurons-nous que Jésus répond aussi aux
accusations que le démon nous intente près de lui, quand
Marie le prie en notre faveur : Lucifer ne sait-il pis qu'une prière
de ma mèrefaite pour un pécheur suffit pou ? me faire oublier
les accusations de toutes les offenses qu'il a commi-ses contre moi? En
voici une preuve dans l'exempl ì suivant.
? 6
LES CLOIRKS
EXEMPLE.
Ce fait n'est consigné dans aucun livre, mais un prêtre
de noire congrégation, à qui il est arrivé, me l'a
rapporté. Pendant que ce prêtre confessait dans une église
située dans un pays que je ne nommerai pas pour de bonnes raisons,
quoique le pénitent ait donné au confesseur la permission
de publier le fait, un jeune homme qui paraissait indécis à
se confesser, vint se placer debout près de lui. Après l'avoir
plusieurs fois considéré, le confesseur lui demanda enfin
s'il voulait se confesser; le jeune homme répondit affirmativement
; mais commela confession devait être bien longue, le prêtre
le conduisit dans une chambre solitaire. Là, le pénitent
commença par dire qu'il était étranger et noble, mais
qu'il ne savait pas comment Dieu pourrait lui pardonner après avoir
vécu comme il avait fait. Outre les innombrables péchés
d'impureté, les homicides et les autres crimes, il dit qu'ayant
désespéré loul-à-fait de son salut, il avait
commis de grands péchés, moins pour se satisfaire, que par
le mépris de Dieu et par la haine qu'il lui portait. Il dit, enlr'autres
choses, qu'il tenait sur lui un crucifix, et qu'il l'avait frappé
par mépris. Il raconta ensuite que le matin du même jour il
était allé faire une communion sacrilège, et pourquoi?
pour fouler a,ux pieds l'hostie consacrée; qu'en effet, ayant pris
l'hostie, il allait accomplir son infâme projet, mais qu'il ne l'avail
pu faire à cause des personnes qui avaient les yeux sur lui. Il
remit alors au confesseur les espèces consacrées qu'il avait
mises dans un morceau de papier. Il raconta ensuite qu'en passant devant
celte église, il avait élé porté
DE MARIE.
117
à y entrer par une impulsion intérieure à laquelle
il n'a-vait pu résister; qu'y étant entré, il avait
éprouvé un grand remords de conscience, joint à une
certaine volonté confuse et irrésolue de se confesser ; qu'il
s'était en consé-quence placé devant le confessionnal;
mais qu'alors sa confusion et sa défiance furent si grandes qu'il
voulait se retirer, quoiqu'il semblât que quelqu'un le retenait de
force. Mon père, lui dil-il enfin, vous m'avez appelé; maintenant
je me trouve ici, et je me confesse, je ne sais trop comment. Alors le
confesseur lui demanda s'il avait pratiqué quelque dévotion
durant ce temps envers Marie, vu que des conversions semblables sont des
coups qui ne viennent quedesmainspuissantesdeeette Vierge. Rien, mon père,
répondit le jeune homme ; etquelles dévotions aurais-je pu
faire? Je mecroyais damné. Mais tâchez de mieux vous le rappeler,
lui dit le père. Mon père, rien, et voilà tout. Mais,
portant la main sur sa poitrine, comme pour la découvrir il s'aperçut
qu'il y portail un scapulaire de Nolre-Dame-des-Douleurs. Ah! mon fils,
dil alors le confesseur, vous ne croyez point que c'est, Notre-Dame qui.vous
a obtenu celte grâce? Sachez, ajouta-t-il, que celte église
est dédiée à cette Vierge. A ces mois, le jeune homme
s'attendril, et il commença à éprouver des senli-mens
de douleur et à verser des larmes; comme il con-tinuait à
découvrir ses péchés, la componction qu'il en eut
augmenta tellement, et ses larmes devinrent si abon-dantes, qu'il parut
s'évanouir aux pieds du confesseur; celui-ci, l'ayant fait revenir
au moyen de liqueurs spiri-tueuses, acheva d'entendre sa confession , lui
donna l'ab-solution avec une grande consolation, elle renvoya dans sî>
patrie contrit et résolu à changer de vie, après avoir
obtenu de lui la permission de publier et de prêcher par-
H8
LES GLOIRES
tout la grande miséricorde dont Marie avait usé à
son égard.
PRIÈRE.
? sainte Mère de Dieu, et ma mère, Marie, vous vous êtes
donc intéressée bien vivement à mon salut, puisque
vous avez été jusqu'à dévouera la mort le plus
cher objet de votre cœur, votre bien aimé Jésus ! si donc
vous désirez tant me voir sauvé, il esljusle qu'après
Dieu je nielle en vous toute ma confiance. ? Vierge bénie, oui je
me confie entièrement en vous. Ah ! par le mérite de ce grand
sa-crifice que vous avez offert aujourd'hui à Dieu, en lui im-molant
la vie de votre fils, priez-le qu'il ait pitié de mon ame, pour
laquelle cet agneau immaculé ne refusa point de mourir sur la croix.
? ma reine, je voudrais en ce jour offrir aussi mon pauvre cœur à
Dieu pour imiter votre exemple; mais je crains qu'il ne le refuse, en le
voyant si ingrat et si rempli de souillures. Cependant, si vous l'offrez,
il ne le refusera pas; il agrée et il reçoit toutes les offrandres
qui lui sont présentées par vos mains très-pures.
C'est donc à vous, ? Marie, que je me présente aujourd'hui,
el c'est à vous que je me donne, tout misérable que je suis.
Présentez-moi au Père éternel avec Jésus, comme
un bien qui vous appar-tient, et priez-îe qu'il me reçoive
et qu'il prenne possession de moi, par les mérites de Jésus-Christ
son fils, et pour l'amour de vous. Ah! ma très-douce mère,
pour l'amour de ce fils immolé, secourez-moi toujours, et ne m'aban-donnez
poinl : ne permettez pas que je perde jamais par mes péchés
cet aimable Rédempteur, que vous offrez (au-jourd'hui au supplice
do la croiK avec une douleur si
DE MARIE.
119
?vi-ve. Diles-lui que je suis voire serviteur; dites41ui que j'ai mis
en vous toute mon espérance; dites lui, enfin, que vous voulez me
sauver, et il ne manquera derlaine ment pas de vous exaucer. Amen,
120
IES GLOIRES
IVe DISCOURS.
SUR L ASSOMPTION DE MARIE.
L'Eglise nous propose en ce jour de célébrer en l'honneur
de Marie la mémoire solennelle de deux choses, savoir, son heureux
départ de cette terre, et sa glorieuse assomption dans le ciel.
Dans ce discours, nous parlerons de son départ ; dans le suivant,
nous traiterons dé l'assomplion.
Combien la mort de Marie fut précieuse, Ie par les avan-tages
qui l'accompagnèrent, 2° par la manière dont elle arriva.
La mort élanl la peine du péché, il semble que
la mère de Dieu, qui était toute sainte et exempte de souillures,
ne dut point y être assujettie, et qu'elle ne dut pas éprouver
le même sort que les enfans d'Adam, infectés du venin de l'iniquité.
Mais Dieu voulant rendre Marie semblable en tout à Jésus,
il convenait qu'après la mort du fîls la mère mourûl
aussi; en outre, le Seigneur, pour donner aux justes un exemple de la mort
précieuse qu'il leur prépare, voulut que la sainte Vierge
mourût, mais d'une mort pleine de douceur et de félicité.
Com-mençons donc à considérer combien fut précieuse
la mort de Marie, 1° par les avantages qui accompagnèrent celte
mort, et 2° par la manière dont elle eut lieu.
premier point. Il y a trois circonstances qui rendent ordinairement
la mort malheureuse et amère : l'attache-
1)E MARIE.
121
nient à la terre, le remords des péchés commis,
l'incerti-tude du salut. Mais la moit de Marie fut loul-à-fait exempte
de ces amertumes, et elle fut au contraire accompagnée de trois
avantages merveilleux qui la rendirent très-pré-cieuse et
très-agréable. Elle mourut, commeelleavaiiyécu, toute
délachée des biens de la terre; elle mourut avec une grande
paix de conscience ; elle mourut avec la certitude d'obtenir la gloire
étemelle.
Et d'abord, il n'y a point de doute que l'attachement aux biens de
la terre ne rende amère et misérable la mort des mondains,
comme dit le Saint-Esprit : « ? mors, » quam amara est memoria
tua homini pacem habenti » in subslanliis suis ! » (Eccl. xli,
1.) Mais parce que les saints meurent détachés des choses
de ce monde, leur mort, au lieu d'être amère, est douce, aimable
et pré-cieuse, c'est-à-dire, comme l'explique S. Bernard,
digne d'être achetée à tout prix. « Beali mortui,
qui in Domino » moriuntur. » (Apoc. xiv, 25.) Quels sont donc
ceux qui meurent étant déjà morts? ce sont sans doute
ces âmes fortunées qui passent à l'éternité
détachées de ce monde, et comme mortes à toutes les
affections terrestres ; ayant trouvé en Dieu seul tout leur bien,
comme S. Fran-çois d'Assise l'avait trouvé, lorsqu'il disait
: « Deus meus » et omnia! » Mais quelle ame» fut
jamais plus délachée de ce monde, et plus unie à Dieu,
que la belle ame de Marie? elle était délachée de
ses parens, puisque dès l'âge de trois ans, époque
où les enfans tiennent le plus aux au-teurs de leurs jours et ont
le plus grand besoin de leurs secours, Marie les quitta avec tant de courage,
et alla se renfermer dans le temple, pour ne penser qu'à Dieu. Elle
était détachée de tous les biens, puisqu'elle se contentait
de vivre dans la pauvreté, et de sustenter sa vie par le
122
LES GLOIRES
travail de ses mains. Elle était détachée des
honneurs, puis-qu'elle aimait la vie humble et abjecte, quoiqu'elle mé-rilât
les honneurs d'une reine, attendu qu'elle descendait des rois d'Israël.
La Vierge elle-même révéla à sainte Eli-sabeth
, bénédictine, que quand ses parens la laissèrent
dans le temple, elle résolut dans son cœur de n'aroir point d'autre
père, et de n'aimer point d'autre bien que Dieu.
S. Jean vit Marie sous la figure de celle femme revêlue du soleil,
et qui avait la lune sous ses pieds : « Signum » magnum apparuit
in coelo : mulier amicta sole, et luna » sub pedibus ejus. »
(Apoc. xii, 1.) Les interprèles disent que la lune signifie les
biens de cette terre, qui sonl caducs et sujets à décliner
comme cet astre. Tous ces biens, Marie ne les eut jamais dans son coeur,
mais elle les méprisa tou-jours, et les tint sous ses pieds, vivant
en ce monde comme une tourterelle solitaire dans un désert, sans
mettre son af-fection en aucune chose créée. C'est pourquoi
il a été dit de cette Vierge : « Vox turturis audita
est in terra nostra. » (Cant. ?. 12.) Et ailleurs : « Quae
est ista quae ascendit per deser-it tum, etc.? » (Cant. III. 6.)
« Talis ascendisti perdesertnm, ?» id est habens animam solitariam,
» dit Rupert. Marie ayant donc toujours vécu détachée
des choses terrestres, el unie à Dieu seul, la mort n'eut pour elle
aucune amer-tume; mais elle lui fut extrêmement douce et agréable,
parce qu'elle l'unissait plus étroitement à Dieu dans le
paradis par des liens éternels.
Secondement, ce qui rend précieuse la mort des justes, c'est
la paix de la conscience. Les péchés commis durant la vie
sonl les vers qui tourmentent le plus , et rongent le cœur des pauvres
pécheurs moribonds. Sur lé point de pa-raître au divin
tribunal, ils se voient environnés en ce moment de leurs péchés,
qui les épouvantent, et leut crient
DE MARIE.
123
continuellement,.comme dit S. Bernard : «Operatuasu-» mus,
non le deseremus. » Marie ne put assurément, à l'heure
de sa mort, être affligée par aucun remords de conscience,
puisque elle fut toujours sainte, toujours pure, et toujours exemptede
toute ombre de faute actuelle et ori-ginelle : en sorte que l'Écriture
dit à son sujet : « Tota pul-» chra es, arnica mea,
et macula non est in le. » (Gant, iv.) Dès qu'elle jouit de
la raison, c'est-à-dire, dès l'instant de sa conception immaculée
dans le sein de sainte Anne, elle commença à aimer Dieu de
toutes ses forces ; elle continua ce saint exercice toute sa vie, s'avançant
tou-jours de plus en plus dans l'amour de Dieu et dans la perfection. Toutes
ses pensées, tous-ses désirs, toutes ses affections furent
pour Dieu seul. Elle ne dit aucune parole, elle ne fil aucun mouvement,
elle ne jeta pas un seul coup d'œil, elle ne respira pas une seule fois,
que ce ne fût pour Dieu et pour sa gloire, sans jamais s'écarter
d'un pas, sans jamais se séparer un instant de l'amour divin. Ah!
sans doute qu'à l'heure de sa bien-heureuse mort, toutes les excellentes
vertus qu'elliavait pratiquées durant sa vie vinrent environner
son lit. Celte foi si constante, cette confiance si amoureuse en Dieu ,
celte patience courageuse au milieu de tant de peines, celte humilité
au milieu de tant de privilèges, celle mo-destie , cette douceur,
celte compassion pour les âmes , ce zèle ardent pour la gloire
divine, et surtout celte par-faite charité envers Dieu, par laquelle
elle se conforma à sa sainte volonté, toutes les vertus enfin,
vinrent former son cortège et la consoler en lui disant: «
Opera tua » sumus, non le deseremus. » ? Marie, notre mère,
nous sommes toutes les enfans de votre cœur; maintenant que vous quittez
celle misérable vie, nous ne voulons point
124
LES GLOIRES
vous abandonner ;. nous irons aussi vous formev un éter-nel
cortège, et vous honorer dans le paradis, où vous devez être
assise à cause de nous, et établie reine de-tous les anges
et de tous les hommes.
En troisième lieu, l'assurance du salut éternel adoucit
la mort. La mort est appelée passage, parce qu'elle nous fait passer
d'une vie courte à une vie éternelle. Ainsi, tandis que la
frayeur de ceux qui meurent dans l'incertitude de leur salut est extrême,
parce qu'ils approchent de l'heure fatale avec la juste crainte de passer
à une mort éternelle, au contraire, on ne peut concevoir
la joie que les saints éprouvent à la fin de leur vie, parce
qu'ils espèrent avec quelque assurance aller posséder Dieu
dans le ciel. Une re-ligieuse de l'ordre de sainte Thérèse
fut si contente lorsque le médecin lui annonça la nouvelle
de sa mort prochaine, qu'elle lui répondit : El comment, monsieur
le docteur, me donnez-vous une si agréable nouvelle sans me demander
des étrennes? S. Laurent Juslinien étant près de sa
mort, et entendant ses amis pleurer autour de lui, leur dit : « Abile
cum lacrymis vestris; non est tempus lacryma-» rum. » Allez
pleurer ailleurs: si vous voulez demeurer avec moi, il faut vous réjouir
comme je me réjouis , en voyant la porte du ciel s'ouvrir pour que
j'aille me réunir à mon Dieu. Un S. Pierre d'Alcanlara, un
S Louis de Gonzague, el un grand nombre d'autres sainls, en recevant la
nouvelle de leur morl, firent de même éclater par leurs discours
la joie et l'allégresse qu'ils éprouvaient. Cependant ils
n'avaient point une cerlilude parfaite d'êlre dans la grâce
de Dieu, et ils n'étaient point sûrs tomme Marie de leur sainteté.
Mais quel ravissement ne dut point éprouver la divine mère
quand elle apprit qu'elle allait mourir! Elle qui avaii une cerlilude parfaite
de posséder
DE MARIE.
125
la divine grâce, surtout depuis que l'archange Gabriel l'assura
qu'elle était pleine de grâce, et qu'elle possé-dait
déjà Dieu : « Ave, gratia plena, Dominus tecum... »
invenisti gratiam! (Luc.i.)Ellesenlail bien quesoncœur brûlait continuellement
de l'amour divin, en sorte que, selon Bernardin de Busto, Marie, par un
privilège parti-culier qui n'a été accordé
à aucun autre saint, aimait Dieu actuellement à chaque instant
de sa vie, et cela avec une telle ardeur], que, d'après le témoignage
de S. Ber-nard, il a fallu un miracle continuel pouf qu'elle pût
vivre au milieu de tant de flammes.
C'est de Marie qu'il a été dit au Livre des saints Can-tiques
: « Quae est ista quae ascendit per desertum, sicut » virgula
fumi, ex aromatibus myrrhae, et tburis, et uni-» versi pulveris pigmentarii?
» (Cant. hi. 6.) Sa mortifi-cation totale, figurée par la
myrrhe, ses prières ferventes figurées par l'encens, et toutes
ses saintes vertus jointes à sa parfaite charité, allumaient
en elle un si grand in-cendie, que sa belle ame, toute sacrifiée,
et consumée du divin amour, s'élevait continuellement vers
Dieu comme une colonne de fumée, qui répandait de toutes
parts la plus agréable odeur. » Talis fumi virgula, beata
Maria, » suavem odorem inspirasti Altissimo » dit Rupert. Et
Eustache parle d'une manière encore plus expresse : « Vir-»
gula fumi, quia cpncremata intus in holocaustum incen-» dio divini
amoris, ex ea flagrabat suavissimus odor. » Telle avait vécu
l'amoureuse Yierge, telle elle mourut : comme l'amour divin lui donna la
vie, de même l'amour divin lui donna la mort ; car, comme disent
communé-ment les docteurs, et les saints pères, l'amour fut
la seule maladie qui la fit mourir. S. Ildefonse en particulier dit que
Marie devait mourir d'amour, ou qu'elle ne devait point mourir.
126
LES GLOIRES
Second point.— Mais voyons maintenant comment ar-riva sa bienheureuse
mort. Après l'Ascension de Jésus-Christ, Marie demeura sur
la terre pour s'appliquer à la propagation de la foi. C'était
donc à elle que recouraient les disciples de Jésus-Christ
; c'était elle qui résolvait leurs doutes, qui les fortifiait
dans les persécutions, et les excitait à travailler pour
la gloire de Dieu et pour le salut des âmes rachetées. Elle
demeurait volontiers sur la (erre, sachant que telle élait la volonté
de Dieu pour le bien de l'Église ; mais elle ne pouvait s'empêcher
de gémir en se voyant éloignée de la présence
el de la vue de son fils bien-aimé, qui était monlé
au ciel. « Ubi » est thesaurus vester, dit le Rédempteur,
ibi et cor » vestrum erit. » (Luc. xii. 34.) Là où
l'on a son trésor et l'objet de son contentement, là on lient
sans cesse fixés l'amour et le désir de son cœur. Si donc
Marie n'aimait d'autre bien que Jésus, Jésus étant
au ciel, les désirs de Marie y étaient-aussi. Taulère
a dit en parlant de Marie : (Serm. de Nal. Y.Mar.) «Mariae cella
fuit coelum; » parce qu'elle faisait en effet du ciel sa demeure
conti-nuelle: « Schola, aeiernilas; » toujours détachée
des biens temporels : « Paedagogus, divina veritas ·, »
opérant tou-jours selon la divine lumière : « Speculum,
divinitas ; » parce qu'elle ne regardait autre chose que Dieu, pour
se conformer à sa volonlé : « Ornatus ejus, devotio
; » tou-jours disposée à suivre le bon plaisir de Dieu
: « Quies, « unitas cum Deo; » Sa paix elait dans son
union avec Dieu: « Cordis illius locus el thesaurus solus Deus erat;
» en un mot, Dieu seul était l'asile et le trésor de
son cœur, Pendant ce dur éloignement, la très-sainte Vierge
allait, comme on raconte, consolant son cœur amoureux par la visite des
saints lieux de la Palestine, où son fils avait
DE MARIE.
427
vécu; elle visitait souvent, tantôt l'étable de
Bethléem où il était né; tantôt la boutique
de Nazareth où il avait vécu tant d'années pauvre
et méprisé ; tantôt le jardin de Jet^émani,
où il avait commencé sa passion; tantôt le prétoire
de Pilale, où il avait été flagellé. Elle visitait
en-core le lieu où il fut couronné d'épines ; mais
surtout elle visitait souvent le Calvaire, où il expira, et le saint
sépulcre où elle l'availenfin quitté. Ainsi l'amoureuse
mère soulageait la tristesse de son dur exil. Mais tout cela ne
suffisait point pour contenter son cœur , qui ne pouvait trouver le parfait
repos sur cette terre. Elle envoyait donc vers le Seigneur des soupirs
continuels, s'écriant avec David, mais avec un amour plus aident
: « Quis dabit » mihi pennas sicut columbae? Volabo, et requiescam.
» (Ps. lvii.7.) Qui me donnera des ailes de colombe pour voler vers
mon Dieu, et pour y trouver mon repos? « Quemadmodum desiderat cervus
ad fontes aquarum, » ita desiderat anima mea ad te, Deus. »
(Ps. xu. 2.) Comme le cerf blessé désire trouver une fontaine,
ainsi mon ame, blessée par votre amour, ô mon Dieu, vous désire,
et soupire après vous. Ah ! les soupirs de cette sainte tour-terelle
ne pouvaient point ne pas pénélrer le cœur de Dieu, dont
elle était tant aimée: «Voxturlurisauditaestin »
terra nostra. » (Cant. ii. 12.) C'est pourquoi Dieu, ne voulant plus
différer de consoler sa bien-aimée, exauce enfin son désir,
et l'appelle dans son royaume.
Cédreno, (Comp. Histor.) Nicéphore, (1. 2. c. 21..) et
Métaphïasle (Orat. de dormit. Mar.) disent que, quel-ques jours
avant sa mort, le Seigneur lui envoya l'ange S. Gabriel, le même
qui lui avait autrefois annoncé qu'elle était la femme bénie,
et choisie pour être la mère du Rédempteur. Madame,
et ma Reine , lui dit l'ange,
428
LES fiLOIRES
Dieu a enfin exaucé vos sainis désirs, et il m'a envoyé
vous dire de vous préparer à quitter la terre, parce qu'il
veut vous avoir avec lui dans le ciel. Venez donc prendre possession de
votre royaume ; car moi et tous les habi-tans de la sainte cité
nous vous attendons et vous désirons. A cette heureuse nouvelle,
que dut faire notre très-hum-ble et très-sainte Marie, sinon
se cacher dans le centre de sa profonde humilité, et répéter
les paroles par les-quelles elle avait répondu à S. Gabriel,
lorsqu'il lui an-nonça sa divine maternité? « Ecce
ancilla Domini : » voici, répondit-elle encore, la servante
du Seigneur: il m'a choisie et m'a rendue sa mère par un pur effet
de sa bonté; il m'ap-pelle maintenant au ciel. Je ne méritais
ni l'un ni l'autre de ces deux honneurs; mais, puisqu'il veut faire voir
en ma personne sa libéialité infinie, me voici prête
à aller où il veut: « Ecce ancilla Domini. »
Que la volonté du Seigneur s'accomplisse toujours en moi.
Après avoir reçu cet agréable avertissement, elle
en fit part à S. Jean, et nous pouvons penser combien le saint apôtre
fut attendri, et avec quelle douleur il apprit cette nouvelle, lui qui
depuis tant d'années lui rendait les devoirs d'un fils, et jouissait
de la céleste conversation de cette divine mère. Elle visita
ensuite pour la dernière fois les saints lieux de Jérusalem
, prenant avec tendresse congé d'eux, et surtout du Calvaire, où
son fils bien-aimé quitta la vie. Puis elle rentra dans sa pauvre
maison pour se disposer à la mort. Durant ce temps, les anges ne
ces-saient devenir visiter celte reine, se consolant par l'espoir de la
voir bientôt couronnée dens le ciel. Plusieurs auteurs (S.
And. Ciel. Or. deDorm. Deip. Damasc. Dedorm. Deip. Euihim. 1. 3. Hist.
c. 40.) disent qu'avant sa mort les apôtres et un grand nombre de
disciples qui étaient dis-
DE MARIE.
129
perses dans diverses parties du monde, se trouvèrent mira-culeusement
rassemblés dans sa chambre, et que, voyant ses chers enfans réunis
en sa présence, elle leur dit : Mes bien-aimés, je vous quille
pour votre amouv, et pour vous aider auprès de mon fils. La sainte
foi est déjà répandue dans le monde, et le fruit de
la semence divine s'est accru. Mon Seigneur, ajant donc vu ? que ma présence
n'était plus nécessaire sur la terre, et compatissant aux
peines, que me faisait éprouver mon exil, a exaucé le dé-sir
qui me dévorait de quitter cette vie, et d'aller le voir dans le
ciel. Persévérez donc à travailler pour sa gloire.
Si je vous quille, ce n'est point de cœur : j'emporte avec moi et je garderai
toujours l'amour ardent que j'ai pour vous. Je vais en paradis prier pour
vous. Qui peut com-prendre quelles furent, à cette triste nouvelle,
les larmes et les gémissemens de ces saints disciples, lorsqu'ils
virent qu'avant peu ils allaient être séparés de leur
mère ? Est-il donc vrai, ô Marie, répondirenl-ils en
pleurant, que vous voulez nous quitter? sans doule que cette terre n'est
point un lieu digne de vous, et nous sommes indignes nous-mêmes d'être
dans la société d'une mère de Dieu ; mais souvenez-vous
que vous êtes notre mère ; vous avez été jusqu'à
ce jour notre maîtresse dans nos doutes, notre con-solatrice dans
nos angoisses, notre force dans les persé-cutions; et vous voulez
maintenant nous abandonner, en nous laissant seuls, privés de votre
appui, au milieu de tant d'ennemis et de combats? Nous avons déjà
perdu sur la terre notre maîlre et notre père Jésus,
qui est monté au ciel ; votre présence, ô notre mère
, nous a consolés depuis ce jour. Hélas ! comment pouvez-vous
aussi nous laisser orphelins de père et de mère ? Restez
avec nous, ô notre reine, ou bien emmenez-nous avec vous. Voilà
vu.
9
15Ô
LES GLOIRES
ce que rapporte S. Jean Damascène. (Orat. de Ass. Virg.) Non
, mes enfans , reprit avec douceur l'amoureuse reine, telle n'est point
la volonté de Dieu: contentez-vous de me voir suivre et de suivre
vous-mêmes ses dispositions. Il vous reste encore une tâche
importante à remplir sur la terre pour la gloire de votre Rédempteur,
et pour gagner voire couronne éternelle. Je ne vous- quitte poinl
pour vous abandonner, mais c'est au contraire pour vous secourir plus puissamment
dans le ciel par mon in-tercession auprès de Dieu. Demeurez contents.
Je -vous re-commande les âmes que mon fils a rachetées : que
ce soit-là mon dernier adieu, et l'unique souvenir que je vous laisse.
Si vous m'aimez, faites ce que je vous dis : tra-vaillez pour le salul
des âmes et pour la gloire de mon fils ;car nous nous reverrons un
jour, et nous nous réu-nirons dans le paradis, pour ne plus jamais
nous sé-parer.
,
Marie les pria ensuite d'ensevelir son corps après sa mort;
elle les bénit, et ordonna à S. Jean, comme rap-porte S.
Damascène, de donner ses deux vêtemens après sa mort
à deux vierges qui l'avaient servie durant quelque temps. (îsicéphoreel
Méiaphrase, cités dans l'histoire deMa-rie, par le P. F.
J. et M. 1. v. 13.) Ensuite elle s'arrangea mo-destement sur son pauvre
lit, où elle se mil pour attendre la mort et, avec cette mort qu'elle
désirait, la rencontre du divin époux, qui devait dans peu
venir la prendre et la conduire au royaume bienheureux. Déjà
elle sent dans son cœur une joie qui est l'avant-coureur de la venue de
l'époux, et qui remplit de nouveau soname d'une immensedouceur.
Les saints apôtres, voyant que Marie va quitter celte terre, renouvellent
leurs larmes; ils s'agenouillent tous aux pieds de son lit. L'un baise
ses pieds sacrés ; l'autre lui
DE MARIE.
431
demande sa bénédiction particulière; un autre
lui expose quelque besoin paiticulier; tous pleurent amèrement,
et ont le coeur percé de douleur en songeanl qu'ils vont se sé-parer
pour la vie de leur maîtresse bien-aimée. La tendre mère
compatissait à tous, et les consolait chacun en par-ticulier, promettant
sa protection à celui-ci, bénis-sant affectueusement celui-là,
el encourageant les autres à l'œuvre de la conversion du monde.
Elle s'adressa par-ticulièrement à S. Pierre, et elle lui
recommanda prin-cipalement comme au chef de l'Église el au vicaire
de son fils, la propagation de la foi, lui promettant à cet effet
une protection spéciale du haut du ciel. Mais ce fui sur-tout à
S. Jean qu'elle parla étisuile, lui qui était plus que tous
les autres affligé au moment de quiller sa sainte mère. Celle
Vierge pleine de reconnaissance, se souvenant de l'affection et du soin
extrême avec lesquels le saint disciple l'avait servie tout le temps
qu'elle était restée sur la terre après la mort de
son fils, lui dit avec ten-dresse: Mon cher Jean, je vous remercie de tous
les soins que vous m'avez donnés. Mon fils, soyez assuré
que je ne serai point ingrate. Si je vous quille maintenant, je vais prier
pour vous; demeurez en paix durant cette vie, jusqu'au jour où nous
nous reverrons dans le ciel, où je vais vos attendre. Ne m'oubliez
pas : appelez-moi à votre secours dans tous vos besoins, parce que
je ne vous ou-blierai jamais, ô mon fils bien-aimé. Je vous
bénis, mon fils, je vous laisse ma bénédiction ; demeurez
en paix. Adieu.
Hais la mort de Marie était déjà proche. L'amour
divin avait déjà consumé tous ses esprits vitaux par
l'ardeur brûlante de ses bienheureuses flammes, el déjà
le phénix céleste perd la vie au milieu d'un si grand embrasement.
9,
132
LÉS GLOIRES
Alors les anges arrivaient par troupes nombreuses, et dans l'appareil
du grand triomphe au milieu duquel ils devaient l'accompagner en paradis.
Marie se consolait à la vue de ces esprits bienheureux, mais elle
ne se con-solait pas pleinement, parce qu'elle ne voyait point encore paraître
son bien-aimé Jésus, qui était tout l'amour de son
cœur. Elle répétait donc souvent aux anges qui descen-daient
des cieux pour la saluer : « Adjuro vos, filiae Jéru-salem,
si inveneritis dilectum meum, ut annuntietis » ei quia amore langueo.
» (Cant. v. 9.) Anges saints, beaux citoyens de la céleste
Jérusalem, vous venez par troupes me consoler, et vous me consolez
en effet par votre aimable présence; je vous remercie; mais tous
ensemble vous ne me contentez pas pleinement, parce que je ne vois point
encore mon fils auprès de moi. Allez, si vous m'aimez, remontez
au ciel, et dites de ma part à mon fils bien-aimé : «
Nuntietis ei quia amore langueo. » Dites-lui que je languis, et que
je me sens défaillir d'a-mour pour lui ; dites-lui qu'il vienne,
et qu'il vienne promplement, parce que je meurs du désir de le voir.
Mais voilà Jésus qui vient prendre sa mère pour
la conduire au royaume bienheureux. Il fut révélé
à sainte Elisabeth, que Jésus apparut à Marie avant
qu'elle expi-rât, tenant une croix en main, pour lui faire voir la
gloire spéciale qu'il avait tirée de la rédemption,
ayant acquis par sa mort celte auguste créature qui devait l'honorer
éternellement plus que tous les anges et que tous les hom-mes. S
Jean Damascène rapporte encore que Jésus lui-même donna
à Marie la communion en viatique, en lui disant : Prenez, ma mère,
prenez de mes mains ce même corps que vous m'avez donné. Marie,
ayant reçu encore avec un plus grand amour cette dernière
communion.
DE MARIE.
433
lui dit, en rendant les derniers soupirs : Mon fils, je re-mets mon
ame entre vos mains ; je vous recommande cette ame, que par voire bonté
infinie vous avez créée et en-richie de grâces dès
le commencement, et que vous avez conservée pure de tout péché
par un privilège unique. Je vous recommande mon corps, où
vous avez daigné pren-dre votre chair et votre sang. Je vous recommande
encore mes chers enfans, lui dit-elle, en parlant des saints dis-ciples
qui étaient présens : ils sont affligés de mon départ,
consolez-les, vous qui les aimez encore plus que je ne les aime : bénissez-les,
et donnez-leur la force d'opérer de grandes choses pour votre gloire.
( S. J. Dam., Or. de Ass. V. )
Marie étant à l'heure delà mort, on entendit,
comme raconte S. Jérôme, une grande harmonie dans sa de-meure,
et l'on vit aussi une grande lumière, comme il fut révélé
à sainte Brigitte. Celte harmonie et celle lumière extraordinaires,
firent comprendre aux apôtres que Marie quittait la terre; ils renouvelèrent
donc leurs larmes et leurs prières, et levant les mains au ciel,
ils s'écrièrent tous d'une voix : ?, noire mère, vous
allez donc au ciel et vous nous quittez ! donnez-nous voire dernière
béné-diction , et n'oubliez pas vos malheureux enfans. Marie,
promenant ses regards sur eux tous, leur dit, comme pour prendre un dernier
congé: : Adieu, mes ehfans, je vous bénis; ne craignez point
que je vous oublie. A l'in-stant la mort se présente, non pas dans
un appareil de deuil et de tristesse, comme elle vient s'offrir aux autres
âmes; mais elle est rayonnante de lumière et d'allégresse.
Mais, quelle mort! quelle morl! disons mieux : non c'est l'amour divin
qui vient rompre le fil de celte vie sublime. Comme un flambeau jetie un
plus vif éclat avant de s'é-
134
LES GLOIRES
4eindre; au milieu de ses dernières lueurs de même Cette
belle Vierge, au moment où son fils l'invite à le sui-vre,
se plonge, comme le papillon, dans les flammes de la charité, et
au milieu de ses amoureux soupirs, elle pousse encore un plus grand soupir
d'amour : elle expire,, élis meurt! C'est ainsi que celte grande
ame, celte belle colombe du Seigneur, brise les liens de celte vie, et
prend son vol vers la gloire céleste, où elle est, et où
elle sera durant l'éternité reine du paradis.
Marie a donc déjà qukté la terre; déjà
elle est dans les cieux. C'est de là que cette lendre mère
nous regarde, nous qui sommes encore dans cette vallée de larmes;
c'est de là qu'elle compatit à nos misères, et qu'elle
noas pro-met son secours si nous voulons l'acceptet. Prions-la tou-jours
que, par les mérites de sa sainte mort, elle nous ob-tienne une
mort bienheureuse. Et plût à Dieu qu'elle nous obtînt
de mourir un samedi, qui est un jour consacré en son honneur, ou
bien un jour de la neuvaineou de l'oc-tave de quelqu'une de ses fêtes,
comme elle l'a obtenu à un grand nombre de ses servileuvs, et particulièrement
à S. Stanislas Kosika, à qui elle procura l'avantage de mourir
le jour de sa glorieuse Assomption, comme le raeonte le P. Barlholi 'dans
sa Vie. (Lib. i. cap. i. 2.)
EXEMPLE.
Pendant la vie de ce saint jeune homme, qui s'était tout dévouéà
l'amour de Marie, il lui arriva d'entendre, le pre-mierjourdu moisd'aoûl,
un sermon duP. PierreCanisius, dans lequel le prédicateur engageait
fortement les novices , de la compagnie à vivre chaque jour comme
si c'était le dernier de leur vie, et celai après lequel
ils devraient se
DE MARIE.
présenter aulribunal de Dieu. Le sermon étant fini, Sta-nislas
dit à ses compagnons que ce conseil était pour lui en particulier^a
voix de Dieu, parce qu'il devait mourir dans ce même mois. Il dit
cela, ou parce que Dieu le lui avait expressément révélé,
ou parce qu'il lui avait donné au moins un certain pressentiment
de ce qui arriva en-suite. Quatre jours après, le bienheureux jeune
homme allant avecle P. Emmanuel visiter l'église de Sainle-Marie-Majeure,
et parlant de la fête prochaine de l'Assomption, lui dit : Mon père,
je crois qu'on voit en ce jour un nouveau paradis dans le paradis, puisque
l'on y voit la gloire de la mère de Dieu, couronnée reine
du ciel, et placée si près du Seigneur au-dessus des chœurs
des an-ges. S'il est vrai, comme je ne saurais en douter, que celte fête
se renouvelle lous les ans dans le ciel, j'espère que j'en verrai
le prochain anniversaire. S. Slanislas ayant ensuite obtenu au sort le
glorieux martyr S. Lau-rent pour son protecteur du mois, selon l'usage
de la compagnie, on dit qu'il écrivit une lettre à sa mère
Marie, dans laquelle il lui demandait la grâce de se trouver le jour
de sa fête en paradis. Le jour de S. Laurent, il com-munia, et il
pria ensuite le saint de présenter cette lettre à la mère
de Dieu, et d'inlerposer son intercession pour que Marie l'exauçât.
A la fin du même jour, la fièvre le prit, et quoiqu'elle fût
très-faible, il ne laissa point de croire qu'il était exaucé,
et que sa mort était proche. En effet, dès qu'il se mit au
lit, il dit en riant et en manifes-tanlsa joie : Je ne me relèverai
plusdecelil. El H ajouta, en s'adressant au P. Claude Àquaviva :
Mon père, je crois que S. Laurent m'a obtenu de Marie la grâce
de me trouver au ciel le jour de la fête de son Assomption. Mais
personne ne tint compte de ces paroles. La veille de la fê(e, le
mal
136
LES GLOIRES
continuait à paraître fort léger, mais le saint
dit à un frère qu'il serait mort la nuit suivante. ? mon
frère, lui répon-dit celui-ci, il faudrait un plus grand
miracle pour mou-rir d'un si petit mal, que pour s'en relever. Cependant,
après midi, il fut pris d'un évanouissement mortel; il -commença
à éprouver une sueur froide et à perdre tout-à-fait
les forces. Le supérieur accourut, et Stanislas le pria de le faire
mettre sur la terre nue, pour mourir en pénilent. On le lui accorda
pour le contenter, et il fut placé par terre sur une couverture.
Il se confessa ensuite, et reçut le saint viatique, non sans provoquer
les larmes de tous les assistans, parce qu'ils virent ses yeux brillans
d'une céleste allégresse, et sa figure toute enflammée
de l'amour divin, comme celle d'un séraphin, au moment où
le saint sacrement entra dans la chambre. Ayant reçu encore l'extrême
onction, il ne fit plus autre chose que prier, lever les yeux au ciel,
regarder, baiser, et presser amoureusement contre son cœur une image de
Marie. Un père lui demanda : De quoi votis sert le chapelet roulé
au-tour de votre main, puisque vous ne pouvez le réciter? Il répondit
: 11 me sert à me consoler, parce qu'il est un ob-jet consacré
à ma mère. Le père reprit : Combien plus serez-vous
consolé en la voyant et en lui baisanl bientôt les pieds dans
le ciel! Alors le saint, avec un visage tout embrasé, leva les mains
pour exprimer le désir qu'il avait de se trouver bientôt en
sa présence. Sa chère mère lui apparut ensuite, comme
il le fit connaître aux assistans; et, peu après, dès
l'aube du quinzième jour d'août, il expira comme un bienheureux,
les yeux fixés vers le ciel, sans faire aucun mouvement : de sorte
qu'on s'aper-çut seulement qu'il était allé baiser
les pieds de sa reine bien-aimée dans le paradis, lorsqu'on remarqua
qu'il ne
DE MARIE.
157
faisait plus aucune démonstration envers l'image de la très-sainte
"Vierge qui lui était présentée,
PRIÈRE.
? très-douce reine et notre mère, voua avez maintenant
quitté la terre, et vous êtes arrivée en votre royaume,
où vous êtes placée comme reine au-dessus de tous les
chœurs des anges, ainsi que chante la sainte Église :. « Exal-»
tala est super choros angelorum ad coelestia régna. » Nous
savons bien que de misérables pécheurs tels que nous n'étaient
point dignes de vous posséder en celle vallée de ténèbres
; mais nous savons aussi que, dans vos grandeurs, vous ne nous oubliez
pas, et que, tout élevée que vous êtes à ce
haut degré de gloire, vous n'avez point perdu, mais qu'au contraire
vous sentez plusvivemenl la compassion que votre cœur éprouvait
pour nous autres, pauvres enfans d'Adam. ? Marie, du trône sublime
où vous régnez, tournez donc les yeux vers nous, et ayez
pitié de nous. Souvenez-yous au moins qu'en quittant cette terre,
vous nous avez promis de ne point nous oublier. Regardez-nous, et se-courez-nous.
Voyez combien de tempêtes et de périls nous assaillent à
toute heure, et continueront de nous assaillir jusqu'au dernier moment
de noire vie. Par les mérites de votre bonne mort, obtenez-nous
la sainte persévérance dans l'amitié de Dieu, pour
que nous sortions enfin de ce monde en état de grâce, et que
nous puissions, nous aussi, aller un jour baiser vos pieds dans le ciel,
nous unissant aux esprits bienheureux pour vous louer et pour chanter votre
gloire comme vous le méritez. Amen.
158
LES GLOIRES
VIII» DISCOURS.
ET 2e SUR h'ASSOMPTION BE MARIE.
I. Combien fut glorieux le triomphe qui accompagna Marie dans le eiel.
II. Combien est sublime le trône sur lequel elle est élevée.
Il semblerail juste qtie l'église, dans ce jour de l'as-somption
de Marie au ciel, nous invitât plutôt à pleurer qu'à
notis réjouir, puisque notre douce mère quitte la terre,
et nous prive de sa chère présence, comme dit S. Bernard
: « Plangendum nobis quam plaudendum ma-» gis esse videtur.
» (Serm. 1. de Ass.) Mais non, la sainte égfise nous invite
à nous réjouir: « Gaudeamus omnes in » Domino,
diem festum célébrantes sub honore béafas »
Mariée Virginis, » Et c'est avec raison : car, si nous aimons
notre mère, nous devons plutôt nous réjouir de sa gloire
que de notre consolation particulière. Quel est le fils qui ne se
réjouit point, même en se séparant de sa mère,
quand il sait qu'elle va prendre possession d'un royaume? Aujourd'hui Marie
va être couronnée reine du ciel; si nous l'aimons, comment
pourrions-nous lie pas fêter ce jour? « Gaudeamus omnes, gaudeamus.
» Et pour mieux nous coifsoler de son exaltation, considérons
1° combien fut glorieux le triomphe qui accompagna Marie dans le ciel;
2e combien est sublime le trône sur lequel elle fut élevée.
ME MARIE.
139
Premier point. — Après que Jésus-Christ, notre Sau-veur,
eut accompli, par sa mort, l'œiiVre de notre ré-demption , les anges
désiraient le posséder dans leur patrie céleste, en
sorte qu'ils lui répétaient continuelle-ment la prière
de David : « Surge, Domine, in requiem » tuam, tu etarca sanctificationis
tuae. » (Psalm. cxxxi. 8.) Allons, Seigneur, maintenant que vous
avez racheté les hommes, venez nous rejoindre dans votre royaume,
et conduisez avec vous l'arche vivante de voire sanctifica-tion , c'est-à-dire,
votre mère, l'arctie vivante que vous avez sanctifiée en
habitant d;vns son sein. Tel est justement le langage que S. Bernardin
met dans la boache des anges : « Ascendat etiam Maria, tua sanctissima
mater, » lui conceplione sanctificata. » ( Se'rm. de Ass. )
Le Sei-gneur voulut enfin combler les souhaits des habitans du ciel, en
appelant Marie au paradis. Mais s'il voulut que l'arche de l'ancien Testament
fût introduite avec une grande pompe dans la cité de David
: « Et David, et » omnis domus Israël ducebat arcam Testamenti
Domini » in jubilo ei clangore bueeinœ, » (4. Reg. vi.) il
ordonna que sa mère entrât dans le ciel avec une pompe bien
plus solennelle el bien plus glorieuse. Le prophète Elie fut tran-sporté
au ciel dans un char de feu, qui, d'après les inter-prètes
, n'était autre chose qu'une compagnie d'anges qui le ravirent à
la terre. Mais, ô mère de Dieu, dit l'abbé Ruperi,
une compagnie d'anges ne suffisait pas pour vous ; le roi même du
ciel vient vous accompagner avec toute sa cour céleste : «
Ad Iransferendum le in ccelum, » non unus currus igneus, sed totus,
cum rege suo filio » tuo, venit atque occurrit exercitus angelorum.
»
S. Bernardin de Sienne est de ce sentiment, savoir, que Jésus-·Christ,
pour honorer le triomphe de Marie,
140
LES GLOIRES
vint du paradis à sa rencontre, pour l'accompagner : «
Surrexit gloriosus Jésus in occursum suae dulcissimo » matris.
»-Et c'est justement pour cela, dit S. An-selme, que le Rédempteur
veut monter au ciel avant que sa mère y soit parvenue, non-seulement
pour lui prépa-rer un trône dans le palais, mais encore pour
rendre son entrée au ciel plus glorieuse, en l'accompagnant lui-même
avec tous les esprits bienheureux : « Prudentiori con-» cilio
illam praecedere volebas, quatenus in regno tuo » ei locum praeparans,
et sic comitatus tota curia tua » festivus ei occurrens, sublimius,
sicut decebat, tuam » matrem ad le exallares. » (Vid. deExc.
V. Cap, vin.) Aussi, S. Pierre Damien, contemplant la splendeur de l'assomption
de Marie au ciel, dit que nous la trouverons plus glorieuse que celle de
Jésus-Christ, parce que les anges vinrenlseuls à la rencontredu
Sauveur, au lieu que la bien-heureuse Vierge alla à la gloire accompagnée
du seigneur même de la gloire, et de toute la bienheureuse compagnie
dessaintset des anges: « Invenies occursum hujus pompae » digniorem
quam'in Christi ascensione : soli quippe » angeli Redemptori occurrere
potuerunt, matri vero » filius ipse cum tota curia tam angelorum
quam sanc-» torum occurrens, duxit ad beatae consistorium sessio-»
nis. » (Serm. de Ass.) A ce sujet, l'abbé Guerric fait parler
ainsi le Verbe divin : « Ego, ut Patrem ho-» norarem, ad terram
descendi ; ut matrem honorarent » ad cœlum reascendi. » Pour
honorer mon Pòre je suis descendu du ciel en terre, mais pour honorer
ma mère, je suis remonté au ciel, afin de pouvoir venir à
sa rencontre, et l'accompagner en personne dans le pa-radis.
Considérons donc comme le Sauveur vient du ciel à la
DE MARIE.
141
rencontre de sa mère, et la console en ces mots, dès
qu'il l'aperçoit : « Surge, propera, arnicamea, columba mea,
» formosa mea, et veni, jam hyems transiit et recessit. » (Cant.
ii, 10.) Allons, ma chère mère, ma belle et pure colombe,
quittez cette vallée de larmes, où vous avez eu tant à
souffrir pour l'amour de moi : « Yeni de » Libano, sponsa mea,
veni de Libano, veni, corona-» beris. » (Cant. iv, 8.) Venez
en corps etename, venez jouir de la récompense que votre vie a méritée.
Si vous avez beaucoup souffert sur la terre, la gloire que je vous ai préparée
dans les cieux est bien plus grande encore que vos souffrances. Venez vous
asseoir à mes côtés ; venez recevoir la couronne de
reine de l'univers, que je vais vous donner. A l'instant Marie quitte la
terre, et, se souvenant des grâces qu'elle y a reçues de son
Sei-gneur, elle la regarde avec une tendre compassion, parce qu'elle y
laisse une multitude de pauvres enfans au milieu des misères et
des dangers. Voilà que Jésus lui tend la main, et déjà
la bienheureuse mère s'élève dans les airs ; déjà
elle traverse les nuages et les globes du firmament : la voilà parvenue
aux voûtes du ciel. Lorsque les monar-ques font leur entrée
solennelle pour prendre possession de leur royaume, ils ne passent point
par les portes de la capitale, mais on enlève ces portes, ou les
princes pas-sent par-dessus. Ainsi, comme les anges disaient lorsque Jésus-Christ
entra dans le paradis : « Attollite portas, » principes, vestras,
et elevamini, portae aeternales, et » introibit rex gloriae. »
(Psalm. xxm.) De même, en ce jour où Marie va prendre possession
du royaume des cieux, les anges qui l'accompagnent disent à ceux
qui sont dans la sainte cité : « Attollite portas, principes,
» vestras, et elevamini, portée aeternales, et introibit re-
142
LES GLOIRES
» gina gloriae. » Princes du ciel, enlevez, ôtez
vile les portes, parce que la reine de la gloire va y faire son en. liée.
Marie entre dans la bienheureuse patrie : mais en ce mo-ment où
les esprits célestes la voient si belle et si glorieuse, ils demandent
aux anges qui l'accompagnent, selon la pen-sée d'Origène
: « Una omnium in cœlo erat laetantium » (vox) : Quae est ista
quse ascendit de deserto, deliciis » affluens, innixa super dilectum
suum ? » (Cant viii, 5.) Et quelle esl cette créature si ravissante
qui vient du désert de la terre, lieu rempli d'épines et
de tribulatione? Mais elle vient si pure et si riche de verius, appuyée
sur son bien-aimé Seigneur, qui daigne l'accompagner lui-même
avec tant d'honneur! qui est-elle? Les anges qui l'ac-compagnenl répondent
: C'est la mère de notre roi, notre reine, la femme bénie
entre toutes les femmes, pleine de grâces, la sainte des sainls,
la bien-aimée de Dieu, l'im-maculée , la colombe, la plus
belle des créatures. Enfin, tous ces bienheureux esprits se mettent
à la bénir et à la louer en chantant, avec plus de
raison que les Juifs ne chantaient en l'honneur de Judith : « Tu
gloria Jérusalem, » lu laelilia Israël, tu honorificenlia
populi nostri. » (Judith, xv, 10.) Oh! notre dame et notre reine,
vous êtes donc la gloire da ciel et l'allégresse de notre
pairie, vous êtes l'honneur de nous tous; soyez la bien-venue, soyez
toujours bénie : voilà votre royaume ; nous sommes tous vos
sujets, prêts à exécuter vos ordres.
Tous les saints qui étaient alors en paradis vinrent la felici
1er et la louer comme leur reine : les saintes vierges vinrent d'abord
: « Viderunt eam filiae, et bealissimam prae-li dicaverunt.... et
laudaverunt eam. » (Cant. vi, 8.) 0 bienheureuse Marie, dirent-elles,
nous sommes reines
DE MARIE.
143
de ce royaume, mais vous, vous êtes notre reine, parce que vous
nous avez donné la première le grand exemple de consacrer
noire virginité à Dieu : nous vous en bénissons, el
nous vous en remercions toutes. Les saints confesseurs vin-rent ensuite
la saluer comme la maîtresse qui leur avait enseigné tant
de sublimes verius par la sainteté de sa vie. (.es sainls martyrs
la saluèrent à leur tour comme leur reine, parce qu'elle
leur avait enseigné, par sa constance inaltérable au milieu
des douleurs qu'elle ressentit de la passion de son fils, et qu'elle leur
avait aussi obtenu, par ses mérites, la force de donner leur vie
pour la foi. S· Jacques, le seul apôtre qui se trouva alors
en paradis, vint également la remercier au nom de tous les autres
apôtres, de la force et de l'appui qu'elle leur avait accor-dés
lorsqu'elle était sur la terre. Vinrent ensuite les Pro-phètes,
qui lui dirent : ? Marie, vous avez été celle que désigriai«jnt
nos prophéties. Puis les sainls patriarches pa-rurent, et lui dirent
: ? Marie, c'est donc vous qui étiez notre espérance, et
depuis si long-lemps l'objet de nos soupirs! Mais, parmi eux, aucun ne
la remercia avec plus d'affection que nos premiers parens, Adam et Eve,
? fille bien-aimée, lui disaienl-ijs, vous avez réparé
le mal que nous avions fait au genre humain; vous avez obtenu au monde
cette bénédiction que nous avions perdue par notre faule;
naus sommes sauvés par vous, soyez-en bénie à jamais.
S. Simeon vint ensuite lui baiser les pieds, et lui rappe-ler avec
joie le jour où il reçut de ses mains l'enfant Jésus.
Zacharie et Elisabeth vinrent la remercier de nouveau de celle amoureuse
visite qu'elle leur avait faite dans leur maison avec tant d'humililé
et de charité, visite qui leur procura des trésors si abondans
de grâces. S. Jean-Baptisie
144
LES GLOIRES
vint aussi la remercier avec plus d'empressement de ce qu'elle l'avait
sanctifié par sa parole. Mais que ne durent pas lui dire ses parens,
S. Joacbim elsainte Anne, lors-qu'ils se présentèrent? ?
fille bien-aimée! quel bonheur a été le nôtre
en vous obtenant pour notre fille ! Ah ! vous êtes maintenant nôtre
reine, parce que vous êtes la mère de notre Dieu : nous vous
saluons et vous révérons comme telle. Mais qui pourrait concevoir
la tendresse avec laquelle Joseph, son cher époux, vint lui rendre
hommage? qui pourra jamais dépeindre l'allégresse qu'éprouva
le saint patriarche en voyant son épouse arrivée au ciel
au milieu d'un si grand triomphe, et couronnée freine de tout le
pa-radis? avec quelle affection ne dût-il point lui dire : Ah! ma
dame et moii épouse, quand pourrai-je remercier notre Dieu comme
je le dois, pour m'avoir rendu votre époux, vous qui êtes
sa véritable mère? Par vous j'ai mérité d'être
le témoin de l'enfance du Verbe incarné, de le tenir tant
de fois dans mes bras, et d'en recevoir tant de faveurs si-gnalées!
Qu'ils soient bénis les momens que j'ai employés à
servir Jésus, ainsi que vous, ma sainte épouse! Voici notre
Jésus ; consolons-nous maintenant qu'il n'est plus étendu
sur la paille dans une étable, comme nous le vîmes lorsqu'il
naquit à Bethléem; qu'il n'est plus pauvre et méprisé
dans une boutique comme il vécut autrefois avec nous à Nazareth
; qu'il n'est plus cloué à un bois infâme comme il
le fut à Jérusalem, lorsqu'il mourut pour le salut du monde.
Il est assis à la droite de son Père, comme le roi et le
maître de toute la terre. Et vous voilà pour toujours à
ses pieds sacrés, ô ma reine! pour le bénir et pour
l'aimer éternellement.
Tous les saints anges vinrent ensuite lui faire la cour, et la grande
reine Marie les remercia tous de 1'assislancç
DE MARIE.
145
qu'ils lui avaient donnée sur la terre : elle remercia parti-culièrement
l'archange S. Gabriel, ambassadeur fortuné, qui lui apporta le bonheur
lorsqu'il vint lui annoncer qu'elle serait mère de Dieu. Se prosternant
ensuite, l'hum-ble et sainte Vierge adore la divine majesté, et,
toute abîmée dans la connaissance de son néant, elle
la remercie de toutes les grâces qu'elle lui a accordées par
sa seule bonté, et surtout de l'avoir rendue mère du Verbe
éter-nel. Comprenne qui peut avec quel amour la très-sainte
Trinité la bénit. Qu'il comprenne l'accueil que le Père
fit à sa fille, le Fils à sa mère, el l'Esprit-Saint
à son épouse. Le Père la couronna en la faisant participer
à sa puissance, le Fils en lui communiquant sa sagesse, l'Esprit-Saint
en lui inspirant le divin amour. Les trois Personnes l'ayant placée
sur son trône, à la droite de Jésus, la déclarèrent
reine universelle du ciel el de la terre, et elles ordonnè-rent
aux anges et à toutes les créatures de la reconnaître
pour leur reine, de la servir et de lui obéir en cette qualité.
Considérons maintenant combien est sublime le Uône sur lequel
Marie fut élevée dans le ciel.
Deuxième point. — Si l'esprit humain, dit S. Bernard , ne peut
parvenir à comprendre la gloire immense que Dieu a préparée
dans le ciel à ceux qui l'auront aimé sur la terre, comme
l'apôtre nous l'enseigne, qui pourra ja-mais concevoir « quid
praeparavit gignenli se? » quelle gloire il a préparée
à sa mère bien-aimée, qui l'a chéri sur la
terre plus que tous les hommes, et qui même, dès le premier
instant de sa création, l'aima plus que tous les hommes et que tous
les anges ensemble? Marie ayant donc aimé Dieu plus que lous les
anges, c'est avec raison que l'Eglise chante qu'elle a été
élevée dans le ciel au-dessus de tous les anges : «
Exaltata est sancta Dei geni-vii.
40
446
LES GLOIRES
» Irix super choros angelorum ad coelestia régna. »
(lu Fest. Assumpt.) Elle s'élève, dit S. Guillaume, abbé,
au-dessus des anges, de telle sorte qu'elle ne voit au-des-sus d'elle que
son fils, qui est le Fils unique de Dieu : « Matrem dico exallalam
super choros angelorum, ut » nihil contempletur super se mater, nisi
filium suum. » (Serm- i% de Ass.) C'est pourquoi le savant Gerson
as-sure que, tous les ordres des anges et des sainis étant dis-tingués
en trois hiérarchies, comme l'enseigne le docteur angélique,
(Quest. cviu.) avec S. Denis, Marie constitue dans le ciel une hiérarchie
à part, qui est la plus sublime de toutes, et la deuxième
après Dieu : « Yirgo sola consti-» luit hierarchiam
secundam sub1 Deo, hierarcha primo. » (Sup. Magn., tr. 4·)
Et de même, ajoute S,. Antonin, que la maîtresse diffère
incomparablement de l'esclave, ainsi la gloire de Marie surpasse celle
dus anges : « Virgo est » domina angelorum ; ergo et improportionabiliter
est » supra omnem hierarchiam angelorum exallala. ». (4. p.
tit. 45. e. 20.) Et pour bien entendre ceci, il suffit de savoir ce que
dit David, que cette reine fut placée à la droite de son
fils : « Astitit regina a dextris tuis. » (Psalm. xuv. ) Ce
que S. Athanase explique très-bien en disant : « Collocatur
Maria a dextris Dei. » (De Ass. B. V.) Il est certain, dit S. Ildefonse,
que les oeuvres de Marie surpassèrent incomparablement en mériie
les œuvres de tous les sainis; c'est pourquoi il n'est pas possible de
con-cevoir la récompense et la gloire qu'elle mérita : «
Sicut » est incomparabile quod gessit, ita et incomprehensibile »
praemium, et gloria inler omnes sanctos, quam meruit. « (Serm. 2,
de Ass.) El s'il est hors de doute que Dieu récom-pense selon le
mérite, comme l'écrit l'apôtre : « reddet uni-»
cuique secundum opera ejus, » (Rom. ii, 6) assurément,
DE MARIE.
447
dit S. Thomas, la Vierge, dont le mérite surpassa celui de lous
les hommes et de tous les anges, dut être élevée au.
dessus de tous les ordres célestes : « Sicut habuit meritum
» omnium, et amplius, ita congruum fuit ut super omnes » ponatur
ordines ccelestes. » (Lib. de Sol. Sanct.) En un mot, ajoute S. Bernard,
qu'on mesure la grâce singulière qu'elle acquit sur la terre,
et d'après cela, on pourra mesurer la gloire singulière qu'elle
obtint dans le ciel. « Quantum enim gratiae in terris adepta est,
tantum et » in coelis obtinet gloriae singularis. »
Un savant auteur, le P. la Colombière, (Serm. 28) re-marque
que la gloire de Marie fui une gloire pleine et une gloire complète,
bien différente de celle dont les autres saints jouissent dans le
ciel. Là, il est vrai, tous les bienheureux jouissent d'une paix
parfaite et d'un plein contentement, mais il sera néanmoins toujours
vrai qu'aucun d'eux ne possède la gloire qu'il aurait pu mériter
s'il eût servi et aimé Dieu avec une plus grande fidélité.
Ainsi, quoique les saints dans le ciel ne désirent rien de plus
que ce qu'ils ont, néanmoins ils pourraient encore avoir quelque
chose à désirer. Il est vrai encore que, dans cet heureux
séjour, ni les? péchés commis, ni le temps perdu,
ne peuvent causer de peine; mais on ne peut nier qu'il ne résulte
un parfait contentement du plus grand bien pratiqué pen-dant la
vie, de l'innocence conservée, et du temps mieux employé.
Marie ne désire rien et n'a rien à désirer dans le
ciel. Quel est le saint dans le paradis, dit S. Augustin, (de Nat. et Grat.
t. vu, c. 56) qui, interrogé s'il a com-mis des péchés,
pourrait répondre que non, excepté Marie? Il est certain,
comme l'a défini le saint concile de Trente, (Sess. vi, can. 23)
que Marie n'a jamais commis aucune faute, et qu'elle n'eut jamais le moindre
défaut ; non-
10.
LES GLOIRES
seulement elle ne perdit et n'offensa jamais la grâce di-vine,
mais elle ne la retint même jamais oisive : elle ne fit aucune action
qui ne fût méritoire; elle ne dit aucune parole, elle n'eut
aucune pensée, elle ne poussa aucun soupir, sans rapporter le tout
à la plus grande gloire de Dieu. En un mot, elle ne se refroidit
jamais; jamais elle ne cessa un moment d'avancer vers Dieu, et elle ne
per-dit rien par sa négligence; ainsi, elle correspondit à
la grâce de toutes ses forces > et elle aima Dieu autant qu'elle
pouvait l'aimer. « Seigneur, dit-elle maintenant dans le ciel, si
je ne vous ai point aimé comme vous le méritez, du moins,
je vous ai aimé autant que je le pouvais. »
Dans les saints, les grâces ont été différentes,
comme dit S. Paul ; « Divisiones gratiarum sunt. » En sorte
que chacun d'eux s'est rendu excellent dans quelque vertu, en correspondant
à la grâce reçue, et en s'appliquant l'un au salut
des âmes, l'autre aux travaux de la pénitence; celui-ci à
la patience dans les tourmens, celui-là à la con-templation.
C'est pourquoi l'église, en célébrant leur fôle,
dit de chacun d'eux : « Non est inventus similis illi : » et
ils sont distingués dans la gloire célesle selon leurs mé-ïiles
: « Stella enim a stella differt. » (I Cor. xv, 44.) Les apôtres
sont distingués des martyrs, les confesseurs des vierges, les innocens
des pénilens. La sainte Vierge ayant été remplie de
toutes les grâces, fut plus élevée que cha-cun des
autres saints en toutes sortes de vertus : elle fut l'apôtre des
apôtres, elle fut la reine des martyrs, puis-qu'elle eut plus à
souffrir qu'eux tous; elle fut le porle-étendart des vierges, le
modèle des épouses ; elle joignit en elle une parfaite innocence
à une parfaite mortification; en un mot, elle réunit dans
son cœur toutes les plus hé-roïques vertus qu'aucun saint ait
jamais pratiquées. C'est
DE MARIE.
149
pourquoi il fut dit à son sujet : « Astitit regina a dextris
» luis, in vestitu deaurata, circumdata varietate. » (Psalm.
44.) Parce que toutes les grâces, les dons et les mérites
de tous les autres saints se trouvaient rassemblés en Marie, comme
dit l'abbé de Celles : « Sanctorum omnium privi-» legia,
? Virgo! omnia habens in te congesta. »
De sorte que, comme l'éclat, du soleil surpasse la splen-deur
de toutes les étoiles réunies ensemble, ainsi, dit §.
Basile, la gloire de la divine mère surpasse celle de tous les bienheureux
: « Maria universos tantum excedit quan-» tum sol reliqua astra.
» (Or. deÀnn.) Et S. Pierre Da-mien ajoute que, comme la lumière
des étoiles et de la lune s'éclipsent totalement en face
du soleil, ainsi Marie éclipse lellement dans la gloire la lumière
des hommes et des anges, qu'ils ne paraissent presque plus dans le ciel
: « Sol ita sibi siderum et lunae rapit positionem, ul sint »
quasi non sint; similiter et virga Jesse utrorumque » spirituum habebat
dignitatem, ut in comparatione vir-» ginis nec possint apparere.
» (Serm. de Ass.) De là , S. Bernardin de Sienne avec S. Bernard
assurent que les bienheureux participent en partie à la gloire de
Dieu„ mais que la sainte Vierge en a été tellement enrichie,
qu'il semble qu'une créature ne puisse s'unir à Dieu plus
que Marie n'y est unie : « Divinae gloriae participato cseteris »
quodam modo per partes datur, sed secundum Ber-» nardum beata virgo
Maria penetravit abyssum, ut, quan-» tum creaturae conditio patitur,
illi luci inaccessibili vi-» deatur immersa. » (Tom. I, serm.
61, a. n, e. 20.) A ce témoignage, il faut joindre celui du B. Albeit-le-Gvand,
qui dit que notre reine contemple Dieu de plus près, et incomparablement
mieux que tous les autres esprits cé-lestes : « Visio Virginis
matris super omnes creaturas in-
150
LES GLOIRES
» comparabiliier contemplatur majestatem Dei. » (De Laud,
Virg. c. 69.) S. Bernardin, que nous venons de citer, dit encore que, comme
le soleil communique la lumière aux autres planètes, de même
tous les bienheureux re-çoivent une lumière et une joie plus
grande de la vue de Marie : « Quodammodo sicut caetera luminaria
illuminan-» lur a sole, sic tota cœleslis curia a gloriosa Virgine
lœli-xficalur. » (Loc. cit. art. m, cap. 3.) Et il assure égale-ment
ailleurs que la mère de Dieu, en montant au ciel, a augmenté
la joie de tous ceux qui l'habitent : « Gloriosa » Virgo cum
cœlos ascendit, supernorum gaudia civium » cumulavit. » (Serm.
de Ass.) Ce qui fait dire à S. Pierre Damien quo les bienheureux
dans le ciel, après la vue de Dieu, n'onl pas de gloire plus grande
que de jouir de la vue de celle belle reine : « Summa gloria est,
post » Deum, te videre. » (Serm. I. deNat.) S. Bonavenluredit
aussi : « Post Deum, major gloria nostra et majus nostrum »
gaudium ex Maria est. »
Réjouissons-nous donc avec Marie du trône sublime auquel
Dieu l'a élevée dans le ciel ; réjouissons-nous-en
aussi entre nous, puisque, si notre mère nous a ôté
sa présence en moniant radieuse dans le ciel, elle ne nous a poinl
ôlé son amour; au contraire, se trouvant là plus près
de Dieu et plus unie à lui, elle connaît mieux nos misères,
elle y compatit davantage, ei elle peut nous se-courir plus efficacement.
« Comment, ô Vierge bienheu-reuse, lui dil S. Pierre Damien,
nous oublieriez-vous, misérables que nous sommes, parce que vous
avez élé si élevée dans les cieux ?»
« Numquid, o beata Virgo, quia »i(a glorificata es, ideo nostrae
humilitatis oblita e&? » (Ser.i, deNat. B. V.) Dieu nous préserve
de le penser! Non, un cœur si rempli de bonlé ne peut s'empêcher
de
compalir à de si grandes misères. « Absit, ajou
e-t-iï, » non convenit tantse misericordiae tantae miseria:
obli-» visci. » Si la miséricorde de Marie pour nous
fui grande lorsqu'elle élaii sur la terre, elle sera bien plus granc
le dans le ciel où elle règne, dit S. Bonaventure : «
Magna fuit » erga miseros misericordia Mariae exulanlis in ? undo;
» sed multo major est regnantis in cœlo. » (Spec. e. 8.)
Consacrons-nous donc à cette grande reine, pour la servir, pour
l'honorer, et pour l'aimer de toules nos forces; car, dit Richard-de-S.-Laurent,
Marie n'est point comme les autres potentats, qui accablent leurs si jets
de ebarges et de tributs : notre reine enrichit ses seiviteurs de grâces,
de mérites et de récompenses : « Regina Maria »
non gravat tributis, sed largitur servis suis divitiae, dona v> gratiarum,
thesauros meritorum, et magnitudine ? prse-» miorum. »(deLaud.
Virg.lib.6.) Disons-lui, avec l'abbé Guerric : ? Mère de
miséricorde, étant si près de Dieu, as-sise comme
la reine du monde, sur un trône si élevé, rassasiez-vous
de la gloire de voire Jésus, et envoyez à vos serviteurs
les restes de votre bonheur. Vous êtes assise à la table du
Seigneur; nous, habitans de la lerre, qui sommes sous cette table comme
de pauvres petits ;hiens, nous vous demandons miséricorde : «
? Mater miscri-» cordiae, saturare gloria filii tui ; et dimitte
reliqu as par-» vulis luis. Tu ad mensam Domini, nos sub mqnsa ca-»
telli. (Serm. iv, in Ass. Virg.)
EXEMPLE.
Le P. Sylvain Razzi, (lib. m, Mir. B. Y.) rjapporte qu'un pieux ecclésiastique,
Irès-amanl de noire rein î Marie, ayant entendu louer sa beauté,
désira ardemment la voir
452
LES GLOIRES
une fuis; il lui demande donc très-humblement cette grâce.
La bonne mère lui envoya dire par un ange qu'elle voulait bien lui
procurer celle satisfaction, mais à condition qu'après l'avoir
vue il resterait aveugle, condition que le pieux personnage accepta. En
conséquence, un jour, la bonne Vierge lui ayant apparu, il voulut
d'abord, pour ne pas devenir tout-à-fait aveugle, ne la regarder
que d'un œil ; mais bientôt, ravi de la grande beauté de Marie,
il voulut ouvrir les deux yeux pour la contempler, et en ce moment, la
mère de Dieu disparut. Lorsqu'il eut perdu de vue la présence
de sa reine, il ne pouvait se rassasier de pleurs, non pour l'œil qu'il
avait perdu, mais pour ne l'avoir pas vue des deux yeux. C'est pourquoi
il la sup-plia encore de se montrer à lui de nouveau, se mettant
peu en peine de perdre l'œil qui lui restait et de demeu-rer tout-à-fait
aveugle. ? Marie, disait-il, je serais heu-reux et content de devenir tout-à-fait
aveugle pour une si belle cause, d'où résultera en moi un
accroissement d'amour pour vous et pour votre beauté. Enfin Marie,
vou-lant de nouveau le satisfaire, le consola une seconde fois en se produisant
à ses regards; mais comme cette amoureuse reine rfe sait faire de
mal à personne, en lui apparaissant la seconde fois, elle lui rendit
l'œil qu'il avait perdu, au lieu de lui ôlercelui qui lui restait.
prièri;.
? grande, sublime et glorieuse reine, prosternés aux pieds de
votre trône, nous vous rendons, de celte vallée de larmes,
nos profonds hommages; nous nous réjouis-sons de la gloiie immense
donl le Seigneur vous a com-blée. Maintenant que vous êtes
reine du ciel et de la terre,
DE MARIE.
ah ! n'oubliez point vos pauvres serviteurs, ne dédaignez point,
du haut de ce trône sublime où vous êles élevée,
de jeler un regard de pitié sur vos misérables enfans. Plus
vous êles près de la source des grâces, et plus vous
pou-vez nous en communiquer. Vous connaissez mieux dans le ciel nos misères,
et ainsi, vous devez éprouver pour nous plus de compassion , et
nous accorder plus de se-cours; faites que nous soyons sur la terre vos
serviteurs fidèles, afin que nous puissions aller vous bénir
en para-dis. En ce jour où vous avez été établie
reine de l'uni-vers, nous nous consacrons aussi à.votre service.
Du sein de voire bonheur, consolez-nous aussi aujourd'hui, en nous acceptam
pour vos sujets. Vous êtes donc notre mère ; ah ! très-douce
mère, très-aimable mère, vos autels sont en-vironnés
d'un grand nombre d'hommes qui vous deman-dent, l'un d'être guéri
de quelque maladie, l'autre d'être secouru dans ses besoins; celui-ci
sollicite une bonne ré-colte, celui-là veut gagner un procès.
Pour nous, ô Ma-rie ! nous vous demandons les grâces" les plus
agréables à votre cœur : obtenez-nous l'humilité,
le détachement de la terre, la résignation à la volonté
divine; obtenez-nous la sainte crainte de Dieu, la bonne mort, et le paradis.
? Marie, changez-îious de pécheurs en saints ; faites ce mi-racle
, qui vous honorera plus que si vous rendiez la vue à mille aveugles,
et que si vous ressuscitiez mille morts. Vous êles si puissante auprès
de lui ; il suffi! de dire que vous êtes sa mère bien-aimée
et pleine de grâces; que pourrait-il vous refuser? ? belle reine,
nous ne préten-dons point vous voir sur la terre, mais nous voulons
aller vous voir en paradis : c'est à vous de nous obtenir celte
grâce, que nous espérons avec certitude. Amen, amen.
154
LES GLOIRES
IXe DISCOURS.
SUR JjES DOULEURS PE MARIE.
Marie a été la reinç des martyrs, parce <jue
son supplice fut plus long et plus douloureux que celui de tous les autres
martyrs.
Quel sera le cœur assez dur pour ne pas s'attendrir au récit
d'un foit lamentable arrivé autrefois dans le monde? Il y avait
une mère noble et sainte qui n'avait qu'un fils, et ce fils unique
était le plus aimable qu'on puisse imaginer : innocent, vertueux,
beau, et si affectueux en-vers sa mère, qu'il ne lui avait jamais
causé aucun déplai-sir, et qu'au contraire il avait toujours
eu envers elle tout le respect, toute,l'obéissance, et toute l'affection
possibles: aussi, la mère avait concentré dans ce fils tout
son amour sur la terre. Or, qu'arriva-t-il? 11 arriva que ce fils, objet
de l'envie, fut accusé faussement par ses ennemis, et que le juge
craignant de déplaire à ceux-ci, Je condamna à une
mort infâme, telle précisément qu'ils le deman-daient
, quoiqu'il eût reconnu et confessé lui-même l'in-nocence
de l'accusé. Celte pauvre mère eut donc à souf-frir
le cruel supplice de se voir enlever injustement cet aimable et bien-aimé
fils à la fleur de l'âge, et cela pat une mort barbare ; car
ils le firent mourir dans les lour-mens, sur un infâme gibet, aux
yeux du public, après avoir versé tout son sang. Qu'en dites-vous,
âmes pieu-ses? ce fait est-il attendrissant? cette mère est-elle
digne de compassion ? Vous comprenez bien de qui je parle: ce fils si cruellement
exécuté, c'esl Jésus, notre amoureux
DE MARIE.
155
Rédempteur ; cette mère, c'est la bienheureuse Vierge
Ma-rie, qui pour l'amour de nous, consentit à le voir sacrifié
à la divine justice par la barbarie des hommes. Cette grande douleur
que Marie a soufferte, et qui lui coûta plus de mille morts, mérite
donc de notre part compas-sion et reconnaissance, et si nous ne pouvons
offrir au-tre chose en échange d'un tel amour, arrêtons-nous
au moins aujourd'hui quelques instans à considérer toute
l'amertume de celle douleur, qui rendit Marie reine des martyrs, parce
que son supplice fui le plus long, premier poinl; parce qu'il fut le plus
douloureux, deuxième point. Premier poinx.t—Comme Jésus est
appelé roi des dou-leurs et roi des martyrs, parce qu'il souffrit
en sa vie plus que lous les autres martyrs ; de môme, Marie est justement
appelée reine des martyrs, parce qu'elle mérita ce titre
en souffrant le martyre le plus grand qu'il fût possible d'en-durer
après celui de son fils. C'est pourquoi Richard-de-S. Laurent l'appelle
avec raison « Martyr martyrum. » On peut lui appliquer les
paroles d'Isaïe : « Corona coronabit » le desolatione
» (Cap. 22.); c'est-à-dire que la couronne qu'on plaça
sur sa tête en la reconnaissant reine des mar-tyrs, fut sa douleur
même qui surpassa celle de tops les autres martyrs réunis.
Que Marie ait été vérilablemenÈ, mar-tyre,
on ne peut en douter, comme le prouvent le Chartreux, Pelbarle, Calarin
et d'aulres auteurs ; car c'est une opinion indubitable, qu'une douleur
qui peut donner la morl est suffisante pour constituer le martyre, quoique
la mort ne .s'ensuive pas. S. Jean-1'Evangéliste est révéré
comme mar-tyr, quoiqu'il ne soil point morl dans la chaudière d'huile
bouillante où on le jeta, et que « vegetior exiverit quam
» intraverit. » (Biw. Rom. 6. Maii.) Il suffit, dit S. Tho-mas,
que l'on obéisse jusqu'à s'offrir soi-même à
la moiï,
1S6
LES GLOIRES
pour avoir la gloire du martyre : « Martyrium amplectitur »
id quod in obedientia summum esse potest, iit scilicet » aliquis
sit obediens usque ad mortem. » (ii. 2. q. 124. a. 5. ad. 3.) Marie
fut martyre, dit S. Bernard, « non ferro carnificis, sed acerbo dolore
cordis. (??. Baldi. tom. 1. p. 456. ) Si son corps ne fut point meurtri
par la main du bourreau, son cœur béni fut néanmoins percé
par la douleur de la passion de son fils, douleur qui était suf-fisante
pour lui faire souffrir, je ne dis pas une mort, mais mille morts àlafois.
Par-là nous pourrons comprendre que Marie ne fut pas seulement martyre,
mais que son martyre surpassa encore celui de tous les autres, parce qu'il
fut plus long, et que sa vie fut pour ainsi dire une longue mort.
Comme la passion de Jésus-Christ commença dès
sa naissance, selon S. Bernard : « A nativitatis exordio passio »
crucis simul exorta » , (Serm. ii. de Pass. ) ainsi Marie, semblable
en tout à son divin fils, souffrit son martyie toute sa vie. Le
nom de Marie, assure le bienheureux Albert-le-Grand, signifie, entr'aulres
choses, « mare amarum ». C'est pourquoi on peut lui appliquer
ce passage de Jérémie : « Ma-gna est enim velut mare
contritio tua. » (Thr.n. l.)Oui, parce que, comme l'eau de la mer
est salée et toute amère, ainsi la vie de Marie fut toujours
remplie d'amertume à la vue de la passion du Rédempteur,
qui fut toujours présente à son esprit. On ne peut douter
que Marie, plus éclairée par le S.-Esprit que tous les prophètes,
ne comprit mieux qu'eux tous les prédictions relatives au Messie
qu'ils avaient con-signées dans les saintes Écritures. Et
c'esl-là précisément ce que l'ange dit à sainte
Brigitte : « Procul dubio est cre-» dendum quod ipsa ex inspiratione
Spiritus sancti » perfectius intellexit quidquid Prophetarum eloquia
» figurabant. » (Serm. Ang. e. vu.) Donc, comme le
DE MARIE.
157
même ange l'assura, la vierge Marie, voyant (out ce que devait
souffrir le Verbe incarné pour le salut des hom-mes , commença,
même avant d'êlre sa mère, à compatir à
ce Sauveur innocent, qui devait être condamné à une
mort si atroce, pour des fautes qu'il n'avait point com-mises, et elle
commença en même temps son grand mar-tyre : « Ex Scripturis
Deum incarnari intelligens, et quod » tam diversis pœnis deberet
cruciari, tribulationem non »> modicam sustinuit. (Serm. e. xvi.)
Cette grande douleur s'accrut ensuite sans mesure lors-qu'elle devint
la mère du Sauveur. Ainsi, à la vue de tou-tes les souffrances
que devait endurer ce cher fils, elle souffrit un long martyre, un martyre
qui dura toute sa vie : « Tu longum, dit l'abbé Ruppert, prsescia
futurae » passionis filii tui, perlulisli martyrium. » (InCant.
e. 4.) C'est précisément ce que signifiait la vision qu'eut
à Rome sainte Brigitte dans l'église de Sainle-Marie-Majeure,
où la Vierge lui apparut avec le S. vieillard Simeon, et un ange
qui portail une épée fort longue et toute ruisselante de
sang, voulant par-là lui faire comprendre la douleur longue et amore
qui avait percé Marie durant toute sa vie. (Rev. 1. 7. c. h.) Aussi
Ruperl, que nous venons de citer, fait-il parler Marie en ces termes :
Ames rachetées, et mes bien-aimées filles, ne compatissez
point seulement à mes souf-frances pour le moment où j'ai
vu mourir, sous mes pro-pres yeux, mon cher fils Jésus; car le glaive
de douleur que Simeon me prédit a percé mon ame durant toute
ma vie : lorsquej'allaitais mon fils, et lorsque je le réchauffais
entre mes bras, je voyais la cruelle mort qui l'attendait : considérez
donc quel long et cruel martyre je devais en-durer! « Nolite solum
attendere horam illam qua dilec-» tum meum vidi morij nam Simeonis
gladius, ante-
158
LES GtOIRES
» quam pertransiret, longum per me transitum fecit. » Cum
igitur eum lactarem, foverem, prospicerem ejus » mortem : quam prolixam
me putatis pertulisse passio-» nem! » (Loc. e. 1. )
Marie pouvait donc bien dire, par la bouche de David : « Defecit
in dolore vita mea , et anni mei in gemitibus » » (Ps. xxx.
41.) Et dolor meus in conspectu meo sem-» per. » (xxxvii. 48.)
Ma vie s'est écoulée dans les dou-leurs et dans les larmes
; parce que ma douleur, causée par la compassion que je portais
à nion fils bien-aimé, était toujours présente
à #nes yeux, et que je voyais con-tinuellement les souffrances et
la mort qu'il devait endurer un jour. La mère de Dieu révéla
elle-même un jour à sainte Brigitte que, soit qu'elle mangeât,
soit qu'elle travaillât, le souvenir de la passion de son fils était
tou-jours fixe et présent à son pauvre cœur, même depuis
sa mort et son ascension au ciel : « Tempore quo post ascen-»
sionem filii mei vixi, passio sua in corde meo fixa erat : » et sive
comedebant, sive laborabat», quasi recens erat » in memoria
mea. » (Rev. 1. 6. e. lxv.) D'où il résulte, dit Taulère,
que Marie passa toute sa vie dans une dou-leur continuelle, puisque son
cœur n'était jamais occupé que de tristesse et de souffrances
: « Beatissima Virgo pro » tota vita fecit professionem doloris.
» (Vit. Chr. c. 18.)
Ainsi le temps, qui adoucit ordinairement les peines des affligés,
ne servit de rien à Marie : au contraire, le temps faisait croître
ses inquiétudes ; car, à mesure que Jésus croissait,
il se montrait à elle de plus en plus beau et ai-mable; d'un autre
côté, le terme de sa vie approchant toujours le cœur de Marie
était de plus en plus affligé d'avoir à le perdre
sur la terre. Gomme la rosé croît parmi les épines,
dit l'ange à sainte Brigitte, ainsi la mère de
DE MARIE.
159
Dieu croissait en âge au milieu des souffrances : et comme les
épines croissent en même temps que la rosé, ainsi plus
Marie, celle rosé choisie du Seigneur, vieillissait, plus les épines
de ses douleurs la tourmentaient : « Sicut rosa » crescere
solet inler spinas, ita beata Virgo in hoc mundo » crevit inter tribulationes
; et sicut, crescente rosa, cres-» cunt spinae, sic haec electissima
rosa Maria, quanto cres-» cebat aetate, tanto trihulationum spinis
pungebatur. » (Serm. Ang. e, xvi.) Maintenant, après avoir
considéré combien fut longue la douleur de Marie, considérons
dans le second point combien elle fut amère.
Second point.—Ah ! Marie futla reine des martyre, non-seulement-parce
que son marlyie fut plus long que celui de tous les autres, maisencore
parce qu'il fut bien plusdou-loureux. Mais qui pourra jamais en mesurer
la grandeur? Il semble que Jérémie n'ait su à qui
comparer celte mère de douleurs lorsqu'il considérait la
peine extrême qu'elle devait endurer à la mort de son &ls
;« Cui comparabo te? » dit-il, vel cui assimilabo te, filia^erusalem?
magna » est enim velut mare contritio tua. Quis medebitur »
tui? » (Thren. ii. 1.) C'est pour cela que le cardinal Hugues commente
ce passage en ces termes : ? Vierge bé-nie, comme l'amertume des
eaux de la mer surpasse tou-tes les autres amertumes, ainsi votre douleur
surpasse toutes les autres douleurs : « Quemadmodum mare est in »
amaritudine excellens, ita tuae contritioni nulla cala-» mitas aequari
potest. » Aussi, S. Anselme assure que si Dieu, par un miracle particulier,
n'eût point conservé la vie à Marie, sa douleur aurait
suffi pour lui donner la mort à chaque moment de sa vie : «
Utique, Domina, non » crediderim te potuisse stimulos tanti cruciatus,
quin » vitam amilteres, sustinere, nisi ipse spiritus tui filii
460
LES GLOIRES
» te confortaret. » (De Exe. Virg. c. m.) S. Bernardin
de Sienne ajoute que la douleur de Marie fut tellement grande que, si on
la divisait entre tous les hommes, elle suffirait pour les faire mourir
tous subitement : « Tantus fuit dolor » Virginis, quod si inter
omnes creaturas quae dolorem » pati possunt divideretur, omnes subito
interirent. » (Tom. i. Serm. lvi.)
Mais considérons les raisons pour lesquelles le martyre de Marie
fut plus douloureux que celui de tous les martyrs. II faut remarquer que
les martyrs ont souffert leur supplice dans leurs corps, par le fer ou
par le feu ; Marie a souffert son martyre dans l'ame, comme le lui avait
prédit S. Si-meon : « Et tuam ipsius animam doloris gladius
per-» transibit. » (Luc. ii.) C'est comme si le saint vieillard
lui avait dit : 0 Vierge très-sainte, les autres martyrs seront
déchirés dans leurs corps, par le feu ; mais vous, vous serez
percée et martyrisée dans l'ame, par la passion de votre
fils. Or, autant l'aïue l'emporte sur le corps, autant les douleurs
de Marie surpassèrent celles des autres mar-tyrs, comme Jésus-Christ
le dit à sainte Catherine de Sienne : « Inter dolorem animae
et corporis nulla oompa-» ratio, ? En sorte que, selon l'abbé
Arnould de Chartres » celui qui se serait trouvé sur le Calvaire
poury voir le grand sacrifice de l'Agneau sans tache, lorsqu'il mourut
sur la croix, y aurait vu deux grands autels, l'un dans le corps de Jésus-Christ,
l'autre dans le cœur de Marie : là, en même temps que le fils
sacrifiait son corps, Marie sacri-fiait son ame par la compassion : «
Nimirum in laberna-» culo illo duo videres altaria, aliud in pectore
Mariae, « aliud in corpore Christi : Christus carnem, Maria im-molat
animam. » (Tr. de sept. Verb. Dom. in Cruce.)
S. Antonindit en oulre, (P. 1. Tit. xv. e. xxiv) que.
DE MARIE.
161
les autres martyrs souffrirent en sacrifiant leur propre vie, au lieu
que la bienheureuse Vierge souffrit en sacrifiant celle de son fils, qu'elle
aimait bien plus que la sienne. Ainsi, non-seulement elle souffrit dans
son ame tout ce que Jésus-Christ souffrit dans son corps, mais encore
elle souffrit plus en voyant les douleurs de son fils, que si elle les
eût endurées elle-même. On ne peut pas douter que Marie
n'ait souffert dans son coeur tous les supplices dont elle vit tourmenter
son bien-aimé Jésus. Chacun conçoit que les peines
des enfans sont aussi les peines des mères, lorsque celles-ci en
sont témoins. S. Augustin, considérant les lourmens que dut
souffrir la mère des Macchabées, dit : « Illa vi-»
dendo in omnibus passa est ; quia amabat omnes, fe-» rebat in oculis
quod in carne oimnes. » (Serm. cix. de divers, e. vi. ) C'est ce
qui arriva a-Marie : tous les tour-mens, les fouets, les épines,
les clous, la croix, qui déchirèrent la chair innocente de
Jésus, entrèrent en même lemps dans le cœur de Marie
pour accomplir son martyre : « Ille carne, illa corde passa est »
, dit S. Amé-dée (Hom. v.) En sorte, dit S. Laurenl-Juslinien,
que le cœur de Marie devint comme le miroir des douleurs de son fils, dans
lequel on voyait les crachats , les coups, les plaies et tout ce que souffrit
Jésus : « Passionis Christi » speculum effectum erat
cor Virginis : in illo agnos-» cebanlur spula, convicia, verbera,
vulnera. » (De Agon. Christ, e. xi.) S. Bonavenlure aussi remarque
que les plaies qui couvraient le corps de Jésus étaient toutes
réunies dans le cœur de Marie : « Singula vulnera per ejus
» corpus dispersa, in uno corde unila sunt. » ( De Planctu
Vg. inSlim. Am.)
Ainsi, par la compassion qu'elle portait à son fils, la sainte
Vierge fut dans son cœur aimant flagellée, cou-yii.
11
162
LES GLOIRES
ronnéed'épines, méprisée, attachée
à la croix. C'est pour-quoi, le même saint, contemplant Mariesur
le calvaire, pen-dant qu'elle assistait son fils moribond, lui demande
: ? Ma-rie , où éliez-vous alors ? éliez-vous près
de la croix ? non, vous étiez, pour mieux dire, crucifiée
avec votre fils. « ? » domina mea, ubi slabas? numquid tantum
juxta cru-» cem? imOj in cruce cum filio crucifixaeras. » (Loc.
cit.) Richard, à l'occasion des paroles que Jésus-Christ
prononça par la bouche d'Isaïe, « Torcular calcavi solus,
etdegenli-» bus non est vir mecum, » (Is. xxxvi, 3) ajoute
: Verum est, » Domine, quod non est vir tecum ; sed mulier una est
» lecum, quae omnia vulnera, quse tu suscepisti in cor-» pore,
suscepit in corde. » Seigneur, vous avez raison de dire que vous
souffrez Seul dans l'œuvre de la ré-demption , sans qu'aucun homme
compatisse au moins à vos peines; mais vous avez une femme qui est
votre mère, laquelle souffre dans le cœur tout ce que vous souf-frez
dans le corps.
Mais tout ce que nous disons est trop peu de chose à l'égard
des douleurs de Marie, puisqu'elle a plus souf-fert, comme je l'ai dit,
en voyant souffrir son bien-aimé Jésus, que si elle eût
enduré elle-même tous les mauvais Irai terriens et la mort
de son fils. Erasme dit, en parlant généralement des pères,
qu'ils sentent plus les souffrances de leurs enfans que leurs souffrances
personnelles : « Pa-» renlesatrocius torquentur in liberis
quam in se ipsis. » (Li-bell. de Machab.) Cela peut n'être
pas toujours vrai. Mais cela se vérifia sans aucun doute dans Marie,
puisqu'il est certain qu'elle aimait infiniment mieux son fils et la vie
de son fils, qu'elle-même et que mille vies propres. &. Amédée
a donc raison de dire que cette mère affligée, à la
vue douloureuse des ttmrrnens de son bien-aimé Jésus,
DE MARIE.
163
souffrit beaucoup plus que si elle eût enduré elle-même
toute sa passion : «Maria torquebatur magis, quam si » lorquerelur
in se : quia super se incomparabiliter dilige-bat id unde dolebat. »
(Cit. hom. 5.) La raison en est claire, puisque, comme dit S. Bernard,
«Anima magis » est ubi amat quam ubi animât. »
El le Sauveur lui-même l'avait dit avant lui : Là où
est notre trésor, notre cœur y est aussi : « Ubi thesaurus
vester est, ibi et cor vestrum » erit. » (Luc. xn. 34.) Si
donc Marie vivait plus, par l'a-mour en son fils; qu'en elle-même,
elle dut beaucoup plus souffrir de la mort de son fils que si on lui eût
infligé la mort la plus cruelle du monde.
Et ici se présente une autre considération qui doit nous
faire juger que le marlyre de Marie fut infiniment plus grand que le supplice
de tous les martyrs : c'est qu'à la mort de Jésus quoiqu'elle
souffrît beaucoup, elle souffrait sans soulagement. Les martyrs,
dans les lourmens que leur infligeaient les tyrans, souffraient, mais l'amour
de Jésus leurrendait douceset aimables leurs douleurs.Un S.Vincent
souffrait durant son martyre, lorsqu'il télait étendu sur
le chevalet, déchiré par des ongles de fer, brûlé
par des lames ardentes; mais quoi? dit S. Augustin , « Alius videbatur
» pâli, alius loqui.» Il parlait au lyran avec une telle
force et un tel mépiis des lourmens, qu'on aurait dit qu'il y avait
un Vincent qui souffrait et un autre Yinceni q. i parlait, tant Dieu le
fortifiait au milieu de ses tourmens, par la douceur^de son amour! Un S.
Boniface souffrait; son corps était déchiré par les
instrumens de fer; on lui avait enfoncé des roseaux pointus sous
les ongles et dans la chair; on versait dans sa bouche du p!omb fondu;
et pendant ces souffrances atroces, il ne se rassasiait point de répéter
ces paroles : « Gratias tibi ago, Domine Jesu
11.
164
LES GLOIRES
«Christe. » Un S. Marc, un S. Marcellin souffraient, lorsque
leurs pieds étaient cloués à un poteau, et que les
tyrans leur disaient : Malheureux, rentrez en vous-mêmes , et délivrez-vous
de ces tourmens ! ces martyrs répondaient : De quels tourmens nous
parlez-vous? nous n'avons ja-mais goûté les plaisirs d'un
banquet si délicieux que celui où nous sommes aujourd'hui,
et où nous souffrons avec bonheur pour l'amour de Jésus-Christ
: « Nunquam tam » jucunde epulati sumus , quam cum hase libenter
Jesu « Christi amore perferimus. » Un S. Laurent souffrait,
mais pendant qu'on le brûlait sur le gril, la flamme in-térieure
de l'amour divin était plus forte pour consoler son ame, dit S.
Léon, que le feu extérieur pour tourmenter son corps. «
Segnior fuit ignis qui foris ussit, quam qui » inlus accendit. »
(In Nat. S. Laur.) En sorte que l'amour le rendait assez fort pour insulter
le tyran et pour lui dire : « Assalum est jam, versa et manduca.
» Cruel tyran, si tu veux manger de ma chair, la voilà cuite
d'un côté: retourne-moi, et mange. Mais comment le saint pouvait-il
se réjouir au milieu de ces affreux tourmens et de celle mort prolongée?
Ah ! répond S. Augustin, c'est qu'eni-vré du vin de l'amour
de Dieu, il ne sentait ni les tour-mens ni la mort : « In illa longa
morle, in illis tormen-» lis, illo calice ebrius, tormenta nonsenlit.»
(Tract, xxvn.) Ainsi, les saints martyrs sentaient d'aulant moins les lourmens
et la mort, qu'ils aimaient plus Jésus ; la seule vue d'un Dieu
crucifié suffisait pour les consoler. Mais notredouloureusemère
élail-elleconsolée aussi parl'amour et par la vue des souffrances
de son fils? non : au contraire, ce fils souffrant était la seule
cause de ses peines, et l'a-mour qu'elle avait pour lui élail son
unique et cruel bour-reau. Car le martyre de Marie ne consista que dans
la vue
DÉ MARIE.
465
de son fils souffrant el dans la compassion qu'elle éprouva
pour ce fils bien-aimé et innocent, livré à de si
affreux supplices. Ainsi, plus elle l'aimait, et plus sa douleur fui cruelle
et privée de soulagement. « Magna est velut » mare contritio
lua; quis medebitur lui? » Ah! reine du ciel, l'amour a adouci la
peine des autres martyre, et il a guéri leurs plaies : mais qui
a adouci vos douleurs cui-santes? qui a guéri les plaies douloureuses
de voire cœur? « Quis medebitur tui? » si ce fils, qui pouvait
seul vous soulager, était devenu par ses souffrances l'unique cause
de vos souffrances, et si l'amour que vous lui portiez faisai t tout votre
martyre? Ainsi, remarque Diez, tandis qu'on représente les autres
martyrs chacun avec l'instrument de son supplice, S. Paul avec l'épée,
S. André avec la croix, S. Laurent avec le gril, on nous îeprésente
Marie tenant son fils mort dans ses bras, parce que Jésus fut le
seul instrument de son martyre, à cause de l'amour qu'elle avait
pour lui. S. Bernard confirme en peu de mots tout ce que je viens de dire
: « In aliis martyribus » magnitudo amoris dolorem lenivit
passionis : sed beata » Virgo, quanto plus amavit, tanlo plus dolevit,
tantoque » ipsius martyrium gravius fuit. » (Ap. Crois. Vil.
Mars §25.)
Il est certain que plus on aime un objet, et plus on s'afflige de le
perdre : la mort d'un de nos frères nous af-flige assurément
plus que celle d'un animal; la mort d'un fils est plus sensible que celle
d'un aini. Or, pour com-prendre, dit Cornélius à Lapide,
combien fut grande la douleur de Marie à la mort de son fils, il
faudrait com-prendre toute l'étendue de l'amour qu'elle lui portail
: « Ut scias quantus fuerit dolor bealse Virginis, cogi la quan-»
lus fuerit amor. » Mais qui pourra jamais mesurer l'a-
166
LES GLOIRES
inour de Marie? le bienheureux Amédée dit que deux amours
étaient réunis dans le cœur de Marie à l'égard
de Jésus .-l'amour surnaturel, par lequel elle l'aimait comme son
Dieu, el l'amour naturel par lequel elle l'aimait comme son fils : «
Duse dilecliones in unum connexae erant, et » ex duobus amoribus
factus est amor unus, cum Virgo » filio divinitatis amorem impenderet,
et in Deo amorem » nato exhiberet. » (Hom. v. de Laud. Yirg.)
Ainsi, de ces deux amours résultait un seul amour, mais un amour
si grand, que la bienheureuse Vierge aima Jésus, dit Guil-laume
de Paris, « quantum capere potuit puri hominis » modiis, »
autant qu'une simple créature est capable d'aimer. « Unde,
dit Richard de S. Laurent, sicut non » fuit amor sicut amor ejus,
ita non fuit dolor sicut dolor » ejus. » El si l'amour de Marie
envers son fils fut im-mense, la douleur qu'elle eut de le perdre lorsqu'elle
le vit mourir, dut être immense aussi : « Ubi summus amor,
» dit le bienheureux Albert-le-Grand, ibi summus dolor. » Figurons-nous
donc que la mère de Dieu, voyant son fils moribond sur la croix,
et s'appliquant justement les paroles de Jérémie, nous dit:
«0 vos omnes qui transitis » per viam , attendite, et videte
si est dolor sicul dolor » meus! » (Jer. i, 11.) 0 vous tous
qui traversez la vie sur la terre sans me porter la moindre compassion,
ar-rêtez-rous un moment pour me considérer, pendant que je
vois mourir mon fils bien-aimé sous mes yeux, et voyez ensuite s'il
y a une douleur semblable à la mienne dans le cceur de tous ceux
qui sont affligés et tourmentés ! 0 mere de douleur, lui
répond S. Bonaventure, il est vrai qu'on ne peut trouver de douleur
semblable à la •vôtre; « Nullus dolor amarior, quia
nulla proles carior. » de Compass. V. c. 2.) Ali ! poursuit S. LaureiU
Juslimen,
DE MARIE.
4 67
jl n'y a jamais eu au monde un fils plus aimable que Jésus,
ni une mère plus éprise de son fils que Marie. Si donc jl
n'y a jamais eu au monde un amour semblable à celui de Marie, comment
pourrait-il y avoir eu une douleur semblable à la sienne ? «
Non fuit talis filius > non fuit talis » mater ; non fuit tanla charitas,
non fuit dolor tantus. » Ideo quanto dilexit tenerius, tanto vulnerata
est pro-» fundius. » (Lib. m, de Laud. Virg.)
C'est pourquoi S. Udefonse ne craint pas d'assurer que c'est peu de
dire que les douleurs de Marie surpassèrent tous les tourmens des
martyrs réunis ensemble. « Parum » est Mariam in passione
filii tam acerbos periulisse dolo-» res, ut omnium martyrum collective
tormenta supe-raret. » (Ap. Sinise. Mart. di Mar. Gons, 36.) El S.
An-selme ajoute que les plus cruels outrages que l'on a faits aux martyrs
furent légers, ou plutôt ne furent rien, en comparaison du
martyre de Marie : « Quidquid crudelilatis » inflictum est
corporibus martyrum levé fuit, aut potius » nihil*, in comparatione
tuae passionis. >> (de Exe, Virg. e. 5.) S, Basile dit de même que,
comme le soleil surpasse en éclat toutes les planètes, ainsi
les souffrances de Marie surpassèrent toutes celles des martyrs.
«Virgo util-ia versos martyres tantum excedit quantum sol relique
» astra, » Un savant auteur (le P. Pinam) conclut par une belle
pensée : il dit que la douleur que souffrit celte ten-dre mère,
en la passion de Jésus, fui d'autant plus grande, qu'elle seule
pouvait compatir dignement à la mort d'un Dieu fait homme.
Mais ici-S. Bonaventure, s'adressant à cette Vierge bénie,
lui dit : Marie, pourquoi voulez-vous aussi aller vous sacrifier sur le
Calvaire? est-ce qu'un Dieu crucifié ne suffit pas à nous
racheter, pour que vous veuillez être en-
168
LES GLOIRES
core crucifiée avec lui? « ? Domina, cur ivisli immolari
» pio nobis? non sufficiebat filii passio, nisi crucifigere-»
tur et mater? » (Ap. Pac. Exc. 10, in Sal. Ang.) Ah! sans doute,
la mort de Iesus était plus que suffisante pour sauver le monde,
et même mille mondes ; mais celle bonne mère, pour l'amour
qu'elle nous porte, voulut aussi coopérer à notre salut par
les mérites de ses douleurs qu'elle offrit pour nous sur le Calvaire.
C'est pour cela, dit le bienheureux Albert-Ie-Grand, que, comme nous sommes
obligés envers Jésus à cause de la passion qu'il a
souf-ferte pour notre amour, ainsi nous sommes obligés en-vers Marie,
à cause du martyre qu'elle a voulu souffrir spontanément
pour nous à la mort de son fils. « Sicut » totus mundus
obligatur Deo propter passionem, sic obli-» galur dominae propter
compassionem. » (Sup. Miss. e. 20.) Il faut ajouter spontanément,
car, comme l'ange le révéla à sainte Brigitte, celte
pieuse et bonne mère aima mieux accepter toute sorte de tribulations,
que de voir les âmes non rachetées et abandonnées à
leur ancienne perdi-tion : « Sic pia et misericors est et fuit, quod
maluit omnes » tribulationes sufferre, quam quod animae non redimeren-»tur.
»(Rev. 1. m, e. SO.) On peut dire même, que l'u-nique sonlagement
de Marie en la passion de sou fils était de voir le monde perdu
racheté par sa mort, et les hommes, auparavant les ennemis de Dieu,
réconciliés avec lui. « Laetabatur dolens, dit Simon
de Cascia, quod » offerebatur sacrificium in redemptionem omnium,
quo » placabalur iratus. » (de Gest. D. I. ii. c. 27.)
Un tel amour de la part de Marie mérite notre recon-naissance;
que cette reconnaissance nous excite au moins à méditer sur
ses douleurs et à y compatir. Mais elle se plaint précisément
à sainte Brigille de ce qu'un très pe-
?? MARIE.
169
litnombreéprouvent pour ellecettecompassion, tandis que la plupart
vivent dans un oubli complet à cet égard : c'est pour cela
qu'elle recommanda si fort à la sainte de s ì sou-venir de
ses douleurs : « Respicio ad omnes qui in mundo »sunt, si forte
sint aliqui qui comparantur mihi, et re-» cogitent dolorem meum ;
et valde paucos invenio. Ideo, » filia mea, licet a multis oblita
sim, tu tamen nonobli-»viscarisnaei : vide dolorem meum, et imilare
quintum »potes, ei dòle. » (Rev. 1. ii, c. 24.) Pour
comprendre combien la Vierge a pour agréable le souvenir quo nous
avons de ses douleurs, il suffirait de savoir qu'en l'an 1239 elle apparat
à sept de ses fidèles, qui fur<mt en-suite les fondateurs
de l'ordre des Serviteurs ce Ma-rie, leur présentant un vêtement
noir, et qu'el e leur dit de méditer souvent ses douleurs s'ils
voulaient ] ui être agréables : c'est pourquoi, elle voulut
qu'en mém >ire de ses souffrances ils portassent dorénavant
cet habit de deuil. (Gian. Cent. Serv. 1. i, c. 44.) Jésus-Christ
même révéla à la bienheureuse Véronique
de Binasco qu'il aimait mieux voir compatir à sa mère qu'à
lui-même : « car, lui » dit-il, ma fille, les larmes
que l'on répand sur ma » passion me sont chères; mais
comme j'aime ma mère » d'un amour immense, la méditation
des douleurs qu'elle » souffrit à ma mort m'est plus chère
encore. » (Ap. Bol-land. xiii. Jan.)
C'est pourquoi, les grâces que Jésus promet aube âmes
dévotes qui méditent les douleurs de Marie, sont e xlrême
ment abondantes. Pelbart(Slellar.l. m. p. 3. a. 3) ? apporte qu'il fut
révélé à sainte Elisabeth que S. Jean-l'llvangé-lisle,
après que la bienheureuse Vierge fut au cie , dési-rant la
revoir, il obtint celte grâce : sa chère mère lui ap-parut
et même Jésus-Christ avec elle; il entendit ensuite
170
LES
Marie demander à son fils quelque grâce particulière
pour ceux qui auraient de la dévotion envers ses douleurs, et Jé-sus-Christ
lui promettre pour eux quatre grâces princi-pales: 1 " que celui
qui invoquera la divine mère par ses dou-leurs méritera de
faire avant sa mort une sincère péni-tence de ses péchés
; 2° qu'il gardera ces pieux fidèles dans Jes tribulations où
ils se trouveront, surtout à l'heure de la mort ; 5° qu'il imprimera
en eux la mémoire de sa passion, et qu'il leur en donnera la récompense
dans le ciel ; 4° qu'il placera ces fidèles entre les mains
de Marie, afin qu'elle en dispose selon son bon plaisir, et qu'elle leur
obtienne toutes les grâces qu'elle voudra, Voyons , par l'exemple
suivant, combien la dévotion aux douleurs de Marie sert à
l'acquisition du salut éternel,
EXEMPLE.
On lit dans les Révélations de sainte Brigitte (Lib,
vi. c, 97.) qu'il y avait un seigneur aussi vil et aussi scé-lérat
par ses mœurs, qu'il était noble par sa naissance. Il s'était
rendu l'esclave du démon par un pacte spécial, et il l'avait
servi durant 70 ans, menant la vie que cha-cun peut imaginer, sans jamais
s'approcher des sacre-mens. Or, ce prince se trouvant à l'article
de mort, Jésus-Christ, pour lui faire miséricorde, ordonna
à sainte Brigitte de dire à son confesseur d'aller le visiter
et de l'exhorter à se confesser. Le confesseur y alla, et le malade
répondit qu'il n'avait point besoin de confession, parce qu'il s'é-tait
confessé assez souvent. Le prêtre y alla un» seconde
fois, el ce pauvre esclave de l'enfer persévéra dans l'obsti-nation
à refuser de se confesser. Jésus dit de nouveau à
la sainte que le confesseur eût à y retourner. Jl y tfi-
DE MARIE.
171
tourna , et cette troisième fois il rapporta au malade la révélation
qu'avaiî eue la sainte, ajoutant qu'il y était retourné
tant de fois, parce qu'ainsi l'avait ordonné le Seigneur, qui voulait
lui faire miséricorde. A. ces mots, le pauvre malade s'alien3ril,
et il commença à pleurer. Mais comment, s'écria-t-il
ensuite, puis-je obtenir le pardon, moi qui, depuis 70 ans, ai servi le
démon, en qualité de son es-clave, et qui ai chargé
mon ame d'une foule innombrable de péchés? Mon fils, lui
répondit le père en l'eneou rageant, n'en doutez point, si
vous vous repentez, je vous promets le pardon de la part de Dieu. Alors,
commençant à prendre confiance, il dit au confesseur : Mon
père, je me croyais damné, et j'avais désespéré
de mon salut; mais je sens maintenant une si vive douleur de mes péchés,
qu'elle ranime ma confiance. Puis donc que Dieu ne m'a pas encore abandonné,
je veux me confesser. En effet, il se confessa trois' fois ce jour-là
avec une grande douleur; le jour sui-vant il reçut le saint viatique,
et le sixième jour après il mourut tout contrit et résigné.
Après sa mort Jésus*-Christ parla encore à sainte
Brigitte et lui dit que ce pé-cheur était sauvé, puisqu'il
se trouvait en purgatoire, et qu'il devait son salut à l'intercession
de la Vierge, sa mère·, vu que le défunt, quoiqu'il
eût mené une si maur vaise vie, avait toujours conservé
la dévotion à ses dou-leurs, et qu'il y avait compati chaque
fois qu'il s'en était souvenu.
PRIÈUE.
0 ma mère souffrante, reine des martyrs et des dou-leurs , vous
avez versé tant de larmes sur votre fils, mort pour mon salut !
mais de quoi me serviront vos' larmes
172
LES GLOIRES
si je me damne? Par les mérites de vos douleurs, obte-nez-moi
donc une vraie douleur de mes péchés, et un vrai changement
de vie, avec une tendre et perpétuelle com-passion à l'égard
des souffrances de Jésus et de vos dou-leurs; et si Jésus
et vous, qui êtes l'innocence même, avez tant souffert pour
moi l'un et l'autre, obtenez-moi, ô Marie, la grâce de souffrir
pour votre amour, moi qui suis digne de l'enfer. « ? Domina, vous
dirai-jeavecS.Bo-» naventure, si te offendi, pro justitia cor meum
vulnera ; » si tibi servivi, nunc pro mercede peto vulnera ; oppro-»
briosum est videre Dominum meum Jesum vulnera· » tum, te convulneratam,
et me illsesum. » Enfin, ô ma mère, pour le chagrin
que vous avez éprouvé en voyant sous vos yeux votre fils,
livré à tant de souffrances, baisser la tête et expirer
sur la croix, je vous supplie de m'ob-tenir une bonne mort. O avocate des
pécheurs, ne man-quez point alors d'assister mon ame combattue et
affligée, en ce grand passage de l'éternité qu'elle
sera sur le point de franchir. Et comme il est possible que je perde alors
la parole et que je ne puisse point invoquer votre nom ni celui de Jésus,
qui sont l'un et l'autre mon espérance, j'in-voque dès à
présent votre fils, ainsi que vous, à mon se-cours à
ce dernier moment, et je dis : Jésus et Marie, je vous recommande
mon ame. Amen.
DE MARIE.
REFLEXIONS
SUR CHACUNE DES SEPT DOULEURS DE MARIE EN PARTICULIER.
SUR LA PREMIÈRE DOULEUR, La prophétie
de Simeon.
Tout homme naît pour pleurer en celle vallée de lar-mes
, et chacun doit supporter les maux qui lui arrivent chaque jour. Mais
combien la vie ne serait-elle pas plus désolante, si chacun prévoyait
les maux futurs qui l'attendent! Il serait bien malheureux, dit Sénèque,
l'homme qui aurait un tel sort : « Calamitosus esset ani-»mus
futuri pisescius, et antemiserias miser.» (Ep. xcyiii.) Le Seigneur
est assez bon à notre égard, pour nous laisser ignorer les
croix qui nous attendent, afin que si nous som-mes condamnés à
les souffrir, nous ne les souffrions du moins qu'une seule fois. Mais il
n'eut point celle compas-sion pour Marie, parce que Dieu voulait qu'elle
fûl la reine des douleurs, et en tout semblable à son fils
; elle eut tou-jours devant les yeux, et elle dut souffrir continuellement
les douleurs qui lui étaient réservées, c'est-à-dire,
la pas-sion el la mort de son bien-aimé Jésus. Déjà
S. Simeon se rend au temple, el ayant pris l'enfant Jésus dans ses
bras, il lui prédit que ce fils devait ôlre en bulle à
(ouïes les contradiciions et à toutes les persécutions
des hommes : « Positus est hic in signum cui contradicetur. »
Et qu'à
174
LES GLOIRES
cause de cela un glaive de douleur percerait son ame : « Et tuam
ipsius animam doloris gladius pertransibit. » (Luc. ii.)
Marie dit elle-même à sainte Mehtilde que, quand elle
entendit celle prophétie de Simeon, toute sa joie se con-vertit
en tristesse : « Omnis laetitia mea, ad illa vefba, in » moerorem
conversa est. » Car quoique celte mère bénie, comme
il fut révélé à sainte Thérèse,
sût déjà le sacrifice qui devait êlre fait de
la vie de son fils pour le salut du monde, elle connut néanmoins
alors plus particulière-ment et plus distinctement les souffrances
et la mort cruelle qui attendaient ce pauvre fils. Elle connut qu'il devait
être contredit, et contredit en toul : contredit dans sa doctrine,
puisqu'au lieu d'êlre cru, il devait passer pour un blasphémateur,
lorsqu'il déclarerai! qu'il était le^fils de Dieu, comme
l'impie Caïphe le dit : « Blasphemavit : » reus eslniorlis.
» (Joan. ix. 22.) Contredit dans l'opi-nion, puisque étant
noble el de race royale, il devait êlre méprisé comme
un hommeobscur: «Nonne hic fabri filius?» (Matlh. xin. 55.)
« Nonne hic est faber, filius Mariae ? » (Marc. vi. 5.) Il
était la sagesse même, et il fui Irai lé comme un ignorant
: « Quomodo hic hueras scil, cum * non didicerit? » (Joan.
vu. 15. ) Comme un faux pro-phète : « Et velaverunt eum, et
percutiebant faciem ejus... » dicentcs : Prophétisa quis est
qui te percussit? » (Luc. xxii. 64.) Comme un insensé : «Insanit,
quid » eum auditis? » (Joan. x. 20.) Comme un ivrogne, comme
un gourmand et un ami des méchans : « Ecce » homo devorator,
et bibens vinum , amicus publicano-» rumet peccatorum. » (Luc.
vu. 54.) Comme un ma-gicien : « In principe daemoniorum ejicit daemonia.
» (Alaith. îx,. 34, ) Gamine un hérétique et
comme un pos-
DE MARIE.
47a
sédé du démon : « Nonne bene dicimus nos
quia Samari-„ tanus es tu, et demonium habes? » (Joan. vin. 48.)
En un mot, Jésus fut regardé comme un homme si notoi-rement
scélérat, qu'il ne fallait point de procédure pour
le condamner, comme les Juifs le dirent à Pilate : « Si non
$ esset hic malefactor, non tibi tradidissemus eum. » (Joan. ????.
30.) Il fut encore contredit en son ame, puisque son père éternel,
pour donner cours à la divine justice, le contredit en refusant
de l'exaucer lorsqu'il l'en pria : « Pater mi, si possibile est,
transeat a me calix iste ; » (Mallh, xxvi. 59.) et qu'il l'abandonna
à la crainte, au chagrin, à la tristesse, si bien que son
affliction lui fit dire : « Tristis est anima mea usque ad mortem
; » (Malth. xxvi. 38. ) et que sa peine intérieure lui fit
môme suer du sang. Il fut enfin contredit et persécuté
en son corps et en sa vie ; car il suffit de dire qu'il fut outragé
en tous ses membres sacrés, en ses mains, en ses pieds, en sa figure,
en sa tête et en tout son corps, jusqu'à mourir de douleur,
épuisé de sang et couvert de honte, sur un bois infâme.
David, au milieu de ses délices, et de la pompe royale dont
il était environné, ayant entendu le prophète Nathan
qui lui annonçait la mort de son fils : « Filius qui natus
» est tibi, morte morietur, » (h. Reg. xn.) ne\pouvait goûter
de repos ; il pleura, il jeûna et il coucha sur la terre. Marie reçut
en paix la nouvelle de la mort de son fils, et elle continua à la
souffrir en paix : mais quelle douleur ne dut-elle point endurer continuellement,
tandis qu'elle avait sans cesse devant les yeux cet aimable fils, qu'elle
entendait sortir de sa bouche les paroles de la vie éternelle, et
qu'elle contemplait ses oeuvres saintes? Abraham souffril un grand tourment
durant ces trois jours
176
LES GLOIRES
qu'il eut à vivre avec son fils Isaac, sachant qu'il devait
le perdre. ? Dieu ! cène fut point durant trois jours, mais ce fut
durant 33 ans que Marie eut une pareille douleur àsouffrir. Que
dis-je, une pareille douleur? elleélaild'au-tant plus grande, que
le fils de Marie surpassait davantage en amabilité le fils d'Abraham.
La vierge Marie elle-même révéla à sainte Brigitte
( LihJ vi. rev. c. 9. ) que quand elle vivait sur la terre, il n'y eut
pas une seule heuie où celte douleur ne la perçât.
Elle lui dit : « Quoties aspi-» ciebam filium meum, quoties
videbam ejus manus et » pedes, toties animus meus quasi novo dolore
absorp-» tus est ; quia cogitabam quomodo crucifigeretur. »
(Lib. vi. e. 57.) L'abbé Rupperl contemple Marie disant à
son fils, pendant qu'elle l'allaitait : « Fasciculus myrrhae »
dilectus meus mihi, inter ubera mea commorabitur. » (Cant. i. 12.)
Ah! mon fils, je vous presse entre mes bras, parce que vous m'êtes
extrêmement cher ; mais plus vous m'êtes cher el plus vous
devenez pour moi un faisceau de myrrhe et de douleur, lorsque je pense
aux douleurs que vous devez souffrir. Marie considérait, dit S.
Bernar-din, (Tom. 5. Serm. u. a. 3. c. l.)'que la force des saints devait
être livrée à une cruelle agonie, que la beauté
du paradis devait être défigurée, que le maître
du monde devait être lié comme un coupable, que le créateur
de l'univers devait être tout meurtri de coups, que le juge universel
devait subir une condamnation, que la gloire des cieux devait être
méprisée, que le roi des rois de-vait être couronné
d'épines cl traité comme Un roi de théâtre.
Le P. Engelgrave dit (T. 1. Ev. Lu. Dom. infr. Oct. Nal. § 1.
) qu'il avait été révélé à sainte
Brigitte que la mère affligée, sachant combien son fils devait
souffrir :
< Eum lactans, cogitabat de felle et aceto ; quando fasciis »
involvebat, funes cogitabat quibus ligandus erat; » quando geslabat,
cogitabat in crucem confixum; e uando » dormiebat> cogitabat mortuum.
» Chaque fois qu'elle le revêtait de sa tunique, elle pensait
qu'un jour on l'ar-racherait de dessus son corps pour le crucifier, it
lors-qu'elle regardait ses mains et ses pieds sacrés, et qu'elle
pensait aux clous qui devaient les percer, ses jeux se remplissaient de
larmes, et la douleur déchirait soname : « Oculi mei replebantur
Iacrymis, et cor meum orque-» batur dolore, » dit-elle à
sainte Brigitte (L. vi. e. 57. et 1. vue. 7.)
L'Evangéliste dit que comme Jésus-Christ croiàsail
en âge, il croissait aussi en grâce devant Dieu et devant les
hommes : « Et Jésus proficiebat sapientia, et aetate et gra-tia
, apud Deum et homines. » (Luc. ?. 55. ) Ce e ui veut dire qu'il
croissait en sagesse et en grâce devant le; hom-mes, par rapporta
leur opinion, et devant Dieu, comme l'explique S. Thomas, (3. p.q.7. a.12.)
parce que ses œuvres auraient eu une valeur suffisante pour accroître
sans cesse son mérite, s'il n'eût eu dès le commencement
la plénitude consommée de la grâce, à cause
de l'union hyposlalique. Mais si Jésus croissait dans l'amour et
dans l'estime des autres, combien plus croissait-il devan : Marie? Biais,
ô Dieu! plus l'amour croissait en elle, et plus s'aug-mentait la
douleur d'avoir à le perdre par une mort si cruelle ; et plus le
temps de la passion de son fils appro-chait, plus le glaive de douleur,
que Simeon I ii avait prédit, perçait le cœur de la mère
d'une ciuell ; souf-france : c'est précisément ce que l'ange
révéla ii sainte Brigitte, lorsqu'il lui dit : « Ille
doloris gladius Virgini » omni hora tanto se propius approximabal,
quanto
178
LES GLOIRES
» filius passionis tempori magis appropinquabat. » (Fer.
vi. Lect. 2. Cap. xvi. )
Si donc Jésus, notre roi, et sa très-sainte mère,
ne refu-sèrent point, pour notre amour, de souffrir durant loute
leur vie une douleur si atroce, il n'est point juste de nous plaindre lorsque
nous souffrons quelque petite chose. Un jour Jésus crucifié
af parut à sœur Madeleine Ovsini, do-minicaine, pendant qu'elle
souffrait une longue tribula-tion, el il l'encouragea à demeurer
avec lui sur la croix, par celle peine qui l'affligeait. Sœur Madeleine
se plaignant, lui dit : Seigneur, vous n'avez souffert que trois heures
en croix, et il y a plusieurs années que je porte celte croix !
Le Rédempteur reprit : Ah! que dis-tu, ignorante? j'ai souffert
dans le cœur, dès l'inslant de ma conception , tout ce que j'ai
souffert ensuite en croix. Lors donc que nous souffrons quelqu'affliclion
, et que nous nous plai-gnons , figurons-nous que Jésus et sa mère
nous font la même réponse.
-
~
exemple.
Le P. Roviglione, de la compagnie de Jésus, raconte (Farc. Ros.
p. 2. c. h) qu'un jeune homme avait la dévotion de visiter tous
les jours une image de la Vierge-des-Douleurs qui avait sept glaives dans
le cœur. Une nuit le malheureux tomba en péché mortel : élant
allé le len-demain malin visiter l'image, il regarda le cœur de
Marie, et au lieu de sept glaives il en vit huit. Or/ pendant qu'il considérait
ce prodige, il entendit une voix qui lui dit que c'était son péché
qni avait enfoncé le huitième glaive dans lecœur de Marie
: en sorte que, plein d'attendrissement él de componction, il alla
se confesser à l'instant, et, par l'inleicession de son avocate,
il recouvra. la grâce divine.
DE MARIE.
119
PRIÈRE.
Àh ! ma mère bénie, ce n'est pas un seul glaive
que j'ai enfoncé dans votre cœur, mais c'est autant de glaives que
j'ai commis de fautes. Ah! ma reine, ce n'est pas à vous, innocente
créature, mais c'est à moi, coupable de tant de péchés,
que sont dues les souffrances. Mais puisque vous avez voulu tant souffrir
pour moi, ah ! par vos méri-tes , obtenez-moi une grande douleur
de mes fautes, et une grande patience pour supporter les travaux de celle
vie, qui seront toujours légers en comparaison de ce que je mé-rite,
puisque j'ai mérité tant de fois l'enfer. Amen.
SUR LA. DEUXIÈME DOULEUR. La fuite en Egypte.
Comme une biche, blessée d'une flèche, porte sa dou-leur
partout où elle va, en portant toujours le trait qui l'a frappée,
ainsi la mère de Dieu, après la sinistre prophétie
de Simeon, comme nous l'avons vu dans la considération précédente,
porta toujours en elle la douleur que lui causait la pensée continuelle
de la mort de son fils. Helgrin dit, en expliquant le passage des Cantiques
: « Et comœ capi-» lis tui sicut purpura regis vineta canalibus.»
(Cant. vu. ?. 5.) Par celte chevelure pourprée de Marie, il faut
entendre la pensée conlinuelle de la passion de Jésus, qui
lui montrait toujours, comme s'il eût élé présent,
42.
180
LES GLOIRES
le sang qui devait couler de ses plaies : « Mens tua, ? Ma-»
ria, et cogitationes tuae linctae sanguine dominicae pas-» sionis,
sic effectae semper fuere quasi recenter viderent » sanguinem de
vulneribus profluenlem. » (In Cant, ). cit.) Ainsi, la flèche
qui perça le cœur de Marie fut son pro-pre fils, qui pénétrai!
son cœur d'une douleur d'aulant plus vive, par la pensée de le perdre
d'une manière si cruelle, qu'il lui découvrait davantage
son amabilité. Considérons maintenant le second glaive de
douleur qui la perça lorsque Jésus, son cher enfant, dut
fuir en Egypte, à cause delà persécution d'Hérode.
Ce prince, ayant appris que le Messie attendu était né,
craignit follement qu'il ne lui enlevât sa eouronne ; c'est pourquoi
13 Fulgence, lui reprochant sa folie , lui dit : « Quid est quod
sic turbaris, Herodes?rex iste, qui natus » est, non venit regespugnando
superare, sed moriendo » mirabiliter subjugare. » (Serm. ?.
de Epiphan.) L'im-pie attendait donc l'indication que les saints Mages
devaient lui donner du lieu où ce roi était né, afin
de lui ôter la vie; mais voyant qu'ils l'avaient trompé, il
ordonna qu'on fit mourir tous les enfansqui se trouvaient aux environs
de Bethléem. L'angeapparul alors en songe à S. Joseph et
lui dit : « Surge.elaccipe puerum, et matrem ejus, et fuge in ^Egyp-»
tum. » (Matth. ii.) Gerson croit que dès la même nuit
Joseph en avertit Marie, ei qu'ayant pris l'enfant Jésus, ils se
mirent en voyage, comme on peut le conclure des paroles mêmes de
l'Évangile : « Qui consurgens accepit puerum et » matrem
ejus nocte, et secessitjin^gyptum.» (Matth e. ?.) Oh ! Dieu, dit
alors Marie, selon la pensée du bienheureux Àlberl-le-Grand,
celui qui est venu pour sauver les hommes doit-il donc fuir en présence
des hommes ? « Debet fugere « qui salvator est mundi ? »
Cette mère affligée comprit dès-
DE MAR1K.
181
lors que la prophétie de Simeon commençait à se
vérifier à l'égard de son fils : « Positus est
hic in signum cui con-» tradicelur; » en voyant qu'on le poursuivait
pour lui donner la mort dès le moment même de sa naissance.
Quelle peine ne dul point ressentir le cœur de Marie, dit S. J. Chrysostôme,
lorsqu'elle s'entendit condamner à ce dur exil avec son fils? «
Fuge a luis, ad extraneos; a » templo, ad daemonum fana; quae major
tribulatio » quam quod recens natus a collo matris pendens, cum »
ipsa maire paupercula fugere cogatur? »
Chacun peut se figurer combien Marie dut souffrir du-rant ce voyage.
Le chemin de Bethléem en Egypte était bien long: les auteurs
pensent généralement, avecBarrada, (lib. x.c. 8.), que cette
distance était de quatre cents milles: en sorte que ce voyage fut
au moins de trente journées. La roule était âpre, inconnue,
couverte de forêls, et peu fréquentée, selon la description
qu'en fait S. Bonaven-lure : « Viam sylvestrem, obscuram, asperam
et inhabi-» tatam. » C'était en hiver, en sorte qu'ils
euient la neige, la pluie el le vent à travers des chemins rompus
et fangeux. Marie avait alors quinze ans : c'élnil une jeune vierge
délicate el étrangère à de telles fatigues.
Elle n'avait personne pour la servir : « Joseph el Maria, »
dil S. Pierre Chrysologue, « non habent famulum, non an-» cillam:
ipsi domini el famuli. » Oh Dieu! quelle pitié n'élail-ce
pas de voir cette tendre vierge avec ce peut en-fant nouveau-né
dans ses bras, fuyant par le monde! S. Bonavenlure demande : « Quomodo
faciebant de victu? » Ubi nocte quiescebant? Quomodo hospilabantur?
» (de Vit. Christ.) Et de quoi pouvaient-ils se nourrir, si ce n'est
d'un morceau de pain dur, que Joseph portait avec lui, ou qu'il recevait
en aumône? Où devaienl-ils dormir
482
LES GLOIRES
en celle roule, surtout durant les deux cents milles qu'ils avaient
à traverser dans le désert, comme, rapportent les auteurs,
et où il n'y avait ni maisons, ni hôtelleries, si-non sur
le sable, ou sous quelque arbre de la forêt, exposés à
l'air du soir, au danger des voleurs et des bêtes sauvages qui abondent
en Egypte? Oh! celui qui aurait rencontré alors ces trois grands
personnages pour qui les aurait-il pris, sinon pour trois pauvres men-dians,
et trois vagabonds?
Ils choisirent en Égyple, pour le lieu de leur habita-tion le
pays de Malurée, comme pensent Brocard et Jansé-nius de Gand,
quoique S. Anselme prétende qu'ils on t ha-bité la ville
d'Héliopolis, nommée auparavant Memphis, et maintenant le
Caire. Il faut considérer ici la grande pau-vreté qu'ils
eurent à souffrir durant les sept ans qu'ils y demeurèrent,
comme l'assurent S. Antonin, S. Thomas et d'autres auteurs. Ils élaient
étrangers, inconnus, sans reve-nus, sans argent, sans parens, à
peine s'ils pouvaient s'en-tretenir par leur pauvre travail : «Cum
enim essentegeni, » dit S. Basile, manifestum est quod sudores frequen-»
tabant, necessaria vitae inde sibi quaerentes. » Landolphe de Saxe
dit encore, ^et ses paroles doivent servir à con-soler les pauvres)
que l'indigence de Marie était si grande, qu'elle n'avait pas même
quelquefois un morceau de pain à donner à son fils affamé,
qui le lui demandait : « Ali— » quando filius famés
patiens, panem petiit, nec unde » daret maler habuit. » (In
Vit. Christ, e. xm.)
Herode étant mort, le même S. Matthieu rapporte que l'ange
apparut de nouveau à S. Joseph, et lui ordonna de retourner en Judée.
S. Bonaventure, parlant de ce relour, contemple la cruelle souffrance que
Marie en-dura à l'occasion des fatigues que Jésus, à
peine âgé de
DE^ MARIE.
485
sept ans, dut souffrir dans le voyage; à cet âge, dit
le saint : « Sic magnus est, ul portari non valeat; et sic »
parvus, quod per se ire non possit. »
En voyant donc Jésus et Marie aller ainsi parle monde errans
et fugitifs, nous apprenons à vivre comme des voyageurs, sans nous
attacher aux biens que le monde nous offre, puisque nous devons les quitter
bientôt pour aller à l'éternité: « Non
habemus hic manentem civitatem, » sed futuram inquirimus. »
(Hebr. xni. 14.) A quoi S. Augustin ajoute : « Hospes es, vides,
et transis. » Nous apprenons encore à embrasser les croix
, puisqu'on ne peut vivre en ce monde sans croix. C'est pourquoi la bien-heureuse
Véronique de Binasco, religieuse augusline, fut ravie en esprit
avec Marie el Jésus enfanl dans le voyage d'Egypte, à la
fin duquel la mère divine lui apparut, et lui dit : « Ma fille,
vous avez vu avec combien de peine » nous sommes arrivés en
ce pays; or, sachez que per-» sonne ne reçoit la grâce
sans souffrir. » Celui qui veut le moins semir les souffrances de
cette vie doit pren-dre, avec lui Jésus el Marie : « Accipe
puerum el matrem » ejus. » Car toutes les peines sont légères
et même douces el agréables pour celui qui porte avec amour
dans son ccéur le divin fils avec sa mère. Aimons-les donc
; con-solons Marie en accueillant dans nos cœurs Jésus, qui con-tinue
encore de nos jours à êlre poursuivi par les péchés
des hommes.
EXEMPLE.
Un jour la très-sainte Vierge apparut à la bienheureuse
Colette, de l'ordre de S^ François, et elle lui montra l'enfant
Jésus couvert de blessures, en lui disant :
184
LES GLOIRES
« C'est ainsi que les pécheurs traitent continuellement
» mon fils, en renouvelant sa mort el les douleurs qu'elle »
m'a causées. Ma fille, priez pour leur conversion. » (Ap.
p. Genov. serv. dol. Mar. ) 11 faut joindre à celte vision celle
dont fut favorisée la vénérable sœur Jeanne de Jésus
et Marie, du même ordre : celle-ci, méditant un jour sur l'enfant
Jésus persécuté par Herode, entendit un grand bruit,
semblable à celui que fait une armée qui pour-suit l'ennemi.
Elle vil ensuite devant elle un bel enfant qui fuyait tout affligé,
elqui lui dit : « Ma chère Jeanne, » secourez-moi, el
cachez-moi: je suis Jésus de Nazareth ; » je fuis les pécheurs
qui veulent me metire à mort, elqui » me persécutent
comme Herode: sauvez-moi. » (loc.cit.)
PRIÈRE.
11 est donc vrai, ô Marie, que depuis la mort que votre fils
a soufferte de la main de ses persécuteurs, ces ingrats n'ont pas
même cessé de le persécuter par leurs péchés,
ni de continuer à Vous affliger, ô mère de douleurs
! Oh! Dieu, et ne suis-je pas de ce nombre? Àh! ma très-douce
mère, obtenez-moi le don des larmes pour que je puisse pleurer une
si grande ingratitude? et par les souffrances que vous avez endurées
dans votre voyage d'Egypte, prê-tez-moi votre secours durant Je voyage
que je fais vers l'éternité, afin que je puisse aller un
jour avec vous aimef mon Sauveur persécuté dans la patrie
des bienheureux. Amen.
DE MARIE.
485
SUR LA TROISIÈME DOULEUR. La disparition de Jésus
dans le temple·
L'apôtre S. Jacques écrit que notre perfeclion consiste
dans la vertu de patience : « Patientia autem opus per-» feclum
habet, ul sitis perfecti et integri, in nullo defi-xi dentes. » (Jac.
i. 4.) LeSeigneuï nous ayant donc donné Marie pour le modèle
de notre perfeclion, il fallait qu'il la comblât de tribulations,
afin que nous pussions ad-mirer et imiter son héroïque patience.
Entre les plus grandes douleure que la divine mère eul à
souffrir durant sa vie, se trouve celle que nous allons considérer
aujour-d'hui, c'est-à-dire, celle de la perle qu'elle fit de son
fils dans le temple. Celui qui naît aveugle ne sent guère
la privation de la lumière ; mais celui qui a possédé
la vue durant un certain temps, et qui a joui de la lumière du jour,
s'il s'en voit privé une fois, sa cécité est pour
lui un fardeau insupportable. De même aussi ces âmes infor-tunées
qui, aveuglées par la poussière du monde, ont peu connu Dieu,
sentent peu sa privation ; mais au contraire celui qui, éclairé
par la lumière céleste est devenu digne de goûter par
l'amour la douce présence du souverain bien, oh Dieu! combien ne
s'afflige-t-il pas lorsqu'il en est privé? Voyons donc combien ce
troisième glaive, qui blessa le cœur de Marie lorsqu'elle perdit
Jésus à Jé-rusalem et qu'elle s'en vil séparée
durant trois jours, dut être douloureux pour elle, qui éUvit
accoutumée à jouir de la douce présence de son fils.
186
LES GLOIRES
S. Luc raconle, au chapitre deuxième de son Évangile,
que Marie et Joseph avec Jésus, étant dans l'usage de vi-si
1er le temple tous les ans à la solennité de Pâques,
ils y allèrent à l'époque-où Jésus était
âgé de douze ans; mais Jésus étant demeuré
à Jérusalem, Marie ne s'en aperçut point, parce qu'elle
crut qu'il était parti en compagnie des autres. Élant donc
arrivée à Nazareih, elle demanda des nouvelles de son fils;
mais ne l'ayant point trouvé, elle retourna promplement à
Jérusalem pour le chercher, et elle ne le trouva qu'au bout de.
trois jours. Or, considérons quel accablement dut éprouver
cette mère affligée durant ces trois jours qu'elle employa
à chercher partout son fils, avec l'épouse des Cantiques;
« Num quem » diligit anima mea, vidistis? (Cant. m.) sans en
obtenir des nouvelles. Oh! Marie, épuisée de fatigues, sans
trou-ver son bien-aimé, devait dire ce que Ruben disait de son frère
Joseph, mais avec bien plus de tendresse: « Puer » non comparet,
et ego quo ibo? » Mon Jésus ne paraît point, je ne sais
plus que faire pour le trouver; mais où irai-je sans mon trésor?
Durant ces trois jours elle ver-sait des larmes en répétant
avec David: « Fuerunt mihi » lacrymae meae panes die ac nocte,
dum dicitur mihi » quotidie; Ubi est Deus luus? » (Ps. xli.)
C'est doncavec raison que Pelbart dit que celle mère affligée
ne put prendre aucun repos durant ces nuits, mais qu'elle pleu-rait, et
qu'elle priait Dieu de le lui faire retrouver : « Illas » noctes
insomnes duxit in Iacrymis, Deum deprecando » ut daret illi reperire
filium. » Souvent elle répétait à son fils les
paroles de l'épouse des Cantiques, selon l'ap-plication que lui
en fait S. Bernard : « Indica mihi ubi » cubes, ubi pascas
in meridie ne vagari incipiam. » (Cant. 1.6.) 0 mon fils, indiquez-moi
le lieu où vous êtes,
DE MARIE.
187
afin que je ne courre plus le monde pour vous chercher vainement.
Il y a des auteurs qui assurent que celte douleur ne fut pas seulement
une des plus grandes douleurs de Marie, mais qu'elle fut la plus grande
et la plus cruelle de loules; et n'est pas sans fondement. 1° Marie
dans ses autres dou-leurs possédait Jésus avec elle ; elle
souffrit lorsque Si-meon lui prédit ses malheurs dans le temple
; elle souf-frit dans la fuite en Egypte, mais toujours avec Jésus
: ici au contraire Mariesouffre loin de Jésus, el sans savoiroù
il est : «Lumen oculorum meorum, et ipsum nonestmecum.» (Ps.
xxyii.) Elle disait alors en pleurant: Ah! la lumière de mes yeux,
mon cher Jésus, n'est plus avec moi! Il vit loin de moi, et je ne
sais où il est! Origène dit que, vu l'amour de celle sainle
mère pour son fils, elle eut plus à souffrir en celle perle
de Jésus qu'aucun niarlyr n'a souffert de tournions à sa
mort : « Vehementer do-» luit quia vehemenler amabat. Plus
doluil de ejus amis· » sione quam aliquis martyr dolorem sentiat
de animai » a corpore separatione. » (Hom. infr. oct. Epi)
Ah! ces trois jours furent si longs pour Marie, qu'ils lui parurent trois
siècles; jouis pleins d'ameriume, où personne ne pouvait
la consoler. Hélas! disait-elle avec Jérémie, qui
pourra me consoler, si celui dont j'attendais toute con-solation est loin
de moi? Voilà pourquoi mes yeux ne se rassasient pas de larmes :
« Idcirco ego plorans, et ocu-» lus meus deducens aquas, quia
longe faclus esl a me consolator meus. » (Thren. 1.I6.) Et elle répétait
avec Tobie : « Quale gaudium erit mihi, qui in tenebris sedeo, »
ei lumen cœli non video? » (Tob. vi. 11.)
En second lieu b Marie comprenait bien la cause et la fin de ses autres
douleurs> c'est-à-dire, la rédemption du
188
LES GLOIRES
monde et la divine volonté; mais ici elle ignorait la rai-son
qui avait éloigné d'elle son fils. La mère affligée
se plaignait en voyant son fils séparé d'elle, parce que
son humilité, dit Lansperge, lui faisait croire qu'elle était
in-digne de rester près de son fils, de l'assister sur la terre,
et de prendre soin d'un tel (résor : « Tristabalur ex hu-»
mililale, quia arbitrabatur se indignam cui tam pre-» tiosus commissus
esset thesaurus. » Et qui sait, disait-elle peut-être en elle-même,
si je l'ai servi comme je le devais? si je n'ai pas commis quelque négligence
qui l'ait porté à me quitter? « Quaerebant eum, ne
forte reliquis-« set eos, » dit Origène, (Ap. Cor. aLap.
in Luc. n.) II est certain qu'il n'y a point de plus grande peine pour
une ame qui aime Dieu que la crainte de l'avoir conlrisié. C'est
pourquoi Marie ne se lamenta dans aucune autre douleur que dans celle-ci,
où elle se plaignit amoureuse-ment à Jésus lorsqu'elle
l'eut trouvé : « Fili, quid fecisti » nobis sic? pater
luuset ego dolentes quœrebamus te. » (Luc. ?.) Elle ne voulait point
par ces paroles répriman-der Jésus, comme le disent les hérétiques
blasphémateurs, mais elle voulait seulement lui découvrir
la douleur que son absence avait fait éprouver à son amour:
« Non erat » increpatio , dit le bienheureux Denis-Je-Charlreux,-sed
» amorosa quaestio. » En un mot, ce glaive fut si doulou-reux
pour le cœur de Marie, que la bienheureuse Ben-venuta, désirant
un jour lui tenir compagnie en cette af-fliction , et l'ayant priée
de lui en obtenir la grâce, ne put la supporter. En effet, Marie
se montra à elle tenant son enfant Jésus dans ses bras, mais
tandis que Benve-nula jouissait de la vue de ce charmant enfant, elle en
fut tout-à-coup privée. La peine qu'en éprouva celte
bien-heureuse fut si grande, qu'elle recourut à Marie pour lui
DE MARIE.
189
demander par pitié de ne point la faire mourir de dou-leur.
La sainte Vierge lui apparut de nouveau trois jours après et lui
dit : Sachez, ma fille, que votre douleur n'a été qu'une
faible partie de celle que j'éprouvai lorsque je per-dis mon fils.
(March. Dar. 50. oct. )
Cette douleur de Marie doit servir, premièrement, à fortifier
les âmes désolées qui ne jouissent plus de la douce
présence de leur Seigneur, dont elles jouissaient autrefois. Qu'elles
pleurent, oui, mais qu'elles pleurent en paix, comme Marie pleurait l'absence
de son fils ; qu'elles s'en-couragent à ne pas craindre pour cela
d'avoir perdu la divine grâce, selon les paroles que Dieu dit à
sainte Thé-rèse : « Personne ne se perd sans le savoir,
et personne » n'est trompé s'il ne veut être trompé.
» Si le Seigneur s'é-ioigne des yeux d'une ame qui l'aime,
il ne s'éloigne point pour cela de son cœur. Souvent il se cache,
afin qu'on le cherche avec un plus grand amour et avec un désir
plus vif de le trouver. Mais quiconque veut trouver Jésus doit le
chercher, non pas au milieu des délices et des plaisirs du monde,
mais au milieu des croix et des mortifications, comme le chercha Marie
: « Dolentes quaerebamus le, » comme elle le dit à son
fils. « Disce a Maria quaerere Je-» sum, » dit Origène.
En outre, nous n'avons en ce monde d'autre bien à chercher que
Jésus. Job ne fut point malheureux lors-qu'il perdit tout ce qu'il
possédait sur la terre, biens, en-fans, santé, honneurs,
jusqu'à descendre du trône sur un fumier; au contraire, ayant
Dieu avec lui, il était même heureux. S. Augustin, parlant
de lui, dit: « Perdiderat » illa quae dederat Deus, sed habebat
ipsum Deum. » Les âmes qui sont véritablement malheureuses
sont celles qui ont perdu Dieu. Si Marie se plaint de l'éloignement
de soi*
190
LES GLOIRES
fils, qui n'a duré que trois jours, combien de larmes ne devraient
point verser les pécheurs, qui ont perdu depuissi long-temps la
grâce divine? C'est à eux que Dieu adresse ces paroles : «
Vos non populus meus, et ego non ero » vester. » (Osée.
i. 9.) Car le propre du péché est de séparer l'ame
de Dieu : « Peccata vestra diviserunt inter » "vos et Deum
vestrum. » (Isa. ?. 2.) Il résulte de la que, quand même
ils possèdent tous les biens de la terre, ayant perdu Dieu, tout
devient pour eux fumée et affliction, comme le confesse Salomon
: « Ecce universa vanitas, et » afflictio spiritus. »
(Eccl. ?, 14.) Mais le plus grand mal-heur de ces pauvres âmes aveugles,
dit S. Augustin, c'est de voir qu'elles courent après un bœuf qu'elles
auront perdu; qu'elles font toute sorte de diligences pour retrou-ver une
brebis qui se sera égarée; qu'elles ne prennent point de
repos si elles ont perdu un animal; tandis qu'elles mangent, boivent et
se reposent tranquillement après avoir perdu le bien souverain,
qui est Dieu « : Perdit homo » bovem, et post eum vadil ; perdit
ovem, et sollicite » eam quaerit ; perdit asinum, et non quiescit;
perdit homo » Deum, et comedit, etbibit et quiescit. »
EXEMPLE.
11 est marqué dans les lettres de la compagnie de Jésus,
qu'un-jeunehomme, dans les Indes, voulant sor-tir de son logis pour aller
commettre un péché mortel, en-tendit ces paroles : «
Arrête ! où vas-tu ?» Il se tourna, et vît une
image en relief de Notre-Dame-des-Douleurs, pla-cée dans son appartement,
qui prit un poignard qu'elle avait sur le sein, et lui dit : « Prends
ce poignard, fràppe-» moi, plutôt que de frapper mon
fils par ce péché, » A ces mots, Je jeune homme se
prosterna à terre, et touché de
DE MARIE,
191
repentir, il versa des larmes abondantes, eril^btinl son pardon, en
le demandant à Dieu et à Marie.
PRIÈRE,
? Vierge bénie, pourquoi vous affligez-vous en cher-chant votre
fils perdu ? C'est peut-être parce que vous igno-rez où il
est'? Mais ne voyez-vous pas qu'il est dans votre cœur? Ne savez-vous pas
qu'il se nourrit parmi les lis? Vous l'avez dit vous-même : «
Dileclusmeus mihi, et ego » illi, qui pascitur interlilia. »
(Cant. ?, 16.) Vos saintes pensées, vos senlimens sih umbles, si
purs etsi saints, sont les lis qui invitent le divin époux à
habiter en vous. Ah Marie! vous soupirez après Jésus, vous
qui n'aimez que Jésus ! Laissez à moi, laissez à tant
d'autres pécheurs qui ne l'aiment pas, et qui l'ont perdu en l'offensant,
Je soin de soupirer après lui. Aimable mère, si votre fils
n'est point encore rentré dans mon ame par ma faute, faites que
je le trouve. Je sais bien qu'il se laisse trouver par celui qui le cherche
: « Bonus est Dominus. . animae quaerenti » illum. »
(Thren. m, 25.) Mais faites que je le cherche comme je le dois chercher.
Vous êtes la porte par laquelle tout le monde doit trouver Jésus;
c'est par vous que j'es-père aussi le trouver. Amen.
SUR IA QUATRIÈME DOBLEtR.
Marie rencontre Jésus, allant à la mort.
S. Bernard dit que, pour comprendre la grande dou-leur que Marie éprouva
lorsqu'on lui ravil Jésus par la
192
LES GLOIRES
mort, il faut considérer l'amour que celte mère portait
à ce fils. Toutes les mères sentent les peines de leurs enfans
comme si elles leur étaient propres : c'est pourquoi, lors-que la
Cananéenne pria le Sauveur de délivrer sa fille du démon
qui la tourmentait, elle lui dit d'avoir pitié d'elle-même
, plutôt que de sa fille : « Miserere mei, Domine, »
fili David, filia mea maie a daemonio vexatur. » (Malth. xv, 22.)
Mais quelle est la mère qui a jamais aimé son fils comme
Marie a aimé Jésus? C'était son fils unique, élevé
au milieu de tant d'angoisses ; c'était le plus aimable des fils,
et le plus affectionné à sa mère ; il était
son fils, et en même temps son Dieu ; et comme il était venu
sur la terre pour allumer dans toutes lésâmes le feu du divin
amour, ainsi qu'il le déclara lui-même : « Ignem veni
mittere in » terram, et quid volo, nisi ut accendatur? » (Luc.
???, 59) quelles flammes ne dut-il pas allumer dans le cœur de sa sainte
mère, qui était pur et vide de toute affection terrestre?
En un mot, la sainte Vierge dit à sainte Bri-gitte que, par l'amour,
« Unum erat cor meum et cor filii » mei. » Cette double
qualité de mère et de servante, de fils et de Dieu, alluma
dans le cœur de Marie un incen-die composé de mille incendies ;
mais au moment de la passion, cet incendie d'amour se changea .en un océan
de douleur : c'est ce qui fait dire à S. Bernardin : « Omnes
» dolores mundi, si essent conjuncti simul, non essent » lanli
quantus dolor gloriosae Marioe. » (T. m, o, 48.) Sans doute, dit
S, Laurent Justinien, parce que celle mère, « Quanto dilexit
lenerius, tanto est vulnerata profun-» dius : » plus elle l'aima
tendrement, et plus ses plaies furent profondes, lorqu'elle le vit souffrir,
et surtout lors-qu'elle le rencontra, après qu'il eut été
condamné à mort,
DE MARIE.
193
portant sa croix au lieu du supplice. C'est^lâle quatrième
glaive de douleur que nous avons à considérer.
La bienheureuse Vierge révéla à sainte Brigitte
qu'aux approches de la passion ses yeux étaient continuellement
remplis de larmes par' la pensée de ce fils bien-aimé qu'elle
allait perdre sur la terre; c'est pour cela qu'une sueur froide , dit-elle
encore, coulait de tous ses mem-bres , tant était grande la crainte
que lui faisait éprouver l'approche de ce douloureux spectacle :
« Imminente pas-» sione filii mei, lacrymse erant in oculis
meis, et sudor in corpore prae timore. » (Lib. ?, Rev, e. 10.) Voilà
en-fin qu'au jour fixé Jésus vient en pleurant prendre congé
de sa mère, pour aller à la mort. S. Bonavenlure consi-dérant
ce que fit Marie durant cette nuit, lui dit : « Sine » somno
duxisti, etsoporàlis cseleris, vigil permansisli » Dès
le malin, les disciples de Jésus-Christ venaient ap-porter à
cette mère affligée, celui-ci une nouvelle, celui-là
une autre ; mais toutes étaient des nouvelles douloureu-ses : ainsi
s'accomplissaient en elle ces paroles de Jérémie : «
Plorans ploravit in nocte, et lacrymse ejus in maxillis » ejus :
non est qui consoletur eam ex omnibus charis » ejus. » (Thren.
i. 12.) L'un venait donc lui raconter les mauvais traitemens que son fils
avait subis'çhez Gaïphe ; l'autre, les mépris dont il
avait été abreuvé par Herode. Mais laissons tout cela
pour en venir au sujet principal. S. Jean se présenta enfin à
Marie, et lui annonça que l'injuste Pi-late avait condamné
Jésus à mourir en croix. Je dis l'in-juste Pilale; car, comme
remarque S. Léon, le juge ini-que « iisdem labiis mittit ad
mortem, quibus eum pro-» nuntiaverat innocentem. » Àh
! mère de douleur, lui dit alors S. Jean, votre fils est déjà
condamné à mort, il est déjà sorti, portant
lui-même sa croix pour aller au vu.
13
494
LES GLOIRES
Calvaire, comme cet apôtre le consigna plus tard dans son Evangile
: « El bajulnns sibi crucem, exivit in eum qui » dicitur Calvariae
locum. »(Joan. xix. 7.) Venez,si vous voulez le voir, et lui adresser
un dernier adieu, venez dans l'une des rues par où il doit passer.
Marie part avec S. Jean, et reconnaît les lieux que son fils
a parcourus aux traces de son sang. C'est ce qu'elle révéla
depuis à S. Brigitte : « Ex vestigiis filii mei cognoscebam
» incessum ejus, quo enim procedebat, apparebat terra : » infusa
sanguine. » (Lib. iv. e. 77.) S Bonavenlure con-temple la mère
désolée, traversant une rue plus courte pour se placer à
l'entrée d'une autre rue, afin de rencontrer son fils affligé
qui devait passer par-là. (Med. vi.) « Mœstissima »
maier mœslissimo filio occurrit, » dit S. Bernard. S'é-lant
arrêtée là, combien Marie ne dut-elle point entendre
de paroles contre son cher fils, et de railleries contre elle-même,
de la part des Juifs qui la connaissaient ? Hélas ! quel appareil
de douleur n'offrirent poinl ensuite à ses yeux les olous , les
marteaux, les cordes, les inslrumens funestes de la mort de son fils, qu'on
portail devant lui ? et quel glaive ne traversa poinl son cœur, lorsqu'elle
en-tendit le héraull qui publiait la sentence portée contre
son Jésus ! mais les inslrumens, le héraul t, et les minis-tres
de la justice étant passés, elle lève les yeux et
voit, ô Dieu! que voit-elle? un jeune homme tout couvert de sang
et de plaies de la têteaux pieds, ayanl une tresse d'é-pines
sur la tête, et deux poutres pesantes sur les épaules. Elle
le regarde, et elle ne le reconnaît presque plus, disant alors avec
Isaïe : « Et vidimus eum, et non erat aspectus. » (Cap.
mi.) Sans doute, les blessures, les meurtrissu-res et le sang noir qui
en sortait, le rendaient semblable à un lépreux : «
Putavimus eum quasi leprosum » (Ibid.),
DE MARIE.
495
en sorte qu'on ne le reconnaissait plus : « Et quasi abscon-»
di|us vultus ejus, et despectus; unde nec reputavimus » eum. (Ib.)
Mais enfin l'amour le lui découvre, et dès qu'ellel'eulreconnu,
ab! dit S. Pierre d'AIcanlara, dans ses méditations, quels furent
alors l'amour et la crainte du cœur de Marie ! d'un côté elle
désirait le voir, de l'autre, elle refusait de regarder une figure
si digne de compassion. Mais enfin ils se voient : le fils essuyant de
ses yeux le sang caillé qui lui obscurcissait la vue, comme il fut
révélé à S. Brigitte, regarda sa mère,
et la mère regarda son lils. Oh ! regards douloureux, par lesquels
ces deux âmes amoureuses furent percées comme par autant de
flèches ! Marguerite, fille de Thomas Morus, lorsqu'elle rencontra
son père sur le chemin par où il allait à la mon,
ne put faire autre chose que répéter deux fois : ? mon père
! ô mon père! et tomba évanouie à ses pieds.
Marie à la vue de son fils allant au Calvaire, ne s'évanouit
point; non, parce qu'il ne convenait pas, dit Je P. Suarez, que cette mère
perdit l'usage de la raison ; elle ne mourut pas non plus, parce que Dieu
la réservait à de plus grandes douleurs; mais si elle ne
mouruJ. pas, la douleur qu'elle éprouva était néan-moins
suf'fisanle pour lui donner mille morts.
Marie voulait embrasser son fils, comme dit S. Anselme ; mais les exécuteurs
la chasseot, et poussent en avant le douloureux Seigneur : Marie le suit,
Ah! Vierge sainte, où allez-vous? Au Calvaire? aunez-vous la eonaanoede
voir suspendre à un bois infâme celui qui est toute voire
vie? « Et » erit vita tua pendens ante te. » (Deuteron.
xxviii. ·06.) Ah! ma mère, dit S. Laurent Justinven, comme
si son pro-pre fils le lui eût dit alors, ah ! ma mère, arrêtez,
où allez-vous? où vowlez-vous aller? si vous me suivez, tous
serez tourmentée par mon supplice, et moi je le serai par le vôtre
:
1-3.
196
LES GLOIRES
« Heu ! quo properas, quo venis mater ? cruciatu meo cru-»
ciaberis, et ego luo. » Mais quoique la vue de la mort de son Jésus
doive lui coûter de si violentes douleurs, l'amanle Marie ne veut
pas néanmoins le quitter : le fils marche devant, et la mère
le suit pour être aussi crucifiée avec son fils, comme dit
Guillaume : « Tollebat et mater » crucem suam. et sequebatur
eum, crucifigenda cum » ipso. » (In Cant. vu.) S. Jean Chrysostôme
dit : « Fera-» rum etiam miseremur. » Si nous voyions
une lionne sui-vre son lionceau conduit à la mort, encore cette
bête féroce nous inspirerait-elle quelque compassion. Et nous
n'au-rions point compassion de voir Marie, suivant son agneau immaculé
pendant qu'on le conduit à la mort? compatis-sons donc à
sa douleur, et faisons en sorte d'accompagner le fils et la mère
en portant avec patience la croix que nous envoie le Seigneur. S, Jean
Chrysostôme demande pour-quoi Jésus-Christ veut être
seul dans ses autres peines, tan-dis qu'il veut être aidé
par le Cyrénéen pour porter la croix ; et il répond
: « Ut intelligas Christi crucem non suffi-» ceresine tua.
» Lacroix de Jésus ne suffit pas seule pour nous sauver, si
nous ne portons encore la nôtre par notre résignation à
la mort.
EXEMPLE.
Un jour le Sauveur apparut à sœur Diomïre, religieuse à
Florence, et lui dit : Pense à moi et aimemoi; etjepen-serai à
loi et je t'aimerai. En disant ces mots il lui présenta un bouquet
de fleurs avec une croix , voulant lui faire comprendre par-là que
les consolations des. Saints sur la terre doivent être mêlées
de croix. La croix unit les âmes à Dieu. Le bienheureux Jérôme
Émiliani, étant soldat et
DE MARTE.
497
rempli de vices, fut enfermé dans une tour par les ennemis.
Là,! touché par celle tribula lion, el éclairé
de Dieu, pour changer de vie, il recourut à la très-sainle
Vierge; alors avec le secours de celte divine mère, il commença
à mener une vie sainte, tellement qu'il mérita de voir un
jour dans le ciel la place élevée qui lui élait préparée.
Il devint fon-dateur des pères Somasques, mourut comme un saint,
et fut récemment déclaré bienheureux par la sainle
Église.
PRIÈRE.
? ma douloureuse mère, par les mériles de cette dou-leur
que vous avez éprouvée en voyant votre bien-aimé Jésus
conduit à la mort, oblenez-moi la grâce de porter aussi avec
patience les croix que Dieu m'envoie. Heureux si je savais aussi vous accompagner
en portant ma croix jusqu'à la mort ! vous, et Jésus innocent.,
vous avez porté une croix bien pesante, et moi, pécheur,
qui ai mérité l'enfer, je refuserais la mienne ? Oh ! Vierge
immaculée, j'espère de vous le secours nécessaire
pour souffrir mes croix avec patience. Amen.
SUR LA CINQUIÈME DOULEUR. La mort de Jésus.
Voici un aulre genre de martyre que nous avons à con-sidérer:
c'est une mère qui est condamnée à voir exécuter
sous ses yeux un fils innocent qu'elle aime de touie son affeciion : «
Stabat autem juxta crucem mater ejus. » Nous
4 98
LES GLOIRES
n'avons pas besoin,selon S. Jean, de dire autre ehose da martyre de
Marie ; regardez-la près de la croix à la vue de son fils
moribond, et voyez ensuite s'il est unedouleur semblable à la sienne.
Arrêtons-nous donc aujourd'hui, nous aussi, sur le Calvaire, pour
considérer le cinquième glaive qui traversa le cœur de Marie,
savoir, la mort de Jésus.
Dès que notre doulourenx Rédempteur fut arrivé
sur le Calvaire, les bourreaux le dépouillèrent de ses vêtemens,
et, attachant ses pieds et ses mains sacrés avec des clous, «non
» acmis, sedobtusis, dit S. Bernard, » (serm. h. dePass.) afin
de le tourmenter davantage, ils l'appliquèrent à la croix.
Quand ils l'eurent crucifié, ils affermirent lacroix, e( ils le
bissèrent ainsi mourir. Les bourreaux l'abandon-nèrent, mais
Marie ne l'abandonna pas: alors elle s'appro-cha davantage de la croix
pour assister à sa mort. « Ego » non separabir ab eo,
et stabam vicinior cruci ejus ; » c'est ce que la bienheureuse Vierge
révéla à S. Brigitte. (Lib. i. c. 6.) Mais de quoi
servait-il, ô ma souveraine, dit S. Bonaventure, d'aller au Calvaire
pour y voir mou-rir votre fils? « Curivisli, ? Domina, ad Calvariaî
locum ? » ciîr te non retinuit pudor, horror facinoris?»
La honte devait vous retenir, car l'opprobre de votre fils était
aussi le vôtre, puisque vous étiez sa mère. Au moins,
l'horreur d'un tel crime,devait vous empêcher de yoirun Dieu cruci-fié
par ses propres créatures. Mais, répond le même saint,
« non considerabat cor tuum horrorem, sed dolorem. » Ah ! votre
cœur ne pensait point alors à ses douleurs, mais à la douleur
et à la mon de ce cher fils; et c'est pourquoi vous avez voulu l'assister
vous-même, au moins pour com-palir à ses lourmens. Ah! véri
lable mère, dit l'abbé Guil-laume, mère aimante, la
crainte même de la mort n'a pu
DE MARIE.
199
vous séparer de votre fils bien-aimé : « Plane
mater, quas » nec in terrore mortis, filium deserebat. » (Serm.
de Ass. 4.) Sïais, ô Dieu, quel spectacle douloureux n'était-ce
point de voir ce fils agonisant sur la croix, et cette mère agonisante
sous la croix, elle qui éprouvait le con-tre-coup de toutes les
douleurs que souffrait son fils! Voici comment Marie révéla
à S. Brigitte l'état pitoyable de son fils moribond, tel
qu'elle le vit en croix: Mon cher Jésus était en croix tout
accablé et agonisant : on voyait ses yeux enfoncés, â
moitié fermés et éteints ; ses lèvres pen-dantes,
et sa bouche ouverte ; ses joues livides et collées à ses
dents; sa peau était tiraillée, son nez décharné,
sa figure triste; sa tête était penchée sur sa poitrine,
ses cheveux étaient noircis d'un sang coagulé, son ventre
con-tracté sur ses reins; ses bras et ses jambes étaient
tous en-gourdis, et le reste de son corps n'était que sang et que
plaies. (Lib. i. rev. c. 40. etlib. iv. c 70.)
Toutes les douleurs de Jésus étaient aussi les douleurs
de Marie, dit S. Jérôme: «Quot laesiones in corpore
» Christi, lot vulnera in corde matris. » (??. Bald. lom. ?.
p. 4. 9.) Si donc vous vous étiez trouvé alors sur le Cal-vaire,
dit S. Jean Chrysostôme, vous y auriez vu deux autels où se
consommaient deux grands sacrifices, l'un dans le corps de Jésus,
l'autre dans le cœur de Marie. Maïs je pré-fère avec
S. Bonaventure n'y voir qu'un autel, c'est-à-dire, la croix de Jésus,
sur laquelle la mère a été sacrifiée avec ce
divin agneau. C'est pourquoi le saint lui fait celle question : «
0 Domina, ubi stas? numquid juxta » crucem? imo in cruce cum filio
cruciaris. » (??. Bald. 1. cit. p. 452.) 0 Marie, où êtes-vous?
près de la croix ? Ah! je dirai plutôt avec raison que vous
êtes sur 1;\ croix même, pour voua sacrifier et vous crucifier
avec
200
LES GLOIRES
votre fils. S. Augustin est du même avis lorsqu'il dit : «
Crux, et clavi filii fuerunt, et matris; Christo crucifixo » crucifigebalur
et mater. » Oui, car, comme dit S. Ber-nard, ce qu'opéraient
les clous sur la chair de Jésus, l'a-mour l'opérait sur le
cœur de Marie : « Quod in carne » Christi agebant clavi, in
Virginis mente affectus erga » filium. » En sorte qu'en même
temps que le fils sacri" fiait son corps, écrit S. Bernardin, la
mère sacrifiait son ame : « Dum ille corpus, ista spiritum
immolabat. » (Tom. ?. Serm. 31.)
Les mères évitent la présence de leurs enfans
moribonds ; mais s'il arrive quelquefois qu'une mère soit contrainte
d'assister son fils mourant, elle lui procure tous les soula-gemens qu'elle
peut lui donner; elle arrange son lit, pour lui procurer une position plus
commode; elle lui donne des rafraîchissemens, et la pauvre mère
console ainsi sa douleur. Ah ! mère, la plus affligée de
toutes les mères, Marie, il vous est permis d'assister Jésus
moribond, mais il ne vous est point donné de lui procurer le moindre
soulagement. Marie entendit son fils qui disait : « Sitio ! »
mais il ne lui fut point permis de lui donner un peu d'eau pour étàncher
sa soif brûlante : elle ne put lui dire au-tre chose, remarque S.
Vincent Ferrier, que ces paro-les : «Fili, non habeo nisi aquam lacrymarum.
» (Ap. Bald. p. 450.) Elle voyait que son fils suspendu par (rois
pointes de fer sur ce lit de douleur, ne pouvait trouver aucun repos :
elle voulait l'embrasser pour lui procurer quelque soulagement, pour lui
donner au moins la conso-lation de mourir enlre ses bras; mais cela ne
lui était point permis. « Volebat eum amplecti, dit S. Bernard,
» sed manus frustra prolensae in se complexae redibant.» (??.
Bald. p. 463.) Elle voyait ce pauvre fils plongé dans
DE MARIE.
201
un océan d'afïliclions, qui cherchait un consolateur, comme
j] l'avait prédit par la bouche du prophète : « Torcular
y, calcavi solus... circumspexi, et non est auxiliator : quae-sivi, et
non Fuit qui adjuvaret. » (Is. lxiii.) Mais qui au-rait voulu le
consoler parmi les hommes, si tous élaienl ses ennemis? et même
lorsqu'il était sur la croix, les uns le blasphémaient d'une
manière, les autres d'une autre : « Praetereuntes autem blasphemabant
eum moventes ca-» pita sua. » (Matth. xxvn.) D'autres lui disaient
en face : € Si filius Dei es, descende de cruce ; » d'autres
: « Alios » salvos fecit, seipsum non potest salvum facere
; » d'au-tres: « Si rex Israël est, descendat nunc de
cruce. » (Mallh. ib.) La sainte Vierge elle-même dit encore
à S. Brigitte. (Rev. vid. 1. iv. c. 70.) J'entendais les uns dire
de mon fils qu'il était un voleur, d'autres, qu'il était
un imposteur, d'autres, que personne ne méritait plus la mort que
lui. C'étaient autant de nouveaux glaives de douleur.
Mais ce qui augmenta surtout la douleur de Marie et la compassion qu'elle
avait pour son fils, ce fut de l'entendre se plaindre sur la croix d'être
abandonné du Père Éternel : «Deus, Deusmeus,
ut quid dereliquisti me?» (Mallh. xxvn. 26.) Paroles, dit la bienheureuse
Vierge à S. Brigitte, qui ne purent plus s'effacer de son ame durant
loule sa vie. (Rev. 1. cit.) En sorte que celte mère affligée
voyait son Jésus accablé de douleurs de toute part; elle
voulait le soulager, mais elle ne pouvait pas. Et ce qui l'affli-geait
le plus c'était de voir qu'elle-même par sa présence
et par sa douleur augmentait les chagrins de son fils. La même affliction
qui remplissait le cœur de Marie, dit S. Bernard, refluait dans le cœur
de Jésus pour le combler d'amertume : « Repleta maire, ad
filium ìedon-» daret inundalia amaritudinis. » (Hom.
inEv. Stab.) S.
202
LES CLOIRES
Bernard dit même que Jésus en croix souffrait plus de
la compassion de sa mère que de ses propres douleurs. \[ fait parler
ainsi la Vierge .: « Stabam ego videns eum, » ipse videns me,
et plus dolebat de me quam de se. » (??. Sinise. Cons. 28.) Aussi
le même saint, parlant de Marie, lorsqu'elle se trouvait en présence
de son fils mo-ribond, dit qu'elle vivait en mourant, et qu'elle mourait
en vivant, sans pouvoir mourir : « Iuxta crucem stabat » mater
; vox illi non erat ; moriebatur vivens , vivebat » moriens; nec
mori poterat, quia vivens mortua erat.» (deLam. Virg.)Passino écrit
que Jésus-Christ, parlant un jour de lui-même à la
bienheureuse Baptiste Varana de Camerino, lui dit qu'étant en croix
il fut si affligé de voir sa mère à ses pieds dans
une telle désolation, que la com-passion qu'il lui porta le fit
mourir sans consolation, au point que la bienheureuse dont nous parlons,
ayant connu par une lumière d'en haul celle douleur de Jésus-Christ,
s'écria : Seigneur, ne me parlez plus de cette souffrance que vous
avez éprouvée, car je n'en peux plus. Tous les hommes qui
connaissaient celle mère, dit Si-mon de Cascia, étaient dans
l'étonnemenl de lui voir gar-der Je silence au milieu d'une si grande
douleur : « Slu-» pebant omnes qui noverant hujus hominis matrem,
» quod etiam in tantae angustiae pressura silentium serva-»
bat. » Mais si Marie se taisait de bouche, elle parlait du cœur;
car elle ne faisait autre chose alors qu'offrir à la justice divine
la vie de son fils pour noire salut. En outre, nous savons que, par les
mérites de ses douleurs, elle coopéra à nous enfanter
à la vie de la grâce; en sorte que nous sommes les enftms
de ses douleurs : « Voluit eam » Christus, di l Lansperge,
cooperatricem nostra? redemplio-» nisadstare, quam nobis constituerat
dare matrem : debe-
DE MARIE.
203
» bal enim ipsa sub cruce nos parere filios. » (Hom. xliv
de Pass. Dom.) Et s'il entra jamais quelque soulagement dans celle nier
d'amertume, je veux dire, dans le cœur de Marie, la seule chose qui pùl
la consoler alors fut de savoir que, par les mérites de ses douleurs
, elle nous aidait à ac-quérir le salut éternel, comme
Jésus-Christ lui-même Je ré-véla à sainle
Brigitte: « Maria, mater mea, propter compas-» sionem et charitatem,
facta est maier omnium in cœlis et » in lefra. » (Lib. i, cap.
xxxu.) Et en effet, ce furent-là les dernières paroles par
lesquelles Jésus-Christ prit congé de sa mère avant
d'expirer; son dernier souvenir fui le legs qu'il lui fit de nous tous
pour ses enfans dans la per-sonne de S. Jean lorsqu'il dit : « Mulier,
ecce filius Unis. » (Jo. xix.) Et dès ce jour, Marie commença
à exercer à notre égard son office de bonne mère
; car, selon le témoignage de S. Pierre Damien, (Ap. Salm., tom.
i', tract xlvii) le bon larron se convertit et se sauva alors par les prières
de Marie: « Idcirco resipuit bonus lalro , quia bona\irgo, »
inter crucesfilii et latronis posita, filium pio latrone de-» precabatur,
hoc suo beneficio antiquum latronis obse-» quium recompensans. »
Parce que, selon le sentiment de plusieurs autres auteurs, lors du voyage
de Marie en Egypte avec l'enfant Jésus, ce larron s'était
montré poli à leur égard. Or, cet office de bonne
mère, Marie a continué et elle continue encore de l'exercer.
EXEMPLE.
Un jeune homme de Pérouse promit au démon de lui donner
son ame s'il lui procurait la satisfaction de com-mellre un certain péché
qu'il souhaitait de faire : il écrivit même cette promesse
qu'il signa de son sang. Lorsque le péché fut commis, le
démon, voulant exiger l'acquit de
204
LES GLOIRES
l'engagement, transporta le jeune homme près d'un puiis el le
menaça de le précipiter, corps et arae, en enfer, s'il ne
se jetait pas dans ce gouffre. Le misérable jeune homme, ne croyant
pas pouvoir s'é;happer de ses mains, monie sur le puits pour s'y
précipiter; mais, épouvanté par la mort, il dil à
l'ennemi qu'il ne se sentait pas le courage de se luer lui-même,
et qu'il n'avait ,»lui démon, qu'à le pousser dans
le puits s'il voulait lui ôter la vie. Ce jeune homme portait sur
lui le scapulaire de Nolre-Dame-des-Douleurs ; c'est pourquoi le démon
lui dit : Ole ce scapulaire, et je le pousserai. Mais le malheureux, recon-naissant
dans ce scapulaire la protection que lui accordait encore Marie, ne voulut
point l'ôler; en sorte qu'après une longue contestation, le
démon pallii confus, et le'pé-cheur, reconnaissant envers
la Mère-des-Douleurs, fut la remercier. Conlrit de ses péchés,
il voulut laisser, comme monument de ce qui lui était arrivé,
un tableau qu'il sus-pendit à son autel, dans l'église de
Sainle-Marie-la-ÏJeuve, àPérouse. (Monum. conv.perrap.
p. Sinisch. sans.xvi.)
PRIÈRE.
Ah! mère la plus souffrante de toutes les mères, il est
donc mort votre fils, ce fils si aimable, et dont vous étiez tant
aimée ! Pleurez, vous avez lieu de le faire. Qui pourra jamais vous
consoler? une seule chose peut vous soulager, c'est la pensée que
Jésus, par sa mort, a vaincu l'enfer, qu'il a ouvert aux hommes
le paradis fermé pour eux, el qu'il a acquis un si grand nombre
d'ames. De ce trône de la croix, il régnera sur autant de
coeurs qu'il y en aura qui le serviront, vaincus par son amour. Cependant,
ô ma mère, ne dédaignez point de m'avoir près
de vous pour pleurer avec vous, parce que j'ai bien plus sujet que
DE MAKIË.
20ï>
vous de pleurer à cause des offenses que j'ai faites à
votre divin fils. Ah ! mère de miséricorde, J'espère
mon pardon et la vie éternelle, d'abord par les mérites de
mon rédem-pteur , et ensuite parles mérites de vos douleurs.
Amen.
SUR LA SIXIÈME DOULEUR. Le coup de lance, et la descente
de la croix.
« 0 vos omnes qui transitis per viam, attendite et vi-»
dete si est dolor sicut dolor meus. » (Thren. i. 12.) Ames pieuses,
écoutez ce que dit aujourduî la mère des douleurs :
Mes filles bien-aimées, je ne veux poinl que vous me consoliez :
non, parce que mon cœur n'est poinl ca-pable de recevoir des consolations
sur celte terre après la mort de mon cher Jésus. Si vous
voulez m'êlre agréables, voici ce que je réclame de
vous : Tournez-vous vers moi, regardez-moi, et voyez s'il y a eu au monde
une douleur semblable à la mienne, lorsque je me suis vu ravir si
cruel-lement celui qui était l'objei de tout mon amour. Mais, ô
ma souveraine, puisque vous ne voulez poinl recevoir de conso-lation ,
el que vous avez une soif si ardenle de souffrances, je viens vous annoncer
que vos peines ne sont point ter-minées avec la vie de voire fils
: aujourd'hui vous serez blessée par un autre glaive de douleur,
en voyant une lance cruelle percer le côté de votre fils mon,
et en le rece-vant dans vos bras lorsqu'il sera descendu de la croix. Nous
voici arrivés donc aujourd'hui à considérer la sixième
dou-leur qui affligea le cœur de Marie. Attention et larmes! Jusqu'ici
les douleurs sont tombées une à une sur celle
206
LES GLOIRES
mère désolée ; mais aujourd'hui il semble qu'elles
se réu-nissent toutes pour l'accabler..
Il suffit de dire à une mère que son fils est mort pour
rallumer dans son cœur l'amour de ce fils qu'elle vient de perdre. On rappelle
quelquefois aux mères, pour alléger leurs douleurs, toutes
les peinesq-u'ellesavaient endurées de la part de leurs enfans.
Mais, ô ma reine, si je voulais adou-cir parce moyen Ja douleur que
vous ressentez de la mort de Jésus, quel sujet de déplaisir
pourriez-vous vous sou-venir d'avoir jamais reçu de lui? Ah! il
vous aima toujours, toujours il vous obéit, et toujours il vous
respecta. Main-tenant vous l'avez perdu. Qui pourra jamais expliquer votre
chagrin? expliquez-le, vous qui l'avez éprouvé. Dès
que notre Rédempteur fut mort, dit un pieux auteur, les premiers
sentimens de cette auguste mère, furent d'ac-compagner la très-sainte
ame de son fils, et de la présenter au Père éternel
: Mon Dieu, dut-elle dire alors, je vous présente l'ame immaculée
de voire fils et du mien, qui vous a obéi jusqu'à la mort
: recevez-la entre vos bras. Voilà votre justice satisfaite, et
votre volonlé accomplie ; voilà le grand sacrifice consommé
pour votre gloire éter-nelle, S'adressant ensuite aux membres morts
de son Jésus, je vous adore, dit-elle, ô plaies, plaies amoureu-ses,
et je m'applaudis avec vous, parce que vous avez donné le salut
au monde. Vous resterez ouvertes dans le corps de mon fils, pour être
le refuge de tous ceux qui recourront à vous. O combien d'hommes
recevront par vous le par-don de leurs péchés! combien d'hommes
seront par vous enflammés d'amour pour le souverain bien !
Les Juifs voulaient que le corps de Jésus fût enlevé
de la croix , de peur que la joie du Sabbat suivant ne fût troublée;
mais, comme on ne pouvait ôter les condamnés
DE MARIE.
207
du lieu de leur supplice que quand ils étaient véritable-ment
morts, quelques-uns vinrent avec des marteaux de fer pour leur briser les
jambes, comme ils le firent en effet à l'égard des deuxiarrons
qui avaient été crucifiés. Ainsi, pendant que Mafie
pleure la mort de sou fils bien-aimé, elle voit arriver des hommes
armés qui se dirigent contre lui. A celle vue, elle trembla de frayeur
; puis elle s'écria : Ah! mon fils est déjà
mort; cessez de l'injurier et de tourmenler aussi une
pauvre mère. « Oravit eos ne » frangèrent aura,
» écrit S. Bonaventura. Mais, tandis qu'elle parle ainsi,
ò Dieu ! elle voit un soldai qui en-fonce violemment sa lance et
qui ouvre le côlé de Jésus : « Unus militum lancea
latus ejus aperuit, et continuo » exivit sanguis et aqua. »
(Jo. xix.) A ce coup de lance la croix fui ébranlée, et le
cœur de Jésus fut partagé, comme U fut révélé
à sainte Brigitte ; « Ita ul ambae partes es-» sent
divisai. » (Rev. i. 2. cap. xxi.) 11 en sortit du sang et de l'eau,
parce qu'il ne restait dans le corps du Sauveur que ces gouttes de sang
qu'il voulut encore répandre, pour nous faire comprendre qu'il n'avait
plus d'autre sang à nous donner. L'outrage de ce coup de lance fut
pour Jé-sus, mais la douleur en fui pour Marie. C'est ce que le
dévot Lansperge dit : « Divisit Christus cum matre sua hujus
vul-» neris poenam, ut ipse injuriam acciperet; mater dolo-»
rem. » Les saints Pères veulent que ce fût précisément
là le glaive prédit à la sainte Vierge par S. Simeon,
glaive non de fer, mais de douleur, qui perça son ame bénie
dans le cœur de Jésus, où elle .habitait toujours : C'est
ainsi que parle, entre autres, S. Bernard : « Lancea quae »
ipsius latus aperuit, animam Virginis pertransivit,
» quae inde nequibal avelli. » (De Lament.Virg. ) El la divine
mère révéla elle-même à sainte Brigitte
que : « Cuin.
208
LES GLOIRES
» retraberetur hasta, apparuit cuspis rubea sanguine. Tune »
mihi videbatur quod quasi cor meum perforareiur, » cum vidissem cor
filii mei charissimi perforatum. (Rev. c. 40.) L'ange dit à sainte
Brigitte que les douleurs de Maiie furent telles, que si elle n'en mourut
pas, ce fut par un miracle : « Non parvum miraculum a Deo factura
» est, quod beata virgo, tot doloribus sauciata, spiritum »
non exhalavit. » Dans les autres douleurs elle avait du moins avec
elle son fils qui y compatissait; mais aujour-d'hui elle n'a pas même
ce fils pour compatir à son af-fliction.
Cette mère de douleurs craignant'cependant que l'on ne fît
d'autres mauvais traitemens au corps de son fils bien-aimé, pria
Joseph d'Arimathie d'obtenir de Pilate le corps de son Jésus, afin
qu'au moins après la mort elle pût le gar-der et le préserver
d'outrages. Joseph se rendit chez Pi-lale, et il lui exposa la douleur
et le désir de cette mère affligée. S. Anselme croit
que Pilate se laissa attendrir, et qu'il se détermina à livrer
le corps du Sauveur par pitié pour sa mère. Voilà
donc qu'on descend Jésus de la croix. 0 Vierge très-sainte,
après que vous avez donné si amoureusement votre fils au
monde pour noise salut, voilà que le monde vous le rend; Mais ô
Dieu! disait alors Marie, en quel état me le rendez-vous ? «
Dilectus » meus candidus et rubicundus. » Mon fils était
blanc et vermeil, mais vous me le rendez tout noirci de meurtris-sures,
et tout rougi du sang des plaies que vouslui^avez faites ! mon fils était
beau, et maintenant voilà qu'il est tout défiguré!
L'aspect de mon fils inspirait l'amour, et maintenant il remplit d'horreur
tous ceux qui le voient ! Oh! combien de glaives, dit S. Bonaventure, blessèrent
l'ame de celle mère, lorsqu'on lui présenta son fils des-
DE MARIE.
209
cendu de la croix? « ? quot gladii animam matris per-«
transierunt! » Que l'on considère quelle serait la peine d'une
mère à laquelle on présenterait son fils mort! Il
fut révélé à sainte; Brigitte que, lorsqu'on
descendit Jésus, on appuya trois échelles sur la croix :
dlabord les saints dis-ciples déclouèrent les pieds et les
mains, et ils donnèrent les clous à Marie, comme il est dit
dans Mélaphrasle; ensuite, l'un tenait d'en haut le corps de Jésus,
tandis que l'autre d'en bas le descendait de la croix. Bernardin de Busto
considère comment cette malheureuse mère se levant sur la
pointe des pieds, et étendant ses bras pour recevoir son cher fils
, l'embrasse et puis s'assied au pied de la croix. Elle voit sa bouche
ouverte, ses yeux obscurcis; elle passe en revue'ces chairs déchirées,
ces os découverts: elle lui ôle la couronne d'épines
et examine les blessures que leurs pointes avaient faites sur celte tête
sacrée ; elle regarde ces pieds et ces mains percés, et dit:
Ah mon fils! à quoi vous a réduit l'amour que vous avez porté
aux hommes! mais quel mal leur avez vous fait, pour qu'ils vous aient maltraité
de la sorte? « Tu mihi pater eras, » lui fait dire encore Bernardin
de Busto, tu frater, spon-» sus, meae deliciae, mea gloria, tu mihi
omnia eras. » Mon fils, voyez comme je suis affligée, regardez-moi,
con-solez-moi : mais vous ne me regardez plus ! Parlez, dites-moi une parole,
et consolez-moi ; mais vous ne pailez plus parce que vous êtes mort.
0 cruelles épines, disait-elle, en s'adressant à ces barbares
instrumens , clous, lance sanguinaire, comment avez-vous pu tourmenter
ainsi votre créateur? mais que dis-je, les épines, les clous?..
ah! pécheurs, s'écriait-elle, c'est vous qui avez maltraité
ainsi mon fils.
Ainsi s'exprimait alors Marie, et elle se plaignait de vu.
14
210
LES GLOIRES
nous. Mais que dirait-elle maintenant, si elle était ca-pable
de souffrir? et quelle douleur ne sentirait-elle pas en voyant que les
hommes par leurs péchés, continuent d'oulrageret de crucifier
son fils après sa mort? Ne tour-mentons donc plus cette mère
de douleurs; et si nous l'avons affligée jusqu'ici par nos fautes,
faisons mainte-nant ce qu'elle nous dit : voici comment elle nous parle
: «Redite, praevaricatores, ad cor.» (Ps. xlxvi, 8.)Pécheurs,
revenez au cœur blessé de mon Jésus, revenez-y repentons,
et il vous accueillera. « Ab ipso fuge- ad ipsum, conii-» nue-l-elle,
avec l'abbé Guerric, a judicead redemptorem, » a tribunali
ad crucem. » La sainte Vierge révéla à sainte
Brigitte qu'elle ferma elle-même les yeux à son fils, lorsqu'il
fut déposé de la croix, mais qu'elle ne pul croiser ses bras
: « Ejus brachia flectere non porui. » Jésus-Christ
nous fait comprendre par-là qu'il voulait tenir les bras ouverts,
pour accueillir tous les pécheurs repentans qui reviendraient à
lui. 0 monde, continue Marie, « et » ecce tempus tuum, tempus
amantium. » (Ezech. xvi, 8.) 0 monde, maintenant que mon fils est
mort pour le sauver, ce n'est plus le temps pour toi de craindre, mais
c'est le temps d'aimer; c'est le temps d'aimer celui qui, pour faire voir
l'amour qu'il te porte, a voulu tant souf-frir : « Propterea, dit
S. Bernard, vulneratum est cor «Christi, ut per vulnus visibile vulnus
amoris invisi-» bilis videatur. » (Serm. de pass. Dom.) Si
donc, con-clut Marie avec Idiota, mon fils a voulu que son côté
fût ouvert pour te donner son cœur, « Prae riimio amore »
aperuit sibi latus ul praeberet cor suum. » II est juste, ô
homme, que lu lui donnes le tien. 0 enfans de Marie, si vous voulez trouver
un asile dans le cœur de Jésus sans éprouver de refus, allez,
dit Hubert de Casale, allez
DE MARIE.
211
avec Marie, elle vous en obtiendra la grâce : « Fili liujus
» matris, ingredere cum ipsa intra pénétraiia cordis
Jésu.» Voici un bel exemple qui en sera la preuve.
EXEMPLE.
Discepolo raconte (Prompt. Ex. v. Miser.) qu'il y avait un pauvre pécheur
qui, enlr'aulres scélératesses, avait tué son père
et son frère, et qui pour cette raison allaiterrant par le monde.
Un jour, durant le carême, ayant entendu un prédicaTetfr qui
faisait un sermon sur la mi-séricorde divine, il alla se confesser
à lui. Le confesseur, ayant ouï ces excès, l'envoya
devant un autel de Nolre-Dame-des-Douleurs, afin qu'elle lui obtînt
la douleur de ses péchés, et en même temps son pardon.
Le pécheur y va : il commence à prier, mais un instant après
il tombe mort de repentir. Le lendemain, comme le môme prêtre
recommandait au peuple de prier pour le défunt, on vit paraître
dans l'église une colombe blanche qui laissa tom-ber une lettre
aux pieds du confesseur ; celui-ci la prit, la lut, et y trouva ce qui
suit : « L'ame du mort est allée » en paradis dès
qu'elle a quitté son corps. Quant à «vous, continuez
de prêcher la miséricorde infinie de » Dieu. »
PRIÈRE.
? Vierge de douleurs, ô aine grande en vertus, et grande aussi
en afflictions, puisque les unes et les au-tres ont pour principe la flamme
d'amour dont vous brûlez pour Dieu, votre cœur ne sachant aimer que
lui, ah ! ma mère, ayez pitié de moi qui n'ai point aimé
44.
212
LES GLOIRES
Dieu, et qui l'ai tant offensé; vos douleurs m'inspirent une
grande espérance d'obtenir mon pardon. Mais cela ne suffit pas :
je veux aimer mon Seigneur ; et qui peut m'ob-lenir cette grâce mieux
que vous, qui êtes la mère du bel amour? Ah! Marie, vous êtes
la consolatrice de tous les hommes, consolez-moi aussi. Amen.
SUR LA SEPTIÈME DOULEUR. La sépulture de Jésus.
Il est indubitable que, lorsqu'une mère est présente
aux souffrances et à la mort de son fils, elle souffre tou-tes les
peines que son fils souffre lui-même ; mais lorsqu'il faut ensevelir
ensuite ce fils, qui est mort après avoir été cruellement
tourmenté, et que la mère affligée est sur le point
de prendre congé de lui, ô Dieu! la pensée de ne plus
le revoir lui cause une douleur plus grande que toutes ses autres douleurs.
Voilà le dernier glaive de douleur que nous avons à considérer
aujourd'hui, et qui perça le cœur de Marie, lorsqu'après
avoir accompagné son fils sur la croix, après l'avoir embrassé
mort, elle dut enfin le laisser dans le sépulcre pour ne plus jouir
de son aimable pré-sence.
Mais, afin de mieux considérer celte dernière douleur,
retournons au Calvaire, pour y revoir cette mère affligée
qui tient encore son fils mort dans ses bras. Il semble qu'elle lui disait
alors avec Job : (Cap. xxx, v. 21.) Mon fils, « mutatus es mihi in
crudelem. » Oui, puisque tout
DE MARIE.
215
ce qu'il y a en \tous de ravissant, la beauté, la grâce,
les verius, vos /manières affables, toutes les marques d'amour spécial
que vous m'avez données, les faveurs singulières que vous
m'avez faites, tout s'est changé en autant de flèches de
douleurs, qui me font trouver la peine de vous perdre d'autant plus cruelle,
qu'elles m'ont plus enflammée de voire amour. Àh ! mon fils
bien-aimé, en vous perdant, j'ai tout perdu. C'est ainsi que la
fait parler S. Bernard : « ? vere Dei nate, tu mihi pater, »
ttx mihi filius, tu mihi sponsus, tu mihi anima » eras ! nunc orbor
patre, viduor sponso, desolor filio, » uno perdilo filio, omnia perdo.
» (de Lament. Virg, Mar.)
C'est ainsi que Marie, brisée de douleur, embrassait son fils
: mais les saints disciples, craignant que cette pauvre mère n'expirât
de chagrin, s'empressèrent d'enlever de son sein maternel ce fils
inanimé, et de l'ensevelir. Ils lui firent donc une violence respectueuse
pour l'arracher de ses bras, et l'ayant embaumé avec des parfums,
ils l'en-veloppèrent dans le suaire qui était préparé,
et sur le-quel le Seigneur voulut laisser sa figure empreinte, comme on
le voit de nos jours à Turin. Voilà qu'on le porte déjà
dans le sépulcre; déjà une suite attendrie se dispose
à l'accompagner; les disciples le placent sur leurs épaules,
les anges du ciel viennent en troupe pour former son cor-tège ;
les saintes femmes le suivent, et la mère de dou-leurs se joint
à elles pour accompagner son fils jusqu'à la sépulture.
Arrivés au lieu destiné, oh ! comme Marie se se-rait ensevelie
volontiers avec son fils! ainsi qu'elle le dit à sainte Brigitte,
(Lib. I Rev.) « ? quam libenter tunc » posila fuissem viva
cum filio meo, si fuisset vo-» lunlas ejus! » Mais telle n'était
point la volonté de
214
LES GLOIRES
Dieu. On croit qu'elle accompagna le très-saint corps de Jésus-Christ
au tombeau, où l'on plaça aussi les clous et la couronne
d'épines, au rapport de Baronius. Lorsque les sainis disciples levèrent
la pierre pour fermer le sé-pulcre , ils durent s'adresser à
la Vierge, el lui dire : ? notre mère,.nous allons maintenant fermer
le tombeau : ayez patience, regardez votre fils pour la dernière
fois, et prenez congé de lui. Alors la mère de douleurs dut
lui dire : Je ne vous reverrai donc plus, ô mon fils bien-aiihé!
recevez le dernier adieu de votre mère, et recevez mon cœur, que
j'ensevelis avec vous, en vous voyant pour la dernière fois. «
Animam cum corpore » Christi conlumulari Virgo vehementer exoptavit,
» dit S. Fulgence. Marie fit celte révélation à
sainte Brigitte : « Vere dicere possum quod, sepulto filio meo, quasi
duo » corda in uno sepulcro fuerunt. » (Rev., 1. ii, e. 21.)
On prend enfin la pierre, et on enferme dans le saint sé-pulcre
ce grand trésor, qui est au-dessus de tous les tré-sors du
ciel et de la terre, le corps de Jésus-Christ. Fai-sons ici une
digression : Marie laisse son cœur enseveli avec Jésus, parce que
Jésus est tout son trésor : « Ubi » est thesaurus
vester, ibi el cor vestrum erit. » (Luc. ??, 54.) Et nous, où
ensevelirons-nous notre cœur? sera-ce dans les créalures? dans la
boue? el pourquoi ne l'ense-velirions-nous pas en Jésus? quoiqu'il
soit monté au ciel, ce divin maître a néanmoins voulu
demeurer, non pas mort, mais vivant, dans le très-saint sacrement
de l'autel, précisément pour attirer à lui et pour
posséder nos cœurs. Mais revenons à Marie. S. Bonaventura
croit qu'avant de quitler le sépulcre elle bénit celte pierre
sa-crée qui en fennail l'entrée, en lui disant : ? bienheureuse
pierre, qui renfermes mainlenanl celui qui a demeuré neuf
DE MARIE.
245
mois dans mon sein, je te bénis, et je te porte envie ; je te
laisse la garde de mon fils, qui est tout mon bien et tout mon amourJ Puis,
s'adressant au Père éternel : ? Père, dit-elle, je
vous recommande celui qui est mon fils et le vôtre. Enfin, adressant
le dernier adieu à son fils et au tombeau, elle part, et retourne
dans sa maison. Cette pauvre mère s'en allait si triste et si affligée,
dit S. Ber-nard , qu'elle faisait couler les larmes de tous ceux qui la
voyaient : « Multos etiam ad lacrymas provocabat. » En sorte
que partout où elle passait, « omnes plorabant » qui
obviabant ei ; » Tous ceux qui la rencontraient ne pouvaient s'empêcher
de pleurer. El il ajoute que les sainls disciples et les saintes femmes
qui l'accompagnaient pleuraient plus sur elle que sur son fils : «
Super ipsam « potius quam super Dominum plangebant. »
S. Bonaventure veut que les sœurs de Marie l'aient couverte d'un manteau
de deuil : « Sorores ejus velave-» runt eam tanquam viduam,
cooperientes quasi totum » vultum. » Et il dit que, comme elle
passait à son re-tour devant la .croix, encore toute baignée
du sang de son Jésus, elle fui la première à l'adorer.
? Croix sainte, dit-elle, je le baise et je l'adore, car tu n'es plus main-tenant
un bois infâme, mais tu es un autel d'amour et un trône de
miséricorde consacré par le sang de l'Agneau divin, qui a
été sacrifié sur loi pour le salut du monde. Elle
quitte ensuite la croix et rentre chez elle : là celle mère
affligée porte ses regards autour d'elle, et ne voit plus son Jésus
; mais au lieu de rencontrer la présence de son cher fils, elle
n'a sous les yeux que des objets qui lui rappellent sa belle vie et sa
cruelle mort. Là elle se rappelle les cmbrassemens qu'elle lui avait
prodigués dans l'élable de Bethléem ; les conversations
qu'elle avait
216
LES GLOIRES
eues avec lui durant tant d'années dans la boutique de Nazareth
; elle se rappelle les affections réciproques, les regards amoureux,
les paroles de vie éternelle qui étaient sorties de sa bouche
divine ; ensuite elle passe au souvenir de la scène funeste qu'elle
avait vue le même jour; elle se représente les clous, les
épines, les chairs lacérées, les plaies profondes,
les os décharnés, la bouche ouverte, les yeux ternes de son
cher fils. Hélas ! quelle nuit de douleur ne fut point celle nuit
pour Marie! Celle mère de douleurs s'adressant à S. Jean,
lui demandait : où est Ion maître? elle demandait ensuite
à Madeleine : ma fille, dites-moi où est voire bien-aimé
! ? Dieu ! qui nous l'a enlevé ? Marie pleurait, et tous ceux qui
étaient avec elle pleuraient aussi. Et loi, mon ame, ne veux-tu
point pleurer? ah ! adresse-toi à Marie, et dis-lui avec S. JBonaventure
: « Sine, domina mea, sine me flere ; tu in-» nocens es, ego
sum reus. » Prie-la du moins qu'elle le permette de pleurer avec
elle : « Fac ut tecum lugeam. » Marie verse des larmes d'amour;
et loi pleure au moins de repentir pour tes péchés. C'est
en pleurant de la sorle que lu pourras obtenir le même bonheim qae
celui dont il est question dans l'exemple suivant.
EXEMPLE.
Le P. Engelgrave raconte (Dom. infra oct. Naliv. §2.) qu'il y
avait un religieux si tourmenté par les scrupules, qu'il était
quelquefois sur le point de tomber dans le désespoir : mais comme
il avait une tendre dévotion en-vers Notre-Dame-des-Douleurs, il
recourait à elle dans ses angoisses spirituelles, et en contemplant
ses douleurs, il se sentait fortifié. Il arriva à l'article
de la mort, et
DE MARIE.
217
alors plus que jamais le démon l'embarrassait de ses scrupules
et le poussait au désespoir. Cependant la bonne mère Marie,
voyant ce pauvre fils si rempli d'angoisses, lui apparut, et lui dit :
« Et tu, fili mi, cur moerore con-» ficeris, qui in moerore
meo toties me consolatus es?» Mon fils, pourquoi craindre et vous
affliger si fort, vous qui m'avez si souvent consolée en compatissant
à mes douleurs? Or, maintenant, lui dit-elle, Jésus m'envoie
vers vous pour vous consoler aussi ; consolez-vous donc, courage ! venez
avec moi en paradis. A ces paroles le dé-vol religieux expira doucement
rempli de confiance et de consolation.
PRIÈRE.
? ma douleureuse mère, je ne veux point vous laisser pleurer
seule; non, je-veux unir mes larmes aux vôtres. Je vous demande aujourd'hui
celte grâce : obtenez-moi un souvenir continuel de la passion de
Jésus et de la vôtre, avec une tendre dévotion envers
elle, afin que je n'em-ploie tous les jours qui me restent qu'à
pleurer sur vos douleurs, ô ma mère, et sur celles de mon
Rédempteur. J'espère que ces douleurs me rempliront de confiance
et de force à l'heure de ma mort, afin que je ne sois point désespéré
à la vue des offenses que j'ai commises contre mon Seigneur. Ce
sont ces douleurs qui doivent m'obte-nir le pardon, là persévérance
et le paradis, où j'espère aller me réjouir avec vous,
et chanter les miséricordes in-finies de mon Dieu durant toute l'éternité
j ainsi j'espère. Ainsi soit-il. Amen, amen.
DE ????.
219
PETITE COURONNE
DES SEPT DOULEURS DE MARIE.
Celui qui aurait la dévotion de réciter la petite couronne
des Douleurs de Marie la trouvera ici. Je l'ai composée il y a plu-sieurs
années, et je l'insère ici da.nouveau, pour la commodité
des âmes dévotes à Notre-Dame-des-Douleurs , aux prières
desquelles je me recommande lorsqu'elles méditeront ses douleurs.
« ? Domina, quae rapïs corda hominum dulcore, nonne cor
» meum rapuïsti? ? raptrïx cordium, quando mihi restitues
cor > meum? Guberna illud cum tuo, et in latere filii colloca. Tunc »
possidebo quod spero, quia tu es spes nostra. » (Si Bernardus, ìtted.
in Salv. Beg. ap. S. Bon. Stim. e. 29. part. 5.)
Deus in adjutorium, etc. »
A la mort de Jésus, faites qu'en vos douleurs, Mon cœur vous
accompagne, ô mère des pécheurs.
Pbemière douleur.— ? mère de douleurs, je compatis à
la douleur du premier glaive qui vous a percée, quand Simeon vous
prédit dans le temple, tous les outrages que les hommes devaient
faire endurer à votre bien-aimé Jésus, et que vous
connaissiez déjà par les saintes Écritures, jusqu'à
le faire mourir sous vos yeux suspendu à un bois infâme, épuisé
de sang et abandonné de tous les hommes, sans que vous pussiez le
défendre ni le secourir. Je vous prie donc, par ce souvenir amer
qui affligea votre cœur durant tant d'années, je vous prie, ô
ma reine, dem'ob-tenir la grâce de conserver gravée dans mon
cœur la
220
LES GLOIRES
passion de mon Jésus ainsi que vos douleurs , pendant ma vie
et à l'heure de ma mort. Pater, Ave, Gloria, eic, à la mort
de Jésus, etc., comme ci-dessus. Il faut tou-jours répéter
ces deux vers.
Seconde douleur. — 0 mère de douleurs, je com-patis à
la douleur du second glaive qui perça votre cœur, lorsque vous vîtes
votre fils innocent, à peine né, pour-suivi à mort
par les hommes mêmes, pour lesquels il était venu au monde;
en sorte que vous fûtes obligée alors de vous enfuir de nuit
et secrètement en Egypte. Par toutes les peines que vous avez endurées,
vous, Vierge délicate, en la compagnie de votre petit exilé
durant ce long et fati-gant voyage à travers des chemins rudes et
déserts, et dans votre séjour d'Egypte, où, étant
étrangers et inconnus, vous vécûtes tant d'années
pauvres et méprisés, je vous prie7 ô ma bien-aimée
souveraine, de m'obtenir la grâce de souffrir avec patience jusqu'à
la mort en votre sainte compagnie toutes les afflictions de "cette misérable
vie, afin que je puisse dans l'autre échapper aux tourmens éter-nels
que j'ai mérité de souffrir dans l'enfer. Pater, etc.
Troisième douleur.— 0 mère de douleurs, je compatis à
la douleur du troisème glaive qui perça votre cœur, quand
vous perdîtes votre cher fils Jésus, qui demeura trois jours
à Jérusalem éloigné de vous. Je pense, ô
ma reine bien-aimée, que ne voyant plus alors votre amour près
de vous, et ignorant la cause de son éloignement, vous ne pûtes
réposer durant celle nuit, et que vous ne fîtes que soupirer
après celui qui était tout votre bien. Par les soupirs de
ces trois jours, trop longs et trop cruels pour vous, je vous prie de m'obtenir
la grâce de ne ja-mais perdre mon Dieu, afin que je vive toujours
et que je meure en le tenant étroitement embrassé. Pater,
etc.
DE MARIE.
231
Quatrième douleur .— ? mère de douleurs, je compatis
à la douleur du quatrième glaive qui perça votre cœur,
lorsque vous vîtes votre Jésus condamné à mort,
lié avec des cordes et des chaînes, couvert de sang et de
plaies, couronné d'une tresse d'épines, tombant dans les
rues sous le poids de sa croix, qu'il portait sur ses épaules déchi-lées,
allant mourir pour notre amour comme un agneau innocent. Vos yeux se rencontrèrent
alors avec les siens, et vos regards furent autant de flèches cruelles
qui bles-sèrent votre cœur amoureux. Je vous prie donc, par celle
grande douleur de m'obtenir la grâce de vivre tout ré-signé
à la volonté de mon Dieu ; et de porter ma croix avec allégresse
en la compagnie de Jésus jusqu'au dernier soupir de ma vie. Pater,
etc.
Cinquième douleur.— ? mère de douleurs, je compatis à
la douleur du cinquième glaive qui perça votre cœur, lorsque
sur la montagne du Calvaire vous vîtes mourir lentement votre fils
bien-aimé au milieu des souifrances et des mépris sur le
lit dur de la croix, sans pouvoir même lui donner les soulagemens
que l'on accorde ordi-nairement aux plus vils scélérats à
l'heure de la mort. Je vous prie, ô amoureuse mère, par l'agonie
que vous avez soufferte avec votre fils agonisant et par la sensibilité
que vous éprouvâtes lorsqu'il vous adressa la parole du haut
de la croix pour la dernière fois, afin de vous faire ses adieux
et de vous laisser tous les hommes pour vos enfans en la personne de S.
Jean; je vous prie, par la constance avec laquelle vous lui avez vu baisser
la lète et expirer, de m'oblenir de votre amour crucifié
la grâce de vivre et de mourir crucifié à toutes les
choses de ce monde, afin de vivre pour Dieu seul, et d'aller un jour le
voir face à face dans le paradis. Ainsi soil-il. Pater, etc.
222
LÉS GLOIRES
Sixième douleur.— ? mère de douleurs ^ je compatis à
la douleur du sixième glaive qui perça votre cœur, lors-que
vous vîtes percer d'outre en outre.le doux cœur de votre fils mort,
et mort pour ces ingrats qui n'étaient pas même rassasiés
de ses lourmens après sa mort. Je vous prie donc, par celte douleur
cruelle, que vous endurâtes toute seule, de m'oblenir la grâce
d'habiter dans le cœur de Jésus blessé et ouvert pour moi,
dans ce cœur, dis-je, qui esl la belle demeure de l'amour, où vont
se reposer toutes les âmes qui aiment Dieu ; afin que j'y vive sans
avoir de pensées ni d'amour que pour Dieu : Vierge sainte, vous
pouvez le faire, je l'espère de vous. Pater, etc.
Septième douleur.— ? mère de douleurs, je compatis à
la douleur du septième glaive qui perça votre cœur, lorsque
vous reçûtes entre vos bras votre fils mort, non plus beau
et ravissant comme vous le reçûtes autrefois dans l'étable
de Bethléem, mais ensanglanté, livide, et tout déchiré
des blessures qui avaient mis ses os mêmes à découvert.
Alors vous lui disiez ; ? mon fils, à quoi vous a réduit
l'amour? Et lorsqu'on le portait au sépulcre, vous voulûtes
encore l'accompagner et l'ensevelir de vos propres mains, jusqu'à
ce qu'enfin vous ensevelîtes voire cœur aimant avec lui, en lui adressant
le dernier adieu. Obtenez-moi donc, par tous les martyres que votre belle
ame a eu à souffrir, obtenez-moi, ô mère du bel amour,
le pardon des offenses que j'ai commises contre mon bien-aimé Seigneur,
et dont je me repens de tout mon cœur. Défendez-moi dans les tentations
; assistez - moi au mo-ment de ma mort, afin qu'en opérant mon salut
par les méiiles de votre Jésus j'aille un jour par votre
secours dans le paradis, au sortir de ce malheureux exil, chan-
BE MARIE.
223
ter Jes louanges de Jésus et les vôtres durant toute l'éter-nité.
Amen. Pater, etc.
jr. Ora pio nobis, Yirgo dolorosissima ; ii|.Ut digni efficiamur promissionibus
Christi.
OREMUS.
Deus, in cujus passione, secundum Simeonis prophe-tiam, dulcissimam
animam gloriosse Virginis et matris Mariae doloris gladius pertransivit,
concede propitius, ut qui dolores ejus venerando recolimus, passionis tuae
ef-fectum felicem consequamur ; qui vivis et régnas, etc.
Benoît XIII a accordé deux cents jours d'indulgence pour
chaque Pater et chaque Ave de cette petite' couronne à celui qui
la récke dans l'église des PP. serviteurs de Marie, et la
même indulgence à celui qui la récite partout ailleurs
le vendredis de chaque se-maine et tous les jours de carême; les
autres jours, cent jours d'indulgence pour chaque Pater et Ave; à
celui qui la récite en-tière, sept ans d'indulgence. Enfin,
à celui qui la récite pendant un an , indulgence plénière,
applicable aux âmes du purgatoire. (Sivisc. in fin. prat. 3 p. 5./
DE MARIE.
225
PETITE COURONNE DE MARIE IMMACULÉE,
Dont la récitation est usitée dans quelqueséglises.
f. Deus, in adjutorium meum, etc. t. Gloria, etc.
On dit ensuite un Pater et qualre Ave au Père éternel
pour le remercier des grâces qu'il a faites à Marie, et autant
au Fils et au Saint-Esprit. A la fin de chaque Ave, il faul dire: «Louée
soit à jamais l'immaculée conception » de Marie. »
Puis après les quatre Ave on récite la petite strophe suivante
:
Comme un lis entouré d'épines Conserve une aimable fraîcheur
; Telle, en sortant des mains divines, Vous brillez, mère du Seigneur.
A la fin : f. Ora pro nobis, Virgo immaculata; ? Ut digni, etc.
OREMUS.
Famulis tuis, quaesumus, Domine, coelestis gratiae mu-nus impertire,
ut quibus beatae Virginis partus extilit sa-lutis exordium, conceptionis
ejus voliva commemoratio pacis tribuat incrementum. Per Dominum., etc.
Amen.
Vlï.
io
226
LES GLOIRES
OFFRANDE DE SOI-MÊME À MARIE.
Très-sainle Vierge, mère de Dieu, Marie, moi, N., quoi-que
Irès-indigne d'êlre votre serviieur,excilé néanmoins
par votre admirable bonté, et mû par le désir de vous
servir, je vous choisis aujourd'hui, en présence de mon ange gardien
et de toute la cour céteste, pour ma sou-veraine spéciale,
mon avocate et ma mère; je me propose* fermement de vous aimer et
de vous servir désormais, et de foire tout ce qui sera en moi afin
que vous soyez année et servie des autres. Je vous supplie, ô
mère de Dieu, ma bonne et très-aimable mère, par le
sang de votre fils qui a été répandu pour moi, de
vouloir me recevoir comme votre fils et serviteur perpétuel ; assistez-moi
dans toutes mes pensées, mes paroles et mes actions, à tous
les momens de ma vie ; en sorte que tous mes pas et tous mes soupirs soient
dirigés à la plus grande gloire de Dieu ; faites par votre
puissante intercession que je n'offense plus jamais mon bien-aimé
Jésus, que je le glorifie et que je l'aime en celle vie, et que
je vous aime aussi, ma chère et bièn-aimée mère-,
afin que je vous aime ensuite et que je jouisse de votre présence
dans le paradis, du-rant tous les siècles des siècles. Amen.
Marie, ma mère, je vous recommande mon ame, par-ticulièrement
à l'heure de ma mort.
DE MARIE.
227
OFFRANDE D'UNE FAMILtE A MARIE.
Vierge bénie, notre reine et mère immaculée, le
re-fuge et la consolation de tous les malheureux, prosterné devant
votre trône avec toute ma famille, je vous choisis pour ma souveraine,
ma mère et mon avocate auprès de Dieu. Je me consacre pour
toujours, avec ceux qui m'ap-partiennent, à votre service; et je
vous prie, ô mère de Dieu, de nous recevoir au nombre de vos
serviteurs, en nous prenant sous voire protection , en nous secourant durant
la vie, et surtout à l'heure de notre mort. ? mère de miséricorde,
je vous établis la maîtresse et la gou-vernante de toute ma
maisoa, de mes parens, de mes intérêts et de mes affaires.
Ne dédaignez point d'en pren-dre soin, et disposez de tout selon
votre bon plaisir. Bé-nissez-moi donc avec toute ma famille , et
ne permettez pas qu'aucun de nous offense jamais votre fils. Défendez-nous
dans les tentations, délivrez-nous dans les dangers, pourvoyez à
nos besoins, conseillez-nous dans les doutes, consolez-nous dans les afflictions,
assistez-nous dans les in-firmités , et principalement dans les
angoisses de la mort. Ne permettez pas que le démon se glorifie
jamais de tenir sous son esclavage aucun de nous, qui vous sommes dé-sormais
consacrés; mais faites que nous aillions tous au ciel pour vous
remercier, et pour louer et aimer avec vous noire Rédempteur Jésus-Christ,
durant toute l'éternité. Ainsi soit-il. Amen.
11 faut observer, touchant les diverses indulgences que nous
15.
228
LES GLOIRES
avons marquées ci-dessus, que Clément XII a accordé
en ouire sept cents ans d'indulgence pour les défunts à celui
qui dit le De profundis, à genoux, au son de la cloche.
PRIÈRE ABRÉGÉE DE S.
ÉPHREM A MARIE.
(App. Crass. t. u. Sec. 4.)
? immaculée et très-pure Vierge Marie, mère de
Dieu, reine du monde, espérance de ceux qui sont dans le dé-sespoir,
vous êtes la joie des saints; vous êtes la média-trice
de la paix entre Dieu et les hommes ; vous êtes l'a-vocate de ceux
qui sont abandonnés, et le port assuré contre le naufrage
; vous êtes la consolation du monde, le rachat des captifs, le soulagement
des affligés, le salut de l'univers. ? grande reine, nous nous mettons
sous vo. tre protection : « Non nobis est alia quam in te fiducia,
» ? Virgo sincerissima ! » ? Marie, après Dieu nous
n'a-vons d'autre espérance qu'en vous ; nous portons le nom de vos
serviteurs, ne permettez pas que l'ennemi nous en-traîne en enfer
: « Ave Dei et hominum mediatrix optima. » Je vous salue, ô
grande médiatrice de la paix entre Dieu et ïes hommes, ô
mère de notre Seigneur Jésus, amour de tous les hommes, honneur
et bénédiction, avec le Père et le Saint-Esprit. Amen.
marie.
229
PRIÈRE DE S. THOMAS d'aQWN. -
? bienheureuse et très-douce Vierge Marie, pleine de miséricorde,
je recommande à votre bonté mon ame et mon corps, mes pensées
et mes œuvres, ma vie et ma mort. ? ma souveraine ! aidez-moi et fortifiez-moi
contre les embûches du démon ; obtenez-moi un parfait et véritable
amour, par lequel j'aime de tout mon cœur voire fils bien-aimé et
mon Seigneur Jésus-Christ ; et faites qu'après lui je vous
aime par-dessus tout. ? ma reine et ma mère, faites, par votre puissante
intercession, que cet amour brûle dans mon cœur sans s'éleindrejusqu'àlamort,
et qu'en-suite je sois conduit par vous dans la patrie des bienheu-reux.
Amen. (Ex Officio prsed. et diar. 7. Mart.)
?:
PRECATIO BLOSH AD BEA.TAM VIRGINEM.
« Ave,desperantium spes, destilutorum adjutrix, Maria, »
cujus honori tantum tribuit filius, ut quidquid petieris, » mox impelres,
quidquid volueris, mox fiat : tibi regni » coelestis thesauri commissi
sunt. Praesta, Domina, ut in-» ter procellas hujus vitae semper te
attendam. Tuae pietati » commendo animam et corpus meum. Dirige et
protege » me singulis horis atque momentis, ? dulce praesi-»
dium meum. Araen. »
230
LES GLOIRES
ALIA ORATIO.
« Ave, bcnignissima misericordiae mater, salve, veniae »
consolatrix, oplatissima Maria ; quis te non amet ? Tu » in rebus
dubiis lumen, et in mœroribus solatium ; in » angusliis levamen,
in periculis ei tentationibus refu-» giurn. Tu, post unigenitum tuum,
certa essalus; beali » qui diligunt te, Domina! Inclina, quaeso,
aures tuae pie-» talis precibus hujus servi tui, hujus miseri peccatoris,
» et caliginem vi liorum meorum radiis luse sanctitatis dis-»
sipa, ut tibi placeam. » (Blosius, Oral, ad Virg. ?.)
ORAISONS JACULATOIRES A LA SAINTE VIERGE.
I. Mère de Dieu, souvenez-vous de moi. (S. Franç.-Xavier.
)
II. Vierge-mère, faites que je me souvienne toujours de
vous. (S. Philip, de Néri.)
III. Vierge mère de Dieu, priez iésus pour moi.
(Id.)
IV. ? Marie, failes que Jésus ne me repousse pas loin
de lui. (S. Ephrem.)
V. 0 Marie, que mon cœur ne cesse jamais de vous aimer, ni ma
langue de vous louer. (S. Bonavenlure. )
VI. ? ma souveraine, par l'amour que vous portez à Jésus,
aidez-moi à l'aimer. (Sle Brigitte.)
VII. ? Marie, daignez me rendre voire servante. (La bienheureuse
Jeanne de France. )
DE MARIE.
251
VIII. 0 Marie, je me donne tout à vous, acceptez-moi et
conservez-moi. (SteM. Mad. de Pazzi.)
IX. ? Souveraine, ne m'abandonnez point jusqu'à la mort.
(Le P. Spinelli.)
X. Je vous salue, Marie, ma bonne mère. (Le P. Franc.
Brancacio. )
XI. Sainte Marie, mon avocate, priez pour moi. (Le P. Serlorius
Caputi.)
Que ton nom est suave, ô Marie ! 6 ma mère ! Dès
que je le prononce, il me donne la paix ; Et mon bonheur est tel > que
je veux à jamais Redire ce doux nom de celle qui m'est chère.
La sainte Vierge révéla à une de ses pieuses servantes.
qu'elle recevait avec grand plaisir l'honneur que ses serviteurs lui ren-dent
par la prière suivante.
Je vous remercie, 6 Père éternel, pour la puissance que
vous avez donnée à Marie, votre fille: Pater, Ave, Gloria.
Je vous remercie, ô Fils éternel, pour la sagesse que
vous avez donnée à Marie, Votre mère : Pater, Ave,
Gloria.
Je vous remercie, ô Esprit éternel, pour l'amour que vous
avez donné à Marie, votre épouse : Pater, Ave, Gloria.
« Ad te clamamus, regina misericordiae, revertere, tu »
intueamur le largientem beneficia , conferenlem re-» media, ponentem
fortitudinem. Ostende nobis faciem » miserationum tuarum , et salvi
erimus. » (S. Bern. aut. quisq. est auctor super Salv. Reg.)
232
LES GLOIRES
« Domina rerum, sancta sanctorum, virtus nostra et » refugium,
Deus mundi, gloria cœli, agnosce te dili-» gentes; audi nos, nam
te filius nihil negans honorat.» (id. loco cit. Serm. 5.)
« Curre, festina, Domina, et tuum iniquigsimum ser-» vum
ad te clamantem, parcendo adjuva, et eripe de « manu hostis. »
(Id. in Salv. Reg. S. Bon. Slim. e. 19. p. 3.)
« Quis od te non suspirabil? amore suspiramus ei do-» lore.
Quomodo ergo ad tenon suspirabimus, solatium » miserorum, refugium
expulsorum, liberatio captivo-» rum? Non dubitamus quin, si nostras
aspexeris mise-» rias, non poterit tua miseratio tuum retardare eflec-»
tum. » (Idem loc. cit.)
« 0 Domina noslra, advocata nostra, tuo filio nos com-»
menda; fac, ? Benedicta, per gratiam quam meruisli, » ut qui, te
mediante, dignatus est fieri particeps infìrmi-» talis nostrae
et miseriae, le quoque intercedente, parti-» cipes nos faciat beatitudinis
et gloriae sua?. » (Id. S. Bern. sup. Salv. Reg.)
« In te spem meam ex toto animo collocavi. » (S. Joan Damascenus.)
« Non est fas, ? Domino, te posse deserere. eum > qui «
spem suam in te ponit. » (S. Bernardus.)
« Tantummodo velis salutem nostram, et vere ne-« quaquam
salvi esse non poterimus. » (S. Anselme.)
« Ave, filiaDei Patris; ave, mater Dei filii; ave, sponsa »
Dei Spiritus sancti; ave, templum totius Trinitatis. » (Simon Garcia.)
? Vierge immortelle, Que vous êtes belle !
DE MARIE.
235
Mère du Sauveur, Vous charmez mon cœur.
Léo gratias et Jlariœ.
Que tout soit pour la gloire de la très-sainte et éter-nelle
Trinité, et de l'immaculée Marie.
Vivent à jamais Jésus notre amour, Marie notre espé-rance,
Joseph et Thérèse nos avocats.
ADDITION.
Acclamations à la louange de Marie,
? très-sainte vierge Marie ! ô reine des anges ! comme
le ciel vous fit belle, parfaite et accomplie! que ne puis-je paraître
aux yeux de mon Dieu tel que vous me parais-sez ! vous êtes si belle
et si gracieuse, que toute beauté s'efface, toute grâce disparaît
devant vous, comme les étoi-les s'éclipsent devant la lumière
du soleil.
S. Jean Damascène qui avait envers vous une si grande dévotion,
vous considéra, et lorsqu'il vous vit si belle, il crut que vous
aviez pris la fleur et la perfection de toutes les créatures et
il vous appella : « Naturae venustalem : » la grâce et
l'amour de toutes les choses créées. S. Augus-tin, le soleil
des docteurs vous considéra aussi, et vous lui parûtes si
aimable et si belle, qu'il ne crut point exagérer la louange en
vous appellant la face et la figure de Dieu : « Si formam Dei le
appellera, digna existis. » Albert-le-grand, votre fils dévot,
vous considéra, et il lui sembla que toutes les grâces et
tous les dons qu'avaient possédés
254
LES GLOIRES
les plus ? célèbres femmes de l'ancienne loi, avaient
été réunis en vous dans un plus haut degré.
Il vit que vous aviez la bouche d'or de Sara, sur laquelle est empreint
un sourire qui réjouit le ciel et la terre : le tendre et doux regard
de la féconde Lia, par lequel vous amollissez le cœur de Dieu lorsqu'il
est irrité : l'éclat de la figure de la belle Rachel, dont
la beauté efface les rayons du so-leil : la grâce et l'amabilité
de la discrète Abigail, par laquelle vous apaisez la colère
de Dieu : la vivacité et le courage de la valeureuse Judith, qui
assujétit les cœurs les plus féroces par sa grâce et
par sa vaillance.
Enfin, ô princesse souveraine, de l'immense océan de de
votre beauté sortirent, comme des fleuves, la beauté et la
grâce de toutes les créatures. La mer apprit à arrondir
ses ondes, et à promener majestueusement ses flots de cris-tal,
en voyant les cheveux dorés de votre tête qui, bouclés
avec grâce, flottent sur vos épaules, et sur votre cou d'i-voire.
Les fontaines transparentes, et leurs clairs réser-voirs apprirent
le repos et le calme, en voyant la sérénité de votre
beau front et de votre agréable visage. L'iris écla-tante,
alors qu'elle déploie ses plus belles couleurs, apprit à
se courber gracieusement pour mieux darder les rayons de sa lumière,
en voyant le contour de vos sourcils. L'étoile du malin et l'étoile
du soir sont les rayons lumineux de vos beaux yeux. Les lis éclatans
de blancheur, les rosés pourprées dérobent leurs couleurs
à vos joues. La pourpre et le corail semblent envier la rougeur
de ves lèvres. Le lait le plus exquis el le miel le plus suave coulent
de voire bouche comme d'un rayon. Le jasmin odoriférant et la rosé
parfumée de Damas, empruntent leurs odeurs à votre ha-laine.
Le cèdre le plus élevé el le plus louffu, et le droit
cyprès pourraient s'estimer heureux s'ils prenaient
DE MARIE.
255
fe direction de votre cou. Le palmier envieux se compare à votre
taille majestueuse. Enfin, divine Marie, toutes les beautés créées
ne sont qu'une ombre et une image de votre beauté. Ainsi, souveraine
princesse, je ne m'élonne plus de voir le ciel et la.terre à
vos pieds, parce qu'ils sont si petits, et vous êtes si grande, qu'en
vous plaçant au-dessus d'eux, vous les enrichissez, et qu'ils s'estiment
heureux de pouvoir baiser la plante de vos pieds. Telle était la
lune quand l'Évangéliste S. Jean la vit sous vos pieds. L'éclat
du soleil augmente lorsqu'il vous revêt de sa lumière ; le
disciple bien-aimé, ébloui par l'éclat de voire lumière,
demeura stupéfait et hors de lui-même, en contemplant un miracle
de beauté aussi surprenant, dans lequel étaient réunies
toutes les beautés du ciel et de la terre, et il s'écria
: « Signum magnum apparuit in cœlo.» Un grand miracle a paru
dans les cieux, qui a étonné les anges et ému la terre
; et ce miracle était une femme re-vêtue de lumière
et de splendeur, de la tête aux pieds, celle que le soleil resplendissant
avait choisie pour sa mère,et dans le sein de laquelle il avait
voulu habiter; celle à qui la lune sert de marche-pied, dont la
tête était couronnée d'une multitude d'étoiles
radieuses, qui se dis-putaient l'honneur de ceindre sa chevelure, et de
décorer son front d'une couronne de pierreries : « Et in capite
» ejus corona stellarum duodecim.
En vous voyant revêlue d'une si grande lumière, ô
Vierge très-sainte, en vous yoyant plus belle que le soleil, el
plus gracieuse que la lune, ces deux aslies qui sont l'ex-pression de toute
beauté, en considérant les acclamations que vous recevez
dans le ciel, les saints ne cessent de s'ex-tasier de votre beauté,
ils ne poussent que des cris d'ad-miration et d'élonnement, S. Pierre
Damien s'écrie : ?
236
LES GLOIRES
sainle, el la plus sainte de tous les saints, trésor immense
de toute sainteté. S. Bernard : ? Vierge admirable, ô femme
qui êtes l'honneur de toutes les autres femmes ! la meilleure et
la plus grande qui ait jamais existé dans l'u-nivers! S. Ephiphane
: ? ciel le plus vaste el le plus large de l'empirée ! Vierge vraiment
pleine de grâces! Et l'Église catholique vous salue, et vous
dit au nom de tous les hom-mes : ? très-clémente ! ô
pieuse ! ô douce vierge Marie !
Et moi aussi, princesse du ciel, quoique je sois le moin-dre de vos
serviteurs, j'oserai, si vous me le permettez, join-dre mes cris d'admiration
et d'étonnement à ceux de tous les autres. Ociel beau et
gracieux, le plus vaste de l'em-pirée, puisque Dieu n'est point
renfermé dans le ciel, à cause de son immensité, tandis
qu'il s'est tenu caché dans votre sein. O trésor d'abpndanles
richesses, dans lequel fut déposé le grand prix de notre
rachat ! ô mère des pécheurs, sous le manteau de laquelle
nous trouvons notre défense î ô consolation du monde,
qui consolez tous les affligés, tous les infirmes, et tous ceux
qui manquent de soulagement ! ô beaux yeux qui ravissez nos cœurs
! ô lèvres de corail qui emprisonnez les âmes ! ô
mains libé-rales et pleines de fleurs, qui répandez des grâces
conti-nuelles ! ô pure créature, qui ressemblez à un
Dieu, et que j'aurais prise pour telle, si la foi ne m'avait appris que
vous ne l'êtes pas, quoique vous ayez un éclat et un je ne
sais quoi qui ressemble à la divinité souveraine ! ô
grande dame, impératrice du ciel, réjouissez-vous durant
mille élernités de l'élévation de votre état,
del'immensilé de vos grâces, et de la félicité
de votre gloire. Je vous supplie seulement, ô mère tendre,
de ne pas nous oublier, nous qui vous demandons d'être acceptés
pour vos serviteurs et pour vos enfans. El puisque toutes les grâces
et les qualités les
DIS MARIE.
237
plus excellentes de toutes les créatures sont déposées
en vous, faites, ô ma souveraine, que nous qui sommes vos serviteurs,
nous soyons mieux traités sans comparaison, que ne le seront tous
les autres hommes. Que le monde ap-prenne que les chers enfans de Marie
sont les plus heureux, dans le ciel et sur la terre ; que ceux qui jouissent
des bontés d'une telle mère, sont les plus favorisés,
qu'ils sont les bien-aimés qui reposent délicieusement sur
le sein de la reine du ciel, et qui reçoivent doublement les caresses
de votre majesté. Je l'espère ainsi, ô très-belle
Rachel ; et j'ai la confiance de l'obtenir de vous, ô souveraine
princesse ! Faites-le parce que vous êtes si puissante; tout
le ciel prosterné à vos pieds vous en supplie et vous en
con-jure. Ah! dites oui. Dites seulement un amoureux «fiat»
ainsi-soil-il, ainsi-soil-il, «fiat, fiat.» O hommes, que faites-vous?
comment aimez-vous des créatures de boue, trompeuses et menteuses,
qui vous trahissent, et vous font perdre l'ame, le corps, le paradis et
Dieu? et pourquoi n'aimez-vous point Marie, qui est très-aimante,
très-aimable et très-fidèle; et qui après vous
avoir enrichis de consola-tions et de grâces durant cette vie, vous
obtiendrait de son divin fils la gloire éternelle du paradis? ?
Marie, Marie, belle par-dessus toutes les créatures, aimable, après
Jésus, par-dessus tous les amours, plus chère que toutes
les cho-ses créées, plus gracieuse que toutes les grâces,
ayez piiié de mon misérable cœur ! il est misérable
parce qu'il ne vous aime point et qu'il devrait vous aimer. ? Marie, tournez
vers moi vos yeux amoureux, regardez-moi, atti-rez-moi à vous, et
faites qu'après Dieu, je n'aime autre chose que vous, ma mère,
la mère de Jésus, très-aimable et très-grâcieuse
Marie.
258
LES GLOIRES
SERMON
POUR LA FÊTE DE L'ANNONCIATION,
Et verbum caro factum est. (Joan. i.)
Le docteur angélique S. Thomas appelle le mystère de
l'incarnation du Verbe, «miraculorummiraculum.» Et en effet,
quel plus grand prodige pouvait voir lemonde, qu'une femme devenue mère
de Dieu, et un Dieu revêtu de chair humaine? Considérons donc
aujourd'hui ces deux grands prodiges: Marie par son humilité, devenue
la mère de son créateur, premier point: Le créateur,
par sa bonté, devenu le fils d'une créature, second point.
PREMIER POINT. Marie, par son humilité, devenue la mère
de son Créateur.
I. Dieu ayant décrété de manifester son immense
bonté au monde en s'humiliant jusqu'à se faire homme pour
racheter l'homme perdu, et devant se choisir une mère vierge, chercha
parmi les vierges celle qui était la plus humble. Il trouva que
la vierge Marie surpassait d'autant plus loules lesaulresen humilité,
qu'elle les surpassait en sainteté, et il la choisit pour sa mère
: «Respexit humili talem » ancillae suae. (Luc. ?.) S. Laurent.
Jusliniendit : «Non ait : » Respexit virginitatem, innocentiam,
sanctitatem, sed tan-» tum humilitatem. » Et S. Jérôme
l'avait déjà remarqué :
DE MARIE.
239
» Maluit Deus de Virgine incarnati, propter humilila-4tem,
quam propter aliam virtutem. »
II. Mous voyons maintenant que c'était Marie qui était
représentée dans les saints Cantiques sous l'emblème
du nard, herbe petite el rempante, qui par sa douce odeur, at-tira le roi
du ciel, le Verbe étemel, du sein de son père où il
se reposait» dans son chaste sein, pour qu'il s'y revêtît
de de la chair humaine : « Dum esset rex in accubitu suo, »,
nardus mea dedit odorem suavitatis. » (Cant. ?. i 1. ) Voici comment
S. Ànlonin explique ces paroles : «Nardus est » herba
parva, et significat beatamVirginem quae dedit odo-» rem humilitatis.»
Et S. Bernard avait déjà dit: «Digna » plane
quam respiceret Deus, cujus decorem concupis-» cerel rex, cujus odore
suavissimo ab aeterno paterni » sinus atlraherelur accubitu. »(Serm.
de Ass. iv.) Ainsi, Dieu attiré par l'humilité de cette Vierge,
la choisit pour sa mère, en se faisant homme pour la rédemption
des hommes. Il ne veut pas néanmoins devenir son fils avant d'avoir
son consentement, afin d'augmenter la gloire et le mérite de celle
mère : « Noluit carnem sumere ex ipsa, » nolente ipsa,
» dit l'abbé Guillaume. (In Canl. m.) Et voilà qu'au
moment où l'humble Vierge est dans sa pau-vre maison, soupirant
et priant le Seigneur d'envoyer le Rédempteur au monde, comme il
fut révélé à sainte Elisa-beth, vierge de l'ordre
de S. Benoit, l'archange Gabriel vient s'aquilter près d'elle de
la grande ambassade donl Dieu la chargé, et la saluer : «
Ave gratia plena, Dominus » tecum, benedicta tu inter mulieres. »
(Luc. ?.) Je vous salue, ô Varie pleine de grâce, parce que
vous êtes enri-chie d'une telle abondance de grâces, qu'elles
surpassent celles qui ont été dojinées à tous
les anges el à (ous les hommes. Le Seigneur est avec vous, et toujours
il y a été,
240
LES GLOIRES
en vous protégeant par sa grâce. Vous êtes bénie
enfre tou-tes les femmes, puisque foutes les autres ont encouru la malédiction
du péché, tandis que vous, comme mère de celui qui
est béni, vous avez été préservée de
toute souil-lure, que vous avez été toujours bénie,
et que vous le serez toujours.
III. A ce salut si flatteur que répond l'humble Marie?
elle ne répond pas, mais surprise de tant d'éloges, elle
se trouble et se confond : « Quae cum audisset, turbata est »
in sermone ejus, et cogitabat qualis esset ista salutatio. » Et pourquoi
se tróuble-t-elle? peut-être craint-elle une illusion ? non,
car elle est assurée que celui qui lui parle est un esprit céleste.
Peut-être se lrouble-t-elle par modes-tie, en voyant un ange sous
la figure d'un homme, ainsi que le pensent quelques auteurs? non, parce
que le texte dit : « Turbata est in sermone ejus·, »
à quoi Eusèbe-Emis-» sène ajoute : Non in vultu,
sed in sermone ejus. » Ce trouble fut donc l'effet de l'humilité,
et produit par ces grands éloges , qui étaient loin de ses
sentimens. Ainsi, plus elle se voit élevée par l'ange, plus
elle s'humilie, et plus elle se confond dans son néant. S. Bernardin
de Sienne écrit que si l'ange lui avait dit qu'elle était
la plus scélé-rate du monde, Marie ne se serait point troublée;
mais qu'en entendant ces grands éloges dont elle se croyait indigne,
elle s'étonne et se trouble: « Si dixisset angelus: »
0 Maria, tu es major ribalda quae est in mundo, non » ita admirata
fuisset : unde turbata fuit de tantis laudi-» bus. » (Serai,
xxxv. de Ann. part. 3.)
IV. Mais, dira-t-on, la sainte Vierge instruite par les saintes
Écritures, n'ignorait pas que le temps de la venue du Messie annoncé
par les prophètes, était arrivé ; elle savait
bien que les soixante-dix semaines de Daniel étaient
DE MARIE.
241
écoulées, que le sceptre de Juda était passé
dans les mains d'un roi étranger, qui était Herode, selon
la prophétie de Jacob ; elle savait en même temps que la mère
du Messie devait être une vierge. Lors donc qu'elle entendit l'ange
lui adresser ces éloges qui ne paraissaient convenir qu'à
la mère d'un Dieu, peut-être pensa-t-elle, ou du moins
douta-t-elle qu'elle était cette mère choisie? Non, son humilité
ne laissa pas même ce doute dans son esprit. Ces louanges lui inspirèrent
seulement une grande crainte, à ce point qu'elle eut besoin que
l'ange même la rassurât, comme dit S. Pierre Chrysologue :
« Sicut Christus per » angelum volui: confortari, ita per angelum
debuit virgo » animan. » Cependant Gabriel lui dit : «
Ne timeas Ma-» ria, invenisti gratiam apud Deum. » Comme s'il
lui disait : Que craignez-vous, ô Marie, ne savez-vous pas que Dieu
exalle les humbles? vous vous voyez petite et basse avec vos yeux, et c'est
pour cela qu'il vous élève par sa bonté jusqu'à
vous rendre sa mère. « Ecce concipies et » paries
filium, ei vocabis nomen ejus Jesum. »
5° Cependant l'ange attend pour savoir si elle consent à
être mère de Dieu. Ici S. Bernard lui adresse la parole :
« Expeclalangelusresponsum, expectamus et nos, domina, » verbum
miserationis, quosmiserabililerpremitsenienlia » damnationis. »
(Hom. iv. sup. inissus.) Marie, l'ange attend avec votre réponse
votre consentement : nous l'at-tendons aussi, nous, malheureux condamnés
à la mort éternelle. « Ecce offertur tibi pretium salutis
nostrœ, sla-» tim liberabimur, si consentis. » ? Vierge sainte,
le prix de notre salut vous est offert, le prix doit être le sang
que répandra votre fils, fait homme dans voire sein pour expier
nos péchés, elnous délivrerde la mort: si vous l'ac-ceptez,
nous serons à l'instant délivrés. «Ipse quoque
vu.
16
LES QLOIRES
» Dominus, quantum concupivit decorem tuum, tantum » desiderat
et responsionis assensum in qua nimirum » proposuit salvare mundum.
» (Id. S. Bern. loc. cit.) Autant noire Seigneur aime votre beauté,
autant il désire votre consentement, par lequel il a résolu
de sauver le monde « Respondejam, Virgo sacra, reprends. Auguslin,
vilain » quid tricas mundo? » (Serm. xxi. de lemp.) Répondez
promplemenl, ma souveraine, ne retardez plus le salut du monde, qui dépend
de votre consentement,
6° Mais voilà que Marie fait entendre à l'envoyé
des deux cette réponse tant désirée : « Ecce
ancilla Domini, » fiat mihi secundum verbum tuum, » ? réponse
admi-rable, qui avez réjoui le ciel, procuré à la
terre un im-mense trésor de biens! réponse qui avez fait
sortir le fils unique du sein du Père Eternel pour se faire homme!
car à peine Marie eût-elle proféré ces paroles
: « Ecçe ancilla « Domini, » que le fils de Dieu
devint aussi le fils de Marie, « Verbum caro factum est. ? fiat potens
! S'écrie ici S. » Thomas de Villeneuve, ? fiai, super omne
fiat veneran-» dum ! » (Serm. deannun.) C'est par ce fiat,
que le ciel descendit sur la terre, et que la terre fut élevée
jusqu'au ciel.
7° Mais jetons un regard plus attentif sur la réponse de
Marie: «Ecce ancilla Domini.» L'humble Vierge voulait dire
par ces paroles: Voici la servante du Seigneur, obli-gée à
faire ce que le Seigneur lui commande ; s'il voit mon néant, et
s'il sait que tout ce que j'ai lui appartient, qui pourra dire qu'il m'a
choisie à cause de mon mérite? « Ecce ancilla Domini.
» Quel mérite peut avoir une ser-vante pour devenir la mère
de son Seigneur ? que la ser-vanle ne soit donc point louée, mais
qu'on loue seule-ment la bonté du Seigneur, qui a voulu jeter les
yeux
DE MARIE.
243
sur une créature si basse pour l'élever si haut. «
? humi-litas, dit l'abbé Guérie, transporté d'admiration,
? humi-li lilas angusta sibi, ampla diviniiali 1 insufficiens sibi, »
sufficiens ei quem non capit orbis. » ? humilité de Marie,
qui la rend petite à ses yeux, mais grande aux yeux de la divinité;
indigne selon son jugement, maisdigneau jugement de Dieu, de renfermer
dans son sein celui que l'univers ne peut contenir ! Écoulons encore
à ce sujet les accens d'admiration de S· Bernard : «
Quanta humilitatis » virtus, cum tanla puritate, cum innocentia tanta,
imo » cum tanta gratiae plenitudine ! » EH il poursuit: «
Unde » tibi humilitas, ei tanla humilitas, ? beata? » lucifer,,
en voyant que Dieu l'avait douée d'une grande beauté, aspira
à placer son trône sur les étoiles, et à devenir
sem-blable à Dieu, disant : « Super astra Dei exaltabo solium
» meum,.... ei sjmUis ero Altissimo, «? ^Isa. xiv. 1<5)
Or, qu'aurait dit le superbe, s'il s'était vu orné des préroga-tives
de tylarie? élevé par son Dieu, il devint superbe, et il
fut plongé dans les enfers; mais l'humble Marie, plus elle se voit
enrichie de dons, et plus elle seconcenhe dans son néant: aussi
Dieu l'élève jusqu'à la rendre sa mère»
et à la placer à un rang §i sublime, comme dit S. André
de Crète, qu'à l'exception 4e Dieu lui-même, on ne
peut lui comparer personne : « Excepto Deo, omnihus est altior. *
(Orat. de dormit. Deip.) C'est ce qui fait dir.e aussi à S. Anselme
: « ÎSihil (ibi, domina, est aequale, omne enim » quod
est, aut supra te est, aut infra : quod supra, solus » Deus, quod
infra, est omne quod Deus non est. » (Ap. Pelbarl. stellar. 11. part.
3. a 2.)
8° Et à quel degré plus haut pouvait monter une créa-ture,
qu'à la dignité de mère de son créateur? «Esse
«matrem Dei, dit S." Bonave.nlure, est gratia maxima
244
LES GLOIRES
» purse creaturae conferibilis, ipsa est quam majorem »
facere non potest Deus ; majorem mundum facere potest » Deus, majus
coelum, majorem quam matrem Dei facere » non potest. » (Spec.
B. V. lect. x.) Et c'est ce que veut exprimer la Vierge elle-même,
lorsqu'elle dit : « Fecit » mihi magna qui potens est. »
(Luc. i.) Mais ici l'abbé de Celles lui dit : « Non tantum
sibi te fecit, sed te ange-» lis dedit in instaurationem, hominibus
in reparationem. » (In prol. cont. Virg.) Ainsi Dieu créa
Marie, non-seule-ment pour lui, mais encore pour l'homme, c'est-à-dire,
pour réparer la ruine causée à l'homme par le péché.
Pas-sons au second point.
SECOND POINT. Le Créateur, par sa bonté, devenu fils
de sa créature.
9. Adam notre premier père, pèche, et devient ingrat
à l'égard des dons qu'il avait reçus de Dieu ; il
se révolte contre lui en mangeant le fruit défendu. Dieu
est donc obligé de le chasser de sa présence, et de le condamner
avec tous ses descendens à la mort éternelle ; mais ayant
eu ensuite pitié de l'homme déchu, touché par les
entrail-les de sa miséricorde (oriens ex alio), il voulut bien des-cendre
sur la terre, s'y faire homme, et satisfaire à la divine justice,
en payant par ses souffrances les peines que nous avions mérité
d'endurer par nos crimes.
10 « Descendit de cœlo, ethomo factus est. » C'est ce que
nous enseigne la sainte Église. « Et homo factus est ; »
? prodige ! ô excès d'amour ! un Dieu se faire homme ! Si
un prince de la terre, voyant un ver mort dans le misé-rable trou
qui lui a servi de refuge, voulait le ressusciter,
DE MARIE.
245
et qu'on l'assurât que pour rendre la vie à cet insecte,
il faudrait qu'il devînt ver, qu'il descendîtdans le petit
trou qui renferme le vermisseau mort, et qu'il fit en perdant la vie, un
bain de son sang, afin que le ver plongé dans ce sang put ressusciter,
que répondrait ce prince? Non, dirait-il : et que m'importe qu'un
ver ressuscite, ou qu'il reste mort? à quoi bon répandre
mon sang et perdre la vie pour ressusciter un ver? Et qu'importait-il à
Dieu que les hommes demeurassent dans la perdition, comme ils le méritaient
par leurs fautes! aurait-il perdu quelque chose de sa félicité
pour ne les avoir point sauvés.
41. Mais non, comme l'amour que Dieu a pour les hommes est extrême,
il descend sur la terre, il se rape-tisse, il prend la nature humaine dans
le sein d'une Vierge, et prenant la forme d'un esclave, il se fait homme,
c'est-à-dire, vermisseau comme nous : «Semetipsum exinanivit
» formam servi accipiens, in similitudinem hominum » factus,
et habitu inventus ut homo. » (Phil. ii. 7.) U est Dieu comme son
père, immense, tout-puissant, sou-verain, et en tout égal
à son père, mais devenu homme dans le sein de Marie, il est
créature, il est esclave, il est faible, il est moindre que son
père. Le voilà humilié dans le sein de Marie, où
il accepte l'obédience que son père lui impose, de mourir
exécuté sur une croix après trente-trois ans de souffrances
: « Humiliavit semetipsum, factus » obediens usque ad mortem;
mortem autem crucis.» (Phil. ii. 8.) Considérons comment le
divin enfant dans le sein de sa mère, se conforme entièrement
à la volonté de son père, et se dévoue volontairement,
guidé par l'a-mour dont il esl embrasé pour nous : «
Oblatus est quia » ipse voluit. » (Isa. lvii. 7.) Il se dévoue,
dis-je, à tout souffrir pour notre salut ; il prévoit les
coups, ei il y offre
246
LES GLOIÌÌES
sa chair; il prévoit les épines, et il y offre sa tête
; il pré-voit les clous, et il y offre ses pieds et ses mains ;
il prévoit là croix, et il y offre sa vie. Et pourquoi vouloir
Iant souf*· frir pour nous, ingrats pécheurs? Parce qu'il
nous aime. « Dilexit nos, et lavit nos a peccatis nostris in sanguine
» silo. » (Apoc. ?. 5.) Il nous voit comblés dépêchés,
et il nous fait un bain de son sang pour nous en purifier, et flous rendre
agréables à Dieu. * Dilexit nos et tradidit » semetipsum
pro nobis. » (Ephes. ?. 2.) Il nous voit condamnés à
la mort, et il se prépare à mourir pour nous acquérir
la vie ; il nous voit maudits de Dieu à Cause de nos péchés,
il se charge volontiers de loules les malédictions que nous méritions,
pour nous sauver. «Christus nos » redemit de maledicto legis,
factus pro nobis maledic-» tum. » (Gai. ??. 13.)
XII.S. FrançoisdePaule avait donc bien raison de s'écrier
souvent en considérant un Dieu fait homme et mourant pour nolreamour
: « Ocharité ! ô charité ! ô charité
!» qui pourrait jamais croire tout ce que le fils de Dieu a fait
et souffert pour nous, si la foi ne nous l'assurait ? Ah ! chers chrétiens,
l'amour que Jésns-Christ a eu pour nous nous presse et nous force
à l'aimer. « Chantas enim Christi ur-» get nos. »
(2. Cor. v. 14.) Le sentiment que S. Fran-çois de Sales exprime
au sujet de ces paroles, dans son Théolime, est extrêmement
tendre, il dit: «Sachant donc que Jésus-Christ, vrai Dieu
, nous a aimés jusqu'à souffrir pour nous ta mon, et la mori.dela
croix, ne semble-l-il pas que nos cœurs soient sous un pressoir qui les
foule et les serre pour en exprimer l'amour par une violence d'au-tant
plus aimable qu'elle est plus forte ? »
XIII. Mais c'est ici que S. Jean a lieu de verser des lar-mes : «In
propria venit et sui eum non receperunt. »
DE MARIE.
247
(Joan. 1.) El pourquoi le fils unique de Dieu a-t-il voulu venir sur
la lerre, se faire homme, souffrir et mourir pour nous,, si ce n'esl pour
que nous l'aimions? « Deus » factus est homo, ut familiarius
ab homine diligeretur, » dit Hugues de S. Victor. (Tn lib. sent.)
Jésus-Christ, dit S. Augustin , est principalement venu sur la terre
pour faire connaître à l'homme combien il l'aime : «
Maxime » propterea Christus advenit, ut cognosceret homoquan-»
tum eum diligat Deus. » (S. Aug. cap. iv. de ca-lhec.) Et si un Dieu
nousaime tant, c'est avec justice qu'il exige que nous l'aimions à
noire lour : « Notam fecit dileclio-» nem suam, dit S. Bernard,
ut experiatur et tuam. » (Serm. xliii. in Cant.) C'est pour obtenir
notre amour, au moins par reconnaissance, qu'il nous a fait connaître
le grand amour dont il brûlait pour nous.
XIV. ? Verbe éternel, qui êtes venu du ciel en terre vous
faire homme, et mourir pour les hommes afin de vous attirer leur amour,
comment se fait-il que si peu d'hommes vous aiment? Ah ! beauté
infinie, aimable in-fini , digne d'un amour infini, me voici du nombre
de ces ingrats que vous avez tant aimés, et qui n'ont point su vous
aimer : bien plus, au lieu de vbùs aimer, je vous ai beaucoup offensé
; mais vous vous êtes fait homme, et vous êtes mort pour pardonner
aux pécheurs qui délestent leurs fautes et qui veulent vous
aimer. Seigneur, me voici; je suis, il est vrai, pécheur, mais je
me repens des offen-ses que j'ai commises contre vous, et je veux vous
aimer, ayez pitié de moi. Et vous -, Vierge sainle, qui avei été
digne par votre humilité de devehir la nière de Dieu, et
qui, à ce titre , êtes encore la mère, le refuge et
l'avo-cate des pécheurs, priez polir moi; recommandez-moi à
votre fils qui vous aime tant, et qui ne vous refuse rien
248
LES GLOIRES
de ce que vous lui demandez : dites-lui de me pardonner ; dites-lui
qu'il me donne son saint amour, dites-lui qu'il me sauve, afin que je parvienne
à l'aimer un jour avec vous face à face dans le paradis.
Amen.
SERMON SUR LES DOULEURS DE MARIE,
POUR LE VENDREDI DE LA PASSÎON. Stabat
autem juxta crucem Iesu mater ejus. (Joan. xix. 25.)
Voici une nouvelle espèce de martyre que nous avons à
admirer aujourd'hui ; celui d'une mère destinée à
voir mourir son fils innocent, condamné comme un malfaiteur, sur
un gibet infâme. Cette mère, c'est Marie, que l'Église
appelle trop justement, hélas! la reine des martyrs, sans doute
parce que Marie souffrit en la mort de Jésus-Christ un martyre plus
douloureux que n'a élé celui de tous les martyrs ensemble,
parce qu'il fut 1° sans pareil; 2° sans soutien.
PREMIER POINT.
Le martyre de Marie fut sans pareil.
I. J'emploierai ici les paroles du prophète Jérémie:
« Cui comparabo te, vel cui assimilabo le, filia Jérusalem?...
« magna est sicut mare contritio tua ; quis medebitur » tui?
» Non, l'amertume des douleurs de Marie ne peut être comparée
aux souffrances de tous les martyrs ; le mar-
?? ????.
249
lyre de Marie fut effectué, dit S. Bernard : « Non ferro
car-» nificis, sed acerbo dolore cordis. » Dans les autres
mar-tyrs, la douleur fut en la chair, mais la douleur de Marie fut dans
le cœur et dans l'ame, selon la prophétie de S. Simeon, qui lui
dit : « Et tuam ipsius animam doloris » gladius pertransibit.
» (Luc. ?.)
II. Arnauld de Chartres dit que celui qui se serait trouvé
sur la montagne du Calvaire lorsque l'agneau sans tache immola sa vie sur
la croix, y aurait vu deux autels pour ce sacrifice : l'un dans le corps
de Jésus, l'autredans le cœur de Marie, où , en même
temps que le fils sacri-fiait son corps par la mort, la mère sacrifiait
son ame par la compassion qu'elle lui porlait : « Nimirum, in taberna-»
culo illo duo tideret altaria, aliud in pectore matris, » aliud in
corpore Christi ; Christus carnem, Maria immolat » animam. »
(Tract, de sept. verb. Dom. in cruce.) C'est pourquoi, selon S. Antonin,
tandis que les autres martyrs sacrifièrent leur propre vie, la Vierge
consomma son mar-tyre en sacrifiant celle de son fils qu'elle aimait plus
que sa propre vie; et c'est ce qui fit que sa douleur surpassa toutes les
douleurs qu'un homme ait jamais souffertes sur cette terre.
III. Il est naturel que quand une mère assiste aux souf-frances
de son fils, elle souffre autant que lui. C'est ce qu'affirme S. Augustin
en considérant la mère des Macha-bées, qui assista
au martyre de ses enfans, ordonné par l'impie Antiochus. Il dit
que l'amour lui fit souffrir tous les tourmens que souffrit chacun de ses
enfans : « Illa vi-» dendo, in omnibus passa est ; quia amabat
omnes, fe-» rebat in oculis, quod in carne omnes. » (Serm.
cix. de divers, c. 6.) Érasme ajoute que les mères éprouvent
une plus grande douleur en voyant souffrir leurs enfans, que
250
I,ES GLOIRES
si elles souffraient réellement les peines qu'ils endurent.
« Parentes atrocius torquentur in liberis, quam in se ip. ».sis.
» (Libel. de Machab.) Cela n'est pas toujours vrai dans les autres
mères ; mais la chose se réalisa en Marie, qui, en voyant
souffrir son fils , souffrit plus que si elle eût enduré réellement
toutes ses douleurs. Toutes les plaies qui étaient répandues
sur le corps de Jésus, dit S. Bona-venlure, se trouvèrent
réunies dans le cœur de Marie pour l'affliger en la passion de Jésus
: « Singula vulnera per » ejus corpus dispersa, in uno corde
sunt unita. » (S. Bo-nav. de planctu Virg. in slim. amor. ) En sorte
que le cœur de Marie, comme dit S. Laurent Juslinien, devint, à
cause de la compassion qu'elle portail à son fils, une es-pèce
de miroir de ses douleurs, dans lequel on voyait re-présentés
les supplices et les outrages que Jésus-Christ souffrait : «
Passionis Christi speculum effectum erat cor » Virginis, in illo
agnoscebatur sputa, convicia, ver-» bera, vulnera. » (De agon.
Christi, e. Xi.) Ainsi donc, Marie, en la passion de Jésus-Christ,
fut dans son cœur, souffletée, flagellée, couronnée
d'épines, et attachée à la croix même de son
fils, à cause de l'amour qu'elle lui por-tait.
IV. Le même S. Laurent contemple Jésus qui, portant sa
croix au Calvaire j et voyant à sa suite sa malheureuse mère,
lui dit, en se tournant vers elle: « Heu quo pro-» peras, quo
venis mater ? crucialu meo cruciaberis, el » ego tuo. » Ah
! ma mère, arrêtez, où allez-vous ? si vous venez au
lieu de mon supplice, vous sere* lourmentée par mes tourmens, et
je serai affligé par votre affliction. Mais l'amoureuse mère
ne laisse point de le suivre, quoiqu'elle sache bien qu'il va lui en coûter
plus de mille morts pour assister à celle mort. Elle voit que son
fils polie la croix
DE MARIE.
251
pour y être crucifié ; elle prend aussi Ta croix de sa
dou-leur, el suit son fils pour être crucifiée avec lui :
« Tolle-» bal et mater crucem suam, el sequebatur eum, crucifi-»
genda cum ipso. » (Guillelm. ab. inCant. vu.) C'est pourquoi S. Bonavenlure,
considérant Marie lorsqu'elle assistait son fils moribond, lui demande
: Dites-moi, ô ma reine, où éliez-vous alol's ? étiez-vous
près dé la croix ? Non, vous étiez Sur la croix elle-môme,
crucifiée avec vo-tre fils. « ? domina, ubi stabas? numquid
tantum juxta » crucem? îmo in cruce cUrtì filio cruciïlxa
eras. » (Loc. cit. depianct. Virg.) Sur ces paroles dli Sauveur,
prédi-tes autrefois par Isaïe : « Torcular calcavi soliis
et de gen-» fibus non est vir meCum. » (tsa. xxxvï. S.)
Richard dît : Seigneur, si vous n'avez aucun homme en votre passion
qui vous accompagne au milieu de vos souffrances, sachez du moins qu'il
y a une femme, et que cette femme est vo-ire mère, qui souffre dans
son cœur tout ce que vous souffrez dans votre corps : « Veriim est,
domine -, quod » non est vir tecum, sed mulierum tecutn est, quaeom-»
nia vulnera quaj tu suscepisti in corpore, suscepit in » Corde. »
(tVich. de laud. Vifg.)
V. Pour exprimer les souffrances Ses aultes martyrs, on les représente
chacun avec l'instrUnîetit de son sup-plice : S. André avec
la croix ; S. Paul àVec l'épéé ; S. Laurent
avec le gril ; Marie nous est représentée tenant son fils
mort dans ses bras, parce que Son fils fut l'unique instrument de son martyre,
lorsque la compassi on qu'elle en eut la rendil reine des martyrs. Au sujet
de cette com-passion que Marié éprouva en la passion de Jésus-€hrist,
un auteur, Pinàmonte, exprime une belle et singulière pen-sée?
il dit que la douleur de Marie en la passion de Jésus-Christ fut
d'autant plus grande qu'elle seule pouvait digne-
252
LES GLOIRES
ment compatir à la mort d'un Dieu fait homme pour l'a-mour des
hommes. Et le bienheureux Amédée dit encore (Homel. 5, )
que Marie fut beaucoup plus affligée de la passion de son fils que
si elle l'avait soufferte elle-même, attendu qu'elle aimait plus
son fils qu'elle ne s'aimait elle-même : « Maria torquebatur
magis, quam si torque-» relur in se; quia super se incomparabililer
diligebat id, » unde dolebat. » C'est pourquoi S. Ildephonse
ne craint point d'assurer que c'est peu de dire que les douleurs de Marie
surpassèrent tous les lourmens des martyrs réunis : «
Parum est, Mariam in passione filii tam acerbos pertu-» lisse dolores,
cum omnium martyrum collective lor-» menta superesset. » (??.
sinise, mart. de Mar. Cons. xxxvi.) S. Anselme, parlant à la bienheureuse
Vierge, lui dit: « Quidquid crudelitatis inflictum est corporibus
mar-» tyrum, levé fuit, aut potius nihil, comparatione tuae
» passionis.» (S. Anselm.deexcel. Virg.c. v.) Et il ajoute:
« Utique, domina, non crediderim te potuisse stimulos » tanti
cruciatus, quin vilain amilteres, sustinere, nisi » ipse spiritus
tui filii te confortaret. » (Loc. cit.) S. Ber-nardin de Sienne va
jusqu'à dire (Tom. i. Serin. 61.) : « Tantus fuit dolor Virginis,
quod si inter omnes crea-» turas, quae dolorem pati possunt, dividerelur,
omnes » subito interirent. » Qui pourra donc douter que le
mar-tyre de Marie ne fut sans égal? Qui pourra ne point con-venir
qu'il surpassa celui de tous les martyrs ? car les au-tres martyrs, comme
dit S. Antonin (Part. i. tit. xv. c. 24), souffrirent en sacrifiant leur
propre vie, au lieu que la Vierge souffrit en sacrifiant à Dieu
la vie de son fils, qu'elle aimait infiniment plus que la sienne.
DE MARIE.
253
SECOND POINT. Le martyre de Marie fut sans soutien.
VI. Les martyrs souffraient dans les tourmens que leur infligeaient
les tyrans ; mais le Seigneur, qui n'abandonne jamais ses serviteurs, ne
cessait point de les consoler au temps de leurs souffrances. L'amour de
Dieu qui brûlait dans leur cœur, leur rendait aimables toutes les
douleurs. Un S. Vincent souffrait lorsque sur le chevalet on le dé-chirait
avec des ongles de fer, et qu'on le brûlait avec des lames ardentes.
Mais, dit S. Augustin, le S. parlait avec un tel mépris des tourmens,
que : « Alius videbatur pati, » alius loqui. » Un S.
Boniface souffrait, lorsque son corps était déchiré
par desinstrumens de fer, lorsqu'on lui enfon-çait sous les ongles
et dans les chairs des roseaux pointus, et qu'on lui versait du plomb fondu
dans la bouche ; mais du-rant ces tortures il ne se lassait pas de remercier
Jésus-Christ qui le faisai l souffrir pour son amour. Un S. Laurent
souffrait, lorsqu'on le brûlait sur le gril ; mais ^amour dont il
était embrasé, dit S. Augustin, l'empêchait de sentir
le tour-ment du feu, et la mort même ; « In illa longa morte,
in » illis tormentis, tormenta non sensit. » (S. Aug. tract.
xxvii.) Ainsi, plus les saints martyrs brûlaient d'amour pour Dieu,
moins ils sentaient les douleurs. Ainsi, le seul souvenir de la passion
de Jésus-Christ suffisait pour les consoler dans leurs tortures.
Le contraire arriva à Marie; caries douleurs de son Jésus
faisaient son martyre, et l'a-mour de Jésus était son unique-bourreau.
Il faut ici ré-péter les paroles de Jérémie
: « Magna est velut mare con-tritio tua, quis medebitur tui?»
Comme la mer est (ouïe salée et qu'elle ne renferme pas une
seule goulle d'eau
2p4
les
douce, ainsi le cœur de Marie était tout plein d'amer-tume ,
sans qu'il éprouvât le moindre soulagement, ? Qujs »
medebitur lui? » Son fils seul pouvait la consoler et gué-rir
ses plaies ; mais comment Marie dans sa douleur pou-vait-elle recevoir
du soulagement de son, fils crucifié, si l'amour qu'elle portail
à ce même fils faisajt tout son mar-tyre?
VII. Pour comprendre donc combien fut grande la dou-leur de Marie
il faudrait comprendre, dit Cornélius à La-pide, combien
grand était l'amour qu'elle lui portait: « Ut scias quantus
fuerit dolor bealaî Virginis, cogita » quantus fuerit amor.
» Mais qui pourra mesurer cet amour? Le bienheureux Amédée
considérait que dans le cœur de Marie deux amours se trouvaient
réunis : l'amour naturel qu'elle portait à Jésus comme
à s,on fils, et l'amour surnaturel qu'elle lui portait comme à
son Dieu : « Duse » dilectiones in unum connexerant,. el ex
duobus amori-» bus pactus est unus. »~(^om. 5. de Laud. Virg.)
De ces deux amours il résultait un seul amour, mais un amour si
grand, que Guillaume de Paris ne craignit point d'assurer que Marie aima
Jésus «, quantum capere potuit » puri hominis modus.
» Ainsi donc CQmme nulle créa-ture n'a aimé Dieu autant
que Marie, il n'y a pas eu de douleurs égales à la douleur
de Marie. « Unde, sicut non » fuit amor sicut amor ejus, ita
non fujt dolor sicut » dolor ejus. » (Richard, de S. Laurent.)
VIII. « Stabat autem juxta crucem Jesu mater ejus. »
(Joan. xix.) Arrêtons-nous un moment pour considérer ces paroles,
avant de finir le sermon, el terminons ensuite : mais renouveliez ici toute
votre attention. «. Stabat : » lorsque Jésus était
en croix, ses disciples l'avaient déjà abandqimé depuis
le moment où il avait été pris dans le jar-
DE MARIE.
255
dindesolives : «Omnes, relicto eo, fugerunt. » (Math, ?????.
56.) Les disciples l'abandonnèrent, mais l'amoureuse mère
iuH'abandonna pas : elle voulut l'assister jusqu'à son dei-nier
moment « Stabat juxta : » Les mères prennent la fuite
lorsqu'elles voient leui;s fils dans une grande souf-france sans pouvoir
les secourir. Elles n'ont pas la force de supporter une telle douleur,
et c'est pourquoi elles s'éloignent. Marie regarde son fils agonisant
sur la croix; elle voit que ses douleuis yont lui ôler la vie; elle
vou-drait le soulager dans celte extrémité, mais cela ne
lui est pas permis : elle ne fuit pas néanmoins, elle ne s'éloigne
pas, mais elle s'approche davantage de la cçoix où son fils
est mourant. « StaBat juxta crucem: » La croix fut le lit cruel
réservé à Jésus à l'heure de sa mort.
Marie qui l'assiste ne détourne pas de lui ses regards, elle le
voit tout déchiré par les fouets, par les épines,
et par les clous. Elle observa que ce pauvre fils suspendu à trois
crochets de fer ne trouve point de repos : elle voudrait, comme je viens
de le dire, lui donner quelque secours, elle voudrait au moins le faire
expirer dans ses bras; mais tout cela lui est refusé. ? croix ,
dit-elle, rends-moi mon fils : tu es un gibet élevé pour
les malfaiteurs^ mais mon fils est in-nocent. Mais calmez-voms, mère
de douleurs, Dieu veut que la croix ne vous rende voire fils, qu'après
qu'il aura expiré.
IX. S. Bonaventura, considérant la douleur de Marie en la mort
de son fils, dit : « Nullus dolor amarior, quia « nulla proles
çharior. » (De Compass, Yirg. c. n.) Si donc il n'y a point
eu de fils plus aimable que Jésus, ni de mère plus aimante
que Marie, quelle douleur pourra être comparée à la
douleur de Marie? « Non fuit talis filius, » non fuit talis
mater : non fuit tanta charilas, non fuit
266
LIS GLOIRES
» dolor tantus. Ideo quanto dilexit tenerius, tanlo \ui. »
nerata est profundius. » (Richard. 1. 3. de laud. Yirg.) Marie voyait
son fils tout près de mourir ; et le regardant avec des yeux pleins,
de pitié, elle semblait lui dire: ah! mon fils, vous vous en allez,
vous me quittez, et vous ne me dites rien? laissez-moi quelque souvenir
de vous. Voici le souvenir que Jésus-Christ lui laissa : «
Mu-» lier, lui dit-il, ecce filius luus, » en lui désignant
S. Jean qui était à ses côtés; et c'est par
ces paroles qu'il prit congé de sa mère. 11 l'appella femme,
« mulier, » pour ne point augmenter son chagrin en lui donnant
le nom de mère. Femme, voilà voire fils,^c'est lui qui vous
assistera après ma mort.
X. « Stabat juxta crucem mater ejus. » Considérons
en-fin Marie qui, étant aux pieds de la croix, voit mourir son fils.
Mais ô Dieu ! quel est ce fils qu'elle voit mou-rir ! un fils qui
l'avait choisie pour sa mère de toute éter-nité, et
qui dans son amour l'avait préférée à tous
les hommes et à lous les anges : un fils si beau, si saint et si
aimable : un fils qui lui avait toujours été soumis: un fils
qui était son unique amour, puisqu'il était en même
temps son fils et son Dieu ; et Marie dut le voir mourir de douleur sous
ses yeux. Mais l'heure de la mort de Jé-sus étant arrivée,
cette mère affligée voit que son fils sur la croix souffre
les derniers assauts de la mort. Voilà qu'il abandonne son corps,
baisse la tête sur sa poitrine, ouvre la bouche et expire, La foule
qui l'environne s'écrie: II est mort, il est mort. Marie joint sa
voix à celle du peuple, et elle dit ": Ah ! mon Jésus , mon
fils, vous êtes mort ï
XI, Jésus ayant rendu le dernier soupir est descendu de laeroix;
Marie s'approche, et lui tend les bras; puis, le
DE MARIE.
257
pressant contre son sein , elle regarde de près cette lète
bjessée par les épines, ces mains percées de clous,
et ce corps tout déchiré: ah mon fils! dit-elle, où
vous a réduit l'amour que vous avez porté aux hommes ! Mais
les disciples craignant que Marie en serrant son fils dans ses bras ne
mourût de douleur, s'avancent près d'elle tou-chés
de compassion; ils lui ôlent avec une violence res-pectueuse ce fils
mort, et l'ayant enveloppé dans le suaire, ils le portent au tombeau
; les saintes femmes l'accompa-gnent, et Marie, la mère de douleurs,
se joint à elles pour suivre son fils au sépulcre, où,
après l'avoir enseveli de ses propres mains, elle lui donne le dernier
adieu, et se relire. S. Bernard dit que Marie était si triste et
si affli-gée, qu'elle faisait verser des larmes à tous ceux
qui la rencontraient : « Omnes plorabant qui obviebant ei ; »
et il ajoute que ceux qui l'accompagnaient pleuraient plus sur elle que
sur le Seigneur : « Super ipsam potius quam » super Dominum
plangebant.»
XII. Chrétiens auditeurs, soyons dévots aux douleurs
de Marie : Le bienheureux Albert-le-Grand dit, que comme nous sommes obligés
envers Jésus-Christ pour la mort qu'il a soufferte, de même
nous sommes obligés envers Marie, pour les douleurs qu'elle a endurées
en offrant à Dieu la mort de son fils pour notre salut : «
Sicut totus » mundus obligatur Deo propter passionem, sic obligatur
» dominae propter compassionern. » (Super Mis. cap. xx.) L'ange
révéla à sainte Brigitte que la sainte Vierge sacrifia
elle-même au Père éternel la vie de son fils pour notre
salut; sacrifice, qui comme nous l'avons dit, lui coûta une peine
plus grande que tous les martyres, et que la mort même. Mais la divine
mère se plaignit à sainte Brigitte de ce que très-peu
dé personnes compatissaient à ses douleurs, tan-vii.
'47
258
LES GLOIRES
dis que la plupart des hommes vivaient sans y penser. « Respicio
si forte sint qui compatiantur mihi, et reco-' » gilent dolorem meum,
ei valde paucos invenio. » Elle recommanda donc à la sainte
: « Ideo filia mea, licet à » multis oblita sim, tu
non obliviscaris mei. » (Rev. lib. ii. c. 24.) C'est pourquoi celte
Vierge apparut aux fondateurs de l'ordre des serviteurs de Marie en 4239,
pour leur recommander d'établir un ordre religieux en mé-moire
de ses douleurs, comme il fut établi depuis. Jésus lui-même
dit un jour à la bienheureuse Véronique de Binasco : «
Ma fille, les larmes que l'on répand en l'hon-» neur de ma
passion me sont chères, mais comme j'aime » ma mère
Marie d'un amour immense, la méditation » des douleurs qu'elle
souffrit à ma mort, m'est bien » chère aussi.»
(Ap. Bolland. 15. januar.) Il faut encore savoir que, selon le témoignage
de Pelbart (Slellar. lib. 3. part. 5. art. 5.) il fut révélé
à sainte Elisabeth, vierge bénédictine, que le Seigneur
a promis quatre grâces à ceux qui se montrent dévols
aux douleurs de Marie : 4° Que celui qui l'invoquera par ses douleurs,
méritera de faire pénitence de ses péchés avant
de mourir: 2° Qu'il les con-solera dans leurs tribulations et surtout
dans celle de la mort : 3° Qu'il imprimera sa passion dans leur mémoire
et dans leur cœur : 4° II lui dit qu'il avait donné à
Marie la puissance d'obtenir toules les grâces qu'elle voudra en
fa-veur de ceux qui pratiqueront la dévotion à ses douleurs.
DE MARIE.
259
NEUVAINE DE MEDITATIONS
POUR LES NEUF JOURS QUI PRÉCÈDENT
LA FÊTE DE LA. PURIFICATION DE LA VIERGE, COMMENÇANT
LE 24 JANVIER.
Ces méditations sont composées sur les litanies deN.
D. de Lo-rette ; et elles peuvent servir pour toutes les neuvaines qui
pré-cèdent les principales fêtes de la Mère
de Dieu.
PREMIER JOUR.
« Sancta Maria, ora pronobis. » Puisque, dans les li-tanies
de Notre-Dame, l'Église nous apprend à répéter
tant de fois la démande que nous lui faisons de prier pour nous,
« ora pro nobis, » il convient, avant de méditer les
titres sous lesquels on invoque la sainte Vierge, de considérer
combien les prières de Marie sont puissanles auprès de Dieu.
Heureux celui pour qui Marie prie. Jésus aime à être
prié par uriemèresi chérie, afin de lui accor-der
tout ce qu'elle demande. Un jour sainte Brigitte enten-dit que Jésus
parlait à Marie, et lui disait : « Mater, pelé »
quod vis a me, non enim poiest esse inanis petitio tua. » Ma mère,
vous savez que vos prières ne peuvent point ne pas être exaucées
; demandez-moi donc ce que vous vou-drez : et il ajouta ensuite : «
Tu nihil mihi negasti in » terris, ego tibi nihil negabo in coelis.
» ? ma mère, puis-que vous ne m'avez rien refusé sur
la terre, il convient que je ne vous refuse rien de tout ce que vous me
deman-derez maintenant que je suis dans le ciel. S. Bernard dit ·
« A filio audiri est exaudiri. » II suffit que Marie parle;
47.
260
LES GLOIRES
son fils lui accorde tout ce qu'elle lui demande. Prions donc toujours
cette divine mère si nous voulons acquérir le salut éternel,
et disons-lui avec S. André de Candie, ou de Jérusalem :
« Nous vous supplions donc, ? Vierge » sainte, de nous accorder
le secours de vos prières au-» près de Dieu ; prières
qui sont plus précieuses que tous » les trésors de
la terre ,· prières qui nous obtiennent une » grande
abondance de grâces; prières qui confondent les » ennemis
et triomphent de leurs forces. ?»
IL « Sancta Maria, » Le nom de Marie est un nom de salut.
Ce nom ne vient point de la terre, mais il vient du ciel ; aussi S. Épiphane
dit que ce nom ne fut point donné à Marie par ses parents,
mais qu'il lui fut imposé par la volonté expresse de Dieu.
H suit de là qu'après le nom de Jésus, le nom de Marie
est supérieur à tous les noms, parce que Dieu l'a rempli
de grâces et de douceur pour obtenir tout bien à celui qui
le prononce. S. Bernard di-sait : « ? Marie, vous ne pouvez être
nommée sans en-» flammer de votre amour le cœur de celui qui
vous «nomme. » El le bienheureux Henry de Suse s'écriait
: « ? Marie, que devez-vous être vous-même, si votre
nom » est si aimable et si gracieux ! » Le nom de Marie est
plein de bénédictions : S. Bonavenlure disail que le nom
de Marie ne peut être invoqué sans qu'il n'en revienne quelque
avantage à celui qui l'invoque. Ce nom a surtout la force de surmonter
les tentations de l'enfer. Ah! ma souveraine, si je vous avais toujours
invoqué dans mes tentations, je ne serais jamais tombé. Dorénavant
je vous invoquerai sans cesse en vous disant : « Marie, assislez-»
moi, Marie, souvenez-vous de moi.» Et vous, obtenez-moi la grâce
de vous invoquer toujours dans les dangers où se trouvera mon ame,
DE MARIE.
261
III. « Sancta Dei genitrix ». Si les prières des
saints sont d'un grand poids devant Dieu, combien plus ne vau-dront point
celles de Marie? Gelles-là sont des prières de serviteurs,
mais celles-ci sont des prières de mère. S. An-lonin disait
que les prières de Marie avaient, pris de Jé-sus-Christ ,
la force du commandement : « Oratio virginis » habet rationum
imperii. » C'est pourquoi il assurait qu'il était impossible
que celte mère demandât une grâce à soli fils,
sans que le fils la lui accordât : « Impossibile » est
Deiparam non exaiidiri. » De là, S. Bernard nous exhorte à
demander par le canal de Marie toutes les grâ-ces que nous voulons
obtenir de Dieu; : Quaeramus gra-» tiam, et per Mariam quœramus.
« Parce qu'étant mère, elle est toujours exaucée
: « Quia mater est, et fruslrari » non potest. » Auguste
mère de Dieu, priez Jésus pour moi ; regardez les misères
de mon ame, et ayez pitié de moi. Priez, et ne cessez jamais de
prier, jusqu'à ce que Vous me voyiez en sûreté dans
le paradis. ? Marie, vous êtes mon espérance, ne m'abandonnez
pas : « ? sancta » Dei genitrix, ora pronobis* »
DEUXIÈME JOUR.
?. « Mater'divinae gratiae. » S. Anselme appelle Marie
: « Mater omnium gratiarum, » et Idiota : « Thesauraria
» gratiarum, y) C'est pourquoi S. Bernardin de Sienne dit : «
Omnia dona et gratiae quibus vult, quando vult, » et quomodo vult,
per ipsius manus dispensantur. » Toutes les grâces que nous
recevons de Dieu , nous sont distribuées par les mains de Marie,
et elles sont dispensées à qui elle veut, lorsqu'elle le
veut et comme elle le veut. C'est ce qu'elle dit elle-même : «
Mecum sunt divitiae, ut
262
LES GLOIRES
» dilem diligentes me. » (Prov. vm.) Le Seigneur a placé
dans mes mains toutes les richesses de sa grâce, afin que j'en enrichisse
ceux qui m'aiment. Donc, ò ma reine, si je vous aime je ne serai
plus pauvre comme je le suis. Après Dieu, je vous aime par-dessus
toute chose; obte-nez-moi une plus grande tendresse et un plus grand amour
pour voire bonlé. S. Bonavenlure me dit que tous ceux que vous voudrez
sauver seront sauvés : « Quem ipsa vis, » salvus erit.
» C'est pourquoi je vous dirai avec le même saint : «
? salus le invocandum, salva me. » ? salut de ceux qui vous invoquent,
sauvez-moi de l'enfer, et d'a-bord sauvez - moi du péché,
qui seul peut m'y con-duire.
II. «Mater purissima. » Celle mère Vierge, toute
chaste et toule pure, rend chasles et purs lous ses serviteurs. S. Ambroise
dit que, même lorsqu'elle, élail sur la terre, Marie inspirait
à ceux qui la regardaient l'amour de la purelé par sa seule
présence : «Tanla erat Mariai gratia, ut » si quis inviseret,
integritatis insigne donum conferret. » Elle fut appelée lys
entre les épines : « Sicut lilium inler » spinas, sic
arnica mea inler filios. » (Cant. ?. 2.) Tou-tes les autres vierges,
dit Denis-le-Charlreux, sont des épines ou pour elles-mêmes
ou pour les autres; mais la bienheureuse Vierge ne fut une épine
ni pour elle, ni pour personne, puisqu'elle inspirait de pures et saintes
affections à lous ceux qui la regardaient. Frigenius, au-teur de
la Vie de S. Thomas d'Aquin, écrit en oulre que le saint disait
que les images mêmes de celte chasle tourte-relle éteignent
les ardeurs sensuelles de ceux qui les re-gardent avec dévotion.
Le V. Jean Avila raconte que plusieurs personnes tentées sur la
chastelé, s'étaient con-servées pures par la dévolion
à Notre-Dame. ? combien
DE MARIE.
263
grande est surtout la vertu du nom de Marie, pour vain-cre les lenlalions
de ce péché! ? Maiie très-pure, déli-vrez-moi
de ce vice, faites que je recoure toujours à vous dans les tentations,
en vous invoquant tant qu'elles dure-ront.
III. « Mater inviolata. » Marie fut celte femme imma-culée
qui apparut aux yeux de Dieu toute belle et sans ta-che : « Tota
pulchra es, arnica mea, et macula non est » in te. » (Cant.
iv. 7.) Et c'est pour cela qu'elle fut appelée la médiatrice
de la paix à l'égard des pécheurs, comme la salue
S. Ephrem : « Ave orbis conciliatrix. » Elcommeelleleditelle-mêmcdanslesCantiques^in,
10) : « Ex quo facta sum coram eo quasi pacem reperiens. »
S .Gré-goire di t que si un sujet rebelle se présentait devant
son roi of-fensé pour l'apaiser, il ne ferai l que provoquer davantage
son courroux. Puis doncqueMarie est destinée à faire la paix
en-tre Dieu et les hommes, il ne convenait point qu'elle fût pécheresse
ou complice du péché d'Adam. C'est pourquoi le Seigneur préserva
Marie de* toute tache de péché. Ah ! ma reine immaculée,
ô blanche colombe, qui êtes si agréable à Dieu,
ne dédaignez point de jeter vos regards sur les souillures et les
plaies innombrables de mon ame; regardez-moi et secourez-moi. Ce Dieu qui
vous aime tant ne vous refuse rien ; et vous non plus, vous ne savez rien
refuser à celui qui vous appelle à son secours. 0 Marie,
je recours à vous, ayez pitié de moi : « Maler inviolata,
» ora pro nobis. »
TROISIÈME JOUR.
I. « Maler amabilis. » Richard de S. Laurent écrit
: ? Fuit beata Virgo amabilis oculis ipsius Dei. » Marie fut si belle
aux yeux de Dieu, que Dieu fut ravi de sa beauté :
264
LES GLOIRES
« Quam pulchra es arnica mea, quam pulchra es! » (Canl.
iv. 1.) En sorle qu'il l'appela son unique colombe, son unique parfaite
: « Una est columba mea, una est » perfecta mea. » (Cant.
vi.) II est certain, comme dit le P. Suarez, que Dieu aime plus Marie que
lous les autres saints ensemble, et c'est avec raison, puisqu'elle seule
aima plus Dieu que lous les anges et les hommes ensem-ble ne le peuvent
faire. ? très-belle Marie, ô très-aimable Marie, vous
avez su gagner le cœur de Dieu, prenez en-core mon pauvre cœur et sanctifiez-moi.
Je vous aime et je me confie en'vous. « Mater- amabilis, ora pro
nobis. »
II. « Mater Salvatoris, ? S. Bonaventure appelle Marie
médialric&de noire salut, « Maria mediatrix nostras salu-»
lis, » et S. Jean Damascène l'instrument du salut du monde
: « Salvalrix mundi suo modo. »
On peut, pour deux raisons, appeler ainsi Marie, et dire qu'elle est noire
médiatrice, c'est-à-dire, médiatrice de grâce,
comme Jésus-Christ est le médiateur de justice, à
cause du consentement qu'elle donna à l'incarnation du Verbe, puisque,
par ce consentement, dit S. Bernardin, elle nous procura le salut : «
Per hunc consensum, omnium » salutem procuravit. » A cause
du consentement qu'elle donna à la mort de son fils, s'étant
résignée à le voir sa-crifié sur la croix pour
notre salut. Je vous dirai donc, ô mère démon Sauveur,
sauvez-moi maintenant par voire intercession, vous qui autrefois offrîtes
à Dieu pour moi la vie de voire fils.
III. « Virgo veneranda. » Selon S. Anselme, dire
que Marie est mère de Dieu, c'est dire une chose qui surpasse lout
ce qu'on peul dire ou imaginer de plus grand après Dieu; c'est pourquoi
il lui parle ainsi : « O Marie, rien ne » vous esi égal,
puisque toul est ou au-dessus, ou au-des-
DE MARIE.
265
» sous de vous : ce qui est au-dessus de vous, c'est Dieu : »
ce qui est au-dessous de vous, c'est tout ce qui n'est » point Dieu.
» En un mol, S. Bernardin de Sienne af-firme que Dieu seul peut connaître
la grandeur de Marie : « Tanta est perfectio virginis, ulsoli Deo
agnoscenda re-» servetur. » Le bienheureux Alberl-le-Grand
dit de plus que Marie ne pouvait être plus unie à Dieu, à
moms qu'elle ne devînt Dieu : « Magis Deo conjungi non potuit,
nisi » fieret Deus. » Elle est donc bien digne de notre véné-rai
ion cette auguste mère de Dieu, puisque Dieu même ne pouvait
la faire plus grande qu'en la rendant sa mère. ? mère de
Dieu et ma mère, ô Marie, je vous vénère, et
je voudrais que vous fussiez vénérée de tous les cœurs,
la grande reine telle que vous êtes. Ayez compassion d'un pauvre
pécheur, qui vous aime et qui se confie en vous : « Virgo
veneranda, ora pio nobis. »
QUATRIÈME JOUR.
?. « Virgo praedicanda. » La sainte Église chante
que Marie est digne de toute louange, « omni laude dignis-»
sima »; parce que, selon la pensée de S. Ildefonse, toute
louange qui est donnée à Marie retourne à l'hon-neur
de son fils : « refundilurin filium quod impenditur » malri.
» C'est pourquoi S. Georges de Nicomédie dit avec raison que
Dieu reçoit les louanges données à Marie, comme si
elles étaient données à lui-même : « Tuam
enim » gloriam creator existimat esse propriam. » La sainte
Vierge promet le paradis à celui qui a soin de la faire connaître
et de la foire aimer : « Qui elucidant me, vi-» tam aeternam
habebunt.» (Offic. in Conc. b. Virg.) Aussi Richard de S. Laurent
dit : « Honorantes eam in hoc
266
LES GLOIRES
» saeculo, honorabit in futuro. » Marie fera honorer dans
l'éternité ceux qui l'honorent durant leur vie. S. Anselme
dit que comme Marie, en devenant mère de Dieu , devini l'instrument
du salut des pécheurs ; ainsi les pécheurs, en publiant les
louanges de Marie, reçoivent le salut. Tous ne peuvent être
prédicateurs; mais tous peuvent la louer, et faire concevoir aux
aulres, en parlant familière-ment à des parens, à
des amis, les prérogatives de Marie, sa puissance, sa miséricorde,
etc., et les porter ainsi à la dévotion envers celte divine
mère. ? reine du ciel, je veux faire dorénavant tout ce que
je pourrai pour vous faire vénérer et aimer par tous les
hommes. Acceptez mon dé-sir et donnez-moi le secours pour l'exécutver
; en attendam écrivez-moi au nombre de vos serviteurs, et ne permettez
point que je redevienne-jamais esclave de Lucifer.
H, « Virgo potens. » Et qui d'entre les saints est aussi
puissant auprès de Dieu que sa très-sainte mère? Elle
ob-tient lout ce qu'elle veut : « Velis lu et omnia fiant »,
lui dil S.Bernard.ll suffit que vous veuilliez pour que lout se fasse.
S. Pierre Damien va jusqu'à dire que quand Marie de-mande une grâce
à Dieu, elle ne prie pas en quelque sorle, mais elle commande :
« Accedit, non rogans . sed impe-» rans, nam filius nihil negans,
honorat. » Ainsi Dieu le fils honore cette mère bien-aimée,
en lui accordaul lout ce qu'elle demande, même en faveur des pécheurs.
C'est pourquoi S. Germain lui dit : Vous êtes, ô mère
de Dieu, » toute-puissante pour sauver les pécheurs, et vous
n'avez » point besoin d'autre recommandation auprès de Dieu,
» puisque vous êles la mère de la vraie vie. »
? Marie, vous pouvez me sanctifier, je me confie en vous.
III. « Virgo clemens. » Aulanl Marie est puissanle au-près
de Dieu , aillant elle est clémenie et miséricordieuse
DE MARIE.
267
envers celui qui a recours à son intercession : « Nec
facul-» tas, nec voluntas illi deesse potest, » dit S. Bernard.
Marie étant mère de Dieu, ne peut manquer de puis-sance pour
nous sauver; et comme elle est notre mère, la volonté de
nous secourir ne peut pas non plus lui man-quer. El qui jamais a été
abandonné, ayant eu recours à Marie ? « Sileat misericordiam
tuam, » disait le même S. Bernard, « si quis te invocatam
meminerit defuisse : » qu'il cesse de louer votre miséricorde,
celui qui, vous ayant invoqué , se rappelle que vous l'avez abandonné.
S. Bonavenlure dit que Marie désire tellement d'être priée
par nous, afin de nous dispenser ses faveurs avec plus d'a-bondance , qu'elle
se tient pour offensée, non-seulement par celui qui lui fait des
injures, mais encore par celui qui ne lui demande point ses grâces
: » In te, Domina, » peccant non tantum qui tibi injuriam irrogant,
sed etiam » qui te non rogant. » Non, il n'est point nécessaiie
de prier beaucoup cette mère de miséricorde pour obtenir
son secours, il suffit de le lui demander avec confiance : « Velocius
occurrit ejus pietas, quam invocetur, « dit Richard de Saint-Victor.
Sa clémence vient à notre secours avant qu'on ne l'en prie,
et il en donne la raison : « Non » potest miserias scire, et
non subvenire. » Elle ne peut voir nos misères sans être
portée à les secourir. Regardez donc mes misères,
ô Marie, regardez-les et secourez-moi. « Virgo clemens, ora
pro nobis. »
CINQUIÈME JOUR.
1. « Virgo fidelis. » Bienheureux celui qui se tient aux
portes de Marie pour la prier, comme les pauvres assiègent les portes
des riches pour obtenir quelques secours! « Bea-
268
LES GLOIRES
» tus homo, dit-elle, qui audit me, et vigilat ad fores »
meas quotidie. » (Prov. vin, 34.) Oh ! que ne sommes-nous fidèles
à servir cette divine mère, comme elle est fidèle
à nous secourir, lorsque nous la prions ! Marie pro-met à
celui qui la sert et qui l'honore, l'exemption du péché et
le salut éternel : « Qui operantur in me, non » peccabunt,
qui elucidant me, vitam aeternam habe-» bunt. » (Eccli. xxiv,
51.) Elle nous appelle tous, afin que nous recourions tous à elle,
et elle nous promet toutes les grâces que nous espérons. «
In me gratia omnis vise » et veritatis; in me omnis spes vitae et
virtutis!.*, tfan-» site ad me omnes. » (Eccli. xxiv.) S. Laurent
Justinien appliquée Marie cet autre texte de l'Ecclésiastique
(vi. 3i.)~« Vincula illius alligatura salutaris, « et il ajoute
: » quare vincula ? nisi quia servos suos ligat, ne discur-»
rant per campos licentiae. » Marie attache ses serviteurs, afin qu'ils
ne prennent trop de liberté, de peur que cette liberté ne
soit la cause de leur ruine. ? mère de Dieu, je mets en vous toute
mon espérance, c'est à vous de me préserver de toute
rechute dans le péché. Ma souveraine, ne m'abandonnez point,
obtenez-moi de mourir plutôt que de perdre la grâce de Dieu.
II. « Causa nostrae laetitiae. » Comme après la
tristesse et les ténèbres de la nuit, l'aurore apporte l'allégresse;
ainsi après les ténèbres du péché, qui
couvrirent la terre durant quatre mille ans avant la venue de Jésus-Christ,
la naissance de notre aurore Marie apporta la joie au monde. « Nata
Maria, surrexit aurora, dit un sainl père. » L'aurore est
l'avant-coureur du soleil, ainsi Marie fut l'a-vaiit-coureur du verbe incarné*
soleil de justice ; et notre Rédempteur, qui par sa mort, nous délivra
de la mort éternelle. C'est avec raison que l'Église chante
le jour de la
DE MARIE.
269
nativité de Marie : « Nativitas tua, sancta dei genitrix,
» gaudium annuntiavit universo mundo. » Et comme Marie fui
la cause de notre joie, elle en est aussi le complé-ment; puisque
S. Bernard dit que Jésus-Christ a placé entre les mains de
sa mère tout le prix de ses mérites, afin que nous reçussions
par Marie lous les biens que nous devions avoir : « Redempturus humanum
genus, univer-» sum peritum contulit in Maria, ul si quid salutis
no-» bis est, ab illa noverimus redundare. ^ ? mère de Dieu,
vous êtes mon allégresse et mon espérance, puisque
vous ne refusez vos faveurs à personne, et que vous obtenez de Dieu
tout ce que vous voulez.
III. « Vas insigne devotionis. » La dévotion, comme
enseigne S. Thomas, consiste dans la promptitude avec laquelle notre volonté
se soumet à celle de Dieu. Ce fut principalement cetle vertu qui
rendit si chère à Dieu sa très-sainte mère,
et c'est ce que signifiait la réponse que fit le Rédempteur
à cetle femme, qui appelait bienheu-reux le sein qui l'avait porté*
« Quinimo, beati qui au-» diunl verbum Dei et custodiunt illud.
» (Luc. 11.) Le Seigneur, dit Bède, veut dire par-là
qae Marie était plus heureuse par l'union de sa volonté à
la volonté de Dieu, que par l'unique privilège d'être
sa mère. Les fleure qui se tournent toujours vers le soleil sonl
un symbole de Marie. La volonté de Dieu fui le seul but où
lendit son cœur, et le seul qui put le contenter, comme elle le dit dans
son cantique: «Et exultavit spiritus meus, in Deo sa-» lutari
meo. » Que vous avez été heureuse, ô ma sou-veraine
, puisque vous fûtes loute unie et toujours unie à la volonté
divine ! obtenez-moi la grâce de vivre d'une manière conforme
à la volonté de Dieu, durant le temps qui me reste à
vivre.
270
LES GLOIRES
SIXIÈME JOUR.
I. « Rosa mystica. » II est dit de Marie dans les sainls
Cantiques, qu'elle fui le jardin fermé de Dieu. « Hortus »
conclusus, soror mea, sponsa. » (iv, 12.)
Dans ce jardin, dit S. Bernard, le Seigneur planta toutes les
fleurs qui ornent l'Église, et entr'aulres, la violette de l'humililé,
le lys de la pureté, la rosé de la charité. La rosé
est ordinairement rouge , c'est pour cela que Marie fut appelée
rosé, à cause de l'ardente churité dont elle brûla
toujours pour Dieu et pour nous. Idiota dit : « Rosa » rubicunda,
per Dei et proximi chari talem; nam igneus » color charitalem denotat.
» Et où pourrions-nous trou-ver une avocate qui s'occupât
plus de notre salut, et qui nous aimât plus que Marie? « Unam
solam in cœlis fa-« temur esse sollicitam, » dit S. Augustin,
en parlant de cette Vierge. 0 ma chère mère, que ne puis-je
vous aimer comme vous m'aimez vous-même! je ne veux pas cependant
laisser de faire lout ce qui est en moi pour vous honorer et pour vous
aimer. Ma douce souveraine, obte-nez-moi la grâce de vous être
fidèle.
H. « Tunis Davidica. » Marie est appelée dans les
saints Canliques, tour de David : « Collum tuum sicut turris Da-»
vid, mille clipei pendent ex ea, omnis armatura for-» lium. »
(Cant. iv, 4.) S. Bernardin dit que la lourde David était élevée,
c'est-à-dire placée à Sion, et qu'on appelle Marie
tour de David pour marquer l'élévation de cette sublime créature.
« Sicut Sion locus erat eminentis-»> simus, sic beata Virgo
altissima. >> Aussi, est-il dit dans les Psaumes que les fondemens de la
sainteté surpassent la hauteur des montagnes : « Fundamenta
ejus in mon-
DE MARIE.
271
» tibus sanclis. » (Psalm. lxxxvi.) S. Grégoire
explique ces paroles, en disant que la divine mère fut plus sainte
dès les premiers momens de sa vie, que ne l'ont élé
tous les saints au moment de leur mort. Ah ! ma reine et ma mère,
je tne réjouis de votre grandeur, et je serais disposé à
donner ma vie pour vous empêcher de perdre un seul degré de
voire gloire, si jamais elle pouvait souffrir une diminution. Oh! que ne
puis-jeven versant tout mon sang, obtenir que toutes les nations du monde
vous hono-rent et vous aiment, comme leur grande souveraine telle que vous
l'êtes.
III. « Turris eburnea. » Tour d'ivoire, c'est encore ainsi
que Marie est appelée : « Collum tuum sicut turris «eburnea.
» (Cant. iv, 7.) Marie est appelé cou d'ivoire, parce qu'elle
est le cou mystique, par lequel la tête de Jé-sus-Christ communique
aux fidèles qui sont les membres du corps mystique de l'Église,
les esprits vitaux, c'est-à-dire, les secours divins, qui conservent
en nous la vie de la grâce ; telle esl la pensée de S. Bernardin
: « Per Vir-»ginem, a capile Christo vitales gratiae in ejus
corpus » mysticum Iransfundantur. » Le saint ajoute, que dès
le moment où Marie conçut dans son sein le Verbe incarné,
elle obtint de Dieu l'honneur d'être l'intermédiaire sans
lequel personne n'obliendrait la grâce. L'ivoire d'ailleurs joint
la beauté à la force ; c'est pourquoi l'abbé Ruperl
dil en parlant de Marie : « Sicut'turris eburnea, Deoama-»
bilis, diabolo terribilis. » Donc, ô ma souveraine, puis-que
vous êtes si aimée de Dieu, vous pouvez nous obte-nir toute
espèce de bien ; et parce que vous êtes terrible aux démons,
vous pouvez nous délivrer de leurs embû-ches. Ayez pitié
de nous , qui avons l'honneur de vivre sous votre protection.
272
LES GLOIRES
SEPTIÈME JOUR.
I. « Domus aurea. » L'or est le symbole de l'amour. C'est
pourquoi le bienheureux Albert-le-Grand appelle Ma-rie : « Templum
aureum charitatis. » Et c'est à juste litre ; car S. Thomas
dit que de même que dans le temple tout était couvert d'or,
ainsi la belle ame de Marie fut remplie de charité : « Nihil
erat in templo, quod non auro tegere-» tur; nihil erat in Virgine
quod non sanctitate plenum » esset. » Marie fut celte maison
d'or que la sagesse éter-nelle, c'est-à-dire le Verbe de
Dieu, se choisit pour son ha-bitation sur la terre : «Sapientia aedificavit
sibi domum.» (Prov. 9.) Or , cette maison de Dieu est si riche, dit
Ri-chard de S. Laurent, qu'elle peut soulager toutes nos mi-sères
: « Domus Dei cujus tanta est abundantia, quod nos-» tram potest
replere inopiam. * ? Marie, vous brûlez d'un tel amour pour Dieu
. que vous désirez le voir aimé de toutes les créatures.
C'est la grâce que je vous demande sur toutes choses, et que j'espère
de vous ; obtenez-moi un ardent amour de Dieu.
IL « Foederis arca. » Ischius appelle Marie: «Arca
» Noë largior. » Arche plus spacieuse que celle de Noë;
parce que dans celle-ci il n'y eut que deux animaux de chaque espèce
qui y trouvèrent place, tandis que sous le manteau de Marie les
justes et les pécheurs, tous en un mol, peuvent se réfugier;
c'est ce que Slc Gertrude eut un jour le bonheur de voir : II lui sembla
qu'une multitude de lions, de léopards, et d'autres animaux féroces
allaient se réfugier sous le manteau de Marie : elle ne les repous-sait
point, mais elle les caressait de sa main bienfaisante afin qu'ils ne prissent
pas la fuite. Les animaux qui entré-
DE MARIE.
273
renl dans l'arche demeurèrent animaux , mais les pécheurs
qui se réfugient près de Marie ne restent point pécheurs.
Elle saura bien changer leur cœur, et les rendra agréables à
Dieu. La bienheureuse Vierge fit cette révélation à
S. Brigitte: « L'homme, quelque coupable qu'il sesoit rendu, »
s'il a recours à moi par une sincère conversion, je suis
» prêle à le recevoir à l'instant. Je ne considère
point les » péchés dont il est couvert, mais seulement
sa bonne vo-? » lonté ; alors je ne dédaigne pas de
bander et de guérir ses » plaies ; car je suis appelée,
et je suis en effet, la mère de » miséricorde. »
? mère de misericorde, vous dirai-je donc avec §. Augustin
, souvenez-vous qu'on n'a jamais ouï dire que vous ayez repoussé
aucun pécheur qui ait eu re-cours à vous pour demander votre
secours ; et moi aussi, misérable, j'ai recours à vous, et
je me confie en vous. 111. « Janua cœli. » Marie est appelée
porte du ciel, par-ce que nul ne peut entrer au ciel que par Marie : «
Nul-» lus potest coelum intrare, nisi per Mariam tanquam per »
portam, » dit S. Bonavenlure. « In Jérusalem potestas
» mea, » dit notre souveraine. (In missa beatae Virgini.) Richard
de S. Laurent ajoute : « Impetrando quod volo, » et quos volo
inlioducendo. » Je puis obtenir ce que je veux à mes serviteurs,
et introduire qui je veux dans le Paradis. D'où S. Bonaventure conclut
: « Ceux qui jouis-» sent des bonnes grâces de Marie,
sont reconnus par les » citoyens du Paradis ; et ceux qui portent
son caractère, » c'est-à-dire la marque de ses serviteurs,
sont écriis dans » le livre de vie. » C'est pourquoi
Bernardin de Bustis appelle Marie : « Livre de vie, » et dit
que quiconque se trouve écrit dans ce livre par sa dévotion,
se sauvera in-failliblement. Ah ! ma mère, je place en vous l'espérance
de mon salut éternel : je vous aime, sauvez-moi ; ne per-Yii.
18
274
LES GLOIRES
mettez pas qu'un de vos serviteurs qui vous aime, aille vous maudire
en enfer.
HUITIÈME JOUR.
I. « Stella matutina. » S. Jean Damascène appelle
Ma-rie : « Stella demonstrans solem. » Comme l'étoile
du malin précède le soleil, ainsi la dévolion envers
la sainle Vierge précède le soleil de la divine grâce.
S. Germain dit à ce sujel que la dévotion envers Marie est
la preuve cer-taine qu'une ame esl en élal de grâce, ou qu'elle
y sera bientôt. D'ailleurs l'Église appelle notre souveraine,
étoile de la mer; car, selon la pensée de S. Thomas : «
Sicut » per stellam maris navigantes diriguntur ad portum »
sic per Mariam homines diriguntur ad cœlum. » Comme les navigateurs
au milieu des tempêtes, sont gui-dés vers le port par l'éloile
de la mer, ainsi les hommes, au milieu de la mer orageuse de ce monde,
sont dirigés par Marie vers le ciel. Aussi S. Bernard nous engage-t-il
à ne pas délourner les yeux de cet aslre : « Ne avertas
oculos ? a fulgore hujus sideris, si non vis obrui procellis. » Si
vous ne voulez pas êlre englouli par la tempête des tenta-tions,
ne détournez point les yeux de celle étoile de salut. Et
il continue en ces termes : « Ipsam sequens, non de-» vias
; ipsa protegente, non metuis ; ipsa propitia, per-» venis. »
En suivant Marie vous ne vous écarterez pas de la voie ; si Marie
vous protège vous ne craindrez point de vous perdre ; si Marie vous
favorise vous parviendrez au ciel.
IL « Salus infirmorum. » Marie est appelée par S.
Si-mon Stock : « Peccatorum medicina ; » et par S. Ephrem,
non-seulement remède, mais même la santé: «Salus
» firma recurrendum ad eam.» Ainsi, quiconque a recours
DE MARIE.
275
à Marie, trouve non-seulement le remède, mais encore
la santé, comme elle le promet elle-même à ceux qui
la cherchent : « Qui invenerit me, inveniet vitam, et hau-»
riet salutem a Domino. » (Prov. vin. 35.) Ne craignons pas qu'elle
dédaigne de prendre soin de nous à cause de l'infection que
répandent nos plaies; elle est noire mère, et comme une mère
n'a point de répugnance à bander les plaies de son fils,
ainsi celte mère céleste ne se refuse point à guérir
un de ses serviteurs qui recourt à elle. C'est pour-quoi S. Bernard
lui dit : 0 mère de Dieu, vous n'avez pas horreur d'un pécheur,
quelque infection qu'il répande; s'il soupire vers vous -, vous
étendez voire main pour le sauver du désespoir.
III. « Refugium peccatorum. » Marie est appelée
par S. Germain : Refugium paralissimum peccatorum. » Refuge toujours
prêt pour tous les pécheurs. Idiola dit qu'elle ne sait mépriser
aucun pécheur , et qu'aussitôt que nous recourons à
Marie elle nous accueille : « Refugium tulis-» simum, aqua
nullus peccator despicilur; omnes pecca-» tores excipit, nec moram
in hoc facit. » De là, S. Jean Damascène conclut que
Marie n'est pas seulement le refuge des innocens, mais encore des méchansqui
implorent sa protection: « Civitas refugii omnium ad eam confugien-»
tium. » C'est pourquoi S. Anselme lui dit : « Peccato-»
rem toti mundo despectum materno affectu complectens : » nec deseris
quousquemiserum judici reconcilias. » C'est-à-dire, que le
pécheur encourant la haine de Dieu, se rend odieux et abominable
à loules les créatures ; mais s'il recourt à Marie,
le refuge des pécheurs, non-seulement elle ne le méprise
point, mais elle l'embrasse avec af-fection , et elle ne l'abandonne pas
avant de le voir récon-cilié avec son fils et notre juge
Jésus-Christ. ? Marie, si
18.
276
I£S GLOIRES
vous êtes Je refuge de tous les pécheurs, vous êtes
donc aussi le mien ; ô vous qui ne méprisez aucun de ceux
qui recourent à votis, ne me méprisez point, puisque je me
re-commande à vous : « Refugium peccatorum, ora pro no-»
bis. » ? Marie? priez pour nous, et sauvez-nous.
NEUVIÈME JOUR.
J. « Consolalrix afflictorum. » S. Germain dit : «
Quis » post filium tuum curam gerit generis humani, nisi tu? »
quis ila nos defendit in nostris afflictionibus? » ? Marie, qui prend
soin de notre salut autant que vous? qui nous console comme vous dans nos
afflictions? Non, répond S. Antonin : « Non reperitur aliquis
sanctorum ita compati » infirmitatibus nostris, sicut mulier haec,
beata virgo » Maria. » II n'y a aucun saint qui compatisse
à nos misè-res comme cette tendre reine. Et parce que les
misères qui nous affligent le plus sont les infirmités de
l'ame, c'est pour cela que le bienheureux Henry Suzone appelle Ma-rie :
« Consolalrix fidelissima peccatorum, » II suffit d'ex-poser
à Marie les plaies de notre ame pour qu'elle nous secoure à
l'instant, et nous console par son intercession. Bien plus, dit Richard
de S. Victor, sa bonté même nous prévient et nous secoure
avant que nous le lui de-mandions : « Velocius occurrit, quam invocetur.
>. Di-sons-lui donc avec S. Bonaventura : ? Marie, consolez-nous toujours,
mais consolez-nous surtout à l'heure de notre mort. Venez alors
chercher nos âmes pour les pré-senter à votre fils,
qui doit nous juger.
II. « Auxilium christianorum. » Ainsi l'appelle S. Jean
Damascène : «Auxilium promptum, et paratum chris-» tianorum,
eripiens nos a periculis. » Secours prêt et prompt pour nous
délivrer de tous les périls. Le secours
DE MARIE.
277
de Marie est tout puissant, dit S. Côme de Jérusalem,
pour nous délivrer du péché et de l'enfer. S. Bernard
lui disait : « Tu bellatrix egregia. » Vous êtes une
guerrière invincible pour le salut de vos serviteurs, combattant
con-tre les démons qui leur livrent des assauts. C'est pour cela
que Marie, dans les saints Cantiques, est appelée terrible comme
une armée rangée en bataille : « Terribilis «
ut castrorum aciesordinata. » (vi. 3.) Ah! ma reine, si j'avais toujours
eu recours à vous, je n'aurais jamais été vaincu par
mes ennemis. Vous serez dorénavant ma force ; dans mes tentations
je veux toujours me réfugier près de vous, et c'est de vous
que j'attends la victoire.
III. « Regina martyrum. » C'est avec raison que Marie est
appelée reine des martyrs, parce que le martyre qu'elle endura lorsque
son fils mourut sur la croix, surpasse les souffrances de tous les autres
martyrs : « Stabat juxla » crucem Iesu mater ejus. »
Les mères qui ont le malheur de voir mourir leurs fils sans les
pouvoir secourir, pren-nent la fuite. Marie ne fuit point, mais elle assista
cons-tamment Jésus jusqu'à ce qu'elle le vit expirer. «Stabat
» juxta crucem. » Pendant que Jésus était en
agonie, elle offrit au Père éternel la vie de son fils pour
notre salut : mais en faisant cette offrande, elle fut aussi plongée
dans l'agonie, et éprouva une douleur plus forte que tous les genres
de mort. ? mère de douleur, par les mérites des douleurs
que vous souffrîtes au pied de la croix , obtenez-moi une vraie douleur
de mes péchés, et l'amour de Jé-sus-Christ, mon rédempteur
: et par ce glaive qui perça votre cœur lorsque vous vîtes
votre fils baisser la tête et expirer, je vous prie de m/assister
au moment de ma mort, et de m'obtenir en ce moment le salut éternel,
afin que je puisse aller vous aimer à jamais avec votre fils Jésus.
278
LES GLOIRES
MEDITATION
Pour le jour de la purification de Marie, et de la présentaton
de Jésus.
I. Le lemps auquel Marie devait aller se purifier dans le temple, et
y présenter Jésus au Père éternel étant
arrivé, elle part avec Joseph son époux, Joseph prend les
deux tourterelles qui devaient être offertes, et Marie prend son
cher enfant ; elle prend le divin agneau pour l'offrir à Dieu, signe
de ce grand sacrifice qu'il devait un jour accomplir sur la croix. Mon
Dieu , j'unis mon offrande à celle de Ma-rie , je vous offre votre
fils fait homme, et par ses méri-tes je vous prie de me donner votre
grâce. Je ne la mé-rite point, mais Jésus s'est sacrifié
à vous pour me l'ob-tenir. Pour l'amour de Jésus, ayez donc
pitié de moi.
II. Voilà Marie qui entre dans le temple : elle fait déjà
l'oblation de son fils au nom de tout le genre humain. Mais en ce jour
c'est principalement Jésus qui s'offre lui-même au Père
éternel : Me voici, lui dit-il, ô mon Père, je vous
consacre toute ma vie ; vous m'avez envoyé dans le monde pour le
sauver, voilà mon sang et ma vie, je ?vous offre tout pour le salut
du monde. Que je serais mal-heureux, ô mon cher Rédempteur,
si vous n'aviez point sa-tisfait pour moi la divine juslice! Je vous en
remercie de toute mon ame, et je vous aime de tout mon cœur. Et qui aimerais-je,
si je n'aimais pas un Dieu qui a sacrifié sa vie pour moi ?
III. Ce sacrifice fut plus agréable à Pieu que
si tous les
DE MARIE.
279
hommes et tous les anges lui eussent offert leur vie : Oui, parce qu'en
celte offrande de Jésus-Christ le Père éternel reçut
un honneur infini, et une satisfaction infinie. Un jour Jésus-Christ
dit à la bienheureuse Angèle de Foligni : r« Je me
suis offert pour toi, afin que tu l'offrisses à moi. » Oui,
ò mon Jésus, puisque vous offrî4es votre vie à
voire père pour moi, je vous offre toute ma vie et tout moi-même.
Je vous ai méprisé avec une ingralilude révoltante,
par le passé ; mais vous avez promis d'oublier les inju-res d'un
pécheur qui se repent de vous avoir offensé : mon Jésus
j'en suis marri, et je voudrais en mourir de douleur. J'étais mort
par mes péchés; j'espère que vous me donnerez la vie,
et ma vie sera de vous aimer, ô bien infini. Faites que je vous aime,
et je ne vous demande rien de plus. Les biens de ce monde, vous pouvez
les dis-penser à ceux qui les désirent; pour moi, je ne désire
que le trésor de votre amour, mon Jésus, vous seul me suffi-sez.
? reine Marie, qui êtes ma mère, j'espère tout par
votre médiation.
MEDITATION
Pour le jour de l'annonciation de Marie.
I. Dieu voulant envoyer son fils se faire homme pour racheter l'homme
déchu, il lui choisit une mère vierge, la plus pure, la plus
sainte et la plus humble entre toutes les vierges. Voilà qu'un jour
, tandis que Marie, dans sa pauvre maison, demandait à Dieu la venue
du Rédemp-
80
LES GLOIRES
leur, elle voit un ange qui la salue, et lui dit : « Ave, »
gratia plena, Dominus (ecum, benedicta lu in mulie-» ribus. »
(Luc. i.) Que fait l'humble Vierge en entendant ces paroles si flatteuses?
Elle n'en conçoit point de vanité, mais elle se lait.et se
(rouble, s'eslimant indigne de ces louanges: « Turbata est in sermone
ejus. » ? Marie, vous si humble et moi si orgueilleux! Obtenez-moi
la sainte humilité.
II. Ces louanges firent-elles au moins que Marie com-mença
à douter si elle n'élail pas la mère destinée
au Ré-dempteur? Non, elles ne firent que lui inspirer une grande
frayeur, en sorte qu'il fallut que l'ange la rassurât : « Ne
» timeas, Maria, invenisti enim gratiam apud Deum. » II lui
annonça ensuite qu'elle élait choisie pour ôlre la
mère du Rédempteur: «Ecce concipies in utero, et vocabis
no-» men ejus Jesum. » ? bienheureuse Marie, combien vous fûtes
et combien vous êtes chère à votre Dieu. Ayez pitié
de moi.
III. Allons, lui dit S. Bernard, que tardez-vous, ô Vierge sainte,
à donner votre consentement? Le Verbe éternel l'at-tend pour
s'incarner et devenir votre fils ; nous l'atten-dons tous, nous qui sommes
misérablement condamnés à la mort éternelle
; si vous consentez, et si vous accep-tez la mission de mère de
Dieu que l'on vous offre, nous serons tous délivrés. Répondez
promptement, ô Marie, ne différez plus le salut du monde,
qui dépend de votre con-sentement. Mais réjouissons-nous,
Marie répond à l'ange : « Ecce ancilla Domini, fiat
mihi secundum verbum tuum. » Voici, dit-elle la servante du Seigneur
obligée à faire tout ce que le Seigneur lui commande; s'il
choisit pour sa mère une de ses esclaves, ce n'est pas l'esclave
qu'il faut louer, mais c'est la bonté du Seigneur qui veut l'honorer
ainsi.
DE MARIE.
281
0 très-humble Marie, vous avez tellement ravi le cœur de Dieu
par voire humilité que vous l'avez attiré dans votre sein
pour y devenir votre fils et noire Sauveur. Je sais que votre fils ne vous
refuse rien de tout ce que vous lui demandez; dites-lui de me donner son
saint amour. Dites-lui de me pardonner toutes les offenses que j'ai commises
contre lui, dites-lui de me donner la persévérance jusqu'à
la mort ; en un mot, recommandez-lui mon ame : Vos recommandations ne sont
point rebutées d'un fils qui vous aime si tendrement. ? Marie, c'est
à vous de me sauver, vous êtes mon espérance.
MEDITATION
Pour le 2 juillet, fêle de la Visitation de Marie.
I. Marie part de Nazareth pourserendre à la villed'Ebron, éloignée,
selon Broccard , de soixante-dix milles, ce qui faisait au moins sept journées
de chemin à travers des montagnes escarpées, et sans autre
compagnie que celle de son cher époux Joseph. La sainte Vierge se
hâte, comme remarques. Luc(i.S9.) : « Abiit cum festinatione
in mon-» lana. » Dites-nous, ô sainle Dame, pourquoi
vous entrepre-nez ce voyage si long el si pénible, el pourquoi vous
pressez iant vos pas? Je vais, répond-elle, remplir mon office de
charité, je vais consoler une famille. Si donc, auguste mère
de Dieu, voire office est de consoler el de répandre des grâces
sur les âmes, ah ! venez aussi visiter et consoler
282
LES GLOIRES
la mienne. Voire visite sanctifia alors Ja maison d'Élisa-belh,
venez, ô Marie, et sancti fiez-moi aussi.
II. Voilà que Marie arrive à la maison d'Elisabeth;
elle est déjà mère de Dieu, mais elle est la première
à saluer sa parente : « Intravit et salutavit Elisabeth. »
Éli-sabelh, éclairée du Seigneur, sait déjà
que le Verbe divin s'est fait homme et fils de Marie ; c'est pourquoi elle
l'ap-pelle bénie entre toutes les femmes, et appelle bénit
le fruit divin qui était dans son sein : « Benedicta lu in
mu-» lieribus, et benedictus fructus ventris lui. » Remplie
en même temps de confusion et d'allégresse, elle s'écrie
: « Et unde hoc mihi ul veniat maler Domini meiadme?» Comment
pouvais-je espérer une telle faveur que la mère démon
Seigneur vînt me visiter? Mais à ces paroles, que répond
la vierge Marie? Elle répond ·, « Magnificat anima
» mea Dominum, » comme si elle disait : Ah
! Eli-sabeth, vous me louez, mais moi je loue mon Dieu qui a voulu élever
sa misérable créature jusqu'à la rendre sa mère:
« Respexit humilitatem ancillae suae. » ? très-sainte
mère, puisque vous dispensez tant de grâces à ceux
qui vous le demandent, je vous prie de me donner votre hu-milité.
Vous ne vous estimez rien devant Dieu; mais moi je suis moins que rien,
puisque> je ne suis rien, et que je suis en même temps pécheur.
Vous pouvez me rendre humble, faites-le pour l'amour de ce Dieu qui vous
a rendue sa mère.
III. Mais qu'arriva-t-il lorsque Marie fil entendre sa voix à
Elisabeth? « Ut audivit salutationem Mariae Elisabeth, » exullavit
infans in ulero ejus, et repleta est Spiritu » sancto Elisabeth.
» (Luc. ?. 41.) Le petit Jean tressaillit d'allégresse à
cause de la grâce divine qui lui fut donnée avant que de naître;
Elisabeth fut remplie de l'Espril-Saint,
DE MARIE.
283
et Zacliarie père de Jean-Bapiiste fut consolé pea après
en recouvrant l'usage de la parole. Il est donc bien vrai, ô ma reine
et ma mève, que les grâces divines sont distri-buées
el que les âmes sonl sanclifiées par voire intermé-diaire.
Ne m'oubliez donc point, ma très-chère sou-veraine, moi votre
pauvre serviteur, qui vous aime, et qui ai placé en vous loules
mes espérances. Vos prières sont toutes exaucées de
ce Dieu qui vous aime tant. Priez donc ma mère, priez-le pour moi,
el rendez-moi saint.
MEDITATION
Pour le 15 août, fête de l'assomption de Marie au ciel.
I. Marie meurt, mais comment meurl-elle ? elle meurl dépouillée
de toute affection aux choses créées : elle meurt consumée
de ce divin amour dont son cœur très-saint fut toujours embrasé.
? mère'sainte , en quittant la terre, ne nous oubliez pas , pauvres
voyageurs qui demeurons en celte vallée de larmes, combattus par
tant d'ennemis, qui veulent nous perdre éternellement. Ah! par les
mé-rites de votre précieuse mort, obtenez-nous le détache-ment
des choses terrestres, le pardon de nos péchés, l'amour de
Dieu et la sainte persévérance; et lorsque l'heure de notre
mort sonnera, assistez-nous du haut du ciel par vos prières, et
oblenez-nous la grâce d'aller vous baiser les pieds dans le paradis.
II. Marie meurt et son corps très-pur esl conduit au
284
LES GLOIRES
tombeau par les saints apôtres et gardé par les anges
du-rant trois jours, après lesquels il est transporté en
para-dis; mais sa belle ame n'a pas plus tôt quitié son corps,
qu'elle entre dans le royaume bienlieureux, accompagnée d'une multitude
innombrable d'anges et de son proprefils. Entrée dans le ciel, elle
se présente humblement devant Dieu, elle l'adore et avec une grande
affection elle le re-mercie de toutes les grâces qu'il lui a accordées.
Dieu l'embrasse, la bénit et l'établit reine de l'univers,
l'é-levant au-dessus de tous les anges et de tous les saints. «
Exaltata est sancta Dei genitrix super choros angelorum » ad coelestia
régna. » Or si l'esprit de l'homme, comme dit l'apôtre,
ne peut s'élever jusqu'à comprendre la gloire immense que
Dieu prépare dans le ciel à ses serviteurs qui l'ont aimé
sur la (erre, quelle gloire n'a-t-il pas dû accordera sa'lrès-sainle
mère qui l'a aimé plus que tous les saints et que tous les
anges ; et qui l'a aimé de toutes ses forces? En sorte que Marie
est la seule créature qui en arrivant au ciel, a pu dire à
Dieu : Seigneur, si je ne vous ai point aimé sur la terre autant
que vous le méritiez, du moins je vous ai aimé autant que
je l'ai pu.
III. Réjouissons-nous avec Marie de la gloire dont Dieu l'a
enrichie ; et réjouissons-nous-en aussi pour nous ; car Marie en
devenant la reine du monde a été établie aussi notre
avocate. Elle est une avocate si bonne, qu'elle ac-cepte la défense
de tous les coupables qui se recom-mandent à elle. Elle est en outre
si puissante auprès de de notre juge, qu'elle gagne toutes les causes
qu'elle dé-fend. ? notre reine et notre avocate, notre salut est
entre vos mains. Si vous priez pour nous, nous serons sauvés. Dites
à votre fils que vous voulez nous voir avec vous dans le ciel. Il
ne vous refuse rien de ce que vous lui
?? MARIE. .
285
demandez, 0 Marie, notre vie, notre douceur et notre es-pérance,
priez Jésus pour nous.
MEDITATION
?our le 8 septembre, fête de la nativité de Marie.
I. Avant que Marie ne vînt au monde, le monde était
égaré au milieu des ténèbres du péché.
4 Nata Maria, sur-» rexil aurora, » dit un $aint père.
Il avait déjà été dit de Marie : Quae est ista
, quas progreditur quasi aurora » consurgens? » (Cant. vi.
9.) Comme Ja terre se réjouit à sa naissance, parce qu'elle
est l'avant-coureur du so-leil ; ainsi tout l'univers est dans la joie
lorsque Marie vient au monde, parce qu'elle est l'avanl-coureur de Jésus-Christ,
vrai soleil de justice, qui, devenu son fils, voulut mourir ensuite pour
notre salut. Aussi la sainte Église chanle ; « Nativitas tua,
sancta Dei genitrix, gaudium an-» nuntiavit universo mundo : Ex te
enim ortus est Soi jus-» tilise, qui donavit nobis vilam sempiternam.
» En sorle qu'en naissant, Marie est noire remède, notre consolation
et noire salut ; puisque c'est par l'intermédiaire de Marie que
nous avons reçu le Sauveur.
II. Celle enfant étant destinée à être
la mère du Verbe éternel, Dieu l'enrichit de tant de grâces,
que dès l'in-stant de la conception immaculée, sa sainteté
surpassa Iîl sainteté de tous les saints et de tous les anges
réunis; car elle reçut une grâce d'un ordre supérieur,
correspon-dant à la dignité de mère de Dieu. ? sainte
enfant, ô
286
LES GLOIRES
pleine de grâces! je vous salue et je vous révère
tout misérable pécheur que je suis. Vous êtes la bien-aimée
de Dieu , et l'objet de ses délices, ayez pitié de moi, qU;
suis devenu par mes péchés l'objet de sa haine et de son
abomination. Vous avez su gagner si bien le cœur de Dieu, ô très-pure
Vierge, dès voire plus tendre enfance, qu'il ne vous refuse rien,
et qu'il vous accorde tout ce que vous lui demandez. C'est donc en vous
que je place mes espé-rances; recommandez-moi à votre fils,
et je serai sauvé. III. En même temps que Marie fut destinée
pour mère au Rédempteur, elle fui encore destinée
à être la média-trice entre Dieu et les pécheurs.
De là le docteur angé-lique S. Thomas conclut que Marie a
reçu tant de grâces, qu'elles suffisent pour sauver tous les
hommes. C'est pour cela que S. Bernard appelle Marie un aqueduc rempli,
à la plénitude duquel nous devenons participans : «
Plenus » aquaeductus, ut accipiant cœleri de ejus plenitudine: »
? ma reine, ô médiatrice des pécheurs, ah ! faites
voire office en intercédant pour moi. Je ne veux point que mes péchés
m'empêchent de me confier en vous, auguste mère de Dieu ;
non, je m'y confie et je m'y confie tellement, que si mon salut élait
enlre mes mains, je le remettrais à l'insiant dans les vôtres.
O Marie, acceptez-moi sous votre protection, et cela me suffit.
DE MARIE.
287
MÉDITATION
Pour le 21 novembre, fête de la présentation de Marie.
I. La sainte petite Marie, à peine âgée de
trois ans, pria ses saints parens de l'enfermer dans le temple, selon la
promesse qu'ils en avaient faite. Le jour fixé pour cela étant
arrivé, voilà que la sainte Vierge immaculée part
de Nazareth avec S. Joachim et sainte Anne, et avec une troupe d'anges
qui accompagnèrent celle sainte créature destinée
à être la mère de leur Créateur. Allez, lui
dit S. Germain, allez, ô Vierge bienheureuse, à la maison
du Seigneur pour y attendre le Saint-Esprit, qui doit ve-nir vous rendre
la mère du Verbe éternel.
II. Les saints voyageurs étant arrivés dans le
temple de Jérusalem, la sainte petite fille se tourne vers ses pa-rens,
et s'étant mise à genoux, elle leur baise les mains, leur
demande leur bénédiction, et, sans regarder en ar-rière,
elle franchit les degrés du temple. Alors elle prend enlièrement
congé du monde et de tous les biens que le monde pouvait lui donner,
et elle s'offre et se consacre entièrement à Dieu. La vie
de Marie dans le temple ne fut plus dès-lors qu'un exercice continuel
d'amour et d"©Ç; frande d'elle-même à son Seigneur
: elle croissait d'heure en heure, ou, pour mieux dire, de moment en moment
dans les saintes vertus ; il est vrai qu'elle était soutenue par
la grâce divine, mais il est vrai encore qu'elle tra-vaillait de
toutes ses forces à correspondre à la grâce. Marie
288
L£S GLOIRES
fit à sainte Elisabeth vierge la révélation suivante
: Peut-être penses-tu que j'aie eu la grâce et les vertus sans
peine? Sache donc que Dieu ne m'a point donné une seule grâce
qui ne m'ait coûté de grands travaux, une prière conti-nuelle,
des désirs ardens, beaucoup de larmes et de pé-nitences.
III. Ainsi la sainte Vierge ne fit autre chose dans le temple que prier.
Voyant le genre humain perdu et tombé dans la haine de Dieu , elle
demandati principa-lement la venue du Messie, désirant alors d'être
la ser-vanle de celte bienheureuse Vierge qui devait être la mère
de Dieu. Oh ! si on lui avait dit alors : Sainte dame, sa-chez que vos
prières hâtent le moment où le fils de Dieu doit venir
racheter le monde ; et sachez que vous êtes la femme bénie,
destinée à être la mère de votre Créateur
! ? ! bien-aimée de Dieu, très-sainte enfant, vous priez
pour tous, priez aussi pour moi. Dès votre plus tendre enfance,
vous vous consacrâtes à l'amour de voire Dieu , ah ! obtenez
qu'au moins pendant les jours qui me restent, je vive uniquement pour Dieu.
Je renonce aujourd'hui avec vous à toutes les créatures et
je me consacre à l'amour de mon Seigneur. Je m'offre encore à
vous, ma reine, pour vous servir toujours. Acceptez-moi pour votre servileur
parti-culier, et obtenez-moi la grâce de vous être fidèle,
ainsi qu'à votre fils, afin que je puisse aller un jour vous louer
et vous aimer éternellement dans le paradis.
DE MARIE.
289
MEDITATION
Pour le S décembre, jour de Ja conception de l'immaculée
bien-heureuse Vierge Marie.
Il convenait que les trois personnes divines préservassent Marie
du péché originel. Cela convenait au père, parce que
Marie est sa fille aînée. Car de même que Jésus-Christ
fut le premier né de Dieu ; « Primogenitus omnis creaturae
» (Coloss. ?. S.) ainsi Marie destinée pour être la
mère de Jésus, fut toujours considérée comme
la première fille adoptive de Dieu, et c'est pour cela que Dieu
la posséda toujours par la grâce: « Dominus possedit
me ab initio » viarum suarum. » (Eccli. xxiv.)Il convenait
donc pour l'honneur du fils, que le père préservât
Marie de toute souillure de péché. Cela convenait encore
parce qu'il des-tinait cette fille à écraser la tête
du serpent infernal, qui avait séduit l'homme, comme on le voit
dans la Genèse : « Ipsa conteret caput tuum.» (Gen.
m. 15.) Comment donc aurait-il pu permettre qu'elle eût été
auparavant son esclave? De plus, Marie fut aussi destinée à
être l'avocate des pécheurs ; ainsi il convenait encore que
Dieu la pré-servât de la tache commune, afin qu'elle ne parût
point souillée de la faute des hommes, pour lesquels elle devait
intercéder.
H. Il convenait au fils d'avoir une mère immaculée ;
lui-même il la choisit pour sa mère. On ne peut croire qu'un
fils, pouvant avoir une reine pour mère, voulût se choisir
une esclave. Et comment peut-on penser que le Verbe éter-vu.
19
290
LES GLOIRES
nel, pouvant avoir une mère immaculée, el toujours amie
de Dieu, l'ait choisie souillée el ennemie de Dieu pendant quelque
temps? De plus, S. Augustin dit : « Caro Christi, » caro est
Mariae. » Le fils de Dieu aurait eu horreur de s'incarner dans le
sein d'une sainte Agnès, d'une sainte Gertrude, d'une sainte Thérèse,
parceque ces vieïges furent souillées du péché
avant leur baptême; en sorte que le démon aurait pu lui reprocher
d'avoir pris la même chair qui aurait été autrefois
sous soa empire. Mais il n'eut point horreur de se iaire homme dans le
sein de Marie,, « No» » horruisii virginis uterum* »
parce que L· mère de Dieu fut toujours pure et immaculée.
S. Thomas dit, en outre, qjie Marie fut préservée de tout
péché petuel, même véniel, parce que sans, cela
elle n'eût point été propre à être mère
de Dieu. Qr, combien n'eût-elle pas élé moins capable
de l'être, si elle eût été souillée du
péché originel,, qui. rend l'ame odieuse à Dieu?
IIL 11 convenait à l'Esprit-Saint que son épouse bien-aimée
fut immaculée. Dono,,, la rédemption des hommes tombés
dans le péché devant s'opérer, il voulut que son épouse
fût rachetée d'une manière plus noble, en la pré-servant
de tomber dans le péché. Et si Dieu préserva de la
corruption le corps de Marie après sa mort, à combien plus
forte raison devons-nous croire qu'il préserva son ame de la corruption
du péché ? C'est pour cela que le divin époux l'appela
jardin fermé, et fontaine scellée, puis-que l'ennemi n'entra
jamais dans la sainte ame de Marie. Illa loua encore en l'appelant toute
belle, toujours amie, et toute pure : * Tota pulchra es arnica mea, et
macula non » est in te. » (Cant. iv. 7.) Ah! ma belle souveraine,
je me plais à vous voir si agréable à Dieu par votre
pureté et par votre beauté., Je remercie Dieu de ce qu'il
voue a
?% marie.
291
préservée de toute faute. Ah ! ma reine, puisque toute
la sainle Trinilé vous aime tant, ne dédaignez point de jeter
les yeux sur une ame si chargée de péchés, pour m'ob-tenir
de Dieu le pardon et le salut éternel. Regardez-moi et chângêi-moi.
Sfoxiê qftfî attife* tarît d& ctéûtê
p^r -voire douceur, attirez aussi le mien, afin que dorénavant il
n'aime plus que Dieu et vous. Vous savez que j'ai mis en vous mon espérance
; ma ehère mère, ne m'abandonnez point, assistez-moi toujours
par voire intercession durant ma vie, et surtout à' ÎiîeÎffé
dV ma* mon. Faites que je meufe en. vous i»vo(paftt e» en vtìus
aiment, afin cfit$ j'aille vous aimer à jamais Ses le paradis.
292
LES GLOIRES
PRIERES A L V MERE DE DIEU
POUR CHAQUE JOUR DE LA SEMAINE,
LE DIMANCHE.
Prière à la très-sainte Vierge pour obtenir le
pardon de ses pé-chés.
Voilà, ô mère de Dieu, voilà à vos
pieds un misérable pécheur esclave de l'enfer, qui recourl
à vous et qui met en vous sa confiance. Je ne méri le pas
même que vous jetliez un regard sur moi ; mais je sais que voyant
votre fils mort pour sauver les pécheurs, vous avez un désir
immense de les secourir. ? mère de miséricorde, voyez mes
misères et ayez pitié de moi: j'entends qu'on vous appelle
le refuge des pécheurs, l'espérance des désespérés,
le secours des abandonnés.Vous êtes donc mon refuge, mon espérance,
et mon secours. C'est à vous de me sauver par votre inter-cession.
Secourez-moi pour l'amour de Jésus-Christ, ten-dez la main à
un misérable pécheur qui est tombé et qui se recommande
à vous. Je sais que vous trouvez votre consolation à secourir
un pécheur lorsque vous le pouvez, aidez-moi donc mainlenanl que
vous pouvez m'ai-der, j'ai perdu la grâce divine et mon ame par mes
péchés ; maintenant je me remets entre vos mains, dites-moi
ce que je dois faire pour rentrer dans la grâce de mon Dieu, et je
suis disposé à l'exécuter. Il m'envoie à vous
pour
DE MARIE.
295
que vous me secouriez ; il veut que j'aie recours à votre miséricorde,
afin que non-seulement les mérites de votre fils, mais encore vos
prières m'aident à me sauver. Je recours donc à vous;
vous qui priez pour tant d'autres, priez aussi Jésus pour moi. Diles-lui
de me pardonner, el il me pardonnera. Dites-lui que vous désirez
mon salut, et il me sauvera. Faites connaître le bien quevous savez
faire à celui qui se confie en vous. Amen. Ainsi je l'espère,
ainsi-soit-il.
LE LUNDI.
Prière à la très-sainte Vierge pour obtenir la
sainte persévérance.
? reine du ciel, je me consacre à votre service perpé-tuel,
moi, qui ai eu le malheur d'être autrefois esclave de Lucifer, et
je m'offre à vous honorer el à vous servir toute ma vie :
acceptez-moi, et ne me rejetez point comme je le mériterais. ? ma
mère, j'ai placé en vous toutes mes espérances, c'est
de vous que j'attends tout mon bonheur. Je bénis et je remercie
Dieu, qui par sa miséricorde, m'a donné celte confiance en
vous, confiance que je regarde comme le gage assuré de mon salut.
Ah ! malheureux, si je suis tombé autrefois, c'est parce que je
n'ai point eÎM-e-cours à vous. J'espère maintenant
par les mérites de Jésus-Ghrisl et par vos prières,
le pardon de mes péchés. Mais je puis perdre encore la grâce
de Dieu ; le péril n'a point cessé, les ennemis ne dorment
point : combien de nou-velles tentations ne me resle-t-il pas à
vaincre ! Ah! ma douce
294
LES GLOIK.ES
souveraine, prolégez-moi, ei ne permettez pasque je rede-vienne
leur esdave : aidez-moi toujours. Je sais que voue m'aiderez, et que je
serai victorieux par votre secours, si je me recommande à vous;
mais ce que je crains, c'est de manquer à vous invoquer dans les
occasions de chute, et ainsi de me perdre. Voici donc la grâce que
je vous de-r ïnande : obtenez que dans tous les assauts de l'enfer,
je recoure à vous en disant : Marie, aidez-moi. Ma mère,
ne permettez pas que je perde Dieu.
LE MARDI.
Prière â la très-sainte Yierge pour obtenir une
bonne mort.
0 Marie, quelle sera ma mort? Je crains à présent e(
je me confonds, lorsque je pense à mes péchés, et
que je con-sidère le moment décisif de mon salut ou de ma
damna-tion étemelle, où je devrai expirer et subir le jugement.
? ma très-douce mère, toute mon espérance est toute
dans le sang de Jésus-Christ et dans votre intercession. 0 con-solatrice
des affligés, ne m'abandonnez point dans ce mo-ment, et ne cessez
de me consoler en cette grande afflic-tion. Si les remords des péchés
que j'ai commis, si l'incer-titude du pardon, si le péril de retomber,
si les rigueurs de la divine justice sont présentement pour moi
le sujet d'un si grand tourment, que sera-ce de moi alors î si vous
ne me secourez, je serai perdu. Ah ! ma souveraine, avant que ma mort arrive,
obtenez-moi une grande douleur de mes péchés, un vrai changement
de w'e, ei la fidélité en-vers Dieu pour toul le reste de
ma vie, El lorsque j'arriverai
DE MARIE.
295
à mon dernier moment, ô Marie, mon espérance, secou-rez-moi
dans les grandes angoisses où je dois me trouver : fortifiez-moi
contre le désespoir que m'inspirerait la vue de mes fautes mises
sous mes yeux par le démon. Obte-nez-moi la grâce de vous
invoquer alors plus souvent, afin que j'expire ayant à la bouclie
le doux nom de voire divin fils et le vôtre. Ou plutôt, pardonnez-moi
si j'ose vous foire celte prière, venez vous-même me consoler
par voire présence, avant que je rende le dernier soupir. J'es-père
et je veux obtenir de vous celle grâce que'vous avez iaile à
un grand nombre de vos serviteurs. Il est vrai que je ne la mérite
pas, parce que je suis pécheur, mais je vous suis dévoué,
je vous aime et j'ai une entière confiance en vous. ? Marie, je
vous attends, ne me laissez pas sans con* solution. Et si je ne suis pas
digne d'une si grande faveur, assistez-moi du moins du haut du ciel, afin
que je sorte de ce monde en vous aimant et en aimant mon Dieu, pour aller
vous aimer éternellement dans le paradis.
LE MERCREDI.
Prière à la très^sainte Vierge pour obtenir d'être
préservé dfe l'enfer.
? ma très-chère souveraine, je vous remercie de m^avoir
délivré de l'enfer auianl de fois que je l'avais mérité
par mes péchés. Malheureux, j'étais autrefois condamné
à celte prison, et peut-être que l'exécution de la
sentence aurait suivi mon premier péché, si vous qui êtes
si bonne, voue ne m'aviez secouru. Je ne vous en priais même pas,
c'est
296
LES CLOinES
uniquement par votre bonté que vous avez arrêté
la divine justice : vous avez depuis triomphé de ma dureté,
et vous m'avez encouragé à mettre ma confiance en vous. Oh!
en combien de péchés ne serai-je point tombé ensuite,
dans les périls où je me suis trouvé, si vous, mère
amoureuse, ne m'en eussiez préservé par les grâces
que vous m'avez obtenues. Ah! ma reine, continuez à me délivrer
de l'en-fer; et à quoi me serviront votre miséricorde et
les grâces que vous m'avez faites, si je me damne? Si je ne vous
aimais point autrefois, je vous aime maintenant après Dieu par-dessus
toute chose. Ah! ne permettez pas que je me détourne de vous et
de Dieu qui ma prodigué tant de miséricordes par votre ministère.
Ma très-aimable sou-veraine, ne permettez pas que je vous haïsse
ni que je vous maudisse pour toujours dans l'enfer. Souffrirez-vous qu'un
de vos serviteurs qui vous aime, vienne à se damner? ô! Marie,
que me dites-vous? je me damnerai, si je vous abandonne. Mais comment pourrais-je
avoir lecœur de vous abandonner? comment pourrais-je oublier l'amour que
vous m'avez porté? Ma souveraine, puisque vous avez tant fait pour
me sauver, achevez votre œuvre, continuez de m'aider. Voulez-vous me secourir?
mais que dis-je? si vous m'avez tant favorisé lorsque je vous oubliais,
com-bien plus dois-je espérer maintenant que je vous aime et que
je me recommande à vous? Non, celui qui se recom-mande à
vous ne peut se perdre; celui-là seul se perd qui ne recourt point
à vous. Ah ! ma mère, ne me laissez pas en mon pouvoir, je
me perdrais ; faites que je recoure toujours à vous. Sauvez-moi,
mon espérance, sauvez-moi de l'enfer, et sauvez-moi d'abord du péché
qui seul peut m'y conduire.
DE MARIE.
297
LE JEUDI.
Prière à la très-sainte Vierge pour obtenir le
paradis,
? reine du paradis, qui êtes placée au-dessus de tous
les chœurs des anges, et la plus rapprochée de Dieu, du fond de
cette vallée de larmes, je vous salue, misérable pécheur
que je suis, et je vous prie de tourner vers moi vos yeux miséricordieux
qui répandent les grâces sur tout ce qu'ils regardent. Voyez,
ô Marie, en combien de dan-gers je me trouve, et en combien d'autres
je dois encore me trouver tant que je serai sur la terre, de perdre mon
ame, le paradis et mon Dieu. ? Marie, j'ai placé en vous toutes
mes espérances. 3e vous aime et je soupire après le bonheur
de vous voir et de vous louer bientôt dans le paradis. Ah! Marie,
quand viendra le jour où je me ver-rai en assurance à vos
pieds ; et où je verrai la mère de mon Seigneur et la mienne
qui a tant fait pour me sau-ver? quand baiserai-je celle main qui m'a délivré
tant de fois de l'enfer, et qui m'a prodigué tant de grâces,
lors-que par mes fautesje méritais d'être haï et abandonné
de tout le monde? Ma souveraine, j'ai été bien ingrat envers
vous durant ma vie ; mais si je vais au ciel, je ne le serai plus : là,
je vous aimerai tant que je pourrai à chaque moment de l'éternité,
et je compenserai mon ingratitude par les bénédictions et
les actions de grâces continuelles que je vous adresserai. Je remercie
Dieu de toute mon ame de ce qu'il m'inspire assez de confiance dans le
sang de Jésus-Christ, et en vous, pour croire que vousmesau-
298
LES GLOIRES
verez, que vous me délivrerez du péché, que vous
m'ob-tiendrez la lumière et la force de suivre la volonté
de Dieu el que vous me conduirez enfin à l'heureux port du ciel.
Tous vos serviteurs ont espéré en vous, et aucun d'eux n'a
été déçu dans son espérance. Ni moi
non plus je ne serai point trompé. ? Marie, c'est vous qui me sauverez.
Priez votre fils Jésus comme je le prie moi-même pat les mérites
de sa passion, priez<-le de conserver et d'accroître toujours
en moi celle confiance et je serai sauvé.
IM VliADBEDl.
Prière à la très»sainte Vierge pour obtenir
son amour et l'amour de Wsus-Cteist.
? Marie, je sais que vous êtes la créature la plus noble,
la plus sublime, la plus pure, la plus belle, la plus misé-ricordieuse,
la plus sainte, la plus aimable, en un mot, de toutes les créatures.
Oh! si tous les hommes vouscon-naissaient, ô ma souveraine, el s'ils
vous aimaient comme vous le méritez ? mais je me console en voyant
iant d'ames bienheureuses dans le ciel et sur la lerre qui sont ravies
de voire bonté et de votre beaulé. Je me réjouis surtout
de ce que Dieu même vous aime plus vous seule que tous les hommes
et tous les anges ensemble. Ma très-aimable reine, je vous aime
aussi, loul misérable pécheur que je suis, mais je vous aime
trop peu. Je voudrais vous aimer plus tendrement, je voudrais vous aimer
davantage, etcelamour que je désire, c'est à vous de me l'obtenir^,
puisque vous aimer c'est une grande marque de prédeslinalion el
une grâce que Dieu n'accorde qu'à ceux qu'il veut sauver.
DE MARIE.
299
ie sens encore, 6 ma mère, combien d'obligations j'ai à
votre ÎHs, et je vois qu'il mérite un amour infini. Vous qui
ne désirez que de le voir aimé, obtenez-moi celte grâce
par-dessus toutes les autres, obtenez-moi un grand amour pourïésus-Christ;
vous obtenez de Dieu tout ce que vous vouiez; ah! oblenez-moi coite grâce,
d'être telle-ment attaché à la volonté divine,
que je ne m'en sépare plus jamais. Je ne vous demande point les
biens de la terre, non, je neveux ni honneurs, ni richesses ; je vous demande
ce que votre cœur -désire le plus, je veux aimer mon Dieu. Serait-il
possibte<jue vous ne voulussiez point m'aider en ce désir qui
est si agréable à votre cœur? Non, je sens que vous me secourez
déjà, et que vous priez pour moi : priez, priez, et ne cessez
jamais de prier , jusqu'à ce que je sois dans le paradis, hors du
péril de perdre mon Seigneur, et dans l'assurance de l'aimer toujours
avec vous ma Irès-chère mère.
LE SAMEDI.
Prière è Ja très-sainte Vierge ???? obtenir sa
protection,
? ma très-sainte mère, je vois les grâces que vous
m'avez obtenues , et je vois l'ingralitude dont j'ai usé à
votre égard : l'ingrat n'est plus digne de bienfaits. Tou-tefois
je ne cesserai point de me confier en voire miséri-corde qui est
plus grande que mon ingratitude. ? ma puissante avocate, ayez pitié
de moi ; vous êtes la dis-pensatrice de toutes les grâces que
Dieu accorde à des
300
LES GLOIRES
misérables comme nous, et il ne vous a rendue si puissante,
si riche et si bonne, qu'afin que vous pussiez nous se-courir dans nos
misères. Ah! mère de miséricorde, ne me laissez point
dans mon indigence. Vous êtes l'avocate des criminels les plus malheureux
et les plus délaissés qui recourent à vous; défendez-moi
aussi, puisque je me recommande à vous. Ne me dites point que ma
cause est difficile à gagner, puisque les causes les plus désespérées
triomphent lorsque c'est vous qui les défendez. Je remets donc entre
vos mains mon salut élernel, et je vous confie mon ame ; elle était
perdue, vous la sauverez par votre in-tercession. Je veux être inscrit
au nombre de vos servi-teurs les plus dévoués ; ne me repoussez
pas : vous cher-chez des malheureux pour les soulager, n'abandonnez point
un misérable pécheur qui recouri à vous. Parlez pour
moi : votre fils fait tout ce que vous lui demandez. Pre-nez-moi sous votre
protection, et cela me suffit; oui, par-ce que si vous me protégez,
je ne crains rien : je ne crains pas mes péchés parce que
vous m'obtiendrez le remède du mal que je me suis fait en les commettant;
je ne crains pas le démon parce que vous ôles plus puissanle
que tout l'enfer : je ne crains pas même mon juge Jésus-Christ,
parce qu'une seule de vos prières suffit pour l'a-paiser. Tout ce
que je crains, c'est qu'en cessant de me recommander à vous, je
ne me perde. Ma mère, obtenez-moi le pardon de tous mes péchés,
l'amour de Jésus, la sainte persévérance, la bonne
mort, et enfin le paradis : obtenez-moi surtout la grâce de me recommander
toujours à vous. Il est vrai que toutes ces grâces sont trop
grandes pour moi qui ne les mérite point ; mais elles ne sonl pas
trop pour vous qui êtes si aimée de Dieu : il vous accorde
tout ce que vous lui demandez. 11 suffit que vous ouvriez
DE MARIE.
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la bouche pour qu'il se rende à vos désirs. Priez donc
Jésus pour moi ; diles-lui que vous me protégez, et il aura
pitié de moi. Ma mère, je me confie en vous, je me re-pose
et je vis dans celle espérance, el c'est avec elle que je veux mourir.
Amen. Vivent à jamais Jésus noire amour et Marie noire espérance.