SAINT ALPHONSE DE LIGUORI,
DOCTEUR DE L'ÉGLISE.
LE PRÊTRE.
TOME PREMIER.
SELVA
ou
RECUEIL DE MATÉRIAUX
POUR RETRAITES ECCLÉSIASTIQUES, Ouvrage
pouvant servir aux prêtres pour leurs lectures spirituelles
TRADUCTION NOUVELLE
PAR LE P. EUGÈNE
PLADYS,
IMPRIMERIE DE L'ŒUVRE DE
SAINT-PAUL
5l, RUE DE LILLE,
5l
1884
i
SELVA.
CHAPITRE PREMIER.
DE LA DIGNITE DU PRETRE.
« Rien de plus grand, dit saint Ignace le Martyr, que la
dignité sacerdotale . » Non con-tent d'élever le sacerdoce
au-dessus de toutes les dignités créées, saint Éphrem
le proclame une dignité infinie. « Étonnante merveille!
s'écrie-t-il, sublime, immense, infinie est la dignité sacer-dotale
. » « Sans doute, remarque saint Jean Chrysostome, le sacerdoce
s'exerce ici-bas et parmi les hommes; cependant il faut le compter au nombre
des choses célestes . » S'inspirant de saint Augustin, qui
place le sacerdoce bien au-dessus de toutes les dignités soit terrestres,
soit célestes, et ne le déclare inférieur qu'à
Dieu seul, un auteur s'écrie : « O prêtre du Seigneur,
admirez l'élévation du ciel, et sachez que vous
Combien est
sublime
la dignité du
prêtre ;
10
CHAPITRE PREMIER.
Elle est même divine.
êtes plus élevé; admirez la sublimité
des trônes les plus glorieux, et sachez que vous êtes plus
sublime : vous n'avez au-dessus de vous que Dieu seul, votre créateur1.
» Innocent III dit également : « Le prêtre, constitué
médiateur entre Dieu et l'homme, est inférieur à Dieu,
mais bien supérieur à l'homme2. »
Saint Denys l'Aréopagite ajoute même: « Parler du
prêtre, c'est éveiller l'idée d'un être divin,
et par conséquent, dit-il encore, sa dignité n'est pas seulement
angélique, elle est divine3. » Aussi, d'après saint
Éphrem, « impossible que personne comprenne la magnificence
de la dignité sacerdotale4. » Il suffit, du reste, de penser
que Jésus-Christ nous fait un devoir de considérer les prê-tres
comme d'autres lui-même. Qui vous écoute, m'écoute,
et qui vous méprise, me méprise5. « Donc, conclut saint
Jean Chrysostome, celui qui honore le prêtre du Christ, honore le
Christ lui-même; comme aussi, il insulte le Christ, celui qui insulte
le prêtre du Christ6. » Sainte Marie d'Oignies avait une telle
vénération pour la dignité des prêtres, qu'elle
baisait sur le sol l'empreinte de leurs pas.
1. O sacerdos Dei ! si altitudinem cœli contemplaris, altior es; si
omnium dominorum sublimitatem, sublimior es; solo tuo Creatore inferior
es. Catal, gloriae mundi, p. 4. cons. 6.
Inter Deum et hominem medius constitutus; minor Deo, sed major homine.
In Consecr. Pont. s. 2.
Angelica, imo divina est dignitas. Qui sacerdotem dixit, prorsus divinum
insinuat virum. De Eccl. Hier. c. 1.
Excedit omnem cogitationem donum dignitatis sacerdotalis. De Sacerd.
Qui vos audit, me audit ; et qui vos spernit, me spernit. Luc. X. 16.
Qui honorat sacerdotem Christi, honorat Christum ; et qui injuriat
sacerdotem Christi, injuriat Christum. Hom. 17.
DE LA DIGNITÉ DU
PRETRE.
I.
GRANDE DIGNITÉ DU PRÊTRE A RAISON
DE SES FONCTIONS.
La dignité des prêtres se mesure d'abord sur la
grandeur des fonctions qu'ils ont à remplir. Choisis par Dieu lui-même,
ils doivent exécuter ici-bas ses desseins et veiller à ses
intérêts. « Di-vins sont les ministères confiés
aux prêtres1, » dit saint Cyrille d'Alexandrie. Saint Ambroise
ajoute : « Il faut regarder le ministère sacerdotal comme
une profession divine2. »
Le prêtre est le ministre chargé par Dieu, en qualité
d'ambassadeur public de toute l'Église, d'honorer sa majesté
divine et d'obtenir les grâces d'en-haut pour tous les fidèles.
L'Église tout entière ne peut procurer à Dieu autant
de gloire ni aux fidèles une aussi grande abondance de grâces,
qu'un seul prêtre par la célébration d'une seule messe;
car, en dehors des prêtres, ce que toute l'Église pourrait
faire de plus grand pour l'honneur de Dieu, ce serait de lui sacrifier
la vie de tous les hommes. Mais que serait l'immola-tion de tout le genre
humain en regard de ce sacrifice où le prêtre offre la vie
de Jésus-Christ, et qui est d'une valeur infinie ? En effet, devant
Dieu, que sont tous les hommes ? Un peu de pous-sière, comme le
dit Isaïe : Les nations sont sem-blables à une goutte d'eau
échappée d'une coupe,
Le prêtre glorifie Dieu,
1. Genus divinis ministeriis mancipatum. De Adorat. l. 13. 2.
Deifica professio. De Dignit. sac. c. 3.
CHAPITRE PREMIER.
Il le remercie,
elles sont semblables à une poussière légère1
; moins encore, elles sont un pur néant, ainsi que l'affirme également
Isaïe: Comme si elles n'étaient pas, voilà ce que sont
les nations devant Dieu2. Quand donc le prêtre célèbre
la sainte messe, il procure à Dieu, en lui sacrifiant Jésus-Christ,
une gloire infiniment plus grande que si tous les hommes se dévouaient
à la mort pour lui faire le sacrifice de leur vie. Que dis-je? par
une seule messe, le prêtre honore Dieu bien plus que ne l'ont honoré
et que ne l'honoreront jamais tous les anges et tous les saints du ciel,
sans même excepter la très sainte vierge Marie ; car tous
en-semble ne peuvent lui rendre un culte qui soit infini comme le culte
rendu par le prêtre quand il célèbre à l'autel.
En outre, chaque fois qu'un prêtre offre le saint sacrifice,
il présente à Dieu de dignes actions de grâces pour
tous ses bienfaits, même pour ceux dont les bienheureux du ciel lui
sont redevables. Or les bienheureux eux-mêmes, en unissant toutes
leurs actions de grâces, ne peuvent digne-ment remercier Dieu. Ainsi,
à ce point de vue encore, la dignité sacerdotale surpasse
toutes les dignités, y compris celles du ciel.
Il attire
ses bénédictions
sur tous.
Enfin le prêtre est l'ambassadeur de tout le genre humain
auprès de Dieu : comme tel, il le prie pour toutes les créatures,
et sur toutes il fait descendre les bénédictions divines.
« C'est l'uni-vers tout entier, dit saint Jean Chrysostome, qui
1. Quasi stilla situlae..., pulvis exiguus. Is. LX. 15-17.
2. Omnes gentes, quasi non sint, sic sunt coram eo. Ibidem.
DE LA DIGNITÉ DU
PRÊTRE.
l3
députe le prêtre vers Dieu pour lui demander des
grâces4. » Saint Éphrem ajoute : « Il a ses entrées
franches auprès de Dieu2, » tellement que toutes les portes
lui sont toujours ouvertes.
Pour créer un prêtre, il a fallu la mort de Jésus-Christ.
Il n'était pas nécessaire que le Rédemp-teur mourût
pour sauver le monde. Une goutte de sang, une seule larme, la moindre prière
suffi-sait pour obtenir le salut de tous, parce que cette prière
était d'une Valeur infinie, et par conséquent suffisante
pour sauver le monde tout entier, et même mille mondes. Mais, pour
qu'il y eût un prêtre sur la terre, la mort de Jésus-Christ
était nécessaire. Quel moyen, sans cela, d'avoir la victime
qu'offrent maintenant à Dieu les prêtres de la nouvelle loi,
victime toute sainte et toute pure, victime suffisante pour rendre à
Dieu un honneur digne de Dieu ? En vain tous les hom-mes et tous les anges
sacrifieraient-ils leur vie : ce serait trop peu, comme nous l'avons déjà
dit, pour procurer à Dieu un honneur infini, tel que lui en procure
un prêtre par une seule messe.
II.
GRANDE DIGNITÉ DU PRÊTRE
À RAISON DE SON POUVOIR SUR LE
CORPS DE JÉSUS-CHRIST.
La dignité du prêtre se mesure, en second lieu, au pouvoir
qu'il exerce sur le corps réel et sur le corps mystique de Jésus-Christ.
1. Pro universo terrarum orbe legatus intercedit apud Deum. De Sacerd.
l. 6. 2. Cum Deo familiariter agit. De Sacerd.
Ce que coûta
le prêtre à Jésus-Christ.
CHAPITRE PREMIER.
Le prêtre fait
descendre
Jésus-Christ en
ses mains,
Quant au corps réel, la foi nous enseigne que le Verbe
incarné s'est obligé d'obéir à la voix du prêtre
qui consacre, et de descendre dans les mains de son ministre sous les espèces
sacra-mentelles. Avec quel étonnement nous, lisons que Dieu, obéissant
à la voix d'un homme1, fit arrêter le soleil aussitôt
que Josué se fut écrié : Soleil, ne te meus pas contre
Gabaon... Et le soleil s'arrêta au milieu du ciel2. Mais com-bien
notre étonnement augmente quand nous considérons qu'au moment
où le prêtre pro-nonce ces courtes paroles : Hoc EST CORPUS
MEUM, Dieu se fait obéissant jusqu'à descendre du ciel en
quelque lieu et aussi souvent que le prêtre l'appelle; et même
il se place entre les mains du prêtre, celui-ci fût-il son
plus mortel ennemi. Descendu sur l'autel, il reste là, entièrement
à la disposition de son ministre ; et dès lors, libre au
prêtre de le transporter d'un lieu à un autre, par-tout où
bon lui semble ; libre encore au prêtre de le renfermer dans le tabernacle,
de l'exposer sur l'autel, de le porter hors de l'église ; libre
enfin au prêtre de le prendre lui-même ou de le donner aux
autres en nourriture. « Quelle puissance, s'écrie saint Laurent
Justinien, puissance infinie que celle des prêtres ! Un mot tombe
de leurs lèvres, et le corps du Christ est là, substantiellement
formé de la matière du pain, et le Verbe incarné,
descendu du ciel, se trouve réellement présent sur la table
de l'autel ! Jamais
1. Obediente Domino voci hominis. Jos. X. 14.
2. Sol, contra Gabaon ne movearis... Stetit itaque sol in medio coeli.
Jos. X. 12.
DE LA DIGNITÉ DU
PRETRE. I 5
la bonté divine n'accorda semblable puissance aux anges. Les
anges se tiennent aux ordres de notre Dieu ; mais les prêtres le
prennent en mains, ils le distribuent aux fidèles, ils se le donnent
à eux-mêmes1. »
Quant au corps mystique de Jésus-Christ, lequel se compose de
tous les fidèles, le prêtre a sur lui le pouvoir des clefs;
et ainsi peut-il délivrer les pécheurs de l'enfer, les rendre
dignes du ciel et les changer d'esclaves du démon en enfants de
Dieu. « Tel est, dit saint Maxime de Turin, ce pouvoir judiciaire
attribué à Pierre, que sa décision entraîne
celle de Dieu 2. » Oui, Dieu lui-même est lié par la
sentence de son mi-nistre, tellement qu'il doit accorder ou refuser le
pardon, suivant que le prêtre, connaissant les dispositions du pénitent,
accorde ou refuse l'ab-solution. Le prêtre profère donc la
sentence, et Dieu y souscrit, ou, comme s'exprime saint Pierre Damien,
« la sentence de Pierre précède celle du Rédempteur
3. » « Ainsi, conclut saint Jean Chrysostome, le Maître
marche à la suite du serviteur : quelque décision que prenne
ici-bas le serviteur, elle est ratifiée là-haut parle Maître4.
»
1. Maxima illis est collata potestas ! Ad eorum pene libitum corpus
Christi de panis transsubstantiatur materia ; descendit de cœlo in carne
Verbum, et altaris verissime reperitur in mensa ! Hoc illis prarogatur
ex gratia, quod nusquam datum est Angelis. Hi assistunt Deo ; illi contrectant
manibus, tribuunt populis, et in se suscipiunt. Serm. de Euchar.
2. Tanta ei (Petro) potestas attributa est judicandi, ut in arbitrio
ejus poneretur cœleste judicium. In Nat. B. Petri, hom. 3.
3. Praecedit Petri sententia sententiam Redemptoris. Serm. 26.
4. Dominus sequitur servum ; et quidquid hic
in inferioribus
iudicaverit, hoc ille in supernis comprobat. De Verbis Is. hom. 5.
Il sauve
et enrichit les
âmes.
l6 CHAPITRE PREMIER.
Les prêtres sont en même temps les dispen-sateurs des trésors
de Dieu et ses auxiliaires. « Considérez les prêtres,
dit saint Ignace le Mar-tyr, comme les économes préposés
à la maison de Dieu et comme les compagnons de ses tra-vaux4. »
« Ils sont, dit saint Prosper, l'honneur et les inébranlables
colonnes de l'Eglise; ils sont les portes de la cité éternelle
; par eux, tous par-viennent jusqu'au Christ ; ils sont les gardiens vigilants
auxquels le Seigneur a confié les clefs du royaume des cieux ; ils
sont les économes de la maison du roi pour assigner à chacun,
selon leur bon plaisir, sa place dans la hiérarchie2. »
Si le Rédempteur venait dans quelque église occuper un
confessionnal pour administrer le sacrement de pénitence, et qu'un
prêtre, à quel-ques pas de là, entendît également
une confes-sion, Jésus-Christ proférerait les paroles de
l'ab-solution : EGO TE ABSOLVO et le prêtre dirait de son côté
: EGO TE ABSOLVO ; sans nul doute l'une et l'autre sentence produirait
le même résultat, à savoir la rémission des
péchés. Quel honneur pour un sujet, si son roi l'autorisait
à mettre en liberté tous les prisonniers qu'il voudrait !
Bien plus grand est le pouvoir accordé par le Père éter-nel
à Jésus-Christ et transmis par Jésus-Christ aux prêtres,
pour délivrer de l'enfer les âmes et non
1. In domo Dei, divinorum bonorum œconomos, sociosque Dei, sacerdotes
respicite. Ep. ad Polyc.
2. Ipsi sunt Ecclesiae decus, columnae firmissimae ; ipsi januae civitatis
aeternae, per quos omnes ingrediuntur ad Christum ; ipsi janitores, quibus
claves datae sunt regni cœlorum ; ipsi dispensatores regiae domus, quorum
arbitrio dividuntur gradus singulorum. De Vita cont. l. 2. c. 2.
pas seulement les corps. Écoutons saint Jean Chrysostome
exprimer cette vérité : « Le Fils a remis tout jugement
entre les mains des prêtres... Car c'est bien pour les investir de
cette sublime préro-gative, qu'il les a, peut-on dire, transportés
dans le ciel. Si un roi avait fait à l'un de ses sujets l'honneur
de permettre qu'il mît en liberté tous les prisonniers comme
bon lui semblerait, voilà, dirait-on, le plus heureux des mortels.
Or le prêtre a reçu de Dieu un pouvoir d'autant plus grand,
que l'âme l'emporte sur le corps1.»
La dignité sacerdotale surpasse donc toutes les dignités
de la terre. « Non, dit saint Ambroise, il n'est rien de plus excellent
ici-bas 2. » Les rois, les empereurs, les anges eux-mêmes,
sont inférieurs aux prêtres. « Ministres du Seigneur,
s'écrie saint Bernard, Dieu vous a élevés au-dessus
des rois et des empereurs ; il vous a même exaltés par-dessus
les anges3. » « Le plomb ne le cède pas plus à
l'éclat de l'or, dit saint Am-broise, que la royauté ne le
cède à la dignité sacerdotale ; et l'or ne l'emporte
pas plus sur un métal vulgaire que le sacerdoce sur la royauté4.
» La raison en est que les rois ont autorité seulement
1. Omne judicium a Filio illis traditum... Nam, quasi in cœlum translati,
ad principatum istum perducti sunt. Si cui rex hunc honorem detulerit,
ut potestatem habeat quoscumque in carcerem conjectos laxandi, beatus ille
judicio omnium fuerit ; at vero, qui tanto majorem a Deo accepit potestatem,
quanto animae corporibus praestant. De Sacerd. l. 3.
2. Nihil in hoc saeculo excellentius. De Dignit. sac. c. 3.
3. Praetulit vos, sacerdotes, regibus et imperatoribus ; praetulit
Angelis. Serm. ad Pastor. in syn.
4. Longe erit inferius, quam si plumbum ad auri fulgorem compares.
De Dignit. sac. c. 2.
Sa supériorité sur les rois
Reconnue par eux;
sur les choses temporelles et sur les corps ; mais les prêtres
ont autorité sur les biens spiri-tuels et sur les âmes. «
Par conséquent, remarque saint Clément pape, autant l'âme
est plus noble que le corps, autant le sacerdoce est plus noble que la
royauté1. » « Sans doute, dit saint Jean Chrysostome,
les rois ont le pouvoir de lier, mais ils ne lient que les corps, tandis
que le prêtre lie les âmes 2. »
Les rois de la terre se font gloire d'honorer les prêtres ; et,
comme l'a écrit le pape saint Marcel, « pas de bon prince
qui n'ait à cœur de les honorer 3. » «Volontiers, dit
Pierre de Blois, les rois fléchissent le genou devant les prêtres
pour leur offrir des présents, volontiers ils bai-sent cette main
dont le contact sanctifie4. » « La dignité sacerdotale
efface la dignité royale, ajoute saint Jean Chrysostome : aussi
le roi incline-t-il la tête sous la main du prêtre pour recevoir
sa bénédiction5. » — On lit dans les Annales de Baronius,
à l'année 325, que l'impératrice Eusébie ayant
mandé Léonce, évêque de Tripoli, le pontife
signifia qu'il ne se rendrait au palais qu'aux conditions suivantes : en
le voyant entrer, il fallait que l'impératrice descendît de
son trône
1. Quanto anima corpore praestantior est, tanto est sacerdotium regno
excellentius. Constit. apost. l. 2. c. 34.
2. Habent principes vinculi potestatem, verum corporum solum ; sacerdotes
vinculum etiam animarum contingit. De Sacerd. l. 3.
3. Boni principis est Dei sacerdotes honorare. Cap. Boni princ. dist.
96.
4. Reges flexis genibus offerunt ei munera, et deosculantum manum,
ut ex ejus contactu sanctificentur. Serm. 47.
5. Major est hic principatus quam regis ; propterea rex
caput submittit manui sacerdotis. De Verbis 1s. hom. 4.
et vînt, la tête profondément inclinée,
demander et recevoir la bénédiction; ensuite il se placerait
sur un siège, mais elle attendrait pour s'asseoir qu'il lui en donnât
la permission; il ajouta que, si ses conditions n'étaient pas acceptées,
jamais il ne mettrait le pied à la cour1. — Dans un repas auquel
l'avait invité l'empereur Maxime, saint Martin passa d'abord la
coupe à son cha-pelain, puis à l'empereur2. — Au concile
de Nicée, l'empereur Constantin se mit à la dernière
place, après tous les prêtres, et sur un siège moins
élevé ; encore ne voulut-il s'asseoir qu'avec leur permission3.
— Telle était la vénération du saint roi Boleslas
pour les ministres de Dieu, qu'il ne consentait pas même à
s'asseoir en leur présence.
La dignité sacerdotale surpasse également celle des anges,
ainsi que l'enseigne saint Thomas4 ; et saint Grégoire de Nazianze
avait déjà dit que « le sacerdoce est pour les anges
eux-mêmes un objet de vénération5.»
Les anges du ciel ne sont pas capables tous ensemble de remettre un
seul péché. Quant aux anges gardiens, ils ont à veiller
sur les âmes qui leur sont confiées ; mais, lorsque celles-ci
se trouvent en état de péché, c'est du prêtre
que doit venir l'absolution, et c'est au prêtre qu'ils pressent ces
âmes de recourir. «Les anges se
1. Anno 325. n. 16.
2. SULPIT. SEV. Vit. S. Mart. c. 23.
3. EUSEB. CAES. Vit. Constant. 1. 3. c. 22.
2. Sum. th. 3. q. xxii. a. 1. ad 1m.
2. Sacerdotium ipsi quoque Angeli venerantur. Orat. ad Nar. tim.
perc.
Sa supériorité
sur
les anges;
Sur la très sainte vierge Marie.
tiennent là, dit saint Pierre Damien, attendant que le
prêtre exerce son pouvoir souverain, mais aucun d'eux n'a le pouvoir
des clefs pour lier et pour délier1. » Que saint Michel se
rende à la prière d'un moribond et vienne l'assister dans
ses derniers moments : il pourra bien chasser les démons, mais il
ne verra cette âme sortir de leurs chaînes que si un prêtre
se présente pour l'absoudre. — Un pieux jeune homme venait de recevoir
la prêtrise des mains de saint François de Sales, et il se
retirait quand tout à coup il s'arrêta sur le seuil de la
porte et parut dis-cuter avec une autre personne comme pour lui céder
le pas. Ce que voyant, le saint lui demanda ce qu'il faisait. Le jeune
prêtre répondit que Dieu avait daigné lui rendre visible
son ange gardien et que celui-ci, au lieu de marcher comme par le passé
à sa droite et de le précéder, avait, depuis le moment
de l'ordination, passé à sa gauche, ne voulant désormais
que venir après lui : c'est pourquoi ils avaient eu ensemble, au
moment de sortir, cette pieuse contestation. — Saint François d'Assise
disait : « Si un ange du ciel m'apparaissait en compagnie d'un prêtre,
je me prosternerais d'abord devant le prêtre, puis devant l'ange2.
»
La puissance sacerdotale surpasse celle de la sainte vierge Marie
elle-même. Car la divine
1. Licet assistant Angeli, praesidentis (sacerdotis) imperium exspectantes
nullus tamen eorum ligandi atque solvendi possidet potestatetn. Serm. 26.
2. Opera. Orac. 22.
Mère peut, à la vérité, prier pour
une âme et ainsi lui obtenir à son gré toutes les grâces,
mais elle ne peut l'absoudre, pas même du plus petit pé-ché.
« La bienheureuse Vierge était éminem-ment plus parfaite
que les apôtres ; pourtant ce n'est pas à elle, dit Innocent
III, mais seulement aux apôtres, que le Seigneur confia les clefs
du royaume des cieux1. » «Vierge bénie, s'écrie
saint Bernardin de Sienne, souffrez que je le dise : aussi bien je ne vous
manquerai pas de respect: Jésus a placé l'ordre sacerdotal
au-dessus de vous 2. » Et il en donne cette raison : Marie n'a conçu
le Verbe qu'une seule fois; mais, par la consécration, le prêtre
le conçoit, pour ainsi dire, autant de fois qu'il le veut; tellement
que si nous ne possédions pas déjà la présence
de notre divin Rédempteur, le prêtre, en pronon-çant
les paroles de la consécration, donnerait au monde cette sublime
personne de l'Homme-Dieu. « Étonnante dignité des prêtres
! s'écrie saint Augustin ; dans leurs mains, comme dans le sein
de la bienheureuse Vierge, s'incarne le Fils de Dieu 3. »
Les prêtres sont en conséquence appelés les pères
de Jésus-Christ, parent es Christi4, ose dire
1. Licet Beatissima Virgo excellentior fuerit apostolis, non tamen
illi, sed istis Dominus claves regni cœlorum commisit. Cap. Nova quaedam.
De pœnit.
3. Virgo benedicta, excusa me, quia non loquor contra te : sacerdotium
ipse praetulit supra te. T. 1. s. 20. a. 2. c. 7.
4. O veneranda Sacerdotum dignitas, in quorum manibus, velut in utero
Virginis, Filius Dei incarnatur. MOLINA. Instr. sacerd. tr. 1. c. 5. S
2. — Cfr. TRONSON. Forma cleri. c. 1. art. 5. sect. 3.
5. S. ad Past. in syn.
Le prêtre crée et bénit Jésus-Christ.
22 CHAPITRE PREMIER.
saint Bernard. De fait, puisque les prêtres sont la cause active
par laquelle la personne de Jésus-Christ existe réellement
sous l'hostie consacrée, il s'ensuit que le prêtre peut, d'une
certaine manière, s'appeler le créateur de son créateur.
En effet, quand il prononce les paroles de la con-sécration, il
crée, pour ainsi dire, Jésus-Christ, car il lui donne l'être
sacramentel, et il le produit à l'état de victime qui va
s'offrir au Père éternel. Pour créer le monde, Dieu
n'eut qu'à proférer une parole : Il a dit, et les choses
ont été faites1. De même le prêtre laisse tomber
sur le pain cette parole : Hoc EST CORPUS MEUM, et voici que le pain n'est
plus du pain, mais le corps de Jésus-Christ.
De là cette remarque de saint Bernardin de Sienne : «
La puissance du prêtre est comparable à celle des divines
personnes, puisque, pour la transsubstantiation, il ne faut pas moins de
puis-sance que pour la création du monde 2; » et cette exclamation
de saint Augustin : « O prodigieuse sainteté des mains sacerdotales
! ô bienheureuses fonctions du prêtre ! Celui qui m'a créé
me donne, si je puis ainsi parler, le pouvoir de le créer lui-même,
et celui qui m'a créé sans moi se crée lui-même
par moi3! » Comparant la parole de Dieu qui créa le ciel et
la terre, aux paroles du
1. Ipse dixit et facta sunt. Ps. xxxii. 9.
2. Potestas sacerdotis est sicut potestas Personarum divinarum ; quia
in panis transsubstantiatione, tanta requiritur virtus, quanta in mundi
creatione. T. 1. s. 20. a. 2. c. 7.
3. O venerabilis sanctitudo manuum ! O felix exercitium ! — Qui creavit
me (si fas est dicere) dedit mihi creare se; et qui creavit me sine me,
ipse creavit se mediante me ! — Cfr. MOLINA. Instr. sacerd. tr. 1. c. 5.
s. 2, et TRONSON. Forma cleri. c. 1. art. 5. sect. 3.
prêtre qui créent Jésus-Christ, saint Jérôme
dit : « Sur un signe de Dieu sortirent du néant et la voûte
sublime des cieux et la vaste étendue des terres ; mais non moins
grande est la puissance qui se manifeste dans les mystérieuses paroles
du prêtre1. »
Enfin elle est si grande la dignité dont le prêtre se
trouve revêtu, qu'il bénit Jésus-Christ lui-même,
alors que Jésus-Christ s'offre comme vic-time à son Père
éternel. Car, observe Mansi, dans le sacrifice de la messe, Jésus-Christ
est à la fois le principal sacrificateur et la victime : comme principal
sacrificateur, lui-même bénit le prêtre; comme victime,
il est bénit par le prêtre2.
III.
GRANDE DIGNITE DU PRETRE A RAISON DE LA PLACE QU'IL OCCUPE.
La grandeur de la dignité sacerdotale se me-sure enfin sur la
place si élevée qu'occupe le prêtre. « Le sacerdoce,
dit à ce sujet un synode de Chartres, est le poste des saints 3.
»
D'abord les prêtres sont appelés les vicaires de Jésus-Christ,
parce qu'ils tiennent sa place ici-bas. « Vous tenez lieu du Christ,
leur dit saint Augustin, vous êtes donc ses lieutenants4. »
1. Ad nutum Domini, ex nihilo substiterunt excelsa cœlorum, vasta terrarum;
ita parem potentiam in spiritualibus sacerdotis verbis praebet virtus.
Hom. de Corpore Ch.
2. Biblioth. tr. 22. d. 12.
3. Locus Sanctorum. Syn. a. 1550.
4. Vos estis Vicarii Christi, qui vicem ejus geritis. Ad Fr. in cr.
s. 36.
Le prêtre
occupe la place
de
Jésus-Christ
A l'autel
Et au tribunal de la pénitence ;
Saint Charles Borromée leur disait également :
«Vous remplissez sur la terre le rôle de Dieu lui-même1.»
Et, longtemps auparavant, l'Apôtre avait dit : Nous faisons les fonctions
d'ambassa-deurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche 2.
Avant de monter au ciel, notre divin Rédemp-teur mit à
sa place les prêtres, afin de continuer ici-bas son office de médiateur
entre Dieu et les hommes, et cela premièrement à l'autel.
« Que le prêtre, dit saint Laurent Justinien, gravisse, comme
un autre Christ, les degrés de l'autel3. » « Le prêtre
à l'autel, dit aussi saint Cyprien, tient réellement la place
du Christ4. » Saint Jean Chrysostome ajoute : «Quand vous assistez
à la sainte messe, voyez la main de Jésus-Christ invisiblement
étendue sur le pain et le vin5. »
C'est également la place du Christ que tient le prêtre
quand il remet les péchés, et que, profé-rant les
paroles de l'absolution, il dit : EGO TE ABSOLVO. Car cette grande puissance
que Jésus-Christ avait reçue de son Père éternel
pour re-mettre les péchés, lui-même en fait part aux
prêtres ; et, selon le mot de Tertullien, « à ses prêtres
il fait part de son propre bien6. » Pour remettre un péché,
il ne faut rien moins que la
1. Dei personam in terris gerentes.
2. Pro Christo legatione fungimur, tanquam Deo exhortante per nos.
II Cor. v. 20.
3. Accedat sacerdos ad altaris tribunal ut Christus. Serm. de
Euchar.
4. Sacerdos vice Christi vere fungitur. Ep. ad Coecil.
5. Cum videris sacerdotem offerentem, consideres Christi manum invisibiliter
extensam. Ad pop. Ant. hom. 60.
6. De suo vestiens sacerdotes.
toute-puissance divine, comme l'Église le déclare
dans une de ses oraisons : O Dieu, qui manifestez votre toute-puissance,
surtout en nous épargnant, et en nous pardonnant nos péchés1...
Aussi les Juifs ne se trompaient pas, lorsque, entendant Jésus-Christ
accorder au paralytique le pardon de ses fautes, ils se disaient entre
eux : Qui peut remet-tre les péchés, sinon Dieu seul2 ? Or
ce que la toute-puissance de Dieu est seule capable de faire, nul doute
que le prêtre ne le fasse quand il dit : EGO TE ABSOLVO A PECCATIS
TUIS. Car, dans les sacrements, la forme ou plutôt les paroles de
la forme, en sortant de la bouche du prêtre, opèrent réellement
ce qu'elles signifient. Quelle merveille ce serait de voir un homme, au
moyen de quelques mots, rendre blanche la peau d'un nègre ! Bien
plus grande est la puissance du prê-tre, puisqu'il lui suffit de
dire : EGO TE ABSOLVO, pour qu'à l'instant même le pécheur,
d'ennemi de Dieu qu'il était et esclave de l'enfer, devienne l'ami
de Dieu et l'héritier du paradis.
Voici le discours que le cardinal Hugues de Saint-Cher met dans la
bouche du Seigneur, à l'adresse du prêtre qui absout un pécheur
: « J'ai créé le ciel et la terre ; mais je vous donne
à faire une meilleure et plus noble création : faites de
cette âme qui est dans le péché, une âme nou-velle,
c'est-à-dire d'esclave de Satan qu'elle est, faites-en un enfant
de Dieu. J'ai fait produire à la terre ses fruits de toutes sortes
; je vous donne
1. Deus, qui omnipotentiam tuam parcendo maxime et miserendo manifestas...
Dom. X post Pent.
2. Quis potest dimittere peccata, nisi solus Deus ? Luc. v. 21.
La place du Saint-Esprit ;
à faire une plus belle création : celle d'une âme
en état de produire des fruits de salut1. » Sans la grâce,
l'âme est un arbre desséché et dès lors incapable
de rapporter aucun fruit ; mais, sitôt que le ministère du
prêtre lui a fait recouvrer la grâce, elle produit des fruits
de vie éternelle. « Justifier un pécheur, ajoute saint
Augustin, c'est faire une œuvre qui l'emporte sur la créa-tion du
ciel et de la terre2.» As-tu un bras comme Dieu, demande Job, et
peux-tu tonner comme lui3? Quel est l'homme dont le bras res-semble à
celui de Dieu et dont la voix éclate en tonnerres, comme la voix
de Dieu ? C'est le prêtre, car, en donnant l'absolution, il dispose
du bras et de la voix de Dieu pour délivrer les âmes de l'enfer.
«Faire l'office du Saint-Esprit, tel est encore, dit saint Ambroise,
le rôle du prêtre4 ; » en d'autres termes, le prêtre,
par l'absolution, ac-complit l'œuvre propre du Saint-Esprit, laquelle est
la sanctification des âmes. Aussi saint Jean nous fait-il remarquer
que le Rédempteur, en don-nant aux prêtres le pouvoir de remettre
les péchés, souffla sur eux et leur dit : Recevez le Saint-Esprit.
Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils
1. Ego feci cœlum et terram ; verumtamen meliorem et nobiliorem creationem
do tibi ; fac novam animam quae est in peccato. Ego feci ut terra produceret
fructus suos ; do tibi meliorem creationem, ut anima fructus suos producat.
2. Prorsus majus hoc esse dixerim, quam est cœlum et terra, et quaecumque
cernuntur in coelo et in terra. In Jo. tr. 72.
3. Et si habes brachium sicut Deus, et si voce simili tonas ? Job.
XL. 4.
4. Munus Spiritus Sancti, officium sacerdotis.
leur seront remis, et ceux à qui vous les retien-drez,
ils leur seront retenus1. C'est ainsi qu'en leur donnant son Esprit, l'Esprit
sanctificateur des âmes, il les établit ses coadjuteurs, selon
cette parole de l'Apôtre : Nous sommes les coopérateurs de
Dieu 2. « Aux prêtres, dit saint Gré-goire, il appartient
de prononcer en dernier ressort, car, de par le droit qu'ils ont reçu
du Seigneur, tantôt ils remettent les péchés, tantôt
ils les retiennent3. »
Combien donc saint Clément pape avait rai-son d'envisager le
prêtre comme une divinité, et de l'appeler en conséquence
«un dieu d'ici-bas4! » Sur ces paroles de David : Dieu a paru
au milieu de l'assemblée des dieux5, « ces dieux, dit saint
Augustin, ce sont les prêtres, et le Dieu des dieux se plaît
à demeurer au milieu d'eux6. » « En vérité,
ajoute Innocent III, ce n'est pas trop, vu la sublimité de leurs
emplois, de considérer les prêtres comme autant de dieux7.
»
1. Insufflavit, et dixit eis : Accipite Spiritum Sanctum : quorum remiseritis
peccata, remittuntur eis ; et quorum retinueritis, retenta sunt. Jo. xx.
22.
2. Dei enim sumus adjutores. I Cor. III. 9.
3. Principatum superni judicii sortiuntur, ut, vice Dei, quibusdam
peccata retineant, quibusdam relaxent. In Evang. hom. 26.
4. Post Deum, terrenus Deus. Const. apost. 1. 2. c. 26.
5. Deus stetit in synagoga deorum. Ps. LXXXI. 1.
6. Dii excelsi, in quorum synagoga Deus deorum stare desiderat. Ad
Fr. in er. s. 36.
7. Sacerdotes, propter officii dignitatem, deorum nomine nuncupantur.
Can. Cum ex injuncto. De Haeret.
La place de Dieu.
CHAPITRE PREMIER.
CONCLUSION.
COMBIEN DOIT ETRE GRANDE LA SAINTETÉ DU
PRÊTRE
Appelé par Dieu,
le prêtre
doit être tout
à Dieu.
« Mais quel désordre, s'écrie saint Ambroise,
de voir ensemble, dans une même vie, tant de grandeur et une conduite
parfois abominable ! une profession divine et des œuvres d'iniquité
! Ah ! que plutôt la conduite et les œuvres répon-dent au
nom et aux titres1!» «Qu'est-ce, s'écrie Salvien, qu'une
grande chargé placée sur les épaules d'un homme indigne,
sinon une pierre précieuse incrustée dans la boue 2 ? »
Que personne ne s'attribue à lui-même cet honneur, sauf
celui qui est, comme Aaron, appelé de Dieu. Ainsi ce n'est pas le
Christ qui se glo-rifia lui-même pour devenir pontife, mais c'est
celui qui lui a dit : Vous êtes mon Fils ; c'est moi qui aujourd'hui
vous ai engendré3. Voilà en quels termes l'Apôtre défend
de s'élever au sacer-doce, à moins d'être appelé
de Dieu, comme Aaron ; car Jésus-Christ lui-même ne voulut
pas de son propre chef en assumer l'honneur, mais il attendit que son Père
le lui imposât. Appre-nons de là combien est sublime la dignité
sacer-dotale.
Or plus elle est sublime, plus nous devons
1. Ne sit honor sublimis, et vita deformis ; deifica professio, et
illicite actio. Actio respondeat nomini. De Dignit sac. c. 3.
2. Quid est dignitas in indigno, nisi ornamentum in luto ? Ad Eccl.
cathol. l. 2.
3. Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo, tanquam
Aaron. Sic et Christus non semetipsum clarificavit ut Pon-tifex fieret,
sed qui locutus est ad eum : Filius meus es tu ; ego hodie genui te. Heb.
v. 4.
DE LA DIGNITÉ DU
PRETRE.
trembler. « Car, dit saint Jérôme, grande est la
dignité des prêtres ; mais aussi, quand ils pèchent,
grande est leur ruine. Réjouissons-nous d'être élevés
si haut, mais craignons de tomber1. » « Purifiés par
les mains des prêtres, les élus s'élancent vers la
céleste patrie, et les prêtres, s'écrie en gémissant
saint Grégoire, c'est vers les supplices de l'enfer qu'ils se précipitent2,
» semblables, ajoute-t-il, à l'eau du baptême, qui,
après avoir lavé les néophytes de leurs péchés
et envoyé leurs âmes au ciel, in cloacas descendit.
1. Grandis dignitas sacerdotum, sed grandis ruina eorum, si peccant.
Laetemur ad ascensum, sed timeamus ad lapsum. In Ezech. c. 44.
2. Ingrediuntur electi, sacerdotum manibus expiati, cœlestem patriam
; et sacerdotes ad inferni supplicia festinant ! In Evang. hom. 17.
CHAPITRE DEUXIÈME.
DE LA FIN DU SACERDOCE.
QUELLE FRAYEUR LES
SAINTS AVAIENT DU SACERDOCE.
De tous ceux qui ont à recevoir le sacerdoce, on n'en trouve
aucun, s'il est vraiment animé de l'esprit de Dieu, qui ne se sente
saisi de frayeur, comme ces hommes dont on charge les épaules d'un
fardeau qui menace de les écraser. « Je vois, disait saint
Cyrille d'Alexandrie, je vois tous les saints s'effrayer du ministère
sacré, comme d'une charge immense1. » Saint Épiphane
se plaignait de ne trouver personne qui voulût accepter le sacerdoce2.
Dans un concile de Carthage on décréta, par rapport à
ceux qui étaient jugés dignes et qui refusaient de recevoir
la prêtrise, qu'on pouvait les ordonner malgré eux. «
Il s'en faut bien, dit saint Grégoire de Nazianze, que
1. Omnes sanctos reperio divini ministerii ingentem veluti molem formidantes.
De Fest. pasch. hom. l. 2. Epist. ad Joan. Hieros.
Les
saints n'osaient
recevoir
le sacerdoce,
32 CHAPITRE DEUXIÈME.
personne se présente sans effroi à l'ordination sacerdotale1.»
Ils mettaient
tout en œuvre
pour
y échapper,
Saint Cyprien, apprenant qu'on voulait l'or-donner prêtre,
alla, comme le rapporte le diacre Pontius, se cacher par humilité2.
Ainsi se con-duisit également saint Fulgence, lequel n'eut pas plus
tôt connu les vœux du peuple que, se déro-bant par la fuite,
il alla se cacher dans des ca-vernes inconnues de tous3. Sozomène
rapporte de saint Athanase que lui aussi prit la fuite pour échapper
à l'ordination. Saint Ambroise dit de lui-même : « Quelles
résistances n'ai-je pas faites pour qu'on ne m'ordonnât pas4
! » En vain Dieu avait, par des miracles, manifesté qu'il
voulait l'élévation de saint Grégoire au sacerdoce
: le saint se déguisa néanmoins en marchand, dans l'espoir
d'éviter ainsi l'ordination.
Pour échapper au sacerdoce, saint Éphrem contrefit l'insensé,
saint Marc se coupa le pouce, saint Ammon s'arracha les oreilles et le
nez ; et, comme le peuple insistait pour le faire ordonner, il menaça
de s'arracher aussi la langue : alors seu-lement il obtint qu'on le laissât
tranquille.
Ils n'osaient
en exercer les
fonctions.
Tout le monde sait que saint François d'Assise ne consentit
jamais à monter du diaconat au sacerdoce, car il avait appris par
une révélation céleste que l'âme du prêtre
doit être pure comme
1. Nemo laeto animo creatur sacerdos.
2. Humiliter secessit. Vita S. Cypr.
3. Vota eligentium velociori praeveniens fuga, latebris incertis absconditur.
Vita S. Fulg. c. 16.
4. Quam resistebam, ne ordinarer! Epist. 82.
l'eau très limpide qu'il vit en même temps dans
un vase de cristal. — L'abbé Théodore, bien qu'il fût
diacre, ne voulut jamais assister le prêtre à l'autel ; et
cela parce qu'un jour, dans son oraison, il avait vu une colonne de feu
et entendu une voix lui dire : Si ton cœur ressemble à cette colonne
de feu, ose remplir les fonctions de ton ordre. — L'abbé Motuès
était prêtre, et cependant il ne voulut jamais célébrer
la sainte messe : « On m'a forcé, disait-il, de recevoir la
prêtrise ; mais, vu mon indignité, je ne puis offrir le saint
sacrifice. »
II.
AVEC QUELLE FACILITÉ
ON REÇOIT MAINTENANT LE
SACERDOCE.
Anciennement, parmi les moines, qui menaient pourtant une vie si austère,
il n'y avait que fort peu de prêtres, et celui qui aspirait au sacerdoce
était regardé comme un orgueilleux. Aussi raconte-t-on que
saint Basile, pour éprouver l'obéis-sance d'un de ses moines,
voulut que ce religieux demandât devant tout le monde à être
ordonné prêtre. De fait, c'était bien là un
acte de grande obéissance ; car, en faisant une telle demande, ce
religieux s'exposait à passer pour un homme présomptueux.
Mais puisque les saints, qui vivent unique-ment pour Dieu, s'estiment
indignes de la prê-trise au point de tout mettre en œuvre afin d'y
échapper, comment se fait-il, je le demande, qu’on voie tant de
jeunes gens qui courent à
Combien
courent à la
prêtrise
sans vocation.
Dans des vues humaines,
Au mépris
du but de Dieu.
l'aveugle vers le sanctuaire, et qui trouvent bons tous les moyens
et tous les chemins pour y par-venir ? Les malheureux ! s'écrie
saint Bernard ; puisque, pour eux, prendre place parmi les prê-tres
et s'inscrire au nombre des damnés, c'est tout un ! Pourquoi cela
? Parce que la plupart écoutent non pas la voix de Dieu, mais celle
de leurs parents, de leurs intérêts, de leur ambition, et
qu'ainsi, en entrant dans la maison de Dieu, ils se proposent moins d'exercer
les fonctions sacer-dotales que de réaliser leurs vues toutes mondai-nes.
Et voilà comment il se fait que les peuples manquent de secours
spirituels, que l'Eglise est déshonorée, et que tant d'âmes
se perdent à la suite de ces malheureux prêtres.
Dieu veut que tous les hommes parviennent au salut, mais non pas par
les mêmes chemins. De même que dans le ciel il a disposé
divers degrés de gloire, de même il a sur la terre établi
différents états de vie, comme autant de routes distinctes
pour aller au ciel. Le plus noble, le plus élevé de tous
ces états, et même l'état par excellence, c'est le
sacerdoce, à cause des fins si sublimes pour lesquelles Dieu l'institua.
III.
LES PRÊTRES N'EXISTENT QUE POUR
L'HONNEUR DE DIEU ET LE BIEN
DES ÂMES.
Quelles sont ces fins ? Est-ce seulement de dire la messe et de réciter
l'office divin, pour vivre ensuite comme les séculiers ? non. Ce
que Dieu
DE LA FIN DU SACERDOCE.
35
a voulu, c'est qu'il existe sur la terre toute
une classe d'hommes faisant profession publique
d'honorer sa majesté divine et de procurer le
salut des âmes. Car, dit saint Paul, tout pontife,
pris d'entre les hommes, est chargé des intérêts
de Dieu, afin qu'il offre en faveur des hommes
des dons et des sacrifices d'expiation, et afin qu'il
puisse compatir à ceux qui sont dans l'ignorance
et dans l'erreur1. C'est pour exercer le sacerdoce, dit l'Ecclésiastique,
et pour chanter les
louanges de Dieu 2. Expliquant ces dernières
paroles, le cardinal Hugues de Saint-Cher dit
fort bien : « Le prêtre a la charge de louer le
Seigneur3 ; » et Corneille de la Pierre ajoute : « De même
que les anges ont pour office de louer
sans cesse Dieu dans le ciel, ainsi les prêtres
ont pour office de le louer sans cesse sur la
terre4. »
Jésus-Christ a voulu que les prêtres fussent ses coopérateurs
pour procurer la gloire de son divin Père et le salut des âmes.
Sur le point de monter au ciel, il déclare en conséquence
qu'il les laisse pour tenir ici-bas sa place, pour continuer et, en un
sens, achever la grande œuvre entreprise par lui, de la rédemption
du genre humain: C'est pourquoi saint Ambroise appelle saint
Pierre
1. Omnis namque Pontifex, ex hominibus assumptus, pro hominibus
constituitur in iis quae sunt ad Deum, ut offerat dona et sacrificia pro
peccatis ; qui condolere possit iis qui ignorant et errant. Heb. v. i.
2. Fungi sacerdotio et habere laudem. Eccli. XLV. 19.
3. Habere laudem, id est, officium laudandi Deum.
4. Sicut angelorum est perpetim laudare Deum in coelis, sic sacerdotum
officium est eumdem jugiter laudare in terris.
Les prêtres
sont
les lieutenants
de .Jésus-Christ,
«le vicaire de l'amour de Jésus-Christ1.»
Et
Jésus-Christ lui-même dit à ses disciples : Comme
le Père m'a envoyé, ainsi moi je vous envoie2
avec la mission de faire ce que moi-même je
suis venu faire dans le monde, c'est-à-dire manifester aux hommes
le nom de mon Père. Déjà il
avait dit à son Père : Je vous ai glorifié sur
la
terre; j'ai consommé l'œuvre que vous m'aviez
donné à faire : j'ai manifesté votre nom aux hommes3.
Puis, intercédant en faveur des prêtres, il
avait ajouté : Je leur ai donné votre parole...
Sanctifiez-les dans la vérité... Comme vous
m'avez envoyé dans le monde, moi aussi je les ai
envoyés4. Voila donc pourquoi les prêtres sont
placés en ce monde, et ce qu'ils ont à faire ici-
bas : manifester Dieu et ses perfections, sa jus-tice, sa miséricorde,
ses préceptes ; lui concilier
le respect, l'obéissance et l'amour auxquels il a
droit; courir après les brebis perdues, et, s'il le
faut, s'immoler pour elles. C'est à cette fin que
Jésus-Christ vécut ici-bas et qu'il institua les
prêtres. Comme le Père m'a envoyé, ainsi moi je
vous envoie. \
Séparés du monde,
Jésus-Christ ne descendit sur la terre que pour allumer
dans les cœurs le feu du divin amour. Je suis venu jeter le feu sur la
terre, et qu'est-ce
1. Amoris sui velut vicarium (Petrum) relinquebat. In Luc. 1.
10. c. ult.
2. Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. Jo. XX. 21.
3. Ego te clarificavi super terra m; opus consummavi... Manifestavi
nomen tuum hominibus. Jo. xvii. 4. 6.
4. Ego dedi eis sermonem tuum... sanctifica eos in veritate... sicut
tu me misisti in mundum, et ego misi eos. Jo. xvii. 14. 17. 18.
DE LA FIN DU
SACERDOCE.
que je veux, sinon qu'il s'allume1 ? Il faut en conséquence
que le prêtre s'applique, durant toute sa vie et de toutes ses forces,
non pas à se procurer de l'argent, des honneurs, des pro-priétés,
mais à faire régner l'amour de Dieu dans tous les cœurs.
« Car, dit un ancien auteur, quand Jésus-Christ nous appela,
il eut principalement en vue non pas nos éphémères
intérêts, mais ce qui regarde la gloire de Dieu... Le vrai
amour ne cherche pas son propre avantage, il ne veut en toutes choses que
faire le bon plaisir de la personne aimée2. » Le Seigneur
a dit aux prêtres de l'ancienne loi : Je vous ai séparés
de tous les autres, afin que vous soyez à moi3. Remarquez cette
parole afin que vous soyez à moi, c'est-à-dire entièrement
appliqués à mes louanges, à mon service, à
mon amour. « A moi, parce que vous êtes les coopérateurs
et les dispensateurs des divins sacrements, selon l'expression de saint
Pierre Damien4. » « A moi encore, parce que, dit saint Ambroise,
vous êtes les chefs et les guides du troupeau de Jésus-Christ5.
» « A moi enfin, parce que, ajoute le même saint docteur,
le vrai ministre des autels ne s'appartient plus : il appar-tient à
Dieu seul6. » C'est, en effet, pour s'unir entièrement les
prêtres, qu'il les sépare du reste
1. Ignem veni mittere in terram; et quid volo, nisi ut accendatur.
Luc. XII. 40.
2 Ideo vocati sumus a Christo, non ut operemur quae ad nostrum pertinent
usum, sed quae ad gloriam Dei... Verus amor non quaerit quae sua sunt,
sed ad libitum amati cuncta desiderat perficere. Hom. 34.
3. Separavi vos à caeteris populis, ut essetis mei. Levit. xx.
26.
4. Sacramentorum Dei cooperatores et dispensatores. Opusc. 27. c. 3.
5. Duces et rectores gregis Christi. De Dignit, sac. c. 2...
6. Verus minister altaris Deo, non sibi, natus est. In Ps. cxviii.
s. 8.
CHAPITRE DEUXIEME.
des hommes, ainsi qu'il le manifeste lui-même : Est-ce peu de
chose à vos yeux que le Dieu d'Israël vous ait séparés
de tout le peuple et vous ait atta-chés à lui1?
Si quelqu'un me sert, dit Notre-Seigneur, qu'il me suive2. Suivre Jésus-Christ,
c'est fuir le monde, se dépenser pour les âmes, faire aimer
Dieu, extir-per le mal. Que dis-je? le prêtre qui marche véri-tablement
sur les traces de Jésus-Christ, regarde comme faites à lui-même
les injures qu'on fait à Dieu. Les outrages de ceux qui vous insultaient,
sont tombés sur moi3. Tout entiers aux affaires du monde, les séculiers
ne peuvent rendre au Sei-gneur les honneurs et les actions de grâces
qui lui sont dus : « il y avait donc nécessité, dit
un savant auteur, à faire choix de certains hommes pour leur confier
la charge et leur imposer l'obli-gation de vaquer au culte de Dieu 4. »
Uniquement
voués
aux choses de
Dieu.
A la cour de tous les rois, on trouve des mi-nistres chargés
de faire observer les lois, d'éloi-gner les scandales, de réprimer
les séditieux et de défendre l'honneur du prince. Telles
sont pré-cisément les charges que le Seigneur a confiées
aux prêtres, en les choisissant pour officiers de sa cour. Aussi
saint Paul disait-il : Montrons-nous en toutes choses comme des ministres
de Dieu5.
1. Separavit vos Deus Israël ab omni populo, et junxit sibi.
Num. xvi. 9.
2. Si quis mihi ministrat, me sequatur, Jo. xii. 26.
3. Opprobria exprobrantium tibi ceciderunt super me. Ps. LXVIII. 10.
4. Fuit necessarium aliquos e populo seligi ac destinari, qui ad impendendum
debitum Deo cultum, et sui status obligatione et ins-titutione, intenderent.
Scotus acad. De Ord. d. 1. a. 1. q. 1.
5. Exhibeamus nosmetipsos sicut Dei ministros. II Cor. vi. 4.
DE LA FIN DU
SACERDOCE. 3ç>
Avec quelle attention les ministres du roi veil-lent à ce qu'aucun
honneur ne lui fasse jamais défaut et que sa gloire grandisse sans
cesse ! Toujours ils emploient à son égard les termes les
plus flatteurs, et, si l'on profère contre lui la moindre parole
offensante, avec quelle ardeur ils la répriment aussitôt !
Non seulement ils s'étu-dient à prévenir ses moindres
désirs, ils affrontent même la mort pour lui plaire. Est-ce
là ce que , les prêtres font pour Dieu ? Nul doute qu'ils
ne soient ses ministres d'état: à leurs mains sont confiées
et par eux se traitent toutes les affaires qui concernent la gloire de
Dieu ; grâce à eux, les péchés doivent disparaître
du monde; car, dit l'Apôtre, Jésus-Christ a voulu mourir crucifie
afin que soit détruit le corps du péché1. Mais, au
jour du jugement, comment seront-ils recon-nus pour vrais ministres de
Jésus-Christ, ces prêtres qui, loin de s'opposer aux péchés
des autres, auront été les premiers à conspirer contre
Jésus-Christ? Que diriez-vous d'un homme qui, élevé
par le roi au rang de ministre, refuserait de veiller aux intérêts
de son maître et ne voudrait pas se rendre auprès de lui quand
il en serait requis ? Que diriez-vous, s'il se répandait en invectives
contre le roi et s'il se liguait avec ses ennemis pour le chasser du trône?
Les prêtres sont les ambassadeurs de Dieu, comme le dit saint
Paul : Nous faisons les fonc-tions d'ambassadeurs pour le Christ2. Ils
sont les coadjuteurs de Dieu pour procurer le salut
1. Crucifixus est, ut destruatur corpus peccati. Rom. vi. 6. 2. Pro
Christo legatione fungimur. II Cor. v. 20.
40
CHAPITRE DEUXIEME.
des âmes, comme le dit encore saint Paul : Nous sommes
les coopérateurs de Dieu1. Et c'est pré-cisément afin
qu'ils sauvent les âmes en remet-tant les péchés, que
Jésus-Christ voulut donner aux apôtres le Saint-Esprit. Il
souffla sur eux et leur dit: Recevez l'Esprit-Saint. Ceux à qui
vous remettrez les péchés, ils leur seront remis 2. De là
cette sentence du théologien Habert: « Ce qui constitue essentiellement
le prêtre, c'est un zèle ardent pour procurer d'abord la gloire
de Dieu, et ensuite le salut du prochain3. »
CONCLUSION.
OBLIGATION STRICTE POUR LE
PRETRE D'ETRE TOUT A DIEU ET
NULLEMENT AU MONDE.
Les choses
de Dieu conviennent seules
au prêtre.
Le prêtre n'a donc pas pour mission de s'adon-ner aux affaires
du monde, mais seulement aux choses de Dieu. Il est chargé des intérêts
de Dieu4. Voilà pourquoi le pape saint Silvestre voulut qu'en langage
ecclésiastique les jours de la semaine s'appelassent fériés,
terme latin qui signifie vacances, ou plutôt vacations. « Car,
disait-il, c'est chaque jour que le prêtre, libre des occupations
terrestres, doit s'occuper tout entier de Dieu seul5. » Ainsi nous
apprend-il qu'élevés comme nous le sommes à la dignité
1. Dei enim sumus adjutores. I Cor. iii. 9.
2. Insufflavit, et dixit eis: Accipite Spiritum Sanctum ; quorum remiseritis
peccata, remittuntur eis. Jo. xx. 22.
3. Ingenium sacerdotale essentialiter consistit in ardenti studio promovendi
gloriam Dei et salutem proximi. De Ord. p. 3. c. 5. q. 3.
4. Constituitur in iis quae sunt ad Deum. Heb. v. 1.
5. Quo significaretur quotidie clericos, abjecta caeterarum rerum cura,
uni Deo prorsus vacare debere. Breviar. 31 dec.
sacerdotale, nous devons nous occuper unique-ment de Dieu et
de cette œuvre que saint Denys l'Aréopagite appelle « la plus
divine de toutes les œuvres ecclésiastiques, le salut des âmes1.
» Saint Antonin remarque dans le même sens que « sacerdos,
prêtre, signifie celui qui enseigne les choses sacrées2, »
et Honorius d'Autun,que «presbyter veut dire celui qui montre le
chemin3. » Saint Ambroise, pour la même raison, appelle les
prêtres « chefs et conducteurs du troupeau de Jésus-Christ4,
» et saint Pierre les proclame un sacerdoce royal, une nation sainte,
un peuple d'ac-quisition5. « Oui, dit saint Ambroise, les prêtres
ont pour office de faire des acquisitions, mais quelles acquisitions? acquisitions
d'âmes et non pas d'argent6. » Les païens eux-mêmes
voulaient que leurs prêtres s'occupassent uniquement d'ho-norer leurs
dieux: aussi ne permettaient-ils pas qu'on fût à la fois prêtre
et magistrat.
C'est pourquoi saint Grégoire disait en gémis-sant :
Nous autres, prêtres, nous devrions né-gliger les intérêts
de la terre, pour ne nous occuper que des intérêts de Dieu.
Mais nous faisons tout le contraire, car « nous désertons
la cause de Dieu et nous accordons tous nos soins aux choses de la terre7.
», Moïse, placé à la tête
1. In hoc sita est sacerdotis perfectio, ut ad divinam promoveatur
imitationem, quodque divinius est omnium, ipsius etiam Dei coope-rator
existat. De cœl Hierarch. c. 3.
2. Sacerdos... sacra docens. Summ. p. 3. tr. 14. c. 7. § 1.
3. Presbyter: praebens iter. Gemma an. l. I. c. 181.
4. Duces et rectores gregis Christi. De Dignit. sac, c. 2.
5. Regale sacerdotium, gens sancta, populus acquisitionis. IPet. 2.9.
ô. Officium quaestus, non pecuniarum, sed animarum. Serm. 78. 7.
Dei causam relinquimus, et ad terrena negotia vacamus. In
Evang. hom. 17.
Opposition
entre
le sacerdoce et
les choses
de la terre.
42 CHAPITRE DEUXIEME.
•
du peuple d'Israël uniquement pour procurer la gloire de Dieu,
s'employait à régler les différends qui survenaient.
Jéthro l'en reprit : car, disait-il, vous vous consumez là
dans un labeur insensé... Soyez au peuple, mais seulement dans les
choses qui regardent le Seigneur1. Qu'aurait donc dit ce sage vieillard,
s'il avait vu nos prêtres faire le commerce, se mettre au service
des séculiers, né-gocier des mariages, sans accorder seulement
une pensée aux choses de Dieu, en un mot, comme s'exprime saint
Prosper, « s'appliquer non pas à devenir meilleurs, mais plus
riches ; non pas à s'élever de vertus en vertus, mais à
briguer les honneurs2? » « Quel désordre, s'écriait
à ce sujet le père Jean d'Avila, de faire servir le ciel
à la terre ! » « Quelle misère, disait saint
Grégoire, de-voir tant de prêtres renoncer à la vertu
et à ses récompenses pour courir après les avantages
de la vie présente3 ! » Quelle honte de les voir, jus-que
dans les fonctions du saint ministère, mettre de côté
la gloire de Dieu « et ne se soucier que des salaires à percevoir4!
» ainsi que saint Isidore de Péluse leur en fait le juste
reproche.
(Il y aurait à dire ici beaucoup d'autres choses sur le même
sujet; on les passe sous silence, parce qu'elles se retrouveront plus loin,
à propos des devoirs du prêtre.)
1. Stulto labore consumeris... Esto tu populo in his quae ad Deum pertinent.
Exod. xviii. 18.
2. Non ut meliores, sed ut ditiores fiant; non ut sanctiores, sed ut
honoratiores sint. De Vita cont. l. I. c. 2 t.
3. Non virtutum merita, sed subsidia vitae praesentis exquirunt. Mor.
1. 23. c. 26. I
4. Ad stipendia dumtaxat oculos habent. Epist. 1. I.ep. 447.
CHAPITRE TROISIÈME.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRÊTRE.
I.
LE PRETRE DOIT ETRE D'AUTANT PLUS SAINT QU'IL EST PLUS ELEVE EN DIGNITE.
Elle est grande la dignité des prêtres, mais bien grand
aussi est la devoir qui leur incombe. « La dignité sacerdotale,
dit saint Laurent Justi-nien, est encore plus pesante qu'elle n'est grande.
Élevés à ce degré d'honneur, il faut, pour
s'y sou-tenir, que les prêtres soient élevés à
tous les de-grés de la vertu. Autrement ce ne sera pas à
leur avantage, mais pour leur plus grand malheur, que Dieu les aura tant
exaltés1.. » « Oui, s'écrie saint Pierre Chrysologue,
quelle dignité, ou plu-tôt quelle responsabilité que
le sacerdoce2! » Tout y est grand, l'honneur, le devoir, le compte
1. Magna dignitas, sed majus est pondus. In alto gradu positi sunt
; oportet quoque ut in sublimi virtutum culmine sint erecti ; alio-quin,
non ad meritum, sed ad proprium praesunt judicium. De Inst. prael. c. 11.
2. Sacerdotes honorati, dicam autem onerati.
Grande dignité. grande sainteté •
44 CHAPITRE TROISIEME.
La plus grande de toutes.
qu'il faudra rendre un jour. Saint Jérôme ajoute:
« Ce n'est pas de la dignité elle-même que le prêtre
doit attendre son salut, mais des œuvres qu'elle comporte1.»
Tout chrétien doit être parfait et saint, puisque tout
chrétien fait profession de se dévouer au service d'un Dieu
infiniment saint. « Le chris-tianisme, dit saint Léon, consiste
en pratique à nous dépouiller de l'homme terrestre pour revê-tir
l'homme céleste 2. » Aussi, Jésus-Christ a-t-il dit
: Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait3.
Mais la sainteté du prêtre doit dif-férer entièrement
de celle des séculiers. « Entre les prêtres et le reste
des hommes, dit saint Am-broise, il ne doit y avoir rien de commun pour
les œuvres et la conduite4. » Le saint ajoute: « Puisque la
grâce accordée au prêtre est d'un ordre supérieur,
il faut que lui-même, par la sainteté de sa vie, l'emporte
sur tous les sécu-liers s. » Et, d'après saint Isidore
de Péluse, « la sainteté du prêtre ne doit pas
moins surpasser celle du séculier, même le plus vertueux,
que le ciel ne surpasse la terre6. »
1. Non dignitas, sed opus
dignitatis salvare consuevit. Ad Sophon.
3.
2. Dum terreni hominis imago deponitur, et cœlestis forma susci-pitur.
De Pass. s. 14.
3. Estote ergo vos perfecti, sicut et Pater vester cœlestis perfectus
est. Matth. v. 48.
4. Nihil in sacerdote commune cum studio atque
usu multi-tudinis. Epist. 6.
5. Debet praeponderare vita sacerdotis, sicut praeponderat gratia.
Epist. 82.
6. Tantum inter sacerdotem et quemlibet probum interesse debet, quantum
inter coelum et terram discriminis est. Epist. I. 2. ep. 205.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 45
II.
A QUELLE GRANDE SAINTETÉ LE PRETRE EST OBLIGE PAR ÉTAT.
Du moment qu'on embrasse un état, on est obligé d'en remplir
les devoirs ; et, comme le dit saint Thomas, « celui qui s'engage
dans un état, est tenu d'en remplir les obligations1. » Or,
d'après saint Augustin, s'engager dans la clérica-ture, c'est
contracter en même temps l'obligation de tendre à la sainteté.
« Le clerc, dit-il, fait pro-fession de deux choses : de sainteté
et de cléri-cature 2. » Cassiodore ajoute : « Les clercs
ont pour profession de mener une vie céleste 3. » «
Le prêtre, dit de son côté Thomas a Kempis, est obligé
à une plus grande perfection 4. » La raison pour laquelle
sa perfection doit surpasser celle de tous les autres fidèles, c'est
que, de tous les états, le sien est le plus sublime. Aussi, re-marque
Salvien, « tandis que Dieu conseille la perfection aux séculiers,
il en fait pour les clercs une obligation d'état5. »
Sur la tiare qui ornait leur front, les prêtres
Tout de l'ancienne loi portaient ces mots : Sainteté de prêche
au prêtre
la sainteté,
1. Quicumque profitetur statum aliquem, tenetur ad ea quae illi
statui conveniunt.
2. Clericus duas res professus est, et sanctitatem et clericatum. Serm.
355. E. B.
3. Professio clericorum, vita cœlestis.
4. Sacerdos ad majorem tenetur perfectionem sanctitatis. Imit. Christ.
I. 4. c. 5.
5. Clericis suis Salvator, non ut caeteris voluntarium, sed impe-rativum
officium perfectionis indicit. De Eccl. Cathol. l. 2.
46 CHAPITRE TROISIEME.
Dieu 1, pour se rappeler sans cesse la sainteté qu'ils avaient
à pratiquer.
Surtout
la victime qu'il
immole,
De plus, les victimes qu'ils offraient en expia-tion de leurs propres
péchés devaient toujours être entièrement consumées.
Et pourquoi? « C'était, répond Théodoret, afin
de symboliser le complet sacrifice que le prêtre a fait de lui-même
au Sei-gneur2. » Saint Ambroise dit également : « Pour
offrir à Dieu un sacrifice vraiment agréable, le prêtre
doit commencer par s'immoler lui-même et offrir ensuite la victime3.
» Hésychius ajoute dans le même sens : « C'est
un holocauste de tous les instants, l'holocauste d'une vertu par-faite,
que Dieu exige du prêtre : il faut donc qu'appliqué dès
sa jeunesse à la sainteté, le clerc ne s'en départe
jamais et règle ainsi toute sa vie sur l'idéal de la perfection4.
» En conséquence le Seigneur avait dit aux prêtres de
l'ancienne loi : Je vous ai séparés de tous les autres, afin
que vous fussiez à moi5. A combien plus forte raison le Seigneur
veut-il que ceux de la loi nouvelle ne s'immiscent pas dans les affaires
du monde, afin de se réserver uniquement pour ce Dieu auquel ils
se sont voués, selon ce que dit saint Paul : Quiconque est enrôlé
au service de Dieu
1. Sanctum Domini. Exod. xxxix. 29.
2. Ut integritas sacerdotis monstraretur, qui totum se Deo dicaverit.
In Levit. q. 3.
3. Hoc enim est sacrificium primitivum, quando unusquisque se offert
hostiam, et a se incipit, ut postea munus suum possit offerre. De Abel.
1. 2. c. 6.
4. Sacerdos continuum holocaustum offerre praecipitur, ut, a per-fecta
sapientia incipiens, in eadem finiat, et totam vitam suam componat ad perfectionem.
In Levit. l. 2. c. 1.
5. Separavi vos a caeteris populis, ut essetis mei. Levit. xx: 26.
DE LA SAINTETÉ REQUISE DANS LE PRETRE. 47
ne s'embarrasse point dans les affaires du siècle, afin de satisfaire
celui à qui il s'est donné1. C'est pourquoi, de tous ceux
qui se présentent à la porte du sanctuaire pour recevoir
la tonsure, l'Église exige la promesse de ne plus ambition-ner désormais
que Dieu seul. Le Seigneur est la part de mon héritage, la part
qui m'est échue en partage. C'est vous, à mon Dieu, qui me
rendrez mon héritage2.
Enfin, il n'y a pas jusqu'aux vêtements du prêtre, jusqu'aux
moindres détails de son état, qui ne prennent une voix pour
lui intimer l'ordre de vivre saintement. « L'habit qu'il porte, dit
saint Jérôme, l'état qu'il exerce élèvent
la voix, et à ses oreilles retentit cette parole : Sainteté,
sainteté3!»
Ce n'est donc pas assez que le prêtre foule aux pieds le vice,
il doit encore s'avancer vers la perfection par ces continuels efforts
dans les-quels consiste la seule perfection qui soit à notre portée
ici-bas, selon cette parole de saint Ber-nard : « L'effort continuel
vers la perfection est déjà la perfection4. » Mais,
hélas! on en voit tant qui courent aux ordres sacrés sans
consi-dérer quelle sainteté il faut pour s'élever
à cette haute dignité ! « Oui, dit en gémissant
saint Ber-nard, on court aux saints ordres à l'aveugle et sans réflexion
5. » « Ils sont bien rares, ajoute
1. Nemo, militans Deo, implicat se negotiis saecularibus, ut- ei placeat
cui se probavit. II Tim. 11. 4.
2. Dominas pars haereditatis meae et calicis mei ; tu es qui res-titues
haereditatem meam mini. Ps. xv. 5.
3. Clamat vestis clericalis, clamat status professi animi sanctitatem.
4. Jugis conatus ad perfectionem, perfectio reputatur. Epist. 254.
5. Curritur passim ad sacros Ordines sine consideratione.
De Conv. ad cler. c. 20.
Et même ses habits sacerdotaux.
Une sainteté parfaite,
saint Ambroise, ceux qui peuvent dire : Le Sei-gneur est mon
partage ! Ils sont bien rares ceux que la passion n'enflamme pas, ou que
la cupi-dité ne pousse pas, ou que n'absorbent pas les sollicitudes
terrestres1 ! »
Jésus-Christ, dit l'apôtre saint Jean, nous a fait le
royaume et les prêtres de Dieu son Père2. D'après les
commentateurs, tels que Ménochius, Ganier, Tirin, cette expression
le royaume de Dieu doit s'entendre des prêtres, non seulement parce
que « Dieu règne dans les prêtres par sa grâce
en cette vie et par sa gloire durant toute l'éter-nité, »
mais encore parce que « Dieu les a sacrés rois afin qu'ils
règnent tous avec lui et dominent leurs passions 3. » «
Le prêtre, dit saint Grégoire, doit être mort au monde
et à ses passions, pour vivre d'une vie toute divine4. » Car
le sacerdoce de la loi nouvelle est un seul et même sacerdoce avec
celui que Jésus-Christ a reçu de son Père. Pour moi,
dit Notre-Seigneur, je leur ai donné la gloire que vous m'avez donnée5.
Si donc le prêtre représente Jésus-Christ, «
il faut, dit saint Jean Chrysostome, que le prêtre soit assez pur
pour qu'admis dans le ciel, il prenne place au milieu des esprits angéliques6.
» Telle doit être
1. Quam rarus, qui potest dicere : Portio mea, Dominus ; quem non inflammet
libido, non stimulet avaritia, non aliqua negotiorum saecularium cura sollicitet.
In Ps cxviii. s. 8.
2. Fecit nos regnum et sacerdotes Deo et Patri suo. Apoc. i. 6.
3. In quo Deus regnat nunc per gratiam, postea per gloriam. -Fecit
nos reges : regnamus enim cum ipso, et imperamus vitiis.
4. Necesse est ut, mortuus omnibus passionibus, vivat vita divina.
5. Et ego claritatem, quam dedisti mihi, dedi eis. Jo. xvii. 22.
6. Necesse est sacerdotem sic esse purum, ut, in ipsis cœlis col-locatus,
inter cœlestes illas virtutes medius staret. De Sacerd. 1. 3.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 49
enfin sa perfection, que personne ne puisse rien lui reprocher,
selon cette parole de saint Paul : L'évêque doit être
irréprochable1. Or, par évêque nous devons nécessairement
entendre aussi le prêtre ; car, de l'évêque, l'Apôtre
passe de suite aux diacres : Pareillement, ajoute-t-il, que les diacres
soient pudiques 2. Puisqu'il ne fait pas mention des prêtres, nul
doute qu'il ne les as-socie aux évêques, comme du reste l'expliquent
saint Augustin et saint Jean Chrysostome, lequel, précisément
sur ce texte de saint Paul, fait cette remarque: « Ce qu'il dit des
évêques doit s'en-tendre aussi des prêtres 3. »
Et quant à l'expres-sion irréprochable, il n'est personne
qui ne l'in-terprète, avec saint Jérôme, de «
la réunion de toutes les vertus 4. » Aussi Corneille de la
Pierre, expliquant ce même terme, affirme qu'il s'entend de celui
« qui est non seulement exempt de tout vice, mais encore orné
de toutes les vertuss. »
Durant onze siècles, l'Église interdit l'entrée
de la cléricature à tous ceux qui, depuis leur bap-tême,
avaient commis ne fût-ce qu'un seul péché mortel; nous
le voyons par les canons des conciles de Nicée6, de Tolède7,
d'Elvire8 et de Carthage9.
1. Oportet ergo Episcopum irreprehensibilem esse. / Tim. m. 2.
2. Diaconos similiter pudicos. Ib.
3. Quae de Episcopis dixit, etiam sacerdotibus congruit. In I Tim.
nom. 2.
4. Omnes virtutes comprehendit. Ep. ad Oceanum.
5. Qui non tantum vitio careat, sed qui omnibus virtutibus sit ornatus
6. Can. 9-10.
7. I. Can. 2.
8. Can. 76.
9. IV. Can. 68.
Sans aucune tache.
LE PRÊTRE. — T. I.
4
5o
CHAPITRE TROISIÈME.
Nous voyons par plusieurs autres canons1 que si quelqu'un, après
avoir reçu les ordres, tombait en faute, il était déposé
pour toujours et enfermé dans un monastère. Voici la raison
qu'en donne un de ces décrets : « Avant tout,
ce que veut l'Eglise, c'est la parfaite innocence. Ceux donc qui ne sont
pas saints ne doivent pas toucher aux choses saintes2. » Et dans
une ordonnance du concile de Carthage, nous lisons : « Puisque les
clercs ont pris le Seigneur pour leur héritage, qu'ils n'entretiennent
aucun commerce avec le siècle3. » Bien plus, d'après
le concile de Trente, « les clercs, par cela même qu'ils sont
devenus l'héritage du Seigneur, doivent si bien régler leur
vie et leur conduite, que tout en eux, l'habit, la tenue, le langage, et
le reste, soit empreint de gra-vité et respire la religion4. »
Ainsi donc, rien dans un ecclésiastique qui ne doive être
saint, l'exté-rieur et la conduite, le langage et les œuvres. «
Il faut même, ajoute saint Jean Chrysostome, que les prêtres
soient saints au point d'apparaître aux regards de tous comme des
modèles de sainteté ; car Dieu les a placés sur cette
terre précisément afin qu'ils mènent ici-bas une vie
angélique et qu'ils deviennent ainsi pour les peuples les mo-
1. Corp. Jur. can. dist. 81.
2. In omnibus enim, quod irreprehensibile est, sancta defendit Ecclesia
Qui sancti non sunt ; sancta tractare non possunt. Dist. 81. can. 4-6.
3. Clerici, quibus pars Dominus est. a saeculi societate segregati
vivant.
4. Decet omnino clericos, in sortem Domini vocatos, vitam mo-resque
suos componere, ut habitu, gestu, sermone, aliisque rebus. nihil nisi grave
ac religione plenum prae se ferant. Sess. 22. cap. 1 de Ref.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 5l
dèles en même temps que les maîtres de toutes les
vertus1. »
Le mot clerc veut dire, d'après saint Jérôme, un
homme qui a pris Dieu pour son héritage. « Qu'il comprenne
donc la signification de son nom, s'écrie ensuite le saint docteur,
et qu'il s'ef-force de mettre sa vie d'accord avec son titre2 ! »
« Oui, ajoute saint Ambroise, l'homme qui a pris Dieu pour son héritage
ne doit plus se soucier que de vivre pour Dieu seul3.
»
III.
A QUELLE GRANDE SAINTETÉ LE
PRETRE EST OBLIGÉ EN VUE DU
SAINT SACRIFICE DE LA MESSE.
Honorer le Seigneur par l'oblation du sacrifice et sanctifier les âmes,
voilà les deux nobles et sublimes fonctions pour lesquelles le prêtre
est constitué ministre de Dieu. Car, selon saint Paul, tout pontife,
pris d'entre les hommes, est établi en faveur des hommes, pour les
choses qui se rapportent à Dieu4. « Ainsi, dit saint Thomas
sur ce texte, c'est pour les choses qui se rap-portent à Dieu que
le prêtre reçoit sa mission, et nullement pour acquérir
de la gloire, ni pour
i. Sacerdos débet vitam habere immaculatam, ut omnes in illum
veluti in aliquod exemplar excellens intueantur. Idcirco enim nos (Deus)
elegit, ut simus quasi luminaria, et magistri caeterorum effi-ciamur, ac
veluti angeli cum hominibus versemur in terris. In I Tint. hom. 10.
2. Clericus interpretetur primo vocabulum suum, et nitatur esse quod
dicitur. Epist. ad Nepotian.
3. Cui Deus portio est, nihil débet curare, nisi Deum. De Esau.
c.2.
4. Omnis namque Pontifex, ex hominibus assumptus, pro homi-
nibus constituitur in iis quae sunt ad Deum. Heb. v. 1.
CHAPITRE TROISIÈME.
Pour célébrer
la messe, le
prêtre
doit être saint
comme
les anges,
amasser des richesses1. » Le prêtre est donc choisi
par le Seigneur, et il se trouve en ce monde, non pas pour conquérir
l'estime des hommes, non pas pour se procurer des jouissances, non pas
pour relever sa maison, mais uniquement pour veiller aux intérêts
et à la gloire de Dieu. Il est établi pour les choses qui
se rapportent à Dieu.
Le prêtre est en conséquence appelé dans les saintes
Écritures l'homme de Dieu2, un homme qui n'appartient ni au monde,
ni à ses parents, ni à lui-même, mais seulement à
Dieu, un homme qui ne cherche que Dieu ; aussi faut-il appliquer au prêtre
ces paroles de David : Voici la chaste génération de ceux
qui cherchent uniquement le Seigneur3. De même que, dans le ciel,
Dieu a destiné certains anges pour monter la garde autour de son
trône, ainsi, sur la terre, Dieu a tiré les prêtres
du milieu des hommes pour leur confier le soin de sa gloire. C'est pourquoi
il leur dit : Je vous ai séparés de tous les autres hommes,
afin que vous soyez à moi4. Sur quoi saint Jean Chrysostome observe
que « Dieu nous a choisis pour nous faire mener parmi les hommes
une vie angélique5. » Je serai sanctifié, dit encore
le Seigneur, dans ceux qui m'approchent6 ; c'est-
1. Omnis Pontifex constituitur in iis quae sunt ad Deum, non
propter gloriam, non propter cumulandas divitias. In Heb. V. lect. i. s.
Homo Dei. I Tim. vi. ii.
3. Haec est generatio quaerentium eum. Ps. xxiii. 6.
4. Separavi vos a caeteris populis, ut essetis mei. Levit. xx. 26.
5. Idcirco enim nos (Deus) elegit, ut veluti angeli cum hominibus versemur
in terris. In I Tim. nom 10.
6. Sanctificabor in iis qui appropinquant mihi. Levit. x. 3.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 53
à-dire, suivant un interprète, « on me proclamera
saint, grâce à la sainteté de mes ministres1. »
D'après saint Thomas, la sainteté des prêtres doit
l'emporter de beaucoup sur celle des reli-gieux, parce qu'aux prêtres
sont confiés les plus sublimes ministères et surtout l'oblation
de l'au-guste sacrifice de la messe. « Par le sacrement de l'ordre,
dit le saint docteur, l'homme se trouve in-vesti des plus insignes fonctions,
tellement qu'il devient à l'autel l'instrument du Christ lui-même
: aussi doit-il y monter avec une sainteté bien supé-rieure
à celle qu'exige l'état religieux. C'est pour-quoi, ajoute-t-il,
violer les règles de la perfection constitue, toutes choses égales
d'ailleurs, un plus grand péché pour le clerc engagé
dans les ordres sacrés, que pour un religieux auquel on n'a pas
conféré les ordres2. » De là cette célèbre
sentence de saint Augustin : « A peine avec un bon moine peut-on
faire un bon clerc3. » De telle sorte que pour être digne du
nom de clerc, il faut surpasser en sainteté même un bon religieux.
« Un vrai ministre des autels, dit saint Am-broise, n'est pas
venu en ce monde pour lui-même, mais pour Dieu4. » En d'autres
termes, le ,
1. Agnoscar sanctus ex sanctitate ministrorum.
2. Quia, per sacrum Ordinem, aliquis deputatur ad dignissima ministeria,
quibus ipsi Christo servitur in Sacramento altaris ; ad quod requiritur
major sanctitas interior, quam requirat etiam religio-nis status. Unde
gravius peccat, caeteris paribus, clericus in sacris Ordinibus constitutus,
si aliquid contrarium sanctitati agat, quam aliquis religiosus qui non
habet Ordinem sacrum. 2. 2. q. 184. a. 8.
3. Bonus monachus vix bonum clericum facit. Epist. 60. E. B.
4. Verus minister altaris Deo, non sibi, natus est. In Ps. cxvm. s.
3.
Plus saint que les religieux,
Beaucoup plus saint que
les prêtres le l'ancienne loi.
54
CHAPITRE TROISIÈME.
prêtre doit n'avoir aucun souci de ses aises, ni des biens
et amusements de ce monde ; il doit penser que, depuis le jour de son ordination
sacerdotale, il n'est plus à lui mais à Dieu ; et dès
lors il ne doit plus s'occuper que des intérêts de Dieu.
Le Seigneur veut à tout prix que ses prêtres soient purs
et saints, afin qu'ils puissent, sans tache ni souillure, lui offrir leurs
sacrifices. Il sera assis, dit le prophète, fondant et épurant
l'argent ; et il purifiera les fils de Lévi, et il les travaillera
comme l'or et l'argent, et ils offriront au Seigneur des sacrifices dans
la justice1. Nous lisons dans le Lévitique : Ils seront saints pour
leur Dieu et ils ne souilleront point son nom ; car ils présentent
l'encens du Seigneur, et ils offrent les pains de leur Dieu : c'est pourquoi
ils seront saints2. On le voit, rien que pour offrir à Dieu l'encens
et les pains de proposition, il fallait que les prêtres de l'ancienne
loi fussent saints ; ce-pendant cet encens et ces pains n'étaient
qu'une figure du sacrement de l'autel. A combien plus forte raison les
prêtres de Jésus-Christ ne doi-vent-ils pas être purs
et saints, eux qui offrent l'Agneau immaculé, le propre Fils de
Dieu! « Non, s'écrie Estius, nous n'offrons pas, comme les
prêtres de l'ancienne loi, des taureaux et de l'encens, mais ce même
Seigneur, immolé autre-
i. Et sedebit conflans et emundans argentum ; et purgabit filios Levi,
et colabit eos quasi aurum et quasi argentum ; et erunt Domino offerentes
sacrificia in justitia. Mal. iii. 3.
2. Sancti erunt Deo suo, et non polluent nomen ejus ; incensum enim
Domini et panes Dei sui offerunt, et ideo sancti erunt. Levit. xxi. 6.
DE LA SAINTETÉ REQUISE DANS
LE PRETRE. 55
fois sur l'autel de la croix. Aussi exige-t-on de nous cette sainteté
qui consiste dans la parfaite pureté du cœur, tellement que, si
elle nous fait défaut, nous sommes indignes de sacrifier1. »
« Malheur à nous, s'écrie Bellarmin, malheur à
nous qui, appelés au plus sublime des minis-tères, sommes
si loin de la ferveur que le sage Salomon exigeait des prêtres de
l'ancienne loi3 ! »
Ceux mêmes qui n'avaient à porter dans leurs mains que
les vases sacrés devaient être purs et sans tache, selon cette
parole du prophète : Pu-rifiez-vous, à vous qui portez les
vases du Sei-gneur3. Combien donc doit être plus grande la pureté
des prêtres, qui portent Jésus-Christ lui-même dans
leurs mains et dans leur poitrine ! « Oui, s'écrie Pierre
de Blois, combien doivent-ils être plus purs, puisqu'ils prennent
le Christ entre leurs mains et le reçoivent dans eux-mêmes4.
» Et saint Augustin : « Quelle pureté ne doit-on pas
avoir pour approcher la main non seulement des vases destinés au
culte, mais des mystères où se renouvelle la mort de Jésus-Christ5
! »
Il fallut que la bienheureuse vierge Marie fût sainte et exempte
de toute souillure, parce qu'elle
1. Ipsum videlicet Corpus Domini, quod in ara crucis pependit. Ideo
que sanctitas requiritur, quae sita est in puritate animi ; sine qua, quisquis
ad haec tremenda mysteria accedit, immundus accedit. In Lev. xxi. 6.
2. Vae nobis miseris, qui, ministerium altissimum sortiti, tam procul
absumus a fervore quem Salomon in umbraticis sacerdotibus exigebat ! In
Ps cxxxi. 7.
3. Mundamini, qui fertis vasa Domini. Is. LII. II.
4. Quanto mundiores esse oportet, qui in manibus et corpore portant
Christum ! Epist 123.
5. Oportet mundum esse, qui, non solum vasa aurea debet tractare, sed
etiam illa in quibus Domini mors exercetur.
56 CHAPITRE TROISIÈME.
Saint comme
Jésus-Christ
lui-même.
devait porter dans son sein et traiter comme son Fils le Verbe
incarné. « En conséquence, dit saint Jean Chrysostome,
n'est-ce pas une sainteté dont l'éclat surpasse celui du
soleil, qu'il faut à cette main consacrée pour toucher la
chair d'un Dieu, à cette bouche qui se remplit du feu céleste,
à cette langue toute rougie du sang divin1 ? »
Le prêtre à l'autel tient la place de Jésus-Christ.
Il doit donc s'approcher de l'autel afin de célébrer comme
Jésus-Christ, et cela en imi-tant au si parfaitement que possible
la pureté et la sainteté de Jésus-Christ. «
Qu'il monte à l'au-tel, dit saint Laurent Justinien, comme le Christ
lui-même, et qu'il célèbre comme le Saint des saints2.
» Pour qu'une religieuse obtienne de son confesseur la communion
quotidienne, quelle perfection ne lui faut-il pas ! Et ne faut-il pas la
même perfection au prêtre qui communie chaque matin ? N'hésitons
pas à le confesser, dit le con-cile de Trente, « impossible
que les fidèles servi-teurs du Christ s'emploient à n'importe
quelle œuvre dont la sainteté égale celle de ce redou-table
mystère. » Dès lors, nul doute que le prêtre
ne doive mettre tous ses soins à célébrer le saint
sacrifice de l'autel avec toute la pureté de cons-cience dont il
est capable3. » « Quelle horreur,
1. Quo solari radio non splendidiorem oportet esse manum Carnem hanc
dividentem, os quod igne spirituali repletur, linguam quae tremendo nimis
Sanguine rubescit ? Ad pop. Ant. nom. 60.
2. Accedat ut Christus, ministret ut sanctus. S. de Euchar.
3. Necessario fatemur nullum aliud opus adeo sanctum ac divi-num...
tractari posse, quam hoc tremendum mysterium. Satis appa-ret omnem operam
in eo ponendam esse, ut quanta maxima fieri potest interiori cordis munditia
peragatur Sess. 22. decr. deObserv.
DE LA SAINTETÉ REQUISE DANS
LE PRETRE. 57
dit saint Augustin, d'entendre cette même langue qui fait descendre
du ciel sur la terre le Fils de Dieu, se répandre en paroles contre
Dieu, et de voir ces mêmes mains, après s'être baignées
dans le sang de Jésus-Christ, se couvrir des ordures du péché1
! »
Telle était la perfection requise pour offrir en sacrifice soit
des animaux soit les pains de propo-sition, que la loi mosaïque excluait
du ministère sacerdotal les lévites atteints de quelque diffor-mité
corporelle, comme nous le lisons dans le Lévitique : Celui qui aura
quelque difformité, ne sacrifiera pas à son Dieu 2. Or, remarque
Bel-larmin, « s'il fallait que les prêtres de l'ancienne loi
fussent si purs, et cela pour sacrifier seule-ment des bœufs et des brebis,
quelle pureté et quelle sainteté ne doit pas avoir celui
qui est chargé d'offrir l'Agneau divin, le propre Fils de Dieu3
! » Saint Thomas ajoute que la difformité dont parle le Lévitique
s'entend de quelque vice que ce soit : aussi enseigne-t-il que «
personne ne peut être admis au ministère des autels, à
moins d'avoir remporté la victoire sur tous ses vices4.» Sous
l'ancienne loi on excluait du mi-nistère sacerdotal les aveugles,
les boiteux, les bossus et les lépreux. Il ne s'approchera pas de
1. Ne lingua quae vocat de cœlo Filium Dei, contra Dominum loquatur
; et manus, quae intinguntur sanguine Christi, polluantur sanguine peccati.
MOLINA. instr. sac. tr.1. c. 5. § 2.
2. Qui habuerit maculam, non offeret panes Deo suo. Levit. xxi. 17.
3. Si tanta sanctitas requirebatur in sacerdotibus qui sacrifi-cabant
oves et boves, quid, quaeso, requiritur in sacerdotibus qui sacrificant
divinum Agnum ? In Ps. cxxxi. 7.
4. Qui est aliquo vitio irretitus, non debet ad ministerium Ordinis
accedere. Suppl. q. xxxvi. a.- 1.
58 CHAPITRE TROISIÈME.
son ministère s'il est aveugle, s'il est boiteux, s'il est bossu,
s'il a une lèpre persistante1. Inter-prétant ce texte dans
un sens spirituel, les saints Pères déclarent indigne d'offrir
l'auguste sacrifice de la messe celui qui est aveugle, c'est-à-dire
celui dont l'âme ne s'ouvre pas aux lumières de Dieu ; indigne
le boiteux, c'est-à-dire ce prêtre qui, dominé par
la paresse, ne fait pas de progrès dans les voies de Dieu et se
traîne toujours dans les mêmes défauts, sans oraison,
sans recueille-ment ; indigne le bossu, c'est-à-dire celui dont
le cœur, toujours incliné vers la terre, ne cherche que richesses,
vains honneurs, et amusements mondains; indigne le lépreux, c'est-à-dire
le voluptueux, enfoncé dans la fange des plaisirs sensuels, le voluptueux,
que saint Pierre appelle animal immonde se vautrant dans la boue2. En un
mot, celui qui n'est pas saint ne mérite pas de monter à
l'autel, parce que les souillures de son âme rejaillissent sur le
sanctuaire de Dieu. Il ne s'approchera pas de l'autel, dit le Seigneur,
parce qu'il est difforme et qu'il ne doit point souiller mon sanctuaire3.
III.
A QUELLE GRANDE SAINTETÉ LE PRETRE EST OBLIGÉ POUR DISPENSER
AUX FIDELES LES GRACES DE DIEU.
Il faut en outre que le prêtre soit saint pour remplir son office
de dispensateur des sacrements.
1. Nec accedet ad ministerium ejus: si caecus fuerit, si claudus,...
si gibbus,... si habens iugem scabiem. Levit. xxi. 18. 20.
2. Sus Iota in volutabro luti. II Pet. 11. 22.
3. Nec accedat ad altare, quia maculam habet, et contaminare non debet
sanctuarium meum. Levit. xxi. 23.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRÊTRE. 59
Qu'il soit irréprochable comme l'intendant de Dieu1, dit
l'Apôtre; irréprochable pour servir de médiateur entre
Dieu et les pécheurs. « Le prêtre, dit saint Jean Chrysostome,
se tient entre Dieu et le genre humain : par lui les bénédictions
des-cendent du ciel pour se répandre, sur nous, et par lui nos prières
montent vers le ciel ; grâce au prêtre, Dieu se réconcilie
avec nous et nous échappons aux coups de sa justice irritée2.
»
Dans les sacrements, Dieu se sert du minis-tère des prêtres
pour communiquer aux fidèles ses plus insignes faveurs. En effet,
c'est par les prêtres qu'il nous élève, dans le baptême,
à la dignité de ses enfants et qu'il nous sauve : Si quelqu'un
ne renaît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu3. C'est
par les prêtres que, dans le sacrement de pénitence, il nous
guérit de nos infirmités et ressuscite les pécheurs
morts à la vie de la grâce. C'est par les prêtres qu'il
nour-rit nos âmes et leur conserve la vie surnaturelle au moyen de
la sainte Eucharistie : Si vous ne mangez la chair du Fils de l'homme,
vous n'aurez point la vie en vous4. C'est par les prêtres qu'aux
moribonds il donne, dans le sacrement de l'ex-trême-onction, la force
de vaincre toutes les ten-
1. Oportet... sine crimine esse, sicut Dei dispensatorem. Tit. i. 7.
2. Medius stat Sacerdos inter Deum et naturam humanam : illinc venientia
beneficia ad nos deferens, et nostras petitiones illuc perferens ; Dominum
iratum reconcilians, et nos eripiens ex illius manibus. De Verbis Is. nom.
5.
3. Nisi quis renatus fuerit denuo, non potest videre regnum Dei. Jo.
iii. 2.
4. Nisi manducaveritis carnem Filii hominis..., non habebitis vitam
in vobis. Jo. vi. 54.
Ce qu'est
le prêtre pour
les fidèles,
60 CHAPITRE TROISIÈME.
Et ce qu'il
doit être
aux regards
de Dieu.
tations de l'enfer. « En un mot, dit saint Jean Chrysostome,
impossible que sans les prêtres nous parvenions au salut1. »
Les prêtres sont en conséquence appelés par saint Prosper
« les oracles des volontés de Dieu2, » par saint Jean
Chrysostome « les remparts de l'Eglise 3, » par saint Ambroise
« les citadelles de la sainteté4, » par saint Grégoire
de Nazianze « les fondements du monde et les colonnes de la fois.
» « Le prêtre, ajoute saint Eucher, doit, à force
de sainteté, porter sur ses épaules le fardeau, le terrible
far-deau de tous les péchés des hommes 6. » Le prêtre
priera pour le peuple et pour son péché devant le Seigneur,
et le Seigneur lui redeviendra propice, et son péché sera
remis7. De là l'obli-gation imposée par l'Eglise à
tous ses ministres de réciter l'office divin chaque jour et de célébrer
la messe au moins plusieurs fois par an. Et même, d'après
saint Ambroise, « sans cesse, jour et nuit, les prêtres doivent
prier pour le peuple confié à leur sollicitude8. »
Mais, pour obtenir que les grâces de Dieu des-cendent sur les
fidèles, le prêtre doit être saint. « Ceux qui
font l'office de médiateurs entre Dieu
1. Sine his, salutis compotes fieri non possumus. De Sacerd. l. 3.
2. Divinae voluntatis indices De vita cont. 1. 2. c. 2. 3. Muros Ecelesiae.
Hom. 10.
4. Castra sanctitatis. De Offic. l. I. c. 5o.
5. Mundi fundamenta et fidei columnas. Carm ad Episc.
6. Sacerdotes onus totius orbis portant humeris sanctitatis. Homil.
de Dedic. Eccl.
7. Orabitque pro eo sacerdos et pro peccato ejus coram Domino, et repropitiabitur
ei, dimitteturque peccatum. Levit. xix. 22.
8. Sacerdotes die noctuque, pro plebe sibi commissa, oportet orare.
In I Tim. c. 3.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 6l
et les hommes, dit le Docteur angélique, doivent briller aux
regards de Dieu par leur bonne cons-cience, et aux regards du peuple par
leur bonne réputation1. » « Autrement, remarque saint
Gré-goire, de quel front se présentera devant le roi pour
demander grâce en faveur de sujets rebelles celui qui n'est pas agréable
au prince et qui se trouve lui-même, comme eux, coupable de ré-bellion
2 ? » Quand on veut intercéder pour les autres, il faut être
soi-même dans les bonnes grâces du souverain : « sinon,
ajoute saint Gré-goire, il arrivera qu'étant odieux au prince,
on ne fera que l'irriter davantage et provoquer de nouvelles rigueurs3.
» Aussi saint Augustin dé-clare-t-il que « le prêtre
doit avoir auprès de Dieu assez de crédit pour faire descendre
sur les peuples, par ses prières, les grâces dont ils se sont
rendus indignes par leurs péchés4. » « Oui, dit
le pape saint Hormisdas, puisque le prêtre doit prier pour les fidèles,
il doit surpasser les fidèles en sainteté 5. »
Mais hélas ! il y a si peu de prêtres qui soient saints
! et dès lors, qu'ils sont rares les vrais mé-diateurs !
« Le monde, dit en gémissant saint
1. Medii inter Deum et plebem debent bona conscientia nitere quoad
Deum, et bona fama quoad homines. Suppl. q. xxxvi. a.1.
2. Qua mente apud Deum intercessoris locum pro populo arri-pit, qui
familiarem se ejus gratias esse per vitae merita nescit ? Past. p.1.c.
II.
3. Cum is qui displicet, ad intercedendum mittitur, irati animus ad
deteriora provocatur. Ibid.
4. Talem esse oportet Domini sacerdotem, ut, quod populus pro se apud
Deum non valuerit, ipse pro populo mereatur impetrare. In Ps. XXXVI. s.
2.
5. Emendatiorem esse convenit populo, quem necesse est orare pro populo.
Dist. 61. Can. Non negamus.
62
CHAPITRE TROISIÈME.
Le prêtre doit
être saint
pour enseigner
la vertu,
Grégoire, est plein de prêtres ; cependant, qu'il
est rare de trouver, dans la vigne du Seigneur, un digne ouvrier 1 ! »
Et saint Augustin s'écrie à propos des mauvais prêtres
: « Dieu aime mieux entendre les aboiements des chiens que la prière
de pareils prêtres2.» Le père Marchese rapporte3 qu'une
fervente religieuse dominicaine suppliant le Seigneur de faire grâce
au peuple en considé-ration des mérites du prêtre,
le Seigneur lui ré-pondit : « Les prêtres m'irritent
par leurs péchés plus qu'ils ne m'apaisent. »
IV.
A QUELLE GRANDE SAINTETÉ LE
PRETRE EST OBLIGÉ POUR FAIRE DU
BIEN AUX FIDÈLES.
Enfin les prêtres doivent être des saints, parce que Dieu
les a donnés au monde comme autant d'exemplaires de toutes les vertus.
En effet ils sont proclamés par saint Jean Chrysostome « les
doc-teurs de la piété4, » par saint Jérôme
« les sau-veurs du monde5, » par saint Prosper « les
portes de la cité éternelle 6, » par saint Pierre Chryso-logue
« les types de la vertu7. » « Or, dit saint Isidore,
celui qui se trouve à la tête des peuples
1. Ecce mundus sacerdotibus plenus est ; sed tamen, in messe Dei, rarus
valde invenitur operator. In Evang. hom. 17.
2. Plus placet Deo latratus canum, quam oratio talium clericorum. CORN.
A LAP. In Lev. 1. 17.
3. In diario dominicano.
4. Doctores pietatis. Hom. 10.
5. Salvatores mundi. In Abdiam. xxi.
fi. Januae civitatis œternae. De vita cont. l. 2. c. 2. 7. Forma virtutum.
Serin. 26.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 63
pour les initier et les former aux vertus, doit tou-jours se conduire
saintement et ne jamais fail-lir1.» Le pape saint Hormisdas dit également:
« Irrépréhensibles doivent être ceux qui ont
la charge de corriger les autres 2. » Et saint Denys va jusqu'à
prononcer cette célèbre sentence : « Que personne n'ait
l'audace de s'imposer aux autres comme leur guide dans les choses de Dieu,
si d'abord et selon tout son pouvoir, il ne s'est transformé
en Dieu, au point de lui ressembler parfaitement 3. »
« Car, ainsi que le remarque saint Grégoire, quand un prédicateur,
par sa vie peu édifiante, a perdu l'estime publique, on mé-prise
sa prédication plus qu'on n'en profite4. » Saint Thomas ajoute
même que « les choses les plus saintes, en passant par les
mains d'un pareil ministre, cessent de paraître vénérables5.
» De là cet avis de saint Grégoire de Nazianze : «
Que le prêtre se réforme, et qu'ensuite il réforme
; qu'il s'unisse à Dieu, et qu'ensuite il y conduise les autres;
qu'il se sanctifie, et qu'ensuite il sanc-tifie ; qu'il devienne une lumière,
et qu'ensuite il éclaire6.»
1. Qui in erudiendis atque instituendis ad virtutem populis praeerit,
necesse est ut in omnibus sanctus sit, et in nullo reprehensibilis. De
Offic. eccl. 1. 2. c. 5.
2. Irreprehensibiles esse convenit, quos necesse est praeesse corrigendis.
Ep. ad Episc. Hispan.
3. In divino omni non audendum aliis ducem fieri, nisi, secundum omnem
habitum suum, factus sit deiformissimus et Deo simillimus. De Eccl. Hier.
c. 3.
4 Cuius vita despicitur, restat ut ejus praedicatio contemnatur. In
Evang. hom. 12.
5. Et eadem ratione, omnia spiritualia ab eis exhibita. Suppl. q. xxxvi.
a. 4.
6. Purgari prius oportet, deinde purgare; ad Deum appropinquari, et
alios adducere ; sanctificari, et postea sanctificare ; lucem fieri, et
alios illuminare. Apologet. 1.
64
CHAPITRE TROISIÈME.
Pour purifier les
âmes de leurs souillures,
Pour leur donner
l'exemple
de toutes les
vertus.
Que la main chargée de laver les souillures d'autrui n'en
soit pas elle-même couverte. « Il faut, dit saint Grégoire,
s'appliquer à la conser-ver toute pure, puisqu'elle doit purifier
les âmes de leurs taches1. » « Un flambeau qui ne brûle
pas, dit-il encore, ne peut en allumer d'autres2. » Et saint Bernard
remarque dans le même sens que. " le langage de l'amour, sur les
lèvres de celui qui n'aime pas, revêt un accent étranger
et barbare3. »
Les prêtres sont placés sur cette terre comme autant de
miroirs dans lesquels doivent se regar-der les gens du monde. Nous sommes
donnés en spectacle au monde et aux anges4, dit saint Paul. C'est
pourquoi le concile de Trente dit en parlant des ecclésiastiques
: « Sur eux, comme sur autant de miroirs, les hommes fixent leurs
regards : tels ils les voient vivre, tels ils vivent eux-mêmes3.
» « Les prêtres, remarque fort bien l'abbé Philippe
de Bonne-Espérance, ont été choisis par Dieu pour
veiller non seulement à leur sûreté personnelle, mais
encore à celle des autres. Or la dignité sacer-dotale ne
suffit pas pour sauver les peuples : il faut que les prêtres ajoutent
à la grandeur de leur dignité l'éminence de leur sainteté6.
»
1. Necesse est ut esse munda studeat manus, quae aliorum sordes curat.
Past. p. 2. c. 2.
2. Lucerna quae non ardet, non accendit. In Ezech. hom. 11.
3. Lingua amoris, ei qui non amat, barbara est. In Cant. s. 79.
4. Spectaculum facti sumus mundo, et Angelis, et hominibus. 1
Cor. iv. 9.
5. In eos, tanquam in speculum, reliqui omnes oculos conjiciunt, ex
iisque sumunt quod imitentur. Sess 22. cap. 1. de Ref.
6. De medio populi segregantur, ut, non solum seipsos, verum et populum
tueantur ; vero, ad hanc tuitionem, clericalis non sufficit
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 65
CONCLUSION.
COMBIEN IL IMPORTE QUE LE
PRETRE SOIT SAINT.
De toutes ces considérations le Docteur an-gélique conclut:
« Pour s'acquitter dignement de ses sublimes fonctions, ce n'est
pas assez que le prêtre ait une vertu commune et ordinaire, il lui
faut une vertu éminente1. » Il dit dans un autre endroit :
« Ceux qui passent leur vie au milieu des divins mystères
doivent être parfaits en toutes sortes de vertus2. » Et ailleurs
: « On ne peut dignement remplir de si hautes fonctions, à
moins d'avoir atteint la vraie perfection3. »
Les prêtres doivent être saints : autrement, loin d'honorer,
ils déshonoreront ce Dieu dont ils sont les ministres. Ils seront
saints pour leur Dieu, et ils ne souilleront point son nom4. Si on voyait
le ministre d'un roi folâtrer sur les places publiques, courir les
tavernes, frayer avec la po-pulace, tenir des propos et se permettre des
choses peu honorables pour son maître, quel cas ferait-on de ce roi?
Ainsi les mauvais prêtres déshonorent-ils Jésus-Christ
dont ils sont les in-dignes ministres. Saint Jean Chrysostome esti-mait
qu'à la vue de pareils prêtres, les païens
praerogativa dignitatis, nisi dignitati adjungatur cumulus sanctitatis.
PHILIPPUS, abbas Bonae Spei. De Dignit. cler. c. 2.
1. Ad idoneam exsecutionem Ordinum, non sufficit bonitas qualis-cumque,
sed requiritur bonitas excellens. Suppl. q. xxxv. a. 1.
2. Illi qui in divinis mysteriis applicantur, perfecti in virtute esse
debent. In 4 Sent. d. 24. q. iii. a. 1.
3. Interior perfectio ad hoc requiritur, quod aliquis digne hujus modi
actus exerceat. 2. 2. q. CLXXXIV. a. 6.
4. Sancti erunt Deo suo, et non polluent nomen ejus. Levit. xxi. 6.
LE PRÊTRE. — T. I. 5
Que le prêtre
soit saint pour l'honneur
de Jésus-Christ,
66 CHAPITRE TROISIÈME.
seraient en droit de s'écrier : « Qu'est-ce donc que ce
Dieu qui a de tels ministres? Les sup-porterait-il, s'il n'approuvait leur
conduite1 ? » Pareillement, les Chinois, les Indiens pourraient,
en voyant l'inconduite d'un prêtre de Jésus-Christ, s'écrier
à bon droit: Quel moyen de tenir pour le vrai Dieu, celui qui nous
envoie de tels apôtres ? S'il était le vrai Dieu, comment
pourrait-il voir leurs désordres sans les punir, sous peine de par-ticiper
à leurs vices?
Aussi saint Paul disait-il en exhortant les prêtres: Montrons-nous
en toutes choses comme de vrais ministres de Dieu, c'est-à-dire
faisons-nous reconnaître pour de vrais ministres de Dieu, et cela,
ajoutait-il, par une grande patience à sup-porter la pauvreté,
les maladies, les persécutions ; par les veilles et les jeûnes,
de telle sorte que toujours nous ayons à cœur de procurer la gloire
de Dieu et que jamais nous ne cessions de mor-tifier notre chair ; par
la pureté, par la science, par la mansuétude, par une charité
sincère, en nous conservant dans la chasteté, en nous appli-quant
à la science afin d'aider les âmes, en traitant le prochain
avec douceur et vraie charité; tristes à l'extérieur,
mais toujours dans la joie : loin des plaisirs du monde, notre vie semblera
triste, mais nous goûterons la paix que goûtent les en-fants
de Dieu ; n'ayant rien et possédant tout2,
1. Qualis est Deus eorum, qui talia agunt ? numquid sustineret eos
talia facientes, nisi consentiret eorum operibus ? Hom. 10.
2. In omnibus exhibeamus nosmetipsos sicut Dei ministros. In multa
patientia, in vigiliis, in jejuniis, in castitate, in scientia, in suavitate,
in charitate non ficta ; quasi tristes, semper autem gau-dentes; tanquam
nihil habentes, et omnia possidentes.IICor.vi.4. 10.
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 67
pauvres des biens de la terre, mais véritablement riches,
c'est-à-dire riches dans le Seigneur, parce que posséder
Dieu, c'est posséder tout. Voilà ce que doivent être
les prêtres. Ministres du Dieu de sainteté, ils doivent être
saints eux-mêmes. Soyez saints, parce que je suis saint1. Ils doivent
se tenir prêts à donner leur vie pour les âmes : ne
sont-ils pas les ministres de Jésus-Christ, qui voulut mourir pour
nous, ses chères brebis, comme il le déclare lui-même
: Je suis le bon pasteur. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis2
? Ils doivent enfin se dépenser tout en-tiers pour que, dans tous
les cœurs, s'allume le feu sacré de l'amour divin : ne sont-ils
pas les ministres du Verbe incarné, descendu sur la terre précisément
à cette fin, comme il le déclare en-core: Je suis venu jeter
le feu sur la terre; et qu'est-ce que je veux, sinon qu'il s'allume3 ?
Avec quelle instance David ne demandait-il pas, pour le salut du monde
entier, que le Sei-gneur daignât revêtir ses prêtres
de justice : Que vos prêtres, disait-il, soient revêtus de
justice4 ! Or la justice comprend toutes les vertus. Il faut par conséquent
que le prêtre apparaisse revêtu de foi, en vivant non pas selon
les maximes du monde mais selon les maximes dé la foi. Les maximes
du monde sont: amassez de l'or et de l'argent,
1. Sancti estote, quia ego sanctus sum. Levit. xi. 44.
2. Ego sum Pastor bonus. Bonus Pastor animam suam dat pro ovibus suis.
Jo. x. 11.
3. Ignem veni mittere in terram; et quid volo, nisi ut accendatur?
Luc. XII. 49.
4. Sacerdotes tui induantur justitiam. Ps. cxxxi. 9.
Pour le bien des âmes,
Pour son propre salut.
68 CHAPITRE TROISIÈME.
faites-vous estimer, procurez-vous toutes les jouissances possibles.
Les maximes de la foi sont: heureux le pauvre, embrassez les mépris,
renon-cez-vous, aimez à souffrir. Il faut de plus que le prêtre
apparaisse revêtu de la sainte confiance, en ne comptant plus que
sur Dieu seul et nulle-ment sur les créatures ; revêtu d'humilité,
en ne s'estimant digne que de châtiments et de mépris ; revêtu
de mansuétude, en traitant tout le monde avec douceur, et spécialement
les personnes co-lères et les gens grossiers. Il faut enfin que
le prêtre apparaisse revêtu de charité envers Dieu et
envers les hommes : envers Dieu, par une vie toute d'union avec Jésus-Christ
et par l'assiduité à l'oraison, afin que son cœur devienne
cet autel où brûle continuellement le feu du divin amour;
envers le prochain, d'abord par l'accomplissement du précepte de
l'Apôtre : Revêtez-vous donc, en tant qu'élus de Dieu,
saints et bien-aimés, d'en-trailles de miséricorde1 ; ensuite
par une sollici-tude jalouse de venir, autant que possible, en aide à
tous, dans leurs nécessités spirituelles et tem-porelles
; je dis : à tous, sans excepter ni les ingrats ni ses ennemis.
« Rien, disait saint Augustin, n'est avantageux ici-bas, ni honorable
aux regards des hommes, comme le ministère sacerdotal. Mais, aux
regards de Dieu, rien n'est aussi formidable, important et dangereux2.
» Oui, c'est un grand bonheur et
1. Induite vos ergo, sicut electi Dei, sancti et dilecti,
viscera misericordiae. Col. iii. 12. 2. Nihil in hac vita felicius et hominibus
acceptabilius Presbyteri
DE LA SAINTETÉ REQUISE
DANS LE PRETRE. 69
un grand honneur pour un homme que de se voir élevé au
sacerdoce; d'avoir assez de puissance pour faire descendre du ciel dans
ses mains le Verbe incarné, pour arracher les âmes au péché
et à l'enfer; d'être le vicaire de Jésus-Christ, la
lumière du monde, le médiateur entre Dieu et les hommes;
de surpasser en grandeur et en no-blesse tous les monarques de la terre;
de pos-séder une autorité supérieure à celle
des anges ; en un mot, d'être, selon l'expression de saint Clément
pape, un Dieu ici-bas. Rien de plus avantageux donc, ni de plus honorable
; rien non plus d'aussi formidable.
Si Jésus-Christ descend dans les mains du prêtre pour
se donner à lui en nourriture, il faut que le prêtre surpasse
en pureté cette eau limpide et mystérieuse qui fut montrée
à saint François d'Assise. Si le prêtre s'interpose
auprès de Dieu comme médiateur en faveur des hommes, il ne
doit paraître devant Dieu que l'âme entièrement exempte
de péché. Si le prêtre est le vicaire du Rédempteur,
il doit vivre comme le Rédempteur a vécu. Si le prêtre
est la lumière du monde, il doit briller de l'éclat des vertus.
Bref, s'il est prêtre, il doit être saint. Que s'il ne se sanctifie
pas, alors plus les dons qu'il a reçus de Dieu sont considérables,
plus terrible aussi sera le compte qu'il devra lui rendre. « Car,
dit saint Grégoire, les dons de Dieu, en s'augmentant, aug-mentent
le compte qu'il faudra rendre1. » « Cé-
officio ; sed nihil apud Deum miserius, et tristius, et damnabilius.
Epist. 21. E. B.
1. Cum enim augentur dona, rationes etiam crescunt donorum. In Evang.
hom. 9.
Malheur
au prêtre qui se
contenterait
d'une
vertu ordinaire!
70 CHAPITRE TROISIÈME.
leste est le ministère du prêtre, dit saint Bernard, et
lui-même est devenu l'ange du Seigneur : qu'il s'attende par conséquent
à la récompense ou à la réprobation de l'ange1.
» Aussi saint Am-broise le veut-il exempt même des plus légers
défauts. « Ce n'est pas une vertu médiocre et or-dinaire
qui convient au prêtre, dit le saint doc-teur : il s'agit pour lui
de se mettre en garde, non seulement contre de honteuses chutes, mais même
contre les fautes les plus légères2. »
Un prêtre qui n'est pas saint est donc en grand danger de se
damner. Or certains prêtres, disons mieux, la plupart des prêtres,
que font-ils pour se sanctifier? Ils disent la messe et l'office, voilà
tout ; pas d'oraison, pas de mortification, pas de recueillement. — Mais,
dira l'un d'eux, il suffit que je me sauve ! — Non, cela ne suffit pas.
« Car, remarque saint Augustin, si vous dites: c'est assez, vous
êtes perdu3. » — Pour se sanc-tifier, il faut que le prêtre
vive dans un complet détachement, sans relations avec le monde ni
recherche des honneurs, et surtout sans attache immodérée
à ses parents. Ceux-ci, en le voyant déployer tout son zèle,
non pour l'avancement de sa famille, mais seulement pour les intérêts
de Dieu, lui diront : Pourquoi vous conduisez-vous de la sorte4 ? Qu'il
sache leur répondre comme l'En-
1. Cœleste tenet officium, angelus Domini factus est ; tanquam angelus,
aut eligitur, aut reprobatur. Declam. n. 24.
2. Neque enim mediocris virtus sacerdotalis est, cui cavendum, non
solum ne gravioribus flagitiis sit affinis, sed ne minimis quidem. Epist.
82.
3. Si dixeris : Sufficit ; et periisti. Serm. 169. E. B.
4. Quid facis nobis sic?
DE LA SAINTETÉ REQUISE DANS
LE PRETRE. 71
fant Jésus à sa sainte Mère quand elle le retrouva
dans le Temple : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ignoriez-vous qu'il faut
que je sois aux choses qui regardent mon Père1 ? En d'autres termes
: est-ce vous qui m'avez fait prêtre? ne savez-vous pas que le prêtre
ne doit s'occuper que de Dieu? c'est donc de Dieu seul que je veux m'occuper.
1. Quid est quod me quaerebatis ? nesciebatis quia in his quae
Patris mei sunt oportet me esse. Luc. II. 49.
CHAPITRE QUATRIÈME.
GRAVITÉ ET CHATIMENT DU
PECHE COMMIS PAR LE PRÊTRE.
I.
COMBIEN LE PRÊTRE EST COUPABLE QUAND IL PECHE.
Énorme est le péché du prêtre, parce qu'il
se commet en pleine lumière : quand le prêtre pèche,
il sait bien ce qu'il fait. Le péché, dit saint Thomas, est
bien plus grand dans un chré-tien que dans un infidèle, «
précisément parce que le premier est éclairé1.
» Mais que sont les lumières d'un simple chrétien,
comparées à celles du prêtre? Ce dernier connaît
si bien la loi divine qu'il l'enseigne aux autres. Les lèvres du
prêtre garderont la science, et c'est de sa bouche que l'on recherchera
la loi2. De là cette sentence de saint Ambroise : « Il est
bien grand, le péché de celui
Il pèche sans excuse,
1. Propter notitiam veritatis. 2. 2. q. x. a. 3. 2. Labia enim
sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus. Mal. II.
7.
74 CHAPITRE QUATRIEME.
qui connaît la loi et la transgresse, car celui-là
n'a point l'ignorance pour excuse1. »
Les pauvres séculiers pèchent ; mais ils vivent au milieu
des ténèbres du monde, loin des sacre-ments, sans presque
connaître les choses de la religion ; tout entiers aux affaires du
siècle, ils ne connaissent que fort peu leur créateur : aussi
comprennent-ils fort peu ce qu'ils font en pé-chant, et, pour parler
comme David, ils lancent leurs flèches dans l'obscurité2.
Mais les prêtres ont tant de lumière, que, semblables à
des flambeaux, ils éclairent les peuples. Vous êtes, leur
dit Jésus-Christ, la lumière du monde3. Après tant
de prédications qu'ils ont entendues, tant de livres qu'ils ont
étudiés, tant de médita-tions qu'ils ont faites, tant
d'avis qu'ils ont reçus de leurs supérieurs, rien ne manque
à leur ins-truction ; aux prêtres peut s'adresser cette parole
de Jésus-Christ : Pour vous, il vous a été donné
de connaître le mystère du royaume de Dieu4. Aussi savent-ils
parfaitement combien Dieu mé-rite qu'on le serve et qu'on l'aime
; non moins évidente est à leurs yeux la malice que renferme
le péché mortel, ce monstre dont l'hostilité et l'antagonisme
contre Dieu sont tels, que, si Dieu pouvait périr, certainement
il succomberait sous les coups d'un seul péché mortel. «
Le péché, dit saint Bernard, attente à la bonté
divine. Le péché, dit-il encore, met tout en œuvre pour détruire
1. Scienti legem, et non facienti, peccatum est grande. De Dignit.
sac. c. 3.
2. Sagittant in obscuro. Ps. x. 3.
3. Vos estis lux mundi. Matth. y. 14.
4. Vobis datum est nosse mysterium regni Dei. Luc. viii. 10.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRETRE. 75
Dieu1. » « En sorte, remarque saint Jean Chry-sostome,
que, dans sa volonté, le pécheur donne la mort à Dieu2.
» « Car, ajoute le père Medina, le péché
mortel inflige à Dieu un tel déshonneur et il lui inspire
une telle horreur, que, si c'était possible, Dieu en concevrait
une tristesse infinie, capable de le faire mourir3. » Le prêtre
sait tout cela, il sait également quelles obligations il a d'aimer
et de servir ce Dieu qui le comble de ses faveurs. En péchant, il
se rend donc d'autant plus coupable qu'il comprend mieux l'énormité
de l'injure faite à Dieu. « Oui, dit saint Grégoire,
plus il est éclairé, plus il pèche gravement4».
Dans le prêtre, comme dans les anges qui péchèrent
en pleine lumière, chaque péché est un péché
de malice. « Il est devenu un ange du Seigneur, dit saint Bernard
à propos du prêtre : aussi pécher dans la cléricature,
ajoute le saint docteur, c'est pécher dans le ciel5 .» De
même donc qu'il pèche en pleine lumière, ainsi son
péché, comme, nous l'avons dit, est un péché
de malice. De fait, il ne peut alléguer son ignorance, car il sait
parfaitement quel mal c'est que le péché mortel. Il ne peut
pas davantage alléguer sa faiblesse, car il connaît parfaitement
les moyens pour avoir, s'il le veut, toutes les forces
1. Peccatum est destructivum divinae bonitatis. Peccatum, quantum in
se est, Deum perimit. In Temp. Pasch. s. 3.
2. Quantum ad voluntatem suam, occidit Deum. Hom. 40.
3. Peccatum mortale, si possibile esset, destrueret Deum, eo quod esset
causa tristitiae (in Deo) infinitae. De Satisf. q. 1.
4. Quo melius videt, eo gravius peccat.
5. Angelus Domini factus est ; in clero quippe, tanquam in cœlo, gerens
iniqua. Declam. n. 24.
Par malice,
76 CHAPITRE QUATRIÈME.
nécessaires ; que s'il ne le veut pas, à lui la faute.
Il ne veut pas connaître le bien, pour n'avoir pas
à le pratiquer1.
« Le péché de malice, dit saint Thomas, est celui
qui se commet avec une pleine et entière connaissance de cause2.
» « Ce péché-là, dit-il autre part, est
un péché contre le Saint-Esprit3. » Or nous lisons
dans saint Matthieu que le péché contre le Saint-Esprit ne
sera remis ni en ce siècle ni au siècle à venir4 ;
c'est-à-dire qu'il est fort difficile d'en obtenir le pardon, à
cause de l'aveuglement dans lequel on tombe par suite du péché
de malice.
Quand Notre-Seigneur, attaché à la croix, pria pour ses
bourreaux, il dit: Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce
qu'ils font5. Mais cette prière ne compte pas pour les mauvais prêtres
; elle est bien plutôt leur condamnation, car ils savent parfaitement
ce qu'ils font. Comment, disait en gémissant Jérémie,
l'or s'est-il obscurci, et comment a-t-il perdu sa couleur éclatante6
? D'après le cardinal Hugues de Saint-Cher, cet or obscurci représente
le prêtre en état de péché: lui qui devrait
resplendir de l'éclat du divin amour, le voilà devenu, par
le péché, tellement noir et affreux, qu'il fait horreur même
à l'enfer et que
1. Noluit intelligere, ut bene ageret. Ps. xxxv. 4.
2. Scienter eligitur. l. 2. q. LXXVIII. a. 1.
3. Omne peccatum ex malitia, est contra
Spiritum Sanctum. De Malo. q. III. a. 14.
4. Non remittetur ei, neque in hoc saeculo,
neque in futuro. Matth. XII. 32.
5. Rater, dimitte illis; non enim sciant quid faciunt. Luc. xxiii.
34.
6. Quomodo obscuratum est aurum, mutatus est color optimus? Thren.
iv. 1.
GRAVITÉ DES PECHES
DU PRETRE. 77
Dieu le hait comme il ne hait aucun autre pé-cheur. «
Quand l'outrage lui vient de ceux qu'il a honorés de l'éclat
du sacerdoce, c'est alors surtout, dit saint Jean Chrysostome, que Dieu
ressent l'injure1. »
La malice du péché s'augmente dans le prêtre de
l'ingratitude avec laquelle il traite son Dieu qui l'a tant exalté.
Selon saint Thomas, « un péché est d'autant plus grand
qu'il y a plus d'ingratitude dans celui qui le commet2. » «
Nous-mêmes, dit saint Basile, aucune offense ne nous déchire
le cœur comme celle qui nous est faite par nos proches et nos amis les
plus intimes3. » Or les prêtres sont précisément,
ainsi que les appelle saint Cyrille, « les favoris et les amis intimes
de Dieu4. » En effet, Dieu peut-il faire plus pour un homme que de
l'élever au sacerdoce ? « Amon-celez tous les honneurs, toutes
les dignités, dit saint Ephrem: le prêtre les dépasse
tous5. » Quel plus grand honneur, quelle plus grande dignité
Dieu peut-il accorder à un homme, que de l'ins-tituer son vicaire,
son coadjuteur, le sanctifica-teur des âmes et le dispensateur de
ses sacre-ments? « Oui, dit saint Prosper, les prêtres sont
les intendants de la maison du Roi des rois6. » Le Seigneur choisit
le prêtre entre tant de mil-
1. Nulla re Deus magis offenditur, quam quando peccatores sa-cerdotii
dignitate praefulgent. In Matth. hom. 41.
2. Sum. th 1. 2. q. LXXIII. a. 10.
3. Naturaliter magis indignamur his qui nobis familiarissimi sunt,
cum in nos peccaverint. Glossa, in I Pet. iv.
4. Dei intimi familiares.
5. Enumera honores, dignitates ; omnium apex est Sacerdos.
6. Dispensatores regiae domus.
Avec ingratitude.
78 CHAPITRE QUATRIÈME.
liers d'hommes, il le fait son ministre, et c'est son propre Fils qu'il
le charge de lui offrir en sacrifice. Il l'a choisi entre tous les vivants,
dit l'Ecclésiastique, pour offrir le divin sacrifice1. Il lui donne
ainsi pouvoir sur le corps de Jésus-Christ ; de plus il lui remet
entre les mains les clefs du ciel; il l'élève au-dessus de
tous les rois de la terre et de tous les anges du ciel; bref, il en fait
un Dieu ici-bas. Aussi est-ce uniquement au prêtre que le Seigneur
semble adresser ces paroles du prophète : Qu'est-ce que j'ai dû
faire de plus à ma vigne, que je ne lui aie pas fait2 ? Après
cela, quelle monstrueuse ingratitude de voir ce même prêtre
offenser ce Dieu qui l'a tant aimé, et l'offenser jusque dans sa
maison! Pour-quoi mon bien-aimé a-t-il dans ma propre maison commis
tant de crimes3 ? « Hélas ! Seigneur mon Dieu, s'écrie
en gémissant saint Bernard, les plus ardents à vous persécuter,
ce sont ces mêmes prêtres que vous comblez d'honneur dans votre
Église4 ! »
C'est encore des prêtres que le Seigneur semble se plaindre,
lorsque, par ces autres paroles de son prophète, il prend à
témoin le ciel et la terre de l'ingratitude avec laquelle le traitent
ses en-fants : Écoutez, cieux; terre, prête l'oreille : j'ai
1. Ipsum elegit ab omni vivente, offerre sacrificium Deo. Eccli. XLV.
20.
2. Quid est quod debui ultra facere vineae meae, et non feci ei ? Is.
v. 1.
3. Quid est, quod dilectus meus, in domo mea, fecit scelera multa?
Jer. xi 15.
4. Heu, Domine Deus, quia ipsi sunt in persecutione tua primi, qui
videntur in Ecclesia tua gerere principatum ! In Convers. S. Paul. s. 1.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRÊTRE. 79
nourri des fils et je les ai élevés, mais eux m'ont méprisé1.
En effet, ces fils, ne sont-ce pas les prêtres, que Dieu traite avec
tant de distinction, qu'il nourrit à sa table de sa propre chair,
et qui ont ensuite l'audace de mépriser son amour et sa grâce
? Ainsi se plaint-il également par la bouche de David : Si mon ennemi,
un idolâtre, un hérétique, un homme du monde, m'offensait,
je pourrais le supporter. Mais c'est toi qui me persécutes, toi,
ô mon prêtre, un autre moi-même, un de mes lieutenants
et mon ami intime, toi qui partageais avec moi les mets de l'amitié2
! Même plainte de la part du Seigneur dans Jéré-mie
: Ceux qui se nourrissaient délicieusement,... ceux qui se revêtaient
de pourpre ont embrassé les immondices3. Ces hommes vêtus
de pourpre, dont il s'agit ici d'après les interprètes du
texte hébreu, ce sont bien certainement les prêtres, honorés
à bon droit de la pourpre, car, dit saint Pierre, vous êtes,
vous, une race choisie, un sacer-doce royal4. Or, quelle misère
! quelle horreur! Celui qui s'asseyait à une table céleste
et qui por-tait des vêtements de pourpre, le voilà couvert
des haillons du péché et réduit à se nourrir
d'ordures et de fange !
1. Audite, cœli, et auribus percipe, terra. Filios enutrivi et exal-tavi
; ipsi autem spreverunt me. Is. I. 2.
2. Si inimicus meus male dixisset mihi, sustinuissem inique... ; tu
vero, homo unanimis, dux meus et notus meus, qui simul mecum dulces capiebas
cibos. Ps. LIV. I3.
3. Qui vescebantur voluptuose,... qui nutriebantur in croceis, amplexati
sunt stercora ! Thren. iv. 5.
4. Vos autem genus electum, regale sacerdotium. / Pet. 11. 9.
8o
CHAPITRE QUATRIÈME.
II.
LE PRÊTRE EN PÉCHANT DEVIENT LA PROIE DE L'ENFER.
Voyons maintenant quel châtiment s'attire le prêtre quand
il pèche : châtiment en rapport avec la gravité du
péché. Selon la mesure du péché sera la mesure
des coups1, dit la sainte Écri-ture. Saint Jean Chrysostome tient
pour damné celui qui commet, dans le temps de son sacer-doce, ne
fût-ce qu'un seul péché mortel. « Si vous péchez
dans les rangs des simples fidèles, dit-il, vous en porterez la
peine. Si vous péchez dans le sacerdoce, vous êtes perdu2.
» Effrayantes, en effet, sont les menaces que le Seigneur, par la
bouche de Jérémie, adresse aux prêtres qui pè-chent
: Le prophète et le prêtre se sont souillés, et dans
ma maison j'ai trouvé leur mal, dit le Seigneur. C'est pour cela
que leur voie sera comme un chemin glissant dans les ténèbres,
car ils seront poussés et ils tomberont pour toujours3. Si quelqu'un
avait à voyager le long d'un pré-cipice, par un chemin glissant
et au milieu de ténèbres tellement épaisses qu'il
ne pourrait poser le pied qu'au hasard, seriez-vous tranquille à
son sujet, surtout s'il avait en même temps autour de lui des gens
occupés à le pousser violemment
1. Pro mensura peccati erit et plagarum modus. Deut. xxv. 2.
2. Si privatim pecces, nihil tale passurus es ; si in sacerdotio peccas,
periisti. In Act. Ap. hom. 3.
3. Propheta namque et Sacerdos polluti sunt, et in domo mea inveni
malum eorum, ait Dominas. Idcirco via eorum erit quasi lubricum in tenebris;
impellentur enim, et corruent in ea. Jer. xxiii. 11.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRETRE. 8l
afin de le faire tomber dans l'abîme ? Tel est cependant le lamentable
état auquel se réduit le prêtre quand il commet un
péché mortel.
Un chemin glissant dans les ténèbres, dit le prophète.
En péchant, le prêtre perd la lumière, et il tombe
dans l'obscurité. 77 eût mieux valu pour eux, dit saint Pierre,
ne pas connaître la voie de la justice, que de l'avoir connue et
de revenir ensuite en arrière1. Oui, pour le prêtre qui pèche,
combien il vaudrait mieux n'être qu'un pauvre villageois sans études
ni science! En effet, s'il arrive qu'avec tant de connaissances puisées
dans les livres et les orateurs sacrés, tant d'avis reçus
de ses directeurs, tant de lumières envoyées par Dieu, le
prêtre a le malheur de pécher en foulant aux pieds tant et
de si grandes faveurs, alors tout ce qu'il possède de lumières
ne sert qu'à le précipiter dans des ténèbres
plus épaisses et une ruine plus complète. « Alors,
dit saint Jean Chrysostome, sa science n'est plus grande que pour lui mériter
un plus grand châ-timent2. » Quand même, ajoute-t-il,
un prêtre ne commettrait que des péchés dont se rendent
également coupables les simples fidèles, il encour-rait non
pas un pareil, mais un bien plus grand châtiment ; car il se trouverait
ensuite plongé dans des ténèbres beaucoup plus épaisses.
Ainsi s'accomplit sur lui la menace du prophète : afin
1. Melius erat illis non cognoscere viam justitiae, quam, post agni-tionem,
retrorsum converti. II Pet. II. 21.
2. Major scientia majoris pœnae fit materia. Propterea sacerdos, si
eadem cum subditis peccata committit, non eadem, sed multo acerbiora patietur.
Ad. pop. Ant. hom. 77.
Aveuglement
d'esprit,
LE PRÊTRE. — T. I.
Ruine irréparable,
82 CHAPITRE QUATRIÈME.
que voyant, ils ne voient point, et qu'entendant ils ne comprennent
point1.
Au surplus l'expérience est là pour le démon-trer.
« Après avoir péché, dit saint Jean Chry-sostome,
un simple fidèle revient facilement à résipiscence.
» Il pèche; mais ensuite, s'il assiste à une mission
ou seulement à quelque sermon apostolique sur l'une des grandes
vérités, telles que la malice du péché, la
certitude de la mort, la rigueur des jugements de Dieu, les peines de l'enfer,
c'est assez pour qu'il rentre en lui-même et revienne à Dieu
; car, ainsi que remarque le saint, ces vérités sont pour
lui comme une révé-lation et elles le pénètrent
de crainte. Mais quand un prêtre a tout foulé aux pieds, grâces
de Dieu, inspirations célestes, science de la théologie,
que lui font encore et les vérités éternelles et les
me-naces de l'Écriture? « Nos livres sacrés, continue
saint Jean Chrysostome, ont perdu tout prestige à ses yeux, et il
en fait peu de cas, car les plus terribles vérités ne lui
disent plus rien. Ah ! qu'il est difficile, pour ne pas dire impossible,
qu'après avoir péché en pleine lumière, ce
prêtre se corrige jamais2 ! »
« Elle est grande la dignité des prêtres, dit saint
Jérôme ; mais, s'ils viennent à tomber dans
1. Ut videntes non videant, et audientes non intelligant. Luc. viii.
10. — Is. vi. 9.
2. Saecularis homo, post peccatum, facile ad pœnitentiam venit. Quia,
quasi novum aliquid audiens, expavescit... Omnia enim quae sunt in Scripturis
ante oculos ejus inveterata et vilia aestimantur ; nam quidquid illuc terribile
est, usu vilescit. Nihil autem impossi-bilius quam illum corrigere qui
omnia scit. Hom. 40.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRETRE. 83
le péché, bien grande aussi est leur ruine1 ! »
Saint Bernard ajoute : « Leur chute est d'autant plus profonde que
Dieu les a élevés davantage ; car plus on tombe de haut,
plus on tombe bas2. » Celui qui est debout sur le sol et qui tombe
ne peut se faire grand mal ; mais, pour celui qui tombe d'un lieu élevé,
on ne dit pas seulement qu'il a été renversé, mais
qu'il a été précipité: aussi d'ordinaire il
y laisse la vie. «De même donc, dit saint Ambroise, qu'on ne
tombe guère de haut sans courir le risque de se briser les membres,
de même on court le plus grand danger quand, élevé
à la plus sublime dignité, on tombe dans le péché3.
» « Oui, conclut saint Jérôme, nous tous qui sommes
prêtres, jouissons de nous voir dans un poste si sublime, mais craignons
d'autant plus de tomber4. »
En vérité, c'est aux prêtres que Dieu semble s'adresser
quand il dit dans Ezéchiel : Je t'ai établi sur la montagne
sainte du Seigneur,... et tu as péché ; et je t'ai chassé
de la montagne de Dieu, et je t'ai exterminé5. Prêtres, dit
encore le Seigneur, je vous ai placés sur ma sainte mon-tagne et
j'ai fait de vous les lumières du monde : Vous êtes là
lumière du monde ; une ville ne peut échapper aux regards
quand elle est située sur
1. Grandis dignitas sacerdotum ; sed grandis ruina eorum, si peccant.
In Ezech. xliv.
2. Ab altiori gradu fit casus gravior. Declam. n. 25.
3. Ut levius est de piano corruere, sic gravius est qui de sublimi
ceciderit dignitate ; quia ruina quae de alto est, graviori casu colli-ditur.
De Dignit. sac. c. 3.
4. Laetemur ad ascensum, sed timeatnus ad lapsum. In Ezech. XLIV.
5. Posui te in monte Sancto Dei..., et peccasti ; et ejeci te de monte
Dei et perdidi te. Ezech. xxviii. 14.
84 CHAPITRE QUATRIÈME.
une montagne1. Saint Laurent Justinien a donc raison d'écrire
que les prêtres, ayant reçu de Dieu de si grandes grâces,
s'attirent par leurs péchés un châtiment d'autant plus
rigoureux : « plus ils se trouvent élevés en dignité,
plus leur chute est dangereuse et leur ruine irréparable 2. »
« Celui qui tombe dans un fleuve, dit Pierre de Blois, s'y enfonce
d'autant plus profondément qu'il tombe de plus haut3. » Mon
frère, comprenez que Dieu, en vous élevant à la dignité
sacerdotale, vous plaça sur les hauteurs du ciel, de telle sorte
que vous avez cessé d'être une créature terrestre pour
devenir une créature céleste ; si vous péchez, vous
tombez du ciel : pensez donc quelle chute formidable ! « Qu'y a-t-il
de plus élevé que le ciel ? dit saint Pierre Chrysologue
: or c'est du ciel que tombe le prêtre quand il mêle le péché
à ses fonctions célestes4. » « Comme la foudre
tombe avec fracas, ainsi tomberez-vous, dit saint Ber-nard en s'adressant
au prêtre ; et telle sera la vio-lence de votre chute, que vous ne
pourrez plus vous relever5. » Ils tomberont pour toujours6, prophétise
Jérémie; ainsi s'accomplira sur votre tête, ô
prêtre infortuné, cette menace du Seigneur : Et toi, Capharnaüm,
élevée jusqu'au ciel, tu seras plongée jusqu'au fond
de l'enfer7.
1. Vos estis lux mundi. Non potest
civitas abscondi, supra montem posita. Matth. v.
14.
2. Quo est gratia cumulatior, et status sublimior, eo casus est gravior,
et damnabilior culpa. De Compunct. p. 1.
3. Altius mergitur, qui de alto cadit.
4. Quid altius cœlo? De cœlo cadit, in cœlestibus qui delinquit.
S.26. 5. Tanquam fulgur in impetu vehementi dejicieris. Declam. 11. 25.
6. Corruent in ea. Jer. xxiii. 12.
7. Et tu, Capharnaum, usque ad cœlum exaltata; usque ad infer-num demergeris.
Luc. x. 15.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRÊTRE. 85
Terrible châtiment que ce prêtre mérite bien, puisque,
en péchant, il commet la plus mons-trueuse ingratitude contre Dieu.
Il devrait être d'autant plus reconnaissant qu'il en a reçu
de plus grandes grâces. « Car, dit saint Grégoire, les
dons de Dieu, en s'augmentant, augmentent le compte qu'il faudra rendre1.
» Mais l'ingrat, que mérite-t-il, sinon, comme le remarque
un savant auteur, « d'être dépouillé de tous
les dons qu'on lui a faits - ? » On donnera, dit Jésus-Christ,
à celui qui a, et il sera dans l'abondance ; mais à celui
qui n'a pas, même ce qu'il semble avoir lui sera ôté3.
Dieu verse l'abondance de ses grâces sur les âmes reconnaissantes.
Mais le prêtre qui, après avoir reçu tant de lumières
et tant de fois communié, ose, en foulant aux pieds toutes les faveurs
dont Dieu l'a comblé, se révolter contre lui et renoncer
à sa grâce, assurément ce prêtre mérite
de tout perdre. Le Seigneur est libéral envers tous, mais non envers
les ingrats. « L'in-gratitude, dit saint Bernard, dessèche
la source des faveurs divines4. » De là cette exclamation
de saint Jérôme : « Il ne se trouve pas dans l'univers
un monstre comparable au prêtre en état de péché,
car le malheureux ne souffre pas même qu'on le reprenne5. »
Les simples fidèles, dit également saint Jean Chrysostome,
ou l'auteur, quel qu'il
1. Cum enim augentur dona, rationes etiam crescunt donorum. In Evang.
hom. 9.
2. ingratus meretur beneficii subtractionem.
3. Omni enim habenti dabitur, et abundabit ; ei autem qui non habet,
et quod videtur habere, auferetur ab eo. Matth. xxv. 29.
4. Ingratitudo exsiccat fontem divinae pietatis. In Cant. s. 51.
5. Nulla certe in mundo tam crudelis bestia, quam malus sacerdos; nam
corrigi non patitur. EUSEB. Ep. ad Dam. de morte Hier.
Abandon de la grâce,
86
CHAPITRE QUATRIÈME.
soit, de L'Ouvrage imparfait, « les simples fidèles
pèchent, mais ils reviennent facilement à résipis-cence.
Quant aux prêtres, une fois mauvais, ils sont incorrigibles1. »
Et c'est surtout aux prêtres, comme le voulait déjà
saint Pierre Damien2, que s'appliquent ces paroles de l'Apôtre :
II est im-possible à ceux qui ont été une fois illuminés,
qui ont goûté le don du ciel, qui ont été faits
participants de l'Esprit-Saint, et qui après cela sont tombés,
d'être renouvelés par la pénitence3. En effet, n'est-ce
pas le prêtre surtout qui reçoit les lumières de Dieu,
goûte les dons du ciel et participe aux grâces du Saint-Esprit?
Les anges rebelles, dit saint Thomas, s'obstinèrent dans leur péché
parce qu'ils le commirent en pleine lumière. Voilà précisément,
remarque saint Bernard, le sort du prêtre qui offense Dieu, c'est-à-dire
que, « devenu l'ange du Seigneur, le prêtre doit s'at-tendre
à la récompense ou à la réprobation de l'ange4.
» « En vain, dit le Seigneur dans une révélation
à sainte Brigitte, je considère les païens et les juifs,
je ne trouve personne parmi eux que les prêtres ne surpassent en
malice : leur péché est le même que celui de Lucifer5.
» Remarquons encore ce que dit Innocent III : « Beaucoup de
1. Laici delinquentes facile emendantur ; clerici, si mali fuerint,
inemendabiles sunt. Hom. 4.3.
2. Epist. 1. 4. ep. 3.
3. Impossibile est enim, eos qui semel sunt illuminati, gustaverunt
etiam donum cœleste, et participes facti sunt Spiritus sancti..., et prolapsi
sunt, rursus renovari ad poenitentiam. Heb. vi. 4-6.
4. Angelus Domini factus est ; tanquam angelus, sut eligitur, aut reprobatur.
Declam. n. 24.
5. Ego conspicio paganos et Judasos ; sed nullos video deteriores quam
sacerdotes : ipsi sunt in eodem peccato quo cecidit Lucifer. Rev. l. 1.
c. 47.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRETRE.
87
péchés qui sont véniels dans les simples
fidèles, sont mortels dans les prêtres1. »
Aux prêtres s'applique également ce que dit saint Paul
dans un autre endroit : Une terre qui boit la pluie tombant souvent sur
elle... et qui produit ensuite des épines et des ronces, est aban-donnée
et bien près de la malédiction : sa fin est la combustion2.
Que de grâces, semblables à une pluie abondante, Dieu ne fait-il
pas continuelle-ment descendre sur le prêtre ! Mais, au lieu de fruits
de salut, ce sont les ronces et les épines du péché
que ce prêtre rapporte. Malheureux! le voilà sur le point
d'être rejeté et d'entendre la sentence de sa condamnation,
pour s'en aller, après avoir reçu tant de Faveurs divines,
brûler dans le feu de l'enfer !
Mais quelle crainte peut avoir de l'enfer un prêtre en révolte
contre son Dieu ? Quand les prêtres tombent dans le péché,
ils perdent la lu-mière divine, comme nous l'avons dit; ils perdent
aussi la crainte de Dieu, ainsi que lui-même leur en fait le reproche
: Si moi je suis votre Seigneur, où est la crainte que vous me devez
? dit le Sei-gneur des armées: à vous, ô prêtres,
qui méprisez mon nom3. «En tombant de si haut, dit saint Ber-nard,
les infortunés s'enfoncent tellement dans leur malice, comme dans
un sommeil de mort,
1. Multa sunt laicis venialia, quae clericis sunt mortalia. ln Con-secr.
Pont. s. 1.
2. Terra enim saepe venientem super se bibens imbrem..., proferens
autem spinas ac tribulos, reproba est, et maledicto proxima : cujus consummatio
in combustionem. Heb. vi. 7.
3. Si Dominus ego sum, ubi est timor meus? dicit Dominus exer-cituum
: ad vos, o sacerdotes, qui despicitis nomen meum ! Mal. I. 6.
Mépris des grâces,
88 CHAPITRE QUATRIÈME.
Perte finale.
qu'ils oublient Dieu, et que ses menaces de châ-
timent ne peuvent plus les réveiller : ainsi consi-
dèrent-ils sans épouvante le danger où ils sont
de se perdre1. »
Que personne n'en soit étonné. Le péché
pré-cipite le prêtre au fond d'un abîme où, la
lumière lui faisant défaut, il se met à tout mépriser.
Alors se réalise sur lui la parole du Sage : L'impie, lors-qu'il
est venu au fond des péchés, méprise2. Cet impie,
c'est bien le prêtre qui pèche par malice. Au fond: le prêtre,
par un seul péché, descend aussi bas que possible, et il
tombe dans un abîme de misères. Là, frappé d'aveuglement,
il méprise tout : menaces, remontrances, Jésus-Christ lui-même,
qu'il approche de si près à l'autel, et il ne rougit pas
de l'emporter en malice sur le traître Judas, comme le Seigneur s'en
plaignait un jour à sainte Brigitte : « Ceux-là ne
sont pas mes prê-tres, mais de vrais traîtres3. » Oui,
des traîtres; car, en célébrant sacrilègement,
ils se servent de la messe pour insulter davantage Jésus-Christ.
Après tout cela, quelle sera la fin de ce prêtre ? Hélas
! le voici : Dans la terre des saints il a fait des choses iniques; il
ne verra donc pas la gloire du Seigneur4. L'abandon de Dieu, et puis l'enfer,
telle sera sa fin.
1. Alto quippe demersi oblivionis somno, ad nullum Dominicae comminationis
tonitruum expergiscuntur, ut suum periculum ex-pavescant. In Cant. s. 77.
2. Impius, cum in profundum venerit peccatorum, contemnit. Prov. xviii.
3.
3. Tales sacerdotes non sunt mei sacerdotes, sed veri proditores. Rev.
1. I. c. 47.
4. In terra sanctorum iniqua gessit, et non videbit gloriam Do-mini.
Is. xxvi. 10.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRETRE. 89
Mais, mon père, dira quelqu'un, quel effrayant langage vous
nous tenez là ! Eh quoi ! voulez-vous donc nous jeter dans le désespoir?
— Je réponds avec saint Augustin : « Epouvanté, je
tâche d'épouvanter1. » Donc, répliquera
ce prêtre qui a malheureusement souillé son sacer-doce par
un péché mortel, il faut que je renonce à l'espoir
du pardon? — Non, je ne puis pas dire cela. Il y a espoir, pourvu qu'il
y ait repentir et horreur du péché.
Quelles actions de grâces doit donc rendre au Seigneur ce prêtre,
s'il se sent encore visité par la grâce divine ! Mais, d'un
autre côté, qu'il se hâte de répondre à
l'appel de Dieu ! « Oui, dit saint Augustin, prêtons l'oreille
au Seigneur quand il nous appelle, de crainte qu'il ne fasse la sourde
oreille quand il nous jugera 2. »
CONCLUSION.
LE PRÊTRE DOIT TREMBLER
POUR SON SALUT.
O prêtres mes frères, comprenons quelle est notre dignité
et, comme le dit saint Pierre Da-mien, « sachons en sauvegarder le
noblesse ; mi-nistres de Dieu, rougissons de nous constituer les esclaves
du péché et du démon 3. »
N'imitons pas dans leur folie les séculiers, dont toutes les
pensées se bornent au présent.
1. Territus terreo. Serm. 40. E. B.
2. Audiamus illum, dum rogat, ne nos postea non audiat, dum judicat.
Serm. 29. E B. app.
3. Nobilem necesse est sacerdotem, ut qui, minister est Domini. erubescat
se servum esse peccati. Opusc. 25. c. 2.
A cause
de la rigueur de
son jugement,
90
CHAPITRE QUATRIEME.
Il est arrêté que les hommes meurent une fois et
qu'ensuite se fait le jugement1. Ce jugement, tous nous avons à
le subir. Nous tous, dit encore saint Paul, nous devons comparaître
devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui lui
est dû en toute justice, selon ce qu'il a fait2. Là, il nous
sera dit : Rends compte de ta gestion3, c'est-à-dire de ton sacerdoce.
Comment t'en es-tu acquitté, et à quelle fin ? O prêtres
mes frères, si vous deviez comparaître maintenant au tribunal
de Dieu, seriez-vous sans crainte, ou plutôt ne diriez-vous pas :
Lorsqu'il m'interro-gera, que lui répondrai-je4 ?
Lorsque le Seigneur punit une nation, c'est par les prêtres qu'il
commence. Car les péchés du peuple ont pour cause première,
soit les mau-vais exemples des prêtres, soit leur négligence
à former les âmes. Voici le temps, dit alors le Sei-gneur,
où doit commencer le jugement par la maison de Dieu5. Aussi, dans
le massacre décrit par Ézéchiel, nous voyons tout
d'abord tomber les prêtres. Je veux, dit Dieu lui-même, que
vous commenciez par mon sanctuaire 6, c'est-à-dire par les prêtres,
selon l'explication d'Origène. Un jugement très rigoureux
est réservé à ceux qui commandent7. A celui
auquel on donna beau-
1. Statutum est hominibus semel mori ; post hoc autem, judicium. Heb.
ix. 27.
2. Omnes enim nos manifestari oportet ante tribunal Christi, ut referat
unusquisque propria corporis, prout gessit. II Cor. v. 10.
3. Redde rationem villicationis tuae. Luc. xvi. 2.
4. Cum quaesierit, quid respondebo illi ? Job. xxxi. 14.
5. Tempus est ut incipiat judicium a domo Dei. I Pet. iv. 17.
6. A sanctuario meo incipite. Ezech. ix. 6.
7. Judicium durissimum, his qui praesunt, fiet. Sap. vi. 6.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS DU
PRÊTRE. 91
coup, il sera beaucoup demandé1. Au jour du jugement,
dit l'auteur de L'Ouvrage imparfait, les laïques recevront l'étole
sacerdotale. Le prêtre en état de péché sera
dépouillé de sa dignité, et il se verra relégué
parmi les infidèles et les hypo-crites 2. Ecoutez ceci, ô
prêtres : le jugement se fera contre vous3.
De même que les prêtres coupables subiront le plus rigoureux
des jugements, ainsi l'enfer le plus épouvantable leur est réservé.
Écrase-les jusqu'à deux fois 4, dit le Seigneur. «
Elle est grande la dignité des prêtres, s'écrie saint
Jérôme ; mais s'ils viennent à tomber dans le péché,
bien grande aussi est leur ruine5 ! » « Quand même, dit
saint Jean Chrysostome, un prêtre ne commettrait que les péchés
dont se rendent coupables les simples fidèles, il encourrait non
pas un pareil, mais un bien plus rigoureux châtiment6. » Il
fut révélé à sainte Brigitte « qu'en
enfer les prêtres se trouvent plus enfoncés dans les flammes
que tous les autres damnés7. » Quelle joie parmi les démons
quand ils voient arriver un prêtre ! Tout l'enfer se met en émoi
et vient à sa rencontre. Au moment de
1. Omni autem cui multum datum est, multum quaeretur ab eo. Luc. XII.
48.
1. Laicus, in die judicii, stolam sacerdotalem accipiet ; sacerdos
autem peccator spoliabitur dignitate, et erit inter infideles et hypo-critas.
Hom. 40.
3. Audite hoc, sacerdotes...: quia vobis judicium est. Os. v. 1.
4. Duplici contritione contere eos. Jer. xvii. 18.
5. Grandis dignitas sacerdotum, sed grandis ruina, si peccant. In Ezech.
XLIV. —Cfr. Conc. Parisiense VI. anno 829. cap. 12.
6. Sacerdos, si eadem cum subditis peccata committit, non eadem, sed
multo acerbiora patietur. Ad pop. Ant. hom. 77.
7. Prae omnibus diabolis, profundius submergentur in infernum. Rev.
I. 4. c. 135.
Et de son enfer,
92 CHAPITRE QUATRIÈME.
Et à cause
des tentations
du démon.
son arrivée, dit Isaïe, l'enfer a été
troublé jusque dans ses fondements. Tous les princes se sont levés
de leurs sièges 1, et cela pour céder la première
place au prêtre réprouvé. Isaïe ajoute : Tous
élèveront la voix et te diront : Il fut un temps où
tu régnais sur nous ; que de fois tu as fait descendre le Verbe
incarné sur les autels ! que d'âmes tu as délivrées
de l'enfer ! Maintenant te voilà semblable à nous, et, comme
nous, dans la misère et les supplices. Ton orgueil a été
préci-pité aux enfers : oui, dans ton orgueil, tu as méprisé
Dieu et ton prochain, et ton orgueil a fini par te conduire ici. Ton cadavre
est tombé par terre ; au-dessous de toi la teigne formera ta couche,
et ta couverture seront les vers2. Tu es roi, il te faut donc, une couche
royale et un vête-ment de pourpre. Eh bien ! voici le feu et les
vers qui vont éternellement te dévorer le corps et l'âme.
Oh! comme alors les démons se moque-ront de toutes les messes célébrées,
des sacre-ments administrés et des fonctions accomplies par ce prêtre
! Ses ennemis se sont moqués de ses sabbats3.
O prêtres mes frères, attention ! Les démons tentent
un prêtre plus que cent séculiers, parce qu'un prêtre
qui se damne entraîne avec lui en enfer un grand nombre d'âmes.
« Enlever le pas-
1. Infernus subter conturbatus est in occursum adventus tui... ; omnes
principes terne surrexerunt de soliis suis... 1s. xiv. 9.
2. Universi respondebunt, et dicent tibi : Et tu vulneratus es sicut
et nos, nostri similis effectus es. Detracta est ad inferos superbia tua,
concidit cadaver tuum ; subter te sternetur tinea, et operimentum tuum
erunt vernies. Is. xiv. 10. II
3. Et deriserunt sabbata ejus. Thren. i. 7.
GRAVITÉ DES PÉCHÉS
DU PRETRE. 93
teur, dit saint Jean Chrysostome, c'est dissiper tout le troupeau1.
» Dans un ouvrage qui se trouve rangé parmi les œuvres de
saint Cyprien, nous lisons cette remarque fort juste : « A la guerre
on vise les chefs plus que les simples soldats2. » Saint Jérôme
ajoute : « Le démon ne s'attaque pas aux infidèles,
et, parmi les fidèles, il n'a pas hâte de saisir ceux qui
vivent hors du sanctuaire: ce qu'il lui faut, ce sont, comme dit Habacuc,
les mets exquis3. " Or quels mets plus exquis pour le démon que
les âmes sacerdotales ?
(Ce qui suit peut servir à faire réciter, avec de vrais
sentiments de douleur, l'acte de contrition.)
Que le prêtre se figure donc entendre Jésus-Christ lui
dire, comme autrefois au peuple juif: Quid feci tibi; aut in quo contristavi
te? Res-ponde mihi. Dis-moi, quel mal t'ai-je fait? ou plutôt quel
bien ne t'ai-je pas fait ? — Eduxi te de terra AEgypti. Je t'ai retiré
du monde ; je t'ai choisi parmi tant de séculiers, et j'ai fait
de toi mon prêtre, mon ministre, mon ami. Et toi, pour un vil intérêt,
pour un misérable plaisir, tu m'as de nouveau crucifié !
et tu parasti cru-cem salvatori tuo. — Ego te pavi manna per desertum.
Dans le désert de cette vie, je t'ai, chaque matin, donné
en nourriture, comme une manne céleste, ma chair divine et mon sang
pré-
1. Qui pastorem de medio tulerit, totum gregem dissipat. In I Tim.
hom.1.
2. Plus duces, quam milites, appetuntur in pugna. Inter op. S. CYPR.
De Singul. cler.
3. Non quaerit diabolus homines infideles, non eos qui foris sunt,
de Ecclesia Christi rapere festinat ; escae ejus, secundum Habacuc, electae
sunt. Ep. ad Eustoch.
Douleur
des péchés.
94 CHAPITRE QUATRIÈME.
cieux. Et toi, quels indignes traitements ne m'as-tu pas infligés
par tes paroles et tes actions abo-minables? et tu me cecidisti alapis
et flagellis. — Quid ultra debui facere tibi, et non feci ? Ego plantavi
te, vineam speciosissimam. Je voulais prendre en toi mes plus chères
délices : c'est pourquoi j'ai semé dans ton âme, comme
dans ma vigne préférée, tant de lumières et
tant de grâces. Je comptais sur les fruits les plus suaves et les
plus rares, et tu ne m'as donné que des fruits amers, et tu facta
es mihi nimis amara. — Ego dedi tibi sceptrum regale. J'ai orné
ta main du sceptre royal; non seulement je t'ai sacré roi, mais
je t'ai élevé par-dessus tous les monarques de la terre.
Et toi, tu m'as mis sur la tête une couronne formée avec les
épines de tes mau-vaises pensées ! et tu dedisti capiti meo
spineam coronam. — Ego te exaltavi. Je t'ai exalté au point de t'établir
mon vicaire, de te confier les clefs du ciel; que dis-je ? tu n'étais
rien moins qu'un Dieu sur la terre. Et toi, tu m'as de nou-veau crucifié,
en me méprisant et en foulant aux pieds mes grâces et mon
amitié ! et tu me suspen-disti in patibulo crucis.
CHAPITRE CINQUIÈME.
DU MAL QUE LA
TIÉDEUR FAIT AU PRÊTRE.
I.
C'EST PAR LA TIEDEUR QUE LE DEMON PERD UNE FOULE DE PRETRES.
Voici ce que le Seigneur, dans l'Apocalypse, fait écrire par
saint Jean à l'évêque d'Ephèse : Je sais tes
œuvres, et ton travail, et ta patience1, c'est-à-dire je connais
le bien que tu fais, je con-nais les fatigues que tu essuies pour ma gloire,
je connais ta patience au milieu des peines de ton ministère. Mais
Dieu ajoute : J'ai contre toi que tu es déchu de ta première
ferveur2. Ainsi lui reproche-t-il de n'avoir plus sa ferveur d'au-trefois.
Quel grand mal y avait-il donc en cela? Quel grand mal! écoutez
ce que dit encore le Seigneur: Souviens-toi d'où tu es tombé
; fais pé-nitence et reprends tes premières œuvres: sinon,
Le grand mal que la tiédeur;
1. Scio opera tua, et laborem, et patientiam tuam. Apoc. ii.
2. 2. Sed habeo adversum te, quod charitatem tuam primam
reli-quisti. Apoc. II. 4.
96 CHAPITRE CINQUIÈME.
je viendrai bientôt à toi, et j'ôterai ton chande-lier
de sa place1. Qu'il voie donc d'où il est tombé, qu'il fasse
pénitence, qu'il se mette en devoir de reprendre cette ferveur que
Dieu exige de lui comme de son ministre : autrement Dieu, le trouvant indigne
du ministère qu'il lui a con-fié, le rejettera.
Quoi donc ! c'est un si grand désastre que la tiédeur
traîne à sa suite ? Oui, un si grand dé-sastre ; et,
pour comble de malheur, les âmes tièdes ne s'en aperçoivent
pas : dès lors elles ne l'évitent pas et ne le redoutent
même pas. Ainsi en est-il surtout des prêtres, dont la plupart
viennent donner contre l'écueil caché de la tié-deur,
et qui y périssent en grand nombre. Écueil caché :
car les tièdes se trouvent en si grand danger de se perdre, précisément
parce que la tiédeur dérobe aux âmes la vue de l'immense
désastre qu'elle leur prépare. Sans doute on ne veut pas
se séparer entièrement de Jésus-Christ ; on veut bien
le suivre, mais le suivre de loin, à l'exemple de saint Pierre,
dont saint Matthieu rapporte que, lors de l'arrestation du Rédempteur
dans le jardin des Olives, il le suivait de loin2. Mais il faudra peu de
chose pour tomber au fond de l'abîme, à l'exemple aussi de
saint Pierre, lequel ne fut pas plus tôt entré dans la maison
du grand-prêtre que, sur la simple accusation d'une servante, il
renia Jésus-Christ.
1. Memor esto itaque unde excideris, et age pœnitentiam, et prima opera
fac ; sin autem, venio tibi, et movebo candelabrum tunm de loco suo. Apoc.
II. 5.
2. Petrus autem sequebatur eum a longe. Matth. xxvi. 58.
DU MAL QUE LA TIEDEUR
FAIT AU PRETRE. 97
Celui qui méprise les petites choses, tombera peu à peu1.
Appliquant ce texte précisément aux âmes tièdes,
un interprète dit qu'elles perdent d'abord la dévotion, puis,
passant des fautes lé-gères, dont elles tiennent peu de compte,
aux fautes graves, aux péchés mortels, elles tombent de l'état
de grâce dans l'état du péché2. Eusèbe
d'Emèse dit de « celui qui se permet facilement d'offenser
Dieu par des péchés véniels, qu'il lui sera bien difficile
d'échapper aux péchés mor-tels3.» « Du
reste, ajoute saint Isidore, c'est par un juste jugement de Dieu qu'ayant
fait peu de cas des fautes légères, cette âme en vient
à tomber dans de plus grands péchés 4. » Les
petits excès ne nuisent guère à la santé tant
qu'ils sont rares ; mais s'ils deviennent fréquents, ils produisent,
à force de se répéter, les maladies les plus dange-reuses.
« Te voilà, dit saint Augustin, à l'abri de tes vices,
mais que fais-tu de tes légers défauts ? Tu as secoué
la montagne : prends garde d'être écrasé sous le sable5.
» En d'autres termes, tu as à cœur d'éviter les péchés
graves, mais tu ne redoutes pas les fautes légères : tu n'as
pas péri sous l'énorme rocher du péché mortel,
mais prends garde que tu ne sois écrasé sous le mon-ceau
de sable des péchés véniels.
On sait bien que le péché mortel seul donne la
1. Qui spernit modica, paulatim decidet. Eccli. xix. 1.
2. Decidet a pietate...a statu gratiae in statum peccati.
3. Difficile est ut non cadere in gravia permittatur, qui minus gravia
non veretur. Homil. init. quadr.
4. Judicio autem divino in
reatum nequiorem labuntur, qui distringere minora
sua facta contemnunt. Sent. 1. 2. c. 19.
5. Magna praecavisti ; de minutis quid agis ? Projecisti molem : vide
ne arena obruaris. In Ps. xxxix.
LE PRÊTRE. — T. I.
7
Comment elle
conduit au péché mortel
98
CHAPITRE CINQUIÈME.
Et à l'enfer.
mort à l'âme, et que les péchés véniels,
si nom-breux soient-ils, ne peuvent lui ôter la grâce sanctifiante.
Mais il faut également remarquer ce que dit saint Grégoire
à l'adresse de celui qui commet par habitude une foule de péchés
vé-niels sans s'appliquer, sans même songer à se corriger.
Il en résulte, dit le saint, que, l'habi-tude dépouillant
le péché de sa malice, nous ne craignons bientôt plus
de commettre des péchés mortels; car la crainte de Dieu disparaît
peu à peu, et, celle-ci une fois disparue, « il ne faut pas
grand'chose pour passer des légers aux plus graves manquements1.
» Saint Dorothée, allant plus loin, ajoute : « Faire
peu de cas des petites fautes, c'est nous exposer à tomber dans
une complète insensibilité2.» Celui qui ne tient guère
compte des petites fautes, court risque de tomber dans une indifférence
générale, au point de n'avoir plus horreur même des
fautes mortelles.
Nous savons par le tribunal de la rote que sainte Thérèse
ne commit jamais de faute grave. Néanmoins le Seigneur lui fit voir
un jour la place qui lui était destinée dans l'enfer; non
certes qu'elle l'eût déjà méritée, mais
parce que la sainte, en continuant de mener la vie tiède qu'elle
menait alors, aurait fini par perdre la grâce de Dieu et se serait
damnée. De là cet avertissement de saint
Paul : Ne donnez pas
1. Ut, usu cuncta levigante, nequaquam post committere etiam graviora
timeamus. Mor. 1. 10. c. 14.
2. Periculum est ne in perfectam insensibilitatem deveniamus. Doctr.
3.
DU MAL QUE LA TIÉDEUR
FAIT AU PRETRE. 99
entrée au démon1. Le démon se contente au commencement
d'obtenir que, tenant peu de compte des fautes légères, nous
lui entr'ouvrions la porte; car il saura bien l'ouvrir ensuite tout entière
par le péché mortel. « Ne vous imaginez pas, dit Cassien,
qu'on tombe tout de suite au fond du précipice 2. » Il veut
dire qu'en appre-nant la chute d'une personne de piété, nous
ne devons pas croire que le démon l'ait précipitée
ainsi tout d'un coup; mais il l'a d'abord fait tomber dans l'état
de tiédeur, puis dans l'abîme du péché mortel.
« Combien n'en avons-nous pas connus, s'écrie à ce
sujet saint Jean Chrysos-tome, qui brillaient de l'éclat des vertus,
et qui, se laissant ensuite aller à la tiédeur, ont fini
par tomber dans le gouffre de toutes les iniquités3 ! » Les
chroniques du Carmel rapportent que la vénérable sœur Anne
de l'Incarnation vit un jour dans l'enfer une âme qu'elle avait jusque-là
regardée comme une sainte. Or la malheureuse avait le visage couvert
d'insectes, lesquels repré-sentaient les nombreuses fautes dont
elle s'était rendue coupable sans en tenir compte, et qui lui disaient,
les uns : par nous tu as commencé ; les autres : par nous tu as
continué ; d'autres enfin : par nous tu t'es perdue.
1. Nolite locum dare diabolo. Eph. iv. 27.
2. Lapsus quispiam nequaquam subitanea ruina corruisse credendus est.
Coll. 6. c. 17.
3. Novimus multos, omnes virtutes numero habuisse, et tamen, negligentia
lapsos, ad vitiorum barathrum devenisse. In Matth. hom. 27.
IOO CHAPITRE CINQUIEME.
I.e prêtre tiède.
II.
COMMENT LA TIÉDEUR ENTRAINE LE PRETRE A SA
PERTE.
Je sais tes œuvres : tu n'es ni froid, ni chaud1. Voilà ce que
le Seigneur envoie dire à un autre évêque, celui de
Laodicée ; et voilà ce qu'est le tiède : ni froid,
ni chaud. « L'âme dans la tié-deur, dit Ménochius
sur ce texte de l'Apocalypse, ne voudrait pas, de propos délibéré,
offenser Dieu par un péché mortel ; mais elle n'a aucun souci
de la perfection : ainsi se laisse-t-elle faci-lement aller aux convoitises
des sens 2. » On ne peut pas affirmer positivement d'un prêtre
tombé dans la tiédeur qu'il est froid ; car il ne commet
pas, les yeux ouverts, de péchés mortels. Mais, insouciant
qu'il est d'acquérir la perfection à laquelle son état
l'oblige, il ne tient pas compte des péchés véniels,
et chaque jour il en commet un grand nombre sans se faire aucun scrupule
: mensonges, intempérances dans le boire et le manger, imprécations,
irrévérences au saint autel et dans l'office, médisances
et critiques à l'adresse de tout le monde, plaisanteries déplacées
; il se dissipe en des entreprises et des réjouissances mondaines
; il nourrit des désirs et des attache-ments dangereux ; la vaine
gloire, le respect humain, la susceptibilité, l'amour-propre, le
do-minent ; il ne peut endurer ni une contrariété ni
1. Scio opera tua, quia neque frigidus es, neque calidus.Apoc.iii.
15.
2. Tepidus est, qui non audet Deum mortaliter sciens et volens offendere,
sed perfections vite studium negligit ; unde facile concu-piscentiis se
committit. In Apoc. iii. 16.
Danger
de se perdre
irrévocablement
DU MAL QUE LA TIEDEUR FAIT AU
PRETRE. IOI
une parole blessante; il vit sans oraison, sans dévotion. D'après
le père Alvarez de Paz, « les défauts et les fautes
sont, dans une âme tiède, comme ces légères
indispositions qui n'occa-sionnent pas la mort, mais qui affaiblissent
le corps à tel point qu'une grave maladie ne peut survenir sans
l'abattre entièrement1. » Ainsi le tiède ressemble
à un homme travaillé de diverses infirmités dont aucune
n'est mortelle mais qui le tourmentent toutes sans relâche et l'affaiblissent
assez pour qu'une maladie grave, c'est-à-dire quelque forte tentation,
venant à éclater, il se trouve incapable de résister,
en sorte qu'il suc-combe, et succombe sans espoir de guérison. C'est
pourquoi le Seigneur, continuant de s'a-dresser au tiède, lui dit
: Que ries-tu froid ou chaud ! Mais parce que tu es tiède et que
tu ries ni froid ni chaud, je commence à te vomir de ma bouche2.
Qu'il médite ces terribles paroles, celui qui a le malheur de languir
dans l'état de tiédeur, et qu'il tremble !
Que ries-tu froid! Il vaudrait donc mieux, d'après la parole
de Dieu lui-même, que tu fusses froid, c'est-à-dire privé
de la grâce, car on pourrait encore espérer que tu sortirais
de ton lamentable état. Mais tu es froid : dès lors te voilà
en péril de tomber chaque jour dans de
1. Sunt velut irremissa: aegrotatiunculae, quae vitam quidem non dissolvunt,
sed ita corpus extenuant, ut, accedente gravi aliquo morbo, statim corpus,
vires non habens resistendi, succumbat. De Perf. 1. 5. p. 2. c. 16.
2. Utinam frigidus esses aut calidus ! sed quia tepidus es, et nec
frigidus nec calidus, incipiam te evomere ex ore meo. Apoc. iii. I5-I6.
102
CHAPITRE CINQUIÈME.
plus grands excès, et cela sans espoir d'en sortir. «
Évidemment, observe Corneille de la Pierre, être froid, c'est
plus grave que d'être tiède. Cepen-dant, de ces deux états,
le pire c'est la tiédeur, parce que dans la tiédeur on s'expose
davantage à tomber pour ne plus se relever1. » D'après
saint Bernard, convertir un homme du monde plongé dans le vice est
chose plus facile que de convertir un ecclésiastique tiède.
Et même, selon Pereira, on peut plus facilement arracher quelqu'un
à l'ido-lâtrie qu'à la tiédeur. « Il est
plus facile, dit cet auteur, d'amener un païen à la foi du
Christ que de ramener quelqu'un de la tiédeur à la ferveur2.»
En effet Cassien déclare avoir vu beaucoup de pécheurs, mais
jamais un seul tiède, se donner sincèrement à Dieu.
«Souvent, dit-il, j'ai vu, dans ceux qui étaient froids, se
ranimer la fer-veur de l'esprit ; jamais dans aucun tiède 3. »
S'il est quelqu'un dont il faille désespérer, d'après
saint Grégoire, ce n'est pas du pécheur jusqu'ici rebelle
à la grâce de la conversion, niais de celui qui, une fois
converti, tombe insensiblement de la ferveur dans la tiédeur. Voici
les propres paroles du saint : « Si froide que soit une âme,
il y a toujours espoir que tôt ou tard sa ferveur se rani-mera; mais
d'une âme tombée peu à peu de la ferveur dans la.tiédeur,
qu'on n'attende plus rien.
1. Licet frigidus sit pefor tepido, tamen pejor est status tepidi,
quia tepidus est in majori periculo ruendi sine spe resurgendi. In Apoc.
iii. 16.
2. Facilius enim est quemlibet paganum ad fidem Christi adducere, quam
talem aliquem a suo torpore ad spiritus fervorem revocare.
3. Frequenter vidimus de frigidis ad spiritalem pervenire fervorem;
de tepidis omnino non vidimus. Coll. 4. c. 19.
DU MAL QUE LA TIÉDEUR
FAIT AU PRETRE.
103
En effet on peut compter pour le pécheur sur une grâce
de conversion ; mais si, après la con-version, on devient tiède,
adieu même cet espoir de retour1. »
Bref, la tiédeur est un mal qu'on peut appe-ler incurable et
désespéré. En voici la raison : pour être à
même d'éviter un danger, il faut nécessairement le
connaître ; or, au milieu de ces ténèbres dans lesquelles
il est misérablement tombé, le tiède ne parvient plus
même à con-naître le péril où il se trouve.
La tiédeur est comme la pthisie. De même qu'un étique
se sait à peine malade, ainsi le tiède ne s'aperçoit
guère de ses péchés d'habitude. « Les grands
péchés ont cela de particulier, observe saint Grégoire,
qu'on les connaît plus clairement et qu'on s'en amende plus promptement.
Quant aux fautes légères, comme elles passent pour peu de
chose, on continue de les commettre : c'est ainsi que l'ha-bitude de mépriser
les petites fautes entraîne faci-lement à ne plus craindre
les grandes, et même à n'en faire aucun cas 2. » De
plus, ce n'est jamais sans une certaine horreur que le pécheur même
d'habitude commet un péché mortel, tandis qu'au tiède,
imperfections, affections désordonnées, dis-sipations, recherches
de ses aises et commodités,
1. Sicut ante teporem frigus sub spe est, ita post frigus tepor in
desperatione : qui enim adhuc in peccatis est, conversionis fiduciam non
amittit ; qui vero post conversionem tepuit, et spem, quae esse potuit
de peccatore, subtraxit. Past. p. 3. c.1. adm. 35.
2. Major enim quo citius quia sit culpa agnoscitur, eo etiam citius
emendatur; minor vero, dum quasi nulla creditur, eo pejus quo et securius
in usu retinetur. Unde fit plerumque ut mens, assueta malis levibus, nec
graviora perhorrescat, et in majoribus contemnat. Past. p. 3. c.1. adm.
34.
104 CHAPITRE CINQUIÈME.
attachée l'estime propre, rien ne lui fait horreur. Cependant
toutes ces petites fautes lui sont plus préjudiciables que les péchés
mortels, car elles le feront glisser au fond de l'abîme sans même
qu'il s'en aperçoive ; et, comme le dit le père Alvarez de
Paz, « les péchés mortels sont moins dangereux pour
les justes que ces petites fautes, parce que l'aspect hideux des premiers
épouvante, tandis que les autres conduisent insensiblement à
la ruine1. »
Fuir les
péchés véniels
avec
plus de soin
que les
péchés mortels.
De là cette recommandation que nous adresse saint Jean
Chrysostome, d'être en quelque sorte plus attentifs à fuir
les péchés véniels que les péchés mortels.
«Nous devons sans doute, dit-il, mettre nos soins à fuir les
grands péchés, mais encore plus à fuir les petites
fautes ; ceux-là sont de nature à nous effrayer, mais celles-ci,
parce qu'elles sont petites, ne nous causent aucun remords. On en fait
peu de cas, et dès lors on ne peut s'armer de courage pour les éviter
: c'est ainsi qu'elles grandissent et deviennent bientôt énormes
2. » Voici donc la raison que donne le saint : les fautes graves
nous effrayent par elles-mêmes, tandis que les fautes légères
nous sem-blent peu de chose et ne tardent pas à devenir considérables.
Le plus grand mal encore, c'est
1. Magna peccata eo justis minus periculosa sunt, quod aspectum
satis tetrum exhorrent ; at minina periculosiora videntur, quia latenter
ad ruinam disponunt. De Perf. 1. 5. p. 2. c. 16.
2. Non tanto studio, magna peccata esse vitanda, quam parva : illa
enim natura adversantur ; haec autem, quia parva sunt, desides reddunt.
Dum contemnuntur, non potest ad eorum expulsionem animus generose insurgere;
unde cito ex parvis maxima fiunt. In Matth. hom. 87.
DU MAL QUE LA TIÉDEUR
FAIT AU PRETRE.
105
qu'à force de négliger ces petites fautes, le cou-pable
finit par négliger les intérêts de son âme, en
sorte qu'habitué à ne faire aucun cas des
petits péchés, il finit par ne tenir aucun compte des plus
graves désordres. Aussi, dans le Can-tique des cantiques, le Seigneur
nous adresse-t-il cette recommandation: Prenez-nous les petits renards
qui ravagent les vignes, car notre vigne a fleuri1. Il est dit
les renards: ce ne sont pas les lions, les tigres, que le Seigneur nous
ordonne de prendre, mais les renards. De fait, les renards
ravagent les vignes, parce qu'ils creusent
le sol en tout sens ; alors les racines se dessèchent, comme se
dessèchent la dévotion et les bons désirs, qui sont
les racines de la vie spirituelle. Il est dit en outre les petits renards.
Pourquoi faut-il prendre les petits et non pas les grands ? Parce qu'on
regarde les petites fautes comme moins dangereuses, et cependant
elles font souvent plus de mal que les grandes; car elles empêchent
les grâces de Dieu de se répandre sur l'âme, qui dès
lors demeure stérile et finale-ment se perd. « Les petites
fautes et les imper-fections, dit à ce propos le père Alvarez
de Paz, sont comme autant de petits renards. Elles ne se présentent
pas à nous avec un aspect bien terrible, mais elles n'en ravagent
pas moins notre vigne, c'est-à-dire notre âme; car elles la
frappent de stérilité, attendu qu'elles la privent de la
rosée céleste2. » Le Saint-Esprit ajoute : Notre
vigne
1. Capite nobis vulpes parvulas quae demoliuntur vineas ; nam
vinea nostra floruit. Cant. II. 15. 2. Culpae leves et imperfectiones vulpes
parvulae sunt, in quibus
IO6 CHAPITRE CINQUIÈME.
Quelle horreur
le prêtre tiède
inspire à Dieu.
a fleuri. Que font toutes ces fautes vénielles qu'on a
commises en si grand nombre sans les détester ? Elles font disparaître
les fleurs, c'est-à-dire les bons désirs qu'on avait d'avancer
dans la perfection ; et, les bons désirs une fois disparus, l'âme
recule de plus en plus, jusqu'à ce qu'enfin elle roule dans quelque
abîme dont il lui sera bien difficile de sortir.
Achevons d'expliquer le texte : Parce que tu es tiède, je commence
à te vomir de ma bouche. On prend aisément un breuvage quand
il est froid ou chaud ; mais s'il est tiède, on le prend avec beaucoup
de répugnance, parce qu'alors il pro-voque le vomissement. C'est
précisément de cela que le Seigneur menace le tiède
: Je commence à te vomir de ma bouche. Sur quoi Ménochius
fait cette remarque : « Le tiède commence à être
rejeté, lorsque, s'obstinant dans sa tiédeur, il commence
à exciter en Dieu une sorte de dégoût ; jusqu'à
ce qu'enfin, la mort survenant, il se voie entièrement rejeté
et pour toujours séparé du Christ1. » Voilà
bien le suprême péril que court le tiède : être
rejeté de Dieu, c'est-à-dire aban-donné sans espoir
ni remède. « Car, de même qu'on refuse de reprendre
ce qu'on a rejeté, ainsi, dit Corneille de la Pierre, par ce mot
vomisse-ment, il faut comprendre que Dieu a les tièdes
nihil nimis noxium aspicimus; sed hae vineam, id est, animam demoliuntur,
quia eam sterilem faciunt, dum pluviam auxilii cœ-lestis impediunt De Perf.
1. 5. p. 2. c. 16.
1. Porro tepidus incipit evomi, cura, permanens in tepore suo, Deo
nauseam movere incipit, donec tandem omnino in morte sua evomatur, et a
Christo in aeternum separetur
DU MAI. QUE LA T1EDEUR
FAIT AU PRETRE.
IO7
en horreur, comme nous avons horreur de ce que notre bouche a rejeté1.
»
De quelle manière Dieu commence-t-il réelle-ment à
vomir un prêtre tiède ? Il s'abstient de lui adresser, comme
par le passé, ses amoureuses invitations. Or ne plus entendre la
voix de Dieu, c'est là proprement être vomi de sa bouche.
En même temps cessent les consolations spirituelles ainsi que les
bons désirs. Bref, le voilà miséra-blement privé
de l'onction du Saint-Esprit. Dans cet état il se rend bien encore
à l'oraison ; mais, comme il n'y trouve qu'ennui, distractions et
dé-goûts, le malheureux prend peu à peu l'habitude
de la laisser ; ensuite il en vient même à ne plus élever
son cœur vers Dieu. La prière ainsi mise de côté, il
tombe dans une plus grande misère, et il va toujours de mal en pis.
Il célèbre la messe, récite l'office, mais il y perd
plus de mérites qu'il n'en gagne ; dans toutes ses actions, il n'éprouve
qu'ennui, fatigue et sécheresse. Tu presseras l'olive, et toi-même
tu ne sentiras pas l'huile te parfumer 2. Tu seras, lui dit le Seigneur,
tout couvert d'huile, mais l'onction intérieure te fera défaut:
messe, bréviaire, prédication, confessions, visites des malades,
funérailles, autant de choses saintes qui devraient augmenter ta
ferveur et avec lesquelles tu continueras de vivre dans la sécheresse,
le trouble, la dissipation, les tenta-tions. Voilà comment Dieu
réalisera sa menace : Je commence à te vomir de ma bouche.
1. Vomitus significat Deum exsecrari tepidos, sicut exsecramur id quod
os evomuit. In Apoc. iii. 13. 2. Calcabis olivam, et non ungeris oleo.
Mich. vi. 15.
Avec la tiédeur,
plus
de sainteté
sacerdotale,
108 CHAPITRE CINQUIÈME.
III.
QUELLE MISÉRABLE EXISTENCE
MÈNE LE PRETRE TIEDE.
Mais il suffit bien, dira ce prêtre, que je ne commette pas de
péché mortel et que je me sauve ! — Suffit-il vraiment que
vous vous sau-viez? Saint Augustin vous répond que non. Vous êtes
prêtre : vous êtes par conséquent obligé de suivre
la voie étroite de la perfection. En prenant la voie large de la
tiédeur, vous ne pouvez que vous perdre. « Si vous dites :
c'est assez, vous vous perdez1, » s'écrie saint Augustin.
Saint Grégoire dit également : « Celui qui est appelé
à monter au ciel par les voies de la sainteté et qui prétend
y parvenir par le chemin de la tié-deur ne se sauvera pas. »
Le Seigneur lui-même fit entendre un jour cette vérité
à la bienheureuse Angèle de Foligno, quand il lui dit : «
Ceux qui se sentent inspirés du ciel à marcher par le che-min
de la perfection et qui, retenant leur âme captive, veulent suivre
le chemin ordinaire, ceux-là je les abandonnerai2. » En effet,
ainsi que nous l'avons établi plus haut, la sainteté est
certaine-ment d'obligation pour le prêtre, non seulement parce qu'il
se trouve élevé à la dignité d'ami par-ticulier
et de ministre de Dieu, mais encore parce qu'il a mission d'offrir le saint
sacrifice de la messe, de servir de médiateur entre les peuples
et la Majesté divine, de sanctifier les âmes au moyen des
sacrements ; et c'est précisément afin de l'aider
1. Si dixeris : sufficit; et periisti. Serm. 169. E. B.
2. Vision, c. 51.
DU MAL QUE LA TIEDEUR FAIT AU PRETRE. IO9
à marcher par le chemin de la perfection, que Dieu le comble
de grâces et de faveurs spéciales. Aussi, quand il ose ensuite
s'acquitter de son ministère non seulement avec négligence,
mais encore avec toutes sortes de manquements et d'imperfections dont il
n'a pas même horreur, la malédiction divine tombe sur lui.
Maudit soit l'homme qui fait l'œuvre de Dieu négligemment1. Or cette
malédiction signifie l'abandon de Dieu, suivant cette parole de
saint Ambroise : « Dieu a coutume d'abandonner ceux qui le négligent2,
» c'est-à-dire ces âmes qu'il a plus spécialement
comblées de ses faveurs et qui ne se mettent pas en peine de vivre
selon la perfection qu'il leur assigne. « Dieu, dit un auteur, ne
veut à son ser-vice que des séraphins; il veut donc trouver
dans ses ministres autant de ferveur qu'il en trouve dans ces esprits célestes:
autrement, il les prive de ses grâces, les abandonne à leur
tiédeur, et les laisse s'en aller, par la route du péché
mortel, au profond abîme de l'enfer3. »
Écrasé sous le poids de tant de fautes vénielles,
de tant d'affections désordonnées, le prêtre tiède
reste là comme enfoncé dans son insensibilité : rien
ne le touche plus, ni les grâces qu'il a reçues, ni les saintes
obligations que lui impose son état. Mais aussi le Seigneur, usant
d'une juste rigueur, lui retire ces secours abondants sans lesquels il
1. Maledictus, qui facit opus Domini fraudulenter. Jer. XLVIII. 10.
2. Negligentes Deus deserere consuevit. In Ps. cxviii. s. 10,
3. Deus vult a Seraphinis ministrari; tepido gratiam suam subtra-hit,
sinitque eum dormire, itaque ruere iu barathrum.
Plus de mérite,
ni de sûreté
pour le salut,
IIO CHAPITRE CINQUIEME.
devient moralement impossible de remplir les devoirs du sacerdoce.
Désormais le malheureux ira donc de mal en pis, et plus ses fautes
se mul-tiplieront, plus son aveuglement augmentera. Car enfin Dieu est-il
tenu de verser l'abondance de ses grâces sur une âme dont il
ne reçoit que des ingratitudes ? Non, répond l'Apôtre,
et celui qui sème peu, récoltera peu1. Le Seigneur déclare
qu'il comblera de ses grâces ceux qui en sont reconnaissants et qui
les font fructifier. Quant aux ingrats, il leur ôtera même
celles qu'ils pos-sèdent déjà. On donnera à
celui qui a, et il sera dans l'abondance; mais à celui qui n'a pas,
même ce qu'il semble avoir lui sera ôté 2, Quand le
maître d'une vigne, dit encore Notre-Seigneur, s'aperçoit
qu'elle ne produit rien, il l'ôte à ses fermiers; et, après
les avoir punis, il la confie à d'autres. Il fera mourir misérablement
ces misé-rables, et il louera sa vigne à d'autres vignerons
qui lui en rendront le fruit au temps voulu 3. De même, conclut-il,
je vous dis que le royaume de Dieu vous sera ôté et qu'il
sera donné à un peuple qui en produira les fruits4. Cela
signifie que Dieu retirera du mondé ce prêtre pour confier
le soin de son royaume, c'est-à-dire de sa gloire, à d'autres
prêtres au cœur reconnaissant et fidèle.
De là vient aussi que beaucoup de prêtres,
après tant de messes, tant de communions, tant
1. Qui parce seminat, parce et metet. II Cor. ix. 6.
2. Omni enim habenti dabitur, et abundabit; ei autem qui non habet,
et quod videtur habere, auferetur ab eo. Matth. xxv. 29.
3. Malos male perdet, et vineam suam locabit aliis agricolis, qui reddant
ei fructum temporibus suis. Matth. xxi. 41.
4. Ideo dico vobis quia auferetur a vobis regnum Dei, et dabitur genti
facienti fructus eius. Ibid. 43.
DU MAL QUE LA TIÉDEUR FAIT AU PRETRE. III
de prières qu'ils récitent dans l'office où à
l'autel, se trouvent entièrement, ou peu s'en faut, les mains vides
: Vous avez semé beaucoup et vous avez peu recueilli,... et celui
qui a accumulé des richesses les a mises dans un sac percé1.
Voilà ce que fait le prêtre tiède : toutes ses bonnes
œuvres, il les jette dans un sac troué, si bien qu'il n'en retire
aucun mérite ; et même tant de fautes qu'il y commet le rendent
de plus en plus digne de châtiment. Non, un prêtre tiède
n'est pas loin de sa perte.
Selon Pierre de Blois, le cœur du prêtre doit être un autel
sur lequel il faut que brûle sans cesse le feu du divin amour. Or
est-il brûlant d'amour pour Dieu, ce prêtre qui se contente
d'éviter les fautes graves et qui, sans scrupule, cause à
Dieu tant de déplaisirs par toutes sortes de fautes légères?
« C'est faire preuve d'un amour bien attiédi, dit le père
Alvarez de Paz, de ne vouloir épargner à la personne aimée
que les plus grossières insultes, et de s'inquiéter ensuite
fort peu d'une foule de légers déplaisirs qu'on lui cause2.
»
Pour vivre en bon prêtre, il faut non pas des grâces rares
et ordinaires, mais des grâces abon-dantes et de choix. Or comment
voudrait-on que Dieu se montrât libéral à l'égard
de celui qui s'est engagé à son service et qui le sert ensuite
si
1. Seminastis multum, et intulistis parum...; et qui mercedes con-gregavit,
misit eas in sacculum pertusum. Agg. i. 6.
2. Signum est amoris satis tepidi, velle amatum in solis rebus gravibus
non offendere, et in aliis, quae non tanta severitate praecipit, ejus voluntatem
procaciter violare. De Exterm. mali. 1.1. c. 12.
Plus de gloire pour Dieu.
I I 2 CHAPITRE CINQUIÈME.
mal ? Saint Ignace ayant un jour mandé un frère laïque
de la Compagnie, lequel vivait dans une grande tiédeur, lui posa
cette question : Dites-moi, mon frère, qu'êtes-vous venu faire
en reli-gion? — Servir Dieu, répondit le coupable. — Et c'est ainsi
que vous le servez ? Si vous me disiez que vous êtes au service d'un
cardinal ou de quelque prince de la terre, vous m'étonneriez moins.
Mais vous me dites que vous êtes venu servir Dieu, et vous le servez
si mal ! — Le prêtre est entré non pas dans la cour d'un roi
de la terre, mais dans cette cour, la plus auguste de toutes, où
se rencontrent ces amis de Dieu dont toute la vie se passe et dont tout
le bonheur consiste à s'occuper de ce qui intéresse le plus
sa gloire. Aussi un prêtre tiède procure-t-il à Dieu
plus de déshonneur que de gloire. En effet, par sa vie mi-sérablement
remplie de négligences et de fautes, il déclare que ce n'est
pas la peine de s'appliquer à mieux servir et aimer Dieu ; il déclare
qu'on ne •trouve pas au service de Dieu ce contentement qui suffit à
rendre pleinement heureux; il déclare que la divine Majesté
ne mérite pas que nous l'aimions au point de préférer
sa gloire à toutes nos satisfactions.
CONCLUSION.
COMMENT LE PRÊTRE DOIT
SE CONDUIRE A L'ÉGARD DES
PÉCHÉS VÉNIELS.
Attention, ô prêtres mes frères ! Tremblons, oui,
tremblons que toutes ces dignités et tous ces honneurs qui, par
la bonté de Dieu, nous élèvent
DU MAL QUE LA TIÉDEUR FAIT AU PRETRE. 113
si fort au-dessus du reste des hommes, nous n'ayons un jour à
les échanger contre les sup-plices éternels de l'enfer.
opposer
la ferveur de
l'esprit.
Puisque les démons se donnent tant de peine
A la pour nous perdre, il faut que nous ayons d'autant fureur du démon
plus à cœur de nous sauver. « Il faut, comme le dit saint
Bernard, que la malice de nos ennemis, travaillant avec tant d'ardeur à
notre perte, en-flamme aussi notre ardeur, et que, redoutant leurs efforts,
nous fassions notre salut avec crainte et tremblement1. » Oh ! comme
le démon s'acharne à faire tomber un prêtre ! Il tient
beaucoup plus à faire tomber un prêtre que cent séculiers
; car vaincre un prêtre c'est remporter une victoire beaucoup plus
glorieuse, et puis, un prêtre en-traîne toujours dans sa chute
un grand nombre d'autres âmes. Mais, de même que les mouches
s'éloignent d'un vase en ébullition et se précipitent
sur celui qu'elles trouvent tiède, ainsi ce ne sont pas les prêtres
fervents que le démon vient assaillir de tentations, ce sont les
prêtres tièdes ; de fait, il réussit souvent à
faire tomber ceux-ci de la tié-deur dans l'état de péché.
«Quand une âme tiède est aux prises avec quelque violente
tentation, elle court un grand danger, dit Corneille de la Pierre. Car
l'âme tiède n'a guère de force pour résister
aux tentations ; c'est pourquoi, parmi tant d'occa-sions qui se rencontrent
ici-bas, il arrive souvent qu'elle tombe dans de grands péchés2.
»
1. Hostium malitia, qua tam solliciti sunt in nostram perditionem,
nos quoque sollicitos faciat, ut in timore et tremore ipsorum nostram salutem
operemur. De S. Andrea. s. 2.
2. In magno versatur periculo, saepeque, inter tot occasiones quibus
plena est haec vita, in mortale prolabitur. In Apoc. ii. 15.
LE PRÊTRE. — T.
I. S
114 CHAPITRE CINQUIÈME.
Eviter tous Il faut donc prendre à cœur de ne commettre
aucun péché les yeux ouverts et de propos déli-béré.
On ne peut nier qu'en dehors de Jésus-Christ et de la divine Mère,
qui, par un privilège spécial, ont été exempts
de la plus petite tache du péché, tous les hommes, voire
même les saints, aient commis au moins des péchés véniels.
Les cieux, dit Job, ne sont pas purs en la présence de Dieu1. Tous,
ajoute saint Jacques, nous faisons beaucoup de fautes2. « C'est donc
une malheureuse néces-sité, selon la remarque de saint Léon,
que sur tous les enfants d'Adam, même sur les plus fer-vents au service
de Dieu, jaillisse la boue de cette terre3. » Mais on ne peut non
plus méconnaître cette parole du Sage : Sept fois le juste
tombera et se relèvera4. Celui qui tombe par fragilité, sans
pleine connaissance du mal et sans propos délibéré,
se remet facilement sur pied : il tombe et se relève. Mais celui
qui voit le mal, qui le commet les yeux ouverts et qui, au lieu de le détester,
s'y complaît, comment celui-là peut-il se relever ?
Les détester, « Puisque nous ne sommes pas sans péchés,
dit saint Augustin, sachons au moins détester nos fautes5. »
Oui, c'est le moins qu'après avoir com-mis des fautes, nous nous
en reconnaissions cou-pables et que nous les détestions ; alors
aussi Dieu nous les pardonne, selon ce que dit saint Jean:
1. Cœli non sunt mundi in conspectu ejus. Job. xv. 15.
2. In multis enim offendimus omnes. Jac. iii. 2.
3. Necesse est de mundano pulvere etiam religiosa corda sordes-
cere. De Quadr. s. 4.
4. Septies enim cadet justus, et resurget. Prov. xxiv. 16.
5. Et si non sumus sine peccatis, oderimus tamen ea.Serm. 181.E.B.
DU MAL QUE LA TIEDEUR FAIT
AU PRETRE. I I 5
Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et
juste peur nous remettre nos péchés, et pour nous puri-fier
de toute iniquité1. Or, au sujet de ces fautes vénielles,
Louis de Blois nous apprend que, pour en obtenir le pardon, « il
suffit certainement de les confesser d'une manière générale2.
» Autre part3 il enseigne qu'on efface ces sortes de péchés
bien mieux en se tournant vers Dieu avec humilité et amour qu'en
se livrant à des recherches et à des considérations
anxieuses. Saint François de Sales observe dans le même sens
que les person-nes pieuses commettant ces fautes sans presque y penser,
c'est aussi sans presque y penser qu'elles en obtiennent le pardon. Telle
est aussi la doc-trine de saint Thomas. « En effet, d'après
le Docteur angélique, pour obtenir la rémission de ces sortes
de péchés, il suffit de les désavouer soit explicitement,
soit même implicitement, par exemple au moyen d'un fervent acte d'amour
de Dieu. C'est de trois manières, ajoute-t-il, que se fait la rémission
des péchés véniels: 1° par toute infusion de la
divine grâce : ainsi les remettent la divine Eucharistie et les autres
sacrements ; 2° par un acte quelconque de contrition : les confesser
en général, se frapper la poitrine, réciter le Pater
noster, voilà autant de moyens pour obtenir la rémission
de ces péchés ; 3° par tout acte de reli-gion envers
Dieu et les choses de Dieu, tels que recevoir la bénédiction
d'un évêque, prendre de
1. Si confitcamur peccata nostra, fidelis est et justus, ut remittat
nobis peccata nostra, et emundet nos ab omni iniquitate. I Jo. i. 9.
2. Sane tales culpas generaliter exposuisse
satis est. Consol. pusill. c. 1. § 4.
3. Brev. Reg. tyr. sp. § 4.
CHAPITRE CINQUIÈME.
Ne jamais
pactiser avec
ses défauts,
l'eau bénite, prier dans une église consacrée1.
» Pour ce qui regarde en particulier la sainte com-munion, saint
Bernardin de Sienne dit : « Il se peut qu'après avoir communié,
l'âme se trouve tellement absorbée en Dieu, que tous ses pé-chés
véniels disparaissent devant la ferveur de sa dévotion2.
»
« J'ai commis, hélas! beaucoup de fautes, disait le vénérable
père Louis du Pont, mais jamais je n'ai fait la paix avec aucune.
» Combien n'y en a-t-il pas, au contraire, qui font la paix avec
leurs défauts et qui préparent ainsi leur perte ! Tant qu'une
personne déteste ses imperfections, dit saint Bernard, il y a espoir
qu'elle rentrera dans la bonne voie ; mais pour celle qui s'y livre les
yeux ouverts et de propos délibéré, sans trembler
ensuite et même sans se soucier de les avoir com-mises, elle ira
insensiblement aboutir à la ruine. Les mouches qui meurent dans
un parfum en gâtent la suavité3. Par ces mouches désastreuses,
il faut entendre les fautes qu'on commet et qu'on ne déteste pas
ensuite, et qui dès lors demeurent
1. ... Sufficit actus quo aliquis detestatur peccatum veniale vel explicite
vel implicite, sicut cum aliquis ferventer movetur ad Deum. Triplici ratione,
aliqua causant remissionem venialium : 1° per infu-sionem gratiae ;
et hoc modo, per Eucharistiam et omnia sacramenta, venialia remittuntur
; 2° in quantum sunt cum aliquo motu detesta-tionis ; et hoc modo,
confessio generalis, tunsio pectoris, et Oratio Dominica operantur ad remissionem;
3° in quantum sunt cum aliquo motu reverentiae in Deum et ad res divinas
; et hoc modo, benedictio episcopalis, aspersio aquae benedictae, oratio
in ecclesia dedicata, et si aliqua sunt hujusmodi, operantur ad remissionem
venialium. Sum. th. 3. q. LXXXVII. a. 3.
2. Contingere potest quod tanta devotione mens, per sumptionem Sacramenti,
in Domino absorbeatur, quod ab omnibus venialibus expurgetur. De Chr. Dom.
s. 12. a. 2. c. 1.
3. Muscae morientes perdunt suavitatem unguenti. Eccl. x. 1.
comme ensevelies dans l'âme. « Quand une mouche tombe
dans un parfum et qu'elle y reste, c'en est fait du parfum, remarque Denis
le Char-treux. Au sens spirituel, ces mouches qui meu-rent de la sorte
représentent les pensées inutiles, les affections illicites,
les distractions volontaires, toutes choses qui gâtent la suavité
du parfum, c'est-à-dire la douceur attachée aux exercices
de piété 1. »
Il n'y a pas grand mal, observe saint Bernard2, à déclarer
que telle faute est légère. Mais la com-mettre et s'y complaire,
voilà le mal, un mal qui a de grandes conséquences et dont
Dieu ne man-quera pas de tirer une éclatante vengeance. C'est ce
que nous lisons en saint Luc : Ce serviteur qui a connu la volonté
de son maître mais ne s'est pas tenu prêt et de cette manière
n'a pas agi. selon la volonté du maître, recevra certaine-ment
un grand nombre de coups. Quant au servi-teur qui, ne connaissant pas la
volonté du maître, a fait des choses dignes de châtiment,
il recevra peu de coups3. Nul doute que même les per-sonnes de piété
ne commettent certaines fautes légères; mais, dit le père
Alvarez de Paz4, outre que ces fautes vont sans cesse en diminuant comme
nombre et gravité, toutes sont au fur et
1. Dum musca cadit in unguentum, manendo in illo, destruit ejus valorem
atque odorem. Spiritualiter, muscae morientes sunt cogita-tiones vanae,
affectiones illicitae, distractiones morosae, quae perdunt suavitatem unguenti,
id est, dulcedinem spiritualium exercitiorum.
2. In Conv. S. Pauli. s. 1.
3. Qui cognovit voluntatem Domini sui, et non prœparavit, et non fecit
secundum voluntatem ejus, vapulabit multis ; qui autem non cognovit, et
fecit digna plagis, vapulabit paucis. Luc. xii. 47.
4. De Perf. 1 3. c. 13.
Les combattre sans cesse.
118
CHAPITRE CINQUIÈME.
La prière,
suprême remède
à la tiédeur.
à mesure effacées par des actes d'amour de Dieu.
Celui qui se conduit de la sorte se fera saint, et jamais ses fautes ne
l'empêcheront de tendre à la perfection. Aussi Louis de Blois
nous recom-mande-t-il de ne pas perdre courage à la vue de toutes
ces petites chutes ; « car, dit cet auteur, si chaque jour nous tombons
plusieurs fois, il ne tient qu'à nous d'employer chaque jour les
moyens de nous relever1. » Mais celui qui con-serve de l'attachement
pour quelque bien créé et qui par suite tombe et retombe
volontairement sans vouloir rompre ses liens, comment peut-il faire aucun
progrès dans les voies de Dieu? L'oi-seau dont aucun lien n'entrave
le vol prend librement son essor, mais s'il est attaché, fût-ce
par le plus léger fil, il ne peut s'élever de terre : c'est
ainsi, dit saint Jean de la Croix, que la plus légère attache
aux choses dé la terre empêche l'âme de prendre son
essor vers Dieu.
Prenons donc garde de tomber dans ce misé-rable état
de la tiédeur. Car, d'après tout ce que nous venons de dire,
un prêtre ne peut sortir de cet état à moins que Dieu
ne lui accorde une grâce des plus puissantes. Mais comment espérer
que Dieu fasse une si grande grâce au prêtre dont la vie lui
est à charge ?
Ainsi donc, dira celui qui se trouve peut-être déjà
tombé dans ce lamentable état, il n'y a plus d'espoir pour
moi ? — Un seul espoir vous reste: la miséricorde et la puissance
de Dieu. Ce qui
1. Quemadmodum singulis diebus in multis offendimus, ita quoti-dianas
expiationes habemus. Parad. an. p.1. c. 3.
DU MAL QUE LA TIÉDEUR
FAIT AU PRETRE. 119
est impossible aux hommes est possible à Dieu1. Il est impossible
au tiède de se relever, mais il n'est pas impossible à Dieu
de le remettre sur pied. Toutefois il faut au moins que nous en ayons le
désir. Celui qui n'a pas même le désir de se relever,
peut-il justement espérer que Dieu lui vienne en aide ? Et si quelqu'un
n'avait pas même ce désir, qu'il le demande à Dieu.
Si nous prions, si nous continuons de prier, le Seigneur nous accordera
non seulement le désir, mais encore la force de nous relever. Demandez
et vous recevrez : c'est la promesse de Dieu, elle •est infaillible. Prions
donc, et disons avec saint Augustin: «Votre miséricorde, ô
mon Dieu, voilà tout mon mérite 2. » Non, Seigneur,
je n'ai aucun mérite pour être exaucé de vous. Mais
votre miséricorde et les mérites de Jésus-Christ,
voilà, ô Père éternel, quels sont mes titres
à vos bontés. — Un autre grand moyen pour sortir de la tiédeur,
c'est de recourir à la très sainte vierge Marie.
1. Quae impossibilia sunt apud homines, possibilia sunt
apud Deum. Luc. xviii. 27.
2. Meritum meum, misericordia tua.
CHAPITRE SIXIÈME.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE.
Saint Basile de Séleucie appelle l'incontinence la plus
affreuse des pestes1. Saint Bernardin de Sienne, la regarde comme le plus
dangereux de tous les vices, et il la nomme « le terrible ver rongeur2
»; en effet, d'après saint Bonaventure, « l'impureté
déracine et détruit les germes de toutes les vertus3. »
De là cette parole de saint Ambroise : « La luxure est la
semence et la mère de tous les vices, car elle traîne à
sa suite les haines, les vols, les sacrilèges et tous les autres
vices4. » De là aussi cette sentence célèbre
de saint Rémi : « Les enfants exceptés et à
ne parler que des adultes, la plupart des hommes trouvent leur perte dans
ce vice5. » De même, ajoute le père
1. Orat. 5.
2. Vermis quo nullus nocentior. T. II. s. 52. a. 3. c. 2.
3. Luxuria omnium virtutum eradicat germina.
4. Luxuria seminarium et origo vitiorum est. De Elia et jej. c. 19
5. Demptis parvulis, ex adultis pauci, propter hoc vitium
sal-vantur. S. THOM. DE VILL. De S. Ildeph. conc. 2.
L'impureté, le plus affreux
des vices.
122
CHAPITRE SIXIEME.
Segneri1 que l'enfer s'est peuplé d'anges moyen-nant l'orgueil,
ainsi, moyennant l'impureté, il se remplit d'hommes. Dans les autres
vices, c'est à l'hameçon, ici c'est au filet que le démon
pêche; en sorte qu'il fait pour l'enfer bien plus de con-quêtes
par ce vice que par tous les autres en-semble. Dieu, de son côté,
a toujours réservé ses plus effroyables châtiments
pour l'incontinence : contre elle il envoya le déluge, et sur elle
il fit descendre le feu du ciel.
Combien
la chasteté
est nécessaire
au prêtre.
« Quelle perle précieuse que la chasteté
! s'écrie saint Athanase. Mais, ajoute-t-il, ici-bas peu de per-sonnes
savent la trouver2. » Nul doute qu'elle ne convienne aux séculiers.
Quant aux prêtres, elle leur est absolument nécessaire. Entre
toutes les vertus que l'Apôtre voulait voir briller dans son disciple
Timothée, il insistait particulièrement sur la chasteté.
Conserve-toi chaste3, lui écrivait-il. D'après Origène,
la première vertu qui doit orner le prêtre appliqué
au ministère des autels, c'est la chasteté, et, comme il
s'en exprime lui-même, « c'est elle avant tout qui doit ceindre
les reins du ministre dès divins autels4. » D'après
Clément d'Alexandrie, « ceux-là seuls qui vivent dans
la chasteté sont et peuvent s'appeler les prêtres du Seigneur5.
» Mais si la pureté fait les prêtres, par contre l'impureté
les dépouille, en quelque sorte
1. Il Crist. istr. p.1. rag. 24.
2. Gemma pretiosissima, a paucis inventa. De Virginit.
3. Te ipsum castum custodi. I Tim. v. 22.
4. Ante omnia, sacerdos, qui divinis assistit altaribus, castitate
debet accingi. In Levit. hom. 4.
5. Soli qui puram agunt vitam, sunt Dei sacerdotes. Strom. 1. 4.
de leur dignité, selon ce que dit saint Isidore de Péluse
: « Ce qui fait les prêtres, c'est la pureté ; ce qui
les dégrade, c'est l'impureté1. »
Avec quel soin
l'Eglise veille
à la chasteté du
prêtre.
Aussi voyez avec quel soin l'Eglise, jalouse . de conserver la chasteté
de ses ministres, a sans , cesse multiplié les conciles, les lois
et les remon-trances. « Qu'on n'admette personne, dit Inno-cent III,
à monter les degrés de l'ordre, s'il n'est vierge ou d'une
chasteté reconnue 2. » Il ajoute : Que les ecclésiastiques
incontinents soient exclus du sanctuaire, « qu'ils n'en franchissent
aucun degré3. » Saint Grégoire porta le décret
suivant : « Si quelqu'un, après son ordination, tombe dans
le péché d'impureté, qu'il soit dépouillé
de son ordre et privé pour toujours de toute fonction à l'autel4.
» Saint Silvestre voulut que le prêtre coupable d'un péché
honteux fût soumis à une pénitence de dix ans: durant
les trois premiers mois, il devait coucher sur la terre nue, se tenir dans
la solitude sans avoir de commerce avec personne et se priver de la sainte
communion ; puis, durant une année et demie, il ne pouvait se nourrir
que de pain et d'eau, et cela une fois par jour; enfin ce jeûne rigoureux
lui était encore, durant le reste des dix ans, imposé trois
jours par
1. Si pudicitia sacerdotes creat, libido sacerdotibus dignitatem abrogat
Epist. 1. 3. ep. 75.
2. Nemo ad sacrum Ordinem permittatur accedere, nisi aut virgo aut
probatae castitatis existat. Cap. A multis. De aet. et qual. ord.
3. Ab omnium graduum dignitate.
4. Qui post acceptum sacrum Ordinem, lapsus in peccatum carnis fuerit,
sacro Ordine ita careat, ut ad altaris ministerium ulterius non accedat.
Cap. Pervertit, dist. 5o.
Par ce vice, les
temples de Dieu
sont souillés,
124 CHAPITRE SIXIEME.
semaine1. Bref, l'Eglise ne regarde que comme autant de monstres les
prêtres dont la vie n'est pas chaste.
I.
COMBIEN EST ÉNORME LE
PECHE D'IMPURETÉ DANS LE PRÊTRE.
Examinons tout d'abord la malice du péché que commet
le prêtre en foulant aux pieds la chasteté.
Le prêtre est le temple de Dieu non seulement par son vœu de
chasteté, mais encore par l'onc-tion sainte qui en a fait l'oint
du Seigneur, ainsi que s'exprime saint Paul parlant de lui-même et
de tous les autres prêtres : Dieu nous a tous oints, lui qui nous
a marqués de son sceau2. « Que le prêtre, dit en conséquence
le cardinal Hugues de Saint-Cher, ne souille pas le sanctuaire du Sei-gneur,
car l'huile de la sainte onction a coulé sur lui3. » Le corps
du prêtre est donc devenu, lui aussi, le sanctuaire de Dieu. «
Conserve-toi dans la chasteté, écrivait saint Ignace le Martyr
à son diacre: n'es-tu pas la maison de Dieu, le temple du Christ4?
» Aussi saint Pierre Damien s'écrie-t-il : « Est-ce
que les prêtres qui souillent leur corps par l'impureté ne
violent pas le temple de Dieu? Gardez-vous, ajoute-t-il, de changer en
vases d'ignominie les vases consacrés au Sei-
1. Cap. Presbyter. dist. 82.
2. Unxit nos Deus, qui et signavit nos. II Cor. 1. 21.
3. Sacerdos ne polluat sanctuarium Domini ; quia oleum sanctae unctionis
super eum est.
4. Te ipsum castum custodi, ut domum Dei, templum Christi. Ep. ad Heron.
Diac.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE.
125
gneur1. " Que dirait-on d'un prêtre qui se ser-virait à
table d'un calice consacré ? « Puisque les prêtres,
dit Innocent II, doivent être les temples et les sanctuaires du Saint-Esprit,
il ne leur con-vient aucunement de s'employer à des turpi-tudes2.
» Oh! quelle horreur de voir un prêtre, qui ne devrait répandre
que l'éclat et la bonne odeur de la pureté, se jeter dans
les péchés de la chair et en sortir sale et fétide
! Le pourceau lavé s'est vautré dans la boue3, s'écrie
saint Pierre. Aussi, d'après Clément d'Alexandrie, il ne
tient pas à ces prêtres que leurs impuretés ne souillent
Dieu lui-même qui habite en eux. « Ils font, dit-il, tout ce
qu'ils peuvent pour souiller Dieu lui-même présent au milieu
d'eux et pour le déshonorer au contact de leurs vices4, »
comme le Seigneur s'en plaint dans Ézéchiel : Les prêtres
d'Israël ont méprisé ma loi, ils ont souillé
mes sanctuaires,... et j'étais souillé au milieu d'eux5.
C'est donc sur moi-même, s'écrie le Seigneur, que rejaillissent
les impuretés de mes prêtres; car, en violant la chasteté,
ils souillent mes sanctuaires, c'est-à-dire leurs corps, qui me
sont consacrés et dont j'ai fait si souvent ma demeure. Voilà
ce que veut dire également saint Jérôme par ces paroles
: « Nous souillons le corps du
1. Nonne templum Dei violant ? Nolite vasa Deo sacrata in vasa contumeliae
vertere. Opusc 18. d. 2. c. 47.
2 Cum ipsi templum et sacrarium Spiritus Sancti debeant esset indignum
est eos immunditiis deservire. Cap. Decernimus. dist. 28.
3. Sus Iota in volutabro luti ! II Pet. II. 22.
4. Deum in ipsis habitantem corrumpunt, quantum in se est, et vitiorum
suorum conjunctione polluunt. Paedag. 1. 2. c. 10.
5. Sacerdotes ejus contempserunt legem meam, et pollnerun, sanctuaria
mea... ; et coinquinabar in medio eorum. Ezech. xxii. 26.
Le sacrifice
de
l'autel profané,
126 CHAPITRE SIXIÈME.
Christ chaque fois que nous nous approchons indignement de l'autel1.
»
En outre, le prêtre au saint autel immole à Dieu l'Agneau
sans tache, c'est-à-dire le propre Fils de Dieu. Il faut par conséquent
que le prêtre pousse la pureté jusqu'à s'abstenir,
non seule-ment de toute action honteuse, mais même d'un simple regard
peu modeste ; et, comme le dit saint Jérôme, « par réserve
sacerdotale, évitez tout ce qui pourrait blesser la chasteté;
n'accordez même à vos yeux aucune liberté2. »
Un prêtre doit être tellement pur qu'il mérite de
prendre place parmi les anges. « Oui, dit saint Jean Chrysostome,
tel doit être l'éclat de sa pureté, qu'admis dans le
ciel, il aille s'asseoir au milieu des vertus angéliques3. »
Et, dans un autre endroit, parlant des mains du prêtre, de ces mains
qui ont pour office de toucher le corps du Christ:« Ne faut-il pas,
s'écrie le saint doc-teur, qu'elles surpassent en pureté
les rayons du soleil4? » « Quel serait l'homme assez impie,
dit à son tour saint Augustin, pour oser porter l'Eucharistie dans
des mains pleines de boue? De même donc que nous craindrions et que
nous tremblerions de toucher l'Eucharistie avec des mains sales, ainsi
et plus encore devons-nous
1. Polluimus corpus Christi, quando indigni accedimus ad altare. In
Mal. I.7.
2. Pudicitia sacerdotalis, non solum ab opere immundo, sed etiam
Aajactu oculi sit libera. In Tit. I. 8-9.
3. Necesse est sacerdotem sic esse purum, ut, in ipsis coelis collo-
catus, inter coelestes illas virtutes medius staret. De Sacerd. l.
3.
4. Quo solares radios non deberet excedere
manus illa, quae
hanc carnem tractat ? In Matth. hom. 83.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE. 127
craindre de recevoir l'Eucharistie dans une âme salie par le
péché1. » Or, poursuit saint Bernard, c'est une chose
bien horrible que fait le prêtre, quand, chargé des souillures
de l'impureté, il monte à l'autel pour toucher le corps de
Jésus-Christ ! « Ils viennent de souiller leurs mains au contact
de la chair, et ils osent les approcher du corps sacré de l'Agneau
sans tache et les baigner dans le sang du Sauveur2! » « Prêtres
du Sei-gneur, s'écrie encore saint Augustin, vous trempez vos mains
dans le sang que le Rédempteur répan-dit autrefois par amour
pour vous : ah ! gardez-vous de jamais les tremper dans le sang sacrilège
du péché3. »
Les prêtres ne doivent pas seulement approcher leurs mains, ils
doivent encore se nourrir de la chair sacrée de l'Agneau. Aussi
Cassien s'écrie-t-il: « Avec quelle délicatesse plus
qu'angélique ne faut-il pas garder la chasteté, quand, chaque
jour, on est appelé à faire sa nourriture du corps sacré
de l'Agneau divin4. » « Mais, reprend Pierre Comestor, lorsqu'un
indigne prêtre ose, de sa bouche impudique, proférer les paroles
de la con-sécration, c'est comme s'il crachait au visage de Jésus-Christ;
et lorsque ensuite il approche de sa
1. Si erubescimus et timemus Eucharistiam manibus sordidis tan-gere,
plus debemus timere ipsam Eucharistiam in anima polluta suscipere. Serm.
292. E. B app.
2. Audent Agni immaculati sacras contingere carnes, et intingere in
sanguinem Salvatoris manus, quibus paulo ante carnes attrec-taverunt. Declam.
n. 13.
3 Ne manus quae intinguntur sanguine Christi, polluantur san-guine
peccati. MOLINA. Instr. sac. tr. 1. c. 5. § 2.
4. Qua puritate oportebit custodire castitatem, quos necesse est quotidie,
sacrosanctis Agni carnibus vesci ! De Caen. Inst. I. 6. c. 8.
Le corps
de Jésus-Christ
trainé
dans la boue,
L'Église et les âmes persécutées.
128 CHAPITRE SIXIÈME.
bouche impure le corps sacré et le sang adorable du Sauveur,
c'est comme s'il les jetait dans la boue1. » « Que dis-je?
poursuit saint Vincent Fer-rier, ce prêtre commet un crime bien plus
hor-rible que s'il prenait l'hostie consacrée et la jetait dans
lin cloaque2. » « Prêtres du Seigneur, s'écrie
à ce sujet saint Pierre Damien, ô vous qui devez offrir à
Dieu l'Agneau immaculé, prenez garde de vous immoler d'abord vous-même
au démon par vos impudicités3. » De fait, le saint
regarde les prêtres impudiques comme autant de victimes du démon,
en attendant que dans l'enfer ils soient pour les démons le plus
délicat de leurs mets. « Vous êtes, dit-il à
ces malheureux, les victimes du démon et par conséquent voués
au désastre de l'éternelle mort ; vous êtes autant
de mets choisis dont se nourrissent et s'engraissent les démons4.
»,
Non seulement le prêtre impudique se perd lui-même ; hélas,
que d'âmes il perd encore avec lui ! D'après saint Bernard,
l'incontinence des prêtres est la plus grande persécution
que l'Église ait jamais endurée. Voici, sur ces paroles du
roi Ezéchias: Dans la paix, je trouve mon amertume
1. Qui sacra illius verba Sacramenti ore immundo profert, in faciem
Salvatoris spuit ; et cum in os immundum sanctissimam Carnem ponit, eam
quasi in lutum projicit. Serm. 38.
2. Majus peccatum est, quam si projiciat corpus Christi in cloacam.
3. Cur, o sacerdos, qui sacrificium Deo debes offerre, temetipsum prius
maligno spiritui non vereris victimam immolare ? Opusc. 17. c. 3.
4. Vos estis daemonum victimae, ad aeternae mortis succidium destinatae
; ex vobis diabolus, tamquam delicatis dapibus, pascitur et saginatur.
Epist. 1. 4. ep. 3.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE.
129
la plus amère1, comment le saint parle et se la-mente
: « Bien amère fut la douleur de l'Eglise quand elle vit ses
martyrs tomber sous le glaive des tyrans ; plus amère encore, quand
les héréti-ques infectèrent de leur venin tant de
ses sujets ; mais, de toutes les douleurs et de toutes les per-sécutions,
la plus grande sans comparaison lui vient maintenant de ses propres fils,
c'est-à-dire de ces prêtres qui, par le scandale de leur vie
déréglée, déchirent ses entrailles maternelles.
Il y a la paix et il n'y a pas de paix : paix de la part des païens
et de la part des hérétiques, mais nulle-ment de la part
de ses enfants2. » « Hélas! oui, ils déchirent
le sein de leur mère3 ! » Quelle honte de voir dans les chaînes
de la luxure celui qui prêche la chasteté ! « Eh quoi
! s'écrie saint Pierre Damien, vous avez mission de prêcher
la chasteté, et vous ne rougissez pas d'être l'esclave de
l'im-pureté 4 ! »
II.
LES SUITES FUNESTES DE L'lMPURETÉ.
Considérons, en second lieu, combien ce péché
est nuisible à l'âme, surtout à l'âme du prêtre.
D'abord il aveugle l'esprit et fait perdre de vue Dieu et les vérités
éternelles. « La chasteté, dit
1. Ecce in pace amaritudo mea amarissima. Es. xxxviii. 17.
2. Amara prius in nece Martyrum, amarior in conflictu haere-ticorum,
amarissima in moribus domesticorum. Pax est, et non est pax : pax a paganis,
pax ab haereticis, sed non profecto a filiis. In Cant. s. 33.
3. Filii propriam matrem eviscerant ! S. ad Past. in Syn.
4. Qui praedicator constitutus es castitatis, non te pudet servum esse
libidinis ! Opusc. 17. c. 3.
LE PRÊTRE. — T. I.
L'aveuglement de l'esprit,
130
CHAPITRE SIXIEME.
saint Augustin, purifie l'intelligence,
et c'est grâce à elle que les hommes voient Dieu1. »
Par contre, l'impureté a pour premier effet l'aveugle-ment de l'esprit.
« Les effets du vice impur, dit saint Thomas, sont : l'aveuglement
de l'esprit, la haine de Dieu, l'attachement à la vie présente,
l'horreur de la vie future2. » « L'impureté, dit «gaiement
saint Augustin, empêche de réfléchir sur les choses
de l'éternité, elle en ôte même la pensée3.
» Quand un corbeau s'abat sur un cada-vre, il commence par lui arracher
les yeux : ainsi ce vice a pour premier effet désastreux d'éteindre
la lumière des vérités divines. Voilà bien
toute l'histoire de Calvin, curé et pasteur d'âmes jus-qu'au
jour où l'impureté en fit un hérésiarque; de
Henri VIII, d'abord apologiste et puis persé-cuteur de l'Église;
comme aussi de Salomon, qu'on voit, des hauteurs de la sainteté;
tomber dans l'idolâtrie. Voilà également ce qui arrive
chaque jour aux prêtres impudiques. Ils mar-cheront comme
des aveugles, parce qu'ils ont péché contre le Seigneur4.
Les malheureux! ils célèbrent la messe, ils récitent
le bréviaire, ils président des funérailles; mais
c'est en vain que tant de lumières brillent à leurs yeux:
ils restent dans leur aveuglement, comme s'ils ne croyaient ni à
la mort qui les attend, ni au jugement ter-rible et à l'enfer qu'ils
se préparent. Tâtonnez
1. Castitas, mundans mentes hominum, praestat videre Deum. Serm. 291.
E. B. app,
2. Caecitas mentis, odium Dei, affectus praesentis saeculi, horror
vel desperatio futuri. 2. 2. q. CLIII. a. 5.
3. Luxuria futura non sinit cogitare.
4. Ambulabunt ut caeci, quia Domino peccaverunt. Soph. l. 17.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE.
I3I
en plein midi, comme a coutume de tâtonner l'aveugle dans
les ténèbres1. Cette boue fétide dans laquelle ils
se sont enfoncés les aveugle telle-ment, qu'après avoir été
tant exaltés par Dieu au-dessus du reste des hommes, ils se voient
éloignés de lui, sans même avoir la pensée d'aller
se jeter à ses pieds pour obtenir leur pardon. Ils n'appliqueront
pas leurs pensées à revenir au Sei-gneur leur Dieu, parce
que l'esprit de fornication est au milieu d'eux2. En sorte que, selon la
remar-que de saint Jean Chrysostome, « plus rien n'est capable de
leur ouvrir les yeux, ni les remon-trances de leurs supérieurs,
ni les conseils d'amis dévoués, ni la crainte des châtiments,
ni la menace du déshonneur3. »
Mais quoi d'étonnant s'ils se trouvent ainsi frappés
d'aveuglement ? Le feu est tombé sur eux, et ils n'ont plus même
aperçu le soleil4. Après avoir, dans son commentaire sur
ce texte, fait remarquer que ce feu n'est autre que le feu de la luxure5,
le Docteur angélique dit dans un autre endroit : « Les péchés
de la chair éteignent la lumière de la raison, car les délectations
charnelles ont pour effet d'appliquer l'âme tout entière aux
plaisirs des sens6. » Et, dans ces honteux plaisirs, il se fait un
tel naufrage de la raison « que l'homme,
1. Palpes in meridie, sicut palpare solet caecus in tenebris. Deut.
XXVIII. 29.
2. Non dabunt cogitationes suas, ut revertantur ad Deum suum ; quia
spiritus fornicationum in medio eorum, et Dominum non cognoverunt. Os.
v. 4.
3. Nec admonitiones, nec consilia, nec aliquid aliud salvare potest
animam libidine periclitantem. Hom. contra lux.
4. Supercecidit ignis, et non viderunt solem. Ps. LVII. 9.
5. Supercecidit ignis, id est, concupiscentiae. 2. 2. q. XV. a. 1.
6. Vitia carnalia exstinguunt iudicium rationis. Delectatio quae est
Folie,
l32
CHAPITRE SIXIÈME.
Incrédulité,
dit Eusèbe, tombe au-dessous de la brute1. » Aussi
le prêtre impudique arrivera-t-il, de péché en péché,
à cet excès d'aveuglement, qu'il ne tiendra plus compte ni
des injures qu'il fait à Dieu par ses sacrilèges ni du scandale
qu'il donne au pro-chain; oui, il poussera l'audace jusqu'à célébrer
la messe avec le péché dans l'âme. Et comment s'en
étonner ? Dès qu'on est privé de lumière, il
n'y a pas de mal auquel on ne se laisse facile-ment aller.
Approchez-vous de Dieu et vous serez éclairés2. C'est
donc près de Dieu qu'il faut aller pour avoir la lumière,
« Or, dit saint Thomas, rien ne jette l'homme loin de Dieu comme
la luxure3. » D'où il s'ensuit que, semblable à l'animal
sans raison, l'impudique ne saisit plus les choses spirituelles, selon
cette parole de saint Paul : L'homme animal ne perçoit pas ce qui
est de l'Esprit de Dieu4. Enfer, éternité, dignité
du prêtre, autant de mots qui ne lui disent plus rien. Peut-être
même com-mence-t-il à douter, et sa foi s'ébranle-t-elle...
« Car, dit saint Ambroise, quand on s'engage dans la luxure, on commence
à dévier de la vraie foi5. » Hélas! combien
de pauvres prêtres que ce vice a fini par jeter dans l'incrédulité
! Ses os seront remplis des vices, c'est-à-dire des impu-
in venereis, totam animam trahit ad sensibilem delectationem. 2. 2.
q. LUI. a. 6.
1. Luxuria hominem pejorem bestia facit. EUSEB. Ep. ad Dam. de morte
Hier.
2. Accedite ad eum et illuminamini. Ps. xxxiii. 6.
3. Per peccatum luxuria, homo videtur maxime a Deo recedere. In Job.
xxxi. lect.1.
4. Animalis autem homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei. I Cor.
II. 14.
5. Ubi cœperit quis luxuriari, incipit deviare afide recta. Epist.36.
DU PECHE D'INCONTINENCE. 133
retés, de sa jeunesse, et ils dormiront avec lui dans
la poussière1. De même que la lumière du soleil ne
saurait pénétrer dans un vase rempli de terre, ainsi, dans
une âme adonnée au vice hon-teux, impossible que la lumière
divine répande ses clartés. C'est pourquoi, s'endormant avec
l'âme, le vice ne la quittera pas même à la mort. Mais
si ce malheureux plongé dans la fange ne se soucie plus de Dieu,
Dieu ne se soucie pas non plus de lui, et il finira par l'abandonner à
ses ténèbres. Parce que tu m'as oublié, dit le Sei-gneur,
et que tu m'as rejeté derrière ton corps, toi aussi porte
ton crime et tes fornications2. Or, d'après saint Pierre Damien,
« ceux-là jettent Dieu derrière leur corps, qui prêtent
l'oreille à la voix de leurs passions3. » Le père Cataneo4
ra-conte qu'un homme vivait dans le crime avec une femme. Un de ses amis
le pressant de la quitter s'il ne voulait se damner : « Mon ami,
répondit-il, pour une telle personne on peut bien aller en enfer.
» Il y tomba, puisqu'il périt de mort violente. — Un autre,
et ce n'était pas un laïque, surpris dans la maison d'une femme
qu'il essayait de séduire, fut contraint par le mari d'a-valer du
poison. Rentré chez lui, il se jeta sur son lit. Un de ses amis,
à qui il raconta son aventure, le pressait de se confesser au plus
vite, car il voyait bien que le misérable allait mourir.
1. Ossa ejus implebuntur vitiis adolescentiae ejus, et cum eo in pulvere
dormient. Job. xx. 11.
2. Quia oblita es mei, et projecisti me post corpus
tuum, tu quoque porta scelus tuum et fornicationes tuas. Ezech. xxiii.
35.
3. Illi Deum post corpus suum ponunt, qui suarum obtemperant illecebris
voluptatum. Opusc. 18. diss. 2. c. 3.
4. Eserc. della buona m. p1. d. 34.
Abandon de Dieu.
134
CHAPITRE SIXIÈME.
Mais celui-ci de répondre : « Non, je ne puis me
confesser. Seulement, je te prie d'aller lui dire que je meurs pour elle.
» Se peut-il aveuglement plus déplorable?
L'obstination de la volonté,
: Le péché d'impureté a pour second effet l'obs-tination
de la volonté. « Une fois tombé dans ce piège
du démon, dit saint Jérôme, il n'est pas facile d'en
sortir1. » D'après saint Thomas, « l'impureté
fait, plus que tout autre péché, la joie de l'enfer, par
la raison que l'homme a le plus d'inclination pour ce péché,
et que c'est aussi le péché dont l'homme a le plus de peine
de sortir2. » Aussi Clément d'Alexandrie appelle-t-il l'impureté
« une maladie sans remède3, » et Tertullien «
un vice incurable4. » Saint Cy-prien la regarde en conséquence
comme « la mère de l'impénitence5. » «
Une fois que la chair a triomphé de nous, disait Pierre de Blois,
il devient impossible que nous la soumettions encore au joug6. »
Le père Biderman raconte qu'un jeune homme adonné à
ce vice se confessa sur son lit de mort avec beaucoup de larmes, en sorte
qu'il y avait tout lieu de le croire sauvé. Le lende-main son confesseur,
qui disait la messe pour lui, se sent tirer par la chasuble: il se retourne,
1. Hoc rete diaboli, si quis capitur, non cito solvitur. EUSEB. Ep.
ad Dam. de morte Hier.
2. Diabolus dicitur maxime gaudere de peccato luxuriae, quia est maximae
adhaerentiae, et difficile ab eo homo potest eripi. 1. 2. q. LXXIII. a.
5.
3. Morbus immedicabilis. Paedag. 1. 2. c. 10.
4. Vitium immutabile.
5. Impudicitia mater est impœnitentiae. De Disc. et Bono pud.
6. Est fere impossibile triumphare de carne, si ipsa de nobis triumphavit.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE. 135
et aperçoit un nuage de couleur noire d'où jail-lissaient
des étincelles de feu; puis une voix, qu'il reconnut pour celle
du jeune homme, lui dit que le malheureux avait à la vérité
reçu l'absolution de ses péchés, mais qu'au dernier
moment, assailli par une mauvaise pensée, il avait succombé
et s'était damné.
Le prophète et le prêtre se sont souillés... C'est
pour cela que leur voie sera comme un chemin glissant dans les ténèbres
; car on les poussera et ils tomberont1. Tel est le sort réservé
aux prêtres impudiques. Les malheureux se trouvent sur un chemin
glissant, d'épaisses ténèbres les envelop-pent, les
démons et la mauvaise habitude les poussent vers le précipice
: aussi est-ce une chose pour ainsi dire impossible qu'ils échappent
à leur perte. En effet, d'après saint Augustin, « pour
peu qu'on se livre à ce vice, on en contracte l'habitude; et l'habitude,
si on n'y résiste pas, ne tarde pas à devenir une sorte de
nécessité 2. » Quand un épervier s'est abattu
sur un cadavre pour le dévorer, il se laisse tuer par les chasseurs
plutôt que de lâcher sa proie. Voilà bien l'image de
l'homme habitué au vice de l'impureté. Mais combien l'obstination
des prêtres tombés sous le joug du vice honteux, l'emporte
sur celle des séculiers! Il en est ainsi, d'abord parce que les
prêtres ont plus de lumières pour connaître la malice
du péché mortel, ensuite parce que l'im-
1i. Propheta et sacerdos polluti sunt..., idcirco via eorum erit quasi
lubricum in tenebris ; impellentur enim, et corruent in ea. Jer. xxiii.
11.
2. Dum servitur libidini, facta est consuetudo ; et dum consue-tudini
non resistitur, facta est necessitas. Conf. 1. 8. c. 5.
Surtout dans les prêtres,
l36 CHAPITRE SIXIÈME.
La réprobation éternelle.
pureté constitue pour eux un plus grand péché
; car non seulement ils foulent aux pieds la chas-teté, mais, à
raison de leur vœu, ils pèchent encore contre la vertu de religion,
et même, le plus souvent, ils manquent gravement à la cha-rité
envers le prochain, vu le très grand scandale que l'inconduite du
prêtre produit ordinairement parmi le peuple. Denys le Chartreux
cite le fait d'un serviteur de Dieu que son ange gardien con-duisit un
jour en esprit dans le purgatoire. Or il y vit beaucoup de séculiers,
mais fort peu de prêtres, expier les restes de leurs impuretés.
Comme il en demandait la raison, on lui répondit : « Parmi
les prêtres impudiques, à peine s'en rencontre-t-il un seul
qui se repente sincèrement de son péché : par conséquent
ces prêtres-là se damnent, pour ainsi dire, sans exception1.
»
Finalement, c'est à la damnation éternelle que ce vice
exécrable conduit toutes ses victimes, mais surtout le prêtre.
« Devant les autels du Seigneur, dit saint Pierre Damien, une seule
flamme doit brûler, celle de l'amour divin, à l'exclusion
de tout amour profane. Si donc quel-qu'un ose s'approcher de l'autel avec
une flamme impure dans le cœur, celui-là sera consumé par
le feu de la colère divine2. » « Il viendra s'écrie
autre part le même saint docteur, oui, il viendra
1. Vix aliquis talium veram habet contritionem ; idcirco pene omnes
aeternaliter damnantur. Quat. Nov. p. 3. a. 13.
2. Altaria Domini, non alienum, sed ignem dumtaxat divini amoris accipiunt.
Quisquis igitur carnalis concupiscentiae flamma aestuat, et sacris assistere
mysteriis non formidat, ille divinae ultionis igne consumitur. Opusc. 27.
c. 3.
DU PECHE D'INCONTINENCE. 137
un jour ou plutôt une nuit, où la luxure se con-vertira
en une poix brûlante pour entretenir per-pétuellement dans
les entrailles l'inextinguible feu de l'enfer1. »
Ah ! quels châtiments Dieu réserve à ces mal-heureux
prêtres ! et combien de prêtres sont main-tenant en enfer pour
ce péché ! Si cet homme de l'Evangile, entré dans
la salle du festin sans sa robe de fête, est pour cela condamné
aux ténèbres extérieures, « à quoi donc,
demande saint Pierre Damien, doit s'attendre celui qui, admis au ban-quet
mystique de l'Agneau divin, néglige de se parer du brillant vêtement
des vertus, et même se présente tout imprégné
des odeurs fétides de sa luxure2? » Baronius parle d'un prêtre
qui, après avoir vécu dans le désordre, se trouvait
sur son lit de mort. Comme il était à l'agonie, il aperçut
un grand nombre de démons qui venaient pour l'em-porter. Alors,
se tournant vers le religieux qui l'assistait, il le suppliait de prier
pour lui ; mais un instant après, il s'écria qu'il était
déjà au tri-bunal de Dieu. « Cessez, ajouta-t-il aussitôt,
cessez de prier pour moi, car je suis condamné, et vos prières
ne peuvent plus rien pour mon âme3. » — Saint Pierre Damien
rapporte qu'à Parme un prêtre et une femme furent tous deux
1. Veniet, veniet profecto dies, imo nox, quando libido ista tua vertetur
in picem, qua se perpetuus ignis in tuis visceribus inex-tinguibiliter
nutriat. Opusc. 17. c. 3.
2. Quid illi sperandum, qui cœlestibus tricliniis intromissus, non
modo non est spiritalis indumenti decore conspicuus, sed ultro etiam foetet
sordentis luxuriae squalore perfusus ? Opusc. 18. d.1. cap. 4.
3. Cessa pro me orare, pro quo nullatenus exaudieris. Anno 1100. num.
24.
l38 CHAPITRE SIXIÈME.
frappés de mort dans l'acte même du crime1. — On lit dans
les révélations de sainte Brigitte qu'un prêtre impudique
se trouvant à la campagne, fut tué d'un coup de tonnerre
; or, la foudre ne laissa d'autre trace de son passage que justement ce
qu'il fallait pour faire comprendre quel crime surtout Dieu avait voulu
punir dans ce malheu-reux2. — De nos jours un prêtre mourut aussi
en commettant ce péché ; et, .pour comble d'igno-minie, tel
on l'avait trouvé dans la maison de sa complice, tel on l'exposa
devant le porche de l'église. — Les prêtres impudiques font
par leurs scandales le déshonneur de l'Église. Aussi, pour
les punir à proportion de leurs iniquités, le Sei-gneur veut
qu'aux yeux de tous, ils soient cou-verts d'ignominie, selon ce que lui-même
déclare par son prophète en s'adressant aux prêtres:
Vous vous êtes écartés de la voie, vous en avez scan-dalisé
beaucoup au mépris de la loi: c'est pour-quoi je vous ai rendus
vils et abjects à tous les peuples3.
III.
LES DEUX GRANDS REMEDES CONTRE L'IMPURETÉ.
Les maîtres de la vie spirituelle nous indiquent plusieurs remèdes
contre ce vice affreux. Mais les principaux et les plus nécessaires
sont la fuite des occasions et la prière.
1. Epist. 1. 5. ep. 16.
2. Rev. 1. 2. c. 2.
3. Vos autem recessistis de via, et scandalisastis plurimos in lege...;
propter quod et ego dedi vos contemptibiles et humiles omnibus populis.
Mal. II. 8.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE.
I39,
Quant au premier, saint Philippe de Néri en-seigne que,
dans ce combat, la victoire est pour les poltrons, c'est-à-dire
pour ceux qui fuient l'occasion. Qu'un homme emploie tous les autres moyens
possibles, s'il ne fuit l'occasion, il est perdu. Celui qui aime le péril,
y périra1.
Quant au second remède, à savoir la prière, il
faut bien comprendre que de nous-mêmes nous n'avons pas la force
de résister aux tentations de la chair: cette force, Dieu seul peut
nous l'ac-corder, et il l'accorde à ceux-là seulement qui
le prient et la lui demandent. La prière, telle est donc notre unique
défense contre les tentations. Saint Grégoire de Nysse appelle
à bon droit la prière « le rempart de la pureté2.
» Et longtemps auparavant le Sage avait dit : Comme j'ai su que je
ne pouvais être continent si Dieu ne m'en fai-sait la grâce,
je recourus au Seigneur, et je lui adressai mes supplications3.
La fuite des occasions.
La prière
dans
les tentations.
(Celui qui voudrait voir exposés plus au long les remèdes
contre ce vice, et surtout les deux que nous venons d'in-diquer, la fuite
des occasions et la prière, pourrait lire dans la seconde Partie
de cet ouvrage, l'instruction sur la vertu de chasteté.)
1. Qui amat periculum, in illo peribit. Eccli, iii. 27.
2. Oratio pudicitiae praesidium est. De Or. Dom. or. 1.
3. Et ut scivi quoniam aliter non possem esse continens, nisi Deus
det..., adii Dominum, et deprecatus sum illum. Sap. viii. 21.
CHAPITRE SEPTIÈME.
DE LA MESSE SACRILEGE.
« N'hésitons pas à le confesser, dit le saint
concile de Trente, impossible que les fidèles ser-viteurs du Christ
s'emploient à n'importe quelle œuvre dont la sainteté égale
celle de ce redou-table mystère1. » Non, Dieu lui-même
ne peut faire qu'une action l'emporte en grandeur et en sainteté
sur la célébration d'une seule messe. Que sont tous les sacrifices
de l'ancienne loi au-près de ce sacrifice de nos autels, où
s'immole non plus un taureau, un agneau, mais le Fils de Dieu lui-même?
« Au juif les animaux, dit saint Pierre de Cluny, au chrétien
le Christ; et autant le Christ l'emporte sur les animaux, autant notre
sacrifice l'emporte sur celui des juifs2. » « Du reste, ajoute
le même auteur, une victime sou-mise au joug convenait à ceux
qui vivaient sous
1. Necessario fatemur nullum aliud opus adeo sanctum a Christi fidelibus
tractari posse, quam hoc tremendum mysterium. Sess. 22. Decr. de Observ.
in Missa.
2. Habuit bovem Judaeus, habet Christum Christianus, cujus sacrificium
tanto excellentius est, quanto Christus bove major est.
Excellence de la messe.
142 CHAPITRE SEPTIÈME.
Assistance. des anges.
Jésus-Christ
principal sacrificateur.
le joug de la loi ancienne ; mais à ses enfants, à
ses amis, Dieu réserva Jésus-Christ lui-même se faisant
notre victime pour nous délivrer du péché et de la
mort éternelle1. » Saint Justinien avance donc avec raison,
« qu'après le sacrifice de la messe, aucun autre sacrifice
ne peut être plus excellent en lui-même, plus utile aux hommes
ni plus agréable à Dieu2. »
« Aussi, dit saint Jean Chrysostome, quand il se célèbre
une messe, au même instant des mul-titudes d'anges accourent et se
rangent autour de l'autel, afin de rendre hommage à la victime,
laquelle n'est autre que Jésus-Christ s'offrant en sacrifice3. »
Et saint Grégoire: « Au moment du sacrifice, les cieux s'ouvrent
à la voix du prêtre, et les chœurs des anges accourent se
ranger au-tour de Jésus-Christ : quelle âme chrétienne
en saurait douter4?» Bien plus, les esprits célestes viennent
assister le prêtre à l'autel. « Le prêtre procède
à la célébration dé l'auguste mystère,
et pendant ce temps, dit saint Augustin, les anges, se faisant ses serviteurs,
lui prêtent le concours de leur ministère 5. »
Or, dans ce grand sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ,
c'est Jésus-Christ lui-même qui
1. Congrua tunc fuit servilis hostia servis ; servata est liberatrix
victima jam filiis et amicis. Ep. contra Petrobr.
2. Qua oblatione nulla major, nulla utilior, nullaque oculis divinae
Majestatis est gratior. Serm. de Euchar.
3. Locus altari vicinus plenus est Angelorum choris, in honorem illius
qui immolatur. De Sacerd. 1. 6.
4. Quis fidelium habere dubium possit, in ipsa immolationis hora, ad
sacerdotis vocera coelos aperiri, et in illo Jesu Christi mysterio angelorum
choros adesse ? Dial. 1. 4. c. 58.
5. Sacerdos enim hoc ineffabile confict mysterium, et angeli con-ficienti
sibi quasi famuli assistunt. MOLINA. Instr. sac. tr. 1. c. 5. § 2.
DE LA MESSE SACRILEGE. 143
Teste le premier sacrificateur. Seulement, il agit par le prêtre
qu'il s'est choisi pour son ministre et qu'il charge de le remplacer à
l'autel, selon ce qu'enseigne le concile de Trente : « Le même
Jésus-Christ qui s'est offert autrefois sur la croix, s'offre maintenant
par le ministère des prêtres1. » Saint Cyprien avait
déjà dit : « Le prêtre tient réellement
la place du Christ2. » De là ces pa-roles de la consécration
: Hoc EST CORPUS MEUM, HIC EST CALIX SANGUINIS MEI. De là encore
ces pa-roles de Notre-Seigneur lui-même à ses disciples :
Qui vous écoute, m'écoute ; qui vous méprise, me méprise3.
I.
LA MESSE SACRILÈGE.
Dans l'ancienne loi, le. Seigneur exigeait des lévites une pureté
parfaite, uniquement parce qu'ils avaient à porter les vases sacrés.
Vous qui portez les vases sacrés, purifiez-vous4. « Mais,
dit Pierre de Blois, combien doivent être encore plus purs ceux qui
portent dans leurs mains et dans leur poitrine le Christ lui-même5!
» Oui, quelle pureté Dieu n'exige-t-il pas des prêtres
de la nouvelle loi, puisqu'ils doivent représenter à l'autel
la personne de Jésus-Christ, alors qu'ils
1. Idem nunc offerens sacerdotum ministerio, qui seipsum tunc in cruce
obtulit. Sess. 22. cap. 2.
2. Sacerdos vice Christi vere fungitur. Epist. 62.
3. Qui vos audit, me audit; qui vos spernit, me spernit. Luc. x. 16.
4. Mundamini, qui fertis vasa Domini. Is. LII. 11.
5. Quanto mundiores esse oportet, qui in manibus et in corpore portant
Christum ! Epist. 123.
Pureté requise
dans
le prêtre.
144
CHAPITRE SEPTIEME.
offrent au Père éternel son propre Fils? C'est
donc à bon droit que le concile de Trente, pour obliger les prêtres
de célébrer ce grand sacrifice avec toute la pureté
de conscience possible, leur dit : « Nul doute qu'il ne faille mettre
toute son application et toute sa sollicitude à célébrer
ce divin mystère avec la plus grande pureté d'âme dont
on est capable1. » Voilà précisément ce que
signifie la blancheur de l'aube dont l'Église or-donne au prêtre
de se revêtir et qui le couvre de la tête aux pieds quand il
célèbre la sainte messe. Sur quoi l'abbé Rupert fait
cette remarque : « A l'autel, le prêtre est en quelque sorte
le porte-drapeau de l'innocence et de la pureté2. »
Du reste, il est bien juste que le prêtre honore Dieu par la
pureté de sa vie, puisque Dieu l'a lui-même tant honoré,
alors que, le choisissant pour son ministre dans ce sublime mystère,
il l'éleva par-dessus tous les autres hommes. « Prê-tres
du Seigneur, disait saint François d'Assise, considérez votre
dignité ; et puisque Dieu, en vue de ce grand mystère, vous
a honorés plus que le reste des hommes, aimez-le et honorez-le3.»
Mais comment le prêtre doit-il honorer Dieu ? Est-ce par le luxe
de ses habits, la beauté de sa chevelure, l'élégance
de ses manchettes ? « Non certes, répond saint Bernard, ce
n'est pas par vos riches habits
1. Satis apparet omnem operam et diligentiam in eo ponendam esse, ut
quanta maxima fieri potest interiori cordis munditia pera-gatur. Sess.
22. Decr. de Obs. in Missa.
2. Candorem significat vitae innocentis, quae a sacerdote debet incipere.
3. Videte dignitatem vestram, sacerdotes; et sicut super omnes, propter
hoc mysterium, honoravit vos Dominus, ita et vos diligite eum et honorate.
Op. p. 1. ep. 12.
DE LA MESSE SACRILÈGE. I45
que vous glorifierez Dieu, mais bien par la sain-teté de votre
vie, par l'étude des sciences sacrées, et par votre application
aux bonnes œuvres4. »
Or procure-t-il la gloire de Dieu, ce prêtre qui célèbre
la messe en état de péché mortel ? Eh quoi, la gloire
de Dieu ! Mais c'est au contraire, entre tous les déshonneurs qu'on
peut faire à Dieu, le plus grand, le plus sanglant, que ce prêtre
s'efforce de lui infliger, puisqu'il méprise Dieu lui-même
en personne, quand il célèbre sacrilègement et qu'il
fait ainsi tout ce qui dé-pend de lui pour souiller l'Agneau sans
tache s'offrant à son divin Père sous l'hostie consacrée.
O prêtres, s'écrie le Seigneur, vous méprisez mon nom,
car vous offrez sur mon autel un pain souillé, et vous dites : En
quoi vous avons-nous souillé2 ?« Oui, dit saint Jérôme
dans son com-mentaire sur ces paroles, nous souillons le pain sacré,
c'est-à-dire le corps du Christ, chaque fois que nous approchons
indignement de l'autel3. »
Le plus grand honneur dont Dieu puisse com-bler un homme, c'est de
l'élever au sacerdoce. Car de quelles distinctions le prêtre
n'a-t-il pas été l'objet? D'abord Dieu a dû le tirer
de l'innom-brable multitude de toutes les créatures possibles ;
puis il a dû le séparer de tant de millions d'hé-rétiques
et de païens ; enfin il a dû lui donner la
1. Honorificabitis autem, non cultu vestium, sed ornatis moribus, studiis
spiritualibus, operibus bonis. De Mor. et Off. Episc. c. 2.
2. Ad vos, o sacerdotes, qui despicitis nomen meum... ! Offertis super
altare meum panem pollutum, et dicitis : In quo polluimus te? Mal. 1. 6.
3. Polluimus panem, id est, corpus Christi, quando indigni acce-dimus
ad altare.
LE PRÊTRE. — T. I.
Profanation
du corps
de Jésus-Christ
Surtout
par les mains
criminelles
146 CHAPITRE SEPTIÈME.
préférence sur tant de chrétiens laissés
dans le siècle. En outre, de quelle puissance ne l'a-t-il pas.investi!
Supposons qu'un seul homme eût reçu le pouvoir de faire qu'à
sa voix le Fils de Dieu lui-même descende du ciel, quelle recon-naissance
cet homme ne devrait-il pas à Dieu et quelles obligations ne lui
aurait-il pas ? Or cette puissance, Dieu l'accorde à chaque prêtre.
Il a relevé le pauvre de dessus le fumier, pour lui donner place
parmi les princes de son peuple1. Que ce privilège soit commun à
tant de prêtres, il n'importe. Car le nombre des prêtres ne
dimi-nue ni leur dignité ni leurs obligations. Mais, ô Dieu!
que fait un prêtre quand il célèbre en état
de péché mortel ? Il déshonore, il méprise
la messe, puisqu'elle ne lui semble pas tellement digne de nos respects
qu'on doive craindre de la profaner par un sacrilège. « Ne
pas rendre à l'autel l'honneur qu'on lui doit, c'est en fait, dit
saint Cyrille d'Alexandrie, ne professer pour l'autel que du mépris2.
»
« Cette main qui se met en contact avec la chair sacrée,
et cette langue qui se rougit du sang divin de Jésus-Christ, ne
devraient-elles pas, dit saint Jean Chrysostome, surpasser en pureté
les rayons du soleil3? » Dans un autre endroit, le saint doc-teur,
parlant du prêtre sur le point de monter à l'autel, s'écrie:
« Ne doit-il pas être tellement
1. De stercore erigens pauperem, ut collocet eum cum principibus
populi sui. Ps. cxii. 6.
2. Qui non adhibet honorem quem debet altari sancto, factis testatur
illud esse contemptibile. MOLINA. Instr. sacerd. tr. 1. c. 18.§ 1.
3. Quo igitur solari radio non puriorem esse oportet manum carnem hanc
dividentem, linguam quae tremendo nimis sanguine rubescit ? Ad pop. Ant.
hom. 6o.
DE LA MESSE SACRILÈGE. I47
pur qu'il mérite de prendre place parmi les anges au milieu
des splendeurs du ciel1 ? » Quelle hor-reur s'empare donc des anges,
à la vue d'un prêtre devenu l'ennemi de Dieu, et qui porte
ses mains sacrilèges sur l'Agneau immaculé pour en faire
ensuite sa nourriture ! « Se peut-il, s'écrie saint Augustin,
qu'un homme soit assez impie pour oser prendre l'Eucharistie dans des mains
pleines de boue2? » Plus horrible est la conduite du prêtre
qui apporte à la célébration de la messe une conscience
souillée d'un péché mortel. C'est alors que Dieu,
pour ne pas voir un si exécrable forfait, détourne les yeux,
comme il le.déclare lui-même: Lorsque vous étendrez
vos mains, je détournerai mes yeux de vous3. Alors aussi, pour manifester
le dégoût que lui inspire ce mi-nistre sacrilège, il
lui jette au visage la fange de ses sacrifices : c'est ce qu'il nous apprend
égale-ment lui-même par un autre de ses prophètes :
Voici que je vous jetterai au visage l'ordure de vos solennités4.
Sans doute, ainsi que l'enseigne le concile de Trente, « ce sacrifice
est tellement pur que rien n'en peut ternir l'éclat, pas même
l'iniquité du prêtre qui l'offre3. » Cependant les prêtres
qui célèbrent sacrilègement font de leur
1. Nonne accedentem ad altare sacerdotem sic purum esse oportet, ut,
si in ipsis cœlis esset collocatus, inter cœlestes illas virtutes medius
staret ? De Sacerd. 1. 3.
2. Quis adeo impius erit, qui lutosis manibus sacratissimum Sa-cramentum
tractare praesumat.
3. Cum extenderitis manus vestras, avertam oculos meos a vobis. Is.
1. 15.
4. Dispergam super vultum vestrum stercus solemnitatum ves-trarum.
Mal. ii. 3.
5. Haec quidem illa munda oblatio est, quae nulla malitia offe-rentium
inquinari potest. Sess. 22. cap. 1.
148
CHAPITRE SEPTIÈME.
Et la bouche
immonde
du
prêtre coupable.
côté tout ce qu'ils peuvent pour souiller l'auguste
mystère: c'est pourquoi Dieu déclare que leurs impuretés
rejaillissent jusque sur lui-même : J'étais souillé
au milieu d'eux1.
« Hélas ! Seigneur mon Dieu, s'écrie saint Ber-nard,
comment se peut-il que ceux-là précisément qui occupent
les premières places dans votre Eglise, soient aussi les premiers
à vous persé-cuter2? » « Oui, ce n'est que trop
vrai, dit saint Cyprien, un prêtre qui célèbre en état
de péché, fait violence au corps du Christ, il se sert de
sa bouche et de ses mains pour insulter le Sei-gneur3. » «
Quand un tel prêtre, ajoute un pieux auteur, profère les paroles
de la consécration, c'est comme s'il crachait au visage de Jésus-Christ;
et quand il approche de ses lèvres le très saint Sacre-ment,
on peut dire qu'il s'apprête à le jeter dans la boue4. »
Que dis-je dans la boue? mieux vaut la boue que le prêtre en état
de péché. « Non, dit Théophylacte, la boue n'est
pas aussi indigne que la poitrine du prêtre sacrilège de recevoir
le corps sacré du Sauveur5. » « Son péché,
ajoute saint Vincent Ferrier, est certainement plus grand que s'il jetait
les saintes espèces dans un cloa-que6. » « Ah ! s'écrie
avec horreur saint Thomas
1. Coinquinabar in medio eorum. Ezech. xxii. 26.
2. Heu, Domine Deus, quia ipsi sunt in persecutione tua primi, qui
videntur in Ecclesia tua gerere principatum ! In Conv. S. Pauli. s.1.
3. Vis infertur corpori Domini ; in Dominum manibus atque ore delinquunt.
Serm, de Lapsis.
4. Qui sacra illius verba sacramenti ore immundo profert, in faciem
Salvatoris spuit ; et cum in os immundum sanctissimam carnem ponit, eum
quasi in lutum projicit. Serm. 38.
5. Lutum non adeo indignum est corpore divino, quam indigna est carnis
tuae impuritas. In Haeb. x. 16.
6. Majus peccatum est, quam si projiceret corpus Christi in cloacam.
DE LA MESSE SACRILEGE. 149
de Villeneuve, quel crime de verser le sang du Christ dans cette poitrine
dont le péché a fait le plus infect des cloaques1 ! »
II.
COMBIEN EST COUPABLE LE
PRETRE QUI CÉLÈBRE SACRILÈGEMENT.
Le prêtre en péchant commet toujours une faute extrêmement
grave, car son péché est tou-jours une insulte contre ce
Dieu qui l'a choisi pour son ministre et qui l'a comblé de ses faveurs.
Mais autre chose est de transgresser les lois du prince, autre chose de
le frapper lui-même au visage, comme fait le prêtre quand il
célèbre en péché mortel. « Oui, dit saint
Pierre Damien, autre chose est de ne pas observer les lois du prince, autre
chose de lever la main contre lui et de le frapper du poignard. Cela étant,
jamais il ne se commet plus grand péché qu'à l'autel
où le prêtre célèbre indignement. Pécher
en toute autre circonstance, c'est manquer envers Dieu, mais seulement
dans ses intérêts; célébrer sacrilège-ment
la messe, c'est pousser l'audace jusqu'à frapper Dieu lui-même2.
»
Tel fut le péché des juifs qui osèrent porter
la main sur la personne même de Jésus-Christ. Que
1. Quantum flagitium sit in spurcissimam pectoris tui cloacam Çhristi
sanguinem fundere. De Sacram. Alt. conc. 3.
2. Aliud est promulgata edicta negligere, aliud ipsum regem vibrato
propriae manus jaculo sociare. Deterius nemo peccat, quam sacerdos qui
indigne sacrifiait : aliter in quocumque modo peccantes, quasi Dominum
in rebus ejus offendimus; indigne vero sacrificantes, velut in personam
ejus manus injicere non timemus. Opusc. 26. c. 2.
Il est plus coupable que les juifs,
I 50 CHAPITRE SEPTIÈME.
dis-je? le péché de ce malheureux prêtre l'em-porte
sur celui des juifs. « Car, dit saint Augus-tin, les juifs crucifièrent
celui qu'ils voyaient vivre ici-bas; mais ces prêtres traînent
dans la boue celui que la foi nous montre couronné de gloire au
ciel1. » Certainement les juifs ne con-naissaient pas Jésus-Christ
comme le connaissent les prêtres. « En outre, observe Tertullien,
ils ne portèrent qu'une fois la main sur la personne de Jésus-Christ,
mais les prêtres indignes osent fréquemment en venir à
cet excès d'audace. Ah ! s'écrie-t-il ensuite, qu'on leur
coupe donc les deux mains2 ! » Il faut noter ici ce qu'enseignent
les docteurs et ce que nous avons établi dans notre Théologie
morale, à savoir que le prêtre, en célé-brant
sacrilègement, commet quatre péchés mor-tels: premièrement
il consacre et secondement il communie en état de péché
; troisièmement il administre indignement un sacrement, et qua-trièmement
il l'administre à un indigne, lequel n'est autre que lui-même3.
Aussi saint Jérôme éclatait-il en indignation contre
le diacre Sabi-nien : « Malheureux, lui écrit-il, tu as l'audace
de servir à l'autel avec ton péché sur la cons-cience
! Et comment tes yeux ne se couvrent-ils pas alors de ténèbres?
comment ta langue n'est-elle pas frappée de paralysie? comment les
bras ne te tombent-ils pas4? »
1. Minus peccaverunt Judaei crucifigentes in terra deambulantem, quam
qui contemnunt in coelo sedentem. In Ps. LXVIII. s 2.
2. Semel Judaei Christo manus intulerunt ; isti quotidie corpus ejus
lacessunt. O manus praescindendae ! De Idol.
3. Theol. Mor. l. 6. n° 35. v. Hinc dicimus.
4. Miser! nonne caligaverunt oculi tui, lingua torpuit, conciderunt
brachia ? Ep. ad Sabian.
DE LA MESSE SACRILEGE.
l5l
« Le prêtre qui a conscience de son lamentable état
et qui cependant gravit les marches de l'au-tel, est de beaucoup plus pervers
que le démon1, » dit saint Jean Chrysostome. Car au moins
les démons tremblent en présence de Jésus-Christ,
comme nous le voyons par le trait suivant, rap-porté dans la Vie
de sainte Thérèse. Un jour qu'elle allait communier à
la messe d'un prêtre en état de péché, elle
aperçut avec stupeur deux démons qui se tenaient de chaque
côté du mal-heureux célébrant, trembler en présence
du très saint Sacrement et faire mine de prendre la fuite. «
Vois, lui dit alors Jésus du milieu de l'hostie consacrée,
vois, ma fille, quelle est la force des paroles de la consécration;
et vois aussi, ô Thé-rèse, jusqu'où va ma bonté,
puisque, pour ton bien et le bien de tous, je consens à me mettre
entre les mains de mon ennemi2. » Les démons tremblent donc
devant Jésus au saint Sacrement. Mais, bien loin de trembler, le
prêtre sacrilège ose tenir sous ses pieds l'adorable personne
du Fils de Dieu. « Oui, dit saint Jean Chrysostome, quand le prêtre,
tout souillé qu'il est par le péché, entre au saint
autel en relation avec le Christ, est-ce qu'il ne le foule pas à
ses pieds3 ? » Alors s'ac-complit cette parole de l'Apôtre
: Quels supplices encore plus affreux ne pensez-vous pas que mérite
celui qui aura foulé aux pieds le Fils de Dieu et traité
comme une chose profane le sang de l'al-
1. Multo daemonio pejor est, qui, peccati conscius, accedit
ad altare. In Matth. hom. 83.
2. Vie. ch. 38.
3. Quando quis particeps est cum ipso in mysteriis, peccatum committit,
nonne eum conculcat ? In Haeb. hom. 20.
pffs coupable que les démons;
11 est le plus coupable des coupables.
I 52 CHAPITRE SEPTIÈME.
liance, par lequel il a été sanctifié1 ? C'est
ainsi que, sous les yeux de ce souverain Seigneur dont le seul aspect ébranle
les colonnes du ciel et fait trembler l'univers avec tout ce qu'il renferme2,
un ver de terre ose fouler aux pieds le sang versé par le Fils de
Dieu !
Hélas ! que peut-il arriver de plus funeste au prêtre
que de changer son salut en damnation, le sacrifice, en sacrilège,
et le breuvage de vie en un poison mortel ? Telle est la pensée
de Pierre de Blois; il ajoute en empruntant les paroles de saint Jérôme
: « Honte au juif perfide, honte au chrétien perfide ! Le
juif, c'est de la poitrine du Christ qu'il fait jaillir son sang ; mais
le chrétien, le prêtre, c'est du calice, par une impiété
encore plus grande, qu'il fait couler ce même sang pour le profaner3.
» Voilà le prêtre dont le Seigneur lui-même disait
un jour en se plaignant à sainte Brigitte : « Il me crucifie
avec une barbarie qui surpasse celle des juifs4. » « En célébrant
indigne-ment, remarque un pieux auteur, le prêtre pousse l'audace
jusqu'à tuer, pour ainsi dire, le Fils de Dieu sous les yeux de
son Père 5. »
Ah ! l'horrible trahison ! S'il n'y avait eu que
1. Quanto magis putatis deteriora mereri supplicia, qui Filium
Dei conculcaverit, et sanguinem testamenti pollutum duxerit, in quo sanctificatus
est ? Haeb. x. 29.
2. Columnae cœli contremiscunt. Job, xxvi. 11.
3. Quam perditus ergo est, qui redemptionem in perditionem, qui sacrificium
in sacrilegium, qui vitam convertit in mortem! Verbum beati Hieronymi est
: Perfidus Judaeus, perfidus Christianus, ille de latere, iste de calice,
sanguinem Christi fundit ! Epist. 123.
4. Corpus meum amarius crucifigunt, quam Judaei. Rev. 1. 4. c. 133.
5. Ne, si peccatis obnoxii offerunt, eorum oblatio sit quasi qui victimat
Filium in conspectu Patris. DURANT. De Rit. Eccl. 1. 2. c. 42. § 4.
DE LA MESSE SACRILÈGE.
153
mon ennemi à me maudire, je l'aurais certaine-ment supporté...
Mais c'est toi, homme qui vivais avec moi dans un même esprit, mon
guide et mon familier, qui partageais avec moi les doux mets de ma table1
! Telle est la plainte que Jésus-Christ fait entendre par la bouche
de David au sujet des prêtres sacrilèges, et telle est exacte-ment
leur conduite quand ils célèbrent en état de péché.
Si cette insulte me venait de mon ennemi, elle me serait moins sensible,
dit le Sei-gneur; mais toi que j'ai choisi pour mon ami et mon ministre,
toi que j'ai placé à la tête de mon peuple et que j'ai
si souvent nourri de ma propre chair, toi, me vendre au démon pour
un caprice, une misérable satisfaction, une poignée de terre
! Au reste, Notre-Seigneur s'en exprime encore plus formellement à
sainte Brigitte quand il lui dit : « De tels prêtres ne sont
pas mes ministres, mais de vrais traîtres ; car, à l'imitation
de Judas, ils me vendent et me livrent2. » Saint Bernardin de Sienne
ajoute : « Leur malice dépasse celle de Judas ; car Judas
n'a livré Jésus qu'aux juifs, et c'est au démon que
ces prêtres le livrent, attendu qu'ils jettent son corps sacré
dans un lieu soumis au pouvoir du démon, c'est-à-dire dans
leur poi-trine souillée par le sacrilège3. » De là
cette réflexion de Pierre Comestor : « Quand le prêtre
1. Quoniam, si inimicus meus maledixisset mihi, sustinuissem utique...
; tu vero, homo unanimis, dux meus et notus meus qui simul mecum dulces
capiebas cibos! Ps. liv. 13.
2. Tales sacerdotes non sunt mei sacerdotes, sed veri proditores ;
ipsi enim et me vendunt quasi Judas. Rev. 1.1. c. 47.
3. Juda traditore deteriores effecti, eo quod, sicut ille tradidit
Jesum Judaeis, sic isti tradunt diabolis, eo quod illum ponunt in loco
sub potestate diaboli constituto. T. II. s. 55. a. 1. c. 3.
154 CHAPITRE SEPTIEME.
Combien
le sacrilège du
prêtre
irrite Dieu;
en état de péché monte à l'autel,
quand il récite l'oraison : Aufer a nobis, quaesumus, Domine, iniquitates
nostras,... et qu'il baise l'autel, je me représente Jésus-Christ
qui lui dit sur le ton du reproche: Eh quoi! Judas, c'est par un baiser
que tu livres le Fils de l'homme1 ? Quand ensuite, au moment de la communion,
le prêtre avance la main, il me semble, dit saint Grégoire,
en-tendre Jésus-Christ s'écrier comme autrefois en face de
Judas : La main de celui qui me trahit, voilà qu'elle est avec moi
sur cet autel2. Aussi, conclut saint Isidore de Péluse, «
puisque ces malheu-reux ne craignent pas, dans leur audace sacrilège,
de profaner de si augustes mystères, il en est d'eux comme de Judas
: le démon les possède entièrement3. »
III.
QUELS GRANDS CHATIMENTS ATTIRE
SUR LE PRETRE LA MESSE SACRILÈGE.
Ah ! comme le sang du Rédempteur ainsi foulé aux pieds
crie alors avec bien plus de force que le sang du juste Abel, pour demander
ven-geance contre ce prêtre indigne ! « Mon sang, disait Jésus
à sainte Brigitte, crie vengeance plus
1. Nonne Christus potest stare et dicere : Juda ! tradis osculo Filium
hominis ? Serm. 42.
2. Qui Christi corpus indigne confiat, Christum tradit, ut Christus,
dum traditur dicat : Ecce manus tradentis me mecum est in mensa. PETRUS
BLES. Epist. 123.
3. In eis qui peccant, nec sancta mysteria contingere verentur, totus
daemon se insinuat ; quod etiam in proditore quoque fecit. Epist. 1. 3.
ep. 364.
DE LA MESSE SACRILÈGE. 1
5 5
fort que ne criait le sang d'Abell. » Quelle hor-reur n'inspire
pas à Dieu et à ses anges une messe dite en état de
péché! Le Seigneur nous le donne bien à entendre par
la vision suivante dont, un jour de l'année 1688, il favorisa la
sœur Marie-Crucifiée de Palma en Sicile, ainsi qu'on le voit dans
la Vie de cette fidèle servante de Dieu.
Soudain une trompette retentit, comme un tonnerre effroyable, à
l'oreille de la sainte et fit entendre dans le monde entier ces trois terribles
paroles : Vengeance ! châtiments! catastrophe2! Elle aperçut
ensuite un grand nombre de prêtres sacrilèges occupés
à psalmodier en désordre et avec mille cris horribles. L'un
d'eux se lève pour aller dire la messe. Mais il n'a pas plus tôt
com-mencé de revêtir les ornements sacerdotaux, que l'église
se couvre de ténèbres et de deuil. Il s'ap-proche de l'autel,
prononce les premières paroles Introibo ad altare Dei; à
l'instant même la trom-pette retentit de nouveau, et de nouveau la
sœur entend : Vengeance ! châtiments ! catastrophe ! Alors, en signe
de la juste colère de Dieu contre ce misérable, des tourbillons
de flammes envi-ronnent l'autel, pendant qu'une multitude d'anges se présentent
l'épée à la main, comme pour tirer vengeance du sacrilège
qui va se commettre. Ce-pendant le monstre touche au moment solennel de
la consécration. Tout à coup, les terreurs et les remords
de sa conscience prenant une forme sen-
1. Sanguis meus plus clamat vindictam, quam sanguis Abel. Rev.
1. 4. c. 132. 2. Ultio, pœna, dolor !
Que de forfaits réunis !
I 56 CHAPITRE SEPTIÈME.
sible, du milieu des flammes s'élancent quantité de serpents.
Mais c'est en vain qu'ils prétendent l'éloigner de l'autel
: le malheureux sacrifie ses remords à sa réputation, et
de sa bouche indigne il prononce les paroles de la consécration.
Aussi-tôt se manifeste un émoi universel : il semble à
la servante de Dieu que tout s'ébranle, au ciel, sur la terre et
dans les enfers. La consécration achevée, la scène
change, et Jésus-Christ apparaît, timide tel qu'un agneau,
s'abandonnant aux griffes de ce loup cruel. Arrive enfin le moment de la
communion: en même temps que l'atmosphère s'obscurcit, que
tout s'ébranle derechef et que l'église semble s'écrouler,
la sainte voit les anges fondre en larmes autour de l'autel ; elle voit
sur-tout la divine Mère se consumer de douleur à l'aspect
de ses deux fils, Jésus l'innocence même et cet indigne pécheur,
qui meurent ensemble. Après cette terrible et lamentable vision,
telles furent la consternation et la douleur de la sainte qu'elle ne faisait
plus que pleurer et gémir. L'au-teur de sa Vie observe que cette
même année 1688 fut précisément marquée
par ce grand tremble-ment de terre dont la ville de Naples et les en-virons
eurent tant à souffrir, et qu'on peut avec raison regarder comme
la punition de cette messe sacrilège.
Aussi bien, se peut-il un forfait plus horrible que celui de cet homme
qui fait descendre du ciel sur la terre le Fils de Dieu, et cela pour l'in-sulter
à l'instant même, et qui baigne ses mains dans le sang de
Jésus-Christ tout en les souillant au contact du péché.
« Oui, s'écrie saint Augus-
DE LA MESSE SACRILÈGE. 157
tin, la langue qui appelle du ciel le Fils de Dieu, ose blasphémer
Dieu, et ces mains teintes du sang de Jésus-Christ se baignent dans
le sang du péché1.» «Misérable! poursuit
saint Ber-nard apostrophant le prêtre sacrilège, puisque tu
veux en venir à cet excès de célébrer indigne-ment,
efforce-toi du moins de trouver une autre langue, pour épargner
celle qui s'empourpre du sang de Jésus-Christ ; procure-toi aussi
d'autres mains, afin d'épargner celles que tu approches si souvent
de sa chair sacrée2. » Qu'ils vivent, si bon leur semble,
dans l'inimitié de ce Dieu qui les a tant exaltés ; seulement,
qu'ils s'abstiennent de le faire passer par leurs mains sacrilèges
! « Mais non, dit saint Bonaventure, ils montent à l'autel,
poussés par l'avarice et sans que Dieu les appelle3; » ainsi
commettent-ils le plus hor-rible des crimes pour ne pas perdre un misérable
honoraire, une vile pièce de monnaie. Eh quoi! leur dit Jérémie,
vous imaginez-vous par hasard que ces chairs, toutes saintes qu'elles soient,
vont faire disparaître les iniquités dont vous vous glorifiez4?
Hélas ! coupables déjà, vous ne pou-vez, au contact
de ce corps sacré, que devenir plus criminels encore et attirer
sur vos têtes de plus grands châtiments. « Nul n'est
moins excusable,
1. Ne lingua, quae vocat de cœlo Filium Dei, contra Dominum loquatur
; et manus quae intinguntur sanguine Christi, polluantur sanguine peccati.
MOLINA. Instr. sac. tr.1.c. 5. § 2.
2. Quando ergo peccare volueris, quaere aliam linguam quam eam quae
rubescit sanguine Christi, alias manus praeter eas quae Chri-stum suscipiunt.
3. Accedunt, non vocati a Deo, sed impulsi ab avaritia De Praep. ad
M. c. 8.
4. Numquid carnes sanctae auferent a te malitias tuas, in quibus gloriata
es ? Jer. xi. 15.
158
CHAPITRE SEPTIÈME.
dit saint Pierre Chrysologue, que l'insolent qui commet le crime
sous les yeux mêmes de son juge1. »
Et surtout quel châtiment ne mérite pas ce prêtre
qui ose porter à l'autel un cœur où brûlent, non pas
le feu du divin amour, mais les flammes honteuses d'un amour impudique
? Considérant avec quelle rigueur furent traités les deux
fils d'Aaron pour avoir offert devant le Seigneur un feu étranger2,
« il faut, dit saint Pierre Damien, que nous prenions garde à
ne jamais mêler aux célestes mystères le feu étranger
des affections dé-sordonnées 3. » « Le feu des
vengeances célestes, ajoute le saint, dévorera celui qui
ne craint pas de célébrer les augustes mystères avec
un cœur où la concupiscence entretient ses honteuses flammes4.»
« A Dieu ne plaise, s'écrie-t-il autre part, que, dans le
temple de Vénus, c'est-à-dire dans un cœur dominé
par la luxure, nous placions jamais le Fils de l'immaculée Vierge
à côté d'une idole d'impureté5 ! » Si
cet homme de l'Évangile entré dans la salle du festin sans
la robe nuptiale, fut pour cela condamné aux ténèbres
extérieures, « à quoi donc, dit encore saint Pierre
Damien, doit s'attendre celui qui, admis au banquet mystique de l'Agneau
divin, néglige de se parer du brillant
1. Excusatione caret, qui facinus, ipso judice teste, committit.
Serm. 26.
2. Levit. x.
3. Cavendum est ne alienum ignem, hoc est, libidinis flammam, inter
salutares hostias deferamus. Opusc. 26. c. 1.
4. Quisquis carnalis concupiscentia; flamma aestuat, et sacris assistere
mysteriis non formidat, ille, procul dubio, divinae ultionis igne consumitur.
Opusc. 27. c. 3.
5. Absit ut aliquis huic idolo substernatur, ut Filium Virginis in
Veneris templo suscipiat. Serm. 60.
DE LA MESSE SACRILÈGE. l59
vêtement des vertus, et même se présente tout
imprégné des odeurs fétides de sa luxure1?»
« Malheur à celui qui s'éloigne de Dieu! s'écrie
saint Bernard ; mais malheur et encore malheur au prêtre qui s'approche
de l'autel avec une con-science souillée2 ! » Le Seigneur
parlant un jour à sainte Brigitte d'un prêtre qui célébrait
sacrilè-gement, en sorte qu'à peine entré dans ce
cœur pour le sanctifier, il se voyait contraint de le quitter et de le
punir: « J'entre avec la bonté d'un époux, disait-il,
mais je sors avec l'indignation d'un juge décidé à
se venger des insultes de son hôte3. »
Mais si ces prêtres ne veulent pas s'abstenir de leurs messes
sacrilèges par horreur de l'injure ou plutôt de tant d'injures
qu'ils font à Dieu en célébrant indignement, au moins
devraient-ils s'épouvanter du châtiment terrible qui les attend.
En vérité, une messe sacrilège est un crime tellement
horrible, qu'il n'y a pas de châtiment capable de l'égaler.
« Malheur aux mains sacri-lèges ! s'écrie saint Thomas
de Villeneuve, mal-heur à l'immonde poitrine de ces prêtres
impies! De quelque supplice qu'on punisse leur indigne conduite envers
Jésus-Christ s'immolant sur l'au. tel, jamais le châtiment
n'égalera le crime4. »
1. Quid illi sperandum, qui, cœlestibus tricliniis intromissus, non
modo non est spiritualis indumenti decore conspicuus, sed ultro etiam fœtet
sordentis luxuriae squalore perfusus ? Opusc. 18. d.1. c. 4.
2. Vae ei qui se alienum fecerit ab eo ; et multum vae ei qui immundus
accesserit ! De Ord. vitae. c. 2.
3. Ingredior ad sacerdotem istum ut sponsus ; egredior ut Judex, judicaturus
contemptus a sumente. Rev. 1. 4. c. 62.
4. Vae sacrilegis manibus, vae immundis pectoribus
impiorum
sacerdotum ! Omne supplicium minus est flagitio quo Christus
con-
temnitur in hoc sacrificio. De Sacrant. Alt. conc. 3.
Combien Dieu
le punit
sévèrement.
l60 CHAPITRE SEPTIÈME.
Malédiction
Et réprobation.
« Ils sont maudits, disait Notre-Seigneur à sainte
Brigitte, maudits par toutes les créatures du ciel et de la terre
; car toutes obéissent au Seigneur, et ces malheureux le méprisent1.»
Le prêtre, avons-nous dit plus haut, est un vase consacré
à Dieu. « De même donc, observe saint Pierre Damien,
que la colère de Dieu éclata sur Balthasar profa-nant les
vases du Temple, ainsi éclate-t-elle sur le prêtre qui célèbre
indignement, et contre lui aussi la main mystérieuse trace ces formidables
caractères : Mane, Thecel, Phares : compté, pesé,
divisé2. » Compté : un seul sacrilège suffit
pour arrêter le cours des grâces de Dieu ; pesé : c'est
assez d'un crime aussi affreux pour faire pencher la balance de la justice
divine et décider de la perte éternelle du malheureux prêtre
; divisé : dans son indignation, Dieu va rejeter et pour toujours
éloigner de lui le prêtre coupable d'un si noir forfait. Alors
s'accomplira la parole de David : Que leur table devienne un filet devant
eux 3. L'autel se changera pour ces malheureux en un instrument de supplice,
et ils y trouveront le démon armé de chaînes afin de
réduire en esclavage leurs âmes à jamais obstinées
dans le mal. « Car, dit saint Laurent Justinien, tel est l'effet
d'une communion sacrilège, que non seu-lement on y commet le plus
grand de tous les crimes, mais encore qu'on s'endurcit de plus en
1. Maledicti sunt a cœlo et terra, et ab omnibus creaturis, quae ipsae
obediunt Deo, et isti spreverunt. Rev. l.1. c. 47.
2. Videmus sacerdotes abutentes vasis Deo consecratis ; sed prope est
manus illa et scriptura terribilis : MANE, THECEL, PHARES : Nu-meratum,
Appensum, Divisum. Serm. 56.
3. Fiat mensa eorum coram ipsis in laqueum. Ps. LXVIII. 23.
DE LA MESSE SACRILEGE.
161
plus dans le mal1. » C'est du reste ce que l'Apôtre
nous apprend lui-même : Quiconque en mange et en boit indignement,
mange et boit son jugement2. Sur quoi saint Pierre Damien s'écrie
: « O prêtre du Seigneur, vous qui avez mission d'offrir au
Père éternel le sacrifice de son propre Fils, n'allez pas
vous offrir d'abord vous-même en sacrifice au démon3. »
1. Sumentes indigne, prae caeteris delicta graviora committunt, et
pertinaciores in malo sunt. S. de Euchar.
2. Qui enim manducat et bibit indigne, judiciutn sibi manducat et bibit.
I Cor. xi. 29.
3. Cur, o sacerdos, qui sacrificium Deo debes offerre, temetipsum prius
maligno spiritui non vereris victimam immolare. Opusc. 17. c.3.
LE PRÊTRE. — T. I.
II
CHAPITRE HUITIÈME.
DU PÉCHÉ DE
SCANDALE.
C'est par les faux dieux, tout pétris de vices, que le
démon inaugura la série de ses inventions. Puis il fit si
bien qu'on les adora. Dès lors il ne se pouvait pas qu'en voyant
les faits et gestes de leurs dieux, les hommes ne perdissent l'horreur
du vice et ne se crussent en droit de contenter toutes leurs passions.
Le païen Sénèque en a fait lui-même l'aveu. «
Etant donnés de tels dieux, dit-il, l'horreur pour le vice devait
disparaître du milieu des hommes1. » Il dit encore : «
Attri-buer les vices aux dieux, n'est-ce pas souffler la passion au cœur
de l'homme, en même temps que légitimer tous les désordres
par l'exemple de la divinité2? » Aussi les pauvres païens,
comme le rapporte le même philosophe, s'écriaient-ils dans
leur aveuglement : « Ce que les dieux ont droit de faire, pourquoi
nous l'interdire3 ? »
1. Quibus nihil aliud actum est, quant ut pudor hominibus peccandi
demeretur. De Vita beata. c. 36.
2. Quid aliud est vitia incendere, quam auctores illis inscribere deos,
dare morbo exemplo divinitatis, excusatam licentiam ? De Brevit. vitae.
c. 16.
3. Quod divos decuit, cur mihi turpe putem ?
Les successeurs
des
faux dieux.
164 CHAPITRE HUITIÈME.
malice et gravité du scandale.
Or autant le démon réussissait parmi les gen-tils
au moyen des fausses divinités qu'il leur pro-posait pour modèles,
autant il réussit maintenant parmi les chrétiens au moyen
des mauvais prêtres ; car les scandales de ceux-ci amènent
les pauvres séculiers à penser qu'il est bien permis, ou
du moins que ce n'est pas un si grand mal, de se conduire comme, au su
et vu de tout le monde, se conduisent leurs pasteurs. « Les fidèles,
dit saint Grégoire, se persuadent aisément qu'ils ont le
droit de faire ce qu'ils voient faire aux prêtres, et ils s'y jettent
tête baissée1. » De même que notre Sauveur fut
envoyé ici-bas par son Père céleste pour servir de
modèle à tous les hommes : Comme mon Père m'a envoyé,
ainsi je vous en-voie 2 ; de même les prêtres, placés
en ce monde par la main de Dieu, doivent n'apparaître aux regards
de tous que comme des modèles à suivre. Aussi saint Jérôme,
recommandant à un évêque d'éviter toute action
capable de porter les autres au mal, lui écrivait: « Gardez-vous
d'avoir jamais une conduite que le prochain ne puisse imiter sans se voir
dans la nécessité de mal faire 3. »
Il y a péché de scandale non seulement lors-qu'on conseille
directement une mauvaise action, mais encore lorsque, indirectement ou
par le fait de sa propre mauvaise action, on porte le pro-chain au mal.
« Toute parole ou toute action plus
1. Persuadent sibi id licere, quod a suis pastoribus fieri conspi-ciunt,
et ardentius perpetrant.
2. Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. Jo. xx. 21.
3. Cave ne commitas quod qui volunt imitari, coguntur delinquere. Ep.
ad Heliod.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
l65
ou moins désordonnée et qui constitue pour le prochain
une occasion de tomber dans le péché1, » voilà
ce qu'est le scandale, d'après saint Thomas et la généralité
des théologiens.
Pour comprendre l'énormité de ce péché,
il suffit de réfléchir qu'influencer le prochain de façon
à le faire tomber dans le mal, c'est en défi-nitive s'attaquer
à Jésus-Christ, selon ce que dit saint Paul : Quand vous
péchez ainsi contre vos frères et que vous blessez leur conscience
faible, vous péchez contre le Christ2. Saint Bernard en donne cette
raison, que le scandaleux ravit à Notre-Seigneur des âmes
rachetées par son sang ; il ajoute que le scandaleux fait souffrir
Jésus-Christ bien plus que ne l'ont fait souffrir les bourreaux
en le crucifiant. « Puisque Notre-Seigneur, dit-il, a donné
son sang pour racheter les âmes, ne pensez-vous pas que, de ces deux
persécutions, l'une où le scandale lui arrache les âmes
rachetées par son sang, l'autre où les juifs versèrent
son sang, la première est de beaucoup la plus cruelle pour son cœur
3 ? » Mais si le scandale est dans tous, même dans les séculiers,
un péché tellement abominable, combien plus ne sera-t-il
pas abo-minable dans le prêtre, puisque Dieu a placé le prêtre
ici-bas pour sauver les âmes et les con-duire au ciel !
1. Dictum vel factum minus rectum, praebens occasionem ruinae. 2. 2.
q. xliii. a. I.
2. Peccantes autem in fratres, et percutientes conscienciam eorum infirmam,
in Christum peccatis. I Cor. viii. 12.
3. Si (Dominus) proprium sanguinem dedit in pretium redemp-tionis animarum,
non tibi videtur graviorem sustinere persecutionem ab illo qui, scandali
occasione, avertit ab eo animas quas redemit, quam a Judaeo, qui sanguinem
suum fudit ? In Conv. S. Pauli. s.1.
166
CHAPITRE HUITIEME.
Sel lui corrompt,
Lumière qui égare,
I.
QUEL MONSTRE C'EST QUE LE PRETRE
SCANDALEUX.
Les prêtres sont le sel de la terre et la lumière du monde
: Vous êtes, leur dit Jésus-Christ, le sel de la terre. Vous
êtes la lumière du monde1.
Le propre du sel est de conserver les substances qu'il pénètre,
et telle est précisément la fonction du prêtre : conserver
les âmes en état de grâce. « Par conséquent,
se demande saint Augustin, que deviendront les âmes, si le sel mystique
s'af-fadit et que les prêtres ne remplissent plus leur mission? Et
vous-mêmes, ministres du Seigneur, de quel homme pouvez-vous attendre
du secours, puisque Dieu vous a chargés vous-mêmes d'avoir
soin des autres 2 ? » Ce sel affadi, répond le saint en empruntant
les paroles de l'Évangile, n'est plus bon qu'à être
jeté hors de l'Église et foulé aux pieds des passants3.
A plus forte raison, que serait-ce si le sel non seulement ne conservait
plus, mais gâtait les aliments? en d'autres termes, si le prêtre,
au lieu de sauver les âmes, s'em-ployait à les corrompre,
quelle peine ne faudrait-il pas lui infliger ?
De plus les prêtres sont la lumière du monde. Il faut
en conséquence que le prêtre, par l'éclat de ses vertus,
serve de flambeau et de modèle
1. Vos estis sal terrae. Vos estis lux mundi. Matth. v. 13. 14.
2. Itaque, si sal infatuatum fuerit, in quo salietur ? Qui erunt homines
per quos a vobis error auferatur, cum vos elegerit Deus, per quos errorem
auferat caeterorum ?
3. Ergo ad nihilum valet sal infatuatum, nisi ut mittatur foras, et
calcetur ab hominibus. De Serm. Dom, in monte. 1.1. c. 6.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
167
aux autres hommes ; « et, comme le dit saint Jean Chrysostome,
il faut que l'âme des prêtres rayonne au dehors en toutes sortes
de vertus, et qu'elle éclaire ainsi l'univers tout entier1. »
Mais, si cette lumière se changeait en ténèbres, que
deviendrait le monde, et quel autre aspect offri-rait-il que celui d'une
ruine ? « Certes, dit saint Grégoire, les mauvais prêtres
sont un piège dans lequel les peuples trouvent leur ruine2. »
Il le répète dans la lettre qu'il écrivit aux évêques
des Gaules pour les exhorter à punir les prêtres scan-daleux.
« Ne souffrez pas, leur disait-il, que les désordres de quelques-uns
puissent devenir la ruine des autres, car les mauvais prêtres sont
cause de la ruine des peuples 3. » Cela est con-forme à ce
qu'avait déjà dit le prophète Osée : Il en
sera du peuple comme des prêtres4. Or, dit le Seigneur par la bouche
de Jérémie, au sein de l'abondance j'enivrerai l'âme
des prêtres, et mon peuple sera rempli de mes biens5. « Si
les prêtres sont riches en vertus et féconds en œuvres, re-marque
à ce sujet saint Charles Borromée, les populations sont elles-mêmes
riches des biens de la grâce ; mais, avec des prêtres sans
vertu ni mérite, les peuples gaspillent les trésors de Dieu,
pour tomber enfin dans la misère6. »
1. Splendore vitae totum illuminantis orbem splendere debet ani-mus
sacerdotis. De Sacerd. 1. 6.
2. Laqueus ruinae populi mei, sacerdotes mali. Past. p. 1. c. 2.
3. Ne paucorum facinus multorum possit esse perditio ; nam causa sunt
ruinae populi sacerdotes mali. Epist. 1. 9. ep. 64.
4. Et erit, sicut populus, sic sacerdos. Os. iv. 9.
5. Et inebriabo animam sacerdotum pinguedine, et populus meus bonis
meis adimplebitur. Jer. xxxi. 14.
6. Si pingues sint sacerdotes, erunt itidem populi pingues ; et
168
CHAPITRE HUITIEME.
Pourvoyeur de l'enfer,
Thomas de Cantimpré rapporte qu'un ecclé-siastique,
prêchant devant le clergé de Paris, lui adressa les paroles
suivantes de la part des dé-mons : « Les princes des ténèbres
saluent les princes de l'Église. Tous nous leur offrons nos plus
chaleureux remercîments, car c'est grâce à leur négligence
que nous voyons presque tout le monde se ranger sous notre bannière
4. » Telle est précisément la plainte que le Seigneur
fait entendre par Jérémie : Mon peuple est devenu un troupeau
perdu, car leurs pasteurs les ont sé-duits 2. « Il ne se peut
guère, remarque saint Grégoire, que le pasteur marche sur
le bord des précipices sans que le troupeau y tombe 3. » Les
scandales des prêtres produisent nécessairement le désordre
parmi les populations, selon ce mot de saint Bernard : « Inconduite
des prêtres et dé-pravation du peuple, c'est tout un4. »
« Quand un laïque se perd, dit encore saint Bernard, il va seul
à sa perte ; mais un prêtre qui s'égare, c'est une
multitude d'âmes qu'il entraîne à sa suite ; et même
autant il en dirige, autant il en perd5. » Le Seigneur avait ordonné,
comme nous le li-sons dans le Lévitique, que, pour le péché
d'un
secus, si illi inanes erunt, magnum populis imminebit paupertatis periculum.
In synod. diaec. xi. orat.1.
1. Principes tenebrarum principes Ecclesiae salutant. Laeti omnes nos
gratias eisdem referimus, quia per eorum negligentiam ad nos devol-vitur
totus fere mundus. De Apib. l.1. c. 20. — MANSI. Bibl. tr. 22. d. 23. 2.
Grex perditus factus est populus meus ; pastores eorum sedu-xerunt eos.
Jer. L. 6.
3. Unde fit ut, cum pastor per abrupta graditur, ad praecipitium grex
sequatur. Past. p. 1. c. 2.
4. Misera eorum conversatio plebis subversio est. In Conv. S. Pauli.
s. 1.
5. Si quis de populo deviat, solus perit ; verum principis error multos
involvit, et tantis obest, quantis praeest ipse. Epist. 127.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE. I69
prêtre, on offrît un veau en sacrifice. Or c'était
aussi l'offrande exigée pour les péchés de tout le
peuple. « Nous devons conclure de là, dit le pape Innocent
III, que le péché du prêtre pèse à lui
seul autant que les péchés de tout le peuple, pré-cisément
par la raison que le prêtre, quand il fait le mal, pousse les autres
à le commettre aussi1. » C'est, au reste, ce que Dieu avait
dit à l'endroit cité du Lévitique: Si le prêtre
qui a été oint tombe dans le péché, il fera
faillir égale-ment le peuple2. De là cette prière
que saint Augustin adresse aux prêtres : « Gardez-vous de leur
fermer le ciel ! Vous le fermez quand vous leur apprenez à vivre
mal3. » « Témoins de l'in-conduite des prêtres,
disait un jour le Seigneur à sainte Brigitte, les pécheurs
se jettent de gaieté de cœur dans le crime, et ils en viennent même
à se glorifier des excès dont auparavant ils rou-gissaient
4. » «Aussi, ajoutait Notre-Seigneur, sur eux éclatera
une malédiction plus formidable que sur tous les autres, puisque
leurs mauvaises actions ont creusé l'abîme non seulement sous
leurs pas, mais encore sous les pas des autres5. »
L'auteur de L'Ouvrage imparfait remarque
1. Unde conjicitur quod peccatum sacerdotis totius multitudinis peccato
coaequatur, quia sacerdos in suo peccato totam fecit delin-quere multitudinem.
In Consecr. Pont. s. I.
2. Si sacerdos qui unctus est, peccaverit, delinquere faciens po-pulum.
Levit. iv. 3.
3. Nolite eis cœlum claudere ; clauditis, dum male vivere ostenditis.
Ad Fratr. in er. s. 36.
4. Viso exemplo pravo sacerdotum, peccator fidnciam peccandi sumit,
et incipit de peccato, quod prias reputabat erubescibile, gloriari. Rev.
1. 4. c.132.
5. Ideo ipsis erit amplior maledictio prae aliis, quia se vita sua
perdunt et alios. Ibid.
Empoisonneur
du peuple chrétien,
170
CHAPITRE HUITIÈME.
« qu'en voyant un arbre aux feuilles pâles et flétries,
l'idée nous vient aussitôt qu'il est atteint à la racine.
Pareillement, lorsqu'on voit une po-pulation plongée dans l'impiété
ou le vice, on peut se dire, sans craindre de faire un jugement téméraire,
qu'il y a là de mauvais prêtres1. » De fait, ajoute
saint Jean Chrysostome, « la vie des prêtres est la racine
à laquelle les rameaux, c'est-à-dire les fidèles,
demandent les sucs nour-riciers. » Saint Ambroise dit dans le même
sens : « Les prêtres sont la tête, et c'est d'elle que
les membres du corps, c'est-à-dire les séculiers, reçoivent
les esprits vitaux 2. » Toute tête est languissante... De la
plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, on ne trouve rien de
sain 3. Paroles d'Isaïe que saint Isidore explique ainsi, conformément
à notre proposition : « Cette tête languissante, c'est
le prêtre qui commet le péché et qui communique son
péché à tout le corps4. » « Comment voulez-vous,
dit aussi saint Léon en gémissant, que le corps jouisse d'une
bonne santé quand la maladie est dans la tête ? De même,
comment se peut-il que, dans l'Église de Dieu, tout n'aille pas
à la dérive quand la tête trahit son devoir envers
les membres du corps5? »
1. Vidit arborem pallentibus foliis marcidam, et intellexit agricola
quia laesuram in radicibus habet ; ita, cum videris populum irreli-giosum,
sine dubio cognoscis quia sacerdotium ejus non est sanum. Hom. 38.
3. De Dgnit. sac. c. 5.
3. Omne caput languidum... A planta pedis usque ad verticem, non est
in eo sanitas. Is. 1. 5.
4. Caput enim languidum doctor est agens peccatum, cujus malum ad corpus
pervenit. Sent. 1. 3. c. 38.
5. Totius familiae Domini status et ordo nutabit, si, quod requi-ritur
in corpore, non inveniatur in capite. Epist. 87.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
171
Saint Ambroise, se servant d'une autre compa-raison, demande
: « Quel homme ira jamais pui-ser dans une mare infecte l'eau limpide
de la source ? Et moi, ajoute le saint, est-ce que par hasard je tiendrai
pour un homme de bons con-seils celui qui ne sait pas se gouverner lui-même1
? » « Ce n'est pas, dit Plutarque, dans la coupe de leurs sujets,
mais dans la fontaine elle-même que les princes jettent le poison
de leurs mauvais exemples; et comme tous viennent puiser à la source,
le poison se répand partout2. » Or cela doit à plus
forte raison s'entendre des mau-vais exemples donnés par les prêtres;
tellement que le pape Eugène III n'a pas craint de dire: «
La responsabilité des fautes que commettent les inférieurs
pèse avant tout sur les mauvais supérieurs3. »
Saint Grégoire appelle les prêtres patres chri-stianorum,
les pères des chrétiens 4. Ainsi les appelle également
saint Jean Chrysostome. « Le prêtre, dit-il, est en quelque
sorte le père du genre humain tout entier. Il doit par conséquent
embrasser dans sa sollicitude tous les hommes, et cela, à l'exemple
de Dieu lui-même dont il est le vicaire 5. » De même
donc qu'un père de famille
1. Quis enim in cœno fontem requirat ?... An vero idoneum eum putabo,
qui mihi det consilium, quod non dat sibi ? Officior. 1. 2. c. 12.
2. Opusc. Max. cum princip. philos.
3. Inferiorum culpae ad nullos magis referendae sunt, quam ad desides
rectores. S. BERNARD. De Consid. 1. 3. c. 5.
4. Patres christianorum. In Evang. hom. 17.
5. Quasi totius orbis pater sacerdos est ; dignum igitur est ut omnium
curam agat, sicut et Deus, cujus fungitur vice. In I Tim. hom. 6.
Père infanticide.
I72 CHAPITRE HUITIÈME.
commet un double péché quand, par quelque mauvaise action,
il scandalise ses enfants, ainsi le prêtre qui donne mauvais exemple
aux séculiers est en quelque sorte deux fois coupable. « Car,
demande Pierre de Blois, que fera le séculier, sinon ce qu'il voit
faire au père, au guide de son âme1 ? » « Oui,
dit saint Jérôme dans une lettre à un évêque,
quoi que vous fassiez, les séculiers s'adjugeront tous le droit
d'en faire autant2. » « Quand les laïques, ajoute saint
Césaire, com-mettent quelque péché : quoi donc ! se
disent-ils en pensant aux mauvais exemples des prêtres, est-ce que,
parmi les clercs, même du rang le plus élevé, on ne
fait pas la même chose3 ? » Saint Augustin aussi met dans la
bouche d'un homme du monde ces paroles : « Pourquoi vous en prendre
à moi? Puisque les ecclésiastiques font ces choses, pourquoi
me les interdire 4 ? » Et, d'après saint Grégoire,
quand, au lieu d'édifier, les prêtres scandalisent, ils font
en quelque sorte que le vice ne soit plus abhorré, mais honoré
; « car, dit-il, par considération pour le sacer-doce, on
traite ce coupable avec honneur5. » Ces prêtres-là sont
donc tout à la fois pères et meur-triers, meurtriers de leurs
propres enfants, dont ils tuent les âmes. « Vous voyez,, disait
en gémis-sant saint Grégoire, sous quels coups le peuple
succombe chaque jour. Mais à qui faut-il surtout
1. Quid faciet laicus, nisi quod patrem suum spiritualem viderit facientem
? Serm. 57.
2. Quidquid feceris, id sibi omnes faciendum putant. Ep. ad Heliod.
3. Numquid talia clerici, etiam majoris ordinis faciunt ? Serm. 15.
4. Quid mihi loqueris ? Ipsi clerici non illud faciunt, et me cogis
ut faciam. Serm. 137. E. B.
5. Pro reverentia ordinis, peccator honoratur. Past.p. 1. c. 2.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE. 173
s'en prendre, si ce n'est à nos péchés ? Le peuple
périt parce que, au lieu de lui servir de guides vers les sources
de la vie, nous nous faisons ses bourreaux1. »
II.
QUELS MAUX EFFROYABLES PRODUIT LE SCANDALE DES PRÊTRES.
J'ai à rendre compte de mes péchés : que m'im-portent
ceux des autres ! Voilà ce que disent quelques-uns. Que ces aveugles
se permettent tels propos que bon leur semble ; seulement qu'ils prennent
pour eux cette réponse de saint Jérôme : « Si
tu dis : ma conscience me suffit ; quant aux discours des hommes, je n'en
tiens aucun compte, eh bien ! écoute ces paroles de l'Apôtre
: Ayons soin défaire le bien non seulement devant Dieu, mais devant
tous les hommes2. »
Les prêtres scandaleux, en se donnant le coup de la mort, le
donnent aux autres. « Non, dit saint Bernard, ils n'épargnent
pas leurs ouailles, ceux qui ne s'épargnent pas eux-mêmes
: ils tuent en même temps qu'ils périssent3. » Dans
un autre endroit, il dénonce comme la peste la plus nui-sible aux
enfants de l'Église les prêtres sans
1. Quibus quotidie percussionibus intereat populus videtis ; cujus
hoc, nisi nostro praecipue, peccato agitur ? Nos pereunti populo auc-
tores mortis existimus, qui esse debemus duces ad vitam. In Evang.
nom. 17.
2. Si dixeris : Et mihi sufficit conscientia mea ; non curo quid loquantur
homines ; audi Apostolum scribentem : Providentes bona, non tantum coram
Deo, sed etiam coram omnibus hominibus. De vi-tando susp. contub.
3. Non parcunt suis, qui non parcunt sibi, perimentes pariter et pereuntes.
In Cant. s. 77.
Impossible que les péchés
des prêtres ne nuisent pas.
174
CHAPITRE HUITIÈME.
science ou de mœurs déréglées 1. Le même
saint docteur dit encore : « Il ne manque pas de prêtres qui
sont tout à la fois catholiques et hérétiques, catholiques
dans leur prédication, hérétiques dans leur conduite.
Le mal que faisaient autrefois les hérétiques par leurs dogmes
impies, ces prêtres le font aujourd'hui par leurs mauvais exemples
; et même, autant l'exemple l'emporte en efficacité sur les
paroles, autant les prêtres scandaleux lais-sent loin derrière
eux tous les hérétiques 2. » En effet, qu'il s'agisse
de s'initier au vice ou à la vertu, il faut du temps pour s'instruire;
mais pour imiter il n'en faut guère, outre qu'on réus-sit
bien mieux ; et, comme le dit Sénèque, « elle est longue
la voie des enseignements, mais celle des exemples est courte et facile3.
» De là cette parole de saint Augustin à propos de
la chasteté sacerdotale : « Souverainement nécessaire
à tous, il faut que la chasteté brille plus particulièrement
dans ceux qui montent au saint autel ; car leur vie doit être une
perpétuelle prédication qui montre à tous le chemin
du ciel4. » Comment l'esclave de l'impureté pourrait-il prêcher
la pureté ? « Eh quoi ! lui dit saint Pierre Damien, tu as
mission de prêcher la chasteté, et tu ne rougis pas d'être
1. Post indoctos praelatos malosque, in Ecclesia, nulla pestis ad nocendum
infirmis valentior invenitur. De Ord. vitae. c. I.
2. Multi sunt catholici praedicando, qui haeretici sunt operando: quod
haeretici faciebant per prava dogmata, hoc faciunt plures hodie per mala
exempla ; et tanto graviores sunt haereticis, quanto pré-valent
opera verbis. S. ad Past. in syn.
3. Longum iter est per praecepta, breve et efficax per exempla. Epist.
6.
4. Omnibus castitas per necessaria est, sed maxime ministris Christi
altaris, quorum vita aliorum debet esse assidua salutis praedicatio. Serm.
291. E. B. app.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
175
l'esclave de l'impureté1 ! » « L'habit qu'il
porte, dit saint Jérôme, l'état qu'il exerce, tout
dans le prêtre élève la voix pour lui crier : Sainteté
! sainteté2 ! »
Quel malheur donc que, dans l'Église, on voie le vice se donner
en spectacle par ceux-là mêmes qui sont décorés
du caractère et des insignes de la sainteté ! « Personne,
dit saint Grégoire, ne nuit à l'Église comme celui
qui étale la déprava-tion de ses mœurs jusque dans le sanctuaire
et l'ordre sacerdotal3. » « Peut-on voir plus épou-vantable
désordre, ajoute saint Isidore de Péluse, que celui de la
dignité sacerdotale se changeant aux mains du prêtre en instrument
de péché4? » Ah ! s'écrie Ézéchiel
en apostrophant un pareil prêtre, la dignité de ton ministère,
tu l'as rendue abominable5. Dès que les prêtres ne donnent
plus le bon exemple, ils tombent dans le mépris pu-blic. «
Oui, dit saint Bernard, ils l'emporteront sur tous par la vertu, ou bien
ils ne seront plus pour tous qu'un objet de dérision6. » Mais
s'ils ne peuvent se contenter de vivre comme les sécu-liers sans
qu'il y ait désordre, quel désordre sera-ce donc de trouver
dans les prêtres moins de vertu que dans les séculiers ? «
Quelle honte,
1. Qui praedicator constitutus es castitatis, non te pudet servum esse
libidinis ? Opusc. 17. c. 3.
2. Clamat vestis clericalis, clamat status professi animi sanctitatem.
3. Nemo amplius in Ecclesia nocet. quam qui, perverse agens, nomen
vel ordinem sanctitatis habet. Past. p. 1. c. 2.
4. Sacerdotii dignitate velut armis ad vitium abuti. Epist. 1. 2. ep.
162.
5. Abominabilem fecisti decorem tuum. Ezech. xvi. 25.
6. Aut caeteris honestiores, aut fabula omnibus sunt. De Consid, 1.4.
c. 6.
A la dignité du sacerdoce,
176 CHAPITRE HUITIÈME.
s'écrie un ancien auteur, que les prêtres soient inférieurs
aux séculiers, quand ils né pourraient sans grande honte
se contenter de leur être égaux1! » « Comment,
ajoute saint Ambroise, le peuple vous prendra-t-il pour modèles,
vous qui lui êtes, à la vérité, un objet de
vénération, mais qu'il ne peut regarder sans apercevoir ces
mêmes excès dont il rougit de se sentir cou-pable 2 ? »
Écoutez ceci, ô prêtres: le jugement va s'exercer
contre vous, parce que vous êtes devenus des pièges pour ceux
que vous deviez surveiller, et des filets tendus3. De même que le
chasseur, afin d'attirer les oiseaux dans ses filets, a soin d'y attacher
d'autres oiseaux pour servir d'appeaux, ainsi le démon se sert du
scandaleux pour faire tomber dans ses filets de nouvelles victimes. «
Aussitôt que le démon s'est emparé d'une âme,
dit saint Éphrem, il la fait servir de piège pour prendre
d'autres âmes4. » Voilà bien ces scandaleux dont Dieu
se plaint par la bouche de Jérémie : Il s'est trouvé
dans mon peuple des impies qui dressent des embûches et qui, semblables
à des oiseleurs, posent des pièges et des filets pour prendre
les hommes5. Or, remarque saint Césaire d'Arles, dans la chasse
qu'ils font aux âmes, les démons
1. Quomodo non sit confusio esse sacerdotes inferiores laicis, quos
etiam esse aequales magna confusio est ? Hom. 40.
2. Si, quae in se erubescit, in te, quem reverendum arbitratur, offendat
? Epitt. 6.
3. Audite hoc, sacerdotes... quia vobis judicium est, quoniam
laqueus facti estis speculationi, et rete expansum. Os. v. 1.
4. Cum primum capta fuerit anima, ad
alias decipiendas fit laqueus. De recta viv. rat. c. 22
5. Quia inventi sunt in populo meo impii insidiantes quasi aucupes,
laqueos ponentes et pedicas ad capiendos viros. Jer. v. 26.
I
DU PÉCHÉ DE SCANDALE. 177
ont surtout à cœur d'utiliser les prêtres scanda-leux
: aussi les appelle-t-il « des colombes que les oiseleurs de l'enfer
mettent en avant comme autant d'appeaux pour attirer dans leurs filets
toutes les autres colombes1. »
Un auteur atteste qu'autrefois, quand les fidèles voyaient passer
ne fût-ce qu'un simple clerc, tous se levaient et venaient se recommander
à ses prières. En est-il encore ainsi de nos jours ? Hélas!s'écrie
Jérémie dans ses Lamentations,com-ment l'or s'est-il obscurci?
comment s'est changée sa couleur éclatante ? comment les
pierres du sanctuaire se trouvent-elles dispersées à tous
les coins des rues2 ? Cet or, dit le cardinal Hugues de Saint-Cher, ce
sont les prêtres : il a perdu son éclatante couleur parce
que la sainte charité ne brille plus en eux, et il s'est obscurci
parce que leurs bons exemples ne projettent plus leur lumière. Par
ces pierres du sanctuaire, ce sont aussi les prêtres qu'il faut entendre,
selon saint Jérôme : dispersées par tous les chemins,
elles ne servent plus qu'à faire tomber les pauvres sé-culiers
dans toutes sortes de vices. Voici de quelle manière saint Grégoire
explique ce même texte de Jérémie: « L'or est
obscurci, car les prêtres déshonorent leur vie par la bassesse
de leurs œuvres. Il a perdu sa couleur éclatante, depuis que leurs
actions honteuses ont couvert d'op-probres la dignité sacerdotale.
Les pierres du
1. Columbas quas prius ceperint aucupes ut reliquae columbae ca-piantur.
Hom. 35.
2. Quomodo obscuratum est aurum, mutatus est color optimus, dis-persi
sunt lapides sanctuarii in capite omnium platearum? Thren. iv. 4.
LE PRÊTRE. — T. I.
Aux intérêts de l'Église,
I78 CHAPITRE HUITIÈME.
sanctuaire sont dispersées sur tous les chemins, parce que le
recueillement et les saints exercices ont cédé la place à
la dissipation et aux occupa-tions mondaines, en sorte qu'on ne trouve
pres-que plus d'entreprise séculière à laquelle le
prêtre ne consacre son ardeur1. »
Les fils de ma mère m'ont livré des combats2. Voilà,
d'après Origène, ce que font réellement ces prêtres
: par leurs scandales, ils attaquent l'Église leur mère.
Saint Jérôme dit également que « les prêtres
dévastent l'Église par leur vie criminelle3. » Aussi
saint Bernard expliquant ces paroles d'Ézéchias: c'est dans
la paix que je ressens l'amertume la plus amère4, fait ainsi parler
l'Église : « Je suis en paix avec les païens, car, depuis
que les tyrans ont disparu, les païens ont cessé le cours de
leurs persécutions. Les hé-rétiques me laissent aussi
en paix, car il ne s'élève plus de nouvelles sectes. Paix,
de la part dés païens et des hérétiques, mais
non de la part de mes fils, c'est-à-dire de mes prêtres. Que
d'âmes en effet ils m'arrachent chaque jour par leur vie déréglée5!
» « Non, s'écrie saint Grégoire, je ne
1. Aurum quippe obscuratum est, quia sacerdotum vita, per ac-tiones
infimas, ostenditur reproba ; color optimus est mutatus, quia ille sanctitatis
habitus, per abjecta opera, ad ignominiam despec-tionis venit ; dispersi
sunt lapides sanctuarii in capite omnium pla-tearum, quia hi qui, per vitam
et orationem, intus semper esse debuerant, foris vacant. Ecce jam pene
nulla est saeculi actio, quam non sacerdotes administrent ! In Evang. hom.
17.
2. Filii matris meae pugnaverunt contra me. Cant. I. 5.
3. Propter vitia sacerdotum, Dei sanctuarium destitutum est. Ep. ad
Sabiniam.
4. Ecce in pace amaritudo mea amarissima. Is. xxxviii. 17.
5. Pax a paganis, pax ab haereticis, sed non profecto a filiis. In
Cant. s. 33.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
179
pense pas que personne nuise aux intérêts de Dieu comme
les prêtres, qu'il a lui-même chargés de tirer les âmes
du vice et qui, par leurs mau-vais exemples, les y précipitent1.
» Un autre effet de leurs mauvais exemples, c'est le discrédit
dans lequel tombe leur ministère, c'est-à-dire leurs
prédications, la sainte messe, en un mot toutes les fonctions sacerdotales.
Aussi l'Apôtre dit-il aux prêtres : Ne donnons à personne
aucun scandale, afin que notre ministère ne soit pas décrié;
mais en toutes choses montrons-nous comme des mi-nistres de Dieu2. «
Si la loi de Jésus-Christ est méprisée, dit Salvien,
il faut que les prêtres s'en prennent à eux-mêmes3.
» « Combien de fidèles, ajoute saint Bernardin de Sienne,
la déplorable conduite du clergé ne fait-elle pas chanceler
dans la foi et même succomber, au point qu'on les voit ensuite commettre
le mal de gaieté de cœur, mé-priser les sacrements, se moquer
de l'enfer et vivre sans souci des biens célestes4 ! »
Saint Jean Chrysostome rapporte que les païens, témoins
de la vie que menaient certains prêtres chrétiens, disaient:
ou bien leur Dieu n'est pas un vrai dieu, ou bien c'est un dieu méchant;
car,
1. Nullum, puto, ab aliis majus praejudicium, quam a sacerdotibus,
tolerat Deus, quando eos, quos ad aliorum correctionem posuit, dare de
se exempla pravitatis cernit. In Evang. hom. 17.
2. Nemini dantes ullam offensionem, ut non vituperetur minis-
terium nostrum ; sed in omnibus exhibeamus nosmetipsos
sicut
Dei ministros. II Cor. vi. 3.
3. In nobis lex christiana maledicitur.
4. Plurimi, considerantes cleri sceleratam vitam, ex hoc vacil-
lantes, imo multoties deficientes in fide, sacramenta despiciunt, vitia
non evitant, non horrent inferos, cœlestia minime concupiscunt.
T. I. s. 19. a. 2. c. 1.
A la gloire de Dieu.
l8o CHAPITRE HUITIÈME.
ajoutaient-ils, si leur dieu n'était pas méchant, il
ne supporterait pas leurs désordres. « Oui, qu'est-ce que
ce Dieu dont les ministres se conduisent de la sorte ? et n'est-ce pas
participera leur incon-duite que de la tolérer1 ? » Plus loin,
dans l'Ins-truction sur la messe, nous rapporterons avec tous les détails
le fait de cet hérétique résolu d'abord de se convertir,
mais qui changea d'avis après avoir vu dans une église de
Rome un prêtre dire la messe sans respect; car, disait l'hérétique,
il faut que le pape lui-même n'ait pas la foi pour ne pas condamner
de pareils ecclésiastiques à être brûlés
vifs. « J'ai beau parcourir l'histoire depuis Jésus-Christ,
dit saint Jérôme, je ne puis trouver que des prêtres
à la tête des hérésies qui ont déchiré
l'Eglise et séduit les peuples2. » « C'est par la négligence
des prêtres, dit également Pierre de Blois, que les hérésies
ont pullulé, et c'est à cause de leurs péchés
que la sainte Église du Christ se voit foulée aux pieds et
traînée dans la boue3. » Selon saint Bernard, les prêtres
scandaleux sont même plus dangereux que les hérétiques
; car nous pouvons bien nous tenir en garde contre les hé-rétiques,
mais quel moyen de nous mettre à l'abri de ces prêtres dont
il faut nécessairement que nous réclamions le ministère?
« Voyez, dit le saint docteur, quel poison ravage maintenant tout
1. Qualis est eorum Deus, qui talia agunt ! Numquid sustineret eos
talia facientes, nisi consentiret eorum operibus ? Hom. 10.
2. Veteres scrutans historias, invenire non possum scidisse Eccle-siam,
et populos seduxisse, praeter eos qui sacerdotes a Deo positi fuerunt.
In Oseam. c. 9.
3. Propter negligentiam sacerdotum, haereses pullularunt... Propter
peccata nostra (sacerdotum), data est in conculcationem et oppro-brium
sancta Ecclesia Christi. Serm. 60.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
181
le corps de l'Église. Plus il s'étend, moins on
le peut saisir, et le danger est d'autant plus grand qu'il se cache davantage.
Qu'un hérétique se mette à prêcher ses dogmes
impies, on le jettera dehors; qu'il ait recours à la violence, on
le fuira. Mais maintenant qui va-t-on rejeter et qui va-t-on fuir? Nous
avons besoin de tous, et tous sont nos ennemis1. »
III.
DIEU RÉSERVE SES PLUS TERRIBLES
CHATIMENTS AUX PRÊTRES SCANDALEUX.
Ah ! quel châtiment terrible est suspendu sur la tête de
ces prêtres scandaleux ! Si même le sécu-lier qui donne
scandale tombe sous la formidable menace : Malheur à l'homme par
qui le scandale ar-rive2 ! avec quelle rigueur Dieu ne traitera-t-il pas
celui que, par un privilège spécial, il s'est choisi entre
tous les hommes 3 pour le placer parmi ses ministres ? Car, dit Notre-Seigneur,
je vous ai choi-sis et je vous ai établis pour que vous alliez et
me rapportiez du fruit4, c'est-à-dire une ample mois-son d'âmes.
Et ces prêtres, que font-ils par leurs scandales, sinon ravir les
âmes à Jésus-Christ?
« S'ils se conduisent mal, s'écrie saint Gré-goire,
ils méritent de subir la mort autant de fois
1. Serpit hodie putida tabes per omne corpus Ecclesiae, et, quo latius,
eo desperatius, eoque periculosius quo interius : nam, si insurgeret apertus
inimicus haereticus, mitteretur foras ; si violentus inimicus. absconderet
se ab eo : nunc vero, quem ejiciet, aut a qua abscondet se? Omnes necessarii,
et omnes adversarii. In Cant. c. 33.
2. Vae homini illi per quem scandalum venit! Matth. xviii. 7.
3. Elegit eum ex omni carne. Eccli. XLV. 4.
4. Elegi vos et posui vos ut eatis et fructum afferatis. Jo. xv. 16.
A cause de leur trahison
Us sont maudits,
l82 CHAPITRE HUITIÈME.
Et ils seront
jugés
avec la dernière
rigueur.
qu'ils soumettent leurs inférieurs à la perversité
de leurs mauvais exemples1. » Le Seigneur s'en-tretenant avec sainte
Brigitte, lui dit, précisément au sujet de ces mauvais prêtres
: « Ma malédic-tion éclatera d'autant plus terrible,
qu'en vivant ainsi ils ne se damnent pas seulement eux-mêmes, mais
encore beaucoup d'autres2. » Le Seigneur a chargé les prêtres
du soin de cultiver sa vigne : aussi comment traitera-t-il ceux qui la
ruinent ? Il fera mourir misérablement ces misérables, et
il louera sa vigne à d'autres vignerons qui lui en rendront le fruit
en son temps3.
Et surtout, que deviendront-ils, grand Dieu ! au jour du jugement ?
Je courrai à eux comme une ourse qui se voit enlever ses petits4.
Quelle fureur que celle de l'ourse s'élançant contre le chasseur
qui lui enlève et tue ses petits ! Avec quelle fureur aussi Dieu
se lèvera au jour du jugement contre ces malheureux prêtres
qui, bien loin de sauver les âmes, les auront conduites à
leur perte ! « A grand'peine chacun pourra-t-il rendre compte pour
soi-même devant le tribu-nal de Jésus-Christ; que deviendront
donc ces prêtres, demande saint Augustin, quand ils auront à
rendre compte de tant d'âmes perdues par leur faute5?» Saint
Jean Chrysostome dit dans le même
1. Si perversa perpetrant, lot mortibus digni sunt, quot ad subditos
suos perditionis exempla transmittunt. Past. p.1. c.1. adm. 5.
2. Ipsis erit amplior maledictio, quia se vita sua perdunt, et alios.
Rev. 1. 4. c. 132.
3. Malos male perdet, et vineam suam locabit aliis agricolis, qui reddant
ei fructum temporibus suis. Matth. xxi. 41.
4. Occurrara eis quasi ursa, raptis catulis. Os. xiii. 8.
5. Si pro se unusquisque vix poterit in die judicii rationem reddere,
quid de sacerdotibus futurum est, a quibus sunt omnium animae requirendae?
Serm. 287. E. B. app.
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
183
sens : « Les pasteurs qui vivent dans le péché,
y entraînent tous les fidèles. Au lieu donc que cha-que fidèle
rendra compte de ses propres péchés, les prêtres auront
à répondre des péchés de tous1. » Oh
! combien de séculiers, de pauvres villageois, d'humbles femmes,
seront, dans la vallée de Josaphat, un sujet de confusion pour les
prêtres ! Saint Jean Chrysostome dit encore : « Au jour du
jugement, le laïque recevra l'étole sacerdotale, et le prêtre
coupable, après s'être vu arracher les insignes de sa dignité,
ira prendre place parmi les infidèles et les hypocrites2. »
CONCLUSION.
SÉVÉRITÉ SACERDOTALE.
Gardons-nous donc, ô prêtres mes frères, de causer
par nos scandales la perte des âmes, nous que Dieu a placés
ici-bas pour les sauver. Il faut pat conséquent que nous évitions,
outré les actions qui sont réellement mauvaises, celles •encore
qui ont l'apparence du mal, selon ce que dit l'Apôtre : Abstenez-vous
de toute apparence de mal3. C'est pourquoi le concile d'Agde défend
aux prêtres d'avoir des servantes dans leur mai-son4. Quand bien
même la présence de ces per-
1. Si sacerdotes fuerint in peccatis, totus populus convertitur ad
peccandum ; ideo, unusquisque pro suo peccato reddet rationem, sacerdotes
autem pro omnium peccatis. Hom. 38.
2. Laicus, in die judicii, stolam sacerdotalem accipiet ; sacerdos
autem peccator spoliabitur sacerdotii dignitate quam habuit, erit inter
infideles et hypocritas. Hom. 40.
3. Ab omni specie mala abstinete vos. I Thess. v. 22.
4. Ut ancillae a mansione, in qua clericus manet, removeantur. Conc.
Agath. c. 11.
Sévérité dans la conduite,
184 CHAPITRE HUITIÈME.
Dans la conversation.
sonnes ne serait pas une occasion de péché, il y aurait
au moins l'apparence du mal, et par con-séquent une occasion de
scandale. Or, dit encore l'Apôtre, nous devons parfois renoncer même
à des choses permises, afin d'épargner aux faibles une occasion
de chute1.
Il faut en outre éviter de jamais émettre cer-taines
maximes qui sentent l'esprit du monde, comme celles-ci : Ne nous laissons
pas marcher sur le pied, donnons-nous du bon temps en ce monde, heureux
celui qui nage dans l'abondance! S'il est question de pécheurs qui
s'obstinent dans le mal, ne disons pas : Dieu est plein de miséri-corde
et de compassion pour sa créature. Surtout quel scandale ne serait-ce
pas si nous osions louer ceux qui se conduisent mal, par exemple ceux qui
cherchent à se venger ou qui entretiennent une liaison dangereuse
! « On scandalise bien plus, dit saint Jean. Chrysostome, à
louer les pécheurs qu'à pécher soi-même2. »
Quant au prêtre malheureusement coupable d'avoir autrefois donné
scandale, il doit savoir que c'est pour lui une obligation grave de réparer
le mal à force de bons exemples.
1. Ne forte... offendiculum fiat infirmis. I Cor. viii. 9. 2. Longe
pejus est collaudare delinquentes, quam delinquere. De Saul et David, hom.
2.
CHAPITRE NEUVIÈME.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
De toutes les prédications que l'on fait aux prêtres à
l'oc-casion des exercices spirituels, celle-ci, qu'on le remarque bien,
est la plus nécessaire ; et c'est aussi celle dont il y a lieu d'attendre
les plus heureux résultats. En effet, que parmi les retraitants
il s'en trouve un, un seul, qui se décide, comme on doit l'espérer
de la grâce de Dieu, à ne rien négliger pour procurer
le salut du prochain, dès lors ce n'est pas une âme seulement
que le prédicateur aura gagnée, mais des centaines et des
milliers, je veux dire toutes celles qui se sauveront par le ministère
de ce prêtre.
Dans ce chapitre nous verrons :
1° L'obligation où sont les prêtres de s'appli-quer
au salut des âmes ;
2° Quel plaisir un prêtre fait à Dieu en tra-vaillant
au salut des âmes ;
3° Que le salut éternel et une grande récom-pense
sont assurés par Dieu au prêtre qui se dévoue au salut
du prochain.
I.
OBLIGATION OU SONT LES PRETRES
DE S'APPLIQUER AU SALUT DES AMES.
« Il y a beaucoup de prêtres et il y en a peu, dit un ancien
auteur : beaucoup de nom, peu en
1 86 CHAPITRE NEUVIÈME.
Grande dignité confiée au prêtre
réalité1. » Certes les prêtres ne manquent
pas parmi nous. Mais combien ont à cœur de se con-duire en prêtres,
c'est-à-dire de remplir la mis-sion et le devoir du prêtre,
qui sont de sauver les âmes ?
Quelle grande dignité que celle du prêtre ! Car, dit l'Apôtre,
nous sommes les coopérateurs de Dieu lui-même2. Quoi de plus
grand en effet que de coopérer avec Jésus-Christ pour sauver
les âmes qu'il a rachetées ? Aussi saint Denys l'Aréo-pagite
proclamait la dignité du prêtre non seule-ment divine, mais
encore la plus divine de toutes les effusions divines. "Telle est,
dit-il, la subli-mité du sacerdoce, que le prêtre imite Dieu,
et même qu'il travaille avec lui à sauver les âmes,
ce qui constitue la plus divine des grandeurs3. » « En effet,
remarque saint Augustin, justifier un pécheur, c'est faire une œuvre
qui l'emporte sur la création du ciel et de la terre4.»
Saint Jérôme donnait aux prêtres le titre de sauveurs
du monde ; « car, disait-il, c'est pour sauver le monde que Dieu
les a choisis5. » Saint Prosper les appelait « les intendants
de la mai-son royale de Dieu6. » Déjà, dans Jérémie,
ils sont nommés, les pêcheurs et les chasseurs du Très-Haut.
Et moi, dit le Seigneur, j'enverrai de
1. :Multi sacerdotes, et pauci sacerdotes : multi nomine, pauci opere.
Hom. 43.
2. Dei enim sumus adjutores. I Cor. iii. 9.
3. In hoc sita est sacerdotis perfectio, ut ad divinam promoveatur
imitationem, quodque divinius est omnium, ipsius etiam Dei coope-rator
existat. De Cœl. Hierarch. c. 3.
4. Prorsus majus hoc esse dixerim, quam est cœlum et terra, et quaecumque
cernuntur in cœlo et in terra. In Jo. tr. 72.
5. Sacerdotes Dominus mundi esse voluit salvatores. In Abdiam. xxi.
6. Dispensatores regiae domus. De Vita cont. 1. 2. c. 2.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 187
nombreux pêcheurs, et ils pêcheront; et, après cela,
je leur enverrai beaucoup de chasseurs qui leur feront la chasse sur toute
montagne, sur toute colline et dans les cavernes des rochers1. Paroles
que saint Ambroise applique aux prêtres, qui ont précisément
pour mission de ramener à Dieu les pécheurs les plus égarés
et de les dé-livrer de tous leurs vices. Par la montagne dont parle
Jérémie, il faut entendre l'orgueil ; par la colline, la
pusillanimité ; et par ces cavernes, toutes les mauvaises habitudes
qui traînent à leur suite l'aveuglement de l'esprit et l'insensibi-lité
du cœur2. « Dans l'œuvre de la création, dit Pierre de Blois,
Dieu ne voulut pas avoir de coopérateur ; mais, dans l'œuvre de
la rédemp-tion, il voulut s'en associer autant qu'il a choisi de
prêtres3. » .Quel homme l'emporte ici-bas sur le prêtre
? « Au roi les biens de ce monde, répond saint Jean Chrysostome
; à moi, qui suis prêtre, les trésors du ciel4. »
Innocent III ajoute : « La bienheureuse Vierge surpassait les apôtres
; et pourtant ce n'est pas à elle, mais seulement aux apôtres,
que le Seigneur confia les clefs du royaume des cieux5. »
Saint Pierre Damien appelle le prêtre « le guide
1. Ecce ego mittam piscatores multos, dicit Dominus, et piscabuntur
eos; et post haec, mittam eis multos venatores, et venabuntur eos de omni
monte, et de omni colle, et de cavernis petrarum. Jer. xvi. 16.
2. In Ps. cxviii. s. 6.
3. In opere creationis, non fuit qui adjuvaret ; in mysterio vero redemptionis,
voluit habere coadjutores. Serm. 4.7.
4. Regi, quae hic sunt, commissa sunt ; mihi cœlestia, mihi sacer-doti.
De Verbis Is. hom. 4.
5. Licet Beatissima Virgo excellentior fuerit Apostolis, non tamen
illi, sed istis Dominus claves regni cœlorum commisit. Cap. Nova quaedam
de Pœn. et Rem.
En vue du prochain;
188
CHAPITRE NEUVIÈME.
Grande obligation de travailler au salut des âmes,
du peuple de Dieu et le chef de son armée1. » «
Il est, dit saint Bernard, le gardien de l'épouse du Christ, c'est-à-dire
de l'Église2. » « Après Dieu, s'écrie
saint Clément pape, le Dieu d'ici-bas, c'est le prêtre3. »
Car ici-bas les saints ne se forment que par le ministère des prêtres.
« Quoi de plus honorable que les prêtres, s'écrie saint
Flavien, puisqu'ils tiennent dans leurs mains les espérances et
le salut de tous les hommes4 ? » « Nos parents, dit saint Jean
Chrysostome, nous ont engendrés à la vie présente
; les prêtres nous engendrent à la vie éternelle5.
» « Sans les prêtres, dit également saint Ignace
le Martyr, nulle part il n'existerait une réunion de saints6. »
Judith disait déjà aux prêtres de l'ancienne loi :
Vous êtes les anciens parmi le peuple de Dieu, et de vous dépend
leur âme 7. Si les séculiers vivent chrétiennement,
c'est aux prêtres qu'ils le doivent, et par conséquent leur
salut dépend des prêtres. De là cette recommandation
de saint Clément aux fidèles : « Honorez les prêtres
comme les pères de vos âmes8. »
Quelle dignité donc et quelle mission
que celle des prêtres ! Mais aussi combien est grande
1. Sacerdos, dux exercitus Domini. Opusc. 25. c. 2.
2. Sponsae custodem. In Cant. s. 77.
3. Post Deum, terrenus Deus. Const. Apost. 1. 2. c. 26.
4. Nihil honorabilius sacerdotibus ; omnis enim spes atque salus in
iis est. Ep. ad S. Léon.
5. Parentes in presentem, sacerdotes in vitam aeternam nos gene-rant.
De Sacerd. 1. 3.
6. Absque sacerdotibus, nulla sanctorum congregatio. Ep. ad Trall.
7. Vos estis presbyteri in populo Dei, et ex vobis pendet apima illorum.
Judith, viii. 21.
8. Honorate sacerdotes, ut bene Vivendi auctores.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
189
leur obligation de travailler au salut des âmes ! Car,
dit l'Apôtre, tout prêtre est pris d'entre les hommes, et il
est chargé des intérêts de Dieu, afin d'offrir pour
les hommes des dons et des sacri-fices d'expiation et afin de pouvoir compatir
à ceux qui sont dans l'ignorance et dans l'erreur1. Les prêtres
sont donc établis par Dieu tant pour offrir des victimes à
sa divine Majesté que pour sau-ver les âmes en instruisant
les ignorants et en con-vertissant les pécheurs. Saint Pierre les
proclame un sacerdoce royal, un peuple d'acquisition2. Il en est tout autrement
de la tribu sacerdotale que de l'universalité des séculiers.
Ceux-ci n'ont en vue que les biens de la terre, et ils ne s'occupent que
d'eux-mêmes ; ceux-là composent le peuple d'élite,
chargé, lui aussi, de faire des acquisitions. Mais quelles acquisitions
?« Ils ont pour emploi, répond saint Ambroise, d'acquérir
non pas de l'or et de l'argent, mais des âmes3. » « Le
nom même que porte le prêtre, dit saint Antonin, désigne
assez sa fonction, car sacerdos signifie celui qui en-seigne les choses
sacrées4, » où bien, selon saint Thomas, « celui
qui distribue les choses saintes5. » D'après Honorius d'Autun,
presbyter veut dire « celui qui montre le chemin pour aller de l'exil
à la patrie6. » Explications qui s'accordent bien
1. Omnis namque Pontifex, ex hominibus assumptus, pro homini-bus constituitur
in iis quae sunt ad Deum, ut offerat dona et sacrificia pro peccatis, qui
condolere possit iis qui ignorant et errant. Heb.v.1-2.
2. Regale sacerdotium,... populus acquisitionis. I Pet. II. 9.
3. Clericatus officium est quaestus, non pecuniarum, sed animarum.
Serm. 78.
4. Sacerdos, id est, sacra docens. Summ. p. 3. tit. 14. c. 7.§
1.
5. Sacerdos, quasi sacra dans. P. 3. q. xxii. a. 1.
6. Presbyter dicitur praebens iter populo de exsilio ad patriam. Gemma
an. l. 1. c. 181.
190
CHAPITRE NEUVIÈME.
Obligation
dont
dépend le salut
du prêtre.
avec ce titre de « guides et de chefs du trou-peau de Jésus-Christ1,
» que saint Ambroise don-nait aux prêtres. En conséquence,
ajoutait-il, « que le nom et les œuvres soient d'accord, afin que
le nom ne reste pas un vain titre et ne de-vienne pas le plus terrible
des griefs2. » Oui, puisque ces deux noms de sacerdos et de pres-byter
donnés au prêtre, le montrent chargé par Dieu d'aider
les âmes à se sauver et à conquérir le ciel,
il faut que le nom réponde aux œuvres. Autrement le nom ne serait
plus qu'une déno-mination sans valeur, et la gloire des fonctions
sacerdotales se changerait en crime. « La misère du troupeau
fait la honte du berger3, » dit saint Jérôme.
« Si donc vous voulez, dit encore saint Jérôme,
vous conduire réellement en prêtres, faites du salut du prochain
la rançon de votre propre âme4. »: Aux yeux de saint
Anselme, « l'office véritable du prêtre est de préserver
les âmes de la corruption du siècle et de les conduire à
Dieu5. » « Si le Seigneur, ajoute l'abbé Philippe de
Bonne-Espérance, prend soin de tirer les prêtres du milieu
des autres fidèles, c'est afin que les prêtres s'appliquent
non seulement à se sauver, mais encore à sauver les autres6.
» Le zèle naît de
1. Duces et Rectores gregis Christi. De Dignit. sac. c. 2. 3. Nomen
congruat actioni, ne sit nomen inane, crimen immane. lbid. c. 3.
3. Detrimentum pecoris pastoris ignominia est. Reg. Monach. de Laude
vit.
4. Si officium vis exercere presbyteri, aliorum salutem fac lucrum
animae tuae. Ep. ad Paulin.
5. Sacerdotis proprium est, animas e mundo rapere, et dare Deo.
6. De médio populi segregantur, ut, non solum seipsos,
verum et
populum tueantur. De Dignit. cler. c. 2.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
191
l'amour1, dit saint Augustin; il s'ensuit que, la charité
nous faisant une loi d'aimer Dieu et le prochain, le zèle nous impose
l'obligation d'abord de procurer la gloire de Dieu et d'empêcher
tout ce qui en peut ternir l'éclat, ensuite de procurer le bien
du prochain et d'empêcher ce qui pour-rait nuire à son âme.
Il ne sert de rien qu'on dise: Je suis un simple prêtre, je n'ai
pas charge d'âmes : il suffit que je pense uniquement à moi.
— Non, cela ne suffit pas ; car il n'y a pas de prêtre qui ne soit
obligé de travailler au salut des âmes selon son pouvoir et
dans la mesure de leurs besoins. En consé-quence, ainsi que nous
l'avons établi dans notre Théologie morale2, s'il se trouve
quelque part des âmes que le manque de confesseurs prive des se-cours
spirituels dont elles ont besoin, tout prêtre, fût-il sans
charge d'âmes, a le devoir d'entendre les confessions, et s'il ne
se croit pas capable de ce ministère, il doit s'en rendre capable.
Voilà ce que le docte père Pavone, de la compagnie de Jésus,
enseigne, non sans raison. En effet, de même que Jésus-Christ
fut envoyé ici-bas par son divin Père pour sauver le monde,
de même les prêtres ont reçu de Jésus-Christ
mission de convertir les pécheurs. Comme mon Père m'a en-voyé,
ainsi moi je vous envoie 3. C'est pourquoi on exige des aspirants au sacerdoce
qu'ils donnent des preuves de leur capacité à administrer
les sa-.
1. In Ps. CXVIII. s. 3o.
3. Theol. mor. l. 6. n. 625.
3. Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. Jo. xx. 21.
Obligation
inhérente au
sacerdoce.
192 CHAPITRE NEUVIÈME.
crements. « Qu'il soit d'abord bien établi, dit le concile
de Trente, que tous ont les aptitudes re-quises pour ce ministère1.
» « Dieu, dit de son côté le Docteur angélique,
a voulu établir l'ordre sacerdotal, précisément afin
qu'il y ait dans l'É-glise des hommes chargés de sanctifier
les autres en leur administrant les sacrements2. » Or c'est tout
particulièrement le sacrement de pénitence que les prêtres
ont le devoir d'administrer ; car après ces paroles que nous venons
de citer : Com-me mon Père m'a envoyé, ainsi moi je vous
en-voie, saint Jean ajoute immédiatement : Lorsque le Seigneur eut
dit ces mots, il souffla sur eux et leur dit: Recevez le Saint-Esprit.
Ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront
remis3. Puisque la charge du prêtre est de remettre les péchés,
il doit compter parmi ses principales obli-gations celle de s'en rendre
capable, au moins pour les cas de nécessité. Autrement on
allègue-rait contre lui ce que dit l'apôtre saint Paul à
ses confrères dans le sacerdoce : Puisque vous êtes coopérateurs,
nous vous exhortons à ne pas rece-voir en vain la grâce de
Dieu 4.
Dieu a répandu les prêtres sur la terre afin qu'ils en
soient le sel, et qu'ils préservent ainsi les âmes de la corruption
du péché. « Qu'ils soient pour
1. Ad ministranda Sacramenta idonei comprobentur. Sess. 23. cap. 14.
de Ref.
2. Ideo posuit Ordinem in ea, ut quidam aliis Sacramenta traderent.
Suppl. q xxxiv. a. 1.
3. Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. — Haec cum dixisset, insufflavit,
et dixit eis : Accipite Spiritum Sanctum ; quorum remise-ritis peccata,
remittuntur eis. Jo. xx. 22-23.
4. Adjuvantes autem, exhortamur ne in vacuum gratiam Dei reci-piatis.
II Cor. vi. 1.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 193
les âmes le sel du salut, s'écrie le vénérable
Bède, et qu'ils les conservent en parfaite santé1. »
Or que fait-on aussitôt que le sel affadi cesse d'être utile
? Vous êtes le sel de la terre. Que si le sel perd sa vertu, avec
quoi le salera-t-on lui-même ? Il n'est plus bon qu'à être
jeté dehors et foulé aux pieds par les hommes 2.
Chaque prêtre est en quelque sorte le père de l'univers
tout entier, il doit par conséquent se dépenser pour toutes
les âmes qu'il peut aider à faire leur salut. « Il en
est du prêtre comme de Dieu lui-même, qui l'a établi
son représentant, dit saint Jean Chrysostome. Devenu en quelque
sorte le père du monde entier, c'est sur tous les hommes qu'il doit
étendre son zèle3. »
En outre, Dieu a chargé les prêtres, comme autant de médecins,
de guérir les âmes malades. Aussi Origène les appelle-t-il
« les médecins des âmes4,» et saint Jérôme
«les médecins spirituels5.» Or, demande saint Bonaventure,
« si le médecin ne soigne pas les malades, qui les guérira6?
»
Les prêtres sont encore appelés les murailles
• de l'Église. « Oui, dit saint Ambroise, l'Église
a
ses remparts7; » et, ajoute un ancien auteur,
« ces remparts ne sont autres que les prêtres8. »
1. Ut sales, condiant animas ad incorruptionis sanitatem.
3. Vos estis sal terrae. Quod si sal evanuerit, in quo salietur ? Ad
nihilum valet ultra, ni si ut mittatur foras, et conculcetur ab hominibus.
Matth.v. 13.
3. Quasi totius orbis pater sacerdos est ; dignum igitur est ut om-nium
curam agat, sicut et Deus, cujus fungitur vice. In I Tim. hom. 6.
4. Medicos animarum.
5. Medicos spirituales.
6. Si medicus fugit aegrotos, quis curabit ? De Sex Alis Ser. c. 5.
7. Habet et Ecclesia muros suos. In Ps. cxviii. s. 22.
8. Muri illius sunt sacerdotes. Hom. 10.
LE PRÊTRE. — T. I.
i3
194 CHAPITRE NEUVIEME.
Les pierres du sanctuaire, ainsi les appelle Jé-rémie,
c'est-à-dire les pierres qui soutiennent l'Église de Dieu1.
« Les colonnes sur lesquelles s'appuie le monde, les colonnes du
Saint des saints, ce sont, dit saint Eucher, les mérites des prêtres;
car leurs prières portent le monde et l'empêchent de s'écrouler2.
» Saint Bernard va jusqu'à les appeler « la maison de
Dieu. » Con-cluons donc de là avec l'auteur cité plus
haut, que « si, dans une maison, il arrive qu'une partie tombe, on
peut facilement réparer le mal3; » mais si tous les murs tombent,
ou bien si les fonda-tions et les colonnes qui portent l'édifice
viennent à manquer, finalement s'il ne reste plus pierre sur pierre
de tout l'édifice, quel moyen de réparer le désastre?
Enfin saint Jean Chrysostome appelle les prêtres « les
vignerons auxquels le Seigneur a confié le soin de sa vigne4. »
Cette vigne, c'est le peuple chrétien : aux prêtres de la
cultiver. « Mais, ô Dieu, dit en gémissant saint Bernard,
on voit les vignerons travailler sans trêve ni repos dans leur vigne
: ils suent, ils arrosent, ils creu-sent; et les prêtres, eux qui
sont chargés de la vigne du Seigneur, que font-ils? Hélas?
répond le saint, ils croupissent dans l'oisiveté, s'amollis-sent
dans les plaisirs5, » et toujours ils s'enfoncent
1. Lapides sanctuarii. Thren. iv. 1.
2. Columnae sanctorum, merita sacerdotum sunt, qui nutantis mundi statum
orationibus sustinent. Hom. de Dedic. eccl.
3. Si pars domus fuerit corrupta, facilis est reparatio. Hom. 47.
4. Coloni populum, quasi vineam, colentes. Hom. 40.
5. Sudant agricolae, putant et fodiunt vinitores. — Torpent otio, madent
deliciis. Declam. n. 10-11.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 195
plus avant dans la paresse et les jouissances ter-restres.
La moisson est abondante, mais il y a peu d'ou-vriers1. Non, les évêques
et les curés ne suffisent pas aux besoins spirituels des peuples;
et si Dieu n'avait pas destiné encore d'autres prêtres pour
secourir les âmes, il n'aurait pas pourvu suffi-samment à
son Église. D'après saint Thomas2, les douze apôtres
chargés par Jésus-Christ de convertir le monde, figurèrent
les évêques ; et les soixante-douze disciples figurèrent
les prêtres, appelés, eux aussi, à sauver les âmes.
Je vous ai choisis, pour que vous rapportiez du fruit3, c'est-à-dire
des âmes; car telle est la moisson que le Rédempteur exige
des prêtres. Saint Augustin les appelle en conséquence les
« administrateurs des intérêts de Dieu4. » Aux
prêtres la mission d'ar-racher du milieu des peuples les vices et
les mau-vaises doctrines, et de mettre à la place de cette ivraie
les vertus et les maximes éternelles. Quand Dieu élève
quelqu'un au sacerdoce, il lui dit comme autrefois à Jérémie
: Voilà qu'aujourd'hui je t'ai établi sur les nations et
sur les royaumes afin que tu arraches et que tu détruises, et que
tu perdes et que tu dissipes, et que tu édifies et que tu plantes5.
Je ne sais comment on peut excuser de péché un prêtre
qui voit autour de lui les âmes dans un
1. Messis quidem multa, operarii autem pauci. Matth. ix. 37. 2. 2.
2. q. clxxxiv. a. 6. 3. Posui vos, ut fructum afferatis. Jo. xv. 16.
4. Eorum quae Dei sunt negotiatores. Ad Frat. in er. s. 36.
5. Ecce constitui te hodie super gentes et super regna, ut evellas,
et destruas, et disperdas, et dissipes, et aedifices, et plantes. Jer.
I.10.
Combien
est coupable
le prêtre
sans zèle,
196 CHAPITRE NEUVIÈME.
pressant besoin de secours spirituels et qui, faute de zèle,
néglige de les aider alors qu'il pourrait les instruire des vérités
de la foi, leur annoncer la parole de Dieu et les entendre à confesse.
Non, je ne sais pas comment il se pourra qu'au jour du jugement ce prêtre
échappe à la condamnation et à la peine portées
par le Seigneur contre ce serviteur paresseux coupable d'avoir enfoui le
talent qu'il devait faire valoir. Car, ainsi que nous le lisons en saint
Matthieu, au lieu de placer dans le commerce l'argent que son maître
lui avait confié, il le cacha; de sorte que, le maître lui
demandant compte de sa gestion, il répondit: J'ai caché votre
talent dans la terre; voici, je vous rends ce qui est à vous1. Or
c'est précisément de quoi son maître le reprend. Comment!
lui dit-il, je t'ai donné un talent à faire valoir : voici
bien le talent, mais le gain, où est-il ? Le maître ajouta
: Reprenez-lui donc son talent, et donnez-le à celui qui a dix talents...
Et jetez ce serviteur inutile dans les ténèbres extérieures2.
Par les ténèbres extérieures, on entend le feu de
l'enfer ; et de fait, disent les interprètes, puisque l'enfer est
séparé du ciel, jamais il n'y pénètre un rayon
de lumière. Or saint Ambroise et d'autres commentateurs, tels que
Calmet, Corneille de la Pierre, Tirin, appliquent ce passage de la parabole
précisément à ceux qui, pouvant travailler au salut
des âmes, ne font rien, soit par négligence, soit par je ne
sais
1. Abscondi talentum tuum in terra ; ecce habes quod tuum est. Matth.
xxv. 25.
2. Tollite itaque ab eo talentum, et date ei qui decem habet talenta
; et inutilem servum ejicite in tenebras exteriores. Ibid. 28. 3o.
I
DU ZÈLE SACERDOTAL. 197
quelle crainte de pécher. « Avis à tous ceux qui,
par indifférence ou par une vaine crainte de pécher, dit
Corneille de la Pierre, ne consacrent pas au salut du prochain les lumières,
les talents qu'ils tiennent de Dieu : nul doute que le Christ ne leur en
demande compte au jour du juge-ment1. » « Qu'on le remarque
bien, reprend saint Grégoire, ce serviteur s'abstient d'utiliser
son ta-lent, et rien que pour cela il est condamné à tout
perdre2. » Pierre de Blois ajoute: « Celui qui emploie les
dons de Dieu à l'avantage du prochain, mérite que Dieu lui
en fasse de plus grands ; mais celui qui cache le talent du maître
se voit enlever même celui qu'il semblait pos-séder3. »
« Il m'est impossible, dit saint Jean Chrysos-tome, de croire
qu'un prêtre puisse se sauver sans avoir rien fait pour le salut
du prochain. » Puis, faisant allusion à la parabole des talents,
il ajoute: « En vain ce prêtre allèguera qu'entre ses
mains le talent n'a pas diminué ; car sa négligence à
l'aug-menter sans cesse, voilà quel sera son crime et la cause de
sa condamnation4. » Saint Augustin
1. Notent hoc, qui ingenio, doctrina, aliisque dotibus sibi a Deo datis,
non utuntur ad suam aliorumque salutem, ob desidiam vel metum peccandi;
ab his enim rationem exposcet Christus in die judicii. In Matth. xxv. 18.
2. Audiant quod talentum qui erogare noluit, cum sententia dam-nationis
amisit. Past. p. 3. c. 1. adm. 26.
3. Qui Dei donum in utilitatem alienam communicat, plenius me-retur
habere quod habet; qui autem talentum Domini abscondit, quod videtur habere,
auferetur ab eo. De Inst. Episc.
4. Neque id mihi persuasi, salvum fieri quemquam posse, qui pro proximi
sui salute nihil laboris impenderit. — Neque juvabit talentum sibi traditum
non imminuisse ; immo hoc ille nomine periit, quod non auxisset et duplicasset.
De Sacerd. 1. 6.
Combien il
expose
son propre salut.
198
CHAPITRE NEUVIÈME.
s'adressant à ceux qui disent: il suffit que j'aie soin
de mon âme, s'écrie: « Malheureux! vous ne pensez donc
pas à ce serviteur qui avait enfoui son talent1! » Non, ajoute
saint Prosper, pour que le prêtre se sauve, ce n'est pas assez qu'il
vive saintement ; car il se perdra avec ceux qui se seront perdus par son
défaut. « Quelque sainte, dit-il, que soit la vie de l'homme
destiné au ministère de la parole, s'il rougit ou s'il craint
de reprendre les pécheurs, lui-même se perd avec tous ceux
qui se perdent à cause de son silence. Et que sert-il de n'être
pas puni pour son propre compte, quand on l'est pour les péchés
d'autrui2? » Nous lisons également dans l'un des canons apostoli-ques:
« Qu'on punisse sans pitié le prêtre qui ne se dévoue
pas au bien des clercs et des fidèles ; s'il s'obstine dans sa négligence,
qu'on le dépose3. » « Comment, se demande saint Léon,
comment osent-ils revendiquer les honneurs attachés au sacerdoce,
eux qui refusent de rien faire pour les âmes4 ? » Un concile
de Cologne porta le décret suivant: « Celui qui veut franchir
les degrés du sanctuaire doit s'y présenter avec le seul
désir d'être le vicaire de Jésus-Christ, afin de s'acquitter
du ministère public que ce divin Sauveur a lui-même établi
dans l'Eglise pour le salut des âmes.
1. Sufficit mihi anima mea. — Eia, non tibi venit in mentem servus
ille qui abscondit talentum ? In Jo. tr. 10.
2. Ille cui dispensatio verbi commissa est, etiàm si sancte
vivat, et tamen perdite viventes arguere aut erubescat aut metuat, cum
om-nibus qui eo tacente perierunt, perit ; et quid ei proderit non puniri
suo, qui puniendus est alieno peccato ? De Vit. cont. l. 1. c. 20.
3. Presbyter qui cleri et populi curam non gerit, segregatur ; et si
in socordia perseveret, deponatur. Can. 57.
4. Qua conscientia honorem sibi debitum vendicant, qui pro ani-mabus
sibi creditis non laborant ? Ep. ad Turrib. c. 16.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
199
Ambitionner à une autre fin les ordres sacrés,
c'est se conduire, selon l'expression de l'Écriture, comme un loup
rapace et un voleur. Aussi à quel châtiment
ne doit-il pas s'attendre1 ! »
« Nul doute, dit saint Isidore, que les prêtres ne se rendent
coupables de péché mortel et ne se chargent de toutes les
iniquités du peuple, quand ils négligent d'instruire les
ignorants ou de reprendre les pécheurs2. » « Que de
fois il arrive, s'écrie saint Jean Chrysostome, que les prêtres
sont condamnés à l'enfer non pas pour les péchés
qu'eux-mêmes ont commis, mais pour ceux qu'ils n'ont pas empêché
les autres de com-mettre.3» D'après saint Thomas, «
le prêtre qui manque par négligence ou par ignorance d'aider
les âmes à faire leur salut rendra compte au tri-bunal de
Dieu de toutes les âmes qu'il aura lais-sées périr4.
» Or le saint docteur parle ainsi du prêtre même exempt
de charge d'âmes. Saint Jean Chrysostome regarde également
comme « destiné à l'enfer avec les impies le prêtre
qui se contente de prendre ses mesures pour son propre salut et ne s'inquiète
pas du salut des autres5. » Un prêtre qui avait vécu
à Rome dans la retraite et
1. Sacerdotio initiandus non alio affectu accedere debet, quam ad submittendos
humeros publico muneri vice Christi in Ecclesia. Qui alio affectu sacros
Ordines ambiunt, hos Scriptura lupos et latrones appellat... Quod ingens
ultio tandem certo subsequetur.
2. Sacerdotes pro populorum iniquitate damnantur, si eos aut igno-rantes
non erudiant aut peccantes non arguant. Sent. 1. 3. c. 46.
3. Saepe non damnantur propriis peccatis, sed alienis quae non coercuerunt.
4. Si enim sacerdos, ex ignorantia vel negligentia, non exponat populo
viam salutis, reus erit apud Deum animarum illarum quae sub ipso perierunt.
De Officio Sac.
5. Si sacerdos suam tantum disposuerit salvare animam, et alienas neglexerit,
cum impiis detrudetur in gehennam.
200
CHAPITRE NEUVIÈME.
les exercices de piété n'en fut pas moins, sur
son lit de mort, saisi de grandes appréhensions au sujet de son
salut éternel. Interrogé sur le motif de ses terreurs: «
Je tremble, répondit-il, parce que je n'ai pas travaillé
au salut des âmes. » Il avait bien raison de craindre, car,«
de même que le Seigneur compte sur les prêtres pour sauver
les âmes et les arracher au vice, ainsi faudra-t-il que le prêtre
infidèle à ce devoir rende compte de toutes les âmes
perdues par sa faute. Si moi je dis à l'impie : Tu mourras de mort,
et que tu ne le lui annonces pas et ne lui parles pas pour qu'il se détourne
de sa voie impie, et qu'ainsi il arrive que l'impie, persévérant
dans sa mauvaise vie, meure dans son iniquité, je rede-manderai
son sang à tes mains1. Autant il y aura d'âmes perdues par
la négligence de ces prêtres sans zèle, autant il y
aura de rigueurs déployées contre ces prêtres au tribunal
de Dieu, et, comme le dit saint Grégoire, « certainement leur
respon-sabilité s'aggrave de tout le bien qu'ils ont né-gligé
de faire au prochain2. »
Jésus-Christ a donné tout son sang pour rache-ter les
âmes. Vous avez été rachetés à grand
prix3, dit l'Apôtre. Puis, ces mêmes âmes, le Rédemp-teur
les a confiées aux soins des prêtres. « Malheur à
moi, disait en conséquence saint Bernard, mal-heur à moi,
si, oublieux de ma vocation ;sacer-
1. Si dicente me ad impium : Morte morieris ; — non annuntiaveris ei,
neque locutus fueris ut avertatur a via sua impia, et vivat, ipse impius
in iniquitate sua morietur, sanguinem autem ejus de manu tua requiram.
Ezech. iii. 18.
2. Ex tantis procul dubio rei sunt, quantis, venientes ad publicum,
prodesse potuerunt. Past. p.1. c. 5.
3. Empti enim estis pretio magno. I Cor. vu 20.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 201
dotale, je néglige les âmes, ce trésor estimé
par le Sauveur plus précieux même que son sang di-vin1 ! »
« Les séculiers, dit un ancien auteur, n'ont chacun à
répondre que de leurs propres péchés, mais le prêtre
doit répondre des péchés de tous les hommes2. »
L'Apôtre l'avait déjà déclaré: Ce sont
eux qui veillent, comme devant rendre compte de vos âmes3. »
Ainsi le prêtre est res-ponsable de tous les péchés
auxquels il a négligé de porter remède. « Quand
les fidèles pèchent, dit saint Jean Chrysostome, on s'en
prend aux prêtres4. » De là cette remarque de saint
Augus-tin: « Si, au jour du jugement, chaque fidèle ne pourra
qu'à grand'peine rendre compte pour lui-même, que sera-ce
du prêtre, ayant à répondre de tant d'autres âmes5?
» Saint Bernard, parlant de ceux qui s'engagent dans le sacerdoce
non pas pour travailler au salut des âmes, mais pour vivre à
leur aise, déclare qu'ils feraient mieux de bêcher la terre
et de mendier leur pain; car, au jour du ju-gement, retentiront à
leurs oreilles les reproches de chacune des âmes perdues par leur
négligence. « Ah ! s'écrie le saint, qu'il vaudrait
mieux pour eux travailler la terre ou même mendier de porte en porte
! Viennent un jour ces malheureux prê-tres au tribunal de Jésus-Christ:
oh ! alors, quels
1. Si depositum, quod sibi Christus sanguine proprio pretiosius judicavit,
contigerit negligentius custodire. In Adv. Dont. s. 3.
2. Unusquisque pro suo peccato reddet rationem ; sacerdotes pro omnium
peccatis. Hom. 38.
3. Ipsi enim pervigilant, quasi rationem pro animabus vestris red-dituri.
Heb. xiii. 17.
4. Quod alii peccant, illi imputatur. In Act. hom. 3.
5. Si pro se unusquisque vix poterit, in die judicii, rationem reddere,
quid de sacerdotibus futurum est, a quibus sunt omnium animae re-quirendae
? Serm. 387. E. B. app.
202
CHAPITRE NEUVIÈME.
Combien Dieu
désire
notre salut.
reproches leur adresseront ceux dont ils auront accepté
l'argent et épargné les vices1 ! »
II.
QUEL PLAISIR UN PRETRE FAIT
A DIEU EN TRAVAILLANT AU SALUT
DES AMES.
Pour comprendre combien Dieu désire le salut des âmes,
il suffit de le considérer à l'œuvre dans le grand ouvrage
de notre Rédemption. Avec quelle force Jésus-Christ n'exprime-t-il
pas ce désir, quand il dit : Je dois être baptisé d'un
bap-tême ; et quelles angoisses je me sens jusqu'à ce qu'il
s'accomplisse2 ! Il se sentait donc en quelque sorte défaillir,
tant était violent son désir de voir se réaliser l'œuvre
de la Rédemption et les âmes rentrer dans la voie du salut
! De là saint Jean Chrysostome conclut fort justement que «
rien n'intéresse Dieu et ne l'occupe comme le salut des âmes3
». Avant lui, saint Justin avait dit: « Rien ne plaît
à Dieu autant que les travaux entrepris pour aider les âmes
à s'élever de vertus en vertus 4. » C'est aussi ce
que le Seigneur déclara lui-même à un prêtre,
Bernard Colnado, qui ne reculait devant aucune fatigue pour con-
1. Bonum erat magis fodere, aut etiam mendicare. Venient, venient ante
tribunal Christi; audietur populorum querela, quorum vixere stipendiis,
nec diluerunt peccata ? Declam. n. 19.
2. Baptismo autem habeo baptizari ; et quomodo coarctor, usquedum perficiatur
? Luc. xii. 5o.
3. Nihil ita gratum Deo, et ita curae, ut animarum salus. In Gen. hom.
3.
4. Nihil tam Deo gratum, quam operam dare ut omnes reddantur meliores.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 203
vertir les pécheurs. « Persévère, lui dit-il,
dans tes grands travaux; tout ce qu'on fait pour sauver les pécheurs
m'est particulièrement agréable1. » « En vérité,
s'écrie Clément d'Alexandrie, Dieu montre une telle sollicitude
pour sauver l'homme qu'il semble n'avoir rien autre chose à faire
2. » Voilà pourquoi saint Laurent Justinien donne aux prêtres
cet avis : « Si vous voulez honorer Dieu, vous ne pouvez mieux faire
que de travailler au salut du prochain 3. »
D'après saint Bernard, une âme l'emporte aux regards de
Dieu sur le monde entier. « Tout l'univers, dit le saint docteur,
ne vaut pas ce que vaut une âme4. » Aussi en convertir une
seule, c'est réjouir le cœur de Dieu bien plus que si on donnait
toute sa fortune aux pauvres ; et, comme le dit saint Jean Chrysostome,
« quand même vous distribueriez d'immenses richesses en aumônes,
ce serait moins que si vous convertissiez une seule âme5. »
Dieu, ajoute Tertullien, attache autant d'importance au salut d'une seule
brebis égarée qu'au salut de tout le troupeau. «Voyez,
dit-il: une seule brebis s'égare, et pour elle le pasteur laisse
tout son troupeau6. » C'est pourquoi, afin de nous faire comprendre
que Jésus-Christ serait
1. Labora pro salute peccatorum ; hoc enim prae omnibus est mihi carissimum.
2. Nihil aliud est Domino curae, praeterquam hoc solum opus, ul homo
salvus fiat. Orat. ad Gentes.
3. Si Deum honorare conaris, non aliter melius, quam in hominis salute,
poteris actitare. De Compunct. p. 2.
4. Totus iste mundus ad unius animae pretium aestimari non potest Medit.
c. 3.
5. Etsi ingentes erogaveris pecunias, plus efficieris, si unam con-verteris
animam. In I Cor. hom. 3.
6. Erat una pastoris ovicula ; sed grex una carior non erat. De Pœnit.
Et quel prix il y attache.
204
CHAPITRE NEUVIÈME.
mort pour sauver une seule âme, tout aussi bien qu'il est
mort pour nous sauver tous, l'Apôtre disait : Il m'a aimé
et il s'est livré lui-même pour moi1. « Oui, dit saint
Jean Chrysostome expli-quant ce texte, le Christ aurait consenti à
se pro-diguer ainsi tout entier, ne fût-ce que pour sau-ver une seule
âme2. » Notre divin Rédempteur lui-même le donne
bien à entendre dans la para-bole de la drachme perdue. «
En effet, dit le Docteur angélique, quand la drachme est retrou-vée,
il convoque tous les anges pour qu'ils adres-sent leurs félicitations
non pas à l'homme, mais à lui-même, comme si l'homme
était le dieu de Dieu, comme si la perte de l'homme compromet-tait
les intérêts divins, et que la Divinité ne pût
être heureuse sans l'homme 3. » Plusieurs auteurs rapportent
que l'évêque saint Carpus eut une fois la vision suivante
: un pécheur scandaleux venait de ravir à un chrétien
son innocence en l'entraînant dans le mal ; et, comme c'était
préci-sément au bord d'un précipice que le pécheur
scandaleux se rencontrait avec le saint, celui-ci, dans l'ardeur de son
zèle, voulait l'y précipiter. Tout à coup apparut
Jésus-Christ étendant sa main vers le pécheur pour
le soutenir, en même temps qu'il disait à Carpus : «
Frappe-moi plutôt, car je suis disposé à mourir de
nouveau pour les
1. Dilexit me et tradidit semetipsum pro me. Gal. II. 10. 2. Neque
enim recusaturus esset, vel ob unum hominem tantam exhibere dispensationem.
3. Omnes Angelos convocat ad congratulandum, non homini, sed
sibi, quasi homo Dei Deus esset, et tota salus divina ab ipsius inven-tione
dependeret, et quasi sine ipso beatus esse non posset. De Beat. c.
7.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 205
pécheurs1. » En d'autres termes: Arrête, et
que tes coups tombent plutôt sur moi ; car une fois déjà
j'ai donné ma vie pour ce pécheur, et je suis disposé
à la donner une seconde fois afin d'em-pêcher sa perte.
« Ce qui constitue véritablement l'esprit ecclé-siastique,
dit Louis Habert, c'est un zèle brûlant pour la gloire de
Dieu et le salut du prochain2. » Aussi Noël Alexandre déclare-t-il
que « personne ne doit être admis au sacerdoce s'il veut s'oc-cuper
non pas des autres, mais uniquement de lui-même3. » Nous lisons
dans l'Exode4 que les prêtres devaient, par ordre du Seigneur, porter
une robe toute parsemée de broderies en forme d'yeux, et cela, remarque
un interprète, afin de rappeler aux prêtres qu'ils doivent
être tout yeux pour saisir l'occasion d'aider le prochain. «
C'est de l'amour, dit saint Augustin, que procède le zèle
pour sauver les âmes et pour faire régner la divine charité
dans tous les cœurs. Donc, ajoute le saint, celui qui n'a pas de zèle
n'aime pas Dieu, et celui qui n'aime pas Dieu demeure dans la mort, en
attendant qu'il se perde pour tou-jours 5. » Veiller aux intérêts
de son âme, c'est
1. Percute me, quia iterum pro peccatoribus mori paratus sum.— Le premier
de ces auteurs est saint Denys l'Aréopagite (Ep. ad Demoph.), et
ce saint Carpus est probablement celui dont parle saint Paul, II Tim. iv.
13.
2. Essentialiter consistit in ardenti studio promovendi gloriam Dei
et salutem proximi. De Sacr. Ord. p. 3. c. 5.
3. Quis ferat presbyterum ordinari, ut sibi tantum vacet, et non aliis
? De Ord. c. 3. a. 5. reg. 22.
4. Exod. xxviii-
5. Zelus est effectus amoris; ergo, qui non zelat, non amat; qui non
amat, manet in morte.
Ce que
Dieu attend
surtout
des prêtres,
206
CHAPITRE NEUVIÈME.
faire assurément une chose agréable à Dieu
; mais c'est réjouir davantage le cœur de notre Dieu que de veiller
en même temps aux intérêts du pro-chain. « Nul
doute, dit saint Bernard, que tu ne fasses très bien de prendre
soin de ton âme, mais celui qui déploie son zèle autour
de lui fait beau-coup mieux1. » Voici, d'après saint Jean
Chry-sostome, la principale marque à laquelle le Sei-gneur reconnaît
les âmes fidèles et aimantes : le dévouement aux intérêts
du prochain. « Une âme ne saurait mieux montrer sa fidélité
et son amour envers Jésus-Christ, dit le saint docteur, qu'en se
dévouant pour le prochain : voilà bien la cha-rité
dans sa plus haute manifestation2. » Après que le Seigneur
eut jusqu'à trois fois interrogé saint Pierre pour savoir
s'il l'aimait: Simon, fils de Jean, m'aimes-tu3 ? et que saint Pierre l'eut
assuré de son amour : eh bien, lui dit Jésus, pais mes agneaux4,
témoignant par ces paroles que, pour toute marque d'amour, il demandait
à saint Pierre de se dévouer au salut des âmes. «
Il pou-vait, remarque à ce propos saint Jean Chrysos-tome, il pouvait
lui dire : Si tu m'aimes, renonce à tout, embrasse toutes
sortes de pénitences, use ta vie dans le travail. Mais non, il se
contente de lui dire: Pais mes agneaux 5. » Saint Augustin,
1. Tu quidem, in tui custodia vigilans, bene facis; sed, qui iuvat
multos, melius facit. In Cant. s. 12.
2. Nihil adeo declarat quis sit fidelis et amans Christi, quam si fratrum
curam agat ; hoc maximum amicitiae argumentum est. Serm. de B. Philog.
3. Simon Joannis, amas me ? Jo. xxi. 17.
4. Pasce oves meas.
5. Poterat dicere : Si amas me, abjice pecunias, jejunia exerce, ma-cera
te laboribus. Nunc vero ait : Pasce oves meas. Serm. de B. Philog.
DO ZÈLE SACERDOTAL. 2O7
de son côté, fait, sur cette expression mes agneaux,
la réflexion suivante : « Le Seigneur a voulu dire par là
: Pais mon troupeau, en le regardant non pas comme ta propriété,
mais comme la mienne : cherche donc ma gloire et non pas la tienne, mon
profit et non pas le tien1. » C'est ainsi, d'après saint Augustin,
que, pour plaire à Dieu en travail-lant au salut des âmes,
nous devons chercher non pas notre gloire et notre avantage, mais unique-ment
la plus grande gloire de Dieu.
Sainte Thérèse confessait qu'en lisant les Vies des saints
martyrs et celles des saints missionnai-res, elle portait envie moins aux
premiers qu'aux seconds, vu la grande gloire que procurent à Dieu
ceux qui travaillent à convertir les pé-cheurs2. Sainte Catherine
de Sienne baisait sur la terre les vestiges des prêtres qui consacrent
leur vie à travailler pour le salut des âmes. Tel était
le zèle de cette sainte pour le. salut des pécheurs, qu'elle
aurait voulu se tenir à la porte de l'enfer afin d'empêcher
qu'aucune âme n'en franchisse jamais le seuil. Et nous qui sommes
prêtres, que disons-nous? que faisons-nous ? Assisterons-nous toujours
en simples spectateurs à la perte de tant d'âmes ?
Saint Paul nous assure qu'afin de sauver les âmes, il aurait
consenti, pour un temps, ainsi que l'expliquent les interprètes,
à vivre loin de Jésus-Christ. Je désirais, dit-il,
être moi-même comme anathème, séparé de
Jésus-Christ pour
1. Sicut meas pasce, non sicut tuas; gloriam meam in eis quaere non
tuam ; lucra mea, non tua. In Jo. tr. 123. 2. Fond. ch. 1.
Et quel fut le dévouement
des saints pour les âmes.
208 CHAPITRE NEUVIÈME.
mes frères1. Saint Jean Chrysostome aurait con-senti , pour
convertir son peuple, à perdre toute considération devant
les hommes.« Oui, s'é-criait-il, que je sois traité
comme le dernier des hommes : pourvu que vous vous convertissiez, j'y consens
de tout mon cœur 2. » Saint Bonaven-ture déclarait qu'autant
il y avait de pécheurs sur la terre, autant de fois il aurait volontiers
subi la mort pour les sauver tous3. — Surpris par l'hiver pendant qu'il
évangélisait les hérétiques du Chablais, saint
François de Sales n'hésita point à passer chaque jour
un torrent en se traî-nant sur une poutre couverte de glace, afin
d'aller ainsi, avec tant de peine et au péril de sa vie, prêcher
ces malheureuses populations. — Saint Gaétan, se trouvant à
Naples lors de la terrible révolution de 1647, fut si profondément
affligé de voir tant d'âmes se perdre qu'il en mourut de douleur.
— Saint Ignace de Loyola disait un jour : Si j'avais la certitude qu'en
mourant aussi-tôt j'irais tout droit au ciel, néanmoins j'aimerais
mieux vivre encore, afin de continuer, même dans l'incertitude de
mon salut, à travailler pour les âmes.
Voilà de quel zèle sont animés tous les prêtres
qui aiment Dieu. Cependant on en trouve que le plus léger motif,
une indisposition, ou seulement la crainte d'une indisposition, réduit
à l'inaction. Et quelques-uns ont charge d'âmes ! Comme le
dit
1. Optabam enim ego ipse anathema esse a Christo pro fratribus meis.
Rom. ix. 3.
2. Millies optarem ipse exsecrabilis esse, si per hoc liceret animas
vestras convertere. In Act. hom. 3.
3. Stim. div. am. p. 2. c. II.
DU ZELE SACERDOTAL. 209
saint Charles Borromée, un curé qui veut jouir de toutes
ses aises et ne rien négliger pour con-server sa santé, ne
pourra jamais satisfaire à ses obligations. Selon le même
saint, un curé ne doit se décider à garder le lit
qu'après trois, accès de fièvre. « Si vous aimez
Dieu, dit saint Au-gustin, attirez tous les hommes à l'amour de
Dieu1.» Ainsi fait celui qui aime vraiment Dieu: il met tout en œuvre
pour que les autres l'aiment aussi ; et, comme David qui s'écriait
: Glorifiez le Seigneur avec moi, et tous ensemble exaltons son nom2, ainsi
s'en va le prêtre zélé: partout, en chaire, au confessionnal,
sur les places publi-ques, dans les maisons, il dit à tous : Mes
frères, aimons Dieu ; par nos paroles et par notre con-duite glorifions
son saint nom.
III.
COMBIEN LE PRETRE ASSURE SON SALUT
EN TRAVAILLANT AU SALUT DU PROCHAIN,
ET QUELLE
RÉCOMPENSE LUI EST RÉSERVÉE
DANS LE CIEL.
Il n'est guère possible qu'un prêtre termine par une mauvaise
mort une vie consacrée au salut des âmes. Si tu prodigues
ton âme à celui qui souffre de la faim, dit Isaïe, et
si tu remplis de consolation une âme affligée, la lumière
se lèvera dans les ténèbres... Le Seigneur te donnera
le repos, et il remplira ton âme de splendeurs, et
1. Si amatis Deum, rapite omnes ad amorem Dei. In Ps. xxxiii. en. 2.
2. Magnificate Dominum mecum, et exaltemus nomen ejus in idip-sum. Ps.
xxxiii. 4.
LE PRÊTRE. —T.I 14
Les ouvriers
évangéliques se
sauvent
sûrement ;
210
CHAPITRE NEUVIÈME.
il délivrera tes os1. En d'autres termes, après
avoir passé ta vie à secourir les âmes dans le besoin
et à les consoler dans leurs afflictions, nul doute que le Seigneur
ne fasse luire sa lu-mière à travers les ombres du trépas
et ne te délivre de la mort éternelle. Telle était
la pensée de saint Augustin quand il disait : « En sauvant
une âme, tu prédestines la tienne2. » Et déjà
l'apôtre saint Jacques avait dit : Celui qui ramè-nera un
pécheur de l'égarement de sa voie, sau-vera son âme
de la mort et couvrira la multitude de ses péchés3. Qui sauvera
son âme ? celui qui convertit un pécheur, comme il résulte
du texte grec. Un père jésuite, qui s'était dépensé
tout entier pour la conversion des pécheurs, montrait sur son lit
de mort une telle allégresse et une si grande assurance de son salut,
lisons-nous dans le Ménologe de la Compagnie, que ses confrères,
le taxant de présomption, lui firent observer qu'il sied à
un mourant non seulement d'espérer, mais encore de craindre: Quoi
donc? leur répondit le moribond, est-ce que par hasard j'ai servi
Maho-met ? Non, non, c'est un Dieu libéral et fidèle que
j'ai servi: dès lors qu'ai-je à craindre? — Nous avons entendu
plus haut saint Ignace de Loyola protester que, pour se rendre utile aux
âmes, il aurait volontiers continué de vivre, même dans
l'incertitude de son salut, alors qu'en mourant
1. Cum effuderis animam tuam, et animam afflictam repleveris, orietur
in tenebris lux tua... ; et requiem tibi dabit Dominus semper, et implebit
splendoribus animam tuam, et ossa tua liberabit. Is. LVIII. 10.
2. Animam salvasti, animam tuam praedestinasti.
3. Qui converti fecerit peccatorem ab errore viae suae, salvabit animam
eius (suam) a morte, et operiet multitudinem peccatorum. Jac. v. 20.
Et que leur bonheur soit retardé.
DU ZELE SACERDOTAL. 2 I I
aussitôt il fût certainement entré dans le ciel.
A ce propos quelqu'un s'étant écrié : « Mais,
mon Père, il n'est pas prudent de risquer votre salut au profit
des autres, » le saint répondit: « Eh quoi! regardez-vous
Dieu comme un tyran? Pensez-vous donc qu'après m'avoir vu exposer
mon salut pour lui gagner des âmes, il veuille ensuite me jeter en
enfer ? »
Impossible qu'ils se perdent,
Jonathas venait, par ce brillant fait d'armes qui avait failli lui
coûter la vie, de sauver les Hé-breux des mains des Philistins,
quand Saül le condamna à la mort pour avoir, malgré
sa dé-fense, mangé un peu de miel. Mais le peuple se mit
à crier: Quoi donc! Jonathas mourra, lui qui a procuré le
salut d'Israël par cette grande vic-toire 1 ! Voulez-vous donc, ô
roi, faire périr celui qui nous a tous sauvés de la mort.
? Grâce à ces plaintes du peuple, Jonathas fut épargné.
Or voilà précisément ce que peut espérer un
prêtre zélé. Elles accourront autour de son lit de
mort, toutes les âmes qui devront leur salut à ses fati-gues,
et, élevant la voix : Seigneur Jésus, diront-elles, eh quoi!
voulez-vous jeter en enfer celui qui nous a ouvert le ciel ? Et si Saül,
à la prière du peuple, accorda la grâce de Jonathas,
certai-nement Dieu, en considération de ces âmes bien-aimées,
usera de miséricorde envers ce prêtre.
Sur le point de mourir, les prêtres zélés enten-dront
Dieu lui-même les inviter au repos, selon ce que nous apprend l'apôtre
: A présent, dit l'Esprit, qu'ils se reposent de leurs travaux,
car
1. Ergone Jonathas morietur, qui fecit salutem hanc magnam in Israel
? I Reg. xiv. 45.
Combien leur
récompense
sera magnifique :
212 CHAPITRE NEUVIÈME.
leurs œuvres les suivent1 . Oh ! quelle consolation et quelle assurance
au moment de la mort, que la pensée d'avoir gagné une âme
à Jésus-Christ ! De même que le sommeil est doux au
travailleur harassé de fatigue2, ainsi la mort ne présente
que douceur au prêtre consumé par le labeur apos-tolique.
Quant aux péchés qui lui restent, « il est certain,
dit saint Grégoire, que plus un prêtre aura, dans ses actions
et dans ses discours, dé-ployé de zèle à délivrer
les âmes de la servitude du péché, plus il lui sera,
facile d'obtenir le par-don de ses propres péchés3. »
Heureux donc celui qui s'emploie à convertir les pécheurs
! C'est un grand signe de prédesti-nation, et nul doute que son
nom ne se trouve inscrit au Livre de vie. L'Apôtre le donne bien
à entendre lorsque, parlant de ceux qui l'aidaient dans l'œuvre
de la conversion du monde, il écrit : Je te prie aussi, toi mon
compagnon fidèle, aide celles qui ont travaillé avec moi
pour l'Evangile, avec Clément et mes autres coopérateurs,
dont les noms sont dans le Livre de vie4. Qu'on remarque ces derniers mots
: leurs noms sont dans le Livre de vie.
Pour ce qui concerne la magnifique récompense réservée
aux ouvriers évangéliques, écoutons tout
1. Amodo jam, dicit Spiritus, ut requiescant a laboribus suis; opera
enim illorum sequuntur illos. Apoc. xiv. 13.
2. Dulcis est somnus operanti. Eccl. v. 11.
3. Tanto celerius quisque a suis peccatis absolvitur, quanto, per ejus
vitam et linguam, aliorum animae solvuntur.
4. Etiam rogo et te, germane compar : adjuva illas quae mecum laboraverunt
in Evangelio, cum Clemente et caeteris adjutoribus meis, quorum nomina
sunt in Libro vitae. Phil. iv. 3.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 213
d'abord le prophète Daniel : Ceux qui enseignent la justice
à un grand nombre brilleront, comme autant d'étoiles, dans
les perpétuelles éternités1. Tels que les étoiles
dont la beauté brille au firma-ment, ainsi, et bien plus resplendissants
encore, brilleront au séjour des élus tous ceux qui s'em-ploient
ici-bas à convertir les pécheurs. « Sans doute, dit
saint Grégoire, il mérite une récom-pense celui qui
arrache son semblable pour quel-que temps à la mort. Mais combien
plus ne mé-rite-t-il pas d'être récompensé,
celui qui sauve une âme de la mort éternelle et qui lui procure
la vie pour toute l'éternité2 ? » Le Sauveur nous le
dit lui-même : Celui qui fera et enseignera, celui-là sera
appelé grand dans le royaume des cieux 3. Si un mauvais prêtre
se damne, quel supplice n'endurera-t-il pas en enfer pour avoir par ses
scandales perverti une foule d'âmes ! Mais aussi se peut-il que Dieu,
dont la libéralité à récom-penser l'emporte
de beaucoup sur sa sévérité à punir, ne récompense
pas magnifiquement dans le ciel ce prêtre fervent qui ne recula devant
aucune fatigue pour lui gagner des multitudes d'âmes? Saint Paul
fondait ses espérances de bonheur éternel sur les âmes
qu'il avait converties et sau-vées. Car, s'écriait-il, dans
l'attente de la grande récompense qu'elles lui mériteraient
au ciel, quelle est notre espérance, ou notre joie, ou notre cou-
1. Fulgebunt..., qui ad justitiam erudiunt multos, quasi Stellae in
perpetuas aeternitates. Dan. xii. 3.
2. Si magnae mercedis est a morte eripere carnem quandoque mo-rituram,
quanti est meriti a morte animam liberare sine fine victuram. Mor. l. 19.
c. 16.
3. Qui autem fecerit et docuerit, hic magnus vocabitur in regno cœlorum.
Matth. v. 19.
A proportion des âmes
qu'ils auront sauvées
214
CHAPITRE NEUVIEME.
ronne de gloire? N'est-ce pas vous, devant Notre Seigneur Jésus-Christ
à son avènement1 ? « Un prêtre zélé,
remarque saint Grégoire, se prépare autant de couronnes pour
le ciel qu'il fait de con-quêtes parmi les âmes2. » Viens
du Liban, est-il dit dans le Cantique des cantiques, viens du Liban, ô
mon épouse, viens, et tu seras couronnée... des antres des
lions et des montagnes des léopards3. Telle est la magnifique promesse
que reçoit du Seigneur quiconque s'emploie à convertir les
pé-cheurs. Ces âmes étaient autrefois des bêtes
féro-ces, de vrais monstres d'enfer; mais en se con-vertissant elles
sont devenues agréables à Dieu, et un jour, comme autant
de perles précieuses, elles orneront la couronne de ce prêtre
qui les a remises sur la route du ciel. Un prêtre qui se damne, ne
se damne pas seul; et un prêtre qui se sauve, ne se sauve certainement
pas seul. Quand saint Philippe de Néri eut rendu le dernier soupir
et que son âme s'éleva vers le ciel, le Seigneur envoya à
sa rencontre toutes les âmes qui lui devaient leur salut. — On raconte
la même chose d'un autre grand serviteur de Dieu, le frère
Ché-rubin de Spolète, qu'on vit entrer dans la gloire en
compagnie de plusieurs milliers d'âmes aux-quelles par ses travaux
il avait ouvert les portes du ciel. — Et du vénérable père
Louis Lanuza, on rapporte qu'on le vit assis dans le ciel sur un
1. Quae enim nostra spes, et gaudium, aut corona gloriae ? Nonne vos
ante Dominum nostrum Jesum Christum estis in adventu ejus ? IThess. II.
19.
2. Tot coronas sibi multiplicat, quot Deo animas lucrifacit.
3. Veni de Libano, sponsa mea, veni de Libano, veni ; coronaberis...
de cubilibus leonum, de montibus pardorum. Cant. iv. 8.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
215
trône sublime dont les degrés étaient couverts
par toutes les âmes qu'il avait converties.
Que n'ont pas à souffrir les pauvres laboureurs ! Combien ils
se fatiguent et suent pour cultiver leurs champs, les ensemencer, faire
la moisson ! Mais à cela succède la joie de la récolte,
et alors ils s'estiment amplement récompensés de toutes leurs
peines. Au départ, ils allaient et ils pleuraient, en répandant
leurs semences; mais, au retour, ils marcheront avec allégresse,
les mains pleines de gerbes1. Il est vrai qu'on rencontre toutes sortes
d'ennuis et de fatigues dans l'œuvre de la con-version des âmes.
Mais aussi quelle gloire que celle des ouvriers évangéliques,
lorsque, dans la vallée de Josaphat, ils viendront, enivrés
de joie, se présenter devant Jésus-Christ avec les âmes
sauvées à la sueur de leur front!
S'il arrive qu'après avoir tout tenté pour ra-mener à
Dieu certains pécheurs, le prêtre voie ses efforts frappés
d'insuccès, alors qu'il ne se décourage pas, et qu'il n'abandonne
pas son su-blime ministère. « Prêtre de Jésus-Christ,
lui dit saint Bernard pour l'animer au travail, gardez-vous de perdre courage.
Qu'importe l'insuccès ? Votre récompense n'en est pas moins
certaine. Ce que Dieu demande de vous, ce n'est pas que vous rendiez la
santé aux âmes, mais seulement que vous en ayez soin et que
vous essayiez de les guérir. Car enfin voici les paroles de Dieu
: Prends soin de lui, et non pas : guéris-le et rends-lui la santé.
L'Ecriture sainte dit bien : Chacun recevra
1. Euntes ibant et flebant, mittentes semina sua ; venientes autem
venient cum exsultatione, portantes manipulos suos. Ps. cxxv. 6.
Ou voulu sauver.
2l6
CHAPITRE NEUVIÈME.
Tout
pour la gloire
de Dieu:
son propre salaire selon son travail; elle ne dit pas : selon
le succès. Elle ajoute : Le Seigneur rendra aux justes la récompense
de leurs travaux, et ainsi mesurera-t-il la récompense non sur les
résultats, mais sur les efforts1. » Saint Bona-venture confirme
cette doctrine quand il écrit : « Soit que les travaux du
prêtre produisent de grands fruits dans les âmes, soit que
celles-ci en profitent peu ou même n'en profitent pas, jamais le
prêtre ne sera frustré de sa récompense. Car l'Apôtre
a dit : « Chacun recevra, non pas selon ses succès, mais selon
son travail2. » Le saint docteur ajoute : « A travailler une
terre aride et pierreuse, on récolte moins de fruits, mais on mé-rite
un salaire plus élevé 3. » En d'autres termes, quand
un prêtre échoue dans ses efforts pour ramener à Dieu
un pécheur endurci, alors plus son labeur a été grand,
plus grande aussi sera sa récompense.
IV.
A QUELLE FIN, COMMENT,
ET PAR QUELLES ŒUVRES DE
ZELE LE PRETRE DOIT
SE DÉPENSER POUR LES AMES.
Si nous voulons recevoir de Dieu la récom-pense de nos travaux
pour le salut des âmes,
1. Noli diffidere ; curam exigeris, non curationem. Denique audisti
: Curam illius habe ; et non : Cura, vel sana illum ; — quia unusquisque
secundum suum laborem accipiet, et non secundum proventum; red-det Deus
mercedem laborum sanctorum suorum. De consid. l.4. c. 2.
2. Non minus meretur in illis qui deficiunt vel modicum proficiunt,
quam in his qui maxime proficiunt ; non enim dixit Apostolus : Unus-quisque
propriam mercedem accipiet secundum suum profectum; sed, secundum suum
laborem. De sex Alis Ser. c. 5.
3. In terra sterili et saxosa, etsi fructus paucior, sed pretium majus.
Ibid.
DU ZELE SACERDOTAL. 217
nous devons, dans tout ce que nous faisons, agir non par respect humain,
ni par vanité ou par intérêt, mais uniquement en vue
de Dieu et de sa gloire. Autrement, au lieu de récompenses, nous
ne recevrions que des châtiments. « Ce serait une grande folie,
disait le bienheureux Joseph Cala-sanze, si, pour prix de nos fatigues,
nous atten-dions une récompense telle qu'en peuvent donner les hommes.
»
Quelle mission dangereuse que celle de tra-vailler au salut des âmes
! « Rien n'est formidable, dit saint Thomas, comme d'avoir à
répondre de la conduite des autres1. » « Autant un supérieur
voit de sujets soumis à ses ordres, dit saint Gré-goire,
autant il aura de comptes à rendre devant le tribunal de Jésus-Christ
; car il s'y présentera chargé de toutes ces âmes2.
» Avec le secours divin, nous pouvons nous en tirer sans péché
et d'une façon méritoire. Mais au prêtre qui ne tra-vaille
pas uniquement pour plaire à Dieu, le se-cours divin fera défaut
: comment s'y prendra-t-il alors pour ne pas tomber dans le péché
? « Oui, comment s'y prendront-ils, tous ceux qui s'en-gagent dans
les ordres sacrés pour amasser de l'argent et non pas pour sauver
les âmes3 ? » dit saint Bonaventure ; ou, comme le dit saint
Prosper, « tous ceux qui ont en vue non leur perfection, mais leur
fortune, non la sainteté,
1 .Maximum periculum de factis alterius rationem reddere. In Heb. c.
13. lect.3.
a. Quot regendis subditis praeest, reddendae apud eum (Christum Judicem)
rationis tempore, ut ita dicam, tot solus animas habet. Mor. 1. 24. c.
3o.
3. Ad sacros Ordines accedunt, non salutem animarum, sed quaestum pecuniarum
quaerentes. De praep. ad M. c. 8.
2l8 CHAPITRE NEUVIÈME.
mais les honneurs1 ? » Lorsqu'un bénéfice est mis
au concours, croyez-vous qu'on s'inquiète de savoir quel bien on
y pourrait faire aux âmes? « Nullement, répond Pierre
de Blois. Aujour-d'hui, quand il est question de se pourvoir d'un bénéfice,
on veut savoir quels revenus on en reti-rera : après cela, qu'importent
les besoins des âmes2! » La plupart, dit l'Apôtre, cherchent
leurs propres intérêts et non pas ceux de Jésus-Christ3.
« Oh ! l'exécrable abus ! s'écriait le vénérable
père Jean d'Avila, subordonner le ciel à la terre ! »
Saint Bernard fait observer que Notre-Seigneur, recommandant son troupeau
à saint Pierre, lui dit de paître ses brebis et non pas de
leur enlever le lait et la laine4. Un ancien auteur ajoute dans le même
sens : « Nous sommes des mercenaires, loués par le Père
de famille. De même qu'on ne loue pas un serviteur dans le but exclusif
de pourvoir à sa subsistance, ainsi nous n'avons pas été
appelés au service de Jésus-Christ unique-ment pour ne manquer
de rien, mais bien pour procurer la gloire de Dieu5. « Aussi saint
Gré-goire veut-il « que les prêtres se réjouissent
d'être, non pas supérieurs, mais utiles aux autres6. »
La gloire de Dieu : voilà donc ce que nous
1. Non ut meliores, sed ut ditiores ; nec ut sanctiores, sed ut hono-ratiores
sint. De Vita cont. l. 1. c. 21.
2. Hodie, in promotione quorumdam, prima quaestio est, quae sit summa
reddituum, non quae sit conversatio subjectorum. Epist. 15.
3. Quae sua sunt, quaerunt, non quae sunt Jesu Christi. Phil. II. 21.
4. Pasce oves meas ; nec mulge, seu tonde. Declam. n. 12.
5. Mercenarii sumus conducti ; sicut ergo nemo conducit mercena-rium
ut solum manducet, sicut et nos, non ideo vocati sumus a Christo ut solum
operemur quae ad nostrum pertinent usum, sed ad gloriam Dei. Hom. 34.
6. Nec praeesse se hominibus gaudeant, sed prodesse. Past. p. 2. c.
6.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
219
devons avoir uniquement devant les yeux en tra-vaillant pour
les âmes.
Parmi les moyens à prendre pour convertir les pécheurs,
le prêtre doit mettre au premier rang le soin de sa propre sanctification.
C'est avant tout par la sainteté qu'il gagnera les âmes à
Dieu. « Les prêtres, dit saint Eucher, portent le monde entier
sur leurs épaules, et, grâce à la puissance de leur
sainteté, ils ne fléchissent pas sous le poids1. »
Le prêtre, en sa qualité de médiateur, a pour office
de mettre la paix entre Dieu et les hommes. «Car, dit saint Thomas,
le médiateur n'existe que pour unir les deux parties entre lesquelles
il interpose sa médiation2. » Or, à moins de vou-loir
irriter de plus en plus la personne offensée, il ne faut pas que
le médiateur lui soit odieux ; comme le dit saint Grégoire,
« députer vers la personne offensée quelqu'un qui lui
déplaît, c'est provoquer de nouveaux et de plus violents accès
de colère3. » « Il faut donc, ajoute le saint, avoir
soin de tenir bien pure cette main avec laquelle on veut débarrasser
le prochain de ses souillu-res4. » De là cette règle
posée par saint Bernard: « Pour se rendre apte à convertir
les pécheurs, il est tout à fait dans l'ordre que le prêtre
n'entre-
1. Hi onus totius orbis portant humeris sanctitatis. Hom. de Dedic.
eccl.
3. Ad mediatoris officium proprie pertinet conjungere eos inter
quos est mediator. P. 3. q. xxvi. a.1.
3. Cum is qui displicet, ad intercedendum mittitur, irati animus ad
deteriora provocatur. Past. p.1. c. ii.
4. Necesse est ut esse munda studeat manus, quae diluere aliorum sordes
curat. Past. p. 2. c. 2.
Nécessité
de se sanctifier
soi-même
Et de s'adonner à l'oraison,
220 CHAPITRE NEUVIEME.
prenne pas de purifier les consciences des autres sans avoir purifié
la sienne1. « Donnez-moi dix prêtres véritablement animés
de l'esprit de Dieu, disait saint Philippe de Néri, et je me charge
de convertir le monde entier. » Que n'a pas fait un saint François-Xavier
en Orient ? A lui seul, disent ses historiens, il convertit dix millions
d'infidèles. En Europe, que n'ont pas fait un saint Patrice et un
saint Vincent Ferrier? Très certainement un prêtre animé
de l'amour de Dieu, quelque médiocre que soit d'ailleurs sa science,
convertira beaucoup plus d'âmes que n'en con-vertiront cent prêtres
fort instruits, mais sans grand amour de Dieu.
Le prêtre qui veut faire une abondante moisson d'âmes doit,
en second lieu, s'adonner beaucoup à l'oraison. C'est dans l'oraison
qu'il recevra les richesses de la grâce pour les communiquer en-suite
aux autres hommes. Ce qui vous est dit à Voreille, prêchez-le
sur les toits2. Il faut que le prêtre soit d'abord le réservoir
et ensuite le canal des grâces divines. « Que la grâce,
dit saint Ber-nard, s'arrête en vous, comme dans un réservoir,
avant que vous serviez de canal pour la verser aux autres... Aujourd'hui
on en voit beaucoup dans l'Église qui versent les dons de Dieu,
mais peu qui en retiennent leur part3. » Les saints ont converti
les âmes bien plus encore par leurs prières que par leurs
travaux.
1. Rectus ordo postulat ut prius propriam, deinde alienas curare studeas
conscientias. Epist. 8.
3. Quod in aure auditis, praedicate super tecta. Matth. x. 27.
3. Concham te exhibebis, non canalem. Canales hodie in Ecclesia multos
habemus, conchas vero perpaucas. In Cant. s. 18.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 221
Voici maintenant les œuvres de zèle auxquelles le prêtre
doit s'appliquer :
I. Il doit avoir soin de reprendre les pécheurs. Les prêtres
qui voient offenser Dieu et qui gar-dent le silence sont, dit Isaïe,
autant de chiens muets et qui ne savent pas aboyer1. Tous les pé-chés
qu'ils pouvaient empêcher et qu'ils n'ont pas empêchés
leur seront un jour imputés. « Ah ! s'écrie Alcuin,
Dieu vous préserve de garder le silence ! Car on vous rendrait responsables
des péchés de tout le peuple2. »
Certains prêtres laissent les pécheurs en repos, afin,
disent-ils, de ne pas se créer des difficultés. — Mais, leur
répond saint Grégoire, conserver la paix avec les hommes
par ce moyen, c'est misé-rablement perdre la paix avec Dieu. «
Par amour de la paix, ils s'abstiennent, dit le saint, de s'élever
contre les mauvaises moeurs; et dès lors, pacti-sant en quelque
sorte avec les méchants, ils per-dent la paix avec le Créateur3.»
« Chose étrange ! un animal vient-il à tomber, s'écrie
saint Ber-nard, que de gens accourent aussitôt,pour le relever !
Et quand une âme tombe, il n'y a per-sonne pour la relever, personne
qui y songe4 ! » Puisque le prêtre, dit saint Grégoire,
« est spé-cialement établi par Dieu pour remettre sur
le bon chemin ceux qui s'égarent5, » « il s'ensuit,
ajoute
1. Canes muti non valentes latrare. Is. LVI. 10.
2. Nolite tacere, ne populi peccata vobis imputentur. Epist. 28.
3. Dum pacem desiderant, pravos mores nequaquam redarguunt ; et consentiendo
perversis, ab Auctoris sui se pace disjungunt. Past. p. 3. c.1. adm. 23.
4. Cadit asina, et est qui sublevet eam; perit anima, et nemo est qui
reputet. De Cons. l. 4. c. 6.
5. Eligitur viam erranti demonstrare. Epist. l. 7. ind. 2. ep. 110.
Œuvres sacerdotales :
La correction des vices,
222 CHAPITRE NEUVIÈME.
La prédication,
L'assistance
des mourants,
saint Léon, qu'un prêtre ne peut laisser les fidèles
dans leur égarement, sans prouver que lui-même est hors de
la bonne voie1. » « Nous qui sommes prêtres, dit encore
saint Grégoire, nous assassi-nons chaque jour autant d'âmes
que nous en voyons aller à la mort sans secouer notre torpeur pour
les secourir2. »
II. La seconde œuvre de zèle à laquelle il faut que
le prêtre s'applique, c'est la prédication. Le monde
ne se convertit à la foi de Jésus-Christ que par la
prédication, comme nous l'apprend l'Apôtre : La
foi vient d'entendre, et Von entend grâce à la pré-
dication de la parole du Christ3. La vraie foi et
la crainte de Dieu ne se conservent non plus dans
le cœur des fidèles que par la prédication. Quant
aux prêtres qui ne peuvent aborder la chaire, ils
doivent être attentifs à ne jamais manquer l'occa-
sion qui se présentera, dans leurs entretiens avec
des parents ou des amis, de dire quelque chose
d'édifiant ; et pour cela, ils rapporteront un de
ces beaux traits de vertu que fournissent les Vies
des saints, ou bien ils rappelleront quelque ma-
xime tirée des vérités éternelles, par
exemple sur
la vanité du monde, l'importance du salut, la cer-
titude de la mort, la paix dont jouit une bonne
conscience.
III. Il faut, troisièmement, que le prêtre assiste
les mourants. Voilà, de toutes les œuvres de zèle,
1. Sacerdos qui alium ab errore non revocat, seipsum errare de-monstrat.
Ep. ad Turrib. c. 15.
2. Nos qui Sacerdotes vocamur, tot occidimus, quot ad mortem ire quotidie
tepidi videmus. ln Ezech. hom. II.
3. Fides ex auditu; auditus autem per verbum Christi. Rom. x. 17.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 22 3
la plus agréable à Dieu et la plus utile aux âmes;
car, à l'approche de la mort, les pauvres malades sont d'un côté
plus violemment tentés par le dé-mon, et de l'autre moins
en état de s'aider eux-mêmes. Saint Philippe de Néri
a vu plus d'une fois les anges suggérer de bonnes paroles aux prêtres
qui assistaient les mourants. Sans doute ce sont les curés qui doivent,
par obligation de justice, assister les moribonds ; mais il n'y a pas un
seul prêtre qui ne le doive par obligation de charité; il
n'y en a pas un non plus qui ne puisse s'acquitter de cette fonction, n'eût-il
d'ailleurs aucun talent pour la chaire. Que de bien ils sont à même
de faire dans cette circonstance, non seu-lement au malade, mais encore
aux parents et aux amis réunis autour de lui ! Car on ne saurait
trouver meilleure occasion pour parler spiritua-lité; et même
il ne conviendrait pas qu'alors le prêtre parlât d'autre chose
que de Dieu et des in-térêts éternels de notre âme.
Cependant que le prêtre prenne garde à se conduire en tout
cela avec la plus grande prudence et modestie, afin que jamais sa présence
auprès des moribonds ne devienne une occasion de péché
pour lui et pour les autres. Il en est parfois qui viennent aider un chrétien
à bien mourir, et qui s'en retournent avec la mort dans leur âme.
Enfin, celui qui ne peut pas prêcher s'appliquera du moins à
faire le catéchisme aux enfants et aux pauvres villageois; car il
ne manque pas de gens à la campagne qui, faute de fréquenter
les églises, vivent dans l'igno-rance des vérités
même les plus fondamentales de notre foi.
224 CHAPITRE NEUVIÈME.
L'administra-tion du sacrement de pénitence.
IV. Il faut, en dernier lieu, que le prêtre regarde son
office de confesseur comme le plus utile au salut des âmes. Le vénérable
père Louis Fiorillo, dominicain, disait qu'en chaire on jette les
filets, tandis que, dans le confessionnal, on les amène sur le rivage
afin de prendre les poissons. — Mais, dira quelqu'un, c'est là un
ministère des plus dan-gereux. — Nul doute, mon frère, qu'à
s'établir juge des consciences on ne s'expose grandement; mais vous
vous exposeriez bien davantage si, par paresse ou par une crainte excessive,
vous osiez, malgré l'appel de Dieu, déserter le confessionnal.
« Malheur à vous, s'écrie saint Bernard, si vous êtes
supérieur! Mais malheur bien davantage encore, si, par crainte de
commander, vous abdiquez le commandement1 ! » Nous avons parlé
plus haut de l'obligation où se trouve chaque prêtre d'utiliser
le talent que Dieu lui a confié pour travailler au salut des âmes
; et nous avons prouvé qu'en rece-vant l'ordination il reçoit
tout particulièrement la charge d'administrer le sacrement de pénitence.
Mais, répond ce prêtre, je ne suis pas à même
de confesser, car je n'ai guère étudié. — Eh ! ne
savez-vous pas qu'il y a pour le prêtre obliga-tion d'étudier
? Les lèvres du prêtre garderont la science, et c'est de sa
bouche qu'on recherchera la loi2. Si vous ne vouliez pas étudier
afin de pouvoir aider le prochain, à quoi bon vous faire prêtre
? Qui donc vous a conjuré d'entrer dans les ordres sacrés
? Qui a demandé ces choses de vos
1. Vae tibi, si praees; sed vae gravius, si, quia praeesse metuis,
prodesse refugis! Epist. 86.
2. Labia enim sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex
ore ejus. Mal. II. 7.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
215
mains, vous dit le Seigneur, afin que vous vous promeniez dans
mes parvis1 ? « Personne ne vous y a forcé2 », observe
saint Jean Chrysostome. « Et, ajoute-t-il, avant de vous engager
dans le sacerdoce, il fallait voir si vous vous sentiez ca-pable d'en remplir
les obligations. Maintenant que vous êtes prêtre, il ne s'agit
plus d'examiner mais d'agir ; et, si vous n'avez pas l'habileté
suf-fisante, il faut l'acquérir. » Le saint docteur con-clut
en remarquant qu'alléguer ici l'ignorance pour excuse, c'est alléguer
une seconde faute en faveur de la première. « Non, dit-il,
que le prêtre ne se retranche pas derrière son peu de science,
car on est mal venu de prétexter son ignorance, quand on a précisément
la charge de tirer les autres de leur ignorance. Dût-il n'en résulter
que la perte d'une seule âme, vainement le prêtre se couvrirait
de son ignorance contre les rigueurs de la divine justice3.» Que
de choses inutiles apprennent certains prêtres ! et en même
temps quelle négligence de leur part pour étudier ce qui
peut servir au salut des âmes ! « C'est commettre un crime
contre la justice, dit saint Prosper, que d'acquérir tant de vaines
connaissances, en négli-geant la science des choses requises pour
con-duire le peuple chrétien4. »
1. Quis quaesivit haec de manibus vestris, ut ambularetis in atriis
meis? Is. I. 12.
2. Quisnam ad id te coegit? De Sacerd. 1. 4.
3. Tempus nunc agendi, non consultandi. — Neque licet ad igno-rantiam
confugere, quandoquidem qui delegatus est ut aliorum emen-det ignorantiam,
is ignorantiam praetendere minime poterit; hoc no-mine supplicium nulla
excusatione poterit depellere, quamvis unius duntaxat animae, jactura accident.
De Sacerd. l.6.
4. Contra justitiam faciunt, qui otiosum studium fructuosae utilitati
regendae multitudinis anteponunt. De Vita cont. l. 3. c. 28.
Nécessité de la science ecclésiastique.
LE PRÊTRE. — T. I.
15
226
CHAPITRE NEUVIÈME.
Toute
fonction profane
interdite
aux prêtres.
CONCLUSION.
RIEN QUE LA GLOIRE DE
DIEU ET LE SALUT DES AMES.
Que le prêtre y fasse donc attention, son uni-que occupation
doit être en définitive de procurer la gloire de Dieu et le
salut du prochain. Voilà pourquoi le pape saint Silvestre voulut
qu'en langage ecclésiastique, les jours de la semaine s'appelassent
fériés, terme latin qui signifie va-cances, cessation de
travail. « Car, disait-il, c'est chaque jour que le prêtre,
libre des occupations terrestres, doit s'occuper tout entier de Dieu seul1.
» Les païens eux-mêmes disaient que les prêtres
avaient à s'occuper uniquement des cho-ses de la divinité
; et afin de ne leur laisser que le soin d'honorer les dieux, ils leur
interdisaient jusqu'à l'exercice de la magistrature. Moïse,
que le Seigneur avait établi chef du peuple d'Israël pour le
maintenir dans la fidélité au culte reli-gieux et dans l'observation
de la loi, s'employait aussi à régler les différends.
Mais Jéthro l'en reprit : car, disait-il, vous vous consumez là
dans un labeur insensé... Soyez au peuple, mais seule-ment dans
les choses qui regardent le Seigneur2. « Sachez, dit saint Athanase,
que s'il vous était loisible, avant votre élévation
au sacerdoce, de vivre pour vous-même en entreprenant des œu-vres
de votre choix, vous ne pouvez plus main-tenant vous occuper que des fonctions
pour les-
1. Quotidie clericos, abjecta caeterarum rerum cura, uni Deo prorsus
vacare debere. Breviar. 31 dec.
2. Stulto labore consumeris... Esto tu populo in nis quae ad Deum pertinent.
Exod. xviii. 18.
DU ZÈLE SACERDOTAL. 227
quelles on vous conféra le sacerdoce1. » Et quelles sont
ces fonctions? L'une des principales fonc-tions du prêtre c'est de
s'employer à sauver les âmes, ainsi que nous l'avons prouvé
déjà, et comme l'affirme saint Prosper en ces termes : «
Les prêtres ont surtout pour mission le soin des âmes 2. »
1. Id scire oportet, te, priusquam ordinaberis, tibi vixisse ; ordi-nalum
autem, illis quibus ordinatus es. Ep. ad Dracont.
2. Sacerdotibus proprie animarum curandarum sollicitudo com-missa est.
De Vita cont. 1. 2. c. 2.
CHAPITRE DIXIÈME.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
I.
NÉCESSITÉ DE LA VOCATION DIVINE.
De quelque état de vie qu'il s'agisse, il faut, pour l'embrasser,
que Dieu donne la vocation. Car sans elle il sera sinon impossible, du
moins fort difficile, de faire son devoir et de parvenir au salut. Mais
si la vocation divine est nécessaire pour embrasser n'importe quel
état, elle l'est surtout pour entrer dans l'état ecclésiastique.
Celui qui n'entre point par la porte dans le ber-cail des brebis, mais
y monte par ailleurs, est un voleur et un larron1 Celui qui entre dans
les ordres sacrés sans que Dieu l'appelle, se rend donc coupable
de vol, puisqu'il s'empare d'une grâce que Dieu ne veut pas lui accorder.
« Vo-leurs et larrons, voilà, dit saint Cyrille d'Alexan-drie,
le vrai nom de tous ceux qui osent d'eux-
Dieu seul appelle au sacerdoce.
1. Qui non intrat per ostium in ovile ovium, sed ascendit aliunde,
ille fur est et latro. Jo. x. 1.
230 CHAPITRE DIXIÈME.
L'exemple
de Jésus-Christ
et des saints.
mêmes s'adjuger une grâce que le ciel ne leur offre
pas1. » Saint Paul l'avait déjà dit aupara-vant : Nul
ne s'attribue à lui-même cet honneur, sinon celui qui est,
comme Aaron, appelé de Dieu. Ainsi ce n'est pas le Christ qui s'est
glorifié lui-même pour devenir pontife, mais c'est celui qui
lui a dit : Vous êtes mon Fils, c'est moi qui au-jourd'hui vous ai
engendré2. Quelque science, sa-gesse et sainteté que possède
un homme, il ne peut donc de lui-même pénétrer dans
le sanctuaire ; c'est à Dieu de l'appeler et de l'y introduire.
Jésus-Christ lui-même, qui bien certainement l'emporta
sur tous les hommes en science et en sainteté, Jésus-Christ,
tout rempli de grâce et de vérité3, et en qui tous
les trésors de la sagesse et de la science sont cachés4,
Jésus-Christ voulut, pour assumer la dignité sacerdotale,
que Dieu l'appelât.
Les saints, tout assurés qu'ils fussent de la vocation divine,
ne recevaient le sacerdoce qu'en tremblant. Saint Augustin regardait comme
un châtiment de ses péchés que son évêque
l'eût contraint de se laisser ordonner prêtre, et il s'é-criait
dans son humilité : « On m'a fait violence en punition de
mes péchés5. » Saint Éphrem et
1. Latrones et fures appellat eos qui se ultro, ad non sibi datam desuper
gratiam, obtrudunt. In Jo. x. 10.
2. Nec quisquam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tan-
quam Aaron. Sic et Christus non semetipsum clarificavit ut Pontifex
fieret, sed qui locutus est ad eum : Filius meus es tu. Heb. v. 4.
3. Plenum gratiae et veritatis. Jo. I. 14.
4. In quo sunt omnes thesauri sapientiae et scientiae absconditi.
Col. ii. 3.
5. Vis mihi facta est merito peccatorum meorum. Epist. 21. E. B..
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
23l
saint Ambroise, afin d'échapper à la prêtrise,
voulurent se faire passer, l'un pour insensé, et l'autre pour cruel.
Le moine saint Ammon se coupa les oreilles pour empêcher qu'on ne
le fît prêtre, et il menaça de se couper encore la lan-gue,
si on continuait de le tourmenter à ce sujet. "Bref, dit saint Cyrille
d'Alexandrie, je vois tous lés saints trembler devant le sacerdoce,
comme devant une charge dont le poids immense va les écraser1. »
« Après cela, s'écrie saint Cy-prien, comment est-il
possible qu'un homme pousse son audace sacrilège et son orgueilleuse
folie jusqu'à vouloir, de lui-même et sans voca-tion divine,
entrer dans le sanctuaire2 ? »
Celui qui franchit ainsi le seuil du sanctuaire sans vocation divine,
attente à l'autorité de Dieu, comme attenterait à
l'autorité du roi celui de ses sujets qui voudrait s'adjuger les
fonctions de ministre. Quelle témérité ce serait de
la part d'un simple citoyen, s'il se mettait, sans l'ordre et sur-tout
malgré la défense du roi, à régir les biens
de la couronne, à rendre la justice, à comman-der les armées,
en un mot, à faire le vice-roi ! « Parmi vous, demande saint
Bernard en s'a-dressant aux clercs, y a-t-il quelqu'un d'assez insolent
pour oser, sans l'ordre et contre la vo-lonté du plus petit monarque
d'ici-bas, s'emparer de la direction des affaires3?» Or quelles sont
1. Omnes sanctos reperio divini ministerii ingentem veluti molem formidantes.
De Fest. pasch. hom.1.
2. Ita est aliquis sacrilegae temeritatis ac perditae mentis, ut putet
sine Dei judicio fieri Sacerdotem? Epist. 55.
3. Auderet ne aliquis vestrum terreni cujus libet reguli, non prae-
Quel crime d'entrer dans le
sanctuaire sans vocation !
232
CHAPITRE DIXIÈME.
les fonctions des prêtres, et que sont-ils eux-mêmes,
sinon « les administrateurs du domaine royal de Dieu1, » comme
les appelle saint Pros-per, « les chefs et les conducteurs de l'armée
du Christ2, » selon saint A.mbroise, « les interprètes
des ordonnances divines3, » d'après saint Denys, et enfin,
comme s'exprime saint Jean Chrysos-tome, << les vicaires de Jésus-Christ4
? » Qui donc, sachant cela, osera jamais se constituer ministre de
Dieu, à moins que Dieu ne l'appelle? « C'est un crime de la
part d'un sujet, remarque saint Pierre Chrysologue, que d'avoir seulement
la pensée d'usurper le trône5. » On est même coupable
rien qu'à s'immiscer dans les affaires d'un simple particulier pour
disposer de son ar-gent et de ses biens, car enfin il n'y a pas jusqu'aux
simples particuliers qui ne puissent remettre l'ad-ministration de leur
fortune entre telles mains que bon leur semble. « Et vous, dit saint
Ber-nard, vous que Dieu n'appelle pas, vous qu'il n'a pas introduit dans
sa maison, par quelle audace ou plutôt par quelle folie osez-vous
en-trer pour prendre en mains ses intérêts et dispo-ser de
ses biens6?» Aussi lisons-nous dans le concile de Trente l'arrêt
suivant : « Quant à ceux qui ont la témérité
de s'ingérer dans les fonctions
cipiente aut etiam prohibente eo, occupare ministeria, negotia dis-pensare
? De Conv. ad clerc. c. 19.
1. Dispensatores regiae domus. De Vita cont. 1. 2. c. 2.
2. Duces et rectores gregis Christi. De Dignit. sac. c. 2.
3. Interpretes divinorum judiciorum.
4. Vicarii Christi. Hom. 17.
5. Regnum velle servum, crimen est. Serm. 23.
6. Quis istud temeritatis, imo quid insaniae est ? tu irreverenter
irruis, nec vocatus, nec introductus. De Vita cler. c. 3.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE. 233
sacerdotales, le saint concile déclare qu'on doit les regarder
non pas comme les ministres de l'Église, mais comme des voleurs
et des larrons qui ne sont pas entrés par la porte1. »
Quelque peine qu'assume un prêtre de ce genre, ses travaux ne
pèseront guère dans la balance de Dieu ; bien plus, ce qui
dans les autres mérite récompense, en lui mérite châtiment.
Si un ser-viteur, après avoir reçu de son maître l'ordre
de garder la maison, s'en allait de son chef travailler à la vigne,
que recueillerait-il de ses fatigues et de ses sueurs? non certes une récompense,
mais une punition. C'est ainsi que le Seigneur, à propos de ceux
qui se mêlent sans vocation de remplir les fonctions sacerdotales,
déclare tout d'abord qu'il n'agréera pas leurs travaux, car
ils sont faits en dehors de sa volonté. Mon affection n'est pas
en vous, dit le Seigneur des armées, et je ne recevrai pas de présent
de votre main 2. Puis, au lieu de les récompenser, il les punira.
Tout étranger qui s'approchera du Tabernacle sera mis à mort3.
Celui qui prétend s'engager dans les ordres sacrés, doit
donc mettre son premier soin à bien examiner s'il est réellement
appelé de Dieu. « Car, dit saint Jean Chrysostome, plus la
dignité est sublime, plus il faut s'assurer de la vocation
1. Decernit sancta Synodus eos qui ea (ministeria) propria teme-ritate
sibi sumunt, omnes, non Ecclesiae ministros, sed fures et la-trones per
ostium non ingressos habendos esse. Sess. 23. cap. 4.
3. Non est mihi voluntas in vobis, dicit Dominus exercituum, et munus
non suscipiam de manu vestra. Mal. l. 10.
3. Quisquis externorum accesserit (ad tabernaculum), occidetur. Num.
l. 51.
Et
quels châtiments
on se prépare !
Ne tenir compte
ni de
la noblesse,
234 CHAPITRE DIXIÈME.
divine1. » Or la vocation se reconnaît à certains
signes, qu'on doit par conséquent étudier. Celui qui veut
élever une tour commence par s'assurer s'il ne lui manque rien de
ce qu'il faut pour mener son entreprise à bonne fin, comme nous
le lisons dans saint Luc : Qui d'entre vous, vou-lant bâtir une tour,
ne s'assied pas auparavant pour calculer les <dépenses qui sont
nécessaires, et voir s'il a de quoi l'achever2 ?
II.
LES TROIS PRINCIPAUX SIGNES DE VOCATION SACERDOTALE.
Voyons maintenant à quels signes on reconnaît que Dieu
appelle au sacerdoce.
D'abord la noblesse de la naissance ne compte pas parmi ces signes.
Ce n'est pas la noblesse du sang, mais la sainteté de la vie, qu'on
doit prendre en considération quand il s'agit de mettre quel-qu'un
à la tête des chrétiens pour les conduire au salut
éternel. « Le sceptre sacerdotal, dit saint Jérôme,
ne se confie pas seulement aux mains patriciennes3. » Saint Grégoire
dit également : « Quand Dieu veut élever en dignité,
il règle son choix sur la sainteté de la vie, et non pas
sur les titres de noblesse4. »
1. Quoniam digtiitas magna est, et revera divina sententia com-probanda.
In I Tim. hom. 5.
2. Quis enim ex vobis, volens turrim aedificare, non prius sedens
computat sumptus qui necessarii sunt, si habeat ad perficiendum ?
Luc. xiv. 28.
3. Principatum in populos, non sanguini deferendum, sed vitae. In Tit.
1.
4. Quos dignos divina praebet electio, secundum vitae, non generis,
meritum.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
235
Il ne faut pas non plus voir un signe de la volonté de Dieu
dans la volonté des parents, uni-quement préoccupés
de leurs propres intérêts et de l'avantage de leur famille,
et qui, sans même songer au bien spirituel de leurs fils, les font
entrer dans les ordres. « Que de mères de famille, dit saint
Jean Chrysostome ou l'auteur quel qu'il soit de L'Ouvrage imparfait, n'ont
d'yeux que pour le corps et dédaignent l'âme de leurs enfants
! Les voir heureux ici-bas, c'est tout ce qu'elles désirent ; quant
aux supplices que peut-être ils endureront dans l'autre vie, elles
n'y pensent même pas1. » Convainquons-nous de cette vérité
: dans le choix d'un état de vie, nous n'avons pas de plus dangereux
ennemis que nos parents. Jésus-Christ l'a déclaré,
l'homme trouve ses en-nemis dans sa propre maison2. Notre-Seigneur ajoute
: Quiconque aime son père ou sa mère plus que moi, n'est
pas digne de moi3. Au jour du jugement, que de prêtres nous verrons
miséra-blement damnés pour avoir reçu l'ordination
par complaisance envers leurs parents !
Chose étonnante ! s'il arrive qu'un jeune hom-me, pour obéir
à la voix de Dieu, veuille se faire religieux, quels moyens n'emploient
pas ses pa-rents afin de le retenir, soit par une affection déré-glée,
soit dans l'intérêt de la famille ! Or il est à remarquer
qu'on ne pourrait excuser ce jeune homme de péché mortel,
s'il obéissait en cette
1. Matres corpora natorum amant, animas contemnunt; desiderant illos
valere in saeculo isto, et non curant quid sint passuri in alio. Hom. 35.
2. Et inimici hominis domestici ejus. Matth. x. 36.
3. Qui amat patrem aut matrem plus quam me, non est me dignus.
Ni de la volonté des parents.
236 CHAPITRE DIXIÈME.
conjoncture. Tel est l'enseignement commun des docteurs. On peut voir
là-dessus ce que nous avons écrit dans notre Théologie
morale1. Quant aux parents, ils commettraient un double péché
: l'un contre la charité, vu le tort considérable qu'ils
font à leur enfant ; et ce péché mortel contre la
charité se commet par chaque personne, même étrangère,
qui le détourne de sa vocation. Le second péché de
ces parents est contre la piété, attendu que parmi leurs
devoirs on compte celui de procurer à leurs enfants le plus grand
bien spirituel possible. Quand certains confesseurs ignorants trouvent
quelque pénitent qui veut embrasser la vie religieuse, ils le renvoient
tout simplement à la décision de ses parents, en sorte que,
sa vocation ne leur plaisant pas, il doit y renoncer. Ces confesseurs sont
d'accord avec Lu-ther, lequel taxait de péché les enfants
qui entrent en religion sans le consentement de leurs parents. Mais à
Luther sont opposés d'abord tous les saints Pères, puis en
particulier le Xe concile de Tolède, où l'on décida
qu'une fois passé la quatorzième année, les enfants
ont le droit de se faire religieux, même contre le gré de
leurs parents. Nul doute que les enfants ne doivent obéissance aux
auteurs de leurs jours dans ce qui regarde leur éducation et le
bon ordre de la famille. Mais, dans le choix d'un état de vie, c'est
à Dieu qu'ils doivent obéir en embrassant l'état auquel
Dieu les appelle. A toutes les tentatives des parents pour imposer leur
volonté, les enfants doivent répondre comme au-.
1. Theol. moral. 1. 4. n. 77.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE. 237
trefois les apôtres aux princes des juifs : Jugez vous-mêmes
s'il est juste devant Dieu de vous obéir plutôt qu'à
Dieu1 !
Saint Thomas 2 enseigne expressément que, dans le choix d'un
état, les enfants ne sont pas tenus d'obéir à leurs
parents. S'agit-il de vie reli-gieuse, les enfants, d'après le saint
docteur, ne sont pas même obligés de prendre conseil de leurs
parents ; « car, dit-il, c'est alors que nous trouvons dans nos proches,
préoccupés de leurs intérêts personnels, non
plus des amis, mais des ennemis, selon la parole de Notre-Seigneur : L'homme
trouve ses ennemis dans sa propre mai-son3. Oui, des ennemis cruels, disposés
qu'ils sont à laisser leur enfant se perdre plutôt que de
lui permettre d'aller hors de leur maison prendre la route du ciel. Aussi
écoutez comme saint Ber-nard fait parler ce pauvre enfant : «
Père inhu-main, mère cruelle, quoi donc ! ma perte fait votre
bonheur. Car vous aimez mieux m'entraî-ner avec vous dans l'abîme
que de consentir à ce que j'aille, sans vous, acquérir le
royaume des cieux4. » S'agit-il, au contraire, d'un fils dont l'élé-vation
au sacerdoce pourra servir les intérêts de la famille, dès
lors que ne font pas les parents pour le pousser en avant ! Tous les moyens
sont
1. Si justum est, in conspectu Dei, vos potius audire quam Deurn, judicate.
Act. iv. 19.
2. 2. 2. q. civ. a. 5.
3. Propinqui autem carnis, in hoc proposito, amici non sunt, sed potius
inimici, juxta sententiam Domini : Inimici hominis, domestici ejus. Contra
retr. a. rel. c. 9.
4. O durum patrem, o saevam matrem, quorum consolatio mors filii est;
qui me malunt perire cum eis, quam regnare sine eis ! Epist. iii.
Les parents
n'ont pas
à décider de la
vocation de leurs enfants.
238 CHAPITRE DIXIÈME.
Signes
de vocation :
La pureté
d'intention ;
bons, tous sont mis en œuvre : peu importe du reste que le fils
ait ou non la vocation. Que si l'enfant, retenu par les remords de sa conscience,
ne veut pas se laisser ordonner prêtre, quel tapage et quelles menaces
de la part des parents! « Non, s'écrie saint Bernard, en parlant
de ce père et de cette mère barbares, ce ne sont pas des
parents, mais des assassins1. » Ah ! je le répète,
pauvres parents et pauvres enfants ! Combien, dans la vallée de
Josaphat, en verrons-nous qui se seront damnés par leur infidélité
au sujet de la vocation ! Car, ainsi que nous le démontrerons plus
loin, pour chaque âme le salut éternel dépend de la
fidélité à la vocation divine.
Revenons à notre thèse : ni la noblesse du sang, ni la
volonté des parents ne sont des signes de vocation sacerdotale,
pas plus que les talents, ni même l'aptitude que l'on pourrait avoir
pour les fonctions du ministère ; car, outre les talents, il faut
la sainteté de la vie, jointe à la vocation divine. Quels
sont donc les signes auxquels on reconnaît que Dieu appelle au sacerdoce?
Le premier signe, c'est la pureté d'intention. On ne doit entrer
dans le sanctuaire que par la porte. Or il n'y a pas d'autre porte que
Jésus-Christ. C'est moi qui suis la porte des brebis... Si c'est
par moi que quelqu'un entre, il sera sauvé2. Complaisance envers
les parents, projets de gran-deur pour leur maison, vues intéressées
de for-
1. Non parentes, sed peremptores.
2. Ego sum ostium ovium... Per me si quis introierit, salvabitur. Jo.
x. 7.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
239
tune et d'amour-propre, rien de tout cela n'est la porte : la
volonté de servir Dieu uniquement pour le glorifier et pour sauver
les âmes, voilà la vraie porte. « Si quelqu'un, dit
un savant théo-logien, le continuateur de Tournely, se présente
aux ordres sacrés sans la moindre vue désordon-née
et avec le seul désir de s'employer au service de Dieu et au salut
du prochain, celui-là, on peut croire que Dieu l'appelle1. »
« Par contre, ajoute un autre théologien, est-ce l'ambition
ou la cupi-dité qui vous pousse? aspirez-vous aux honneurs? Alors
ce n'est pas Dieu qui vous appelle, mais le démon qui vous tente2.
» Que deviennent ceux qui apportent à l'ordination de si indignes
pro-jets ? « Quiconque, répond saint Anselme, entre de lui-même
et recherche sa propre satisfaction, celui-là s'attribue injustement
les dons de Dieu : aussi reçoit-il non pas la bénédiction,
mais la malédiction3. »
Le second signe, c'est l'aptitude pour les fonc-tions sacerdotales,
et par conséquent les talents et la science. Docteurs du peuple
chrétien, c'est aux prêtres à lui enseigner la loi
de Dieu. Les lèvres du prêtre garderont la science et c'est
de sa bouche que l'on recherchera la loi4. « Les mé-
1. Si enim aliquis, liber ab omni vitioso affectu, ad clerum, Deo deserviendi
causa et salutis populi gratia solum, se conferat, vocari a Deo praesumitur.
De Ord. q. 4. a. 4.
2. Ambitione duceris, vel avaritia ? inhias honori ? Non te vocat Deus,
sed diabolus tentat. Hall. p. 1. s. 3. c. 2. § 4.
3. Qui enim se ingerit et propriam gloriam quaerit, gratiae Dei ra-pinam
facit ; et ideo non accipit benedictionem, sed maledictionem. In Heb. V.
4. Labia enim Sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex
ore ejus. Mal. II. 7.
Les capacités convenables ;
•240
CHAPITRE DIXIEME.
Et une vraie
science ecclésiastique.
decins ignorants, dit Sidoine Apollinaire, font de nombreuses
victimes1. » Un prêtre ignorant, et surtout un confesseur,
qui débite de fausses doctrines et dirige de travers, perdra beaucoup
d'âmes ; en effet, par cela même qu'il est prêtre, il
obtient facilement créance. De là cette sentence d'Yves de
Chartres : « Personne ne doit être élevé aux
ordres sacrés, qu'après avoir donné des preuves suffisantes
de bonne conduite et de science2. »
Or le prêtre ne doit pas seulement connaître les rubriques
du missel afin de célébrer conve-nablement la messe, il doit
en outre savoir les choses principales qui regardent le sacrement de pénitence.
A la vérité, les ecclésiastiques ne sont pas tous
obligés d'entendre les confessions, excepté dans le cas où
lés fidèles de leur localité, ainsi que nous l'avons
établi plus haut, souffri-raient vraiment du manque de confesseurs.
Néan-moins il n'y a pas de prêtre qui ne doive au moins savoir
les choses dont la connaissance est ordi-nairement requise pour entendre
la confession des mourants, c'est-à-dire: dans quelles circon-stances
tout prêtre a la faculté d'absoudre ; quand et comment il
doit donner aux malades l'absolu-tion, soit absolue, soit conditionnelle
; ce qu'il doit exiger de ceux qui se trouvent sous le coup de quelque
censure. Quant à la théologie mo-rale, il doit pour le moins
en connaître les prin-cipes généraux.
1. Medici parum docti multos occidunt. Lib. 2. ep. 12.
2. Nulli ad Ordines sacros sunt promovendi, nisi quos vita et doctrina
idoneos probat.
I
DE LA VOCATION AU SACERDOCE. 241
Le troisième signe de vocation sacerdotale, c'est la sainteté
de la vie.
En conséquence il faut tout d'abord que l'or-dinand ait mené
une vie innocente et pure. Celui qui se présente au sacerdoce doit
être exempt de tout vice, selon ce que mande l'Apôtre à
son disci-ple Tite : Je t'ai laissé en l'île de Crête,
afin que tu constitues des prêtres dans chaque ville, ainsi que je
te l'ai prescrit. Si donc quelqu'un est sans reproche, choisis-le1. Anciennement
quiconque avait commis un péché mortel devenait par le fait
même incapable de recevoir le sacerdoce, et le Ier concile de Nicée
porta un décret en vertu duquel « on ne pouvait plus, après
la confession publique des péchés, entrer dans l'ordre ecclé-siastique
2. » Sur quoi saint Jérôme remarque qu'il ne suffit
pas de n'être coupable d'aucun pé-ché à l'époque
de l'ordination ; « mais il faut, dit le saint docteur, que, depuis
le jour de son bap-tême, l'ordinand ne se soit chargé la conscience
d'aucun péché3. » Il est vrai que, dans la suite, l'Eglise
relâcha de la rigueur de cette discipline; mais toujours il fut nécessaire
qu'avant de rece-voir les ordres majeurs, on consacrât un temps considérable
à se purifier des péchés mortels dans lesquels on
avait eu le malheur de tomber. C'est ce que nous lisons dans une lettre
célèbre du pape Alexandre III à l'archevêque
de Reims, au sujet
1. Et constituas per çivitates presbyteros, sicut et ego disposui
tibi : si quis sine crimine est... Tit. 1. 5.
2. Qui confessi sunt peccata, canon (ecclesiasticus ordo) non ad-mittit.
Can. 9.
3. Ex eo tempore quo in Christo renatus est, nulla peccati cons-cientia
remordeatur. In Tit. 1.
La sainteté de la vie :
Exemption de tout vice,
LE PRÊTRE. — T. I.
16
I
Au moins
par une vraie
conversion.
242 CHAPITRE DIXIÈME.
d'un diacre qui avait frappé un de ses confrères. Le
pape décide que, si le coupable se repentait sin-cèrement
de sa faute, il pourrait, après avoir reçu l'absolution et
accompli sa pénitence, reprendre l'exercice de son ordre ; en outre,
il permet qu'on lui confère la prêtrise, mais à condition
que sa vie ait d'abord été bien exemplaire. « Vous
pourrez, dit Alexandre III, l'élever au sacerdoce quand il
sera, par sa conduite, devenu un modèle de vertu1. » Celui
donc qui se trouve encore retenu dans l'esclavage de quelque habitude vicieuse,
ne peut, sans faute grave, recevoir aucun ordre sacré. « Je
suis saisi d'horreur, disait saint Bernard, quand je pense d'où
tu viens, où tu vas, et quelle courte pénitence tu as mise
entre tes péchés et ton ordination. Cependant il est de toute
rigueur que tu n'entreprennes pas de purifier la conscience des autres
avant d'avoir purifié la tienne2. » Un ancien auteur, Gildas
le Sage, parlant de ceux qui ont la témérité de venir,
tout chargés encore de leurs mauvaises habitudes, pour recevoir
l'or-dination, s'écrie : « Ce n'est pas à la prêtrise
qu'il faut les admettre, c'est au pilori qu'il faudrait les traîner3.
» Concluons donc avec saint Isidore: « On ne doit pas élever
au sacerdoce, c'est-à-dire au gouvernement de l'Église, ceux
que le vice tient encore sous son joug4. »
1. Et si perfectae vitae et conversationis fuerit, eum in Presbyterum
(poteris) ordinare. Cap. 1. De Diacono. Qui c1er.
2. Horreo considerans unde, quo vocaris, praesertim cum nullum intercurrent
pœnitentiae tempus. Et quidem rectus ordo requirit ut prius propriam, deinde
alienas curare studeas conscientias. Epist. 8.
3. Multo digniores erant ad catastam pœnalem, quam ad sacerdo-tium
trahi. Cast. in eccl. ord.
4. Non sunt promovendi ad regimen Ecclesiae, qui adhuc vitiis subjacent.
Sent. 1. 3. c. 34.
I
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
243
Celui qui se prépare à monter les degrés de l'autel
ne doit pas seulement être sans péché, il lui faut
en outre ce qu'on appelle la bonté posi-tive, de telle sorte qu'appliqué
déjà à l'œuvre de sa perfection, il ait acquis un
certain degré de vertu. Dans une dissertation de notre Théologie
morale1, nous avons suffisamment prouvé la doctrine suivante, commune
parmi les théolo-giens, au sujet des ordinands qui vivraient dans
l'habitude du péché : pour la réception d'un ordre
sacré, il ne suffit pas d'être en état de recevoir
le sacrement de pénitence, mais il faut de plus avoir les dispositions
exigées par le sacrement de l'or-dre. A leur défaut, l'ordinand
n'est en état de rece-voir ni l'un ni l'autre sacrement, et l'absolution
ne servirait qu'à charger d'un péché mortel d'abord
celui qui la recevrait en vue d'une ordination à laquelle le manque
de dispositions lui interdit de prendre part, ensuite le confesseur qui
se per-mettrait de donner pareille absolution. En effet, pour le pénitent
qui prétend se faire ordonner, être sorti de l'état
du péché ne suffit point : il doit en outre avoir cette bonté
positive nécessaire aux ministres des autels, comme nous l'avons
déjà dit avec le pape Alexandre III, défendant d'admettre
à l'ordination quiconque ne s'est pas montré dans toute sa
conduite un modèle de vertu2. Par où nous voyons que l'absolution
suffit sans doute pour exercer l'ordre une fois reçu, mais nulle-ment
pour en recevoir un nouveau. C'est éga-lement ce que saint Thomas
enseigne en ces ter-
1. Theol. mor. 1. 6. n. 63 et s.
2. Si perfectae vitae et conversationis fuerit.
Des vertus positives,
Solides,
244 CHAPITRE DIXIÈME.
mes : « La sainteté est requise pour la réception
des ordres sacrés, et il ne faut placer le sublime fardeau du sacerdoce
que sur des murailles déjà séchées par la sainteté,
c'est-à-dire débarrassées des humeurs malignes du
péché1. » Saint Denys l'Aréopagite avait déjà
dit dans le même sens : « Que personne n'ait l'audace de se
proposer aux autres comme leur guide dans les choses de Dieu, si d'abord
et de tout son pouvoir il ne s'est trans-formé en Dieu au point
de lui ressembler parfai-tement2. » Saint Thomas en donne deux raisons,
dont voici la première: « Puisque l'ordinand s'é-lève
en dignité par-dessus les séculiers, il doit les surpasser
en sainteté. Car, pour remplir digne-ment les fonctions du ministère,
ce n'est pas une vertu quelconque qu'il faut, mais une vertu excel-lente.
De même donc qu'en recevant les ordres on devient supérieur
à tous les fidèles, ainsi faut-il soutenir la supériorité
de l'ordre par celle de la sainteté. Aussi les ordinands doivent-ils
au préala-ble avoir acquis assez de sainteté pour être
dignes d'entrer dans la milice du Christ3. » La seconde raison se
tire des sublimes fonctions que l'ordi-nand devra remplir à l'autel,
et pour lesquelles il faut une sainteté supérieure à
celle que requiert
1. Ordines sacri praeexigunt sanctitatem ; unde pondus Ordinum imponendum
est parietibus jam per sanctitatem desiccatis, id est, ab humore vitiorum.
2. 2. q. CLXXXIX. a. I.
2. In divino omni non audendum aliis ducem fieri, nisi secundum omnem
habitum suum factus sit deiformissimus et Deo simillimus. De Eccl. Hier.
c. 3.
3. Ad idoneam exsecutionem ordinum, non sufficit bonitas qualis-cumque,
sed requiritur bonitas excellens, ut, sicut illi qui Ordinem suscipiunt
super plebem constituuntur gradu Ordinis, ita et superio-res sint merito
sanctitatis ; et ideo praexigitur gratia quas sufficiat ad hoc, quod digne
connumerentur in plebe Christi. Suppl. q. xxxv. a. i.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE. 245
l'état religieux. « Par le sacrement de l'ordre,
dit le saint docteur, l'homme se trouve investi des plus augustes fonctions,
tellement qu'il devient à l'autel l'instrument du Christ lui-même
: aussi doit-il y monter avec une sainteté bien supérieure
à celle qu'exige l'état religieux1. »
L'Apôtre défend en conséquence d'ordonner des néophytes2,
c'est-à-dire, selon l'explication de saint Thomas sur cette expression
de l'Epître à Timothée, « ceux qui sont peu avancés
non seu-lement en âge, mais encore dans les voies de la perfection
3. » « Sachent donc les évêques, con-clut le concile
de Trente, que nul ne doit recevoir de leurs mains les ordres sacrés,
à moins de s'en montrer digne par sa conduite pleine d'une sage
maturité4, » selon cet oracle de la sainte Écri-ture
: La vraie vieillesse, c'est une vie sans tache5. Et saint Thomas ajoute
: « Ce n'est pas une con-naissance telle quelle, mais une connaissance
cer-taine, que l'évêque doit avoir des bonnes dispo-sitions
de l'ordinand6, » spécialement pour ce qui regarde la chasteté.
« On ne doit admettre per-sonne au ministère des autels, dit
saint Grégoire, à moins de s'être auparavant assuré
de sa parfaite
1. Quia per sacrum Ordinem aliquis deputatur ad dignissima ministeria,
quibus ipsi Christo servitur in Sacramento altaris ; ad quod requiritur
major sanptitas interior, quam requirat etiam reli-gionis status. 2. 2.
q. CLXXXIV. a. 8.
2. 1 Tim. iii. 6.
3. Qui non solum aetate neophyti, sed et qui neophyti sunt perfectione.
4. Sciant Episcopi debere ad hos (sacros) Ordines assumi dignos dumtaxat,
et quorum probata vita senectus sit. Sess. 23. cap. 12.
5. AEtas senectutis, vita immaculata. Sap. iv. 9.
6. Sed etiam habeatur certitudo de qualitate promovendorum. Suppl.
q. xxxvi. a. 4.
Parfaites.
246
CHAPITRE DIXIÈME.
Supérieurs
et confesseurs
des
ordinands.
chasteté1. » Et afin qu'on ne se contente pas d'une
épreuve de courte durée, le saint ajoute: « De crainte
qu'une fois ordonnés, les clercs ne fassent naufrage, il faut que
durant plusieurs années on les surveille de près, surtout
pour ce qui concerne la chasteté 2. »
Qu'on juge donc quel compte devront rendre à Dieu ces curés
qui, après avoir vu certains or-dinands négliger les sacrements
et mener une vie plutôt scandaleuse qu'édifiante, leur délivrent
néanmoins des certificats dans lesquels ils les déclarent
fidèles à fréquenter les sacrements et d'une conduite
exemplaire. Vainement allègue-raient-ils la charité, de pareils
témoignages vont directement contre la charité due à
Dieu et à l'Eglise: dès lors ceux qui osent les délivrer
se rendent participants de tous les péchés que com-mettront
ces malheureux jeunes gens, car les évêques se fient aux attestations
des curés et se trouvent induits en erreur. Que le curé ne
se fie pas non plus au témoignage d'autrui: le certi-ficat qu'il
délivre ne doit contenir que des choses parfaitement certaines,
de telle sorte qu'on sache bien si le clerc a réellement mené
une vie exem-plaire et s'il a fréquenté les sacrements. Enfin,
quant au confesseur de pareils ordinands, de même que l'évêque
ne peut pas ordonner un sujet dont la chasteté n'offre pas de sérieuses
garanties, ainsi le confesseur, avant de laisser ordonner son
1. Nullus debet ad ministerium altaris accedere, nisi cujus castitas
ante susceptum ministerium fuerit approbata. Lib. i. ep. 42.
2. Ne unquam ii qui ordinati sunt, pereant, prius aspiciatur si vita
eorum continens ab annis plurimis fuit. Lib. 3. ep. 26.
DE I.A VOCATION AU SACERDOCE. 247
pénitent dont la vie ne fut pas toujours chaste, doit
avoir acquis la certitude morale que la mau-vaise habitude est entièrement
déracinée et qu'à la place du vice règne la
vertu de chasteté.
III.
LE PRÊTRE SANS VOCATION.
Il suit de là qu'on ne saurait excuser de péché
mortel celui qui, n'ayant pas ces signes de voca-tion, s'engagerait dans
les ordres sacrés. C'est le sentiment d'un grand nombre de théologiens,
tels qu'Habert1 Noël Alexandre2, Juénin3, le con-tinuateur
de Tournely4. Longtemps auparavant, à propos de Coré, Dathan
et Abiron, si sévère-ment punis par Dieu pour s'être
d'eux-mêmes attribué les fonctions sacerdotales, saint Augus-tin
avait dit : « Dieu les frappa pour donner un exemple et détourner
ainsi qui que ce soit d'oser jamais, sans vocation, usurper une charge
sacrée. Oui, voilà le châtiment réservé
à ceux qui ne craignent pas de s'attribuer les fonctions d'évêque
ou de prêtre ou de diacre5. » La raison en est qu'on doit regarder
comme un péché mortel cette audace à franchir ainsi
le seuil du sanctuaire; attendu qu'entré sans vocation divine, on
n'aura
1. De Ord. p. 3. cap. i. § 2.
2. De Sac. ord.
3. Disp. 8. q. 7. cap. 1.
4. De obligat. cler. tom. 3. cap. 1. a. 1. conc. 3.
5. Condemnati sunt ut daretur exemplum, ne quis non sibi a Deo datum
munus pontificatus invaderet... Hoc patiuntur quicumque se in episcopatus,
aut presbyteratus, aut diaconatus, officium conantur ingerere. Serm. 3o.
E. B. app.
Sans vocation
on est
privé des grâces
d'état,
248
CHAPITRE DIXIÈME.
En danger
de se perdre,
pas les grâces d'état, c'est-à-dire ces grâces
de choix dont on peut à la rigueur se passer pour faire son devoir,
mais sans lesquelles on ne le fera qu'avec beaucoup de peine ; «
et, ainsi que s'exprime Habert, ce prêtre aura les plus grandes difficultés
à faire son salut, car il ne sera dans le corps de l'Église
que comme un membre hors de sa place, et il fonctionnera d'une manière
aussi pénible qu'anormale1. »
Quel danger par conséquent ne court-il pas de se damner ! «
Celui qui, de lui-même et sans s'in-quiéter s'il a ou non
la vocation, s'ingère dans le sacerdoce, nul doute qu'il ne mette
en grand danger son salut éternel, dit l'évêque Abelly
; car il commet contre le Saint-Esprit ce péché dont l'Evangile
affirme que le pardon s'en obtient à peine ou fort rarement2. »
Le Seigneur lui-même se déclare irrité contre ceux
qui, de leur propre autorité et sans vocation du ciel, s'adjugent
les fonctions ecclésiastiques. Ils ont régné par eux-mêmes
et non par moi: aussi ai-je allumé ma fureur contre eux3. «
C'est par eux-mêmes qu'ils règnent, remarque ici saint Grégoire,
et nullement par la volonté du Chef su-
1. Non sine magnis difficultatibus poterit saluti suae consulere. manebitque
in corpore Ecclesiae velut membrum in corpore humano suis sedibus motum,
quod servire potest, sed aegre admodum et cum deformitate. De Ord. p. 3.
c. 1. § 2.
2. Qui, sciens et volens, nulla divinae vocationis habita ratione sese
in sacerdotium intruderet, haud dubie seipsum in apertissimum salutis discrimen
injiceret, peccando scilicet in Spiritum sanctum ; quod quidem peccatum
vix aut rarissime dimitti ex Evangelio dis-cimus. Sac. chr. p. 1. c. 4.
3. Ipsi regnaverunt, et non ex me...; iratus est furor meus in eos.
Os. vii. 4.
I
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
249
prême. La vocation divine leur fait donc entière-ment
défaut, et ils n'ont suivi que l'ardeur d'une vile cupidité,
non certes pour accepter, mais pour usurper cette sublime dignité1.
» Il en est qui n'épargnent rien, fatigues, démarches,
intrigues, prières, pour se faire ordonner, mais sans nulle vocation
et par des vues intéressées. Aussi mal-heur à eux
! Oui, s'écrie le Seigneur par la bouche d'Isaïe, malheur à
vous, fils déserteurs ! de ce que vous formez des desseins et non
pas par moi2. Au jour du jugement ils voudront être récom-pensés;
mais Jésus-Christ les chassera de devant sa face. Beaucoup me diront
en ce jour-là : Sei-gneur, Seigneur, n'avons-nous pas prophétisé
en votre nom, alors que nous prêchions et que nous instruisions ?
n'avons-nous pas chassé les démons en votre nom, alors que
nous remettions les pé-chés? n'avons-nous pas opéré
des prodiges en votre nom, alors que nous reprenions les vices, que nous
vidions les différends, que nous ramenions les égarés
? Je leur répondrai hautement : Je ne vous ai jamais connus: retirez-vous
de moi, vous qui commettez l'iniquité3.
Que les prêtres sans vocation soient cependant des ouvriers et
des ministres de Dieu, il n'y a pas
1. Ex se, et non ex arbitrio Summi Rectoris, regnant ; nequaquam divinitus
vocati, sed sua cupidine accensi, culmen regiminis rapiunt potius quam
assequuntur. Past. p. 1. c. 1.
2. Vae, filii desertores, dicit Dominus, ut faceretis consilium, et
non ex me! Is. xxx. 1.
3. Multi dicent mihi in illa die : Domine, Domine, nonne in no-mine
tuo prophetavimus (praedicando, docendo), et in nomine tuo daemonia ejecimus
(absolvendo pœnitentes), et in nomine tuo virtutes multas fecimus (corrigendo,
lites componendo, errantes reducendo)? — Et tunc confitebor illis : Quia
nunquam novi vos; discedite a me, qui operamini iniquitatem. Matth. vii.
22-23.
Inutilité de ses travaux.
25o
CHAPITRE DIXIÈME.
de doute, attendu que ceux-là ont aussi reçu le
caractère sacerdotal ; mais ils ne l'ont que par une indigne rapine,
et ils ne sont que des ministres d'iniquité, car ils ont, d'eux-mêmes
et sans nulle vocation, pénétré dans le bercail. «
Vous n'avez pas reçu les clefs, mais vous les avez enlevées,
leur dit saint Bernard : aussi le Seigneur se plaint-il de vous : Ils ont
régné par eux-mêmes, et non par moi1. » Ces malheureux
se donneront beaucoup de peine; mais Dieu ne les récompen-sera pas,
et même il les punira, car ils n'ont pas passé par la vraie
porte pour entrer dans le sanc-tuaire. Le travail des insensés les
affligera, eux qui ne savent pas aller à la ville par le vrai che-min2.
« L'Eglise, dit saint Léon, ne reconnaît pour ses ministres
que ceux dont le Seigneur a fait choix, et que l'Esprit-Saint, en les comblant
de ses grâces, a rendus dignes d'exercer le sacré mi-nistère3.
» Quant à ceux qui n'ont pas la vocation divine, l'Eglise
les repousse, car ceux-là ne la servent pas, ils ne font que lui
nuire, et, au lieu de l'édifier, ils la désolent et la détruisent;
« bien plus, ce sont, d'après saint Pierre Damien, les pires
ennemis de l'Église4. » Ceux que le Seigneur aura choisis,
s'approcheront de lui5. De même donc que Dieu fait bon accueil à
ceux qu'il s'est choisis pour ses ministres, ainsi rejette-t-il ceux qu'il
n'a
1. Tollitis, non accipitis claves; de quibus Dominus queritur
: Ipsi regnaverunt, et non ex me. De Conv. ad cler. c. 19.
2. Labor stultorum affliget eos, qui nesciunt in urbem pergere. Eccl.
x. 15.
3. Eos Ecclesia accipit, quos Spiritus sanctus praeparavit..., et dignatio
cœlestis gratiae gignit. In die ass. suae. s. 2.
4. Nemo deterius Ecclesiam laedit. Cont. cler. aul. c. 3.
5. Quos elegerit (Dominus), appropinquabunt ei. Num. xvi. 15.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
251
pas appelés. C'est pourquoi saint Éphrem regarde comme
voué à l'enfer quiconque, sans vocation, oserait se faire
ordonner prêtre. « Je m'épouvante, dit-il, quand je
vois certains insensés mettre tout en œuvre pour s'emparer audacieusement
de la dignité sacerdotale. Ignorants et misérables qu'ils
sont, la grâce de Jésus-Christ ne.les appelait pas : aussi
quel sera leur partage au dernier jour, sinon les flammes et une mort éternelle1
? » « Ah ! s'écrie également Pierre de Blois,
quelle ruine se pré-pare l'audacieux qui fait du sacrifice un sacrilège,
et de la vie un instrument de mort2 ! » Si quel-qu'un n'est pas dans
sa vocation, il court un bien plus grand risque de se perdre que celui
qui trans-gresserait, fût-ce même plusieurs préceptes
parti-culiers ; car celui-ci pourrait revenir sur ses pas et reprendre
le bon chemin, mais celui qui se trouve hors de sa vocation est toujours
en mauvaise voie : aussi plus il avance, plus il s'éloigne de sa
patrie, et on peut lui appliquer le mot de saint Augustin : « Tu
cours bien, mais hors de la route3. »
CONCLUSION.
IMPORTANCE DÉCISIVE DE LA VOCATION.
Il faut tenir pour certain que, dans la question de notre salut éternel,
rien n'est important comme d'embrasser l'état auquel Dieu nous a
destinés.
1. Obstupesco ad ea quae soliti sunt quidam insipientium audere, qui
temere se conantur ingerere ad munus Sacerdotii assumendum, licet non adsciti
a gratia Christi : ignorantes, miseri, quod ignem et mortem sibi accumulent.
Or. de Sacerd.
2. Quam perditus est, qui sacrificium in sacrilegium, qui vitam convertit
in mortem ! Ep. ad rich. lond.
3. Bene curris, sed extra viam.
De la vocation
dépendent la prédestination
252 CHAPITRE DIXIÈME.
« De la vocation, dit saint Grégoire, dépend l'éternité1.
« En voici la raison évidente : Dieu, dans l'ordre de sa providence,
assigne à chaque homme un certain état de vie, et c'est sur
l'état de vie ou la vocation de chacun, qu'il se règle ensuite
pour faire la distribution de ses grâces et de ses secours, selon
cette parole de saint Cyprien : "Dans la distribution de ses grâces,
le Saint-Esprit tient compte de ses plans, et non de nos caprices2. »
L'apôtre saint Paul ne décrit pas autrement l'ordre de la
prédestination pour chacun de nous : Ceux que Dieu a prédestinés,
il les a appelés ; et ceux qu'il a appelés, il les a justifiés;
et ceux-là, il les a glorifiés 3. Il y a donc tout d'abord
la vocation, puis la justifica-tion ; après la justification vient
la glorification, c'est-à-dire l'acquisition de la vie éternelle
: par conséquent celui qui est infidèle à la vocation
di-vine ne sera ni justifié ni glorifié. C'est pourquoi le
père de Grenade, parlant de la vocation, avait raison de l'appeler
la maîtresse-roue de toute la vie : de même en effet que dans
une montre on ne peut porter atteinte à la maîtresse-roue
sans déranger tout le mécanisme, de même, dit saint
Grégoire de Nazianze, si quelqu'un se met hors de sa vocation, il
s'égare pour toute sa vie ; car, sur cette route où Dieu
ne le veut pas, il se trou-vera privé de ces secours qui aident
tant à vivre chrétiennement.
1. A vocatione pendet aeternitas.
2. Ordine suo, non nostro arbitrio, Sancti Spiritus virtus minis-
tratur. De Sing. cler.
3. Quos praedestinavit, hos et vocavit; et quos vocavit, hos et
ustificavit; quos autem justificavit, illos et glorificavit. Rom. viii.30.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE. 253
Chacun reçoit son don particulier, dit saint Paul, l'un
d'une manière, et l'autre de l'autre1, c'est-à-dire, suivant
l'explication de saint Tho-mas et des autres interprètes, que chacun
reçoit les grâces nécessaires pour accomplir les devoirs
de l'état auquel le Seigneur l'a appelé. « Dieu, dit
le Docteur angélique, donne à chaque homme non seulement
certaines aptitudes, mais encore tout ce qu'il faut pour les mettre en
exercice2. » Il dit également : « Dieu ne destine pas
les hom-mes à tel ou tel état sans les douer en même
temps et les préparer de manière à les rendre ca-pables
de remplir leur vocation ; car, dit saint Paul, notre suffisance vient
de Dieu, qui nous a rendus capables d'être les ministres de la nouvelle
alliance3. » Il n'y a donc personne qui ne soit en état de
remplir les fonctions que Dieu lui confie ; par contre, personne ne sera
jamais apte aux fonctions pour lesquelles Dieu ne l'a pas choisi. Le pied,
qui nous a été donné pour mar-cher, «'est certainement
pas capable de voir, et l'œil, qui existe pour voir, ne peut entendre.
Gela étant, sera-t-il jamais apte à remplir ses obliga-tions
de prêtre, celui dont Dieu ne voulait pas faire un prêtre ?
C'est au Seigneur qu'il appartient de choisir les ouvriers chargés
de travailler à sa vigne. Moi-
1. Unusquisque proprium donum habet ex Deo : alius quidem sic, alius
vero sic. 1 Cor. vii. 7.
2. Cuicumque datur potentia aliqua divinitus, dantur etiam ea pet
quae exsecutio illius potentia; possit congrue fieri. Suppl. q. xxxv.
a. 1.
3. lllos quos Deus ad aliquid eligit, ita praeparat et disponit, ut,
ad id ad quod eliguntur, inveniantur idonei, secundum illud : Idoneos
nos fecit ministres Novi Testamenti. P. 3. q. xxvii. a. 1.
Et les secours divins,
Surtout pour les prêtres.
254 CHAPITRE DIXIÈME.
même je vous ai choisis, et je vous ai établis pour que
vous alliez et que vous rapportiez du fruit1. Aussi le divin Rédempteur
ne dit-il pas : Priez les hommes d'aller faire la moisson, mais : Priez
le maître de la moisson qu'il envoie des ouvriers pour la faire2.
Il dit encore: Comme mon Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie3.
Lorsque Dieu donne la vocation, Dieu donne aussi son secours. «
Celui qui m'a confié ce poste d'honneur, dit saint Léon,
fera que j'en remplisse les devoirs ; et, dans cette dignité qu'il
m'a im-posée, il me soutiendra de sa force4. » Telle est précisément
la promesse faite par Jésus-Christ: Je suis la porte. Si quelqu'un
entre par moi, il sera sauvé ; et il entrera, et il sortira, et
il trou-vera des pâturages5. Il entrera, c'est-à-dire qu'un
prêtre réellement appelé par Dieu réussira dans
toutes ses entreprises, de telle sorte qu'il évitera le péché
et s'enrichira de mérites ; et il sortira : ni les tentations ni
les occasions dangereuses ne lui feront défaut, mais avec l'aide
de Dieu il s'en tirera sain et sauf; et il trouvera des pâtu-rages
: grâce aux secours particuliers qu'il re-cevra d'en haut pour toutes
les fonctions de son ministère, il ne fera que croître en
ferveur, car il se trouve au poste que Dieu lui a assigné.
1. Ego elegi vos, et posui vos, ut eatis et
fructum afferatis. Jo. xv. 16.
2. Rogate ergo dominum messis, ut mittat operarios in messem suam.
Luc. x. 2.
3. Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. Jo. xx. 21.
4. Qui mihi honoris est auctor, ipse mihi fiet administrationum adjutor;
dabit virtutem, qui contulit dignitatem. In die ass. suae. s. 1.
5. Ego sum ostium. Per me si quis introierit, salvabitur; et ingre-dietur,
et egredietur, et pascua inveniet. Jo. x. 9.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
255
Aussi pourra-t-il s'écrier en toute confiance : Le Seigneur
me conduit, et rien ne me manquera. Il m'a placé dans de bons pâturages1.
Quant à ces intrus qui n'ont pas reçu mission du ciel pour
travailler dans l'Eglise, ils seront abandonnés de Dieu, et ils
n'auront éternellement en partage que la honte et la misère.
Ce n'est pas moi, dit le Seigneur dans Jérémie, qui envoyais
ces pro-phètes, mais ils couraient d'eux-mêmes2. A cause de
cela, ajoute le Seigneur, voilà que moi-même, vous saisissant
comme un fardeau, je vous enlè-verai et je vous abandonnerai ; et
je vous livrerai à un opprobre éternel, et à une ignominie
éternelle qui ne sera jamais effacée par l'oubli3.
« Pour qu'un homme s'élève jusqu'à la subli-mité
du sacerdoce, dit saint Thomas, il faut que la puissance divine le soulève
et le transporte au-dessus des choses humaines4, » car il s'agit
pour lui de devenir le sanctificateur des peuples et le vicaire de Jésus-Christ.
Mais quiconque prétend s'élever par lui-même à
cette insigne dignité, voici, d'après le Sage, le sort qui
l'attend : Tel a paru insensé, après avoir été
mis dans un rang sublime5. Peut-être, en restant dans le monde, aurait-il
été un laïque vertueux ; mais, devenu prêtre sans
vocation, loin d'être utile à l'Église,
1. Dominus regit me, et nihil mihi deerit ; in loco pascuae ibi me
collocavit. Ps. XXII. 1. 3. Non mittebam prophetas, et ipsi currebant.
Jer. xxiii. 21.
3. Propterea, ecce ego tollam vos portans, et derelinquam vos..., et
dabo vos in opprobrium sempiternum, et in ignominiam aeternam, quae nunquam
oblivione delebitur. Jer. xxiii. 39-40.
4. Ut divina virtute evehatur, et transmittatur supra naturalem rerum
ordinem. HABERT. De Ord. p. 3. c. 1. § 2.
5. Stultus apparuit, postquam elevatus est in sublime. Prov. xxx. 32.
256 CHAPITRE DIXIÈME.
il lui fera grand tort, et, comme s'exprime le ca-téchisme du
concile de Trente, « ces sortes de ministres sont pour l'Église
de Dieu le plus grave embarras et le plus terrible fléau1. »
En effet, quel bien voulez-vous que fasse un homme entré dans le
sanctuaire sans vocation ? « Il est impossible, s'écrie saint
Léon, qu'une œuvre si mal commencée finisse bien2. »
Saint Laurent Justinien dit également : « Quel fruit, je vous
le demande, quel fruit peut-il sortir d'une racine corrompue3?» Jésus-Christ
lui-même déclare que toute plantation sera arrachée,
si le Père céleste ne l'a point plantée4. «
Sans doute, con-clut Pierre de Blois, le Seigneur laisse librement aller
au sacerdoce ceux mêmes qu'il n'y appelle pas ; mais c'est là
un châtiment, et non une grâce : quand un arbre n'a pas poussé
de profondes raci-nes et se trouve exposé au vent, facilement il
sera renversé, puis on le jettera dans le feu5. » Quand on
n'entre pas dans le sanctuaire par la volonté de Dieu, ce n'est
pas non plus selon la volonté de Dieu qu'on se conduira, et, au
lieu de procurer le salut des âmes, on ne procurera que leur ruine
et leur mort. « Celui qui n'est pas entré légitime-ment,
dit saint Bernard, comment se conduira-t-il, sinon en traître et
en ennemi de Jésus-Christ?
1. Hujusmodi hominum genere nihil infelicius, nihil Ecclesiae Dei calamitosius
esse potest. P. 2. c. 7. q. 3.
2. Difficile est ut bono peragantur exitu, quae malo sunt inchoata
principio. Epist. 87. I
3. Qualem, oro, fructum potest producere corrupta radix ? De Compunct.
4. Omnis plantatio, quam non plantavit Pater meus cœlestis, era-dicabitur.
Matth. xv. 13.
5. Ira est, non gratia, cum quis ponitur super ventum, nullas habens
radices in soliditate virtutum. De inst. ep. c. 3.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE. 257
Il fera ce qu'il est venu faire, c'est-à-dire des vic-times
et des ruines1. » Voilà du reste ce que Jésus-Christ
lui-même a dit : Celui qui n'entre pas par la porte est un voleur
et un larron. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire
2.
Mais, dira-t-on, s'il faut, pour recevoir la prê-trise, tous
les signes de vocation énumérés et dé-taillés
plus haut, les prêtres vont faire défaut dans l'Église,
et les fidèles manqueront de secours ! — A cela le IVe concile de
Latran répond par ces paroles : « Il vaut beaucoup mieux conférer
le sa-cerdoce à un petit nombre de clercs vertueux, que d'avoir
un grand nombre de mauvais prêtres3. » « Dieu, ajoute
saint Thomas, n'abandonnera ja-mais son Église au point de la laisser
manquer de ministres capables de venir en aide à son peu-ple4. »
« Aussi bien, dit saint Léon, confier à de mauvais
prêtres le soin des âmes, c'est vouloir non pas les sauver,
mais les perdre5. »
Que doit donc faire le prêtre ordonné sans vo-cation?
Ne lui reste-t-il qu'à se tenir pour damné et à se
désespérer ? nullement. A cette question que se pose également
saint Grégoire : « Je suis prêtre sans vocation: que
faire maintenant? gémir6, »
1. Qui non fideliter introivit, quidni infideliter agat et contra Christum
? faciet ad quod venit, ut mactet utique et disperdat. De Vita cler. c.
7.
2. Qui non intrat per ostium..., ille fur est et latro. — Fur non venit
nisi ut furetur, et mactet, et perdat. Jo. x. l. 10.
3. Satins est maxime in ordinatione Sacerdotum paucos bonos quam multos
malos habere. Cap. 27.
4. Deus nunquam ita deserit Ecclesiam suam, quin inveniantur idonei
ministri sufficientes ad necessitatem plebis. Suppl. xxxvi. a. 4.
5. Non est hoc consulere populis, sed nocere. Epist. 87.
6. Sacerdos sum non vocatus ; quid faciendum ? Ingemiscendum.
Pas d'exception.
Ce que doit faire
un prêtre
ordonné sans
vocation.
LE PRÊTRE. — T. I.
17
258 CHAPITRE DIXIÈME.
Surtout qu'il prie.
répond-il. Voici donc ce que doit faire ce prêtre
s'il veut se sauver : il doit gémir, il doit, à force de
larmes et de pénitences, apaiser Dieu et obte-nir le pardon de l'énorme
péché dont il s'est ren-du coupable en entrant sans vocation
dans le sanc-tuaire. De plus, il doit maintenant acquérir cette
sainteté sans laquelle il n'aurait pas dû recevoir la prêtrise.
« Oui, dit saint Bernard, puisque la sainteté n'existait pas
avant, qu'au moins elle vienne après l'ordination1. » «
Par conséquent, ajoute-t-il, que désormais tout soit saint,
et votre vie et vos œuvres 2. » Qu'il ait donc une autre conduite,
d'autres relations, d'autres occupations. Si la science lui manque, il
doit étudier ; s'il perdait auparavant son temps en des entretiens
et des amusements mondains, il doit s'adonner au recueillement, à
l'oraison, à la lecture spirituelle, à la visite des églises.
Mais il lui faudra pour cela se faire violence. Car, ainsi que nous l'avons
déjà dit, entré sans vocation dans le corps ecclésiasti-que,
il est, à la vérité, devenu un de ses membres, mais
un membre disloqué et hors de sa place ; il ne peut dès lors
parvenir au salut qu'avec beau-coup d'efforts et de peine.
On objectera : puisqu'il a été dit plus haut qu'en devenant
prêtre sans vocation, on se prive des se-cours nécessaires
pour remplir les obligations sa-cerdotales, comment ce prêtre, abandonné
de la grâce, fera-t-il son devoir? Qu'il prie, répondent Habert3
et le continuateur de Tournely4, et par
1. Si vitae sanctitas non praecessit, sequatur saltem.
2. Bonas fac de caetero vias tuas et studia tua. Epist. 27.
3. De Ord. p. 3. c. 1. § 2.
4. De Oblig. cler. c.. a. 1. concl. 3.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE. 259
la prière il obtiendra ce qu'il ne mérite pas. «
Dieu, disent les théologiens, lui accordera par miséri-corde
ces mêmes secours qu'il donne en quelque sorte par justice aux vrais
élus du sanctuaire1. » C'est aussi ce qu'enseigne le concile
de Trente : « Dieu ne commande pas des choses impossibles; mais,
en vous donnant sa loi, il vous avertit de l'accomplir quand vous le pouvez
et de prier quand vous ne le pouvez pas, et alors il vous aide à
l'accomplir 2. »
1. Deus tunc ex misericordia ea homini largitur auxilia, quae legitime
vocatis ex qualicumque justifia debet.
2. Deus impossibilia non jubet: sed jubendo monet et facere quod possis
et petere quod non possis; et adjuvat ut possis. Sess. 6. cap. ii.
I. SELVA.
SECONDE PARTIE. INSTRUCTIONS.
PREMIÈRE INSTRUCTION.
SUR LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE.
I.
EXCELLENCE DU SAINT SACRIFICE DE LA MESSE.
Tout prêtre est pris d'entre les hommes, et il est chargé
des intérêts de Dieu, afin d'offrir pour les hommes des dons
et des sacrifices d'expiation1. Ainsi, d'après l'apôtre saint
Paul, offrir des sacri-fices, telle est la fin pour laquelle Dieu donne
les prêtres à son Église, et tel est, dans la loi de
grâce, l'office propre des prêtres ; car ils ont reçu
le pou-voir de célébrer le plus auguste des sacrifices, sacrifice
dont le corps et le sang du Fils de Dieu lui-même sont la matière,
sacrifice par conséquent d'une grandeur, d'une perfection absolue,
et dès lors si différent des sacrifices anciens, ombres et
figures du nôtre, auquel ils empruntaient toute leur perfection.
Des veaux et des boucs, voilà
1. Omnis namque Pontifex, ex hominibus assumptus, pro homi-nibus constituitur
in iis quae sunt ad Deum, ut offerat dona et sacri-ficia pro peccatis.
Heb. v. 1.
La messe,
supérieure à
tous les sacrifices
anciens,
264 PREMIÈRE INSTRUCTION.
L'action la plus sainte,
quelles étaient les victimes anciennes ; notre vic-time
à nous, c'est le Verbe éternel fait homme. Les sacrifices
de l'ancienne loi n'avaient par eux-mêmes aucune efficacité
: aussi l'Apôtre les ap-pelle-t-il de faibles et pauvres éléments1
; le sacri-fice de la loi nouvelle, au contraire, a la force d'obtenir,
en faveur de ceux pour lesquels il s'of-fre, d'abord la rémission
des peines temporelles dues aux péchés, ensuite, mais d'une
manière médiate, l'augmentation de la grâce et l'abondance
des secours divins.
Jamais prêtre ne célèbrera bien la messe, à
moins d'en avoir compris l'excellence. Or, de même qu'entre toutes
les œuvres opérées ici-bas par Jésus-Christ, la messe
occupe le premier rang, ainsi, de toutes les actions, elle est la plus
sainte qu'on puisse faire et la plus agréable à Dieu ; et
cela parce qu'on y offre Jésus-Christ, victime d'une valeur infinie,
et parce que le prin-cipal sacrificateur est ce même Jésus-Christ
s'of-frant par les mains du prêtre. « Le même Jésus-Christ
qui s'offrit autrefois sur l'autel de la croix, dit le concile de Trente,
s'offre ici par le ministère des prêtres2. » Saint Jean
Chrysostome dit dans le même sens : « Quand vous assistez à
la sainte messe, voyez non pas le prêtre, mais Jésus-Christ
dont la main est invisiblement étendue sur le pain et le vin3.»
1. Infirma et egena elementa. Gal. iv. 9.
2. Idem nunc offerens, sacerdotum ministerio, qui se ipsum tunc in
cruce obtulit. Sess. 22. cap. 2.
3. Cum videris sacerdotem offerentem, ne ut sacerdotem esse putes,
sed Christi manum invisibiliter extensam. Ad pop. Ant. hom. 60.
SUR LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE. 265
Quels honneurs les anges n'ont-ils pas rendus à Dieu par
leurs hommages, et les hommes par leurs vertus, leurs pénitences,
leurs martyres et autres œuvres saintes ! Néanmoins Dieu n'en a
pas reçu autant de gloire qu'il en reçoit par une seule messe.
Car tous les honneurs que lui rendent les créa-tures sont bornés
; mais, au saint sacrifice, il re-çoit un honneur infini, attendu
qu'il y est honoré par une personne divine. Nous devons donc re-connaître
que la messe est la plus sainte et la plus divine de toutes les actions,
selon ce que dit le concile de Trente : « N'hésitons pas à
le confes-ser, impossible que les fidèles serviteurs du Christ s'emploient
à n'importe quelle œuvre dont la sain-teté égale celle
de ce redoutable mystère1. » Voilà bien l'œuvre la
plus sainte et la plus agréable à Dieu, l'œuvre qui apaise
le plus efficacement le Seigneur irrité contre les pécheurs,
qui abat le plus victorieusement les forces de l'enfer, qui procure le
plus de grâces aux hommes ici-bas et soulage le mieux les âmes
du purgatoire; l'œuvre, en un mot, à laquelle se rattache le salut
du monde entier, comme le dit saint Odon, abbé de Cluny : «
De toutes les faveurs accordées aux hommes; celle-ci est la plus
grande; et c'est vraiment par le plus généreux élan
de son amour que Dieu ins-titua ce mystère sans lequel il n'y a
pas de salut pour le monde2. » Timothée de Jérusalem
attribue
1. Neccssario fatemur nullum aliud opus adeo sanctum ac divinum a christifidelibus
tractari posse, quam hoc tremendum mysterium, Sess. 22. Decr. de obs. in
cel. M.
2. Hoc beneficium majus est inter omnia bona quae hominibus con-cessa
sunt, et hoc est quod Deus majori charitate mortalibus induisit, quia in
hoc mysterio salus mundi tota consistit. Collat. 1. 2. cap. 28.
La plus glorieuse à Dieu,
266 PREMIÈRE INSTRUCTION.
La plus utile aux hommes ;
même à la messe la conservation de l'univers. «
C'est, dit-il, grâce à la messe que la terre sub-siste1 :
» autrement il y a longtemps que les péchés des hommes
en auraient provoqué la ruine.
D'après saint Bonaventure, le Seigneur nous fait dans chaque
messe une grâce qui ne le cède en rien à celle qu'il
nous fit dans son incarnation. « Grande est la faveur que Dieu nous
fit en pre-nant la nature humaine ; non moins grande, dit le saint docteur,
non moins grande, semble-t-il, est la faveur qu'il nous fait en descendant
chaque jour sur l'autel2.»Saint Augustin le proclame aussi dans cette
exclamation célèbre : « Étonnante dignité
des prêtres ! voilà qu'entre leurs mains, comme dans le sein
de la Vierge, s'incarne le Fils de Dieu3! » De plus, le sacrifice
de l'autel n'étant que l'applica-tion et le renouvellement du sacrifice
de la croix, une messe a la même efficacité que le sacrifice
de la croix pour procurer aux hommes toutes sortes de biens et le salut
éternel. « Dans chaque messe se retrouvent, dit saint Thomas,
tous les mérites acquis par Jésus-Christ mourant sur le Calvaire4.
» « Car tout ce qu'a produit la Passion de Notre-Seigneur,
le sacrifice de l'autel le produit égale-ment5.» « Une
messe qui se célèbre, dit pareil-
1. Per quam orbis terrae consistit. Or. de proph. Sim.
2. Non minus videtur facere Deus in hoc quod quotidie dignatur descendere
de cœlo super altare, quam cum naturam humani generis assumpsit. De Instit.
Novit. p. i. c. ii.
3. O veneranda sacerdotum dignitas, in quorum manibus, velut in utero
Virginis, Filius Dei incarnatur. Ap. MOLINA. Instr. s. tr. i. c.5. §
2.
4. In qualibet Missa invenitur omnis fructus quem Christus ope-ratus
est in cruce. Apud J. HEROLT. De Sanct. s. 48.
5. Quidquid est effectus Dominicae passionis, est effectus hujus sacramenti.
In Jo. vi. lect. 6.
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 267
lement saint Jean Chrysostome, c'est autant que la mort du Christ sur
la croix1. » L'Église elle-même le déclare en
termes plus formels encore : « Chaque fois qu'on renouvelle la mémoire
du sacrifice de la croix, chaque fois s'opère l'œuvre de la Rédemption2.
» Car c'est le même Rédemp-teur qui s'offrit pour nous
sur le Calvaire et qui s'offre sur l'autel, comme l'enseigne le concile
de Trente : « Il n'y a qu'une seule et même hostie : celui
qui s'offrit autrefois lui-même sur la croix, s'offre maintenant
par le ministère des prêtres ; toute la différence
est dans la manière3. »
Finalement l'Église ne possède rien de plus pré-cieux
ni de plus beau que la sainte messe, selon ce que disait le prophète
Zacharie : Qu'est-ce que le Seigneur a de bon et de beau, sinon le froment
des élus et le vin qui fait germer les vierges4 ? » En effet,
d'une part la sainte messe seule nous donne Jésus-Christ en nous
donnant le sacrement de l'au-tel; d'autre part le Docteur angélique
proclame cet auguste sacrement « la fin et la consommation de tous
les autres sacrements5.» Saint Bonaventure a donc bien raison de
s'écrier : « La sainte messe résume tout l'amour de
Dieu pour nous : elle est comme l'abrégé de tous les bienfaits
que le Sei-
1. Tantum valet celebratio Missae, quantum mors Christi in cruce. Apud
J. HEROLT. De Sanct. s. 48.
2. Quoties hujus hostiae commemoratio celebratur, opus nostrae redemptionis
exercetur. Miss. Dom. ix. p. Pent.
3. Una enim eademque est hostia, idem nunc offerens sacerdotum ministerio,
qui se ipsum tunc in cruce obtulit, sola offerendi ratione diversa. Sess.
22. cap. 2.
4. Quid enim bonum ejus est, et quid pulchrum ejus, nisi frumen-tum
electorum, et vinum germinans virgines ? Zach. ix. 17.
5. Sacramenta in Eucharistia consummantur. P. 3. q. LXV. a. 3.
Le plus précieux
trésor
de l'Église.
Comment
le prêtre
doit célébrer
la messe.
268 PREMIÈRE INSTRUCTION.
gneur a répandus sur les hommes1. » Aussi, dans sa fureur
pour abolir ici-bas la messe, que d'héré-tiques le démon
n'a-t-il pas déjà suscités, comme autant de précurseurs
de l'Antéchrist, lequel s'ap-pliquera tout d'abord et parviendra
réellement à faire cesser, en punition des péchés
des hommes, le saint sacrifice de la messe, suivant cette pro-phétie
de Daniel: A cause des péchés, la force lui fut donnée
contre le sacrifice perpétuel2.
Rien de plus juste par conséquent que ce dé-cret du concile
de Trente ordonnant aux prêtres de célébrer la messe
avec toute la dévotion et toute la pureté de conscience possibles
: « Nul doute que les prêtres ne doivent faire tous leurs efforts
et mettre toute leur application à célébrer avec la
plus grande pureté de cœur dont ils sont capables3. » Le saint
concile ajoute à bon droit : « Sur les ministres qui offrent
ce grand sacrifice avec négligence et sans dévotion tombe
la malé-diction prononcée par Jérémie : Maudit
celui qui fait l'œuvre de Dieu négligemment4 ! » Or, d'après
saint Bonaventure, c'est célébrer et communier in-dignement
que de s'approcher de l'autel avec peu de respect et d'attention. «
Prends garde, s'écrie le saint docteur, prends garde d'apporter
à l'autel
1. Et ideo hoc est memoriale totius dilectionis suae, et quasi com-pendium
quoddam omnium beneficiorum suorum. De Inst. Novit. p. 1. c. 11.
2. Robur autem datum est ei contra juge sacrificium propter pec-cata.
Dan. viii. 12.
3. Satis apparet omnem operam et diligentiam in eo ponendam esse, ut
quanta maxima fieri potest interiori cordis munditia pera-gatur. Sess.
22. Decr. de obs. in cel. M.
4. Maledictus qui facit opus Domini fraudulenter. Jer. XLVIII. 10.
I
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 269
un cœur par trop tiède, car tu profanerais le corps du Christ
si tu ne le recevais pas avec respect et attention1. »
Voyons donc ce que le prêtre, pour éviter une telle malédiction,
doit faire avant de célébrer la messe, ce qu'il doit faire
en la célébrant, et enfin ce qu'il doit faire après
l'avoir célébrée. Avant la messe, il doit faire sa
préparation ; durant la messe, il doit être pénétré
de respect et de dévo-tion ; après la messe, il doit faire
l'action de grâces. « La vie du prêtre, disait un serviteur
de Dieu, ne devrait être que préparation à la messe
et action de grâces. »
II.
LA PRÉPARATION.
Il faut donc, en premier lieu, que le prêtre, avant de célébrer,
fasse sa préparation.
Mais tout d'abord je demande : comment se fait-il qu'il y ait tant
de prêtres et parmi eux si peu de saints? D'après saint François
de Sales, « la messe est le mystère ineffable qui comprend
l'abîme de la charité divine2 ; » et d'après
saint Jean Chrysos-tôme, tous les trésors de la souveraine
bonté sont contenus dans le très saint Sacrement de l'autel.
« Avec cette simple parole Eucharistie, je fais écla-ter à
vos yeux, dit-il, toute la richesse de la bonté divine3. »
Sans doute c'est en faveur de tous les
1. Cave ne nimis tepidus accedas; quia indigne sumis, si non accedis
reverenter et considerate. De Praep. ad M. c. 5.
2. Introd. p. 2. ch. 14.
3. Dicendo Eucharistiam, omnem benignitatis Dei thesaurum aperio. In
I Cor. nom. 24.
Nécessité de la préparation,
27O PREMIÈRE INSTRUCTION.
fidèles que Dieu institua la sainte Eucharistie; toutefois elle
appartient spécialement aux prêtres. Prenez garde, leur dit
Notre-Seigneur, de donner les choses saintes aux chiens, et n'allez pas
jeter vos perles devant les pourceaux1. Qu'on remarque cette expression
vos perles. Or les Pères grecs donnent précisément
le nom de perles aux espèces sacramentelles; et, puisque Notre-Seigneur
dit vos perles, celles-ci sont donc d'une manière spéciale
la propriété des prêtres. Saint Jean Chrysostome conclut
de là que, durant la messe, les prêtres devraient s'enflammer
de l'amour divin au point de devenir la terreur de l'enfer. « En
sortant de l'autel, dit-il, soyons comme des lions qui ne res-pirent que
la flamme, et qu'à notre aspect le dé-mon tremble 2.»
Est-ce là ce qu'on voit? On voit, tout au contraire, la plupart
des prêtres descendre de l'autel encore plus tièdes, plus
impatients, plus orgueilleux, plus envieux, plus attachés à
l'estime propre, aux biens et aux plaisirs de la terre. « La faute
n'en est pas à la nourriture, dit le cardinal Bona, mais aux dispositions
de celui qui la prend3.» Telle est, en effet, cette divine nourriture,
que, prise une fois, elle suffirait, ainsi que le disait sainte Marie-Madeleine
de Pazzi, pour élever l'âme à la sainteté. Tout
le malheur vient donc du peu de préparation qu'on apporte à
la célébra-tion de la messe.
1. Nolite dare sanctum canibus, neque mittatis margaritas vestras ante
porcos. Matth. vii. 6.
2. Tanquam leones ignem spirantes ab illa mensa recedamus, facti diabolo
terribiles. Ad pop. Ant. hom. 61.
3. Defectus non in cibo est, sed in edentis dispositione. De sacr.
M. c. 6. § 6.
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 271
La préparation est double : l'une éloignée, l'autre
prochaine.
La préparation éloignée consiste dans cette pu-reté
et cette sainteté de vie qu'il faut au prêtre pour monter
dignement à l'autel. Si Dieu exigeait que les prêtres de l'ancienne
loi fussent très purs, seulement parce qu'ils avaient à porter
les vases sacrés : Purifiez-vous, ô vous qui portez les vases
du Seigneur1 ; « combien le prêtre, s'écrie Pierre de
Blois, ne doit-il pas être plus pur et plus saint, lui qui doit porter
dans ses mains et recevoir dans sa poitrine le Verbe incarné2 !
» Mais le prêtre n'est pas suffisamment pur et saint si à
l'exemption de tout péché mortel il ne joint encore l'exemption
des péchés véniels, au moins pleinement délibé-rés
: sinon Jésus-Christ ne l'admettra pas à avoir part avec
lui. « Que personne, dit saint Bernard, ne fasse peu de cas des petites
fautes ; car, ainsi qu'il fut dit à Pierre, si le Christ ne nous
en puri-fie, nous n'aurons nullement part avec le Christ3. » En vue
de la sainte messe, toutes les actions et paroles du prêtre doivent
donc être si saintes que toutes le disposent à célébrer
dignement.
Pour la préparation prochaine, ce qu'il faut d'abord, c'est
la méditation. Comment veut-on qu'un prêtre célèbre
avec piété, s'il monte à l'au-tel sans avoir auparavant
fait oraison ? Le véné-rable père Jean d'Avila disait
que chacun doit se
1. Mundamini, qui fertis vasa Domini. Is. LII. 11.
2. Quanto mundiores esse oportet, qui in manibus et in corpore portant
Chrisium ! Epist. 123.
3. Haec nemo contemnat, quoniam, ut audivit Petrus, nisi laverit ea
Christus, non habebimus partem cum eo. S. in Cœna Dom.
La préparation éloignée
Et la préparation prochaine :
272 PREMIERE INSTRUCTION.
La méditation du matin,
préparer à la messe par une oraison d'au moins
une heure et demie. Je n'exige qu'une demi-heure, et de quelques-uns un
quart d'heure seulement; toutefois un quart d'heure, c'est trop peu. Il
y a tant de livres avec de fort belles préparations pour la messe.
Mais qui est-ce qui s'en sert ? Aussi combien de messes qui se disent sans
dévotion et d'une manière déplorable !
La messe n'est autre chose que la Passion de Jésus-Christ renouvelée
sur nos autels. Voulant en conséquence que dans l'auguste sacrifice
on fasse toujours mémoire de la Passion du Rédemp-teur, le
pape Alexandre Ier ordonne « que le prêtre porte constamment
au saint autel le souvenir du Calvaire, de façon à ne jamais
produire le corps et le sang de Jésus-Christ sans célébrer
sa Passion1. » L'Apôtre avait déjà dit : Toutes
les fois que vous mangerez ce pain et boirez ce calice, vous annonce-rez
la mort du Seigneur2. D'après saint Thomas3, le Rédempteur
institua le très saint Sacrement afin de raviver sans cesse dans
nos cœurs le souve-nir de l'amour qu'il nous a témoigné et
des biens immenses qu'il nous a procurés en s'immolant sur la croix.
Si donc tous les hommes doivent vivre dans un continuel souvenir de la
Passion de Jésus-Christ, combien plus le prêtre ne doit-il
pas en avoir l'âme toute remplie, alors qu'il monte à l'au-tel
pour renouveler, quoique d'une manière non sanglante, le sacrifice
de la croix !
1. Inter missarum solemnia, semper passio Domini miscenda est, ut ejus,
cujus corpus et sanguis conficitur, passio celebretur. Epist.i.
2. Quotiescumque enim manducabitis Panem hunc et
Calicem bibetis, mortem Domini annuntiabitis. 1 Cor. xi. 26.
3. Offic. Corp. Chr.
SUR LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE.
273
La méditation du matin ne suffit pas. Le prêtre ne peut
pas dire la messe sans se recueillir au moins quelques instants pour réfléchir
à la grande action qu'il est sur le point d'accomplir. Voici ce
qu'ordonne à tous les prêtres le concile de Milan, tenu du
temps de saint Charles Borromée : «Avant de monter à
l'autel, que chacun se recueille pour méditer sur la grandeur de
ce mystère et s'en pé-nétrer profondément1.
» En arrivant à la sacristie, on doit donc congédier
toutes les pensées de la terre et dire comme saint Bernard : «Affaires
mon-daines, soucis, embarras terrestres, restez ici: laissez-moi librement
aller à mon Dieu avec toute mon intelligence et tout mon cœur, et
quand nous aurons adoré, nous reviendrons ; oui, nous re-viendrons
hélas ! et nous ne reviendrons que trop tôt2. » «
Quand je me dirige vers l'autel, écrivait saint François
de Sales à sainte Jeanne de Chan-tai, et que je suis sur le point
de commencer la messe, je perds de vue toutes les choses de la terre. »
Après avoir ainsi congédié toutes les pen-sées
étrangères, le prêtre ne doit plus s'occuper que de
la grande action qu'il va faire, et de ce pain céleste dont il va
se nourrir à cette table di-vine. Quand tu seras assis pour manger
avec le prince, considère attentivement ce qui est servi devant
toi3.
1. Antequam celebrent, se colligant, et orantes mentem in tanti ministerii
cogitatione defigant. Const. p. 2. n. 5.
2. Curae, sollicitudines, servitutes, expectate me hic, donec ego cum
puero, ratio scilicet cum intelligentia, usque illuc properantes, postquam
adoraverimus, revertamur ad vos; revertemur enim, et, heu ! revertemur
quam citissime. De amore Dei. c. 1.
3. Quando sederis ut comedas cum principe, diligenter attende quae
apposita sunt ante faciem tuam. Prov. xxiii. 1.
Derniers préparatifs.
LE PRÊTRE. — T. 1.
18
Vifs sentiments de foi.
274 PREMIÈRE INSTRUCTION.
Il considérera donc que dans quelques instants il appellera
du ciel en terre le Verbe fait homme, et cela pour le traiter comme on
traite un ami, pour l'offrir de nouveau au Père éternel,
et enfin pour se nourrir de sa chair trois fois sainte. Dans le but d'exciter
sa ferveur avant de monter à l'au-tel, le vénérable
Jean d'Avila avait coutume de se dire : Voici que je vais consacrer le
corps et le sang du Fils de Dieu, le tenir entre mes mains, lui faire ma
cour, lui parler cœur à cœur et le recevoir dans ma poitrine.
Le prêtre doit en outre considérer qu'il monte à
l'autel afin d'intercéder pour tous les pécheurs. «
Son office de médiateur, dit saint Laurent Jus-tinien, lui impose
l'obligation de prier pour tous les coupables1. » «A l'autel
il se trouve donc placé, dit saint Jean Chrysostome, entre Dieu
et le genre humain: à Dieu il offre les prières des hommes,
et aux hommes il distribue les faveurs divines2. » De là,
d'après saint Thomas, le nom de messe donné au sacrifice
de l'autel : « On l'ap-pelle messe, c'est-à-dire envoi, parce
que, remarque le saint docteur, les prières y sont adressées,
en-voyées à Dieu : celles du prêtre par le ministère
de l'ange, et celles du peuple par le ministère du prêtre3.
»
Sous l'ancienne loi, le grand prêtre ne pouvait entrer qu'une
fois par an dans le saint des saints.
1. Mediatoris gerit officium; propterea delinquentium omnium debet
esse precator. Serm. de Euchar.
2. Medius stat sacerdos inter Deum et naturam humanam, illinc venientia
beneficia ad nos deferens. In lsaiam. nom. 5.
3. Propter hoc Missa nominatur, quia per Angelum sacerdos preces ad
Deum mittit, sicut populus ad sacerdotem. P. 3. q. LXXXIII. a. 4.
i
SUR LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE. 275
Maintenant tous les prêtres peuvent chaque jour offrir l'Agneau
divin, afin d'attirer sur eux-mêmes et sur tout le peuple les bénédictions
du ciel. « Non, s'écrie saint Laurent Justinien, ce n'est
plus seulement une fois par an, comme sous l'an-cienne loi, c'est chaque
jour que les prêtres ont la permission d'entrer dans le saint des
saints et d'y offrir la grande victime tant pour eux-mêmes que pour
la réconciliation du monde1. » Saint Bonaventure conclut de
tout cela que le prêtre doit, en offrant l'auguste sacrifice, se
proposer les trois fins suivantes : « Honorer Dieu, célébrer
la mémoire de la Passion et de la mort du Sauveur, venir au secours
de l'Église universelle en, lui obtenant toutes sortes de grâces2.
»
III.
LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE.
Il faut, en second lieu, que la messe se célèbre avec
respect et dévotion. On sait que les prêtres adoptèrent
anciennement l'usage du manipule pour essuyer leurs larmes, car, en célébrant,
ils pleuraient continuellement de dévotion. Nous avons en outre
déjà remarqué que le prêtre à l'au-tel
représente la personne même de Jésus-Christ. «
Le prêtre, dit saint Cyprien, tient vraiment la
1. Ipsis profecto sacerdotibus licet, non tantum semel in anno, ut
olim, sed diebus singulis, intraire sancta sanctorum, et tara pro ipsis
quam pro populi reconciliatione, offerre hostiam. De Inst. prael. c. 10.
2. Tria sunt, quae celebraturus intendere debet, scilicet : Deum colere,
Christi mortem memorari, et totam Ecclesiam juvare. De Prap. ad M. c. 9.
Respect
et dévotion à
l'autel.
Il faut célébrer
la messe
selon
les rubriques,
276 PREMIÈRE INSTRUCTION.
place du Christ1. » Oui, c'est vraiment comme un autre Jésus-Christ
qu'il prononce ces paroles :
HOC EST CORPUS MEUM, HIC EST CALIX SANGUINIS MEI.
Mais, ô ciel! en voyant la manière dont tant de prêtres
disent la messe, il faudrait répandre des larmes et des larmes de
sang. C'est, disons-le, une pitié de voir le peu de cas que font
de Jésus-Christ beaucoup de prêtres, beaucoup de religieux,
même de ceux qui appartiennent à des ordres réformés.
Véritablement, à voir de quelle manière ces prêtres
ont coutume de célébrer la messe, on pourrait leur adresser
le reproche que Clément d'Alexandrie adressait aux prêtres
païens : « Impies que vous êtes ! Du ciel vous faites
un théâtre, et Dieu lui-même n'est plus entre vos mains
qu'un héros de comédie 2 ! » Que dis-je, théâtre
et comédie ? s'ils avaient à paraître sur la scène,
avec quel soin ils s'acquitteraient de leur rôle! Mais, à
la célébration de la messe, quels soins apportent-ils ? Paroles
tronquées, génuflexions plus semblables à des mo-queries
qu'à des témoignages de respect, bénédic-tions
qui sont plutôt d'inqualifiables grimaces; ils se tournent et se
retournent à l'autel comme pour provoquer le rire; ils mêlent
les paroles aux cérémonies, celles-ci arrivant plus tôt
que ne le veulent les rubriques. Pourtant les rubriques, d'après
la vraie doctrine, sont toutes de précepte ; car, dans la bulle
placée en tête du missel, le pape Pie V prescrit et exige,
de par la sainte obéis-
1. Sacerdos vice Christi vere fungitur. Epist. ad Cœcil.
2. O impietatem ! scenam cœlum fecistis, et Deus vobis factus est actus!
Or. ad Gent.
SUR LA CÉLÉBRATION DE LA
MESSE. 277
sance, que la messe se célèbre selon les rubriques
du missel1. De ces paroles il résulte qu'on ne peut excuser de péché
celui qui manque aux ru-briques, et s'il y manque en matière grave,
on ne peut l'excuser de péché mortel.
Le malheur est qu'on veut arriver bien vite à la fin de la messe.
Comment certains prêtres cé-lèbrent-ils ? tout à
fait comme si l'église allait crouler, ou que les voleurs dussent
survenir sans leur laisser le temps de prendre la fuite. Un prê-tre
passera deux heures dans des conversations inutiles, dans des occupations
mondaines ; à quoi va-t-il ensuite appliquer toute son ardeur ?
à expédier sa messe. Tel il était au commence-ment,
tel il sera pendant toute la durée de la sainte action, consacrant
le corps de Jésus-Christ, le prenant entre ses mains, s'en nourrissant,
avec aussi peu de respect que si c'était simplement un morceau de
pain. Il faudrait que quelqu'un se trouvât toujours là pour
l'avertir comme fit un jour le vénérable Jean d'Avila. Un
prêtre célébrait de la sorte, il alla le trouver à
l'autel et lui dit : « De grâce, traitez-le mieux, car enfin
c'est le fils d'un père très respectable. »
Le Seigneur avait commandé aux prêtres de l'ancienne loi
de ne s'approcher du sanctuaire qu'en tremblant de respect : Tremblez auprès
de mon sanctuaire 2. Et un prêtre de la loi nou-velle se comporte
à l'autel avec tant d'irrévé-rence, alors que, se
trouvant en la présence de
1. Juxta ritum, modum ac normam quae per missale hoc a nobis nunc traditur
; districte, in virtute sanctae obedientiae.
2. Pavete ad sanctuarium meum. Lev. xxvi. 2.
Sans précipitation,
278 PREMIÈRE INSTRUCTION.
Sans négliger
aucune
des cérémonies
prescrites.
Jésus-Christ lui-même, il lui parle, le prend entre
ses mains, l'offre à Dieu le Père et le reçoit en
nourriture ! Sous l'ancienne loi, le Seigneur avait menacé de châtiments
sans nombre les prê-tres coupables de manquer aux cérémonies
pres-crites pour les sacrifices, lesquels n'étaient cepen-dant que
de simples figures du nôtre : Que si tu ne veux point écouter
la voix du Seigneur, afin de garder ses cérémonies,... toutes
ces malédictions viendront sur toi... Maudit tu seras dans la ville,
maudit dans la campagne1 Sainte Thérèse disait: « J'aurais
donné mille fois ma vie pour la plus petite cérémonie
de l'Eglise2. » Et le prêtre n'en fait aucun cas ! D'après
Suarez3, on ne saurait excuser de péché l'omission de n'importe
quelle cérémonie prescrite dans la célébration
de la messe ; si l'omission est considérable, beaucoup de docteurs
estiment que la faute peut aller jus-qu'au péché mortel.
Dans notre Théologie morale4, nous avons prouvé par l'autorité
de bon nombre d'auteurs, qu'on ne peut excuser de péché mortel
celui qui célèbre la messe en moins d'un quart d'heure. Pour
deux raisons : à cause de l'irrévérence qu'on commet
envers le saint sacrifice en célébrant ainsi à la
hâte, et à cause du scandale qui en ré-sulte pour le
peuple.
1. Quod si audire nolueris vocem Domini Dei tui, ut custodias... caeremonias...,
venient super te omnes maledictiones istae... Maledic-tus eris in civitate,
maledictus in agro. Deut. xxviii. 15.
2. Vie. ch. 33.
3. De Sacram, d. 84. s. 2.
4. Theol. mor. 1. 6. n. 400.
En quoi consiste
le respect dû à
la messe;
Mal célébrer, c'est scandaliser;
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 279
Quant au respect avec lequel il faut traiter le saint sacrifice, nous
avons cité plus haut ce dé-cret du concile de Trente, ordonnant
aux prêtres d'apporter à la célébration de la
messe toute la dévotion possible : « Nul doute qu'ils ne doivent
mettre tous leurs soins à célébrer les saints mys-tères
avec toutes les marques possibles de la plus fervente dévotion et
de la piété la plus tendre1. » Omettre ces marques
même extérieures de dévo-tion, « c'est, ajoute
le saint concile, une telle irré-vérence qu'elle constitue
une sorte d'impiété2. » En outre, de même que
les cérémonies bien faites témoignent le respect,
ainsi accusent-elles le mé-pris quand on s'en acquitte mal: alors,
si la ma-tière est grave, il y a péché mortel. Remarquons
également que, pour manifester envers cet au-guste sacrifice le
respect convenable, il ne suffit pas d'observer les cérémonies,
car il se pourrait qu'un prêtre, vu sa grande facilité d'élocution
et la rapidité de ses mouvements, expédiât sa messe
en moins d'un quart d'heure ; il faut encore que tout se fasse avec cette
décence et cette gravité qui, elles aussi, font intrinsèquement
partie de la vénération due au sacrifice de nos autels.
Ensuite, quant au scandale, une messe dite en si peu de temps est un
péché mortel, par cette autre raison que le peuple n'y assiste
pas sans se scandaliser. Il faut observer ici ce que dit autre part le
même concile de Trente, à savoir que les
1. Omnem operam ponendam esse, ut quanta maxima fieri potest exteriori
devotionis ac pietatis specie peragatur. Sess. 22. Decr. de Obs. in M.
3. Irreverentia quae ab impietate vix se juncta esse potest. Ibid.
280
PREMIÈRE INSTRUCTION.
C'est
porter les fidèles
au mépris des
saints mystères ;
cérémonies de la messe ont été instituées
par l'Église pour inculquer aux fidèles la grande idée
et le respect qu'on doit avoir d'un si auguste sa-crifice et des sublimes
mystères qu'il renferme. « L'Eglise, ainsi s'exprime le concile,
institua ces cérémonies pour faire éclater la grandeur
de ce redoutable sacrifice et pour exciter l'intelli-gence des fidèles
à s'élever, par ces marques exté-rieures de religion,
jusqu'à la contemplation des sublimes vérités qu'il
renferme1. » Mais ces cé-rémonies faites avec tant
de précipitation, loin d'inspirer du respect au peuple, lui font
plutôt perdre tout ce qu'il avait de vénération pour
ce mystère si saint. « Tous ces prêtres aux mœurs légères
et à la conduite mondaine, toutes ces messes célébrées
avec tant d'irrévérence, sont cause, dit Pierre de Blois,
que les peuples ne tien-nent plus en suffisante estime le très auguste
sa-crement de notre rédemption2. », Or pareil scan-dale ne
peut être excusé de péché mortel. Aussi, dans
le concile tenu à Tours en 1585, est-il or-donné aux prêtres
de savoir exactement les céré-monies de la messe, «
de crainte que les fidèles confiés à leur sollicitude,
bien loin de concevoir de la vénération pour nos divins mystères,
ne les regardent plus qu'avec indifférence3. »
Comment les prêtres veulent-ils, par de telles
1. Ecclesia caeremonias adhibuit, quo et majestas tanti sacrificii
commendaretur, et mentes fidelium, per haec visibilia religionis signa,
ad rerum altissimarum, quae in hoc sacrificio latent, contemplationem excitarentur.
Sess. 22. De Sacrif. M. c. 5.
2. Ex in ordinata et indisciplinata multitudine sacerdotum, hodie da-tur
ostentui nostrae redemptionis venerabile Sacramentum. Epist. 123.
3. Ne populum sibi commissum a devotione potius revocent, quam ad sacrorum
mysteriorum venerationem invitent.
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 281
messes et avec toutes leurs irrévérences, obte-nir les
bénédictions du ciel ? Car ce même Dieu qu'ils offrent
à l'autel, ils l'offensent, et, au lieu de l'honorer, ils ne négligent
rien pour Je désho-norer. Le prêtre qui n'aurait pas la foi
en la pré-sence réelle offenserait certainement Dieu. Mais
il l'offense bien davantage, celui qui y croit et qui non seulement ne
témoigne pas lui-même, mais fait perdre encore aux assistants
le respect dû à la divine Eucharistie. Les juifs avaient com-mencé
par respecter Jésus-Christ; mais quand ils virent leurs prêtres
s'acharner contre lui, ils per-dirent tout respect et se mirent enfin à
crier aussi : Otez-le! Otez-le! Crucifiez-le ! C'est ainsi, pour demeurer
dans notre sujet, que les séculiers, en voyant de nos jours des
prêtres célébrer avec tant d'irrévérence,
perdent la haute idée qu'ils avaient de la messe, et cessent de
l'avoir en vénération. Une messe dite avec piété
donne de la dévotion aux assistants; par contre, une messe dite
sans piété leur fait perdre la dévotion et presque
la foi. Je tiens d'un religieux digne de toute créance qu'à
Rome certain hérétique avait pris la résolution de
quitter l'erreur, lorsqu'un jour, ayant vu cé-lébrer une
messe sans dévotion, il alla trouver le souverain pontife pour lui
dire qu'il ne voulait plus abjurer, car sa conviction était que
ni les prêtres ni même le pape ne croyaient aux dog-mes du
catholicisme. « En effet, disait-il, si j'étais pape et qu'il
y eût à ma connaissance un prêtre coupable de dire la
messe avec tant d'irré-vérence, je le ferais brûler
vif ; puis donc que je vois des prêtres célébrer ainsi
et ne recevoir au-
C'est déraciner la foi.
Quel malheur
pour les séculiers !
282 PREMIÈRE INSTRUCTION.
cun châtiment, j'en conclus que le pape lui-même n'a pas
la foi. » Cela dit, il se retira et ne voulut plus entendre parler
d'abjuration.
Mais, répliquent certains prêtres, les longues messes
font murmurer les séculiers. — Ainsi donc, leur répondrai-je
tout d'abord, c'est sur le peu de dévotion des séculiers
qu'on doit mesurer le degré de respect dû au sacrifice de
la messe ! J'ajoute que, si les prêtres célébraient
avec le respect et la gravité convenables, les séculiers
ne manqueraient pas d'avoir pour un si grand sacrifice le respect qui lui
est dû, et ils ne se plaindraient pas d'avoir à passer une
demi-heure devant les autels. Mais c'est précisément parce
que les messes se disent si vite et n'inspirent aucune dévotion,
que les séculiers s'y conduisent, à l'exemple des prêtres,
sans respect et presque sans foi. Alors, au bout d'un quart d'heure, s'ennuyant
d'employer si mal leur temps, ils se plaignent; et tels qui savent passer
des heures entières devant une table de jeu, ou sur une place publique
à ne rien faire, trouvent insupportable qu'il leur faille passer
une demi-heure à entendre une messe. Tout ce mal vient des prêtres.
0 prêtres, vous méprisez mon nom et vous dites: En quoi avons-nous
méprisé votre nom?... En ce que vous dites par vos actes
: La table du Seigneur ne mérite pas tant de révérence1.
Parce que les prêtres n'observent pas le respect qu'on doit à
la messe, ils sont cause que les autres la méprisent.
1. Ad vos, o sacerdotes, qui despicitis nomen meum et dixistis: In
quo despeximus nomen tuum?... In eo quod dicitis: Mensa Domini despecta
est. Mal. i. 6.
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 283
Pauvres prêtres ! Le vénérable Jean d'Avila, ap-prenant
qu'un prêtre était mort après avoir célébré
sa première messe, s'écria : « Oh ! quel terrible compte
il aura dû rendre à Dieu pour cette pre-mière messe
! » Jugez de là ce qu'il devait dire des prêtres qui,
pendant trente ou quarante ans, célè-brent de la manière
scandaleuse dont nous venons de parler. Je le demande encore une fois,
com-ment de tels prêtres pourraient-ils, avec de pa-reilles messes,
se rendre le Seigneur propice et obtenir ses grâces, puisque, en
célébrant de la sorte, ils l'insultent bien plus qu'ils ne
l'hono-rent? « C'est par les sacrifices, dit le pape saint Jules,
que s'obtient la rémission de toutes les ini-quités: dès
lors, qu'offrira-t-on au Seigneur en expiation des péchés,
quand, à l'oblation même du sacrifice, se mêle le péché1
? » Pauvres prêtres, et aussi pauvres évêques
qui laissent ces prêtres-là monter à l'autel ! Car
le concile de Trente fait une loi aux évêques de ne jamais
souffrir que la messe se dise avec irrévérence. Voici ses
propres paroles : « Le saint synode veut que les ordinaires prennent
grandement à cœur et se fassent un devoir d'abolir tous ces abus
introduits par une irrévérence si grande qu'elle constitue
une im-piété2. » Qu'on remarque bien ces paroles «
pren-nent à cœur et se fassent un devoir d'abolir. » Il faut
donc que les évêques suspendent le prêtre
1. Cum omne crimen sacrificiis deleatur, quid pro delictorum ex-piatione
Domino dabitur, quando in ipsa sacrificii oblatione erratur. Cap. Cum omne.
de Consecr. dist. 2.
2. Decernit sancta synodus ut Ordinarii locorum ea omnia pro-hibere
sedulo curent ac teneantur, quae irreverentia (quae ab impie-tate vix sejuncta
esse potest) induxit. Sess. 22. Decr. de obs. in M.
Mais surtout
pour les prêtres
eux-mêmes.
284
PREMIERE INSTRUCTION.
Exhortation aux prêtres.
coupable de célébrer sans le respect convenable
; et cela quand même ce prêtre serait un régulier ;
car, dans le cas présent, les évêques sont, de par
le concile, délégués apostoliques, et ils ont en conséquence
le devoir de s'enquérir comment les messes se disent dans leur diocèse.
Quant à nous, ô prêtres mes frères, ayons
soin de nous corriger, si, par le passé, nous avons offert cet auguste
sacrifice avec peu de dévotion et de respect. Dès ce jour
changeons de conduite. Ne montons jamais à l'autel sans nous être
pénétrés de ce que nous allons faire. Or nous allons
faire la plus grande et la plus sainte action dont puisse s'occuper un
homme. Ensuite quel bien qu'une messe célébrée avec
dévotion ! quel bien pour celui qui la dit et pour celui qui y assiste
! « Votre prière, dit un auteur, est plus vite exaucée
quand elle se fait dans l'église en la présence du prêtre
qui célè-bre4. » Si donc Dieu exauce plus vite la prière
du séculier qui le prie en union avec le prêtre à l'au-tel,
combien plus ne se hâtera-t-il pas d'exaucer la prière du
prêtre lui-même célébrant avec dévotion?
A celui qui chaque jour célèbre avec quelque dé-votion,
le Seigneur accordera sans cesse de nou-velles lumières et de nouvelles
forces. Jésus-Christ l'éclairera, le consolera, l'animera
toujours davan-tage, et toujours il l'exaucera en le comblant de faveurs
selon la mesure de ses désirs. Mais surtout que le prêtre
tienne pour certain qu'après la con-sécration, à partir
du moment où Jésus-Christ se
1. Oratio citius exauditnr in ecclesia in praesentia sacerdotis celebrantia.
Cfr. J. HEROLT. De sanct. s. 48.
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 285
trouve présent sur l'autel, toutes les grâces divines
sont en quelque sorte à sa disposition. « Quand je suis à
l'autel, disait le vénérable père Antoine de Colellis,
et que je tiens Jésus-Christ entre mes mains, il m'accorde tout
ce que je veux. » Il est rapporté dans la Vie de saint Pierre
d'Alcantara, que sa messe, grâce à la ferveur avec laquelle
il la disait, produisait dans sa province plus de fruits que tous les sermons
des prédicateurs. Le concile de Rodez enjoint aux prêtres
de prononcer les paroles de la messe avec une telle dévotion et
de faire les cérémonies avec une telle piété,
que tout le monde puisse voir quelle est leur foi, quel est leur amour
envers Jésus-Christ réellement pré-sent devant eux
sur l'autel1. « C'est par son main-tien extérieur, dit saint
Bonaventure, que le célé-brant manifeste les dispositions
intérieures de son âme2. »
Je rappellerai ici, en passant, ce décret du pape Innocent III:
« Nous ordonnons que les églises, les vases, les corporaux,
les ornements soient tenus bien propres, car il semble par trop absurde
de supporter jusque dans le sanctuaire des taches qui feraient honte dans
les choses profanes3. » Hélas! combien le souverain pontife
avait raison de parler ainsi! car certains prêtres n'ont pas honte
de célébrer avec des corporaux, des puri-
1. Actio et pronuntiatio ostendat fidem et intentionem quam (sa-cerdos)
habere debet de Christi et Angelorum in sacrificio praesentia.
2. Intrinsecos motus gestus exterior attestatur. Spec. disc. p. 2.
c. 1.
3. Praecipimus quoque ut oratoria, vasa, corporalia, et vestimenta,
munda et nitida conserventur ; nimis enim videtur absurdum in sacris sordes
negligere, quae dedecerent etiam in profanis. Tit. 44. Can. 1. Relinqui.
Nécessité
de l'action de
grâces.
286 PREMIÈRE INSTRUCTION.
ficatoires, des calices dont il leur répugnerait de se servir
à table.
IV.
L'ACTION DE GRACES.
En troisième lieu, après la sainte messe, il faut de
toute nécessité faire l'action de grâces, et elle ne
doit se terminer qu'avec la journée.
« Quelque mince service que les hommes aient rendu, dit saint
Jean Chrysostome, ils exigent que par reconnaissance on les paie de retour
: quelle reconnaissance ne devons-nous donc pas à Dieu ! Toutefois
il n'exige pas que nous le payions de retour, il veut seulement que nous
le remerciions, et cela dans notre propre intérêt1. »
Que si nous ne pouvons pas, ajoute le saint, remercier le Seigneur autant
qu'il le mérite, du moins remercions-le autant que nous le pouvons.
Mais quel malheur et quel désordre de voir tant de prêtres,
aussitôt leur messe dite, prendre à peine le temps de réciter
quelques courtes priè-res, rentrer dans la sacristie sans recueillement
ni piété, et se mettre tout de suite à parler de cho-ses
inutiles et d'affaires mondaines ! Que dis-je ? ils sortent de l'église
et emportent Jésus-Christ au milieu des rues. Il faudrait sans cesse
renouveler à leur égard ce que fit une fois le vénérable
père Jean d'Avila, lequel, voyant un prêtre sortir de l'é-glise
aussitôt après sa messe, chargea deux clercs
1. Si homines parvum beneficium praestiterint, exspectant a nobis gratitudinem
: quanto magis id nobis faciendum in iis quae a Deo accipimus, qui hoc
solum ob nostram utilitatem vult fieri! In Gen. hom. 26.
1
SUR LA CÉLÉBRATION DE LA
MESSE. 287
de l'escorter avec un flambeau en mains ; et comme le prêtre
leur demandait ce que cela signifiait, ils répondirent: «
Nous faisons cortège à Jésus-Christ que vous portez
dans votre poitrine. » Il faudrait encore leur adresser cette exclamation
de saint Bernard dans une lettre à l'archidiacre Foulques : «
Hélas ! comment vous ennuyez-vous si vite du Christ1 ? » Oui,
comment est-ce possible qu'un prêtre s'ennuie si vite de tenir compagnie
à Jésus-Christ, alors qu'il le possède au milieu de
son cœur ?
Il y a tant de livres qui recommandent de faire l'action de grâces
après la messe. Mais combien de prêtres la font? Ceux qui
y sont fidèles peuvent se compter. On en trouve bien qui n'omettent
pas leur méditation et récitent quantité de prières
vocales, mais après la messe ils s'entretiennent peu ou point du
tout avec Jésus-Christ. Si du moins ils le faisaient ne fût-ce
que durant le temps où les espèces consacrées se conservent
dans leur poitrine !
Le vénérable Jean d'Avila recommandait de faire grand
cas du temps précieux qui suit la messe. Aussi lui-même avait-il
l'habitude, après avoir célébré, de se tenir
pendant deux heures recueilli en Dieu. C'est après la communion
que le Sei-gneur dispense le plus abondamment ses grâces. «
Alors, disait sainte Thérèse, Jésus-Christ se trouve
dans l'âme comme sur un trône d'amour et il lui dit : Que veux-tu
que je te fasse2 ? »
1. Heu, quomodo Christum tam cito fastidis! Epist. 2. 2. Quid vis ut
tibi faciam?
Son importance,
288
PREMIÈRE INSTRUCTION.
Il faut en outre savoir ce qu'enseignent Suarez1, Gonet2, et
beaucoup d'autres docteurs, qu'après la communion, et tant que durent
les saintes es-pèces, l'âme reçoit d'autant plus de
grâces qu'elle s'y dispose davantage en augmentant de ferveur intérieure.
Car, ainsi que l'enseigne le concile de Florence3, ce sacrement ayant été
institué par forme de nourriture, il s'ensuit qu'à la manière
des aliments, dont le propre est de nourrir d'au-tant plus qu'ils séjournent
davantage en nous, ce Pain céleste ne cesse, tant que durent les
espèces sacramentelles, de communiquer toujours plus abondamment
la vie de la grâce, pourvu toutefois que l'âme s'applique à
croître en ferveur. D'au-tant plus qu'après la communion,
chacune de nos prières emprunte une augmentation de prix et de mérite
à l'union de notre âme avec Jésus-Christ, selon ce
qu'il nous apprend lui-même : Celui qui mange ma chair et boit mon
sang demeure en moi, et moi en lui4. Alors, dit saint Jean Chrysostome,
« on ne fait qu'une seule et même chose5 » avec Jésus-Christ.
Alors aussi l'âme agissant en union avec Jésus-Christ, ses
actes acquièrent d'autant plus de valeur. Par contre, le Seigneur
ne veut pas gaspiller ses grâces en les dispensant aux ingrats. «
Car, dit saint Bernard, ne serait-ce pas donner en pure perte que de donner
à un ingrat6 ? »
1. De Sacram. disp. 63. sect. 7.
2. Man. Thom. p. 3.. tr. 4. c. 9.
3. Decr. ad Arm.
4. Qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem, in me manet, et
ego in illo. Jo. vi. 57.
5. Ipsa re nos suum efficit corpus. Ad. pop. Ant. hom. 60. 6. Numquid
non perit, quod donatur ingrato ? In Cant. s. 51.
1
SUR LA CÉLÉBRATION DE
LA MESSE. 289
Après la messe, passons donc une demi-heure avec Jésus-Christ,
ou tout au moins un quart d'heure. Cependant un quart d'heure, c'est trop
peu. En effet, il faut bien le remarquer, dès le moment de son ordination,
le prêtre cesse de s'appartenir pour ne plus appartenir qu'à
Dieu. « Le vrai ministre de l'autel, dit saint Ambroise, n'est plus
à lui-même, mais à Dieu1. » Dieu lui-même
l'avait déjà déclaré : Parce qu'ils offrent
l'encens au Seigneur et les pains de proposition, c'est pourquoi ils seront
saints2.
Sa durée.
V.
DE CEUX QUI S'ABSTIENNENT DE DIRE
LA MESSE.
Certains prêtres s'abstiennent par humilité de dire la
messe : un mot donc à ce sujet.
S'abstenir par humilité de dire la messe, c'est bien, mais ce
n'est pas ce qu'il y a de meilleur. Les actes d'humilité rendent
à Dieu un honneur fini; mais la messe lui procure un honneur in-fini,
parce qu'ici l'hommage vient d'une personne divine. Qu'on pèse les
paroles suivantes de saint Bonaventure: « En s'abstenant, sans empêche-ment
légitime, de dire la messe, le prêtre refuse de contribuer
à la gloire de la Trinité, à la joie des anges, à
la délivrance des pécheurs, à la per-sévérance
des justes, au soulagement des âmes du
1. Verus minister altaris Deo, non sibi, natus est. In Ps. cxviii.
s. 8.
2. Incensum enim Domini et panes Dei sui offerunt, et ideo sancti erunt.
Lev. xxi. 6.
LE PRÊTRE. — T. I.
19
Fidélité à
dire chaque jour
la messe
I
Malgré tous les obstacles.
29O PREMIÈRE INSTRUCTION.
purgatoire, à la défense de l'Église, enfin à
sa propre guérison1. »
Pendant que saint Gaétan était à Naples, il ap-prit
qu'un cardinal de ses amis, surchargé d'af-faires en cour romaine,
commençait à se relâcher de la bonne habitude qu'il
avait de dire chaque jour la sainte messe. Bien qu'on fût aux plus
fortes chaleurs de l'été et qu'il y allât de sa vie,
le saint voulut partir pour Rome afin de ramener son ami à de meilleurs
sentiments. Il fit en effet ce voyage et revint ensuite à Naples.
— On rap-porte dans la Vie du vénérable Jean d'Avila qu'un
jour il se dirigeait vers un ermitage pour y dire la sainte messe. En route,
et alors qu'il se trouvait encore fort loin de l'ermitage, il fut pris
d'une telle faiblesse que, désespérant d'arriver, il allait
s'arrêter et renoncer à dire la messe. Mais Jésus-Christ
lui apparut sous la forme d'an pèlerin ; et, après avoir
découvert sa poitrine pour lui mon-trer ses plaies et surtout la
plaie de son côté, il lui dit : « Quand j'étais
ainsi couvert de plaies, je me sentais bien plus souffrant et bien plus
faible que toi. » A ces mots, le Sauveur disparut, et le véné-rable
Jean d'Avila, reprenant courage, se remit en route et célébra
sa messe.
1. Cum Sacerdos, non habens legitimum impedimentum, celebrare omittit,
quantum in se est, privat Trinitatem gloria, Angelos laetitia, peccatores
venia, justos subsidio, in purgatorio existentes refrigerio, Ecclesiam
beneficio, et seipsum medicina. De Praep. ad M. c. 5.
»
DEUXIÈME INSTRUCTION.
SUR LE BON EXEMPLE QUE LE PRÊTRE DOIT DONNER.
I.
IMPORTANCE DE LA CONDUITE MÊME
EXTÉRIEURE DES PRÊTRES.
Jésus-Christ a établi dans son Église deux ordres
de fidèles: l'un de laïques, l'autre d'ecclé-siastiques;
avec cette différence que les laïques sont de simples disciples
et des brebis, tandis que les ecclésiastiques sont maîtres
et pasteurs. Voilà pourquoi saint Paul donne ce précepte
aux laï-ques : Obéissez à vos préposés
et soyez-leur sou-mis, car ils veillent sans cesse comme devant rendre
compte de vos âmes1. Quant aux ecclé-siastiques: Paissez,
leur dit l'apôtre saint Pierre, paissez le troupeau de Dieu qui vous
est confié2. Et saint Paul : Soyez attentifs et à vous et
à tout le troupeau sur lequel le Saint-Esprit vous a éta-blis
évêques pour gouverner l'Église de Dieu3.
1. Obedite praepositis vestris, et subjacete eis ; ipsi enim pervigi-lant,
quasi rationem pro animabus vestris reddituri. Heb. xiii. 17.
2. Attendite vobis et universo gregi, in quo vos Spiritus sanctus posuit
episcopos, regere Ecclesiam Dei. Act. xx. 28.
3. Pascite, qui in vobis est, gregem Dei. I Pet. v. 2.
La place des
prêtres dans l'Eglise.
Tout le bien et
tout le mal vient
des prêtres.
292 DEUXIÈME INSTRUCTION.
De là cette grave parole de saint Augustin: « Rien de
plus difficile, rien de plus dangereux que l'office de prêtre1. »
La raison en est que le prêtre a le devoir de vivre saintement non
seule-ment pour lui-même, mais encore pour les autres, afin que ceux-ci
apprennent de lui à mener une vie chrétienne. « A votre
tête marche-t-il un berger fidèle, vous trouverez, dit le
même saint docteur, de bons pâturages; est-il infidèle,
gare la dent des loups2!»
Quel bien n'opèrent pas les exemples d'un bon prêtre!
L'Écriture sainte nous apprend que les ha-bitants de Jérusalem
vivaient saintement, à cause de la piété d'Onias,
leur pontife3; et le concile de Trente va jusqu'à dire : «
La sainteté du pas-teur, c'est le salut du troupeau4. » Mais
aussi quel mal et quelles tentations n'occasionnent pas les exemples d'un
mauvais prêtre ! Mon peuple, dit le Seigneur, est devenu un troupeau
perdu: leurs pasteurs les ont séduits5. « Personne, remarque
saint Grégoire, ne compromet les intérêts de Dieu comme
les prêtres, quand, au lieu de servir à l'édi-fication
du prochain, ils ne lui donnent que de mauvais exemples6. » Saint
Bernardin de Sienne ajoute : « Les séculiers, témoins
de la mauvaise vie que mènent certains prêtres, ne pensent
plus
1. Epist. 21. E. B.
2. Bonus si fuerit, qui tibi praeest, nutritor tuus est; malus si fue-rit,
tentator tuiis est. Serm. 12. E. B.
3. Propter Oniae pontificis pietatem. II Mach. III. 1.
4. Integritas praesidentium salus est subditorum. Sess. 6. de Ref.
c. i.
5. Grex perditus factus est populus meus; pastores eorum seduxe-runt
eos. jer. L. 6.
6. Nullum majus praejudicium, quam a Sacerdotibus, tolerat Deus,
quando eos, quos ad aliorum correctionem posuit, dare de se exempla
pravitatis cernit. In Evang. hom. 17.
SUR LE BON EXEMPLE. 293
même à se convertir ; et, se jetant dans toutes
sortes de vices, ils en viennent à mépriser les sacrements,
à perdre l'horreur de l'enfer et à ne faire aucun cas des
biens célestes1. » Ils répondent, comme ce pécheur
dont parle saint Augustin : « A quoi bon tous vos discours? les prêtres
eux-mêmes ne font pas cela, et vous voulez que je le fasse2 ! »
Le Seigneur lui-même disait un jour à sainte Brigitte : «
Les mauvais exemples des prêtres sont cause que le pécheur
s'enhardit à commettre le mal, et qu'après avoir jusque-là
rougi de ses pé-chés, il s'en glorifie 3. »
II.
COMBIEN LES PRETRES SONT OBLIGÉS DE
DONNER LE BON EXEMPLE.
« Les prêtres, nous dit saint Grégoire, sont dans
l'Église ce que sont les assises dans un temple4. » Quand
celles-ci viennent à faire défaut, tout l'édi-fice
croule. Aussi, à l'ordination de ses ministres, l'Église
demande-t-elle pour eux « qu'ils fassent resplendir en leur personne
la justice, la cons-tance, la miséricorde, la force et toutes les
autres vertus, et qu'ainsi par leurs bons exemples ils
1. Plurimi, considerantes cleri sceleratam vitam, Sacramenta despiciunt,
vitia non evitant, non horrent inferos, cœlestia minime concupiscunt. T.
I. s. 19. a. 2. c. 1.
3. Quid mibi loqueris ? Ipsi clerici non illud faciunt, et me cogis
ut faciam ? Serm. 137. E. B.
3. Viso exemplo pravo Sacerdotum, peccator fiduciam peccandi sumit,
et incipit de peccato, quod prius putabat erubescibile, gloriari. Rev.
1. 4. c. 132.
4. Sacerdotes in Ecclesia, bases in temple. In Evang. hom. 17.
Fondements de l'Eglise,
294 DEUXIEME INSTRUCTION.
Sel de la terre,
Lumière du monde,
marchent à la tête des peuples1. » Ils doivent
donc être saints, et ils doivent en outre montrer qu'ils le sont.
« Car, dit saint Augustin, si le prêtre doit avoir la conscience
en règle pour se sauver, pour sauver les autres il lui faut de plus
une bonne réputation : sans cela, il a beau compter sur sa bonne
conscience et posséder toutes les vertus, s'il néglige sa
réputation, il est cruel aux autres et se perd avec eux3. »
Dieu se choisit les prêtres du milieu des hommes, non seulement pour
qu'ils lui offrent des sacrifices, mais encore pour qu'ils sanctifient
le prochain par la bonne odeur de leurs vertus. Il l'a choisi entre tous
tes vivants pour offrir à Dieu le sacrifice, l'encens, et la bonne
odeur des parfums3.
Les prêtres sont le sel de la terre : ainsi les appelle Jésus-Christ
: Vos estis sal terrae4. C'est donc aux prêtres d'assaisonner en
quelque sorte les autres hommes, selon l'expression de la Glose, afin de
les rendre agréables à Dieu, et cela en les formant aux vertus
non seulement par leurs dis-cours, mais encore et surtout par leurs bons
exem-ples : « Ainsi, ajoute la Glose, assaisonnent-ils les âmes
par le sel de leur doctrine et de leur vie5. »
Les prêtres sont la lumière du monde : vos estis
1. Justitiam, constantiam, misericordiam, fortitudinem, caeterasque
virtutes, in se ostendant; exemplo praeeant.
2. Conscientia tibi, fama proximo tuo ; qui, fidens conscientiae suae,
negligit famam suam, crudelis est. Serm. 355. E. B.
3. Ipsum elegit ab omni vivente, offerre sacrificium Deo, incensum,
et bonum odorem. Eccli. XLV. 20.
4. Matth. v. 13.
5. Condientes alios doctrina et vitae exemplo.
SUR LE BON EXEMPLE. 295
lux mundi1. Que votre lumière, c'est-à-dire que l'éclat
de vos vertus, ajoute le divin Maître lui-même, luise donc
devant les hommes et brille aux regards de tout le peuple chrétien,
afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre Père
céleste2, ce Dieu qui vous a choisis entre tous pour vous combler
d'honneurs. C'est cette recom-mandation de Jésus-Christ que saint
Jean Chry-sostome rappelait aux prêtres quand il leur disait: «
Dieu nous a choisis pour nous élever en quelque sorte comme des
flambeaux par-dessus le monde3»; et que le pape saint Nicolas leur
mettait également devant les yeux, quand il les comparait «
à des étoiles qui, de près et de loin, versent leurs
rayons sur les peuples4; » exactement ce que dit Daniel: Ceux qui
s'efforcent d'enseigner la justice à un grand nombre, seront comme
des étoiles dans les perpétuelles éternités5.
Or pour illuminer les âmes ce n'est pas assez que le ministre de
Dieu répande seulement les clartés de sa parole, il doit
y ajouter encore l'éclat de ses bons exemples. C'est pourquoi saint
Charles Borromée compare la vie du prêtre à un phare
sur lequel les navigateurs, c'est-à-dire les séculiers engagés
au milieu de la mer et des ténèbres du monde, fixent leurs
regards pour ne pas s'égarer. Saint Jean Chrysostome l'a-vait déjà
dit: « Le prêtre doit mener une vie telle-
1. Matth. v. 14.
2. Sic luceat lux vestra coram hominibus, ut videant opera vestra bona,
et glorificent Patrem vestrum, qui in cœlis est.
3. Idcirco nos elegit, ut simus quasi luminaria. In I Tim. hom. 10.
4. Stellae longe lateque proximos illuminantes. Ep. ad Synod.
Silvan.
5. Fulgebunt... qui ad justitiam erudiunt multos, quasi stellae in
perpetuas aeternitates. Dan. xii. 3.
296 DEUXIÈME INSTRUCTION.
Pères des Chrétiens,
ment parfaite qu'il apparaisse aux yeux de tous comme un modèle
achevé, car Dieu nous a choisis précisément afin que
les autres trouvent toujours en nous lumière et bons exemples1.
» Cette lampe ardente que Jésus-Christ nous montre placée
sur le chandelier pour éclairer toute la maison, n'est autre que
la vie du prêtre. On n'allume point une. lampe pour la mettre sous
le boisseau, mais sur un chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux
qui sont dans la maison2. La vie du prêtre, conclut le con-cile de
Bordeaux, est donc exposée aux regards de tous, de telle sorte que
tous s'en inspirent, pour mener les uns une bonne, les autres une mauvaise
vie3. Le prêtre est donc la lumière du monde. Que deviendrait
le monde, si la lumière se changeait en ténèbres ?
Les prêtres sont les pères des chrétiens, patres
christianorum, ose dire saint Jérôme. Investis de cette paternité
si universelle, ajoute saint Jean Chrysostome, ils ont le devoir de prendre
soin de tous les hommes, et particulièrement de leurs ouailles,
en les édifiant d'abord par leur sainte vie et ensuite par leurs
sages enseignements4..Sans cela, il arrivera que, le prêtre donnant
mauvais exemple, ses enfants spirituels commettront le mal. « Que
voulez-vous que fasse un laïque, dit
1. Sacerdos debet habere vitam compositam, ut omnes in illum veluti
in exemplar excellens intueantur ; idcirco enim nos Deus elegit, ut simus
quasi luminaria et magistri caeterorum. In I Tim. hom. 10.
2. Neque accendunt lucernam, et ponunt eam sub modio, sed super candelabrum,
ut luceat omnibus qui in domo sunt.
3. Clerici vita omnium oculis sic exposita est, ut inde bene vel male
vivendi exempla duci soleant. Anno 1583. c. 21.
4. Quasi totius orbis pater Sacerdos est ; dignum igitur est ut omnium
curam agat. In I Tim. hom. 6.
SUR LE BON EXEMPLE. 297
Pierre de Blois, sinon ce qu'il voit faire au guide
de son âme1 ? »
Maîtres et modèles des vertus, voilà ce que sont
encore les prêtres. Comme mon Père m'a envoyé, disait
notre Sauveur à ses disciples, ainsi moi je vous envoie2. De même
donc que le Père éternel envoya Jésus-Christ sur la
terre pour y être le type de la perfection, ainsi Jésus-Christ
donna les prêtres au monde comme les modèles de toutes les
vertus. Telle est la signification des deux noms de sacerdos et de presbyter,
que portent les ecclé-siastiques. « Sacerdos, selon Pierre
Comestor, marque celui qui donne les choses saintes : sainte est la prédication,
où le prêtre parle de Dieu ; sainte, la prière qu'il
adresse à Dieu ; sainte, l'au-guste victime, la chair et le sang
d'un Dieu, qu'il offre en sacrifice ; sainte, l'édification qu'il
donne comme lieutenant de Dieu3. » Quant au nom de presbyter, «
il marqué, d'après Honorius d'Au-tun, celui qui tient le
premier rang par la parole et les bons exemples, et qui montre aux autres
le chemin pour aller de l'exil du monde à la vraie patrie, au royaume
céleste4 ». C'est précisément ce que l'Apôtre
écrivait à Tite, son disciple : Mon-tre-toi toi-même,
en toutes choses, comme un mo-dèle..., afin que notre adversaire
rougisse, n'ayant
1. Quid faciet laicus, nisi quod patrem suum spiritualem viderit facientem
? Serm. 57.
2. Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. Jo. xx. 21.
3. Sacerdos dicitur quasi sacrum dans : dat enim sacrum de Deo, id
est, praedicationem ; sacrum Deo, orationem; sacrum Dei, carnem et sanguinem;
sacrum pro Deo, vivendi exemplum. Serm. 38.
4. Presbyter dicitur praebens iter, scilicet populo, de exsilio hujus
mundi ad patriam cœlestis regni. Gemma an. 1. i. c. 181.
Modèles des vertus,
298 DEUXIÈME INSTRUCTION.
aucun mal à dire de nous1. Le Seigneur veut que ses ministres
vivent à part, précisément afin qu'ils aient un genre
de vie tout différent des autres ; et, comme le dit saint Pierre
Damien, « pourquoi Dieu tire-t-il les prêtres du milieu des
fidèles, si ce n'est pour qu'ils suivent une règle de vie
toute différente de celle des séculiers, mais dont ceux-ci
s'inspirent ensuite pour vivre chrétiennement2»? Voilà
pourquoi saint Pierre Chrysologue pro-clame le prêtre « le
type des vertus3 ». De même, saint Jean Chrysostome s'adressant
au prêtre lui dit : « Que l'éclatante sainteté
de votre conduite soit pour tous une école et un modèle de
toutes les vertus4. » « Du reste, ajoute saint Bernard, ministère
sacerdotal et école de sainteté, c'est tout un5. »
Aussi David, dans son zèle pour le salut d'Is-raël, faisait
à Dieu cette prière : Que vos prêtres aient pour vêtement
la justice, et que vos saints tressaillent de joie6. Avoir pour vêtement
la jus-tice, c'est donner l'exemple de toutes les vertus, zèle,
humilité, charité, modestie, etc. Aux yeux de saint Paul,
c'est en définitive par la sainteté de leur vie que les prêtres
se montrent les vrais mi-nistres du Dieu de toute sainteté : Montrons-nous
en toutes choses comme des ministres de Dieu par
1. In omnibus te ipsum praebe exemplum..., ut is qui ex adverso est,
vereatur, nihil habens malum dicere de nobis. Tit. II. 8.
2. Ut quid enim a populo (sacerdotes) segregantur, nisi ut divisam
a populo vivendi regulam teneant ? Opusc. 18. d. 2. c. 2.
3. Forma virtutum. Serm. 26.
4. Sit communis omnibus schola exemplarque virtutum vitae tuae splendor.
In Tit. hom. 4.
5. Cathedram sanctitatis exigit ministerium hoc.
6. Sacerdotes tui induantur justitiam, et sancti tui exsultent. Ps.
cxxxi. 9.
SUR LE BON EXEMPLE. 299
la chasteté, par la science, par la longanimité1.
Notre-Seigneur l'avait dit également : Si quel-qu'un me sert, qu'il
me suive2. Il faut donc que le prêtre retrace en sa personne les
vertus de Jésus-Christ, de telle sorte, remarque saint Ambroise,
« que tous se sentent édifiés en le voyant à
l'œuvre, et qu'ainsi tous se portent garants de sa sainte vie et louent
le Seigneur autour duquel se rangent de tels ministres3». De là
cette exclamation d'un pieux auteur: « Ce n'est pas à la richesse
de nos habits, ni à l'élégance de nos cheveux que
nous devons nous faire reconnaître, nous qui sommes prêtres;
mais bien à notre modestie et à la pureté de nos mœurs4.
» Au prêtre incombe ici-bas la charge de laver les âmes
de leurs péchés. « Il faut donc, conclut de là
saint Grégoire, que cette main destinée à laver les
souillures des âmes soit sans tache et brille aux yeux de tous par
sa pureté 5. »
Placé à la tête du peuple chrétien, «
le prêtre, dit saint Pierre Damien, en est le conducteur6. »
« Mais, observe saint Denys, que personne n'ait l'audace de s'imposer
aux autres comme leur guide dans les choses de Dieu, si d'abord et selon
tout son pouvoir, il ne s'est transformé en Dieu au
1. In omnibus exhibeamus nosmetipsos sicut Dei ministros... in castitate,
in scientia, in longanimitate... II Cor. vi. 4.
2. Si quis mihi ministrat, me sequatur. Jo. xii. 26.
3. Decet actuum nostrorum testem esse publicam aestimationem, ut qui
videt ministrum congruis virtutibus ornatum, Dominum ve-neretur, qui tales
servulos habeat. De Offic. l. 1. c. 5o.
4. Nos, non notaculo corporis, sed innocentiae ac modestiae signo facile
dignoscimus. MINUT. FELIX. Octav. c. 9.
5. Necesse est ut esse munda studeat manus, quae diluere aliorum sordes
curat. Past. p. 2. c. 2.
6. Sacerdos, dux exercitus Domini. Opusc. 25. c. 2.
Conducteurs du peuple de Dieu,
300 DEUXIÈME INSTRUCTION.
Maitres en sainteté,
point de lui ressembler parfaitement1. » « La vie
des ecclésiastiques, dit de son côté l'abbé
Philippe de Bonne-Espérance, sert de modèle aux sécu-liers;
car les ecclésiastiques sont chefs et ils mar-chent en avant, tandis
que les séculiers suivent comme des brebis dociles2. » Saint
Augustin ap-pelle les prêtres « les pilotes du monde3. »
Or, dit le pape saint Hormisdas, « celui qui a mission de reprendre
les autres, c'est bien le moins qu'il soit lui-même irrépréhensible
4. » Le concile de Pise dit pareillement : « De même
que les ecclé-siastiques sont les premiers par leur dignité,
ainsi doivent-ils marcher à la tête des peuples par l'é-clat
de leurs vertus, et vivre de telle sorte que leurs œuvres excitent les
autres à tendre vers la perfec-tion 5. » Car, selon la remarque
de saint Léon, « les inférieurs trouvent leur salut
dans la sainteté des supérieurs 6. »
Saint Grégoire de Nysse proclame le prêtre « le
docteur de la piété7, » le maître dans la science
des saints. Mais si le maître se montre orgueil-leux, comment pourra-t-il
enseigner l'humilité ?
1. In divino omni non audendum aliis ducem fieri, nisi secundum omnem
habitum suum factus sit deiformissimus, et Deo simillimus. De Eccl. Hier.
c. 3. — S. THOMAS. Suppl. q. xxxvi. a. 1.
2. Vita clericorum forma est laicorum, ut illi tanquam duces pro-grediantur,
isti vero tanquam greges sequantur. De Dignit. cler. c. 2.
3. Rectores terrae.
4. Irreprehensibiles esse convenit, quos praeesse necesse est corri-gendis.
Ep. ad Episc. Hispan.
5. Ecclesiastici, quemadmodum eminent gradu, sic lumine virtutum praelucere
debent, et profiteri genus vivendi, quod alios excitet ad sanctitatem.
6. Integritas praesidentium salus est subditorum. Ep. ad Episc. Afric.
c. i.
7. Doctor pietatis. In Bapt. Chr.
SUR LE BON EXEMPLE. 301
s'il est adonné à l'intempérance, quel moyen qu'il
enseigne la mortification ? s'il est colère et em-porté,
comment enseignera-t-il la douceur ? « Il faut une sainteté
universelle, dit saint Isidore, à ceux qui ont la charge d'enseigner
et de faire pra-tiquer aux autres la vraie vertu1. » Si le Seigneur
a dit en général pour tous : Soyez parfaits, comme votre
Père céleste est parfait2, combien n'exige-t-il pas plus
rigoureusement que les prêtres soient parfaits, eux qui doivent enseigner
aux autres la science de la perfection; et, comme le dit Salvien, «
si Dieu impose même aux plus simples fidèles une manière
de vivre tellement parfaite, quelle perfection n'exige-t-il pas de ceux
qui doivent ap-prendre aux autres à devenir parfaits3 ? »
Celui qui ne prouve pas par ses œuvres qu'il brûle d'a-mour pour
Dieu, comment s'y prendra-t-il pour enflammer les autres de ce feu sacré
? « Un flam-beau éteint n'enflamme pas4, » dit saint
Grégoire. Saint Bernard dit dans le même sens : « Le
lan-gage de l'amour dans celui qui n'aime pas, revêt un accent barbare
et étranger5. » « Aussi, remar-que encore saint Grégoire,
dans un prêtre qui ne donne pas le bon exemple, ce n'est pas seulement
la conduite que le peuple méprise, mais encore
1. Qui in erudiendis atque instituendis ad virtutem populis prae-erit,
necesse est ut in omnibus sanctus sit. De Offic. Eccles. 1. 2. cap. 5.
2. Estote ergo vos perfecti, sicut et Pater vester cœlestis perfectus
est. Matth. v. 48.
3. Si viris in plebe positis tam perfectam vivendi regulam Deus dedit,
quanto esse illos perfectiores jubet, a quibus omnes docendi sunt, ut possint
esse perfecti. Ad Eccl. cathol. l. 2.
4. Lucerna quae non ardet non accendit. In Ezech. hom. 11.
5. Lingua amoris, ci qui non amat, barbara est. In Cant. s. 79.
302
DEUXIÈME INSTRUCTION.
Ce que l'Eglise
demande
avant tout de
ses prêtres.
sa prédication1 ; » « et même, ajoute
saint Tho-mas, tout son ministère en général2. »
Le concile de Trente défend d'admettre au sa-cerdoce, sinon
« ceux qui, par l'éclat de leur piété et la
pureté de leurs mœurs, font espérer qu'ils donneront aux
peuples d'insignes exemples de ver-tu et de salutaires avis3. » Qu'on
le remarque bien, c'est sur leurs bons exemples que l'Église compte
d'abord ; les salutaires avis ne viennent qu'en-suite. Car, dit encore
le concile, « les bons exem-ples sont une sorte de prédication
perpétuelle4. » Les prêtres ont donc pour premier devoir
de prêcher d'exemple, ensuite ils élèveront la voix.
C'est d'eux que saint Augustin a dit: « Il faut que leur vie soit
pour les autres une exhortation au salut5. » « Les bons exemples,»ajoute
saint Jean Chrysostome, ont une voix plus retentissante que les trompettes6
;» et de fait, les peuples font plus attention à nos œuvres
qu'à nos paroles. Aussi saint Jérôme donne-t-il à
son cher disciple Népo-tien ce grave avertissement : « Que
tes œuvres ne contredisent pas tes paroles : sinon, pendant que tu prêches
dans l'église, quelqu'un pourrait te répondre à part
lui : ce que tu dis, pourquoi ne le fais-tu pas7 ?» Pareillement
saint Bernard:
1. Cujus vita despicitur, restat ut ejus praedicatio contemnatur. In
Evang. hom. 12.
2. Et eadem ratione, omnia spiritualia exhibita. Suppl. q. XXXVI. a.
4.
3. Ita pietate ac castis moribus conspicui, ut praeclarum bonorum operum
exemplum et vitae monita ab eis possint exspectari. Sess. 23. de Ref. c.
14.
4. Perpetuum praedicandi genus.
5. Quorum vita aliorum debet esse salutis praedicatio. Serm. 291. E.
B. app.
6. Bona exempla voces edunt omni tuba clariores. In Matth. hom. 15.
7. Non confundant opera tua sermonem tuum, ne, cum in Ecclesia
SUR LE BON EXEMPLE. 3o3
« Tu donneras, comme dit le Psalmiste, à ta bou-che une
voix de puissance, quand tu te sentiras toi-même profondément
convaincu des vérités dont tu veux convaincre les autres.
Les œuvres sont bien plus éloquentes que les lèvres1. »
Jamais prédica-teur ne convaincra ses auditeurs, si son discours
ne respire la conviction ; mais quel moyen de mettre de la conviction dans
ses discours quand on fait le contraire de ce qu'on dit ? Nous lisons dans
L'Ouvrage imparfait : « Celui qui ne fait pas ce qu'il prêche
n'instruit pas le prochain, et il se condamne lui-même2.» «
La prédication qui persuade et qui touche, c'est, dit saint Grégoire,
celle que l'orateur rehausse de l'éclat de sa vie3. » Les
hommes en croient plus leurs yeux que leurs oreilles, c'est-à-dire
que les exemples dont ils sont témoins l'emportent dans leur esprit
sur les pa-roles qu'ils entendent. « Les prêtres»doivent
en conséquence, dit un ancien concile, donner bon exemple par leur
vêtement aussi bien que par toute leur conduite4. »
Les prêtres sont les miroirs du monde, comme dit le concile de
Trente: « par conséquent sur eux comme sur autant de miroirs,
les hommes
loqueris, tacitus quilibet respondeat : Cur ergo haec, quae dicis,
ipse non facis ? Ep. ad Nepotian.
1. Dabis voci tuae vocem virtutis, si quod suades, prius tibi illud
cognosceris persuasisse. Validior operis quam oris vox. In Cant. s. 50.
2. Qui non facit quod docet, non alium docet, sed scipsum con-demnat.
Hom. 10.
3. Illa vox libentias auditorum corda penetrat, quam dicentis vita
commendat Past. p. 2. c. 3.
4. Quoniam magis oculis quam auribus credunt homines, necesse est ut
sacerdos bonum praebeat exemplum; tam in vestitu quam in reliquis actionibus.
Miroirs de vertus.
304 DEUXIÈME INSTRUCTION.
fixent leurs regards, et tels ils les voient vivre, tels ils vivent
eux-mêmes1. » Saint Grégoire l'avait déjà
dit : « Il faut que le prêtre brille de l'éclat des
bonnes œuvres, afin que, grâce à ce miroir de vertus, le peuple
connaisse le bien qu'il doit faire et le mal qu'il doit éviter2.
» Bien avant saint Gré-goire, l'Apôtre avait dit : Nous
sommes donnés en spectacle au monde, aux anges et aux hommes3. «
Sainteté, voilà, dit saint Jérôme, le cri que
pousse autour du prêtre tout ce qui lui appartient, son habit aussi
bien que ses fonctions 4. » « Le prêtre, d'après
saint Eucher, porte sur ses épaules le poids du monde entier5, »
c'est-à-dire qu'il a la charge de sauver toutes les âmes.
Or comment les sauvera-t-il ? à force de sainteté et de bons
exemples.
III.
EN QUOI LES PRÊTRES DOIVENT DONNER LE BON EXEMPLE.
On trouve dans le IIIe concile de Valence le décret suivant
: « Que le prêtre se regarde comme tenu en conscience de s'appliquer
à paraître telle-ment modeste dans ses habits, dans ses regards
1. In eos tanquam in speculum reliqui oculos conjiciunt, ex iisque
sumunt quod imitentur. Sess. 22. de Ref. c. 1.
2. Decet Sacerdotem moribus clarescere, quatenus in eo, tanquam
in vitae suae speculo, plebs, et eligere quod sequatur, et videre possit
quod corrigat. Epist. 1. 7. ind. 1. ep. 32.
3. Spectaculum facti sumus mundo, et angelis, et hominibus.
I Cor. iv. 9.
4. Clamat vestis clericalis, clamat status professi animi sanctitatem.
5. Hi onus totius orbis portant humeris sanctitatis.
Hom. de edic. eccl.
SUR LE BON EXEMPLE. 305
et dans ses paroles, qu'il devienne l'image vivante de la gravité
et de la modestie1. »
On remarquera que le concile parle d'abord du vêtement. Quel
exemple de modestie peuvent donner ces prêtres que l'on voit, non
pas avec une longue et simple soutane ecclésiastique, mais avec
un habit court, des cheveux poudrés, des manchettes aux poignets,
des boutons d'or aux manches et des boucles d'argent à leurs souliers
? Ensuite des regards. L'un des points essentiels de la modestie, c'est
de tenir en public les yeux baissés, et cela non seulement à
l'autel et dans l'église, mais encore dans tous les autres endroits
où se trouvent des personnes du sexe. Enfin des conversations. Il
faut que le prêtre se garde bien d'avancer certaines maximes mondaines
et de pro-férer certaines plaisanteries peu décentes. Le
IVe concile de Carthage veut « que l'on prive de ses fonctions tout
clerc coupable de s'être servi, ne fût-ce qu'en badinant, de
paroles peu modes-tes2. » Mais quel mal est-ce là ? une plaisanterie
! « Non, répond saint Bernard, ce qui est badinage entre séculiers
devient blasphème dans la bou-che du prêtre, et un blasphème
qui fait horreur3. » Il ajoute : « Ces lèvres sont consacrées
à l'Évan-gile: les ouvrir à ces plaisanteries, c'est
un crime; les y habituer, un sacrilège4. » Saint Jérôme
dit
1. Sacerdos de religione sua, in habitus, vultus, ac sermonis gra-vitate,
talem se exhibere studeat, ut se formam disciplinae ac modes-tiae infundat.
Anno 855. Can. 15.
2. Clericus verbis turpibus jocularis ab officio removendus. Cap.60.
3. Inter saeculares nugae sunt; in ore sacerdotis, blasphemiae. De
Coïts. 1. 2. c. 13.
4. Consecrasti os tuum Evangelio ; talibus aperire, illicitum ; assues-cere,
sacrilegum. Ibid.
Par tout leur extérieur
LE PRETRE. — T. I.
20
3o6 DEUXIÈME INSTRUCTION.
Et par
leur éloignement
du monde.
également: « Toute parole qui n'édifie pas
les personnes présentes se retourne contre celui qui l'a prononcée1.
» « Certaines choses ne sont dans les séculiers que
fautes vénielles; mais, dit Pierre de Blois, ce sont des crimes
dans un prêtre, à raison du scandale ; car ce qui conduit
la brebis à sa perte perd le pasteur2. » «Plus un vêtement
est magnifique, dit saint Grégoire de Nazianze, plus les taches
sautent aux yeux et paraissent difformes3. »
Le prêtre doit encore s'interdire toute médi-sance. «
Il en est, remarque saint Jérôme, qui ont triomphé
de tous les autres vices; mais, pour la médisance, on dirait qu'ils
ne peuvent s'en défaire, et qu'elle reste aux mains du démon
comme un dernier piège4. »
Il faut en outre que le prêtre fuie la société
des personnes du monde. Car on respire près d'elles un air empoisonné
et qui finit par perdre l'âme, ainsi que le remarque saint Basile
: « De même que, dans les endroits infects, on aspire des miasmes
morbides, ainsi, au milieu des mon-dains, l'âme, peu à peu
et presque sans s'en aper-cevoir, contracte une maladie mortelle5. »
Il faut enfin que le prêtre n'intervienne jamais dans cer-
1. Omne quod non aedificat audientes, in periculum vertitur lo-quentium.
2. Quod veniale est plebi, criminale est sacerdoti. Quod erroneum est
ovi, peremptorium est pastori. Ad Past. in Syn. s. 3.
3. Splendidae vestis manifestiores sunt maculae. Orat. 31.
4. Qui ab aliis vitiis recesserunt, in istud tamen, quasi in extremum
diaboli laqueum, incidunt. Ep. ad Celant.
5. Sicut in pestilentibus locis sensim attractus aer morbum injicit,
sic in prava conversatione mala hauriuntur, etiamsi statim incom-modum
non sentiatur. Hom. Quod D. non sit. auct. mal.
SUR LE BON EXEMPLE. 307
tains divertissements du monde ; car en s'y trou-vant, il ne donnerait
pas bon exemple. On ne le verra donc jamais à des comédies
profanes, au bal, à des réunions où se rencontrent
des personnes du sexe. Par contre, c'est à l'église qu'on
doit le voir, faisant oraison, faisant son action de grâces après
la sainte messe, la visite au saint Sacrement et à la sainte Vierge.
Il en est qui font tout cela, mais en secret et de façon à
échapper aux regards. Erreur ! Il est bon que le prêtre agisse
ici au vu et au su de tout le monde, non certes dans l'in-tention de s'attirer
des louanges, mais pour édi-fier et porter les autres à l'imiter
et à rendre ainsi gloire au Seigneur : Qu'ils voient vos bonnes
œuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux1.
1. Videant opera vestra bona, et glorificent Patrem vestrum, qui in
cœlis est. Matth. v. 16.
I
TROISIÈME INSTRUCTION.
DE LA CHASTETE SACERDOTALE.
I.
QUEL CAS LE PRÊTRE DOIT
FAIRE DE LA CHASTETÉ.
Aucune richesse ne peut entrer en comparaison avec une âme chaste1.
Tous les trésors du monde, toutes les grandeurs et toutes les dignités
de la terre sont choses viles en comparaison d'une âme chaste. «
La chasteté, dit saint Éphrem, c'est la vie de l'esprit2.
» Saint Pierre Damien la pro-clame « la reine des vertus 3,
» et saint Cyprien « une série de victoires assurées4.
» Qui triom-phe du vice opposé à la chasteté
triomphe facile-ment de tous les autres vices: qui se laisse, au contraire,
dominer par l'impureté tombe facile-ment dans beaucoup d'autres
vices, tels que la haine, l'injustice, le sacrilège.
1. Omnis autem ponderatio non est digna continentis animae. Eccli.
xxvi. 20.
2. Vita spiritus.
3. Regina virtutum.
4. Acquisitio triumphorum.
Excellence de la chasteté,
310
TROISIÈME INSTRUCTION.
Nécessité :
Par la chasteté l'homme devient un ange. « O chasteté
! s'écrie saint Éphrem, tu rends les hommes semblables aux
anges1 ; » et saint Ber-nard : « La chasteté fait de
l'homme un ange2; » et saint Ambroise : « La chasteté
fait les anges : celui qui la garde est un ange ; s'il la perd il n'est
plus qu'un démon3. » Les personnes chastes sont à bon
droit comparées aux esprits célestes : Ils seront comme les
anges de Dieu dans le ciel4 ; car elles aussi vivent éloignées
de toutes les satisfactions sensuelles. Seulement, la pureté que
les anges pos-sèdent par nature, nous autres nous l'avons par vertu.
« Grâce à la chasteté, dit Cassien, les hom-mes
égalent les esprits célestes5. » « Sans doute,
remarque saint Bernard, entre l'homme chaste et l'ange il y a bien de la
différence, mais c'est une différence de félicité
et non pas de vertu ; en sorte que si la chasteté de l'ange est
plus heu-reuse, nous estimons celle de l'homme plus vail-lante6. »
Saint Basile ajoute même que « la chas-teté élève
l'homme jusqu'à la plus parfaite ressem-blance avec Dieu, lequel
est un pur esprit7. »
Autant la chasteté est excellente, autant elle est nécessaire
pour parvenir au salut. Nécessaire à
1. O castitas, quae homines Angelis similes reddis! De Castit.
2. Castitas Angelum de homine facit. De Mor. et Off. Ep. c. 3.
3. Castitas Angelos facit: qui eam servavit, angelus est; qui per-didit,
diabolus. De Virg.l. 1.
4. Et erunt sicut Angeli Dei. Matth. xiii. 3o.
5. Hujus virtutis merito, homines Angelis aequantur. De Coenob. Inst.
I. 6. c. 6.
6. Differunt quidem inter se Angelus et homo pudicus, sed felici-tate,
non virtute; sed, etsi illias castitas felicior, hujus tamen fortior esse
cognoscitur. De Mor. et Off. Ep. c. 3.
7. Pudicitia hominem Deo simillimum facit. De Vera Virginit.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE. 3ll
Même
aux prêtres
païens,
tous les hommes, elle l'est particulièrement aux prêtres.
Imposée aux prêtres juifs,
Pourquoi le Seigneur avait-il prescrit aux
lévites de l'ancienne loi, entre autres signes de leur pureté
intérieure, de porter des vêtements et des ornements blancs,et
de recourir à des ablutions multipliées ? Uniquement parce
qu'ils avaient à toucher les vases sacrés, et parce qu'ils
étaient la figure des prêtres de la loi nouvelle, auxquels
de-vait incomber l'honneur de prendre entre leurs mains et d'offrir la
chair sacrée du Fils de Dieu fait homme. « Si donc, s'écrie
saint Ambroise, le symbole figuratif exigeait tant de respect, que ne fera-t-on
pas pour la réalité1 ? » Par contre, le Seigneur avait
commandé qu'on écartât de l'au-tel les lévites
habituellement infectés de la lèpre, image du vice impur
: Il ne s'approchera pas du sacré ministère s'il a une taie
sur l'œil, s'il a une lèpre persistante2. « Celui-là,
dit saint Grégoire, a une lèpre continue, qui ne sait pas
maîtriser les révoltes de la chair3. »
Les païens eux-mêmes, au rapport de Plutar-que, exigeaient
que les prêtres de leurs faux dieux vécussent dans la chasteté,
car ils ne souffraient pas que rien d'impur servît au culte divin
; aussi avaient-ils pour adage : Loin des dieux toute chose impure4 ! Platon
nous apprend que les prêtres d'Athènes, pour mieux conserver
leur chasteté et
I
1. Si in figura tanta observantia, quanta in veritate ! De Off.
l. 1. c. 50.
2. Nec accedet ad ministerium ejus,... si albuginem habens in oculo,
si jugem scabiem. Lev. xxi. 18.
3. Jugem habet scabiem, cui carnis petulantia dominatur. Past. p. 1.
c. II.
4. Diis omnia munda.
312
TROISIÈME INSTRUCTION.
Surtout
aux prêtres de la
nouvelle loi.
la préserver de toute souillure1 avaient des habi-tations séparées
de celles des autres hommes. Sur quoi saint Augustin s'écrie : «
O déplorable déca-dence des chrétiens ! voici que
les païens leur font la leçon2. »
Pour en venir aux ministres du vrai Dieu, « ceux-là, dit
Clément d'Alexandrie, sont et peuvent se dire vraiment prêtres
qui mènent une vie chaste3. » Saint Thomas de Villeneuve ajoute
: « En vain le prêtre est humble, en vain il est pieux ; sans
la" chasteté, il n'est rien4. » « Tous les hommes, dit
saint Augustin, doivent être chastes, mais surtout les prêtres5.
» A l'autel, c'est avec l'Agneau im-maculé de Dieu que les
prêtres doivent traiter. Or lui-même s'appelle le lis des vallées,
et il ne prend sa nourriture que parmi les lis6. Aussi ne voulut-il pour
Mère qu'une vierge ; vierges aussi furent son père nourricier,
saint Joseph, et saint Jean-Baptiste, son précurseur. « Entre
tous ses disciples, dit saint Jérôme, il aima particulière-ment
saint Jean, à cause de la chasteté qui le dis-tinguait7 ;
» et, pour la même raison, il lui confia sa Mère, comme
maintenant il confie aux prêtres son Eglise et même sa personne.
« Il faut donc, conclut de là Origène, qu'avant tout,
le prêtre soit
1. Ne contagione aliqua eorum castitas labefactaretur.
2. O grandis christianorum miseria! ecce pagani doctores fidelium
facti sunt. Ad Fr. in er. s. 37.
3. Soli qui puram agunt vitam, sunt Dei sacerdotes. Strom. l. 4.
4. Omnibus castitas per necessaria est, sed maxime ministris Christi
altaris. Serm. 291. E. B. app.
5. Sit humilis sacerdos, sit devotus ; si non est castus, nihil est.
De D. Aug. conc.3.
6. Lilium convallium. — Qui pascitur inter lilia. Cant. II. 1-16.
7. Prae caeteris discipulis diligebat Jesus Joannem propter praero-gativam
castitatis.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
3 I 3
ceint de chasteté, lui qui gravit les degrés de l'au-tel1.
» Bien plus, il doit être tellement pur qu'il mérite
de prendre place parmi les anges. « Oui, dit saint Jean Chrysostome,
tel doit être l'éclat de sa pureté, qu'admis dans le
ciel, il aille s'asseoir au milieu des vertus angéliques2. »
Eh quoi ! dira-t-on, le sacerdoce, est donc le partage exclusif de ceux
qui ont conservé leur virginité ? Saint Ber-nard répond
: « De longues années de chasteté tiennent lieu de
virginité3. »
Avec quel soin jaloux l'Église veille en consé-quence
sur la pureté de ses ministres, comme sur son plus précieux
trésor ! Que de conciles et de canons traitent de ce grave sujet!
« Qu'on per-mette, dit Innocent III, de recevoir un ordre sacré
à celui-là seulement qui est vierge, ou d'une chas-teté
bien éprouvée4. » Il ajoute: « Quant à
ceux qui sont déjà élevés aux ordres sacrés
et qui n'au-raient pas vécu dans la chasteté, qu'on les exclue
de toute dignité et fonction ecclésiastiques5. » Saint
Grégoire va jusqu'à dire : « Nul ne doit s'employer
au ministère des autels, si, avant la réception des saints
ordres, il n'a fait preuve d'une chasteté éprouvée6.
»
La raison du célibat imposé aux ministres des
1. Ante omnia, sacerdos, qui divinis assistit altaribus, castitate
debet accingi. In Lev. hom. 4.
2. Necesse est sacerdotem sic esse purum, ut, si in ipsis cœlis
esset collocatus, inter cœlestes Virtutes medius staret. De Sacerd.
l.3.
3. Longa castitas pro virginitate reputatur. De Modo b. viv.
c. 22.
4. Nemo ad sacrum Ordinem permittatur accedere, nisi aut virgo aut
probatae castitatis exsistat. Cap. A multis de cet. et qual. Ord.
5. Eos qui in sacris Ordinibus sunt positi, si caste non vixerint,
excludendos ab omni graduum dignitate. Ibid.
6. Nullus debet ad ministerium altaris accedere, nisi cujus castitas
ante susceptum ministerium fuerit approbata. Epist. l. 1. ep. 42.
Sollicitude
constante de
l'Eglise.
314 TROISIÈME INSTRUCTION.
cultés.
autels, la voici selon saint Paul : Celui qui n'est pas marié
met sa sollicitude dans les choses du Sei-gneur, comment il plaira au Seigneur.
Au con-traire, celui qui est marié met sa sollicitude dans les choses
du monde, comment il plaira à sa femme, et il se trouve ainsi partagé1.
Celui qui n'est pas engagé dans les liens du mariage, appartient
tout entier à Dieu, car il ne doit plus avoir devant les yeux qu'un
but, celui de plaire à Dieu. Mais celui qui se trouve engagé
dans le mariage doit avoir en vue de plaire à sa femme, à
ses enfants et au monde : voilà comment son coeur est nécessai-rement
partagé, comment il ne peut appartenir entièrement à
Dieu. Saint Athanase avait donc bien raison de dire: « O chasteté,
sanctuaire de rEsprit-Saint, vie des anges, couronne des élus2!
» et saint Jérôme, de la proclamer « l'honneur
de l'Eglise et le plus brillant ornement de ses mi-nistres3. » «
Ah! s'écrie saint Ignace le martyr en s'adressant aux prêtres,
conservez-vous dans la chasteté; car vous êtes les demeures
de Dieu, les temples de Jésus-Christ, les instruments du Saint-Esprit
pour la sanctification des âmes4. »
Que la chasteté est donc précieuse ! Mais aussi quelle
terrible guerre la chair fait à l'homme pour lui ravir ce grand
trésor ! Et c'est aussi de
1. Qui sine uxore est, sollicitus est quae Domini sunt, quomodo placeat
Deo; qui autem cum uxore est, sollicitus est quae sunt mundi, quomodo placeat
uxori, et divisus est. I Cor. vii. 32.
2. O pudicitia, domicilium Spiritus Sancti, Angelorum vita, sanc-torum
corona ! De Virginit.
3. Ornamentum Ecclesia: Dei, corona illustrior sacerdotum.
4. Te ipsum castum custodi, ut domum Dei, templum Christi, or-ganum
Spiritus Sancti. Ep. ad Heron.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE. 3l5
la chair, comme de l'arme la plus puissante, que le démon se
sert pour nous soumettre à son joug. La force de l'ennemi est dans
nos reins1. Voilà pourquoi si peu de chrétiens sortent victorieux
de cette lutte. « De tous les combats, dit saint Augustin, les plus
pénibles sont ceux qui se livrent pour la chasteté. Incessante
est la lutte, et rare la victoire2. » « Hélas! s'écrie
en gémissant saint Laurent Justinien, combien n'en a-t-on pas vu,
après de longues années passées dans une complète
solitude à prier, à jeûner, à faire péni-tence,
succomber aux attraits des sens, abandon-ner le désert, et perdre
du même coup la chasteté et Dieu lui-même3! »
Quelle sollicitude les prê-tres doivent donc avoir, afin de conserver
cette chasteté à laquelle ils se sont voués pour toujours
! Jamais, disait saint Charles Borromée à un ecclé-siastique,
jamais vous ne vous conserverez pur, si vous ne veillez sur vous-même
avec toute l'atten-tion possible ; « car c'est une chose vraiment
éton-nante que la facilité avec laquelle se perd la chas-teté,
dès qu'on cesse de se surveiller4. » Or toute notre attention
ici consiste à prendre les moyens nécessaires pour la conserver
; et ces moyens eux-mêmes consistent, les uns à fuir les occasions
du péché, les autres à employer certains remèdes
contre les tentations.
1. Fortitudo ejus in lumbis ejus. Job. XL. 11.
2. Inter omnia certamina, sola duriora sunt prœlia castitatis, ubi
quotidiana est pugna, et rara Victoria. Serm. 293. E. B. app.
3. Quanti, post frequentes orationes, diutissimam eremi habita-tionem,
cibi potusque parcitatem, seducti spiritu fornicationis, deserta relinquentes,
duplici interitu perierunt! De Spir. an. Int. l. 1.
4. Mirum est quam facile ab iis deperdatur, qui ad ejus conserva-tionem
non invigilant.
316
TROISIÈME INSTRUCTION.
Absolue
nécessité de fuir
les occasions,
II.
LA FUITE DES OCCASIONS.
Avant tout, il faut fuir l'occasion. « Le premier moyen pour
échapper à l'impureté, dit saint Jé-rôme,
c'est de se tenir loin des choses dont la présence porte au mal1.
» Saint Philippe de Néri disait que, dans cette guerre, la
victoire reste aux poltrons, c'est-à-dire à ceux qui fuient
devant l'occasion. D'après Pierre de Blois, « jamais on ne
triomphe plus facilement de l'impureté qu'en prenant la fuite2.
»
C'est un grand trésor que la grâce de Dieu. Mais ce trésor,
nous le portons en nous-mêmes. Or nous sommes des vases bien fragiles
et fort exposés à perdre notre trésor. Nous le portons,
dit saint Paul, dans des vases d'argile3. De lui-même l'homme ne
peut acquérir la vertu de chasteté; il n'y a que Dieu pour
la lui accorder. J'ai su, dit Salomon, que je ne pouvais être continent,
si Dieu ne m'en faisait la grâce4. Nous sommes incapables de pratiquer
une seule vertu, mais nous manquons de force surtout pour la chasteté,
à cause du vio-lent penchant de notre nature vers le vice opposé.
Nul doute qu'avec le secours divin l'homme ne puisse se conserver chaste.
Mais Dieu n'accorde pas son secours à celui qui s'engage ou demeure
1. Primum hujus vitii remedium est longe fieri ab eis quorum praesentia
alliciat ad malum.
2. Nunquam Iuxuria facilius vincitur, quam fugiendo. Serm. 45.
3. Habemus autem thesaurum istum in vasis fictilibus. II Cor. iv. 7.
4. Scivi quoniam aliter non possem esse continens, nisi Deus det. Sap.
viii. 21.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE. 317
volontairement dans l'occasion du péché. Celui qui aime
le péril, y périra1. De là cette exhorta-tion de saint
Augustin : « Contre les assauts de l'impureté, recours à
la fuite, si tu veux rempor-ter la victoire2. » Et saint Jérôme
sur son lit de mort instruisant ses disciples, ainsi que le rap-porte Eusèbe
dans une lettre au pape Damase, leur disait : « Combien n'y en a-t-il
pas qui, du faîte de la sainteté, tombèrent misérablement
dans ce bourbier infect, pour s'être flattés de ne jamais
y tomber! Que personne donc, ajoutait-il, ne se croie sûr d'échapper
à cet abîme ! Il disait encore : Si saints que vous soyez,
vous n'êtes pas confir-més en grâce, et il s'en faut
de beaucoup que vous ne puissiez pas tomber3. »
Est-il possible, demande le Sage, qu'un homme marche sur des charbons
ardents sans se brûler les pieds4? « Serais-tu de pierre ou
de fer? s'écrie à ce propos saint Jean Chrysostome ; tu es
homme, tu es faible comme tout ce qui est homme, et tu prendrais en mains
du feu sans te brûler ? Allume une torche, place-la dans un tas de
paille, et puis ose prétendre que la paille ne s'enflammera pas.
Telle est la paille, telle est notre nature5. » Impos-
1. Qui amat periculum in illo peribit. Eccli. iii. 27.
2. Contra libidinis impetum, apprehende fugam, si vis obtinere victoriam.
Serm. 293. E. B. app.
3. Plurimi sanctissimi ceciderunt hoc vitio propter suam securita-tem.
Nullus in hoc confidat. Si sanctus es, non tamen securus es. EUSEB. Ep.
ad Dam. de morte Hier.
4. Numquid potest homo... ambulare super prunas, ut non com-burantur
plantae ejus ? Prov. vi. 27.
5. Num tu saxeus es, num ferreus? Homo es, communi naturae imbecillitati
obnoxius ; ignem capis, nec ureris ? Lucernam in feno pone, ac tu aude
negare quod fenum uratur. Quod fenum est, hoc natura nostra est. In Ps.
L. hom. 1.
De les fuir toujours
3l8 TROISIÈME INSTRUCTION.
Et le plus possible ;
En particulier
fuir la vue des personnes du sexe,
sible donc de s'exposer volontairement à l'occa-sion et
de ne pas succomber.
Il faut fuir le péché comme on fuit à l'aspect
du serpent, selon cette autre parole du Sage : Comme à la vue du
serpent fuis les péchés1. Ce n'est pas seulement la morsure
des serpents que nous fuyons, c'est encore leur contact et même leur
approche. Dès qu'une personne peut devenir une occasion de péché,
il faut fuir jusqu'à sa pré-sence et sa conversation. Saint
Ambroise observe que " le chaste Joseph prit aussitôt la fuite, sans
même prêter l'oreille à ce que la femme de Puti-phar
avait commencé de lui dire, car il regardait comme un grand péril
de s'arrêter à l'entendre2.» Mais, dira quelqu'un, je
sais bien ce que j'ai à faire! — Que celui-là médite
cette parole de saint François d'Assise : « Je sais ce que
je dois faire; mais, une fois dans l'occasion, je ne sais pas ce que je
ferai. »
Il faut, en premier lieu, ne jamais arrêter ses regards sur aucun
objet plus ou moins sédui-sant. La mort est montée par nos
fenêtres3, c'est-à-dire, selon l'interprétation de
saint Jérôme, de saint Grégoire et d'autres commentateurs,
le pé-ché pénètre dans l'âme par les
yeux. De même que, pour défendre une place, il ne suffit pas
de fermer les portes si on laisse entrer l'ennemi par lés fenêtres;
de même, si nous ne prenons pas
1. Quasi a facie colubri, fuge peccata. Eccli. xxi. 2.
2. Ne ipsa quidem verba diu passus est; contagium enim judicavit, si
diutius moraretur. De S. Jos. c. 5.
3. Ascendit mors per fenestras. Jer. ix. 21.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
3l9
soin de tenir les yeux baissés, tous les autres moyens
ne nous serviront de rien pour conser-ver la chasteté. Tertullien1
rapporte qu'un phi-losophe païen, pour demeurer chaste, s'arracha
volontairement les yeux. Pareille chose n'est point permise à des
chrétiens. Mais si nous vou-lons rester chastes, il faut de toute
nécessité que nous évitions de voir les personnes
du sexe, et surtout de les regarder. Le danger, remarque saint François
de Sales, ne vient pas tant de voir que de regarder ce qui peut nous donner
des tentations.
Ce ne sont pas seulement certaines personnes immodestes, mais même
les plus pudiques dont il faut que nous détournions nos regards.
« Car, dit saint Jean Chrysostome, il n'y a pas que l'as-pect d'une
femme déhontée, mais même d'une honnête femme,
qui frappe le cœur et l'émeut2.» De là ce pacte que
le saint homme Job fit avec ses yeux de ne regarder aucune femme, pas même
une vierge parfaitement modeste, car il savait bien que de ces regards
naissent de mauvaises pensées. J'ai fait, disait-il, un pacte avec
mes yeux pour ne pas même penser à une vierge3. L'Ecclésiastique
dit également : N'arrête pas ta vue sur une vierge, de peur
que dans sa beauté tu ne trouves une pierre d'achoppement4. En effet,
remarque saint Augustin, « après le regard vient la
1. Apolog. c. 46.
2. Animus feritur et commovetur, non impudicae tantum intuitu, sed
etiam pudicae. De Sacerd. l. 6.
3. Pepigi fœdus cum oculis meis, ut ne cogitarem quidem de vir-gine.
Job. XXXI. 1.
4. Virginem ne conspicias, ne forte scandalizeris in decore illius.
Eccli. ix. 5.
Même les plus vertueuses.
320
TROISIÈME INSTRUCTION.
pensée, après la pensée la complaisance,
et après la complaisance le consentement1. » En d'autres termes,
du regard naît la mauvaise pensée; de la mauvaise pensée
naît un certain plaisir des sens; souvent à ce plaisir, bien
qu'involontaire d'abord, succède le consentement de la volonté,
et voilà l'âme perdue ! C'est pourquoi l'Apôtre commande
aux femmes de se voiler dans l'église à cause des anges,
c'est-à-dire, suivant le cardinal Hugues de Saint-Cher, «
à cause des prêtres, qui pourraient, en les voyant sans voile,
être exposés à des ten-tations2. » Dans le temps
même que saint Jérôme, retiré au fond de sa grotte
de Bethléem, ne faisait que prier, jeûner et se macérer,
le souvenir des dames romaines, dont il était pourtant séparé
depuis tant d'années, venait violemment le tour-menter. Aussi, écrivant
ensuite à son cher dis-ciple Népotien, lui recommandait-il
non seule-ment de ne jamais regarder les personnes du sexe, mais encore
de ne jamais parler de leur beauté. « Il est de ton devoir,
lui disait-il, de mettre sous la garde de la chasteté non seulement
tes yeux, mais encore ta langue, et cela en lui interdisant toute parole
au sujet des femmes et de leurs agré-ments3.» Un seul regard
de curiosité jeté sur Bethsabée, et ce fut assez pour
que David tombât misérablement dans les trois énormes
crimes d'a-dultère, d'homicide et de scandale. « Le démon,
1. Visum sequitur cogitatio, cogitationem delectatio, delectationem
consensus.
2. Propter Angelos, id est, Sacerdotes, ne, in ejus faciem inspi-cientes,
moverentur ad libidinem. In I Cor. xi. 10. 3. Officii tui est, non solum
oculos castos custodire, sed et linguam; nunquam de formis mulierum disputes.
Ep. ad Nepot.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE. 321
disait encore saint Jérôme, a seulement besoin que
nous commencions1. » Il suffit que nous en-trouvrions la porte, lui-même
viendra bien à bout de l'ouvrir. Un regard qu'on aura volontairement
arrêté sur une jeune personne deviendra une étin-celle
d'enfer et la ruine de l'âme. Parlant spécia-lement des prêtres,
le même saint docteur, pour faire comprendre que leur chasteté
ne consiste pas seulement à s'abstenir de tout acte coupable, mais
même à pratiquer la plus sévère modestie des
yeux, disait : « Par réserve sacerdotale évitez non
seulement tout ce qui pourrait blesser la chasteté; n'accordez même
à vos yeux aucune liberté2. »
S'il est nécessaire, pour conserver la chasteté, qu'on
s'abstienne de regarder les personnes du sexe, il est bien plus nécessaire
encore de fuir leur société. Ne t'arrête pas au milieu
d'elles3, nous dit le Saint-Esprit ; car, ajoute-t-il aussi-tôt,
de même que la teigne provient des vêtements, ainsi de la femme
provient l'iniquité de l'homme4 qui ose entretenir des rapports
avec elle. « Et, remarque Corneille de la Pierre dans son com-mentaire
sur ce texte, comme la vermine envahit nos habits malgré nous, ainsi,
qu'on le veuille ou qu'on ne le veuille pas, des entretiens avec les femmes
naissent les mauvais désirs5. » « C'est
1. Nostris tantum initiis (diabolus) opus habet.
2. Pudicitia sacerdotalis non solum ab opere se immundo abstineat,
sed etiam a jactu oculi sit libera. In Tit. 1.
3. In medio mulierum noli commorari. Eccli. xlii. 12.
4. De vestimentis enim procedit tinea, et a muliere iniquitas viri.
Ibid.
5. Sicut tibi nihil tale volenti nascitur in veste et e veste tinea,
ita nihil tale volenti nascitur ex femina desiderium.
LE PRÊTRE. — T. I. 21
Fuir surtout leur société,
322
TROISIÈME INSTRUCTION.
insensiblement, observe-t-il encore, que les vers s'engendrent
dans les habits et les rongent; c'est insensiblement aussi que la conversation
des fem-mes allume le feu de la concupiscence dans le cœur des hommes,
même les plus spirituels1. » « Nul doute, dit saint Augustin,
qu'en fait d'impu-reté, pour peu qu'on se permette quelque familia-rité,
on ne tombe bientôt au fond de l'abîme 2. » Saint Grégoire
rapporte que le prêtre Orsinus, entré dans les saints ordres
du consentement de sa femme, vivait séparé d'elle depuis
quarante années, quand il se trouva sur son lit de mort. La femme
ayant approché son oreille de la bouche de son mari pour savoir
s'il respirait encore : « Ar-rière, s'écria Orsinus,
arrière, ô femme ! enlève cette paille, car je sens
encore en moi une étincelle de vie qui pourrait nous consumer tous
deux3. »
La chute déplorable de Salomon devrait bien suf-fire pour nous
faire trembler. Il avait commencé par jouir des faveurs et de l'amitié
de son Dieu, au point de devenir la plume du Saint-Esprit. Mais dans sa
vieillesse il en vint, par la fréquentation des femmes idolâtres,
jusqu'à se prosterner devant les idoles. Lorsqu'il était
déjà vieux, son cœur fut dépravé par les femmes,
en sorte qu'il suivait des dieux étrangers4. Pourquoi nous en étonner?
« Il
1. Tinea insensibiliter in veste nascitur, et eam erodit; sic insen-sibiliter
ex conversatione cum muliere oritur libido, etiam inter religiosos.
2. Sine ulla dubitatione, qui familiaritatem non vult vitare suspec-tam,
cito labitur in ruinam. Serm. 293. E. B. app.
3. Recede, mulier : adhuc igniculus vivit, paleam tolle. Dial. 1. 4.
c. 11.
4. Cumque jam esset senex, depravatum est cor ejus per mulieres, ut
sequeretur deos alienos. III Reg. xi. 4.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE. 323
est impossible, comme le remarque saint Cyprien, de rester au
milieu des flammes et de ne pas brû-ler 1. » Selon saint Bernard,
« c'est un moindre miracle de ressusciter un mort que de vivre dans
la familiarité d'une femme sans perdre la chas-teté2. »
Si donc vous Voulez vous mettre en sûreté, éloignez,
vous dit le Saint-Esprit, éloignez d'elle votre voie et n'approchez
pas de la porte de sa mai-son 3. Oui, s'il est quelque part une femme vers
laquelle le démon vous attire, faites-vous une loi de ne pas même
passer devant sa maison; prenez le large, et s'il se trouve que vous ayez
vraiment à parler avec une personne du sexe, alors, suivant le conseil
de saint Augustin, « faites-le brièvement et froidement4.
» « Si vous devez parler avec une femme, dit également
saint Cyprien, il faut le faire à la hâte, sans vous arrêter
et comme en fuyant5. » Cette personne est laide, me dira quelqu'un
: à Dieu ne plaise que je fasse le mal avec elle ! — «
Mais, répond saint Cyprien, le démon est pein-tre, et il
sait bien profiter du trouble des sens pour donner à un visage horrible
un aspect charmant6.» C'est ma parente! — A cela voici la réponse
de saint Jérôme : « Ne permets à aucune parente
de demeurer avec toi7. » Souvent il arrive que, sous
1. Impossibile est flammis circumdari, et non ardere. De Sin-gular.
cler.
2. Cum femina semper esse, et non cognoscere feminam, nonne
plus est quam mortuum suscitare ? In Cant. s. 65.
3. Longe fac ab ea viam tuam, et ne appropinques foribus domus
ejus. Prov. v. 8.
4. Cum feminis, sermo brevis et rigidus.
5. Transeunter feminis exhibenda est accessio, quodammodo fugi-tiva.
De Singular. cler.
6. Diabolus, pingens, speciosum efficit quidquid horridum fuerit.
7. Prohibe tecum morari, etiam quae de genere tuo sunt. Ep. ad
Ocean.
Vains prétextes,
324
TROISIÈME INSTRUCTION.
Illusions périlleuses,
prétexte de parenté, on dépose toute contrainte,
et qu'on multiplie les péchés, ajoutant ainsi l'in-ceste
à l'impureté et au sacrilège. « On se livre
d'autant plus au crime, dit saint Cyprien, qu'il est plus facile d'écarter
de soi tout soupçon d'incon-duite1. » Parmi les ordonnances
de saint Charles Borromée, il en est une qui défend aux prêtres
d'a-voir chez eux, sans la permission expresse de leur évêque,
absolument aucune femme, fût-ce même une proche parente2.
C'est ma pénitente et une sainte personne : qu'ai-je donc à
craindre? — Ce que vous avez à craindre, apprenez-le de saint Thomas
: « Même avec les personnes pieuses, ne vous entretenez, dit-il,
que brièvement et froidement. Plus votre pénitente est sainte,
plus il faut craindre et éviter toute familiarité avec elle
; car les femmes exer-cent un charme d'autant plus puissant qu'elles ont
plus de piété et de spiritualité 3. » Le vé-nérable
père Sertorius Caputo, ainsi que nous le lisons dans sa Vie, disait
que tout d'abord le dé-mon fait aimer la vertu d'une personne, et
par là il écarte toute crainte du danger; puis, c'est pour
la personne elle-même qu'il inspire de l'affection; enfin il tente
et jette dans le précipice. Longtemps avant lui, saint Thomas avait
également ensei-gné que « jamais affection sensible
pour n'importe quelle personne n'était, à la vérité,
sans danger,
1. Magis illicito delinquitur, ubi sine suspicione securum potest esse
delictum.
2. Acta Mediol. p. 2. syn. 4. Monit.
3. Sermo brevis et rigidus cum mulieribus est habendus; nec tamen,
quia sanctiores fuerint, ideo minas cavendae; quo enim san-ctiores fuerint,
eo magis alliciunt. De Modo confit.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
325
mais que cependant pareille affection fait courir un plus grand péril
quand la personne qui en est l'objet semble plus pieuse. Car, si vertueuses
que soient d'abord les intentions de l'un et de l'autre, ces fréquentes
entrevues ne laissent pas que de constituer un mutuel danger; et plus leur
intimité augmente, plus aussi s'altèrent insensiblement la
sainteté de leurs aspirations et la pureté de leurs rapports
1. » Il ajoute : « Le démon sait fort bien leur dérober
la vue d'un si grand péril. Car les flè-ches qu'il lance
pour commencer, ne sont pas de celles dont on ressent le poison: elles
ne font d'a-bord que de légères blessures et ne produisent
qu'un sentiment d'affection. Insensiblement on en vient à ne plus
se conduire comme des anges, mais bien comme des personnes revêtues
de chair. Les regards ne sont pas impurs, mais de part et d'au-tre ils
deviennent plus fréquents; la conversation semble encore pieuse,
mais elle est trop tendre. On finit par ne plus pouvoir se passer l'un
de l'autre. C'est ainsi, conclut le saint docteur, que, spiri-tuelles d'abord,
les relations deviennent tout autre chose2. » Saint Bonaventure donne
les signes sui-vants, auxquels on peut reconnaître une affection
qui de spirituelle est devenue charnelle : 1° Les longs et inutiles
entretiens, et quand les entre-tiens sont longs, ils sont toujours inutiles
; 2° les
1. Licet carnalis affectio sit omnibus periculosa, eis tamen perni-
ciosa est magis, quando conversantur cum persona quae spiritualis
videtur ; nam, quamvis eorum principium videatur esse purum, fre-
quens tamen familiaritas domesticum est periculum ; quae quidem fa-
miliaritas quanto plus crescit, tanto plus infirmatur principale moti-
vum, et puritas maculatur.
2. Sicque spiritualis devotio convertitur in carnalem. De Modo confit.
326
TROISIÈME INSTRUCTION.
Exemples terribles.
regards et les éloges qu'on échange; 3° le
zèle à excuser les défauts l'un de l'autre; 4°
certaines petites jalousies qu'on accueille; 5° la peine que cause
l'éloignement1.
Tremblons : nous sommes de chair. Le bien-heureux Jourdain reprit un
jour fortement l'un de ses religieux pour avoir donné la main à
une dame, quoique sans aucune mauvaise intention. Comme le religieux alléguait
que c'était une per-sonne très vertueuse : Ecoutez, lui répondit
le bien-heureux, la pluie est bonne et la terre est bonne aussi; mais,
en se mêlant, la terre et la pluie de-viennent de la boue. —Cet homme
est saint, cette femme aussi est sainte; mais, parce qu'ils se met-tent
dans l'occasion, ils se perdent mutuellement. Le fort a heurté contre
le fort, dit le prophète, et tous deux sont tombés ensemble2.
Elle est célèbre dans l'Histoire ecclésiastique la
lamentable chute de cette pieuse femme qui s'employait par charité
à recueillir les corps des saints martyrs et à leur donner
la sépulture. Certain jour elle en trouve un qu'on a laissé
pour mort, mais auquel il reste un souffle de vie. Elle le conduit dans
sa maison et, à force de soins, le guérit parfaitement. Mais
qu'arriva-t-il? ces deux saintes personnes, en con-tinuant de vivre sous
le même toit, perdirent la chasteté et la grâce de Dieu.
Hélas! ce n'est pas une fois, mais bien souvent qu'on vit de semblables
chutes. Combien de prêtres d'abord pieux et fer-vents, mais engagés
ensuite dans une de ces ami-
1. De Profectu Rel. 1. 2. c. 27.
2. Fortis impegit in fortem, et ambo pariter conciderunt. Jer. XLVI.
12.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
327
tiés spirituelles, ont fini par la chair et ont perdu Dieu!
« J'ai connu, dit saint Augustin, d'éminents prélats
de l'Église qui succombèrent de la sorte. Pourtant leur vertu
me semblait égaler celle d'un Jérôme et d'un Ambroise,
et leur persévérance me paraissait assurée1.»
C'est pourquoi saint Jérôme écrivait de son côté
à Népotien : « Ne fais pas fond sur tes longues années
de chasteté; ne t'assieds donc pas, c'est-à-dire ne demeure
pas seul avec une femme seule sans témoin2. » Pareillement
saint Isidore de Péluse : « Si tu ne peux éviter de
t'entretenir avec une personne du sexe, aie soin de tenir les yeux baissés,
et, après avoir échangé quel-ques paroles, hâte-toi
de fuir3. » Le père Pierre Consolini, de l'Oratoire, disait
qu'avec les fem-mes, même les plus saintes, il faut pratiquer la
charité comme avec les âmes du purgatoire, de loin et sans
les voir. Ce bon père disait encore que, dans les tentations contre
la chasteté, il est très utile aux prêtres de se rappeler
leur dignité ; et, à ce propos, il citait l'exemple de ce
cardinal qui, assailli par de mauvaises pensées, se tournait vers
sa barrette : « Ma chère barrette, lui disait-il en se rappelant
sa haute dignité, je me recommande à toi.» Ainsi surmontait-il
la tentation.
En outre, il faut fuir la société des méchants.
« Chacun, dit saint Jérôme, finit par ressembler à
1. Magnos praelatos Ecclesiae sub hac specie corruisse reperi, de quorum
casa non magis praesumebam, quam Hieronymi et Ambrosii. S. THOMAS. De Modo
confit.
3. Ne in praeterita castitate confidas; solus cum sola, absque teste,
non sedeas.
3. Si cum ipsis conversari necessitas te obstringat, oculos humi de-jectos
habe; cumque pauca locutus fueris, statim avola. Lib.2.ep.284.
Fuir toutes
les compagnies
dangereuses,
328
TROISIEME INSTRUCTION.
L'oisiveté.
ceux qu'il fréquente1. » Nous marchons ici-bas par
une route obscure et glissante2: la vie présente n'est vraiment
que cela. Qu'il y ait à nos côtés un mauvais compagnon
pour nous pousser vers le précipice, et nous voilà perdus.
Le fait suivant est rapporté par saint Bernardin de Sienne 3, témoin
oculaire. Une personne avait vécu trente-huit an-nées dans
une parfaite pureté, quand un jour on tint devant elle un propos
licencieux. C'en fut assez pour qu'elle se précipitât dans
des dérègle-ments dont, suivant l'expression du saint, le
dé-mon lui-même revêtu de notre chair n'aurait pu égaler
la turpitude.
Enfin, pour demeurer chastes, il faut que nous fuyions l'oisiveté,
laquelle, dit le Saint-Esprit, a toujours enseigné beaucoup de malice4.
C'est à l'oisiveté qu'Ezéchiel attribue les crimes
abomi-nables commis par les habitants de Sodome, et le désastre
dans lequel tous périrent ensuite. L'ini-quité de Sodome,
ce fut l'oisiveté5. C'est également à ce vice que
saint Bernard attribue la chute de Salomon. Le travail amortit les ardeurs
de la con-cupiscence, et, comme le dit saint Isidore, « il faut que
la passion succombe sous le poids du travail et de la fatigue6. »
De là le conseil de saint Jérôme à Rustique
: « Ne sois jamais à ne rien faire, afin que le démon,
venant avec ses tenta-
1. Talis efficitur homo, qualium societate fruitur. EUSEB. De Morte
Hier.
2. Lubricum in tenebris. Jer. xxiii. 12.
3. T. III. Serm. extr. s. 13. n. 6.
4. Multam enim malitiam docuit otiositas. Eccli. xxxiii. 29.
5. Haec fuit iniquitas Sodomae,... otium ipsius. Ezech. xvi. 49.
6. Cedet libido laboribus, cedet operi. De Cont. m. de Lab.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE. 329
tions, te trouve occupé1. » « L'homme laborieux,
ajoute saint Bonaventure, n'aura qu'un seul démon pour le tourmenter,
mais le paresseux en aura une multitude2. »
III.
PRINCIPAUX MOYENS POSITIFS POUR
CONSERVER LA CHASTETÉ.
Les occasions et l'oisiveté, voilà donc, comme nous venons
de le voir, les deux dangers à fuir pour conserver la chasteté.
Voyons maintenant quels sont les moyens à prendre.
Il faut d'abord pratiquer la mortification des sens. « Si quelqu'un,
dit saint Jérôme, prétend vivre au milieu des plaisirs
sensuels et malgré cela se préserver de criminelles sensualités,
celui-là se trompe3. » Tourmenté par l'aiguillon de
la chair, l'Apôtre recourait aux macérations, et com-me il
le disait lui-même, je châtie mon corps et le réduis
en servitude4. Quand la chair n'est pas mortifiée, difficilement
elle se soumet à l'esprit. Comme le lis entre les épines,
telle est ma bien-aimée entre les jeunes filles5 ; en d'autres termes,
1. Facito aliquid operis, ut te semper diabolus inveniat occupa-tum.
Ep. ad Rustic.
3. Occupatus ab uno daemone impugnatur; otiosus ab innumeris vastatur.
De Prof. Rel. l. 1. c. 39.
3. Si quis existimat posse versari in deliciis, et deliciarum vitiis
non teneri, seipsum decipit. Adv. Jovin. l. 2.
4. Castigo corpus meum, et in servitutem redigo. I Cor. ix. 27.
5. Sicut lilium inter spinas, sic amica mea inter filias. Cant. II.
2.
La mortification,
33o TROISIÈME INSTRUCTION.
Surtout dans le boire
Et le manger.
de même que le lis se conserve entre les épines,
ainsi la chasteté se conserve au milieu des morti-fications.
Pour rester chaste, on doit principalement évi-ter toute intempérance
dans le boire et le man-ger. Gardez-vous bien de donner du vin aux rois1.
Quand on dépasse la juste mesure, le vin ne sert plus qu'à
produire de ces agitations avec lesquel-les il est bien di facile de dominer
les sens et de con-server la chasteté. «Au vin qui fermente
dans l'es-tomac, dit saint Jérôme, la luxure sert d'écume2.»
En effet, le vin prive l'homme de sa raison et le ravale au rang des brutes,
selon cette parole du prophète : Le vin et l'ivresse enlèvent
le cœur3. Par contre, l'Écriture a dit de saint Jean-Baptiste :
Il ne boira ni vin ni boisson fermentée, et il sera rempli du Saint-Esprit4.
Si quelqu'un allègue que le vin lui est nécessaire à
cause de la faiblesse de son estomac: soit! lui répondrai-je, mais
qu'il écoute ce que l'Apôtre écrit à Timothée
: Usez d'un peu de vin à cause de votre estomac et de vos fréquentes
infirmités5. C'est donc un remède qui doit se prendre à
petites doses.
Il est également nécessaire qu'on évite tout excès
dans la nourriture. Saint Jérôme disait : « Se ras-sasier
de nourriture, c'est préparer les voies à l'impureté6.
» Et saint Bonaventure : « La luxure
1. Noli regibus dare vinum. Prov. xxxi. 4.
2. Venter enim mero aestuans despumat in libidinem. Reg. Monach. de
Abst.
3. Vinum et ebrietas auferunt cor. Os. iv. 11.
4. Vinum et siceram non bibet, et Spiritu sancto replebitur. Luc.i.
15.
5. Modico vino utere, propter stomachum tuum et frequentes tuas infirmitates.
I Tim. v. 23.
6. Adv. Jovin. 1. 2.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
331
se nourrit des excès de table1. » Le jeûne,
au con-traire, étouffe les vices et fait germer les vertus, ainsi
que l'Eglise nous l'enseigne : « O Dieu, qui, par le moyen du jeûne,
domptez nos passions, élevez nos intelligences, accordez les vertus
et dis-pensez les récompenses2. » D'après saint Thomas,
« lorsqu'une personne sort victorieuse des tenta-tions de gourmandise,
le démon n'ose pas la tenter d'impureté3. »
Il faut, en outre, s'adonner à la pratique de l'hu-milité.
Celui qui n'est pas humble ne saurait res-ter chaste. « Impossible,
dit Cassien, d'établir en nous la chasteté, tant que nous
ne lui avons pas préparé dans notre cœur les fondements de
l'hu-milité4. » Il n'est pas rare que Dieu punisse les orgueilleux
en les laissant tomber dans quelque faute humiliante. Telle fut précisément
la cause de la chute de David, ainsi qu'il le confesse lui-même :
J'avais péché avant que ces tribulations vinssent ni humilier5.
L'humilité nous obtient la chasteté. Saint Bernard l'a dit,
« Dieu accorde la chasteté aux mérites de l'humilité6;
» Et saint Au-gustin : « La gardienne de la virginité,
c'est l'a-mour de Dieu; mais l'amour de Dieu n'établit sa demeure
que dans l'humilité7. » Selon saint Jean
1. Luxuria nutritur a ventris ingluvie. De Prof. rel. 1. 2. c. 52.
2. Deus, qui, corporali jejunio, vitia comprimis, mentem elevas, virtutem
largiris et praemia.
3. Diabolus, victus de gula, non tentat de libidine.
4. Castitatem apprehendi non posse, nisi prius humilitatis in corde
fundamenta fuerint collocata. De Caenob. inst. l. 6. c. 18.
5. Priusquam hnmiliarer, ego deliqui. Ps. cxviii. 67.
6. Ut castitas detur, humilitas meretur. De Mor. et Off. Ep. c. 5.
7. Custos virginitatis, charitas; locus hujus custodis, humilitas.
De S. Virginit. c. 51.
L'humilité.
332
TROISIÈME INSTRUCTION.
La prière :
Climaque, « celui qui voudrait, dans les tentations contre
la chair, triompher par la continence seule, ressemble au naufragé
qui voudrait se sauver en ne nageant que d'une main. Que l'humilité
vienne donc prêter main forte à la continence1. »
Mais, par-dessus tout, ce qu'il faut pour con-server cette précieuse
vertu, c'est la prière. Il faut prier et prier continuellement.
Nous l'avons déjà dit, on ne peut obtenir ni conserver la
chasteté, à moins que Dieu n'accorde son secours. Mais, ce
secours, le Seigneur l'accorde seulement à celui qui le demande.
Les saints Pères nous enseignent que l'oraison de demande, c'est-à-dire
la prière proprement dite, est nécessaire aux adultes de
nécessité de moyen, selon ces paroles de la sainte Ecriture
: Il faut prier toujours et ne jamais se lasser2 ; demandez et il vous
sera donné 3. « La prière, conclut de là le
Docteur angélique, une prière continuelle, voilà ce
qui, après le baptême, est le plus nécessaire à
l'homme4. » Mais s'il faut absolument l'aide de Dieu pour pratiquer
n'im-porte quelle vertu, nul doute que, pour conserver la chasteté,
il ne faille encore un plus grand se-cours, vu le violent penchant de notre
nature vers le vice opposé. « Jamais, dit Cassien, l'homme
ne pourra, en volant de ses propres ailes, s'élever as-sez haut
pour cueillir la palme de la vertu angé-
1. Qui sola continentia bellum hoc superare nititur, similis est ei
qui, una manu natans, pelago liberari contendit; sit ergo humilitas continentiae
conjuncta. Scala Spir. gr. 15.
2. Oportet semper orare, et non deficere. Luc. xviii. 1.
3. Petite, et dabitur vobis. Matth. vii. 7.
4. Post baptismum, necessaria est homini jugis oratio. Sum. th. P.
3. q. xxxix. a. 5.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
333
lique. Pour cela il est de toute nécessité que la grâce
de Dieu le soulève par-dessus la boue de ce monde1. » «
Telle est, ajoute Abelly, la raison pour laquelle il faut, dans ce grand
combat, que, fidèles à l'avertissement du Sage, nous nous
tournions vers Dieu afin de le prier de toute l'ardeur de notre âme2.
» « Entre autres moyens, dit de son côté saint
Cyprien, ou plutôt avant tous les autres moyens pour obtenir la chasteté,
on doit placer la fidélité à demander au ciel son
secours3. » Salomon l'avait déclaré : Comme j'ai su
que je ne pouvais être con-tinent si Dieu ne m'en faisait la grâce
(et c'était déjà de la sagesse que de savoir de qui
est ce don), je recourus au Seigneur, et je le suppliai, et je lui parlai
de tout mon cœur4.
Il faut donc, suivant le conseil donné par saint Cyprien, «
qu'à l'instant même où les premiers aiguillons de la
chair se font sentir, nous résis-tions au démon, sans permettre
que, nourrie dans notre sein, la couleuvre, c'est-à-dire la tentation,
grandisse et devienne un monstrueux serpent5. » Saint Jérôme
donne le même conseil : « Attention à ne pas laisser
grandir la mauvaise pensée! Tuez
1. Impossibile est hominem suis pennis ad tam praecelsum cœles-teque
praemium subvolare, nisi eum gratis Domini de terrae cœno evexerit. De
Cœnob. inst. 1. 6. c. 6.
2. Idcirco, juxta sapientis monitum (Sap. viii. 21), adeundus est Dominus,
et ex totis praecordiis deprecandus. Sacerd. Chr. p. 3. c. 14.
3. Inter haec, imo et ante haec orania, de divinis castris auxilium
petendum est. De Disc. et Bono pudic.
4. Et ut scivi quoniam aliter non possem esse continens, nisi Deus
det, et hoc ipsum erat sapientiae scire cujus esset hoc donum, adii Dominum,
et deprecatus sum illum, et dixi ex totis praecordiis meis. Sap. viii.
21.
5. Primis diaboli titillationibus obviandum est, nec foveri debet coluber
donec in draconem formetur. De Jeg. et Tent. Chr.
Sans laisser
grandir la tentation.
Recourir
aussitôt à Jésus
et à Marie.
334 TROISIÈME INSTRUCTION.
l'ennemi dès son apparition1.» Quand le lion est petit,
on peut facilement le tuer; a-t-il grandi, on en devient difficilement
maître. Cela étant, gar-dons-nous de prêter l'oreille
à ces tentations, chas-sons-les aussitôt et sans raisonner
avec elles. A ce sujet, les maîtres de la vie spirituelle enseignent
que le meilleur moyen pour vaincre les tentations de la chair, ce n'est
pas de lutter directement et corps à corps en opposant à
la mauvaise pensée force protestations de la volonté, mais
bien de lutter indirectement, et cela en faisant des actes d'amour de Dieu,
des actes de contrition, ou du moins en s'efforçant de penser à
autre chose.
Mais le moyen sur lequel nous devons alors le plus compter, c'est la
prière et le recours à Dieu. Dès que survient la tentation,
il est fort utile de re-nouveler là ferme résolution de mourir
plutôt que de pécher, puis, il faut se tourner aussitôt
vers les plaies de Jésus-Christ pour obtenir du secours. Ainsi ont
fait les saints, qui étaient de chair com-me nous, et comme nous
sujets à la tentation; et ainsi remportèrent-ils la victoire.
« Lorsqu'une mauvaise pensée se présente à la
porte de mon âme, disait saint Augustin, je recours aux plaies de
Jésus-Christ : c'est dans les plaies de mon Sauveur que je trouve
toute ma sécurité2. » Sol-licité au mal par
une femme de mauvaise vie, saint Thomas s'écria : « Seigneur
Jésus ! et vous, ô sainte vierge Marie, ne me laissez pas
suc-
1. Nolo sinas cogitationem crescere; dum parvus est hostis, inter-fice.
Ep. ad Eustoch.
2. Cum me pulsat aliqua turpis cogitatio, recurro ad vulnera Christi.
Tuta requies in vulneribus Salvatoris. Manual. c. 22. 21.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
335
comber1! » et la tentation fut vaincue. Il est égale-ment
fort utile de faire alors le signe de la croix sur sa poitrine, comme aussi
de recourir à son ange gardien et à son saint patron. Mais
surtout c'est à Jésus et à Marie qu'il importe de
se recom-mander, en invoquant aussitôt leurs très saints noms
et en les répétant jusqu'à ce que la tentation soit
vaincue. Quelle n'est pas la puissance des noms de Jésus et de Marie
contre les tentations de la chair !
Entre toutes les dévotions propres à conserver la chasteté,
la plus efficace est la dévotion envers celle que l'on proclame
la Mère du chaste amour et la gardienne de la virginité2.
Entre toutes les pratiques de dévotion à la sainte vierge
Marie, la plus puissante, c'est celle des trois Ave Maria, qu'on récite
en l'honneur de sa pureté le matin en se levant et le soir avant
de se coucher. Le père Segneri3, jésuite, rapporte que le
père Zucchi, également de la compagnie de Jésus, entendit
un jour la confession d'un homme qui était enfoncé dans la
boue du vice impur, et qu'il lui donna pour tout remède de ne passer
aucun jour sans réciter soir et matin les trois Ave Maria en l'hon-neur
de la pureté de Marie. Cet homme passa en-suite plusieurs années
à parcourir le monde, puis il revint se confesser au même
père Zucchi. Celui-ci, le trouvant entièrement changé,
lui demanda comment il s'y était pris. A quoi le pénitent
1. Ne sinas, Domine Jesu, et Sanctissima Virgo Maria ! SURIUS. 7 mart.
2. Mater pulchrae dilectionis, custos virginitatis.
3. Christ. istr. p. 3. r. 34. § 2.
Les trois Ave Maria.
336 TROISIÈME INSTRUCTION.
Leur
merveilleuse
efficacité.
répondit qu'il était redevable de cette insigne
grâce à la dévotion si facile des trois Ave Maria.
Or un jour que le même père, autorisé par le- pécheur
converti, racontait ce fait du haut de la chaire, il se trouva parmi les
auditeurs un soldat engagé pour lors dans une relation criminelle.
Ce soldat se mit à réciter chaque jour les Ave Maria, et,
bientôt après, la sainte Vierge lui donna la force d'abandonner
sa mauvaise vie. Mais un jour, ins-piré par un faux zèle,
il se rendait chez son an-cienne complice dans le dessein de la convertir;
or, sur le point de franchir le seuil de la maison, il se sent violemment
repoussé et tout aussitôt transporté au loin. Il reconnaît
la main de sa bienfaitrice et la remercie d'avoir, par une faveur spéciale,
empêché qu'il n'abordât cette femme au risque de retomber,
en s'exposant ainsi de gaîté de cœur, dans ses anciens errements.
QUATRIEME INSTRUCTION.
SUR LA PREDICATION
ET
SUR L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
Si tous les prédicateurs et tous les confesseurs faisaient
leur devoir comme il faut, les hommes seraient tous des saints. Les mauvais
prédicateurs et les mauvais confesseurs, voilà ce qui perd
le monde ; et, par mauvais prédicateurs ou confes-seurs, j'entends
précisément ceux qui ne font pas leur devoir comme il faut.
Voyons d'abord com-ment on doit prêcher la parole de Dieu, voyons
ensuite comment on doit administrer le sacre-ment de pénitence.
I.
LA PRÉDICATION.
C'est par la prédication que la foi se propagea dans l'univers,
et c'est aussi par la prédication qu'elle s'y conserve. La foi vient
d'entendre, dit
LE PRÊTRE. — T. I. 22
Sans prédication
pas
de religion.
Terrible
responsabilité
des prêtres.
338 QUATRIÈME INSTRUCTION.
saint Paul, et l'on entend grâce à la prédication
de la parole du Christ 1. Mais il ne suffit pas que le chrétien
sache quels sont ses devoirs, il faut encore, que de temps en temps la
parole de Dieu retentisse à ses oreilles, afin de le faire réfléchir
sur l'importance de son salut éternel et sur les moyens à
prendre pour y parvenir.
De là cet ordre donné par l'Apôtre à saint
Ti-mothée : Annoncez la parole ; insistez à temps et à
contre-temps ; reprenez, suppliez, menacez en toute patience et doctrine2.
Longtemps aupara-vant, Dieu avait donné le même ordre à
ses deux saints prophètes Isaïe et Jérémie. Crie
et ne cesse point, dit le Seigneur à Isaïe, élève
ta voix comme une trompette, et annonce à mon peuple ses crimes3.
Et à Jérémie : Voilà que j'ai mis ma parole
dans ta bouche; voilà qu'aujourd'hui je t'ai établi sur les
nations et sur les royaumes, afin que tu ar-raches et que tu détruises,
et que tu édifies et que tu plantes4. Nous voyons le même
devoir imposé aux prêtres par Jésus-Christ, puisqu'il
place la prédication au nombre de leurs principales fonc-tions.
Allez donc enseigner toutes les nations et leur apprendre à observer
tout ce que je vous ai prescrit5. Aussi qu'un pécheur vienne à
se perdre faute d'avoir pu entendre la parole du salut, c'est
1. Fides ex auditu ; auditus autem per verbum Christi. Rom. x. 17.
2. Praedica verbum : insta opportune, importune; argue, obsecra, increpa,
in omni patientia et doctrina. II Tim. iv. 2.
3. Clama, ne cesses : quasi tuba, exalta vocem tuam, et annuntia populo
meo scelera eorum. Is. LVIII. 1.
4. Ecce dedi verba mea in ore tuo ; ecce constitui te hodie super gentes
et super regna, ut evellas, et destruas...; et aedifices, et plantes. Jer.
I. 9.
5. Euntes ergo, docete omnes gentes... Servare omnia quaecumque mandavi
vobis! Matth. xxviii. 19.
SUR LA PRÉDICATION. 339
au prêtre à même de l'en instruire que Dieu
de-mandera compte de cette âme. Si je dis à l'impie: Tu mourras
de mort, et que tu ne le lui annonces pas, l'impie mourra dans son iniquité,
mais je re-demanderai son sang à ta main 1.
Pour sauver les âmes, il ne s'agit pas seulement de prêcher,
mais de prêcher comme il faut, ainsi que nous le disions en commençant.
Or pour bien prêcher, nécessaire est en premier lieu la science
et par conséquent l'étude. Celui qui prêche au hasard
et vaille que vaille produira dans les âmes plus de mal que de bien.
En second lieu, le prédicateur doit être homme de
sainte vie. « On en vient vite, dit saint Grégoire, à
mépriser la parole de celui dont on méprise la vie 2. »
Saint Jean Chrysostome, s'adressant à cer-tains prédicateurs,
leur dit : « Vous niez par vos actions ce que vous, semblez professer
par vos pa-roles 3. » Quel moyen en effet de convaincre par un discours
auquel les œuvres infligent un démenti? Les prédications
de ce genre ne servent qu'à con-damner le prédicateur, car,
selon saint Paul, re-prendre dans les autres ce qu'on fait soi-même,
c'est prononcer sa propre condamnation. O homme, tu es inexcusable : quand
tu juges autrui, tu te con-damnes toi-même4. Le vénérable
Jean d'Avila avait
1. Si dicente me ad impium : Morte morieris ; non annuntiaveris ei...,
ipse impius in iniquitate sua morietur, sanguinem autem ejus de manu tua
requiram. Ezech. III. 18.
2. Cujus vita despicitur, restat ut ejus praedicatio contemuatur. In
Evang. hom. 12.
3. Denegatis in opere, quod videmini profiteri in verbo. Hom. 40.
4. lnexcusabilis es, o homo omnis qui judicas ! in quo enim judi-cas
alterum, teipsum condemnas. Rom. II. 1.
Le vrai prédicateur :
Savant,
Pieux
340
QUATRIÈME INSTRUCTION.
Zélé
pour la gloire
de Dieu
donc souverainement raison quand, interrogé sur la meilleure
règle à suivre pour bien prêcher, il ré-pondait
: « C'est d'aimer beaucoup Jésus-Christ. » «Un
flambeau qui ne brûle pas, dit saint Grégoire, c'est un flambeau
qui n'enflamme pas 1. » Il faut brûler soi-même de l'amour
de Dieu pour l'allu-mer ensuite dans le cœur du prochain. Saint Fran-çois
de Sales disait : « Le cœur parle au cœur2, » en d'autres termes,
les paroles ne retentissent par elles-mêmes qu'à l'oreille
et n'entrent pas dans le cœur. Seul celui qui parle de cœur, c'est-à-dire
qui sent et qui fait ce qu'il dit, parle au cœur des auditeurs et les porte
à aimer Dieu. Le prédica-teur doit être en conséquence
un homme d'oraison, car l'oraison lui inspirera tout ce qu'il devra com-muniquer
ensuite aux autres. Ce que vous aurez entendu à l'oreille, dit notre
divin Rédempteur, prêchez-le sur les toits3. Or l'oraison
est cette bienheureuse fournaise où les prédicateurs s'en-flamment
de l'amour divin. Dans ma méditation, dit le roi prophète,
le feu s'allumera4. Là se pré-parent ces traits enflammés
qui pénètrent ensuite dans l'âme des auditeurs.
Il faut, en troisième lieu, que le prédicateur soit toujours
animé d'une très droite intention. Il aura donc en vue non
pas son avantage personnel, mais la gloire de Dieu, et il s'appliquera,
non pas à mériter la louange des hommes, mais à procurer
le salut des âmes. C'est en conséquence sur la ca-
1. Lucerna quae non ardet non accendit. In Ezech. hom. II. a. De la
Prédic. ch. 5. a. 1.
3. Quod in aure auditis, praedicate super tecta. Matth. x. 27.
4. In meditatione mea exardescet ignis. Ps. xxxviii. 4.
SUR LA PRÉDICATION. 341
parité des auditeurs qu'il doit mesurer ses prédi-cations,
conformément à ce que prescrit le con-cile de Trente: «Que
les archiprêtres, soit par eux-mêmes, soit par d'autres prêtres
capables, aient soin de distribuer la parole du salut eu égard à
la capacité de ceux qui leur sont confiés1. » D'après
saint François de Sales, les termes recherchés et les phrases
sonores sont la peste de la prédication2 ; d'abord parce que Dieu
ne prête pas son concours à tout ce vain étalage, ensuite
parce que les audi-toires se composent plus généralement
de person-nes peu instruites et incapables de comprendre le langage fleuri.
Quelle misère de voir tant de pau-vres gens venir au sermon pour
s'instruire et s'édi-fier, puis s'en aller de l'église, désolés
et découra-gés, par la faute du prédicateur qu'ils
n'ont pas compris ! Le vénérable Jean d'Avila, en parlant
de ces prédicateurs au style sublime et que les fidèles ne
comprennent pas, avait bien raison de les ap-peler des traîtres à
Jésus-Christ; car, chargés par Jésus-Christ de procurer
sa gloire, ils ne travaillent que pour leur propre avantage. C'est également
à bon droit que le père Gaspard Sanzio nous les re-présente
comme les plus grands persécuteurs ac-tuels de l'Église,
puisque, en prêchant de la sorte, ils causent la perte de beaucoup
d'âmes qui se seraient sauvées grâce à une prédication
simple et d'un genre apostolique. Ma prédication, disait l'Apôtre,
lui qui prêchait tout à fait selon l'esprit
1. Archipresbyteri, per se vel per alios idoneos, plebes sibi com-missas,
pro earum capacitate, pascent salutaribus verbis. Sess. 5. de Ref. c. 2.
2. De la Prédic. ch. 5. a. 1.
Et le bien des âmes.
342
QUATRIÈME INSTRUCTION.
La vraie éloquence :
Populaire
de Dieu, ma prédication n'a pas été dans
les pa-roles persuasives de la sagesse humaine, mais dans la manifestation
de l'esprit et de la vertu 1. Quand je lis les Vies des saints célèbres
par leur dévoue-ment au salut des âmes, j'en trouve un grand
nom-bre qu'on loue pour leur manière de prêcher sim-ple et
populaire ; jamais je n'en ai trouvé aucun qui soit loué
pour avoir prêché d'une manière élégante
et fleurie.
Il est bon de présenter ici le résumé de ce que
le célèbre et savant Muratori a écrit sur cette ma-tière
dans son livre d'or De l'éloquence populaire.
Il distingue deux sortes d'éloquence : l'une su-blime et l'autre
populaire. Dans le genre sublime, les prédications se composent
de pensées relevées, d'arguments ingénieux, de termes
choisis et de pé-riodes harmonieuses. Dans le genre populaire, on
expose clairement les vérités éternelles, on n'a-borde
que des questions à la portée de tout le monde et on emploie
un style simple et familier, tellement que chaque auditeur peut comprendre
le discours d'un bout à l'autre.
Ce n'est pas seulement pour les savants qu'on prêche, mais encore
pour les ignorants, qui d'or-dinaire composent la plus grande partie de
l'audi-toire. Il vaut donc toujours mieux prêcher d'une manière
simple et populaire; et cela, non pas seu-lement dans les Missions et les
Retraites, mais dans toutes les circonstances où l'on s'adresse
au peuple. Les âmes des savants n'ont pas plus de
1. Praedicatio mea non in persuasibilibus humanae sapientiae verbis.
sed in ostensione spiritus et virtutis. I Cor. II. 4.
SUR LA PRÉDICATION. 343
prix aux regards de Dieu que les âmes des igno-rants, et le prédicateur
est obligé de faire du bien aux unes comme aux autres, selon ce
que dit saint Paul : Je suis redevable aux sages et aux simples1. D'autant
plus que, même aux savants, les prédi-cations simples et familières
font plus de bien que tous ces discours relevés et fleuris. Car
nous ne sommes que trop portés à laisser notre esprit ne
chercher, dans ces prédications sublimes, que matière de
louange, ou plutôt, comme il arrive ordinairement, de critique :
en même temps la volonté reste à jeun, et le résultat
est nul ou peu s'en faut. Le père Paul Segneri le jeune, qui prê-chait
d'une manière populaire, ravissait, au dire de Muratori, même
les plus savants personnages. La même chose se remarquait aux sermons
de saint Jean-François Régis. En conséquence, celui
qui veut prêcher, non pas pour s'attirer des éloges, mais
pour gagner des âmes à Dieu, ne doit pas ambitionner d'entendre
les auditeurs s'écrier: Oh ! les belles pensées ! le brillant
orateur ! le grand talent! Ce qu'il doit ambitionner, c'est que tous ses
auditeurs se retirent le front baissé, dé-testant leurs péchés,
résolus de changer de vie et de se donner à Dieu, Voilà
bien le triomphe de la vraie rhétorique: persuader les auditeurs
et les émouvoir, de telle sorte qu'ils se décident à
faire ce qu'on leur prêche. Du reste l'éloquence popu-laire
est loin d'exclure l'art oratoire : images et figures, gradation des preuves,
bienséances, en-fin péroraison, elle use de tout cela, mais
avec
Et pratique,
Bien que soignée ;
1. Sapientibus et insipientibus debitor sum. Rom. 1. 14.
Populaire
toujours et pour
tous.
344 QUATRIÈME INSTRUCTION.
simplicité et sans aucune affectation, dans l'uni-que but de
faire du bien et nullement de s'attirer des louanges. Si les auditeurs
ne sortent pas de l'église ravis des belles phrases et des brillantes
pensées du prédicateur, au moins seront-ils heu-reux de se
voir plus éclairés et de se sentir dispo-sés à
s'occuper de la seule chose qui importe, leur salut éternel.
Tout cela, dit Muratori, s'applique aux sermons prêches dans
les villes, où l'auditoire se compose d'ignorants et de personnes
instruites. Mais il ajoute que, dans les prédications au peuple
seul et aux gens de la campagne, c'est l'éloquence la plus populaire
et même, dit-il, la plus commune possible, qu'on doit employer, afin
de propor-tionner le discours à l'esprit grossier des pauvres villageois
qui l'écoutent. Le prédicateur doit se figurer qu'il est
l'un d'entre eux à qui l'on vou-drait expliquer et persuader quelque
vérité. Il faut donc que ses expressions soient populaires
et usuelles, ses phrases courtes et détachées, sa manière
de raisonner conforme en tout à la ma-nière dont ces personnes
ont coutume de raison-ner entre elles. En un mot, le prédicateur
ne doit rien négliger pour saisir le genre qui, faisant le plus
d'impression sur ces pauvres gens, les aidera le mieux à comprendre
et les portera plus effica-cement à pratiquer ce qu'il leur prêche.
Et de même que le style, ainsi faut-il que les vérités
soient également à la portée des gens. On leur fera
donc grâce de ces théories scolastiques et de ces interprétations
ingénieuses de la sainte Écri-, ture, qui, fussent-elles
parfaitement comprises,
SUR LA PRÉDICATION. 345
n'en restent pas moins sans utilité pour les per-sonnes de cette
condition. Ici le talent consiste à leur exposer clairement les
vérités éternelles, l'im-portance du salut. Il consiste
à leur montrer les ruses du démon, les dangers que court
notre âme, et les moyens auxquels on doit recourir dans les occasions
dangereuses ; le tout de manière que cha-cun comprenne. C'est là
rompre le pain, comme le Seigneur le demande des prédicateurs. Mais
aussi, comme il se plaint de ces prêtres qui prêchent au-trement
! Les petits enfants ont demandé du pain, et il n'y avait personne
qui leur en donnât1. Pour prêcher avec fruit aux gens ignorants,
il est bon de procéder de temps en temps dans le cours du sermon
par demandes et par réponses. Il est éga-lement bon de rapporter
soit quelque trait de la Vie des saints, soit certains châtiments
infligés par Dieu à des pécheurs. Mais par-dessus
tout il faut introduire dans la prédication des conseils pratiques,
en ayant soin de rappeler plusieurs fois les mêmes choses, afin de
les imprimer bon gré mal gré dans leur mémoire rebelle.
Muratori traite de tout cela plus au long. Je n'ai voulu donner ici
qu'un abrégé de sa thèse, afin de faire comprendre
que même les personnes instruites ne louent pas, mais blâment
tout au contraire ces prédicateurs qui parlent un langage sublime
et fleuri aux pauvres gens dont se com-pose ordinairement l'auditoire de
nos églises. Pour le moment j'en ai dit assez sur la prédication.
J'es-père que, dans la suite, à propos des exercices
1. Parvuli petierunt panem, et non erat qui frangeret eis. Thr. iv.
4.
Quelle
redoutable
charge que celle
de confesseur.
346 QUATRIÈME INSTRUCTION.
des Missions, j'ajouterai d'autres réflexions sur la manière
de prêcher en mission et sur l'ordre d'après lequel les sermons
doivent se suivre.
Venons-en maintenant à l'administration du sacrement de pénitence.
II.
LE SACREMENT DE PÉNITENCE.
Le grand pape saint Pie V a dit : « Qu'il y ait seulement de
bons confesseurs et voilà les chré-tiens entièrement
réformés1. » Pour être un bon et habile confesseur,
il faut d'abord considérer combien de difficultés et de dangers
présente la charge de confesseur. Aussi le concile de Trente l'appelle-t-il
« un poids redoutable, même pour les épaules des anges2.»
En effet, quelle charge formi-dable que d'avoir à rendre compte
de la conduite des autres ! et, comme le dit saint Laurent Justi-nien,
« quels périls ne court-on pas à se constituer caution
pour les pécheurs3 ! » « Nulle part; ajoute saint Grégoire,
l'erreur n'a d'aussi funestes con-séquences que dans le tribunal
de la pénitence4.» Si une âme se perd par la faute du
confesseur, c'est certainement au confesseur que Dieu en de-mandera compte.
Je redemanderai mon troupeau à leur main, dit le Seigneur Dieu5.
L'Apôtre a
1. Dentur idonei confessarii; ecce omnium christianorum plena reformatio.
2. Onus angelicis humeris formidandum. Sess. 6. de Ref. c. 1.
3. Periculosa res est, pro peccatoribus se fidejussorem constituere.
De Jnst. Prael. c. 6.
4. Nullibi periculosius erratur.
5. Requiram gregem meum de manu eorum. Ezech. xxxiv. 10.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
347
écrit : Obéissez à vos préposés
et soyez-leur sou-mis; car ce sont eux qui veillent, comme devant rendre
compte de vos âmes 1. Saint Grégoire infère de là
« qu'autant un confesseur compte de per-sonnes sous sa conduite,
autant il y a d'âmes dont le Juge suprême lui fera rendre compte.
Un con-fesseur a, pour ainsi dire, autant d'âmes que de pénitents2.
» « Si nous nous effrayons du compte que nous devrons rendre
de nos propres péchés, s'écrie saint Jean Chrysostome,
à quoi faut-il donc que s'attende celui qui devra rendre compte
de tant d'autres âmes3 ? »
Toutefois il s'agit non pas de ces prêtres ver-
tueux qui, pénétrés d'une sainte crainte, se sont
d'abord efforcés d'acquérir tout ce qu'il faut pour
s'acquitter convenablement de cette grande fonc-
tion, et ne la remplissent ensuite qu'avec le seul
désir de ramener les âmes à Dieu ; mais il s'agit
de ces prêtres qui, prenant sûr eux d'entendre
les confessions, n'ont misérablement en vue que
leurs intérêts temporels ou leur amour-propre et
parfois même ne possèdent pas les connaissances
suffisantes.
« A celui qui veut tirer les âmes de leur tom-beau pour
les rétablir dans la vie, il faut, dit saint Laurent Justinien,
une grande grâce et une science
Qualités d'un bon confesseur
Science,
1. Obedite praepositis vestris, et subjacete eis; ipsi enim pervigi-lant
quasi rationem pro animabus vestris reddituri. Heb. xiii. 17.
2 Quot regendis subditis praeest, reddendae apud eum rationis tempore,
ut ita dicam, tot solus animas habet. Mor. l. 24. c. 30.
3. Si horremus, dum peccatorum propriorum rationem reddituri sumus,
quid illi exspectandum est, qui tam multorum nomine causam sit dicturus
? De Sacerd. 1. 3.
348 QUATRIÈME INSTRUCTION.
Surtout de la casuistique ;
non moins grande1. » Une grande science : voilà
donc, en premier lieu, ce qu'il faut à tout con-fesseur.
Rien de facile, aux yeux de certaines gens, comme la science de la
morale. Mais Gerson avance à bon droit que c'est la plus difficile
de toutes les sciences. Saint Grégoire pape avait déjà
dit : « Le gouvernement des âmes, tel est l'art des arts2.
» Et saint Grégoire de Nazianze: « Gou-verner les hommes,
voilà ce que je regarde comme la science des sciences3. »
Saint François de Sales disait également que la charge de
confesseur est de toutes les charges la plus importante et la plus ardue.
La plus importante en effet, puisqu'elle importe au salut éternel,
qui est la fin de toutes les sciences; la plus ardue, puisqu'elle exige
la connaissance de beaucoup d'autres sciences et qu'elle embrasse une foule
de matières fort di-verses. Ce qui achève de la rendre extrêmement
difficile, c'est que les différents cas se présentant avec
tant de circonstances différentes, appellent sans cesse des solutions
qui ne se ressemblent pas. Car un principe pourra, par exemple, convenir
à tel cas dans telles circonstances, mais il ne con-viendra pas
à tel autre cas dont les circonstances sont toutes différentes.
Certains prêtres dédaignent d'étudier les mora-listes,
sous prétexte que, pour confesser, il suffit de connaître
les principes généraux de la théolo-
1. Gratia indiget plurima, et sapientia non modica, qui proximorum
animas ad vitam ressuscitare conatur. De Compunct. p. 2.
2. Ars est artium regimen animarum. Past. p. 1. c. 1.
3. Scientia scientiarum mini esse videtur hominem regere. Apol. 1.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
349
gie morale, à l'aide desquels il leur semble facile de résoudre
ensuite les cas particuliers. Je ré-ponds : Nul doute que tous les
cas particuliers ne doivent se résoudre à l'aide des principes
; mais là est précisément la difficulté : trouver
pour cha-que cas les vrais principes qu'il faut appliquer. Et c'est ce
qu'ont fait les moralistes, en détermi-nant à l'aide de quels
principes il faut résoudre beaucoup de cas particuliers. De plus,
il existe de nos jours une infinité de lois positives, conte-nues
dans tant de bulles et de décrets ; à quoi il faut encore
ajouter les anciens canons. Or un confesseur ne peut rien ignorer de tout
cela ; et difficilement en aura-t-il une connaissance suffi-sante à
moins de lire les moralistes. D'après le savant auteur de l'Instruction
pour les nouveaux confesseurs, il n'est pas rare de trouver des prêtres
fort versés dans la théologie spéculative, mais fort
peu au courant de la théologie morale. Or Mon-seigneur Sperelli,
dans son traité De Episcopo1 accuse d'erreur, et d'erreur considérable,
les con-fesseurs qui s'adonnent tout entiers à l'étude de
la scolastique, regardant du reste comme perdu le temps employé
à l'étude de la morale. Aussi, ajoute le même écrivain,
sont-ils incapables, dans la pratique, de distinguer la lèpre de
la lèpre. « Lamentable erreur! s'écrie-t-il en terminant,
qui traînera dans l'enfer les confesseurs aussi bien que les pénitents2.
» Qu'on en soit bien con-vaincu, la charge de confesseur exige beaucoup
de
1. P. 3. c. 4.
2. Qui error confessarios simul et pœnitentes in aeternum interi-tum
trahet.
350 QUATRIÈME INSTRUCTION.
Bonté ;
science, et aussi beaucoup de prudence ; car, sans la prudence
et avec la science seule, le confesseur fera peu de bien, et même
à certaines personnes il fera plus de mal que de bien.
Le confesseur a encore plus besoin de sainteté, vu la grande
force d'âme qu'il doit déployer au tribunal de la pénitence.
« Personne, dit saint Laurent Justinien, à moins d'être
fort avancé dans la sainteté, ne peut, sans risquer son salut,
s'oc-cuper des misères du prochain 1. »
Il faut d'abord au confesseur un grand fonds de charité, pour
accueillir tous ceux qui se pré-sentent, pauvres, ignorants, pécheurs.
Certains prêtres ne confessent que des personnes dévotes ;
et s'il se présente quelque pauvre villageois avec sa conscience
tout embrouillée, on ne l'écoute que de mauvaise grâce
et on le congédie rudement. Aussi qu'arrive-t-il? Ce pauvre homme,
qui avait dû se faire tant de violence pour venir se confesser et
qui se voit ensuite rebuté de la sorte, prend en horreur la confession,
n'ose plus y retourner, et se jette par désespoir dans tous les
excès. Je crains bien qu'à ces confesseurs, comme autrefois
à ses disciples, le Rédempteur, venu pour sauver les pécheurs
et toujours si bienveillant envers eux, n'adresse ce grave reproche : Vous
ne savez de quel esprit vous êtes2.
Tout autre est la conduite de ces confesseurs qui ont des entrailles
de miséricorde, ainsi que
1. Nemo, nisi valde sanctus, absque sui detrimento, proximorum curis
occupatur. De Casto conn. c. 12. 2. Nescitis cujus spiritus estis. Luc.
IX. 55.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE. 351
saint Paul les y exhorte : Revêtez-vous donc, comme élus
de Dieu, d'entrailles de miséricorde1. Quand un pécheur se
présente, plus ils le voient enfoncé dans le mal, plus aussi
s'empressent-ils de l'aider et le traitent-ils charitablement. «
Vous n'êtes pas chargés, dit Hugues de Saint-Victor, de con-naître
des crimes afin de frapper les coupables; mais vous avez à connaître
des maladies afin de les guérir2. » Sans doute il faut reprendre
le pécheur pour lui faire comprendre et son misé-rable état
et le grand péril que court son salut éternel, mais toujours
avec bonté, en l'animant à placer sa confiance dans la miséricorde
divine et en lui donnant les moyens de se relever. Lors même que
le confesseur se verrait dans la néces-sité de différer
l'absolution, il ne doit renvoyer le pécheur qu'avec bonté
et après lui avoir assigné d'abord l'époque où
il reviendra se confesser, puis la conduite qu'il devra tenir pour mériter
alors l'absolution. C'est ainsi qu'on sauve les pécheurs, et non
pas en les accablant de reproches, propres seulement à les aigrir
et à les jeter dans le déses-poir. Saint François
de Sales disait : « On prend plus de mouches avec une goutte de miel
qu'avec une livre d'aloès. »
Mais, dira quelqu'un, à ce compte il faudra que le confesseur
ait énormément de temps ; et puis, les autres qui attendent,
devront renoncer à avoir leur tour ! — On répond à
cela : il vaut mieux
1. Induite vos ergo, sicut electi Dei, sancti et dilecti, viscera mi-sericordiae.
Col. iii. 12.
2. Vos non, quasi judices criminum, ad percutiendum positi estis, sed,
quasi judices morborum, ad sanandum. Misc. l. 1. tit. 49.
Surtout envers les pécheurs.
352 QUATRIÈME INSTRUCTION.
Fermeté ;
confesser très bien une seule personne que d'en confesser
un grand nombre d'une manière telle quelle. Mais la meilleure raison,
c'est que le con-fesseur n'aura pas à répondre devant Dieu
de ceux qui attendent, mais seulement de celui dont, pour le moment, il
s'occupe d'entendre la confession.
A la bonté il faut que le confesseur joigne une grande force
d'âme. D'abord quand il entend les confessions des personnes du sexe.
Combien de. prêtres se sont perdus à entendre ces sortes de
confessions ! Il se présente des jeunes filles, des jeunes femmes.
Le confesseur doit écouter leurs tentations, souvent même
l'aveu de leurs chutes, car elles aussi sont de chair. Puis il y a ce pen-chant
naturel surtout pour celles qui nous témoi-gnent une si complète
et si intime confiance. Enfin plus une femme est pieuse et avancée
dans la spi-ritualité, plus l'attachement est à craindre;
car une personne de piété exerce sur le cœur un plus puissant
attrait; de sorte, ajoute saint Thomas, que l'affection allant de part
et d'autre en aug-mentant, on s'attache plus fortement, jusqu'à
ce qu'enfin, de spirituelle qu'elle semblait être, l'ami-tié,
grâce aux suggestions du démon, dégénère
fa-cilement en une liaison, « où la chair, conclut le saint
docteur, l'emporte sur l'esprit1. »
Il faut encore beaucoup de force d'âme, afin qu'ayant à
reprendre ses pénitents et même à ren-voyer sans absolution
ceux qui n'ont pas les dis-positions requises, le confesseur ne considère
ni
1. Spiritualis devotio convertatur in carnalem. De Modo confit.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
353
leur rang, ni leurs dignités, et ne s'inquiète ni du
tort qui peut en résulter pour lui, ni des épi-thètes
de rustre et d'ignorant qu'on va peut-être lui décerner. Ne
cherche point à devenir juge, si tu n'as pas assez de force pour
briser les iniqui-tés, de peur que tu ne redoutes la face d'un puis-sant1.
Un père de notre Congrégation refusant un jour fort justement
l'absolution à certain ecclé-siastique, celui-ci, avant de
quitter la sacristie où s'était faite la confession, se posa
fièrement devant le père et n'eut pas honte de lui dire :
« Va, tu n'es qu'une bête ! » Bon gré mal gré
il faut que les pau-vres confesseurs s'attendent à de pareilles
aven-tures ; car bien souvent force leur est de refuser ou de différer
l'absolution, attendu que le pénitent n'a pas toujours les dispositions
requises, soit qu'il refuse de se soumettre aux justes prescrip-tions du
confesseur, soit qu'il se trouve en état de récidive ou seulement
dans quelque occasion pro-chaine. C'est ici le lieu de voir quelle conduite
il faut tenir envers les récidifs et les occasionnaires, car c'est
envers eux surtout que doit se déployer tout ce qu'on a de zèle.
Avant tout, remarquons soigneusement que le confesseur s'expose à
se damner aussi bien par trop de rigueur que par excès d'indulgence.
Trop d'indulgence produit la présomption, trop de rigueur le désespoir.
« On doit, dit saint Bo-naventure, se tenir en garde contre la conscience
trop large et contre la conscience trop étroite.
1. Noli quaerere fieri judex, nisi valeas virtute irrumpere iniqui-tates,
ne forte extimescas faciem potentis. Eccli. vii. 6.
LE PRETRE. — T. i. 23
Discrétion :
Ni faiblesse,
Ni rigueur.
354 QUATRIÈME INSTRUCTION.
La première engendre la présomption, la seconde le désespoir;
la première, en effet, absout bien souvent quand il faudrait condamner
; la seconde, au contraire, condamne quand il faudrait ab-soudre1. »
Il est certain que beaucoup de confesseurs ont le tort de se montrer
trop indulgents. Non seu-lement ils font beaucoup de mal, mais, selon moi,
ils en font même plus que les autres ; car les liber-tins, qui forment
le plus grand nombre, s'adres-sent de préférence à
ces confesseurs relâchés et achèvent ainsi de se perdre.
Mais il est également certain que les confesseurs trop rigides font
aussi beaucoup de mal. Vous leur commandiez avec rigueur et avec empire,
dit le Seigneur, et mes brebis ont été dispersées2.
L'excès de rigueur ne sert qu'à jeter les âmes
dans le désespoir, et du désespoir dans un plus profond abîme
d'iniquités ; Gerson l'a fort bien dit, « ce n'est pas avec
des décisions par trop rigoureuses et étroites, surtout dans
les cas où l'évidence fait défaut, qu'on tire les
hommes de la boue de leurs péchés ; au contraire on les y
enfonce d'autant plus profondément qu'on les a plus fortement désespérés.
Que les théologiens, ajoute-t-il, ne se laissent pas facilement
aller à donner comme péché mortel une action, une
omis-sion quelconque, surtout dans les choses qui ne
1. Cavenda est conscientia nimis larga, et nimis stricta; nam prima
generat praesumptionem, secunda desperationem. Prima saepe salvat damnandum
; secunda, e contra, damnat salvandum. Comp. theol. 1. 2. c. 52.
2. Cum austeritate imperabatis eis, et cum potentia ; et dispersa;
sunt oves meae. Ezech. xxxiv. 4.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE. 355
sont pas tout à fait certaines 1 ? » Tel est aussi
le sentiment de saint Raymond de Pennafort : « Ne te hâte pas
de déclarer qu'il y a péché mortel, sinon sur une
parole certaine de l'Ecriture2. » Et de saint Antonin : « Quand
il s'agit de savoir si telle action est, ou non, péché mortel,
on court le plus grand péril de donner dans l'erreur, à moins
de s'appuyer sur l'autorité formelle de l'Écriture sainte
ou des canons, sur une décision de l'Église, ou enfin sur
l'évidence de la raison3. » Et de fait, ajoute-t-il, oser,
en dehors de ces autorités, taxer une action quelconque de péché
mortel, c'est exposer les âmes à se damner. Dans un autre
en-droit, à propos des vaines parures des femmes, le saint archevêque
ne craint pas de dire : « De tout cela il faut conclure, semble-t-il,
que le con-fesseur jugeant ces parures manifestement et gra-vement immodestes,
ne peut donner l'absolution, à moins que la personne ne promette
de renoncer à ce péché. Mais dans le doute si la chose
cons-titue un péché mortel ou seulement un péché
véniel, alors, suivant la décision du célèbre
doc-teur Guillaume sur un cas semblable, que le con-fesseur ne s'empresse
pas de trancher la question, eh refusant l'absolution ou en taxant la personne
1. Per tales assertiones nimis duras et strictas, praesertim in non
certissimis, nequaquam eruuntur homines a luto peccatorura, sed in illud
profundius, quia desperatius, immerguntur. — Doctores theo-logi ne sint
faciles asserere actiones aliquas aut omissiones esse mortalia, prassertim
in non certissimis. De Vita sp. lect. 4. cor. 11.
2. Non sis nimis pronus judicare mortalia peccata, ubi tibi non constat
per certam scripturam. Summ. l. 3. de Pœnit. § 21.
3. Quaestio qua quaeritur de aliquo actu utrum sit peccatum mor-tale
vel non, nisi ad hoc habeatur auctoritas expressa Scripturae sacrae, aut
Canonis, seu determinationis Ecclesiae, vel evidens ratio, non nisi periculosissime
determinatur. P. 2. tit, 1. c. 11. § 28.
Dans le doute,
plutôt délier
que lier.
356
QUATRIÈME INSTRUCTION.
de péché mortel; car si, d'une part, il n'y avait
réellement pas péché mortel et que, d'autre part,
la personne reprît ses vaines parures, elle se rendrait coupable
d'un péché mortel, parce qu'agir contre sa conscience, c'est
préparer son enfer. Et puis-que, d'après un ancien canon,
nous avons plus de pouvoir pour délier que pour lier, comme aussi
il vaut mieux, suivant saint Jean Chrysos-tome, avoir à répondre
devant Dieu d'un excès de miséricorde que. d'un excès
de sévérité, il sem-ble dès lors préférable
d'absoudre ces personnes et de les abandonner au jugement divin 1. »
Pareillement nous lisons dans Silvestre: « Je dis, avec saint
Antonin, qu'on peut, en toute sûreté de conscience, embrasser
une opinion et la suivre dans la pratique quand elle s'appuie sur l'autorité
de docteurs généralement estimés, et qu'elle ne va
expressément à l'encontre ni de l'Ecriture ni des enseignements
de l'Église2. » Ainsi pense égale-ment Jean Nider,
lequel, après avoir rapporté le sentiment du docteur Guillaume,
cite le passage
1. Ex praedictis igitur videtur dicendum quod, ubi in hujusmodi ornatibus
confessor inveniat clare et indubitanter mortale, talem non absolvat, nisi
proponat abstinere a tali crimine. Si vero non potest clare perspicere
utrum sit mortale vel veniale, non videtur tunc praecipitanda sententia
(ut dicit Gulielmus specie in quadam simili) ut scilicet deneget propter
hoc absolutionem, vel illi faciat conscien-tiam de mortali ; quia, faciendo
postea contra illud, etiamsi illud non esset mortale, ei erit mortale,
quia omne quod est contra conscien-tiam aedificat ad gehennam. Et cum promptiora
sint jura ad solven-dum quam ad ligandum (Can. Ponderet, dist. 1.), et
melius sit Domino reddere rationem de nimia misericordia quam de nimia
severitate, ut dicit Chrysostomus (Can. Alligant. 26. q 7.), potius videtur
absolvendum et divino examini dimittendum. P. 2. tit. 4. c.5. § 8.
2. Dico, secundum Archiepiscopum, quod tuta conscientia potest quis
eligere unam opinionem, et secundum eam operari, si habeat notabiles doctores,
et non sit expresse contra determinationem Scripturae vel Ecclesiae, etc.
Summa, verbo Scrupulus, 50.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
357
suivant de Bernard de Clermont ou de Gannat en Auvergne : «
Si, parmi les maîtres de la science sacrée, les uns disent
qu'il y a péché mortel et que les autres le nient, alors
il faut consulter quel-ques personnes doctes et prudentes, en qui on ait
confiance ; et, après avoir pris leur avis, décider s'il
y a péché ou non. Car, du moment que les maîtres discutent
entre eux et que l'Église n'a pas prononcé, on peut librement
embrasser une opi-nion en faveur de laquelle on est en mesure de citer
le témoignage de personnes sages et pru-dentes1. » Cela s'accorde
avec ce principe posé par saint Thomas : « Celui qui adopte
le senti-ment d'un docteur particulier contre un texte formel de l'Écriture
ou contre le sentiment uni-versel de l'Église, celui-là ne
peut être excusé d'erreur coupable 2. » En effet, il
suit de là, par une raison opposée, qu'on est à l'abri
de tout re-proche quand on embrasse une opinion fondée en autorité,
et contre laquelle il n'existe aucun texte formel de l'Écriture
ni une définition de l'Église. Ecoutons enfin Gabriel Biel,
auteur cé-lèbre du XVe siècle, nous dire la même
chose de la manière la plus explicite : « L'opinion la plus
A quelle condition on peut suivre un docteur
plutôt qu'un autre,_
1. Concordat etiam Bernardus claramontensis, dicens : Si sunt
opiniones inter magnos dicentes quod peccatum est, alii vero dicunt quod
non, tunc debet consulere aliquos, de quorum judicio confidit, et secundum
consilium discretorum facere, et peccatum reputare vel non reputare ; ex
quo enim opiniones sunt inter magnos, et Ecclesia non determinavit alteram
partem, teneat quam voluerit, dummodo judicium in hoc resideat propter
dicta eorum saltem quos reputat peritos. Consol. tim. consc. p. 3. c. 12.
2. Qui ergo assentit opinioni alicujus magistri, contra manifestum
Scripturae testimonium, sive contra id quod publice tenetur secun-dum Ecclesiae
auctoritatem, non potest ab erroris vitio excusari. Quodlib. 3. a. 10.
358 QUATRIÈME INSTRUCTION.
Conduite à tenir
envers les
occasionnaires
et les
récidifs :
Occasionnaires :
probable selon moi, c'est qu'il ne faut jamais rien condamner comme
péché mortel, à moins de pou-voir alléguer
soit une raison bien évidente soit le témoignage formel de
l'Écriture 1. »
Voyons la conduite que le confesseur doit, en pratique, tenir
à l'égard de ceux qui se trouvent dans quelque occasion prochaine
ou qui recom-mencent toujours de pécher, dominés qu'ils sont
par quelque habitude vicieuse.
Parlons premièrement de ceux qui sont dans l'occasion, et posons
au préalable quelques dis-tinctions. — 1° L'occasion se divise
d'abord en occasion éloignée et en occasion prochaine. La
première est celle où la personne a rarement suc-combé,
ou bien celle où d'ordinaire les hommes, tels qu'ils sont en général,
ne succombent pas. L'occasion prochaine absolument parlant, ou per se,
est celle où les hommes ont coutume de tomber, sinon toujours, au
moins presque toujours ; l'oc-casion prochaine par accident, ou l'occasion
rela-tive, est celle où la personne a fréquemment suc-combé
: telle est la vraie définition et aussi la plus commune, en opposition
avec ceux qui ne recon-naissent pour occasion prochaine que celle-là
seulement où la personne succombe toujours ou presque toujours.
— 2° L'occasion se divise ensuite en occasion volontaire et en occasion
nécessaire La première est celle dont on peut facilement
se débarrasser. L'occasion nécessaire est celle qu'on
1. Prima opinio videtur probabilior, quia nihil debet damnari tanquam
mortale peccatum, de quo non habetur evidens ratio vel manifesta auctoritas
Scripturae. In 4 Sent. d. 16. q. 4. concl. 5.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
359
ne peut écarter sans se causer à soi-même
un grand dommage ou sans donner un grand scan-dale au prochain.
Cela posé, beaucoup de docteurs enseignent qu'une personne étant
dans l'occasion prochaine, même volontaire, peut bien recevoir l'absolution
une ou deux fois, à condition cependant qu'elle ait le ferme propos
d'écarter l'occasion aussitôt que faire se pourra. Mais ici
il faut distinguer avec saint Charles Borromée, dans son Instruc-tion
aux confesseurs, entre les occasions présen-tes ou in esse, comme
d'avoir chez soi l'objet de sa passion, et les occasions absentes, ou in
non esse, comme de s'échapper dans le jeu ou la con-versation en
blasphèmes, rixes et choses sembla-bles. Parlant de la seconde catégorie
de ces oc-casions, saint Charles Borromée enseigne qu'au pénitent
qui promet sincèrement de rompre avec elles, on peut accorder l'absolution
jusqu'à deux ou trois fois ; mais si, dans la suite, on. ne cons-tate
pas qu'il se soit corrigé, on doit attendre, pour l'absoudre, qu'il
ait réellement éloigné l'occasion. Parlant ensuite
des occasions in esse, le saint dit formellement que la promesse du pénitent
ne suf-fit pas, et qu'il ne peut recevoir l'absolution à moins d'avoir
auparavant enlevé l'occasion.
Tel est, règle générale, le principe à
suivre dans tous les cas, ainsi que je l'ai prouvé dans ma Théologie
morale 1 par l'autorité d'un grand nom-bre de docteurs. En voici
la raison : le pénitent
Occasions volontaires;
A quelles conditions on peut absoudre,
1. Theol. mor. 1. 6. n. 454.
360 QUATRIÈME INSTRUCTION.
Dans quelles
circonstances on
ne peut
absoudre.
•
qui n'aurait pas d'abord écarté l'occasion et qui
prétendrait néanmoins recevoir l'absolution, ne serait pas
en état de la recevoir; car non seulement il a déjà
le devoir strict d'écarter l'occasion, mais de plus il court le
plus grand danger de ne pas tenir sa promesse. Rompre avec l'occasion pro-chaine
est une chose fort pénible et très difficile : aussi faut-il
se faire pour cela beaucoup de vio-lence. Or, l'absolution une fois reçue,
difficile-ment on se fera cette violence ; et même la crainte d'essuyer
un refus d'absolution ayant disparu, on en viendra facilement à
se promettre la victoire sur les tentations sans rompre avec l'occasion
; et c'est ainsi que, demeurant dans l'occasion, on retom-bera nécessairement
dans le péché : témoin tant de malheureux qui, munis
de l'absolution que leur ont accordée des confesseurs trop indulgents,
con-tinuent de vivre dans l'occasion et tombent tou-jours plus bas. Voilà
pourquoi le pénitent, s'expo-sant de la sorte à ne pas tenir
la promesse qu'il fait de quitter l'occasion, est incapable de rece-voir
l'absolution avant d'en avoir réellement fini avec l'occasion ;
voilà pourquoi aussi le confes-seur qui l'absout pèche certainement.
Remar-quons ici que, généralement parlant, lorsque les pénitents
sont exposés à tomber dans le péché formel,
surtout en matière d'impureté, plus le confesseur usera de
rigueur, plus il assurera leur salut. Par contre, plus il usera d'indulgence,
plus il sera réellement cruel. Ces confesseurs si indul-gents, saint
Thomas de Villeneuve ne les appelait que des gens cruellement charitables,
impie pios. Pareille charité est contre la charité.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
361
J'ai dit règle générale; car, dans certains
cas exceptionnels, le confesseur pourrait absoudre le pénitent avant
que celui-ci eût quitté l'occasion, comme, par exemple, si
le pénitent manifestait une ferme résolution de se corriger
et une grande douleur de ses fautes et qu'il dût attendre long-temps
pour quitter l'occasion ; ou bien s'il ne pouvait plus venir trouver le
même confesseur; ou enfin si le confesseur, à raison de certaines
circonstances extraordinaires, se voyait obligé d'accorder tout
de suite l'absolution. Mais ces cas se présentent fort rarement.
Aussi ceux qui se trouvent engagés dans une occasion prochaine,
ne peuvent guère être absous avant de l'avoir quittée,
surtout si plusieurs fois déjà ils en avaient fait la promesse
sans jamais la tenir. Inutile de prétendre ici que tout pénitent
dûment disposé a le droit strict d'être absous après
la confession de ses pé-chés; car, selon l'enseignement commun
des doc-teurs, il n'a pas le droit strict d'être absous aussitôt
après sa confession, attendu que le confesseur a certainement le
droit, et même, en sa qualité de médecin spirituel,
il a le devoir de différer l'abso-lution quand il le juge utile
pour l'amendement du coupable.
Tout pénitent,
même bien disposé, a-t-il le droit
d'être absous?
Voilà ce qui concerne l'occasion volontaire. Mais si l'occasion
est nécessaire, règle générale, il n'y a pas
précisément obligation de l'écarter; car du moment
que, loin de vouloir le danger, on ne fait que le souffrir à contre-cœur
et se tenir permissif, on est bien plus en droit d'attendre de Dieu le
secours nécessaire pour résister à la ten-
Occasions
nécessaires.
362
QUATRIÈME INSTRUCTION.
Quand
la rupture
est-elle
indispensable ?
tation; Aussi l'absolution peut-elle ordinairement être
accordée à la personne qui se trouve dans l'occasion nécessaire,
pourvu qu'elle veuille sé-rieusement prendre tous les moyens pour
ne pas succomber. Or les principaux moyens à mettre alors en pratique
sont au nombre de trois : 1° la fuite de l'occasion, comme serait de
se trouver en tête à tête, d'avoir des entretiens intimes,
même d'arrêter ses regards sur l'objet de la passion ; 2°
l'oraison ou plutôt la prière pour demander sans cesse à
Dieu et à la sainte Vierge la grâce de résister; 3°la
fréquentation des sacrements, c'est-à-dire de pénitence
et d'eucharistie, qui donnent la force de vaincre l'ennemi.
J'ai dit ordinairement, car s'il arrive que, no-nobstant l'emploi de
tous les moyens, le pénitent retombe toujours sans s'amender aucunement,
alors, d'après la sentence la plus commune et la plus vraie, et
qu'on doit tenir, ce pénitent ne peut être absous à
moins de quitter l'occasion, dût-il lui en coûter la vie, etiam
cum jactura vitae, comme s'expriment les docteurs, parce que la vie éternelle
doit passer avant la vie temporelle. J'a-joute : bien que, dans l'occasion
nécessaire, on puisse, d'après les règles de la théologie
morale, absoudre un pénitent qui se présente avec les dis-positions
requises, cependant, en matière d'im-pureté, il vaudra toujours
mieux, généralement parlant, ne lui accorder l'absolution
qu'après l'a-voir mis à l'épreuve pendant un temps
considé-rable, vingt ou trente jours, et constaté de la sorte
que les moyens prescrits ont été fidèlement em-ployés
et qu'il n'y a plus lieu de déplorer aucune
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
363
rechute. J'ajoute encore : quand le confesseur juge avantageux de différer
l'absolution, il est tenu de la différer, car il est tenu de choisir
les remèdes les plus propres à guérir son pénitent.
J'ajoute enfin : pour une personne habituée depuis long-temps à
commettre des péchés d'impureté, il ne suffira pas
de fuir les occasions prochaines, si elle ne fuit même certaines
occasions qui de leur na-ture peuvent bien n'être pas prochaines,
mais qui, relativement à cette personne, sont prochaines et non
plus éloignées, vu la faiblesse que lui ont laissée
ses nombreuses chutes et son penchant pour ces sortes de péchés.
Avant d'en venir aux récidifs, distinguons-les des habitudinaires.
Par habitudinaires, on entend ceux qui ont la
mauvaise habitude de commettre certain péché,
mais qui ne s'en sont pas encore confessés. Les
habitudinaires qui se présentent avec les disposi-
tions requises, c'est-à-dire avec un vrai repentir
et la ferme résolution d'employer les moyens pour
résister à leur mauvaise habitude, peuvent bien être
absous dès leur première confession, surtout si avant de
se confesser ils ont passé un temps considérable sans tomber
dans leur péché. Tou-tefois il est à remarquer qu'avec
un pénitent de cette sorte, principalement si la mauvaise
habi-tude est invétérée, le confesseur peut user de
délai pour éprouver son pénitent et voir s'il met
réel-lement en œuvre les moyens prescrits.
Par récidifs, on entend ceux qui, après la con-fession,
sont retombés dans leurs mêmes péchés
Habitudinaires,
Récidifs,
364
QUATRIÈME INSTRUCTION.
Récidifs dans le péché véniel.
sans aucun amendement. Ce ne sera pas assez, pour recevoir l'absolution,
qu'ils viennent avec les signes ordinaires, c'est-à-dire qu'ils
se confes-sent et protestent de leur douleur et de leur ferme propos. Car
Innocent XI a justement proscrit la proposition suivante: Du moment qu'un
pécheur, coupable d'enfreindre habituellement une loi di-vine, soit
positive, soit naturelle, ou quelque pré-
cepte de l'Église, proteste au moins de bouche qu'il se repent
et veut se corriger, on ne peut, quand même il ne donnerait aucun
espoir d'amen-dement, lui refuser ou différer l'absolution 1. Voici
la raison de cette condamnation : bien que, par elle-même, la confession,
grâce à la douleur et à la bonne volonté dont
le pénitent se déclare animé, donne de ses dispositions
une certaine certitude morale que n'infirme aucune présomption con-traire,
néanmoins, étant donné ce vice à l'état
d'ha-bitude, on peut mettre en doute la sincérité de la contrition
et du ferme propos dont le pénitent se déclare animé,
surtout si depuis la dernière abso-lution il avait commis les mêmes
péchés sans au-cun amendement. En conséquence on doit
atten-dre, pour lui donner l'absolution, qu'il se conduise mieux pendant
quelque temps, emploie les moyens prescrits et donne ainsi des preuves
de ses bonnes dispositions. — Il faut remarquer qu'il s'agit ici non seulement
des récidifs en péché mortel, mais encore des récidifs
en péché véniel. Beaucoup de
1. Poenitenti habenti consuetudinem peccandi contra legem Dei, naturae,
aut Ecclesiae, etsi emendationis nulla spes appareat, nec est neganda nec
differenda absolutio, dummodo ore proferat se dolere et proponere emendationem.
Prop. 60.
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
365
pénitents confessent leurs péchés véniels
par rou-tine, sans douleur ni ferme propos. S'ils viennent pour recevoir
l'absolution, qu'au moins le con-fesseur ait soin d'exiger qu'ils lui présentent
une matière certaine, en se confessant de quelque péché
plus considérable commis dans leur vie passée et dont ils
aient une vraie douleur avec le ferme propos de ne plus le commettre.
Avant donc d'absoudre les récidifs, il faut les mettre quelque
temps à l'épreuve, ou du moins il faut avoir des signes extraordinaires
de leurs bon-nes dispositions, de telle sorte que, suivant la pensée
d'Innocent XI, on ait une espérance fon-dée d'amendement.
Or voici, d'après les docteurs, quels sont ces signes extraordinaires
:
1. Une grande componction manifestée par des larmes, ou, ce
qui parfois manifeste la douleur en-core mieux que les larmes, par ces
paroles que le cœur seul, et non pas la bouche, peut proférer.
2. Une diminution notable dans le nombre des péchés,
supposé toutefois que le pénitent se soit retrouvé
dans les mêmes occasions et les mêmes tentations.
3. Les efforts qu'il a faits pour se corriger, en évitant les
occasions et en employant les moyens prescrits, ou tout au moins en ne
retombant qu'a-près une grande résistance.
4. La volonté sincère qu'il a de se convertir, prouvée
par son désir de connaître les remèdes et de nouveaux
moyens pour sortir de son péché.
5. La confession elle-même qu'il vient faire, et cela par une
vraie impulsion de la lumière divine,
Signes extraordinaires de contrition.
366
QUATRIÈME INSTRUCTION.
Fragilité intrinsèque, et
occasions extrinsèques.
afin de rentrer en grâce avec Dieu, et non pas seu-lement
pour se conformer à quelque pieux usage, comme en temps de Noël
ou de quelque autre fête, ni pour obéir à ses parents,
à ses maîtres, à ses supérieurs. Ce signe comptera
d'autant plus que le pénitent aura dû, pour venir se confesser,
se donner beaucoup de peine, en entreprenant par exemple un long voyage,
ou lutter fortement contre lui-même, ou se faire une grande violence.
6. S'il s'est décidé, à se confesser par suite
de quelque prédication, d'une mort subite, de quel-que grande calamité,
ou pour tout autre motif pieux, inspiré par une circonstance extraordinaire.
7. S'il se confesse de péchés qu'il n'avait jamais osé
déclarer.
8. S'il témoigne que, grâce aux remontrances du confesseur,
il comprend beaucoup mieux et déteste davantage la malice de son
péché et le danger qu'il court de se perdre.
Quelques docteurs donnent aussi comme un signe extraordinaire la promesse
chaleureuse faite par le pénitent d'employer les remèdes
que le con-fesseur assignera. Mais il est bien rare, à moins qu'il
ne s'y ajoute quelque autre signe, que ces promesses-là puissent
suffisamment rassurer le confesseur, car le désir de recevoir l'absolution
met facilement sur les lèvres du pénitent bien des promesses
que peut-être il ne songe pas sérieuse-ment à tenir.
Moyennant ces signes extraordinaires, le con-fesseur peut donc absoudre
les récidifs. Toutefois, s'il le juge avantageux au pénitent,
il peut différer pendant quelque temps de l'absoudre. Quant à
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PENITENCE.
367
savoir s'il est toujours avantageux qu'avec ces pénitents, même
bien disposés, on use de délai, quelques docteurs le nient,
d'autres l'affirment, pourvu que le délai ne porte pas atteinte
à la répu-tation du pénitent, comme, par exemple,
s'il y a positivement lieu de craindre que les autres, ne le voyant pas
communier, n'en devinent le motif. Du reste, ainsi que je l'ai dit dans
mon Instruc-tion aux confesseurs1, je suis d'avis qu'en l'ab-sence de toute
occasion extrinsèque et pour des péchés provenant
de la fragilité intrinsèque, tels que blasphèmes,
inimitiés, péchés solitaires, dé-lectations
moroses, il convient rarement de dif-férer l'absolution, parce qu'on
pourra toujours attendre plus de bien de la grâce dont le pénitent
sera redevable à l'absolution, que de n'importe quel délai.
Quand, au contraire, l'occasion est ex-trinsèque, bien que nécessaire,
je pense, comme je l'ai dit plus haut, qu'il vaut mieux, et même
le plus souvent qu'il faut, pour l'amendement du pécheur, fût-il
bien disposé, différer l'absolution.
1. Homo Apost. tr. ult. punct. 2.
CINQUIÈME INSTRUCTION.
SUR L'ORAISON MENTALE.
I.
SA NÉCESSITÉ POUR LES PRETRES.
L'oraison mentale est moralement nécessaire à tous les
fidèles, ainsi que l'enseigne le docte père Suarez1. Mais
elle est encore beaucoup plus né-cessaire aux prêtres; car
ils ont beaucoup plus besoin du secours divin, vu l'obligation plus étroite
où ils sont de tendre vers la perfection, à raison de la
sainteté qu'exige le sacerdoce et à cause du devoir qui leur
incombe de procurer le salut des âmes. Aussi, de même qu'une
mère a besoin d'une alimentation plus abondante afin de pouvoir
se nourrir elle-même et nourrir son en-fant, de même il faut
aux prêtres double nourri-ture spirituelle. Voilà pourquoi,
comme le remar-que saint Ambroise, bien que Notre-Seigneur n'eût
pas besoin, pour faire oraison, de se retirer
1. De Orat.l. 2. c. 4.
LE PRÊTRE. T. I.
24
L'oraison mentale
nécessaire
surtout aux prêtres
37O CINQUIÈME INSTRUCTION.
à l'écart, attendu que, jouissant sans cesse de la vision
intuitive de Dieu, sa très sainte âme le con-templait et le
priait pour nous en tout lieu et dans toutes ses occupations, il avait
cependant soin, afin de nous enseigner la nécessité de l'oraison
mentale, de renvoyer la foule et d'aller prier sur la montagne. Après
que le peuple fut renvoyé, ra-conte saint Matthieu, Jésus
monta seul sur la mon-tagne pour prier1. Et saint Luc nous le montre passant
des nuits entières à prier. Il passait, dit l'Évangile,
toute la nuit dans la prière2. Sur quoi saint Ambroise fait cette
réflexion : « Si Jésus-Christ, pour vous sauver, consacrait
ses nuits à la prière, combien plus ne faut-il pas que vous
priiez pour vous sauver vous-mêmes3 ! » Aussi, dans un autre
endroit, le saint déclare que « les prêtres doivent
jour et nuit prier pour les fidèles confiés à leur
sollicitude4. » Offrir des sacrifices et offrir l'encens, ce sont
deux fonctions, disait le vénérable père Jean d'Avila,
que le prêtre doit remplir en même temps, selon cette parole
du Lévitique : Ils offrent l'encens du Seigneur, et ils offrent
les pains de proposition5. On sait que l'encens figure la prière.
Que ma prière s'élève comme un encens en votre présence6,
dit le psal-miste; et saint Jean vit les anges portant des coupes
d'or pleines de parfums, lesquels sont les
1. Et dimissa turba, ascendit in montem solus orare. Matth. xiv. 23.
2. Erat pernoctans in oratione. Luc. vi. 12.
3. Quid enim te pro salute tua facere oportet, quando pro te Chris-tus
in oratione pernoctat !
4. (Sacerdotes) die noctuque pro plebe sibi commissa oportet orare.
In I Tim. iii.
5. Incensum enim Domini et panes Dei sui offerunt. Levit. xxi. 6.
6. Dirigatur oratio mea, sicut incensum in conspectu tuo. Ps. CXL.
2.
SUR L'ORAISON MENTALE. 371
prières des saints1. Oh! comme les prières des
prêtres fervents montent vers Dieu en parfums d'agréable odeur
! Saint Charles Borromée, con-sidérant de quelle nécessité
l'oraison mentale est pour les prêtres, décréta dans
le concile de Milan « qu'aux ordinands on demanderait surtout s'ils
savent faire leur oraison, s'ils la font, et sur quels sujets ils méditent2.
» Le vénérable Jean d'Avila dissuadait même celui
qui n'avait pas l'habitude de faire beaucoup d'oraison d'entrer dans le
sacerdoce.
Je ne prétends pas exposer ici tous les motifs pour lesquels
l'exercice de l'oraison mentale est moralement nécessaire à
n'importe quel prêtre. Il suffira de dire que, sans oraison, le prêtre
est peu éclairé, parce que sans oraison il réfléchit
peu sur la grande affaire du salut et ne connaît guère ni
les obstacles qu'il y met, ni les obligations qu'il doit remplir pour y
arriver. Aussi le Sauveur disait-il à ses disciples : Ceignez vos
reins et ayez en mains des lampes allumées3. « Ces lampes,
dit saint Bonaventure, ce sont les saintes méditations dans lesquelles
Dieu nous éclaire4. » Approchez-vous du Seigneur, et il vous
illuminera5. Celui qui ne fait pas oraison n'a que peu de lumières
et peu de forces.
« Du repos de l'oraison, disait saint Bernard,
1. Phialas aureas plenas odoramentorum, quae sunt orationes sanc-torum.
Apoc. v. 8.
2. Anno 1579. Const. p. 3. n. 2.
3. Sint lumbi vestri praecincti, et lucernae ardentes in manibus vestris.
Luc. xii. 35.
4. Diata sal. t. 2. c. 5.
5. Accedite ad eum et illuminamini. Ps. xxxiii. 6.
Nécessaire pour
obtenir
lumière et
force,
372 CINQUIÈME INSTRUCTION.
vient la force1, » la force indispensable pour ré-sister
aux ennemis et pour pratiquer les vertus. Celui qui n'a pas dormi la nuit,
se trouve si faible le lendemain qu'il ne peut se tenir sur ses jambes
et marche en chancelant. Celui qui, au moins de temps en temps, ne quitte
pas les préoccupations du monde pour s'occuper dans la solitude
à converser avec Dieu, ne le connaît guère et n'a sur
les choses de l'éternité que peu de lumières. Tenez-vous
en repos, et voyez que vraiment je suis le Seigneur Dieu2. Un jour que
les disciples avaient beaucoup travaillé au salut du prochain, le
Seigneur, en les revoyant, leur dit : Venez à l'écart dans
un lieu solitaire et reposez-vous un peu3. Ce n'était pas le corps,
mais l'âme, que le Seigneur invitait ainsi au repos. Si, de temps
en temps, l'âme ne se retire dans le silence de l'oraison pour converser
seule à seule avec Dieu, bientôt, exténuée qu'elle
est, la malheureuse cesse de pratiquer le bien, ne tarde pas à devenir
tiède, et finit par succomber aux occasions qui se présentent.
Du reste, toute notre force est dans le secours de la grâce. Je puis
tout en celui qui me fortifie4, disait saint Paul. Mais ce secours, Dieu
l'accorde seulement à ceux qui prient. Il ne demande pas mieux que
de nous dispenser ses grâces, mais il veut que nous le priions; il
veut qu'à force de prières nous le con-traignions de nous
exaucer. « Dieu, dit saint Gré-goire, veut être prié,
il veut être forcé, il veut en
1. Ex hoc otio vires proveniunt. 2. Vacate, et videte quoniam ego sum
Deus. Ps. LXV. 11.
3. Venite seorsum in desertum locum, et requiescite pusillum.
Marc. vi. 31.
4. Omnia possum in eo qui me confortat. Phil. iv. 13.
SUR L'ORAISON MENTALE.
373
quelque sorte être vaincu par nos importunités 1.
» Or celui qui ne fait pas oraison ne connaît guère
ses défauts, il ne connaît pas davantage les dan-gers qu'il
court de perdre la grâce de Dieu ni les moyens à prendre pour
vaincre les tentations, il ne sait pas même combien il a besoin de
prier : dès lors il néglige de recourir à Dieu, et,
en né-gligeant de prier, certainement il se perdra. De là
cette parole de sainte Thérèse, si expérimentée
dans les voies de l'oraison : « Celui qui laisse de côté
l'oraison mentale n'a pas besoin que les dé-mons le portent en enfer,
il s'y précipite de lui-même2. »
Il en est qui récitent nombre de prières vocales. Mais
celui qui ne fait pas oraison parviendra dif-ficilement à bien réciter
même ses prières vocales ; il les dit sans attention et avec
beaucoup de dis-tractions ; à peine aussi le Seigneur les exauce-t-il.
« Que de gens, dit saint Augustin, crient vers Dieu non ,pas avec
la voix de l'âme, mais avec celle du corps ! Seul le cri du cœur
monte jusqu'à Dieu3. » « Criez, dit-il encore, criez
au dedans de vous-mêmes: c'est là que Dieu écoute4.
» Il ne suffit donc pas de prier seulement des lèvres, si
nous voulons que Dieu nous accorde ses grâces, il faut encore prier
avec notre âme, selon ce que dit saint Paul : Priez toujours en esprit5.
De fait,
1. Vult Deus rogari, vult cogi, vult quadam importunitate vinci. In
Ps. pœnit. VI. 3. Vie ch. 19.
3. Multi clamant, non voce sua, sed corporis. Cogitatio tua clamor
est ad Dominum. In Ps. CXLI.
4. Clama intus, ubi Deus audit. In Ps. xxi. en. 4.
5. Orantes omni tempore in spiritu. Eph. vi. 18.
Nécessaire pour bien prier,
374
CINQUIÈME INSTRUCTION.
Nécessaire pour se sanctifier.
parmi ceux qui récitent force prières vocales,
disent l'office, le rosaire, on en voit beaucoup qui tombent néanmoins
dans le péché et continuent d'y vivre. Quant à celui
qui fait oraison, il ne tombe guère; et si par malheur il tombe,
impos-sible qu'il continue de vivre dans son misérable état:
ou bien il abandonnera l'oraison, ou bien il quittera le péché.
Oraison et péché sont deux choses qui ne peuvent aller ensemble.
« Si relâ-chée que soit une âme, disait sainte
Thérèse, pourvu qu'elle persévère dans l'oraison,
Dieu la conduira finalement au port du salut1. »
Tous les saints ont dû leur sainteté à l'oraison
mentale. « L'oraison, dit saint Laurent Justinien, chasse la tentation,
dissipe la tristesse, répare la vertu, excite la ferveur, augmente
la flamme de l'amour divin2. » Elle dissipe la tristesse; témoin
saint Ignace de Loyola qui disait: « Quelque mal-heur qui puisse
m'arriver, un quart d'heure d'o-raison suffirait pour me rendre la paix3,.»
« L'orai-son, dit saint Bernard, règle nos affections, dirige
nos actions, réprime nos écarts4. » Selon saint Jean
Chrysostome, une âme est morte quand elle ne fait pas oraison: «
Celui qui ne prie pas et qui ne s'applique pas assidûment à
lier commerce avec Dieu, celui-là ne vit plus. Pour l'âme,
ne plus se répandre en supplications devant Dieu, c'est
1. Vie. ch. 8.
2. Ex oratione fugatur tentatio, abscedit tristitia, virtus reparatur,
excitatur fervor, et divini amoris flamma succrescit. De casto conn. cap.
22.
3. RlBADENEIRA. 1. 5. C. I.
4. Consideratio regit affectus, dirigit actus, corrigit excessus. De
Consid. 1. 1. c. 6.
SUR L'ORAISON MENTALE. 375
mourir1. » D'après Rufin, «tout le progrès
d'une âme dépend de la méditation2. » Gerson
ne craint pas de dire : « Sans oraison, personne, à moins
d'un miracle de Dieu, ne fait du christianisme la règle de sa vie,
personne ne peut vivre en chré-tien3. » Saint Louis de Gonzague,
parlant de la perfection et par conséquent des prêtres qui
doi-vent y tendre, disait : « Sans une grande applica-tion à
l'oraison, jamais on n'acquiert une grande vertu4. »
Celui qui voudrait voir ce sujet traité plus au long, peut lire,
dans la Vraie Épouse de Jésus-Christ, le chapitre xve.
II.
BIEN NE PEUT EXEMPTER LES
PRÊTRES DE L'ORAISON MENTALE.
Laissant de côté beaucoup d'autres choses que je pourrais
dire sur la nécessité de l'oraison men-tale, je ne veux m'étendre
ici qu'à réfuter trois excuses alléguées par
les prêtres qui négligent ce saint exercice.
Il en est qui disent: Je ne fais pas oraison parce que je n'y trouve
que désolation, distractions et tentations; mon esprit est si volage
que je ne puis le fixer sur l'objet de la méditation ; et j'ai tout
abandonné.
1. Quisquis non orat Deum, nec divino ejus colloquio cupit assidue
frui, is mortuus est... Animae mors est, non provolvi coram Deo. De or.
Deo. l. 1.
2. Omnis profectus spiritualis ex meditatione procedit. In Ps.xxxvi.
3. Absque meditationis exercitio, nullus, secluso miraculo Dei, ad
christianae religionis normam attingit. De Med. cons. 7.
4. CEPARI. l. 2. c. 3.
Rien n'exempte de l'oraison,
Ni les distractions
même perpétuelles :
376 CINQUIÈME INSTRUCTION.
Leur utilité ;
Voici comment saint François de Sales répond à
cela : « Quand bien même on ne ferait, pendant toute la durée
de l'oraison, que chasser et chasser encore distractions et tentations,
l'oraison serait néanmoins fort bonne, à la condition toutefois
que les distractions ne deviennent jamais volontaires. Le Seigneur a pour
agréables et il récompense par beaucoup de grâces la
bonne volonté qu'on montre et la violence qu'on se fait pour persévérer
ainsi dans l'oraison tout le temps déterminé. Il faut qu'on
aille à l'oraison, non pas pour son propre plaisir, mais pour le
bon plaisir de Dieu. Les âmes les plus ferventes éprouvent,
elles aussi, des aridités dans l'oraison; mais parce qu'elles tiennent
bon, le Seigneur les comble de ses fa-veurs. Saint François de Sales
ajoute : « Une once d'oraison avec toutes sortes de tentations pèse
plus devant Dieu que cent livres avec mille consola-tions. » Il n'y
a pas jusqu'aux statues qui ne fassent honneur au prince, et cela en se
tenant immobiles dans ses galeries. Quand donc le Seigneur veut nous réduire
en sa présence au rôle de statues, contentons-nous de l'honorer
à la façon des sta-tues ; il suffit que nous lui disions
alors : « Sei-gneur, je demeure ici pour vous faire plaisir. »
« Jamais, dit saint Isidore, le démon ne s'éver-tue
à nous assaillir de tentations et de distractions comme dans le
temps de l'oraison 1. » Pourquoi ? parce qu'il voit combien l'oraison
nous est profi-table et qu'il veut en conséquence nous la faire
abandonner. Aussi quelle n'est pas sa satisfaction
1. Tunc magis diabolus cogitationes curarum saecularium ingerit, quando
orantem aspexerit. Sent. l. 3. c. 7.
SUR L'ORAISON MENTALE. 377
quand, par dégoût, une âme cesse de faire
orai-son ! S'humilier et prier, voilà tout ce qu'on doit faire en
temps d'aridité. S'humilier : de toutes les occasions qui nous mettent
à même de connaître notre misère et notre insuffisance,
la meilleure est encore celle où, dans l'oraison, nous nous sen-tons
accablés par l'ennui et le dégoût. Alors nous voyons
que de nous-mêmes nous ne sommes ca-pables de rien; mais alors aussi,
nous unissant à Jésus désolé sur la croix,
contentons-nous de nous humilier et de crier grâce et miséricorde
; disons et répétons sans cesse : « Seigneur, venez
à mon secours ! Seigneur, ayez pitié de moi ! mon Jésus,
miséricorde ! » Une oraison ainsi faite sera beau-coup plus
profitable que toutes les autres, parce que Dieu ouvre sur les humbles
ses mains pleines de faveurs. Dieu résiste aux superbes, mais il
donne sa grâce aux humbles1. Alors plus que jamais, ayons soin d'implorer
la pitié de Dieu pour nous-mêmes et pour les pauvres pécheurs.
Dieu exige que les prêtres surtout prient pour les pécheurs.
Entre le vestibule et l'autel pleureront les prêtres, ministres du
Seigneur; et ils diront : Pardon, Seigneur, pardon pour votre peuple 2
! — Mais il suffit bien, dira quelqu'un, que je récite le bréviaire
! Saint Augustin lui répond : « Les aboiements des chiens
sont plus agréables à Dieu que les prières des mauvais
prêtres3. » Or tels sont d'ordinaire ceux qui ne font pas oraison,
1. Deus superbis resistit; humilibus autem dat gratiam. Jac. iv. 6.
2. Intervestibulum et altare, plorabunt sacerdotes, ministri Domini,
et dicent: Parce, Domine, parce populo tuo. Joel. II. 17.
3. Plus placet Deo latratus canum, quam oratio talium clericorum. CORN.
A LAP. In Lev. I. 17.
Conduite à tenir;
Le bréviaire
sans
l'oraison.
Ni l'étude
même
de la Théologie :
378 CINQUIÈME INSTRUCTION.
car il est fort difficile, sans oraison, d'avoir l'esprit ecclésiastique.
Un autre dit: Si je ne fais pas oraison, ce n'est pourtant pas que
je perde mon temps, car je l'emploie à l'étude.
Mais l'Apôtre écrit à Timothée : Faites
atten-tion à vous-même et à la doctrine 1. D'abord
à vous-même, c'est-à-dire à l'oraison, car c'est
dans ce saint exercice que le prêtre s'occupe de lui-même ;
puis à la doctrine, c'est-à-dire à l'étude,
afin de travailler ensuite au salut du prochain. Si nous ne sommes pas
saints, quel moyen que nous sanctifiions les autres? « O mon Dieu,
s'écrie saint Augustin, heureux celui qui vous connaît, ignorât-il
tout le reste2. » En vain posséderions-nous toutes les sciences,
si nous ne savons pas aimer Jésus-Christ, rien ne comptera pour
le ciel ; mais si nous savons aimer Jésus-Christ, nous sa-vons tout,
et nous serons heureux durant toute l'éternité. Bienheureux
donc celui qui possède la science des saints, celle que Dieu lui-même
donne3, et qui consiste en définitive dans la science de lui rendre
amour pour amour ! Une seule parole d'un prêtre au cœur brûlant
de la divine charité fera plus de bien que mille prédications
de tous les docteurs sans amour pour Dieu. Or cette science des saints,
on ne l'acquiert pas dans les livres, mais dans l'oraison où le
divin Crucifié est tout à la fois le maître qui enseigne
et le livre qu'on
1. Attende tibi et doctrinae. I Tim. iv. 16.
2. Beatus qui te scit, etiamsi illa nesciat. Conf. l. 5. c. 4.
3. Et dedit illi scientiam sanctorum. Sap. x. 10.
SUR L'ORAISON MENTALE. 379
étudie. Saint Thomas, ayant un jour demandé à
saint Bonaventure dans quel livre il avait puisé sa grande science
: « Voilà, répondit le Docteur séraphique en
montrant le crucifix, voilà où j'ai appris tout ce que je
sais. » Parfois un moment d'oraison nous procurera plus de lumières
que dix années passées dans l'étude des livres. «
Oui, dit saint Bonaventure, quelque science qu'on puisse acquérir
par l'étude, bien plus parfaite, bien plus vaste est celle dont
l'âme s'enrichit quand le saint amour, l'unissant tout à Dieu,
lui fait sentir ses célestes ardeurs 1. »
Les sciences humaines exigent beaucoup d'in-telligence, la science
des saints ne demande que de la bonne volonté. Plus une personne
aime Dieu, plus elle le connaît. « L'amour, dit saint Grégoire,
est un flambeau2 ; » et saint Augustin : « Aimer, c'est voir.
» De là cette invitation de Da-vid : Goûtez et voyez
combien le Seigneur est doux3. Plus on goûte Dieu par l'amour, plus
on le connaît, et plus on voit combien est grande sa bonté.
Celui qui goûte le miel le connaît mieux que tous les philosophes
occupés à réfléchir et à disserter sur
sa nature. « Puisque Dieu est la sagesse même, dit encore saint
Augustin, le vrai philosophe, ou le véritable ami de la sagesse,
c'est celui qui aime Dieu4. »
Pour apprendre les sciences humaines, il faut
1. In anima incomparabiliter, per amoris unitivi desideria, perfectio
amplioris cognitionis relinquitur, quam studendo requiratur. Myst. theol.
c. 3. p. 2.
2. Amor ipse notitia est. In Evang. hom. 27.
3. Gustate, et videte quoniam suavis est Dominus. Ps. xxxiii. 9.
4. Si sapientia Deus est, veras philosophus est amator Dei. De Civ.
D. l. 8. c. 1.
La science
des saints
s'obtient par
l'oraison ;
380 CINQUIÈME INSTRUCTION.
Exemples
encore beaucoup de temps et de travail; mais, pour apprendre
la science des saints, il suffit de la. vouloir et de la demander. La sagesse
est facile-ment aperçue par ceux qui l'aiment, et ceux qui la cherchent
la trouvent facilement. Elle prévient ceux qui la désirent
ardemment, afin de se mon-trer à eux la première. Celui qui,
dès la lumière du jour, veillera pour elle, n'aura pas de
peine; car il la trouvera assise à sa porte1. Avec la sa-gesse,
si facile à trouver qu'elle se présente avant même
qu'on la cherche, et si empressée à se don-ner qu'elle attend
assise sur la porte afin qu'on la rencontre sans peine, avec elle, conclut
le Sage, me sont venus tous les biens ensemble2. On pos-sède donc
tous les biens dès qu'on possède la sagesse, c'est-à-dire
l'amour de Dieu.
Oh ! quelles lumières saint Philippe de Néri puisa, non
certes dans les livres qu'il avait lus, mais dans les catacombes de Saint-Sébastien,
où il passait les nuits entières à faire oraison!
Et si saint Jérôme devint si savant, ce fut bien plus dans
la grotte de Bethléem que dans toutes les académies qu'il
avait fréquentées. Suarez disait qu'il aurait consenti plus
volontiers à perdre toute sa science que de perdre une heure d'orai-son.
« Que les philosophes, s'écrie saint Paulin de Nole, que les
savants du siècle se fassent gloire de leur science, que les riches
étalent leurs tré-sors, que les rois s'enveloppent de leur
pourpre !
1. Sapientia... facile videtur ab is qui diligunt eam, et invenitur
ab his qui quaerunt illam. Praeoccupat qui se concupiscunt, ut illis se
prior ostendat. Qui de luce vigilaverit ad illam, non laborabit ; assi-dentem
enim illam foribus suis inveniet. Sap. vi. 13-15.
2. Venerunt autem mihi omnia bona pariter cum illa. Sap. vii. 11.
SUR L'ORAISON MENTALE.
38I
quant à nous, notre gloire et notre science, notre richesse
et notre royauté, c'est Jésus-Christ1. » Mon Dieu et
mon tout, Deus meus et omnia, tel était le cri d'amour de saint
François : que tel soit aussi le nôtre. Voilà donc
ce que nous devons principalement demander à Dieu : la vraie sa-gesse;
et Dieu ne manquera jamais de la donner à quiconque le prie. Si
quelqu'un de vous a besoin de sagesse, qu'il la demande à Dieu;
car Dieu donne à tous abondamment et sans reproche2.
Nul doute que l'étude soit utile et même néces-saire
aux prêtres, mais plus nécessaire encore est l'étude
du crucifix. Saint Paulin, écrivant à un certain Jovius toujours
plongé dans l'étude des livres des philosophes et qui négligeait
la vie spi-rituelle sous prétexte qu'il n'avait pas le temps de
s'y appliquer, lui dit : « Tu as bien du temps pour être philosophe,
mais apparemment tu n'en as pas pour être chrétien3 !»
Si du moins cer-tains prêtres qui consacrent beaucoup de temps à
l'étude, apprenaient des choses en rapport avec leur état!
mais non, ils étudient mathématiques, géométrie,
astronomie, histoire profane; et puis, pour s'excuser de ne pas faire oraison,
ils pré-tendent que toutes les heures de leur journée sont
prises. Ne pourrait-on pas leur dire : Vous trouvez du temps pour devenir
savants, mais, pour vivre en prêtres, vous n'en trouvez pas! Sénèque
le
1. Sibi habeant sapientiam suam philosophi, sibi divitias suas divites,
sibi sua regna reges; nobis gloria, et possessio, et regnum, Christus est.
Ep. ad Aprum.
2. Si quis autem vestrum indiget sapientia, postulet a Deo, qui dat
omnibus affluenter, et non improperat. Jac. i. 5.
3. Vacat tibi ut philosophus sis; non vacat ut christianus sis? Ep.
ai Jovium.
Et doctrine des saints.
382
CINQUIÈME INSTRUCTION.
Ni les fonctions
du saint ministère :
disait bien : « Ce n'est pas que nous ayons peu de temps,
mais nous en perdons beaucoup1. » Il disait encore : « Nous
n'avons pas les connais-sances nécessaires, parce que nous apprenons
une foule de choses inutiles 2. »
Volontiers,ajoute-t-on encore, je ferais oraison. Mais le confessionnal
et la prédication me pren-nent si bien tout mon temps, qu'il ne
m'en reste pas une minute.
Je réponds : Mon cher frère, je vous loue de tant vous
dévouer au salut des âmes, mais je ne puis vous louer de travailler
pour les autres au point de vous oublier vous-même. Il faut d'abord
penser à nous-mêmes dans l'oraison, puis nous irons au secours
du prochain. Les plus grands missionnaires du monde, ce furent certainement
les saints apôtres. Eh bien, lorsqu'ils virent, au bout d'un certain
temps, que la multitude des œu-vres entreprises pour le bien des âmes
ne leur laissait plus le loisir de faire oraison, ils ordon-nèrent
les diacres, et, après s'être déchargés sur
eux du soin des oeuvres extérieures, ils trouvè-rent tout
le temps nécessaire pour s'appliquer à l'oraison et à
la prédication. Cherchez, avaient-ils dit aux frères, cherchez
parmi vous des hommes que nous puissions préposer à cette
œuvre. Pour nous, nous serons tout entiers à l'oraison et au ministère
de la parole3.
1. Non exiguum tempus habemus, sed multum perdimus. De Bre-vit. v.
c. 1.
2. Necessaria ignoramus, quia superflua addiscimus.
3. Fratres, viros... constituamus super hoc opus. Nos vero orationi
et ministerio verbi instantes erimus. Act. vi. 3.
SUR L'ORAISON MENTALE.
383
Qu'on le remarque bien, l'oraison d'abord, puis la prédication
; car, sans l'oraison, de quoi ser-vent les discours ? C'est précisément
ce qu'écrivait sainte Thérèse à l'évêque
d'Osma, lequel avait beaucoup de zèle pour le salut de ses ouailles,
mais assez peu pour l'oraison. « Notre-Seigneur m'a montré,
lui dit-elle, qu'il vous manque juste-ment la chose principale, la chose
fondamentale. Or quand la base fait défaut, tout l'édifice
croule. Il vous manque l'oraison et la persévérance dans
l'oraison : de là vient l'aridité à laquelle votre
âme est réduite 1. » C'est aussi l'avertissement que
don-nait saint Bernard au pape Eugène III, de ne jamais négliger
l'oraison pour les œuvres extérieures ; car celui qui néglige
l'oraison peut tomber dans un tel endurcissement de cœur qu'il fasse le
mal sans remords et qu'après l'avoir commis, il n'en ait aucune
douleur. « Je crains que la multitude des affaires ne vous fasse
d'abord mettre de côté l'oraison et les pieuses considérations,
et qu'ainsi votre cœur ne s'endurcisse au point de ne plus connaître
le remords, faute de le sentir2. »
« Sans la contemplation de Marie, jamais les œuvres de Marthe,
dit saint Laurent Justinien, ne peuvent être parfaites3. »
« Celui-là se trompe, ajoute le saint, qui prétend,
sans le secours de l'oraison, conduire à bonne fin l'œuvre du salut
des âmes ; car autant l'entreprise est excellente,
1. Lettre 8.
2. Timeo tibi, Eugeni, ne multitudo negotiorum, intermissa ora-tione
et consideratione, te ad cor durum perducat ; quod seipsum non exhorret,
quia nec sentit. De Cons. l. 1. c. 2.
3. Marthae studium, absque Mariae gustu, non potest esse per-fectum.
L'oraison avant tout.
384 CINQUIÈME INSTRUCTION.
autant elle offre de périls, et puisqu'il s'y engage sans le
viatique de l'oraison, nul doute qu'il ne défaille en chemin1. »
Notre-Seigneur prescrivit à ses disciples de prêcher ce qu'il
leur avait ensei-gné dans l'oraison. Ce qui vous est dit à
l'oreille, prêchez-le sur les toits 2. Par l'oreille, on entend ici
cette oreille du cœur à laquelle Dieu promet de faire entendre sa
voix dans le silence de l'orai-son. Je la conduirai dans la solitude, et
je lui parlerai au cœur 3. « De l'oraison, écrivait saint
Paulin, naissent les bonnes pensées qu'il faut en-suite communiquer
au prochain 4. » Aussi saint Bernard se lamentait en voyant tant
de prêtres ressembler, comme il disait, à des canaux, et si
peu à des réservoirs ; car le prêtre, à l'instar
d'un réservoir, doit d'abord faire lui-même, dans l'orai-son
mentale, sa provision de célestes lumières et de pieux sentiments,
pour qu'ensuite, à la façon d'un canal, il puisse les répandre
sur le prochain. « O prêtre, s'écrie le saint docteur,
ne l'oubliez pas, il faut que vous soyez un réservoir et non pas
un canal. Aujourd'hui nous voyons partout des ca-naux dans l'Église,
et nulle part des réservoirs5. » « Avant donc que le
prêtre travaille au bien des âmes, dit saint Laurent Justinien,
qu'il s'applique à l'oraison6. » C'est pourquoi, sur ce passage
du
1. Fallitur quisquis opus hoc periculosum, absque orationis prae-sidio,
consummare se posse putat ; in via deficit, si ab interna ma-neat refectione
jejunus. De Inst. prael. c. II.
2. Quod in aure auditis, praedicate super tecta. Matth. x. 27.
3. Ducam eam in solitudinem, et loquar ad cor ejus. Os. II. 14.
4. In oratione fit conceptio spiritualis. Ep. ad Severium.
5. Concham te exhibebis, non canalem. Canales hodie in Ecclesia multos
habemus, conchas vero perpaucas. In Cant. s. 18.
6. Difficile est proximorum lucris insistere. Priusquam hujusmodi studiis
se tradat, orationi intendat. De Tr. Chr. Ag. c. 7.
SUR L'ORAISON MENTALE. 385
Cantique des cantiques : Entraînez-moi ; nous courrons
après vous à l'odeur de vos parfums1, saint Bernard fait
ainsi parler l'Épouse sacrée : « Je ne courrai pas
seule, avec moi courront mes jeunes compagnes: nous courrons toutes en-semble,
moi, votre épouse, à l'odeur de vos par-fums, elles, entraînées
par mon exemple2. » Ainsi doit également parler à Dieu
tout prêtre animé de zèle pour le salut des âmes
: Mon Dieu, attirez-moi à vous. Car si vous m'attirez, je m'élancerai
vers vous, et sur mes pas s'élanceront une foule d'âmes ;
moi, ô mon Dieu, ce sont vos parfums qui m'attireront, c'est-à-dire
les saintes inspira-tions et toutes les grâces reçues dans
l'oraison ; elles, c'est mon exemple qui les entraînera.
Pour que le prêtre puisse attirer beaucoup d'âmes à
Dieu, il faut donc que lui-même ait d'abord été attiré
par Dieu. Voyez tous les grands ouvriers évangéliques, saint
Dominique, saint Phi-lippe de Néri, saint François-Xavier,
saint Fran-çois Régis. Ils employaient leurs journées
entières au service du prochain ; mais leurs nuits, ils les passaient
dans l'oraison, et ils y persévéraient jusqu'à ce
que le sommeil vînt les accabler. Un prêtre de science médiocre,
mais d'un zèle brû-lant, gagnera plus d'âmes à
Dieu que ne lui en gagneront beaucoup de prêtres pleins de science,
mais sans ferveur. « Un seul homme au cœur en-flammé de zèle
suffit, dit saint Jérôme, pour con-
1. Trahe me ; post te curremus in odorem unguentorum tuorum. Cant.
i. 3.
2. Non curram ego sola, current et adolescentulae mecum ; curre-mus
simul, ego odore unguentorum tuorum, illae meo excitatae exemplo In Cant.
s. 21.
Pour sauver les âmes.
LE PRÊTRE. — T. I.
25
386
CINQUIÈME INSTRUCTION.
Étudier Jésus-Christ.
vertir tout un peuple1. » Que dis-je? un mission-naire
enflammé d'amour pour Dieu fera, par une seule parole, plus de bien
que n'en saurait faire avec tout son attirail de beaux sermons un théo-logien
sans piété ni ferveur. Saint Thomas de Vil-leneuve disait
que, pour toucher les cœurs et les enflammer du saint amour de Dieu, il
faut des paroles brûlantes, des paroles qui soient comme des flèches
trempées dans le feu du divin amour. Mais, ajoutait le saint, quel
moyen que ces traits de feu sortent d'un cœur de glace ? Que les ou-vriers
évangéliques s'appliquent donc à l'oraison : alors,
s'embrasant d'amour, leur cœur, de glace qu'il était, deviendra
tout de feu.
La charité de Jésus-Christ nous presse2, dit l'Apôtre.
En attirant ainsi notre attention sur l'amour que Jésus-Christ nous
a porté, il veut dire : On ne peut méditer les douleurs et
les ignominies que notre Rédempteur souffrit par amour pour nous,
sans s'enflammer de charité et sans chercher à enflammer
tout le monde d'amour pour lui. Vous irez dans la joie de votre âme
puiser aux fontaines du Sauveur les eaux de la vie éternelle, et
vous direz en ce jour : glorifiez le Seigneur et invoquez son nom3. Les
fontaines du Sauveur, ce sont les exemples que Jésus-Christ nous
a donnés pendant sa vie, et qui, devenant l'objet des contemplations
de l'âme fidèle, l'inon-dent de torrents de lumières
et de saintes affec-
1. Sufficit unus homo zelo succensus, totum corrigere populum.
2. Charitas enim Christi urget nos. II Cor. v. 14.
3. Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris ; et dicetis in
die illa : Confitemini Domino, et invocate nomen ejus. Is. xii. 3.
SUR L'ORAISON MENTALE. 387
tions, en sorte que, tout embrasée de l'amour divin, elle s'efforce
d'embraser le cœur du pro-chain et invite tout le monde à publier,
à louer, à aimer la bonté de notre Dieu.
III.
SUR LA RÉCITATION DE L'OFFICE
DIVIN.
Après avoir parlé de l'oraison, il convient de dire quelque
chose sur la récitation de l'office divin.
Réciter l'office divin, c'est honorer Dieu, c'est résister
à la fureur de nos ennemis, c'est attirer sur les pécheurs
les miséricordes du ciel. Mais il faut, pour cela, qu'on le récite
avec les dispositions requises, c'est-à-dire comme le prescrit le
Ve con-cile de Latran dans un canon célèbre : « Avec
soin et avec dévotion. Studiose et devote 1. » Avec soin,
en prononçant bien les paroles. Avec dévo-tion, en faisant
attention à ce qu'on lit; « de telle sorte, dit saint Augustin,
que notre cœur s'unisse aux paroles proférées par nos lèvres2.
» « Com-ment voulez-vous, s'écrie saint Cyprien, que
Dieu vous écoute, quand vous ne vous écoutez pas vous-même3
? » .
La prière faite avec attention est cet encens d'agréable
odeur qui plaît tant à Dieu et qui fait descendre du ciel
des trésors de grâces. Par contre,
1. Cap. Dolentes, de cel. Mis.
2. Hoc versetur in corde, quod profertur in voce. Epist. 211. E. B.
3. Quomodo te audiri a Deo postulas, cum te ipse non audias? De Orat.
Dom.
Comment il faut
réciter
l'office divin.
388 CINQUIEME INSTRUCTION.
Avis pratiques.
quand elle est faite avec des distractions volon-taires, la prière
devient une fumée infecte qui provoque la colère de Dieu
et attire les foudres de sa justice. Voilà pourquoi le démon
met tout en oeuvre, lorsque nous récitons l'office, pour nous entraîner
dans des distractions et autres manque-ments. Voilà pourquoi aussi
nous ne devons rien négliger pour accomplir ce ministère
avec tout le soin et toute la dévotion convenables.
1. Il faut, en esprit de foi, nous représenter alors que nous
allons nous unir aux anges pour louer Dieu. « Nous remplissons ici-bas,
dit Tertullien, une de ces fonctions que les habitants du ciel ne cessent
et ne cesseront jamais de remplir, en louant Dieu durant toute l'éternité1.
» Seigneur, ils vous loueront dans les siècles des siècles2.
Avant donc d'entrer dans l'église ou de prendre en mains notre bréviaire,
faisons-nous un devoir de laisser à la porte et de congédier
toute pensée étrangère. « Que l'on se garde
bien, dit saint Jean Chrysostome, de porter avec soi dans l'église
le poids des soucis terrestres : tout cela doit rester à la porte3.
»
2. Il faut, durant la récitation de l'office, aux paroles que
profère notre bouche, joindre les pieuses affections de notre cœur.
« Si le psaume prie, dit saint Augustin, priez ; s'il gémit,
gémis-sez; s'il espère, espérez4. »
1. Officium futurae claritatis ediscimus De Orat. a. In saecula
saeculorum laudabunt te. Ps. LXXXIII. 5.
3. Ne quis ingrediatur templum curis onustus mundanis ; hae ante ostium
deponamus. In Is. hom. 3.
4. Si orat psalmus, orale ; si gemit, gemite ; si sperat, sperate ;
In Ps. xxx. en. 4.
SUR L'ORAISON MENTALE. 389
3. Il est bon que de temps en temps on renou-
velle son attention, par exemple au commence-
ment de chaque psaume.
4. Il faut être sur ses gardes pour ne donner
lieu soi-même à aucune distraction. Si l'on se
mettait à réciter son office au bruit tumultueux
d'une conversation mêlée de rires et de cris, ou
dans un lieu de passage, quelle attention et quelle
dévotion pourrait-on avoir ?
Oh ! quel bien ils se font à eux-mêmes, ceux qui chaque
jour récitent le bréviaire avec dévo-tion! «
Ils se remplissent du Saint-Esprit1, » dit saint Jean Chrysostome.
Quant à ceux qui le réci-tent avec négligence, que
de mérites ils perdent, et quel compte ils devront rendre à
Dieu !
1. Implentur Spiritu sancto. In Eph. hom. 19.
SIXIÈME INSTRUCTION.
SUR L'HUMILITE.
Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur1. L'humilité
et la douceur, voilà quelles furent les deux vertus les plus chères
à Jésus-Christ ; voilà quelles sont aussi les deux
vertus dont il veut par dessus tout que ses disciples fas-sent l'acquisition
à son école. Parlons d'abord de l'humilité, et nous
parlerons ensuite de la douceur.
I.
CONB1EN IL IMPORTE AUX PRETRES
D'ÊTRE HUMBLES.
« On doit être d'autant plus humble, dit saint Bernard,
qu'on se voit plus élevé en dignité2. » Et,
comme la dignité sacerdotale l'emporte sur toutes les autres, il
faut que le prêtre l'emporte sur tous en humilité. Autrement,
s'il vient à tomber
1. Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Matth. xi. 29. 2.
Tanto quisque debet esse humilior, quanto est sublimior. De 7 Donis Sp.
S.
Nécessité de l'humilité.
392 SIXIÈME INSTRUCTION.
Sagesse de l'humilité.
dans le péché, plus il tombera de -haut, plus sa
chute sera profonde. Aussi est-ce l'humilité que le prêtre
doit regarder comme la pierre pré-cieuse entre toutes, et qu'il
doit s'appliquer à faire briller en lui de tout son éclat.
De là cette parole de saint Laurent Justinien : « L'humilité
est par excel-lence l'ornement du prêtre 1 ; » et cette exclamation
d'Alcuin : « Que la plus profonde humilité vous accompagne
au sommet de la grandeur2. » Jésus-Christ l'avait déjà
dit: Que celui qui est le plus grand parmi vous soit comme le moindre3.
L'humilité est vérité. Le Seigneur nous dit en
conséquence : Si tu sépares ce qui est précieux de
ce qui est vil, tu seras comme ma bouche4. Si nous savions distinguer ce
qui vient de Dieu et ce qui vient de nous, nous serions semblables à
la bouche de Dieu, laquelle ne dit jamais que la vérité.
Avec saint Augustin disons donc sans cesse à Dieu : « Que
je me connaisse, que je vous con-naisse5 ! » C'est aussi ce que lui
disait continuel-lement saint François d'Assise : Qui êtes-vous,
et qui suis-je ? s'écriait-il, en réfléchissant d'un
côté sur la grandeur et la bonté de Dieu, et de l'autre
sur sa propre indignité, sa propre misère. Consi-dérez
tous les saints, et voyez comment, à la vue du bien infini, ils
s'humilient jusqu'aux entrailles de la terre et comment, à mesure
qu'ils avancent dans la connaissance de Dieu, ils se trouvent toujours
1. Humilitas est sacerdotum gemma. De Inst. prael. c. 21.
2. In summo honore summa tibi sit humilitas. De Virt. et Vit. c. 10.
3. Qui major est in vobis, fiat sicut minor. Luc. xxii. 26.
4. Si separaveris pretiosum a vili, quasi os meum eris. Jer. xv. 19.
5. Noverim me, noverim te. Solil. l. 2. c. 1.
SUR L'HUMILITÉ. 393
plus pauvres et toujours plus imparfaits. Quant aux orgueilleux,
ils sont privés de lumière et ne connaissent guère
leur néant.
Ayons donc soin de distinguer ce qui nous ap-partient et ce qui appartient
à Dieu. Rien ne nous appartient en propre que la misère et
le péché. En effet, sommes-nous autre chose qu'un peu de
poussière infecte et toute souillée ? Alors, pour-quoi nous
enorgueillir? Oui, dit la sainte Écri-ture, pourquoi s'enorgueillissent
la terre et la cendre1? Noblesse, fortune, talents, habileté et
tous les autres dons naturels ne sont qu'un vête-ment jeté
sur les épaules d'un pauvre mendiant. Qu'un mendiant vienne en votre
présence se pa-vaner dans un habit superbe dont on l'a couvert,
ne le regarderez-vous pas comme un fou? Et toi-même, dit l'Apôtre,
qu'as-tu donc que tu n'aies reçu ? Si tu l'as reçu, pourquoi
t'en glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu2 ? Ce que nous avons,
n'est-ce pas Dieu qui nous l'a donné ? et Dieu ne peut-il pas nous
l'ôter quand il le voudra? Ce que nous tenons surtout de Dieu, ce
sont les dons de l'ordre surnaturel; mais ces dons, que deviennent-ils,
cor-rompus qu'ils sont par tant de fautes et tant de négligences,
tant d'intentions perverses et tant d'impatiences? Toutes nos justices
ne sont, dit le Prophète, que comme un linge souillé3. Ah
! certes, célébrons la messe, récitons l'office, faisons
nos exercices de piété; mais n'allons pas ensuite nous
1. Quid superbit terra et cinis ? Eccli. x. 9.
2. Quid autem habes, quod non accepisti ? Si autem accepisti, quid
gloriaris, quasi non acceperis ? I Cor. iv. 7.
3. Quasi pannus menstruatae, universae justitiae nostrae. Is. LXIV.
6.
Quelles raisons
nous avons
de
nous humilier.
394
SIXIÈME INSTRUCTION.
Folie de l'orgueil.
imaginer que nous avons obtenu beaucoup de lu-mières et
acquis de grands mérites ; car alors sur-tout le Seigneur pourrait
nous adresser le reproche qu'il adressa jadis à cet évêque
de l'Apocalypse : Tu dis: je suis riche; et tu ne sais pas que tu es misérable,
aveugle et nu1. Sur quoi saint Bernard observe « qu'il faut suppléer
par l'humilité de notre confession à tout ce qui nous manque
de ferveur2. » Si donc nous nous reconnaissons pau-vres et misérables
devant Dieu, sachons à tout le moins nous humilier et confesser
nos misères. Saint François de Borgia, étant encore
dans le monde, avait reçu d'un homme de Dieu le conseil de ne jamais
passer un jour sans méditer sur ses misères, s'il voulait
faire des progrès dans la vertu. En conséquence il prit l'habitude
de consacrer chaque jour les deux premières heures de sa mé-ditation
à la connaissance et au mépris de lui-même: c'est ainsi
qu'il se sanctifia, et qu'il nous a laissé tant de beaux exemples
d'humilité.
« Dieu, dit saint Augustin, est au plus haut des cieux : tu t'élèves,
et il fuit loin de toi; tu t'abais-ses, et il descend jusqu'à toi3.
» C'est avec les humbles que Dieu s'unit, et c'est à leur
égard qu'il se montre prodigue de ses grâces. Mais l'homme
hautain, il l'a en abomination4. Dieu résiste aux
1. Dicis: quod dives sum ; et nescis quia tu es miser, et miserabilis,
et caecus, et nudus. Apoc. iii. 17.
2. Quidquid minus est in te fervoris, humilitas supplebit confes-sionis.
De Int. Domo. c. 21.
3. Altus est Deus. Erigis te, et fugit a te; humilias te, et descendit
ad te. Serm. 177. E. B. app.
4. Abominatio Domini est omnis arrogans. Prov. xvi. 5.
SUR L'HUMILITE.
395
superbes, et il donne sa grâce aux humbles1. Le Sei-gneur
exauce les prières des humbles. La prière de celui qui s'humilie
pénètrera les nues,... et elle ne se retirera pas jusqu'à
ce que le Très-Haut la regarde2. Quant aux prières
des orgueilleux, Dieu les rejette, il y résiste. Eux-mêmes,
c'est de loin seulement qu'il les regarde. Le Seigneur ha-bite les hauteurs
; toutefois il ne dédaigne pas d'a-baisser un œil bienveillant sur
tout ce qui s'hu-milie, mais, ce qui s'élève, il ne le voit
que de loin3. De même qu'en apercevant quelqu'un de loin, nous ne
le reconnaissons pas, de même Dieu fait, pour ainsi parler, semblant
de ne pas connaître et de ne pas entendre les orgueilleux. Ils crient
vers le Seigneur, mais le Seigneur leur répond : En vérité,
je vous dis que je ne vous connais point4. Bref, l'orgueilleux est en abomination
à Dieu et il est également en abomination aux hommes5. On
peut bien se trouver parfois dans la dure néces-sité de traiter
les orgueilleux avec honneur, mais, au fond du cœur, quel mépris
on ressent pour eux, en attendant qu'on les méprise à haute
voix ! Où il y a de l'orgueil, il y aura de la confusion6. Saint
Jérôme exaltant l'humilité en la personne de sainte
Paule, s'écrie : « Elle fuyait la gloire, et la gloire la
poursuivait ; car, semblable à l'ombre, la gloire s'attache aux
pas de la vertu ; et de même
1. Oratio humiliantis se nubes penetrabit... ; et non discedet, donec
Altissimus aspiciat. Eccli. xxxv. 21.
2. Deus superbis resistit; humilibus autem dat gratiam. Jac. iv. 6.
3. Excelsus Dominus, et humilia respicit; et alta a longe cognoscit.
Ps. cxxxvii. 7.
4. Amen dico vobis, nescio vos. Matth. xxv. 12.
5. Odibilis coram Deo est et hominibus superbia. Eccli. x. 7.
6. Ubi fuerit superbia, ibi erit et contumelia. Prov. xi. 2.
Il provoque
la malédiction
de Dieu
396 SIXIÈME INSTRUCTION.
Et il gâte tout bien.
qu'elle fuit ceux qui courent après elle, ainsi re-cherche-t-elle
ceux qui la dédaignent 1. » C'est la parole de l'Évangile
: Quiconque s'exaltera sera humilié, et quiconque s'humiliera sera
exalté2. Qu'un prêtre, par exemple, ait fait une bonne œuvre
: s'il garde le silence, tous ceux qui vien-dront à la connaître
le combleront de louanges ; mais, s'il s'en va la publier pour conquérir
des éloges, dès lors, au lieu de louanges, il n'obtiendra
que des mépris. Quelle honte, s'écrie saint Gré-goire,
oui quelle honte de voir ceux qui sont éta-blis docteurs pour enseigner
l'humilité, donner, par leurs exemples, des leçons d'orgueil,
de voir « ceux qui professent l'humilité tenir école
d'or-gueil3!» En vain dirait-on: Je n'ai d'autre but que de publier
la bonne œuvre et de faire ainsi louer le Seigneur. « Car, dit Sénèque,
celui qui ne tait pas la chose, ne taira pas non plus le nom de l'auteur4.
» Quand on vous entendra parler de votre bonne action on croira que
vous le faites pour être loué : ainsi vous baisserez dans
l'estime des hommes, et du même coup vous perdrez votre mérite
devant Dieu. Car, en entendant ces louan-ges que vous aurez provoquées,
Dieu dira de vous aussi : En vérité, je vous l'affirme, ils
ont reçu leur récompense5. Il y a, dit le Seigneur, trois
sortes de pécheurs que mon âme déteste particulière-
1. Fugiendo gloriam, gloriam merebatur, quae virtutem quasi umbra sequitur,
et, appetitores sui deserens, appetit contemptores. Ep. ad Eustoch.
2. Qui autem se exaltaverit, humiliabitur; et qui se humiliaverit,
exaltabitur. Matth. XXIII. 12.
3. Doctores humilium, duces superbiae. Epist. l. 4. ep. 32.
4. Qui rem non tacuerit, non tacebit auctorem. Epist. 105.
5. Amen dico vobis, receperunt mercedem suam. Matth. vi. 2.
SUR L'HUMILITE.
397
ment: le pauvre superbe, le riche menteur, le vieil-lard voluptueux
1. Or, on le voit, c'est le pauvre s'abandonnant à l'orgueil qui
occupe encore la première place dans la haine de Dieu.
II.
COMMENT LES PRETRES DOIVENT PRATIQUER
L'HUMILITÉ.
Venons-en à la pratique, et voyons ce qu'il faut faire pour
être vraiment humble, pour l'être de fait et non pas seulement
de nom.
11 faut, en premier lieu, avoir une grande crainte du vice d'orgueil.
Car, nous l'avons établi plus haut, Dieu résiste aux orgueilleux
et il les prive de ses grâces.
Un prêtre a besoin, surtout pour conserver la chasteté,
d'une assistance toute spéciale de Dieu. Quel moyen qu'un prêtre
orgueilleux demeure chaste, puisqu'en punition de son orgueil, ce se-cours
tout spécial de Dieu lui est refusé ? La su-perbe est l'avant-courrière
d'une chute prochaine, dit le Sage, et l'esprit qui s'exalte penche vers
la ruine2. De là ces graves paroles de saint Augus-tin : «
Je ne crains pas d'affirmer que les orgueil-leux ont, en quelque sorte,
intérêt à tomber dans quelque péché manifeste,
afin qu'ils s'efforcent en-suite de devenir humbles et qu'ils se regardent
avec horreur3. » Ainsi en fut-il de David, lequel
1. Tres species odivit anima mea...: pauperem superbum, divitem mendacem,
senem fatuum. Eccli. xxv. 3.
2. Contritionem praecedit superbia ; et ante ruinam, exaltatur spi-ritus.
Prov. xvi. 18.
3. Audeo dicere, superbis esse utile cadere in aliquod apertum peccatum,
unde sibi displiceant. De Civ. D. l. 14. c. 13.
Craindre l'orgueil :
Sinon, pas de chasteté
Ni de force contre le démon.
3g8 SIXIÈME INSTRUCTION.
tomba dans l'adultère pour avoir manqué d'hu-milité,
comme lui-même le confesse en gémis-sant : J'avais péché,
avant que ces tribulations vins-sent m'humilier 1. « Souvent, dit
saint Grégoire, l'orgueil devient pour un grand nombre le père
de là luxure ; car, en même temps que l'esprit d'or-gueil
les pousse à s'élever, la chair les précipite misérablement
dans la boue2. » L'orgueil a pour compagnon ordinaire l'esprit d'impureté.
L'esprit de fornication, dit le prophète, se trouve au mi-lieu d'eux,
et l'arrogance d'Israël lui répondra en face3. Demandez à
ce malheureux pourquoi il tombe et retombe toujours dans les mêmes
turpi-tudes, et vous entendrez l'arrogance répondre pour lui : c'est
moi qui suis la cause de ces chutes, car cet orgueilleux a de sa personne
une haute opi-nion, et le Seigneur, afin de l'en punir, permet qu'il reste
enfoncé dans ses souillures. Voilà bien le châtiment
infligé autrefois aux sages de ce monde en punition de leur orgueil,
ainsi que nous l'apprend l'Apôtre : Dieu les a livrés aux
désirs de leurs cœurs, à l'impureté, en sorte qu'ils
ont déshonoré leurs propres corps en eux-mêmes4. Le
démon n'a pas peur des orgueilleux. Césaire rapporte5 que
certain jour on avait amené dans un monastère de Cîteaux
un homme possédé du dé-
1. Priusquam humiliarer, ego deliqui. Ps. cxviii. 67.
2. Multis saepe superbia luxuriae seminarium fuit; quia, dum eos spiritus
quasi in altum erexit, caro in infimis mersit. Mor. l. 26. c. 12.
3. Spiritus fornicationum in medio eorum... et respondebit arro-gantia
Israel in facie ejus. Os. v. 4.
4. Propter quod tradidit illos Deus in desideria cordis eorum, in immunditiam,
ut contumeliis afficiant corpora sua in semetipsis. Rom. I. 24.
5. Dial. l.4. c. 5.
SUR L'HUMILITÉ.
399
mon. Or le prieur, ayant pris avec lui un jeune religieux qui
avait une grande réputation de vertu, dit au démon : Si ce
religieux te commande de sortir, auras-tu l'audace de résister?
-4- Je n'ai pas peur de celui-là, répondit le démon,
car c'est un orgueilleux. — Le bienheureux Joseph Cala-sanze disait que
le démon se sert d'un prêtre or-gueilleux comme d'une balle
à jouer. Ce qui si-gnifie qu'il le manie à sa guise et le
fait tomber quand bon lui semble.
C'est pourquoi les saints craignaient bien plus de tomber dans l'orgueil
et la vaine gloire que de voir tous les malheurs temporels fondre sur eux.
Au rapport dé Surius, un saint homme, estimé et honoré
de tous pour ses miracles, mais en même temps assailli par de fréquentes
tentations de vaine gloire, avait demandé au Seigneur d'être
possédé du démon. Dieu l'exauça, et la posses-sion
dura cinq mois, après lesquels il fut délivré non
seulement de l'esprit infernal, mais encore de l'esprit d'orgueil qui l'avait
jusque-là si fort tourmenté. C'est aussi la raison pour laquelle
Dieu permet que les saints eux-mêmes passent par les tentations d'impureté
et ne veut pas les en délivrer malgré toutes leurs prières,
ainsi qu'il arriva à saint Paul : De peur que la grandeur des révélations
ne m'élève, il m'a été donné un aiguil-lon
dans ma chair, un ange de Satan pour me souffleter. C'est pourquoi j'ai
prié trois fois le Seigneur qu'il m'en délivrât, et
il m'a dit : Ma grâce te suffit, car ma puissance se fait mieux sen-tir
dans la faiblesse1. Cet aiguillon de la chair
1. Et ne magnitudo revelationum extollat me, datus est mihi sti-
Raison
miséricordieuse des tentations.
400
SIXIÈME INSTRUCTION.
Ne se glorifier de rien.
ne fut donc donné à saint Paul que pour sauve-garder
son humilité, et, comme l'observe saint Jérôme, «
pour l'avertir de la misère humaine et le rendre humble dans la
sublimité de ses révé-lations1. » D'où
saint Grégoire conclut : « Pour conserver la chasteté
dans tout son éclat, il faut la mettre sous la garde de l'humilité2.
»
Terminons par la réflexion suivante. Le Sei-gneur, voulant humilier
l'orgueil des Egyptiens, envoya, pour les tourmenter, non pas des ours
et des lions, mais seulement des grenouilles. Qu'est-ce à dire?
sinon que Dieu nous laisse de temps en temps aux prises avec le souvenir
de certaines paroles insignifiantes, avec de légères aversions,
et autres bagatelles semblables, pour que nous connaissions notre misère
et que nous acquérions l'humilité.
En second lieu, de quelque succès que nos œu-vres aient été
couronnées, gardons-nous soigneu-sement de toute vaine gloire, et
cela d'autant plus que nous sommes élevés à la sublime
dignité du sacerdoce. Qu'elles sont grandes en effet les fonc-tions
que nous avons à remplir! A nous la charge sublime d'offrir au Seigneur
cet auguste sacrifice dont son propre Fils est la victime. A nous l'in-signe
fonction de réconcilier les pécheurs avec Dieu par la prédication
et par l'administration des
malus carnis meœ, angelus Satanae, qui me colaphizet. Propter quod
ter Dominum rogavi, ut discederet a me ; et dixit mihi : Sufficit tibi
gratia mea; nam virtus in infirmitate perficitur. II Cor. xii. 7.
1. Ad revelationum humiliandam superbiam, monitor quidam humanae imbecillitatis
apponitur. Ep. ad Paulam.
2. Per humilitatis custodiam servanda est munditia castitatis. Mor.
l. 26. c. ii.
SUR L'HUMILITE. 401
sacrements. Il nous a confié, dit saint Paul, le ministère
de la réconciliation 1. A nous, qui som-mes devenus les porte-voix
du Saint-Esprit, de nous présenter comme les ambassadeurs et les
vicaires de Jésus-Christ, ainsi que le dit encore saint Paul : Nous
faisons les fonctions d'ambassa-deurs pour te Christ, Dieu exhortant par
notre bouche2. Or, observe saint Jérôme, de même que
les montagnes les plus élevées sont les plus expo-sées
à la fureur des vents, ainsi la vaine gloire nous livre d'autant
plus d'assauts que notre mi-nistère s'élève au-dessus
de toutes les dignités. Tout le monde nous estime, car tout le monde
nous regarde comme des savants et des saints. Quand on se trouve sur les
hauteurs, la tête tourne facilement. Combien de prêtres, pour
avoir man-qué d'humilité, sont misérablement tombés
au fond de l'abîme ! Montan avait opéré des miracles,
et cependant l'ambition fit de lui un hérésiarque. Tatien,
après tant et de si beaux écrits contre les idolâtres,
devint hérétique, aussi par orgueil. Le frère Justin,
religieux franciscain, parvenu aux degrés les plus sublimes de la
contemplation, tomba par orgueil dans l'apostasie, et mourut en réprouvé.
On voit dans la Vie de saint Palémon un moine marcher sur des charbons
ardents et s'adresser ensuite à ses confrères pour leur dire
avec jactance : « Qui de vous pourrait aussi mar-cher sur des charbons
sans se brûler ? » En vain saint Palémon le reprit-il
: le malheureux, tout
1. Dedit nobis ministerium reconciliationis. II Cor. v. 18. 2. Pro
Christo ergo legatione fungimur, tanquam Deo exhortante per nos. Ibid.
20.
LE PRÊTRE. — T. I. 26
Combien la
vaine gloire est
nuisible
aux prêtres,
402
SIXIEME INSTRUCTION.
Combien elle est insensée
plein de lui-même, s'abandonna bientôt au crime et
mourut dans son péché.
Le pire des voleurs, c'est l'homme spirituel do-miné par l'orgueil,
car il ne met pas la main sur de l'or et de l'argent, mais il ravit la
gloire de Dieu. « Seigneur, disait en conséquence
saint François de Sales, s'il vous plaît de m'accorder quelque
grâce, daignez vous-même la conserver : autrement je vous la
prendrai. » Nous aussi, éle-vés au sacerdoce, nous
devons adresser à Dieu la même prière et nous écrier
avec saint Paul : Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu1.
En effet, nous ne sommes pas capables, je ne dis pas de faire des bonnes
œuvres, mais seulement d'a-voir par nous-mêmes une seule bonne pensée.
Non, dit encore saint Paul, nous ne pouvons pas penser quelque chose par
nous-mêmes comme de nous-mêmes2. De là cet avertissement
du Seigneur : Quand vous aurez fait ce qui vous est commandé, dites
: nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons/ait ce que nous devions
faire3. Quels avan-tages peuvent procurer à Dieu toutes nos œuvres?
quel besoin peut-il avoir de tous nos biens ? Vous êtes mon Dieu,
disait David, et vous n'avez pas be-soin de mes biens4. Et Job : Si tu
agis selon la justice, que donneras-tu au Seigneur, ou que rece-vra-t-il
de ta main 5 ? Nous sommes des serviteurs inutiles, non seulement parce
que nous ne pou-
1. Gratia autem Dei sum id quod sum. I Cor. xv. 10.
2. Non quod sufficientes simus cogitare aliquid a nobis. II Cor.iii.5.
3. Cum feceritis omnia quae praecepta sunt vobis, dicite : Servi inutiles
sumus; quod debuimus facere, fecimus. Luc. xvii. 10.
4. Deus meus es tu, quoniam bonorum meorum non eges. Ps. xv. 2.
5. Si juste egeris, quid donabis ei, aut quid de manu tua accipiet
? Job. xxxv. 7.
SUR L'HUMILITE. 403
vons, avec toutes nos oeuvres, augmenter les ri-chesses de Dieu,
mais encore parce que nous ne faisons en définitive rien pour ce
Dieu qui mérite un amour infini et qui a tant souffert par amour
pour nous. Aussi l'Apôtre écrit-il: Si j'évangé-lise,
la gloire ne m'en appartient pas : ce m'est une nécessité1.
De toutes les œuvres que nous faisons pour Dieu, il n'en est aucune que
le de-voir et la reconnaissance ne nous imposent. D'au-tant plus que toutes
ces œuvres sont moins notre ouvrage que celui de Dieu. « Si les nuages
se glo-rifiaient de la pluie qu'ils versent sur la terre, dit saint Bernard;
qui ne se moquerait de leur jac-tance 2 ? » « A la vérité,
ajoute-t-il, je loue les saints de tout le bien qu'ils font, mais surtout
je loue Dieu, qui, toujours présent en eux, fait par eux chacune
de leurs bonnes actions 3. » Tel est aussi le langage de saint Augustin
: « S'il se trouve en nous quelque bien, grand ou petit, nous le
te-nons de vous, ô mon Dieu ; de nous-mêmes ne vient que le
mal 4. » Et autre part : « Celui qui vous énumère
ses mérites, que fait-il, sinon vous énumérer vos
dons 5 ? »
Quand donc nous faisons quelque bonne œuvre, il faut que nous disions
au Seigneur : Nous avons reçu de votre main tout ce que nous vous
avons
1. Si evangelizavero, non est mihi gloria ; necessitas enim mihi incumbit.
I Cor. ix. 16.
2. Si glorientur nubes, quod imbres genuerint, quis non irrideat ?
In Cant. s. 13.
3. Laudo Deum in sanctis suis, qui, in ipsis manens, ipse facit opera.
In Cant. s. 13.
4. Si quid boni est, parvum vel magnum, donum tuum est ; et nostrum
non est nisi malum. Solil. an. ad D. c. 15.
5. Quisquis tibi enumerat merita sua, quid tibi enumerat nisi mu-nera
tua ? Conf. l. 9. c. 13.
Avec quel soin
il faut
l'écarter de nos
œuvres.
404 SIXIEME INSTRUCTION.
donné1. Jamais sainte Thérèse ne faisait ou ne
voyait faire une bonne action sans se mettre aus-sitôt à louer
Dieu, car, pensait-elle, tout est son œuvre. Saint Augustin disait à
ce sujet : « Si l'hu-milité ne nous précède
sans cesse, l'orgueil vien-dra nous arracher des mains tout ce que nous
fai-sons de bien2. » Et encore : « L'orgueil s'attaque à
toutes nos bonnes œuvres pour les détruire 3. » Le bienheureux
Joseph Calasanze concluait de là que plus un homme se voit comblé
de grâces par-ticulières de Dieu, plus il doit s'humilier,
crainte de tout perdre. Or il suffit d'un peu d'estime de soi-même
pour perdre tout. « Faire quantité de bonnes actions sans
humilité, c'est, dit saint Gré-goire, porter de la poussière
en plein vent 4. » « Si vous méprisez les autres, disait
le sage Tri-thème, vous valez moins qu'eux 5. »
Bien loin de jamais faire parade d'aucun de leurs mérites, les
saints ont plutôt cherché l'occa-sion de montrer au grand
jour tout ce qui pou-vait tourner à leur confusion. Le père
Villanova, de la compagnie de Jésus, ne se faisait pas faute de
dire à tout le monde que son frère était un pauvre
artisan. Un autre jésuite, le père Sacchini, rencontrant
certain jour sur la voie publique son père, qui était un
pauvre muletier, courut aussitôt l'embrasser en s'écriant
: Voici mon père ! — Li-sons la Vie des saints, et notre orgueil
disparaîtra.
1. Quae de manu tua accepimus, dedimus tibi. I Par. xxix. 14.
2. Nisi humilitas praecesserit, totum extorquet de manu superbia. Epist.
118. E. B.
3. Superbia bonis operibus insidiatur, ut pereant. Epist. 211. E. B.
4. Qui sine humilitate virtutes congregat, quasi in ventum pulve-rem
portat. In Ps. pœnit. III.
5. Caeteros contempsisti : caeteris pejor factus es.
SUR L'HUMILITE. 405
Car, en voyant tant de choses qu'ils ont accom-plies, nous rougirons
du peu que nous avons fait nous-mêmes.
Il faut, en troisième lieu, que nous vivions dans une continuelle
défiance de nous-mêmes.
Si Dieu ne nous assiste, impossible de nous maintenir en état
de grâce. A moins que le Sei-gneur ne garde une cité, dit
le psalmiste, inutile-ment veille celui qui la garde1. Et si Dieu n'opère
pas en nous, impossible que nous fassions aucun bien. A moins que le Seigneur
ne bâtisse la mai-son, en vain travaillent ceux qui la bâtissent2.
On a vu des saints d'une science médiocre convertir des provinces
entières. Saint Ignace de Loyola3 ne faisait au peuple de Rome que
des discours fort simples et dans un langage incorrect, car il parlait
mal l'italien; mais ses discours, sortant d'un cœur humble et tout embrasé
de l'amour de Dieu, fai-saient merveille, tellement que les auditeurs al-laient
sur-le-champ se confesser, et cela avec une si grande abondance de larmes
qu'ils pouvaient à peine parler. Par contre, certains savants ont
beau prêcher; avec toute leur science et toute leur élo-quence,
ils ne convertissent pas une seule âme. En eux se vérifie
cette parole du prophète : Seigneur, frappez-les de stérilité
et que leur sein se dessèche 4! Parce qu'ils sont enflés
de leur mérite, ils res-
1. Nisi Dominus custodierit civitatem, frustra vigilat, qui custodit
eam. Ps. cxxvi. 2.
2. Nisi Dominus aedificaverit domum, in vanum laboraverunt, qui aedificant
eam. lbid. 1.
3. RlBADENEIRA. Vit. 1. 3. C. 2.
4. Da eis vulvam sine liberis et ubera arentia. Os. ix. 14.
Se défier de soi-même,
Nonobstant la science.
406
SIXIÈME INSTRUCTION.
L'éloquence
semblent à ces femmes stériles qui n'ont de mère
que le nom. S'il se présente quelque âme affamée qui
réclame un peu de nourriture, pauvre âme ! il lui faut mourir
de faim, car les orgueilleux ne sont remplis que d'air et de fumée.
La science enfle, seule la charité édifie1. Cette science
qui enfle, voilà le malheur des savants. Il est difficile, écrivait
le cardinal Bellarmin à l'un de ses neveux, qu'un savant ait beaucoup
d'humilité, ne méprise pas les autres, ne critique pas leurs
actions, ne tienne pas à son propre jugement, et accepte de bon
cœur les avis et les remontrances de ses supérieurs.
Assurément, il ne s'agit pas de prêcher au ha-sard; il
faut, certes, apporter en chaire de l'étude et du travail. Mais,
quelque soin qu'on ait mis à préparer son sermon, et de quelque
manière heu-reuse et brillante qu'on l'ait prononcé, il reste
à dire finalement : Nous sommes des serviteurs inu-tiles2, puis
à n'attendre le succès que de la main de Dieu, et non pas
de nos efforts. De fait, quelle proportion peut-il y avoir entre nos paroles
et la conversion des pécheurs ? Est-ce que la cognée se glorifiera
contre celui qui s'en sert pour fendre3! s'écrie le prophète.
Quand l'arbre sera par terre, la cognée pourra-t-elle dire à
son maître: Cet arbre, c'est moi qui l'ai coupé et non pas
vous? Semblables à de lourds blocs de marbre, nous ne pouvons pas
même nous mouvoir si Dieu ne nous met en mouvement. Sans moi vous
ne pouvez rien
1. Scientia inflat. I Cor. viii. 1.
3. Servi inutiles sumus.
3. Numquid gloriabitur securis contra eum qui secat in ea? Is. x. 15.
SUR L'HUMILITE.
407
faire1. Sur ce texte, saint Augustin observe que « Notre-Seigneur
ne dit pas : sans moi vous ne pouvez pas faire grand'chose, mais rien absolu-ment2.
» Bien plus, l'Apôtre dit: Nous ne sommes pas capables de former
par nous-mêmes aucune bonne pensée3. Si par nous-mêmes
nous ne pou-vons pas seulement avoir une bonne pensée, encore moins
pourrons-nous par nos propres forces faire une seule bonne œuvre. Ni celui
qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui qui donne
la croissance, Dieu4. Ni le prédicateur ni le confesseur ne font
par leurs paroles que les âmes s'élèvent de vertus
en vertus : tout est l'œuvre de Dieu. «Confessons donc, conclut de
là saint Jean Chrysostome, confessons que nous ne sommes rien, afin
de devenir quelque chose5. » Quand on nous loue, hâtons-nous
de rapporter la louange à Dieu, puisqu'elle lui appartient; disons
donc : A Dieu seul honneur et gloire6 ! Comme aussi, quand l'obéissance
nous impose quelque emploi ou quelque entreprise, n'allons pas, arrêtant
notre regard sur notre incapacité, nous abandonner à la défiance;
mais comptons sur Dieu, qui vient de nous parler par la bouche de notre
supérieur; car voici la parole de Dieu à chaque supérieur:
Je serai dans ta bouche7.
Volontiers, s'écriait l'Apôtre, je me glorifierai
1. Sine me nihil potestis facere. Jo. xv. 5.
2. Non ait, quia sine me parum potestis facere, sed nihil. In Jo. tr.
81.
3. Non quod sufficientes simus cogitare aliquid a nobis. IICor. iii.
5.
4. Neque qui plantat, est aliquid, neque qui rigat, sed qui incre-mentum
dat, Deus. I Cor. iii. 7.
5. Nos dicamus inutiles, ut utiles efficiamur. Ad pop. Ant. hom. 38.
6. Soli Deo honor et gloria. I Tim. l. 7.
7. Ego ero in ore tuo. Exod. iV. 15.
Et tous les travaux.
Tout attendre de Dieu,
408 SIXIÈME INSTRUCTION.
dans mes faiblesses, afin que la vertu du Christ habite en moi1. Ainsi
faut-il que nous disions, et que nous nous glorifiions à la vue
de notre misère, afin d'avoir en nous la vertu du Christ, laquelle,
on le sait, n'est autre que la sainte humilité. Oh ! que de choses
admirables n'est-il pas donné aux humbles d'accomplir I «
Pour les humbles, dit saint Léon, rien de difficile2. » En
effet, comme ils s'appuient sur Dieu, ils agissent avec son bras tout-puissant
et réussissent dans toutes leurs en-treprises. Ceux qui espèrent
dans le Seigneur, obtiendront une force nouvelle3. Quelqu'un dé-sire-t-il
que Dieu se serve de lui pour opérer de grandes choses, disait le
bienheureux Joseph Cala-sanze, que celui-là s'applique avant tout
à devenir le plus humble des hommes. L'humble dit: Je puis tout
en celui qui me fortifie4. Quand donc il se voit en face d'une œuvre difficile,
au lieu de se rebuter, il s'écrie : En Dieu nous ferons preuve de
valeur5. Ce n'est pas à des hommes puissants et doctes que Jésus-Christ
confia le soin de convertir le monde, mais à de pauvres pêcheurs
ignorants, et cela parce que, dans leur humilité, ils n'avaient
pas même l'idée de compter sur leurs propres forces. Il a
choisi ce qui est faible selon le monde, pour confondre ce qui est fort,
afin que nulle chair ne se glorifie en sa présence6.
1. Libenter igitur gloriabor in infirmitatibus meis, ut inhabitet in
me virtus Christi. II Cor. XII. 9. 2. Nihil arduum est humilibus. De Epiph.
s. 5.
3. Qui autem sperant in Domino, mutabunt fortitudinem. Is. XL. 31.
4. Omnia possum in eo qui me confortat. Phil. iv. 13.
5. In Deo faciemus virtutem. Ps. LIX. 14.
6. Infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia..., ut non glorietur
omnis caro in conspectu ejus. I Cor. I. 37.
SUR L'HUMILITE.
409
Enfin, quelques défauts que nous découvrions en
nous, ne perdons point courage. Quand même, après toutes nos
résolutions et nos promesses de fidélité, nous nous
trouverions retombés dans les mêmes fautes, gardons-nous de
nous décourager et de prêter l'oreille au démon qui
voudrait, en nous désespérant, nous jeter dans de plus grandes
fautes. Alors, plus que jamais, plaçons en Dieu notre confiance,
nous servant ainsi de nos fautes pour nous abandonner davantage à
la miséricorde divine. Voilà ce que nous enseigne l'Apôtre,
quand il dit : Toutes choses coopèrent au bien1 et même les
péchés, ajoute la glose, etiam peccata. Le Sei-gneur permet
quelquefois qu'une personne tombe ou retombe dans une certaine faute, précisément
afin de lui apprendre à compter non plus sur elle-même, mais
uniquement sur le secours divin. Aussi David disait-il : Seigneur, vous
avez permis mes chutes pour mon bien, afin de m'apprendre à devenir
humble: Oui, Seigneur, il est avanta-geux pour moi que vous m'ayez humilié2.
Il faut, en quatrième lieu, pour acquérir l'hu-milité,
accepter surtout les humiliations qui nous viennent soit de Dieu, soit
des hommes. J'ai péché, devons-nous dire alors en toute sincérité,
je me suis vraiment rendu coupable, et certes je n'ai pas reçu le
châtiment que je méritais3.
« Quelques-uns, remarque saint Grégoire, disent
1. Omnia cooperantur in bonum. Rom. VIII. 28.
2. Bonum mihi quia humiiiasti me. Ps. cxviii. 71.
3. Peccavi et vere deliqui, et, ut eram dignus, non recepi. Job. xxiii.
27.
Sans jamais se décourager.
Accepter les humiliations,
410
SIXIÈME INSTRUCTION.
En silence
Et en
s'humiliant
intérieurement.
bien qu'ils sont des pécheurs, des scélérats,
des gens dignes de tout mépris, mais ils n'en croient rien ; car
la moindre humiliation, une remontrance qu'on leur fait, suffit pour les
bouleverser1.» « Combien n'y en a-t-il pas, écrit saint
Ambroise, qui n'ont de l'humilité que les apparences2? » Cas-sien
rapporte qu'un moine, au moment où, devant tous ses confrères,
il se déclarait grand pécheur, indigne de vivre sur la terre,
fut repris par l'abbé Sérapion d'un défaut considérable,
à savoir de promener son oisiveté de cellule en cellule,
au lieu de se tenir dans la sienne, comme le voulait la Règle. C'en
fut assez pour jeter aussitôt le moine dans un trouble si violent
qu'il ne put l'empêcher d'éclater au dehors. « Eh quoi
! lui dit alors son abbé, vous venez de déclarer que vous
êtes digne de tous les mépris, et maintenant vous voilà
sens dessus dessous pour une correction charitable que je vous fais3! »
Beaucoup de personnes en sont là. On veut passer pour humble, mais
on ne veut pas d'humiliation.
Tel s'humilie par calcul hypocrite, dit l'Ecclé-siastique, tandis
que son intérieur est plein de fourberie4. «Faire de l'humilité
un titre à la louange, ce n'est pas, disait saint Bernard, prati-quer
la vertu d'humilité, mais en préparer la ruine5. »
Car c'est tout simplement donner en pâture à l'orgueil la
satisfaction qu'on ressent
1. Mor. l. 22. c. 14.
2. Multi habent humilitatis speciem, virtutem non habent. Epist. 44.
3. Collat. 18. c. 11.
4. Est qui nequiter humiliat se, et interiora ejus plena sunt dolo.
Eccli. xix. 23.
5. Appetere de humilitate laudem, humilitatis est, non virtus, sed
subversio. In Cant. s. 16.
SUR L'HUMILITE. 411
de passer pour une personne humble. L'homme vraiment humble ne
se contente pas d'avoir de bas sentiments de lui-même : il veut encore
que les autres partagent à son égard ces mêmes senti-ments.
« On est humble, dit encore saint Bernard, quand on convertit l'humiliation
en humilité 1. » Celui qui est vraiment humble ne reçoit
jamais une humiliation sans s'humilier encore davan-tage, bien persuadé
qu'on le traite selon son
mérite.
III.
CONCLUSION.
DEVENIR HUMBLE.
En finissant, remarquons soigneusement que, si nous ne sommes
pas humbles, nous ne ferons aucun bien ; que dis-je ? nous ne ferons pas
même notre salut. Si vous ne devenez semblables à de petits
enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux2. Nous n'entrerons
donc au ciel qu'à la condition de devenir de petits enfants, non
certes par l'âge, mais par l'humilité. « De même,
dit saint Grégoire, que l'orgueil est la marque distinctive des
réprouvés, ainsi l'humi-lité est le cachet des élus3.
» Dieu résiste aux superbes, mais il donne sa grâce
aux humbles4, dit saint Jacques : par conséquent, autant il est
1. Est humilis, qui humiliationem convertit in humilitatem. In Cant.
s. 34.
2. Nisi conversi fueritis, et efficiamini sicut parvuli, non intrabitis
in regnum cœlorum. Matth. xviii. 3.
3. Reproborum signum superbia est; at contra, humilitas electo-rum.
Mor. l. 34. c. 22.
4. Deus superbis resistit ; humilibus autem dat gratiam. Jac. iv. 6.
Absolue
nécessité de
l'humilité.
412
SIXIEME INSTRUCTION.
avare de ses faveurs à l'égard des orgueilleux,
autant il en comble les humbles. Humilie-toi de-vant Dieu et attends ses
mains 1, dit l'Ecclésias-tique; oui, pratiquez l'humilité,
et puis attendez-vous à voir les mains de Dieu verser sur vous toutes
les grâces que vous désirez. En vérité, disait
notre Sauveur, en vérité, je vous le déclare: si le
grain de froment tombant dans la terre, ne meurt pas, il reste seul; mais
s'il meurt, il porte beaucoup de fruits2. Un prêtre mort à
l'estime de lui-même fera beaucoup de bien, mais celui qui ne meurt
pas à lui-même et qui reste sensible aux humiliations ou se
confie en ses talents, reste seul : dès lors il ne fera pas le moindre
bien, pas plus aux autres qu'à lui-même.
1. Humiliare Deo, et exspecta manus ejus. Eccli. xiii. 9.
2. Amen, amen, dico vobis : nisi granum frumenti, cadens in ter-ram,
mortuum fuerit, ipsum solum manet; si autem mortuum fuerit, multum fructum
affert. Jo. xii. 24.
SEPTIÈME INSTRUCTION.
SUR LA DOUCEUR.
COMBIEN EST IMPORTANTE LA VERTU DE
DOUCEUR.
Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur1. La douceur est
la vertu caractéristi-que de l'agneau. Or Jésus-Christ a
voulu s'ap-peler l'Agneau. Voici l'Agneau de Dieu2, disait saint Jean-Baptiste
; et Isaïe : Envoyez, Seigneur, l'Agneau dominateur de la terre3.
Dans tout le cours de sa Passion, il nous apparaît comme un agneau.
Tel qu'une brebis devant celui qui la tond, il sera muet et n'ouvrira pas
la bouche4. Je suis comme un agneau plein de douceur qu'on se pré-pare
à sacrifier5. C'est donc de la douceur que le divin Maître
fit sa vertu de prédilection. Quelle
L'exemple de Jésus-Christ
engage
à pratiquer la
douceur.
1. Discite a me quia mitis sum et humilis corde. Matth. xi. 29.
2. Ecce Agnus Dei. Jo. I. 29.
3. Emitte Agnum, Domine, dominatorem terrae. Is. xvi. 1.
4. Quasi agnus coram tondente se, obmutescet, et non aperiet os suum.
Is. liii. 7.
5. Quasi agnus mansuetus qui portatur ad victimam. Jer. xi. 19.
Les récompenses de
la douceur.
douceur ne montra-t-il pas en faisant du bien à des ingrats,
en traitant avec bonté ceux qui le contre-disaient en supportant
sans proférer la moindre plainte toutes les injures et tous les
mauvais traite-ments! Alors même qu'on le maudissait, dit saint Pierre,
il ne maudissait pas; quand on le mal-traitait, il ne menaçait pas
1. Flagellé, couronné d'épines, conspué, cloué
sur la croix, rassasié d'opprobres, il oublia tout ce qu'il souffrait
et pria pour ses cruels persécuteurs. Ainsi nous exhorte-t-il à
prendre modèle sur lui, principa-lement pour apprendre l'humilité
et la douceur. Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur.
« Aucune vertu, dit saint Jean Chrysostome, ne nous rend semblables
à Dieu comme la dou-ceur 2. » En effet il n'appartient qu'à
Dieu de rendre le bien pour le mal. C'est pourquoi le Rédempteur
a dit: Faites du bien à ceux qui vous haïssent, afin que vous
soyez les enfants de votre Père qui est dans les cieux, et qui fait
lever son soleil sur les bons et sur les méchants3. « Par
conséquent, conclut de là saint Jean Chrysos-tome, Jésus-Christ
ne reconnaît pour vrais imi-tateurs de Dieu que ceux-là seulement
en qui brille la sainte douceur4. » Pareillement c'est à
1. Qui, cum malediceretur, non maledicebat; cum pateretur, non comminabatur.
IPet. II. 23.
2. Mansuetudo prae caeteris virtutibus nos Deo conformes facit.
In Rom. hom. 19.
3. Benefacite his qui oderunt vos..., ut sitis filii Patris vestri
qui
in cœlis est, qui solem suum oriri facit super bonos et malos.
Matth. v. 44.
4. Eos solos qui mansuetudine conspicui sunt, Dei imitatores Chri-
stus nominat. Serm. de Mansuetud.
SUR LA DOUCEUR.
415
eux que le divin Maître promet le paradis : Bien-heureux
ceux qui sont doux, car ils possèderont la terre1. « La douceur,
dit saint François de Sales, est la fleur de la charité 2.
»
Dieu prend ses complaisances dans un cœur doux et fidèle, comme
le déclare l'Ecclésiastique : Ce qui lui plaît, c'est
la foi et la douceur3. Il ne sait pas repousser ceux qui sont doux : il
les ac-cueille et les prend sous sa protection 4, dit le psalmiste. Rien
ne le ravit comme les prières qui sortent d'un cœur doux et humble
: Seigneur, la prière de ceux qui sont humbles et doux vous a
toujours plu5.
La vertu de douceur consiste en deux choses :
1° Ne s'abandonner jamais aux inspirations de la
colère ; 2° Supporter les mépris.
II.
NE JAMAIS SE FACHER.
La colère est une passion dont il faut empêcher ou refréner
les mouvements ; et, comme le dit saint Ambroise, « il faut la prévenir
ou la répri-mer6. » Quiconque se sent porté à
la colère doit avoir grand soin d'en éviter les occasions
; et s'il ne peut s'y dérober, qu'au moins il ne les affronte pas
sans se préparer d'avance, soit en prenant la
1. Beati mites, quoniam ipsi possidebunt terram. Matth. v. 4.
2. Introd. p 3. ch. 8.
3. Quod beneplacitum est illi, fides et mansuetudo. Eccli. I. 34.
4. Suscipiens mansuetos Dominus. Ps. CXLVI. 6.
5. Humilium et mansuetorum semper tibi placuit deprecatio. Judith,
ix. 16.
6. Caveatur iracundia, aut cohibeatur. Offic. l. 1. c. 21.
416
SEPTIÈME INSTRUCTION.
Ne point se
fâcher : ni contre ses
ennemis,
ferme résolution de se taire ou de ne répondre
qu'avec douceur, soit en demandant à Dieu la force de résister
et de se contenir.
On dit pour s'excuser : Telle personne est vrai-ment insupportable
et par trop impertinente! — Mais la vertu de douceur consiste à
traiter avec douceur non pas ceux qui sont doux, mais bien ceux qui ne
savent pas même ce que c'est que la douceur. « Quand vous vous
trouvez avec des personnes complètement étrangères
à la douceur, c'est alors, dit saint Jean Chrysostome, que votre
vertu doit se montrer1. » Et en particulier, quand le prochain s'abandonne
à la colère, lui parler avec douceur, voilà le meilleur
moyen pour le calmer: Une parole douce brise la colère2, dit la
sainte Ecriture. « De même que l'eau éteint les flammes
d'un incendie, observe saint Jean Chry-sostome, ainsi une parole de douceur
calme les plus violents transports de la colère3. » Les douces
paroles multiplient les amis et adoucissent les en-nemis4, dit encore la
sainte Écriture. « Aussi bien, ajoute saint Jean Chrysostome,
avec votre fureur vous ne calmerez nullement celle de votre frère,
pas plus qu'avec le feu vous n'éteindrez un incen-die5. »
Même à l'égard des pécheurs les plus per-vertis,
les plus obstinés et les plus insolents, il faut, pour les ramener
à Dieu, que les prêtres
1. Cum his qui sunt a mansuetudine alienissimi, tunc virtus osten-ditur.
In Ps. cxix.
2. Responsio mollis frangit iram. Prov. xv. 1.
3. Sicut rogum accensum aqua exstinguit, ita animam ira aestuan-tem
verbum cum mansuetudine prolatum mitigat. In Gen. hom. 58.
4. Verbum dulce multiplicat amicos, et mitigat inimicos. Eccli. vi.
5.
5. Igne non potest ignis exstingui, nec furor furore.
SUR LA DOUCEUR. 417
mettent en œuvre toutes les ressources de la dou-ceur. «
Ministres de Dieu, nous dit Hugues de Saint-Victor, vous avez à
connaître non pas des dé-lits pour punir, mais des maladies
pour guérir 1. » S'il arrive que nous-mêmes nous sentions
s'éle-ver en notre cœur les mouvements de la colère, le mieux
que nous puissions faire alors, c'est de garder le silence et de demander
au Seigneur la force de ne pas répondre. « Il n'y. a pas,
dit Sé-nèque, de plus puissant remède contre la colère
que de temporiser2. » En effet, si nous parlons dans le feu de la
passion, il nous semblera peut-être n'avoir rien dit que de fort
juste, et cependant combien d'injustices et de péchés il
se sera glissé dans toutes nos paroles ! Car la passion est comme
un voile qui se place devant nos yeux et nous empêché de mesurer
la portée de nos discours. « L'œil que trouble la colère,
dit saint Bernard, ne discerne plus les objets 3. »
Parfois nous regardons comme une chose par-faitement juste et même
nécessaire d'abattre l'au-dace d'un insolent, par exemple de reprendre
un inférieur qui nous manque de respect. Sans doute il conviendrait
alors de s'indigner jusqu'à un cer-tain point, et, comme le dit
saint Thomas, « de se fâcher en demeurant dans les bornes de
la saine raison4, » selon ce précepte de David : Irritez-vous
1. Vos, non, quasi judices criminum, ad percutiendum positi estis,
sed, quasi judices morborum, ad sanandum. Misc. l. 1. tit.49.
2. Maximum remedium est irae, mora. De ira. l. 2. c. 28.
3. Turbatus prae ira oculus rectum non videt. De Consid. l. 2. cap.
II.
4. Secundum rectam rationem irasci. 2. 2. q. CLVIII. a. 1.
Ni contre ses inférieurs,
même fort coupables :
LE PRÊTRE. — T.
I.
27
Il faut parfois réprimander,
même sévèrement.
418 SEPTIÈME INSTRUCTION.
et ne péchez point1 .Voilà bien, à prendre la
chose en soi, ce qui conviendrait, parce qu'il n'y aurait alors aucun péché.
Mais aussi voilà le difficile. Se livrer aux mouvements de la colère,
c'est grande-ment s'exposer; c'est, par comparaison, monter un cheval fougueux
qui n'obéit guère au frein, en sorte qu'on ne sait trop où
l'on va. « Aussi, d'après saint François de Sales,
quelque juste raison que vous ayez de vous fâcher, il sera toujours
pré-férable de vous calmer, et il vaut mieux que vous ayez
la réputation de ne jamais vous mettre en colère que celle
de vous irriter à bon droit2. » La colère a-t-elle
pénétré dans l'âme, rien de plus difficile,
dit saint Augustin3, que de l'en chasser ; aussi le saint donne-t-il le
conseil de lui fermer immédiatement la porte, afin qu'elle n'entre
pas. D'autant plus que la correction faite avec colère sera peu
profitable au sujet : celui-ci l'attribuera plutôt à la mauvaise
humeur qu'à la charité de son supérieur. Une seule
réprimande faite avec douceur et d'un air tranquille produira plus
d'effet que mille reproches, tous fort justes, mais qui sentiraient la
colère.
Toutefois il s'en faut de beaucoup que, sous prétexte de traiter
le prochain avec bonté et de ne pas le rebuter, nous ne puissions
pas au besoin faire une réprimande avec la sévérité
convenable. Pareille douceur serait non pas une vertu, mais une vraie faute
et une détestable négligence. Malheur à vous, s'écrie
le prophète en s'adres-
1. Irascimini et nolite peccare. Ps. iv. 5.
2. Introd. p. 3. ch. 8.
3. Epist. 38. E. B.
SUR LA DOUCEUR. 419
sant à tous ceux qui ménagent les pécheurs
et les laissent poursuivre tranquillement leur sommeil de mort, malheur
à vous qui préparez des coussi-nets pour les mettre sous
tous les coudes, et qui faites des oreillers pour des personnes de tout
âge, afin de laisser surprendre les âmes! Vous avez affermi
les mains de l'impie afin qu'il ne revînt pas de sa mauvaise voie
et qu'il ne trouvât point la vie 1. « Il n'y a là, reprend
saint Augustin, ni charité, ni douceur, ni bonté, mais déplorable
incurie2 ; » que dis-je ? une vraie cruauté : ainsi se perdent
les pauvres âmes, sans que personne prenne à cœur de les éclairer
sur leur lamentable état. « A la vérité, dit
saint Cyprien, tant que le chirurgien opère, le malade se répand
en lamen-tations ; mais une fois guéri, quelles actions de grâces
ne lui rend-il pas3 ?» L'esprit de douceur exige donc qu'étant,
par devoir, obligés de faire une correction, nous procédions
avec fermeté sans doute, mais aussi avec bonté ; et pour
y réus-sir, l'Apôtre nous exhorte à ne jamais reprendre
personne sans considérer d'abord nos propres dé-fauts, afin
de reporter sur le prochain une partie de la compassion que nous ressentons
pour nous-mêmes. Mes frères, si un homme est tombé
par surprise dans quelque faute, vous qui êtes spiri-tuels instruisez-le
en esprit de mansuétude, vous regardant vous-mêmes, de peur
de tomber aussi
1. Vae, qui consuunt pulvillos sub omni cubito manus, et faciunt cervicalia
sub capite universae aetatis, ad capiendas animas...! Et confortastis manus
impii, ut non reverteretur a via sua mala, et viveret. Ezech. xiii. 18.
2. Non est ista charitas, sed languor. In I Jo. tr. 7.
3. Licet conqueratur aeger impatiens per dolorem, gratias aget postmodum,
cum senserit sanitatem. De Lapsis.
Mais jamais avec colère.
420
SEPTIÈME INSTRUCTION.
Surtout
les personnes
tentées.
dans la tentation 1. « Quelle honte, s'écrie Pierre
de Blois, de voir un supérieur reprendre ses in-férieurs
avec colère et dureté2 ! » « Tel est l'hor-rible
aspect de la colère, dit Sénèque, qu'elle suf-fit
pour rendre difforme le plus beau visage 3. » Voici donc la règle
à suivre, d'après saint Gré-goire : « Soyez
bon et affectueux, mais sans mol-lesse ; employez la rigueur, mais sans
pousser à bout ; usez de miséricorde, mais sans épargner
plus qu'il ne convient 4. »
« Les médecins ne doivent pas se fâcher contre les
malades, dit saint Basile, mais les guérir en luttant contre la
maladie5. » Cassien6 rapporte qu'un jeune religieux, violemment tourmenté
par des tentations d'impureté, alla trouver un des plus anciens
de la solitude. Il espérait en recevoir quel-que secours. Mais le
père, au lieu de le consoler et de l'encourager, mit le comble à
sa désolation en l'accablant de reproches. Or qu'arriva-t-il ? Le
Seigneur permit à l'esprit impur de tourmenter le vieillard, au
point qu'on le voyait courir comme un insensé par le monastère.
Alors l'abbé Apol-lon, qu'on avait instruit de sa conduite cruelle
envers le jeune religieux, alla le trouver et lui dit : « Sachez,
mon frère, que Dieu a permis au démon de vous tenter, afin
que dorénavant vous sachiez
1. Fratres, etsi praeoccupatus fuerit homo in aliquo delicto, vos qui
spirituales estis, hujusmodi instruite in spiritu lenitatis, consi-derans
teipsum, ne et tu tenteris. Gal. vi. 1.
2. Turpe quidem est in praelato, cura ira et austeritate corripere.
Epist. 100.
3. Facies turbatior, pulcherrima ora fœdavit. De ira. l. 2. c. 35.
4. Sit amor, sed non emolliens; sit rigor, sed non exasperans; sit
pietas, sed non plus, quam expediat, parcens. Mor. l. 20. c. 6.
5. Reg. fus. disp. int. 51.
6. Collat. 2. c: 13.
SUR LA DOUCEUR. 421
accueillir vos frères avec plus de bonté et de com-misération.»
Loin donc de nous mettre, par un sen-timent de vaine complaisance pour
nous-mêmes, à blâmer les autres de leurs chutes, de
leurs fai-blesses, nous devons demeurer dans notre humi-lité, tout
en aidant le plus possible le prochain à sortir de sa misère.
Autrement Dieu nous laissera succomber aux mêmes fautes que nous
aurons condamnées dans les autres. A ce propos Cassien rapporte
ce remarquable aveu d'un saint abbé, nommé Machête
: « Je m'étais permis autrefois de censurer trois défauts
dans mes confrères, mais ensuite j'eus le malheur de commettre pré-cisément
les trois mêmes fautes 1. » Avant donc de faire aucune correction,
il faut non pas nous indigner contre le prochain, mais lui compatir; il
faut, comme le dit saint Augustin, « que la mi-séricorde et
non pas l'indignation précède la ré-primande 2. »
A quoi saint Grégoire ajoute « que la considération
de notre propre misère et de nos fautes nous disposera toujours
à compatir aux fautes du prochain et même à les excuser3.
»
Toutes nos colères ne peuvent donc être d'au-cune utilité
ni pour le prochain ni pour nous-même. A tout le moins elles auront
pour résul-tat de nous faire misérablement perdre la paix
de l'âme. Quand on apprit au philosophe païen Agrippinus qu'une
partie de sa fortune venait de lui être enlevée : «
Si j'ai perdu mon argent,
1. De Cœnob. inst. l. 5. c. 30.
2. Reprehensionem, non odium, sed misericordia praecedat. De
Serm. D. in monte. l. 2. c. 19.
3. Considerata infirmitas propria, mala nobis excusat aliena. Mor.
422
SEPTIÈME INSTRUCTION.
Ni contre soi - même.
répondit-il, la paix me reste, et je la garde. »
Le mal que nous nous faisons en nous troublant pour des injures l'emporte,
et de beaucoup, sur celui qu'on nous fait en nous les adressant. «
Ma colère, disait Sénèque, me nuirait plus que leurs
insultes1. » S'irriter des outrages qu'on reçoit, c'est se
constituer son propre bourreau : « Sei-gneur, disait saint Augustin,
vous avez décrété que l'âme, en sortant de l'ordre,
deviendrait elle-même son tourment2. »
Ce n'est pas seulement à l'égard des autres, mais, ainsi
que l'enseigne le maître de la man-suétude, saint François
de Sales, « c'est aussi à l'égard de nous-même,
que nous devons prati-quer la douceur3. » On en voit qui, après
avoir commis une faute, se dépitent contre eux-mêmes et se
troublent, puis, une fois troublés, tombent dans mille autres fautes.
« Le démon, disait saint Louis de Gonzague, trouve toujours
à pêcher dans l'eau trouble. » Quand donc
nous avons commis quelque faute, il faut non pas nous aban-donner au découragement,
lequel n'est après tout qu'un effet de l'orgueil et de la bonne
opinion que nous avons de nous-même, mais nous hu-milier, détester
tranquillement notre faute, et re-courir aussitôt à Dieu avec
une grande confiance d'obtenir le secours nécessaire
pour ne plus. retomber.
1. Plus mihi nocitura est ira, quam injuria. De ira. l. 3. c. 25.
2. Jussisti ut pœna sua sibi sit omnis inordinatus animus. Conf. 1.
1. c. 12.
3. Introd. p. 3. ch. 9.
SUR LA DOUCEUR.
423
Finalement, les personnes vraiment humbles, vraiment douces,
se tiennent toujours en paix, et jamais, quoi qu'il arrive, elles ne perdent
la tran-quillité de leur âme. Jésus-Christ l'a promis
: Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez
le repos de vos âmes 1. David avait déjà dit : C'est
aux hommes doux que Dieu réserve la terre comme un héritage,
et ils jouiront de l'abondance de la paix2. « Rien n'est capable
d'entamer leur sérénité3, » observe saint Léon.
Injures, revers, épreuves, rien de tout cela ne trouble la paix
d'une âme où règne la douceur.
Cependant il peut arriver que nous sentions s'é-lever en notre
cœur des mouvements de colère ; alors, selon le conseil du saint
évêque de Genève, hâtons-nous de les réprimer,
sans délibérer un seul instant s'il convient ou non d'y donner
suite. Peut-être aussi, après une altercation quelconque,
nous sentirons-nous en proie au trouble ; ce sera le cas d'observer soigneusement
ce précepte de saint Paul : Que le soleil ne se couche pas sur votre
colère, et ne donner point lieu au démon4. Attention tout
d'abord à recouvrer le calme pour nous-même; puis, allons
nous réconcilier avec la personne objet de notre ressentiment :
sans cela le démon, se servant de cette étincelle, pourrait
allumer en notre âme un incendie capable de la dévorer.
1. Discite a me quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem
animabus vestris. Matth. xi. 29.
2. Mansueti autem hereditabunt terram, et delectabuntur in mul-titudine
pacis. Ps. xxxvi. 11.
3. Nihil asperum mitibus. De Epiph. s. 5.
4. Sol non occidat super iracundiam vestram; nolite locum dare diabolo.
Ephes. iv. 26.
Que faire dans
les surprises de
la colère.
424 SEPTIÈME INSTRUCTION.
La vraie vertu
endure
les mépris
III.
ENDURER LES MÉPRIS.
En second lieu, et plus particulièrement en-core, la vertu de
douceur consiste à supporter les mépris.
« Beaucoup de personnes, disait saint François d'Assise,
mettent leur sainteté à réciter force priè-res
ou bien à pratiquer quantité de mortifications corporelles,
mais elles ne peuvent endurer une parole blessante. Hélas ! ajoutait
le saint, elles ne comprennent pas combien il leur serait plus avantageux
de pratiquer alors la douceur1. » Une âme gagnera plus à
recevoir en paix un affront qu'à jeûner dix jours au pain
et à l'eau. Saint Bernard énumère trois progrès
qu'il faut avoir à cœur de réaliser, si tant est qu'on veuille
sé-rieusement se sanctifier : « Premier progrès : ne
plus vouloir dominer sur personne ; second pro-grès : se soumettre
volontiers à tout le monde ; troisième progrès : supporter
patiemment les ou-trages2. » Vous verrez, par exemple, les autres
obtenir ce qu'on vous refuse ; on prête une oreille favorable à
chacune de leurs paroles ; les vôtres, on les tourne en ridicule
; louanges, emplois ho-norables, affaires importantes, tout est pour les
autres, mais de vous on ne tient aucun compte, et, quoi que vous fassiez,
vous ne recevez que
1. Non intelligentes, quanto majus sit lucrum in tolerantia inju-riarum.
2. Primus profectus, nolle dominari ; secundus, velle subjici ; tertius,
injurias aequanimiter pati. De Divers. s. 60.
SUR LA DOUCEUR.
425
réprimandes et railleries. Eh bien ! dit saint Do-rothée1,
vous serez vraiment humble, si vous acceptez tranquillement toutes ces
humiliations et si vous recommandez à Dieu comme l'un de vos insignes
bienfaiteurs celui qui vous traite de la sorte. De fait, il vous guérit
de votre orgueil, qui est bien la plus pernicieuse des maladies, et la
plus capable de vous donner la mort.
Dans ton humiliation prends patience2, dit la sainte Écriture.
Voilà bien comment il faut alors se conduire : ne pas se fâcher,
ne pas se lamen-ter, mais accepter ces mépris comme autant de justes
châtiments des péchés qu'on a commis. Celui qui s'est
permis d'offenser Dieu mérite bien d'autres humiliations : il mérite
de se voir à ja-mais foulé aux pieds des démons. Saint
François de Borgia, étant une fois en voyage, dut passer
la nuit avec son compagnon, le père Bustamante. Celui-ci, fort souffrant
d'un asthme, ne fit toute la nuit que tousser et cracher ; et encore, non
pas comme il le croyait, du côté de la muraille, mais du côté,
souvent même sur le visage de saint Fran-çois. Le lendemain
matin il reconnut sa méprise, et il s'en désolait beaucoup
; mais le saint lui ré-pondit tranquillement : « Ne vous affligez
pas, mon père; car bien certainement il n'y avait pas dans cette
chambre un endroit plus vil. »
Les orgueilleux se croient des titres à toutes sortes d'honneurs
: dès lors les humiliations qu'ils reçoivent
ne font qu'aigrir leur orgueil. Les
1. Doctr. 20.
2. In humilitate tua patientiam habe. Eccli. II. 4.
Avec humilité,
426 SEPTIÈME INSTRUCTION.
Avec résignation,
humbles, au contraire, ne se croient dignes que de mépris
: aussi les insultes qu'on leur adresse deviennent matière à
humilité. « Celui-là est humble, dit saint Bernard,
qui convertit l'humi-liation en humilité1. » Le père
Rodriguez ajoute que les orgueilleux auxquels on adresse une ré-primande
font comme les hérissons. De même que ceux-ci deviennent tout
épines dès qu'on les touche, ainsi, à la moindre parole,
ceux-là s'irri-tent et éclatent en plaintes, en reproches
et en murmures. Quant aux humbles, s'ils sont repris, ils s'humilient encore
davantage, reconnaissent leur faute, remercient de ces offices, et puis
se tiennent tranquilles. Se troubler pour une cor-rection qu'on reçoit,
c'est montrer qu'on vit en-core sous l'esclavage de l'orgueil. Si donc
nous nous troublons en ces rencontres, il faut nous humilier davantage
devant Dieu, et le supplier de briser le joug sous lequel l'orgueil nous
tient captifs.
Le nard de mes vêtements répand sa douce odeur2. Le nard
est une toute petite plante odori-férante, mais qu'il faut froisser
et tourmenter pour en exprimer le parfum. Oh ! quels parfums d'agréable
odeur fait monter vers Dieu une per-sonne humble, quand elle accepte les
humilia-tions en toute tranquillité et avec une vraie joie de se
voir méprisée et maltraitée ! Un jour qu'on demandait
au moine Zacharie par quel moyen
1. Est humilis, qui humiliationem convertit in humilitatem. In
Cant. s. 34. 2. Nardus mea dedit odorem suum. Cant. I. 11.
SUR LA DOUCEUR.
427
s'acquiert la vraie humilité, il prit son capuchon, et,
après l'avoir jeté par terre, se mit à le fouler aux
pieds en disant : « Celui qui se plaît à n'être
traité que comme un chiffon, celui-là est vrai-ment humble.
» « Quand on se trouve dans l'hu-miliation, disait le père
Alvarez, c'est alors le temps favorable pour sortir de ses misères
et ac-quérir de grands mérites. » Dieu se montre aussi
avare de ses biens à l'égard des orgueilleux que libéral
envers les humbles. Dieu résiste aux su-perbes et il donne sa grâce
aux humbles1. « Ce ne sont pas les louanges qui guérissent
une cons-cience coupable, dit saint Augustin, pas plus que les insultes
ne peuvent entamer une conscience en règle avec Dieu2.» Saint
François d'Assise di-sait pareillement : « Nous ne sommes
que ce que nous sommes devant Dieu. » Peu importe donc que les hommes
nous exaltent ou qu'ils nous blâment : il suffit bien que Dieu nous
approuve. Or certainement Dieu approuve, et il approuve beaucoup, ceux
qui, pour son amour et d'un cœur joyeux, savent accepter les injures.
Combien ils plaisent à Dieu et au prochain, les hommes de ce
caractère ! Rien n'édifie le prochain et n'attire les âmes
à Dieu comme la douceur d'une personne qui, se voyant méprisée,
moquée, insultée, ne s'irrite pas et demeure en paix, sans
même perdre la sérénité de son visage. Saint
Jean Chrysostome observe que « pour se rendre cher
1. Deus superbis resistit; humilibus autem dat gratiam. Jac. iv. 6.
2. Nec malam conscientiam sanat laudantis praeconium, nec bonam vulnerat
conviciantis opprobrium. Contra Petil. l. 3. c. 7.
Avec tranquillité,
428
SEPTIÈME INSTRUCTION.
à ses inférieurs, un supérieur ne peut employer
de charme plus puissant que celui de la dou-ceur1. » Saint Ambroise
fait une remarque ana-logue : «Ce que les Hébreux aimaient
dans Moïse, dit-il, c'était bien plus sa douceur au milieu
des plus sanglants affronts que ses prodiges et ses mi-racles2. »
Saint Jean Chrysostome ajoute: « Ah! qu'ils sont utiles à
eux-mêmes et aux autres, tous ceux qui pratiquent la douceur3 ! »
Le père Maf-féi rapporte que, dans le Japon, un religieux
de la compagnie de Jésus étant un jour en chaire, un insolent
vint lui cracher au visage. Le prédi-cateur s'essuya avec son mouchoir
et continua son discours comme si de rien n'était. Ce que voyant
l'un des assistants s'écria: Une religion qui enseigne une telle
humilité est nécessaire-ment vraie et divine ; et il se convertit.
C'est éga-lement par la douceur avec laquelle il supportait sans
se troubler toutes les injures des prédicants calvinistes, que saint
François de Sales convertit un si grand nombre d'hérétiques.
La douceur est une pierre de touche ; aussi saint Jean Chrysos-tome 4 estime-t-il
que le plus sûr moyen pour constater si une âme a de. la vertu,
c'est de voir avec quelle douceur elle se conduit dans les con-trariétés.
A ce sujet voici ce que le père Crasset rapporte dans son Histoire
de l'Eglise du Japon. Un missionnaire augustin voyageant sous
un
1. Nihil ita conciliat Domino familiares, ut quod illum vident... mansuetudine
jucundum. S. de Mansuetud.
1. Ut plus eum pro mansuetudine diligerent, quam pro factis ad-mirarentur.
Offic. l. 2. c. 7.
3. Mansuetus, utilis sibi et aliis. In Act. hom. 6.
4. In Gen. hom. 34.
SUR LA DOUCEUR.
429
déguisement reçut un soufflet, et comme il ne s'en
émut pas, c'en fut assez pour qu'on le crût chré-tien
et qu'on s'emparât de lui : car, aux yeux des idolâtres de
ces parages, une si grande vertu ne pouvait se rencontrer que dans un chrétien.
Oh ! qu'il devient facile, en considérant Jésus méprisé,
de supporter tous les mépris ! La bien-heureuse Marie de l'Incarnation
disait un jour à ses religieuses en leur montrant le crucifix: «
Se peut-il, mes sœurs, qu'à la vue d'un Dieu si mé-prisé,
nous n'embrassions pas tous les mépris? » — Les soldats qui
conduisaient saint Ignace à Rome où l'attendait le martyre,
ne cessaient, le long du chemin, de le tourmenter en toutes ma-nières;
mais lui, au comble du bonheur, s'écriait: « C'est maintenant
que je commence à être dis-ciple du Christ1. » Qu'est-ce
donc que sait faire un chrétien, s'il ne sait pas endurer une humilia-tion
pour Jésus-Christ? Certainement, quand on nous méprise et
qu'on nous insulte, il en coûte à notre orgueil de ne pas
manifester notre mécon-tentement et de ne pas repousser l'attaque.
Mais c'est précisément à nous faire ainsi violence
que nous trouvons notre profit. « Autant vous vous ferez violence,
dit Thomas à Kempis, autant vous ferez de progrès2. »
— On raconte d'une bonne religieuse que jamais elle ne recevait un affront
sans se rendre devant le saint Sacrement: Sei-gneur, disait-elle alors,
je suis bien pauvre et je n'ai rien à vous offrir, mais je vous
fais hommage
1. Nunc incipio esse Christi discipulus. Ep. ad Rom. 2. Tantum proficies,
quantum tibi ipsi vim intuleris. De Imit. l. 1. c. 25.
Toujours
en vue
de Jésus-Christ.
430 SEPTIÈME INSTRUCTION.
Avec joie.
de cette injure dont on vient de me gratifier. — Oh ! quel accueil
plein d'amour Jésus fait à une âme qui se trouve sous
le pressoir de l'humilia-tion! comme il s'empresse de la consoler, et quelles
grâces il lui accorde.
Une âme qui aime vraiment Jésus-Christ, ne se contente
pas d'endurer tranquillement les mépris, elle les embrasse avec
bonheur et allégresse. Il est dit des saints apôtres : Tous
sortirent de la sy-nagogue pleins de joie d'avoir été jugés
dignes de souffrir des outrages pour le nom de Jésus 1. Sur quoi
le bienheureux Joseph Calasanze remarquait que la dernière partie
de ce texte, mais non la première, se vérifie dans beaucoup
de chrétiens; car beaucoup sont jugés dignes de souffrir
des outrages pour le nom de Jésus, mais ils ne les ac-ceptent pas
avec joie. Or c'est à cette perfection que doit au moins aspirer
celui qui veut devenir saint. « Il n'y a pas d'humilité, disait
encore le bienheureux Joseph Calasanze, sans désir des mé-pris2.
» Le vénérable Louis du Pont ne pouvait, au commencement
de sa vie religieuse, compren-dre comment un homme peut trouver son bon-heur
à se voir méprisé. Mais, quand il fut plus avancé
dans la perfection, il le comprit bien et même il en fit l'expérience.
Voilà aussi ce qu'après sa mort saint Ignace de Loyola vint
du ciel ap-prendre à sainte Marie-Madeleine de Pazzi : « La
vraie humilité, lui disait-il, consiste à se réjouir
1. Ibant gaudentes a conspectu concilii, quoniam digni habiti sunt
pro nomine Jesu contumeliam pati. Act. v. 41. 2. Non est humilis, qui non
optat sperni.
SUR LA DOUCEUR.
431
de tout ce qui peut porter au mépris de soi-même.
»
Les mondains ne se réjouissent pas autant de se voir entourés
d'honneurs, que les saints de se voir méprisés. Quand on
faisait quelque injure au frère Junipère, franciscain, aussitôt
il présentait sa tunique, en guise d'aumônière, comme
pour recueillir des pierres précieuses. Lorsque saint Jean-François
Régis se voyait tourné en ridicule, non seulement il se réjouissait,
mais même il in-tervenait dans la conversation pour attiser la rail-lerie.
Notre divin Rédempteur, apparaissant un jour à saint Jean
de la Croix avec la croix sur les épaules et une couronne d'épines
sur la tête, lui dit : « Jean, demande-moi tout ce que tu veux
1. » Le Saint répondit : « Seigneur, souffrir et être
méprisé pour vous2 ! » Comme s'il avait dit : Sei-gneur,
en vous voyant si souffrant et si méprisé, pourrais-je vous
demander autre chose que des souffrances et des mépris ?
Bref, pour conclure, celui qui veut être tout à Dieu et
devenir semblable à Jésus-Christ ne doit rechercher que l'obscurité
et les humiliations. « Aimez à passer inaperçu et à
ne compter pour rien3 : » telle était la maxime de saint Bonaven-ture.
Tel était également le conseil que saint Phi-lippe de Néri
ne se lassait pas de donner à ses enfants spirituels. Jésus-Christ
veut que nous nous estimions bienheureux et que nous tres-
1. Joannes, pete quid vis a me.
2. Domine, pati et contemni pro te.
3. Ama nesciri et pro nihilo reputari. Alphab. rel. — Cf. Imit. C.
La marque
distinctive des
serviteurs
de Dieu.
432 SEPTIEME INSTRUCTION.
saillions d'allégresse alors que son amour attire sur nous les
mépris, les injustices, les moqueries du genre humain tout entier
; car plus ils sont grands, les mépris que nous endurons avec joie,
plus grande aussi sera notre récompense dans le ciel. Bienheureux
serez-vous lorsque les hommes vous haïront, Vous chasseront, vous
injurieront, et rejetteront votre nom comme mauvais à cause du Fils
de l'homme. Réjouissez-vous en ce jour-là et tressaillez
d'allégresse, car voici que votre récom-pense est grande
dans le ciell. Eh ! que peut-il arriver de plus consolant à une
âme que de se voir méprisée pour l'amour de Jésus-Christ
? C'est bien alors, dit saint Pierre, qu'elle est au comble de l'honneur,
puisque Dieu la traite comme il traita son propre Fils. Si on vous outrage
pour le nom du Christ, vous devez être bien heureux, parce que tout
ce qu'il y a d'honneur et de gloire repose sur vous, avec la vertu de Dieu
et son esprit2.
1. Beati eritis, cum vos oderint homines, et cum separaverint vos,
et exprobaverint, et ejecerint nomen vestrum tanquam malum, propter Filium
hominis. Gaudete in illa die, et exsultate; ecce enim merces vestra multa
est in cœlo. Luc. vi. 22.
2. Si exprobramini in nomine Christi, beati eritis, quoniam quod est
honoris, gloriae, et virtutis Dei, et qui est ejus spiritus, super vos
requiescit. I Pet. iv. 14.
HUITIÈME INSTRUCTION.
SUR LA MORTIFICATION,
ET PARTICULIEREMENT SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
L'homme, au sortir des mains de Dieu, était droit et juste,
en sorte que la chair obéissait sans résistance à
l'esprit, et l'esprit à Dieu. Le Sei-gneur a fait l'homme droit
1 dit l'Ecclésiaste. Mais survint le péché qui troubla
ce bel ordre, et dès lors la vie de l'homme ne fut plus qu'une guerre
continuelle. Car la chair convoite contre l'esprit, dit l'Apôtre,
et l'esprit contre la chair2. Il ajoutait en gémissant : Je vois
dans mes mem-bres une autre loi qui combat la loi de mon es-prit et me
captive sous la loi du péché3.
I.
NÉCESSITÉ DE LA MORTIFICATION EN GÉNÉRAL.
Il y a donc pour l'homme deux sortes de vies : la vie des anges, dont
l'unique application est de
1. Quod fecerit Deus hominem rectum. Eccl. vii. 30.
2. Caro enim concupiscit adversus spiritum, spiritus autem adver-sus
carnem. Gal. v. 17.
3. Video autem aliam legem in membris meis, repugnantem legi mentis
meae, et captivantem me in lege peccati. Rom. vii. 23.
LE PRÊTRE. — T. I. 28
Se mortifier
pour
éviter le péché,
434 HUITIÈME INSTRUCTION.
Pour mériter
la lumière divine.
faire la volonté de Dieu, et la vie des brutes, qui
n'ont d'autre souci que de satisfaire leurs sens.
Quand l'homme s'applique à faire la volonté de
Dieu, il devient un ange ; mais il devient une
brute s'il ne cherche qu'à satisfaire, ses sens.
Aussi ce que Dieu commandait à Jérémie: Je t'ai
établi pour que tu arraches et que tu détruises, et
que tu édifies et que tu plantes 1 nous avons le
devoir de le faire en nous-même. Il faut donc
que nous plantions en nous les vertus, mais après
avoir arraché les mauvaises herbes. Pour cela
nous devons toujours être armés du ciseau de la
mortification, afin d'émonder notre âme et d'en
retrancher les appétits déréglés qui naissent
de
la concupiscence comme d'une racine vénéneuse,
et qui pullulent sans cesse en nous. Autrement
cette pauvre âme ne sera bientôt plus qu'une
forêt de vices.
Si nous voulons avoir la lumière sans laquelle on ne peut connaître
Dieu, le bien suprême, il est nécessaire que nous commencions
par puri-fier notre cœur. Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu'ils
verront Dieu2. « Voulez-vous voir Dieu ? dit saint Augustin : appliquez-vous
d'abord à purifier votre cœur3. » A qui le Seigneur enseignera-t-il
la science, se demande Isaïe? Et il répond : Aux enfants qu'on
vient de sevrer et qu'on n'allaite plus4. La science des
1. Constitui te... ut evellas et destruas..., et aedifices et plantes.
Jer. 1 10.
2. Beati mundo corde, quoniam ipsi Deum videbunt. Matth. v. 8.
3. Deum videre vis? prius cogita de corde mundando. Serm. 177. E. B.
app.
4. Quem docebit (Deus) scientiam ? Ablactatos a lacte, avulsos ab uberibus.
Is. xxviii. 9.
SUR LA MORTIFICATION. 435
saints, celle qui consiste à goûter la connaissance
et l'amour de Dieu, ne descend du ciel que sur les âmes sevrées
et détachées des plaisirs du monde. L'homme animal ne perçoit
pas ce qui est de l'Esprit de Dieu1. Celui qui ne cherche, comme la brute,
que les vils plaisirs des sens, n'est pas seulement capable de comprendre
l'excellence des biens spirituels.
De même qu'avec le sel on empêche la viande de se corrompre,
disait saint François de Sales, ainsi, par la mortification, l'homme
se met à l'abri du péché. Quand la mortification règne
dans une âme, les autres vertus y règnent aussi. La myrrhe,
l'aloës et la casse s'exhalent de vos vêtements2. « Il
faut, dit l'abbé Guéric sur ce passage des Psaumes, il faut
que l'âme, en renonçant aux plai-sirs des sens, exhale d'abord
les parfums de la myrrhe, pour qu'ensuite s'élèvent de son
sein tous les autres parfums3. » J'ai recueilli ma myrrhe avec mes
aromates 4 dit également l'Épouse des cantiques.
Et
pour pratiquer
les vertus.
Toute notre sainteté et même notre salut dé-pendent
de notre fidélité à marcher sur les traces de Jésus-Christ.
Car, dit saint Paul, ceux qu'il connut par sa prescience, Dieu les prédestina
pour être conformes à l'image de son Fils5. Or il est
1. Animalis autem homo non percipit ea quae sunt Spiritus Dei.
I Cor. ii. 14.
2. Myrrha, et gutta, et casia, a vestimentis tuis. Ps. xlv. 9.
3. Si myrrha prima spirare cœperit per mortificationem volupta-tum,
consequentur et aliae species aromaticae. De annunt. s. 1.
4. Messui myrrham meam cum aromatibus meis. Cant. v. 1.
5. Quos praescivit, et praedestinavit conformes fieri imaginis Filii
sui. Rom. viii. 29.
Surtout pour
imiter Jésus - Christ,
436 HUITIÈME INSTRUCTION.
impossible que nous suivions Jésus-Christ sans renoncer à
nous-même et sans nous mortifier pour embrasser la croix que lui-même
nous met sur les épaules. Si quelqu'un veut venir après moi,
qu'il renonce à lui-même, qu'il porte sa croix et qu'il me
suive1. Durant toute sa vie, le Sauveur ne rencontra que privations, souffrances,
oppro-bres : aussi le prophète Isaïe l'appelle-t-il le plus
méprisé et le dernier des hommes, l'homme des douleurs2.
Semblable à la mère qui prend un remède plein d'amertume
pour guérir l'enfant qu'elle nourrit, le divin Rédempteur,
dit sainte Catherine de Sienne, pour nous guérir, nous, pauvres
malades, ne recula devant aucune souf-france. Mais si Jésus a tant
souffert par amour pour nous, il est juste que nous souffrions par amour
pour lui. Il faut en conséquence que, nous aussi, comme le veut
saint Paul, nous portions toujours et partout dans notre corps la mort
de Jésus, afin que la vie de Jésus se manifeste aussi dans
notre corps3. « Or, observe saint Anselme, il en sera ainsi quand,
à son exemple, nous mor-tifierons notre chair sans trêve ni
repos4. » A nous surtout incombe cette obligation, puisque nos fonctions
sacerdotales nous introduisent sans cesse dans les mystères augustes
de la Passion et de la mort du Rédempteur. « En célébrant
les saints mystères, dit Hugues de Saint-Victor, nous
1. Si quis vult post me venire, abneget semetipsum, et tollat crucem
suam, et sequatur me. Matth. xvi. 24.
2. Despectum et novissimum virorum, virum dolorum. Is. LIII. 3.
3. Semper mortificationem Jesu in corpore nostro circumferentes, ut
et vita Jesu manifestetur in corporibus nostris. II Cor. iv. 10.
4. Si, ad ejus imitationem, assidue carnem mortificemus.
SUR LA MORTIFICATION. 437
célébrons la Passion du Seigneur : il faut donc
que nous ayons à cœur de la reproduire dans notre vie1. »
Pour parvenir à la sainteté, les principaux moyens sont
l'oraison et la mortification, figu-rées dans les saintes Écritures
par l'encens et la myrrhe. Quelle est celle-ci qui monte par le dé-sert,
comme une colonne aux vapeurs embaumées de la myrrhe, de l'encens
et de toutes sortes de poudres odoriférantes2 ? A la myrrhe et à
l'en-cens le texte sacré ajoute la multitude des poudres odoriférantes,
pour marquer que toutes les vertus font cortège à l'oraison
et à la mortification. Im-possible donc qu'une âme devienne
sainte sans l'oraison et la mortification. Toutefois la morti-fication
doit précéder l'oraison : J'irai, dit l'É-poux, à
la montagne de la myrrhe et à la colline de l'encens3. C'est donc
sur la montagne de la myrrhe que le Seigneur invite d'abord l'âme
à le suivre, puis sur la colline de l'encens. « L'orai-son,
disait saint François de Borgia, doit intro-duire le divin amour
dans notre cœur, mais la mortification doit préparer la place en
enlevant tout ce qui pourrait s'opposer à son entrée. »
Si un homme ne prend, pour aller puiser de l'eau à la fontaine,
qu'un vase plein de terre, il ne rapportera que de la boue ; qu'il commence
donc
1. Quia passionis dominicae mysteria celebramus, debemus imitari quod
agimus.
2. Quae est ista quae ascendit per desertum, sicut virgula fumi ex
aromatibus myrrhae et thuris, et universi pulveris pigmentarii ? Cant.
iii. 6.
3. Vadam ad montem myrrhae et ad collem thuris. Cant. iv. 6.
pour parvenir à la perfection,
438
HUITIÈME INSTRUCTION.
En quoi consiste
la
mortification :
par vider le vase, et ensuite il pourra le remplir. « L'oraison
sans la mortification n'est qu'une illusion ou ne dure pas, » disait
le père Balthazar Alvarez. Et d'après saint Ignace de Loyola,
de deux âmes, l'une mortifiée et l'autre immortifiée,
la première s'unit plus à Dieu dans un quart d'heure d'oraison
que l'autre dans une oraison de plusieurs heures. Aussi, comme on louait
un jour devant lui une personne pour son grand esprit d'oraison : «
C'est un signe, dit-il, qu'elle est fort adonnée à la mortification.
»
II.
NÉCESSITÉ CAPITALE DE
LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
Nous sommes à la fois âme et corps. Par con-séquent
la mortification extérieure et la mortifi-cation intérieure
sont nécessaires, l'une pour mortifier les appétits déréglés
de la chair, l'autre pour mortifier les affections désordonnées
de l'âme. C'est ce que notre Sauveur nous apprend quand il nous dit
: Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même,
qu'il porte sa croix et me suive 1. Qu'il porte sa croix : voilà
pour la mortification extérieure, laquelle est également
nécessaire, ainsi que nous le verrons plus loin ; qu'il renonce
à lui-même : voilà pour la mortifi-cation intérieure,
la principale, la plus nécessaire des deux. Celle-ci consiste à
tenir sous le joug de la raison les passions déréglées,
comme l'am-
1. Si quis vult post me venire, abneget semetipsum, et tollat cru-cem
suam, et sequatur me. Matth. xvi. 24.
SUR LA MORTIFICATION. 439
bition, la colère, la vanité, l'attachement à
nos intérêts, à notre jugement, à la volonté
propre. « Notre-Seigneur distingue deux sortes de croix, dit saint
Augustin, l'une temporelle, l'une spiri-tuelle. Celle-ci est la plus noble
: par elle en effet se règlent les mouvements de l'âme 1.
» La mor-tification extérieure réprime donc les appétits
de la chair pour la soumettre à l'esprit, la mortifi-cation intérieure
réprime les affections du cœur pour les soumettre à la raison
et à Dieu : aussi l'Apôtre l'appelle-t-il la circoncision
du cœur faite en esprit2.
Sans doute les passions ne sont pas mauvaises de leur nature, elles
sont simplement indifférentes ; et même, quand la raison les
gouverne, elles de-viennent utiles, parce qu'elles servent à notre
con-servation. Par contre, quand elles se mettent en opposition avec la
raison, elles ne servent qu'à la ruine de l'âme. Ah ! qu'elle
est à plaindre, l'âme que Dieu laisse aller au gré
de ses convoitises! Impossible de lui infliger un plus terrible châti-ment.
Je les ai livrés aux désirs de leurs cœurs, ils marcheront
dans leurs propres inventions3. Nous devons donc sans cesse dire au Seigneur
avec le Sage : Ne me livrez pas à une âme sans honte et sans
retenue4. Non, ô mon Dieu, ne m'abandonnez pas à l'empire
de mes passions !
Il suit de là que nous devons mettre notre prin-
1. Duo sunt crucis genera, unum corporale, aliud spirituale. Alte-rum
est sublimius, scilicet, regere motus animi. Serm. 196. E. B. app. 3. Circumcisio
cordis in spiritu. Rom. II. 29.
3. Dimisi eos secundum desideria cordis eorum; ibunt in ad inven-tionibus
suis. Ps. lxxx. 13.
4. Animae irreverenti et infrunitae ne tradas me. Eccli. xxiii. 6.
Se vaincre soi-même,
440 HUITIÈME INSTRUCTION.
cipale application à nous vaincre nous-même. « Vince
teipsum : Triomphe de toi-même. » Saint Ignace de Loyola ne
trouvait, pour ainsi dire, rien de plus important à inculquer que
cette maxime. Vaincre l'amour-propre, briser la propre volonté,
tel était en conséquence le sujet ordinaire de ses allocutions
familières : car, disait-il fort bien, sur cent personnes d'oraison,
plus de quatre-vingt-dix échouent par attachement à leur
propre sens. Un seul acte de mortification de la volonté propre
valait à ses yeux bien plus qu'une oraison de plusieurs heures avec
toutes sortes de conso-lations spirituelles. Apprenant qu'un frère
de la Compagnie fuyait la société des autres afin d'éviter
ainsi certaines fautes, le saint l'assura qu'il ga-gnerait bien plus à
faire, dans la vie commune, quelques actes de mortification, qu'à
pratiquer le silence dans une grotte pendant toute une année. «
Ce n'est pas une petite chose, dit l'auteur de l'Imitation, que de renoncer
à soi-même dans les petites choses1. » D'un autre côté,
d'après saint Pierre Damien, « c'est peine perdue de renoncer
à tout et de ne pas renoncer à soi-même2. » De
là cet avertissement donné par saint Bernard à celui
qui veut se dépouiller de tout pour se donner tout à Dieu
: « O vous qui avez résolu de tout quitter, n'oubliez pas
de vous compter vous-même au nombre des choses à quitter3.
» « Car, ajoute-t-il, à moins de vous quitter vous-même,
jamais
1. Non est minimum, in minimis seipsum relinquere. De Imit. l.3.
c. 39.
2. Nihil prodest, sine seipso, caetera reliquisse. Hom. 9.
3. Qui relinquere disponis omnia, te quoque inter relinquenda numerare
memento. Declam. n. 3.
SUR LA MORTIFICATION. 441
vous ne pourrez être le disciple de Jésus-Christ
et le suivre1. » Puisque notre Rédempteur s'est élancé
comme un géant pour parcourir la car-rière2, « en vain,
dit encore saint Bernard, vou-drait-on s'élancer sur ses traces,
impossible de le suivre de près, tant qu'on reste chargé
du poids des passions et des affections terrestres3. »
Mais surtout il faut que nous nous appliquions à vaincre notre
passion dominante. Certaines per-sonnes pratiquent, à la vérité,
beaucoup de mor-tifications, mais elles font peu d'efforts pour vaincre
là passion qui règne le plus en elles : dès lors tout
progrès dans les voies de Dieu leur devient impossible. Celui qui
se laisse dominer par quelque passion désordonnée est en
grand danger de se perdre. Au contraire, celui qui rem-porte la victoire
sur sa passion dominante par-viendra facilement à triompher de toutes
les autres. Une fois l'ennemi le plus puissant abattu, les autres, moins
forts, ne tardent pas à succomber. Plus dans la lutte on doit déployer
de valeur, plus la victoire est précieuse et honorable. Un tel,
par exemple, n'est pas du tout âpre au gain, mais il est jaloux de
sa réputation; un autre ne court pas après les honneurs,
mais il est avide d'or et d'argent. Si le premier n'est pas attentif à
se mor-tifier quand on le méprise, il lui servira fort peu de mépriser
les richesses; et que servira-t-il au
1. Sane, nisi abnegaverit semetipsum, sequi eum (Christum) non potest.
Declam. n. 48.
2. Exsultavit ut gigas ad currendam viam. Ps. xviii. 6.
3. Exsultavit ut gigas ad currendam viam; nec sequi poteras
oneratus. Declam. n. 2.
Et surtout sa
passion dominante.
442 HUITIÈME INSTRUCTION.
Sans
mortification
intérieure, pas
de mortification
extérieure.
second de dédaigner les honneurs, si le désir im-modéré
des richesses continue à le dominer?
Bref, plus on se fait violence pour se vaincre
soi-même, plus on avance, plus on acquiert de nou-
veaux mérites; et, comme le dit Thomas à Kem-
pis, « autant vous vous ferez de violence, autant
vous ferez de progrès1. » Saint Ignace avait un
caractère violent et emporté, mais à force de
vertu,
il devint si doux qu'on lui croyait généralement
un naturel fort placide. Saint François de Sales
était également très irascible, mais il sut si
bien
se faire violence que, sans cesse poursuivi par
l'injure et la calomnie, il donna ces admirables
exemples de patience et de douceur dont sa vie
est pleine.
Sans la mortification intérieure, la mortification extérieure
est presque inutile. « A quoi bon, dit saint Jérôme,
s'exténuer de jeûnes et s'enfler ensuite d'orgueil? s'abstenir
de vin et s'enivrer ensuite de haine2?» L'Apôtre veut qu'on
se dépouille du vieil homme, c'est-à-dire de l'homme plein
d'amour-propre, et qu'on revête l'homme nouveau, c'est-à-dire
Jésus-Christ, lequel, dit-il, ne s'est jamais complu en lui-même3.
Aussi saint Bernard se la-mentait-il sur le misérable état
de certains moines portant à l'extérieur les livrées
de l'humilité, mais ayant encore dans le cœur toutes leurs passions.
« Cet humble habit, disait-il, n'est pas un emblème
1. Tantum proficies, quantum tibi ipsi vim intuleris. De Imit. C. l.
1. c. 25.
2. Quid prodest tenuari abstinentia, si animus intumescit superbia
? Quid vinum non bibere, et odio inebriari ? Ep. ad Celant.
3. Etenim Christus non sibi placuit. Rom. xv. 3.
SUR LA MORTIFICATION. 443
de sainte nouveauté, mais un manteau jeté sur une
corruption invétérée. Ils n'ont pas dépouillé,
mais seulement caché le vieil homme1. » De tous leurs vices
ils n'en ont pas extirpé un seul, mais ils les couvrent tous des
signes extérieurs de la pénitence. Aussi, jeûnes, veilles,
cilices, disciplines, tout cela ne sert pas ou presque pas à celui
qui conserve de l'attachement pour lui-même et se préoccupe
de ses intérêts.
III.
DE QUOI LE PRÊTRE DOIT
SURTOUT SE DÉTACHER.
Pour être tout à Dieu, il faut se détacher par-ticulièrement
des richesses, des honneurs, des parents et surtout de la volonté
propre.
En premier lieu, il faut être détaché des ri-chesses.
« L'or et l'argent, dit saint Bernard, char-gent celui qui les possède,
souillent celui qui les aime, affligent celui qui les perd2. » Le
prêtre doit se rappeler qu'au moment de franchir le seuil du sanctuaire,
il a protesté qu'il ne voulait plus rien posséder hormis
Dieu seul, et il s'est écrié : Le Seigneur est la part de
mon héritage et de mon calice; c'est vous, ô Dieu, qui me
rendrez mon héritage3. « Quelle injure ne fait donc pas à
Dieu, s'écrie saint Pierre Damien, le prêtre qui, après
1. Humilis habitus non sanctae novitatis est meritum, sed priscae vetustatis
operculum. Veterem hominem non exuerunt, sed novo palliant. In Cant. s.
16.
2. Possessa onerant, amata inquinant, amissa cruciant. Epist. 103.
3. Dominus pars hereditatis meae et calicis mei ; tu es qui restitues
hereditatem meam mihi. Ps. xv. 5.
I.
Le prêtre doit
se détacher
des biens de la
terre :
444
HUITIÈME INSTRUCTION.
Sinon, il se damne.
l'avoir choisi pour son partage, brûle encore d'a-masser
une fortune périssable 1 ! » Car il donne bien à entendre
que Dieu ne lui semble pas un assez grand bien pour le contenter. C'est
une vérité d'ex-périence qu'entre tous les avares
il n'y en a guère dont l'avidité égale celle d'un
ecclésiastique pos-sédé par l'amour des richesses;
« et, comme le de-mande saint Bernard, qui donc met plus d'ardeur
que les clercs à courir après les biens de la terre 2 ? »
Combien de prêtres qui ne diraient jamais la messe, n'était
ce misérable honoraire ! Et plût à Dieu que de pareils
prêtres s'en abstinssent toujours ! C'est bien de ceux-là
qu'on doit dire avec saint Augus-tin : « Ils n'amassent pas de l'or
pour le service de Dieu, mais ils servent Dieu pour amasser de l'or3. »
« Quelle honte, s'écrie saint Jérôme, de voir
un prêtre s'occuper de faire fortune4 ! »
Mais laissons de côté la honte d'une telle con-duite,
et voyons seulement à quel danger un prêtre expose son salut
éternel en courant après l'or et l'argent. « Ils sont
grandement en péril de se per-dre, remarque saint Hilaire, les prêtres
qui ont tant de zèle pour amasser de l'argent et augmenter leur
fortune5. » Longtemps auparavant l'Apôtre l'avait déjà
dit, ceux qui veulent devenir riches non seu-lement se trouvent envahis
par une foule de sol-
1. Si igitur Deus portio ejus est, non levem Creatori suo contu-meliam
videtur inferre, qui, super hoc singulare talentum, terrenam aestuat pecuniam
cumulare. Opusc. 27. proaem.
2. Quis, obsecro, avidius clericis quaerit temporalia? S. ad Past.
in Syn.
3. Non nummum propter Deum impendunt, sed Deum propter minimum colunt.
De Civ. D. l. 11. c. 25.
4. Ignominia sacerdotis est studere divitiis. Ep. ad Nepot.
5. Ingenti periculo sunt sacerdotes qui curis pecuniae, et familia-rium
rerum incrementis, occupantur. In Ps. cxxxviii.
SUR I.A MORTIFICATION. 445
licitudes qui les empêchent de faire aucun pro-grès,
mais encore ils tombent dans la tentation, et dans beaucoup de désirs
inutiles et nuisibles qui conduisent les hommes à la ruine et à
la per-dition1. En effet, dans quels excès la soif de l'or n'a-t-elle
pas misérablement jeté certains ecclé-siastiques :
vols, injustices, simonies, sacrilèges, ils ont tout osé!
« La main qui entasse de l'ar-gent, observe saint Ambroise, gaspille
les dons de Dieu 2. » Et saint Paul, assimilant l'avarice au culte
des fausses divinités, appelle l'avare un serviteur des idoles3,
et avec raison, puisque l'avare fait de son argent son Dieu, c'est-à-dire
sa fin dernière.
« Extirpez la soif de l'or, s'écrie saint Jean Chry-sostome,
et vous aurez extirpé tous les crimes 4. » Si donc nous voulons
posséder Dieu, détruisons en nous l'attachement aux biens
de la terre. Saint Philippe de Néri disait : « Qui veut amasser
de l'argent ne parviendra jamais à la sainteté. » Les
vertus, et non pas l'or et l'argent, voilà nos ri-chesses, à
nous qui sommes prêtres ; elles seules feront notre grandeur dans
le ciel, après avoir fait ici-bas notre force contre les ennemis
de notre salut. « Nos richesses, ajoute saint Prosper, ce sont la
chasteté, la piété, l'humilité, la douceur;
seules elles peuvent faire notre gloire en même temps que notre force
; seules, par conséquent,
1. Qui volunt divites fieri, incidunt in tentationem, et in laqueum
diaboli, et desideria multa inutilia et nociva, quae mergunt homines in
interitum et perditionem. I Tim. vi. 9.
2. Qui aurum redigit, gratiam prodigit. Serm. 59.
3. Avarus, quod est idolorum servitus. Ephes. v. 5.
4. Tolle pecuniarum studium, et omnia mala sublata sunt. In I Tim.
hom. 17.
Quelles sont
les richesses du
prêtre.
446
HUITIÈME INSTRUCTION.
Le commerce
rigoureusement
interdit
au prêtre.
elles doivent être l'objet de notre ambition 1. »
Dociles à l'exhortation de l'Apôtre, contentons-nous d'avoir
ce qu'il faut pour soutenir notre vie et ce qu'il faut pour nous couvrir,
puis appli-quons-nous à la seule affaire importante que nous ayons
ici-bas, je veux dire notre sanctification. Oui, dit saint Paul, ayant
la nourriture et le vê-tement, soyons contents2. De quoi servent
les biens de ce monde, puisqu'il faut tout quitter à la mort, et
que durant la vie rien de tout cela ne satisfait notre cœur ? Travaillons
à l'acquisi-tion de ces biens qui nous accompagneront après
la mort pour faire éternellement notre bonheur dans le ciel. Ne
vous amassez point de trésors sur la terre, où la rouille
et les vers rongent... Mais amassez-vous des trésors dans le ciel3.
Aussi le concile de Milan a-t-il dit aux prêtres : « N'amas-sez
pas des trésors terrestres, mais faites-vous, avec les bonnes œuvres
et les âmes, un trésor pour le ciel4. » Les bonnes œuvres
et les âmes sauvées, telles sont les richesses du prêtre.
Voilà pourquoi l'Église défend le commerce aux
ecclésiastiques avec tant de rigueur et sous peine de censuré,
conformément à la règle tracée par l'Apôtre
: Quiconque est enrôlé au service de
1. Divitiae nostrae sunt pudicitia, pietas, humilitas, mansuetudo ;
illae nobis ambiendae sunt, quae nos ornare possint, pariter et munire.
De Vita con., l. 2. c. 13.
2. Habentes autem alimenta, et quibus tegamur, his contenti simus.
I Tim. vi. 8.
3. Nolite thesaurizare vobis thesauros in terra, ubi aerugo et tinea
demolitur... Thesaurizate autem vobis thesauros in cœlo. Matth. vi. 19.
4. Thesaurizate, non thesauros in terra, sed bonorum operum et animarum
in cœlis.
SUR LA MORTIFICATION.
447
Dieu, ne s'embarrasse point dans les affaires du siècle,
et cela pour satisfaire celui à qui il s'est donné1. Puis
donc que le prêtre, par son ordina-tion, appartient à Dieu,
il ne doit plus avoir d'autre occupation que celle de procurer la gloire
de Dieu. Le Seigneur ne voulait pas qu'on lui immolât des animaux
décharnés et sans vigueur. Seigneur, disait David, je vous
offrirai de gras holocaustes2. « Or, d'après saint Pierre
Damien, les sacrifices qu'offre à Dieu un prêtre impliqué
dans les affaires du siècle, messe, office, exercices de piété,
ne sont que des sacrifices décharnés, parce qu'on y trouve
non pas la moelle de la vic-time, c'est-à-dire le recueillement
et la dévotion, mais seulement un squelette sans valeur, c'est-à-dire
l'apparence seule de la piété3.» Quelle misère
de voir un prêtre, qui pourrait sauver les âmes et faire tant
pour la gloire de Dieu, s'occuper d'achats et de ventes, de commerce d'animaux
et de grains, de sociétés mercantiles et de prêts à
intérêt ! « Vous êtes voués à de
grandes choses, leur dit Pierre de Blois : ne vous abaissez donc pas à
des choses de rien 4. » « S'appliquer aux af-faires du siècle,
qu'est-ce, se demande saint Ber-nard, sinon fabriquer des toiles d'araignée
5 ? » De même que l'araignée épuise sa substance
à faire sa toile pour prendre ensuite une mouche,
1. Nemo, militans Deo, implicat se negotiis saecularibus, ut ei pla-cat,
cui se probavit. II Tim. II. 4.
2. Holocausta medullata offeram tibi. Ps. LXV. I5.
3. Quisquis se per negotiorum saecularium exercitia delectabiliter
fundit, holocausti sui medullas cum visceribus subtrahit, et solam victimae
pellem Deo adolere contendit. Opusc. 12. c. 22.
4. Magnis addictus es, noli minimis occupari. De Inst. Episc.
5. Fructus horum quid, nisi aranearum telae ? De Cons. l. 1. c. 2.
Sagesse de cette défense;
448 HUITIÈME INSTRUCTION.
Même
le commerce le
plus juste,
ainsi tel prêtre, en perdant son temps et le fruit de ses
œuvres de piété, s'épuise malheureusement lui-même;
et pourquoi ? pour acquérir un vil métal. Hélas !
il pourrait posséder Dieu lui-même, le souverain Maître
de toutes choses, et voilà qu'il se fatigue et se tourmente pour
une bagatelle. « Eh quoi ! s'écrie saint Bonaventure, faut-il
donc nous dépenser pour le néant, quand il ne tient qu'à
nous de posséder le créateur de l'univers1!»
Mais, dira quelqu'un, je ne fais que des opéra-tions parfaitement
justes : je trafique donc sans blesser ma conscience.
Je réponds : premièrement, tout commerce, si juste
qu'on le suppose, est interdit aux ecclésias-tiques, comme nous
l'avons déjà dit, et par con-séquent, s'ils ne pèchent
pas contre la justice, au moins pèchent-ils contre la loi de l'Église.
Secon-dement, « de même que partout où passe le ruis-seau,
il creuse la terre, ainsi, remarque saint Ber-nard, l'application aux affaires
du monde entame la conscience 2 ; » ce qui veut dire qu'on y com-met
toujours quelque faute. Le moindre mal que cause le bruit de toutes ces
pensées terrestres, dit saint Grégoire, c'est de fermer l'oreille
du cœur et de le rendre sourd à la voix de Dieu 3. » Et pour
tout dire en un mot, avec saint Isidore, « autant on s'embarrasse
des soucis de la terre,
1. Nescio cur nos affligimus circa nihil, cum possidere Creatorem omnium
valeamus! Stim. div. am. p. 2. c. 2.
2. Rivus, qua fluit, cavat terram ; sic discursus temporalium con-scientiam
rodit. De Cons. l. 4. c. 6.
3. Aurem cordis terrenarum cogitationum turba, dum perstrepit, claudit.
Mor. l. 23. c. 20.
SUR LA MORTIFICATION INTERIEURE.
449
autant on se détache de l'amour de Dieu 1. » Sans
doute quelques-uns sont, par charité, tenus de prendre en main les
intérêts de leur famille, mais cela ne s'entend que des cas
de nécessité, et, comme le dit saint Grégoire, «
on doit quelque-fois se laisser, par charité, imposer ces sortes
d'occupations, mais jamais les rechercher par goût 2. » Certains
prêtres se font sans nécessité les intendants de toute
leur famille, ils ne veulent même pas que leurs parents se mêlent
de rien. Mais puisqu'ils voulaient si bien soigner les in-térêts
de leur famille, qu'avaient-ils besoin de se vouer aux autels ?
Le prêtre met également son âme en danger, quand
il accepte quelque emploi dans la maison des grands. « De même,
dit Pierre de Blois, que les justes parviennent au royaume des cieux par
beaucoup de tribulations, ainsi est-ce par beau-coup de tribulations que,
dans le palais des grands, les prêtres gagnent l'enfer3. »
Il est aussi fort dangereux pour un prêtre de remplir les fonctions
d'avocat et, comme tel, de plaider devant les tribunaux. « Le Christ,
disait saint Ambroise, ne fréquente pas le forum4: » Je me
borne à demander quel peut être l'esprit inté-rieur
d'un prêtre transformé en avocat ? Avec quelle dévotion
peut-il réciter son office et célé-brer la messe,
quand les affaires de ses clients
1. Quanto se rerum studiis occupant, tanto a charitate divina se separant.
2. Saecularia negotia aliquando ex compassione toleranda sunt, nunquam
vero ex amore requirenda. Past. p. 2. c. 7.
3. Per multas tribulationes, intrant justi in regnum cœlorum ; hi autem,
per multas tribulationes, promerentur infernum. Epist. 14.
4. Non in foro Christus reperitur. De Virginit. l. 3.
LE PRÊTRE. — T. I. 29
Et tout emploi séculier,
450 HUITIÈME INSTRUCTION.
A plus forte
raison certains jeux.
absorbent toute son attention et l'empêchent de s'élever
à Dieu? Les causes que le prêtre a charge de défendre,
ce sont les causes des pauvres pé-cheurs. Voilà les clients
qu'il doit, par la prédi-cation et la confession, ou du moins par
ses avis et ses prières, délivrer des mains du démon
et de la mort éternelle. Ce ne sont pas seulement les procès
des autres dont il faut que le prêtre évite de se charger,
mais même, autant que possible, ceux qui le concernent personnellement.
Il n'y a pas un procès qui ne devienne une source d'in-quiétudes,
de haines et de péchés. Aussi lisons-nous dans l'Evangile
: A celui qui veut t'appeler en justice pour t'enlever ta tunique, abandonne-lui
encore ton manteau1. On sait bien que c'est là un conseil. Que du
moins ce conseil vous ap-prenne à ne jamais plaider pour des bagatelles.
Sans doute ce procès vous vaudra quelque argent, vous en tirerez
quelque autre avantage, mais au grand détriment de votre âme
et de votre repos. « Sacrifiez quelque chose, dit saint Augustin,
pour jouir de Dieu et échapper aux procès. Perdez votre argent
pour acheter la paix de votre âme2. » Selon saint François
de Sales, plaider sans dé-raisonner serait à peine le privilège
des saints. Aussi saint Jean Chrysostome prononce condam-nation contre
tous les plaideurs. « Vous plaidez, dit-il: cela suffit pour que
je vous condamne3. » Que dire du jeu ? Il est certain, d'après
les
1. Ei qui vult tecum judicio contendere, et tunicam tuam tollere, dimitte
ei et pallium. Matth. v. 40.
2. Perde aliquid, ut Deo vaces, non litibus. Perde uummos, ut emas
tibi quietem. Serm. 167. E. B.
3. Hinc jam te condemno,quod judicio contendas. In I Cor. hom. 16.
SUR LA MORTIFICATION INTERIEURE.
451
canons, que jouer à des jeux de hasard souvent et longtemps,
ou seulement jouer de fortes sommes d'argent, c'est un péché
mortel, tout au moins s'il y a scandale pour le prochain. Quant aux autres
jeux qu'on regarde comme des passe-temps, je ne veux pas entreprendre ici
de décider si, par eux-mêmes, ils sont licites ou illicites,
mais je dis que ces amusements-là ne conviennent certainement pas
à un ministre de Dieu, qui certainement ne trouve pas de temps pour
s'amuser et jouer quand il veut remplir ses obligations envers lui-même
et envers le prochain. Je lis dans saint Jean Chry-sostome : « C'est
le diable qui exploite le jeu pour perdre les âmes1, » et dans
saint Ambroise : « Je suis d'avis qu'on ne doit pas se permettre
les jeux à longue séance, ni même aucun jeu2. »
Assurément, on peut de temps en temps se récréer,
mais sans jamais enfreindre ni son règlement de vie ni les bienséances
ecclésiastiques, et comme le dit en-core saint Ambroise, «
les récréations que vous prenez quelquefois sont certainement
honnêtes, néanmoins je les trouve en désaccord avec
la dignité sacerdotale 3. »
Il faut, en second lieu, que le prêtre se prému-nisse
contre tout attachement aux honneurs d'ici-bas. D'après Pierre de
Blois, « l'ambition n'est rien moins que la ruine des. âmes4.
» En effet
1. Diabolus est qui in artem ludos digessit. In Matth. hom. 6.
2. Non solum profusos, sed omnes etiam jocos declinandos arbitror.
Qffic. l. 1.c. 23.
3. Licet interdum honesta joca sint, tamen ab ecclesiastica abhor-rent
regula.
4. Animarum subversio, cupiditas dignitatum. Epist. 23.
II.
Le prêtre doit se
détacher des honneurs,
452 HUITIÈME INSTRUCTION.
Quel mal fait l'ambition,
avec elle il n'y a plus de vie chrétienne, et tout l'ordre
de l'amour de Dieu se trouve bouleversé. Il est certain, selon la
remarque du même auteur, que l'ambition singe la charité,
et voici comment : « Là charité souffre tout en vue
des biens éter-nels ; l'ambition aussi souffre tout, mais pour les
biens périssables de cette vie. La charité et l'am-bition
sont douces et affables, la première envers les pauvres, la seconde
envers les riches. Ni l'une ni l'autre ne recule devant aucun travail,
la cha-rité pour faire le bon plaisir de Dieu, l'ambition pour se
satisfaire elle-même. La charité croit et espère tout
ce qui concerne la gloire éternelle, l'ambition n'a dé foi
et d'espérance que pour les grandeurs de cette vie1. »
« Oh ! s'écrie saint Augustin, que d'épines se
rencontrent sur la route des ambitieux2! » c'est-à-dire que
d'anxiétés, de critiques, de refus et d'outrages il leur
faut endurer, comme autant d'épines, pour obtenir telle dignité,
tel emploi ! Et quand ils ont réussi, que tiennent-ils, sinon un
peu de fumée dont la possession ne les satisfait pas et que la mort
fait bientôt évanouir? J'ai vu l'impie exalté, élevé
comme les cèdres du Liban : j'ai passé, et voilà qu'il
n'était plus3.
Joignez à cela que ces honneurs deviennent pour l'ambitieux
lui-même un sujet de honte, selon ce que dit la sainte Ecriture :
L'élévation
1. ...Patitur omnia, sed pro caducis,... Benigna est, sed divitibus,...
Omnia suffert pro vanitate,... Omnia credit, omnia sperat, sed quae sunt
ad gloriam hujus vitae. Epist. 14.
2. In honorum cupiditate, quantae spinae! Enarr. in Ps. cii.
3. Vidi impium superexaltatum, et elevatum sicut cedros Libani; et
transivi, et ecce non erat. Ps. xxxvi. 35.
SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
453
des insensés fera leur ignominie 1. Saint Bernard ajoute
que plus une personne, malgré son indi-gnité, s'élève
par-dessus les autres, plus les autres la méprisent. « Car,
dit-il, plus elle est en relief, plus apparaît son infériorité2.
» « Comme si, remarque Cassiodore, sa position, en devenant
plus brillante, ne servait qu'à faire ressortir davan-tage ses défauts
et par conséquent son indignité3. » Ajoutez encore
que les postes éclatants mettent en grand péril notre salut
éternel. Le célèbre père Vincent Carafa faisait
un jour visite à l'un de ses amis malade. Or celui-ci venait d'obtenir
un em-ploi fort lucratif mais fort dangereux, et il sup-pliait le serviteur
de Dieu de prier pour sa gué-rison. Voici quelle réponse
il en reçut : « Dieu me garde, mon cher ami, de trahir l'affection
que je vous porte ! Le Seigneur vous fait une grande grâce, il veut
vous sauver : c'est pourquoi il com-mande à la mort de vous frapper
maintenant que vous vous trouvez en état de paraître devant
lui. Plus tard, il n'en serait peut-être plus ainsi, ce nouvel emploi
ne pouvant manquer de vous oc-casionner mille embarras. » Le malade
ne revint pas à la santé, mais il
mourut tout consolé.
Ce qu'on doit redouter par-dessus tout, ce sont les emplois avec charge
d'âmes. Saint Augustin nous apprend que plusieurs lui enviaient sa
di-gnité épiscopale, mais que lui-même s'en affli-geait
à cause des dangers qu'elle lui faisait courir.
1. Stultorum exaltatio, ignominia. Prov. iii. 35.
2. Eo deformior, qud illustrior. De Cons. l. 2. c. 7.
3. Claras suas maculas reddit. Variar. l. 12. n. 2.
Surtout
au point de vue
du salut.
Combien
les emplois avec
charge d'âmes
sont redoutables
454
HUITIÈME INSTRUCTION.
Particulièrement
pour les ambitieux.
« Ils nous portent envie, dit-il; hélas ! ce qu'ils
prennent pour un bonheur n'est qu'un péril1. » Quand saint
Jean Chrysostome se vit élevé à l'épiscopat,
il fut, comme, lui-même le rapporta dans la suite, saisi de telles
angoisses qu'il sentait en quelque sorte son âme sur le point de
se séparer de son corps ; « car, ajoute-t-il, je me demandais
comment il est possible qu'on se sauve ayant charge d'âmes 2. »
Or, si les saints qu'on force d'accepter les dignités ecclésiastiques
tremblent en pensant au compte qu'ils devront rendre à Dieu, comment
ne tremblent-ils pas, ceux que leur ambition seule pousse à se charger
du soin des âmes ? « Il faut, dit saint Ambroise, que chacun
mesure la charge sur la force de ses épaules : sinon, la charge
périclite, et l'on succombe sous le faix3. » C'est ainsi qu'un
homme chargé d'un trop lourd fardeau, au lieu de le porter, s'en
trouve écrasé.
Celui qui recherche les honneurs ecclésiastiques et ne recule
devant aucun moyen pour les obtenir, celui-là ne les reçoit
pas, il les vole. Ainsi s'ex-prime saint Anselme : « Se pousser soi-même
et rechercher sa propre gloire, ce n'est pas conquérir une dignité,
mais commettre un vol, en s'arrogeant par fraude les dons de Dieu4. »
Ainsi s'exprime
1. Invident nobis; ibi nos felices putant, ubi periclitamur. Serin.
354. E. B.
2. Miror, an fieri possit, ut aliquis ex rectoribus salvus fiat. In
Heb. hom. 34.
3. Mensura oneris pro mensura debet esse gestantis ; alioquin impositi
oneris fit ruina, ubi vectoris infirmitas est. Lib. de Viduis.
4. Qui enim se ingerit, et propriam gloriam quaerit, non sumit honorem,
sed, gratiae Dei rapinam faciens, jus alienum usurpat. In Heb. V. 4.
SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE. 455
également saint Bernard : « Ceux que nous voyons
entrer d'eux-mêmes dans la vigne du Seigneur ne sont pas des ouvriers
mais des voleurs1. » Dieu lui-même l'avait dit longtemps auparavant
par son prophète: Ils ont régné par eux-mêmes,
mais non par moi2. Aussi que devient l'Église à la merci
de pareils ministres? Loin d'être aidée et glorifiée,
elle se voit indignement avilie et souillée. « Oui, s'écrie
saint Léon, au contact des ambi-tieux, le corps de l'Église
perd sa splendeur3. » Prenons donc pour nous ce grand enseignement
de Jésus-Christ : Aie soin de choisir toujours la dernière
place 4. Celui qui est assis par terre ne craint pas de tomber. Nous ne
sommes que cen-dre et poussière: or, dit le Docteur angélique,
« la place de la poussière n'est pas sur les hau-teurs, car
le vent la disperserait5. » Heureux le prêtre qui peut dire
: J'ai choisi d'être le dernier dans la maison de mon Dieu, plutôt
que d'habiter dans les tabernacles des pécheurs6.
Il faut, en troisième lieu, se dépouiller de tout attachement
à ses parents, à sa famille. Si quel-qu'un ne hait pas son
père et sa mère il ne peut être mon disciple7.
1. Quos videmus vineis dominicis se ingerere, fures sunt, non cul-tores.
In Cant. s. 30. 1. Ipsi regnaverunt, et non ex me. Os. viii. 4.
3. Corpus Ecclesiae ambientium contagione fœdatur. Epist. 1.
4. Recumbe in novissimo loco. Luc. xiv. 10.
5. Cineri non expedit ut in alto sit, ne dispergatur a vento. De Erud.
princ. l. 1. c. 1.
6. Elegi abjectus esse in domo Dei mei, magis quam habitare in tabernaculis
pcccatorum. Ps. LXXXIII. 11.
7. Si quis... non odit patrem suum et matrem,... non potest meus esse
discipulus. Luc. xiv. 26.
III.
Le prêtre doit
se détacher de ses parents.
456
HUITIÈME INSTRUCTION.
Avant tout,
les intérêts de
Dieu.
Mais en quoi consiste cette haine pour les au teurs de nos jours?
Elle consiste à ne plus les con-naître, aussitôt qu'ils
s'opposent au bien de notre âme. « Quand les parents, dit un
savant théolo-gien, empêchent le prêtre de vivre conformément
à son état ou qu'ils l'impliquent dans leurs affaires temporelles,
alors commence pour lui l'obliga-tion de les regarder comme les ennemis
de son union avec Dieu, et par conséquent de les haïr et de
les fuir1. » Saint Grégoire avait déjà prononcé
la même sentence : « S'il en est qui entravent notre marche
vers Dieu, renions-les, sachons même les haïr et ne plus les
voir 2. » Et Pierre de Blois : « Nul n'est vraiment prêtre,
s'il ne dit à son père et à sa mère ; Je ne
vous connais pas3. » Saint Ambroise dit également: «
Qu'il commence par rompre avec sa famille, celui qui aspire à servir
Dieu4. » Sans doute il faut honorer ses parents ; « mais, dit
saint Augustin, s'il faut ho-norer son père, il faut avant tout
obéir à Dieu5. » Parlant de ceux qui veulent accomplir
les devoirs de la piété filiale au détriment de l'obéissance
due à Dieu, saint Jérôme déclare que «
cette belle piété envers les parents n'est que de l'impiété
contre Dieu 6. »
1. Si prohibeant ne vitam secundum ecclesiasticae disciplinae nor-mam
instituat, si negotiis saecularibus eum implicent, tunc eos, tan-quam in
via Dei adversarios, odisse et fugere tenetur. ABELLY. Sac. chr. p. 4.
c. 6.
2. Quos adversarios in via Dei patimur, odiendo et fugiendo nes-ciamus.
In Evang. hom. 37.
3. Nec sacerdos eligitur, nisi qui dixerit patri et matri: Nescio vos.
Epist. 102.
4. Suis se abneget, qui servire Deo gestit. De Esau. c. 2.
5. Honorandus est pater, sed obediendum est Deo. Serm. 100. E. B.
6. Grandis in suos pietas, impietas in Deum est. Ep. ad Paulam.
SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
457
Notre Rédempteur est venu sur la terre pour nous séparer
de nos parents, ainsi que lui-même le déclare : Je suis venu
séparer l'homme d'avec son père 1. Pourquoi ? parce que,
dans les choses du salut, nous n'avons pas de plus grands en-nemis que
nos parents, selon cette autre parole de Jésus-Christ : Les ennemis
de l'homme seront les gens de sa propre maison2. « Regardons comme
une tentation de l'enfer, dit en conséquence saint Basile, la pensée
de nous occuper des in-térêts de notre famille, et ne nous
mêlons pas de cela3. » Quelle misère n'est-ce pas de
voir un prêtre, qui pourrait sauver tant d'âmes, mettre toute
son ardeur, par exemple à gérer les affaires des siens, à
diriger le ménage, à courir les étables et les écuries
! « Eh quoi ! s'écrie saint Jérôme, est-ce au
prêtre à négliger le service du Père céleste
pour contenter son père selon la chair4 ?» « Dis-moi,
ajoute le saint, dis-moi, ô soldat lâche et efféminé,
que fais-tu dans la maison paternelle ? Où sont les combats et les
veilles ? Allons donc! Quand même ton père se coucherait en
travers de la porte, passe par-dessus son corps sans même verser
une larme, et cours te ranger sous la ban-nière du Christ. Se montrer
cruel, voilà, dans cette rencontre, toute la piété
filiale5. »
Saint Antoine abbé, ainsi que le rapporte saint
1. Veni enim separare hominem adversus patrem suum. Matth. x. 35.
2. Inimici hominis, domestici ejus. lbid. 36.
3. Fugiamus illorum curam tanquam diabolicam. Const. Mon. c. 21.
4. Propter patrem, militiam Christi deseram ? Ep. ad Heliod.
5. Quid facis in paterna domo, delicate miles? Ubi vallum? ubi fossa
? Licet in limine pater jaceat, per calcatum perge patrem, siccis oculis
ad vexillum Crucis evola. Solum pietatis genus est in hac re, esse crudelem.
Ep. ad Heliod.
Et le salut des âmes.
458
HUITIÈME INSTRUCTION.
Augustin, jetait au feu toutes les lettres qu'il recevait de
ses proches : « Je vous brûle, disait-il, afin que vous ne
me brûliez pas 1. » « Celui qui veut jouir de l'union
avec Dieu, dit saint Grégoire, doit vivre en dehors de sa famille2.
» « Autrement, ajoute Pierre de Blois, l'amour né de
la chair et du sang vous ravira bientôt l'amour de Dieu3. »
Quel moyen de trouver Jésus-Christ au sein de notre famille ? «
O bon Jésus, s'écriait saint Bo-naventure, comment vous trouverais-je
parmi les miens, vous que Marie et Joseph ne trouvèrent pas parmi
vos parents4?» Lorsque la divine Mère, retrouvant Jésus
dans le Temple, lui dit : Mon Fils, pourquoi nous avez-vous fait cela ?
Et vous, répon-dit notre Sauveur,pourquoi me cherchiez-vous? Ne
saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père5
? Ainsi doit répondre le prêtre quand ses parents prétendent
se décharger sur lui du soin de leurs intérêts : «
Je suis prêtre, et je ne puis m'occuper que des choses de Dieu ;
vous qui êtes du monde, occupez-vous des choses du monde. »
C'est le sens de la réponse que fit Notre-Seigneur au jeune homme
de l'Évangile. Le bon Maître lui avait dit : Suis-moi; et
comme le jeune homme demandait la permission d'aller auparavant ense-velir
son père, le Seigneur répondit : Laisse les morts ensevelir
les morts6.
1. Comburo vos, ne comburar a vobis. Ad Fr. in er. s. 40.
2. Extra cognatos quisque debet fieri, si vult Parenti omnium venus
jungi. Mor. l. 7. c. 18.
3. Carnalis amor extra Dei amorem cito te capiet. Epist. 134.
4. Quomodo te, bone Jesu, inter meos cognatos inveniam, qui inter tuos
minime es inventus? Spec. Disc. p. 1. C. 23.
5. Fili, quid fecisti nobis sic ? — Quid est quod me quaerebatis? Nesciebatis
quia, in his quae Patris mei sunt, oportet me esse. Luc. II. 49.
6. Dimitte mortuos sepelire mortuos suos. Matth. viii. 22.
SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
459
Enfin, et par-dessus tout, il faut que le prêtre ne garde
aucun attachement à sa propre volonté. Saint Philippe de
Néri disait, en mettant sa main sur son front : Là est toute
la sainteté, c'est-à-dire dans la mortification de la propre
volonté. « Celui qui mortifie sa propre volonté, dit
Pierre de Blois, offre à Dieu un sacrifice plus agréable
que s'il ressuscitait des morts 1. » Aussi combien de prêtres,
de curés et même d'évêques, qui menaient une
vie fort exemplaire, en même temps qu'ils faisaient beaucoup de bien
aux âmes, voulurent, non contents de cela, se retirer dans un couvent,
afin de vivre sous l'obéissance, regardant, et avec raison, le sacrifice
de la volonté propre comme le plus agréable qu'on puisse
offrir à Dieu. Tous les prêtres n'ont pas la vocation religieuse
; néanmoins celui qui veut entrer dans la voie de la perfection
doit mettre sa volonté sous le joug de l'obéissance. Non
content d'être parfaitement soumis à ses supérieurs
ecclésiastiques, il se choisira un di-recteur. de conscience et
lui obéira non seulement en ce qui concerne ses exercices de piété,
mais encore pour toutes les affaires temporelles un peu plus importantes,
surtout au point de vue de son avancement spirituel.
Ce que nous faisons de notre propre volonté ne compte pas ou
presque pas. Voici qu'au jour de votre jeûne se trouve votre volonté,
dit Isaïe2. « Le grand mal que la volonté propre ! s'écrie
saint Bernard, puisque par elle vos bonnes oeuvres ne
1. Acceptius obsequium homo praestat Deo, suam voluntatem mor-tificans,
quam si mortuos ad vitam revocaret. Sac. an. p. 1. § 5. 2. In die
jejunii vestri, invenitur voluntas vestra. 1s. LVIII. 3.
IV.
Le prêtre doit
se détacher
de la
volonté propre
460
HUITIÈME INSTRUCTION.
Par la vertu d'obéissance.
vous sont plus comptées pour des bonnes œu-vres1. »
Nous n'avons pas de plus terrible ennemi que notre propre volonté.
« Cesse la volonté pro-pre, s'écrie encore saint Bernard,
et aussitôt l'enfer cessera2. » « C'est la propre volonté
qui peuple l'enfer. En effet d'où viennent tous nos péchés,
sinon de cette source empoisonnée? Saint Au-gustin nous apprend
qu'à l'époque de ses égare-ments, la grâce avait
beau le presser, « car, ajoute-t-il en gémissant, je lui résistais,
retenu que j'étais, non pas dans des chaînes étrangères,
mais dans la chaîne de ma propre volonté3. » Telle est
l'op-position faite à Dieu par la propre volonté que, si
Dieu pouvait être anéanti, elle l'anéantirait; et,
comme le dit saint Bernard, « la propre volonté détruit
Dieu, du moins autant qu'elle le peut4. » Il dit encore : «
Quiconque prend pour maître son propre sens, se fait le disciple
d'un sot5. »
Il faut comprendre que tout notre bien dépend de notre union
avec la volonté de Dieu. La vie est dans sa volonté6, dit
le psalmiste. Or Dieu ne nous fait d'ordinaire connaître sa volonté
que par le moyen de nos supérieurs, c'est-à-dire de notre
évêque et de notre directeur. Qui vous écoute, m'écoute,
a-t-il dit lui-même ; il ajoute : Et qui
1. Grande malum, propria voluntas, qua fit ut bona tua tibi bona non
sint. In Cant. s. 71.
2. Cesset voluntas propria, et infernus non erit. In Temp. pasch. s.
3.
3. Ligatus, non ferro alieno, sed mea ferrea voluntate. Conf. l. 8.
c. 5.
4. Quantum in ipsa est, Deum perimit propria voluntas. In Temp. pasch.
c. 3.
5. Qui se sibi magistrum constituit, stulto se discipulum subdit. Epist.
87.
6. Et vita in voluntate eius. Ps. xxix. 6.
SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
461
vous méprise, me méprise1 . Aussi l'Ecriture sainte nous
représente-t-elle la désobéissance comme une sorte
d'idolâtrie. C'est comme un crime d'ido-lâtrie, que de ne pas
vouloir acquiescer aux ordres des supérieurs2. D'un autre côté,
« quand le su-périeur a parlé, nous devons, à
moins qu'il ne s'agisse d'un péché évident, nous tenir
aussi tran-quilles, dit saint Bernard, que si Dieu lui-même avait
parlé3. »
Heureux celui qui, à la mort, peut dire comme le saint abbé
Jean : « Jamais je n'ai fait ma vo-lonté, jamais non plus
je n'ai rien enseigné aux autres que je n'aie pratiqué moi-même4.
» Cas-sien, qui rapporte ce trait, observe que « la mor-tification
de notre volonté propre, c'est la mort de tous nos vices5. »
Le Sage l'avait déjà dit: L'homme obéissant chantera
victoire6. Autre part la sainte Écriture déclare que l'obéissance
l'em-porte sur toutes les victimes 7. Par les aumô-nes, les jeûnes,
les pénitences, nous n'offrons en sacrifice à Dieu qu'une
partie de nous-même; mais nous nous offrons nous-même tout
entier quand nous lui donnons notre volonté en la sou-mettant à
l'obéissance. Alors chacun de nous peut bien dire à Dieu
: Seigneur, après ce sacri-fice il ne me reste plus rien à
vous donner. Alors
1. Qui vos audit, me audit, et qui vos spernit, me spernit. Luc. x.
16.
2. Quasi scelus idololatriae, nolle acquiescere. I Reg. xv. 23.
3. Quidquid, vice Dei, praecipit homo, quod non sit tamen certum displicere
Deo, haud secus omnino accipiendum est, quam si praeci-piat Deus. De Praec.
et Disp. c. 9.
4. Nunquam meam feci voluntatem ; nec quemquam docui, quod prius ipse
non feci. De Cœnob inst. 1. 4. c. 28-43.
5. Mortificatione voluntatum marcescunt universa vitia. lbid.
6. Vir obediens loquetur victoriam. Prov. xxi. 28.
7. Melior est enim obedientia quam victimae. I Reg. xv. 22.
Comment
on triomphe de
soi-même.
462 HUITIÈME INSTRUCTION.
aussi, chacun de nous, après avoir tout offert à Dieu,
peut lui demander n'importe quelle faveur, et certainement il l'obtiendra.
« Oui, disait saint Laurent Justinien, quiconque se donne à
Dieu en lui sacrifiant sa propre volonté, obtiendra de Dieu tout
ce qu'il demandera 1. » Le Seigneur lui-même promet à
son généreux serviteur de l'élever au-dessus de la
terre pour en faire un homme céleste. Si tu t'abstiens de faire
ta volonté, je t'élèverai sur les hauteurs2.
Voici les moyens à prendre pour se vaincre soi-même dans
la lutte contre les passions déré-glées, quelles qu'elles
soient :
1° Prier. Celui qui prie, obtient tout. « A elle seule, la
prière peut tout3, » dit Théodoret. C'est la parole
de Jésus-Christ: Tout ce que vous vou-drez, demandez-le, et il vous
sera accordé4.
2° Se faire violence, bien résolu de persévérer.
Une volonté résolue vient à bout de tout.
3° Faire l'examen de conscience sur sa passion dominante, et, après
une faute, s'imposer une pé-nitence.
40 Ne pas s'abandonner à la multitude de ses vains désirs.
Saint François de Sales disait: « Je veux peu de chose; et
ce que je veux, je le veux fort peu5. »
5° Se mortifier dans les petites choses et même
1. Sicut seipsum Deo tradidit, voluntatem propriam immolando, sic a
Deo, omne quod poposcerit, consequetur. Lign. v. de Obed.c.3.
2. Si averteris... facere voluntatem tuam,... sustollam te super alti-tudines
terrae. Is. LVIII. 13.
3. Oratio, cum sit una, omnia potest. Apud RODRIG, tr. 5. c. 11.
4. Quodcumque volueritis, petetis, et fiet vobis. Jo. xv. 7.
5. Entret. 21.
SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
463
dans les choses permises: ainsi se rend-on ca-pable de se mortifier
dans les grandes occasions. Par exemple, s'abstenir d'une plaisanterie,
résister à un mouvement de curiosité, ne pas cueillir
une fleur, remettre à plus tard la lecture d'une lettre, laisser
une entreprise pour faire un sacrifice à Dieu sans s'inquiéter
du discrédit qui s'ensuivra. De quelle utilité nous sont
maintenant tant de jouissances que nous avons goûtées et tant
de travaux couronnés de succès ? Si nous avions alors pratiqué
la mortification, quel trésor de mérites ne posséderions-nous
pas devant Dieu?
A l'œuvre donc désormais, afin de gagner quel-que chose pour
l'éternité! Pensons que chaque pas nous rapproche de la mort.
Plus nous nous mortifions ici-bas, moins nous souffrirons en purgatoire
et plus nous serons heureux dans le ciel pour toujours. Nous ne sommes
sur la terre qu'en passant, bientôt nous serons dans l'éternité.
Je conclus avec saint Philippe de Néri : insensé qui ne se
sanctifie pas !
NEUVIÈME INSTRUCTION.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
I.
IL FAUT QUE LE PRÊTRE SOIT
UN HOMME MORTIFIÉ.
« Pour mériter d'être le ministre de Dieu
et pour offrir dignement le sacrifice de l'autel, il faut d'abord, dit
saint Grégoire de Nazianze, que, devenu lui-même une hostie
vivante, le prêtre se sacrifie tout entier à Dieu1. »
Saint Ambroise dit également : « A titre de prémices,
ce sacrifice exige que chacun s'offre d'abord soi-même, afin de pou-voir
ensuite présenter son offrande2. » Et le Ré-dempteur
avait déjà dit: Si le grain de froment tombant dans la terre
ne meurt pas, il reste seul; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit3.
Si
Nécessité de
la mortification en général.
1. Nullus Deo et sacrificio dignus est, nisi qui prius se viventem
hostiam exhibuerit. Apolog. 1.
2. Hoc est sacrificium primitivum, quando unusquisque se offert hostiam,
ut postea munus suum possit offerre. De Cain, et Ab. 1.2. cap. 6.
3. Nisi granum frumenti cadens in terram mortuum fuerit, ipsum solum
manet ; si autem mortuum fuerit, multum fructum affert. Jo. xii. 24.
LE PRÊTRE. — T. I.
3o
466 NEUVIEME INSTRUCTION.
donc quelqu'un veut produire des fruits de vie éternelle, qu'il
commence par mourir à lui-même, c'est-à-dire qu'il
cesse de rien vouloir pour sa propre satisfaction, bien plus, qu'il embrasse
vo-lontiers tout ce qui crucifie la chair; et, comme s'exprime saint Grégoire,
« que rien de ce qui flatte la chair ne plaise, et que l'esprit ne
redoute rien de ce qui tue la vie sensuelle1. » « Celui qui
est mort à lui-même, dit Lansperge, doit vivre ici-bas sans
rien voir ni rien entendre, sans per-mettre que rien ne le trouble, sans
jouir de rien que de Dieu seul. »
Celui qui voudra sauver son âme, la perdra2. Quel bonheur de
tout perdre ici-bas, et même la vie, pour suivre Jésus-Christ
et acquérir la vie éternelle! « Oui, s'écrie
saint Hilaire, l'heureuse perte! Fouler aux pieds toutes les choses de
ce monde pour suivre Jésus-Christ et conquérir l'éternité3!
» N'eussions-nous point d'autre rai-son de nous donner tout à
Dieu, il suffirait de savoir que Dieu s'est donné tout entier à
nous. « Donnez-vous, dit saint Bernard, à celui qui, pour
vous sauver, daigna se livrer tout entier4. » Or pour se donner entièrement
à Dieu, il faut mortifier tout désir des choses d'ici-bas.
« Retran-cher à la cupidité, dit saint Augustin, c'est
ajouter à la charité ; ne rien convoiter, voilà la
perfec-
1 Nihil quod caro blanditur, libeat; nihil quod carnalem vitam trucidat,
spiritus perhorrescat. In Evang. hom. 11.
2. Qui enim voluerit animam suam salvam facere, perdet eam.
3. Jactura felix ! contemptu universorum, Christus sequendus est, et
aeternitas comparanda. In Matth. can. 16.
4. Integrum te da illi, quia ille, ut te salvaret, integrum se tradidit.
De Modo bene viv. c. 8.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
467
tion1. » Moins on désire les biens terrestres, plus on
aime Dieu ; et on l'aime parfaitement quand on ne désire plus rien.
Dans l'Instruction précédente, nous avons parlé
de la mortification intérieure ; traitons maintenant de la mortification
extérieure, c'est-à-dire de la mortification des sens. Elle
aussi est nécessaire; car, depuis le péché, nous avons
dans nous-même une ennemie, laquelle n'est autre que notre chair
révoltée contre notre raison, comme l'Apôtre s'en plaignait
à son propre sujet: Je vois dans mes membres une autre loi qui combat
la loi de mon esprit2, et « c'est, dit saint Thomas expliquant ce
texte, la concupiscence de la chair en lutte avec la raison3. »
Il faut bien que nous le sachions, de deux choses l'une : ou l'âme
dominera le corps, ou le corps dominera l'âme. Dieu nous a donné
les sens de notre corps pour que nous en usions non pas selon nos caprices,
mais comme il le veut. De là l'obligation de mortifier nos inclinations
en tout ce qu'elles ont de contraire à la loi de Dieu. Ceux qui
sont au Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises4.
De là aussi cette application de tous les saints à crucifier
leur chair. Saint Pierre d'Alcantara avait pris la résolution
Nécessité
de
la mortification
extérieure
Pour faire
régner Dieu en
nous,
1. Nutrimentum charitatis est imminutio cupiditatis ; perfectio,
nulla cupiditas. De div. quaest. q. 36.
2. Video autem aliam legem in membris meis, repugnantem legi mentis
meae. Rom. vii. 23.
3. Id est concupiscentia carnis, contrarians rationi.
4. Qui autem sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cum vitiis et
concupiscentiis. Gal. v. 24.
468 NEUVIÈME INSTRUCTION.
de ne jamais accorder aucune satisfaction à ses sens, et il
y fut fidèle toute sa vie. Saint Bernard avait tellement maltraité
son corps qu'au moment de mourir il lui en demanda pardon. Sainte Thé-rèse
disait: « C'est une erreur de penser que Dieu veuille admettre dans
son amitié les personnes qui cherchent leurs aises1. » Et
dans un autre endroit : « Quand on aime vraiment Dieu, on ne songe
pas à goûter les douceurs du repos2. » Celui qui ne
renonce pas à contenter son corps doit renoncer à contenter
Dieu, et, comme le dit saint Ambroise, « être d'accord avec
ses sens, c'est rompre avec Dieu3. » Celui qui soumet l'esprit à
la chair est un monstre qui, selon l'expression de saint Augustin, «
au lieu de marcher sur ses pieds, marche sur sa tête4. » «
Je suis trop grand, disait Sénèque, et destiné à
de trop grandes choses, pour me constituer l'esclave de mon corps5. »
Ainsi parlait un philosophe païen. A combien plus forte raison ce
noble langage doit-il être le nôtre, sa-chant par la foi que
nous sommes créés pour jouir éternellement de Dieu.
« Condescendre aux désirs de la chair, dit saint Grégoire,
c'est fortifier notre ennemi6. » Et saint Ambroise, déplorant
le mal-heur de Salomon, observe que « ce prince infor-tuné
eut, à la vérité, la gloire de construire le
1. Chem. de la perf. ch. 19. 1. Fond. ch. 5.
3. Qui non peregrinatur a corpore, peregrinatur a Domino. In Luc. ix.
4. Inversis pedibus ambulat. Ad Fr. in er. s. 5o.
5. Major sum et ad majora genitus, quam ut mancipium sim mei corporis.
Epist. 65:
6. Dum (carni) parcimus, ad praelium hostem
nutrimus. Mor. l. 30. c. 28.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
469
temple de Dieu, mais qu'il eût bien mieux fait de conserver
à Dieu un autre temple, à savoir son corps, dont il contenta
les appétits déréglés, et avec lequel il perdit
non seulement son âme, mais Dieu lui-même1. »
Nous ne devons pas traiter notre corps autre-ment que comme un cheval
fougueux auquel le cavalier ne cesse de tenir la bride haute. Saint Bernard
veut que nous résistions à notre corps comme le médecin
résiste à son malade quand celui-ci demande des choses nuisibles
ou refuse un remède utile. Ce médecin ne serait-il pas cruel,
si, par complaisance, il accordait à son malade un poison mortel
? De même persuadons-nous que contenter la chair et ses désirs,
ce n'est pas de la charité, mais la plus grande cruauté que
nous puissions commettre contre nous-mêmes; en effet, pour procurer
à notre corps une satisfaction d'un instant, nous condamnons notre
âme à souffrir éternellement. « Cette charité-là
n'est que la ruine de la charité, s'écrie saint Bernard,
et elle est pleine de cruauté, cette miséricorde qui flatte
le corps pour étrangler l'âme 2. » Bref, nous devons
réformer notre palais et changer notre goût, au point de réaliser
cette parole de Notre-Seigneur à saint François : «
Si tu veux jouir de moi, que les choses amères te deviennent douces,
et que les choses douces te soient amères. »
1. Salomon templum Deo condidit; sed utinam corporis sui tem-plum ipse
servasset! Apol. David. 1. 2.
2. Ista charitas destruit charitatem; talis misericordia crudelitate
plena est, qua ita corpori servitur, ut anima juguletur. Apol. ad Guill.
c. 8.
Et pour faire
régner notre âme.
Avantages
de
la mortification.
47° NEUVIÈME INSTRUCTION.
Notons ici les avantages de la mortification extérieure.
1° Par elle nous acquittons la dette qu'il nous reste à
payer après la rémission de nos péchés, et
cela en endurant des peines infiniment plus lé-gères que
celles de l'autre vie. Saint Antonin rap-porte qu'un ange offrit à
un malade ou bien de le conduire pour trois jours en purgatoire ou bien
de le laisser encore pendant deux ans sur son lit de souffrances. Le malade
choisit les trois jours de purgatoire. Or il y fut à peine d'une
heure que déjà il se plaignit de souffrir non pas depuis
trois jours, mais depuis plusieurs années. « Que dis-tu, répondit
l'ange, et que me parles-tu d'années, quand ton cadavre est encore
chaud sur ton lit de mort ?» — « Veux-tu échapper au
châtiment? demande saint Jean Chrysostome : eh bien, sois ton propre
juge, condamne-toi et ne t'épargne pas 1. »
2° Grâce à la mortification, l'âme brise une
à une ses attaches terrestres et se trouve en état de prendre
son essor pour s'unir avec Dieu. « Tant que la chair n'est pas mortifiée
et soumise, disait saint François de Sales, jamais l'âme ne
pourra s'élever vers Dieu. » « L'esprit, dit également
saint Jérôme, ne s'envole vers les choses célestes
que sur les ailes de la mortification des sens2. »
3° La pénitence nous fait acquérir des biens éternels,
comme saint Pierre d'Alcantara l'apprit à sainte Thérèse
quand il vint du ciel lui dire : « Heureuse pénitence qui
me vaut maintenant une
1. Non vis castigari; sis judex tui ipsius, te reprehende et corrige.
2. Anima in cœlestia non surgit, nisi mortificatione membrorum.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
471
si grande gloire 1 ! » Aussi, comme les saints étaient
attentifs à se mortifier sans cesse et le plus pos-sible ! Saint
François de Borgia disait qu'il serait mort de douleur le jour où
il n'aurait pas fait souffrir quelque chose à son corps. Une vie
de mollesse et de plaisir ne saurait être une vie chrétienne.
II.
QUELLES MORTIFICATIONS LE
PRETRE DOIT PRATIQUER.
Si nous n'avons pas le courage de soumettre notre corps à de
grandes austérités, sachons du moins, en esprit de mortification,
endurer avec patience toutes ces petites incommodités dont la vie
est semée ici-bas, par exemple un désagré-ment, une
insomnie, l'odeur désagréable des ma-lades que nous allons
visiter, des prisonniers et des gens de basse condition qu'il faut confesser.
A tout le moins faisons de temps en temps le sacrifice de quelque plaisir
permis. « On en vient vite, dit Clément d'Alexandrie, à
faire ce qui n'est pas permis, quand on fait tout ce qui est permis; et
il ne se peut guère qu'en courant après toutes les jouissances
licites, on reste longtemps sans courir après celles qui sont défendues2.
» Un grand serviteur de Dieu, le père Vincent Carafa de la
compagnie de Jésus, disait: « Dieu ne nous a pas donné
les joies de ce monde seulement afin que nous les goûtions, mais
encore afin que nous
1. O felix pœnitentia, quae tantam mihi promeruit gloriam! 2. Cito
adducuntur, ut ea faciant quae non licent, qui faciunt omnia quae licent.
Paedag. 1. 2. c. 1.
Mortifications
toujours possibles à tous.
472 NEUVIÈME INSTRUCTION.
I.
Mortification de la vue :
ayons l'occasion de lui témoigner notre recon-naissance
en lui faisant hommage de ses propres dons. Or nous le faisons quand nous
y renonçons pour son amour. » Alors aussi, selon la remarque
de saint Grégoire 1, en nous abstenant des plaisirs permis, il nous
devient d'autant plus facile d'é-chapper à tout mauvais plaisir.
Mais parlons des mortifications que nous pou-vons imposer à
chacun de nos sens en particulier, et surtout aux yeux, à la bouche
et aux mains.
Il faut d'abord pratiquer la mortification des yeux. « Par les
yeux, dit saint Bernard, pénètre dans notre âme la
flèche de l'amour coupable 2. » Si les âmes chastes
reçoivent des blessures par-fois mortelles, c'est par ces deux portes-là
que les premières flèches ont passé. Mes yeux, dit
Jéré-mie, ont mis mon âme au pillage3. Les mauvaises
pensées ne suivent pas d'autre route pour entrer dans l'esprit.
« Ce qu'on ne voit pas, disait saint François de Sales, on
ne le désire pas. » Aussi le démon a-t-il pour tactique
de faire d'abord re-garder, puis désirer, enfin consentir. Avec
Notre-Seigneur lui-même il n'a pas agi autrement. Il commença
par lui montrer tous les royaumes du monde4, puis, pour le tenter, il se
mit à lui dire : Je vous donnerai toutes ces choses, si, vous pros-ternant,
vous m'adorez5. L'esprit malin ne put
1. Dial. l. 4. c. 11.
2. Per oculos intrat ad mentem sagitta amoris. De Modo bene viv. s.
23.
3. Oculus meus depraedatus est animam meam. Thren. iii. 51.
4. Ostendit ei omnia regna mundi. Matth. iv. 8.
5. Haec omnia tibi dabo, si cadens adoraveris me. Matth. iv. 9.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
473
rien obtenir de Jésus-Christ. Mais sa tactique avait parfaitement
réussi sur Eve. En effet elle vit que le fruit de l'arbre était
bon à manger, beau à voir, et d'un aspect qui excitait le
désir : elle en prit et mangea 1.
Tertullien dit que « parfois à de simples coups d'œil
succèdent les plus grandes iniquités2. » Et saint Jérôme
compare les yeux à « des crochets dont les démons,
ces ravisseurs des âmes, se ser-vent pour entraîner de force
dans le péché3. » Si donc on ne veut pas que les ennemis
entrent dans la place, il faut en tenir les portes fermées. L'abbé
Pasteur, rien que pour avoir levé les yeux sur une femme, fut, pendant
quarante années, assailli de mauvaises pensées. Pareillement
saint Benoît se vit, jusque dans son désert, tourmenté
par le souvenir d'une personne qu'un jour, bien avant de se faire moine,
il avait imprudemment regardée : il ne triompha de la tentation
et n'obtint la paix qu'après s'être roulé au milieu
des épines. — Saint Jérôme, retiré dans sa grotte
de Bethléem, fut longtemps obsédé de pensées
mauvaises au sou-venir des dames romaines qu'il avait autrefois connues.
Grâce à leurs prières et leurs péni-tences,
grâce surtout au secours de Dieu, ces saints remportèrent
la victoire; mais combien d'hommes que leurs yeux ont misérablement
fait tomber ! Ainsi tomba David, ainsi tomba Salo-mon. Bien lamentable
aussi est le fait que saint
1. Vidit igitur mulier quod bonum esset lignum ad vescendum, et pulchrum
oculis, aspectuque delectabile; et tulit de fructu illius, et comedit.
Gen. iii. 6.
2. Exordia sunt maximarum iniquitatum.
3. Oculi, quasi quidam raptores ad culpam. In Thren. iii.
Nécessaire à tous,
474 NEUVIÈME INSTRUCTION.
Augustin rapporte de son ami Alypius. Celui-ci s'était un jour
rendu au théâtre en se promettant de ne rien regarder. «
Je saurai bien, disait-il, rester étranger à tout cela 1.
» Mais survint la ten-tation de regarder : dès lors non seulement
il tomba dans le péché, mais il y fit tomber encore les autres,
et, comme s'exprime le saint, « Alypius ouvrit les yeux, applaudit,
s'enflamma, et sortit du théâtre avec la folie dans le cœur2.
»
Sénèque avait donc raison de regarder « la cé-cité
comme une partie nécessaire de l'innocence3, » attendu que,
pour échapper à toute souillure, un excellent moyen c'est
de ne rien voir. Seulement il ne nous serait pas permis, à nous
chrétiens, d'arracher nos yeux pour ne plus rien voir : cette salutaire
cécité, nous ne l'obtiendrons qu'en fer-mant nos yeux et
en les empêchant de s'arrêter sur n'importe quel objet dangereux.
Celui qui ferme ses yeux afin de ne pas voir le mal, celui-là, dit
le prophète, habitera dans les cieux4. Aussi le saint homme Job
avait-il fait ce pacte avec ses yeux de ne jamais regarder une femme, afin
de n'avoir pas ensuite à lutter avec de mauvaises pensées.
J'ai fait un pacte avec mes yeux pour ne pas même penser à
une vierge5 .Saint Louis de Gon-zague n'osait pas même lever les
yeux sur sa mère. Et saint Pierre d'Alcantara s'abstenait de regarder
1. Adero absens. Conf. l. 6. c. 8.
2. Spectavit, clamavit, exarsit; abstulit inde secum insaniam. Ibid.
3. Pars innocentiae, caecitas. De Remed. fort.
4. Qui... claudit oculos ne videat malum, iste in excelsis habitabit.
Is. xxxiii. 15.
5. Pepigi fœdus cum oculis meis, ut ne cogitarem quidem de vir-gine.
Job. xxxi. 1.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
475
même ses confrères, tellement qu'il ne les con-naissait
pas de vue, mais seulement à la voix.
« Les prêtres du Seigneur, dit le concile de Tours, doivent
soigneusement s'interdire de voir et d'entendre tout ce qui pourrait leur
devenir une occasion dangereuse 1. » Cette admonition regarde tout
particulièrement les prêtres séculiers, obligés
si souvent de traverser les rues et les places et de se présenter
chez les laïques. Pour peu qu'ils laissent leurs yeux s'arrêter
sur les objets qui se rencontrent, ils auront bien de la peine à
rester chastes. De là cet avertissement du Saint-Esprit : Détourne
ton regard d'une femme parée : beau-coup ont péri à
cause de la beauté d'une femme2. « Si, par hasard, dit saint
Augustin, il nous arrive de voir quelque personne du sexe, au moins ayons
soin de ne pas la regarder3. » Il faut en consé-quence ne
jamais paraître dans les bals, comédies profanes, et autres
réunions mondaines compo-sées d'hommes et de femmes. Que
si nous sommes parfois contraints de nous trouver avec des per-sonnes du
sexe, il faut alors que nous apportions un soin tout particulier à
garder la modestie des yeux. Un jour que le père Alvarez assistait
à la dégradation publique d'un prêtre, il prit une
image de la sainte Vierge, et, la tenant en mains, il y fixa ses yeux pendant
plusieurs heures et aussi long-
1. Ab omnibus quaecumque ad aurium et ad oculorum pertinent illecebras,
Dei sacerdotes abstinere debent. Anno 813. can. 7.
3. Averte faciem tuam a muliere compta, et ne circumspicias spe-ciem
alienam; propter speciem mulieris, multi perierunt. Eccli. ix. 8.
3. Oculi vestri, etsi jaciuntur in aliquam, figantur in nullam. Reg.
ad serv. D. n. 6.
Et surtout aux prêtres.
476 NEUVIÈME INSTRUCTION.
temps que dura la triste cérémonie. C'était pour
ne point porter ses regards sur quelqu'une des femmes qui se trouvaient
là en grand nombre. Dès notre prière du matin, disons
au Seigneur avec David : Détournez mes yeux, afin qu'ils ne voient
pas la vanité1.
Oh ! qu'il est avantageux pour nous-même et édifiant pour
le prochain que nous tenions les yeux baissés ! On connaît
ce fait de la Vie de saint François d'Assise, lequel, s'adressant
un jour à l'un de ses compagnons, lui dit : Mon frère, allons
prêcher. Ils sortent donc du couvent et s'en vont par les rues et
les carrefours, les yeux modeste-ment baissés, puis ils rentrent.
Et votre sermon ? dit le compagnon. C'est fait, répond le saint,
car il consistait dans la modestie des yeux dont nous venons de donner
l'exemple au peuple. Un au-teur observe que si les évangélistes,
dans certaines circonstances, nous montrent Jésus-Christ qui lève
les yeux pour regarder : Il leva les yeux sur ses disciples2, dit saint
Luc, et saint Jean: Lors-que Jésus eut levé les yeux3 ; c'est
afin de nous apprendre que d'ordinaire il les tenait baissés. Aussi
saint Paul, écrivant aux Corinthiens, exalte la modestie de Jésus-Christ:
Je vous conjure par la mansuétude et la modestie du Christ 4. «
Il faut, dit saint Basile, tenir nos yeux baissés vers la terre
et notre âme élevée dans le ciel5. » «
Le visage est
1. Averte oculos meos, ne videant vanitatem. Ps. cxviii. 37.
2. Elevatis oculis in discipulos suos. Luc. vi. 20.
3. Cum sublevasset ergo oculos Jesus. Jo. vi. 5.
4. Obsecro vos per mansuetudinem et modestiam Christi. II Cor. x. 1.
5. Oportet oculos habere ad terram dejectos, animam vero ad cœlum erectam.
Serm. de Ascensi.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
477
le miroir de l'âme, dit saint Jérôme, et dans
la modestie des yeux se reflète la pureté du cœur1. »
« Comme aussi, remarque saint Augustin, l'im-modestie des yeux trahit
les vices du cœur2. »
Il n'y a pas jusqu'aux mouvements du corps, ajoute de son côté
saint Ambroise, qui ne soient un indice du bon ou du mauvais état
de l'âme : « Tel se montre le corps, telle se montre l'âme
3. » A ce sujet le saint rapporte qu'il conçut un jour de
graves soupçons sur deux hommes, rien que pour les avoir vus marcher
sans retenue. L'évè-nement lui donna raison, car l'on découvrit
que l'un des deux était un impie, et l'autre un héréti-que.
" Dans les personnes consacrées à Dieu, dit saint Jérôme,
actions, paroles, tenue, tout en un mot sert de leçon aux séculiers
4. » Aussi lisons-nous dans le concile de Trente : « Les clercs
doi-vent si bien régler leur vie et leur conduite, que toute leur
personne, tenue, actions, démarche, porte le cachet de la gravité
et de la religion5 ; » et dans saint Jean Chrysostome : « L'âme
du prêtre doit rayonner au dehors, de façon à bril-ler
comme une lumière devant tous ceux qui le rencontrent6. »
Ainsi donc, il faut que le prêtre
1. Speculum mentis est facies, et taciti oculi cordis fatentur arcana.
Ep. ad Furiam.
a. Impudicus oculus impudici cordis est nuntius. Reg. ad serv. D. n.
6.
3. Vox quaedam est animi, corporis motus. Qffic. 1.1. c. 18.
4. Quorum habitus, sermo, vultus, incessus, doctrina virtutum est.
Ep. ad Rusticum.
5. Sic decet omnino clericos vitam moresque suos componere, ut habitu,
gestu, incessu, nihil nisi grave, ac religione plenum prae se ferant. Sess.
22 de Ref. c. 1.
6. Sacerdotis animum splendescere oportet, ut illustrare possit, qui
oculos in eum conjiciunt. De Sacerd. 1. 3.
Modestie en tout :
478 NEUVIÈME INSTRUCTION.
Dans son langage,
donne l'exemple de la modestie à tous et en toutes choses
: modestie dans les regards, modes-tie dans la démarche, modestie
dans les paroles, notamment en parlant peu et comme il convient à
son état.
Parler peu. Celui qui parle beaucoup avec les hommes montre qu'il ne
s'entretient guère avec Dieu. Les âmes d'oraison ne se répandent
pas en paroles. Quand on ouvre la bouche d'un four, la chaleur s'en échappe.
« L'âme profite dans le si-lence1, » dit Thomas à
Kempis; et saint Pierre Damien : « Le silence est le gardien de la
jus-tice 2. » Bien auparavant le prophète avait dit : Dans
le silence et l'espérance sera votre force 3. La force réside
dans le silence, parce que, en parlant beaucoup, on commet toujours quelque
faute, selon cet oracle divin : Dans une multitude de paroles le péché
ne fera pas défaut 4.
Parler comme il convient. « Votre bouche est la bouche du Christ,
dit saint Anselme: il faut donc lui interdire, non seulement les calomnies
et les mensonges, mais encore toute parole inutile5. » Celui qui
aime son Dieu en vient toujours à parler de Dieu. En effet, du moment
qu'on aime une personne, il semble qu'on ne puisse plus parler d'aucune
autre. « Souviens-toi, dit l'abbé Gilbert, que ta bouche est
consacrée aux célestes oracles,
1. In silentio proficit anima. De Imit. l. 1. c. 20.
2. Custos justitiae, silentium. Epist. l. 7. ep. 6.
3. In silentio et in spe erit fortitudo vestra. Is. xxx. 15.
4. In multiloquio non deerit peccatum. Prov. x. 19.
5. Os tuum, os Christi; non debes, non dico, ad detractiones, ad mendacia,
sed nec ad otiosos sermones os aperire. Medit. 1. § 5.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
479
et s'il en sortait une syllabe qui ne fût pas divine, accuse-toi
de sacrilège1. » C'est également man-quer à
la modestie que de parler d'un ton trop élevé. « Que
la modestie, dit à ce propos saint Ambroise, modère si bien
le son de ta voix, que personne n'ait jamais l'oreille agacée par
des pa-roles trop bruyantes2 ! » La modestie exige encore qu'on s'abstienne
non seulement de proférer, mais même d'écouter des
paroles immodestes. Entoure tes oreilles d'une haie d'épines, et
n'écoute pas la langue méchante3.
Non moins modeste doit être le prêtre dans la manière
de se vêtir. Quelques-uns se couvrent de vêtements magnifiques,
mais c'est aux dépens de la modestie intérieure. «
Pour parer ton corps, dit saint Augustin, tu dépouilles ton âme4.
» Manteau de soie, habit court, boutons d'argent aux poignets, boucles
d'argent sur les souliers, parements de grand prix, autant de signes qu'il
y a peu de vertu dans l'âme. « Écoutez, dit saint Bernard,
les pauvres qui crient : Cet argent que vous gaspillez nous appartient
; ce que vous accordez à vos vanités, vous le refusez à
notre misère5. »
On trouve dans les ordonnances du second
1. Memento os tuum cœlestibus oraculis consecratum ; sacrilegium puta,
si quid non divinum sonet. In Cant. s. 18.
2. Vocis sonum libret modestia, ne cujusquam offendat aurem vox
fortior. Offic. l. 1. c. 18.
3. Sepi aures tuas spinis, linguam nequarn noli audire. Eccl. xxviii.28.
4. Ut foris vestiaris, intus exspoliaris. Serm. 60. E. B.
5. Clamant nudi et dicunt: Nostrum est, quod effunditis; nostris necessitatibus
detrahitur, quidquid accedit vanitatibus vestris. De Mor. et Off. Ep. c.
2.
Dans
la manière de
se vêtir,
480 NEUVIÈME INSTRUCTION.
Dans tout son extérieur.
concile de Nicée le décret suivant : « Le
prêtre ne doit porter que des habits simples et modestes; tout ce
qui dépasse l'utile, tout ce qui sent le luxe et la vanité
doit lui être imputé à crime 1. »
On doit également observer la modestie dans sa chevelure. Le
pape Martin exclut de toute fonc-tion dans l'Église les clercs qui
n'auraient pas « les cheveux coupés, de manière à
laisser les oreilles à découvert2. » Quel jugement
porterons-nous sur ceux que Clément d'Alexandrie nous montre tellement
épris de leur chevelure « qu'ils permettent à peine
aux ciseaux de la toucher et d'en emporter quelques boucles3? » «
Quelle honte pour un ecclésiastique, dit saint Cyprien, de se montrer
avec une chevelure semblable à celle des femmes et de ne plus vouloir
en quelque sorte paraître un homme4! » Déjà l'Apôtre,
en écrivant aux fidèles de Corinthe, avait signalé
l'entretien de la chevelure comme une gloire pour la femme, mais comme
une honte pour l'homme. Si un homme soigne ses cheveux, n'est-ce pas une
igno-minie pour lui5 ? Or l'Apôtre en cet endroit parle même
des laïques : par conséquent quelle idée se fera-t-on
d'un prêtre à la chevelure artistement arrangée, frisée,
voire même poudrée ?
« Il ne faut pas, disait Minutius Félix, que, nous autres
ecclésiastiques, on nous distingue des
1. Virum sacerdotalem cum moderato indumento versari debere ; et quidquid,
non propter usum, sed ostentatorium ornatum, assumi-tur, in nequitiae reprehensionem
incurrere. Can. 16.
2. Nisi attonso capite, patentibus auribus.
3. Illiberali tonsu se tondentes. Paedag. l.3. c. 3.
4. Capillis muliebribus se in feminas transfigurant ! De Jeg. et Tent.
Christi.
5. Vir quidem, si comam nutriat, ignominia est illi. I Cor. xi. 14
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
481
séculiers par la richesse de nos habits, mais bien par l'éclat
de notre modestie1. » Saint Ambroise veut également que, «
grâce à la tenue et à la conduite du prêtre,
tout le monde, en le voyant ainsi orné de vertus, conçoive
le plus grand res-pect pour le Dieu dont il est le ministre2. » Quant
au prêtre en qui la modestie fait défaut, il n'est bon
qu'à éteindre dans les cœurs le respect envers Dieu.
Parlons, en second lieu, de la mortification du goût. Le père
Rogacci enseigne dans son Unique nécessaire que la mortification
extérieure consiste presque tout entière dans la mortification
de la bouche. D'après saint André Avellin, celui qui veut
tendre à la perfection doit commencer par se mortifier dans le boire
et le manger. Et saint Philippe de Néri3, trouvant dans un de ses
péni-tents peu de ferveur pour la mortification de la bouche, lui
dit: « Mon fils, si vous ne vous y met-tez pas, jamais vous ne serez
saint. » Aussi saint Léon, attestant que telle fut la pratique
de tous les saints, s'écrie : « Tous signalèrent par
des jeûnes fréquents leurs premiers pas dans la carrière
chré-tienne 4. » Tous en effet nous apparaissent pleins d'ardeur
pour les jeûnes et les abstinences. Saint François Xavier
ne mangeait qu'un peu de riz
1. Nos, non notaculo corporis, sed innocentiae ac modestiae signo,
facile dignoscimus. Octav. c. 9.
2. Decet actuum nostrorum esse publicam aestimationem, ut, qui videt
ministrum altaris congruis ornatum virtutibus, Dominum vene-retur, qui
tales servulos habeat. Offic. l. 1. c. 50.
3. BACCI. 1. 2. ch. 14.
4. Tyrocinium militiae christianae sanctis jejuniis inchoarunt. De
Jeg. Pent. s. 1.
LE PRÊTRE. — T. I. 3l
II.
Mortification du goût :
Nécessaire à tous,
Surtout aux prêtres,
482 NEUVIÈME INSTRUCTION.
grillé. Saint François Régis se contentait d'un
peu de farine cuite à l'eau. Saint François de Borgia, alors
qu'il était encore dans le siècle et vice-roi de Catalogne,
ne mangeait que du pain et des herbes. Une écuelle de potage faisait
tout le repas de saint Pierre d'Alcantara.
Il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger, disait saint
François de Sales. Cer-taines gens ne semblent exister que pour
manger et boire, faisant leur dieu de leur ventre, comme dit l'Apôtre
: Ennemis de la croix du Christ, leur fin sera la perdition, et ils ont
pour dieu leur ventre 1. D'après Tertullien, « la gourman-dise
donne la mort ou tout au moins fait le plus grand mal à toutes les
vertus 2. » Un seul péché de gourmandise entraîna
la ruine du monde : pour avoir mangé une pomme, Adam se donna la
mort ainsi qu'au genre humain tout entier.
Mais c'est le prêtre surtout qui doit pratiquer la mortification
du goût, à cause de son vœu de chasteté. « Car,
dit saint Bonaventure, l'impureté se nourrit de l'intempérance3.
» Et saint Augus-tin: « Quand l'âme est écrasée
sous le poids de la nourriture, l'esprit sommeille, et la terre de notre
corps ne tarde pas à se couvrir des épines de la luxure4.
» Aussi nous lisons dans un des canons apostoliques : « Que
l'on dépose les prêtres
1. Inimicos crucis Christi, quorum finis interitus, quorum Deus venter
est. Phil. iii. 18.
2. Omnem disciplinam victus aut occidit aut vulnerat. De Jejunio.
3. Luxuria nutritur a ventris ingluvie. De Prof. rel. 1. 2. c. 52.
4. Si ciborum nimietate anima obruatur, illico mens torpescit, et corporis
nostri terra spinas libidinum germinabit. Serm. 141. E. B. app.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
483
adonnés à la bonne chère 1. » Le Sage
a dit : Ce-lui qui dès l'enfance habitue son esclave à vivre
délicatement le verra tôt ou tard s'insurger con-tre ses ordres
2. A quoi saint Augustin ajoute : « Gardons-nous de fournir des armes
à notre corps, de crainte qu'il ne les tourne contre notre âme3.
» Pallade rapporte de saint Macaire d'A-lexandrie, si célèbre
par ses grandes austérités, qu'un frère demandant
pourquoi il maltraitait ainsi son corps, il répondit : « Je
tourmente celui qui me tourmente 4 » Tel était aussi le langage
et la conduite de saint Paul: Je châtie mon corps, et je le réduis
en servitude5. Quand la chair n'est pas mortifiée, elle n'obéit
que difficilement à la raison. Par contre, « quand le démon
se voit vaincu du côté de la gourmandise, il se garde bien,
dit saint Thomas, de venir avec des tenta-tions d'impureté6. »
« Et même, ajoute Corneille de la Pierre, une fois la victoire
obtenue sur le vice de la gourmandise, on vient facilement à bout
de tous les autres7. » « Malheureusement, remarque Louis de
Blois, la plupart des per-sonnes triomphent plus aisément de tous
les autres vices que du vice de la gourmandise8. »
1. Sacerdotes qui intemperanter ingurgitant, deponendi sunt.
2. Qui delicate a pueritia nutrit servum suum, postea sentiet eum contumacem.
Prov. xxix. 21.
3. Ne praebeamus vires corpori, ne committat bellum adversus spi-ritum;
De Sal. docum. c. 35.
4. Vexo eum qui vexat me. Vit. S. M. c. 7.
5. Castigo corpus meum, et in servitutem redigo. I Cor. ix. 27.
6. Diabolus, victus de gula, non tentat de libidine.
7. Gula debellata, christianus facilius caetera vitia profligabit.
In I Cor. ix. 27.
8. Ingluvies a plerisque superari difficilius solet, quam caetera vitia.
Enchir. parv. l. 1. doc. 11.
Pour qu'ils soient chastes.
Quatre règles pratiques.
484 NEUVIÈME INSTRUCTION.
Mais, dira-t-on, si Dieu a créé ces aliments, c'est bien
pour que nous en jouissions ! — Je ré-ponds: Dieu a créé
ces aliments afin que nous nous en servions pour entretenir notre vie,
et non pas pour commettre des intempérances. Quant à certains
mets délicieux, sans lesquels nous pou-vons bien nous conserver
la vie, Dieu les a créés afin que de temps en temps au moins
nous y re-noncions par esprit de mortification. La pomme que Dieu défendit
à Adam de manger, Dieu l'a-vait créée pour qu'Adam
s'en privât. Sachons du moins, en faisant usage de ces choses, observer
la tempérance.
Or, pour observer la tempérance, il faut, d'après saint
Bonaventure, que nous évitions quatre dé-fauts qui sont:
manger en dehors des repas, manger avec avidité, manger au delà
du néces-saire, manger des choses trop délicates. Voici les
propres paroles de saint Bonaventure: « Gardez-vous de manger : 1°
avant l'heure déterminée ou plus souvent qu'il ne convient,
hormis le cas de nécessité, sous peine d'agir comme les animaux;
2° avec avidité, à la manière des chiens affamés;
3° avec excès, pour contenter votre sensualité; 40 avec
recherche de ce qu'il y a de meilleur1. » Quelle honte n'est-ce pas
de voir un prêtre se mettre fréquemment en quête de
tels et tels mets, préparés de telle et telle
manière; et s'ils ne
1. 1. Ante debitum tempus, vel saepius quam deceat, comedere, prae-ter
necessitatem, more pecudum. 2. Cum nimia aviditate, sicut canes famelici.
3.Nimis se implere, ex delectatione. 4. Nimis exquisita quae-rere. De Prof.
rel. l. 1. c. 36.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
485
répondent pas entièrement aux exigences de sa sensualité,
domestiques, parents, tout le monde en porte la peine. Les bons prêtres
se contentent de ce qu'on leur présente.
Attention encore à cette remarque de saint Jé-rôme
: « Le clerc ne peut guère échapper au mé-pris,
quand il accepte de fréquentes invitations à dîner1.
» Aussi les prêtres animés de l'esprit de Dieu savent-ils
échapper à ces repas, où d'ordi-naire s'observent
fort peu la modestie et la tem-pérance. « D'ailleurs, ajoute
saint Jérôme, les gens du monde aiment bien mieux jouir de
nos consolations dans leurs peines, que de notre pré-sence à
leurs banquets2. »
En troisième lieu, il faut, relativement au sens du toucher,
s'abstenir d'abord de toute familiarité avec les personnes du sexe,
fussent-elles nos pa-rentes. — Ce sont mes sœurs, mes nièces ! —
Oui, mais ce sont des femmes. — Les confesseurs pru-dents ont même
la sagesse de ne pas souffrir qu'au-cune pénitente leur baise la
main. Il faut encore que le prêtre se conduise envers lui-même
avec la plus grande réserve et modestie, car nous som-mes pour nous-même
un péril permanent. Que chacun de vous, dit l'Apôtre, sache
posséder son corps avec honneur et sainteté, et non dans
la pas-sion de la convoitise3.
1. Facile contemnitur clericus qui, saepe vocatus ad prandium, ire
non recusat. Ep. ad Nepot.
2. Consolatores nos potius (laici) in mœroribus suis, quam convivas
in prosperis, noverint.
3. Sciat unusquisque vestrum vas suum possidere in sanctificatione
et honore, non in passione desiderii. I Thess. iv. 4.
III. Mortification du toucher.
486 NEUVIÈME INSTRUCTION.
Pénitences corporelles.
Les prêtres fervents ont encore l'habitude de s'imposer
certaines pénitences positives, telles que disciplines et chaînettes.
Il en est qui méprisent ces pratiques, sous pré-texte
que la sainteté consiste à mortifier la volonté propre.
Mais je trouve que tous les saints furent avides de pénitences et
pleins d'ardeur à crucifier leur chair le plus possible. Saint Pierre
d'Alcan-tara portait, en forme de cilice, une plaque de fer dont les aspérités
lui déchiraient les épaules et le dos. Saint Jean de la Croix
était couvert d'un ci-lice garni de fortes pointes et serré
par une chaîne de fer, de sorte qu'on ne put, après sa mort,
l'en dépouiller sans arracher des lambeaux de chair. « Si
quelqu'un, avait-il coutume de dire, venait, en fait de mortification corporelle,
vous enseigner une doctrine large et commode, quand il ferait des miracles
pour la confirmer, ne lui donnez aucune créance1. »
Nul doute que la mortification intérieure ne soit la plus nécessaire,
mais indispensable aussi est la mortification extérieure. Tel était
le senti-ment de saint Louis de Gonzague; et un jour, comme on voulait
le détourner de ses austérités, attendu, disait-on,
que la sainteté consiste à vain-cre sa propre volonté,
il répondit fort sagement par ces paroles de l'Évangile:
Il faut faire ceci et ne pas omettre cela 2. Notre-Seigneur lui-même
dit un jour à une carmélite, la mère Marie de Jésus
: « Le monde se perd par les plaisirs et non par les pénitences.
»
1. Sent. 72.
2. Haec oportuit facere, et illa non omittere. Matth. xxiii. 23.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
487
« Mortifie ton corps, disait saint Augustin, et tu vaincras le
démon1. » C'est spécialement dans les tentations contre
la pureté que les saints ont eu recours aux pénitences corporelles.
Ainsi saint Benoît et saint François se roulèrent dans
les épines. Sur quoi le père Rodriguez fait cette ré-flexion:
« Si quelqu'un se trouvait enlacé dans les replis d'un serpent
sans cesse prêt à le tuer d'un coup de son dard empoisonné,
certes ce malheureux homme, après avoir vainement es-sayé
de tuer lui-même le serpent, essayerait au moins de lui faire perdre
le plus de sang pos-sible, pour l'affaiblir et moins souffrir de ses atteintes.
»
Job à déclaré que la sagesse n'habite pas au milieu
des plaisirs sensuels. Non, s'écrie-t-il, l'homme n'en connaît
pas le prix, et elle ne se trouve pas dans la terre de ceux qui vivent
parmi les délices2. On lit dans le Cantique des canti-ques, d'une
part que l'Epoux divin se trouve vo-lontiers sur la montagne de la myrrhe
: Je gra-virai, dit-il, la montagne de la myrrhe3; et, d'autre part, qu'il
habite au milieu des lis: le bien-aimé se plaît parmi les
lis4. Or, d'après l'abbé Gilbert, voici comment se concilient
ces deux textes : « Les lis ne viennent que sur la mon-tagne de la
myrrhe, et nulle part ils ne conservent mieux leur éclat : ainsi,
quand les appétits de la chair sont mortifiés, apparaissent
et se revêtent
1. Mortifica corpus tuum, et diabolum vinces.
2. Nescit homo pretium ejus, nec invenitur in terra suaviter viven-tium.
Job. xxviii. 13.
3. Vadam ad montera myrrhae. Cant. iv. 6.
4. Qui pascitur inter lilia. Cant. II. 16.
Sans
mortifications
corporelles,
pas de chasteté.
488 NEUVIÈME INSTRUCTION.
IV. Mortifications involontaires.
de splendeur les lis de la virginité 1. » Et plus
on a, par le passé, commis de fautes contre la sainte vertu, plus
il est juste que la chair en porte la peine : Comme donc vous avez fait
servir vos mem-bres à l'impureté et à l'iniquité,
ainsi maintenant faites servir vos membres à la justice pour votre
sanctification2.
Si nous n'avons pas le courage de nous imposer des pénitences
positives, appliquons-nous du moins à supporter patiemment les mortifications
que Dieu nous envoie, comme les infirmités, le chaud, le froid.
Saint François de Borgia, se pré-sentant une fois fort tard
devant la porte d'un collège de la Compagnie, dut passer toute la
nuit en plein air, exposé à un froid des plus rigou-reux
et à la neige qui ne cessa de tomber. Le len-demain matin, comme
les pères lui témoignaient leur désolation, le saint
répondit qu'il avait passé une nuit délicieuse, en
pensant que Dieu se faisait un plaisir de lui envoyer ce vent glacial et
ces flocons de neige.
« Seigneur, s'écrie saint Bonaventure, accou-rez, oui,
hâtez-vous d'accourir, et n'épargnez pas à vos serviteurs
les blessures salutaires, afin qu'ils échappent aux mortelles blessures
du vice3. » Ainsi devons-nous prier sous le coup de la ma-
1. Lilia haec oriuntur in montem myrrhae, et nusquam magis illaesa
servantur: ubi carnis mortificantur affectus, ibi lilia castimoniae nas-cuntur
et florent. In Cant. s. 28.
2. Sicut enim exhibuistis membra vestra servire immunditiae et iniquitati
ad iniquitatem, ita nunc exhibete membra vestra servire justitiae in sanctificationem.
Rom. vi. 19.
3. Curre, Domine, curre, et vulnera servos tuos vulneribus sacris,
ne vulnerentur vulneribus mortis.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
489
ladie et des souffrances : Seigneur, que votre main me frappe
et me blesse pour mon salut, afin que la chair ne me blesse pas pour ma
perte éternelle. Ou bien encore, disons avec saint Bernard : «
Oui, ô mon Dieu, qu'il soit accablé de coups, celui qui vous
a méprisé. Je mérite la mort éternelle. Ayez
pitié de moi et dites : il a mérité la mort, qu'il
soit crucifié ! Mais, de grâce, que je sois crucifié
en cette vie, afin de n'être pas éternellement tour-menté
dans l'autre vie M »
Acceptons donc au moins toutes les peines que Dieu nous envoie. Or
il faut remarquer avec un pieux auteur que difficilement on supporte avec
une patience parfaite les mortifications involon-taires, à moins
de s'en imposer de volontaires ; et avec saint Anselme que « Dieu
retire sa main vengeresse de dessus le pécheur qui tire lui-même
vengeance de ses péchés2. »
III.
DE QUELLES JOIES LA MORTIFICATION
EST LA SOURCE.
Certaines gens ne se représentent la vie des personnes mortifiées
que comme une vie triste et malheureuse.
Or cette vie triste et malheureuse est tout au contraire le partage
non pas de ceux qui se mor-tifient, mais de ceux qui contentent leurs passions
Entière
conformité à la
volonté
de Dieu.
L'immortifica-
tion fait notre malheur,
1. Conteratur contemptor Dei; si recte sentis, dices : Reus est
mortis, crucifigatur. Medit. c. 15.
2. Cessat vindicta divina, si conversio praecurrat
humana. In I Cor. xi.
490 NEUVIEME INSTRUCTION.
La mortification fait
notre bonheur.
en offensant Dieu. Qui donc, se demande Job, résista jamais
à Dieu et goûta les douceurs de la paix 1 ? Une âme
en état de péché ressemble à la mer en furie.
Les impies sont comme une mer im-pétueuse qui ne peut s'apaiser
2. Rompre avec Dieu, c'est entrer en inimitié et en guerre avec
nous-même. « Celui-là, dit saint Augustin, de-vient
son propre ennemi, qui ne veut pas conser-ver la paix avec Dieu 3. »
Les satisfactions que nous accordons à notre corps, voilà
ce qui allume la guerre et nous jette dans la peine. D'où viennent,
dit saint Jacques, les guerres et les procès entre vous ? N'est-ce
pas de là, c'est-à-dire de vos con-voitises, qui combattent
dans vos membres 4 ?
Je réserve pour le vainqueur la manne cachée5, c'est-à-dire
que le Seigneur fait goûter aux âmes mortifiées cette
douceur, cette paix intime que ne connaissent pas même les âmes
immortifiées, et qui surpasse tous les plaisirs des sens, la paix
de Dieu, qui surpasse toute pensée6, selon ce que dit l'Apôtre.
Aussi saint Jean proclame-t-il heureux ceux qui vivent ici-bas étrangers
aux plaisirs et aux jouissances. Heureux les morts qui meurent dans le
Seigneur7 ! Les mondains s'apitoient sur le sort de ceux qui renoncent
aux joies de ce monde. C'est, remarque saint Bernard, qu'ils aper-
1. Quis restitit ei, et pacem habuit. Job. ix. 4.
2. Impii autem, quasi mare fervens, quod quiescere non potest. Is.
LVII. 20.
3. Ipse sibi est bellum, qui pacem noluit habere cum Deo. Enarr. in
Ps. LXXV.
4. Unde bella et lites in vobis? nonne hinc, ex concupiscentiis vestris,
quae militant in membris vestris? Jac. iv. 1.
5. Vincenti dabo manna absconditum. Apoc. II. 17.
6. Pax Dei, quae exsuperat omnem sensum. Phil. iv. 7.
7. Beati mortui, qui in Domino moriuntur. Apoc. xiv. 13.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
491
çoivent seulement les mortifications des saints, mais ils ne
soupçonnent pas de quelles consola-tions intimes Dieu les enivre
dès cette vie. « Ils voient la croix, s'écrie le saint,
mais l'onction in-térieure, ils ne sont pas à même
de la voir 1. » Impossible que les promesses de Dieu ne s'accom-plissent
point. Or Dieu a dit : Prenez mon joug sur vous, ...et vous trouverez le
repos de vos âmes2. « Non, s'écrie saint Augustin, pour
une âme qui aime Dieu, se mortifier ce n'est pas souffrir, car celui
qui aime ne sent pas la peine3 ; » et non seu-lement il ne trouve
rien de difficile, mais, ajoute saint Laurent Justinien, « il rougirait
de trouver difficile n'importe quelle bonne œuvre4. » C'est que l'amour
est fort comme la mort5 ; comme rien ne résiste à la mort,
ainsi rien ne résiste à l'amour.
Si nous prétendons mériter les délices du ciel,
il faut nous sevrer des joies de la terre. Celui qui voudra sauver sa vie,
la perdra6. « Garde-toi donc de jouir ici-bas, dit saint Augustin,
afin de ne pas souffrir éternellement7. » Saint Jean vit tous
les bienheureux avec des palmes à la main. Ils se tenaient debout
devant le trône, et ils avaient en mains des palmes8. Pour nous sauver,
il faut que
1. Crucem videntes, sed non etiam unctionem. In Dedic. s. 1.
2. Tollite jugum meum super vos,... et invenietis requiem anima-bus
vestris. Matth. xi. 29.
3. Qui amat, non laborat. In Jo. tr. 48.
4. Amor, difficultatis nomen erubescit. Lign. v. de Char. c. 4.
5. Fortis est ut mors dilectio. Cant. viii. 6.
6. Qui enim voluerit animam suam salvam facere, perdet eam. Matth.
xvi. 25.
7. Noli amare in hac vita, ne perdas in aeterna vita. In Jo. tr. 51.
8. Stantes ante thronum..., et palmae in manibus eorum. Apoc. vii.9.
Surtout dans le ciel.
492 NEUVIÈME INSTRUCTION.
Pour chaque
mortification
une récompense
éternelle.
nous subissions tous, soit le martyre du sang qu'inflige le bourreau,
soit le martyre de la mor-tification que chacun s'impose à soi-même.
Mais persuadons-nous bien de ceci : tout ce que nous souffrons n'est
rien en comparaison de la gloire éternelle qui nous attend. Non,
s'écrie saint Paul, les souffrances du temps présent ne peuvent
se comparer à la gloire future qui sera révélée
en nous1. Et cette béatitude que produisent les quelques peines
de cette vie, est éternelle, comme nous l'apprend encore saint Paul
: La tribulation si courte et si légère de la vie présente,
produit en nous le poids éternel d'une sublime et incom-parable
gloire2. « Aussi, se demande le juif Phi-Ion, les joies de la terre
sont-elles autre chose que des à-compte pris sur le bonheur du ciel3
? » Autant notre corps goûte de délices aux dépens
de notre âme, autant nous nous retranchons à nous-même
de joies célestes. « Par conséquent, dit saint Jean
Chrysostome, quand Dieu nous envoie quelque chose à souffrir, il
nous fait une plus grande grâce que s'il nous accordait le pou-voir
de ressusciter les morts. « Car, ajoute-t-il, en faisant des miracles,
je deviens le débiteur de Dieu, et, en souffrant avec patience,
j'ai pour dé-biteur Jésus-Christ4. » Les saints sont
les pierres
1. Non sunt condignae passiones hujus temporis ad futuram glo-riam
quae revelabitur in nobis. Rom. viii. 18.
2. Id enim quod in praesenti est momentaneum et leve tribulatio-nis
nostrae, supra modum in sublimitate, aeternum gloriae pondus operatur in
nobis. II Cor. iv. 17.
3. Oblectamenta praesentis vitae, quid sunt, nisi furta vitae futurae
?
4. Quando Deus dat alicui ut mortuos resuscitet, minus dat, quam cum
dat occasionem patiendi. Pro miraculis enim, debitor sum Deo: at pro patientia,
debitorem habeo Christum. In Phil. hom. 4.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
493
vivantes avec lesquelles se construit la Jérusalem céleste.
Soyez, dit saint Pierre, posés sur le Christ, comme autant de pierres
vivantes, pour former la demeure spirituelle1. Mais il faut auparavant
que le ciseau de la mortification leur ait fait sentir ses coups, ainsi
que l'Église l'exprime dans un de ses chants : « Le ciseau
salutaire les frappe à coups redoublés. Grâce au travail
de l'artiste, elles deviennent aptes à prendre place dans le céleste
édifice2. »
Se mortifier, c'est donc travailler pour le ciel. Pensons-y et tout
ce que nous sentirons de peine à nous mortifier se changera en joie.
Le juste vit de la foi3, dit l'Apôtre. Pour vivre saintement et nous
sauver, il faut que nous vivions de la foi, c'est-à-dire en vue
de l'éternité qui nous attend. L'homme ira dans la maison
de son éternité 4. Pensons également que jamais Dieu
ne nous exhorte à lutter contre les tentations sans nous accorder
son secours et sans préparer notre cou-ronne. « Il t'anime
à la lutte, dit saint Augustin, puis il aide ta faiblesse et te
couronne après la victoire3. » L'Apôtre nous dit en
conséquence que si les athlètes sacrifient tout pour mériter
une misérable couronne d'un jour, il faut à bien
1. Tanquam lapides vivi superaedificamini, domus spiritualis.— I Pet.
II. 5.
2. Scalpri salubris ictibus,
Et tunsione plurima Fabri polita malleo, Hanc saxa molem construunt.
3. Justus autem ex fide vivit. Rom. I. 17.
4. Quoniam ibit homo in domum aeternitatis suae. Eccl. xii. 5.
5. Deus hortatur ut pugnes, et deficientem sublevat, et vincentem
coronat. In Ps. xxxii. enarr. 2.
En souffrant, pensons au ciel.
494 NEUVIÈME INSTRUCTION.
plus forte raison que nous sacrifiions tout, et même notre vie,
pour obtenir la magnifique et éternelle couronne du ciel. Tous ceux
qui com-battent dans l'arène s'abstiennent de toutes choses: eux,
pour recevoir une couronne corruptible ; nous, une incorruptible 1.
1. Omnis autem qui in agone contendit, ab omnibus se abstinet; et illi
quidem ut corruptibilem coronam accipiant, nos autem incor-ruptam. I Cor.
ix. 25.
DIXIÈME INSTRUCTION.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU.
I.
COMBIEN LE PRETRE EST OBLIGÉ
D'AIMER DIEU.
« Si vous n'aimez pas Dieu, dit Pierre de Blois en s'adressant
aux prêtres, on peut bien vous appeler prêtres, mais vous ne
l'êtes pas1. » Depuis le jour de son ordination, le clerc n'est
plus à lui-même, mais à Dieu. « Ce n'est pas
pour lui-même, mais pour Dieu, qu'existe le vrai ministre des autels2.
» L'Éternel avait déjà dit: Ils offrent l'encens
du Seigneur et les pains de proposition ; qu'ils soient donc saints3. Origène
appelle en conséquence le prêtre « un esprit consacré
à Dieu4. » Le lévite lui-même, en entrant dans
le sanctuaire, a déclaré ne vouloir plus que Dieu seul. Le
Seigneur, a-t-il dit, est ma part et mon héritage5. Saint
1. Sacerdos dici potes, esse non potes. Serm. 41.
2. Verus minister altaris Deo, non sibi, natus est. In Ps. cxviii.
s. 8.
3. Incensum enim Domini, et panes Dei sui offerunt, et ideo sancti
erunt. Levit. xxi. 6.
4. Mens consecrata Deo. In Lev. hom. 15.
5. Dominas pars hereditatis meae.
Le prêtre
doit être tout
à Dieu,
Et nullement
aux choses du
monde.
496 DIXIÈME INSTRUCTION.
Ambroise conclut de là que le prêtre, ayant choisi Dieu
pour son partage, ne doit plus vivre que pour Dieu seul1. » Puis
donc, ajoute l'Apôtre, qu'il a pris l'engagement de servir la divine
Ma-jesté, il ne doit plus se mêler des affaires du monde,
mais s'efforcer uniquement de contenter ce Seigneur auquel il s'est donné.
Quiconque se trouve enrôlé au service de Dieu ne s'embarrasse
point dans les affaires du siècle, et cela pour sa-tisfaire celui
à qui il s'est donné2. A ce jeune homme de l'Evangile qui
sollicitait la faveur de le suivre, Jésus-Christ ne permit pas même
de retourner dans sa maison pour ensevelir son père. Suis-moi, lui
dit-il, et laisse les morts enterrer leurs morts3. Cette divine leçon
s'adresse à tous les ecclésiastiques, car tous doivent comprendre
qu'ils sont obligés de sacrifier aux intérêts de la
gloire divine tout intérêt humain capable de s'op-poser à
leur parfaite union avec Dieu, et, comme le dit saint Ambroise, «
défense est faite à ce jeune homme d'aller ensevelir son
père, afin que vous appreniez à mettre le service des hommes
bien après celui de Dieu4. »
Le Seigneur n'a même pas attendu la loi nouvelle pour apprendre
aux prêtres qu'il les avait choi-sis entre tous, afin de se les attacher
entièrement. Je vous ai séparés des autres, dit-il
par la bouche
1. Cui Deus portio est, nihil debet curare, nisi Deum. De Esau. c.
2.
2. Nemo, militans Deo, implicat se negotiis saecularibus, ut ei placeat,
cui se probavit. II Tim. II. 4.
3. Sequere me, et dimitte mortuos sepelire mortuos suos. Matth.
VIII. 22.
4. Hic paterni funeris sepultura prohibetur, ut intelligas humana
posthabenda divinis. In Luc. c. 9.
Obligation
générale d'aimer
Dieu
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 497
de Moïse, pour que vous fussiez à moi1. Aussi ne voulut-il
pas que, dans le partage de la terre promise, On leur assignât aucune
portion, attendu que lui seul devait être leur richesse. Vous ne
posséderez rien dans la terre des enfants d'Israël, et, parmi
eux, vous n'aurez aucune part: moi-même je suis ta part et ton héritage
au milieu des enfants d'Israël2. « O prêtre, s'écrie
à ce sujet Oléaster, comprends quelle grande bonté
Dieu te témoigne de vouloir te servir lui-même d'héritage.
Mais aussi, que peut-il te manquer, puisque tu possèdes Dieu3? »
Le prêtre doit donc dire avec saint Augustin : « Que les autres
se fassent leur part et qu'ils mettent leur bonheur dans les biens passagers
de ce monde : la part des saints, c'est le Dieu éternel. Que les
autres approchent leurs lèvres de la coupe empoisonnée des
voluptés ; pour moi, je ne connais pas de plus délicieuse
coupe que le calice du Seigneur mon Dieu 4 »
Si nous n'aimons pas Dieu, qu'est-ce donc que nous aimerons? «
Oui, s'écriait saint Anselme, si je ne vous aime pas, qu'aimerai-je,
ô mon Dieu5?» Quand saint Clément d'Ancyre vit les monceaux
d'or, d'argent, de pierres précieuses, que lui offrait l'empereur
Dioclétien pour l'amener à quitter la
1. Separavi vos..., ut essetis mei. Levit. xx. 26.
2. In terra eorum nihil possidebitis, nec habebitis partem inter eos
; ego pars et hereditas tua in medio filiorum Israel. Num. xviii. 20.
3. Magna dignatio Domini, si eam, sacerdos, cognoscas : quod velit
Deus esse pars tua. Quid non habebis, si Deum habeas ?
4. Eligant sibi alii partes, quibus fruantur, terrenas et temporales
; portio sanctorum, Dominus aeternus est. Bibant alii mortiferas vo-luptates;
portio calicis mei, Dominus est. Enarr. in Ps. xv
5. Si non amavero te, quid amabo ? Medit. 13.
LE PRÊTRE. — T.
I.
Pour lui-même
Et à cause de
son amour pour
nous,
498 DIXIÈME INSTRUCTION.
vraie foi, il ne sut que pousser un grand soupir affligé qu'il
était de voir les hommes mettre son Dieu en parallèle avec
un peu de boue. Une seule chose est nécessaire1. Celui qui possède
le monde entier ne possède rien s'il est privé de Dieu ;
mais celui-là possède tout qui possède Dieu, quand
même tout le reste lui ferait défaut. Qu'elles sont donc vraies
ces paroles que saint François ne se lassait pas de répéter
durant des nuits entières : Mon Dieu et mon tout! Deus meus et omnia!
— Heureuse l'âme qui peut s'écrier avec David : Qu'y a-t-il
pour moi dans le ciel ? et qu'ai-je désiré sur la terre en
dehors de vous? Vous êtes le Dieu de mon cœur et mon partage pour
l'éter-nité2. Oui, ô mon Dieu, c'est vous seul que
je veux, au ciel et sur la terre: seul vous êtes et vous devez être
à jamais le Dieu de mon cœur et toute ma richesse.
Dieu mérite que nous l'aimions pour lui-même, car il est
vraiment digne d'un amour infini. Mais nous devons au moins l'aimer par
reconnaissance pour l'immense amour qu'il nous a témoigné
dans l'œuvre miséricordieuse de notre rédemp-tion. Pouvait-il,
tout Dieu qu'il est, faire plus que de se faire homme et de mourir pour
nous ? Personne n'a un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour
ses amis3. Avant la rédemp-tion, l'homme pouvait douter que Dieu
l'aimât jusqu'à la tendresse, mais quel doute pourrait-il
1. Unum est necessarium. Luc. x. 42.
2. Quid enim mihi est in cœlo? et a te quid volui super terram ?...
Deus cordis mei, et pars mea Deus in aeternum. Ps. LXXII. 25.
3. Majorem hac dilectionem nemo habet, ut animam suam ponat quis pro
amicis suis. Jo. xv. 13.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 499
avoir encore, quand il voit son Dieu mourir pour l'homme sur la croix?
Voilà cet excès d'amour dont Moïse et Elie s'entretenaient
sur le Thabor1, excès dont tous les anges ne parviendront pas, même
avec toute l'éternité, à comprendre la gran-deur.
« Quel homme, se demande saint Anselme, pouvait jamais mériter
que le Fils de Dieu mourût pour lui2 ? » Cependant il est certain
que ce même Fils de Dieu a donné sa vie pour chacun de nous.
Le Christ est mort pour tous3, dit l'Apôtre. Il dit également
que les gentils taxaient de folie la mort de notre Sauveur: Nous prêchons
le Christ crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les gentils
4. Mais non, ce n'est là ni une folie ni un mensonge, c'est une
vérité de foi; pourtant une vérité telle que
le Dieu d'infinie sagesse nous apparaît sur la croix comme fou d'amour
pour l'homme, ainsi que s'exprime saint Laurent Justi-nien : « Nous
avons vu la Sagesse elle-même de-venue folie par excès d'amour
5. » O Dieu ! si Jésus-Christ s'était proposé
de donner à son propre Père la plus grande preuve possible
de son amour, pouvait-il le faire mieux qu'en subissant sur la croix cette
mort qu'il a réellement endurée pour chacun de nous ? Que
dis-je ? si l'un de nos ser-viteurs était mort pour nous, pourrions-nous
ne
1. Dicebant excessum ejus, quem completurus erat in Jerusalem. Luc.
ix. 31.
2. Quis dignus erat ut Filius Dei mortem pro eo pateretur ? De Mensura
cruc. c. 2.
3. Pro omnibus mortuus est Christus. II Cor. v. 15.
4. Praedicamus Christum crucifixum, Judaeis quidem scandalum, Gentibus
autem stultitiam. I Cor. 1. 23.
5. Vidimus Sapientiam amoris nimietate infatuatam. Serm. de Nat.
D.
Surtout -en Jésus-Christ.
5oo
DIXIÈME INSTRUCTION.
Obligation
particulière au
prêtre :
Jésus-Christ
mort
surtout pour
le prêtre.
pas l'aimer ? Où donc est notre: amour, où donc
notre reconnaissance pour Jésus-Christ ?
Du moins rappelons-nous souvent ce que notre Rédempteur a fait
et souffert pour nous. Quel plaisir on lui cause en pensant fréquemment
à sa Passion ! Si quelqu'un avait enduré pour un de ses amis
toutes sortes d'injures, de coups, et même la prison, avec quelle
satisfaction n'apprendrait-il pas que son ami se rappelle son dévouement
et ne cesse d'y penser ! Ah ! certes, quand une âme pense fréquemment
à la Passion de Jésus-Christ et à l'amour que nous
y témoigna ce Dieu d'amour, impossible qu'elle ne se sente en quelque
sorte contrainte de l'aimer. La charité de Jésus-Christ nous
presse1, s'écrie l'Apôtre.
Mais si tous les hommes doivent brûler d'amour pour Jésus-Christ,
nous qui sommes prêtres, nous devons particulièrement l'aimer.
Jésus-Christ, en effet, est mort spécialement pour nous faire
prê-tres ; car, sans sa mort, nous n'aurions pas, ainsi que nous
l'avons établi dans le Chapitre premier, la sainte et pure victime
que nous offrons pré-sentement à Dieu. « Nul doute,
dit à ce sujet saint Ambroise, que Jésus-Christ ne soit mort
pour tous les hommes: cependant il a spécialement souffert pour
nous2. » Le saint ajoute: « Plus on a reçu, plus on
doit de reconnaissance. Payons donc en amour le prix du sang divin3. »
Oui, tâchons de comprendre l'amour que nous a porté
1. Charitas enim Christi urget nos. II Cor. v. 14.
2. Etsi Christus pro omnibus mortuus est, pro nobis tamen spe-cialiter
passus est. In Luc. c. 7.
3. Plus debet, qui plus accepit; reddamus ergo amorem pro san-guinis
pretio. lbid.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 5or
Jésus-Christ dans sa Passion, et certainement nous cesserons
d'aimer les créatures. « Oh ! si tu connaissais le mystère
de la croix 1 ! » disait l'a-pôtre saint André au tyran
qui s'efforçait de lui faire renier Jésus-Christ ; si tu
savais, ô tyran, voulait-il dire, si tu savais quel amour poussait
ton Dieu à vouloir te sauver, tu n'aurais certaine-ment pas la pensée
de me tenter ainsi : que dis-je ? toi-même tu voudrais répondre
à tant d'amour, et tu serais tout cœur pour aimer Jésus-Christ.
Heureux celui dont l'âme se tourne sans cesse vers les plaies
de Jésus-Christ ! Vous puiserez avec joie les eaux du salut dans
les fontaines du Sauveur 2. Que de grâces les saints sont venus puiser
dans ces fontaines salutaires ! quelle dévo-tion, quelles lumières,
quelle force, ils en ont em-portées ! D'après le père
Alvarez, le malheur des chrétiens vient de l'ignorance où
ils sont des trésors que nous possédons en Jésus-Christ.
Lais-sons les savants se glorifier de leur science : l'A-pôtre se
glorifie uniquement de connaître Jésus crucifié : Je
n'ai pas jugé que je connusse autre chose parmi vous que Jésus-Christ,
et Jésus-Christ crucifié3. De quoi servent toutes les sciences
à celui qui ne sait pas aimer Notre-Seigneur ? Quand je connaîtrais
toute la science, si je n'ai point la charité, je ne suis rien 4
Écrivant aux Philip-piens, il déclare que, dans son ardeur
à posséder
1. Oh! si scires mysterium Crucis!
2. Haurietis aquas in gaudio de fontibus Salvatoris. Is. XII. 3.
3. Non enim judicavi me scire aliquid inter vos, nisi Jesum Chris-tum,
et hunc crucifixum. I Cor. II. 2.
4. Et si... noverim... omnera scientiam, charitatem autem
non habuero, nihil sum. I Cor. xiii. 2.
La
suprême science
du prêtre,
Sa suprême ambition,
502 DIXIEME INSTRUCTION.
Jésus-Christ, il ne regardait tout le reste que comme un vil
néant. Pour gagner Jésus-Christ je regarde toutes choses
comme du fumier 1. Aussi se faisait-il une gloire de s'appeler son prisonnier
: Moi, Paul, prisonnier du Christ Jésus2. Heureux par conséquent
le prêtre qui s'est chargé, lui aussi, de ces bienheureuses
chaînes, en se donnant tout entier au divin Maître ! Une âme
qui se donne à Dieu sans réserve lui est plus chère
que cent autres âmes toutes plus ou moins imparfaites. Si, parmi
les cent serviteurs d'un prince, il s'en trou-vait quatre-vingt-dix-neuf
qui le servissent avec peu d'affection et de façon à lui
causer toujours quelque désagrément, et un seul qui, n'ayant
d'autre mobile que l'amour, veillerait sans cesse à le contenter
en tout, les préférences exclusives du prince seraient certainement
pour ce serviteur. Nombreuses sont les filles de Jérusalem : une
seule est ma colombe, ma parfaite 3. Une âme qui sert parfaitement
Dieu lui est tellement agréa-ble qu'il semble n'en avoir aucune
autre à aimer. « Apprends donc du Christ lui-même, s'écrie
saint Bernard, comment tu dois aimer le Christ4.» Dès sa naissance,
Jésus-Christ s'est donné tout entier à nous. Un enfant
nous est né, et un fils nous a été donné5,
et il s'est donné par amour ; Il nous a aimés, et il s'est
livré lui-même pour nous 6 : rien de plus juste que, de notre
côté, nous
1. Omnia...arbitror ut stercora., ut Christum lucrifaciam. Phil. iii.8.
2. Ego Paulus, vinctus Christi Jesu. Eph. III. 1.
3. Adolescentularum non est mimeras ; una est columba mea, per-fecta
mea. Cant. vi. 7.
4. Disce a Christo quemadmodum diligas Christum. In Cant. s. 20.
5. Parvulus enim natus est nobis, et filius datus est nobis. Is. ix.
6.
6. Dilexit nos, et tradidit semetipsum pro nobis. Eph. v. 2.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 5O3
nous donnions par amour entièrement à Jésus-Christ.
Il t'a donné tout, son sang, sa vie, ses mérites, «
tout, dit saint Jean Chrysostome, et sans rien se réserver1, »
tu dois donc à ton tour lui appartenir entièrement et sans
réserve. « Oui, reprend saint Bernard, donne-toi tout entier
à celui qui s'est livré tout entier afin de te sauver2. »
Tel est le devoir de tous les hommes, mais plus particulièrement
des prêtres. Aussi saint François d'Assise, pénétré
de l'obligation spéciale qui leur incombe d'appartenir tout entiers
à Jésus-Christ, écrivait aux prêtres de son
ordre : « II ne faut rien retenir de vous-mêmes par devers
vous, mais vous remettre tout entiers entre les mains de celui qui se donne
tout entier à vous3. » Jésus-Christ est mort pour tous,
dit l'Apôtre, et cela pré-cisément afin que personne
ne vive plus pour soi-même, mais que chacun vive uniquement pour
ce Dieu qui s'est livré pour chacun 4. Nous aussi, ayons sans cesse
sur les lèvres la parole de saint Augustin : « Que je meure
à moi-même, afin que vous seul viviez en moi5 ! » Mais,
pour être en-tièrement à Dieu, il faut que nous lui
donnions tout notre amour sans en rien réserver pour la créature.
« Celui-là, ô mon Dieu, ne vous aime pas véritablement,
disait encore saint Augustin, qui aime avec vous quelque chose en dehors
de
1. Totum tibi debit, nihil sibi reliquit.
2. Integrum te da illi, quia ille, ut te salvaret, integrum se tradidit.
De modo bene viv. c. 8.
3. Nihil de vobis retineatis vobis, ut totos vos recipiat, qui se vobis
exhibet totum.
4. Pro omnibus mortuus est Christus, ut et qui vivunt, jam non sibi
vivant, sed ei qui pro ipsis mortuus est. II Cor. v. 15.
5. Moriar mihi, ut tu solus in me vivas!
Sa suprême prière.
5o4
DIXIÈME INSTRUCTION.
Tout à Dieu:
I.
Par le désir
de la perfection,
vous1. » N'aimer que Dieu ou n'aimer que pour Dieu, voilà
vraiment être tout à Dieu. « O âme, s'écrie
saint Bernard, sois seule, afin d'être au service d'un seul2 ! »
Non, ô âme rachetée par Jésus-Christ, ne disperse
pas ton amour sur les créatures, conserve-toi tout entière
pour ce Dieu qui seul mérite tout ton amour. Une seule pour un seul
: Una uni! disait dans, le même sens le bienheureux frère
Gilles. Nous n'avons qu'une âme, et ce n'est pas une partie, mais
notre âme tout entière que nous devons donner à ce
Dieu, notre seul et unique Seigneur, lequel nous aime et mérite
notre amour plus que toutes les créa-tures ensemble.
Voyons maintenant comment le prêtre doit s'y prendre pour être
tout à Dieu.
II.
COMMENT LE PRETRE SERA TOUT
A DIEU.
Avant tout, il doit avoir un grand désir de la sainteté.
Aspirer sincèrement à la sagesse, tel en est le commencement3.
Les saints désirs sont les ailes qui font prendre à l'âme
son essor vers Dieu. L'Ecriture sainte dit encore : Tel qu'une lumière
éclatante, le sentier des justes s'avance et croît
1. Minus te amat, qui tecum aliquid amat, quod non propter te amat.
Conf. l. 10. c. 29.
2. Anima, sola esto, ut soli te serves. In Cant. s. 40.
3. Initium enim illius, verissima est disciplinae concupiscentia.
Sap. vi. 18.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU.
505
jusqu'au jour parfait 1. Le sentier des justes res-semble à
la lumière du soleil, qui se lève le ma-tin et grandit sans
cesse, tant que dure sa course. Quant aux pécheurs, ils n'ont plus,
par leur faute, que cette terne lumière du soir qui s'obscurcit
toujours davantage et finit par s'éteindre tout à fait, en
sorte que ces malheureux ne voient plus même où ils vont.
La voie des impies est téné-breuse, et ils ne savent où
ils se précipitent2.
Malheur donc à qui se trouve suffisamment parfait et néglige
de se perfectionner davantage ! « Ne pas avancer, a dit saint Augustin,
c'est reculer 3. » « Celui qui se trouve au milieu d'un fleuve,
ajoute saint. Grégoire, et ne s'efforce pas de le remonter, sera
certainement emporté par le courant4. » Voici de quelle manière
saint Ber-nard apostrophe l'âme tiède : « Voulez-vous
avan-cer ? — Non pas, répond-elle. — Vous voulez par conséquent
reculer ? — Pas davantage ; je veux tout simplement demeurer comme je suis,
sans devenir ni meilleure ni pire. — Mais ce que vous voulez est chose
impossible5, » reprend le saint : Impossible que l'homme demeure
jamais dans le même état6. Pour remporter le prix, c'est-à-dire
pour mériter la couronne éternelle, nous devons courir sans
relâche, et tant que nous ne la tenons pas. Courez, dit saint Paul,
de telle sorte que vous
1. Justorum autem semita, quasi lux splendens, procedit et crescit
usque ad perfectam diem. Prov. iv. 18.
2. Via impiorum tenebrosa; nesciunt ubi corruant. Ibid. 19.
3. Non progredi reverti est. Ep. 17. E. B. app.
4. Past. p. 3. c. 1.
5. Non vis proficere; vis ergo deficere; hoc ergo vis, quod esse non
potest. Epist. 254.
6. Nunquam in eodem statu permanet. Job. xiv. 2.
Nécessité de ce désir,
506
DIXIÈME INSTRUCTION.
Son caractère,
remportiez le prix1. Quiconque s'arrête au milieu de la
carrière rend sa course inutile et n'arrive pas au but.
Bienheureux ceux qui ont faim de la justice2. Car, ainsi que la sainte
Vierge le dit dans son cantique, le Seigneur a rempli de ses biens les
affamés3, c'est-à-dire que Dieu comble de ses fa-veurs les
âmes qui veulent parvenir à la sainteté. Qu'on remarque
bien ces expressions avoir faim, être affamés : pour parvenir
à la sainteté, il ne suf-fit pas d'une simple velléité,
il faut un désir ardent, une certaine faim de la sainteté.
Grâce à cette bienheureuse faim, on ne marche pas, on court
dans le chemin de la vertu, comme la flamme court à travers les
roseaux desséchés. Les justes brilleront, et ils s'élanceront
comme le feu dans des roseaux secs4. Qui donc deviendra saint? celui qui
le veut : si tu veux être parfait, dit Jésus-Christ, viens5.
Or il faut le vouloir véritablement. Le tiède le veut aussi,
mais il ne le veut pas véri-tablement : il désire, il désire
toujours, mais tous ses désirs ne servent qu'à le perdre,
parce qu'il s'en repaît et que cependant il va de mal en pis. Le
paresseux veut et ne veut pas, dit le Sage, les désirs tuent le
paresseux6. Sans doute, comme il le dit également, on trouve la
sagesse, quand on la cherche7 ; mais encore ne faut-il pas seulement
1. Sic currite, ut comprehendatis. I Cor. ix. 24.
2. Beati qui esuriunt justitiam. Matth. v. 6.
3. Esurientes implevit bonis.
4. Fulgebunt justi, et, tanquam scintillae in arundineto, discurrent.
Sap. iii. 7.
5. Si vis perfectus esse, vade... Matth. xix. 21.
6. Vult et non vult piger... Desideria occidunt pigrum. Prov. xiii.
4.
XXI. 25.
7. Invenitur ab his qui quaerunt illam. Sap. vi. 13.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 507
en avoir envie, il faut la désirer, et la désirer avec
la ferme résolution d'y parvenir : Si vous cher-chez, cherchez1,
dit le prophète. Celui qui désire la sainteté avec
la ferme résolution d'y parvenir, y parviendra. « On cherche
Dieu, dit saint Ber-nard, non pas avec les pieds du corps, mais avec les
désirs de l'âme2. » Et sainte Thérèse
a écrit: « Que nos pensers soient grands, alors aucun bien
ne nous fera défaut... Loin de restreindre nos désirs, nous
devons espérer qu'en nous ap-puyant sur le secours divin, et en
nous donnant sans cesse du courage, nous pourrons arriver peu à
peu où sont parvenus les saints3. » Ouvrez la bouche, dit
encore le Seigneur, et je la remplirai4. Une mère ne peut allaiter
son enfant, à moins qu'il ne s'y prête en ouvrant la bouche.
Ouvrez la bouche, c'est-à-dire, remarque saint Athanase, «
agrandissez vos désirs 5. »
C'est grâce à la ferveur de leurs désirs quelles
saints atteignirent promptement la sainteté. Il n'a vécu
que peu de temps, néanmoins il a fourni une longue carrière6.
Tel en particulier saint Louis de Gonzague, auquel il suffit de fort peu
d'années pour s'élever au sommet de la sainteté; aussi
sainte Marie-Madeleine de Pazzi, l'ayant contem-plé dans la gloire,
disait que personne au ciel ne lui avait semblé jouir d'une félicité
plus parfaite. Elle apprit en même temps que le saint devait
1. Si quaeritis, quaerite. Is. xxi. 12.
2. Non pedum passibus, sed desideriis quaeritur Deus. In Cant. serm.
84.
3. Vie. ch. 13.
4. Dilata os tuum, et implebo illud. lxxx. 11.
5. Dilata desiderium tuum.
6. Consummatus in brevi, explevit tempora multa. Sap. iv. 13.
Son efficacité.
5o8 DIXIÈME INSTRUCTION.
Il faut le demander.
cette grande gloire au grand désir qu'il eut toute sa
vie de pouvoir aimer Dieu autant que Dieu le mérite. « Le
désir, dit saint Laurent Justinien, donne des forces et allège
la peine1. » « Aussi, ajoute-t-il, c'est presque tenir la victoire
que de la désirer ardemment 2. » Saint Augustin a dit dans
le même sens : « Pour celui qui peine, la voie est étroite,
mais elle est large pour celui qui aime 3. » Quand on désire
peu la sainteté, on trouve la voie étroite et hérissée
à chaque pas de difficultés ; mais la voie devient large,
et la fatigue du chemin disparaît, quand on prend fortement à
cœur la sainteté. Étroite d'elle-même, c'est donc par
la générosité du cœur, c'est-à-dire par la
ferme résolution de faire le bon plaisir de Dieu, que s'élargit
la voie du salut. J'ai couru dans la voie de vos commandements lorsque
vous m'avez dilaté le cœur4. Louis de Blois assure que « Dieu
a pour agréables les saints désirs autant que le plus ardent
amour5. »
Celui qui ne se sent pas cet ardent désir de se sanctifier peut
au moins le demander à Dieu, et Dieu le lui donnera. Sachons-le
bien, quand on le veut, il n'est pas difficile de devenir saint. Dans le
monde, un simple sujet peut bien aspirer à l'amitié de son
prince, mais il lui est fort difficile de l'obtenir. Quant à l'amitié
de Dieu, « si je la
1. Vires subministrat, pœnam exhibet leviorem. De Dis. mon. c. 6.
2. Magna victoriae pars est vincendi desiderium. De casto conn. cap.
3.
3. Laboranti angusta via est, amanti lata. In Ps. xxx. en. 2.
4. Viam mandatorum tuorum cucurri, cum dilatasti cor meum. Ps. cxviii.
32.
5. Deus non minus sancto desiderio laetatur, quam si anima amore liquefiat.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 509
désire, disait ce courtisan dont parle saint Au-gustin,
c'est assez pour qu'aussitôt je l'obtienne1. » «Désirer
de croître dans la grâce, afin de faire le bon plaisir de Dieu,
c'est, d'après saint Bernard, le signe le plus certain qu'un homme
puisse avoir de posséder l'amitié de Dieu, et de jouir de
sa grâce. Peu importe, ajoute-t-il même, que par le passé
on ait vécu dans le péché, car Dieu n'exa-mine pas
ce que l'homme a été, mais ce qu'il veut être2. »
Il faut, en second lieu, pour devenir saint, que le prêtre fasse
toutes ses actions uniquement dans la vue de plaire à Dieu. Paroles,
pensées, désirs, actions, tout doit être exercice d'amour
envers son Dieu. Nous voyons l'Epouse des Cantiques ap-pliquée tantôt
à la guerre et tantôt à la chasse, tantôt à
la culture de la vigne et tantôt au soin de son jardin; mais toujours,
malgré la diversité de ses œuvres, elle restait l'amante
fidèle, parce qu'elle agissait en tout par amour pour son époux.
De même le prêtre, tout ce qu'il dit, tout ce qu'il pense,
tout ce qu'il souffre, tout ce qu'il fait, soit qu'il célèbre,
confesse ou prêche, soit qu'il prie, visite les malades ou s'adonne
à la mortification, en un mot, quoi qu'il fasse, tout doit être
amour et rien qu'amour, parce qu'il ne doit rien entre-prendre que pour
plaire à Dieu.
Jésus-Christ a dit : Si ton œil est simple, tout
II.
Par la bonne intention ;
La
bonne intention et l'amour;
1. Amicus Dei, si voluero, ecce nunc fio. Conf. l. 8. c. 6.
2. Nullum omnino praesentiae ejus certius testimonium est, quam desiderium
gratiae amplioris. Non attendit Deus quid fuerit homo, sed quid velit esse.
De S. Andr. s. 2.
5l0 DIXIÈME INSTRUCTION.
Son prix.
ton corps sera lumineux1. D'après les saints Pères,
l'œil désigne ici l'intention ; saint Augustin en conclut que «
la bonne œuvre dépend de l'inten-tion2. » Le Seigneur disait
à Samuel : L'homme voit ce qui paraît, mais le Seigneur scrute
le cœur3. Les hommes voient les œuvres, et ils sont satisfaits ; mais Dieu,
qui sonde les cœurs, n'est satisfait qu'à la condition de voir l'œuvre
exé-cutée avec la droite intention de lui plaire : Je vous
offrirai, disait David, de gras holocaustes4. Sans droite intention, nos
œuvres ne sont que des victimes décharnées dont Dieu ne veut
pas : ce qu'il a pour agréable dans les offrandes que nous lui présentons,
« ce n'est pas leur valeur, dit Salvien, mais notre intention5. »
Aussi quelle sagesse dans cette parole de l'Évangile au sujet de
notre Sauveur : Il a bienfait toutes choses 6 ! Car, dans ses œuvres, il
n'eut jamais en vue que le bon plaisir de son céleste Père
: Je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui
qui m'a envoyé7.
Hélas ! bien peu de nos oeuvres, à nous, sont pleinement
agréables à Dieu, parce que nous en faisons bien peu sans
quelque désir de notre propre gloire. « Rarement, dit saint
Jérôme, il se rencontre une âme assez fidèle
pour ne jamais
1. Si oculus tuus fuerit simplex, totum corpus tuum lucidum erit. Matth.
vi. 22.
2. Bonum opus intentio facit. In Ps. xxi. en. 2.
3. Homo enim videt ea quae parent; Dominus autem intuetur cor. 1 Reg.
xvi. 7.
4. Holocausta medullata offeram tibi. Ps. LXV. 15.
5. Oblata Deo, non pretio, sed affectu placent. Adv. avarit. l. 1.
6. Bene omnia fecit. Marc. vii. 37.
7. Non quaero voluntatem meam, sed volnntatem ejus qui misit me. Jo.
v. 30.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 511
agir par vaine gloire1. » Combien de prêtres, au jour du
jugement, diront à Jésus-Christ: Sei-gneur, Seigneur, n'est-ce
pas en votre nom que nous avons prophétisé, en votre nom
que nous avons chassé les démons, et en votre nom que nous
avons fait beaucoup de merveilles2 ? En vain di-ront-ils qu'ils ont prêché,
qu'ils ont célébré des messes, entendu des confessions,
converti des âmes, assisté des moribonds, le Seigneur leur
répondra : Je ne vous, ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous
qui opérez l'iniquité3. Oui, re-tirez-vous de moi ; je ne
vous ai. jamais considérés comme mes ministres, car vous
vous fatiguiez non pas pour moi, mais pour votre gloire et vos intérêts.
De là cette recommandation que nous fait le Seigneur de tenir cachées
nos bonnes œu-vres : Que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta main
droite4: « sinon, remarque à ce sujet saint Augustin, la vanité
viendra corrompre même la bonne œuvre entreprise pour l'amour de
Dieu5. " C'est une chose abominable devant Dieu que les larcins commis
aux dépens des sacrifices. Je suis le Seigneur, dit-il, et j'ai
en horreur la rapine dans l'holocauste6. Par cette rapine exé-crée,
il faut précisément entendre la recherche de notre propre
gloire et de nos intérêts, même dans
1. Rarum est fidelem animam inveniri, ut nihil ob gloriae cupi-ditatem
faciat. Dial. ad Luciferianos.
2. Domine, nonne in nomine tuo prophetavimus, et in nomine tuo daemonia
ejecimus, et in nomine tuo virtutes multas fecimus ? Matth. vii. 22.
3. Nunquam novi vos ; discedite a me, qui operamini iniquitatem. Ibid.
23.
4. Nesciat sinistra tua quid faciat dextera tua. Matth. vi. 3.
5. Quod facit amor Dei, non corrumpat vanitas. Serm.63. E.B. app.
6. Ego Dominus,... odio habens rapinam in holocausto. Is. LXI. 8.
Sa nécessité.
512
DIXIÈME INSTRUCTION.
Signes de la bonne intention.
les œuvres de Dieu. « Certes, dit saint Bernard, celui
qui aime vraiment Dieu mérite la récom-pense promise, mais
il n'en cherche pas ; la seule récompense qu'il cherche, c'est de
faire plaisir à son bien-aimé Seigneur1. » «
Somme toute, dit encore saint Bernard, le vrai amour se contente de lui-même,
c'est-à-dire qu'il se contente d'aimer sans chercher autre chose2.
»
Voici les signes auxquels un prêtre peut recon-naître s'il
agit avec bonne intention :
1° S'il se porte volontiers aux œuvres même les plus pénibles
et les moins éclatantes ;
2° S'il demeure en paix, alors même que le succès
ne répondrait pas à ses efforts. Celui qui agit pour Dieu
atteint toujours son but, qui est. de faire plaisir à Dieu; celui
qui se trouble en voyant échouer ses projets, prouve par cela même
qu'il n'a pas agi uniquement pour Dieu ;
3° S'il se réjouit du bien que font les autres comme du
bien qu'il ferait lui-même, et s'il ne ressent aucune jalousie à
la vue des autres s'em-ployant aux mêmes œuvres que lui, en. sorte
que, dans son désir de voir tout le monde se dépenser pour
la gloire de Dieu, il s'écrie comme Moïse : Plût à
Dieu que tout le peuple prophétisât3 !
Qu'elle est belle la vie des prêtres qui, dans toutes leurs actions,
n'ont en vue que Dieu seul ! Pour eux se trouveront des jours pleins4.
Quant
1. Verus amor praemium non requirit, sed meretur; habet prae-mium,
sed id quod amatur. De dil. Deo. c. 7.
2. Verus amor seipso contentus est. lbid.
3. Quis tribuat ut omnis populus prophetet! Num. xi. 29.
4. Et dies pleni invenientur in eis. Ps. LXXII. 10.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 513
à ceux qui, dans leurs œuvres, se recherchent eux-mêmes
et leurs intérêts personnels, courte et incomplète
sera leur vie, selon cette autre parole de la sainte Écriture :
Les hommes aux calculs injustes n'arriveront pas même à la
moitié de leurs jours1. Aussi, d'après saint Eucher de Lyon,
nous n'avons vécu que les jours où nous avons fait de nos
propres volontés un généreux abandon. « Ne t'y
trompe pas, dit le saint, tu n'as vraiment vécu que le jour où
tu t'es mis en devoir d'im-moler ta propre volonté2. »
« On nous oblige beaucoup plus, disait Sénè-que,
en nous faisant un petit présent par amour, que si, dans des vues
d'intérêt, on venait à nous avec des cadeaux de prix3.
» Ainsi Dieu est-il certainement plus satisfait de la plus petite
œuvre entreprise pour faire sa volonté que des œuvres, même
les plus éclatantes; dans lesquelles l'homme se recherche lui-même.
La pauvre veuve de l'É-vangile ne déposa dans le tronc du
temple que deux oboles pour toute aumône, et pourtant Jésus-Christ
dit : Cette veuve a donné plus que tous ceux qui ont mis dans le
tronc 4. « C'est, dit saint Cyprien commentant ces paroles, que le
Seigneur considéra non pas le peu qu'elle donnait, mais l'amour
avec lequel elle donnait5. »
1. Dolosi non dimidiabunt dies suos. Ps. LIV. 24.
2. Illum tantum diem vixisse te computa, in quo voluntates pro-prias
abnegasti. Ad Monach. hom. 9.
3. Magis nos obligat, qui exiguum dedit libenter, quam qui, non voluntatem
tantum juvandi habuit, sed cupiditatem. De Benefic. l. 1. c. 7.
4. Vidua haec pauper plus omnibus misit. Marc. xii. 43.
5. Considerans, non quantum, sed ex quanto dedisset. De Ope et Eleem.
LE PRÊTRE. — t. I.
33
514 DIXIÈME INSTRUCTION.
III.
Par la patience :
L'abbé Pambon, voyant un jour passer une femme richement
parée, se mit à verser des lar-mes; et, comme on lui en demandait
la raison : « Hélas ! répondit-il, celle-ci, pour plaire
aux hommes, fait mille fois plus de frais que moi pour plaire à
Dieu ! » Par contre, dans la Vie du roi saint Louis, il est question
d'une femme qui parcourait le monde, portant d'une main une torche allumée,
et de l'autre un vase plein d'eau. Un père dominicain attaché
à la cour du roi s'in-formant de ce qu'elle voulait faire: «
Je veux, ré-pondit-elle, brûler le ciel et éteindre
l'enfer, afin que Dieu soit aimé uniquement pour lui-même.
» Heureux le prêtre qui travaille uniquement pour faire plaisir
à Dieu ! C'est bien là vivre comme les bienheureux eux-mêmes,
dont le Docteur angéli-que disait : « Ils ont plus à
cœur la félicité de Dieu que leur propre félicité
1, » en sorte qu'ils se ré-jouissent bien plus de voir Dieu
au comble du bonheur que de se sentir eux-mêmes inondés de
délices : c'est qu'ils aiment Dieu plus qu'ils ne s'aiment eux-mêmes.
Le prêtre qui veut se sanctifier doit, en troi-sième lieu,
tout souffrir tranquillement pour Dieu, privations, ignominies, maladies
et même la mort. Portez Dieu dans votre corps 2, nous dit l'Apôtre.
L'abbé Gilbert, commentant ces pa-roles, s'écrie : «
Jésus crucifié veut que nous le portions, mais avec une sainte
fierté, en toute
1. Anima potius vult ipsum esse beatum, quam seipsam esse beatam. De
Beatit. c. 7. 2. Portate Deum in corpore vestro. I Cor. vi. 20.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 515
paix et allégresse, et non pas de force, avec l'ennui dans le
cœur et la plainte sur les lèvres ; il veut qu'on le porte et non
pas qu'on le traîne : quand on traîne Jésus crucifié,
il est à charge1. » Une âme prouve qu'elle aime Dieu,
non pas en goû-tant les délices, mais en embrassant les mépris
et les douleurs. Ainsi notre Rédempteur, allant à la rencontre
des soldats qui venaient se saisir de lui pour le conduire au supplice,
dit à ses apô-tres: Afin que le monde connaisse que j'aime
mon Père, levez-vous, et allons2 ! A l'exemple de Jésus-Christ,
tous les saints sont allés avec allé-gresse au-devant des
tourments et de la mort. Saint Joseph de Léonissa, capucin, ayant
un jour à subir une opération des plus douloureuses, on parlait
de le lier. Mais lui, saisissant son crucifix, s'écria : «
Des cordes ! des cordes ! Voici celui qui me liera, mon Seigneur percé
de clous pour moi: grâce à lui, je saurai tout endurer pour
son amour. » Aussi supporta-t-il l'opération sans pro-férer
la moindre plainte. — « Qui donc, disait sainte Thérèse,
pourrait voir le Sauveur couvert de plaies et cruellement persécuté,
sans embrasser, sans vouloir au moins partager ses souffrances3 ? »
Et saint Bernard : « Quand on aime le divin Cru-cifié, on
aime aussi l'ignominie de la croix 4. » Nous qui sommes prêtres,
c'est spécialement à
1. Portari vult a nobis Christum, sed gloriose, non cum taedio, non
cum murmure; portari, non trahi: trahenti enim onerosus est Chris-tus.
In Cant. s. 17.
2. Ut cognoscat mundus quia diligo Patrem... surgite, eamus hinc. Jo.
xiv. 31.
3. Vie. ch. 26.
4. Grata ignominia crucis, ei qui Crucifixo ingratus non est. In Cant.
s. 25.
Le signalement du prêtre,
516
DIXIÈME INSTRUCTION.
notre patience qu'on doit nous reconnaître pour de vrais
ministres de Jésus-Christ. En toutes choses, dit l'Apôtre,
montrons-nous les ministres de Dieu, par une grande patience dans les tribu-lations,
dans les nécessités, dans les angoisses, dans les travaux1.
« Au jour du jugement, écrit Thomas à Kempis, il ne
nous sera pas demandé compte de nos lectures, mais de nos œuvres2.
» Que de savants qui ne savent pas, avec toutes leurs connaissances,
endurer quelque chose pour Dieu, et qui, par un égarement plus déplorable
encore, ne savent pas même reconnaître combien ils sont en
cela répréhensibles ! Vous avez des yeux, leur dit le prophète,
mais pour ne point voir3. A quoi bon la science sans la charité?
Quand même, disait saint Paul, j'aurais toute science, si la charité
me fait défaut, je ne suis rien4. Par contre, observe l'Apôtre,
la charité souffre tout5. Quiconque veut parvenir à la sain-teté
doit nécessairement passer par les persécu-tions : Tous ceux
qui veulent vivre pieusement en Jésus-Christ souffriront persécution
6. Notre Sauveur l'avait bien annoncé : S'ils m'ont persé-cuté,
ils vous persécuteront aussi7. « Non, s'écrie
1. Exhibeamus nosmetipsos sicut Dei ministros in multa patientia, in
tribulationibus, in necessitatibus, in angustiis,... in laboribus... II
Cor. vi. 4.
2. Adveniente die judicii, non quaeretur quid legimus, sed quid fecimus.
De Imit. Chr. l. 1. c. 3.
3. Habentes oculos, non videtis. Jer. v. 21.
4. Et si... noverim mysteria omnia et omnem scientiam, charitatem autem
non habuero, nihil sum. I Cor. xiii. 2.
5. Charitas... omnia suffert. Ibid.
6. Et omnes qui pie volant vivere in Christo Jesu, persecutionem patientur.
II Tim. iii. 12.
7. Si me persecuti sunt, et vos persequentur. Jo. xv. 20.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 5l7
saint Hilaire, ce n'est pas une vie oisive que celle des saints, et
leurs jours ne sauraient s'écouler dans un calme que rien ne trouble
: sans cesse aux prises avec la persécution, leur patience est sans
cesse mise à l'épreuve1. » A qui le Seigneur envoie-t-il
les tribulations ? — Le Seigneur châtie celui qu'il aime, et il frappe
de verges tout homme qu'il reçoit pour fils2. Moi, dit-il encore,
je re-prends et je châtie ceux que j'aime 3 ? Et pour-quoi ? parce
que la patience est la pierre de touche de notre amour et de notre fidélité.
La patience est par elle-même une œuvre parfaite4, dit saint Jacques.
L'archange Raphaël l'avait également déclaré
au saint homme Tobie : Parce que tu étais agréable au Seigneur,
il a été nécessaire que la tentation t'éprouvât5.
Parfois, tout innocents que nous sommes, on nous traitera comme des
coupables. Mais qu'im-porte ? innocents de la faute qu'on nous reproche,
combien d'autres n'avons-nous pas commises? et comme s'exprime saint Augustin,
« s'il ne se trouve dans nous aucun péché que l'ennemi
puisse nous reprocher, il s'en faut pourtant que rien dans nous ne mérite
correction 6. » Compre-nons bien que Dieu ne nous châtie pas
ici-bas pour nous perdre, mais pour nous corriger et nous
1. Non otiosa aetas religiosi viri est, neque quietam exigit vitam;
impugnatur saepe, et haec sunt quae fidem probant. In Ps. cxxviii.
2. Quem enim diligit Dominus, castigat; flagellat autem omnem filium
quem recipit. Heb. xii. 6.
3. Ego, quos amo, arguo et castigo. Apoc. iii. 19.
4. Patientia autem opus perfectum habet. Jac. l. 4.
5. Quia acceptus eras Deo, necesse fuit ut tentatio probaret te. Tob.
xii. 13.
6. Etsi non habemus peccatum quod nobis objicit inimicus, habe-mus
tamen alterum, quod digne in nobis flagelletur. In Ps. LXVIII. S. 1.
Sa richesse,
Sa pénitence,
518
DIXIÈME INSTRUCTION.
Sa prédestination.
préserver ainsi des peines éternelles, selon ce
que disait la sainte veuve Judith : Croyons que les fléaux du Seigneur
nous sont venus pour notre amendement, et non pour notre perte1. Mais si
la justice divine réclame encore ses droits contre nous à
cause de nos péchés passés, alors il ne suffit pas
que nous endurions patiemment les tri-bulations de la vie présente,
il faut de plus qu'avec saint Augustin, nous disions au Seigneur: «
Brû-lez, coupez, ne m'épargnez pas maintenant, afin que vous
m'épargniez dans l'éternité2! »
Job disait : Si nous avons reçu les biens de la main de Dieu,
pourquoi n'en recevrions-nous pas les maux3 ? Il tenait ce langage, car
il était fer-mement convaincu que les maux, c'est-à-dire
les tribulations de la vie présente, quand nous les endurons patiemment,
nous profitent beaucoup plus que toutes les prospérités temporelles.
Mais il y a finalement ceci, qu'il nous faut, bon gré mal gré,
passer par les misères de cette vie. Qui-conque les endure avec
patience amasse des mé-rites pour le ciel ; quiconque ne se soumet
pas, outre qu'il doit quand même les endurer, se crée des
titres à l'enfer. « Justes et pécheurs, dit saint Augustin,
tous ont à porter la même croix, mais elle est pour les uns
le chemin de la gloire, pour les autres la route de l'enfer 4 ; »
et à propos du bon et du mauvais larron, il dit : « La croix
les avait
1. Ad emendationem, et non ad perditionem nostram, evenisse credamus.
Judith. viii. 27.
2. Hic ure, hic seca; hic non parcas, ut in aeternum parcas.
3. Si bona suscepimus de manu Dei, mala quare non suscipiamus ? Job.
II. 10.
4. Una eademque tunsio bonos perducit ad gloriam, malos redigit in
favillam. Serm. 52. E. B. app.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 5 I 9
rapprochés, la manière de porter la croix les sé-para1.
» De fait, tous les deux subirent la mort; mais l'un avec patience,
et il se sauva ; l'autre en blasphémant, et il se damna. De tous
les bien-heureux admis à jouir de la vue de Dieu, l'apôtre
saint Jean n'en vit pas un seul qui ne fût sorti non pas du milieu
des délices mondaines, mais du sein des tribulations : aussi entendit-il
une voix céleste qui disait : Ceux-ci sont venus de la grande tribulation...
: c'est pourquoi ils se tien-nent devant le trône de Dieu2.
Il faut, en quatrième lieu, pour parvenir à la
sainteté, qu'on ne désire rien sinon ce que Dieu veut.
Tout notre bien consiste dans notre union avec la volonté divine.
Dans sa volonté est la vie3. Sainte Thérèse disait:
« L'unique but que l'âme doive se proposer dans l'exercice
de l'oraison, c'est de conformer sa volonté à celle de Dieu.
Qu'on se persuade bien qu'en cela consiste la plus haute perfection4. »
Voilà aussi tout ce que le Seigneur demande de nous. Mon fils, nous
dit-il, donne-moi ton cœur5, c'est-à-dire ta volonté. Sur
quoi saint Anselme observe que Dieu se fait en quelque sorte mendiant pour
nous deman-der notre cœur; nous le repoussons, mais il ne se retire pas,
et ne cesse de nous réitérer sa
IV.
Par la
conformité
à la
volonté de Dieu
1. Quos passio jungebat, causa separabat. Epist. 185. E. B.
2. Hi sunt qui venerunt de tribulatione magna...; ideo sunt ante thronum
Dei. Apoc. vii. 14.
3. Et vita in voluntate ejus. Ps. xxix. 6.
4. Chât. int. d. 2. ch. 1.
5. Praebe, fili mi, cor tuum mihi. Prov. xxiii. 26.
520
DIXIÈME INSTRUCTION.
Surtout
dans
la souffrance.
demande. « O mon Dieu, s'écrie le saint, n'est-ce
pas vous qui frappez si souvent et qui vous tenez, comme un mendiant, à
ma porte? Mon fils, me dites-vous, donne-moi ton cœur. Que de fois, hélas!
je vous ai repoussé! mais toujours vous êtes revenu1. »
Nous ne saurions donc rien offrir de plus agréable à Dieu
que notre volonté, en lui disant avec l'Apôtre : Seigneur,
que voulez-vous que je fasse2 ? « Pour faire à Dieu la plus
agréable de toutes les offrandes, remarque saint Augustin, il suffit
que nous lui disions : Seigneur, possédez-moi 3. » Le Seigneur
déclare qu'il a trouvé dans David un homme selon son cœur:
pourquoi? parce que David accomplissait toutes les volontés de Dieu.
J'ai trouvé dans David, fils de Jessé, un homme selon mon
cœur, qui fiera toutes mes volontés4. Avec David disons donc sans
cesse à Dieu: Apprenez-moi à faire votre volonté5,
à ne plus faire que votre volonté. Avec lui encore, disons
fréquemment, pour nous offrir à Dieu: Mon cœur est prêt,
Seigneur, mon cœur est prêt6. Mais il faut remarquer que le mérite
en ceci consiste à faire la volonté de Dieu non pas dans
les choses qui sont de notre goût, mais dans celles dont s'accommode
moins notre amour-propre. Voilà la pierre de touche de notre amour
pour
1. Nonne tu es Deus meus, qui tam crebro puisas et mendicas ad ostium
nostrum, dicens: Praebe fili mi, cor tuum mihi? — imo, et saepe repulsus,
te iterum ingeris! De Mensura cruc. c. 5.
2. Domine, quid me vis facere? Act. ix. 6.
3. Nihil gratius Deo possumus offerre, quam ut dicamus ei: Pos-side
nos. In Ps. cxxxi.
4. Inveni David, filium Jesse, virum secundum cor meum, qui fa-ciet
omnes voluntates meas. Act. xiii. 22.
5. Doce me facere voluntatem tuam. Ps. cxlii. 9.
6. Paratum cor meum, Deus, paratum cor meum. Ps. LVI. 8.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 521
Dieu. Le vénérable Jean d'Avila disait: Un seul
Dieu soit béni! dans la tribulation vaut plus que mille actions
de grâces dans la prospérité. A cet égard pénétrons-nous
bien de cette vérité-ci: « Rien de ce qui nous arrive
n'arrive que par la volonté de Dieu; et, comme le disait saint Au-gustin,
de tous ces accidents qui surviennent ici-bas contre notre volonté,
sachez-le bien, il n'en arrive pas un seul qui ne soit de la volonté
de Dieu1. » L'Ecclésiastique nous l'apprend claire-ment par
ces paroles: Les biens et les maux, la vie et la mort, la pauvreté
et les richesses, vien-nent de Dieu2. Que, par exemple, quelqu'un nous
injurie, certes Dieu ne veut pas ce péché contre la charité,
mais il veut que nous supportions cette insulte. Quand donc on nous fait
tort dans notre réputation, dans notre fortune, il faut nous écrier
avec le saint homme Job : Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a
ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été
fait : que le nom du Seigneur soit béni3 !
De quelle paix ne jouit pas continuellement, même ici-bas, celui
qui s'attache de tout son cœur à la volonté de Dieu ! Mets
tes délices dans le Sei-gneur, et il t'accordera ce que demande
ton cœur 4. Notre cœur est créé pour un bien infini, et dès
lors toutes les créatures ensemble ne peuvent le satisfaire, car
elles sont finies ; aussi de quelques
1. Quidquid hic accidit contra voluntatem nostram, noveritis non accidere
nisi de voluntate Dei. In Ps. CXLVIII.
2. Bona et mala, vita et mors, paupertas et honestas, a Deo sunt. Eccli.
xi. 14.
3. Dominus dedit, Dominas abstulit; sicut Domino placuit, ita factum
est; sit nomen Domini benedictum. Job. I. 21.
4. Delectare in Domino, et dabit tibi petitiones cordis tni. Ps. xxxvi.
4.
Avantages de cette pratique pendant la vie,
522 DIXIÈME INSTRUCTION.
biens qu'on le comble en dehors de Dieu, rien ne satisfait jamais notre
cœur, et toujours il cherche autre chose. Mais à peine trouve-t-il
Dieu qu'il trouve tout, car Dieu rassasie tous nos désirs, C'est
pourquoi le Sauveur disait à la Samari-taine : Celui qui boira de
l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif1. Il dit également:
Bien-heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront
rassasiés 2. Par conséquent celui qui aime Dieu, quoi qu'il
puisse lui arriver, n'est jamais dans la tristesse. Quoi qu'il arrive au
juste, rien ne le contristera3, car le juste sait par-faitement que rien
n'arrive jamais que par la vo-lonté de Dieu. « Quand les saints
reçoivent des hu-miliations, dit Salvien, ils ont ce qu'ils veulent
; quand ils ressentent les privations de la pauvreté, ils se réjouissent
d'être pauvres; bref, ils veulent uniquement ce que veut leur bien-aimé
Seigneur : aussi jouissent-ils d'une paix continuelle, et c'est à
bon droit qu'on les proclame bienheureux 4. » Sans doute nous pouvons
bien, dans nos peines, prier Dieu de nous en délivrer, à
l'exemple de Jésus-Christ dans le jardin des Olives : Mon Père,
s'il est possible, que ce calice passe loin de moi5 ! Mais, avec Jésus-Christ,
il faut aussi que nous ajoutions tout de suite : Toutefois non pas comme
je veux, mais comme vous voulez6.
1. Qui autem biberit ex aqua quam ego dabo ei, non sitiet in aeternum.
Jo. iv. 13.
2. Beati qui esuriunt et sitiunt justitiam, quoniam ipsi satura-buntur.
Matth. v. 6.
3. Non contristabit justum, quidquid ei acciderit. Prov. xii. 21.
4. Humiles sunt, hoc volunt; pauperes sunt, pauperie delectantur; itaque
beati dicendi sunt. De Gub. Dei. l. 1.
5. Pater mi, si possibile est, transeat a me calix iste. Matth. xxvi.39.
6. Verumtamen, non sicut ego volo, sed sicut tu. Ibid.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 523
Ce que Dieu veut, voilà bien certainement ce qu'il y a
de mieux pour nous. Le vénérable Jean d'Avila écrivait
à un prêtre éprouvé par la mala-die: «
Mon ami, n'allez pas perdre votre temps à voir ce que vous feriez
si vous étiez en bonne santé. Contentez-vous d'être
malade aussi long-temps que Dieu le voudra. Si vous cherchez la volonté
de Dieu, que vous importe d'être en bonne santé ou d'être
malade1 ?» — Il faut nous résigner à tout, même
aux tentations que l'enfer suscite pour nous porter à offenser Dieu.
Assailli par toutes sortes de tentations contre la chasteté, l'A-pôtre
priait le Seigneur de l'en délivrer: Il m'a été donné
un aiguillon dans ma chair... C'est pour-quoi j'ai prié trois fois
le Seigneur de me l'ôter2. Mais Dieu lui répondit : Ma grâce
te suffit3. Per-suadons-nous que Dieu veut notre bien et qu'il s'inquiète
de nous le procurer. Le Seigneur, dit le Psalmiste, est plein de sollicitude
pour moi4. Abandonnons-nous donc entre ses mains, puis-que nos intérêts
lui tiennent tant au cœur. En toutes vos sollicitudes, nous dit saint Pierre,
repo-sez-vous sur lui, car lui-même a soin de vous5.
Enfin quelle mort heureuse fera le chrétien entièrement
uni à la volonté de Dieu ! Mais pour mourir dans cette bienheureuse
uniformité à la volonté divine, il ne faut jamais
s'en départir pen-dant la vie. Prenons donc, dans toutes nos adver-
1. Part. 2. Ep. 54.
3. Datus est mihi stimulus carnis meae...; propter quod ter Domi-num
rogavi, ut discederet a me. II Cor. xii. 7.
3. Sufficit tibi gratia mea. lbid.
4. Dominus sollicitas est mei. Ps. xxxix. 18.
5. Omnem sollicitudem vestram projicientes in eum, quoniam ipsi cura
est de vobis. I Pet. v. 7.
Avantages
surtout à la mort.
524 DIXIÈME INSTRUCTION.
Conclusion;
Résolution
sités ou désagréments, l'habitude de pratiquer
la sainte résignation ; et pour cela, ayons sans cesse sur les lèvres
cette grande parole, si chère aux saints et si conforme à
l'esprit de Jésus-Christ : Fiat voluntas tua ! Fiat voluntas tua
! ou bien encore disons avec Notre-Seigneur lui-même : Qu'il en soit
ainsi, à mon Père, parce qu'il vous a plu ainsi 1. Comme
aussi offrons-nous conti-nuellement à Dieu en lui disant avec la
divine Mère : Voici la servante du Seigneur 2. Oui, Sei-gneur, voici
votre serviteur : disposez donc de moi et de ce qui m'appartient selon
votre bon plaisir, j'accepte tout. Sainte Thérèse avait l'ha-bitude
de s'offrir ainsi à la volonté de Dieu cin-quante fois chaque
jour. Ou bien disons avec l'Apôtre : Seigneur, que voulez-vous que
je fasse3 ? mon Dieu, faites-moi connaître ce que vous vou-lez de
moi : je veux accomplir toutes vos volontés. Que n'ont pas fait
les saints pour embrasser la volonté de Dieu ? On les a vus s'ensevelir
dans les déserts, s'enfermer dans les cloîtres, perdre leur
vie dans les tourments. Et nous qui sommes prêtres, et, comme tels,
plus obligés que les autres de nous sanctifier, unissons-nous énergiquement
à la volonté divine et devenons saints, sans nous laisser
décourager par les péchés de notre vie passée,
car, selon cette parole citée plus haut de saint Bernard,
« Dieu n'examine pas ce que l'homme a été, mais ce
qu'il veut être4. » Avec le secours d'en-haut, il n'est rien
dont une volonté
1. Ita, Pater, quoniam sic fuit placitum ante te. Matth. xi. 26.
2. Ecce ancilla Domini.
3. Domine, quid me vis facere?
4. Non attendit Deus quid fecerit homo, sed quid velit esse.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU. 525
résolue ne parvienne à triompher. Prions tou-jours:
celui qui prie, obtient1, dit Notre-Seigneur. Il dit encore : Vous demanderez
tout ce que vous voudrez, et il vous sera fait2. Entre toutes les prières,
aimons surtout et répétons sans cesse la belle prière
de saint Ignace de Loyola : « Seigneur, donnez-moi votre amour et
votre grâce; je ne dé-sire pas autre chose3. » Ce qu'il
faut plus parti-culièrement, c'est la persévérance
et la ferveur à demander cette grâce de l'amour divin, comme
le faisait saint Augustin. « Exaucez-moi, disait-il à Dieu,
oui, exaucez-moi, exaucez-moi, ô mon Dieu, mon roi, mon père,
ma gloire, mon salut, ma lumière, ma vie ; exaucez-moi, hâtez-vous,
oui, hâtez-vous de m'exaucer. C'est vous seul que j'aime, c'est après
vous seul que je soupire. Gué-rissez et dessillez mes yeux. Accueillez
votre enfant prodigue. Hélas ! je n'ai que trop servi vos enne-mis
: ordonnez qu'à l'avenir je sois un vrai et par-fait disciple de
votre sagesse4. » J'ajoute avec saint Bernard : Ne cherchons jamais
la grâce sans recou-rir à l'intercession de Marie, car tout
ce qu'elle demande pour ses serviteurs, Dieu le lui accorde. « Cherchons
la grâce, s'écrie le saint docteur,, et cherchons-la par Marie,
car ce qu'elle cherche, elle le trouve, et jamais elle n'essuie de refus5.
»
1. Omnis enim qui petit accipit. Matth. vii. 8.
2. Quodcumque volueritis, petetis, et fiet vobis. Jo. xv. 7.
3. Amorem tui solum cum gratia tua mihi dones, et dives sum satis.
4. Exaudi, exaudi, exaudi me, Deus meus, Rex meus, Pater meus, Honor
meus, Salus mea, Lux mea, Vita mea ! Exaudi, exaudi, exaudi me. Jam te
solum amo, te solum quaero. Sana et aperi oculos meos. Recipe fugitivum
tuum ; satis inimicis tuis servierim. Jubeas me purum perfectumque amatorem
esse sapientiae tuae. Solil. l. 1. c. 1.
5. Quaeramus gratiam, et per Mariam quaeramus ; quia quod quaerit,
invenit, et frustrari non potest. De Aquaed.
Et prière
ONZIEME INSTRUCTION.
SUR LA DÉVOTION
ENVERS
LA SAINTE VIERGE MARIE.
Ce sujet peut être traité aussi bien sous forme de ser-mon
que sous forme d'instruction. Mais, de quelque ma-nière qu'il veuille
le traiter, celui qui donne les saints exercices aux prêtres est
instamment prié dé ne jamais l'omettre, car rien n'est peut-être
plus important que de parler de la dévotion envers la sainte Vierge
Marie, attendu que, sans cette dévotion, il est moralement impossible
qu'un prêtre soit bon prêtre.
Considérons, en premier lieu, que l'intercession de la sainte.
Vierge est moralement nécessaire aux prêtres ; et voyons,
en second lieu, quelle grande confiance ils doivent avoir dans les prières
de cette bonne Mère.
?I.
L'INTERCESSION DE MARIE EST MORALEMENT INDISPENSABLE, SURTOUT AU PRETRE.
Le concile de Trente, parlant de l'intercession des saints, ne l'a
pas proclamée, il est vrai, néces-saire de nécessité
absolue, mais seulement utile1.
1. Sess. 25. de inv. Sanct.
528 ONZIÈME INSTRUCTION.
Cependant saint Thomas se pose cette question : « Devons-nous
prier les saints d'intercéder en notre faveur1 ? » et il répond
affirmativement, attendu que, d'après l'ordre de la Providence tel
que Dieu l'a établi, nous qui sommes ici-bas, nous parve-nons au
ciel par l'entremise des saints, et cela en obtenant par leur moyen les
grâces nécessaires au salut. Voici ses propres paroles : «
Tel est, d'après saint Denys l'Aréopagite, l'ordre divinement
éta-bli pour le gouvernement des choses, que les plus lointaines
retournent à Dieu par l'entremise des plus proches. Et comme les
saints au ciel sont tout près de Dieu, nous autres, prisonniers
dans notre corps et qui voyageons loin de Dieu, nous ne pouvons, en conséquence
de l'ordre établi, retourner à notre fin suprême que
par l'entremise des saints2. » Il ajoute : « De même
que les bien-faits de Dieu descendent sur nous grâce aux suf-frages
des saints, ainsi faut-il qu'avec le secours des saints nous retournions
à Dieu pour jouir davantage encore de ses bienfaits3. »
La même doctrine se retrouve dans beaucoup d'autres au-teurs, et
notamment dans Sylvius et le continua-teur de Tournely. « La loi
naturelle, dit celui-ci, nous prescrit d'observer l'ordre établi
par Dieu. Or Dieu veut que les créatures inférieures, pour
1. Utrum debeamus Sanctos orare ad interpellandum pro nobis?
2. Ordo est divinitus institutus in rebus, secundum Dionysium, ut per
media ultima reducantur in Deum. Unde, cum sancti, qui sunt in patria,
sint Deo propinquissimi, hoc divinae legis ordo requirit, ut nos, qui manentes
in corpore, peregrinamur a Domino, in eum per Sanctos medios reducamur.
In 4 sent. d. 45. q. iii. a. 2.
3. Sicut, mediantibus sanctorum suffragiis, Dei beneficia in nos deveniunt,
ita oportet nos in Deum reduci, ut iterato beneficia ejus sumamus mediantibus
Sanctis. Ibid.
SUR LA DÉVOTION ENVERS LA SAINTE
VIERGE. 529
parvenir au salut, implorent le secours des créa-tures
supérieures1. »
Si l'intercession des saints est nécessaire, à com-bien
plus forte raison sera nécessaire l'interces-sion de Marie, car
ses seules prières ont bien plus de puissance sur le cœur de Dieu
que celles de tous les saints réunis.
« C'est une grande chose, dit saint Thomas, qu'un saint ait une
grâce assez abondante pour sauver beaucoup d'âmes. Mais ce
serait le comble de la grandeur qu'il en eût assez pour sauver toutes
les âmes. Or telle est la grâce de Jésus-Christ et de
la sainte vierge Marie2. » De même que nous avons accès
auprès de Dieu moyennant son Fils Jésus-Christ, ainsi moyennant
sa divine Mère nous avons accès auprès du Fils; et,
comme le dit saint Bernard en s'adressant à Marie: « Par vous,
qui avez retrouvé la grâce et qui êtes la Mère
de notre salut, nous nous approchons du Fils de Dieu, afin que, nous ayant
été donné par vous, par vous aussi il nous reçoive
nous-mêmes3. » Il s'ensuit que de toutes les grâces dont
Dieu nous comble, aucune ne vient à nous que par le canal de Marie.
« Car, dit encore saint Bernard, Dieu a placé dans Marie la
plénitude de tous les biens. Reconnaissons-le donc, tout ce qu'il
y a en nous
1. Lege naturali tenemur eum ordinem observare, quem Deus ins-tituit;
at constitua Deus ut inferiores ad salutem perveniant, implo-rato superiorum
subsidio. De Relig. p. 2. c. 2. a. 5.
2. Magnum est enim in quolibet sancto, quando habet tantum de gratia
quod sufficit ad salutem multorum ; sed, quando haberet tan-tum quod sufficeret
ad salutem omnium, hoc esset maximum, et hoc est in Christo et in Beata
Virgine. Expos. in Sal. Ang.
3. Per te accessum habeamus ad Filium, o Inventrix gratis, Mater salutis,
ut per te nos suscipiat qui per te datas est nobis! In Adv. Dom. s. 2.
Dieu n'accorde
aucune grâce
qu'à la
prière de Marie.
LE PRÊTRE. — T. I.
34
530
ONZIÈME INSTRUCTION.
Marie
obtient tout de
Dieu.
d'espérance, de grâces et de salut, nous tenons
tout de celle qui s'élève comblée de délices.
Elle est véritablement un jardin de délices, en sorte que
de tous côtés autour d'elle, se répandent les parfums
les plus exquis, c'est-à-dire les dons et les grâces de Dieu1.
» Voici la raison qu'en donne le saint : « La volonté
de Dieu est de nous accor-der par Marie toutes les grâces dont nous
avons besoin2. » Tel est précisément le sens de ces
dif-férents textes de la sainte Ecriture que l'Eglise applique à
Marie. Celui qui me trouvera trouvera la vie, et puisera le salut dans
le Seigneur3. En moi est toute grâce de voie et de vérité,
en moi toute espérance de vie et de vertu... Ceux qui agissent par
moi, ne pécheront pas, et ceux qui me font connaître aux autres
auront la vie éter-nelle4. Au surplus, pour achever de nous con-vaincre
de cette vérité, il suffirait de peser ces simples paroles
que l'Eglise nous fait adresser à la sainte Vierge dans le Salve
Regina: « Salut, ô notre vie, notre douceur, notre espérance5
! »
C'est pourquoi saint Bernard nous presse de recourir à Marie
avec la certitude pleine de con-
1. Totius boni plenitudinem posuit (Deus) in Maria, ut proinde, si
quid spei in nobis est, si quid gratis, si quid salutis, ab ea noverimus
redundare, quae ascendit deliciis affluens : hortus deliciarum, ut undi-que
fluant et effluant aromata ejus, charismata scilicet gratiarum. De Aquaed.
2. Sic est voluntas ejus qui totum nos habere voluit per Mariam. Ibid.
3. Qui me invenerit, inveniet vitam, et hauriet salutem a Domino. Prov.
viii. 35
4. In me gratia omnis viae et veritatis; in me omnis spes vitae et
virtutis... Qui operantur in me, non peccabunt. Qui elucidant me, vitam
aeternam habebunt. Eccli. xxiv. 25.
5. Salve Regina,... Vita, dulcedo, et spes nostra.
SUR LA DÉVOTION ENVERS LA SAINTE VIERGE.
531
fiance qu'autant nous lui demanderons de grâces, autant elle
nous en obtiendra, parce que Jésus-Christ ne sait rien refuser à
sa Mère. « Oui, s'écrie le saint docteur, qui que vous
soyez, recourez à Marie; je le dis sans hésitation, impossible
que le Fils n'exauce pas sa Mère 1. » « Mes chers en-fants,
ajoute-t-il, Marie est l'échelle des pêcheurs, elle est ma
confiance la plus assurée et tout le fondement de mon espérance2.
» Il conclut de là que tous nous devons recourir à
Marie chaque fois que nous désirons quelque grâce, car elle
ne demande jamais rien qu'elle n'obtienne, et ses prières
ne peuvent être rejetées. « Cherchons la grâce
et cherchons-la par Marie, car ce qu'elle cherche elle le trouve, et jamais
elle n'essaie de refus3. » Bien avant saint Bernard, saint Éphrem
avait déjà dit : « O Vierge, la plus pure des créa-tures,
vous êtes notre seule espérance 4 ! » Et saint Ildephonse
: « Tous les biens dont la Majesté di-vine a résolu
de nous combler, c'est entre vos mains qu'elle les a déposés,
car vous êtes vérita-blement la dépositaire des trésors
de Dieu et des richesses de sa grâce5. » Pareillement saint
Pierre Damien : « Dans vos mains se trouvent tous les trésors
des divines miséricordes 6. » Et saint Ber-
1. Ad Mariam recurre ; non dubius dixerim, exaudiet utique Matrem Filius.
De Aquaed.
2. Filioli, haec peccatorum scala, haec mea maxima fiducia
est, haec tota ratio spei meae. Ibid.
3. Quaeramus gratiam, et per Mariam quaeramus ; quia, quod quaerit,
invenit, et frustrari non potest. De Aquaed.
4. Nobis non est alia quam a te fiducia, o Virgo sincerissima! De Laud.
B. M. V.
5. Omnia bona quae illic summa Majestas decrevit facere, tuis ma-
nibus voluit commendare; commissi quipe sunt tibi thesauri... et
ornamenta gratiarum. De Cor. Virg. c. 15.
6. In manibus tuis sunt thesauri miserationum Domini. De Nat. s. 1.
532
ONZIEME INSTRUCTION.
nardin de Sienne : « Vous êtes la dispensatrice de
toutes les grâces : de vous dépend notre salut 1. »
Ainsi s'expriment également saint Jean Damas-cène, saint
Germain, saint Anselme, saint Anto-nin, l'Idiota et beaucoup d'autres pieux
et savants écrivains, tels que Segneri, Paciucchelli, Crasset,
Vega, Mendoza, le père Noël Alexandre. Nous lisons dans ce
dernier : « Dieu veut que nous at-tendions de lui tous les biens,
de telle sorte cepen-dant que, pour les obtenir, nous recourions à
la toute-puissante intercession de la Vierge Mère, en lui adressant,
comme il convient, nos humbles supplications 2. » Et dans le père
Contenson, ex-pliquant ces paroles adressées par Jésus du
haut de la croix à saint Jean : Ecce Mater tua, nous lisons : «
C'est comme si Jésus-Christ avait dit : Personne ne participera
à l'effusion de mon sang, si ce n'est par l'intercession de ma Mère.
La grâce jaillit de mes blessures comme de sa source, mais c'est
uniquement par le moyen de Marie qu'elle s'épanche en ruisseaux
bienfaisants pour se verser sur les âmes. Jean, mon cher disciple,
autant vous aimerez Marie, autant je vous aimerai 3. »
Sans la dévotion à Marie,
pas de salut pour le prêtre.
Si tous les hommes doivent pratiquer la dé-votion envers
la Mère de Dieu, parce que son
1. Tu dispensatrix omnium gratiarum; salus nostra in manu tua
est.
2. Deus vult ut omnia bona ab ipso expectemus, potentissima Virginis
Matris intercessione, cum eam, ut par est, invocamus, im-petranda. Ep.
5o. in calce Theol.
3. Ecce Mater tua; quasi diceret : Nullus sanguinis illius particeps
erit, nisi intercessione Matris meae. Vulnera gratiarum fontes sunt; sed
ad nullos derivabuntur rivi, nisi per Marianum canalem. Joannes discipule,
tantum a me amaberis, quantum eam amaveris. Theol. ment. et cord. t. 2.
l. 10. d. 4. c. 1.
SUR LA DÉVOTION ENVERS
LA SAINTE VIERGE.
533
intercession est moralement nécessaire à tous, combien
plus les prêtres ne doivent-ils pas la cul-tiver ! Car, par cela
même qu'ils ont de plus grands devoirs à remplir, ils ont
besoin de plus grandes grâces pour se sauver. Oui, nous qui sommes
prê-tres, nous devrions sans cesse nous tenir aux pieds de Marie
pour implorer son secours.
Saint François de Borgia craignait beaucoup pour la persévérance
et le salut de tous ceux qui n'ont pas une dévotion spéciale
envers la sainte Vierge. En effet, prétendre aux grâces de
Dieu sans recourir à Marie, « c'est, comme le dit saint Antonin,
essayer de voler sans ailes1. » Saint An-selme va jusqu'à
s'écrier : « Impossible, ô Marie, qu'une âme qui
se tient loin de vous, échappe à l'enfer 2. » «
Celui qui néglige de recourir à Marie, dit également
saint Bonaventure, mourra dans ses péchés 3. » Et le
bienheureux Albert le Grand : « L'éternelle mort, voilà
quel sera le partage des malheureux qui ne vous servent pas, ô Marie4.
» « La mer du monde engloutira, dit Richard de Saint-Laurent,
tous ceux que ne recueille pas l'arche de salut, c'est-à-dire l'auguste
Marie5. » Mais aussi quiconque persévère dans la dévotion
envers la sainte Vierge, certainement se sauvera. « O Mère
de Dieu ! s'écriait saint Jean Damascène, si je mets ma confiance
en vous, je serai sauvé ; si
1. Sine alis tentat volare. P. 4. tit. 15. c. 22.
2. Omnis a te aversus, necesse est ut intereat. Orat. 51.
3. Qui neglexerit illam, morietur in peccatis suis. Psalt. B. V. ps.
116.
4. Gens quae non servierit tibi peribit. Bibl. Mar. Is. n. 20.
5. In mare mundi submerguntur omnes illi, quos non suscipit navis ista.
De Laud. B. M. l. 11.
534
ONZIÈME INSTRUCTION.
Toute-puissance de Marie
je vis sous votre protection, je n'ai rien à craindre.
Car vous être dévoué, c'est avoir ces armes tou-jours
victorieuses que Dieu accorde à ceux-là seu-lement qu'il
veut sauver1. »
II.
QUELLE GRANDE CONFIANCE LE
PRETRE DOIT AVOIR DANS L'INTERCESSION
DE MARIE.
Voyons maintenant quelle confiance nous de-vons avoir dans l'intercession
de Marie à cause de sa puissance et de sa bonté.
D'abord sa puissance. Il ne faut pas dire de l'in-tercession de Marie
qu'elle est simplement puis-sante, mais toute-puissante. « O Marie,
s'écrie Cosme de Jérusalem, tout-puissant est votre cré-dit
2. » « Le Fils, qui est tout-puissant, dit Richard de Saint-Laurent,
a voulu que sa Mère fût aussi toute-puissante3. » Le
Fils est tout-puissant par nature, la Mère est toute-puissante par
grâce et en ce sens qu'elle obtient de Dieu tout ce qu'elle demande.
Et cela pour deux raisons : la première, parce qu'elle a surpassé
toutes les créatures en amour et en fidélité envers
Dieu: aussi, comme le remarque Suarez, Dieu de son côté aime
Marie plus qu'il n'aime tous les bienheureux ensemble. Sainte Brigitte
entendit un jour Jésus dire à la sainte Vierge : «
Ma Mère, demandez-moi tout ce
1. CRASSET. Ver. Dév. p. 1. tr. 1. q. 6.
2. Omnipotens auxilium tuum, o Maria. Hymn. 6.
3. Ab omnipotente Filio omnipotens Mater est effecta. De Laud. B. M.
1. 4.
SUR LA DÉVOTION ENVERS
LA SAINTE VIERGE.
535
que vous voulez, car il ne se peut pas qu'une seule de vos prières
reste sans effet1. » Il ajouta : « Vous ne m'avez rien refusé
pendant que nous vivions sur la terre, maintenant que nous sommes au ciel
je ne veux non plus rien vous refuser 2. » La se-conde raison, c'est
que Marie est mère. « Dans la prière de Marie il y
a, dit saint Antonin, quelque-chose du commandement, parce que c'est la
prière d'une mère : impossible dès lors qu'elle prie
sans être exaucée3. » « O ma Souveraine, lui dit
en con-séquence saint Jean Damascène, vous êtes toute-puissante
pour sauver les pécheurs, et vous n'avez pas besoin d'un autre titre
auprès de Dieu, car vous êtes sa Mère 4. » Saint
Georges de Nicomédie ajoute même que Jésus accorde
toutes les deman-des de Marie comme pour payer la dette qu'il a contractée
en recevant d'elle l'être humain. « C'est, lui dit-il, pour
s'acquitter de sa dette envers vous, que votre Fils exauce toutes vos prières5.
» Voilà pourquoi saint Pierre Damien, considérant Marie
au moment où elle s'apprête à demander quelque grâce
pour ses dévots serviteurs, ne craint pas de lui dire : «
Vous allez devant l'autel où s'opère notre réconciliation,
non pas pour supplier mais pour commander, non pas en qualité de
servante mais à titre de souveraine, car votre Fils vous
1. Mater, pete quodvis a me; non enim inanis potest esse petitio tua.
Rev. l. 6. c. 23.
2. Quia tu mihi nihil negasti in terra, ego tibi nihil negabo in cœlo.
Ibid. l. 1. c. 24.
3. Oratio Deiparae habet rationem imperii; unde impossibile est eam
non exaudiri. P. 5. t. 15. c. 17. § 4.
4. In Dorm. B. V. s. 2.
5. Filius, quasi exsolvens debitum, petitiones tuas implet. Or. de
Ingr. B. V.
536
ONZIÈME INSTRUCTION.
Pour sauver
même
les plus grands
pécheurs.
honore en ne vous refusant aucune faveur 1. » Ce fut même
ici-bas l'un des privilèges de Marie que de voir toutes ses prières
exaucées par son divin Fils. Aux noces de Cana, par exemple, la
sainte Vierge voyant que le vin manquait et désirant que son Fils
vînt au secours des époux, se contenta de lui dire : Ils n'ont
plus de vin2. Mais Jésus lui répondit : O femme, que vous
importe à vous et à moi? mon heure n'est pas encore venue3.
« Sans doute, remarque saint Jean Chrysostome, il sem-ble par cette
réponse que la demande de Marie soit repoussée : «
cependant, ajoute-t-il, bien que Jésus-Christ eût répondu
de la sorte, il ne laissa pas d'obtempérer à la prière
de sa Mère 4. »
Il n'y a pas jusqu'aux plus grands pécheurs pour lesquels Marie,
par ses prières, n'obtienne d'insignes faveurs, car ses prières
sont toujours celles d'une mère. « En vertu de cette maternelle
autorité dont vous jouissez sur Dieu, vous obte-nez, s'écrie
saint Germain, grâce et miséricorde même pour les plus
misérables pécheurs. Car votre prière ne peut être
repoussée, puisque tou-jours et sans cesse Dieu vous traite comme
sa vraie et immaculée Mère5. » Bref, dans quelque abîme
d'impiété que soit tombé le pécheur, Marie
1. Accedis ante illud humanae reconciliationis Altare, non solum rogans,
sed imperans, Domina, non ancilla; nam Filius, nihil negans, honorat te.
In Nat. B. V. s. 1.
2. Vinum non habent. Jo. II. 3.
3. Quid mihi et tibi est, mulier? Nundum venit hora mea. Ibid.
4. Et licet ita responderit, maternis tamen precibus obtemperavit.
In Jo. hom. 21.
5. Tu autem, materna in Deum auctoritate pollens, etiam iis qui enormiter
peccant, gratiam concilias; non enim potes non exaudiri, cum Deus tibi,
ut verse et intemeratae Matri, in omnibus morem gerat. In Dorm. Deip. s.
2.
SUR LA DÉVOTION ENVERS
LA SAINTE VIERGE.
537
peut, à son gré, le sauver par son intercession;
et, comme le lui dit saint Georges de Nicomédie, « Dieu vous
a donné une puissance sans limites, afin que la multitude des péchés
ne surpasse pas votre clémence. Rien ne résiste à
votre pouvoir, car le Créateur regarde votre gloire comme sa propre
gloire1.» O ma Reine, rien ne vous est impossible, car vous pouvez
secourir et sauver les pécheurs même les plus désespérés.
« Non, vous dit saint Pierre Damien, rien ne vous est impossible,
puis-que vous pouvez faire renaître l'espérance du salut même
dans les âmes qui ont perdu tout espoir2. »
Marie n'a pas seulement la puissance de nous sauver en priant pour
nous; mais, bonne et com-plaisante comme elle l'est, elle vient encore
nous sauver. « Non, dit saint Bernard, ni la puissance ni la volonté
ne peuvent lui faire défaut3. »
Marie s'appelle la Mère de la miséricorde, parce que,
pressée par le tendre amour qu'elle nous porte, elle nous aime et
nous secourt comme une mère aime et secourt son enfant malade.«
L'amour de toutes les mères ensemble n'égalerait pas, dit
le père Nieremberg, l'amour de Marie pour le dernier de ses serviteurs,
dès qu'il réclame sa pro-tection 4. » Je suis, nous
dit-elle, comme un bel olivier au milieu des champs5. Pourquoi au mi-
1. Habes vires insuperabiles. ne clementiam tuam superet multi-tudo
peccatorum. Nihil tuae resistit potentiae; tuam enim gloriam Creator existimat
esse propriam. Or. de Ingr. B. V.
2. Nihil tibi impossibile, cui possibile est desperatos in spem bea-titudinis
relevare. De Nat. B. V. s. 1.
3. Nec facultas ei deesse poterit, nec voluntas. In Assump. s. 1. 4.
De Aff. erga. B. V. c. 14.
5. Quasi oliva speciosa in campis Eccli. xxiv. 19.
Sa bonté
Toute maternelle
Et toute miséricordieuse.
538 ONZIÈME INSTRUCTION.
lieu des champs ? « Afin que tous le voient et se réfugient
sous son ombre1 », répond le cardinal Hugues de Saint-Cher.
Et de même que l'olivier, quand on le presse, se met à répandre
de l'huile, symbole de la miséricorde, ainsi Marie verse ses miséricordes
sur tous ceux qui viennent réclamer son secours. « Au ciel,
ajoute le bienheureux Amé-dée, notre auguste Souveraine se
tient sans cesse en présence du Créateur, afin d'offrir pour
nous les supplications de sa toute-puissante prière2. » Et
le vénérable Bède avait déjà dit: «
Toujours en présence de son divin Fils, elle ne cesse un instant
d'intercéder pour les pécheurs3. »
« D'une fontaine de miséricorde, se demande
saint Bernard, que peut-il sortir, sinon la miséri-
corde 4 ? » Sainte Brigitte entendit un jour notre
Sauveur dire à Marie : « Ma Mère, demandez-moi
tout ce que vous voulez5 ; » et Marie répondit :
« Je demande miséricorde pour les misérables6.»
En d'autres termes : Mon fils, puisque vous avez
fait de moi une Mère de miséricorde, que puis-je
vous demander? je vous demande seulement grâce
et miséricorde pour les pauvres pécheurs.
La charité qui règne dans le cœur de Marie est si grande,
qu'elle se sent contrainte d'ouvrir à tous le sein de sa miséricorde.
« Dans son immense
1. In campis, ut omnes eam respiciant, omnes ad eam confugiant.
2. Adstat Beatissima Virgo vultui Conditoris, prece potentissima, semper
interpellans pro nobis.
3. Stat Maria in conspectu Filii sui, non cessans pro peccatoribus
exorare.
4. Quid de fonte pietatis procederet, nisi pietas? Dom. 1. p. Epiph.
serm. 1.
5. Mater, pete quod vis a me. Rev. l. 6. c. 23.
6. Misericordiam peto miseris. Ibid. l. 1. c. 50.
SUR LA DÉVOTION ENVERS LA SAINTE VIERGE.
539
charité, dit saint Bernard, elle se tient à la dis-position
de tous ; tous, justes et pécheurs, ont droit sur elle, et c'est
en faveur de tous qu'elle ouvre son cœur plein de miséricorde afin
que tous reçoivent de sa plénitude1. » Quand saint
Bonaventure contemplait Marie, il lui semblait que la justice divine disparaissait
avec ses ri-gueurs, pour ne plus laisser apercevoir que la mi-séricorde,
remise par Dieu lui-même aux mains de Marie en faveur des misérables.
« Ma Souve-raine, lui disait-il, lorsque je vous considère,
la miséricorde apparaît seule à mes regards; car c'est
pour les misérables que Dieu vous a faite sa Mère, et vous
n'avez d'autre office que celui de la misé-ricorde2. » D'après
saint Léon, « telle est la gran-deur de sa miséricorde,
qu'il faudrait la proclamer non seulement miséricordieuse, mais
la miséri-corde même3. » « Et de fait, s'écrie
saint Germain, est-il personne, après votre Fils, ô Marie,
qui vous égale en sollicitude pour le genre humain? est-il personne
qui vienne aussi efficacement secourir les malheureux et défendre
les pécheurs? En vérité votre miséricordieux
patronage dépasse tout ce que nous pouvons imaginer4.
» Saint
1. Sapientibus et insipientibus copiosissima charitate debitricem se
fecit; omnibus misericordiae sinum aperit, ut de plenitudine ejus accipiant
universi. In Sign. magn.
2. Certe, Domina! cum te aspicio, nihil nisi misericordiam cerno;
nam pro miseris Mater Dei facta es, et tibi miserendi est officium
commissum. Stim. div. am. p. 3. c. 19.
3. Maria adeo praedita est misericordiae visceribus, ut, non tantum
misericors, sed ipsa misericordia dici promereatur.
4. Quis, post Filium tuum, curam gerit generis humani, sicut tu ? Quis
ita nos defendit in nostris afflictionibus? Quis pugnat pro pec-catoribus?
Propterea patrocinium tuum majus est, quam compre-hendi possit. De Zona
Deip.
540 ONZIÈME INSTRUCTION.
Augustin va même jusqu'à lui dire: «Votre solli-citude
surpasse celle de tous les bienheureux, tellement que dans le ciel vous
seule semblez prendre à cœur les intérêts de l'Eglise1.
» Comme s'il disait : Nous savons bien, ô Mère de Dieu,
que tous les saints du ciel s'intéressent à notre salut.
Mais cette sollicitude avec laquelle vous nous venez en aide et cet amour
qui vous porte à demander sans cesse tant de grâces pour nous
les distribuer nous obligent de confesser que vous seule nous aimez véritablement
et que vous seule désirez notre bien. « Marie, ajoute saint
Germain, ne se lasse pas de nous faire du bien2. » Toujours elle
prie et toujours elle recommence à prier pour nous, sans jamais
se rassasier d'intercéder en notre faveur. Bernardin de Bustis dit
en s'adres-sant à chacun de nous : « Elle désire beaucoup
plus de te Faire du bien et de te combler de grâces, que tu ne désires
d'en recevoir 3. » Le démon, ajoute-t-il, est toujours en
quête d'une proie à dévorer : Il rôde, comme
dit saint Pierre, autour de vous, cherchant qui il pourra dévorer4.
« Marie est toujours, elle aussi, à la recherche de quelque
âme, mais pour la sauver5. »
Je me demande donc : quel est celui qui jouira des faveurs de Marie?
celui qui le veut. Pour ob-tenir de Marie n'importe quelle grâce,
il suffit,
1. Te solam, o Maria, pro sancta Ecclesia sollicitam prae omnibus sanctis
scimus. S. BONAV. Spec. B. V. lect. 6.
2. Non est satietas defensionis ejus. De Zona Deip.
3. Plus desiderat ipsa facere tibi bonum et largiri gratiam, quam tu
accipere concupiscas. Marial. p. 2. s. 5.
4. Circuit quaerens quem devoret. I Pet. y. 8.
5. Ipsa semper circuit quaerens quem salvet. Mariai, p. 2. s. p. 3.
s. 1.
SUR LA DÉVOTION ENVERS
LA SAINTE VIERGE. 541
disait une sainte âme, de la lui demander. Il suffit même,
dit saint Ildephonse, de demander à Marie qu'elle veuille bien prier
pour nous ; « car, ajoute-t-il en lui adressant la parole, vous prierez
pour moi avec bien plus de ferveur que je n'oserais le faire, et vous m'obtiendrez
ces grâces de choix auxquelles je n'oserais jamais prétendre1
! » Certes il en est qui ne reçoivent jamais de Marie aucune
grâce, mais pourquoi ? parce qu'ils ne le veulent pas. Telle une
personne qui demeure passionné-ment attachée à l'argent,
aux honneurs, aux vo-luptés : elle ne désire pas la grâce
de se convertir, et par conséquent elle ne la demande pas. Si elle
la demandait à Marie, elle l'obtiendrait certaine-ment. «
Malheureux, disait la sainte Vierge elle-même à sainte Brigitte,
malheureux celui qui peut maintenant implorer ma miséricorde, et
qui, par la plus déplorable des négligences, demeure misé-rablement
enfoncé dans ses péchés2 ! » Un temps viendra
où ce malheureux voudra recourir à Marie, mais alors ce sera
trop tard.
III.
PRATIQUE DE LA DÉVOTION ENVERS
MARIE.
Ne nous exposons pas à un semblable danger, mais recourons toujours
à cette divine Mère : elle est si bonne, que jamais elle
ne renvoie personne
1. Majori devotione orabis pro me, quam ego auderem petere; et majora
etiam impetrabis mihi, quam petere praesumam. De Reth. div. c. 18.
2. ldeo miser erit, qui ad misericordiam, cum possit, non accedit.
Rev. 1. 2. c. 23.
Recourir à Marie
542
ONZIÈME INSTRUCTION.
les mains vides. Sur quoi le dévot Lansperge fait ainsi
parler Notre-Seigneur : « J'ai donné à ma Mère
un cœur si bon et si tendre que jamais on ne l'implore sans être
consolé1. » « Quiconque l'invoque, dit Richard de Saint-Laurent,
la trouve toujours prête à lui venir en aide2. » «
Bien plus, remarque Richard de Saint-Victor, elle prévient nos prières
et vole à notre secours, avant même que nous l'ayons invoquée.
Car telle est sa mi-séricorde qu'elle court au-devant de nos misères,
et d'elle-même prend en main la cause des mal-heureux3. » «
Non, ô Marie, continue le même auteur, vous ne pouvez voir
une misère, sans que votre sein maternel, rempli par Dieu lui-même,
répande aussitôt le lait de la miséricorde. Impos-sible
que vous connaissiez un misérable sans sub-venir à ses besoins4.
» «En effet, quelqu'un a-t-il jamais invoqué Marie sans
que Marie l'exauçât5? » demande Innocent III. «
O grande souveraine, s'écrie également le bienheureux Eutychien,
vous a-t-on vue délaisser le pécheur qui avait fidèle-ment
imploré votre tout-puissant secours ? non, jamais6. » «
O Vierge sainte, reprend de son côté saint Bernard, si quelqu'un
se souvient de vous avoir invoquée sans que vous l'ayez secouru,
1. Adeo feci eam mitem, ut neminem a se redire tristem sinat. Alloq.
l. 1. p. 4. can. 12.
2. Semper paratam auxiliari. De Laud. B. M. 1. 2. p. 1.
3. Velocius occurrit ejus pietas, quam invocetur, et causas mise-rorum
anticipat. In Cant. c. 23.
4. A Deo pietate replentur ubera tua, ut, alicujus miseriae notitia
tacta, lac fundant misericordiae, nec possis miserias scire et non sub-venire.
Ibid.
5. Quis invocavit eam, et non est exauditus ab ipsa. De Assumpt. s.
2.
6. Quis, o Domina! fideliter omnipotentem tuam rogavit opem, et fuit
derelictus? revera nullus unquam. Surius.4 Febr. Vit. S. Theoph.
SUR LA DÉVOTION ENVERS
LA SAINTE VIERGE. 543
eh bien! j'y consens, que celui-là cesse d'exalter vos miséricordes1.»
Pareille chose n'est jamais arrivée et n'arrivera jamais. «
Car, dit saint Bona-venture, il ne se peut pas que Marie en vienne à
n'avoir plus de compassion, elle qui ne put jamais voir une indigence sans
la secourir2. » Et puis-que Marie désire tant de nous aider
et de nous conduire au port du salut: « on vous offense donc, ô
ma souveraine, conclut le saint docteur, non seulement quand on vous adresse
quelque insulte, mais même quand on laisse de vous demander des grâces3.
»
Recourons donc à Marie, et, bien qu'au souve-nir de nos péchés,
nous nous reconnaissions in-dignes d'aucune faveur, recourons à
Marie sans nous défier aucunement de sa bonté. Sainte Bri-gitte
apprit de la bouche de Notre-Seigneur lui-même que, si Lucifer voulait
humilier son orgueil et implorer la pitié de Marie, Lucifer serait
sauvé par Marie 4. « De quelques crimes qu'un homme se soit
rendu coupable, disait un jour l'auguste Vierge à sainte Brigitte,
si cet homme vient, le cœur contrit et repentant, se jeter à mes
pieds, aussitôt je l'accueille et le reçois: je n'examine
pas de quels péchés il est chargé, mais de quel cœur
il vient à moi; et s'il veut changer de vie, à l'instant
même je le guéris et le sauve, car, quelles
1. Sileat misericordiam tuam, Virgo Beata, qui invocatam te in necessitatibus
suis sibi meminerit defuisse. De Assumpt. s. 4.
2. Ipsa enim non misereri ignorat, et miseris non satisfacere nun-quam
scivit. Stim. am. p. 3. c. 13.
3. In te, Domina, peccant, non solum qui tibi injuriam irrogant, sed
etiam qui te non rogant. lbid.
4. Etiam diabolo exhiberes misericordiam, si humiliter peteret. Rev.
extr. c. 50.
Malgré tous nos péchés.
Pratiques de dévotion.
544 ONZIÈME INSTRUCTION.
que soient ses plaies, je n'ai pas horreur de les panser et de les
guérir; en effet, non seulement on m'appelle, mais je suis vraiment
la Mère de misé-ricorde 1. » C'est pourquoi saint Bonaventure
pro-clamait Marie le salut de ceux qui l'implorent et il lui disait: «
O vous, le salut de ceux qui vous invoquent2! » Pour être sauvé,
il suffit de recourir à Marie.
Je le répète donc, recourons toujours à l'au-guste
Mère de Dieu, et, toujours prions-la de nous protéger. Et
afin de nous assurer d'autant mieux sa protection, ayons à cœur
de lui rendre tous les hommages possibles. Un grand serviteur de Marie,
le frère Jean Berchmans, de la compagnie de Jésus, interrogé
sur son lit de mort par ses confrères, désireux de savoir
ce. qu'ils devaient faire pour gagner les bonnes grâces de Marie,
ré-pondit: « N'importe quoi, pourvu que vous soyez fidèles3.
» La plus petite pratique de dévotion suffit donc pour nous
assurer son maternel pa-tronage. Oui, la divine Mère se contente
du plus petit hommage, pourvu qu'on y soit fidèle. « Telle
est sa libéralité, remarque saint André de Crète,
qu'en échange des plus petits hommages, elle a coutume d'accorder
les plus grandes grâces4. »
1. Quantumcumque homo peccet, si ex vera emendatione ad me reversus
fuerit, statim parata sum recipere revertentem ; nec attendo quantum peccaverit,
sed cum quali voluntate venit ; nam non dedignor ejus plagas ungere et
sanare, quia vocor (et vere sum) Mater mise-ricordiae. Rév. 1. 2.
c. 23. — 1. 6. c. 17.
a. O salus te invocantium! Cant. p. Psalt.
3. Quidquid minimum, dummodo sit constans.
4. Cum sit magnificentissima, solet maxima pro minimis reddere. In.
Dorm. B. V. s. 3.
SUR LA DÉVOTION ENVERS
LA SAINTE VIERGE. 545
Mais ne nous contentons pas de quelques fai-bles hommages. A
l'exemple de tous ses dévots serviteurs, nous aussi prenons l'habitude
de l'ho-norer le plus possible, et mettons-nous à l'œuvre pour réciter
chaque jour le rosaire ou le chapelet, célébrer ses neuvaines,
jeûner le samedi, porter le scapulaire, visiter chaque jour quelqu'une
de ses pieuses images, à l'effet d'obtenir une grâce spéciale,
ne passer aucun jour sans lire quelque chose sur ses gloires, la saluer
en sortant de chez soi et en y rentrant, se mettre sous sa protection le
matin dès le lever et le soir avant de se cou-cher, et pour cela
réciter trois Ave Maria en l'honneur de sa pureté.
Toutes ces dévotions, nous les trouvons en usage même
parmi les laïques. Mais nous qui sommes prêtres, nous pouvons
faire bien davan-tage pour l'honneur de la sainte Vierge en prê-chant
ses gloires et en portant les autres à l'ho-norer. Elle promet la
vie éternelle à chacun de ceux qui s'efforcent ici-bas de
la faire connaître et aimer, comme elle-même nous l'apprend
: Ceux qui me prêchent auront la vie éternelle1. Le bien-heureux
Héming, évêque, commençait tous ses sermons
par les louanges de Marie. Cette bonne Mère l'eut tellement pour
agréable, qu'un jour elle dit à sainte Brigitte : Assure
ce prélat que je veux lui servir de mère et que je veux,
après sa mort, présenter moi-même son âme à
mon Fils2. Oh! quelle chose agréable à Marie ferait un prê-tre
qui, chaque samedi, réunirait les fidèles dans
1. Qui elucidant me, vitam aeternam habebunt. Eccli. xxiv. 31. 2. Rev.
extr. c. 104.
LE PRÊTRE. — T. I. 35
Une pratique sacerdotale.
546
ONZIÈME INSTRUCTION.
quelque église ou chapelle pour prêcher sur la sainte
Vierge, et principalement sur sa miséri-corde et sur ce grand désir
qu'elle a de secourir ceux qui l'invoquent ! « Rien, dit saint Bernard,
n'affectionne le peuple à la dévotion envers Marie comme
sa miséricorde. » Du moins que le prêtre ne finisse
jamais une instruction, sans exciter son auditoire à prier la sainte
Vierge et à lui de-mander quelque grâce. Car, pour le dire
en un mot avec Richard de Saint-Laurent, « honorer Marie, c'est s'amasser
les trésors de la vie éter-nelle1. » Dans ce but, j'ai
publié moi-même il y a quelque temps un livre intitulé
: Les Gloires de Marie, et je me suis fait un devoir de l'enrichir d'une
foule de textes empruntés à l'Écriture et aux Pères,
d'un grand nombre d'exemples et de pieuses pratiques, de telle sorte que
tous puissent en faire leur livre de lecture, et que les prêtres
en particulier y trouvent abondamment tout ce qu'il leur faut pour prêcher
les louanges de Marie et pour attacher les fidèles à la dévotion
envers cette bonne Mère.
NOTE. — Je préviens mon lecteur qu'à la suite de ces
Discours et Instructions, se place une troisième Partie, dans laquelle
je donne un court abrégé de tous les exercices des Missions,
avec les règles et les pratiques qui s'y rap-portent. Si je publie
cet abrégé, ce n'est pas, je le déclare, pour servir
seulement aux jeunes gens de notre Congré-gation, mais encore à
tous les prêtres, même à ceux qui ne s'occupent pas
de Missions. Car, parmi les prêtres, il en est qui ont du zèle,
des talents, et la facilité de donner des Missions ; mais ils n'en
donnent pas, peut-être faute
1. Honorare Mariam, thesaurizare est sibi vitam aeternam. De
Laud. B. V. l. 2. p. 1.
NOTE.
547
d'un guide. Or je pense qu'avec mon travail, plusieurs pourraient,
en se concertant, s'appliquer à l'œuvre des Missions. Il serait
à désirer que leur nombre se trouvât assez considérable
pour que, donnant les saints exercices dans une localité, ils pussent
entendre, eux seuls, toutes les confessions. Cependant, quelque petit que
soit leur nombre, qu'ils ne reculent pas devant la tâche ; et, sans
compter ceux qui malheureusement font défaut, qu'ils aillent en
avant, poussés par le seul désir de gagner des âmes
à Dieu. Nul doute qu'ils ne fassent de grands fruits de salut; car,
vu leur bonne volonté, le Seigneur les aidera et leur donnera la
force de faire l'ouvrage d'un grand nombre.
FIN DU TOME PREMIER.
TABLE DES MATIÈRES.
Pages.
APPROBATION V
PREFACE DU TRADUCTEUR VII
Avis très importants aux prédicateurs de retraites
ecclésiastiques I
PREMIÈRE PARTIE.
SERMONS.
CHAPITRE PREMIER.
DE LA DIGNITÉ DU PRÊTRE.
I. Grande dignité du prêtre à raison de ses fonc-
tions . 11
II. Grande dignité du prêtre à raison de son pou-
voir sur le corps de Jésus-Christ .......................
13
III. Grande dignité du prêtre à raison de la place
qu'il occupe . 23
CONCLUSION. Combien doit être grande la sain-
teté du prêtre
28
CHAPITRE DEUXIÈME.
DE LA FIN DU SACERDOCE.
I. Quelle frayeur les saints avaient du sacerdoce ……
31
II. Avec quelle facilité on reçoit maintenant le
sacerdoce … 33
550 TABLE DES MATIERES.
Pages.
III. Les prêtres n'existent que pour l'honneur de
Dieu et le bien des âmes ............................................
34
CONCLUSION. Obligation stricte pour les prêtres d'être
tout à Dieu et nullement au monde………………………..
40
CHAPITRE TROISIÈME.
DE LA SAINTETÉ REQUISE DANS
LE PRETRE.
I Le prêtre doit être d'autant plus saint qu'il
est
plus élevé en dignité
43
II. A quelle grande sainteté le prêtre est obligé
par état 45
III. A quelle grande sainteté le prêtre est obligé
en vue du saint sacrifice de la messe ............................................
51 III bis. A quelle grande sainteté le prêtre est obligé
pour dispenser aux fidèles les grâces de Dieu ……….
58
IV. A quelle grande sainteté le prêtre est obligé
pour faire du bien aux fidèles ....................................
62
CONCLUSION. Combien il importe que le prêtre
soit saint 65
CHAPITRE QUATRIÈME.
GRAVITÉ ET CHATIMENT DU
PÉCHÉ COMMIS PAR LE PRÊTRE.
I. Combien le prêtre est coupable quand il pèche ……
73
II. Le prêtre en péchant devient la proie de l'enfer …….
80 CONCLUSION. Le prêtre doit trembler pour son
salut 89
CHAPITRE CINQUIÈME.
DU MAL QUE LA TIÉDEUR FAIT
AU PRETRE.
I. C'est par la tiédeur que le démon perd une
foule de prêtres 95
II. Comment la tiédeur entraîne le prêtre à
sa
perte 100
TABLE DES MATIÈRES. 551
Pages. III. Quelle misérable existence mène le
prêtre tiède 108 CONCLUSION. Comment
le prêtre doit se con-duire à l'égard des péchés
véniels ....................................................
112
CHAPITRE SIXIÈME.
DU PÉCHÉ D'INCONTINENCE.
I. Combien est énorme le péché d'impureté
dans
le prêtre 124
II. Les suites funestes de l'impureté 129
III. Les deux grands remèdes contre l'impureté ….
138
CHAPITRE SEPTIÈME.
DE LA MESSE SACRILEGE.
I. La messe sacrilège 143
II. Combien est coupable le prêtre qui célèbre
sacrilègement 149
III. Quels grands châtiments attire sur le prêtre la
messe sacrilège 154
CHAPITRE HUITIÈME,
DU PÉCHÉ DE SCANDALE.
I. Quel monstre c'est que le prêtre scandaleux…….. 166
II Quels maux effroyables produit le scandale
des prêtres 173
III. Dieu réserve ses plus terribles châtiments aux
prêtres scandaleux 181
CONCLUSION. Sévérité sacerdotale 183
CHAPITRE NEUVIÈME.
DU ZÈLE SACERDOTAL.
I. Obligation où sont les prêtres de s'appliquer
au salut des âmes 185
552 TABLE DES MATIERES.
Pages.
II. Quel plaisir un prêtre fait à Dieu en travail-
lant au salut des âmes 202
III. Combien le prêtre assure son salut en travail-
lant au salut du prochain, et quelle récom-pense lui est réservée
dans le ciel.... 209
IV. A quelle fin, comment, et par quelles œuvres
de zèle le prêtre doit se dépenser pour les
âmes 216
CONCLUSION. Rien que la gloire de Dieu et le
salut des âmes 226
CHAPITRE DIXIÈME.
DE LA VOCATION AU SACERDOCE.
I. Nécessité de la vocation divine 229
II. Les trois principaux signes de la vocation sa-
cerdotale 233
III. Le prêtre sans vocation 247
CONCLUSION. Importance décisive de la vocation 251
SECONDE PARTIE.
INSTRUCTIONS.
PREMIÈRE INSTRUCTION.
SUR LA CÉLÉBRATION DE LA MESSE.
I. Excellence du saint sacrifice de la messe …… 263
II. La préparation ….. 269
III. La célébration de la messe………………….. 275
IV. L'action de grâces ………………………….. 286
V. De ceux qui s'abstiennent de dire la messe….. 289
TABLE DES MATIERES 553
DEUXIÈME INSTRUCTION.
SUR LE BON EXEMPLE QUE LE PRÊTRE DOIT DONNER.
Pages. I. Importance de la conduite même extérieure
des prêtres ……………………………………… 291
II. Combien les prêtres sont obligés de donner le
bon exemple …………………………………… 293
III. En quoi les prêtres doivent donner le bon
exemple ……………………………………….. 304
TROISIÈME INSTRUCTION.
DE LA CHASTETÉ SACERDOTALE.
I. Quel cas le prêtre doit faire de la chasteté.
. 309
II. La fuite des occasions et de l'oisiveté .
. . 316
III. Principaux moyens positifs pour conserver la
chasteté. . .
. . . ....
. . .
. 329
QUATRIÈME INSTRUCTION.
SUR LA PRÉDICATION ET SUR
L'ADMINISTRATION DU SACREMENT DE PÉNITENCE.
La prédication …………………………………. 337
Le sacrement de pénitence ……………………...
346
CINQUIÈME INSTRUCTION.
SUR L'ORAISON MENTALE.
I. Sa nécessité pour les prêtres 369
II. Rien ne peut exempter les prêtres de l'oraison
mentale 375
III. Sur la récitation de l'office divin 387
554 TABLE DES MATIÈRES.
SIXIÈME INSTRUCTION,
SUR L'HUMILITÉ.
Pages.
I. Combien il importé aux prêtres d'être humbles……………………………………..........391
II. Comment les prêtres doivent pratiquer l'humilité
……………………………………………………..397
III. CONCLUSION. Devenir humble 411
SEPTIÈME INSTRUCTION.
SUR LA DOUCEUR.
I. Combien est importante la vertu de douceur.
413
II. Ne jamais se fâcher ……. 415
III. Endurer les mépris…………………………. 424
HUITIÈME INSTRUCTION.
SUR LA MORTIFICATION, ET
PARTICULIEREMENT SUR LA MORTIFICATION INTÉRIEURE.
I. Nécessité de la mortification en général………
433 II. Nécessité capitale de la
mortification intérieure 438 III. De quoi le prêtre doit surtout
se détacher …… 443
NEUVIÈME INSTRUCTION.
SUR LA MORTIFICATION EXTÉRIEURE.
I. Il faut que le prêtre soit un homme mortifié…... 465
II. Quelles mortifications le prêtre doit pratiquer... 471 III. De
quelles joies la mortification est la source.. 489
DIXIÈME INSTRUCTION.
SUR L'AMOUR ENVERS DIEU.
I. Combien le prêtre est obligé d'aimer Dieu……. 495
II. Comment le prêtre sera tout à Dieu …………. 504
CONCLUSION. Résolution et prière………………... 524
ONZIÈME INSTRUCTION.
SUR LA DÉVOTION ENVERS
LA SAINTE VIERGE MARIE.
Pages.
I. L'intercession de Marie est moralement indis--
pensable, surtout au prêtre 527
II. Quelle grande confiance le prêtre doit avoir
dans l'intercession de Marie 534
III. Pratique de la dévotion envers Marie…… 541
NOTE 546
FIN DE LA TABLE.