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Saint Alphonse-Marie de Liguori

Traité contre les Protestants

TRAITÉ CONTRE LES  HÉRÉTIQUES PRÉTENDUS RÉFORMÉS,
DANS LEQUEL ON EXPOSE LES POINTS DE FOI DISCUTÉS ET DÉFINIS PAR  LE CONCILE DE  TRENTE, ETC.
 

A SA SAINTETÉ
NOTRE S. P. LE PAPE CLÉMENT XIVL
TRES-SAINT PERE,

L'exaltation de Votre Sainteté sur le siège de S. Pierre, a été pour tout l'univers catholique un bien grand sujet de joie; mais je ne sais si personne en a éprouvé plus de con-solation que moi, en considérant les qualités excellentes de Votre Sainteté, sa science, sa prudence, son dïtache· ment des choses de la terre, et par-dessus tout sa haute piété et le zèle dont elle est embrasée pour notre sainte religion. Rassuré par toutes ces considérations, j'ai pris la liberté de présenter humblement à ses pieds os Uvre que j'ai entrepris de mettre au jour sur le déclin de ma vie (car déjà j'ai atteint ma soixante-treizième a: mée), pour faire connaître à tous de mieux en mieux la vérité et la sainteté des dogmes de l'Église catholique, pe le saint concile de Trente, dont les travaux ne seront jamais assez appréciés, a défini contre les erreurs despréu ndues réformés ; de ces hommes qui, en renouvelant les anc iennes hérésies, se sont efforcés, à l'aide de leurs sophisines et de leurs doctrines mensongères, de détruire la foi die Je-
176                                     DÉDICACE.
sus-Christ et, s'ils l'avaient pu, de précipiter toutes les âmes avec eux dans la damnation éternelle.
J'ose espérer que Votre Sainteté voudra bien agréer, avec son indulgence ordinaire, le faible hommage que lui offre son serviteur, la suppliant de daigner répandre sa bénédiction sur mon ouvrage, sur moi-même et sur tous mes frères, afin que nous puissions coopérer au salut des âmes, dans ces missions que notée ch#tiy$ congréga-tion s'est engagée de faire aux peuples des campagnes, plus destitués que les autres des secours spirituels ; de leur côté , vos humbles serviteurs ne cesseront de prier le Seigneur de vous accorder une longue suite d'années, pour le bien de tous les fidèles et l'augmentation de la foi. Prosterné humblement devant vous, je baise vos pieds sacrés, et je suis, très-saint Père,
De Votre Sainteté,
Le irès-humble. très-obéissant et très-dévoué serviteur et fils,
ALPHONSE-MARIE DE LIGUORI , évêque de  Sainte-Agate-des-Guttis.
(ŒUVRES DOGMATIQUES
CONTRE
LES HÉRÉTIQUES
PRÉTENDUS   RÉFORMÉS,
Dans lesquelles on expose tous les points de foi discutés et défi-nis par le saint concile de Trente, on réfute les erreurs des novateurs, on répond à leurs objections ainsi qu'à celles de Pierre Soave (·), qui s'est érigé en censeur du concile. On y a ajouté
DEUX TRAITÉS OU APPENDICES
Qui portent, l'un de la manière dont opère la grâce dans la justifica-tion des pécheurs, et l'autre de l'obéissance due aux décisions de l'Église qui doivent être regardées comme la règle de la vraie foi.
BUT DE L'OUVRAGE.
Ayant considéré d'une part l'excellente doctrine que le saint concile de Trente, après tant de peines, de soins et de travaux, nous a enseigné contre les erreurs des hé-reliques qui infectent le septentrion, et d'un autre côté m'élani convaincu que bien des choses qui ont été dis-cutées dans ce concile à jamais mémorable, bien qu'elles aient été recueillies avec_soin par le cardinal Pallavicin
(l) Pseudonyme de fra Paolo Sarpi.
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qui en a fait l'histoire, se trouvent néanmoins assez mal en ordre et souvent jetées confusément dans son ouvrage, j'ai entrepris depuis plusieurs années de les rassembler dans un seul cadre, afin que le lecteur ait le plaisir de les voir toutes placées distinctement devant ses yeux, se-lon l'ordre des matières qui ont été traitées, et qu'ainsi, il puisse plus facilement découvrir les sopliismes des héré-tiques et mieux connaître la vérité de notre foi.
J'ai mis la main à l'œuvré à plusieurs reprises, mais toujours arrêté par des occupations plus pressantes, j'ai cru devoir interrompre mon travail. Enfin, me trouvant retenu sur un lit par un rhumatisme violent qui me fait souffrir depuis grand nombre d'années, et qui mainte-riant rie me permet plus de quitter ma chambre et de vi-siter mon diocèse, comme j'avais coutume de le faire, j'ai tenté de conduire à fin mon entreprise, et avec l'aide du Seigneur j'ai réussi; j'ai traité complètement tout ce que je m'étais proposé, et répondu à beaucoup d'autres objections des novateurs, dont Palavicin ne faisait pas mention. Ensuite, j'ai cru qu'il serait bon de traiter plu-sieurs autres questions dogmatiques et scolastiques qui tiennent aux décisions du concile. J'espère que mon tra-vail sera reçu avec bienveillance de tous les gens studieux qui aiment à approfondir les vérités de notre foi, et prin-cipalement celles qui sont le plus contestées par les héré-tiques.
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                        H9
IVe SESSION.
DE L'ÉCRITURE ET DE LA  TRADITION.
§ Ier. De l'approbation des livres saints et des traditions.
Il faut remarquer que les sessions du concile ne sont pas placées ici selon leur ordre naturel, depuis Îa pre-mière jusqu'à la vingt-quatrième, comme elles ont élé tenues; parce que dans plusieurs on n'a rien décidé de particulier, et dans d'autres on ne parle pas des dogmes ; tandis que mon dessein, comme je l'ai exposé dans la pré-face, est de ne parler que des points de foi que le concile a définis contre les héréliques; c'est pourquoi nous com-mençons par la quatrième session sur les divines Écri-tures, puisque c'est dans celle session seulement que les Pères ont commencé à examiner les articles dogmatiques contestés par les novateurs.
I. L'Église ne définit aucun dogme de foi qu'il ne soit fondé ou sur l'Écriture sainte ou sur la tradition; c'est pour-quoi , la piemière pensée du concile fut de déterminer quelles étaient les écritures vraiment canoniques et les traditions vraiment apostoliques qui regardent la foi ou les mœurs. En conséquence, il fut slalué que des théolo-giens habiles tiendraient des assemblées particulières et y feraient une discussion exacte des écritures et des tradi-tions , non pas pour en insérer le résultat dans les actes
12.
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du concile, mais seulement pour pouvoir en rendre rai-*son aux Pères. Dans les congrégations qui précédèrent le décret qui fut porté ensuite, on proposa trois questions sur les Écritures : premièrement, si l'on devait approuver tous les livres saints tant du nouveau que de l'ancien Testament; secondement, s'il fallait soumettre à un nouvel examen, avant de les approuver, tous les livres contenus dans la Bible; troisièmement, s'il fallait di-viser les écritures en deux classes : celles qui jusqu'a-lors avaient été reconnues pour canoniques et celles que l'Église tenait à la vérité comme orthodoxes , mais pas encore pour canoniques, tels sont les livres des Proverbes et de la Sagesse.
II. Quant à la première question, il fut décidé unani-mement que le concile approuverait tous les livres saints. Quanta la troisième, tous les Pères d'un commun accord rejetèrent la division ; elle avait été proposée dans le con-cile par Bertrand et Séripand, et avant la tenue du concile, par Cajétan; mais Melchior Canues l'avait déjà réprouvée fortement comme inutile et inusitée. (De loc. theol. 1. 2, c. 40.) La seconde question rencontra plus de difficultés, si avant d'approuver les livres sainls, on devait ou non la soumettre à un nouvel examen. Plu-sieurs Pères, après les cardinaux dei Monte et Pacheoo, re-je<èrent l'examen prétendant qu'il était contraire à l'usage de l'Église de remettre en contestation ce qui déjà avait été défini. Beaucoup d'autres prétendaient au contraire qu'on devait le faire; qu'il confirmerait de mieux en mieux la vérité ; qu'il serait d'ailleurs très-ulilè aux pasteurs et aux théologiens, en les mettant en état de réfuter avec plus d'avantage les erreurs des faux docteurs; car, comme l'en-seigne S. Thomas, le devoir d'un théologien, est, non-
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seulement de prouver la vérité de la foi, mais de la défendre contre toutes les attaques de ses ennemis. Us ajoutaient qu'après un tel examen, les hérétiques ne pour-raient pas dire qu'ils avaient décidé en aveugles.
III. L'évêque de Chioggia objecta que dans l'approba-tion des Écritures el des traditions, il ne convenait pas de s'appuyer sur le seul décrel qui porte le nom du concile de Florence; parce que, disait-il, un tel décret ne peut être du concile, vu qu'il avait déjà terminé sa dernière ses-sion en l'année 1439, tandis que le décret ne fut porté qu'en 1441. Mais on lui répondit qu'il était faux que le concile de Florence eût terminé sa dernière session en 1459 ; parce qu'à celte époque seulement finit l'interpré-tation latine de Barthélémy Abraham de Candie, et que cet auieur n'a fait l'histoire du concile que jusqu'à la septième session, temps auquel les Grecs se retirèrent. Mais le concile dura encore trois ans à Florence, d'où il fut transféré à Rome. Eugène IV, voyant qu'après le dé-part des Grecs le concile illégitime de Bâle subsistait en-core, maintint aussi celui de Florence. Ce fut là que , quelque temps après, comme le rapporte Baron ius, il reçut, du consentement des Pères, les Arméniens el les jacobins, el dans la profession de foi qui leur fut don-née, se Irouvail contenue Fapprobalion des traditions el des Écritures avec le catalogue des livres saints. El ce qui prouve évidemment que ce concile ne fut pas dissous en 1459, ce sont deux conslitulions qui y furent dressées et qui y sont rapportées par Augustin Paîricedans son his-toire abrégée du concile de Bâle ; la première est de 1440, par laquelle on annule l'élection de l'anti-pape Félix V ; la seconde est de 1444, dans laquelle fut décrétée la trans-lation à Rome du concile de Bâle. De plus, Palavicin af-
 TRAITÉ
firme que le décret est véritablement du concile, que le fait est constant par les actes de ce même concile, con-servés dans les archives du château Saint-Ange et approu-vés par le pape et les cardinaux, comme on le voit par une copie authentique qui fut apportée de Rome à Trente. D'ailleurs le P. Augustin de l'Oratoire, depuis cardinal cl préfet de la bibliothèque du Vatican , a mis au jour quelques actes du concile de Florence, par lesquels on voit que le concile dura jusqu'à l'année 1445.
IV. On fil donc dans le concile de Trente une nouvelle et exacte discussion des livres saints et des traditions, non pas publique et pour être insérée dans les actes, mais dans des congrégations particulières,  pour rendre aux Pères raison des résultats. Enfin on rendit un décret, dans lequel il est dit : que le concile, considérant que toutes les vérités appartenant aux dogmes se trouvent renfermées dans les livres saints, et dans les traditions re-çues par les apôtres de la bouche même de Jésus-Christ, ou établies par eux d'après l'inspiration du Saint-Esprit et parvenues jusqu'à nous sans interruption, a déclaré qu'il recevait et qu'il vénérait avec le même respect et la même piété tous les livres du nouveau et de l'ancien Tes-tament, ainsi que toutes les traditions données par Jésus-Christ ou inspirées par l'Esprit-Saint, et conservées dans l'Église catholique par une succession non interrompue : « Omnes libros, tam veteris quam novi Testamenti, cum » utriusque unus Deus sit auctor; nec non traditiones » ipsas, tum ad fidem, tum ad mores pertinentes lan-» quam vel oielenusa Christo, vel a Spirilu Sancto dicla-» las, ei continua successione in Ecclesia catholica con-» servatae, pari pielatis affectu, ei reverentia suscipit et » veneratur. »
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V. Plusieurs Pères avaient élevé une difficulté sur ces paroles du décret : qu'on recevait avec le même respect C[ la même piété les Écritures elles traditions; ils disaient à cela, que bien que les unes et les autres vinssent de Dieu, néanmoins les traditions n'avaient pas la même slabililé que les Écritures, puisque quelques-unes avaient cessé d'être en usage. Mais cette opposition fui repoussée d'un commun accord : tous répondirent que les unes et les autres sont vraiment la parole de Dieu et le fondement de la foi, avec cette seule différence, que les unes sont écrites et que les autres ne le sont pas ; du reste, les unes elles autres sont immuables, si l'on excepte les lois po-sitives et lesriles qui sont contenus dans les traditions et même dans les Ecritures, qui peuvent changer selon les circonstances. Ainsi le concile dit dans son décret, qu'il reçoit seulement les traditions qui regardent la foi ou les mœurs; on élait convenu auparavant, qu'on les recevrait sans exception, mais que celles qui avaient rapport aux rites, venaient selon les temps et les circonstances. Pierre Soave prétend que le décret sur les traditions, coftime beaucoup le firent observe/, n'imposait pas une obligation stricte et rigoureuse, puisque d'une part le concile ne dé-terminait pas quelles traditions devaient être reçues; et que de l'autre l'analhème ne tombait que sur celui-là seul : « Qui traditiones praedictas sciens et prudens con-» lempserit; » d'où il concluait que celui-là ne contre-viendrait pas au décret, qui rejeterail toutes lestradilions, toul en respeclant la décision du concile. Mais Noël Alexandre répond dans son Histoire Ecclésiastique (lom. 20. sect. 16 et 17. art. 2.), qu'une telle proposition est téméraire, puisque le concile a dit que les Ecritures et les traditions doivent être reçues avec la même piété et le
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même respect : « Pari pietatis affectu ac reverentia susci-
« pienda. » Ainsi, de même qu'on ne pourrait rejeler
les Ecritures sans témérité, de même doitr-il en être des
traditions,
VI. Après celle déclaration on joignit au décret la liste de tous les livres qui avaient été reçus pour canoniques par le concile. Soave prétend témérairement que le con-cile avait approuvé des livres apocryphes, ou du moins d'origine incertaine; mais ne sait-il pas qu'il ne les ap-prouva qu'après,un nouvel el sévère examen? D'ailleurs tous ces livres avaient déjà élé approuvés par le concile de Florence comme il a clé dit plus haut. Il objecte spécialement que le livre de Baruch ne fut reçu pour ca-nonique que par la seule raison qu'on en faisait lecture dans les églises, qu'au reste jamais les autres conciles ne l'avaient mis au nombre des livres saints. Mais bien qae les anciens conciles n'aient pas placé ce livre dans le cata-logue des livres canoniques, ils n'ont pourtant pas en-tendu l'exclure, mais le comprendre dans le livre de Jé-rémïe dont Baruch fut secrétaire comme on le lit dans Jérémie même au chapitre xxSvi, et comme l'attestent S. Basile, S. Ambroise, Clément d'Alexandrie, S. Jean Chrysostomo, S. Augustin el plusieurs souverains pontifes, enlre autres Sixte I, Félix IV el Pelage I. (Bellarm. lib. 1. De verb. Dei. cap. 8.) De plus S. Cyprien (Lib, 1. contra Judaeos. cap. 5.) el S. Cyrille, (Lib. 10. contra Julian.) citent ce livre sous le nom même de ïérémie; el d'autres Pères le nomment simplement Écriture sainte.
On a encore objecté que les Psaumes ne devaient pas êtreappelés généralement psaumes de David, puisqu'il n'est pas l'auteur de tous, comme beaucoup le prétendent ;
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mais c'esl précisément pour celle raison que le concile les nomina Psautier de David.
VII.  A. 'a mi d" décret il est dit : « Si quis autem li-» bros ipsos integros cum omnibus suis panibus pio ut ,, io Ecclesia catholica legi consueverunt, et in veteri » vulgata latina editione habentur, pro sacris et canonicis » non susceperit; et traditiones praedictas sciens, ei pru-» dens contempserit, anathema sit. »
VIII.  Soave fait ici le raisonnement de quelques or-gueilleux qui disaient par rapport à ce décret du concile sur les traditions : Premièrement que le concile avait bien ordonné de recevoir les traditions, mnis n'avait pas in-diqué la manière de les connaître ; secondement que le concile n'avait pas prescrit formellement de les recevoir, mais défendait seulement de les mépriser, d'où ils con-cluaient que celui qui les rejeltciait avec respect ne contre-viendrait pas à la décision. Quant à la première objec-tion on répond qu'en cela le concile n'a fait qu'imiter le sixième concile général qui ne déclara point qu'elles étaient •les vraies traditions, d'aulanPplus qu'il n'importait nulle-ment d'indiquer dans ce décret les traditions que l'on devait tenir comme de foi, puisqu'on devait s'en occuper dans les sessions suivantes, selon que la matière le présenterait. Quanta la seconde objection, qu'il n'y a point de précepte de recevoir les traditions, il faut remarquer qu'autre chose est de parler du précepte, autre chose de pirler de î'ana-thème. Pour le précepte on voit clairement qu'il existe puisqu'il est dit dans le décret que le concile recevait les Ecritures et les traditions avec le même respect et la même piété : « Pari pietatis affectu ac reverentia.» Quant à l'ana-ihòme il est dit qu'on peut rejeter et transgresser les préceptes de deux manières, ou par faiblesse ou par mé-
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pris. Cela posé, le concile n'a pas voulu frapper d'ana? thème quiconque violerait le précepte de recevoir éga-lement les Écritures et les traditions, mais seulement tous ceux qui mépriseraient sciemment les traditions, comme font les hérétiques.
IX. Soave prétend que le concile, par là même qu'il avait reçu les traditions, devait aussi recevoir les ordina-tions des diaconesses et les élections des ministres par le peuple, regardées comme instilutions apostoliques pendant plusieurs siècles, et par-dessus tout l'usage de communier les laïques sous l'espèce du vin, pratiqué pendant qua-torze siècles chez toutes les nations excepté chez les Latins. Mais on répond que les Pères n'ont entendu recevoir que les (radilions parvenues sans interruption jusqu'à eux , comme l'exprime le décret : « Quae quasi per manus tra-» dilae ad nos usque pervenerunt. » Les deux premières traditions mentionnées par Soave sont abandonnées depuis plus de huit siècles, et la troisième depuis plus de deux siècles. Du reste, le premier concile de Laodicée, tenu au qua-trième siècle, dit, en parlant de l'élection des ministres, qu'on ne devait pas permettre au peuple de choisir ceux qui devaient être promus au sacerdoce (Can. S. 1.). Et S. Paul, long-temps avant, ?'avait-il pas dit à Tite : « Hu-» jus rei gratia reliqui te Cretae... ut constituas percivila-» les presbyteros, sicut et ego disposui tibi.» (Ad Tit. cap. ?. ?. 5.) Quant à l'usage du calice pour les laïques, il est faux qu'il ail élé universellement admis jusqu'au quator-zième siècle. S. Thomas(3. p. qu. 80. art. 12.) qui vivait trois cenis ans avant la tenue du concile, désapprouve toutes les églises dans lesquelles celte pratique était en vi-gueur. De plus le concile de Constance, dans sa session treizième, assure que depuis long temps cet usage était
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aboli. Le cardinal Bellarmjn démontre que huit cents ans auparavant il était déjà tombé, et que toujours il avait été regardé comme arbitraire dans l'Église, mais jamais de précepie· Nous examinerons d'ailleurs plus à fond la question en son lieu.
§ II. De l'édition et de l'usage des livres saints.
X.  Après le décret sur l'acceptation des livres canoni-ques et des tradilions, le concile en forma un autre sur l'édition et sur l'usage des livres saints. D'abord il déclara authentique et approuva comme telle l'édition de la Vul-gute: « Statuit et déclarai, et haec ipsa vetus, et Vulgata » editio, quae longo tot seculorum casu in ipsa ecclesia » probala est in publicis lectionibus, et pro authentica ha-» bealur ; et ut nemo illam rejicere quovis praetextu au-»deat, vel praesumat.»
XI. Sur la question de l'authenticité de la Vulgate, ap-prouvée par le concile, Soave objecte que, d'après le sen-timent du cardinal Cajélan, il n'y a, pour l'ancien Testa-ment , que le texte hébraïque que l'on puisse regarder comme ex,empt de toute erreur, et que le texte grec pour le nouveau ; mais nullement la traduction latine, puisque le traducteur n'était point infaillible. Mais si l'on admettait le raisonnement de Cajétan (qu'un auteur d'ailleurs a for-tement blâmé dans ses commentaires sur l'Écriture sainte), s'il fallait, dis-je, admettre un tel raisonnement, il s'en suivrait qu'on ne pourrait ajouter foi ni au texte hébraïque ni au texte grec, tels que nous les avons maintenant; les manuscrits des prophètes, des évangélisles et des apôtres seraient seuls dignes de notre confiance, parce qu'il est pos-
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sible qu'il so soit glissé des fautes dans toutes les copies. Il faut donc dire que Dieu ayant voulu que l'Écriture sainte fût pour tous les hommes une Tègle infaillible de foi, a fait en sorte, par sa providence, qu'il y eût dans l'É-glise une version écrite dans une langue comprise par un grand nombre; que celte version fût perpétuelle et exemple d'etreur essentielle sur les dogmes. C'est pourquoi il a dé-puté sur la terre un interprète visible, c'est-à-dire l'Église îéunie à son chef, qui après avoir mis toute l'exaclilude et tous les soins que permet la condition humaine, dé-terminât une version à laquelle tous les fidèles dussent ajouter foi.
XII. El parce que la version Vulgale latine (celle déno-mination est connue par tous les théologiens) avait déjà l'approbation tacite de l'Église par un usage de plusieurs siècles jusqu'au temps de S. Grégoire, et qu'elle avait été suivie par les plus grands hommes, tels que S. Isidore, Bède, S. Rémi, S. Anselme, S. Bernard, Raban, Hugues de Saint-Victor, l'abbé Robert, et une infinité d'autres doc-teurs, le concile, en vertu de l'assistance du Saint-Esprit, qui lui a été promise, l'a déclarée authentique et exemple de toute erreur essentielle, laissant au texte hébraïque de l'ancien l'eslament (dont le sens est souvent bien obscur par l'absence des points qui déterminent la signification des mots, et qui, comme l'on croit, manquaient égale-ment dans les originaux) et au texte grec du nouveau la foi qu'ils méritent. Il est dit dans le canon ai veterum (disl. 6.) que c'est dans le texte hébraïque que l'on doit puiser l'intelligence de l'ancienne loi, et dans le texte grec colle de la nouvelle ; mais il faut savoir que ce canon n'est pns de S. Augustin comme le dil Gralien, mais de S. Jé-rôme, dans son épîlre vingt-huitième à Lucifer (bien que
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S. Augustin y ail adhéré liv. 42. De doclr. christ, cay. 14 et 45·)· D'ailleurs, lorsque S. Jérôme écrivait cela, il n'avait pas encore composé sa version latine, et voilà pour-quoi il parlait ainsi, puisque dans sa traduction il devait certainement s'aider de ces deux originaux; mais il ne lient pas ce langage dans le second prologue de la Bi-ble, comme le remarque la glose du canon ut veterum.
XIII.  Mais, dit Soave, si la Vulgate est bonne et ap-prouvée, toutes les autres versions sont donc mauvaises et c'est folie de s'en servir? Nous lui répondons qu'il nous suffit de savoir que la Vulgate est exemple d'erreur lou-chant la foi et les moeurs, et que les autres versions n'ayant point été déclarées authentiques, ce serait une erreur de les lui préférer. Du reste le concile a laissé la faculté aux sa-vans de se servir du texte grec et hébraïque pour expliquer la Vulgate dans ses endroits difficiles; avec tout cela il reste encore bien des passages obscurs, et peut-être le se-ront-ils jusqu'à la fin du monde.
XIV. Au moins, reprend Soave, auraii-on dû exprimer dans le décret que la Vulgate serait revue et corrigée. On fil à Trente la même objection ainsi qu'à Rome, où le dé-cret fut envoyé pour êlie examiné avant sa publication. Les députés du pape écrivirent que le grand nombre de fautes qui se trouvaient dans la Vulgate s'opposaient à ce qu'elle fût approuvée. Mais les légats répondirent que ces fautes ne louchaient pas à la foi ni aux mœurs; qu'ils louaient la résolution du pape d'en donner dans la suite une édition plus correcte, mais que pour le moment ils croyaient qu'il n'était pas opportun de faire remarquer tes fautes, bien qu'elles fussent de peu de conséquence, afin de ne pas donner aux hérétiques l'occasion d'élever des chicanes qui pourraient en imposer à la foule; que
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d'ailleurs la Vulgate n'avait jamais été suspectée d'erreur essentielle puisqu'elle avait été traduite sur les textes grec et hébraïque, les plus corrects de tous; qu'il s'y trouvait à la vérité beaucoup de passages difficiles et presque in-compréhensibles; mais qu'il n'était défendu à personne de les éclaircir, et d'en donner une interprétation moins obscure. 11 faul remarquer de plus que les auteurs sacrés qui ont écrit sous l'inspiration de l'Esprit-Saint, n'ont pas toujours raconté les faits avec toutes leurs circonstan-ces, ni rapporté les discours avec les mêmes paroles qui les ont exprimés ; voilà pourquoi ils semblent quelquefois se contredire: mais comme le remarquent les Pères et les inlerpiètes, ils sont parfaitement d'accord sur la substance des choses. Même après la correction de la Vulgate, l'É-glise ne condamne pas celui qui soutiendrait (quoiqu'il soit plus pieux de tenir avec le plus grand nombre le sen-timent contraire) qu'il s'y trouve encore quelques erreurs accidentelles et de peu de conséquence, un arbre par exemple, ou un animal qui y serait pris pour un autre; comme le disent Melchior Canus, lib. 2. De loc. (heol. c. 13. concl. 1. Sixte de Sienne, Bibl. 5. cap ult., et plu-sieurs autres. Cependant, selon la remarque d'Ëlizaldo (De forma in quaesl. rei. n. 44.), il n'est pas permis de s'é-carter à Volonté du sens que présentent les paroles de la Vulgate; on ne peut le faire que dans les passages sur les-quels nos théologiens ne sont pas d'accord, et dont l'Église n'a pas déterminé le sens.
XV. Dans le même décret sur l'édition ei l'usage des livres saints, le concile défendit à qui que ce soit de tor-turer et de tirer l'Écriture à son sens privé contre le sens que tient l'Église, et contre le consentement unanime des Pères : « Prseierea decernii, ut nemo in rebus fidei et mo-
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.
» rutn, sacram Scripturam contra sensum quem tenuit et » tenet Ecclesia (cujus est indicere de vero sensu Scriplu-» rarum) aut etiam contra unanimem consensum Patrum » interpretari audeat... »
XVI. Ici Soave s'étonne que le concile ait restreint la manière d'entendre la parole de Dieu ; vu que le cardi-nal Cajétan a enseigné, dit Soave, que l'on ne devait pas rejeter les sens nouveaux, pourvu qu'ils ne fussent pas en opposition avec les autres passages de l'Écriture ni avec la doctrine de la foi, encore que les SS. Pères fussent d'un sentiment contraire. Nous répondons que Cajétan, quoi-qu'en cela fortement blâmé par Canus, lib. 7. cap. 5 el A, ne dit cependant pas qu'il est permis de contredire le sens unanime des SS. Pères; mais seulement que l'on peut donner à l'Écriture sainte une explication lout-à-fait différente de celle des SS. Pères, lorsqu'ils ne sont pas d'accord entre eux, el que leur sentiment respectif peul être regardé comme douteux, mais non lorsqu'ils s'accordent adonner la même interprétation. Et voilà précisément ce que le concile a défendu, d'interpréter l'Écriture contre le sentiment des Pères, comme toujours il a été d'usage dans l'Église. Aussi le concile d'Éphèse condamna Nes· torius par l'autorité des Pères, blâmant sa présomption qui lui faisait dire qu'il entendait seul les Écritures, et que tous ceux qui l'avaient précédé ne les avaient point comprises. Ainsi encore, S. Jérôme condamna Elvidius ; S. Basile Amphilole, S. Augustin les pélagiens et les donatisies, S. Léon Eutyches, le pape Agathon les mono-lhelites au sixième concile, et le concile de Florence les Grecs.
XVII. Il ne pouvait en être autrement, car si Dieu avait permis que les premiers Pères eussent inexactement ex-
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pliqué les Ecritures, Dieu lui-même, pour ainsi dire, nous aurait trompés en permettant que des docteurs sa-crés donnassent à sa parole un autre sens que celui qu'il y avait lui même attaché. Nous sommes donc tenus de regarder comme dogmes de foi tout ce que, d'un com-mun accord, nous présentent comme tels les docteurs de l'Eglise; autrement chacun pourrait douter des paroles de la Bible même les plus elaires. Il y a plus, non-seule-ment nous devons croire pleinement ce que l'Eglise a ex-pliqué et défini, mais encore tout ce qui se présente avec évidence dans l'Ecriture; sans quoi il sérail vrai que cha-cun pourrait douter d'une vérité quelconque, exprimée dans les saintes Ecritures avant que l'Eglise l'eût spécia-lement sanctionnée. De tout cela il faut conclure que dans toutes les matières qui regardent le dogme ou la pratique les Pères ne peuvent errer tous ensemble sans que l'Eglise errât en même temps, puisqu'elle se règle sur eux, alors qu'ils-sont unanimes , non pas seulement en émettant des opinions, mais en portant des décisions. Aussi le concile dil-il : « Que nul ne prétende interpréter » l'Ecrilure contre le sens que lui donne l'Eglise et la dé-» cision unanime des Pères. » De même qu'il est interdit de présenter l'Ecriture dans un sens contraire à celui de l'Eglise, aussi l'est-il de l'exposer contrairement au senti-ment des Pères. Du reste, avant de rapporter le décret l'é-vêque de Chiaggia nous avertit qu'il est licite de donner un sens nouveau aux passages des livres sacrés pourvu qu'il ne soit pas en opposition à celui que tiennent pour certain l'Eglise et tous les Pères.
En troisième lieu, il est défendu pai le déciei aux im-primeurs, sous peine d'excommunication, d'imprimer ou vendre la sainte Bible ou quelque livre détaché de
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l'Ecriture ou seulement des annotations ou commen-taires sur les saints livres sans en avoir la permission des supérieurs ecclésiastiques ou sans nom d'auteur, ou ementito prœlo , c'est-à-dire sous une fausse rubrique de lieu. Et il est dit que la même prohibition s'étend à toutes les personnes qui publieraient de tels livres ou les com-muniqueraient à d'autres ou les retiendraient pour elles-mêmes.
XIX.  Le cardinal Madruccio proposa que l'on permît d'imprimer l'Écriture en langue vulgaire. Mais cela ne parut pas convenable, et on décida qu'il suffisait qu'elle fût publiée en latin, d'abord parce que dans les pays où floiissail l'Eglise calholique celte langue était connue par tous ceux qui étaient capables d'entendre les livres saints ; ensuite, parce que plusieurs passages de la Bible sont tellement  obscurs et équivoques, que les placer sous les yeux du vulgaire serait donner lieu à une multitude d'erreurs ou au moins de doutes dangereux.
§ III. De quelques notions utiles au lecteur sur les livres canoniques de l'Écriture.
XX.  Le mot CANON signifie règle ou seulement catalo-gue de choses écrites; c'est dans ce sens qu'il esl pris ici où on l'entendra comme catalogue des livres divins. Ces livres se divisent en proto-canoniques el deutéro-canoniques. Les proto-canoniques sont ceux qui de tout lemps ont été reconnus par l'Église comme divins et révélés : les deu-tëro-canoniques, ceux également divins, qui n'ont pas été d'abord reçus pour tels par toutes les églises particulières, Mais seulement par la suite. Les livres proio-canoniques' de l'ancien Testament sont : la Genèse, l'Exode, le Lévi-
xix,                                                           43
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tique, les Nombres, le Deuléronome, Josué, Rulh, les quatre livre des Rois, le premier et le second des Parali-pomènes, le premier et le second d'Esdras, les Psaumes, les Proverbes, le Canlique des cantiques, Isaïe, Jérémie, Eze-chiel, Daniel et les douze petits prophètes. Les prolo-cano-niques du nouveau Testament sont : les quatre évangiles de S. Matthieu, S. Marc, S. Luc et S. Jean, les Actes des apôtres et les treize épîtres de S. Paul : une aux Romains, deux aux Corinthiens, une aux Galates, une aux Éphésiens, une aux Philippiens, une aux Colossiens, deux aux Thes-saloniciens, deux à Timothee, une à Tiie, une à Phile-mon ; de plus les deux Épîlres, la première de S. Pierre, et la première de S. Jean.
XXI.  Les livres deulero-canoniques de l'ancien Testa-ment sont: Esther, Baruch, les Chapitres de Daniel qui contiennent l'Hymne des trois enfans, l'histoire de Su-zanne et celle du Dragon tué par Daniel ; de plus Tobie, Judith, le livre df la Sagesse, l'Ecclésiastique, et le pre-mier elle second des Machabées. Les deuléro-canoniques du nouveau Testament sont : l'Épîlre aux hébreux, l'É-pîlre de S. Jacques, la seconde de S. Pierre, la seconde et la troisième de S. Jean, l'Épîlre de S. Jude et l'Apo-calypse, H faut joindre à ceux-ci le dernier chapitre de S. Marc et l'histoire de la sueur de sang et de l'apparition des anges consolateurs dans S. Luc. Ces livres ont éié reçus pour divins par la plus grande partie de l'Église, mais non d'abord par quelques catholiques. Enfin, le concile de Trente, dans sa session quatrième, dont TOUS avons déjà parlé, les déclara sacrés et révélés.
XXII.  Les calvinistes et les luthériens rejettent six li-vres de l'ancien Testament : Tobie, Judith, la Sagesse, l'Ecclésiastique et les deux livres des Machabées. Dans le
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nouveau Testament, les calvinistes rejettent lepl tre aux Hébreux de S. Jacques, celle de S. Jude et l'Apocalypse. Mais tous les conciles et tous les Pères ont cité souvent les livres dont il est question, et les souverains [ontifes qui ont fait des catalogues des livres saints ont comple ceux-ci parmi eux, ainsi qu'Origène dans Eusèbe(lib. 5. chap. 8); S. Alhanase (in Synopsi); S. Grégoire de ISazianze (Carm. de Genuin. Scriptur.) j S. Cyrille de Jé-rusalem (Catéch. 4.); ainsi que le concile de Laodicée (Can. ultimi.), celui de Carlhage III (Can. 4' .); S. Au-gustin (lib. 2. De doclr. Christi, cap. 8.) ; le pipe Inno-centi (Epist, ad Exuper.) et Gélase I dans Ici concile de Rome; S. Isidore (lib. 6. Elhymol. cap. 1.) S. Damas-cène (lib. 4. De fide, cap. 18.) ; ainsi enfin qi e le concile de Trente, comme nous l'avons vu; autant d re par con-séquent toute l'Église, ce qui doit certainement suffire, car il est établi par les livres proto-canoniques eux-mêmes que l'Église est infaillible dans ses décisions.
XXIII. Anciennement ks Hébreux comptaient parmi leurs livres sacrés certains livres qui n'y sont plus aujour-d'hui, comme le livre Bellorum Domini (ap. Num. 21.), le livre Justorum (ap. Jos. c. 10.), le livre Verborum (ap. III. Reg. 11.), et quelques autres. Ils en avaient aussi d'autres, qu'ils n'admettaient pas dans leur eau on, comme celui d'Eldal et ftledad, etc. Mais quant à ceu:i-ci, S. Au-gustin dit qu'ils ne furent ni sacrés, ni canoniques. (Lib. Deciv.c. 38.)
$ IV. Objections des adversaires des livres canoniques.
XXIV. On objecte contre le livre de Baruch] qu'il ne se ''ouve pas dans le catalogue de quelques Pèt|cs ; mais la
13.
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cause en est (comme l'observe Bellarmin, ch. 8) que ceux-ci le tenaient pour être de Jérémie, parce que Baruch était son secrétaire, comme on le voit dans ce prophète au chap. 36. Du reste, tous d'ailleurs l'ont reçu comme sacré et en ont cité le texte sous le nom de Jérémie, comme on levait d.ins Bellarmin à l'endroit cité.
XXV.  On objecte contre le livre de Tobie qu'on ne le retrouve pas dans le catalogue fait par Esdras ; mais on répond que l'Église catholique l'a toujours reconnu pour divin, ce qui est prouvé par les conciles d'Hyppone et de Carthoge et par le canon de Gélase.
XXVI.  Touchant le livre de Judith, Luther elGrotius mettent en doute si l'histoire qui y est racontée n'est pas fabuleuse. Mais les SS. Pères ont tenu cette histoire pour réelle, comme il se voit encore par le concile d'Hyp-pone de l'année 393, par celui de Garlhage tenu en 397, et par Innocenti (Epist, ad Exuper.), et aussi par le concile de Rome sous Gélase. Les anabaptistes regardent comme apocryphe le livred'Esdras : en quoi ils se trompent; car ce livre, au moins dans ses premiers chapitres, fut tenu pour divin par les Hébreux eux-mêmes. Il est vrai que quelques-uns ont douté de l'authenticité des sept derniers chapitres ; mais les Pères ont communément reçu pour vraie l'histoire d'Esdras. Enfin ce livre se retrouve dans la Vulgnte, laquelle a été approuvée par le concile de Trente. On objecte que les sept derniers chapitres ne s'accordent pas avec les premiers. Mais on répond que ces sept chapi-tres, qui dans la Vulgale sont placés après les autres, ne sont pas en réalité les derniers, et que quelques-uns ont fait paitie du commencement du livre, comme les chapi-tres 11 et 12 ; quelques autres du milieu, comme tes cha-ires 14,15 et 16"; et d'autres de la fin, comme le chapitre
40. S. Jéiôme a placé ces sept chapitres là la fin, parce gu'iJ ne les retrouva pas dans le canon héljreu, mais seu-lement dans la Yulgate.
XXVH. Relativement au livre de Tobi , on objecte : i' qu'il ne se trouve pas dans le canon hét reu, à quoi on répond qu'Esdrasn'a pas compris dans son catalogue tous les livres sacrés, et qu'au surplus l'Église catholique l'a toujours reconnu pour tel, comme le const ilenl le concile d'Hyppone, celui de Carthage et le car ou de Gélase ; 2° que dans ce livre de .Tobie il est dilqueSaia, épouse future du jeune Tobie, habitait dans Ragis, où le chapi-tre 4 fait aussi habiter Gabelus, et cepeidant on lit au chapitre 9 que Tobie étant arrivé au lieu )ù habitait Sara envoya de Jà l'ange vers Gabelus dans Rajès, On répond que dans le royaume des Mèdes ou il y ave il deux villes de ce nom, ou que le Rages du chapitre? rç'claii pas la ville même, mais le territoire où elle était située, ainsi l'on ap-pelle habitans de Rome ceux qui en Iubilent le terri-toire.
XXVIII.   On a émis contre le livre ? le. Job le doute qu'il contint une histoire véritable', mais l'Église grecque aussi bien l'Église latine ont toujours le m celle histoire pourvraieetonl honoré Job corn me un sa ni. Il esl compté dans Ezechiel ???. 14., avec les saints Noë et Daniel : «Etsi fuerint tres viri isti in medio ejus  Noë, Daniel et » Job. » Dans notre martyrologe sa fèlej est marquée au ? des ides de mai.
XXIX.  On n'a fait aucune objection cofolrc le livre des Psaumes ; mais il existe à son égard deux opinions égale-ment graves et également probables, 1 une que le livre «Hier est de David, l'autre qu'il est en partie d'autres auteurs qui ont été même cités dans les libres des Psaumes.
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XXX.  Quelques-uns ont douléque le livre de l'Ecclé-siaste fût de Salomon, mais c'est sans fondement, puisque dans le livre même Salomon s'en déclare l'auteur.
XXXI.   L'Ecclésiastique a eu aussi contre lui de ne pas se tiouver dans le catalogue d'Esdras; mais on a déjà dit que ce catalogue ne contenait pas tous les livres divins, et, du reste, les chefs de l'Église et les principaux Pères l'ont compté parmi les livres sacrés.
XXXII.  Pour le livre de Daniel on a élevé des doutes sur le cantique des trois enfans, et les histoires de Suzanne, de Bélus et du Dragon qui ne se lisent pas dans le canon hébreu ;  mais elles ont   été reçues pour   vraies  par l'Église catholique d'accord avec les  Pères. On a ob-jecté aussi que dans le chapitre vi il est dit que Daniel fui dans la fosse aux lions pendant une seule nuit, tandis qu'au chapilre xiv on litqu'il y resta six jours. La réponse est que Daniel fut mis deux fois dans la fosse ; la première fois dans Babylone, quand il tua le dragon qui y était adoré, et alors il y resta six jours, comme le porte le cha-pitre xiv ; la seconde fois, sous l'empire de Darius, parce qu'il avait prié le vrai Dieu contre l'édil de ce prince, et il n'y resta qu'une seule nuit, comme il est dit au cha-pitre VI.
XXXIII. Conlre le premier livre des Machabées on op-pose au chapilre ? qu'Alexandre-le-Grand y est noté pour avoir régné le premier dans la Grèce, tandis que plusieurs y avaient dominé avant lui. Mais on a remarqué que l'Écriture n'entendait pas en cet endroit toute sorte de domination, qu'elle parlait seulement dé la monarchie grecque, dont Alexandre fut en effet le premier roi. On objecte aussi qu'au chapitre vin on lit que les Romains dé-cernaient tous les ans la magistrature suprême à un seul,
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auquel tous les autres devaient obéissance, lel que cepen-dant il est certain que dans ce temps-là i s nommaient pour gouverner deux consuls. Il faut répondre que l'Écri-ture a ainsi parlé, parce que tous les mo s ou tous les jours (suivant quelques opinions) les consils présidaient à tour de rôle, ou plutôt parce qu'un sejul d'eux avait l'autorité principale.
XXXIV.  Quant au second livre des Machhbées, on op-pose qu'au chapitre ? il est dit qu'Antiochuu péril dans le temple de Nanca, et qu'on voit au livre [, chapitre vi, qu'il mourut dans son lit. La réponse est qu : l'Écriture au livre II, chapitre ? ne parle pas d'Anliocl us Épiphane, mais d'Anliochiis Soler, ainsi nommé par l'historien Jo-sèphe, et qui mourut en effet dans le temp e de Nanca où il fut lapidé. L'Écriture, au livre I, cha litre vi, parle d'Anliochus Épiphane qui mourut dans Ba )ylone.
XXXV.  On objecte encore que dans li livre II, cha-pitre II, il est rapporté que Jérémie cacha l'arche dans une caverne, tandis que Jérémie fut retenu en prison pendant tout le temps qui s'écoula jusqu'à la cestruction  du temple. A quoi on répond que Jérémie ? :évoyanl l'ave-nir, cacha l'arche au temps de Joachiml pendant qu'il était encore libre.
XXXVI. On a dit contre l'épîlre de S. Paul aux Hébreux, qu'elle ne porte pas le nom de Paul et de plus qu'elle dif-fère de style avec les autres. Mais d'abord S. Paul ne se liomma pas, parce qu'il savait ne pas eue agréable aux ttébreux, à cause que plus que les aut:es il prêchait «abolition de la vieille loi ; et pour ce qui est de la diffé-rence de style, elle vient de ce que S. Pau écrivant, celle lettre en hébreu, son idiome naturel, a dû l'écrire plus fa-cilement et plus élégamment que les autres où il employait
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la langue grecque qui lui était moins connue, comme nous l'apprend S. Jérôme.
XXXVII.  On reproche à la lettre de S. Jude de citer comme prophétique le livre d'Hénoch, reconnu comme apocryphe. On répond que ce livre n'est pas cité comme entier, mais seulement la prophétie faite par Henoch, la-quelle a élé peut-être introduite dans ce livre apocryphe, mais dont la certitude était connue de l'apôtre par révé-lation divine.
§ V. Si les divines Écritures furent également inspirées de Dieu pour les choses qui y sont contenues que pour les paroles.
XXXVIII.  S. Grégoire dit : « Ipse scripsi!, et illius ope-» ris inspirator extilit. (Praefat. in Jub.) On a émis ici trois opinions : la première que toutes les Ecritures furent également inspirées de Dieu et pour le fond et pour les paroles; la seconde que toutes les choses furent inspirées, mais non toutes les paroles, et celle-ci est la plus probable; enfin la troisième (qui est erronée et impie) que beaucoup de choses y furent inspirées ; mais que d'autres y ont élé introduites arbitrairement par ceux qui les ont écrites. Ce qui est certain, au moins de toute certitude, c'est que toutes les choses essentielles tanl de l'ancien que du nou-veau Testament ont été inspirées; autrement, dit S. Au-gustin, « tota scripturarum vncillaret auctoritas, ideoque » et fides nostra. » (Lib. 1. De doctr. Christ, cap. 27.) C'est pour cela que S. Paul appelle les Écritures eloquia Dei, et qu'il écrit à Timothee (ch. 3.) : « Omnis scriptura divinitus » inspirato. » Cette opinion est confirmée par toute la tra-dition ; par S. Irénée (Contra hœres. lib. 2. cap. 47.), Ter-tullien (Lib. De habitu mulier, cap. 23.), S. Athanase
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(Epist, ad Marcellin.), S. Basile (In prœm. in psal.), S. Chrysoslôme (Hom. xxi. in c. 5. Gènes.) Et cette tradition marche accompagnée de la persuasion unanime non-seu-lement des chrétiens pour le nouveau Testament mais des Juifs pour l'ancien, comme il paraît par Philon et Josèphe. XXXIX. Qu'ensuite l'Éciilure n'ait pas été totalement inspirée pour les paroles, c'est l'opinion de S. Jérôme dans son épîlre à Algasia ; S. Augustin (Lib. 2 De con-sensu evangelist. cap. 12.), dit : « Si ergo quaeritur,quae » verba potius dixerit Matthaeus, an quae Lucas, etc. » Nullo modo hinc laborandum ; » car ajoute-l-il, il suf-fit que le fond des choses soit vrai quoique les uns les aient présentées sous une certaine forme les autres dans des termes differens, et voilà pourquoi S. Denis d'Alexan-drie, Origène, S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, S. Jé-rôme et d'autres Pères citent les textes sacrés avec des barbarismes que certainement Dieu n'a pas dictés et au-tant faut-il en dire de la Vulgale vraie, dans toutes les propositions et maximes, sans que toutes les paroles aient été inspirées.
Réponses aux principales objections.
XL. On fait les objections suivantes :
Première objection. — Si les differens livres de l'Écri--iure furent au moins pour le fond des choses mêmes in-spirés de Dieu, aucun de leurs auteurs ne dut prendre à cet égard ni soin ni peine, et cependant le contraire est énoncé dans S. Luc, et-par l'auteur du second livre des Machabées. On répond que ce n'est pas toute inspiration de Dieu qui exclut le soin et l'attention, mais une inspiration particulière par laquelle les choses et les paroles s'offrent
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d'elles-mêmes aux auteurs sans la coopération de leur esprit, tandis que le Soigneur portait les autres à appliquer leur attention de peur d'erreur en rapportant les choses cachées et inconnues qu'il leur révélait.
XLI. Deuxième objection. —Plusieurs choses dans l'É-criture paraissent conlrairesaux préceptes divins, comme, par exemple, certaines imprécations qu'on lit dans les Psaumes : « Effunde iram in gentes, quae te non nove-» iunt » (Psal. LXXXVII.), et d'autres semblables. On ré-pond avec S. Augustin parlant sur le psaume LXXXVII, que ce ne sont point là des imprécations dictées par un désir de vengeance, mais des prédictions des châlimens futurs de Dieu : « Non malevolenliae volo ista dicuntur, sed » Spiritu praevisa prsedicunlur. »
XLII. Troisième objection. — On trouve dans l'Écriture des choses inutiles et qui ne semblent pas inspirées, telles que celle-ci dans l'épîlre à Timothee, chap. îv : « Penu-» Iam, quam reliqui Troade apud Carpum, veniens affer » lecum. » On répond que toutes les choses contenues dans l'Écriture ne sont pas également utiles, mais qu'au-cune n'est inutile, parce qu'elle sert au complément de la narration ou seulement à notre instruction, ainsi les paroles citées de l'apôtre nous apprennent que nous pou-vons nous occuper mériloiremenl des objets nécessaires à nos besoins. Aussi S. Jérôme écrit (Epist, ad Philemon.): « Quaecumque in scripturis Ievia et parva videntur, non » minus esse a Deo inspirata, quam creaturae vilissimae ?<> sint a conditore cceli et terrae. »
XLUI. Quatrième objection.—Certaines choses sont rap-portées dans l'Écriture comme incertaines : ainsi S. Jean (Ch. ?.) dit : « Hydriae... capientes singulae metretas binas » vel ternas.» On répond quel'Espril-Sainl, dans quelques
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endroits, n'a pas voulu fixer certaines circonslances, mais laisser l'auteur suivre l'usage ordinaire de ceux qui ra-content.
XLIV. Cinquième objection. —L'écrivain du deuxième livre des Machabées en finissant, « petit veniam erralo-» rum. » On répond que l'auteur n'entend point ici par-ler des erreurs du livre, mais seulement des négligences de son style, lorsqu'il dit, « et si quidem bene, et ut his-» torise competit, hoc et ipse velim; sin autem minus, » digne concedendum est mihi. »
§ VI. Du sens des saintes Écritures.
XLV. Les livres sacrés ont divers sens et d'abord on dis-lingue le sens littéral et le sens mystique. Le sens litléral est celui qui fait entendre le texte tel qu'il est écrit et ce sens tout seul fait règle de foi. Le sens mystique ne fait règle que quand il peut être appuyé sur un autre texte formel ou qu'il est ainsi entendu par tous les Pères.
XLVI. Le sens mystique est celui qui se déduit immé-diatement de la chose exprimée par les paroles du texte; aussi suppose-t-il toujours le sens lilléral comme ces mots de l'Exode (ch. xa.) sur l'agneau pascal : « Nec os illius » confringetis» qui sont appliqués par S. Jean (ch.xix.), dans un sens mystique à Jésus-Chrisi. Le sens mystique se divise ensuite en allégorique qui appartient aux mys-tères de la foi, en analogique qui regarde la vie éternelle rçue nous espérons, et en tropologique ou moral qui a liait à la règle de conduite. De plus il y a le sens de con-venance comme celui qui applique à la bienheureuse Vierge les paroles que dit Jésus-Christ à Marie sœur de Lazare : « Mariam optimam partem elegit. » Céder-
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nier sens n'engage en rien la foi; car il n'esl pas le but de l'Espril-Saint. Et il faut remarquer que souvent Je même passage admet un double sens littéral, Dieu pou-vant par les mêmes paroles exprimer plusieurs choses.
XLVII. On demande si le sens des Écritures est clair ou loul-à-fait obscur. Les novateurs soutiennent que tous les testes offrent un sens clair, parce que bien que plusieurs soient obscurs, ils s'autorisent ainsi à les tourner et à les accommoder à leurs opinions. Maislecontrairede ce qu'ils avancent est prouvé par l'Écrilure elle-même. Dans S. Luc (ch. xvm.) on lit : « El ipsi nihil eorum » intellexerunt, » ei au chapitre dernier il dit : « Tune » (Clnistus) aperuit illis sensum, ut inlelligerent scrip-» luras. » En outre S. Pierre (II. Petr. cap. ni.) parle ainsi desépîtres de S. Paul : « In quibus sunt quaedam diffici-» lia intellectu. «Tous les Pères sont du même sentiment là-dessus et il suffira d'en citer deux entre tous. S. Jérôme parlant de l'Écriture dit dans sa lettre à Algasia : << Quai » tantis obscurilatibus obvoluta est. » El S. Augustin dans l'épitre exix à Janvier : « In aliis innumerabilibus rebus » multa me latent, sed etiam in ipsis sanctis Scripturis » multa nesciam plura quam sciam. » Celte vérité res-sort encore mieux quand on considère le grand nombre d'inlerpiétalions que les Pères et les commenta leurs ca-tholiques ont données des Écritures.
XLV1II. On oppose le texte : « Mandatum quod ego prœ-» cipio tibi hodie, non supra te est. » (Deuter. c. xxx.) On répond que ces mots ne signifient pas que toul pré-cepte est clair; mais que tout précepte compris comme l'explique l'Église est toujours possible à observer et même facile avec le secours de la grâce. On oppose encore cet autre passage des Proverbes (cìì. VI.) : « Mandatum lucerna
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» esl et lux, » et celui-ci du psaume xvm : « Praeceptum » Domini lucidum illuminans oculos. » Cela veut dire que les préceptes divins bien entendus, éclairent l'esprit et dirigent la volonté vers les bonnes reuvres, mais non pas que l'Écriture soit claire dans son entier.
XL1X. S'il se trouve, disent les novateurs, quelques passages de l'Écriture qu'on puisse dire obscurs, le Sei-gneur ne manque pas d'en donner à chaque fidèle la claire intelligence. C'est là le sens privé des héiéliques, dont l'effet est de produire autant de croyances diverses qu'il y a de croyans; aussi tous leurs congrès et leurs synodes provinciaux et nationaux n'ont jamais pu établir une profession de foi uniforme et c'est une chose connue partout, que parmi les hérétiques il y a autant de for-mules de foi que de têtes. Ce qui suffirait bien pour dé-monirer qu'ils sont dans l'erreur et n'ont pas la foi vé-ritable.
§ VII. Des diverses versions de l'Écriture.
L. Les livres de l'ancien Testament furent tous écrits en hébreu. Les livres du nouveau le furent en grec à l'exception de l'Évangile de S. Matthieu et de l'épître de S. Paul aux Hébreux écrite vraisemblablement en syriaque avec mélange d'hébreu et de chaldéen : il esl probable aussi que l'Évangile de S. Marc fut écrit en latin à Rome. H y a eu de nombreuses versions de l'ancien Testament, on a eu celles d'Origène, de S. Lucien, de Tbéodosion, d'Aquila, de Simmaque et de plusieurs autres; mais la plus célèbre est celle des Septante, que fil faire, vers l'an 280 avant Jésus-Christ, le roi Plolémée Philadelphe, «'s de Plolémée Lagus roi d'Egypte, et troisième roi de
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Grèce, depuis Alexandre-le-Grand, disciple du philosophe Demetrius Philarque. Ce roi Plolémée voulant enrichir sa bibliothèque, fil demander à Eleazar, alors souverain pon-lifc juif, une copie des livres sacrés et l'envoi de ses docteurs pour les traduire en grec. Eleazar lui envoya soixante-douze docteurs qui firent la version reconnue depuis par les Juifs et les Grecs d'Alexandrie.
LI. Touchant cette version, S. Irénée, Clément d'A-lexandrie, S. Augustin etBellarmin, ainsi que Baronius, ont pensé que ces interprètes furent inspirés de Dieu pour traduire les divines Écritures ; mais S. Jérôme dit le con-traire : d'autres érudits pensent qu'au moins les Septante furent assistés de l'Esprit-Saint, pour éviter les erreurs.
LU. D'autres ont écrit d'après une histoire rapportée par un certain Aristée, gentil, que les Septante se pla-cèrent chacun dans une cellule particulière, firent ainsi séparément leur version, et que quand on les compara, elles se trouvèrent toutes uniformes. Mais S. Jérôme (In prœfat. in Penlaleuchum), rejette tout-à-fait ce récit en ces termes : « Nescio quis primus auctor septuaginta cel-» lulas mendacio suo exlruxerit. » II affirme- que les soixante - douze docteurs traduisirent en conférant entre eux et c'est aussi l'opinion de Bellarmin et de plusieurs docteurs modernes. Bellarmin et les autres avertissent de plus que celte version est aujourd'hui tellement corrom-pue qu'elle n'est pour ainsi dire plus la même qu'au-trefois. Du reste il est certain que les apôtres et les Pères des premiers siècles se sont servis du texte de celle ver-sion ; mais aujourd'hui elle n'est point regardée comme authentique quoiqu'en dise Juenin (tom.l.p.75.c.76), où il soutient que la version des Septante a été et est tou-jours authentique.
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LUI. Parmi les versions Ialines de l'ancien Testament, la plus reçue est la Vulgate que S. Augustin nomme ita-lique et S. Grégoire ancienne. S. Jérôme la corrigea et en refit deux fois la traduction : la première sur le grec des Septante, la seconde sur le texte hébreu ; excepté le Psau-tier (qu'il corrigea seulement) et les livres de la Sagesse, de l'Ecclésiastique et des Machabées qui sont les mêmes que dans l'ancienne version latine. Cette version de S. Jérôme fut depuis reçue universellement dans l'Église d'Occident, et finalement le concile de Trente, dans sa quatrième session la déclara authentique comme étant celle qui appuyée de la tradition apostolique avait été reçue pour vraie pendant taut de siècles.
LIV. H faut remarquer que S. Jérôme ne traduisit point le nouveau Testament du grec en latin , mais seulement en ôla certaines erreurs; c'est ce que dit Juenin (tom. 1. pag. 79. concl. 4), et Bellarmin (Lib. 6. De Verb. Dei cap. 7.), qui ajoute que la version grecque du nouveau Testament, faite par ce saint par ordre de S. Damase, n'es point aujourd'hui un texte sûr à cause de ses incorrec-tions.
LV. Les hérétiques objectent contre la Vulgale, 1" qu'elle diffère de l'hébreu et de la version grecque, ce qui força Clément VIII à corriger la Vulgate publiée par Sixte V. On peut répondre qu'elle n'en diffère en rien qui puisse altérer le sens et changer la subslance; du reste il im-portait peu qu'elle différât en quelques points des textes hébreu et grec que les érudils reconnaissent être défec-tueux, ce qui est arrivé par la négligence des éditeurs. Néanmoins les versions grecque et hébraïque restent des sources précieuses pour conférer les textes, et le concile de Trente en leur préférant la Vulgate n'en a pas moins
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reconnu leur degré d'autorité. Nous dirons aussi que Clé-ment VIII, dans sa correction de la Vulgate de Sixte V, n'a nullement touché au sens, mais seulement au choix des termes.
LVI. lis objectent en second lieu que le concile n'avait aucun motif de préférer la Vulgate aux autres versions. On répond qu'il en eut un motif bien suffisant dans le constant usage que l'Église en avait fait pendant mille ans; car dès le temps de S. Grégoire-le-Grand, la Vulgate ser-vit de texte pour les leçons et décisions, comme on le voit par les livres de S. Grégoire et par les actes des con-ciles.
LVII. Ils objectent enfin que la Vulgate contient plu-sieurs erreurs qui n'ont pu être coirigées au temps du concile de Trente. On répond que jusqu'à présent on.n'a pu constater aucune erreur; que si par la faute des li-braires, il s'en est glibsé parfois quelqu'une, les souve-rains pontifes se sont empressés de les faire rectifier. Si enfin quelques-unes ont pu être laissées, elles sont de si petite importance que dans le fait elles n'intéressent ni la foi ni la morale : voyez Juenin ( lom. 1. pag. 9. concl. 4).
§ VIÏI. Où l'on expose en terminant les doctrines les plus utiles à connaître sur la tradition.
LVIII. Par la tradition on entend la parole de Dieu non écrite que l'Église conserve et ordonne aux fidèles de croire avec la même plénitude de foi que les saintes Écri-tures. On l'appelle tradition parce qu'elle ne nous vient pas au moyen de l'Écriture, mais comme de main en main « ab uno traditur alteri, » et qu'elle passe des uns
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aux autres par la parole el la commune renommée. La parole de Dieu écrite se conserve sur le papier, el celle qui ne l'esl point, dans les cœurs des fidèles.
LIX. Les traditions sont de trois sortes : divines, apos-toliques el ecclésiastiques. Les divines sonl celles qui viennent de Dieu lui-môme, ou du Christ, comme est l'institution de la matière el de la forme des sacremens. Les apostoliques qui viennent des apôtres, et celles-ci sont de deux sortes, car on distingue celles que les apô-tres reçurent de la bouche même de Jésus-Christ, ou qui leur fuient purement révélées par l'Esprit-Saint, parce que celles-là se confondent avec les divines, el celles que les apôtres inspirées par l'Espril-Sainl ont transmises à notre obéissance, comme la mixtion de l'eau et du vin dans le calice, l'observance de la Pâques, de la Pentecôte, etc. Enfin les ecclésiastiques sonl des coutumes introduites aux premiers lemps de l'Eglise par les prélats ou avec leur ap-probation par le peuple, lesquelles oni acquis par le laps de temps, force de loi, comme la récitation de l'office divin par les clercs promus aux ordres sacrés ou aux bé-néfices, l'abstinence de la chair le samedi, etc.
LX. Les novateurs rejettent toutes les traditions; mais les catholiques tiennent qu'il y a des traditions divines qui servent, comme l'Ecriture, de fondement à la foi; aussi le concile de Trente nous enseigne que l'Eglise a une égale vénération pour l'Ecriture que pour la tradi-tion, en disant à la quatrième session dans le décret sur les Ecritures canoniques : « Perspiciensque hanc verita-» lem et disciplinam contineri in libris scriptis, et sine » scripio traditionibus, quae ab ipsius Christi oreabapos-» tolis acceptae, aut ab ipsis apostolis, Spiritu Sancto dic-» tante, quasi per manus traditae ad nos usque pervene-xix.                                                         14
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»runi; orthodoxorum Patrum exempla secuti, omnes » libros tam veteris, quam novi Testamenti, eum ulrius-» que unus Deus sit auctor, necnon traditiones ipsas tum » ad fidem, tum ad mores pertinentes tamquam vel ore-» tenus a Christo, vel a Spiritu Sancto dictatas, et continua » successione in Ecclesia catholica conservatas, pari pie-» latis affectu, ac reverentia suscipit, et veneratur. »
LXI, Les traditions divines furent d'abord de même nature que la loi naturelle, et cela depuis Adam jusqu'à Moïse. Il devait certainement y avoir alors une règle cer-taine de foi ; celle règle ne pouvait être écrite puisque l'Écriture n'existait pas, elle venait donc par la tradition d'Adam, qui enseigna à ses enfans ce que Dieu lui avait révélé louchant la rédemption et les autres mystères rela-tifs à notre salut.
LXII. Au temps de la loi écrite publiée par Moïse, bien qu'il y eût alors des écritures sacrées, les Hébreux durent se transmettre encore par la tradition plusieurs règles de foi et de conduite. Le Seigneur dit (Exod. 13.) : « Narrabis s filio luo in illa die dicens, hoc est quod fecit Dominus.» El David, ps. LXXVII : « Quanta mandavit patribus nos-» tris nota facere ea filiis suis, ut cognoscat generatio al-» lera. » Ainsi non-seulement l'Écriture, mais aussi la tradition de leurs pères, servit à faire connaître aux Juifs les événemens qui devaient leur arriver.
LXIH. Finalement, la tradilion fui encore nécessaire dans les premiers temps de la loi évangélique puisque l'évangile de S. Matthieu qui fut le premier livre du nouveau Testament ne parut que huit ans après la mort de Jésus-Christ, et que toutes les autres écritures ne vin-rent que plusieurs années après.
LXIV. El même jusque dans le temps présent les Ira-
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ditions sont nécessaires pour plusieurs raisons : 4° afin de discerner les livres canoniques des apocryphes, car cette distinction n'est contenu dans aucun livre sacré et ne peut êlre faite par les lumières et le sens privé comme nous l'avons vu plus haut; aussi les Pères disent-ils una-nimement que la tradition seule nous apprend quels sont les livres véritablement sacrés. Origène écrit : « Ex » tradilione didici de quatuor Evangeliis, quod hac » sola, etc. » (??. Euseb. hist. 1. vi, e. 18.)
LXV. 2° Les Iradilions sont nécessaires à l'Église pour juger le vrai sens des Ecritures qui servent de fondement à plusieurs dogmes de notre foi, comme sont la trinilé des personnes divines, la consubslantialité du Verbe et du Père, la procession du Saint-Esprit du Père et du Fils, la ceitilude que la Vierge Marie est vraiment mère de Dieu, la lâche du péché originel dans (oui homme naissant, la présence réelle de Jésus-Ghrisldans l'eucharistie ; car le sociniens et autres hérétiques nient que l'Écriture con-tienne ce que l'Église catholique enseigne sur ces mys-tères.
LXVI. 5° Elles sont nécessaires pour établir la certi-tude de plusieurs dogmes de foi admis également par les catholiques, les luthériens et les calvinistes contre l'opi-nion d'autres hérétiques, comme celui de la virginité de la mère de Dieu contre Elvidius; l'efficacité du bap-tême des enfans contre les anabaptistes ; la validité du baptême donné par les hérétiques contre les donalistes. El de tout cela rien n'est enseigné dans l'Écrilure, et nous n'en tenons la vérité démontrée que parla iradition.
LXVII. En outre, les apôtres n'écrivirent pas tout ce qu'ils enseignèrent, et il est certain qu'eux-mêmes appri-rent plusieurs choses de la bouche même de Jésus-Christ :
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aussi recommandaienl-ils aux fidèles les traditions qu'ils leur avaient transmises. S. Paul écrit (I. Cor. n. i. ) : « Laudo vos, quod per omnia mei memores eslis, et sicut » tradidi vobis, praecepta mea tenetis. » Et ailleurs (adThessal. II.): «Tenete traditiones, quas didicislissive » per sermonem, sive per epistolam nostram. » Ce qui fait dire à S. Chrysoslôme sur ce dernier passage : « Hinc » palet quod non omnia per epistolam, sed mulla etiam » sine litteris ; eadem vero fide digna sunt Iam illa, quam » ista. »
LXVIII. Mais les adversaires de la tradition opposent, ce passage du ch. iv du Deuléronome : «; Non addetis ad » verbum, quod ego praecipio vobis, nec auferelis ex eo.» Us ajoutent celle parole adressée aux pharisiens, dans S. Matthieu, ch. xv : « Quare ei vos transgredimini man-» datum Dei propter traditionem vestram? » On répond sur le premier lexle que Moïse n'y dit pas : « Non addelis » ad verbum quod ego scribo vobis, » mais « quod praecipio » vobis, » ainsi il ne s'agil pas là de la tradition, mais du précepte. De même Jésus-Christ ne dit pas : Traditionem meam, mais vestram, c'esl-à-dire cimentée par les pha-risiens; aussi il dit ensuite : « Irritum fecistis manda· » tum Dei propter traditionem vestram. »
LXIX. On oppose encore ce passage de l'apôtre (II. ad Tim. ni) : « Omnis scriptura divinitus inspirata, utilis » est ad docendum, ad arguendum , ad erudiendum in » juslitia , ul perfectus sit homo Dei ad omne opus bo-» num instructus. » D'où l'on tiie l'objection : A quoi sert la tradition quand l'Écriture contient lout ? — La réponse est que suivant l'apôtre l'Écriture est utile à en-seigner, à reprendre, etc. ; mais il ne dit pas qu'elle suffit à tout. Outre que S. Paul ne parle point ici des livres
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saints pris collectivement mais de chacun d'eux en par-ticulier, disant que chacun est utile, mais non pas qu'il est suffisant pour nous instruire de tout ce qui regarde la foi et la pratique.
LXX. Nous savons d'ailleurs que les conciles, pour in-terpréter l'Écriture, se sont appuyés sur la tradilion. Théodorel (Hist. lib. 1, cap. 8.) atteste que le premier concile de ÎNicée s'appuya sur la tradition pour motiver la condamnation d'Arius. Le second de Nicée, comme il paraît par l'acte 6, argua aussi de la tradition pour dé-fendre les saintes images contre les iconoclastes.?Pareille-ment le concile VIII, acte 8 , déclara que les véritables traditions faisaient règle et devaient être observées.
LXXI. Le consentement unanime des sai nts Pères est en-core une preuve que les traditions doivent être tenues pour la paiole mêmede Dieu; cela se voit aussi bien par les Pères giecs, tels que S. Ignace (apud Euseb. Hist. lib. 1, cap. 36), S. Irénée (\lib. 5, c. 4), Origène(in cap. 6 ad Rom.), S. Basile (lib. de Spir. S. cap. 27), S. Chrysoslôme déjà cité, et S. Épiphane (de haeresibus, haeres 61.), que par les Pères latins, comme Teriullien (in lib. Depraescripl), S. Augustin (lib. 5 De bapt. cap. 23). Vincent de Lerins dans tout sou livre intitulé Com-monitorium nous enseigne qu'on doit s'en tenir aux tradi-tions.
LXXII. Mais on objecte 1° que S. Cyprien n'a pas cru transmise par les apôtres la tradilion qui lui était opposée par le pape Etienne, et qu'il l'appelait ancienne erreur, vetustam errorem. — On répond que S. Cyprien rejetait 'a tradition opposée par le pape Etienne en tanl qu'il ne la croyait pas provenue des apôtres; mais il ne pensait
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pas moins qu'on ne dûl recevoir les traditions véritable-ment transmises par eux.
LXXIII. 2° Que S. Jérômeditsur le ch. xxiu de S. Mat-thieu : « Hoc quia de scripturis auctoritatem non habet, » eadem facili late contemnitur qua probatur. » — On répond que le saint rejetait ici avec mépris une objection non appuyée sur l'Écriture, mais sur un livre apocryphe où il était dit que le Zacharie lue par les Juifs entre le temple et l'autel était le Zacharie, père de Jean-Bap-tiste.
LXX1V. 3° Que la tradition n'est point un fondement assuré à cause des changemens auxquels elle est sujetle ; comme il est arrivé pour la communion eucharistique sous les deux espèces, observée ainsi pendant iant de siècles, et depuis quatre siècles abolie. — On répond qu'il ne s'agit ici que de la tradition qui louche à la foi et à la morale, laquelle esl infaillible el immuable, mais non de celle qui regarde la discipline qui peut sans doule êlre changée pour de justes causes.
Nous devons enfin terminer en établissant les règles qui servent à distinguer la tradition divine de la tradi-tion humaine. Car les hérétiques rejettent les traditions parce qu'ils prétendent que l'on ne peut discerner les vraies des fausses.
Règles par lesquelles on reconnaît qu'une tradition est humaine et non divine.
Règle première. Une tradilion n'est point divine bien que reçue par toute l'Église, lorsqu'elle lire sa source de la décision d'un Père ou d'un concile particulier parce que par celle voie nous aurions à admettre, sans
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fondement certain, de nouvelles révélations louchant la foi ou la morale ; ce qui a toujours élé abhorré el combattu dans l'Église par les hommes les plus zélés pour la religion. « Mos iste (dit Vincent de Lerins) in ecclesia semper vi-» guit, ut quo quisque foret religiosior, eo prumptius » novellis adinventionibus contrahet. » (Lib. 1. e. 5.) Aussi les souverains pontifes, les conciles et les Pères ont apporté le plus grand soin à conserver l'intégrité de la re-ligion en repoussant du sein de l'Église toutes doctrines nouvelles sur les points de la foi autres que celles déjà reçues. La même chose fut prescrite par l'apôtre à Timo-thee : « ? Timothee depositum custodi, devitans profa-nas vocum novitates, et oppositiones falsi nominis » scientiae, quam quidam promittentes circa fidem exci-» derunt.» (I. ad Tim. vi. 20.) Vincent de Lerins ajoute : » Quid est depositum? est quod tibi creditum est, non » quod a le inventum, quod accepisti, non quod exco-» gitasli. » (Loc. cit. cap. 22. ) Ce fut avec de pareilles nouveautés révélées queMontan infecta l'Église.
Règle deuxième. Une doctrine qui ne se trouve établie que dans une église particulière ne doit point être consi-dérée comme divine, mais seulement comme humaine : autrement, ainsi que le démontre S. Augustin contre les donalistes, toute l'Église catholique devrait se trouver ré-duite à ce seul endroit de la terre. Dans ce cas on ne doit point tenir compte d'une église isolée.
Règle troisième. Il ne faut pas tenir pour divine une tradition qui enseigne quelque dogme sur l'autorité d'un seul ou d'un pelil nombre d'auteurs modernes ou même anciens, fussent-ils docteurs ou saints, s'ils sont en oppo-sition en cela avec tous les autres. L'eneur des millénaires, qui consistait à croire que Jésus-Christ après la résurrec-
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lion des hommes devait régner pendant mille ans sur la terre avec les élus, fut admise par plusieurs pères, par Terlullien, par S. Iiénée, par Laclance, d'après Eusèbe (Hist. lib. 5. c. 39.); mais le sentiment contraire de tous les autres l'a fait condamner.j
§ IX. Règles pour reconnaître si une tradition est divine et non humaine.
Règle première. Tout dogme reçu universellement par l'Église doit être tenu pour tradition divine, bien qu'il ne se trouve pas dans les Écritures. La raison en est que l'Église universelle ne peut errer, étant la colonne stable et infaillible delà vérité, comme l'écrit l'apôtre. (I. Tim. in.) D'où Tertullien dil (lib. De prœscripl.) : « Quod apud » multos unum invenitur, non est erratum, &ed traditum.» On lit la même chose dans S. Cyprien (lib. 5. epist. 15.), et dans S. Jérôme contre Vigilance.
Règle deuxième.Toute doctrine que l'Église enlièie a sou-tenue dans un autre siècle quelconque doit également être tenue pour divine, parce que de même que l'Église ne peut au siècle présent accepter pai erreur ce qui est humain pour divin, elle ne l'a pu non plus dans les siècles piécédens.
Règle troisième. Telle pratique qui ne peut avoir été prescriie que par Dieu, doit être teuue pour venir de la tradition apostolique, toutes les fois que l'Église entière l'obsprve. C'est ainsi que S. Augustin prouve que l'usage de baptiser les enfans est de tradition divine : « Consue-» ludo matris Ecclesiae in baplizandis panulis non est » superflua repu(anda> nec omnino credenda, nisi aposto-» lica esset traditio. » (kib. ?. de Gen. 25.) Il parle de même sur l'usage de ne pas rebaptiser ceux qui l'ont été
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par les hérétiques. (Lib. 2. De bapt. c. 7.) Il y a plusieurs choses du même genre, dilMelchior Carnis (De loc. iheoi. lib. 3. c. ?.), qui se praliquent dans l'Église el qui ne pourraient se faire, si l'Église n'en avait reçu la faculté de Dieu par tradition apostolique, comme de disposer des vœux, de relever des sermens. La même îaison existe, comme l'écrit Juenin (tom. i. c. 3. p. 137.), à l'égard de l'annulation d'un mariage ratifié, mais non consommé, pour les vœux solennels. Car on ne peut supposer que l'Église ail erré en usurpant un tel pouvoir sans y être divinement autorisée.
Règle quatrième. Quand une pratique a été générale-ment el de tout temps observée dans l'Église, sans avoir élé instituée par un concile, elle doit être considérée comme instituée par tradition apostolique, bien qu'elle soit de nature à l'avoir été par l'Eglise elle-même. « Quod universa tenet Ecclesia (écrit S. Augustin), nec » conciliis institutum, sed semper retentum est, nonnisi » auctoritate apostolica traditum reclissime creditur. » (Lib. 4. De bapl. cap. 24.) C'est en argumentant ainsi que les théologiens disent que le jeûne du carême est d'institution apostolique.
En outre, Terlullien el S. Irénéc disent que si on ne retrouve pas dans quelques églises la tradition de quelque dogme qui pourtant est conservée dans les autres, au moins dans les principales églises apostoliques, dans les-quelles la succession des évêques n'a point été interrom-pue, en ce cas il faut croire celle tradition divine. C'est ainsi que parle Tertullien (lib. De piaescrip.), et S. Irénée(lib.3. adv. hœres. cap 2.), lequel au chapitre 3 ajou te que parmi ces églises aposloliques qui ont conservé la véritable tra-dition, l'Eglise romaine tient le premier rang : « In qua
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» semper ab his, qui sunt undique, conserva ta est ea quae » est ab apostolis traditio. » Et puis énumérant tous les pontifes romains jusqu'à son temps, il dit : « Hac ordina-» tione et successione ea quae est ab apostolis in Ecclesia » traditio et veritatis prœconisalio pervenit usque ad nos. »
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Ve SESSION.
OU  PÉCHÉ   ORIGINEL.
I.  La différence qu'il faut faire entre le péché originel et le péché personnel est celle-ci : le péché personnel se commet avec notre volonté physiquement propre; l'ori-ginel fut commis avec une volonté qui nous était physi-quement étrangère, mais qui pourtant fut moralement propre. Le péché originel est en soi une faute mortelle proprement dite, transmise par Adam àsesenfansavecson sang : d'où David écrit : « Ecce enim in iniquitatibus » conceptus sum, et in peccatis concepit memalermea.» (Psalm. L.) Et l'apôtre : «Per unum hominem peccatum » in hunc mundum intravit et per peccatum mors; et ita » in omnes homines mors pertransiit, in qua omnes pec-» caverunl.» (Rom. cap. v.) Ce qu'il confirme dans son épîlre aux Corinthiens : « Si unus pro omnibus mortuus » est, ergo omnes mortui sunt et pro omnibus mortuus » est Christus.  »  (II. Cor. v.) C'est ainsi que le péché d'Adam infecta toute sa postérité et la voua à la mort.
II.   Les pélagiens opposent : 4° le texte de S. Paul : « Lex iram operatur; ubi enim non est lex, nec prsevari-» catio. » (Rom. iv.) De là ils disent: Lesenfansne peu-vent être tenus à la loi qu'ils ne sauraient connaître, ils sont donc incapables de prévarication.— On répond qu'ils ne sont pas en effet tenus à la loi qu'on ne transgresse que par la volonté physiquement propre, mais qu'ils n'en
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sont pas moins coupables de la violation de la loi pat· la volonté moralement propre, par la volonté d'Adam qui contenait cellede tous les hommes.
III.  On objecte : 2° cet autre texte : « Omnes nosmani-» festari oporlel anle tribunal Christi,  ut referat unus-» quisque propria corporis proul gessit. » (II. Cor. ?. 10.) Donc, dit-on, les enfans qui n'ont poinl de péchés per-sonnels, sont sauvés. — On répond que le texte cité s'en-tend non des enfans moris sans baplême avanl l'âge de raison, mais de ceux qui baptisés sont parvenus à cet âge. Calvin voulut excepter les enfans nés de parens fi-dèles qui, suivant lui, se sauvaient quoique non baptisés. C'est une erreur. David certes naquit de parens fideles, cl lui-même confesse être né dans le péché. El le concile, comme nous le "errons, l'a ainsi déclaré dans sa cinquième session, chapitre 4, où il dit que ces enfans ne sont pas sauvés : « Etiamsi a parentibus baptizatis oriantur; » or leur damnation ne vienl point de la faute de leurs pa-rens, mais de celle cPAdam, père de tous les hommes., « in quo omnes peccaverunt. »
IV.  On objecte  3° qu'il est dit dans Ezechiel ( cap. xviii.) : « Filius non portabit iniquitatem patris. » —On répond que cela doit s'entendre des péchés actuels de leurs propres parens, mais non de l'originel du premier père Adam, dont la volonté contenait celle de tous ses descendans à l'égard de l'injonction que Dieu lui avait faite de ne pas manger du fruit défendu. Les hommes péchèrent alors tous dans Adam, non-seulemenl à le re-garder comme le chef et l'auteur physique du genre hu-main, autrement nous seiions également coupables de tous ses autres péchés, mais comme chef moral qui re-présentait tous ses descendans à l'égard de l'observance
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de ce précepte pour lequel Dieu (pav son pouvoir suprême sur (ouïes les créatures) avait renfermé toutes les volontés humaines dans la volonté d'Adam. Cela nous a été assez déclaré en nous disant que tous les hommes avaient péché dans Adam ou participé à son péché , hors le Christ qui ne fut point conçu par une génération naturelle, mais par l'œuvre du Saint-Esprit.
V. Dans le concile, avant de rédiger le décret louchant celte matière du péché originel, il fut dit qu'il fallait d'abord examiner et décider quatre points qui devaient précéder les dogmes touchant la justification : 4°la nature du péché originel ; 2° le mode de sa propagation ; 3° le mal qui l'accompagne; 4° le remède donné par Dieu con-tre ce mal ; et on procéda ainsi en effet.
Sur le premier point, de la nature du péché originel, plusieurs dirent que le péché originel consistait dans la privation de l'état de justice originelle dans lequel Adam fut créé. D'autres remarquèrent que cette privation n'était pas elle-même le péché, mais la peine du péché. Mais le frère Ange Pascal, évêque de Mollola , dominicain , s'ap-puyant de l'autorité de S. Thomas, dit que le péché ori-ginel était une disposition vicieuse, opposée à la justice originelle, laquelle avait comme deux parties: la pre-mière , la soumission de la volonté humaine à la volonté divine; la seconde, l'empire de cette volonté de l'homme sur toutes ses facultés. Ainsi le premier, désordre ne fut pas la peine du péché, mais une véritable faute, laquelle constitua l'essence du péché originel. Le second désor-dre et les autres qui s'en suivirent furent comme la raa-lière du péché originel ; en sorte que ce péché consiste dans la concupiscence et dans la rébellion de la volonté comme son élément matériel, et dans 1.» privation de
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la justice originelle comme son élément formel. Et cette décision fut unanimen! approuvée. L'évêque de Bossa, aussi dominicain, ajoula une autre doctrine de S. Thomas; c'est que, bien que l'essence du péché ori-ginel fût la privation de l'ordre, néanmoins le sujet et la substance de ce péché étaient la concupiscence, ou si l'on veut une inclination dépravée vers les biens péris-sables.
VI.  Sur le second point, le mode suivant lequel se pro-page le péché originel dans la postérité d'Adam , on peut dire, matériellement parlant, qu'il se transmet aux hom-mes par la génération , mais formellement parlant de sa propagation, soit comme peine, soi l comme faute; JeanFonseca, évêque de Caslellamare, dit que quant à la peine Dieu avait justement châtié les fils d'Adam par la pri-vation des trésors de la justice originelle, de même qu'un roi punit l'infidélité d'un vassal en le privant justement, lui et toute sa race, de son fief et des honneurs qu'il lui avait concédés.   Quant à la  faute,  l'évêque   Pascal, déjà nommé, dit avec  S. Thomas  que  nous sommes dits avec raison avoir péché dans Adam, en tant qu'A-dam contenait en lui, par sa faculté génératrice, toute la nature humaine, et que le choix de sa volonté rendait ainsi le sort de cette nature malheureux ou prospère; d'après cela, en péchant, il a fait que toute sa race est née avec la tache et le désordre, suite de son péché. Ainsi dans Adam, la tache de la personne a souillé notre nature ; tandis qu'en nous, la tache personnelle ne souille que la personne.
VII.   Sur le troisième point, le mal causé par le péché originel, Bertanus dit qu'il était certain qu'Adam avait reçu la justice et la rectitude originelle : s'il l'avait con-
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servée, il aurait obtenu pour lui et pour nous l'immor-talité avec tous les autres biens de la nature; mais en désobéissant à Dieu, il perdit la grâce divine pour lui et pour nous, et le genre humain en est resté dépravé, avec un esprit plein de ténèbres à l'égard de la connaissance de la vérité, et une volonté encline au mal, jointe à tous les autres maux corporels el spirituels; spécialement en ce qui concerne l'autre vie, où les enfans morts sans bap-tême sont certainement exclus de la béatitude éternelle. VIII. Pour ce qui regarde les autres peines des enfans morts sans baptême, il y a plusieurs opinions, parmi lesquelles trois surtout sont célèbres. D'après la première, ces enfans souffrent la peine de la damnation et celle du sens. La seconde admet pour eux la peine de la dam-nation et non celle du sens. Enfin la troisième, qui est celle de S. Thomas, soutenue par le cardinal Sfrondali, veut qu'ils soient exempts à la fois el de la peine du sens el de la damnation. Le docteur angélique, dans l'opuscule De Maio, qusesl. 5, art. 2, tient pour certain qu'ils sont exempts de la peine du sens, el il en apporte pour raison : « Quia psena sensus respondit conversioni » ad creaturam et in peccato originali non est conversio » ad creaturam, et ideo peccato originali non debetur » paena sensus; » le péché originel, en effet, n'emporte point action. Les adversaires de celle doctrine lui oppo-sent celle de S. Augustin, qui en plusieurs endroits ma-nifeste l'opinion que ces eafans sont condamnés même à la peine du sens. Mais je trouve, dans un autre passage, que ce saint déclare lui-même que sur ce point il reste indécis ; voici ses expressions : « Cum ad paenam ventum » est parvulorum, magnis (mihi crede) angustiis arclor, » nec quidquid respondendum penitus invenio. » S. Aug.
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» liv. 5, contra Julian  c. 8, et epist. 28 ad Hieron. »
IX.  Quand à la peine de la damnation, quoique ces enfans soient exclus de la gloire, néanmoins S. Thomas enseigne (in 2. sent. dist.   35. qu. i. art. 2.)   que comme nul ne souffre de la privation d'un bien qu'il est incapable de connaître, qu'ainsi, par exemple, nul homme ne se plaint de ne pouvoir voler en l'air, de même les enfans morts sans baptême ne s'affligent point de ne pouvoir jouir d'une gloire dont ils ne sont pas capables, ni par les principes de la nature, ni par leurs propres mérites. Le saint docteur ajoute dans un autre lieu (De maio, quœsi. 5, art. 2.) un autre argument tiré de ce que la connaissance surnaturelle de la gloire céleste n'est produite que par la foi actuelle, laquelle surpasse toute intelligence naturelle ; c'est pourquoi les eniitns ne peuvent souffrir la peine de la privation de la gloire, puisqu'ils n'ont pu en recevoir aucune connaissance surnaturelle. 11 dit en outre dans le premier endroit cité (in 2. sent. dist. 55. qu. 1 art. 2.)  que ces enfans   non-seulement ne seront poinl affligés de leur exclusion de la béatitude éternelle, mais qu'en outre ils jouiront de leurs avantages naturels et des effets de la divine bonté pour ce qui est de la connaissance naturelle et de l'amour naturel envers Dieu : « Imo magis gaudebunt de hoc, quod parlicipa-» bunt multum de divina bonitate, et perfectionibus na-» turalibus. » Et puis(loc. cit. infra ad 5.) il ajoute que bien que ces enfans soient séparés de Dieu , quant à l'u-nion avec lui dans la gloire, néanmoins « illi conjungun-» lur per participationem naturalium bonorum;  et ita » etiam de ipso gaudere poterunt naturali cognitione, et » dilectione. »
X.  Du reste, mettant à part cette jouissance naturelle
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quo peuvent avoir les enfans morts sans baptême, je trouve très-juste et très-probable, en considéianl la divine miséricorde, que dans l'autre vie ils ne reçoivent ni ré-compense ni peine, et celte opinion semble admise par S. Augustin lui-même, dans ce passage (lib. 5, De lib. arb. c. 23.) : « Non enim timendum est, ne non po-» luerit esse sententia media inler prœmi um et supplicium, » cum sit viia media inler peccatum et recte factum. » D'aulantplus que S. Grégoire deNazianze et S. Grégoire de Nisse parlent de même d'une manière affirmative. Le premier écrit : « Parvuli nec coelesti gloria, nec suppliciis « à juslo judice afficientur. » (Serm. in s. lavacr.) El le second : « Immalura mors infantium demonstrat neque » in doloribus et mœslitia fuluros eos, qui sic vivere de-» sierunt. » (Tracl. de infant.) Mais revenons aux poinls examinés dans le concile.
XI. Sur le quatrième point, le remède donné contre un tel mal; ce remède s'entend communément du baptême, lequel tire sa vertu de la morl de Jésus-Christ, qui par sa grâce sanctifiante nous délivre du péché. Quelques-uns dirent qu'il fallait compter parmi les élémens de la ré-demption, la foi intérieure de l'homme, concordant avec le baptême extérieur; mais celte opinion ne plut pas à la majorité des Pères , parce que les enfans reçoivent la grâce du baptême sans le secours de celle foi ; d'où il suit que la foi n'est point absolument requise pour tous les baptisési outre que poar les adultes eux-mêmes, elle n'esl requise que comme disposition, non comme justi-fication. Et il fut ainsi conclu eantre l'erreur des laihé-rieng, qu'après le baplème, le péché originel cesse non-seulement de pouvoir être imputé, mais même d'exister, et que c'est pour cela que l'Écriture appelle le baptême xix.                                                           45
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régénération, parce qu'il constitue le passage de l'étal de mort à l'élal dévie, dans lequel nous recevons les forces nécessaires pour produire des actes de la vie surnatu-relle.
XII.  Les luthériens prétendent que le péché originel est la concupiscence elle-même ; en sorte que celle-ci restant aux baptisés, ils demeurent sujets au péché originel. Nom-bre de passages de l'Écriture condamnent celte opinion, et entre autres celui de S. Paul : « Velus homo noster simul «crucifixus est, ut destruatur corpus peccali. » (Rom. vi. 5.) Donc si le péché est détruit par le baptême et que la concupiscence reste, on ne peut dire que la concupis-cence soit le péché. L'autre texte est de S. Jacques : « Unus-y> quisque vero tentatur a concupiscentia sua abstractus, » et illectus. Deinde concupiscentia cum conceperit, parit » peccatum. » (Epist. 1. 14 et 15.) Si donc l» concupis-cence enfante le péché, elle n'est point le péché. On peut ajouter cet argument, que l'étal de péché n'est point une dis-position qui permette l'entrée du ciel, cependant les en-fans baptisés qui meuient avant l'âge de raison vont au ciel ; il ne sont donc point en état de péché. Lorsqu'en-suile l'apôtre appelle la concupiscence le péché, cela s'en-tend figurémenl comme l'eucharistie se nomme pain, prenant ainsi le nom de la cause pour l'effet. San Félix, évêque de la Gava, dit en6n que bien qu'après le bap-tême on ne puisse dire que le péché demeure en nous, cependant la concupiscence renfermait quelques restes du péché. Mais celle opinion fut unanimement rejetée.
XIII.  Ces préliminaires achevés, le concile formula bon décret divisé en cinq canons, prononçant analheme con-tre ceux qni seraient d'un sentiment contraire.
1° « Sacrosancta tridentina synodus statuit, ac decla-
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„» rat, Adam, cum mandatum Dei in paradiso fuisset trans-» gressus, statim sanctitatem, et justitiam, in qua con-» slilutus fuerat, amississe ; incurrisseque indignationem » Dei, atque ideo mortem, et Captivitatem sub diaboli po-» testate ; totumque Adam secundum corpus, et animam » in deterius commutatum esse.
» 2" Adae praevaricationem non sibi soli, sed ejus pro-» pagini nocuisse; et acceptam a Deo sanctitatem et j'110-» litiam, non sibi soli, sed nobis etiam perdidisse; nec » mortem,et paenas corporis tantum in genus humanum » transfudisse, sed peccatum; quod est mors animai.
» 3° Hoc Adae peccatum, quod origine unum est, et pro-» pagalione, non imitatione Uansfusum omnibus, idest «unicuique proprium, non per humanae naturae vires, » vel per aliud remedium tolli, sed per remedium unius » mediatoris Domini nostri Jesu Christi ; et ipsum Jesu » Christi meritum per baptismi sacramentum in forma » Ecclesiae rite collatum, tam adultis, quam parvulis ap-» plicari.
» 4° Parvulos recentes ab uteris matrum baptizandos » esse, etiamsi fuerint a baptizatis parentibus orii ; eosque ?» ex Adam liahere originale peccatum, quod necesse est » expiari ad vitam aeternam consequendam.
» 5° Per Jesu Christi gratiam, quae in baptismate con-» fertur, reatum originalis peccati remitti, ac tolli totum » id, quod veram, et propriam peccati rationem habet, il-» ludque non tantum radi, aut non imputari. In renatis
* enim nihil odilDens, quia nihil est damnationis iis, qui "> vere  consepulti  sunt cum Christo  per baptisma   in
* mortem... ita ul nihil pforsuseosab ingressu cœli remo-retur Slanereautem in baptizatis concupiscentiam, vel » fomitem s. synodum fateri, et sentire : quae cum ad
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TRAITÉ
? agonem relicta bit, nocere non consenlienlibus, Sed vi-» riliter per Christi Jesu gratiam repugnantibus non va-» lel; quin imo qui legitime certa veri l, coronabitur.Hanc » concupiscentiam, quam aliquando apostolus peccatum » appellat, Ecclesiam nunquam intellexisse peccatum ap-» pellari, quod vere peccatum sit, sed quia ex peccato est » etad peccaiurn inclinat. »
XIV. Le décret se termine par celle déclaration : « Decla-» rat tamen s. synodus, non esse suae intentionis com-» prehendere in hoc decreto , ubi de peccato originali »»gitur, beatam et immaculatam  virginem   Mariam, » Dei genitricem ;   sed  observandas esse constitutiones » gixli IV, etc. »
XV.  Les Pères firent plusieurs observations sur la teneur de ce décret. Il était dit d'abord dans le décret qu'Adam, par son péché, avait perdu la sainteté,   « in quà creatus » fuerat ; » mais le mot creatus fut changé en celui de constitutus, parce qu'on était en controverse pour savoir si Adam avait la sainteté à l'instant même de sa création. De plus, dans le canon cinquième, il est dit : « Tolli totum » id quod veram et propriam peccati rationem habet. » Seripaud voulait qu'on mît : «. tolli totam rationem pet->> cati, » mais il ne plut point aux autres de changer les expressions déjà adoptées.
XVI.  La  plus longue discussion fut sur les paroles « jn renatis enim nil odil Deus. » Seripand disait que Dieu ne pouvait pas ne point hair la eoncupiscence, qui était la source du péché, car on peut dire que le penchant con-cupiscite fournit au péehé toutes ses victoires, et que c'est pour cela que les Pères recommandaient d'implorer lese-coursdivin contre la concupiscence. Mais ces raisons n'en-gagèrent pas le concile àchanger les paroles du décret, parce
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que ces mois « nihil odil Deus » s'entendaient d'une haine d'inimitié que Dieu ne pouvait ressentir contre les régé-nérés. El on les nomme régénérés, et non simplement baptisés parce qu'il peut arriver que quelqu'un soit baptisé et non régénéré dans la grâce pour n'avoir pas eu dans le baptême la disposition requise. Du reste Dieu ne peut aucunement haïr celui qui vient d'être fait son fils adop-tif. Cependant, quelques-uns ne laissent pas de dire que dans les régénérés il reste certain vice que Dieu doit haïr de celle haine qu'on nomme de déplaisir ; mais celte opi-nion est peu goûtée par d'autres; car autre chose est de dire que Dieu hait les péchés véniels, qui ont leur source dans la concupiscence, et de dire que Dieu hail la concu-piscence elle-même , surtout le concile ajant dit que la concupiscence ayant été laissée à l'homme pour la com-baltre, elle ne nuisait qu'à celui qui y consenlait, et ser-vait au mérite de celui qui lui résisiail avec force.
XVII. Il y avait aussi dans le décret un paragraphe où il élaildil que le concile ne réprouvait pas la proposition des scolasliques, qu'après le baptême il restait la partie matérielle du péché et non la formelle. Mais les Pères re-jetèrent ce passage, el voulurent qu'on se servît des ex-pressions des anciens docteurs , non de celles des théolo-giens modernes, afin qu'une plus grande considération s'attachât non-seulement à leurs décisions, mais à leurs paroles même.
XY1II. Soave(fra PaoloSarpi) s'est plaint dans son his-toire de ce que le décret n'a pas statué sur la quiddilé (es-sence) du péché originel, disant qu'on ne pouvait con-damner les erreurs émises sur un point sans connaître auparavant la vérité sur ce point. Mais on lui a répondu ??'? suffit do savoir que le péché originel nous attire la
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hnine de Dieu et nous rend indignes de sa grâce et de sa gloire; que sur le surplus mis en question il n'est ni utile ni nécessaire que le concile ai ? porté une décision, de même qu'en parlant du péché aciuel il suffit de savoir qu'il nous prive de l'affection divine : d'ailleurs il importe peu de savoir avec certitude si le péché consiste dans l'action mauvaise ou la privation de la vertu.
XIX.  Enfin,'touchant l'exemption de la bienheureuse Vierge du péché originel, le concile ne voulut rien déci-der, suivant le principe qu'il avait déjà adopté de ne pas s'occuper de décider les poinls de dispute de l'école. L'é-vêque de Bitonio, bien que franciscain, fut lui-même d'a-vis que le décret demeurât tel qu'il était. Le cardinal Pa-checo voulait qu'après les mots « declarat s. synodus non » esse suœ intentionis comprehendere , ubi  de peccato » originali agitur, beatam Virginem, » on ajoutât ceux-ci : « quamvis pie credatur ipsam fuisse conceptam sine » peccato originali, » disant que tous les ordres religieux /nn seul excepté) et toutes les écoles adhéraient à cette opi-nion comme plus pieuse. D'autant mieux, ajoutait Pa-checo, que dans l'assemblée générale tenue avant la ses-sion dans laquelle le décret avait été formulé, la majorité s'était rangée à son avis. Mais les dominicains objectaient que si celle croyance était déclarée chose pieuse, ne pas l'admettre serait alors chose impie. L'argument n'était pas concluant, mais enfin la conclusion fui, que bien que la majorité tint pour vrai que la mère de Dieu'avait étéconçue sans péché, cependant celte majorité jugeait préférable de s'abstenir de prononcer en ce moment sur la proposition contraire, et le décret fui rédigé dans les termes rapportés plus li.uil.
XX.  Soave(fra Paolo), non content de cela, s'est avancé
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jusqu'à Imiter d'erreur populaire celle opinion de l'immu-nité de la Vierge à l'égard du péché originel. )1 objecte que le concile, en admettant l'exception de Marie entre lous les hommes, îend incertaines toutes lesproposilions générales contenues dans l'Écriture. Si Marie, en effet, ne doit point être comprise avec tous les autres, ces paroles de l'apôire ne sont plus vraies : « Elsicul in Adam omnes ? moriuntur, ila et in Christo omnes vivificabuntur, » (?. Cor. xv. 22.)
XXI.  Mais si Soave blâme le concile, il doit aussi blâ-mer S. Augustin qui dit : « Excepta itaque sancta virgine » Maria, de qua propter honorem Domini nullam prorsus, » cum de peccatis agitur, habere volo quaestionem ; unde «enim scimus, quod ei  plus gratiae collatum fuerit ad » vincendum ex omni parle peccatum, quae concipere, ei » parere meruit eum, quem constat nullum habuisse pec-» calum.» (De nal. et gral. contra Pelag. d. 7. cap. 55.)
On peut sans doule contester que S. Auguslin entende ici parler du péché originel et en excepter la Vierge ; mais en accordant qu'il ne s'agit que du péché acluel, nous aussi nous pourrions opposer celle sentence générale de l'Ecriture, qu'il n'y a aucun homme sans péché : « Neque enim est homo qui non peccet. » (II. Parai, vi. 36.) Et S. Jacques qui écrit: «In multis offendimus om-»nes. » (Cap. m. >. 2.) Dans ces passages, l'Ecriture n'excepte point Marie, mais S. Augustin l'excepte par la raison qu'elle a conçu et enfanté l'agneau sans tache. El si S. Augustin l'excepte quant aux péchés véniels, pour-quoi le concile ne l'aurait-il pas exceptée à l'égard dti péché originel qui est d'une bien autre gravilé.
XXII.  La vérité d'une sentence générale ne souffre en fien de l'exception d'un objet particulier qui a coutume
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d'être exprimé formellement pour yêlre compris à cause des raisons spéciales qui s'opposenlà ce qu'il le soil. A cause de la concupiscence provenant de la faule d'Adam, personne n'est exempt des fautes légères, comme l'aties-tenl plusieurs endroits de l'Ecriture : « Omnis homo * mendax. » (Rom. m. 4.) « Si dixerimus, quoniam » peccalum non habemus, ipsi nos seducimus, et veritas » in nobis non est. » (Jo. i. 8.) Et cependant la mère de Dieu n'en fut pas moins exempte de toute faule (comme l'a déclaré le concile dans sa sixième session) par un pri-vilège spécial que Dieu lui a accordé. Et cela vient à l'ap-pui de l'opinion que Marie fut aussi conçue sans la faute originelle, autrement elle n'eût pu ôlre absolument exempte de tout péché véniel.
XXIII. Soave dit encore, mais bien follement, que la qualité de mère de Dieu ne motive en rien l'exemption de la (ache originelle; et il s'appuie en cela de ce que S. Bernard écrit aux chanoines de Lyon, dans son épî(rel74. Que si un tel argument était valable, on devrait dire que le père de Marie et tous ses ancêtres ont été également exempt du péché originel. Mais Soave se trompe ou veut nous tromper, car S. Bernard ne dit point ce qu'il pré-tend lui faire dire. Le saint dit seulement que les chanoi-nes ne devaient pas célébrer de leur propre autorité la conception, mais qu'ils devaient pour celle célébration se faire autoriser par l'Eglise romaine et qu'ils posaient un faux argument en disanl que la nativité de la Vierge étant célébrée, la conception devait l'être aussi, puisque si Ma-rie n'avait pas été conçue, elle ne serait pas née. A quoi S. Bernard répondait que si une pareille raison était reçue, on prouverait de même qu'il faut célébrer également la ìiativité du père et de tous les aïeux de Marie, parce que
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sans leur nativilé Marie elle-même ne serait pas née. Du reste, le saint ne nie aucun des privilèges accordés à Ma-rie seule entre tous les saints, et cela par la même raison qu'en apporte S. Augustin,, c'est-à-dire pour avoir été la mère de Dieu.
XXIV.  Nous savons au reste que le pape Alexandre VII, dans sa bulle Sollicitudo de l'an 1661, déclara que la fêle de la Conception de la Vierge se célébrail selon la pieuse doclrine qu'elle avait été conçue sans tache dès le premier instant de son existence ; défendant de mettre davantage en doule ou d'interpréter aulremenl la faveur accordée à celle doctrine, sous les peines portées par Sixle IV. Ainsi la fête de la Conception de Marie se célèbre aujourd'hui certainement d'après celle pieuse doclrine, el il est interdit de 1'inlerpréler aulremenl que ne le comporte celte déci-sion touchant la conception de Marie. Nul doute que si S. Bernard vivait de noire temps, il écrirait en d'autres ter-mes qu'il n'a fait el défendrait certainement cette pieuse doctrine.
XXV.  Le cardinal Bellarmin dit que la bienheureuse Vierge n'a point contracté le péché originel, mais que cependant elle a véritablement péché dans Adam, et que l'opinion contraire serait dangereuse,  puisque l'apôtre assure en plusieurs lieux que tous les hommes ont péché dans Adam : « In quo omnes peccaverunt. » (Rom. ?. 12.) El ailleurs : « Omnes peccaverunt el egent gloria Dei, » id est redemptione. » (Rom. m. 25.) Et enfin : « Si » unus pio omnibus moriuus est, ergo omnes mortui » sunt. » (II. Gor. v. 14.) Bellarmin ajoute que dans la volonté d'Adam fut incluse celle de lous les hommes, el par conséquent celle de Marie; ainsi Adam ayant péché, Marie contracta la dette prochaine du péché, el que par
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là on peul dire qu'elle aussi pécha dans Adam; mais par un privilège spécial, elle fui exemple de contracter la souillure attachée au péché.
XXVI.  Néanmoins, il y a un grand nombre de docteurs qui soutiennent que Marie ful exempte non-seulemenl du péché, mais de la dette même du péché. Cette opinion est celle du cardinal Galalin (De Arca. 1. 7. c. 48.), du cardinal de Cusa (lib. 8. Exerc. 8.), du P. du Pont (lib. 2. cant. ex. 40.), du P. Salazar (De Virg. concept, c. 7. § 7.), de Calharin (De pecc. orig. cap. ull.), cteNovarin (Ombra Virg. cap. 10. ex. 28.), cl du P. Viva (p. 8. de
4. qu. 2. art. 5.), ainsi que du cardinal de Lugo, Egidius, Richard et autres. La raison qu'ils en donnent et qui sem-ble probable, est que Dieu ayanlsi éminemment favorisé des trésors de la grâce cette excellente créature, par excep-tion unique entre les hommes, on peut croire pieusement qu'il n'a poinl lenu pour comprise dans la volonté d'A-dam, celle de Marie, et qu'ainsi elle fut exemple de con-tracter la dette du péché.
XXVII.  Voilà pour ce qui regarde la délie du péché, mais ensuite que Marie n'en ait pas conlracté la souillure, je liens celle opinion pour certaine , et cela avec le car-dinal Everard (In exam. theol.), du Yallier (4. 2. qu. 2, De pecc), Renaud (Piet. Lugd. n. 29.), Lossado (Disc. Iheol. de imm. conc. ec), le P. Viva (Qu. prod. ad dut.) cl beaucoup d'autres. C'est aussi le sentiment des Pères les plus révérés. S. Ambroise dit : « Suscipe me non ex » Sara, sed ex Maria, ul incorrupta sit Virgo, sed Virgo » per gratiam ab omni inlPgra labe peccati. » (Serm.22. in Psalm. cxvin.) Origène parlant de Marie dit : « Nec A) serpentis venenosis afflatibus infecta esl. » (Hom, 2.)
5.  Ephrem : « Immaculata, et ab omni peccati labe alio
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» nissima. » (Tom. 5. oral, ad Dei gen.) S. Augustin sur les paroles de l'ange adressées à Marie : « Ave Mari.i, gratia » plena, » écrit. : « Quibus ostendit ex inlegio >> (notez ex integro.) « iiam piimae sententiae exclusam, et plenam » benedictionis gratiam reslilulam. » (Serin. 11. in Nat. Dom.) S. Cyprien (Lib.de card.Christi oper.de naliv.) où un auteur ancien a écrit · « Mec sustinebat justitiae, ut illud » vas electionis communibus laxaretur injuriis, quoniam » a caeteris distans plurimum natura communicabat, non » culpa.x» S. Amphiloche : «Qui antiquam Virginem sine » probro condidit, ipse ei secundam sine nota et crimine » fabricatus est.» (Tract, de Deipar.) Sophronius : «Virgi-» nemideodici immaculatam,quiainnulloconuptaest.» (In epist. ap. Synod. 6. toin. 3. pag. 307.) S. lldefonse : « Conflat eam ab originali peccato fuisse immunem. » (Disp. de virg. Maria.) S. Jean Dauuscène: « Ad hunc » paradisum serpens aditum non habuit. » (Orat., 2, de Nat. Mar.) S. Pierre Damien : « Caro Virginis ex Adam. » sumpta, maculas Adam non admisit. » (Serai, de As-sumpt. B. V.) S. Bruno : « Haec est incorrupta terra illa, » cui benedixit Dominus, ab omni propterea peccati con-» tagione libera. » (InPsalm. ei.) S. Bonaventura: « Do-» mina nostra fuit plena gratia praeveniente in sua sancli-» ficalione, gratia scilicet praeservata contra foeditatem » originalis culpae. » (Serm. 2. de Assump.)S. Bernardin de Sienne: « Non enim credendum est, quod ipse filius » Dei voluerit nasci ex Virgine, et sumere ejus carnem, » quae esset maculata aliquo originali peccato.» (Tom. 3. Serm. /l9. ) S. Laurent Justinien : « Ab ipsa conceptione » (Maria)fuitin benedictionibuspraevenla.» (Serm.deAn-nunt.) Idiota sur ces paroles:» Invenisti gratiam, » dit; « Gratiamsingularem, ? dulcissimo Virgo, invenisti ; quia
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» fuerunt in le ab originali labe prseservalio, elc. » (Cap. 6.), et un grand nombre de docteurs disent de même.
XXVIII.  Mais il y a deux motifs qui rendent plus cer-taine pour nous celle opinion; le premier c'est le consen-tiinenl universel des fidèles sur ce point. Le P. Egidius de sainte Thérèse (De prœsent. Virg. 96. art. 4.), atlesie que tous les ordres religieux suivent celle opinion, et de l'ordre des Dominicains même, qui est le seul contraire, un auteur moderne compte quatre-vingt-douze écrivains seulement opposés à noire opinion et cent trente-six qui l'admettent.
XXIX.  Mais ce qui avant tout doit nous confirmer dans l'idée que cette doctrine est conforme au sentiment com-mun des catholiques, c'est ce que déclare le pape Alexan dre Vil dans sa fameuse bulle, « Sollicitudo omnium ec-» clesiarum, » donnée en 1661, et dans laquelle il dit : « Aucla rursus et propagata fuit pietas haec et cultus erga
» Deiparam......ita ul accedentibus academicis ad hanc
» sententiam » (c'esl-à-dire à l'exemption de toute tache) « jam fere omnes catholici eam complectantur. » Et dans le fait cette opinion est défendue par les écoles de la Sor-bonne, de Salamanque, d'Alcala, de Coïmbre, de Co-logne, de Mayence, de Naples et une foule d'autres dans lesquelles chaque lauréat s'oblige par serment à défendre l'immaculée conception de Marie. Le docte Pélau s'ap-puie principalement sur cet argument du commun sen-liment des fidèles sur ce point (Théol. dogm. lom. 5. p. 2.1.14. c. 2. n. 10.) et le savant et célèbre évêque, Mon-seigneur Jules Torni (In adnot. ad Estium lib. 2. dist. 5. §. 2.) écrit que cet argument est convaincant. En effet, si le consentement général des fidèles suffit à rendre certaines la sanctification de Marie dans le sein de sa mère et sa
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glorieuse assomplion dans le ciel en corps et en ame, comme l'enseigne S. Thomas l'angélique, pourquoi ne suffirail-il pas à établir la certitude de la conception im-maculée ?
XXX.  Le second motif plus fort encore pour croire que Marie fut exemple de la tache originelle, est la célébra-tion de la fêle de la Conception ordonnée dans l'Église universelle d'après la pieuse doctrine, celle de la préser-vation de Marie de toute tache au premier instant de sa conception, comme l'a déclaré le pape Alexandre VII dans la bulle déjà citée, « Sollicitudo omnium ecclesia-rum, » en ces termes : « Vetus est Christi fidelium erga » ejus beatissimam Matrem virginem Mariam pietas, sen-» tientium ejus animam in primo instante creationis , at-» que infusionis in corpus fuisse  speciali Dei gratia et » privilegio, intuitu meritorum Jesu Christi ejus filii, a » macula peecali originalis praeservatam immunem; al-ii que in hoc sensu conceptionis festivitatem solemni ritu » colentium et celebrantium. v> Ainsi, depuis les plus an-ciens temps, la fête de la Conception ne se célébrait pas dans un autre sens que celui de la préservation de Marie de la tache originelle, dès le premier instant où sa belle ame fut créée par Dieu et unie à son corps. Et en faveur de ce culte rendu à la bienheureuse Vierge, d'après celte pieuse doctrine » le pape Alexandre ordonna que la fête fût célébrée : « Née non et in favorem festi, et cultus con-» ceptionis ejufdem Virginis deparag, secundum pïam «islam sententiam, etc. (festivitatem), observari man-» dat. s
XXXI.  De plus, Alexandre, outre les peines déjà por-tées par Sixte IV, priva dé la faculté de prêcher et d'en-seigner, et de vois active et passive, quiconque mettrait
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en doule ou interpréterait différemment, par paroles ou par écrit (déclarant condamnes tous les liviesqui contien-draient ces attaques), la faveur donnée au susdit culte et la pieuse doctrine, soit en affirmant quelque chose de contraire, soit en rapportant des argumens opposés sans y répondre. Voici les paroles de la bulle : « Insuper om-» nes qui praefatos constitutiones ita pergent interpretari, » ut favore per illas dictae sententias, -et feslo, et cultui, «secundum illam exhibilo, frustrentur, vel qui hanc » eamdem sententiam seu cultum in disputationem revo-» care, aut contra ea quoquo modo, directe vel indirecte, » quovis praetextu, scripto , seu voce loqui, concionari, » tractare, contra ea quidquam determinando, aut asse-» rendo, vel contra ea argumenta afferendo, et insoluta » relinquendo aut alio quovis excogilabili modo disse-» rendo ausi fuerint. »
XXXII.  Après toutes ces preuves, il n'est plus permis de dire, comme quelques-uns l'on fait, que la fête de la Conception se célébrait, non dans le sens de la préserva-lion du péché dans le premier instant, mais dans celui de la sanctification de Marie dans le sein de sa mère avant sa naissance.
XXXIII. Il semble en outre qu'il n'est pas permis de dire non plus avec Louis Muralori, que notre pieuse doc-trine n'est pas certaine, et que la doctrine opposée étant probable; le cas pourrait arriver qu'un jour l'Église dé-clarât que Marie, dans le premier instant de sa conception, avait contracté la tache du péché. Mais ce cas est impos-sible, cyr après la déclaration d'Alexandre VII, que !a fête de la Coneeption se célibrc dans le sens de la pieuse doc-trine, de la préservation de Marie de toute faute dès le premier instant, il n'est pas possible que l'Église puisse
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déclarer que Marie a contracté la souillure du péché ; car celle nouvelle déclaration emporterait que loules les cé-lébrations faites par elle-même jusqu'à ce jour ont été vaines et fausses, en rendant à ta Vierge un faux culle : or, il est certain que l'Église ne peut célébrer ce qui n'est pas saint, selon les décrets de S. Léon, pape (Epist, de-crel. 4. c. 2.), et de S. Eusèbe, pontife , qui dit : « In » sede apostolica extra maculam semper est catholica ser-» vata religio; » (Décret 21. quœst. 1. c. In sede.) et comme l'enseignent tous les théologiens avec S. Augustin (Serm. 95 et 113.). S. Bernard (Ep. ad can. Lugd.)et S. Thomas, qui, pour prouver que Marie fut sanctifiée avant de naître, argumente de ce que l'Eglise célèbre sa nativité, et dit : « Ecclesia celebrat nativitatem bealœ « Virginis ; non autem celebratur festum in Ecclesia nisi » pro aliquo sancto : eigo beata Virgo fuit in utero sancli-» ficala. » (S. Thom. 5. p. qu. 27. a. 2.) Or, s'il est cer-tain, comme le dit le docteur angélique, que Marie fut sanctifiée dans le sein de sa mère, parce que l'Eglise célè-bre sa nativité, nous devons également tenir pour cer-tain que Marie fut préservée du péché dès le premier in-stant de sa conception, puisque c'est dans ce sens que l'Eglise en célèbre la fêle.
XXXIV. Pour compléter lout ce qui regarde le sujet de la conception de Marie , il nous reste à parler de la controverse agitée de notre temps entre les ailleurs sui celte question : s'il est licite de faire le vœu de donner sa vie pour la défense de l'immaculée conception de Marie Y La négative est soutenue par Lamindu Pritanio, le même ijuc Luuis Muralorj, déjà nomme dans son fameux ou-?viage De modérai, ingen., et par quelques aulies; parce que nul ne doit exposer sa vie pour une opinion qui n'est
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pas de foi, mais humaine et sujette a être reconnue pour fausse, et que la doctrine dont il s'agit n'avait pas en-core élé déclarée certaine par l'Eglise, ce qui n'aurait pu êlre que d'après la tradition ou par révélation divine. D'un autre côté, l'affirmative est défendue d'une manière plus plausible par plusieurs auteurs modernes, et spé-cialement par l'auteur du livre intitulé Deipara, etc., parce qu'il faut dislinguer les doctrines purement hu-maines de celles qui touchent au culte des saints et prin-cipalement de la reine des saints, celles-ci intéressant en quelque sorte la foi elle-même. Maintenant que celle doc-trine louche au culte de la bienheureuse Vierge, cela de-meure conslant par la bulle déjà citée d'Alexandre VII, par laquelle il est ordonné de célébrer la fête de la Con-ception selon la pieuse doctrine de la préservation de Marie de toute tache originelle dès le premier instant. En outre, bien que cetle doctrine soit humaine, en tant qu'elle touche au culte de la mère de Dieu, culte qui se réfère aussi à Dieu, elle n'est pas purement humaine, comme nous l'enseigne S. Thomas, 2. 2. q. 424. a. 5, où il dit : « Omnium virtutum opera, secundum quod » referuntur in Deum , sunt quaedam proleslationes fidei, ? per quam nobis innotescit, quod Deus hujus modi » opera a nobis requiveril, et nos pro eis rémunérai ; et » secundum hoc possunt esse marlyrii causa. » De plus, ad. 5, il ajoute : « Quia bonum humanum potest effici » divinum, si referatur in Deum, ideo potest esse quod-» cumque bonum humanum martyrii causa, secundum » quod in Deum refertur. » Or, eoinme il est certain que tout acte de vénération envers la vierge Marie, tel que celui de célébrer la fêle de sa conception immaculée dès le premier instant, ainsi que le prescrit l'Eglise, est véri-
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tablement un ac!e de religion; il est certain aussi, d'a-près le docteur Angélique , qu'un tel culte peul être un juste motif de martyre. Ainsi donc, comme il serait licite el méritoire de donner sa vie pour la défense de ce culle rendu à Marie, il doit être d'autant plus licite et méri-toire de la donner pour défendre l'objet même de ,ce culte, c'est-à-dire la préservation de Marie, à laquelle ce culle se réfère. Aussi le pape Benoît XIV, dans son livre De canon, sanct. 1. 1. cap. 14., après avoir rappelé que l'Eglise favorise celle doctrine de la préservation de fa bienheureuse Vîerge immaculée, el avoir dit que per-sonne ne nie que celle doctrine ne soit la plus pieuse et la plus religieuse, dans le num. 45, il parle ainsi : « In-» ter martyres ab Ecclesia recensentur qui occisi fuerint » a tyranno, vel quia sententiam magis religiosam exer-» cebant, vel ne eminerent exercitium alicujus aclus vir-» lulis, a quo tamen poterant sine peccato cessare. » Ei cela répond assez à l'objection de Lamindo, que donner sa vie pour défendre la préservation de la mère de Dieu n'est point licite, parce que cette doctrine n'est point de foi.
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VIe SESSION.
DE  LA  JUSTIFICATION. — PRÉAMBULE.
I. Le concile devant décider sur la justification, qui n'avait été jusqu'alors débattue dans aucun concile, et qui d'ailleurs était la source d'où sortaient presque toutes les erreurs des modernes hérétiques, les Pères résolurent d'examiner ceile matière longuement et avec le plus grand soin. Pour cela, on régla, 1° qu'on lirailJes livres des ad-versaires avec impartialité et dans Pinlenlion vraie de condamner les choses fausses, mais aussi d'approuver les vraies ; 2° que les théologiens débattraient d'abord en-tre eux et à part les points à examiner, et qu'après les avoir approfondis, ils les soumettraient aux Pères; 3° que ces théologiens ne prépareraient aucun décret sans avoir con-sulté d'abord là-dessus le sentiment des Pères ; 4° que sur chaque question les avis et suffrages se prendraient non en masse, mais de chacun des Pères en particulier.
H. Il fut dit encore que celle matière pouvait être di= visée en trois questions principales. La première en quel mode la »nort de Jésus-Christ est appliquée à celui qui S6 convertit à la foi, et quelle grâce ce dernier méritait par la suite; la seconde, que devait faire le justifié pour se maintenir dans la grâce ; la troisième, quelle chose pouvait DU devait faire celui qui perdait la grâce, et s'il avait la force de la récupérer, et enfin en quoi celte seconde justi-fication pouvait être assimilée à la premiere.il fui dit en
CONTRE LÉS  HÉRÉTIQUES.                        245
outre qu'on devait traiter du libre arbitre, parce que pour là justification des adultes le consentement, qui procède du libre arbitre, est nécessaire.
III. On soumit donc à l'examen les six points suivans.: 4° Qu'est-ce que la juslificalion tant dans la signification du mol que dans l'essence de la chose ? 2° Quels sont les élémens de la justification, c'est-à-dire que fait Dieu en la donnant, et que doit faire l'homme en la recevant? 3° Com-ment faut-il entendre la parole de l'apôtre, que l'homme est justifié par la foi ? 4° Comment nos œuvres appartien-nent à notre justification, et comment les sacremèns y entrent ensuite? 5° De ce qui précède, qui accompagne et qui suit la juslificalion; 6"Que les dogmes doivent être établis sur l'autorité de l'Écriture, des traditions, des con-ciles et des Pères.
IV.  Touchant le premier point, tous convinrent que, quant à la signification du mol, la juslificalion était le pas-sage de l'état d'ennemi à celui d'ami et de fils adoptif de Dieu ; et que dans l'essence de la chose la cause formelle de la justification était la charité ou la grâce infuse dans l'ame. On rejeta l'opinion attribuée au maître des Sen-tences, mais déjà improuvée dans les écoles, savoir, que ce n'est point la grâce intérieure qui nous justifie, mais seulement l'assistance extérieure de l'Espril-Saint.—Tou-chant le deuxième point, quelques-uns dirent que notre libre arbitre ne concourait pas activement, mais passive-ment, à notre juslilication; mais celte opinion fut rejelée comme non catholique.—Sur le troisième point, les Pères,. à l'exception d'un très-petit nombre, s'accordèrent à dire que l'homme est justifié par la foi, non cependant comme cause immédiate , mais seulement comme première dis-position et cause éloignée; du reste, traitant de la cause
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formelle, il fut dit que la foi ne justifie qu'autant qu'elle «gl parfaite par la charité et par la grâce qui se commu-nique à l'homme au moyen du baptême ou de la péni-tence. ^Sur les quatrième et cinquième points, on con-vint généralement que les œuvres qui disposaient à la justification n'avaient d'autre mérite que celui de congruité, tandis que les autres, faites après la justification et dirigées par la grâce, avaient le mérite de condignité pour conserver et augmenter cette même grâce et conquérir la vie éter-nelle; mais toujours avec le secours de Dieu, suivant ces paroles de S. Paul : « Non ego, sed gratia Dei mecum. » (I. Cor. xv. 10.)
V.  Venant ensuite à l'établissement des dogmes, les lé-gats décidèrent qu'il ne fallait pas tout prononcer sous forme de canons et d'anathèmes, parce que c'était là seu-lement condamner le faux , mais non enseigner le vrai ; ils réglèrent donc que la matière serait partagée en dé-crets qui exposeraient la doctrine catholique, et en canons qui condamneraient les erreurs des hérétiques. On donna ensuite une copie du projet à chacun des Pères, et une autre fui envoyée à Rome. Puis les notes se multiplièrent au point qu'il fallut en faire une troisième rédaction, la-quelle encore reçut de nombreux changemens. Les décrets cependant furent achevés, mais ils parurent si obscurs et si chargés de raisonnemens qu'on chargea Seripand, générai des auguslins, de les refaire, ce dont il s'acquitta ; mais ensuite, à son grand déplaisir, il les vil altérer de nou-veau et corriger au point qu'il n'y pouvait plus reconnaî-tre son ouvrage.
VI.  Finalement, les décrets furent préposés et confirmés en 15 chapitres, desquels nous parlerons séparément. Nous noterons d'abord ce qui a été dit avant la forma·
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lion des décrets. Nous ajouterons les décrets arrêtés et publiés par le concile, nous restreignant à en donner la substance. Nous rapporterons ensuite les annotations écri-tes par le cardinal Palavicin sur certains passages de ces décrets. Enfin, nous donnerons les canons du concile qui condamnenl les erreurs, et qui correspondent chacun à un décret analogue.
VIL Dans le préambule des chapitres, il est dit qu'une foule d'erreurs sur la matière de la justification s'étanl récemment répandues, le concile voulait enseigner la vérité sur ce point d'après les Écritures et la tradition, défen-dant expressément à toute personne de dire ou de croire autre chose. Par quoi il faut entendre que le concile a voulu établir comme points de foi aussi bien le contenu des décrets que celui des canons.
VIII. Dans le chap. 1, on traite cette question : si la na-ture ou la loi judaïque pouvait justifier l'homme sans la grâce; et il est dit : « Primum declarat sancta synodus... » quod cum omnes homines in praevaricatione Adse in-» nocentiam perdidissent, facti immundi natura filii irae, » quemadmodum in decreto de peccato originali expo-» suit, usque adeo servi erant peccati et sub potestate dia-» boli, ut non modo gentes per vim naturae, sed ne Ju-» dsei quidem per ipsam litteram legis Moysis inde libe-» rari possent. » Dans la première rédaction, on lisait per legem, qu'on changea pour « per litteram legis. » II faut savoir que d'abord quelques-uns voulaient qu'on ajoutât au mot legem celui de nudam ou solam, pour ne pas laisser entendre que les observances légales n'avaient rien de mé-ritoire ; mais le passage ne fut pas altéré, afin de laisser in-tacte la doctrine commune contraire à celle du maître des Semences, lequel a écrit que les sacremens de la loi de
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Moïse ne donnaient point la grâce justifiante comme les bonnes œuvres opérées avec la foi et la charité; tandis que l'apôtre enseigne que les observateurs de la loi sont efficacement justifiés. (Rom. 2.) Ce qui fit ajouter avec raison « per litteram legis, «afin de condamner seulement ce que S. Paul condamne dans son épîlre aux Romains, lorsqu'il reprend les Juifs, qui se vantaient contre les gen-tils de connaître et d'observer la lettre de la loi.
IX.  Il est dit ensuite dans ce ch. ? : « Tametsi in eis » liberum arbitrium minime exlinclum esset, viribus li-» cet attenuatum. » II y avait d'abord vulneratum, mais ce mot fut changé, et l'on mil attenuatum et inclinatum, paroles également convenables  aux deux doctrines de l'école, dont l'une réduit la damnalion à la seule perle des dons gratuits; et l'autre y ajoute une certaine altéra-tion de l'état où l'homme devait être placé par sa nature. Les uns voulaient qu'on ôtâl toul-à-fail les mois attenua-tum et inclinatum; d'autres qu'on y ajoulât, « cum subs-» fractione bonorum graluilorum,  »  disant que  d'un côté la liberté naturelle était restée à l'homme , et puis que si l'on entendait par liberio l'étal de l'homme libre auparavant du péché, celle-ci était détruite. Mais les dé-putés répondirent que quant à la première partie on di-sait justement le libre arbitre atténué, comme S. Augus-lin, qui compte au nombre des préjudices causés par le péché originel la difficulté d'opérer les bonnes œuvres (lib. ni. delib.arb. c. 18). El quant à la seconde, qu'elle était fausse, puisque l'homme, alors qu'il se relève du pé-ché par la grâce, coopère seulement avec Dieu par son libre arbitre.
X.  A ce ch. ? appartiennent le can. 1. « Si quis dixe-» rit, hominem suis operibus, quce vel per humanae ??-
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» lurae, vel per legis doctrinam fiunl, absque divina per » Jesum Christum gratia posse justificavi coram Deo : » anathema sit. »
XI.  Et le can. 2. « Si quis dixerit, ad hoc solum di-» vinum gratiam per Christum Jesum dari,  ul facilius » homo juste vivere, ac vitam aeternam promereri possit, » quasi per liberum  arbitrium  sine gratia utrumque, » sed segre tamen, et difficulter possit : anathema sit. »
XII.  Dans le chap. II, il est question du bénéfiee de la rédemption, et on y lit : « Quo factum est, ut ecclesiis «Pater Jesum filium suum, anle legem, et legis tempore * sanctis Patiibus promissum, ad homines miserit, ul et » Judaeos, qui sub lege erant, redimerei ; et gentes, quae » non sectabantur justitiam, justitiam apprehenderent, » atque omnes adoptionem filiorum reciperent, etc. »
XIII.  Et dans le ch. m on ajoute : « Verum etsi ille » pro omnibus mortuus est, non omnes tamen mortis » ejus beneficium recipiunt, sed ii dumtaxat, quibus mp-» ritum passionis ejus communicatur. Nam sicut homi-» nes, nisi ex semine Adœ nascerentur, non nascerentur » injusii ; ita nisi in Christo renascerentur, numquam » iustificarentur, cum ea renascentia per meritum passio-» nisejus gratia, qua jusli fiunt, illis tribuatur. »
. XIV. Dans lech. iv on traite de la justification, et il PSI dit que d'après les paroles de l'apôtre, « Iustificationis » impii descriptio insinuatur, ul sit translatio ab eo statu, » in quo hotno nascitur filius primi Adae, in statum ? gratiae, et adoptionis filiorum Dei per secundum Adam » Jesum Christum : quse translatio posl Evangelium pro-» mulgalum sine lavacro regenerationis aut ejus voto fieri » non potest. » XV. Au ch. v, il est parlé de la nécessité pour les adultes
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de se préparer à la justification el du mode qu'ils doivent suivre pour l'obtenir : il y est dit que l'homme ne peut se disposer que par la grâce prévenante, qui l'appelle et l'aide à se convertir sans le concours de son mérite, et qu'au contraire l'homme ne peut conserver la j ustifica-lion, gi d'abord il ne fait concourir son assentiment ei sa coopération avec l'action de la grâce. II est dit en consé-quence : « Ipsius juslificalionis exordium in adultis a » Deo per Christum Jesum, praeveniente gratia, sumen-» dum esse, hoc est ab ejus vocatione, nullis eorum exis-» lentibus mentis, ut per ejus excitantem, atque adjuvan-» (em gratiam ad suam juslificalionem, eidem gratiae » assentiendo, et cooperando disponantur; ita ul tan-» gente Deo cor hominis, neque homo ipse nihil omnino » agat, inspiiationem illam recipiens, quippe qui illam » abjicere potest : neque sine gratia Dei movere se ad » justitiam libera sua voluntate possit. Unde, cum dici· y> lur : convertimini ad me, et convertar ad vos (Zach. i. » 5.) : libertatis nostrae admonemur. Cum respondemus : » converte nos Domine ad te, et convertemur (Thren. 3. » 21); Dei nosgtalia praeveniri confitemur. »
Le P. Pie, général des Conventuels, voulait .qu'après les paroles susdites illum recipiens, il fût ajouié : « Cum » sit in sua potestate illam non recipere. » Mais on préféra laisser ce qui était écrit « quippe qui illam abjicere po-» lest; » car si recevoir la grâce n'est point soumis à notre faculté, Dieu l'opérant en nous el sans nous, cependant nous pouvons réellement la rejeter. Pierre Soave objecte que ce que disait le concile dans le chap. ? , ci-dessus , « Neque homo ipse nihil omnino agat inspirationem » illam recipiens; quippe qui illam abjicere potest; » ne s'accordait pas avec ce qu'enseigne l'apôtre, que la grâce
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est ce qui sépare les vases de colère des vases de miséri-corde. Mais on répond que les deux textes s'accordent très-bien, car il est certain que l'homme n'a rien qu'il ne l'ait reçu de Dieu ; d'où il suit que sa coopération à rece-voir l'inspiration divine est aussi un bienfait de Dieu, le-quel, comme dit le concile d'après S. Augustin, « Voluit » esse merita nostra, quae sunt ipsius dona. » Soave ré-plique que si on tenait pour vrai que l'homme pouvait résister à l'inspiration divine, on ne pouvait plus dire à Dieu avec l'Église dans ses prières : « Ad le nostras etiam » rebelles compelle propitius voluntates. » On répond avec Noël Alexandre que le mol compelle ne signifie pas là une coaclion, mais seulement une impulsion efficace ou persuasion; comme il faut entendre aussi ce texle de S. Luc (14.23), « Exi in vias et sepes ei compelle intrare, » ul impleatur domus mea. »
XVI.  En conséquence, on dressa le can. S. « Si quis «dixerit, sine praeveniente Spiritus Sancti inspiratione, » atque ejus adjutorio, hominem credere, sperare, dili-» gere, aut paenitere posse sicut oportet, ut ei justifìcatio-» nis gratia conferatur : anathema sit. »
XVII.  Can. 4. « Si quis dixerit, liberum hominis ar-bitrium a Deo motum et excitatum, nihil cooperari, » assentiendo Deo excitanti, et vocanti, quo ad obtinen-dam juslificalionis gratiam se disponat, ac praeparet; » neque posse dissentire,  si velit, sed veluti inanime » quoddam nihil omnino agere, mereque passive se ha-» bere : anathema sit. »
Dans ce canon, on ne disait pas d'abord libemm arbi-trium, mais simplement hominem, d'où quelques-uns voulaient que l'on expliquai que cela devait s'entendre universe loquendo, disant qu'il pouvait y avoir telle voca-
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tion extraordinaire ù laquelle l'homme ne pûl résister, telle qu'avait été, suivant S. Augustin, la vocation de S. Paul; mais les Pères ne consentirent point à ajouter celte parenthèse, et se contentèrent de changer le mol ho-minem en ceux de liberum arbitrium : et cela forl sage-ment, parce qu'en admettant une vocation extraordinaire et nécessitante (si tant esl qu'il y en ail), c'était enlever la liberté de la volonté, au lieu qu'en menant liberum ar-bitrium on ne louchait pas à la question.
XVIII.  Can. 5. « Si quis liberum hominis arbitrium » posl Adse peccatum amissum , et extinctum esse dixe-» rit, au! rem esse de solo titulo, immo titulum sine re, » figmentum denique a Satana invectum in Ecclesiam : » anathema sit. »
XIX.  Can. 6. « Si quis dixerit, non esse in potestate » hominis, vias suas malas facere, sed mala opera, ita » ut bona, Deum operari : non permissive solum, sed » etiam proprie, ei perse adeo ut sit proprium ejus opus » non minus proditio Judse , quam vocatio Pauli : ana-» thema sit. »
XX. Dans le chapitre vi, on traile du mode suivant le-quel l'infidèle ou le pécheur se dispose à recevoir la grâce par divers degrés, par des actes méritoires, comme par la foi, la crainte de la justice divine, etc. « Disponuntur » ad ipsam justitiam, dum excitati divina gratia, et ad-» juti, fidem ex auditu concipientes, libere moventur in » Deum, credentes vera esse, quae divinitus revelata et » promissa sunt: atque illud in primis, à Deo juslifi-» cari impium per gratiam ejus, qua? est in Christo Je<«i, » et dum peccatores se esse intelligentes, a divinae jm-» litiae more; quo utiliter concutiuntur, ad considérai!· » dam Dei misericordiam se convertendo, in spem eri-
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» gunlur, fidentes Deum sibi proplev Christum propt-» lium fore. » Ici il faut noter que sur ces paroles, « a » divinae juslitise limore, » un assislani dit que la justi-fication du pécheur prenait sa source dans l'espérance, non dans la crainte; mais l'opinion contraire prévalm, parce que le pécheur commençait à désirer la justification par le remords du péché qui le tourmentait et lui ins-pirait la crainte du châtiment, et qu'ainsi la crainteeslle premier sentiment qui s'élève dans le cœur de celui qui est dans le péché.
XXI.  Le décret porte ensuite : « Illumque tamquam » omnis jusiiliae fontem diligere incipiunt; ac propterea » moventur adversus peccata, per odium aliquod et de-» leslalionem, hoc est per eam paenitentiam, quam anle » baptismum agi oportet. » Ces dernières paroles furent mises pour distinguer celte sorte de pénitence de la péni-tence sacramentelle de la confession. De plus, il faut sa-voir qu'en premier lieu rien dans le décret ne désignait l'acte d'amour, mais les Pères voulurent qu'il fût compté parmi les autres actes par ces paroles, diligere incipiunt, se trouvant ainsi écrit, comme le rapporte le cardinal Palaviciu : « El il parut bon de joindre à l'acte de foi et » à celui d'espérance quelqu'acte d'amour, parce que si » la pénitence était toute de crainte, sans aucun amour » de la justice, et si la douleur n'était causée que par le » châtiment seul et non par la considération de l'offense » envers Dieu, elle demeurerait inefficace. »
XXII.  Le can. 7. « Si quis dixerit, opera omnia quœ » ante justificalioncm fiunt, quacumque ratione facta sint, » vere esse peccata, vel odium Dei mereri; aut quanto » vehementius quis nititur se disponere ad gratiam, tanto » euni gravius peccare; anathema sit. »
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XXIII. Et le canon 8. « Si quis dixerit, gehennae metum, » per quem ad misericordiam Dei de peccatis dolendo » confugimus, vel a peccando abstinemus, peccatum esse, » aut peccatores pejores facere : anathema sit. » Se rap-portent au chapitre 6.
XXIV.  Dans le chap. 7, on définit la justification et quelles sont ses causes. Nous avons déjà dit que d'abord on examina la question : si la foi seule suffisait pour justifier l'impie; et que tous furent d'accord que la foi était la première disposition, et que la charité seule était la cause formelle de la justification.
XXV. Le nombre des erreurs qui ont été écrites parles hérétiques du nord sur la justification est incalculable. Une des principales, qui en a produit plusieurs autres, est de prétendre que c'est la foi seule qui justifie, mais l'Écriture s'oppose à celte erreur; car outre la foi elle re-quiert aussi d'autres actes. L'acte de crainte : « Qui sine » timore est non potest juslificari. » (Eccles. i.) De plus l'acte d'espérance : « Qui sperat in Domino sanabitur. » (Prov. XXVIII.) En outre l'acte d'amour: « Qui non dili-» git manet in morte. » (Jo. m.) « Remittuntur ei pec-» cala multa, quoniam dilexit multum. » (Luc. vu.) Il faut encore la propre coopération pour recevoir la grâce ; autrement la foi, sans nos œuvres reste morte,  comme l'écrit S. Jacques (cap. v.) : « Sicut corpus sine spiritu » mortuum est, ita fides sine operibus mortua est. » Aussi S. Paul dit-il : » Si habuero omnem fidem , ita » ut montes transferam , caritatem aulem non habuero, » nihil sum. » (II. Cor. ???.)
XXVI.  Les novateurs opposent ce que dit le même apôtre (Rom. m.) : « Arbitramur hominem justificari per ? fidem sine operibus legis. » Mais on répond que bien
CONTRE LES HÉnÊTIÛUES.                        255
que la foi soit nécessaire à la justification, cependant elle ne suffît pas seule, et qu'il faut les autres actes déjà men-tionnés et exprimés par l'Écriture elle-même. On oppose aussi cet autre passage de l'apôtre (Galat. n.) : « Scientes » quod non justificatur homo ex operibus legis, nisi pei » fidem Jesu Christi. * Mais cela veut dire que l'homme n'est pas justifié par les œuvres de l'ancienne loi ou seu-lement par celles faites sans la grâce de Jésus-Christ.
XXVII.  On oppose encore ce qu'on lit dans d'autres endroits de l'Écriture (Aclor. xniet Rom. x.), savoir que tous ceux qui croient sont justifiés et sauvés. Mais on doit sous-entendre, pourvu qu'ils ne manquent pas à formel-les autres actes requis, nécessaires pour la disposition à la justification.
XXVIII. L'archevêque de Sienne fut d'un autre avis dans le concile, et il s'efforça de soutenir que la foi seule suf-fisait pour justifier l'homme; mais il fut entendu avec une défaveur générale. Monseigneur San-Felice, évêque de la Cava, voulut impertinemmenl défendre la même opi-nion, disant que la foi étant posée, suivait la justification, que la charité accompagnait, mais ne causait pas. J'ai dit qu'il parla ainsi impertinemment, parce qu'ayant vu son opinion réprouvée dans la première assemblée, au lieu de se reprendre dans l'assemblée suivante, il persista à la soutenir : mais il resta avec sa honte. Monseigneur Gôntarini, évêque de Bellune, défendit aussi la même opi-nion, mettant en avant que les autres actes précédant et servant de disposition à la justification, n'étaient que les simples signes de la foi; mais ce piélat se rétracta dans l'assemblée suivante.
XXIX.   Plusieurs docteurs combattirent fortement les o^posans, et entre autres l'évêque de Bitonto, qui dit que
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la justification était attribuée à la foi, non comme à sa cause prochaine, mais comme au principe de tout. Ber-tanus expliqua que l'homme était justifié non par la foi, mais par le moyen de la foi, qu'ainsi notre état de juste n'est point la foi, mais que nous l'obtenons au moyen de la foi. L'évêque de Sinigaglia démonita longuement que la foi est la porte pour arriver à la justification, mais qu'elle ne suffit pas pour S'obtenir, li fut dit en outre incidemment dans la discussion que dans l'œuvre de notre justification, il n'y avait rien du nôtre, sinon de ne pas porter obslacle ou résister à la grâce divine qui nous prévenait. Nous ne savons en quel sens cela fut dit : du reste, il est certain que pour recevoir la justification, le libre arbitre de l'homme, comme il a été établi en prin-cipe par les Pères, concourt non pas passivement ou né-gativement, mais activement, ainsi que nous avons rap-porté qu'il est dit au chapitre 5, où l'on lit : « Eidem gra-tiae libere assentiendo, et cooperando disponuntur. » Et dans le can. 4, où on condamne celte proposition : « Li-» berum arbitrium a Deo motum nihil cooperari assen-» tiendo Deo excitanti, quoad obtinendam juslificationis » gratiam se disponat. »
XXX. Ces mêmes prélats de Sienne, de la Gava et de Bellune, qui avaient tant déplu en attribuant toute la jus-tification à la foi seule à l'exclusion des autres actes, furent encore entendus avec répugnance lorsqu'ils voulurent at-tribuer (ouïe la justification aux mérites de Jésus-Christ et rienaux actes de l'homme quiledisposent à-être justifié. Au contraire, on écouta avec iaveur l'archevêque de Matera, lequel dit que les actes qui disposent à la justification dépendent bien de la grâce, mais ne laissent pas de nous appartenir, et que ce que disent les conciles, que la justi-
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                       2So
ficaiion esl l'œuvre de la grâce n'empêchait pas de dire aussi qu'elle esl noire œuvre, et il s'appuyait de l'autorité de S. Augustin sur le Psaume CXLV et de S. Basile dans sa Somme des choses morales.
XXXI.  De plus l'évêque de Calahôrra, Beraavd Diaz, dit que l'infidèle ne pouvait par aucune œuvre propre se disposer d'avance à mériter la vocalion, laquelle est un pur don de Dieu, mais que la ?vocation étant posée, l'homme est libre de lui résisîer ou de lui obéir, etalois, s'il reçoit le baptême, en croyant, espérant, délestant le péché, et se convertissant à Dieu, il obtenait la grâce di-vine. Ainsi, il y a deux choses que Dieu opère en nous sans nous, savoir, la vocalion 3u bien, et l'infusion de la grâce justifiante. Il dépend ensuite de nous d'accepter l'une et l'autre, mais toujours avec l'aide de Dieu; la vocation en y obéissant, la justification en l'acceptant volontairement de Dieu qui nous l'offre. El dans l'usage de ces deux dons, nous coopérons avec Dieu, de manière que nos bonnes œuvres sont toutes de Dieu, et en même temps toutes de nous : de Dieu, comme agent principal ; de nous, comme agens secondaires. Et par ce qui a été dit plus haut, que l'infidèle ne peut par aucune œuvre propre se disposer à mériter la vocation, il faut entendre qu'il ne peut se disposer, ni de condigno ni de congrua, parce que l'acte pour mériter de congruo doil être non-seulement naturellement, mais surnalurellemenlveilueux, et cela ne peut être dit à l'égard de l'infidèle, lequel étant privé de la foi ne peut produire des actes de vertu sur-naturelle.
XXXII.  L'évêque de Castellainare dit que nos œuvre», en tant qu'elles proviennent de nous seuls, n'ont aucune cause de mérite à l'égard du salut éternel ; en tant qu'elles
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proviennent de la grâce prévenante, elles oni le mériie dé congruilé; enfin, quand elles proviennent de la grâce jus-tifiante, et -en même temps de notre libre arbitre, elles ont le mérite de condignité capable d'augmenter la grâce, et de nous obtenir la gloire, selon la promesse divine, exprimée ainsi par S. Paul : « Servata est mihi corona » justitiœ. » (II. Tim. cap. iv.) Il ajouta que quant à la première justification, l'acte de foi était nécessaiie, parce que sans cet acte on n'acquérait pas l'habitude, et que sans l'habitude de la foi l'homme ne se justifiait pas. Pour la seconde, l'acte n'était point requis, parce qu'on a alors l'habitude que le pécheur ne perd pas; et il expliqua qu'il entendait parler de l'acte exprès et formel, car d'ailleurs il faut toujours qu'il y ait quelque sorte d'exercice de foi.
XXXIII. Après lout cela, on formula le décret du con-cile formant le chapitre 7, où on établit que la disposition requise de l'impie existant, il s'ensuivait sa justification par laquelle d'ennemi de Dieu il devenait son ami et hé-ritier du paradis.
«Hanc dispositionem, seu praepa rationem jusli fi catioipsa >· consequitur : quae non est sola peccatorum remissio, sed » et sanctificatio et renovatio interioris hominis per vòlun-i> tariam susceptionem gratiae, et donorum ; Unde homo » ex injusto fit justus, et ex inimico amicus, tit sit hderes » secundum spem vitae seternse. » Ensuite on assigna les causes de la justification : « Iustificationis causse sunt : » finalis quidem gloria Dei, et Christi, et vita aeterna : * efficiens vero Deus : meritoria, ïesuS Christus, qui in » ligno crucis nobis iustificationem meruit, et pró nobiu » Deo patri satisfecit : instrumentalis, sacramentum bap-» tisnli, quod est sacramentum fidei, sine qua nulli un* » quam contingit justificaiio : demum unica formalis Causa
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» est juslitia Dei, non qua ipse juslus esl, sed qua nos » juslos facit, et non modo reputamur, sed verejusli no-» minamur, ei sumus; justitiam in nobis recipientes, » unusquisque suam secundum mensuram, quam Spiri-» ius Sancitis partitur singulis prout vult, et secundum » propriam cujusque dispositionem et cooperationem. » Quamquam enimnemopossitesse juslus, nisi cui merita » passionis Domini nostri Jesu Christi communicantur : id » tamen in hac impii justiflcalione fit, dum ejusdemsanc-» tissimoe passionis merito per Spiritum Sanctum caritas » Dei diffunditur in cordibus eorum, qui justificantur, at-» jjue ipsis inhaeret; unde in ipsa jusliiìcalione cum re-» missione peccatorum haec omnia simul infusa accipit » homo, per Jesum Christum, cui inserilur, fidem, spem, » et caritatem. Pfam fides, nisi ad eam spes accedat, ei » cariias, neque unit perfecte cum Christo, neque corporis » ejus vivum membrum efficit. Qua ratione verissime di-» citur, fidem sine opeiibus mortuam et otiosam esse. Et » in Christo Jesu neque circumcisionem aliquid valere, » neque praeputium ; sed fidem, quai per caritatem ope-» ralur. Hanc fidem ante baptismi sacramentum exapos-» lolorum traditione catechumeni ab Ecclesia petunt, cum » petunt fidem, vitam aeternam praestantem, quam siin; » speet caritate fides piaeslarenon potest, etc. »
XXXIV. Parce décret, on condamna les erreurs de Lu-ther, qui niait la forme intrinsèque justifiante, el préten-dait que l'homme ne devenait pas intérieurement plus juste, mais était seulement réputé tel par imputation de la justice extrinsèque de Jésus-Christ. Mais le concile dit : « Causa formalis estjustilia Dei, non qua ipsejuslus * est, sed qua nosjuslos facit... et non modo reputamur, » sed vere jusli sumus. »
MX.                                                           47
2b 8                                TRAITE
XXXV. Ainsi, comme l'enseigne le concile, la grâce s'imprime d'une manière formelle dans l'ame par un cerlain don interne qui s'y unit et la rend intrinsèque, et de celle façon elle purifie et sanctifie, suivant celle ex-pression de l'apôtre : « Haec quondam fuistis, sed abluti » eslis, sed sanctificati estis, sed juslificati eslis. » La grâce ne consiste donc point dans la seule imputation delà jus-tice de Jésus-Christ ni dans la seule rémission des péchés, mais aussi dans la rénovation intérieure de l'homme, qui par l'effet de la grâce parvient à dépouiller le vieil homme en Adam, pour en revêtir un nouveau en Jésus-Christ, ainsi que l'écrit l'apôlre : « Renovamini spiritu menlis » vestrae, et induite novum hominem, qui secundum » Deum creatus est in justitia et sanctitate veritatis. » (Ephes. iv.) Voilà comment il est fait ici une mention précise de la rénovation interne opérée par la grâce de Jésus-Christ, et telle que l'homme, par le moyen de cette grâce, d'ennemi devient ami et fils adoptif de Dieu et héritier du paradis, comme parle l'Écriture : non toujours que le simple pardon des péchés commis nous rende ainsi amis et fils adoptifs et méritant dès le principe; mais seulement que par l'efficacité de la divine charité nous acquérons la bienveillance de Dieu el son adoption paternelle, comme parle S. Paul : « Caritas Dei » diffusa est in cordibus nostris per Spiritum Sanctum qui » datus est nobis. » (Rom. e. v.) Et au chapitre 8, il ajoute *. « Accepistis spiritum adoptionis filiorum, in quo clama-» mus : « Abba (pater). » Ainsi, il n'est pas vrai, comme le disent nos adversaires, que la justice de Jésus-Christ rende l'homme juste par sa seule imputation, mais parce qu'en verlu de celte justice la grâce s'infuse en nous et nous rend justes.
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XXXVI. Ils opposent ce texte : « Qui factus est nobis » sapientia a Deo et justifia et sanctificatio. » Donc, di-sent-ils, voilà bien exprimé que la justice de Jésus-Christ à nous imputée nous justifie. — On répond que la justice de Jésus-Christ est bien la cause méritoire de notre justice, et que par ses mérites nous obtenons la grâce qui nous rend justes, et de même que l'apôtre en disant : « Factus » est nobis sapientia, » n'a pu vouloir dire que la sagesse de Jésus-Christ nous était imputée, mais que la sagesse de Jésus Christ nous rendait sages, de même quand il dit : « Factus est nobis justitia, » que la justice de Jésus-Christ nous rende justes par imputation, mais que celle justice, c'est-à-dire ses mérites nous rendent justes par le moyen de la grâce justifiante, qui nous fait participans de la na-Iure divine, comme parle S. Pierre. (II. Petr. ?.)
XXXVII. Ils opposent encore ce passage du psaume xxxi. 1 et 2 : « Beati quorum remissae sunt iniquitates, » et quorum Iecta sunt peccata : beatus vir, cui non im-» putavit Dominus peccatum. » On voit parla, disent-ils, que les péchés ne sont pas ôlés, mais couverts en ce qu'ils ne sont pas imputés au pécheur. On doit entendre qu'ils sont couverts en telle façon qu'ils sont vraiment enlevés et effacés, puisqu'à l'égard de Dieu, auprès de qui toutes les choses sont patentes, dire qu'ils sont couverts, dénote bien qu'ils sont enlevés et annulés; c'esl ainsi que s'explique S. Augustin sur le psaume cité, et que s'exprime David lui-même, quand il dit : « Secundum multitudinem mi· » serationum tuarum dele iniquitatem meam. » (Ps. L.) H prie le Seigneur d'effacer son péché, non de le couvrir. S. Jean désignant Jésus-Christ (cap. ?. ? 29.) dit : « Ecce » agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi. » Ce qui s'ef-face et s'enlève ne se couvre pas, mais est tout-à-fait an»
17.
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nulé ; ei cela se conclut de l'impossibilité que la grâce existe là où demeure le péché. Aussi Ezechiel dit que les péchés abolis par la pénitence demeurent tellement effacés devant Dieu qu'il en perd, pour ainsi dire, la mémoire : « Si aulem impius egerit poenitentiam ab omnibus pecea-» lis suis... vila vivet, et non morietur.... omnium ini-» quitalum ejus quas operatus esl, non recordabor. » (Ezecli. e. xviu. 21 et 22.) Et quand David dit : « Beatus » vir cui non imputavit Dominus peccatum, » c'esl en ce sens que Je Seigneur effaçant par sa grâce son péché ne le lui impule plus, mais le lui remet entièrement, tant pour la faute que pour la peine.
XXXVIII. Par ce même décret du chapitre 7 on réprouva l'opinion de Seripand, qui distinguait deux justices, l'une intrinsèque et l'autre extrinsèque. Voici ce qu'il disait : La première, inirinsèque, nous fail passer de l'état de pécheur à celui de fils de Dieu, et par là nous fait opérer de bonnes œuvres en vertu de la grâce même ; la seconde, extrinsè-que, est la justice et les mérites de Jésus-Christ, lesquels nous sont imputés comme nôtres, selon la mesure qu'il plaît à Dieu. D'où il inférait que la première justice n'était point parfaite sans la seconde, ni suffisante pour nous faire obtenir la gloire, suivanlces parolesde l'apôtre : « Non sunt » condignae passiones hujus temporis ad futuram gloriam » promerendam, quai revelabitur in nobis. » (Rom. vm. 18.) Et de là il concluait que la justification s'opérait parla foi, non par les oeuvres, puisque la première justification, qui consistait dans lepassage de l'inimi lié à l'amitié de Dieu n'est point le prix de nos œuvres, qui ne peuvent être méri-toires avant notre justification; mais que celle-ci est une pure miséricorde du Sauveur. Parlant ensuite des œuvres opérées depuis la justification, il disait que la justice d«
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l'homme ne s'attribuait pas proprement à ses œuvres, mais aussi à la loi par laquelle lui était appliquée la se-conde justice du Christ,-qui suppléait à ses défauts.
XXXIX. Cinq théologiens seulement, parmi lesquelb trois de son ordre (augustins), approuvèrent cette doctrine deSeripand, que, pour acquérir la vie éternelle, il fallait l'imputation de la justice de Jésus-Christ; mais tous les autres se prononcèrent contre, et particulièrement le P. Lai-nez, delà compagnie de Jésus, qui publia un long traité contre Seripand. On lui répondit donc, et entr'au 1res choses il fut dit qu'il y avait deux sortes de causes : les unes qui produisent leur effet de telle sorte qu'il n'a plus besoin d'elles pour se conserver, par exemple, le fils engendié par son père ; les autres, dont les effets dépendent de l'ae-tion de h cause, aussi bien dans leur conservation que dans leur production : telle est la lumière qui dépendiou-jouis de l'action du soleil. C'est en celle dernière forme que nous dépendons de Dieu, qui nous conserve ainsi et dans la vie temporelle et dans la vie spirituelle de la· grâce. El pour acquérir la gloire, il n'est pas besoin d'avoir en nous deux justices, l'une intrinsèque, l'autre extrinsèque» par l'imputation des mérilesdeJésusGhrist; mais la seule justice intrinsèque, laquelle est produite par les mérites de Jésus-Chrisl ; c'est elle qui nous relève du pédié ei nous fait pioduire des œuvres de vie éternelle, lesquelles nous obtiennent la gloire, suivant la promesse faite par Dieu en considération des mérites du Sauveur. D'où les docleuis conclurent que la grâce infuse en nous gratuite-ment était celle qui nous faisait appliquer parfaitement 'es mérites de Jésus-Christ, et que pour cela il n'était pas besoin que la justice extrinsèque suppléai au défaut de l'intrinsèque, comme l'avançait Seripand, puisque ???-
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trinsèque est une véritable participation à l'extrinsèque, c'est-à-dire à la justice de Jésus-Christ.
XL. Bellarmin dit (Controv. 5. Dejuslific. lib. 1. c. 2. cire, fin.) que cette doctrine de Seripand appartint d'abord à Phigius, lequel aussi voulait que l'homme fût justifié, partie par la justice intrinsèque et partie par l'imputation de la justice de Jébus-Christ ; mais cette opinion est contraire à ce que dit le concile : « Unica formalis causa (justifica-» lionis) estjuslilia Dei, non qua ipse juslus est, sed qua nos » juslos facit. » D'où Bellarmin conclut ainsi : « Si juslilia » inhaerens est formalis causa absoluta? justificalionis, non » igitur requiritur imputatio justitiœ Chrisli, qusejuslifica-» tionem alioqui inchoatam et imperfectam absolvat. » Et il ajoute que l'opinion de Phigius est certainement ré-prouvée dans le can. 10, où l'on condamne cette propo-sition : que nous sommes formellement justifiés par la justice même de Jésus-Christ.
XLI. En troisième lieu, on doit réprouver encore l'opi-nion de l'évêque de Bitonto, qui admet deux justifications del'impie : la première, par laquelle les péchés sont remis ; la seconde, qui lui fait acquérir la justice, et qui dit que la première justification, celle du péché remis, s'opère par l'imputation de la justice de Jésus-Christ. La seconde, qui produit la justice, s'opère par la grâce qui s'infuse inté-rieurement dans notre ame, à l'instant même où noussom-mes délivrés de l'étal de péché, mais ne nous est pas ex-térieurement imputée par les mérites de Jésus-Christ, comme le prétendent les luthériens. Mais celte opinion, qu'il y a deux causes formelles de justification, savoir la rémission des péchés et l'infusion de la grâce, est, selon Bellarmin (De juslif. lib. 1. cap. 2, vers. Quod si conci-lium), contraire à la décision du concile, qui dit dans ce
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chapitre 7 que la cause formelle est une, c'est-à-dire la seule justice de pieu infuse en nous et inhérente. Et il ajoute que le concile ne fait séparément mention de la rémission des péchés et de l'infusion de la grâce que pour désigner les deux effets d'une même cause, qui sont de dégager l'impie de l'état d'inimitié et de le faire passer à celai d'ami de Dieu par le moyen de la justification.
XLII. Quatrièmement, il faut remarquer que les uns voulant que la justification s'effectuât par la grâce distincte de la charité, et les autres par la charité même sans grâce justifiante distincte, le concile a fait usage indifféremment de l'une ou de l'autre, afin de laisser la question indécise.
XLI1I. Cinquièmement, quelques-uns disaient que dans ce décret la charité était indiquée comme la cause formelle de la justification par ces mots : « Fidem quae per carita-» lem operatur; » d'autant mieux que dans le chap. 6 précédent la charité était seule nommée comme prépara-tion à la justification. Mais on répond qu'en premier lieu les mois « diligere incipiunt » désignent une charité qui n'a pas la justice ou plus exactement un simple commen-cement de charité; mais dans ce chap. 1 il est question de la charité parfaite qui justifie l'homme.
XLIV. Sixièmement, Palavicin avertit que dans ce chapitre l'intention du concile fut d'établir l'habitude in-fuse de la justice et non le simple acte, car un membre ayant demandé qu'il fût expressément déclaré que dans la justification la grâce se donnait par habitude infuse, il fut dit que cela résultait assez clairement de ces termes, « caritas Dei inhaeret, » la qualité d'inhérent emportant la stabilité qui appartient à l'habitude et non à l'acte.
XLV. Pierre Soave objecte que ces paroles du concile au même chap. 7 : « iustitiam in nobis recipientes, unus-
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» quisque secundum mensuram quam Spiritus Sanctus » partitur singulis,, prout vult, » sont en contradiction avec celles qui suivent immédiatement, « et secundum pro-» priam cujusque disposifionem et cooperationem ; » il dit : Si la disposition de l'homme est nécessaire, Dieu ne donne donc pas la juslice prout vult, et s'il la donne prout vult, on ne peut pas dire qu'il la donne « secundum pro-» priam cujusque dispositionem. » On répond avec S. Au-gustin, qui enseigne que la grâce « voluntatem hominis » et praeparat adjuvandam et adjuvat praeparatam. » D'où il suit que le concile s'est bien exprimé en disant : « se-» cundum mensuram prout (Spiritus Sanctus) vult, » et » en ajoutant : « et secundum propriam cujusque disposi-» tionem et cooperationem. »
XLVI. Les canons suivans appartiennent à ce chapitre 7.
Can. 9 : « Si quis dixerit sola fide impium justificari, » ita ul intelligat nihil aliud requiri, quod ad justificalio-» nis gratiam consequendam cooperetur, et nulla ex parle » necesse esse eum suse voluntatis molu praeparari, atque » disponi : anathema sit. »
Can. 10. «Si quis dixerit homines, sineChrislijustitia, » per quam nobis meruit, justificari : aut per eam ipsam » formaliter justos esse : anathema sit. »
Can.'14. « Si quis dixerit, homines juslificari, vel sola » imputatione justiliae Christi, vel sola peccatorum remis-»sione, exclusa gratia et caritate, quae in cordibus eo-» rum per Spiritum Sanctum diffundatur, atque illis in-» haereat : aut etiam gratiam, qua justificamur, esse tan-» tum favorem Dei : anathema sit.
XLVII. Dans le chap. 8, on explique comment doit être entendue celle parole de l'apôtre que l'impie est ju&tifié par la foi : « Arbitramur autem juslificari hominem per
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» fidem » (Rom. ni. 28.) ; et que sa JHStification est gra-tuite : « jusiificnti gratis per gratiam ejus.» (Rom. m. 24.) Les paroles de l'apôtre doivent s'enlendre ainsi : « ulsci-» licet per fidem ideo iustificari dicamur quia fides est » humanae salutis initium, fundamentum ei radix omnis » juslificationis. Gratis autem juslificari ideo dicimur, » quia nihil eorum, quae juslificationem praecedunt, sive » fides, sive opera, ipsam justificationis gratiam prome-» retur. » 11 est ici question non du mérite de congruae, mais du mérite de condignilé; car quelques-uns ayant demandé que ces paroles fussent supprimées, comme dé-préciant les œuvres faites en vertu de la foi, on répondit que de telles œuvres ne méritent pas la justification comme leur étant due. Ainsi l'on voit qu'il s'agit ici du mérite de condignité. Lorsqu'on agitait le point de fixer le sens de ces roots de l'apôtre : « Justificali gratis per gratiam, » etc., » quelques-uns dirent qu'on devait les expliquer en disant que la foi est un don gratuit de Dieu ; mais cela ne plut pas; car en admettant la foi du pécheur, il n'en est pas moins vrai que Dieu le justifie gratuitement. D'au-tres voulaient qu'on exprimât que « la justification s'o-» père sans les œuvres; » et cela aussi fut réfuté parce qu'il avait été établi que, en outre de la foi, quelques au-tres actes sont nécessaires à la justification, en ce qu'ils complètent la disposition requise.
XLVIII. Dans lechap. 9, on réprouva cette vaine con-fiance des hérétiques, que les péchés se remettent ou sont déjà îemis par celle confiance même, ei que nul n'est justifié s'il ne croit fermement l'être. Le concile déclaie au contraire que personne ne doit être sans crainte, parce que nul ne peut savoits'il a obtenu la grâce, de cette cer-•ftude de la foi qui ne laisse pas supposer l'erreur. Ainsi,
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personne, sans une révélation de Dieu particulière, ne peut croire de foi qu'il ait élé pardonné. « Nescit homo, » utrum amore an odio dignus sit » (Eccles. ix. 1.); d'où l'apôtre dit : « Ma conscience ne me reproche aucune faute » présente, mais pour cela je ne me liens pas pour jusli-» fié. » « Nil mihi conscius sum , sed non in hoc justifi-» catus sum. » (I. Cor. iv.) Jérémiedit (cap. 17): « Prs-» vum est cor hominis, et inscrutabile, et quis cognoscet » illud? » Ainsi, le pécheur qui est certain d'avoir été dans un temps ennemi de Dieu par son péché, ne l'est jamais absolument de sa nouvelle conversion de cœur vers Dieu.
XLIX. Les novateurs opposent, 1° ce que dit l'apôtre (Rom. vin. 46): « Ipse spiritus testimonium reddit spiri-» tui nostro, quod sumus filii Dei. » Mais on répond que l'Espril-Saint nous rend ce témoignage, non par révéla-tion divine ni par des signes infaillibles, mais seulement par le moyen de certaines conjectures, lesquelles ne peu-vent donner qu'une certitude présomptive et morale, et non évidente, comme l'enseignent les saints Pères dans Bellarm. lib. 5. Dejustif. cap. 9 et 10. ? L. Ils objectent en second lieu que l'espérance chré-tienne est comparée (Hebr. vi. 19.) à une ancre, à cause de sa solidité, qui ne peut manquer; et ils ajoutent que celte espérance ne pourrait être ainsi solide si nous ne croyions pas fermement que les péchés nous sont remis. Nous répondons que l'espérance théologique non-seule-ment est très-certaine, mais encore infaillible de foi di-vine de la part de Dieu, d'où S. Thomas la définit : « Spes «est certa expectatio beatitudinis.» Elle est certaine, parce que, comme l'écrit ce saint, « innititur principaliter » divinae omnipotenti» et misericordiae ; » lesquelsattributs
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de foi certaine, existent dans Dieu. (S. Thom. xxn. q. 18, a. 4.) Mais l'effet de cette espérance dépend non-seulement de Dieu, mais aussi de notre coopération, et celle-ci peut nous manquer, sinon dans le moment présent, au moins dans l'avenir, comme l'enseigne le concile dans le présent chap. 9 : « Quilibet, dum propriam infirmitatem >: respicit, de sua gratia dubitare potest. » C'est pourquoi SI ajoute dans les chap. 12 et 13, que nul ne peut se pro-mettre avec une certiiude absolue d'être en élat de grâce ni d'y persévérer.
LI. Tournely dit, un peu imprudemment peut-être, que bien que la possession de la grâce n'exclut pas toute crainte , néanmoins l'espérance chrétienne a cela de pro-pre, qu'elle chasse les frayeurs excessives qui tourmen-tent les âmes des justes; et elle est si grande ajoute-l-il, qu'elle suffit pour produire une certitude morale, la-quelle leur fait goûter une paix raisonnable de conscience, « quo fit ut legitima conscientiae pace fruantur. » Mais cela ne vient pas d'une certitude de foi qu'on est en état de grâce, comme le veulent les hérétiques, mais de l'exer-cice de la charité que les justes pratiquent envers Dieu, comme l'écrivent S. Ambroise, S. Augustin et S. Ber-nard, in Cant.
LU. Les hérétiques confondent volontairement la certi-tude de foi avec la certitude de confiance (la confiance est cet espérance qui naît delà foi). Mais leur erreur est palpable, car la certitude de foi exclut tout doute; tandis que la certitude de confiance, laquelle s'appuie à la fois, et sur la promesse divine et sur notre coopération, attendu que celle-ci peut-Être en défaut, ne sauvait être elle-même absolument as-surée. Et il s'ensuit, comme nous l'avons dit, que sans une révélation spéciale, nul ne peut croire de foi, qu'il
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e$l juste, çnçore moins qu'il soit prédestiné, deux erreurs embrassées el enseignées par Calvin.
LUI. Soave dissimule dans son histoire les argumens de celte vraie doctrine du concile, et met en avant les rai-sons à l'appui de l'opinion contraire, laquelle donne à tous les justes la piétendue certitude de l'étal de grâce. Il rapporte entres autres les paroles du Rédempteur au pa-ralytique : « Confide, fili, remittuntur tibi peccata tua. » (M .Uh. 9. 2.), qui disent bien que le paralytique fut par-donné par sa confiance dans le pardon Mais on répond que le Seigneur, qui faisait au paralytique le don d'espé-rance el de foi, lui donnait, aussi la grâce de la charité el de la pénilence par lesquelles il recevait le paidon.
LIV. Le,,P. Pie, général des conventuels, voulait d'a-près Scol que le concile admît quelque cas particitliei où l'on pûl être cei tain d'une certitude de foi de l'état de grâce. Mais l'archevêque deNassia prouva amplement qu'une tel îe certitude ne pouvait résulter que d'une révé-lation spéciale de Dieu, puisque l'apôtre , avec tant de motifs de jouir de la certitude de la giâce, craignait néan-moins et disait de lui-môme : « Nihil enim mihi cons-«ciussum, sed non in hoc justificatus sum. (I. Cor. A. 4·) El Je cardinal Pacheco cilail à l'appui le texte du cap. uh. de purgat, can., où le pape Innocent ÏII con-damna un archevêque qui voulait jurer que ses péchés lui avaient été pardonnes.
LY. Aussi dans le susdit chapitre 9, esl-il dit : « Quam-» vis autem necessarium sit credere neque remitti, neque » remissa unquam fuisse peccata, nisi gialis divina mise-» ricordia propter Christum, nemini tamen fiduciam, et » certitudinem remissionis peccatorum suorum jaclanti » peccata dimitti dicendum esi, cum apud haereticoscon-
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» ira Ecclesiam catholicam praedicetur vana haec fiducia. » Sed neque illud asserendum est, oportere eos, qui vere » iustificati sunt, absque dubitatione apud semetipsos sla-» tuere se esse jusiificalos, neminemque iustificari, nisi » qui certo credat se justiiìcatum esse, atque hac sola fide » iustificationem perfici ; quasi qui hoc non credit, de » Dei promissis , deque mortis , et resurrectionis Christi > efficacia dubitaret. Nam sicut nemo de Dei misericordia, » de Christi merito deque sacramentorum virtute dubitare «debet; sic quilibet, dum propriam infirmitatem respi-» cil, de sua gratia timere potest ; cum nullus scire valeat » certitudine fidei, cui non potest subesse falsum, se gra-» liam Dei esse consecutum. »
LVI. Catharin , nonobstant ce décret du concile, s'ob-stina à soutenir, comme il l'avait fait avant le décret, que dans certains cas, la certitude de foi que quelqu'un soit en étal de grâce pouvait exister. Il distinguait pour cela deux sortes de foi, la foi catholique, c'est-à-dise univer-selle, des articles approuvés par l'Eglise, et c'est pour les objets de celle foi qu'on ne pouvait, disait-il, suppo-ser l'erreur : il prétendait ensuite qu'on pouvait avoir une autre sorte de foi à l'égard de quelque objet particulier, laquelle dépendait en même temps d'un dogme de la foi et de quelque vérité évidente par les lumières naturelles. Par exemple, disait-il, il est certain que l'homme bap-tisé est délivré de la faute originelle. Or, je sais que j'ai baptisé un enfant ; je peux donc faire un acte de foi, tou-jours d'après la réalité du fait, que cet enfant est délivré du péché, appliquant ainsi à un cas particulier ce que l'Eglise enseigne généralement. Mais bien que par évi-dence morale, je puisse croire de foi que cet enfant est libre du péché, cependant, cet effet est susceptible de se
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trouver faux, si, par exemple, la liqueur que j'ai prise pour de l'eau était le produit de la distillation d'une plante, matière impropre au baptême. Ainsi raisonnait Calharin,
LVII. Bellarmin (De juslif. lib. S. cap. 3.), d'accord avec Solo, réprouve cette doctrine, et dit que, quoiqu'elle diffère beaucoup de l'hérésie de Luther, néanmoins c'est avec raison qu'on la lient pour erronée, puisque le con-cile a dit : « Quilibet de sua gratia timere potest cum » nullus scire valeat cerliludine fidei se gratiam Dei esse » consecutum. » Catharin répondit à Solo, que le concile parlait de celte foi qui ne laisse pas supposer l'erreur, telle qu'est la foi catholique, el que pour cela, après les mots certitudine fidei, le concile avait ajouté : « Cui non » potest subesse falsum : » mais que lui, Calharin, par-lait de la foi particulière, qui pouvait admettre l'erreur, puisqu'elle s'appliquait à un objet non décidé par l'E-glise. Bellarmin réplique qu'il y a contradiction à ce qu'une chose soit révélée de Dieu el puisse être fausse, puisque la foi divine est absolument infaillible : si donc elle pouvait être fausse, elle ne serait jamais un vrai motif de foi.
LVIII. Le canon 12 el les suivans appartiennent à ce chapitre : « Si quis dixerit, fidem juslificantem, nihil » aliud esse, quam fiduciam divinae misericordiae, pec-» cala remiltentem propter Christum, vel eam fiduciam «solam esse, qua justificamur : anathema sit. »
LIX. Can. 15 : « Si quis dixerit, omni homini ad re-» missionem peccatorum assequendam necessarium esse, » ut credat certo, et absque ulla haesitatione propriae in-» firmitatis, et indisposilionis peccata sibi esse remissa : » anathema sit. »
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IX Can. 14 : « Si quis dixerit, hominem a peccatis » absolvi, ac juslificari ex eo quod se absolvi, ac juslifi-» cari cerlo credat; aul neminem vere esse iustificatum, » nisi qui credat se esse iustificatum, et hac sola fide ab-» solutionem, et iustificationem perfici : anathema sit. »
LXI. Can. 28 : « Si quis dixerit, amissa per pecca-» tum gratia, simul et fidem semper amitti: aut fidem » quae remanet, non esse veram fidem, licet non sit viva ; » aul eum, qui fidem sine charitale habeat, non esse » christianum : anathema sit. »
LXII. Le dixième chapitre traite de l'augmentation de la justification reçue par le moyen des bonnes œuvres ; il s'exprime ainsi : « Sic ergo juslificali euntes de virtute » in virtutem, etc., etc., per observationem mandatorum » Dei, et Ecclesiae, inipsa justitia per Christi gratiam ac-» cepta, cooperante fide, bonis operibus crescunt; atque » magis iustificantur. »
LXIII. Le canon 24 suivant appartient à ce chapitre : « Si quis dixerit justitiam acceptam non conservari, atque » etiam augeri coram Deo per bona opera, sed opera ipsa » fructus solummodo, et signa esse .iustificationis adepta, » non autem ipsius agendae causam : anathema sit »
LXIV. Dans le chap. 11, on établit la nécessité pour le salut de l'observation des commandemens, lesquels, avec l'aide de la grâce divine, sont toujours possibles à l'homme : « Nemo .autem quamvis iustificatus liberum » se esse ab observatione mandatorum putare debet. Nemo » temeraria illa voce uti, Dei praecepta homini iustificato »ad observandum esse impossibilia. Nam Deusimpossi-» bilia non jubel, sed jubendo monet et facere quod pos-* sis et petere quod non possis, et adjuvat ut possis. « Toul ce passage est de S. Augustin (de natur, et gr.
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e. 43), excepté les dernières paroles, « et adjuvat ut pos-» sis, » lesquelles au reste se retrouvent dans d'autres endroits des œuvres de ce saint ; et elles furent avec raison ajoutées ici pour démontrer que l'impossibilité de l'ac-complissement ne peut venir que du défaut de nos prières.
LXV. Et comme les novateurs opposaient certaines paroles de l'Ecriture, savoir que le juste pèche journelle-ment , et qu'ainsi chaque jour nous devons demander la rémission de nos fautes, le concile répond : « Licet enim, » in hac mortali vita quantumvis sancti, in levia saltem » et quotidiana, quae venialia dicuntur, peccata quando-» que cadunt, non propterea desinunt esse jusli ; nam » jusii ipsi eo magis se obligatos ad ambulandum in via » jusiilise sentire debent, quo liberali a peccato pie vi-» venies proficere possint, etc. Deus namque sua gratia » semel justificalos non deserit, nisi ab eis prius dese-» ralur.
Ici Palavicin avertit que le concile, par ces dernières paroles, n'entend point dire que Dieu nous abandonne en nous enlevant l'habitude de la grâce et rompant l'alliance contractée, mais qu'il a voulu déclarer que si nous ne l'offensons pas d'abord, lui ne nous abandonne pas en nous privant de sa grâce actuelle. Celte observa-lion est confirmée par la première rédaction du décret, où se trouvaient d'autres paroles qui désignaient expressé-ment la grâce -actuelle de l'aide de Dieu et non l'habi-tuelle de la forme justifiante ; car on y disait, « que cette » grâce faisait souvent que Dieu n'était pas abandonné » et que celui qui l'abandonnait retournait à lui, » les-quelles paroles ne pouvaient certainement s'entendre que de la grâce actuelle : Palavicin assure qu'elles ne furent retranchées que par un motif de concision.
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                        275
LXVI. Il est dit ensuite : « Itaque nemo sibi in sola » fide blandiri debel, putans fide sola se haeredem esse » constitutum, etiamsi Christo non compatiatur, etc. » Propterea apostolus monel iustificatos dicens : castigo » corpus meum, et in servitutem redigo, ne forte cum » aliis praedicaverim, ipse reprobus efficiar. » (l. Cor. 9.) De même, S. Pierre : « Satagite, ut per bona opera cer-» tam vestram vocationem et electionem faciatis. » ( II. Petr. 1.) « Unde constat eos orthodoxae doctrinae adver-» sari, qui dicunt justum in omni bono opere saltem ve-» nialiter peccare, aut, quod intolerabilius est, poenas » aeternas mereri ; atque etiam eos, qui statuunt in omni-» bus operibus justos peccare ; si in illis mercedem quo-» que intuentur aeternam, etc. »
LXV1I. De là les canons suivans furent formulés. Can. 18. « Si quis dixerit, Dei praecepta homini etiam juslifi-» cato, et sub gratia constituto, esse ad observandum im-» possibilia : anathema sit. »
LXVIII. Can. 49. Si quis dixerit, nihil praeceptum » esse in Evangelio praeter fidem, cetera esse iridifferen-» tia neque praecepta, neque prohibita, sed libera ; aut » decem praecepta nihil pertinere ad christianos : ana-» thema sit. »
LXIX. Can. 20. « Si quis hominem justificalum, et » quanlum Iibet perfectum dixerit non teneri ad obser-» vanliam mandatorum Dei, et Elcclesiae, sed tantum ad * credendum : quasi vero Evangelium sit nuda, et abso-» luta promissio vitae eternae, sine conditione observatio-» nis mandatoium : anathema sit. »
LXX. Can. 21. « Si quis dixerit, Christum Jesura a » Deo hominibus datum  fuisse ul  redemptorem, cui xix.                                                           18
274                                       TRAITÉ
» fidant, non eliam ul legislatorem, cui obediant : ana-» thema bit. »
LXXI. Can. 22. « Si quis in quolibet bono opere jus-» tum saltem venialiter peccare dkerit, aut, quod into-» lerabilius est» mortaliter; atque ideo poenas aeternas, » meieri ; tantumque ob id non damnari, quia' Deus * ea opera non imputai ad damnationem : anathema sit.» ? LXXII. Can. 51. « Si quis dixerit juslificalum pec-» care, dum intuitu aeternae mercedis bene operalur : » anathema sit. »
LXX1II. Dans lechap. 12, on déclare téméraire la pré-somptiun delà prédestination, sans îévélaiion speculo : « Nemo praesumere dt-bel, ul certo stniuat se esse in nu-» meio piœdeslinjtorum, quasi quod juslificalus amplius » peccare non possit ; aut si peccavent, certam sibi ? es>i-» pisceiiiiam promilleie debeat, nam nisi ex speciali » ìevelatione scire non potest, quod Deus sibi elegerit. >
LXX1V. C'est encore à ce chap. qu'appartiennent le can. 47. « Si quis iustificationis gratiam, nonnisi prae-» destinatis ad vitam contingere dixerit, reliquos vero » omnes qui vocantur, vocari quidem, sed gratiam non » accipere utpote divina potestate praedestinatos ad ma-» Ium : anathema sit. »
Et le can. 30. « Si quis posl acceptam iustificationis » gratiam cuilibet peccatori poenitenti ita culpam remitti, y> et reatum aeternas poenae deleri dixerit, ul nullus re-» maneat reatus poenas temporalis exsolvendae vel in hoc » seculo, vel in futuro purgatorio, antequam ad régna » coelorum aditus patere possit : anathema sit. »
LXXV. Dans le chap. IS, il est question du don de !a persévérance. Les novateurs disent que îa justice taraffoii. obtenue ne peut plus être perdue ; mais les Écritures leur.
sont évidemment opposées : « Cum avertent se jusluj, a » justiti.» sua, et fecerit iniquitatem, morie ur in illa. » (Ezech. 18.) On lit encore dans ce chap. 18 a'Ezéch. ver-set 24 : « Si autem averterit se juslus a justifia sua et fe-» cerit iniquitatem... Omnes jissiilias ejus, quas fecerat,
•  non recordabuntur. » II y a d'ailleurs plusieurs exem-ples dans l'Ecriture de justes qui, par leuis foules, ont perdu leur état de justes, comme David, S. Pierre, etc. Les enfans certainement sont justifiés par le baptême (Calvin dit au contraire, mais héréliquemept, que tous les enfans des fidèles naissent justes, et qu'ensuite étant baptisés adultes, ils ne peuvent perdre la grâce ni se damner); mais combien parmi eux parvenus à l'ado-lescence perdent la justice? L'expérience ne le démontre que trop. S. Paul dit (I Cor. 6) : « Regnum Dei non pos-» sidebunt ; » et ici il parle des péchés des (idoles. De tout cela il suit que tout baptisé peut perdre l'innocence
.et.se damner : il suit encore que lu justice {l'appartient pas aux seuls élus, comme le prétend Calvin.
•    LXXVI. On oppose ce passage de S. Jean    « Qui na· > lus est ex Deo, peccatum non facit, quoniam semen » illius in eo manet et non potest peccare. » ( I. Jo. 3 ) S. Jean dit bien que celui qui est né de Dieu ne peut pé-cher; mais cela s'entend s'il agit comme fil s de Dieu, parce qu'alors la semence de Dieu, c'esl-à-d re la cha-lité, qui nâ peut exister avec Je péché, éloigne e péché de son ame. Mais s'il vient à agir comme fils d'Acam, certes alorsil peut pécher, ainsi que l'explique S. Augustin sur ce passage cité de S. Jean.
JLXXV1I.Aussi le concile dit-il que nous i[< vous tous espérer la persévérance en Dieu, mais que chacun doit craindre de la perdre : « Similiter de persévéra ? lise mu»
%~·5                                        TRAITÉ
» nere nemo sibi certi aliquid absoluta certitudine pol-» liceatur; lamelsi in Dei auxilio firmissimam spemcol-» locare et reponere omnes debent ; Deus enim, nisi ipsi » illius gratiae defuerint, sicut coepit opus bonum, ita » perficiet, operans velle et perficere. Verumtamen, qui » existimant stare videant ne cadant, et cum timore et » tremore salutem suam operentur. »
LXXVIII. A ce chapitre 13 correspondent le can. 10. « Si quis magnum illud usque in finem perseverantiae » donum se certo habiturum , absoluta et infallibili cer-» titudine dixerit ; nisi hoc ex speciali revelatione didice-» cerit : anathema sit. »
LXXIX. Can. 22. « Si quis dixerit, juslificatum vel » sine speciali auxilio Dei in accepta juslilia perseverare » posse, vel cum eo non posse : anathema sit. » Ce canon réprouve l'opinion de Jean Fonseca, évêque de Castella-mare, qui disait que l'homme juste n'a pas besoin ordi-nairement d'un secours spécial pour observer les com-raandemens, mais qu'il suffisait du secours général qui n'est refusé à aucun juste, et que le secours spécial n'était nécessaire que pour l'observation de quelque précepte d'une difficulté extraordinaire.
LXXX. Can. 25. « Si quis hominem semel justifica-» tum dixerit amplius peccare non posse, neijue gratiam » amittere, atque ideo eum, qui labitur, et peccat, nun-» quam vere fuisse justificaium; aut contra, posse in tota ï vita peccata omnia, etiam venialia, vitare, nisi ex spe-» ciali Dei privilegio, quemadmodum de beata Virgine » tenet Ecclesia : anathema sit. »
LXXXI· L6 chap. 14 traite du mode d'après lequel ceux qui ont perdu la grâce peuvent la recouvrer, et il y est dit :  - Qui vero ab accepta justifìcalionis gratia per
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                         277
» peccatum exciderunt, rursus justificari poterunt per ».poenitentiae, sacramentum ; etenim Christus iesus sa-» cramentum instituit, poenitentiae, cum dixit : Accipite » Spiritum Sanctum, quorum remiseritis peccata, remit-» tentur eis. Unde docendum est, christiani poenitentiam. »,aliam esse a baptismali : eamque continere non modo « cessationem a peccatis, et detestationem eorum, verum » etiam eorumdem sacramentalem confessionem, saltem ? in volo, et suo tempore faciendam, et sacerdotalem » absolutionem. Itemque satisfactionem, per jejunia, tlc, » Non quidem pro poena aeterna, quae cum culpa remit-» lilur, sed pro poena temporali, quœ non tota semper, sut in baptismo fit, dimittitur illis, etc. »
LXXXII. De là suit le can. 29. « Si quis dixerit, eum, » qui post baptismum lapsus est, non posse per Dei gra-» liara resurgere ; aut posse quidem, sed sola fide amis-» sam justitiam recuperare sine sacramenlo poenitentiae, » prout sancta romana, et universalis Ecclesia, a Christo » Domino, et ejus apostolis edocta, hucusque professa » est, servavit, et docuit : anathema sit. »
LXXXIII. Dans le chapitre 15, il est dit que tout péché mortel fait perdre la grâce, mais non la foi. « Non modo » infidelitate, sed etiam quocumque alio mortali peccato » gratiam amitti, etc. » Quelques-uns voulaient qu'on ne mît pas infidelitate, mais apostasia; mais le mol fut laissé pour l'opposer aux paroles mêmes de Luther, qui se ser-vait de ce terme infidelitate.
? LXXXIV. De là le can. 27. « Si quis dixerit, nullum » esse mortale peccatum, nisi infidelitatis, aut nui'o alio, » quantumvis gravi, et enormi, praeterquam infidelitatis, • peccato, semel acceptam gratiam amitti : anathema sit.»
LXXXY, Can. 28. « Si quis dixerit, amissa per pecca-
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» tum gratia, simul ei fidem semper amitti-: aut fidem, » quse permanet, non essse Veram fidem , licet non sit «viva; aut eum, qui fidem sine caritate habei, non esse » Christianum : anathema sit. »
LXXXVI. Le chapitre 4 6 traite du mérité des bonnes œuvres. Il est bon, pour l'intelligence de ce chapilie, d'é-tablir la distinction du mérile de condigno avec le mérite de congruo, et les conditions de l'un et de l'autre. Le mé-rite de condigno est celui auquel, d'après la promesse'de Dieu, la récompense est due par justice. Le mérité de con~ gruo est celui auquel Dieu accorde quelque faveur,' non point par justice, mais par une soric de convenance.
LXXXVII. Pour* le mérite dé condigno, trois conditions sont requises* : l'une à l'égard de l'opérant, l'autre a l'é-gard de l'œuvie, et la troisième à l'égard de Dieu. A l'é-gard ûc l'opérant, ii faut qu'il soit juste et en voie; s'il est séparé de Dieu, il ne peut plus acquérir aucun mé-rite « Sicut palmes (dit le Seigneui) non potest ferre friïc-» tum a semetipso, nisi manserit in vite ; sic et vos nisi io » me manseritis. » (Jo. xv. 4.) H doit aussi être en voie, parce qu'après la mort l'homme est sorti également de la voie cl ne peut plus avoir ni méritent démérite. G'esl pour-quoi Papoue recommandait de faire le bien pendant la vie, parce qu'après la mort aucun mérite ne peut plus être acquis : « Ecce nunc tempus acceptabile, ecce nunc *> dies salutis. » (II. Cor. vi.) « Dum tempus habemus, » operemur bonum. » (Gal. vi. 88.)
LXXXV1H. A l'égard de l'œuvre, il faut qu'elle soit digne, qu'elle procède d'un motif surnaturel, et qu'elle soit rap-portée àDieu, au moins par intention virtuelle, alors qu'elto est opérée,'commelc disentSylvius et Suarez.il faut encore qu'elles^! faite, non par aucune nécessité simpleou relative.
 LES  HHRÉTIQUES.                        279
mais ayec pleine et entière liberté; d'où il suit que la libera-de coaction ne suffit pas, comme le prétendait Jansenius, car cela a été condamné dans sa troisième proposition.
LXXXIX. Enfin, à l'égard de Dieu, il faut le pacte, c'esl-à-dire sa promesse ; car il ne peut exister pour Dieu aucune cbligalion de rémunérer que par suile de sa seule promesse. S- Augustin écrit (in psalm. 83) : « Debilorem »JDominusipse se fecit, non accipiendo, sed promiitendo. » ,??? ei dicimus : redde quod accepisti, sed rcdde quod » promisisti. »
. XC. Quant au mérite de congruo, il faut que l'oeu-vre soit digne, libre et surnaturelle; mais à l'égard de l'opérant, il n'est pas nécessaire qu'il se trouve en grâce, parce que l'acte même de piélé le dispose à recevoir la giâce. il n'es! pas non plus besoin à l'égard de Dieu d'une promesse, parce que l'œuvre surnatureUement digne a par elle-même la congruilé d'obtenir de Dieu la fdvenr qui lui convient de congruo.
XCI. Les luthériens et les calvinistes disent, non-seule-ment que la foi seule justifie, mais que toutes les œuvres des justes, loin d'êlre méritoires, sont au Contraire de véri-tables péchés, étant opérées sous l'influence du péché d'A-dain , qui rend mauvaises toutes les œuvres de ses dôs-cendans; seulement, ajoutent-ils, ces péchés-là ne leur sont pas imputés. Mais on oppose a celte doctrine l'évan-gile où le Seigneur dit : « Gaudete, quoniam merces VPS-»tra copiosa est in coelis.» (Mallh.v)'La récompense sup-pose les bonnes œuvres et le viai mérite.
. XC1I. Mais, disent-ils, on trouve dans Isaïe (chap. uiv): » Quasi pannus men-irualse omnes justiluenoslise. » On répond qu'il ne s'agit pas ici des œuvres des justes, mais des forfaits que les Hébreux commettaient en ce temps-
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là, et qui devaient les faire tomber au pouvoir du roi de Babylone, comme l'explique S. Cyrille sur ce passage. Du reste, Jésus-Christ lui-même a déclaré la bonté des œuvres des justes, lorsqu'il a dit : « Sic luceat lux vestra coram » hominibus, ut videant opera veslra bona, et glorificent » patrem vestrum. » (Matih.) Aussi, S. Pierre dit : « Qua-» propter, fratres, magis satagite, ut per bona opera cer-» tam vestram vocationem et electionem faciatis.» (II. Petr. i. 10.) Si toutes les œuvres étaient des péchés, ce serait aussi un péché que l'exercice de la foi par laquelle seule nos adversaires disent eux-mêmes que l'homme est justifié. Ce serait aussi un péché que cette demande du pardon, «dimilte nobis debita nostra;» en sorle que par le péché même l'homme parviendrait à être justifié, en obtenant par le moyen de celle prière (qui étant œuvre de l'homme tombé serait elle-même coupable) la rémis-sion de ses fautes ; absurdités intolérables.
XCIII. Ils répliquent : Mais en admettant le mérite de l'homme, on écarte les mérites de Jésus-Christ. Un mot suffit pour répondre : c'est que les mérites des justes ti-rent leur vertu non d'eux-mêmes, mais de ceux de Jésus-Christ, d'où provient toute la bonté des premiers.
XCIV. Ils opposent encore ces paroles de Jésus-Christ à ses disciples : « Cum feceritis omnia quœ praecepta sunt » vobis, dicite: Servi inutiles sumus, quod debuimusfa-» cere, fecimus. » (Luc. xvn. 40.) Donc, disent-ils, les œuvres des justes ne sont pas véritablement méritoires. On répond qu'elles sont dites inutiles, non parce qu'elles ne servent pas pour mériter, mais parce qu'elles n'au-raient aucune valeur sans la grâce, et que sans la pro-messe divine elles ne seraient aucunement utiles au sa-lut : d'autant que dans toutes nos bonnes œuvres nous
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                        281
ne fesonsiien que ce que nous sommes tenus de faire.
XCV. Mais écoulons maintenant ce qu'enseigne le con-cile: « Iustificatis, sive acceptam gratiam conservaverint, » sive amissam recuperaverint, proponenda est vita aeterna, » et tanquam gratia filiis Dei per Christum Jesum pro-» missa ; et tanquam merces ex ipsius Dei promissione » ipsorum meritis reddenda, etc.; cum enim ipse Chris-» tus Jésus tanquam caput in membra ; et vitis in pal-» mites in ipsos juslificatos jugiter virtutem influat : quae » virtus bona eorum opera semper antecedit, comitatur, » et subsequitur : et sine qua nullo pacto Deo grala, et » meritoria esse possent, nihil juslificalis amplius deesse » credendum est, quo divinae legis satisfecisse, et vitam «œternam, si in gratia decesserint, consequendam, vere «promeruisse censeantur, etc. Ita neque propria justilia, » tanquam ex nobis propria statuitur : neque requiritur » jusliiia Dei : quae etiam juslilia nostra dicilur, quia per » eam nobis inhaerentem juslificamur, illa eadem Dei est, » quia a Deo nobis infunditur per Christi meritum, quod » sicut bonis operibus merces tribuatur, etc., absit tamen » ut christianus in seipso vel confidat vel glorietur et non » in Domino : cujus tanta est erga homines bonitas, ut » eorum velit esse merita, quae sunt ipsius dona, etc. » Les paroles de ce chapitre sont toutes prises de l'Écriture ou des saints, et spécialement de S. Augustin.
XCVI. A ce chapitre correspondent les can. 26. « Si quis » dixerit, justos non debere pro bonis operibus , quae in » Deo fuerint facta , expectare et sperare aeternam relri-» butionem a Deo per ejus misericordiam, et Jesu Christi » meritum, si bene agendo, et divina mandata custo-» diendo, usque in finem perseveraverint : anathema sit. »
XCVH. Can. 31. « Si quis dixerit, iustificatum pec-
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» cave, dum inluilu aeternae mifcedis bene operatur :
» anathema sit. »
XGVIII. Can. 32. « Si quis dixerit, hominis justificati » bona opera ita esse dona Dei, ut non sint eliam bona » ipsius juslifìeali merìla ; aut ipsum juslificatum bonis » opeiibus, quae ab eo per Dei giatiam, et JesuChrisli » meritum, cujus vivum membrum est, fiunt, non vere » mereri augmentum gratiae, vitam aeternam, et ipsius » vitae aeternae (si tamen in gratia decesserit) eonsecu-» tionem, atque etiam glorias augmentum : anathema s sit. »
XC1X. De là, se déduit la fausseté de ce que disent les novateurs, que la justice est égale dans tous les justes (Luther proférait le blasphème que sa femme était sainte à l'égal de la bienheureuse Vierge), puisque S. Jean dit que la justice peut s'accroître : « Qui juslus est, juslifi-» celur adhuc, et qui sanctus est, sanctificetur adhuc. » (Apoc. cap. ull.) Si donc la justice peut croître dans cha-que juste selon sa propre coopéra lion, les justes ne peu-vent avoir tous un égal mérile.
Can. 33. * Si quis dixerit, por hanc doctrinam caiho-» licam de iustificatione, a sancta synodo hoc praesenti » decreto expressam, aliqua ex parte gloriae Dei, vel me-» rilis Jesu Christi Domini noslii derogari, et non potius » veri talem fidei nostrae, Dei denique ac Christi Jesu glo-» riam illustrari : anathema sit. »
COJSTBE  LES   HÉRÉTIQUES.                         283
TRAITÉ SUPPLÉMENTAIRE.
nu MODE D OPERATIO»; DE LA «RACE.
C. Nous avons parié jusqu'ici, on suivanl les décisions du concile, de la justification et du mérite qui sont les effets de la grâee : j'ai pensé qu'il sortiri agréable ati lec-teur que j'exposasse Ifs divers systèmes des theologicas touchant le mode d'opération de la giâce. C'est ce que je vais faire succintemenl, ei je terminerai en disant quelle est la doctrine quo j'ai adoptée, et qui me paraît la plus probable et la plus raisonnable do toutes.
CI. Il y a sept systèmes au moins principaux sur celle malièie : 1° le s}Mème des ihomistes; 2« celui de Mo-lina; 5° des'congruistes ; 4° de Thomassin ; 5° des au-gusliniens; 6° du P. Berti; 7° du cardinal de INoris et de Tournely, que j'ai t,uivi. Commençons suivant l'ordre in-diqué, par lesytèmedes thomistes.
§ Ier. Du système des thoinisies.
Cil. Les thomistes, aussi bien que toutes les autres écoles, distinguent la giâce suffisante delà grâce efficace. La suffisante ou autrement grâce excitante, est celle qui meut h volonté de l'homme el lui confère la force de pouvoir choisir et agir. Mais une telle faculté ne peut ce-
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pendant se résoudre en acte si on ne reçoit aussi de Dieu le secours efficace et physiquement prémouvanl appelé secours quo pour le distinguer du secours sine quo, qui est attribué à la grâce suffisante. De sorte, qu'avec le se-cours de la grâce suffisante, on obtient seulement les bons désirs et autres pieux mouvemens de la volonté, mais indécis, et qui n'ont pas d'effet complet. Au con-traire, avec le secours delà grâce efficace on obtient l'ac-complissement actuel de l'œuvre, de façon que la grâce efficace applique physiquement la volonté de l'homme, et à la détermination à l'acte et à l'exécution de l'œuvre.
CUI. Ils disent que cette grâce a toujours été nécessaire aussi bien dans l'étal de la nature innocente que dans ce-lui de la nature corrompue; par la raison que toute vo-lonté créée doit, quoique libre, rester dans la dépendance de la volonté de Dieu, qui est le principe de toute li-berté. Ils disent de plus que dans l'état présent de la na-ture déchue, il est encore nécessaire que la grâce efficace soit aussi médicinale, comme donnée par Jésus-Christ, ti-tulo infirmitatis, parce que bien que par l'aide de la grâce suffisante, l'homme ail la puissance de faire le bien, néanmoins, à cause de l'infirmité contractée par le genre humain avec le péché d'Adam, elle ne vaincrait jamais les obstacles si elle n'était appuyée du secours de la grâce efficace médicinale. Ainsi parlent Cajélan, Alvarez, Le-mos et autres.
CIV. Les thomisles fondent leur principal système de la prédétermination physique sur la raison que Dieu est la première cause et le premier moteur des actes de la vo-lonté créée ; et que comme celui qui a le pouvoir suprême et absolu sur tout pont selon sa volonté lotile-puissanle diriger la nôtre où il veut; ainsi Dieu comme causepre-
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                         285
mière détermine les causes secondes» c'est-à-dire la vo-lonté créée et l'applique à l'acte.
Exposition des difficultés opposées au système des thomistes.
GV. ïe dois avertir qu'en exposant les objections faites aux systèmes désignés, je n'entends pas examiner à fond chaque système, mais en donner seulement un aperçu et faire connaître les difficultés principales qu'ils rencon-trent.
CVI. La plus forte objection faite au système des tho-mistes, c'est qu'en l'admettant on ne peut plus com-prendre comment avec la prédétermination physique, l'efficacité de la grâce peut encore s'accorder avec la li-berté de la volonté humaine. Voilà ce que démontre par deux argumens Honoré Tournely (dans son traité de théo-logie, tom. 5. par. 2. art. 3. § 5. p. 425). Son premier argument est celui-ci : ce qui procède de toute détermina-tion de la volonté d'un autre et a une connexion méta-physique certaine avec cette détermination ou volilion, semble détruire notre liberté ; et telle est la grâce efficace prédéterminante des thomistes. On sait qu'ils répondent par la distinction de la puissance et de l'acte, et celle de la puissance dans le sens composé et dans le sens divisé, mais avec tout cela la liberté de l'homme ne reste pas suffisamment intelligible. Thomassin écrit (tract, degrat. «ap. 8) : « Si enim haec auxilia proximam dant pole&ta-» tem, qui fit ut praeceptum observet nemo ? aut quo-» modo vere sufficientes sunt, si praeterea gratia efficax » est necessaria? Non habet potestatem sufficientem, cui » deest auxilium necessarium. » Gomment ponvons-nous comprendre,  dit Thomassin,   que  la grâce suffisante
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donne la vraie puissance d'observer le précepte quand pour réduire en acle celle puissance, la grâce efficace est encore nécessaire? Et si la giâce efficace est nécessaire pour réduire en acle la puissance, comment concevoir que la grâce suffisante soit réellement suffisante? Et voilà ce qui rend inintelligible comment dans un tel système la volonté humaine reste en effet libre,
CVII. Le second argument est celui-ci : on ne peut repu 1er coupable celui qui n'accomplit pas le précepte lorsqu'il est privé de ce qui est absolument nécessaire pour cet accomplissement. Or dans le système de la pré-motion physique nécessaire à l'accomplissement actuel du précepte, si l'homme n'a pas une telle giâce efficace, il se trouve privé du secours nécessaire. Donc en n'ac-compb'ssant pas le précepte, il no peut être inculpé puis-qu'il est pri\é du secours nécessaire pour cet accomplis-sement.
CVI1Ï. A ces deux argumens on en ajoute un troisième tiré de l'obligation d'avoir l'espérance chrétienne. L'es-pérance de la vie éternelle et de la grâce requise pour l'obtenir, doit être en nous ferme et certaine. S. Thomas dit (2. 2. qu.18. a. 4.): « Spes est certa expectatiobeati-* tiiudinis. » Le concile de Trente parle de même (Sess. 6. cap....) : « In Dei auxilio firmissimam spem collocate et » reponere omnesdebent.» Auparavant S. Paul avait écrit: « Sciocuicredidi, et certus sum, quia potens est depositum » meum servare. s> (IL Tim. ?.) L'espérance humaine peut bien n'être qu'une attente incertaine, puisqu'elle dépend de la volonté changeante de l'homme qui a pro-mis ; mais l'espérance chrétienne s'appuyanl sur la pro-messe de Dieu, qui est immuable, est ainsi certaine, et la ciainte de ne pas obtenir la vie éternelle, ne peut avoir
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de fondement que de noire part, si nous mettons obstacle à la grâce divine. C'est pourquoi le Seigneur a voulu que nous soyons toujours dans la crainie de nous-mêmts, mais que nous ayons une ferme espérance en lui pour noire salut, si nous ne tombons pas en faute, el que nous croyons· qu'il peut cl \eul nous sauver. Mais en oulre du précepte de l'espérance, Dieu nous a imposé celui de la prière : « Petite ef accipietis. » A la fin de ce supplément, nous prouverons, selon notre système, que Dieu donne à tous la grâce suffisante de prier actuellement, si nous le voulons, et par la prière d'obtenir ensuite la" grâce efficace, "pour accomplir les préceptes et spécialement celui de l'espérance; mais si la grâce suffisante n'a point lu vertu de nous faire prier actuellement, comme disent les tho-mistes, ot si pour l'acte de la prière il fallait encorel.i grâce effwace, laquelle n'est point donnée à tous ; di.ns ce cas nous n'avons aucun fondemeut certain en Dieu d'espérer la béatitude éternelle, et notre incertitude viendrait encore de la part de Dieu, et alors voilà l'espérance chrétienne détruite, laquelle pourtant, suivant l'apôtre, doit ôlre ferme et assurée : « Qui confugimus ad tenendam pro-» positam spem, quam sicnl ancoram habemus animas » tutam ac firmam. » (Hebr. vi, 48.)
C1X. Je le dis, en vérité, si j'adoptais le système de ceux qui nient que la grâce suffisante ait la force de faire actuellement piier sans autre secoure, de sorte qu'il fallût eu outre la grâce efficace de prier, comme disent les tho-mistes el le P. Beïli, selon leus système, je ne saurais vraiment comment faire un acte d'espérance, parce que tout en m'appuyanl sur la toute-puissance, la misericorde et la fidélité de Dieu, je devrais encortì me fonder SUHJ confiance d'obtenir la grâce efficace de prier; bien qu'or-
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djnairement, comme l'enseigne S. Augustin, Dieu n'ac-corde ses giâces qu'à ceux qui le prient. Mais pour celte grâce efficace de prier nous n'avons point de pio-messe de Dieu, et il est certain que les grâces efficaces ne se donnent point à tous ; je ne pourrais donc faire que cet acte conditionnel d'espérance : « Si Dieu me donne la grâce efficace de prier, j'espère, par le moyen de la prière, si je veux la pratiquer, d'obtenir la grâce efficace, d'accomplir et le précepte de l'espérance et tous les autres, et de me sauver ; mais si Dieu ne veut pas m'accorder la grâce efficace de prier, comme il n'est point tenu de me la donner, alors je n'aurai plus aucun moyen, pas même celui de la prière, pour obtenir la force d'accomplir ni le précepte de l'espérance, ni les autres, et dans ce cas, je ne peux espérer de me sauver. »
§ II. Du système de Molina.
CX. Le P. Molina, dans sa Concorde, n'admet point le système de la grâce efficace par elle-même et ab intrinseco, le regardant comme opposé à la liberté de l'homme; et il veut que dans tout état de nature innocente ou corrompue, toute grâce actuelle, telle que celle qui provient de Dieu, suffise pour conférer à notre volonté la force d'opérer ac-tuellement, avec la pleine liberté de pouvoir à son choix y adhérer, sans aucun autre secours, ou ne pas y adhérer, de sorte que quand l'homme y adhère, il la rend efficace, et quand il n'y adhère pas, il la rend inefficace.
Qfl> Ainsi s'exprime Molina (In Concordia, q· 14· a. IS. disp. 40.). Voici ses propres paroles : « Illud auxilium » inefficax dicatur, cum quo arbitrium pro sua libertate » non convertitur, cum potuerit converti, alioquin tale
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«auxilium sufficiens non esset ad conversionem. » La même opinion a pour défenseurs Lessius, Valenlia el au-tres seclaieurs. Ainsi la grâce suffisante el la giâce efficace n'ont aucune différence pour eux, puisque l'efficace n'a rieu de plus que la suffisante; mais que la grâce devient efficace ou inefficace, suivant que la volonté de l'homme ? y adhère ou lui résiste, elparlà la volonlé est entièrement libre pour l'assentiment ou le dissentiment. De cette ma-nière, la moindre grâce est aussi efficace que la plus grande.
??1?. Il dit ensuite que le consenlemeni de notre vo-lonté ne donne pas la force à la grâce et ne la rend, pas efficace dès l'acte premier, puisque toute la forec de la grâce vient de Dieu ; mais le consentement, qui dépend de notre volonlé, détermine la grâce ; el il esl la condition, posé laquelle la grâce est rendue efficace dans l'acte se-cond ; de môme que les sacremens sont bien efficaces in actu primo, mais il dépend des dispositions de celui qui les reçoit qu'ils deviennent efficaces in actu secundo et produisent la grâce. Il dit encore que l'homme paria grâce prévenante obtient un mouvement pieux dans sa volonlé., mouvement qui le sollicite à consentir; puis, avec la grâce coopérante, il consent de pleine volonlé et opère actuellement.                                                             .
CXIII. Touie la différence entre la grâce efficace des thomistes el celle de Molina consiste donc en ce que les tho-mistes, outre l'influence de la grâce excitante, veulent, afin que la grâce soit efficace, la prémolion physiquediviuean· térieure de nature et de causalité", laquelle ÌJéìwrVnine'phy-siquemcnile consentement. Molina au contraire veut que cette action physique divine ne soil pas antérieure, mais simultanée avec l'action de la volonté.
Molina dit aussi que dans l'état d'innocence la grâce XIV·                                                                   19
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accordée aux anges et à l'homme ne fut pas purement efficace ab intrinseco, mais fut \ersatile et efficace ab eventu, comme elle est àt présent. H ajoute qu'il n'y a point de prédestination sans prévision des mérites, ni réproba-tion sans prévision des péchés. Il établit de plus qu'il n'y a point, comme disent les thomisies, de décrets absolus, efficaces par eux-mêmes, et qui précéderaient la détermi-nation libre de la volonté.
CX1V. Parlant ensuite de la manière dont Dieu décrète le salut de chaquebomme, il établit la science médiate, et dît que le Seigneur, parla science de simple intelligence, voit tout ce qui est possible et tes combinaisons infinies des choses; d'un autre côté, par la science de vision , il connaît toulcequi doit être. Il dit ensuite que Dieu, par la science médiate, voit les futurs condilionnels, et con-naît ainsi ce que l'homme placé dans telle ou telle cir-constance fera avec telle ou telle grâce, et par là il porte son décret absolu de donner à l'homme la grâce avec la-quelle il fera le bien et y persévérera, et sans laquelle il omettra de faire le bien ou au moins n'aura pas la per-sévérance. Ainsi, pour conclure, Molina fait reposer toute l'efficacité de la grâce dans la détermination de la volonté humaine, et l'enlève à la détermination de la volonté divine ; mais là gît la principale difficulté qui s'oppose à sa doctrine, Comme nous allons le voir.
Difficulté opposée au système de Molina.
CXV. On ne nie pas que dans le système de Molina la grâce ne se concilie mieux avec la liberté; mais il se rencontre une bien grande difficulté, c'est qu'une telle doctrine n'est point conforme aux divines Écritures, les-
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.
quelles, au moins pour l'étal présent de la nature déchue, expriment trop clairement que la grâce est efficace par elle-même et ab intrinseco, et non parle consentement de la volonté, et que la grâce est la cause qui détermine la volonté et lui fait opérer le bien. Comment avec cela peut-on dire que l'efficace de la grâce ne blesse en rien la li-berté de l'homme ? nous le verrons dans le dernier sys-tème, qui est celui que nous défendons. Voici les passages de l'Écriture qui nous font connaître clairement que la grâce ne devient point efficace ab extrinseco, c'est à dire par la détermination de la volonté humaine ; mais ab in-trinseco, c'est-à-dire que la volonté de Dieu détermine notre volonté, et que l'action de la grâce nous fait opérer le bien. CXVL Commençons par citer les passages qui le dé-montrent. S. Paul écrit : « Ipsius enim sumus factura, » creati in Christo Jesu in operibus bonis, quae prsepa-» ravit Deus ut in illis ambulemus. » (Ad Ephes. u. 10.) Notez ces mois : « creati in operibus bonis. » Si nous som-mes créés dans les bonnes oeuvres, Dieu a donc fait par son décret que nos œuvres eussent l'effet qu'elles ont. Il y a de plus, « quae praeparavit Deus : » or si Dieu prépare nos bonnes œuvres, il a donc prédestiné celles que nous de-vions faire. Enfin, il est dit : « ut in illis ambulemus; » il a préparé nosbonnesœuvres, non parce qu'ilaprévuquenous nous y porterions, mais parce qu'il fait par sa volonté que nous nous y portons. Le Seigneur parle de même dans Eze-chiel (xxxvi. 26.) « Et faciam, iit in praeceptis meis ambu-» letisel judicia mea custodiatis. » II dit : « El faciam, » re-marqueS. Augustin, « praebendoscilicetviresefficacissimas » voluntati.»(Lib.de grat.ellib.arb.c.6.)L'apôlredilaussi: « Deus est qui operatur in vobis velle ei proficere pio bona » voluntate. »(Phil.u.l5.) S. Augustin : « Id est operatur
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» ut velimus et operemur, » e? le saint docteur ajoute: « Nos ergo volumus, sed Deus in nobis operatur velle et » perficere. » (De dono persev. cap. 13.) Et remarquez que S. Augustin ne dit pas que Dieu fait que nous puis-sions vouloir, ce qui regarde la grâce suffisante, mais que nous voulons et agissons, ce qui est le propre de la grâce efficace.
CXVII. Continuons en citant les autres passages qui expriment la même chose : « Sicut divisiones aquarum, » ita cor regis in manu Domini, quocumque voluerit, » inclinabit illud. » (ProY. xxi. 4.) « Non est qui possit » tuae resistere voluntati, si decreveris, etc.» (Esth.xu. 9.) « Consilium meum stabit, et omnis voluntas mea fiel. » (Isa. XLvi. 10.) « Dominus exercituum decrevit, et quis » poterit infirmare? » (Idem. xiv. 27.) Si jamais la vo-lonté humaine pouvait déterminer la divine, comment ces textes se trouveraient-ils exprimer des vérités? L'a-pôtre dit : « Deus operatur omnia secundum consilium » voluntatis suae. » (Ad Ephes. 1.11 et 12.) Donc Dieu n'attend point notre consentement, autrement il n'opére-rait pas selon la délibération de sa volonté, mais de la nôlre.
CXYIII. Poursuivons : « Ne supra quam scriptum est, » unus adversus alterum inflelur proelio. Quis enim te ? discernit! Quid autem habes quod non accepisti? Si » autem accepisti, quid gloriaris, quasi non acceperis? » (I. Cor. iv. G et 7.) Si le décret divin n'est pas efficace par lui-même, mais seulement indifférent et dépendant du consentement de noire volonié, la cause qui déter-mine à consentir ou à ne pas consentir à la grâce ne sérail plus la volonté de Dieu, mais celle du consentant, qu'il lire de son libre arbitre. El ainsi un homme pourrait se glorifier à l'égard d'un aulre et dire : Je me suis élevé
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                        293
au dessus de toi en déterminant par mon consentement la volonté de Dieu au bien ; contre ce qu'enseigne l'apô-tre. S. Jean dit encore : « Non quasi nos dilexerimus » Deum, sed quoniam ipse prior dilexit nos. » (Jo. ep. 1. cap. A. f. 40.) Si la grâce était indifférente et que notie consentement la déterminât, l'homme aimerait Dieu avant que Dieu aimât l'homme.
CXIX. Nous savons bien que Molina et aes adhérensne manquent pas de tourner lesensdecestexles en faveur de leur doctrine; mais ils ne peuvent nier que ces passages dans leur sens simple et naturel ne démontrent l'effica-cité de la grâce ab intrinseco. D'autant plus que les saints Pères ou au moins la plus grande partie d'enlr'eux, les ont ainsi entendus, et spécialement le docteur de la grâce, S. Augustin, dans les textes que nous faisons suivre ici.
CX.X. Outre les diverses sentences de ce Père, que nous avons déjà rapportées, considérons d'autres passagers, qui expliquent bien clairement la question. Il écrit que la grâce excitant la volonté humaine, non-seulement la fait agir, mais la fait agir volontairement, sansaucune lésion de la li-berté; voici ses paroles: « Trahitur ergo (voluntas) miris » modis, ut velit ab illo qui novit in ipsis hominum cordi-» bus operari ; non ul homines nolentes credant, sed ut » volentes ex nolenlibus fiant. » (S, Augustin, lit», i. contra duas ep.Pelag.cap.19.) Dans un autre endroit il explique que Dieu a la puissance omnipotentissima d'incliner où il veut les cœurs des hommes, et que tout ce qu'il opère ainsi, il ne le fait qu'avec la volonté des hommes eux-mêmes : « Qui tamen (Deus) hoc non fecit, nisi per ipso-» rum hominum voluntates, sine dubio habens huma-» norum cordium inclinandorum omnipolemissimam » potestatem. » (De correpl. et grat. cap. 44. ?. 43.) Et
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ailleurs : « Agit omnipotens Deus in corde hominum, ut » per eos agat» quod eos agere voluerit. » (Idem de grat. et lib. arb. e. 10.) Comment S. Augustin eût-il pu plus clairement exprimer que c'est Dieu qui opère quand nous agissons et que notre volonté n'est point la cause qui nous fait agir ? Il est vrai que dans nos œuvres nous agis-sons de fait librement, mais cela est encore un effet de la volonté toute puissante de Dieu, qu'en nous faisant agir elle nous fait agir avec toute liberté. »
GXXI. S. Thomas enseigne la même doctrine en plu-sieurs endroits : « Deus voluntatem movet immutabiliter » propter efficaciam virtutis moventis, quse deficere non » potest; sed piopter naturam voluntatis motse, quasin-» differenler se habet ad diversa, inducitur necessitas, » sed manet libertas-.»(S.Thom. de malo.q.6.a.l.ad3.) Et ailleurs : « Si Deus movet voluntatem ad aliquid, im-» possibile est poni, quod voluntas ad illud non movea-» tur. » (1.2. q. 10. a. 4. ad 5.) Dans un autre endroit, il dit : « Impossibile est, haie duo simul esse vera, quod » Spiritus Sanctus velit aliquid movere ad actum chari-» latis, et quod ipse charilalem amittat peccando. » (II. 2. q. 24. a. 11.) Nous omettons les autres passages pour ne pas fatiguer le lecleur.
§ III. Exposition du système des congruisles.
CXXII. La doctrine des congruistes place l'efficace de la grâce dans la congruité (convenance) de temps, de lieu et d'état dans lequel se trouve la persone au moment de l'acte: et suivant la congrui lé cTe ces diverses circonstances la grâce devient efficace ou inefficace, en sorte que, posé telles ou telles circonstances, Dieu accordera à l'homme le secours
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                       29a
intrinsèque congru (convenable), qui le fera agir, et que hors de ces circonstances il n'agira pas.
Difficulté qui contredit le système des congruistes.
CXXIII. Celle doclrine a d'abord contre elle la même difficulté que celle de Molina, puisqu'elle enlève l'effi-cace de la grâce à la volonté divine, qui par elle-mêine détermine la volonté de l'homme et la fait agir suivant ce qu'elle a décrété. En outre, s'il était vrai que l'efficace de la gvâce consistât dans ce secours congru donné par Dieu dans certaines circonstances, il s'ensuivrait que ce secours lui manquant, l'homme, sans qu'il y eût de sa faute, serait privé de la grâce qui lui est nécessaire pour son salut, sans 'avoir aucun moyen de l'obtenir. Celle objection a déjà été faite au système des thomistes et elle s'applique également ici. Si cette grâce congrue est efficace, ab intrinseco, elle dépend entièrement de Dieu et dans ce cas, posé les circonstances non congrues, elle n'aura jamais son effet. Si d'autre part cette grâce est effi-cace ab extrinseco,.c'est-à-dire qu'elle dépende du consen-tement de l'homme, de façon qu'elle soit efficace quand la volonté .y adhère, et inefficace quand elle n'y adhère pas, celle grâce congrue n'est autre alors que la grâce de Molina.
§ ??. Du système de Thomassin.
CXXIV. Louis Thomassin dans sa Théologie dogmatique (tam. 5. tract, 4. cap. 48.) fait naître l'efficace de la grâce de l'aggrégalion de plusieurs aides intérieurs et extérieurs au moyen desquels la grâce circonvient tellement la vo-lonté .de l'homme, qu'elle en obtient infailliblement le
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consentement; en sorte que (comme il dit) la volonté de l'homme est déterminée au consentement par ces aides, mais moralement et non physiquement.
Difficulté qui s'oppose au système de Thomassin.
CXXV. Cette difficulté est que d'après ce système au-cun aide particnlier de la grâce ne serait infalliblement efficace, puisque toute son efficacité dépend du concours de plusieurs aides; mais la généralité des saints Pères ainsi que S. Augustin, S. Thomas et les auties théolo-giens, assignent un aide déterminé ou cause particulière par laquelle la grâce opère efficacement.
§ V. JDu système des augusliniens : de la délectation absolument victorieuse.
GXXVI. Les augustiniens dans ce système distinguent l'état de h nature innocente de celui deïa nature déchue; et ils disent que dans le premier la giâce fut versatile et qu'elle se déleiminait par le consentement de l'homme, comme le dit ftlolina ; mais dans l'état de la nature dé-chue, afin que l'homme puisse faire le bien, il lui faut la grâce qui, par elle-même et ab intrinseco, soit efficace pour toute bonne œuvre surnaturelle et détermine la vo-lonté au consentement : et cela à cause de la faiblesse contractée par l'homme dans sa volonté par suite du pé-ché originel. Ils veulent donc que l'efficace de la grâce consiste dans la délectation, non-seulement relative ou supérieure en degré, mais absolument victorieuse, par laquelle Dieu pousse infailliblement la volonté humaine au libre consentement, et que cette grâce opère non phjsi-uement, mais moralement.
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                         297
CXXVII. Ils disent de plus que la grâce suffisante nom-mée «auxilium sine quo », donne à la volonté la force de s'exercer au bien , mais cet exercice n'a d'effet que quand survient l'aide médicinal de Jésus-Christ, la grâce efficace appelée « auxilium quo. » Ainsi, quand il s'agit de la nature corrompue, lesaugusliniens sonl thomistes, et quant à la nature innocente ils sont de l'opinion de Mo· lina.
Difficulté opposée au système des augustioiens.
CXXVIII. Cette difficulté est que bien que l'homme soit le plus souvent mu par la délectation, néanmoins souvent aussi, il l'est par d'autres motifs, de pudeur, de désir, de haine, d'amour de la justice , de crainte des peines. S. Augustin écrit : « Non vis tua tibi vilia àe-» monslrari, ut fiat tibi utilis dolor, quo medicum quse-
» ras.....quasi aut nihil agat limor correpti hominis vel
»'pudor vel dolor. » (Lib. de correp*t. et gral. cap. 5.) Et ce saint déclare que la constance de quelque mar-tyrs eût cédé si la crainte de l'enfer n'avait affermi chez eux la charité. Il ajoute encore que Dieu, « miris et inef-» fabilibus, diversis et innumerabilibus modis, » appelle à lui les hommes, d'où il suit qu'il ne.les attire pas par la seule délectation. En outre, il arrive souvent que l'homme est attiré par les deux délectations, celle du péché et celle de la justice ; mais quelque autre motif étranger survenant ensuite, il détermine dans un sens ou dans l'autre, en sorie qu'on ne peut dire que l'homme agit par la seule délectation.
TRAITÉ
§ VI. Du système du P. Berti et de ses adhérens : de la délecta-tion victorieuse relativement, c'est-à-dire par la supériorité du degré.
CXXIX. ? faut rappeler ici que le système de Jansenius consiste à rapporter tout l'efficace de la grâce à la dé-Iectalion relativement victorieuse par la supériorité du degré; d'où il suit que si la délectation céleste surpasse la terrestre, la première vaincra nécessairement, et qu'au contraire la délectation terrestre vaincra si elle surpasse la céleste en degré. C'est sur ce système qu'il fonda ses cinq propositions, qui furent depuis condamnées. Ce sys-tème de Jansenius diffère néanmoins de celui du P. Berti; car Jansenius disait que la délectation supérieure triom-phait nécessairement de l'inférieure. Il disait bien aussi qu'en considérant la grâce indépendamment du rapport de degré supérieur de la délectation terrestre contraire, elle serait suffisante pour mouvoir la volonté vers le bien, mais en admettant la prépondérance de la délectation charnelle, la céleste devient de fait insuffisante pour at-tirer le consentement. Or, comment l'homme pourrait-il être inculpé lorsqu'il manque au précepte, s'il est néces-sité à ce manquement par la délectation charnelle? Janse-nius vit bien celte grande difficulté, et, pressé par elle, il fut conduit à dire que pour pécher il n'était pas besoin de la liberté d'indifférence, c'est-à-dire que l'homme soit libre de toute nécessité de pécher, mais qu'il lui suffit de la liberté de coaclion (c'est sa troisième proposition condamnée), c'est-à-dire qu'il ne soit pas contraint à pé-cher par une force extrinsèque : «Ad merendum et deme-» rendum, in statu naturae lapsae, non requiritur in ho-» mi ne libertas a necessi taie, sed suffici l H ber tas a coact ione. »
CXXX. Le P. Berli ne dit pas cela, mais il prétend que selon son système, bien que la delectati n la plus grande doive vaincre infailliblement, néanmoins elle ne nécessite pas le consentement.
Difficulté qui se rencontre au système du P. Bèrti.
CXXXI. Bien que le P. Berli dise que quand la dé-leclation est supérieure en degré, elle ne l'en: porte pas nécessairement, mais infailliblement, néanmoins, dans une telle hypothèse, la volonté n'ayant que des forces in-férieures, elle reste privée de la puissance de ? résister : puisque les forces inférieures ne peuvent plus >pérer au-delà de leur sphère d'activité, et ainsi la volonté est né-cessitée à suivre la délectation prépondérante. Quand un des plateaux de la balance descend par la sup Priorité de son poids, il est de nécessité que l'autre s'élèvt. ' CXXXII. Il ne sert à rien de dire avec le P. ìeili qu'il n'entend point parler de la délectation sans d< libération de Jansenius, que nous avons exposée plus h: ut ; c'est-à-dire de celle qui naît en nous sons aucun consentement de la volonté; mais que celle dont il parle est la délec-tation délibérée à laquelle se joint le libre consentement de l'homme, et qu'ainsi, bien que la déleclaticn prépon-dérante l'emporte certainement et infailliblemc ni, cepen-dant elle ne vainc pas nécessairement, comme le voulait Jansenius. Cela n'a nulle valeur, ai-je dit surtout après la réponse qu'y fait Tournely (Theol. t. 5. p. 2. q. 5. art. 1. conc. 5.), savoir que cette grâce, ou si l'on v< ut, la con-cupiscence, qui est infailliblement victorieuse par la pré-pondérance de ses forces, ne peut pas ne pas otre néces-sitante à l'égard du consentement de la volon é. Et il le
500                                       TRAITÉ
prouve ainsi : « Ea gratia est necessitas, quae supponit » voluntatem destitutam vera potentia resistendi : atqui » talis est gratia infajlibiliter efficax ex virium gradnali » superioritale. Nam hujusmodi gratia supponit volunta-» lem non habere ad resistendum, nisi vires inferiores. » Repugnat autem, ut vires superiores, quae agunt utsupe-» riores, vincamur ab inferioribus; alias necesse esset, ut » inferiores operarenlur ultra suae activitatis gradus. »
CXXXHI. En vain répliquerait-on (dans le cas, par exemple, où la grâce serait supérieure en degré à la con-cupiscence) que les forces de la grâce, relativement vic-torieuses, sont bien mises en balance avec les forces de la concupiscence prises seules et en elles - mêmes, mais qu'elles ne le sont pas avec les forces delà concupiscence jointes à celles de la volonté contraire, et qu'ainsi, si la grâce est alors victorieuse, elle ne l'est pas nécessaire-ment , puisque les forces de la concupiscence jointes à celles de la volonté contraire pourraient bien résister et vaincre les forces de la grâce, quoique supérieures. Le même Tournely répond avec raison, qu'en parlant ainsi, les défenseurs du système de la délectation relativement victorieuse, ou sont obligés de le changer et de dire que la délectation supérieure en degré ne triomphe pas in-falliblement, mais seulement quand elle est jointe aux forces de la volonté, en sorte que si les forces de la vo-lonté se joignent à celles de la concupiscence, alors la grâce n'est point victorieuse, bien qu'elle soit supérieure en degré : par quoi leur système est détruit, et ils ne peu-vent plus dire que la délectation supérieure en degré est invinciblement victorieuse ; ou il fout qu'ils avouent sim-plement que quand la délectation est supérieure en degré à la conçupiscenceou à la grâce, elle triomphe non-seulement
CONTRE tES  HÉRÉTIQUES.                       SOI
infailliblement, mais nécessairement; puisque, comme il a été dit plus haut, les forces inférieures ne peuvent avoir la puissance de vaincre les supérieures, d'où il suit que la délectation supérieure par sa force intrinsèque, plus grande que celle de la délectation inférieure, sera toujours nécessairement victorieuse, soit que la volonlé qui y concourra soit privée de délibération, comme disait Jansenius, ou qu'elle soit délibérée comme le prétendent les fauteurs de ce système. Du reste, le P. Bertietses dis-ciples diront ce qu'ils voudront pour laver leur délecta-tion victorieuse relative du reproche de sa qualité néces-sitante et par conséquent destructive de la libellé hu-maine, ils n'éviteront jamais la difficulté exposée plus haut par nous contre leur système, savoir que quand la délectation est supérieure en degré, non-seulement elle l'emporte infailliblement, rmisaussi nécessairement, parce que les forces inférieures de l'une des deux délectations ne peuvent prévaloir sur les forces supérieures de l'autre, ce qui entraîne la nécessité que la volonlé humaine joigne son consentement à l'appétit qui est supérieur eh degré. Pour moijenepuis imaginer quelle réponse valable peut être jamais faite à une aussi forte objection.
CXXXIV. C'est pourquoi les jansénistes ne veulent de nous qu'une chose, c'est que nous leur accordions que la déleclalion supérieure triomphe toujours de l'inférieure* et par-là ils pensent avoir gagné leur cause. Yoiei comme s'exprime l'un d'eux, l'abbé de Bourzeis : « Nobis enim
*  sufficit, quod haec sola nobis veritas concedatur, nimi-
*  nun quoties gratiae Dei consentimus, id oriri semper
*  ex eo, quod rectus amor, quem Deus nobis inspirat, » viribus superior est perverso amore, et quia viribus
*  superior est, idcirco eum certissime superare.» (Abbas
502                                   TBAITÉ
de Bourz. collât. 4. cap. 50.) Et en parlant ainsi ils pa-raissent avoir toute raison; car les forces inférieures ne peuvent jamais vaincre les supérieures. Suivant un tel système, on tire justement celle conséquence que la délectation supérieure en degré, est toujours viclorieuse, non-seulement invinciblement,  mais aussi nécessaire-ment.  Pourtant le P.  Tournely traitant de ces deux systèmes, celui   de la délectation   absolument viclo-rieuse, et celui de la délectation viclorieuse relative-ment, conclut ainsi : « Novimus quidem orthodoxos theo-» logos, qui vim gratiae efficacem colligunt ex ipsius de-» leclatione absolute, ac simpliciter victrice, quique in » gratia sufficienie pares vires agnoscunt ad oppositam » actualem cupiditatem superandam. Verum qui gratiam » velint esse victricem relative ex superioritate graduum, » quippe non aliam, sufficientem admittunt gratiam, » quam viribus inferiorem oppositae superioris concupis-» centiœ, non alios quam janseniani systematis defenso-» res novimus. » (Tourn. praelect. theol. lom. 3. p. 2. q. 9. art. 2. objec. 6.)
CXXXV. Mais le P. Berti réplique que l'efficace de la grâce, comme il l'établit, ne diffère pas en substance de celle qu'enseignent les thomistes, bien qu'elle procède de principes differens, puisque les thomistes font consis-ter l'efficace de la grâce dans la prédetermination physique et lui dans la déleclation supérieure. Ce que fait (dil-il) la prédélerminatioh de seconde action dans l'attraction de la volonté de l'homme au censentemenl, c'est ce que fait la délectation ; du resle l'une et l'autre doctrine en-seignent qu'il reste à l'homme, en premièieaclion, la puis-sance d'opérer en sens contraire, et ainsi la volonté agit toujours librement etsans être nécessitée.
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                        305
ÇXXXVI. Mais on doit réfléchir que comme les prin-cipes des deux systèmes sont differens ei les causes qu'ils admettent également différentes, les conséquences doivent l'être aussi. La cause de l'efficace de la grâce selon les thomistes est que la volonté créée est en puissance passive, étant en puissance de recevoir le mouvement de la grâce; d'où, pour arriver à l'acte réel, ilest nécessaire qu'elle soit mue par Dieu, comme premier agent, lequel applique et détermine par ta prédélermination la puissance à l'acte. Voilà pour ce qui concerne l'acte ; mais pour ce qui est de la puissance, les thomistes disent que l'homme avec la grâce suffisante reçoit la puissance prochaine-et propre à pouvoir faire le bien, comme l'écrit le P. Gonel : « Gra-» lia quae dat posse, dat totum complementum et totam » virtutem seu sufficientiam, quae requiritur ex parle actus » primi. » (Man. lom. 4. tr. 7. cap. 40.) Le cardinal Golli dit aussi : « Gratia sufficiens dat posse proximum ei sxpe-» diium ratione potentiae. » (Theol. tom. 2. de grat. dub. 6. §. 2.) Tous les autres thomistes s'accordent à parler de même : si quelqu'un d'eux paraît s'exprimer différem-ment, il parle de l'acte second et non de l'acte premier. CXXXVII. La cause, au contraire, du principe du P. Berli, qui fonde la doctrine de la déleclalion supérieure en degré, c'est que, comme il le dit, dans l'état de la nature innocente, il ne fallait à l'homme pour faire le bien que la grâce suffisante, parce qu'alors son libre arbitre étant en-core sain et dans un parfait équilibre, il pouvait bien opérer avec la seule grâce suffisante sans le secours de l'efficace; mais à présent, depuis la chute d'Adam, la vo-lonté humaine étant restée dans un état d'infirmité, eue a besoin de la grâce efficace, qui, par le moyen deâla dé-lectation victorieuse, l'applique à opérer le bien, Mais
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d'après celle cause, base du système, admettant ( comme nous l'avons dit ) que la volonté de l'homme est restée dans un tel étal d'infirmilé qu'elle a besoin pour agir de la giûce efficace, on ne peul plus dire que l'homme soit mu virtuellement par la grâce suffisante, môme pour l'acte premier, la puissance complète et prochainement apte à observer les préceptes, ni à pouvoir faire nn'4xm acte quelconque, même médiat, par lequel il puisse se disposer ù obtenir plus lard un secours plus grand pour accomplir la loi.
CXXXVIII. Rien effet, le P. Berli ( dans l'apologie de sa doctrine ) n'est pas éloigné de concéder que la grâce de force inférieure à la concupiscence ne doit pas se nom-mer suffisante, mais inefficace. C'est ainsi qu'il en écrit dans fa susdite apologie, répondant à l'archevêque de Vienne en France, lequel avait combattu un livre intitulé Haianismus et Jansenius redivivus, en reprochant spéciale-ment à l'auteur que « veram gratiam sufficientem e medio » tollit,· » et le P. Berli répond qu'il lient fermement pour celle opinion.
CXXX1X. L'abbéd'Aquila, dans son dictionnaire théo-logique, lome 2, au mol délectation, a taxé de fausseté ce que j'ai avancé dans mon livredu Moyen de taprihe, savoir que le P. Berti niait que Ions reçussent la grâce prochai-nement suffisante à lu prière, moyen par lequel on ob-tient le secours plus grand et plus fort, nécessaire pour les œuvres de salui. Quant au I». Béni, voici, comme on lil dans son apologie (Augusl. system. vindic. diss. 5) une des (rois principales objections que lui fil sur ce point l'archevêque de Vienne : «-Quod negat in delecta-» lione inferioris gradus potentiam proxime expeditam, » ad hanc requirens ex partè poenitenti», et actus primi
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» robustiorem delectationem, ideoque gratiam inefficacem » ab ipsò depraedicatur. » Et voici ce que le P. Berti ré-pondit : « Ego vero firmissime, et absque ulla haesita-tione pronuntio, tria doctrinae capita nuperrime com-» meoioraia nequaquam erronea esse. » Et certes il devait répondreainsi, s'il ne voulait pas abandonner le système embrassé par lui dans sa théologie, dans le traité qu'il fait de la grâce, où entre aulres questions qu'il entreprend de prouver, on trouve celle-ci, que « Ad actualiter oran-Ï dum requiritur gratia efficax.» Ainsi donc, si pour prier il est besoin de l'aide extraordinaire de la grâce efficace, il n'y a donc pas dans la grâce suffisante la puissance prochaine et propre à prier actuellement : aussi n'hé-site-l-il pas à nommer la grâce suffisante, non pas suffi-sance, mais inefficace, puisque pouria/endreacfuei/emenf suffisante il est besoin d'un secours extraordinaire.
CXL. Mais celle doctrine paraît contraire à celle de S. Augustin, qu'il fait profession.de suivre : S. Augustin enseigne, comme nous le verrons plus bas, qu'avec la grâce suffisante nous ne pouvons exécuter les choses dif-ficiles, mais que nous pouvons bien faire les choses fa-ciles , parmi lesquelles le sainl compte la prière. Pour moi, je ne vois pas comment l'opinion du P. Berli, qui dénie à la grâce suffisante la puissance prochaine et pro-pre à prier, peut s'accorder avec la raison ; car il m'est impossible de concevoir que le Seigneur, même dans l'é-tat présent de la nature déchue., mais surabondamment réparée par Jésus-Christ dans la rédemption des hommes, e'il est vrai qu'il n'ait point denné à la grâce suffisante la puissance complète et prochainement apte, et si par con-séquent il a refusé à plusieurs la grâce nécessaire pour observer actuellement les préceptes, ou au moins pour xix                                                            20
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employer un moyen, comme est la prière, afin de pou-voir au moins médiaiement obtenir le secours plus grand qui les fasse accomplir actuellement, je ne puis conce-voir, dis-je, que le Seigneur puisse justement exiger de ces hommes l'observance de ces mêmes préceptes, et qu'il puisse jusiemeni aussi les condamner à l'enfer, s'ils ne les observent pas. En voilà assez sur le système du P. Berti et des augustiniens, avec lesquels il semble faire cause commune.
§ VII. Où nous établissons notre doctrine que, pour accomplir les préceptes, la grâce efficace ab intrinseco est nécessaire; mais que cette grâce s'obtient par la grâce suffisante de la prière.
CXLI. Le P. Jean Laurent Bertî ne nie pas, et ne peut nier que par la prière on obtient la grâce effieace; mais il dit que, pour prier, une autre grâce efficace est encore nécessaire; et ici revient la même difficulté que nous avons déjà exposée plus haut, savoir, que celui à qui la grâce efficace manque pour accomplir le précepte, s'il lui manque aussi la grâce efficace de prier, ne pourrait être condamné pour l'inobservation des préceptes, puisqu'il est privé de la force et de tout moyen de les accomplir.
Notre doctrine, à nous, est que pour opérer le bien et accomplir les préceptes, ce n'est pas assez de la grâce suffisante, dont le secours ne peut faire opérer que des choses faciles, mais qu'il est besoin encore de la grâce efficace ab intrinseco, laquelle détermine la volonté hu-maine à opérer le bien, comme nous l'avons prouvé plus haut dans le § H, nomb. 115, en réfutant la doctrine de Molina. Nous dirons de plus que celle grâce efficace fait le plus souvent agir par la délectation victorieuse,
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mais que souvent aussi elle nous détermine à agir par d'autres motifs, comme ceux d'espérance, de crainte, etc., ainsi que l'enseigne S. Augustin, lorsqu'il dit que Dieu lire efficacement les hommes à lui par des moyens in-nombrables et admirables. Nous soutenons néanmoins que la grâce suffisante donne à chacun l'activité de prier, s'if le veut (laquelle activité est comptée parmi les choses faciles), el que chacun ainsi peut obtenir par la prière la grâce efficace. Nous avons déjà développé tout au long ces propositions dans le livre de la prière; nous les ré-sumons seulement ici et les rapportons succinctement.
CXLIÌ. Il est ceilain que Dieu veut que tous soient sauvés, comme dit S. Paul : « Qui omnes homines vult «salvos fieri elad agnilionem veritatis venire. » (ITim. 2. 4.) Él S. Pierre: « Nolens aliquos perire, sed «omnes ad poenitentiam reverti. » ( Ii Petri 5. 9. ) Dieu se plaint de ce que plusieurs courent à leur damna-tion. « Quare moriemini domus Israel? Revertimini et vi-vite. » ( Ezech. xxi. 51.) Le Seigneur, voulant que lous soient sauvés, donne donc à tous la grâce nécessaire pour opérer leur salut. El parlant, nous disons que s'il ne donne pas à tous la grâce efficace, au moins lous reçoivent la grâce suffisante et la puissance de prier actuellement, sans qu'il soit besoin d'aulre gtâce, et en priant ils obtiennent la grâce efficace pour accomplir la loi el s>e sauver. Celle doctrine est défendue par le cardinal de Noris, parlsam-fcerl, Petau, Thomassin , le cardinal du Perron, AI-phonse-le-Moyne et plusieurs autres que nous nommerons plus bas ; mais elle est soutenue plus au long et expres-sément parlîonorê Tournely. (Prsel. théol. tom. 3. q. t. art. 4. concl. 5. pag'l ?5#.)
t&Ull. Le cardinal de Noris (ÔpnsC. Jans. error, ca-
20.
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lumnia sublata, cap. 2. §4.) prouve directement que tout homme dans l'étal présent reçoit le secours sine quo, c'est-à-dire la grâce suffisante ou ordinaire, qui, sans autre se-cours, produit la prière par laquelle ensuite on obtient la grâce efficace pour observer les préceptes : « etiam in statu » naluise lapsae datur adjutorium sine quo secus ac Janse-» nius contendit; quod quidem adjuiorium efficit in no-» bis actus debiles, nempe orationes minus fervidas pro ? adimplendis mandatis; in ordine ad quorum executio-» nem adjutorium sine quo est tantum auxilium remolum, » impetraiorium tamen auxilii quo sive gratiae efficacis, » qua mandata implentur. »
El il ajoute que si par l'oraison tiède on n'obtient pas d'abord la grâce efficace, on obtient au moins l'oraison plus fervente, et par celle-ci la grâce efficace: «Colligo ipsainmel ? tepidam orationem fieri a nobis cum adjulorio, sine quo » non, ac ordinario concursu Dei cum sin l actus debiles, elc., »et tamen tepida oralioneimpelramus Spiritum fervenlioris » orationis, qui nobis adjutorio quo donatur. » Et il con-firme ses paroles par l'autoriié de celles de S. Augustin, ?? écrit sur le psaume 47 ; « Ego libera et valida inten-» lione preces ad le direxi, quoniam, ul hanc habere pos-» sem, exaudisti me infirmius orantem. »
CXLJV. Le même auteur dit au même endroit, que cha-cun a la puissance prochaine pour prier et obtenir ensuite par la prière la puissance prochaine pour faire le bien, et pour cela tous peuvent prier avec la seule grâce suffisante sans autre secours. Autrement, dit le savant cardinal, si pour avoir la puissance prochaine de prier il était besoin d'une autre puissance pour obtenir au moins l'oraison plus fervente, pour celle-ci il faudrait aussi une autre grâce de puissance, et ainsi à l'infini : « Manifestum est
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» polenliain ad orandum debere esse proximam in juslo » sive fideli, nam si fidelis sil in polenlia remota ad sim-» pliciler orandum (non enim hic loquor de fervida ora-» lione) non habebit aliam potentiam pro impetranda » oratione, alias procederetur in infinitum. »
CXLV. Le docte Denis Pelau demande pourquoi Dieu nous impose des préceptes que nous ne pourrions pas ac-complir avec la grâce commune et ordinaire. Parce que (répondrai-je avec Duval et autres théologiens) le Seigneur a voulu que nous recourions à lui par l'oraison, comme parlent généralement les saints Pères. D'où il suit que nous devons tenir pour certain que chacun a la grâce pro-pre à prier actuellement, cl par la prière à obtenir le se-cours plus grand pour faire ce que nous ne pouvons opé-rer avec la grâce ordinaire; autrement Dieu nous aurait imposé une loi impossible ; la chose est évidente.
CXLVI. A ce raisonnement, on en joint un autre, savoir, que si Dieu commande à tous l'observation actuelle des préceptes, on doit certainement supposer qu'il donne aussi communément à lous la grâce nécessaire pour celle ob-servation actuelle, au moins médialement par la voie de la prière. Afin donc que la loi soit raisonnable elle blâme juste, ainsi que le cbâlimenl de celui qui ne l'observe pas, il faut que chacun ail la puissance suffisant, au moins médiaie, par la voie de l'oraison, pour satisfaire actuelle-ment aux préceptes, et pour prier actuellement sans avoir besoin d'un autre secours, qui n'est point donné à lous. Autrement, élanl privé de la puissance propre à prier ac-tuellement, on ne pourrait pas dire que tout homme a reçu de Dieu la grâce suffisante pour pouvoir actuellement observer la loi. Delà, Pelau (Theol. dogm. lom.l lib.10. Cî<p. 19. c. 20.) prouve très-longuement qu'avec la grâce
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suffisante, snns autre secours, l'homme opère le bien, et il va jusqu'à dire que le contraire monstruosum esset, et que celnj doctrine est non-seulement celle dos théologiens, mais celle de l'Église. D'où il conclut que la grâce d'observer actuellement les préceptes suit l'oraison, et que ce don de l'oraison Dieu l'accorde en même temps qu'il impose le précepte : « Donum isiud quo Deus dat ut justa faciamus, «effectum orationis subsequitur, et talis effectus legi co-» mes datur. » En sorte que comme la loi est imposée à tous, le don de prier, s'ils le veulent, leur est en môme temps accordé.
CXLV1I. Tliomassin soutien! la même chose (In tr. consensus scholae de gratia cap. 8. lr. S.) Il s'étonne d'a-bord qu'il y en aient qui pensent que la grâce suffisante ne puisse seule opérer actuellement une bonne œuvre quelconque, même la moindre. Puis il dit que pour conci-lier ces deux propositions, que la grâce suffisante peut conduire l'homme au salut, el que d'un autre côté la grâce efficace est nécessaire pour observer toute la loi, il faut dire que la grâce suffisante est apte à faire prier ac-tuellement et à produire plusieurs autres actes faciles par le moyen desquels on obtient la grâce efficace pour accom-plir les choses difficiles ; selon la doctrine de S. Augustin, qui enseigne : « Eo ipso quo firmissime creditur Deum » impossibilia non praecipere, hinc admonemur et in fa-» cilibus quid agamus el in difficilibus quid pelamus. » (De nat. et grai. cap. 69. ?. 83.) Sur lequel texte le cardi-nal de Noris dit : « Igitur opera facilia, sed minus peifecia, » facere possumus absque eo, quod magis auxilium a Deo »posiulemus, quod tamen in difficilioribus petendum » esl.»Thomassin, à ce sujet, rapporte en outre l'autorité de S. Bonaventure, de Scot, el d'autres, el puis il dit :
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«Omnibus ea placueresufficientia auxilia, vere sufficientia, » quibus asseritur quandoque voluntas, quandoque non. » CXLVH1. Haberi, évêque de Vabres et docleur de Soi-bonne, qui le premier écrivit contre Jansenius, soutient ainsi la même opinion : « Censemus primo quod imme-» diate ctrm ipso effectu consensus completi sufficiens (gra-» lia) non habet habiludinem nisi contingenter vel me-» diaie. Arbitramur proinde gratiam sufficientem esse » gratiam dispositionis ad efficacem, ul pote ex cujus bono »usu Deus postea gratiam completi effectus effectivam » creatae voluntati concedat. » (Haberi theol. grsecor. pa-Irum , lib. 2, cap. 15. num. 7.) Et il cite à l'appui de celle doctrine Gamache, Duval, Isamberl, Perez, Le-moyne et aulres. Et dans le même (cap. 15 au num< 3, il dil : «Auxilia igitur gratiae sufficientis sunt disposiliva ad » efficacem, et efficacia secundum quid, effectus videlicet » incompleli impetrantis primo remole, propitius, acian-» dem proxime, qualis est actus fidei, spei, timoris, atque » inler haec omnia orationis. Unde celeberrimus Alphon-» sus Lemoynus gratiam illam sufficientem docuit esse » gratiam petendi, seu orationis, de qua toties beatus Au-» guslinus. » Ainsi, d'après le docte Haberi, la grâce effi-cace esl accompagnée d'un effel complet; mais la suffisante a son effet vel contingenter, parce que tantôt elle l'obtient, tantôt non ; vel mediate, c'est-à-dire par le moyen de la prière. Il dit encore que la grâce suffisanie suivant le bon usage qu'on en fait dispose à oblenir l'efficace, d'où il nomme la suffisanie, efficace secundum quid, selon l'effet commencé, mais non complet. Enfin, il dil que la grâce suffisante esl la grâce de prier, sur laquelle, selon S. Au-gustin, nous devons nous appuyer. De sorle que l'homme n'a point d'excuse s'il n'accomplit pas les choses pour les-
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quelles il a reçu la grâce suffisante avec laquelle et sans autre secours, il peut ou accomplir ou obtenir le secours plus grand pour l'accomplissement. Ce raisonnement de Haberi est parfaitement juste, et il assure que toute la Sor-bonne partage celle doctrine.
CXLIX. La même doctrine est professée par l'auteur de la Théologie à l'usage du séminaire de Périgueux (lom. 2. lib. 6. qusest. 5. p. 486). 11 dit qu'avec la seule grâce suffisanle « .aliquis potest bene agere et aliquando » agit. » Aussi il ajoute: « Nihil velal ut ex duobus » aequali auxilio prsevenlis faciliores actus, plenam con-» versionem praecedentes, saepissime unus faciat, alius » non. » D'où il déduit : « Sic quosdam pietatis actus, » nempe humiliter. Deum deprecari, cum solo auxilio » snfficienii facere (homo) potest, et aliquando facit, » quibus se ad ulteriores gratias praeparat. » Et tel est, dii-il, l'ordre de la Providence touchant la grâce, « ut » priorum bono usui posteriores succedant. » Enfin, il conclut que pour la conversion complète- et aussi la per-sévérance finale, « infallibiliter (homines) promerentur » oratione, pi'Q qua sufficiens gratia, qua? nulli non » praesto est, plenissime sufficit. »,
CL. Gelle opinion est aussi défendue par Charles du Plessis d'Argenlré, également docteur de Sorbonne (Dis-seri. de multip. gen. gratias.), et il s'appuie sur une foule de théologiens, lesquels enseignent qu'avec la grâce suffisanle et sans autre secours on peut opérer les choses faciles, et que l'homme opérant d'abord avec la grâce suffisante obtient par suite des secours plus grands pour sa parfaite conversion. Et c'est dans ce sens précis, dit-il, qu'il faut entendre l'axiome fameux reçu par les écoles qne « facientibus quod in se est » (cela s'entend toujours
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viribus grattée, c'est-à-dire de la grâce suffisante) « Dens * non denegat gratiam, c'est-à-dire la plus abondante et efficace.
CLI. C'est aussi le sentiment du cardinal d'Aguirre (Theol. S. Ans. tom. 3. disp^ 4'55. et 17(>.j èldti P. An-toine Boucal (Theol. patrum diss. 3. séct. 4.),'qui sou-tient avec force que chacun péul, par l'oraison et sans autre secours, obtenir la grâce de la conversion, et il cite à l'appui de cette doctrine (outre Gamache,' Du-Val, Ha-hert, Le-Moyne) Pierre de Taranlarsé, l'évêque de Tulles, Godet des Fontaines, Henri de Gand, docteurs de Sór-bonne,avec le professeur royal Lygni, lequel, dans son Traité delà Grâce, démontre que la 'grâce suffisante donne la prière et le pouvoir d'opérer lés choses de moindre dif-ficulté. Gaudence Bontemps parle dans Je môme sens (in Pulladio deiheol. de grat. disp. 1. q. 1.), démontrant qu'avec la grâce suffisante on obtient l'efficace par le moyen de la prière, laquelle est accordée à tous ceux qui veulent s'en aider. Le savant P. Fortuné de Brescia parle de même (Corn. Jans. syst. confuf. par. 2. num. 225. p. 297.), et soutient que tous oni la grâce médiate de l'oraison pour accomplir les préceptes, et il regarde comme indubitable que telle a été l'opinion de S. Augustin. Ri-chard de Saint-Viclor (De statu inter. hom. met. 4. cap. 15.) dit que la grâce ordinaire est suffisante suivant que l'homme y adhère ou non. Matthieu Félix, qui a écrit con-tre Calvin, définit ainsi la grâce ordinaire ou suffisante: « Est motio divina, qua movetur homo ad bonum, nec » alicui denegalur. Alii illi acquiescunt, sicque ad gra-» tiam habilualem disponuntur; alii repugnant. » André de Vega parle de même : « Haec autem auxilia, quae om-» nibus danlui-, a plerisque inefficacia vocantur, quia non
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» semper habent suum effectum, sed aliquando a pecca-» toribus frustrantur. »
CLII. Le cardinal Golli, dans un endroit de sa théologie, paraît s'accorder avec nous, puisque se posant l'objection : Comment l'homme peut-il persévérer s'il le veut, quand il ne possède pas le secours nécessaire à la persévérance ? il y répond que bien qu'un pareil secours ne soit pas en son pouvoir, « in potestate tamen hominis dicitur esse quod » ipse per Dei gialiam potest ab eo petere, ac obtinere ; et » hoc modo in hominis potestate dici potest esse, ut » habeal auxilium ad perseverandum necessarium, illud » impelrando orationibus. » Or4 comme, pour qu'il soit vrai de dire qu'il est au pouvoir de l'homme de persévérer, il est nécessaire qu'il puisse par l'oraison obtenir le se-cours pour persévérer actuellement, sans avoir besoin d'au-tre grâce; de même il est nécessaire qu'avec la seule grâce suffisante commune à lous et sans le secours d'une autre grâce, il puisse acluellement prier et par la prière obtenir la persévérance, autrement on ne pourrait dire que chacun ail la grâce nécessaire pour persévérer, au moins la grâce éloignée et médiate par le moyen de la prière. La chose est entendue de cette manière par S. François de Sales, puisqu'il dit dans son Théotime (lom. 2. lib. 2. cap. 4.), que la grâce de prier acluellement est donnée à lous ceux qui veulent s'en servir, d'où il conclut qu'il est au pouvoir de lous de persévérer. Puis, après avoir démontré la né-cessité de prier continuellement pour obtenir de Dieu le don delà persévérance finale, il ajoute : « Or, comme le don de » l'oraison est libéralement promis à lous ceux qui veu-» lent accéder aux divines inspirations, par conséquent il » est en notre pouvoir de persévérer. » Le cardinal Bel-larmin dit de même : « Auxilium sufficiens ad salutem
CONTRE MS  HÉRÉTIQUES.                        515
» ??? loco et tempore, mediate vel immediate omnibus » datur, etc. Dicimus mediale vel immediate, quoniam » iis qui usu rationis utuntur, immitti credimus a Deo » sanctas inspiraliones, ac per hoc immediate illos habere » gratiam excitantem; cui si acquiescere velint, possint » ad justificalionem disponi, ei ad salulem aliquando per-» (ingere. » (Bellarm. tom. 4. controv. 3 degrat. lib. 2. cap. 5.) S. Thomas écrit sur ce texte de l'apôtre (I. Cor. ?. 43.): «Fidelis Deus, qui non patietur vos lenlari supra » id quod non potestis; » que Dieu ne serait pas fidèle, s'il ne nous accordait pas (en tant qu'il est en lui) ces grâces, par le moyen desquelles nous pouvons opérer notre salut : « Non autem videretur esse fidelis, si nobis de-» negaret, in quantum in ipso est, ea per quœ pervenire » ad eum possemus. » (S. Thom. lect. l.inc. l.ep.l.ad Cor.) En outre, dans cent passages de l'Écriture, Dieu nous exhorte à nous convertir el à recourir à lui par la prière, promettant de nous exaucer, si nous le prions : « Con-» vertimini ad me, et ego convertar ad vos... Converti-» mini ad coneptionem meam, et proferam vobis spiri-» Ium meum. » (Prov. ?. ex f. 20.) « Revertimini, et » vivite. (Ezech....) « Venite ad me omnes, qui laboratis, » et onerati eslis, et ego reficiam vos. » (Matth. xi. 28.) ·« Petite, et dabitur vobis. » (Mallh. vu. 7.) Le cardinal Bellarmin dit (De gral. lib. 2. cap. 5.) que ces exhorta-tions, convertimini, revertimini, venite, petite, seraient de fait vaines et dérisoires, si Dieu ne donnait à tous au moins la grâce propre à prier actuellement , s'ils le veulent.
GLIII, Mais s'il en était autrement, comment le concile de Trente eût-il pu (sess. ?. el cap. 13.) réprouver les hérétiques qui voulaient que l'observation des préceptes
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fût impossible, et nous enseigner celle doctrine : « Deus » impossibilia non jubct, sed jabendo nionel et facere » quod possis, et petere quod non possis, et adjuvat » ut possis. » Cela établi, je ne sais comment quelqu'un pourrait soutenir que pour prier actuellement, il ne suffît pas d'avoir la grâce commune à tous, mais qu'il faut encore la grâce efficace qui nous fait prier actuellement. Le P. Fortuné de Brescia dit avec raison que si la grâce de prier actuellement n'avait pas été donnée à tous, et qu'il fût besoin de l'efficace que tons n'obtiennent pas, on potinait dire que la prière serait en un sens impossible à Îe grand nombre auxquels manquerait la grâce efficace pour prier. El alors le concile aurait eu tort d'enseigner que Dieu « monet petere quod non possis, » car ce serait nous engager à demander, c'est-à-dire à faire une chose pour l'accomplissement de laquelle nous manquons du secours actuel, sans quoi cet accomplissement esl impos-sible : l'avertissement divin de prier doit donc s'entendre de la prière actuelle, sans besoin d'une autre grâce non commune à tous. En même temps que le Seigneur avertit l'homme de faire actuellement tout ce qu'il peut faiye sans grâce nouvelle, « monet et facere quod possis, » il l'engage pareillement à prier actuellement sans grâce nouvelle, mais avec la grâce commune que Dieu accoïde à tous; ce qui est bien expiimé pal'ces dernières paroles: « El adjuvat ut possis. » Voilà justement ce que S. Au-gustin a voulu npus faire entendre en écrivant les paroles rapportées plus haut : « Eo ipso <\uo firmisse ciedilur, » Deum impossibilia non praecipere, hinc admonemur et » in facilibus quid agamus et in diflìcilibus quod pela-» mus. » (De nal. ei grat. cap. 69. ?. 83.) Paroles où il fait assez voir que si tous n'ont pas la grâce pour faire les
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choses difficiles, lous au moins ont la grâce de prier. Résumons notre argument. Le concile dit que Dieu n'im-pose pas de préceptes impossibles, parce que ou il ac-corde le secours nécessaire pour les observer ou il donne la grâce de prier pour obtenir ce secours, et qu'ainsi il nous aide à faire l'un ou l'autre. Or, s'il pouvait être vrai que le Seigneur ne donne pas à lous au moins la grâce médiate actuelle de la prière pour observer en effel tous les préceptes, il faudrait dire avee Jansenius, que relati-vement à ceitains préceptes, l'homme juste manque de la grâce nécessaire pour les observer actuellement.  ,
CL1V. Ajoulons que noire doctrine est confirmée par les saints Pères. S. Basile (lib. moral, summar. Summa 62 cap. 3) dit : « Uti lamen quis permissus est in len-» tationem incidere, eventum, ut suffme posait, et,vo-» lunlatem Dei per orationem petere. » Donc, suivant ce saint, quand un homme est tenté, Dieu le permet afin qu'il résiste et qu'il cherche à faire la volonlé divine par le moyen de la prière. Donc il suppose que si l'homme n'a pas le secours nécessaire pour vaincre la lentaiion, il a au moins le secours commun de la prière pour obte-nir la grâce majeure qui lui est nécessaire. S. Jean-Chry-soslôme (homil. de Mose) écrit : «Nec quisquam pote-» rit excusari, qui hostem vincere noluit, dum orare » cessavit. » Si cet homme n'avait pas la grâce actuelle de la prière pour obtenir le secours efficace de la résis-tance, ne serait-il pas excusable dan.s sa défaite? S. Ber-nard dit la même chose (serm. 5 de quad. ) : « Qui su-» mus nos? aut quas fortitudo nostra? hpc quaerebat » Deus, ut videntes defectum nostrum, et quod non esset » auxilium aliud, ad ejus misericordiam loia hugaili-» late curramus. » Dieu nous a donc imposé une loi im-
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possible pour nos forces, afin que nous recourions à lui, et que nous obienions par la prière la force de l'obser-ver; mais si Dieu avait refusé à quelqu'un la grâce de prier actuellement, pour lui la loi serait absolument im-possible : mais il n'en est pas ainsi » dit S. Bernard : « Multi queruntur, deesse sibi gratiam, sedmullojustius » gratia queretur deesse sibi multos. » C'est avec bien plus de raison que le Seigneur se plaint que nous man-quons à la grâce qu'il nous accorde, que nous de ce que la grâce nous manque. Mais aucun Père n'a développé plus clairement cette doctrine que S. Augustin en de nombreux passages. Dans l'un il dit : « Ideojubel. (Deus) » aliqua quae non possumus, ut noverimus quid ab illo » petere debeamus.» Vide contra duas epistulas Pelag. » Ailleurs il dit encore : « Isla tua propria peccata sunt, » nulli enim homini ablatum esi scire utiliter quaerere. » (Lib. 5. de lib. arb. cap. 49. num. 5o.) Il ajoute dans un autre endioit : « Quid ergo aliud ostenditur nobis, » nisi quia et petere, et quaerere, et pulsare ille concedit, » qui ul haec faciamus jubet. » (Lib. 1. ad simpl. qu. 2.) Il dit encore dans un autre lieu : « Semel accipe et inlel-» lige : nondum trahens?ora ut traharis.» (Tract. 26. in Joan. num. 2.)« Homo qui voluerit, et non potuerit, oret » ul habeat tantum (voluntatem) quanta sufficit ad adim-» plenda mandata ; sic quippe adjuvatur, ut faciat quod » jubetur.» (Deerat, et lib. arb, t. 10. num. 31. infin.) Tous ces passages n'ont pas besoin d'autre explication, il dit enfin: «Praecepto admonitum est liberum arbilrium, ut » quaereret Dei donum ; at quidem sine suo fructu admo-» nerelur, nisi prius acciperet aliquid dilectionis, ut addi » sibi quaereret, unde quod jubebatur impleret. » ( De grat. et lib. arb. e. 28.) Notez ces mois : aliquid dilectio··
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nis; voilà la grâce suffisante par laquelle l'homme peut prier et obtenir la grâce actuelle d'accomplir le précepte. Ailleurs il dit : « Jubet ideo, ut facere jussa conati , » et nostra infirmitate fatigati adiutorium gratiae petere » noverimus. » ( In ep. 89. ) Par là le saint suppose que par la grâce ordinaire nous ne pouvons pas d'abord ac-complir les préceptes, mais que nous pouvons obtenir par la prière le secours nécessaire à cet accomplissement. On lit dans un autre endroit : « Hoc restat in ista mortali » vita, non ut impleat homo justitiam, cum voluerit, sed » ut se supplici pietate convertat ad eum, cujus dono «eam possit implere. » (Lib. div. qu. ad simpl. qu. 1. mem.14.) S. Augustin, en disant qu'il ne reste à l'homme dans celte vie que de se tourner vers Dieu, par le secours de qui il peut accomplir la loi, suppose donc comme cer-tain que tout homme possède la grâce de prier actuelle-ment; autrement, s'il était privé non-seulement de la grâce efficace, mais encore de la grâce commune de la prière, il ne lui resterait plus aucun moyen d'observer la loi et de se sauver.
CLV. Pardessus tous, deux textes de S. Augustin viennent parfaitement à notre propos. Le premier : « Cer-» tum est nos mandata servare si volumus; sed quia » praeparatur voluntas a Domino, ab illo petendum est, » ut tantum velimus, quantum sufficit ut volendo facia-» mus. » {De grat. et lib. arb. e. 16. ) Le saint dit que nous pouvons observer les préceptes si nous le voulons ; lûais pour avoir la volonté de les observer» nous devons demander la grâce de vouloir de manière que noire vo-lonté amène l'accomplissement. Donc tous ont dû rece-voir la grâce de demander cette volonté vraie d'observer les préceptes; autrement, si même pour demander ac-
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luellemenl cette volonté, il est besoin de la grâce efficace non commune à tous, ceux à qui elle n'aurait pas été donnée ne pourraient pas même avoir la \olonlé d'accom-plir les préceptes.
CLVI. Le second lexle est celui (lib. de correpl. et grat. cap. 5) où le^sainl docteur répond aux moines d'A-drumet qui disaient : « Si la grâce est nécessaire, et qu'elle me manque, pourquoi me blâmer quand je ne puis agir? priez plutôt pour moi le Seigneur afin qu'il m'accorde cette grâce, « ora potius pro me. » El le saint leur répond : Vous devez être réprimandés, non parce que vous n'avez point agi, n'en ayanl pas la puissance, mais parce que vous n'avez point prie pour l'obtenir : « Qui corripi non vult, et dicil, ora potius pro me; ideo ^corripiendus est ul faciat etiam ipse pro se : » c'esl-à-diie, « ul orel etiam ipse pio se.» Or, si le saint n'avail point pensé que chacun reçoit la grâce suffisante avec la-quelle il prie, s'il le veut, sans avoir besoin d'autre se-cours, il n'aurait pas pu dire d'une manière absolue, que celui qui ne priait pas devait êire repris ; car celui-ci au-rail pu répliquer : Mais je ne puis être repris pour ne pas prier quand je suis privé de la grâce de prier actuellement. Mais S. Augustin suppose toujours comme certain, que ceux qui n'ont point la grâce efficace pour faire le bien ont au moins la grâce de prier, et par la prière peuvent obtenir le secours nécessaire pour agir : « Quando autem » non agunt, oient, ut quod nondum habent, accipiant. » D'où Bellarmin, répondant aux hérétiques, qui, fondés sui ce texte : « Non potest venire ad me, nisi Pater meus » traxerit eum, » en concluaient que nul ne peut aller à Dieu sans être particulièrement attiré par lui, leur disait : « Respondemus eo solum concludi, non habere omnes
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» auxilium efficax, quo reipsa credant; non tamen con-» cludi, non habere omnes saltem auxilium, quo possint » credere, vel certe quo possint auxilium petere. « (Lib. 2. de grat. cap. 8.)
GtVII. Résumons ici notre doctrine, que nous venons de voir soutenue par tant de théologiens : d'une part, elle admet la grâce intrinsèquement effieace par laquelle nous faisons le bien infailliblement (quoique toujours libre-ment ) ; on ne peut nier en effet que Dieu peut par sa toute-puissance mouvoir les cœurs des hommes à vouloir librement ce qu'il veut lui-même, comme nous l'avons observé dans notre réponse au système de Molina. D'un autre côté, notre doctrine admet la grâce vraiment suffi-sante, commune à tous, par laquelle, si l'homme veut y adhérer, il obtient aveccerlilude, au moyen delà prière, la grâce efficace; mais s'il ne s'y allachè pas, là grâce suf-fisante lui sera refusée. Il n'aura plus pour excuse qu'il n'avait pas la forée de vaincre les tenlâlions, parce que s'il avait voulu s'appuyer sur la grâce de prier, commune à tous, il aurait obtenu par la prière cette force qui lui manquait, et se serait sauvé.
CLVIII. Que si l'on n'admettait pas celte giâce suffi-sante avec laquelle, sans le secours d'une autre grâce non commune à tous, chacun peut prier, obtenir par la prière la grâce efficace et observer la loi, je ne comprendrais plus comment les orateurs sacrés peuvent exhorter les peuples à se convertir, alors que plusieurs resteraient privés, même de la grâce de prier; car les peuples pourraient leur ré-pondre : « Ce que vous nous dites, dites-le à Dieu, afin » qu'il le fasse lui-même, puisque nous, nous n'avons ni >> la grâce immédiatement efficace de nous convertir ac-» tuellement, ni la grâce suffisante médiate pour l'obtenir xix.                                                            21
g-22                                 TRAITE
j, par le moyen de la prière. » Je ne pourrais non plus, m'expliquer comment l'Écriture sainte est si pleine d'exhortations aux hommes d'obéir à la voix de Dieu, sj tous les hommes ne reçoivent pas la grâce de la prière, puisqu'alors ceux qui seiaient également privés de la giàce efficace pour prier pourraient dire à Dieu : « Sei-» gneur, pourquoi nous dites-vous cela à nous? Faites-le » vous-même, puisque vous savez que nous n'avons pas ? même la grâce de vous prier de nous faire correspondre » à votre exhortation. » Enfin, je ne concevrais pas la jus-tice de ceieproche adressé aux pécheurs : « Vos sempei » Spiritui Sancto resistitis » ( Act. 7. 51 ), alors qu'ils manqueraienl de la grâce éloignée nécessaire pour prier actuellement.
CL1X. Au contraire, noire doctiine de la grâce de la piière commune à tous écarte l'excuse de ceux qui oseraient dire qu'ils n'avaient pas la force de îésiblei aux assauts de la chair et de l'enfer, puisque, s'ils n'a-vaient pas la force actuelle de résister, ils avaient au moins la grâce de la prière, avec laquelle ils auraient obtenu le secours efficace et auraient été vainqueurs.
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.
VIIe SESSION.
DÉCRET   SUR   LES   SACREMEKS.
Des Sacreraens en général.
I.  Sur le sujet des sacremens en général, du baptême et de la confirmation en particulier, il u'a point paru nécessaire aux Pèrei du concile d'exposer la vraie doc-trine dans des décrets séparés, comme ils l'avaient l'ail dansla session précédente louclianl la justification, mais ils-jugèrent qu'il sufh'sail de condamner les erreurs. On formula en conséquence trente canons de foi : treize sur les sacremens en général, quatorze sur le baptême et trois sur la confirmation.
II. On lildans le préambule, que, pour compléter la doc-trine sur la juslificaiion promulguée dansla session précé-dente, il a paru convenable de traiter des sacremens, parle .moyen desquels la grâce se communique à nous, et que pou r cela le concile élablissail plusieurs canons pour condam-ner les erreurs contraires à la foi. Nous transcrivons ici ces canons, à chacun desquels nous joindrons les objec-tions et les observations qui y iurent faites.
III.  Dans le, can. -1 il est dit : « Si quis dixerit sacra-> menla novaì legis non fui&se omnia a Jesu Christo Do-» mino nostro instituta ; aut esse plura vel pauciora quam
21.
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» sepiem, videlicet baptismum, confirmationem, eucha-» ristiam, poenitentiam, exlremam-unclionem, ordinem, » matrimonium; aut etiam aliquod horum septem non » esse vere et proprie sacramentum : anathema sit. »
IV.  Soave (fra Paolô) dil que quant au nombre des sacremens, tous les Pères conviennent unanimement qu'il y en a sept, et que celte vérité est confirmée par l'autorité des scholasliques, ayant à leur tête le maître des Senten-ces, ainsi que par le concile de Florence et la tradiiion de l'Église romaine. Mais on devait y ajouter l'accord de l'Église grecque, laquelle, bien que séparée depuis huit siècles de. l'Église romaine, sur ce point du moins n'est point divisée. El cela était nécessaire à noter pour faire voir que celte vérité nous était parvenue par Jésus-Christ et les apôlres.
V.  De plus, Soave, faisant à son ordinaire la leçon au concile, déclare que pour lui il pensait qu'il eût élé bien cfé ne pas marquer expressément que les sacremens sont au nombre de sept, * et non plura vel pauciora , » disant que les opinions variaient touchant la définition et l'es-sence du sacrement, et qu'ainsi on ne pouvait établir avec une entière certitude quels et combien ils étaient. Mais on répond qu'il nous suffit de savoir que les sa-cremens sont de certains signes sensibles qui opèrent au ìióm de Îésus-Clirist, lesquels, toutes les conditions Vou-lues étant remplies, apportent par eu*-mêmes et infailli-blement la grâce. C'est pourquoi les sacremens ne sont pas des choses semblables â là Bénédiction d'un àbbé, ni à la création des éardinaux et àulféâ fóncrióìis nommées pÂi Soâvé; car ces choses ne produisent pas là grâce, pas plus que le martyre lui-même, qui n'esf point adminis-tré rtù nom d&Ì&irè-CÌìrisr, mais cri haine' de Jésus-ChYîst.
CONTP.E   LES,   HÉRÉTIQUES.                         525
Du veste, peu importe de connaître la quidve, des sa-cremens el en quoi consiste leur essepee.
VI.  Il y eul bien dans le concile quelques Pères qui n'étaient point d'avis de mettre ces mots ; « plura vel pau-» cioja quam septem, » disant que cela n'avait pas été usité chez les anciens docteurs, ni  dans le synode de Carlhage, ni dans le concile de Florence. Mais on répon-dit que dans ces temps les deux hérésies, dont l'une n'ad-mettait que deux ou trois vrais sacremens, et l'autre ad-mettait que tous les actes auquels la grâce est promise dans l'Écriture, comme l'aumône el la prière, étaient tous des sacremens, n'avaient point encore paiu,
VII.  Le can. 2, porte : « Si quis dixerit ea ipsa nova » legis sacramenta a sacramentis antiquae legis uon dif-» fere, nisi quia ceremoniœ sunt aliae, el alii ritus externi : » anathema sit. »
VIII.  Au sujet de la différence des sacremens de l'an-cienne loi et de ceux de la nouvelle, Soave fait plusieurs discours afin de mettre en doute la vérité catholique. Celle vérité est que les sacremens de la loi nouvelle pro-duisent la grâce, et ceux de l'ancienne ne faisaient que la figurer. Ainsi, c'est une erreur de dire, avec les nova-teurs , que nos sacremens ne sont que de purs signes de la grâce, puisque, bien qu'ils soienl signes et qu'ils figurent la giâce, ils la produisent en même temps, comme les nuages sont à la fois signes et causes de la pluie. C'est pourquoi S. Paul appelle toutes les cérémonies de l'an-cienne loi, « élémens impuissans et ombres des choses » futures. » (Gui. 4.9. Coloss. 2. 17.) Mais l'Évangile au contraire nous affirme que par le baplûme l'homme re-naît à la grâce, qus dans le saciemcnl do la péniienee, les péchés sont remis, que dans l'eucharistie on reçoit ?,?
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vie, que par l'imposition des mains des évêques, l'esprit saint descend en nous. D'où on voit que les sacrèmens ne sont pas des signes stériles, mais encore des causes produisant la grâce qu'ils promettent.
IX.  Dans le can. 3 on lit : « Si quis dixerit haec sep· » tem sacramenta, ita esse inier te paria, ul nulla ratione » aliud sit alio dignius : anathema sit. »
X.  Dans ce canon, les mots nulla ratione furent ajou-tés, parce que Luiher prétendait que tous les sacremens sont entièrement égaux, comme il l'avait déjà écrit au sénat de Prague en ces termes : « 11 n'y a pas de sacre-» ment plus digne qu'un auire, puisque tous consistent » dans la parole de Dieu. » Mais cela est contraire à ce qu'ont écrit S. Denis, S. Ambroise et Innocent III, dans le cap. cum Marthae, de celebr. missa. Dans le concile, quelques-uns insinuaient que chaque sacremenl a quel-que excellence particulière, par laquelle il «e reste pas in-férieur,au:; autres; mais ce qu'ils en dirent ne fut pas pris en considéralion.
XI.  Le can.  4, porte : « Si quis dixerit sacramenla » novselegis non esse ad salutem necessaria, sed superflua ; » et sine eis aut eoium voto per solam fidem homines a » Deo gratiam justificationis adipisci, licet omnia singulis » necessaria non sint : anathema sit. »
XII.  Les hérétiques sont d'autant plus opposés à la né-oessilé des sacremens qu'ils tiennent que c'est la foi seule qui nous justifie. Les sacremens selon eux servent seu-lement à exciter et nourrir celte foi, laquelle d'ailleurs peut, disenl-ils, être excitée et nourrie par la prédici-lion. Mais cela est certainement faux, et celte erreur PSI condamnée dans les canons suivans, 5, 6, 7 et 8 , parce que nous savons par l'Écriture elle-même que quelques
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sacremens sont nécessaires au salut par eux-mêmes ei de nécessité de moyen , comme le baptôme à lou's, la péni-tence à ceux qui sonl retombés dans le péché depuis le baplême el l'eucharistie, qui, au moins en désir, est éga-lement nécessaire à tous.
XIII. Soave dit encore que le vœu ouïe désir au moins implicite du baptême (la même chose se dirait de la pé-nitence pour le pécheur) ne paraissait pas à plusieurs pères du concile êlrenécessaiieà la justification, puisque Corneille et le bon larron, sans avoir de notion du bap-tême , avaient été justifiés. Mais Palavicin répond que cette opinion, rapportée par Soave , n'est qu'un rêve de • son esprit ; car les théologicus de Trente pour défendre leur opinion n'auraient pu s'appuyer de l'exemple de Corneille cl du bon larron, puisque personne n'ignore que l'obligation du baplême ne commença qu'après la mort du Sauveur el depuis la promulgation de l'Évan-gile. Du reste, ou ne peut nier que dans l'acte de parfait amour de Dieu, lequel suffit pour la justification, se trouve le \œu implicite du baptême, de la pénitence et de l'eu-charistie? Qui veut un tout, veut encore chaque partie de ce loulettous les moyens nécessaires pour l'acquérir. Il faut, pour que l'infidèle puisse être justifié sans le bap-tême , qu'il aime Dieu par-dessus tontes choses, et qu'il ail une volonté générale d'observer tous les divins pré-ceptes, parmi lesquels le premier est de recevoir le bap-tême. Afin donc qu'il soit justifié, il est nécessaire qu'il ail au moins le desit" implicite de ce sacremerit, puis-qu'il est certain qu'à ce désir est attachée la régénération spirituelle du non baptisé, de même que la rémission des péchés aux baptisés repentans est attachée au vœu implicite ou explicite de l'absolution sacramentelle.
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XIV.  Ou ajouta ensuite au susdit canon ces paroles, « licet omnia  singulis necessaria non sint ; » et cela en vue de condamner Luther, qui prétendait qu'aucun des sacremensn'était absolument nécessaire au salut, faisant entièrement dépendre le salut delà foi, comme nous l'a-vons dit, et nullement de l'efficacité des sacremens.
XV. Dans le can. ?, on lit : « Si quis dixerit haecsacra-» menta propter solam fidem nutriendam instituta : ana-» thema sit. »
XVI.  Dans le can. 6 : » Si quis dixerit, sacramenta » novae legis non continere gratiam quam significant, aut » gratiam ipsnm non ponentibus obicem non conferre, » quasi signa tantum externa sint accepi se per fidem gra-» lise, vel justitiam, et notae quaedam christianae profes-» sionis, quibus apud homines discernuntur fideles ab in-» fidelibus : anathema sit. »
XVII.  Dans le can. 7 : « Si quis dixerit, non dari gra-» liam per hujusmodi sacramenta semper, et omnibus, » quantum est ex parte Dei, etiamsi rite ea suscipiant, sed » aliquando, ei aliquibus : anathema sit. »
XVIII.  Dans le canon 8 : « Si quis dixerit, per ipsa » novae legis sacramenta ex opere operato non conferre » gratiam, sed solam fidem divinas promissionis adgra-» tiam consequendam sufficere : anathema sit. »
XIX.  Les erreurs énoncées en ce canon furent juste-ment condamnées; nous ne les rapportons pas, elles sont les mêmes que le canon 11.
XX.  Dans le canon 9 on lit : « Si quis dixerit, in Iri-« bus sacramentis, baptismo scilicet, confirmatione, et » ordine non imprimi characterem in anima, hoc est si-? gnum quoddam spirituale, ei indelebile, unde ea ile-» rari non possunt : anathema sit. »
XXI.  Sur le dogme enseigné par l'Eglise cajholique touchant le caractère qu'impriment chns l'ame les trois sacremens nommés dans ce canon, le bnpiême, la con-firmation et l'ordre, lesquels ne peuvent être confé es deux fois, Soave produit l'opinion émise par Scol, dans (IV. disl. qu. 9.) qu'une telle doctrine ne dérivait nécessaire-ment d'aucun texte de l'Écriture ou des Pères, mais de la seule autorité de l'Église, d'où lui-même dédi isaïl in-justement que Scot niait très-convenablement celts vérité. Mais c'est là une pure calomnie, car, bien que Sc( l diffère à ce sujet de sentiment avec les autres, lesquels s'accor-dent à dire que ce dogme se prouve suffisamment par les Pères et par l'Écriture, cependant on ne peut ni dire ni supposer que Scot nie, ou même doute du caractère des trois sacremens dont il s'agit. Ce dogme d'ailleurs est prouvé par plusieurs textes de l'Écriture, et spécialement par la seconde épi Ire de S. Paul aux Corinthiens  ?. 22.), où il est dit que Dieu nous met un signe et nous donne un gage de son héritage : « Qui et signavit nos, et dedit » pignus spiritus in cordibus nostris. » Et celte \ériléest plus clairement encore exprimée dans les Pères grecs et latins cités par Belhirmin (De effect. sacram, lib. 2. c. 21.), parmi lesquels se trouve S. Augustin, qui dans scnépîtte vingt-trois parle ainsi : « Le sacrement de bapîène suffit » pour la consécration; celle-ci rend l'hérétique c jupable y> tant qu'il reste éloigné du troupeau du Seigneur, puis » qu'il porte le signe du Seigneur. La doctrine saciée nous » enseigne donc qu'il doit être corrigé, mais non onsacré » de nouveau. »
XXII.  Les hérétiques commettent l'erreur de croire que les impressions divines sont comme les droits et le pou-voir que les hommes ont sur la terre, et qu'ils acculèrent*
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par eux-mêmes ou qui leur sont conférés extrinsèque-menl : mais les impressions de la grâce sont surnaturelles et intrinsèquement produites par Dieu dans notre ame. Certains dons peuvent être enlevés par le péché, et telle est la giâcedelajuslificalion : d'autres ne peuvent jamais être détruits, et ce sont d'avoir reçu la qualité dechrétien, d'être confirmé du sceau de la milice du Christ, et d'avoir reçu le pouvoir conféré dans l'Église militante : ceux-ci se nom-ment caractères et ne peuvent être effacés même parle péché.
XXIII.  Dans le can. 10 il est dit : « Si quis dixerit, » christianos omnes in verbo, et omnibus sacramentis ad-» minislrandis habere potestatem : anathema sit. »
XXIV. Ce canon condamne l'erreur de Luther, qui di-sait que non-seulement les hommes, mais les anges et les démons eux-mêmes, sous forme humaine, étaient des mi-nistres aptes à conférer les sacremens : à plus forte raison admettait-il que tous les chrétiens étaient aptes au minis-tère, puis qu'il prétendait que par le baptême chacun avait pouvoir sur tous les sacremens. Ici se trouve encore condamné l'erreur de Calvin, qui même dans le cas de nécessité refusait aux laïques le pouvoir de baptiser. Aussi le concile dit avec raison : « Omnes in omnibus » sacramentis habere potestatem ; » car dans le casde né-cessité le simple laïque peut administrer le baptême, et dans le mariage, selon la vraie doctrine de Bellarmin, (quoique en cela les autres disent le contraire) les seuls laïques sont les ministres d'un sacrement. 11 est certain ensuite, 1° que les anges ne peuvent pas être les ministris des sacremens, puisque ce pouvoir a été accordé aux hommes par Jésus - Christ quand il leur a dit : « Euntes ? docete omnes gentes, baptizantes eos, etc. Hoc facite » in meam commemorationem, Quorum remiseritis pec-
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                       531
» cala, remittuntur eis. » Et 1° qu'il ne suffit pas d'être baptisé pour pouvoir administrer tous les saeremens. Les opôlres furent baptisés d'abord et ils reçurent ensuite le pouvoir de consacrer l'eucharistie par ces paroles : » Hoc facile in meam commemorationem; » et de remet-tre les péchés par celles-ci : « Quorum remiseritis pec-» enta, etc. »
XXV. Dans le can. 11 on lit: « Si quis.dixerit, in « ministris, dum sacramenta conficiunt, et conferunt, » non requiri intentionem saltem faciendi quod facit » Ecclesia : anathemr. sit. »
XXVI Par ce canòn, on condamna l'opinion do Lu-ther, qui, dans son livre de la Captivité deBabylone, disait que tout sacrement était vnlidemenl reçu toutes les fois qu'il était administré, quand bien même le ministre le confèreiait fictivement ou par jeu et sans intention de le conférer; car il prétendait que toute la vertu du sacre-ment consiste dans la foi de celui qui le reçoit, et non dans le sacrement lui-même, encore moins dans l'inten-tion du ministie.
XXVII. Une opinion remarquable émise dans le concile est celle d'Ambroisc Calharin, opinion soutenue avant lui par Pierre des Marais et par Sylvestre de Prierio, savoir qu'il suffisait pour 1.» validité du sacrement que le ministre le conférât sérieusement, quand même il n'aurait pas l'intention de le conférer. En sorte, disait Catharin, que si le ministre, en donnant le baptême, n'entendait que laverie front de l'enfant, pourvu qu'il le fil sérieusement, pur là même le baptême serait valide. Sa raison principale était que si de tels sacremens n'étaient pas valides, tous les baptêmes resteraient douteux, ainsi que toutes les ab-solutions sacramentelles; et ce qui importe surtout, les
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ordinations des-prêtres et principalement celles des, évê-ques, de la valeur desquelles dépend ensuite celle d'une multitude d'autres ordinations.
XXVIII. Bellarmin, en condamnant celle opinion, n'hésite pas à dire (tom. S. lib. 1. cap. 27.) : « Haec opi-» nio non video, quid differat a senien'.ia haereticorum. » D'un autre côté, Palavicin écrit qu'une (elle opinion étant contraire à la commune doctrine des théologiens, qui exigent au moins du ministre l'intention implicite de conférer le sacrement, il la lient pour fausse, mais non cependant pour condamnée, puisque le concile, dans le canon rapporté plus haut, se borne à déclarer qu'il est nécessaire que le minisire ait l'inlenlion de faire ce qu,e fait l'Église. D'où il suit que toules les fois que le mi-nisire donne le sacrement extérieurement et sérieusement, comme il est d'usage de le donner dans l'église, on ne peut dire que l'opinion de Calharin soit condamnée en vertu de ce canon. Et en effet Cathaiin continua à la dé-fendre depuis le concile, et elle esl défendue encore au-jourd'hui par plusieurs. Au reste, dire que le sacrement est donné quand le,minislre enlend posilivemenl ne pus le conférer, c'est une chose bien dure. Pour le sacrement de la pénitence en particulier, nous avons les paroles du Seigneur: « Quorum remiseri lis peccata remittuntur eis : » et quorum retinueritis, retenta sunl. » (Jo. xx. 23.) Ces paroles dénotent bien l'intention que doit véritable-ment avoir le prêtre d'absoudie pour que l'absolution soil valide. En outre, S. Thomas (5. p, q. 64. a. 8.) enseigne que comme les acles sacramentels peuvent se rapporter à plusieurs fins, par exemple, l'ablution du baptême, qui peut se rapporter à l'enlèvement des taches du corps ou do celles de l'ame, OU voit parla que l'intention du minisive
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détermine la fin de cet acie. Voici les paroles du saint docteur : « Sicut ablulio aquae, quae fil in baptismo, po-» test ordinari et ad munditiam corporalem, et ad sanila-» tem spiritualem, et ad ludum, et alia hujusmodi ; et » ideo oportet, quod determinetur ad unum, id est ad » sacramentale effectum, per intentionem abluentis. » (Loco cit.)
XX1&. Les adversaires opposent ce que dit ensuite le docteur angélique dans la réplique ad 2, savoir : « In » verbis autem quae profert (minister) exprimitur intentio » Ecclesiae, quae sufficit ad perfectionem sacramenti. » Mais le P. Gonet répond que par là S. Thomas, d'après l'objection qui lui était faite, n'entendait dire autre chose sinon qu'il n'était point nécessaire que le ministre expri-mât extérieurement son inleniion de vouloir que le sacrement eût ion effet, par la raison que « in verbis quae » profert exprimitur intentio Ecclesiîe. » Et cela se con-firme encore mieux par ce qu'écrit S. Thomas à l'article 10, où il se demande s'il faut l'intention droite du mi-nistre pour la validité du sacrement, et il répond ainsi : « Intentio ministri potest perverti dupliciter. Uno modo » respectu sacramenti, puta cum aliquis non intendit sa-» Mamentum conferre, sed derisorie aliquid agere ; et talis » perversitas tollit veritatem sacramenti, piaecipue quando » suam intentionem exterius manifestat. » II eu est au-trement, dit le saint, si le ministre entend opérer lé sa-Crémenl, mais pour one mauvaise fin, comme serait, par exemple, l'abus du maléfice, etc. Notez les paroles r « Cum aliquis non intendit sacrâfhêntum conferre; » 8. Thomae requiert donc absolument l'intention dans le ministre de conférer le sacrement, pour que le sacrement îo'it valide. Il en est autrement, dit-il, s'il y a intention de
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le conférer, bien que cette intention soit perverse : ainsi, toute la dislincUon est dans ce point, si le ministre a ou n'a pas l'intention de .conféra le sacrement. Et ailleurs (opus. 8.), le docteur angélique dit expressément : « Si » minister non iniendat sacramentum conferre, uonpei-» Scitur sacramentum. »
XXX. On peut joindre à l'upinian que nous combattons, la proposition 28, condamnée par Alexandre VIII, et qui disait: « Valet baptismus collatus a ministro, qui omnem » ritum externum, formamque baptizandi observat, intus » vero in corde suo apud se resolvit : non intendendo » facere quod fecit Ecclesia. » Nos adversaires prétendent que celte condamnation ne prouve pas contre eux, parce que la proponi lion pouvait s'entendre de l'acte externe dé-risoire. Mais on répond : l°que l'acte dérisoire avait élé déjà condamné par le concile de Trente, et qu'ainsi une seconde condamnation était inutile ; 2° que la proposition ci-dessus n'était pas soutenue par des hérétiques, mais par des auteurs catholiques, entre autres par Jean Marie Scri-bonius (Summa thiol. disp. 1. de sacram, queest. G.), le-quel supposail l'administration sérieuse et non dérisoire, et c'est celle opinion qui fut condamnée. Aussi Benoît XIV dit avec raison (De synodo lib. 7. cap. 4.) que par celte condamnation, l'opinion de Catharin se trouve bien af-faiblie, et puis il conclut que bien que cette opinion soit probable, le prêtre pécherait certainement en conférant Je sacrement selon l'opinion de Calharin, puisque le sa-crement resterait douteux ; de sorte qu'il devrait Être re-nouvelé au moins sous condition.
XXXI.  Quant aux inconveniens signalés parCulharin, Pallavicin remarque que môme en n'exigeant pas l'in-tention du ministre, ces mêmes inconveniens se rencon-
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lient par d'autres voies, Par exemple, dans l'administra-tion du sacrement de la pénitence, le prêtre peut facilement, puisqu'il donne l'absolution à voix basse, omettre une parole essentielle, et laisser ainsi tous ses pénitenssousle poids de leurs péchés. Les curés pourraientagirdemême, e» altérant malicieusement la forme du baptême ; et comme ce sacrement est la porte de tous les autres sacre-mens, il en arriverait que la nullité de ces baptêmes en-traînerait celle d'une multitude d'absolutions sacramen-telles et d'ordinations de prêtres. 11 n'y a ici que le recours à la Providence pour empêcher ces causes de la ruine de tant d'ames. D'autant que de tels sacrilèges n'apportent aucun avantage temporel à ceux qui les commettent. En outre, au sujet du baptême, sacrement le plus nécessaire de tous, il ne manque pas de théologiens, anciens cl mo-dernes, comme Alexandre deHales, Gabriel, Ikuaad, qui disent avec S. Thomas (5. p. q. 64. a. 8, ad. 2.) que dans un tel cas Dieu y supplée pour les enfans, et que pour les adultes leur propre foi et le désir du baplêmo leur en tiennent lieu. Dans un tel cas, dit Pallavicin, si la grâce n'était pas infuse par le sacrement ou par la di-vine promesse, elle le serait au moins par la miséricorde divine, qui ne permettrait pas alors que notre confiance fût ainsi frustrée parla malice des ministres.
XXX. Le can. 12 porte : « Si quis dixerit, ministrum » ?? peccato mortali existentem, modo omnia essentialia, » quae ad sacramentum conficiendum, aut conferendum » pertinent, servaverit, non conficere, aut conferre sacra-» cramenlum : anathema sit. »
XXXIII. Celte erreur fut d'abord embrassée par les donaiistes et puis par Jean Wiclef, qui la défendit très-foriement. Et certes l'erreur est palpable, car le premier
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auteur des saeremens est Jésus-Christ, comme dit S. Jean (i. 26.) : « Hie est qui baptizat in Spiritu Sancto. » Ainsi, toutes les fois que le ministre accomplit tous les points essentiels à la validité du sacrement, cette validité s'en-suit. El cela parce que le pouvoir d'administrer les saere-mens est un pouvoir de juridiction, lequel est concédé non pour l'utilité de celui qui l'obtient, mais de celui qui re-çoit le sacrement ; aussi ne se perd-il pas par le péché.
XXXIV.  Dans le can. IS on lit : « Si quis dixerit, re-» ceptos et approbatos Ecclesiae catholicae ritus, in solemni » sacramentorum administratione adhiberi consuetos, aut » contemni, aut sine peccatoa ministris pro libito omitti, » aut in novos alios per quemcumque ecclesiarum pasto-» rem mutari posse : anathema sit. »
XXXV.  Il n'est point douteux que l'Église ait le pou-voir d'établir ou de changer  les lits, c'est-à-dire les cérémonies usitées pour l'administration des saeremens , comme l'a déclaré le concile de Trente dans sa session 24 au chap. 2, où il dit : « Hanc potestatem perpetuo in ec-» clesia fuisse, ut in sacramentorum dispensatione, salva » illorum substantia, ea statueret, vel mutaret, quae sus-« cipienlium utilitati, aut ipsorum sacramentorum vene-? rationi pro rerum, temporum et locorum varietate ma-« gis expedire judicaret. » Mais un tel pouvoir appartient seulement à l'Église, et c'est avec raison qu'elle a défendu dé changer les rite ; autrement, comme dit S. Augustin (Epist. !»4. alias 108.); lés innovations des divers minis-tres troubleraient l'ordre et la paix générale dé l'Église.
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Du baptême.
XXXVI.  Le can. 4 porte : «Si quis dixerit, baptismum ?, Joannis habuisse eamdem vim cum baptismo Christi : » anathema sit. »
XXXVII. Quelques-uns dansleconcilevoulaientquececa-non fûtrédigéd'aprèsl'Écriture, prétendant qu'elle déclare que le baptême de Jean était donné pour la rémission des péchés, et ils s'appuyaient sans doute sur ce que dit S. Luc de S. Jean-Baptiste : « Et venit in omnem regionem Jor-» danis praedicans baptismum poenitentiae in remissio-» nem peccatorum. » Mais on répondit par l'autorité des Pères qui enseignent que le baptême de Jean était donné pour la rémission des péchés, non point par sa propre vertu, mais par l'espérance du baptême de Jésus-Christ, dont il était la préparation et la figure. Et S. Jean-Bap-tiste l'explique bien suffisamment lui-même, en disant : « Ego quidem aqua baptizo vos; veniet autem fortior » me : ipse vos baptizabit in Spiritu Sancto, et igr.e. » (Luc. m. 46.)
XXXVIII.  Le can. 2 porte : « Si quis dixerit, aquam » veram Pt naturalem non esse de necessitate baptismi, » atque ideo verba illa Domini nostri Jesu Christi : nisi » quis renatus fuerit ex aqua et Spiritu Sancto, ad mela-» phoram aliquam detorserit : anathema sit. »
Ce canon est dirigé contre l'erreur de plusieurs héréti-ques et aussi de Luther, qui, sur la question de savoir si, à défaut d'eau, il était permis de baptiser avec du lait ou de la bière, répondait (in Sympos. colloq. cap. 47.) :Quid-» quid balnei nomine nuncupari potest, illud esse aptum » ad baptizandum. » Cependant on peut assurément faire xix.                                                           22
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des bains de lait et de bière, et certainement ces matières
ne sont point propres au baptême.
XXXIX. Dans le can. S : « Si quis dixerit, in Ecclesia » romana, quae omnium ecclesiarum mater est e} ma-» gislra, non esse veram de baptismi sacramento, doctri-» nam: anathema sit. »
XL. Dan? le can. | : Si quis dixerit baptismum, qui » etiam datur ab haereticis in nomine Patris, et Filii? et » Spiritus Sancti, cum intentione faciendi quod facit Ec-» clesia, non esse verum baptismum : anathema sit.»
XLI. Soave dit que dans la primitiae Église on ne re-baptisait pas peux qui avaient reçu le baptême des mains des hérétiques, et en cela il disait vrai : mais jl en appor-tait une raison fausse, en disant que ces hérétiques n'em-ployaient pas la matière et la forme regardées aujourd'hui comme e-sentielles par l'Église, parce que, dit-il, dans ces premiers temps , personne ne s'inquiétait de h matière et de la forme. Erreur grossière. Si Soave a voulu faire entendre parla que les anciens n'avaient pas connaissance de ces expressions forme et matière, cela importe peu ; il suffisait qu'ils connussent la chose que ces teimes dési-gnent. Que s'il a voulu dire qu'anciennement on ignorait les choses essentielles à l'administration du baptême, et que nous appelons aujourd'hui matière et forme, il est bien téméraire de supposer dans les anciens une telle igno-rance, puisqu'elle supposerait qu'ils n'auraient pas même eu la connaissance de l'Evangile, qui enseigne expressé-ment que l'eau est la matièie du baptême, et dont les pa-roles, «je le baptise au nom, etc., » sont la fiai me.
XLH. Bellarmin (t. 5. cap. 5. de baplismo.) observe à l'égard de la forme qu'il ne ressort pas d'une manière absolument évidente de l'Évangile que la vraie forme du
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baplême soit dans les paroles : « ego te baptizo in nomine s Patris et Filii et Spiritus Sancti; » mais qu'il faut re-courir à la tradition tt à l'autoritéde l'Église, qui l'a ainsi déclaré.
XLHI. Le canon 5 porte : « Si quis dixerit, baptismum » liberum esse, hoc est non necessarium ad salutem : ana-? thema sit. »
XL1V. Deux questions furent agitées dans le concile ; la première, de savoir quel fut sous la loi ancienne le remède de salut pour les enfans morts en bas âge. Luther, dans son livre des Controverses, dit qu'immédiatement après le péché d'Adam les sacremens qui donnent la grâce furent institués. Plusieurs théologiens ne jugèrent pas celte proposition condamnable à l'égard du salut des en-fans , S. Augustin ayant écrit qu'il fallait croire que de tout temps Dieu avait accordé un secours aux enfans, afin qu'en mourant à cet âge, ils ne fussent pas tous damnés : or, ce secours ne pouvant être le prix du mérite des en-fans (selon l'opinion d'un grand nombre), il paraît que quelque oblation sensible aurait eu la propriété du sacre-ment, comme d'ailleurs plusieurs scholastiques le pensent. De là on préféra ne pas décider ce point, comme nous l'apprend Pallavicin.
XLV. La seconde question fut de savoir si l'on devait condamner l'opinion de Cajetan, qui jugeait qu'il devait y avoir chez les chrétiens quelque secours pour les enfans qui mouraient dans le sein même de leur mère ; d'où il disait qu'on ne pourrait blâmer celui qui donnerait aux enfans en danger dans le sein maternel, la bénédiction au nom de la sainte trinilé; ajoutant : « Qui sait si la divine » miséricorde accepterait un pareil baptême d'après le vœu » des parens. » Seripand, pour sauver celte opinion de la
22.
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censure, dit que sans cela la foi aurait été plus efficace pour les anciens qu'elle ne l'est pour nous, pu isque S. Gré-goire écrit que la foi opérait alors ce que l'eau du baptême opère aujourd'hui. Or, si la foi des parens suffisait alors pour justifier les enfans, on ne doit pas croire qu'elle n'ait plus la même force depuis la rédemption de Jésus-Christ qui a aplani les voies du salut. Le concile ne jugea pas non plus nécessaire de décider ce point, parce qu'il n'en-trait pas dans la doctrine du baptême. Du reste, Domini-que Solo le réprouve comme une vraie hérésie ; et S. Pie Y l'a fait ôler de l'ouvrage de Cajelan, parce que, dire que celui qui n'a ni le baptême ni le désir du bap-tême peut aller au ciel, c'est s'opposer évidemment aux paroles mêmes de Jésus-Christ : « Nisi quis renatus fuerit »ex aqua, ei Spiritu Sancto, non potest introire in reg-» num Dei. » (Jo. m. 5.) On répondit encore à Seripand qu'aujourd'hui il est plus facile d'avoir de l'eau et la vo-lonté d'un homme pour baptiser, qu'il n'était ancienne-ment facile d'avoir la foi, laquelle, au reste, d'après l'opi-nion commune, ne pouvait sauver les enfans avant leur naissance. Gerson se laisse aussi aller à dire, que dans quel-que cas Dieu dispense en faveur des prières des parens; mais on répond que nous ne devons pas nous avancer jus-qu'à croire que Dieu use d'une telle miséricorde hors des limites qu'il nous a révélées dans l'Ecriture, mais seule-ment selon la portée des causes naturelles.
XLVI. Dans le can. 6 on lit : « Si quis dixerit, bapliza-» tum non posse, etiamsi velit, gratiam amittere, quan-tumcumque peccat, nisi nolil credere: anathema sit.» Ce canon correspond au can. 23 de la session 6 sur la justi-fication.
XLVII. Dans le can. 7 :  « Si quis dixerit, baptizatos
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» per baptismum ipsum solius lanium fidei debitores fieri, » non autem universae legis Christi servandae : anathema 8 sit. » Et ce canon correspond au dix-neuvième de la même session 6.
XLV1II. Dans le can. 8 : « Si quis dixerit, baptizatos » liberos esse ab omnibus sanctae Ecclesiae praeceptis, quae » vel scripta, vel tradita sunt, ita ut ea observare non le-» neanlur, nisi se sua sponte illis submittere voluerint : ana· » thema sit.» Ce canon répond au vingtième de la sessione.
XLIX. Dans le can. 9 : « Si quis dixerit, ita revocan-» dos esse homines ad baptismi suscepti memoriam, ul » vola omnia, quae post baplismum fiunt, vi promissio-» nis in baptismo ipso jam factae irrita esse intelligunt, » quasi per ea, et fidei, quam professi sunt, detrahatur, et » ipsi baptismo : anathema sit. »
L. On ajouta les paroles, « vota omnia quae post bap-» lismum fiunt, » parce que l'on considéra que comme il était probable que tous les vœux antérieurs sont ef-facés par la profession religieuse on pouvait penser de même des vœux faits antérieurement au baptême.
LI. Dans le can. 10 il est dit : « Si quis dixerit, pec-» cala omnia quae post baplismum fiunt, sola recorda-» lione, et fide suscepti baptismi, vel dimitti, vel venialia » fieri : anathema sit. »
LU. Dans le can. 11. « Si quis dixerit, verum et rite » collatum baptismum iterandum esse illi, qui apud in-» fideles fidem Christi negaverit, cum ad poenitentiam » convertitur : anathema sit. »
LUI. Dans le can. 12. « Si quis dixerit neminem esse » baptizandum, nisi ea aetate, qua Christus baptizatus est » in ipso mortis articulo : anathema sit. »
LIV. Dans le can. 15. « Si quis dixerit, parvulos, eo
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» quod actum credendi non habent, suscepto baptismo » inlei· fideles computandos non esse: ac propterea, cum » ad annos discretionis pervenerint, esse rebaptizandos, » aut praestare omitti eorum baptisma, quam eos non » actu proprio credentes baptizari in sola fide Ecclesiae : » anathema sit. »
LV. Dans le can. 44. « Si quis dixerit, hujusmodi » parvulos baptizatos, cum adoleverint, interrogandos esse, » an ratum habere velint, quod patrini eorum, dum bap-» tizarentur, polliciti sunt : ei ubi se nolle responderint, » suo esse arbitrio relinquendos; nec alia interim pcena » ad christianam vitam cogendos, nisi ut ab eucharistia, » aliorumquesacramentorum perceptione arceantur, donec t resipiscant : anathema sit. »
LVf. Il faut savoir que depuis le temps des apôtres jus-qu'au quatoizième siècle, on fut dans l'usage de donner le baptême par une triple immersion, comme le rapporte le P. Chalon (Hist. des sacrem. 1. 1. ch. H.), d'où S. Thomas (qui écrivait au treizième siècle, 3. p. q. 66. a. 7 et 8.) inculpait de faute grave ceux qui ne baptiseraient pas par immersion, et cela se pratiquait en plongeant le corps entier dans l'eau. Les femmes étaient baptisées dans un autre temps que les hommes, et dans un lieu séparé : à l'entrée et à la sortie des fonts les baptisés étaient revêtus, les femmes par leurs marraines, les hommes par leurs parrains, d'une espèce de tunique de toile qu'ils conservaient ensuite avec dévotion en mémoire de ce grand bienfait : ces tuniques se nommaient satanés. Mais S. Gré-goire en son temps permit aux Espagnols de baptiser par infusion et depuis lors on commença à substituer l'infu-sion à l'immersion et cela par plusieurs justes motifs, et spécialement à cause du danger que l'immersion faisait
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courir aux enfans, Le P. Chalon pense avec raison que même anciennement on se servait en plusieurs cas de l'infusion, comme quand il fallait baptiser les moribonds ou les martyrs enfermés clans les prisons. Et S. Cyprien, suivant le même auteur (Voy. Chalon à l'endroit cité), in-terrogé par un évêque sur cette question, si ceux qui n'a-vaient été qu'aspergés d'eau devaient être réputés chré-tiens, répondit, oui.
LVII. ïl est bon d'ajouter ici quelques notions lou-chant le baptême , les unes utiles, les autres nécessaires à connaître. Parmi les hérétiques qui allaquèrent la yé-rité du baptême on compta d'abord les gnosliques, qui rejetaient loul signe sensible, et les manichéens dans le troisième siècle, qui regardaient l'eau comme provenant du principe du mal. Les paulianistes et quelques ariens altérèrent la forme du baptême en omettant l'invocation des trois personnes divines. La vraie forme doit contenir l'invocation distincte des trois personnes divines, ainsi que la tradition l'établit, c'est ce qu'atteste S. Jus-tin, Tertullien , S. Basile, elc., cités par le P. Chalon (Hisl. des sacrem. ch. 15.); aussi le concile deNicée dé-clara nul le baptême donné sous une autre forme. Tour-nely, DM baptême, résout toutes les difficultés qu'opposent les mécréans en s'appuyant sur les paroles de quelques Pères qui sembleraient établit le contraire. 11 réfute spé-cialement le doute élevé d'après les paroles de S. Ara-broise, et démontre que ce saint ne parle pas en cet endroit de la forme du baplême, mais de la profession de foi que faisaient les calhécumènes. La forme des Grecs diffère de celle des Latins. Les Grecs disent : « Ser-» vus Dei baptizatur » ou « baptizetur in nomine Pa-» tris, amen, et Filii, amen, et Spiritus Sancti, amen; »
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celte forme est certainement valide pour les Grecs, puis-qu'Eugène IV l'approuva dans son décret pour l'instruc-tion des Arméniens. La forme des Latins est celle que nous avons dans le Rituel: « Ego te baptizo in nomine » Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen. » Les mots: « In » nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti, » sont certaine-ment essentiels et nécessaires, puisqu'ils sont présents par Jésus-Christ lui-même : « Euntes docete omnes gentes, » baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus » Sancti.» (Matih. XXVIII.) D'OU S. Augustin (VI. Debap-tism. e. xxv.) conclut : Quis nesciat esse baptisma Christi, » si verba evangelica, quibus symbolum constat, illic » defuerint?» Quant à ces paroles, « ego te baptizo,» quel-ques anciens au leurs du douzième siècle, tels que le maître des sentences, Preposilivus, Pierre le chantre, etc., ont dit que ces mots n'ont pas toujours été usités dans l'Église par les baplisans; et le baptême est valide, ajoulent-ils, quand on profère les seules paroles suivantes : « In no-» mine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen.» D'autres veulent que les paroles, « ego le baptizo » aient été tou-jours pratiquées, mais n'ont pas été toujours essentielles. Mais Juenin (De bapt. qu. 5. c. 2. concl. 1.) démontre qu'elles ont toujours été essentielles et toujours usitées comme on le voit dans le chapitre « Si quis, extra, de » baptismo » d'Alexandre VIII, où il est dit : « Si quis » puerum ter in aqua merserit in nomine Patris et Filii » et Spiritus Sancti, amen; et non dixerit : Ego le baptizo, » puer non est baptizatus. » Alexandre VIII, en 1690,. condamna cette proposition : «Valuit aliquando baplismus » sub hac forma collatus: in nomine Patris, etc., prœter-» missis illis : ego te baptizo.» Le mot le est aussi néces-saire, comme le remarque avec raison Juenin (ibid. q. 5.),
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non également le mot ego et le mol amen, quoique leur omission constitue une faute. Celui qui au lieu de baptizo substituerait les mois abluo, lavo, ferait sans doute un sa-crement valide, mais il ne serait point en cela exempt de péché.
LVIII. On objecte ce qui est dit dans les actes ( Àclor. cap. 2.) que d'abord le baptême se donnait au nom de Jésus-Christ : « Baptizetur unusquisque vestrum in no-» mine Jesu-Chrisli, » et dans le chap. 8 il est dit : « In » nomine Jesu Christi baptizabantur viri et mulieres. » On répond que ces paroles « in nomine Jesu Christi » sont destinées à marquer que ces personnes étaient bap-tisées , non du baptême de Jean, mais de celui institué par Jésus-Christ, comme le dit S. Augustin (contra Maxi-min. cap. 27.) en ces termes : « In nomine Jesu Christi » jussi sunt baptizari et tamen intelliguntur non baptizati » nisi in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Cur » non sic audis de Filio Dei : omnia per ipsum facta sunt; » ut et non nominatum inlelligas ibi etiam Spiritum » Sanctum ? » Et cela n'est point infirmé par ce que le pape Nicolas I (cap. ? quodam de consecrat, dist. 4.) ré-pondit aux Bulgares, que les hommes baptisés par un certain Juif l'étaient valideraient, « si in nomine Trinitatis, » vel tantum in nomine Christi (sicut in actibus aposlolo-» rum legitur) baptizati sunt (unum quippe idemque est » ut sanctus exponit Ambrosius) rebaplizari non debent.» Car on peut dire que le pape Nicolas n'avait pas été in-terrogé sur la forme du baptême, mais sur la qualité du ministre, et que par conséquent il ne traite pas ici pro-prement, mais seulement par occasion de la forme du baptême, témoin ce passage : « A quodam Judseo, nes-» citis utrum christiano an pagano, multos in patria vestra
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» baptizatos asseritïsetquid de iis agendum consulitis, » Mais on réplique que S. Ambroise (lib. 4. de Sph\ S. cap. 5.) dit qu'il suffit pour le baptême de l'invocation d'une seule personne de la Trinité : Qui unum dixerit, » Trinitatem significavit. Si Christum dicat et Deum pa-» trem a quo unctus est, Filius et ipsum qui Unctus est, * Filium et Spiritum quo unctus est designasti. » On ré-pond que S. Ambroise ne traite pas ici de la forme du baptême, mais seulement de son effet, lequel, d'après ce qu'il dit, doit être attribué à chacune des personnes de la Trinité, et par là le saint veut prouver que dans les actes ad exlra ce qui était attribue à une seule personne de-vait également s'entendre des autres.
LÎX. On doit en outre remarquer que le baptisé de-meure libéré de toute faute et de toute peine , selon la constante opinion des saints Pères et de l'Église, élant dans l'état de pure innocence; de sorte que s'il mourait alors, il entrerait à l'instant dans le paradis. C'est pour cela, dit le P. Chalon, que beaucoup différaient leur bap-tême jusqu'à la mort, croyant que s'ils mouraient lavés de leur péché ils restaient exemps de toute peine. Pierre Lombard (lib. 1. sent. dist. 47.) dit que les enfans bap-tisés ne demeurent pas justes par une justice intrinsèque, mais par l'amour que Dieu leur porte; mais celte justice imputative de Lombard est généralement rejetée par les théologiens, à l'exemple du concile de Trente, qui dans sa Sess. 44. can. 6, condamne ceux qui disent que l'homme n'est point justifié par la grâce intrinsèque que Dieu lui communique, mais par l'imputation extrinsèque de la justice de Jésus-Christ. Dans le cas cependant où un homme recevrait le baptême, en état de péché el sans le détester, dès qu'ensuite il le délestera, toutes ses fautes
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lui seront remises, parce qu'alors le sacrement revivra el opérera, comme si d'abord il avait été reçu avec la dis-position requisCé
LX. H faut savoir encore, que même dans l'antiquité, quand on avait quelque doute grave sur la validité du baptême donné à un enfant, on le répétait, ainsi que cela est prouvé par le P. Marlene, contre quelques-uns qui le niaient. Il démontre que cela se pratiquait depuis plus de 800 ans. Il remarque ensuite qu'on ne doit point re-baptiser ceux qui l'ont été par les hérétiques, comme l'a déclaré le pape Etienne en condamnant l'opinion de S. Cyprien, el comme l'a décidé aussi le premier concile de Nicée. Depuis S. Augustin en écrivant contre les donatistes qui rebaptisaient ceux qu'avaient baptisés les hérétiques a résolu toutes les difficultés opposées par S. Cyprien.
LXI. Jusqu'au sixième siècle, il était d'usage que les évêques conférassent seuls ordinairement le baptême, comme le rapporte le P.€halon (dans le eh. 17.), en sorlè que jusqu'au douzième, suivant cet auteur, les cardinaux même dans les églises dont ils étaient titulaires, en de-mandaient la permission aux papes. Quand la popula-tion des campagnes embrassa la foi, il devint nécessaire de concéder aux prêtres la faculté de baptiser eux-mêmes dans l'étendue de leur juridiction, et cela se fit vera le neuvième siècle. Les évêques, comme l'a écrit un auteur, restèrent facilement les ministres ordinaires du baptême, Ont qu'on continua la coutume de baptiser les adultes, mais non depuis que l'on commença à baptiser les jeunes enfans. Tillemont, dans le tom. 9 de son histoire, dit que chez les Latins on né doute pas que dans le cas dé nécessité les laïques eux-mêmes puissent baptiser, selon h commune doctrine de l'Église el le sentiment de Ter-
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lullien, de S. Iérome et de S. Augustin : mais, dit-il, dans l'Église grecque, il paraît que S. Basile et S. Cyprien doutèrent sur ce point ; il ajoute néanmoins qu'on évita peut-être de reconnaître ouvertement aux laïques celle fa-culté de baptiser dans les cas extrêmes de peur qu'ils n'en abusassent. Le P. Chalon écrit ailleurs qu'avec le temps les Grecs déposèrent leur doute à cet égard, et admirent que dans le cas de nécessité tous pouvaient baptiser.
LXII. L'usage de l'onction à la nuque avec le saint chrême est très-ancien , puisque le pape Innocent I en fait déjà mention dans sa décrétale à l'évêque d'Eugubio, bien qu'il ne fût pas alors universel : il était aussi fort an-ciennement en usage de placer un cierge allumé'dans la main du néophyte, comme le mentionnent S. Ambroise (lib. de lapsu Virg. c. 5.) et S. Grégoire de Nazianze (Oral, de bapt.)
LXIII. Anciennement, aussitôt que les adultes sortaient des fonts sacrés, ils étaient confirmés au front avec le saint chrême et puis ils assistaient à la messe où ils re-cevaient la communion; c'est ce que rapporte S. Augus-tin dans le Sermon cxxvn, et cela dura jusqu'au douzième ou treizième siècle, selon le Rituel romain. Le P. Chalon au chapilre dix-huit atteste que parmi les chrétiens d'O-rient cela se pratique encore ainsi de nos jours. On ne donnait point l'eucharistie aux petits enfans de peur qu'ils ne la rejetlassenl; mais comme l'écrit S. Cyprien (lib.de lapsis.), on leur donnait un peu du vin consacré. Et dans le douzième siècle, comme le conseillait Hugues de S. Victor (I. 4. de sac. c. 20.), il fut d'usage, pour obvier à tout inconvénient, de tremper le doigt dans le précieux sang et de le donner à sucer à l'enfant en disant : « Que » le corps et le sang de Jésus-Christ gardent ton ame
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» pour la vie éternelle. » Ce qui fait faire cette remarque à l'auteur des notes sur l'histoire du P. Chalon, que même dès ce lemps là on admettait qu'une seule espèce contenait l'une et l'autre.
De la confirmation ou saint-chrême.
I.  Dans le can. 1 il est dit : « Si quis dixerit, confir-» mationem baptizatorum otiosam caeremoniam esse, et » non potius veium et proprium sacramentum : autolim » nihil aliud fuisse, quam catechesim quamdam, qua » adolescentiae proximi fidei suae rationem coram ecclesia » exponebant : anathema sit. »
II.  Au can. 2. « Si quis dixerit, injurios esse Spiritui » Sanclo eos, qui sacro confirmationis chrismati virtu-« tem aliquam tribuunt : anathema sit. »
III.  Au can. 3. « Si quis dixerit sanctae confirmationis » ordinarium ministrum non esse solum episcopum, sed » quemvis simplicem sacerdotem : anathema sit. »
IV.  Nous noierons sur celle parole ordinarium qui fut ajoutée au canon, que quelques-uns prétendaient qu'on devait abandonner la question, parce qu'on lisait dans les acles du concile de Florence que les pontifes avaient quelquefois dispensé aux simples prêlres le pouvoir de confirmer avec le chrême consacré par l'évêque. Nous savons en oulre que S. Grégoire (lib. 4. episl. 26.) écrivit à l'évêque de Cagliari qu'il concédait ce pouvoir aux prêlres dans les lieux qui manquaient d'évêques. Au con-traire, l'évêque d'Acci il nobili, parlant de l'autorité ti-ïée des paroles du concile de Florence, oppose que le concile y rapporte simplemenl un fait et n'y décide pas la question, et il soutient que les minislies des sacremens
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ayant reçu leur mission de Jésus-Christ ne pouvaient êlre changés. Celle doctrine fut aussi celle de Durand, de Miijor et aussi d'Adrien VI. Mais Adrien la soutenait avant d'êlre pape, et depuis son exaltation y autorisa les franciscains dans les Indes et un pareil privilège se con-serve dans le couvent de S· François de Sévile. Le même privilège fut aussi concédé aux frères mineurs par Jean XXII, par Nicolas IV, par Eugène IV et Léon X, et enfin par Benoit XIV dans sa bulle « Eo quamvis tem-pore, * donnée le 4 mai 1745.
V. Soave à ce sujet cherche à discrédiler Je concile, disant que c'est chose étrange que de se fonder sur une lettre de S. Grégoire. Car, dit-il, si celle lettre se fût per-due, l'Église aurait donc décidé le contraire. Mais on lui répond que cet acte de S. Grégoire a été suivi et précédé d'un usage conforme pratiqué dans l'Église d'Orient où les prêtres ont continué à confirmer les enfans après le baplême, comme il est rapporté par Pierre Arcudiusau livre 2 de sa Conœrde.Ea vain Soave réplique que pen-dant 600 ans, et jusqu'au temps de S. Grégoire, on ne trouve dans l'Église aucune mention de cet usage : car premièrement celle mention se trouve dans l'auteur an-cien du livre des questions sur l'un et l'autre Testament, quest. 101, ouvrage attribué à S. Augustin, ainsi que dans l'ouvrage aussi ancien altribué à S. Ambroise, des commentaires sur l'épître de S. Paul aux Ephésiens au chapitre 4. Ou répond encore que dans les premiers temps plusieurs choses ne furent point écrites, mais se commu-niquaient aux générations par tradition ; c'est pourquoi les hérétiques niant les traditions, nient aussi plusieurs dogmes de foi. On ne doit pas non plus supposer que S. Grégoire, homme si docie, en usât ainsi sans avoir
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trouvé des enseignemens suffisans dans l'écriture ou la jradiiion. Cela posé, le concile ajoute sagement au canon susdit le mol ordinarium déjà adopié par le concile de Florence.
VI. Ainsi donc l'usage constant de l'Église d'Occident a £téque les évêques administrent seuls le sacrement du gaint-chrome. Anciennement il était donné aussi par les corévèques, mais pela s'entend de ceux qui étaient vérilar blement consacrés évoques, puisque les autres n'étaient que des simples piètres. On trouve encore que les papes ont concédé le privilège de confirmer à quelques abbés, comme à l'abbé de Monlcassin et autres : du reste Inno-cet I dans son épîlre à Décentius défend expressément aux prêîres d'-adminislrer la confirmation même aux en-fans : « Quant à ce qui est de confirmer les enfans, il est » évident que cela n'est permis qu'à l'évêque. » Le pape Gelase fait la même prescription (Epist. XIJ. c. 6.) et la même chose fut décrétée par le concile de Constance en condamnant la proposition vingtième de Wicleff, par le concile de Florence, el finalemeni par le concile de Trente dans le can. 3 rapporté plus haut. Que si on lit dans quel-ques auteurs que les prêtres ont administré le saint-chrême, cela doit s'entendre de l'extrême-onction sur la nuque, ou enfin de celle qui se donnait jadis aux hérétiques con« vertis. On doit seulement admettre que souvent il a été concédé aux prêtres d'êlre les ministres extraordinaires de la confirmation , comme il a été dit plus haut des prêtres de Sardaigne, et comme on sait qu'ont été auto-risés Jes missionnaires franciscains par Adrien II, et les gardiens de la Terre-Sainte, par Benoît XIV. Mais ce pri-vilège dépend d'une dispense particulière du pape, sans laquelle la confirmation serait non-seulement illicite, mais
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invalide, comme l'a écrit Benoît XIV (De synod. lib. 7. cap. 7 et seq.) En Orient, non cependant avant l'hérésie de Nestorius, l'usage s'introduisit que les prêtres confir-massent. Cet usage commença dans Alexandrie d'Egypte, d'où il se répandit dans les autres églises d'Orient jus-qu'au temps présent, et finalement il fut approuvé par trois pontifes, Léon X, Clément VII et Alexandre VIII, lesquels déclarèrent que les Grecs pouvaient sans scrupule conti-nuer à pratiquer ce rite. Il est à croire qu'en cela ces papes ont voulu faire une concession nécessaire à l'union de TÉgHse grecque avec l'Église latine, car on connaît assez l'attachement opiniâtre des Grecs pour leurs rites. VII. Il sera bon d'ajouter ici quelques autres notions touchant ce sacrement de la confirmation. Nous ne voyons point par les livres que nul aiant les luthériens et les calvinistes ail nié ce sacrement. Mais d'ailleurs nous avons sur ce point un document bien positif dans les actes des apôtres (Aclor. 8. 14.), où nous lisons que S. Pierre et S. Jean furent envoyés pour conférer le Saint-Esprit (c'est bien notre sacrement) aux Samaritains qui avaient été déjà baptisés par le diacre Philippe. Depuis le temps des apôtres l'Église a constamment persévéré à attribuer aux évêques l'administration du saint-chrême. « Ceux qui sont baptisés dans l'église (écrit S. Cyprien, » épist. 43.) se présentent aux prélats de l'église afin que » par nos prières et l'imposition des mains ils reçoivent » l'Esprit-Saint, et soient confirmés avec le signe du Sei-» gneur. » Terlullien écrit aussi (De baptismo cap. 7.) : » En sortant des fonls du baptême nous sommes oints » de l'huile sacrée. De plus on nous impose les mains » pour nons bénir en invoquant le Sainl-Esprit.» On lit la même chose dans S. Jérôme, S. Hilaire, S Augustin,
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et autres. On trouve aussi celte cérémonie décrite dans le sacramentale de S. Grégoire, publié par le P. Menard et dans les manuscrits de la secrétairerie du pape Gélase qui remontent à plus de 900 ans.
VIII. Quant à la matière du saint-chrème, il est cer-tain que le baume est requis « de necessitate praecepti, » qu'il lesoit aussi « de necessitate sacramenti, » c'esice que nient avec probabilité Solo, Navarre, Juénin, le continua-teur de Tournely et plusieurs autres qui s'appuyent sur le Cap. Pastoralis, de sacram, non iter., où le pape Inno-cent 111 répond à la question, si l'onction faile avec l'huile seule était valide : « Nihil esse reilerandum, sed caute » supplendum quod incaute fuerit prœlermissum. » Néan-moins l'affirmative plus générale est admise par Bellar-min, Gonet, la théologie de Périgueux, Concina et autres, avec S. Thomas (5. p. q. 72. a 2.) et le catéchisme ro-main (num. 7.), et elle se trouve confirmée par le con-cile de Florence, où il est dit que le saint-chrême doit être « confectum ex oleo et balsamo. » Et sur le texte contraire on dit aveo. la Glose qu'il y est dit : « Nihil rei-» terandum, » parce que « non dicitur iteratum quod » prius actum non fuit. » Mais celte réponse n'est point faile pour convaincre, et la première opinion ne laisse pas d'être assez probable, comme le soutient le P. Ferrari (Bibl. v. confirmatio, n. 10.) avec un décret de la sainte congrégation du concile. Cependant l'onction avec le chrême sans baume élant au moins douteuse, on doit la répéter au moins sous condition. Les Grecs, outre le baume, ajoutent encore quarante autres espèces d'aro-malesel de parfums. Dans les quatre premiers siècles on ne voit pas qu'aucun jour fut plus particulièrement dé-signé pour la consécration du saint-chrême ; mais dans le xu.                                                           23
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quatrième siècle, l'usage s'introduisit de le faire au jeudi saint, et cet usage s'est continué comme il paraît par le sacramentale de Gélase et les rituels grecs mômes actuels, qui assignent également ce jour-là. Le cardinal Lamber-tini rapporte, dans son Traité des Fêles, par. \, p. 247, qu'anciennement au jeudi saint on disait trois messes ; dans la première on réconciliait les pénitens, dans la seconde on faisait le sainl-chrème, et la troisième se disait pour la solennité du jour. En Grèce, les patriarches seuls consacrent le chrême ; mais dans l'Occident chaque évêque, dans son diocèse, fait cette consécration, assisté de douze prêtres, de sept diacres et de sept sous-diacres, comme l'a ordonné le pape Innocent III, et comme cela est usité encore au-jourd'hui, parce que jadis tel était le «ombre des minis-tres qui formait le collège destiné à assister l'évêque dans sa cathédrale pour le service de tout le diocèse. La bénédic-tion de L'huile des cathécumènes et des malades est plus ancienne que celle du saint-chrême. Mais depuis, ces trois consécrations furent faites dans le même temps pour plus de commodité. Dans le Rituel romain, on lit que la con-firmation se donnait dans l'église ou dans la sacristie,
IX. La forme du sacrement de confirmation dans l'É-glise latine, au moins depuis le douzième siècle, est celle-ci : « N. Signo le signo crucis, et confirmo le chrismate » salutis , in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti. y> Amen. » Mais avant cette époque, la forme a varié : dans l'Ordinaire romain, vers le huitième siècle, elle était plus brève, la voici : « Confirmo te in nomine Patris, et » Filii, et Spiritus Sancti. » Amalarius (lib. de div. offic. cap. 27.), fait mention d'une autre formule plus brève encore où l'on disait seulement : « In nomine Pairis, et Filii, ei Spiritus Sancii. » En Angleterre, au contraire, on
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omettait l'invocation de la sainte Trinité. Dans le ponti-fical de Elbert, évêque d'York, qui vivait vers le milieu du huitième siècle, la forme élait celle-ci : « Recevez le » signe de la sainte croix avec le chrême du salut en Jé-» sus-Christ noire Seigneur, pour la vie éternelle. Amen. » Dans le sacramentaire de Gélase, en signant Je front, on disait: « Le signe de la croix pour la vie éternelle. Amen. » Et cela dura plus de neuf cents ans. La forme pour les Églises d'Orient d'après la prescription du premier con-cile de Constantinople, était celle-ci : « Signaculum dohi » Spiritus Sancti. » L'évêque faisait l'onction, non-seule-ment au front, mais encore aux yeux, aux oieilles, à la bouche, etc., récitant plusieurs oraisons. D'autres Égli-ses, mais non d'Orieni, faisaient aussi usage de diverses formes.
X. Anciennement et jusqu'au treizième siècle, la con-firmation élait toujours joinle au baptême quand l'évêque lui-même baptisait des adultes ou des enfans, el cela se pratique encore dans les Églises d'Orient, comme le rap-porte le P. Chalon (chap. 3.), bien qu'il ne soil pas prouvé que cet usage soit universel. Ls Catéchisme romain dit que ce sacrement.ne se donne pas aux enfans qu'ils ne soient âgés de douze ans ou au moins de sept. Cependant Be-noît XIVécrit (de Synod. lib. 7, cap. 10) qu'à i'arlick de la mou ou lorsque l'évêque doit êlre long-temps éloigné, il peut êlre donné avant cet âge.
XI.  Le P. Chalon dit (cap. 40. in fin.) que dans l'É-glise grecque, il ne paraît pas que dans l'administration de ce sacrement, on pratique l'imposilion des mains sé-parément de l'onclioc, suivant la doctrine des théologiens, qui enseignent que dans l'onclion se irouve comprise l'im-posilion des mains. Quanl à l'Église latine, il dit que
23.
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tous les auteurs latins, tous les sacramentales et rituels prescrivent l'onction du front dans le sacrement de con-firmation, en l'accompagnant des paroles qui y sont as-signées, comme s'exprime Innocent 1".
XII.  Je n'ometirai point de loucher un mol de la grande question sur la forme et la matière de la confirmation, et dont j'ai traité longuement dans ma morale : je la res-treindrai autant que possible. On a émis là-dessus beau-coup d'opinions, mais il y en a deux principales, plus communément agitées. La première considère dans ce sa-crement deux matières et deux formés partielles. La pre-mière matière est celte imposition que fait l'évêque en avançant les mains vers les confirmés, et la forme est l'oraison qu'il prononce en même temps. La seconde ma-tière partielle est ensuite l'onction du chrême que fait l'évêque au front du confirmé avec cette seconde forme : » Signo te signo crucis, etc. » Celle doctrine est soutenue par Merbesius, Juénin, Habert, Genest, Duhamel, etc., et Tournely la regarde comme probable.
XIII.  L'autre doctrine qui semble presque générale est suivie par S. Thomas (5. p. q. 72. a. 2.) et dans la le-çon 1 du cap. 6 ap. 4. ad Hebraeos, où il dit que la ma-tière est celle imposition des mains qui est accompagnée de l'oncliori; et par une foule d'autres comme S. Bona-ventura, Éstius, Thomas de Waldcn, Cabassul, S. Anto-hin, Bellarmin, Sylvius (qui va jusqu'à dire qu'il est de foi que l'onction seule est la matière), de plus,  par Jean-Laurent Berli (de theol. dise. tom. 7. de confirm. cap. 4. ), où il la défend fortement et longuement ; de plus encore, par Scot, Gonel, Colet, continuateur de fournely, par la théologie de Périgueux, Solo, Frassen, Antoine, et par plusieurs autres encore, tel que Pierre de
CONTRE  LES  HÉRÊTiQL'ES.                          3ST
îfaeca, ché par Wiiasse, lequel affirme que ccUeòpimon est embrassée par tous les thomistes elles scotisles; et le catéchisme romain au § 1, où il est dit, que le chrême composé d'huile et de baume est la seule malière de la confirmalion, et où on lit ensuite : « Quod autem ea sit » hujus sacramenti materia tum sancta Ecclesia, et con. » cilia perpetuo docuerunt : tum a quampluribus SS. Pa-» tribus traditum est. » Nous embrassons nous-mêmes cette doctrine qui nous paraît moralement certaine, ainsi que le dit Bellarmin et comme il paraît par les preuves que nous en apporterons.
XIV. Il est hors de doute que la confirmation re-quiert à la fois et l'onction du chrême et l'imposi-tion des mains; mais il faut entendre celte imposition des mains qui se confond avec l'acte de l'onction; ainsi que le porte la déclaration d'Innocent III, dans le can. unie, de sacr. unct. § per frontis, ou le pontife dit : « Per » frontis chrismationem , manus impositio designatur ; » quae alio nomine dicitur confirmatio; quia per eam » Spiritus Sanctus ad augmentum datur et robur. » Le mot designatur ne doit point s'enlendre comme si on disait : » Significatur aut figuratur, » mais comme s'il y avait « signatur, assignatur, aut habetur confirmatio; » et cela ressort bien clairement des paroles qui suivent immédia-tement : « Unde cum caeleras unctiones simplex sacer-» dos valeat exhibere, hanc non nisi summus sacerdos, id » est episcopus valet conferre : quia de solis apostolis » legitur (quorum vicarii sunt episcopi) quod per manus » impositionem Spiritum Sanclum dabant. » El le pon-tife rapporte ici lespaioles des Actes des Apôtres (cap. 8. vers. 17.) où il est raconté que S. Pierre et S. Jean con-firmèrent les Samaritains, déjà baptisés, en imposant les
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maius sur eux : « Tunc imponebant manus super illos, » ei accipiebant Spirilum Sanctum. » Après ces paroles, le pontife ajoute : « Cujus adventus per unctionis minisle-» rium designatur. » Innocent, concluant donc que les seuls évêques peuvent donner l'onction de ce que les apô-tres seuls imposaient les mains, entend par conséquent que comme l'imposition était alors prise pour l'onction, de même Fonction l'est aujourd'hui pour l'imposition. Ainsi donc les évêques, en donnant aujourd'hui l'onc-iion , font ce que faisaient les apôlres en imposant les mains; à moins que l'on ne dise que les apôlres ont changé la matièie du sacrement, ce que l'on ne peut prélendiv , comme le remarque Bellarmin , puisque les inaiières et les formes des sacremens n'ont pu être insti-tuées que par Jésus-Christ et ne peuvent être changées par d'autres.
XV.  Cela est encore confirmé par  un autre canon même d'Innocent III, plus clair et qui fait  partie  du chap. 4 : « Quanto de consuelud., » où on lit : « Ut est » sacramentum  confirmationis,  quod chrismando  re-» natos soli debent episcopi per manus impositionem » conferre. » Remarquez les paroles, « chrismando... per  manus impositionem; » donc imposer les mains en donnant le chrême est la même chose que  confir-mer. Cela se prouve encore par la profession de foi de l'empereur Paléologue, qu'on lit dans sa lettre adressée à Grégoire X, el qui fut rapportée et approuvée dans le deuxième concile de Lyon, où il était dit : « Aliud » est sacramentum confirmationis, quod per manuum » impositionem episcopi conferunt chrismandis renatis. »
XVI.  A tout cela il faut ajouter la déclaration faite par Eugène IV dans le concile de Florence qui l'approuva, el
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                         3S9
où il est dit : « Secundum sacramentum est confirmatio, » cujus materia est chrisma confectum ex oleo et bal-v samo... per episcopum benedicto. Forma autem est : » signo te signo crucis et confirmo (e chrismate salutis in » nomine Paliis et Filii et Spiritus Sincti. Amen.» Aussi selon celle définition, plusieurs auteurs disent qu'il est de foi que l'unique matière de la confirmation est l'onction que fait l'évêque, et l'unique forme les paroles qui l'ac-compagnent. On a encore la déclaralion faile par Be-noît XIV, dans sa lettre encyclique aux archevêques ei évêques du rit grec, insérée au tome 4 de son BuIIaire au num. 54, p. 225, où ce pape, au § 51, parlant des deux doctrines mentionnées plus haut, dit premièrement : « Unicuique licet sequi partem quae placuerit. » C'est-à-dire qu'il est licite de suivre la première doctrine des deux matières et formes partielles qui est plus sûre et qu'il est permis aussi d'embrasser la nôtre, que l'onction par la main de l'évêque est l'unique matière, et les paroles qui l'accompagnent l'unique forme. Mais en outre, dans le § 52 il déclare expressément qu'il est hors de toute con-troverse que la confirmation est conférée validement toute les fois qu'on fait yonclion avec la forme que profère alors le ministre : « Est extra controversiam, in Ecclesia latina » (et il avait déclaré la même chose pourl'Églist grecque) y> confirmationis sacramentum conferri, adhibito sacro » chrismate oleo olivarum balsamo commixlo, ducloque » signo crucis per ministrum in fronte suscipienlis, dum » idem minister formae verba proftrl. »
XVII. Nous remarquerons ici que le même Benoît XIV, dans sa bulle Etsi pastoralis (?. 57.1.1 bullar. § 3. num. 4 ) déclare que ceux qui, parmi les Grecs, refusaient ou négligeaient, le pouvant, de recevoir la confirmation,
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devaient être avertis par leurs évêques du péché grave qu'ils commettaient : « Monendi sunt ab ordinariis loco-» rum, eos gravis peccati reatu teneri, si cum possint ad » confirmationem accedere renuunt, acnegligunt. » Cette admonition s'adresse de même sans doute aux chrétiens de l'Église latine.
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                        361
??? SESSION,
Du sacrement de l'Eucharistie.
I.  Dans celle session, le concile voulut, comme il l'a-vait fait dans celle où il statua sur la justification, ensei-gner la vraie doctrine afin que les fidèles fussent instruits de tout ce qu'ils devaienl croire touchant le sacrement de l'eucharistie. Aussi il est dit dans le préambule que le concile, voulant extirper les erreurs élevées au sujet de ce sacrement et exposer la doctrine qu'a tenue et que tien-dra toujours l'Église, instruite d'abord par Jésus-Christ, et éclairée ensuite par le Saint-Esprit, défend à tous de croire, d'enseigner ou de prêcher le contraire.
II.  Soave dit que les thomistes aussi bien que les sco-tisles prétendaient que l'Église déclarât points de foi leur doctrine respective. Mais le concile fut d'un tout autre sentiment, ainsi qu'il paraît par ses actes et ses définitions rédigés en termes tels qu'ils ne peuvent servir à combattre l'opinion d'aucune école. En conséquence, comme nous le verrons, il ne voulut se prononcer ni sur le mode de la piésence sacramentelle de Jésus-Christ, ni sur l'égalité ou la différence de la grâce attachée à la communion faite sous une seule espèce ou sous les deux.
III.  Soave assure encore que les Italiens se plaignirent de la règle que les présidens du concile établirent de n'ap·
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puyer les doctrines que sur l'Écriture ou les Pères, crai-gtianlpar là d'êtreexposés à rester en arrière des théolo-giens allemands ou flamands. Mais Pulavicin dément ce fait, et remarque que les Italiens avaient assez fait con-naître leur érudition dans les précédentes sessions par leurs nombreuses citations des Écritures, des conciles et des Pères, et qu'ils comptaient parmi eux un Melchior Canus, un Solo, un Seripand, un Catharin, un Salme-ron et un Lainez qui se faisait fort de ne citer aucun passage qu'il n'eût lu à sa source même.
IV. Dans le ch. 1 on déclare que le corps et le sang de Jésus-Christ sont véritablement, réellement et substan-tiellement sous les espèces du pain et du vin consacrés; voici le texte : « Docet S. synodus in eucharistiae sacra-» mento post pan is et vini consecrationem Jesum Chris-» tum verum Deum, atque hominem vere, realiter, ac » substantialiter sub specie illarum rerum sensibilium » contineri. Nec enim inter se pugnant, ul ipse salvator » semper ad dexteram Falris in coelis assideat juxla mo-» dum existendi naturalem, et ut aliis in locis sacramen-» (aliter praesens sua substantia nobis adsit. » En cela le concile a voulu laisser intacte la question débattue entre les thomistes et les scotistes, savoir si Je même corps, par vertu divine, pouvait demeurer en plusieurs lieux suivant le même mode naturel qui le fait être dans un seul lieu. « Ita enim majores no&lri omnes aperlissime professi sunt, » hoc sacramentum in ultima ccena Redemptorem nos-» trum instituisse, cum post panis vinique benedictionem » se suum ipsius corpus illis praebere, ac suum sanguinem ?? disertis verbis testatus est : quae verba a sanctis evan-» gelislis commemorata, et a divo Paulo repetila, cum » propriam illam significationem prae se ferant, secundum
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                        363
, quam a patribus inlellecla sunt; indignissimum flagi-,-lium est ea ad fictitios tropos conlra universum Eccle-» sise sensum detorqueri : quae tanquam columna, et fir-» mamentum veritatis haec ab impiis excogitata com-» menla detestata esl. »
V.  Jusqu'au IX" siècle , ce sacrement de l'eucharistie n'avait élé l'objet d'aucune attaque, mais à cette époque un certain Jean Scot commença à dire publiquement que l'eucharistie  était toute mystique et  figurée. Dans  le XIe siècle la même hérésie fut soutenue par Bérenger, qui se réiracla plusieurs fois et revint plusieurs fois à de nou-velles erreurs louchant ce sacrement; il mourut cependant réconcilié avec l'Église catholique en 1088. Ce ne fulqu'au XVI* siècle que parut la secte qui attaqua dans sa base le dogme de l'eucharistie. Le premier fut Carlosladt, archi-diacre de Wiltemberg en Saxe. iEcolampade, moine de Sainle-Brigilte, etZwingle, curé, embrassèrent la même er-reur. Puis Bucer et Calvin soutinrent la même opinion, ils dirent, comme le rapporte le P. Chalon, que l'eucharistie n'élaii pas proprement un sacrement, mais une simple commémoration extérieure. Luther ensuite nia la Iranssub-staniiation du pain Cl du vin au corps et au sang de Jésus-Chrisl ; il abolil les messes privées, et cependant il avouait qu'il ne pouvait nier d'après l'Évangile la réalilé du corps eldu sang de Jésus-Christ dans l'eucharislie.
VI.  11 faut ici bien peser l'une après l'autre les paroles de ce premier chapitre. Il porte, « vere, realiter, et subs-it tanlialiler. » Vere, afin d'exclure la présence de Jésus-Christ simplement figurée comme la disaient être les sa-cramcnlaires : la figure est opposée à la vérité, et pour cela on mil l'expression vere. Par le mol realiter on rejela la présence imaginaire; car les hérétiques prétendaient
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que la chair de Jésus-Christ n'était pas corporellement dans l'eucharistie comme elle l'est dans le ciel, mais se-lon que le conçoit la foi, c'est-à-diie comme présente. Calvin ne craint pas de dire que le corps réel de Jésus-Christ est dans la cène, mais il ne veul pas dire qu'il y soit réellement. Enfin on y mil le mol substantialiter pour rejeter l'opinion de la présence de simple efficacité ou virtualité à quoi Calvin réduisait la présence du corps réel de Jésus-Christ, disant que l'eucharistie ne contenait pas la substance du corps de Jésus-Christ ; mais seule-ment sa vertu par laquelle il se communique à nous lui et ses dons. Mais nous disons nous que dans ce sa-crement se trouve toute la substance de son corps en la-quelle est changée la substance du pain : nous soutenons en conséquence, comme nous l'expliquerons bientôt plus au long, que sous les espèces du pain le corps de Jésus-Christ n'occupe pas un lieu, et n'y est pas dans un mode naturel, mais sacramentellemenl et en mode de substance, comme l'enseigne S. Thomas (III. p. q. 76. a. 1. ad 3.), de même qu'auparavant il y avait la substance du pain. VII. II est dit en outre : « Nec enim haec inter se pu-» gnant, ut Salvator in coelis assideat juxla modum na-» luralem, et ut multis aliis in locis sacramentaliter prae-» sens sua substantia nobis adsit, ea exislendi ratione, » quam verbis exprimere vix possumus. » Le concile en-seigne donc que le corps de Jésus - Christ existe dans le ciel suivant le mode naturel, mais que sa substance sa-cramentelle est présente en plusieurs autres lieux. Ainsi, dans l'hoslie consacrée et dans chaque parcelle de celle hostie se trouve le même corps de Jésus-Christ qui est assis dans les ciéux. El nous devons le croire parce que Dieu est tout-puissant et qu'il a révélé cette vérité en di-
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sant : « Hoc est corpus meum. » Qu'importe ensuite que nous ne puissions parvenir à comprendre comment cela se fait? Si nous voulions régler les mystères de la foi sur les limites de notre faible entendement, nous serions bientôt conduits à en nier plusieurs, et spécialement celui de la sainte Trinité et celui de l'Incarnation ; car nous ne pouvons assurément concevoir comment trois personnes sont une même substance, et comment dans une seule personne il y a deux natures, l'une divine et l'autre hu-maine.
VlII. Les hérétiques disent que bien que fiieu soit tout-puissant, il ne peut faire cependant que plusieurs choses qui répugnent entr'elles, soient en môme temps, comme, par exemple, disent-ils, que le corps humain soit con-tenu dans l'eucharistie sans son étendue et ses autres qualités. On répond que Dieu ne peut pas ôler aux choses leur essence, inais qu'il peut ô.'er à une essence ses pro-priétés. Il ne peut ôler au feu l'essence du feu, mais il peut ôter au feu sa propriété de brûler, comme il le fit à l'égard des trois enfans hébreux. El de même encore, s'il ne peut faire qu'un corps soit sans étendue et sans quantité, il peut faire cependant qu'il n'occupe pas un lieu, qu'il soit indivisible, qu'il soit tout enlier dans chacune des plus petites parcelles des espèces visibles qui ìè contiennent, avec une étendue, non d'ordre naturel, mais miraculeuse et en substance. Èi c'est ainsi que le corps de Jésus-Christ est dans l'eucharislie, puisqu'il faut qu'il y soit en substance, c'est-â-dire que comme la substance du. pain se trouvait sous ses espèces et sans occuper de lieu, et qu'elle était entière et complète dans chaque partie de l'espèce, de même le corps de Jésus-thrist, dans lequel se convertit la substance de pain,
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n'occupe pas plus un lieu que ne le faisait la substance du pain sous sa propre dimension, et ainsi il est tout en-lier dans chaque partie des espèces comme d'abord, dans chacune se trouvait toute la substance du pain. C'est la doc-trine du docteur angélique qui l'exprime ainsi : « Tota » substantia corporis Christi continetur in hoc sacramento » post consecrationem, sicut ante consecrationem conli-» nebalur ibi tota substantia panis. » (III. p. q. 76. a. i.) H ajoute: (Ibid. ad 5.) « Propria autem totalitas subslan-» tiaì continetur indifferenter in pauca vel magna quan-» litale; unde et tota substantia corporis et sanguinis » Chricti continetur boc sacramento. »
IX Le corps de Jésus-Christ n'est point dans ce sacre-ment comme dans un lieu définitif, en sorte qu'il ne puisse être aussi dans un autre lieu ; il n'y est point non plus circumscriptive, c'est-à-dire selon la mesure de quan-tité propre correspondante à celle du lieu , en sorte que cç lieu n'est point vide, mais ne peul pourtant êire dit plein de la substance du corps de JésusrChrisl, puisqu'il est rempli par les espèces sacramentelles, qui occupent ce lieu au moins miraculeusement, comme miraculeuse-ment elles subsistent par mode de substance.
X. On ne peut pas dire non plus que le corps de Jésus-Christ demeure dans le sacrement mobilemenl, parce que n'y étant pas comme dans un lieu, il ne s'y meutpas selon le mouvemenl du lieu, mais seulement il peut se mou-voir par accident à raison des espèces, en sorte que selon le mouvemenl de ces espèces on peul dire que le Christ qui est contenu sous elles se meut aussi ; mais comme, lorsque le corps se meut par accident l'ame se meut aussi, bien qu'elle ne soit aucunement capable d'occuper un lieu.
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XI.  Et ici il faut remarquer que quand les espèces se corrompent, le corps de Jésus-Christ cessée d'exister sous elles, non pas parce qu'il dépend d'elles, mais parce que le sacrement est ainsi institué que Jésus-Christ demeure sous les espèces tant qu'elles existent et les abandonne quand elles cessent d'être, de même que Dieu cesse d'être le Seigneur des créatures qui cessent d'être, comme, l'en-seigne S. Thomas (III. p. q. 76. art. 5. ad. 3.), où il dit: « Quibus (speciebus)  cessantibus  desinit  esse corpus » Christi sub eis; non quia ab eis dependeat, sed quia » tollitur habitudo corporis Christi ad illas species, quem-» admodum Deus desinit esse Dominus creaturae defì-» cienlis. »
XII.  Il est dit ensuite dans le susdit chap. 1. du con-s cile : « Post panis vinique benedictionem se suum corpus » illis praebere perspicuis verbis testatus est : quae verba » a sanctis evangelistis commemorata , et a divo Paulo » postea repetita, cum propriam significationem prae se » ferant, secundum quam a quibusdam pravis homini-» bus ad fictitios tropos contra ecclesiae sensum delor-» queri. » II est dit «post panis vinique benedictionem» pour s'opposer aux luthériens ubiquistes, qui veulent que même avant la consécration le corps du Seigneur soit sous les espèces, et pour condamner aussi les calvinistes qui disent que l'eucharistie n'est point l'union des fidèles avec Jésus-Christ par le moyen de son corps et de son sang réels, mais seulement un signe de celle union déjà opérée par le moye» de la foi. Aussi prélendenl-ils que l'eucharistie ne devient point un sacrement par la con-sécration du prêtre, mais en vertu de la promesse de l'É-vangile expliquée par la prédication.
XIII.  Il est dit, « perspicuis verbis testatus est, elc. »
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Ces paroles expresses de Jésus - Christ se Usent dans les Évangiles deS. Mathieu, chap. xxvi, de S.Marc, chap. xvt, et de S. Luc.chap. xxn. Les voici : « Accipite et comedite: » hoc est corpus meum : hic est sanguis meus, etc.» Elles sont ensuite répétées par S. Paul dans son Ep. 1. ad Cor. cap. 11. S. Cyrille s'écrie à ce sujel ·. « Cum ipse de pane » pronunliaverit, hoc est corpus meum, quis audebit dein-» ceps ambigere? Et cum idem ipse dixerit, hic est san-» guis meus, quis dicet non esse ejus sanguinem ? » (Ca-tech. myslag. 4.) C'est une règle certaine et reconnue généralement par les Pères et les théologiens que les paroles de l'Écriture doivenl êlre prises dans leur sens propre, toutes les fois qu'il ne s'en suit pas une consé-quence évidemment absurde qui s'y oppose, parce qu'au-trement si toute l'Écriture pouvait êlre tournée au sens moral et figuré, il n'y aurait plus aucun dogme qui pût être certainement prouvé par les Écritures.
XIV. Le même apôtre a rendu encore témoignage de la vérité de l'eucharistie, lorsqu'il dit sur l'usage de ce sacrement : « Calix benedictionis quem benedicimus, » nonne communicatio sanguinis Christi est ? et panem » quem frangimus, nonne participatio corporis Do-» mini esl? » (I. Cor. x. 16.) Ces paroles démontrent bien clairement que le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ sont dans l'eucharistie. L'apôtre le confirme encore
dans ce passage : « Probet autem seipsum homo.....qui
» enim manducat et bibit indigne, judicium sibi man-» ducat et bibit, non dijudicans corpusDomini. » (I. Cor. xi. 22 et 29.) Notez ces paroles, <c Non dijudicans corpus » Domini. » Si l'on ne devait vénérer dans l'eucharistie que la figure du corps de Jésus-Christ, S. Paul n'aurait poinl aussi sévèrement condamné celui qui communie
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en élal de péché ; mais il le déclare digne de la mort éternelle parce que l'homme en communiant indignement ne dislingue pas le corps de Jésus-Christ des alimens ler-resires.
XV.  Oh ! Dieu jusqu'où peut aller la malice et l'in-gratitude des hommes! Dieu a voulu nous faire ce don in-fini de son amour, le don de lui-même: « Divitias sui » erga homines amoris velut effudit, » dit le concile, et les hommes ne veulent pas en êlre reconnaissans et cher-chent de mille manières à tordre le sens de ces paroles du Sauveur : « Hoc est corpus meum ! » Les uns disent que ce pronom hoc doit s'entendre pour hic. Mais com-menlcela peut-il être? Ou ce molftocestpriscommeadjec-lif cl alors il ne peut s'accorder avec pain qui est du genre masculin, mais bien avec corpus qui est du genre neutre. El peu importe que ce pronom hoc et le verbe est n'aient à eux seuls aucun sens complet, avant que les autres mots corpus meum soient prononcés; car il n'est pas rare que dans certaines propositions les premières paroles n'aient toute leur signification que lorsque la proposition est com-plète. Si ensuite on veul prendre hoc comme substantif, comme le fait S. Thomas (III. p. q. 78. a. 5.), alors cet hoc ne signifiera plus ce pain ou ce corps, mais celle chose, ou mieux celle substance contenue sous ces espèces du pain est mon corps.
XVI.  D'autres ensuite, comme Zwingle, torturent le sens du mot est et veulent qu'il soit pris pour significat, et ils en npporlent-Vexemple pris de VExode : « Est enim » phase (id est transitus) Domini. » (Exod. xn. 11.) Où, dil-il, l'agneau pascal, mangé avec les cérémonies pres-crites, est dit non pas être, mais signifier le passage du Seigneur. Mais cette explicaiion, dénuée de raison, n'eut
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pas de nombreux partisans, parce qu'un tel sens daas-te «cas dont il ? s'agit iciiestHoal-à-fait impropre el ne peut •être adopté que lorsque le*, verbe est ne peut avoir sa si-gnificalion propre.
"XVII. D'autres sacramentàires disent que l'expression -corpus doit se prendre pour la figure du corps. Mais la régie générale s'y oppose, comme nous l'avons vu plus haut, savoir que les paroles de l'Écriture doivenltêlre prises dans leur sens propre, toutes les fois qu'elles n'a-mènent point une conséquence manifeslement absurde. De plus celle interprétation est expressément contraire aux paroles de S. Paul, qui après ces mots : « Hoc est corpus » meum » ajoute «quod pio vobis tradetur. » (I. Cor. ??. 24.) Le Seigneur assurément n'a point livré à la pas-sion la figure de son corps, mais bien son corps lui-même. 'Relativement au précieux sang, on lit dans S. Matthieu : «eHoc est enim sanguis meus novi Testamenti, » el puis : » Qui pro multis effundetur in remissionem peccalo-» mm. » Donc ce sang deJésus-Chrisl devait être répandu: Or cVsl le sang réel qui se répand, et non sa figure.
XVIII. En outre la vérité de la présence réelle du vrai corps el du vrai sang du Seigneur dans le sacrement de l'autel est confirmée , et évidemment déclarée dans le chapitre 7 de l'évangile de S. Jean. Les novateurs errent quand ils disent qu'il n'est là question que de l'incarna-tion. Il est vrai que loul le chapitre ne traite pas de l'eu-charistie; mais il esl certain que depuis le numéro cin-quante , c'est d'elle seule qu'il est question, comme l'admet Calvin lui-même. (Inslil. lib. 4. cap. 17. §1.) Cela se prouve d'abord par ces paroles : « Panis, quem » ego dabo, caro mea est pro mundi vita. » ( Jo. vi. 52. ) Si le Seigneur avait voulu parler de la manducalion qui
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pe fait par la foi^eule, comme le veulent les novateurs, il n'aurait point dit dabo au futur, .car une pareille manducalion était de tous les temps; les fidèles de la loi ancienne, eujc-mêmes, se nourrissaient en figure de Jésus-Christ pat le moyen de la foi. Mais il dit dabo parce qu'il déclarait alors qu'il nous donnerait sa propre chair dans le sacrement qu'il institua à sa demièie cène. Il dit : « Quem ego dabo, écrit le docteur angélique^jquia non-
» dum institutum erat hoc sacramentum..... Non dicit
? autem, carnem meam significat, sed, caro mea es,l, » quia hoc quod sumitur vere est corpus Christi. » ( S. Thom. lect. 9. io Joan. ) En oulie le Seigneur , s'il e,ût youlu parler de la seule manducalion spirituelle, qui se fait par la foi en son incarnation, n'aurait pas dit panis quem dabo, mais panis quem dedi, puisqu'il s'était déjp incarné et que plusieurs avaient déjà cru en lui à ce litre. Cela est encore contjnné pat les paroles suivantes : « Caro mea vere esl cibus et sanguis meus vere est po-» lus. » (Jo. vi. 56. ) Cette distinction de nourriture et de boisson ne peut avoir lieu que dans la mandiicalion Sacramentelle du corps et du sang de Jésus-Christ ; car dans la manducalion spirituelle qui se fait par la foi, \e manger et le boire sont une même choie.
XIX. Cela se piouve encore par ce que dirent ceux de Capharnaum en entendant ces paroles, et par la réponse que leur fil le Seigneur. Ils disaient : « Quomodo poiesl » hic nobis carnem suam dare ud manducandum? » (vers. 53.) El de fait, ils s'éloignèrent du Seigneur : « Ex hoc multi discipulorum ejus abierunt relro, et jam s non cum illo ambulabant.» (vers. 67.) Or, si la chair de Jésus-Christ n'élait pas réellemenl dans l'eucha-rislie, il pouvait à l'instant dissiper leur inquiétude, en
24.
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] !ur disant que les hommes seraient nourris de son corps seulement, par le moyen de la foi ; mais non, il leur répond absolument : « Nisi manducaveritis carnem filii » hominis, et biberitis ejus sanguinem, non habebitis » vitam in vobis. » ( vers. 56. ) Et puis il dit aux douze apôtres qui étaient restés auprès de lui : « Num-» quid et vos vultis abire? » S. Pierre répond alors : « Do-» mine, ad quem ibimus? verba vitae aeternae habes. Et » nos credidimus, et cognovimus quia tu es Christus » filius Dei vivi. » (Jo. vi. 68 et 69.) En outre, celte vérité est d'autant mieux confirmée par ces paroles da Seigneur : « Caro mea vere est cibus et sanguis meus » vere est polus. » (vers. 56.) Que ces paroles seraient toul-à-fait impropres, si dans l'eucharistie il ne nous donnait pas sa véritable chair et son vrai sang. Il est vrai que le concile n'a point déclaré dans un canon exprès que ce chapitre sixième de S. Jean parlait de la manducation réelle de la chair de Jésus-Christ; mais dans plusieurs en-droits, comme dans le chapitre sixième de cette session et dans le chapitre premier de la session vingt-unième, il rapporte plusieurs passages du chapitre cilé pour prouver et confirmer la vérité de l'eucharistie. En outre > dans le deuxième concile de Nicée (act. 6. ) ces mêmes paroles de S. Jean: Nisi manducaveritis, etc. sont apportées en preuve que dans le sacrifice de l'autel on offrait le vrai et propre corps et sang de Jésus-Christ.
XX. Le prédicanl Picenin, oppose à cela ce que dit S. Augustin (1. m. De doct. Christ, cap. 16.) où, parlant du texte de S. Jean : « Nisi manducaveritis cornem » filii hominis, etc., » le saint écrit que la chair du Sei-gneur est une figure par laquelle il nous commande de garder la mémoire de sa passion : « Figura est praecipiens
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« passione Dominica esse communicandam. » On répond : II n'y a aucun doule que l'eucharislie a élé instituée en mémoire de la passion, comme l'apprennent les saints évangilistes : « Hoc facile in meam commemorationem ; » et S. Paul : « Quotiescumque manducabitis panem hunc, » mortem Domini annuntiabitis. » Mais il faut dislin-«uer parmi les figures que nous offre l'Écriture. Les unes sont simplement et purement figures, puisque les paroles ne peuvent s'entendre dans leur sens propre, comme quand Jésus-Christ dit : Ostium, leo, vitis. D'aulres figures sont en même temps vérité, d'après les paroles qui les ex-priment et figures par rapport à d'aulres mystères qu'elles désignent comme on le voit dans ces paroles dei 'a pôlre : « Abraham duos filios habuit, unum de ancilla et unum » de libera..... quai sunt per allegoriam dicia ; haec enim » sunt duo testamenta. » (Gal. iv. 22 et 24.) Ainsi .Abraham eul deux fils, Isaac et Ismael, qui furent réellement ses fils, mais qui en môme temps furent les figures de l'ancien et du nouveau Testament. La même chose s'applique au sacrifice d'Isaac et au pillage des Égyp-tiens. On voit par là que dans les Écritures la figure git quelquefois dans les paroles, et d'aulres fois dans le fait, lequel est en même temps fait réel et figure. De même dans l'eucharislie, la chair nommée est la vraie chair de Jésus-Christ, et en même temps elle est la figure qui nous rappelle sa passion. Et voilà ce qu'entend S. Augustin, lorsqu'il appelle figure la chair du Seigneur. Mais com-ment le saint docfêur eût-il pu dire que la chair de Jésus-Christ était une simple figure, lui qui, dans une foule de passages de ses écrits, déclare expressément que l'eucharis-tie contient le vrai corps et le vrai sang de Jésus-Christ. Il dit notamment dans un endroit ; « Jesum Christum car
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» nem suam nobis manducandam, bibendumque sangiii-» nem dantem fideli corde, alque ore ( notez ce mol ore) >r suscipimus. >? (Lib. it. e. 9. adv. leg. et proph.) Et dans un autre lieu il ajoute : « Panis quem videtis in aliari, » sanctificatus, per verbum Dei, corpus est Christi : Calix » ille, immo quod habet calix, sanctificatum per verbum » Dei sanguis est1 Christi. » (Ser.85. Dediver. nunc.227.) XXI. On oppose encore la réponse du Sauveurà ceux de Capharnaum qui, lorsqu'il leur annonçait le sacre-ment de l'eucharistie qu'il Voulait instituer, lui répliquè-rent : « Quomodo potest hic carnem suam dare ad man-» ducandum9 » (Jo. vi. 53.) lt leurrépondil : « Spiritus » est qui vivificat, caro'non piodést quidquam'. » (Ibid. vers. 64.) Donc, disem les novateuis, la manducalion réelle de la chair1 de Jésus-Christne sert à rien ; tout l'effi-cace est dans la spiriluelfóqtìì se fait par la foi. S. Augustin hii-même fournil la réponse dans ce passage : « PÌott pro-» dest quidquam', sed 'quomodo illi intellexerunt quo-rf modo in cadavere eai'o dìlaniaW, et in macello vendi-»· tur non quomodo spiritu1 vegelatur. Caro non prodest »sola; accedat spiritus et prodest plurimum. » (Tr. xxVi. in Joan.) Ainsi ce qui n'est point profitable, c'est la manducaiûjn cPùne simple ChaîFmorte, comme ceîle que vend le boueber, et comme ceirô de Capharnaum la con-cevaient séparée de l'esprit, c'eét-à-efire de famé et de la divinité de Jésus-Christ, mais au contraire dans le gens du éacrement, la manducation' est infiniment profitable. L'erreur des Juifs Ae consistait donc pas en ce qu'ils pen-saient que le Seigneur voulait leur donner réellement sa chair à manger, mais dans la manière dont ils conce-vaient cette manducation, c'est-à-dire en broyant a^ec les dents, comme on fait1 de la chair de boucb'erîe'.
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XXII. Mais que sert, à l'égard des hérétiques, de leur, opposer les passages evidens de l'Écriture, l'aulorilé defl pères el les raisonneraens les plus clairs, puisqu'ensesér parant de l'Église, ils se sont fermé à eux-mêmes la voie qui mène à la vérité? Toutes leurs erreurs naissent de ce défaut de soumission au jugement de l'Église, qui a été déclarée par Dieu la colonne et le fondement de la vérité,, Ils prétendent, eux, que l'Espril-Saint éclaire chaque chrélien de manière qu'il connaît certainement tout ce qu'il faut croire. Mais je leur ferai une question à propos même de ce sacrement de l'eucharistie dont nous traitons maintenant : Luther et Zwingle étaient tous deux chrér tiens; Luther dit que dans l'eucharistie est le vrai corps de Jébus Cln\st", Zwingje soutient que ce n'est point le vrai corps, niais le signe du corps du Chris! : or, je le de? mande, qui des deux dit la véiité, et lequel suivrai-je? Nous autres catholiques, au contraire, nous avons l'au-torité de l'Église, qui, dans de nombreux conciles, nous enseigne que sous les espèces du pain consacré existe réelle-ment le corps'de Jésus-Christ : pourquoi hésiterions-nous à croire? Cet enseignement nous est donué d'abord par le concile d'Alexandrie, lequel fut ensuite approuvé par un second œcuménique; par le second concile de Nicée} septième œcuménique (act. 6. tom. 5 in fin.), où on condamna comme erronée celte proposition , que dans ^eucharistie il n'y a que la figure du corps de Jésus-Christ. En voici les termes : « Dixit: accipite, édile, hoc est » corpus meum... Non autem dixit : sumite, édite ima-» ginem corptuis mei. » Par le concile de Rome, sous Grégoire VII, en 4079, où Béuenger fit son abjuration el sa profession de foi, cqnfessanl que, par la consécration, le pain el le vin se changeaient substantiellement au corps
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et au sang de Jésus-Christ. Par le quatrième concile de La-iran, sous Innocent III, en 1215, dont le premier chapitre poite : « Credimus corpus et sanguinem Christi sub spe-» ciebus panis et vini veraciter contineri, Iransubstantia-» lis pane in corpus, et vino in sanguinem ; » par le con-cile de Florence (in Docl. de Sacr.) au quatrième chapitre, où il est dit : « Substantiam panis in corpus Christi con-» vcrli, etc; » et finalement par le concile de Trente, dans le premier canon de la vingt-troisième session, où on lit : « Si quis negaverit in sanctissima; eucharistiae sacra-» mento contineri vere, realiter, et substantialiter corpus » et sanguinem una cum anima, et divinitate Domini nos-» lii Jesu Christi, ac proinde totum Christum ; sed dixerit » tantummodo essein eo, ut in signo, vel figura, aut vir-» lule : anathema sit. » In signo, comme disait Zwingle; in figura, comme disait OEcoIampade; in virtute, comme disait Calvin, qui avançait que le corps de Jésus-Christ était dans l'eucharistie, en iant qu'elle avait (ainsi qu'il disait) la verlu de nous faire communier au corps de Jé-sus-Christ.
XXIII. Dans le deuxième chapitre il est parlé de l'amour que nous a montré Jésus-Christ en instituant l'eucharis-tie, el des fruits que nos âmes recueillent de ce grand sa-crement : « Salvator noster discessurus ex hoc mundo ad » Patrem sacramentum hoc instituit, in quo divitias di-» vini sui erga homines amoris velut effudit. Sumi autem » voluit tamquam animarum cibum, quo alantur, et con-» Ponentur viventes vita illius qui dixit : Qui manducat » me, et ipse vivet propter me (Jo. vi.); el tanquam an-» lidotum, quo liberemur a culpis quotidianis, et a pec-» calis mortalibus praeservemur. Pignus praeterea id esse
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» voluit futurae nostrae gloriae, et symbolum illius coipo-» ris, cujus ipse caput existit, et nos membra, etc. »
XXIV.  C'est à ce chapitre que correspond le canon 5, par lequel on condamne celle proposition, que le fruilprin-cipal de l'eucharistie est la rémission des péchés, et celle que nous n'en pouvons pas retirer d'autre fruit : « Si quis » dixerit, vel praecipuum fructum sanctissimae eucharis-» tiae esse remissionem peccatorum, vel ex ea non alios » efifectus provenire: anathema sit. »
XXV. Dans le chapitres il est dit que les aulressacremens ne nous confèrent la grâce que quand nous les recevons, mais que l'auteur de toute grâce existe dans l'eucharistie : avant que nous la recevions car son corps vient sous les es-pèces du pain, et son sang sous celles du vin par la force des paroles sacramentelles, et de même son corps sous celles du vin et son sang sous celles du pain , et son ame sur les deux espèces en même lemps, par la force de la con-nexion naturelle qui existe entre les parties de la personne de Jésus-Christ, et enfin sa divinité aussi sous les deux espèces par l'union hyposlalique du Verbe avec le corps et l'ame du Seigneur. D'où Jésus-Christ tout enlfer est con'enu aussi bien sous une seule espèce que sous les deux et dans chaque partie d'elles : « Commune est eu-» charislise cum caeleris sacramentis symbolum esse rei » sacrae ei invisibilis gratiae formam visibilem; verum » illud in ea singulare reperitur, quod reliqua sacra-» menla tunc sanctificandi vim habent, cum quis illis » utitur; ei in eucharistia ipse sanctitatis auctor ante » usum esl ; nondum enim eucharistiam de manu Domini » apostoli susceperant, cum vere ipse affirmaret corpus » suum esse quod praebebat. Ei semper haìc fides in ec-» clesia Dei fuit, statim posl consecrationem verum Do-
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» mini corpus et sanguinem sub panis et vini specieuna » cum ipsius anima et divinitate existere; sed corpus sub »* specie ex vi verborum : ipsum autem corpus-sub specie » vini et sanguinem sub specie panis; animamque sub ulra-» que vi naturalis illius connexionis, et concomitantiae, » qua partes Christi qui resurrexit inlersecopulanlur : di-» vinilatem porro propter illam ejus cum corpore elanima » hypostaticam unionem. Quapropter totus Christus sub » panis specie, et sub quavis ipsius speciei parle, totus » idem vini. speciebus, et sub ejus partibus existit. »
XXVI. Acechap. 3 cor. i, correspond le can. 3. « Si quis » negaverit, in venerabili sacramento eucharistiae sub una· » quaque specie, et sub singulis cujusque speciei partibus, «-separatione facta, totum Christum contineri ; anathema
ìr Sit. »
?????. Dans ce can. 3 , l'évêque de Tuy, Jean Emi-lien fut d'avis que l'on insérât les mots separatione facta, pour établir la doctrine que Jésus-Christ n'était point sous chaque parcelle do l'hostie entière. L'archevêque de Cagliari et quelques autres s'opposèrent à cela, disant qu'en ajoutant ces paroles on arrivait à la réprobation im-plicite de la doctrine contraire. Mais après tout le concile préféra l'addition proposée parce que sans elle la première proposition demeurait réprouvée au lieu qu'en ajoutant ces mots les deux opinions restaient intactes. Il est donc certain que ce n'est pas un point de foi que Jésus-Christ soit tout entier sous chaque partie de l'hostie avant sa division. Soave est néanmoins dans l'erreur en disant, que cette addition étant faite, « il paraissait qu'on en » pouvait conclure que le Seigneur n'était pas tout en-» lier dans chaque partie avant la division. » Car on ne peut en rien inférer sinon que ce n'est point une hérésie
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de dire que Jésus-Christ n'est pas tout entier dans chaque partie de l'hostie avant la division ; mais ce serait une ineptie de prétendre que ce qui est déclaré n'être pas une hérésie doit être pris comme une vérité certaine et établie.
XXVIII.  À ce chap. 3 appartient encore le can. 4: « Si » quis dixerit, peracta consecraiione, in admirabili eu* » charislise sacramento non esse corpus et sanguinem Do· » mini nostri Jesu Christi, sed tanlum in usu , dum su-» milur non aulem anle, vel post, et in hostiis seu par-» libus consecratis, quœ post communionem reservantur, » vel supersunt, non remanere verum corpus Domini : » anathema sit. »
XXIX.  Ce fut là l'erreur de Luther qui disait que Jé-sus-Chribl n'était pas dans l'eucharistie avant sa récep-tion ni après. Il piétendait, comme il l'écrit à Simon Vuolferin (lib. 3. cap. 1.) que le corps de Jésus-Christ n'était dans l'eucharistie que depuis les première mots du Pater noster qui se dit à la messe pendant tout 1? temps que les fideles peuvent communier actuellement. Mais on demande à Luther: Si dans cette messe, il ne se présente personif pour communier, ou si quelque accident écarte le fidèle qui en avait le désir, te corps du Seigneur ne demeurerait-il pas dans l'hostie qui n'aurait pas été reçue? C'est donc avec raison que le concile nous enseigne que le corps de Jésus-Christ existe sous les espèces con-sacrées avant leur réception se fondant en cela sur la tradition la plus ancienne de l'Église et err même temps sur les paroles mêmes de Jésus-Christ· qui en affirmant à ses disciples que ce pain était son corps avant qu'ils l'eussent reçu, nous fait ainsi connaître qu'il est dans l'eu-charistie avant qu'on nse du sacrement. Pierre Soayedit que la raison donnée par le concile dans le Chapitre 3%
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déjà rapporté, ne prouvait pas complètement que Jésus-Christ existait dans le sacrement de l'autel avant la récep-tion du sacrement; car, selon lui, la porreclion efle-même est un acte qui fait partie de la réception de l'eucharistie. On répond qu'il n'est pas vrai que tous les actes qui con-courent àl'usaged'unsacremenlsoientcel usage même; car il peut arriver que la personne qui voulait communier en soit empêchée par quelqu'accidenl; or dans ce cas on ne peut pas dire qu'il ail élé fait usage du sacrement ; et cependant Jésus-Christ existait déjà sous les espèces de l'eucharistie.
XXX.  Dans le chap. 4 il est parlé de la Iransubslan-liation, et on y lit que le Seigneur ayant dit que c'était son corps môme qu'il tenait dans ses mains sous l'appa-rence du pain , l'Église a toujours cru; et il est aujour-d'hui de nouveau déclaré par le concile que, par la con-sécration, toute la substance du pain cl du vin est con-vertie en celle du corps et du sang de Jésus-Christ: changement que l'Église catholique a toujours appelé proprement iransubslantiation. « Quoniam autem Christus » corpus suum id, quod sub specie panis offerebat, vere » esse dixit : ideo persuasum semper in Ecclesia Dei fuit, » idque nunc denuo sancta haec synodus déclarai, percon-» secralionem panis in substantiam corporis Christi, et » vini in substantiam sanguinis ejus : quae conversio pro-» prie a sancta catholica Ecclesia transubstantialio est » appellala. »
XXXI.  A ce chap. 4 , répond le can. 2 où il est dit : « Si quis dixerit, in sacrosancto euchorisliae sacramento » remanere substantiam panis et vini una cum corpore * et sanguine Domini nostri Jesu Christi : negaveritque » conversionem totius substantiae panis in corpus, et vini
CONTRE  IES  HÉRÉTIQUES.                        S81
» in sanguinem, manentibus dunlaxat speciebus panis t et vini : quam quidem conversionem catholica Ecclesia » aptissime transubslaniiationem appellat: anaihemasil.»
XXXII.  Étant certain par les paroles, « hoc est corpus » meum, » que l'eucharistie contient le corps de Jésus-Chrisl, le mol hoc indique toute la substance de la chose présente qui est ici le corps du Seigneur et non la sub-stance du pain, qui existait auparavant sous ces espèces. S'il restait quelque chose de la substance du pain, il ne faudrait pas dire hoc, mais on devrait dire hic, ou seu-lement in hoc. Cela est encore confirmé par les paroles de S. Jean (vi. 52.) : « Panem, quem ego dabo, caro mea » est. » Si la substance du pain était restée sous les es-pèces, Jésus-Chrisl n'aurait pas pu dire que le pain élail sa chair, mais il aurait dû dire que sa chair élail dans le pain.
XXXIII.  Mais ici Soave se remet en marche et dil qu'on doil voir une contradiction en ce que le concile avait déclaré d'abord, chap. 1, que la conversion du pain au corps de Jésus-Chrisl pouvait à peine êlre exprimée par des paroles, tandis qu'ensuite, au chap. 4, il esl dil que celle conversion se nomme proprement transubstantiation. Or ajoule-t-il,si celle conversion a une dénomination propre, on ne peut dire qu'elle ne pouvait êlre exprimée. Pala-vicin répond ainsi : L'union du Verbe divin avec l'hu-manité de Jésus-Christ, bien qu'on l'appelle ineffable, est cependant nommée proprement union hypostatiquc. Beaucoup d'épilhèles peuvent êlre justemenl appliquées à un objet bien qu'aucune d'elles ne le définisse assez clairement pour que l'intelligence humaine puisse par-faitement le comprendre. C'est ainsi que la conversion de la substance du pain en celle de Jésus - Christ a pu
être réputée par le concile à peine explicable par fdos paroles, parce que nous ne pouvons comprendre, non plus qu'expliquer, comment ces.subsiances se changeât subitement et totalement l'une dans l'autre el comment les espèces du pain et du vin lestent visibles et tangibles,, avec la substance seule du corps,el du sang du Seigneur qui dans le sacrement n'est ni visible ni tangible. Mais cela ne fait pas pourtant que celle conversion ne puisse être proprement appelée transubstaniiation; car comme on dit transfiguration quand un corps passe d'une figure à une autre, transformation quand une matière quitte une forme pour en prendre une autre, de même on peut bien diie transubstanliation quand une substance se change en une autre el que cependant les espèces de la première demeurent. 11 est permis, suivant Cicéron (lib. 5. De finib. in princ.) d'inventer des mots nouveaux pour exprimer une chose nouvelle el singulière; il doit donc être per-imis et même il est nécessaire à la théologie de le faire, puisqu'elle enseigne les doctrines les plus nouvelles et les plus inconcevables à l'entendement,humain.
XXXIV. Quant à la manière dont s'opère celle tran-substantiation, à savoir si c'est par annihilalion de la sub-slance, ou par adduction, or par l'union aux espèces du corps de Jésus-Christ, disons .avec S. Thomas qu'elle ii'eslnianniliilative, ni adduciive, ni unissant le corps du Sauveur aux espèces, mais qu'elle est reproductive de ce corps, car par les paroles de la consécration le corps de Jésus-Christ se reproduit à l'instant dans l'eucharistie, comme s'il commençait d'être à cet insunt; d'où les saints Pères disent que dans l'eucharistie le corps de Jésus-Christ est presque créé. Ils disent presque parce que, ajoute S. Thomas (111. p. quaesl. 75,a 7.) dans la création ce qui
CONTRE  I»ES  HÉRÉTIQUES.                         563
n'est rien passe à l'état d'être, tandis que dans l'eucha-ristie la substance du pain se change au corps de Jésus-Christ.
.XXXV. Dans le chap. 5 il est question du culte de latrie
.dont Jésus-Christ doit être honoré dans l'hostie. On y
approuve l'usage de célébrer chaque année la fête de
ce saint mystère et de porter le saint-sacrement dans les
processions pour l'exposer à l'adoration des fidèles, et
leur renouveler la mémoire d'un si grand bienfait : « Ctai-
.» nes fideles pro more in Ecclesia semper recepto lalriœ
» cultum huic sanctissimo sacramento exhibeant, etc.
» Declarat praeterea sancta synodus, pie inductum fuisse,
» ut singulis annis peculiari quadam die hoc venerandum
» sacramentum singulari solemnitate celebraretur, uique
» in processionibus illud per vias circumferretur....cum
» christiani singulari quadam significatione gratos leslen-
» lur animos erga Dominum pro tam divino beneficio,
» quo mortis ejus triumphus repraesentatur, etc. »
.XXXVI..A ce chapitre correspond le can. 6 qui porte : « Si quis dixerit, in sanctae eucharistiae sacramento Chris-» tum Dei Filium non esse cultu latriae, etiam externo, » adorandum; atque ideo nec fesliva celebritate veneran-» dum, neque in processionibus secundum laudabilem Ì»Ecclesiee ritum et consuetudinem solemniter circum-» gestandum vel non publice ut adoretur populo propo-ni» nondum,ejusadoraiores esse idololatras: anathema sit.» XXXVU. Soave dit que dans le concile on taxa d'im-propriété cette expression du passage da chu p. ? où il est dit qu'on doit rendre le culte de lalrie « huic sanctis-» simo sacramento, » attendu que par sacrement on n'en-tend pas la chose contenante. El c'est pour cela, suivant lui, que dans lc can. 6 on a ensuite corrigé la rédaction
584                                TRAITE
et exprimé que c'était le Fils de Dieu qui devait être adoré dans ce sacrement. Mais on répond à celle vaine supposition de Soave que les théologiens distinguent trois choses dans les sacremens de la loi nouvelle : sa-cramentum tantum, c'est la chose sacrée, c'est-à-dire le signe visible qui signifie la grâce invisible conférée dans le sacrement et à quoi s'applique proprement le nom de sacrement; res sacramenti, c'est la chose signifiée, l'ef-fet même du sacrement qui dans l'eucharistie est la ré-flection de I'ame; sacramentum et res, c'est, dans l'eucha-ristie, le corps de Jésus-Christ, lequel à la fois est si-gnifié par les espèces et signifie lui-même la grâce qui est conférée à I'ame. Ainsi dans l'eucharistie, le corps de Jésus-Christ n'est point chose distincte du saere-meni, puisque l'eucharistie est un composé du corps de Jésus-Christ et des espèces sacramentelles. Il suf-fit donc d'entendre que le corps du Seigneur fasse par-tie de ce composé pour devoir lui rendre le culte de latrie, de même que bien que l'humanité de Jésus-Christ ne mérite pas pat elle-même un tel culte, puisqu'elle est créée, néanmoins nous ne laissons pas de le rendre à Jésus-Christ, parce qu'il est un composé qui contient encore la divinité. D'ailleurs ce ne sont pas les espèces qu'on adore dans l'eucharistie, mais Jésus-Christ qui est contenu sous ces espèces.
XXXVIII. Dans le chap. 6 on recommande l'usage de conserver le saint-sacrement dans la custode et de le por-ter aux malades: « Consueludo observandi in sacrario » eucharistiam adeo antiqua est, ut eam seculum etiam » Nicaeni concilii agnoverit. Porro deferri ipsam ad in-» firmos... multis in conciliis praeceptum invenitur, ei ve-» iustissimo Ecclesia? more est observatum. Quare sancta
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                        385
» synodus retinendum omnis salutarem hunc et neces-» semini morem statuit. »
XXXIX. A ce chapitre correspond le can. 7 : « Si quis » dixerit, non licere eucharistiam in sacraria reservari ; » sed statim post consecrationem adstantibus necessario » distribuendam : aut non licere ut illa ad infirmos ho-» norifice deferatur : anathema sit. »
XL. Mais ici les hérétiques se récrient et disent : Com-ment le corps de Jésus-Christ peut-il se muliiplieren tant de lieux où le sacrement se conserve? II faut se rappeler ce qu'a dit le concile dans son chap. 1, savoir que Jésus-Christ était aux cieux selon le mode naturel, et que sur la terre, dans l'eucharistie; était sa substance, selon le mode sacramentel ; mode que nous ne pouvons com-prendre ni exprimer, mais que nous devons croire pos-sible et vrai parce qu'il nous l'a révélé lui-même. Le corps de Jésus-Christ, comme nous l'avons déjà dit, est présent dans l'eucharistie par la conversion du pain en la substance du corps de Jésus-Christ; d'où il suit que comme les conversions du pain en une aulre substance peuvent se multiplier par milliers, elles peuvent égale-ment se faire en la substance du corps de Jèsus-Christ et par milliers sans que Jésus-Christ se multiplie. Une seule voix, sans se multiplier, frappe en même temps les oreilles de tous ceux qui l'entendent. Le soleil, sans se multi-plier, se réfléchit sous les yeux de tous ceux qui le re-gardent. Et de même le corps du Seigneur, sans se multi-plier, peut se trouver sous toutes les espèces du pain qui sont consacrées. Ce mode sans contredit est miraculeux et peu compréhensible pour nous ; mais c'est là l'œuvre de la foi de nous faire croire les choses que nous ne pouvons arriver à comprendre.
xix.                                                           25
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XLI. Le chapitre 7 exprime l'obligation, pour celui qui veut communier, de se confesser s'il se sent coupable de péché mortel, en conformité du précepte de S. Paul: « Probet autem seipsum homo : » précepte que le concile déclare devoir être également observé par les prêtres à moins qu'un cas de nécessité ne les force à célébrer, et qu'il leur manque un confesseur, mais alors ils doivent le faire le plus tôt possible après la célébration : « Gom-» municare volenti revocandum est in memoriam prae-» ceplum : probet seipsum homo (I. Cor. i.); ecclesiastica » autem consuetudo declarat, eam probationem necessa-» riam esse, ut nullus sibi conscius mortalis peccati, » quantumvis contritus, absque praemissa sacramentali » confessione ad eucharistiam accedere debeat. Quod » eliam a sacerdotibus servandum est, modo non desit » illis copia confessoris. Quod si necessitate urgente sa-» cerdos absque praevia confessione eelebraverii, quam » primum confiteatur. »
XLII. A ce chapitre correspond le canon 11 : « Si quis » dixerit, solam fidem esse sufficientem praeparationem » ad sumendum sanctissimum eucharistiae sacramentum: 9 anathema sit. »
XLIII. Ceci condamne l'erreur de Luther qui disait que-la seule manducation spirituelle donnait la vie; et que ce don de vie n'élait pas le fruit de l'application du sacrement, mais de la foi de celui qui le recevait. Mais cela est faux; car les sacremens confèrent la grâce par eux-mêmes au moyen de leur application extérieure, comme l'apôtre le dit en parlant du baptême. (Ephes. 5.) 11 est vrai que la foi est aussi nécessaire pour obtenir la vie par la réception de l'eucharislie, mais elle est néces-saire comme disposition non comme cause de la grâce,
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                       387
puisque le sacrement est par soi toujours efficace, sui-vant ces paroles du même canon: « El ne tantum sacra-» mentum indigne sumatur, statuit atque declarat ipsa » sancta synodus, illis quos conscientiae peccati morla-» Iis gravat quantumcumque etiam se contritos exisli-» menl, habita copia confessoris, necessario praemitien-» dam esse confessionem sacramentalem. Si quis autem » contrarium docere, praedicare, vel pertinaciter asse » rere, seu etiam publice disputando defendere praesump-» serit, eo ipse excommunicatus existât. »
XLIV. Plusieurs difficultés furent soulevées dans le concile à l'occasion de ce canon. A l'égard des paroles, habita copia confessoris, il y avait d'abord sacerduiis, on mit ensuite confessoris pour ne pas donner à entendre qu'il fût d'obligation de se confesser à tout prêtre, encore qu'il n'eût pas le pouvoir d'absoudre. D'autres mirent en doute l'obligation de la confession imposée par le concile, disant qu'il suffisait de la contrition jointe au désir de se confesser en son temps. D'autres enfin, et parmi eux était Melchior Canus, déclaraient qu'ils n'approuvaient pas l'opinion de Cajetan, Paludanus, Richard et autres qui niaient la nécessité de la confession , car le contraire se démontrait par la tradition de l'Église, comme on le voit dans Hugaes, Eusèbe, Nicéphore et S. Cyprien; d'où ils estimaient que cette opinion devait être rejetée comme erronée, sans pourtant être condamnée comme hérétique. Ce qui fut fait ainsi : on déclara que la con-fession devait précéder la communion ; mais on ne con-damna point comme hérésie l'opinion opposée.
XLV. Dans le chapitre 8 on distingue trois manières de faire usage de l'eucharistie : l'usage purement sacra-mentel , quand on communie en état de péché; celui pu-
25.
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rement spirituel, quand on communie par la foi seule' sans réception réelle du sacrement ; enfin le sacramentel uni au spirituel, c'est celui d'une communion faite avec les dispositions voulues. Ensuite on déclara que la cou-tume perpéluelle de l'Église a été que les laïques commu-niassent de la main des prêtres et les pvêttes de la leur propre : « Quoad usum recte patres nostri tres rationes hoc » sacramentum accipiendi distinxerunt; quosdam enim » docuerunt sacramentaliter dunlaxal id sumere, ut pec-» catores : alios tantum spiritualiter ; qui voto illum cœ-» leslem panem edentes fide, quae per dilectionem opera-» tur, fructum ejus sentiunt : tertios sacramentaliter simul » et spiritualiter ; hi autem sunt, qui se prius ita pro-»bant, et instruunt, ut veste nuptiali induti ad hanc » mensam accedant. Semper autem in Ecclesia Dei mos » fuit, ut laici a sacerdotibus communionem acciperent ; » sacerdotes aulem celebrantes sa'psos communicarent : » qui mos ex traditione apostolica descendens, merito » retineri debet, tlc. »
A ce chapitre correspond le can. 40 : « Si quis dixerit, » non licere sacerdoti celebranti seipsum communicare : » Anathema"sit. »
XLVI. Dans le can. 9 qui précède celui-ci, l'analhème fut prononcé conlre celui qui nierait l'obligation pour tout fidèle de communier chaque année au moins à Pâ-ques, suivant le chap. : « Omnis utriusque sexus xn de pœnil et rem. » D'après lequel le concile dit : « Si quis ne-» gaverit omnes ei singulos Christi fideles utriusque »Sexus, cum ad annos discretionis pervenerint, teneri » singulis annis saltem in Paschale ad communicandum » juxia praìceplum sancue malris Ecclesiae anathema sit. »
\LV1I. Soave rapporte qu'un des théologiens du con-
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                         389
cile s'opposait à ce qu'on déclarât de foi cette obligation de communier à Pâques, car c'était, suivant lui, chose élrange que de déclarer de foi une prescription de l'Église. Mais voici réellement ce qui se passa : quelqu'un dit que la condamnation de la proposition opposée au canon devait être accompagnée de l'explication que ce précepte n'était pas divin , mais ecclésiastique. Un autre dil ensuite que la proposition contraire éiaii plutôt schismutique qu'héréliq'ie. Mais enfin lous furent d'accord de pio-noncer l'analhème, et fort justement, dit Palavicin, car de même que celui-là est suspect dans sa foi qui néglige habiiuellemenl d'entendre la messe, ou qui mange de la chaiivle vendredi et le samedi, de même celui qui nie l'obligation d'obéir au précepte de l'Église de communier chaque année est suspect aussi ; car par-là on doit présu-mer qu'il ne croit pas que l'Église ail reçu le pouvoir d'établir de pareils commandemens, pendant qu'il est certain, comme on le prouve pai l'Écriture et les tradi-tions apostoliques, que Dieu lui-même a donné à l'Église le pouvoir d'ordonner tout ce qu'elle juge en quelque sorte nécessaire pour acquérir le salut éternel.
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XIV SESSION.
Du sacrement de pénitence.
, I. Dans le chap. 4 on traite de la nécessité et de l'in-stitution du sacrement de pénitence; il y est dit que la pénitence a toujours été nécessaire à ceux qui sont tom-bés dans une faute grave ; mais qu'elle ne fut élevée à la dignité de sacrement que quand Jésus-Christ ressuscité eut dit à ses disciples en leur donnant le Saint-Esprit : Recevez le Saint-Esprit; les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez; ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez. D'où les Pères d'un accord unanime ont toujours entendu que l'Église avait reçu le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés : c'est pourquoi le con-cile condamne ceux qui torturent le sens de ces paroles pour leur faire signifier le pouvoir de prêcher l'Évangile. II. C'est une erreur de dire que les novatiens et les mon-tanisles niaient l'existence du sacrement de pénitence-Us disaient seulement que l'Église n'avait pas le pouvoir d'absoudre certains péchés trop énormes. Luther cepen-dant, Zwingle et Calvin rejetèrent totalement ce sacre-ment; car bien qu'ils reconnussent la réalité d'une ré-conciliation pour ceux qui étaient tombés en faute depuis le baptême, néanmoins ils niaient que les prêtres eussent le pouvoir de remettre les péchés. Luther, dans son livre De captiv. Babyl., admit d'abord trois sacremens : « Tan-* ium tria protempore ponenda, baptismus, poenitentia » et panis. » Mais plus loin dans le même ouvrage il
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                       391
ramène la pénitence au baptême, et des trois sacremens il n'en fait plus que deux, « baptismum et panem, cum ?, his solis (dit-il) et restitulum divinitus signum et pro-» missionem remissionis peccatorum -videamus, nam » poenitentiae sacramentum signo visibili, et divinitus » instilulo caret. » El cependant dans d'autres livres pos-térieurs et selon la variaiion de ses opinions, il l'admet comme sacrement. Zwingle (lib. de vera et falsarelig. ) le rejelle ioui-à-fait ; et Calvin (lib. 4, insl. cap. 19 § 15 ) ainsi queBeze (in Conf. fid. c. 7) et tous leurs sectateurs le nient également. Mais les paroles déjà citées : « Accipite » Spirilum Sanctum ; quorum remiseritis, etc. » qu'on lit dans S. Jean, chap. 20, prouvent assez que la pénitence est un sacrement puisqu'on y trouve l'institution divine , la promesse de la grâce et le signe sensible extérieur qui consiste dans les paroles de l'absolution. Voy. Bellarmin , tom. 5. De pœnit, lib. 1- cap. 10.
III. Calvin dit que ces paroles, quorum remiseritis, etc., se rapportent à la rémission des péchés qui s'o-pète lorsque les pécheurs se convertissent par le bap-tême ou la prédication. Nous répondons que Jésus-Christ a donné à ses apôlres le pouvoir de remettre les péchés aux infidèles par le baptême, aux fidèles par la pénitence, et que pariiculièremenl les paroles susdites s'entendent du pouvoir des clefs, qui s'exerce envers les fidèles, comme l'explicfuent S. Chrysostôme, Théo-philacte sur le passage cité et S. Ambroise (lib. 1. De pœnit. cap. 2). Terlullien dit (lib: De pœnil.) que deux portes sont ouvertes au pardon; le baptême et la pénitence. S. Cyprien (ou un autre auteur ancien) dit la même Chose dans le sermon de absolutione. Il en est de même de S. Jérôme (lib. 1. contra Pelag.), de S. Augustin
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(Epist. 480. ad Honorat.), de S. Chrysoslôme (De sa-cerdot.), de S. Cyrille (lib. 12. in Jo. cap. 56), de S. Léon (Epist. 91. ad Theodor.), de Théodore! (Epist, divin, décret, cap. de pcenit. ) Mais on le voit encore plus clairement dans le décret de Lucius III, ad abolen-dam, extra, de hœret, et par les conciles de Florence et de Trente. De sorte que si celle doctrine n'était pas vraie, toute l'Église, pendant tant de siècles, serait restée dans l'erreur, ce qui est impossible, d'après la promesse de Jésus-Christ à son Église : « Et portae inferi non prseva-» lebun? adversus eam. (Malth. xvi.)
IV.  Calvin objecte encore que les paroles remittuntur eis ne contiennent pas la promesse du pardon, mais seu-lement une excitation à l'espérer : il paile de même du baplême et des autres sacremens. Mais son erreur est grossière, car ces paroles ego te baptizo , ego te absolvo ne peuvenl être plus claires pour signifier la justification et dans le fait elles justifient l'homme qui y est disposé, encore que ces paroles ne soient ni entendues ni com-prises par fui.
V. Ainsi les calvinistes ont écarté totalement le sacrement de la pénitence. Les luthériens ne l'ont pas rejeté en tout, mais l'ont tellement altéré et interprète qu'à peine lui ont-ils laissé son nom; et cela parce qu'ils n'ont plus seulement parmi eux de prêlres Iégilimes, mais encore parce qu'ils prétendent que Jésus-Christ n'a donné d'autre pouvoir à ses apôtres et à  leurs disciples que celui d'annoncer par la prédication la divine promesse de pardonner aux pé-cheurs et de déclarer ensuite dans le sacrement de péni-tence la rémission déjà opérée par les mérites du Sauveur. Chose d'ailleurs que non-seulement les prêtres pourront faire, mais encore les laïques, les femmes et les infidèles.
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                        393
VI. Mais l'Église catholique, dans le concile de Trente (Session 16. c. 4.) enseigne que Jésus-Christ a transmis aux prêtres le véritable pouvoir judiciaire d'absoudre ou de retenir les péchés, « quorum remiseritis peccata, etc. « Quorum retinueritis, etc. » (Malth. xvin.), il n'a pas dit : « Quibus denunliaveritis peccata esse remissa, etc. » H est vrai que si le confesseur manque au pécheur contrit, il lui suffira pour être absous du désir de l'absolution sacramentelle, désir qui accompagne la contrition ; mais pour la rémission des péchés commis depuis le baptême, l'absolution est toujours nécessaire « vel in re, vel in volo ; » et le prêtre, en absolvant, remet véritablement les péchés, comme vicaire de Jésus-Christ, et en vertu du pouvoir à lui donné par Jésus-Christ lui-même (qui est celui qui absout en chef), commel'écril S. Ambroise (lib. 2. de Pœnil. cap. 2.): « Impossibile videbatur per poenitentiam » peccata dimitti; concessit hoc Chrisius apostolis suis, » quod ab apostolis ad sacerdotes transmissum est. »
VU. Chemnice oppose que dans la pénitence on ne trouve point la matière, c'est-à-dire l'élément. Nous trai-terons plus amplement ce point quand nous examinerons le chap. 3 où nous parlerons des parties du sacrement de la pénitence. Pour le moment nous répondrons briève-ment à Chemnice que tous les sacremens ne doivent pas avoii le même genre de matière lelle qu'est par exemple l'eau du baptême; il suffit dans les autres sacremens qu'il y ait des signes extérieurs qui représentent leur effet spi-rituel selon la nature de chaque sacrement ; et peu im-porle que ces signes soient perçus par les yeux ou par les oreilles de celui qui reçoit le sacrement. C'est pour-quoi dans la pénitence où le signe extérieur est la confes-sion du pénilenl et l'absolution piononcée par le prêtre,
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la matière propre du sacrement ne manque point, comme l'écrit S. Augustin (lib. 2. de Doctr. Christi.) Et on ne peut opposer ce que dit le saint docteur dans son qua-Ire-vinglième traité sur S. Jean : « Accedit Verbum ad » elementum et fil sacramentum; » parce que le saint parle là du seul baptême.
VIII.   Chemnice objecte de  plus que le sacrement de  la  pénilence n'esl  point  fondé sur  l'autorité des anciens Pères, mais sur le seul usage de la pénitence publique, laquelle se pratiquait anciennement et où la confession  était  exigée el des  peines  imposées. Mais qu'importe cela? En accordant que les premières récon-ciliations des pécheurs aienl élé faites par la pénilence publique, pourquoi n'auraient-elles pas élé des sacremens, étant accompagnées de la contrition el de la confession joinie aux paroles de l'absolution donnée par le prêlre?
IX.  Aussi le concile dit dans le chap. 1 : Si ea in re-» generalis omnibus gratitudo erga Deum essei, ut jusii-» liam in baptismo ipsius gratia susceptam, constanter » tuerentur; non fuisset opus aliud ab ipso baptismo » sacramentum ad peccatorum remissionem esse insti-» tulum. Quoniam autem Deus, dives in misericordia, » cognovit figmentum nostrum, illis etiam vitae reme-» dium contulit, qui sese postea in peccati servitutem » tradidissent, sacramentum videlicet poenitentiae, quo » lapsis post baptismum beneficium mortis Christi appli-» catur. Fuit quidem poenitentia universis hominibus, » qui se mortali  aliquo peccato inquinassent, quovis » tempore ad gratiam assequendam necessaria illis etiam » qui baptismi sacramento ablui petivissent, ut, perver-y> sitate emendata, tantam Dei offensionem, cum peccali » odio, et pio animi dolore detestarentur... Porro nec
CONTRE  VËS  HÉRÉTIQUES.                         395
„ ante adventum Christi poenitentia erat sacramentum, » nec est posl adventum illius cuiquam ante baptismum. » Dominus autem sacramentum poenitentiae tunc praeci-» pue instituit, cum a morus excitatus insufflavit in dis-» cipulos suos, dicens: Accipite Spiritum Sanctum, quo-» ium remiseritis peccata remidentur eis; et quorum reti-» nueritis retenta sunt. Quo tam insigni facto, et verbis » tam perspicuispoteslalemremittendieiretinendipeccata, » ad reconciliandos fideles post baptismum lapsos, apos-» tolis et eorum legitimis successoribus fuisse commu-» nicalam, universorum patrum consensus semper intel-» lexil. Et novatianos remiltendi potestatem pertinaciter » negantes » (c'est-à-dire qu'ils niaient seulement la ré-mission de quelques péchés énormes), * magna ratione » Ecclesia catholica tanquam haereticos explosit , at-» que condemnavit. Quare verissimum hunc illorum » verbum Domini sensum sancta haec synodus probans » et recipiens, damnat eorum commentitias inlerprela-» liones, qui verba illa ad potestatem praedicandi verbum » Dei, et Christi Evangelium annuntiandi, contra hujus* » modi sacramenti institutionem, falsa detorquent. »
X.   A ce chap.  1  se rapporte le can. i : « Si quis » dixerit in catholica Ecclesia poenitentiam non esse vere » et proprie sacramentum pio fidelibus quoties posl bap-» tismum in peccata labuntur, ipsi Deo reconciliandis , » a Christo Domino institutum : anathema sit. »
XI.  Et le can. 3 qui porte: « Si quis dixerit, verba » illa Domini Salvatoris : accipite Spiritum Sanctum : » quorum remiseritis peccata, remittuntur eis : et quo-» ium retinueritis, retenta sunt; non esse intelligenda de » potestate remittendi et retinendi peccata in saciamento » poenitentiae, sicut Ecclesia catholica ab initio semper
S96                                       TRAITÉ
» intellexit; detorserit autem contra institutionem hujus » sacramenti, ad auctoritatem praedicandi Evangelium ; » anathema sit. »
XII.  Soave fil ici trois objections : la première que les autres sacremens étant tous figurés dans l'ancien Testament c'était chose étrange que Jésus-Christ eût institué celui de la pénitence sans le faire précéder d'aucune figure. Mais S. Jean Chrysoslôme (lib. m. De sacerdot.) y applique justement une figure, très-expresse de l'ancien Testament quand il dit : « 11 n'était permis qu'aux prêtres des Juifs » de guerii la lèpre corporelle; et non-seulement de la » guérir, mais de déclarer qu'elle était guérie en effet; » et non pas seulement la lèpre du corps, mais encore » la souillure do l'arne. » Et celte figure fui rapportée dans le concile même par Jean Fonseca, évêque de Cas-lellamare, quand on agita ce point.
XIII. La seconde objection de Soave est que l'Évangile n'exprimait pas formellement les obligations et les actes de ce sacremenl. Mais Palavicin répond que si l'Évangile eût exprimé ainsi lous les articles de foi, il y aurait eu bien peu d'hérésies dans le christianisme. II a fallu, lou-chant le mysièrede la Trinité, plusieurs conciles pour dé-mêler dans la foule des discussions quels étaient les vrais dogmes de foi. Cela démontre la nécessité d'avoir recours à la tradition, et surtout au vicaire de Jésus-Christ, qui est l'infaillible interprète de la tradition et de l'Écriture.
XIV.  La troisième objection de Soave est que la péni-tence ayant élé instituée par les paroles, ò ceux à qui vous remettrez, la forme aurait dû être plutôt le moi je remets que j'absous. On répond que l'un vaut l'aulre, comme l'explique le cardinal de Lugo (Disp. 2. De pcenil.) ; mais le second a élé prescrit par l'Église (et par conséquent le
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prêtre pécherait en s'énonçant différemment), parce que l'Église et le concile reconnaissent que ce sacrement n'a pas seulement été institue par les susdites panoles de S. Jean, mais encore par celles de Si Matthieu : « Ce que » vous lierez,.etc., et ce que vous délierez, etc., » aux-quelles convient mieux le mot absoudre, comme expri-mant mieux l'acte judiciaire qu'exerce le confesseur.
Chap. II. —De la différence entre la pénitence tt le baptême.
XV. Le deuxième chapitre traite de la différence du sa-crement de pénitence et de celui du baptême ; la pénitence diffère du baptême et est nécessaire à ceux qui ont péché depuis le baptême. Dans le baptême, la faute et la peine sont remises à la fois; mais dans la pénitence, la faute seule est remise et la peine ne se remet qu'après beaucoup de larmes et de travaux. Voici les paroles du concile : « Cae-» terum hoc sacramentum muliis ralionibus a baplismo » diffère dignoscitur ; nam praeterquam quod maleria, et » forma longissime dissidet, baptismi ministrum judicem » esse non oportere, cum Ecclesia in neminem judicium » exerceat, qui non prius in ipsam per baptismi januam » fuerit ingressus. Quid enim mihi, inquit apostolus, de » iis qui-fons sunt judicare? (I. cor. i. in fin.) Secus est » de domesticis fidei, quos Christus Dominus lavacro » baptismi sui corporis membra semel efficit; nam hos, » si se postea crimine aliquo contaminaverint, non jam » repetito baplismo ablui, cum id in Ecclesia catholica » nulla ratione liceat; sed anle hoc tribunal tanquam » reos sisli voluit; ut per sacerdotum sententiam non se-» mel, sed quoties ab admissis peccatis ad ipsum pœni-» tentes confugerint, possent liberari. Alius est praeterea
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«baptismi, alius poenitentiae fructus; per baptismum » enim Chrislum induentes nova prorsus in illo efficimur » creatura, plenam et integram peccatorum omnium re-? » missionem consequentes : ad quam tamen novitatem » et integritatem per sacramentum poenitentiae sine ma-» gnis nostris fletibus et laboribus, divina id exigente » justitia, pervenire nequaquam possumus: ut merito » poenitentia laboriosus quidam baptismus a sanctis pa-» tribus dictus fuerit. Est autem boc sacramentum pœ-» nilenliae lapsis post baptismum ad salulem necessarium, » ul nondum regeneratis ipse baptismus. »
XVI.  A cechap. 2 correspond le can. II OU il est dit : « Si quis, sacramenta confundens, ipsum baptismum pce-» nilenliae sacramentum esse dixerit, quasi haec duo sa-» cramenla distincta non sint, atque ideo paenitentiam » non recte secundam post naufragium tabulam appel-» lari : anathema sit. »
Chap. III. —Des parties de la pénitence.
XVII. Dans le chap. tioisième on traite des parties et des effets du sacrement de la pénitence, dans laquelle réside toute sa force, consiste dans les paroles du ministre : Ego te absolvo a peccatis tuis, auxquelles louablement on ajoute certaines prières, mais qui ne sont pas nécessaires à l'es*· sence de la forme. Il est dit de plus que les actes du pé-nitent, savoir : la contrition, la confession et la satisfac-tion, sont comme la matière de ce sacrement et sont requis par institution divine et pour l'intégrité du sacrement et la pleine rémission des péchés, par quoi elles sont dites parties du sacrement. Du reste, la substance et les effets du sacrement, en ce qui regarde son efficacité, sont la
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réconciliation avec Dieu ; que souvent des hommes pieux, et qui se confessent dévotement, reçoivent avec la plus grande consolation spirituelle. En outre, le concile (sur la fin ) condamne l'erreur de ceux qui disent que les par-ties de la pénitence sont la foi et les terreurs soulevées dans la conscience. Voici les paroles du concile : « Docet » praeterea sancta synodus sacramenti prœnitentiae for-» mam, in qua praecipue ipsius vis sita est, in illis ministri » verbis positam esse, ego te absolvo, etc., quibus quidem » de Ecclesiae sancto more preces quaedam laudabiliter ad-* jungunlur : ad ipsius tamen formae essentiam nequaquam ^.spectant, neque ad ipsius sacramenti administrationem » sunt necessariae. Sunt autem quasi materia hujus sacra-it menti ipsius poenitentis actus, nempe contritio , con-«fessio, et satisfactio. Qui quatenus in poenitente ad » integritatem sacramenti, ad plenamque peccatorum re-» missionem ex Dei institutione requiruntur, hac ratione » poenitentiae partes dicuntur. Sane vero res, et effectus » hujus sacramenti, quantum ad ejus vim et efficaciam » pertinet, reconciliatio est cum Deo : quam interdum in » viris piis, et cum devotione hoc sacramento percipien-» tibus conscientiae pax ac serenitas cum vehementi spi-» ritus consolatione consequi solet. Haec de partibus, et » effectu hujus sacramenti sancta synodus tradens, simul » eorum sententiam damnat, qui poenitentia; partes in-» cussos conscientiae terrores, et fidem esse conten-» dunt. »
XV11I. Au chap. 3 correspond le can. 4 où il est dit : « Si quis negaverit ad integram et perfectam peccatorum » remissionem requiri tres actus in poenitente, quasi » materia sacramenti poenitentiae, videlicet contritionem, » confessionem et satisfactionem, quae tres poenitentiae
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» partes dicuntur; aut dixerit duas (an tu m esse poeni-tentiae paries, terrores scilicet, incussos conscientiae » ngniio peccato, et fidem conceptam ex Evangelio, vel » absolutionem, qua credit quis sibi per Christum remissa » peccata : anathema sit. »
XIX. Luther prétend que les catholiques disent que dans ce sacrement la douleur du péché suffît, sans l'exis-tence de la foi : c'est une erreur; car l'Église catholique enseigne qu'il est nécessaire d'avoir la foi que Dieu dans ce sacrement pardonne les péchés par les mérites de Jésus-Christ pour que nous soyons disposés par la con-trition , laquelle ne peut exister sans la foi ; mais non celte fui qu'établit Lulher et qui n'est qu'une hérésie, savoir que le pécheur, pour recevoir son pardon, n'a besoin que de croire fermement que ses péchés lui sont remis; mais nous aurons bientôt à revenir sur ce point. Lulher ne paile pas plus véridiquement lorsqu'il dit que notre Église enseigne que nous devons toujours demeurer dans l'inceitilude du pardon e· douter si Jésus-Christ est mort pour nos péchés. Non assurément, nous ne douions point que Jésus-Christ soit mort pour nous obtenir le pardon, nous ne douions point que dans le sacrement ce soit en vei tu de ses mérites que nos fautes nous sont remii ses, mais seulement nous demeurons incertains de notre propre disposilion et de ce qu'elle soil telle qu'elle est requise, et pour cela nous disons que c'est une hérésie de piétendre que nous serions pardonnes par cela seul que nous croirions fermement l'être.
XX. Les hérétiques ont avancé trois opinions sur les parties du sacrement de la pénitence. La première est celle de Luther qui dit (lib. contra bull. Antichr.) qu'il n'y a que deux parties dans la pénitence : la contrition
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et la foi. Par contrition il entend les terreurs de la con-science excitées par les menaces dé la loi ; ei par la/oi, il entend la confiance certaine dans la rémission des péchés d'après la promesse faite, dit-il, dans l'Évangile, et il n'hésile pas à déclarer hérétique la doctrine des docteurs de Louvain (propos. 27.) qui assignaient la contrition, la con-fession et la satisfaction comme parties du sacrement. L'o-pinion de Luther fut ensuite embrassée parMélanchlon, les cenluriateurs de Magdebourg, Chemnice et autres sectaires.
XXI.  La seconde opinion appartient à ceux qui, à la condition et à la foi, joignent une troisième partie, savoir toutes les bonnes œuvres qui se font depuis la jus-tification avec la résolution de s'abstenir du péché et celte partie est appelée par eux nouvelle obédience.
XXII.  La troisième opinion est celle de Calvin, lequel, (Inslit. lib. S. et cap. 358.) d'accord avec Théodore de Bèze, assigne deux parties conslitulives de la pénitence, la mortification, c'est-à-dire l'abstinence des vices, et la vivi' ficalion, savoir l'allention à bien vivre.
XXIII.  Sur la première opinion, celle de Luther, nous dirons en premier lieu que la terreur imprimée par la loi ne peut êlre parlie du sacrement : celle terreur, est bien une des choses qui préparent le pécheur à la justi-fication, comme l'enseigne le concile (Session 6. ch. 6.) ; mais elle ne peut êlre une parlie de la pénitence, car la ccnsidération du châtiment n'est point le repentir du péché commis, bien qu'elle y conduise, comme l'écrit l'apôtre: « Gaudeo, non quia contristati eslis, sed  quia » contristati eslis ad poenitentiam. » (II. Cor. vn.) Si une telle contrition eût élé la vraie pénitence, S. Paul s'en serait réjoui. D'où S. Chrysoslôme, expliquant le texte cité dit: « Non gaudeo de tristitia, gaudeo de fructu, »
xix,                                                           26
402                                      TBAITÊ
c'est-à-dire de la pénitence qui suit. II faut ajouter que les craintes du châtiment ne naissent pas du repentir, mais de notre amour pour nous-mêmes qui nous fait redouter le châtiment. Les démons « credunt et contre-» miscunt » (Jac. n.), et combien de pécheurs, tout en vivant mal redoutent le châtiment, et n'en continuent pas moins à mal vivre! Beaucoup au contraire ont le re-pentir du péché, non par considération des peines, mais pour l'amour qu'ils portent à Dieu, comme Jésus-Christ l'a dit de la Magdeleine : « Dimittuntur ei peccata multa, » quoniam dilexit multum. » (Luc. vu.) Si donc la ré-mission des péchés peut avoir lieu sans la terreur, la terreur n'est donc pas une partie de la pénitence.
XXIV. En second lieu la foi du pardon requise par Luther comme étant partie du sacrement est bien une disposition et même nécessaire à la pénitence, mais non proprement une partie de ce sacrement. Les adversaires s'appuyenl sur ce texte : « Poenitentiam agile et credite » Evangelio. » (Marc. 4.) Mais ce texte même leur est contraire, puisque la foi y est distinguée delà pénitence: car il n'est pas dit : Agite credentes, mais : Agite et credite. Les parties de la pénitence sont celles qui naissent par la pénitence elle-même, or la foi ne naît pas de la pénitence, elle la précède. « Crediderunt viri Ninivitae in Deum, et ? praedicaverunt jejunium, et vestiti sunt saccis a majore » usque ad minorem. » (Jon. ??. 5.) Mais comment pour-rions-nous croire que nos péchés nous sont remis sans qu'auparavant nous les ayons détestés? Les saints Pères définissent la pénitence : * Praeterita peccata plangere, » et plangenda non admittere. » (S. Grég. homil. 34.) El S. Àmbroise : » Commissa flagitia condemnare. » ( In Psalm. xxvii.) Quand d'ailleurs nous disons que la foi
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est nécessaire pour la rémission des péchés, nous enten-dons parler de la foi catholique laquelle enseigne que Dieu pardonne les péchés par les mérites de Jésus-Christ, comme il est dit au chap. 6 de la sixième session du con-cile; mais non de la foi hérétique, savoir que la foi (ou plutôt la confiance) et croyance assurée du pardon est ce qui justifie, et par conséquent est partie de la pénitence.
XXV.  Quant à la seconde opinion, que toutes les bon-nes œuvres qui   s'opèrent depuis la justification sont parties de la justification, on répond que bien qu'une pareille résolution soit nécessaire pour la justification et appartienne ainsi à la pénitence, car autrement la con-trition serait sans valeur , néanmoins un tel bon propos ni aucune autre bonne œuvre accomplie après la justi-fication ne fait partie de la pénitence. La plupart des bonnes œuvres opérées par les pénitens ne le sont pas en considération des péchés commis, mais par acte de pur amour envers Dieu, ou par amour de la justice, ou par soumission à la religion ; et ainsi elles ne peuvent être compiées comme parties du sacrement.
XXVI.  La troisième proposition, appartenant à Cal-vin, que la mortification et la vivification (comme il s'ex-prime), c'est-à-dire l'absiinence des vices et le zèle pour la vertu, sont les deux parties de la pénitence, est éga-lement fausse. Calvin confond la pénitence avec la jus-tification ; il fait marcher la justification avant la péni-tence , puisqu'il dit que la pénitence est le fruit de la foi (entendue à sa manière) qui justifie. Mais l'Écriture place la pénitence avant la justification. « Si quis pœni-» tentiam egerit.... omnium iniquitatum ejus non recor-»dabor. (Ezech, xvm. 33.) Sed si poenitentiam non » egeritis, omnes similiter peribitis. (Luc. xm. 5.) Poe-
26.
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» nitemini.... ut deleantur peccata vestra. » (Actor. 3.) Si donc la pénitence précède la justification, à plus forte raison doit-elle précéder la mortification et la vivification de Calvin qui, selon lui, sont les fruils de la foi justifiante.
XXYII. On objecte que la contrition ne peut être partie du sacrement parce qu'elle est interne et non sensible. On répond qu'elle n'est pas sensible en soi, mais qu'elle le devient par la confession ou par la demande de l'abso-lution ou par quelqu'autre signe extérieur. Il n'importe non plus que le sacrement se prenne par fois sans la con-fession des péchés, comme il arrive à ceux qui n'ont plus l'usage de leurs sens ; parce que pour eux il suffit que la confession soit faile alors ou avant par gestes ou par signes, ce qui est une véritable confession. On nous ré-plique que la confession ne peut proprement être partie du sacrement, parce qu'elle est le signe du péché commis et non de la grâce ou de la rémission des péchés. Nous répondons que la confession, séparée de l'absolution, n'est point un signe delà grâce, mais qu'elle l'est quand l'absolution s'y joint sous la forme sacramentelle, ego te absolvo, etc. Oe même que l'eau dans le baptême n'est point par elle-même un signe de la grâce; mais elle le devient en se joignant à la forme, ego te baptizo. Dans les sacremens donc, pour que la matière soit réputée signe de la grâce, il suffit qu'elle le soit par son adjonc-tion avec forme.
XXVIII. On objecte encore que Judas remplit les (rois parties de la pénitence, la contrition, la confession et la satisfaction, et que néanmoins son péché ne lui fut pas remis. On répond que Judas ne remplit réellement aucune des trois parties : il n'eut ni la contrition, ni la confession, parce qu'elles ne sont véritablement parties de la péni-
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ience, qu'aulant qu'elles sont unies à la confiance du par-don par les mérites de Jésus-Christ, et celte confiance, Judas ne l'eut pas. H ne remplit pas davantage la troi-sième partie, la satisfaction ; car en se donnant la mort volontairement il ne fit point acte de satisfaction, mais de désespoir.
XXIX.Chemnice objecte de plus qu'un hypocrite pourrait feindre les trois parties admises par nous, et recevoir ainsi la rémission. Erreur palpable, car il est clair que le pardorl ne peut être obtenu que par celui qui, sincèrement, et non par feinte, reçoit le sacrement ; autrement il manquerait de la principale condition, qui est une véritable contrition.
XXX. Mais touchant les parties de la pénitence, nous n'avons pas seulement à combattre contre les hérétiques, mais aussi contre les catholiques mêmes. Scot avance (iri 4. Sent. disl. 14. qusesl. 4.) que l'absolution seule con-slilue l'essence du sacrement de la pénitence, en quoi il est suivi par Ockam, Âlmain, Jean Major et autres ; ceux-ci néanmoins, tout en niant que la contrition et la confes-sion soient des parties essentielles du sacrement, les tien-nent pour parties nécessaires, non comme essentielles mais comme conditionnelles , et sans lesquelles le sacre-ment serait nul. Et quand on leur oppose que dans leur syslèmc il n'y aurait plus de signe sensible, ils répondent que ce signe se trouve dans le son des paroles de l'absolu-tion. Mais la doctrine contraire à cette opinion de Scot est commune et conforme à celle de S. Thomas (3. p. qu 90. a. 2 et 3.), et elle paraît indubitable suivant les pa rôles du concile de Florence puis de celui de Trente. Le concile de Florence s'exprime ainsi sur le sacre-ment de pénitence : « Quartum sacramentum est pceni-» lentia, cujus quasi materia sunt actus poenitentis » (c'est-
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à-dire comme il est écrit ensuite) « cordis contritio cum » proposito non peccandi de ccetero, oris confusio el satis· » factio pio peccatis. » El puis on y indique la forme : « Ego te absolvo a peccatis tuis.» On peut ajoutera ces au-torités celle de Lucius III, dans le ch. (abolendam, De hœret.), où il appelle sacremens, le baptême , la confes-sion des péchés et le mariage : or, si la confession n'ap-partenait pas à l'essence même de la pénitence, ce pon-tife n'aurail pu appeler la confession sacrement.
XXXI, Le concile de Trente au ch. S déclare que ces actes sont parties de la pénitence, dont ils sont, dit-il, quasi materia. Voici le passage : « Sunt autem quasi ma-»teria hujus sacramenti ipsius poenitentis actus, nempe » contritio, confessio et satisfactio ; qui quatenus in pœ-» nilenle od integritatem sacramenti et ad plenam et per-» feclam peccatorum remissionem ex Dei institutione re-» quirunlur, poenitentiae partes dicuntur.» Ainsi,ces actes, que le concile appelle d'abord quasi materia, il les nomme immédiatement après les parues de la pénitence, et dit qu'elles sonl nécessaires à l'inlégrilé du sacrement el à la pleine rémission des péchés selon l'institution divine. « Sacramenti vero parles sunt illi inlrinsecae » (dit Jue-nin, Theol. de pœnit. tom. 7. p. 503. concl. 2.) « at-» qui aiateria intrinseca et materia ex qua idem omnino » sunt ; ergo illi actus sunt materia ex qua sacramenti » poenitentiae, quos concilium Tridentinum assuerit esse » quasi illius materiam, esse illius paries. » D'où Bellar-roin dil avec raison au chap. 15 que Scot ei les autres n'ont ainsi parlé que parce qu'ils l'ont fait avanl les con-ciles de Florence et de Trenle qui ont pleinement décidé ces questions, et il ajoute : « Quod si hoc tempore super-» essent, sine dubio Ecclesiae definitioni ac sententiae ac-
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» quiescerent. » Aussi Bellarmin proclame la vérité de la doctrine que les actes du pénilent sonl comme la matière de la pénitence, et l'absolution du prêtre la forme j il at-teste que cette doclrine a été celle de S. Thomas de Ri-chard, de Durand et de la presque généralilé des autres. (In 4. Sent. dist. 14.) Quant au rite de l'imposilion des mains sur le pénilent, en usage dans les temps anciens, il est certain qu'il n'appartient pas à l'essence du sacrement comme l'écrit S. Thomas (opusc. 22. De forma absol.)
XXXII. Un certain partisan caché de Scot (le Père Mo-relli, camaldule, auteur de l'Abrégé de Palavicin ec. § 220.) a écrit : « Le concile n'appelle pas ces trois actes du pénitent materia, mais quasi materia du sacrement; et par là il confirme la doclrine de Scot qu'ils ne sonl pas vraiment matière, mais circonstances nécessaires du sacre-ment. » Mais cet auteur se trompe, car le sentiment gé-néral est que le concile n'a pu aucunement avoir l'inten-tion de confirmer, comme il le prétend, l'opinion de Scot ; mais au contraire qu'il a confirmé l'opinion con-traire à celle de Scol, que les Irois parties sont essentielles à ce sacrement et non pas seulement l'absolution.Oui re que Scol, à l'endroit cilé, parle assez confusément, lorsqu'en-Ir'auires choses il dit : « Pœnitenlia esl absolutio pœni-» tenlis facla certis verbis, etc. s Bellarmin observe que l'absolution est l'acie du prêtre, mais non la pénitence qui est celui du pénitent, et que de l'une et de l'autre se com-pose le sacrement, ainsi que l'enseigne S. Thomas, comme nous le verrons plus bas.
XXXIII.  Mais pourquoi le concile appelle-t-il les trois actes du pénilent quasi materia et non materia ? Bellarmin répond qu'il les nomme « quasi materia non quod non » sint vere materia qualem sacramenta requirunt ; sed
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» quod non sint res aliqua solida ac traclabilis, qualis in » aliis sacramentis cernitur. » El la même explication se trouve dans le catéchisme romain : « Sed quia ejus gene-» ris materiae non sunt, quae extrinsecus adhibeatur, ut » aqua in baptismo , et chrismalio in confirmatione. » Puis il y est dil que pour la malière des sacremens il n'est requis qu'un signe sensible qui se manifeste ensuite par les paroles de la forme, et ici les actes du pénitent sont bien de celle nature. Du îesle on ne peul dire d'aucun sa-crement que ce qu'on nomme sa matière soil la matière elle-même physiquement parlant. . XXXIV. Malgré tout cela, nos adversaires ne laissent pas de répliquer, et disent que le concile appelle les actes du pénilenl quasi materia, et pavties de la pénilence, en tant qu'ils sonl requis pour l'intégrité du sacrement et pour la pleine rémission des péchés; mais non en ce sens qu'ils font intrinsèquement partie du sacrement comme l'eau fait partie du baptême. Juénin répond que si cet argu-ment était admissible on pourrait dire aussi que les actes de foi, d'espérance et de charité sont quasi materia du baptême, parce qu'ils sont aussi nécessaires pour recevoir la grâce par le baptême. Il ajoute que le concile en dési-gnant quelles étaient les dispositions nécessaires pour ob-tenir la grâce dans le baptême el les autres sacremens, ne dit jamais que ces dispositions soient comme la matière et les parties du sacrement. Donc, en disant que dans la pé-nilence les actes du pénilent étaient quasi materia ei par-lies du sacrement, il n'a point entendu les désigner seu-lement comme de simples dispositions, mais comme de véritables parties du sacrement.
XXXV. Les scolistes répliquent encore, et disent : Le sacrement doit êlre le signe de l'effet qu'il produit. L'effet
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de la pénitence est la rémission des péchés, qui n'est signi-fiée ni par la contrition ni par la confession, mais par la seule absolution. Donc, dans l'absolution seule consiste l'essence propre du sacrement. Mais on répond que comme le prêtre en prononçant l'absolution indique la rémission du péché, le pénitent aussi, en se confessant humblement par la contrition qu'il ressent des fautes qu'il a commises envers Dieu , indique l'éloignemenl du péché : d'où S. Thomas (3. p. q. 86. a. 6.) dit que la force sacramen-telle, bien qu'elle réside principalement dans le pouvoir des clés par lequel le prêtre absout, réside cependant aussi dans les actes du pénitent, puisque Dieu se sert de ces actes pour signifier et motiver la justification. Voici les paroles du saint docteur : « Omne autem sacramentum producit » effectum suum non solum viitule formae, sed etiam vir-» tule materiae ; ex utroque enim est unum sacramentum. » Unde sicut remissio culpae fil in baptismo, non solum » virtute formae sed etiam virtute materiae (scil. aquae), » principalius tamen virtute formae, ex qua et ipsa aqua » virtutem recipit; ila etiam et remissio culpae est effectus » poenitentiae , principalius quidem ex virtute clavium , » quas habent ministri, ex quorum parte accipitur id » quod est formale in hoc sacramento, secundario autem » ex vi actuum poenitentis pertinentium ad virtutem pce-» nitenliae : tamen prout hi actus aliqualiter ordinantur » ad claves Ecclesiae : ei sic patet, quod remissio culpae » est effectus poenitentiae, secundum quod est virtus ; prin-» cipalius tamen secundum quod est sacramentum. »
XXXVI. On objecte en outre que les actes du pénitent ne peuvent être la matière de la pénitence, puisque parmi eux on compte la satisfaction sans laquelle pourtant la confession peut être valide, comme il arrive dans le cas
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où le pénitent ne peut pas accomplir cette satisfaction. On répond que la satisfaction est une partie de la péni-tence, mais n'en est pas matière totalement essentielle ; elle est matière intégrale, puisqu'elle complète la péni-tence, et elle est encore matière essentielle inadéquate du sacrement, en sorte que si le pénitent n'avait pas l'inten-tion de l'accomplir, le sacrement demeurerait nul de fait, XXXVII. Dans lechapitre 4, on traite de la contrition. Luther et Calvin disaient que la contrition était le frtiit de la foi justifiante, d'où ils niaient qu'elle fût partie de la pénitence. Luther disait en outre que la véritable con-trition n'est point la haine et la déteslalion de la vie passée, mais l'amour de la justice et la vie nouvelle : il ajoutait que la tristesse ressentie pour les péchés commis « facit  hominem  hypocritam,  immo  magis  peccato-» rem; etc., optima poenitentia nova vita. » Cette erreur ne fut pas embrassée par Chemnice et Calvin, qui admet-taient que le pécheur, pour obtenir le pardon, devait délester ses fauies, l'Écriture  étant trop claire sur ce point : « Convertimini ad me in loto corde vestro, in je-» junio, et in fletu, et in planctu, et scindite corda ves-» ira, et non vestimenta vestra; et convertimini ad Do-» minum Deum vestrum, quia benignus et misericors » est, etc. » (Joël. II. 42.et seq.) « Nullus est qui agat » poenitentiam super peccato, dicens: Quid feci? » (Je-rem. vm.   6. )  « Recogitabo tibi omnes annos  meos r> in amaritudine animae  meae. » (Isai. xxxvm.) Cette même vérité est enseignée par  tous  les saints  Pères. g,   Cyprien   dit :   «   Dolentes peccata  vestra  perspi-» cite. » (Serm. de lapsis.) S. Ambroise (lib. 2. De pœ-nit. c. 10), S. Chrysostôme (lib. 1. De compunct.), S. Jérôme (in cap. Si. Hierem.), S. Augustin (Ench· c
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65), S. Grégoire (Hom. 24. in Evangelio), et plusieurs autres tiennent le même langage.
XXXVIII.  Il n'est point douteux que dans la contrition ne doive entrer nécessairement la résolution de mener une vie nouvelle, mais celle résolution ne fait point par-tie distincte du sacrement; elle reste unie avec la contri-tion. Quant à savoir si le bon propos doit être explicite, plusieurs auteurs disent qu'il suffit qu'il soit implicite ; néanmoins Bellarmin (De pœnil. lib. 2. c. 6.), d'accord avec Pierre Lombard, Alexandre de Haies, S. Thomas, Scol et l'opinion commune, lient qu'il doit être explicite et formel, et celte doctrine doit être soutenue quand il s'agit de la validité du sacrement, selon la proposition 1 con-damnée par Innocent XI : d'autant plus que le concile, comme nous le verrons, dans la définition de la contri-tion fait aussi entrer le propos : « Contritio est delesta-» tio, etc., cum proposilo non peccandi de caetero. »
XXXIX.  Du reste, quoique puissent dire les novateurs, le concile, dans son chapitre 4 , déclare que « la con-» trition est la douleur et la détestation du péché com-» mis, avec la résolution de ne plus pécher. » II ajoute que la contrition a été reconnue de tout temps nécessaire pour obtenir le pardon, et qu'elle prépare l'homme à la rémission des péchés, si elle se joint à la confiance dans la miséricorde divine et avec le désir d'accomplir tout ce ce qui est requis pour la réception du sacrement. Puis il déclare que la contrition n'est pas une pure cessation du péché avec un commencement de nouvelle vie, mais bien aussi une haine de la vie passée. Il dit encore que si quelquefois la contrition, rendue parfaite par la charité, réconcilie l'homme avec Dieu avant même le sacrement, néanmoins la réconciliation n'est attribuée à la contrition
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qu'à raison du vœu ou désir du sacrement qui s'y trouve ainsi comme implicitement renfeimé. Le concile dit de plus que la contrition imparfaite, nommée attrition, la-quelle naîl communément de la laideur du péché ou de Ja crainte des peines de l'enfer, pourvu qu'elle exclue la volonté de pécher et soit accompagnée de l'espérance du pardon, est un don de Dieu, avec lequel le pénitent s'ouvre un chemin vers la justice. Et bien que celte at-Irition, sans le sacrement, ne soil point capable de jus-tifier, néanmoins elle dispose à obtenir la grâce par le sacrement. D'où on voit la fausseté de cette calomnie dirigée par quelques-uns conlre les auteurs catholiques, prétendant qu'ils enseignent que le sacrement de la pé-nilence confère la grâce au pénitent sans aucun bon mouvement ,· ce qui n'a jamais été dit ni entendu dans l'Église. Le chapitre se termine par la déclaration qu'il est faux que la contrition soil extorquée el forcée ; qu'elle esl au contraire volontaire el libre.
XL. Voici les paroles du concile dans ce chapitre 4 : « Contritio, quœ primum locum inler dictos poenitentis » actus habet, animi dolor ac detestatio est de peccato » commisso, cum proposito non peccandi de cœtero. Fuit » aulem quovis lempore ad impeirandam veniam peccalo-» runi hic contritionis motus necessarius; et in homine » post baptismum lapsoila demum praeparat ad remissio-» nem peccalorum, si cum fiducia divinae misericordiae, » et volo praestandi reliqua conjunclus sit, quae ad rite » suscipiendum hoc sacramentum requiruntur. Declarat » igitur sancta synodus, hanc contritionem, non solum » cessationem a peccalis, et vi (se novœ propositum, et » inchoationem, sed eliam veteris odium continere , » juxla illud : Projicite a vobis omnes iniquitates vestras,
CONTRE  LES HÉRÉTIQUES.
» in quibus praevaricati eslis, et facite vobis cor novum, » ei spiritum novum. Et certe qui illos sanctorum clamo-» res consideraverit : Tibi soli peccavi, et malum co-is ram le feci : Laboravi in gemitu meo, lavabo per sin-» gulas noctes lectum meum : Recogitabo tibi omnes » annos meos in amaritudine animae meae, et alios bu jus » generis, facile inlelligel^ eos ex vehementi quodam an-» teaclse vitae odio, et ingenii peccatorum detestatione » manasse. Docet praeterea, etsi contritionem hanc ali-» quando caritate perfectam esse contingat, hominemque » eo reconciliare, priusquam hoc sacramentum suscipia-» (ur ', ipsam nihilominus reconciliationem ipsi conlri-» lioni, sine sacramenti volo quod in illa includitur non » esse adscribendam. Illam vero contritionem imperfec-» tam, quse altrilio dicitur, quoniam velex turpitudinis » peccati consideratione, vel ex gehennae, et poenarum » meiu communiter concipitur. Si voluntatem peccandi » excludat, cum spe venias ; declarat non solum non fa-» cere hominem hypocritam, et magis peccatorem, ve-» rum etiam donum Dei esse, et Spiritus Sancti impulsum, » non adhuc quidem inhabitantis, sed tantum moven-» iis, quo poenitens adjulus viam sibiadjusiiliam parat. » Et quamvis sine sacramento poenitentiae per se ad » juslifìcaiionem perducere peccatorem nequeat ; tamen » eum ad Dei gratiam in sacramento poenitentiae impe-» trandam disponit. Hoc enim timore utiliter concussi » Ninivitae ad Jonae prœdicationem plenam terroribus » poenitentiam egerunt, et misericordiam a Domino im-» peirarunt. Quamobrem falso quidam calumniantur ca-» tholicosscriplures, quasi tradiderim sacramentum pœ-» nìtentiae absque bono molu suscipientium gratiam » conferre : quod nunquam Ecclesia docuit, nec sensit.
414                                TRAITE
» Sed, ei falso docenl, contritionem esse extortam et coac-
» tam, non liberam ei voluntariam. »
XLI. A ce chapitre 4 correspond le canon 4 qui porte : « Si quis dixerit eam contritionem, quae paratur perdis-» cussionem, collectionem ei detestationem peccatorum, » qua quis recogiial annos suos in amaritudine animae » suae, ponderando peccatorum suorum gravitatem, mul-» litudinem, foeditatem, amissionem aeternae beatitudinis, » et aeternae damnationis incursum, cum proposito me-» lioiis vitae, non esse verum et utilem dolorem, nec prae-» parare ad gratiam, sed facere hominem hypocritam et » magis peccatorem, demum illam esse dolorem coac-»tum, et non liberum ac voluntarium : anathema sit. »
XLII. Ici vient se placer celte grande question : si, pour recevoir le sacrement de la pénitence, il suffit de l'altri-lion ; et si l'atlrition requiert l'amour commencé? Touchant cet amour commencé, il faut savoir que dans l'année 1077, Alexandre VII par son décret, sous peine d'excom-munication : « Ne quis audeat alicujus theologiae cen-» surae, alienusque injuriae nota taxare alterutram sen-» tentiam, sive neganlem necessitatem aliqualis dileclio-» nis Dei in altrilione ex metu gehennae concepta, quae » hodie inler scholasd'cos communior videtur : sive as-Bserentem dictae dilectionis necessitatem. » Du reste, à présent," les théologiens sont d'accord pour affirmer que l'allrition suffit, mais qu'en outre elle requiert l'amour commencé, puisqu'on ne peut mettre en doute qu'une des dispositions nécessaires à la justification du pécheur (comme l'enseigne le concile de Trente dans sa session 6, chap. 6), c'est que « Deum tanquam jusliliae fontem di-» ligere incipiat; ac propterea moveatur adversus pec-» cala per odium aliquod ei detestationem.» Mais le point
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                        415
est de savoir si cet amour commencé doit êlre celle cha-rilé prédominante par laquelle nous aimons Dieu par-dessus toutes choses, comme le veulent Juénin, Merbes, Habert, Morin, Concina et Anloine. L'opinion la plus commune est qu'une telle charilé n'est poinl exigée ; c'est celle de Gonel, Melchior-Canus, la théologie de Périgueux , Tournely, Colet, Cabassut, Wigandt et grand nombre d'autres. Benoit XIV (De synod. lib. 7. cap. 13.), assure que depuis le concile de Trente, toules les écoles ont reçu avec applaudissement celle doctrine. La raison en est que si dans l'atlrition, on requérait l'amour divin super omnia, le sacrement de pénitence ne serait plus le sacrement des morts, mais celui des vivans, puisque tous les péni-tens approcheraient de ce sacrement en étal de grâce ; car toute  contrition qui nait de la charilé prédominante efface les péchés el est la vraie contrition, comme l'en-seigne S. Thomas (suppl. qu. 5 a S). Et cela arrive tou-tes les fois qae l'homme est plus touché de la perte de la grâce que de celle de tout autre bien. Or une pareille contrition élant la véritable,  efface les péchés, quel-que faible que soit la douleur : « Quantumvis pnrvus » sit dolor, dummodo ad contritionis rationem  suffi-ïciat, ointiem culpam delet. » El S. Thomas l'enlend avec absence du sacrement, comme il s'en explique ail-leurs (quodlib. 4 a 1) : « Per solam contritionem remil-» titur peccatum ; sed si antequam absolvatur habeat hoc » sacramentum in volo. » Cela est confirmé par les pa-roles mêmes du concile : « Et si contritionem hanc ali-» quando caritate perfeclam esse contingat, hominem-» que Deo reconciliare priusquam hoc sacramentum aclu » concipiatur, etc. » En vain dirait-on que le concile en parlant de la contrition caritate perfectam n'eniend point
416                                       TRAITÉ
la charité éloignée, mais celle charité, intense et fervente, car la ferveur n'appartient pas à l'essence de la contrition ou même à sa perfection, mais seulement à son élat, comme dit S. Thomas, ou à son mode; celle ferveur n'é« tant qu'une circonslance qui vient se joindre accidentel-lement à la subslance de la conlrilion de même que « plus » el minus non variant speciem. »
XLIII. Que le concile en parlant de la contrition qu'il appelle caritate perfectam, n'entende point parler de la cha-rité intense, mais simplement de la conlrilion qui naît de la charité prédominante, c'est ce qui apparaît de la conlexlure même de ses paroles; car il distingue la conlri-lion parfaite, qui naît de la charilé ( carilale perfectam ), de la contrition imparfaite qui naîl de l'horreur du péché et de la crainle de l'enfer : « Illam vero contritionem im-» perfectam,, quas attritio dicitur quia vel ex turpitudinis » peccati consideratione, vel ex gehennae, vel poenarum » metu concipitur. » El il dil de celle dernière que bien qu'elle soit un don de Dieu et qu'elle prépare à recevoir la justice, elle ne peut, hors du sacrement, produire la grâce. Qu'ensuite loule contrition même éloignée jus-tifie, cela est certain pourvu qu'elle soit un acte de pure charilé, car la charilé ne peut exister avec la présence du péché, c'est-à-dire avec la haine de Dieu, comme l'alleste l'Écriture: «Ego diligentes me diligo. (Prov. vin.) Qui di-» ligit me diliget eum pater meus. (Jo. xiv.) Omnis qui » diligit, ex Deo natus est.» (Jo. îv.) C'est ce qu'enseignent généralement  les saints Pères et les théologiens, avec S. Thomas qui dit (2. 2. q. 45 a. 4) : « Caritas non po-» lest esse cum peccato mortali. » El ici par charité le saint ne peut entendre la charilé intense ; car il dil ail-leurs (2. 2. q. 24. a 42) : « Actus peccati mortalis con-
CONTRE LES  HÉBÉTIQtES.
» tradatur caritale, quœ consistit in hoc quod Deus dili-» galur super omnia. » Et dans un autre endroit (2. 2. q. 41. a 8. ad. 2) il dit que la charité parfaite, c'est-à-dire intense, ne diffère en rien dans son essence de l'impar-faite : « Caritas perfecta et imperfecta non differunt se-» cundum essentiam, sed secundum statum. »
XL1V. Ce point est encore éclairci parla trente-deuxième proposition de Baius, condamnée par Grégoire XIII, et dont voici les termes : « Caritas illa, quae est plenitudo » legis, non super est conjuncla cum remissione pecca-» torum. » L'amour qui est plenitudo legis , c'est-à-dire qui est suffisant pour accomplir le précepte de la charité, est certainement celui par lequel on aime Dieu sur toute chose, comme tous les docteurs l'enseignent avec S. Tho-mas qui, en expliquant le précepte : « Diliges Dominum » Deum tuum ex toto corde luo, » dit : « Cum manda-ri lur, quod Deum ex toto corde diligamus, datur in-» lelligi, quod Deum super omnia debemus diligere. » Ce point donc établi que la charité prédominante, quoi-que restreinte, ne peut exister avec le péché, il est égale-ment certain que toute contrition, laquelle est aussi im acte formel de charité, efface le péché. D'où il suit quesi l'on veut que l'amour commencé requis pour Fatlrilion soit un amour prédominant, tout pécheur alors irait à confesse déjà justifié, et le confesseur en absolvant ne fe-rait autre chose en substance que de le déclarer absous, comme le prétendait Luther. Mais non, répliquent nos ad-versaires ; car le pécheur n'est toujours absous qu'en vertu de l'absolution sacramentelle dont il a le désir. Nous ré-pondons que de cette manière le sacrement de la péni-tence n'aurait jamais son effet qui est de remettre les pé-chés dans l'acte même qui l'administre, caractère propre xix.                                                           27
418                                TRAITE
à tout sacrement : or, cette différence que celui-ci aurait avec tous les autres ne saurait êlre admise sans preuves claires et positives. Mais si on veut dans l'atlrilion un amour commencé qui ne soit ni parfait ni prédomi-nant, mais seulement un principe d'amour, selon les termes du concile, « Deum diligere incipiunt, » et qui soit une disposition à la justification, cela ne peut êlre contesté, et nous disons même que ce principe est intrinsèquement et actuellement dans toule attrition, soit qu'elle vienne de la crainte des châlimens divins : « Timor Domini initium dilectionis erit» (Eccli. xxv. 16), soit qu'elle naisse de l'espoir du pardon et de la béati-tude, comme le dit S. Thomas : « Ex hoc quod per ali-» quem speramus bona, incipimus ipsum diligere. » (1. 2. q. 40. a 7.) Le cardinal Palavicin (lib. 8. cap. 15) rap-porte que quelques Pères dans le concile proposaient d'a-jouter après ces mots « diligere incipiunt » ceux-ci « per » actum claritatis, » ce qui ne fut pas adopté.
XLV. Mais en outre de tous les raisonnemens que nous venons d'exposer noire doctrine se prouve encore par le texte même du concile de Trente. Au chap. 4, nous avons vu, à propos de l'altrilion conçue par crainte de l'enfer, que Luiher disait qu'une telle allrition rendait l'homme plus coupable. C'est une erreur : si cet homme délestait le péché par crainte de l'enfer, de telle sorte qu'il s'aban· donnerait au péché si l'enfer n'existait pas, sans doute une pareille crainle le rendrait plus coupable ; mais si celte crainle exclut la volonté de pécher et que le pécheur dé-leste ses fautes commises à cause de l'enfer qu'elles oni mérité, non-seulement il ne pèche pas, mais il fail un bon acle, qui est un don de Dieu, une impulsion de l'Esprit-Saim, et qui dispose l'homme à obtenir la grâce dans le
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                         419
sacrement : « Et quamvis sine sacramento poenitentiae per » se ad .iustificationem perducere peccatorem nequeat, ta-» men eum ad Dei gratiam in sacramento poenitentiis im-jj pelrandam disponit. » II est vrai que d'abord on avait mis sufficit, mais les Pères n'hésitèrent pas à remplacer ce mol par disponil parce qu'au fond il a la même force ; car ce disponit (comme le remarquent le P. Gonet et autres) ne saurait s'entendre de la disposition éloignée puisque le concile vient de déclarer auparavant que l'attrition « ex » metu gehennae » était un don de Dieu et une impulsion de l'Esprii-Saint, et par conséquent qu'elle est une dispo-sition pour la justification ; ainsi quand il dit : « Tamen » ad Dei gratiam in sacramento impetrandam disponit, » il paraît qu'il entend parler de la disposition piochaine. Et cela ressort plus clairement de la connexion des sens des parties du passage cité. Si, en effet, le concile avait entendu parla· de la disposition éloignée, il n'était pas exact de dire : « Et quamvis sine sacramento ad justifica-* tionem perduceie nequeat tamen ad Dei gratiam in sa-» cramento impetrandam disponit ; » il eût fallu mettre plutôt : « Et quamvis sine sacramento non disponat ad gra-in liam, tamen in sacramento disponil ad illam impelran-» dam ; » donc puisqu'il a dit : « Bien que l'atlrition sans » le sacrement ne puisse conduire le pécheur àlajuslifi-» cation, » on peut penser que le concile faisant concor-der les deux termes de sa déclaration a voulu dire que dans le sacrement elle justifiait le pécheur et par consé-quent qu'il a parlé de la disposition prochaine et non de la disposition éloignée.
XLVI. Ce sens esl confirmé par ce qui suit presque immédiatement : « Quamobrem falso quidam calum-» nianlur catholicos scriptores, quasi tradiderint sacra»
27.
420                                      TRAITÉ
» mentum poenitentiae absque bono molu*suscipienliura » gratiam conferre ; quod nunquam Ecclesia Dei docuit, nec » sentit. » Luther et les hérétiques n'ont point calomnié les catholiques sur ce qu'ils disaient que la grâce était conférée aux pécheurs conlriis, mais sur ce qu'ils disaient qu'elle était accordée aux pécheurs qui avaient l'aUrition, parce que celle-ci est un bon mouvement qui dispose à recevoir la grâce du sacrement, et cela en opposition à ce que disait Luther : 4 Tristitia ob foeditatem peccalo-» ium, amissionem beatitudinis, etc., facit magis pecca-» lorem; et tales indigne absolvunlur; ? c'est pourquoi il réprouve ceux « qui vocant ailritionem hanc proxime » disponentem ad contritionem. » Voilà ceux que le concile dit avoir élécalomniés par les hérétiques, ceux « qui vocant » atlritionem hanc proxime (non d'une manière éloignée) » disponentem ad contritionem, » et c'est bien certaine-ment dans ce sens que parle le concile (à moins qu'on ne veuille que dans le même arlicle il paile tantôt dans un sens tantôt dans l'autre), quand il dit :  « Ad gratiam » impetrandam disponit. » C'est ainsi que raisonne per-tinemment la théologie de Périgueux, et je ne vois pas comment les adversaires peuvent échapper à cet argu-ment. Il faut y ajouter la doctrine de S. Thomas sur le baptême : les dispositions pour recevoir la grâce dans le baptême sont les mêmes que celles qui sont  requises dans le sacrement delà pénitence, et S.Thomas dit avec Gonet, Soto, Canus, et un grand nombre d'autres, una-nanimes sur ce point : « Ad hoc ut homo se praeparet » ad gratiam in baptismo,  praeexigilur fides, sed non » charilas; quia sufficit attritio praecedens etsi non con-» liilio. » (S. Thom. in 4. sent. dist. 6. qucest. 1. art. 3. ad. 2.)
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                         421
XLVIL. J'avais déjà· dit au long tout cela dans ma Théologie morale, mais il était nécessaire d'y revenir dans cet endroit qui est propre à la matière en question. Du reste, c'est une controverse qui touche peu à la pra-tique; car il est hors de doute que le pénitent doit s'ef-forcer en s'approchanl de ce sacrement d'obtenir la con-trition la plus parfaite, afin d'assurer davantage la ré-mission de ses péchés, de même que le prêtre de son côté doit l'exhorter el l'aider à produire les actes les plus par-faits de contrition et de charité. Mais notre doctrine est utile en cela qu'elle empêche de désespérer du salut de ces pécheurs dont on peut facilement douter, à cause du nombre et de l'énormiié de leurs fautes, qu'ils puissent., en recevant Je sacremenl, parvenir à recevoir la charité prédominante. On agile beaucoup d'autres questions sur celle matière, mais elles appartiennent plutôt à la mo-rale qu'au dogme, et je les ai déjà traitées dans ma Théo-logie morale,
Cliap. VI. — De la confession,
XLVIII. Dans le chapitre ? il est traité de la confession et il est dit que l'Église a toujours entendu que dans l'in-stitution de ce sacrement Dieu avait aussi institué la confession complète des péchés ; puisque Jésus-Christ a laissé pour ses vicaires les prêtres comme juges, pronon-çant la rémission ou la rétention des péchés, et qu'ils n'auraient pu juger du cas où ils devaient donnei l'ab-solution ou la refuser el prescrire la satisfaction convena* ble, sans connaître d'abord exactement les fautes des pé-nilens. C'est pourquoi les chrétiens sont tenus de confesser toutes les fautes qu'ils trouvent dans leur conscience, bien
422                                      TRAITÉ
que cachées, avec toutes les circonstances qiii peuvent en changer l'espèce. Au contraire, les fautes vénielles, quoi-qu'on fasse bien de les confesser, peuvent cependant ne pas être dites et sont effacées par d'autres moyens. Le concile dit encore que la confession publique, si elle n'est pas interdite, n'est point prescrite non plus, tandis que la confession secrète est ordonnée : il condamne l'erreur de ceux qui disent que la confession fut inventée par le concile de Latran, lequel n'a point établi le précepte de la confession, mais seulement a enjoint à chaque fidèle de se confesser au moins une fois l'an dans le barème, comme cela se fait. Voici les paroles du concile :
« Ex institutione sacramenti poenitentiae jam explicata,
» universa Ecclesia semper  intellexit institutam etiam
» esse a Domino integram peccatorum confessionem, et
» omnibus post baptismum lapsis juré divino necessa-
» nam existere : quia Dominus noster Iesus Christus e
» terris ascensurus ad coelos sacerdotes sui ipsius vicarios
» reliquit, tanquam praesides et judices, ad quos omnia
» mortalia crimina deferantur, in quae Christi fideles ce-
» ciderint ; qui pro potestate clavium  remissionis aut
& retentionis peccatorum sententiam pronuntient. Gon-
» stat enim sacerdotes judicium hoc incognita causa exer-
» cere non potuisse, neque aequitatem quidem illos in
» poenis injungendis servare potuisse, si iri genere dum-
» taxât, et non potius in specie ac sigillatim sua ipsi
» peccata declarassent. Ex his colligitur oportere a pce-
» nitenle omnia peccata mortalia, quorum post diligen-
» tem sui discussionem conscientiam  habet, in  con-
» fessione recenseri, etiamsi occultissima illa sint, et
» tantum adversus duo ultima decalogi praecepta com-
» missa, quae nonnunquam animum gravius sauciant,
CONTRE LES ÏÎÈRÉTIQtES.
» et periculosiora supl iis quae in manifesto admittuntur, » nam venalia, quibus a gratia Dei non excludimur, et » in quae frequentius labimur, quamquam recte et ulili-» ter, citraque omnem praesumptionem in confessione » dicantur, quod piorum hominum usus demonstrat ; » taceri tamen cilra culpam, multisque aliis remediis » expiari possunt. Verum, cum universa mortalia pec-» cata, etiam cogitationis, homines irœ filios, et Deiini-» micos reddant; necesse est omnium etiam veniam cum » aperia et verecunda confessione a Deo quaerere.
» Itaque, dum omnia quae mémorise occurrunt pec-» cata, Christi fideles confiteri student, procul dubio » omnia divinae misericordiae ignoscenda exponunt : qui » vero secus faciunt, et scienter aliqua retinent, nihil dì-» vinse bonitati per sacerdotem remittendum proponunt. » Quod ignorat, medicina non curat. Colligitur praeterea » etiam eas circumstantias in confessione explicandas » esse, quœ speciem peccati mutant : quod sine illis » peccata ipsa neque a poenitentibus integre exponantur, » nec judicibus innotescant : et fieri nequeat, ut de gra-» vilate criminum recte censere possint, et poenam quam à oportet pio illis poenitentibus imponere : unde alienum i> a ratione est, docere circumstantias has ab hòminibiis ? otiosis excogitatas fuisse : aut unam tantum circumstan-» tiam confitendam esse; nempe peccasse in fratrem, Sed » et impium est confessionem, quee hac ratione fieri prae-» cipitur, impossibilem dicere, aut carnificinam illam » conscientiarum appellare : constat enim nihil aliud » in Ecclesia a poenitentibus exigi, quam ut postquam » quisque diligentius se excusserit et conscientiae suae » sinus omnes et latebras exploraverit, ea peccata con-» fiteatur, quibus se Dominum et Deum suum mot-
424                                      TRAITÉ
» taliter offendisse meminerit : reliqua autem peccata, » quae diligenter cogitanti non occurrunt, in universum » eadem confessione inclusa esse intelliguntur, pio qui-» bus fideliter cum propheta dicimus : Ab occultis meis » munda me, Domine. Ipsa vero hujusmodi confessionis » difficultas, ac peccata detegendi verecundia gravis qui-» dem videri possit, nisi tot tantisque commodis, et con-» solalionibus levarelur, quae omnibus digne ad hoc sa-» cramentum accedentibus per absolutionem certissime » conferuntur. Gseierum quoad modum confitendi  se-» cretoapud solum sacerdotem, elsi Christus non \eluerit a crimen aliquisinvindictam suorum scelerum, etsuihu-» miliaiionem, cum ob aliorum exemplum, tum ob Ec-» clesise offensae aedificationem delicta sua publice con-» fileri possit :  non est tamen hoc divino  praecepto » mandatum : nec satis consulte humana  aliqua lege » praeciperetur, ut delicta, praesertim secreta,   publica » essent confessione aperienda, unde cum a sanctissimis » antiquissimis  patribus magno unanimique consensu » secreta confessio sacramentalis, quae ab initio Ecclesia » sancta usa est, et modo etiam utitur, fuerit semper » commendata ; manifeste refellitur inanis eorum  ca-» lumniae, quia eam a divino mandato alienam, et in-» \enium humanum esse, atque a patribus in concilio » Lateranensi congregatis initium habuisse ; doceri non » verentur : neque enim per Lateranense concilium Ec-» clesia statuit, ut Christi fideles confiterentur,  quod » jure divino necessarium, et inslitutum esse intellexerat ; » sed ut praeceptum confessionis saltem semel in anno » ab omnibus et singulis, cum ad annos discretionis » pervenissent, impleretur; unde jam in universa Ec-» clesia, cum ingenti animarum fidelium fructu, obser-
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.                        425
» valur mos ille salutaris confitendi sacro illo, et maxime « acceptabili tempore quadragesimae : quem morem hœc » sancta synodus maxime probat, et amplectitur, tanquam » pium, vel merito retinendum. »
XLIX. A ce chap. 5 se joint le can. 6, où il est dit « Si quis negaverit confessionem sacramentalem vel insli-» tulam, vel ad salutem necessariam esse jure divino; » aut dixerit, modum secrete confitendi soli sacerdoti, » quem ecclesia catholica ab initio semper observavit, » et observat, alienum esse ab institutione et mandato » Christi, et inventum esse humanum : anathema sit. »
L. A ce même chapitre appartient le can. 7 qui porte : « Si quis dixerit, in sacramento poenitentia ad » remissionem peccatorum necessarium non esse jure di-» vi no., confiteri omnia et singula peccata mortalia, quo-» ium memtfria cum debita et diligenti praemeditatione » habeatur, etiam occulta ; et quae sunt contra duo ultima » decalogi praecepta, et circumstantias quse peccati spe-» ciem mutant ; sed eam confessionem tantum esse utilem » ad erudiendum et consolandum poenitentem, et olim » observatam fuisse tantum ad satisfactionem canonicam » imponendam ; aut dixerit, eos qui omnia peccata con-» fiteri student, nihil relinquere velle divinae miseri-» coïdiae ignoscendum ; aut demum non licere confiteri » peccata venialia : anathema sit. »
LI. Quelques-uns disent que les novatiens, les monla-nisles et les wiclefites ont nié l'existence du sacrement de pénitence. Cela n'est pas exact. Ces sectaires ont nié seulemeni que l'Église eût le pouvoir d'absoudre les pé-chés trop énormes sans nier ce pouvoir sur les péchés ordi-naires. L'auteur de celle hérésie fut l'impie Monlan qui, par ressentiment de n'avoir pu obtenir un évêché, corn-
426                                       TRAITÉ
mença à errer vers l'an 171 et à faire le prophète. Il s'adjoignit pour Celle œuvre deux femmes, Priscille et Maximille, qui prophétisaient aussi. Il eut beaucoup de partisans, mais deux conciles le condamnèrent. Il disait que l'Église peut remettre les péchés légers, mais non les grands, comme l'écrivit depuis Terlullien (De rjudic. cap. 2.), après s'être fait disciple de Mon lad. Celui-ci, par les soins de Novat, fut élu pape par trois évêques et fut le premier anti-pape.
LU. Jean Wicleff dit ensuite que ce ponvoir n'est point fondé sur les livres sacrés, mais qu'il a été donné aux prêlres par la pape dans le concile de Latran ; Erasme de Rotterdam dit de même (Adn. ad ep. S. Hier, ad Océan, et Àdnot. ad cap. 19 actor. ). Les calvinistes ont de fait supprimé la confession du nombre des sacremens. Les lulhériens l'ont aussi o!ée, mais non totalement. Du reste, Luther, sur le sujet de la confession, a changé mille fois d'opinion; mais enfin dans les articles de Smalcalde; il dit que la confession des péchés était utile, mais non nécessaire, et qu'il suffisait qu'on la fit à Dieu ; il la dit même d'autant moins nécessaire que le nombre et la gravité des péchés augmentent, et flle-Janehlon parle de même dans sa Confession d'Augsbourg. Calvin (lib. 3. Inst. cap. 4. § 7) ne doute pas que la confession soit d'origine divine et que l'usage en remonte aux premiers temps, mais il prétend qu'on peut d'un autre côté facilement prouver que cet usage était anciennement libre et non obligatoire. Cherrinice dit qu'il suffit de se con-fesser en tei mes généraux de ses péchés sans les spécifier.
LUI. Mais la nécessité et l'obligation de la confession des péchés mortels sont bîen établies par ces paroles de S. Jean (xx. 23.) : « Quorum remiseritis peccata remit-
CONTEE  LES  HÉRÉTIQUES.                         427
» tuntur, etc. » Nos adversaires ne nient pas d'ailleurs que par ces mots le pouvoir de remettre les péchés et de les retenir n'ait été donné, mais ils n'en appliquent le sens qu'au ministère de la prédication qui annonce le pardon ou la damnation aux pécheurs. Cependant lier et délier ne signifient pas annoncer et déclarer, mais imposer des liens ou les ôler. Mais comment les juges les ôferont-ils sans en avoir d'abord connaissance? Ces juges ce sont les prêtres, comme l'ont reconnu les saints Pères, S. Chry-soslôme (lib. 3. De sacerd.), S. Grégoire de Nazianze (Orat. ad cives.), S. Ambroise(lib.d. Depœnit. cap. 2.), S. Jérôme (Ep. ad Heliod.), S. Augustin (lib. 20. De eivit. Dei, cap. 9.), S. Innocent I (Ep. 4. ad Decent, eap. 7.), S. Grégoire(Hom. 26. in Evang.). Que si le le prêtre ne remettait pas les péchés en les absolvant réel-lement , mais seulement en annonçant la promesse divine qu'ils serons remis, les sourds et autres privés de leurs sens, ne pourraient être absous ; et cependant il est cer-tain qu'ils le sont, comme le déclare le concile d'Orange (cap. 42. ) elle quatrième de Carlhage, ainsi que S. Au-gustin (lib. 1. De adult. cap. ult.)et S. Léon (Epist, ad Theodor.). De plus, si l'absolution n'était pas un acte déjuge, mais seulement une simple annonce de la pro-messe de Dieu, un pareil acte ne nécessiterait pas le mi-nistère d'un prêtre; mais il pourrait être accompli par tout laïque, par les femmes et même par les infidèles : aussi les hérétiques ne répugnent poinl aie leur accorder. Mais cela est conlraire au sentiment de toule l'antiquité et à l'usage constant de toutes les églises.
LIV. La nécessité de la confession se prouve encore par plusieurs passages de l'Écrituie. Et d'abord par ce lexle de S. Jean (I. Jo. ) : « Si confiteamur peccata nostra,
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» fidelis est Deus ut remittat, etc. » Ces paroles doivent nécessairement s'enlendre de la confession sacramentelle puisqu'à elle seule se trouve attachée la promesse de la rémission des péchés : Quorum remiseritis, etc. Autrement si les péchés étaient remis par toute confession faile à Dieu, comment aurait-il pu être dit quorum remiseritis, etc. Et comment les prêtres pourraient-ils lier ou retenir si le péni-tent, se confessant à Dieu, était absous par Dieu lui-même?
LV. En second lieu, celle nécessité se prouve par ce passage des Acles (Aclor. 49. 48.) : « Multique creden-» tium veniebant confitentes, et annuntiantes aclus suos. >? Luther explique ces mois aclus suos par les miracles que faisaient les fidèles; mais une telle interprétation est re-jetée par les hérétiques eux-mêmes, tant elle paraît éloi-gnée des paroles du lexle. Chemnice,dilquils confessaient quelques-uns de leurs péchés, mais non tous ; Calvin dit de même : mais leur explication est évidemment inexacte; actus suos quelques actes. Calvin réplique : « Hoc semel » legimus confessos esse , papae lex quotannis repeti de-» bel. » Mais de ce que le livre n'en fait mention qu'une fois nous ne devons pas conclure que les fidèles ne se soient pas confessés plusieurs fois.
LVI. One troisième preuve se lire du texte de S. Jacques (Ép. 5. 6.) : « Confitemini alterutrum peccata vestra. » Calvin prélend qu'il s'agit là de la confession que chacun doit faire à celui qu'il a offensé pour en obtenir le par-don ; bien qu'il avoue dans un autre endroit (Inst. 1, 4. c. 4. 22), que ces paroles concernent le pouvoir des clés. Suivant Mélanchlon, ce passage s'enlendde la confession de ses défauts que l'on peul faire à un homme éclairé pour qu'il vous guide et prie pour vous. C'est ainsi qua l'entendent ces nouveaux maîtres; mais ce n'est pas là le.
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sentiment des Pères qui expliquent ce passage parla con-fession sacramentelle qui se fait aux piètres, et justement c'esl immédiatement après avoir ordonné aux prêtres, d'oindre les malades avec l'huile consacrée, afin que leurs péchés soient pardonnes, que S. Jacques ajoute ces paro-les : « Confitemini alterutrum, etc., » qui font voir que la confession devait se faire aux piètres qu'il vient de nom-mer; car autrement le mol « confitemini » serait une expression oiseuse ou au moins mal placée.
LV1I. Voici comment les saints Pères parlent de la confession sacramentelle pratiquée dans les premiers siè-cles. S. Irénée, au deuxième siècle, rapporte que quel-ques femmes se confessèrent des mauvaises pensées secrè-tes qu'elles avaient eues pour un certain Marc, hérétique gnosûque : « Confessée sunt, se inflammaias valde il-» Ium dilexisse. » (Lib. 1. adv. haeres. cap. 9.) D'où on voit que même alors on usait déjà de la confession des péchés secrets. Terlullien, au môme siècle, dit que l'exo-mologèse consiste à confesser au Seigneur son péché, afin que par la confession on puisse oblenir la pénitence pour plaire à Dieu, puis il ajoute ; « Presbyteris absolvi et ca-« ris Dei adgenicalari. » (Lib. De pœnit. cap. 9.) Ainsi il conseille de s'agenouiller aux pieds des prêtres et il exhorte à n'en pas concevoir de honte : « Plerosque hoc » opus ut publicationem sui effugere, pudoris magis me-» mores quam salutis. * (Ibid. cap. 10. ) Origène, tou-jours au même siècle, après avoir présenté les differens usages de l'Église pour la rémission des péchés, ajoute : « II y a un septième mode ; c'est quand le pécheur n'a » point honte de confesser au prêtre son péché et en de-» mande le remède. — Cum non erubescit sacerdoti Do-» mini indicare peccatum suum, et quaerere medicinam. »
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(Hom. H. in Levit.) S. Bazile écrit : « Ut vitia corporis » aperiunt iis qui rationem, qua ea curanda sunt, teneant; » eodem modo peccatorum confessio fieri debeat apud eos, » qui ea possint curare. (In reg. hrev. resp. 229.)
LVHI. De plus, on lit daqs S. Grégoire de P^ice : « Au-» dacler ostende illi quae sunt recondita animi arcana , » tanquam occulta viscera. » (Orat. in eos qui al. acerb. judic.) Et S. Ambroise : « Si vis juslificari, falere de-» lictum tuum ; solvit enim criminum nexus verecunda «confessio peccatorum. » (Lib. 2. De pœnit. cap. 6.) Paulin, auteur de la Vie de S. Ambroise, rapporte que ce saint : « Quotiescumque illi aliquis ad percipiendam » poenitentiam lapsus suos confessus esset, ita flebat ut » flere illum compelleret. » S. Jérôme dit : « Si quis ser-» pens diabolus occulte momorderit, si vulnus suum ma-» gistro noluerit confiteri, magister prodesse non poterit... «Quod ignorat-, medicina non curat : » (Incap. 40. Eccl.) S. Léon écrivait en 440 aux évêques de la Cam-panie qui voulaient astreindre les pénitens à confesser publiquement leurs péchés : «Removeatur tam improba-» bilis consuetudo ne multi à poenitentiae remediis ar-» ceanlur ; sufficit enim ea confessio quae offertur sacer-» doti, qui pro delictis poenitentium precator accedit. » (Epist. 56.) A ces Pères il faut ajouter S. Cyprien (Ep. 16. lib. S. ad Pleb.), S. Alhanase (Serm. in verba, pro-fecti in pagum), S. Hilaire (Can. 18. in Matth.), S. Chry-sostôme (Hom. xxx, in Gen.) et plusieurs autres. S. Au-gustin parlant sur ce texte de S. Jacques : « Confitemini » alterutrum, etc. » (5. 16.), écrit : « Eges sacerdotis qui «mediator sit apud Deum tuum salubri judicio; alioquin » responsum divinum quomodo consummaretur : confi-temini allerutrum peccata vestra? Et plus loin (Hom.
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XLIX. in Levit.) il condamne ceux qui dicent : « C'est v assez que je me repenle dans le cœur pour que Dieu me » pardonne : Nemo sibi cÇcat : novit Deus qui mihi ignos-» cit, quid in corde ago. Ergo sine causa sunt claves datae » Ecclesiae Dei? » En outre, S. Bernard (Lib. médit, cap. 9.), expliquant le « confitemini alterutrum, dit: Nempe ho-» mines hominibus qui potestatem absolvendi habent. » Et puis il ajoute : « Dedit nobis ministerium reconcilia-» lionis : pro Christo ergo legatione fungimur. » Ceux que le prince envoie aux factieux avec pouvoir de les réconci-lier, ne peuvent exercer ce pouvoir, si d'abord ils n'ont de la bouche même des rebelles l'aveu de leur crime : de même, le pouvoir de réconcilier les pécheurs avec Dieu, emporte celui de scruter leurs consciences.
LIX. La nécessitéde la confession est établie aussi par les conciles œcuméniques, qui l'ont reconnue de précepte di-vin. Dans le concile général, au can. 102, on lit : « Opor-» tel autem eos, qui solvendi et ligandi potestatem a Deo » accepere, peccati qualitatem considerare... et sic morbo » convenientem adfeire medicinam. » On lit de même au can. 11, du concile de Laodicée : « Pro qualitate pec-» cati poenitentiae tempus tribuendum est. » Dans l'Église latine il y a eu plusieurs conciles qui ont expressément commandé la confession sacramentelle .· tels sont le troi-sième concile de Carthage, dans le can. 1 ; celui de Châ-lons, celui de Worms et autres ; et finalement ceux qui ont le plus d'autorité ; celui de Latran sous Innocent III, can. 22; celui de Constance, sess. 8; celui de Flo-rence et le concile de Trente. Ainsi donc, si la confession n'était pas de droit divin, l'Église serait demeurée dans l'erreur pendant quatre siècles au moins. El cet usage général de l'Église est d'autant mieux une preuve de la
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nécessité dont il s'agit, que, selon S. Augustin, ce que l'on voit usité pendant long-temps dans l'Église et qui ne se trouve pas établi par quelqiu décret de l'Église comme loi positive, doit être cru d'institution divine. El cela sur-tout en matière de confession, dont il n'y a pas d'exemple qu'aucun pape ail dispensé.
LX. Chemnice (in censur. ad cap. 5. Trid.) persiste à soutenir que les anciens Pères, quand ils parlent de con-fession, n'entendent pas la sacramentelle, mais celle qui se fait seulement à Dieu ou simplement au prochain pour obtenir le pardon de l'offense qu'on lui a faite. Mais il suffit de jeier un coup-d'œil sur les textes des Pères que nous venons de rapporter pourvoir touie l'erreur de Chem-nice. Et cependant il convient lui-même que les saints Pères recommandaient la confession que l'on faisait aux prêtres, et il avoue de plus que quelques-uns des passages de ces mêmes Pères paraissent indiquer la nécessité des confessions sacramentelles. Calvin ne le nie pas, mais il soutient (lnstit. lib. 3. cap. 5. § 7.) que ce n'était pas une obligation pour les fidèles que de se confesser sacra-mentellement avant la constitution du concile de Latran (in cap. omnis utriusque sexus, etc.) sous Innocent III. Mais il se trompe comme nous l'avons dil plus haut, car ce ne fut pas Innocent qui imposa le précepte de la con-fession, mais seulement il détermina le temps dans le-quel elle devait êire faite par les fidèles, c'est-à-dire au moins une fois l'année, comme déjà les papes Innocent Ie', Léon 1" et Zéphirin l'avaient prescrit avant lui.
LX1. Au reste il faut savoir, que bien que dès les pre-miers temps la confession auriculaire ail élé toujours pratiquée, néanmoins les confesseurs, dans ces temps an-ciens, conseillaient souvent à leurs pénitens de confesser
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publiquement, pour mieux s'humilier, quelqu'un de leurs péchés, même secret, pourvu qu'une telle confession ne causal point de scandale et ne risquât pas de rendre odieux îe sacrement. Voici comme Origène parle à ce sujet : « Proba prius medicum , cui debeas causam languoris » exponere... ut ita demum si quid ille intellexerit, talem » esse languorem tuum, qui in conventu Ecclesiae exponi » debeat, ex qua et eseteri aedificari poterunt, et tu facile » sanari, illius consilio procurandum est, » (Hom, 2. in Psalra. 37.) Mais cet usage cessa en Qrient au cinquième siècle à l'occasion du fait d'une certaine dame noble de Constantinople, laquelle ayant été d'abord se confesser au pénitencier de celte église, voulut encore se confesser en public (mais sans en avoir reçu le conseil de son confes-seur) d'avoir eu un commerce charnel avec un certain diacre, dont elle révéla même publiquement le nom. Cela causa un grand scandale et une telle rumeur parmi le peuple que le diacre fut chassé de eelle église et le clerc resta couvert de honte aux yeux de toute la nation. L'archevêque Nectaire, prédécesseur de S. Jean Chrysos-tôme, en fut tellement affecté qu'il abolit l'office de pém'-tencier et défendit dès-lors à tous les fidèles de confesser en public leurs péchés secrets et même de faire pénitence publique de ces péchés. Voilà comment vint h défense de la confession publique, et cette défense passa bientôt de l'Église d'Orient à celle d'Occident.
LXII. Calvin est donc dans l'erreur quand il dit avec Thomas Waldem (Instit. lib. 3. c. 4. § 7.) que le précepte de la confession auriculaire ne fut pas institué par Jésus-Christ, mais par les évêques, et seulement dans quelques lieux. Et à ce sujet il affirme que, d'après Sozomène, l'ar-chevêque de Constaïitinople, Nectaire, à cause du scan-xix,                                                           28
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dale de celle dame qui avait déclaié en public son péché avec un diacre, abolit la confession auriculaire, el il ajoute que depuis lors les églises d'Orient rejetèrent la confes-sion ; d'où il conclut que si la confession auriculaire avait élé un précepte divin Nectaire n'aurait pas eu l'audace de l'abolir. Mais c'est là une erreur, comme je l'ai dit, car nous savons par Sozomène lui-même, Socrale et Nicé-phore, qu'à l'occasion de l'hérésie des novaliens, les évê-ques nommèrent un prêtre pénitencier chargé de régler la pénitence publique dans laquelle les pénitens devaient déclarer publiquement leurs péchés. Ainsi les évêques ne voulurent point empêcher la confession des péchés, mais ils voulurent que celte confession ne se fit pas publique-ment comme on le prouve par ce que dit S. Chrysoslôme (Hom. 8. de pœnit.) D'ailleurs le pénitencier ne devait point ordonner la confession de tous les péchés, mais seu-lement de ceux qui, étant publics, demandaient une péni-tence publique. Sozomène atteste que la prohibition de Nectaire de confesser publiquement les péchés cachés, s'ob· servait déjà dans (ouïes les églises d'Occident. Et S. Léon affirme que l'usage de publier les péchés cachés n'eut ja-mais lieu à Rome; aussi le saint pontife (Ep. 80. ad episc. Camp.) reprend-il quelques évêques qui voulaient intro-duire cet usage.
LXIII. Quant à ce que disent ensuite Sozomène et So-crale, que Nectaire avait permis à chacun, « secundum » suam conscientiam ad sacra mysteria participanda ac-»cederet.» Celle permission ne s'enlend pas de pouvoir, sans confession, recevoir l'eucharistie, quoique sous le poids d'un péché mortel ; mais de la dispense de se pré-senter au tribunal public de l'Église, el d'aller chacun communier suivant sa conscience, c'est-à-dire, comme
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l'explique Bellarmin (lib. 5. cap. 44.), que s'il était en élat de péché mortel, il eût fait une confession privée, et que s'il était libre de péché il communiât.
LXIV. Il nous reste à répondre à quelques autres objec-tions que font les hérétiques contre la confession auricu-laire. Calvin oppose un passage de S. Chrysoslôme (in psalm. 50.) : « Si confunderis dicere alicui quae peccasti, » dicito quotidie ea in anima tua : non dico ut confitearis «conservo luo qui exprobret, dicito Deo qui curat ea. » Cave homini dixeris, ne tibi exprobret. » (Hom. 4. in Ez.) Mais on répond que le saint docteur ne veut faire autre chose ici que confirmer l'abolition de la confession pu-blique décrétée par Nectaire, son prédécesseur, et non celle de la confession auriculaire. Cela se déduit d'autres passages du même saint : « Non cogo te in medium pro-» dire theatrum, mihi soli dic peccatum privatim. » (Hom. cit. 4.) Il avait dit d'abord : « Cave, homini dixeris, ne » tibi exprobret. » Celle improbalion avail lieu en effet dans la pénitence publique comme nous l'apprend Ori-gène : « Exprobrent eum confitentem. » (Hom. 2. in psalm. ST.) S. Chrysoslôme dit cave : si le saint avait voulu par là défendre aussi la confession secrète, il eût été plus loin que les novateurs eux-mêmes qui admettent que la confession est utile au moins pour les péchés graves. Quand le saint dit ensuite : « dicito Deo, qui curai, » il ne parle pas de la confession sacramentelle, mais de celte confes-sion publique qui d'abord se faisait par les pénilens pour leur humiliation, et c'est celle-là que le saint réprouve ici. Du reste, S. Chrysostôme, en cent endroits, exhorte à la confession privée : « Ultro sibi persuadeant, cura-» lioni sacerdotum sese submittere oportere. » (Lib. 2. de sacerdot.) El ailleurs (Hom. 35. in Jo.), blâmant ceux
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qui par honle négligent de confesser secrèlemenl leurs pé-chés, il dit : « Commisisti aliquod scelus, homines cœ-» las, non Deum et nihil curas?
LXV. Calvin oppose encore le passage d'Ezéchiel (cap. 35.) : «Quotiescumque ingemueril peccator... omnium » iniquitatum ejus non recordabor. » Ce passage est ordi-nairement cité ainsi, mais il n'est pas réellement en ces termes dans l'Écriture : le vrai passage est pris dans Eze-chiel au chap. 18. vers. 21 et 22; on y lit : « Si autem » impius egerit poenitentiam ab omnibus peccatis suis... » \ita vivet et non morietur, omnium iniquitatum, etc. » Calvin ajoute au texte par lui cité : « Huic verbo qui au-» det aliquid adjicere, non peccata ligat, sed Dei miseri-» cordiam. » Et il conclut que le seul repentir suffit sans la confession. Mais on répond que ces mots egerit poeni-tentiam s'entendent de la pénitence faite avec toutes les conditions voulues, c'est-à-dire qui renferme l'acte de foi, d'espérance, de charité, de contrition et encore le désir du baptême ou de la confession.
LXVI. Calvin objecte en outre que la rémission des péchés n'est point autre aujourd'hui qu'elle a toujours été : or, dit-il, la confession auriculaire n'a pas toujours été en usage, donc elle n'est pas nécessaire pour la récon-ciliation avec Dieu. On répond que le baptême au moins a été de tout temps, et cependant il n'existait pas dans l'ancienne loi ; il ne serait donc pas nécessaire aujourd'hui au salut? Mais si la nouvelle loi a rendu le baptême né-cessaire par les paroles de Jésus-Christ : « Nisi quis rena-»tus fuerit ex aqua et Spiritu Sancto, non potest introire » in regnum Dei.» (Jo. ??. 5.) De même aussi la confes-sion est devenue nécessaire par ces autres paroles de Jé-sus-Christ : « Quorum remiseritis peccata, remittenlur
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.
» eis : quorum retinueritis, retenta sunt. » (Joan. xx.) Pierre Soave, sur ces paroles de S. Jean, élève quatre objections qu'il présente comme venant des Allemands, suivant sa coutume de mettre dans la bouche des autres ses propres censures contre le concile. 1° II objecte que l'obligation de confesser tous les péchés mortels en détail-lant les circonstances qui peuvent en changer l'espèce, ne se déduit pas du pouvoir judiciaire donné par Jésus-Christ de remettre et retenir les péchés, puisque Jésus-Christ n'a point distingué deux genres de péchés, l'un à remettre, l'autre à retenir; mais seulement il a distingué deux classes d'hommes, « quorum et quorum ; » une de pénilens à qui les péchés sont remis, l'autre de pénilens mal disposés à qui les péchés sont retenus. Mais on ré-pond que dans les paroles susdites : « quorum remiseri-» lis peccata, remillentur eis : et quorum retinuerit, re-» (enta sunt, » deux genres non-seulement de pénitens mais aussi de péchés, c'est-à-dire ceux à remettre et ceux à retenir, sont clairement indiqués. Mais admettons qu'il n'y ait dans ce texte d'autre distinction que celle des pé-nitens et non celle dès péchés, il ne s'ensuivrait pas moins la nécessité que les péchés graves fussent confessés avec les circonstances qui peuvent en changer l'espèce, au-Irement le prêtre ne pourrait suffisamment connaître si le pénitent retient encore quelque aifeclion pour le péché, s'il veut fuir les occasions prochaines, et s'il est disposé à recevoir la pénitence curative qui doit lui être imposée ; 2° il objecte que les apôtres ei leurs disciples ont ignoré ces circonstances changeant l'espèce, et qu'aujourd'hui encore personne peut-être ne le saurait si Aristole n'en avait pas fait la distinction : et c'est de là que s'est formé un article de foi. On répond que la distinction d'une
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circonstance qui change l'espèce, par exemple, du meurtre d'un frère qui est non - seulement un crime contre la justice, mais contre les sentimens de la na-ture, n'appartient pas seulement à Aristole , mais aux rustres eux-mêmes. Du reste, le concile se borne à dire que le pénitent, après avoir examiné sa conscience, « ea » peccata confiteatur quibus se Deum suum mortaliter of-» fendisse meminerit ; reliqua autem peccata, quas dili-» genter cogitanti non occurrunt, in universum eadem » confessione inclusa esse intelliguntur. » En sorte que celui qui ne connaît pas et ne découvre pas le mal de celte circonstance qui change l'espèce, n'est pas tenu de l'expliquer; 3° il objecte qu'il y a contradiction ou erreur à condamner ceux qui disent que l'absolution n'est rien autie chose que la déclaration que les péchés sont remis, tandis que d'un autre côté on veul voir dans les prêtres de véritables juges. Or, l'office du juge consiste seulement à déclarer coupable celui qui l'est : on ne pourrait soutenir que le prêtre rend juste le coupable, mais il serait mieux de dire qu'il lui remet la peine et le rend à son premier étal. On répond que l'office du juge qui serait délégué par le prince avec pouvoir d'accorder ou de refuser aux cou-pables le pardon ou la rémission de la peine, avec con-naissance de cause, ne se bornerai t pas à déclarer tel homme coupable ou innocent, mais encore à prononcer là sen-tence en même temps qu'il accorderait ou dénierait le pardon : et tel est l'office du prêlre qui écoute les confes-sions. Et puis cette faculté du prêlre, non pas seulement de déclarer que les péchés sont remis, mais d'en délivrer les pénilens, se tire des paroles de Jésus-Christ dans S. Matlhieu (c. xvm. et dans S. Jean. c. xx.); car les paroles « solvere et remittere » ne renferment pas seulement un
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simple ministère de déclaration, mais encore un acte de juge par lequel la sentence de l'absolution n'est prononcée qu'après examen de la cause ; 4° il objecte enfin que la raison apportée par le concile pour établir la nécessité d'expliquer la nature des péchés, et qui serait de mettre le prêlre à même d'imposer la pénitence convenable, est totalement fausse, d'abord parce qu'en fait on impose des peines fort légères pour des fautes très-graves, et puis parce que le concile lui-même déclare que nous pouvons satis-faire à Dieu soit par les peines que nous recherchons nous-mêmes, soit par celles qu'il nous envoie et que nous sup-portons avec résignation; enfin parce que le prêtre ne peut mesurer l'importance des peines qui nous seraient réservées dans le purgatoire. On répond que l'infliclion de peines légères pour des fautes graves est prohibée par le concile, qui commande au contraire de proportionner la peine à la gravité des péchés : « Debent pio qualitate crî-» minum et poenitentium facultate salutares et convenien-» tes satisfactiones injungere. »
LXVII. Chenmice oppose en outre ce texte: « Sicut mi-» sit me pater, ita etego mitlo vos. » (Jo.xx. 21.) El il fait observer que Jésus-Clnist a pardonné les péchés sans confession. On répond que les apôtres par ces paroles eu-rent aussi mission de réconcilier les pécheurs, mais d'une autre manière que ne les absolvait Jésus-Christ. Jésus-Christ les absolvait par pouvoir absolu el il connaissait bien le fond de leur cœur et s'ils étaient contrits ou non; mais les npôlres pour connaître les disposilions des péni-tens avaient besoin d'abord de scruter leurs consciences; c'est pourquoi le pouvoir de délier et de lier leur fut donné. Jésus-Christ pardonna bien à la Magdelaine sans le baptême ;   il voulut  néanmoins   que ses  apôtres
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baptisassent ceux qui se convertiraient à la foi : « Bap-» tizanies eos in nomine Patris, etc. »
LXVIII. Chemnice fait encore celle objection : La loi nouvelle est donc plus dure que l'ancienne où n'existait pas cette lourde obligation de la confession ? On répond que de ce qu'un précepte ou quelques préceptes peu nom-breux de la nouvelle loi sont plus durs que les anciens, il ne s'ensuit pas que la loi nouvelle soit plus dure que l'ancienne. L'ancienne était bien autrement dure par une foule de préceptes de cérémonie ou judiciaires qui obli-gaient alors et n'existent plus aujourd'hui. Outre que les préceptes de l'ancienne loi n'étaient pas accompagnés de la promesse de la grâce, que Jésus-Christ notre Seigneur promet par plusieurs fois dans l'Évangile à ceux qui le suivent afin qu'ils puissent facilement accomplir ses covn-mandemens. Aussi l'ancienne loi était appelée loi de crainte; la loi de l'Évangile se nomme loi d'amour, et pour un fidèle animé et soutenu par cet amour où sont les difficultés du précepte? »
Chap. VI. — Du ministre et de l'absolution.
LXIX. Dans ce chap. 6 on condamne ceux qui assignent le pouvoir des clefs à d'autres qu'aux évêques et aux prê-tres; disant que les péchés publics sont remis par la ré-préhension publique et les secrets pas la confession à tout fidèle. Le concile enseigne encore que les prêtres mêmes qui sont en péché administrent validement ce sacrement, et que ceux-là errent qui disent que les mauvais prêtres sont privés de ce pouvoir. Il déclare en outre que l'abso-lution n'est pas le simple ministère d'annoncer l'Êvan-gile ou de déclarer que les péchés sont remis, mais un
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acte de juge par lequel le prêlre poile la sentence en donnant ou refusant l'absolution au pénitent. D'où il suit que, pour la rémission des péchés, la foi du pénitent dans la réalité de son absolution, quand même il n'aurait pas la conlrition et encore que le piètre entendît ne faire qu'un jeu et ne pas réellement l'absoudre, ne suffit pas. Voici les paroles du concile : « Circa ministrum autem » hujus sacramenti, declarat sancta synodus falsas esse, » et a veritate Evangelii penitus alienas doctrinas omnes, » quae ad alios quosvis homines, praeter episcopos et sa-» cerdotes, clavium ministerium perniciosi extendunt, » putantes verba illa Domini : Quaecumque alligaveritis » super terram, erunt alligata et in cœlo : et qusecum-» que solveritis super terram, erunt soluta et in ccelo: et t> quorum remiseritis peccata, remitlenlur cis : et quorum » retinueritis, retenta sunt: ad omnes Christi fideles in-» differenter, et promiscue, contra institutionem hujus » sacramenti ita fuisse dicta, ut quivis potestatem ha-» beat remittendi peccata, publica quidem per correp-» tionem, si correptus acquieverit; secreta vero perspon-» taneam confessionem cuicumque factam. Docet quoque, » etiam sacerdotes, qui peccato mortali tenentur, per vir-» lutem Spiritus-Sancti in ordinatione collatam, lan-» quam Christi ministros functionem remittendi peccata » exercere; eosque prave sentire, qui in malis sacerdo-» libus hanc potestatem non esse contendunt.
» Quamvis autem absolutio sacerdotis alieni beneficii » sit dispensatio, tamen non est solum nudum minisle-» rium, vel annuntiandi Evangelium, vel declarandi re-» missa esse peccata ; sed ad instar actus judicialis, quo » ab ipso velut à judice sententia pronuntiatur; atque » ideo non debet pcenitens adeo sibi de sua ipsius fide
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» blandiri, ut etiamsi nulla illi adsit contritio, aut saeer-» doli animus serio agendi, et vere absolvendi desit; » putet tamen se propter suam solam fidem vere et co-» ram Deo esse absolutum : nec enim fides sine pceni-» lentia remissionem ullam peccatorum praestaret : nec » is esset nisi salutis suae negligenlissimus, qui sacerdo-» lemjocose absolventem cognosceret, et non alium serio » agentem sedulo requireret. »
LXX. A ce chapitre se rapporte encore ce qui est dit dans le can. 4 déjà cité au chapitre 3. « Si quis dixerit » duas tantam esse poenitentiae paries, terrores, etc., et » fidem conceptam ex Evangelio, vel absolutionem, qua » credit quis sibi per Christum remissa peccata : ana-» thema sit. »
LXXI. C'est là l'erreur que prêchait Luther, disant que le ministre devait toujours donner l'absolution. Dans le catéchisme de Luther, lorsqu'il est question de la forme du sacrement de la pénitence, on voit que le ministre, après avoir entendu la confession du pénitent, lui demande: » Crois-tu que la îémission des péchés que je le donne » soit la rémission de Dieu ?» El sur la réponse affirma-tive, le minisire ajoute : « Et moi par le commandement » du Christ je te pardonne tes péchés. »
LXXI1. Nous remarquerons, touchant la forme du sa-crement ou l'absolution, que les Grecs usaient de la forme déprécalive, etJuénin écrit que jusqu'au douzième siècle les Latins aussi usaient de la forme déprécalive, comme il paraît par les rituels et sacramentales ; mais le concile de Trente a déclaré que la forme seule valable est la forme prononcée d'une manière indicative : « Ego te ab-» solvo a peccatis tuis.» Mais comment celle forme d'après le mode deprecatif a-t-elle valu anciennement et vaut-
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elle encore parmi les Grecs, landisque parmi les Latins elle n'est plus valable? Juénin répond très - pertinemment (pag. 583. de pœnil. tom. 7.) que l'Eglise peut bien chan-ger les formes, non quant à la substance, mais quant au mode, assignant quelque chose comme condition sine qua non; car l'adminislraiion des sacremens a été confiée par Jésus-Christ lui-même à la prudence de l'Église, laquelle a prescrit aux Latins le mode indicatif pour exprimer l'acle de juridiction que les prêtres exercent en adminis-trant ce saciement.
Chap. VII.—De la juridiction et des cas réservés.
LXXIII. Dans le chap. vu il est dit que l'absolution est nulle quand elle est donnée par les prêtres qui n'ont pas la juridiction ordinaire ou déléguée sur les péniiens : de plus, que les pontifes et les évêques se sont à bon droit réservé l'absolution des péchés d'une énormité extrême; mais qu'à l'article de la mort tout prêtre peut absoudre les fidèles de tout péché et de toute censure; tandis que hors le cas-de danger de mort ceux-ci doivent aller vers leurs supérieurs pour recevoir l'absolution : « Quoniam igitur natura, et ratio judicii illud exposcit, » ut sententia in subditos duntaxat feratur; persuasum » semper in ecclesia Dei fuit, et verissimum esse synodus » haec confirmat, nullius momenti absolutionem eam » esse debere, quam sacerdos in eum proferl, in quem » ordinariam aut subdelegatam non habet jurisdictionem. » Magnopere vero ad christiani populi disciplinam perti-» nerc sanctis Patribus nostris visum est, ut atrociora quae-» dam et graviora crimina non a quibusvis, sed a sum-» mis dumtaxat sacerdotibus absolverentur. Unde merito
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» pontifices maximi pro suprema potestate sibi in Ecclesia » universa tradita, causas aliquas criminum graviores » suo potuerunt peculiari judicio reservare. Nec dubi-» Iandum est, quando omnia quae a Deo sunt, ordinata » sunt, quin hoc idem episcopis omnibus in sua cuique » dioecesi, in aedificationem tamen, non in destruclio-» nem liceat, pro illis in subditos tradita supra reliquos » inferiores sacerdotes auctoritate, praesertim quoad illa » quibus excommunicationis censura annexa est. Hanc » autem delictorum reservationem consonum est divinae » auctoritati, non tantum in externa politia, sed etiam » coram Deo vim habere. Verumtamen pie admodum, ne * hac ipsa occasione aliquis pereat, in eadem Ecclesa Dei » custoditum semper fuit, ut nulla sit reservatio in arti-» culo mortis; atque ideo omnes sacerdotes quoslibet » poenitentes a quibusvis peccatis, et censuris absolvere » possunt : extra quem articulum sacerdotes, cum nihil » possint in casibus reservatis, id unum poenitentibus » persuadere nitentur, ul ad superiores, et legitimos » judices pro beneficio absolutionis accedant. »
LXXIV. Ainsi le concile a voulu que, pour l'absolu-tion de certains péchés très-graves, on eût recours aux supérieurs et cela à bonne fin, c'est que ceux-ci, comme plus expérimentés , donneront de meilleurs avertissemens et pourront ordonner des pénitences mieux proportionnées et plus salutaires. El ce motif posé, on ne voit pas quelle probabilité pourrait avoir (comme nous l'avons dit dans noire morale) l'opinion de ceux qui exemptent de la réserve les pénitens ignorans; car, disons-nous, cette ré-serve n'est point une peine ni ne se motive sur une peine à infliger aux pénitens, mais elle est un retranchement de juridiction aux confesseurs, afin que les délits trop graves
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soient jugés plus mûrement par les supérieurs ou les con-fesseurs auxquels a été concédée la faculté d'absoudre même les cas réservés.
Ghap. VIII. — De la satisfaction.
LXXV. Dans le chap. vm on déclare qu'il est faux de dire que Dieu en remettant le péché remet aussi toute la peine. Il y est dit que les peines volontaires satisfont sans doute, mais non par leur propre mérite et bien par les mérites de Jésus-Christ en faveur desquels Dieu les accepte. C'est pourquoi les prêtres doivent imposer des pénitences salutaires  et   convenables selon la  qualité des péchés   et suivant aussi  les forces des pénitens, se gardant surtout d'ordonner de légères peines pour des péchés graves, et ne cessant d'avoir devant les yeux que la satisfaction n'est pas seulement la gardienne de la vie nouvelle, mais le châtiment des péphés commis, et se disant que de telles satisfactions ne diminuent en rien la satisfaction suprême de notre Seigneur Jésus-Christ : « Demum quoad satisfactionem, quae ex omnibus » poenitentiae partibus, quemadmodum a patribus nostris » christiano populo fuit perpetuo tempore commendata, » ita una maxime nostra aetate summo pietatis praetextu » impugnatur ab iis, qui speciem pietatis habent, virtu-ti tem autem ejus abnegarunt : sancta synodus declarat fal-» sum omnino esse, et a verbo Dei alienum, culpam a » Domino nunquam remitti, quin universa etiam poena » condonetur : perspicua enim et illustria irt sacris litteris » exempla reperiuntur, quibus, praeter divinam tradi-» tionem hic error quam manifestissime revincitur. Sane » et divinae justitise ratio exigere videtur ; ul aliter ab eo
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» in gratiam recipiantur ; qui ante jbaptismum per igno-» ranliam deliquerint ; aliter vero qui semel a peccatis » et daemonis servitute liberali, ei accepto Spiritus Sancti » dono scienter templum Dei violare; ei Spiritum Sanctum » contristare non formidaverint ; et divinam clementiam » decet, ne ila nobis- absque ulla satisfactione peccata » leviora pulanles, velut injurii et contumeliosi Spiriiui » Sancto in graviora labamur, thesaurizantes nobis iram » in die irae. Procul dubio enim magnopere a peccalo » revocant, et quasi frseno quodam coercent satisfactoriae » poenae, cautioresque ei vigilantiores in futurum poeni-» lentes efficiunt; medentur quoque peccatorum reliquias, » ei viliosos habitus male vivendo comparalos contrariis » virtutum actionibus tollunt; neque vero securior ulla » via in Ecclesia Dei unquam existimata fuit, ad amo-» vendam imminentem a Domino poenam, quam ut haec » pœnitentiae opera homines cum vero animi dolore fre-» quenlent. Accedit ad hœc, quod dum satisfaciendo » patimur pio peccatis, Christo Jesu, qui pro peccalis » nostris satisfecit, ex quo omnis nostra sufficientia est, » conformes efficimur, certissimam quoque inde arrham » habentes, quod si compatimur, conglorificabimur. » Neque vero ila nostra est salisfactio haec, quam pio » peccatis nostris exsolvimus, ut non sit per Christum » Jesiun : nam qui ex nobis nihil possumus, eo coope-» rante qui nos confortat, omnia possumus : ita non » habet homo, unde glorietur : sed omnis gloriatio nostra » in Christo est, in quo vivimus, in quo movemur, in » quo satisfacimus, facientes fructus dignos poenitentiae, » qui ex illo vim habent ; ab illo offeruntur patri, et per » illum acceptantur a patre. Debent ergo sacerdotes Do-» mini, quantum spiritus et prudentia suggesserit, pio
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» qualitate criminum, et poenitentium facultate, salutares » et convenientes satisfactiones injungere ; ne si forte pec-» catis conniveant, et indulgentius cum poenitentibus » agant, levissima quaedam opera pio gravissimis delictis » injungendo, alienorum peccalorumparlicipesefficiantur. » Habeant autem pne oculis, ut satisfactio, quam impo-» nunt, non sit tantum ad novae vitae custodiam, et infir-» mitatis medicamentum, sed etiam ad praeteritorum » peccatorum vindictam , et castigationem, nam claves » sacerdotibus non ad solvendum duntaxat, sed ad » ligandum, concessas, etiam antiqui Patres et credunt et » docent ; nec propterea existimarunt, sacramentum poe-» nitentiae esse forum irae, vel poenarum, sicut nemo » unquam catholicus sensit, ex hujusmodi nostris saiis-» factionibus vim meriti, ei satisfactionis Domini nostri » Iesu Christi vel obscurari, vel aliqua ex parte imminui : » quod dum novatores intelligere nolunt, ita optimam » poenitentiam novam vitam esse docent, ut omnem » satisfactionis vim, et usum tollant. »
LXXVI. Luther et Calvin disent que Dieu n'exige au-cune peine pour la satisfaction des péchés après qu'il les a pardonnes, mais le concile enseigne, comme nous le voyons, qu'après la rémission de la faute, il reste souvent au pécheur l'obligation de satisfaire à la peine temporelle, même "dans l'autre vie, si celte satisfaction n'a pas été complète dans celle-ci : les peines de l'autre vie satisfont de condigno, les peines de la vie présente satisfont seule-ment de congruo, comme le disent communément les théo-logiens en s'appuyant sur un passage de Daniel ( c. 4. v. 24) « Peccata tua eleemosynis redime. » Sous ce mot peccata il faut entendre la culpabilité pénale selon la tra-dition des saints Pères, dont les passages se trouvent
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dans Bellarmin, lib. 4. e. 9. Et les faits viennent con-damner aussi Luther e( Calvin, puisque David, quoique pardonné (comme le prophète Nathan le lui avait assuré : «Dominus quoque transtulit peccatum tuum» (II.Reg. XH. 13), fut encore puni de Dieu par la mort de son fils : « Quoniam blasphemare fecisti inimicos Domini, prop-» 1er verbum hoa, filius, qui natus est tibi, morte morie-» tur. » (Ibid. XH. 14.) Et la chose arriva comme elle avait été annoncée par le prophète.
LXXVII. Celte peine temporelle qui nous reste à payer peut être rachetée par de bonnes œuvres spontanées, comme l'enseigne le concile; et comme l'admet même Luther, bien que Calvin le nie; cela se prouve par l'exem-ple des Ninivites qui, par leur pénitence, obtinrent que la destruclion de leur ville dont les avait menacés Jonas ne fût pas accomplie. (Jon. 1. c. ull.)C'est donc avec justice qu'après l'absolution, le prêtre impose une pénitence de jeûne, d'oraisons ou d'aumônes, et voilà comment il faut entendre que le prêtre lie le pénitent; car l'imposition de la peine appartient aussi au pouvoir des clefs, comme l'enseignent S. Léon (ep. 91. adTheodor.) ei S. Cyprien, (serai, de Lapsis.)
Chap. IX. — Des œuvres de satisfaction.
LXXYIII. Le concile exprime ici brièvement dans ce neu-vième chapitre que la bonté divine est si grande qu'elle se contente, en considération des mérites de Jésus-Christ, et pour la satisfaction des péchés, non-seulement des peines volontaires qui lui sont offertes ou de celles qui nous sont imposées par le confesseur, mais même de celles qui nous arrivent accidentellement et que nous souffrons pa-
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ijemment comme venant de lui : « Docet praeterea, lan-» tam esse divinae munificentiae largitatem, ut non so-» Ium poenis sponte a nobis pro vindicando peccato sus-» ceptis, aut sacerdotis arbitrio pro mensura delicti impo-» silis, sed etiam quod maximum amoris argumentum est » temporalibus flagellis Deo inflictis, et a nobis patienter » toleratis, apud Deum Patrem per Christum iesum sa-» tisfacere valeamus. »
LXXJX. Ici doiyent tjeuver place plusieurs notions sur l'antiquité de la confession sacramentelle, recueillies par le P. Chalon dans son histoire des sacremens. Ancienne-ment les évêques seuls administraient le sacrement de pé-nitence, bien que, lorsqu'ils se trouvaient empêchés, ils commissent pour cet office des prêtres séculiers et même réguliers. Mais dans le cours ordinaire la confession se faisait seulement aux évêques et même quelquefois aux évêques assistés de leur sénat ou presbytère, comme l'écrit le P. Mabillon (trait, de la conf. 40. sec. 3) qui en rap-porte plusieurs exemples. A l'occasion du schisme de No-valien les pénitenciers furent institués; mais ceux-ci ayant été abolis par Nectaire, on délégua aussi bien pour les cités que pour les villages les curés (appelés propres prêtres) pour entendre les confessions, prohibant à tout autre prêtre l'administration du sacrement. Puis les religieux furent admis à confesser, à quoi les curés s'opposèrent; mais les religieux furent défendus par Albert-le-Grand, S, Thomas et S. Bonavenlure qui soutinrent que sous le nom de propre pasteur, employé par le concile de La-tran dans le can. : «Omnis utriusque sexus, depœnit. et » rem., » était compris tout prêtre délégué par les ordi-naiies. H y eut diverses décisions sur ce point : Inno-cent IV interdit d'abord la confession à d'autres qu'aux xix.                                                           29
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curés mêmes, ou au moins sans leur licence. Mais Alexan-dre IV condamna ceux qui disaient que les évêques n'a-vaient pas le droit d'accorder celte faculté à d'autres prê-tres sans le consentement des curés, et cette décision fut confirmée par Clément IV, lequel, nonobstant l'opposi-tion'des curés, accorda celle faculté aux franciscains. Alexandre V Tetendit ensuite à tous les ordres mendians par une bulle particulière, contre laquelle écrivit depuis Gerson, prétendant que le pape lui-même ne pouvait en-lever le droit de confession aux curés ; aussi tous les or-dres mendians furent-ils rejelés de l'université de Paris. Mais enfin le concile de Trente (sess. 28 de réf. cap. 15) ordonna que nul ne s'ingérât à entendre les confessions sans la permission de l'évêque, par là tombèrent toutes les controverses.
LXXX. Anciennement quelques fidèles se confessaient à des diacres ou autres clercs, mais ce n'était pas là la confession sacramentelle. Cependant il est certain que dans quelques localités existait anciennement cet abus de la confession par les diacres et les clercs qui donnaient môme l'absolution ; mais les évêques et plusieurs synodes le prohibèrent. S. Basile (interrogat. 228) défendit ex-pressément à ses religieuses de confesser leurs péchés à d'autres qu'aux prêtres.
LXXXI. Le mode de confession dansTâhliquilé était celui-ci : le pénilent venait au prêtre qui disait d'abord sur lui certaines prières, puis, le faisant asseoir à son côté, comme le pratiquent encore les Grecs, entendait sa con-fession après l'avoir (avant toul) interrogé sur sa foi. Le pénitent s'agenouillait ensuite et priait le prêtre de le re-commander à Dieu ; puis prosterné la face contre terre, il demeurait un assez long temps dans cette posture, faisant
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acte de contrition de ses péchés. Ensuite le prêtre le fai-sait relever pour lui donner la pénitence, et le pénitent se prosternant de nouveau, le confesseur récilail sur lui sept oraisons qui se lisent dans les livres pénitenliaux. Après cela ils allaient ensemble à l'église ; car les confes-sions ne se faisaient pas dans l'église, mais dans d'autres lieux découverls et à la vue de lous, spécialement pour la confession des femmes, qui, seulement dans le cas de ma-ladie, se confessaient dans leurs maisons, mais en pré-sence de témoins. S. Basile voulait que si elles étaient re-ligieuses, l'abbesse y assistât aussi. Cependant au temps du bienheureux Pierre Damien, toutes les confessions se faisaient dans l'église devant l'autel, et là les pénilens à genoux récitaient plusieurs psaumes et prières, et ainsi ils accomplissaient les pénitences avant de recevoir l'ab-solution. Mais au commencement du xme siècle celte discipline fut changée. Tout cela est rapporté par le P. Chalon, chap. 8, d'après Alcuin, précepteur de Charle-magne au viu° siècle, dans le lib. De div. offic, et Bro-card de Worms lib. 19 : on lit la même chose dans l'an-cien catalogue romain de la bibliothèque des Pères, tom. 10.
LXXXII. Les stations des pénitens commencèrent à être en usage vers la fin du me siècle. Il y en avait quatre : celle des pleurans, celle des auditeurs, celle des prosternés et celle des assistam, distinction expressément marquée par S. Basile, lib. 2.cap.2. Mais pour bien entendre tout cela, il faut savoir ce que rapporte Fleury dans son Hist. ecclés., au eh. 58, que les églises étaient anciennement compo-sées d'un portique par lequel on entrait dans une cour carrée à colonnes, semblable aux cloîtres de nos monas-tères, et au milieu de laquelle était une fontaine; c'est là
29.
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que se tenaient les pauvres devant la porte de l'église. Au fond de celte cour élail un double vestibule d'où on en-trait dans l'église par trois portes. Dans l'intérieur de l'église, le baptistère occupait l'entrée, et au fond était la sacristie, appelée secrétariat ou trésor. Le long de l'église étaient pratiquées quelques petites cellules pour ceux qui voulaient prier à part, comme sont aujourd'hui nos cha-pelles. Le vaisseau même de l'église était divisé par deux rangs de colonnes et vers le fond, à l'orient, élail l'autel, et derrière le presbytère où les prêtres récitaient l'office avec l'évêque qui siégeait à l'extrémité en face de la porte. Devant l'autel régnait une balustrade ou fermeture. Dans le milieu de la nef était un pupitre auquel on montait de deux côtés, car il servait également pour les leçons ou lec-tures publiques. Il y avait de plus le pupitre de l'évangile et celui de l'épître.
LXXXIII. Le canon attribué à S. Grégoire Thaumaturge, rapporte, louchant les stations des pénilens, que la pre-mière, celle des pleurans, élait hors de l'église où ceux-ci priaient ceux qui entraient d'inlercéder en leur faveur. Les auditeurs se tenaient à l'intérieur dans l'espace entre la porte de l'église et le pupitre, puisque le peuple se plaçait depuis le pupitre jusqu'à la balustrade de l'autel. Ces au-diteurs se tenaient deboul écoulant les écritures, les prédi-cations et ks instructions, et quand venait le moment des oraisons ils étaient écondui Is ainsi que les catéchumènes; et après leur sortie les portes étaient fermées et la messe des fidèles commençait par le chant du symbole ou les prières de l'offrande des dons. Il en était de même pour les prosternés qui n'assistaient pas à la messe : on les ap-pelait ainsi à cause de la posture qu'ils prenaient pen-dant qu'on leur imposait les mains et qu'on récitait suv
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                        455
eux de nombreuses oraisons avant de les faire sortir de l'église. Celte seconde station était fort longue, car elle ne durait pas moins de sept ans. Les auditeurs étaient de là troisième station et venaient écouler les leçons et les prédications. Les assistatis enfin étalent admis à la messe des fidèles, mais dans un lieu séparé; ils étaient privés de la communion et participaient seulement aux prières du sacrifice. Parmi ces assistans se mêlaient aussi quelques fidèles qui avaient commis quelques fautes graves, mais non sujeltes à la pénitence canonique, ou même seulement qui venaient d'eux-mêmes s'accuser avec un grand repentir.
LXXXIV. Quant à la forme du sacrement de la péni-tence, le P. Morin cité par Tournely (lom.2.q.9.concl.3.) prouva à l'aide d'une multitude d'autorités ce que nous avons déjà dit plus haut, savoir que jusqu'à la fin du douzième siècle la forme était déprécative « Dominus le » absolvat, etc. » avec d'autres prières, le prêtre tenant Une main étendue sur la tête du pénitent : on lit la même chose dans S. Ambroise (1. 8. c. 8. lOetll.) et dans S. Léon (epist. 85.). Le P. Chalon remarque que cette forme se retrouve dans tous les livres pénilentiaux grecs et la-tins. Pierre le chantre qui florissait vers la fin de ce même douzième siècle assigne aussi la même forme, cependant dans la somme d'Alexandre de Halès se trouve décrite la double forme déprécalive et indicative. S. Thomas a écrit un opuscule en faveur de la forme indicative, soutenant qu'on ne pouvait aller contre les paroles de Jésus-Christ: « Quidquid solveritis, elc, » et les docteurs régens de Paris décidèrent unanimement qu'on devait dire: « Ego » le absolvo. » La raison en est que le prêlre au tribu-nal de la pénitence fait l'office de juge et qu'ainsi il lui
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appartient de piononcer lui-même la sentence. Mais fi-nalement le concile de Trente (sess. 14, cap. S.) établit que les paroles essentielles de l'absolution sont celles-ci: « Ego te absolvo a peccatis tuis » et que les prières qu'on ajoute sont .profitables, mais non nécessaires. Néanmoins les Grecs n'ont pas laissé de conserver la forme dépié-calive, laquelle est aussi approuvée par l'Église; voyez ce qui a été dit au n° 71 à la fin.
LXXXV. Le prêtre qui viole le secret de la confession est déposé par les canons et condamné à errer loutesa vie ; c'est ce qu'on voit dans le can. Sacerdos 2. caus. 33. ques. 3. dist. 6. (Gratien prétend que ce canon est de Grégoire VI, maisMorincroit qu'il est de Grégoire VII ou d'un autre pape de cette époque.) Le concile de Latran, sous Innocent III, Exlravag. de-pœn. et rem. au ch. «Omnes utriusque » sexus, etc., » dit que le prêtre révélateur sera non-seu-lement déposé, mais renfermé à perpétuité dans un mo-nastère.
LXXXVI. Anciennement tous les fidèles étaient obligés de se confesser au commencement du carême comme on le voit dans les anciens rituels; dans le principe l'É-glise latine observait trois carêmes, au rapport de Bro-card (lib, 19. cap. S.). Le plus grand était avant Pâques, un autre avant Noël, pendant l'Avent, et le troisième de quarante jours avant la fêle de S. Martin. Puis on les ré-duisit à deux ; celui de Pâques et celui de l'Avent, et en enfin à un seul, celui de Pâques, en ordonnant toutefois le jeûne des Quatre-Temps.
LXXXVII. Au treizième siècle on institua dans les dio-cèses les grands pénitenciers, qui eurent le pouvoir d'ab-soudre les cas réservés, mais auparavant encore il y avait des cas réservés aux papes ou aux, évêques, comme, l'atteste
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pierre-le-Chanlre, et Fleury dans son histoire (tom. 1. pag. 259).
LXXXVIII. On douta d'abord si l'absolution donnée à dislance était \alide, comme le pense Suarez (De poenit. d.l9.secl.!5). Mais Clément XIII, le 20 de juillet 1602, piohiba les confessions par écrit et les absolutions données aux personnes éloignées.
LXXXIX. Les pénitences n'étaient pas au commence-ment laissées à l'arbitraire du confesseur, mais fixées d'a-près les canons enregistrés dans les livres pénitenliaux ; les mêmes règles s'observaient dans les confessions publi-ques ou privées, sauf la pénitence publique qui se faisait publiquement. Puis au huitième siècle, quand la pénitence publique fut entièrement abolie, divers auteurs composè-rent les livres pénitenliaux dans lesquels ils distinguèrent toutes les espèces de péchés, et désignèrent les peines cor-respondantes d'après les canons des conciles et les coutu-mes des églisee primaliales, avec les formules d'absolution et d'autres prières. Les plus célèbres de ces livres étaient le Pénitentiaire de Rome, celui de Bède, et celui de Théo-dore.
XC. La pénitence publique était exigée des pécheurs publics , mais seulement pour les péchés de première classe, et ces péchés d'ailleurs fussenl-ils secrels, n'é-taient remis aux pénitens (comme dit le P. Chalon, ch. 6.) qu'autant qu'ils accomplissaient la pénitence canonique. Les pécheurs publics étaient encore contrainls à satis-faire à l'excommunication. Le P. Chalon dit (chap. 7) que plusieurs pécheurs secrels se condamnaient eux-mêmes à la pénitence publique, mais sans révéler leurs péchés, et on ne leur en accordait la permission que pour une seule fois. Celte discipline ne dura pas au-delà du septième
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siècle. Depuis lors, on commença à accorder aux pécheurs publics la  pénitence canonique.   Dans le can. 12 du concile de Nicée, il est dit que l'on peut user d'une plus grande indulgence pour les pénilens fervens. Les recom-mandations des martyrs et des confesseurs qui souffraient faisaient aussi remettre en partie la pénitence. Ces recom-mandations étaient appelées libelles commendatifs, et ils étaient présentés souvent par les diacres, et puis examinés pir l'évêque. Ce privilège des martyrs commença avant le lempsdeTerlullienetful reconnu en 476 ou 77, pendant la persécution de Marc-Aurèle, et ne cessa qu'avec les martyrs eux-mêmes. Dans les trois premiers siècles, les clercs d'ordres majeurs étaient aussi soumis à la pénitence publique quand ils étaient pécheurs publics ; et quand ils étaient déposés ils ne pouvaient rentrer dans les fonc-tions de leur ordre, même après avoir accompli la péni-tence; mais cela fut réduit aux clercs mineurs, à partir du troisième siècle. (Voyez le P. Chalon, lib. 2. c. 18 et 19.) Les pécheurs publics, même après leur pénitence ac-complie, étaient exclus des ordres majeurs. Mais cela n'é-tait pas étendu à ceux qui se soumettaient volontairement à la pénitence publique. Dans l'Occident (non dans ??-rieni) les pécheurs publics étaient encore exclus des charges militaires, des magistratures et des négociations: ils étaient inhabiles à contracter mariage, et privés de son usage s'ils étaient déjà mariés. Mais tout cela cessa au quatorzième siècle, avec la suppression de la pénitence publique. (Cha-lon. I. 2. c. 16.)
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XIV SESSION.
Du sacrement de l'extrême-onction.
I.  En finissant de traiter du sacrement de la pénitence, le concile passe à l'exposition de la doctrine sur le sacre-ment de Pexlrême-onclior» qui, dit-il, fut regardé par les saints Pères comme le complément final de la vie, laquelle ne devrait être pour un chrétien qu'une perpétuelle pé-nitence. Il ajoute que comme la divine bonté nous a pour-vus pendant la vie de tous les secours pour nous défendre contre les attaques de l'ennemi, elle n'a point voulu neus priver d'un secours exlraordinaire pour ce dernier combat de la mort dans lequel l'enfer déploie contre nous toutes ses forces.
Cliap. Ier. De l'institution du sacrement de l'extrême-onction.
II. Dans ce chapitre premier, 11 est dit que Pexlrême-onclion des malades a été instituée par Jésus-Christ comme vraie et spécial sacrement, ainsi que cela est insinué dans l'évangile de S. Marc, et puis annoncé aux fidèles par l'a-pôtre S. Jacques en ces termes :  « Infirmatur quis in vo-» bis? inducat presbyteros ecclesise, et orent super eum, » ungentes eum oleo in nomine Domini : et oratio fidei » salvabit infirmum ei alleviabit eum Dominus; et si in » peccaiis sit, dimittentur ei. » Appuyée sur ces paroles
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l'Église, instruite par la tradilien apostolique, enseigne que la matière de ce sacrement est l'huile bénile par l'évêque, puisque l'onction représente la grâce dont l'ame du ma-lade est ointe d'une manière invisible. Quant à la forme elle consiste dans ces paroles : « Per islam unctionem, » etc. » Voici le texte du concile : « Instituta est autem » haec unctio infirmorum tanquam vere et proprie sacra-» mentum, a Christo D. N. apud Marcum quidem insinua-» tum (cap. 6. vers. 12. seq.), per Jacobum autem aposto-» Ium, ac Domini fratrem, fidelibus commendatum ac pro-» mulgalum ; Infirmatur, etc. (commeplus haut). Quibus » verbis, ut ex apostolica traditione per manus accepta Ec-» clesia didicit, docet materiam, formam, proprium minis-» trum, et effectum hujus salutaris sacramenti : intel-» lexit enim Ecclesia materiam esse oleum ab episcopo » benedictum : nam unctio aptissime Spirilus-Sancli gra-» liam, quse invisibiliter anima aegrotantis inungitur, re-» praesentat : formam deinde esse illa verba : Per istam » unctionem, etc. »
III. Au chap 1 correspond le can. 1, où il est dit : « Si «quis dixerit, extremam unctionem non esse vere et pro-» prie sacramentum a Christo Domino institutum, et a » bealo Jacobo apostolo promulgatum ;  aut  figmentum » humanum : anathema sit. »
IV. Ainsi le concile tient pour vrai dans ce chap. 1 que le sacrement de l'extrême-onciion est un vrai el spécial sacrement institué- par Jésus-Christ, indiqué par ces pa-roles de l'évangile de S. Marc : « Et exeuntes praedica-» bant, ut poenitentiam agerent : el daemonia mullra eji-» ciebant, et ungebant oleo multos aegros, et sanabant, » (Marc. 6.12 et 15), et promulgué par S. Jacques qui ainsi n'en fut pas l'auteur, majs le promoteur; puisque l'au-
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teur de ce sacrement, comme de tous les autres, fut Jé-sus-Christ. De savoir ensuite si Jésus-Chris! ne l'a pas in-stitué immgdiatement par S. Jacques, c'est une question : aucune de ces deux opinions n'est de foi, le concile disant seulement que le sacrement est institué par Jésus-Christ, c'est là seulement ce qui est de foi ; du reste il paraît proba-ble que le Seigneur l'a institué immédiatement lui-même, puisque le concile n'en attribue à S. Jacques que la pro-mulgation : « Instituta est sacra unctio a Christo Domino » tanquam sacramentum novi testamenti apud Marcum » quidem insinuatum per Jacobum autem fidelibus pro-» mulgalum. » Quant au temps où ce sacrement fut pro-mulgué, Tournely (Compend. de sacram, e. u. to. 22 p, 50) regarde comme très-probable qu'il le fut après celui de la pénitence dont il est perfecti/ et consmnmatif comme s'expriment les Pères.
V.  Luther et Calvin ont rejeté entièrement l'exlrême-onction qu'ils appellent une superstition des papistes. Mais comme nous l'avons observé, le concile la déclare véritable sacrement, et l'on y trouve les trois parties né-cessaires qui constituent le sacrement : 1° Le signe sen-sible de l'onction de l'huile; 2° la promesse de la grâce : « Si in peccatis sit dimittentur ei; » et 3° l'insl tution divine, « Ungentes eum oleo in nomine Domini; » et puisque S. Jacques ne fit simplement que la promul-guer, l'auteur en est Jésus-Christ, à qui seul il appartient d'instituer les sacremens.
VI. Calvin objecte, qu'il est rapporté dans la chronique de Sigebert que l'exlrême-onclion fut instituée par Inno-cent I«. Mais comment croire Sigebert quand Innocent, lui-même (Epist, ?. cap. 8.) assure que l'extrême-onc-tion est un véritable sacrement, Pas une de ses paroles ne
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fait entendre qu'il se donne pour l'avoir institué. EtSige-bert parle lui-même dans ce sens. Mais tous les faits mis en avant par les hérétiques, sonl à bon droit, suspectés de fausseté.
\H. On oppose que les auteurs des vies des saints dans les six premiers siècles, ne font point mention qu'aucun ait reçu à sa mort ce sacrement. Mais qu'importe cela? On n'a pas non plus écrit que ces saints aient reçu l'eu-charistie, laquelle, sans aucun doute, était donnée à tous les fidèles à l'article de la mort. Il suffit de savoir, comme le remarque Possidius dans la vie de S. Augustin, que c'était alors la maxime commune des saints de ne pas mourir sans tous les signes de la pénitence : « Sacerdo-» tes absque digna pœhilenlia exire de corpore non de-» bere. » Sous Ce titre de pénitence était aussi compris ce dernier sacrement.
Vllî. On objecte encore que S. Jacques attribue à l'o-raison dé foi toute l'efficacité de l'extrême-onclion, «Et ora-» tio fidei salvabit infirmum. » Or, dit-on , si c'était un sacrement, l'effet serait attribué à l'onction comme ma-tière et non simplement, à l'oraison comme forme. Er-reur, car l'effet est réellement attribué à l'onction comnie à l'oraison : « Ungentes eum in nomine Domini, » après quoi vient immédiatement : « Et oratio fidei salvabit in-» firmum. » Or ces paroles, « Oratio fidei, » ne doivent pas être prisés subjectivement par rapport à la foi du ministre, mais objectivement.en vue de toute l'Église, puisque celle oraison cc-ntient l'objet de la foi qui est le sacrement.
IX. Le concile de Trente nous enseigne encore qu'elle est la matière de l'exirême-onction : la matière éloignéeest l'huile d'olives, comme le constatent YEuchologe grec et le Sacramentale de S. Grégoire; car le mot okum, huile,
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signifie proprement l'huile d'olives, comme l'explique le Cathéchisme romain (part. 2. num. 9.) : « Ex olearum ? baccis tantummodo expressum. » Les autres huiles ne sont point telles, mais mélangées de lin, de noix, etc. Et il n'importe qu'Innocent Ier l'appelle chrême, car, par ce mot il désigne toute malière d'onction. Mais s'il arrivait, dit Tournely (tom. 2. de e. n. pag. 47. q. 44) que celte huile d'olives se trouvât mêlée au baume comme celle des catéchumènes, elle pourrait validement êlre employée comme matière de ce sacrement en cas de né-cessité.
X. Il faut savoir encore que, bien que les Grecs em-ploient l'huile bénile par les prêtres, [néanmoins parmi les Latins, comme cela est prouvé par tous les rituels, cette bénédiction doit être donnée par l'évêque. Il est vrai cependant que le pape peut commettre de simples prê-tres pour cette bénédiction, comme on le voit par le dé-cret de Clément VIII, rapporté dans notre Théologie morale (lib. 6. n. 709. dub. 3.). Qu'ensuite cette béné-diction ou consécration par l'évêque ou par le prêtre, soit nécessaire de nécessité de sacrement, Juénin écrit (lom. de e. u. pag. 424, qu. 1.), que, pour les Grecs, il est certain qu'elle n'est que de précepte et que nulle part il n'en est question comme de sacrement. Du reste, d'au-tres savans théologiens, Bellarmin, Eslius, etc., veulent qu'elle soit nécessaire de nécessité de sacrement ; mais Saintebeuve et autres le nient, et Tournely paraît être de ce sentiment (tom, 2. De sacram· pag. 15) et réfute les ar-gumens de Bellarmin. Mais quand il s'agit de la validité d'un sacrement, il n'est pas licite, hors le cas de néces-sité de se servir d'une matière douteuse. Cependant, si l'huile bénite manquait, on y pourrait mêler une partie
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d'huile non bénite, mais en moindre quantité, comme il est dit au chap. : « Quod in dubiis de consecr. »
XI.  La matière prochaine est l'onction elle-même, la-quelle, dans l'Église latine, doit se faire sur les yeux, les oreilles, les narineê, les lèvres, les mains el la plante des pieds ou proche de chacune de ces parties, el pour les hommes (non aux femmes) sur les reins, quand les ma-lades peuvent remuer àjcel effet sans danger; ainsi qu'il est expliqué dans le Sacramentale de S. Grégoire et dans le Ri-tuel romain. LesGrecs ont coulumed'oindre le front, le men-ton, la poitrine, les genoux, les mains elles pieds. Du reste, en cas de nécessité, le temps manquant, il suffit d'oindre un seul organe, le plus accessible, en disant : « Indul-» geat tibi Deus quidquid per sensus peccasti ; car S. Jac-ques n'a prescrit qu'une chose, ungatur. Mais si on a le temps, il n'est point permis de négliger aucune des onc-tions particulières susdites, comme le dit Tournely avec S. Thomas-(torn. 2. de ec. u. pag. 21. qu. 5.) Ancien-nement les malades s'efforçaient d'aller eux-mêmes à l'église pour recevoir ce sacrement; le P. Chalon (lib. 3. chàp. 5.) en cite plusieurs exemples. S. Césaire suppose que celte pratique était commune dans l'Église et que l'on n'allendail pas pour cela d'êtie à l'extrémité; et aujour-d'hui les religieux trappistes le pratiquent ainsi dans leurs églises..
XII.  Le concile nous indique aussi quelle est la forme de ce sacrement, savoir : Per istam, etc., forme déjà prescrite par le pape Eugène IV dans son instruction aux Arméniens : « Per istam sanctam unctionem el suam piis-» siniam misericordiam  indulgeat tibi Deus quidquid » deliquisti per  visum, odoi'alum, gustum, tactum, » auditum, gressus, lumborum delectationem », comme
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on le voit dans le décret d'Eugène IV et dans le Rituel romain dont le concile de Trente fait mention dans sa sess. xiv. ch. 1. Cependant le P. Chalon remarque que dans l'antiquité il y a eu de grandes variations sur ce point, et il rapporte plusieurs exemples où l'onction n'était pratiquée que sur une seule partie du corps. Au reste, pour la validité du sacrement, les paroles essen-tielles ne sont pas celles-ci : « Per istam sanctam unctio-» nem, etc., » ni l'énuméralion nominale de tous les sens ; il suffît des paroles : « Indulgeat tibi Deus, quid-» quid per sensus deliquisti. » Je dis cela quant à la vali-dité du sacrement; car, hors le cas de nécessité, les autres paroles ne peuvent pas êlre négligées sans qu'il y ait faute. La forme des Grecs est différente et ils y expri-ment séparément tous les effets du sacrement. Juénin écrit (De extr. nont. p. 22.) que quelques églises latines employèrent d'abord la forme indicative : « Ungo te hoc » oleo, etc., » et plusieurs autres auteurs avec S. Thomas et S. Bonaventure nous apprennent qae la forme ambroi-sienne usitée à Milan était celle-ci : « Ungo te oleo sanc-» lificalo in nomine Patris, etc. » Du reste, la forme adoptée aujourd'hui universellement dans l'Église latine est la forme déprécative rapportée plus haut et c'est celle, comme l'atteste Juénin (pag. 25. qu. 2. v. S.) qui a été toujours en usage dans l'Église grecque.
Ckap. II. De l'effet de ce sacrement.
XIII. Dans ce chapitre ? le concile dislingue « res et »'effectus.» La chose du sacrement est la grâce de l'Esprit-Saint; l'effet est ce que le concile explique ensuite dans les termes ci-après : « Res porro, et effectus hujus sacra-
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» menti illis verbis explicatur ; et oratio fidei salvabit in-» firmum, et alleviabit eum Dominus; et si in peccatis » sit, dimittentur ei. Res etiam haec gratia est Spiritus » Sancti, cujus unctio delicta, si quae sint adhuc expianda, » ac peccati reliquias abstergit : et aegroti animam alleviat » et confirmat, magnam in eo divinae misericordiae fidu-» ciam excitando : qua infirmus sublevetur, et morbi » incommoda ac labores levius fert ; et tentationibus dae-» monis, calcaneo insidiantis, facilius resistit; et sani-» tatem corporis interdum, ubi saluti animae expedierit, » consequitur. »
XIY. Ainsi, il y a trois principaux effets de ce sacre-ment : 1° la rémission des péchés avec la delersion des restes du péché ; 2° la grâce divine à l'aide de la-quelle le malade supporte avec plus de résignation les douleurs de sa maladie et résiste avec plus de force aux attaques dernières de l'ennemi ; 5° quelquefois aussi le sacrement procure la santé corporelle quand elle est utile à l'œuvre du salut de l'ame. Les thomistes veulent que celte santé corporelle provienne ex opere operato ; mais Estius soutient que c'est ex opere operantis , c'est-à-dire en vertu des prières publiques de l'Église par lesquelles on opère la consécration de l'huile. Voyez Tournely (de e. u. p, 66. qu. 7),
XV. On demande ensuite si la rémission des péchés est l'effet primaire par soi. Tournely ( de e. u. p. 49. qu. 1.) ainsi que Solo et autres thomistes l'affirment absolument el le déduisent des paroles de S. Jacques : « Si in peccatis » fuerit, dimittentur ei, » et de celle du concile : « Cujus » unctio delicta, si quae sint adhuc expianda, abstergit, » et encore des termes de la formule : « Indulgeat tibi Deus » quidquid deliquisti, elc, »
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XVI.  On demande en second lieu si cette rémission des péchés est l'effet primaire simple. Il est primaire, sans nul doute, m#is non simple et isolé, car il est accom-pagné de deux autres effets secondaires, savoir de la dé-tersion des restes du péché et de l'allégement du malade. Par restes du péché on entend la propension qui reste vers le mal, Ja torpeur dans les bonnes œuvres, et les ténèbres de l'esprit ; tandis que l'extrême-Onction se donne comme parfaite curation et complément de la pénitence.
XVII.  On demande encore quels péchés ce sacrement remet par soi et primairement : si ce sont les véniels et avec eux les mortels ? Saintebeuve(dêe. u. disp. 5.a.l). affirme et dit que bien que l'extrème-onclion soit un sa-crement des vivans, néanmoins comme complément de celui de la pénitence il a pour effet primaire de remet-tre les péchés véniels, et remet secondairement les mor-tels. Mais Juénin le combat avec raison en cela (dee. u. p. S. q. 4). L'opinion la plus plausible sur ce point est celle de S. Thomas, lequel dit que les sacremens des vivans, qui sont la confirmation, l'eucharistie, l'ordre et l'ex-trême-onclion, remettent non per se, mais per accidens, même les péchés graves, quand on les reçoit avec l'atlri-lion, mais que l'on croit contrition et dans le cas où on ne peut recevoir d'autre sacrement. Voici les paroles de l'An-gélique lequel en parlant de l'eucharistie a écrit : « Potest » tamen hoc sacramentum operari remissionem peccati » (mortalis); forte enim primo si (suscipienssacramen-» tum )   non fuit  sufficienter  contritus, consequetur » per hoc sacramentum gratiam caritatis, quae contri-» tionem perficiet et remissionem peccati. » (S. Thom. 5. part. q. 69. a. 3. ) Le saint dit la même chose du sacre-ment de l'exirême-onction (3. p. q< 30. a· 4). Celte
xix.                                                           50
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doctrine de S. Thomas est suivie par le P. Gonet, par le C. Bellarmin, le P. Concina, le P. Suarez et d'autres encore. Ils en trouvent la confirmation dane le can. 6 de la session 7 du concile de Trente : « Si quis dixerit sa-» cramenla novae legis... gratiam non ponentibus obicem » non conferre : anathema sit. » Qui reçoit un sacrement avec la contrition qu'il estime telle certainement ne fait aucune opposition à la réception de la grâce.
Chap. III. Du ministre de l'extrême-onclion, et du temps dans lequel elle doit être administrée.
XVIIÏ. Dans ce chapitre troisième et dernier, le concile déclare quels sont les ministres de ce sacrement : les évê-ques ou les prêtres ; et quels sont ceux à qui il doit être donné : les malades en danger de mort. Il déclare en outre que l'exlrême-onclion peut être reçue de nouveau par les malades qui, étant guéris, retombent plus tard dans le même danger. 11 condamne cette opinion que l'exlrême-onclion a cessé quand cessa dans l'Église primi-tive la grâce des guérisons. 11 dit encore que ce sacrement ne peut être négligé sans pécher gravement : « Jam vero » quod attinet ad praescriptionem eorum, qui et suscipere, » et ministrare hoc sacramentum debent, haud obscure » fuit illud etiam in verbis praedictis traditum : nam et » ostenditur illic, proprios hujus sacramenti ministros » esse ecclesias presbyteros, quo nomine eo loco, non » aetate seniores, aut primores in populo intellegendi » veniunt, sed aut episcopi, aut sacerdotes ab ipsis rite » ordinati per impositionem manuum presbyteri. Decla-» ralui' etiam osse hanc unctionem infirmis adhibendam, » illis vero praesertim qui tam periculose decumbunt, ul
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» in exitu vitae constituti videantur : unde et sacramentum » exeuntium nuncupatur. Quod si infirmi post susceptam » hanc unctionem convaluerint, iterum hujus sacramenti » subsidio juvari poterunt, cum in aliud simile viue » discrimen  inciderint.  Quare nulla ratione audiendi ? sunt, qui contra tam apertam apostoli  Jacobi  sen-» tentiam docent, hanc unctionem vel figmentum esse » humanum, vel ritum a patribus acceptum, nec pro-» missionem gratiae habentem : et qui illam jam ces-» sasse asserunt, quasi ad gratiam curationum dunlaxat » in primitiva Ecclesia referenda esset : et qui dicunt, » ritum et usum, quem sanctae romanae Ecclesiae in hujus » sacramenti administratione observat, Jacobi apostoli » sententiae repugnare > atque ideo in alium commulan-» dum esse. Et denique qui hanc extremam unctionem a » fidelibus sine peccato conlemni posse affirmant; haec » enim omnia manifestissime pugnant cum perspicuis » sancti apostoli verbis : nec profectaEcclesia romana, » aliarum omnium mater et magistra, aliud in hac ad-» ministranda unctione, quantum ad ea quas hujus sacra-» menti substantiam perficiunt, observat, quam quod » beatus Iacobus praescripsit. Mec vero tanti sacramenti » contemptus absque ingenti scelere, et ipsius Spiritus » Sancti injuria esse potes!. »
XIX.  A ce chapitre 5 se rapportent les canons 5 et 4. Le canon 5 porte : « Si quis dixerit extremae unctionis » ritum et usum, quem observat sancta romana Ecclesia, » repugnare sententiae beali Jacobi  apostoli, ideoque » eum mutandum, posseque a christianis absque peccato » conlemni : anathema sit. »
XX.  Au canon 4 on lit.: « Si quis dixerit, presbyteros » Ecclesiae, quos beatus Jacobus adducendos esse ad in-
30.
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» firmum inungendum hortatur ; non esse sacerdotes ab » episcopo ordinatos, sed aetate seniores in quavis com-» munitale ; ob idque proprium externae unctionis minis-* trum non esse solum sacerdotem : anathema sit. »
XXI.  Ainsi le concile nous apprend que les minisires de ce sacrement ne sont pas les laïques, ni les anciens du peuple, comme le voulait Calvin, mais seulement ceux qui sont ordonnés évêques ou prêtres, comme le dé-montre Estais (in epist. pag. 1142, col· 1.) et comme l'ont entendu le ssaints Pères. Dans le nouveau Tesiament on entend par prêtres que les seuls minklres de l'Église, d'autant plus ici que S. Jacques parle de ces prêtres qui remettent les péchés, ce qui n'a jamais été concédé aux laïques. Outre que le concile déclare que cela se déduit clairement des paroles mêmes de S. Jacques. C'est folle-ment que quelques-uns dans le cinquième siècle admet-taient les prêtres pour ministres, mais excluaient les évê-ques, et il paraît qu'ils prétendaient s'appuyer sur l'épître même d'Innocent I ad decentium ; mais quelle était leur erreur puisque Innocent I dans celte épîlre fait une men-tion expressé des évêques; outre que le concile lui-même dans le chap. 3 susdit, déclare que les évêques comme les prêtres sont les ministres de l'exlrême-onction.
XXII.   Tout prêtre administre validemenl l'extrême-onclion, parce que pour cela il n'est pas besoin du pou-voir de juridiction, mais seulement du pouvoir d'ordina-tion. Je dis validement; mais pour l'administrer licitement, il faut qu'il en reçoive le pouvoir ordinaire de l'évêque ou du curé, et que ce pouvoir lui soit délégué par eux, comme il est prescrit dans la Clément. I de privileg. Quant à la question : si à défaut de prêtre ayant juridiction, tout autre prêtre, même religieux, peut conférer ce sacrement,
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Navarre le nie (in Man. cap. 27. n. 101). M is l'affir-mative est soutenue avec plus de raison par Syh ius, Solo et beaucoup d'autres, ainsi que parTournely (dî exlrem. unct. p. 55. 9. 2). El nonobslanl la Clémentine (Dudum, de sepullur.) où il fut défendu aux religieux, sous peine d'excommunication, d'empiéler sur les droits des curés; cela doit s'entendre, dit Juénin, de ces religieux qui sous le prétexte de leurs privilèges, voulaient exercer les fonctions de curés; mais il ne s'agit pas du (as de né-cessité, dans lequel doit être donnée l'extrême oction, à défaut de prêtre. On peut joindre à cela l'autorité de S. Charles Bonoméequi, dans le cinquième :oncile de Milan, ordonna que : « Si porro(parochus) impeditus, » aut alias in mora est, mortisque periculum instat, hoc » sacramentum sacerdos alius administrat. »
XXIII. Vient ensuite la question : si plusieurs prêtres sont requis pour l'administration de ce sacremînt. Selon les Grecs, ils doivent être sept, comme on le voit dans leurs eucologes, ou seulement cinq, ou enfin tro s, comme le dit M. Renaudot (tom. 7. De sacram, etc. ; mais ils n'allendent pas "que le malade soit à l'extrémité. Le P. Chalon rapporte qu'avant 1 Oction par les sept prêtres, on apprêlait une lampe à sept flambeaux que ch: que prêtre allumait le sien, et puis avec le signe de la :roix et de nombreuses prières ils donnaient l'oclion ai malade. Anciennement aussi chez les La lins, comme on le voit dans le Sacramentale de S. Grégoire, on ap lelait plu-sieurs piètres. Mais depuis plusieurs siècles ce lacrement, dans l'Église latine, est administré par un seul prêtre. Et cela n'est point contraire aux paroles de S. Jacques, in-ducal pretbyteros, car dans l'Écriture le pluriel est sou-vent pris pour le singulier, comme dans ce   assage de
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S. Luc : « Latrones in Christum blasphémasse, » bien qu'en cet endroit même, il est dit qu'un seul blasphéma : « Unusaulem de his, etc. » (Luc. xxm. 59.) • XXIV. Le P. Chalon, dans son Histoire des sacretnens (lib. 3. cap. 4.), dit que l'onction se faisait aux pre-miers temps indifféremment par un ou plusieurs prêtres comme l'indiquent diversement les anciens rituels cités par Martine (4. 2. cap. 7. a. 4.) : il ajoute que ces prêtres faisaient tous l'onction, récitant chacun la forme corres-pondante au sens du malade; que d'autres fois un d'eux oignait une partie et un autre l'autre, récitant chacun la forme correspondante à la partie ointe par lui; mais d'un autre côté, le même P. Chalon, dans ce chapitre premier, rapporte plusieurs exemples de l'administration de ce sa-crement par un seul prêtre. Il dit encore qu'avant l'onc-tion l'usage était de placer le malade sur la cendre et le cilice, où au moins ces objets sur lui et de les bénir en même temps. Cela se pratiquait particulièrement en Italie. XXV. Quant aux sujets qui peuvent recevoir l'extrême-oction, l'usage de l'Église orientale, selon Arcudius(lib. 5. de e. u. cap. 4.) et Goar, est généralement de l'admi-nistrer même aux personnes saines : Léon Allalius en parle de même (lib. S. De cons. eccl., etc. c. 16. ?. 3.) : « Non tantum infirmos, sed sanos quoque homines ex-» trema unctione, et sœpius Graeci inungunt. » Arcudius dit que cette onction, en sanlé, est regardée comme sacre-ment, mais cela est contesté par Goar, d'accord avec Juénin qui dit (p. 59. qu. 1.) que du temps d'Innocent I, les Latins eux-mêmes s'oignaient avec l'huile bénite par l'é-vêque, afin d'éloigner les maladies;,mais personne ne suppose que cette onction fût un sacrement. Au reste, S. Jacques exprime lui-même que c'est aux malades que
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l'extrème-onction doit être donnée : « Infirmatur quis in » vobis? inducat presbyteros, etc. » D'où il suit qu'on ne peut licitement donner ce sacrement aux personnes saines, même quand elles sont proches de la mort, comme les condamnés par justice. Et parmi les malades mêmes le concile de Trente désigne ceux à qui il doit èire donné : ? Declaratur etiam esse hanc unctionem infirmis adhi-» bendam, illis vero praesertim qui tam periculos de-» cumbunl, ut in exitu vitae constituti videantur. » Mais Benoît XIV recommande, dans sa bulle 55, 546 au tome 4 de son Bullaire, d'administrer ce sacrement aux malades lorsqu'ils sont encore capables d'entendement : « Dum sibi » constant,etsui compotes sunt; » et que l'on n'attende pas le dernier moment où ils n'ont plus l'usage de leur raison. Aussi, le catéchisme romain dit-il (De extrem. uncl. 59.) : « Gravissime peccant, qui illud tempus » aegroti ungendi observare solent, cumjam omni salutis » spe amissa, vita et sensibus carere incipiat. » Juénin dit sur ce point que l'on peut donner l'onction aux malades avant qu'ils soient sur le point de mourir, et seulement lorsqu'ils sont en danger. « Numerari debent omnes qui » periculose laborant, sive in exitu constituti videantur, » sive non. » Et cela se déduit clairement de ces paroles du concile : « Unctionem infirmis adhibendam, illis vero » prœserlim, qui in exitu vitae constituti videantur; » ce mol prœserlim indique assez que ce sacrement peut être donné à ceux qui ne sont pas parvenus à ce dernier terme. Aussi, les docteurs s'accordent à dire que pour donner licitement l'exlrême-onclion, il suffit que la maladie soii certainement mortelle, quoique la mort ne soit pas pro-chaine. Benoît XIV, dans la bulle citée prescrit « ne sa-» cramentum extremae unctionis ministretur bene valen-
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» tibus, sed iis dunlaxat qui gravi morbo laborant. » Et parmi ces malades, S. Charles Borromée veut que l'on comple les vieillards décrépits, qui sont affectés de lan-gueur, bien qu'ils n'aient aucune aulre maladie.
XXVI.  Ce sacrement doit être refusé aux enfans qui ne sont point encore parvenus à l'âge de raison et aux imbe-cilles de naissance, parce que les uns et les autres ne peu-vent avoir péché actuellement ; mais on peut l'administrer aux enfans au-dessus de l'âge de sept ans, et aux aliénés qui ont des intervalles lucides.
XXVII.  Quant à la disposition pour recevoir l'exlrême-onclion qui est un sacrement des vivans, il faut que le malade soit en élat de grâce, et s'il est chargé de quelque péché, qu'il ait au moins la conlrition ou la certitude morale de l'avoir : autrement, il doit se confesser. Juénin, Tournely et Concina exigent absolument la confession, mais d'autres auteurs se contentent de la conlrilion. An-ciennement, l'extrême-onciion se donnait avant le via-tique, el le P. Chalon rapporte (lib. S. cap. 2.) que le pape Léon IX la reçut ainsi, bien qu'il signale en même temps plusieurs exemples contraires; mais il y a plu-sieurs siècles, dit Juénin, que, dans l'Église latine, elle s'administre après le viatique. Cependant, si un malade désire recevoir en même temps les deux sacremens, en ce cas, suivant le rituel de Paris (et cela est raisonnable), on doit donner d'abord l'exlrême-onction el puis le via-tique, afin que l'exlrême-onclion produise d'abord son effel, la rémission des péchés : sauf cependant qu'il y eût danger que le malade n'eût pas le temps de recevoir l'eu-charistie. Voyez Juénin, p. 7. dee. u. qu. 8. pag. 254.
XXVIII. Le P. Chalon (lib.  5. cap. 7.) rapporte qu'autrefois, en plusieurs églises, on répétai! l'onciion
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pendant sept jours consécutifs. Mais le concile enseigne que l'on ne doit réitérer le sacrement que lorsque les ma-lades élant guéris retombent de nouveau en danger de mort : « Quod si infirmi post susceptam hanc unctionem » convaluerint, iterum hujus sacramenti subsidio juvari » poterunt, cum in aliud simile vilae discrimen incide-» rint. » Aussi, le concile ajouta-t-il : « Quare nulla ra-» lione audiendi sunt, qui illam (unctionem) jam cessasse » asserunt, quasi ad gratiam curationum duntaxat in » primitiva Ecclesia referenda esset. »
XXIX. Pour bien entendre ce que dit ici le concile, il faut revenir sur ce qu'il dit au chap. 4. touchant l'institution de ce sacrement. « Vere et proprie sacramentum a Christo » Domino nostro, apud Marcum quidem insinuatum, » per Jacobum autem commendatum, ac promulgatum. » Ainsi, comme nous l'avons déjà observé en commençant, le concile nous enseigne que l'extrôme-onction fut insi-nuée, c'est-à-dire figurée par la guérison des maladies que les disciples du Seigneur opéraient, avant l'institu-tion de ce sacrement, en faisant l'onction de l'huile aux malades: « Et ungebant oleo multos segros, et sanabant.» (Marc. vi. S.) Calvin prétend que quand S. Jacques dit : « Ungentes eum oleo in nomine Domini, » il entend parler de la même ocliondonl parle S. Marc, que les dis-ciples du Seigneur pratiquaient et par laquelle ils avaient le don de guérir les malades; puis de cette erreur il en déduit un autre, savoir que ce don de guérison élant venu à cesser, l'onction a dû cesser aussi, en sorte que celle que l'on donne aujourd'hui n'est plus un sacrement, mais une cérémonie inutile et superstitieuse. Mais il se trompe en tout ; car l'onction dont parle S. Jacques est celle que donnent les prêtres, mais celle dont il est ques-
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lion dans S. Marc pouvait être faite par tous, même par les laïques; outre qu'alors le sacrement n'était pas encore institué. Il est faux ensuite que les guérisons miraculeuses ayant cessé, l'extrême-onclion ait cessé aussi; puisque depuis son institution, ce sacrement a toujours été en usage dans l'Église, comme en font foi Origène ( liom. 2. inLevit.), S. Chrisoslôme (De sacerdo!.), le pape Inno-cent I. (in Epist, ad decent. ), S. Grégoire (in suo sacramenlar. ) ; et tous les rituels faits depuis le confirment par une mention expresse. Néanmoins, le P. Chalon assure que dans les trois premiers siècles ce sacrement était ra-rement administré, à cause des persécutions, ce qui est fort vraisemblable.
XXX. Le concile dit en terminant que ce serait un grand crime pour un chrétien que de mépriser ce sacre-ment : « Nec vero tanti sacramenti contemptus absque » ingenti scelere, et ipsius Spiritus Sancti injuria esse » potest. » Mais on a mis en question, si, à part le mépris du sacrement, le fidèle qui refuse de le recevoir péchait gravement. L'opinion la plus commune est pour la négative et c'est celle de S. Thomas (in 4. sent. dist. 2. qu. 1. a. i. qu. S. ad. 4.), d'Eslius, de Sylvius, de Saintebeuve, de Navarre et de beaucoup d'autres. S. Tho-mas dit que l'extrême onction comme la confirmation « non sunt de necessitate salutis. » D'un autre côté se pré-sente une opinion opposée qui n'est pas improbable, et c'est celle du P. Concina, de Haberi, de Juénin et de S. Bonavenlure, qui en voient le précepte positif dans ces paroles de S. Jacques : « Inducal presbyteros Ecclesiae, ut j» orent super eum, ungentes eum oleo in nomine Domini. » Celle raison me paraît peu persuasive ; car ces paroles ne dénolenl pas un précepte évident; mais je dirai que chacun
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est obligé, étant en danger de mort, de recevoir ce sa-cre?-ient par le molif de la charité que l'on doit se porler à soi-même : attendu que malgré tous les autres moyens dont le malade peut fortifier son ame, cependant quand il se trouve dans cet étal, d'un côlé il est trop faible d'es-prit pour pouvoir s'aider par les bonnes œuvres, et de l'autre (comme le dit le concile de Trente) les embûches du démon redoublent alors autour de lui : « Nullum lem-» pus est, quo vehementius ( adversarius ) omnes suae » astutica? nervos intendat ad perdendum nos, quam cum » impendere nobis exilum vitae perspicit. » Le concile ajoute que dans ce sacrement le Seigneur a placé un appui ferme et certain : « Tanquam firmissimo quodam » praesidio (nos) munivit. » Ainsi je ne vois pas com-ment en se privant volon lai rement d'un pareil secours contre l'enfer, dans un si grand danger pour son salut élernel, un malade pourrait être excusé de faute grave et de manquement à la charité qu'il se doit à lui-même, en s'exposant au risque de succomber à la tentation dans celte dernière lutte avec l'ennemi.
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XXIe SESSION.
De la communion sous l'une et l'autre espèce, et de la * communion des enfans.
I. Dans cette session, le concile expose aux fidèles la vraie donclrine sur ces deux points, et défend de croire et d'enseigner rien de contraire. Dans le chapitre d., le concile déclare que les laïques, et les clercs qui ne con-sacrent pas l'eucharistie» ne sont tenus par aucun prétexte divin à communier sous les deux espèces, puisqu'il est certain que la communion sous une seule espèce suffit au salut : « Sancta synodus a Spiritu Sancto edocta, atque » Ecclesiae judicium et consuetudinem secuta, declaratae » docet, nullo divino praecepto laicos et clericos non » conficientes obligari ad eucharistiae sacramentum sub » utraque specie Sumendum : neque, salva fide, dubitari » posse, quin illis alterius speciei communio ad salutem » sufficiat. Nam etsi Christus hoc sacramentum in panis » et vini speciebus instituit, et apostolis tradidit; non » tamen illa institutio et traditio eo tendunt, ut omnes » fideles, statuto Domini, ad utramque speciem accipien-» dam adstringantur. Sed neque ex sermone illo, apud » ioannem sexto, recte colligitur utriusque speciei eom-» munionem praeceptam esse; namque qui dixit : Nisi » manducaveritis carnem Filii hominis, et biberitis ejus » sanguinem, non habebitis vitam in vobis (Jo. 6);
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» dixit quoque : si quis manducaverit ex hoc pane, vivet » in aeternum, etc. Qui manducat hunc panem vivet in » aeternum. » (Jo. ibid.)
II.   Au chapitre 1. correspond le can. 1, qui porte : « Si quis dixerit, ex Dei praecepto, vel necessitate salutis, » omnes et singulos Christi fideles utramque speciem sanc-» tissimi eucharistiae sacramenti sumere debere ; ana-?» thema sit. »
III.  Dans le chapitre 2 on voit que l'Église a toujours eu le pouvoir d'établir et de changer, comme elle le jugeait convenable selon les diverses circonslances, tout ce qui est relatif à l'administration des sacremens. C'est pourquoi, bien que dans le commencement de la religion chrétienne l'usage ait été de communier sous les deux espèces, l'Église a pu à juste titre établir l'usage de ne communier que sous une seule espèce. « Piœlerea decla-» rat hanc potestatem perpetuo in Ecclesia fuisse, ut in » sacramentorum dispensatione ea statueret, vel mutaret, » quae pro rerum, temporum et locorum varietate magis » expedire judicaret. Id autem apostolus non obscure » visus est innuisse, cum ait (1. Cor. 4) : Sic nos exisli-» methomo, ul ministros Christi, et dispensatores mys-» teriorum Dei, etc. Quare... licet ab initio utriusque » speciebus usu s fuisset, tamen, mutata consuetudine; » justis causis, hanc sub altera specie communicandi » approbavit et decrevit, etc. »
IV.  Au chap. 2 correspond le can. 2 ; il y est dit : « Si quis dixerit  sanctam Ecclesiam  catholicam  non » jusiis causis et rationibus adductam fuisse, ul laicos, » atque etiam clericos non conficientes, sub poenis tan-» tummodo specie communicaret, aut in eo errasse : » anathema sit. »
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Pierre Soave objecte que, par ce canon , le concile éta-blit un dogme de foi sur un fait humain ; savoir que l'Église ayant fait un décret qui doit être observé comme loi humaine on soit dans l'obligation, par loi divine, de le croire juste. On répond que le concile n'a point.fondé le dogme sur un fait humain, mais sur ce,principe certain que l'Église ne pouvant errer en matière de foi et de dis-cipline, elle n'a pu non plus établir sans juste titre ses lois louchant l'administration des sacremens.
V.  Le chap. 5 déclare que l'on reçoit véritablement le sacrement, ou Jésus-Christ tout entier, sous une seule espèce, el qu'ainsi celui qui communie sous une espèce, ne demeure privé d'aucune grâce nécessaire au salut : « Insuper declarat... fatendum' esse, etiam sub altera » tantum specie totum atque integrum Christum, verum-» que sacramentum sumi ; ac propterea quod ad fructum » attinet, nulla graunam speciem solam eos defraudari, » qui unam speciem solam accipiunt. »
VI.  Au chap. 3 correspond le can. 5, où il est dit : « Si quis negaverit totum el integrum  Christum, om-» nium gratiarum fontem auctorem, sub una panis specie » sumi, quia, ul quidam falsoasserunt, non secundum » ipsius Christi institutionem sub utraque specie sumatur : » anathema sit. »
VII.  Dans le chap. 4 le concile enseigne que les en-fans ne sont pas de fait obligés à la communion; parce qu'ayant reçu la grâce dans le baptême, leur état les maintient dans l'impossibilité de la perdre.' El bien que les premiers chrétiens la leur aient donnée, pour quelque jusle cause adoptée à leur temps, néanmoins ils ne l'ont jamais regardé comme nécessaire au salut :  « Denique » sancta synodus docet, parvulos usu rationis carentes
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» nulla obligari necessitate ad eucharistiae communio-» nem ; siquidem per baptismi lavacrum regenerati » adeptam gratiam in illa œlale amittere non possunt. » Neque ideo tamen damnanda est antiquitas, si eum »morem aliquando servavit, ut enim sanctissimi illi » Patres sui facti probabilem causam pro illius lemporis » ratione habuerunt; ita certe eos nulla salute necessitate » id fecisse credendum est. »
VIII.  Au chap. 4 correspond le can. 4; il y est dit : « Si quis dixerit, parvulis, antequam ad annos discre-» tionis pervenerint, necessariam esse eucharistiae commu-» nionem : anathema sit. »
IX. A la Gn de cette session le concile se réserve d'exa-miner el de décider, dans un autre temps et quand l'oeca-sion s'en présentera, les deux questions déjà posées, savoir : la première , si l'usage du calice ne peut aucune-Jnenl être permis aux fidèles qui ne célèbrent pas ; la seconde, si cet usage peut, pour de justes motifs être concédé à quelqu'un ou seulement à quelque nation ou royaume, sous de certaines conditions.
X.  Dans celle session, Alphonse Salmeron démontra qu'il est certain que l'usage du calice n'est pas de pré-cepte divin puisque depuis si long-temps déjà l'Église l'avail interdit aux laïques , comme cela était prouvé par le concile de Constance· el celui de Bâle et par tous les écrivains antérieurs de  500 ans. D'autanl  plus que, même dans les lemps anciens, le calice n'était pas accordé à tous comme il paraît par plusieurs histoires el par les livres des Pères. Il répondit ensuite aux objections el dit que, bien que le Seigneur, en donnant dans la cùne l'eu-charistie à ses disciples, leur dit : « Bibilaexeo omnes, » cela ne peut êlïe entendu que comme dit seulement aux
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disciples. D'ailleurs nous ne sommes pas tenus d'imiter toutes les actions de Jésus-Christ avec toutes leurs circon-stances , mais autant seulement qu'elles nous sont com-mandées par l'Écriture ou par la tradition de l'Église. Enfin il fit observer qu'on objecterait en vain le chap. Vj de l'évangile de S· Jean; car le précepte d'user des deux espèces n'y est point formellement exprimé et que s'il y est mention quelquefois de la communion sous les deux espèces, d'autrefois aussi il n'est question que de celle du pain.
XI.  Le P. Chalon, dans son histoire, parlant de l'eu-charistie, rapporte que les Orientaux à présent encore ad-ministrent le corps et le sang avec une cuillère, mais qu'auparavant on donnait à boire le sang dans le calice même> comme l'atteste S. Cyrile de Jérusalem (Catéch. 5. myst. ) Depuis l'usage vint de donner une parcelle de l'hostie consacrée trempée dans le précieux sang, comme le dit Brocart (lib. 5. cap. 3). Cet usage fut prohibé par le pape Urbain dans le concile deClermonlj mais ce mode de communier,  dit le P. Chalon (cap. Y), fut pratiqué jusqu'au xn* siècle, temps auquel commença l'abolition de la  communion sous les deux espèces. S. Thomas (3. p. qu. 80. a. 42. ad 2) témoigne qu'elle élait déjà abolie de son temps et le concile de Constance la défendit expressément. Le pape Pie IV accorda le calice aux églises d!Allemagne; mais, comme le remarque le cardinal Bona, cette concession fut retirée par S. Pie V. Bossuet écrit dans son Traité de la commuion, page 165, que j même anciennement, à certains jours, au vendredi saint par exemple, on ne donnait que le corps.
XII. Salmeron dit encore que celui qui reçoit le sacre-ment sous une seule espèce ne reçoit pas moins que celui
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qui communie sous les deux ; parce que Jésus-Christ est tout entier sous chaque espèce, comme les conciles de Con-stance et de Florence l'avaient déjà déclaré. Sur le point desavoir ensuite si le communiant sous une espèce reçoit une grâce aussi grande que le communiant sous les deux, il dit que d'après son opinion la grâce est égale dans les deux cas, et il s'efforce de le prouver par de nombreux argumens ; du reste il ajoute que cela ne fait rien à la ques-tion, puisque la chose dépend de la pure volonté de Dieu.
XIII.  Un certain frère Amand Servita, théologien de l'évêque de Sebenico, pour prouver qu'une plus grande giâce accompagne la communion sous les deux espèces, alla jusqu'à dire que le sang n'est point partie de la nature humaine, miis seulement  notre premier aliment, et qu'ainsi le sang de Jésus-Christ n'est point contenu sous l'espèce du pain ; mais en cela il fut vivement repris par les autres et se vit contraint de se dédire en prétendant qu'il n'avait mis en avant celle objection que pour la réfuter.
XIV.  Un autre Portugais s'efforça au contraire de sou-tenir qu'aucun précepte divin n'obligeait pas même les prêtres qui consacraient à prendre les deux espèces; mais tous les autres le combattirent par une foule de raisons que Palavicin ne rapporte pas, mais que le cardinal de Lugo reproduit dans son traité (De euchar. disp. 19. sect. 8), où il réfute spécialement Raphaël de Yolterre qui préten-dait que Innocent VIII avait dispensé les Norwégiens de ce précepte.
XV.  En somme, tous conclurent que celui qui reçoit une espèce ne reçoit rien de moins que s'il eût pris les deux. Pour ce qui est de la grâce, les uns soutinrent qu'elle était plus grande dans la communion sous les deux espèces, parce que les sacremens avaient une vertu corres-
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pondante à leurs signes; en sorte que ceux-ci se multipliant la grâce était elle-même augmentée. La majorité cepen-dant fut d'avis que la grâce qui était infuse en vertu du sacrement est égale dans l'un comme dans l'autre cas.
XVI.  Quant aux enfans, on posa la question s'il était nécessaire par principe divin de leur faire recevoir la com-munion. Tous furent d'accord que non, puisque l'eucha-ristie se donne comme un aliment dont la nature est de réparer ce qui se perd par la chaleur, c'est-à-dire dans son vrai sens par le désordre des passions humaines, et cette déperdition ne peut avoir lieu chez les enfans privés en-core du libre arbitre. Cependant quelques-uns, en petit nombre, dirent que la communion augmenlait toujours en quelque manière la grâce chez les enfans; mais les autres le nièrent par la raison que les enfans ne commu-nient de fait que matériellement et sans aucune disposi-tion. Ils ajoutèrent que dans les premiers temps ce n'était point dans ce but que l'on donnait la communion aux enfans, mais afin de les délivrer des maléfices et de l'ob-session des démons. Enfin sur le point desavoir s'il con-venait de concéder à quelque nation, comme à l'Allema-gne , l'usage du calice, on répondit aux députés de l'em-pereur qui insistaient en faveur d'une telle concession, que l'affaire serait plus tard mieux discutée et pourrait alors être résolue ; et puis la négation fut admise au grand déplaisir des amis de l'empereur.
XVII.  En terminant, on ajouta à ce chapitre 2 quelques paroles louchant la coutume moderne de donner la com-munion sous une seule espèce : « Quam reprobare, aut » sine ipsius Ecclesiae auctoritate pro libito mutare non » licet. » On fit celle addition à cause d'une objection présentée pur quelques-uns, que dans plusieurs royaumes,
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à Chypre, dans l'île de Candie et dans la Grèce, on con-servait l'usage du calice ; mais on leur répondit que c'était par un privilège spécial qui leur avait été concédé par l'Église ; les dernières paroles furent ajoutées dans l'in-tention de rie pas blesser les privilégiés.
X\I1I. Soave dit qu'il paraît étonnant que le concile, après avoir fait dans quatre anathèmes quatre articles de foi, n'ait pas pu ensuite décréter celui de l'usage du calice qui est une loi ecclésiastique; tandis qu'au contraire plu-sieurs avaient pensé que ce point devait être traité d'abord parce qu'en accordant cet usage toutes les disputes seraient tombées. Mais Palavicin répond que de telles raisons sont fausses; car d'abord comme il fut facile de voir que l'usage du calice n'était pas de précepte divin, on fut par cela même en doute s'il convenait de l'accorder ou de l'inter-dire. Et puis il n'est pas vrai que celte concession eût fait cesser les disputes .· la permission de l'Église n'aurait p^s terminé la controverse avec les novateurs, qui mettent en question si elle a ou non le pouvoir de défendre cet usage.
XIX. Soave dit encore que le concile, en déclarant que le fidèle qui reçoit Jésus-Christ sous la seule espèce du pain n'est point privé de la grâce, paraît reconnaître qu'il perd au moins la grâce non nécessaire, et par là fait soupçonner que l'autorité humaine peut empêcher la grâce surabon-dante de Dieu; ce qui semble être contraire à la charité. Palavicin répond que c'est raisonner à faux que de dire que celte déclaration, que le fidèle auquel l'usage du ca-lice est interdit n'est privé d'aucune grâce nécessaire, entraîne l'aveu qu'il est au moins frustré de quelque grâce non nécessaire. Il arrive cent fois dans le discours que l'on affirme ou qu'on nie une chose, à raison de telle
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circonstance qui fait qu'on la peut nier ou affirmer sans rien préjuger de ce que cette chose serait sans cette cir-cons lance.
XX.  Quant à ce qui est de soutenir comme certain que l'Église n'a pas le pouvoir ( et c'est là ce que veut dire Soave) de priver les fidèles de la grâce surabondante des sacremens ou que, si, le pouvant, elle le faisait, ce serait contre la charité, on répond que l'Église ne doit pas con-sidérer seulement l'augmentation de la grâce dans celui qui communie, mais aussi la dignité du sacrement ; car autrement elle n'aurait pas dû empêcher la communion et la célébration de la messe le vendredi-saint, ni interdire qu'elle soit célébrée plus d'une fois le jour. Pierre Soave prétend aussi que deux choses donnèrent lieu à de longues controverses. La première fut  l'obligation imposée de croire que l'antiquité ne regardait pas comme nécessaire la communion des enfans.  Il s'agit ici, disait-on, de choses passées, sur lesquelles l'autorité reste impuissante, car elle ne saurait changer le passé. D'un autre côté, on disait que S. Augustin en neuf endroits discourt longue-ment sur la nécessité, pour le senfans, de recevoir l'eucha-ristie; et on ajoutait que l'Église romaine l'a plusieurs fois déclarée nécessaire au salut des enfans; on alléguait encore l'épître du pape Innocent, qui enseigne clairement celte doctrine. Et le même écrivain ajoute que plusieurs membres du concile s'élonnaient que les Pères les eussent placés dans cette alternative de penser qu'Innocent ou le concile lui-même avait erré.
XXI.  Mais Palavicin répond ninsi : Si Soave veut dire que! l'Église ne peut déclarer article de foi la vérité d'un fait passé qui ne serait pas soumis à sa juridiction, il se montre aussi ignorant que mécréant sur l'autorité de l'É-
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glise ; car il est indubitable qu'elle peut déclarer de foi que tel fait, que Dieu nous assure, dans l'Écriture, ne pou-voir arriver, n'est point arrivé ; comme par exemple qu'un juste soit tombé en enfer. Or, Dieu nous ayant révélé dans l'Écriture que l'Église est la colonne et le fondement de la vérité, en vertu de celte révélation le concile a bien pu déclarer qu'elle n'a pas erré en croyant que la commu-nion des enfans n'est pas nécessaire à leur salut. Du reste, le concile n'a pas traité en cet endroit de l'opinion des anciens Pères sur ce point; il dit seulement que, comme ils durent avoir des raisons plausibles pour en agir ainsi, d'après les circonstances de leur temps, on doit croire qu'ils le firent sans qu'il y eût de véritable nécessité pour le salut. Quant à l'autorité de S. Augustin, et à l'épître d'Innocent I, Palavicin avoue que S. Au-gustin, principalement en deux endroits, met la nécessité de l'eucharistie au même rang que celle du baptême; mais dit-il, il est reconnu depuis long-temps dans les écoles, que le saint docteur entend que le chap. 6 de S. Jean ne parle pas seulement de la communion sacra-mentelle, mais aussi de l'union intime de l'ame avec Jésus-Christ, par le moyen du baptême et de la foi. Et par là S. Augustin cherche à réfuter Julien qui niait la nécessité du baptême pour entrer dans le ciel, comme les pélagiens la niaient; par là aussi le saint prouvait le fait du péché originel. Tel est le sens dans lequel S. Thomas expose la doctrine de S. Augustin (3 p. qu. 80 art. 9. ad. 3). Et vraiment comment S. Augustin aurait-il pu jamais vouloir dire que les jeunes enfans, après le baptême, pouvaient tomber en péché par leur faute, s'ils fussent morts en cet état, avant de recevoir l'eucharistie? Main-tenant l'épître d'Innocent I, qui est la vingt-sixième de ses
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décrétales, adressées aux Pères de Milève, porte : Ce que voire fraternité m'annonce qu'ils ( les pélagiens ) prêchent que les enfans reçoivent le don de la vie éternelle même sans le baplême, est une erreur absurde ; parla raison que s'ils ne mangent pas la chair du Fils de l'homme et ne boivent pas son sang, ils ne peuvent avoir la vie en eux-mêmes. On voit qu'Innocent entend que dans le baplême, il y a manducation de la chair de Jésus-Christ. Ces deux sentimens de S. Augustin et d'Innocent furent pesés et examinés dans le concile, et on réprouva comme témé-raire Érasme qui voulait les rapporter à l'eucharistie.
XXII. La seconde chose qui, suivant Soave, donna beaucoup à débattre dans le chapitre en question, fut ranalhême qui déclara héréliques ceux qui diraieni que l'Église n'a pasélé mue par de justes motifs pour donner la communion sans le calice. Soave dit que c'est là fonder un arlicle de foi sur un fait humain. 11 assure que quel-ques membres du concile étaient confondus d'entendre d'un côlé que l'homme n'est obligé à observer les pré-ceptes de l'Église que de droit humain ; et que, cependanl, il était obligé de droit divin de croire ces préceptes jusles; qu'ainsi on faisait des articles de foi de choses qui pou-vaient être changées chaque jour. Mais Palavicin répond : Posons qu'il est de foi que l'Église ne peut errer en malière de foi et de pratique, et de même, qu'en établissant des lois sur l'administration des sacremens, elle ne peut agir sans de jusles causes. Posons encore, avec S. Thomas, que toute loi humaine lire son aulorilé de la loi éternelle de Dieu, qui nous commande d'obéir à nos supérieurs ; la conséquence est que nous sommes obligés parles lois hu-maines, lorsqu'elles nous sontimposées par nos supérieurs. Du reste, nous ne sommes pas tenus de croire, avec une
certitude de foi, la justice de toute loi humaine, excepté, cependant, les lois à l'égard desquelles existe la promesse de la part de Dieu d'assister toujours le législateur ; or, celle promesse existe envers l'Église, pour l'établissement des lois de religion, encore que ces lois puissent va ier selon les circonstances des temps.
XXIII. Le cardinal deMadruccio essaya de prouver que le concile pouvait bien accorder l'usage du calice aux im-périaux , comme le concile de Bâle l'avait accordé aux Bohémiens. Mais le patriarche de Jérusalem et eelui d'A-quilée s'y opposèrent, et dirent que l'intention les Pères attachés aux impériaux était bonne, mais que peut-être celle des demandeurs qui les excitaient à faire celle de-mande n'était pas aussi pure; car parmi quelques-uns, s'élait introduite l'erreur de Jean Wiclef et de ? erre Des-trèse, que la communion sous les deux espèces était né-cessaire au salut ; d'où on pouvait craindre que ces peuples, si on leur accordait l'usage du calice, ou en tirassent une preuve qu'un lel usage était nécessaire, ou quel* s espèces contenaient séparément, celle du pain, le corpspe Jésus-Christ, et celle du vin , son précieux sang.
XXIV.  L'archevêque d'Olranle proposa de remettre Faffaire au pape ; mais il fut combattu par celi i de Gre-nade el plusieurs autres, qui  présentèrent co nme une chose très-dangereuse le changement des rites de l'Église dans des temps aussi troublés par l'erreur. On a oula que l'Église n'avait pas rans raison ôlé l'usage du calice, comme, par exemple, le danger de verser le précieux sang, ou de l'exposer à êlre un objet de dégoût, à cause du nombre des fidèles qui s'élaitaccru considérablement : en sorte que la concession pourrait devenir plus propre à nourrir qu'à extirper, parmi ces peuples, l|s fausses
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croyances. Il fut dit encore qu'il ne convenait pas que le concile fil des réglemens particuliers pour une seule na-lion ; que le concile de Constance avait défendu le calice pour extirper l'erreur accréditée en Bohême que son usage était de précepte divin ; qu'on ne pouvait opposer à cela l'exemple de S. Léon, qui accorda pour un temps le ca-lice, parce que cette concession avait pour but de détruire l'erreur des manichéens, qui niaient que Jésus-Christ eût un vrai corps et un vrai sang; qu'il ne convenait pas non plus d'adopter comme terme moyen de tremper le pain dans le vin consacré, comme en usent les Grecs; car cet usage fut prohibé par le pape Jules I, dans son can. Cum omne (dist. 2. de conseg. ); Jésus-Christ ayant donné aux apôtres chaque espèce séparément.
XXV.  Le P. Lainez prit sur la fin la parole et dit que pour concéder l'usage du calice et annuler le décret de Constance, le concile avait tout pouvoir; mais que pour traiter d'une telle dispense à l'égard d'une nation particu-lière, c'était l'affaire du pape. Du reste il ajouta que, pour lui, il ne lui paraissait convenable de faire ni l'un ni l'autre; que c'était un motif peu valable que le désir de remédier à la faiblesse des catholiques qui demandaient le calice, parceque celte concession serait une excitation à des demandes impertinentes ; d'autant qu'il ne mon-traient point en cela plus de croyance en l'autorité du concile, mais qu'il demandaient le calice seulement pour en user sans pouvoir êlre repris par l'empereur.  Il dit enfin que cette concession ne ferait que donner aux au-tres nations le désir d'obtenir aussi l'usage du calice.
XXVI.  En résumé lesmolifsde refuser le calice furent: 4° le danger d'introduire dans les rites de l'Église des chaigemens toujours nuisibles à ?? onnaissance de la vé-
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rjié ; 2° l'inexécution des conditions dont le concile de Bâle et Paul III avaient accompagné leur concession ; 3° l'existence en Allemagne des mêmes raisons qui avaient déterminé le concile de Constance à refuser l'u-sage du calice et spécialement le danger de verser le sang, Ja difficulté de le conserver, les inconveniens résullans de sa distribution à un grand nombre de fidèles, la diffi-culté de le porter aux malades dans les campagnes, le dégoût que cet usage causerait naturellement aux fidèles qui seraient trop nombreux ; 4° le danger de confirmer l'erreur déjà répandue en Allemagne, que le sang n'élail pas contenu sous les espèces du pain ; 5° celui de donner ouverture à d'autres demandes exorbitantes et d'exciter d'autres nations à demander aussi l'usage du calice.
XXVII. Plaçons ici plusieurs notions sur le mode an-tique de la communion et d'autres usages de l'eucharistie. Quand on donnait jadis la communion, le diacre disait à haute voix : Sancta sanctis; les prêtres ensuite en présen-tant la parcelle disaient seulement : Corpus Christi. Le communiant répondait : Amen en signe de sa foi ; et cela dura jusqu'à la fin du vie siècle, comme nous l'apprend l'auteur des Const. apost. (1. 8 c. 13), et comme écrivait S. Léon vers ce même siècle ( Serm. 6 dejejun. ). Mais Jean diacre dans la vie de S. Grégoire (lib. 2. ) rapporte que de son temps on disait : « Corpus Domini nostri Jesu » Christi custodiat animam tuam. » A la messe commune, les prêtres communiaient d'abord, puis les diacres, en-suite les sous-diacres, les clercs et enfin les laïques hommes et femmes ; et non tous lés assistons pêle-mêle ; car on distinguait ceux qui devaient communier, les fragmens étaient donnés à de jeunes enfans innocens : et cet usage de la distribution des fragmens dura jusqu'au douzième siècle,
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époque où il fut aboli. Les seuls ecclésiastiques commu. niaient à l'autel, lesaulresà la balustrade ou auxendroiis où ils se trouvaient.
XXVIII.  Dans les églises d'Orient, la communion était reçue debout même par les laïques ; chacun, les yeux et la lêle baissés, tendait la main et recevait le pain consacré; c'est ce qu'on voit dans Tertullien ( lib. De idol. c. 7 ), S. Cyprien (Epist. 56) et S. Ambroise cité par Théo-doret (Hislor. 1.5 c. 47). Selon S. Cyrille de Jérusalem, (epist. 9289) on  étendait la main droite ouverte, les doigts rapprochés et on la soutenait avec la gauche : les hommes étendaient la main nue, celle des femmes était couverte d'une étoffe qu'on appelait dominicale; cela esl mentionné dans S. Augustin rapporté par le P. Ghalon au chap. 7 traitant de l'eucharistie: S. Jean Damascène et le vénérable Bède attestent que cette usage dura jus-qu'au vin" siècle.
On ne portait aux malades que le corps, el de fait S. Honoré ne fil communier qu'avec le corps S. Ambroise mourant. Quelquefois cependant les malades commu-niaient sous les deux espèces et souvent ils allaient eux-mêmes à l'église pour recevoir le viatique ; et quand ils n'y pouvaient aller, la messe se disait dans leur propre chambre.
XXIX.  Il est à remarquer que les premiers  chrétiens conservaient chez eux l'eucharislie, sous les espèces du pain seulement et là ils prenaient eux-mêmes la commu-nion, comme l'atteste S. Luc: « Frangentes circa domos » panem. » (Act. 2. 46. ) Tertullien (lib. II. ad. uxo-rem cap. 5) parle de cela comme d'une chose ordinaire. Aux époques de persécution les fidèles s'en approvision-naient pour long-temps et spécialement ceux qui n'avaient
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dans leur ville qu'une seule messe. S. Basile, écrivant à Césarée, dit que les solitaires dépourvus de prêtres avaient néanmoins l'eucharistie. Cet usage resta en vigueur dans l'Orient jusqu'au sixième siècle comme le rapporte Anaslase le bibliothécaire. En Occident il ne dura pas autant, bien qu'il continuât à être suivi, mais rarement. XXX. Quant à la fréquente communion, il n'est pas douteux que dans les trois premiers siècles, selon les constitutions apostoliques et comme l'atteste S. Justin , ( Apolog.2. lib. 8 cap. 20) le prêtre ne donnât après la messe la communion à tous ceux qui y avaient assisté. S. Cyprien. (De orat. dom) écrit : « Nous recevons chaque » jour l'eucharistie, comme une nourriture de salut... » Si quelque faute grave ne nous contraint à nous en ab-» slenir. » Si bien que cet usagedevinl une loi d'après leca-non desapôlres fait à la fin du troisième siècle ou au com-mencement du quatrième et qui portait : «IIfaut retrancher » delà communion ces fidèles qui venant à l'église etécou-» tant la lecture de l'Écriture ne restent pas pour recevoir » la sainte communion. » Ce précepte fut renouvelé dans le concile d'Antioche sous le pape Jules el observé en beau-coup d'églises jusqu'au cinquième siècle. D'abord, écrit Strabon (can. 22.) beaucoup se croyaient obligés à commu-nier plusieurs fois le même jour s'ils entendaient plusieurs messes. Depuis cependant la ferveur s'élant refroidie, le concile d'Agde tenu en l'an 506, dans son can. 18 ( le-quel devint ensuite loi de l'Église ) ordonna sous peine d'excommunication que chacun communiât au moins trois fois dans l'année, à Noël, à Pâques el à la Pente-côte. Mais Théodore, archidiacre de Cantorbéry, dans ses Spicilèges, tom. 9 (cap. 52), dit des Grecs : « Les Grecs, » clercs ou laïques, communient tous les dimanches, et
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» celui qui ne le fait pas est excommunié. Les Romains » font de même, mais sans la peine de l'excommunica-» lion. » La dévotion des fidèles se refroidissant de plus en plus, le concile de Lalran jugea nécessaire d'ordonner que tout fidèle parvenu à l'âge de discernement se con-fessât et communiât au moins une fois l'an, comme on le voit auchap. : « Omnis utrius que sexus. (Depœnii. et » rem.) »
XXXI.  Disons   ici  quelque chose   des   agapes   qui étaient en usage dans les premiers temps de l'Église. Jé-sus-Christ ayant  institué ce sacrement à la suite  de la cène faite dans Jérusalem, les premiers chrétiens intro-duisirent la coutume aussi de communier après un léger repas auquel assistait l'évêque ou quelque prêtre. Ces re-pas se nommaient agapes, c'est-à-dire^repas de charité ; car en grec le mot agape signifie amitié. Dans ces réunions qui  se  tenaient  dans l'église les riches aidaient  aux pauvres :   aussi  l'apôtre ( I. Cor. H. 21 ) reprend ceux qui ne partageaient pas ainsi et écrivait :« Unusquisque » enim suam coenam praesumit ad  manducandum ; ei » alius quidem esurit, alius autem ebrius est. Numquid » domos non habetis ad manducandum et bibendum ? » Aut Ecclesiam Dei contemnitis, et confunditis eos qui » non habent ? » II est fait mention- de  ces agapes dans S. Ignace martyr (Epist ad smyrnteos. n. 8),  et dans Terlullien (Apollog. 18. cap. 59 ). Par la  suite on in-troduisit l'usage du jeûne avant la communion, on ne sait pourtant à quelle époque : du reste  S  Isidore en parle comme d'un  usage généralement suivi de son temps.
XXXII.  Venons maintenant à la fête de ce sacrement. Au commencement, on n'en célébrait pas d'autre que
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celle du jeudi-saint, jour auquel il a été institué. Mais, en 1208, noire Seigneur révéla à sainte Julienne, vierge,, religieuse hospitalière à Liège, âgée de 16 ans, qu'il vou-lait que l'Église célébrât par une solennité particulière le don immense qu'il lui avait fait dans le sacrement de l'au-tel. La fêle fut d'abord instituée par l'évêque de Liège; mais plus tard, en 1264, le pape Urbain IV ordonna qu'elle sérail célébrée par toute l'Église, et la fixa au jeudi après l'octave de la Pentecôte. Ensuite Clément V la con-firma en l'an 1511, et la fil accepter dans le concile gé-néral de Vienne. Dans cette fête, on récita d'abord l'office du saint-sacrement, selon l'usage de l'Église gallicane, composé par celte même sainte Julienne, ou (comme d'autres disent) par un pieux religieux nommé Jean, aidé des prières de sainte Julienne. Mais ensuite on commença à réciter l'office qui se dit aujourd'hui, composé par S. Tho-mas d'Aquin, par ordre d'Urbain IV, à l'usagé de l'Église romaine.
XXXIII.  Quant à la procession du saint-sacrement, on ne sait pas au juste l'époque de son institution, puis-qu'Urbain IV, dans son bref, n'en fait pas mention. Thiers rapporte qu'elle fut instituée par le pape Jean XXII, qui mourut en 1555. Il est certain qu'au temps de Martin V, en 1455, el d'Eugène IV, son successeur, elle se praliquait déjà, puisque ces mêmes pontifes accordèrent l'indul-gence plénière à ceux qui, confessés, assistaient à' l'office du saint-sacrement, et également à tous ceux qui assis-taient à la procession.
XXXIV. On ne sait pas davantage à quelle époque s'in-troduisit l'usage d'exposer le saint sacrement sur l'autel. On sait seulement ( comme le rapporte le P. Croizel dans son grand ouvrage au 25 d'août) que pour la maladie de
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S. Louis, roi de France, on fit des expositions du saint-sacrement par tout le royaume, et cela vers l'an 4248, seize ou dix-huit ans avant l'institution de la fête elle-même. Les ostensoirs furent de formes diverses, en croix, en soleils, en tourelles, pendant trois cents ans. Ceci s'entend des espèces découvertes, car auparavant on les portait couvertes aux processions. Il faut noler ici que, par décret de la S. C. du concile, il est défendu de porler le saint-sacrement aux malades seulement pour l'adorer, ou de le porler sur soi pour prouver son inno-cence, comme aussi de le conduire à la porte de l'église pour apaiser les tempêtes ou éteindre les incendies.
XXXV,  Les anciens usaient encore de l'eucharistie de diverses manières : les évêques se l'envoyaient l'un à l'au-tre en signe de communion. On la portait comme sauve-garde dans les voyages ; on réservait une partie du sacri-fice pour le jour suivant. ( Voyez le P. Chalon, chap. 2. ) On avait aussi coutume d'enterrer les moris avec l'eucha-ristie. L'auteur de la Vie de S. Basile raconte qu'il fut ainsi enseveli. On voit encore dans Paul, diacre d'Aqui-lée, que le pape S. Théodore écrivit, avec de l'encre mê-lée au sang divin, la condamnation de Pyrrhon monolhé-Hte, sur le tombeau de S. Pierre. Nicétas,cité par Cha-lon, chap. 12,  raconte, dans la Vie de S. Ignace, patriarche de Conslanlinople, qu'une semblable condam-nation fut écrite contre Photius. Le P. Malienne (t. 1. de rit. 1. i. c. 5. a 4) dit que, dans les dédicaces des égli-ses, on plaçait dans l'intérieur de l'autel trois fragmens de pain consacré, scellé avec la chaux; et le pape Urbain en usa ainsi en consacrant l'église du monastère de Marmou-tiers.
XXXVI,  Dans les églises d'Orient, on conservait an-
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ciennemenl l'eucharistie dans des colombes d'or ou d'ar-gent suspendues au-dessus de l'autel. Le P. Le Brun dit (t. 2. p. 171) que cela se pratiquait de môme en France. On déposait aussi l'eucharistie dans des ciboires en forme de tours, auxquels succédèrent ceux qui sont en forme de coupes couvertes. Ces ciboires, au reste, étaient d'or, d'argent, de pierres précieuses, d'ivoire, de cristal, de verre, et même de bois. ( Voyez Chalon, chap. 13.) Main-tenant les Orientaux ne conservent plus l'eucharistie sur l'autel, mais dans les sacristies, ou dans quelque armoire, ou même contre le mur à côté de l'autel, suspendue à un clou et renfermée dans une bourse, et non avec celle décence que nous gardons en cela dans nos églises d'Oc-cident.
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XXIIe SESSION.
Du sacrifice de la messe.
I.  L'archevêque de Grenade réprouvait le canon 2, où il est dit que Jésus-Christ ordonna prêtres les apôtres, par ces paroles : « Hoc facile in meam commemorationem, » s'appuyant sur celte opinion de Nicolas Cabasila, que le sacerdoce leur fut conféré au jour de la Pentecôte. S. Tho-mas et Scot disent qu'il fui conféré pendant la dernière cène, mais sous la condition qu'il ne pourrait être exercé qu'après la réception de l'Esprit Saint à la Pentecôte. Mais, selon Palavicin, ces diverses opinions eurent peu de par-tisans.
II.  Un théologien portugais, frère François Forero, do-minicain , parlant du texte de Malachie : « Ab ortu enim » solis usque ad occasum magnum est nomen meum in » gentibus : et in omni loco sacrificatur et offertur nomini » meo oblatio munda, quia magnum est nomen meum » ingentibus, dicit Dominus exercituum » (Malac. i. 41.), et de celui de l'Évangile : « Hoc facile in meam comme· » morationem » ( Luc. XXH. 19. ), dit que ces textes n'ont pas lilléralemenl la même force de sens que par l'interpré-tation des Pères; d'où il conclut que le pouvoir de sacri-fier, donné aux prêtres, ne se prouvait pas seulement par l'Écriture, mais par la tradition. Mais ce P. Forero fut écoulé avec défaveur, parce qu'il avait contre hii l'opinion
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générale. Entre autres, Mefchior Corneille, théologien du roi Sébastien , fit uo discours remarquable, où il démon-tra que le texte de Malachie a été ainsi entendu par le se-cond concile de Nicée, et que Jésus-Christ, en pronon-çant ces paroles: «Hoc facite in meam commemoratio-nem, » a particulièrement ordonné à ses apôtres de consa-crer le pain et le vin.
III.  On posa ici la question de savoir si le concile devait faire précéder ses canons de la doctrine, et on décida qu'il Je ferait, parce que sa mission était aussi d'enseigner, éclairant ses décisions de motifs qui devaient servir non de fondement à notre foi, mais de défense contre les atta-ques des hérétiques. La grande question fut ensuite celle-ci : si Jésus-Christ s'est offert lui-même pour nous dans le sacrifice de la cène, comme le disait Salmeron, ou dans celui de la croix, comme le soutenait Soto.
IV. Lesopposans à l'institution du sacerdoce lors de la cène, furent Guerrero, Duinius et autres, qui préten-dirent que ce point était douteux et contraire au sentiment de plusieurs Pères. Les mêmes Guerrero et Duinius n'ad-mettaient pas non plus <jue Jésus-Christ se fût offert lui-même à son père dans la cène. Ajala ne voulait pas qu'on dît que, dans ce sacrifice, s'accomplirent tous ceux delà nature et de la loi, parce que, d'abord, cela ne pouvait se prouver ni par l'Écriture ni par la tradition, et puis qu'on semblait déroger ainsi au sacrifice de la croix.
V.  Soave dit que ce décret du concile qui déclare que Jésus-Christ s'offrit lui-même dans la cène, fut combattu par vingt-cinq Pères; mais Palavicin écrit qu'il ne le fut que par les deux déjà nommés, Guerrero et Duinius, comme les actes en font foi. Mais venons à ce qu'enseigne et décide ensuite le concile. Dans le chap.l, parlant de
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l'institution de la messe, il dit que, le sacrifice de l'ancienne loi étant imparfait, il élail nécessaire de créer un autre prêtre, selon l'ordre de Melchisédechs notre Seigneur ïé-sus-Christ , qui pût perfectionner en sainteté tous ceux qui devaient se rendre saints. D'où le Sauveur, bien qu'il dût s'offrir à Dieu une fois sur la croix pour racheter les hommes, néanmoins, comme par sa mort il ne devait pas tei miner son sacerdoce, il s'offrit à son père dans la der-nière cène, soiis les espèces du pain et du vin, se décla-rant alors le pontife éternel, selon l'ordre de Melchisedech, et laissa ainsi à l'Église un sacrifice qui pût représenter ce-lui de la croix, en conserver la mémoire, et en même temps servir à nous appliquer les mérites de ce sacrifice pour la rémission des péchés que nous commettons chaque jour : « Quoniam sub priori testamento, teste apostolo (Hebr. » vu.), propter levitici sacerdotii imbecillitatem consum-» matio non erat; opporluilsacerdotem alium secundum » ordinem Melchisedech surgere Dominum nostrum Jesum » Christum, qui posset omnes, quotquot sanctificandi es-» sent, ad perfectum adducere. Is igitur Deus et Dominus » noster, etsi semel seipsum in ara crucis, morte interce-» dente, Deo Patri oblaturus erat, ut aeternam illic redemp-» tionem operaretur : quia tamen per mortem sacerdotium » ejus exlinguendum non erat, in cœna novissima, qua » nocte tradebatur, ut dilectae sponsae suae Ecclesiae visi-» bile relinqueral sacrificium, quo cruentum illud reprae-» sentarelur, ejusqùe memoria permaneret, atque illius «salutaris virtus in remissionem eorum, quae a nobis » quotidie committuntur, peccatorum applicaretur ; sacer-» dotem secundum ordinem Melchisedech se in aeternum » constitutum declarans, corpus et sanguinem suum sub > speciebus panis et vini Deo Patri obtulit. »
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VI.  A cette première partie du chap. 4 appartient le can. 4, qui porte : « Si quis dixerit, in missa non offerri » Deo verum et proprium sacrificium ; aut quod offerri » non sit aliud, quam nobis Christum ad manducandum » dari : anathema sit. »
VII.  Ainsi, des paroles du concile qui viennent d'être rapportées il résulte que la messe est un vrai sacrifice spécial, dans lequel Jésus-Christ est le prêtre selon l'ordre de Melchisedech, ainsi que David l'avait prédit : «Tu es » sacerdos in aeternum, secundum  ordinem Melchise-» dech , » et comme l'apôtre l'écrit (Hébr. 5, 6 et 7. 14). Il est dit selon l'ordre de Melchisedech, parce que Melchi-sedech offrit en sacrifice du pain et du vin (Gènes. 14.43.) : « Melchisedech enim protulit panem et vinum; erat enim » sacerdos Altissimi. » La particule enim démontre claire-ment que ce sacrifice fut de pain et de vin. Si donc le Rédempteur a été prêtre selon l'ordre de Melchisedech, il faut reconnaître qu'il a institué ce sacrifice dans la der-nière cène, en s'offranl lui-même au Père sous les espè-ces du pain et du vin ; car on ne peut assigner un autre temps où il ail fait un pareil sacrifice.
VIII.  Suit l'autre partie du chap 4 , où il est dit que Jésus-Christ, sous les espèces du pain et du vin, donna son corps à manger et son sang à boire aux apôtres, les constituant ainsi prêtres, eux et tous leurs successeurs dans le sacerdoce, afin qu'ils continuassent ensuite à of-frir ce même sacrifice, en vertu de ces paroles : «Hoc facile »in meam commemorationem. » (Luc. XII. 49.) Ainsi, après avoir célébré la Pâque antique, que les Hébreux ob-setvaient en mémoire de leur sortie d'Egypte, il institua la Pâque nouvelle, c'est-à-dire le sacrifice de lui-même, qui devait être offert dans l'Église, par le moyen des prè-
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tres, en mémoire de son passage de ce monde vers son Père, quand il nous racheta de son sang : et c'est là celte hostie sans tache , qui ne peut être souillée par l'indignité de ceux qui l'offrent, et que le Seigneur prédit, dans Mala-chie, devoir être offerte en tous lieux en son nom; ce que l'apôtre indique clairement ( I. Cor. X. 21. ) par ces pa-roles : « Non potestis mensae Domini esse participes et » mensas daemoniorum, » entendant par cette table l'autel où le sacrifice s'opère. A quoi correspond cet autre pas-sage (Hebr. XIII. 10.) : « Habemus altare, de quo edere » non habent potestatem qui tabernaculo desserviunt. » Cette dénomination d'autel suppose nécessairement une victime et un sacrifice. Aussi le concile de Trente conti-nue ainsi le chap. 1 : « Ac sub earumdem rerum symbo-» lis, apostolis, quos tunc novi Testamenti sacerdotes » constituebat, ut sumerent ( corpus et sanguinem suum ) » tradidit; ei eisdem, eorumque insacerdotio successori-» bus, ul offerrent praecepit per haec verba : « Hoc facite » in meum commemorationem, » ut semper catholica » Ecclesia intellexit, et docuit ; nam celebrato veteri pas-» cha, quod in memoriam exitus de ^Egypto multitudo » filiorum Israel immolabat, novum instituit pascha -, » seipsum ab Ecclesia per sacerdotes sub signis visibilibus » immolandum in memoriam transitus sui ex hoc mnndo » ad Patrem, quando per sui sanguinis effusionem nos » redemit, etc. Et haec quidem illa munda oblatio est, » quae nulla indignitate offerentium inquinari potest ; » quam Dominus per Malachiam nomini suo, quod ma-ii gnum futurum esset in gentibus, in omni loco offeren-» dam praedixit : et quam non obscure innuit apostolus » Corinthiis (I. Cor. ?. 21.), cum dicit non posse eos, » qui participatione mensae daemoniorum polluti sunt,
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» mensae Domini participes fieri : per mensam altare » utrobique intelligent. Hœc denique illa est, quai per » varias sacrificiorum , natura? et legis tempore simililu-» dines figurabatur ; utpote quae bona omnia per illa signi-» ficala, velut illorum omnium consummatio ei perfectio, » complectitur. »
A celte partie du chap. 1 correspond le can. 2. 11 y est dit : « Si quis dixerit, illis verbis, hoc facile in meam » commemorationem, Christum non instituisse apostolos » sacerdotes; aut non ordinasse, ut ipsi, aliique sacerdo-» tes, offerrent corpus et sanguinem suum : anathema » sit. »
IX. Quelques-uns dans le concile objectèrent, comme nous l'avons dit, que ces paroles, « hoc facile in meam » commemorationem, » ne prouvaient pas suffisamment que Jésus-Christ eûl fait un vrai sacrifice c'est-à-dire que dans la cène nons-eulement il eût donné son corps en nourriture àsesapôlres, mais qu'il l'eût aussi offert au Père pour la rédemption du monde. Mais ce doute fut repoussé par les aulres ; car il est certain que Jésus-Chrisi sacrifia véritablement son corps au Père dans la cène, autrement il n'eût point été prêtre selon l'ordre de Melchisedech, ni la figure de l'agneau pascal. En oulre cela se prouve par ces paroles de S. Luc : « Hoc estcor-» pus meum, quod pio vobis datur, ( Luc. ???. ) » et cel-les-ci de S. Paul : « Quod pro vobis frangitur. » ( I Cor. II. ) Les mots datur et frangitur ne signifient pas seule-ment être donné ou rompu en nourriture, mais donné et rompu en sacrifice, car il n'est point dit vobis datur et frangitur, mais pro vobis, outre que l'expression frangitur ne convient point au corps de Jésus-Christ sinon sous l'es-pèce du pain, comme l'observe S. Chiysostôme. (Hom.
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24. ) Et il est certain que l'apôtre en disant frangitur a eu en vue l'espèce du pain, comme il le dit dans un autre endroit ( I. Cor. x. 16. ) : « Panem quem frangimus etc. » II est dit aussi dans les Actes ( AcU 2. ) : « Frangebant » circa domos panem. » Si donc le Chrjst se sacrifia lui-même dans la cène et dit ensuite : « Hoc facile in meam » commemorationem, » le mot hoc démontre que les apôlres et les prêtres leurs successeurs devaient faire ce qu'avait fait le Seigneur, c'est-à-dire l'offrir en sacrifice sur l'autel. Et c'est sans raison que les hérétiques disent que Jésus-Christ fut seuFappelé prêtre selon l'ordre de Melchi-sedech ; parce que les prêtres ne sont pas proprement les successeurs du sacerdoce de Jésus-Christ, mais seulement ses ministres ; car il est ceriain que c'est Jésus-Christ lui-même qui est le principal sacrificateur, alors que les prêtres officient.
X.   C'est en vain aussi qu'on prétend que l'oblationpure de Malachie s'entend des aumônes et autres bonnes œu-vres qui sont offertes à Dieu avec une intention droite ; parce que celles-ci sont toujours agréables à Dieu et ja-mais repoussées, tandis que Malachie dit ( 1.10.) : « Et » munus non suscipiam de manu vestra : » il ne parle donc pas des bonnes oeuvres, mais des anciens sacrifices que dès-lors Dieu rejetait pour l'oblation pure du sacrifice de l'autel qui devait lui être offerte en tous lieux : « Et in » omni loco sacrificatur et offertur nomini meo oblatio » munda ; » paroles qui réfutent encore l'autre fausse in-terprétation des hérétiques qu'il s'agit du sacrifice de la croix , puisque le sacrifice de la croix, ne s'offre pas en tout lieu, mais a été offert seulement sur le Calvaire et une seule fois.
XI.  Danslechap. 2, le concile enseigne que la messe
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.
esl un sacrifice visible, propitiatoire pour les vivans et pour les moris, et il s'exprime ainsi : « Et quoniam in di-» vino hoc sacrificio, quod in missa peragitur, idem ille » Christus continetur, et incruente immolatur, qui in » ara crucis semel seipsum obtulit ; docet sancta syno-» dus, sacrificium istud vere propiliatorium esse, per » ipsumque fieri, ut si cum vero corde et recla fide... » poenitentes ad Deum accedamus, misericordiam conse-» quamur, etc. Hujus quippe oblatione placatus Dominus » gratiam ei donum poenitentia? concèdent, crimina et » peccata , eliam ingentia, dimittit ; una enim eademque » est hostia, idem nunc offerens sacerdotum ministerio, » qui seipsum tuncin cruce obtulit, sola offerendi ratione » diversa. Cujus quidem oblationis, cruentae inquam, » fructus per hanc uberrime percipiuntur: tantum abest, » iit illi per hanc quovis modo deiogelur. Quare non so->: Ium pio fidelium vivorum peccatis, poenis, salisfactio-» nibus,- et aliis necessitatibus, sed ei pro defunctis in » Christo nondum ad plenum purgatis, rite, juxta apos-» tolorum traditionem, offertur. »
XII. Ainsi donc c'est par la messe que les fruits de la croix sont appliqués aux fidèles, et les novateurs sont dans l'erreur lorsqu'ils disent que le fruit delà croix esl appli-qué à tous et que par là le sacrifice de la croix suffit non-seulement à la rédemption, mais à l'application de ses fruits, ce qui rend inutile celui de l'autel-. Car on leur ré-pond que, selon la doctrine du concile, le sacrifice de la messe est le même que celui de la croix; il n'y a de diffé-rence enlre eux que la manière avec laquelle ils sont of-ferts; de sorte que celui de l'autel ne déroge en rien à ce-lui delà croix. Le sacrifice de l'autel n'a pas non plus élé inslilué pour suppléer à une insuffisance de celui de la
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croix, mais seulement comme moyen de nous appliquer le mérite du sacrifice du Calvaire.
XIII.  Les novateurs  disent que le sacrifice de l'autel n'est appelé sacrifice que parce qu'il est une figure, une mémoire de celui de la croix. Mais c'est là une erreur, parce que, bien que  le concile de Trente dise que la messea été instituée « in memoriam et reprsesenlationem » du sacrifice de la croix, avec cela il est de foi que la messe est un véritable sacrifice par soi et réel, par la présence de laviclime, qui contient la réelle oblalion de Jésus-Christ qui s'y offre lui-même sous les espèces du pain et du vin; en sorte que ce n'est pas là seulement la représentation du sacrifice sanglant, mais la vraie oblalion de Jésus-Christ réellement présent, comme il fut présent sur le Calvaire , aussi le concile dit-il :  « Idem  ille Christus continetur » qui in ara crucis semel seipsum cruente obtulit.
XIV.   Le concile déclare ensuite clairement que le sacri-fice de l'autel nous obtieni tous les biens spirituels et tem-porels, par ces paroles: « Peccata eliam ingentia dimit-tit, » non pas directement, comme l'expliquent commu-nément les docteurs, mais indirectement en   tant que Dieu par le sacrifice de l'autel nous accorde la grâce qui porte l'homme à la contrition et à se purifier dans le sa-crement de la pénitence. Quant à la peine temporelle qui reste à subir après le paidon du péché, elle est re-mise sinon en tout, du moins en partie en vertu du sa-crifice delà messe, comme cela est prouvé par l'exemple des défunts à qui la messe profile encore quoiqu'ils ne soient plus capables de mériter par eux-mêmes.
XV.   Acechap. 2 correspond le can. S, qui porte : « Si » quis dixerit, missae sacrificium tantum esse laudis et » gratiarum actionis, aut nudamcommemorationem sa-
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                        50a
» crificiiin cruce peracti, non autem propilialorium ; vel » soli prodesse sumenti ; neque pio vivis et defunctis, » pro peccatis, poenis, satisfactionibus et aliis necessilati-» bus offerri debere : anathema sit.
Parce terme de nécessité il faut entendre aussi les au-tres biens temporels que Dieu, en vertu du sacrifiée, dis-pense aux fidèles, selon qu'il sait qu'ils peuvent leur être utiles pour leur sâlut.
XVI.  D'ailleurs que la messe soit un véritable sacrifice propitiatoire, c'est-à-dire qui rende Dieu propice à nous pardonner non-seulement les peines, mais aussi les fautes comme le déclare le concile dans ce chap. 2, cela se prouve par l'institution même de l'eucharistie, faite spé-cialement en rémission des péchés :  « Hic est sanguis » meus qui pro multis effundetur (ou même comme » porte le texte grec, effunditur) in remissionem pecca-» torum. » II est dit effundetur par rapport au sacrifice sanglant et effunditur pour le sacrifice non sanglant de chaque messe. L'un et l'autre est réputé en rémission des péchés; mais dans celui de la croix Jésus-Christ  a payé le prix de notre rédemption, dans celui de l'autel la valeur de ce prix nous est appliquée. Ce sacrifice étant donc propitiatoire est aussi impélratoire  de nouvelles grâces, comme le disent généralement les Pères, S. Cy-rille,   S.   Chrysoslôme , S. Ambroise, S. Jérôme et S. Augustin cité par Bellarmin.
XVII.  Il est dit encore dans ce chap. 2 : « Non solum » vivorum sed pro defunctis, etc. » et la môme chose est répétée dans le can. 3. Cela est prouvé non-seulement par le lib. II des Machabèes, cap. xu. f. 45, où on lit : « Collatione  facta,  duodecim millia  dragmas argenti » misit ad Hierosolymam offerri pio peccatis mortuorum
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» sacrificium. Sancta ergo et salubris est cogitatio pio de-» fundis orare, ut à peccatis solvantur. » Mais encore par la constante tradition de l'Église, comme l'atteste S. Augustin en plusieurs endroits et spécialement dans le livre de Cura pro Mortuis (cap. 1. num. 3.), El S. Chry-sostômequi (Hom. 3. in epist, ad Philip.) écrit : « Non » frustra ab apostolis sancitum esi, ut in celebralione » mysleriorum memoria fiat eorum qui hinc discesse·· » runt; » en effet, on retrouve dans les liturgies de S. Jacques et de S. Clément et dans toules les autres, la' commémoration que l'on fait aujourd'hui pour les moris. Calvin dit : « Defuncios nihil accipere, nihil manducare.» Cela prouve seulement que les moris ne peuvent participer à la nourriture eucharistique, mais non pas qu'ils ne puissent pas participer aux fruits du sacrifice. Terlullien (de Coron, inilit.) écrit touchant la recommandation des défunts à la messe : « Hunc ritum ex consuetudine re-» tentum traditio est aucirix, consuetudo conformatrix. » Et il ajoute : « Oblationes pro defunctis pro nalaliliis » annua die facimus. » El S. Alhanase (Serm. de défunt.) : « Incruenlae hostiae oblatio propitiatio est. » S. Épiphane écrit (Haeresi, 75. ) que même l'Église antique condamna comme une hérésie l'opinion d'Arius qui disait qu'on ne pouvait offrir le sacrifice pour les moris. S. Cyprien (lib. \. epist. 9.) dit : Sacrificium celebrari pro defunctis » in altari. » S. Augustin parle de môme dans son Enchirid., cap. HO. Mais nous parlerons plus au long sur ce sujet en traitant du purgatoire dans la vingt-cin-quième session.
CONTRE  LES  KÉKÉHQUES.                      307
De l'efficacité du sacrifice de la messe.
XVIII.  Bellarmin (lib. 6. cap. 4) dit que le sacrifice de la messe est offert triplement: par Jésus-Christ, par. l'Église et par le prêtre ; mais non de la même manière. Jésus-Christ l'offre comme pontife ou principal sacrifica-teur par le moyen d'un homme son ministre : l'Église l'offre, non comme prêtre, mais comme peuple par le moyen du prêtre ; le prêtre enfin l'offre comme ministre de Jésus-Christ et comme intercesseur pour tout le peuple. Jésus-Christ est cependant toujours le premier offrant dans le sacrifice de la messe où il s'offre perpétuellement sous les espèces du pain et du vin par le moyen des prêlres ses ministres (comme le dit le concile : « Idem offerens Christus sacerdotum ministerio »), lesquels, en sacri-fiant , représentent sa personne ; d'où le concile de Latran dit ( in cap. Firmiter, de Sum. Trin.) : « Simul (Christus) » est sacerdos et sacrificium, ? 11 convenait en effet à la dignité  d'un tel sacrifice d'être principalement offert, non par des hommes pécheurs, mais par un pontife su-prême non sujet au péché : « Talis decebat ut nobis esset » pontifex, sanctus, innocens, impollutus. » (Hebr. ?. 26.) On distingue ensuite dans Je peuple trois manières d'of-"frir le sacrifice : habituellement par ceux qui étant absens désirent que le sacrifice soit offert; actuellement pour ceux qui assistent à la mjesse, et .causalement par ceux qui sont cause que la messe se célèbre.
XIX.  La messe a son effet « ex opere operato, c'est-à-dire  par  elle-même et indépendamment du mérite du prêtre et cela est la conséquence de la divine promesse ? « Hic est sanguis meus novi testamenti, qui pro multis
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» effundetur in remissionem peccatorum. » (Matth. xxvi. 28. ) Aussi le concile dit-il dans le chap. 2 cité : « Hujus » quidem oblationis cruentae fructus per hanc uberrime » percipiuntur. » Et pea importe que l'effet n'en soit pas instantané ni profitable à tous, il suffit que cet effet soit infaillible de la part du sacrifice; cela veut dire que le sacrifice pour avoir son effet requiert une certaine dispo-sition dans l'homme sans laquelle il n'en reçoit pas de fruit; mais celte privation vient du défaut de l'homme, non de celui du sacrifice.
XX. Le sacrifice peut avoir son effet « ex opere operato » de deux manières : 1 " si celle opération esl un acte matériel produisant directement l'effet et c'est ainsi qu'opèrent les sacremens ; 2° si ce moyen, sans produire immédiatement l'effet, dispose infailliblement Dieu à produire l'effet in-dépendamment de la bonté du minisire. C'est ainsi que la messe opère « ex opere operato; » elle n'oblient pas, par exemple, la justification, comme le fait la pénitence qui justifie immédiatement le pénitent disposé par la con-trition; mais elle l'obtient médialemeQt, comme l'en-seigne S. Thomas (in 4. Sent dist. 42. q. 2. ad. 4) et comme cela esl admis par l'opinion commune. Aussi dans ce chap. 2 le concile dit : « Per hoc sacrificium, » peccata etiam ingenlia dimitti, quia Deus hoc sacri-» ficio placatus gratiam et donum poenitentiae concedit, » et il en donne la raison : « Quia eadem esl hostia, et » idem offerens, qui fuit in cruce. » C'est pourquoi l'effet ne dépend pas de la bonté du minisire. La messe d'ail-leurs opère en cela par voie d'impétralion ; mais celle impéliation esl infaillible parce qu'elle esl demandée par Jésus-Christ et qu'aucun obstacle ne peut venir de la part de ceux qui profèrent les prières.
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XXI.  Peu impone du reste l'objection de Chemnice que si la messe remet les péchés, les sacremens devien-nent inutiles ; car on répond que cela serait vrai si les péchés étaient remis immédiatement; mais la pénitence demeure toujours nécessaire pour cette rémission. La messe obtient certainement et infailliblement un secours spécial aux pécheurs qui correspond à leurs dispositions et si alors le pécheur résiste à la grâce, ce sera par sa faute que le sacrifice n'aura point opéré. Quand aux biens temporels, Dieu les accorde toujours quand ils sont utiles au salut. Il n'est pas nécessaire, comme nous l'avons dit, que le ministre soit juste pour que les effets de la messe soient obtenus; car elle est offerte principalement par Jésus-Christ, et par-là , encore que le prêtre soit pé-cheur, la messe opère par soi « ex opere, operato; » néanmoins la justice du ministre aide toujours à l'impé-tration « ex opere operantis. »
XXII. Selon l'opinion la plus générale parmi les théolo-giens, l'effet de la messe est borné et c'est pour cela que la pratique universelle de l'Église est de réitérer souvent le sacrifice pour obtenir le même bienfait : à la différence du sacrifice de la croix qui fut d'une valeur infinie et qui pour cela ne fut pas répété. La meilleure raison ensuite à donner de ce que l'effet de la messe est borné, c'est que telle est la volonté de Jésus-Ghrist qui a voulu n'ac-corder ainsi sa grâce que dans une certaine mesure, n'ap-pliquant chaque fois qu'une partie des mérites |de sa passion, afin que les hommes soient portés à offrir plus souvent ce sacrifice.
XXIII.  On demande pour quelles personnes la messe peut être offerte? Il est certain, comme nous l'avons vu, et comme l'enseigne le concile, que la messe peut être
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offerte pour tous les catholiques \ivans quoique pé-cheurs et pour tous les défunts, comme il est dit dans le canon de la messe. « Pro omnibus onhodoxis, atque ca-» tholicae fidei cultoribus. » II est également certain d'autre part qu'elle ne peut être offerte pour les damnés puisque leurs fautes et leurs peines sont irrémissibles. De même, elle ne peut s'offrir pour les hérétiques puisque l'Église (cap. a nobis, de sent, excomm.) a défendu de l'offrir pour les excommuniés ; or les héréîiques le sont tous. Cependant le sacrifice est offert pour eux indirectement par ces pa-roles de l'offertoire du calice: «Offerimus pro totius mundi » salute. »
XXÏV. Pour ce qui est des infidèles, Bellarmin pense que la messe peut être valablement offerte pour les princes non chrétiens, comme l'écrit S. Chrysoslôme (Hom. 6. in. ep. ad Tim.) et Tertullien (lib. ad scapulam), où il dit : « Sacrificamus pro salute imperatoris; » outre que dans la loi ancienne, on offrit des sacrifices pour Darius (lib. 1. Esdrœ cap. 6.), et pour Héliodore (lib. 2. Ma-chab. cap. m.). El cela n'est pas contredit par ces paroles de S. Augustin (lib. 4. De orig. an. cap. 9.) : « Quis of-» ferat sacrificium corporis Christi, nisi pro iis qui sunt » membra Christi? » Car, dit Bellarmin, le saint ne parle pas ici des gentils vivans, mâisdes morts, pour lesquels cer-tainement on ne peut prier à la messe. Du reste, ajouta-t-il, le sacrifice de la messe peut bien s'appliquer pour la conversion des gentils comme pour celles des héré-tiques.
XXV. Passons au chapitre 5 où il est question de la messe en l'honneur des saints : voici ce qu'on y lit : « El » quamvis in honorem et memoriam sanctorum nonnullas » interdum missas ecclesia celebrare consueverit, non ta-
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» men illis sacrificium offerri docet, sed Deo soli, qui illos » coronavit; unde nec sacerdos dicere solet, offero tibi » sacrificium, Petre, vel Paule; sed Deo de illorum vic-» loriis gratias agens, eorum patrocinia implorat ; ut ipsi » pro nobis intercedere dignentur in coelis, quorum me-» moriam facimus in terris. » A celle partie du chap. correspond le can. 5., où il est dit : « Si quis dixerit, » imposturam esse, missas celebrare in honorem sanclo-» rum, et pio illorum intercessione apud Deum obli-» nenda, sicut Ecclesia inlendil : anathema sit. »
Le sacrifice de la messe est un culle suprême qui ne peut être offert qu'à Dieu seul, en signe de son pouvoir suprême; aussi en disant la messe d'un tel saint, on emend qu'elle est offerte en son honneur, mais à Dieu seul, ainsi l'explique S. Augustin (lib. 8. De civ. Dei cap. 27). Telle est la tradition et l'antique usage de l'Église, comme le constatent les anciennes liturgies. C'est avec juste raison ensuite que l'Église offre la messe en l'honneur des saints., autant pour remercier Dieu des grâces qu'il leur a faites que pour implorer près du Sei-gneur leur intercession et en même temps pour nous ani-mer à suivre leur exemple en en rappelant la mémoire.
XXVI. Dans le chapitre 4, il est parlé du canon de la messe, et on repousse les calomnies des hérétiques, qui le donnent comme plein d'erreurs et d'inutilités : il est dit au contraire qu'il ne contient rien qui ne respire la sainteté et la piété : *. Et cum sancta sancte administrari » conveniat, sitque hoc omnium sanctissimum sacrifì-» cium, Ecclesia catholica, ul digne reverenterque offer-» relur, ac perciperetur, sacrum canonem multis anle » seculis instituit ila ab omni errore purum, ut nihil in » eo contineatur, quod non maxime sanciitaiem ac piela-
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» tem quandam redoleat, mentesque offerentium in Deum » erigat; is enim constat, cum ex ipsis Domini verbis » tum ex apostolorum traditionibus, ac sanctorum quo-» que pontificum piis institutionibus. » A cette partie du chapitre 4 correspond le can. 6, où il est dit : « Si quis » dixerit, canonem missae errores continere, ideoque abro-» gandum esse : anathema sit.
XXVII.  Et d'abord le seul nom de canon répugne aux novateurs en ce qu'il indique une règle fixe et certaine. Ils voudraient qu'il fût libre à chacun de réciter à la messe les prières qui lui conviendraient le mieux. De là Chemnice blâme le concile de Trente qui déclare que le canon de.la messe a été composé, partie des paroles mêmes de Jésus-Ghrist; partie de celles des apôtres et des pon-tifes. Il suppose qu'un certain Scholastique fut l'auteur du canon, parce que S. Grégoire   (lib. 2, ep. 54) écrit : « Precem Scholastici recitari super oblationem. » Erreur évidente, car S. Ambroise, S. Optât et S. Grégoire lui-même, ainsi que plusieurs autres anciens auteurs, appel-lent le canon de la messe; ordre, règle et canon. Il est vrai que le canon grec de la messe diffère en plusieurs parties du nôtre, car on fait usage en Grèce de la liturgie de S. Basile ou de S. Chrysoslôme ; de même qu'à Milan de celle de S. Ambroise, à Tolède en Espagne de celle dite Mosarabe, et à Rome de celle qui est commune à l'Église latine; mais tous ces canons differens ont été concédés et approuvés par les souverains pontifes ; ils ne diffèrent en rien d'essentiel et ne contiennent aucune erreur.
XXVIII. Quant à ce Scholaslique que Chemnice donne pour auteur du canon, d'après les paroles de S. Gré-goire , il faut savoir qu'il est en question si S. Grégoire a voulu employer ce mot de Scholaslique comme un nom
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                        813
propre, ou comme exprimant une qualité comme maître ou docteur ce qui est plus croyable, puisque le même S. Grégoire appelle aussi S. Matthieu scholastique. Outre que Bellarmin remarque que ces paroles de S. Grégoire : « Precem Scholastici recitari super oblationem, Ï ne s'en-tendent pas de tout le canon, mais mieux des trois orai-sons qui se disent avant la communion , car Micrologus écrit, cap. 18. que ces trois oraisons sont hors du canon. Du reste, il est certain, dit encore Bellarmin (lib. 6. cap. 19 ) que les apôtres au commencement en célébrant la messe n'ajottlaient aux paroles de la consécration que le seul Pater noster, bien que plus tard ils aient ajouté d'autres prières entre autres celles pour les morts, selon le témoignage de S. Chrysoslôme qui atteste (Hom. 3. in epist, ad Philip.) que l'oraison pour les morts que l'on dit à la messe vient par tradition des apôtres. S. Isidore (lib. 1. De offic. cap. 15) affirme que ce fut S. Pierre qui donna à l'Église une forme pour célébrer la messe en y ajoutant certaines prières et certains rites. Les pontifes y ajoutèrent ensuite d'autres prières jusqu'à S. Grégoire-le-Grand, qui fut le dernier (comme le rapporte Wilfrid (de observ. eccl. cap. 22) qui ajouta au canon ces paroles : « Diesque nostros in tua pace disponas. » Ainsi donc, bien que les anciennes liturgies portent les noms d'au-teurs differens, comme' de S. Basile, de S. Chrysoslôme, de S. Ambroise, de S. Gélase, de S. Grégoire (c'est notre liturgie romaine) et de S. Isidore, ces saints néanmoins ne composèrent pas de nouvelles liturgies, mais ils rédui-sirent celle qui existait de leur temps à une meilleure forme, comme le prouve Bellarmin à l'endroit cité.
XXIX. Dans le chapitre 5 il est parlé des cérémonies solennelles du sacrifice de la messe ; et il est dit que la xix.                                                         33
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nature de l'homme exigeant des signes extérieurs pour élever son esprit à la méditation des myslères divins, la sainte Église a, en conséquence, institué quelques rites pour la célébration de la messe, et spécialement celui de réciter à haute voix certaines prières et d'autres à voix basse. Elle a ordonné en outre diverses cérémonies , comme les bénédictions, les lumières, les vêtemens, etc, selon la tradition et la discipline anciennes, pour conser-ver ainsi la majesté du sacrifice et afin que les fidèles fus-sent excités à contempler les grandes choses qu'il contient : « Cumque natura hominum (ce sont les paroles du concile) » ea sit, ut non facile queat sine adminiculis exterioribus » ad rerum divinarum meditationem sustolli -r propterea » pia mater Ecclesia ritus quosdam, ut scilicet quaedam » submissa voce, alia vero elatiore, in missa pronuntia-» renlur, instituit. Caeremonias item adhibuit, ul mys-» ticas benedictiones, lumina thymiamata, vestes, alia-» que id genus multa ex apostolica disciplina, et tradi-» tione, quo et majestas lanli sacrificii commendaretur, et » mentes fidelium per haec visibilia religionis et pietatis » signa ad rerum altissimarum , quae in hoc sacrificio » latent, contemplationem excitarentur. » A. ce chap. 5 correspond le can. 9., dans lequel on dit anathèmecontre ceux qui condamnent le rite suivant ìequeì on récite à voix basse une partie du canon et spécialement les paroles de la consécration.
XXX. Calvin (Ub. 4. inslit. cap. 17. § 43) avoue que les cérémonies de la messe sont d'une haute antiquité, et ne sont pas éloignées du temps où les apôtres vivaient. Néanmoins, il les appelle « rubiginem coenae Domini » natam ex procacitale humanae confidentias. » Luther et ses sectateurs ne rejettent pas toutes les cérémonies, car,
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dans leurs.messes, ils en observent quelques-unes; mais Luther (lib. De capi. Bab.) dit que la messe doit se dire en jmitaiion de celle que célébra Jésus-Christ, sans vêle-ment, sans actes, sans chant. Il ne rejette pourtant pas l'usage des lumières, de l'encens et autres choses sembla-bles; en quoi il est en contradiction avec lui-même. 11 est peu probable, comme on l'a pensé, qne l'usage des flam-beaux ait eu pour cause l'obscurité des lieux où on célé-brait la messe dans les premiers temps, et que celui de l'encens vienne de la nécessité de combattre les exhalaisons de ces lieux souterrains; car ces cérémonies, et autres semblables " furent principalement instituées datis des vues toutes spirituelles, comme les lumières en signe de vénération pour la majesté du sacrement, et pour figurer . la lumière de l'Évangile, comme dit S. Jérôme (ad Vigi-lant, tom. 4. §2. p. 289) : « Per tolas Orientis ecclesias, » quando lëgenduhi est Evangelium, accenduntur lumi-
» naria.....et sub lypo luminis, illa lux ostenditur, o De
même, S. Thomas, parlant de l'encens, dit qu'on le brûlait, «ad reprsesentandum effectum gratiae. » (?. ?. q. 85. a. 5. ad. 2.^Chemnice admet la bénédiction des espèces et, aussi la récitation des psaumes, du symbole, et ,des autres prières (qui ne sont pas proprement cérémo-nies). Il admet encore les vêlemens, les vases sacrés et les autres ornemenss niais.il tient que ces choses sont ar-bitraires, et non de nécessité. Il appelle, au reste, su-perstitieux etimpies les rites de l'offrande pour les vivans et pour les morts, de l'invocation des saints, de la satisfaction pour les âmes du purgatoire, etde la bénédiction de l'eau. XXXI. Nous disons, nous, que ces choses ne sont point par elles-mêmes et intrinsèquement nécessaires, mais que l'Église a bien pu les prescrire, et que nous sommes obli-
53;
S . 6                                       TRAITÉ
gés à les observer. Le concile de Trente dit que plusieurs sont de tradition apostolique. Et il n'importe que S. Paul (I. Cor. n) n'en fasse pas mention; car l'apôtre parle seulement de ce que fit le Sauveur, et ces traditions ne commencèrent qu'après son ascension. Quant aux vête-mens, ils étaient prescrits déjà dans l'ancienne loi aux prêtres sacrificateurs ; et dans la nouvelle, il est cer-tain que leur usage est très-ancien, comme il est constant, par les nombreux auteurs que cite à ce sujet Bellarniin (lib. 6. cap. 24), que S. Grégoire (comme le rapporte Jean diacre dans la vie de ce saint lib. 2. c. 57) envoya en Angleterre des vêlemens et des vases pour célébrer la messe. S. Jérôme (contra Pelagian. lib. 1) écrit qu'à la messe les prèlres et le clerc portaient des vêlemens Wancs ; et S. Chrysostôme(hom. 85) donne les oraisons que doit réciter le prêtre en prenant les habits sacrés.
XXXII. Pour les temples et les autels, les novateurs les admettent, mais ils en réprouvent la consécration. Bellarmin prouve cependant (cap. 14) qu'elle est très-ancienne , comme aussi l'usage des vases sacrés. En vain Calvin oppose-t-il ces paroles de S. Ambroise : « Aurum » sacramenta non quaerunt. » (Lib. 2. de offic. cap. 28.) Le saint ne réprouve pas les vases d'or,- mais il dit que, pour la validité des sacremens, l'or est inutile; qu'aussi dans le, cas de nécessité, on peut vendre les vases sacrés. Du veste, jusque-là il les conservait.
???1?. Un autre rite rejeté par Luther et Calvin, c'est le jeûne avant la célébration : Luther dit qu'il suffît qu'on n'ait pas abusé de nourriture ou de boisson. Si le respect du sacrement, écrit-il, exigeait cela, on aurait aussi à éviter de respirer,, parce que l'air entrerait dans le corps avant Jésus-Clirisl. Étrange paradoxe! dans l'absorption
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de l'air il n'y a aucune irrévérence ; mais il y en a, certes, à prendre une nourriture terrestre avant la céleste. L'u-sage ?? jeûne est très-ancien, comme l'attestent Terlul-lien (in lib, 2. ad uxor.), S. Cyprien (lib. 2. epist. 5), S. Chrysoslôme (Hom. 27. in prior, ad Corinih. et ep, 2. ad Cyriae.), et S.: Augustin (ep. 118. cap. 6), qui dit que ce jeûne fut institué par les apôtres, inspirés du Saint-Espril, et que jusqu'alors il avait été observé dans toute l'Église, en honneur de ce grand sacrement. 11 fût pres-crit aussi par les plus anciens conciles, comme par le troi-sième de Carthage, le deuxième de Mâcon ,1e premier de Brague , le quatrième de Tolède, et enfin le concile géné-ral de Constance, qui défendit formellement de célébrer après a\oiï bu ou mangé. Mais, disent les novaieuis, lé-sus-Christ célébra après la cène; mais ce fut la cène pas-cale qui se célébrait en mémoire de la sortie d'Egypte, et celle-là ne se pratique plus. Cependant S. Paul (I. Cor. H) admet, dira-t-on , le manger avant la communion, lorsqu'il dit: «Si quis esurit, domi manducet.» Mais cela ne signifie pas qu'on dût manger d'abord et com-munier ensuite ; cela veut dire, comme l'expliquent S. Chrysoslôme, Théophylacle et autres, que si quelqu'un est pressé de la faim et ne peut attendre, il se relire chez lui pour manger.
XXXIV. Pour ce qui est des cérémonies qui s'obser-vent en disant la messe, comme les élévations des mains ou des yeux , les inclinations et les génuflexions, etc., on en trouve plusieurs exemples dans les Écritures. Bel-larmin, au ehap. 15, fait remonter à une très-haute an-tiquité l'élévation de l'hostie et du calice, la fraction du pain consacré, et son mélange avec le sang, comme aussi le chant et le son des insirumens qui étaient déjà en
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usage sous l'ancienne loi. Pieire, mailvr, réprouve la musique comme cérémonie judaïque; mais Bellarmin ré-pond que les cérémonies qui n'élaienl que les figures des réalités de la loi nouvelle sont seules à rejeter, mais non les autres, qui sont d'institution naturelle, comme le chant des louanges de Dieu, l'encens, les génuflexions, frapper la poitrine, etc.
XXXV. Uanslechap. 6 ilesl question de la messe privée, dans laquelle le prêtre seul communie, il y est dit : « Optaret » quidem sacrosancta, synodus, ut in singulis missis fi-» deles adstantes ,??? 'solum spirituali affectu,, sed sacra-» mentali etiam eucharistiae perceptione communicarent, y> quo ad eos sanctissimi hujus sacrificii fructus uberior » proveniret. Nec tamen, si id non semper fiat, propterea «missas illas, in quibus solus sacerdos sacramentaliter » communicat, ul privatas, ei illicitas damnat, sed pro-» bal, atque commendat; siquidem illae quoque missae » vere communes censeri debent : partim quod in eis po-» pulus spiritualiter communicet : partim vero, quod a » publico Ecclesiae ministro, non pro se tantum, sed pro » omnibus fidelibus qui ad corpus Christi pertinent, ce-» lebrenlur. » A celte partie du cliap. 6 appartient le can. 8., qui porte : « Si quis dixerit, missas, in quibus » solus sacerdos sacramentaliter communicat, illicitas esse, » ideoque abrogandas: anathema sit. » Apropremenl par-ler, (ou(esles messes peuvent être appelées publiques, en ?? sens que le sacrifice est public étant offert pour toute l'Église ; parce qn'encore le ministre esl public, puisqu'à l'autel il ne célèbre pas pour lui seul, mais pour tous les fidèles, comme le dit le concile de Trente : « Quod a pu-» blico Ecclesia? ministro, non pro se tantum, sed pro » omnibus fidelibus celebrentur. » Cela se prouve encore
par l'antique usage de l'Église, comme nous le voyons dans le concile d'Agde, lenu en 511, et le douzième de Tolède (can. 5, etc.). La raison elle-même le confirme, puisque, par sa nature , le sacrifice n'exige que la seule personne du prêtre, et non la présence de ceux pour qui il est offert.
XXXVI. Luther faisait une distinction : il appelait messe publique celle qui se célébrait avec le chant et l'assistance des ministres, et dans laquelle tous les fidèles commu-niaient. La messe privée était, selon lui, celle qui se disait sans chant, ou dans un oratoiie particulier, ou même celle dans laquelle le prêtre seul communiait. Celle-ci il la réprouve comme illicite (lib. de miss, priv.), et ses sectateurs ont dit de même; mais leur opinion, comme nons l'avons vu, fut condamnée dans le canon 8.
XXXVII.  C'est une erreur évidente de dire que la messe dans laquelle le prêtre seul communie est illicite, puisque la dîspensation de la victime aux assistens n'esj point de l'essence du sacrifice, comme est sa consécration et sa consommation. El même dans l'ancienne loi (Levi l. vi. 1.), quand on offrait le sacrifice pro peccato, le peuple ne mangeait point de la victime, et cependant c'était bien un
véritable sacrifice.
XXXVIII.  Les adversaires objectent premièiemenl que
cela est contraire à l'institution faite par Jésus-Christ; puisque dans la cène, il communia tous ceux qui étaient présens, et leur dit : « Quemadmodum ego eci, ita et » vos faciatis. » ( Joan. XIII. 15. ) On îépond c ue par ces paroles, le Seigneur n'a pas voulu ordonner q ie l.\ messe se célébrât avec toutes les circonstances avec lesquelles il la célébra lui-même; autrement toutes les messes de-vraient se dire après le repas du soir, de nuit, à| l'exclusion
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des femmes, etc. Le Seigneur a seulement prescrit que le célébrant communiât toujours et ne refusât pas la commu-nion à qui la demanderait.
XXXIX. Chemnice objecte que, comme le ministre de la parole divine (qui est aussi ministre public) ne peut prê-cher sans la présence du peuple ; de même le prêtre ne peut sacrifier et participer au sacrifice, sinon en la pré-sence d'autres participans. On répond qu'autre chose est sacrifier, autre chose prêcher : la prédication est un acle qui s'adresse aux hommes, le sacrifice est offert à Dieu; d'autant que le sacrifice est comme l'oraison qui profile même aux absens.
XL. On oppose encore que la messe privée est con-traire à l'ancienne pratique de l'Église, puisque dans l'ép. I. ad Cor. xi. 20, la cène du Seigneur est distinguée de la cène privée : « Jam non est dominicam coenam » manducare. » Déplus au can. 9 ou 10 des apodes, et dans le can. Peracta, dis t. 2 deconsecr. Il parait qu'on ex-cluait de la messe ceux qui ne communiaient pas. On répond sur le premier point, qu'il est là question, non de la communion, mais des agapes, où les riches invitaient les pauvres par motif de charité, à manger avec eux; et de là, S. Paul blâmait ceux qui n'agissaient pas ainsi chari-tablement : « Unus quidem esurit, alius autem ebrius est. » Num quid domos non habetis ad manducandum et » bibendum? aut ecclesiam Dei contemnitis et confun-» dilis eos qui non habent? » Ainsi l'apôtre parlait de la cène privée par laquelle on imitait celle que le Seigneur, à la dernière Pâque, mangea avec ses disciples : et bien qu'il eût parlé de l'eucharistie, il blâme ensuite ces cènes pri-vées desquelles plusieurs étaient exclus, mais non celles dans lesquelles tous n'intervenant pas, aucun n'est exclu,
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comme nos messes. En second lieu, on répond que dans ]e can. 9 apostolique, et dans le can. Peracta, bien que Ja communion y soil exigée de tous les assislans, néan-moins, il n'est point ordonné aux prêtres de s'abstenir du sacrifice, s'il n'y a point d'assistansqui veuillent commu-nier. Anciennement, le sacrifice était interdit seulement aux prêtres qui ne communiaient pas eux-mêmes, on le voit par le can. 5 du douzième concile de Tolède, où il est dit : « Quale erit sacrificium , cui nec ipse sacrificans par-» licipassedignoscelur? «Donc, déjà il était question de messe dans laquelle personne ne communiait, cependant ce concile date de 900 ans en çà.
XLI. On ne peut donc rien objecter contre la messe privée, sous quelque rapport qu'elle le soit : 1° Sous le rapport du lieu, puisque d'abord, Jésus-Christ célébra dans une maison particulière, et que les actes disent des apôtres (Act. ?.) : « Frangebant circa domos panem ; » qu'ensuite les ponlifes, au temps des persécutions, célé-braient aussi dans les maisons, dans les grottes et dans les prisons, et qu'au rapport de Bellarmin S. Grégoire-de-Nazianze, S. Ambroise et autres dirent la messe dans des maisons particulières.
XL1I. 2° Par rapport au temps; c'est-à-dire que la messe soil dite aux jours non fériés. Les adversaires ont coutume de ne célébrer que le dimanche ; mais du reste ils ne ré-prouvent pas la messe quotidienne, et ce serait bien à tort qu'on l'improuverait, car l'usage de la messe quotidienne est prouvé être celui de l'Église, comme l'attestent S. Chry-soslôme (ad Ephes. hom. 5), S. Jérôme (in cap. 1. ad Tit. ) et autres.
XLIII. 5° Par rapport à la/n pour laquelle elle est dite, lorsqu'elle est appliquée à une personne privée ou à un objet
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particulier. Mais cela ne peul cire reproché parce que toutes les messes s'offrent pour tous les fidèles vivans et morts (les damnés exceptés) comme on le voit dans les mis-sels. Ainsi si la messe est appliquée plus particulièrement à une personne qui en recevia plus de fiuit, tous les autres ne laisseront pas d'y participer. Cet usage exista de toute antiquité, comme on le voit dans le Lévitique aux chap. 4 et 5, où il est parlé des sacrifices pour le prince, pour le piètre, etc. Job (cap. i.) sacrifiait pour ses fils. Et dans la nouvelle loi, il esl constant que la messe se célé-brait aux anniversaires des saints; S. Augustin (hi). 9. conf. cap. 12.), parlant de sa sainte mère défunte, écrit : « Cum offerretur pro ea sacrificium, etc. »
XLIV. 4° Par rapport au défaut d'a&sistans. Mélanchton blâme l'Église romaine parce qu'elle fait dire la messe sans le concours de tout le peuple; mais les autres luthé-riens n'ont point de scrupule sur ce point. Du reste, nous savons que S. Àmbroise célébra dans la maison d'une dame romaine; S. Maris célébra dans sa cellule, comme l'atteste Théodoret. El S. Grégoire (lib. 4. ep. 43) in-terdit aux monastères la célébration avec le concours du peuple, afin que les religieux ne fussent pas distraits de leur recueillement.
XLV. 5°Ence que la messe soit dite dans la même église outre la messe paroissiale. Les luthériens condamnent la multiplicité des messes; mais à tort, parce que de tout temps il y a eu plusieurs prêlres dans l'Église et qu'il n'est point à croire que l'un ou quelques-uns d'eux célé-brassent et que les autres s'abstinssent. Cela se démontre encore par le nombre si grand des églises et la multipli-cité des autels dans chacune d'elles, comme il en esl fail meniion dans S. Ambroise (episl.  53), S. Grégoire
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(lib. 5. ep. 50), et S. Léon (episl, 81. ad Dioscor).
XLVI. Et enfin en ce que le prèfre seul communie ; puisque, comme nous venons de le voir, dans la messe privée se retrouve toute l'essence et l'intégrité du sacri-fice institué par Jésus-Christ. Mais ils opposent le texte : « Christus semel oblatus est. » (Hebr. ix. 28.) S.Paul parle ici du sacrifice de la croix dont Jésus-Christ a voulu que la mémoire fût renouvelée dans le sacrifiée del'auiel par lequel le fruit du sacrifice.de la croix est appliqué aux fidèles.
XLVII. Dans le chap. 4 il est parlé de l'eau qui doit être mêlée au vin : « Monel deinde sancta synodus, prce-» ceptum esse ab Ecclesiae sacerdotibus, ut aquam vino » in calice offerendo miscerent : tum quod Christum Do-» minum ita fecisse credatur; tum etiam quia e latere » ejus aqua simul cum sanguine exierit, quod sacramen-» tum hac mixtione recolitur; et cum aquae in apocalypsi » beaii Joannis populi dicantur, ipsius populi fidelis » cum capite Chrislo, unio repraesentatur. »
XLVIII. Dans le chap. 8 on dit qu'il ne convient pas que la messe soit dite en· langue vulgaire; mais il est recommandé aux pasteurs de faire une instruction sur quelqu'un des passages qui se lisent à la messe : « Etsi » missa magnam contineat populi fidelis eruditionem, non » tamen expedire visum est Patribus, ut vulgari passim » lingua celebraretur. Quamobrem , retento ubique cujus-» que Ecclesiae antiquo, et a sancta romana Ecclesia , » omnium ecclesiarum maire et magistra, probato ritu, » ne oves Christi esuriant, neve parvuli panem petant, » et non sit qui frangat eis ; mandat sancta synodus pas-» (oribus et singulis curam animarum gerentibus, ut » frequenter, inter missarum celebrationem, vel per se
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» vel per alios, ex iis quae in missa leguntur, aliquid » exponant; atque inler cetera sanctissimi hujus saciificii » mysterium aliquod declarent, diebus praesertim domi. » nkis, et festis. »
XLIX. A ce chap. 8 correspond en partie le can. 9 qui décide de trois choses : de la récitation à voix basse, de l'emploi de la langue vulgaire et de la mixtion de l'eau dans le calice : « Si quis dixerit, Ecclesiae romanae » ritum, quo submissa voce pars canonis, et verba conse-» elationis proferuntur, damnandum esse ; aut aquam » non miscendam esse vino in calice offerendo, eo quod » sit contra Christi institutionem : anathema sit. »
L. Les novateurs soutiennent que l'on doit se servir totalement de la langue vulgaire pour célébrer la messe, bien que Luther (lib. de form. missas) laisse ce point à la volonté du célébrant, mais c'est avec juste raison que l'Église romaine a précisément ordonné le con-traire; parce que (selon la remarque de Bellarmin, (Dé missa. cap. 11.) l'oblation de la messe consiste plutôt dans le fait que dans les paroles ; car l'acte même par lequel est présentée la victime, c'est-à-dire Jésus-Christ sur l'autel est la vrai oblalion, sans le concours des pa-roles. Pour ce qui est de la consécration, les paroles sont nécessaires ; mais celles-ci ne se prononcent pas pour l'instruction du peuple, elles ne servenlqu'àopérer le sacri-fice. Les paroles même de l'oblation né s'adressent point au peuple, mais à Dieu, qui entend toutes les langues. Les Hébreux eux-mêmes, dans les cérémdrn'es publiques de leur religion n'ont point quitté l'usage de la langue hé-braïque, quoiqu'elle eût cessé d'être vulgaire parmi eux depuis la captivité de Babylone. De plus, l'usage en Orient a toujours été de célébrer' en langue grecque ou
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ebaldéïque et en Occident en langue latine; et cela n'a pas cessé d'avoir lieu au temps ou parmi ces peuples ces langues ont cessé d'être vulgaires.
LI. Et cela fut nécessaire, par exemple, quant à la langue latine, en Occident, afin de conserver la com-munication entre les églises ; autrement un Allemand ne pourrait célébrer en France. Ajoutons que souvent une langue ne peut rendre la force d'expression d'une autre, et qu'ainsi, en disant la messe en divers idiomes il serait difficile de conserver l'identité du.sens des paroles. Ajoutons encore que celaiut nécessaire afin de conserver l'uniformité constante des rites de l'Église dans l'admi-nistration des sacremens et d'éviter ainsi les schismes; sans cela il serait né une extrême confusion dans celte translaction pour chaque nation du Misse^ romain en son propre idiome. Aussi les évêques de France supplièrent, d'un commun accord, Alexandre VÎI, en 4661, de sup-primer la. traduction du Missel romain faite en langue française en 1660 par le docteur Voisin; et de fait, le 42 janvier de celte même année cette condamnation eut lieu. LU. On oppose que dans le quatrième concile de Latran, en 1245, au chap. 9, il est permis à toute nation de célé-brer l'office en langue vulgaire. Il faut ici lever toute équi-voque : le concile parle là seulement 4es Grecs et des Latins qui habitaient leurs propres cités, et c'est à eux seuls que la permission fui accordée, avec injonction à chaque nation de ne célébrer que dans sa langue grecque ou latine. LUI. Pierre Soave dit que si les décrets de celle ses-sion ne fournirent point matière à discussion, c'est qu'ils étaient rédigés en style si obscur qu'on ne pouvait par-venir  à les comprendre. Mais  d'abord  c'est  là  une calomnie; car ces décrets sont si clairs qu'un lecteur quel-
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conque , du plus médiocre entendement, peut les com-prendre. Il ajoute que la prohibition de la célébration de la messe en langue vulgaire a élé seule contredite en peu de mois par les praestans. Mais si ces derniers ont dit qWl-ques mois, lui Sdàvese lève audacieusement sur ce point contre l'Église cl contre Ses pontifes , en se permettant de dire qu'ils avaient soumis le ciel à la terre. Et il s'efforce de démontrer que toutes les longues furent d'abord vul-gaires, afin d'en conclure que la messe fut dans ce pre-mier temps célébrée en langue vulgaire. Biais cela n'est point contesté par les catholiques, et ce n'est pas là l'opi-nion condamnée par le concile. Dans le can. 9., il no condamne que ceux qui soutiennent « lingua tantum vul-» gari missam celebrari debere. » El cela était justement moihé par l'antique usage de l'Église de célébrer en grec et en latin , même depuis que ces langues ne furent plus parlées; et par les considérations suivantes : d'abord parce que,' comme nous l'avons dit, il arrive souvent qu'une langue ne p%ut rendre le sens d'une autre; d'où, si l'on voulait dans chaque nation se servir de l'idiome qui lui est propre, on ne pourrait conserver l'identité des sens ni par suite l'unité dans l'Église; et de nombreuses con-troverses et des scandales en naîtraient. C'est par cette raison que les lois civiles elles-mêmes ne se traduisent pas ei sont conservées dans leur langue originelle. En outre, si chaque nation usait de son propre idiome, les prêtres ne pourraient communiquer entre eux d'un pays à un autre. Enfin, il ne convient point que les mystères de notre foi soieni chaque jour exposés au peuple en langue vulgaire, sans que les instituteurs sacrés ne les lui expli-quent belon sa capacité.
LJV. Soave accuse ensuite faussement de contradiction
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deux lettres éerites par des papes. La première de Jean VIII (epist. 47. voyez Baronius à l'année 880), où ce pape concède aux Slaves (peuple dont les Bohémiens sont venus) de dire la messe et l'office en langue slave. Mais celle con-cession même fait voir qu'alors il n'élait pas licite de cé-lébrer en langue vulgaire sans un privilège spécial; pri-vilège qui fut accordé à ce peuple sur les instances de S. Méthodius qui depuis peu l'avait converti, et de plus le pape leur accordait celle permission parce qu'il n'y avait point encore pnrmi eux assez de prêlres qui pussent offi-cier en latin.
LV. La seconde lettre est de Grégoire VII ( lib. 7. epist. 11. ), lequel écrit à ces mêmes peuples, mais deux cenls ans après, quand la religion élail généralement ré-pandue et en même temps la connaissance de la langue latine, qu'il ne-peut consentir à la célébration des offices divins en slave vulgaire, et il en donne pour raison que Dieu a voulu que l'Écriture fût obscure en quelques en-droits, parce que si elle avait élé à la^porlée de chacun, elle eût peut-être été exposée à certains mépris ou au moins, mal entendue des esprils exercés, elle les eût induits en erreur. Apiès cet examen des deux lettres, où se trouve la conlradition , Grégoire VII ajoute ensuite que la peimission accordée auliefois n'est point par elle-même une raison suffisante de la continuer; car l'Église primitive a accordé beaucoup de choses qui plus lard mieux examinées ont élé îedressées. Mais ici Soave s'é-lève avec une nouvelle fureur contre Grégoue VII, et il s'écrie : « Ainsi donc, les bonnes institutions sont lépu-» tées des corruptions et tolérées seulement pai-l'antiquité? » Et les abus introduits depuis seront préconisés» comme » des améliorations payfaiies! » Voilà comme il cracliele
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venin qu'il conservait contre l'Église. Mais où donc S. Gré-goire a-t-il appelé corruption cet aniique usage? La vérité est qu'il l'a dit corrigé ; — et cela ne s'entend pas d'illiciie à lieiie, mais de bon à meilleur ; de la même serle qu'on dit qu'une loi du Digeste a été corrigée par le Code et qu'un canon des décrélalesa été corrigé dans le sixième, sans pour cela taxeir la première loi ou le premier canon de corruption (1). Et puis, comment Soave peut-il s'ou-blier jusqu'à appeler abus introduit la prohibition de la langue vulgaire appuyée par tant de motifs.
LVI.-Au chapitre 8 correspond le can. 9, où l'on con-damne ceux qui prétendent que le rite de réciter à voix basse une partie du canon de la messe est blâmable, que la messe ne doit être dite qu'en langue vulgaire, et que l'on ne doit point mêler l'eau avec le vin dans le calice avant de l'offrir : « Si quis dixerit, Ecclesiae romanse » ritum, quo submissa voce pars canonis et verba consc-ii «rationis proferuntur, damnandum esse : aut lingua » tantum vulgari missam celebrari debere : aulaquamnon » miscendam esse vino in calice offerendo, eo quod sit » contra Christi institutionem ; anathema sit. Ï Quant à la célébration de la messe en langue vulgaire, nous en avons assez parlé jusqu'ici dans ce chap. 8. Pour la mixtion de l'eau dans le calice, Alexandre I en rend raison dans le can. « in sacramentorum, elc. de consecr. disl. 2, où ce pape s'exprime : « In sacramentorum oblationibus quae » inter missarum solemnia Domino offeruntur, passio » Domini miscenda est, ut ejus, cujus corpus et sanguis
(1) Pour comprendre cette controverse, il faut savoir que l'ex-pression dont se sert S. Grégoire peut, par une légère altération, signifier corruption au lieu de corrige: ce qui n'a point lieu en français.                                         {Note du traducteur.)
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» conficitur, passio celebretur : ila ut repulsis opinioni-» bus superstilionum, panis tantum, et vinum aqua per-» mixtum in sacrificium offerantur. Non enim debet ( ut » a patribus accepimus, et ipsa ralio docet ) in calice Do-y> mini aut vinum solum, aut aqua sola offerri, sed » utrumque permixtum, quia utrumque ex latere ejus in » passione sua profluxisse legitur. »
LYJI. Enfin, quant à la récitation, à voix basse, d'une partie du canon, et spécialement des paroles de la consé-cration , déjà mention en a été faite dans le chap. 5, où il est dit que, parmi les rites de l'Église, était celui-ci : « Ut scilicet quaedam submissa voce, alia vero elatiore in » missa pronuntiarentur. » Mais Chemnie veut, ainsi que d'aulres opposans> que cela soit contraire à l'institution deJésus-ChTÌst. Or, le concile de Trente nous enseigne le contraire, selon les documens qui nous restent de I'anti-quilé. Dans la liturgie de S. Cbrysoslôme, à un endroit de la messe se trouve cette prescription : « Sacerdos oret » secreto. » Et la même chose est encore dans la lituigie de S. Basile. Dans l'Église latine, nous avons l'Épîire pre-mière d'Innocent I, dans laquelle ce pape, s'adressant à l'évêque Eugubino, dit expressément que la panie prin-cipale de la messe est secfète. En vain dirait-on, avec Chemnie, que cela est contraire à l'institution de Jésus-Christ , qui prononça à haute voix les paroles de la con-sécration : « Hoc est corpus meum ; hic est calix, etc., » puisqu'alors cette circonstance était nécessaire pour ap-prendre aux apôtres le rite de la consécration. Et cela est encore pratiqué parles évêques dans l'ordination des prê-tres ; mais la chose n'est point étendue aux messes qui se célèbrent pour le peuple. II est vrai que, dans l'Église grecque, les paroles de la consécration sont prononcées à xix.                                                           34
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haute voix. Mais qu'importe cela? Nous ne disons pas que ce rite est illicite, nous soutenons qu'il ne l'est pas de dire ces paroles à voix basse ; nous devons donc, en ce point, obéir à l'Église selon ce qu'elle a prescrit respec-tivement aux Grecs etaux Latins. Oulre que, dans l'Église grecque, îl est ordonné de dire à voix basse d'autres pa-roles de la messe. Le cardinal Bona (lib. 2. cap. 43. rerum liturg.) pense que l'usage de dire le canon à voix basse commença dans le dixième siècle. D'autres, cepen-dani, disent qu'on ne peut prouver par aucun document ancien que, dans les premiers temps, tout se soit dil à haute voix. Du reste, que l'usage de dire à voix basse le canon soit ou non du dixième siècle , il doit nous suffire de savoir que toute l'Église d'Occident l'a ainsi pratiqué depuis 800 ans, et que celte doctrine et cet usage ont élé confirmés comme règles fixes par le concile de Trente.
LV1II. Joignons ici quelques autres noliops, touchant le mode antique de la célébration de la messe, et sur les oblatione dans les églises d'Orienl. Et d'abord, les églises grecques consistaient en trois parties, le vestibule, la nef et le sanctuaire. A présent, cependant, à cause de la pauvreté des peuples, elles n'ont plus que la nef et le sanctuaire, lequel en est séparé par une grande balus-trade divisée en trois parties. Là, n'entrent que les évê-ques , les prêtres et les diacres. L'autel ôsl isolé dans le milieu. A droite, en entrant,est un petit autel nommé protesis , ou proposition, où se préparent le pain el le vin pour la messe. A gauche, est un autre petil autel pour les babils sacrés, et tout ce qui sert au sacrifice. Le diacre, vêtu, prépare le pain dans la palène, sorte de grand bas-sin. Le pain est rond ou carré, ou en forme de croix, et toujours au moins la forme de la croix y est empreinte. Le
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prêtre, alors, plonge un couleau, en plusieurs sens, clans le pain , et, à chaque incision, le diacre dit : Prions Dieu. Puis le prêtre tranche un morceau de la croûte, en pro-nonçant ces mots : « Parce que sa vie fut retranchée de la » terre. » Et le diacre répond : Sacrifiez, Seigneur. Ensuile le piètre dépose l'hostie dans le bassin, et l'incisant de nouveau, il dit : « un des soldats lui ouvrit le coté, et il » en sortit aussitôt du sang et de l'eau. > Et le diacre ré-pond : Bénissez, Seigneur ; et en môme temps il met le vin et l'eau dans le calice. Le prêtre, enfin, découpe plu-sieurs parcelles dupoin , puis il encense les offrandes et le voile qui doit les couvrir.
L1X. Parlons maintenant des oblations. Après qu'on avait fait sortir de l'église les catéchumènes et les pénitens publics qui ne pouvaient assister à Ja messe des fidèles, une fois les portes fermées, et pendant que le,chœur chantait l'offerloiie et les autres versets, l'évêque recevait les of-frandes. Ces offrandes se composaient d'abord d'objets di-vers, mais ensuile il fut réglé qu'on ne recevrait plus en oblation que du pain et du vin, dont une portion servait pour le sacrifice et la distribution aux communians, et le reste était conservé. C'est ce que dit le P. Le Brun dans son livre des Liturgies (t. 1. p. 286. ) Et cela dura jus-qu'au neuvième siècle. Anciennement on recouvrait les offrandes avec le corporal, qui de là se nommait pallium,' d'où vint depuis le nom de palla, donné au carré de lin sur lequel on place aujourd'hui le calice, et qu'on appelle aussi animella. Les Chartreux ont conservé jusqu'à pré-sent l'usage antique du grand corporal pour couvrir le calice.
LX. Les paroles de la consécration furent toujours pro-noncées à voix basse. Le P. Chalon écrit, dans son Hie-
34.
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toire des Sacrement, que ces paroles de la consécration ne s'écrivaient point dans les liturgies, mais se transmet-taient de vive voix entre les prêtres ; et cela dura depuis le temps des apôtres jusqu'au quatrième siècle, où on lut un canon semblable au aôtre. L'eucologue des Grecs pour la messe ne diffère de noire canon qu'en ce que l'oraison « Fiat corpus et sanguis Domini nostri Jesu Christi » s'y prononce après les paroles de la consécration , « Hoc est » corpus meum ; » tandis que, dans notre canon, elle se récite auparavant, et aussitôt après les parolea, Quam oblationem, etc. Il faut noter ici ce que nous avons déjà fait remarquer, que si quelques Pères ont dit que la transsub-stantiation s'opérait par la prière du prêtre, Fiat cor-pus, etc., ils n'ont ainsi parlé que parce que les paroles de Jésus-Christ, « Hoc est corpus meum, » étaient déjà comprises et annexées à cette prière, comme on le voit dans toutes les liturgies. Notons également que le cardinal Bessarion, qui assistait en 1438 au concile de Florence, expliqua que, selon la doctrine de S. Jean Chrysostôme, ces Pères, aussi bien que nous, tenaient pour vrai que les paroles, « Hoc est corpus meum, » et les autres, Hic est calix, opéraient la transsubstantiation de la substance du pain et du vin en celle du corps et du sang de Jésus-Christ. Le rite des Cophtes, suivi par d'autres orien-taux , louchant la consécration, diffère un peu du nôtre. Le prêtrç dit: // le bénit; et le peuple répond : Amen. Le prêtre reprend : « Et le donna à ses disciples, en di-» sant : Ceci est le corps, qui est brisé et donné pour la » rémission des péchés ; » et le peuple répond : « Amen! » nous le croyons ainsi. »
LXI. Remarquez encore que S. Grégoire (au chap. 22, de rebus eccles.) écrit ces paroles : « Fuit mos apostolo-
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» runi, solummodo ad orationem dominicalem hostiam » oblationis consecrare. » De là Strabon conclut à faux que les apôlres célébraient, comme on le fait au vendredi-sainl, sans prononcer les paroles du Christ, « Hoc est » corpus meum. » Mais S. Grégoire ne dit pas que les apô-lres consacraient avec la seule oraison dominicale, mais » solummodo ad orationem dominicalem ; » c'est-à-dire, pendant qu'on récitait le Pater noster, sans exclure les pa-roles de Jésus-Christ. S. Chrysoslôme et Procule, son suc-cesseur, écrivent que les apôlres, à la messe, outre le Pater noster, ajoutaient d'autres hymnes et prières.
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XXHP SESSION.
Du sacrement de l'ortlre.
I.  Les hérétiques modernes ont fait tous leurs efforts pour soutenir qu'il fallait rejeter du nombre des sacte-mens celui de l'ordre. Aussi le concile a-l-il voulu que celle matière fût examinée avec beaucoup de soin et d'exac-titude, en plusieurs sessions, et par les théologiens de toutes les classes. Avant tout, on posa sept articles , qui contenaient toutes les erreurs mises en avant par ceux qui combattaient le sacrement de l'ordre.
II.  Art. i. Que l'ordre n'est point un sacrement, mais seulement un rite pour l'élection des ministres de la pa-role de Dieu et des sacremens. Art. u. Que l'ordre est une invention humaine, établie par des personnes ignorantes des matières ecclésiastiques. Art. m. Que l'ordre n'est point un sacrement unique, et que les ordres inférieurs ne tendent point comme degrés à la prêtrise. Art. iv. Qu'il n'y a point d'hiérarchie ecclésiastique, mais que tous les chrétiens sont prêtres, et que pour l'élection il faut la no-mination du magistrat et le consentement du peuple;qu'au reste, que celui qui a été prêtre peut redevenir laïque. Art. v. Que dans le Nouveau-Testament il n'y a pas de sa-cerdoce visible, ni de pouvoir donné pour consacrer et offrir le corps de Jésus Christ, ou pour absoudre les pé-chés, mais seulement la mission de prêcher l'évangile ;
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                         535
et que ceux qui ne prêchent plus cessent d'être prêtres. Art. vi. Que l'onction et toutes les autres céiémonies ne sont point requises pour conférer les ordres ; bien mieux, qu'elles sont inutiles et damnables, ei que l'ordre ne donne point l'Esprit saint. Art. vu. Que les évêques ne sont point supérieurs aux prêtres, qu'ils n'ont point le pouvoir d'or-donner, et que s'ils l'ont, les prêtres l'ont également ; que les ordinations faites par eux sans le consentement du peu-ple ne sonl point valables.
III. Ensuite, dans la première assemblée qui se tint, Salmeron prit la parole et dit : premièrement, que le sa-crifice et le sacerdoce sont non-seulement joints entre eux, mais inséparables ; en sorte que la doctrine qui admet l'un admet nécessairement l'autre. Secondement, que S. Augustin ( lib. 19. de civ. Dei) dislingue l'ordre or-dinaire dans lequel les choses sont disposées, et l'ordre ecclésiastique par lequel le diaconat est discerné de la prêtrise, et celle-ci de l'épiscopat. On nomme aussi ordre la cérémonie sacrée, comme écrit le maître des sentences, par laquelle on confère le pouvoir dans l'Église, et il dit que l'ordre pris dans celte dernière signification élail un véritable sacrement, comme il le prouve par les textes de S. Paul : « Noli negligere, etc., resuscites, etc., » et par le concile de Florence el le quatrième de Carlhage. Troi-sièmement, il démontre que ce sacrement avait été insti-tué par Jésus-Christ, en rappelant la doctrine des Pères, el celle du concile lui-même dans la session précédente, la vingt-deuxième. En outre par les paroles de S. Luc (XX.II. 19.) : « Hoc facile in meam commemorationem, » et celles-ci : « Accipite Spiritum sanctum : quorum rerni-» sentis peccata, elc. » (Jo. xx. 23.), par lesquelles le Seigneur, avec le souffle de l'Esprit-Saint ( insufflavit in
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eos ), communiqua à ses disciples le pouvoir dans le corps mystique, c'esl-à-dire d'absoudre les péchés. Il dit, qua-Irièmenl, que comme on le voit dans le dernier chapitre de S. Marc, lorsque Jésus-Christ donna mission à ses apôtres et les bénit, il institua par-là les évêques, comme l'enseignent S. Augustin et S. Clément Romain au lib. 8. des Constitutions Apostoliques ; et cela devait être, puis-qu'en les envoyant prêcher et fonder l'Église, il leur fallait nécessairement le pouvoir de créer de nouveaux prêlres et évêques. Cinquièmement, il ajouta que le diaconat est un véritable sacrement, selon ces paroles des Actes (e. vi. 6.) « Orantes imposuerunt in manus, » imposition par laquelle, en vertu du sacrement, la grâce de l'Espril-Sainl se communique à eux, ainsi qu'il est dit plus bas de S. Etienne ordonné alors diacre : « Erat plenus Spi-ritu sancto et praedicabat. » II combattit celle fausse opi-nion que les diacres n'élaient ordonnés que pour soigner les repas terrestres, tandis qu'ils étaient préposés à la table sainte du sacrement de l'autel et recevaient dans ce temps-là la faculté de distribuer l'eucharistie selon le témoignage de S. Clément, Evariste, S. Ignace, martyr, S. Cyprien, S. Jérôme, du concile de Néocésarée et de Bède. El si, dans quelques canons du sixième concile, il est fait men-tion de la charge qu'ils avaient de pourvoir à la nourri-ture des veuves, Salmeroh dit que ces canons n'avaient jamais été reçus par l'Église, et qu'en outre on pouvait admettre que les diacres aient eu alors la double charge de pourvoir à la nourriture temporelle et à la table sainte. IV. La même conclusion se lire à l'égard de S. Paul et de S. Barnabe quand il leur fût dit : Ite et prœdicale, puisqu'alors on leur imposa les mains et qu'il leur fut ensuite commandé d'aller prêcher, ce qui ne pouvait s'en-
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tendre du sacerdoce qu'ils avaient déjà reçu, mslis bien par conséquent de l'épiscopat. El puis, il est d t d'eux qu'ils inslituaient des prêtres dans les cités, ce qui est le propre des évêques. Salmeron dit en terminant que l'ordination imprime un caractère spirituel : d'où il con-clut que l'ordre n'est point une simple éleclicn pour prêcher la parole divine, mais un véritable sacement, un caractère conféré par le pouvoir donné par Dieu à l'É-glise. En outre, il est impossible de dire que les prêtres et les diacres puissent être constitués par les magistrats laïques, puisque leur pouvoir tout surnaturel est e e paître le troupeau de l'Église, comme il fut dit à S. Pierre le pre-mier pasteur. C'est pourquoi ce chois fut inlsrdit au peuple dans le huitième concile de Latranet celui de Flo-rence. Que si quelquefois le peuple lès a élus, <ela s'est fait par concession apostolique, mais ensuite le droit de confirmer ce choix et de donner le pouvoir spirituel n'ap-parlenail qu'à l'Église.
V. Pierre Solo, dominicain, discourut dans lai seconde ' assemblée : il dit, contre le quatrième article, que la hié-rarchie existait dans l'Église, c'est-à-dire la prééminence du pouvoir des évêques sur les prêtres, selon ce q ii est dit de S. Paul: « Posuit episcopus regere Ecclesiam.» ? Act. xx. 21.). Il cite en outre ces paroles de l'apôtre : « Obedite » praepositis vestris, et subjacete eis, etc. » (fletr. xxm. 17). Donc, il y a dans l'Église des supérieurs à qui on doit obéir. Et qn'on n'oppose pas ce que dit S. Pierre (I. Ep. II. 9.) : « Vos autem genus electum, regale sacerdo-» tium, etc., » car, dit Solo, cela s'entend du sacerdoce corporel non du spirituel. Il parla ensuite sur l'article cinq el prouva que, dans l'Église, il y avait un véritable sacerdoce. Ensuite, il soutint contre Salmeron que réelle-
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ment dans le principe le peuple élisait les ministres et il le prouva par ces paroles : « Tunc piacuil apostolis, et » viris senioribus cum omni Ecclesia, eligere viros ex eis, » ei mittere Antiochiam » (àcl. xv. 22.). Il prétendit que c'était là la véritable tradition apostolique; mais il fm eomballu par Melchior Cornélius, envoyé du roi de Por-tugal, qui soutint que le peuple assistait seulement à l'é-' leclion, pour en rendre un juste témoignage, mais qu'il n'y participait pas.
VI. Dans l'assemblée suivante, ce même Cornélius parla et dit que cette onction des piètres, dont les hérétiques font mépris, est mentionnée dans les écrits du pape Fabien, de S. Denis et d'Innocent III. (cap. 1. de sacra unct.). 11 prouve que l'évêque est supérieur au prêtre et répond à l'objection que S.Jérôme dans un endroit paraît les tenir pour égaux l'un à l'autre, en opposant que dans plusieurs autres endroits 1e S. docteur parle de la prééminence des évêques, et que dans le passage en question le Saint entend parler seulement de ce pouvoir qu'ont en effet également les prêtres et les évêques. Enfin, lorsque dans les réunions susdites et d'autres postérieures, on eût amplement discuté les sept articles des novateurs, le concile forma quatre chapitres et huit canons sur le sacrement de l'ordre.
Chap. Ier. —De l'institution du sacerdoce de la loi nouvelle.
Vil. Dans ce chapitre ? il est dit que le sacrifice et le sacerdoce ont une telle connexion que dans toute loi on les retrouve toujours ensemble. Que le sacrifice de l'eu-charistie étant extérieur ei visible selon l'institution du Seigneur, il fallait aussi reconnaître qu'un sacerdoce ex-térieur et visible avait été institué par Jésus-Christ, qui
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par-là a donné à ses apôtres et à leurs successeurs le pou-voir de consacrer et d'absoudre, selon que le démontrent les saintes Écritures et que l'enseigne la tradition : » Sa-» crificium et sacerdolium ita Dei ordinatione conjuncla » sunt, ut utrumque in omni lege exlilerit. Cum igitur » in novo Teslamento sanctum eucharistiae sacrificium vi-» sibile ex Domini institutione catholica Ecclesia acce-» peril ; fateri eliam oportet, in ea novum esse visibile » ei externum sacerdolium, in quod vetus translatum » est. Hocaulem ab eodem Domino salvatore noslro insli-» tulum esse, alque apostolis eorumque successoribus in » sacerdotio potestatem traditam, consecrandi, offerendi » et ministrandi corpus,et sanguinem ejus, necnon et » peccata dimittendi, çl remittendi, sacrae litterae osten-» dunt, et catholicae Ecclesiae traditio semper docuit. »
"VIII. Au chap. ? se rapporte le can. d , où on lil : « Si » quis dixerit, non esse in novo Testamento sacerdolium » visibile et externum; vel non esse poleslalem aliquam » consecrandi et offerendi verum corpus et sanguinem » Domini, et peccata remittendi, ei retinendi; sed oi'fi-» cium lanlum, et nudum ministerium praedicant, » prorsus non esse sacerdotes : anathema sit. »
IX.  Le can. 8 concerne aussi ce chapitre, il porte : « Si » quis dixerit, episcopos, qui auctoritate romani ponli-» ficis assumuntur, non esse legitimos, et veros epis-» copos, sed figmentum humanum : anathema sit. »
X.  Ainsi donc Jésus-Christ fut le véritable auteur du sa-cremenl de l'ordre et il a investi du pouvoir de l'exeiccr ses apôlres ei leurs successeurs, en leur donnant celui de consacrer et d'offrir le sacrement de l'autel par ces paroles : « Hoc faciteinmeam'commemorationem, » (Luc. xxn. 19.) ainsi que la faculté d'absoudre les péchés par celles-ci :
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«; Accipite Spiritum Sanctum j quorum remiseritis pec-» cala, remittuntur eis : et quorum retinueritis, retenta » sunt, » (Jo. xx. 23.)
Chap. II.—Des sept ordres.
XI. Dans le chapitre 2 il est dit que le ministère du saint sacerdoce étant une chose divine, il fut convenable que dans l'Église il y eût plusieurs ordres de ministres qui servissent et aidassent les prêtres, c'est-à-dire les tonsu-rés , les ordres mineurs et les ordres majeurs, comme il en est fait mention dans les Écritures. Personne n'ignore que, dès les premiers temps de l'Église, on exerça les ordres particuliers de sous-diacre, d'acolyte, d'exorciste, de lecteur et de portier, comme en font souvent mention les Pères et le sacré concile lui-même ; bien qu'ils ne soient pas tous égaux, puisque le sous-diaconat est compté parmi les ordres majeurs par les Pères et les conciles, lesquels font aussi très-souvent mention des autres ordres inférieurs : « Cum autem divina res sit tam sancti sacer-» dolii ministerium, consentaneum fuit, quo dignius, et » majori cum veneratione exerceri posset, ut in Ecclesiae » ordinatissima dispositione plures et diversi essent mi-» nostrorum ordines, qui sacerdotio ex officio deservirent; » ita distributi, ut qui jam clericali tonsura insigniti essent » per minores ad majores ascenderent : nam non solum » de sacerdotibus, sed et de diaconis sacrae litterae apertam » mentionem faciunt ; et quae maxime in illorum ordi-» natione attendenda sunt, gravissimis verbis docent, ei » ab ipso Ecclesiae initio sequentium ordinum nomina , » atque unius cujusque eorum propria ministeria, sub-» diaconi scilicet, acolythi, exorcistae, lectoris, et ostiarii,
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» in usu fuisse cognoscuntur, quamvis non pari gtadu; » nam subdiaconatus ad majores ordines a Patribus, et » sacris conciliis refertur, in quibus, et de aliis interio-» ribus, frequentissime legimus. »
XII.  Au chap. n correspond le can. 2, où il est dit : « Si quis dixerit, praeter sacerdotium non esse in Ecclesia » catholica alios ordines et majores, et minores, per » quos, velut per gradus quosdam, in sacerdotium ten-» datur : anathema sit. »
XIII.  Tous les ordres ecclésiastiques majeurs et mineurs se rapportent à la confession, administration et consé-cration de la sainte eucharistie, c'est à cette fin qu'ils ont tous été institués, comme l'enseigne S. Thomas, et c'est pourquoi l'ordre se définit : « Ordo est ritus sacer quo » spiritualis potestas confertur ad ea, quae ad eucharistiae » confeclionem et dispensationem pertinent. »
Pierre Soave prétend que beaucoup trouvèrent étrange celte déclara lion du concile que les ordres mineurs n'é-taient que des degrés vers les supérieurs, et tous des degrés vers la prêtrise ; car, dit-il, anciennement plusieurs clercs restaient dans ces ordres et ne passaient pas à la prêtrise. On répond que le concile ne dit pas que les ordres majeurs et mineurs ne sont que de purs degrés au sacerdoce, mais qu'il dit que dans l'Eglise il y avait plusieurs ordres mi-neurs et majeurs par lesquels comme par certains degrés on arrivait au sacerdoce. D'où il ne s'ensuit pas que plusieurs ne pussent rester dans les grades inférieurs.;
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Cbap III. — Où il est enseigné que l'ordre est im véritable sacrement.
XIV.  Dans le ehap. m le concile déclare que l'ordre est un véritable sacrement, comme cela est prouvé par l'Ecri-ture, par la tradition et par le sentiment uniforme des Pères. Il dit encore que, par l'ordination sacrée, avec l'emploi de la parole et des signes extérieurs, la grâce est conférée aux ordonnés ; d'où on ne peut douter que l'ordre soit un des sept sacremens, comme nous l'atteste l'apôtre   dans ces paroles qu'il  adresse à Timothee : « Admoneo le ut resuscites gratiam Dei quae est in te » per impositionem manuum mearum , etc. ? (2. Tim. 1. et 6. ) « Cum scripturae testimonio, apostolica traditione, » et patrum unanimi consensu perspicuum sil, per sacram » ordinationem, quœ verbis et signis exterioribus perfi-» cilur, gratiam conferri : dubitare nemo debet, ordinem » esse vere et proprie unum ex septem sanct&e Ecclesiae » sacramentis; inquit enim apostolus : Admoneo le, ut » resuscites gratiam Dei, quae est in le per impositionem » manuum mearum ; non enim dedit nobis Deus spiritum » timoris, sed virtutis, et dilectionis, et sobrietatis. »
XV.  A ce cbap. m correspond le can. 5 et 5. Le can. 5 porte : « Si quis dixerit, ordinem, sive sacram ordina-» tionem, non esse vere et proprie sacramentum a Christo » Domino institutum, vel esse figmentum quoddam hu-» manum excogitatum a viris rerum ecclesiasticarum im-» peritis; aut esse tantum ritum quemdam eligendi mi-»-nistros verbi Dei, et sacramentorum : anathema sit. »
XVI. Dans le can. 5 il est dit : « Si quis dixerit, sacram » unctionem, qua Ecclesia in sacra ordinatione ulilur, non
CONTRE LES  HÉRÉTIQUES.
» tanlum non requiri, sed contemnendam et perniciosam » esse, similiter et alius ordinis caeremonias : anathema » sit. »
XVII.  Que l'ordre soil un véritable sacrement, il ne peut s'élever là-dessus le moindre doute puisqu'il n'y manque aucune des conditions requises : 1° le signe sen-sible qui est ici l'imposition des mains (et aussi suivant d'autres la tradition des insluimens) avec la forme qui est l'oraison que prononce l'évêque, comme il est dit dans les actes, de l'ordination des diacres : « Orantes imponenies-» que eis manus, dimiserunt illos. » (Aclor. ???. 3.) Et de même pour l'ordination de Paul et de Barnabe. (Aclor. xiH. 5.) 2° La promesse de la grâce, comme nous l'atteste l'apôtre qui, écrivant à Timothee, dit : « Noli »> negligere gratiam, quae in te est, quae data est tibi per » prophetiam cum impositione manuum presbyterii. » (1. Tim. iv. 14.) Et puis S. Jean rapportant ces paroles du Sauveur : « Accipite Spiritum Sanctum : quorum re-» miseritis peccata, etc. » o° L'institution divine, comme on la lit dans les Actes (xm. 2.) : « Ministrantibus au-» lem illis Domino, et jejunanlibus, dixit illis Spiritus » sanctus: Segregate mihi Saulum et Barnabam, in opus, » ad quod assumpsi eos. Tunc jejunanles et orantes, im-» ponentesque eis manus, dimiserunt illos.
XVIII. Pour ce qui est de la matière de ce sacrement, les Grecs n'en ont jamais assigné qu'une, l'imposition des mains; mais parmi les Latins il y a eu diverses opi-nions. Les uns veulent que la matière consiste dans la tradition des inslrumens ; que les paroles de l'évêque qui l'accompagnent soient la forme et que l'imposition des mains ne soil que la matière accidentelle. D'autres veu-lent que la matière essentielle soit la seule imposition des
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mains avec la prière de l'évêque qui en est la forme, et que la tradition des instrumens avec les prières qui y sont jointes ne soient que la matière et la forme adventices accidentelles ou intégrantes pour exprimer plus aniple. ment les effets du pouvoir conféré. La troisième opinion est celle qui, pour matière, requiert l'une avec l'autre et l'imposition des mains et la tradition des instrumens comme étant toutes deux parties essentielles du sacrement avec les oraisons annexées qui en sont la forme. Dans la pratique c'est cette dernière opinion qu'il faut suivre. Du reste , l'opinion pour nous la plus probable est la seconde, savoir que l'imposition des mains est la seule matière essentielle, comme cela se prouve par les paroles de l'Ecri-ture déjà rapportées : « Tunc jejunantes et orantes, impo-» nenlesque eis ( c'ésl-à-dire à Paul et à Barnabe) ma-ii nus, dimiserunt illos. (Aclor. xin. S.)Noli negligere » gratiam, quae in le est, quae data est tibi per prqphe-» dam,cum impositione manuum presbyterii. (l.Tim. » iv. 14.) Admoneo te, ut ressuscites gratiam Dei, quae » est in  te,   per impositionem manuum mearum.  » (2. Tim. i. 6.) Et S. Ambroise : « Homo imponit manum, » Deus largitur gratiam. » (De dignit. sacerdot.) Tour-nely (tom. 2, de Sacram, p. 550 et seq.) a recueilli là-dessus de nombreuses sentences des saints Pères et dit que même dans l'Église latine, avant le dixième siècle, on n'usait que de la seule imposition des mains. Bellarmin suit la même opinion, et Maldonal (de Ordine, p. 1. qu. 5.) va jusqu'à dire que cette opinion est de foi. Estius dit (in 4. sent. dist. 24.) que ceux-là sont dans l'erreur qui veulent confondre l'imposition des mains avec l'action de présenter les inslrumens. Ainsi d'après notre opinion la seule imposition est la matière de l'ordre, et la forme
COHTBE  tES  HÉRÉTIQUES.
est l'oraison par laquelle l'évêque invoque l'Esprit Sainl. Quoi donc, répliquent nos adversaires, les paroles de l'évê-que par lesquelles il transmet le pouvoir de sacrifier : « Accipe potestatem offerre sacrificium, etc., » et d'absou-dre les péchés : « Accipe Spiritum Sanctum, quorum » remiseris peccata, remittuntur eis, etc., » ne sont point les formes du sacrement? Non, répondons-nous; mais ce sonl des déclaralions que fait l'évêque du double pouvoir conféré par l'imposition des mains et l'oraison qui l'ac-compagne.
XIX. Du reste, on doit, tout balancé, suivre la troi-sième opinion que dans l'ordination des prêtres et des diacres il soit nécessaire à la fois d'imposer les mains et de faire la tradition des inslrumens ; elle est d'ailleurs con-firmée par ce qui est dit dans le décret d'Eugène IV : « Sextum (sacramentum) est ordinis, cujus materia est » illud per cujus traditionem confertur ordo. » L'Église latine pratique la tradition des înslruinens, au moins depuis 600 ans comme on le voil dans l'ordinaire romain et dans d'aulres riluels. Merlin écrit : « Si conjecturis locus » est, anni sunt septingenli circiter, cum initium huic » addilamenlo factum est. » Et re P. Maftenne : « Hanc » instrumentorum traditionem praesentiam reperi in pon-» lificali Radbodi noviomensis episcopi ab annis octin-» geniis. » Mais tout cela n'en prouve que mieux que la tradition n'esl pas essentielle, puisque, pendant le cours de Iant de siècles antérieurs, on n'en trouve aucune men-tion , ni aucune déclarulion que le défaut de celle tradition ait invalidé une ordination. Et il paraît que le concile de Trente a lui-même adhéré à cette opinion, car dans la session 14 au chap. 5, en expliquant quels sonl les mi-nistres de l'cxlrôme-onction, il dit que ce sonl » sacerdotes ???                                                            35
S46                                       TRAITÉ
» ab ipsis (episcopis) ri le ordinati per impositionem ma-
» nuum presbyterii » qui est la seconde imposition des
mains que fait l'évêque dans la messe d'ordination, alors
qu'avec trois autres prêtres il étend les mains sur les
ordinans.
XX.  C'est ainsi que nous lisons dans les actes que les diacres furent ordonnés par les apôtres : « El orantes im-posuerunt eis manus (act. 6. 6). C'est pourquoi  nous disons que le sous-diaconat n'est pas un sacrement, puis-que dans l'ordinalion des sous-diacres, on ne fait point l'imposition des mains, comme semble l'avoir assez mo-tivé Urbain II dans le concile de Bénévent, lorsqu'il dit : « Super his solis (scilicet sacerdotibus et diaconis) prae-» ceplum apostolicum habemus. » El là dessus, Juénin (De sacr. ord. qu. 4 concl. 5 p. 438) écrit que pendant douze siècles, dans l'Église latine, le sous-diaconat n'a pas été compté parmi les ordres majeurs, comme aujour-d'hui même par les Grecs.
XXI.  Chemnice objecte que les apôtres imposaient les mains à ceux qu'ils ordonnaient, non pour leur conférer un sacrement, mais en signe de recommandation à Dieu. Mais Bellarmin répond que les Actes des Apôtres , au chap. 6, distinguent fort bien l'oraison de l'imposition des mains; et cela est encore plus clairement exprimé dans ce passage de l'épître première à Timothee (v. 22 ), où on lit : « Nemini cilo manus imposueris, neque communi-» caveris peccatis alienis. » On ne peut dire « communi-» care peccatis alienis » de celui qui prie pour un autre, quelqu'indigne qu'il soit, mais seulement de celui qui ordonne un indigne. Chemnice dit encore que dans l'Écri-ture on trouve la promesse de la grâce faite aux ordonnés, mais non celle de la grâce justifiante comme doit la donner
CONTRE LES HÉRÉTIQUES.                         647
tout sacrement. Bellarmin répond de nouveau que, quand Jésus-Christ donna à ses apôtres le pouvoir de remettre les péchés qui est une partie du sacerdoce, il leur dit : « Acci-« pite Spiritum Sanctum : » or, il est certain que> dans l'Écriture, celte expression Esprit-Saint ne désigne jamais un don que n'accompagnerait pas la grâce justifiante, et qui pourrait exister avec le péché.
XXII. Au contraire, nous pourrions dire justement, avec Bellarrain et Juénin à l'endroit cité  (concl. 6.), que l'épiscopat est un véritable sacrement (contre l'opinion d'autres qui disent qu'il n'est qu'une extension du sacer-doce) puisque nous avons pour l'épiscopat, d'abord l'ins-titution divine dans ces paroles : « Posuit episcopos regere * Ecclesiam Dei ; » nous avons ensuite le rite sensible par lequel l'apôtre dit lui-même que Timothee fut ordonné évêque; « Admoneo te, ut resuscites gratiam, quae data « est tibi per impositionem manuum mearum (II. Tim. XLI. 6. ), » lesquelles paroles renferment aussi la promesse de la grâce.
Chap. IV___De la hiérarchie ecclésiastique et de l'ordination.
XXIII. Dans ce chap. 4, le concile dit que, comme il est certain que le sacrement de l'ordre imprime un caractère, il condamne ceux qui prétendent que les prêtres du nou-veau Testament ne reçoivent qu'un pouvoir temporaire, en sorte qu'ils redeviennent laïques s'ils cessent d'exercer le ministère delà prédication. Comme aussi il condamne ceux qui avancent que tous les chrétiens sont prêtres, ou que tcus les prêtres ont le même pouvoir, confondant les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, contre ces paroles de S. Paul : « Non omnes apostoli etc. » II déclare de plus
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que, oulre les grades ecclésiastiques, les évêques, comme successeurs des apôlres, appartiennent principalement à cet ordre hiérarchique, ayant été préposés par le Saint-Esprit pour régir l'Église de Dieu; que par là, ils sont supérieurs aux prêtres, et peuvent conférer les sacremens de la confirmation et de l'ordre, et faire plusieurs autres choses interdites à leurs inférieurs. Le concile déclare enfin, que dans l'ordination, tant des évêques que des autres ordres, l'autorité du peuple ou de tout autre pouvoir sé-culier n'est point requise essentiellement, et que tous ceux qui, par leur propre autorité , s'ingéreraient de s'é-lever aux ordres, seraient des larrons, parce qu'ils ne seraient point entrés par la porte. Voici les paroles du concile : « Quoniam vero in sacramento ordinis, sicut in » baptismo et confirmatione, character imprimitur, qui » nec deleri, neque auferri potest; merito sancta synodus »? damnat eorum sententiam, qui asserunt novi Tesla-» menti sacerdotes lemporariam tantum modo potestatem » habere; et semel riie ordinatos, iterum laicos effici » posse, si verbi Dei ministerium non exerceant. Quodsi » quis omnes christianos promiscue novi Testamenti sacer-» dotes esse, aut omnes pari inîer se potestate spirituali » prœdilos affirment; nihil aliud facere videtur, quam » ecclesiasiicam hierarchiam, quae est ul castrorum acies » ordinata confundere; perinde ac si, contra B. Pauli » doctrinam, omnes apostoli, omnes prophetae, omnes » evangelistae, omnes pastores, omnes sint doctores. » Proinde sacrosancta synodus declarat prœter casteros » ecclesiasticos gradus, episcopos, qui in apostolorum » locum successerunt, ad hunc hierarchicum ordinem » prcecipue pertinere, et positos sicut idem apostolus ait, » Spiritu Sancto, regere Ecclesiam Dei : eosque presbyteris
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» superiores esse, acsacramentumconfirmationisconferre, » ministros ecclesiae ordinare; alqueilla pleraque peragere » ipsos posse, quarum functionum potestatem reliqui in-» ferions ordinis nullam habent. Docet insuper sacro-» sancta synodus, in ordinatione episcoporum, sacer-» dotum, etcselerorumordinum , nec populi, neccujusvis » secularis potestatis et magistratus consensum, sive vo-» cationem, sive auctoritatem ita requiri, ut sine ea irrita » sit ordinatio: quin potius decernit, eos, qui tanlum-» modo a populo, aut scculari potestate, ac magistratu » vocati et instituti ad haec ministeria exercenda ascendunt, » et qui ea propria temeritate sibi sumunt, omnes non » ecclesias minislros, sed .fures, et latrones per ostium » non ingressos, habendos esse. »
XXIV.  Au chap. 4 correspondent les can. 4, 6 et 7. Le can. 4 porte : « Si quis dixerit per sacram ordinatic-» nem non dari Spiritum Sanctum ; ac proinde frustra » episcopos dicere : accipite Spiritum Sanctum; aut per » eam non imprimi characterem; vel eum qui sacerdos » semel fuit, laicum rursus fieri posse : anathema sit.
XXV.  Dans le can. 6. il est dit : « Si quis dixerit, in » Ecclesia catholica non esse hierarchiam divina ordina-» lione institutam, quae constat ex episcopis, presbyteris, » et ministris : anathema sit. »
XXVI.  Dans le can. 7. on Iit : « Si quis dixerit, epis-» copos non esse presbyteris superiores, vel non habere » potestatem confirmandi et ordinandi; vel eam, quam » habent,  illis esse cum presbyteris communem ; vel » eam, vel ordines ab ipsis collatos sine populi, vel po-» teslatis secularis consensu, aut vocatione, irrilos esse; » aut eos, qui nec ab ecclesiastica et canonica potestate » rite ordinati, nec missi sunt, sed aliunde veniunt, legi-
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» timos esse verbi, et sacramentorum ministros : ana-» thema sit. »
XXVII.  Pierre Soave se révelte contre ce mot de hié-rarchie, sous lequel le concile comprend tous les ordres et grades ecclésiastiques, et là-dessus il dit : « Le mot hiérar-» chie est une expression étrangère, pour ne pas dire con-» traire aux saintes Écritures et à l'usage de l'Église » ancienne : elle a été inventée par un homme ( c'est Denis » l'Aréopagite qu'il veut dire) qui, sans doute, estancien » aussi, mais dont on ne sait guère, ni qui il fut, ni à » quelle époque il vécut ; au demeurant, écrivain am-» poule, et dont cette expression, pas plus que les autres » qu'il a inventées, n'a été employée par aucun auteur de » la même antiquité. Or, pour suivre la façon de parler » de Jésus-Christ et des apôlres, ce n'est point hiérarchie » qu'il fallait dire, mais hiérodiaconie ou hiérodulie. » Puis il ajoute: « Pierre-Paul Vergerius, dans la Valleline, faisait » le sujet de ses prédications de ces objections, et d'autres » encore contre la doclrine du concile. »
XXVIII. Soave s'appuie ici de Vergerius, un hérétique ! homme qui avait à peine une teinture des lettres, mais, plein d'audace, comme on le voit par ses livres, dont il n'est personne qui ne soit révolté. Au reste, le mot hiérarchie fut justement employé par S. Denis, qui en fit même le litre d'un de ses principaux ouvrages qui fut généralement estimé des savans. Quelques-uns ont douté que l'auteur de ce livre fût véritablement S. De-nis l'Àréopagite, mais on trouve des preuves nombreu-ses de cette authenticité, dans les saints Pères et les conciles. S. Grégoire, dans son homélie 34, le nomme Y antique et vénérable Père, et cite cet ouvrage, comme ve-nant de lui ; autant en fit S. Martin, pape, dans le concile
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de Rome ; S. Agalhon, dans l'épître à Constantin IV, em-pereur; Nicolas I, dans son épître à l'empereur Michel ; le sixième synode général, dans son acle 4 ; le septième synode dans son acte 2. De plus, S. Maxime, moine, et S. Tho-mas oni commenté cet, ouvrage dé S. Denis. Mais, quand bien même ce livre ne serait pas en effet de ce saint, il suffirait de l'estime qu'en a témoigné l'Église, pendant tant de siècles, pour que le concile ne répugnât pas à adopter une expression aussi juste, aussi appropriée à sa pensée. S. Maxime, 900 ans avant le concile, daus ses commentaires sur S. Denis, a discouru spécialement sur celle matière; S. Bonaventure, 300 ans avant le concile, a écrit là-dessus un traité avec ce titre de hiérarchie, et Jean Scoi emploie la même expression dans la défìnilion qu'il donne de l'ordre, en disant qu'il est le pouvoir de mettre à exécution tout acte spirituel dans la hiérarchie ecclé-siastique.
XXIX. Soave voulait que dans le mot hiérodiaconie, qui signifie le corps des diacres dans l'Église, s'entendît de tout l'ordre ecclésiastique, disant qu'il serait plus con-forme à l'humble façon de parler de Jésus-Christ et de l'Église. Mais nous voyons dans l'Écriture elle-même l'ordre du diaconat placé en troisième rang après les prêtres et les évêques ; comment donc le concile eût-il pu se servir du mol hiérodiaconie, en parlant de l'ordre en-tier ecclésiastique, composé des évêques , des prêtres et des diacres, sans confondre la partie inlérieure avec les deux supérieures? Mais, Soave blâme bien injustement"le concile d'avoir employé ce mot hiérarchie (qui signifie principauté), à cause qu'il serait contraire au langage de Jésus-Christ et de l'Écriture : car, en condamnant ainsi cette expression de principauté, il devait en même temps
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condamner la plupart àes saints Pères, S. Cyrille d'A-lexandrie, S. Jérôme, S. Hilaire, S. Augustin, S. Gré-goire, Bède, et autres, qui appellent les pontifes et les évêques princes de l'Église. El quand Soave dit que le concile ne devait pas se servir d'une expression qu'aucun autre concile n'avait employée, à part les autres réponses qu'on peut lui faire, il aurait dû savoir que dans le huitième synode, en deux endroits (actes 6 et 10), on a fait usage de ce mot : dans, l'acte 6, on appelle Nectaire, Ambroise et Nicephore, mémorables hiérarches, et dans l'acte 10 auchap. 14, le nom d'hiérarchique donné aux anges, est aussi appliqué aux évêques de l'Église.
XXX. Mais, laissons là les absurdités de Soave, et voyons les objections que font les hérétiques, aux choses enseignées dans ce chap. 4 du concile. Ils disent en pre-mier lieu, comme nous l'avons déjà rapporté, que tous les chrétiens sonl prêtres selon le texte de S. Pierre : « Vo-» autem genus electum regale sacerdotium, gens sancta, etc. (I. Petr; II. 9.) Mais on répond que dans cet endroit les laïques sonl improprement appelés prêtres, parce que c'esl improprement qu'on dit qu'ils sacrifient, en offrant à Dieu leurs louanges, leurs prières et leurs bonnes œuvres. Ypici comme tout cela est clairement expliqué par S. Au-gustin : « Episcopi et presbyteri pioprie vocantur sacer-» doies ; sed sicut omnes christiani dicuntur propter mys· » ticum chrisma; sic omnes sacerdotes, quoniam membra » sunt unius sacerdotis, de quibus apostolus dixit : regale » sacerdotium (lib. 20. De civil. Dei. e. 10). ? Gela se prouve encore parces paroles du Seigneur à ses apôtres : « Hoc facile in meam commemorationem. » (Lucxxii.) Donc, tous les chrétiens ne sont pas prêtres. Nons avons encore l'exemple de S. Paul et S. Barnabe qui, ordonnés
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évêques par les apôtres dans Antioche, ordonnèrent plu-sieurs prêtres : « Et cum constituissent illis per singulas » ecclesias presbyteros, et orassent cum jejunalionibus, » commendaverunt eos Domino in quem crediderunt. » (Act. xiv. 22.) Tous les fideles ne sont donc pas prêtres.
XXXI. Les hérétiques disent, en second lieu , que les évêques et les prêtres sont totalement égaux : erreur, puis-que les évêques, de droit divin, sont supérieurs aux prê-tres , en leur qualité de successeurs des apôtres, tant pour le pouvoir de l'ordination que pour la juridiction, selon la tradition apostolique et le témoignage de S. Léon et de S. Grégoire, S. Jérôme écrit : « Quid facit episcopus, ex-» cepta ordinatione, quod non facit presbyter?» Voilà donc l'évêque supérieur au prêtre, au moins quant à l'ordination. Pour la juridiction, nous avons ce passage de S. Paul, dans son épître à Timothee : « Adversus pres-byterium accusationem noli recipere, nisi duobus aut » tribus testibus. » (I. Tim. v. 19.) Aélius fut le premier qui émit cette opinion erronée, que les prêtres étaient égaux aux évêques; et pour cela, il fut compté au nom-bre des hérétiques par S. Augustin. (De liserés, cap. 53.) L'opinion contraire est exprimée par S. Ignace, martyr, S. Cyprien, S. Jérôme. Elle l'est également par S. Clé-ment (Epist. 4. ad fratrem Dom.), où on lit : « Epis-» copos vicem apostolorum gerere, discipulorum prefeby-» teros. » S. Épiphane (Hœres. 75) écrit : « Episcopum et » presbyterum aequalem esse, quomodo erit possibile? » S. Ambroise (cap. 5. in ep. 1. ad Tim.) dit : « Posl epis-copum diaconi ordinationemsubjicit, quare? nisi quia » episcopi et presbyteri una ordinatio est, sed episcopus » primus est, ut omnis episcopus presbyter sit, non ta-
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» men omnes presbyteri episcopi. » Le concile de Trente, comme nous l'avons déjà noté, condamne, dans le can. 7, ceux qui disent : « Episcopos non esse presbyteris supe-sriores; vel eam (potestatem) quam habent, illis esse » cum presbyteris communem. » El dans le chap. 4 même il paraît déclarer expressément que cela est de droit divin.
XXXII. On objecte en premier lieu que l'Écrituie ne fait pas de distinction des évêques et des prêtres ; d'où il faut conclure] qu'ils sont égaux. Nous ne nions pas que, quanta offrir le sacrifice eucharistique, et à quelques au-tres fonctions, les évêques et les prêtres ne diffèrent en rien ; et c'est quant à ces choses qu'ils sont confondus dans l'Écriture, mais non pour ce qui est de l'ordination et de la juridiction. On objecte en second lieu que S. Jé-rôme écrit expressément que le prêlre est autant que l'é-vêque ·. « Idem presbyter qui episcopus. » Nous répon-drons, 1° que ces mots ne se trouvent pas dans les œu-vres du saint, de l'édition de Rome et de Cologne, mais seulement dans celle de Bàle, qui reçut plusieurs correc-tions d'Erasme, de Roleidam. 2° Nous dirons avec Jué-nin (De sacr. ord.) que les prêtres de l'Église primitive recevaient en acte second, c'est-à-dire en pratique, le pouvoir d'exercer la juridiction des évêques; mais, en première action, elle appartenait tout entière aux évêques. Les luthériens eux-mêmes n'accordent pas à tous leurs prê-tres ou ministres, comme ils les nomment, le pouvoir d'ordonner, mais seulement à ceux qu'ils appellent surin-tendans; bien qu'un d'eux, Lomer, dise qu'ils ne recon-naissent pas de prêtres, et il parle juste, car ils ne peu-vent se vanter d'avoir parmi eux d'évêques légitimement ordonnés.
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XXXIII.  Quant à savoir ensuite si les simples prêtres peuvent, par dispense, donner les ordres mineurs, comme on dit que quelques abbés religieux en ont le privilège, c'est une question. Du reste, il est certain, comme nous l'avons vu plus haut dans le chap. 4 et le can. 7 , que le concile déclare que le ministre de l'ordre est l'évêque; et cela est confirmé par la tradition de tous les temps· Aussi, ce n'est pas sans raison que Juénin (De sacr. ord. qu. 4. in fin. concl. 2. p. 449.) lient pour certain que le sim-ple prêtre ne peut être le ministre, même extraordinaire, de l'ordre.
XXXIV. On objecte, 1° que, dans le premier concile de Nicée, et particulièrement dans l'épître adressée à l'Église d'Alexandrie, il est dit que le pouvoir ordinandi et eos qui clero digni fuerint nominandi, élait accordé aux prêlres qui n'avaient pas adhéré au schisme de Mélèces. Tournely répond (pag. 363, in fin.) que ce pouvoir n'était pas ce-lui d'ordonner les minisires de l'Église, mais seulement d'approuver et de confirmer, par leur suffrage, l'éleclion du peuple, sans attendre l'approbation des autres mem-bres du clergé ; et il ajoute qu'il regarde comme faux ou altéré le can. 13 du concile d'Ancyre, où il serait dit : « Non » licere nec presbyteris civitatis ordinare sine litteris epis-» copi in unaquaque parochia; » et qu'on doit lire: « Sed » nec presbyteris civitatis sine lii Ieris episcopi in unaquaque » parochia aliquid agere, » interprétation conforme à la discipline antique, laquelle interdisait aux prêlres l'exer-cice de leur propre ministère en présence de l'évêque, si-non par ses ordres.
XXXV. On objecte, 2° qu'Eugène IV, dans son décret adressé aux Arméniens, dit que l'évêque est le ministre ordinaire du sacrement de l'ordre ; d'où on conclut que
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les prêtres peuvent être ministres extraordinaires. On ré-pond que, par ces paroles, le pontife n'a point voulu af-firmer que les prêlres pussent être les minisires extraordi-naires de l'ordre.
XXXVI.  On objecle , 5o qu'Innocent VIII, en 1489, donna la faculté à l'abbé de Cileaux de conférer le diaconat et le sous-diaconal à ses moines ; et Vasquez (in 5. P. S. Th. Disp.245. cap. A) atlesle qu'il a vu celle bulle, qui est conservée dans leur collège de Alcala de Henares. Mais l'exis-tence de celle bulle a élé mise en doulepar S. Thomas, Syl-"v'ius, Navarre el autres ; et Tournely (pag. 368) dil que nulle part on ne (rouve un autre exemplaire de celle bulle, pas même dans le Bullaire; de plus, que, dans la supplique de l'abbé, il n'est articulé aucune autre demande que celle de renouveler leur privilège de pouvoir ordonner leurs moines de la première lonsureel des ordres mineurs; d'où il suivrait que tout le resle esl faux ; d'autant plus que le concile de Trente (sess. 23. cap. 40. de reform.) défend aux abbés de conférer la première tonsure et les ordres mineurs à d'autres qu'à leurs moines.
XXXVII.  On oppose l'axiome : « Qui potest majus, ??-? lest et minus. » Or, le prêtre peut consacrer l'Eucha-ristie; il peut remettre les péchés, qui sont choses plus grandes ei plus élevées que l'ordre. Pourquoi donc ne pourrail-il pas ordonner? 11 faut ici   distinguer : qui peut le plus, peut aussi le moins, dans le même génie ou  le même ordre. Par exemple, qui peut absoudre les péchés plus graves , peut aussi absoudre les plus lé-gers ; mais cela n'arrive pas quand le genre des choses change : certainemeni c'est une plus grande chose de re-met ire les péchés que de ressusciter les morts; mais, avec cela, les prêlres n'ont pas le pouvoir de ressusciter. El, en
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parlant même des choses de môme genre, le simple prê-tre peut absoudre les péchés, mais non les péchés ré-, serves.
XXXVIII. En outre, à la fin de ce même chap. 4, le concile dit que, pour l'ordination des ministres sacrés, « Nec populi, nec cujusvis secularis potestatis, et magis-tratus consensum, sive vocationem, sive auctoritatem » ita requiri, ut sine ea irrita sit ordinatio : quin potius » decernit, eos qui tantummodo a populo, aut seculari » potestate, ac magistratu vocati, et instituti, ad haec » ministeria exercenda ascendunt, et qui ea propria te-» meritate sibi sumunt, omnes non Ecclesias ministros, » sed fures et latrones per ostium non ingressos habendos » esse. »
La vocation extraordinaire est celle par laquelle Dieu ordonne immédiatement, comme fut celle de S. Paul; l'ordinaire est celle qui règle les supérieurs qui régissent l'Église, comme sont le pape et les évêques; d'où il suit que la religion enseignée par Luther et Calvin est certai-nement fausse, puisque ces promulgateurs l'ont enseignée sans vocalion ordinaire ni extraordinaire. Les luthériens veulent que l'on reçoive la vocalion de minislre de la re-ligion du suffrage du peuple et de l'autorité du magistrat. Mais leur erreur est palpable, parce que de tels ministres doivent êlre appelés de la même manière que Jésus-Christ appela ses disciples, et leur donna mission de fonder son Église , sans recours à aucun consentement du peuple ou du magistrat. Nulle part on ne lit qu'un prêtre ait jamais été ordonné par un autre que par un évêque. S. Clément (dansle can. 1 ) dit : « Presbyter ab uno episcopo ordine-» lur. » Et S. Arnbroise (in cap. S. ep. 1. ad Tim.) écrit : « Neque enim fas erat, ut inferior ordinet majorem ; nemo
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» enim tribuit, quod non habet. » Aussi le Seigneur dit à ses disciples, en leur ordonnant de propager la foi, et leur donnant le pouvoir de consacrer les évêques et les prêtres : « Sicut misit me pater, et ego mitto vos. » ( Jo. xx. 21.)
XXXIX. Il est vrai que, dans les premiers temps, le peu-ple assistait à l'élection des ministres; mais c'était là une concession purement gratuite, comme aujourd'hui encore quelques laïques jouissent du privilège de nommer ou pré-senter à certains bénéfices ecclésiastiques ; mais ils n'ont jamais pu eux-mêmes instituer ni ordonner. Aussi, quand le peuple assistait aux élections, il n'y faisait rien de plus que d'attester hautement la moralité des ordinans, selon ces paroles de l'apôtre : <v Oportet illum et testimonium » habere bonum ab iis qui foris sunt. » (I. Tim. HI. 16.) Et, de fait, ce sérail un véritable désordre de voir les bre-bis se choisir leur pasteur.
§ I«. Du célibat pratiqué dans l'Église par les clercs qui ont reçu les ordres majeurs.
XL. Luther et tous les novateurs, improuvent l'Église, en ce qu'elle oblige ceux qui reçoivent les ordres majeurs an célibat. Us soutiennent qu'il est impossible à des hommes sains, d'observer le célibat, sans un vrai miracle, et de là ils concluent que le mariage est nécessaire à tous, et que la continence obligée des ecclésiastiques est cause de mille désordres et de mille crimes. Mais, quoi qu'en disent ces nouveaux maîtres dans la foi, il n'en restera pas moins certain que le célibat est un état plus parfait. El si le calviniste Picénin demande comment on peut prouver que le célibat soit plus parfait ? nous le prouverons d'abord
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avec S. Paul (I. cor. vu. ), lequel conseille à tous ceux qui sont continens d'embrasser l'état du célibat; comme il l'avait fait pour lui-même. « Volo enim omnes vos esse » sicut me ipsum. Dico autem non nu plis aut viduis, » bonum est illis, si sic permaneant, sicut et ego : quod » sise non continent nubant. » (Ibid. f. 8 et 9.) Et puis il ajoute : « Solutus es ab uxore?Noliqucerere uxorem. » Puis encore au verset 35, il déclare de nouveau, que l'état conjugal est bon, mais que le célibat est meilleur : « Igi-» luretqui matrimoniojungitvirginemsuam, benefacit, » et qui non jungit, melius facit. »
XLI. La raison vient également démontrer l'excellence du célibat. Le même apôtre dit que celui qui est lié à une femme, ne peut moins faire que de s'occuper des choses du monde, et de s'employer pour plaire à son épouse, et ainsi son cœur se trouve divisé entre le monde et Dieu ; au lieu que celui qui n'a point de femme n'est attentif qu'à plaire à Dieu, et ainsi son cœur n'est point divisé, mais est tout à Dieu : « Qui sine uxore est sollicitus est quae Do-» mini sunt, quomodo placeat Deo; qui autem cum uxore » est, sollicitus est quae sunt mundi, quomodo placeat » uxori et divisus est. » (Ibid. f. 53.) L'apôtre termine en disant qu'il ne prétend obliger personne au célibat, mais qu'il le conseille à ceux qui veulent servir Dieu sans empêchement, avertissant par là que les gens mariés ont mille empêchemens à servir Dieu comme ils le voudraient.
XL1I. Si donc le célibat convient à tout séculier qui veut se donner entièrement à Dieu, et le servir sans em-pêchement, combien plus convient-il aux prêtres qui, par état, doivent être tout entiers à Dieu , et leut occupés des choses qui se rapportent à sa gloire? Les prêtres et lévites
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de l'ancienne loi devaient, pendant l'année où ils servaient au temple, se tenir séparés de leurs femmes, et Dieu punit les fils d'Hélie pour avoir manqué à ce précepte: or, combien n'est-il pas plus juste que les prêtres de la nou-velle loi, qui sont assignés pour le sacrifice de l'agneau divin, soient étrangers aux femmes? S. Paul voulait que les gens mariés eux-mêmes observassent la continence à de certains temps, pour mieux s'appliquer à l'oraison : « Nolite fraudare invicem, nisi forte ex consensu ad » tempus, ut vacetis orationi. » (I. Cor. vu. 5.) Or, combien plus le prêtre, doit-il être détaché des choses du monde pour vaquer au service de l'aulel de la divine ma-jesté, et veiller au bien commun du prochain en prêchant, confessant, assistant les moribonds, toutes charges qui exigent des soins constans, et un étal continuel d'oraison, qui seul peut les faire bien opérer. S. François de Sales avait entrepris la conversion d'une vieille hérétique qui, après l'avoir fatiguée de mille objections et difficultés, en vint à lui exposer celle qui lui paraissait la plus grave, et c'était qu'elle ne pouvait concevoir pourquoi l'Église avait défendu le mariage aux ecclésiastiques? Le saint lui ré-pondit : « Ma sœur, si j'eusse été marié, chargé d'une femme et de mesenfans,aurais-je pu passer si long-temps à écouler et à résoudre vos doutes et vos objections, en si grand nombre? Assurément non. » Ainsi, il la satisfit et lui ferma la bouche. Aussi, l'apôtre voulut que les évê-ques, les prêtres et même les diacres, observassent la continence, elil en écrit ainsi à Timothee : « Oportet ergo » episcopum irreprehensibilem esse, unius uxoris virum, » sobrium, prudentem, ornatum, pudicum, etc. » (S. ad Tim. m. 2.) Et parlant des diacres, il dit de même : « Dia-» conossimiliter pudicos, etc. » (Ibid. f. 8. )
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XLIII. Dans l'Église grecque, l'usage a été que les évê-ques s'abstinssent de contracter mariage, ou d'en user s'ils l'avaient contracté. Quant aux prêtres, s'ils se trouvaient mariés avant d'entrer dans les ordres, on leur permettait l'usage du mariage; mais ils ne pouvaient le contracter, une fois ordonnés. Voilà pour l'Église grecque; mais dans l'Église latine, jusqu'à nos jours, il n'a été permis aux prêtres et aux diacres, pas même d'user du mariage déjà contracté. Voici ce qu'écrit S. Clément dans le can. 27. Apost. : « Innuptis, qui ad clerum provecti sunt, prœcipi-» mus ut solis lectoribus et cantoribus liceat, si voluerint, » uxores ducere ; » d'où on voit combien est faux ce qu'a-vance Picenin, que S. Pierre et tous les apôtres eurent et retinrent des femmes, puisque le seul S. Pierre en eut une, comme on le sait par sa belle-mère, nommée dans l'Évangile, et qu'après son apostolat il la quitta, comme nous l'apprend Terlullien : « Petrum solum invenio mari-» tum per socrum, cseleros, cum maritos non invenio, aut » spadones inlelligam necesse est aut continentes. » (Tert. Monogam. cap. 8. ) S. Jérôme accorde à Jovinien (ex su-perfluo) que les autres apôtres avaient eu des femmes, mais il ajoute qu'après avoir embrassé l'apostolat ils les quittèrent : « Petrus, etcaeteri apostoli, ut ei ex superfluo » interim concedam, habuerunt quidem uxores, sed quas » eo tempore acceperant, quo Evangelium nesciebant. Qui » assumpti postea in apostolatum relinquerunt officium » conjugale. » La pratique constante de l'Église latine, af-firme S. Jérôme, a toujours été qu'à l'exemple des apô-tres, les évêques, les prêtres et les diacres fussent choisis vierges, ou du moins qu'ils observassent la continence après leur élection : « Apostoli vel virgines fuerunt, vel ? post nuptias continentes ; episcopi, presbyteri, diaconi, xix.                                                           56
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» aut virgines eliguntur, aut vidui, aut certe post sacerdo-» tium in aeternum pudici. » (S. Hieron. ap. pro libris conira Jovin ad Pammach. in fin.) Nous voyons encore que la conlinence fut ordonnée par le deuxième concile de Carlhage, au can. 2, où il est dit ; « Omnibus placet ut » episcopi presbyteri, diaconi, vel qui sacramenta con-» treclant, pudicilise custodes, etiam ab uxoribus se absli-» neant. Et praemittitur; ut quod apostoli docuerunt, et » ipsa servavit antiquitas, nos quoque custodiamus. » La môme chose esl clairement établie par le premier de Nicée (can. 13), où il est dit que les ecclésiastiques ne doivent point admettre de femmes dans leurs maisons : « Praeter » matrem, sororem , amillam; » donc les femmes étaient exclues. La même chose fui décidée par les conciles d'Aix-la-Chapelle, de Mayence et de Worms. Les cenluriateurs en ont donc imposé, lorsqu'ils ont avancé que l'usage du célibat avait été introduit un peu avant l'an 400, mais avec une grande résistance de la part du clergé, dont plu-sieurs membres se montrèrent désobéissans.
XL1V. Du reste, le célibat ecclésiastique se trouve en-core confirmé par le pape Sirice (Epist, ad Himcr. Tarra-con.), par Innocent I (Ep. 1. ad Vitric.), et par S. Léon (Ep. ad Anasl.), comme aussi par les conciles de Turin, de Carthage, de Tours, de Tolède, et plusieurs autres ci-lés par le cardinal Golli dans son livre de la Vraie Église etc. (loin. 2. art. 5. § 4. n. 14), et qui ont ordonné la conlinence aux évêques, aux prêtres et aux diacres, puis-que le sous-diaconat ne fut déclaré ordre sacré que dans le douzième siècle, et empêchement dirimant au mariage par le premier concile de Latran , en 4125 (can. 21 ), et le deuxième de Lalran, en 1139(can. 7). Picenin pré-tend que Polydore Virgile (lib. 5. de invent, cap. 4) a
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écrit que l'usage du mariage des prêtres se conlinua jus-qu'au temps de Grégoire VII; mais ici Poiydore ne parle que des seuls prêtres de la synagogue, ei Grégoire ne porta point sur ce sujet une loi nouvelle; il s'attacha à remellre en vigueur l'ancienne, comme l'affirme Lambert dans ses Annales, où, parlant de ce pontife, il dit : « Hil-» debrandus decreverat, ut, secundum inslilula anliquo-» ium canonum .presbyteri uxores non habeant.» Le célibat des ecclésiastiques fut d'abord de conseil, puisdeprécepte. XLV. Picenin assure avec audace que plusieurs anciens évêques eurent des femmes, et les gardèrent; et puis, de tout ce nombre d'évêques mariés, il n'en cite que deux, Grégoire de Nazianze et Démélrien. Il prétend que Gré-goire le jeune était né de Grégoire l'ancien, au temps de l'épiscopat de celui-ci ; mais le cardinal Golti, dans le tom. 3 de la Vraie Église, etc. (art. 5. § 3, p. 220.), prouve, par des documens certains, que S. Grégoire le fils ne pouvait avoir élé engendré depuis l'épiscopat de son père; tandis que, de son côté, Picenin ne s'attache nullement à prouver, comme il aurait dû le faire, que Grégoire l'ancien avait eu un fils depuis son épiscopat, comme il le prouve seulement pour Démélrien. Et d'ail-leurs, il est hors de doute que dans ces temps-là, si quel-quefois on élut évêques des hommes mariés, ce n'était que sous la condition de se séparer de leurs femmes après leur élévation à l'épiscopat; et c'est ce que nous atteste S. Jérôme, lequel, écrivanl contre Vigilante, dil : ? Orien-» lis Ecclesiae JEgypû, aut sedis apostolicae, aut virgines » clericos accipiunt, aul continentes. » 11 est vrai que l'É-glise a vu avec douleur, en Angleterre, au temps de la reine Elisabeth, beaucoup d'évêques prendre ou garder des femmes pendant leur épiscopat. Mais, comme l'écrit
36.
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Sanderus ( lib. 3. de Schism. anglic. pag. 403 et 404), à. celte époque, on n'eût pas trouvé un homme honnêle qui donnât sa fille à un évoque, pensant que de pareilles unions étaient plutôt un concubinage qu'un véritable ma-riage. Elisabeth elle-même, tout en favorisant le mariage de ses évêques, ne permettait pas à leurs femmes l'entrée de sa cour.
XLVI. Mais venons aux objections de nos adversaires. On oppose d'abord ce texte de la Genèse (1.22.) : « Cres-» cite et multiplicamini. » Donc le mariage est commandé à tous. On répond que ce ne fut pas là un précepte, mais une bénédiction pour la propagation de la race humaine, et même des animaux; car une semblable bénédiction leur fut aussi adressée; et si jamais ce fut un précepte pour les hommes, il fut borné au temps où le genre humain commençait, Mais depuis lors, le précepte n'a point obligé chaque homme en particulier, mais le genre humain en général; autrement Élie, Jérémie, S. Jean-Baptiste, et tant d'autres qui s'abstinrent du mariage, auraient péché en cela ; ce que nul ne se permettra de dire
XLYII. 2* Objection. Mais, dit-on, les patriarches,hom-mes si saints, et les prêtres de l'ancienne loi, étaient tous dans les liens du mariage. Si cet argument avait quelque va-leur, on pourrait dire aussi qu'il serait loisible à nos prêtres d'avoir plusieurs femmes, puisque ces patriarches et ces prêtres anciens en avaient légitimement plusieurs. Et en effet, l'impie Bernardin Ochin raisonnait ainsi; mais quand il voulut propager cette erreur dans Genève, il en fut chassé par les habitans, comme blasphémateur. Dieu élut Abraham, Isaac, Jacob, et les autres descendam d'A-braham , pour propager la race dans laquelle devait s'in-carner le Verbe divin, suivant la promesse de Dieu à Abra-
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ham : « In semine tuo benedicentur omnes gentes. (Genes. ???. 18.) Jésus-Christ, au contraire, appela ses disciples, non pour propager une race, mais la foi parmi les na-tions , par la prédication : « Euntes docete omnes gen-» tes. » (Math, xxvm 19.) Ainsi les patriarches seuls eu-rent besoin de femmes, non les apôtres. De même aussi, pour parler des prêtres anciens, le Seigneur permit le mariage à Aaron et aux lévites, voulant restreindre le sa-cerdoce à leur seule tribu, ce qui nécessita que les prêtres prissent des femmes pour perpétuer ce sacerdoce antique. Mais le sacerdoce de la loi nouvelle n'est point restreint à une race particulière ou à un seul peuple, et dans celte loi ce n'est point la filiation qui donne le sacerdoce, mais la vocation divine.
XLYIII. En troisième lieu, on oppose ce que S. Paul écrit à Timothee, touchant les évêques et les diacres: «Oportet episcopum esse unius uxoris virum (I. Tim. II. 5.) Diaconi sint unius uxoris viri. » (Ibid. v. 12.) Mais ces textes de l'apôlre ne sont pas un précepte fait aux évêques et aux diacres d'avoir une femme, mais seulement urie inlerdiction de choisir aucun évêqne ou diacre qui aurait eu plusieurs femmes et serait bigame. C'est ainsi que l'explique S. Jean-Chrysoslôme. (Hom. ?. 1. ad Tim.) Quand S. Paul veut que l'évêque soit marié à une seule femme, il n'ordonne certes pas aux évêques d'être mariés : « Non hoc veluti sanciens dicit, quasi non » liceat absque uxore episcopum fieri. » Autrement, tant d'anciens et saints évêques, qui gardèrent toujours la con-tinence, ou n'auraient pas entendu le sens des paroles de l'apôtre, ou auraient péché en ne s'y conformant pas. S. Jérôme fait la même réponse à Jovinien, qui opposait ce même texte de S. Paul ; et le saint observe que l'npôlrc
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ne dil pas « EJig.'ilur episcopus, qui imam habeat uxo-» rem, ci filios facial, sed qui unam habuerit uxorem » unius uxoris virum; qui unam uxorem habuerit, non «habeat.» (Lib. I adv. Jovinian. in cap. 5.) Notez non habeat el S. Chrysoslòme (?? ?. Tim. 5 et in cap. 1 ad Tim.) fait la même remarque, savoir que bien que ces évoques ou diacres aient pu avoir une seule femme, chacun d'eux devait s'en séparer après son ordination.
XLIX. On oppose en quatrième lieu un autre texte de S. Paul, où on lit : « Doctrinam dœmoniorum.,.. prohi-» benlium nubere. »(l.Tim. iv.lel 5.) Mais cela s'entend de ceux qui prétendent astreindre de force les laïques au célibat, ce qui ne peut s'appliquer au cas de ceux qui, spontanément, ont embrassé l'état ecclésiastique. Mais, dit Picenin, si l'apôlre dit que le mariage esl honorable danslous: « Honorabile connubium in omnibus, » (Hébr. 13. 4.) commenl peut-il ne pas l'être dans un évêque, un prêtre ou un diacre? On répond que l'évêque, le prêlre ou lo diacre devant être entièrement occupés de cœur el de pensée aux choses de Dieu el de l'Église, dont ils sont les minisires sacrés, le mariage serait pour eux inconvenant puisqu'il leur apporterait des causes de détournement, l'amour d'une femme , le soin des enfans , l'entrelien de la famille. C'est donc avec sagesse que l'Égîise a défendu le mariugeà ses ecclésiastiques, qui ont volontairement em-brassé leur état.
L. Cinquièmement. On oppose cet autre texte de S. Paul (I cor. ix. 5.) : « Numquid non habemus potestatem » mulierem sororem circumducendi, sicut etcseieri apos-» loli et fratres Domini et Cephas? » Ainsi, dit-on, Pierre et les »utres apôtres pouvaient mener avec eux leurs femmes. Mais l'apôtre ne dit pas : « Mulierem conjugem, vel
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» uxorem, » mais : « mulierem sororem, s Ccssceurs étaient de pieuses femmes, qui accompagnaient les apôtres, et leur préparaient leurs alimens, comme l'indique le verset précédent : « Numquid non habemus potestatem mandu-» candi et bibendi? » C'est ainsi que ce texte est expliqué par S. Chrysoslôme, Théodore!, Théophile et S. Augustin (Deop. monach. 4 et 5), ainsi que par Tertullien qui l'a ainsi écrit avant tous (De monogamia cap. 8.) : «Non » uxores demonstrat ab aposlolis circumduclas.... Sed » simpliciter mulieres, qui illis eodem instituto quo et » Dominum comilanles, ministrabant. » Clément d'A-lexandrie écrit de même (1. S. stromol.) : « Nonutuxores » sed ut sorores circumducebanl mulieres. » ?? S. Jérôme: « Perspicuum est non uxores intelligi, sed eas, quae de sua » substantia ministrabant. » (Lib. 4 contra Jovinian.) Il répond ainsi, à ce même Jovinien qui lui opposait ce texte de S. Paul. : « Et ostendit eas germanae in spiritu » fuisse, nonconjuges.» (Ibid.) Outre cela, Picenin oppose encore le can. Omnino, dist. 31 où Léon IX dit : « Non » licere episcopo, presbytero, diacono, subdiacono pro-» piiam uxorem causa religionisabjicere a cura sua. » Mais il ne remarque pas que ces paroles ne vont pas du tout à son but ; car le pontife ajoute immédiatement : « Scilicet » ut ei victum et vestitum largiatur non ut cum illa, ex. » more, carnaliter jaceal; » El le pontife conclut ainsi, touchant le texte de S. Paul cité plus haut : « Vide inspi-» ciens, quia non dixit : Numquid non habemus po-» leslalem sororem mulierem amplectendi sedcircumdu-» cendi, scilicei ut de mercede praedicationis suslentarentur » ab eis; nec tamen foret deinceps ìnler eos carnale con-» jugium. » LI. On objecte sixièmement que dans le can. 3 du premier
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concile de Nicée, il est dit que nul n'avail dû se séparer de sa femme, laissanl la liberté àPanuzziusde se marier, et se bornant à défendre, par ce canon, l'abus des femmes étrangères: « Nolite episcopo, presbylero, diacono, sub-» inlroduclam habere mulierem. » Mais le cardinal Gotti, danslet. 4, p. 222. n. 10, invoque Socraleet Sozomène, lesquels ont écrit que les Pères du concile permirent aux évêques, aux prêtres, aux diacres, de se servir des femmes qu'ils avaient déjà (comme il esl permis aux Grecs), mais non de les prendre depuis leur ordination, comme le veu-lent les adversaires, en s'appuyanl de l'exemple de Panuz-zius. Duieste, le cardinal Baronius regarde comme suspecte l'histoire de Panuzzius, et avec raison ; car, dans le can. 5 précédent, du même concile, onne trouve rien dedéterminé en faveur des femmes des évêques ; mais on y défend aux ecclésiastiques d'avoir chez eux, d'autres femmes que leur mère, leur sœur, et leur tapie. « Interdixit per omnia » magna synodus, non episcopo, non presbylero, non » diacono, nec alieni omnino qui in clero est, licere sub-» introductam habere mulierem, nisi forleaut matrem, » aul sororem, aut amiltam, vel eas tantum personas, quae » suspicionem effugiunt. »
§ II. Du vœu de continence.
LU. Luther improuve ce vœu comme téméraire, les hommes, selon lui, ne pouvant absolument l'observer, et delà, il aliaque l'Église qui, dans tous les siècles, ou a commandé, ou a au moins approuvé la continence dans ses ministres. Les plus grands saints qui ont brillé dans l'Église, sont ceux qui ont fait partie du clergé, ou d'un ordre religieux, et ont observé le vœu de chas-
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leté. Picenin dit que la nature nous appelle au port du mariage, et il dit bien, dans le sens de la nature char-nelle et animale, mais non dans celui de la n£ Iure rai-sonnable et sage. Il serait sans doute téméraire, ce ui qui se confierait dans ses propres forces, pour faire et .garder un tel vœu ; mais non, celui qui, avec l'apôtre dirait, se con-fiant en Dieu : « Omnia possum in eo qui me conifortat. » (Phil. iv. 13.)
LUI. Nos ecclésiastiques et nos religieux, en aisant ce vœu, n'ont pas la présomption de l'accomplir par leurs propres forces ; mais ils ne cessent point de prier humble-ment la divine bonté qui les a appelés à faire ce vœu, de leur prêter Îe secours nécessaire pour persévérer lans une exacte continence; et Dieu ne les laisse pas maiquerdu secours nécessaire pour lui rester fidèles. Le oncile de Trente (sess. 24. can. 9) condamne ceux qui disent : « Posse omnes contrahere matrimonium qui noi sentiunt » se castitatis, etiam si eam voverint, habere donum : » anaihema sit ; cum Deusid recte petentibus non deneget, » nec patiatur nos supra id quod possumus tentari. «Ainsi, le Seigneur ne manquant jamais à donner la grâce de per-sévérance à qui la lui demande avec sincérité, s quelque ecclésiastique vient à faillir à son vœu, la faute er est toute à lui. Les novateurs veulent que le maintien di ce vœu soit une chose impossible, el soutiennent qu'il est con-traire à l'ordre de Dieu. Mais alors, tant de saints que nous honorons aujourd'hui sur les autels, et qi i ont fait un tel vœu, ont donc transgressé les ordres célestes? Et si le célibat est contraire à l'ordre divin, comment S. Paul a-l-il pu dire qu'il valait mieux que le mariage? « Igitur » et qui matrimonio jungit virginem suam bene facit, el • qui non jungit,   melius facit. » (I. Cor.    II. 38.)
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Comment cet apôtre pouvait-il conseiller aux veuves de ne pas se remarier, disant qu'en cela il parlait suivant l'esprit de Dieu? « Beatior autem erit, si sic permanserit, » secundum meum consilium ; pulo autem quod et égo » spiritum Dei habeam. » (Ibid. f. 40.) Ce n'est donc point une témérité que le vœu de continence, quand on se confie à Dieu , et qu'on observe ainsi le conseil de l'apôtre; c'est bien plutôt une témérité, et une grande témérité, que d'improuver ceux qui suivent ce conseil, exalté non-seu-lement par S..Paul, mais par le sauveur lui-même, lors-qu'il dit : « Pt sunt eunuchi, qui seipsos castraverunt » propter regnum coelorum. » (Malt. xix. 42.)
LIV. Mais comment l'Église peut-elle défendre le ma-. riage? L'Église ne le défend pas aux personnes libres ; elle dit ftvec l'apôtre : « Qui vult, nubal, ta ? lu m in Domino. » (I Cor. vu. 59. ) Pour celui qui, volontairement, s'est lié par le vœu de chastelé, l'Église lui commande de le garder, et le châtie avec justice s'il y manque. Personne n'est lenu à faire des vœux ; mais si quelqu'un s'engage ainsi, pour une chose envers Dieu, le Seigneur exige qu'il tienne sa promesse: « Si quid vovisti Deo, ne moreris reddere; » displicet enim ei infidelis et stulta promissio ; sed quod-» cumque voveris, redde. » (Eccle. v. 5.)
§ III. Notions sur les anciennes coutumes touchant le sacrement de l'ordre.
LV. Aux premiers temps de l'Église, il n'y avait que des évêques, des prêtres et des diacres. Dans le concile de Rome, sous le pape Sylvestre, il est aussi fait menlion des sous-diacres, des acolytes, exorcistes, lecteurs, portiers et gardiens des martyrs, En Afrique, en place des gardiens,
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il y avait l'ordre des psa'msles ou chantres. Ces ordres étaient plus ou moins nombreux, suivant les lieux et les temps. Les Grecs n'eurent que les évêques, les prêtres, les diacres, les sous-diacres et les lecteurs, comme l'écrit S. Denis (c. 5). Du reste, on peut dire que tous les ordres mineurs sont d'institution divine , puisque Jésus-Christ, en donnant à ses apôtres la mission d'établir son Église, leur donna en i%me temps le pouvoir d'instituer les ministres qui paraîtraient nécessaires à la célébration et à la dignité des saints mystères. Le sous-diaconat, jus-qu'au douzième siècle, ne fut pas ordre sacré, puisque dans le concile de Bénévenl, en 1091, il est dit que la prêtrise et le diaconat sont les seuls ordres sacrés, et Pierre le Chantre, qui mourut en 1197, écrit (lib. de verb. mirif. ) que le sous-diaconal venait d'être récemment dé-claré sacré. Les Grecs ordonnent les sous-diacres, el les lecteurs avec l'imposition des mains. Wiclef, Luther et Calvin ne font aucune distinction d'ordres entre les clercs elles laïques, sinon d'après la volonté des supérieurs.
LVI. Anciennement on n'ordonnait que ceux qui étaient précisément nécessaires au service des églises de l'évêque, en sorte que l'ordonné était de suite mis en fonction de sa charge. Les ordinations sans emploi furent prohibées par le concile de Chalcédoine. Celte discipline resla en vigueur jusqu'au onzième siècle. Et le concile de Trente, (sess. 25. de réf. cap. 16.) considérant que la discipline s'était relâchée sur ce point, statua que nul ne serait or-donné sans bénéfice et que seulement en cas de nécessité ou d'utilité pour l'Église quelques-uns pourraienl être ordonnés avec leur patrimoine. Anciennement, pour les prêtres, on exigeait l'âge de 50 ans, 25 pour les diacres, et pour les évêques 50, selon les constitutions apostoliques
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(lib. 2. e. 1); mais pour les évêques l'âge fut ensuite réduit à 50 ans.
LVII. Quant aux ordres intermédiaires, comme le rap-porte le P. Marlene (lib. 1. cap. 8. art. 3), le pape Zosime régla que celui qui dès l'enfance aurait été attaché au service de l'Église resterait au grade de lecteur jusqu'à l'âge de 20 ans au moins. Puis celui qui serait entré plus âgé au service de l'Église devait rester cinq ans lecteur ou exorciste; quatre ans encore acolyte ou sous-diacre, et en-suite il pouvait recevoir le diaconat dans lequel il restait encore cinq ans après lesquels il pouvait être élevé au sa-cerdoce si l'évêque l'en jugeait digne. Cependant la né-cessité du service de l'église, même dans les anciens temps, faisait abréger le temps des promotions surtout quand on entrait dans le clergé après avoir mené la vie monastique, comme l'écrit le pape Gélase (epist. 9. cap. 1 ). Ancien-nement même on ne faisait pas de difficulté d'élever à la prêtrise, sans qu'ils eussent été diacres, ceux qui étaient distingués par un grand mérite, d'après l'opinion que les ordres supérieure contenaient virtuellement les infé-rieurs, et ce fut ainsi spécialement que S. Cyprien et S. Augustin furent ordonnés prêtres. Quant au temps fixé pour les ordinations, le pape Gélase écrit (epist. 9. cap. H ) que les ordinations des prêtres et diacres ne peu-vent se faire que pendant les jeûnes du quatrième, du septième et dixième mois, et en outre, au commence-ment du carême et dans la semaine médiane, le samedi au soir. La même chose fut décidée dans le concile de Rome sous le pape Zacharie.
LV1II. La tradition des inslrumens accompagnée de la formule : « Accipe potestatem, etc., » ne date pas de plus de 500 ans, d'après le P. Morin (de ordin. exerc.
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6. c. 2. ), et le même auteur (ex. t. c. 2. ) dit que l'im-position des mains qui se fait après la communion de la messe avec la formule : « Accipe Spiritum Sanc-» tum, etc., » est plus récente encore que la tradition des instrumens. Morin écrit aussi (ex. 3. c. 1.) qu'avant le neuvième siècle, aucun rituel ne fait mention desinslru-mens avec lequels on ordonne aujourd'hui les prêtres et les diacres, mais seulement de l'imposition des mains.
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XXIV SESSION.
Du sacrement de mariage.
I. Avanl d'en venir à dresser les canons louchant cesacre-meni, le concile voulut dans une coiirle explication expo-ser la vraie doctrine de la manière suivante : Le premier père du genre humain, inspiré du Saint-Esprit, déclara indissoluble et perpétuel le lien du mariage , alors qu'il dit : « Hoc nunc os ex ossibus meis et caro de carne mea... » quamobrem relinquet homo patrem suum et malrem et » adhaerebit uxori suai et erunt duo in carne una. * (Gen. II. 23.) Puis le Sauveur nous a enseigné plus clairement encore que dans le mariage deux peisonnes étaient jointes pour ne foire qu'une même chair; car, rapportant ces dernières paroles  comme proférées par Dieu même, il dit : « Itaque jam non sunt duo, sed una » caro. » (Mallh. 19. Marc. 40.); et de suite il confirme ainsi la perpétuité du lien, déjà déclarée par Adam : « Quod ergo Deus  conjunxit,   homo  non separet.  » (Matth. xix. 6.)
II.  Quant à la grâce qui sanctifie les conjoints et rend indissoluble leur union, le même Jésus-Christ, auteur des sacremens, nous l'a méritée par sa Passion, ce que l'apôtre exprime foit bien dans ce passage : « Viri, diligite » uxores vestras,  sicut Christus dilexit Ecclesiam, et » seipsum tradidit pio ea ; » ajoutant aussitôt : « Sac/a-
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» mentum hoc magnum est ego autem dico in Christo et » in Ecclesia. » (Ephes. 5. 32. )
HI. Étant donc certain que le mariage sous la nouvelle loi est supérieur en grâce, par Jésus-Christ, aux mariages anciens, c'est à bon droit que les sainls Pères, les con-ciles et la tradition de toute l'Église ont toujours enseigné qu'il devait être compté parmi les sacremens de la loi nouvelle, contre les novateurs qui non-seulement ont mal parlé de ce sacrement, mais qui, selon leur coutume, et alléguant faussement l'Évangile, admettant la liberté de la chair, au grand scandale des fidèles * ont avancé les pro-positions les plus contraires au sentiment de l'Église ca-tholique et a la pratique approuvée par les apôtres. C'est pourquoi le concile, voulant s'opposer à leur audace, a jugé bon d'exterminer leurs erreurs par les anathèmes suivans;
IV. Dans le can. 4 il est dit : « Si quis dixerit matri-» rnonium non esse verum et proprie unum ex septem » legis evangelicae sacramentis a Chrislo Domino insiitu-» tum, sed ab hominibus in Ecclesia inventum , neque » gratiam confère : anathema sit. »
V.  Les anciens hérétiques condamnaient le mariage comme dangereux et blâmable ; mais Dieu lui-même dès le commencement du monde l'a déclaré bon et louable, par ces paroles : « Dixit quoque Dominus Deus : Non est » bonum hominem esse solum ; faciamus illi adjùiorium » simile sibi. (Gen. II. 48. ) El cela est confirmé par l'a-pôtre : « Igitur et qui matrimonio jungit virginem suam » bene facit. » (I. Cor. vu. 38.) Luther et Calvin et leurs sectateurs ne nient pas que le mariage ait élé institué par Dieu , mais ils nient qu'il soit un sacrement. Launoix, de son côté, dans son traité (De regia in malr. pol. par. 4.
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a. 2. c. 11.) donne dans l'excès opposé en s'efforçant de prouver que même avant Jésus-Christ, et sous la loi na-turelle, le mariage était un sacrement. Erreur; car si les anciens ont donné le nom de sacrement au mariage, ils l'ont ainsi appelé improprement en tant que le mariage est pris pour une chose spirituelle ou conduisant aux biens spirituels. Il n'est pas dputeux que le mariage, indissolu-ble en tant que contrat naturel, tire son origine de la loi naturelle; puisque, par le mariage, la propagation de la race humaine est favorisée et l'éducation des enfans plus assurée ; aussi la fornication est condamnée même par la loi naturelle. Or tout ce qui appartient à la nature se rap-porte à Dieu, auteur et de la nature e( du mariage : « Re-» linquethomo (dit Adam) patrem suum et matrem, et » adhaerebit uxori suae, et erunt duo in carne una, » (Gen. 25.) Aussi le concile de Trente (sess. 24. sub initio ) a-t-il dit : « Quibus verbis perpetuum et indisso-» lubilem esse matrimonii nexum primus parens, divini » Spiritus instinctu, pronuntiavit. » Et c'est là ce qui mo-tivait le reproche que Jésus-Christ faisait aux Pharisiens qui lui demandaient s'il était permis de répudier sa femme : « Non legistis... dimitlet homo patrem, etc.? » comme nous venons de le rapporter, et puis il ajouta : « Quod » ergo Deus conjunxit, homo non separet. » (Matth. xix. 4.) Mais tout cela ne fait pas comme le prétend Launoix que le mariage ait été sacrement avant l'Évangile.
VI. De leur côté, les novateurs errent aussi (comme nous l'avons dit) en refusant au mariage la qualité de sa-crement. Il suffit pour établir cette qualité de voir qu'il possède tout ce qui constitue les vrais sacremens, savoir : 1° qu'il y ait un signe sensible d'une chose surnaturelle, 2° qu'il ait été institué par Jésus-Christ ; S" qu'il soit ac-
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compagne de la promesse de la grâce. Or, 1. dans le ma-riage il y a un signe sensible qui est le consentement exprès des époux et qui est symbole d'une chose surnaturelle, c'est ce que nous témoigne S. Paul : « Sacramentum hoc » magnum est; ego autem dico in Christo et Ecclesia. » ( Ephes. v. 32. ) Luther et Calvin objectent ici que le mot sacrement en grec signifie seulement mystère ou chose se-crète. Mais Bellarmin répond avec raison (De matr. cap. 1. controv. 1. ) que dans l'endroit cité le mariage est démon-tré sacrement non pas seulement par le mot de sacrement, mais par loute la contexture du passage qui fait voir que le mariage n'est pas seulement le signe d'un contrat naturel mais aussi d'une chose surnaturelle, puisque l'apôtre ajoute immédiatement : ? Ego autem dico in Christo » et iu Ecclesia ; » paroles qui démonlrenl clairement que le mariage n'est point un simple mystère, mais le sym-bole d'une chose surnaturelle, Bellarmin fait ensuite cette réflexion fort juste, que pour cela l'apôtre après les pa-roles : « Propter hoc relinquet homo patrem et matrem » suam, et adhaerebit uxori suae, et erunt duo in carne » una, » ajoute aussitôt : « Sacramentum hoc magnum » est : ego autem dico in Christo et in Ecclesia. (Ephes. v. 31 et 52. ) Le pronom hoc se rapporte nécessairement à ce qui précède : « Relinquet homo , etc. » S. Paul dit sacra-mentum hoc; c'est-à-dire que l'abandon par l'homme de son père et de sa mère pour vivre avec son épouse, magnum est. Et pourquoi grand ? Parce que ce sacrement repré-sente l'union de Jésus-Christ avec son Église. Mais, dit Érasme, quel grand mystère y a-t-il à dire qu'un homme se joinî à une femme. Bellarmin répond que le mystère ne consiste pas dans la conjonction charnelle des époux, mais dans la qualité de celle union d'être indissoluble par xix.                                                           37
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où elle représente la conjonction perpétuelle de Jésus-Christ
et de l'Eglise.
VII.  Tout cela est enseigné de même par les saints Pères. Bans le commentaire attribué à S. Ambroise, il est dit : « Mysterii saeramenlum grande in unitate viri ac feminae » esse significat. » S. Jérôme, sur ce passage, écrit : « Id » ipsum per allegoriam in Christo interpretatur et inEc-» clesia, ut Adam Christum et Eva prœfiguraret Eccle-y> siam. » Kt ici s'appliquent ces paroles de S. Grégoire de Nazianze : « Scio quia locus iste ineffabilibus plenus » sit sacramentis, et divinum cor quœrat interpretis; ego » autem pro pusillanimitale sensus mei in Christo interim » illud et in ecclesia intelligendum puto. Proinde magnum » mysterium (ajoute Bellarmin ), de quo Paulus loquitur, » in ipso conjugio ponit, quatenus Christi et Ecclesiae » coniunctionem repraesentet. » De même S. Jean Chry-soslôme (hom. 20 in epist, ad Ephes.) reconnaît l'exis-tence d'un grand mystère dans le mariage. De  plus, Luce III, pape, avant l'année 400, dit que celui-là pense différemment que l'Église, qui nie que le mariage soit un sacrement. La même chose se retrouve dans S. Justin (Dial. cum Triphone), S. Clément d'Alexandrie (lib. S Strom.), S. Ambroise (lib. 1 De Abraham cap. 7) ; et S. Augustin (lib. 1 De nupt. et concup. c. 40), écrit: « Saeramenlum nuptiarum commendatur fidelibus con-» jugalis; unde dicit apostolus : Viri diligite uxores ves-» Iras.» Etdansunaulreendroit (Defideetoper. cap. 7.), il dit : « In Ecclesia nuptiarum non solum vinculum, sed » etiam sacramentum commendatur. »
VIII.  Chemnice objecte qu'avant S. Augustin / aucun Père n'a appelé le mariage  un sacrement; mais il se trompe : car S. Léon I, qui vivait 150 ans avant S. Augus-
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tin, appelle sacrement le mariage, et S. Chrysostôme qui fut aussi antérieur à S. Augustin (hom. 20 in ep. ad Ephes.) s'exprime ainsi : « Mysterium magnum esse in » conjugio insolubili viri et feminœ. » S. Ambroisequi précéda S. Augustin et S. Chrysoslôme écrit (Ex comment, in cap. 5 ad Ephes. lib. 1 De Abraham cap. 7.) : « Qui » sic egeril,.peccal in Deum, cujus legem violât, et gratiam » solvit ; et ideo, qui in Deum peccat, sacramenti coelestis » amittit consortium. » Le pape S. Syrice (ep. cap. A) parle de même, et condamne comme sacrilège de con-tracter un nouveau mariage du vivant du preaiier conjoint : la même chose est dite par Innocent I (ep. 9 ad prob.) et S. Cyrille (lib. 2 in Joann. cap. 22). Nous savons encore que le mariage a été reconnu comme sacrement par le concile de Constance (sess. 15), par celui de Florence1, dans le décret d'Eugène IV aux Arméniens, et parle con-cile de Trenle (sess. 24 sub initio), où il est dit que le mariage » merito inter nova legis sacramenta anrwmeran-» dum sanctissimi Patres nostri, concilia, et universalis » Ecclesiae traditio semper docuerunt, » Et la plus grande preuve que le mariage soit un sacrement, c'est le consen-tement et l'autorité de l'Église universelle, tant grecque que latine.
IX. Ainsi donc, on ne peut nier la première condition qui est, que dans le mariage il y a un signe sensible fi-gurant une chose surnaturelle. En second lieu , on ne peut nier non plus que le mariage ait été institué par Jésus-Christ et élevé à la dignité de sacrement, ou quand le Sauveur assista aux noces de Cana elles bénit, ou même quand irramena le mariage au premrer élal d'Adam , en disant : « Dimittet homopatrem et matrem, et adhaerebit » uxori suœ, et erunt duo, in carne una. » Et qu'il
37.
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ajouta : « Quod ergo Deus coniunxit, homo non separet. » (Mallh. xix. 5 et 6.)
X. Troisièmement, on ne peut douter qu'au mariage ne soit attachée une promesse de grâce. Cela se déduit de ce que dit l'apôtre(I. Tim. ?. ?5) : « Salvabitur per fi-» liorum generationem, si permanserit in fide et dilec-» tione, et sanctificatione, cum sobrietate. » Tous dons qui sont les fruits de la grâce du sacrement. La promesse de la grâce est encore contenue dans la déclaration que fait le Seigneur de l'indissolubilité du  mariage, au même chapitre de S. Matthieu (xix. f. 9). « Dico autem vobis » quia quicumque dimiserit uxorem suam, nisi ob forni-» cationem, et aliam duxerit moechatur. On ne peut en effet, supposer que le Seigneur ait constitué le mariage indissoluble, sans y attacher la grâce, puisque, sans un secours humain, il eût été impossible aux forces hu-maines d'observer celle indissolubilité. Disons en outre, que sans la grâce, le mariage n'eût pas été un remède contre la concupiscence, car, par lui-même, il servirait plutôt à l'allumer qu'à l'éteindre. Aussi le concile de Trente (sess. 24 sub initio), dit que Jésus-Christ, l'auteur des sacremens, nous a, par sa passion, mérité la grâce « quae naturalem illum amorem perficeret, et indissolu-» bilem unitatem confirmaret. » Selon l'exhortation de l'apôtre : « Viri, diligite uxores vestras , sicut Christus » dilexit Ecclesiam. » (Ephes. v. 25.) Et puis le concile ajoute: « Cum igitur matrimonium, in lege evangelica » veteribus connubiis per Christum gratia praestet; me-» rilo inler novae legis sacramenta annuntiandum, etc. XI. Dans le can. 2 il est dit :  « Si quis dixerit licere » christianis plures simul habere uxores, et hoc nulla lege » divina esse prohibitum : anathema sit. » La polygamie
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est de deux sortes : successive, ou simultanée. La succes-sive est licite comme l'apôtre le déclare : « Dico autem » non nuptis et viduis : bonum est illis si sic permaneant » sicut ego; quodsi non se continent nubant; melius est » enim nubere, quam uri. » ( I. Cor. vu. 8 et 9.) Paroles où l'on voit que l'apôtre conseille à ceux qui iie sont pas mariés de se passer du mariage, mais ne le leur défend pas. D'autre part, la polygamie simultanée, c'est-à-dire d'avoir à la fois deux femmes ou deux maris, est entiè-rement prohibée par la loi nouvelle, comme opposée même à la loi naturelle. Luther dit dans son explication de la Genèse, au chapitre xvi, et les anabaptistes pensent comme lui, que l'Église, vu l'exemple des patriarches, ne peut condamner la multiplicité des femmes ; mais Jésus-Christ dit le contraire dans S. Matthieu (xix. 9) : « Dico » autem vobis quia quicumque dimiserit uxorem suam, » nisi ob fornicationem, et aliam duxerit, moechatur.» Et plus haut, dans le même chapitre xix, t· 3, les pharisiens lui ayant demandé : « Si licet homini dimittere uxorem » suam quacumque ex causa, » le Seigneur leur répond : « Non legistis quia qui fecit hominem ab initio, mascu-» Ium et feminam fecit eos et dixit : propter hoc dimittet » homo patrem et matrem, et adhaerebit uxori sua ? Itaque » jam non sunt duo, sed una caro. Quod ergo Deus con-» junxit, homo non separet. » Or, si l'homme se joignait à plusieurs femmes, « non esset una caro, » comme s'accordent à le dire tous les saints Pères cités par Bellar-min(cap. 10. De malrim.). On ne nie point que les pa-triarches et les autres Juifs n'aient eu plusieurs femmes et légitimement, comme l'atteste le Deuteronome, xxr, 15. Mais, Dieu le leur permit alors, par dispense, selon les circonstances convenables de ces premiers temps, comme
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l'écrit S. Augustin (lib. S. de doclr. Christ, c. 17.) Aussi, voyons-nous que Dieu dit à Abraham qu'il eût à suivre les conseils de Sara, son épouse : « Audi vocem » ejus. » (Gen. xxi. 12.) Et que Sara lui persuada de prendre aussi pour femme Agar, sa servante. Mais, dira-t on, si la polygamie simultanée est opposée même à la loi naturelle, comment pouvait-elle être permise aux pa-triarches? On répond que la polygamie est opposée aux fins secondaires du mariage, mais non à la principale qui est la propagation de l'espèce, laquelle fin importait sur-tout au temps des Juifsqui, comme nous l'avons dit avec S. Augustin, a été spécialement considéré.
XII. Il n'est pas vrai ensuite que les patriarches eussent une seule épouse, et que leurs autres femmes fussent pu-rement des concubines pour la génération. Tournely (De malr. qu. v. pag. 528. in fine) répond que s'il en eût été ainsi, ils auraient violé le lit conjugal : ils avaient des femmes de deux ordres; du premier, était une épouse unique, épousée avec solennité, et dont les fils recueillaient seuls l'héritage paternel; puis les femmes du second ordre étaient épousées d'une manière toute privée, et leurs enfans n'entraient point en partage de l'hérédité, mais seulement recevaient des secours ou dons parliculiers de leur père, comme il esldil d'Abraham (Gènes, xxv. 6.): « Dedit Abraham cuncta, quae possidebat, Isaac; filiis » autem concubinarum largitus est munera. * Ces se-condes femmes étaient appelées, tantôt concubines, et tantôt épouses, comme on le voild'Agar, Cetura, Balael Zelf.1, secondes femmes d'Abraham. Et Dieu lui-même dit à David : « Dedi uxores Domini tui insinumtuum. » (II. Reg. xii.) Du reste, comme il a été dit, la loi évan-gélique a totalement interdit d'avoir plusieurs femmes.
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Malgré lout cela, Luther (auquel adhérèrent ensuite Mé-lanchlon elBucer) eul l'audace de donner permission par un rescrit formel (rapporté par Bossuet, dans son livre des Variations de l'Hérésie, etc.) à Philippe, landgrave de Hesse, de se marier avec une seconde femme, du vivant de la première, ce qui, certainement est contre le droit divin positif, et comme nous le croyons aussi, contre le droit naturel, bien que Juénin le pose eh question (lom. vu. De malr. p. 459 in fine v. Quaeres).
XIII.  Dans le can. 5 il est dit : « Si quis dixerit, eos » tantum consanguinitatis gradus , qui Levitico expri-» munlur, posse impedire matrimonium contrahendum; » et dirimere contractum ; nec posse Ecclesiam in non-» nullis illorum dispensare; aut consliluere, ul plures » impediant, et dirimant : anathema sit. »
XIV.   El dans le can. 4 on lit :  « Si quis dixerit, » Ecclesiam non poluisse constituere impedimenta ma-» trimonium dirimentia, vel in iis constituendis errasse : » anathema sit. »
XV.  Pierre Soave, discourant sur ces deux canons, fait l'objection suivante : « Mais si le contrat du mariage est un sacrement antérieurement à l'Évangile et à l'Église, comme l'Église ne peut altérer un sacrement, elle ne peut non plus altérer ce contrat (1). »
XVI.  Nous répondons à celte objection : « Première-ment; il n'esl pas vrai qu'avant l'Évangile le mariage fût un sacrement. Tous les sacremens ont été inslilués par
(1) II ne faut pas donner ici et dans ce qui suit au mot contrat son sens vulgaire français. On doit entendre par là la convention humaine et matérielle de se prendre l'un l'autre pour époux.
{Noie du traducteur,)
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Jésus-Christ, et parmi eux le mariage. II est certain en-suite que dans le mariage, le contrat est par sa nature distinct du sacrement; en sorte qu'à proprement parler, le conlral peut exister sans le sacrement, bien que cela n'est et n'a jamais été permis par l'Église. Il est vrai aussi que 1P pouvoir de l'Église iie s'étend pas jusqu'à l'altéra-tion des sacremens ; mais elle peut bien altérer le conlral, en y apportant certaines conditions ou limites, et par là empêcher que le conlral ne soil sacrement, comme il était auparavant ; et alors elle ne change pas la matière du con-sentement, mais elle rend les futurs époux inhabiles à contracter mariage. Ainsi, l'Église peut poser des lois et déterminer quelle sorle de conlral peut légitimement constituer le mariage. D'où il vient, comme conséquence nécessaire, que, comme elle peut établir des empôchemens opposans et môme des dirimans, comme le dit le concile, non pas « de jure divino, » mais seulement « de jure « humano, » elle peut aussi relever par dispense de ces empêchemens. (Voyez Juénin. De rnatrim. p. 469 in princ. et p. 471. t· Quaeres.)
XVII. Dans le can. 5 on lit : « Si quis dixerit propter » haeresim, aut molestam cohabitationem, aut affectatam » absentiam a conjuge, dissolvi posse matrimonium : » anathema sit. »
XVIII.  Le lien du mariage est, de droit naturel, indis-soluble et entre les fidèles et entre les infidèles, selon que Dieu l'a déclaré à Adam : « Relinquet homo patrem suum » et matrem, et adhaerebit uxori suœ, et erunt duo in » carne una. » (Gènes, H. 23.) Comme nous l'avons dit plus haut, celui qui contracte un double mariage ne fait plus une seule chair, mais au contraire il la divise. Il y a celte seule différence, entre le mariage des fidèles et celui
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des infidèles, que ce dernier peut être rompu, dans le cas où, l'un des époux se convertissant, l'autre ne veut plus cohabiler ou y consent « sed non sine blasphemia divini «nominis, » ou que celui-ci s'altacheà induire sonconjoinl à pécher. Dans ces trois cas (qui sont noies dans le chap. Quanto 7. De divort.) le fidèle peut contracter mariage avec une autre personne fidèle, et cela se'conclut des pa-roles de l'apôtre : « Et si qua mulier fidelis habet virum » infidelem, et hic consentit habitare cum illa , non di-
» miilal..... Quodsi infidelis discedit, discedat;  non
» enim servituti subjeclus osl frater aut soror in hujus * modi. » (I. Cor. vu 15 et 15.) Du reste la conver-sion des deux époux est loin de dissoudre le mariage comme le déclare Innocent III ( in cap. Gaudemus 8. eodem tit. de divort. ) par ces paroles : « Per baptismum, » non solvuntur conjugia, sed dimittuntur crimina. » Mais le mariage entre fidèles ne se rompt jamais, encore que l'un des époux embrasse l'hérésie ou même l'idolâtrie, comme il a été dit plus haut dans le can. 5, puisque outre la loi naturelle dictée par Dieu à Adam, il y a la loi divine positive imposée par Jésusr-Christ en ces termes : « Quod Deus conjunxit, homo non separet (Marc. x. 4.), et de plus déclarée par S. Paul. (I. Cor. vu. 59.) Le mariage avec les hérétiques est valide, mais il n'est point permis aujourd'hui, à moins que le pape n'accorde des dispenses en vue du bien commun, comme on en a vu plusieurs exemples (voyez Tournely. De matrim. page 500). Quant à savoir si le mariage régulier et non con-sommé peut être dissout, il en sera question dans le canon suivant.
XIX. Dieu permit encore aux Juifs la répudiation qui emporte la dissolution du lien, à la différence du divorce
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qui n'entraîne que la séparation de corps. Cela se voit dans le Deutéronome (xxiv. \) où on lit que les Juifs pouvaient dato libello prendre une aulre femme et ren-voyer de la maison la première : « Si acceperit liomo uxo-» rem, et habuerit eam, et non invenerit graliam ante » oculos ejus, propter aliquam fcediialem, scribet libel-» Ium repudii, et dabit in manus illius, et dimittet eam » de domo sua. » (Deut. xxiv. i.) Et dans ce cas, la femme pouvait se marier à un aulre. (Voyez Tournely. De malr. coin pend. pag. 436. prob. 2. ) En outre Juénin écrit (tom. 7. De maliim. art, 2. concl. 1. p. 461), qu'il était bien permis aux Juifs de prendre une aulre femme, mais qu'ils péchaient, « si ductas uxores dimitterent a » domo et thoro. * Une telle répudiation fut ensuite ré-prouvée par Jésus-Christ dans la loi nouvelle. Les phari-siens faisaient deux questions au Seigneur : la première, si le mari pouvait chasser sa femme de son lit; la seconde s'il pouvait en épouser une aulre. Jésus-Christ répondit à la première question qu'il était permis pour cause d'adul-tère de la femme de se séparer d'elle, et sur la seconde, qu'il n'élail point permis de reprendre une autre femme du vivant de la première : « Dico aulem vobis quia qui-» cumque dimiserit uxorem suam nisi ob fornicationem, » et aliam duxerit, moechatur. » (Matth. xix. 9.) Et ici, il faut remarquer que les paroles « nisi ob fornicationem » doivent se joindre au membre de phrase précédent; « qui-» cumque dimiserit uxorem suam, » c'est-à-dire que celui-là pèche qui se sépare de sa femme « nisi ob fornicalio-» nem, » ei non pas au membre suivant « et aliam duxerit, » c'est-à-dire qu'il soit licite ob fornicationem de prendre une autre femme, parce qu'en agissant ainsi, moechatur. Mais les pharisiens répliquaient ; « Quid ergo Moyses maii-
» davit dare libellum repudii et dimittere? » A uuoi le Seigneur répondit : « Quoniam Moyses ad duritiam cordis » vestri permisit vobis dimittere uxores vestras : ab ini-» lio autem non fuit sic. » (Matth. xix 7. et 8. Ainsi, dans la loi nouvelle, plus parfaite qne l'ancienne, Jésus-Christ prohibe la répudiation et ramène le mariage à son premier état.
XX. Au can. 6 on lit : « Si quis dixerit, matrimonium » ralum, non consummatum, per solemnem religionis » professionem alterius conjugum non dirimi : anathema » sit. » Le mariage régulier des infidèles peut bien être rompu à leur volonté, non celui des fidèles, piirce que par le baptême il est rendu ferme et indissoluble, sauf le cas où l'un des conjoints fait profession religieuse, :ar alors le mariage est dissout. Mais comment cela peut-i être, si le mariage entre fidèles est indissoluble ? On rép md que dans ce cas il est rompu non par volonté humaire, mais par celle de Dieu, qui dispense alors en vue de h perfec-tion de l'état religieux. Pour cela, l'Église accorde aux conjoints deux mois afin de délibérer s'ils veulent réelle-ment entrer en religion, pendant lequel délai ils ne sont point tenus de consommer le mariage. Si ensuite le papo peut rompre par dispense un mariage régulier, l<s uns le nient, un plus grand nombre de graves auteurs l'affirment comme Bellarmin, Gaétan, Navarre, Sanchez, les doc-teurs de Salamanque et d'autres, alléguant que e pape, comme vicaire de Jésus-Christ, peut bien dispen ser pour des choses qui, bien qu'elles soient de droit di rin , ont pour origine une volonté humaine, pourvu toutelòis qu'il y ait une cause grave et importante. El cela, parce que, dit le P. Pichler avec raison , les noces revi lent du droit les actes du,mariage, néanmoins le mariage consiste
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principalement dans l'union des volontés et dans le lien perpétuel des âmes et non pas dans l'usage matériel qui en est seulement la conséquence : « Matrimonium consistit » in consensu mutuo, dato jure ad actus conjugales; unde » copula actualis est tantum aliquid consequens, et usus » dati juris. » El S. Thomas le confirme en ces termes : « Conjunclio illa viculum est quo conjuges ligantur for-» maliler, non effective. » (Suppl. quœst. 44. a. 4. ad. 1.) De là vient que la bienheureuse Vierge resta toujours vierge et fut néanmoins véritablement la femme de S. Jo-seph, comme le Seigneur lui-même le déclara à ce saint : « Joseph fili David, noli timere accipere Mariam conju-» gem tuam. » (Matlh. ?. 20.) Aussi S. Augustin écrit-il sur ce texte (1. 6. c. 16. n. 52. et lib. 4. denupt. c. 46) : « Conjux vocatur ex prima fide desponsationis, quam » concubitu nec cognoverat, nec fuerat cogniturus. » Juénin dit cependant (t. 7. De matr. pag. 458. quser. 5) que le contrai de mariage doit avoir pour objet au moins indirectement la génération, puisque chaque contractant donne droit à l'autre sur sa personne et consent ainsi in-directement à ce qu'il use de ce droit pour la génération ; et il ajoute que Marie contracta son union avec S. Joseph en tant qu'elle savait par révélation divine que le saint n'userait jamais d'un tel droit. C'est pourquoi S. Thomas croit que le vœu de chasteté fut fait par la bienheureuse Vierge, non avant, mais après son mariage.
XXL Mais revenons au susdit can. 6 Pierre Soave affirme que plusieurs témoignèrent leur élonnement de voir posé comme article de foi que le mariage non con-sommé pouvait être rompu pour cause de profession so-lennelle; laquelle solennité, dit-il, est seulement d'insti-tution eccléaiastique, selon Bonifaee VIII. Mais S. Thomas
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répond avec plusieurs autres doctes théologiens que la solennilé du vœu religieux est d'institution ecclésiastique en ce qui regarde les rites, mais qu'elle est divine si l'on considère l'objet du vœu, puisqu'elle consacre immua-blement l'homme à Dieu et partant dans le mariage con-tracté elle le dégage du lien. Le cardinal Bellarmin dis-tingue fort bien entre le vœu simple de chasteté el le vœu solennel qui rompt le mariage. La simple promesse oblige sans doute, mais elle ne transfère pas le droit de propriété à celui à qui on promet ; el en effet, si quelqu'un promet quelque chose à un ami el la donne à un autre, il pèche, mais la chose ainsi détournée profite au donataire. Et par-là tombe la proposilion erronée de Lulher qui déclarait nul le mariage contracté avec une autre personne que celle à qui on s'était fiancé; car les fiançailles ne sont que simple promesse et ne transfèrent pas le droit sur la per-sonne. Par le vœu solennel, le religieux change son état, en se consacrant lui-même à Dieu et à l'Église, laquelle peut ensuite le contraindre à l'observation de son vœu, même judiciairement, ce qui ne résulte pas d'une simple promesse. Cela a été ainsi déclaré par Alexandre III dans le troisième concile de Lalran où on lit   (in  append. par. 5. c. \ ): « Post consensum illum legitimum de prœ-» senti datum licitum est alteri monasterium eligere..... » dummodo inter eos carnis commixlio non intervenerit : » et alteri si servare noluerit continentiam, licitum esse » videtur, ul ad secunda vola transire possit. » La même chose est déclarée par Innocent III (cap. ex parla, de con-vers. conjug. ) et par Grégoire-le-Grand (causa 26. qu. 2. can. decreta), et plus au long par Boniface VIII (cap. un. de volo in sexto) où, bien que le ponlife dise : « Quod » voti solemnitas ex sola conslitulione Ecclesiae est in-
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» venta, » cela doit s'entendre, comme nous l'avons ex, pliqué plus haut avec S. Thomas et autres, quant aux rites de la solennité, non quanta son essence el à l'effet du vœu solennel qui coiisaere immuablement la personne à Dieu : el cela est confirmé par plusieurs exemples de saints. Voyez Tournely, pag. 545, vers. 2 Probatur, qui ensuite à la pag. 546 Quseres. i , demande quo jure cela est ainsi; et il répond que cela n'est point une conséquence de la loi naturelle el non plus uniquement de la loi ecclé-siastique, laquelle n'en est point l'origine; mais que la chose est de loi divine positive en faveur de la profession religieuse : el celle doctrine est tenue pour établie sur la tra-dition selon la règle de S. Augustin (lib. 4.Debapt. cap. 26.) communément acceptée : « Quod universa tenet Ecclesia » nec conciliis institutum; sed semper retentum est, non-» nisi auloritale apostolica traditum rectissime creditur. »
XXII. Dans le can. 7 on dit : « Si quis dixerit, Ecclesiam » errare, cum docuit, et docet, juxta evangelicam et apos-tolicam doctrinam, propter adulterium alterius conjuguai » matrimonii vinculum non posse dissolvi ; et utrumque, » vel etiam innocentem qui causam adulterio non dedit, » non posse, altero conjuge vivente, aliud malrimonium » contrahere ; maecharique eum qui dimissa adultera aliam » duxerit; et eamquce, dimisso adultero, alio nupserit : » anathema sit. »
XXIII.  Quelques-uns ont émis cette opinion erronée que par l'adultère de l'un des conjoints le mariage était aussi rompu el ils le Concluent de ces paroles de Jésus-Christ : « Quicumque dimiserit "uxorem suam, nisi ob fornicatio-» nem, et aliam duxerit, msechalur. » (Mallh. xix. 9.) Launoix dans son traité (Dereg. in malrim. pot pag. 452.) cherche audacieusemenl à prouver que jusqu'au concile
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de Trente les auteurs avaient soutenu que par les paroles « nisi ob fornicationem, » la rupture du mariage par l'adultère était déclarée. Mais Tournely (Dematr. p. 541) dit que Launoix ici, comme dans plusieurs autres de ses propositions, « profecto castigandus et censura notandus » est. » II est dit dans S. Marc (x. 11) : « Quicumque » dimiserit uxorem suam et aliam duxerit, adulterium » committit; » et dans S. Luc on lit (xvi. 15) : « Omnis » qui dimittit uxorem suam, et alteram ducit, mse-» chatur. » Ces propositions sont générales et n'admettent pas d'exception, comme le remarque S. Augustin (lib. 1. de adult. cap. 9). Et elles confirment pleinement l'expli-cation que nous avons donnée plushautdes'paroles prises de S.Matthieu, « nisi ob fornicationem » qui doivent être rapportées au dimiserit qui précède, et non au duxerit qui suit, c'est-à-dire que le mari, pour cause d'adultère de sa femme, peut la chasser de son lit par le divorce (1), mais non en prendre un autre comme si le lien était rompu.Celase retrouve encore dans S. Paul (I.Cor. vii.10.) : « Iis autem qui matrimonio juncli sunt, praecipio non » ego, sed Dominus, uxorem a viro non discedere. » Et au verset 59 : « Mulier alligata est legi, quanto tempore » vir ejus- vivit. » D'où S. Augustin (lib. 2. De adult. cap. 5.) écrit : « Nullius viri posterions mulier esse inci-» pit, nisi prioris esse desierit. » Et le concile de Trente dans le susdit can. 7 condamne ceux qui disent : « Propter » adulterium vinculum posse dissolvi. » Launoix prétend que ce canon regarde la discipliné non le dogme; mais Tournely lui répond ( pag. 541) que dan§ ce canon 7 il
(1) Ce mot n'a point ici le sens des lois françaises : c'est la sé-paration de corps.
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est dit que l'Église ? docuit et docet, juxla evangelicam » et apostolicam doctrinam, propter adulterium vinculum ? non posse dissolvi. » L'erreur s'oppose au dogme, l'abus à la discipline; donc en disant que l'Église n'erre pas en enseignant cela, c'est déclarer que cette doctrine regarde le dogme.
XXIV. Dans le can. 8, il est dit : « Si quis dixerit Eccle-» siam errare, cum ob multas causas separationem inler » conjuges, quoad chorum, seu quoad cohabitationem, » ad certum incertumve tempus fieri posse decernit : ana-» thema sit. »
XXV.Xesjustes causes pour opérer le divorce sont au nombre de quatre. La première est l'apostasie de la foi, selon l'apôtre : « Haerilicum hominem post unam et se-» cundam correptionem devita.» (Àd. tit. ??. 10.) La se-conde est le cas où l'époux « nolit cohabitare sine injuria » Creatoris, vel perverlendo ad peccatum > » comme il est dit au chap. Quanto de divort. La troisième est l'adultère de l'un des conjoints, comme on le voit dans S. Matth. : « Quicumque uxorem dimiserit, nisi ob fornicationem, «moechatur.» (Mailh. xix. 6.) La quatrième, enfin, peut être prise des sévices qui mettraient la vie en dan-ger. Chemnice réprouve le divorce pour toute cause, quel-que juste qu'elle soit, mais il faudrait qu'il pût trouver une autorité pour appuyer son opinion; car l'Écriture, les Pères et tous les théologiens y sont contraires.
XXVI. Dans le can. 9, il est dit : « Si quis dixerit, cle-» ricos in sacris ordinibus constitutos, vel regulares cas-» tilatem solemniter professos, posse matrimonium con-» trahere, contractumque validum esse, non obstante lege » ecclesiastica, vel voto : etopposiìum nil aliud esse, quam » damnare matrimonium, posseque omnes contrahere ma-
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» trimonium, qui non sentiunt se castitatis, etiamsi eam » voverint, habere donum : anathema sit : cum Deus id » recte petentibus non deneget, nec patiatur nos supra id » quod possumus tentari. »
XXVII. Soave se récrie contre ces dernières paroles, et il objecte témérairement que l'Évangile dit que Dieu ne donne point la chasteté à tous, et que S. Paul exhorte ceux qui n'étaient pas capables do la conserver de se pré-munir par le mariage, et non de la demander à Dieu, ce qui eût été plus facile si celle demande eût dû être in-failliblement exaucée. Que de faussetés en peu de paroles! Premièrement, le concile ne parle pas des séculiers qui, lorsqu'ils ne se sentent pas appelés au célibat, sont juste-ment invités par l'apôtre à se marier, pour éviter leur damnation: «Quodsi non se continent, nubant; melius est enim nubere quam uri.» (I. Cor. vu. 9.) Il parley au contraire, des ecclésiastiques promus aux ordres sa-crés , et des religieux, lesquels ont volontairement fait vœu de chasteté. En second lieu, le concile ne parle pas du don de chasteté concédé à un fidèle par grâce efficace, celui-là ne se donne pas à tous ; mais il parle de l'effet de la prière, au moyen de laquelle on obtient la force d'observer le vœu; et cela contrairement à Luther, qui excusait le contrevenant à son vœu, parce qu'il ne sen-tait pas en lui la grâce nécessaire pour le garder. C'est pourquoi le concile dit que celui qui est tenté d'of-fenser la chastelé doit s'adresser à Dieu, qui ne permet pas alors qu'on soit tenlé au-dessus de ses forces. D'ail-leurs, Soave est ici en opposition de sentiment avec tous les Pères et les divines Écritures, qui, en cent endroits de l'ancien et du nouveau Testament, nous exhortent à recourir à Dieu dans nos besoins, nous promellanl que la xix.                                                           38
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prière humble et persévérante est toujours exaucée. Ce qui est dit dans ce canon est, de plus, conforme à ce que le concile avait déclaré dans la sixième session, cap. 11 : « Deus impossibilia non jubet, sed jubendo monet, et » facere quod possis et petere quod non possis et adju-» vat ut possis. »
XXVIII.  Quant à la convenance que les minisires de l'Église ne soient point liés par le mariage, et aux jusles motifs que l'Église a eus d'obliger ceux qui sont dans les ordres à garder la continence, j'en ai dit assez précédem-ment, à la fin de la treizième session qui précède, et où il est traité du sacrement de l'ordre.
XXIX.   Dans le can. 10 il est dit :   « Si quis dixerit, » statum conjugalem anteponendum esse statui virginila-» iis, vel caelibatus ; et non esse melius et beatius ma-» nerein virginitate, aulcaelibalu quam jungi mali'imo-» nio : anathema sit. »
XXX.  Celui qui avance les choses condamnées dans ce canon est opposé complètement à l'apôtre qui dit : « Igi-» lur et qui matrimonio jungit virginem suam, bene fa-» cit; et qui non jungit melius facit... Beatior autem » erit, si sic remanserit, secundum meum consilium. » Et il l'est encore au Sauveur lui-même, qui a dit : « Sunt » eunuchi, qui seipsos castraverunt propter regnum cœ-» lorum. Qui polest capere capiat. » (Malth. xix. 42.)
XXXI.  Dans le can. 11 on lit : « Si quis dixerit pro-» hibitionem solemnilalis nuptiarum certis anni lempori-» bus superstitionem esse tyrannicam ab ethnicorum su--» perstilione profectam; aut benedictiones et alias cœre-» monias, quibus Ecclesia in illis ulilur, damnaverit : » anathema sit. .»
XXXII.  Et dans le can. 12, le concile dit : « Si quis
CONTRE 1ES HÉRÉTIQUES.
» dixerit causas matrimoniales non spectare ad judices » ecclesiasticos : anathema sit. » Le cardinal Bellarmin distingue : les causes matrimoniales purement civiles, et où il n'est question que de la succession des biens, dë*s dots ou de l'hérédité, regardent les tribunaux civils; mais les causes qui touchent au contrat de mariage lui-même (1), comme sont celles où il est question de sa validité, des empèchemens, des degrés de consanguinité ou d'affinité, regardent les tribunaux ecclésiastiques, parce que le con-trat de mariage ne se séparant pas du sacrement dont il est le fondement nécessaire, toutes les causes susdites sont spirituelles ; puisque statuer sur la validité du contrat, c'est décider de celle du sacrement.
XXXIII. Le concile passe ensuite à la formation du dé-cret de réforme touchant le mariage, et qui contient dix chapitres. Dans le chap. 1, il déclare que les mariages clandestins, c'est-à-dire ceux faits avant le concile, avec le seul consentement des conlractans .sans la présence du curé ei des témoins, sont de réguliers et véritables maria-ges ; et de même les mariages contractés par des fils de famille sans le consentement de leurs parens. Pour l'ave-nir, il prescrit qu'avant de contracter il soit fait trois an-nonces publiques du futur mariage, pour voir s'il y a quelque empêchement, que le mariage soit contracté devant le curé et deux ou trois témoins, et que le curé, après avoir reçu le consentement des époux, dise : « Ego » vos in matrimonium conjungo, in nomine Patris et Fi-» lii et Spiritus Sancti, » ou même se serve d'autres paro-les , mais suivant le rite usité dans chaque pays. Il donne
(?) Voir la note plus haut sur le sens du mot contrat. C'est le mariage lui-même dans son essence.
38.
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ensuite aux ordinaires la faculté de dispensa· pour juste cause des publications dont il vient d'être parlé. Quanta ceux qui tenteraient de contracter sans la présence du curé et des deux ou trois autres témoins, le concile déclare leur mariage invalide, et eux-mêmes inhabiles à contrac-ter à l'avenir. Dans ce même chapitre, sont également prescrites d'autres choses de moindre importance, et que l'on retrouve dans le chapitre suivant.
XXXIV. Caput i : « Tametsi dubitandum non est, clan-» destina matrimonia, libero contrahentium consensu » facta, rata et vera esse matrimonia , quandiu Ecclesia » ea irrita non fecit; et proinde jure damnandi sunt illi, » ut eos sancta synodus anathemate damnat, qui ea vera »-ac rata esse negant; quique falso affirmant, malrimo-» nia a filiis familias sine consensu parentum contracta, » irrita esse, et parentes ea rala vel irrita facere posse : ni-» hilominus sancta Dei Ecclesia ex justissimis causis illa «semper detestata est, atque prohibuit. Verum, cum » sancta synodus animadvertet, prohibiliones illas prop-» 1er hominum inobedientiam jam non prodesse ; et gra-» via peccata pevpendat, quae ex eisdem clandeslinis con-» jugiis 01 Ium habent ; praesertim vero eorum qui in » statu damnationis permanent, dum priore uxore, cum » qua clam condixerant, relicta, cum alia palam con-» trahunt, et cum ea in perpetuo adulterio vivunt : cui » maio, cum ab Ecclesia, quae de occultis non judicat, » succum non possit, nisi efficacius aliquod remedium » adhibeatur ; idcirco sacri Lateranensis concilii, subln-» nocentio HI celebrati, vestigiis, inhaerendo, praecipit ut » in posterum , antequam matrimonium contrahitur, 1er » a proprio contrahentium parocho tribus continuis die-» bus festivis in Ecclesia inler raissarum solemnia publice
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                          î>97
» denuntietur, inter quos matrimonium sit contrahendum: » quibus denunlialionibus factis, si nullum legitimum » apponatur impedimentum, ad celebrationem matrimo-» nii in facie Ecclesiae procedalur; ubi parochus, viro et » muliere interrogatis, et eorum mutuo consensu intel-» leclo, vel dicat : « Ego vos in matrimonium conjungo, » in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti, » vel aliis » utatur verbis, juxla receptum unius cujusque provinciae » ritum. Quod si aliquando probabilis fuerit suspicio, » matrimonium malitiose impediri posse, si tot praecesse-» rinl denuntiationes ; tunc vel una tantum denunlialio » fiat, vel saltem parocho, vel duobus vel tribus tesiibus » praesentibus matrimonium celebretur. Deinde ante il-» lius consummationem denunlialiones in Ecclesia fiant, » utsi aliqua subsunt impedimenta, facilius detegantur ; » nisi ordinarius ipse expedire judicaverit, ul pisediciae » denuntialiones remittantur : quod illius prudentiae et ju-» dicio sancta synodus relinquit. Qui aliter, quam prae-» sente parocho vel alio sacerdote, de ipsius parochi seu » ordinarii licentia, et duobus vel tribus testibus malri-» monium contrahere attentabunt·, eos sancta synodus » ad sic contrahendum omnino inhabiles reddit, et hu-» jusmodi contractus irritos et nullos esse decernit, prout » eos praesenti decreto irritos facit, et annulai. Insuper » parochum , vel alium sacerdotem, qui cum minore les-» lium numero, et testes qui sine parocho vel sacerdote » hujusmodi contractui interfuerint, necnon ipsos con-» trahentes graviter arbitrio ordinarii puniri praecipit. Prae-» terea eadem sancta synodus horlalur, ut conjiìges ante » benedictionem sacerdotalem , in templo suscipiendam, » in eadem domo non cohabitent : statuitque benedictio-» nem a proprio parocho, fieri ; neque a quoquam , nisi
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» ab ipso parocho, vel ab ordinario, licentiam ad prœ-» dictam benedictionem faciendam alio sacerdoti concedi » posse, quacumque consuetudine, eliam immemorabili, » quae potiuscorruptela dicenda est, vel privilegio, non » obslanle. Quod si quis parochus, vel alius saceidos, sive » regularis sive secularissil etiam si id sibi ex privilegio » vel immemorabili consuetudine licere contendat, alie-» rius parochiae sponsos sine illorum parochi licentia ma-» trimonio coniungere, aut benedicere ausus fuerit; ipso » jure tandiu suspensus maneat, quandiu ab ordinario » ejus parochi, qui matrimonio interesse debebat, seu a » quo benedicto suscipienda erat, absolvalur. Habeat pa-» rochus librum, in quo conjugum et testium nomina, » diemque et locum contracti matrimonii describat, quem » diligenter apud se custodiat. Postremo sancta synodus » conjuges hortatur, ul antequam contrahant vel saltem » triduo anle matrimonii consummationem, sua peccata » diligenter confiteantur, et ad sanctissimum eucharistiae » sacramentum pie accedant. Si quae provincias aliis, » ultra praedictas, laudabilibus consuetudinibus et caere-» moniis hac in re utuntur, eas omnino retineri sanc-» ta synodus vehementer optat. Ne vero haec tam salu-» bria praecepta quemquam laleant, ordinariis omnibus » praecipit, ul cum primum potuerint, curent hoc de->; cretum populo publicari ac explicari in singulis sua-» rum dioecesum parochialibus ecclesiis, idque in primo » anno, quam saepissime fiat; deinde vero quoties expe-» dire viderint. Decernit insuper, ut hujusmodi decretum » in unaquaque parochia suum robur post triginta dies » habere incipiat, a die primae publicationis, in eadem » parochia factae numerandos. » XXXV. Ainsi premièrement, quant aux mariages clan-
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destins, le concile déclare que bien que l'Église les ait toujours blâmés et défendus, cependant ils étaient d'abord vrais et réguliers, c'esl-à-dire de véritables sacremens, et il prononce l'excommunication contre ceux qui le nient. Ici, Pierre Soave simule encore une grande surprise et dit que beaucoup de membres (c'esl-à-dire lui seul) ne concevaient pas que l'on pût déclarer que les mariages clandestins étaient des sacremens et en même temps qu'ils fussent blâmés. Mais on répond que, de même que si une personne liée par un vœu simple de chasteté ou par des fiançailles se marie néanmoins au mépris de ces promesses, elle pèche et cependant son mariage est bien sacrement ; de même aussi avant le concile ces mariages clandestins étaient de véritables sacremens bien qu'illicitemenl faits. — Soave fait ensuite celte objection, comment l'Église pouvait-elle changer la subslance du sacrement et faire que le consentement muluel en quoi cette sublance consiste ne fût plus matière suffisante? On répond que le concile ne change pas la malière, mais déclare les future époux in-habiles à contracter mariage contre la loi de l'Église; parce que, comme il a été dit plus haut, l'Église peut bien poser certaines conditions, non au sacrement, mais au contrat de mariage, à défaut desquelles ce contrat soit nul, et alors le consemement n'est point la malière propre et suffisante du contrat, et partant du sacrement non plus. Aussi le concile déclare : « Qui aliter, quam praesente pa-» rocho, vel alio sacerdote, de ipsius parochi seu ordinarii » licentia et duobus vel tribus testibus malrimoninm con-» trahet e attentabunt, eos sancla synodus ad sic conlra-» bendum omnino inhabiles reddit, et hujus modi con-» iraclus nullos esse decem il."» Il faut avenir ici que celle
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déclaraiion n'a pas de valeur dans les lieux où le concile de Trente n'est pas reçu.
XXXVI. En second lieu, pour les mariages contractés par les fils de famille sans le consentement de leurs pa-rens, quoique le concile reconnaisse qu'ils ont aussi tou-jours éié blâmés et prohibés par l'Église, néanmoins, il les déclare valides et prononce l'excommunication contre ceux qui les disent nuls. Celle déclaration avait déjà été faite par le pape Nicolas I. (adcons. Bulgar. c. S) et par Innocent III (cap. luaa fraternitatis desponsal.). Ordinai-rement cependant, ces sortes de mariages , comme l'en-seignent S. Léon et Clément III, sont illicites, tant en raison du dommage public, que de l'irrévérence commise cnveis les parens. Nous disons ordinairement, parce que dans le cas où les parens auraient injustement refusé leur consentement, ils deviennent alors licites. Les novateurs, et spécialement Chemnice, disent qu'un tel mariage ne peut-être valide n'ayant point Dieu pour auteur. On ré-pond que Dieu peut èlre auleur du mariage de deux ma-nières, en tant qu'il est sacrement, cl en Iant qu'il est un contrat licite. Pour le sacrement, il suffit que l'on rem-plisse les conditions auxquelles Dieu a attaché sa validité. Quant à la régularité du contrat, quand le mariage est contracté sans justes causes par les enfans contre la vo-1 on lé de leurs parens, alors Dieu n'est certainement pas auteur de ce péché ; mais le mariage est valide bien qu'il-licite. Les prélats fiançais disaient dans le concile que ces mariages étaient illicites sous le rapport de la discipline, non du dogme (comme le prétendent des novateurs), et ils voulaient en conséquence qu'ils fussent déclarés nuls. Mais le concile les déclara valides el Tournely (De malrim. png. 555) affirme que par les édils en France les mariages
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des enfans contre la volonté de leurs parens ne sont pas nuls de fait : et le clergé gallican déclara que les édits re-gardaient le contrat civil seulement, sans préjudice de la validité du mariage. Le cardinal Palavicin rapporte qu'on avait dit d'abord dans le concile que les fils de famille ne devaient pas pouvoir contracter mariage, savoir les garçons avant l'âge de dix-hui l ans et les filles avant seize, et en outre s?ns avoir le con&enlementdu père ou de l'aïeul paternel, à moins d'absence ou d'injuste refus de ceux-ci : mais le con-cile changea celle disposition et décida comme on l'a vu. XXXVII. Troisièmement, le concile a décidé qu'à l'a-venir les mariages pour être valides devaient être contrac-tés en présence du curé ou d'un autre prêtre ayant sa per-mission, lequel doit prononcer ensuite ces paroles : « Ego » vos conjungo, etc., ? et il déclare inhabiles à contracter entre eux les futurs époux qui auraient tenté de célébrer leur mariage sans la présence du curé et de deux ou trois témoins. D'où il suit que de pareils mariages n'ont pas même la valeur de simples fiançailles. On sait d'ailleurs là-dessus que le conseil de France ordonna aux orateurs du roi de faire en son nom des instances auprès du con-cile pour qu'il déclarât nuls les mariages contractés sans la présence du prêire et de trois autres témoins; ces en-voyés en firent la demande dans l'assemblée générale, appuyés encore par le cardinal de Lorraine, et par suite intervint la décision du concile qui déclare en effet nuls les mariages contractés sans la présence du curé et des témoins. En sorte que si, lorsque les époux se donnent mutuelle-ment leur consentement, le prêtre dort ou n'entend pas, le mariage est invalide. Quant à sa validité dans le cas où le prêtre n'assisie qu'avec répugnance, selon la doclrine qui veut que le prêtre soit le minisire du mariage,· il serait
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encore invalide; mais selon notre doctrine, à nous, que les contrectans sont les ministres, il serait valide, d'après le décret, au surplus, de la S. C. du concile, au rapport de Fagnan (in cap. Quod nobis, de clandestin, n. 54). Pierre Soave dit que plusieurs trouvèrent étranges les pa-roles prescrites au curé par le concile : « Ego vos con-» jungo, etc, » faisant ainsi un article de foi qu'elles sont la forme du sacrement. Mais on répond que l'Église n'a point entendu déclarer qu'il est de foi que telle soit la forme du sacrement de mariage; car la doctrine que les époux eux-mêmes et non le prêtre sont les ministres du mariage est la plus commune, .et l'opinion contraire est même notée de censure par beaucoup d'auteurs, comme nousl'allons voir.
XXXVIII. Traitons donc ici cette question, si les mi-nistres du mariage sonl les conlraclans Ou le prêtre qui assiste. La première opinion veut que ce soit le prêtre et que la forme consiste dans les paroles : « Ego irt mairimo-» nium vos conjungo, etc. ; » c'est le sentiment de Tour-nely (De matr. q. 5. concl. 2. pag. 502) et de Melchior Cano (Deloc. theol. lib. 8. cap. 5), ainsi que d'Eslius, Pierre de Marca > Sylvius, Maldonat et autres, avec le pape Sirice (Epist, ad himer. ); où ce gontife dit que sans la bénédiction du prêtre, « nuptiae non carent suspicione for-» nicariae vel adulterae conjunclionis » et Terlulien qui dit (lib. 2) : Ad uxorem cap. ult. que la bénédiction « aut signat aut sanctificat matrimonium. » Tournely ajoute que dans tous les sacremens le prêtre est le mi-nistre; et puis, si les contraclans étaient eux-mêmes les ministres, il arriverait que la femme administrerait le sa-crement , ce qui, selon lui, répugne à la nature du sa-cremenL
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XXXIX* Pour nous, notre opinion est que lescontrac-tans eux-mêmes sont les ministres du mariage : que la ma-tière de ce sacrement est le don qu'ils se font mutuelle-ment de leur personne, et la forme, l'acceptation de ce don. Cette doctrine, dont j'ai parlé au long dans ma morale (lib. 6. cap. 2. num. 897), Melehior lui-même la qua-lifie de générale, ainsi que Bellarmin qui déclare l'opi-nion contraire nouvelle et fausse. Merbesius atteste que la doctrine de Canus n'avait jamais été tenue comme fondée par aucun théologien avant lui, que Velasquez et Ledesma pensent qu'elle ne peut-être défendue sans blâme et Soto et Wigaudl, de même que Vega, Lopez, Enriquez et Ma-nuel, la nomment téméraire. Notre opinion est aussi celle de Juénin (t. 7. De. matr. p. 458. concl. 4), où il dit que la forme consiste dans les paroles et signes par les-quels les époux expriment leur consentement. Elle est celle encore de Cabassut, de Frassen, de Gonet, de Suarez, de Holzman, du cardinal Golti, de Benoît XIV (De synod. 1. 7. c. 48) et d'autres docteurs en très-grand nombre, et spécialement de S. Thomas qui dit (in 4 sent. dist. 26. qu. 2. a. 4. ad 1) : « Yerba quibus consensus matrimo-» nialis exprimitur, sunt forma hujus sacramenti, non \» «utem benedictio sacerdotis, quse est quoddam sacra-» mentale, » c'est-à-dire cérémonie sacrée requise d'après le précepte de l'Église et nous disons que c'est ce qu'en-tendent les saints Pères lorsqu'ils parlent de la nécessité et de la bénédiction du prêtre. Nous ajouterons pour ré-pondre à Tournely que Dieu a constitué les ministres des sacremens suivant la nature de ceux-ci, et que puisque le mariage consiste dans un contrat élevé à la dignité de sa-crement , le Seigneur a voulu que les contractons eux-
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mêmes, par la formation du contrat, en soient les mi-nistres.
XL, Notre opinion s'appuie d'abord sur le chapitre Quanto, de divort., où Innocent III enseigne que: « Et » si matrimouium infidelium verum exislal, non lamen » est ratum. Inter fideles aulem verum et ratum existit, » quia sacramentum fidei, quqd semel est admissum, » nunquam amittitur, sed ratum effici! conjugii sacra-» mentum (notez ces mots) ut ipsum in conjugibus illo » durante perduret. » Ainsi, anciennement entre fidèles le mariage clandestin était vrai et conclu (c'est-à-dire in-dissoluble) en tant qu'il était sacrement : « Ralum efficit » conjugii sacramentum. » Si donc avant le concile, le mariage contracté sans prêtre a pu être vrai sacrement, on est bien forcé de conclure que les conlractans en étaient eux-mêmes les ministres. En vain les adversaires nous disent-ils que ce sacramentum fidei, ce n'était pas le sa-crement du mariage, mais le sacrement du baptême qui le rendait complet; car il n'est pas vrai que le baptême subséquent rendît valables et indissolubles les mariages entre infidèles, et en effet, Cardenas et autres, et particu-lièrement le pape Benoît XIV (De synod. lib. 6. cap. 4 num. 5) rapportent plusieurs exemples de souverains pontifes, comme Urbain VIII, Pie V et Grégoire XIII, ijiui, même après la conversion des conjoints à la foi, ont déclaré pour justes causes leurs mariages rompus; ce qu'ils n'auraient certainement pu faire, si ces mariages avaient été rendus indissolubles par le baptême. Donc, le seul sacrement rend les mariages indissolubles,
XLI. Notre seconde preuve se tire du concile de Florence, où il est dit : « Causa efficiens matrimonii regulariter est » mutuus consensus per verba de praesenti expressus. » Si
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donc les conlractans sont cause efficiente du mariage, ils sont eux-mêmes les minisires, non-seulement du contrat (comme le veulent nos adversaires), mais aussi du sacre-ment; puisque le concile enlend ici donner l'explicalion, non du contrat, mais du sacrement : « Septimum eslsa-» cramenlum matrimonii, etc.
XLII. Nous tirons notre troisième preuve des paroles du concile, dans ce môme chap. 1 : « Qui aliter quam prse-» sente parocho etc., matrimonium contrahere allenla-» bunt,eos sancta synodus omnino inhabiles reddit elhu-» jus modi contractus nullos esse decernit.» Il suffit donc, d'après ces paroles mêmes, que les époux contractent, prcesenle parocho, pour que le mariage soit valide, encore, que le curé ne parle pas, ou même n'assisle qu'avec répu-gnance; et selon la pratique actuelle de l'Église, de tels mariages sont en effet valides et véritablement sacre-ment.
XLIII. Quatrièmement, nous nous appuyons encore sur ces aulres paroles que le concile ordonne au curé de pro-noncer , au moment de la célébration : « Ego vos, in ma-» Irimonium conjungo, etc. » el puis ces aulres paroles qui suivent: « Vel aliis ulalur verbis, juxla receptum unius » cujusque provinciae rilum. » Ce qu'il n'aurait cerles pas pu dire, s'il eût entendu que les premières fussent la forme du sacrement, car il est absurde de penser que le concile ait voulu admettre comme aulant de formes sacra-mentelles loules celles usitées dans divers pays. Cet ar-gumenl a paru assez évident à Palavicin (lib. 23. cap. 4 à), pour prouver que les conlractans, et non le prêtre, sont les ministres du mariage. En oulre, Benoît XIV (Desyuod. 1. 8c.lSn.8) raisonne ainsi : « H arrive souvent, dit-il, que les époux conlraçienl, « reluclante parocho, ac lesli-
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» bus fortuito adstantibus. * Or, dans un tel cas, sui-vant Canus, ces mariages seraient de simples contrats et non des sacremens ; mais l'Église, ajoute Benoît, les tient pour de vrais sacremens, et n'entend pas qu'ils soient ensuite renouvelés en présence du curé : et c'est pour cela que, comme on le sait, la grande pénitencerie, quand elle concède la faculté de révalider un mariage, à cause de quelque empêchement caché, ne manque pas d'opposer cette condition : « Secreto, et sine praesentia parochi et » testium reconvalidetur. » Et il en doit être ainsi, comme le remarquent le même Benoît, Van Espen, Haberi, Pontas et Tournely lui-même, et comme il se déduit de plusieurs décisions de la S. G. du concile. Je sais que Benoît, bien qu'il adopte l'opinion que nous soutenons , donne néanmoins l'opinion opposée comme probable, dans ce traité du synode, où d'ailleurs il parle comme homme privé; mais je trouve dans son bullaire, où il parle comme pontife, que dans sa lettre à l'archevêque de Gpa, commençant par ces mots : « Paucis ul habetur » (Voyez t. 4 du bullaire, p. 27), il dit expressément que la matière du sacremenl de mariage est le don mutuel des personnes exprimé par des paroles ou par des signes, et la forme, l'accepta lion réciproque : « Materia est mutua cor-» porum traditio, verbis ac nutibus assensum exprimen-» libus et mutua corporum acceptatio forma. » Ceux qui voudront connaître la réfutation des autres argumens de nos adversaires, la trouveront dans mon Traité de Morale, à l'endroit déjà cité.
XLIV. Le curé assistant peut être celui du domicile de l'homme, ou de celui de la femme; mais l'usage veut que ce soit celui de la femme; toutefois avec l'agrémentde celui de l'homme. (Voyez Tournely. De malr. pag. 580. quser. 2. )
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Au reste, un curé étranger à la paroisse des époux, qui assislerailà leur mariage sans les lettres testimoniales du curé de l'un des époux, pécherait gravement, et le ma-riage serait nul. Cependant, les noces célébrées devant le curé de l'un des époux, mais dans une autre paroisse, seraient valides, d'après la décision du concile de Trente, dans ce même chapitre 1; car la célébration du mariage est un acte de juridiction libre qui peut s'exercer en tout lieu.
XLV .Passons maintenant aux aulreschapilres du concile. Dans le second, ilesl traité de la parenté spirituelle, et de la question de savoir entre quelles personnes elle se con-tracte; il y est dit : « Docet experientia propter multiludi-» nem prohibilionum mulioties in casibus prohibitisigno-» ranler contrahi matrimonia : in quibus vel non sine » magno scandalo dirimuntur. Volens itaque sancta sy-» nodus huic incommodo providere, et a cognationis spi-» ritualis impedimento incipiens, statuit, utunus tantum » sive vir,sive mulier, juxta sacrorum canonum instituta, » vel adsummum unus et una baptizatum de baptismo sus-» cipiant: inler quos ac baptizatum ipsum, et illius pa-» trem et malrem, nec non inter baptizanlem et baptiza-» tum, baptizatique patrem ac matrem tantum spiritualis » cognatioconlrahaiur. Parochus, antequamad baptismum » conferendum accedat, diligenter ab iis, ad quos specia-li bit, sciscilelur, quem vel quos elegerint, ut baptiza/um » de sacro fonte suscipiant; et eum vel eos tantum ad » illum .suscipiendum admittant, ei in libro eorum no-» mina describat ; docealque eos quam cognationem con-» Iraxerinl, ne ignorantia ulla excusari valeant. Quod si » alii ullra designatos baptizatum teligerint, cognationem » spiritualem nullo pacto contrahant; constitutionibus in
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» contrarium facientibus noo obstantibus. Si parochi » culpa vel negligenlia secus factum fuerit, arbitrio ordi-» narii puniatur. Ea quoque cognatio, quae ex confirma-» lione contrahitur, confirmantem et confirmatum, illius-» que patrem et matrem, ac tenentem non egrediatur : » omnibus inler alias personashujusspirilualis cognationis » impedimentis omnino sublatis. »
XLVI. Le chapitre 3 concerne l'empêchement par égard pour l'honnêteté publique, et il le restreint comme il suit : « Iustitiae publicae honestatis impedimentum, ubi sponsa-» lia quacumque ratione valida non erunt, sancta syno-» dus prorsus tollit ; ubi autem valida fuerint, primum » gradum non excedant, quoniam in ulterioribus gradi-» bus jam non polest hujusmodi prohibitio absque dis-» pendio observari. »
XLVI1. Dans le chapitre 4, il est dit que l'affinité par commerce illicite est restreinte au second degré : « Prœ-» lerea sancta synodus , eisdem , et aliis gravissimis de » causis adducta impedimenlum , quod propter affìnila-» tem ex fornicatione coniractam inducitur, et malrimo-» nium postea factum dirimit, ad eos tantum, qui in » primo et secundo gradu coniunguntur, restringit; in ul-» terroribus vero gradibus statuit, hujusmodi affinilaiem » matrimonium posiea contractum non derimere- »
XLVIII. Le chapitre 5 interdit le mariage dans les de-grés prohibés, et fixe les cas de dispense :« Si quis intra » gradus prohibilos scienter matrimonium contrahere pra> » sumserit, separetur, et spe dispensationis consequendam » careat ; idque in eo multo magis locum habeat, qui non » tantum matrimonium contrahere, sed etiam consum-» mare ausus fuerit. Quodsi ignoranter id fecerit, siqui-» dem solemnilales requisitas in conlrahendo matrimonio
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» neglexerit, eisdem subiciatur poenis ; non enim dignus » est, qui Ecclesiae benignitatem facile experiatur, cujus » salubria praecepta temere contempsit. Si vero solemnita-» tibus adhibitis, impedimentum aliquod postea subesse » cognoscatur, cujus ille probabilem ignorantiam habuit; » tunc facilius cum eo, et gratis dispensari poterit. In ron-» lrahendis matrimoniis vel nulla omnino detur dispen-» satio, vel raro ; idque ex causa, et gratis concedatur. In » secundo gradu nunquam dispensetur, nisi inter magnos » principes, et ob publicam causam. »
XLIX. Le chapitre 6 contient plusieurs dispositions con-tre les ravisseurs : « Decernit sancta synodus, inler rapto-» rem, et raptam, quandiu ipsa in potestate raptoris » manserit, nullum posse consistere matrimonium. Quod » si rapta a raptore separata, et in loco tuto, et libero » constituta, illum in virum habere consenserit, eam » raptor in uxorem habeat ; et nihilominus raptor ipse ^ » ac omnes illi consilium, auxilium, et favorem prse-» bentes, sint ipso jure excommunicati, ac perpetuo in-» fames, omniumque dignitàlum incapaces; et si clerici » fuerint, de proprio gradu decidant. Teneatur praeterea » raptor mulierem raptam, sive eam uxorem duxerit ; » sive non duxerit, decenter arbitrio judicis doiare. »
L. Le chapitre 7 décide que les vagabonds ne seront mariés qu'après examen et avec prudence : « Multi sunt, » qui vagantur et incertas habent sedes : et ut ifnprobi sunt » ingenii, prima uxore relicta, aliam, et plerumque plu-» res illa vivente, diversis in locis ducunt. Cui morbo » cupiens sancta synodus occurrere, omnes, ad quos spec-» tat, paterne monet, né hoc genus hominum vagantium » ad matrimonium facile recipiant : magistratus etiam se-» culares hortatur, ut eos severe coerceant. Parochis au-xix.                                                            39
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» tem praecipit, ne illorum matrimoniis intersint, nisi » prius diligentem inquisitionem fecerint, et re ad or-» dinarium delata, ab eo licentiam id faciendi oblinue-» rint. »
LL Dans le chapitre 8, des peines graves sont décernées contre le concubinage : «Grave peccatum est, homines » solutos concubinas habere; gravissimum vero, et in » hujus magni sacramenli singularem contemptum ad-» missum, uxoratos quoque in hoc damnationis statu vi. » vere, ac audere eas quandoque domi etiam cum uxori-» bus alere, et retinere , quare, ul huic tanto mnlo sancta » synodus opportunis remediis provideat, statuit hujus-» modi concubinarios tam solutos, quam uxoràios, cu-» juscumque status, dignitatis, et conditionis existant, si » postquam ab ordinario, etiam ex officio, ter ad monili » ea de re fuerint, concubinas non ejecerinl, seque ab ea-» ru m consuetudine non sejunxerinl, excommunicatione » feriendos esse ; a qua non absolvantur donec reipsa ad-» monitioni factae paruerint. Quodsi in concubin&lu, per » annum, censuris neglectis, permanserint contra eos ab » ordinario severe pro qualitate criminis procedalur. Mu-» lieres, sive conjugales sive solulae, quae cum adulteris » seu concubinariis publice vivunt, si ter admonitae non » paruerinl, ab ordinariis locorum, nullo etiam requi-j> rente, ex officio graviter pro modo culpae puniantur et » extra oppidum, vel dioecesim, si id eisdem ordinariis » videbitur, invocato (si opus fuerit) bracchio saeculari, » ejiciantur ; aliis poenis contra adulteros et concubinarios » inflictis in suo robore permanentibus. »
LU. Le chapitre 9 défend aux seigneurs temporels et magistrats tout acte contraire à la liberté du mariage : « Ita plerumque temporalium dominorum , ac magistra-
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» luum mentis oculos terreni affectus, atque cupiditates » excaecant, ut viros ei mulieres sub eorum jurisdiclione » degentes, maxime divites, vel spem magnae haereditatis » habentes, minis et poenis adigant cum iis matrimonium » invilos contrahere, quos ipsi domini, vel magistratus » illis praescripserit. Quare cum maxime nefarium sit » matrimonii libertatem violare, et ab iis injurias nasci, » a quibus jura expeclanlur, praecipit sancta synodus om-x> nibus cujuscumque gradus, dignitatis, et conditionis » existant, sub anathematis poena , quam ipso facto in-» currant, ne quovis modo directe, vel indirecte, subdi-» los suos, vel quoscumque alios cogunt quominus libere » matrimonia contrahant. »
LUI. Dans Je chapitre 10, sont prohibées les célébra-lions de mariages dans certains temps : « Ab adventu Do-» mini nostri Jesu Christi usque in diem Epiphaniai et » a feria quarta cinerum usque in oclavam paschalis in-» clusive, antiquas solemnium nuptiarum, pr'ohibiliones » diligenler ab omnibus observari sancta synodus praeci-» pit : in aliis vero temporibus nuptias solemniter celc-» brari permittit : quas episcopi ul ea qua decet modestia » et honestatem fiant, curabunt : sancta enim res est ma-» trimonium, et sancte tractandum. »
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XXVe SESSION.
Décret touchant le purgatoire.
I. Déjà le concile, dans la sixième session, au can. S0, avait enseigné qu'il y avait un purgaloire, en pronon-çant l'analhème contre ceux qui prétendent qu'après la justification et la rémission de la peine éternelle, il ne restait plus dans le pécheur aucune trace du péché qui né-cessitât d'y satisfaire, par une peine temporelle, dans cette vie ou dans l'autre, au purgaloire, avant d'entrer dans le ciel : « Si quis post acceptam justificationis gratiam, cui-» libet peccatori poenitenti ita culpam remitti, et reatum » aeternae poenas deleri dixerit ul nullus remaneat reatus » poenae temporalis exsolvenda?, vel in hoc seculo, vel in » futuro in purgatorio, antequam ad régna coelorum adi-» tus patere possit : anathema sit. » Aussi, dans le pré-sent décret, il est dit que l'Église catholique, inspirée par le Saint-Esprit et appuyée sur les Écritures, les traditions, les saints Pères et les conciles, et enfin dans le concile actuel, ayant enseigné qu'il y avait un purgatoire (Sess. 6, can. 50), et que les âmes qui y sont retenues recevaient un grand soulagement des prières des fidèles, et spécialement du sa-crifice delà messe, elle commande aux évêques d'instruire les peuples de la saine doctrine touchant le purgatoire, laissant de côté les questions trop subtiles, et ne permet-tant pas qu'il soit mis en avant aucune proposition qui
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ne soit certaine, et sans apparence même de fausseté. Le concile prohibe ensuite toutes les choses qui appartiennent à la superstition et à un lucre honteux, et il enjoint aux évêques de veiller à ce que les prêtres satisfassent avec di-ligence et dévotion aux suffrages que les fidèles ont desti-nés aux défunls.
II. Voici les paroles du concile : « Cum catholica Ec-» clesia Spiritu Sancto edocta, ex sacris litteris, et anti-» qua patrum traditione, in sacris conciliis, et novissime » in hac oecumenica synodo docuerit, purgatorium esse, » animasque ibi detentas, fidelium suffragiis, polissi-» mura vero acceptabili altaris sacrificio juvari ; praecipit » sancta synodus episcopis, ut sanam de purgatorio doc-» Irinam a sanctis Patribus, et sacris conciliis traditam, » a Christi fidelibus credi, teneri, doceri, et ubiqueprae-» dicari diligenter studeant. Apud rudem vero plebem » difficiliores ac sublimiores quaestiones quaeque ad aedi-» fìcalionem non faciunt, et ex quibus plerumque nulla » fit pietatis accessio, a popularibus concionibus seclu-» dantur. Incerta item, vel quae specie falsi laborant, » evulgari ac tractari non permittant. Ea vero, quae ad » curiositatem quamdam, aut superstitionem spectant, » vel turpe lucrum sapiunt, tanquam scandala et fide-» lium offendicula prohibeant. Curent autem episcopi, » ul fidelium vivorum suffragia, missarum scilicet sacri-» ficia, orationes, eleemosynae, aliaque pietatis opera, » quae a fidelibus pro aliis fidelibus defunctis fieri consue-» verunt, secundum Ecclesiae instituta pie et devote fiant ; » et quae pio illis ex testalorum fundationibus, vel alia » ratione debentur, non perfunctorie, sed a sacerdotibus, » et Ecclesiae ministris, et aliis, qui hoc praeslare lenen-» lur, diligenter et accurate persolvanlur. »
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III.  Qu'il y ait un purgatoire, c'est un dogme que les cailioliques tiennent pour certain et de foi en opposition aux anciens Albigeois el Vaudois, et contre les novateurs modernes qui le nient el le regardent comme une inven-tion de nos prêtres en vue du gain des messes et des fu-nérailles. Luther, cependant, l'a admis dans un temps, savoir lors de la discussion soutenue à Leipsick, le 6 juillet 1519. 11 n'est point vrai que le purgatoire soit nié par les Grecs schismaliques; ils nient seulement qu'il y ail des feux qui purgent les âmes ; du reste les rabbins eux-mêmes, suivant le cardinal Golli (dans sa Vraie Église. l. 2. par. 4. p. 519), confessenl qu'il y a un purgaloire.
IV.  Une première preuve de ce dogme se tire du tgxte de S. Matthieu (v. 25. el 26), où il est dit : « Esto consen-» iiens adversario luo cilo, dum es in via cum eo; ne » forte in carcerem mittaris. Amen ilico tibi non exies » inde., donec reddas novissimum quadrantem. » Donc il y a dans l'autre vie une prison, dont on sort à la fin , après avoir saiisfait à l'expiation de tout péché léger; il est certain, d'ailleurs que les péchés véniels sont punis-sables de leur nature, et que si celui qui en est chargé en mourant ne peut être condamné à l'enfer, comme étant encore ami de Dieu, il ne peut non plus aller au ciel où « nihil coinquinatum introibit. » (Apoc. xxi.) Il y va donc au purgatoire, dans lequel il se purifie de toute tache. Et la même chose peut se dire des péchés graves pardonnes quant à la faute, mais non suivis de la satisfaction com-plète quant à la peine non entièrement subie. Tertullien (De anima, cap. ull. ) parlant sur ce même texte de S. Matthieu, écrit·: « In summa cum carceiem illum , » quem evangelium demonstrat, inferos intelligimus, et » novissimum quadrantem modicum quoque delictum
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» mora resurrectionis iìiic luendum interprelemur, nemo » dubilabit animam aliquid pensare penes inferos. » La même chose est confirmée dans l'évangile de S. Luc (xn. 58. et 59), où on lit : « Cum autem vadis cum adver-» sario luo ad principem, in via da operam liberari ab » illo, ne forte trahat le ad judicem, et judex tradat le » exactori et exactor mittat te ad carcerem. Dico tibi non » exies inde, donec etiam novissimum minutum reddas. » Y. Une seconde preuve se lire de l'évangile de S. Mat-thieu (xii. 52), où on lit : « qui autem dixerit (verbum) » contra Spirilum Sanctum non remittetur ei in hoc se-» culo, neque in futuro. » Ce qui prouve certainement le purgatoire comme l'expliquent S. Augustin (1. 21. De civ. Dei, c. 24. et 1. 6, ad Julian, c. 5), S. Grégoire (1. 4. dial. c. 59), Bède (in c. 3. Marci) , et S. Ber-nard (Hom. 66. in canlic). Mais l'impie Pierre, mar-tyr, écrit que ces paroles sont exagérées. De celle façon , nous pourrions trouver que ce qu'on lit dans S. Matthieu (xxv. 46) : « Ibunt hi in supplicium aeternam,» est aussi de l'exagération et qu'ainsi il n'y a pas d'enfer. Ils ob-jectent en outre que dans l'évangile cité, il est question des péchés contre le Saint-Esprit, qui sont des péchés graves, ceux-là donc seront encore remis dans le purga-toire? On répond que la faute seule est remise dans cette vie, et encore ne se remet-elle point sans une vive détes-taiion ·, puis, dans l'autre vie les fautes vénielles sont seules remises, et elles ne le sont pas par le moyen des peines, mais par le premier acte d'amour de Dieu que fait l'ame en quittant celle vie, lequel acte plein de ferveur contient aussi lu détestaiion des fautes. Quanl aux péchés mortels ils ne se remettent point dans l'autre vie ; mais s'ils ont déjà été remis dans celle-ci, la peine temporelle qui res-
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(ait à subir pour la satisfaction peut être remise dans le purgatoire.
VI.  Troisièmement, on apporte en preuve ce qui est dit aux Actes des apôtres (2. 24) : « Quem Deus suscitavit, » solutis doloribus inferni. » Cela ne peut s'entendre des justes qui étaient aux lymbes ; car ils n'y souffraient au-cune peine. Il faut donc entendre que le Seigneur en dé-livra quelques-uns du purgatoire et de ces peines dont on peut être délivré, non de celles de l'enfer dont on ne l'est jamais.
VII.  Une quatrième preuve ressort du texte de S. Paul (I. Cor. m. 42.) : « Si quis autem superaedificat super » fundamentum hoc, aurum, argentum , lapides pretio-» sos, ligua, fœnum, stipulam, uniuscuiusque opus ma-» ni festum erit. Dies enim Domini declarabit, quia in igne » revelabitur, etuniuscujusque opusquale sit, ignispro-» babil. Si cujusopusmanserit, quodsuperœdificavit, mer-» cedem accipiet si cujus opus arserit, detrimentum palie-» tur : ipse autem salvus erit, sic tamen quasi per ignem. » S. Augustin (lib. de fide et op. e. 46. enchirid. e. 68) dit que l'apòlre veut ici distinguer les chrétiens qui fabriquent avec des matériaux solides comme l'or, l'argent, les pierres précieuses qui signifient les saintes œuvres, et il dit que de tels ouvrages ne peuvent être détruits par le feu; mais que ceux qui édifient sur le bois et le foin , par quoi sont figurés les péchés véniels ou mortels, s'ils n'ont point com-plètement satisfait quant ù la peine temporelle, en sorte qu'il reste quelque chose au feu à consumer, ils seront pu-rifiés par le feu de telle sorte que le pécheur sera un jour sauvé par le moyen du feu : « Ipse autem salvus erit, sic » tamen quasi per ignem. » S. Ambroise (serm. 20. in psalm. 418) écrit : « Sed cum Paulus dicit : Sic tamen
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» quasi per ignem ; ostendit quidem illum salvum futu-» rum, sed poenam ignis passurum , ut per ignem pur-» galus fiai salvus, et non sicut perfidi aeterno igne in » perpetuum torqueatur, » S. Augustin parle de même (in psalm. 37) sur le texte cité : « lia plane, quamvis » salvi per ignem, gravior tamen est ille ighis, quam » quidquid potest homo pali in hac \ila. » Le passage est expliqué de même par S. Jérôme (in 4. cap. amos), S. Bonavenlure, S.Anselme, S. Thomas et autres Pères.
VIII. Une cinquième preuve se trouve dans ce passage des  Machabées (II. Macch. xii. 45 et seq.), qui porte que Judas Machabée envoya à Jérusalem douze mille drachmes d'argent, qui devaient être employées aux frais d'un sacrifice offert pour ses soldats morts dans les com-bats. « Et facta collatione, duodecim millia drachmas ar-» genti misit Jerosolymam offerri pro peccatis mortuorum » sacrificium, bene, et religiose de resurrectione cogitans... » Et quia considerabat, quod hi qui cum pietate dormilio-» nem acceperant, optimam haberent repositam gratiam. » Sancta ergo, et salubris est cogitatio pro defunctis exo-» rare, ut a peccatis solvantur. » Notez ces mots : « Ut a » peccatis solvantur. »
IX.  Les novateurs opposent que ce livre des Machabées n'est point canonique, parce qu'il ne se retrouve pas dans le canon hébraïque. On répond que si ce livre ne fut pas canonique chez les Hébreux, il l'est pour l'Église catho-lique, puisque le troisième concile de Carthage, dans son can. 47 , le compte parmi les livres divins. Il est aussi compté pour tel par Innocent I (epist, ad Exuper. cap. ult. ) et le pape Gélase, dans le décret des livres canoni-ques qu'il publia dans un concile de 70 évêques, et de même par S. Augustin (lib. 18 De civ. Dei. cap. 56) et
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S. Isidore(lib. 6. elymol. c. 1. De verb. Dei vide cap. 1
et 15).
X. On objecte en second lieu que Judas ne parlait pas du purgatoire, mais seulement delà résurrection, comme il parait par ces mots : « Bene et pie de resurrectione cogi-» (ans. » On répond que, quoique le purgatoire ne soit pas ici nommé, il y est bien évidemment entendu el dé-claré; car Judas fait prier expressément pour les âmes de cesdéfunis, afin qu'elles soient délivrées de péché, comme on le voit à la fin du même chap. 12, vers. 46 : « Sancta
- » ergo et salubris est cogitatio pio defunctis exorare, ut a » peccatis solvantur. »
XI.  On objecte troisièmement qu'il ne s'agit pas ici d'une loi, mais seulement de l'exemple de Judas, qui fil prier pour les morts ; or, nous ne sommes pas tenus de suivre l'exemple d'un bomme, par cela seul qu'il est rap-porté dans l'Écriture. Le cardinal Bellarmin (lib. 1. De purgat. ) répond que l'argument n'était pas seulement pris de l'exemple de Judas, mais de l'usage de l'antiquité el d'un rite solennel de l'Ancien-ïeslamenl, car on y lie : « Omnes qui cum Juda erant ad preces conversi ; » el puis : « El facta collatione Judas misit, eic. ; » ce qui signifie que tous les autres concoururent avec Judas à donner celle assistance aux morts. 11 faut ajouter le témoignage de l'É-criture sainte elle-même, qui nomme sainle et salutaire la prière qui a pour but de délivrer les morts de leuis péchés.
XII.  Le purgatoire se prouve enfin par ce même déciel du concile, où il esl enseigné que les âmes qui y sont re-tenues reçoivent un grand soulagement de l'assislaace des fidèles, el surtout des messes : « Animasque ibi detentas » fidelium suffragiis, potissimum vero acceptabili altaris
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» sacrificio juvari. » Et cela est confirmé par la commune tradition des Pères et par la pratique universelle de l'É-glise. Voici ce qu'écrit S. Augustin, parlant de l'assis-tance que les fidèles prêtent aux trépassés (serm. 32 De verb. Apost.) : « Orationibus sanctae Ecclesiae, et sacrifi-» cio salutari ex eleemosynis, quae pio defunctorum spi-» ritibus erogantur, non est dubitandum mortuos adju-* vari. Hoc non est negandum, non est dubium , non est » dubitandum ; boc enim a Patribus traditum universa » observat Ecclesia. » Et, dnns un autre endroit, il dit : « Si nusquam in Scripturis veteribus omnino legeretur, » non pauca tamen est universae Ecclesia?, quae in bac » consuetudine daret, auctoritas, ubi in precibus sacer-» dotis, quae Domino Deo ad ejus altare fundunlur. »(S.Au-gusl. lib. de cura pio mort. cap. i. ) Terlullien (demo-nogamia. cap. ??) dit que la femme doit prier pour l'ame de son mari défunt, implorer pour lui du soulage-ment , et offrir le sacrifice à tous les anniversaires : « Enim » vero et pro anima ejus oral et refrigerium interim ad-» postulat ei..., ei offeret annuis diebus dormitionis ejus. » En oulre, le même Terlullien (de corona milil. cap. 5), parlant des pratiques de l'Église, dil : « Harum ei alia-» ium disciplinarum si legem exposlules , Scripturarum » nullam invenies » ( parce qu'en effet on n'en trouve poinl dans l'Écriture la loi ou le précepte) : « Traditio tibi prae-» tenditur auclrix, consuetudo confirmalrix, fides obser-» valrix; » et parmi ces pratiques, il comptait oblationes pro defunctis. De plus, le même auteur ( lib. de exhorl. ad Caslit.cap.il), parlant à un mari qui avait perdu une pre-mière femme el qui en avail une autre vivante, écrivait ; « Stabis ergo ad Deum cum loi uxoribus, quoi illas ora-» tione commémoras, ei offere pro duabus, ei comme-
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» morabis illas duas per sacerdotem.... et ascendit sacri-» ficium tuum libera fronte. »
XIII.  S. Cyprien(lib.l. epist. 9.) écrit : « Neque enim » ad altare Dei meretur nominari in sacerdotum prece, qui » ab altari sacerdotes avocare voluit. » II parle là d'une personne morte. Donc, de son temps, on priait déjà pour les morts, à la messe. S. Chrysostôme dit (hom. 5. in ep. ad Philip. ) : « Non frustra ab apostolis sancitum est, » ut in celebratione venerabilium mysteriorum memoria » fiat eorum qui discesserunt. » Et dans un autre endroit (hom. 21. in Acta) : Non frustra preces, non frustra elee-» mosyna, ut nos mutuum juvemus. » Et ailleurs (hom. 41. in 1. ad cor.) : » Non est temere hoc excogitatum, nec » frustra in memoriam mortuorum sacra mysteria cele-» bramus... nam si Jobi illius liberos patris victima pur-» gavit, quid dubiles, et nobis quoque, si prodormien-« libus offeramus, solatii quiddam illis accessurum? » S.  Jérôme   dans ses  commentaires sur les proverbes (in cap. prov. 11.) où on lit : « Mortuo homineimpio, » non erit ultra spes ; » écrit : « Notandum autem, quod » etsi impiis post mortem spes veniae non est; sunt tamen » qui de levioribus peccatis post mortem poterunt absolvi, » vel poenis castigati, vel suorum precibus, et eleemo-» synis, missarumque celebrationibus. » Si ces commen-taires ne sont pas de S. Jérôme, on les attribue au moins au vénérable Bède.
XIV. S. Grégoire de Nysse (Orat. de mort.), parlant des hommes qui mènent une sainte vie, dit : « In praesenti » vita sapientia studio, vel precibus purgatos, vel post » obitum per expurgantis ignis fornacem expialos, ad » sempiternam felicitatem pervenire. » Picenin avance avec audace que ce passage ne résout pas la question,
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parce que, dit-il, le saint pensait comme les autres Grecs que les damnés eux-mêmes sortiraient un jour de l'enfer. Mais que ce saint est éloigné d'une pareille tache d'origé-nisme ! Il dit en effet dans un autre endroit, de M. Magd.) : « Absurdum enim est... eos qui animi curam gerunt, » incertum mortis diem non advertere, et ardore excru-» ciantis illius ignis, qui in aeternum comburit (notez ces » mots) et nullum unquam refrigerium admittit. » De plus, S. Àmbroise, parlant de la mort de Valenlinien, écrit : « Date manibus sacra mysteria , pro requiem ejus » poscentes affectu : animam piam nostris oblationibus » prosequamur. » Calvin ne nie pas que les saints Pères n'aient donné le dogme du purgatoire où les âmes sont purifiées comme étant de tradition apostolique : mais il dit témérairement que les saints Pères eux-mêmes « aliquid humani passi sunt, » sans doute, selon lui, en donnant créance à des choses fausses ou superstitieuses. Mais \enons aux objections que font les hérétiques contre l'existence du purgatoire.
XV. La première objection des novateurs est que l'É-criture ne fait mention que de deux lieux dans l'autre \ie, le paradis et l'enfer et jamais du purgatoire. « Si cecide-» rit lignum ad austrum, aut ad aquilonem, in quocum-» que loco ceciderit, » (ibi erit. Eccl. 14.) On répond que l'Écriture parle ici des deux réceptacles éternels où après le jugement les âmes seront placées définitivement, alors qu'il n'y aura plus de purgatoire. Outre, comme l'observe très-bien Bellarmin, qu'on peut justement dire de ceux qui meurent débiteurs seulement de peines tem-porelles qu'ils tombent au midi du salut éternel, non vers l'aquilon de la mort éternelle, puisqu'il leur reste seule-ment à satisfaire leur delte temporelle.
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XVI. On oppose en second lieu ce passage de YApun-hjpse (14 S.) :  « Beali mortui qui in Domino moriun-» lur ! Amodo jam dicit Spiritus ut requiescant à labori-» bus suis. » On peut répondre ici avec S. Anselme sur ce passage, qu'il ne s'y agit pas du temps de la mort, mais de celui du jugement dernier duquel parle S. Jean et auquel, dit-il, se rapporte l'expression amodo. Mais la meilleure réponse est que le texte cité ne s'entend pas de tous ceux qui meurent dans la grâce, mais seulement des parfaiis, qui par leurs persévérance et leurs bonnes œuvres sonl sortis de celle vie sans aucune souillure.
XVII.  On objecte troisièmement que dans l'autre vie aucun péché n'est remis, d'abord parce qu'à ce terme on est hors de la voie, puis parce qu'alors il n'y a plus de pénilence sans laquelle aucun péché n'est remis. On ré-pond (avec certains docteurs) qu'après la mort, l'ame, bien qu'elle nesoit plus dans la voie, néanmoins, par un amour parfait de Dieu et la détestalion du péché, que l'on voit alors tel qu'il est, peut êlre lavée de toute faute. On peut dire aussi (avec d'autres théologiens) que les âmes du purgatoire sonl encore en quelque manière dans la voie, n'étant point arrivées à leur dernier terme, qui est la possession de la béatitude éternelle ; et ainsi elles peu-vent exercer la pénilence par laquelle leurs fautes leur se-raient remises ; mais la première réponse semble plus juste.
XVIII.  On objecte quatrièmement que les fautes étant remises par les mérites de J-ésus-Christ qui sont infinis, il ne doit rester à satisfaire par aucune peine. On répond que bien que les faules soient remises par les mérites de Jésus-Cfirist, néanmoins la justice veut qu'il soit satisfait par la peine temporelle due au péché. Mais on îéplique :
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Si la rémission des peines s'obtient pav le moyen de notre satisfaction, alors on pourra dire ou que celle rémission n'est pas produite parla satisfaction de Jésns-Chrisi, mais par nos piopres œuvres de satisfaction, ou au moins que tout péché est remis par deux satisfactions, celle de Jésus-Christ et la nôtre. La réponse est que la satisfaction de Jésus-Christ suffirait certainement à nous libérer de toute obligation de peine; mais le Seigneur a voulu que nous ajoutassions notre propre satisfaction qui d'ailleurs n'a de valeur pour nous libérer des peines dues que celle qu'elle emprunte de la satisfaction fournie par Jébiis-Chrisl.
XIX.  On objecte cinquièmement que la peine est pour la faute, qu'en conséquence où il n'y a plus de faute il n'est plus besoin de satisfaire par une peine. On répond que le péché nous f.ùl contracter deux dettes ou deux condamnations : celle de la faute, et celle de la peine. Dieu remet la condamnation de la faute au pécheur contrit et l'admet de nouveau dans son amitié, enjnême temps il lui remet la peine éternelle; mais c'est avec justice qu'il exige ensuite que le pécheur satisfasse à la peine tempo-relle, de même qu'un prince reçoit en giâce un sujet cou-pable, mais l'oblige à subir quelque punition.
XX.  On objecte sixièmement qu'il faut les mêmes con-ditions pour mériter que pour satisfaire; mais dans le pur-gatoire on ne peut mériter, on ne peut donc non plus sa-tisfaire. La réponse est que quoique dans le purgatoire on ne puisse mériter, puisque pour mérilei il faut la liberté et être dans la voie ; on peut néanmoins y payer la peine due, laquelle ne sera pas méritoire, mais satisfacere. 11 est vrai que duns cette vie le Sçigneur récompense en nous même les actes satisfacloircs parce qu'ils SOQI volon-taires et par conséquent méritant; mais dans l'autre vie,
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où on est hors de la voie, les âmes ne satisfont pas par leur propre détermination, mais comme contraintes par la nécessilé de la salisfaclion et en conséquence elles ne méritent pas.
XXI. Septièmement, on oppose le texte d'Ézéchiel(xvin.
21. et seq. ) ; « Si autem impius egerit poenitentiam.....
» omnium iniquitatum ejus quas operatus est non recor-» dabor. » Si Dieu déclare ne plus se souvenir des fautes du pécheur repentant, il ne pense pas à en exiger aucune peine.   Il faut répondre avec Bellarmin que l'oubli de l'iniquité emporte de la part du Seigneur la cessation de son inimitié contre le pécheur, mais non la remise de toute peine justement due.
XXII.  Huitièmement, on oppose un autre texte de S. Paul (H. Cor. ?.) : « Si domus terrena nostra habila-» tionis dissolvitur, habemus domum non manufactam » aeternam in coelis. » Donc après la mort on ne va pas au purgatoire, mais au ciel. On répond avec le même cardinal Bellarmin qu'ici l'apôtre n'entend dire autre chose sinon que le ciel est ouvert pour nous, après la mort, non avant, comme le prouvent les paroles sui-vantes : « Si tamen vestiti, et non nudi inveniuntur. » Mais les autres qui après la mort ne se trouvent pas velus de la robe nuptiale, c'est-à-dire non complètement purs « salvantur per ignem, » comme dit l'apôtre en un autre endroit (voyez au num. 7).
XXIII.  Neuvièmement, on oppose ce que dit S. Am-broise(lib. De bono mort. cap. 2) : « Qui enim hic non » acceperit remissionem peccatorum illic non erit, nimi-» rum in patria beatorum. » Donc, dit-on, jamais dans l'autre vie les péchés ne sont remis à celui à qui ils ne le furent point dans celle-ci, et ainsi, selon S. Ambroise,
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le purgatoire auquel nous croyons n'existe pas. On répond que le saint entend parler de ces pécheurs qui sortent de la vie avec des fautes graves, comme il paraît clairement par les paroles suivantes du même saint : « Non erit au-» leni, quia ad vitam aeternam non potuerit pervenire, » vita aeterna remissio peccatorum est. » La rémission des péchés se nomme la vie éternelle inchoata.
XXIV.  On demande 1° quel est le lieu où les âmes se purifient? Il y a trois opinions là-dessus : les uns veulent que chacun subisse sa peine au lieu même où il a péché. Cela est fort probable; sinon pour tous, du moins pour quelques-uns, selon les jugemens divins, et comme nous en avons divers exemples rapportés par les auteurs et spé-cialement par S. Grégoire. D'autres disent que le purga-toire est au même lieu que l'enfer : ce qui est aussi pro-bable ; et ce n'est point un obslacle que la présence de pécheurs condamnés à souffrir éternellement ; la même prison peut bien contenir les condamnés à perpétuité et ceux qui ne le sont que pour un temps. Enfin on dit en-core, et ceci est l'opinion la plus commune, que le purga-toire est un lieu a part, supérieur à l'enfer, mais égale-ment sous terre, appelé par  l'Église le lac profond : « Libera animas defunctorum de poenis inferi et de pro-» fundo lacu. » II y en a qui pensent que le purgatoire,
•pour quelques âmes souillées de très-légères fautes, ne consiste qu'à être privées de la vue de Dieu. Le vénérable Bède rapporte qu'une ame fut vue dans un lieu agréable» niais hors du ciel. Denis le chartreux en rapporte plu-sieurs exemples, et Bellarmin dit également que la chose n'est point improbable.
XXV.  Une deuxième question porte sur la durée des peines du purgatoire. Oiigène (lom. 14 in Lucam.) dit
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qu'après le jour de la résurrection, les âmes auront en-core besoin d'un sacrement qui les purifie, pour qu'elles entrent dans la gloire; mais S. Augustin réfuie celle opi-nion en disant (1.21. de civ. Dei. cap 46.) qu'il ne peut être salisfail par des peines qu'avant le jugement final. D'un autre côlé, Dominique Soto dit que les peines du purga-toire n'outrepassent pas dix ans, quelque graves qu'eues soient; mais cette opinion n'a aucune probabilité ; car bien que Dieu puisse en augmentant l'intensité de la peine, faire qu'une ame reste purifiée de tous ses péchés, comme sans doute il l'a fait pour plusieurs; néanmoins, ordi-nairement dans le purgatoire, les grands pécheurs souf-frent pendant plus de dix ans et de vingt ans, comme le prouvent plusieurs visions qu'on lit dans Bède (1. 5 his-toriarum) où on voit que plusieurs âmes avaient été con-damnées à souffrir jusqu'au jour du jugement. Cette opi-nion est pleinement confirmée par la pratique de l'Église, qui veut qu'on ne cesse point les prières pour les trépassés, encore qu'ils soient morts depuis cent et deux cents ans. XXVI. On demande en troisième lieu, par quelles peines les âmes seront purifiées dans le purgatoire. Luther voulait qu'elles fussent tourmentées par le désespoir, mais cela est faux. Puis quelques catholiques disent que cer-taines âmes sont affligées par l'incertitude où elles sont de leur salut; mais Bellarmin, avec tous les théologiens, prouve savamment que toutes les âmes du purgatoire sont certaines de leur salut. La raison en est que chacune, dans le jugement particulier qu'elle a subi, a reçu la sen-tence de son salut ou de sa perle éternelle. La certitude du salut, écrit saint Bonavenlure, allège beaucoup la peine de ces saintes âmes, et l'amour qu'elles ressentent pour Dieu leur donne cette certitude. II est cerlain, en outre,
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que leur plus grande peine est celle du dam, c'est-à-dire d'être relardées de la vue deDieu. H est certain aussi qu'elles souffrent de la peine des sens, parce que tout péché étant une conversion vers les créatures, il est jusle qu'on en soit puni par les créatures mêmes. Quant à savoir si le feu du purgatoire est corporel, ou purement métaphori-que, et signifie les terreurs, les angoisses, ou les remords de la conscience, comme le pensent quelques-uns, l'Église n'a point décidé la question, mais, comme l'écrit Bellar-min, l'opinion générale des théologiens, c'est qu'il est réel et matériel. S. Grégoire dit expressément (1. 4. dialog. c. 29. ) que ce feu est corporel, et S. Augustin pense de même (de civ. Dei. lib. 2. cap. 20.). Il faut ajouter que, dans l'Écriiure, les peines des pécheurs dans l'autre vie sont toujours appelées feu ; et c'est une règle bien connue" que l'Écriiure doit êlre prise dans son sens littéral, loules les fois que ses paroles peuvent recevoir ainsi une expli-cation.
XXVII.  On demande encore si les âmes du purgatoire sonl tourmentées réellement par les démons. S. Thomas (in 4 sent. disl. 20 a 1 ad 5.) dit que non, parce que ces âmes ayant triomphé des démons en celle vie, il ne convient poinl qu'elles soient affligées par ces mêmes dé-mons. Nonobstant cela, il y a plusieurs révélations rap-portées par Denis lecharlreux, le vénérable Bède et S. Ber-nard qui représentent lésâmes du purgatoire comme affli-gées par les démons.
XXVIII.  Quant à la gravité des peines du purgatoire, S. Augustin écrit (in psalm. 37), parlant de la peine du feu : « Gravior tamen ille ignis, quam quidquid potest » homo pali in hac vita. » La même chose est dile par S. Grégoire, et se trouve confirmée dans les révélations de
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Bède et de sainle Brigitte. El S. Thomas (in 4. dist. 20. 7. 2 a 2.) écrit que la plus petite peine des sens dans le pur-gatoire surpasse la plus grande qu'on puisse souffrir en celle vie, et cela, outre la peine du dam qui, certainement en purgatoire comme en enfer, est bien supérieure encore à toute peine des sens; néanmoins S. Bonavenlure (in 4 disl. 20 a 1 qu. 2.) dil que loule peine infligée dans le purgatoire, n'est pas plus grande que toutes celles de cette \ie, et cette opinion plaît à Bellarmin, parce que la peine d'être privé de la vue de Dieu, quelquegrande qu'elle soit, est singulièrement allégée par la certitude d'en jouir un jour, et il ajoute que, pour une ame en purgatoire, plus le jour de sa délivrance approche, et plus sa peine en de-vient légère. Les paroles suivantes de S. Augustin sont conformes à cette pensée (in enchirid. cap. 112.) : Mi-» nimam poenam damni, si tamen aeterna sit, majorem » esse omnibus poenis hujus vitae. » Notez ces mots, « si » tamen aeterna sit ; » donc la peine même du dam dans le purgatoire n'est pas toujours plus grande que toutes les peines de cette vie.
Des prières offertes par les fidèles pour les âmes du purgatoire.
XXIX. Nous avons déjà beaucoup parlé sur ce point, dausles numéros précédens, où nous avons prouvé l'exis-tence du purgatoire. Il reste à en dire ici quelques choses particulières. Arius fut le premier qui nia l'utilité des prières pour les morts : mais il fut tenu pour hérétique, comme l'atteste S, Epiphane(hœres. 75.). Les prolestans disent de même, mais l'Église affirme, « ex sacris litteris, Ì> et antiqua Patrum traditione, in sacris conciliis, elno-» vissime in hac oecumenica synodo purgatorium esse,
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» animasque ibi detentas fidelium suffragiis, potissimum » vero acceptabili altaris sacrificio juvari. » Notis l'avons aussi prouvé plus haut, par l'autorité du texte des Maccha-bées (1. 2. c. 12. n. 46. ) : Sancta ergo et salubris est co-» gitalio pro defunctis exorare ul a peccatis solvantur; » (voyez au num. 8.) et par l'autorité de tous les saints Pères qui attestent que telle a été la tradition et la pratique universelle de l'Église. S. Augustin parlant du soulage-ment que les défunts reçoivent de l'assistance des vi vans écrit(Serm. 32 de verb. apost.) : « Orationibus sanctae » ecclesiae et sacrificio salutari, et eleemosynis, quae pio » defunctorum spiritibus erogantur, non est dubitandum » mortuos adjuvari. Hoc non est negandum, non estdu-» bium, non est dubitandum : hoc enim a Patribus tradi-» tum universa observat Ecclesia. » Et plus loin, il ajoute : « Sed si nusquam in scripturis veteribus omnino legere-» lut; non pauca tamen est universas Ecclesiae, quae in » hac consuetudine daret, auctoritas; ubi in precibus sa-» cerdotis, quœ Domino Deo ad ejus altare funduntur, » locum suum habet etiam commendatio mortuorum. »
Cette seule autorité de S. Augustin (sans celles rappor-tées déjà plus haut) suffirait à établir la vérité de celte assistance. Les autres citations des saints Pères faites plus haut à partir du numéro 12, confirment celle vérilé : de plus, dans toutes les liturgies des apôtres, on retrouvé les prières pour les trépassés.
XXX. On oppose les paroles de la prière pour les moris, que l'Église récite à la messe : t Libera me, Domine, de » morte aeterna, in die illa tremenda... dum veneris ju-» dicare seculum per ignem. » Donc, disenl les adver-saires, par le moyen de ces prières lésâmes condamnées à l'enfer peuvent aussi être délivrées. Nous répondons que
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ces paroles ne se rapportent pas au lemps présent, où se dit la messe, mais au moment de la mort, comme si l'ame n'avait pas encore quille la vie, ou.à celui du juge-ment dernier.
XXXI.  On objecte encore, que de même que Dieu ne punit pas un homme pour les faules d'un aulre, il n'ac-cepie pas non plus l'œuvre de l'un pour l'autre. On répond que l'argument tombe de lui-même; car punir l'un pour l'autre serait une injustice; mais accepter l'œuvre de l'un offeite pour l'autre, n'est point contre la justice, c'est au contraire un bon fondemenl de charité parmi les hommes, et une chose conforme à la divine miséricorde.
XXXII.  On fait ici une dernière question : si les âmes du purgatoire peuvent à leur tour prier pour nous. S. Tho-mas l'Angélique (in 2. 2 q. 82 a 41 ad 3.) dit que les âmes du purgatoire, se trouvant obligées de satisfaire par leurs peines à leur propre detle, ne peuvent prier pour nous : « Non sunt in statu orandi, sed magis ut orelur » pro eis. » Telles sont ses paroles : mais beaucoup d'au-tres graves auteurs comme Bellarmin, Sylvius, le cardinal Golli, etc., disent que bien que ces âmes soient dans un état qui les rend inférieures à nous, puisqu'elles ont besoin de nos prières, néanmoins, comme chéries de Dieu, elles peuvent aussi prier pour nous; et que l'on doit pieusement croire que le Seigneur leur permet l'oraison, afin qu'elles prient pour nous, el qu'ainsi enlre nous et elles se con-serve ce saint commerce de charité.
XXXIII. Dans le même décret de la susdite session vingt-cinquième, le concile, après avoir parlé du purgatoire, parle aussi de l'invocation des saints el de la vénération qu'on doit avoir pour leurs reliques et pour les saintes images.
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De invocatione, veneratione, et reliquiis sanctorum, et sacris imaginibus.
?. « Mandat sancta synodus omnibus episcopis, etcse-» Ieris docendi munus curamque sustinentibus, ut, juxla » catholicae et apostolicae Ecclesiae usum , a primaevis » christianae religionis temporibus receptum, sanctorum-» que Patrum consensionem, et sacrorum conciliorum » decreta, in primis de sanctorum intercessione, invoca-» lione, reliquiarum honore, et legitimo imaginum usu, » fideles diligenter instruant, docentes eos sanctos, una » cum Christo regnantes, orationes suas pro omnibus » Deo offerre, bonum atque utile esse suppliciter eos in-» vocare : et ob beneficia impetranda a Deo per filium ejus » Iesum Christum Dominum nostrum, qui solus noster » redemptor et salvator, est ad eorum orationes, opem, » auxilium confugere : illos vero qui negant, sanctos, » aeterna felicitate in cœlo fruentes, invocandos esse; aut » qui asserunt, vel illos pio hominibus non orare; vel » eorum, ul pro nobis etiam singulis orenl, invocalio-» nem esse idololatriam, vel pugnare cum verbo Dei et » hominum Jesu Christi ,· vel stultum esse, in ccelo regnan-» libus voce; vel mente supplicare ; impie sentire, sanc-» torum quoque martyrum, et aliorum cum Christo yi-» venlium sancta corpora, quae viva membra fuerunt » Christi, et templum Spiritus sancti, ab ipso ad aeter-» nam vitam suscitanda et glorificanda , a fidelibus \&-» neranda esse ; per quae multa beneficia a Deo homini-» bus praestantur : ita ut affirmantes sanctorum reliquiis «'venerationem atque honorem non deberi, vel eas alia-» que sacra monumenta a fidelibus inutiliter honorari, » atque eorum opis impetrandae causa sanctorum mémo-
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» rias frustra frequentari : omnino damnandos esse, prout » jam pridem eos damnavit, et nunc etiam damnat Ec-» clesia. Imagines porro Christi, deiparae Virginis, et » aliorum sanctorum in templis praesertim habendas, et » retinendas, eisque debitum honorem et venerationem » impertiendam; non quod credatur inesse aliqua in iis » divinitas, vel virtus, propter quam sint colendae; vel » quod ab eis sit aliquid petendum ; vel quod fiducia » in imaginibus sit figenda ; veluti olim fiebat a genti-» bus, quae in idolis spem suam collocabant : sed quoniam » honos, qui eis exhibetur, refertur ad prototypa, quas » illae reprœsentant, ita ut per imagines, quas osculamur, » et coram quibus caput aperimus, et procumbimus, » Christum adoremus, et sanctos, quorum illae similitu-» dinem gerant, veneremur : id quod Conciliorum, proe-» sertim vero secundae Nicenae synodi, decretis contra » imaginum oppugnatores est sancitum.
II. » Illud vero diligenter doceant episcopi, per his-» torias mysteriorum nostrae redemptionis, picturis, vel » aliis similitudinibus expressas, erudiri, et confirmari » populum in articulis fidei commemorandis, et assidue » recolendis ; tum vero ex omnibus sacris imaginibus ma-» gnum fructum percipi : non solum quia admonetur » populus beneficiorum et munerum, quae a Christo sibi » collata sunt; sed etiam quia Dei per sanctos miracula et » salutaria exempla oculis fidelium subiiciuntur : ut pro » iis Deo gratias agant, ad sanctorum imitationem vitam * moresque suos componant; excitenturque ad adoran-» dum ac diligendum Deum, et ad pietatem colendam. » Si quis autem his decretis contraria docuerit, aut sen-» serit; anathema sit. In has autem sanctas et salutares » observaliones si qui abusus irrepserint, eos prorsus abo-
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» leri sancta synodus vehementer cupit ; ita ut nulla; falsi » dogmatis imagines, et rudibus periculum erroris occa-» sionem praebentes statuantur. Quodsi aliquando histo-» rias, et narrationes sacrai Scriplurœ, cum id indoctae » plebi expedire!, exprimi et figurari contegerii, doceatur » populus non propterea divinilalem figurari, quasi corpo-» veis oculis conspici; vel coloribus, aut figuris exprimi » possit. Omnisporrosuperslilioinsanctorum invocatione, » reliquiarum veneratione, et imaginum sacro usu tol-» lalur; omnis turpis quteslus eliminetur; omnis denique » lascivia vitetur ·, ita ut procaci venustate imagines non » pinganlur, nec ornentur; et sanctorum celebratione, » ac reliquiarum visitatione homines ad commessaliones » alque ebrietates non abutamur ; quasi festi dies in lio-» norem sanctorum perluxum ac lasciviam agantur. Pos* » tremo, tanta circa liaìc diligentia et cura ab episcopo » adhibeatur, ul nihil inordinatum, aut prseposlere et » lumulluarie accommodatum, nihil profanum, nihil-» que inhonestam appareat ; cum domum Dei deceat sanc-» tiludo. Haec ut fidelibus observentur, statuit sancta sy-» nodus, nemini licere ullo in loco, vel ecclesia, etiam » quomodo libet exempta, ullam insolitam ponere vel » ponendam curare imaginem, nisi ab episcopo appro-» bala fuerit; nulla etiam admittenda esse noVa miracula, » nec novas reliquias recipiendae, nisi eodem recognos-» cente et approbante episcopo, qui simul atque de iis » aliquid compertum habuerit, adhibitis in consilium » theologis, et aliis piis viris, ea facial, quœ veritati ei » pietati consentanea judicavit. Quodsi aliquis dubius aut » difficilis abusus sit extirpandus : vel omnino aliqua de » iis rebus gravior quaestio incidat; episcopus, antequam » controversiam dirimat, melropolitani  et comprovin»
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» cialium episcoporum in concilio provinciali sententiam » expectet : ita tamen iit nihil, inconsulto sanctissimo » romanorum pontifice, novum, aut in Ecclesia hactenus » inusitatum, decernatur. »
III.  Nous allons traiter ici en quatre paragraphes. l°Du culte des saints. 2° De leur invocation. 5° De leurs re-liques. 4° Des saintes Images.
§ Iif. Du culte dû aux saints.
IV. Le premier qui nia le culte dû aux saints fui Simon le magicien qui exigea de ses disciples qu'ils cessassent d'ho-norer les images des saints, pour honorer la sienne et celle d'Hélène, sa femme. Calvin et ses sectateurs nièrent de-puis qu'on dût faire aucune prièréaux saints. On distin-gue la vénération de la louange et celle ci de l'adoration. La  vénération s'exprime par  des signes extérieurs,  la louange par des paroles, et l'adoration non-seulement com-prend l'une et l'autre, mais comprend aussi la vénération intérieure, et celle-ci doit être exercée sans doute à l'égard des saints, à cause de leur excellence surnaturelle. Les hérétiques nous lancent celle calomnie que nous rendons aux saints le même honneur qu'à Dieu ; mais BOUS disons, nous, qu'aux saints est dû, à raison de leurs vertus sur-naturelles, le culte appelé de dulie; à la mère de Dieu celui d'hyperdulie, à raison des dons et vertus plus sublimes que possédera bienheureuse Vierge, et enfin que le culie de latrie se doit à Dieu seul pour ses infinies perfections, ainsi qu'à Jésus-Christ, à cause de l'union hypostalique de sa chair avec la dignité du Verbe. Ces differens cultes soûl appelés religieux à la différence des honneurs civils que l'on rend aux hommes eminens en vertus naturelles
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ou des honneurs politiques dus aux princes el aux ma-gistrats à raison de leur dignité.
V.  Quant à la question, si les saints doivent être seule-ment vénérés, ou peuvent encore être adorés, c'est une vaine dispute de mots ; il suffit que Dieu soit seul adoré d'un culte de latrie, comme notre souverain Seigneur, et les sainls du culle de dulie, comme étant les serviteurs de Dieu et nos intercesseurs auprès de-sa divine majesté. Du reste, dans le septième synode, au deuxième concile de Nicée, acte 6, il est dit : « Sive igitur placebit salula-» tionem, sive adorationem appellare, idem illa profecto » erit, modo sciamus excludi lalriam; haec enim est alia » a simplici adoratione, ut alibi est ostensum. »
VI.  Luther (écrivant sur le vingt-troisième dimanche après la Pentecôte) appelle chose diabolique tout culle iendu aux sainls, et les cenlurialeurs le nomment idolâtrie. D'autres luthériens admettent que les sainls méritent un culte spécial, et particulièrement la sainte Vierge, qui a prédit sur elle-même : « Beatam me-dicent omnes gene-» rationes; » mais ils ne veulent pas que ce culte soit re-ligieux, el en conséquence ils réprouvent les invocations, les pèlerinages, el toutes les autres pieuses pratiques. Mais nous voyons dans l'Écriture qu'Abraham adora les anges. (Gènes, xix. 1.) Saùl adora l'ame de Samuel. (II. Reg. cap. 28.) Les fils des prophètes ayant appris que l'esprit d'Élie était passé dans Elysée, l'adorèrent.  Dieu lui-même honore les sainls, comme il est dit dans S. Jean : « Si quis mihi ministraverit, honorificabit illum Paler » meus. » (Joan. xn. 26.) Si Dieu honore ses serviteurs, comment nous serait-il défendu de les honorer?S. Am· broise écrit : « Quisquis honorat martyres, honorat Chris-» tum.» (Serm. in fin.) S. Cyprien écrit: «Sacrificia
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» pfo eis semper offerimus, quoties martyrium, passio-» nes, et dies anniversaria commemoralione celebramus. (Lib. 4. epist. 5.) S. Jean Damascène : « Honorandos » esse sanctos, ulservos, amicos, et filios Dei. » (Lib. 4. (Orlhod. fid. e. 16.) S. Basile : « Ecclesia per hoc quod » eos honorat qui praecesserunt, praesentes impellit. » (Orat. in 1. Mamanlem.)S. Jérôme : « Honoramus servos, » ut honor servorum redundet ad Dominum. » (Epist, ad Riparium.) Theodoret : « Àlqui nos Graeci homines, nec » hostias marlyribus, nec libamina ulla deferimus; sed » ut sanctos homines, Deique amicissimos honoramus. » (Lib. 8. de Graec.) S. Augustin : « Memorias martyrum » populus christianus religiosa solemnitate concelebrat. » (Lib. 20. contra Faustum, e. 21. )
L'autorité de tant de saints Pères doit bien nous con-vaincre que nous pouvons, que nous devons môme hono-rer les saints d'un culte religieux, tant pour leur excel-lence surnaturelle que pour la grâce sanctifiante dont ils seront éternellement doues, et pour la jouissance qu'ils ont et qu'ils auront à jamais de la vue de Dieu.
VII. On oppose premièrement ce que dit l'apôtre (I. Tim. 1.): «Soli Deo honor et gloria.» Nous répon-drons , comme nous l'avons déjà fait, qu'à Dieu seul est dû tout honneur pour sa sainteté infinie et incréée, mais que cela n'txclul pas l'honneur dû aux saints po'ur la sain-teté que Dieu leur communique. On voit par là combien est absurde ce que disent les hérétiques, que le culte que nous rendons aux sainls diminue celui que nous devons à Dieu, puisque, comme le dit S. Jérôme (à l'endroit cité dans le n* 7), l'honneur qu'on rend aux sainls re· tourne à Dieu, comme à l'auteur de la sainteté. C'est ainsi que S. Augustin répond à ceux qui disaient qu'en
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honorant S. Pierre, on manquait à l'honnekir dû à Jé-sus-Christ : « In Petro (dit le saint) quis hororalur, nisi » ille defunctus pro nobis? Sumus enim chr sliani, non » pelriani. » (Epist.252.)
VIII.  On objecte en second lieu, qu'en honorant les saints, nous commettons une véritable idolâtrie, puisque notre vénération va jusqu'à leur offrir le sacrifice de la messe. Mais tout cela est faux ; ce n'est qu'à Dieu que nous offrons des messes, comme à notre souverain Sei-gneur. Elles peuvent ensuite lui être offertes dans le but spécial de lui rendre grâce des dons qu'il a faits à ses saints, et à le prier de daigner, par leur intercessi ?, nous ac-corder aussi les grâces que nous desirons. Ht ainsi, bien que beaucoup d'églises et d'autels soient soi s l'invocation d'un saint, ces églises et ces autels n'en so t pas moins érigés en l'honneur de Dieu.
IX.  Troisièmement, on objecte que noua rendons à la bienheureuse Vierge l'honneur qui n'est du qu'à Dieu et à Jésus-Christ, puisque nous l'appelons co-réaemptrice, mé-diatrice, et notre espérance. On répond que nous la nom-mons co-rédetnptrice, non parce que Marie a partagé avec Jésus-Christ l'œuvre de la rédemption des hommes, mais parce que, comme l'écrit S. Augustin (lib. de sancta Virginil. c. 6), étant mère de notre chef Jésus-Christ, et ayant coopéré, par sa charité, à'ia naissance spirituelle des fidèles à la grâce dans le sein de l'Église, elle est devenue aussi notre mère, et un chef dont nous sommes les membres : « Sed plane mater membrorum ejus (quae » nos sumus) quia cooperata est charilate, ul fideles in » Ecclesia nascerentur, qua illius capitis membra sunt. » Étant mère selon la chair du Sauveur, elle est devenue aussi la mère spirituelle de tous les fidèlep. Dans (ouïe sa
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vie, celle vierge sublime, par sa charité envers les hom-mes, coopéra à leur salut, spécialement quand, sur le calvaire, elle offrit pour nous la vie de son fils au Père éternel. Nous l'appelons encore médiatrice, non de justice, mais de grâce, Jésus-Christ étant seul médiateur de jus-tice, comme ayant seul, par ses mérites, obtenu la ré-conciliation de Dieu avec les hommes. Marie est média-trice de grâce auprès de Dieu, comme le sont aussi tous les saints ; mais plus puissante que les saints, dont les prières ne sont que des supplications de serviteurs, tandis que les prières de Marie sont les prières d'une mère, qui ne sont jamais repoussées, comme le dit S. Bernard : « Quaeramus gratiam et per Mariam quaeramus, quia ma-» 1er est, et fruslari non potest. » Aussi, S. Pierre Da-micns lui dit-il: «Domina, nihil tibi impossibile', cui » possibile est etiam desperalosad spem salutis relcvare; » nam filius nihil negans honorat. » Et c'est dans le même sens qu'il faut entendre ces autres paroles que lui adresse le même saint (et qui font tant d'horreur au calviniste Picenin): «Accedis ad illud commune propitiatorium, » Domina, non ancilla : imperans,' non rogans.
X. Quatrièmement, on objecte que les saints ne doi-vent pas recevoir le culte de dulie que nous leur rendons, parce que nous ne sommes pas serviteurs des saints, mais co-servifeurs avec eux. On répond que nous ne sommes les serviteurs que de Dieu, notre souverain Seigneur; mais, impaifailemenl parlant, nous pouvons bien noi'S dire les serviteurs des saints, à raison de leur excellence pure de toute tache, et plus encore à raison du royaume céleste qu'ils possèdent et posséderont éternellement; tan-dis que nous, sur cette (erre, nous ne sommes point exempts de péchés, et n'avons pas la certitude de nous
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voir au nombre des bienheureux. C'est donc justement que nous honorons les saints du culte de dulie.
§ II. De l'invocation des saints.
XI. Vigilance, et après lui Wicleff, oni dit que l'invo-cation des saints était une chose vaine et inutile; mais le concile de Trente, dans son décret rapporté plus haut, ordonne aux évêques d'enseigner le contraire ; savoir : « Sanclos una cum Chrislo regnantes orationes suas pio » hominibus Deo offerre ; bonum atque utile esse eos sup-» pliciter invocare. » Si c'est chose utile que de recom-mander sans cesse les fidèles vi vans aux prières des autres fidèles, à plus forte raison nous sera-t-il avantageux d'in-voquer les saints, afin qu'ils nous aident de leurs puis-santes prières. S. Paul se recommandait aux prières de ses disciples : « Orationi instate orantes simul et pio no-» bis.» (Coloss. iv. 2.) Et ailleurs, il écrit aux Romains: « Obsecro vos, fratres...., utadjuvetis me in orationibus » pro me apud Deum. » (Rom. xv. 30.) Dieu lui-même exhorte les amis de Job à recourir à ses prières, par les-quelles il leur promet d'user envers eux de miséricorde : « Ile ad servum meum Job. Job autem servus meus ora-» bit pro vobis ; faciem ejus suspiciant ut non vobis im-» pulelur stullilia.» (Job. XLH. 8.) Or; si les prières des vi-vans, dit S. Jérôme, peuvent nous obtenir les grâces di-vines , auront-elles moins de valeur lorsque ceux-ci auront été appelés à régner avec le Christ : « Moyses sexcenlis mil-» libus impetrat a Deo veniam ; et Stephanus pro pecca-» toribus veniam deprecatur : postquam cum Chrislo esse » cœperinl, minus valebunt? (S. Hiéron. contra vigilant.)» Lomer, luthérien, dit que nous invoquons les saints, non
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seulement comme intercédant, mais aussi comme nous aidant. Mais qu'importe? les saints nous aident, non par leur propre vertu, mais par leur intercession, au moyen de laquelle nous recevons les grâces divines.
XII.  On lit dans Jêrémie : « Si steterim Moyses et Sa-» muel coram me, non est anima raea ad populum isluin. » (Jerem. xv. 1.) Si Moïse et Samuel prièrent pour le peu-ple et si le Seigneur les exauça, comment les hérétiques peuvent-ils dire que nous n'avons dans l'Écriture aucun document qui prouve que les saints déjà moris prient pour les vivans 1 Judas Macchabée aperçut dans une vision le pontife Onias et le prophète Jérémie qui priaient pour les Juifs, comme on le lit dans le lib.2. Macchab.A cela Calvin n'a su répondre que par l'assertion que ce livre des Mac-chabées n'est point canonique. Les hérétiques disent bien que les anges et les saints prient pour nous, mais d'une manière générale. Gependanl le conlraire est prouvé dans Tobie au chap. 12, dans Daniel au chap. 10, dans S. Matthieu au chap. 18, et dans l'Apocalypse au ch, 8, où on lit que les anges et les saints ont prié pour des hommes en particulier.
XIII.  Qu'ensuite l'invocalion des saints soit confirmée par la tradition, cela se prouve par l'autorité des saints Pères. S. Ambroise (in precal. 2. praepar. ad missam. ) dit : « Ut efficax mea sit deprecatio, beatae Mariae virginis » suffragium peto, quam tanti meriti esse fecisti, etc., » apostoloium intercessionem imploro, etc. » S. Chrysos tome dans sa liturgie invoque souvent les prières de la bienheureuse Vierge et des autres saints. S. Augustin dans ses méditations, cap. 40, fait celle prière : « Sancia el » immaculata Virgo Dei genitrix Maria, inlervenire pio » me digneris. Sancte Michael, sancte Gabriel, sanctis·
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» simichori angelorum, atque patriarcharum, apostolo-» ium, martytum, confessorum, etc., per illum qui vos » elegit, vos rogare praesumo, ut pro me supplicare di-» gnemini, etc. » Pareille chose se lit dans S. Athanase, S. Cyprien, S. Hilaire, S. Basile, S. Ëpiphane et plu-sieurs autres Pères. En outre, les Pères du concile de Chalcédoine (act. 11.) disaient : * Flavianus posl mortem » vivit, martyr pro nobis orel. » Les Pères du sixième synode disent aussi : « Christianus, solo Deo creatore » suo adorato, invocet sanctos, ut pro se intercedere » apud M. D. dignentur. » On lit encore dans l'Anli-phonaire de Grégoire (lom. 3. fol. 690) : « Sancta Dei » genitrix virgo Maria, ora pro nobis; precibus quoque » apostolorum, martyrum, etc., suppliciter petimus. » De plus, Hincmar écrit que S. Rémi, quand il baptisa Clovis récita les litanies des saints. Picenin blâme nos lita-nies , nos hymnes, nos prières, disant qu'elles s'adressent aux saints, sans nommer Jésus-Christ. Mais il voit bien mal, car toutes ces prières en l'honneur des saints, ou commencent par l'adoration de Dieu, ou finissent par le souhait de gloire à la très-sainte Trinité. Ce qui déplaît en-core à Picenin, c'est que nous répétions si souvent Y Ave Maria, comme si nous voulions faire l'office d'anges en an-nonçant à.la bienheureuse Vierge l'incarnation déjà faite. Mais il est clair que nous ne prétendons pas faire l'office d'anges, ni annoncer à Marie l'incarnation, nous voulons seulement, en lui répétant ce salut qui lui est si cher, obtenir d'elle sa puissante intercession, sachant que toutes les louanges que nous adressons à la Mère remontent au Fils, lequel se plall à ce que nous l'invoquions souvent pour nous accorder ses dons en faveur d'elle.
XIV. S. Augustin (lib. de cura pro mortuis, 16.), par-xix.                                                          41
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Iant de S. Félix, écrit : « Non solum beneficiorum effec-» tibus, verum etiam ipsis hominum aspectibus con-» fessorem apparuisse Felicem, cum a Barbaris Nola » oppugnaretur, audivimus non incertis Tumoribus, sed » testibus certis. » De semblables exemples d'apparition de saints à ceux qui les invoquaient dévoiemenl et qui en ont obtenu les'grâces qu'ils demandaient sont rapportés par S. Grégoire de Nice, dans la vie de S. Grégoire de Neo-césarée, par Théodorel ( Hist. 1. 5. cap. 24.), par Evodius, par Lucien et par S. Ambroise, écrivant sur la vie de S. Gervais et S. Protais.
XV. Picenin réplique : Vous catholiques, vous adressez vos prières, non à Dieu, mais aux saints, et vous les invoquez comme s'il dépendait d'eux de vous accorder les grâces et le salut éternel. Mais nous savons bien que Dieu seul est le dispensateur des grâces, et nous ne recou-rons aux saints que comme à des intercesseurs qui, principalement par les mérites de Jésus-Christ nous obtiennent ces grâces; c'est ainsi que les saints sont nos médiateurs auprès du principal médiateur qui est Jé-sus-Christ, lequel par ses mérites infinis nous obtient tous les dons que nous recevons ; aussi l'Église prie Dieu, non par les saints, mais par Jésus-Christ : « Concede nobis » Deus intercessione S. ?. hoc beneficium per Christum » Dominum nostrum. » Et quand elle prie par les mérites des saints elle enlend que par l'amitié de Dieu qu'ils possè-dent ils sont plus puissans pour nous obtenir les grâces. Quand elle dit : « Sanale mentes languidas, augete nos » virlulibus, » comme on le voit dans l'hymne des apô-tres, elle n'entend point que ce sont les saints eux-mêmes qui peuvent nous guérir de notre tiédeur et accroître en nous les vertus, mais seulement qu'ils peuvent par leurs
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prières nous obtenir ces grâces. S. Paul, parlant de lui-même (Rom. xi. 14.), dit : » Et salvos esse facerem ali-» quos ex illis » 11 dit aussi (I. Cor. ix. 22.) : «Ut omnes » facerem salvos. » Comment les sauver? en les aidant de ses prédications et de ses prières.
XVI. Qu'il soit utile d'invoquer les saints, c'est un dogme de foi, comme nous l'avons vu; mais S. Thomas pose cette question : Si non-seulement nous pouvons, mais si encore nous sommes tenus d'invoquer les saints, leur intercession étant nécessaire à notre salul : « Utrum de-» beamus sanctos orare ad interpellandum pro nobis? » et il répond ainsi : « Ordo est divinitus institutus ia rebus » secundum Dionysium, ut per media ultima reducantui » in Deum. Unde cum sancti, qui sunt in patria , sint » Deo propinquissimi, hoc divinae legis ordo requirit, ut » nos qui manentes in corpore peregrinamur a Domino, » ÌIL eum per. sanctos medios reducamur ; quod quidem » contingit, dum per eos divina bonitas suum effectum » diffundit.. » Puis il ajoute : « Et quia ìeditus noster in » Deum respondere debet processit! bonitatum ipsius ad » nos, sicut mediantibus sanctorum suffragiis Dei bene-» ficia in nos deveniunt, ita oportet nos in Deum reduci, » ut iterato beneficia ejus sumamus mediantibus sanctis. » (S. Thom. in 4. sent. disl. 45. qu. 3. art. 2.) Notez ces paroles : « Sicut mediantibus sanctorum suffragiis Dei be-» neficia in nos deveniunl, ita oportet nos in Deum reduci, » ut iterato beneficia ejus siwnamus mediantibus sanctis. » Ainsi, selon le sainl docteur, l'ordre de la loi divine veut que nous, mortels, par le moyen des saints, nous retournions à Dieu et nous nous sauvions en recevant par leur média-tion les secours nécessaires pour notre salut. Quanta l'ob-jection que se fail S. Thomas (ad primum), savoir, qu'il
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semble superflu de recourir aux sainls, puisque Dieu est infiniment plus qu'eux miséricordieux et disposé à nous exaucer; il répond que le Seigneur dispose ainsi les choses, non certes par défaut de puissance, mais pour conserver l'ordre régulier et qu'il a universellement établi, d'agir par le moyen des cause&secondes : « Non est propter defec-» Ium misericordiae ipsius, sed ut ordo praedictus conser-» velur in rebus. »
XVII. C'est d'après cette autorité de S. Thomas, que Co-let, continuateur de Tournely (lom. i de relig. cap. 2. de orat. ar. 4. q. 1.) dit que si Dieu seul doit être prié comme auteur de toute grâce, néanmoins, nous sommes tenus aussi de recourir à l'intercession des saints, pour observer l'ordre établi par le Seigneur pour notre ralut, savoir que les in-férieurs se sauvenien implorant l'aide des supérieurs: « Quia » lege naturali tenentur eum ordinem observare, quem » Deus instituit ; at constituit Deus, ul ad salutem inferio-» res perveniant, implorato superiorum subsidio. »
XVIII.  El si cela est vrai pour les sainls, ce l'est bien plus encore quand il s'agit de l'intercession de la mère de Dieu, dont les prières valent certainement auprès de lui plus quo celles de tous les saints; car, dit S. Thomas (epist. 8), les sainls, à proportion de leur metite, pefvenl en sauver beaucoup d'autres; mais Jésus-Christ, et avec lui sa sainte mère, ont mérité celte grâce suprême, de pouvoir sauver tous les hommes : « Magnum est enim in quolibet sancto, ? quando habet tantum de gratia, quod sufficere! ad salu-» tem multorum ; sed quando haberet tantum quod suffi-» ceret ad salutem omnium, hoc est maximum; et hoc est in » Christo et in beata Virgine. » El S. Bernard (serai, in Dom. in fia oct. Assumpt.) s'adressant à Marie, écrit : « Per » te accessum habemus ad fili um, invenliix gratiae, mater
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» salutis, ulperlenossuscipiat, qui perle datus est nobis.» Nous enseignant ainsi que, comme nous avons accès auprès du Père, par le moyen du fils qui est le médiateur de justice, de même nous avons accès auprès du fils, par le moyen de sa more qui esl médiatrice de grâce, et qui, par son intercession, nous obtient les biens que Jésus-Christ nous a mérités. En conséquence, le même S. Ber-nard (serm. de aquse duel.) dit que Marie a reçu de Dieu deux plénitudes de grâce : la première, dans l'incarnation du Verbe qui s'esl fait homme dans son 3eia ; la seconde, dans l'immensité des grâces que nous recevons par l'inter-cession de celle divine mère. Aussi le saint njoute-l-il : « Totius boni plenitudinem (Deus) posuit in Maria, ut » proinde si quid spei nobis est, si quid gratiae, si quid » salutis, ab ea noverimus redundare, quae ascendit delì-» ciis afiluens, hortus deliciarum, ut undique fluant et » effluant aromata ejus, charismata scilicet gratiarum. » En sorle que tout le bien que le Seigneur nous accorde, nous vient par l'intercession de Marie. El pourquoi cela? Parce que Dieu l'a ainsi voulu, répond le même saint : « Sic est voluntas ejus, qui totum nos habeie voluit per » Mariam. » Mais une raison plus spéciale est donnée par S. Augustin qui écrit que Marie est à bon droit appelée notre mère, puisque par sa charité elle a coopéré à ce que nous naissions à la vie de la grâce, nous fidèles, membres de noire chef, Jésus-Christ : « Sed plane matrem membro· » rum ejus (quae nos sumus) quia cooperata est charilate, » ut fideles in Ecclesia nascerentur, qui illius capitis » membrasunt. » (S.Aug.l.5.desymb.adcilec.cap.4.) El ainsi, comme Marie a coopéré par sa chaiiié à la nais-sance spirituelle des fidèles, de même Dieu a voulu qu'elle coopérât par son intercession à leur faire ob enir la vie de
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la grâce en ce monde, et la vie de la gloire dans l'autre. C'est pourquoi l'Église, en la saluant, la nomme notre vie. notre amour, notre espérance : « Vita, dulcedo et spes » nostra, salve. * Delà, S. Bernard disait en parlant de lui-même {cil. serm. deaquaed. ) : « Filioli, haec peccato-» rum scala, haec maxima mea fiducia, hœc Iota ratio spei » meae. » II l'appelle échelle ; parce que de même qu'en montant à une échelle on ne peut atteindre le troisième échellon qu'en posant le pied d'abordsiir le second, elle second qu'en s'appuyanl sur le premier, de même on ne parvient à Dieu que par le moyen de Jésus-Christ et au Christ que par le moyen de Maiie. Il la nomme ensuite « sa plus grande assurance él tout le fondement de son » espoir, » parce que Dieu (comme il le croil), veut que toutes les grâces qu'il nous dispense passent par la main de Marie. Et enfin, il conclut en disant : « Quae-» ramus gratiam, et per Mariam quaeramus; quia quod » quaerit invenit et frusirari non potest. »
XIX. Les hérétiques objectent premièrement, que les saints dans le ciel n'entendent point nos prières. Voici les paroles de Calvin : « Ils n'ont point les oreilles assez » grandes pour pouvoir nous entendre. » Mais l'Écriture nous apprend le contraire; l'ange Raphaël dit à Tobie : * Quando orabas cum lacrymis, ego obtuli orationem » tuam Domino. » (Tob. Xii. 42.) De plus on lit dans Y Apocalypse (c. 5. v. 8.), que vingt-quatre vieillards te-naient « singuli citharas, et phialas aureas plenas odo-» iumentorum quae sunt orationes sanctorum. »llsavaienl des vases pleins de parfums : ces parfums sont nos priè-res qui s'élèvent comme la fumée dé l'encens, dit David (psalm. 140. 2.) : « Dirigatur oratio mea sicut incensum » in conspectu tuo. » Mais ils répliquent que Dieu seul
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connaît nos pensées et nos prières : « Tu nosli solus cor » nostrum. » (111. Regum. 8.) Nous répondons que ï)ieu seul connaît par sa nature nos pensées, mais les saints les connaissent par communication. D'autres veu-lent que les saints n'aient connaissance de nos prières que par la révélation que leur en fait le Seigneur! Mais S. Grégoire soutient que les saints entendent nos prières en Dieu même, qu'ils voient pleinement : « Quia quae » intus omnipotentis Dei claritatem vident, nullo modo » credendum est, quod sit forte aliquid quod ignorent. » Quid est quod ibi nesciant, ubi scientem omnia sciunt? » (S. Grég. Mor. 1. 12. cap. 15. Apud S. Thoni. p. 1. q. 89. a 8.) S. Augustin dit néanmoins que les saints con-naissent plutôt nos prières par le ministère des anges : » Deus omnipotens, qui est ubique praesens, nec concre-» tus nobis, exaudìens martyrum preces per angelica mi-» nisteria usquequaque diffusa, praebet hominibus ista » solatia, quibus inhujus vitae miseria judical esse prae-» benda, et suorum media martyrum, ubi vult quando » vult quomodo vult maximeque per eorum memorias , » quoniam hoc novit expedire nobis ad aedificandam » fidem Christi, pro cujus illi confessione sunt passi, » mirabili atque ineffabi Ii potestate ac bonitate commen-» dat. » (S. Ang. L de cura pro mort. c. 15.)
XX. Deuxièmement, Calvin objecte (lib. 3. cap. 20. instit.)que le troisième concile de Carthage, ch. 23, dé-fend de diriger à l'autel, les prières, à d'autres qu'au Père éternel, et que cela est confirmé par S. Augustin (lib. 22. De civ. Dei, cap. 11,), leqqel dit que les saints ne sont pas invoqués par le prêtre qui sacrifie. On répond que le concile cité ne parle point de l'invocation dessainis, mai» qu'il dit seulement que le prêtre en sacrifiant ne doi
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s'adresser ni à la personne du Fils, ni à celle du Saint-Esprit, mais à celle du Père, comme on le fait aussi à présent : quand on sacrifie c'est toujours à toute la Triniié qu'on sacrifie. Qu'ensuite dans le sacrifice Dieu seul soit invoqué comme celui à qui le sacrifice est offert, cela n'empêche pas qu'on invoque les sainls afin qu'ils prient pour nous , comme l'écrivent S. Augustin (tract. 84 in Joan. etserm. 17.)elS.Cyrille (Calhec.)Eld'ailleursdans les anciennes liturgies et notamment celle de S. Chrysos-tôme, on trouve l'invocation des saints.
XXI.  Troisièmement, les hérétiques objectent que le Seigneur est très-prompt à nous exaucer : « Petite et ac-» cipielis : quaerite et invenietis. » Donc, disent-ils, à quoi servent les intercessions des sainls sinon à diminuer notre confiance en Dieu ? Et ils appuient cette réflexion des paroles de S. Chrysoslôme (homil. de profectu evang.) : « Certum non opus tibi patrinis apud Deum.... Seducet » solus sis, omnino tamen voti compos eris. » On répond que, bien que Dieu soit très-prompt à nous exaucer et qu'il n'ait pas besoin pour cela des sainls; néanmoins il est encore plus prompt à exaucer les prières des sainls que les nôtres, à raison de leurs mérites supérieurs : aussi le Sei-gneur dit aux amis de Job : « Et ile ad servum meum Job. » Job autem servus meus orabitpro vobis, etc. »(Job.xxiv. 8. ). D'ailleurs S. Chrysoslôme à l'endroit cité reprend ces riches qui font des aumônes aux pauvres, afin qu'ils prient pour eux, et le saint les avertit qu'il vaul mieux qu'ils prient pour eux-mêmes que par le moyen des pauvres.
XXII.  Quatrièmement, on objecte que Jésus-Christ a voulu que nous adressassions nos prières au Père éternel seul : « Sic orabitis : Pater noster, qui es in coelis, etc. » (Matth. vi. 9). Cet argument prouve trop, car si on le pre-
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naît entier, il prouverait que nous ne pouvons pas même invoquer dans nos prières le fils de Dieu ni le Saint-Esprit; mais nul ne prétend cela, pas même les prolestans de Mag-dcjfeourgqui font l'objection. (Centur. 1. lib. 1. cap. 4.)
XXIII.  Cinquièmement, on objecte qu'il n'existe aucun précepte de se recommander aux saints , ni aucune pro-messe d'être exaucés de Dieu en recourant à eux. Nous répondrons que s'il n'y a point de précepte, il n'y a pas non plus de défense'de recourir aux saints, défense que font les hérétiques; et bien qu'il n'y ait pas de promesse positive d'être exaucés, nous savons du moins que Dieu lui-même a plusieurs fois exhorté les hommes à recourir à l'intercession de ses serviteurs : et notamment, comme nous l'avons déjà vu lorsqu'il dit aux amis de Job : « Ile » ad servum meum Job. Job aulem servus meus orabit pro » vobis et ego suscipiam faciem ejus.» (Job. cap. ult. ?. 8.).
XXIV.  Sixièmement, on objecte que les saints, dans le ciel, ne peuvent plus mériter et par conséquent ne peuvent demander aucune grâce, ni pour eux, ni pour d'autres. Il est vrai qu'ils ne peuvent plus mériter, p; r-e qu'ils sont hors delà voie; mais à cause de leurs mérites pré-cédons , ils peuvent obtenir les grâces que nous demandons à Dieu, par leur médiation. C'est en vain qu'on dirait que le Seigneur les a pleinement récompensés de leurs mé-rites acquis pendant leur séjour sur la terre ; car parmi les rémunérations que Dieu leur dispense, nous compterons celle de pouvoir obtenir pour les fidèïesijui les honorent, ce qu'ils demandent par leur intercession.
XXV.  Septièmement, on objecle que l'invocation des saints est une injure faite à Dieu. L'apôtre, dit-on, écrit (Rom. xx. 14.) : « Quomodo ergo invocabunt, in quem » non crediderunt. » Nous ne devons donc invoquer que
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ceux en qui nous croyons : or nous ne croyons qu'en Dieu ; donc, ou nous devons n'invoquer que Dieu seul, ou nous devons croire que les saints sont des dieux. Mais on répond que ce n'esl point faire injure aux monarques que de chercher des intercesseurs auprès d'eux, qu'au con-traire c'est honorer à la fois eux et les intercesseurs. Au-trement, S. Paul aurait fait lui-même injure à Dieu en se recommandant à ses propres disciples comme on le voit en plusieurs endroits de ses épîlres. A'u reste, dans le pas-sage cité, l'apôtre ne dit autre chose sinon que celui-là ne peut invoquer Dieu, qui ne croit pas en lui.
XXVI. Huitièmement, on fait celle objection. S. Paul dit : « Unus est mediator Dei et hominum, homo Christus » Jésus » (I. Tim. II. 5.). Ainsi, en prenant les saints pour nos médiateurs, au moins faisons-nous injure à Jésus-Christ qui est notre unique médiateur. La réponse est que nous n'entendons pas en invoquant les saints, qu'ils pren-nent la place de Jésus-Christ en intercédant pour nous auprès de Dieu ou môme afin qu'ils aident Jésus-Chrisl à nous obiénir les grâces divines, mais nous les prenons seu-lement comme médiateurs auprès de Jésus-Chrisl, lequel est notre principal et unique médiateur, celui dont les mérites infinis nous procurent les grâces. Nous invoquons seulement les saints comme intercesseurs auprès de Jésus-Christ ou auprès de Dieu, afin que nous puissions plus fa-cilement être exaucés de Dieu par les mérites du Sau-veur. Il y a deux modes de médiation : la première en payant la dette de celui qui devait satisfaire; la seconde en priant le créancier de tenir qu itle ledébiteurde ce qu'il doit. Jésus-Chrisl est notre médiateur suivant le premier mode, ayant par sa mort payé toutes nos dettes ; et c'est en ce sens que l'apôtre dit que notre unique médiateur esl Je-
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sus-Christ, comme on le lit dans la suite du passage : « qui dedit semetipsum redemptionem pio nobis. » Les saints peuvent aussi être nos médiateurs, mais selon le second mode, c'est-à-dire purement médiateurs de grâce, à la diflërence de Jésus-Christ qui est médiateur de jus-tice; car le Père, d'après le pacte fait avec son fils, est tenu de l'exaucer en tout ce qu'il lui demande à raison de ses mérites. D'ailleurs, S. Grégoire de Nazianze n'hé-site pas à appeler les saints martyrs médiateurs enlre nous et Dieu, comme Moïse n'hésita pas à se nommer lui-même médiateur entre les Hébreux et Dieu : « Ego sequester et » medius fui inler Dominum, ei vos, in tempore illo. » (Deuter. ?. ?.) Mais toujours est-il vrai que toutes les grâ-ces que les saints nous obtiennent sont obtenues par la médiation de Jésus-Christ.
XXVII. Neuvièmement, on oppose que le concile de Laodicée inlerdil l'invocation des anges suivant la doctrine de S. Paul, qui écrit : « Nemo vos seducat volens in hu-» mililate et religione angelorum, etc. » (Coloss. ?. 48.) Et ce passage de S. Chrysostôme (nom. 5. in Matth. ) : « Deus salutem nostram non tam aliis pro nobis rogan-» tibus vult donare, quam nobis. » On répond que S. Paul condamne dans le passage cité l'idolâtrie de Simon le magicien, lequel disait que certains anges qui, suivant lui, avaient fabriqué le monde, devaient être adorés comme des dieux inférieurs; c'est ainsi que S. Jérôme et d'autres Pères expliquent ce passage. Quant à S. Chrysos-tôme, il parle de ceux qui, sans prier pour eux-mêmes, veulent se sauver avec les prières des autres ; aussi ce saint ajoute : « Haec dicimus, non ut supplicandum esse sanctis » negemus, sed nedormientes ipsi aliis tantummodo nos-» Ira curanda mandemus. »
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XXVIII. Dixièmement, on oppose ce que dit Jérémie que c'est en Dieu seul, non dans les hommes, que nous devons placer noire espérance, le Seigneur maudissant celui qui se confie à la créature : « Maledictus homo qui » confidit in homine. » (Jérém. XVII. 5.) Nous répondons que nous nous confions uniquement en Dieu comme au-teur de loules les grâces, et en Jésus-Christ comme notre principal médiateur; puis nous nous confions aux saints comme intercesseurs ou seconds médiateurs, dont les prières peuvent, mieux que les nôtres, obtenir les grâces, parce qu'elles sont plus efficaces et plus agréables à Dieu. Cerlainement celui qui met son espérance dans l'homme, indépendamment de Dieu, sera maudit; mais non celui qui, sachant que loules les grâces nous viennent de Dieu, se recommande aux saints, afin d'obtenir, par leur inter-cession , les dons qu'il désire.
5 III. De Ja vénération due aux reliques des Fainfs.
XXIX. Les luthériens disent que les reliques des saints doivent êlre traitées avec révérence, mais ne doivent pas recevoir un culte religieux, comme de les baiser, de les porter en procession, de s'agenouiller en leur présence ou de brûler des cierges devant elles. Nous disons qu'il fluit distinguer le culte religieux absolu, qui se rend à cause de l'excellence propre et essentielle, et le aille respectueux, qui se rend à une chose en considération d'une aulre. C'est ce dernier qu'on rend aux reliques par respect pour les saints qu'on vénère en elles. Nous'lisons dans les Actes des Apôtres (c. xix. v. 12.) que les ceintures cl les suaires de S. Paul se poriaient chez les malades pour opérer leur guérison : « Ita ut etiam super languidos deferrentur a
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» corpore ejus sudaria et semicinctia (ceintures étroites) * etrecedebanlab eis languores, et spiritus nequam egre-» diebantur. » Ce qui fait dire à Grotius (adnot. ad art. 20. consult. Cassandr.) que Dieu.lui-même a voulu en cela nous prévenir en honorant "les reliques des saints : « In hac re hominibus Deus ipse prseivit, reliquias sanclo-» rum honorando. » En outre, nous avons dans l'Écri-ture (4. Reg. il. 14.) que les eaux du Jourdain respec-tèrent le manteau d'Élie : « Et pallio Elise, quod ceciderat » ei percussit aquas, et non sunt divisée. » Or, si le Sei-gneur a voulu que les vciemens de ses saints fussent ho-norés même de la vertu des miracles, combien mieux voudra-l-il que nous honorions les reliques des corps des saints qu'il a revêtus d'unegloire divine? Et il faut noter ici que, d'après lès exemples pris plus haut dans l'Écriture, vous vénéforis à juste litre non-seulement les os des saints, mais encore leurs vêlemens, leurs bâtons et autres objets sanctifiés par l'usage qu'ils en ont fait, ou seulement qu'ils ont touchés, commeant les inslrumensdu supplice des martyrs.
XXX. La vénération pour les reliques des saints se prouve par la tradition des Pères. S. Clément (lib. 6. const. apost. cap. 50. ) écrit : « Eorum, qui in Deo vivunt, » nec reliquiae sine honore manent. » S. Chrvsosiôme (hom. 40. in ss. Invent, el Maxim.) « Saepe eos invisa-» mus, capsulam allingamus, magnaque fide reliquias » eorum contingamus, ut inde benedictionem aliquam » assequamur. » S. Augustin (epist. 103. videl. 22. e. 8. de civ. Dei) : « Reliquia beali marlyiis Stephani, quas » non ignorat sanctitas vestra sicut el nos fecimus, quam » convenienter honorare debeatis. » El dans un autre en-droit (lib. 1. de civil. Dei, cap. 13.) il dit que les reli-
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ques des sainls doivent être vénérées comme étant les vases et les instrumens dont l'Esprit saint s'esl servi pour l'œu-vre de sa gloire : « Quibus tanquam organis et vasis ad » omnia bona opera usus est. » S. Jérôme (çpisl. 11. ad Riparium ) : Christianos solum Deum honorare, sed » martyres, et reliquias eorum venerari, quorum honor » ad Dominum redundat, qui dixit : Qui vos suscipit me » suscipit. » Le même saint docteur écrivant contre Vigi-lance, qui appelait les catholiques idolâtres parce qu'ils vénéraient les reliques des saints, comme les gentils véné-raient les idoles : « Idololatras appellat ejus modi homi-» nes ; illud fiebat idolis et ideo detestandum est ; hoc » fit mariyribusel idcirco recipiendum esl. » On retrouve la même opinion dans S. Alhanase, S. Basile, Eusèbe et S. Grégoire deNice, ciléparBellarmin(lib.derelig.etimag. ss.), lequel cite encore à l'appui le deuxième concile de Nicée, le cinquième de Carthage et le troisième de Brague.
XXXI.  Dans les premiers siècles, les chrétiens forcés par les gentils s'abstenaient des démonstrations publiques du culte et entr'aulres des marques de vénération pour les reliques; mais les persécutions s'élant apaisées daus le quatrième siècle,   on exhuma les  premiers les os de S, Etienne qui furent portés en grande vénération par divers lieux où ils opérèrent beaucoup de miracles, comme l'atteste S. Augustin (de civ. Dei. cap. 8.) ; les disciples de S. Polycarpe"donnèrent également leurs soins à recueil-lir les reliques du saint et les conservèrent daivs le  lieu spécial  ubi docebat, comme on le voit dans la  lettre de l'église de Smyrne, qu'on lit dans Eusèbe (hist. lib. 4. cap. 15.)
XXXII.  L'hérétique Amesius objecte que Dieu cacha le corps de Moïse afin qu'il ne fût pas honoré par les Juifs.
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On répond que cela fut ainsi, parce qu'en ce temps les Juifs étaient très portés à l'idolâtrie d'où, pour qu'ils n'a-dorassent pas les restes de Moïse comme une chose divine, Dieu voulut qu'ils restassent cachés. Du reste, Dieu lui-même, après la captivité de Babylone, illustra les sépulcres d'Isaïe, de Jérémie et d'Ezéchiel, et régla le culle que devaient recevoir leurs restes. Et quand l'Écriture dit que le Seigneur « corpus Moysis sepelivit » ; c'est bien nous enseigner que les corps des saints doivent être honorés.
XXXIII.  On objecte en second lieu que Jésus-Christ reprit les pharisiens de ce qu'ils ornaienl les sépulcres des sainls : « Yse vobis... qui aedificatis sepuichra prophela-» rum, et ornatis monumenta justorum. » (Malth.xxm. 29.) On répond que Jésus-Chris! reprenait les pharisiens à cause de leur hypocrisie, parce que, se contentam de ces démonstrations extérieures, ils ne pratiquaient point les vertus, et se donnaient par ce culte extérieur une fausse apparence de sainteté.
XXXIV.  Amesius objecte encore que la plus grande partie des reliques sont fausses et supposées, et qu'il arrive souvent qu'au lieu des os des sainls on adore les os de voleurs ou de chiens. On répond que d'abord il n'est point vrai que les reliques soient fausses spécialement si ce sont des reliques exposées avec l'autorisation des évê-ques (qui en cela sont très-prudens et éclairés), et le dé-cret du concile dans cette session défend qu'aucune reli-que soit exposée sans cette autorisation. On répond en second lieu que si quelque relique peut être supposée par erreur ou malice, il ne faut pas pour cela refuser d'hono-rer toutes les autres à l'égard desquelles on ne peut avoir aucun soupçon, et enfin si par cas quelque relique n'élait pas vraie, il suffit pour justifier la vénération qu'on lui
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porle, de l'intention qu'on a d'honorerle saïnlàqui on croit qu'elle appartient ; car nous ne vénérons les reliques que sous celte condition tacite, qu'elles soient vraies.
§ IV· De la vénération des saintes images.
XXXV.  Dans les temps les plus rapprochés de nous, le premier qui poursuivit les saintes images fut André Car-lostadt, en l'an 1522, comme l'écrit Jean Coclhée dans la vie de Luther. Garlosladt fui suivi par quelques zuin-gliens et magdebourgeois et par Calvin,» qui, et tous ses sectateurs avec lui, réprouva fortement le culte des images. Mais bien auparavant, en l'an 781, une grande gueire fut faite aux images parles empereurs Léon l'Isaurien et Cons-tantin Copronyme,contrelesquelsensuileon tint leseplième concile ou le deuxième de Nicée (sous le pape Alexandre), lequel ne fut pas d'abord reçu en France, où la doctrine sur ce point n'était pas bien entendue; quand elle le fut mieux, le concile fui accepté et tenu pour œcuménique comme il l'était. Et dans l'Occident, on tint le concile de Rome sous GrégoireII, dans lequel siégèrent mille évêques, et qui pa-reillement condamna l'hérésie des iconoclastes,
XXXVI.  Les hérétiques nous condamnent comme ido-lâtres parce que nous vénérons les saintes images, et ne veulent pas distinguer entre l'idole et l'image : l'idole est un simulacre ou image (selon l'Écriture ) dans laquelle on adore une fausse divinité; mais l'image sacrée est une re-présentation de l'original qui est directement vénéré : de sorte que l'image est la figure d'un prototype existant; l'i-dole au contraire est la figure d'un prototype ou d'un Dieu qui n'exisle pas. Ainsi le culle rendu à l'image se rap-porte toujours à son prototype, c'en esl comme l'exem-plaire que l'on adore : aussi est-ce à tort que Durand dit
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que dans l'image c'est le prototype seul qui doit être ??-néré et non du tout l'image : ce qui est contraire à la doc-trine commune des catholiques, parce que bien que le culte se rende toujours au prototype, on peut étendre sa vénération jusqu'à son image.
XXXVII. Calvin avance que dans les cinq premiers siècles de l'Église l'usage des images fut inconnu. Mais il est démenti par Terlullien, qui (lib. de pudicil.) atteste en deux endroits que sur les calices des églises catholiques était empreinte la figure de Jésus-Christ, sous la forme d'un pasteur portant une brebis sur les épaulés. Le culte des images se prouve ensuite par la tradition apostolique et par Ja pratique perpétuelle de l'Église, comme l'atteste le septième concile dans les actes 2 et S, et dans le septième oùilfaitcelledéclaralion* Nossanctissimorum patrum doc-» trinae insislentes, et catholicae Ecclesiae, in qua sanctus » Spiritus inhabitat, traditionem observantes, definimus, » venerandas, et sanctorum imagines in templis Dei col-» locandas tum parietibus et tabulis j tumin aedibus pri-» valis, in viis publicis, etc., quo omnes illis honorariam » adorationem exhibeant, non veram lalriam ; imaginis » enim in proiolypum redundat. Sic disciplina vel tra-» ditio catholicae Ecclesiae, quos a finibus usque ad fines » Evangelium suscipit. » De plus, dans ce même concile, acte 6, on lil que S. Epiphane, qui vivait dans le cinquième siècle, disait : « Usque adeo venerandarum imaginum ob. » servalio in Ecclesia obtinuit, ut ab eo haec usque lem-» pora recepta fuerit. » Etsi, selon la règle de S. Augus-tin dont nous avons parlé, les usages dont on ignore l'auteur, doivent être supposés de tradition apostolique; cela peut bien être appliqué à la vénération pour les saintes images. S. Basile confirme celle vérité (in Julianum) : xix.                                                           4r2
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« Historia simaginum illorum (apostolorum ei martyrum) » et palamadoro. Hoc enim nobis traditum a sanctissimis » apostolis non est prohibendum; sed hi omnibus eccle-» siis nostris horum historias eligimus. » S. Jean Chry-sosiome(tom. 5. in liiurg.) dit : « Sacerdos conversus » ad Christi imaginem inlerduo osiia inflexo capite cum » exclamatione dicit hanc orationem, etc. » Nicéphore (lib. 6. cap. 16.) atteste que S. Luc peignit l'image de la bienheureuse Vierge , et on dit que celte image se voit à Rome dans l'église de Sainle-Marie-Majeure. De plus, S. Alhanase, bibliothécaire de Rome, dans la préface du septième synode écrit ainsi au pape Jean VIII, successeur d'Adiien II : « Quai super venerabilium imaginum ado-» ratione praesens synodus docet, haec et apostolica vestra » sedes, sicut nonnulla scripta innuunl, antiquitus tenuit, » et universalis Ecclesia semper venerata est, et hactenus » veneratur. »
XXXVIII. En confirmation de celle vérité, Sozoïpène (lib. 5. cap. 20.) el Niçéphore (lib. 10. cap. 50.) écri-vent qu'au temps de Julien l'aposial les chrétiens retirè-rent dans l'Église la statue de Jésus-Christ qui était près de Pemade ce qui arriva avant l'an 400. Pareillement, Eusèbe dans la vie de Constantin (lib. 5 el 4. ) écrit que dans les églises bâties par Comianlin dans la Palestine, on voyail plusieurs saintes images tant d'or que d'argent. S. Grégoire de Nazianze (epist. 49. ad Olympium ) se plaint de ce que l'on devait démolir la ville de Césavée, où plusieurs statues avaient été vénérées dans le temps, et il ajoute : « Si statuai deiiciantur, hoc nos excruciat· » S. Damase écrit, dans la vie de S. Sylvestre, que Cons-tantin plaça dans l'église deLalran plusieurs statues d'ar-genl du Sauveur, des douze apôtres el des qualre évangé-
CONTRÉ LES HÉRÉTIQUES.                       659
listes. Dans le septième synode (act. 6.), il est rapporlé que les disciples de S. Epiphane élevèrent un temple sous son invocation et y placèrent sa statue. De plus, Nicé-phore écrit (lib. 14. cap. 2.)que l'impératrice Pulchérie Augusta posa dans le temple qu'elle avait fait bâtir à Conslanlinople l'image de la mère de Dieu que Eudoxie lui avait envoyée de Jérusalem. On raconte encore que notre Sauveur laissa empreinte sa figure sur un linceul et l'envoya au roi Abgar. Plusieurs modernes nient ce fait, mais il est donné pour certain par Damascène (lib. 4. de imagin.)et comme le dit Evagrius, qui aussi le lient pour certain (lib. 4. cap. 26.), le fait fut prouvé par un grand miracle opéré dans Edesse. Théodorel dans son his-toire religieuse, et particulièrement dans la vie de S. Si-meon Stylite, raconte qu'à Rome, dans toutes les bou-tiques, on voyait appendues les images de ce saint
XXXIX. Les hérétiques trouvent très-mauvais que nous représentions Dieu et la Trinité sous une forme corporelle. Mais nous savons que Jacob vit sous une pareille forme le Seigneur appuyé au haut de {'échelle par laquelle mon-taient et descendaient les anges : « Et Dominum (vidit) » innixum scalae dicentem sibi : Ego sum Dominus Deus » Abraham, eic. » (Genes. XXYIII. 13.); et dans l'Exode (xxxin. 24.) il est dit : « Tollamque manum meam, et » videbis posteriora mea : faciem autem meam videre non » poteris. » De plus, dans S. Matthieu on lit que lors du baptême de Jésus-Christ par S. Jean, le Saint-Esprit ap-parut sous la forme d'une colombe : « Baptizatus autem » Jésus... et vidit Spiritum Dei descendentem sicut colurn-» bam » (Malth. m. 16.). Le septième synode approuva la représentation du Saint-Esprit sous celle forme de co-lombe. On trouve encore dans Daniel que Dieu est repré-
42.
660                                       TRAITÉ
sente sous la forme d'un vieillard à cheveux blancs, assis sur son trône : « Antiquus dierum sedens in throno, cujus » vestimentum candidum quasi nix, et capilli quasi lana » munda » (Daniel vu. 9.). De plus, nous voyons que l'Ecriture donne à Dieu des membres humains; or si ??-. criluic attribue ainsi une forme humaine à Dieu, pour-quoi ne fourrait-elle être représentée? Le concile de Trente dans cette session vingl-cinquième a admis les images de Dieu spécialement pour représenter les traits de l'histoire sainte ; mais il veut qu'en môme temps on instruise le peuple à ne pas croire que la divinité puisse réellement être représentée, comme si elle pouvait être vue des yeux du corps : « Quod si aliquando historias, et narrationes » sacrae Scripturae, cum id indoctae plebi expediret, exprimi » et configurari contigerit, doceatur populus non praeterea » divinitatem figurari, quasi corporis oculis conspici, vel » coloribus aut figuris exprimi possit. » Ainsi, lorsque nous représentons la Sainte-Trinité, nous ne prétendons pas offrir l'image de Dieu tel qu'il est, mais nous voulons amener le peuple à la connaissance de Dieu par ces sym-boles analogues.
XL. Quelques-uns pensent que les saintes images doi-vent être honorées du même culle que l'original qu'elles représentent ; qu'ainsi les images de Dieu doivent recevoir le culle de latrie, celles de la bienheureuse Vierge le culle d'hyperdulie, et celles des saints le culle de dulie ; mais la meilleure opinion est celle que partage Bellarmin, savoir, que les images doivent bien recevoir un degré différent de vénération suivant l'original qu'elles représentent ; mais c'est improprement et non proprement (comme on le re-marque dans le septième synode) que celle différence de culle doit être observée (selon la différence de l'priginal),
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                       661
de même que l'envoyé d'un roi reçoit les honneurs dus à ce roi, mais improprement. Du reste S. Thomas (II. 2. qu. 81. a 3. ad. 3) résout mieux que tous celte diffi-culté, en disant, selon la première opinion, que le même culte dont on honore Dieu et les sainls, de latrie ou de du-lie, peut bien être rendu à leurs images; mais qu'à l'é-gard des prototypes l'adoration est absolue, et à l'égard des images, seulement relative; ce qui lève tout doute.
LXI. Disons ici quelque chose en particulier du signe de la croix. Certainement les reliques ou parcelles du bois de la vraie croix sur laquelle est mort Jésus-Christ, par le contact qu'elles ont eu avec le corps sacré méritent plus de vénération que les autres reliques; comme aussi l'on doit plus de vénération au signe de la croix (1) qu'aux images des sainis. Mais ici les hérétiques nous attaquent et disent que si l'on doit honorer toute image de la croix parce que Jésus-Christ est mort sur une croix, on devra aussi vénérer toute corde, tout fouet, tout clou, tout sépulcre, parce que le Seigneur fut tourmenté avec des cordes, des fouets et des clous, et qu'un sépulcre reçut son corps. On répond que toutes les cordes, les fouets, les clous et les sépulcres ne sont point faits pour représenter ceux de Je sus-Christ comme sont faites les croix, et par là les croix seules ont la qualité d'images et doivent être vénérées. Dieu lui-même veut que le signe de la croix soit honoré, d'après ce que nous lisons dans S. Matthieu (xxiv. 30) : « Et tunc apparebit signum Filii hominis in cœlo. » Tous les anciens entendent par ce signe du Fils de l'homme, le signe de la croix, contre l'opinion de Calvin ; aussi, dans
(1) On entend ici par signe de Ja croix, non pas seulement celui que l'on fait sur soi avec la main, mais toute image ou «'présen-tation de la croix.
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trois synodes : les sixième, septième et huitième, on dressa des canons spéciaux pour la vénération des croix.
XLII. Mais, réplique-l-on, la croix de Jésus-Christ de* vrait bien plutôt être détestée qu'adorée, puisqu'elle fut l'instrument dé tant de douleurs et d'ignominie. Car, dit-on, un fils se montrerait non respectueux envers son père, mais irreverenti s'il honorait le gibet où son père aurait été supplicié ! On répond que la croix, bien qu'elle fût une ignominie pour Jésus-Christ dans l'intention des Juifs, fut cependant un instrument de triomphe par la rédemplion du monde qui s'opéra sur elle. C'esl pourquoi nous la vénérons avec justice, non comme ignominieuse, mais comme glorieuse pour notre Sauveur. Outre que la croix est devenue glorieuse par le contact de Jésus-Christ. Donc, diront les incrédules, l'âne sur lequel Jésus entra à Jérusalem est aussi devenu glorieux ! S. Aihanase répond : « Non per asinum Christus diabolum devicit -, et dœmO' » nes, neque in eo salutem operatus est, sed in cruce. » (S. Alhan. 1. qusesl. ad Antioch. qu. 1. 5.) On objecte en-core contre les reliques de la croix, que si l'on rassem-blait toutes les parcelles qui en sont éparses sur la terre, on aurait plusieurs fois autant de bois que celui qui com-posait la croix; à ce sujet le cardinal Gotti dit que quel-que nombre de parties que l'on déiache de la croix le bois sacré ne diminue point et là dessus il invoque l'autorité de S. Cyrille de Jérusalem, lequel affirme que ce bois sa-cré : « ad hodiernum diem apud nos apparens, et apud » eos qui secundnm fidem ex eo capientes, hunc univer-» feuin orbem jam repleverunt, » à l'exemple de la multi-plication des pains.
XL1II. Mais à quoi servent les images quand nous avons les originaux. Elles servent à conserver en nous qui som-
CONTRE  LÈS  HÉRÉTIQUES.                        663
mes guidés par nos sens, la mémoire de Jésus-Christ et des saints, qui nous enseignent les vertus que nous devons pratiquer, et en même temps elles nous rappellent que nous devons les invoquer dans nos besoins. S. Grégoire de Nysse dit, dans son oraison adressée à Théodore, que même les simples peintures appendues aux murailles ne laissent pas, bien que muettes, de parler et de nous être utiles : « Solet enim etiam pictura tacens in pariete loqui, maxi-» meque prodesse. » Mais le concile de Trente (décret, de invocatione sancl. ) démontre bien mieux encore l'utilité des saintes images lorsqu'il dit : « Illud vero diligenter » doceant episcopi, per historias mysteriorum nostra re-» demplionis, picturis vel aliis similitudinibus expressas, .» erudiri ei confirmari populum in articulis fidei corome-» morandis> et assidue recolendis ; tum vero ex omnibus » saevis imaginibus magnum fructum percipi, non solum » quia admonetur populus beneficiorum et munerum, » quse a Christo sibi collata sunt ; sed etiam quia Dei per » sanctos miracula , et salutaria exempla oculis fidelium » subiciuntur, ut pio iis Deo gratias agant, ad sanctorum » imitationem vitam moresque suos componant, exciten-» turque ad adorandum ac diligendum Deum, ac pietatem » colendam. Si quis autem his decretis contrarie do-» cuerit, aut senserit, anathema sit. »
XLIV. On objecte premièrement que l'Écriture défend tout culte religieux des images : « Non adorabis ea ei non » coles. » (Deuler. v. 9.) Les mots non adorabis défendent, ajoute-t-on, tout culte extérieur, et par ceux-ci, non cotes, loul culte intérieur. On répond que dans ce passage l'É-criture défend le culte d'idolâtrie que les gentils rendaient aux statues, croyant qu'il existait en elles quelque vertu divine; mais que cela ne s'entend point du culte religieux
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rendu aux saintes images et rapporté aux originaux qu'elles représenlent. Ce fut le grand penchant des Juifs pour l'ido-làlriequi leur fit défendre d'adorer les images; aussi Jo-sephe l'historien écrit que dans ce temple même il n'y avait pas d'images, bien que d'ailleurs on y eut figuré des chérubins vraies images d'anges. Du reste, tout dan-ger d'idolâtrie ayant cessé aujourd'hui, avec lui a cessé le précepte cérémonial donné aux Juifs.
XLV. On objecte en second lieu que l'image étant vé-nérée comme représentant son prototype, on ne peut vé-nérer l'image elle-même. La réponse est que les images sans relation avec les originaux qu'elles représenlent ne méritent certainement aucun honneur, mais elles en mé-iitent par celle relation ; car alors, comme le dit S. Tho-mas (3. p. q. 23. a. 3.), ou l'on adore le prototype de l'image, ou bien celle image pour son prototype, ce qui revient toujours au culte relatif.
XLVI. On oppose troisièmement que dans le concile d'Elvire ( en 305, au can. 26.) il est défendu de placer des tableaux sur les murs des églises. On répond que cette défenseful faite pourplusieursmotifs qui n'existent plus au-jourd'hui ; elle lui faite surtout pour que les gentils ne pen-sassent pas que les chrétiens adoraient les images et simu-lacres, on même pour qu'ils ne profanassent pas les ima-ges sacrées, car, dans ce temps, les persécutions duraient encore, comme on le voit au can. 23 du même concile.
XLVII. On objecte quatrièmement que S. Grégoire, dans une de ses lettres (lib. H. epist. 43. alias 9.) dé-fend l'adoration des images. Mais S. Grégoire parle là de certaines images à qui on rendait un culie supersti-tieux au grand scandale des fidèles, comme on le voit par le texte même de la lettre. Du reste, nous voyons
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que le même S. Grégoire (épître54du liv. 9.) envoya en présent à Secondinus une image du Sauveur, et il dit dans sa lettre qu'il sait bien qu'il ne l'adorerait pas, comme il adorerait Dieu, « sed ob recordationem filii Dei, ul in » ejus amore recalescas. » II envoya de plus au même Secondinus une croix et deux vêlemens ou deux bou-cliers où étaient peintes les images du Sauveur et de la sainte Vierge, et des apôtres S. Pierre et S. Paul.
XLVIII. On objecte cinquièmement que les Juifs, en adorant le veau d'or, et les gentils (comme l'écrit Calvin) en adorant leurs idoles, ne croyaient point que ce fussent là des divinités, mais qu'ils entendaient honorer le vrai Dieu. On répond que les Juifs, comme les gentils, en adorant de fait ces images, ou adoraient de faux dieux ou au moins leur croyaient quelque verlu divine ca-chée, car ils plaçaient leur confiance et leur espoir dans ce bois et dans ces pierres, les prenant pour dernier terme de leur adoration, ce qui était une véritable ido-lâtrie. De là Daniel écrit (v. A.) : « Bibebant vinum et » laudabant deos suos aureos. » David écrit des Juifs : « Et commixti sunt inter gentes.... et servierunt sculp-» lilibus eorum. » (Ps. cv. 35 et 56.) C'est pour cela que Moïse élait toujours sollicité par eux en ces termes : « Fac nobis deos, qui nos praecedant. » (Exod. xxxn. 23.) Jéroboam, pour les détourner du vrai Dieu, érigea deux veaux d'or, et leur dit : « Nolite ultra ascendere in » Jérusalem ; ecce dii tui, Israël, qui le eduxerunt de » terra Jïgypli. » (III. Reg. xn. 28.) De même Aaron parlant du veau d'or, leur adressait ces paroles: « Hi » sunt dii tui qui te eduxerunt de terra iEgypli. » (Exod. xxxn. 4.) Rien de pareil chez les calholiques qui ne croient point à aucune vertu cachée des saintes ima-
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ges ; le culte qu'ils leur rendent étant tout relatif à leurs prototypes : c'est pourquoi la vénération qu'on témoigne pour les images n'est point défendue; mais au contraire agréée par Dieu, ce qui paraît par les nombreux miracles que le Seigneur se complaît à opérer par leur moyen. Dire ensuite que tous ces miracles sont faux, cela ne se peut sans la plus grande témérité.
XLIX. Sixièmement, Calvin fait cette objection : Mais puisque les images n'ont aucune vertu cachée, à quoi sert de recourir à une image plutôt qu'à une autre, si-non à faire de longs pèlerinages. On répond que cela ne vient pas de la vertu particulière de telle ou telle image, mais de la volonté du Seigneur qui se complaît souvent à répandre plus de grâces par le moyen de telle image que de telle autre, selon ses desseins divins; qu'ainsi il inspire aux âmes plus de dévotion pour (elle image que pour une autre.
Des indulgences.
L. Dans celle vingt cinquième session, on fit aussi un décret touchani les indulgences dans lequel on dit que l'Église ayant reçu de Jésus-Christ le pouvoir de conférer les indulgences dont l'usage remonte aux plus anciens temps et a été approuvé par les synodes comme éminem-ment salutaire, le concile enseigne et recommande sa conservation et condamne par l'anathème l'assertion que les indulgences sont inutiles ou que l'Église n'a pas le pouvoir de les accorder. Il entend cependant qu'il soit fait justice des abus, elc. « Cum potestas conferendi in-» dulgeniias a Christo Ecclesiae concessa sit, atque » hujusmodi potestate divinitus sibi tradita, antiquissi-
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» mis eliam temporibus illa usa fuerit : sacrosancta sy-» nodus indulgentiarum usum, christiano populo maxime » salutarem, sacrorum conciliorum auctoritate probatum, ·» in Ecclesia retinendum esse docet et praecipit ; eosque » anathemate damnat, qui aut inutiles esse asserunt, vel » eas concedendi in Ecclesiae potestatem esse negant : in » his tamen concedendis moderationem, juxta veterem » et probatam in Ecclesia consuetudinem, adhiberi cupil ; » ne nimia facilitate ecclesiastica disciplina enervetur. » Abusus vero qui in his irrepserunt, et quorum occa-» sione insigne hoc indulgentiarum nomen ab haereticis » blasphematur, emendatos et correctos cupiens praesenti » decreto generaliter stituit, pravos quaestus omnes pio » his consequendis, unde plurima in christiano populo » abusuum causa fluxit, omtiino abolendos esse. Caeleros » vero, qui ex superstitione, ignorantia, irreverentia, aut » aliunde quomodocumque provenerunt, cum ob multi-» plices locorum et provinciarum, apud quas hi com-» mittuntur, corruptelas commode nequeant specialiter » prohiberi, mandat omnibus episcopis ut diligenter » quisque in prima synodo provinciali referat : ut, alio-» rum quoque episcoporum sententia cognita, statim ad » summum romanum pontificem deferantur, cujus auc-» torilale et prudentia, quod universali Ecclesiae expe-» diei, slatueiur : ut ita sanctarum indulgentiarum » munus pie, sancte et incorrupte omnibus fidelibus M dispensetur. »
LÏ. Voilà la pierre de scandale, voilà ce qui donna naissance aux premières erreurs et la cause de l'horreur morlelle que Luiher et ses seclaleurs ont gardée pour le seul mot d'indulgence que d'ailleurs ils ont à peine com-pris. Le luthérien Gérard, second ministre des novateurs,
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prétend que nous disons que Jésus-Chvist a satisfait pour nos fautes, mais que pour les peines éternelles et tem-porelles il nous a laissé l'obligation de satisfaire nous-mêmes; qu'ainsi, pour nous exempter de ces peines, nous avons inventé les indulgences par lesquelles (en nous les procurant de Rome à prix d'argent) nous espé-rons que ces peines nous sont remises. On répond que notre Sauveur, bien qu'il ait spécialement salisfail pour nos fautes et pour la peine élernelle qu'elles nous ont méritée, a néanmoins salisfail aussi pour la peine tem-porelle qui nous est due, quoique ordinairement celle satisfaction de Jésus-Christ ne s'applique à la rémission de la peine temporelle, qu'avec concours de notre propre satisfaction ou au moyen des indulgences qui nous sont concédées par le vicaire de Jésus-Christ. Il est ensuite de toute fausseté que les indulgences soient une pure in-vention des catholiques; elles ont été enseignées par Jésus-Christ lui-môme et par l'Église, par une constante tradition. II est aussi faux que nous achetions ces indul-gences, car elles sont de fait concédées gratuitement comme tout le monde le sait,
LU. En outre nous disons que, selon la véritable doc-trine enseignée par l'Église, les indulgences nous valent la rémission de la peine temporelle qui nous reste à subir pour les péchés qui nous sont remis quant à la faute; et cela se fait par l'applicalion des mérites de Jésus-Christ, dont l'Église lient le trésor en dépôt, Jésus-Christ lui-même ayant donné à son vicaire le pouvoir de dispenser les indulgences aux fidèles. Dans ce trésor, il faut aussi compter les mérites des saints, qui, dans celte vie, ont pleinement satisfait pour leurs fautes. Et cela est ainsi, non certes que la satisfaction de Jésus-Chrisl (laquelle fut
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infinie) ne soit suffisante, mais afin que les mérites de ces saints ne restent pas inutiles; et à celle fin Noire-Sei-gneur les reçoit pour salisfaciion aux délies des autres.
LUI. Bellarmin dit (lorn. 2. 1. de Indulg.) que toute bonne œuvre porte en soi le mérite et la salisfaciion. Quant au mérite, nul n'en doute chez les catholiques, car nous voyons dans S. Matlhieu (xxv. 34) que le Seigneur loue lui-même les mériies de ses élus, et les admet à raison de ces mériies à partager son royaume : « Possi-» dele paratum vobis regnum.... Esurivi enim et dedis-» tis mihi manducare, etc. » Et S. Paul (Rom. II. 6) écrit : « Et qui reddet unicuique secundum opera sua. » Pour ce qui est de la salisfaciion, nous avons ce texte du livre deTobie (rv. 41) : « Eleemosyna ab omni pec-» cato et à morte liberat. » El nous lisons dans l'Ecclé-siastique (ni) : « Sicut aqua exiinguil ignem, ita elee-» mosyna extinguit peccatum. » D'oi|J>. Cyprien a écrit : (serm. de eleem.) : « Eleemosynis, atque operibus juslis, » delictorum flamma sopilur. » S. Thomas enseigne (pag. 1. qu. 21. art. 1) que la juslice commulative est due aux bonnes œuvres salisfacloires, ei la justice dislri-butive aux méritoires. De là, si l'œuvre est méritoire, elle ne peut être appliquée à d'autres ; mais celle applica-tion peut avoir lieu pour l'œuvre de salisfaciion, car un prince peut bien recevoir la satisfaction pour une chose due, de la part d'un autre que le débiteur.
LIV. Il est cerlain, comme le déclare Clément VI dans la conslilutionexlravaganle qui commence par le mol Uni-genitus (de pœnit. el rem.), que l'Église possède un trésor infini de satisfaciens venant de Jésus-Christ ; mais qu'elle a encore les salisfaclions surabondantes de la bienheureuse Yierge qui, ayant été exemple de toute faute actuelle,
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comme le croit l'Église (sess. 6. can. 13. in Trident.), n'avait pas à satisfaire pour soi ; et enfin la satisfaction des saints, lesquels, comme il a déjà été dit, par les bon-nes œuvres de leur vie, ont satisfait au-delà de la peine due à leurs fautes.
LV. Il est également certain que l'Église a le pouvoir d'appliquer ce trésor aux âmes des fidèles. Cela se prouve d'abord par l'article du symbole de la communion des saints , qui démontre que les œuvres de satisfaction de l'un peuvent êlre appliquées à un autre par l'effet de la charité mutuelle, qui forme cette communion des saints. Qu'ensuite les pasleurs de l'Eglise aient le pouvoir d'ap-pliquer aux fidèles les salisfaclions qui forment son tré-sor, cela se déduit du pouvoir des clefs donné à S. Pierre et à ses successeurs, par ces paroles : « Quodcumque » solveris super terram , erit solutum et in coelis. » (Malth. xvi. 19.) Ce qui emporte le pouvoir de délivrer les âmes de tout lien qui les empêche d'entrer dans la gloire des bienheureux. S. Pierre reçut le pouvoir de dé-lier, même dans les cieux ; ce pouvoir comprend donc la rémission, non-seulement de la faute, mais aussi de la peine, dont la satisfaction non encore accomplie empêche l'ame de posséder la gloire. Et c'est là ce qu'opère le bé-néfice des indulgences appliquées aux âmes. La condam-nation, quant à la faute, ne peut être remise sans le sa-cremenl de la pénilence, puisque , pour opérer cette ré-mission , il faut une infusion de la grâce ; mais la ré-mission de la peine peut avoir lieu hors du sacrement, puisqu'elle n'exige pas une grâce nouvelle.
LVI. Quant à l'usage constant dans l'Église d'accorder des indulgences, il est prouvé , par l'exemple de ce pé-cheur incestueux de Corinlhe, dont les amis, témoin*
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                         671
«
de sa pénitence, prièrent S. Paul de lui remettre la peine méritée. « Ne tristitia absorbeatur. » Et l'apôtre le leur concéda en disant : « Cui autem aliquid donastis et ego; » nam et ego quod donavi, si quid donavi, propter vos ? in persona Christi. » (II. Cor. II. 10.) Ce que l'apôlre appelle un don, nous l'appelons indulgence. S. Gré-goire, dans le septième siècle, cité par S. Thomas (in 4. sent. dist. 20. qu. 1. a 3. q. 2), concéda plusieurs indul-gences nux stations, et S. Léon III, vers l'an 800, comme le rapporte Surins, dans la vie de S. Swibert, et comme l'atteste S. Thomas, à l'endroit cité, en accorda plusieurs autres. Urbain II, suivant S. Antonin, accorda indul-gence plénière à ceux qui parlaient pour la guerre sacrée. Et que l'on ne s'étonne pas si les Pères ne font pas une mention expresse des indulgences : c'est qu'alors on ap-pliquait dans toute leur rigueur les canons pénilentiaux auxquels ensuite, ? cause de la faiblesse humaine, ont succédé de plus nombreuses indulgences.
LVH- Déplus, on lit dans le prem-ier concile de Nicée, au can. 11. alias 12 : « Licebìt episcopo de his aliquid » humanius cogitare. » Le concile établit que les vrais pénilens pourront obtenir des évêques la rémission des peines qu'ils auront encourues. On lit des dispositions pareilles dans le concile d'Ancyre et dans celui de Laodi-cée. En outre, le pape Sergius, qui siégeait en 844, ac-corda d'autres indulgences. Et il ne faut pas croire que les ponlifes établissaient cel usage des indulgences de leur chef et sans exemple précédent. On voit plus tard le con-cile de Clermonl, en 1096, accorder aussi indulgence plénière à tous ceux qui allaient soutenir la guerre sa-crée. Déplus, en 1116, Pascal II, dans le concile général de Lalran, concéda quarante jours d'indulgence à ceux
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qui assistaient à l'assemblée; et dans le concile suivant de Latran, en 1213, Innocent III accorda indulgence plé-nière à tous ceux qui allaient au secours de la ^erre-Sainte ; comme aussi Martin V, dans le concile de Cons-tance, accorda une indulgence plénière, ainsi qu'on le voit dans la seconde Clémentine. Terlullien fait également mention des indulgences, lorsqu'il dit(Iib. ad Martyres): « Quam pacem quidam in Ecclesia non habentes, a » marlyribus in carcere exorare consueverunt. » El S. Cyprien dit (lib. S. ep. 15) : « Poenitenti operanti, ro-» ganli, potest clementer ignoscere, potest in acceptum re » ferre quidquid pio talibus ei petierint martyres et fece-» rint sacerdotes. » Ainsi les évêques appliquaient les mériles des martyrs à la satisfaclion due par les pécheurs pénitens.
LVII1. On objecte premièrement que les mérites de Jésus-Christ et ceux des saints qui sont dans le trésor de l'Eglise ont été déjà suffisamment rémunérés par Dieu. Donc il n'esl d'aucune utilité qu'ils soient dans le trésor des indulgences. La réponse à celle objection a été déjà faite plus haul; c'esl que les œuvres de Jésus-Christ el celles des saints oni été non-seulement méritoires, mais satisfecloires. Aussi bien que comme méritoires elles aient été déjà rémunérées ; néanmoins , quant à leur valeur pour la satisfaction, si elles n'éiaienl appliquées au bé-néfice des pécheurs, elles resteraient inutiles, tant celles de Jésus-Christ que celles des saints qui ont satisfait au-delà de leur peine temporelle : c'esl pourquoi elles s'a-joulent au trésor de l'Église, et par le moyen des indul-gences elles sont appliquées aux autres.
L1X. On objecte deuxièmement que (oui péché mortel entraîne un dommage infini pour l'ame qui l'a commis,
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d'où il a fallu, pour que ce péché fût remis, la satisfac-tion infinie de Jésus-Chiist. Si cela était vrai, la passion du Sauveur n'aurait pu satisfaire que pour un seul péché mortel, puisque seul il eût absorbé tous les mérites de Jésus-Christ. Il faut donc répondre que les mérites dé Jésus-Christ étant d'une valeur infinie suffisent à satisfaire pour tous les péchés des hommes, fussent-ils infinis. Aussi S. Jean écrit : « Et ipse est propitiatio pro peccatis nos-» Iris; non pro nostris autem tantum, sed etiam pro totius » mundi. » (I. Jo. ii. 2.) Outre que la vraie doctrine est que le péché mortel est un mal immense ( S. Thomas dit : « Malitiae quasi infinitae, eu égard à la majesté in-finie de Dieu qui est offensé ); mais il n'est pas réellement infini : autrement tous les péchés mortels seraient égale-ment graves, puisque l'infini ne peut croître ni diminuer.
LX. On objecte troisièmement que la satisfaction de Jésus-Christ élant infinie, celles des saints sont inutiles dans le trésor des indulgences. On répond que les satis-factions des saints ne sont point jointes au liésor, parce que celle de Jésus-Christ serait insuffisante, mais que le Seigneur a voulu, afin que ces satisfactions ne restassent pas inutiles, qu'elles concourussent en quelque manière à l'allégement des fidèles. D'autant plus (comme dit Domi-nique Solo in 4. senu dist. 21. q. 1. art. 2.) que les mé-rites de Jésus-Christ, bien qu'infinis, ne s'appliquent aux fidèles que d'une manière finie (modo finito), et qu'ainsi les mérites des saints peuvent trouver place dans les in-dulgences accordées.
LXI. Quatrièmement, on objecte qu'en opérant dç bonnes œuvres, les saints n'ont fait que ce qu'ils de-vaient faire : aussi Jésus-Christ nous dit-il ·? « Cum fece-» ïiiis omnia quae piaecepla sunt vobis, dicite : Servi xix.                                                           43
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» inutiles sumus, quod debuimus facere, fecimus. » Ainsi, ajouie-t-on, de ces mériles des sainls, il ne reste rien pour ajouter au trésor et communiquer à d'autres. Nous avons déjà répondu à cela (sess. vi. n. 94. en parlant du mé-rite de nos bonnes œuvres), mais répliquons encore ici que bien que nous soyons tenus d'obéir aux préceptes divins, néanmoins Dieu récompense notre obéissance, et à plus forte raison récompense-t-il les œuvres de suréro-gation auxquelles nous n'étions pas obligés ; d'où vient que quand ces mérites sonl plus que snffisans pour sa-tisfaire à nos propres dettes, l'Église les applique au bé-néfice des autres.
LXII. Cinquièmement, on objecte que si les souffran-ces des sainls ont pu satisfaire pour nos fautes, nous pou-vons les appeler nos rédempteurs. Mais on ne saurait parler ainsi, puisque notre seul rédempteur est Jésus-Christ : « Qui factus est nobis sapientia a Deo, et juslitia » et sanctificatio et redemptio. » (I. Cor. i. 32.) Quel-ques-uns ont cru pouvoir répondre que par les indul-gences ce n'était point les satisfactions des sainls qui nous étaient appliquées, mais que Dieu, en leur considé-ration, usait pour nous de miséricorde. Celle proposition, mise en avant par les docteurs de Louvain, fut condamnée parmi plusieurs autres par PieV. Pour nous, nous répon-dons qu'il est hors de doute que Jésus-Christ est noire seul rédempteur, que par ses mérites nous sommes dé-livrés du péché et du démon, en quoi consiste la vérita-ble rédemption. Du reste, il n'est pas inconvenant de dire, que les sainls en quelque façon sont nos rédemp-teurs en tant que par leurs satisfactions surabondantes ils nous relèvent des peines que nous n'avons point en-core payées en expiation de nos faules. En ce sens large,
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.
nous pouvons appeler les saints nos rédempteurs, comme Daniel exhorta Nabuchodonosor à se faire rédempteur de lui-même en expiant ses péchés par des aumônes' : « Peccala tua eleemosynis redime. » (Dan. iv. 24.)
LXI1I. On demande premièrement, si l'mdulg.nce est un paiement ou une simple remise de la délit'. Sur ce point les opinions diffèrent. Mais Bellarmin soutient que l'indulgence est tout ensemble et solution et absolution de la peine due. Son caractère d'absolution résulte du pouvoir d'absoudre donné par Jésus-Christ à ses apôtres en ces termes : « Quodcumque solveritis supir terram, » erit solutum et in coelis. » (Math. x\iu. 18.) Et Alexantire 111 le déchue ainsi dans le chapitre Quod au-tem consuluisti (de poenil. et rem.), où ce pape dii qu'aucun supérieur ne peut accorder des indulgences à d'auires qu'à ses subordonnés, comme un juge ne peut absoudre que ceux qui sonl sous sa juridiction. De même Mar-tin V, dans le concile de Constance, en accordant l'in-dulgence plénière, la nomme absolutionem pknariam; Grégoire VII, dans les concessions d'indulgences, se sert aussi le plus souvent du terme d'absolution. Bellarmin dit encore que, quoique le pape à l'égard des fidèles vi-vans donne les indulgences par mode d'absolution, il pourrait néanmoins les donner aussi par mode désolation, comme il le fait pour les âmes des défunts, pour lesquels l'absolution n'a plus lieu, parce qu'ils ne sont plus sous la juridiction ; d'où vient que le pape leur applique à lilre de solution (suffrage) et compensation de leurs dettes les indulgences tirées du trésor de l'Église. Il pourrait agir de même à l'égard des vivans; mais ordinairement cette application se fait par mode de solulion (suffrage) aux défunts, et d'absolution aux fidèles vivans.
45.
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LXIV. On demande deuxièmement qui peut concéder les indulgences? Pour l'indulgence pleniore, c'esl lu pape seul, « ex pleniludine potestatis, » comme on le voit au chapitre Cum ex eo, (de pœnit. et rem.) Quant aux in-dulgences partielles, dans le même chapitre Cum ex eo, ei dans le chapitre Nostro (eod. lit.), on lit que les évê-ques peuvent donner l'indulgence d'un an à la dédicace de leur église et de quarante jours à son anniversaire, et celle dernière de quarante jours, ils peuvent également l'accorder dans d'autres cas. Voici les larmes du chapitre Cum ex eo : « Hunc quoque dierum numerum (c'est-à-» dire quarante) indulgentiarum lineus praecipimus nio-» derari, quae pro quibuslibet casibus aliquoties conce-» duntur, cum romanus pontifex hoc in talibus mode-» ramen consueverit observare. » El dans le chapitre Nostro, pariant des archevêques, il est dit : « Nostro » postulasti cerlificari responso, utrum per tuam provin-» ciam possis concedere remissionis litteras generales? » Nos igitur, F. -J- breviter respondemus, quod per » provinciam tuam libere potes hujusmodi concedere » litteras, ita tamen, quod statum generalis concilii non » excédas. »
LXV. Si ensuite les évêques peuvent accorder ces in-dulgences par eux-mêmes, de jure divino, ou par conces-sion du pape. Celte question (comme le dit Bellarmin) dépend de celle autre, savoir, si le pouvoir des évêques provient immédiatement de Dieu ou médialemenl par le naoyen du pape : Bellarmin soulient que c'est médiate-ment, mais l'opinion contraire est autant el peut-êlre plus probable. Quelques-uns veulent que le& abbés de couvens aient aussi ce pouvoir, de même que les curés et les confesseurs ; mais communément cela n'est pas ad-
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mis, et dans le chapitre Accedentibus (de excess. prœlat.), il est dit expressément que hors les évêques nul ne peut accorder des indulgences. S. Thomas (in 4. sent. dist. 20. q. 1^ a 4. q. i.) dit qu'il n'y a de véritables prélats que les évêques. Les réguliers, même dispensés, peuvent bien participer cnx indulgences accordées par les évêques en commun ; mais si les œuvres enjointes ije peuvent s'accorder avec l'observance de leur règle, il leur faut la licence du supérieur régulier, comme le dit S. Thomas. LXVI. Pour la concession des indulgences, il faut une jusle cause, môme quand le pape les accorde ; parce qu'elles dépendent du droit divin. Il n'est pas d'ailleurs nécessaire que les œuvres enjointes pour gagner l'indul-gence égalent la satisfaction due par chacun ; mais il est toujours besoin d'une certaine proportion. Néanmoins S. Thomas (in 4. sent. dist. 20. qu. 1. a. 5. q. 2.), sou-tient avec S. Anlonin, Paludanus, Durand et Turrecre-mala, que toute œuvre enjointe suffit, pour faible qu'elle soit; mais d'autres avec S. BonavenXure veulent une plus grande proportion. Ainsi Gerson, Richard, Ojelan, etc., cités par Bellarmhi, disent que si l'indulgence est majeure et l'œuvre légère, elle ne se gagne pas. Dans le concile de Trente il est dit que les indulgences doivent être ac-cordées selofl l'usage antique où elles étaient rares. Inno-cent III, au chapitre Cum ex eo (de pœnit. et rem.), dit que le pape no doit concéder ordinairement que des in-dulgences d'un an. Bellarmin se range à la seconde opinion ; mais il dit que l'œuvre enjointe qui remplit le but de l'indulgence suffit pour la gagner, encore qu'elle ne soit pas proportionnée, comme il arrive pour l'in-dulgence plénière accordée àceux qui assistent à la cano-nisation des sainls : celte assistance, bien qu'elle ne soit
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pas proportionnée, accomplit la fin de l'indulgence, la-quelle est accordée pour que le peuple en assistant à la canonisation se confirme dans la foi. En outre, quand l'indulgence est accordée à quelqu'un en particulier, il est besoin alors de proportionner l'œuvre enjointe ; mais quand elle est accordée en général, il n'est pas nécessaire que l'œuvre de chacun soit proportionnée à l'indulgence, mais que l'ensemble des œuvres de tous le soit à la fin pour laquelle l'indulgence est accordée. Il n'appartient pas ensuite aux subordonnés de juger de la justice de la cause pour laquelle l'indulgence est ac-cordée, mais chacun doit la présumer juste.
LXVII. II est nécessaire pour gagner l'indulgence que l'œuvre enjointe soit satisfactoire, et que celui qui la reçoit soit en état de grâce. Quelques-uns nient cette der-nière condition, et disent que l'indulgence ne s'appuie pas sur la satisfaction du fidèle, mais sur celle de Jésus-Christ et des saints. Mais Bellarmin, avec plus de raison, l'çxige par le motif que les œuvres d'un ennemi ne peu-vent plaire à Dieu : il en excepte toujours le cas où ^'œu-vre remplit la fin de l'indulgence, comme serait celle accordée aux personnes qui concouraient par leurs au-mônes à l'édification d'une église ou d'un autre saint lieu; mais pour gagner actuellement l'indulgence, il est toujours nécessaire que la personne se mette au moins, après son obtention, en élat de grâce.  Quand il est dit dans la formule de l'indulgence, « poenitentibus et con-» fessis, » plusieurs veulent qu'il suffise alors-de la con-trilion ;  mais Bellarmin regarde comme plus probable que la confession est nécessaire, et ainsi parlent Cajelan, Navaire et autres. BenoîiXIV (in constil. Inler prseteri-
CONTRE LES   HÉRÉTIQUES.                        679
los, § 3, voyez son Bullaire, lom. 5. p. 140.) averlil pour le jubilé de l'année sainle que par les paroles, « vere poenitentibus et confessis, » on doil enlendre la confession actuelle.
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TRAITE SUPPLEMENTAIRE.
(XVI· KT   DERNIER. )
De l'obéissance due aux décisions du concile, qui sont celles par conséquent de l'Église catholique romaine, hors de laquelle il n'y a point de salut.
I. L'Église ne peut être vraie qu'autant qu'elle est une, qu'elle enseigne une seule doctrine, une seule foi. « Una » fides (écrit l'apôlre), unum baptisma , unus Deus. » (Ephes. iv. 5.) Ainsi de toutes les églises qui enseignent des doctrines diverses, puisque la vérité est une, une seule Église peut être la vraie, celle hors de laquelle il n'y a point de salut, comme l'écrit Calvin lui-même. Or, pour prouver quelle est cette vraie Église sous la loi nou-velle de l'Évangile , il faut voir d'abord quelle a été la première Église fondée par Jésus-Christ; car celte pre-mière trouvée, on sera forcé de convenir qu'elle est la seule vraie; qu'ayant été d'abord la vraie, elfe a dû tou-jours l'être ; puisqu'à elle seule a été faite par le Sau-veur la promesse que les portes de l'enfer (c'est-à-dire les hérésies ) ne pourraient la renverser, suivant ces pa-roles adressées à S. Pierre : « Tu es Petrus et super hanc » petram aedificabo Ecclesiam meam, et portae inferi non » prœvalebunl adversus eam. » (Matth. xvi. 18.) D'où S. Paul dit, dans son épître à Timothee, que celle Eglise, fondée par Jésus-Christ, esl la colonne et la base de la
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vérité : « Scias quomodo oporteat te in domo Dei conser-» vari, quae est Ecclesia Dei vivi, columna et firmamen-» tum veritatis. » (I. Tim. m. 15.)
II.  Voyons donc quelle a été cette première Eglise fon-dée par Jésus-Christ. Dans toute l'Histoire Sacrée on ne trouve point d'autre Eglise qu'on puisse appeler première que la catholique romaine : et au contraire on y voit que toutes les autres Eglises fausses et hérétiques sont sorties d'elle plus lard et s'en sont séparées. C'est celte Eglise que S. Paul désignait, qui fut propagée par les apôtres et puis gouvernée par les pasteurs, délégués par les apôtres eux-mêmes pour la régir : « Ipse dedit quosdam » quidem apostolos, alios autem pastores... in sedificalio-» nem corporis Christi. » (Ephes. iv. 12.) Or ce caractère ne peut se trouver que dans l'Eglise romaine, dont il est incontestable que les pasteurs descendent par une succes-sion légitime el non interrompue des apôlres à qui Jésus-Christ a promis son assislance jusqu'à la fin du monde : « Et ecce vobiscum sum usque ad consummationem sse-» culi. » (Matlh. XXVIII. 20.) D'où S. Irénée écrit : « Per » Romre fundatam Ecclesiam , quœ habet ab aposiolis » traditionem, et fidem, per successionem episcoporum, » provenienlem usque ad nos, confundimus omnes eos, » qui per ccecitalem, elmalam conscienliam, aliter quam » oportet, colligunt. » (Lib. 3. cap. 4.) El voilà ce qui confirmait S. Augustin dans la ferme croyance que l'E-glise romaine est la vraie Eglise de Jésus-Chrisl. Aussi dit-il (Epist, fundam, e. 4. ?. 5.) : « Tenet me in ipsa » Ecclesia ab ipsa sede Petri, usque ad praesentem epis-» copalum, successio sacerdotum. »
III.  Cette vérilé que l'Eglise catholique romaine est la première.fondée par Jésus-Christ, n'est pas même niée
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par les hérétiques. Voici ce qu'écrit le grand ministre lu-thérien Gérard, en parlant de l'Eglise romaine : « Cer-» Ium quidem est primis quingeniis annis veram fuisse, » et apostolicam doctrinam tenuisse. » (De eccles. cap. 44. sect. 6.) Les hérétiques soutiennent donc ce que du temps de S. Augustin avançait l'hérésiarque Donat, sa-voir que l'Eglise romaine fut vraie jusqu'au cinquième siècle, ou comme disent d'aulres jusqu'au troisième ou au quatrième; mais qu'ensuite elle fut faussée par les altérations inlroduites par les catholiques dans les dogmes de la fui. Ainsi pendant neuf siècles le Seigneur a pu permeiire que les hommes vécussent sans Eglise jusqu'à ce que vinssent ces nouveaux illuminés réformateurs de la foi, comme se vante de l'être Luther, Zuingle, Calvin et autres semblables novateurs? Mais comment a pu fail-lir celle Église que S. Paul, comme nous venons de le voir, appelle la colonne et le fondement de la vérité? celle Église conlre laquelle Jésus-Christ a promis que ne prévaudraient point l'enfer et l'hérésie? Non celle Église, suivant les promesses de Jésus-Christ, ne pouvail ni être faussée ni faillir. La vérité est, comme le dit S. Jérôme, que ce sont loules les autres fausses églises, séparées de celle de Rome, qui ont failli et erré : « Ex hoc ipso, » écrit ce saint docteur parlant des hérétiques, « quod » poslea instituti sunt, eos se esse judicant, quos apos-» tolus futuros praenuntiavit, » c'est-à-dire de faux pro-phèles. C'est par cet argument que la première Église fon-dée par le Sauveur ne peut, suivant ses promesses, faillir, que S. Augustin confond les donatisles. D'où un savant auteur dit fort bien (le P. Pikler. Theol. dogm. conlrov. S. De Eccles. in prsefat.), que pour convaincre toutes les sedes d'hérétiques,  il n'y a point de voie plus sûre
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que de leur faire voir que noire Église catholique a élé la première fondée par Jésus-Christ ; car, cela prouvé, il l'esl également qu'elle esl la seule vraie et que touies les autres qui se sonl séparées d'elle sonl certainement dans l'erreur. Après la mort de Charles II, roi d'Angleterre, on trouva renfermé dans une cassette un papier où il avait écrit de sa main : « Le Christ ne peut avoir sur celle lerre » qu'une seule Eglise (cela me paraît évident); et celle » unique Eglise ne peut être autre que l'Eglise romaine » catholique; de là je pense que la seule question est de » savoir où est celle Eglise à laquelle nous faisons pro-» fession de croire,, ei puis de croire tout ce qu'elle nous » propose. » El convaincu par ce raisonnement, le roi Charles finit par embrasser la foi catholique.
IV. Mais, malgré cela, les novateurs, pressés par cet ar-gument, ont inventé une autre objection, et ils disent que l'Eglise qui a failli est l'Eglise visible, non l'invisible, qui se compose des prédestinés comme le veulent les cal-vinistes, ou des justes suivant les luthériens confessio-nisles. Toutes choses opposées à l'Evangile qui déclare que l'Eglise militante est composée de justes et de pé-cheurs, ce qui fait qu'elle est figurée lanlôt par l'épi qui contient le froment et la paille, tantôt par un champ où croissent le blé ou l'ivraie. Jean-Baptiste Groffius (cité par Pikler), dans un de ses écrits publié en 1695, déclare avoir prié plusieurs fois les prédicans de lui faire voir quelque lexte de l'Ecriture où fut indiquée celle Eglise invisible inventée par les réformateurs, el il ajoute qu'il n'a jamais pu l'obtenir. Mais comment cela eût-il pu être, puisque Jésus-Christ, parlant des apôtres qu'il laissait au monde pour être les propagateurs de son Eglise, leur dit ; « Voseslislux mundi. Non potest civitas abscondi super
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» montem posita. » (Malth. ?. 44.) Une ville bâtie sur une moniagne ne peut être cachée aux yeux des hommes; ainsi par là il déclarait que l'Eglise ne peut pas cesser d'être visible à tous. Il déclare la même chose en donnant le pouvoir des clés à S. Pierre et à ses successeuis par ces paroles : « Et tibi dabo claves regni coelorum : et quod-» cumque ligaveris super terram erit ligatum et in cœ-» lis; et quod solveris super terram eril solutum et in » coelis. » (Malih. xvi. 48.) D'où Bossuel écrit, dans sa conférence avec le ministre Claude qu'il fit ensuite im-primer, qu'il fut entre eux reconnu pour vrai et établi que la vraie Eglise de Jésus-Chrisl éiail celle qui exerçait extérieurement le pouvoir des clés.
V. 11 a toujours été nécessaire et ille sera toujours que TEglisp soit visible, afin que chacun puisse en tout temps appiendre la vraie doctrine sur tous les poinis de la foi et les préceptes de morale de la bouche des pasteurs, comme aussi recevoir les sacremens, être dirigé dans la voie du salut, éclairé et repris dans ses erreurs. Autrement, si dans un temps quelconque l'Eglise était cachée et in-visible, à qui pourraient recourir les hommes pour savoir ce qu'ils ont à croire, ce qu'ils ont à faire ? « Qutjmodo » credent ei (écrit l'apôtre), quem non audierunt? Quo-» modo autem audient sine praedicante? (Rom. x. 44.) Si les maîtres sont cachés et inconnus, comment les peu-ples peuvent-ils êlre instruits des maximes du salut? S. Paul écrit encore: « Obedile praepositis vestris etsub-» jaceteeis; ipsi enim pervigilant, quasi rationem pro » animabus vestris reddituri. » (Hsebr. xiu. 47.) Or, comment les chrétiens pourraient-ils rendre à leurs pré-lats celle obéissance commandée par S. Paul, si l'Eglise était cachée et invisible aux yeux des hommes et les pas-
CONTRE  LES  HÉRÉTIQUES.                      68S
leurs avec elle? Mais non , le même apôlre dit que le Sei-gneur a établi dans son Eglise des apôtres, des pasteurs, des docteurs visibles, afin d'enseigner la vraie et de con-duire le troupeau dans la droite voie du salut pour qu'il ne soit pas égaré par les maîtres de l'erreur : « Et ipse
» dedit quosdam apostolos..... alios autem pastores et
» doctores, etc.....ul jam non simus parvuli fluctuan-
» tes, et non circumferamur omni vento doctrinae, in ne-» quilia hominum , in astutia ad circumventionem er-» roris. » (Ephes. iv. 11.)
VI.  Mais ce qui a rendu principalement nécessaire que l'Église et ses pasteurs fussent toujours présens et visibles, c'est qu'il fallait un juge infaillible qui tînt de Dieu le pouvoir de décider les questions qui devaient s'élever par intervalle, et «nu jugement duquel tous dussent ainsi né-cessairement se soumettre; autrement il n'y aurait point eu de règle certaine de foi pour nous apprendre quels sont les vrais dogmes qu'il faut croire, les vrais préceptes qu'il faut observer; et parmi les fidèles mêmes il y aurait eu dissension, puisque le juge manquant ou étant faillible, nul ne se serait soumis à son jugement, sinon quand ce jugement aurait été conforme au sentiment privé de celui-ci. Mais si les décisions sur les points de la foi et les pré-ceptes moraux  devaient être conformes au sentiment propre de chacun, tous les hommes certes demeureraient en division et en discorde sur leur croyance, et ainsi la foi n'aurait rien que d'incertain et d'ambigu.
VII.  Celte nécessité d'un juge infaillible des poinls de foi a é(é reconnue par Les prétendus réformés eux-mêmes, comme l'écrit Bossuel ; lequel rapporte que dans le livre composé par les calvinistes sur la Discipline de la Religion réformée, il y a deux actes ou statuts faits par eux ; le
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premier, « Que les questions de doctrine seraient décidées » à l'aide de la parole de Dieu (si cela se pouvait) dans le » consistoire; sinon l'affaire ser.til portée au colloque et » de là au synode piovincial, -et enfin nalioral, où la ré-» solution définitive serait faite avec la parole de Dieu , » décision à laquelle si quelqu'un refusait d'acquiescer » dans tous les poinls et en abjurant expressément ses » erreurs, il serait retranché de l'Église. » Le second acte ou statut poriait condamnation des indépendans : ceux-ci soutenaient « que chaque église particulière devait segou-» verrier par elle-même sans dépendre de qui que ce soit. » Mais celte proposition fut formellement condamnée par les calvinistes eux-mêmes dans le synode de Charenton, « comme préjudiciant à la vraie Église et autorisant à foi-» mer autant de religions qu'il y aurait de paroisses. » Aussi le célèbre Puffendorf lui-même, quoique protestant, fait-il l'aveu suivant : « Ponlificiorum melior est conditio » quam prolesiantium ; illi pontificem Ecclesiae ut caput » omnes agnoscunt; protestantes contra, capite desti tu ii, » fluctuant fcede lacerati et discerpli. Ad suum unaquse-n que respublica arbitrium omnia administrat et mode-» ratur. » (De mon. pont. pag. 154.)
VIII. Le calviniste Jurieu, voyant qu'il ne pouvait nier que la vraie Église de Jésus-Christ ne saurait être parmi les sociélés séparées de l'Église romaine, qui fut la première de toutes, a inventé un autre faux système, lequel a été spé-cialement embrassé par les sectes calvinistes, et qui con-siste à dire que toutes, ou presque toutes ces sociélés ne différant pas sur les principaux points delà foi, n'élaient point sorties ni séparées de l'Église romaine, mais étaient l'Église elle-même. De même, dit-il, que, dans l'Église romaine, il y a plusieurs doctrines suivant les diverses
CONTRE  LES   HÉRÉTIQUES.                         687
écoles de thomistes, sco:istes, augustiniens et autres, el que malgré cela la même foi est professée; de même parmi nous la foi el l'Église sont une, bien que les canons el ladiscipline diffèrent. Lorsqu'ils parlent ainsi on peut bien leur appli-quer ce que dit S. Augustin aux hérétiques de son leinps (lib. 43. contra Fausl. cap. 5) : « Quod vultis, creditis : » quod non vultis, non crediditis; vobis potius quam Evan-» geliocreditis. » Maisnous répondons à ce nouveau maître de foi, au sieur Jurieu, que si, chez les catholiques, il y a diverses écoles ei des opinions différentes, leurs discus1-sïons n'ont lieu que sur des points non encore décidés par l'Église; mais tous s'accordent à reconnaître les articles de foi qu'elle a déterminés. Par exemple, toutes les écoles confessent la nécessité de la grâce pour toute bonne oeuvre, et le libre arbitre de l'homme ,r choses que nous tenons pour articles de foi ; comment ensuite la grâce produit son effet, si c'est par le consentement libre de l'homme ou par elle-même; si encore celle efficacité dépend d'une prédélerminalion physique ou de la délectation victorieuse; et si .celle délectation est victorieuse moralement ou rela-tivement (comme tout cela est expliqué dans notre Traité supplémentaire à la sess. 6 du concile sur la justification ), toutes ces controverses roulent sur des poinlsnon décidés par l'Eglise, et dans ce moment elles ne sont point con-traires à la foi.
IX. Mais examinons quels soni précisément les points que Jurieu lient pour fondamentaux et ceux qui ne le sont pas, suivant lui. Quant aux fondamentaux, il ne les dé-signe pas ou ne les désigne que confusément en s'expri-mant ainsi : « Un article fondamenlal est celui d'où dépend » la ruine de fa gloire de Dieu et l'anéantissement de la fin » dernière de l'homme. » Mais autant qu'on peut les re-
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trouver dans ses écrils, il y a suivant lui quatre points fondamenlaux : le myslère de la Trinité, celui de l'In-carnation , la récompense éternelle des justes et la peine éternelle des pécheurs après celte vie. Pour nous, nous disons qtie non-seulement ces articles, mais tous ceux pro-posés par l'Église, comme points de foi, doivent être crus fermement par les fidèles avec un égal assentiment et qu'ils son; tous fondamenlaux; c'est pourquoi toutes les sectes dis-cordantes qui ont rejelé ces points ont été déclarées héréti-ques ei séparées de l'Église catholique, et suivant les Pères et suivant les conciles, elspécialemenlleconcilepremierdeNi-cée, can. 8, premier de Consianlinople, can. 6, et deuxième de Consianlinople, act. 5. De même au*temps du pape Vic-tor, au deuxième siècle, on sépara de l'Eglise romaine les asialiques dils quatordécimains, qui voulaient que l'on célé-brai la pâque au quatorzième jour de la lune de mars et non le dimanche suivant, comme le fait l'Église catholique, pour ne pas se conformer ù la pàque des Juifs. Dans le deuxième concile de Carlhage on condamna les nova tiens, qui niaient la rémission aux victimes des persécutions. Dans le deuxième de Consianlinople on sépara de l'Église ceux qui soutenaient que les âmes étaient créées avant la formation des corps, can. 1 ; et ceux qui disaient que les cieux et les étoiles étaient animés, can. 6. En outre, nous lisons dans l'Évangile de S. Matthieu (cap. xvm. 17.): « Si Ecclesiam non audierit... sit tibi sicut ethnicus. » II suffi ? de ne pas accepter les décisions dogmatiques de l'É-glise pour èlre rejelé hors de l'Église, laquelle (dit S. Paul, Ephes. îv. 4. ) ne formant qu'un seul corps ne peui avoir qu'un seul esprit.
X. Mais, dit Jurieu : « La distinction entre les points » fondamentaux et ceux qui ne le sont pas est une que»-
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» tion épineuse et difficile à résoudre. » II dit aussi : « 11 » n'appartient pas à l'Eglise de décider quels sonl 1 IS poinis » fondamentaux ; car ils sont tels par leur nature. » Mais nous demandons qui en décidera? sera-ce le jugement privé de chacun ? S'il en est ainsi, combien y auia-l-il de décisions toutes contraires l'une à l'autre? des milliers. Et voilà qu'il se trouvera autant d'Eglises, autan! de reli-gions que de décisions sur les divers poinis. Non ( éplique Jurieu) il n'appaitienl à personne de décider quels sont les points de foi fondamentaux, puisque ces poin s « sont » tels par leur nature. » Mais s'ils sont lels par leur nature, pourquoi dil-il lui-même que « la distinction e itre les » poinis fondamentaux el les autres est une quest on épi-» neuse et difficile à résoudre? » Qui décidera quels sont ces poinis fondamentaux par leur nature? Ces poinisseront ou evidens ou obscurs : s'ils sonl evidens, ils ne jeuvent être le sujet r d'une question épineuse et difficile à ré-» dre, » et s'ils sont obscurs, ils ont besoin d'être déci* dés. Tout cela démontre combien est inconsistant ce nou-veau système de Jurieu, nouveau même pour les ré ormes, lesquels avant lui ne se sonl jamais dits joints à l'Église romaine,mais au contraire se sont vantés d'en eue sépa-rés, parce que, suivant eux, depuis le Iroisièmt , qua-trième ou cinquième siècle, elle était devenue église adul-tère (ce sont leurs expressions), siège de l'an christ, infectée d'erreurs et d'idolâtrie.
XI. En outre, comment Jurieu peut-il dire que toutes les Eglises réformées 3onl une seule el même Église qui professe la même foi, quand les théologiens de Zurich dans leur préface apologétique adressée aux Eglise: réfor-mées en 4578, déclarent que, parmi eux, il y a plu-sieurs controverses sur les poinis fondamentaux, par xix.                                                            44
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exemple, touchant la personne de Jésus-Christ, l'union et la distinction des deux natures divine et humaine et autres? Aussi avouent-ils que leurs discussions en sont venues au point que plusieurs hérésies anciennement con-damnées se sont reproduites parmi eux. Voici leurs pro-pres paroles : « Tanlo furore contenditur, ut non paucae » veterum haereses, quae olim damnat»' fuerunt, quasi » ab inferis revocatas, caput attollant. » De plus, Jean Slurmius, protestant, pariant aussi des controverses entre leurs Eglises, dit : « Praecipui articuli in dubium vocan-» tur, et mullse haereses in Ecclesiam Christi invehuntur; » plana ad atheismum paratur via. » Et cet auteur était prophète en cela ; car en effet aujourd'hui une bonne par-tie des réformés sont tombés dans l'athéisme, comme on le voit dans les livres qu'ils publient continuellement, car, en vérilé, avec le temps les choses ont bien changé, au point que les réformés eux-mêmes ont reconnu le peu de fondemens de leur prétendue religion évangélique, et de là ils se sont abandonnés au pur athéisme ou maté-rialisme , niant tout article de foi et disant que tout est matière; par conséquent qu'il n'y a ni Dieu, ni ame, ni autre vie pour nous que la vie présente; c'est ainsi qu'ils ont cherché à écarter leurs remords de la vie brutale qu'ils menaient. Mais en vain travaillent-ils avec effort à éloigner ce remords de leur conscience, ils ne pourront y parvenir. Tout ce qn'ils peuvent faire, c'est d'arriver au doute sur l'existence de Dieu et la réalité d'une vie éternelle; mais de se persuader positivement le contraire, cela ne leur sera jamais possible; car la simple raison naturelle nous crie qu'il est un Dieu créateur de (oui et juste rémunérateur du bien et du mal et que nos âmes sont éternelles et immortelles. Au résumé, ces malheureux
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Croient trouver la paix en se figurant qu'il n'y a pas de Dieu, afin de n'avoir aucun censeur el vengeur de leurs fautes ; mais celle paix ils ne l'auront jamais, car le doute seul, s'il y a un Dieu, suffira pour les tourmenter sans cesse par la crainte de sa vengeance.
XII. THais revenons à notre point. Suivant donc les novaleurs eux-mêmes, les principaux points de la foi sont mis en douie parmi eux, et de fait, comme Je rapporte le cardinal Golli dans son savant ouvrage (la vraie Église, ch. 8. § 1. n. 9.), leslulhériens reconnaissent une seule personne dans Jésus-Christ : Calvin el Bèze en admettent deux, d'accord en cela avec l'impie Nestorius. Luther el beaucoup de ses seclaleurs disent que dans Jésus-Christ la nature divine elle-même souffrit et mourut, mais Bèze avec raison repousse cet horrible blasphème. Calvin fait Dieu auteur du péché : les luthériens disent que c'est là blasphémer. Luther dit que Jésus-Christ, même comme homme, esl en plusieurs lieux, et Zuingle en cela le con-damne. Lulher admet trois sacremens, le baptême, la cène el la pénitence; Calvin admet le baptême el la cène, mais il rejette Ja pénitence; d'un autre côte il admet l'ordre que rejelle Luther. De plus, Lulher confesse qu'on doit adorer dans l'Eucharistie la présence réelle de Jésus-Christ; mais Calvin appelle cela une idolâtrie. Melanch-ton (auquel Lulher s'unit depuis) dit que les bonnes oeuvres sont nécessaires pour le salut ; mais les calvinistes tiennent que les bonnes œuvres sont de convenance, non de nécessité. Il faut donc dire que loules ces nouvelles églises réformées, élanl en contradiction sur de tels ar-ticles, errent sur les poinls principaux de la foi. El en effet Calvin appelle les luthériens imposteurs et même idolâ-tres, pavee qu'ils adorent Jésus-Christ clans l'eucharistie
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ei d'autres pari Luther appelle les zuingliens et autres sa-cramentaires, sedes damnées, blasphémateurs et héré-tiques ; voici ses termes : « Haereticos censemus omnes » sacramenlarios, qui negant corpus Christi ore carnali » sumi in eucharistia. » (ApudHospin. par. 2. hist. sa-cramen. p. 326. ).
XIII. Combien au contraire la vérilé de l'Église catho-lique paraît démontrée quand on voit la constante uni-foi mité de sa doctrine sur les dogmes de la foi, conservés depuis l'origine de la fondation de l'Église par Jésus-Christ. Elle a été la même dans tous les temps; en sorte que les vérités que nous croyons aujourd'hui oni été crues également dans les premiers siècles, comme le libre ar-bilre, la vertu des sacremens, la présence réelle de Jésus-Christ dans l'eucharistie, l'invocation des saints, la vé-néralion pour leurs reliques et les saintes images, l'exis-tence du purgaloire et autres semblables. Les novateurs appellent erreurs ces vérités de la foi ; mais comment ces erreurs auraient-elles pu exister dans les premiers siècles de notre Église, temps où nos adversaires eux-mêmes avouent qu'elle fut la vraie Église de Jésus-Christ. Ils disent à cela, comme le rapporte Bellarmin (denotis Ec-clesiae, cap. ?. ) que ces erreurs furenl comme des taches, c'est-à-dire de légers défauls, sur le visage de l'Église nais-sante. Ainsi, adorer la présence de Jésus-Christ dans l'eu-charistie, vénérer la croix el les images ne furent, dans ces premiers siècles, que de simples taches? El comment ces taches sont-elles devenues ensuite d'infâmes idolâtries, comme les adversaires les appellent aujourd'hui? Com-ment des idolâtries peuvent-elles être appelées de simples lâches? El comment Dieu a-l-il pu permettre que de si énormes erreurs régnassent dans son Église, depuis son
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origine jusqu'à ce que ces nouveaux maîtres, Luther, Zuingle et Calvin vinssent les dissiper? Mais non, celte Église qui a été dès le commencement la vraie, le sera toujours.
XIV.  Mais votre Église catholique, disent les novateurs, s'est arrogé Paulorilé de créer de nouveaux dogmes de foi et de régler l'autorité de l'Écriture. Non, l'Église ne crée et ne peut créer de nouveaux dogmes de foi, mais seule-ment elle décide quels sont ceux que Dieu nous a enseignés par le moyen de l'Écriture et de la tradition, qui toutes deuxsontla parole de Dieu écrite et non-écrite. Jamais non plus notre Église n'a entendu régler l'autorité de la pa-role divine , mais seulement de déclarer appuyée sur la tradition et l'assistance du Saint-Esprit quels dogmes nous devons tenir être de foi. Le fameux calviniste Basnage nous  rend  celle justice dans ses annales où  il dit : « Partes Ecclesiae sunt ìn ea re, non auctoritatis quidem , » quam canon ex se habet, adjunctio, sed declaratio. » Ainsi donc l'Église catholique en enseignant quel esl le sens véritable de l'Écriture ne se met pas au-dessus de l'Ecriture; mais elle se place au-dessus des jugemens des hommes privés, lesquels doivent obéira l'Église à cause de l'autorité qu'elle a reçue de Dieu
XV.  Mais, disent les novateurs : Ceci est un cercle vi-cieux ; car vous croyez l'Ecriture infaillible parce que l'E-glise le déclarej et l'Eglise aussi infaillible parce que l'Ecri-ture le dit. Erreur. Cette opposition ne sérail vraie que si on parlait à un infidèle nianlà la fois l'infaillibilité et de l'Eglise et de l'Ecriture ; mais le cercle vicieux n'existe plus quand on parle à un chrétien qui admet l'infaillibilité de l'Ecriture ; puisque cette Ecriture elle-même déclare que la vraie Eglise ne peut errer et qu'ainsi il est lenu de croire
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loiil ce que l'Eglise enseigne et que dans celte croyance il ne peut errer. Aussi S. Augustin disait : « Ego Evangelio » non credcrem, nisi me Ecclesia3 moverit auctorilas. » (Lib. i. conlrov. epist. Manich. c. 5.). Le véritable cercle vicieux est celui que font les novateurs en disant que par l'Ecrilure se prouve le sens privé et que le sens privé prouve l'Ecrilure; car l'une et l'autre proposition sont fausses. Il est faux que le sens privé soil prouvé par l'Ecri-ture, et il est encore plus faux que l'Ecriture se prouve par le sens privé. El voilà pourquoi les Ecritures ne peu-vent servir aux novateurs ; car en les expliquant non selon le jugement de l'Eglise, mais d'après le sens privé de cha-cun, il y a pour eux autant de croyances diverses que de peronnes privées. Aussi ne pouvons-nous comprendre comment ils peuvent appeler hérétiques les sociniens, les ariens et autres semblables, qui nient la Trinité et la di-vinité de Jésus-Chrisl. Diront-ils qu'à l'égard de ces deux points les Ecritures sont expresses et claires ; mais les so-ciniens leur répondront que sur ces deux points les Ecri-tures ne doivent pas s'enlendre littéralement, mais allégo-riquemenl. Or qui décidera celle question, quand les hé-rétiques refusent de se soumettre à la vraie Eglise qui seule peut la résoudre ? Ah ! si vous ôlez la soumission à TEglise, il n'est plus aucune erreur que vous puissiez Irailerde telle sur aucun ai(icle de foi.
XVI. Mais, répliquent-ils, l'Eglise romaine a, avec le temps, déclaré de foi des choses qui ne l'étaient pas aupa-ravant : donc elle n'a paséléconsfammeni uniforme dans le dogme. On répond que si l'Eglise a déclaré, dans la suite des temps plusieurs dogmes qui n'avaient pas été dé-clarés encore, elle n'a point pour cela varié dans les choses de foi ; car cela ne prouve pas que l'Eglise ait changé des
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dogmes; mais seulement que sur le fondement ce l'Ecri-ture et de la tradition et avec l'inspiration du Saint-Esprit elle a, dans la suite des temps, déclaré de foi plu; icurs ar-liclœ qui jusque - là n'avaient pas été l'objet d'une déclara-tion , mais qui étaient déjà de foi avant que l'Eglise en eût décidé.
XVII. Mais, ô Dieu! comment nes'aperçoivenl-ilspas, ces nouveaux maîtres de la foi, que s'élant séparés de l'Eglise catholique et ayant perdu la soumission , ils ont perdu avec elle la règle de la foi ; en sorte qu'à présent, ils n'ont plus de règle certaine pour distinguer c< qui est de foi ou non. Toute leur règle de foi consiste da is l'Ecri-ture : mais là est la source de leurs erreurs, parce que l'Ecriture seule ne peut toujours suffire à reconnaître cer-tainement les dogmes qu'il faut croire.
XVHI. Us disent donc que l'Ecriture sainte est l'unique règle de la foi. On peut leur demander d'abord comment ils savent qu'il y a une divine Ecriture, des livres écrils par des hommes et inspirés de Dieu ? Gomment peuvent-ils établir la vérité de l'Ecriture sainte? Sans doute par les prophéties et les miracles qui y sont rappor es? Mais qui assure que ces prophéties n'ont point été écr tes après les événemens? Ces miracles par où savons-ru us qu'ils sont vrais? Comment enfin prouver que les livres qui com-posent aujourd'hui l'Ecriture sainte ont été vraiiaent ins-pirés de Dieu? Sera-ce par le texte même de l'IScriture? Non, car ce texte ne peut servir à prouver que cette Ecri-ture môme est divine, puisque c'est là ce qui esi en ques-tion, à savoir si ce texte est vraiment de l'Ecriture sacrée ou non.
XIX. En second lieu, quand il serait certain ? que l'E-criture sainte existe, comment sauront-ils quels sont les
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livres qui en font partie; car il est possible que quelque hérétique y ait inséré un livre qui ne soit pas cano-nique ou même canonique, mais non encore reconnu pour tel. Le canon catholique renferme soixante-douze livres ; quarante - cinq du vieux Testament, et vingt-sept du nouveau, comme nous l'assure le concile de Trente dans sa sess. 4. Ce concile avait reçu ce canon tel que le donne le concile de Florence, et ce dernier le tenait de celui de Rome sous le pape Gélase. A ces con-ciles, il faut joindre le troisième de Carthage(selon d'au-tres le cinquième ou le septième), lequel fut approuvé dans le sixième concile œcuménique, où les Pères décla-rèrent avoii reçu ce canon du pape Innocent I, vivant en 402, et qui affirme le tenir des apodes par une constante tradition qui, du reste, n'était point connue dans tous les pays à ciusedes persécutions souffertes dans les trois siècles précédens.
XX.  Luther, de son chef, retrancha de ce canon plu-sieurs livres faisant partie de l'ancien Testament, savoir : le livre deTobie, ceux de Judith, delà Sagesse, de l'Ec-clésiastique, de Baruch et des Macchabées; et dans le nou-veau Testament il rejette l'épître de S. Paul aux Hébreux, l'épilre de S. Jacques, et celle de S. Jude, ainsi que l'A-pocalypse de S. Jean. Or, nous demandons aux luthé-riens comment ils prouvent que ces livres ne sont pas sa-crés, et que ceux au contraire qu'ils admettent le sont? Ils ne peuvent certainement le prouver par les autres Écri-tures où il n'est point déclaré quels sont les livres sacrés ou les faux ?
XXI.   Ils disent que le souffle particulier de l'Esprit saint, qui les éclaire intérieurement, leur fait connaître quels sont les vrais livres canoniques. Mais, si tout chré-
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tien a cette lumière interne , comme ils le disent, pour-quoi la refuserait-on à un arien, à un neslorien , à un calviniste surtout, qui est aussi de celle religion préten-due réformée. Or, les calvinistes, en opposition aux lu-thériens , reconnaissent pour livres divins l'épître de S. Paul aux Hébreux, celle de S. Jacques, celle de S. Jude, et l'apocalypse de S. Jean. Voire esprit privé est donc bien obscur et bien trompeur, puisqu'il ne se fail pas connaître également à tous? Et ainsi , si la vérité des Ecritures ne peut être connue que par cet esprit privé, c'esl une chose incertaine qu'on veut connaître par le moyen d'une autre plus incertaine encore.
XXII. En troisième lieu, quand même on saurait cer-tainement quels sont les livres saints, comment les héré-tiques prouveront-ils jamais que la version qu'ils adop-tent est légitime et exacte? La Bible a été originairement écrite en trois langues, hébraïque, grecque et latine. Les livres de l'ancien Testament ont élé écrits en hébreu ; ceux du nouveau l'ont élé en grec, exceplé l'évangile de S. Mat-thieu , et l'épîlre de S. Paul aux Hébreux, écrits en syria-que, et l'évangile de S. Marc, qui probablement le fut à Rome en langue latine. En outre, il s'est fait plusieurs versions de l'Ecriture ; mais la Vulgale seule a été déclaiée authentique par le concile de Trente dans sa sess. IV; car, comme les savans le remarquent, les textes hébreu et grec, selon les exemplaires qui en restent, sont défectueux. Il est vrai que la Vulgale même, suivant le pape Clémenl, n'est pas aujourd'hui exempte de loule erreur ; mais il a élé décidé que ces erreurs sont seulement accidentelles et non subsiantielles : ce que nous devons croire fermement, nous appuyant sur la promesse de Jésus-Christ que l'E-glise, s'exprimant par un concile, ne peut errer dans les
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choses substantielles de la foi. Les hérétiques de leur côté ont publié plusieurs versions latines, mais toutes altérées et discordantes, non seulement avec la Vulgate , mais avec leurs propres versions latines, et leurs versions en langue vulgaire encore plus défectueuses que les lali-nes ; en sorte que, dans leurs diverses Ecritures, se trou-vent plusieurs passages ajoutés, plusieurs passages omis, selon qu'il leur paraissait plus convenable pour appuyer leurs doctrines. Or, comment, cela étant, peuvent-ils dire que leurs Ecritures soient pures et légitimes?
XXIII.Qualrièmement,etencore, quand même vous seriez certains d'avoir la version pure et correcte dans quelques exemplaires, comment établirez-vous le vrai sens des Ecri-tures? S. Jérôme nous dit que la loi de l'Evangile n'est pas dans les paroles de l'Ecriture, mais dans le vrai sens de ces paroles : « Non putemus in verbis scripturarum esse » Evangelium, sed in sensu.... interpretatione enim per-» versa, de Evangelio Christi fit hominis Evangelium, aut, » quod pejus est, diaboli. » Ainsi les paroles : « Pater » major me est » (Jo. x. 28), comme les emend un ca-tholique, sont les paroles de Dieu , et, comme les entend un arien, elles constituent une hérésie. De même ces pa-roles : « Qui crediderit et baptizatus fuerit. » (Marc xvi. 46), expliquées par un luthérien, sont une hérésie ; avec le sens catholique elles sont une vérité de foi.
XXIV. Il faut donc distinguer les sens divers de l'E-criture, comme nous l'avons dit au commencement, en parlant sur la sess. IV. num. 53. Autre est le sens lil'.éral, autre le sens mystique, et tous deux peuvent être la pa-role de Dieu. Dans la plus grande partie des Ecritures, le vrai sens est le littéral; néanmoins dans quelques passa-ges le sens mystique est le seul vrai. Et cela arrive quand
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la doctrine de l'Écriture ne peut ôtre entendue dans la lettre même : d'autres passages encore sont vrais dans les deux sens, comme celui-ci de S. Paul : « Abraham duos fi-» Hos habuit, unum de ancilla^ et unum de libera... Quœ » sunt .per allegoriam dicta :,haec enim sunt duo tesla-» menla, etc. » (Gai. iv. 22 et 24.)
XXV. Or, dans celte diversité de sens, quelle sera la règle pour reconnaîlie le vrai ? Dans ce passage de S. Mat-thieu (xxvi. 26) : « Accipite et comedite , hoc est corpus » meum ; » nous, catholiques, nous entendons le mot est ccmme indiquant le temps présent; en sorte que toutes les paroles étant prononcées, le pain n'est plus pain, mais est devenu le corps de Jésus-Christ, vrai, réel et perma-nent ; et ainsi, tirant notre certitude de l'autorité de l'E-glise, nous avons une ferme croyance dans l'Eucharistie. Mais Zuingle entend ce mot est comme s'il y avait : Cela signifie mon corps, et, à l'appui de cela, il cite un exem-ple tiré de l'Exode (11 et 12) : « Est enim phase , id est » transitus. » Est phase, c'est-à-dire, signifie passage. Lu-ther, au contraire, entend littéralement le mol est, el lui donne le sens à'êlre, mais il ne l'entend pas comme nous du temps présent où les paroles sont prononcées, mais du futur quand le sacrement est administré, comme s'il y avait : Cela sera mon corps; c'est-à-dire lorsque les fidèles le recevront. Calvin, lui, entend le mot est comme indi-quant une figure, c'est-à-dire cela est la figure de mon corps. Or, au milieu de tant d'explications différentes, comment pourrions-nous savoir le vrai sens du texte sans que l'autorité de l'Eglise nous le.déclare? Sera ce par le sens privé, comme le disent les novateurs ? Mais les pa-roles susdites, « Hoc est corpus meum », Luther les en-tend réellement du corps de Jésus-Christ, et Calvin les en·
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tend au figuré. Ces deux chefs, comme le disent leurs sec-tateurs , ont eu tous deux cette lumière intérieure du Saint-Espiit, et tous les deux ont reçu mandai de Dieu de nous enseigner la vraie foi ; mais l'un dit que dans ce pain il faut adorer Jésus-Christ comme Dieu ; l'autre que l'ado-rer comme Dieu est une véritable idolâtrie. A qui devons-nous croire de Luther ou de Calvin; lorsque, comme ils le disent tous deux , il n'y a d'autre règle de foi que l'E-criture et le sens privé? Et comment connaîtrons-nous la vérité quand l'Ecriture peut avoir divers sens, et que le sens privé est si trompeur et si douteux chez eux que l'un soutient tout l'opposé de l'autre.
XXVI. Quelle foi pourrions-nous donc avoir dans ces faux maîtres quand eux-mêmes , en se séparant de ??·» glise, restent sans règle de foi? Et Bossuel fait avec rai-son la remarque que, comme ces maîtres ont méprisé l'au-torité de l'Eglise catholique, de même leurs disciples n'ont fait que peu de cas de leur autorité, et, se divisant en sectes différentes, ont formé plusieurs croyances et religions diverses.
Les luthériens, dans l'espace de 50 ans, se divisèrent en trois sectes, de luthériens, semi-luthériens et antilulhé-riens. Puis les luthériens se divisèrent encore en onze sectes, les semi-luthériens en onze autres, et les anlilu-ihériens en cinquante-six , comme le rapporte Lindanus. (Epist. Rorcem. in Luther.) De môme, l'école des calvi-nistes se divisa bientôt en plusieurs sectes, dont on compte plus de cent. On trouve spécialement énuméré dans Noël Alexandre (hist. eccles. sec. XV et XVI. c. 2. a. 17, § 5) en combien de sectes sont divisés les calvinistes anglais. Il y a les puritains, qui suivent la doctrine pure de Calvin ; les piscaloriens, qui furent déclaiés hérétiques par les cal-
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vinisles de France ; les anglo-calviniens, qui consacrent des évêques el ordonnent des prêlres, choses rejelées par les autres calvinistes ; les independens, qui ne reconnaissent de supérieurs ni ecclésiastiques ni poliliques; les anli-scripluaires, qui rejettent toutes les Ecritures; les quakers, qui se vantent d'avoir sans cesse des révélations el des extases; les rantères, qui regardent comme licite tout ce à quoi nous pousse la nature corrompue. La Hollande se trouva avec le temps divisée en deux partis d'arminiens et de gomarisles, bien que plus lard, dans un certain conci-liabule tenu en 1618 , on condamna Arminius comme schismalique. Grolius el le grand-pensionnaire Barnevelt n'ayant pas voulu se soumettre, le premier fui mis en prison, el le second décapité. Voilà la belle uniformité de foi qu'ont entre elles toutes ces sociétés de novateurs! C'est le produit de leur esprit d'orgueil qui fait que, comme leurs maîtres se sont soustraits à l'obéissance de l'Eglise , eux aussi secouent le joug de leurs maîirrs, et établissent de nouvelles secles et de nouveaux sjslèmes.
XXVII. El en vain leurs prédicans ont-ils prétendu re-médier à ce désordre par des monilions, des décrets, des menaces, dépositions, excommunications, comme ils firent dans le synode Vallon tenu par eux à Amsterdam en l'an-née 1690; car les autres réformés se sont moqués de tout cela, disant que les décrets, les dépositions, les censures appartenaient au papisme et non à la réforme qui jouis-sait du privilège de la liberté de conscience. Mais ils ne \oier.t pas que de celle maudite et destructive liberté de. conscience sont nées toutes ces innombrables sectes diver-ses d'hérétiques et même de déistes el d'athées, qui ont rempli l'Angleterre, la Hollande et la Germanie. Le mi-nistre Papin (dont la conversion fut l'œuvre de Bossuet)
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fut tellement frappé à la vue des funestes conséquences auxquelles il se voyait entraîné par la force de la liberté de conscience, que soutenu par l'aide de Dieu , il revint en arrière et retourna au sein de la première mère, l'Eglise catholique, laquelle se rit de toutes ces nouvelles religions qui ne s'accordent pas seulement entre elles et ne sont qu'un groupe d'erreurs que chaque mécréant adapte se-lon son caprice et change comme il lui plaît ; en sorte qu'à la fin tout se rédùil à se livrer par le relâchemenl à tous les vices et à ne plus croire à rien. C'est forl justement que l'évêque de Londres, Edmond Gibson, écrit dans une lettre pastorale : « Entre le relâchement et l'impiété il y » a un trop élroil voisinage; » el M. de Fénélon, arche-vêque de Cambray : Entré le catholicisme el l'athéisme il n'y a point de terme moyen.
XXVIII. Mais quelle merveille que les disciples de Lu-ther et de Calvin soient ainsi divisés sur les points de foi quand leurs maîtres eux-mêmes sont aussi opposés l'un à l'autre que nous l'avons vu ? Qu'on lise l'Histoire des Variations des églises réformées écrite par Bossuel, évêque de Meaux, et on verra les contradictions parlées et écrites contre eux-mêmes par Luther el Calvin. Lés seules con-tradictions de Luther, appelé par les réformés « la pre-» mière fontaine de la foi pure, » et qualifié d'apôtre par Calvin, lequel ne craignit pas d'écrire : « Res ipsa clamai, x nonLutherum initio loculum, sed Deum per os ejus;» ces seules contradictions émises en divers temps sur les choses de foi, suffisent pour démontrer la fausseté de sa croyance. Il ne fil, tant qu'il vécut, que ss contredire lui-même, réfutant ses propres doctrines, spécialement tou-chant la justification, la valeur de la foi et le nombre des sacremens. Sur le seul article de l'eucharistie on compte
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jusqu'à (renie contradictions : aussi le prince catholique, Georges de Saxe, répétait souvent ce mot fort jusle : « Les » luthériens ne savent pas aujourd'hui ce qu'ils devront » croire demain. » Que d'opinions toutes différentes émi-ses par Calvin sur l'eucharistie ! on peut les voir dans l'ou-vrage de Bossuel. Mais je me trompe en disant que tant de contradictions suffisent à démontrer la fausseté de la croyance de ces nouveaux réformateurs, puisqu'une seule conlradiclion doit faire voir qu'ils n'étaient point inspirés de l'esprit de Dieu ; car Luther fait cet aveu : « Qui semel » mentitur ex Deo non est. »'L'Esprit-Saint est un, « et » negare seipsum non potest. » (II. Tim. II. 13.) Combien donc Luiher se vanlail faussement d'avoir l'esprit de Je-' sus-Christ, disant : « Cerlissimus sum, quod doctrina mea » non sit mea, sed Christi. » Mieux aurait-il dit : diaboli. Mais comment aurait-il pu avoir l'esprit de Jésus-Christ, puisque (comme le rapporte Sanderus) il ne craignait pas de dire (pries, tom. 1) : « Ego nonamabam, imo odie-» bam juslum, et punierilem peccatores Deum ; lacilaque, » si non blasphemia, certe ingenii murmuratione indi-» gnabar : atque adeo furebam saeva et perturbata con-» scientia. » (Apud Sander. De visib. mon. lib. 7.)
XXIX. En résumé, ôlez l'autorilé de l'Église et vous anéantissez tout l'effet de la révélalion divine et de la rai-son naturelle elle-même ; car l'une et l'autre pourront être interprélées par chacun à sa guise; chacun pourra nier la irinilé des personnes divines, l'incarnation du Verbe, l'immortalité de l'ame, l'enfer, le paradis, et tout ce qu'il voudra. M. Rnmsay, parlant de Locke, dit, que quand un philosophe ne se guide pas d'après l'aulorilé de l'Église, il ne peul qu'errer. Un arminien (Jean Vylembogard, Epist, ad Lud. Colin, elc.), parlant du synode de Dor-
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drechl, s'exprime ainsi contre les réformés : « Tous les » docteurs de la réforme, parmi lesquels on compte comme » les principaux Calvin et Bèze, sont d'accord sur celle » proposition générale, que tous les conciles et les syno-» des , pour saints qu'ils soient, peuvent errer en ce qui » regarde la foi. » Puis il n'hésite pas à dire : « Le fonde-
» ment de la vraie réforme.....veut que nul ne puisse ni
» ne doive se soumellre ni adhérer à aucun synode que » sous celle condition, qu'après avoir attentivement exa-» miné ses décrets en les comparant avec la parole de Dieu, » qui seule peut servir de loi en matière de foi, il les (rou-» vera conformes à celte parole.» D'un autre côié, les ré-formés veulent que chacun soit lenu absolument de se soumeliie à leurs synodes; mais comment se soumet-tra-t-on absolument si chacun ne doit se soumettre que quand il aura éprouvé que les décrets du synode sont con-formes à la parole de Dieu? Aussi le même arminien con-clut ainsi : «Que s'ils changent celte maxime, et s'ils » veulent que chacun se soumette absolument à leurs sy-» nodes, alors ils n'ont plus rien de valable à opposer aux » papistes et ils sont forcés de leur donner gain de cause. » Je le répèle; une foisôlée l'obéissance à l'Église, il n'y a point d'erreur qu'on ne soit conduit à embrasser ou au moins à tolérer dans les autres. C'esl là le grand argument qui (au rapport du P. Valsec) convenit un ministre ré-formé de France. Ce minisire voyant que le système de Calvin le portait nécessairement à tolérer loule erreur, soit d'hérésie, soit même d'apostasie, se fit catholique et publia ensuite un ouvrage éminemment mile, intitulé : « Les deux voies opposées en matière de religion. » Au reste, de ce système de tolérance des réformés, qui permet à chacun d'examiner si les décisions de l'Église sont con-
CONTRE   LES   HÉRÉTIQUES.                         705
formes aux Ecritures, est venue cette multitude d'impies qui, dans le siècle passé et celui-ci, ont empesté de leurs mauvais livres tous les pays où règne la réforme.
XXX. Quelque réformé répliquera : Mais parmi vous, catholiques , nonobstant l'infaillibilité que vous attribuez à l'Eglise romaine, il ne laisse pas d'y avoir beaucoup de déistes et de matérialistes, au sein même de l'Italie. Nous répondrons : Sans doute ; et plût à Dieu qu'il ne fût pas vrai que parmi nous certains libertins pour vivre dans le désordre sans remords de conscience (peine bien chère par laquelle s'achètent les plaisirs criminels du péché) se sont joints à la troupe misérable des incrédules. Mais d'où vient un si triste résultat si ce n'est de ces livres ullramontains dont je viens de parler, répandus partout pour infecter l'espril des peuples? Cependant ces mécréans, quand iJs sont découverts, ne sont pas tolérés chez nous comme parmi les hérétiques.Du reste l'infaillibilité de notre Eglise n'en est pas moins propre à extirper les erreurs contre la foi ; et les impies ne deviennent tels que parce qu'ils n'o-béissent pas à l'Église : à la différence de la religion pré-tendue réformée qui ne saurait mettre un frein à la liberté de conscience, d'après laquelle on ne croit que ce que l'on veut. Le faux principe , que chacun peut faire l'examen des choses de la foi, ouvre à tous la voie qui conduit à embrasser toute erreur, et à perdre toute lumière de la foi.
xix.                                                           45
ACTIONS DE GRACES A DIEC
Pour nous avoir fait le don de la sainte foi, et prière pour qu'il augmente cette foi en nous.
? Sauveur du monde, je vous rends grâces pour moi et pour tous les fidèles mes frères, de ce que vous nous avez appelés et admis à vivre dans la vraie foi qu'ensei-gne la sainte Eglise catholique romaine : « Bon Dieu » (vous dirai-je, avec S. François de Sales), grands el » nombreux sont les bienfaits, par lesquels vous m'avez » infiniment obligé envers vous el pour lesquels je vous » rends grâces du fond de mon cœur; mais comment » pourrai-je assez reconnaître celui de m'avoir éclairé par » votre sainte foi ? Je tremble, ô Seigneur, en compa-» ranl mon ingratitude avec un aussi grand bienfait. » Je vous en remercie pourtant, ô mon Seigneur, autant que je le peux dans ma faiblesse, et je vous prie de faire connaître à tous les hommes la beauté de votre sainte foi. « O Dieu (s'écrie le même saint), la beauté de votre » sainte foi me frappe tellement que j'en meurs d'amour, >> et il me semble que je dois renfermer le don précieux » que Dieu m'en a fait dans un cœur tout parfumé de » dévotion. » Mais hélas! ô Jésus mon Rédempteur, comBien peu d'hommes vivent dans celle vraie foi! ? Dieu, la plupart des hommes restent ensevelis dans les ténèbres de l'infidélité ou de l'hérésie! Vous vous êtes humilié jusqu'à la mort et à la mort de la croix pour le
708                              ACTIONS   DE   GRACES.
salut des hommes ; et ces ingrats ne veulent pas même vous connaître ! Ah ! je vous en supplie, ô Dieu tout-puissant, ô infini et souverain bien, faites vous connaî-tre à tous, faites que tous vous aiment.
O sublime mère de Dieu, Marie, vous êtes la prolec-trice universelle des hommes ; voyez cette immense ruine des âmes que l'enfer opère et va de plus en plus opérant de nos jours, en répandant de nombreuses erreurs contre la foi par le moyen de tant de livres empoisonnés qui circulent pour notre malheur jusque dans les royaumes catholiques; ah! par pitié, priez votre Dieu, qui a tant d'amour pour vous , priez et obtenez un remède à de si grands maux : priez, 6 priez? car vos prières sont toutes puissantes auprès de Jésus, votre fils, qui se plaît à vous exaucer en tout ce que vous lui demandez.
FIN   UU   TOME   DIX-NEUVIÈME.
TABLE.
But de l'ouvrage.                                                                        177
V· SESSION. — De l'Écriture et de la tradition.                       179
§ Iep. De l'approbation des livres saints et des traditions.      ii.
§ II. De l'édition et de l'usage des livres -suints.,                187
§ III. De quelques notions utiles au lecteur sur les livres
canoniques de l'Écriture.                                                   193
§ IV. Objections des adversaires des livres canoniques.       195 § V· Si les divines Écritures furent également inspirées de Dieu tant pour les choses qui y sont contenues que pour les paroles.                                                                  20Q
Réponses aux principales objections.                                 201
§ VI. Du sens des saintes Écritures.                                     203
§ VII. Des diverses versions de l'Écriture.                           205
§ VIII. Où l'on expose en terminant les doctrines les plus utiles à connaître sur la tradition.                                     208
Règles par lesquelles on reconnaît qu'une tradition est
humaine et non divine·                                                  214
§ IX. Règles pour reconnaître si une tradition est divine
et non humaine.                                                                 216
V« SESSION. — Du péché originel.                                              219
VIe SESSIO». — De la justification. — Préambule.                     242
TRAITE SUPPLEMEMTAIKE. — Du mode d'opération de la grâce. 283 § Ier. Du système des thomistes.                                              ib.
Exposition des difficultés opposées au système des tho-mistes.                                                                             285 S'il. Du système de Molina.                                                  288 Difficulté opposée au système de Molina.                         290 § III. Exposition du système des congruistes.                       294 Difficulté qui contredit le système des congruistes.        295 § IV. Du système de Thomassin.                                            i'6.
710                                   TABLE.
Difficulté qui s'oppose au système de Thomassin.           296
§ Y. Du système des augustiniens : de la délectation abso-lument victorieuse.                                                       ib. Difficulté opposée au système des augustiniens.               297 § VI. Du système du P. Berti et de ses adhérens : de la dé-lectation victorieuse relativement, c'est-à-dire par la su-périorité du degré.                                                             298 Difficulté qui se rencontre au système du P. Berti.          299 § VII. Où nous établissons notre doctrine que, pour ac-complir les préceptes, la grâce efficace ab intrinseco est nécessaire ; mais que cette grâce s'obtient par la grâce suffisante de la prière.                                                         306 VIIe SESSION. — Décret sur les sacremens.                             323 Des sacremens en général.                                                  ib. Du baptême.                                                                               337 De la confirmation ou saint-chrême.                                      349 XTII» SESSION. —Du sacrement de l'eucharistie.                   361 XIVe SESSION. — Du sacrement de pénitence.                        390 Chap. II. — De la différence entre la pénitence et le bap-tême.                                                                              397 Chap. III. — Des parties de la pénitence.                           398 Chap. IV. — De la confession.                                             424 Chap· VI· — Du ministre et de l'absolution.                     440 Chap. VII.—De la juridiction et des cas réservés.             443 Chap. VIII. — De la satisfaction.                                         446 Chap. IX. — Des œuvres de satisfaction.                           448 XIV* SESSION. — Du sacrement de l'extrême-onetion.             457 Chap. Ier- — De l'institution du sacrement de l'extrême-onetion.                                                                          457 Chap. II. — De l'effet de ce sacrement.                              463 Chap. III. — Du ministre de l'extrême-onetion, et du
temps dans lequel elle doit être administrée.                 466
XXI» SESSION. — De la communion scus l'une et l'autre es-pèce, et de la communion des enfans.                                476 XXIIe SÏSSION. — Du sacrifice de la messe.                            496 De l'efficacité du sacrifice de la messe.                             507 XXIIIe SESSION. — Du sacrement de l'ordre.                          534
TABLE.
Cbap. Ier. — De l'institution du sacerdoce de la loi nou-velle.                                                                          538 Chap. II. —Des sept ordres.                                           540 Chap III. —Où il est enseigné que l'ordre est un véritable
sacrement.                                                                   542
Chap. IY. — De la hiérarchie ecclésiastique et de l'ordi-nation.                                                                        547 § IT. Du célibat pratiqué dans l'Église par les clercs qui
ont reçu les ordres majeurs.                                      558
§ ?. Du vœu de continence.                                        568
§ III. Notion» sur les anciennes coutumes touchant le
sacrement de l'ordre.                                                570
XXIVe SESSION. — Du sacrement de mariage.                      674
XXV« SESSION.—Décret touchant le purgatoire.                  612
Des prières offertes par les fidèles pour les âmes du pur-gatoire.                                                                       628 De invocatione, veneratione, et reliquiis sanctorum, et sa-cris imaginibus.                                                           631 § Ier. Du culte dû. aux saints.                                          634 § II. De l'invocation des saints.                                    639 $ ??. De la vénération due aux reliques des saints.         652 § IV. De la vénération des saintes images.                      656 Des indulgences.                                                                666 TRAITE SUPPLEMENTAIRE (16· et dernier). — De l'obéissance due aux décisions du concile, qui sont celles par consé-quent de l'Eglise catholique romaine, hors de laquelle il n'y a point de salut.                                                        680 Actions de grâces à Dieu pour nous avoir fait le don de la sainte foi,   et prière pour qu'il augmente cette foi en nous.                                                                                  707
 
 

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