CHAPITRE PREMIER.
Du mérite des Vierges qui se consacrent
à Dieu.
ï. Les Vierges qui ont le bonheur
de se vouer à l'a-mour de Jésus et qui lui consacrent le lys de leur
pureté, sont aussi chères à Dieu que les anges. Erunt sicut angeli Dei
in Casio. ( Mal. 22. 30. ). Telle est la puis-sance de la chasteté.
Qui cOnserve long-tenis cette vertu, dit S.-Ambroise, est un ange, qui
la perd est un démon. Castitas angelos facit : qui eam servavit, an-gelus
est ; qui perdidit, diabolus. (S. Ambr. lib. 1 de Off.) Baroniusraconte
(Ann.480, num. 23.in Comp. ) qu'à la mort d'une jeune vierge nommée Georgia
on vit voltiger autour d'elle des essaims de colombes, et que lorsque le
corps fut porté à l'église, elles le sui-virent et se perchèrent sur
le toit, au-dessus de l'en-droit ou le corps était déposé. Elles ne
se retirèrent que lorsqu'on l'eut enseveli. On crut généralement que
ces colombes étaient des anges envoyés pour ser-vir de cortège a ce
corps virginal. C'est avec raison que la virginité est appelée vertu
angélique et cé-leste , car, dit S.-Ambroise, cette vertu n'a trouvé
que dans le ciel, le modèle de ce qu'elle exerce sur la terre. Elle ne
trouve même son exercice que dans ie ciel, car c'est là qu'est son époux.
E caste accersiit,
VIII.
ίλ BEMGIEBSB
quad imitaretui·
in terris , usum quœsivit è caelo, qua spmsum sibiinieirit
in Caelo. (S. Ambr. lib. de Virg.)
II. De plus, une vierge qui consacre
sa virginité à Jésus Christ , devient l'épouse de Jésus-Christ. Aussi
l'Apôtre a-t-il dit, en parlant à ses disciples : Despondi vos uni vira
virginem castam exhibere Christo. (2. Cor. 11. 2.) J'ai promis à Jésus-Christ
de lui pré-senter vos âmes, comme autant de chastes épouses. Jésus
lui-même a dit dans la parabole des Vierges qu'il veut être qualifié
du titre de leur époux. Exie-runt obviam sponso... Introierunt cum eo
ad nuptias /"Mat. 25. 1.10.) C'est pour cela que N.-S. qui se fait ap-peler
par les autres , Maître , Pasteur ou Père ; veut être appelé Époux
par les vierges. S.-Grégoire de Na-zianze a composé à ce sujet ce beau
vers : Castqque virginitas decoratur conjuge Christo. Un tel mariage se
fait par l'entremise de la foi. Sponiabo te mihi in fide. (Osée, 2. 20.
) Cette vertu de la chasteté , les hom-mes ne l'ont acquise que par les
mérites de Jésus-Christ; et il est dit dans l'Apocalypse que les vierges
suivent l'Agneau. Sequuntur agnum quocumque ierit. ( \1χ· 4· ) La divine
mère révéla à une âme pieuse qu'une épouse de Jésus-Christ doit
aimer toutes les vertus, mais surtout la pureté , parce que c'est la plus
propre à ta rendre digne de son divin époux. S.-Antoine de Padoue nous
apprend.que toutes les âmes sont en général les épouses de Jésus-Christ,
comme l'écrivit avant lui S.-Bernard. Sponsa nos ipsi sumus et omnes umul
una sponsa et animœ singulorum quasi singulœ sponsœ ( Serm. 2. in Dom.
Post. Epiph. ) Mais que les vierges consacrées à Dieu, le sont plus particulièrement
: Omnes animée sponsœ sunt ChmtL tpecialids tamen virgines. (3. Ant.
Pad. Serm. de Virg.) S.-Fulgence appelle Jésus-Christ époux de toutes
SANCTIFIEE.
·*
les Vierges : llnus
omnium sacrarum virginum sponsus. (S. Fulg. Ep. 3. Cap. h.)
III. Une jeune fille qui veut s'établir,
ei elle est pru-dente , choisit parmi ses pirétendans
celui qui lui paraît le plus digne de la posséder et le plus capable
de la rendre heureuse en ce monde. La religieuse, en faisant sa profession
, épouse Jésus-Christ lui-même. Le pontife lui adresse ces paroles.
Je vous unis d Jé-sus-Christ qui'vous gardera chaste et pure. Rtcetez,
en qualité de sa: compagne, Panneau de li fidélité, afin que si vous
le servez fidêl'tnent , vous obteniez la couronne éter-nelle. Demandons
à la divine épouse des Cantiques , quelles sont les qualités de
son époux, car elle en est bien instruite. Dites-moi, ô sainte épouse
, quel est votre bien aimé , l'unique objet de vôtre amour , celui qui
vous rend heureuse et fortunée par dessus toutes les femmes. Qualis est
dilectus tuns ex dilecto , 6 pulcherrima mulierum ? ( Cant. 5. 9. ) Elle
répond : Di-lectus meus candidus et rubicundus, electas ex mitlibus. Mon
b'en aimé est blanc comme l'innocence , il est ver-meil parce qu'il brûle
d'amour pour ses épouses ; il est si beau et si parfait, il est si bon
et si affable, qu'il est de tous les époux le plus doux et le plus ai-mable.
Illo Tiihil gloriosids , dit S.-Eucher, nihil pul-chrius, nihil mngnificenUus.
Songez, s'écria S.-Ignace martyr, ô Vierges bienheureuses qui vous êtes
con-sacrées à Jésus, songez que vous avez un époux tel que ni le ciel
ni la terre ne peuvent vous en offrir d'aussi riche, d'aussi beau, d'aussi
aimable. Virgi-nes agnoscant cui se consecrarunt sponso nimirum t,j,eciosis-stmo
, nobilissimo , opulenthsimo ; amahiliorem
nee in
cœlo nee in terris invenire nunquam
poterunt ; ( S.-lgti!'
Mart. Ep. Ad Ant. ) C'est pour cela,
que là B. Claire de Montefalcó
4
ΙΑ BEDGIEUSB
disait que sa virginité lui était
si chère qu'elle préfé-rerait souffrir en cette vie toutes les peines
de l'enfer, plutôt que de la perdre. La glorieuse Ste-Agnès, se-lon S.-Ambroise,
refusa la main du fils du préfet de Rome, qu'on lui offrait en mariage,
disant : Sponsum offertis? Meliorem reperi. Ste-Domitille, nièce de l'em-pereur
Domitien , fit la même réponse à certaines personnes qui l'engagaient
vivement à épouser le comte Aurélien , qui, quoique païen,, consentait
à lui laisser professer la religion chrétienne. Dites-moi, poursuivit
la sainte, si l'on donnait à choisir à une jeune personne , entre un
roi et un paysan , lequel préférerait-elle ? Si je me mariais à Aurélien
, il me faudrait renoncer aux noces du roi des cieux; ne se-rait-ce pas
une grande folie à moi ? Allez dire à Au-rélien , qu'il n'espère jamais
m'obtenir. Pour rester fidèle à Jésus-Christ à qui elle avait donné
sa virgi-nité , elle aima mieux expirer dans les flammes, où son barbare
amant la fit périr. ( Croiset, 12 Mai.) La vierge Ste-Suzanne répondit
dans les mêmes termes aux ambassadeurs de Dioclétien qui voulaient la
faire impératrice, en lui donnant pour époux Maximin , son gendre, qu'il
avait proclamé César. ( Cioiset. 11 apût. ) Sur son refus, Dioclétien
la fit mourir. Beau-coup d'autres vierges rejetèrent l'alliance de puissans
monarques, pour épouser Jésus-Christ : LaB. Jeanne, infante de Portugal,
refusa la main de Louis XI, roi de France,, la B. Agnès refusa Ferdinand
II, empe-reur , Elisabeth s fille du roi de Hongrie, refusa Henri, archiduc
d'Autriche, etc.
V. Les vierges qui se consacrent
à Jésus-Christ^ appartiennent entièrement à Dieu , d'âme et de corps.
S.-Paul l'a dit : Mulier innupta et virgo cogitat quœ Domini funi ut sint
sancta corpore et spiritu ; quas
SANCTIFIEE.
D
autem nupta est, cogitat qnœ sunt
mundi et quomodo pla-ceat tiro. (Cor. 7. 34.) La vierge qui s'est donnée
à Dieu , ne pense qu'à Dieu et à être toute à Dieu, mais la femme
mariée appartenant au monde ne peut songer et s'appliquer qu'aux choses
du mon-de. l'Apôtre ajoute : Porro hoc ad utilitatem vestram dico.. Ad
quod honestum est et quod facultatem prasbeat sine impedimento Dominum
obsecrandi. Les pauvres mè-res de famille trouvent donc bien des obstacles
à la sainteté , et plus elles sont illustres dans le monde , plus ces
obstacles sont nombreux.
VI. Pour être sainte , il faut
qu'une femme fré-quente les sacremens, qu'elle fasse beaucoup d'orai-sons
mentales qu'elle pratique beaucoup de mortifi-cations intérieures et extérieures
, qu'elle reçoive avec joie le mépris , les humiliations, la pauvreté
; enfin qu'elle ne songe qu'à faire ce qui peut plaire à Dieu; c'est
pourquoi il est nécessaire qu'elle soit tout-à-fait détachée des choses
d'ici-bas, mais quels loisirs, quels secours , quel recueillement peut
trou-ver une femme mariée, pour être sans cesse occupée de Dieu. Nupta
cogitât quas sunt mundi. La femme ma-riée doit penser aux soins de sa
maison , à élever ses enfans, à contenter son mari, tous les parens
de celui-ci, parfois plus importuns encore que son mari lui-même; de sorte
que, selon l'Apôtre, son cœur est partagé entre son mari, ses enfans
et Dieu. Com-ment une femme mariée aurait-elle le temps de faire beaucoup
de prières puisque souvent le fems lui manque pour les affaires du ménage
? Le mari veut être servi, il gronde, il s'emporte si on ne le sert Pas
à la minute : Les domestiques troublent la paix intérieure par leurs
propos et leurs querelles ; les en-fans , s'ils sont petits , pleurent,
crient, demandent
6
LA RELIGIEUSE
«ans cesse ; s'ils sont grands,
ils sont une cause éter-nelle de craintes et d'inquiétudes, taniôt parce
qu'ils ont de mauvaises connaissances, tantôt parce qu'ils sont malades
: essayez donc de faire oraison et de vous recueillir parmi tant de troubles
et de tour-ments ! A peine l'épouse peut-elle aller communier les dimanches.
Elle a pour elle la bonne volonté , mais il lui Kcra/noralement impossible
de travailler assiduement au salut de son Time. Il est vrai qu'elle pourrait
mériter beaucoup par la privation même du bonheur de prier le Seigneur
, en supportant avec patience et résignation la servitude où elle est
ré-duite ; elle le pourrait, mais au milieu de tant de tracas et de distractions,
sans oraisons, sans lec-ture spirituelle ni sacrements, il lui sera très-difficile
d'avoir jamais cette résignation et cette patience.
VII. Mais plût à Dieu que les
femmes mariées n'en-courussent d'autre blâme que celui d'être empêchées
dans leurs désirs de dévotion, d'oraisons, de com-munion fréquente !
Le pire de tous leurs maux, c'est qu'elles sont sans cesse en danger de
perdre leur âme et la grâce de Dieu. Il faut qu'elles tiennent leur rang
, qu'elles paient leurs domestiques , qu'elles tiennent maison , qu'elles
conversent au moins dan» les visites , avec toute sorte de gens ; et chez
elles il faut qu'elles reçoivent les parens, les alliés, les amis de
leurs maris..... Oh ! que d'occasions de perdre Dieu ! Les jeunes personnes
ne connaissent pas tous les dangers auxquels elles s'exposent en se mariant,
mais les femmes mariées les connaissent et leurs confesseurs aussi.
■VIII. Laissonsdecôtélavie malheureuse
que mènent toutes les femmes mariées , toutes, sans exception. Moi qui,
pendant longues années, ai écouté lesconfes-
JANCTIFIÉE.
7
done de tant de femmes de tous le»
rangs , nobles et plébéiennes, pauvres et riches, il ne me souvient pas
d'en avoir trouvé une qui fût contente de son sort. Les mauvais trait
emens de leur maris, la mauvaise condui-te des enfans, les besoins d'une
maison, l'assujétisse-ment à une belle-mère, les douleurs de l'enfantement,
les jalousies de l'époux, les scrupules de conscience sur la fuite des
occasions , sur l'éducation des enfans, tout cela forme une tempête horrible
et continuelle dans laquelle elles sont forcées de vivre , tout en dé-plorant
leur malheureux sort et en s'accusant de s'y être elles-mêmes vouées.
Dieu veuille que cet orage n'emporte pas leur âme et qu'elles ne soient
pas con-damnées à un double enfer dans ce monde et dans l'autre ! Voilà
l'avenir que se préparent ces aveugles jeunes filles qui restent dans
le monde. Eh ! quoi, dira-t-on , parmi tant de femmes mariées, est-ce
qu'il n'y en a pas de saintes? Oui, il y en a quelques-unes, mais lesquelles
? Celle qui devient sainte au milieu de ces tortures , en les souffrant
pour le Sei-gneur , en lui offrant ses douleurs dont elle ne se plaint
pas. Mais où sont-elles ces femmes parfaites ? Elles sont aussi rares
que les corbeaux blancs. Et celles-là même se repentent d'être restées
dans le monde, quand elles pouvaient consacrer leur virginité à Dieu
et vivre tranquilles et heureuses.
IX. Le sort b plus heureux, le rang
le plus élevé auxquels puisse prétendre une jeune personne , c'est donc
de renoncer au monde et de s'unir à Jésus-Christ. Elle sera l'exemple
de tous les dangers aux-quels les femmes mariées sont sans cesse exposées,
leurs pensées n'ont pour objet ni leurs enfans , ni les hommes de la terre
, ni les richesses , ni la toi-lette ; car tandis qu'il faut aux
femmes mariées de
8
LA RELIGIEUSE
beaux habits pour briller aux bals
et aux spectacles? et pour plaire à leurs maris , les vierges de Jésus-Christ
se contentent d'une simple robe qui les couvre y elles donneraient même
scandale, si elles aimaient le" faste et si elles cherchaient à relever
leurs charmes par des parures. Les vierges ehrétiennes n'ont pas de ménage
à garder, pas d'enfans * pas de mari à soigner. Tous leurs désirs n'ont
d'autre but que de plaire à Jésus-Christ à qui elles ont livré leur
âme, leur cœur et tout leur amour. Elles sont libres de tout respect
humain , de toute sujétion , elles vivent loin des bruits de la terre
, elles ont tout le tems de communier ,. de faire leurs oraisons , de lire
des li-vres spirituels. Elles sont plus à même de travailler à l'œuvre
de leur salut et de méditer. Qam enim est virgo r dit Théodoret , ab
inutUibus cogitationibus liberam habet animam, La vierge n'a autre chose
à faire que de s'entretenir sans eesse familièrement avec Dieu. C'est
ce qu'écrivit l'apôtre, dit Œcumenius : Ut sit sancta corpore et spiritu}
QEcumenius, ajoute '.Corpore sancta propter castitatem, spiritu sancta
propter familiari" talem, cum Dee. N'eût-elle pas d'autre récompense
à espérer f dit S,-Anselme , la vierge devrait se trouver heureuse d'être
délivrée des soucis de ce monde eï de pouvoir penser continuellement
à Dieu : Si nulla merces amplior virginem sequeretur, sufficerethœc sola
prcs* latio : Cogitat qnm Domini sunt. ( S-.-Ans, Cor. 7 ). Le saint ajoute
en conséquence que les vierges consacrées au Seigneur jouiront non seulement
d'une gloire im-mense dans le ciel, mais aussi d'une paix inaltérable
sur la terre : Non solum in futuro secuto gloriam, sed et-in presenti requiem
habet virginitas. ( Loc. Cit. ).
X. Les saintes vierges qui tendent
à la perfection sont les favorites de Jésus-Christ, car elles lui ont
SASCTIflEE.
livré leur âme et leur corps et
ne pensent en cette vie qu'à lui plaire. C'est parce que S.-Jean était
vierge qu'il fut appelé le favori de Jésus-Christ. Quem diligebat Jesus.
( Jo. 13-23 ). L'Église chante ces mots sur lui : Virgo est electus d
Dominot atque in* ter ceteros magL· dilectus. (In die 27. Dec. Resp. noct.
1). Les vierges sont nommées les prémices de Dieu : Virgines enim sunt
; Hi sequuntur Agnum quocumque ierit. Hi empli sunt ex hominibus primitice
Deo et agno. ( Apoc. 1Z| ). Mais pourquoi les vierges sont-elles les prémices
de Dieu ? Le cardinal Hugon nous l'ap-prend; c'est que, comme les premiers
fruits sont les plus agréables, ( Sicut primitias fructuum delectabiliores
sunt), ainsi les vierges consacrées à Dieu lui sont les plus agréables
et les plus chères.
XI. On dit aussi que l'époux divin
paît parmi les lys. Qui pascitur inter Mia. ( Cant. 1. 16 ). Ces lys sont
les vierges pures qui se vouent au Seigneur. Un sage interprète des Livres
sacrés remarque sur ce passage des Cantiques, que comme le démon se repaît
des souillures de l'impudicité, de même Jésus-Christ se nourrit des
lys de la chasteté. Sicut diabolus cœno libi-dinis saginatur , ita Christus
castimonia liliis pascitur. Le vénérable Bède affirme que le chant des
vierges plaît à l'agneau divin plus que le chant des saints : Cantus
d virginibus modulait suaviorem. Agno harmo-niam effeciunt quam si omnes
alii sancti canere contende-rent. (Beda in Αρ. 14. ίχ. ). Il n'y a
pas de paroles assez fortes pour faire l'éloge de la chasteté : Non est
digna ponderatio continentis animce. ( Ecc. Q, 15 ). Le cardinal Hugon
observe qu'on accorde une dispense pour tous les autres vœux , mais non,
pour celui de chasteté, parce que rien ne peut en égaler le prix. Inde
est quod votum continentia;, non habet dispensatio.-
IO
t.A RELIGIEUSE
nem , quia non habet compensationem.'
La très-sainte Marie nous le montre bien par ce qu'elle répondit à l'Ange.
Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco. ( Luc. 134 ). Car elle
aimait mieux renoncer à la gloire d'être la mère d'un Dieu , qu'à sa
virginité.
XII. S.-Cyprien dit que la virginité
est la reine de toutes les vertus et est la possession de tous les biens.
Virginitas est regina virtutum , possessio omnium bonorum. ( S.-Cyp. de
Virg. ) S.-Éphrem dit à ce su-jet : Hanc si amaveris d Domino in omnibus
prosperaberis ( De Virg. Cap. 9. ) Les vierges qui se conservent pures
pour Jésus-Christ sont secondées par lui dans tout ce qu'elles font.
S. Bernardin de Sienne ajoute que la virginité a le pouvoir de rendre
le divin époux visible aux yeux de l'âme , même en ce monde : Virginitas
praeparat animam ad thendum in praesenti Jesum tponsum per fit/em ei in
futuro per gloriam. Quelle est brillante la gloire que Jésus prépare
dans le Ciel, à celles de ses épouses qui lui ont consacré leur virginité
sur la terre ! Dieu montra à la vénérable Lucrèce Orsini le lieu sublime
où sont placées les jeunes personnes qui lui consacrent leur virginité
; c'est pourquoi elle s'écriait : Oh ! que les vierges sont chères à
Dieu et à sa mère Marie ! Les docteure nous apprennent que les vierges
sont couronnées dans le ciel d'une auréole , marque éclatante de gloire
et de béatitude. Il est dit dans l'Apocalypse au sujet des vierges : Et
nemo poterat dicere canticum nisi illa centum quadragenla quatuor millia
qui empli sunt de terra. ( 14. 3 ). S.-Augustin, qui a commenté ce pas-sage
, dit que les joies que Dieu accorde aux vierges ne sont pas données aux
autres saintes qui ne sont pas mortes vierges. Gaudia propria virginum
Christi non tant eadem non virginum, quamvis Christi, nam sunt
alia
S AUCTI FIÉE.
' !
XIII. Mais pour être sainte
, et digne du titre d'é-pouse de Jésus , il ne suffit pas
qu'une vierge soit pure et ait assez d'huile dans sa lampe,
c'est à dire dans son cœur pour le tenir toujours allumé du feu
de l'amour divin. Quelques-unes, qui étaient vierges, mais folles et manquant
d'huile , furent rejetées par le divin époux qui leur dit en face : Nescio
vos. Toute vierge qui veut être l'épouse du Rédempteur ne doit
avoir ici-bas d'autre soin , d'autres
pensées que d'aimer Jésus-Christ et de lui plaire. S.-Bernard dit que
Jésus étant notre Maître , veut que nous le crai-gnions ; qu'étant
netre Père il veut être honoré, qu'é-tant notre Époux il veut être
aimé. Si sponsum s e exhi-beat, mutabit vocem ac dicet, si ego sponsus
ubi est amor? Exigit ergo Deus timeri ul Dominus , honorari ut Pater, ut
Sponsas amari. ( Serm. 83, in Cant ).
XIV. Pour être fidèle à son époux
et conserver sans tache le lys de sa virginité il faut que la Vierge prenne
differens moyens. Les moyens principaux sont la Prière
, la Communion, la Mortification et la Solitude. Nous en parlerons en détail
dans le courant de cet ouvrage ; nous allons en donner ici un simple aperçu.
Le premier moyen d'aimer Jésus-Christ, c'est l'Oraison mentale, c'est
là la douce fournaise où l'âme s'em-brâse de l'amour divin. In meditatione
meâ exardescet ignis. { Vs. 38. l\ ). Dans les tentations
contre la pu-reté il faut tout aussitôt avoir recours à Dieu par la
prière. La vénérable sœur Cécile Gastelli disait : sans la prière
on ne peut conserver la pureté. Salomon avait dit avant elle : Et
ut scivi quoniam aliter non possem esse continens,
nisi Deus det... add Dominum. (Sap. 8. 21.) Le second
moyen, c'est la Communion. EUeestcelien,ditS.-Bonaventure,danslequelleroidu
ttel introduit ses épouses, et leur apprend à aimer le
12
LA RELIGIEUSE
prochain plus que soi-même, et
Dieu plus que toute chose. Le troisième moyen, c'est la Mortification.
Sicut lilium inter spinas, sic arnica mea inter filias. (Cant. 22. ) Comme
le lys se conserve parmi les épines, ainsi une vierge ne se maintiendra
pare que par les mortifications. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi a dit
la même chose. La chasteté ne fleurit qu'au milieu des épines. Qu'une
religieuse n'espère pas pouvoir se conserver fidèle à Dieu au milieu
des divertissement, des attachemens terrestres, de la société des gens
du inonde, satisfaisant le sens du goût, de la vue et de l'ouie. Il faut
qu'elle soit sans cesse sur les épines de la mortification. Saint-Basile
dit au sujet des vierges; Nulla in parte mcec liari convenit virginem ;
non lingua, non aure, non oculis, non tactu, multoque minus animo. Pour
se conserver pure, une vierge doit être chaste dans ses discours, et s'abstenir,
autant que possible, de parler avec des hommes; elle doit éviter d'enten-dre
toute conversation mondaine, elle doit savoir contenir ses regards et ne
jamais regarder un homme en face ; fuir tout attouchement sur elle-même
ou sur les autres ; elle doit surtout être pure dans son âme, chasser
toute pensée déshonnête et recourir aussitôt qu'elle en est assaillie
, à l'assistance de Jé-sus et de Marie. De même qu'une reine, à qui
un es-clave déclarerait son amour, lui tournerait le dos avec mépris,
ainsi doit faire l'épouse de Jésus quand une pensée impure vient la
tenter. Il faut aussi qu'elle mortifie son corps par le jeûne, par les
absti-nences, les disciplines et autres pénitences. Si sa santé trop
faible se refuse à de telles mortifications , elle doit du moins endurer
sans se plaindre les douleurs, le mépris et les mauvais traitemèns qu'elle
reçoit. lies épouses de l'agneau suivent partout ses
SANCTJFléE.
·3
traces : Sequuntur agnum , quocumque
ierit. ( Apoc. 14. 4- ) Jésus-Christ tant qu'il demeura sur terre marcha
dans un sentier non de roses, mais de ron-ces, non d'honneurs, mais d'opprobres;
c'est pour cela que les vierges saintes ont aimé le mépris et ont reçu
les tourmens et la mort avec un sourire de re-connaissance et de joie.
XV. Le quatrième moyen, c'est la
Solitude. Le Seigneur dit que les joues de sa fiancée sont aussi belles
que celles de la tourterelle. Pulchra sunt gence tum sicut turturis.^ Cant.
1. 9. ). Parce que la tourte-relle fuit la compagnie des autres oiseaux
et aime la retraite. Une religieuse ne brille de tout l'éclat de sa beauté
qu'autant qu'elle est seule et qu'elle fuit les regards des hommes. Sainte
Marie-Madeleine de Pazzi disait que la chasteté est une fleur qui n'éclôt
que dans les jardins fermés et parmi les épines. Les sens d'une religieuse
doivent être aussi clos que le monastère où elle vit : elle ne doit
paraître aux gril-les et aux portes que pour son office et pour obéir
à ses supérieures. Saint-Jérôme dit que le divin époux est jaloux;
il ne veut pas que sa bien-aimée montre son visage aux hommes. Zetotiput
est Jesus, non vult ab aliis videri faciem tuam. ( Ep. ad Eust. ). Il éprouve
un vif chagrin lorsque son épouse s'entretient avec les gens du monde.
Les vierges saintes ne font pas ainsi; elles aiment à se cacher, et lorsqu'elles
sont forcées d'exposer leur visage aux regards mortels, elles le défigurent
et le meurtrissent, aimant mieux être évitées dès hommes que d'en être
recherchées. Bollandus rapporte que Sainte-Andregésine, vierge , pour
être haïe, priait Dieu de la rendre difforme; elle fut exaucée et fut
aussitôt couverte d'une lèpre si puante qu'elle inspirait
l'horreur et le dégoût à
l4
Li RELIGIEUSE
tout te monde. Jacques de Vitry
raconte ( In Spec. Exemp. 19. ) que Ste.-Euphémie étant aimée d'un grand
Seigneur, pour se délivrer de ses importunités, se coupa le nez et les
lèvres avec un couteau, disant: vains attraits, vous ne me donnerez plus
désormais l'occasion de pécher. S.-Antonin raconte et Baronius confirme
( An. 670. Num. 39. ) que Ste - Ebbe, abbesse du couvent de Collingam ,
et toutes ses religieuses , au nombre de trente, craignant que les barbares
n'envahissent le pays, se coupèrent les lèvres jusqu'au nez. Les Barbares
vinrent et les trouvant si difformes, mirent de dépit le feu au mo-nastère
et ies firent toutes périr dans les flammes. Aussi l'Église les a-t-elles
inscrites au nombre des martyrs. Une telle mutilation n'est pas permise
en tout tems, ces saintes ne l'exécutèrent que par ins-piration de l'Esprit
saint. C'est là un exemple de ce qu'ont fait les épouses de Jésus-Christ,
pour ne pas être recherchées par les hommes. Les religieuses doivent
donc tâcher de fuir les regards profanes. Quand elles s'unissent à Jésus-Christ,
elles renoncent au monde et à toutes ses vanités; elles en font le ser-ment
lorsqu'on leur dit : Abrenuniias huic secuto et om-nibus vanitatibus ejusîet
qu'elles répondent : Abrenuntio! — Ainsi donc, ô Épouse de Jésus,
dit S.-Jerôme, si tu RS renoncé au monde, tiens ta parole et ne te con-forme
pas aux vanités du siècle : Nunc autem quia secutum reliquisti, serva
fesdns quod spopond'uti el noli conformari huic secuto. ( S.-Hier. Ep.
8, ad Démet. ).
XVI. Si donc vous voulez vous conserver
pure com-me doit être une épouse de Jésus, fuyez les occasions, ayez-une
sainte ignorance de tout ce qui s'oppose à la pureté. Ne lisez aucun
livre capable de troubler le repos dflivotre âmp. Si vous entendez à
la grili-e «ce
SANCTIFIÉE.
**
discours peu conformes à votre
état, fuyez aussitôt, ou du moins tâchez de changer de conversation
sans quoi vous aurez beaucoup à souffrir pour chasser les tentations qui
vous assailliront ; si un tison ne brûle pas, du moins il noircit. Des
choses qui semblent nul-les, comme un regard, une parole d'amour, un pe-tit
présent, peuvent être l'étincelle qui allume l'infer-nal incendie où
vous resterez consumée. Méfiez-vous de vous-même : en cette matière
on ne prend jamais assez de précautions, croyez-en un homme qui en a vu
beaucoup d'autres se perdre. Ne dites pas: Je m'ar-rêterai Id, car vous
vous trouverez bientôt le fond de l'abîme presqu'à votre inçu. Si dans
de pareilles occasions, vous n'êtes pas tombée par le passé, trem-blez
pour l'avenir. Les Saints se sont enfoncés dans les déserts pour conserver
pure leur chasteté, et vous, vous ne craignez pas de vous exposer a»jx
tentations? Si vous êtes jeune, comment espérer de vous conser-ver pure
en conversant avec des jeunes gens sur des sujets mondains, en plaisantant
avec eux, en sou-riant à certains propos qui devraient vous couvrir de
rougeur ! Fuyez , fuyez. Soyez aussi très-sincère avec votre confesseur
, confiez-lui vos tentations et les. occasions qui les ont causées, demandez-lui
ses conseils pour avoir la force de leur résister.
XVII. La joie de Jésus-Christ est
grande au jour où il s'un:.t à une vierge. Les saints Cantiques nous
l'ap- s prennent. Egredemini et videte fîliœ S ion regem Salomo-nem in
diademate quo coronavit illum mater sua in dit desponsationis illius et
in die letitim cordis tjas. ( Cant. 3. 11. ). Mais cela ne s'applique qu'à
celles qui se vouent sans réserve à l'amour de ce divin époux et se
préparent ainsi à leurs noces. IL veut que le ciel en-twsr se réjouisse
et soit en fête: Gaudeamus et exulte-
l6
LA RELIGIEUSE
mus ei demus gloriam ei, quia venerunt
nupt'ue agni et uxor ejus preparavit se. ( Apo. 19. Ί. ). Les ornemens
dont Jésus veut que ses épouses soient parées , sont les vertus saintes,
et surtout la charité et la pureté : Mwenulas aureas faciemus tibi, vermiculatas
argento. ( Cant. 1. 10. ). Les chaînes d'or mêlées d'argent sont l'emblème
de la pureté et de la chasteté. Ce sont là les bijoux et les habits
précieux dont le Seigneur vêtira ses épouses comme l'a dit S te. -Agnès
: Dexte-ram meam et collum meum cinxit lapidibus pretiosis. In-duit me
Dominus cyclade auro texta et immensis monili' bus ornavit me. (Resp. in
fest. S.-Agn. 21. Jean. )
XVIII. Les gens du monde cherchent
le monde ; mais les épouses de Dieu ne cherchent que Dieu, c'est pourquoi
on peut dire d'elles : Hwc est generatio quaerentium eum. (Psal. 23. 6.).
Ces religieuses,pauvres et humbles, que vous voyez renfermées dans ce
mo-nastère, sont ces âmes qui ne cherchent que Dieu. Ο Epouses en Rédempteur,
s'écrie S.-Thomas de Ville-neuve, vous ne devez pas discuter entre vous
sur vo-tre naissance, vos talens, votre office; celle qui est la plus humble,
la plus pauvre , la plus obéissante, est aussi la plus chère au divin
époux. In hoc ad invicem zelnte , quœnam huic sponso carior, quœnam
familìarior existât, quœ humilior, quas obedientior. S.-Jérôme écri-vant
à la vierge Eustochium qui voulait se consa-crer à Jésus-Christ, lui
dit : Filia accedens ad servitu-tem Dei prwmonet te spiritus sanctus. Sta
in justitiâ et prœpara animam tuam ad tentationem, in humilitatem pa-tientiam
habe,quoniam in igne probatur aurum. Nemoaulem potest duobus Dominis servire.
Terram itaque jam despi-ciens et Chjfisio copulaia , cantabis ; Pars mea
Dominus. ( S. Hier. ep. 22. ad Eust. ). Ma fille , puisque tu vas servir
Dieu, il faut te préparer à souffrir avec
&ASCTIF1ÉE.
·7
humilité et patience, car c'est
au feu que l'on éprouve l'or. Nul ne peut servir deux maîtres, le monde
et Dieu. Puisque tu t'es dédiée au Seigneur, il faut que tu laisses le
monde, et que, devenue l'épouse du Ré-dempteur, tu chantes sans cesse
ces mots : Dieu seul est mon unique trésor, mon unique bien. C'est pour
cela que le jour de la profession on donne aux reli-gieuses un nouveau
nom, pour leur apprendre que dès-lors elles meurent au monde pour ne vivre
plus qu'en Jésus-Christ, qui est mort pour elles. C'est ce que tous les
hommes devraient faire, comme dit S.-Paul : Pro omnibus mortuus
est Christus, ut qui vivunt jam non fibi vivant sed Dei qui
pro ipsis mortuus est. ( 2. Cor. 5. 15. ). Mais si tout le monde ne le
fait pas, du moins la religieuse doit le faire, puisqu'elle a été
choisie par le Rédempteur pour son épouse. La vénérable sœur
Françoise Farnèse n'avait pas de moyen plus efficace
pour enflammer ses religieuses de l'amour de Jésus-Christ, et les pousser
à la per-fection ν II est certain , disait-elle, que Dieu vous a choisies
pour être saintes, puisqu'il vous a faites ses épouses.
XIX. S.-Augustin parle ainsi à
une vierge consa-crée à Dieu : Ο Vierge fortunée, si tu ne connais
tout ton bonheur, lis ce qu'en disent les saints. Sache que tu as pour
époux l'objet le plus beau du ciel et de la terre, et qu'il t'a donné
un gage éclatant de l'a-mour qu'il te porte , en te choisissant parmi
tant de jeunes fiiles pour son épouse favorite , afin que tu le payes
du retour qui lui est dû. Si ignoras te , ô nimis felix inter mulieres
, ex judicio sanctorum perpende. Spon-sum habes pulcherrimam. Misit pignus
amoris; in ipso munere poteris agnoscere quo affectu illum diligere debeas.
( S.-Aug.Tom.ix. dedil. Deo,Cap. Ιχ. ). Saint-Bernard
Till
r '
Till.
l8
LA RELIGIEUSE
ajoute : Nihil tibi et mundo obliviscere
omnium : soli omnium serves te ipsam, quem ex omnibus tibi elegisti. (
In Cant. Serm. 40. ). Ο Épouse de Jésus, cesse de penser à toi-même
et au monde , tu n'es plus à toi ni au monde, mais à ce Dieu à qui tu
t'es donnée. Oublie toute chose et conserve-toi pour cet époux que tu
t'es choisi sur terre. Elegit te Deus tuus ( continue le Saint ) et quot
abjectœ sunt, qatz hanc, quce tibi data est, gratiam consequi non potuerunt!
omnibus illis Redemp tor et sponsus tuus te protulit ; non quia tu dignior
illis sed quia prœ omnibus dilexit te. Tu as choisi Dieu mais Dieu a été
le premier à te choisir pour sa com pagne. Combien d'autres jeunes filles
qu'il a laissées dans le monde, n'ont pu obtenir l'honneur qu'il t'a accordé
! Ton Rédempteur t'a préférée à toutes, non parce que tu en étais
plus digne qu'elles, mais parce qu'il t'a aimée plus qu'elles. Propterea,
dicit Dominus; Ecce tempus tuum·, tempus amantium. Hcec igitur recolens
in corde tuo , in eo reponas spem tuam et dilectionem tuam) qui in caritate
perpetua dilexit te, et attraxit te miserans Jesus, sponsus tuus. Le Seigneur
te dii que la vie qui te reste , tu dois l'employer à l'aimer ; que tout
ton amour, toute ton espérance doivent être placés en Jésus-Christ,
ton époux, qui t'aime depuis l'éternité; et qui, par sa seule bonté,
t'a mise au monde et t'a appelée à l'aimer.
XX. Ο Épouse de Jésus, lorsque
le n^onde réclame tes affections, réponds-lui avec Sainte-Agnès. Discede
d me, pabulum mortis, quia jam ab alio amalore prceventa sitm. Éloigne-toi
de moi, appât de l'enfer ; tu de-mandes mon amour, mais je ne puis aimer
que mon Dieu, qui est le premier qui m'ait aimée. Ce sont là les sentiments
qu'exprime la novice, en recevant le voile. Posuit signum in faciem meam
ut nullum prmter
eum
SANCTIFIÉE.
*9
amatorem admittam, mon époux a
couvert mon front de ce voile , afin que ne voyant personne et n'étant
vue de personne je n'aime que Jésus, et ne sois aimée que de lui. L'épouse
de Jésus doit nourrir un saint orgueil dans son cœur, dit S.-Jérôme;
Dei sponsa proferas , disce superbiam sanctam. Scito te illis
esse meliorem et dic : Inveni quem quœrebat anima mea. , tenebo eum et
non dimittam. ( Ep. 22. ) Puisque tu es l'épouse d'un Dieu,
dit le Saint, apprends à être sain-tement fière. Les épouses du monde
s'enorgueillisent de leur union avec des nobles et des riches ; tu peux
te glorifier d'avoir un meilleur sort, car tu es l'épouse du Roi des cieux.Dis
avec joie et fierté : J'ai trouvé qui aime mon
âme , je l'enlacerai toujours des liens de mon amour,
et jamais je ne le laisserai s'échapper de mes bras. L'amour
enchaîne notre âme à Dieu. Caritatem habete quod est vinculum perfectionis.
( Coloss. m. là- ).
XXI. Il est beau le sort d'une Vierge
qui peut se dire : Ipsi sum desponsata cui angeli servient : Celui que
les anges s'honorent de servir dans le ciel est mon époux. Annulo suo
subarrhavitme, et tanquam sponsam de-coravit me corona. Mon Créateur s'est
uni à moi ; il est le souverain de l'univers, il a ceint mon front de
la couronne royale. Mais, ô vous qui lisez ces pages , Épouse de mon
Dieu, observez que cette couronne n'est pas éternelle , tant que vous
êtes sur terre ; vous pouvez la perdre par votre faute. Tene quod habes,
ut nemo accipiat coronam tuam. ( Αρ. in. 11. ) Gardez-la soigeusement
afin que personne ne vous la dérobe ; détachez-vous des créatures et
rapprochez-vous toujours plus de Jésus-Christ, par votre amour, par la
prière; suppliez-le de ne pas permettre que vous l'abandonniez jamais.
Jesu, misponse, ne permitlas me
30
LA RELIGIEUSE
separari a te. Et quand les créatures
voudront prendre place dans votre cœur et en chasser Jésus-Christ, dites
avec l'Apôtre : Quis me separabit d caritate Chris-ti? Neque mors, neque
vita , neque creatura alia poterit me separare d caritate Dei.
PRIERE.
Ο mon Jésus, mon Rédempteur et
mon Dieu , comment ai-je mérité d'être appelée, moi pauvre pécheresse
, à vivre ici bas dans votre demeure, et à recevoir la couronne éternelle
dans le ciel, tandïs-que vous laissez en proie aux orages du monde tant
d'autres jeunes personnes, plus innocentes que moi ? Seigneur, puisque
vous m'avez accordé une faveur si haute, faites que j'en connaisse tout
le prix, afin que je vous en sois reconnaissante , et que je réponde par
mon amour à celui que vous m'avez montré. Vous m'avez préférée à
tant d'autres ; il est donc juste que je vous préfère à tout. Vous vous
êtes donné entière-ment à moi, il est juste que je me donne entière-ment
à vous, et que vous soyez l'unique objet de mon amour. Oui, Jésus, je
vous aime par-dessus tout, et je ne veux aimer que vous seul. Vous vous
êtes donné à moi sans réserve, je me donne à vous sans réserve. Acceptez-moi,
Seigneur, et ne dédaignez pas d'être aimé d'un cœur qui jadis aima
les créa-tures et qui les a même préférées à vous. Ο Dieu in-finiment
bon, acceptez-moi et gardez-moi. Sans votre secours, je serais sans cesse
en danger de vous trahir. Puisque vous m'avez choisie pour votre épouse,
faites que je vous soie fidèle et agréable. Ο flammes d'amour qui embrasez
le cœur de Jésus ! entrez dans mon cœur et détruisez-y tous les sentimens
qui ne
SAHCTIFIÉE.
3 '
sont pas pour Jésus; faites que
je ne vive que pour aimer cet époux adorable , qui sacrifia ses jours
pour être aimé de moi. Ο mère de Jésus, puisque je suis l'épouse
de votre fils, vous êtes aussi ma mère. Mais si c'est par votre intercession
que je me suis arra-chée au monde, et que je me suis retirée dans l'asile
du Seigneur; si c'est vous qui m'avez donné pour épouse à votre divin
fils, secourez-moi, ne m'aban-donnez pas. Faites que ma vie et ma mort
soient celles d'une véritable épouse de Jésus-Christ.
CHAPITRE Π.
Avantages de l'état religieux.
I. On peut appliquer aux religieuses
ce qui est dit dans la Bible, sur le peuple d'Israël, à l'époque où
il fut délivré de la tyrannie de Pharaon et qu'il sortit d'Egypte : Dux
fuisti in misericordia populo quem redemisti et portasti eum in fortitudine
tuâ ad habitacu-lum sanctum tuum. ( Exod. xv. 15. ) Comme les juifs étaient
anciennement les favoris de Dieu, par opposition aux Égyptiens, de même
les religieux sont les favoris de Dieu, respectivement aux gens du monde.
Ainsi que les Juifs sortirent d'Egypte, pays de souffrance et d'esclavage
, et où Dieu était ignoré ; de même les religieux sortent du monde
qui récom-pense ses serviteurs, par des fatigues et des ennuis , et sous
l'empire duquel le Seigneur est méconnu. Les Juifs furent guidés à la
Terre promise par une colonne de feu qui marchait à leur tète, dans le
désert; les religieux sont conduits par l'Esprit-Saint à la religion
qui est pour eux la Terre promise
12
Li. BElIGIEliSË
du ciel. Au ciel, il n'y a plus
de désirs des richesse* terrestres ni des plaisirs sensuel», point de
volonté propre ; dans la religion, les portes sont fermées à toutes
sortes de désirs et l'on ne voit régner que la pauvreté, la chasteté
et l'obéissance. Au ciel, on ne fait autre chose que de chanter les louanges
de Dieu; au couvenl, tout ce qu'on fait ne tend qu'à rendre gloire à
Dieu et à lui plaire. Laudat Deum, dit S.-Au-gustin, cum agis negotium,
laudas cam cibum el potum capta, laudas eam requiescis et dormis. ( in
Psal. 146. ) Ο Religieuses, vous louez le Seigneur lorsque vous· soignez
les affaires du couvent, lorsque vous vous présentez à la sacristie,
au tour, à la porte ; vous· ' louez Dieu quand vous allez à table; vous
louez Dieu, lorsque vous vous livrez au sommeil; vous louez Dieu dans tout
ce que vous faites. Une paix univer- , selle règne dans le ciel, car les
Élus trouvert en Dieu tout leur bonheur ; dans Iescouvens , on né recherche
que Dieu et l'on trouve en Dieu cette paix ineffable; bien au-dessus de
toutes les pompes et de toutes les délices du monde. Ste.-Madelaine de
Pazzi avait raison de dire que la religieuse doit être fîère de SOD
état, car la vocation pour la vie monastique est la grâce ïa plus chère
que Dieu puisse accorder à une âme après le baptême.
II. Vous devez donc regarder votre
position comme au-dessus des trônes de la terre. Votre état est un rempart
contre les tentations, vos exercices de piété vous acquièrent chaque
{our de nouvelles couronnes de gloire ; vous êtes les épouses de Dieu,
pendant cette vie, et après votre mort vous serez les r3Înes de l'empire
des cieux. Comment avez-vous pu obtenir l'honneur d'être préférées
pay le Seigneur à tant d'autres personnes, plus dignes que vous d'être
se·
SANCTIFIÉE.
iO
épouses ? Vous seriez bien ingrates,
si vous ne lui rendiez pas grâces, à chaque instant, de sa bonté. Personne
n'a mieux décrit que S.-Bernard les biens que procure l'état monastique.
Nonne hœc est religio sancta, in qua homo vivit purius, cadit rarius,
surgit velo-cius, incedit cautids , irroratur frequentius , quiescit se-curius
, moritur confidentids , purgatur citius , remune-ratur copiosius. (S.-Bern.
de bono Rei.) Examinons ces saintes paroles une à une, et dévoilons les
trésors que chacune d'elles contient.
III. 1° La religieuse vivit purids.
Toutes les œuvres que fait un religieux sont certainement les plus pures
et les plus agréables à Dieu. La pureté des œuvres ne consiste qu'à
les faire uniquement pou* plaire à Dieu ; de sorte que plus il entre dans
nos actions de volonté de Dieu , et moins de notre volonté, plus elles
sont agréables à Dieu. Quelques saintes et pieuses que soient les œuvres
d'un séculier , il y a toujours plus de volonté propre que dans celles
d'une reli-gieuse. Le séculier fait ses oraisons quand bon lui semble
; il communie , entend la messe , fait la lec-ture spirituelle , la discipline
, dit l'office quand il veut Mais la religieuse fait tous ces exercices
quand l'Obéissance l'exige, c'est-à-dire quand Dieu l'exige, puisque
c'est Dieu lui-même qui lui commande l'o-béissance. Par conséquent quand
la religieuse obéit à sa règle, à sa supérieure, quand elle fait ses
oraisons, quand elle travaille, quand elle marche, quand elle se nourrit,
quand elle se délasse, elle ac-quiert sans pesse de nouveaux mérites,
parce que, faisant toutes ses actions , non de sa propre volonté, mais
par obéissance , elle fait la volonté de Dieu , et Dieu l'en récompense.
IV- ©h ι que de fois la propre
volonté a gâté les meil-
a4
'* RELIGIEUSE
leures œuvres ! Lorsqu'au jour
du Jugement les âmes réclameront le prix de ce qu'elles auront fait et
qu'elles diront: Quare jejunavimus et non aspeaisti, hu-miliavimus animas
nostras ei nescisti? ( Is. iv»n. 3. ) Combien il y en aura à qui l'on
répondra ces mots : Eece in die jejunii vestri invenitur voluntas vestra.
( Ibid.) Le Seigneur leur dira : Qu'attendez-vous ?— Une ré-compense
? — Vous l'avez déjà eue, en suivant votre volonté, puisque vous avez
agi plutôt pour vous satis-faire que pour m'étre agréable. L'abbé Gilbert
dit que les moindres œuvres des religieux valent mieux que les plus considérables
des séculiers ; Quod infl-mum est in vobis, fortids secularibus. ( Gil.
Ser. 87. ) En outre, S.-Bernard a dit que si un séculier faisait la quatrième
partie de ce que fait une religieuse on le regarderait comme saint. Credo
nullum hie esse qui, si quartam partem eorum qua! facit in secuto actita-retf
non adoraretur ut sanctus. ( Serm. t\· in Ps. ) On a vu plusieurs fois
des jeunes filles qui brillaient dans le monde comme de nouveaux soleils,
n'être plus que de faibles lueurs dans le cloître, comparative-ment aux
autres religieuses, leurs compagnes. C'est précisément parce que toutes
ses œuvres sont faite» dans le but de plaire à Dieu que la religieuse
lui ap-partient véritablement. La vénérable mère Marie f fondatrice
du monastère de Toulouse , disait que pour deux raisons elle estimait
beaucoup sa vocation : d'abord parce qu'une religieuse est toujours en
pré-sence de Jésus-CBrist, qui demeure près d'elle dans }e très-Saint-Sacrement
; ensuite parce que, par soi» vœu d'obéissance y elle est toute à Dieu
, ayant sacri-fié par ce vœu toutes ses volontés, et toute sa per-sonne
à Dieu.
Y. 2" Cadit varias. Là religieuse
, vivant loin da
SANCTIFIEE.
2"*
monde est moins sujette à tomber.
S.-Antoine , abbé, vit le monde plein de pièges, et l'apotre S.-Jean
dit avant lui que l'on ne recherche ici bas que plai-sirs sensuels, richesses
, et honneurs terrestres. Omne quod est in mundo concupiscentia carnis
est ( c'est-à-dire les voluptés ) concupiscentia oculorum ( c'est-à-dire
les richesses ) et superbia vitas ( c'est-à-dire les hon-neurs qui rendent
l'homme fier et vain dans cette vie ). Par le moyen des saints vœux de
la profession , les religieux ferment ces sources empoisonnées ; par le
vœu de chasteté ils ferment la porte aux plai-sirs des sens ; par le
vœu de pauvreté, ils se délivrent de tout désir des vains trésors,
et par le vœu d'obéis-sance , ils étouffent en eux toute ambition d'hon-neurs
terrestres et passagers.
VI. Il est vrai que même au milieu
de la société on pourrait vivre détaché des biens mondains ; mais,
selon une ancienne maxime, qui touche d la poix reste englué. Totus mundus
in maligno positus est, dit S.-Jean. S.-Ambroise s'explique ainsi : ceux
qui vivent dans le monde, traînent leurs existence sous le joug tyran-nique
du péché. L'air du monde est un air infect et mortel pour l'âme, et
quiconque le respire contracte infailliblement quelque maladie morale.
Les conve-nances sociales, les mauvais exemples , les mauvais propos sont
autant d'appâts qui nous attirent vers la terre et nous éloignent de
Dieu. Chacun sait que les mauvaises occasions, si fréquentes dans le monde,
sont la cause la plus ordinaire de la perte des âmes. La religieuse qui
vit renfermée dans un cloître est seule exempte de ces occasions dangereuses.
Ste. Ma-deleine de Pazzi , embrassait et baisait souvent les «urs de son
couvent en s'écriant : Ο murs ! δ murs eacrés qui me protégez contre
les tentations de l'enfer !
a6
LA. RELIGIEUSE
Quand la bienheureuse Marie Orsini
voyait rire quel-que religieuse dans son couvent : Riez, disait-elle, riez,
m<i sœur ; vous avez bien raison de rire ; vous êtes d l'abri des
orages du monde.
VII. 3° Surgit velocius.
Si par malheur une religieuse tombe dans quelque péché, du moins elle
a de puis-sants secours pour en sortir. La règle qui l'oblige à se confesser,
la méditation où on lui rappelle les véri-tés éternelles, les exemples
de ses vertueuses compa-gnes et les remontrances de sa supérieure
sont un grand secours pour se corriger. Vœ soli, dit le S.-Es-prit ,
quia cum ceciderit non habet sublevantem
se. ( Ecc. iv. 10. ). Dans le monde, quand nous péchons nous ne trouvons
personne qui nous avertisse et nous reprenne, et
souvent nos chutes sont mortel-les; mais, dans l'état monastique, si unus
ceciderit ab al-tero fulcietur. ( Ib. 6. ).Si une religieuse commet quel-que
faute, ses compagnes accoureront aussitôt pour l'aider à l'expier.
Juvatur d sociis ad resurgendum, dit S.-Thomas l'Angélique, au sujet des
religieux;
VIII. 4° Incedit cautids. Oh! combien
une religieuse est] plus à même de gagner le paradis que les premiers
monarques de la terre ! Les rois ont de grandes ri-chesses , des divertissements
, des honneurs, des ar-mées , des seigneurs poxir les servir !
mais il n'ont personne qui corrige leurs défauts, ou qui leur rap-pelle
leurs devoirs ; tous tremblent de parler devant eux, de peur de tomber
dans leur disgrâce ; plu-sieurs même, pour obtenir plus de faveur, applau-dissent
et encouragent les vices du monarque. Dans l'état monastique, au contraire,
quand une religieuse faillit, toutes ses compagnes sont là pour la secourir
et la remettre dans le bon chemin. Les supérieures , les zélatrices,
ses propres compagnes l'avertiront de
SA.SCTIFIÉE,
37
ea faute, et les bons exemples de
ses sœurs seront autant de corrections de son erreur. Ces secours né-cessaires
pour le salut de l'âme , qui est la seule chose importante dans ce monde,
sont à coup sûr plus précieux et plus désirables que toutes les gran-deurs
et les gloires de la terre.
XI. De même que les séculiers
trouvant dans le monde beaucoup d'obstacles à faire le bien> ainsi les
religieuses trouvent dans le couvent beaucoup d'obstacles à faire le mal.
L'étroite surveillance dont les supérieures entourent leurs religieuses,
en les pré-servant des fautes légères , les empêche de tomber dans
les fautes graves ; de sorte qu'elles parviennent à repousser la tentation
du péché véniel, et acquiè-rent par là une force invincible pour résister
aux pé-chés mortels. S'il arrive qu'elles y succombent par faiblesse,
si elles perdent quelques pouces de ter-rain , du moins elles ne se rendent
pas encore ; cette petite perte leur donne au contraire plus d'ardeur à
se fortifier et à se prémunir contre les attaques de l'enfer; par leurs
chutes, elles apprendront à connaî-tre leur faiblesse; elles s'humilient,
elles se défient d'elles-mêmes, et recourent plus souvent à Jésus-Christ
et à sa divine mère Marie. Ces chutes ne leur seront donc pas très-nuisibîes
, car le Seigneur , voyant leur humiliation, leur tendra aussitôt la main
pour les relever. Cum ceciderit ( Justus ) non collidetur quia Dominus
supponit manum fuam( Psal. xxxvi. 2Zj. ). Elles leur seront même profitables
, parce qu'elle» leur inspireront une juste défiance de leurs forces
et une plus vive confiance en Dieu. Le bienheureux Gilles Franciscain ,
disait qu'il valait mieux obtenir un seul degré de grâce , dans l'état
monastique , où l'on peut monter plus haut encore et ou l'on ne
peut
28
(Ά RELIGIEUSE
descendre que dix degrés dans le
monde, où l'on ne peut guère aller plus haut et où l'on risque à chaque
instant de descendre.
X. 5° Irroratur frequentiae.
Oh mon Dieu ! de com-bien de lumières, de combien de douceurs et de joies,
Jésus arrose l'âme de ses épouses ; tantôt dans leur prière, tantôt
dans la communion , tantôt au fond de leur cœur , en présence du Saint-Sacrement
ou dans leur cellule , devant leur crucifix! Les âmes qui restent dans
le monde sont des arbres plantés dans une terre aride , où la rosée
du ciel ne tombe que rarement. Pauvres séculiers ! vous
voudriez prier long-temps, méditer long-temps, entendre souvent
la parole de Dieu, jouir d'un peu de solitude, d'un peu de recueillement,
vous voudriez vous rapprocher de Dieu, mais cela ne vous est pas permis.
Vos affaires domestiques , vos parents , les convenances sociales, les
visites de vos amis, vous en empêchent. Les reli-gieuses , au contraire
, sont d'heureux arbrisseaux, plantés dans une terre féconde, que continuellement
rafraîchit la céleste rosée. Le Seigneur assiste et aide sans cesse
ses épouses par ses lumières, par des ins-pirations , et
des consolations spirituelles, qu'elles trouvent dans leurs méditations,
dans les sermons, dans la lecture des saints livres, et même dans le bon
exemple de leurs compagnes. C'est donc avec raison que la mère Catherine
de Jésus, disait, quand on lui rappelait les peines qu'elle avait dû
endurer avant de fonder son monastère : Dieu nia amplement récompensée
de tous mes maux, par une seule heure de re-tipion dans la maison de sa
Irës-sainte mère.
XI. 6° Quiescit securiut.
Les biens du monde ne peu-vent remplir nos cœurs. Les bêtes qui ont été
créées pour la terre se contentent des biens qu'elle leur offre,
SANCTIFIÉE.
29
mais l'homme qui a été créé
pour Dieu n'est heu-reux qu'avec Dieu. L'expérience nous le prouve. Si
ces biens satisfaisaient l'homme , les riches et les princes qui regorgent
de richesses , d'honneurs et de plaisirs seraient heureux; loin de là,
ils sont les plus misérables des êtres; car plus on abonde en richesses
et en dignités, plus on est accablé de craintes et de douleurs. L'empereur
Théodose étant entré sans se faire connaître dans la cellule d'un moine
solitaire lui dit : Mon pire , savez-vous qui je suis ? Je suis l'em-pereur
Théodose. Puis il ajouta : Oh! que je vous porte envie, heureux solitaires
, qui menez dans ces grottes une vie tranquille, exempte des inquiétudes
du monde ! Je suis grand sur la terre, je suis empereur; mais fâchez qu'il
n'y a pas un seul jour oà j'aie pu prendre paisible-ment ma nourriture.
XII. Comment vivrait-on en
paix dans le monde , puisque c'est un lieu de peines , de trouble, et de
craintes? On y jouit de quelques misérables plaisirs, mais ils épuisent
l'âme sans la satisfaire ; ils flattent les sens pendant quelques
heures, mais bientôt ils fa-tiguent , ils dégoûtent. C'est
pour cela que les plus puissants dans le monde sont les plus malheureux
; car, plus ils sont élevés, plus ils sont près de la fou-dre. Disons
donc plutôt que, loin d'être un jardin de délices, le monde est un abîme
de tourments; car là régnent et s'agitent toutes sortes de passions b
l'am-bition des honneurs, l'avidité des richesses , l'amour effréné
des plaisirs; et, comme on ne peut jamais ob-tenir ce que l'on convoite,
et que, si on l'obtient, on en est bientôt lassé, quiconque se nourrit
des biens du monde, se nourrit de fiel et de poison.
XIII. Heureux donc la religieuse
qui aime Dieu et sait apprécier la grâce qu'il lui a faite , en l'enlevant
3o
LA MiMGlEUSE
au monde pour la transporter dans
le cloître \ dans le cloître, où uniquement occupée à dompter ses
passions, à se mortifier , à se renoncer elle-même , elle jouit de ce
calme céleste qui, selon l'expression de l'apôtre, est plus enivrant
cent fois que les plaisirs des sens. Pax Dei quce exsuperat omnem senium.
( Phil. iv. 7. ). Cherchez parmi les personnes les plus heureuses de la
terre, parmi les princesses et les reines, s'il en est une aussi heureuse
que cette humble religieuse qui, dépouillée de tout lien ter-restre ,
ne songe qu'à plaire au Seigneur. La pauvreté ne l'effraie pas, car c'est
la seule richesse qu'elle convoite; la mortification des sens ne l'afflige
pas, car elle n'est entrée en religion que pour les morti-fier et les
combattre; le joug de l'obéissance ne lui pèse pas, car le sacrifice
de sa volonté est le présent le plus agréable qu'elle ait pu faire à
Dieu, en pronon-çant ses vœux. Elle ne s'irrite pas d'être humiliée,
parce que c'est dans ce seul but qu'elle est entrée dans la maison de
Dieu. E legi abjeclus esse in Domo Dei met magis quam habitare in tabernaculis
peccatorum. ( Ps. Lxxxiu. 11. ) Loin de l'attrister, la solitude la console
parce qu'elle la délivre des troubles et des dangers du monde. Elle ne
gémit pas de se voir hu-miliée , dédaignée et malade, parce que toutes
ses souffrances la rendent encore plus chère à Jésus-Christ, L'observance
des règles, les lois rigides du monastère sont pour elle des ailes légères
avec les-quelles elle s'élance vers son divin époux. Oh! qu'elles sont
heureuses de pouvoir consacrer leur cœur tout entier à Dieu , et de pouvoir
dire avec S.-Fran-çois : Deus meus et omnia !
XIV. Il est vrai que quelques religieuses
mènent des jours malheureux, même dans le cloître ; pour-
SASCTIFIEE.
J »
quoi cela? Parce qu'elles ne vivent
pas en véritables religieuses. Être bonne religieuse et être heureuse
sont deux choses inséparables. Le bonheur des reli-gieuses consiste donc
à savoir conformer toujours leur volonté à celle de Dieu; celles qui
ne se soumet-tent pas à la volonté du Seigneur ne peuvent être contentes,
parce que Dieu ne console pas les âmes re-belles à sa volonté. C'est
une maxime familière qu'une religieuse jouit dans le cloître d'un paradis
anticipé; ou y endure par avance les peines de l'enfer. Qu'est-ce que
l'enfer ? C'est d'être privé de Dieu , de ne pouvoir faire sa propre
-volonté, d'être vu de mauvais œil par ceux avec qui l'on vit, d'être
méprisé, châ-tié, d'être renfermé dans un lieu d'où l'on ne peut
sortirjenfin, c'est devivredans des peines éternelles, sans jamais goûter
une heure de repos véritable. Tout cela arrive à une mauvaise religieuse
} de sorte que l'infortunée endure, dès cette vie, les tourments de l'enfer.
Qu'est-ce que le paradis ? C'est de vivre loin des troubles du monde ,
de s'entretenir avec les saints, d'être uni avec le Seigneur, et de jouir
avec Dieu d'une paix sans fin. Une bonne religieuse pos-sède tous ces
biens, c'est pourquoi elle jouit d'a-vance sur la terre du Paradis.
XV. H est vrai aussi que les bonnes
religieuses elles-mêmes ont des croix à souffrir ici-bas ; car ce monde
est un lieu de mérites, et, par conséquent, un lieu de souffrances. Les
incommodités de la vie com-mune les tourmentent:, les réprimandes de
leur su-périeure, la privation ds tout plaisir les contrarient? la mortification
de leurs sens leur conte, leur amour-propre murmure quand elles reçoivent
à tort des hu-miliations et des déplaisirs de la part de leurs com-pagnes.
Mais tous ces chagrins sont des délices pour
3a
LA RELIGIEUSE
elles , parce qu'en les recevant
elles savent qu'elles font la volonté de Dieu. S.-Bonaventure dit que
l'a-mour est comme le miel qui rend douces les choses les plus amères.
Le vénérable César de Bust, écrivit la lettre suivante à un de ses
neveux qui était moine : Mon cher neveu , quand tu regardes le ciel, soutiens-toi
du paradis; quand tu vois le monde , souviens-toi de l'enfer, od l'on souffre
éternellement sans espoir de soulagement ; quand tu vois ton coûtent,
souviens-toi du purgatoir* οά l'on souffre., mais en paix et avec la
certitude d'être heu-reux bientôt. Quelle douce chose de souffrir avec
une conscience tranquille, avec la certitude que chacune de nos souffrances
sera un jour une pierre précieuse, dont nous ornerons notre diadème de
gloire.
XVI. Notre Dieu est reconnaissant
et fidèle, il ré-compense même sur terre , par des douceurs inté-rieures
ce que l'on souffre pour l'amour de lui. L'ex-périence prouve que les
religieuses qui demandent aux créatures des consolations et des joies
sont les plus malheureuses ; au contraire celles qui se mor-tifient le
plus éprouvent le plus de contentement. Soyons convaincus que Dieu seul
peut faire notre bonheur, et qu'envain nous le cherchons dans les
plaisirs des sens, dans les honneurs, dans les riches-ses.
Dieu seul peut nous rendre heureux.
Qui trouve Dieu , trouve tout. Ste.-Scholaslique disait
que si les hommes savaient combien sont paisibles les religieux dans leurs
monastères, le monde entier deviendrait une solitude ; ou bien comme disait
Ste.-Madelainede Pazzi, ils escaladeraient les couvents et
renonceraient à tousles biens terrestres. S.-Laurent Justinien
dit que le Seigneur tient
cachée aux hommes là félicité des religieux, parce que sans cela ils
embrasseraient tous cet état ; Consulto Deus gra-
SANCTIFIÉE.
55
tiam religionis occultavit ; nam
si ejus félicitât cognoscere -tar omnes, relicto secuto, ad eam concurrermt.
XVII. La solitude et le calme dont
elle remplit nos cœurs ne sont-ils pas des avants-goûts du Paradis pour
toute âme qui aime Dieu ! Le P. Charles de Lor-raine , de la compagnie
de Jésus, et, issu d'une race royale, disait que Dieu le dédommageait
largement des biens du monde auxquels il avait renoncé par la paix dont
il le faisait jouir dans sa cellule, et parfois il y éprouvait une si
vive allégresse , qu'il en dansait de joie. Le B. Séraphin de Ascoli,
capucin, disait qu'il n'aurait pas donné un pouce de son cordon pour tous
les empires de la terre. Arnold de Citeaux, comparant les richesses et
les honneurs de la cour qu'il avait quittés avec les consolations qu'il
ressen-tait dans le monastère, s'écriait : Fous avez pro-mis , ô mon
Jésus , de rendre au centuple tout ce que l'on abandonne pour vous et
vous tenez parole. Les moines de S. Bernard menaient une vie très-austère,
mais Dieu leur accordait de si douces caresses qu'ils crai-gnaient d'être
récompensés ici bas du peu qu'ils fai-saient pour lui. Rapprochez-vous
de Dieu, embrassez sans pâlir les croix qu'il vous envoie , tendez à
la per-fection , et ayez la force de fuir les occasions dange-reuses. Pour
obtenir cette force , priez toujours, priez dans la méditation , ou dans
la communion ,en visitant le S.-Sacrement ; priez surtout quand le démon
vous tente; faisant ainsi, vous entrerez dans le nom-bre de ces âmes plus
heureuses que les princesses et les impératrices de la terre.
XVIÏI. Priez le Seigneur de voue
donner cet er-prit de relgion qui fait agir non pas suivant les pen-chans
naturels, mais selon les impulsions de la grâce,
c'est-à-dire dans le seul
but de plaire à Dieu. Que
VU!.
3
54
ΙΑ BELICIEUSE
servirait de porter l'habit de religieuse
et de vivre selon l'esprit du monde, de conserver tous les senti -mens
d'un cœur séculier? Ce serait, dit S.-Bernard avoir un cœur d'apostat:
Apostasia cordis , sub habita religionis cor seculare gerere. {Serai. v.inPs.
90). L'esprit d'une religieuse consiste donc à observer exacte-ment la
règle , à obéir aux ordres de la supérieure, à servir la religion
avec ardeur. Quelques religieuses voudraient être des saintes , mais en
suivant leurs volontés, en parlant rarement, en faisant l'oraison , en
lisant des livres spirituels , sans être occupées à aucun emploi matériel;
de sorte que si on les met au tour, ou à la porte, elles se plaignent
d'être distraites de leurs exercices de piété, et par fois elles refusent
obstinément d'obéir, en alléguant que de telles occu-pations sont pour
elles des occasions de péché. Ce n'est pas là le véritable esprit d'une
religieuse.
Ce qui est selon la volonté de Dieu ne peut jamais être nuisible. D'ailleurs
l'esprit d'une religieuse consiste à vivre tout-à-fait séparée du commerce
des hommes, à avoir un grand zèle pour l'oraison, un grand amour pour
le silence , pour le recueillement, une grande horreur pour les jouissances
sensuelles, beaucoup de charité envers le prochain et enfin une vive affec-tion
au Seigneur, plus forte que tous nos penchants et toutes nos passions.
C'est-là l'esprit des parfaites religieuses. Celles qui n'ont pas cet
esprit doivent nourrir le désir de l'avoir, se faire violence et deman-der
sans cesse à Dieu la grâce de l'acquérir. Enfin l'esprit religieux consiste
à chasser de son cœur tout ce qui n'est pas Dieu et à ne désirer que
Dieu.
XIX. 7° Moritur confidentia*. Quelques
jeunes per-sonnes craignent de se faire religieuses de peur d'avoir un
jour à s'en repentir. Mais je voudrais qu'en
55
Choisissant cet état elles songeassent,
non a la courte durée de la vie, mais à l'heure de la mort d'où dé-pend
le bonheur éternel ou l'éternel malheur, et je leur demande si elles
croient subir une mort plus tranquille dans une maison séculière, entourées
de séculiers, inquiètes sur le sort de leurs enfants, af-fligées de
mille scrupules de conscience, plutôt que dans la maison de Dieu, assistées
par leurs compa-gnes qui leur parleraient continuellement de Dieu, qui
prieraient pour elles et les encougeraient à mourir. Regardez cette princesse
qui meurt dans son palais , dans une salle richement décorée , envi-ronnée
de ses officiers, de son époux, de ses enfants, de ses parents qui la
soignent; de l'autre côté regardez cette religieuse qui meurt dans un
couvent, mortifiée, humiliée, loin de ses parents, libre de tout attache-ment
terrestre , n'ayant plus ni biens, ni volonté ; dites, laquelle des deux
pensez-vous qui meure la plus contente? Est-ce l'opulente princesse ou
la pauvre re-ligieuse ? La jouissance de grands honneurs, de grandes richesses
dans le monde ne console pas à l'heure de la mort, au contraire elle afflige
et met en doute le salut éternel. Mais la pauvreté, les humiliations
, les péni-tences, le détachement des biens de la terre, rendent la mort
douce et aimable et fortifient l'espérance d'aller jouir de cette félicité
véritable qui n'a pas de terme.
XX. Jésus-Christ a promis que celui
qui aban-donne sa niaison et ses parents pour l'amour de lui aura la vie
éternelle : Omnis qui reliquerit domum vel fratres aut patrem etc. propter
nometn meum centuplum ac-cipiet et vitam œternam possidebit. ( Matth.
xix. 29.) Un religieux de la compagnie de Jésus souriait à l'ins-tant
de la mort ; les autres religieux qui l'assistaient voyant ce sourire ,
craignirent qu'il ne se fît quelque
36
LA EELIGIECSE
vaine illusion et lui demandèrent
pourquoi il agissait
ainsi. Le mourant répondit : Comment
ne sour irais-je pas,
étant sûr du Paradis? Le Seigneur
n'a-t-ilpas promis la vie
éternelle ά qui laissera le monde
pour lui? J'ai tout quitté
pour Dieu; Dieu ne peut manquer
d sa parole. Je souris
parce que te paradis m'eit assuré.
S.-Jean Chrysostomo
avait dit la même chose, en
écrivant à un moine :
Impossibile est mentiri Deum. Promisit
autem ille vilam
aternum ista relinquentibus: Tu
reliquisti omnia ista; quid
igitur prohibet de hujusmodi promissione
esse securum ?
(S.-Chrys. Lib. des Prov.) Dieu
ne peut mentir; il a
promis la vie éternelle à qui
abandonne le monde
pour lui ; vous l'avez abandonné
; comment pour-
riez-vous douter de cette promesse?
XXI. S.-Bernard dit qu'il est facile
de passer d'une cellule au ciel ; il est bien difficile, disait-il, qu'un
moine mourant dans sa cellule ne soit pas sauvé, parce qu'il est bien
difficile de persévérer jusqu'à la mort, lorsqu'on n'est pas destiné
pour le ciel. Est facitis via de cellâ in cœlum , moriens enim via; unquam
aliquis è cellâ in infernum descendit, quia vix unquam nisi ê cielo
prœdestinatus in ea usque ad mortem persistit. ( S.-Bern. Trac, de vit
solit. ) S.-Laurent Justinien disait que la religion est la porte du paradis,
car, être religieux, est un signe que l'on est déjà choisi pour être
le compagnon des bienheureux. Illius cœlestis civi-tatis iste est introitus
; magnum quippe electionis indicium est, hujus fraternitatis habere consortium.
(C. 7. de Dis. Mon.iGérard, frère de S.-Bernard avait raison, lorsque,
mourant dans son monastère, il chantait, car Dieu lui-même a dit : Beati
mortui qui in Domino moriun-tur. ( Apoe. xiv. 13.) Quels sont ceux qui
meurent en Dieu? Ne sont-ce pas les moines qui, par leurs vœux, et surtout
par celu i de l'obéissance meurent
SANCTIFIÉE.
3y
au monde, et renoncent à toutes
leurs volontés? Le père Fr. Suarez qui avait fait par obéissance tant
de bien dans la religion disait en mourant qu'il n'eût jamais cru que
la mort fût si agréable et si douce.
XXII. 8° Purgatur citius.
S.-Thomas nous apprend ( 22. Qu. Ult. A. m. ad.
3. ) que la profession de moine nous purge de tous les péchés commis
dans le monde : Rationabiliter autem dici potest, quod est per ingressum
religionis quod aliquis consequatur remissionem omnium peccatorum. Il en
apporte cette raison qu'en entrant dans la religion nous nous donnons
entière-ment au service divin : In satisfactionem pro omnibus peccatis
sufficit, quod aliquis se totaliter divinis obsequiis mancipet per
religionis ingressum, quas excedit omne genus satisfactionis. On lit dans
les vies des SS. Pères que les moines reçoivent en ce jour solennel
la môme grâce que les nouveaux baptisés : Unde
legitur in vitis patrum quod eamdem gratiam consequuntur religio-nem intrantes
, quam consequuntur baptizati. Les péchés commis par les religieuses
dans le couvent, elles les expient pendant leur vie, par leurs bonnes œuvres
d'oraisons, de communions et de mortifiations qu'elles exercent tous les
jours. Dans le cas où une religieuse n'achèverait pas de se laver en
ce monde de toutes ses fautes, il serait peu pour elle d'être condamnée
à quelques années de purgatoire. Les nombreux
saints sacrifices que le monastère offre à Dieu après sa mort, les prières
de ses sœurs la tireront bien vite de ces peines.
XXIII. 9°. Remuneratur copiosiàs.
Les mondains sont aveugles et ne connaissent pas l'importance de la vie
éternelle, au prix de laquelle la vie mortelle n'est qu'un point. S'ils
en sentaient toute l'importance ils abandonneraient sur le champ leurs
maisons et leurs
3S
ΙΑ RELIGIEUSE
royaumes pour se retirer dans quelque
cloître , afin de ne plus s'occuper que de leur salut qu'il est si difficile
de faire, en restant dans le monde. Bénissez donc et remerciez sans cesse
votre Dieu qui vous à donné la force de sortir d'Egypte, et de vous réfugier
daus sa maison ; montrez-lui-en votre reconnaissance en le servant avec
un zèle équivalent à la grâce qu'il vous a faite. Mettez d'un côté
tous les. biens du monde et de l'autre tous ceux que Dieu prépare dans
le ciel à celle qui abandonne pour lui les choses de la terre, et vous
verrez qu'il y a plus de rapport entre un grain de sable et la terre entière
, qu'entre ces biens mondains, qui passent si vite , et les biens du ciel
qui durent éternellement.
XXIV. Jésus-Christ a promis de
donner, à ceux qui se consacrent à lui, le centuple des biens qu'ils
abandonnent dans ce monde, et la vie éternelle dans l'autre. Qui peut
douter de sa promesse ? Il est fi-dèle à sa parole ; et d'ailleurs il
est plus libéral dans la récompense des bonnes œuvres que rigoureux
dans la punition des mauvaises. S'il a promis de ne pas laisser sans récompense
un verre d'eau que l'on don-nerait pour son amour; Quisquis enim potum
dederit vobis calicem aqua in nomine meo, non perdet mercedem tuam; (Marc.
ix. 4Q. ) comment laisserait-il donc sans salaire tant de bonnes œuvres
,, tant d'actes de charité» tant d'abstinences , d'oraisons , d'offices»
de lectures spirituelles que font chaque jour les religieu-ses qui tendent
à la perfection. De plus, comme ces œuvres sont faites par obéissance
et pour obser-ver les vœux f elles· ont plus de mérites que les. bonnes
œuvres des séculiers. Un frère de la compa-gnie de Jésus , appelé
frère Lacci, apparut après sa mort à une personne et lui dit qu'il était
sauvé , ainsi
SANCTIFIEE.
3g
que le roi Philippe II, mais qu'autant
le rang de Philippe avait été au-dessus du sien sur terre, aut-nt il
était au-dessous dans le ciel.
XXY. Le martyre enduré pour la
foi est un grand mérite ; mais l'état monastique est plus méritoire
en-core. Un martyr souffre les tourments pour ne pas perdre son âme, mais
une religieuse les souffre pour se rendre plus agréable à Dieu, de sorte
que si le martyr est martyr de la foi, la religieuse est martyre de la
perfection. Il est vrai que l'état monastique a beaucoup perdu de son
antique splendeur ; cepen-dant les âmes chères à Dieu, qui marchent
dans la voie de la perfection , et édifient l'église par
leur sainteté, ne se trouvent encore que dans les maisons religieuses.
Où trouver en effet dans le monde de» hommes qui se lèvent de nuit pour
faire oraison et chanter les louanges de Dieu, qui emploient cinq ou six
heures de la journée en exercices pieux, qui fas-sent des jeûnes, des
abstinences, des mortifications, qui observent un silence absolu , qui
n'aient de vo-lonté que celle des autres ? Tout cela est observé par
les religieuses dans tous les couvents, car dans tous es couvents, quelques
relâchés qu'ils soient, il se trouve des religieuses qui seront choisies
au jour du jugement pour juger les autres, à cause de leur obéis-sance
et de leurs vertus. Il est certain que tout ce que fait une âme pieuse
dans le monde ne peut être comparé à ce que fait une religieuse. S.-Cyprien
eut donc raison de dire que les vierges de Dieu sont les fleurs du jardin
de l'église, et la plus noble partie du troupeau de Jésus-Christ. Flos
est iste ecclesiastici ger-m inis.... illustrior portio gregis Christi.
( S.-Cyp. Lib. de H ab. Virg. ) S.-Grégoire de Nazianze
dit que les moines sont les prémices du troupeau de Dieu, les
4ο
ϋ «EMGIECSE
colonnes et la couronne de la foi
et les peries de l'é-glise. Sunt gregis Domini primitiœ, columnas et
corona fidei, margarltœ templi. ( Orat. UH. in Jul. ) Je tiens pour certain
que les sièges des Séraphins, laissés vides par la défection des compagnons
de Lucifer, ne se-ront occupés que parles personnes religieuses. Parmi
les soixante personnes inscrites le siècle dernier dans le catalogue des
saints et des bienheureux, il n'y en a guère que cinq ou six, qui n'aient
pas été religieuses. Malheur au monde 5 dit un jour Jésus à S-te-Thérèse
, *'il n'y avait pas de moines /( Rib. Lib. Vit. vi. C. 12. }. Ruffîn
a dit que le inonde n'existe qae par le mérite des moines. Dubitari non
debet, ipsorum meritis adhuc itare mundum. ( Ruf. Prol. In vit. Patr. )
Lorsque le démon vous effraie , en vous montrant l'esclavage de la règle
, l'abnégation de vous-même et la vie morti-fiée qu'il vous faut mener,
pour vous sauver, levez les yeux au ciel et l'aspect des béatitudes éternelles
vous donnera la force et le courage nécessaires pour supporter vos peines.
Un jour mettra fin aux tour-mens, aux mortifications, aux misères de cette
vie ; il oe restera que les délices du paradis qui seront éternelles.
PRIERE,
Ο Dieu de mon âme î je vois que
vous voulez mon salut à tout prix, mes péchés m'avaient déjà perdue..
je m'étais condamnée de moi-même à l'enfer; mais au lieu de m'envoyer
en enfer, comme je le méritais , vous m'avez tendu une main paternelle
pour me tirer du péché et des dangers du monde. Vous m'avez pla-cée
dans votre demeure , parmi vos épouses. J'es-père, ô mon époux! aller
chanter dans le ciel le» mi-
SANCTIFIÉE.
4'
séricordes que vous m'avez faites.
Ο mon Jésus! pourquoi vous ai-je offensé ? Aidez-moi , Seigneur, car
je veux vous aimer et faire tout mon possible pour vous plaire. Vous n'avez
rien épargné pour ga-gner mon cœur; il est juste que je fasse tous mes
ef-forts pour \ous être agréable. Vous vous êtes donné à moi sans
réserve; je me donne à vous sans ré-serve ; mon âme est éternelle
et je veux être éternel-lement unie à vous, et, si l'amour est le lien
par le-quel les âmes s'enchaînent à vous, je vous aime, ô bien suprême,
je vous aime, ômon Rédempteur, je je vous aime, ò mon époux, je vous
aime, ô mon trésor, ô mon amour! Je vous aime et j'espère vous aimer
à jamais. Vos mérites font toute mon espérance. Je compte sur votre
protection, Marie mère de Dieu et ma mère ; vous m'avez obtenu le pardon
de mes pé-chés: maintenant je suis dans la grâce de Dieu, je suis religieuse,
faites que je devienne sainte. Ainsi j'espère. Ainsi soiWl.
CHAPITRE III.
La religieuse doit être toute à
Dieu.
I. Plutarque dit (Quest. Rom. 49.)
qu'à Rome, lors-que la jeune fiancée arrivait à la maison de son époux,
elle lui parlait ainsi : Ubi tu cajus, ego caja. Ce qui signifiait : Ta
volonté sera toujours la mienne. C'est là ce que Jésus-Christ exige
de chacune, de ses épouses : Prœbe cor tuum mihi. ( Prov. xxiu. 26. ).
Ma fille et mon épouse, je ne te demande que ton cœur, c'est-à-dire
ta volonté. Quand Dieu créa nos premiers pères, Adam et Eve , dit l'ecclésiaste
, po-
4a
LA BELIGIEtSE
suit oculum suum super corda illorum.
( xvn. 7. ). Il ne jeta pas les yeux sur leurs mains , mais sur leurs cœurs,
parce que foutes les œuvres extérieures, si elles ne viennent du cœur
et ne sont accompagnées d'une foi vive , n'ont aucune valeur devant Dieu.
Toute la gloire d'une épouse est d'unir son cœur à celui de Dieu. Omnis
gloria ejus ab initis. ( Psal. Z|Z|. ). C'est par là qu'une religieuse
est véritablement toute à Dieu.
II. S.-Bernard dit que Dieu , en
sa qualité de notre souverain , exige la crainte, en sa qualité de notre
père , le respect, et en qualité d'époux , l'amour. Exigit Deus timeri
ut Dominus, honorari ut Pater, ut sponsus amari. ( Serm. 83. ). Aussi,
Jésus-Cnrist par-donne-t-il aux vierges , ses épouses , tous leurs défauts
excepté le manque d'amour, c'est-à-dire qu'il
ne veut pas que leur cœur aime autre chose que lui.C'est pourquoi, lorsqu'elles
font leur profession, et qu'elles reçoivent le saint voile, le piètre
leur dit : Accipe ve-Iwn , ut nullum amatorem prœier eum admillas. Recevez
ce voile , afin qu'à dater d'aujourd'hui, vous ne re-gardiez plus la créature,
et que vous chassiez de vo-tre cœur tout sentiment qui n'est pas pour
Dieu. l'E-glise veut que la religieuse change de nom, pour qu'elle
oublie le monde et se regarde comme morte aux choses du monde, et que son
cœur répète ce que prononcent ses lèvres : Regnum
mundi et om-nem ornatum secuti contempsi, propter amorem Domini
mei Jesu-C'/tristi, quem vidi, quem amavì, in quem credi-di , quim dilexi.
J'ai méprisé le monde et ses pompes pour l'amour de Jésus, mon époux,
à qui j'ai donné tout mon amour, car il est l'objet le plus parfait et
le plus aimable du ciel et de la terre. Discede à me pa-bulum mortis,
quia ab alio amatore prœventa sum. Toutes
SANCTIFIÉE.
43
les religieuses doivent répéter
ces mots de Ste.-Agnès , lorsque quelqu'objet terrestre veut s'emparer
d'une partie de l'amour qu'elles ont voué à leur divin époux : Éloigne-toi,
doivent-elles s'écrier, objet fu-neste qui veux empoisonner mon cœur
et me con-duire à la mort. Éloigne-toi, car j'ai choisi un amant plus
noble , plus fidèle , plus aimable que toi. Il a été le premier à m'aimer
et s'est rendu maître de tout mon cœur. Tu es une créature vile et misérable
et je suis unie au roi tout-puissant du ciel et de la terre. Ipsi desponsata
sum cui angeli serviunt.
III. Notre cœur ne peut rester
vide d'amour ; il faut qu'il aime Dieu ou les créatures; s'il n'aime les
créatures, il aime Dieu. C'est pour cela que le St.-Esprit nous exhorte
à mettre tous nos soins à affran-chir nos cœurs de tout sentiment qui
n'est pas pour Dieu. Omni custodia serva cor tuum , quia ex ipso vita proctdi.
( Prov. ιν. 23. ). Tant que notre cœur aimera Dieu, il vivra ; mais
s'il voue son amour aux créa-tures, il mourra. Pour être sainte, une
âme doit se purger de tout ce qui n'est pas Dieu. Les anciens Pè-res
du désert, lorsque quelqu'un venait pour être reçu dans leur société,
lui faisaient cette demande ? Affersne cor vacuum , ut possit illud spiritus
sanctus im-plere ? Car tout cœur qui garde encore quelqu'atta-chement
à la terre, ne peut être plein de l'amour di-vin. Si l'on porte à la
fontaine une cruche pleine de sable, on ne pourra la remplir d'eau que
lorsque le sable sera ôté. Ο mon Dieu ! pourquoi tant de reli-gieuses
approchent-elles si souvent de l'autel sans ja-mais y puiser l'amour divin
? Parce que leurs cœurs sont pleins de tene, c'est-à-dire d'attachement
pour la vanité, pour leur propre volonté, pour leurs pa-rents ou pour
toute autre créature. Si elles n'en
44
tA RELIGlEtJSE
ôtent la terre, l'amour de Dieu
n'y pourra entrer. Donnez-moi une âme qui n'aime rien de tout ce qui est
au monde , elle sera bientôt pleine de l'amour divin. Il faut donc prier
toujours, comme faisait David. Cor mundum créa in me Deus. ( Psal. 50.
). Seigneur faites que mon cœur soit vide d'affection pour tout ce qui
n'est pas vous. Vœ duplici corde , dit Dieu, ( Eccl. II. 14· )· Malheur
( dit S. Augustin ) à qui partage en deux son cœur, et en donne une partie
à Dieu et l'autre au démon. Vat duplici cerde qui de suo partem faciunt
Deo , partem diabolo. ( De Subst. Dil. Num. [χ. ). Car, dit le saint,
Dieu s'irrite avec raison contre ceux qui le placent sur la même ligne
que son ennemi ; c'est pourquoi il sortira de leurs cœurs et les laissera
en proie au démon. Iratus Deus quia sit tibi pari cum diabolo , discedit
et totum diabolus possidet. Au moins, ajoute le saint, toute âme qui aime
quel-que chose après Dieu ne peut être toute à Dieu ; plus elle aimera
celte chose, moins elle aimera Dieu. minas te amat, qui tecum aliquid aliud
amat.
IV. Enfin , le moindre attachement
pour les créa-tures empêche l'âme d'être toute à Dieu. Tant que Ste.-Thérèse
nourrit dans son cœur une passion dé-sordonnée ( quoiqu'elle ne fût
pas impure ) pour un de ses parens, elle ne fut pas entièrement à Dieu
; mais, lorsqu'elle se détacha de toutes les créatures, et consacra son
cœur à Dieu seul, elle mérita d'enten-dre la voix de Dieu qui lui disait,
Thérèse, mainte-nant tu es toute d moi et je suis tout d toi. Le B, Jo-seph
Calasanz, disait que celui qui ne donne pas son cœur tout entier à Jésus-Christ,
ne lui donne rien ; et il avait raison , car notre cœur est déjà trop
petit pour aimer un Dieu infini. Et il y a encore des gens assez insensés
pour partager leur cœur en deux et en
SANCTIFIÉE.
45
donner une moitié à Dieu et une
partie aux créatu-res! Non , s'écriait le bienheureux Gilles : Una uni;
cette âme, ce cœur que nous avons, il est de notre devoir de le donner
tout entier à cet être qui seul, mérite notre amour, et qui a tant fait
et tant souf-fert pour nous forcer de l'aimer. Le père Nierem-berg dit
qu'il n'était pas nécessaire que Jésus-Christ fît tant de sacrifices
pour nous sauver; une seule goutte de son sang, une seule larme de ses
yeux, une seule prière de sa bouche eût suffi pour sauver le monde et
des milliers de mondes, mais le divin époux à voulu répandre son sang
, et donner sa vie , non-seulement pour nous sauver , mais aussi pour que
nous l'aimassions de tout notre cœur. Il aurait pu envoyer un de ses anges
pour racheter nos péchés; mais il ne l'a pas fait, dit Hugues de St-Yictor,
il a voulu, ô homme, être à la fois ton Créateur et ton Rédempteur,
pour que tu ne partageasses pas ton amour entre lui, ton Créateur, et
son ange , ton Ré-dempteur. Ne amorem divideres, tibi factus est Creator
et Redemptor. ( In. Lib. Sent. )
V. .Le Seigneur veut être aimé
de tous les hommes et de tout leur cœur. A chacun d'eux, il a intimé
ce précepte : Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo. ( Slat. χχχπ.
37. ) Mais ce doux précepte, il l'a intimé principalement à ses épouses.
Le vénérable père Jo-seph de la Croix répondit à un de ses religieux,
qui disait avoir pris cet état pour sauver son âme : Non mon fils , vous
ne devez pas dire pour sauver votre âme , di-tes plutôt pour devenir
un saint ; le seul but d'un religieux doit être d'aimer Dieu au suprême
degré. Si une religieuse n'aime Dieu de tout son cœur, qui donc l'aimera
plus qu'elle? Quel choix a du faire le Seigneur avant ίβ
46
l'A RELlGIEtJSE
vous élire pour ses épouses. Il
a dû vous choisir d'a-bord au milieu de la foule innombrable des créatures
vivantes. Ensuite, il a dû vous choisir en dehors de tout ceux qui naissent
parmi les infidèles et les héré-tiques, vous faisant naître filles
de sa sainte Eglise. Il a dû vous choisir en dehors de tant de milliers
d'hommes qui vivent dans le monde, c'est-à-dire dans un danger continuel
de perdre Dieu et le Para-dis; il vous a éclairées de sa lumière; il
vous a com-blées de grâces pour vous appeler à l'état monastique. Si
donc vous» n'aimez votre Dieu de tout votre cœur, si vous n'êtes toutes
à lui, qui le sera ? Hœc est genera-tio quœrentium dominum. ( Ps. xxxni.
6. ) En voyant tant de vierges, qui, issues d'un sang illustre, née dans
le luxe et les plaisirs, ont tout abandonné, se sont renfermées dans
un monastère , et condamnées à vivre pauvrement, peut-on s'empêcher
de dire : Hœc est generatio quœrentium Dominum. Ce sont là de ces âmes
qui ne cherchent que Dieu.
VI. Il faut donc, dit S.-Bernard,puisque
Dieu vous a appelées au rang de sesépouses, que vous ne pensiez qu'à
l'aimer. Nihil tibi et mundo : obliviscere omnium ; soli omnium serves
te ipsam quem ex omnibus tibi elegisti. ( Serm. Z|0. In Cant.) Maintenant
que vous vous êtes consacrées à Jésus-Christ, vous n'avez plus rien
à at-tendre du inonde; oubliez-le, et tâchez de garder vo-tre cœur tout
entier à ce Seigneur qui vous a choisies pour cet effet, entre tous les
êtres. J'ai dit : votre cœur tout entier parce que Jésus veut que son
épouse soit un jardin fermé, une source scellée : Hortus conclusus,
fons signatus soror, mea sponsa. (Cant. ìv. 11.) Jardin fermé qui n'admet
dans ses bocages que son divin maître : Hortus conclusus qui neminem nisi
dilectum admittit. (Gi-lib Serai. 35 in Can. ) Source scellée, car cet
époux
SANCTIFIEE.
" 47
est jaloux et ne veut souffrir dans
le cœur de sa bien-aimée, d'autre amour que le sien. Poneme ut signaculum
super cor tuum, ut signaculum super brachium tuum quia fortis ut mors dilectio.
(Cant. vm. 6. ) Je veux, dit-elle, que tu m'imprimes comme un cachet sur
ton cœur et sur ton bras, afin que tu n'aimes que moi seul, et que tu
ne fasses rien que pour me plaire. Écoutons S.-Grégoire : Super cor et
super brachium sponsa dilectus ut signaculum ponitur, quia in sancta anima
quantam ab ea diligatur, et voluntate et actione designatur. Le bien-aimé
se pose comme un cachet sur le cœur et sur le bras de l'épouse, parce
que c'est au moyen de sa volonté et de ses œuvres qu'elle doit faire
connaître son amour. Quand l'amour est fert il chasse tous les sentiments
qui ne tendent pas à Dieu. Quia fortis ut mors dilectio. Comme il n'y
a pas de puissance au monde qui résiste à la mort, lorsque le moment
fixé pour sa venue est arrivé, de même il n'y a pas d'obstacle et d'entraves
que ne surmonte et ne brise l'amour divin, quand il a pris racine dans
un cœur. Si dederit homo omnem subs-tantiam domus SUUS pro dilectione
quasi nihil despiciet eam. ( Cant. vm. 7. ) Un cœur aimé de Dieu, rejette
avec mépris tout ce que lui offre le monde ; il repousse et abhorre tout
ce qui n'est pas Dieu. Quand la maison brûle,dit S.-François de Sales,
on jette tous les meu-bles par la fenêtre ; c'est-à-dire que, lorsqu'une
âme est embrasée de l'amour divin, elle n'a besoin ni de sermons, ni
de lectures spirituelles; elle se dépouille d'elle-même de tous les biens
terrestres, pour ne pos-séder et n'aimer que Dieu, son bien suprême.
VII. Dites-moi, ma sœur , n'est-il
pas digne de t out votre amour celui qui a perdu la vie pour vous sur la
croix et vous a tant de fois donné son corps dans la sainte communion
? De combien de grâces
48
l'A RELIGIEUSE
spéciales il vous a enrichie !
Songez, dit S. Jean Chry. sostôme, qu'il vous a donné tout son être,
qu'il ne s'est rien réservé pour lui. Totum Ubi dedit, nihil sibi retinuit.
Cette pensée était toute-puissante sur S.-Bernard pour le faire redoubler
d'ardeur à aimer Dieu. Il disait souvent : Totus mihi datus , totus in
meos usas ex-pensus. Mon Seigneur s'est donné entièrement à moi: il
est mort pour l'amour de moi, il est donc juste que je meure pour l'amour
de lui. Dilectus meus mihi et ego illi. (Cant. II. 16) Mon bien-aimé s'est
donné tout entier à moi ; il est juste que je me donne tout à lui. Ste.-Marie-Madelaine
de Pazzi disait que les religieu-ses , devant être les épouses du crucifix,
ne doivent regarder que le crucifix dans toutes leurs actions et pendant
toute leur vie et songer sans cesse à l'amour infini que leur a porté
leur divin époux. Tandis qu'il accomplissait l'œuvre de notre rédemption
il dit : Nunc princeps hujus mundi ejicietur fords. (Joan. χ». 31.) S.
Augustin remarque en cet endroit que Jésus ne voulait pas dire qu'après
sa mort le démon sortirait de ce monde : Non ita, sed extra corda credentium;
(Tract. A· in Ep. ad Jo.), mais bien qu'il sortirait du cœur de tous
les fidèles. Jésus est mort pour tous , mais surtout pour les Vierges,
ses épouses. Un Dieu s'est donné tout à vous sans réserve, vous seriez
bien ingrate, si vous hésitiez à lui donner en échange votre cœur et
si vous étiez froides à son amour. Dites-lui souvent : Ο mon Jésus!
vous vous êtes donné à moi sans réserve , vous m'avez donné tout votre
sang, toutes vos sueurs, tous vos mérites; enfin il ne vous est rien resté;
je me donne toute à vous; je vous cède tous les biens que peut m'offrir
la terre, je vous donne toutes mes satisfactions, je vous donne mon corps,
mon âme, ma volonté, ma liberté ; je
SANCTIFIEE.
49
n'ai plus rien à vous donner. Si
je possédais autre chose, je vous le donnerais. Je renonce à tout ce
que m'offre le monde et ie déclare que vous seul me suffisez. Oh! quelle
échange avantageuse pour nous qu* celle de notre amour contre Γ amour
de Dieu ! disait Ste.-Thérèse. Mais , pour mitait-elle , si nous nu donnons
pas à Dieu tout notre amour , il ne nous versera pas non plus tous les
trésors du sien.
VIII. Une épouse de Jésus-Christ
ne doit chanter d'autre cantique que celui dont parle David : Cantate Domino
canticum novum. (Ps. txxxxv. 1. ) S. Augustin dit : Quid habet canticum
novum, nisi amorem novum ? ( Serm. 256. de Temp. ) Que signifie cantique
nou-veau? n'est-ce pas un amour nouveau? Les chants anciens sont l'amour
des créatures et de nous-même, que nous éprouvons dès notre naissance
parce que le péché originel nous donne dès-lors l'inclination au mal,
comme l'observe le S.-Esprit: Sensus enim et cogitatio humani cordis prona
sunt ab adolescentià suo. ( Gen. 8. y Le chant nouveau c'est l'amour de
notre coeur que nous consacrons à Dieu. S.-Augustin nous y exhorte en
ces termes : Vox hujus cantoris est sancti amoris : ipsum amemus propter
ipsum. La voix de notre cœur qui doit chanter les louanges de notre Dieu
n'est autre chose que la ferveur de l'amour que nous devons lui porter
, parce qu'il en est digne. Jésus crucifié veut que ses épouses soient
crucifiées à toutes les choses de ce monde, et quand le monde met devant
nos yeux ses pompes et ses délices nous devons nous écrier avec S .-Paulin
: Habeant sibi divi-tias suas divites , régna sua reges , nobis Christus
regnum et gloria est. Que les riches jouissent de leurs trésors, les rois
de leurs royaumes ; Notre royaume c'est vin.
4
5θ
LA RELIGIEUSE
le ciel, notre gloire c'est d'aimer
Jésus-Christ, qui nous est plus cher que tous les empires de la terre.
L'épouse de Jésus ne doit chercher que l'amour, ne doit vivre que d'amour,
elle ne doit désirer que d'aimer toujours d'avantage, elle doit sans cesse
languir d'amour, au chœur, dans sa cellule, au dortoir, au jardin , en
tous lieux; son amour doit être si ar-dent que ses flammes s'étendent
jusqu'au delà des murs du monastère, son époux bien-aimé l'invite à
cet amour par son exemple. Heureuse la religieuse qui peut dire comme S.-François
: Deus meus et omnia. Mon Dieu ! comment envierais-je les biens de la terre,
après vous avoir obtenu, vous le plus grand des biens ? Deus meus et omnia
! Que sont les honneurs, les richesses, les plaisirs ? Vous êtes ma gloire
, mon trésor, mes délices ; vous êtes tout pour moL Quid mihi est in
ccelo et d te quid volui super terrant? Deus cordis met, et parsméa !
Deus in aternum! (Ps. LXXII. 26.) Où trouverai-je dans le ciel ou sur
la terre un objet aussi digne d'amour que vous et qui m'ait comblée d'autant
de faveurs ^ Vous seul devez donc être le souverain de mon âme, vous
seul devez y régner et la gouverner , elle ne doit obéir qu'à vos saintes
lois et à vos désirs.Inveniquem diligit anima tnea, tenui eum nec dimittam
( Cant. m. 4· ) J'ai trouvé qui m'aime véritablement et qui peut me
satisfaire. Le monde avec tous ses plaisirs, l'enfer avec tous ses tourments
feraient de vains efforts pour me séparer de vous. Jamais je ne vous quitterai,
ô moi) époux. Tenui eum nec dimittam. Je veux vous tenir toujours enlacé
des liens de mon amour; je veux vivre et mourir unie à vous.
IX. Pour parvenir à la perfection
et pour jouir de la paix véritable de la conscience, il faut mourir au
SAKCTIFIÉE.
51
monde et à soi-même. Beati mortui,
qui in Domino mo-riuntur (Apoc. xiv. 13.). Mais comme on ne peut mourir
sans douleurs, si l'on yeut mourir au monde et se détacher de ses biens
, il faut se préparer à souffrir. C'est pour cela que le royaume du ciel
est comparé, dans l'Écriture sainte, à un trésor qu'on ne peut acquérir
qu'en vendant tout ce que l'on pos-sède, ou à une ville où l'on n'entre
qu'avec peine et avec effort parce que la porte est étroite ; ou bien
encore à un palais, dont les pierres , c'est-à-dire les âmes qui le
composent, doivent être taillées à coups de ciseau ; on le compare aussi
à un banquet pour lequel on est forcé de négliger toutes ses affaires,
à un prix distiné au plus habile coureur, à un dia-dème que l'on n'obtient
qu'en combattant et en rem-portant la victoire. Enfin , pour mourir au
inonde, il faut faire mourir l'amour-propre. S.-Augustin dit que plus l'amour-propre
est petit plus l'amour divin est grand; la mort de l'amour-propre est le
dernier effort de la charité : Nutrimentum caritatis est diminutio cupiditatis
; perfectio, nulla cupiditas (Lib. LXXXI, QU. 36.) La charité ne se mesure
pas à la tendresse, mais à la force. Un ardent amour , dit le même saint,
sur-monte toute chose : Nihil tdm durum quod non amoris igné vincatur.
(S. Aug. in Jo. Tract, xxxxvut. 3. ) II dit encore : In eo quod amatur,
aut non laboratur,aut ipse tabor amatur. ( De Bono. Vid. Cap. 21. ) Une
âme qui aime Dieu ne souffre pas, lorsqu'elle souffre pour Dieu, ou si
elle souffre, elle aime sa douleur même ; le S. Docteur dit dans ses confessions
que, lorsqu'il se consacra à Dieu, la perle même des biens terrestres
lui causa une jouissance inconnue, et tandis qu'avant sa conversion il
craignait de les perdre, après les avoir quittés il les haïssait. Quam
suave subito factum est ca
52
LA,6ÈLlGIËn?E
rere suavUati/ms nugarum ! et quas
amittere metus fuerat « jam dimittere gaudium erat ( Lib. 9. ). Tout devient
agréable à une religieuse qui a donné tout son cœur à Dieu ; la pauvreté,
l'obéissance , les {notifications * mais celle qui ne se. contente pas
de Dieu trouve tout insupportable.
X. Il est vrai que tout le bien
que nous faisons vient de Dieu; sans sa grâce nous ne pouvons pas même
dire Jésus , selon l'Apôtre; cependant le Seigneur veut que nous mettions
aussi la main à l'œuvre, et que nous coopérions à l'acquisition de
notre salut. Bien des âmes désirent devenir saintes ; mais elles voudraient
que Dieu fît tout; qu'il les rendît saintes sans qu'elles éprouvassent
ni peines ni fatigues. Cela ne se peut; la loi divine est appelée un joug,
un joug se porte à deux; c'est-à-dire qu'il faut que Dieu nous aide d'un
côté et que nous nous aidions de l'autre; il faut même que, pour porter
ce joug et acquérir le ciel ; nous nous fassions violence; Regnum caelorum
vim patitur,et violenti rapiunt Mud. (Matt. χι. 12.) S.Paul dit que l'on
ne peut recevoir la couronne sans com-battre, autant qu'il est nécessaire
pour mettre en dé-route les ennemis de notre salut. C'est pourquoi , épouse
bénie du Seigneur, je vous dis : Tene quod habes, ut nemo accipiat coronam
tuam, (Apoc. m. 11.). Puis-que Jésus-Christ vous a choisie pour son épouse,
tâchez de tenir bon, et de ne pas vous laisser enlever par le démon cette
couronne de reine, qu'il vous pré-pare dans le ciel, mais de devenir,
semblable à votre époux,;-car tous lee :prédestinés doivent lui être
sem-blables: : Quos praescivit et prcgtlestinavit, conformes fieri imaginis
filii sui. ( Rom. vm. 29.) Il vous devance , couronné d'épines,, courbé
sous le faix de la croix, déchiré par les verges, et c'est dans.: cet
état qu'il
SANCTIFIÉE.
53
vous inv,ite à le suivre et à
mortifier vos sens. Qui vult venire post me, abneget semetipsum (Matt.
xvi. 2Z(.). Il va à la mort pour vous ; vous aussi vous devez vous dévouer
à la mort pour lui, et dire avec S.-François : Ο bone Jesu, moriar amore
amoris tui, quiamoreamorismei dignatus esmori. Ο boa Jésus ! il est juste
que je meure pour votre amour , puisque vous êtes mort pour l'ar mour
de mon amour. Oui, dit l'Apôtre, il est juste que vous mouriez à vous-mêmes,
et que vous ne viviez plus que pour ce Dieu qui est mort pour vous. Qui
vivunt jam non sibi vivant, sed ei qui pro ipsis mortuus est. ( II. Cor.
ν. 15. ) II est vrai que yqus êtes bien faible pour exécuter tant de
choses, mais la puissance divine vous aidera, si.vous vous confiez en la
bonté de votre époux. Quand le démon vous tente et cher-che à vous
remplir de défiance, en vous disant : Com-ment supporteras-tu cette vie
mortifiée , te refusant tout, jusqu'aux plus innocents plaisirs ? Répondez-lui
alors avec S.-Paul. Omnia possum in eo qui me confortat. (Phil. ìv. 13.)
Je n'ai la force de rien faire, mais ce Seigneur qui,m'a appelée à l'aimer
me prêtera les forces qu'il exige, de moi. Ste.-Thérèse a dit : «A
moins que nous ne fassions défaut, ne craignons pas que Dieu nous refuse,
ses secours.» Oh, paon Dieu! si une religieuse n'est pas sainte qui Je
sera ? Offrez vous donc souvent à Dieu avec vine résolution ferme de
lui obéir e.n tout, ,et .priez-le de yous aider de sa grâce. Il a promis
d'accorder tout ce qu'on lui de-mande avec confiance : Omnia quacumque
orantes petitis , credite, quia accipietis , et evenient vobis. ( Marc.
χι. 24. )
XI. Que craignez-vous P ayez courage;
Dieu vous a déjà tirée du monde, il a rompu les filets qui vous en-yeloppaient^
il vous a appelée à,,lui., et yous promet
54
ΙΑ RELIGIEUSE
mille grâces et mille secours,
si vous lui êtes fidèle. Vous avez déjà quitté le siècle, vous avez
fait le plus; le moins qui vous reste à faire ( disait Ste-Thérèse à
ses Sœurs ) c'est de devenir des saintes. Décidez-vous ; rompez avec
le monde. Eh quoi ! après l'avoir quitté et renoncé aux biens qu'il
vous offrait, après vous être privée de votre liberté en vous renfermant
pour toujours dans le cloître ; poor de viles satisfactions , pour de
vains caprices, vous vous mettriez en danger de tout perdre, votre àme,
le paradis et Dieu ? d'é-pouse du roi des cieux , vous consentiriez à
devenir l'esclave de Lucifer, qui vous tourmenterait dans cette vie et
dans l'autre. Prenez un partij, dis-je, et tremblez que cette page que
vous lisez, ne soit le der-nier appel que vous envoie le Seigneur. Ne résistez
plus à la voix de Dieu. Peut-être que, ei vous résistez cette foi»,
Dieu va vous abandonner. Résolution! ré-solution ! Ste-Thérèse disait
: Le démon a peur des âmes résolues. Ayez courage : bien des âmes,
dit S.-Bernard, ne sont pas saintes, parce qu'elles ne s'arment pas de
courage. Courage et confiance en Dieu. Une volonté forte triomphe de tout.
Oh ! que voue seriez heureuse, si, obéissant à la voix de Dieu qui TOUS
appelle, et vous donnant toute entière à Jésus-Christ, vous pouviez
lui dire en mourant ce que disait Ste.-Agnès : Domine qui abstulisti d
me amorem secuti, accipe animammeam. O mon Dieu ! qui m'avez délivrée
de l'amour de monde , afin que je vous donnasse mon cœur tout entier,
recevez mon âme, afin que j'aille vous aimer avec ardeur dans le ciel,
où je ne craindrai plus de me séparer de vous, ô Dieu infiniment bon
!
XII. Que toutes les religieuses
ne suivent-elles l'exemple de la vénérable Françoise Farnèse,qtrit
ayant mené d'abord une vie imparfaite, jeta un jour
SANCTIFIÉE.
55
les yeux sur la relation du martyre
des Franciscains au Japon ; touchée et convertie, elle s'écria : Et nous,
mes sœurs , que ferons-nous ? n'aurons-nous fui la maison paternelle,
nos parens, nos amis, nos plaisirs, que pour venir nous damner entre ces
quatre murs, et y nourrir l'amour des choses du monde que nous ne possédons
pas ? Elle résolut dès-lors d'en finir avec le monde , de se donner toute
à Dieu, et d'établir cette admirable réforme dont elle fut la directrice.
Chose déplorable, dit S.-Jérôme, les hommes étudient à fond toutes
les sciences mondaines , et en sont encore à l'alphabet de celle des saints
! In omnibus mundi stu-diis non satiantur homines, et in virtutum studio
tantam caspisse sufficiet? ( Ad Demetr. ) Tout chrétien est obligé de
tendre à la perfection. Christianum cum dico, perfectum dico, dit S.-Ambroise.
( Serm. XII. in Ps. 118.) Cette obligation nous est imposée, parce que
nous devons aimer Dieu de toutes nos forces. Étant obligés de nous maintenir
dans la grâce de Dieu, nous sommes obligés aussi de nous perfectionner
sans cesse dans l'amour divin, car ceux qui n'avancent pas dans la voie
du Seigneur, à coup sûr reculent, et se-mettent en danger de tomber dans
le péché. Ceci s'adresse principalement aux religieux qui sont obligés,
plus que les autres hommes, de parvenir à la perfec-tion, à cause des
grâces plus nombreuses qu'ils oat reçues et de la facilité qu'ils ont
de devenir saints, au moyen des vœux et des règles de la religion qu'ils
ont promis d'observer.
XIII. Mais pour parvenir à la perfection,
il ne suf-fit pas d'en avoir le désir simple et inefficace ; il faut s'en
donner la peine et prendre les moyens nécessaires pour y arriver. Il ne
s'agit pas d'exécuter des choses difficiles et extraordinaires;
on n'a qu'à faire les
56
11 BELICIEVSE
exercices ordinaires avec attention,
observer les rè-gles avec exactitude, et pratiquer les vertus chré-tiennes.
Il est vrai qu'il ne suffit pas à une religieuse, qui veut être sainte,
d'observer ce que commande la règle; la règle est faite même pour les
âmes faibles ; il faut donc y ajouter, avec la permission dvi directeur,
des actes de charité, de mortification etc. S.-Bernard dit : Perfectum
non potest esse nisi singulare. Une reli-gieuse qui ne fait que ce que
les autres font, ne par-viendra jamais à un haut degré de perfection.
Il faut donc que vous vous fassiez violence et qu'avec intrépi-dité vous
affrontiez les difficultés de la perfectio*.
XIV. Voici les moyens principaux
d'y parvenir. 1° Ayez un désir ardent de devenir sainte. 2° Ayez une
entière confiance en Jésus-Christ, et en sa divine mère. 3" Fuyez toute
sorte de péché volontaire; mais après avoir commis un péché ne vous
découragez pas. Repentez-vous et poursuivez votre chemin. W Rompez toute
attache aux créatures, à votre volonté, à votre estime propre. 5°
Travaillez toujours à résister à vos penchants. 6° Observez les règles
avec fidélité, quel-ques minutieuses qu'elles soient. 7° Faites vos
exer-cices ordinaires avec le plus de perfection possible. 8" Tâchez,
avec la permission de votre directeur, de communier souvent , de faire
beaucoup d'oraison mentale et toutes les mortifications corporelles qu'il
vous accordera'. 9° Préférez toujours les actes que vous croirez les
plus agréables à Dieu, et les plus contraires à l'amour propre. 10°
Recevez avec joie, de la main de Dieu, tous les chagrins qui vous surviennent.
11° Aimez et traitez bien quiconque vous persécute. 12° Tâchez d'employer
pour Dieu tous vos moments 13° Offrez tout ce que vous faites à Dieu,
avec les mé rites de Jésus-Christ. 14° Offrez vous vous-même
SANCTIFIÉE.
5j
Dieu, pour qu'il fasse de vous et
de tout ce qui est à vous, tout ce que bon lui semblera. 15" Protestez
sou-vent que vous ne voulez que le bon plaisir et l'amour du Seigneur.
16° Priez toujours et recommandez-vous avec confiance à Jésus-Christ
et à la sainte Vierge; ayez une confiance et une teudresse spéciale envers
Marie, Je finis en disant que le V. P. D. An-toine Torres, revenu d'une
extase d'amour, parla eu ces termes à une religieuse, sa pénitente :
Ma fille ai-mez voire épouse f car il est le seul objet qui mérite d'être
aimé.
PRIÈRE.
Ο mon Dieu! 6 mon amant trop aimable,
ό amour infini, digne d'un amour infini, quand pourrai-je vous aimer autant
que vous m'avez aimée ! Vous n'avez plus de preuves à me donner pour
me convaincre de votre amour; vous n'avez rien négligé pour m'obliger
à vous aimer, vous avez été jusqu'à répandre votre sang et donner
votre vie ; et je serais insensible à tant de tendresse ? Pardonnez-moi,
ô Jésus, si par le passé j'ai été une ingrate, préférant mes misérables
satisfac-tions à l'amour que je vous devais. De grâce , mon Seigneur
et mon époux, découvrez-moi de plus en plus la grandeur de votre amabilité
, afin que je de-vienne toujours plus amoureuse de vous, et que je vous
serve comme vous le méritez. Vous m'ordonnez de vous aimer, et je ne désire
que de vous aimer. Loquere Domine, quia audit servus tuus. Parlez, dites
ce que vous exigez de moi, je vous obéirai en tout; je ne veux plus résister
à votre bonté et aux grâces que vous m'avex accordées. Votis vous êtes
donné tout à moi, je mç
58
là RELIGIEUSE
donne toute à vous. Acceptez-moi
Seigneur, ne me re-fusez pas. Je mériterais d'être repoussée , à cause
des nombreuses infidélités dont je me suis rendue cou-pable. Mais le
désir que vous m'inspirez d'être à vous me montre que vous voulez bien
de moi. Je vous aime, ô Dieu infini ! je vous aime,ô Dieu infiniment
aimable! Vous êtes et serez toujours mon seul amour, mon seul amant. Et
puisque vous avez promis d'accorder tout ce qu'on veus demande, petite
et accipietis, je Tous demande la même grdce que vous demandait S.-Ignace;
Amorem tui solum, cum gratia tuâ mihi dones et dives sum satis. Donnez-moi
votre amour et votre grâce; faites que je vous aime, et aimez-moi, et
je suis cont ente; j e ne veux rien de plus. Ο M arie, qui êtes toute
à Dieu, quel est votre bonheur ! Obtenez-moi, par l'amour que vous porte
le Seigneur, la grâce de ne plus aimer désormais que lui.
CHAPITRE IV.
Désir de la perfection.
I. Le premier moyen que doit employer
une reli-gieuse pour parvenir à la perfection et être toute à Dieu,
c'est de désirer ardemment sa perfection. Ainsi que le chasseur qui tue
sa proie au vol, ajuste tou-jours l'oiseau avant de tirer le coup, ainsi
pour attein-dre à la perfection, il faut toujours avoir les yeux au plus
haut degré de sainteté auquel on puisse arriver. David s'écriait : Quisdabit
mihi pennas sicut columbœ; volabo et requiescam. ( Ps. LIV. 7. ) Qui me
prêtera les ailes de la colombe pour m'élancer au ciel, et, libre des
entraves terrestres, m'aller reposer au sein de Dieu.
SANCTIFIÉE.
59
Les pieux désirs sont les ailes
bienheureuses qui em-Dortent l'âme des saints loin du monde , au faite
de
perfection, au repos éternel. Mais
comment le saint désir fait-il voler l'âme vers Dieu? S*-Laurent Justi-nien
nous l'apprend. Vires subministrat, pamam exhibet leviorem. Le saint désir
donne la force de gravir les sen-tiers escarpés du mont de la perfection.
Au contraire, celui qui n'aspire pa» à la perfection, et doute d'ypou-voir
atteindre, ne fera jamais rien pour y parvenir. Celui qui, voyant une haute
montagne, ne brûle pas du désir d'en atteindre la cime , ou il est sûr
de trou-ver un trésor, ne fera pas un pas pour y monter, et restera au
bas , dans l'insouciance et l'inaction. De même, celui qui ne désire
pas avec ardeur d'acquérir le trésor de la perfection, et que les fatigues
de la route effraient, languira éternellement dans la tiédeur, et n'avancera
jamais dans le chemin du salut.
II. Celui qui ne s'efforce pas d'avancer
dans la voie de Dieu, comme disent tous les maîtres de la vie spi-rituelle,
reculera toujours et courra risque de se per-dre. Salomon nous l'observe
en ces termes : Justorum autem semita quasi lux crescit , usque ad perfectum
diem, via impiorum tenebrosa; nesciunt ubi corruant. ( Prov. iv. 18. )
Les saints avancent dans leur voie, comme la lu-mière du soleil qui grandit
toujours, depuis l'aurore jusqu'au jour pariait. La voie des impies, au
contraire, est ténébreuse, en sorte qu'ils marchent sans savoir où ils
vont. Non progredi, reverti est, dit S.- Augustin. Dans les voies spirituelles,
ne pas avancer c'est reculer. St-Grégoire nous explique très-bien ceci
par une compa-raison. Celui, nous dit ce saint, qui, placé dans une nacelle
au milieu d'un fleuve, ne ferait aucun effort pour résister au courant,
et voudrait cependant rester au même point, sans avancer ni reculer, serait
néces->
6θ
LA RELIGIEUSE
saireraent entraîné en arrière,
parce que le courant l'emporterait avec lui. Depuis le péché d'Adam,
l'homme , dès sa naissance, est enclin au mal. Semus ■enim et cogitatio
humani cordis in malum prona sunt ab ■adulescentia suâ. ( Genes. 21.
) S'il ne fait effort et ne tâche de se perfectionner de plus en plus
le tor-rent de la concupiscence ^'entraînera toujours en ar-rière, S.-Bernard
dit : Non vis proficere ? Vis ergo defi-cere? nequaquam. (Ep. 253.) Ame
religieuse, dit-il, tu ne veux pas faire de progrès dans la vertu ;, tu
Veux donc reculer? Tu réponds que non. Que veux-tu donc faire? Quid ergo
vis? inquis : Vivtr-e velo et manere quo perveni; neepejor fieri patior
nec melior cupio. Tu dis : je veux rester dans l'état où je me trouve
: je ne yeux être ni mieux ni pire. Hoc trgo vis quod esse non potest.
Tu veux donc une chose impossible ; car dans la voie de Dieu, il faut avancer
et faire des progrès dans la vertu ou reculer et tomber dans la fange
des vices.
III. Il est donc nécessaire, dit
l'apôtre, de ne ja-mais s'arrêter dans la voie du salut, il faut toujours
courir, par la pratique de la vertu, jusqu'à ce qu'on ait conquis la vie
éternelle. Sic currite ut comprehenda-tis. ( I. Cor. ix. 1l\. ) Souvenons-nous
que, si nous nous perdons^ c'est par notre faute, car Dieu veut que nous
soyons tous saints et parfaits. Haec est enim voluntas Dei sanctificatio
vestra. ( II. Thes. l\2>. ) II nous ordonne d'être parfaits et saints
: Estote ergo vos per-fecti, sicut et pater vester coelestis perfectus
«rf(Matt. v. 48.). Sancti eritis , quçniam ego sanctus sum. ( Lev. χι.
1\1χ·, ) J)eson coté, il nous promet et nous donne réellement, pour
l'exécution de tous ses commandements, les se-cours nécessaires, pourvu
que nous les lui demandions, pomme nous l'apprend le concile de Trente
:Deus im-pgssifafia nonjubef, sed jubendo monet et facere quod possis
SISCTIFIÉE.
tìi
il petere quod non possis et adjuxat
ut possis. ( Sess. vi. C. 13. ) Dieu n'ordonne pas des choses impossibles,
car, en nous imposant ses préceptes, il n'exige de nous que ce que nous
pouvons exécuter avec la grâce ordi-naire; maisquand il nous faut une
plus grande grâce, il nous exhorte à l'implorer ; et, alors, il nous
accorde son aide pour que nous puissions accomplir Ce qu'il nous commande.
Pfenez donc courage. Le V. P. Tor-res, pieux ouvrier de l'Évangile, écrivait
à Une reli-gieuse , sa pénitente : Ma fille, c'est à nous à donner
des ailes à nos désirs, c'est à nous à notis détacher de la terre
pour Voler Vers l'époux bién-aimé dé nos âmes, qui nous attend dans
l'heureuse patrie de l'éternité. IV. S.-Augustin dit que la vie d'un
bon chrétien est un désir perpétuel de perfection. Tota vita christiani
bonisarìcluth desiderium est. (Tract. lv. in ι. Ερ. Joan.) De sorte
que celui qui ne nourrit pas dans son cœur le désir de se rendre Saint,
sera chrétien, mais non pas bon chrétien ; etsi cela ne s'applique pas
générale-ment à tous, il regarde plus particulièrement les re-ligieux
qui, bien qu'ils ne soient pas obligés à être parfaits , doivent
néanmoins tendre à la perfection d'une manière spéciale : c'est précisément
ce qu'en-seigne S. Thomas. Qui statum religionis assumit, non <e-netur
habere perfectam caritatem, sed tenetur ad hoc ten' dere. ( II. 2. Qu.
186. ) Le même saint nous apprend comment une religieuse doit faire pour
parvenir à la perfection. Non tenetur ( religiosus ) ad omnia exercitia
quibus ad perfectionem pervenitur , sed aa illa qua determi-nata sunt ei
taxala secundum regulam quam professus est. (Ibid. ) Ellen'est pas tenue
à pratiquer tous les exer-cices qui servent à acquérir la perfection
; mais seu-lement ceux qui sont prescrits par la règle dont elle a fait
profession. Elle est donc obligée, outre les engage-
G2
tà DELICIEUSE
ments, à faire l'oraison de ses
vœux, les communions, les mortifications commandées par la règle5 au
silence et à tous les autres exercices que suit la communauté. Y. Quelques-unes
diront sans doute : mais notre règle ne nous oblige pas sous peine de
péché. Je ré-ponds à cela : Les docteurs disent généralement que
quoique la règle n'oblige pas sous peine de péché, néanmoins celui
qui l'enfreint, sans cause suffisante qui l'excuse, n'est pas facilement,
surtout en prati-que, exempt de péché, au moins véniel. La raison en
est, que, lorsqu'on transgresse, volontairement et sans motif plausible,
la règle, c'est par passion ou par pa-resse, et cette transgression doit
être régardée au moins comme faute légère; de là. S.-François de
Sales dit, dans ses entretiens: qwebien que larèglede la Visita-tion n'obligeât
pas scas peine de péché , cependant il ne notait comment excuser de faute
xëniele les transgressions , car en transgressant la règle, la religieuse
déshonore'^les choses de Dieu, dément sa profession, trouble la communauté
et dis-sipe les fruits du bon exemple que chacune d'elles doit don-ner.
De sorte que, selon le Saint, quand on trans-gresse la règle en présence
des autres religieuses, on ajoute à sa faute le péché de scandale. En
outre, si la transgression fréquente de quelque point causait un grand
dommage à la règle générale, elle pourrait de-venir même péché mortel.
Cela le serait encore si on la transgressait par dédain. S.-Thomas remarque
que l'habitude de transgresser la règle , conduit à la mé-priser. C'est
ce qu'on répond à ces religieuses trop tièdes, qui s'excusent de leurs
transgressions, en disant que la règle n'oblige pas sous peine de péché.
D'ail-leurs , les religieuses, fidèles observatrices, ne recher-chent
pas si la règle oblige ou n'oblige pas sous peine de péché ; il leur
suffit pour l'observer scrupuleuse-
SANCTIFIEE.
63
ment dé savoir que cette règle
est imposée par Dieu j et que Dieu aime à voir qu'on l*observe.
VI. Enfin, Comme on ne parvient
à posséder par-faitement une science ou un art, qu'après avoir eu le
désir ardent de l'acquérir, de même il n'y a jamais eu de saint qui
soit parvenu à la sainteté sans un grand désir de l'acquérir. En général,
disait Ste.-Thérèse , Dieu n'accorde beaucoup de faveurs signalées qu'à
ceux qui ont vivement désiré son amour. Et le Pro-phète royal a dit
: Beatus vir cujus est auxilium abs te; ascensiones in corde suo disposuit
in vàlle lacrymarum..i ibunt de virtute in virtutem. ( Ps. LXXXIII. 6.
) Heureux l'homme qui a pris la résolution [clans son cœur de monter,
pendant sa vie mortelle, de degré en degré t jusqu'à la perfection 1
Dieu l'aidera puissamment et il marchera toujours de vertu en vertu. Ainsi
ont fait les saints, et surtout S.-André d'Avellino , qui fit vœu
d'aller toujours en avant dans là voie de la perfection ! In via Christiana*
perfectionis semper ulterids progrediendL ( Lect. Off. in d. Fest. ) Ste-Thérèse
disait : Dieu ne laisse pas sans récompense, même dans cette vie, tout
bon désir. Ainsi les saints, par le moyen des bons dé-sirs sont parvenus
en peu de temps à un point emi-nent de perfection. Consummatus in brevi
ewplevit tempora *n«/ia.(Sap. iv. 13.) S-Louis de Gonzague, parvint en
peu d'années ( car sa vie ne fut que de 25 ans ) à un tel degré de perfection
que Ste.-Madeleine de Pazzi le voyant en esprit dans le ciel, dit : Qu'il
lui semblait, pour ainsi dire, qu'il n'y avait pas en Paradis de saint
qui jouît d'une plus grande gloire que lui. Elle apprit alors qu'il était
arrivé à cet état, par le vif désir qu'il avait eu en cette vie d'arriver
à aimer Dieu, autant que Dieu mérite d'être aimé, et que voyant qu'il
n'y pouvait parvenir, parce que Dieu mérite un amour in-
§\
ΙΑ ïlELIGÎEtsB
fini, ce ]eune saint avait souffert
sur la terre un con-tinuel martyre d'amour, qui l'avait ensuite élevé
au rang sublime qu'il occupait parmi les élus.
VII. Les œuvres de Ste-Thérèse,
sur cette matière, nous fournissent beaucoup d'autres preuves aussi im-portantes
que celtes que nous venoûs de donner. Cette Sainte dit dans un endroit
': 'Nos pensées doivent être grandes, carde là doit dériver n&tre
bonheur. Ailleurs, elle dit : // ne faut pas laisser s'éteindre îes désirs
; mais espérer en Dieu, qu'en faisant tous nos efforts, nous parviendrons
feu d peu ait hut'glorieux que tous lés saints aiteignent avec sa grâce.
Dans un autre endroit elle "dit : Sa divine ma-jesté est l'amie des âmes
généreuses, pourvu qu'elles se dé-fient d'elles-mêmes.Cette sainte
assurait, d'après son ex-périence, qu'elle n'avait pas vu d'âme faible
et lâche qui eût fait, en beaucoup d'années, autant de chemin que d'autres
âmes courageuses en font eh peu de jours. Pour acquérir ce courage, il
sera très-utile de lire les vies des saints, et surtout de ceux qui, de
grands pécheurs qu'ils étaient, sont devenus de grands saints, tels que
Stê.-Mâdeleine, S.^Augustin, Ste.-Pélagie , Ste.-Marie Égyptienne et
principalement Ste.-Mar-guerite de Cortone, qui resta pendant de longues
an-nées dans le malheureux état de damnation; mais qui cependant nourrissait
toujours dans son cœur le dé-sir de se sanctifier; et, en effet, lorsqu'elle
se conver-tit à Dieu, elle fit de tels progrès dans la voie de la perfection
qu'elle mérita d'apprendre ( comme le Sei-gneur le lui révéla ) que
non seulement elle était pré-destinée, mais qu'il lui avait déjà été
préparé, dans le ciel, une place parmi les séraphins. Ste^-Thérèse
dit encore ailleurs que le démon fait que nous croyons qd'ily aurait de
la présomption à nourrir ces désirs élevés, et à vouloir imiter les
saints ; mais elle ajoute
SANCTIFIÉE.
65
que c'est là une grande erreur.
Certes, ce n'est pas par orgueil que l'âme se d'.'fie d'elle-même , et,
ne se confiant qu'en Dieu, s'achemine avec courage vers les hauteurs de
la perfection, en disant avec l'apôtre, omnia possum in eo qui me confortat.
( Phil. ìv. 13. ) Je ne puis rien par moi-même, mais avec l'aide de Dieu,
je puis tout; et pour cela je suis résolue à l'aimer avec le secours
de sa grâce, comme l'ont aimé les saints.
VIII. Il est donc important d'élever
nos désirs à de hauts projets, comme de vouloir aimer Dieu plus que tous
les saints, de souffrir plus que tous les martyrs par amour pour lui, d'endurer
et de pardonner toutes les injures; d'embrasser toute peine et toute fatigue
pour sauver une âme et autres choses semblables. Quoique ces désirs ne
puissent jamais s'accomplir, néanmoins ils sont d'un grand mérite auprès
de Dieu, qui haït les volontés perverses , autant qu'il aime les bonnes.
Déplus, l'âme, par ces désirs de choses grandes et difficiles , devient
plus courageuse pour exécuter les plus faciles. Tâchons donc ue nous
proposer, dès ,1e matin, de faire tout ce que nous pourrons pour le Seigneur,
de supporter toutes les contrariétés qui se présenteront ; d'être toujours
recueillis et occupés à des actes d'amour do Dieu. S.-François , au
dire de S.-Bonaventure , faisait ainsi : II se proposait avec la grâce
de Jésus, de faire de grandes choses. Ste.-Thérèse dit que, les bons
désirs sont aussi agréables d Dieu que leur exécution. Oh ! qu'il vaut
mieux avoir à faire à Dieu qu'au nionde ! Pour acquérir lés biens du
monde les richesses, les honneurs, les éloges des homines; il ne suffit
pas de les désirer ; au contraire lé désir augmente la peine, quand
on ne les obtient pas; mais avec Dieu il suffît de désirer sa grâce
et son amour pour les obtenir. C'est ce que disait ce courtisan de vm.
5
66
LA RELIGIEUSE
l'empereur, dont parle S.-Augustin.
Deux courtisans, nous dit ce Saint, se trouvant dans un couvent de moines,
l'un d'eux se mit à lire la vie de S.-Antoine , abbé : Legebat ( dit
S.-Augustin ) et exuebatur mundo cor ejus. Il lisait, et pendant cette
lecture son coeur se détachait des affections du monde. Alors , se tournant
vers son compagnon, il lui dit : Quid quœrimus? ma-jor ne esse potest
spes nostra qudm quod amici imperatoris òimus? et per quot pericula ad
majus periculum pervenitur ; et quamdiu hoc erit? Mon ami, s'écria-t-il,
que nous sommes insensés. A quoi prétendons-nous, en servant l'empereur
avec tant d'ennuis, tant de soucis, tant de peines? Pouvons-nous espérer
autre chose que de devenir ses amis? Et, si nous obtenons cet avantage
, nous n'aurons fait que d'exposer à un plus grand dan-ger notre salut
éternel. Mais non, nous n'arriverions que très-difficilement à avoir
César pour ami.
Il termina ainsi -.Amicus autem
Dei; si voluero, ecce nunc fio. Mais si je veux être ami de Dieu, dès
à présent je le suis. Car l'amitié de Dieu, on l'a aussitôt qu'on la
demande avec un désir sincère et ardent de l'obtenir.
IX. Je dis avec un désir sincère
et ardent, car à quoi servent ces désirs inefficaces dont se nourrissent
quel-ques âmes paresseuses qui toujours désirent et qui cependant ne
font jamais un pas dans la voie de Dieu, C'est de ces âmes que parle Salomon
, lorsqu'il dit : Vult et non vult, piger. ( Prov. x. l\. ) Et ailleurs
: Desi-deria occidunt pigrum. ( Prov. xxi. 25. ) La religieuse tiède désire
la perfection, mais ne se résout jamais à prendre les moyens de l'acquérir,
d'un côté elle la désire, parce qu'elle sent combien elle est nécessaire
; 4'un autre côté elle ne la veut pas, parce qu'elle est effrayée des
peines qu'il faut se donner pour l'obtenir. Par conséquent elle la veut
et ne la veut pas ; elle la
lÀSCTlFlÉE.
$·)
désire, mais non efficacement;
et si elle désire de de-venir sainte, c'est par des moyens qui ne sont
pas à sa portée. Elle dit ; Oh ! si j'étais dans un désert, je voudrais
toujours prier et faire pénitence ; si -jVtais dans un autre monastère,
je voudrais me renfermer dans une cellule et» ne penser qu'à Dieu, si
j'avais une bonne santé, je ferais beaucoup de mortifications;^ voudrais,
je voudrais, et en attendant la malheureuse ne remplit pas les devoirs
de sa condition' présente. Elle fait peu oraison , sauvent même elle
néglige l'oràison de la Communauté. Elle supprime ses communions ; elle
va rarement au chœur; et fréquente beaucoup la grille et.le belvéder;
elle souffre avec peu, de patience et de résignation ses infirmités.
En sommé , elle com-met chaque jour une foule d'imperfections et'do min·
quements, de propos délibéré, et elle ne cherche pas à s'en corriger.
A quoi servira donc à cette religieuse de désirer tant de choses impossibles
à sa position pré-sente, si elle néglige les obligations actuelles de
' Son état. Desideria occidunt pigrum. Ces désirs inutiles la conduiront
plus sûrement à sa perle; car elle s'en nourrira et s'en contentera,
tandis qu'elle négligera de prendre les moyens qui,pour le présent,sont
nécessaires à sa perfection et à l'acquisition de sou salut éternel.
S.-François-de Sales, dit très-bien à ce sujet : « Je n'approuve pas
qu'une personne, attachée à un devoir ou à une vocation, s'arrête à
désirer un autre-genre de. vie, étranger à ses obligations, ni qu'elle
veuille pratiquer des. exercices incompatibles avec son état présent
j parce que tout cela met la dissipation dans son cœur et lui fait aecomplir
avec langueur les'exSéi^ cices de sa profession. »
Une religieuse ne doit
donc avoir l'œil attentif qu'à cette perfection, qui est propre
à son état et à
68
υ RELIGIEUSE
ea charge présente, qu'elle soit
supérieure ou infé-rieure , malade ou bien portante, jeune ou vieille
, et elle doit avoir la ferme volonté d'employer les moyens de l'acquérir.
En outre, Ste.- Thérèse lui donne cet avertissement : ( Can. perf. ch.
38. ) Le démon nous fait croire que nous avons une vertu, par exem-ple
, la patience parce que nous nous décidons facile-ment à souffrir pour
Dieu. Il nous semble en effet que nous souffririons tout ce qui se présenterait,
ce qui nous rend très-contents, car le démon nous con*· firme dans cette
croyance; mais moi, je vous préviens de ne pas faire cas de cette vertu,
et de ne croire que vous l'avez que lorsqu'elle aura été mise à l'épreuve,
car il peut très-bien se faire qu'à la première expres-sion piquante
qui vous sera adressée, votre patience vous échappe.
X. Venons-en à la pratique des
moyens, qui est la chose la plus importante. Les moyens nécessaires pour
parvenir à la perfection sont : 1° L'oraison mentale , méditant surtout
combien Dieu mérite d'être aimé, et combien il nous a aimés , particulièrement
dans la grande œuvre de la rédemption , dans laquelle un Dieu en est
venu jusqu'au point de se sacrifier pour nous, de perdre la vie dans une
mer de douleur et de mépris ; et, non content de cela, il s'est réduit
à deve-nir notre nourriture pour gagner notre amour. Ces vérités n'enflamment
nos cœurs que lorsque nous les méditons souvent. In meditatione meâ
exardescet ignis. ( Ps. m. 84. ) Ainsi parlait David : Quand je m'arrête
à méditer sur la bonté de mon Dieu, je me sens tout enflammé d'amour
pour lui. Mais, disait à ce sujet le jeune saint Louis de Gonzague, jamais
une âme parviendra à un haut degré de * perfection, si elle ne
parvient d'abord à un haut degré d'oraison.
SANCTIFIÉE.
69
2° II faut souvent renouveller
la résolution d'avan-cer dans l'amour divin. Il faut pour cela se figurer
que chaque jour est comme le premier ou nous en-trâmes dans la voie de
la perfection. Ainsi faisait Da-vid , qui répétait sans cesse
: Et dixi, nunc cœpi. ( Ps. LXXVI. 11. ) Ce fut le dernier souvenir
queS.-An-toine laissa à ses religieux : Mes enfans, leur dit-il, figurez-vous
que chaque jour est le premier jour où vous commencez à servir Dieu.
3" II faut qu'on fasse sans cesse la recherche de ses défauts, mais une
re-cherche rigide; comme disait S.-Augustin, sans flat-ter sa conscience
: Fratres mei, discutite vos sine palpa-tione. Semper displiceat tibi quod
es , si vis pervenire ad id quod non es. ( De ver. Αρ. Serm. 15.
) II faut que ja-mais vous ne soyez contente de ce que vous êtes, afin
que vous parveniez à être plus parfaite que vous n'é-tiez. Sans cela,
poursuit le saint, ubi tibi placuisti, ibi re· mansisti; si vous vous
trouvez contente du degré où vous êtes parvenue, vous y resterez ; car
étant contente de vous-même, vous perdrez le désir d'aller plus avant.
Il ajoute ensuite ces mots qui doivent effrayer toutes les âmes qui, contentes
d'elles-mêmes, ne cherchent pas à aller plus loin : Si autem dixeris
: sufficit; periisti; si vous dites la perfection que j'ai me suffit, vous
êtes perdue ; car ne pas avancer dans la voie de Dieu est la même chose
qu'aller en arrière, comme nous l'avons expliqué ci-dessus, et comme
nous l'apprend S.-Ber-nard. Profecto nolle proficere , deficere est. (
Ep. CCLIII. ad Gari. ) S.-Jean Chrysostôme dit qu'il faut toujours penser
aux vertus qu'on n'a pas, et non au peu de bien que l'on a fait ; car l'idée
du bien qu'on a fait, ne sert qu'à nous rendre lents dans la voie du salut,
et à nous remplir d'une vaine gloire qui nous fera perdre tout ce que
nous-avons acquis ; segniores facit et in arrogan-
Là BELlGIEt'SE
extollit, ( Hera. xii. In
ep. ad Phil. ) Puis; il
ajoute : Qui currit,.......nonreputat
quantum confecerit,
sed quantum desit. Qui court à
grands pas vers la per-fection, ne regarde pas le chemin qu'il a fait,
mais celui qui lui reste à faire pour parvenir au but. Plus les âmes
pieuses approchent du terme de la vie, plus elles redoublent de· ferveur.
Quasi effodientes thesaurum. C'est comme ceux, dit Job , ( m. 21. ) qui
cherchent ■an trésor, plus ils ont creusé , selon l'explication de
S.-Grégoire, plus ils s'animent à creuser encore, pour trouver au plutôt
ce trésor tant désiré. Ainsi ceux qui tendent à la perfection, plus
ils avancent, plus ils se hâtent, afin d'en obtenir plus promptement la
pos-session.
XI. 4° Potir acquérir la perfection
, il sera très-utile d'employer le moyen dont se servait S.-Bernard pour
redoubler de ferveur, Surius écrit que ce saint avait toujours dans le
cœur, et souvent sur les lèvres, cette demande qu'il s'adressaità lui-même
: Bernard, qu'es-tu venu faire en religion ? Hoc semper in corde, frequen-ter
etiam in ore habebat : Bernarde, ad quid venisti ? Ainsi, chaque religieuse
devrait continuellement se dire a. elle-même : J?ai quitté le monde et
tous les biens qu'il m'offrait pour aller me rendre sainte dans le cloî-tre,
et maintenant que fais-je ? Je ne deviens pas sainte, et je suis sans cesse
ea danger de me perdre par cette vie si tiède que je mène. C'est ici
le lieu de rapporter ce qni arriva à la vénérable sœur Hyacinthe M
arescotti, qui menait une vie très-tiède, dans le cou-vent des Bernardines
de Yiterbe. Le P. Bianchetti y étant allé, comme confesseur extraordinaire,
la sœur Hyacinthe voulut se confesser à lui; alors ce bon père lui dit
avec sévérité : Vous êtes religieuse ? Sachez que le Paradis n'est
pat fait pour les religieuses vaines et orgueil-
SANCTIFIÉE.
7»
luises. Hyacinthe répondit : J'ai
donc laissé le monde pour me précipiter en tnfer? Oui, reprit le Père
: C'est Idiademeitre qui est destinée dws pareilles. C'est Idquèvont
toutesles religieuses quivivent dans leur couvent en séculières. Sœur
Hyacinthe réfléchissant à ces paroles se conver-tisse confessa et pleura
amèrement sur sa vie passée, et depuis elle se mit à marcher dans la
voie de là per-fection. Oh ! que la pensée d'avoir quitté le monde pour
se faire sainte est propre à réveiller line reli-gieuse , à l'animer
pour avancer dans la vertu et sur-monter tous les obstacles qui se rencontrent
en reli-gion ! Lors doue, ina chère sœur, que vous éprouverez de la
difficulté à obéir, dites-vous : Mais je ne suis pas venue dans le couvent
pour faire ma volo'nlé ; si j'avais voulu faire ma volonté, je serais
restée dans le monde; je suis venue ici pour faire la volonté de Dieu,
en obéissant à mes supérieures ; et je veux leur obéir à tout prix.
Lorsque votre pauvreté vous sera à charge, dites-vous : Je né suis pas
venue ici pour aVoir mes aises, et vivre dans le luxe, mais bien pour être
pau-vre, par amour pour mon Jésus, qui, paramour pour moi, voulut encore
être plus pauvre que moi. Quand vous recevrez quelque injureou quelque
réprimande, dites-vous : Je ne suis entrée en religion que pour être
humiliée comme je le mérite, pour mes péchés, et me rendre par là
plus digne de mon époux qui futHii ou-tragé et avili sur cette terre.
C'est-là vivre pour Dieu et mourir au monde. Concluez-donc ainsi »Que
me ser-vira d'avoir quitté le monde et de m'être renfermée entre quatre
murailles, de m'être privée de ma li-berté, si je ne me fais sainte
? En menant une vie re-lâchée et large, je cours risque de me damner.
XII. 5° II faut que la religieuse
considère et ranim'e dans son cœur ces anciens désirs de ferveur, et
cette
?2
LA BEUGIEUSB
ferveur elle-même qu'elle avait
en entrant dans le .monastère. Un moine ayant demandé à l'abbé Aga-jthon
comment il dqvait se comporter dans son cou-vent, en reçut cette réponse
: Vide qualis fueris primo die, quando existi de secuto , et talis permane.
Examine comment tu étais le premier jour où tu quittas le monde, et conserve-toi
d^ns cet état. Souviens-toi, ô é(pouse chérie du SeignéâSr, delà
promesse que tu fis de ne désirer que Dieu, de ne vouloir que ce que yeut
l'obéissance, de souffrir toute espèce de mépris çt de peines pour
l'amour de Jésus-Christ. Ce raison-nement fit retrouver son ancienne ferveur
à un jeune religieux , dont il est parlé dans les vies des Pères des
déserts. (Part. II. g. 201.) Lorsqu'il voulut entrer en religion, sa mère
s'y opposa, en,lui objectant plusieurs motifs, pour lui prouver qu'il ne
devait pas l'abandon-ner ; mais le jeune homme répondait toujours : Je
veux Sauver mon âme; et, inébranlable dans sa résolution, il entra en
effet en religion. Mais quelque .temps après ce malheureux se ralentit
et tomba dans une grande tiédeur. Sa mère mourut, et étant tombé lui-même
dans une très-grave maladie, il 8e vit un jour cité au jugement de Dieu,
où il trouva sa mère, qui le reprit en ces termes : Mon fils, où sont
ces paroles : Je veux sauver mon dme! C'est dans ce but que tu es entré
en religion, et maintenant quelle vie y mènes-tu?Le re-ligieux re. venu
à lui, guérit de sa maladie, et, se ressou-venant des reproches de sa
mère, sur ses anciennes résolutions, se mit à mener une vie toute sainte,
et il commença à faire tant de pénitences que les autres religieux l'engageaient
ensuite à se modérer; mais il leur répondait : Je n'ai pu supporter
les reproches de ma mère, comment supporterai-je ceux que Jésus-Christ
m'adressera au jour du jugement, si je ne ai
SAHCTIFIÉE.
73
pas ce qu'il attend de moi ? Il
est donc très-utile de lire souvent les vies des Saints, car leurs exemples
nous rendent humbles et nous font connaître notre misère, les pauvres
ne connaissent leur pauvreté que lors-qu'ils voient les trésors des riches.
XIII. 6° II ne faut pas se décourager,
si l'on voit que l'on n'est pas encore parvenu au point de perfec-tion
que l'on voulait atteindre. C'est là une tentation du démon. S.-Philippe
de Néri disait que se faire saint n'est pas l'affaire d'un jour. On raconte
dans les vies des Pères du désert, qu'un moine , après être entré
dans le monastère, tout plein de ferveur, se refroidit bientôt; mais,
voulant revenir à sa première ferveur, et étant très-affligé, parce
qu'il ne savait comment s'y prendre, il alla consulter un ancien Père.
Celui-ci le consola, et, pour l'encourager, il lui raconta la parabole
d'un père qui chargea son fils de nettoyer un terrain plein de broussailles
et de ronces ; le fils voyant que ce travail demandait une peine infinie
, perdit courage, se mit à dormir, et ensuite alla s'excuser auprès de
son père, en lui disant qu'il n'était pas assez fort pour la tâche qu'il
lui avait imposée. Le père lui répondit: Mon fils, je n'exige autre
chose de toi, sinon que tu déblayes chaque jour, dans ce terrain, la largeur
de ton corps. Le fils suivit cet ordre, et peu-à-peu le champ fut débarrassé
bientôt de toutes les plantes inutiles qui l'occupaient. Que cette comparaison
est belle pour nous encourager à marcher dans la voie de la perfection.
Il suffit que l'on conservetoujours le vif désir d'y avancer et que l'on
fasse, pour cela des efforts, parce que alors, avec le secours de Dieu,
on finira par arriver insensible-ment à acquérir cette perfection désirée.
S.-Bernard dit que les efforts continuels de l'âme, pour parvenir à la
perfection, sont la seule perfection à laquelle
74
LA RELIGIEUSE
nous pouvons atteindre en cette
vie. Jugis conatus ad perfectionem, perfectio reputatur. (Ep. 253.) Il
faut avoir eoin de ne jamais négliger les exercices habituels, les oraisons,
les communions et les mortifications accou-tumées, surtout en tems d'aridité.
Car alors Dieu met à l'épreuve les âmes fidèles. Il veut voir si, malgré
la peine et l'ennui qu'elles éprouvent dans cet état de ténèbres, elles
continuent à pratiquer ce qu'elles fai-saient d'abord dans l'abondance
des consolations cé-lestes.
XIV. C'est un puissant moyen de
parvenir à la per-fection que de tenir toujours les yeux sur les sœurs
les plus fidèles à leur devoir, afin de les imiter dans les vertus plus
particulières dont elles donnent le bon exemple. Ainsi que l'abeille rassemble
les sucs de dif-férentes fleurs , pour en former son miel, de même, dit
S.-Antoine, la religieuse doit prendre de ses com-pagnes des exemples de
vertu; de l'une la modestie, de l'autre la charité, de celle-ci l'amour
de la prière, de celle-là la fréquente communion, et ainsi des autres.
Toute bonne religieuse doit sans cesse s'efforcer d'imi-ter et même de
surpasser toutes les autres sœurs dans les vertus qu'elles pratiquent.
Dans le monde, les hommes rivalisent de richesses, d'honneurs, de plai-sirs.
Dans un couvent, les religieuses doivent rivaliser d'humilité, de douceur,
de patience, de chajrité, d'a-mour pour la pureté , d'obéissance, enfin
toute leur ambition doit être d'aimer d'avantage le Seigneur, et de lui
plaire. Toutes leurs actions doivent, par consé-quent, être faites d'abord
dans le but de plaire à Dieu, ensuite dans celui de donner un bon exemple
à leurs sœurs, afin qu'elles en profitent et rendent gloire à Dieu :
«Sic luceat lux vestra coram, hominibus ut glorificent patrem vestrum,
qui in caslis est. ( Matt. ν· 16. } II faut
SASCTIFlÉE.
?5
donc7 que les religieuses se fassent
scrupule de donner leur suffrage à toute jeune novice dont la conduite
■passée n'a pas édifié le couvent ; car, puisque les bons exemples
servent à ranimer la ferveur des au!res; les mauvais exemples leur sont
très-nuisibles; ils les in-duisent à tomber dans les défauts qu'elles
ont chaque jour sous leurs yeux.
PRIÈRE.
Ο Cœur de mon divin Jésus , cœur
épris d'amo\ir pour les hommes , cœur créé exprès pour aimer 13s hommes
, comment les hommes peuvent-ils vous mépriser ainsi ? Malheureux que
je suis ! puisque je suis moi-même du nombre de ces âmes ingrates qui
ont vécu longues années dans le monde sans vous ai-mer. Pardonnez-moi,
ô mon Jésus , de ne pas vous avoir aimé , vous qui êtes si aimable
et qui m'avez tant aimé, vous qui avez tout fait pour m'obliger à vous
aimer. Je mériterais d'être condamnée à ne pou-voir plus vous aimer
jamais, pour avoir si long-temps dédaigné votre amour. Mais mon divin
époux , in-fligez-moi toute sorte de châtiment, excepté celui-là ;
accordez-moi la grâce de vous aimer et puis faites de moi ce qu'il vous
plaira. Mais comment craindrais-je un tel châtiment puisque vous m'intimez
vous-même la douce loi de vous aimer , mon Seigneur et mon Dieu ? Diliges.
Dominum Deum tuum ea; toto corde tuo. Vous voulez que je vous aime de tout
mon cœur et je ne désire pas autre chose que de vous aimer en effet de
tout mon cœur. Ο cœur embrasé de mon Jésus ! allumez dans mon pauvre
cœur ce feu qu'il
?6
ti RELIGIEUSE
apporta du ciel pour en enflammer
la terre. Détruisez toutes les affections impures qui vivent en moi et
m'empêchent d'être toute à lui. Mon bien-aimé Jésus, ne repoussez
pas loin de vous un cœur qui vous a tant offensé et qui veut vous aimer.
Faites qu'à l'a-venir je ne vive pas même un seul moment privée de votre
amour , puisque vous m'avez tant aimée. Ο amour de mon Jésus ! vous
êtes mon amour. J'espère vous aimer toujours et être toujours aimée
de vous et cet amour, entre vous et moi, ne s'éteindra jamais. Ο mère
du bel amour , ô Marie I vous qui désirez si vivement de voir votre fils
bien-aimé, attachez-moi, unissez-moi si étroitement à Jésus , que je
sois tout-à-fait à lui, comme il désire que je lui appartienne.
CHAPITRE V.
Danger de se perdre d'une Religieuse
imparfaite , qui ne redoute pas les suites de ees imperfections.
I. Pour faire un beau jardin, il
faut d'abord en dé-raciner les orties et les mauvaises herbes, et puis
y mettre des plantes qui portent de bon fruit. C'est ce que dit le Seigneur
à Jérémie lorsqu'il le chargea du soin de cultiver l'Église : Ecce
constitui te hodie super gentes et super régna , ut evellas et destruas
, et /edifices et plantes, (I. 10. ) Pour ee faire saint, il faut dono
qu'une religieuse commence par arracher de son cœur tous ses défauts
, et qu'elle y ensemence les vertus. Le premier pas dans la dévotion ,
disait Ste.-Thérèse , consiste à se défaire de ses péchés. Je ne
parle pas ici de péchés graves, car j'en suppose la re-ligieuse exempte,
je veux croire que jamais, pendant sa vie, elle n'a perdu la grâce sanctifiante
ou que, du
SANCTIFIÉE.
77
moins, après l'avoir perdue, elle
l'a recouvrée, et qu'elle est dans la ferme résolution de plutôt mourir
mille fois que de la perdre de nouveau. Pour éviter un tel malheur, je
l'engage à avoir toujours présente à la mémoire, cette
grande maxime enseignée par St.-Basile , paf St.-Jérôme
, par St.-Augustin , par d'autres SS.-Pères,
et fondée sur les divines écritures > qui est que Dieu a compté
à chaque personne le nombre des péchés qu'il consent à lui pardonner
, et que , comme nous ne connaissons pas ce nombre, chacun de nous doit
craindre qu'en ajoutant un nou-veau péché à ses anciennes fautes,
Dieu ne l'aban-donne et qu'il ne soit perdu pour toujours. Ah ! que cette
pensée sera un grand frein contre la ruse du démon , qui, pour faire
retomber les pécheurs dans de nouveaux péchés par l'espérance du pardon
, leur dit : Tu t'en confesseras après. Oh ! Si les chrétiens avaient
toujours à l'esprit cette juste crainte que chaque péché
qu'ils font, sera peut-être celui qui doit combler la mesure, et qu'il
ne leur sera pas pardonné, combien ils s'abstiendraient de retourner à
leur vo-missement I Que d'âmes avec la fausse espérance du pardon se
sont perdues misérablement, et sans qu'il y ait eu remède à leur damnation
éternelle-.
II. Je n'entends pas parler ici
non plus des péchés véniels, qui ne sont pas entièrement volontaires,
mais seulement l'effet ds la fragilité humaine. Personne au monde n'en
est exempt : In multis offendimus om-nes. (Jac.Ep. m. 5).Tous les hommes,
même les Saints, ont commis deces fautes. Si nous disons, observe l'a-pôtre
St.- Jean. ( Ep. i. 8 ) . que nous sommes sans péché, nous nous trompons
et nous mentons. Nous portons avec nous urt tel penchant au mal qu'il est
impossible , sans une grâce spéciale, accordée seule-
π8
ΙΑ BELIGIEU8E
ment à la mère de Dieu , d'éviter,
dans tout le cours de notre vie, les fautes vénielles qui se commettent
fans nn plein consentement. Dieu permet ces .petites taches , même da,ns
ses serviteurs , voués à son saint amour, pour les conserver dans l'humilité
et pour leur faire comprendre que s'ils tombent dans ces fautes légères,
malgré leurs bonnes résolutions et leprs promesses, ils en commettraient
de plus consi-dérables, si la main divine n'était là pour les retenir.
Lorsque nous tombons dans ces manquements , il faut nous humilier et confesser
notre faiblesse et tâcher d'augmenter nos prières, afin que Dieu ait
ses mains sur nous , et qu'il ne permette pas que nous tombions dans des
fautes plus graves.
III. Il n'est donc question ici
que des péchés vé-niels, délibérés et tout à fait volontaires. Ceux-là
, on peut les éviter tous, avec l'aide de Dieu , comme font les Saints,
qui vivent toujours dans la ferme résolution de souffrir la mort,plutôt
que de commettre un péché véniel 5 de propos délibéré. Ste,-Catherine
de Genève disait que, pour une âme qui aime Dieu sincèrement, la moindre
petite faute est plus cuisante que l'enfer. Aussi elle protestait que,
plutôt que de faire un péché véniel volontairement, elle se serait
jetée dans une mer de feu. C'est avec raison que les Saints parlaient
ainsi, car, éclairés par la lumière divine , ils savaient que la moindre
offense envers Dieu est un plus grand mal que la mort et la destruction
de tous les hommes et de tous les anges. Quod peccatum {Ait S.-Anselme
), peccator audebit dicere parvum ? Deum enim exhonorare quando est parvum?
Qui osera dire : ce péché n'est pas grand mal, parce qu'il est léger
l Comment peut-on appeler faute légère de déshonorer Dieu 1 Si un sujet
disait à son roi : Je vous obéirai eu tout, excepté en
SANCTIFIÉE.
79
ceci, parce que c'est peu important,
quel reproche et quel châtiment ne mériterait-il pas ? Aussi, Ste.-Thé-rèse
disait : Plût à Dieu que nous craignissions non le démon , mais le péché
véniel, qui pent être plus dangereux pour nous que tous les démons de
l'Enfer. Elle faisait cette exhortation à ses filles : Que Dieu vous préserve
de tout péché délibéré, quelque petit qu'il soit. Ces paroles s'adressent
particulièrement à une religieuse, et St.-Grégoire de Nazianze y ajoute
: Non ignores rugam tibi unam turpiorem esse qudm maxima vulneraiisqui
in mundo vivunt. (Orat. de fuco. ) Sache , dit ce Saint qu'une seule ordure
dans l'âme, te rendra plus hideuse que lesgrandesplaiesne rendent difformes
les séculiers. Si une cuisinière se présente devant le Roi, couverte
de taches, le roi ne la gronde pas, et il la souffre, parce qu'elle est
cuisinière ; mais s'il voit une seule tache sur la robe de la reine son
épouse , il s'en irrite et s'en plaint amèrement. Jésus-Christ
fait de même pour les fautes des séculiers et pour celles de ses épouses.
Malheur à toute religieuse qui- ne tient pas compte des petits
péchés ! Elle ne sera ja-mais sainte ; elle n'aura jamais la paix de
l'âme. Tant que Ste.-Thérèse mena une vie imparfaite, elle ne fit aucun
progrès , elle était malheureuse et sans consolations
d'esprit, comme sans repos de corps. C'est pour cela que tant de
religieuses passent des jours amers et ne peuvent trouver la paix ; car
d'un côté elles, sont privées des plaisirs du monde et de l'autre elles
n'éprouventpas de consolations spirituelles; elles sont ayares avec Dieu,
et Dieu est avare avec elles. Donnons-nous tout à Dieu et Dieu se donnera
tout à nous. Ego dilecto meo et ad me conversio ejus. ( Cant.
νπ. 10 ). -
IV, Mais il y en:a „
qui diront : Les péchés v£i
8θ
ΙΑ RELIGIEUSE \
niels, quelques nombreux qu'ils
soient, în'empéche-ront de devenir sainte, mais ne me priveront pas de
la grâce divine. Je serai sauvée, et c'est là tout ce que je demande.
— Écoutez ce que dit St.-Augustin : Ubi dixisti sufficit , ibi periisti.
Tu dis qu'il te suffît de te sauver ? En disant , il me suffit , tu es
perdue. Pour comprendre cela et pour voir combien les pé-chés véniels
sont dangereux, lorsqu'ils sont habituels et volontaires, il faut savoir
que l'habitude des fautes légères nous entraîne aux fautes graves ;
par exemple l'habitude des petites haines porte à la haine vio-lente;
l'habitude des petits vols porte aux grands vols, l'habitude des affections
charnelles , vénielles, porte aux affections mortelles. St.-Grégoire
dit : Nunquam illic anima , quo cadit, jacet (Mor. Lib. 21 ). L'âme ne
reste pas où elle tombe , elle roule toujours plus bas. Beaucoup de maladies
mortelles ne proviennent pas toujours de désordres graves, mais très-souvent
de pe-tits désordres ; ainsi , de grands péchés proviennent souvent
de fautes légères. Le Père Alvarez dit : Ces petites médisances continues
, ce.' petites aversions , ces cu-riosités condamnables , ces impatiences
, ces intempérances ne tuent pas l'âme , mais la rendent tellement faible
que, une grave maladie survenant ( c'est-à-dire une forte tentation )
elle n'aura pas la force de résister , et tombera infailliblement. Les
péchés véniels ne séparent pas l'âme de son Dieu, mais ils l'en éloignent,
et la mettent en grand danger de se perdre. Lorsque Jésus-Christ fut pris
dans le jardin, St.-Pierre ne voulut pas l'abandonner et il se mit à le
suivre de loin : Petrus autem sequebatur eum d longe. ( Matt. xxix. 58
). Beau-coup de gens ne veulent pas se séparer de Jésus-Christ par des
péchés mortels , mais ils ne veulent le suivre que de loin puisqu'ils
ne veulent pas s'abstenir des
SANCTIFIEE.
81
péchés véniels ; aussi combien
d'entre eux imitent St.-Pierre qui, arrivé à la maison du Pontife , et
accusé d'être un des disciples du Rédempteur, jura trois fois qu'il
ne le connaissait pas. St.-Isidore dit que Dieu permet avec raison que
ceux qui ne tiennent pas compte des péchés véniels tombent dans les
péchés morlels,en punition de leur négligence et de leur peu d'amour
pour lui. L'Ecclésiaste fait la même re-marque : Quispernit modica paulatim
rfeetV/ei(Eccl.xix.2t), qui ne craint par les petites chutes fìnira par
tomber dans l'abïme.
V. Ne dites donc pas , ( c'est St.-Dorothée
qui parle ), que l'habitude du péché véniel n'est pas un grand mal ,
mais considérez-en les conséquences ; la mauvaise habitude est une ulcère
qui ronge le cœur et qui lui òtant la force de résister aux pe-tites
tentations , le rend incapable de repousser les grandes. St.-Augustin écrit
: Noli illa contemnere, quia minora sunt , sed time, quia plura sunt ;
timenda est ruina multitudinis et nòn magnitudinis. Ne fais pas peu de
cas de tés péchés parce qu'ils sont légers ; crains-les, parce qu'ils
sont nombreux ; car leur nombre, sinon leur poids, te fera succomber. Tu
as soin , dit ailleurs le même saint, de ne pas te laisser accabler sous
le fardeau d'une grosse pierre, mais crains d'être étouffé par un tourbillon
de sable , c'est-à-dire par les péchés véniels qui, lorsqu'ils sont
; habituels et nombreux nous ôtent toute crainte d'en commettre de graves.
Qui ne redoute pas le1 péché est près d'y tomber. C'est pourquoi St.-Chrysostôme
va jusqu'à dire que nous devons craindre les péchés véniels habituels,
plus, pour ainsi dire, que les péchés mortels ; car les mortels inspirent
l'horreur , tandis que nous méprisons les véniels, et que, par là ces
der-viii.
6
8a
L
niers rendent ensuite notre âme
si négligente, que, s'accoutumant à ne faire aucun cas de
ces fautes légères , elle finit pas par ne faire plus même cas des fautes
plus graves. C'est pour cela que le St.-Esprit a dit : Capite vobis vulpes
parvulas qua demoliuntur tineas. ( Cant. II. 13 ). Prenez tous ces petits
renards qui détruisent nos vignes. Il ne dit pas prenez les lions , lee
léopards, mais les petits renards ; parce que les lions et les léopards
, on les craint et on prend les mesures nécessaires pour s'en défendre
; tandis que les petits renards, qu'on ne craint pas, ravagent les
vignobles } creusent le solet fontpérir toutes les racines. Ainsi, les
petits péchés renouvelés souvent et volontaires, quoique petits, font
sécher les bons désirs qui sont les racines de la vie spirituelle, et
jettent l'âme dans une ruine complette. VI. Les péchés véniels
volontaires et habituels mettent l'âme en danger
de se perdre. 1° Parce qu'ils l'entraînent
au péché mortel et la rendent .ncapable de
résister aux tentations, comme nous j'avons déjà vu. 2"
Parce qu'ils nous enlèvent les se-cours divins. Nous avons toujours besoin
pour, notre esprit de la lumière divine qui pousse notre volonté vers
le bien ,et, pour la volonté, du secours qui la rend docile et obéissante
aux mouvements de la grâce : en outre, nous avons besoin delà continuelle
pro-tection de Dieu contre les attaques de l'enfer , sans quoi nous succomberions
tous aux tentations du dé-mon parce que nous ne pouvons pas y résister
de nous-mêmes. C'est Dieu qui nous donne cette force néces-saire
ou qui empêche le démon de nous attaquer par des
tentations qui lui assureraient la victoire. C'est pour cela que
Jésus-Christ nous ordonne de faire cette prière : Et ne nos inducas in
tentationem , c'est-à-dire que Dieu nous délivre de ces tentation8
SANCTIFIÉE
83
oil nous serions vaincus. Or , que
font les péché» véniels , il nous enlèvent ces lumières , ces secours,
et cette protection divine ; de sorte que l'âme, envi-ronnée e ténèbres,
faible et aride, perdra le goût des choses ^ivines , s'attachera aux choses
de la terre , au risque de perdre pour elle la grâce de Dieu. De plus,
les péchés véniels font que Dieu permet au dé-mon de nous assaillir,
par des tentations plus fortes. Toute âme qui est avare avec Dieu mérile
que Dieu soit avare avec elle. Qui parce seminat, parce et metet ( 2. Cor.
ix. 6 ). Qui met en terre peu de semailles doit recueillir peu de fruits.
Le B. Henri Suson, dans ses visions des rochers , ( Vit. cap. 12 ), vit
sur le premier de ces rochers plusieurs hommes debout ; il demanda qui
ils étaient; Jésus lui répondit : Ce sont les Hides à qui il suffit
de vivre sans péché mortel, et gui se contentent de cet état. Henri
demanda alors s'ils se-raient sauvés. Le Seigneur répondit : S'ils meurent
sans péchés graves «7s seront sauvés; mais ils sont en plus grand danger
qu'ils ne pentent, car ils croient pouvoir ser-vir Dieu et vive à leur
fantaisie, ce qui est. à peine paisible et leur persévérance dans la
grâce est très-difficile.
VII. De propitiato peccato noli
etse sine meta. ( Eccl. ν. 5. ) Le S.-Esprit nous erjgage à toujours
craindre pour; les péchés pardonnes. Pourquoi celte crainte, puisque
nous avons reçu le pardon. Celte crainte est nécessaire,.parce que, nonobstant
ce par-don , nous avons toujours à satisfaire pour la peine temporelle
de cette faute et que souvent parmi ces peines il y a la privation des
secours divins. Aussi les Saints ne cessaient-ils de pleurer leurs péchés,
bien que légers et déjà pardonnes, car ils craignaient top-joùrs que
Dieu les en punit par la privation des. gr.â-ces nécessaires pour acquérir
le salut éternel. Si lef*-
84
LA RELIGIEUSE
vori d'un roi a commis quelque faute,
lors même que le roi la lui aura pardonnée, il ne rentrera dans ses premières
bonnes grâces, qu'après avoir donné de grandes marques de son repentir,
et tâché, par ses soins plus empressés, de compenser le déplaisir qu'il
lui avait causé. Il en est de même avec Dieu , quand nous l'avons offensé
; si nous ne détestons du fond du cœur notre faute, si nous ne cherchons
à l'expier par beaucoup de bonnes œuvres , le Seigneur nous reti-rera
sa protection et cessera de se communiquer à noue , avec cette familiarité
dont it nous honorait au-paravant. Plus l'âme augmentera ensuite le nombre
de ses déplaisirs envers le Seigneur, plus le Seigneur s'é-loignera d'elle,
de sorte que cette âme malheureuse, se trouvant d'un côté plus faible
et plus inclinée au mal, comme nous l'avons dit plus haut, et se trou-vant
de l'autre côté moins aidée du secours divin, elle tombera facilement
dans des fautes graves et se perdra. VIII. Si toute personne qui a l'habitude
de com-mettre journellement des péchés véniels volontaires, disant qu'il
lui suffit de se sauver, est en danger de se perdre, une religieuse, à
plus forte raison, court ce danger lorsqu'elle se laisse aller à commettre
beau-coup de ces fautes,légères à yeux ouverts, sans songer à s'amender,
sans s'en inquiéter, se contentant de dire : II suffit que je me sauve.
La religieuse appelée à la religion est appelée à se sauver par une
vie sainte. Or, S.-Grégoire dit que celui qui est appelé à se sauver
par une vie sainte, ne sera pas même sauvé, s'il ne se fait pas saint.
Le Seigneur dit un jour à la B. An-gèle de Foligno : Si ceux que j'éclaire
pour les faire marcher dans le chemin de la perfection détournent "jeur
âme pour la faire aller dans la voie ordinaire, Ils seront abandonnés
par moi. Il est certain que
SANCTIFIÉE.
85
chaque religieuse est appelée et
obligée à· suivre le sentier de la perfection ; c'est pourquoi Dieu
l'a favo-risée de beaucoup de grâces et d'inspirations spé-ciales. Or,
si elle s'obstine à vivre habituellement dans la négligence et dans des
fautes, sans songer à s'en corriger, elle sera justement privée des secours
né-cessaires pour remplir les devoirs de son état, et non-seulement elle
ne se fera pas sainte, mais même elle ne se sauvera pas. S.-Augustin dit
que Dieu aban-donne d'ordinaire ces âmes négligentes, qui manquent ouvertement
à leurs obligations, puisqu'elles les con-naissent et n'en tiennent nul
compte. Deus négligentes
deserere consuetit.
IX. C'est là le sens de ce que
dit le Seigneur à S.-Pierre. Si non laverote, non habebis partem mecum.
(Jo.xm. ÇJ. Jésus-Christ ne parle pas ici d'un lavage matériel, piais
d'un lavage spirituel des péchés véniels; car toute âme appelée à
la perfection court grand risque de se perdre si elle ne s'en lave pas.
Ste.-Gertrude vit le démon ramasser tous les flocons de laine qu'elle
perdait, comme autant de fautes contre la pauvreté. Du moine qui laissait
tomber, contre la règle, toutes les miettes de pain qui restaient sur
la table, vit à sa mort le démon qui lui en montrait un sac tout plein,
et espérait par là le conduire au désespoir. Il sait bien, l'ennemi
de notre salut, que le compte que Dieu exige des religieux est beaucoup
plus rigoureux que celui qu'il exige des séculiers. Remarquons ici en
pas-sant, que plusieurs transgressions à la règle, qui se-raient des
fautes légères chez les inférieures, en seront de graves chez les supérieures,si
elles ne s'en corrigent pas, et n'y apportent le remède nécessaire, surtout
quaud ces manquements sont nombreux et tels qu'ils peuvent amener le relâchement
dans la discipline
86
LA ÌEtlGIEtSE
générale, comme sont particulièrement
les transgres-sions contre le silence, la pauvreté, le jeûne, la grille
et autres semblables. Les supérieures sont obligées non-seulement à
se corriger de ces fautes, mais en-core à chercher et examiner s'il en
existe ailleurs, afin d'y remédier.
X. Mais revenons à
notre sujet, et examinons l'o-bligation oh est chaque religieuse de tendre
à la per-fection et d'éviter même les fautes légères. Il y avait dans
la Compagnie de Jésus, au temps de S.-Ignace, un frère très-négligent
dans le service de Dieu : S.-Ignace le fit appeler un jour et lui dit :
Dis-moi, mon frère, qu'es-tu venu faire dans la religion? Il répondit
: Je suis venu servir Dieu. Oh ! mon frère, qu'as-tu dit ? reprit le saint;
si tu avais dit que tu es venu servir un cardinal, un prince de la terre,
tu serais plus excusable; mais tu dis que tu es venu ser-vir Dieu et tu
le sers ainsi ? Pour qu'un moine ou une religieuse deviennent saints, il
leur faut une grâce particulière et abondante; mais comment Dieu se-rait-il
généreux avec une religieuse qui, étant entrée au couvent pour le servir,
au lieu de l'honorer le déshonore ? Sa vie même , négligente et imparfaite,
semble faire croire que Dieu ne mérite pas d'être servi avec plus de
zèle et d'attention ; elle déclare qu'on ne Irouve pas au service de
Dieu autant de bonheur qu'on le prétend, et qui suffise à rendre une
âme con-tente; en somme, elle déclare que la divine majesté n'est pas
digne de tant d'amour et qu'elle n'oblige pas à préférer son bon plaisir
à notre propre satis-faction.
XI. Il est vrai, dit
le père Alvarez, que même les âmes qui se sont consacrées à l'amour
de Dieu n«> sont pas exemptes de tout défaut, mais aussi elle
SAHCTIPIÉE.
8?
s'efforcent sans cesse d'amender
leur vie et d'en di-minuer le nombre; mais celles qui commettent des péchés
par habitude, et les renouvellent souvent sans en avoir du déplaisir et
sans chercher à s'en corriger, comment pourront-elles jamais s'en délivrer
et éviter les dangers de tomber dans des péchés plus graves? Le vén.
P. Louis Dupont disait : J'ai commis beau-coup de péchés, mais je n'ai
jamais vécu en paix avec eux. Malheur aux religieuses qui en commet-tent,
qui les connaissent et vivent en paix avec eux! Tant qu'une religieuse,
dit St-Bernard, commet des fautes et qu'elle les déteste, il y a espoir
qu'elle se corrigera un jour et rentrera dans le bon chemin ; mais quand
elle les commet et les laisse en repos dans sofa âme sans en avoir horreur,
elle ira toujours mal-heureusement de mal en pire : Muscas morientes perdunt
suavitatem unguenti. ( Eccl. x. 1 ). Ces mouches qui meurent, dit ce saint
Chartreux, sont précisément ces fautes qui restent dans l'âme, c'est-à-dire
ces rancunes habituelles, ces attachements déréglés, ces • vanités,
ces gourmandises, ces regards ou ces paroles immodestes dont on se rend
coupable et que l'on ne déteste pas. Or , quel mal font-elles ? elles
font perdre la douceur de l'onguent, c'est-à-dire la fer-veur dans les
communions, dans l'oraison, dans les visites au St.-Sacrement, de sorte
que l'âme n'y trouve plus d'onction ni de consolation.
XII. De tels défatits habituels,
dit S.-Augustin : sont comme une lèpre ; ils enlèvent à l'âme toute
sa beauté et la rendent si hideuse qu'ils la privent des faveurs de son
divin époux : Sunt velut scabies etnoslrum decus ita exterminant ut à
sponsi amplexibus separent (Horn. ι. cap. 3.) De sorte que ne trouvant
plus dans ses exer-cices de dévotion ni nourriture ni enouragement
elle
88
ΙΑ RElIGIEtSE
les négligera et les abandonnera;
et, laissant les moyens de salut éternel, elle se perdra. Et quand même
elle ferait toujours les communions , les oraisons , les visites au S.-Saeiement,
elle n'en retirerait que peu ou point de fruit. En elle se vérifiera ce
que dit le S.-Esprit : Seminastis multam et intulistis parum.... et qui
mercedes congregavit misit eas in sacculum pertusum. ( Agg. i. 6. ) Telle
est le portrait de la religieuse tiède et imparfaite, elle met tous ses
exercices spirituels dans un sac troué, de sorte qu'il ne lui en reste
aucun mérite ; car, les faisant avec tant de défauts, elle s'ex-pose
de plus en plus à être châtiée et à être privée des secours abondants
que le Seigneur lui avait préparés,, si elle avait correspondu aux inspirations
reçues. Omni habenti dabitur ei abundabit : ei autem, qui non ha-bet,
et quod tidelur habere auferetur ab eo. (Matt. xm. 12.) Celui qui conserve,
par sa correspondance, les trésors de grâce que Dieu a versés sur lui,
obtiendra de nou-velles grâces et une plus grande gloire ; mais celui
qui fait un mauvais usage de son talent en le laissant oisif, et ne le
faisant pas valoir, Dieu le lui ôtera et le privera des grâces qu'il
avait préparées pour lui.
PRIERE.
Me voici, Seigneur : .le suis une
de ces âmes mal-heureuses qui méritais d'être abandonnée par vous,
dans la tiédeur où je vis depuis tant d'années, privée de votre lumière
et veuve de votre grâce. Mais je vois maintenant la lumière que vous
m'accordez; j'en-tends votre voix qui m'appelle à vous aimer; c'est là
une preuve que vous ne m'avez pas encore abandon-née ; et puisque
vous ne m'avez pas abandonnée
SAHCtlFlÉE.
89
après tanl d'ingratitude envers
vous, je veux désor-mais cesser d'être ingrate. Vous promettez de me
par-donner si je me repends des offenses que je vous ai faites ; oui, ô
mon Jésus, pardonnez-moi car je les déteste et les ai en horreur par-dessus
tout ; je vou-drais être morte avant de vous avoir déplu. Vous vou-lez
mon amour; je ne désire que de vous aimer. Je vous aime, ô bien suprême
! je vous aime, Dieu digne d'un amour infini! Seigneur augmentez cette
lumière et le désir que vous m'inspirez d'être toute à vous. Vous êtes
tout-puissant ; vous pouvez me changer, et de rebelle que je fus à vos
grâces, vous pouvez me rendre une amante de votre bonté. Telle je veux
être, Seigneur, et telle j'espère devenir, avec votre secours. Vous avez
promis d'exaucer celui qui vous prie: je ne vous demande que la grâce
d'être toute à vous et de n'aimer que vous. O mon Jésus, ô mon époux,
par les mérites de votre sang, faites vous aimer d'une pauvre pécheresse
que vous avez, tant aimée, et dont vousavez supporté l'ingratitude pendant
tant d'années avec une si grande patience. J'espère donc, avec une ferme
confiance , appuyée sur votre miséricorde, vous aimer de tout mon cœur
dans cette vie et dans l'autre, où je célébrerai éternellement les
miséricordes dont vous avez usé envers moi. Miseri-cordias Domini in
œternum cantabo. Ο Marie, ma mère! ces grâces, celle lumière, ces
désirs, cette bonne volonté que Dieu m'accorde sont l'effet des prières
que vous avez faites pour moi. Continuez à prier pour moi et ne cessez
de prier que lorsque vous me verrez toute à Jésus-Christ. Ainsi j'espère.
Ainsi soit-il.
90
LA RELIGIEUSE
CHAPITRE VI.
Suite du même sujet.
I. C'est surtout aux religieuses
qui pèchent par at-tachement à quelque passion à craindre la damna-tion
éternelle. 0 mon Dieu! que de religieuses, pour n'avoir pas voulu rompre
certains liens qui les atta-chaient au monde, ne se font pas saintes, et
mettent en grand danger leur salut éternel. Le seul but d'une religieuse,
dans ses exercices de piété , dans ses oraisons, ses communions, ses
lectures spirituelles et autres, doit être de vaincre ses passions, de
rompre les liens terrestres, enfin d'arracher tous les obstacles qui l'arrêtent
dans le chemin de la perfection. Elle doit donc demander à Dieu dans toutes
ses prières la grâce de se détacher de toutes les créatures et de dompter
tous ses appétits sensuels. Ainsi, elle doit s'appliquer à la mortification
des sens , surtout des yeux, de la bouche et de la langue ; ainsi, elle
doit étouffer toutes ses passions intérieures, c'est-à-dire l'estime
de soi-même, et l'amour des plaisirs. Ainsi elle doit combattre sa propre
volonté; elle doit finale-ment tâcher de faire toutes ces choses avec
aisance et avec joie ; elle trouvera toujours à corriger et à perfectionner.
Quelques âmes sont très-attentives à ne pas se priver d'une communion,
ni d'une oraison; mais en cela elles ne cherchent qu'une espèce d'ali-mentde
dévotion et une certaine sensibilité spirituelle, dont l'acquisition
fait l'obiet de toute leur application. De là vient qu'elles restent toujours
embarrassées dans les liens qui les tiennent attachées à la terre, qui
les empêchent d'avancer dans la spiritualité et qui les font aller ainsi
toujours de mal en pire.
8ASCTIF1ÉË.
91
II. II n'ést pas rare de voir beaucoup
de ces âmes finir par tomber dans la disgrâce de Dieu. Qu'on re-marque
bien ici que la ruse du démon, avec les âmes spirituelles, n'est pas
de les porter au commencement à commettre des péchés graves; il est
content si, pour la première fois, l'âme se laisse lier avec un cheveu
; car, dit S.-frrançois , s'il la chargeait tout d'abord d'une chaîne
d'esclave , elle en aurait horreur et s'enfuirait; mais comme cette malheureuse
veut bien se laisser lier avec un cheveu, le dëmon réussira plus tard,
à la lier avec un fil, ensuite avec une corde, et enfin il l'attachera
avec une chaîne de l'enfer , et la fera son esclave. Par exemple, une
religieuse est en désaccord avec une de ses sœurs et lui garde ran-cune,
c'est là le cheveu ; peu après elle ne lui parle plus, ne la salue plus,
c'est là le fil ; ensuite elle en dit du mal et l'insulte; c'est là la
corde; enfin à une seconde attaque, elle concevra contre sa compagne une
haine mortelle ; c'est là la chaîne qui la rendra l'esclave du démon.
De même qu'une religieuse éprouve une affection humaine pour une personne;
elle la couvrira d'abord du manteau de la reconnais-sance , après quoi
viendront les petits présens réci-proques ; puis les paroles affectueuses,
enfui la passion éclatera et la misérable se trouvera liée avec une
chaîne de mort: tel que le joueur qui, après avoir perdu beaucoup de
petites sommes, dit enfin : Va pour tout, et. perd tout ce qu'il possède;
ainsi il arrive à Une âme tiède, après avoir fait beaucoup de petites
pertes spirituelles, malade et trop faible pour résister aux tentations,
elle dit, vapour le reste, et perd Dieu et soi-même. Oh ! que le démon
prend d'empire sur nous quand il nous voit esclaves de quelque passion
! Tune maxiii'û insidiatur adversarius qiiotido viUet nobispas~
Q1
LA RELIGIEUSE
tionts aliquas generari,· tunc
fomites movet, laqueos parai. Ainsi parle S.-Ambroise ; Notre ennemi, dit-il,
épie quel est le plaisir qui nous flatte davantage ; il nous le met sour,
les yeux, excite notre concupiscence et par là il tend ses filets pour
nous prendre.
III. Quand nous apprenons
la perte d'une âme adonnée à la spiritualité, dit Cassien, n'allons
pas nous imaginer qu'elle a succombé à la première attaque, mais sachons
que d'abord elle est tombée en des péchés légers
et que ce n'est que plus tard qu'elle s'est précipitée dans les péchés
graves. S.-Jean Chrysos-tôme dit avoir connu plusieurs
personnes qui lui paraissaient ornées de toutes les vertus, mais qui,
pour n'avoir pas fait attention aux péchés véniels, sont tom-bées dans
un abîme de vices. La vén. sœur Anne de l'Incarnation vit une âme damnée
qu'elle et tout le monde croyait sainte ; cette âme avait une foule
de petits insectes sur la figure, c'étaient ses premières fautes qu'elle
avait négligées. Les uns disaient : Tu as commencé par nous; les autres
: Tu as continué par nous; d'autres enfin : Par nous tu fes perdue. C'est
ce qui faisait dire à la mère Marie Strada : Quand le démon ne peut
avoir beaucoup il se contente de peu, et puis avec ce peu, il obtient beaucoup.
Le serpent ne tenta pas Eve d'abord à manger du fruit défendu, mais seulement
à le regarder, puis il entra en discussion avec elle, il mit en doute
la menace de peine de mort, faite par le Seigneur, ot enfin il la fît
tomber. Ste-Thérèse dit que le démon se contente , au commencement,
que nous lui entrouvrions la porte de notre cœur, car il saura bien après
cela se la faire ouvrir tout-à-fait. S.-Jérôme l'avait dit
avant elle : Diabolus non pugnat citò contra aliquem per grandia vitia,
sed per pana, ut pos-sit (juqmodocumqnt intrare et dominari homini,
ut postea
SASCTIFIÉB.
g5
in majora vitio, eum impellat (Ep.
40.). L'ennetni ne nous pousse pas tout d'abord à des péchés graves,
mais à des légers, afin de pouvoir, de quelque manière, entrerdans notre
âmeet commencera la dominer,afin de l'entraîner ensuite à des péchés
plus graves. Per-sonne , dit également S.-Bernard, de bon qu'il était
ne devient tout-à-coup méchant ; on commence par de petits méfaits,
et ceux-ci nous mènent aux grands : Nemo repente fit turpissimus) d minimis
incipiunt qui in maxima proruunt (S.-Ber. de Ord< vitas). Une petite
étincelle que l'on n'a pas eu soin d'éteindre promptement, mettra le
feu à toute Une forêt ; Ecce quantas ignis magnam silvam incendit] (
Jac. HI. 5. ) C'est-à-dire qu'une passion non réprimée perdra in-failliblement
notre âme.
IV. 11 faut aussi bien remarquer
que lorsqu'une re-ligieuse tombe en péché mortel, sa chute la met en
grand danger d'être abandonnée de Dieu, car son péché ne sera pas comme
ceux des séculiers, qui pè-chent dans les ténèbres du monde, mais ce
sera un péché de malice, commis malgré les lumières reçues partant
de sermons, de communions, de méditations, d'exemples des ferventes religieuses,
d'avertissements des pères spirituels et des supérieures ; elle ne pourra
donc pas alléguer son ignorance ni sa faiblesse, après avoir reçu tant
de lumières et tant de secours pour cor-roborer son âme, si elle avait
voulu. Selon S.-Thomas le péché de malice est celui précisément que
l'on commet avec pleine connaissance de sa grièveté. C'est pour cela
que ces sortes de péchés portent avec eux notre ruine, car plus la lumière
accordée à notre âme aura été vive, plus notre aveuglement sera profond.
En outre, dit le docteur angélique, plus notre ingratitude est grande,
plus le péché est grave.
g4
ΙΑ RELIGIEUSE.
Que de grâces et de bienfaits Dieu
n'a-t-il pas ré-pandu sur une religieuse ? Il l'a tirée des dangers du
monde, il l'a admise dans sa maison, car tous les couvents sont les maisons
de Dieu ; il l'a séparée de la foule de ses servantes et la choisie pour
son épouse ; il l'a enrichie de ses lumières, de ses secours exté-rieurs
et intérieurs pour la rendre sainte; il s'est donné à elle tant de fois,
dans la sainte communion; il lui a souvent parlé familièrement dans ses
médita-tions, dans ses visites au St-Sacrement, dans ses lec-tures spirituelles;
enfin il la tirée du fond de la vallée pour la placer sur le sommet de
la montagne, et elle, malgré tout cela, lui a tourné le dos et est devenue
son ennemie. Malheureuse! sa chute ne sera pas une simple chute , mais
une ruine entière. Lorsqu'on tombe sur la plaine, on ne se fait pas grand
mal, mais lorqu'on tombe d'une montagne, ou se tue. Ruina quœ de allô
est, graviori casu colligitur, dit S.-Ambroise. Dieu nous dit la même
chose par la voix d'Ezéchiel : Posai U in monte sancto Dei et peccasti,
et eject te de monte Dei et perdidi te. (hzé. XXVIII. 14·) Ingrate, dira
Dieu à la reli-gieuse, je t'ai placée sur ma sainte montagne, et de là
tu t'es précipitée dans le péché; restes-y donc plon-gée, car ton
ingratitude m'a porté à te chasser de de-vant ma face. La grande servante
de Dieu, sœur Marie Strozzi, disait: Dieu veut que les personnes religieuses
soient le miroir de tout le monde. Etant appelées d une per-fection non
ordinaire, lorsqu'elles mènent une vie impar-faite, elles déshonorent
Dieu. Le péché d'une religieuse, ajoutait-elle, fait horreur au paradis
et oblige Dieu d lui tourner le dos, car il répudie l'épouse infidèle
qui rompt le» engagements qu'elle prit le jour de sa profession, et l'aban-donne
d la merci de ses passions déréglées. Oh! qu'il est
SANCTIFIÉE.
9&
rare qu'on se convertisse lorsqu'on
a d'abord goûté le service de Dieu qu'on l'a ensuite abandonné !
V. Revenons à notre sujet. Il faut
donc qu'une re-ligieuse craigne de se laisser prendre par le démon dans
les chaînes de quelque passion ou de quelque péché, si léger qu'il
soit ; qu'elle tremble, car la moindre attache peut être cause de sa perte.
Qui va â la recherche de choses perdues se perdra, disait Ste.-Thérèse
, et avec raison ; car, bien qu'elle n'eût jamais commis de faute grave,
cependant Dieu lui montra le lieu qui lui était préparé dans l'enfer,
si elle ne se débarrassait pas d'un attachement de pure amitié qu'elle
avait conçu pour un de ses parents. Quand l'oiseau est mis en pleine liberté,
il s'envole aussitôt; mais lorsqu'il est attaché, ne serait-ce que par
un léger fil, il saute elsautera tou-jours jusqu'à ce qu'il s'enfonce,
comme un vil cra-paud ? dans la fange. Une .religieuse qui est libre de
tout lien terrestre vole et s'élancera toujours vers Dieu ; mais tant
qu'elle est attachée par une affection mon-daine, elle ne pourra jamais
s'élever de terre et ira toujours de mal en pire, jusqu'à ce qu'elle
se soit per-due entièrement. Il faut donc se bien persuader que le salut
d'une religieuse dépend de la fuite des fautes, mêmes légères, surtout
si elles sont nombreuses et h a-bituelles; car tous ces petits ruisseaux
formeront une rivière où elle sera misérablement noyée. Ces défauts
continus, dont on ne tient pas compte, la feront tom-ber peu à peu dans
l'état de tiédeur dont le Seigneur parla ainsi à l'évêque de Sardes,
par la bouche de St.-Jean : Scio opera tua, quia neque frigidus, neque,
calidus (Αρ. ni. 15. ). C'est là l'état d'une religieuse tiède ; elle
n'ose pas entièrement tourner le dos à Dieu ; mais en attendant elle
ne tient pas compte des fautes légères, elle en commet chaque jour de
nouvelles ; ce .ne sont
φ
ΙΑ BElIGIEUSfi.
«fu'impatìences, mensonges, murmures,
gourman-dises, imprécations , haines couvées dans le cœur, affections
pour ses effets, amour de la grille, curio-sités, estime de soi-même,
attachement à sa propre Volonté ; et toutesces imperfections ne l'occupent
point ; elle ne songe pas même à s'en corriger. Utinam frigidus esses;
sed quia tepidus es , neque frigidus es, neque calidus, incipiam te evomere
ex ore meo. ( Apoc. ib.) Utinam fri-gidus esses, ajoute le Seigneur, c'est-à-dire
: II vaudrait mieux que tu fusses privée de ma grâce, car il y au-rait
plus d'espoir de guérir ; mais restant dans la tié-deur, tu es plus en
danger de te damner, car tu tom-beras facilement de la tiédeur dans quelque
péché mortel, et il y aura peu d'espérance d'en sortir.
VI. St.-Grégoire^ parlant d'un
pécheur non encore converti, dit qu'il n'est pas sans espérance; mais
par-lant d'une âme tiède, qui ne craint pas sa tiédeur, il en désespère
j^Tepor qui d fervore defecit in desperatione est. La raison qu'il en donne
se tire de ces paroles du Seigneur : Sed quia tepidus es incipiam te evomere;
mais parce que tu es tiède, je suis près de te vomir de ma bouche. Quand
une boisson est chaude ou froide on l'avale facilement; mais quand elle
est tiède, elle donne envie de vomir. Toute âme tiède est en danger
d'être vomie de Dieu, c'est-à-dire d'être abandonnée de la grâce.
C'est ce que signifie le mot vomir, inci-piam te ecomere, puisqu'on aurait
horreur de reprendre ce qu'on a vomi; et comment, demanderai-je, Dieu commence-t-il
à vomir une âme ? Il cessera de lui don-ner, comme auparavant, ces rayons
de foi vive, ces consolations spirituelles, ces saints désirs, ces tendres
invitations ; après quoi l'âme commencera, à son tour, à négliger
l'oraison, la communion, les visites du St,-Sacrement, les prières, ou
bien elle les fera
SANCTlFléE.
7
avec dégoût, ennui et distraction;
elle fera tout par force, avec dissipation, inquiétude et sans dévotion.
Voilà comment le Seigneur commencera à la vomir, et de la sorte, cette
malheureuse ne trouvant plus de soulagement dans ses exercices pieux, elle
les aban-donnera et finira par se laisser aller à des péchés gra-ves.
La tiédeur, en un mot, est une fièvre étique, que l'on connaît à peine,
mais qui conduit sans remède au tombeau. L'âme tombée dans la tiédeur
ne pense pas à se corriger de ses fautes, qui la rendent insen-sible aux
remords de conscience, et, un jour, elle se trouvera perdue sans s'en être
même doutée.
VII. Donc, dira la pauvre religieuse
qui est dans cet état de tiédeur, il n'y a plus d'espoir de salut pour
moi, puisque, comme vous le dites, il m'est presque impossible de sortir
de mes misères ? Mais écoutez ce que Jésus-Christ vous dit pour moi
: Quas impos-sibilia sunt apud homines, possibilia sunt aptd Deum. ( Luc.xvm.
27. ) Ce qui est impossible aux hommes n'est pas impossible à Dieu. Qui
prie et prend les moyens, obtient tout. Venons-en aux moyens. Si les péchés
sont involontaires et de pure faiblesse, ils ne portent pas, comme nous
l'avons dit plus haut, un jgrand dommage, pourvu que nous les détestions
avec humilité. 11 faut remarquer à propos des fautes que nous commettons
qu'il y a deux sortes d'humilité : une humilité sainte , qui vient de
Dieu et une autre, mauvaise, qui vient du diable. L'humilité sainte est
celle par laquelle l'âme connaît ses imperfections, se confond y s'anéantit
devant Dieu, s'en afflige et les déteste, mais avec paix intérieure ;
la vue de ses misè-res ne la décourage ni ne l'inquiète ; mais, pleine
de confiance en Dieu, elle tâche de redoubler de ferveur rai.
7
g8
LA RELIGIEUSE
pour compenser ses fautes par plus
de dévouement et d'oeuvres de piété. L'humilité mauvaise, au con-traire,
est celle qui bouleverse l'âme, la remplitd'in-quiétude et de découragement,
et la rend ainsi faible et incapable de faire le bien. Voici ce qu'en dit
Ste-Thérèse. ( Vie ch. 30 ) « La véritable humilité, quoi-que l'âme
se reconnaisse mauvaise , n'excite pas le trouble ni l'inquiétude dans
le cœur, mais elle le console, à la vérité elle l'afflige à cause
des fautes com-mises envers Dieu, mais d'un autre côté, elle dilate le
sentiment de la confiance en sa miséricorde. Un rayon de lumière porte
l'âme à se confondre elle-même, et à louer Dieu, qui l'a supportée
si long-temps; tandis que dans l'humilité inspirée par le démon, on
n'a au-cun rayon de lumière pour le bien. Il semble que Dieu mette tout
à feu et à sang. C'est là une des inventions les plus subtiles du malin
esprit, »
VIII. Dans cette espèce de faute
inévitable à la fai-blesse humaine, St.-Bernard dit que la crainte immo-dérée
est aussi coupable et aussi reprehensible que la négligence elle-même.
In hujusmodi quasi inevitabili-bus (culpis} et negligentia culpabilis est
,et titnor immode-ratus. ( Serai. 1. in Coenâ Dom. ) Nous devons donc
détester de telles fautes, mais nous ne devons jamais nous décourager
; parce que Dieu les pardonne facile-ment quand on les abhorre : Septies
cadit Justus et re-surget. ( Prov. xxiv. 16. ) Qui tombe par faiblesse
se relève facilement, cadit et murgei.St.-Françoisde Sales dit, que comme
les fautes quotidiennes se commet-tent sans délibération, elles s'expient
pour ainsi dire aussi sans délibération. St.-Thomas avait dit avant lui
qu'on les efface implicitement, eam aliquis ferventer movetur in Deum.
(III. P. Q. IXXXVH. a. 3. ) C'est-à-dire par les actes pieux d'amour,
de résignation, d'offrande
SANCTIFIEE.
gy
et autres que l'âme spirituelle
fait à Dieu. Le doc-teur angélique ajoute au même endroit que le Pater
noster, le Confiteor, se frapper la poitrine , la bénédiction de l'évêque,
l'eau bénite , les oraisons faites dans les églises consacrées, opèrent
aussi la ré-mission des péchés légers. Mais les moyens les plus efficaces
ce sont les sacremeus et particulièrement la sainte communion , dont St.-Bernardin
de Sienne a dit : Contingere potest, quod tanta, devotione mens per sum-tionem
sacramenti absorbeatur quod ab omnibus venialibus expurgetur ( Serm. iv.
art. 3. cap. 2. )
IX. Cela s'applique surtout aux
péchés involon-taires. Si ensuite, par malheur, il nous arrive de com-mettre
quelque péché véniel volontaire, mais rare-ment, il ne faut pas nous
décourager ni nous troubler. Tâchons de le réparer de suite, par notre
repentir et par la résolution de ne plus recommencer. Si nous y retombons
de nouveau renouvelons notre repentir et notre résolution, nous confiant
en Dieu qui, si nous continuons à faire ainsi, finira par nous délivrer
de ces chutes volontaires.St.-PhiUppe de Néri disait qu'on ne se fait
pas saint en un jour. Qui n'abandonne pas le chemin de la perfection, y
parviendra avec le temps, s'il ne se décourage pas. Dieu permet parfois
que nous commettions de telles fautes , pour nous faire connaître notre
faiblesse et même les crimes ou nous serions entraînés , s'il cessait
de nous aider. De telles fautes, quoique volontaires, mais cependant commises
rarement ne causent pas grand mal, ou au moins ne nous perdent pas. Mais
celles que l'on commet volon-tairement et souvent, quoique vénielles,
et surtout si on les commet avec quelque lien de passion, sans les détester
et sans songer à s'en corriger, peuvent nous entraîner à notre perte,
parce quelles supposenf
lOO
Ι·Α RELIGIEUSE
l'âme tombée dans cette tiédeur
dont ïi est si difficile de se tirer. Si une religieuse se trouve dans
ce malheu-reux état, voici les moyens qu'elle doit prendre pour en sortir.
X. Il faut 1" qu'elle ait
un véritable désir de s'en délivrer. Si ce désir lui manque elle doit
prier Dieu de le lui accorder,car il l'a promis -.Petite et accipietis.
2* Qu'elle tâche de connaître ses défauts et surtout son vice dominant;
par exemple, si elle a de l'estime pour ellemême, le désir de briller,
un ton arrogant, si elle fait son propre éloge, si elle se trouble en
recevant quelque humiliation , etc. ce sera une preuve que l'orgueil
domine en elle. Une autre est enflée d'a-mour propre , si elle se
désole à la moindre maladie, si elle s'impatiente du moindre dérangement,
si elle cherche à se bien nourrir et ne veut que les mets qui lui plaisent.
Celle-ci est dominée par la colère, si elle s'inquiète au moindre désagrément,
si elle s'en plaint et murmure. La paresse domine chez celle-là, si, pour
la moindre cause, elle cesse de prier et de fré-quenter la communion,
le chœur et ainsi du reste.
XI. 3° Quand la religieuse
connaît son vice domi-nant, elle doit prendre une ferme résolution de
s'en guérir radicalement et à tout prix. Percuties eas usque ad internecionem
( Deut. 72). Ste.-Thérèse disait : Le Seigneur n'exige de nous qu'une
rétotution ferme. Il se charge de tout le reste. La Sainte dit, dans un
autre en-droit, que le démon a peur des âmes déterminées et qu'il ne
craint pas celles qui n'ont que des résolutions inefficaces. Elle disait
aussi que le Seigneur prête ses secours à toute âme, quelque coupable
qu'elle soit, qui se consacré entièrement, et avec une véritable ré-solution
à son amour. Ce sont là les résolutions-qu'une
religieuse doit prendre dans ses oraisons. La
SANCTIFIÉE.
101
même Sainte disait : J'aimerais
mieux une prière courte qui produit de grands effets qu'une prière longue
où l'on ne prend aucune résolution fixe. A quoi servent en effet les
oraisons où nous nous contentons de produire quelques affections pieuses,
et certaines prières géné-rales que nous trouvons dans les livres, si
nous ne nous proposons pas fermement d'éviter toute faute qui peut nous
arrêter dans le chemin de la perfection,
XII. l\° Une des résolutions
les piu's nécessaires est celle de fuir les occasions de pécher. Le démon
se rit de toutes nos résolutions et de toutes nos promesses, si nous ne
fuyons pas les mauvaises occasions. On de-manda un jour à un démon, quel
était le sermon qui lui déplaisait davantage ; il répondit : celui sur
les mauvaises occasions. Que la religieuse cherche donc en elle-même quelle
est l'occasion qui cause ses pé-chés , si c'est une trop grande familiarité
avec telle ou telle personne du couvent ou du dehors; si ce sont tels
entretiens dans tel endroit, telles correspon-dances
de lettres, tels cadeaux et autres choses sem-blables.Ste.-Thérèse dit
que si notre âme ne s'éloigne pas des plaisirs du monde, elle ralentira
bientôt le pas dans la voie du Seigneur. Mai? si elle fuit les mauvaises
occasions, elle avancera vite dans l'amour de Dieu. Cette sainte nous donne
encore une autre règle ; elle dit que les religieuses ne doivent faire
part de leurs tentations qu'aux âmes qui aiment la perfection, parce que
si elles les confient à des âmes imparfaites elles se feront du tort,
à elles-mêmes et aux autres.
XIII. 5° La religieuse doit
surtout avoir soin de faire des actes de vertu opposés aux mauvais pen-chants
qui la tourmentent et l'entraînent au péché.
Jo2
ΙΑ BELICIEliSE
Par exemple : celle qui est portée
à l'orgueil doit «'humilier avec tout le monde et supporter en paix les
humiliations qu'elle reçoit. Celle qui a une incli-nation pour la gourmandise
doit s'abstenir de tout mets friand, et ainsi de suite. Cassien nous indique
aussi un moyen excellent, c'est de penser, dans l'o-raison , aux occasions
qui peuvent nous arriver , comme de recevoir quelqu'outrage , ou quelqu'in-justice
et de nous proposer de nous humilier et de nous résigner à la volonté
de Dieu. Combien ces dis-positions sont utiles ( excepté en matière de
pureté ) pour préparer notre âme à repousser les attaques qui nous
arriveront à l'improviste. C'estainsi que les Saints se sont trouvés
préparés à souffrir, avec joie et patience, les insultes, les railleries,
les coups et les injustices qui leur ont été prodigués.
XIV. 6° II est très-avantageux
aussi de faire l'exa-men particulier sur le vice qui nous domine, et de
nous imposer une pénitence, chaque fois que nousy retom-bons. Ne cessons
de le combattre que lorsque nous l'aurons terrassé, et disons avec David
: Persequar inimicos meos et comprehendam illos ,· et non convertar donec
deficiant ( P. xvii. 37. ). Je poursuivrai mes en-nemis et les atteindrai,
et je ne m'en retournerai point qu'ils ne soient entièrement défaits.
Du reste, après tout, quelques progrès que vous fassiez dans la vertu,
dit St.-Bernard, vous vous trompez si vous croyez que, vivant dans ce corps
mortel, vos vices sont morts; vous les réprimez pour quelque temps et
bientôt ils pullulent de nouveau : Quantumlibet in hoc corpore ma-nens
profeceris, erras, si vitia put as moriuaet non suppressa. ( Serm. 58 in
cant. ) Cassien nous prévient de veiller toujours pour empêcher le vice
de prendre pied chez nous; car fi nos soins diminuent, il reviendra et
dorai-
SANCTIFIÉE
Ιθ3
nera dans notre cœur avec bien
plus d'empire qu'au-paravant.
XV. Pour dompter nos vices, quels
qu'ils soient, il faut nous défier de nos forces et placer toute notre
confiance en Dieu , disant avec David : Non enim in arcii meo sperabo,
et gladius meus non salvabit me. ( Ps. XLHI. 7. ) Ce ne sera point dans
mon arc que je met-trai non espérance, et ce ne sera point mon épée
qui m e sauvera. Si nous nous confions dans nos résolu-tions , nous nous
perdrons indubitablement, il est donc nécessaire que nous priions toujours,
pourobte-nirles secours de Dieu, en lui disant sans cesse : Sei-gneur ayez
pitié de moi, mon Dieu secourez-moi. Dieu a promis de donner à ceux qui
demandent, et de se laisser trouver par ceux qui le cherchent. Petite et
accipietis , quœrite et invenietis. ( Luc. xi. 9. ) Mais, je le répète,
il faut toujours prier et ne cesser jamais de prier. Oportet semper orare
et non deficere. (Luc. xvm. 1. ) Lorsque nous cesserons de prier, nous
serons vaincus; si nous persévérons dans la prière avec le vif désir
d'obtenir la grâce, quand même nous ne vaincrions pas tout de suite,
cependant la victoire sera infailli-blement à nous.
PRIERE.
Ο mon Jésus ! oubliez les ingratitudes
dont j'ai payé vos bienfaits; ne vous rappelez que vos mérites et les
souffrances que vous avez supportées pour moi,depuis la crèche jusqu'à
la croix. Je me repends de tout mon cœur des peines que je vous ai causées
: dès aujour-d'hui je vous consacre ma vie ; qui ne sera employée autant
que je le pourrai qu'à vous serviret à vous aimer.
Ιθ4
ΙΑ BEtrGIEDSK
Je vous aime, ô mon Rédempteur
! mais trop faible-ment; augmentez en moi votre saint amour. Exaucez-moi
et accordez-moi la grâce de toujours vous adresser la même prière. Ο
amour de mon âme! que ne puis-je sentir mon cœur brûler sans cesse de
votre amour! Je vous aj beaucoup offensé ! A l'avenir je veux vous aimer
beaucoup et je ne veux aimer que vous, parce que vous seul êtes digne
d'être aimé par dessus toute chose. Je ne veux vous aimer que parce que
vous mé-ritez tout mon amour. Ο Marie, ma mère et mon es-pérance ,
secourez-moi I
CHAPITRE VII.
De la mortification intérieure
on du renoncement à son nmonr-propre.
I. Il y a deux espèces d'amour
propre; l'un est bon, et l'autre est mauvais.Le bon est celui par lequel
nous acquérons la vie éternelle, pour laquelle Dieu nous a créés. Le
mauvais est celui par lequel nous acquérons les biens de la terre , avec
danger pour l'âme et dégoût des choses de Dieu. St.-Augustin a dit :
Ceelestemckitatemœdificat amor Dei, us que ad contemp-tum sut; terrestrem
œdificat amor sut, usque ad contemp-tum Dei. ( 1. xiv. de Civ. ch. 28.
) La cité céleste est fermée par l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris
de nous-mêmes , la cité terrestre est fermée par l'a-mour-propre poussé
jusqu'au mépris de Dieu. C'est pour cela que Jésus-Christ a dit : Qui
vuli venire post me abneget semetipsum. ( St.-Matt. xvi. 24. ) La perfec-tion
d'une âme consiste à se renoncer elle-même. — Abneget semetipsum.
Qui ne se détache de soi-même ne
SANCTIFIEE.
pent suivre Jésus-Christ. Augmentum
caritatis, dit St.-Augustin, diminutio cupiditates, perfectio nulla cupiditas.
( Lib. Lxxxin. qu. 36. ) C'est-à-dire que moins une personne désire satisfaire
ses passions plus elle aime Dieu; si elle ne désire autre chose que Dieu,
alors elle l'aime parfaitement. Mais il est impossible, dans l'état présent
de la nature corrompue par le péché, d'être délivrés des atteintes
de l'amour-propre. Jésus-Christ, parmi les hommes, et Marie,parmi les
femmes, sont les seuls qui en aient été exempts ; d'ailleurs tous les
saints ont eu à combattre des passions désordonnées. Tout le soin d'une
religieuse doit être de réprimer les mou-vements de son amour-propre
; c'est la fonction de la mortification intérieure, comme dit St.-Augustin
: re-gere motus animi.
II. Malheur à l'âme qui
se laisse mener par ses propres inclinations ! Magis nocit domesticus hostis,
dit St.-Bernard. ( de anim. cap. 15. ) Le démon et le monde sont nos ennemis
; mais le pire de nos ennemis c'est l'amour-propre. Ste.-Madelaine de Pazzi
disait : L'amour-propre ronge l'âme comme le ver ronge la ra-cine des
plantes, de sorte qu'il les prive de fruits et de vie. ( Vie, 3e part.
1· n. ) Elle dit ailleurs : Le plus grand traître est l'amour propre
; comme Judas il nous trahit en nous baisant. Qui vainc l'amour propre,vainc
tout. Si l'on ne peut le tuer d'un seul coup, qu'on l'empoisonne.
Prions donc le Seigneur comme Sa-lomon : Animm irreverenti et infrunitae,
ne tradas me. (Ec. xxm. 6. ) Ο mon Dieu ! ne m'abandonnez pas à la merci
de mes folles passions, car elles me feraient perdre votre sainte crainte
et même la raison.
III. Notre vie doit être
une guerre continuelle. Mi-litia est vita hominis super terram. ( Job.
vu. 1. ) Celui
1θ6
LA RELIGIEUSE
qui est en face de l'ennemi doit
toujours tenir les armes en main pour se défendre ; car s'il cesse un
seul jour de se défendre, ce jour là il sera vaincu. Il faut de plus
faire attention que quelques victoires que remporte une âme sur ses passions,
elle ne doit ja-mais cesser de les combattre , car les passions humai-nes,
quoique terrassées souvent, ne meurent jamais. Credite mihi, dit S.-Bernard,
et putata repullulant et effugata redeunt. ( In Can. Serm. 58. ) Ces mauvaises
herbes de nos passions, quoique souvent fauchées, re-poussenttoujours;
quoique arrachées, elles reviennent encore : les combats que nous leur
livrons, les empê-chent seulement de nous violenter trop fréquemment
et avec trop de force, de sorte que nous pouvons les vaincre plus facilement.
Un moine alla se plaindre à l'abbé Théodore de ce que depuis huit ans
il luttait contre ses passions, et n'avait pas encore pu en éteindre le
feu. Théodore lui répondit : Ο mon frère, tu te plains d'une guerre
de huit ans , et moi qui en ai passé soixante dans la solitude, je n'ai
pas encore été un seul jour , eecempt de quelque attaque. Les passions
continueront à nous tourmenter, mais, dit St.-Çrégoire, aliud est has
bestias aspicere aliud intra cordis caveam tenere. ( Mor. 1. vi e. 16.
) Voir les bêtes féroces autour de nous et les entendre rugir n'est pas
la même chose que de les renfermer dans son sein et d'en avoir les entrailles
dévorées.
IY. Notre cœur est un jardin où
toujours croissent des plantes sauvages et venimeuses; il faut donc avoir
sans cesse en main la faucille de la mortification pour les couperet les
enlever; sans quoi notre âme devient un taillis de ronces et d'épines.
Vince teipsum. St.-Ignace répétait sans cesse ces mots et les prenait
pour sujet de ses entretiens familiers, avec ses religieux :
SANCTIFIÉE.
I07
domptez l'amour-propre, brisez vos
volontés. Il disait que parmi les personnes d'oraisons il en est peu qui
se fassent saintes parce qu'elles ne triomphent pas d'elles-mêmes : Sur
cent personnes d'oraisons, ce sont ses paro-les , plus de quatre-vingt-dix
ne réussissent pas. Aussi, faisait-il plus de cas d'un acte de mortification
de la volonté que de plusieurs heures de consolations spiri-tuelles. Gilbert
dit : Quid proficit, clausos esse aditus, si in intus hostis fames cuncta
contristat? ( Serm. 26. in Can. ) A quoi sert-il de tenir les portes d'une
place fermées si l'ennemi intérieur, c'est-à-dire la faim, la dévore
? C'est-à-dire : A quoi sert de mortifier les sens et de faire d'autres
œuvres de dévotion si l'on garde dans son cœur cette passion, cette
affection à sa pro-pre volonté, cette estime de soi-même, celte ambi-tion,
ces tancunes, ou tout autre ennemi qui le ra-vage?
V. St.-François de Borgia
disait que l'oraison fait pénétrer dans nos cœurs l'amour de Dieu ;
mais la mortification prépare la place à l'amour, en enlevant la terre
qui l'empêcherait d'entrer. Il faut ôter la teri-e qui est dans le vase,
pour aller puiser l'eau à la fon-taine , sans quoi, au lieu d'eau on n'aura
que de la fange. Le P. Alvarès nous donne à ce sujet une sen-tence bien
remarquable : L'oraison sans mortification ett ou une illusion ou dure
peu. St.-Ignace disait qu'une âme mortifiée approche plus de Dieu, en
quelques mi-nutes d'oraison, qu'une âme immortifiée eu plusieurs heures.
Et entendant louer une personne de ce qu'elle faisait beaucoup d'oraisons,
il disait c'est signe qu'elle sera d'une grande mortification.
VI. 11 y a des religieuses
qui font beaucoup d'orai-sons, de communions, de jeûnes et autres pénitences
corporelles; mais qui négligent de réprimer certaines
1θ8
Ii RELIGIEUSE
petites passions telles que quelques
ressentimens, des aversions , la curiosité, les affections dangereuses
; elles ne savent pas supporter la moindre contrariété ni se détacher
de certaines personnes et soumettre leur volonté à l'obéissance et à
la volonté de Dieu. Quels progrès peuvent-elles faire dans la perfection?
Ces mal-heureuses seront toujours aussi imparfaites et toujours hors dubon
chemin ? Bene currunt sedextra viam, dit S.-Augue tin. Elles croient bien
courir, en continuant leurs exercices pieux, mais elles se trouvèrent
toujours hors de la voie de la perfection qui consiste à nous vaincre
nous-mêmes. Tantum pro fides quantum tibi vim intuleris, dit Thomas à
Kempis; plus tu te feras violence plus ta profiteras. Je ne blâme pas
les oraisons voeales, ni les pénitences, ni les autres exercices spirituels
; mais nous devons par leur moyen tâcher de vaincre nos passions, car
tous les exercices de piété ne tendent qu'à nous faire pratiquer la
vertu, de sorte que dans les communions, les méditations, les visites
au St.-Sacre-ment, etc., nous devons toujours prier le Seigneur de nous
donner la force d'être humbles, mortifiés, obéis-sans et conformes à
sa sainte volonté. Faire tout cela pour sa propre satisfaction est un
défaut dans un chrétien , mais c'en est un bien plus grand pour une religieuse
qui fait profession particulière de perfection et de mortification. Deus,
dit Lactance, vocat ad vitam per laborem , dœmon ad mortem per delicias
( lib. vi. de Prov. e. 18. ) Dieu nous appelle à la vie éternelle par
la voie de la miséricorde : le démon au contraire nous entraîne à notre
perte par nos propres satisfactions.
VII. Même les choses saintes doivent
être entre-prises avec un esprit qui en soit détaché, de sorte que nos
projets ne réussissant pas, ou leur exécution nous étant défendue par
l'obéissance, nous les aban-
SAHCT1FIÉE.
JO9
donnions volontiers et sans inquiétude.
Tout attache-ment à nous-mêmes empêche l'union parfaite avec Dieu. Nous
devons être tout cœur et aveo une ferme résolution , lorsque nous voulons
combatre nos pas-sions et les empêcher de nous tourmenter. Ainsi la mortification
intérieure et extérieure est nécessaire à la perfection ; mais avec
cette différence que la morti-fication extérieure, doit êlre exercée
aveo modération, tandis que l'intérieure doit être pratiquée aveo zèle
et sans relâche. A quoi sert de mortifier le corps, si nous ne mortifions
nos passions? Quid prodest, dit S.-Jé-rôme , ienuari abstinentiâ si
animus superbia intumescit ? Quid vinum non bibere et odio inebriari. (Ep.
ad Letau.) A quoi sert d'être exténué par le jeûne e t bouffi d'orgueil,
sans pouvoir supporter le mépris ou le moindre refus? A quoi sert de s'abstenir
du vin et puis d'être plein de b aine et de colère, à la moindre parole,
à la moindre contradiction ? St.-Bernard plaint ces moines qui vê-tent
humblement leurs corps etnourrissent au-dedans leurs passions ? Ils ne
se dépouillent pas de leurs vices, disait-il, au contraire ils les couvrent
du manteau de la pénitence.
VITI. En mortifiant notre amour-propre
nous pou-vons devenir saints en peu de temps, sans crainte de nuire à
notre santé, ou de nous enorgueillir, car Dieu seul est témoin des actes
intérieurs. Si nous étouffons à leur naissance cette foule de désirs
, d'attache-ments, de curiosités, de plaisanteries, etc. Ohï que nous
recueillerons une abondante moisson de mérite* et de vertus! Quand on
vous contrarie sur un point , cédez volontiers, pourvu «ependant que
la gloire de Dieu n'y perde rien. Faites un sacrifice à Jésus-Christ
de cette vaine estime de vous-même. Recevez-vous une lettre? réprimez
l'impatience de l'ouvrir et ne l'ou-
110
ΙΑ RELIGIEUSE
vree que quelque temps après. Désirez-vous
lire dans un livre la fin d'un fait intéressant ? réservez-le pour une
autre fois. Avez-vous envie de dire une plaisan-terie, de cueillir une
fleur, de regarder un objet? privez-vous de ce plaisir p.our l'amour de
Jésus-Christ. On peut faire mille actes de ce genre par jour. Le P. Léonard
de Port-Maurice rapporte qu'une servante de Dieu, en avalant un œuf fit
huit actes de mortifica-tion , et qu'ensuite Dieu lui révéla que cela
lui avait, valu huit degrés de grâce et huit de gloire. On dit aussi
de St.-Dosithée, que, par de telles mortifications intérieures, il parvint
en peu de temps à une haute perfection. Ce jeune homme étant malade ne
pouvait ni jeûner ni pratiquer les autres exercices de la com-munauté,
de sorte que les autres moines, étonnés de le voir si avancé dans l'union
avec Dieu, lui demandèrent un jour quel exercice de vertu il faisait ;
il répondit que l'exercice auquel il s'appliquait le plus était de morti-fier
toutes ses volontés.
IX. Le B. Joseph Calasanze disait
: La journée que l'on passe sans se mortifier est une journée perdue.
Jésus-Christ, pour nous apprendre combien la mortification est nécessaire,
choisit une vie toute mortifiée, dé-pourvue de tout soulagement sensible,
et pleine de peine et d'ignominie. Isaïe l'a appelé avec raisou l'homme
de douleurs. Virum dolorum. Notre Sauveur„ pouvait racheter les hommes
au milieu des honneurs et des délices, mais il voulut les racheter au
milieu des douleurs et des mépris. Proposito sibi gaudio susti-.nuit crucem.
( Héb. xii. 2. ) On lui proposa les jouis-sances, il les refusa pour nous
donner l'exemple et embrassa la croix. Volve et revolve vitam Jesu, dit
St.-Ber-nard, semper eum invenies in cruce. Feuilletez sans cesse la vie
de Jésus-Christ, vous le trouverez toujours à
SANCTI FIÉE.
I 1 I
souffrir sur la croix. Il révéla
à Ste.-Catherine de Boulogne que, dès le sein de sa mère, il a commencé
à souffrir les douleurs de la passion. Il choisit pour naître la saison
la plus rude de l'année, et le lieu le plus misérable. Il passa une vie
obscure, pauvre et méprisée; il mourut de la mort la plus pénible, la
plus ignominieuse, la plus triste. Ste.-Catherine de Sienne disait que,
de même qu'une mère prend une médecine amère pour guérir l'enfant
qu'elle nourrit, ainsi Jésus-Christ but le calice de toutes les douleurs
pour nous guérir de nos maux.
X. Jésus-Christ nous apprend qu'il
s'en va à la col-line de la myrrhe, c'est-à-dire de l'amertume et des
souffrances. Vadam ad montem myrrfue ( Cant. IT. 6. ). Il nous engage
à l'y suivre , si nous l'aimons. Verus ad crucifixum? dit St.-Pierre Damien,crucifixus
venies, aut crucifigendum. (Serm. 1. de exalt. S.-Cruc. ) Ο reli-gieuse
! pour aller embrasser le crucifix, il faut que vous soyez crucifiée ou
prête à l'être. Jésus parlant lui-même des vierges, ses épouses,
dit à la B. Baptiste Varani ; L'époux crucifié, veut que son épouse
soit crucifiée. Il faut donc que les religieuses,pour être ses véritables
épouses, vivent toujours mortifiées et crucifiées. Sem-per mortificationem
Jesu in corpore nostro circumferentes. ( II, Cor. rv. 10. ) C'est-à-dire
que dans toutes leurs actions elles ne doivent jamais chercher à se satisfaire,
mais seulement à plaire à Jésus-Christ, mortifiant pour son amour tous
leurs désirs. Qui sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cum vitiis et
concupiscentiis suis. ( Gal. ν. 24· ) Les. épouses du Rédempteur doivent
te-nir attachées à la croix toutes leurs passions, ou bien il ne les
avouera jamais en cette qualité d'épouses.
XI. Venons maintenant
à la pratique et voyons quelles sont les règles à suivre pour arriver
àla mor-
lia
tX RELIGIEUSE
tification iatérieure. La première
règle, c'est de savoir quelle est notre passion dominante qui nous fait
tom-ber dans quelques défauts, et de chercher àla vaincre. St.-Grégoire
dit que, pour vaincre le démon, nous de-vons nous servir des mêmes artifices
dont il se sert pour nous vaincre. Il s'efforce d'allumer toujours
davantage en nous la passion, où nous sommes en-clins; de notre côté,
nous devons mettre tous nos soins à l'éteindre, cette passion.Qui dompte
sa passion do-minante, domptera facilement les autres; mais si nous
nous laissons gouverner par cette passion, nous ne pouvons jamais avancer
dans la perfection. Quid prosunt aquilœ olœ caplo pede"ï dit St.-Efrem;
à quoi ser-vent à un aigle ses grandes ailes, si ses pattes sont liées?
Oh! combien de religieuses qui pourraient vo-ler dans la voie de Dieu aussi
haut que l'aigle royal, et qui, étant liées par quelque attache terrestre,
ne peu-vent avancer dans la perfection. St.-Jean de la Croix dit que le
moindre fil suffit ponr empêcher une âme de s'élancer vers Dieu. En
outre, et ceci est pire, ceux qui se laissent dominer par leurs passions,
non-seule-ment ne font pas de progrès dans la spiritualité, mais encore
ils se mettent en grand danger de se perdre. Il faut donc qu'une religieuse
tâche de détruire la passion à laquelle elle se sent le
plus portée; sans cela, ses autres mortifications ne lui seront
d'aucun profit. L'une, par exemple, n'est pas avide d'argent, mais elle
est jalouse de sa propre estime ; si elle ne tâche pas de se contenir,
lorsqu'elle est insultée, le mépris des richesses lui sera peu utile.
Une autre, au contraire, n'est pas jalouse de l'estime, mais elle est avide
d'argent; si elle ne cherche à étouffer cette passion, sa patience
dans les outrages lui portera peu de profit.
SANCTIFIÉE.
Il3
XÎI. Déterminez-vous donc,ô sœur
chérie de Dieu, à combattre, avec une ferme résolution, la passion qui
vous domine ;une volonté bien déterminée et aidée de Dieu, qui ne nous
abandonne jamais, triomphe de tout. St.-François deSalesétait très-colère;
maisàforcede se faire violence il devint un modèle de douceur et de bonté,
comme nous le lisons dans sa vie, lorsque Dieu permit, dans.tant de circonstances,
qu'ilfût insulté et maltraité. Quand nous aurons terrassé une de nos
passions, tâ-chons de terrasser l'autre, car une seule qui resterait dans
notre cœur suffirait pour nous perdre. Joseph Calasanze disait : Si une
seule passion survit dans ton cœur après avoir détruit les autres, tu
seras tou-jours malheureux. St.-Cirille dit : Navis quantumcum-que intégra,
nihil prodest si parvum fundo foramen relin-quat. { Apud. St.-Aug. Ep.
206. ) Si un navire bien achevé et bien fort a un seul petit trou
dans le flanc , il fera naufrage. St.-Augustin a dit : Calca jacentem
conflige cum resistente. ( In cap. vin. Rom. ) Si tu as abattu une passion,
foule-la aux pieds, écrase-la et va combattre celles qui restent.
Désirez-vtius devenir sainte? Priez Votre supérieure et votre directeur
de vous guider par la voie qu'ils jugeront la meilleure. Dites-leur de
ne vous épargner aucune sorte d'épreuves, de contrarier tontes vos volontés,
lorsqu'ils le jugeront utile pour vous. Volonté droite, volonté parfaite,
dit le Cardinal Petrucci. Ste.-Thérèse raconte que son con-fesseur s'attachait
surtout à contredire ses désirs; elle ajoute que ce fut celui qui fut
le plus utile à son âme. Le démon , dit-elle , me tenta plusieurs
foiVde le quitter, mais dès que j'adhérais à sa proposition j'en éprouvais
des remords plus cruels que ce que m'im-posait mon confesseur.
XÏII. La secondé règle, c'est
de résister aux pals-vin. '
8
1 I 4
LA RELIGIEUSE
sions et de les déraciner, avant
qu'elles soient bien hautes, sans quoi elles prennent une croissance ra-pide,
et il n'est plus possible de les détruire. Ne cupi-ditas robur accipiat,
campanula est, allide illam, dit S .-Au-gustin.(In ps. 136.)Par exemple
vous vous sentez l'en-vie de répondre par une parole de colère, ou de
regar-der une personne agréable; il faut résister , tout d'abord, sans
quoi, dit S.-Efrem, une petite plaie com-mence à s'ouvrir, et bientôt
devient un ulcère in-curable. Nisi citius passiones sustuleris ulcus officiunt.
(S. Eph. de Perf. ). C'est ce que nous apprend un an-cien moine, dont parle
S.~Dorothée. (Serm. 11.). Il ordonna à un deses disciples d'arracher
de terre un petit cyprès et aussitôt il l'arracha. Il lui ordonna en-suite
d'en arracher un autre un peu plus grand.il fallut que le disciple y employât
toutes ses forces. En-fin il lui ordonna d'en arracher un autre qui avait
de profondes racines ; mais le disciple se fatigua beau-coup et ne put
le déraciner. Le moine lui dit alors : Sachez que telles sont nos passions
; autant il est fa-cile de les arracher dans leur jeunesse, autant il est
difficile d'en venir à bout, quand elles ont pris force et établi les
mauvaises habitudes. L'expérience en sert de preuve. Par exemple, qu'une
religieuse reçoive un affront ; elle ne peut s'empêcher d'un mouvement
de colère ; si elle éteint cette étincelle et en fait le sacri-fice
à Dieu, le feu finira et elle en aura le mérite sans en être blessée
; mais si elle cède à ce mouvement et y réfléchit long-tems, cette
étincelle deviendra avec le tems une incendie de haine. Un autre religieuse
sent naître dans son cœur une affection pour une per-sonne. Si d'abord
elle s'en éloigne, cette affection s'é-vanouira , mais si elle suit son
penchant elle devien-dra bientôt coupable et tombera en péché mortel.
Il
SANCTIFIÉE.
I I 5
faut donc avoir grand soin de ne
pas donner à manger aux bêtes féroces qui nous dévoreraient.
XIV. La troisième règle est, comme
dit Cassien , de faire changer d'objet à nos passions, afin que de vicieuses
et nuisibles elles deviennent saintes ot salu-taires. Par exemple : Une
religieuse a du penchant pour les personnes qui viennent la voir, qu'elle
change d'objet et qu'elle tourne cette passion à l'amour de Dieu, qui
est infiniment aimable et qui l'aime plus que tout le monde. Une autre
est portée à s'irriter contre ceux qui la contrarient, qu'elle tourne
cette colère contre ses péchés qui lui font plus de mal que tous les
démons de l'enfer. Une troisième cherche à acquérir des honneurs ou
des biens temporels, qu'elle prenne pour but de ses désirs les biens et
les hon-neurs du paradis. Mais à cet effet, il faut souvent mé-diter
les vérités de la foi, lire des livres spirituels : considérer souvent
les maximes éternelles et s'en graver dans la mémoire quelques-unes qui
sont fonda-mentales dans la vie spirituelle ; par exemple : tRien ne mérite
d'être aimé excepté Dieu : Le péché est le seul mal que nous devons
haïr. Tout ce que Dieu veut est bien. Tout finit ici-bas. Il vaut mieux
ramasser une paille avec la volonté de Dieu que de convertir le monde
entier sans la volonté de Dieu . Il faut faire ce que nous voudrions avoir
fait d la mort. Il faut vivre sur la terre comme s'il n'y avait que nout
et Dieu. » Quand l'âme est bien nourrie de maximes saintes, elle est
peu troublée par les choses du monde et se trouve très-forte pour résister
aux mauvais penchants. Ainsi ont fait les Saints, et quand les occasions
sont venues, elles les ont trouvés insen-sibles aux biens et aux maux
de la terre. Pour se vaincre soi-même et ne pas se laisser dominer par
ses passions, il faut toujours prier et demander à Dieu le
1 iB
LA
secours de sa grâce. Qui prie,
obtient. Omnis qui petit, accipit. ( Huc. χι. 12. ) Prions surtout le
Seigneur de nous donner son saint amour; rien n'est difficile à ce-lui
qui aime Dieu. Les raisons et les considérations sont utiles pour nous
porter à la pratique de la vertu ; mais une seule étincelle d'amour pour
Dieu vaut mieux que mille raisons et niilie considérations pour nous faire
faire ce qui peut lui être agréable. Pour agit à force de raisons, il
faut fatigue et violence, mais qui aime, n'a pas de peine à faire ce qui
plaît à celui qu'il aime- Qui amat non laborat.
PRIÈRE.
Mon Die'i,avec tantde secours,que
j'aireçusdevous, avec tant de communions, tant de sermons , tant de bons
exemples de mes sœurs, tant d'inspirations inté-rieures, tant d'invitations
de votre part, je devrais être maintenant toute feu d'amour pour vous,
et ce-pendant je me vois toujours aussi imparfaite et aussi misérable
qu'auparavant. Ce n'est pas votre faute, mais bien la mienne , et parce
que j'ai mis obstacle à votre grâce et que je me suis attachée à mes
passions. Ma vie, loin de vous honorer, vous a déshonoré, mon Jésus,
car on a vu en moi une dé vos épouses atta-chée au monde et à elle-même.
Vous m'avez tirée du monde , et j'ai aimé le monde plus que les séculiers.
Seigneur,ayez pitié de moi, ne m'abandonnez pas , je veux tne corriger.
Je me repends de tout mon cœur de toutes les fois que, pour me satisfaire,
je vous ai causé du déplaisir, à vous qui êtes mon souverain bien.
Je veux commencer à vous aimer véritablement, et je veux commencer aujourd'hui.
C'est assez avoir mi
SATJCTIFIÉE.
II7
votre patience à l'épreuve ; maintenant
je vous aime de toute mon âme. Dorénavant vous êtes et vous serez toujours
l'unique objet de mon amour. Je veux tout quitter et tout faire pour vous
être agréable. Dites ce que vous exigez de moi et donnez-moi votre grâce
pour l'exécuter, car je veux vous plaire ; ne permettez pas que je sois
ingrate aux preuves d'amour que vous m'avez données, et dont vous m'avez
comme enchaî-jpée , pour m'obliger à vous aimer. Je consens à être
privée de toute consolation terrestre, et à embrasser toutes les croix
que vous voudrez m'cnvoyer. Disposez de moi comme il vous plaira. Je veux
et espère être toute à vous, et toujours à vous. Je ne veux que vous
seul, ô mon Jésus! et rien que vous seul. Ο Marie, ma bonne mère! priez
votre fils de m'exaucer, puisque votre fils n'a rien à vous refuser.
S· i-
Du détachement de sa propre volonté.
I. Rien n'est plus nuisible aux
religieuses qui ont consacré leur volonté à Jésus-Christ, que de se
régler
d'après cette propre volonté et selon leurs inclina-tions. C'est pour
cela que toutes les religions se sont prémunies contre cette ennemie de
la vie spirituelle , ( je veux parler de la propre volonté ) en faisant
le vœu d'obéissance. Personne ne peut nous séparer de Dieu, ni tous
les hommes de la terre, ni tous les:dé-mons de l'enfer, il n'y a que notre
propre volonté. Cesset prcpria voluntas, dit St.-Bernard, et infernus
non erit ( De ord. ■ Vit. ) Faites que les hommes n'aient plus de volonté
propre et il n'y aura plus d'enfer. C'est la volonté propre qui déjruit
toutes les vertus, lies-
1 1 8
LÀ RELIGIEUSE
tructrix .magna virtutum. Ainsi
l'appelle St.-Pierre Da-mien. St.-Anselme a dit aussi que la volonté de
Dieu est la source d'où découlent tous les biens, aussi la volonté de
l'homme est la source de tous les péchés. Voluntas Dei font totiui boni;
voluntas hominis fons totius maii. Où peut-il espérer d'atteindre celui
qui se met sous la direction d'un maître privé du bon sensf Tel est notre
propre vouloir. St.-Bérnarddit : Qui se sibi magis-trum constituit stulto
se discipulum subdit. Qui se fait le maître de soi-même et suit son amour-propre,
se sou-met à l'obéissance d'un fou. St.-Antonin abbé, disait que notre
amour-propre est un vin qui nous enivre et nous empêche de connaître
la beauté de la vertu et la laideur des vices.
II. St.-Augustin dit que le démon,
n'est démon que par sa volonté propre. Diabolus propria voluntate foetus
diabolus invenitur. Les démons se servent de cette vo-lonté propre pour
perdre les religieux. Cassien rap-porte que le saint abbé Achille, étant
interrogé par ses disciples qui voulaient savoir ayee quelles armes les
démons combattent contre les religieux, il leur ré-pondit que les démons
se servent de l'orgueil contre les grands du monde, de l'avarice
contre les mar-chands , de l'intempérance contre les jeunes gens, mais
contre les religieux, les armes qu'ils employent le plus souvent, ce sont
leurs propres volontés. C'est avec elles qu'ils les attaquent, c'est avec
elles qu'ils les renversent. L'abbé Pasteur disait encore, comme nous
l'apprend Rufnn : Non pugnant dœmones nobiscum quando voluntates nostras
facimus, quia voluntates nostra dmmones faciœ sunt. (Apud. Ruf. Lib. S.
) Quand nous faisons nos propres volontés, les démons cessent de nous
assaillir, parce que nos volontés deviennent elles-mêmes des démons
pires que ceux de l'enfer. S-Jean
SANCTIFIEE.
11 g
Climaque exprime la même idée
: Qui sibi dux essevult. iprito duce proprio, non jam indiget dcemone tentante,
quia ipse demon factus est sibi. ( Gere, de Vis. Cap. 3. ) Le religieux
qui au lieu d'obéir , dédaigne la direction de son supérieur et veut
se servir de guide à lui-même , n'a pas besoin que le démon le tente,
car il devient lui-même son démon.
III. C'est pourquoi le St.-Esprit
nous donne cet avertissement : Post concupiscentias tuas non eas et d vo-luntate
tuâ avertere. ( Ecc. xvm. 30.) Ne satisfais pas tes désirs et évite
toujours de suivre la volonté. Ces paroles s'adressent surtout aux religieux
qui ont con-sacré leur volonté và Dieu en promettant l'obéissance aux
règles et à leurs supérieurs. Dieu doit être l'uni-que objet de l'amour
des religieux, et l'obéissance est le seul moyen d'avoir cet amour. Le
plus grand mérite des actions d'un religieux, c'est d'être faites par
obéis-sance. Ste.-Catherine de Cardone qui quitta la cour d'Espagne pour
aller se cacher dans un désert où elle vécut, pendant plusieurs années,
dans la pratique r".e rudes pénitences, dont la simple lecture fait frémir,
ayant vu un jour un frère carme déchaussé qui traî-nait un fagot de
bois, et connaissant, par une lumière divine, que ce travail, à cause
de son grand âge, lui déplaisait et qu'il s'en plaignait intérieurement,
lui dit pour l'encourager : Mon frère, portez ce bois avec joie, et apprenez
que vous méritez plus par ce trait d'obéissance,, que moi par toutes
mes pénitences. Le plus grand défaut des actions d'une religieuse, est
d'être faites d'après sa propre volonté. Tritème a dit que le démon
n'abhorre rien tant que l'exercice de l'obéissance : Nihil est quod diabolus
plus oderit quam obedientiam. (In prol. Reg. S.-Bon. ) Ste-Thérèse di-sait
: Le démon gait que l'obéissance est le remède à
120
ΙΑ RELIGIEUSE
tous les maux de notre âme, voilà
pourquoi il fait tout au monde pour nous en priver. Tandis que St.-Fran-çois
de Sales méditait le plan des règles pour les reli-gieuses de la Visitation
, quelqu'un lui dit qu'il de-vait les faire marcher nu pieds : mais le
Saint répon-dit : -Yous voulez commencer par les pieds, et moi je veux
commencer par la tête. St.-Philippe de Néri répé-tait souvent à ses
pénitens que la sainteté consiste dans quatre doigts du front, c'est-à-dire
à mortifier sa propre volonté. S.-Jérôme a dit : Tantum adjicies quantam
substraxeris propria voluntati. Tu ajouteras à ta vertu tout ce que tu
auras ôté à ta volonté. Que de prêtres, que de curés et d'évéques
même, quoique menant une vie exemplaire dans le monde, sont entrés en
religion, dans le seul but de vivre sous l'obéissance, sachant qu'ils
ne pourraient faire à Dieu de sacrifice plus agréable que celui de leur
volonté, en la soumet-tant à celle d'un supérieur.
IV. Heureuse la religieuse qui pourrait
dire en mourant comme l'abbé Jean, je n'ai jamais fait ma vo-lonté. Ste-Madeleine
de Pazzi, disait que le seul moyen de faire une douce mort, c'est de se
laisser humble-ment guider par ses supérieurs. Car, dit Cassien, les religieuses
doivent avoir pour but principal, de prati-quer leurs volontés. Finis
cœnobitœ est omnes suas volun-tates crucifigere. De sorte que la religieuse
qui ne tra-vaille pas à cela, n'est plus religieuse, elle est sacri-lège.
Quel plus grand sacrilège en effet que de repren-dre à Dieu la volonté
qu'on lui avait donnée? Ainsi parle St.-Bernard : Nullum sacrilegii crimen
deterius est, quam in voluntate Deo semel oblata reaccipere potestatem.
L'Esprit-Saint à dit, parla bouche de Samuel, que c'é-tait une espèce
d'idolâtrie de suivre sa propre volonté contre celle de l'obéissance.
Quasi peccatum ariolandi
8AHCTJF1ÉE.
121
est repugnare et quasi scelus idololalvice
nolle acquiescere. ( ι Reg. 15.) S.-Grégoire applique ces mots en particu-lier
aux religieux désobéissants -: Quasi ergo peccatum ariolandiest repugnare
; quia cordis suisuperbi ad invtntioni-bus credunt et prœlatorum consiliis
refragantur. ( S.-Grég. in loc. cit. ) Les religieux qui suivent la volonté
de leur amour propre et désobéissent aux conseils de leurs supérieurs,
commettent presqu'un péché d'idolâtrie, car alors ils adorent pour ainsi
dire leur volonté comme un Dieu. St.-Basile ordonna que tout moine , attaché
à sa volonté propre, fût séparé de la commu-nauté comme un lépreux,
parce que ses mauvais exemples infectaient les autres.
V. La bienheureuse Colette disait
qu'il est plus mé-ritoire de réprimer sa propre volonté que d'abandon-ner
toutes les richesses de la terre. Cela doit s'appli-quer non-seulement
aux choses défectueuses ou indif-férentes , mais même aux exercices
qui ont une ap-parence de vertu; par exemple aux pénitences, aux oraisons,
aux aumônes efautres semblables , si on les pratiquait contre l'obéissance.
Cassien dit que déso-béir à ses supérieurs , pour faire des choses
saintes en suivant sa propre volonté, est ordinairement fort nui-sible
, parce que l'habitude des actions vicieuses, faites avec une apparence
de vertu, se corrige plus difficile-ment : A remediis longiora sunt vitia
quas subside virtu-tum videntur emergere. ( Cass. col. IY. cap. 20. ) Ces
religieuses qui veulent se faire saintes selon leur ma-nière de voir,
sont ces âmes dont parle Tsaïe, quand il dit qu'au jour du jugement,
elles diront à Jésus-Christ : Quare jejunavimus et non aspexisti? ( ινιΐΐ.
3. ) Seigneur, nous avons jeune et fait pénitence, et vous ne nous en
tenez pas compte. Jésus leur répondra
123
LA BELJGIEUSE
qu'il ne leur doit pas de récompense
pour de telles œuvres, parce qu'elles les ont faites, non pour se con-former
à la volonté de Dieu, ma is par caprice. Ecce in die jejunii vestri invenitur
voluntas vestra. Oh ! dit St.-Bérnard, que la propre volonté est pernicieuse,
puis-que les plus belles actions, lorsqu'elles sont faites con-tre l'obéissance,
deviennent mauvaises et défectueu-ses ! Grande malum propria voluntas,
qua fit, ut bona tua Ubi bona non sint! Au contraire, la meilleure preuve
qu'une action plaît à Dieu, c'est qu'elle soit faite par obéissance.
Nicéphore raconte de St.-Siméon Stilite , qui menait une vie si pénitente
et si extraordinaire, en restant nuit et jour sur une colonne en plein
air , que ses supérieurs voulurent s'assurer si une telle con-duite plaisait
à Dieu. Quelle preuve voulurent-ils en avoir ? Ils commandèrent au Saint
de descendre de la colonne, et de venir demeurer avec les autres moines.
St.-Siméon leva aussitôt le pied pour descendre, mais alors on lui dit
: Restez bon père, car nous voyons que c'est la volonté de Dieu que vous
persévériez dans cette pénitence. Ainsi, même les choses saintes, nous
devons les vouloir sans attache de notre propre vo-lonté. St.-François
de Sales disait : «Je veux peu de choses et encore j'en veuxtrès-peu.
C'est-à-dire qu'une les voulait pas par amour propre , mais seulement
pour plaire à Dieu, de sorte qu'il était prêt à les laisser s'il avait
cru qu'elles n'étaient pas selon la volonté de Dieu. VI. Oh! qu'elle
est belle la paix dont jouit une re-ligieuse qui ne veut que ce que veut
l'obéissance ! St.-Dosithée , ayant consacré sa volonté à l'obéissance,
jouissait d'une paix continuelle; mais craignant que le démon ne le trompât
il demanda un jour à S.-Do-rothée, son maître : Mon père, dites-moi,
pourquoi daps la vie que je mène, je jouis d'une si grande
SANCTIFIEE:,
Γ-3
tranquillité que je n'ai plus rien
à désirer sur la terre? e Mon fils, lui répondit le maître, cette paix
est le fruit de l'obéissance.» Quelle plus grande joie peut avoir une
religieuse qui aime Dieu, que de savoir qu'en tout ce qu'elle fait, elle
fait la volonté de Dieu ! Elle peut s'appeler heureuse et dire avec le
prophète; Beati su-mus Israël ; quat deo placent , manifesta sunt nobis-(Bar.
iv. Ιχ. ) Je suis heureuse, parce qu'en obéissant je suis sûre de faire
toujours la volonté de Dieu. Quel charme, disait Ste-Madeleine de Pazzi,
renferment ces mois : volonté de Dieu I St.-Pierre Damien écrit · Gravissimum
d se onus rejecit qui suant repulit volunta-tem. Qui s'est dépouillé
de sa volonté, s'est débarrassé d'un poids énorme. Quis tirannus crudelior,
ajoute ce saint, propria voluntate? Quel tyran plus cruel peut avoir une
religieuse, que sa propre volonté qui la do-mine ? Car dans le couvent,
il y a bien des choses qu'elle ne peut avoir, et cette malheureuse sera
sans cesse dans l'agitation et elle se créera dans son inté-rieur une
espèce d'enfer. St.-Eutiche a dit : Quid pro-dest si in loco quies et
silentium sit et in habitatoribus colluctatio passionum ? si exteriora
serenitas teneat et inte-riora tempestas? ( Horn. 9. ) Que sert à cette
religieuse que la paix et le silence régnent dans le monastère, si les
passions grondent dans son cœur ? Au-dehors· est le calme, au-dedans
sont les tempêtes.
VII. D'où naissent, demande St.-Bernard,
nos in-quiétudes, si ce n'est de ce que nous sommes attachés à satisfaire
notre volonté. Unde turbatio, nisi quod pro-priam sequimur voluntatem
? Cassien rapporte que les anciens pères disaient souvent que tout religieux
qui ne sait pas vaincre sa volonté ne persévérera pas dans la vie monastique.
Du moins, dis-je, il ne peut persévé-rer avec paix et profit. L'attachement
ύ la volonté est !#
1!»4
ΙΑ RELIGIEUSE
cause que beaucoup dereligiéusesmènentune
vïemal-heureuse.L'une est de mauvaise humeur, parce que son confesseur
ou sa supérieure ne lui plaisent pas; l'autre, parce qu'elle voudrait
cet emploi et qu'elle nel'obtient pas, crie tant et fait tant qu'enfin
sa supérieure le lui accorde; mais après cela elle n'a pas la paix ;
et com-ment pourrait-elle l'avoir cette paix1, puisqu'au lieu d'obéir
à sa supérieure, c'est la supérieure qui lui obéit ? celle-ci, au contraire,
est fâchée, parce qu'on la charge d'un emploi qu'elle ne voudrait pas.
Celle-là, parce qu'on lui défend de voir telle personne ou de lui écrire.
Une autre parce qu'on lui impose une tâche qui lui répugne , murmuré
et s'efforce de soulever ses parents et même la communauté contre les
supé-rieures, et de là, elle cause un scandale et un trouble immense.
Cette faute mériterait le châtiment qui fut infligé à ces deux moines,
qui, comme nous le raconte Surius ( Tom. iv. 20. ) ne voulant pas accepter
pour abbé le saint moine Philibert, l'un fut frappé de la fou-dre et
l'aufre eut les entrailles arrachées. St.-Bernard dit : Habeto pacem cum
prœiatis tuis, non detrahas eis, nec libenter audias alios detrahentes
quia specialiter Deus hoc vitium punit in subditis etiam in prmsenti. (
Opus. ad. quid. ven. ) Sois en paix avec tes supérieurs, n'en dis pas
de mal, et ne prête pas l'oreille au mal qu'on en dit, parce que Dieu
punit d'une manière spéciale ce vice des inférieurs, même dans la vie
présente. St.-Gré-goire ajoute. Facta superiorum oris gladio ferienda
non iunt, quamvis reprehendenda videantur. ( In registror. 1 xn. e. 3.
) On ne doit pas censurer les actions de ses supérieurs, quand même elles
paraîtraient blâ-mables. Dus non detrahes. ( Ex. xxn. 28. ) Je ne veux
pas, dit Dieu, que tu parles mal des Dieux , c'est-à-dire de tes supérieurs
qui tiennent ma placé sur terre.
8A.SCT1FIÉC.
125
VIII. Mais écoutons Ste-Marie-Madeleine
de Pazzi f ravie en extase; ( Vita. part. iv. c. 22. ) parlant des ravages
que l'amour propre fait dans beaucoup de reli-gieuses. « Je vois, dit-elle,
une multitude d'âmes parmi » lesquelles il en estune qui, au moment des'unir
avec » vous, mon doux rédempteur, se> recueille en elle-» même, niais,
si quelque; chose s'oppose à ses vo-» lontés, elle s'irrite et se trouble.
Je vois une autre » âme, qui» lorsqu'elle entend la messe , étincelle
» d'amour divin, mais si on l'avertit qu'elle a tel dé-» faut, elle
ne veut pas en convenir; en elle, c'est or-» gueil et amour propre ; j'en
vois une troisième qui » semble vouloir égaler St.-Antoine par son austérité
j » mais si l'obéissance lui défend cette austérité, elle » s'obstine,
et ne veut pas obéir. Une quatrième se » mortifie dans le réfectoire
, mais se plaît dans la » mortification et aime à passer pour plus sainte
que »■. les autres. Une cinquième fait étalage de grande » sagesse
au parloir, et semble vouloir dépasser la sa-» gesse même de St.-Augustin;
de plus elle est mesu-» rée et grave dans ses discours, afln de faire
croire » à sa perfection, ete.Cette sixième est prête à quitter »
toutes ses occupations .et ses aises pour servir le pro-» chain, mais,
dès que la bonne œxivre est faite elle » voudrait que tout le monde
l'en remerciât, et lui » en fît des éloges. » Le Seigneur , parlant
de ces re-ligieuses , dit une autre fois à la même sainte : « Elles
» veulent mon esprit, mais elles le veulent de la ma-» nière .qui leur
con vient, et quand bon leursemble et » elles se rendent ainsi inhabiles
à le recevoir.» . IX. Mais revenons à notre sujet. Ο ma sœur ! si
vous voulez vous faire sainte et jouir d'une paix con-tinuelle, tâchez
de combattre toujours , autant que vous le pourrez, votre volonté propre,
et suivez 1$
ΐαβ
LA RELIC 1 Et.S E
gle que suivent les religieuses
qui aiment la perfec-tion; ne faites jamais rien pour votre satisfaction,
mais tout ce que vous faites, faites-le pour plaire à Dieu ; supprimez
donc vos vains désirs, et tous vos penchans. Les mondains s'efforcent
de seconder au-tant que possible leurs désirs ; mais les saints s'effor-cent
, autant qu'ils le peuvent, de réprimer leur vo-lonté et cherchent les
occasions de la mortifier. St.-André d'Avellino fit vœu de résister
sans cesse à sa propre volonté. Emisio voto suœ ipsius voluntati jugiter
obsistendi, dit l'office de sa fête. Prescrivez-vous au moins un certain
nombre de mortifications de votre volonté pour chaque jour. Répétez
souvent ce que St.-Bernard se disait à lui-même pour s'exciter à la
fer-veur : Bernarde, ad quid venisti? Dites, que suis-je venue faire dans
ce monastère? Est-ce ma volonté? Non ; si je voulais vivre à mon goût,
je devais rester dans le inonde ; en entrant en religion, j'ai donné à
Dieu ma volonté; pour quoi prétendrai-je maintenant faire ce que je veux,
et me troublerai-je quand je n'obtiens pas ce que je désire ? Consolez-vous
en esprit quand vos supérieurs rejettent vos demandes ou vous impo-sent
quelqu'eniploi qui répugne à votre amour propre et sachez qu'en vous
conformant à l'obéissance, vous mériterez plus qu'en faisant des oraisons
et des péni-tences à votre tête ; un grand serviteur de Dieu di-sait
: Un acte d'abnégation à sa propre volonté, est plus méritoire que
l'érection de mille hôpitaux. Ayeî sans cesse sous les yeux ce que le
P. Torres, pieux ouvrier, écrivit à une religieuse sa pénitente : Une
âme qui s'est donnée toute à Dieu,dit-il,n'aime rien, ne cherche rien,
ne désire rien.
X. Je termine ce chapitre
par ce qu'écrivit le même P. Torres à une autre religieuse, pour
la déta-
SAKCTIFIÉE,
. 1*7
cher d'elle-même et de toutes les
créatures, afin de ne lui faire aimer que Dieu : « Puisque le Seigneur
vous accorde ces belles occasions de souffrance et de dé-laissement, appliquez-vous
à augmenter votre charité pour le bien-aimé de votre âme ; cet amour
est fort comme la mort : fort, ear il vous sépare de toutes les créatures
, de tous les respecte humains , de tout ce qu'on estime dans le monde,
de vos appétits sen-suels, et de toute vous-même, afin qu'il n'y ait
rien en vous qui vous empêche de vivre en portant vos pensées, vos désirs
et vos affections vers le Dieu aimé. Que votre cœur n'aspire qu'à ce
Dieu aimé, que vo-tre volonté ne soit que pour ce Dieu aimé ; que votre
pensée ne s'élance que vers ce Dieu aimé. Si votre main travaille, si
votre pied marche, que ce ne soit que pour ce Dieu aimé et avec ce Dieu
aimé.... Pour obtenir cet amour de Dieu, renoncez chaque jour, aux pieds
du crucifix, à tout ce que vous pouvez aimer , aux honneurs, aux .aisances,
aux consolations, à vos parens; protestez que vous ne voulez d'autre honneur
que les ignominies, d'autre richesse que son amour , d'autre aisance que
sa croix, d'autre objet que lui seul, qui est votre époux chéri et aimé.
Je veux que très-souvent, ou en allant au iardin, ou en contem-plant le
ciel, Vous invitiez, par le cri de votre cœur, toutes les créatures à
aimer votre bien-aimé. Je veux que vous fuyiez toute conversation ou l'on
ne respire pas l'amour de Dieu. Ne remplissez pas les emplois qui ne plaisent
pas à ce Dieu aimé; ne faites pas les actions qui ne tournent pas à
la gloire de cet époux de votre âme, etc.
128
tK REMClElISB
PRIERE.
0 inOn Dieu, mon Seigneur et l'époux
de mon àmê, vous m'avez tant aimée et vous m'avez donné la vo-lonté
pour vous aimer, et cependant je me suis servi de cette volonté pour vous
offenser et pour vous dé-plaire tant de fois. Si je ne, savais que vous
êtes un Dieu d'une miséricorde infinie, je perdrais l'espé-rance de
recouvrer votre grâce que j'ai perdue si mi-sérablement. Mon ingratitude
méritait que vous m'a-bandonnassiez ; mais je vois que votre lumière
m'é-claire encore. Je sens que vous continuez à m'appeler à votre saint
amour. Me voilà, Seigneur; je ne veux plus continuer à être ingrate;
je ne veux plus résister, je me donne à vous ; Recevez une âme infidèle
qui n'a .fait que vous mépriser pendant tant d'années; mais qui maintenant
ne désire que de vous aimer et d'être toute à vous.Secourez-moi, Jésus,
inspirez-moi une douleur si vive de mes péchés, que mes jours ne se passent
plus que dans les larmes et dans les soupirs, après vous avoir outragé,
vous qui êtes si aimable et si bon. Que je serais malheureuse, si, après
l'inspira-tion que vous me.donnez maintenant, je recommen-çais à vous
trahir. Comment pourriez-vous me sup-porter encore ? Je suis accablée
par la crainte où me jette cette pensée: je puis recommencer à vous
offen-ser. Oh ! Seigneur ! ne le permettez pas, ne me livrez pas à une
telle disgrâce, envoyez-moi tout autre châ-timent et non pas celui-là.
Si vous savez que je doive vous abandonner de nouveau, faites-moi mourir
à présent, que j'espère être en votre grâce. Qu'ai-je be-
SANCTIFIEE.
129
soin de vivre, si je ne dois vivre
que pour vous offen-ser? Non, mou Dieu, je vous aime et j'espère vous
ai-mer toujours, Marie, mon espérance, obtenez-moi la persévérance ou
la mort.
$■ Π
De l'obéissance.
I. la vertu la plus aimée de la
religieuse doit être celle de l'obéissance, car toute la perfection de
la re-ligion consiste, dit St.-Bonaventure , à réprimer sa propre volonté.
Tota religionis perfectio in voluntatis propria substractiorie
consistit. L'on ne peut offrir à Dieu de sacrifice plus agréable
que l'obéissance aux régies est aux ordres de ses supérieurs, parce
que, comme là chose la plus chère que nous ayons, test notre vc-^ lonté,
dit le Docteur àngélique : Nihil est homini ama-bilidsUbertate propriae
voluntatis. (Qpusc. χνιιΐ. de perf. c. 10. ) de môme nous ne pouvons
faire à Dieu, de don qui lui soit plus cher que celui de notre pro-pre
volonté. Melior est obedientia quam victimœ , dit le St.-Esprit. ( Eccle.
ir. 17. ) Dieu aime mieux l'obéis-sance que tous les sacrifices que nous
pouvons lui of-frir. Celui qui offre à Dieu ses richesses en lies distri-buant
en aumônes; son honneur, en supportant les mépris; son corps, en le mortifiant
par les jeûnes et les pénitences, lui donne une partie de lui-même ;
mais celui qui lui sacrifie sa volonté en l'assujétissant à l'obéissance,
lui donne tout ce qu'il a, et alors il peut dire à Dieu : Seigneur,
après vous avoir donné ma volonté, je n'ai plus rien à Vous donner
De plus St.-Grégoire dit,que parle moyen des autres vertus nous vin.
9
Ι 5θ
Li RELIGIEUSE
donnons à Dieu tout ce que nous
avons ; mais par Γο-béissance, nous nous donnon snous-mêmes tout entiers
à lui. Per alias virtutes, nostraDeo impendimus , per obe-dientiam, nostneptisos.
(Lib vi. in Reg. e. 2. ) Le même Docteur a dit encore que l'obéissance
entraîne avec elle dans notre âme toutes les autres vertus et qu'elle
les conserve. Obedientia virtus est quce ceteras rirtutes in mentem ingerit
et custodit. ( Lib. xxxv. e. 22. ) Ste.-Thérèse dit que Dieu n'exige
que l'obéissance d'une âme qui veut l'aimer. Elle ajoute ailleurs : Le
démon sait que c'est là le remède de l'âme aussi cherche-t-il toujours
à nous l'enlever.
II. Le V. P. Sertorius Caputo, disait
que l'obéis-sance porte avec elle le mérite du martyre, car, comme dans
le martyre on sacrifie sa tête, ainsi, par l'obéissance , on sacrifie
à Dieu la volonté qui est la tête de l'âme.Le sage dit que l'homme
obéissant terrasse tous ses ennemis. Vir obediens loquetur victorias,
( Prov. xxi. 28). Oui, dit St.-Grégoire , les obéissant repoussent toutes
les attaques de l'enfer, car leur obéissance les assujétissant aux hommes,
elle les rend supérieurs aux démons qui se perdirent parleur désobéissance.
Victores sunt qui obediunt quia dum volun-tatem aliis subjiciunt, ipsis
lapsis per inobedientiam angelis do-minantur. (Lib. iv. in 1. Reg. c. 10
). Cassien ajoute que lorsqu'une personne mortifie sa propre volonté,
elle détruit en elle tous les vices, parce que tous les vices viennent
de sa propre volonté. Mortificatione vo-" lunlatum marcescunl titia universa.
Dieu promet à celui qui renonce à sa propre volonté de le détacher
de la terre et de le rendre semblable à un esprit céleste. Si avertere
fecerisvoluniatem tuam.. .suslollam te super altitudi-nem terrm(ïs. ivm.
13).St.-Laurent Gustianani ajoute qu'une âme qui sacrifie à Dieu sa volonté
, lui est si
SANCTIFIEE.
Ì3l
chère qu'il lui accorde tout ce
qu'elle lui demande. Qui se Deo tradidit, voluntatem propriam immolando,
omne quod poposcerit consequetur.
"
III. St. -Augustin dit qu'Adam s'étant
perdu et ayant perdu tout le' genre humain par sa désobéissance, le Fils
de Dieu se fit homme dans le but de nous ap-prendre, parson exemple, l'obéissance.
Dès son enfarice il commença à obéir à Marie et à Joseph , et il
leur obéit pendant toute sa Vie, jusqu'à ce'qu'enfin, par obéissance,
il mourut ignominieusement sur la croix: Factus obediens usque ad mortem,
mortem autem crucis. ( Phil. ii. 8. ) St.-Bernard dit de ceux qui sont
déso-béissants : redimunt se ne obcdiant ; non ira
Christus. Ille siquidem dedit vitam, ne perderet obedientiam. (Έρ.ίχΙ.)
Beaucoup de personnes se fatiguent pour s'exempter de f obéissance; le
Rédempteur ne fît pas ainsi , il aima mieux perdre la vie que de perdre
le mérite de l'obéis-sance. Aussi sa divine more révéla à une
de ses1 ser-vantes que Jésus-Christ mourut avec Un amour spé-cial pour
les âmes obéissantes.
IV. Le véii. P. de Leonardis
, fondateur de l'ordre de la mère de Dieu, étant p>ié instamment par
ses disciples d'écrire et dé leur donner des'règles, écrivit sftir
un papier ce mot seul : Obéissance : voulant par là lteur apprendre ce
que dit le P. Sertorius Càputo, qu'en religion, obéissance et sainteté
sont une même chose, et qu'être obéissant c'est'être.taint. St.-Thomas
nous enseigne que le voeu d'obéissance est celui qui consti-tué véritablement
le religieux. D'après cela, Ste-ïhérèsé disait,
qu'une religieuse désobéissante rie peut être appelée religieuse.
A quoi sert une" religieuse qui ne sait pas obéir? Il y en a beaucoup
qui connais-sent la littérature, qui font des vers, qui parlent plu-eieurs
langues , qui sont versées dans l'histoire , mais
i5a
LA RELIGIEUSE
qui ne savent pas obéir. Toute
religieuse qui ne sait pas obéir ne sait rien.
V. Ste-Thérèse disait aussi que
l'obéissance est le chemin le plus court pour parvenir à la perfection.
On raconte dans les vies des saints Pères, qu'un d'en-tre eux vit un jour
deux classes d'élus; la première contenait ceux qui , ayant quitté le
monde, s'étaient retirés dans le désert pour s'y exercer aux pénitences
et à la prière ; la seconde contenait ceux qui, pour l'a-mour de Jésus-Christ,
s'étaient plies à l'obéissance, et avaient vécu soumis à la volonté
des autres. Il vit en-suite que ceux-ci jouissaient d'une plus grande gloire
que les ermites; car bien que ces derniers eussent plu à Dieu par leurs
exercices pieux, ils n'avaient ja-mais fait que leur volonté; au lieu
que les âmes obéis-santes avaient donné à Dieu leur volonté, ce qui
est le sacrifice le plus agréable qu'on puisse lui faire. St.-Dorothéedit,
en parlant de St.-Dosithée son disciple, qu'ayant une santé très-faible,
qui ne lui permet-tait pas de pratiquer les exercices de la communauté,
comme les autres, il se voua tout-à-fait à l'obéissance en se dépouillant
entièrement de sa propre volonté. Il mourut dans l'espace de cinq ans.
Après sa mort, le Seigneur révéla à l'abbé, que ce saint jeune homme
avait obtenu la même récompense que St-.Paulermite et que St.-Antoine
abbé. Les moines s'étonnèrent que Dositheo eût acquis tant de gloire,
sans faire même ce que pratiquaient les autres. Dieu leur répondit que
ce jeune homme avait été si bien récompensé à cause de son obéissance.
St.-Jérôme dit : Majoris est meriti, injuncta refectio , jejunio propria
deliberatione suscepto. ( L. vi. in ι. Reg. c. 2. ). Il est plus méritoire
devant Dieu, de manger par obéissance, que de jeûner en suivant sa propre
volonté. Marie révéla la même chose
SANCTIFIÉE.
l33
à Ste-Brigitte ( Rev. cap. 26.
) qui craignait de dé-clièoirdansla vertu, parce que son confesseur lui
avait interdit ses pénitences ordinaires ; la divine Mère l'in-vita à
obéir sans crainte, disant que ceux qui font pé-nitence ont une seule
récompense, mais que celui qui cesse de se mortifier par obéissance ,
reçoit une récompense double, savoir : une d'abord pour les pé-nitences
qu'il désirait faire, l'autre ensuite, pour l'obéissance qui les lui
fait supprimer.
VI. Le B. Joseph C&lasanze
disait : qu'une reli-gieuse obéissante est la pierre précieuse du couvent.
Oh! que toutes les religieuses ne sont-elles obéissantes! Tous les couvents
seraient des Paradis de Jésus-Christ. De plus une religieuse toujours
prompte à obéir, ac-quiert des mérites immenses , car en tout elle fait
la volonté de Dieu, en quoi consiste tout notre mérite. Le plus grand
bien que produise la vie religieuse, c'est de nous rendre propre à acquérir
des trésors éternels en tout ce que nous faisons par obéissance. Les
choses même de notre choix, quand nous les faisons par es-prit d'obéissance,
nous font obtenir de grands méri-tes. St.-Louis dé Gonzague disait.:
que la religion est un navire à voile, où même sans s'occuper de la
ma-nœuvre, on fait toujours son chemin : Έη effet, la religieuse ne
mérite pas seulement lorsqu'elle jeûne, lorsqu'elle dit l'office, ou
qu'elle fait oraison, mais même lorsqu'elle reposé et s'abstient du travail
par obéissance ; lorsqu'elle mange, qu'elle prend la ré-création , car
faisant tout par obéissance , elle fait en tout la volonté de Dieu.
Oh ! combien vaut tout acte fait pour obéir à la volonté de ses supérieurs
!
VII. Si donc vous voulez,
ntà chère s'tJeùf, vous faire sainte, et en peu de tems, vouez-vous
dès àpré-sent entièrement à l'obéissance ; dépouillez-vous de
15Zl
LA nELIGIElISE
votre propre volonté, et tâchez
de n'agir que pour obéir aux règles de l'ordre, à votre supérieure,
quant aux exercices extérieurs ; et à votre père spirituel , quant aux
choses de votre intérieur : voici la diffé-rence qui existe entre les
religieuses parfaites et les im-parfaites. Celles-ci ne font avec joie
que ce qui est de leur goût et de leur choix. Elles veulent bien remplir
les emplois du couvent , parce que l'oisiveté ne leur ferait pas honneur;
mais elles ne veulent que ceux où elles trouvent leur propre commodité
et leur propre satisfaction. Elles agissent de même pour tout le reste.
En somme, elles veulent devenir saintes, mais à leur manière et selon
l'inspiration de leur amour propre. Le B. Calasanze disait : Celui qui
en servant Dieu cherche d satisfaire les goûts ne sert que soi-même.
Mais les religieuses qui aiment la perfection ne fout pas ainsi, elles
ne refusent jamais de faire ce que l'obéissance leur impose; et elles
ne veulent que ce que veut l'obéissance , faites de même et vous serez
bien vite sainte. Tâchez de faire tout ce que vous fai-tes par obéissance
et vous ne craindrez pas de bron-cher. Les marchands font assurer les marchandises,
pour que leur gain soit certain; ainsi, pour vous as-.surer des trésors
dans le ciel, cherchez dans toutes VQS œuvres la garantie de l'obéissance
> en les sou-mettant, à vos supérieures, sans quoi vos œuvres pour-ront
vous devenir nuisibles ou du moins inutile?. St.-Anselme étant Archevêque
de Cantuaria , et n'ayant pas de supérieurs, se fit assigner pour supérieur
, par le Pape, un de ses chapelains, à qui il obéit toujours. C'est surtout
à vous d'obéic, qui êtes religieuses et qui vous êtes consacrées à
l'obéissance.
SANCTIFIÉE.
«35
PRIERE.
Ο mon Jésus, pour me sauver ,
vous avez été obéis-sant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la
Croix; et moi, ingrate, pour ne pas me priver de quelque mi-sérable et
vile satisfaction, je vous ai manqué de res-pect et d'obéissance. Seigneur,
attendez-moi, ne m'a-bandonnez pas encore ! Je me repends de tout mon cceiir
des chagrins que je vous ai causés, je vois que j'ai trop long-temps abusé
de votre patience,et que je ne mériterais pas votre pardon. Mais vous
ne m'avez supportée jusqu'à présent, qu'afin que je me conver-tisse
un jour et que je me donnasse toute à vous ; je crois que cet heureux
moment est enfin arrivé. J'en-tends votre voix qui m'invite à vous aimer,
je ne veux plus y résister. Me voilà, je me livre à vous ; ne me rejetez
pas, dites-moi ce qu'il faut.que je fasse pour vous plaire; rien ne me
paraîtra difficile, je vous promets de ne plus manquer à l'avenir à
l'obéissance que je dois à mes supérieures. Je vous aime, ô Jésus,
et parce que je vous aime, je veux faire tout mon possi-ble pour vous plaire
; donnez-moi les secours néces-saires pour tenir ma promesse. Attirez-moi,
et unis-sez-moi toujours de plus en plus à votre amour. Père éternel,
je vous offre la passion de votre fils, et je vous prie par elle, de m'accorder
toutes les grâces dont j'ai besoin pour me rendre sainte , et telle que
vous voulez que je sois. Ο marie, ma mère et mon espé-rance , priez
votre divin fils pour moi, afin que je ne sois pas à moi, mais toute à
lui et toujours à lui.
l36
ΙΑ BELIGIEIJSE
S· ΙΠ·
De l'obéissance due eux supérieurs.
I. Le moyen principal
et le plus efficace pour obéir à ses supérieurs avec mérite, et comme
il faut, c'est de penser qu'en leur obéissant, on obéit à Dieu lui-même,
et qu'en négligeant de leur obéir, on dé-sobéit au divin Maître qui
a dit, en parlant des supé-rieurs : Qui vos audit, me audit ; et qui vos
spernit, me sper-nit. ( Luc. x. 16. ) Celui qui vous écoute m'écoute,
et celui qui vous inéprise me méprise. Aussi l'apôtre dit à ses disciples
: Non servientes quasi hominibus placentes ted ut servi Christi facientes
voluntatem Dei. ( Eph. 6.) Ne servez point comme pour plàrre uniquement
aux hommes, mais comme de vrais serviteur scie Jésus-Christ, pour
faire la volonté de Dieu. Lorsqu'il est im-posé à une religieuse, par
son confesseur ou par sa supérieure, de faire quelque acte d'obéissance,elle
né doit pas le faire seulement pour plaire aux hommes, mais principalement
pour plaire à Dieu qui lui révèle sa volonté par leur bouche. Elle
est plus sûre alors de faire la volonté de Dieu que si un ange descen-cendait
du Ciel pour l'en instruire. Aussi St.-Paul écrivit aux Galà'.es
( cap. i. v. 8. ) que si un ange ve-nait du ciel pour leur dire des choses
contraires à cel-les qu'il leur enseignait, ils ne devaient pas le croire.
II. St.-Bernard dit : Deusprœlator
sibi (Square digna-tur. Sibimet imputât illorum reverentiam et contemtum;
obedientia qum majoribus prcebelur, Deo exhibetur ; ipsum enim dixit :
Qui vos audit, me audit ; et qui vos spernit me spernit. (L. m. 2. disp.
et prae.) Dieu pour notre sûreté
BASCTIFIÌE.
l37
et notre profit daigne égaler nos
supérieurs à lui-même! et le respect ou le mépris envers eux sont comme
s'ils étaient adressés à lui. Ainsi donc, ô ma sœur, rappelez-vous
ce point important, que l'obéis-sance que vous accordez à vos supérieures,
vous l'ac-cordez à Dieu même. Dites-moi, si Jésus en personne vous imposait
quelque emploi ou quelques fonctions particulières, chercheriez-vous à
vous excuser, et lui refuscriez-vous cette obéissance, ou même tarderiez
-vous à vous y soumettre? Or, voici précisément ce qu'ajoute S.-Bernard
: Sive Deus, sive homo vicarius Dei mandatum tradiderit, pari profecto
obsequendutn est cura. (Ib. ) Si Dieu, ou l'homme qui tient la place de
Dieu, vous a donné quelque ordre, vous devez l'exé-cuter avec la même
diligence. St.-Jean Climaque ra-eonte( Grad. A.'Jque le supérieur d'un
couvent étant à table, appela un vieux moine de quatre-vingts ans, et,
pour l'exemple des autres, le fit rester debout pen-dant deux heures entières.
On demanda au vieillard comment il avait pu endurer cette mortification
; il répondit : Je me figurai que j'étais devant Jésus-Christ, et qu'il
m'imposait cette humiliation; ainsi je n'eus aucune idée de désobéissance.
III. Dieu veut que pour augmenter
nos mérites dans cette vie, nous opérions par la voie de la foi; c'est
pour cela qu'il ne nous parle pas par lui-même , mais qu'il nous révèle
sa volonté par le moyen de nos supérieurs. Quand Jésus-Christ apparut
à St.-Paul et le convertit, il pouvait lui dire ce qu'il voulait de lui,
mais il lui dit seulement : Ingredere civitatem et ibi dicetur tihi quid
te operteat facere?{ Act. ix. 7.)Entre dans »a ville , va trouver Ananie
et il te dira ce que tu dois faire. C'est pour cela, disait le B. Égide,
qu'on mérite davantage en obéissant aux hommes par amour pour
l38
LA RELIGIEUSE
Dieu qu'en obéissant à Dieu même.
En outre , nous sommes plus certains de faire la volonté de Dieu, en obéissant
à nos supérieurs, que si Jésus-Christ en personne venait nous parler
; car alors nous ne serions pas sûrs si c'est bien là Jésus-Christ,
ou si ce n'est pas quelque malin esprit qui a revêtu sa figure pour nous
tromper, tandis que, lorsque c'est notre supé-rieur qui nous parle, nous
sommes certains qu'en lui obéissant, nous obéissons à Jésus-Christ,
comme il l'a dit lui-même : Qui vos audit me audit. Quand même il serait
douteux si la chose commandée par l'obéissance est bonne ou mauvaise,
la religieuse, disent commu-nément les théologiens et les maîtres de
la vie spiri-tuelle , doit obéir, et, en obéissant, elle est sûre de
ne pas pécher et de plaire à Dieu. St.-Bernard dit : Quicquid vice Deipreecipit
homo, quod non sit tamen cer-tavi displicere Deo, haud secus omnino accipiendum
est quam si praecipiat Deus. ( Lib. m. de disp. ) Ce qu'or-donnent les
hommes, pourvu qu'il soit certain que ce n'est pas une chose qui déplaît
à Dieu, doit être fait comme si c'était Dieu même qui l'eût ordonné.
IV. Les religieux seront donc punis,
au jour du ju-gement, de leurs désobéissances. Mais les œuvres qu'ils
auront faites par obéissance , comme dit St.-Philippe de Néri, ils sont
sûrs de n'en pas rendre compte, ce compte sera demandé seulement aux
supérieurs qui les auront ordonnées. Le Seigneur dit un jour à Ste.-Catherine
de sienne : La religieuse n'est pas obligée d me rendre compte de ce qu'elle
a fait par obéissance ; ce compte je l'exigerai Je sa supérieure. Aussi
, l'Apôtre a dit : Ο bedite praepositis vestris , et subjacete eh ; ipsi
enim pervigilant quasirationem pro animabus veitris reddituri, ut cum gaudio
hoc faciant, et non gementes; hoc enim expedit vobis. ( Heb. xiii. 17.
) Obéissez à vos supérieurs qui
SANCTIFIEE.
«3g
vous surveillent comme devant rendre
compte pour vos âmes. De sorte que vous, ôépouse du Seigneur, lorsqu'après
votre mort , Jésus-Christ vous de-mandera pourquoi vous avez négligé
de faire plus de pénitences , plus d'Oraisons , pourquoi vous avez fait
telle ou telle action ; si, en tout' cela vous n'avez fait qu'obéir à
vos supérieures, vous pourrez ré-pondre : Parce que vous m'avez ordonné
de le faire , puisque vous m'avez dit qu'en obéissant à mes supé-rieurs,
j'obéissais à vous-même. Ce n'est donc pas à moi que vous devez demander
POTJBQUOI , mais à mes supérieures, dont j'ai suivi les ordres.
V. Il faut ici faire attention à
ce qu'ajoute St.-Paul: Ut cum gaudio hoc faciant et non gementes. Ce qui
signi-fie que la religieuse doit obéir sur-le-champ sans ré-pliquer ,
sans se plaindre et sans faire souffrir ses su-périeures. Oh ! combien
les supérieurs souffrent, lors-que leurs inférieurs résistent à l'obéissance
par des excuses, par des prétextes colorés , par des lamenta-tions et
quelquefois même par des murmures? Que ne souffrent pas les pauvres abbesses,
quand elles font la distribution des divers emplois ! D'un côté elles
sont tourmentées par leurs scrupules, craignant que le respect humain
ou l'appréhension de fâcher quelque religieuse ne les pousse à Iuf assigner
quelqu'emploi auquel n'est pas propre celle qui le désire, et d'un au-ire
côté elles gémissent de voir que, la distribution faite, l'une se plaint,
l'autre s'excuse, celle-ci murmure, celle-là refuse positivement. De là
vient que la supé-rieure répartit les fonctions, non selon la raison
et le bien delà communauté, mais selon la prudence hu-maine, qui peut-être
lui servira d'excuse pour avoir* agi ainsi, afin d'évifer un plus grand
mal ; mais
■ 4θ
ΙΑ HELIGIEUSE
moins ses inférieures ne seront
pas excusées pour avoir exercé ces emplois de leur choix par caprice
et non par obéissance. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Obéissez et assujettissez-vous
à ce qu'exige l'obéissance, afin que les supérieures ne gémissent pas
en distribuant les charges du couvent, et puis il ajoute : Hoc enim expe-dit
vobis. Car il est avantageux pour le bien de vous autres inférieures,
que tout se fasse avec ordre afin que vous puissiez vous avancer dans la
vie spirituelle.
VI. N'est-ce pas un grand désordre
de voir certai-nes religieuses commander à leuis supérieures et leur
désigner les emplois qu'elles doivent leur donner ? St.-Bernard considérant
ce que dit Jésus à l'aveugle de Jéricho -.Quid vis ut tibi faciam? (
Luc. χνίπ. 41. ) Que veux-tu que je fasse pour toi? reprend cet aveu-gle
: Vert cœcus quia non ewclamwoit : Absit Domine ; tu magis dic quid me
facere relis. Il est vraiment aveugle, dit le Saint, car il aurait dû
répondre : Non Seigneur> vous ne devez pas faire ce que je veux; mais
dites-moi plutôt ce que je dois faire pour vous. Appliquons à nous-mêmes
ce que dit St.-Bernard. Il y a quelques religieuses à qui l'abbesse est
obligée de demander quelle fonction elles veulent remplir, mais il en
est autrement des bonnes religieuses. Quand la supé-rieure leur demande
quel emploi elles préfèrent, elles répondent : non, ma Mère, ce n'est
pas à moi de vous dire ce que je veux faire, c'est à vous de m'ordonner
ce que vous voulez que je fa?se.
VII. Si vous voulez donc, ô ma
sœur, être vrai-ment obéissante et bonne religieuse : 1° Regardez vos
supérieures comme les vicaires de Jésus-Christ et por-tez-leur un respect
et un amour sans bornes, non pas afin d'être distinguée et préférée
par eux, ou pour ne pas en être réprimandée , mais uniquement
pour
SAKCTlFlÈB.
l4l
plaire à Dieu. Vous devez obéir,
non-seulement au prélat, à l'abbesse, mais encore à toutes les officières
du couvent auxquelles la règle prescrit l'obéissance ; comme à l'infirmière,
à la réfectorière, à la sacristine. Car, lorsqu'on obéit à l'abbesse,
on peut le faire par un sentiment de respect humain, au lieu qu'en obéis-sant
aux autres officières on fait preuve d'un véritable esprit d'humilité
et de subordination. St.-Françoi» d'Assise remerciait surtout le Seigneur
de lui avoir accordé la grâce de savoir se soumettre aux erdres du moindre
novice, dans les choses où il lui aurait été désigné comme supérieur;
il disait que moins le supé-rieur a d'autorité, moins il est orné de
mérite et de bonnes qualités, plus nous méritons, en lui obéissant,
car alors,nous n'obéissons que pour plaire à Dieu.
VIII. 2° Ne recherchez jamais la
compagnie
des sœurs imparfaites et qui aiment peu l'obéissance. 3° Recevez humblement
les corrections et laissez à la supérieure la liberté de vous reprendre,
toutes les foi» qu'il le faut. Ne soyez pas de ces religieuses qui se
soulèvent au moindre avertissement qu'on leur donne; de sorte que, pour
le plus petit avis, la supérieure à besoin de faire attention à elle,
et d'attendre même quelquefois plusieurs mois avant de trouver l'occasion
favorable de le leur faire recevoir, sans les exposer à lui manquer de
respect, et à mettre tout le couvent en rumeur. Mais malheur à ces religieuses
avec qui les supérieures doivent prendre tant de ménagement pour leur
donner des avis. C'est là la marque d'un esprit très-imparfait. Ιχ"
Quand vous recevez quelque correction, que ce soit avec humilité et sans
chercher d'excuse ; et, quand même la chose se serait passée autrement
que la supérieure ne pense, n'en parlez que lorsqu'elle vous en demandera
les détails. Du
14a
LA.
resle, nous parlerons de ceci plus
tard et plus au long.
IX. 5° Chassez de votre cœur toute
pensée et tout soupçon contre votre supérieure. absolument comme vous
chassez les pensées contraires à la chasteté , c'est-à-dire, sans raisonner
avec elles. Et quand vos compagnes parlent de ses défauts apparents, tâchez
de les couvrir autant que vous le pourrez. Qu'il est scandaleux de voir
par fois certaines religieuses, qui, au lieu de vénérer leur supérieure,
vont épiant tou-tes ses actions, toutes ses paroles pour les discréditer
et la tourner en ridicule ! Si le défaut était trop évi-dent et inexcusable
: par exemple si l'abbesse était impatiente avec toutes les religieuses,
soyez convain-cue que Dieu lui laisse ce défaut, non pour votre tourment
, mais pour votre profit. Ste.-Gertrude priait un jour le Seigneur de délivrer
son abbesse du défaut d'impatience, Dieu lui répondit qu'il permet-tait
ce vice de l'abbesse, pour son bien et pour celui de ses compagnes, afin
de les rendre plus humbles , et de leur faire obtenir plus de mérite.
St.-Bernard nous dit : In quantum gravaris in tantum lucraris. Plus est
lourd le fardeau que tu portes, plus est grand le mérite que tu acquiers.
St.-Grégoire ajoute.que quand même la vie de nos supérieurs ne serait
pas digne d'é-loge, nous devons toujours respecter leur rang. Ma-jorum
imperia tunc etiam veneranda sunt, cum ipsi laudabi-lem non habeant vitam.
( In. ι. Reg. 2. ) Jésus-Christ l'a-vait dit, le premier, des supérieurs
qui donnent un mauvais exemple: Omnia evgo quacumque dixerint vobis servate
et facite ; secundum opera vero eorum nolite facere. (jMatt. 23. 3.) Faites
tout ce qu'ils vous diront mais ne vous réglez point sur leur actions.
Χ.. Qu'elle est admirable cette
règle de St.-François
SANCTIFIÉE.
I45
de Sales, qui ordonne de ne jamais
rien demander , de fie jamais rien refuser. Du reste, choisissez de préfé-rence
parmi les emplois du monastère le moins ho-norable et le plus incommode
; la raison en est, qu'il y a peu de religieuses qui amassent beaucoup
de méri-tes dans l'exercice de leur fonctions , qu'il y en a peu qui les
remplissenl avec l'intention pure d'obéir et d'être plus agréable
à Dieu. Les religieuses impar-faites ne considèrent dans leurs
emplois que la peine qu'elles endurent, ou les avantages qu'elles y trouvent,
mais les religieuses parfaites ne veulent que plaire à Dieu, et pour cela
elles ne cherchent pas leurs com-modités, au contraire, elles embrassent
avec joie les peines et les fatigues qui s'y rencontrent. Tâchez d'ê-tre
du nombre de ces dernières. Ne croyez pas que Dieu admettra l'excuse que
vous avez refusé cet em-ploi dans la crainte d'y commettre des fautes.
Soyez convaincue qu'en vous faisant religieuse, vous vous êtes engagée
à servir le couvent. Si la crainte de com-mettre des péchés dans vos
emplois était une excuse valable pour vous, elle le serait pour toutes
les reli-gieuses. Qui donc,, alors, servirait le monastère et maintiendrait
la communauté ? Ayez la bonne inten-tion de plaire à Dieu et Dieu vous
aidera.
XI. En entrant donc, dans l'emploi
qui vous est assigné, apportez-y l'esprit d'obéissance; ne vous lais-sez
pas dominer par votre goût; n'y cherchez ni votre commodité ni votre
estime, mais seulement l'obliga-tion où vous êtes d'obéir. Entrez-y
encore avec une sainte confiance, sans prêter l'oreille au démon qui
peut être vous dit que vous ne pourrez pas garder long-tems cet emploi;
si vous avez foi en l'obéis-sance , le Seigneur vous donnera les forces
qui vous manquent pour le remplir. N'allez pas vous imaginer
14'-l
LA RELIGIEUSE
non plus, que votre emploi vous
fera perdre l'esprit de recueillement, lorsque vous l'exercerez par obéis-sance*
Sachez que Dieu vous fera alors plus de grâce en un quart-d'heure d'oraison,
que dans un autre temps en dix jours de retraite. Tâchez cependant, en
remplissant vos devoirs, de trouver toujours le temps, quoiqu'il ne soit
pas considérable, de vous recueillir dans l'oraison. Ne dites pas que
votre emploi absorbe tous vos momens ; les religieuses actives et désireuses
de l'oraison, savent trouver le temps pour l'un et pour l'autre. Ne vous
chargez pas pour cela sans nécessité, comme font quelques-unes, de trop
d'occupations, au point de ne pouvoir pas trouver un instant pour vous
recueillir devant Dieu. Soyez attentive ensuite dans les fonctions de votre
office, à être impartiale pour vos amies et surtout pour vous-même,
n'abusant pas de votre position peur vous procurer des commodités que
n'ont pas les autres.
XII. Il est à remarquer aussi que
l'obéissance et même la perfection de l'obéissance n'empêche pas la
religieuse d'exposçr à la supérieure les raisons qui s'opposent à ce
qu'elle remplisse tel ou tel em-ploi, par exemple une maladie, un incapacité
abso-lue ou tout autre empêchement ; car enfin la supé-rieure est une
femme et non un ange, elle doit être avertie de ce qu'elle ne sait pas.
Mais en ceci, il faut faire attention à deux choses bien importantes.
D'a-bord » il ne faut pas lui rappeler ce qu'elle connaît déjà , car
il est à croire qu'elle y a songé, et il n'est pas nécessaire qu'on
lui en parle encore. En second lieu, après avoir exposé ses raisons,
la religieuse doit se soumettre en paix à ce qu'ordonnera la supérieure,
et cette résignation doit être visible et extérieure, afin que la supérieure
n'ait pas de trouble et que l'autre
SANCTIFIE*.
|Z|5
donne le bon'exemple. Il est nécessaire
pour cela que la religieuse, avant d'exposer ses excuses, se iigure que
malgré ses raisons la supérieure tiendra à sa décision, et par là,
eu y allant, elle sera toute prête à exécuter sans réplique ce qui
lui sera imposé.
XIII. Ce n'est pas non plus un défaut,
mais bien un acte de vertu, d'avoir un soin raisonnable de sa santé, quand
c'est pour mieux servir Dieu. Mais c'est un défaut de s'en tourmenter,
car alors l'amour pro-pre pourrait bien faire prendre pour nécessité
ce qui ne l'est pas. St.-Bernard dit que certains religieux sont plutôt
les disciples d'Hippoerate et de Galien que de Jésus-Christ : Puta quœso,
dit-il, monachum esse, non. medicum. (■ Serm. xxx. in cant. ) et
puis il ajoute : Parce quietïtuœ. C'est-à-direqu'il vaut mieux pour
vo-tre tranquillité, suivre la règle commune que de se singulariser par
ce qui n'est pas nécessaire I Parce la-bori ministrantium ; tâchez
d'épargner la fatigue aux officières comme à la réfectorière, à la
cuisinière, et ne les obligez pas à faire quelque chose exprès pour
vous. Parce gravamini Domûs; épargnez au couvent des dépenses inutiles.
St.-Basile exhortait les religieux à se conformer autant que possible
à la règle commune; oh ! que cela est bien plus méritoire que les jeûnes,
les disciplines, les cilices, et d'ailleurs que d'être difficile pour
la nourriture. Les exceptions à la règle ont été cause du relâchement
dans beaucoup de couvents. Ne vous faites pas de scrupules par la crainte
de dé-truire votre santé, en mangeant des mets ordinaires ; car les docteurs
disent communément, que bien qu'il ne soit pas pas permis d'abréger ses
jours, unique-ment pour mourir plutôt, il est cependant bien per-mis d'éviter
toute singularité, même lorsqu'elle pour-
VIII.
10
l46
LA RELIGIEUSE
rait prolonger notre vie; c'est
donc un acte de vertu, lorsqu'on agit ainsi pour sa propre utilité et
pour l'é-diticatien des autres. St.-François d'Assises, lorsqu'on fit
le célèbre chapitre appelé des Nattes, vit les dé-mons qui en faisaient
un autre , disant que le meil-leur moyen de perdre les couvents, était
d'y admettre des jeunes gens nobl.ee et délicats, parce qu'ils se trai-teraient
sans rigueur, que peu à peu ils se relâche-raient et finiraient par faire
perdre cet esprit de ferveur qui régnait alors. Les démons avaient raison.
Prenez donc garde de ne pas mettre en doute le salut de votre âme en voulant
soigner votre corps. Songez que si les saints avaient été aussi difficiles
que vous, pour con-server leur santé, ils n'auraient jamais été saints.
PRIÈRE.
Monbien-aimé maître; vous êtes
ta beauté même, la bonté même, et l'amour même; comment pour-rais-jo
aimer quelque chose hors de vous? Insensée ! Je vous ai causé tant de
déplaisirs dans le passé ! J'ai eu tort. Je m'en repends amèrement,
je voudrais en mourir de douleur. Mon Dieu, ayez pitié de moil Mi-séricorde,
Seigneur ! Mon Jésus, miséricorde ! Voilà le cri de mon âme : Miséricorde,
mon Jésus; mon Jé-sus miséricorde! Mais si, par le passé, j'ai méprisé
vo-tre amour, maintenant je le préfère à tous les biens du monde. Vous
êtes et serez toujours l'unique objet de mon amour. Mon Jésus, mon amour,
j'abandonne tout ; je ne veux que vous. Maintenant, je vous dis et j'entends
vous répéter tous les instants de ma vie : Mon Dieu, je ne veux que vous
et rien que vous. Mais aidez-moi à vous être fidèle. Ne faites pas attention
à
SANCTIFIÉE.
l47
mes péchés : faites attention
uniquement à l'amour dont vous m'avez aimée, en mourant pour moi sur
la croix. Je fonde tout mon espoir dans les mérites de votre passion.
Je vous aime, ô bonté infinie, je vous aime, mon bien suprême ; et je
ne vous demande que la grâce de vous aimer; mais de vous aimer avec ar-deur
et de n'aimer à Fa venir que vous seul, mon tré-sor et mon tout. Mon
Jésus, je vous consacre ma vo-lonté, purifiez-la; je vous donne mon corps
, conser-vez-le; je vous donne mon âme, faîtes qu'elle soit toute à
vous. Consumez de votre céleste feu comme , des herbes arides, tous les
vils sentiments qui usurpent dans mon cœur la place de votre amour. Ο
Marie , ô ma grande avocate, je mets toute ma confiance, d'a-bord dans
le mérite de votre fils, et puis dans votre intercession.
De l'obéissance due aux règle*.
1* St.-François de Sales disait
: La prédestination des religieuses dépend de l'observation de leurs
règles. St.-Madeleine de Pazzi, ajoutait que l'observation de la règle
est le plus court chemin du salut éternel et de la sainteté. En effet,
le seul moyen qu'aient les reli-gieuses de se faire saintes et de se sauver,
c'est d'ob-server les règles ; toute autre voie pour elles ne les mè-nerait
pas droit au but. De sorte que la religieuse qui transgresse habituellement
quelqu'une des règles, quelque petite qu'elle soit, n'avancera jamais
d'un pas dans la perfection, lors même qu'elle ferait beau-coup de pénitences,
d'oraisons et autres œuvres pieu-ses. Elle se fatiguera, mais sans fruits,
vérifiant en
148
t'A RELIGIEUSE
elle-même ce que dit le St.-Esprit
: Disiplinam qui abjicit infelix est, et vacua est spes illorum et labo-res
sine fructu. Ceux qui ne tiennent aucun compte de la discipline, c'est-à-dire,
des règles du monastère, sont ma lheureux, et c'est en vain qu'ils mettent
leur con-fiance dans leurs fatigues, car elles ne porteront jamais de fruit.
Mais quelle folie dit Ste-Thérèse; nous n'ob-servons pas, dit-elle dans
ses sentences, certaines cho-ses faciles de la règle, telles que le silence,
qui ne nous fait pas de mal, et nous inventons des pénitences nou-velles,
pour ne faire ensuite ni l'un ni l'autre! Le moindre mal, pour une telle
religieuse, sera de ne pas avancer dans la perfection, mais le pire, dit
St.-Ber-nard, sera qu'à force d'enfreindre les règles légères il lui
deviendra impossible d'observer les règles les*plus importantes et qui
se lient à l'observation des voeux.
II. Qu'il est douloureux de
voir certaines religieu-ses, après avoir été si bien formées et si
bien instruites, pendant leur noviciat, dans l'observation des règles
, les enfreindre après la profession , comme si, après s'être consacrées
à Jésus-Christ, elles n'y'étaient plus obligées I Un saint auteur dit
: Melius est digitum esse et tsse in corpore , quam esse oculum et evelli
de corpore. II vaut mieux être le doigt et tenir au corps de la com-munauté
que d'être l'œil et en être séparée ; l'œil sé-paré du corps n'est
qu'un peu de pourriture. Ainsi, cette œuvre qui en apparence semble vertueuse,
mais qui n'est pas conforme aux règles, ne plaira pas à Dieu ,et loin
d'aider à atteindre à la perfection, y met-tra obstacle. Car ces dévotions
et exercices qui s'oppo-sent à la règle, comme dit St.-Augustin, sont
des pas laits hors du bon chemin, et des écarts de l'esprit.
III. Ο ma sœur, vous avez
quitté le monde pour vous faire sainte, et vous ne voyez pas que, pour
ne
SANCTIFIÉE.
1^9
pas pouvoir vous vaincre en certaines
choses, non-seulement vous ne vons faites pas sainte, mais vous vous mettez
en danger de vous perdre. St.-Césaire dit: Ad relinquendos dulces affectus
forttssimi fuimus, et nunc ad ileclinandas negligentias infirmi sumus !
( Hom. 8. ) Nous avons eu le courage de renoncera nos parents, à nos biens,
aux plaisirs du monde, et maintenant nous n'a-vons pas la force d'observer
ponctuellement la règle ? Cassien'rapporte( Lib. vu. inst. c. 19.)que
St.-Basile, voyant un moine qui avait quitté sa dignité de Sénateur
pour entrer en religion, et qui ensuite n'observait pas la règle , lui
dit : Senatorem perdidisti et monachum non fe-cisti. Malheureux qu'as-tu
fait? Tu as perdu ton titre de sénateur pour l'état de moine, et tu n'es
mainte-nant pas même moine. Tertullien fait le même re-proche. Si veram
pules secuti libertatem, rediisti in servitu-tem , et amisisti libertatem
Christi. ( De cor. mil. ) Comme s'il eût voulu dire : Ο religieuse! vous
vous êtes affranchie de l'esclavage du monde pour acquérir la liberté
de Jésus-Christ, en vous dépouillant des af-fections aux créatures ,
( chaînes malheureuses qui tiennent tant de pauvres Smes dans la servitude
du monde ) et que faites vous maintenant ? Si vous re-gardez la liberté
du sciècle comme là vraie liberté, vous êtes esclave de nouveau, et
vous avez perdu la liberté des enfans de Dieu, que Jésus vous a procurée.
IV. Quelques religieuses s'excusent en disant que les règles qu'elles
transgressent sont de peu d'impor-tance. Je réponds premièrement qu'aucune
règle ne doit être regardée comme de peu d'importance. Il faut les regarder
toutes comme très-importantes, parce qu'elles ont été toutes dictées
par Dieu, et ap-prouvées par l'église, comme des moyens de la per-fection
religieuse à laquelle doivent aspirer toutes les
130
LA RELIGIEUSE
âmes consacrées à Dieu, et parce
que la violation d'une règle, quelque petite qu'elle soit, met le désor-dre
dans la discipline régulière et dans la commu-nauté. La ferveur ne règne
que dans les couvents où l'on observe toutes les règles ; dans ceux où
elles sont négligées, l'esprit de religion a déjà disparu ou bien peu
à peu il s'éteindra et disparaîtra tout-à-fait. Le père Sangiure rapporte
(Erar. torn. iv. c. 5. ) que le père Oviédo étant à la tête du collège
de la compagnie de Jésus , à Naples, exigeait la stricte observation
des moindres règles; mais le P. Bobadilla prétendit qu'il ne fallait
pas assujétir les élèves à de telles minuties et fut cause qu'on commença
à se relâcher de l'anti-que rigueur. 11 ne tarda pas à s'apercevoir
de son er-reur ; car les élèves, abusant d'une si grande liberté, perdirent
l'esprit d'ordre et finirent par sortir de la compagnie. St.-Ignace ayant
été informé de cet évé-nement, ordonna qu'on observât strictement
toute les règles, et depuis lors la discipline fut rétablie.
V. Les religieuses tièdes et négligentes
ne tiennent pas compte des clioses légères; mais le démon en tient bien
compte pour elles. Cet ennemi de tout bien tient ure note très-exacte
de ioutes leurs transgressions à la règle, afin d'être un jour leur
accusateur au tribunal de Jésus-Christ. St.-Hichard, religieux, s'étant
fait cou-per les cheveux hors du temps prescrit, vit le démon qui ramassait
tous ces cheveux par terre, et les comp-tait un à un : ( Ap. Surium xm.
sept. ) Ste.-Gertrude vit également le démon qui recueillait tous les
bouts de laines qu'elle laissait tomber contre son vœu de pauvreté, et
toutes les syllabes omises dans la réci-tation de l'office, par trop grande
précipitation. Le B. Denis-le-Chartreux raconte encore que le démon se
montra à une religieuse, ayant à la main une aiguille
SANCTIFIÉE.
1 5 1
et un fil de soie qu'elle avait
pris sans permission. C'est ainsi que le démon prend note de toutes les
pa-roles dites dans les lieux et dans les moments consa-crés au silence,
de tous les coups-d'œil curieux, et de toutes les autres transgressions
à la règle que font les religieuses négligentes. Voilà pourquoi ces
mal-heureuses sont toujours dans l'avidité et dans la tié-deur, pendant
l'oraison, dans la communion et dans tous les exercices pieux. Ste.-Gertrude,
pour un re-gard de curiosité sur une sœur, contre l'inspiration qu'elle
avait eue de ne pas la regarder, éprouva, en punition de sa faute, onze
jours d'avidité. Qui sème peu, recueille peu '.Qui parce seminat parce
et metei. ( II. cor. îx. 6. ) Comment le Seigneur serait-il pro-digue
de ses grâces et de ses consolations avec les re-ligieuses si négligentes
dans son service ! Dieu leur avait peut-être préparé une grande grâce,
si elles avaient été fidèles à observer telle ou telle règle; mais,
à cause de leur négligence, il les en a justement pri-vées. Le B. Égide
disait : Par une petite négligence , on peut perdre une grande grâce.
VI. St.-Bonaventure s'écrie : Multi
pro Christo op-tant mort qui pro Christo nolunt levia pnti. Beaucoup dé-sirent
donner leur vie pour Jésus-Christ, et puis il ne peuvent souffrir la moindre
peine pour observer une règle facile ! Alors, dit le Saint, si on vous
imposait une tâche difficile et fatigante, vous seriez plus excu-sables;
mais en refusant de faire une chose aisée, quelle excuse pourrez-vous
alléguer ? Pins l'observance est légère et facile ! plus une religieuse
se montre défec-tueuse quand elle y manque , car elle prouve par là qu'elle
est très-attachée à sa propre volonté. Mais Dieu veuille, comme je
l'ai déjà dit, que cette reli-gieuse, faisant peu d'attention aux petites
règles, n'ar-
l5a
Là RELlClEtSK
rive un jour à faire peu de cas
de ses vœux, el de se perdre ainsi misérablement; Qui dissipat sepem
morde-bit tum coluber. ( Ecc. χ. 8. ) Qui renverse la haie des règles
est en grand danger de recevoir quelque mor-sure venimeuse du serpent.
Quand une religieuse, ja-dis exemplaire, tombe dans un précipice; vous
croyez peut-être que le démon l'a jetée à bas d'un seul coup ; non
certainement, d'abord il l'a induite à transgres-ser les règles, à ne
pas faire attention aux petites choses, et ensuite il l'a fait tomber en
des fautes graves.
VII. Quelques religieuses s'excusent
en disant que la règle n'oblige pas sous peine de péché. C'est là une
grande erreur dont nous avons parlé chapitre IV, n* 5. Car, bien que la
règle n'oblige pas sous peine de péché, cependant les docteurs disent
communé-ment que la moindre infraction à la règle, sans ex-cuse valable
, est au moins un péché véniel. St.-Thomas nous a dit déjà la même
chose (n. 2. Qu. CLXXXVI. a. ix. ad. 1. ) Transgressio aliorum ( hors des
vœux ) obligat solum ad peccatum veniale. J'ai dit : pour le moins c'est
un péché véniel, parce que si la transgres-sion cause un grand scandale
ou un grand dommage à la communauté, comme de troubler habituellement
le silence général, d'entrer dans les cellules de ses compagnes, de manquer
sous leurs yeux aux jeûnes réguliers, etc., elle pourrait devenir péché
grave. Mais il est hors de doute, c'est un péché véniel. 1" Parce qu'une
religieuse qui enfreint la règle quitte les moyens de sanctification à
laquelle elle es! obligée de tendre sans cesse. 2* Parce qu'elle est infidèle
à la promesse qu'elle a faite à Dieu , dans sa profession , d'observer
les règles, et que, parson mauvais exemple, elle trouble le bon ordre
de la communauté. 3* En-
SASCTIF1ÉE.
l53
fin, et c'est ici le motif le plus
sûr , parce qu'en transgressant telle règle que ce soit, elle agit d'après
son amour-propre, et non d'après la volonté de Dieu. Cette transgression
n'est certainement pas une œu-vre de vertu. On ne peut pas dire non plus
que c'est une action indifférente. Comment nommer action indifférente
celle qui est faite par propre inclination, qui donne mauvais exemple et
qui trouble l'ordre et la discipline du couvent? Donc si elle n'est ni
bonne ni indifférente, certainement elle est mauvaise. Si quelqu'une disait
: II me suffit que ce ne soit pas un péché mortel! je lui déclare qu'elle
est dans un état très-dangereux; si elle n'est pas morte, elle est ago-nisante;
cette malheureuse est consumée d'une fiè-vre lente, qui, avec le temps,
la conduira à la mort. ( Relisez le N° 3 du chap. vi. )
VIII. Quelques religieuses s'excusent
en disant qu'elles sont anciennes, et qu'elles ne peuvent vivre avec cette
rigueur qui est d'obligation pour les jeunes. On répond que toute religieuse
, jeune ou vieille , se nuit à elle-même et nuit aux autres en transgressant
les règles. St.-Pierre Chrisologue dit qu'un arbre qui ne porte pas de
fruit, nuit par son ombre à lui-même et aux arbres fruitiers qui l'entourent.
Infecunda arbor, dum fundit umbram, inimica non sibi toti sed etian palmi-tibus
fit fœcundis. ( Chr. serm. cvi. ) Cela s'applique à toute religieuse
qui donne mauvais exemple par l'i-nobservation des règles. Mais il faut
encore marquer que les religieuses anciennes sont plus obligées à cette
parfaite observance que les nouvelles; premièrement, parce qu'elles sont
dans L· religion depuis un plus grand nombre d'années ; celui qui a plus
étudié doit Être plus savant; ainsi, la religieuse qui a passé plus
Τ 54
Ι·Α RELIGIEUSE
de temps à étudier Jésus-Christ,
doit être plus avan-cée dans la science des Saints, c'est-à-dire dans
la perfection de l'esprit de soumission. Ensuite, parce que l'exemple des
plus anciennes a plus de force pour insinuer aux nouvelles l'observance
ou l'inobservance des règles. Les .anciennes sont les flambeaux qui éclairent
le couvent. Elles sont les colonnes qui sour tiennent l'observance et attirent
les jeunes à leur prêter appui ; car, si celles-ci voient que les ancien-nes
en font peu de cas, elles en feront peu de cas .aussi. Généralement parlant,
le relâchement vient de la négligence des anciennes religieuses plutôt
que des nouvelles, car ce sont elles qui en ont donné l'exemple. Que servira
aux anciennes de crier et d'ex-hortei· par paroles les nouvelles à l'observance
des règles, si, par le fait de leurs mauvais exemples, elles insinuent
le contraire. Cil ids , dit St.-Ambroise, per-suadent oculi quam aiire?.
( Serm. 76. ) Les exemples qu'on vous met sous les yeux sont plus persuasifs
que les avertissements qu'on vous prêche aux oreilles.
IX. Comment les jeunes religieuses
seraient-elles bien formées à suivre la règle, quand celles qui les
instruisent la détruisent par leurs mauvais exemples! Nemo inde strui
potest unde désir uxUr , dit Tertullien , ( De praescr. ) quand le tyran
commanda à Eléazard, d'enfreindre la loi qui défendait aux Juifs de
manger de la chair de porc, ses amis, ayant pitié de ses 90 ans, le prièrent
de feindre au moins d'en manger, pour échapper à la mort; mais, le saint
vieillard leur répondit sagement : Prœmitli se velle in infernum ; non
enim œtati nostrœ dignum est fingere. ( π. Mach. vi. 23. 1 II dit qu'il
aimait mieux descendre dans l'enfer que de donner à son âge, aux jeunes
gens, un exemple de
SANCTIFIÉE.
155
transgression à la loi, en feignant
de l'enfreindre. Jufti aspectus admonitio est, dit St.-Ambroise ( Serm.
x. in Ps. 118. ). C'est pour les jeunes religieuses une le-çon bien plus
profitable que tous les avertissements donnés de vive voix, de voir les
plus vieilles observer avec exactitude toutes les règles, grandes et petites.
Le devoir et le zèle prescrivent aux religieuses qui aiment la perfection
, de maintenir l'observance des règles avec toute la rigueur possible.
Quand Jésus-Christ tendit la main à Ste.-Thérèse pour l'épouser, il
lui dit : Deinceps ul vera sponsa meum zelabis honorem. Dorénavant, tu
Seras jalouse de mon honneur comme une fidèle épouse doit l'être ; car
toute épouse de Jésus-Christ doit avoir du zèle pour l'honneur de son
époux. Mais le zèle des religieuses doit éclater sur-tout dans l'observance
des règles qui sont l'appui de la perfection de leur communauté, et ceci
n'est pas seulement pour les supérieures, mais encore pour les simples
religieuses, surtout pour celles qui ont une autorité, ne serait-ce que
celle de la vieillesse. Quand St.-André d'Avellino voyait enfreindre la
règle ; il en avertissait avec un ton très-haut, non-seulement ses compagnons,
mais même ses supérieurs. Sœur Thé-rèse Spinelli, pénitente du P.
Torres, et religieuse au couvent de la Trinité, à Naples , voyaut que
plu-sieurs abus commençaient à s'introduire dans la com-, munauté, s'y
opposa plusieurs fois avec zèle et cou-rage, sans avoir égard à la grandeur
des personnes , ayant seulement devant les yeux l'honneur de Dieu ; ce
qui lui fit souffrir beaucoup d'amertumes et'de dé-goûts. Quand il s'agit
d'abus évidents et de relâche-ment dans l'observance, ce n'est ni orgueil,
ni téna-cité, mais vertu et zèle de Dieu, de crier et d'empê-
l56
LA RELIGIEUSE
cher le désordre, dût-on
combattre les supérieurs eux-mêmes. (1)
X. D'autres s'excusent en disant
qu'elles négligent de demander les permissions nécessaires, selon la
rè-gle, pour ne pas trop importuner leurs supérieures. Mais c'est là
une excuse insuffisante, parce que les supérieures ne sont pas importunées,
mais édifiées de voir la ponctualité des religieuses qui leur demandent
des permissions, chaque fois qu'elles en ont besoin. Comment pourraient-elles
être fâchées, puisqu'elles savent que ce sont des choses que leurs inférieures
ne peuvent faire sans permission? Ainsi, toutes les fois que la règle
vous prescrit de demander permission, demandez-la. Quand la supérieure
vous la refuse, pour maintenir l'observance des règles, ne vous ir-ritez
pas, mais remerciez-la et consolez-vous. Tous les passagers remercient
le pilote, lorsqu'ils voient qu'il a soin de faire travailler tous les
matelots , car si l'on négligeait la manœuvre , le vaisseau serait en
danger de se perdre. Les règles pèsent, mais ainsi que je l'ai dit ailleurs,
elle ne pèsent que comme des ailes qui nous font voler au ciel. Sarcina
Christi pennas ha-bet , dit St.-Augustin. ( in Ps. 59. ) Le fardeau de
Jé-sus-Christ a des ailes qui nous aident à nous élever vers le ciel.
Les règles sont des liens , mais des liens d'amour qui nous unissent au
bien suprême. Quand nous sommes liés, disons avec David : F unes ceciderunt
mihi in prœclarif. ( Ps. xv. 6. ) Ces cordes, loin d'être ignominieuses
, nous deviennent honorables et aima-
(l)_On doit user sagement et avec
modération de cet avis de notre saint auteur. Un faux zèle pourrait égarer
un religieux et lui faire voir partout des abus à corriger. — Note du
traducievr.
SANCTIFIÉE.
15?
blés, car elles nous délivrent
des chaînes de l'enfer. Quand nous voyons avec peine et chagrin que la
rè-gle nous défend ce que notre amour propre désire ; disons gaiement
avec l'Apôtre : Ego unctus in Domino. ( Eph. iv. 1. ) Je suis lié, mais
j'aime mes liens , car ils m'unissent à Dieu et me servent à acquérir
la cou-ronne éternelle. St.-Augustin dit : Non tibi imponeret torquem
aureum, nisi primtirn in compedibus ferreis te alli-gasset. ( In Ps. 149.
) Le Seigneur ne te donnerait pas le collier d'or de la gloire éternelle,
s'il ne t'avait d'a-bord enlacé des chaînes de la r ègle.
XI. Quand une sœur vous demande
quelque chose que vous ne pouvez faire sans permission, vous ne devez pas
hésiter à lui dire que vous ne le pouvez pas. Vous ne devez pas craindre
de paraître minutieuse quand il s'agit d'éviter des fautes et surtout
des trans-gressions à la règle. Si les autres sont négligentes, corrigez-les
en ne l'étant pas. Ne craignez pas de tom-ber dans le péché de vaine
gloire. Il est agréable à Dieu que vous soyez singulière, s'il le faut,
dans l'ob-servance des règles, quelques petites qu'elles soient, afin
que votre exemple serve d'aiguillon aux autres et les excite à être plus
exactes et à rendre gloire à Dieu. Sic luceat lue; vestra coram hominibus,
ut videant opera vestra bona et glorificent patrem vestrum qui in cœlis
est. ( Matt. ν. 16. ) Vous ne pouvez faire de grandes choses pour Dieu,
vous ne pouvez faire de pénitences ni d'oraisons, du moins observez toutes
les règles avec exactitude, et sachez que cette exactitude vous fera faire
en peu de temps de grands progrès dans la per-fection. Une grande servante
de Dieu disait que l'ob-servance scrupuleuse des règles est le chemin
le plus court pour parvenir à la perfection. St.-Bonaven-ture
l'a dit aussi : Optima perfectio
omnia quœqut
i58
ΙΑ BELÏGlEtSË.
servare. ( Spec part. π. e. 2.
) Plus'la religieuse sera exacte en cela, plus Dieu lui prodiguera de grâces.
Ste.-Thérèse disait': Une religieuse fidèle dans l'obser-vance des moindres
points de la règle, vole plutôt qu'elle ne marche à la perfection.
XII. Sl.-Augustin appelle avec raison
la règle le miroir de la religion. Miroir, parce que dans l'obser-vance
de la règle , les religieux peuvent connaître ce qu'ils sont. Sive justi
sive injusti : utrum unusquisque proficiat: utram Deo placeat an displiceat.
Ainsi parle Hu-gon de St.-Victor, qui a commenté St.-Augustin. A la manière
dont la religieuse observe les règles, on peut connaître si elle aime
ou non la perfection, si elle avance ou recule, si elle plaît à Dieu,
ou lui déplaît. Soyez convaincue qu'étant religieuse , votre sainteté
ne consiste pas à faire de grandes choses, mais qu'elle est uniquement
dans l'observation exacte des règles. Par exemple, quand la règle commande
de s'appli-quer à l'ouvrage, ou de se récréer, «ne religieuse ne fait
pas bien si elle va prier dans le chœur ou se don-ner la discipline, (les
dévotions hors de saison, sont des sacrifices de choses volées que Dieu
n'accepte pas, dit le père Alvarez. Un certain capucin, pour se livrer
à ses dévotions particulières, se soustrayait aux em-plois communs ;
à sa mort, Jésus-Christ lui apparut en juge et ordonna que toutes ses
oraisons vociles et autres dévolions faites dans le lemps des services
communs fussent distribuées à ceux qui avaient Ira-vaillé pour la communauté
, et qu'il ne lui en restât rien. Il apprit que, par la miséricorde divine,
sa vie se prolongerait. De sorte que SA santé s'étant rétablie , il
eut bien soin de se trouver très-exactement à tous les exercices de la
communauté. Ste.-Madeleine de, Pazzi disait, que le meilleur moyen d'acquérir
de
SANCTIFIÉE.
I 5
grands mérites est d'assister autant
que possible à toutes les réunions delà communauté. Il est vrai que,
par fois , une maladie ou une occupation importante de votre charge particulière,
vous exempteront de péché, en transgressant quelque règle légère ,
mais le plus souvent , c'est plutôt la paresse ou le peu d'a-mour pour
les règles qui est cause de ces inobser-vances ; car d'autres religieuses
aussi malades et peut-être plus malades que vous, et chargées des affaires
du couvent, trouvent moyen d'observer les règles que vous négligez si
souvent. Celui qui aime l'observance des règles, trouve temps pour tout.Ste.-Thérèse
disait: Par fois le mal est petit et alors il nous semble que nous ne sommes
obligés d rien.
XIII. Pour vous attacher à l'exacte
observance des règles il est très-important que plusieurs fois par an
vous les lisiez et les relisiez, afin de connaître quelles sont celles
où vous avez manqué et que vous vous cor-rigiez. C'est là une des meilleures
lectures spirituelles que vous puissiez faire. Il est utile aussi de faire
chaque* jour un examen particulier sur les règles que vous avez transgressées
plus fréquemment. Lorsque vous les transgressez, ne rougissez pas de vous
accuser de votre faute à votre supérieure et de lui en demander la pé-nitence.
Le démon dit à St.-Dominique qu'il perdait, dans le chapitre où les
moines confessent leurs péchés et en reçoivent le châtiment, tout ce
qu'il gagnait dans le réfectoire, au parloir et dans les autres lieux
du cou-vent. Avant de vous accuser tâchez de vous disposer à recevoir
toutes les réprimandes et les pénitences que l'on vous donnera. Je dis
cela afin que vous ne fassiez pas comme certaines religieuses qui s'accusent
de leurs péchés pour paraître humbles et scrupuleuses dans l'observance
des règles, mais qui ensuite ne veulent
16θ
LA RELIGIEUSE
pas être réprimandées. Pour bien
observer les règles , remarque St.-Iguacede Loyola, (Part.vi. Const, cl.)
il faut par-dessus tout les observer m spiritu amoris, non in perturbatione
timoris* C'est-à-dire non par crainte des corrections de la supérieure
ou pour l'admiration des sœurs mais uniquement en esprit d'amour pour
plaire à Jésus-Christ.C'est pourquoi le Saint déclare qu'il avait établi
exprès que ses règles n'obligent pas sous peine dépêché, ut loco timoris
offensœ succédât amor, afin que l'amour et le désir de plaire à Dieu
succèdent à la crainte de l'offenser. St.-Eucherdit: Illum tantum idem
Dixisse te compute, in quo voluntates proprias abnegasti, et quem sine
ulla regula: trasgressione duxisti. (Hom. ix. ad mon. ) Pense que tu n'as
vécu que les jours où tu as renoncé à tes volontés et où tu n'a transgressé
aucune règle. Ce jour seul, dit le Saint, tiens-le pour un jour de profit
pour toi. S te. -Madeleine de Pazzi donne ces trois enseignemcns sur l'observance
des règles. l°Aime tes règles autant que tu aimes Dieu, lui-même. 2°
Fais Aummc si tu étais la seule qui dût les observer. 3" Si les autres
y manquent tâche de suppléer à leur né-gligence par ton exactitude.
XIV. Enfin pour revenir à notre
sujet, la perfection d'une religieuse ne consiste pas à faire de grandes
choses et en grand nombre, mais à les faire bien. Ce fut une grande louange
que celle que la foule adressa à Jésus-Christ en lui disant bien justement
:] Bene omnia fecit ( Marc. vu. 37 ). Il n'est pas donné à tout le monde,
ni en tout temps, de faire des choses diffi-ciles et extraordinaires; mais
les œuvres ordinaires telles que faire l'oraison commune , l'examen de
con-science, la communion, entendre la messe, réciter 1'of fice divin,
remplirsachargeetautreschosescomman-dées par l'obéissance , voilà ce
qui se fait par toutes
SANCTIFIÉE.
l6l
Jes religieuses et qui se fait journellement.
Or, pourvu que vous le fassiez bien, quand même ce serait tout ce qu'il
y a de plus vil au monde, soyez assurée que vous deviendrez une sainte.
Il ne suffit pas de faire ce que Dieu veut, il faut le faire encore comme
Dieu le veut. On lit dans la chronique de C it eaux qu'une nuit que les
religieux étaient à matines, St.-Bernard vit beaucoup d'anges qui prenaient
note de tout ce que les moines faisaient au chœur. Ils écrivaient les
œuvres des uns avec de l'or, des autres avec de l'argent, de ceux-ci avec
de l'encre, deccux-là avec de l'eau; marquant par là la perfection et
l'imperfection avec laquelle chacun d'eux priait. Or voyez qu'il vous en
coûterait bien peu d'être parfaile,puisqu'en Défaisant que les choses
ordinaires, sans rien autre, vous pouvez devenir sainte! Le Sei-gneur ne
demande pas que vous vous éleviez à de hautes conlemplations,que vous
vous imposiez des pénitences àeflïayer la nature, il demande seulement
que ce que vous faites, vous le fassiez bien!
XV. Beaucoup de religieuses,dans
les jours de dévo-tion, comme dans lesneuvaines de Noël, de laPe.itc-côte
ou de la Vierge, font beaucoup d'oraisons, de jeûnes, de prières, se
donnent la discipline. Toutes ces œuvres sontbonnes, mais la meilleure
œuvre pour cer-taines d'entr'elles serait de faire les choses ordinaires
avec plus de perfection. Cette perfection consiste en deux choses : la
première à n'agir que dans le but de plaire à Dieu, car laperfection
n'est pas dans ce qu'on fait extérieurement, mais dans l'intention -.Omnis
gloria 'jus filias regis ab intus. ( Ps. xxxxiv. 7. ) La seconde, c'est
que l'œuvre soitbien faite, c'est àdire avec promp-titude , attention
et exactitude. Le premier moyen de bien faire ce que l'on fait c'est de
le faire avec une foi Vive de la présence de Dieu, afin que nos actions
soient' vin.
11
l6i
LÀ RELIGIEUSE
dignes de lui. Le second moyen c'est
de faire cette œuvre comme si l'on n'avait pas autre chose à faire. Lorsqu'on
fait l'oraison, on ne doit penser qu'à bien prier ; quand on dit l'office
on ne doit songer qu'à le bien réciter ; quand on exerce quelqu'emploi
com-mandé par l'obéissance on ne doit penser qu'à le bien exercer. Qu'on
n'ait plus alors aucune pensée du passé ni de l'avenir. Par exemple .
quand vous faites l'oraison, si vous vous demandez comment vous exé-cuterez
cet ordre, comment vous dirigerez cette œuvre etc., c'est une tentation
du démon. Le P. Avila écrivit à quelqu'un : Quand il te viendra à l'esprit
quelque pensée hors de propos, dis : Dieu ne me de-mande rien de tout
cela maintenant; il est donc inu-tile que j'y songe. Quand il me le demandera
alors je m'en occuperai. Le troisième moyen est de faire chacune denos
actions comme si elle était la dernière de la vie. St.- Antoine, abbé,
répétait souvent cette ma-xime à ses disciples , afin qu'ils fissent
toutes leurs œuvres avec perfection. St.-Bernard a dit : In omni opere
suo dicat sibi : Si moriturus esses faceres istud? ( Iu. spec. mon.). Que
dans toutes ses actions chacun se dise à soi-même : si tu devais mourir
maintenant, ferais-tu cette action? ou la ferais-tu ainsi ? Et de même
vous vous direz : si tu entendais la messe pour la dernière fois, serait-ce
avec cette ferveur? Si c'était le dernier office que tu recitasses, le
dirais-t u a vec cette attention ? Si c'était la dernière communion,
la der-nière oraison, n'aurais-tu pas plus de ferveur ? St.-Ba-sile a
dit aussi : Quand vous faites vos travaux de la matinée, imaginez que
vous ne vivrez pas jusqu'à la nuit; et quand la nuit vient, imaginez que
vous ne ver-rez pas le lendemain. On raconte d'un moine domini-cain qui
avait coutume de se confesser chaque matin
SANCTIFIÉE.
l65
avant de dire la messe, qu'étant
tombé malade, son su-périeur lui ordonna de se confesser comme pour mou-rir
: il leva les mains au ciel et s'écria : que Dieu soit béni! Il y a déjà
trente ans que je me confesse chaque jour comme si je devais mourir aussitôt.
Beatus ille ser-vus, dit notre sauveur, quem cum venerit Dominus ejus,
invenerit sic facientem (Mat. xxi. 46)· Heureux le servi-» leur que le
Seigneur, quand il viendra le juger, trouvera dans cet état! Heureuse
aussi la religieuse, dis-je, que la mort, arrivant à l'improviste, trouvera
faisant l'ac-tion dumoment comme pour se préparera mourir.
XVI. Un autre moyen peut encore
élre Irès-profi-table aux âmes faibles pour faire bien ce qu'elles font
actuellement, c'est de ne jamais faire cas que du jour présent. Une chose
qui fait perdre courage à beaucoup de gens, dans la voie du Seigneur,
c'est l'appréhension de la peine qu'ils ressentent de l'obligation de
marcher jusqu'à la mort avec tant d'exactitude et en résistant toujours
à l'amour-propre. Le meilleur moyen de vaincre ces tentations est de vivre
comme si on ne devait vivre qu'un jour.]Quel est l'homme au monde, qui,
sachantqu'il ne doit vivre qu'un seul jour, ne s'ap-pliquerait pas à faire
bien et parfaitement bien tout cequ'il rait?Ce moyen peut èlre utile aux
âmes faibles, parce que les âmes fortes et ferventes dans l'amour de
Dieu n'ont pas besoin de se cacher le travail, mais se réjouissent au
contraire, etaiment avec ardeur à souf-frir pour plaire à Dieu. Ilest
utile aussi aux religieuses qui commencent à marcher dans la vie de la
perfec-tion, de penser, comme c'est vrai, que, par la bonne habitude, ce
qui d'abord est difficile et pénible de-viendra dans peu de temps facile
et doux. Le Saint-Esprit nous l'apprend : Ducam te per semitas œquitatis
quas Wm ingressus fueris non arctabuntur gressus tui et currens
I
164
Li RELIGIEUSE
non habebis offendiculum. (Prov.
iv. 11 et 12. ). Dieu dit; Je te conduirai d'abord à travers les sentiers
étroits de la vertu , mais bientôt après tu entreras dans un chemin
large et facile où tu pourras courir sans obs-tacle. St.-Bernard écrivit
précisément cela au pape Eugène : Primum tibi importabile videbitur
aliquid ; pro· cessa temporis (si assuescas ) judicabis non adeo
grate, paulo post nec senties , paulo post etiam delectabis. ( Lib. ι.
de cons. ). D'abord une chose te paraîtraimpossible, avec l'habitude elle
le paraîtra plus facile, ensuite tu ne la sentiras pas même, et peu après
tu y prendras goût. Selon ce que dit l'Ecclésiastique : Quia modicum
laboravi et inveni mihi multam requiem. (Ecc. LI. 35. ) Je
me suis fatigué un peu et aussitôt après j'ai trouvé le repos et la
paix.
PRIERE.
Mon Dieu je suis cet arbre qui méritait
depuis long-tems d'entendre les paroles de l'Évangile : Succide il-lam
ut quid terram occupat? Coupez cette plante qui ne porte pas de fruit,
et jetez-la au feu; pourquoi lui laisser occuper cette place sur la terre
? Malheureuse ! depuis combien d'années je suis dans le monastère comblée
par vous de tant de grâces pour me faire sainte; jusqu'à présent, Seigneur,
quels fruits ai-je produits ? Mais vous ne voulez pas que je me désespère
et que je me défie de votre miséricorde. Vous avez dit : Petite et accipietis,
demandez et vous obtiendrez. Puisque vous voulez bien que je vous demande
des grâces, la pro-messe que je sollicite c'est le pardon de toutes les
of-fenses que je vous ai faites ; je me repens de tout mon coeur de n'avoir
payé vos bienfaits que par des ingra-
SANCTIFIÉE.
l65
titndes. La seconde grâce que je
vous demande c'est ]e don de votre amour, afin que dorénavant je vous
aime de tout mon cœur, tâchant de ne vous déplaire en rien, et faisant
tout ce qui peut vous êlre agréable. La troisième grâce que je vous
demande, c'est la sainte persévérance dans votre amour. Je prise maintenant
votre amour plus que tous les empires de la terre. Vous voulez que je sois
toute à vous et je veux aussi être toute à vous. Vous vous êtes donné
à moi, sur la croix et dans le sacrement de l'autel, je me donne toute
à vous sans réserve. Je vous remercie de m'avoir donné la pensée de
vous faire cette offrande, et puisque vous me l'inspirez, c'est signe quevous
l'acceptez. Mon Jé-sus, je suis à vous et j'espère que vous serez à
moi pour l'éternité. Je ne veux pas que ma volonté vive en moi, mais
seulement la vôtre; c'est pourquoi je vous pro-mets d'observer dorénavant
les moindres règles du couvent, car je sais qu'elles vous sont toutes
agréables. Ο amour! ô amour! vous dirai-je avec Ste.-Catherine de Gènes,
plus de péchés. Je vous prie de faire que je vous aime ou que je meure.
Ou aimer ou mourir! Marie, ma mère, parlez à votre fils, et obtenez-moi
la grâce de l'aimer ou de mourir.
S- v·
Des quatre degrés de l'obéissance
parfaite.
I. Afin qu'une religieuse soit parfaitement
obéis-sante il faut qu'elle obéisse avec promptitude, avec exactitude,
avec joie et avec simplicité ; ce sont-là les degrés qui mènent à
la parfaite obéissance. Le premier degré c'est d'obéir avec promptitude,
exécutant ce φΐβ nous impose l'obéissance, sans réplique et sans
i66
LA RELIGIEUSE
retard. Il y a des religieuses qui
ne ee déterminent à obéir qu'après avoir cherché beaucoup d'excuses
ou s'êlre laissées bien prier par la supérieure. La véritable obéissance
ne fait pas ainsi. Fidelis obediens, dit St.-Bernard, nescit tnoreu, parat
aitres auditui, manus operi, itineri pedes. ( Serm. de Obed. ). La religieuse
obéissante ne connaît pas le retard, elle ouvre ses oreilles pour entendre
les ordres qu'on lui donne, elle prépare aussitôt ses mains pour l'œuvre
comman-dée et ses pieds pour aller l'exécuter. La religieuse qui aime
l'obéissance, en entendant le matin la cloche du réveil, ne tourne pas
et ne se retourne pas dans son lit, maie elle en saute aussi tôt, comme
dit Ste.-Thérèse, pour obéir à la voix de Dieu qui l'appelle. De même,
en entendant les ordres que lui donne sa supérieure, elle ne cherche pas
d'excuse et ne montre pas de mau-vaise humeur (ce qui afflige beaucoup
les supérieures) mais promptement, et d'un air joyeux, elle répond :
me voilà, je suis prête, et obéit sur-le-cliamp. Elle n'a pas besoin
qu'on la prie ou qu'on lui répète plusieurs l'ois un ordre, ni qu'on
lui en explique les raisons; celles avec qui il faut tous ces ménagements
s'appel-lent chevaux à la bouche dure. Pour obéir à celui qui les guide,
elles ont besoin qu'on les fouette plusieurs fois, et perdent ainsi la
plus grande partie du mérite de cette obéissance forcée. Les autres
se portent à obéir au premier mot et sans réplique.
II. Oh! combien le Seigneur récompense
cetle promptitude à obéir. Il a montré plusieurs fois, môme par des
prodiges surnaturels, combien il agrée cette prompte obéissance. St.-Marc,
moine, fut appelle par l'abbé Silvam, son supérieur, tandis qu'il était
occupé à écrire; pour pour obéir plus promptement il ne finit pas même
le mot qu'il avait commencé ; à son retour
SANCTIFIÉE.
167
dans sa cellule, il trouva le mot
achevé et écrit en lettres d'or. ( Vita Patrum, de Ob. 5. ) Blosius rap-porte
encore que, pendant l'apparition de Jésus enfant à une religieuse, celle-ci
ayant été appellee aune ob-servance régulière, partit aussitôt; à
son retour dans sa cellule, elle trouva Jésus-Christ âgé dé Ί1\ ans,
qui lui dit : ma fille , ta prompte obéissance m'a fait gran-dir ainsi
dans ton cœur. L'enfant Jésus apparntencore à une autre religieuse qui
le laissa au son de la cloche pour aller au choeur, chanter vêpres, par
obéissance. Elle retrouva dans sa cellule Jésus-Christ qui lui dit :
Tu me retrouves parce que tu m'as laissé. Situ ne t'en étais pas allée
pour obéir à la règle je serais parli moi-même d'auprès de toi. (Corn.
S. Franc, cap. SO.) On raconte que St.-Colomban voulantmettre à l'épreuve
plusieurs de ses moines, qui étaient malades, leur dit: Levez-vous tous,
et allez battre le blé dans l'aire. Les vé-ritables obéissants se levèrent
aussitôt, et allèrent bat-tre le blé, les autres malades, qui étaient
aussi malades d'esprit restèrent couchés. Mais qu'arriva-t-il ? Les 'Obéissants
se trouvèrent guéris et les autres restèrent malades. (Plat, die bono.
stat. rei. 1. II. C. 5.) Le Sei-gneur a montré aussi combien lui déplaisent
les retards apportés dans l'obéissance. Le B. Giunipero étant un jour
allé planter un genévrier dans le jardin , fut ap-pelé par St.-François;
il n'obéit pas aussitôt et voulut finir de planter l'arbuste qu'il avait
en main; après quoi il s'en alla. Mais le saint, pour lui faire connaître
son erreur de ne pas avoir obéi sur-le-champ, maudit le genévrier et
lui commanda de ne pas croître davan-tage. L'arbre obéit et ne s'éleva
pas d'un pouce de plus Le même auteur rapporte que de son temps on con-servait
encore le genévrier dans le même couvent de la ville de Carinole οίι
le fait était arrivé ; il était vert
168
LÀ
mais toujours petit comme il avait
été planté. ( Wa-ding. ami. minor. ànn.Mccxxii. Num.ii.) Qu'il est
triste de voir certaines religieuses ne pasobéirpromptement, et cela pour
la seule raison que ce qu'on leur impose est commandé par l'obéissance,
tandis que si ce n'é-tait pas commandé, elles le feraient avec empresse-ment,
parce" que ce serait d'après leur propre volonté. Quelques religieuses
n'obéissent qu'après avoir répété plusieurs fois je ne puis pas, je
ne puis pas; elles di-raient beaucoup mieux: je ne veux pas, je ne veux
pas. Le B. Joseph Calasanze disait : Celui qui au lieu de dire je ne veux
pas, dit je ne peux pas, ne trompe pas ses supérieurs, mais il se trompe
lui-même.
III. Le second degré est d'obéir
avec exactitude c'est-à-dire ponctuellement et sans interprétation ;
ponctuel-lement veut dire sans dérober à Dieu une partie du sa-crifice,
en mutilant la victime, mais obéir avec toutes les circonstances et l'attention,
et en y employant tout le tems qu'exige la chose dont on nous charge. Quelques
religieuses sont ponctuelles, tant que leur supérieure est là, mais si
elle est ailleurs elles obéis-sent si imparfaitement qu'on ne sait si
elles n'en tirent pas plus de démérite que de mérite.Ste.-Madeleine
de Pazzi disait : La religieuse n'a pas donné sa volonté aux hommes mais
à Dieu et non pas par pièce et par lam-beaux maistoute entière,ponctuellement
sans inlerpré-<«ii'on.Tandis que St.-Thomas d'AquinétaitàBologne,
il arriva qu'un frère convers, d'un autre couvent, qui devait sortir tout
de suite pour une affaire importante et qui avait du supérieur la permission
de prendre pour compagnon le premier qu'il trouverait, le rencontra, et
lui dit de le suivre et de l'accompagner par obéis-sance pour son supérieur.
Le Saint obéit aussitôt, mais le frère convers marchant très-vite et
St.-Thomas,
16g
lentement, à cause de l'embonpoint
de son corps, il le pria de se hâter, parce qu'il s'agissait d'une affaire
pressée. Le frère,ayant su ensuite quel était son com-pagnon , lui demanda
plusieurs fois pardon , mais St.-Thomas ne lui montra aucun ressentiment.
( Ap. Sur. 7. Mart.) Le Saint aurait bien pu interpréter que la permission
donnée par le prieur n'était pas pour lui, mais il aima mieux obéir
sans réplique et sans inter-prétation et il répondit,à ceux qui lui
disaient qu'il aurait pu s'exempter de cette peine,que les moines ne doivent
songer qu'à suivre aveuglément les ordres des supérieurs.
IV. Cassien raconte (last. lib.
ν. e. 40) que l'abbé Jean ayant chargé deux jeunes gens de porter un
panier de figues à un moine âgé qui demeurait loin, ils se trompèrent
de route et errèrent plusieurs jours dans le désert sans avoir de quoi
se nourrir. Us auraient pu interpréter que dans ce besoin extrême ils
pouvaient manger les figues destinées au moine, sans manquer à l'obéissance
, mais ils ne le voulurent jamais faire et on les trouva morts à côté
du panier de figues. Nous ne prétendons pas qu'on doive toujours suivre
l'obéis-eanceàla lettre et qu'ilne soitpas permis d'interpréter l'intention
du supérieur dans le cas où l'interprétation paraît juste et nécessaire
; mais nous disons que des interprétations sophistiques et tiraillées
ne diffèrent guère de la désobéissance formelle. C'est pourquoi lors-qu'on
n'est pas certain que l'intention du supérieur est toute autre, on doit
obéir. Quelques religieuses, quoi-qu'elles sachent la volonté de leurs
supérieures en cer-taines choses, font cependant tout ce qui leurest dicté
par leur caprice et disent qu'il n'y a pas de précepte qui s'y oppose.
Non, dit Albert-le-grand ; les vrais obéis-
I JO
LA RELIGIEUSE
sants ne font pas ainsi. Verus obediens
numquam prmcep~ tum expectat sed solam voluntatemprtelati sciens, vel credens
exsequetur pro prœcepto. ( De virt. c. 2. ). Le véritable obéissant
n'attend pas les ordres de son supérieur; mais apprenant sa volonté,
elle lui tient lieu de pré-cepte et il l'exécute. C'est là le moyen
le plus parfait d'obéir, carcommeditledocleurAngélique(n. q.l6Zi), la
volonté du supérieur, de quelque manière qu'on la connaisse, est un
précepte tacite, que doit suivre le parfait obéissant.
V. Le troisième degré est d'obéir
avec joie. Obéir de mauvaise grâce et en murmurant est plutôt une faute
qu'un acte de vertu. St.-Bernard dit : Si experts diju-dicare prmctptum,
murmurons in corde , etiamsi exterius impleas, non est virtus, sed velamentum
malitia. (Serm. 3.) Si en recevant le précepte vous murmurez inté-rieurement
contre votre supérieur, vous ne faites pas un acte de vertu en l'accomplissant,
c'est un manteau perfide jeté sur votre malice ; vous obéissez pour pa-raître
obéissant, mais vous commettez un péché en maudissant en vous-même
l'obéissance. Qu'ilest dou-loureux de voir des religieuses ne faire de
bon gré que les choses qu'elles ont demandées, ou dont on lésa cent
fois priées, et qu'elles acceptent parce que leur amour propre y trouve
sa satisfaction !
VI. Celles qui cherchent à se faire
imposer par leur supérieure la tâche qu'elles préfèrent et qui n'en
fe-raient aucune autre avec plaisir, peut-on les nommer obéissantes ?
St.-Ignace de Loyola disait que le sujet se trompe s'il croit qu'il observe
l'obéissance en indui-sant ses supérieurs à lui assigner l'emploi qu'il
désire. Il cite à ce sujet ce qu'écrivit St.-Bernard: Quisquis vel aperte
vel occulte satagit, utquod habet in voluntate, hoc ei spiritualis pater
injtingat ipse te seducit, si fibi quasi de ol<e-
SAKCT1F1BE.
I7I
dienliâ blandiaiur ; neque enim
in ed re ipse pmlato, sed ma-gis ei prœlatus obedit. Celui qui directement
ou indirec-tement force son supérieur à la charger de l'emploi qu'il
aime se trompe, s'il croit être dans la voie de l'o-béissance, car ce
n'est pas l'inférieur qui obéit alors au supérieur, mais c'est le supérieur
qui obéit à l'infé-rieur. Tritême appelle les religieuses qui obéissent
malgré elles, des monstres du démon, monstra diaboli, parce que Satan
lui-même obéit, mais forcément. Les religieuses qui obéissent ainsi
sont presque pires que le démon, parce que le démon n'a pas juré obéissance
à Dieu, tandis qu'elles lui ont fait ce serment, dans leurs vœux. Je
voudrais demander à ces religieuses en quoi consiste leur obéissance
; est-ce àfaire seulement avec joie ce qui flatte leurs goûts?à faire
en boudant et avec désordre ce qui ne leur plaît pas ! ^ uis locus obedientiœ,
dit St.-Bernard, ubi tristitia cernitur amaritudo? (De virt. ob.) Peut-on
appeler lieu d'obéissance un couvent où l'on n'obéit qu'en murmurant
et avec dégoût?
VII. Hilarem datorem diliget Deus,
dit l'Apôtre. ( 2 Cor. ix. 7. ) Dieu aime ceux qui lui offrent avec joie
ce qu'ils font par amour pour lui. Les religieuses véri-tablement obéissantes
exécutent avec plus de zèle les ordres qui blessent leur amour-propre
parce qu'alors elles sont plus certaines de ne pas faire leur volonté
, mais celle de Dieu. Quelle plus grande joie peut avoir une âme religieuse
que de pouvoir dire à chaque ac-tion : en faisant ceci je me rends agréable
à Dieu. Ο ma sœur! si vous désirez plaire beaucoup à Jésus-Christ,
priez votre supérieure de vous commander à son gré, sans autre considération
; parla elle sera plus libre de vous employer où elle le jugera convenable
et vous ac-quérerez plusde mérite dans l'obéissance à ses ordres, vous
serez sûre de gagner autant dans les choses qui
\ηΐ
LA RELIGIEUSE
sont de votre goût que dans celles
qui répugnent à votre amour propre. Répétez-vous souvent cette belle
maxime de St.-François de Sales : ne rien demander ne rien refuser.
VIII. St.-Jean Climaque dit (Grad.
l\.) Obedientia est sepulchrum propria voluntatis. L'obéissance est le
tombeau de la propre volonté. Quelques personnes l'appellent la mort de
la volonté, mais les Saints l'ap-pellent mieux encore le tombeau, parce
que tant qu'un mort est hors du tombeau on peut le voir, mais s'il est
enseveli, on ne le voit plus. Quelques religieuses veulent bien que leur
volonté soit morte de la mort de l'obéis-sance,mais cependant elles la
font paraître au-dehors. Les religieuses plus parfaites veulent que leur
volonté soit non seulement morte, mais encore ensevelie et qu'elle ne
paraisse jamais au-dehors. Ste-Madeleine de Pazzi l'ut admirable en cela
qu'elle ne fit jamais connaî-tre à ses supérieures en quoi elle agissait
avec goût ou avec répugnance. Faites de même ; montrez-vous tou-jours
indifférente aux offices, aux exercices et emplois que vous impose l'obéissance;
quand on vous les donne, remplissez-les avec joie. Pour les remplir avec
joie, remplissez-les seulement pour plaire à Dieu. Si vous les faites
pour obtenir les bonnes grâces de votre su-périeure, pour l'obliger à
ne plus vous refuser ce que vous demanderez, ou pour ne pas être regardée
comme peu obéissante ; en obéissant, dans ce but d'intérêt, vous contenterez
votre supérieure, mais vous ne con-tenterez pas Dieu. Vous supporterez
la fatigue et les embarras de l'obéissance que vous aurez pratiquée et
cependant vous n'aurez pas la paix de l'âme. Je dis de plus que lorsque
vous n'aurez d'autre butque de plaire à Dieu, vous pratiquerez l'obéissance
avec joie, non seule-ment quand la supérieure vous donnera ses ordresavec
SANCTIFIÉE.
175
douceur et politesse, mais même
lorsqu'elle vous par-lera d'un ton impérieux et dur, là est le mérite.
Ro-driguez raconte qu'un jour que Ste. Gertrude priait le Seigneur de délivrer
l'abbesse de son couvent du dé-faut d'être dure et de l'impatience avec
les religieuses; Dieu lui répondit qu'il permettait ce défaut dans sa
supérieure afin de la rendre elle-même plus humble et pour que les inférieures
méritassent d'avantage, en souffrant la mauvaise humeur de l'abbesse.
IX. Le quatrième et le dernier
degré c'est d'obéir avec simplicité, comme dit l'apôtre : Obedite in
simplicitate cordis vestri. (Eph. γι. 5.) Obéissez dans la simplicité
de votre cœur. Cet simplicité consiste à assujétir son propre jugement
au jugement du supérieur, regardant comme juste tout ce que le supérieur
impose. Le St.-Esprit enseigne à son épouse comment elle doit obéir
pour que son obéissance soit parfaite.Si ignoras te,ô pul-cherrima inter
mulieres! egredere elabiposl vestigia gregum. (Cant. 1. 8. ) Ο la plus
belle des femmes ! si tu ne te connais pas, si tune sais pas combien tu
peux le rendre chère à mon cœur par tes œuvres, je vais te le dire
: Sorsdetoi-mèine,suis les pas des jeunes brebis; observe que lorsqu'on
les chasse du bercail, elles ne deman-dent pas où on les mène paître,
ni pourquoi à telle heure, ni pourquoi on les fait marcher vite, ou lente-ment;
elles obéissent aveuglément au berger. Ainsi doit faire la bonne religieuse,
obéir sans savoir pour-quoi. Le père Pavon, de la compagnie de Jésus,
disait que l'obéissance pour être parfaite doit marcher sur deux jambes
qui sont la volonté et lejugemenl. Quand on obéit seulement avec la volonté
et non avec le ju-gement, c'est-à-dire jugeant tout autrement que sou
supérieur; une telle obéissance, disait-il, n'est pas parfaite, elle
est boiteuse· Ste.-Madeleine de Pazzi di-
1^4
LA
sait aussi : La parfaite obéissance
suppose une âme sans volonté et une volonté qui ne juge point. C'est
pour cela que cette Sainte, afin d?obéir parfoitement, tâchait d'abord
de captiver son esprit, et puis elle obéis-sait. Ainsi celui qui n'obéit
pas avec jugement, obéira difficilement de bon gré, de sorte que son
obéissance sera celle d'un esclave, faite par force, non celle d'une fille,
faite paramour. C'est ce que l'Apôtre a voulu nous apprendre lorqu'ìl
a dît : Cum bona voluntate servientes sicut Deo ei non hominibus. (Eph.
vi. 7.) Obéissez de bon gré en vous convainquant que vous n'obéissez
pas aux hommes mais à Dieu. Nous n'obéirons jamais de bon gré qu'en
pensant que nous obéissons à Dieu qui ne peut se tromper dans ce^ju'il
ordonne, et qui ne nous commande que ce -jui est pour notre bien.
X. St.-Thomas, le docteur Angélique,
dit que le religieux doit se mettre à exécuterl'ordre de son su-périeur,
quand même la chose lui semblerait impos-sible; car ce n'est pas à lui
à décider si la chose est possible ou non. St.-Bernard dit: Perfecta
obedientia est indiscreta. (De. Vit. sol.) L'obéissance parfaite, quant
à l'inférieur, ne demande pas de discernement. Le Saint ajoute ailleurs
: Novitium prudentem in congrega-tione durare impossibile eut. Un novice
qui veut en obéis-sant se régler sur sa prudence ne peut rester eu com-munauté.
Le Saint en donne pour raison que c'est un orgueil insupportable que de
vouloir s'arroger l'office qui n'appartient qu'ausupérieur./)ii«rnerii(//)ea<iwei/,
subditi obedire. C'est au supérieur à discerner ce qu'il convient de
faire, l'inférieur ne doit qu'obéir. St.-Ig-nace disait un jour que si
le pape lui avait ordonné de semettreenmerdansune barque sans mât, sans
voites et sans rames, il l'aurait fait de suite. On lui fit obser-ver que
c'aurait été se vouer volontairement à la mort
SAKCTlFlÉE.
1?5
le Saint répondit que c'est au
supérieur à avoir de la prudence, et que l'inférieur ne doit avoir d'autre
pru-dence que celle d'obéir sans prudence.
XI. Tout cela est bien conforme
à cette parole du St.-Esprit : Quasi lutum figuli in manu Ipsius. (Ecc.xxm.
13. ) L'inférieur doit se remettre entre les mains de son supérieur comme
un morceau d'argile, afin qu'il en fasse ce qu'il veut. Numquid, dit Isaïe,
dicet lutum. figulo : Quid facit ? (Is. XLV. 9. ) L'argile dira-t-elle
au potier : Que ferez-vous de moi ? Si cela était, le potier répondrait
tassez-vous, cela ne vous regarde pas; vous ne devez qu'obéir et vous
laisser façonner comme je voudrai, C'est là la réponse que mériteraient
ces reli-gieuses qui veulent savoir pourquoi on leur donne telle charge
, tel emploi et pourquoi pas tel autre? etc. St.-Jérôme écrivait précisément
cela au moine Rustique: Nec de majorant sententia judices cujus officium
est obedire. Ton devoir est d'obéir : garde-toi bien de juger de ce que
font tes supérieurs. On lit dans la vie des moines de la Trappe (Prodiges
de lagrâce vol. H. p. 24·) qu'un supérieur ayant ordonné à un moine,
nommé Arsène, de faire des embellissemens à l'église, celui-ci trouva
que c'était une dépense superflue ; mais pensant en-suite qu'il avait
porté un jugement contraire à celui de son abbé, il alla s'en accuser,
pleurant à chaudes lar-mes, comme d'un grand crime, et quoique l'abbé
lui dît que cette faute ne lui paraissait pas grave, il ne put cependant
arrêter le cours de ses pleurs.
XII. Cette obéissance aveugle,
si vantée par les Saints, consiste à croire que tout ce que font les
supérieurs est bien fait. 1° parce que personne ne peut se fiera son
propre jugement dans les choses qui le regardent. Le proverbe dit : Nemo
rectus judexsut ipuus. Nul n'est bon juge dans sa propre cause, car l'amour-propre
1»6
LA. BEL1C1ETISE
empêche de distinguer le vrai du
faux. 2° Parce qu'un inférieur connaît seulement ses raisons, et que
le su-périeur en a beaucoup d'autres sous les yeux, ce qui rend son jugement
meilleur. 3" Parce qu'un inférieur ne songe souvent qu'à son intérêt
et que le supérieur doit songerau bien de tous. W Parce que les supérieurs,
comme disait Ste.-Madeleine de Pazzi, reçoivent du Seigneur des grâces
particulières pour le gouverne-ment de la communauté et ont pour cela
des lumières qui manquent aux inférieurs.
XII. Il est dit de St.-Paul que
lorsqu'il se convertit: Apertis oculis nihil videbat, ad manus autem trahebaliir.
( Act. ix. 8. ) II avait les yeux ouverts mais il ne voyait rien, desortequ'on
fut forcé de le conduire par la main. Quelques religieuses veulent bien
obéir; mais elles veulent voir d'abord si ce qu'on leur ordonne est bien
ou mal pour elles; etsi elles trouvent que quelque chose ne leur convient
pas, elles refusent d'obéir ou obéissent de mauvaise grâce et vont jusqu'à
accuser la supérieure d'imprudence , de partialité ou d'indiscrétion.
Tout cela vient de ce qu'elles ne veulent pas obéir aveuglé-ment et qu'elles
exigent des supérieures laraisonpour laquelle on leur commande telle ou
telle autre chose. Imperfecti cordis indicium est ( dit St.-Bernard ) exigere
de quibusvis, rationem ( De disc.) Elle aune volonté bien imparfaite,
celle qui demande la raison pour laquelle on lui impose un devoir. C'est
de cette manière que le démon perdit Eve : Curprœcepit, dit-il, vobis
Deus ut non comderetis de omnilignoparadisi. (Gen. m. 1.) Pour-quoi Dieu
ne vous a-t-il pas permis de vous nourrir de tous les fruits d'Éden ?
Si Eve avait répondu : ce n'est pas à moi d'en chercher la raison , nous
ne devons qu'obéir ; la malheureuse ne se serait pas perdue ; mais elle
se mit à réfléchir, elle dit : Nous pouvons man-
SANCTIFIEE.
· ?7
ger des fruits de tous les arbres,
excepté d'un seul; peut-être pour que nous ne mourrions pas, ne forte
moria-mur. Le serpent voyant qu'Eve, par ce mot peut-être, mettait en
doute le châtiment dont elle était menacée, lui dit: ne crains rien,
tu ne mourras pas. Nequaquam ■morte moriemini, et il la conduisit ainsi
à enfreindre l'ordre de Dieu.
XIII. Les religieuses vraiment obéissantes
ne cher-chent ρ as les raisons de Tordre qui leur est donné,elles tiennent
les yeux de l'âme ouverts pour pouvoir ju-ger, mais elles ne voient rien
, et assujétissent leur ju-gement au jugement de celui qui les gouverne.
St.-Jean Climaque dit que les religieux doivent bannir toute pensée contre
l'obéissance à leurs supérieurs , comme ou chasse les pensées contre
la chasteté, c'est-à-dire tout de suite et sans raisonner, et au lieu
de les faire passer à l'épreuve de leur critique, ils doivent chercher
les raisons qui peuvent prouver la justice de leur conduite. Dieu a montré
plusieurs fois par des prodiges combien l'obéissance lui plait dans les
reli-gieux. Sulpice-Sévère raconte (Dial, de vit. St. Mart, c. 12. )
qu'un jeune homme voulant être reçu dans un couvent, l'abbé lui commanda,
pour éprouver son obéissance , d'entrer dans une fournaise ardente qui
était près de là ; le jeune homme s'élança aussitôt dans le feu,
sans être incommodés· ses habits même ne fu-rent pas brûlés. St.-Placide
étant tombé dans un fleuve, St.-Benoît ordonna à St.-Maur de Ter tirer;
ce Saint courut sur les flots et le sauva. (St.-Greg. Dial. !iv. u. ch.7.)
Ces exemples ne sont pas imitables, car ce sont là des impulsions extraordinaires
de la grûce, par les-quels le Seigneur fait connaître aux supérieurs
et aux inférieurs sa divine volonté. Mais ils servent à nous prouver
combien plaît à Dieu l'obéissance aveugle et vin.
12
178
LA RELIGIEUSE
sans discussion. Souvent les supérieurs,
pour éprouver cette obéissance, commandent des choses ridicules et qui
sont contraires à la raison naturelle. St.-François faisait planter par
ses moines des chous la tête en bas, et les pieds en l'air. Il faisait
tourner frère Matthieu jusqu'à le faire tomber par terre. Ste.-Thérèse
éprou-vait ses filles de la même manière. On dira peut-être : à quoi
sert tout cela ? A quoi Sert, dirai-je, de faire courir un jeune cheval,
de l'arrêter, de le faire aller à droite et à gauche, si ce n'est à
le rendre obéissant. De même les ordres bizarres servent à habituer
les in-férieurs à briser leurvolonté et à soumettre leur juge-ment
à l'obéissance.
XIV. Le B.Calasanze disait: N'est
pas obéissant celui qui en obéissant suit sa propre volonté. Gardez-vous
donc, ô ma sœur, dans toutes les actions de votre vie de croire à votre
jugement contre ce que vous com-mandent vos supérieurs. St.-Phîlippe
de Néri disait qu'il n'y a rien de plus dangereux que de vouloir s 3 guider
par sa propre volonté. Pierre de Blois dit la même chose : Sibi solum
credere pessimum est. Le plus grand malheur pour une âme est de ne Vouloir
s'en rapporter qu'à soi-même, puis qu'il est impossible, ajoute Cassien,
que celui qui se fie à soi-même, ne soit pas trompé par la ruse du démon.
Impossibile est qui proprio fidet judicio diaboli illusione non decepi.
(Cojl. χνι. cap. 11.) Delà, St.-Jean Chrysostôme disait : Nihil est
quod ecclesiam Dei ita destruere potest ul quando disci-puli magistris
noncoherent. (Horn.in d. S. P.) Rien n'est plus nuisible à l'église que
d'avoir des disciples qui professentdessentimenscontrairesàceux des maîtres.
Et je dis moi que rien hVst plusnuisible aux couvents que d'avoir des religieux
d'un sentiment opposé à ce-lui de leurs supérieurs.
SANCTIFIÉE.
' 79
PRIÈRE.
Mon Jésus, vous n'abandonnez jamais
une âme qui vous cherché. Non dereliquisti quaerentes te, Domine. J'ai
laissé le monde, pour venir vous trouver dans ce saint lieu, mais après
cela je n'ai recherché que moi-même et mes goûts, quoique à votre très-grand
déplaisir. Ou-bliez le passéj Seigneur, et pardonnez-moi les offenses
que je vous ai faites, car je les abhorre de tout mon cœur. J'éprouve
un vif désir de devenir sainte et de vous plaire en tout. Je vois déjà
que ce désir est même un don qui me vient de vous. Ο mon doux époux
, comment avez-vous daigne venir visiter une âme si in-grate et lui accorder
tant de grâces après en avoir reçu tant d'outrages ? Je vous en remercie,
Seigneur, avec un cœur attendri et confus ; soyez-en mille fois béni.
Vous m'appeliez à votre amour, et je veux vous obéir. Je reconnais la
grâce que vous me faites, je ne veux plus y être insensible comme jadis.
Je vous aime, ô mon bien suprême, je vous aime, mon Dieu ; vous êtes
mon unique trésor, mon unique amour. Donnez-moi la force de correspondre
par mon amour à l'amour que vous me portez. Faites que je vous aime toujours
, et que je vous aime avec ardeur et je ne vous demande plus rien. Marie,
ma mère, remerciez encore votre fils en mon nom et obtenez-moi la
grâce de lui être reconnaissante pendant les jours qui me restent à
vivre; ô mère de Dieu je me confie en vous.
ΐ8θ
LA HEL1GIEUSE
CHAPITRE VIII.
De la mortification des sens.
I. 11 n'y a pas de remède ; pauvres
enfants d'A dam, nous serons jusqu'à Ja mort dans une guerre conti-nuelle.
Caro enimconcupiscit adversas spiritum, spiritus au-tem adversas carnem.
(Gal. v. 17.) La chair désire ce que ne veut pas l'esprit ; et l'esprit
désire ce que ne veut pas la chair.Mais c'est le propre des brute? de
sa tisfaire leurs sens; et le propre des anges de faire la volonté divine.
Un saint docteur a dit avec raison que si nous nous appliquons à faire
la volonté de Dieu, nous deviendrons des anges, mais si nous ne songeons
qu'à satisfaire nos sens, nous deviendrons desbrutes. Il faut que l'âme
foule aux pieds le corps, ou que le corps foule aux pieds l'âme. Nous
devons donc traiter notre corps comme un cavalier traite un coursier indompté,
lui tenantfóu-jours la bride haute, de peur qu'il né le jette dansquel-quj
précipice, ou bien comme lé médecin prescrit au malade ce qu'il refuse,
c'est-à-dire des remèdes, et lui refuse les mets et les boissons nuisibles
qu'il désire. Un médecin qui ne fairait pas boire de médecines au malade,
parce qu'elles sont amèreset lui déplaisent, et qui lui accorderait les
boissons douces , parce qu'il les aime ! serait un bourreau. Les sensuels
sont donc les bourreaux de leur âme , car pour ne pas faire un peu souffrir
leur corps dans cette vie, ils mettent leur âme eu danger de se perdre
et même ils exposent leur corps à endurer pendant toute l'éternité
des peines beaucoup plus grandes. Ista caritas, dit St.-Bernard, destruit
ca-ritatem, talis misericordia crudelitate plena est, quia ita
SAKCT1FIÉE.
l8l
corpori servietur ut anima juguletar.
(In Αρ. ad. Guil.) Cette fausse charité , détruit la véritable charité
que nous devons employer envers nous-mêmes, une telle compassion pour
notre corps est une vraie cruauté,puis-que, pour servir le corps, on donnela
mort à l'âme. Le même saint s'adressant aux hommes charnels qui raillent
les serviteurs de Dieu, parce qu'ils mortifient leur chair , a dit : Simus
nos crudeles interim non parcen-do , et vos parcendo crudelieres. ( Serm.'x.
Ps. (Jui hab. ) Nous sommes cruels envers notrecorps en luiinfligeant dès
pénitences , mais vous êtes bien plus cruels, vous qui le contentez dans
la vie présente et le condamnez à souffrir avec votre âme des peines
éternelles dans la vie future. Un saint solitaire, dont parle leP. Rodriguez,
répondit à ceux qui lui demandaient pourquoi il meur-trissait son corps
parla pénitence : Vexo eum qui vexât me. Je tourmente l'ennemi qui me
' tourmente et qui voudrait me donner la mort. L'abbé Moïse répondit
ainsi à une personne qui le pressait de ne pas mortifier son corps : Quiescant
passiones, quiescam et ego. Quand ma chair cessera de me tourmenter, jecesseraideïa
mortifier.
• II. Si donc nous voulons nous
sauver et être agré-ables à Dieu, nous devons changer de goût : nous
de-vons nous plaire dans ce qui répugne à la chair,et nous déplaire
dans ce que la chaire demande. C'est ce que Dieu dit un jour à St.-François'
d'Assises : Si tu désires me posséder, reçois' les choses arriéres
comme des choses douces, et le choses douces comme des choses arriéres.
Il ne faut pas dire comme quelques personnes, que la per-fection ne consiste
pas à meurtrir son corps, mais à mortifier sa volonté. Le P. Pinamonte
répond en ces mots à ceux qui parlent ainsi : Ce n'est pas parce qu'elle
est entourée d'épines que la vigne porte des
l8a
ΙΑ REIIGIECSË
fruits; mais ce sont les épines
qui la défendent, et sans ces épines le fruit serait dérobé ; l'Ecclésiaste
l'a dit (xxxvi.27.) : Ubi non est sepes diripietur possessio. Quand il
n'y a pas de haies, le champ est ravagé. St.-Louisde Gonzague, quoique
d'une santé très-faible, aimait tant à macérer son corps, qu'il ne
cherchait que mortifica-tions et pénitences, et comme on lui dit un jour
que la sainteté consistait plutôt dans l'abnégation de ses volontés
que dans les mortifications, il répondit sage-ment avec l'évangile :
Hœc oportet facere et Ma non omit-tere. (Mat. xxm. 23.) Il fallait faire
cela et nepasomettre le reste. C'est-à-dire que quoiqu'il soit nécessaire
de morlifier ses volontés, il est nécessaire aussi de mor-tifier son
corps pour le tenir au frein et le rendre obéis-sant àla raison.L'Apôtredisait:
Castigo corpus meum et in servitutem redigo. (I, Cor. ix. 27.) Je châtie
mon corps elle réduis en servitude. Quand lecorps n'est pas mor-tifié
il n'est pas obéissant à la loi. S t-Jean de la Croix, parlant de ceux
qui n'aiment pas les pénitences et qui s'établissent maures de spiritualité
pour les autres , qui méprisent les mortifications extérieures et en
dis-suadent la pratique, dit ces paroles : Si quelqu'un ve-nait vous enseigner
à vous relâcher de la mortifica-tion de la chair, n'ajoufezpas foi à
sa doctrine, quand même il la confirmerait par des miracles.
III. Le monde et le démon sont
les grands ennemis de notre salut éternel; mais le plus grand de nos en-nemis,
c'est notre corps, parce que nous le tenons dans nos foyers. St.-Bernard
a dit : Magis nocet do-mesticus hostis. ( De anima, cap. 15. ) L'ennemi
domes-tique est le plus à craindre. Une place assiégée n'a pas d'ennemis
plus dangereux que ceux qu'elle ren-ferme dans son sein, parce qu'il est
plus difficile de se garder de ceux-ci que de ceux du dehors. Le B. J.
SANCTIFIEE.
Ι 85
Calasanze disait : II ne faut pas
faire plus de cas de gon corps que d'un torchon de cuisine. En effet les
Saints l'ont traité ainsi. Comme les hommes du monde ne pensent qu'à
satisfaire leurs corps, par des plaisirs sensuels, ainsi les âmes amantes
de Dieu ne cherchent qu'à mortifier leur chair. St -Pierre d'Al-cantara
disait à son corps : Mon corps tais-toi, je ne veux te donner aucun repos
en ce monde ; tu ne re* cevras de moi que tourments. Ensuite , quand nous
serons en Paradis tu jouiras d'un repos sans fin. Ste.-Madelaine de Pazzi
avait suivi cette maxime, puis-qu'elle dit au lit de la mort, qu'elle ne
se souvenait pas d'avoir goûté d'autre satisfaction qu'en Dieu. Li-sons
les vies des Saints, voyons les pénitences qu'ils ont faites, et rougissons
d'être si délicats et si réservés à affliger notre chair. On lit dans
les vies des Saints de la primitive Église, ( lib. ι. in w. St.-Euphr.
) qu'il y avait un couvent très-nombreux, dont les religieuses ne prenaient
jamais de fruits ni de vin, quelques-unes ne mangeaient que d'un soir à
l'autre, ou ne se nourrissaient qu'après deux ou trois jours d'une absti-nence
rigoureuse ; elles portaient toutes le cilice et dormaient dessus. Je n'exige
pas tout cela des reli-gieuses d'aujourd'hui , mais n'est-ce pas le moins
qu'elles se donnent la discipline plusieurs fois la se-maine ? Qu'elles
portent une chaîne sur elles, jusqu'à l'heure du dîner, qu'en hiver,
pendant quelques jours de la semaine et dans lesneuvaines surtout, elles
n'ap-prochent pas du feu ? qu'elles s'abstiennent des fruits et de toutes
douceurs, et qiie le samedi elles jeûnent au pain et à l'eau, ou qu'elles
se contentent d'un seul plat pour l'amour de la Ste.-Vierge?
IV. Mais dira quelque religieuse
: Je suis malade
I 84
lA BELIGIEUSE
et mon directeur me défend toute
sorte de pénitence. Bien, obéissez : mais au moins embrassez avec paix
les douleurs que vous éprouvez et les incommodités de l'hiver et de l'été,
etsi vous ne pouvez mortifier votre corps par des pénitences positives,
du moins abstenez-vous de quelque plaisir licite. St.-François de Borgia
, allant à la chasse au Faucon , baissait les yeux lorsque le faucon saisissait
sa proie dans les airs, afin de se priver du plaisir de la voir se débattre
pal-pitante sous les griffes de son vainqueur. St.-Louis de Gonzague se
privait de voir les jeux les plus divertis-pans des fêtes où il se trouvait.
Pourquoi ne pr-atique-riéz-vous pas aussi ces mortifications ou d'autres
sem-blables ? Le corps voyant que les plaisirs licites lui sont refusés,
n'aura pas l'effronterie d'en demander d'illicites ; ceux au contraire
qui veulent se donner tous les plaisirs licites finissent par en prendre
d'illi-cites. Le P. Vincent Carafe , disait que le Seigneur nous a donné
les délices de ce monde , non pas uni-quement pour nous en faire jouir,
mais encore, afin de nous donner des occasions de lui devenir agréable,
en lui rendant ses propres dons par une privation vo-lontaire qui est une
preuve de notre amour pour lui.
II est vrai que parfois certains
plaisirs innocens ai-dent notre faiblesse humaine et nous rendent plus
propres aux exercices de piété. Mais soyons convain-cus que les plaisirs
sensuels sont à proprement parler les poisons de l'âme, car ils l'attachent
aux. créatures, de sorte qu'on ne doit en user que comme on use des poisons.
Parfois , les poisons mêmes rétablissent la santé du corps , quand ils
sont bien préparés et pris à petite dose, mais ce sont toujours des
remèdes com-posés avec des poisons, et c'est pour cela qu'on doit les
prendre avec précaution et modération, sans at-
SANCTIFIÉE.
l85
tachement , mais uniquement par
nécessité , afin de pouvoir mieux servir Dieu.
V. N*allons pas, pour conserver
la santé du corps , perdre celle de l'âme, car l'âme est malade dès
que la chair n'est pas mortifiée. St.-Bernard disait : Com-patìor infirmitatibus
corporum, sed amplius metuenda infir-mitas animarum. ( Ep. 321. ) Je compatis
aux infir-mités du corps, mais je compatis encore plus aux in-firmités
de l'âme qui sont beaucoup plus dangereuses et bien plus à craindre.
Oh! q'ie de fois les infirmités du corps nous servent de prétexte pour
prendre quel-que liberté inutile 1 Ste.-Thérèse disait â ses religieu-ses
: Nous n'allons pas au chœur aujourd'hui, parce que nous avons mal à
la tête ; demain , parce que nous y avons eu mal, et les jours suivans
de peur d'y avoir mal. ( Chem. de perf. c. 10. ) Cette sainte don-nait
encore ( ehap. suivant ) cet avertissement à ses filles : Vous n'êies
pas venues ici pour vous dorloter mais pour mourir à vous-mêmes pour
Jésus-Christ. Si nous ne savons nous passer de la santé du corps , nous
ne ferons jamais rien. Qu'importe que nous mourrions? Que de fois notre
corps s'est moqué de nous! Ne nous moquerons-nous jamais de lui? Le B.
Calasanze disait : Malheur à tout moine qui pré-fère la santé à la
sainteté! St.-Bernard trouvait qu'il était honteux pour un moine de prendre
des méde-cines chères, et que les tisanes suffisaient. Je n'en de-mande
pas tant des religieuses, mais je dis que celle-là est difficilement intérieure,
qui demande sans cesse médecins et médecines , et souvent ne s'en rapporte
pas même à l'ordonnance du médecin ordinaire , et met ainsi le désordre
dans tout le monastère. St;-Sal-vien dit : Homines Christo dediti infirmi
sunt et volunt esse; si fortes fuerint, sancti esse vixpossunf.Les personnes
l86
11 RELIGIEUSE
adonnées à l'amour de Jésus-Christ,
surtout les religi-euses, sont presque toujours malades de corps (lisez
les vies de Ste.-Thérèse, de Ste.-Rose,de Ste.-Madeleine de Pazzi ) et
cet état leur plait, sans quoi, dit Salvien, elles ne pourraient pas devenir
saintes. La vén. Bea-trix de l'Incarnation, première fille spirituelle
deSte.-Thérèse, était accablée d'infirmités et de douleurs, et cependant
elle disait qu'elle n'aurait pas changé d'é-tat avec la première princesse
du monde. Elle souf-frait tout sans se plaindre, ce qui porta une religieuse
à lui dire en riant : Ma sœur, vous semblez un de ces pauvres qui meurent
de faim , mais qui aiment mieux supporter cette faim que d'avoir la honte
d'a-vouer leur pauvreté. Ainsi donc,'si nous ne pouvons faire beaucoup
de mortifications corporelles, à cause de la faiblesse de notre santé,
au moins recevons à bras ouverts les infirmités que Dieu nous envoie.
Supportées avec patience, ces infirmités nous feront faire peut-être
plus de progrès duns laperfection spirituelle que tontes les pénitences
volontaires. Sle.-Sinclétique disait : De même que par les médecines
on guérit les maux du corps, ainsi par les maux du corps on guérit les
vices de l'âme. ( In vit. pat. lib. ni. c. 36. )
VI. Oh ! que de biens apportent
à l'esprit les mor-tifications du corps ! Elles nous détachent des goûts
sensuels qui blessent et qui même donnent par fois la mort à l'âme.
Vulnera caritatis , disait Origène, non faciunt sentire vulnera carnis
( In cant. e. 3. ) Les bles-sures de la charité empêchent de sentir les
blessures de la chair. De plus, les mortifications nous font satis-faire
en cette vie pour la peine due à nos péchés. Car quoique le péché
soit pardonné à celui qui a offensé Dieu, néanmoins il faut encore
qu'il satisfasse pour la peine temporelle ; et celui qui ne satisfait pas
eu cette
tAKCTIFIEE.
187
vie aura à payer après sa mort
dans le Purgatoire. Mais là les peines seront immensément plus grandes.
In tribulatione maxima erant nisi poenitentiam egerint. ( Apoc. π. 22.
) Ceux qui n'auront pas l'ait pénitence de leurs péchés souffriront
des peines horribles dans l'autre vie. Sl.-Antonin raconte qu'un ange demanda
à un malade s'il aimait mieux rester trois jours dans le Purgatoire ou
deux ans dans son lit avec la même infirmité ; le malade choisit les
trois jours de Purga-toire ; mais au bout d'une heure, il se plaignait
à l'ange comme si au lieu de trois jours, il lui en eût fait passer plusieurs
années. L'ange lui répondit : Que dis-tu? ton corps est encore chaud
sur le lit οίι tu es mort, et tu parles d'années? Sidone vous voulez
souf-frir en paix, figurez-vous que vous devez vivre quinze ou vingt années,
et dites : C'est ici mon purgatoire ; ce n'est pas le corps mais l'esprit
qui doit l'emporter.
Vil. D'ailleurs , les mortifications
élèvent l'âme à Dieu. St.-François de Sales disait que l'âme ne peut
s'élever à Dieu, si la chair n'est pas mortifiée et sou-mise. St.-Thérèse
nous donne sur ce sujet ces belles maximes : C'est une erreur de croire
que Dieu admet à sa familiarité des gens délicats. Bonne chère et dé-votion
ne s'accordent pas ensemble. Les âmes qui ai-ment Dieu véritablement
ne demandent pas de repos.
ΎΙ11. Les mortifications nous
acquièrent une grande gloire dans le ciel. L'Apôtre disait : si les lutteurs
s'abs-tiennent de tout excès pour ne pas affaiblir leurs for-ces et ne
pas perdre une misérable couronne tem-porelle, combien ne devons-nous
pas nous mortifier, nous, pour acquérir une couronne immense et éter-nelle
? Uti quidem est corruptibilem coronam accipiant, nos autem incorruptam.
( 1. cor. 9. 25. ) St.-Jean vit dans le ciel tous les élus, une palme
à la main ; Et patma in
1 88
LA BELIGIF.HSE
manibus eorum. ( Apoc. vii. 9.)
Nous devons entendre par là, que, pour nous sauver, nous devons être
mar-tyrs, du par le fer des tyrans ou par nos propres mor-tifications.
Mais il faut remarquer que tout ce que nous souffrons ici bas n'est rien
en comparaison de la gloire qui nous attend dans le Paradis. Non sunt condi-gnae
passiones hujus temporis ad futuram gloriam quas re-velabitur in nobis
( Rom. vm. 18. ) Cette courte morti-fication nous rapportera une félicite
éternelle. Momen-taneum et levé tribulationis nostrm œternum glorice
pondus operatur in nobis. ( ι. cor. iv. 17. )
IX. Ranimons donc notre foi, nous
n'avons que peu de temps à passer sur cette terre. No're demeure, c'est
l'éternité; plus on se sera mortifié, plus on y aura de joie. St.-Pierre
dit que les bienheureux sont les pierres vivantes dont est composée la
Jérusalem céleste. Mais ces pierres doivent être d'abord taillées sur
la terre avec le ciseau de la mortification, comme le chante l'Eglise.
Sralpri salubris ictibus et tunsione plurima, fabri polita malleo hanc
sawamolem construunt.Fi-gurons-nous que chaque acte de mortification est
un coup de ciseau. Cette pensée rendra douce nos peines et nos fatigues.
Si l'on était assuré de devenir posses-seur de tout le terrain qu'on
pourrait parcourir en un jour, comme on hâterait le pas et que la fatigua
du chemin serait doUce et agréable. On racoute dans le Pré spirituel
qu'un moine voulait changer de cel-lule pour se trouver plus voisin de
l'eau- Mais un jour qu'il sortait de son ancienne cellule pour aller pren-dre
l'eau, il entendit quelqu'un qui comptait ses pas derrière lui ; il se
tourna et vit un jeune homme qui lui dit : je suis un ange qui compte tes
pas afin qu'au-cun ne reste sans récompense. Le moine à ces mots ne pensa
plus à changer de cellule et peut-être il eût
SANCTIFIÉE.
,189
désiré que la sienne fût plus
éloignée pour mériter da-vantage.
X. Mais les religieuses mortifiées
jouissent de celte paix et de cette joie, non-seulement dans l'autre vie
, mais même dans celle-ci ; et qu'elle plus grande joie peut avoir une
âme qui aime Dieu que de penser qu'en se mortifiant, elle lui est très-agréable
? La pri-vation même des plaisirs des sens et cette peine sont des délices
pour une^me pieuse,.non des délices des sens mais de l'esprit ! L'amour
ne peut être oisif. Qui aime Dieu ne peut vivre sans lui donner sans cesse
des preuves de son amour, et l'âme ne peut donner à Dieu de plus grandes
preuves d'amour qu'en se privant des plaisirs temporels, qu'en lui of-frant
ses peines. Une âme amoureuse de Jésus-Christ ne souffre pas en se mortifiant.
Qui aime ne souffre pas,dit St.-Augustin; ψά amat non laborat, (In Man.
) et puis quel est celui, s'écrie Ste.-T»hérèse, qui voyant Jésus-Christ
couvert de plaies et d'outrages,,n'embras-sera pas les mortifications et
ne les désirera pas? St,-Paul disait qu'il ne voulait d'autre gloire que
celle d'embrasse,r la croix de Jésus-Christ. Mihi autem absit gloriari
nisi in cruce Domini nostri Jesu Christi. (Gal. vi. 14· ) c'est le signe
certain pour distinguer ceux qui aiment .Jesjis-Christ, de ceux qui ne
l'aiment pas. Qui ctutepi s uni Christi carnem meam crucifixerunt cum vitiis
ei.concupiscentiis, ( Gal. ν. ΊΙχ. )Les gens, du monde ne songent qu'à,satisfaire
leur chair , mais ceux qui sont à.Jésus-Çhrîst ne songent qu'à la
mortifier et a la crucifier. Concluons ainsi, ma chère sœur: Suppose?
que l'instant- de la mort est proche et que vous avez acquis très^peu
pour le paradis. Tâchez donc de vous mortifier à l'avenir autant que
possible, et de vous priver des, satisfactions, que Γ amour-propre vous
de-
Ì'QO
ΙΑ RELlGÌElieE
mande. Ne négligez aucune occasion
de le faire , comme le dit le St.-Esprit. Particula boni doiïi non te
prœlereat. ( Eccl. xiv. 14- ) Ne laissez pas perdre la plus petite parcelle
du bien que Dieu vous donne. Pensez que cette occasion de vous mortifier,
est un don que Dieu vous fait pour que vous puissiez acqué-rir plus de
mérite dans l'autre vie ; pensez encore que ce que vous ne faites pas
aujourd'hui Vous ne le pour-rez pas faire demain, parce que le temps passé
ne revient plus.
XI. Je veux enfin votis mettre sous'
les yëUx, pour vous encourager à la pénitence , ce que vit St.-Jean
Climaque dans Ce monastère extraordinaire , appelé la Prison des péniterts.
Voici la description qu'il en fit ensuite : ( In scalâ Parad. Grad. )
« Je vis, dit le » Saint, quelques-uns de ces moines qui passaient »
debout sur leurs pieds, la nuit, en plein air, luttant » avec le sommeil.
J'en vis d'autres qui tenaient les » yeux fixés au ciel et qui demandaient
pardon à » Dieu en pleurant. D'autres encore , les mains liées 4 derrière
le dos, tenaient la tète baissée comme in-» dignes de regarder" le ciel·
D'autres, couchés sur la » cendre, avaient la tête entre leurs genoux
et frap-» paient du front la terre. D'autres inondaient le pavé » de
leurs larmes. D'autres recevaient les rayons brû-» lants du soleil. D'autres,
brûlés par la soif, se con-» tentaient de quelques gouttes d'eau, assez
pour ne » pas mourir. D'autres prenaient un morceau de » pain , puis
le jetaient, disant qu'il ne méritait » pas une nourriture d'homme, celui
qui a fait des » actions de brute. D'autres avaient les joues sillon-«
nées par les larmes. D'autres avaient les yeux dé-» charnés et enfoncés
dans la tête. D'autres se frap-» paient la poitrine si fort, qu'ils
en crachaient le
SAKCtlFIEE.
I9I
» sang. Enfin, je les vis tous
avec des visages si pâles, » si meurtris qu'on les eût pris pour des
cadavres. * Le Saint finit en disant qu'il trouve plus heureux ces moines
qui, après être tombés, font pénitence, que ceux qui ne sont jamais
tombés, et qui n'ont jamais fait pé-nitence. Mais que dire de ceux qui
tombent et ne font pas pénitence ?
PRIÈiiE.
Mou époux , aidez-moi, donnez-moi
la force de vous servir à l'avenir autrement que je n'ai fait jus-qu'à
présent. Je n'ai pensé par le passé qu'à satisfaire mes goûts et mon
amour-propre, sans craindre de vous offenser ; mais désormais je ne veux
songer qu'à vous contenter vous seul, car vous seul méritez tout mon
amour. Pour l'amour de moi, qui suis votre mi-sérable créature , vous
avez choisi une vie pleine de peines et de douleurs ; vous n'avez rien
épargné pour m'engager à vous aimer, et je vivrais encore dans l'ingratitude
où j'ai langui pendant tant d'années ? Non , Jésus, il n'eu sera pas
ainsi, je vous ai assez of-fensé. Pardonnez-moi, pardonnez-moi tout; je
me re-pends de tout mon cœur de vous avoir tant offensé jus-qu'à présent
par ma vie désordonnée. Je vous aime maintenant de tout mon coeur et
je veux faire tout ce que je pourrai pour vous plaire en tout. Faites-moi
savoir ce que vous vouto de moi, par la voix de mon directeur, car à présent
je me propose et j'espère le faire avec votre grâce. Mon bien-aimé Rédempteur
, remplissez ma mémoire de saintes pensées, afin que je me souvienne
toujours des douleurs que vous, mon Dieu, avez souffertes pour moi; remplissez
ma vo-
iga
in RELIGIEUSE
loiité de saintes affections afin
qu'elle ne s'occupe qu'à vous plaire, et ne veuille que ce que vous voulez,
sans autre liberté que celle de pouvoir être toute à vous. Faites, Seigneur,
que je vous aime beaucoup, parce que dès que je vous aimerai, toutes les
peines seront douces et chères. Vierge sainte, et Marie, ma mère, aidez-moi
àplaireà Dieu pendant les jours que j'ai encore à vivre, je me confie
toute en vous.
5. I.
De la mortification des yeux et
do la modestie en général.
I. Presque toutes les passions qui
font la guerre à notre esprit prennent leur origine dans nos yeux mal
gardés, parce que c'est la vue des objets extérieurs qui exciteleplus
souvent en nous'lès passions et les afie'c-tîons désordonnées. Jòb
dit en parlant des passions impures. Pepigi foedus cum oculis meis ut ne
cogitarem quidem tie virgine. ( xxxi. ) J*ai pris l'engagement avec mes
yeux, de ne pas peuser aux femmes. Mais pour-quoi dit-il de ne pas penser
?Il aurait dû dire plutôt, de ne pas regarder. Oui, il eut raison dé
dire de ne pais penser, parce que la pensée est si unie au regard que
l'un iné peut ' aller sans l'autre, et le Saint pour ne pas être tourmenté
par la pensée, se proposa de ne pas regarder le visage dei femmes. St.-Augustin
dit : Vi-sum sequitur cogHatio, cogitationem delectatio, delectatio-nem
consensus. La pensée naît du regard, le désir de la pensée, parce que,
dit St.-François de Sales, ce qu'on
SANCTIFIÉE.
193
ne voit pas on ne le désire pas,
puis le consentement succède au désir. Si Eve n'avait pas regardé la
pomme défendue, elle ne se serait pas damnée; mais comme elle la regarda
et qu'elle lui parut bonne et belle, elle la prit et se perdit. Vidit quod
bonum esset lignum et put-chnvtn.... et tulit. ( Gen. 111. 6. ) C'est pourquoi
le dé-mon nous pousse d'abord à regarder, puis à désirer , puis enfin
à consentir.
II. St.-Jérôme dit que le démon,
n'a besoin que de noscommencements '.Nostris tantam initiis opus ha-bet.
Il lui suffit que nous commencions à lui ouvrir la porte , il saura de
lui-même achever de l'ouvrir tout-à-fait. Un regard Volontaire, fixé
sur la figure d'une personne de l'autre sexe, deviendra une étincelle
d'en-fer qui fera périr l'âme. St.-Bernard dit : Per oculos intrat ad
mentem sagitta «moris. ( Serm. 13. } Les pre-mières flèches qui blessent
les âmes chastes , et sou-vent les tuent passent par les yeux ; c'est
par les yeux que se perdit David, si cher à Dieu. C'est parles yeux que
se perdit Salomon, qui jadis avait été la plume du St.-Esprit. Combien
d'autres se sont damnés à cause de leurs yeux. Qu'il ferme les yeux celui
qui ne "veut pas pleurer un jour ,en disant avec Jérémie. Oculus meus
depraedatus est animam meam. ( Thr.m. 15.) Les yeux m'ont perdu l'âme
par les mauvais senti-ments qu'ils y ont introduits.Aussi St.-Grégoire
a dit: Deprimendisunt oculi, quasi raptores ad culpam.(M.ov.l.%l.) Il faut
réprimer ses regards , sans quoi ils seront comme des harpons d'enfer
qui entraîneront l'âme au péehé presque malgré elle. Qui regarde un
objet dangereux, dit le saint , Incipit veU quod noluit, cem-mence à vouloir
ce qu'il ne voulait pas. L'histoire d'Holopherne nous le prouve en disant
: Pulchritude vin.
i3
1C)4
1A RELIGIEUSE
ζ/'ΐΜ captivam fecit animam ejus.
(Jud. xvi. 11.) La beauté de Judiht rendit son âme esclave. ' III. Sénèque
di.sait : Pars innocentia cœcitas. La cé-citéconduit à l'innocence.
Un philosophe païen, au dire de Tertullien, s'arracha volontairement les
yeux pour conserver sa chasteté. Cela ne nous est pas permis, à nous,
fidèles, mais si nous voulons être purs il faut que nous soyons aveugles
par vertu, en nous abstenant de regarder des objets qui peuvent réveiller
en nous des pensées déshonnêtes. Le St.-Esprit a dit : Ne (ircumspi-cias
speciem alienam.... ex hoc concupiscentia quasi ignis exardescit. ( Eccl.
ιχ. 8 et 9. ) Ne regarde pas la beauté d'autrui parce qu'après les
regards viendront les mau-vais désirs qui allumeront dans ton âme un
feu impur. St.- François de Sales disait : Qui ne veut pas que les ennemis
entrent dans la place doit en fermer les portes.
IV. Les saints ont toujours été
si cirsonspects, pour ce motif, avec leurs yeux, que, de peur de voir quelqu'ob-jet
dangereux, ils les tenaient sans cesse fixés à terre, «'abstenant de
regarder même les objets innocens. St·-Bernard, après un an de noviciat,
ne savait pas encore si le plancher de sa cellule était en poutres ou
un pla-fond. Il y avait trois fenêtres dans l'église de son cou-vent,
mais il n'en connaissait pas le nombre, car ja-mais il n'y avait jeté
les yeux. Ayant marché pres-qu'un jour entier sur les bords d'un lac,
il demanda à ses compagnons, qui en parlaient, où étaitcelac, car il
ne l'avait pas encore vu. St.-Pierre d'Âlcantara te-nait les yeux si baissés,
qu'il ne connaissait pis même les moines avec qui il était en rapport,
il ne les distin-guait qu'à la voix et jamais à la figure. L'attention
des saints a été plus grande encore pour ne pas regarder les personnes
d'un sexe différeut. St.-Hugon, évèque,
SANCTIFIEE.
195
lorsqu'il était obligé de traiter
avec des femmes, ne les regardait jamais en face; Ste.-Claire aussi ne
voulut jamais voir aucun homme en face; une fois qu'elle le-va les yeux
pour voir l'hostie consacrée et qu'involon-tairement elle regarda le prêtre,
elle en fut très-alïligée. St.-Louis deGonzague n'osait pas lever les
yeux, même vers sa mère. Une dame de qualité alla trouver St.-Ar-eène
dans le désert pour le prier de la recommander à Dieu, mais le saint
lui tourna le dos aussitôt qu'il s'a-perçut que c'était une femme. Cette
Dame lui dit ; Arsène, puisque tu ne veux pas me voir du moins sou-viens-toi
de moi dans tes prières. Non, dit-il, je prie-rai Dieu qu'il m'accorde
la grâce de t'oublier, afin que je ne pense plus à toi.
V. On voit par là combien sont
téméraires et folles ces religieuses qui, sans être des Stes.-Claires,
veulent cependant regarder à leur belveder, au parloir, à l'é-glise
tous les objets qui s'offrent à leur curiosité, même les personnes de
l'autre sexe et puis veulent être exemp-tes tie tentations et des dangers
de pécher. L'abbé Pas-teur ayant regardé une femme qui glanait, fut
pendant 40 ans tourmenté par des tentations impures. St.-Gré-goire dit
que c'est pour avoir regardé imprudemment une femme que St.-Benoît .se
roulait dans les épines pour se délivrer des tentations, dont un regard
avait été la cause. St.-Jérôme, pendant son séjour dans la grotte
de Bethléem, où il priait et se meurtrissait sans cesse, étaitconthmellementharcelépar
le souvenir des dames qu'il avait vues à Rome. Comment donc pourraient
être exemptes de semblables images les religieuses qui regardent sans
réserve, et à plusieurs reprises, des hom-mes ? C'est le second regard,
dit St.-François de Sa-les, qui est le plus nuisible. St.-Augustin a dit
: Etsi oculi nostri jaciantur in aliquam, de figantar in nulla. (In.
H)(>
LA RELIGIEUSE
Reg. in. c. 28. ) Si par hasard
nos yeux glissent sur quelqu'un , tâchons qu'ils ne
s'y arrêtent pas. St.-Ignace de Loyola réprimanda le P.Manareo,parce
qu'en le congédiant, pour l'envoyer loin delà, celui-ci l'avait regardé
en face. ( Lancis. Op. H. n. 30Ζμ ) II est- donc indécent pour les religieuses
de regarder, même des personnes de leur sexe, surtout si elles sont jeunes.
Je dis que c'est indécent, généralement parlant ; mais regarder des
jeunes gens de l'autre sexe, je ne sais si on peut-être excusé de péché
véniel et même de péché mortel, s'il y a danger prochain à consentir
à quelque désir. Intueri non licet, dit St.-Grégoire, quod non licet
concupiscere. Il n'est pas licite de regarder ce qu'il n'est pas licite
de convoiter, parce que, quoiqu'on chasse les mauvaises pensées qui troublent
l'esprit quand on regarde, il reste toujours une petite tache dans l'âme;
Frère Roger, Franciscain, qui avait reçu le don extraor-dinaire de pureté
, répondit à ceux qui lui deman-daient pourquoi il était si réservé
à regarderies fem-mes : Quand on fuit les occasions, on est gardé par
Dieu même, mais quand on se met soi-même dans le danger , on est abandonné
de Dieu et l'on tombe dans des péchés graves. (Lib. confort'S. Fran.
2. )
YI. Si la liberté des yeux ne cause
pas d'autre mal, du moins elle empêche l'âme de se recueillir dans la
prière, car alors tous les souvenirs étrangers re-viennent à la mémoire
et donnent1 miile distractions. Et si l'on a eu du recueillement dans l'oraison
, on le perdra bientôt en laissant égarer ses yeux partout. Les religieuses
qui ne sont pas recueillies ne peuvent guère exercer la vertu de l'humilité,
de la patience, de la mortification et autres semblables. Il faut donc
qu'elles s'abstiennent bien de regarder par curiosité les objets extérieurs
qui les détournent de leurs saintes pensées:
SABCTIPIBE.
I97
Qu'elles ne regardent que ceux q\ii
leur parlent de Dieu. St.-Bernard dit que les yeux baissés à terre ser-vent
à élever le cœur vers le ciel. St.-Grégoire de Nazianze a dit : UblChristui
est, modestia est. (Ep. 193.) Où habite Jésus-Christ par son amour, là
est aussi la modestie. Je ne prétends pas qu'on ne doive jamais lever
les yeux ni regarder aucun objet. Je veux au con-traire qu'on regarde tout
ce qui nous porte à Dieu , comme les saintes images, la campagne, les
fleurs,etc. parce que ces belles créatures nous élèvent jusqu'à la
contemplation du Créateur. Mais pour tout le reste une religieuse dévote
doit le plus souvent tenir les ytìux baissés , surtout dans les lieux
où ils peuvent rencon-trer des objets dangereux, et en causant avec des
hommes, ses yeux ne doivent jamais les regaider et encore moins les fixer,
comme nous l'avons dit ci-dessus avec St.-François de Sales.
VII. La modestie des yeux est non
seulement né-cessaire pour son propre .intérêt niais de plus elle sert
Λ l'édification des autres» Dieu seul voit notre cœur ; les hommes
ne voient que nos actions extérieures et ils en sont édifiés, ou scandalisés.
Ex visu cognosciturvir. (Ecc. ix. 20. ) Par la figure on connaît ce qu'est
l'homme à l'intérieur. C'est pourquoi un religieux doit être comme l'Évangile
le dit de St.-Jean : Lucerna ardens et lucem. Une lampe ardente et brillante.
(St.-Jean v. 35.) Il doit être un flambeau qui brûle du divin amour dans
son cœur et qui baisse, par sa modestie, devant ceux qui le voient. Ce
qu'écrit l'Apôtre à ses disciples regarde surtout les religieuses. Spectaculum
facti sumus mundo et angelis et hominibus. (I. Cor. iv. 9.) Nous sommes
donnés en spectacle au monde. C'est-à-dire aux anges et aux hommes. Il
dit ailleurs : Modestia vestra nota sit omnibus; Dominus prope est. Que
votre mo~
1Q8
LA BELIGlEtJSE
destie soit connue de tous, car
le Seigneur est proche. (Phil. iv. 5.) Les religieux en effet sont attentivement
observés par les anges et parles hommes, et leur mo-destie doit être
connue de tout le monde. Ainsi, s'ils sont immodestes ils auront à en
rendre un compte terrible à Dieu au jour du jugement. Au contraire quelle
belle édification ne donne pas et combien n'excite pas à la dévotion,
un religieux ou une religieuse modeste, qui tient toujours les yeux baissés.
On connaît l'histoire de St.-François d'Assise qui, ayant dit à son
compagnon qu'il voulait aller prêcher, sortit du couvent et après avoir
fait un tour dans le pays, eu tenant toujours les yeux baissés, revint
chez lui. Son compagnon lui de-manda : Et le sermon quand le ferez-vous
? Le saint répondit :Le sermon est fait par l'exemple de la modes-tie
des yeux que nous avons donné à ce peuple. On lit dans la vie de St.-Louis
deGonzague, que, lorsqu'il était à Rome, les étudiants attendaient le
moment où il al-lait au collège et en sortait pour admirer sa modestie.
VIIT. St.-Ambroise a dit que la modestie des hom-mes saints est toute puissante
pour corriger les mon-dains. Plerisque justi aspectus admonitio est. (
lu ps. CXVIII.) Qu'il est beau, ajoute le saint, de pouvoir être utile
aux autres, rien qu'en se montrant ! Quam pul-chrum est ut videaris et
prosit ! On raconte que St.-Ber-nardin de Sienne, étant encore séculier,
mettait par sa présence seule un frein à la licence de ses compa-gnons
qui se disaient l'un à l'autre en le voyant: Voici Bernardin ! Silence
!— St.-Grégoire de Nysse raconte de St.-Éphrem qu'on ne pouvait le
voir sans éprouver un sentiment de dévotion et sans être excité à
deve-nir meilleur. Innocent II étant allé rendre visite à St.-Bernard
à Clairvaux , les cardinaux et le Pape même furent tellement touchés
et édifiés de la vue
SANCTIFIEE.
199
du saint et des moines qui, par
modestie, n'osaient le ■ver les yeux, qu'ils en versèrent des torrents
de lar mes. Surius (vu. Jan.) rapporte une chose plus étonj nante de St.-Lucien,
moine et martyr. 11 nous dit que ce saint, par sa modestie seule, forçait
les païens embrasser la foi chrétienne. L'empereur Maximien, ayant appris
ce prodige, le fit appeller, mais de peur d'être converti par son air
modeste, il fit mettre voile entre lui et le saint, et ensuite il lui parla.
Not| Sauveur fut le premier maître de cette modestie parce que (disent
les SS. Docteurs) on lit dans Γ Évangile que Jésus, dans quelques occasions,
leva les yeux pour regarder : Elevatis oculis in discipulos. Ayant levé
les yeux sur ses disciples. (Luc.vi.20) Cum sublevasset ergo oculos Jesu.
Lorsque Jésus eut donc levé les yeux, (Joa. vi. 5.) pour indiquer qu'ordinairement
il tenait les yeux baissés. Aussi l'Apôtre, vantant la modestie de Ν.
S., écrivit à ses disciples : Obsecro vos per mansue-tudinem et modestiam
Christi.etc. (π. Cor. 10. 1.) Je ter-mine par ces mots qu'adressait St.-Basile
à ses moines: Mes enfants, si vous voulez tenir votre àme a\i ciel, tenez
vos yeux à terre. C'est pourquoi, dès l'heure de notre lever, faisons
à Dieu la prière de David : Averte oculos meos ne videant vanitatem ;
détournez mes yeux, pour qu'ils ne voyent pas la vanité. ( Ps. cxvni.
37. )
De la modeutic en général.
IX. Non seulement nous devons être
modestes nos regards, maisaussidans toutes nos autres acli surtout dans
notre habillement, dansuos déma dans nos discours, etc. Modestes dam l'habUleme
n'est pas que la religieuse doive
être sale et déguenil-lée ; mais quelle édification peut donner une
religieuse
dans ns, et ches, it; ce
200
ΙΑ BELIC1E0SE
qui apparaît toute pimpante, les
flancs serrés par un corset avec une guimpe plissée et repassée, avec
des manchettes de baptiste, et des boutons d'argent ? Que peut-on penser
d'une religieuse qui porte des bagues aux doigts et des cheveux bouclés
t St.-Cyprien dit aux femmes du monde : Auro, monilibus, et margaritis
adornatœ, ornamenta mentis perdunt (deHab. virg. 1. l\.) Les femmes qui
sont parées de bijoux, d'or, de col-liers perdent tous les ornements de
l'âme. Que le saint aurait bien fait d'adresser ces reproches aux reli-gieuses!
Voici quels doivent être, selon St.-Grégoire de Nazianze, les ornements
des femmes saintes : Mulierum ornamentum est probitate florere : colloquium
cum divinis oraculis habere : fuso ei lanee operam dare : oculis et labiis
vinculum injictre. (Adv. Mul. se orn.) Mener une vie pure, parler souvent
à Dieu dans la prière, travailler pour fuir l'oisiveté, réprimer ses
regards et sa langue par la modestie et le silence.
X. Modestie dans la démarche.
St.-Basile dit : Inces-sus sit nec segnis nec vehemens. (Ep. ad. Gr.) Pour
être modeste, la demarche doit être grave, ni précipitée ni trop lente.
Modestie quand on est assise. Il faut se garder de laisser aller son corps
trop à l'aise sur une chaise, de croiser ses pieds et encore moins de
mettre un genoux sur l'autre. Modestie dans le manger, en mangeant sans
avidité, sans tourner les yeux autour de soi, pour observer ce que mangent
et comme man-gent les autres.
XI. On doit surtout être
modeste dans le parler en «'abstenant de dire des mots déshonnêtes,
et peu dé-cents pour l'état religieux. Il faut bien retenir que les paroles
qui sentent le monde sont ineonvenantesdane la bouche d'une religieuse.
St.-Basile disait : de vulgo aliquis si scurriles voces emittat haud quisquam
attendit; at-
SANCTIFIÉE.
qui vitas genus perfectum profitetur,
hunc si latum unguen ab officio suo recedere visas sit, omnes confestim
observant (In IV. quaes. xxu.) Si une personne du monde pr nonce un mot
indécent, personne n'y fait attention parce que c'est le propre de ces
gens de dire de ces pa-roles, mais si une personne qui professe la perfection,
telle que les religieuses, s'éloigne d'un pouce de. sun devoir, chacun
le remarque. Il faut observer plusieurs choses pour être modeste dans
ses discours : 1° Fuir toutes sortes de médisance, même de choses connue
2° Quand les autres parlent ne pas les interrompt! In medio termonum,
dit le St.-Esprit, non adjicias loqui. (Ecc. xi. 8.) Ne parlez pas au milieu
du discours d'un autre. Quelle immodestie pour une religieuse que de vouloir
toujours parler 1 Lorsque ses sœurs disent quelque chose, aussitôt elle
leur coupe la parole; elle fait preuve de la sotte vanité de vouloir passer
pour savoir tout, et de s'établir la maîtresse des autres. Tout cela
blesse celles qui sont delà conversation. Dans les moments de récréation,
surtout quand les autres gar-dent le silence, il convient de dire de temps
en temps quelques paroles, car si tout le monde avait la bouche close,
adieu la récréation. La bonne règle c'est de se taire quand les autres
parlent, et parler quand les autres se taisent. 3° II faut s'abstenir
de certaines plaisanteries qui portent sur les défauts des avares, parce
que de telles plaisanteries (U'plaisenl à celJles à qui elles s'adressent.
l\° Ne rien dire à sa propre Louange et si ou s'entend louer, élever
son âme à Dieu et changer de discours. Si au contraire on vous contredit,
ou si on vous plaisante vous ne devez pas vous en fâcher. St.-Jean-François
Regis, quand ses compagnons, dans la récréation, se moquaient de lui,
entretenait gaiment la conversation sur ces
202
ΙΑ BEUGIE'JSE
teries, afin que chacun y trouvât
son amusement. 5° II faut encore parler à voix basse, afin de ne pas
bles-ser les oreilles d'autrui. Ne cujusquam offendat vox for-tior. Qu'une
voix trop forte ne blesse personne, dit St.-Ambroise. ( Lib. ι. de off.
c. 18.) 6° II faut être modé-ré, même dans le rire. St.-Grégoire
raconte qu'un jour la mère de Dieu vint prévenir une jeune vierge, ap-pelée
Muse, de laisser le rire, si elle voulait lui plaire. La Ste.-Vierge
voulait parler des rires immodérés, comme dit St.-Basile : Cavendum est
ab iis, qui pietati itudent, ne in rhum effusi sint. Ceux qui s'adonnent
à la piété doivent éviter le rire. ( In. reg. qu: xvn. ) Qui s'applique
à la dévotion doit s'abstenir de rire im-modérément. Du reste, dit
le même saint, un rire modéré n'est pas contraire à l'honnêteté
ou à la dé-votion ; c'est le reflet d'une âme sereine. Une reli-gieuse
doit être modeste et dévote, mais non triste et refrognée, parce que
cela déshonore la dévotion en faisant croire aux autres que la sainteté,
au lieu de réjouir, afflige et tourmente. Un air gai et content
engage au contraire les autres à embrasser la dévo-tion. On raconte que
les courtisans d'un monarque, ayant vu de quelle paix jouissait un vieux
anachorète dans sa grotte, quittèrent le monde et allèrent vivre avec
lui. ( llosign. ver. Et.) 7° Enfin ne pas parler des choses du monde,
comme de mariages, de festins, de spectacles et d'habits pompeux;
ne blâmer, ni ne vanter les mets qu'on sert au réfectoire. St.-François
de Sales dit que les personnes bien élevées ne songent à la table que
lorsqu'elles y sont assises. Quand les re-ligieuses pieuses entendent parler
de choses nuisibles ou inutiles, elles tâchent de ramener la conversation
aux choses de Dieu , comme faisait St.-Louis de Gon-zague, qui lisait chaque
jour pendant une demi heure
SAKCT1F1ÉE.
2θ3
la "vie d'un saint ou qnelqu'autre
livre de piété, pour avoir à parler dans la conversation de choses spiri-tuelles.
Quand il était avec ses inférieurs , il était le premier à entamer
la conversation sur des sujets saints. Quand il était avec des prêtres
et des supé-rieurs , il leur proposait quelque doute comme pour s'instruire,
et faisait ainsi tomber la conversation sur Dieu. Aussi ceux qui le connaissaient
bien, pour se conformer à ses goûts, avaient soin pour lui faire plai-sir
de parler de Dieu , si leur conversation avant son arrivée était sur
un autre sujet. La langue, dit le pro-verbe , se porte où la dent fait
mal. Qui porte un grand amour à un objet en parle toujours. St.-Ignace
de Loyola, qui ne paraissait savoir parler que de Dieu, était surnommé
te Pire qui ne parle que de Dieu.
PRIERE.
Mon Jésus , pardonnez-moi les péchés
sans nombre que j'ai commis par mes immodesties . et dont je me repends
de toxit mon cœur. Tout vient du peu d'amour que je vous ai porté. J'avoue
que je ne mérite pas de pitié ; mais vos plaies et votre mort m'animent
et m'obligent à avoir confiance en vous. Oh ! Dieu, que de fois je vous
ai déplu , que de fois vous m'avez ten-dremeut pardonné! Je vous ai jure
une fidélité éter-nelle et vingt fois j'ai recommencé à vous trahir.
At-tendrai-je que vous m'abandonniez à cette mortelle tiédeur qui sans
doute causerait ma perte ? Je veux me corriger, et pour cela je mets toute
ma confiance en vous, Seigneur, et je me propose de vous deman-der toujours
les secours nécessaires pour vous être fidèle. Par le passé, je me
suis fiée à moi-même et
2f>4
ΙΑ RELIGIEUSE
j'ai négligé fie me recommander
à vous ; telle a été la cause de mes nombreux péchés. Père Éternel,
par les mérites de Jésus-Christ, ayez pitié de moi, secou-rez-moi et
donnez-moi la grâce de me recomman-der à vous dans tous mes besoins.
Je vous aime, ô bien suprême, et je désire de vous aimer de toutes mes
forces , mais sans vous je ne puis rien. Donnez-moi votre amour, donnez-moi
la sainte persévérance. J'espère tout de votre bonté infinie. Ο Marie
, mère de Dieu ! vous savez combien j'ai confiance en vous : secourez-moi,
ayez pitié de m,oi.
§■ «·
Le la mortification de la bouche.
I. St.-André d'Avellino disait
que celui qui vuut marcher dans le chemin de la perfection , doit com-mencer
par la mortification de la bouche. St.-Gré-goire l'avait déjà dit :
Non adconflictum fpiritualis agonis consurgilur, si non prius gulœ appetitus
domatur. (Mor. 1. xxx. c. 13.) On ne peut entreprendre la lutte contre
les tentations de l'esprit, si auparavant on n'a dompté la sensualité
de la bouche. Le P. Rogacci dit encore dans son traité De la seule chose
nécessaire, que la mor-tification extérieure consiste principalement
à mor-tifier le goût. Mais le manger flatte naturellement le goût; doit-on
pour cela cesser de manger? Non; il faut manger, parce que Dieu veut que
nous conser-vions ainsi la vie du corps, pour le servir tant qu'il lui
plaira de nous laisser sur la terre. Mais nous ne devons nous occuper de
l'entretien de notre corps, suivant le P. Vincent Carafa, que comme ferait
un
SANCTIFIEE.
2O5
roi, qui, possédant la moitié
du monde , serait né-anmoins forcé d'étriller de ses mains un cheval
plu-sieurs fois le jour ; il remplirait, à la vérité, son obli-gation
, mais comment ? Avec une certaine répu-gnance, et un certain dégoût,
et il s'en débarasse-rait le plutôt possible. On doit manger pour vivre,
et non vivre pour manger, dit St.-François de Sales. Il y en a qui semblent
ne vivre quepour manger, comme fout les animaux. Celui-là, dit St.-Bernard,
est brute, qui aime ce qu'aiment les brutes. L'homme qui aime la nourriture
à la manière des animaux , est un être plutôt animal que spirituel
et raison-nable : Adam ne mangea qu'une pomme, et il de-vint semblable
aux bêtes de somme. Si les animaux, continue le même saint, eussent été
doués de raison, lorsqu'ils virent Adam oublier Dieu et son bonheur éternel
pour la misérable jouissance de manger un fruit, j'imagine qu'ils eussent
dit : Voilà Adam deve-nu brute comme l'un de nous : puto , jumentu dicerent
si loqui fas esset ; tcçe Adam, quasi unus ex nobis factus est. (S. Bern,
ineant, serai, xxxv. ) C'est ce qui fai-sait dire à Ste.-Catherine de
Sienne, qu'il est impos-sible à quiconque ntst point mortifié dans le
manger, de conserver son innocence, puisque ce fut par Id qu'Adam, la perdit.
Qu'il est triste et douloureux d'en voir tunl, qui, suivant l'expression
.de St.-Paul, font leur Dieu de leur ventre! Quorum Deus venter est. (
Phil. m. 19.)
Combien de malheureux ont perdu
leur âme par le vice de la gourmandise ! St.-Grégoire raconte dans ses
dialogues. ( lib. ιν. c. 38. ) qu'il y avait dans un couvent de la Lycaonie
«η moine dont la vie était fort exemplaire ; mais qu'au moment de sa
mort, les autres religieux s'étant réunis autour de spp lit,
ao6
LA RELIGIEUSE
pour en recueillir quelques paroles
d'édification : Sd· chez, mes frères, s'écria-t-il, sachet que tandis
que tous jeûniez je mangeais en cachette, et, pour m'en punir, Dieu m'a
livré au démon, qui déjà me tue, et emporte mon âme. En disant ces
mots, il expira. Le même saint raconte encore (Dial.l. c. iv. ) qu'une
religieuse ayant remar-qué dans le jardin une belle laitue, la prit, contre
la règle et la mangea; qu'aussitôt un démon s'empara d'elle et se mit
à la tourmenter horriblement. Ses compagnes appelèrent le St.-Abbé Equizius,
à l'ar-rivée duquel le démon s'écria : Quel mal ai*je fait ? j'étais
assis sur cette laitue, et celle-ci est tenue me prendre. Mais le serviteur
de Dieu le chassa par la puissance de ses exorcismes. On lit dans l'histoire
de l'ordre de Citeaux ( Vincent, spec. hist. lib. vu. c. 108. ) que St.-Bernard,
visitant un jour son noviciat, tira à l'é-cart un des novices, nommé
Acard, et lui dit qu'un autre novice (qu'il lui montra du doigt) chercherait
ce même jour à s'évader du couvent ; qu'en consé-quence il lui recommandait
de le poursuivre et de l'ar-rêter, lorsqu'il le verrait fuir. En effet,
la nuit sui-vante, Acard vit d'abord un démon, qui, s'étant ap-proché
du novice, le tenta de gourmandise , en lui mettant sous le nez un poulet
rôti. Cependant le malheureux s'éveilla, et, cédant à la tentation,
prit ses vêtements, et se disposa à sortir du couvent. Alors Acard le
rejoignit, mais ce fut sans succès, car le malheureux, vaincu parla gourmandise,
voulut obsti-nément rentrer dans le siècle, ou (ajoute l'auteur) ft termina
misérablement sa vie.
III. Ayons donc soin de ne pas nous
laisser vaincre par ce vice brutal. St.-Augustin dit qu'il faut manger
pour vivre , mais qu'il faut prendre la nourriture comme les médecines,
c'est-à-dire en tant qu'elles sont
SANCTIFIEE.
2ί>7
nécessaires, et tien de plus. L'intempérance
à table nuit beaucoup au corps et à l'âme. Quant au corps, il est certain
que la plupart des maladies humaines sont occasionées par le vice de la
gourmandise : les apoplexies, les diarrhées, les obstructions, les maux
de tête, les douleurs d'entrailles, les points de côté , et mille autres
maladies proviennent le plus souvent d'une nourriture trop abondante. Mais
les maux du corps ne sont rien en comparaison de ceux que la gourmandise
cause à l'âme. D'abord ce vice, comme dit le Docteur Angélique, (n.
2. Quaest. 148.) obs-curcit l'esprit, et le rend peu propre aux exercices
spirituel», et surtout à l'oraison. Ainsi que le jeûne dispose l'âme
à la contemplation de Dieu, et des biens éternels, de même l'intempérance
l'en dé-tourne. St.-Jean Chrysostôme dit que celui qui a le ventre trop
plein de nourriture est comme un navire trop chargé, qui se meut difficilement,
et court ainsi le danger de se perdre, s'il survient quelque orage de tentation.
IV. St.-Bernard dit : Panem ipsum
cum mensura su-me, ne onerato ventre stare ad orandum tmdeat, (In. cant.
serm. LXVI. ) Tâchez de manger même le pain avec mesure, afin que votre
estomac surchargé ne vous rende pas l'oraison fastidieuse. Ildit dans
un autre endroit : Si ad vigilias indigestum cogis, non cantum, sed planctum
potius extorquebis. (Αρ. ad Guil. ab.) Si vous faites veiller une personne
qui a trop mangé , vous en obtiendrez plutôt plaintes et dégoût que
le chant des louanges divines. Il faut donc que les reli-gieux mangent
peu, surtout le soir à souper, car sou-vent la faim que l'on ressent alors
est une fausse faim, et celui qui veut la satisfaire pleinement se sentira
le matin l'estomac embarrassé, la tète pesante
2υ8
LA RELIGIEUSE
et pleine de vapeurs, ce qui le
rendra incapable de dire même un ave Maria. Pensez^-vons alors que Dieu
console dans l'oraison celui qui se remplit de nour-riture comme les brutes
? Divina consolatio non datur admilUntious alienam (Serai, vi.) : Les consolations
di-vines ne sont point accordées à ceux qui cherchent celles de la terre.
V. En outre, celui qui donne
un libre cours à la gourmandise, le donnera aussi aux autres vices; car
ayant perdu le recueillement, il péchera facilement par des paroles indécentes
et des gestes dissolus ; le pire c'est qu'avec l'intempérance, la
chasteté court de grands dangers : Ventris saturitas, dit St.-Jérôrne
, seminarium libidinis : La satiété du ventre est un grand foyer d'incontinence.
Cassien dit qu'il est impos-sible de n# pas
éprouver des tentations impures quand on a l'estomac
trop chargé : Impossibile est saturum ventrem pugnas non experiri.
(In.lib.ix. c. 13.) Les saints, pour conserver cette vertu,
mortifiaient leur bouche. Le Docteur Angélique dit : Diabolui victus de
gulâ, non tentat de libidine : Quand le démon est re-poussé dans
les tentations de gourmandise, il n'en donne point d'impureté.
VI. Au contraire ceux qui
ont soin de mortifier le goût, font chaque jour des progrès
dans la vie spiri-tuelle ; car, ayant mortifié le goût, ils mortifieront
facilement les autres sens, et s'exerceront dans la vertu, comme
le chaule la Ste.-Eglise : Deus qui cor-porali jejanio viiia comprimis,
mentes elevas, virtutes lar-giris et prœmia. ( Praef. quadrag. )
: Ο Dieu ! qui, par le jeûne corporel , réprimez les vices, élevez
les es-prits, accordez les vertus et leurs récompenses.....
Par le moyen du jeûne, Dieu donne
à l'âme la force de dompter ses vices, de se détacher des aiFections
SANCTIFIÉE.
30Q
terrestres, de pratiquer la vertu
et d'acquérir des mé-rites éternels. Ceux qui aiment les plaisirs de
ce monde disent : Mais Dieu a créé ces aliments pour que nous en jouissions.
Mais les saints ne parlent pas ainsi. Le P. Vincent Carafla, delà Compagnie
de Jésus, disait : Le Seigneur nous a donné les délices de la terre,
non seulement pour que nous en jouissions , ■mais encore pour qne nous
lui en témoignions notre reconnaissance, et que nous lui prouvions notre
amour , en lui rendant ses propres dons par la pri •vation que nous nous
imposons. C'est la pratique des âmes saintes. Les anciens moines, selon
St.-Jé-rôme, regardaient comme un vice de se nourrir d'a-liments cuits.
Tout leur repas consistait en un pain d'une livre. St.-Louis de Gonzague,
quoique d'une «ante très-faible, faisait trois jeûnes par semaine, au
pain et à l'eau. St.-François-Xavier ne se nourrissait, dans ses missions
que d'un épi de riz grillé. St.-Jean François Régis ne prenait pour
nourriture qu'un peu de farine délayée dans de l'eau. St.-Pierre d'Alcantara
ne prenait à ses repas qu'une tasse de bouillon. On lit dans la vie du
frère Joseph de la Croix d'Alcantara, qui nous est bien connu, qu'après
sa profession , il ne se nourrit pendant vingt-quatre ans que de pain et
de quelques herbes ou de fruits ; eu outre il faisait tant de jeûnes au
pain et à l'eau, que, forcé par ses maladies et par l'obéissance à
prendre quelque chose de chaud, il se contentait d'un peu de pain, trempé
dans du bouillon , et connue les médecins lui avaient ordonné de boire
un peu de vin, il le mêlait avec le bouillon, pour rendre son breuvage
amer et désagréable. Je ne prétends obliger aucune religieuse à imiter
ces exemples pour devenir sainte ; mais je dis que celles qui satisfont
leur gourmandise ne feront jamais de via.
14
a 10
LA RELIGIEUSE
grands progrès dans la vie spirituelle.
L'action de manger se renouvelle deux fois par jour, de sorte que ceux
qui ne mortifient pas leur bouche commet-tent mille imperfections chaque
jour.
VII. Mais venons à la pratique.
Voyons en quelles choses il faut mortifier le goût. St.-Bonaventure nous
l'apprend. In qualitate, in quantilate, et modo .' Dans la qualité, la
quantité et la manière. 1" In qualitate ut non delicata requirat, sed
simplicia : Dans la qualité, ne recherchant pas les choses délicates,
mais les plus sim-ples. Une religieuse , dit ailleurs le même Saint, qui
ne se contente pas des mets qui lui sont offerts, mais qui en cherche de
plus agréables, ou veut qu'ils soient autrement accommodés, prouve par
là qu'elle ne con-naît point l'esprit de religion. Les religieuses morti-fiées
se contentent de ce qu'on leur^donne, et quand on leur apporte plusieurs
plats, elles choisissent le moins délicat. Ainsi faisait St.-Louis de
Gonzague, tâchant de choisir ce qui répugnait le plus à son goût. St.-Clément
d'Alexandrie a dit : Vinum et carnium sagimen , robur quidem adducunt corpori,
sed animant reddunt languidum. ( Strom. 1. 7. ) Le vin et la viande donnent
des forces au corps, mais ils en ôtent à l'âme. Quand à la viande,
on lit dans les saints ca-nons, qu'anciennement il n'était pas permis
aux moi-nes d'en goûter. Carnem monacho nec sumendi, nec gus-tandi est
concessa licentia. ( De Cons. dis. 5. ) St.-Ber-nard dit en parlant de
lui-même : Alistineo d carnibus, ne carnis nutriant vitia. ( Serm. txvi.
in Cant. ) Je m'abstiens des viandes afin qu'elles ne nourrissent pas en
moi les vices de la chair. Quand au vin , la Ste.-Écriture dit : Noli
regibus dare vinum. ( Prov. xxxi. 4· ) Ne donnez pas de vin aux rois.
Les rois ne sont pas seulement ceux qui gouvernent les royaumes, mais
les personnes qui domptent et soumettent
à la raison leurs mauvais désirs. Le même saint dit dans un au-Ire endroit
: Cui tœ?.. nonne his qui commorantur in vino et student calicibusepotantis.(?rov.xxiu.
30. ) Malheur, et malheur éternel, (car le mot vas, selon St.-Grégoire,
a dans l'écriture le sens de damnation éternelle ) mal-heur à ceux qui
ont le vice du vin ! Et pourquoi ? Sa-lomon le dit encorexLu&uriosa
res vinum. (Prov.xx.l.) Le vin est l'aliment de l'incontinence.
St.-Jérôme écrivit à la vierge Eustochium : Hoc primum moneo ut sponsa
Christi vinum fugiat pro veneno. Vinum et adules-centia duplex incendium
voluptatis est. ( Ep. 22. ) Si vous voulez vous conserver chaste, comme
doit l'être une épouse du Christ, fuyez le vin comme le poison; le vin
et la jeunesse sont un double aiguillon qui porte aux plaisirs illicites.
Il suit de là que celui qui n'a pas l'esprit de mortification, ou qui,
par faiblesse de tem-pérament, nepeut s'abstenir delaviandeetdu vin,doit
du moins en user avec modération afin de n'être pas tourmenté· par
des tentations impures.
VIII. Il est bon qu'une religieuse
mortifiée s'abs-tienne d'assaisonnements superflus, qui ne serviraient
qu'à contenter sa gourmandise. Les assaisonnement» qu'employaient les
saints étaient la cendre, l'aloès et l'absinthe. Je n'exige pas de vous
de telles mortifica-tions, ni beaucoup de jeûnes extraordinaires. Au con-traire,
comme vous ne vivez pas seule dans un dé-^ sert, mais que vous êtes en
communauté, il faut, dit Cassicn, que vous évitiez autant que possible
tout ce qui n'est pas conforme aux règles ordinaires du cou-vent , car
ce serait là un trait de vaine gloire. St.-Phi-lippe de Néri disait :
Lorsqu'on est d table on doit man-der de tout. Il exhortait ses compagnons
à fuir toute singularité comme la cause la plus ordinaire de l'or-,.
212
LA BEL1GIEDSE
gueil. D'ailleurs , quiconque a
l'esprit de sainteté trouve bien moyen de se mortifier sans le faire voir.
St.-Jean Climaque mangeait de tous les mets , mais il en goûtait plutôt
qu'il n'en mangeait ; il mortifiait ainsi sa gourmandise sans danger de
vanité. St.-Ber-nard dit que quelquefois celui qui vit en communauté
est plus content dé pratiquer un jeûne aux yeux de ses frères qui mangent,
que d'en faire sept en même temps qu'eux. Néanmoins je ne vous défends
pas de faire quelque jeûne rigoureux au pain et à l'eau le vendredi,
le samedi, les veilles des fêtes de la Ste.-Vierge et autres. Ces jours-là
les religieuses dévotes ont contume de jeûner.
IX. Du moins, si vous n'avez
pas l'esprit de morti-fication, ou si vos maladies vous empêchent de jeû-ner,
ne vous plaignez pas des mets de la communauté et mangez ceux qu'on vous
présente. St<-Thomas d'A-quin ne demanda jamais de mets particuliers
; il était toujours coi.tent de ceux qu'on lui servait, et s'en nourrissait
avec moderation. St.-Ignace ne refusa ja-mais aucun plat et ne se
plaignit jamais de son dîner, qu'il fût mal cuit ou mal assaisonné.
C'est au supé-rieur à pourvoir à ce que les mets de la communauté soient
bons ; mais la religieuse ne doit pas se plaindre s'ils sont fades ou trop
salés, s'ils sont trop cuits, trop peu abondants, ou s'ils
sentent la fumée. Le mendiant se contente de ce qu'on lui donne,
il lui suffit de ne pas mourir de faim ; ainsi h religieuse doit
recevoir ce qu'on lui présente comme vine au-mône qui lui vient
de Dieu.
X. 2° Quand à la quantité
, St.-Bonaventure dit : In quantiiate at non nimium et sœpius quam decet,
ut sit refectio eorpori , non onus. On ne doit pas se charger l'estomac
de plus de nourriture ou plus souvent qu'il
SAHGTlFlÉE.
2l3
n'est nécessaire pour fortifier
le corps, sans le sur-charger. C'est pourquoi jamais les personnes spiri-tuelles
ne mangent à satiété. Sit tibi mm/eratus cibus et nunquam venter expletus,
que votre nourriture soit mo-déiée et jamais à satiété , écrivait
S.-Jérôme à la vierge Eustochium. ( Ep. 22. ) Quelques religieuses jeûnent
un jour , et le lendemain elles mangent im-modérément. 11 vaut mieux
, dit St.-Jérôme , prendre habituellement la nourriture nécessaire et
ne pas faire succéder au jeûne un repas trop abondant. Le même docteur
observe que l'on doit éviter la satiété, non-seulement pour les mets
délicats, mais même pour les mets grossiers ; sed et in vilissimis cibis
vitanda satie-tas est. (In. joy. lib. 2. ) Qu'importe qu'une religieuse
ne se nourrisse pas de perdrix, mais de légumes, si ces légumes produisent
le même effet que les perdrix ? Quand à la quantité de nourriture, St.-Jérôme
assi-gne cette règle : Que l'on soit assez dispos de corps après le repas,
pour pouvoir s'appliquer à prier ou à lire : Quando comedis, cogita quod
statim tibi orandum et legendum est. ( Ep. ad. Fur. ) Un ancien père disait
sagement; celui qui mange beaucoup et qui reste sur sa faim, sera plus:
récompensé que celui qui mange peu el qui est rassasié. Cassien raconte
qu'un jour un bon moine, ayant été obligé de s'asseoir plusieurs fois
à table pour tenir compagnie à des étrangers, et ayant mangé chaque
fois par convenance, il s'était levé de table, même la dernière fois,
sans être rassasié. La plus belle manière de se mortifier, et la plus
dif-ficile , c'est moins de renoncer tout-à-fait à un plat agréable
que d'en goûter et d'en manger ti è.s-peu.
XI. Celui qui veut se réduire à
une juste modéra -tion dans la nourriture, doit la diminuer peu à peu
, jusqu'à ce que par l'expérience, il sente qu'il peut se
2l4
υ RELIGIEl'SB
soutenir avec telle quantité déterminée
, sans en être incommodé. C'est ainsi que St.-Dorothée réduisit son
disciple St.-Dosithée, à un juste degré de mortifica-tion. [Mais afin
de se délivrer de tout doute sur les ieûnes et les abstinences, la règle
certaine est de s'en rapporter à son directeur. St.-Bernard dit , que
le mortifications que l'on fait sans la permission du di-recteur, sont
plutôt des présomptions dignes de châti-ment que des œuvres dignes
de récompense : Quod sine permissione patris spiritualis fit, preesumptioni
deputa-hitur non mercedi. ( In. rcg. c. 49. ) Qne la règle géné-rale
pour tous, et plus particulièrement pour les reli-gieuses, soit donc de
manger sobrement au souper, c*r le soir la faim est souvent fausse , comme
nous l'avons dit plus haut; de sorte que pour peu qu'on dé-passe la mesure,
on se trouve le matin très-dérangé , la tête pesante, l'estomac malade,
et par conséquent hors d'état de se livrer aux exercices spirituels.
XII. Quand au boire, on peut
observer la mortifi-cation de ne pas boire hors des repas, excepté en
été, où une telle privation peut nuire à la santé. St.-Lau-rent Justinien
ne buvait jamais, hors de table , même dans les chaleurs de l'été, et
lorsqu'on lui demandait comment il pouvait supporter la soif, il répondait
: comment supporterai-je les ardeurs du Purgatoire, si maintenant je ne
puis supporter cette abstinence ? Les premiers chrétiens s'abstenaient
de boire, les jours déjeune, hors du repas , qu'ils ne prenaient que le
soir. Les Turcs font de même aux jeûnes de leur carême. Qu'on suive
du moins la règle des médecins, de ne boire qne quatre ou cinq heures
après le repasdu matin.
XIII. 3° Quand à la manière,
St.-Bonaventure a dit : In modo ut non importune requiratur ( cibus') et
inor-dinate sumatw, sed religiose. Il ne faut pas demander
SANCTIFIEE.
2 15
la nourriture avec importunité,
ni la prendre sans règle , mais avec esprit de religion : II dit, avec
impor-tunité , c'est-à-dire , qu'il ne faut pas manger avant l'heure
de la communauté. C'était le défaut de ce pénitent de St.-Philippe
de Néri, qui ne pouvait s'abstenir de manger toujours quelque chose durant
le jour, et à qui le saint dit : Mon fils, si tu ne te corriges de ce
défaut, tu n'acquerras jamais l'es-prit de perfection. L'Ecclésiaste
dit : Beata terra cujus principes vescuntur tempore suo. ( χ. 17. ) Heureuse
la terre dont les princes mangent au temps fixé : Et moi, je dis : heureux
le couvent où les religieuses ne pren-nent pas de nourriture hors du temps
convenable , c'est-à-dire du dîner et du souper., Ste.-Thérèse ayant
appris que quelques religieuses avaient demandé à leur provinciale la
permission de tenir quelques pro-visions de bouches dans leurs cellules,
leur fit une forte réprimande, en disant : Prenez garde à ce que vous
allez demander : Vous détruiriez par là tout ce que vous avez fait jusqu'ici.
Le mot sans règle, signi-fie qu'il ne faut pas manger avec avidité, c'est-à-dire
avec les deux mâchoires, ou bien avec tant de hâto qu'une bouchée n'attende
pas l'autre. Noli esse avidus in omni epulatione : Ne soyez point avide
dans vos re-pas; c'est l'avertissement de l'Esprit Saint. (Eccl.xxxvn.
32. ) II ne faut encpre manger que dans le but de soutenir le corps, afin
de pouvoir être propre à servir le Seigneur. Manger par pur plaisir ,
c'est pour le moins un péché véniel, et Innocent XI a condamné la proposition
de ceux qui disaient que ce n'est pas un. péché de manger seulement pour
satisfaire sa gour-mandise. Ce n'est pas un péché pour cela d'aimer le
manger, car il est impossible de ne pas y prendre goût ; c'est-à-dire
qu'il y a,péché à se nourrir seule-
2 l6
LA
menI pour le plaisir qu'on y trouve
, comme font les botes, sans se proposer, aucune fin honnête. De là,
quand notre but est bon , nous pouvons manger niême des mets délicats
sans péché, comme on peut aussi en manger de communs avec péché, quand
c'est par gourmandise. On raconte dans les vies des Pères du désert,
( lib. de Prov. 25. ) qu'un saint vieil-lard, dans un monastère oh l'on
avait servi à table la même nourriture à tous les religieux, en vit
cepen-dant qui se nourrissaient les uns de miel, les autres de pain, quelques-uns
même d'ordures. Cette vision signifia il que le miel était la nourriture
de ceux qui craignaient de blesser la tempérance, 3t qui avaient Tàme
élevée à Dieu par de pieuses aspirations. Ceux qui se nourrissaient
de pain, étaient ceux qui, éprou-vant quelque plaisir à manger en remerciaient
Dieu; enfin, ceux qui se nourrissaient d'ordures étaient ceux qui mangeaient
pour le seul plaisir de manger.
XV. Il faut aussi ne pas faire de
jeûnes forcés, de peur de se rendre par là incapable de servir la com-munauté
et d'observer les règles , défaut où tombent souvent les novices qui,
transportés de quelque fer-veur sensible, que Dieu leur envoie dans les
premiers temps pour les encourager » suivre la voie de la per-fection,
s'accablent de pénitences et de jeûnes exces-sifs ; d'où il arrive qu'ils
tombent bientôt malades, et se rendent inhabiles au service de la communatité,
ou que, par suite de leurs infirmités, ils abandonnent tout. En toute
chose la discrétion est nécessaire. Le maître qui dorme son cheval à
soigner à son domesti-que se fâchera si on lui donne trop ou trop peu
de npurr iture ; car, dans ces deux cas, il ne peut s'en ser-vir quand
il veut. St.-François de Sales disait aux re-jg'ie uses de la Visitation
: Une sobriété modérée et
SANCTIFIÉE.
217
continue, vaut mieux que des abstinences
forcées, faites à plusieurs reprises et entre lesquelles on com-met de
graves négligences ; en outre , celles-là sont sujettes à se croire
plus saintes que les autres qui ne pratiquent pas les mêmes jeûnes. Il
faut fuit l'excès ; mais aussi, il est bon d'avertir, avec un grand maître
de la vie spirituelle, que si l'esprit quelquefois nous trompe, en nous
portant à dès mortifications excessi-ves, souvent le corps nous trompe
aussi en nous por-tant à nous dégoûter et à nous exempter de tout ce
qui lui déplaît.
XV. C'est une bonne mortification
de s'abstenir de ce qui flatte notre goût, sans toutefois que cela nuise
à la saiïté; par exemple des primeurs, et, le reste dé l'année, de
quelques fruits désignés par le sort. Une ou deux fois la semaine on
peut s'imposer quelque privation particulière de ce genre; laisser chaque
jour quelque chose de ce qu'on nous sert à table ; laisser quelque mets
délicat, après en avoir goûté , et dire qu'on ne l'aime pas, comme
faisait Ste-Marie-Made-leine de Pazzi ; laisser une partie des mets que
l'on préfère comme St.-Bernard nous le conseille. Unus-quisque super
mensam aliquid Deo offerat : Que chacun offre à Dieu quelque chose de
sa table. (In.reg. c. Z|9.) Réprimer pendant quelque temps son impatience
de boire ou de manger du plat qu'on a sons les yeiix, s'abstenir de vin,
de liqueurs , surtout si l'on est jeune. t>n peut faire ces sortes de .mortifications
sans danger de tomber dans l'orgueil ou de nuire à sa santé ; mais l'on
ne doit faire que celles que permet-tent la supérieure ou le directeur.
D'ailleurs il vaut mieux faire souvent de petites abstinences que d'en
faire de grandes et d'extraordinaires rarement, et de
3l8
LA RELIGIEUSE
vivre ensuite sans mortification.
Quand aux autres morfications, qu'on peut faire dans le réfectoire, lisez
le chapitre 25 , où il est question du règlement de
vie.
PRIÈRE.
Mon bien-aimé Rédempteur ! j'ai
honte de paraître devant vous si pleine de défauts, et si tiède. Je
devrais être maintenant, à cause des grâces que vous m'avez accordées,
un séraphin d'amour. Mais quel séraphin! je suis plus imparfaite qu'auparavant;
que de fois je vous ai promis de devenir sainte et d'être toute à vous;
mais toutes mes promesses ont été autant de parjures. Je me console en
pensant que j'ai affaire à une bonté infinie,avec vous, ômon Dieu! Seigneur,
ne m'aban-donnez pas; donnez-moi de nouvelles forces; car je veux me corriger
avec le secours de votre grâce. Je ne veux plus résister 4 votre tendresse,
je vois que vous voulez que je sois sainte,. et moi je veux lo devenir
pour vous plaire. Je vous promets de mortifier mes sens, surtout en m'abstenant...
(spécifiez l'objet ). Ο mon Jésus ! vous m'avez comblée de bienfaits
pour m'attirer toute à vous. Je serais une ingrate, si je vous résistais
plus longtemps. Vous êtes si tendre envers moi, que je ne veux plus être
aussi réseniée à votre égard, que je l'ai fait jusqu'ici. Pardonnez-moi
tous les déplaisirs que je vous ai donnés, faites que je vous sois fidèle.
Ο Marie ! vous fûtes toujours fidèle à Dieu, obtenez-moi de l'être
le reste de mes jours.
SANCTIFIEE.
2I9
De la mortification de l'ouïe ,
de l'odorat et du toucher.
I. Quand à l'ouie, il faut se mortifier
en ne prêtant pas l'oreille à des discours déshonnêtes , à des mur-mures,
à des mondanités qui sans nous perdre, nous remplissent la tète de rêves
et d'images bizarres, qui nous distraient et nous troublent dans la prière
et dans les autres exercices de piété. Quand vous êtes dans les lieux
où l'on tient de pareils discours, tâchez de les interrompre poliment,
en proposant, par exemple, quelque question utile , et si vous ne réussissez
pas , tâchez de vous éloigner ou du moins taisez-vous et baissez les
yeux, pour montrer que de tels propos vous déplaisent. Quand à l'odorat,
tâchez de fuir les odeurs de l'ambre, des pastilles, du baume , des eaux
odori-férantes et autres. De telles délicatesses ne convien-nent pas
même aux gens du monde. Tâchez au con-traire de supporter les 'mauvaises
odeurs qui régnent dans les chambres des malades, à l'exemple des saints
qui, par esprit de charité et de mortification, se trou-vent aussi heureux
dans l'atmosphère puar.te des hô-pitaux , que dans les parfums sieves
des jardins. Quant au toucher, tâchez d'éviter la moindre faute ; parce
que, dans cette partie, la moindre faute peut causer la mort à l'âme.
Il ne m'est pas permis de m'expliquer là-dessus davantage: je dis seulement
que les religieuses doivent employer toutes sortes de pré-cautions pour
elles-mêmes, aussi bien que pour les autres, si elles veulent conserver
intact le lys de leur virginité. Quelques-unes badinent entr'elles sans
au-
230
LA
cune crainte ; mais peut-on impunément
jouer avec le l'eu? St.-Pierre d'Alcantara, an moment d'expirer, se sentit
toucher par un, moine qui le servait : éloi-gne-toi, lui dit-il* ne me
touche pas, car je vis en-core, et je puis offenser Dieu, il faut émousser
ce sens par les mortifications extérieures, dont il faut parler ici en
détail.
,
II. Ces mortifications
extérieures se réduisent à quatre choses, savoir :
au jeune, au cilice, à la disci-pline et aux veilles. Nous avons déjà
assez parlé des jeûnes. Quant aux cilices, il en est de plusieurs sor-tes,
les uns sont de crin ou en soies; mais ces der-niers sont dangereux pour
les personnes d'une santé délicate, parce que, comme dit le P. S -aramelli,
(tom.i. tract, π. art. i. c. Ιχ· ) ils enflamment la chair, enlè-vent
à l'estomac sa chaleur naturelle et l'affaiblissent. Il y a des cilices
de fils de fer ou de laiton , en forme de chaînettes. Ceux-ci sont moins
nuisibles à la santé, on les porte aux bras, aux cuisses ou sur les épaules
; parce que sur la poitrine et à la ceinture , ils peuvent être dangereux.
Ces espèces de cilices sont les plus or-dinaires, et tout le mondepeut
les employer. Au reste les saints en ont employé d'autres. Dona Sancha
Ca~ rillon, célèbre pénitente du P. Avila, portait un cilice de crin
, depuis le cou jusqu'aux genoux. Ste.-Rose de Lima en portait-un long,
tissé d'aiguilles, et une, chaîne de fer à la ceiuture. St.-Pierre
d'Alcantara portait sur les épaules une grande plaque de fer troué qui
lui déchirait la chair. Ce serait donc une légère pénitence pour vous
de porter une chaînette dei'er , au moins depuis le matin jusqu'à l'heure
du diner.
III. Quand aux disciplines,
c'est une mortification très-approuvée par St.-François de Sales, et
reçue dans toutes les communautés religieuses des deux
SA.NCTIFIKE.
321
sexes. Il n'y a pas de saint, de
moine , parmi les mo-dernes, qui ne se soit flagellé. Souvent St.-Louis
de Gonzague se donnait la discipline jusqu'au sang, trois ibis par jour,
et, à la fin de sa vie, n'ayant plus la force dei le faire de ses propres
mains , il pria le P. provincial de lui faire rendre ce service par un
au-tre. Ce serait donc peu de vous la donner une fois par jour ou au moins
trois ou quatre fois la semaine, tou-jours cependant avec la permission
de votre direc-teur. :
i
IV. Quant aux veilles par lesquelles
on se prive de sommeil, on dit de Ste.-Rose, qu'afin de passer les nuits
à prier, elle liait ses cheveux à un clou fiché dans le mur, de sorte
que, lorsque sa tête se penchait accablée de sommeil, la douleur la forçait
à se réveil-ler. On dit encore de St.-Pierre d'Alcantara , que , pendant
quarante ans, il ne dormit qu'une heure, ou au plus une heure et demie
par nuit, et qu'afin de ne pas succomber au sommeil, il tenait sa tête
appuyée sur un morceau de bois cloué au mur. On ne doit pratiquer ces
sortes de pénitences que par une grâce spéciale ; je dis même que la
privation du sommeil doit être très-modérée, car lorsqu'on n'a pas
assez dormi on est ordinairement incapable d'aucun exercice d'esprit, tel
que l'office, l'oraison, la lecture spirituelle, comme il arrivait à St.-Charles
Borromée, qui, lorsqu'il était forcé de passer les nuits en veilles
, accablé par le sommeil dans le jour, dormait quel-quefois au milieu
de ses fonctions publiques ; ce qui l'engagea à prolonger son repos de
la nuit. On doit encore observer qu'il ne faut pas que le corps prenne
tout le repos qu'il désire :, comme font les animaux qui ne cessent de
dormir que lorsqu'ils n'en ont plus envie.
Prenez le sommeil néces-
222
LA RELIGIEUSE
«aire , mais rien de plus. Généralement
les femmes dorment moins que les hommes; cinq ou six heures de repos leur
suffisent. Je vous prie donc, 6 ma sœur, d'être promple et exacte à
vous lever , dès que vous entendez la cloche du réveil, sans vous amusera
vous retourner cent fois dans vos draps, comme font quel-ques-unes. Ste.-Thérèse
disait que , dès qu'une reli-gieuse entend la cloche tinter, elle doit
.sauter en bas du lit.
V. Les Saints employaient encore,
outre la privation du sommeil, d'autres mortifications. St.-Louis de Gonzague
mettait entre ses draps des morceaux de bois et des caillons. Ste.-Rose
de Lima dormait sur des troncs d'arbre dont le creux était rempli de pots
cassés. La vén. sœur Marie crucifiée de Sicile, posait, en dormant,
sa tête sur un coussin d'épines. Je ré-pète au sujet de ces pénitences,
ce que j'ai dit plus haut; elles sont extraordinaires et ne conviennent
pas à tout le monde. Mais les religieuses ne doiveut pas avoir de lits
trop moux. Si la paillasse leur suffit,pour-quoi le matelas? Et si un matelas
leur suffit, pourquoi deux?
VI. La mortification du toucher,
s'étend aussi à souffrir sans se plaindre la rigueur des saisons, le
froid et le chaud. St.-Pierre d'Alcanf ara allait pendant l'hi-ver nu-pieds,
la tête découverle et vêtu seulement d'une tunique en lambeaux. Si vous
ne pouvez pas en faire autant ; du moins ne vous approchez pas du feu,
comme faisait St.-Louis de Gonzague, quoiqu'il de-meurât en Lombardie
, région très-froide ; pratiquez cette mortification au moins une fois
par semaine, supportez le froid et le chaud avec patience, comme venant
de Dieu. St.-François de Borgia, arrivant le soir très-tard dans un collège
de la compagnie ,
SANCTIFIEE.
aa3
trouva la porte fermée et fut forcé
de passer toute la nuit exposé au froid et à la neige qui tombait par
flo-cons. Quand le jour parut, comme les religieux se désolaient sur ce
qu'il avait souffert, le saint répondit : quoique mon corps ait souffert,
mon âme a éprouvé de grandes consolations , car je pensais que Dieu
agréait mon froid, et il me semblait que du haut du ciel il me lançait
avec ses mains ces flocons de neiges.
PRIERE.
Mon adorable Rédempteur ! j'ai
honte de paraître devant vous , me trouvant si attachée aux plaisirs
du monde. Vous n'avez fait pendant toute votre vie que souffrir pour moi
; et moi, je n'ai pensé jusqu'ici qu'à satisfaire mes goûts, oubliant
vos souffrances et l'a-mour que voils m'avez porté. Qu'ai-je eu jusqu'à
pré-sent d'une religieuse ou d'une de vos épouses, que l'habit et le
nom ? Je mériterais d'être chassée de ce saint lieu, où vous m'avez
accordé tant de grâces et tant de lumières que je n'ai payées que par
des ingra-titudes. J'ai pris mille bonnes résolutions, je vous ai promis
mille fois de les observer, mais que je les ai mal mises en pratique. Ο
Jésus ! donnez-moi donc des forces ; je veux faire quelque chose pour
vous avant de mourir. Si la mort me frappail à présent, que je mourrais
mécontente ; vous prolongez ma vie pour que je devienne sainte. Oui, je
veux le devenir. Je vous aime, ô mon Dieu, mon époux! je veux vous aimer
en épouse fidèle. Je ne veux songer qu'à vous plaire, pardonnez-moi
mes erreurs passées; je les déteste de tout mon cœur. Ο Dieu de mon
âme ! que de fois , pour me satisfaire, \e vous ai mécontenté! vous,mon
224
LA EELICIEUSE
trésor et ma vie qui m'avez tant
aimée. Faites que do-rénavant je sois"toute à vous. Vierge sainte, ô
Marie, mon espérance, secourez moi, obtenez-moi la force de faire quelque
chose pour Dieu avant que la mort me vienne surprendre.
CHAPITRE IX.
De la pauvreté religieuse.
S· ι-
De la perfection de la pauvreté.
I. Les règles du monde sont tout
opposées à celles de Dieu ; dans le monde les richesses sont la base
de la grandeur , mais devant Dieu, la pauvreté est la richesse des saints.
Il n'est pas certain que les riches se damnent, mais il est certain qu'il
est aussi difficile qu'il se sauvent qu'ils est difficile, selon l'expression
de l'Evangile, qu'un cable passe par le trou d'une aiguille. C'est pour
cette raison que tous les fondateurs d'ordres ont cherché à établir
dans leurs couvents le vœu de pauvreté, comme fondement du bonheur de
tous. St-Ignace de Loyola appelait la pauvreté des religieux, le mur qui
défend la place forte de la perfection. En effet, dans tous les monas-tères
où s'est conservée la pauvreté, la perfection y a résidé, et dans
ceux d'où la pauvreté a été bannie, avec elle a été bannie la perfection.
C'est pour cela que le démon fait tous ses efforts pour faire tomber dans
le relâchement sur la pauvreté les couvents, fi-dèles à observer ce
vçeu. Stç-Thérèse donna cet avis
SAKCT1F1ÉE.
225
à ses religieuses, presque du haut
du ciel : Tâchez d'être les amies de la pauvreté, parce que tant qu'elle
durera la ferveur sera avec vous. ( Avis xix. ) Les SS. Pères appellent
la pauvreté la conservatrice de toutes les vertus, car elle maintient
les religieuses dans la mortification, dans l'humilité , dans le détachement
et surtout dans le recueillement intérieur.
II. Il faut distinguer le vœu de
pauvreté de la per-fection de la pauvreté. Le vœu exige que la religieuse
ne possède pas d'effets ni d'argent, et qu'elle ne puisse pas même en
faire usage sans la permission de sa supérieure. Mais c'est là un écueil
où beaucoup de religieux vont échouer. Ste-Marie-Madeleine de Pazzi vit
beaucoup de religieuses damnées, parce qu'elles n'avaient pas observé
le vœu de pauvreté. On raconte, dans les chroniques des Capucins, qu'une
fois un démon enleva , aux yeux de tout le couvent, un moine de la manche
duquel on vit tomber au bré-viaire qu'il s'était approprié contre le
vœu de pauvreté. St.-Cyrille raconta à St.-Augustin un événement en-core
plus terrible. ( Ep. ccvi.) Il y avait dans la Thé · baïde un couvent
de 200 religieuses qui ne vivaient pas selon la règle de pauvreté; c'est
pourquoi St.Jérôme apparut un jour à l'une des plus fidèles d'entre
elles, et lui ordonna de prévenir l'abbesse et les autres re-ligieuses
de se corriger, car, sans cela, un grand châ-timent les attendait. La
bonne religieuse rapporta l'avis qu'elle avait reçu ; mais on en rit dans
le cou-vent. Un jour qu'elle était en oraison le saint lui ap-parut encore,
lui commandant de renouveler l'avis salutaire et de sortir aussitôt du
couvent si ou n'en tenait pas compte. La religieuse répéta les paroles
du saint, mais l'abbesse la menaça de la chasser du cou-vent si elle parlait
encore de pareilles menaces. La vin.
i5
226
LA RELIGIEUSE
bonne fille répondit : Oui je sortirai
d'ici, sans que vous m'y forciez, car je ne veux pas m'exposer à la ruine
commune qui vous attend. A peine avait-elle mis le pied dehors, que le
couvent s'écroula, et que toutes les religieuses furent tuées.
III. Malheur à qui introduit
le relâchement dans la pauvreté des couvents ! Ο ma sœur ! examinez
donc si vous n'avez pas de l'argent ou d'autres objets sans permission;
et sachez que la permission est nulle, quand elle est pour une chose iniuste,
car votre su-périeure même n'a pas alors le pouvoir de la donner. Tout
ce que vous recevez de vos parents , argent ou effets, tout ce que vous
gagnez ou que vous avez de vos propriétés, n'est pas à vous, mais au
couvent. Vous n'avez que le simple usage des choses que vous aecorde l'abbesse
3 de sorte que si vous en disposez sans permission vous faites un vol,
un vol sacrilège contre le vœu de pauvreté. Le Seigneur exige des re-ligieuses
un compte rigoureux sur la pauvreté. C'est pour cela que les supérieurs,
fidèles observateurs de la règle, sont si attentifs à punir toute violation
du vœu de pauvreté. Cassien dit ( Inst. cap. xx. ) que le
dépensier d'un ancien couvent ayant laissé tomber trois lentilles par
terre, l'abbé l'en puait par la pri-vation des prières en
commun, et ne l'admit à cette participation qu'après une
pénitence publique. On raconte encore<jue Renaud, prieur des Dominicains
de Bologne, châtia sévèrement un convers pour avoir pris un morceau
d'étoffe pour racommoder sa tu-nique , sans permission, et qu'il
fit brûler ce morceau d'étoffe au milieu du chapitre.
IV. Tout cela n'a rapport qu'au
vœu de pauvret é ; mais pour atteindre à la perfection, il faut que
la religieuse se dépouille de toute effection aux choses
SANCTIF1BE.
227
de la terre et ne s'en serve que
lorsqu'elles sont né-cessaires à la conservation de son existence. C'est
ce que le Sauveur répondit à ce jeune homme qui vou-lait savoir ce qu'il
fallait faire pour parvenir à la per-fection :Si vis perfectus esse, vade
et vende quai hahts, et da pauperibus. (Mat. χιχ. 21.) Jésus lui dit
: Dépouille-toi de tout, sans exception, donne-le aux pauvres, et tu seras
parfait; car, dit St.-Bonaventute, quand l'es-prit est accablé par quelque
bien temporel, il ne peut s'élever jusqu'à Dieu. Cum sarcina temporalium
spiritus ad Deum non potest ascendere. (Med. e. vm. ) St.-Au-gustin dit
que l'amour des choses terrestres est comme une glu qui empêche l'âme
de voler à Dieu. Amor re-rum terrenarum viscus est spiritualium pennarum.
Mais la pauvreté continue ce saint, est une aile rapide qui nous ravit
au ciel. Magnâ paupertatis ptnnâ cilô velatur ad cœlum.
St.-Laurent-Giustiniani a écrit : Ο beata paupertas voluntaria
! nihil possidens, nihil formidatis, sem-per hilaris , semper abundans
, cum omne incommodum suo facit profectui
deservire. ( Inst. de rei. e. 11. ) Oh! heureuse
pauvreté qui ne possède rien et qui ne craint rien ! elle est toujours
gaie et toujours dan» l'abondance^ car chaque privation qu'elle
éprouve tourne à son profit.
V. Jésus-Christ pour notre bien
et notre exemple voulut être pauvre ici-bas ; aussi Ste.-Marie-Made-leine
de Pazzi appelait la pauvreté l'épouse de Jésus-Christ. St.-Bernard
dit : Paupertas non inveniebatur c'a aelis, in terris abundabat et nesciebat
homo pretium ejus. Hanc itaque Dei filius concupiscens descendit ut eam
eligat sibi et nobis faciat pretiosam. ( Serm. in vig. nat.) La pauvreté
ne se trouvait pas dans le ciel, elle abon-dait sur la terre, mais l'homme
n'en connaissait pas la valeur ; le fils de Dieu aimant cette pauvreté
in-
228
LA RELIGIEUSE
connue descendit sur la terre pour
l'épouser et nous la rendre chère. De là l'Apôtre dit à ses disciples
: Propter vos egenus factus est, cum esset diver, ut illius inopia ■Dos
divites essetis, (n. cor. vtn. 9. ) Le Rédempteur était le maître de
toutes les richesses du ciel et de la terre, mais il voulutêtre pauvre,
afin que, par l'exem-ple de sa pauvreté, nous devinssions riches en aimant
la pauvreté qui nous fait acquérir les biens éternels en nous détachant
de ceux d'ici bas. Il voulut être pauvre et toujours pauvre; pauvre dans
sa naissance , car il n'eut pour palais qu'une étable froide, pour berceau
qu'une crèche, pour lit qu'un peu de paille. Pauvre pendant sa vie, puisqu'il
n'habita qu'un e petite mai-son, consistant en une seule chambre pour travailler
et pour dormir. Pauvre dans ses habits. Pauvre dans sa nourriture. St.-Jean-Chrysostônie
dit que notre Sau-veur et ses apôtres ne mangeaient que du pain d'orge
comme on le voit dans l'Évangile de St.-Jean, chap. 6. Pauvre enfin à
sa mort, puisqu'il ne laissa en mou-rant que ses misérables vêtemens,
dont les soldats avaient déjà fait le partage avant qu'il eût rendu
le dernier soupir, de sorte que pour l'ensevelir on fut obligé de lui
donner un linceul et un tombeau par aumône.
VI. Jésus dit un jour à la B.
Angèle de Foligno : Si ta pauvreté n'était pas un grand bien , je ne
l'aurais pas choisie pour moi, et je ne l'aurais pat léguée en héritage
à mes élus. Les saints aimèrent la pauvreté d'après l'exemple de Jésus-Christ.
Un jour le P. de Grenade et le P. M· Avila causaient ensemble et se demandaient
pourquoi St.-François d'Assises avait tant aimé la pau-vreté. Le P.
de Grenade dit que c'était parce qu'il voulait se débarrasser de tout
ce qui l'aurait empêché d'être uni entièrement à Dieu;' mais le P.
Avila ré-
SANCTIFIÉE.
22g
pondit encore mieux, que St.-François
avait beau-coup aimé la pauvreté, parce qu'il avait beaucoup ai-mé Jésus-Christ,
et qu'une âme qui aime beaucoup Jésus-Christ ne peut s'empêcher de s'écrier
avec l'A-pôtre : Omnia arbitror ut stercora, ut Christum lucrifa-ciam.
(Phil. 11. 3.) Je regarde les biens du monde comme du fumier et je les
abandonne pour gagner Jésus-Christ. St.-François de Sales disait plaisam-ment
à ce sujet, que quand la maison est en feu on jette tous les effets par
la fenêtre. Le St.-Esprit l'a-vait dit avant, en ces termes : Si dederit
homo omnem substantiam pro dilectione, quasi nihil despiciet eam. (Cant.
vni. 7.) Les amis de Dieu méprisent volontiers toutes choses pour l'amour
qu'ils lui portent.
VII. Les saintes Écritures nous
assurent partout que la récompense des pauvres est assurée et très-grande.
Elle est assurée puisque Jésus-Christ a dit : Heureux les pauvres d'esprit,
car le rouyaume des cieux est à eux : Βcati pauperes spiritu quoniam
ipsorum est regnum caelorum. ( Mat. ν. 3. ) Aux autres béatitudes, le
ciel n'est promis que dans l'avenir : Heureux ceux qui sont doux parce
qu'ils posséderont la terre. Beati mi-tes, quoniam ipsi possidebunt terram.
Heureux ceux qui ont le cœur pur , parce qu'ils verront Dieu ;. Beati
mundi corde, quoniam ipsi Deum videbunt. Mais le bon-heur est promis dès
à présent aux pauvres d'esprit. Ipsorum est regnum cœlorum, à cause
des grands se-cours que Dieu envoie en cette vie aux véritables pauvres
de volonté. Cornelius à Lapide dit que, par un décret divin, dès à,
présent le paradis est assuré aux pauvres; de sorte que descente vie,
ils y ont droit ac-quis: Ex Dei decreto ad pauperes pertinet regnum cœlorum;
ipsi inillud plenum jus habent. (Corn. in. Mat. loc. cit.) récompense
très-assurée et très-grande. Ste.-Thérèse^
LA BtXftilEVSK
disait : Moins nous possédons ici-bas,
plus nous pos-séderons dans l'éternité; ou sont des demeures pro-portionnées
à l'amour avec lequel nous aurons imité la vie de Jésus. ( Fond. cap.
xvin. ) St-.Jean-Chrys. s'écriait : Ο feliœ commercium, ubi datur lntum,
et col-ligitur aurum ! ( Lib. vu. ep. 7. ) Ο heureux marché où nous
donnons de la fange , tels que sont les biens de la terre, et où nous
recueillons de l'or, telles que sont les grâces divines et les récompenses
éternelles! YIII.DepIus,les vrais pauvres d'esprit auront l'hon-neur de
siéger auprès de Jésus-Christ, pour juger les hommes, comme ii le déclara
lui-même, lorsque St.-Pierre lui dît : Eccenos reliquimus omnia, et secuti
sumus te: quid ergo erit nobis? (Mat. xix. 27.) Seigneur, nous avons tout
abandonné pour vous suivre, quelle récompense recevrons-nous ? Jésus
lui répondit : Je vous dis en vérité que pour vous qui m'avez suivi,
lorsqu'au temps de la régénération du monde et de la résurrection générale,
le fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez aussi
assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël. Amen dico
vobis quod vos, qui secuti estis me in regeneratione, eam se-derit filius
homini)' in sede majestatis sua, sedebitis et vos super sedes 12, judicantes
duodecim tribus Israel. (Mat. xix. ?8.) Tousceux qui quittent leurs biens
pour Jésus-Christ en recevront le centuple dans cette vie et dans l'autre
: Et omnis qui reliquerit domum.... aut agros propter no-men meum, centuplum
accipiet et vitam œternamposside-bit: Et quiconque aura quitté sa maison
ou ses terres à cause de mon nom en recevra le centuple et possé-dera
la vie éternelle. (Mat. xix. 29.) L'apôtre dit que les pauvres de volonté,
en ne désirant rien, pos-sèdent tout : Nihil habentes et omnia possidentes.
Jésus-Christ compare les richesses aux épines, (Luc. vin-
SAHCTIFIEE.
231
ll\.) car plus nos richesses sont
grandes, plus elles piquent et tourmentent l'âme, par les sollicitudes,
la crainte de les perdre et le désir de les augmenter. St.-Bernard dit
que tandis que les avares meurent de faim comme des mendiants, puisqu'ils
ne sont jamais rassasiés des biens qu'ils convoitent, les pauvres les
méprisent, car ils sont maîtres de tout, eux qui ne désirent rien :
Avarus terrena esurit ui mendicus, pau-per contemnit ut dominus. ( St.-Bern.
serm. it. in cant.) Oh ! qu'elle est riche la religieuse qui ne possède
et ne désire rien en ce monde! Elle jouit de la paix véritable qui vaut
mieux que tous les biens delà terre qui ne peuvent satisfaire le cœur
humain dont Dieu seul peut remplir le vide.
IX. Les pauvres d'esprit sont doublement
récom-pensés dans cette vie et dans l'autre. Mais la diffi-culté, c'est
de trouver une religieuse pauvre d'esprit. Voyons et examinons en quoi
consiste la pauvreté d'esprit : 1° Elle consiste non-seulement à ne
rien posséder, mais même à ne désirer que Dieu seul. St.-Augustin a
dit : Occurrit mihi pauper el quœro pauperem. (Serm. 110. de temp.) C'est-à-dire
qu'il y avait beau-coup de pauvres de fait mais très-peu d'esprit et de
dé-sir. Ste.-Thérèse parlant des religieuses qui font pa-rade de pauvreté,
sans être pauvres d'esprit, disait : qu'elles trompent les autres et se
trompent elles-mêmes. En effet à quoi leur servira cette pauvreté réelle
? Celui qui est pauvre de fait, mais qui désire les biens a les inconveniens
de la pauvreté, sans en avoir la vertu. Celui qui désire les biens, dit
St.-Philippe de Néri, ne sera jamais saint. Ο ma sœur! vous avez quitté
le monde et, pour quelques baga-telles du monde, vous allez vous mettre
en danger de vous perdre, ou au-moins de n'être pas sainte.
25a
ΙΑ RELIGIEUSE
Contenlez-vous des plus pauvres
aliments , des plus pauvres habits et travaillez à votre sainteté, sans
exposer pour de viles bagatelles votre fortune éternelle. Habentes autem
alimenta et quibus tegamur his contenti simus. (Tim. vi. 8.) Car, ajoute
St.-Paul, nam qui vo-lunt divites fieri, incidunt intentationem et in laqueum
dia-boli et desideria multa inu alia et nocita quce mergunt homines in
interitum et perditionem. (Loc. cit. vers, ix.) Ceux qui désirent les
biens de la terre tombent dans les filets du dénaon et dans beaucoup de
désirs qui les mènent finalement à la mort et à la damnation éternelle.
X. 2° La pauvreté consiste à
tenir son cœur déta-ché, non seulement des objets considérables, mais
même des petites choses. Qu'un peu de boue soit at-tachée à une plume,
elle ne pourra pas s'envoler au souille du vent. Ainsi, le moindre objet
que pos-sède une religieuse, contre le vœu de pauvreté, l'em-pêche
de s'unir parfaitement à Dieu et la prive de la paix véritable. Les épines,
c'est-à-dire les richesses, pour petites qu'elles soient, blessent toujours
et re-tardent les voyageurs dans leur chemin. Il n'est pas nécessaire,
pour qu'une religieuse soit parfaite, qu'elle laisse de grands choses,
il suffit qu'elle aban-donne le peu qu'elle possède, pourvu qu'elle n'y
laisse pas son affection. St.-Pierre laissa peu , mais comme il laissa
tout sans y conserver d'affection, quand il dit : Ecce nos reliquimus omnia,
voilà que nous avons tout abandonné; il mérita d'entendre dire à Jésus-Christ
qu'il était choisi pour être à sa droite ail jour du jugement universel
: Sedebitis it vos judi-cunlts. (Mat. xix. 27) Quelques religieuses ne
conser-vent pas d'affection pour l'amour des pierres pré-cieuses ou pour
des vases d'or, mais pour certaines misères, pour un peu d'argent,
pour un meuble ,
SANCTIFIÉE.
233
un livre ou tout autre chose semblable.
Elles ne se sont pas dépouillées de l'affection aux choses de la terre,
elles l'ont seulement transportée des grandes aux petites; c'est pourquoi
leurs inquiétudes et, leur imperfection , à cause de ces bagatelles,
sont les mêmes que si c'étaient des choses importantes.
XI. Si les séculières se perdent,
du moins c'est pour des choses précieuses aux yeux du monde; mais quelle
pitié, dit Cassien, de voir une religieuse qui a laissé le monde, renoncé
à son héritage et à sa liberté, négliger de devenir sainte par attachement
à des choses viles et misérables, au jugement même des mondains. St.-Eucher
dit : Exultât adversarius quan-do videt nos maxima coniempsisse ut in
minimis vincere-mur. (Horn. v. ad. mon.) Oh! qu'il se réjouit, le démon,
quand il voit que nous n'avons abandonné les grandes choses que pour nous
laisser vaincre plus brutalement dans les petites. Cassien dit : Nous voyons
des religieux qui ont méprisé de grands do-maines et qui perdent la paix
de l'âme pour une aiguille, pour une plume, et qui se mettent en dan-ger
de se damner pour de telles misères ! Prœdiorum magnificentiam contemnentes
videmus pro acu, pro calamo commoveri, et inde occasiones mortis incurrunt.
(Cass. coll. χ. e. 6. ) St.-Eucher ajoute que l'amour de la posses-sion,
s'il n'est étouffé aussitôt, sera plus ardent, chez les religieux, pour
les petites choses que pour les grandes. Habendi amor, nisi ad integrum
resecetur, ardentior est in parvis. (Horn, iv.) Plus ardent et par conséquent
plus défectueux, parce qu'une religieuse qui s'attache aux choses viles
prouve qu'elle est plus avide des biens du monde que si elle était attachée
aux choses pré-cieuses. Le Seigneur nous apprend que celui qui ne renonce
pas à tout ce qu'il possède ne sera jamais
a34
LA BFLICIËl'fE
son disciple. Qui non renuntiat
omnibus quae possidet non potest meus esse discipulus. (Luc. xiv. 33. )
XII. 3° La pauvreté d'esprit ne
consiste pas seule-ment à être pauvre, mais à aimer la pauvreté.
St-Bernard dit : Non enim paupertas virtus reputatur, ,<ed paupertatis
amor. (Ep. adduc. Con.) On n'est pas ver-tueux parce qu'on est pauvre ,-mais
parce qu'on aime la pauvreté, et l'amour de la pauvreté consiste à ai-mer
les effets de la pauvreté, tels que la faim, le froid et surtout le mépris
qu'elle entraîne après elle. St.-Thomas dit que les pauvres d'esprit,
auront l'hon-neur de juger le monde, et cela à cause de l'humilia-tion
qui accompagne la pauvreté. St.-Vincent Ferrier disait que beaucoup de
religieux s'enorgueillissent du titre de pauvre, mais qu'il fuient les
compagnes de la pauvreté, les souffrances et les opprobres : Gloriantur
de nomine paupertatis et socios paupertatis fugiunt.he P.Jo-seph Calasanze
disait que celui-là n'est pas pauvre , qui ne sent point les incommodités
de la pauvreté. La B. Solomée, religieuse de Ste.-Claire, disait : Les
hom-mes et les anges se moqueront à l'envi de ces reli-gieuses qui veulent
être pauvres et qui veulent aussi jouir des aises de la richesse , et
se plaignent quand elles en sont privées. Mais, mon Dieu, quel est l'esprit
de pauvreté de ces religieuses qui se lamentent si les plats ne sont pas
abundans, ou s'ils sont mal assaison-nés? Qui se plaignent de leur supérieure
et des offi-cières, si on ne leur donne pas un habit neuf avant que le
vieux soit usé. Quelle pauvreté observent-elles, celles qui portent la
laine la plus fine, qui se déso-lent si leur tunique n'est pas bien serrée
et faite avec grâce, afin de faire belle figure ? Enfin dit St.-Ber-nard
elles veulent être pauvres et ne manquer de
SAHCT1F1ÉE.
235
rien de ce qu'elles désirent. Pauperes
esse volunt, eo ta-men facto ut nihil eis desit. ( 3erm. de adv. dom. )
XIII. Mais vous direz qu'il n'y
a pas de vie commune dans votre couvent, et qu'il vous faut son-ger à
tout, à la nourriture, aux vètemens, aux méde-cines ; que vous êtes
forcée d'aller à la grille pour vendre vos travaux, et en retirer le
prix pour acheter les choses qui vous manquent. Je réponds : Quoique les
statuts et les usages de votre monastère vous le permettent, néanmoins
vous ne devez pas vous avilir comme une femme du monde qui \a vendre sa
mar-chandise et débat les prix avec colère et obstination. Cette espèce
de trafic est chez quelques religieuses l'effet de l'avidité et non de
la nécessité ; aussi travail-lent-elles la nuit, négligent-elles leurs
emplois, lais-sent-elles le chœur, les oraisons, les sacremens et se servent-elles
par fois des choses du monastère sans permission. Quand le véritable
amour de Dieu règne dans une religieuse, elle trouve bien moyen de prati-quer
la parfaite pauvreté, quoiqu'il n'y ait pas de vie commune dans son couvent.
La vén. Hyacinthe Ma-rescotti, lorsqu'elle sortit de sa tiédeur et se
voua toute à Dieu, dépouilla sa cellule de tout ce qu'il y avait, le
déposa entre les mains de sa supérieure , et se vêtit d'une tunique
usée et déchirée qu'on avait ôtéeà une morte.
XIV. Comme j'ai fait mention ici
de la vie com-mune, qu'on me permette quelque mots sur cette ma-tière.
Toutes les peines, tous les soucis qu'éprouvent les religieuses, tous
les obstacles qui les arrêtent dans le chemin de la perfection, viennent
de ce qu'elles veulent conserver et augmenter ce qu'elles possèdent déjà
en particulier. Il faut se pourvoir de nourriture, de vètemens, de meubles,
de médecines; combien
336
LA RELIGIEUSE
lout cela doit-il tourmenter les
pauvres religieuses ! Combien de distractions dans l'oraison, dans la com-munion
! Il est vrai que ce n'est pas pécher contre la pauvreté que d'avoir
quelque argent quand on le dé-pense avec permission ; mais c'est seulement
dans le cas où on le garde avec indifférence, et qu'on s'en déferait
de même si la supérieure l'ordonnait. Mais cette indifférence totale
est rare dans les religieuses. Quelques-unes mettent leurs épargnes en
dépôt, mais si la supérieure voulait les employer aux besoins du monastère,
elles mettraient tout le monde en ru-meur. Ce dépôt n'est donc qu'une
fiction pour trom-per les supérieurs et Dieu, car de telles religieuses
en font véritablement les propriétaires. Toutes celles qui vivent en
particulier, sont exposées à ce danger. La vie commune délivre et préserve
les religieuses de tous ces dangers. C'est pourquoi St.-Jean Climaque a
dit : Paupertas est abdicatio sollicitudinum secuti, iter ad Deum sine
impedimento ,exi>ulsio omnis iristitiœ. ( Grad. 17, ) Voilà la vie commune,
c'est celle où l'on observe cette pauvreté religieuse, qui délivre de
toutes les inquiétu-des des siècles, qui est une route facile , conduisant
à Dieu sans obstacles, et qui chasse de l'âme toute tris-tesse , et toute
agitation intérieure.
XV. Le but de tous les fondateurs
d'ordres, n'a été que d'établir la vie commune dans les couvents, et
tant que la vie commune y a régné, la ferveur y a régné aussi. Les
théologiens Suarez, Navarre, Lessius et autres disent communément que
le vœu de pau-vreté oblige les moines à être prêts à entrer dans
la vie commune, si le supérieur , en ayant examiné les avantages, le
juge nécessaire. Par conséquent, une religieuse qui se refuserait à
CJ changement aurait sa conscience en mauvais état. Qu'elle ne craigne
pas
SA.SCT1FIBE
25;
que dans la vie commune, il n'y
aura pas moyen de vivre; qu'elle écoute ce que le Seigneur dit à Ste.-Ca-therine
de Sienne : Quand les ordres religieux vi-vaient dans la pauvreté, ils
n'en souffraient pas, mais maintenant qu'ils vivent en particulier, ils
l'éprou-vent. Oh! que vous seriez heureuse, Si vous pouviez contribuer
à établir la vie commune dans votre cou-vent !
XVI. Au reste, s'il n'y a pas de
vie commune dans votre couvent, et si elle ne peut s*y établir, je ne
vous oblige pas à l'observer. Ils vous est donc permis de songer modérément
à votre nourriture, à vos méde-cines et! à vos autres besoins. Vous
pouvez avec per-mission vendre vos travaux, afin de pouvoir suffire à
votre entretien, conserver de l'argent pour vos be-soins quotidiens, en
mettant le reste dans le dépôt commun, pour en faire l'abandon à la
supérieure, si elle croit en avoir besoin. Vous pouvez aussi de-mander
la permission de dépenser ou de recevoir jus-qu'à une certaine somme.
En faisant ainsi, vous pour-rez mériter tout de même le prix décerné
aux pauvres d'esprit.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus ! si par le passé
mon cœur a été atta-ché aux biens de la terre , je veux dorénavant
que vous soyez mon seul trésor. Dieu de mon âme, vous êtes un bien infiniment
plus grand que tous les au-tres biens, vous méritez un amour infini, je
vous aime plus que tout, plus que moi-même. Vous êtes l'uni-que objet
de mon amour, je ne désire rien de ce monde, mais si j'avais à désirer
quelque chose, je
aÔ8
LA RELIGIEUSE
voudrais avoir en mon pouvoir tous
les trésors et tous les royaumes de la terre , pour y renoncer et m'en
priver par amour pour vous. Venez, ô mon amour , venez brûler dans mon
cœur tous les sentiments qui ne sont pas pour vous. Faites qu'à l'avenir
je ne voie que vous, je ne pense qu'à vous, je ne soupire que pour vous.
Que cet amour qui vous a fait mou-rir sur la croix, me fasse mourir à
tous mes goûts pour n'aimer que votre bonté infinie, et ne désirer que
votre grâce et votre amour. Mon bien-aimé Rédemp-teur, quand me donnerai-je
toute à vous, comme vous vous êtes donné tout à moi ? Je ne sais me
consa-crer à vous comme je devrais le faire. Ah ! prenez-moi Seigneur,
faites que je ne vive que pour vous être agréable. J'attends tout des
mérites de votre sang', ô mon Jésus, et de votre intercession, ô Marie,
ma mère!
S· π-
Des degrés et de la pratique de
la pauvreté parfaite.
I. Ce premier degré de la parfaite
pauvreté con-siste à ne rien posséder en propre', tout ce qu'a la re-ligieuse
, elle doit le regarder comme emprunté, et elle doit être prête à le
donner au premier signe de sa supérieure. Elle doit être enfin semblable
à une sta-tue à: qui il est indifférent qu'on l'habille ou qu'on la
dépouille- Celle qui s'afflige , quand l'obéissance lui enlève quelque
chose , montre qu'elle ne le possédait pas avec un véritable esprit de
pauvreté, ou au moins qu'elle y était attachée. Quant aux épargnes
qu'elle fait, elle doit les garder comme en dépôt et ne pas les dépenser
en cadeaux superflus; elle ne doit pas se
SANCTIFIÉE.
23g
plaindre si l'obéissance veut que
ses épargnes soient employées aux besoins de la communauté ou de quel-que
religieuse en particulier. Que penser d'une reli-gieuse qui, si elle voit
une de ses compagnes se servir de ses effets, avec la permission de l'abbesse,
met sans dessus dessous le couvent? Ο ma sœur! voyez si vous êtes bien
détachée de tout ce que vous possé-dez. Demandez-vous, si l'abbesse
vous empêchait de faire quelque dépense, si elle vous ôtait un meuble,
un vêtement j comment vous le suporteriez? Si vous ai-mez encore quelque
chose , faites comme la sœur Marie de la Croix, qui s'en privait ou le
portait à sa supérieure , pour qu'elle en disposât à son gré. 11 faut
être détachée , même des choses que permet l'o-béissance.
II. Le second degré , c'est de
ne rien avoir de su-perflu , car toute chose superflue , sera un obstacle
pour vous unir parfaitement à Dieu. Ste.-Marie-Ma-deleine de Pazzi dépouilla
son petit autel de tous ses ornements, et n'y laissa que le crucifix. Ste.-Thérèse
raconte que tant qu'elle avait quelque chose de super-flu chez elle, elle
ne pouvait se recueillir dans l'orai-son,,jusqu'à ce qu'elle s'en fût
débarrassée, sachant combien Dieu est jaloux de la pauvreté religieuse.
S'il n'y a pas de parfaite communauté dans le couvent, tâchez du moins
d'imiter la pauvreté des plus exem-plaires d'entre les sœurs, pour les
vêtements, la nour-riture et les meubles. Vous dites : Mais tout ce que
j'ai je l'ai eu avec permission. Je réponds : La permission vous en rend
la propriétaire, mais n'empêche pas que vous ne perdiez le mérite de
la parfaite pauvreté Vous direz : mais ce que je possède, je n'y suis
pas at-tachée. Je réponds : Dès que ce que vous avez n'est pas nécessaire,
ce sera un obstacle a la parfaite pau-
a4o
LA RELIGIEUSE
vrcté. Vous dîtes enfin : Mais
cet argent, cet objet me sert pour aider les pauvres ou mes compagnes.
Je ré-ponds que la religieuse qui édifie, n'est pas celle qui α de quoi
donner, mais celle qui n'a rien à donner. , St.-Thomas a dit: Bonumest
facilitates pauperibus er ο gare tsedmelitls est egere cum Christo, (II.
2. qu χχχπ. a. 8. ) II est bon de donner ses effets aux pauvres, mais
il Vaut m'eux être paUVre avec Jésus-Christ, et n'avoir rien à donner.
La vén. sœur Amédée de Sales, disait qu'une bonne religieuse ne doit
désirer jouir que des biens qu'elle reçoit de Dieu, c'est-à-dire des
bons exemples, des oraisons et des secours de la vie spiri-tuelle.
III. Ο ma sœur ! si \ ous voulez
plaire à votre époux, tâchez de vous défaire de tout ce qui vous est
inutile, et si vous ne savez pas quels sont ces objets, priez vo · tre
abbesse d'examiner votre cellule et d'en ôter tout ce qu'elle jugera superflu.
Si vous aimez véritable-ment la pauvreté, je ne vous dis pas de faire
la singu-lière dans le couvent, mais vous ne devez pas souffrir qu'il
y ait des religieuses plus pauvres que vous ; vous devez donc tâcher d'être
pauvre en tout, pauvre dans vos habits, dans vos meubles, dans vos aliments,
pau-vre surtout d'argent. Quant aux habits, mettez-y toute la pauvreté
possible, servez-vous-en par nécessité et non par vanité. A quoi servent
lès vêtements fins des religieuses, sinon à satisfaire leur amour propre
et les faire estimer de ceux qui les voyent! St.-Grégoire remarque qu'on
ne met des vêtemens de prix que lorsqu'on espère être vu des autres.
Cum nemo velit ibi pretiosis vestibus indui, ubi ab aliis non possit videri.
Le St.-Esprit dit que la beauté d'une personne ne con-siste pas en ce
qu'elle porte au dehors, mais en ce quelle possède au dedans : Omnis gloria
ejus filias regis-
SANCTIFIÉE.
24 ί
ch intus. ( Ps. Z|4. ) Mais l'extérieur
d'une personne en révèle l'intérieur. Exteriora signa produnt quid in
animo lateat inlàs , est-il dit daiijs les revelations de Sle.-Bri-gitte.
( Rev. 1. iv. e. 13. ) Toute parure vaine décèle, une âme vaine. St.-Jean
Chrisostôme, dit qu'une re-; ligieuse qui s'occupe à orner son corps
prouve que son esprit est imparfait. Studium in ornando. corpore in-ternam,
indicat deformitatem. ( Horn. 37. ) St.-Bernard dit, que plus on embellit
le corps, plus on souille l'âme. Quanto amplius corpus ornatur, tanto
interids anima fœdatur. Sle.-Madeleine de Pazzi, ( vie. cap.64.) vit beaucoup
de religieuses damnées pour des péchés commis contre la pauvreté, et
surtout par vanité.
IV. Je ne prétends pas que vous
portiez des habits sales et déchirés; mais un habit racommodé convient
à une religieuse qui a fait vœu de pauvreté. Il ne faut pas porter uu
voile sale, mais il ne convient pas qu'il soit d'une blancheur éblouissante.
Comment croire à la vertu d'une religieuse qui porte des manchettes de
baptiste, des boutons d'argent, des bagues précieuses-au doigt, et un
riche chapelet au côté ? qu'elle «ache que le mépris de la pauvreté
déplaît beaucoup à Dieu., La vén. sœur Constance de la Conception
, reli-gieuse carmélite , ayant jeté une fois un vieux voile déchiré,
Jésus lui apparut et lui dit : C'est ainsi que tu méprises le poêle
nuptial que je t'ai donné. Mais, les religieuses qui aiment Jésus-Christ
ne font pas ainsi. Sœur Marguerite de la Croix , fille de l'empe-reur
Maximilien II., clairiste déchaussée, ayant com-1; paru devant le duc
Albert son frère avec une robera-i; commodée, celui-ci s'en étonna.
Alors elle lui dit :! Mon frère, je suis plus heureuse sous cette robe
en.; lambeaux que les rois sousleurs manteaux de pourpre, vin.
t6
<s4a
LA BEIIGIET3.SK
Ce que le monde méprise, Dieu l'aime
et le récom-pense grandement. Violante Palombara, dame très-noble, ne
portait jamais que des vêtements faits d'une toile grossière, une camisole
de laine pour dormir et un chapelet de bois; en mourant elle e'écria :
Que vois-je! ma robe étincelle de lumière, ma couverture est d'or et
mon chapelet est de dia-mants.
V. Tâchez d'être pauvre : même
dans vos meubles et dans les ustensiles de votre cellule. On lit dans les
chroniques de St.-Jérôme, que quand les supérieurs trouvaient des choses
curieuses, ils les jetaient au feu, les appelant idoles des religieux.
Sœur Madeleine Caraffa, grande servante de Dieu , qui fut d'abord duchesse
d'Andrie et puis religieuse à Naples, n'eut jamais dans sa cellule ni
tableaux, ni cadeaux, ni beaucoup de livres; car,disait-elle,un seul livre
suffit pour lire et pour le mettre en pratique. C'est à la confusion de
certaines religieuses qui ont leur cel-lule remplie de livres spirituels
et ne profitent d'au-cun. Ste.-Thérèse faisait chaque jour l'examen de
sa cellule, pour voir s'il n'y avait pas quelque chose d'inutile; si elle
y en trouvait, elle l'enlevait aussitôt. Ma sœur! Il y a peut-être bien
des choses superflues dans votre cellule, pourquoi ne vous en dé faites-vous
pas? A quoi servent ces peintures profanes? ces cor-niches dorées ? ces
boîtes d'acajou ? ces ouvrages d'or ? ces vases de cristal, plus convenables
à une femme du monde qu'à une religieuse ! Songez que ce qui platt maintenant
à vos yeux, vous percera le cœur à l'heure de la mort; et vous en porterez
la peine dans le purgatoire. Monseigneur Palafox raconte qu'un supérieur
apparut à un moine et lui dit que pour le vœu de pauvreté Dieu demandait
un compte exact
SANCTIFIÉE.
>43
de toutes les choses auxquelles
on ne fait pas atten-tion dans cette vie ; il ajouta qu'il souffrait beaucoup
pour avoir eu un secrétaire en noyer dans sa cellule. Quelques religieuses
ont leur cellule aprovisionnée de fruits, de confitures, de liqueurs et
de mille autres friandises. La vén. Jeanne de l'Annonciation à qui les
médecins avaient ordonné li pâte de roses, ne voulut pas qu'on la laissât
dans sa cellule et s'en fai-sait porter chaque soir la quantité nécessaire.
VI. Tâchez surtout d'être pauvre
d'argent. St.-Paul compare l'amour de l'argent à l'idolâtrie. Avarus
quod est idolorum servitus. (Eph.iv. ) Car l'argent de-vient le Dieu de
l'avare, et son unique but. St.-Jean-Chrysostôme a dit : Contemnamus pecunias
ne contem-namur à Christo. ( Horn. VIT. in c. S. ) Méprisons l'argent
s>i nous ne voulons être méprisés par Jésus-Christ. Les premiers chrétiens,
après avoir vendu leurs effets, en dépcsaiei.t le prix aux pieds des
apôtres , (Act. iv. 34· et 35.) voulant indiquer par li que l'argent
ne devait pas être dans le coeur de' l'homme, mais sous ses pieds. Quelques
religieuses, sur prétexte de manquer de mille choses, ne cessent' d'amasser
de l'argent. Sle.-Catherine de Sienne di-sait : Nous voulons regorger de
biens, et tant que nous n'en regorgeons pas, nous nous croyons tou-jours
dans le besoin. Mais les religieuses qui aiment la perfection ne font pas
ainsi, elles ne veulent que le nécessaire et ne conservent que l'argent
indispen-· sable. A quoi leur servirait plus d'argent, sinon à les rendre
plus fières , plus difficiles, plus vaines et moins mortifiées, car elles
satisferaient tous leurs caprices. Si vous avez plus d'argent qu'il ne
vous en faut, donnez-le donc à l'abbesse pour qu'elle en dis-pose à son
gré,ou du moins employez-le à secourir les
244
r
religieuses plus pauvres, non pour
avoir des dépen-dantes, mais par pure charité. Qu'il est honteux, dit
Ste.-Catherine de Sienne, dans une de ses lettres, (Ep. xv.) que les religieuses
qui devraient être des miroirs de pauvreté, nagent dans les délices
comme si elles étaient dans le monde, et prétendent avoir dans le couvent
plus d'aisances qu'elles n'en auraient eu dans la maison paternelle ?
VII. Il faut être encore très-circonspect
dans sa dé-pense pour ne pas enfreindre le vœu de pauvreté. Certaines
religieuses, se vantant d'être grandies et gé-néreuses, disent : Quand
on a de quoi, on doit dépenser. Excellente maxime, qui irait bien dans,.Ja
bouche d'un femme du monde, mais non d'une religieuse. Ne vous targuez
pas du prétexte que vous faites ces dépenses à la gloire de Dieu dans
les fêtes du cou-vent. Clément J. (dans sa Clémentine Exivi §. Rur-sus
de verb, signif. ) défend aux religieux expressé-ment toute dépense
superflue, même pour le culte divin. St.-Charles-Borromée ordonna expressément
aussi que les ornemens des chapeiles des religieuses, fussent convenables,
mais non somptueux. St.-Ber-nard demande : Quid putas? in his quœritur
paenitentia , compunctio , aut intaentium admiratio? (Serm. ad. Guil.)
Que pensez-vous ? est-ce la pénitence, la componc-tion ou l'admiration
des étrangers que vous recher-chez ? Croyez-vous, dit-il, que cette religieuse,
en faisant une fête pompeuse, cherche à honorer Dieu et à porter les
autres à la dévotion , ou bien qu'elle le fait par vanité et pour qu'on
admire sa magnifi-cence et son génie? St.-Bernard se fait cette objec-tion
: Mais les évêques ne se font pas scrupule de dépenser immensément
pour les fêtes du culte. II.ré-pond : Alia causa est Episcoporum alia
monachorum; nos
SANCTIFIEE.
245
qui mundi pretiosa reliquimus, in
his devotionem excitare intendimus. La position des évêques est différente
de celle des moines qui professent là pauvreté. Nous qui avons laissé
les biens du monde, nous devons être pauvres, même dans nos fêtes ,
et par les dehors de notre pauvreté, allumer la piété dans le cœur
des hommes. Ο mon Dieu, que de péchés commettent les religieuses pour
ces fêtes ! Elles ne se conten-tent pas des cierges, des tapisseries ,
de la mu-sique , elles veulent encore régaler les curieux qu'at-tire la
cérémonie. Comment ne pas être révolté de voir qu'elles font passer
le prêtre au parloir en sor-tant de l'autel pour lui faire prendre des
rafraîchisse-ments, du chocolat, dés douceurs?
"VIII. Mais dites-vous : Que faut-il
faire? ne dois-je pas imiter les autres? Je réponds : Du moins ne cher-chez
pas à surpasser les autres et à augmenter le nombre des eibus, car si
vous excédez dans votre dé-pense , celle qui viendra après vous, ne
voudra pas faire moins pour ne pas passer pour plus pauvre que vous. N'introduisez
pas des abus ; que ceux qui exis-tent vous suffisent, car vous rendrez
compte à Dieu de tout ce que vous ferez. Une religieuse a commen-cé par
étaler un peu de faste , celle qui l'a suivie un peu plus, une' antre
encore davantage , et on est arrivé à de tels excès que des communautés
entières ont perdu la ferveur et l'observance des règles. Que de religieuses
sont distraites, inquiètes , sans recueil-lement, sans dévotion, pleines
de vanité pendant Wute leur vie à Cause de ces dépenses ! Les Souve-rains
pontifes, les saintes congrégations de Rome ont essayé mille fois de
répai-er le mal, niais il n'ont rien gagné. Que puis-fe ajouter enòore?
Je he puis que în'écrier : Malheur à toute religieuse qui introduit
dés
246
LA BELlGIEDSfi
abus dans le couvent ! Que celle
qui a la gestion des biens du couvent n'aille pas faire de folles dépenses
pour elle-même , car ce serait blesser gravement le vœu de pauvreté.
Les permissions pour les dépenses ne doivent pas être accordées par
les confesseurs, mais par la supérieure ; car une religieuse ne doit obéir
qu'à sa supérieure pour les choses temporelles. De plus,!a per-mission
ne peut servir que pour acheter l'objet qui y est indiqué, car si on l'employait
pour autre chose, ce serait une infraction au vœu de pauvreté. Celles
qui font par caprice et par vanité des présens à des person-nes qui
n'en ont pas besoin, blessent encore la pauvreté: Pars sacrilegii est,rem
pauperum dare non pauperibus. (Ep. ad.Pam.) C'est un sacrilège que de
donner le bien des pauvres, c'est-à-dire des religieuses qui n'ont rien
à elles , à ceux qui ne sont pas pauvres. Les décrets apostoliques défendent
aux confesseurs de recevoir des présens des religieuses, surtout s'ils
sont réciproques. St.-Jérôme dit : Crebra munuscula et sudariola et
fascio-las et dégustâtes cibo$,blandasque litterulas, sanctus amor non
kabet. ( Ep. ad Nep. ) Le saint amour n'admet nï petits cadeaux de mouchoirs,
de bonbons, de lettres affectueuses. Nous parlerons de tout ceci plus loin.
Chap. X. S· 3.
IX. Le troisième degré de la pauvreté
c'est de ne pas, vous plaindre, lors même que le nécessaire vous manque·
Un jour la divine mère dit à une religieuse franciscaine : Ma fille,
si tu as tout ce qu'il te faut,, tu n'es pas vraiment pauvre ; la véritable
pauvreté consiste à avoir moins que le nécessaire. LaB. Jeanne de Chantai
disait : (vie lib. HUC. 12.). Les plaintes contre la pauvreté déplaisent
à Dieu et aux hommes, le ce me trouve heureuse que lorsque j'ai quelque
in-dice extérieur de pauvreté. La vén. Baptiste Yernaz.-
aa chanoinesse régulière, disait
qu'elle éprouvait un grand plaisir en pensant que si elle avait besoin
de quel-que chose, elle ne pourrait pas se le procurer. Ste.-Marie-Madeleine
de Pazzi s'affligeait quand la supé-rieure lui fournissait ce qui lui
manquait. Une fois qu'elle n'avait pas de pain à table, elle en eut tant
de plaisir quelle s'en accusa. Elle s'écriait par fois : Oh! que je serais
heureuse si j'allais manger , et que je ne trouvasse pas de nourriture,
si j'allais dormir et que je ne trouvasse pas de lit, si j'allais me vêtir
et que je ne trouvasse pas d'habits! que nesuis-je dé-pourvue de tout
! Ο ma sœur ! parlez de même, quoi-que vous ayez quitté le monde et
les choses super-flues, je crains cependant que vous ne soyez atta-chée
à ce que vous croyez nécessaire à votre nourri-ture, à vos habits,
à votre lit, car vous vous désole* quand ces choses vous manquent.
X. Mais comment seriez-vous pauvres
? vous voulez jouir du paiu de la pauvreté et vous ne vaulez man-quer
de rien ! Quel pauvre, quel riche, même dan» le monde, a-t-il toujours
tout ce qu'il désire ? Si vous étiez restée dans le monde, que de choses
vous man-queraient î Et, dans le couvent où vous êtes venue pour souffrir
et pour professer la pauvreté , vous vou-lez ne manquer de rien ? St.-François
de Sales disait s Vouloir être pauvre et ne pas souffrir , c'est vouloir
obtenir l'honneur delà pauvreté, et posséder l'aisance de la forlune.
Mais vous dites : Si j'étais d'une bonne santé, je souffrirais tout;
mais je suis malade, c'est pourquoi je ne puis concevoir que la supérieure
m'ou-blie, comme si j'étais bien portante. Je vous réponds. Vous vous
plaignez qu'on vous oublie, mais vous ou-bliez que vous êtes entrée dans
le couvent pour souf-frir. Une religieuse doit embrasser la douleur, non
BELIGIEUSE
seulement quand elle est bien portante,
mais même quand elle est malade. On trouve dans la Constitu-tion dç Ste.-Thérèse
cet article : Si quelque chose manque à nos frères malades, qu'ils se
souviennent qu'ils ont embrassé la pauvreté de Jésus-Christ, c'est pourquoi
ils ne doivent être traités en hommes riches ni quand il sont bien portants,
ni quand il sont ma-lades. S*e.Marie-Madeleine de Pazzi parle ainsi aux
religieuses : Quand même vous seriez malades ne prenez et ne faites rien
qui n'ait l'apparence de la pauvreté. St.-I?ernard voulait que ses moines
malades ne bussent que de simples tisannes, disant que les médecines chères
ne conviennent pas à des malades pauvres. Si vous étiez restée dans
le monde, je ne sais si vous auriez pu avoir le médecin et les drogues
que la religion vous donne; et vous osez en exiger davantage. Allons !
soyez contente de vivre et de mourir pauvre ! et réjouissez-vous que lorsque
la mort viendra, eue vous trouve pauvre. Toutes les fois que vous manquerez
de quelque chose, souvenez-vous de ces paroles de la B. Jeanne de Chantai
: les occasions d'exercer la pauvreté sont si rares, que lorsqu'elles
se présentent, nous devons nous empresser d'en profiter avec joie.
. (ϋί. Le,quatrième et dernier
degré de la pauvreté consiste à se contenter des choses les plus pauvres,
de la cellule, de l'habit, du lit, des aliments les plus pauvres. Ste.-Marie-Madeleine
de Pazzi se nourris-sait avec joie des restes des autres religieuses ;
elle portait une robe si vieille, que la supérieure fut for-cée dé l'en
faire changer par obéissance. La B. Jeanne de Chantai disait que la perfection
de la pauvreté
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veut que'lorsque létain peut servir,
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pas de 1 argent, et que lorsque
le plomb peut servir,
on n'emploie pas"l'étain. Cette
règle doit s'appliquer à tout pour une religieuse qui veut être sainte.
XII. Nous allons rapporter en finissant,
une belle instruction sur la pauvreté que le P. Antoine Torres adressa
à une religieuse dé ses pénitentes : «Aimez la pauvreté comme un trésor,
elle fut un trésor pour votre époux. Pratiquez-la sans cesse, parez-vous-en
comme d'un bijou. Ne soyez pas tranquille si vous voyez dans le couvent
une religieuse ou une converse plus pauvre que vous. Ne portez pas d'objets
de luxe, n'ayez sur vous que le nécessaire. Choisissez les voiles les
plus vieux et les plus usés , et que Votre chapelet même soit d'un bois
grossier. Mettez la robe la plus déchirée , ne la quittez que lorsqu'elle
he tiendra plus sur vous. Évitez d'avoir plus de tuniques ou plus de linge
que n'en a la dernière des sœurs con-verses. Ne possédez et ne convoitez
aucune cliosë, pas même les choses nécessaires, et ne les achetez qu'après
en avoir demandé la permission â votre Sau-veur , attaché tout nu sur
fa croix. Ne donnez jamais, ne recevez jamais rien ,· que votre supérieure
ne votis le permette. N'ayez dans votre cellule qu'un pauvre lit, avec
peu de draps et de couvertures, deux chafëès de pailles, un crucifix,
quatre images de papier ; quelques livres choisis, qui vous seront désignés
par votre directeur, et ce qui vous est absolument néces-saire, rien de
plus. Examinez souvent devant le cru-cifix si vous avez bien observé le
vœu de pauvreté, et si vous trouvez dans votre chambre quelque chose
de superflu, portez-le à la supérieure. Ne demandez rien pour vous à
vos parents. Vous pourrez leur de-mander quelque choses pour les besoins
de là com-munauté, mais sans rîéh garder pour votis. CVie." lib. u.c.
11.)
LA BELICIEHSE
XIII. De grâce, ô ma sœur , vous
qui avez renon-cé au monde, et à toutes les choses du monde, ne préférez
pas la boue à Dieu. St.-Clément, évéque d'Ancire, lorsque Dioclétien
lui présenta de l'argent, de l'or, et des bijoux pour qu'il reniât Jésus-Christ,
poussa un long soupir en voyant que Dieu était com-paré à la boue. On
raconte que lorsque le tribun offrit à St.-Basile, martyr, de la part
de l'empereur Licinius, la dignité de premier Pontife, s'il consen-tait
à renoncer à la foi chrétienne, il répondit : Dites à l'empereur ,
que, quand il m'offrirait tout son em-pire, il ne vaudrait pas ce dont
il me priverait en me privant de Dieu, et en me livrant au.démon. Ο vous!
qui vous êtes donnés à Dieu, faites que les choses de la terre que vous
avez laissées ne vous mettent pas encore une fois en danger de perdre
Dieu. Imagi-nez que Dieu est devant vous avec toutes les créa-tures, et
qu'il vous dit comme à la vén. sœur Marie Crucifiée : Choisis entre
elles et moi, ce que tu pré-fères. Ah! le trésor d'une religieuse, c'est
Dieu! — Je finis en disant avec St.-Madeleine de Pazzi : Heu-reux les
religieux qui, détachés du monde parla sainte pauvreté, peuvent dire
: Dominus pars hereditatis meœl Dieu est ma part de l'héritage dans tout
ce que ie désire en cette vie et en l'autre. La même sainte s'é-criait
: Rien, rien que Dieu. Je ne veux Dieu que pour Dieu.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus ! je trouve tout en
vous ; je ne veux et ne désire rien hors de vous. Attirez-moi toute à
vous ; faites que je sois brûlée et dévorée du feu de
SAtiCTlFlÉE.
a5l
votre amour. Mon bien aimé Rédempteur,
depuis bien des années vous me poursuivez et me voulez touîe à vous.
Puisque vous avez tant de souci de mon bonheur, faites que dorénavant
je n'aie d'autre souci que de vous aimer. Délivrez-moi de tous les senti-ments
qui «n'éloigneraient de vous. Faites que mes pensîes n'ayent pour but
que de me préserver de tout ce qui pourrait vous déplaire et de faire
tout ce qui peut vous être agréable. Ο verbe incarné , vous êtes descendu
sur terre pour nous embraser d'a-mour pour vous! Prenez mon cœur, enflammez-le
Seigneur, éclairez-le et pliez-le à toutes vos volontés, unissez-le
au vôtre, et gardez-le. Unissez-vous à moi et unissez-moi à vous par
un parfait amour, que l'éternité ne puisse jamais rompre. Faites que
je ne m'appartienne plus, mais que je sois à vous, toute à vous, ô mon
trésor, mon amour, mon unique bien. Ο Marie ! ma mère, j'ai fondé toutes
mes espérances en votre intercession.
CHAPITRE X.
Du détachement des parens et du
reste des hommes. §· I-
Du détachement des parens.
I. Si l'attachement aux parents
n'était bien dange-reux, Jésus-Christ ne nous l'aurait pas recommandé
avec tant de soin. Dans un endroit il dit que celui qui ne hait pas ses
parents, ne peut être son disciple.
Si quis venit ad me et non odit
patrem suum et matrem, non potest meus esse discipulus. (Luc. xiv. 26.)
Il dit dans
252
LA RELIGIEUSE
un autre endroit, qu'il est venu
séparer le fils de son père, et la fille de sa mère. Veni enim sepnra-e
hominem, adversas patrem suum et filium adversus matrem suam. Mais pourquoi
donc celte haine envers nos parents , et pourquoi nous séparer d'eux ?
Le Sauveur lui-même répond à cette question : Et inimici hominis do-mestici
ejus. ( Mat. χ. 36. ) Parce que les hommes et surtout les religieux n'ont
pas de plus grands obs-tacles à leur vocation que leurs parents ; car,
dit Sl.-Thomas, (n. 2. qu. ci.xxxix. a. 10.) frequenter amici Carnales
aversantur profectui spirituali; propinqui enim car-nis in hoc negotio
atnici non sunt sed inimici. L'expérience nous le prouve, St.-Charles-Borromée,
quoiqu'il fût réservé dans sa conduite, et très-détaché de ses pa-rents,
avouait cependant que, quand il allait les voir, il revenait moins fervent
et presque indifférent aux choses de Dieu. Les maîtres de la vie spirituelle
ex-hortent tous ceux qui veulent atteindre à la perfec-tion à fuir leurs
parents, à ne pas se mêler de leurs affaires, et à ne pas même demander
de leurs nouvel-les, quand ils sont éloignés.
II. Comment avoir la ferveur , quand
on veut toujours avoir ses parents auprès de soi, quand on envoie lettres
sur lettres pour les faire venir, qu'on se plaint, qu'on s'inquièle, s'ils
tardent à arriver ! Comment une religieuse qui fait ainsi s'unirait-elle
à Dieu ? St.-Grégoire dit : Extra cognatos quisque debet fieri, si vult
parenti omnium verius jungi. (Mor. lib. vu. e. 6.) Il faut fuir ses parents
quand on veut s'unir à D΀u^ père universel de tousles hommes^ St.-Bernard,
après avoirdit que la Ste.-Yierge,ayant perdu son fils, le chercha vainement
pendant trois jours chez ses parents, en tire la conséquence que Jésus-Christ
ne réside pas là. Non invenitur Jesu inter cognatos. Pierre
S4NCT1FIEF.
253
de Blois ajoute que l'amour de nos
parents nous prive de celui de Dieu. Carnalis amor extra Dei amorem citó.
te capiet. Moïse en mpurant dit ces mots qui s'adres-sent surtout aux
religieux : Qui dixit Patri s«o et matri suce : nescio vos et fratribus
suis ignoro vos, hi custodie-runt eloquium tuum et pactum tuum servaverunt.
(Deut. xxxui. 9. ) C'est-à-dire que la religieuse qui dit à ses père
et mère : Je ne vous connais pas ; à ses frères : je ne sais qui vous
êtes, répond à l'appel de Dieu et observe l'engagement qu'elle a pris
avec Dieu, en fai-sant ses vœux, alors que Dieu lui dit comme à toutes
celles qui se consacrent à lui : Audi, fdia, et vide, etin-clinaaurem
tuam, et obliviscere populum tuum et domum, pafris tui, et concupiscet
Rex decorem tuam. (Ps. xxxxiv. 12. ) Écoute , ô ma fille et apprends
combien tu seras heureuse, si tu m'obéis, et si tu prêtes l'oreille à
mes,; paroles ; oublie tes semblables et la maison paternelle et alors,
moi, qui suis ten roi et ton époux, j'aimerai ta beauté. Grande premium
est, s'écrie St.-Jérôme, parentis oblivisci, quia concupiscet Rex decorem
tuum. ( in Reg. mon. ) La récompense qui t'est des-tinée, est immense;
car tu seras chère à ton Seigneur qui le rendra heureuse dans cette vie
et dans l'autre. Notre Sauveur a dit : Omnis qui reliquerit domum vel fratres
aut patrem, aut matrem, propter nomen meum, centuplum accipiet et vitam
celernam possidebit. (Mat. xix. 29.) Celui qui abandonne, même d'affection,
ses père et mère pour moi, possédera ,1a vie éternelle dans l'autre
vie, et recevra de plus le centuple dans celle-ci. Elle laissera quelques
sœurs dans le monde, et elle en trouvera beaucoup dans le couvent ; elle
laissera un père et une mère, et elle aura Dieu pour père et Marie pour
mère, et sera aimée et traitée par eux comme uue fille.
ΙΑ BELIGIEHSB
III. Sachant combien ils se
rendaient chers à Dieu en se détachant de leurs parents, les saints ont
cher-ché à en être toujours éloignés. St.-François-Xavier,en allant
aux Tndes, passa près de sa ville natale, mais il ne voulut pas y entrer,
de peur de voir sa mère, ses parents et ses ainis, qui, dans leurs lettres,
l'avaient instamment prié de venir leur dire un dernier adieu, car il
ne devait pins les revoir! La sœur de St.-Pa-côme étant venue le voir,
il lui fit dire ces mots : Tu sais que je vis encore, que ce/a te suffise.
Pars. Quelques saints ne voulaient pas même lire les lettres de leurs
paren's. St.-Jean-Climaque raconte que St.-Antoine, abbé, après un séjour
de plusieurs années dans le dé-sert, reçut des lettres de se.« parents:
il se dit à lui-même : Lirai-je ces papiers ? Ils ne m'apporteront que
trouble et inquiétude ; il m'ôteroni la paix dont je jouis. Il les jeta
dans le feu et s'écria : Disparaissez,sGUvcnirs de ma patrie ! Ne
me rappelez plus ce que j'ai quitté. Brûlez, ô lettres de mon père
! brûlez, pour que je ne FOIS pas brû'é un jour.
IV. Ste.-Thérèse disait
: « Je ne conçois pas quelle consolation peut trouver une religieuse
dans la vue de ses parents. Oulre que Dieu lui ordonne de les haïr, elle
ne peut partager leurs plaisirs, et à coup sûr elle partage leurs peines.
Qu'elle est belle, ô ma sœur, cette réflexion de la sainte .'Lorsque
vos parents viennent à la grille, ils ne peuvent pas vous faire jouir
de leurs amusements, parce que vous êtes ren-fermée et que vous ne pouvez
pas y aller. Que vien-nent-ils donc faire au parloir ? Ils n'y viennent
que pour vous raconter leurs maux, leurs chagrins, leurs besoins. Â quoi
sert tout cela ? Cela sert à vous rem-plir d'inquiétude, de distraction,
de défauts; à cha-que visite de vos parents, on vous voit pendant plu-
SANCTIFIÉE.
25
sieurs jours distraite et inquiète
dans la priore et dans les communions, parce que vous pensez sans cesse
à ce qu'ils vous ont dit. Comment donc, vous qui avez quitté le monde
pour vous rendre sainte, pouvez-vous désirer que vos parents viennent
souvent vous voir? Est-ce pour qu'ils vous fassent perdre votre paix et
votre avancement dans la vertu ? Quelle folie de croire qu'on ne peut pas
vivre contente sans voir souvent ses parents ! Oh ! si vous vous en éloigniez,
combien Jésus-Christ vous consolerait et vous rendrait heu-reuse ! Sle.-Madeleine
de Pazzi disait que le fruit principal que les religieuses doivent tirer
de la com-munion, c'est la haine des grilles II n'y a pas de lieu, en effet,
où le démon gagne davantage avec elles qu'au parloir, comme un des esprits
malins le dit un jour à la vén. sœur Marie Villam*. Ste.-Madeleine de
Pazzi ' détournait ses pas du parloir , et le haïssait tellement, qu'elle
ne pouvait pas même l'entendre nommer.Quand par fois elle était forcée
d'y descendre elle se prenait à pleurer et disait à ses compagnes : Mes
filles, priez Dieu pour moi, car on m'appelle à la grille, et elle les
suppliait de venir l'appeler sous un prétexte quelconque.
V. Mais vous dites : Quoi ! je ne
dois pas voir mes parents! Quand ils viennent me trouver, je dois les chasser
et ne pas descendre au parloir. Je n'exige pas cela, mais si vous le faites,
ferez-vous mal; sera-ce chose inconvenante et jamais pratiquée par aucune
religieuse ? Plus d'une a pris cette résolution et l'a exécutée. On
rapporte, vers la fin de la vie de Dona Jérôme St.-Félix ( Lib. 6. c.
i. §. 4. ), écrite par le P. Torres, que cette religieuse, du couvent
de Dona Alvina, était au commencement si attachée à ses pa-rents, qu'elle
pensait toujours à eux, qu'elle voulait
256
ΙΑ RELIGIEUSE
qu'ils vinssent souvent la voir,
et envoyait chaque jour demander des nouvelles de son père. La sœur Marie
Àntonia, qui était dans le même couvent, et qui était Irès-fervente,
pria Dieu de la faire souffrir, et Dieu l'exauça, car il lui envoya un
ulcère qui lui rongeait les chairs en lui causant des douleurs mortelles;
elle s'écriait alors : Plus fort, ô mon époux, plus fort ! Sœur Àntonia,
au moment de mourir promit donc à D. Jérôme, de lui obtenir la grâced'être
sainte, lors-r qu'elle serait en paradis. Elle mourut, et en effet la sœur
Jérôme changea de conduite, prit la résolution de ne plus voir ses parents,et
resta quarante ans sans aller au parloir. Un jour que deux de ses neveux
de-mandèrent à la voir, elle les fit renvoyer, et courut à la grille
de l'église devant le Saint-Sacrement. Ses neveux allèrent à l'église
pour la ypir par cette grille ; alors elle tira le rideau et s'enfuit ;
mais elle se fit tant de violence, qu'elle tomba évanouie à terre, (
qui ne se fait pas violence , ne sera jamais saint. ) Depuis lors, sœur
Jérôme fit de tels vœux au divin amour, qu'elle vécut et mourut sainte.
Quand elle fut mprte, on grava son portrait, et lorsqu'on ouvrit son cada-vre,
on trouva une croix sur son cœur, preuve de l'immense amour qu'elle avait
porte à Jésus-Christ. Pourquoi, vous aussi, ne fuiriez-vous pas la grille
?
VI. Mais, direz-vous que si vous
formez ce dessein, l'abbesse et le confesseur ne vous permettront pas de
l'exécuter, et pourquoi vous le refuseraient-ils. Puis-que la chose est'
faite d'inspiration divine, et quelle peut servir à l'édification des
autres sœurs? Si cçpen-daut la supérieure ne,vous le permet pas. et
vous or-donne de descendre a la grille, je vous conseille d'o-béir, mais
dites-lui ce que dit le b. Théodore à son abbé qui .Voulait l'engager
à aller voir sa mère, qui
SANCTIFIÉE.
2&7
était venue le trouver ! Mon père,
vous m'ordonnez d'aller voir ma mère, mais qui me garantit que sa visite
ne sera pas nuisible à mon salut? L'abbé fut ef-frayé de ces paroles
, et le délivra de l'obéissance. Je m'adresse maintenant aux abbesses
et aux confes-seurs. Lorsque, sans juste cause et seulement par convenance,
par caprice, ou par intérêt, ils entra-vent les progrès d'une religieuse
dans la perfection , ils en sont responsables devant Dieu. Au reste, quant
à vous, si on vous ordonne, ô ma sœur, de descendre, obéissez : je
le répète, je n'exige pas de vous que vous ne voyez plus vos parents,
mais, quand vous leur par-lez , observez les règles suivantes : 1° Avant
d'aller à la grille, recommaudez-vous à Jésus crucifié, à Jésus dans
le Saint-Sacrement, pour qu'il nous assiste en ce moment. 2° Gardez-vous
d'imiter ces religieuses qui vont au parloir pour s'amuser, pour savoir
ce qui se passe dans le monde, et qui le répètent ensuite à tou-tes
les sœurs. 3° Gardez-vous bien de rien révéler des affaires du couvent,
et surtout de tout ce qui a rap-port à la supérieure et à vos compagnes.
h° Lorsque vos parens se mettent à parler de choses inutiles , de choses
mondaines, de mariages, d'amour, de bal, etc., interrompez-les. La vén.
sœur Marie Crucifiée , s'éva-nouissait lorsqu'on lui parlait de mariage.
Entamez donc aussitôt quelque sujet chrétien, racontez quel-que fait
arrivé, et déduisez-en une conséqtience mo-rale. Vous ne devez pas apprendre
de vos parents le langage du monde, mais ils doivent apprendre de vous
le langage de Dieu. Tout le temps qu'on passe aux grilles, est un temps
perdu, et dont on rendra compte au Seigneur. 5° Ne priez jamais vos parents
de venir vous voir, et lorsqu'ils viennent, tâchez d'abré-ger la conversation
ou de prendre congé d'eux sous vin.
\η
358
LA RELIGIEUSE
prétexte d'une affaire; dites par
exemple que. vqus devez assister une malade, faire une oraison, ils s'a-percevront
alors que leur présence ne vous est pas agréable, et viendront moins
souvent. Soyez certaine que moins dureront leurs visites, plus vous éviterez
de défauts ; plus elles seront rares, plus vous serez re-cueillie et consolée
par Jésus. La vén. sœur Catherine, chartreuse, qui s'était faite religieuse
contre la volonté des ses parents, et qui en avait été abandonnée,
disait: Je ne porte pas envie à mes soeurs, parce qu'elles voient leurs
parents plusieurs fois par an, car je puis à chaque instant voir mon véritable
père, Jésus, et ma véritable mère,Marie, et ils me remplissent de con-solation.
;
, ■'.·'·■■;.
VII. En outre , et en dernier lieu,
ayez soin de ne pas vous mêler dans les affaires de. vos parents, de mariages,
de contrats, de dépenses, et de choses semblables qui vous feraient perdre
la paix, le re-cueillement et peut-être même l'âme. St.-Jérôme a dit:
Quanti monachorum, dum patris matrisque miseren-tur , suds animas perdiderunt
! ( In. Men. ) Combien.de religieux, pour avoir eu pitié de leurs parents,
se sont perdus ! Le même saint dit encore dans un autre en-droit, que
plus une religieuse est affectionnée à ses parents, plus elle est indifférente
snvers Dieu. Grandis in suos pietas, impietas in Deum est. (S . Hier. ep.
28, ) Quelle impiété que de quitter Dieu, l'oraison, les ea-cremens,
de se jeter dans la distraction et la tiédeur pour servir ses parents!
St.-Bernard appelle les affaires de nos parens, des affaires diaboliques
, et exhorte les moines à les fuir : Fugiant illorum curam tanquam dki-bolicam.
( In. cons, mon- c. 23. ) St.-Ignace de Loyola ne voulut pas s'occuper
du mariage d'une de ses nièces, quoiqurelle fût héritière de sa maison..
S,t.-Francois
SANCTIFIÉE.
259
de Borgia ne voulut pas écrire
au pape pour la dis-pense qxi'il aurait facilement obtenue pour le mariage
de son fils avec une de ses parentes , quoique de ce mariage dépendît
un héritage considérable. (Vie. l.iv. c. 6. ). Nemo mittens manum ad
aratrum et respiciens retro aptus est regno Dei. (Luc. 9. 62. ) Celui qui,ay
ant mis la main à la charrue, regarde derrière lui, n'est pas propre
au royaume de Dieu.
VIII. Tremblons, car c'est Dieu
qui nous dit, que ceux qui se sont mis à son service, et s'occupent des
choses du monde , ne sont plus dignes du pa-radis. Quand vos parents veulent
vous mêler à leurs affaires , refuses et faites leur agréer vos excuses.
Souvenez-vous de ce que dit Jésus-Christ à ce jeune homme, qui, étant
appelé à le suivre, répondit qu'il voulait avant tout ensevelir son
père : Laissez les morts ensevelir leurs morts , lui dit le Rédempteur.
Sine ut mcrîut sepeliant mortuos suos. ( Luc. 6. 90.) Je vous dis la même
chose, ô ma sœur , laissez les mondains , appelés morts , s'occuper
des affaires du monde. Votre seule affaire est d'aimer Dieu et de vous
rendre sainte; Dites donc à vos parents que de tels soins ne conviennent
pas à votre position. Quand la Ste.-Vierge dit à Jésus-Christ, qui était
resté dans le temple , mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous?
Votre père et moi, nous vous cherchions, plongés dans la douleur. Fili,
quid fecisti nobis sic? Ego et pater tuus dolentes quœrebamus te. Jésus
lui répondit : Nesciebatis,quia in his quœPatrh mei sunt,oportet me esse?
( Luc. 11. 48. et 49. ) Ne saviez-vous pas que je ne dois avoir à cœur
que la gloire de mon père. De même si vos parents se plaignent de ce
que vous ne voulez pas les servir, dussent-ils vous appeler ingrate , sans
affection pour eux, ennemie de votre maison, répon-
26θ
LA RELIGIEUSE
dez avec courage, que vous êtes
morte au monde, et que vous ne devez servir que Dieu et votre couvent,
je termine par les paroles du B. Joseph Calasanze : Une religieuse qui
aime ses parents, disait-il, n'a pas quitté le monde.
PRIÈRE.
Oui, mon Dieu et mon divin époux,
à l'avenir je veux n'aimer et ne servir que vous. Je ne servirai les créatures
que lorsque, vous me le permettrez. Sei-gneur, faites-moi connaître tout
ce qui peut vous plaire, je le ferai aussitôt. Enflammez-moi toute de
votre saint amour; faites que je ne veuille jamais que ce que vous voulez.
Faites que je n'aime que ce que vous aimez. 'Faites que je vous dise sans
cesse avec'une sincère affection : Ò mon Dieu, ô mon Dieu, je ne veux
que vous et rien autre. Ò mou roi et mon époux, ô Jésus, régnez seul
dans mon âme, possé-dez-ta toute enti§r3. Montrez-lui ce qu'elle doit
fuir et ce qu'elle doit chercher , et faites qu'elle n'obéisse qu'à vous!
Ò mon bien-aimé llédempteur, exaucçz-moi par les mérites de votre
passion ! 0 reine du ciel f je me confie en vous , aidez-moi de votre interces-
sion.
S· H-
Du détachement du séculier et
même des duties religieuses.
J. St.-Augustin dit que ceux qui
ne veulent pas fuir les conversations dangereuses, tomberont infail-liblement
dans l'abîme;. Qui familiaritaieyt. non vult ni-
JASOTIFÏÉE.
261
tare suspectant ciiò labitur in
ruinam. (Serai. 2.in dom. ) L'exemple de Salomon doit nous faire trembler
tous. Dieu l'avait tant aimé qu'il était devenu pour ainsi dire la plume
qui écrivait sous la dictée duSt.-Esprit, mais pour avoir trop fréquenté
dans sa vieillesse les femmes de la gentilité, il finit par adorer leurs
idoles, (ni. Reg. 11. ) Cela n'est pas étonnant dit St.-Cyprien. Comment
être au milieu des flammes, et ne pas brû-ler! Ο épouse du Seigneur,
Fair du parloir est empoi-sonné pour vous. Dans le choeur vous respirez
l'air sa-lutaire du Paradis, mais dans le parloir, vous respirez l'air
sulfureux de Tenfer.Telle religieuse qui serait en-core chez ses parents,
n'oserait pas Tester trois ou quatre heures en conversation avec un jeune
homme; et elle ne : craint pas de le faire dans la maison de Dieu.
La maison de Dieu sera donc moins respectée qu'une maison de séculiers!
Elle répond : Mais grâce à Dieu il n'y a pas de mal. Il n'y a pas de
mal? Toutes les amitiés fondées sur la sympathie et sur une affec-tion
sensible Vers un objet qui plaît, si elles ne font pas d'autre mal à
l'âme, sont pour le moins des obs-: Iacies à la perfection. Elles font
perdre l'esprit d'orai-son et le recueillement. Une religieuse qui s'est
prise d'amitié pour quelqu'un, aura le corps dans l'église, mais ses
pensées voleront vers l'objet aimé. Elle ces-sera d'avoir du goût pour
les sacrëmens : elle perdra la sincérité dans ses confessions, car,
honteuse de son attachement, ou craignant que son confesseur ne lui or-donne
de la rompre, elle lui cachera la cause de sa tié-deur, et ainsi cette
malheureuse tombera de mal en pire; elle perd le repos, parce que, si elle
entend dire mal delà personne qu'elle aime, sonceeur bât, elle se trou-ble
et la défendcontrel'agresseur.Elle perd l'obéissance, parce que, si la
supérieure l'engage à faire Cesser ce'tté
26a
LA RELIGIEUSE
amitié, elle cherche mille excuses
et n'obéit pas. Elle perd enfin l'amour de Dieu, qui veut tout notre cœur
pour lui, et n'y souffre pas d'attachement étranger. C'est pourquoi il
se retire des cœurs ou règne un autre nom que le sien. La vénér. sœur
Françoise Farnèse disait à ses religieuses : Mes sœurs, nous nous som-mes
renfermées entre quatre murs, non pour voir et être vues, mais pour nous
conserver sans tache à no-tre divin époux. Plus nous nous cacherons aux
yeux des hommes, plus le Seigneur se dévoilera à nos yeux dans cette
Tie et dans l'autre.
II. L'âme court
de grands dangers dans celte sorte d'affection,
fondée sur les qualités extérieures de la personne aimée, quand elle
est d'un sexe différent. Ces affections semblent d'abord indifférentes,
mais peu à peu elles deviennent défectueuses , et finissent par entraîner
l'âme dans quelque péché mortel. Homo et mulier ignis et palea, et diabolus
numquam sufllare ces~ sat ut accendatur. ( In. Eph. Eus. ad Damas. ) L'homme
et la femme, dit St-Jérôme, sont comme le feu et la paille, et de plus
le démon ne cesse de souiller pour l'enflammer. La paille, approchée
du feu, n'est pas moins facile à s'enflammer que deux personnes de sexe
différent qui se fréquentent familièrement : c'est môme plus facile,
parce que le démon les guette et ne cesse de souffler le feu. Ste.-Thérès3
( Vie. c. 30. ) se vit un jour dans l'enfer, et Dieu lui dit que ce lieu
lui était destiné, si elle ne se défaisait pas d'une cer-taine amitié,
non impure, mais seulement agréable, qui la liait à nn de ses parents.
III. Ο vous, qui me lisez
! Si vous vous sentez dans le cœur quelque affection de ce genre, le seul
remède pour en guérir est de rompre promplement ; si vous hésitez ,
vous êtes perdue· Les chaînes qui vous lient
SANCTIFIÉE.
263
sont bien trempées et difficiles
à rompre ; il faut donc les briser d'une seule secousse, ou, sans cela,
vous ne Ie3 briserez jamais. Il ne sç-s'est passé entre vous et lui rien
d'indécent, mais sachez que le démon ne commence pas par le dernier des
excès ; il conduit lentement au bord du précipice, puis, avec un léger
choc, il nous y fait tomber. Les maîtres de la vie spiri-tuelle s?accordent
à dire que le seul remède à ces pé-chés, c'est de fuir les occasions.
St.-Philippe de Néri disait que les ■ lâches sont les vainqueurs dans
la guerre des passions, car il prennent la fuite. St»-Jé-rômeadit: Cum
rœteris vitiis quis posset resistere, huic tamen non potest, nisi per
fagam. ( In. reg. mon.) Nous pouvons résister aux autres vices en nous
faisant vio-lence , mais le seul remède au vice de l'impureté c'est de1
fuir l'occasion et de rompre rattachement.
TV. Si, comme jé'l'espère, vous
êtes libre de toute sorted'attachement, soyez toujours sur vos garde?,
car vdus êtes aussi sujette à tomber dans ces filets, ou tant d'autres
se sont laisséesprendre par négligence. 1° Sui-vez la'règle de Ste-Thérèse
qui dit qu'une religieuse doit plutôt être grossière que polie, qu'elle
doit parler peu , et faire peu de compliments. Ste.-Catherine de Sienne
écrivit à une de ses nièces : Reste la tête bais-sée devant les séculiers,
et sois sauvage comme un hérisson quand on te parle. Abstenez-vous aussi,quand
vous êtes à la grille, de regarder et de rire immodes-tement, et surtout
d'avoir une robe prétentieusement mise. Vous seriez encore plus blâmable,
si vous lais-siez flotter des boucles de cheveux sur votre front , ou si
vous aviez' des fleurs au sein, un éventail à la main , etsi vos pas
laissaient derrière eux une longue trace de parfums. Au reste, si vous
voulez fuir tout danger, abstenez-vous autant que possible de causer
α6/|
LA BELIGIEUfE
avec des séculiers. Sede solitaria
shut turtur, dit St.-Bernard , nihil tibi et turbis. ( Serm. in can. )
Soyez solitaire comme la colombe, fuyez la foule bruyante et le parloir,
réfugiez-vous dans le chœur et dans votre cellule. Quels rapports peut-il
exister entre vous et le monde, puisque vous l'avez quitté pour Dieu ?
La sœur Jeanne d'Etienne , franciscaine, disait : Si tu es l'épouse du
roi des rois , ne jelte pas les yeux sur ses esclaves. C'est un crime à
un esclave de re-garder la reine ; ce serait aussi un crime à la reine
de se complaire aux regards de l'esclave. Ste.-Catherine de Sienne ( Ep.
158. ) dit : Nous sommes des épouses adultères, puisque nous cherchons
les plaisirs de l'a-mour-propre, l'air dt notre cellule nous étouffe,
nous ne semblons rttpirer qu'au parloir. St.-Jérôme vous prévient que
si, en causant avec quelqu'un, vous sentez naître dans votre âme quelque
sentiment désordonné, écra-sez-le «n son berceau, de peur qu'il ne
devienne géant. Dum, parvus est hostis, interfice. ( Ep. 22. ) II est
facile de tuer le lion quand il est à. la mamelle, mais c'est difficile
et presqu'impossible, lorsqu'il est dans la force de l'âge.
V. Vous seriez très-coupable, si
vous permettiez à un séculier de badiner avec vous, ( je n'entends pas
avec les mains, car un tel excès ne doit pas même se supposer ) mais
par des propos indécents. Ne croyez pas être exempte de blâme, parce
que vous ne faites qu'écouter; en lui prêtant l'oreille, vous êtes sa
com-plice et vous commettez le même péché. Si vous ne lui coupez pas
aussitôt la parole , vous deviendrez pire que lui, et d'épouse de Jésus-Christ,
vous de-viendrez l'épouse de Satan. Vous serez la cause de la ruine de
votre couvent, parce qu'un e religieuse qui a une conduite pareille, par
son exemple, en entraînera
SÀNCTIFlÉB.
!*65
beaucoup d'autres dans le même
abîme. Si votre frère, ou quelqu'un de vos parents mène avec lui un
de ses amis, et que celui-ci vous révèle, par le langage muet des regards
, les tendres sentiments que vous lui ins-pirez, ayez soin alors de baisser
les yeux , de garder le silence et de prendre un air sévère ; mais le
mieux serait de vous retirer aussitôt ; s'il revient encore au parloir
avec votre frère, et qu'il vous fasse appeler, répondez que vous avez
affaire et que vous ne pouvez pas descendre. Prenez garde! car si vous
cédez, si vous consentez à le voir, je vous plains, vous êtes perdue.
Si vous recevez de quelqu'un une lettre où se trouvent des paroles d'affection,
déchirez-la, brû-lez-la et n'y répondez pas. Si vous êtes forcée d'y
re-sonare à cause de quelque affaire importante, pre-nez un ton grave
, austère ; ne témoignez pas de re-connaissance, faites comme si vous
n'aviez pas com-pris le sens de ses discours. S'il revient à la grille,
congédiez-le, car si vous le voyez après sa lettre, c'en est fait de
vous. Vous seriez encore très-coupable si pour ne pas fâcher une de vos
compagnes, vous vous exposiez à fâcher Dieu, en favorisant un attachement
illicite ; si vous vous mêlez de pareilles choses, atten-dez-vous à un
châtiment exemplaire comme cela arriva à une sacristine qui se chargea
de faire parvenir une lettre d'une de ses amies à un séculiir pour une
corres-pondance qui n'était pas sainte. Elle remit la lettre au petit
clerc du couvent, mais celui-ci étant pressé, tourna letouravectant de
promptitude que la malheureuseen eutla main coupée et en mourut quelques
jours après.
\I. Si un religieux ou un ecclésiastique
venaient vous trouver, non pour parler de Dieu, ni du bien de votre âme,
mais par attachement, employez les mê-
266
LA BElIGlEttSE
mes moyens pour les éloigner. Il
serait bon que vous n'eussiez de rapports avec votre confesseur qu'au con-fessional;
et que si vous avez un entretien avec lui il eût lieu plutôt au tour
qu'à la grille. Soyez plus cir-conspecte encore avec votre directeur,
parce que la Confiance qui existe entre vous et lui pourrait donner naissance
à une sympathie, qui n'étant pas modérée deviendrait bientôt flamme
d'enfer. N'ayez donc au-cun commerce avec votre directeur, ne lili faites
pas de présents, ne vous chargez pas du soin de cuire son dîné, de racommoder
son linge, etc. Ste.-Thérèse disait : Oh! combien toutes ces bagatelles
troublent l'âme! Dieu veuille qu'elles ne finissent pas par nous détacher
de Dieu! Si, dans votre couivént, est établi l'usage de faire des;présents
au directeur, envoyez-lui deux Ou trois fois par an un petit présent,
plutôt comme marque d'attention, que comme un gage d'affection. Gardez-vous
svirtout de jamais laisser échapper aucune expression tendre pour lui.1
VII. Ne Vous appuyez pas de l'idée
que votre direc-teur est saint. St.-Thomas d'Aquin dit, que plus une personne
est sainte, plus nous devons la craindre , Car le sentiment de sa bonté
nous la rendra en-core plus chère. Nec quia sanctiorem fuerint, ideo mi-nus
cavendee; quo enim sancliores eo magis alliciunt. (St.-Thom. op. 64.)Le
vén. Sertorius Caputo, de la com-pagnie de Jésus, disait que le démon
nous rend d'a-bord amoureux de la vertu d'une personne, puis de la personne
même, puis il nous pousse à notre perte. Le docteur angélique dit que
l'ennemi sait bien cacher le danger, car il ne lance pas d'abord les flèches
em-poisonnées, mais celles qui embrasent le cœur et y font de petites
blessures; peu après les deux person-nes n'agiront plus en anges comme1
auparavant, mais
SANCTIFIEE.
267
en hommes; leurs regards se croiseront;
lenrs dis-cours seront plus tendres; ils ne pourronÇplus vivre l'un sans
l'autre, et cette dévotion spirituelle se chan-gera en affection charnelle.
Telles sont les propres expressions du Saint.
VIII. St.-Bonaventure
indique cinq signes aux-quels on peut reconnaître si l'affection
n'est pas pure. 1* Quand on cause longuement sur des frivolités.
2° Quand on se regarde l'un l'autre, et qu'on se fait des éloges réciproques.
3° Quand on excuse les défauts l'un de l'autre. 4° Quand on conçoit
certaines petites jalousies. 5° Quand la séparation produit de l'inquié-tude.
J'ajoute : quand la grâce et la tournure de la personne nous plaisent
; quand on désire qu'elle ré-ponde à notre affection ; quand on n'aime
pas que d'autres l'aperçoivent, l'écoutent et en parlent. Le P.
Pierre Consolène de l'Oratoire disait qu'il faut traiter
avec les personnes saintes de l'autre sexe comme avec
les âmes du purgatoire , de loin et sans les regarder. Quelques religieuses
demeurent long-temps avec leur directeur afin de puiser dans leurs discours
l'amour de Dieu et la ferveur. Mais de telles conversations trop prolongées
sont un abus, et peu-vent être l'étincelle d'une passion coupable et
perni-cieuse. Pour redoubler de ferveur, lisez vos livres de piété, écoulez
les lectures spirituelles qu'on vous fait à table et à l'église, allez
au sermon ; mais, pour vous rendre sainte , vous pouvez vous passer même
de tout cela; il suffit que vous lisiez les règles avec attention et que
vous les mettiez en pratique.
IX. Ceci s'applique aux personnes
du dehors; mais il est une autre espèce d'amour désordonné qui existe
dans les covivents même, entre les religieuses, sur-tout les jeunes, et
qui naît d'une familiarité trop in-
268
LA RELIGIEUSE
time entr'elles. St. - Basile a
dit : Juvenis , œqua-lium tuorum consuetudinem defugito, quantos illorum
opera adversarius plerosque sempiterno igni cremandos addiwit. ( Serm.
de abd. rer. etc. ) Jeune gens, dit le saint. ne liez pas d'amitié avec
ceux de votre âge, car le dé-mon en profiterait pour vous entraîner
dans le feu éternel. Beaucoup d'amis, dit encore ce saint, oni souvent
eu entre eux, par la suite, d'autres rapports que ceux de l'amitié par
où ils avaient commencé. Spirituales primo caritatis quadam specie illectus,
postea in voraginem pracipites deturbavit. (Ibid.) La B. Angèle de Folïgno
dit encore : « Quoique l'amour renferme tous les biens, il renferme aussi
tous les maux. Je ne parle pas ici de l'amour impur que l'on a toujours
soin d'é-viter, mais de l'amour qui s'établit entre deux person-nes du
même sexe et qui peut dégénérer en amour désordonné ; de trop longues
conversations , de trop vives protestations de tendresse deviennent nuisibles.
La tendresse augmente, la raison se perd, l'un veut ce que l'autre désire,
ils l'invitent au mal, ils ne sa-vent résister , et ils sont bientôt
perdu? tous les deux. X. Si les amitiés extérieures des religieuses pour
les séculiers, sont plus scandaleuses , celles des reli-gieu ses entre
elles sont plus dangereuses et plus diffi-ciles à rompre , parce que les
occasions de se voir sont plus fréquentes. Puissent-elles ne jamais commet-*
tre aucun péché contre la chasteté ! Ieaïe les menace de la damnation
; il a commis l'iniquité dans la terre des saints, il ne verra pas la
gloire de Dieu. In ierrâ sanctorum iniqua gessit : non videbit gloriam
Domini. (Isa. xxvii. 10.) Les maîtresses des novices doivent avoir toujours
les yeux ouverts sur ces sortes de choses, et ne pas craindre de soupçonner
toujours le pire. Quand elles aperçoivent quelque
attachement ou
SANCTIFIÉE.
369
quelque familiarité entre deux
jeunes filles, qu'elles tâchent d'y mettre fin, en les empêchant d'aller
en-semble et qu'elles soient attentives à éviter tout le mal qui peut
s'en suivre. Qu'elles les exhortent de temps en temps, et d'une manière
générale à se garder , comme delà mort, de jamais cacher par honte
au-cun péché en se confessant, et qu'elles leur racontent à ce sujet,
quelqu'histoire de filles damnées pour avoir fait des confessions sacrilèges.
XI. St.-Basile ordonna que
toutes les religieuses de son ordre, qui avaient des amitiés particulières,
fussent châtiées ; car , dit St.-Bernard, ce sont des amitiés empoisonnées
et. nuisibles à la paix commune ; elles sont une source de trouble, de
médisances, de dis-cordes , elles produisent les factions et les partis,
de sorte qu'on donne les votes, non aux plus dignes , mais aux plus partiales.
Soyez l'amie de toutes les soeurs, servez-les toutes, soyez d'accord avec
toutes, mais n'ayez:d'intimité avec aucune, ne soyez intime qu'avec Dieu.
Évitez surtout celles qui vous témoi-gnent le plus d'amitié. Vous marchez
dans un chemin sombre et glissant ; si vous avez une compagne qui vous
pousse dans le précipice, vous êtes perdue.
XII. Bravez tout respect humain
et ne vous arrêtez pas à la malheureuse crainte du qu'en dira-t-on ?
Si je romps avec une telle personne du dehors, dites-voas, si je m'éloigne
d'une telle, ή je me livre d la solitude, d la
prière , à la mortification, que dira-t-on de moi? On me tournera en
ridicule, je serai l'objet des railleries univer-selles. Combien de religieuses
se sont damnées pour cette maudite crainte! Oh! quot delrusit ad inferos
in-firmitas heed dit St.-Augustin. St.-François de Borgia dit : que celui
qui veut se donner à Dieu doit fouler aux pieds le maudit que dirait-on?
Pourquoi ne nous
LA RELIGIEUSE
demandons-nous jamais ce qu'en dira
Jésus-Christ, ce qu'en dira la Stc.-Vierge ? Le Seigneur dit : Ma sœur
et mon épouse est comme un jardin envi-ronné de murailles. Hortus conclusus,
soror mea, s;onsa. (Cant. Zj. 12.) 11 apprend parces mots aux religieuses
que si elles veulent être ses épouses, il faut que leurs cœurs soient
des jardins fermés, où n'entre que l'a-mour de Dieu. De tous les défauts
qui peuvent pren-dre entrée dans le cœur d'une religieuse, celui qui
déplaît le plus à son divin époux, c'est qu'il y trouve Une affection
étrangère. Dieu veut posséder son cœur tout entier. Les maris de la
terre ne peuvent souffrir que leurs femmes aiment un autre qu'eux. Faites
donc comme si, dans le monde, il n'y avait que vous seule, et le Seigneur
que vous devez aimer.
XIII. Je ne puis m'empêcher en
terminant de blâmer ces religieuses qui portent un fol amour aux bêtes,
aux chats et aux chiens. Elles les veulent par-tout avec elles, à table
et au lit. Elles les posent sur leur sein ; elles les baisent et vont même
jusqu'à leur dire des paroles d'une tendre affection. Si leurs bêles
sont malades, elles sont tristes; à leur mort, elles pleurent à chaudes
larmes, et s'irritent contre celles qui peuvent en être cause. Cet attachement
pour les bétes est très-déraisonnable dans les séculiers, ne le sera-t-il
pas davantage dans les épouses de Jésus-Christ.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus , je vous comprends,
vous voulez tout mon cœur, tout mon amour, je veux vous le don-ner tout
entier. Je vous ai tant offensé que j'aurais mérité d'être abandonnée
de vous, mais vous conti-
271
ηϋ~ζ à m'appeler vers vous en
me disant : Diliges Do-minum tuum ex ioio corde tuo: Yous aimerez le Seigneur
de tout votre cœur. Je yeux vous obéir, dorénavant je ne veux aimer
que vous. Ο mon Jésus 1 que ne puis-je mourir d'amour pour vous, qui
êtes mort pour moi ! Vous avez donné tout votre sang pour mon sa-lut,
vous avez donné votre vie, et moi, j'userais de réserve avec vous! Qu'est-ce
qu'un cœur pour vous ai-mer,,ce serait même peude mille cœurs? Et jedonne-rais
une partie du mien aux créatures! Non, vous le voulezentier, je vous le
veuxdonner entier. Acceptez-le , 6 Jésus, mon amour, mon époux. Je suis
à vous, toute à vous; faites de moi ce qu'il vous plaira. Ma-rie, mon
espérance, unissez-moi à Jésus votre divin fils ; faites que je sois
toute à lui. Je n'attends cette grâce que de vous seule.
CHAPITRE XL
De la sainte humilité.
Si·
Des avantages de l'humilité.
I. Les Saints appellent l'humilité
la base et la gar-dienne de toutes les vertus. Quoique l'humilité ne soit
pas la première des vertus par excellence, ce-pendant, dit St.-Thomas
(n. 2. qu. CLXI. a. 5.), elle tient la première place comme étant le
fondement de toutes les autres. De même que le fondement d'une maison
doit être jeté avant la construction des mu-railles et du plafond,
ainsi, dans la vie spirituelle,
!i?2
Li RELICIEIISE
l'humilité précède les autres
vertus , afin de chasser l'orgueil auquel Dieu résiste : Humilitas primum
lo-cum tenet in quantum expellit superbiam, cui Dens resistit, (St.-Thom.
loc. cit.) St.-^régoire dit que celui qui pratique beaucoup de vertus
sans humilité, est comme celui qui jette la poussière au vent qui la
disperse : Qui sine humilitate virtutes congregat quasi in ventum pulverem
portat. (Inps. pcen. m.)
II. On raconte ( In spec.
exem. dist. ix. ex. 199.) qu'il y avait dans un désert un ermite
d'une grande réputation de vertu ; à sa mort il fit dire à l'abbé de
lui porter les saints sacrements. L'abbé y vint et un voleur aussi ; touché
de cette cérémonie, le voleur n'osa pas entrer dans la cellule et dit
à la porte : Que ne suis-je tel que toil Le moine l'entendit et s'écria
: Oui, ta serais heureux si tu étais tel que moi! Or, qu'ar-riva-t-il
? Le voleur partit en courant pour aller se confesser, mais il tomba dans
un précipice et mou-rut. L'ermite aussi mourut peu après ; le moine,
ami de l'ermite, pleura sa mort et se réjouit de celle du voleur.
On lui demanda pourquoi : il répondit que le voleur s'était sauvé par
le repentir qu'il avait éprouvé de ses péchés et que son ami s'était
perdu par sa superbe. 11 avait été toujours orgueilleux et comme il le
fut même à ses derniers instants, il se per-dit. St.-Augustin dit que
si l'humilité ne nous accom-pagne pas jusqu'au tombeau, la superbe nous
déro-bera tout le bien que nous avons-fait : Nisi humilitas prcecesjerit
et continetur et consecuta fuerit totum extorquet de manu superbia. (Ep.
tvm. ad Dios. )
III. Cette belle vertu de
l'humilité était peu con-nue et peu aimée sur la terre où régnait
l'orgueil, cause première de la perte d'Adam, et de tous ses des-cendants.
Le fils de Dieu descendit du ciel pour nous
SANCTIFIÉE.
5?3
l'apprendre, non seulement de la
voix, mais par son exemple ; il s'humilia jusqu'à se faire homme et à
prendre la forme d'un esclave. Semetipsiun exinanivit, formam servi accipiens.
(Phil. II. 7.) Il voulut être trai-té comme le plus vil d'entre les hommes,
de sorte qu'Isaïe l'appela : Despectum et notissimum virorum. ( LUI. 3.)
Le méprisé et le dernier des hommes. Voyez-le à Bethléem dans une étable,
couché sur un peu de paille; voyez-le à Nazareth inconnu dans une pauvre
boutique, faisant les fonctions d'un misérable artisan, voyez-le à Jérusalem
flagellé comme un esclave, souf-fleté, couronné d'épines, comme un
roi de comédie etenfin cloué sur la croix comme un malfaiteur. Écou-tons
ce qu'il nousdit : Exemplum enim dedi vobis ut quem-admodum ego fed, iia.
et eos facietis. ( Jo. xiii. 15.) Mes enfants, je n'ai souffert tant d'outrages
qu'afin qu'à mon exemple vous les supportiez aussi. St.-Augustin dit au
sujet de l'humilité de Jésus-Christ : Hœc medici-cina, si superbiam
non curai, quid eam. caret nescio. Si cette médecine ne nous purge pas
de notre orgueil, je ne connais pas d'autre remède pour en guérir. Le
même saint écrivit à Dioscore : Si tu veux savoir quelle est la plus
belle des vertus, celle qui nous égale à Jésus-Christ et nous unit à
Dieu : Ea est prima humilitas, secunda humilitas, tertia humilitas, et
quoties interrogares, hoc dicerem. La première est l'humilité, la seconde
est l'humilité, la troisième est l'humilité, et si vous m'interrogez
encore, je vous ferai toujours la même réponse.
IV. Les orgueilleux sont en haine
et en abomina-tion au Seigneur. Abominatio Domini est omnis arro-gans.
(Porv. xvi. 5.) Oui, parce que l'orgueilleux est menteur, voleur, et aveugle.
Il est voleur, parce qu'il s'approprie ce qui est à Dieu. Quid habet quod
non ac-viii.
i8
2?Λ
LÀ RELIGIEUSE
cepisti? dit l'apôtre : qu'avez
vous que vous ne l'ayez reçu ? ( i. cor. iv. 7. ) Si l'on parait un cheval
d'un caparaçon d'or, pourrait-il en être fier , tandis qu'à chaque instant
son maître peut l'en dépouil-ler? Il est aveugle, comme dit l'Apocalypse
: Tu dis : Je suis riche , et tu ne sais pas que tu es pauvre et aveugle.
Dicit, dives sum, et nescis quia tu es miser et cœcus. (Ap. vin. 17.)
Qu'avons-nous à nous, sinon le néant et nos péchés ? Même le peu de
bien que nous faisons, dit St.-Bernard, à le juger sévèrement n'est
que désordre et péché. Si distincte judicetur, in-iustitia invenietur
omnis justitia nostra. Il est menteur > car toutes les bonnes qualités
que l'homme reçoit de la nature telles que l'esprit, la beauté, la santé,
l'ha-bileté, ou de la grâce telles que de bons désirs, une âme docile,
un esprit éclairé , sont des dons du Sei-gneur. St.-Paul disait : Ce
que je suis, je le suis par la grâce de Dieu. Gratia Dei sum id quod sum.
( II. cor. xv. 10.) Car, dit l'Apôtre, nous ne pouvons avoir de nous-mêmes,
pas même une bonne pensée : Nonquod sufficientes simus cogitare aliquid
d nobis. ( II. cor. m. 5.)
V. Malheur à toute religieuse orgueilleuse!
Tant que la superbe régnera en elle, l'esprit de Dieu n'y entrera pas
et le démon fera d'elle ce qu'il voudra. Le B. Joseph-Calasanze disait
: Le démon se sert des religieux superbes comme d'une balle à jouer.
Césaire raconte ( lib. iv. o. 5. ) qu'un possédé ayant été porté
une fois dans un couvent, le prieur prit avec lui un jeune religieux qui
passait pour saint, et dit ensuite au démon : Si ce religieux te commande
de sortir, oseras-tu résister? L'esprit malin répondit : Je n'ai pas
peur de lui. Pourquoi ? Parce qu'il est orgueilleux. Le Seigneur, pour
nous délivrer de l'orgueil permet par
SANCTIFIÉE.
275
fois que ses serviteurs soient
assaillis de tentations honteuses, telles que celles d'impureté
et quoiqu'ils le prient de les en délivrer, il les leur laisse ; ce qui
ar-riva à St.-Paul. Dieu a permis que je ressente dans
ma chair un aiguillon, qui est l'ange de Satan, pour me donner des soufflets.
C'est pourquoi j'ai prié trois fois !e Seigneur de m'en délivrer, et
il m'a répondu : ma grâce vous suffit. Datus est mihi stimulas
carnis meœ, angelus Satance qui me colaphizet, propter quod ter Dominum
rogati at discederet d me ; et dixit mihi sufficit tibi gratia mea. ( ii.
cor. xii. 7. ) Donc, dit St.-Jérôme, le Seigneur ne voulut pas
délivrer St.-Paul de cette tentation, pour qu'il se conservât dans l'humilité
: De plus, Dieu permet quelquefois que l'on tombe dansquelque
péché, pour nous apprendre à être hum-bles. C'est ce qui arriva à
David qui avoua ensuite qu'il n'était tombé, que parce qu'il n'avait
pas été humble. Priusquamhumiliare'- ego dvliqui. (Ps.cxvni.67.) VI.
St.-Augustin dit : Altus est Deus, humilias te et descendit ad te, erigit
te et fugit d te; (Serm. de As.) Dieu est très-haut : quand tu t'humilies,
il s'abaisse jusqu'à toi, quand tu t'enorgueillis, il s'éloigne de toi.
Le Prophète royal a dit : Dominus humilia respicit et alta à longe cognoscit.
(Ps.cxxxvn. 6.) Le Seigneur regarde les humbles d'un œil complaisant,
mais il regarde les or-gueilleux de loin, et ainsi que nous, lorsque nous
voyons quelqu'un de loin, nous ne le connaissons pas, de même Dieu
ne connaît pas les orgueilleux. Il y avait dans un couvent une religieuse
orgueilleuse qui dit à une de ses compagnes : L'habit que nous portons
nous fait siéger au même rang, mais ?achezque vous ne seriez pas digne
d'être servante dans ma maison. Com-ment croyez-vous que Dieu reçut les
propos de cette i'oreilleuse ? Les orgueilleux ne réussissent pas au-
276
LA RELIGIEUSE
près de Dieu, il ne peut les supporter.
Dieu oliassa les anges superbes du paradis et les plongea dans l'enfer.
La parole divine ne peut pas mentir : Celui qui s'é-lèvera, sera humilié.
Quiautem se exaltaverit, humiliabi-tur. (Mat. xxiii. 12.) St.-PierreDamien
raconte (tract, de duel.) qu'un orgueilleux, avant de se battre avec son
rival, pour une terre qu'il voulait défendre à la pointe de l'épée,
entendit la messe et remarqua ces mots : Qui autem se exaltaverit., humiliabitur.
Il dit:-Ce-la n'est pas vrai parce que si je m'étais humilié, j'au-rais
perdu l'estime et la terre que je possède. Or, qu'ar-riva-t-il? Quand
il en vint aux mains avec son enne-mi , celui-ci lui perça sa langue sacrilège
et Teten-dit mort à ses pieds.
VII. Dieu résiste aux superbes
et donne sa grâce aux humbles. Deus superbis resistit, humilibus autem
dat gratiam. (Jac. iv. 6.) Le Seigneur a promis d'exaucer tous ceux qui
le prieront : Omnis qui pelii accipit. (Luc. xi. 10.) Mais Dieu ne peut
souffrir les orgueil-leux et, dit St.-Jacques, il résiste à leurs prières.
Au contraire Dieu est libéral avec les humbles : Humili-bus autim dat
gratiam. Il ouvre les mains et leur ac-corde tout ce qu'ils désirent.
Humiliare Deo et expecta manus ejus, dit l'écriture ( Ecc. xiii. 9. )
Humilie-toi devant Dieu et attends de sa bonté tout ce que tu demandes.
St.-Augustin disait : Domine, da mihi thesau-rumhumilitatis. Seigneur,
donnez-moi le trésor de l'hu-milité. L'humilité est un trésor parce
que le Seigneur prodigue aux humbles toute sorte de biens. Quand le cœurde
l'homme est plein de lui-même, il ne peut s'emplir des dons divins ; il
faut d'abord qu'il se vide par l'idée de son néant. David a dit : Qui
emittis fon-tem in convallibus, inter medium montium pertransibunt aquce.
(Ps. cxxxm. 10.) Dieu fait abonder les vallées
SANCTIFIÉE.
·
'·ί?7
d'eau, c'est-à-dire les âmes humbles,
mais non les montagnes, c'est-à-dire les superbes; les grâces y passent
comme les nues mais ne s'y arrêtent pas. La divine mère a dit : Quia
respexit humilitatem ancilla sum, fecit mihi magna qui potens est. (Luc.
ι.) Le Tout-puissant m'a fait plusieurs dons à cause de l'humilité de
sa servante, c'est-à-dire de mon néant. St.-Thé-rèse raconte que les
plus grandes grâces qu'elle ait reçues de Dieu, Dieu les lui envoya'
lorsqu'elle s'hu-miliait devant lui. La prière de l'humble dit l'Ecclé-siastique
pénétre les cieux et n'en sort que lorsque Dieu l'a exaucée : Oratio
humiliantis se nubespenetrabit, et non discedet, donec altissimus aspiciat.
( Ecc. xxxv. 21.) Les humbles obtiennent ce qu'ils demandent. Il n'ont
pas à craindre d'être repoussés. Ne avertatur hu-milis factus confusus.
(Ps. LXXIII. 21.) Le Β. Calasanze disait : Si tu veux être saint sois
humble, si tu veux être très-saint, sois très-humble. Un saint homme
conseilla à St.-François de Borgia, lorsqu'il était en-core séculier
de ne jamais cesser de penser à ses mi-sères, s'il voulait devenir saint.
Aussi le saint em-ployait-il chaque jour deux heures d'oraison à s'étu-dier
et à se mépriser lui-même.
VIII. St.-Grégoire dit que l'orgueil
est la marque distinctive desréprouvés,et que l'humilitéestla marque
des prédestinés : Evidentissimum reproborum signum su-perbia ac contra
humilitas electorum. (Lib. txxxrv. in Job. cap. 56. ) St.-Antoine abbé,
voyant le monde plein des filets du démon, s'écria : Qui pourra éviter
tous ces pièges? Une voix lui répondit : Antoine, l'humilité seule passe
sans crainte, qui marche la tête baissée voit les dangers qu'il court.
Enfui, dit le Sauveur, si nous ne devenons enfants, (non d'âge mais d'humi-lité)
novis ne nous sauverons pas. Ν is efficiamini sicut
278
Ï.K RELIGIEUSE
parvuli, non intrabitis in regnum
cœlorum. (Mat.xvni. 3Λ On raconte dans la vie de St.-Palémon qu'un moine
ayant marché sur la braise, s'en vanta, disant à ses frères : Lequel
d'entre vous peut marcher sur le feu sans se brûler"? St.-Palémon le
reprit de sa fierté, mais, il ne se corrigea pas et resta enflé d'orgueil;
il tomba bientôt en mille péchés et mourut dans un misérable état.
IX. Le paradis est promis aux humbles
qui sont persécutés et méprisés sur la terre. Beati esiis, cum maledixerint
vobis et persecuti vos fuerint... quoniam merces vestra copiosa est in
ccelis. (Mat. ν. 11. et 12.) Les humbles sont heureux non seulement dans
l'autre vie mais même dans celle-ci. Discite ά me, dit le Rédemp-teur,
quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris.
(Mat. χι. 29.) Apprenez de moi à être humbles et doux, et vous jouirez
de la paix de l'âme. Le superbe n'a jamais de paix, parce qu'il ne parvient
jamais à se voir Iraité comme il le désire, quand on l'honore il n'est
pas encore content, car il en voit de plus honorés que lui ; il lui manquera
tou-jours l'honneur, et cette privation le tourmentera plus que ne le contentent
tous les honneurs qu'on lui rend. Que d'honneurs recevait Aman à la cour
du roi Assuérus qui le faisait asseoir à sa propre table"! Mais parce
queMardochée ne voulut pas le saluer il se trou-va malheureux. Cum hcec
omnia habeam, nihil me habere piito, quamdìà videro Mardochaeum sedentem
ante fores regios. (Esther ν. 13.) Mais quels sont les honneurs que reçoivent
les superbes? cène sont pas les honneurs qui réjouissent parce que ce
sont des honneurs accor-dés par force et seulement par respect humain.
St.-Jérôme dit : Virtutem quasi umbra sequitur, et appeti-tores sut deserens,appetit
contemptores. La véritable gloire
SANCTIFIÉE.
27g
s'attache à la vertu, elle fuit
qui la cherche et suit qui la mépi >se ; comme l'ombre suit qui la fuit
et fuit qui veut la saisir.
X. L'homme humble est toujours content,
parce que tous les honneurs qu'il reçoit il les croit au-dessus de son
mérite, et s'il reçoit des affronts il pense qu'il en mé-rite davantage
pour ses péchés, et dit avec Job : J'ai péché, j'ai vraiment offensé
Dieu, et je n'ai pas été châtié comme je le méritais. Peccavi et vere
deliqui et ut eram dignus non recepi. (xxxui. 27. ) S.-François de Borgia
nous offre un bel exemple d'humilité : devant aller faire un voyage, on
lui conseilla de se faire pré-céder par un courrier qui lui fît préparer
un appar-tement dans toutes les auberges où il s'arrêterait ; le Saint
répondit : Oh ! jamais je ne néglige d'envoyer mon courrier ; mais savez-vous
lequel ? C'est l'idée de l'enfer que j'ai mérité ; de sorte que tous
les logements que \e, trouve sont des palais en comparaison de celui oh
je mériterais d'être.
PRIKRE.
Mon Dieu, comment, après tant dépêchés
commis, puis-je encore nourrir tant d'orgueil. Je sais que mes fautes,
après m'avoir rendue ingrate envers vous, m'ont rendue orgueilleuse. iVeprojicias
med facie tuâ. Seigneur, ne me chassez pas de votre présence comme je
le mérite. Ayez pitié de moi, éclairez-moi, faites que je me connaisse
moi-même. Combien d'âmes de l'enfer ont moins péché que moil elles
n'ont plus d'espoir de pardon et vous me l'offrez si je le désire. Oui,
je le dé-sire, ô mon Rédempteur! Pardonnez-moi; je me re-pends de tout
mon cœur de mon orgueil qui m'a fait
a8o
ΙΑ HEtïGlEtJSE
mépriser mou prochain et vous même,
ô le premier des biens. Je dis, avec St-Catherine de Sienne ; Mon Dieu
! Plus de péchés, plus de péchés. Je vou» ai as-eez offensé ; je
ne veux plus abuser de votre patience. Je vous aime , Seigneur, et je veux
consacrer le reste de mes jours à vous aimer et à vous plaire. Won Jé-sus,
secourez-moi. Le démon qui me voit brûler du vif désir d'être toute
à vous, va redoubler ses tenta-tions. Aidez-moi, ne m'abandonnez pas à
moi-même. Ste.-Vierge» vous savez que je n'espère qu'en vous, ne cessez
pas de m'aider de vos prières, qui obtien-nent tout ce qu'elles demandent.
S· π-
De l'humilité d'esprit on du jugement.
1. Après avoir connu les immenses
avantage* de l'humilité, venons-en à la pratique et voyons ce qu'il faut
faire pour acquérir cette sainte vertu. Il y a deux sorte» d'humilité
: l'humilité d'esprit et l'humilité de volonté. Parlons ici de la première,
sans laquelle on ne peut avoir l'humilité de volonté. L'humilité d'esprit
consiste à avoir une mauvaise opinion de nous-mêmes et à nous regarder
comme vils et misé-rable» que nous sommes. L'humilité, dit St.-Bernard,
est une vortu par laquelle l'homme se méprise par suite de la connaissance
qu'il a de lui-même. Humi-litas est virtus quâ homo sal agnitione vilescit.
(Trat. degrat.) L'humilité est une vérité , dit Ste.-Thérèse, et Dieu
n'aime tant les humbles que parce qu'ils aiment la vérité. 11 est vrai
que nous ne sommes rien, que nous sommes ignorants , aveugles
, incapables d'aucune
SANCTIFIÉE.
s8l
bonne chose ; nous n'avons à nous
que le péché qui nous rend plus vils que la boue ; nous ne pouvons faire
que le mal. Tout le bien que nous faisons est à Dieu et vient de Dieu.
Celui qui est humble a toujours ces vérités présentes à sa pensée,
et se trouve digne de tout mépris; il ne peut souffrir qu'on lui attribue
un mé-rite qu'il n'a pas; il aime à se voir vilipendé et traité comme
il mérite. C'est ainsi qu'il se rend cher à Dieu. Tanto quisque fit Deo
pretiosor quanto sibi vilior. Plus on s'humilie plus on est agréable à
Dieu, dit St.-Grégoire, ( L. xvin. mor. c. 20. ) Ste.-Marie-Madeleine
de Pazzi dit que les deux pierres fondamentales de la perfection d'une
religieuse, sont l'amour du Seigneur et le mépris de soi-même, et que
plus on s'abaisse sur la terre plus on sera élevé au ciel.
II. Il faut donc toujours dire,
avec St.-Augustin, que je me connaisse et que je vous connaisse : Noverim
me noverim te, utamemleet contemnam me. (Lib. de vit .beat.) Seigneur,
faites-moi connaître qui je suis et qui vous êtes. Vou3 êtes le premier
des biens, et je suis la mi-sère même; je n'ai rien à moi, je ne puis
rien, je ne veux rien. L'Ecclésiastique dit que Dieu n'est honoré que
par les humbles : Deus ab humilibus honoratur. (m. 2. ) Oui , parce que
les humbles seuls peuvent connaître son immense bonté. Si vous voulez
honorer votre Dieu, ayez toujours sous les yeux vos misères, confessez
avec conviction que vous n'avez à vous que le néant et la malice, et
que Dieu est tout. Dites que vous n'êtes digne que d'ignominie et de châtiment,
et offrez-vous à souffrir tout ce qu'il vous enverra.
IIT. Ne vous glorifiez de rien.
Les saints ont fait bien autre chose que vous! Je vous exhorte donc à
lire les vies des Saints, car votre orgueil baissera à la vue des grandes
choses qu'ils ont faites pour Dieu. Vous aurez
a8a
LA BELIGIEVSE
honte alors du peu de bien que vous
ayez fait. Com-ment pouvons-nous nous glorifier de quelque chose, sachant
que s'il y a quelque chose de bon en nous, elle nous vient de Dieu ! Si
glorientur nubes , dit St.-Beruard , quod genuerint imbres, quis non irrideat
? ( Serm. 13. ) Si les nuages se vantaient d'avoir en-voyé la pluie, qui
n'en rirait pas? Nous serions aussi insensés si nous nous vantions du
bien que nous fai-sons. Le P.Avila raconte qu'un grand Seigneur épousa
une pauvre paysanne , mais afin qu'elle ne s'enflât pas d'orgueil, en
se voyant environnée de serviteurs, parée de riches habits, il voulut
que ses anciens misé-rables vêtemens fussent toujours sous ses yeux.
Vous devez faire de même : quand vous trouvez en vous quelque chose de
bon, regardez vos anciens haillons, et souvenez-vous de ce que vous étiez
naguère, con-cluez-en que tout le bien que vous avez est une au-mône
de Dieu.
IV. St.-Aijgustin disait : Quisquis
tibi enumerat merita sua, quid tibi enumerat nisi munera tua. ( L. 9. Conc.
e. 13. ) Seigneur, celui qui vous raconte son mérite ne fait que vous
rappeler vos dons. Quand Ste.-Thérèse faisait quelque bonne œuvre ,
ou la voyait faire par d'autres , elle se mettait aussitôt à louer Dieu,
sachant que tout ce bien venait de lui. Elle observait que l'humilité
n'empêche pas de connaître les grâces spéciales que le Seigneur nous
a données plus abondamment qu'aux autres. Ce n'est pas là de l'orgueil
dit Ste.-Thérèse, c'est de la reconnaissance. Elle sert à nous faire
juger plus indignes que les au-tres, et cependant plus favorisés. La Sainte
ajoute qu'une âme ne fera jamais grand'chose pour Dieu, si elle ne reconnaît
avoir reçu de Dieu de grands dons. Il faut toujours distinguer ce qui
est à Dieu, de
SANCTIFIÉE.
283
ce qui est â nous. St.-Paul ne
se faisait pas scrupule de dire qu'il avait plus travaillé pour Jésus-Christ
que tous les autres apôtres. Abundantius illis omnibus labo-ravi. ( ι.
cor. xv. 10. ) Mais il avouait que tout ce qu'il avait fait n'était pas
son ouvrage, mais l'effet de la grâce qui l'avait aidé : Non ego autem,
sed gratia Dei mecum. ( Ibid. )
Y. 2" Sachant que sans Dieu vous
ne pouvez rien, ne vous confiez jamais en vos propres forces ; faites comme
St.-Philippe de Néri, qui désespérait toujours de lui-même. L'orgueilleux
se confie en ses forces et tombe; comme cela arriva à St.-Pierre, qui
protesta à Jésus-Christ que la mort même n'aurait pu l'in-duire à le
renier. Etiamsi oportueritme mori tecum, non te negabo. Mais comme il dit
cela avec une folle pré-somption de sa fermeté , à peine arrivé à
la demeure du grand prêtre, il renia son maître. Gardez-vous donc ; de
jamais compter sur votre résolution et sur votre bonne volonté présente.
Placez toute votre confiance en Dieu et dites toujours : Omnia possum in
eo qui me confortat. (Phil. iv. 15. ) Je puis tout, non par moi, mais par
le Seigneur qui me soutient. Isaïe le dit ( XL. 31. ) Qui sperant i?i
Domino mutabunt fortitudinem : Les humbles qui se confient en Dieu, changent
de force, car il se défient d'eux-mêmes, et alors il ces-sent d'être
faibles el acquièrent la force de Dieu. LeB. J.Calasanze disait : Qui
veut être employé par Dieu à des choses saintes, doit tâcher d'être
le plus humble des hommes. Faites comme Ste.-Catherine · de Sienne qui,
lorsqu'elle était tentée d'orgueil, s'hu-miliait; quand elle était tentée
de défiance, elle se confiait en Dieu. Le démon furieux lui dit un jour
: Sois maudite, et maudit soit celui qui t'a appris ce moyen de me vaincre.
Je ne sais plus comment faire.
384
LA RELIGIEUSE
pour t'attraper. ( Dial. cap. 67.)
Quand le démon vous dit que vous ne devez pas craindre de tomber; trem-blez
et pensez que si Dieu vous abandonne un seul instant, vous êtes perdue;
quand il vous tente de dé-fiance, dites courageusement avec David : In
te Do-mine speravi, non confundar in œternum. ( Ps. xxx. π. ) Seigneur,
j'ai mis en vous toutes mes espérances, je ne serai jamais confondue ni
privée de votre grace et livrée à l'enfer.
VI. 3° Si par malheur vous tombez
dans le péché , ne vous désolez pas ; humiliez-vous, repentez-vous,
et, connaissant mieux votre faiblesse, abandonnez-vous avec plus de confiance
au Seigneur. Ce serait orgueil de nous irriter, de nous accuser nous-mêmes
après une faute, car il semblerait alors que nous nous étonnions qu'un
être aussi parfait que nous, ait pu pécher. C'est un artifice du démon
qui espère nous éloigner de la voie de la perfection, en nous persuadant
que nous n'y atteindrons jamais. Ayons alors une confiance encore plus
vive dans le Seigneur. Que notre infidé-lité nous fasse espérer encore
plus en la miséricorde divine. L'Apôtre dit : Tout contribue au bien
; omnia cooperantur in bonum. (Rom. TUI. 28. ) Le commenta-teur ajoute
: même les péchés : Etiam peccata. Le Sei-gneur dit à ce sujet à Ste.-Gertrude.
Quand on a une tache sur la main , on la lave et elle est plus propre qu'auparavant
; ainsi l'âme, après le péché, se purifie par le repentir et m'est
plus chère que jamais. Parfois Dieu permet que les âmes encore chancelantes
dans l'humilité tombent en péché; afin qu'elles apprennent à se défier
d'elles-mêmes et à ne se confier qu'en son divin secours. Ο ma sœur,
quand vous tombez en quelque péché, relevez-vous aussitôt par un acte
d'a-mour et de douleur. Promettez de vous corriger et re-
SASCtiFlÈE.
a^i>
doublez de confiance en Dieu ; Dites
avec Ste.-Cathe-rine de Gênes. Seigneur, voici les fruits de mon jardin,
et, si vous ne m'aidez, je ferai encore pis. Mais j'espère en vous de
ne plus succomber. Si vous succombez en-core, répétez cette prière et
renouvelez la résolution de vous rendre sainte.
ttl. k° S'il est à votre connaissance
que quelque personne est tombée dans un péché grave, ne vous enorgueillissez
pas, ne vous admirez pas, plaignez-la et tremblez pour vous-même , disant
avec David î Nisi quia Dominus adjuvil me, paulo minus habitasset in in*
ferno anima mea. ( Ps. xcm. 17. ) Si le Seigneur ne m'avait soutenu , je
serais maintenant dans l'enfer. Ne vous vantez donc jamais d'être exempte
des dé-fauts que vous apercevez dans les autres; sans quoi le Seigneur,
pour vous punir, permettra que vous les ayez aussi. Cassien raconte , (
Coll. H. c. 13. ) qu'un jeune moine, ayant été long-temps tourmenté
par une tentation impure, alla demander du secours à un vieux père ;
mais celui-ci, au lieu de lui inspi-rer du courage le désespéra par les
reproches qu'il lui fit : il dit, quoi 1 un moine ose penser à de telles
souillures ! Mais qu'arriva-t-il ? Le Seigneur permit que le vieux fût
tenté si fort par le démon de la luxure, qu'il cou-rait comme un fou
dans le monastère. L'abbé Apollon, qui avait été informé de son imprudente
conduite, lui dit: Sache, mon frère, que Dieu permet ces ten-tations à
cause des reproches que tu as faits au pau-vre moine qui t'avait demandé
tes conseils ; et afin que tu apprennes à plaindre les autres dans leurs
ten-tations. L'Apôtre dit à ses disciples que , lorsqu'on corrige un
autre, on ne doit pas le faire avec mépris ; avant de faire la correction,
il faut se souvenir qu'on est aussi misérable et aussi fragile que lui,
et qu'on
l86
LA RELIGIEUSE
peut tomber comme lui, sans cela
Dieu permettra qu'on soit assailli de la même tentation, et précipité
dans le même péché. Fratres etsi prœoccupalus fuerit homo in aliquo
dilecto, huiusmodi instruite in spiritu leni-tatis considerans teipsum
ne et ta tenteris. (Gal. vi. 1. ) Cassien raconte encore, ( Lib. ν. de
inst. ren. H. 30.) qu'un abbé, nommé Machète, avouait que de trois défauts
dont il avait réprimandé ses frères, il en avait depuis commis deux.
VIII. 5° Regardez-vous comme
la plus grande pé-cheresse du monde. Les âmes véritablement humbles
et plus éclairées de la lumière divine, connaissant mieux les
divines perfections , connaissent mieux leurs misères
et leurs péchés. C'est pourquoi les saints qui menaient une vie si exemplaire
et si différente de celle du reste des hommes, se disaient cependant,
non par exagération, mais par conviction et avec preuves,
les plus grands pécheurs du monde. St.-François d'Assises se donnait
ce titre. St.-Thonws de Villeneuve était sans cesse effrayé du compte
qu'il de-vait rendre à Dieu de sa mauvaise conduite ( ce sont ses expressions.
) Ste.-Gertrude se demandait com-ment la terre ne s'ouvrait pas sous elle
pour l'englou-tir, tant elle se croyait coupable! St.-Paul ermite di-sait
en pleurant : Malheur à moi, pauvre pécheur, qui porte à tort le nom
de moine! Le V. Avila rapporte ( Trac. v. de spir. S. c. 4· ) qu'une personne
vertueuse ayant prié Dieu de lui faire voir son âme, obtint la grâce
demandée et vit son âme si difforme et si noire, quoiqu'il n'y eût que
des péchés véniels, qu'elle s'é-cria : Seigneur, éloignez ce monstre
de mes yeux.
IX. Gardez-vous bien
de jamais vous préférer à personne. Il suffit de se croire meilleur
que les autres pour devenir pire que tous. Cœteros contempsisti, exteris
SANCTIFIÉE.
387
pejor factus es, dit Tritème. Il
suffit de croire qu'on a un grand mérite pour n'en plus avoir. Le mérite
prin-cipal de notre humilité consiste à croire que l'on ne mérite que
reproches et châtiments. Les dons et les grâces que Dieu vous a accordés,
ne serviront qu'à vous faire condamner avec plus de rigueur au jour du
jugement, si vous en abusez pour vous mettre au-dessus des autres. II ne
suffit pas de ne plus vous mettre au-dessus des autres, il faut que vous
vous disiez la dernière et la pire de toutes les sœurs. Pour-quoi donc
? D'abord, parce que vous voyez mille pé-chés dans votre âme et que
vous ne connaissez pas les péchés des autres, et que peut-être la personne
que vous méprisez a mille vertus cachées que vous n'avez pas. Songez
aussi que, d'après les lumières et les grâces que Dieu vous a données'^
vous devriez être déjà sainte, et que si les grâces que vous avez reçues,
Dieu les avait données à une infidèle , elle serait de-venue un séraphin,
et que vous, vous êtes encore pleine de péchés. La pensée de votre
ingratitude doit vous faire abaisser la tête sous les pieds des autres
, caries péchés, dit le docteur angélique, sont plus ou moins graves,
en raison de l'ingratitude de celui qui les commet. Un seul de vos péchés
peut donc peser dans la balance divine plus que cent péchés d'une autre,
moins favorisée que vous. Mais vous savez que vous en avez déjà commis
plusieurs ; vous savez que votre vie n'a été qu'un tissu de péchés
volontaires , et si on y remarque quelque bonne œuvre, elle est si chargée
d'amour propre qu'elle mérite plutôt un châtiment qu'une récompense,
":
X. Vous devez vous trouver indigne,
comme disait Ste.-Madeleine de Pazzi, même de baiser la terre où ont
passé vos sœurs. Vous devez croire que si on vous
288
LA RELIGIEUSE
accablait de toutes sortes d'outrages,
si vous étiez jetée dans le fond de l'enfer, foulée aux pieds de tous
leg damnés, vous n'auriez pas encore ce que vous méri» tez. De l'abîme
de votre misère, élevez donc toujours' la voix vers Dieu et dites : Deus
in adiutorium meumiri' tende, Domine ad adjuvandum me festina* Seigneur,
aidez-moi , venez à mon secours, sans quoi je suis perdue; je vous offenserai
plus qu'auparavant, plus que tout le monde. Mais cette prière, répétez-la
sans cesse à chaque instant, quand vous êtes dans le chœur, dans votre
cellule, quand vous errez dans le couvent , quand vous allez à la grille,
quand vous allez à table , quand vous sortez du lit, quand vous vous couchez,
toujours, toujours : Seigneur aidez-moi , Seigneur ayez pitié de moi.
Mais dès que vous cesserez de vous recommander à Dieu, vous courrez risque
de devenir une scélérate ; fuyez comme la peste la moindre pen-sée,
le moindre geste d'orgueil; je termine avec la parole de St.-Bernard :
In anima non est timenda quan-talibet humiliatio; horrenda autem nimium
vel minima elatio. ( Serm. m. in cant. ) Aucune humiliation ne doit nous
faire craindre le mal, mais la moindre fierté peut nous précipiter dans
un abîme de maux.
PRIERE.
Ο Dieu de mon âme l je vous remercie
de me faire sentir que tout ce qu'estime le monde est fumée et vanité.
Donnez-moi la force de m'en détacher avant que la mort m'en arrache. Malheureuse
! voici tant d'années que je suis dans votre demeure ; j'ai aban-donné
le monde pour jne faire sainte , quel fruit en
SANCTIFIÉE.
28g
ai-ie tiré jusqu'à présent ?
Hélas l que de plaies hi-deuses j'aperçois sur mon âme; mon Jésus,
ayez pitié de moi et guérissez-moi. Vous pouvez et voulez me corriger.
Vous avez promis d'oublier les outrages qu'on vous fait, lorsqu'on s'en
repent. Si impias egerit pœni-tentiam, omnium inquitatum ejus non recordabor.
( Ezech. xviu. 21. ) Je me repends de tout mon cœur d'avoir méprisé
voire amour, oubliez tous les chagrins que je vous ai causés. A l'avenir
, je veux plutôt perdre la vie que de vous causer la moindre peine volontairement.
Mon Dieu, je veux vous aimer, et si je ne vous aimais pas, qui aimerais-je
? Vous êtes si digne d'être aimé ! Vous m'avez créée , vous m'avez
rachetée au prix de votre sang, vous m'avez appelée à la religion ,
vous m'avez comblée de vos grâces, vous méritez donc tout mon amour.
Je ne veux aimer que vous. Ο ma reine et ma protectrice, Marie , aidez-moi
de votre inter-cession, faites que je ne sois plus ingrate envers votre
fils.
S· «I·
l)e l'humililé de volonté ou d'affection.
I. L'humilité d'esprit consiste
donc , comme nous l'avons démontré, à se croire digne de mépris, et
l'hu-milité de volonté consiste à désirer d'être méprisé des autres
et à se plaire dans les mépris. C'est là où se trouve le plus grand
mérite, car on acquiert, plus par les actes de la volonté que par ceux
de l'esprit. St.-Bernard dit : Primus profectus nolle dominari, secundus
velle subjici, tertius in ipsa subjectione injurias cequani-tniter pati.
( Serm. 18. ) Le premier degré d'humilité "Viu.
19
2Q0
LÀ RELIGIEUSE
pour une religieuse, est de ne pas
vouloir comman-der , le second de vouloir être soumise, le troisième,
de supporter l'asservissement et les injures qu'elle re-çoit. C'est là
l'humilité de cœur que Jésus-Christ nous enseigne par son exemple lorsqu'il
dit j Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Discite d me
quia miiis sum et humilis corde. ( Mat. xi. 29. ) Beaucoup de personnes-
sont humbles de bouche» mais non de cœur. Tels sont, dit St.-Grégoire.
ceux qui se disent méchants et dignes de mille supplices , mais ne le
croient pas; car si quelqu'un les reprend, ils se fâ-chent et soutiennent
qu'ils n'ont pas les défauts qu'on leur reproche. Cassien raconte qu'il
y avait un reli-gieux qui se disait grand pécheur et indigne de vivre;
mais l'abbé Sérapion, l'ayant grondé de ce que, par oisiveté, il allait
errant de cellule en cellule au lieu de rester seul dans la sienne, le
moine en pâlit de colère; l'abbé reprit : Mon fils, comment arrangez-vous
cela? Jusqu'à présent, vous vous êtes traité de misérable et vous
êtes furieux d'un avis charitable que je vous donne? Oh î que ces exemples
sont fré-quents dans les couvants ! Une religieuse se dit la plus grande
pécheresse du monde, digne de l'enfer, mais si l'abbesse ou quelque sœur
la prévient en particulier de ses défauts, on de sa tiédeur, ou du mauvais
exemple qu'elle donne, aussitôt elle se met sur la défensive et répond
d'un ton fâché. Quel mal m'avez-vous jamais vu faire, vous feriez mieux
de corriger les autres qui commettent toutes sortes de fautes ■ dont
je suis exempte. Quoi ! vous disiez naguère que pour vos péchés, vous
mériteriez l'enfer et vous ne pouvez souffrir une parole? Votre humilité
n'est donc que sur vos lèvres , vous n'avez pas l'hu-milité du cœur
que'Jésus-Christ recommande.
SAKCTIFIEE.
agi
II.' Le St.-Esprit a dit :
Est qui nequiter humiliat se et interiora ejus plena
sunt dolo. ( Ecc. xix. 23. )
Quelques-uns se font humbles, mais avec malice . non pour être
corrigés et humiliés, mais pour être regardés comme humbles et en être
loués. Mais, dit St.-Bernard, ce n'est pas être humble que de s'humi-lier
pour être admiré ; c'est prendre le masque de l'humilité pour
déguiser l'orgueil. St.-François de Paule disait
que l'humilité à une belle figure en spéculation, mais qu'elle
est hideuse dans la pratique. La véritable humilité consiste à aimer
l'abjection et le mépris, de sorte que , selon St.-Jean Clima-que, il
ue suffit pas, pour être humble, de dire qu'on est méchant, mais qu'il
faut encore se réjouir d'être regardé comme tel. Il est bien , dit le
Saint, que vous parliez mal de vous-même , mais il est mieux encore que
lorsque vous entendez les autres parler mal de vous, vous leur donniez
raison et y preniez plaisir. St.-Grégoire l'avait dit auparavant en ces
mots : Cum se pectatorem dicit, id de se dicenti alteri non contradicit.
L'homme véritablement humble se dit pécheur, et convient de ses délauts
avec ceux qui les lui montrent. Enfin, dit St.-Bernard : Verus humilis
vult reputari, non humilis prœdicari. [ Serm. χνι. in cant. ) L'humble
de coeur ne veut pas être loué de son humilité, mais il veut être appelé
vil, imparfait, digne de mépris et aime à être ainsi humilié , de sorte
que les humilia-tions qu'il reçoit le rendent plus humble encore , comme
le dit St.-Bernard : Humiliationem convertit in humilitatem. Lc Β. J.
Calasanze disait : Qui aime Dieu ne cherehe pas à paraître saint, mais
à le devenir.
III. Ο ma sœur! si vous voulez
être véritablement humble de cœur et de volonté, évitez de jamais
dire un mot en votre laveur, tant sur vos actions, vos ta-
igì
LA RELIGIEUSE
lents, vos vertus, que sur votre
noblesse, vos riches-ses , vos parents. Laudet te alienas et non os tuum.
( Prov. xxvn. 2. ) Laisse-toi louer par la bouche des autres , dit le Sage,
ne te loue pas toi-même, si tu veux être humble. Le proverbe dit : que
notre éloge, fait par nous-même, flétrit au lieu d'honorer. Que penseriez-vous
d'une religieuse qui dirait que sa fa-mille ne le cède à aucune autre,
qu'elle mérite plus que les autres un emploi honorable ? Pensez que les
autres tiendraient le même propos sur Votre compte, si vous leur vantiez
votre mérite. Tâchez toujours de vous abaisser, et jamais de vous élever.
En vous abais-sant , vous ne vous nuirez pas, mais pour peu que vous vous
éleviez au-dessus de la vérité, vous pouvez vous fpire un mal infini.
C'est St.-Bernard qui vous l'apprend : Grande malum si plus vero modice
te extol-las. ( Serin, xxxvu. in cant. ) Quand on passe par une porte,
si on baisse la tête plus qu'il n'estnécessaire on ne se fait pas de
mal ; mais si on la tient d'un doigt trop haute, on heurtera contre la
pierre,et on se bri-sera le crâne. Quand vous parlez de vous-même, di-tes-en
plutôt du mal, faites l'aveu de vos défauts, et tâchez de dissimuler
vos vertus. Au reste, le mieux à faire, c'est de ne point parler de vous,
ni en bien ni en mal : regardez-vous comme une personne vile qui ne mérite
pas même d'être nommée , car parfois, même en parlant de nos défauts
, novis y entremêlons un orgueil fin et secret; souvent, nous n'avouons
nos défauts que dans le but de faire admirer notre modes-tie et η )tre
humilité. Cependant cela nes'élend pas jusqu'à la confession, car vous
devez tout révéler au confesseur, défauts, tentations et mauvaises pensées.
Il se présente quelquefois l'occasion d'avouer des cho-ses qui sont à
votre ho ate ; n'hésitez pas à le faire ;
SANCTIFIÉE.
2Q?)
le P. Villeneuve, de la compagnie
de Jésus, publiait partout que son frère n'était qu'un porte-faix. Le
P. Sacchini, Jésuite, ayant rencontré un jour son vieux père, qui était
muletier, courut l'embras:'.er en disant à tous les assistens : Voici
mon père !
IV. Si par hasard on vous
donne quelque éloge , confondez-vous, du moins intérieurement, et jetez
un coup-d'œil sur tous vos défauts. St.-Grégoire dit que les orgueilleux
se réjouissent même des éloges faux; mais les humbles se confondent
et s'attristent même des éloges justes , comme dit David au sujet de
lui-même : Exaltatus autem humiliatus sum, et conturba-tus. ( Ps. LXXXVII.
16. ) St.-Grégoire a dit : L'humble se trouble en entendant faire son
éloge , parce qu'il trouve qu'il manque des qualités qu'on
lui attribue et parce qu'il sait que s'il a acquis quelques mérites au-près
de Dieu, il en perd en s'en faisant gloire. Alors , on lui dit : Recepiiti
bona in vitâ tuâ. ( Luc. xvi. 25. ) Vous en avez reçu la récompense
pendant votre vie. Cet éloge vous a fait plaisir. Il sera
votre récom-pense, vous n'en aurez pas d'autre. Le sage a dit : Quomodo
probatur in fornace aurum, sic probatur homo ore laudantium. ( Prov. xxvn.
2. ) On éprouve l'or au feu , et l'homme aux louanges; s'il ne prend pas
plaisir aux louanges , s'il s'en afflige et les repousse comme faisaient
St.-François de Borgia et St.-Louis de Gon-zague. Quand on vous prodigue
les éloges et les hon-neurs, confondéz^vous , cachez-vous le front dans
la poussière , et craignez que ces distinctions flatteuses ne soient cause
de votre perte. L'estime des hommes est peut-être le plus grand malheur
qui puisse vous arriver, elle alimente en vous l'orgueil et l'orgueil ne
mène qu'à l'enfer !
V. Ayez toujours présent
à la pensée, ce que disait
394
LA RELIGIEUSE
St.-François d'Assises : Jent suis
que ce que je suis de~ vant Dieu. Croyez-vous qu'étant plus estimée des
hom-mes , vous serez plus estimée de Dieu. Quand vous vous enflez des
éloges qu'on vous donne, et que vous Vous croyez meilleure que les autres,
sachez que tan-dis que les hommes vous flatteront, Dieu vous repous-sera.
Les louanges d'autrui ne vous rendront pas meil-leure. St.-Augustin dit
"que les opprobres, de ceux qui nous outragent ne ternissent pas notre
vertu, ainsi les éloges de ceux qui nous louent s'effacent par nos dé-fauts
: Nec malatn conteieniiam aanat praeconium laudantis, nec bona vulnerat
convicianiis opprobrium (St.-Aug. 1. 3. contra. Pet.) Lorsque vour entendez
faire votre éloge, dites avec St.-Augustin : Melius me ego novi quam illi
; sed melius Deus quam ego. ( In. ps. 25. ) Ceux-là me1 louent, mais moi
qui me connais mieux qu'eux, je sais que ces louanges sont fausses , et
Dieu qui me connaît mieux que je ne me coni.ais moi-même, sait que loin
de mériter des éloges, je mérite tous les mé-pris de la terre et de
l'enfer,
VI. En second lieu, vous devez vous
garder avec non moins de soin de chercher des emplois et des honneurs dans
les couvents ; et, comme disait Ste.-Ma-rie -Magdeleine de Pazzi, il faut
fuir tout exercice qui a de l'apparence, l'orgueil s'y tapit. Non-seulement
il faut les fuir, mais il faut en avoir horreur. Il y avait, dans un couvent
de Naples, une religieuse appelée Ar-change St.-Félix àquisonconfesseurtlitun
jour:Sœur Archange, les religieuses veulent vous faire abbesse. Elle répondit
: Pire. que dites-tous? Et elle ajouta: Mais Dieu y pourvoira. En disant
ces mots , elle fut frappée d'une attaque d'apoplexie, qui lui ôta la
fa-culté d'une partie de ses membres, et elle ne fut pas abbesse. St.-Hilarion
dit : Omnis secuti honov diaboli
SASCTIFlÉB.
195
negotium est. {\n. Mat. vi. 3. )
Tous les honneurs de ce monde sont des pièges du démon ou il prend des
milliers d'âmes pour l'enfer. Si l'avidité des honneurs cause de grands
troubles parmi les hommes , elle en cause de plus grands encore dans les
couvents. St·-Léon dit que les querelles des moines et des ecclé-siastiques
ambitieuxont déshonoré l'Église. Corpus Ec-clesia: ambientium contentione
fœdatur. ( S. Leo. ep. 1. ) Ste.-Thérèse dit', parlant des religieuses
: II n'y aura jamais de ferveur où règne le point d'honneur. Elle dit
ailleurs : Tout couvent où entrent le 'point d'hon-neur et l'ambition
doit être regardé comme perdu" pt comme veuf de la présence du divin
époux, puis elle ajoute en parlant à ses filles : S'il y a parmi vous
un guide, chassez le comme la peste, ou au moins que cette religieuse,
qui veut devenir le guide des autres , reste au cachot. Avant de laisser
entrer l'ambition dans un monastère, je voudrais y mettre le feu, et le
voir brûler. La B. Jeanne de Chantai était de ce senti-ment, elle disait
: J'aimerais mieux voir mon couvent englouti que d.'y voir entrer
l'ambition des hon-neurs.
......
VII. Mais écoutons ce qu'a sagement
écrit Pierre de Blois, dans une de ses lettres. (Ep. xiv.)ïl y décrit
les tristes effets de l'ambition et Its ravages qu'elle fait dans l'âme
: t L'ambition, dit cet auteur, singe la charité, mais à l'envers. La
charité souffre tout, mais pour les biens éternels. L'ambition souffre
mais pour les misérables honneurs de ce monde. La charité est bénigne
mais envers les personnes pauvres et mépri-sées ; l'ambition est bénigne
aussi seulement envers les grands qui peuvent la satisfaire. La charité
souffre tout, mais pour plaire à Dieu ; l'ambition souffre tout, mais
pour parvenir aux honneurs. Ο Dieul Quelles
396
U RELIGIEUSE
épines, quelles fatigues, quelles
craintes, quels efforts, que de reproches, d'outrages piquants et déchirants
n'a pas à supporter une religieuse pour arriver- aux postes que son ambition
lui fait désirer ! La charité croit et espère tout ce qui regarde la
gloire éternelle. L'ambition croit et espère tout ce qui regarde la vainc
gloire de ce mende.
VIII. Mais quel est le résultat
de celte malheureuse religieuse obtenant ces honneurs désirés ? Un peu
de fumée qui ne la rassasie pas, qui, au lieu de l'illustrer, la noircit
et la souille. Ste.-Thérèse disait : On perd l'honneur en aspirant aux
honneurs; plus l'honneur qu'on reçoit est grand, plus est grande la honte
de celle qui l'a recherché; car plus elle a fait pour l'ob-tenir, plus
elle s'en est déclarée indigne. La B. Jeanne Chantai disait : Celles
qui se croient les plus dignes des emplois en sont les plus indignes. Car
l'humilité leur manque et c'est la premier/: condition qu'on demande.
Dieu veuille que cet honneur obtenu ne soit pas la cause de sa ruine !
Le Père Vincent Carafla, jésuite, étant allé voir un de ses amis malade
à qui on avait conféré un office très-lucratif mais très-dangereux,
cet ami le pria de lui obtenir de Dieu la santé. Le P. Caraffa ré-pondit
: Non , je ne veux pas trahir l'amitié qui m'at-tache à vous; Dieu vous
appelé aux honneurs de l'autre vie, parce qu'il veut vous sauver; s'il
vous laissait en vie avec cet emploi, je doute que vous pus-siez vous sauver.
Le malade alors reçut la mort avec calme et consolation. Vix fieri potest,
dit St.-Bona-venture, quod qui delectatur honore in periculo magno non
sit. (Med. cap. xxxvi.) Il est difficile que ceux qui aiment les honneurs
(surtout si c'est une dignité qui charge notre conscience telle que celles
d'àbbesse, de vicaire, ou maîtresse des novices) ne se mettent
SANCTIFIÉE.
SO,?
en danger de se perdre. Quel est
le danger de celle qui, par ambition , a brigué les emplois! Elle n'aura
pas le courage de refuser aux sœurs qui l'y ont pro-mue tout ce qu'elles
demanderont de juste ou d'in-juste , et elle marchera à sa damnation.
De plus, Dieu n'est pas tenu à donner ses secours à celle qui se procure
cette charge par intrigue; et , abandonnée de Dieu, comment pourra-t-elle
la remplir dignement? Oh ! que d'abbesses seront damnées au jour du juge-ment
pour avoir brigué elles-mêmes leur nomina-tion.
IX. Ο ma sœur! si vous voulez
être toujours hum-ble, ne vous laissez jamais séduire pas aucun désir
de gloire mondaine. Quel esprit d'humilité peut avoir une religieuse qui
étale ses richesses aux yeux de tous; qui fait des dépenses folles, par
faste et vanité! Quel esprit d'humilité peut avoir cette autre qui veut
être qualifiée du titre d'Excellence! Si elle était hum-ble, elle dirait
à chacun, même aux domestiques de ses parents, qu'elle ne veut pas de
ce titre mondain ! Il est certain qu'étant religieuse , le titre de Révérence
l'honore plus que celui d'Excellence, car on lui donne le premier comme
à l'épouse de Jésus , et le second comme à la femme du monde. St.-François
Xavier disait (vit. 1. u. c. 3. ) qu'il est indigne d'un chrétien qui
doit sans cesse avoir sous les yeux les ignominies de Jésus-Christ, de
se complaire aux honneur? qu'on lui rend. Or, cette conduite ne sera-t-elle
pas plus indigne d'une religieuse consacrée à Jésus-Christ, qui, pendant
tant d'années, a vé^u ignoré et méprisé. Ste.-Marie-Magdeleine de
Pazzi disait ; L'honneur d'une religieuse consiste à se soumettre aux
autres et à craindre de leur être préférée. Il doit y avoir, parmi
les religieuses. dit St.-Thomas de Villeneuve, rivalité
2θ8
LA RELIGIEUSE .
d'humilité : In hoc ad invicem
zelaU , quce humilior, quis sponso carior existât. En faisant vos vœux
vous avez dit : Elegi abjectus esse in domo Deimei magis quam ha-bitare
in tabernaculis peccatorum. (Ps. XXVIII. ) J'ai pré-féré une vie humble,
dans la maison de Dieu, à une vie brillante dans le monde. Pourquoi donc
êtes-vous attachée aux vanités du monde ? Le pieux auteur de l'imitation
vous prévient que si vous désirez devenir sainte, il faut que vous désiriez
de vivre ignorée et dé-daignée : Âmu. msciri et pro nihilo reputari,
et qu'on ne fasse aucun cas de vous dans le couvent.
X. Ne portez pas envie à celles
qui ont plus d'a-dresse et d'intelligence que vous, ni à celles qui ont
acquis plus d'estime, portez seulement envie à celles qui aiment Dieu
plus que vous et qui sont plus hum-bles que vous. L'humilité vaut mieux
que tous les éloges et les honneurs de la terre. La plus belle science
d'une religieuse c'est de savoir s'humilier, de se regarder comme nulle
et de passer pour telle. Dieu ne vous a pas donné plus d'esprit, car peut-être
cet esprit vous aurait perdue. Contenlez-vous donc de celui que vous avez,
puisqu'il vous fait aixner l'hu-milité qui est le moyen le plus sftr de
vous rendre sainte. Si d'autres vous surpassent dans l'art de gou-verner
et d'acquérir l'estime générale, fâchez de les surpasser dans l'humilité.
Sed in humilitate superiores, dit l'Apôtre. (PliiJ. II. 3.)Qui a l'honneur
de gouver-ner est en danger de s'enller de vanité de perdre la lumière
de Dieu et devenir semblable aux brutes, qui ne cherchent que les vils
biens de la terre et ne pen-sent pas àceux du ciel, comme le dit David
: Homo cam in honore esset non intellexit; comparatus esijumentis insi-pientibus
et similis factus est illis. (Ps.xtvm. 13.) Sidone vous voulez prendre
le bon chemin, fuyez les hon~
neurs et embrassez les charges les
plus viles. Ua,e reli-gieuse qui veut devenir sainte ne doit aspirer qu'aux
plus bas emplois du monastère ; elle doit chercher à faire ce que le?
autres ne veulent pas. L'épouse des Cantiques est tantôt une solitaire,
tantôt une guer-rière, tantôt une vigneronne, mais, dans toutes ces
fonctions^ différentes, elle est toujours amante; tout ce que fait une
religieuse, elle doit le faire pour l'a-mour de Jésus-Christ et toujours
elle doit être sa chère épouse. Elle ne doit donc jamais refuser les
em-plois qu'on lui assigne : Les emplois les plus vils, dans le monde,
sont les plus sublimes dans les couvents et ceux queles saints préfèrent,
parce qu'il sont chers à Jésus-Christ. Cassien raconte que l'abbé Paphnuce,
très-estimé en Egypte, quitta son monastère pour al-ler à celui de
St.-Pacôme, qui, ne le connaissant pas, le chargea de bêcher le
verger; l'abbé fut charmé _ d'être ainsi traité; mais bientôt
on sut son nom et il fut appelé à des emplois plus importants , mais
il re -grettait sans cesse son obscurité première et pleurait nuit et
jour sur la perte du trésor de ses humiliations. XI. Pratiquez encore
l'humilité dans vos meubles et dans vos vêtemeus. St.-Equitius
portait des vête-menssivils que ceux qui ne le connaissaient pas n'au-raient
pas daigné le saluer. Oh I que de pauvres habits sont édifiants ! On
rapporte que les deux Macaires (Lib. de sign, η" 19.) traversant le Nil
dans un ba-teau, eu compagnie de quelques séculiers richement vêtus,
un de ces derniers, à la vue des misérables ha-bits des deux frères,
fut si touché, qu'il quitta le monde et se fit moine. Il faut aussi
tenir les yeux baissés et parler à voix basse ; mais ces actes d'humilité
exté-rieure ne sont bous qu'autant qu'ils sont accompa-gnés de l'humilité
intérieure du cœur, car sans cela ce
3θΟ
ΙΑ HELICIEr.se
seraient des actes de l'orgueil
le plus abominable, puis -qu'il se cacherait sous le manteau de la vertu.
Multo deformior , dit St.-Jérôme, est superbia quœ sub humili-tatis
signis latet. (Ep.ad. Gel.)
PRIKRE.
Mon Jésus, j'ai honte de paraître
devant vous. Vous avez tant aimé les mépris et les outrages que vous
avez voulu .mourir sur une croix, raillé et insulté; et moi je ne puis
supporter les moindres affronts ! Vous avez été abreuvé d'ignominies,
vous, innocent, et moi, pécheresse, je suis avide, insatiable d'éloges!
Ο mon époux, que je suis différente de vous! Cela me fait trembler pour
mon salut éternel, caries prédestinés doivent vous ressembler. Mais
je ne veux pas me dé-fier de votre miséricorde; vous me secourrez et
me changerez. Je me propose, avec votre grâce, de souf-frir dorénavant,
pour votre amour, toutes les injures dont vous m'accablerez. Par votre
exemple, vous avez rendu l'injure aimable aux âmes qui vous aiment. Je
veux faire tout mon possible pour vous plaire; pardonnez-moi la peine que
vou.' a causé mon Orgueil et accor-dez-moi la grâce d'être fidèle à
la promesse que ie fais de ne jamais me fâcher, quelquOutrage qu'on me
fasse.—Oh ! Marie, ô ma mère, vous qui fûtes si hum-ble, obtenez-moi
la grâce de vous imiter.
S· iv.
Suite du mémo sujet et plus particulièrement
du support des yiépris.
I. En troisième lieu, pour vous
conserver dans l'hu-milité, il faut ne pas vous fâcher quand on vous
re-
SANCTIFIÉE.
3θ1
prend. Qui se trouble aux avis qu'on
lui doune n'est pas humble. Priez donc le Seigneur de vous donner la vertu
de l'humilité si nécessaire à notre salut. Le P. Ro-driguez dit que
quelques religieuses font comme les hérissons; quand on les touche, elles
se hérissent d'é-pines, c'est-à-dire qu'aussitôt elles éclatent en
paroles d'impatieDce, de reproches et en murmures. Multos novimus, dit
St.~Grégoire, qui arguente nullo peccatores se confitentur, cum vero de
culpâ fuerint correpti, defensionis patrocinium quarunt, ne peccatores
videantur. (Mor. lib. xxu cap. 10.) J'ai connu beaucoup de personnes qui
se disaient pécheresses quand on ne les reprenait pas , mais quand on
leur faisait quelques réprimandes, elles se sont défendues avec acharnement
et se sont effor-cées de prouver qu'elles étaient sans défauts. Beaucoup
de religieuses font de même ; mais qu'elles apprennent ce que dit le Saint-Esprit
: Qui odit correptionem, ves-tigium est peccatoris. (Ecc. xxi. 7.) Qui
se fâche d'être re-pris ne marche pas dans la voie des justes, mais dans
celle des pécheurs, c'est-à-dire dans celle de l'enfer. II. St.-Bernarddit
: Medicanti irascitur qui non irascitur sagktanli. (Serm. m de nat. Dom.)
Tel qui se fâche contre ceux qui le reprennent de ses défauts ne se fâche
pas contre ceux qui le flattent. Le sage dit : Eo quod detraxerunt universes
correptione prosperitas stultorum perdet eos. (Prov. i. 32. ) Ceux qui
repoussent toute correc-tion se perdront avec la prospérité des sots
; la prospé-rité des sots est de n'être pas repris ou de ne pas te-nir
compte des corrections qu'on leur fait, c'est pour-quoi ils se damnent.
Le vén. B^de raconte que deux religieuses, ayant été reprises par leur
supérieure, mé-prisèreet ses avis; elles allèrent de mal en pis et
s'en-fuirent du couvent ; mais ayant été retrouvées et recon-duites
dans la clôture, l'abbesse (qui était Ste.-Borgon-
Soa
r.i RELIGIEUSE
tofore ) leur demanda pourquoi elles
avaient commis un tel excès? elles répondirent -.pour n'avoir pas voulu
profiter de vos corrections. Elles tombèrent malades et ne voulurent pas
se confesser; à leurs derniers mo·* mens elles dirent : attendez un peu.
Puis s'adressant aux religieuses : Ne voyez-vous pas là bas Celle foule
de nègres qui viennent nous prend-e ? En effet, on vit appa-raître des
fantômes horribles, qui, d'une voix sépul-chrale, appelaient les malades
; celles-ci criaient fou-jours, attenrletf attendez. Enfin elles expirèrent
misé-rablement, privées des secours dé la religion.
III. St.-Jean Chrysostôme dit (Hom.
LXXIX. In Mal.) que lorsque le juste tombe dans le péché, il en gémit
; le méchant en gémit aussi, non parce qu'il a offensé Dieu, mais parce
que son péché est connu. Loin de s'en repentir, il ne songe qu'à se
disculper' et à se dé-fendre contre ceux qui l'en reprennent. Ο ma sœur
! n'avez vous pas fait de même avec ceux qui vous ont prévenus de vos
défauts ? Serez-vous toujours de même à l'avenir? Non, dit St.-Bernard,
Soror, multas age gratias illi qui increpaverit te; non contristeris cum
mons-traverit tihi viam satutis. ( De disc. cap. 18. ) Vous devez remercier
ceux qui votis éclairent sur vos défauts ; il est injuste de vous mettre
en colère contre celle qui vous indique la voie du salut. Ainsi, comme
le con-seille Ste.-Marie-Magdeleine dePazzi, si cela pouvait se faire sans
danger, il serait bon que vous eussiez une compagne fidèle qui vous prévint
de toutes vos fautes ; à votre insu vous péchez sans cesse; le seul remède
à ce mal c'est de vous humilier lorsqu'on vous a mis le doigt sur la plaie.
St.-Augustin a dit ipsa est perfectio, nostra humilitas. (In. Ps. 130.)
Puisque nous sommes si imparfaits dans la pratique de la vertu, soyons
par-faits d"i moins à nous humilier et à nous réjouir, lors-
SANCTIFIEE.
que nous sommes repris de nos défauts.
Songeons que notre orgueil souffre plus facilement les reproches que nous
ne méritons pas que ceux que nous méritons, car l'amour-propre a moins
de part dans les premiers que dans les autres. Quand vous êtes réprimandée,
of-frez à Dieu votre confusion etvotre honte, en expiation de l'erreur
que Vous avez commise. Écrasez le scorpion sur la blessure qu'il vous
a faite et servez-vous de ses restes pour la guérir. Plus vous recevrez
avec humilité la réprimande que l'on vous fait, plus le Seigneur sera
clément envers vous.
IV. Pratiquez donc cet acte d'humilité
si cher à Dieu, qui est de ne vous défendre ni de Vous excuser, quand
vous êtes reprise. Ste.-Thérèse dit qu'une re-ligieuse gagne plus à
recevoir une réprimande sans s'excuser qu'à entendre vingt sermons. S'il
vous arrive d'être reprise pour quelque défaut, même injustement, ne
vous justifiez pas, à moins que votre justification ne fût nécessaire
pour faire cesser tout scandale. Une religieuse écrivit un jour au P.
Antoine Torres, son directeur, de la justifier auprès de quelqu'un, d'une
faute dont on l'accusait. Voici comment répondit le prêtre : nJe suis
très-étonné que votre V. R. me prie de la justifier avec N. N. Les affaires
de la semaine dernière auront fait oublier à V. R. que son époux fut
nommé séducteur. Il est impossible que V. R. se soit souven ue de cela
et m'ait écrit pour se justifier. Qu'elle en rougisse et aille pieds nuds,
une corde au co-a, en demander pardon à son époux crucifié, qu'elle
pro-mette de ne jamais plus se justifier ni s'excuser et de dire toujours
qu'elle a tort, "dût-elle en mourir de dou-leur. Ainsi mourut pour elle
son époux; ainsi elle doit chercher à posséder Jésus-Christ. » Ste.-M.-Magde-leine
de Pazzi disait que c'est cesser d'être religiense
3l>4
LA RELIGIEUSE
que de s'excuser, même à bpn droit.
Une religieuse, véritablement humble, évite de s'excuser de ses dé-fauts
et tâche de les publier partout. On lit, dans les prodiges de la Grâce,
qu'il y avait un moine qui, cha-que fois qu'il commettait une faute, s'en
accusait d'a-bord à l'abbé du couvent, puis au priear et puis enfin à
tous les moines rassemblés. Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi dit que toute
religieuse qui découvre ses fau-tes mérite que Jésus-Christ les couvwj
de son sang.
V. Z|° Si vous voulez acquérir
la parfaite humilité, recevez sans plainte tous les outrages et les mau-vais
traitemeris que l'on vous fait. Qui croit ferme-ment mériter toute sorte
de mépris en punition de ses péchés supporte en paix l'injure. L'humiliation
est la pierre de touche des saints. St.-J.*Chrysostôme dit que le moyen
le plus sûr pour connaître une âme ver-tueuse c'est d'observer si elle
reçoit les humiliations avec calme. Le P. Grasset raconte, dans son histoire
du Japon, qu'un missionnaire, de l'ordre de St.-Augûstin, étant déguisé,
lors de la dernière persécution, reçut nn soufflet sans se fâcher;
aussitôt on se douta qu'il était chrétien et on l'arrêta, pavce que
les idolâtres savaient qu'une si grande vertu n'était le propre que des
chré-tiens. 3t.-François d'Assises disait que quelques per-sonnes mettent
leur joie dans la pénitence et le jeune et ne peuvent souffrir une parole
injurieuse, qui est plus profitable à l'âme que dix jours d'abstinence.
Par exemple on accorde à d'autres sœurs ce qu'on vous refuse, ce que
disent les autres plaît, ce que vous dites ennuie; les autres font bien
tout ce qu'elles font, on les élève aux emplois les plus honorables,
et l'on ne fait aucun cas de vous, on rit de tout ce que vous faites; si
vous acceptez sans peine tous ces désagrémens, dit St. - Dorothée, si
vous recommandez à Dieu les
SANCTIFIEE.
3O5
soeurs qui vous maltraitent, vous
èlêk véritablement humble, car celles qui nous traitent ainsi sont les
mé-decins de notre orgueil, maladie terrible qui peut vous, donner la
mort. Les orgueilleux, qui se croient dignes de toute sorte d'honneurs,
augmentent d'orgueil quand on les'humilie; mais les humbles, qui se trouvent
di-gnes de tout mépris, redoublent d'humilité quand on les injurie. St.-Bernard
a dit : Est humilis qui humilia-iioneiii convertit in humilitatem. (Serin,
xxiv. in Can.) Celui qui "charge l'humiliation en humilité est vérita-blement
humble.
■-.■··■■·
Vi. Les humiliations que nous nous
imposons nous-'' mêmes, telles que de baiser les pieds de ceux quenous
avons offensés, dé servir lés malades, sont bonnes ; mais les meilleures
sont celles que nous fontlës autres, telles que les réprimandes, les
accusations, les outrages, lès railleries, quand nous les recevons sans
plainte pour l'amour de Jésus-tihrist. Ιη ïgnë probatur aurum, dit
le St.-Esprit, Homines tero in camino'humiliationis. (Ecc. II. 5.J L or
s'éprouve au feu, la perfection des hommes' s'éprouve aux numrliatìoòs.
Ste.-M.-Magdelaine de' Pazzîftîsaît: La.vertu sans'epreuven'est pas
vertu, et qui' lie souffre pas le mépris' avec c'alrtië n'aura jamais
l'es-prit de'perfection. ÏÏ'dntas mea dedit odorem suum': (Cant. ι.
11.) Le' nard est Une herbe aromatique^ qui ne répand de parfums que lorsqu'on
la foule ou qu'on la froisse dans ses doigts. Oh! quel parfum' de sainteté
épanche dans l'air une religieuse humble qui embrasse l'opprobre avec
amour'et se complaît aux injures et aux mauvais traitemens! Le moine ï.a-charie,
à qui l'on demanda ce qu'il fallait"faire"pour acquérir la véritable
humilité ', mit un froc sous ses pieds, le foula et dit : Celui-là" est
véritablement hum-ble qui se plaît à être traité comme ce froc. Qu'eller
\ia.
ao
3θ6
ti RELIGIEUSE
sera douce la mort de la religieuse
qui aura «ouffert le mépris sans murmure ! Elle remerciera à ses derniers
instants celles qui l'ont maltraitée. St.-Jean Climaque (de obed. gradu,
iv) raconte qu'un bon moine, nommé Àbario que, pendant quinze ans, ses
compagnons avaient raillé et vilipendé, les remercia beaucoup à l'heure
de sa mort de l'avoir tant humilié et mourut avec la paix du ciel.
VII. Quelques religieuses croient
être humbles parce qu'elles sont instruites de leurs misères et qu'elles
se repentent de leurs fautes passées y mais elles n'aiment pas à être
humiliées et ne peuvent souffrir qu'on leur manque de respect; elles refusent
les emplois vils et tout ce qui ne convient pas à leur orgueil. Mais qu'est-ce
que cette sorte d'humilité ? elles se disent dignes de tout et ne peuventaouffrirla
moindre impolitesse; elles veulent des égards et des titres! Est qui nequiter
humi-liat se, et interiora ejus plena sunt dolo. ( Ecc. xix. 23.) Telle
qui s'humilie extérieurement et se "dit la dernière des créatures, veut
intérieurement être plus estimée et honorée que les autres. Je pense,
ô ma sœur, que vous n'êtes pas de celles-là. Si vous croyez être la
pire des sœurs> souffrez qu'on vous traite, pis qu'elles. Aimez donc comme
vos meilleures amies, celles qui vous mé-prisent et Vous aident à vous
humilier, à vous dé-tacher de la gloire, mondaine, et par là-même à
vous attacher à Dieu, en vous faisant rechercher son saint amour avant
toute autre chose.
VIII. Regardez-vous comme un chien
mort et pourri, qui mérite d'être abhorré de tout le monde; offrez-vous
à souffrir pour Dieu toute sorte d'opprobre en expia-tion des péchés
que vous avez commis et ne permettez
jamais à votre amour-propre de
s'en plaindre. Songez que celle qui a osé mépriser un Dieu mérite d'être
fou-
SANCTIFIÉE.
'
So?
lée aux pieds du démon. St .-B
ernard disait qu'il ne con-naissait pas de remède plus propre à guérir
les plaies de sa conscience que les injures et le mépris. Ego pla-gis
conscientia meœ nullum judico accommodatus medica-mentum yrobris et contumeliis.
( Ep. ad. Eug. ) Réjouis-sez-vous, ô épouse du Seigneur ! quand on vous
humi-lie, quand on vous outrage, quand on se rit de vous, quand on vous
traite comme la phis méprisable du monastère. Ne vous défendez pas quand
on vous1 ac-cuse à tort et ne vous faites pas défendre par d'autres,
à moins que voire disculpation fût nécessaire à l'édifi-cation des
autres. N'empêchez pas qu'on découvre vos défauts à vos supérieurs.
Quand on vous humilie, ne cherchez pas laquelle de vos sœurs en est cause
; si vous la découvrez , ne lui en faites pas de reproches, ne vous en
plaignez pas aux autres, et, dans vos prières, recommandez à Dieu celle
qui vous méprise et vous persécute. Le P. Alvarez disait que le temps
des humi-liations est le temps de s'affranchir de ses misères et d'acquérir
de grands mérités. Ste.-M.-Magdeleine de Pazzi disait que les plus douces
caresses dont l'époux divin enivre l'âme sont les affronts et les peines;
elle ajoutait encore qu'elle était toute joueuse quand elle causait avec
des personnes méprisées, sachant com-bien elles sont chères à Jésus-Christ.
Elle disait à ses religieuses : Ο mes sœurs ! mettez toute votre gloire
â être méprisées; répétons souventee que dit Jésus-Christ que ceux
que les hommes haïssent, qu'ils injurient et per-sécutent, seront ses
élus. Beau eritis, eum vos oderint ho-mines, el cam feparaverint vos et
eœprobaverint et eiecerint nomen vestrum tanquam malum propter filium
hominis. (Luc. vi. 22.) St.-Pierre ajoute : Si exprobramini in no-mine
Christi, beati eriiit, quoniam quod esl honoris, gloriae et virtutis Dei
etqai est ejus spiritus, super vos requiescit.
5θ8
LA RELIGIEUSE
(l.Petr. iv. 14·) Vous ne serez
heureuse que lorsque vous serez outragée pour l'amour de Jésus-Christ,
car alors vous aure? le véritable honneur, la véritable force et le véritable
esprit de Jésus-Christ.
IX. Les saints ne se sont pas fait
saints au milieu des éloges et des honneurs, mais au milieu des injures
et des mépris. St.-Ignace, martyr et évéque, après avoir été estimé
et vénéré de tout le monde, fut envoyé à Rome pour, souffrir le martyre
et ne reçut pendant toute la route que des outrages des soldats qui l'escor-taient
! Il s'écria : Nunc incipio esse Christi discipulus, je commence maintenant
à être le disciple de Jésus-Christ, qui fut si méprisé pour moi. St.-François
de Borgia, étant une fois couché dans la même chambre que le P. Bustamant,
son compagnon de voyage, ce-lui-ci, qui était asthmatique, ne fit durant
toute la nuit que tousser et cracher; mais au lieu de cracher sur le mur,
il lançait ses crachats sur la figure de son ami. Quand le jour parut,
il s aperçut de sa méprise et s'en attristar'fton, dit leSaint, ne te
désole pas de cela, car certainement dans toute cette chambre, il n'y
a pas d'endroit plus digne de crachats que ma figure. Oh mon Dieu ! que
fait une religieuse si elle ne sait pas souffrir un affront pour Jésus-Christ
? Une reli-gieuse qui ne sait pas supporter les injures a perdu le souvenir
de Jésus-Christ crucifié. La B. Marie de de l'Incarnation dit un jour
à ses religieuses en leur montrant le crucifix : Quoi ! mes sœurs, nous
crain-drions de souffrir un outrage apros que Jésus en a tant soufferts
! Une autre bonne religieuse, lorsqu'elle rece-vait un affront, recourait
au St.-Sacrement et disait : Seigneur, je suis une pauvre fille, je n'ai
rien à vous offrir; je vous fais présent des injures que j'ai re-çues.
Oh! combien Jésus-Christ aime et protège les
SANCTIFIÉE.
3og
personnes méprisées qui ont embrassé
les mépris, comme il les console et les enrichit de grâces! Le P. D.
Antoine Torres, en pensant au temps où il avait été humilié et traité
de semeur de fausses doctrines ( ce qui lui fit interdire la confession
pendant plusieurs années ), écrivit à un de ses amis : « Sachez que
pendant tout le temps que je fus calomnié, les con-solations spirituelles
qtie m'accorda le Seigneur furent si grandes que jamais je n'en eus de
semblables. »
X. Il est profitable et méritoire
de recevoir le mé-pris avec joie, niais c'est aussi un moyen de gagner
bien des cœurs à la foi. St.-Jean Chrysostôme a dit : Mansuetus utilis
sibi et aliis. L'humble qui souffre en paix les affronts est utile à lui-même
et à tous ceux qui le connaissent; car, ajoute le Saint, il n'y a rien
de plus édifiant que l'humilité d'une personne qui reçoit d'un air calme
les injures. Nihil ita conciliât Domino fa-miliares ut quod illum vident
mansuetudine jucundum. Le P. Maffei raconte qu'un jésuite, qui prêchait
au Japon, reçut un crachat au visage ; il s'essuya avec un mou-choir et
continua son sermon comme si rien n'était. Un des spectateurs fut converti
par le calme imper-turbable de ce père ; une religion, dit-il, qui enseigne
tant d'humilité, ne peut qu'être vraie et divine. C'est ainsi que St.-François
de Salles, en supportant sans plainte toutes les injures des predicants
protestants , finit par convertir un grand nombre de ces hérétiques.
XI. Lne religieuse qui habite
un couvent de large observance et veut marcher dans la voie de la
per-fection, doit s'attendre à être toute sa vie raillée,
calomniée, persécutée, haïe. Il n'y pas de remède, le St.-Esprit l'a
dit : Abominantur impii eos qui inrecta sunt via. (Prov. xxix. 21.)
Ceux qui marchent dans une route large, abhorrent ceux qui marchent dans
3lO
LA RELIGIEUSE
un sentier étroit. La raison en
estque la vie des jus-tes est un continuel reproche de la vie des méchants
qui voudraient que tout le monde vécût aussi libre-ment qu'eux. L'éloignement
de la grille, l'observance du silence, l'assistance au chœur, le détachement
d'amitiés particulières et presque toutes les actions vertueuses de cette
bonne religieuse sont appelées bi-zarreries, bigotterie et même hypocrisie,
pour se faire passer podr sainte. Si elle commet quelque péché (car elle
est fragile et sujette toujours au péché ) , si elle répond avec impatience,
si elle se plaint d'une injus-tice qu'on lui fait, aussitôt les autres
crient : Voyez la sainte qui communie chaque jour, qui ne parle ja-mais,
qui porte le cilice, qui est sans cesse au chœur, occupée à tromper
le monde ! Elles inventent même des, mensonges pour vous accabler; mais
si vous vou-lez être sainte, supportez-les, et pensez que si la pa-tience
vous échappe, adieu le fruit de tant de peine ! Vous deviendriez aussi
imparfaite que les autres. St.-Bernard 'lit un jour d'un moine qui passait
pour saint: II l'est sans doute, mais il lui manque le meilleur de la sainteté,
c'est de passer pour méchant.
XII. Le plus beau mérite des saints
est d'être persé-cutés dans cette vie. Tous ceux, dit St.-Paul, qui
veu-lent vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront la persécution.
Et omne» qui pie volunt vivere in Christo Jesu persecutionem patientur,
(ii. Tim. 8. 12. ) Notre Sauveur a dit : S'ils m'ont persécuté moi-même,
ils vous persécuteront aussi. Si mt persecuti sunt et vos per-sequentur.
(Jo. xv. 20. ) Mais vous dites : Je fais mes i.ifaires, je n'importune
personne; pourquoi doit-on me persécuter ? Tous les saints ont été persécutés.
Jé-sus-Christ le premier des saints a été persédutéi et vous ne voulez
pas l'être. Quel plus grande grâce Dieu
SANCTIFIÉE.
5l 1
peut-il nous accorder, disait Ste.-Thérèse,
que d'être traités comme le fut son filsbien-aiiné sur la terre ? Le
P. Torres écrivit à une de ses pénitentes: Croyez que de toutes les
grâces que Dieu peut vous accorder, la première c'est de vous rendre
digne d'être calomniée Je tout le monde, elfle ne trouver de pitié chez
personne. Ainsi donc, ô ma sœur! lorsque vous êtes méprisée et regardée
comme une vile créature , réjouissez-vous et remerciez votre Époux de
ce qu'il veut que vous soyez traitée comme il le fut lui-même en ce monde.
Quand vous êtes en prière, énumerez lous les mépris et les outrages
qui peuvent vous être faits et offrez-vous de les souffrir pour l'amour
de Jésus-Christ, car ainsi, dans l'orai-son,^vous serez toujours prête
à les recevoir avec calme.
XIII. 5° En dernier lieu, non seulement
il faut re-cevoir les mépris avec calme, mais même avec joie. Le bon
religieux, disait le B. Calasanze, méprise le monde et aime à être méprisé
du monde. Levén. P. Louis du Pont ne pouvait d'abord concevoir com-ment
une âme pouvait prendre plaisir aux mépris, mais quand il fut plus parfait
il le comprit et l'éprou-va. Nous ne pouvons pas y parvenir de nous-mêmes
, mais avec l'aide delà grâce, comme les apôtres qui sortirent du conseil
tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir
cet outrage "pour le nom de Jésus. Ibant gaudentes d conspectu concilii,
quo-niam digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati. ( Act. v.
41. ) La seconde partie, disait le Β. Calasan-ze se vérifie en quelques-uns,
contumeliam pati, souf-frir les injures ; mais non la première ibant gaudentes,
s'en réjouir. C'est-là ce que St.-Ignace de Loyola vint enseigner après
sa moit à St.-Marie-Magdeleine de Pazzi, lui disant que îa véritable
hnnailité consiste à
3l2
LA RELIGIEUSE
nouffrréjouir de tout ce qui nous
avilit et nous dés-honore.
XIV. Les gens du monde sont
moins heureux des honneurs qu'on leur rend, que les saints des mépris
qu'ils reçoivent.'Lorsque le frère Genévrier, francis-cain, recevait
une injure, il relevait sa robe,, et en faisait un sac comme
poury renfermer des perles. St.-Jean-François Régis,, lorsque ses moines
le tour-naient en ridicule, s'en réjouissait et s'efforçait
de donner encore" malière à leurs railleries. Les saints n'ont donc désiré
et aimé que· de souffrir et d'être mé-prisés pour Jésus-Christ. Un
jour le Rédempteur ap-parut à St.slean de la Croix, portant sa croix;
^ur ses épaules et couronné d'épines; il lui adressa ces mots : Jean,
demande-moi ce que tu veux. Le saint répon-dit : Seigneur, souffrir
et être méprisé pour vous. Do-mine , pati et contemni pro U.
Comme s'il avait voulu dire : Seigneur, en vous voyant si outragé et si
affli-gé pour l'amour des hommes, puis~je vous deniandor autre chose qu'outrage
et affliction ? Dieu dit à la B. Angèle de Foligno que le signe certain
pour con-naître si les inspirations, viennent de
lui, est de voir si,après les avoir reçues, l'âme cqnserveun
vif désir d'être humiliée pour son amour. Jésus-Christ veut que nous
ne nous ne nous troublions pas des in-jures que nous recevons et que,nous
nous en réjouis-sions, à cause de,la grande récompense qu'il nous pro-pose
dans le ciel. Beati estis, cum maledixerint vobis et persecuti vos fuerint.
Gaudete et exultate quoniam merces vestra copiosa est in cœlis. (Matth.
ν. 11, 12.)
XV. Quand un jeune fille est
sur le point d'entrer .dans un couvent, je lui recommande, comme choses
essentielles, l'obéissance et l'amour des mépris. Je me suis étendu
sur cette matière parce que je cr.ois
SANCTIFIÉE.
3 «3
impossible q'une religieuse avance
dans la voie de la perfection sans pratiquer ces deux vertus-, mais ai
elle les pratique, j°. suis certaiu qu'elle deviendra sainte. Humilis
corde, disait St.-Paul, cor Christi est. La religieuse qui est humble de
cœur et qui se ré-jouit du mépris qu'elle reçoit devient le cœur de
Jé-sus-Christ. 0 ma sœur, si vous voulez vous rendre sainte, sachez qu'il
faut que vous soyez beaucoup humiliée et méprisée. Eussiez-vous,pour
compagnes, des saintes, Dieu permettra que vous soyez contra-riée , aecusée,
réprimandée, dédaignée. Jésus-Christ trouvera moyen de vous faire
maltraiter pour vous rendre semblable à lui. Je vous prie donc de suivre
le règlement du P. Torres : Dites chaque jour un Paieret une Avek la vie
ignominieuse de Jésus-Christ. Offrez-vous à souffrir, non seulement avec
calme, mais avec joie, toutes les contrariétés et les outrages qu'il
vous enverra , et demandez-lui les secours né-cessaires pour les supporter
sans plaintes.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus, mon amour! comment
puis-je être si orgueilleuse, quand je Vous vois outragé, humilié, cloué
sur une croix pour me sauver? Par le mérite de vos souffrances , faites
que je connaisse ma misère afin que je rn'abhore, et que je supporte eu
paix toutes les injures qui me seront adressées. Vous les avez rendues
aimables par votre exemple. Faites que je connaisse votre bonté et votre
amour, afin que je connaisse et que j'embrasse toute sorte de mépris pour
vous être agréable. Faites que je chasse loin de
3)4
t'A RELIGIEUSE
moi tout respect humain et que je
ne cherche dans toutes mes actions que votre bon plaisir. Je vous aime,
ô Jésus! et me propose avec votre grâce de ne plus nie fâcher ni me
plaindre, lorsqu'on me fera quelques Outrages. J'attends de vous la grâce
de remplir ma promesse. Marie, ma mère, secourez-moi par votre intercession,
priez Jésus pour moi.
CHAPITRE XII.
De la charité du prochain.
S- i.
De la charité envers le prochain
et surtout de la manière de juger seà' actions.
I. On ne peut aimer Dieu sans aimer
le prochain. Le précepte qui nous commande d'aimer Dieu, nous or-donne
aussi d'aimer nos frères. lit hoc mandatum habemus dDeout qui diligitDeum,diligat
et fratremsuum. St.-Tho-mas d'Aquin dit que l'amour de Dieu et du prochain
prend sa source dans îa charité, car la charité nous fait aimer notre
prochain autant que Dieu, parce que Dieu le veut ainsi. St-Jérôme (comment,
inep. ad.Gai.) rapporte que les disciples de St.-Jean l'Évangéliste lui
ayant demandé pourquoi il leur recommandait si souvent l'amour fraternel,
répondit: Quia prœceptum Domini est, et si sqtum fiat sufficit : parce
que c'est le pré-cepte de Dieu , et si nous le suivons, il suffira pour
notts sauver. Ste.-Catherine de Gênes dit un jour au Seigneur : Mon Dieu,
vows m'ordonnez d'aimer mon prochain, et je ne puis aimer que vous. Le
Sauveur
SASCTIFIÉE.
répondit : Ma fille, celui qui
m'aime, aime toutes les choses que j'aime. En effet, quand on aime une
per-sonne on aime aussi ses parents, ses domestiques, ses portraits et
môme ses habits, pour la seule raison qu'elle les aime. Pourquoi donc
devons-nous aimer notre prochain? parce qu'il est aimé de. Dieu. L'a-pôtre
St.-Jean a dit que celui-là ment qui dit aimer Dieu et n'aime pas son
prochain : Si f,Mts dixerit quo-niam diligit Deum et fratrem suum oderit,
mendax est. (I. Jo. ìv. 20.) Jésus-Christ dit que la moindre charité
faite envers notre prochain est faite envers lui. Quam-diu fecistis uni
ex his fratribus meis minimis, mihi fecistis. (Mat. xxv. 40. ) Ste.-Catherine
disait que pour con-naître combien on aime Dieu, ou n'a qxi'à voir com-bien
on aime son prochain.
II. Mais la charité, cette aimable
fille de Dieu , a été bannie du monde ; elle vint chercher un refuge
dans les couvents; mais que serait-ce si elle était bannie même des couvents
? L'enfer est l'empire de la haine, le ciel est l'empire de l'amour, tous
les élus s'y aiment l'un l'autre et se réjouissent des joies des autres
comme des leurs propres. Oh! n'est-ce pas un vrai paradis que ce couvent
où règne la charité? Il fait les délices de Dieu; qu'il est bon, qu'il
est agréable, que des frères habitent ensemble ! Ecce quam bonum et quam
jucurulam habitare fratres in unum! (Ps. cxxxn. 1.) Le Seigneur aime à
voir les sœurs et les frères habiter ensemble, in unum, dans sa demeure,
uni
par la vo-lonté commune de le servir et de s'entr'aider à se sauver pour
s'envoler ensemble au séjour des élus. St.-Luc dit que les chrétiens
de son temps n'avaient qu'un seul cœur et une seule âme : M ullitudinis
auterr, credentium erat' cur unum et anima una. (Act. iv. 32. ) Jésus-Christ
en allant à la mort pria son père Tout-
5l6
LA RELIGIEUSE
puissant que ses disciples ne formassent
qu'un tout in-divisible , comme lui et son père : Pater sancte serva eos
ut sint unum sicut et nos. (LXX. 17. 11. ) Ce fut là un des plus beaux
fruits de la Rédemption comme le pté-dit Isaie : Habitabit lupus cum
agno et pardus cum liœdo non nocebunl et non occident, (xn. 6.) Le loup
habitera en paix avec l'agneau, le léopard avec le chevreuil et et ils
ne se nuiront pas. C'est-à-dire que les disciples de Jésus-Christ, quoique
de naticns différentes, de caractères différerts , vivront en paix ensemble
, s'ef-forçant de se conformer à la volonté l'un de l'autre, par le
moyen de la sainte charité. Communauté de moines ne signifie autre chose,
observe un écrivain sa-cré, que comme unité. C'est-à-dire qu'ils sont
unis de volonté comme s'ils l'étaient de corps. La charité seule maintient
l'accord dans les couvents, car il est impos-sible que tous les frères
aient les mêmes penchants et les mêmes goûts; ,1a charité marie nos
cœurs, nous iait supporter mutuellement nos défauts et plier à la volonté
l'un de l'autre,
III. St.-Jean-Climaque rapporte
qu'il y avait près d'Alexandrie un monastère où tous les moines jouis-saient
d'une paix céleste, car ils s'aimaient tous cor-dialement, par une sainte
charité ; si quelqu'un d'en-tr'eux se plaignait d'un de ses frères, le
premier qui passait les apaisait avec un signe de tête; mais s'ils ne
se réconciliaient pias, on les exilait dans une maison voisine, et on
les appelait démons indignes de rester dans le couvent. Oh ! qu'il est
beau de voir des reli-gieuses faire l'éloge les unes des autres, s'entre
servir, s'entr'aimer comme des vraies sœurs ! Les religieuses sont appelées
sœurs, parce que la charité, sinon la naissance, les unit entr'elles,
celle qui n'a pas de chariië, disait laB. Jeanne de Chantai, n'est religieuse
que de
SAHCTIF1ÊE.
nom, elle est sœur d'habit, mais
non de cœar. Tousles saints fondateurs et les saintes fondatrices recom-mandaient
en mourant à leurs enfants la sainte cha-rité , disant que là où l'union
manque Dieu manque aussi.
IV. St.-Augustin dit : Quando vides
inatiqaâ fabricâ -lapides et ligna bene sibi cohcerere securus
intres, ruinam non times. ( Ser. ccivi. ) Quand vous voyez les pierres
d'une maison bien cimentées ensemble, entrez-y sans crainte, elle
ne tombera pas en ruine. Mais si les pierres ne sont pas bien jointes n'en
passez pas le seuil. Le saint veut dire par cette comparaison que le bon-heur
règne dans tous les couvents οίι les religieuses sont unies par la
sainte charité ! M ais malheur à ceux où régnent la discorde et la
guerre civile ! Monasteria sunt tartara, ajoute le Saint; de tels couvents
ne sont pas l'asile de Dieu mais du diable; un trône de salut, mais un
abîme de perdition. Que sert qu'un couvent soit riche, pompeux, qu'il
y ait une belle église, un beau jardin, si la charité n'y est pas; c'est
un enfer. Une religieuse médit de l'autre, et cherche à la sup-planter,
toujours dans la crainte que la faction enne-mie l'emporte ; les soupçons
et la rancune fermentent dans tous les cœurs; on ne parle, on ne
pense, dans l'oraison mentale, à la messe, à la communion, qu'à se haïr
et à se nuire; pauvres oraisons! pauvres messes! pauvres communions !
ou la charité n'est pas ; il n'y a ni recueillement, ni paix, ni Dieu.
Ο ma sœur ! s'il y a des factions ennemies dans votre couvent versez-en
des larmes, et priez Dieu de les détruire avec sa main puissante. Car
pour étouffer l'hydre de la dis-corde , il faut la main de Dieu. Au reste,
si vous pou-vez rétablir la paix dans le couvent faites-le à tout prix,
si vous ne le pouvez pas, restez indifférente et
3l8
LA RELIGIEUSE
gavdez-vous comme de k mort de mettre
le doigt sur cette plaie.
V. Je ne parle pas ici contre
ces religieuses zélée* qui défendent l'observance des règles et font
la guerre aux abus; celles-ci veulent le bien de la communau-té et sont
du parti de Jésus-Christ : que n'eu sont-el-les toutes î Si quelqu'abus
s'introduit dans le couvent, je vous exhorte à vous unir aux observances,
dussiez-vousrjster seule pour défendre la cause de Dieu. Dieu saura vous
récompenser de tout ce que vous aurez fait, pour peu que ce soit. Rester
indifférente quand il s'agit de maintenir l'observance, n'est pas
vertu ni humilité, mais lâcheté, faiblesse et défaut d'amour de Dieu.
Je parle donc de celles qui fomentent les discordes, soutiennent
les factions pour défendre leurs intérêts ou leurs amies, pour abattre
letirs en-nemies, et se venger des affronts qu'elles ont reçus. Gardez-vous
de prendre part à ces guerres intestines, dûssiez-vousêtre traitée
d'ingrate, de lâche, d'imbé-cille , privée de tout emploi, de toute
considération. Mais revenons à notre sujet. Pour conserver la charité
et la paix commune, sacrifions nos propres intérêts. St.-Grégoire
de Nazianze voyant les évêques en querelle, à son sujet, car quelques-uns
le voulaient pour pa-triarche et d'autres ne le voulaient pas, leur dit
: Mes frères, je veux que vous soyez en paix, et il faut que, quoiqu'innocent,
je renonce à mon évèché, pour re-mettre l'ordre parmi vous, je suis
prêt à le faire. Il quitta donc le siège episcopal et se retira dans
la so-litude.
VI. Mais parlons de ce que doit
faire une religieuse pour être charitable envers toutes ses sœurs.
Elle doit faire ce que recommande l'a?pôtre à.ses disciples: Revêtez-vous
donc, comme des élue de Dieu, des en-
BAHCTIFIÉE.
519
trailles de miséricorde. Induite
vos ergo ùcut elecii Dei viscera misericordi®.( Col. m. 12. ) II dit,
revêtez-vous de charité, de même que les religieuses portent tou-jours
avec elles leur robe, et en sont couvertes de la tête aux pieds, ainsi
elles doivent porter partout la charité et en être toutes couvertes.
Il dit : Induite vis-cera misericordia}, une religieuse doit être vêtue
d'en-trailles de charité, c'est-à-dire qu'elle doit avoir au-tant de
tendresse pour chacune de ses soeurs , que si elle avait pour elle une
profession particulière. Quand on aime quelqu'un passionément, on en
dit toujours du bien , on se réjouit de sa joie, on pleure de ses larmes,
si celui que nous aimons fait quelque faute , nous le défendons avec acharnement,
ou du moins nous tâchons de l'excuser. S'il fait quelques bonnes oeuvres
nous les vantons partout, nous les portons aux nues. La sainte charité
doit avoir en vous les effets dp la passion.
-,
VII. Pratiquez donc la charité
envers tout le monde. et surtout envers vos sœurs, dans vos pensées ,
dans vos paroles et dans vos actions. Quant aux pensées , bannissez tout
mauvais soupçon , tout mauvais doute contre votre prochain. C'est un péché
que de soup-çonner les autres sans raison, mais c'est un péché grave
que de croire à nos soupçons, et plus grave en-core de les publier. Qui
juge ainsi des autres sera jugé aussi., d'il l'Evangile : Nolite judicare
et non judiçamini. ( Mat. vm.) J'ai dit,sans raison, parce que s'il y
avait lieu à soupçonner et même à croire, alors ce ne se-rait pas un
péché. D'ailleurs , c'est chose toujours chère à la charité que de
bien juger des autres, et de chasser tout soupçon injurieux. Caritas non
cogitat maiarn , dit l'Apôtre. ( 1. Cor. xui. 5. ) Néanmoins-,'ίΙ faut
observer que ceci ne s'adresse pas aux supérieu- .
320
Là BELÏGIEVSE
res, aux maîtresses, car, comme
je l'ai dit ailleurs : il est de leur devoir de soupçonner encore plus
de mal qn'il n'y en a, pour préparer d'avance le remède. Si vous n'occupez
pas de place élevée, tâchez de lou-jours bien penser de vos sœurs.
La B. Jeanne de Chantai disait * Regardons le bien de notre prochain et
fermons les yeux au mal. Si parfois, en parlant du prochain, vous prenez
le mal pour lé bien, dites avec St.-Augustin : Caritas non se multum dolet
errare cum bene credit etiam de maio. ( Ps. 1A7. ) La charité aime à
se tromper en jugeant bien, même ce qui est mal.Ste.-Catherine de Bologne
dit un jour : Voici beaucoup d'années que je suis dans la religion et
je n'ai jamais eu que de bonnes pensées sur mes sœurs , car celles même
qui paraissent défectueuses, sont peut-être plus aimées de Dieu que
telles autres qui paraissent par-faites. Gardez-vous bien d'épier et de
chercher à sur-prendre les défauts des autres; et n'imitez pas celles
qui demandent sans cesse ce qu'on dit de leurs person-nes, et s'enflent
décolère et de haîne contre tout le monde. Quand vous entendez parler
de vos défauts , n'écoutez pas et «e remarquez pas celles qui médisent
de vous. Faites en sorte que chacune des sœurs puisse dire du bien de
vous ; d'ailleurs, laissez-les dire , et quand vous les entendez vous âcctiser
de quelque faute, répondez : C'est-ld le moindre de mes défauts. Oh\
si elles les connaissaient tous !... Ou bien : C'est à Dieu de me juger.
*
VIIÏ. 2°. Quand votre prochain
tombe malade, qu'il fait une perte douloureuse, ou qu'il éprouve tout
autre grand chagrin, la charité vous commande dele plaindre, du moins
avec la partie supérieure; je dis avec la partie supérieure, parfce que
lorsque nous ap-prenons le malheur de nos ennefliis, notre
nature
oa't
rebelle en resseiït une certaine
joie, mais cette Joie n'est pas vin péché, pourvu qu'elle soit aussitôt
«havi-sée par la volonté. Ainsi dono, si, dans un cas sembla-ble, votre
partie inférieure se réjouit des maux de votre prochain, laissez-la crier
comme u..e chienne bizarre qui aboie sans raison, et faites que votre par-tie
supérieure s'afflige des maux d'autrui. A la vérité, «η peut parfois
se réjouir des malheurs d'une per-sonne, c'est lorsqu'on sait qu'il doit
lui en revenir un .grand bie.n; par exemple, il est permis de se réjouir
des rnaux d'un péçhew.pbstipé , afin qu'il se conver-tisse ou qu'il
cesse de scandaliser les autres. Cepen-dant, lorsque celui qui nous a.
offensé souffre, notre joie peut être coupable. ;. .
h-, '
IX.., 3°. La chai-ité nous commande,
de nous com-plaire avi bonheur d'autrui , en chassant l'envie qui nous
porlç à nous en affliger.Le docteur angélique dit que Tèbièri d'autrui
peut nous déplaire de quaffè ma-nières. D'abord, quand nous craignons
que ce bien ne soit nuisible à nous ou aux autres, et cette crainte, quanti
le mal est injuste, peut être exempte de péché, comme l'observe St.-Grégoire.
Evenire plerumque potest ut non amissa caritate et inimici nostri ruina
Ixtipfit ft ru>ìus ejus gloria sine'inmdice culpâ contristet ; cum et
ruente eo^ quosdam bene erigi credimus et proficiente illo, piwosque injuste
opprimi formidamusi ( Lib. χχιι. mor. cap. 2. ) 11 peut arriver souvent,
dit,le Saint, que sans perdre la charité, nous noue réjouissions de la
chute de notre ennemi ; sa chute en tire beaucoup d'autres de la misère.
Il peat encore advenir que, sans envie, nous uous affligions de la prospérité
de notre ami, quand il s'en sert pour opprimer les autres, Se-condement
; Lorsque le bien d'autrui ne nous afflige pas, mais: que nous regrettons
de ne pas le partager ; y m.
11
3aa
/
1> BELlGIEtlSE
ce regret l'est pas de l'envie,
c'est de la vertu, quand il s'agit de biens spirituels. Troisièmement
: Quand nous nous affligeons du bien de notre prochain , parce que nous
l'en jugeons indigne. Cette douleur n'est pas coupable, lorsque ce bien,
cette dignité* ou ce trésor peut nuire à son âme. Quatrièmement :
Quand nous nous affligeons du bien d'autrui parce qu'il empêche le nôtre.
Cette affliction est l'envie dont nous devons nous défendre. Le sage dit
que les envieux imitent le démon qui poussa Adam au péché par dépit
de le voir appelé au ciel, d'où il avait été banni. Invidia autem diaboli
mors intravit in orbem ter-rarum , imitantur autem illum qui sunt ex parte
ejus. ( Sap. II. 24. ) La charité nous fait réjouir du bien du prochain
et nons fait regarder ses douleurs comme les nôtres:
PRIÈRE.
Ο mon rédempteur ! que je vous
ressemble peu ! Vous êtes plein de charité envers vos persécuteurs,
et moi toute pleine de haine envers mon prochain. Vo'is priâtes avec tant
d'amour, du haut de la croix, pour ceux qui vous y^clouèrent, et moi je
cherche satis cesse à me venger de ceux qui m'offensent. Pardonnez-mbi,
Seigneur; je ne serai plus comme j'ai été, don-ilez-moi la force d'aimer
et de servir ceux qui me hâïsSènt. Ne m'abandonnez-pas en proie à mes
pas-sions. Faites que je ne me sépare plus de vous! Quel tftùrment pouf
moi, si, après avoir reçu tant de grâ-ces de vous , j'étais de nouveau
séparée de vous et privée de votre amour ! Ne le permettez pas, Sei-gneur,
par le Sang que vous avez répandu pour moi.
SANCTIFIÉE.
3·ϊ3
Père éternel* parles mérites
de votre fils,délivrez-moi du danger de tomber dans votre disgrâce. .S'il
faut qu'un jour je vous offense, faites-moi mourir à pré-sent , que je
crois être dans votre grâce. Ο Dieu d'a-mour! donnez-moi votre amour.
Puissance-infinie , venez à mon secours. Miséricorde infinie, ayez pitié
de moi. Bonté infinie, attirez-moi toute à vous. Je vous aime, ô bien
suprême. Marie, mère de Dieu, priez Jé-sus pour moi. Votre protection
est tout mon appui.
De la charité qu'on doit pratiquer
dans ses parole*.
I. Quant à la charité dont nous
devons user envers notre prochain dans nos discours, il faut d'abord nous
abstenir de toute médisance. Le St.-Esprit a dit ; Susurro coinquinabit
animam suam et in omnibus odietur. (Ecc.'Xii. 31. ) Le médisant souille
sop âme et est haï de Dieu et des hommes , qui parfois l'applaudis-sent
et'l'invitent à calomnier son prochain pour s'a* muser,1 et cependant
le fuient et le craignent, ccr, de même qu'il médit des autres devant
eux, il médira d'eux devant les autres. St.-Jérôme dit que quelques
personnes qui se sont délivrées des autres vices , ne peuvent s'abstenir
de médire : Qui ab aliis vitiis reces· te"imt in illud tamen incidunt.
Pint à Dieu qu'il n'y eût pis dans les couvents des religieuses qui ne
peuvent lécher sans écorcher, c'est-à-dire, parler sans médire. Elles
médisent de tous ceux dont elles parlent. Ces mauvaises langues devraient
être chassées du cloître ou du moins rester toujours renfermées dans
un ca-chot, car elles troublent le silence, la dévotion et le repos de
toute la communauté; elles sont la ruine des
324
ΙΑ BELICIECSE
couvents. Dieu veuille que ces malheureuses
ne meu-rent pas comme ce prêtre dont parle Thomas Canti de Prato. ( Apum.
etc. cap. 37. ) II expira dans des convulsions furieuses, en se déchirant
la langue avec les dents Un autre médisant, au moment où il allait calomnier
St.-Malachie, sentit sa langue s'enfler et se remplir de vers qui la rongeaient,
et il mourut dans l'espace de sept jours au milieu de douleurs inouies.
II. Oh ! quelle est chère
au contraire à Dieu et aux hommes la religieuse qui dit du bien de tout
le monde. Ste.-Magdeleine de Pazzi dit que si elle en avait connu quelqu'une
qui n'eût jamais médit du prochain, elle l'aurait canonisée
comme sainte. Abstenez-vous donc de la moindre médisance contre vos sœurs
et surtout contre vo? supérieures, contre l'abbesse, le prélat, et le
confesseur; parce que, lorsque l'on médit de ses su-périeurs , outre
qu'on les déshonore, on fait perdre aux autres l'amour de l'obéissance,
où au moins la sou-mission d'esprit, et si vos sœurs sont instruites
par vous que vos supérieures commandent sans raison, elles refuseront
de leur obéir. On médit, non seule-ment quand on dénigre la réputation
du prochain, en l'accusant faussement ou en révél&nt ses fautes ca-chées
, mais même lorsqu'on interprète en mal ses ac-tions vertueuses et qu'on
leur prête une intention vi-cieuse. C'est médire que de nier les bonnes
œuvres d'une sœur ou de lui refuser l'estime qui lui est due; quelques
médisants, afin de faire croire à leurs ca-lomnies, commencent par louer
leur victime et Unis-sent par la déchirer. Une telle a beaucoup d'esprit,
mais elle est fi ère ; cette autre est généreuse, mais elle est vindicative,
etc.
III. Tâchez de dire toujours du
bien de tout le monde. Parlez des autres comme vous voudriez que les autres
SANCTIFIEE.
parlassent de vous. Quand une personne
est absente, faites ce que vous enseigne Ste.-Magdeleine de Pazzi: on ne
doit pas dire d'une personne absente ce qn'on ne dirait pas si elle était
présente. Quand vous enten-dez une sœur médire d'une avtre, gardez-vous
bien de l'y exciter ou de lui montrer du plaisir à l'entendre, car alors
vous seriez complice de son péché. Répri-mandez la médisante ou interrompez
la conversation, partes ou du moins n'écoutez pas. Sept aures tuas spinis,
ditle St.-Esprit, linguamnequamnoli audire. ( Ec. XXVIII. 28.) Quand tu
entends quelqu'un qui médit, mets sur tes oreilles une haie d'épines,
afin que la médisance n'y pénètre pas. Gardez le silence, prenez un
air triste, baissez les yeux à terre, et personne n'osera plus atta-quer
la réputation d'autrui en votre présence. Quand vous le pouvez, la charité
veut que vous preniez la défense de la personne accusée : Sicut vit'a
coccinea labia lua. (Cant. iv. 7.) Ο mon épouse, je veux que tes lè-vres
soient comme un bandeau vermeil, c'est-à-dire (selon Théodorète) que
tes paroles couvrent le mal autant que possible, et que lorsqu'elles ne
peuvent excaser l'action, qu'elles en excusent du moins l'in-tention. Excusa
intentionem si opus non potes. (St.-Bern, serin, xxxx.) L'abbé Connétable,
dit Surius (17 fé-vrier), était appelé Operimentum fratrum, le manteau
des frères, parce que; lorsque ce bon moine entendait parler des défauts
des autres, il tâchait toujours de les excuser. Les religieuses de Ste.-Thérèse
disaient que partout où la sainte était, elles avaient les épaules sûres,
parce qu'elles savaient qu'elle les dt'fendait.
Gai dez-vous bien de jamais rapporter
à aucune de vos sœurs le mal que d'autres en ont dit. De tels rap-ports
soulèvent des haines et des discordes éternelles d ans les couvents.
Oh ! que les rapporteuses auront un
3a6
LA RELIGIEUSE
compte sévère à rendre au jour
du jugement ! Qui sème la discorde, ne recueille que haine. Le Seigneur,
dit le sage, abhorre six choses. Sex sunt qiiw odit Dominus. La dernière
s'applique à celui qui sème la discorde parmi ses frères, eum qui seminat
inter fratres discordias. (Prov. vi. Ì6 et 19. ) Si une religieuse parle
parvenu geanee, elle est plus excusable;mais celle qui de sang-froid sème
la discorde et trouble la paix commune, comment serait-elle aimée de Dieu?
Si vous entendez dire mal d'uns de vossœurs, faites ce que dit le St AES-prit
: Audisti verbum adversus proximum tuum commoria-tur in te. (Eccles. xix.
10.) Ce que vous avez en-tendu contre votre prochain, renfermez-le dans
votre âme, ou plutôt faites l'y mourir; tant qu'elle n'y sera que renfermée,
elle pourra s'en échapper et se mon-trer; mais quand elle sera morte,
elle ne pourra plus «ortirde son tombeau, c'est-à-dire qu'il ne faut
jamais ■donner l'idée de ce que vous avez entendu, ni par des ■mots
inachevés, ni par des signes de tête qui pour-raient faire soupçonner
le mal plus grand encore qu'il n'est. Quelques religieuses, quand elles
ont surpris un secret, souffrent jusqu'à ce qu'elles l'aient révélé
comme si ime épine leur était entrée dans le iloijt et qu'elles ne pussent
apaiser leur douleur qu'en l'en ar-rachant. Quand vous découvrez les défauts
de quelques-unes de vos sœurs, vous pouvez les révéler à vos supé-rieurs,
mais seulement lorsque c'est nécessaire pour le bien de la communauté
ou de la coupable.
V. De plus, qnand voti» causez
avec vos sœurs, ne les piquez jamais, même en plaisantant; les plaisan-teries
déplaisent'et sont contraires à la charité et aux préceptes de Jésus-Christ,
q«i a dit : faites aux autres hommes tout ce que vous voulez qu'on vous
fasse à vous-même. Omnia quacumque vultis ut faciant vobis ko-
FÀNCTIF1ÉE.
mines et ros facite illis. (Mat.
vu. 12.) Aimeriez-vops être tournée en ridicule comme vous y tournez
votre compagne ? Non, ne le faites donc pas, tâchez encore de n'a voir
jamais de disputes. Parfois on voit s'élever des querelles scandaleuses
pour des choses de rien, on en vient bientôt aux troubles et aux injures.
Il y a des personnes contrariantes par caractère,qui, sans aucune nécessité,
mais seulement pour contredire, font des questions folles et bizarres,
et violent la charité. Ne disputez point sur ce qui ne vous regarde pas,
dit le Sage. De eâre quœte non molestat ne certeris.(Ecc.xi,.^.) J'ai
raispn, dites-vous, je ne peux souffrir Us tottites. Voici ce que vous
répond le cardinal Bellarmin : Une once de charité vaut plus que cent
livres de raison. Quand, il s'agit de choses de peu d'importance, dites
votre sen-timent pour entretenir la conversation, mais après cela laissez-le
combattre sans le défendre. Il vaut toujours mieux céder et se conformer
à ce que disent les autres. Le B. Éloi disait que dans ces sortes de
dé-bats on est vainqueur quand on cède, parce qu'on est supérieur aux
autres en vertu. On conserve ainsi la paix qui est un bien plus grand que
le plaisir d'avoir mis les autres de son côté. St.-Éphrem disait qu'afin
de maintenir la paix générale, il avait toujours cédé dans les discussions.
Le B. Calusanze disait : Qui veut la paix ne doit contredire personne.
VI. De plus, si vous aimez la charité,
tâchez d'être a fl'a b le et douce avec toutes sortes de gens. La douceur
est la vertu de l'agneau, c'est-à-dire de Jéf-us-Christ, qui, pour cette
raison, se fit appeler agneau. Soyez douce dans vos relations, non seulement
avec vo,s su-périeures et avec les officières, mais,avee.toutes les sœurs,
surtout avec celles qui vous ont offensée, qui vous regardent d'un mauvais
œil ou pui vqus $oqt
odieuses, parce qu'elles sont grossières
et ingrates. Caritas patiens est, la charité souffre tout ; ceux qui ne
souffrent pas les défauts de leur prochain, n'auront jamais dé charité.
11 n'y a pas d'être vivant, quelque vertueux'qu'il soit, qni n'ait ses
défauts. Combien n'en avez-voùs pas? vous voulez que les autres vous
plai-gnent ; plaignez les autres aussi, excusez lettre défauts, comme
dit l'apôtre : JHer alterius onera portate, (Gal. vi. 2.)Voyez comme tes
mères supportent avec patience les brusqueries de ''leurs enfants, pourquoi?
Parce qu'elles les aiment. Faites dé même avec vos soeurs si vous les
aimez d'un amour de charité, qui étant sur-naturel, doit être plus vif
que l'amour naturel. Avec qu'elle patience le Sauveur supporta la grossièreté
et l'imperfection de ses disciples tout le temps qu'il vé-cut 1 Avec quelle
charité il supporta Judas jusqu'à lui laver les pieds pour l'attendrir
! mais parlons de vous-même . Avec combien de charité Dieu votis a supportée!
"et vous ne voulez pas supporter vos sœurs. Le médecin 'haït la maladie
et aime le malade. Si vous avez la cha-rité, vous devez de même haïr
le péché et aimer celui qui ïè commet. Que faire? dîtes-vous, jeressens
une aversion invincible pour cette sœur et je n'ose l'aborder. 3e réponds,
ayez plus de ferveur et plus de charité, et votre aver-sion cessera.
■:'.■.
VII. Yenons-en à la pratique. Tâchez
de réprimer vo-tre eclère autant que vous le pourrez; îve dites jamais
de paroles désagréables^ ne prenez jamais de manières rudes, car parfois
ces mauvaises manières déplaisent plus que les injures; quand vous recevez
quelque ou-trage de vos compagnes, souffrez-le pour l'amour de Jésus-Christ
qui en a tant souffert pour vous. Ο mon Dieu! qu'il est triste de voir
certaines religieuses qui font totls les jours leur oraison, qui communient
sou-
SA-NCImÊE.
329
vent, et puis qui sont sensibles
à la moindre expres-sion grossière, à la moindre impolitesse. Quand
sœur Marie de l'Ascension recevait quelque affront, elle allait aussitôt
au St.-Sacrement et s'écriait : Ο mon épouxj je vous offre ce petit
présent et vous prie de l'accepter et de pardonner à celle qui m'a offensée.
Pourquoi ne faites-vous pas de même? 11 faut tout souffrir pour ne pas
perdre la charité. Le B. Alvarez-disait que la vertu est faible tant qu'elle
n'est pas éprouvée par les mau-vais traitemens du prochain. C'est alors
qu'on voit si une âme a de la charité.
VIII. Quand une de vos sœurs
vous parle avec co-lère, vous injurie, ou vous fait des reproches, répon-dez-lui
avec douceur eteïlese calmera. Responsio mollis frangit iratn. (Prov.
xv. 1.) Une réponse douce brise la colère. St.-Jean-Chrysostôme dit
: Igné non potest ignis exlingui, nec furor furore. (Horn, xcvm.) Le feu
ne peut s'éteindre par le feu, ni la colère par la colère. Vous parle-t-on
avec colère? vous répondez aveccolère. Comment auriez-vous la paix en
faisant ainsi ? Vous augmentez la colère de votre agresseur et vous perdez
votre charité. Répondez avec douceur et vous éteindrez le feu. Sophronius
raconte que deux moines, s'étant trompés de route, entrèrent par hasard
dans un champ de blé; le paysan qui le gardait les accabla d'injures ;
d'abord les moines se turent, mais voyant le paysan s'enflammer de plus
en plus, ils lui dirent : Frère, nous avons mal fait,pour l'amour de Dieu,
pardonnez-nous, A, ces mots le paysan se calma, il leur demanda par-don
de son insolence et fut si touché de l'humilité des moines, qu'il se
fit moine aussi.
IX. Par fois ,;yous croyez
juste et nécessaire d'a-battre l'arrogance de quelqu'une de vos sœurs
en lui répondant aigrement, surtout;si vous êtes sa supé-
55θ
LA BEIIGIEUSE
rieure. Mais sachez qu'alors c'est
plutôt la colère que la raison qui dicte vos discours. Il est vrai qu'il
est permis par fois de se fâcher, lorsqu'on le fait sans -péché comme
dit David : Irascimini et nolite peccare. ( Ps. iv. 5. ) Mais le difficile
c'est de mettre ce conseil en pratique. Ceux qui se livrent à leur fureur,
courent «ur un cheval sauvage qui n'obéit pas au frein et les porte au
hasard. St.-François de Sales dit dans sa Philotée (Ph. m. c. 8. ) que
les transports de colère, quelque motivés qu'ils soient, doivent toujours
être modérés; il vaut mieux, dit-il, qu'on dise que tune te fâches
jamais, que si on disait que tu le fâches avec raison. St.-Augustin dit
que lorsqu'on ouvre la potte del'àme à la colère on ne peut plus l'en
chasser, il nous ex-horte àlui en défendre l'entrée. Un philosophe,
nommé Agrippin, ayant' perdu tous ses biens dit : Jfai perdu mes biens,
mais je ne perdrai pas ma tranquillité. Dites de même, quand on vous
outrage. L'outrage est fait ; que sert de vous fâcher! Vous vous nuisez
à vous-même , vous faites plus de tort à votre réputation que ne vous
en a fait l'injure. Sl.-Augustin dit que celui qui s'irrrite pour un affront
se punit lui-même. Ne vous fâchez pas même po\Ar avoir péché, car
c'est un péché nouveau. Le démon, dit St.-Louis de Gonzague, trouve
toujours d pêcher en eau trouble, C'est-à-dire, dans une âme bouleversée
par la colère.
X. -Quand une de vos sœurs vous
injurie, ou vous parle avec colère répondez-lui avec douceur ; mais ,
ajouterai-je maintenant, si ses paroles vous irritent, gardez le'silence;
car votre irritation pourrait vous faire lâcher des expressions outrageantes.
St.-Bernard dit î Turbatusprce ira oculus rectum non videt. (L. n. de
cons. c. 11.) L'œil troublé par la colère ne distingue pas le bien du
mal. La colère est «n voile noir qui
SAHCTIFIÉE.
33 »
tombe sur nos yeux et qui obscurcit
tout ce que nous
Voyons. ,XlJSi celle qui MOUS a
offensée, se repentant, vient
vous demander pardon, ne la recevez
pas avec mau-vaise humeur, ne baissez pas les yeux à terre, ne les tournez
pas avi ciel, ne repondez pas par des demi-mots. Si tous faisiez ainsi,
vous offenseriet la charité, vous augmenteriez ta haine de votre sœur
et vous scandaliseriez le couvent. Témoignez-lui alors une amitié vive
; et si elle s'agenouille devant vous, agenouiliez-vons aussi, et quand
elle balbutie une excuse, coupez-lui la pa-role, dites : n Ο ma sœur
pourquoi tout cela? vous savez que je vous aime et vous estime. Vous me
demandez pardon ? Moi aussi, je vous demande pardon de vous avoir troublée
par ma négligence et mon ignorance : plaignez'-moi et pardonnez-Waoi.
XII. Sivouo avez offensé quelqu'une
de vos sœurs, faites tous vos efforts pour l'apaiser etpour acquérir
de nouveau son amitié. St.-Bernard a dît : Sola humi-litas lœsm charitalis
reparatio est. Le plus beau moyen de réparer les offenses, c'est de s'humilier.
Faites-le le plutôt possible ; domptez votre honte naturelle, car plus
vous attendrez, plus cette honte augmentera, et vous finirez par n'en rien
faire. Jésus-Christ vous dit: Si ergo offers munus tuum ad altare, et
ibi recordatus fueris àuia frater tuus habet aliquid adversus te, relinque
ibi mu-
" nus tuum ante altare et inde prias
reconciliare fratri tuo,, ■ei tunc veniens offeres muim« tuum. (Mat.
ν. 23.) Si tu vas offrir uu don à l'autel ( c'est-à-dire communier ou
entendre la messe) et qu'il te souvienne d'avoir ou-tragé ton prochain,
quitte l'atttel et va te réconcilier aveoion prochain. Mais ces actes
d'humiliation ne doivent être faits qu'autant qu'ils ne causent pas de
nouveau désagrément àiapersanne offensées. Si cela
532
LA RELIGlEtîïE
est, attendez un temps plus opportun
ou bien char-gez une autre sœur du soin de porler, à celle qui aété
offensée, l'expression de votre repentir et de votre hu-miliation.
PRIERE.
Ο mon Dieu ! ne faites pas attention
à mes péchés, ne regardez que votre fils Jésus qui a versé son .sang
pour moi. Ayez pitié de moi. Seigneur, pour l'amour de Jésus, pardonnez-moi
toutes les peines que je vous ai données, surtout le peu de charité que
j'ai montrée envers mon prochain. Seigneur, détruisez en moi tout ce
qui ne vous plaît pas, et inspirez-moi un vif désir de ne faire que votre
volonté. Ο mon Jésus, ma plus grande douleur est de vous avoir aimé
si peu, depuis que je suis au monde. Remplissez-moi de cette dou-leur profonde
que vous éprouvâtes dans le jardin de Gethsemani pour mes péchés. Oh!
fussé-je morte avant de vous offenser! Je me console en voyant que vous
me laissez le temps de vous aimer encore. Oui, je veux vous aimer tout
le reste de mes jours. Je vous aime, ô mon Rédempteur, ô mon unique
amour ! Faites que je sois toute à vous avant l'heure de ma mort. Emparez-vous
de toutes mes pensées, faites que je ne puisse aimer que vous. Mais tant
que je vi-vrai, Seigneur, je serai en danger de ν JUS perdre. Quand viendra
l'instant où je pourrai dire : O mon Jésus, je ne vous perdrai plus ?
Attachez-moi à vous, attachez-moi si fort que je ne puisse plus nie séparer
de vous. Faites-le pour cet amour que vous m'avez té-moigné en mourant
pour moi sur la croix. Ο Marie, VOUS êtes si chère à Dieu qu'il ne
vous refuse rien,
SANCTIFIEE.
333
obtenez-moi la grâce de ne plus
l'offenser et de l'ai-mer de tout mon cœur. Je ne vous demande plus rien.
§. III.
De la charité qu'on doit pratiquer
dans ses action» et a^ec qui il faut la pratiquer.
I. Quand à la charité dont vous
devez user dans vos actions, tâchez d'être toujours prête à servir
vos sœurs dans tous leurs besoins. Quelques religieuses disent qu'elles
aiment leurs sœurs, mais elles ne font rien pour elles. L'apôtre St.-Jean
dit à ses disciples: Mes chers enfants, n'aimons pas seulement de parole
et débouche, mais par action et en vérité. Filioli met, nondUigamus
verbo neque lingua sed opere et veritate. (i.Jo. 3.18.) Il ne suffit pas
d'aimer son prochain avec la bou-che, il faut l'aimer de cœur et lui prouver
son amour par ses actions. Justi misericordes sunt. (Prov. xui. 13.) Les
saints sont pleins de charité pour tous ceux qui ont besoin d'eux. On
dit que Ste.-Thérèse' tâchait chaque jour de pratiquer quelque acte
de charité en-vers ses sœurs, et, lorsqu'elle y manquait le jour, elle
le faisait la nuit, du moins en éclairant les religieuses <jui passaient
à tâtons devant sa cellule. (Ribera. vit. 1. iv. c. 11.) Quand vous pouvez
faire quelque au-mône, faites-la. L'écriture dit que l'aumône délivre
l'homme de la mort, le purified-j ses péchés et lui ob tient la miséricorde
de Dieu et le salut éternel. Ele-emosyna à morte liberat, et ipsa est
queepurgat peccata, et facit invenire misericordiam et vitam œternatn.
(Tob. xn. 9. ) St. - Cyprien remarque que le Seigneur ne recommande rien
si vivement que l'aumône. Dominus
334
LA RELIGIEUSE
nil crebrius mandat , quam ut insistamus
in eleemosynis. (St.-Cyp. de El. in ev. ) On n'entend pas par aumône l'argent
seulement mais tout les secours que l'on peut prêter au prochain en cas
de besoin. St.-Jean a dit: Qui vider it fratrum suum necessitatem habere
et clause-rittiscerasua ab eo, quomodo cariiasDei tnanttineo. (i.Jo. vin.
17.) Peut-on appeler charitable celui qui, voyant son frère dans le besoin
et pouvant l'aider, s'y refuse ? C'est une aumône chèreàDieu, dans le*
couvents, que de s'aider dans les soins du ménage. Ste.-Théodore aidait
toutes ses sœurs dans leurs travaux et empê-chait les autres de l'aider.
Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi, lorsqu'il y avait à faire.quelque travail
extra-ordinaire, s'en chargeait à elle seule; elle aidait en-suite ses
compagnes dans les emplois les plus pénibles. On disait parfois qu'elle
travaillait et se fatiguait plus que quatre converses. Tâchez de l'imiler,
et quand vous êtes Jasse, regardez votre époux qui porte la croix et
continuez vos travaux avec joie. Le Seigneur vous aidera autant que vous
aurez aidé vos soeurs , vous serez mesurée à la mesure dont vous vous
serez servie pour les autres. : Quâ menturâ mensi fueritis re-mettietur
vobis.(Matt. vu. 2.) St.-Jean-Chrysostôme dit que pour acquérir beaucoup
de biens spirituels il faut aider son prochain. Eleemosyna est ars omnium
artium qiiœstucsissima. Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi disait qu'elle
était plus heureuse lorsqu'elle secourait, son prochain que lorsque son
âme s'élevait au ciel par la contemplation.* Elle en donnait cette raison
: Quand je suis en la contemplation, c'est Dieu qui m'aide, au lieu que
lorsque j'aide le prochain, c'est moi qui aide Dieu. Le Sauveur nous apprend
que tout ce que nous faisons pour notre prochain nous le faisons pour lui-même.
N'acceptezni récompense, pi remerdment de
SANCTIFIÉE.
335
Vos sœurs et réjouissez-vous,
si au lieu de remerciaient vous en recevez des malhonnêtetés et des reproches,
car alors vous ferez double profit. C'est charité que d'obéir aux demandes
que vos sœurs vous font, pour-vu qu'elles ne soient pas nuisibles à votre
dévotion ; par exemple, si une d'elle vous détournait de vos oraisons
pour jaser avec vous, ne l'écoutez pas : La charité est réglée, comme
dit l'épouse des Cantiques: Ordinavit in me carilalem. (Cant. II. 4. )
Tout! ce qui peut nuire à vous ou à vos sœurs n'est pas charité.
III. Le meilleur acte de charité,
c'est de vouloir le bien spirituel du prochain. Autant l'esprit l'emporte
en grandeur sur le corps, autant la charité que l'on exerce envers l'âme
du prochain est plus agréable à Dieu que celle que l'on fait à son corps.
Cette charité s'exerce d'abord en corrigeant celui qui pèche. Qui convertit
un pécheur, se sauve lui-même en sauvant le pécheur, car Dieu leur pardonnera
à tous deux toutes leur fautes. St.-Jacques nous l'apprend. (Ep. v. 20.
) St.-Augustin dit que celui qui voit son prochain maltraiter et insulter
son frère, et néglige de le secou-rir , se rend plus coupable par son
in.iifférence que l'autre par ses injures. Tu vides eum perire et negligit,
pejor es tacendo quam Me conviciande. ( De verb. Dora, serm. xvi. c. 4·
) Ne vous excusez pas en disant que vous ne savez pas faire de correction.
St.-Jean-Chry-sostôme dit que,ipour corriger les autres, il n'est be-soin
que d'un peu de charité. Corrigez à propos avec douceur et modestie,
et vous y gagnerez. Si vous êtee le supérieur du couvent, vous y êtes
obligé par de-voir, si vous n'êtes pas supérieur, vous y êtes obligé
par charité. Si vous voyiez un aveugle courir vers un précipice, vous
seriez un barbare si vous ne l'avertis-siez pour l'arracher à la mort
temporelle. Combien est
336
υ RELIGIEUSE
plus barbare celle qui, pouvant
délivrerses sœurs de la mort éternelle, néglige de le faire. Si vous
croyez que vos avis ne serviraient ;'i rien , avertissez votre supé-rieure.
Ne dites pas : Cela ne me regarde pas, je ne veux pas m'en mêler. Ce fut
là la réponse de Caïn :suis-je, dit-il, le gardien de mon frère? Num
custos fratris mei sum ego ? ( Genes. iv. 9. ) Chacun est obligé à prévenir
son prochain de ses erreurs. Et mandavit illis unicui-que de proximo suo.
(Ecç. xvii. 12. )
IV. St.-Philippe de Néri disait
que lorsqu'il s'agit d'aider le prochain , surtout dans ses besoins spiri-tuels,
Dieu nous permet de négliger même nos priè-res. Un jour Ste.-Gertrude
désirait rester à prier, mais il y avait un acte de charité à faire;
le Seigneur lui dit : Ο Gertrude ! que veux-tu ? Veux-tu que je té serve,
ou veux-tu me servir f Vie. cap. 5.) St.-Gré-goire disait : Si vous voulez
aller à Dieu, faites en sorte de ne pas y aller seuls. Si ad Deum tenililis,
curate ne ad Deum soli tentatis. ( Horn. 6. ) St.-Augustin dit la même
chose : Si amaiis Deum rapite omnes ad amorem Dei. ( In. ps. 33. ) Si vous
aimez Dieu, tâchez de ne pas être seul à l'aimer, et de le faire aimer
de tout le monde, de vos parens, de vos connaissances et de vos sœurs.
Une sainte religieuse peut sanctifier tout son couvent par ses discours
et par son exemple. Elle ne doit faire ses exercices pieux que pour inviter
les autres à l'imiter. Ne craignez pas de pécher par va-nité; tout ce
qui n'a rien d'extraordinaire et qui peut-être exécuté de toute religieuse
qui tend à la perfec-tion , doit être fait dans le but d'enflammer tous
les cœurs de l'amour de Dieu. Que votre lumière dit Jé-sus-Christ ,
brille devant les hommes . afin qu'ils voyent vos bonnes œuvres, et qu'ils
en glorifient vo-tre père qui est dans les cieux. Sic luceit, liuv vestra
SANCTIFIÉE.
55?
coram homnibus ut videant opera
vestra bona et glorificent patrem qui incoelis est. (Mal. 5. 6.) Ce n'est
pas un acte de vanité que d'être sainte, mortifiée, observatrice exacte
des règles , fidèle à la prière, à la communion, pour édifier les
autres, mais c'est vu acte de charité très-agréable à Dieu.
V. Tâchez d'aider les autres par
vos paroles et par vos œuvres, et surtout par vos prières. Toutes les
épouses de Jésus-Christ doivent être jalouses dé son honneur comme
il le dit lui-même à Ste.-Thérèse : A l'avenir, vous prendrez les intérêts
de mon hon-neur comme une véritable épouse, l'einceps ut vera sponsa
meum zeiabis honorem. ( In fest. noct. 2.) Si une épouse de Jésus ne
prend pas sa défense qui la pren-dra? Plusieurs docteurs, appuyés de
l'autorité de St.-Basile, déclarent que la promesse divine, d'exau-cer
ceux qui prient, faite en ces mots : je vous dis en vérité, que si vous
demandez quelque chose à mon père en mon nom, il vous l'accordera, Amen
dico vobis, si quid petieritis patrem in nomine men dabit vobis, (Jo. xiv.lli·
) s'étend jusqu'à ceux pour qui l'on prie, pourvu qu'ils ne s'y opposent
pas directement; ne négligez-donc ja-mais , dans l'oraison générale,
dans l'action de grâce après la communion et dans vos visites au St.-Sacre-ment,
de recommander à Dieu les pauvres pécheurs, les infidèles , les hérétiques
et tous ceux qui vivent sans Dieu. Oh ! qu'il est doux à Jésus d'être
prié par ses épo- .ses pour les pécheurs ! Il dit un jour à la véu»
sœur Séraphine de Capri : Aide-moi, ô ma fille ! à sauver des âmes
par tes prières. H dit à Ste.-Marie-Magde-leine de Pazzi : Vois, ô Magdeleine
! les chrétiens dans les mains du démon. Si mes favoris ne les en tiraient
par leurs prières, les démons les dévoreraient. La sainte disait soti-viii.
aa
338
LA RELIGIEUSE
vent à ses religieuses : Ο mes
sœurs , Dieu ne nous a pas tirées du monde pour prier pour nous seulement,
mais pour que nous priions aussi pour les pécheurs. Elle leur disait encore
: Mes sœurs, nous rendrons compte de toutes les âmes qui se perdent.
Si nous lei avions chaude-dement recommandées à Dieu , peut'êlre qu'elles
ne se se-raient pas damnies. On lit dans sa vie qu'il ne se pas-sait pas
de ioun /qu'elle ne priât pour les pécheurs. Sœur Etienne.de Soncino
iit pendant quarante ans de rudes pénitences pour les pécheurs. Oh !
combien d'âmes sont converties, non par lessermons des prêtres, mais
parles prières des religieux. Dieu révéla à un pré-dicateur que l'effet
qu'il produisait n'était pas dû à son éloquence , mais aux prières
d'un pauvre religieux qui le servait. Priez aussi pour les prêtres, a(i
ι qu'ils travaillent avec un zèle véritable au salut de leurs frères.
■ VJ. Priez pour les âmes du Purgatoire. La charité, comme djt un savant
écrivain , nous obligea prier pour ces sain tes âmes, qui ont toutes
besoin de nos prières. St.-Thojnas nous apprend que la charité chrétienne
s'étend , non-seulement aux vivants , mais même à tous .ceux, qui sont
morts dans la grâce de Dieu. Nous sommes obligés d'aider les vivants
qui ont besoin de n,ous, et même les morts. Les âmes du purgatoire souffrent
de, si grandes peines qu'elles surpassent tou-tes celles de cette vie,
dit le docteur Angélique, et q$es ont d'autant plus besoin de notre secours,
qu'elles ne,,peuvent elles-mêmes s'aider. Un religieux de Ci-tau*, apparut,
après sa. mort, au sacristain de son couvent et lui dit : Aidez-moi par
vos prières, car les mipnues. spnisans valeur. ( Hist, de Tord. ) Tous
les fidèles doivent aider ces saintes âmes, mais surtout les religieuses
que Dieu n'a renfermées dans les cou- qu'à cet effet. Ne néglige* donc
jaunis dere
SAHCTIMBE.
53'g
commandera Dieu, dans vos prières,
ces âmes embra-sées qui implorent vos secours. Faites pour elles quel-ques
jeûnes et quelques mortifications. Offrez-leurles messes que vous entendez,
et elles-mêmes en' retour vous obtiendront de grandes grâces du Seigneur,
quand elles seront montées au ciel.
VII. Vous avez pu voir, partout
cequenousavonsidit, combien la vertu de la charité est utile pour vous
ren-dre sainte, et même pour votis sauver. Exercez-la en-vers votre prochain,
et surtout envers vos soeurs. Si vous viviez dans un désert, cette vertu
ne vous serait pas aussi nécessaire. Pour devenir sainte, il suffirait
alors que vous fissiez des oraisons et des pénitences. Mais, vivant dans
le couvent, en compagnie de tant de sœurs,si vous n'avez beaucoup de charité,
vous com-mettrez chaque jour millepéchés,et peut-être vous vous perdrez.
Qu'un vaisseau coureia pleine mer, pendant une grande tempête, les passagers
ne songent qu'a s'aider les uns les autres pour éviter le naufrage. Sup-posez
que votre couvent est un navire où vous devez toutes vous entr'aider pour
éviter le naufrige de la mort éternelle et aborder au port du salut.
VIII. Exercez surtout votre charité
envers v»\s sœurs malades, qu'elles soient sœurs de chœur ou converses.
Le P. Torres avait coutume da dire : Pour savoir si l'esprit de Dieu réside
dans un couvent ? demandez comment les malades y sont traités. Lorsqu'il
était supé-rieur, et que ses religieux manquaient de charité en-vers
les malades , il les punissait sévèrement. Oh ! combien on se rend cher
à Dieu en visitant les mala-des ! Toute religieuse qui aspire à la perfection
n'y parvient le plus souvent que dans le chœur ou dans l'infirmerie. Ste.-Marie-Magdeleine
de Pazzi, même quand elle n'y .était pas obligée, s'occupait sans cesse
34θ
LA RELIGIEUSE
à soigner les malades, et disait
qu'elle aurait voulu être toujours dans unhôpital pourremplir un devoir
si cher à Dieu. On acquiert plus de mérites à servir les ma-lades que
les bien portants, parce que les malades ont plus besoin de nos soins;
quelquefois les autres les abandonnent; ils sont assaillis de mille douleurs,
de mille craintes.Ohîqu'il est beau de les consoler et de sou-lager leurs
peines. C'est plus méritoire, parce qu'il est plus fatiguant de les servir,
et que leurs chambres ex-halent un mauvais air ; ô ma sœur, ne négligez
jamais l'occasion de visiter les malades et de les soigner, fus-sent-elles
les dernières du couvent. Soignez-les de préférence, parce qu'ordinairement
on les néglige. Consolez-les, servez-les, offrez-lear quelque présents,
ne cherchez pas des remerciemens; supportez leurs impatiences et leurs
grossièretés.Plus vous serez douce avec elles , plus Dieu vous aimera.
On raconte, dans les chroniques des Théréfiennes, que la mère sœur
Isabelle des Anges, fut vue montant au ciel sur l'aile des anges, entourée
de lumière; elle dit à celle à qui elle apparut, que Dieu ne l'avait
enrichie de tant de gloire, que parce qu'elle avait soigné les malades.
IX. Je vous recommande surtout la
charité envers vos ennemis. Je suis bonne arec celles qui se conduisent
bien d mon égard , dites-vous, mais je ne puis supporter la grossièreté
et l'ingratitude. Mais les infidèles même, dit Jésus-Christ, sont reconnaissants
envers ceux qui leur fDnt du bien. La vertu d'un chrétien consiste à
aimer son prochain, et à faire du bien à ceux qui lui font du mal. Moi
je vous dis, et c'est Jésus-Christ qui parle, aimez vos ennemis, faites
du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécu-tent
et voue calomnient. Ego autem dico tiobit -, diligite
SANCTIFIEE.
341
inimicos vestros, benefacite his
qui oderunt vos el orate pro persequentibus et calumniantibus vos. ( Mat.
ν. Ιύ· ) Qu'il est horrible de voir certaines religieuses· qui font
chaque jour leurs oraisons, qui communient souvent, nourrir une haine invétérée
contre leurs sœurs, et ne pas rougir de la montrer ! Quand on parle de
leur en-nemie , elles cherchert à la décrier '; quand elles la rencontrent,
elles ne la saluent pas; quand elle leur parle, elles lui tournent le dos,
mais Dieu aussi leur tourne le dos. De quel œil l'agneau divin verra-t-il
ces tigres furieux ? Malheur à celles qui entretiennent la haine dans
leurs cœurs ! Elles souffriront un double enfer dans le monde et dans
l'autre, car elles seront toujours condamnées à vivre avec celles qu'elles
détes-tent.
Χ. Ο mon pirel dites-vous, cette
sœur est trop inso-lente, elle est insupportable. Mais la charité ne
consiste qu'à souffrir ceux qui sont insupportables. Elle vous dénigre
, elle traverse vos desseins , elle flétrit votre réputation, mais vovis
devez l'ignorer et lui faire au-tant d'amitié que si elle vous aimait.
Parlez-lui avec douceur, et si elle vous boude, soyez la première à la
saluer et tâchez de vaincre sa roideur par votre com-plaisance. Ce n'est
pas là de la lâcheté , c'est de la grandeur d'âme 1 C'est ce qui plaît
à Dieu. Ne m'allé-guez pas qu'elle a toit de se comporter ainsi. Celle
qui ne veut porter de crois, dit Ste.-ïhérèse, que lors-qu'elle l'a
mérité , doit rentrer dans le monde, où elle trouvera bientôt l'occasion
de les mériter. Prati-quez la charité pour plaire à Dieu , dûssiez-vous
en mourir de honte et de fatigues.
. ■■*
XI. Si votre sœur vous a fait quelque
tort positif, vengez-vous , mais comme les saints. Comment se vengeaient
les saints? Écoutez St.-Paulin : Aimer son
542
ΙΊ RELIGIEUSE
ennemi, c'est une vengeance digne
du ciel, Inimicum diligere vindicta cœlestis est : En aimant, en louant,
en servant CPUX qui les avaient haïs, diffamés , persécu-tés. Ste.-
Catherine de Sienne soigna pendant long-temps une femme qui avait attaqué
son honneur, et qui était tombée malade; St.-Acajus vendit ses effets
pour soulager la misère d'un de ses plus grands enne-mis ; St.-Ambroise
fit une pension considérable à nn sicaire chargé de l'assassiner. Venastan,
gouverneur de Toscane, fit couper les mains à l'Évêque St.-Sabin , mais
éprouvant aussitôt une vive douleur aux yeux, il pria le Saint de l'en
guérir; celui-ci prononça une prière, et levant ses bras inondés de
sang, le bé-nit et lui obtint la santé du corps et le salut de l'âme,
car le gouverneur repentant se convertit à la foi. St.-Melèce ( raconte
St.-rJean Chrysostôme ), se trou-vant en yoitureavec le commissaire du
gouvernement, chargé de le conduire en exil, et voyant que le peu-ple
voulait lapider ce commissaire, l'entouia de ses bras, le couvrit de son
corps et lui sauva la rvie. Le P. Segneri raconte ( Qrist. ,istr. p. 1.
dise. 20. ) qu'ïine dame Polonaise, dont le fils unique avait été tué
en duel, reçu et cacha d#ns sa maison l'auteur du meur-tre, que poursuivaient
les sbires; quand le danger îut passé, elle lui dit, puisque.mon fils
n'est plus, vous m'en tiendrez lieu ; prenez cet .argent, fuyez loin d'ici
Cf soustrayez-vous aux pouvantes de la jmttce. Vous allez me, faire observer
que ces personnages sont saints, et que vous n'avez pas lettr courage.
St.-Am-b,roise vousrépond : Si les forces vous manquent, de-mandez-les
à Dieu et il vows les accordera. Si infir-mus a, ora: tt{tpra$ et Lftus
protegit. XII. JDieu, pardonnera à ceux qui ^pardonnent à ennem|s.
Remettez, et il vous,géra remis: Di-
SAHCT1F1ÉE.
343
mittite et dimittemini, ( Luc. vi.
37. ) La Β. Varano, franciscaine, disait : Si je pouvais ressusciter les
morts, je serais moins sûre de plaire à Dieu, que je ne le suis lorsque
j'éprouve le désir de faire du bien à mes persécuteurs. Le Seigneur
dit à la B, Angèie de foli-gno : Le signe le plus certain de mon amour
pour mes serviteurs, c'est l'amour qu'ils portent à leurs enne-mis. Ο
ma sœur ! si vous ne pouvez les servir par vos actions, servez du moins
par vos pi'ières tous ceux qui vous ont ofifensée, comme Aésus-Chnst
vous l'ordonne par ces mots : priez pour vos persécuteurs et mes car lomniateurs.
Orate pro persequentibus et calumniantibus vos. La B. Jeanne de la Croix
priait continuellement pour ses ennemis, de sorte que ses soeurs disaient
: Celui qui veut que la sœur Jeanne prie pour lui, n'a qu'à la maltraiter.
Ste,.-Élisabeth, reine de Hongrie, ayant une fois prié pour quelqu'un
qui l'avait offensée entendit Dieu lui dire : Sache que jamais tu n'as
fait de prière plus méritoire. Elle te fera pardonner tous tes péchés.
Imitez-la, ô ma sœur ! et vous obtiendrez le pardon et l'amour de votee
divin époux.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus, accordez-moi votre
Saint amour l Çaj-tes que je reçoive sans plainte toute sorte d'aiffronts.
Donnez-moi la forcé de me refuser tout ce qui ue vous plaît pas, et de
supporter sans" plainte .tout ce qiji blesse mon amour-propre , les douleurs,
levpiaja-dies, la perte de mes parents, de mes biens, et toutes les croix
que vous m'enverrez. J'accepte tout pe ,-φΐϊ me vient de vous, les peines
de'la- vie et celles de J|a mort. Faites que je ne vive que §>©jW vou»
344
Lk BELICIEl'SE
qu'en mourant je vous fasse avec
joie le sacrifice de ma vie. Ο mon Dieu! vous m'ordonnez de ne pas vous
offenser et j'aimerais mieux mourir, plutôt que de vous offenser encore.
Vous m'ordonnez de vous aimer et je ne veux aimer que vous. Mais je connais
ma fai-blesse; aidez-moi donc toujours de votre grâce,;ne m'abandonnez
pas à moi-même ! Je vous aime, ô mon souverain bien ! et j'espère vous
aimer toujours. Ο Marie, mon espérance et ma mère! obtenez-moi la grâce
d'être fidèle à Dieu et de l'aimer comme le mé-rite un Dieu dont la
bonté est infinie.
CECA PI Τ RE XHÎ.
De la patience en général.
I. Patientia autem opus perfectum
habet ;iLa patience doit être parfaite dans ses œuvres. ( Jac. κ 4.
) La pa-tience est un parfait sacrifice que nous offrons âTKèu, car,
en souffrant nos revers et nos peines, nous n'y mettons rien du nôtre,
sinon d'accepter les croix qu'il nous envoie. Melior est patiens viro foHi.
( Prov.xvi. 32.)L'homme patient est plus estimable que l'homme Courageux.
Tel montrera de la force et du courage !dansl'entrepriseet l'exécutionde
quelque œuvre pieuse qui manquera de résignation dans l'adversité ;
il vau-drait mieux pour lui qu'il fût plus courageux dans les souffrances,
que hardi et persévérant dans les entre-prises. La terre est un lieu
de mérites; elle n'est donc pas tin lieu de repos, mais de travail et
de fatigues ;
SANCTIFIÉE·
545
car les mérites ne -s'acquièrent
point par le repos, mais par les peines et les souffrances. La destinée
de l'homme ici bas , juste ou pécheur, est de souffrir.
» Une chose manque à celuifci
, une autre à celui-là ; tel est noble qui n'est pas riche ; tel au,tre
est riche qui n'est pas noble ; tel autre enfin sera noble, et ri-che,
qui ne jouira point de U santé.Tous, en un myt, sans excepter les lois
«us-mêmes , opt à souffrir; et même les peines de ces derniers augmentent
en raison de, leur élévation sur la terre. Tout notre bie» con-siste
donc à supporter les «poix avec patience. C'est pourquoi le St.-Esprit
npus avertit de ne pas nous rendre semblables aux brutes» qui rugisaent
quand
.elles ne peuvent satisfaire leurs»
penchants : Nohte fierai swui e quas Λ mului quibus non est intellect
u$.(Î ρ.%χχι. 9·) Que sert de noue impatienter dans les revfirs?
Npus ne faisons qu'accroître nos peines. Le bon et le mau-vais larron
moururent en croix dans les mêmes souf-frances, maib le bon larron se
sauva en les supportant
^avec patience ; et le mauvais larron
se da,mna^ par le défaut de résignation, Una eademque tunùo, dit Sj..-Au-gustin,
bonos perducit ad gloriam , malos redegit m favil-lam ; Une m*1 ma peine
conduit les bons au-cie} et les méchants à l'enfer, parce que les uns
la supportent sans se plaindre, et que les autres en murmurent. T , II.
Il arrive souvent que pour fuir une croix qtje Dieu nous envoie, nous en
trouvons une autre plus pesante : Quit timent ι ruinam irruet super toi
nix; dit Job. (vi. 16. ) Ceux quj craignant la pluje seront ao rablés
par la neige. Otez-moi cet emploi, dira telle religieuse , et donnez-K)pi,tputp
aulrecharge. JWaisjelle aura bien plus à souffrir dans,,sp,n,nuuvel emploi,
qy,e dans celui qu'elle a quitté, ou du moins ce j8era ,ayec
,peu ou po\nt,^e mér^.Pour vous,,
tenez, μης)
346
ΙΑ RELIGIEUSE
conduite ; embrassez avec joie les
peines et les tribu-lations que Dieu vous impose; ainsi vous acquerrez
plus de mérites, et vous ne sentirez pas vos croix, ou si vous les sentez,
elles ne vous empêcheront point de jouir d'une paix profonde, sachant
bien que quelque soit votre répugnance à souffrir, c'est néanmoins la
volonté de Dieu. St.-Augustin dit que la vie d'un chrétien doit être
une passion continuelle : Tota christiani vita crux est. ( Serm. xxxi.
de sanct. ) Telle doit être surtout la vie des religieuses qui veulent
de-venir saintes. St.-Grégoire de Pïazianzë dit que les âmes nobles
mettent leurs richesses à être pauvres , leur gloire à être méprisées,
leur joie ii se priver des joies du monde. C'est ce qui fait dire à St.-Jean
Cli-maque que la véritable religieuse est celle qui se fait une continuelle
violence. Et quand finira cette lutte "intérieure? avec la vie, répond
St.-Prosper : Tunc fi-nienda pugna quando succcdet victoria : Alors finira
le combat, quand on obtiendra la victoire du royaume éternel. ( De vilâ
contempl. ) En outre si vous vous souvenez d'avoir offensé Dieu , et si
vous avez un vrai désir de vous sauver, vous devez vous réjouir des pei-nes
que Dieu vous envoie. St.-Jean Chrysostôme dit : Peccatum sanies est,
pmnaferrum_ medicinale , ita peccans si non puniatur, miserrimus est. (
Horn. vi. ad pop. ant. ) Le péché est un abcès de l'âme, et si la tribulation
ne vient, comme le fer du chirurgien, en extraire le pus, l'âme est perdue
; en conséquence le pécheur est bien à plaindre, lorsqu'il ne reçoit
pas sur la terre le châtiment de ses péchés.
III. Comprenez donc bien , dit St.-Augustin,
que quand le Seigneur vous fait souffrir, il le fait en mé-decin , et
que les tribulations qu'il vous envoie ne sont pas la peine de votre condamnation,
mais un
SA.SCT1F1ÉE.
3^7
remède pour votre salut : Intelligat
homo medicum esse Deum, et medicamentum ad salutem, nonpcenamad damna'
tionem. Vous devez donc remercier Dieu quand il vous châtie, parce que
c'est signe qu'il vous aime et qu'il vous adopte pour sa fille. Quem diligit
Dominus castigat , flagellat autem omnem filium quem recipit. (Hebr. 12.
6. ) C'est ce qui fait dire à St.-\ugustin : Gaudes? agnosce patrem blandientem
; tribularis? agnosce patrem emendantem. ( In. ps. 148. ) Êtes-vous heu-reuse
? reconnaissez la main d'un père qui vous ca-resse; êtes-vous malheureuse?
reconnaissez la main d'un père qui vous châtie. \u contraire, ajoute
le même docteur,~«ialheur à vous, si, après vos péchés, Dieu vous
exempte de toute peine en cette vie ? C'est signe qu'il vous exclut du
nombre de ses enfants : Si exceptas es d passione flagellorum, exceptus
es d numero fi-liorum. (Lib. de pas. e. 5. ) Ne dites donc plus,lors-que
vous êtes malheureuse, que Dieu vous a oubliée , dites plutôt que vous
avez oublié vos péchés. Celui qui offense Dieu doit dire avec St.-Bonaventure.
Curre , Domine, curre et vulnera servos luos vulneribus sacris, ne vulneremur
,tiuLneribus mortis. ( Stim. de div. am.c. 3 } Accourez Seigneur, et faites
à vos serviteurs des bles-sures d'amour et de salut, afin qu'ils n'aient
pas à éprouver des blessures de haine et de mort éternelle. IV. Soyons
convaincus que Dieu ne nous envoie pas des croÏKpour nous perdre, mais
pour nous sauver. Si nous ne savons pas en tirer notre profit, c'est notre
faute. St.-Grégoire, expliquant ces paroles d'Ezechiel: Ils sont devemis
pour moi de fer et de plomb dans le fourneau, Facti sunt mihi ferrum et
plumbum in medio for-nacis ( Ez. xxii. 18. ), dit : ac si dicat purgare
<eos ptr ignem tribulationis volui, ei aurum fieri quœsivi sed in fornace
mihi plumbum verti sunt. J'ai tâché de les convertir en
3/f8
LA RELIGIEUSE
or par le feu cuisant de la douleur,
mais je n'ai plus trouvé que du plomb dans le fourneau. Ce sont là ces
pécheurs qui, après avoir mille fois mérité l'enfer, s'irritent et
blasphèment quand la douleur esteuisante, et traitent Dieu de tyran Seigneur,
disentails, je. ne suis pas le seul qui TOUS aie offensé; pourquoi ne
vous en prenez-vous qu'à mai? Je suis trop faible pour porter une croix
si lourde. Malheureux ! que dis-tu ? Tu dis : je ne suis pas le seul qwi
vous:aie offensé! Si Dieu veut user de clé-mence avec lesaufres, laisse-le
faire; leur tour vien-dra aussi.· Ignores-tu que le plus terrible châtiment
de Dieu.pour les,pécheurs est de ne pas les punir en ce. monde, comme
il nous l'apprend par la bovJche d'JÉzé-chiel : Recessit zelus meus à
te), ultra non irascar tibi. (XYI. ll'l.) Je n'ai plus de zèle pour ton
âme; jene m'irri-terai plus contre toi pendant ta vie. Mais, dit St.-Ber-.
nard. Tunc magis irascitur Deus, eum non irascitur, volo· irascaris mihi4
palet mkerieordiarum, (Serm. xxxxm. In cant.) Jamais Dieu n'eSt plus irrité
que lorsqu'il ne sévit pas eir colère contre le pécheur et ne le châtie
pas. Delà, le saint s'écriait : Je veux que vous en agis-siez avecinioi
en père miséricordieux et que vous me punissiez demés péchés en ce»
inonde, afin que je sois ainsi ;délivré des peines éternelles. Je n'ai
pas la force, dites-vous, de porter cette croix ; mais si vous ne l'a-vez
pas, cette force, pourquoi;«e la pas demander à Dieu. 11 a promis d'exaucer
tous ceux qui l'invoquent : Petite et dabitur vobis; demandez et il vous
sera donné. (Mat. vu. 7.)
·' V< 0 m*ee&ur! quand le
Seigneur permet que vous tombiez malade, q«e vous perdiez vos parents,
ou qu'on vous persécute, humiliez-vous et dites avec le bon'iarron : nous
recevons ce que nous avons mérité. EHpia facti»>rempimus.l{Luc. xxui;
Al·) Seigneur, je
SANCTIFIÉE.
349
mérite cette croix, parce que je
vous ai offensé. Humi-liez-vous et consolez-vous, parce que si Dieu vous
punit en cette vie, c'est qu'il veut vous pardonner en l'autre. Et hcec
mihi sit consolatio (dit Job), ut affligetis me dolo-re non parcat, (vi.
10.) Je ne veux d'autre consolation que ma douleur, Seigneur! frappez-moi
en ce monde* mais pardonnez-moi dans l'autre. Quand on a mérité l'enfer,
comment ose-rt-on se plaindre des croix qu'on reçoit de Dieu ? Si l'on
ne devait souffrir que de légères douleurs dans l'enfer 1 efciencore,
comme cette peine devrait être éternelle, nous devrions lui préférerurlô
peine temporelle qui doit finir, mais dans l'enfer toutes les péirtès'
sont réunies, elles sont infinies et éternelles. Bien» que vous ayez
conservé'votre inno-cence baptismale, vous auriezau moins mérité de
faire un'long purgatoire. Oï, sachez bien ce que c'est que cette peine.
St.-Thomas (In. iv. Sent. dist. xxi. ) dit que les âmes du purgatoire
sont tourmentées par le même feu que lés damnés. Là-dessus, Sl.-Augustin
remarque que ce feu est plus douloureux que toutes les peines delà vie.
Gravior erit illi ignis quamquoHqiiod potest homo pntiin hae vita. (In
Ps. xxxvn. ) RéjoUissezi vous donc d'être punie dans cette vie plutôt
que dans l'autre; car si vous recevez vos croix.avec patience dans cette
vie, vous souffrirez avec méritévau lieu que dans l'autre vous souffririez
davantage et sans mérite; VI. Que l'idée du Paradis votis console dans
vos dou1 leurs.LeB. Joseph Calasanze disait que,!.pour*gagner le paradis,
toute peine et toute fatigue sont'peude choses. L'apôtre L'avait dit auparavant
r Non sunt con-dignœ passiones hujus temporis ad futuram gloriam' <qùœ
rê-ve labitur in nobis. Les souffrances de la vieprésénte'il'ònt pas
de proportion avec cette gloire quiserauta jour dé'·1 couverte en noua.
(fiom. vin. 18.) Ce seratt:peu'de
35θ
LA BELIGIEV'SE
souffrir toutes les peines du monde
pour jouir un seul instant du Paradis. Combien plus devons-nous em-brasser
les croix que l'on nous impose, sachant qu'une légère souffrance ici
bas doit nous procurer une féli-cité éternelle ! Momentaneum et levé
tribulationis nostrce aternum gloria pondus operatur innobis. (2. Cor.
iv. 17. ) Ne nous attristons pas, consolons-nous plutôt quand Dieu nous
accable de souffrance. Celui qui meurt avec le plus de mérites aura la
plus grande récompense, et c'est pour cela que le Seigneur nous envoie
des tribu-lations. Les vertus, qui sont la source des mérites, ne s'exercent
que par les acles qui leur sont propres. Celui qui aie plus d'occasions-de
se fâcher fait le plus d'actes de patience; celui qui reçoit le plus
d'injures, fait le plus d'actes de douceur; aussi, dit St.-Jacques, Beatus
qui suffert tentationem quoniam cum probatas fuerit accipiet coronam vilce.
( Jac. vi. 12.) Heureux celui qui sup-porte en paix ses peines ; car, après
avoir été éprouvé ainsi, il recevra la couronne de la vie éternelle.
VII. St.-Agapyte, jeune martyr de
quinze ans,s'écria, lorsque le tyran lui fit couvrir la tête de charbons
ar-dents : Qu'importe qu'on brûle cette tête qui doit être cou-ronnée
de gloire dans le ciel. Job disait : Si bona suscepimus de manu Domini
cur non mala? nous avons reçu avec joie de la main de Dieu toute sorte
de biens, pourquoi n'en recevrions-nous pas aussi toutes sortes de maxix,
qui nous feront-acquérir les biens éternels du paradis ? Un soldat, ayant
rencontré dans un bois un ermite tellement couvert de plaies que ses chairs
tombaient en lambeaux, et qui cependant chantait, lui demanda si c'était
bien lui dont les chants l'avaient frappé ? Oui, répondit-il, je chante
parce qu'il n'y a pins entre Dieu et moi d'autre barrière que mon corps
; je chaule parce qu'il tombe en ruine et que l'heure s'approche
.
351
où je verrai le Seigneur. — (In
spec. Exemp. dist. ix. ex. 139)St. -Françoisd'Assises disait: Le bien
'lue/attendi est si graîid que toute peine me réjouit. Les saints se
plai-sent à être malheureux en cette vie et s'affligent quand ils sont
heureux. On raconte , dans les chroniques de l'ordre de Ste.-rThérèse,
que lorsque la sœur Isabelle des Anges prononçait ces mots de l'office
: Quando con-solaberis me, quand est-ce que vous me consolerez? (Ps. cxvm.
82.) elle les disait avec tant de précipi-tation qu'elle devançait les
autres sœurs. Interrogée pourquoi elle en agissait ainsi, je crains,
répondit-ellej que Dieu ne me console en cette vie.
VIII. Les tribulations qu'on éprouve
en cette vie sont \ un signe de prédestinati«n. Electorum (dit St.-Gré-goire)
hic est conteri quibus servatur de œternitate gaudere (Lib. xvi. Marc.
17.) H n'y a que les élus qui soient dans l'affliction ici-bas, parce
que le bonheur éter-nel leur est réservé ; c'est pour cela que nous
lisons dans la vie des sainls qu'ils ont tous été accablés de croix
sur la terre. C'est ce qu'écrivit St.-Jérôme à la Vierge Eustochium
; Quœreet invenies singulos sanctos ad-versa perpessos. Solus Salomon
in deliciis fuit et idto for-sitan corruit. (Ep^ 22.) Cherchez et vous
verrez que tous les saints ont vécu dans la tribulation ; Salomon seul
a vécu dans les plaisirs, et c'est peut-être pour cela, dit le Saint,
qu'il se damna. L'apôtre dit que tous tes prédestinés doivent être
semblables à Jésxis-Christ. Quos prœscil et prœdestinavit conformes
fieri imaginis filii sui. Ceux qu'il a connus dans sa prescience éternelle,
il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son (ils.
(Rom. vin. 29.) Mais la vie de Jésus-Christ fut une souffrance continuelle
; donc, dit St.-Paul, si tamen compatimur ut et glorificemur, (Rom. vin.
17.) si
35a
LÀ BELIClEtlSË
nous souffrons avec JéSus-Christ,
nous serons glorifiés avec Jésus-Christ.
I&. Mais j'entends si nous souffrons
avec patience comme le Sauveur, cum malediceretur non maledi-éebat, cum
pateretur non comminabatur; qui ne maudis-sait point lorsqu'il était maudit,
et qui ne faisait pas de menaces lorsqu'on le maltraitait. (1 Pët. π.
23.) St.-Grégoire dit que c'est un signe de prédestination que de souffrir
avec patience et que c'est un signe de damnation que de souffrir avec impatience.
Le Sei-grteur'nous prévient que nous ne ferons notre salut qu'en souffrant
avec patience. Inpatientid vestra posside-bitis animas vestras. (Luc. xxi.
19.) Soyons convaincus que Dieu ne nous afflige que pour notre bien. Il
tâ-che ainsi de nous détacher des plaisirs de ce monde, qui peuvent nous
faire perdre le salut éternel. St.-Au-gustin a dit : Amarus est mundus
et diligitur ;"pula, sidul^-cis esset, qualiter ameretur. (Serm. de Temp.)
Le monde est si amer, que toutes ses délices ne peuvent rassasier notre
âme, et n'y laissent en passant que dégoûts et remords; cependant on
l'aime; que serait-ce, dit le Saint, si le monde était doux?Nous aimerions
tant ses vils plaisirs, que nous oublierions à jamais le paradis et Dieu.
La mère qui veut sevrer son nourrisson met du fiel à ses mamelles. Dieu
en agit de la sorte à notre égard; il rend amers les plaisirs de ce monde,
afin que notis les fuyons et que nous nous attachions aux plai-sirs éternels
dont la source est au ciel. Le Sawveur ne descendit sur la terre que pour
souffrir et que pour que son exemple nous excitât à l'imiter. Christus
passus est pro nobis; vobis relinquens exemplum ut sequamini ves-tigia
ejus. (1 Petr. ii. 21.) Il nous appelle à le suivre : Si quisvult post
ine venire abneget semetipsum, tollat crucem suam et sequatur me ( Mat.
xvi. 24 ) ; comme s'il disait :
BANCTHIEE.
cehii qni ne veut pas souffrir et
qui refuse la croix, ne peut prétendre à être mon disciple, ni à m;
suivre au paradis.
X. Mais le but le plus noble que
se propose une âme qui aime Dieu, en embrassant la souffrance^c'est de
plaire à Dieu. L'ecclésiastique a dit que quelques-uns ne sont nos amis
que dans la prospérité et nous abandonnent dans le malheur : Est enim
amicus secun-dum tempus suum, et non permanebit in die tr ib "lationes.
(vi. 8.) Mais la plus belle preuve d'amour est de souffrir volontiers pour
la personne qu'on aime; le sacrifice le plus cher à Dieu est d'embrasser
avec patience toutes les croix qu'il nous envoie. Caritas paûens est,
omnia suffert.' (ι. Cor. xin. Ιχ.) L'imour sxipporle tout, croix extérieures,
perte de la santt'·, des biens, de l'hon-neur, des parents, des amis;
croix intérieures, an-goisses, tentations, douleurs, désolations d'esprit.
La patience éprouve la vertu. Aussi est-il souvent question, dans les
vies des Saints, de leur patience dans l'adver-sité. Le démon nous tente
et Dieu aussi; mais le dé-mon nous lente pour nous perdre et Dieu pour
nous éprouver. Tanquam aurum in fornace probabit illos. (Sap. in. 6.)
Comme on éprouve l'or avec le feu, Dieu éprowVe votreamou!· avec le
feu des tribulations. Ainsi, quand une âme est affligée, c'est qu'elle
est chère à Dieu : Quin acivptus eras Deo, necesse fuit at Untniio pro*·
baret te, ainsi dît l'Angeà Tobie. (Tob. i. 13.) St.-Jean Chrysostôme
dit que lorsque le Seigneur nous envoie quelque peine, il nous fait une
grâce plus grande que s'il nous donnait le pouvoir de ressusciter des
morts : Quando Deus dat alicui ut mortuos resuscitet minus dat quiim cum
occasionem patiendi. Il en donne cette raison que lorsque nous faisons
des miracles, nous sommes les débiteurs de Dieu, mais que lorsque nous
suppor-vni.
u3
354
LA RELIGIEUSE
tons nos peines avec patience, c'est
Dieu qui est notre débiteur. Pro miraculis enim debitor sum Deo , et pro
pa-tientia debitorem fiabeo Christum.
XI. Quand on regarde le crucifix
et qu'on voit un Die» mortau milieud'un oeéande douleursetde mé-pris,
comment est-il possible, si on l'aime, qu'on ne supporte paSjVolontiers,
et même avec joie, toutes espèces de peines pour son amour ? Ste.-Marie-Mag-deleine
de Pazzi disait : β Toutes les peines sont dou-ces quand on yoit Jésus
en croix. » Juste-Lipse étant un jour tourmenté par de grandes douleurs,
un de ses amis tâchait de l'engager à souffrir avec courage en lui rappelant
la patience des stoïciens; mais Juste regar-da le crucifix et dit : «Voilà
la vraie patience. » Gmta ignominia crucis, disait St.-Bernard, ei qui
crucifixo ingratus non est. (Serm. xxv. in Gant.) Toutes les dou-leurs
et les injures sont légères à qui aime le Cru-cifix. Ste.-Afra, épouse
de St.-Éléazar, lui ayant de-mandé comment il pouvait supporter les
injures de la populace sans s'en ressentir, répondit : «Ne pense pas
que j'y sois insensible, mais je tourne les yeux vers le crucifix et je
ne cesse de le regarder que lorsque je suis «aime. L'amour, dit St.-Augustin,
rend tout fa-cile. Omnia facilia caritati. ( de Nat. ικίχ. ) Ste.-Catherine
de Gênes disait que depuis qu'elle avait été embrasée del'amour divin,
elle ne savait pas ce que c'é-tait qrfe lesisouffrances, quoiqu'elle en
fût accablée, car elle pensait qu'elles lui étaient envoyées par celui
qui l'aimait tant. Il y avait un bon jésuite qui, lorsque Dieu le visitait
par quelques douleurs , quelque per-sécution se demandait à lui-même,
dis-moi, douleur, maladie, persécution, qui t'envoie ? Est-ce Dieu ? Sois
la bien-venue, r-, Et.U/Hait toujours en paix. XÏI. Concluo ne ,
Puisque bon gré mal gré il faut
SANCTIFIÉE.
555
souffrir en eette vie, tâchoe s
de souffrir avec mérite; c'est-à-dire avec patience.' La patience est
un bouclier qui nous défend contre toutes les peines que nous croisent
les persécutions, les maladies et nosiautres misère?. Celui qui est privé
de ce bouclier est attaqué de toutes ces peines. Demandons
donc au Seigneur cette patience : sans la demander nous ne l'obtiendrons
pas. Quand nous tombons dans le malheur, tâchons de ne pas nous échapper
en paroles d'impatience ou de plainte* Quand on couvre le feu qui brûledans
un fourneau il s'éteint. Je donnerai aux vainqueurs une manne cachée.
Vincentibus· dabo manna absconditum. (Αρ. II. 27.) Quand nous embrassons
sans murmure les croix que Dieu nous envoie que de douceurs nous éprouvons
dans le sein même de nos douleurs !' Dou-ceur inconnue aux mondains et
qui est réservée aux amis du Seigneur. St.-Augustin disait : II
est plus doux de jouir d'une bonne conscience aμ milieu des douleurs que
d'en1 avoir une mauvaise au milieu dés délices. ■ Jucundiés est gaudere
de bona conscientia inter molestiae quam de ma,lâ conscientia inter delicias,
(de Can-teen, rud. c. τι. ) St.-Thérèse disait :
J'ai éprouvé plusieurs foisique si je me décide fermement à faire une
chose Dieu me fait trouver du plaisir à l'exécute*. Il veut que "l'âmesoit
craintive d'abord, afin qjiv'elle mérite davantage.
XIII. Celui qui se résout à-souffrir
powr Dieu Cesse de souffrir. Lisons les^ies des'saints et nous verrons
que tous ont été désireux" de' souffrir. Ste .-Gertrude disait qu'elletétait
si contente dans la souffrance qu'elle était au désespoir quand elle
n'en avait pas. St«.-Thérèse disait qu'elle n'aurait pas pu vivre sânis
sonf-frir, ce qui la'faisait s'écrier : « Ou souffrir ou mou-rir. »
Ste:-Marie-«Magdeleine de Paz2i disait rSoufffir et
356
LA RELIGIEUSE
ne pas mourir. · St.-Procope, martyr,
quand le tyran fit préparer de nouvelles tortures, luidit: Tourmente-moi
tant que tu voudras, et sache que pour celui qui aime Jésus-Christ, il
n'y a rien d.2 plus agréable que de souffrir pour lui.(Ap.8. Sur. Jul.)
St.-Gordien,selon St.-Basile, menacé de grands supplices s'il nn reniait
Jésus-Christ, répondit : Je suis fâché de ne pouvoir mourir qu'une
seule fois pour Jésus-Christ et il mou-rut courageusement.Ste.-Potamienne,vierge,(Ap.Poll.
c. J. ) dit au tyran qui la menaçait de la faire mourir dans une chaudière
de poix bouillante : Je te prie de me plonger dans cette chaudière peu
à peu afin que je souffre davantage pour l'amour du Christ. Le tyrau la
traita selon sa demande , de sorte que la poix arri-vant par degrés jusqu'à
son cou l'étouffa. On connaît la mort de ces trois vierges, ( Baronius
an. cxxu. ) appelées Foi, Espérance et Charité, qui, menacées de la
mort par Antiochus, si elles ne reniaient pas le Christ, répondirent :
Ignores-tu qu'il n'y arien de plus doux à un chrétien que de souffrir
pour Jésus-Christ? Ste.-Foi fut d'abord flagellée, puis on lui coupa
les mamelles, puis on l'exposa au feu, et enfin on la dé- , capita. Ste.-Espérance
fut d'abord fouettée à coups de nerfs de bœuf, puis on lui déchira
les côtes avec des peignes de fer, et enfin on la plongea dans une chaudière
de poix bouillante. Ste.-Charité était la plus jeune; elle n'avait que
neuf ans; le tyran espérant la vaincre par la vue des supplices, lui dit
: Soyez sage si vous ne voulez pas mourir comme vos sœurs. Elle répondit
; Tu te trompes, Antiochus, tous tes tour-ments ne me feront pas renier
Jésus-Christ. Le ty-ran la fit attacher à une corde, et la laissant ensuite
tomber de haut,après plusieurs secousses douloureuses, il disloqua tous
ses os et ses membres. Enfin on lui
SANCTIFIEE
357
perça tout le corps avec des fers
aigus, et cette sainte jeune -vierge expira ainsi au milieu de. ces tourmens.
XIV. Rapportons des exemples plus
modernes. Au Japon,une femme mariée, nommée Maxence, fut mise à la torture;
un des bourreaux voulant diminuer ses douleurs, elle s'y refusa. Comme
elle continuait à confesser la foi, un soldat lui mit deux lois le sabre
sur la gorge pour l'effrayer. Comment crois-tu m'ef-frayer, dit-elle, par
une mort que je désire ? Le seul moyen de me faire peur, c'est de me laisser
la vie. Eten disant ces mots elle tendit la tête au bourreau qu'il la
lui trancha aussitôt. Le P. Jean B. Maciado,de la Com-pagnie de Jésus,
fut mis en Chine dans une prison si humide et si incommode que pendant
40 jours il ne put goûter un instant de repos. Cependant il écrivit de
là ces mots à un autre religieux : Ο mon Père, je suis si content de
ma position , que je ne la change-rais pas contre celle des premiers potentats
de la terre. Le P. Charles Spinola écrivit également de sa prison, où
il souffrait beaucoup : » Oh ! qu'il est doux de souf-frir pour Jésus-Christ.
J'ai déjà reçu la nouvelle de ma condamnation. Je vous prie de remercier
la bonté di-vine du présent qu'elle me l'ait.» Π signa ainsi : «Char-les
Spinola , condamné pour Jésus-Christ.» Per de temps après il fut brûlé
à petit feu. On raconte que lorsqu'il fut attaché au poteau il entonna
le Psaume : Laudate Dominum omnes gentes, et mourut en chantant.
XV. Mais, direz-vous, comment ces
martyrs pou-vaient-ils souffrir avec tant de joie. N'élaient-ils pas de
chair comme nous ? Le Seigneur les avait-il ren-dus insensibles à la douleur?
Non , dit St.-Bernard : A on hoc facit stupor, sed amor; non deest dolor
sed su-peratur, sed contemnitur. (Serm. 61.) Ce n'était pas par insensibilité
qu'ils souffraient avec tant de joie, o'é-
358
Ik RELIGIEUSE
tait par amour pour Jésus; la douleur
existait maie ils la bravaient et la méprisaient pour Jésus-Christ. Le
Père Durazzo, Jésuite, disait : Quoique Dieu nous coûte, il n'est jamais
cher. Le B. Joseph Calasanze disait que l'on ne sait pas gagner Jésus-Christ
si on ne sait pas souffrir pour lui et que les âmes qni com-prennent la
langage de l'amour trouvent leur bon-heurdansla douleur.
PRIÈRE.
Ο JésSus crucifié, que de peines
et d'outrages vous avez soufferts pour moi! VOTIS êtes mort pour obtenir
mon cœur, et j'ai, perdu votre amour pour suivre mes caprices. Ayez pitié
de moi, pardonnez-moi, que votre miséricorde soit bénie, Seigneur, qui
m'avez sup-portée si long temp» avec patience. Je nz vous, aimais pas
alors, et je ne cherchais pas à être aimée de vous. Maintenant je vous
aime de tout mon cœur et la plus gramle de mes peines c'est de vous avoir
offensé, vous qui m'avez tant aimée. Oui, c'est lama peine la plus cruelle,
.mais cette peine que j'éprouve.me console en me faisant espérer que
vousm'avez déjà pardonné. Qhl fussé-je morte avant de vous offenser
! Ο mon Dieu ! si parle passé je ne vous ai pas aimé, maintenant je
me consacre, toute à vous. Je veux tout abandonner pour n'aîmerque vous
, ô mon Sauveur, digne, d'un amour infini. Je vous ai assez offensé jusqu'ici.
Je consacre le reste de mes jours à vous servir. Dites-moi ce que vous
voulez que je fasse, rien ne me sera difficile. Je vous aime, ô mon Rédempteur,
et pour votre amour j'accepte toutes les croix qu'il vous pia»a ^e m'en
voyer. Marie,, aidez-moi de votre intercession je me confie eu vous..
SANCTIFIEE.
35g
§. II.
De la patience dans les maladies,
la patiTreté, les mépris et les afflictions.
I. Il faut en premier lieu pratiquer
la patience daps les maladies. Les maladies sont la pierre de touche qui
montre si vous êtes or ου plomb. Quelques religieuses, tant qu'elles
sont bien-portajates , sont gaies, patien-tes et dévotes, mais lorsqu'elles
sont visitées par,quel-que maladies elle commettrait mille péchés et
sem-blent inconsolables.Elles perdent la patience avec tout le monde, même
avec celles qui les soignent. ,par cha-rité, elles se désolent de la
moindre douleur ou de la moindre incommodité qu'elles souffrent. Elles
se plai-gnent de tout le monde, du médecin, de-leur supé-rieure et de
l'infirmière ; elles disentqu'on les néglige et qu'on ne les soigne pas,,
L'or pur se change §n plomb vil. «Quoi, dites-vous,· mon Dieu, }e souffre
horriblement et vous voulez ni'empêcher de me plain-dre? Je ne vous défends,
pas de parler de, vos souf-frances quand elles sont fortes; mais, quand
elles sont légères, c'est faiblesse que de vous, en plaindre, avec toutes
les sœurs et de vouloir que toutes y compatis-sent. Si les remèdes ne
ν o*is. délivrent pas de vos douleurs, ne vous impatientez pas; résignez-vous
à la volonté de Dieu. Une autre m'objecte : « Mais où est la charité?
Mes sœurs m'ont abandonnée dans ce lit de douleur.» Pauvre malade, je
vous plains, non à cause des maux que vous souffrez, mais à cause de
votre impatience qui vous rend doublement malade de corps et d'âme. Vos
sœurs vous ont oubliée, ffiais vous allez oublier Jésus-Christ qui mourut
pour vous svy la
36θ
LA RELIGIEUSE
croix. Que sert de vous plaindre
de celle-ci et de celle-là ; ne vous plaignez que de vous-même qui aimez
si peu Jésus-Chrisl et avez RI peu de patiente. Le B. Jo-seph Calasanze
disait : « Si les malades étaient pa-tiens ils ne gémiraient plus.»
Salvicn dit que beaucoup de personnes ne pourraient être saintes, si elles
jouis-saient d'une bonne .«anté. Si fortes fuerint, sancti esse non possent.
( Lib. ι. de gub. Dei. ) On lit dans les vies des saintes que presque
toutes étaient infirmesef percluses. St.-Thérèse, pendant 40 ans, n'eut
pasuu jour de répit. Salvien ajoute que les personnes consacrées à Jé.sus-Christ
sont malades et veulent l'être toujours. Humi-fies Christo dediti infirmi
sunt et volunt esse. ( Loc. cit. ) II. Due autre dit : «Je ne me plains
pas d'être ma-lade, mais je regrette de ne pouvoir communier ni al-ler
au chœur, ni faire mes oraisons, et en outre je suis à charge au couvent.»
Jevous réponds : pourquoi vou-lez-vous aller 'ijre l'office au chœur
et aller commu-nier? Pour plaire à Dieu? Bien; mais si Dieu aime mieux
que vous 11'alliez ni au chœur, ni à l'église et que vous restiez à
souffrir ici, pourquoi vous désoler? Le P. Avila (Ep. H. ) écrit ainsi
à un prêtre malade : Mon ami, ne comptez pas ce que vous feriez si vous
étiez bien portant; mais contentez-vous d'etre ma-lade, tant qu'il plaira
à Dieu. Si vous aimez la volonté de Dieu que vous importe d'être malade
ou bien por-tant ? Au contraire, disait St.-François de Sales, on sert
mieux le Seigneur en souffrant qu'en priant. Vous dites que vous ne pouvez
pas faire d'oraisons. Pour-quoi cela ? Je conviens que vous ne poivrez
pas médi-ter; mais ne pouvez-vous pas regarder le crucifix et lui offrir
les peines que vous souffrez? Quelle plus belle oraison que de souffrir
et de vous résigner a la volonté divine , mêlant vos douleurs à celles·
de Jiisus-thrist,
SANCTIFIÉE.
361
pour les offrir à Dieu? Vous dites
que vous êtes inu-tile et à charge au couvenl. Mais comme vous vous conformez
à la volonté de Dieu, vous devez croire que vos sœurs aussi s'y conformeront,
sachant que c'est lui qui vous a fait.tomber malade. Vos plaintes ne viennent
pas do l'amour pour le Seigneur, mais de l'amour-propre, parce que vous
voudriez servir Dieu, non selon sa volonté mais selon la vôtre.
III. Allons ! recevez avec joie
toutes les maladies que Dieu vous envoie, si vous voulez lui plaire et
édifier vos soeurs. Oh ! quelle est édifiante, cette religieuse, qui,
au milieu de ses souffrances et .même à l'ins-tant de la mort, conserve
un front calme, ne se plaint ni des médecins, ni de ses compagnes, mais
les re-mercie de leurs soins, et reçoit avec reconnaissance les remèdes
qu'on lui donne,quelqu'amers qu'ils soient. Ste-Liduvine , dit Surius,
resta 38 ans étendue sur une planche, couverte de plaies, rongée de douleurs,
et ne se plaignit jamais. La B.Humilienne de Florence, franciscaine, infectée
de plusieurs maladies doulou-reuses, levait les mains au ciel en s'écriant
: Soyez béni, Seigneur, soyez béni! Ste.-Claire fut 28 ans malade, et
jamais ne laissa échapper un gémissement. St.-Théo-dore eut pendant
toute sa vie une large plaie sur le ventre ; il disaitque le Seigneur la
lui laissait pour qu'il pût l'en remercier sans cesse. (Sur. xxn. apri.)
Quand nous souffrons quelque douleur, jetons les yeux sur tant de martyrs
à qui on déchira ou on brûla les chairs avec des ongles de cuivre ou
de fers ardents ; comme eux, offrons à Dieu nos tourments. Il faut être
aussi pa-tient dans les excès du froid et du chaud que dans les maladies.
Souvent on se plaint en hiver ou en été de ce qu'on manque d'un habit
ou d'un rafraîchissement
56.·>
tA RELIGIEUSE
Ne faites pas ainsi; bénissez les
saisons et dites avec Daniel : Benedicite ignis et ceslus Domino ; benedicite
gela et frigus Domino. ( m. v. 66 et 68. ) Bénissez le Sei-gneur, feu
et chaleur; bénissez le Seigneur', gelée et froid.
IV. Recevons la mort avec patience,
si notre heure est venue. Qu'est-ce que la vie sinon une continuelle tempête
qui, à chaque instant, nous met en danger de nous perdre. St.-Louis de
Gonzague mourut à la fleur dé ses jours; il disait à ses derniers moments
: Je suis maintenant dans la grâce de Dieu : plus tard je ne sais ce que
je serais devenu. Je quitte le monde sans re-gret, puisqu'il plaît à
Dieu de m'appeler dans l'autre vie. Mais, dites-vous, St.-Louis- était
saint, moi je ne suie qu'une pauvre pécheresse. Le père Avila vous répond
que touj ceux qui sont en bonne disposition doivent désirer la mort pour
éviter le danger où l'on est tou-jours de perdre la grâce de Dieu. Qu'il
est doux de se ■mettre, par une bonne mort, hors de danger de perdre
Dieu ! Mais, répondez-vous, jusquà ce jour je n'ai rien fait pour mon
âme. Je voudrais vivre pour faire quel-que chose avant ma mort. Mais si
Dieu vous appelle maintenant à lui, qui vous assure que vous ne feriez
paspire qu'auparavant, si vous restiez dans ce monde? Quoiqu'il en soit,
nous devons embrasser la mort avec calme quand elle arrive, parce qu'elle
nous délivre du péché. Personne en ce monde n'est exempt de pé-ohé.
St.-Bernard a dit : Car vitam desideramus in quâ quanto amplius vivimus
tanto plus peccamus. ( Med. cap. Via. ) Pourquoi désirons-nous de vivre,
sachant que plus nos jours se multiplient plus nous multiplions nos fautes
? Si BOUS aimons Dieu, nous devons brûler du désir de le voir et d'aller
jouir de sa présence dans le ciel. Mais si la mort ne nous ouvre la porte
du ciel
SANCTIFIÉE.
563
nous n'y pouvons entrer. St.-Augustin
s'écriait : Ego moriar, Domine, ut te videam. Seigneur, faites-moi mou-rir
afin que fc puisse vous voir.
V. En second lieu, il faut prendre
patience dans les incommodités de la pauvreté, quand on est dépourvu
des biens temporels. Qu'est-ce qui peut suffire à celui àqui Dieu ne
suffit pas? Quid tibi sufficit, cui Dens non sufficit: Qui possède Dieu
possède tout. Il peut dire alors : JV1 on Dieu est mon tout. Dens meus
et omnia. L'Apôtre dit que les saints n'ont rien et possèdent tout. Nihil
habentes et omnia possidentes. (ii.Cor.vt.10.) Quand, dans vos maladies,
vous manquez de remèdes et de nourriture, >quand vous manquez de feu en
hiver et de vêtements, dites:. Ο mon Dieu vous me suffisez! et con-solez-vous
ainsi. !.
VI. Supportez de même la
perte de vos parents, de vos biens, dé vos amis. 11 y en a qui, lorsqu'elles
per-dent un livre, une bougie, une médaille, boulever-sent le couvent
ei pleurent de douleur. Si elles per-dent un de leurs parents ou
une de leurs amies, elles sont inconsolables, elles négligent les
oraisons , les communions et deviennent brusques avec tout le monde; elles
s'enferment dans leur cellule, ne veu-lent pas manger et chassent celles
qui viennent les consoler. Est-ce là l'amour que vous portez à
Dieu ? Dieu n'était donc pas votre seul trésor, puisque la perte d'une
de ses créatures vous· a ravi la paix et vous fait oublier Dieu. Que
vous en revient-il de ces plaintes, de cette tristesse? Croyez-vous plaire
à la défunte? Non, vous déplaisez à Dieu et à votre amie. Illui serait
bien plus agréable devoir que vous vous conformez à la volonté divine
et qu'au lieu de pleurer et de crier vous VQUS unissez plus- fortement
à Dieu pour prier pour elle? Quelques larmes répandues sur la tombe
364
LA HELIGIlttSE
d'une amie sont une faiblesse pardonnable
à notre nature, mais les longs gémissements et une trop vive douleur
décèlent uneâme faibleet peuattachée à Dieu. Les véritables religieuses,
lorsqu'elles perdent une per-sonne chérie, ressentent de l'affliction,
mais pensant que telle a été la volonté de Dieu, elles se résignent
et vont en paix prierpour elle. Elles augmentent ensuite le nombre de leurs
oraisons et de leur communions, elles s'unissent davantage avec Dieu, et
raniment leur espérance d'aller un jour la retrouver dans la félicité
du paradis.
VII. D'autres religieuses, qui paraissent
plus dévotes, sont moins affligées de la perte de leurs parents ou de
leurs amies, que de celle de leur directeur. Elles disent que Dieu les
a abandonnées en les privant de leur guide spirituel. Quelle folie ! C'est
Dieu et non pas notre confesseur qui doit nous rendre saints. Dieu veut
que nous ayons un directeur pour nous faire savoir par sa bouche ce qu'il
exige de nous ; mais quand il nous l'en-lève, c'est à lui de nous en
trouver un autre ou d'y suppléer comme il l'entendra. Quand notre directeur
nous manque, c'est une imperfection que de nous plaindre, car ces plaintes
ne peuvent venir que d'une attache trop naturelle, ou d'un défaut de confiance
en Dieu. Ο ma sœur! si vous avez un directeur, ne vous attachez pas à
lui, soyez toujours prête aie quit-ter, dès que Dieu le voudra. Et s'il
vous abandonne de lui-même, ou si la mort vous l'enlève, dites avec Job
: le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a en-levé : que son
saint nom soit béni. Dominas dedit, Do-minus abstulit, iit nomen Domini
benedictum. Conformez-vous alors aux règles que ce directeur vous a données,
jusqu'à ce que vous en ayez trouvé un autre; en at-tendant, suivez les
conseils de votre confesseur ordi-
SANCTIFIEE.
565
naire, qui, généralement parlant,
est votre guide le plus sûr, car c'est Dieu qui nous l'a assigné, et
que c'est vous-même qui choisissez votre· directeur.
VIII. 3" II faut pratiquer la patience
dans le mépris et la persécution; mais, dites-vous, je n'ai rien fait
de mal, pourquoi ai-je reçu des affronts, pourquoi suis-je persécutée?
Dieu ne le veut certainement pas! Sa-vez-vous ce que Jésus-Christ répondit
à St.-Pierre martyr, qui se plaignait d'être mis en prison injuste-ment?
Quai-je fait, disait-il, /our souffrir une telle mor-tification ? Il lui
dit : Eh ! quel mal ai-je fait, moi, qui ai été mis en croix ? Puisque
le Rédempteur a bien voulu recevoir la mort pour vous sauver, c'est bien
le moins que vous receviez quelque mortification pour son amour. Il est
vrai que Dieu haït te péché de celui qai vous injurie ou vous persécute,
mais il veut que vous souffriez ces contrariétés pour son amour et pour
votre bien. Quand même, dit St.-Augustin, nous serions innocents dû crime
dont on nous accuse, nous avons cependant d'autres péchés qui méritent
un châtiment encore plus sévère. Esto non habemus pec-catum quod objicitur;
habemus tamen quod digni in nobis flagelleiw. (In ps. 68. )
XI. Tous lès saints ont été persécutés
dans ce inonde. St.-Basile fut accusé d'hérésie au pape St.-Damase;
St.-Cirille fut condamné comme hérétique par un concile de 40 évêques
et privé de son évêché. St.-Athanase fut regardé comme sorcier-j St.-Jean
Chrysostôine comme pécheur charnel; St.-Romuald, à l'âge de plus de
100 ans, fut accusé d'un péché si énorme, qu'on disait qu'il méritait
d'être brûlé vif; St. - François de Sales fut accusé d'avoir un commerce
impur avec une femme du monde, resta sous le poids de cette accusation
pendant trois ans,
566
LA BEIICIEUSE
après lesquels on reconnut son
innocence.! On ra-conte qu'un jour une femme entra dans la cham-bre de.
Ste. - Liduvine, et lui parla dans les termes les plus injurieux; comme
la sainte conservait sa paix habituelle, cette tigrésse, écumant de rage,
lui cracha sur la figure, et, devenue plus furieuse en*· core par la tranquillité
inaltérable de l'autre, elle se mit à pousser des eris affreux comme
une folle. L'a-pôtre l'a dit '.Omnes enim que volunt piè vivere in Christo
Jesu, persecutionem patientur. (2 Tim. iu. 12i)Tews ceux qui veulent suivre
Jésus-Christ doivent être persécutés. S'ils refusent la persécution,
dit St.-Augustin, c'est qu'ils n'ont pas encore commencé à ι suivre
J.-G. Qui a été plus innocent et plus saint que notre divin rédempteur
ft Et pourtant on le calomnia, on le tor-tura, on le cloua sur une croix*
St.-Paul, pour nous exciter à souffrir sans plainte la persécution, nous
exhorte à avoir toujours sous les yeux le crucifix. Reco-gitate eum qui
talem sustinuit à peccatorUius adversus se-metipsum contradictionem. (Hebr,
xii, 3. ) Pensez donc, nous dit-il, à celui qui a souffert une si grande
con-tradiction de la part des pécheurs qui se sont élevés contre lui.
Si nous souffrons avec joie les persécutions, soyons assurés que Dieu
prendra lui-même notre dé-fense ; et s'il permet que nous soyons flétris
.dans ce monde, il nous en ré compenseralargenaent dans l'autre. X. k"
En dernier lieu, il faut pratiquer la patience dans les désolations d'esprit,
qui sont les peines les plus amères que puisse endurer une âme qui aime
Dieu. Quand l'âme «st inondée des consolations di-vines, .le* douleurs,
les pertes, les persécutions sont un baume pour elle ; elle offre ses
souffrances au Sei-gneur et s'unit plus étroitement à lui. Le plus grand
supplice d?un. âme qui aime vraiment, c'est de se
SA8CTIF1ÉE.
567
voir sans dévotion, sans ferveur,
sans désir; d'être tiède, évaporée dans ses oraisons et à la Ste.-Table;
mais, dit Ste-Thérèse, Dieu ne leur envoie ce dégoût mortel que pour
les éprouver.. Si elles continuent à marcher avec patience dans la bonne
voie, malgré cette tiédeur et ces angoisses, c'est qu'elles aiment Dieu
véritablement. L'aridité et les tentations sont la pierre de touche de
l'âme. La B. An gèle de Fo-ligno se trouvant aride et dégoûtée, se
plaignait à Dieu de ce qu'il l'avait abandonnée. Non, ma fille, lui,répondit
le Seigneur, je t'aime d présent plus que jamais. Quelques 'novices se
croient abandonnées de Dieu quand elles sqnt dans cet état, et se rebutent
; elles donnent alors toute liberté à leurs sens et per-dent tout ce
qu'elles avaient acquis. Ne vous laissez pas tromper par le démon; quand
vous êtes dans l'aridité, tenez bon, ne négligez pas vos exercices or-dinaires
; Humiliez-rvous et dites que vous méritez d'être ainsi traitée pour
vos péchés; Résignez-vous toujours à la divine volonté et confiez-vous
à Dieu, car plus vous serez patiente, plus vous lui serez chère. Croyez-vous
que les saints aient toujours joui des consolations célestes? Sachez qu'ils
ont passé la plus grande partie de leurs jours dans la désolation et.
dans la privation des lumières célestes. L'expérience m'a appris à
me méfier de ces âmes qui abondent en dou-ceurs spirituelles;, car souyejit
elles ne font le bien que tant que durent leurs consolations,; mais quand
l'aridité vient les éprouver, elles abandonnent tout et tombent dans
la tiédeur.
, .
XI. Je ne refuse pas, dites-vous,
cette croix, si c'est la volonté de Dieu que je la supporte, mais je crains
que ce sqit un châtiment pour mes anciennes infi-délités, Que ce soit
un, châtiment, c'est possibje, you/}
368
LA RELIGIEUSE
dirai-je, car si vous avez mis votre
affection en quel-que créature, c'est avec raison que Dieu, qui est ja-loux
de posséder le cœur de ses épouses, s'est retiré de vous. Le châtiment
est donc juste, et la volonté de Dieu est que vous le receviez avec soumission.
Recevez le donc en paix et retranchez au plutôt ce qui en est la cause;
retranchez cette affection aux créatures et cette dissipation d'esprit,
ce trop grand désir de voir, déparier, d'entendre, et donnez-vous de
nouveau entièrement à Dieu ; alors le Seigneur ou-bliera vos fautes passées
et vous rétablira dans votre première grâce. Mais n'allez point exiger
qu'il vous console par ses anciennes faveurs ; cherchez plutôt à obtenir
de lui la force de lui être fidèle. Soyez per-suadée que Dieu ne vous
aiTlige que pour votre avan-tage et pour éprouver votre amour. Il dit
un jour à Ste.'-Gertrude qu'il aimait beaucoup les âmes qui le servaient
à leurs frais; c'est-à-dire par Jes aridités et sans douceurs spirituelles.
XII. On prouve mieux son amour en
suivant ceux qui nous fuient qu'en suivant ceux qui nous caressent. Mais,
dit St.-Bernard : Ne timeas, ó sponsa, si paulisper subtrahit (Jésus)
faciem suam; omnia coo/ierantut in bo-num; recedit ad cautelam ne incipias
contemnere sodalis ut desideratus atidiàs ι/uœratur. ( In se. claus.
) Ne vous désolez pas, ô épouse de J.-C, de ce que votre époux vous
cache pourun peu de temps sa face; ille fait pour votre bien, il se voile
d'un nuage passager, de peur que trop de faveur ne vcusporle à mépriser
vos compagnes et à vous croire meilleures qu'elles ; il le fait encore
afin que vous le cherchiez avec un plus grand désir de le posséder, et
que vous l'appeliez avec plus de tendresse Persévérez dans tous vos exercices,
fussiez-vous accablé de douleur ou en proie à l'agonie la plus cruelle·
Elle
SANCTIFIÉE.
3(k)
fut bien plus cruelle l'agonie de
Jésus-Christ, au jar-din de Gethsemani, lorsqu'il se préparait à mourir,
et priait pour vous! Étant tombé en agonie, il redou-blait ses prières.
Foetus in agonia prolixas orabat. (Luc. xxii. 43.) Cherchez-le constamment
et il se rendra à vos vœux. Expecta. Dominum quia veniens veniet, et
non tardabit. (Ps. xxvi. 14·) S'il ne vient pas vous conso-ler, qu'il
vous suffise qu'il vous demie force et courage pour l'aimer, saiis en recevoir
de douceurs. Dieu pré-fère l'asaour constant à l'amour tendre.
XIII. Mais, dit St.-Thomas, pour
supporter toute espèce de revers avec courage, il faut s'y préparer d'avance
et les prévoir. Jésus-Christ avertit ainsi ses disciples : In mundo pressuram
habebitis, sed confidite: ego vice mundam. (Jo. xvi. 33.) Ο mes fils,
sachez que dans le monde vous serez affligés et opprimés; mais confiez-vous
à moi, qui ai vaincu le monde. La pré-vision d'une fatigue, embrassée
avec patience, nous la fait regarder comme un bien par rapport à la vie
éter-nelle; elle ôte à notre âme tonte crainte du mal qui l'accompagne
ordinairement. Ainsi ont fait les saints : ils ont embrassé leurs croix
qu'ils attendaient dans l'a-venir, et quand elles sont venues, même à
l'improviste, il les ont supportées a-vec force et avec tranquillité.
Habituez-vous donc d'avance à accepter les croix que Dieu vous enverra
probablement. Si vous craignez qu'elles ne soieut au-dessus de vos forces,
priez le Seigneur de venir à votre secours et ayez toute con-fiance en
lui; dites-lui : Je puis tout en celui qui me me fortifie; Omnia possum
in eo qui me confortat. (Phil. iv. 13.) Cette prière vous obtiendra la
force qui vous manque. Comment les saints martyrs ont-ils pu sup-porter
tant de tortures et de morts douloureuses ? Eu priant, en se recommandant
à Dieu. Quand vous vin.
a4
3^0
LA BEUGIEtSE
êtes courbé sous le fardeau de
la croix, priez encore. Quelqu'un d'entre vous est-il triste, qu'il prie.
Trista-tur aliquis vestrum? oret. Ainsi parie St.-Jacques. (Ep. v. 13.)
Ëprouvez-vous quelque chagrin, quelque tenta-tion ? ne cessez de prier
que lorsque votre cœur sera calme. Invoca me, dit Dieu, m dit tribulationis,eruam
te et honorificabit me. (Ps. xc. 15. ) Quand tu es malheu-reux, appelle-moi
à ton secours, je te délivrerai de tes peines et tu m'en rendras grâce.
Quand une âme se recommande à Dieu au jour de l'adversité, Dieu la délivre
de ses douleurs, ou bien il lui donne la force de les souffrir avec patience,
et par là elle honore Dieu. St.-Ignace de Loyola disait que la plus grande
afflic-tion qu'il eût pu éprouver en ce monde eût été de voir la Compagnie
détruite; cependant un quart-d'heure d'oraison, je l'espère, ajoutait-il,
m'en aurait consolé. Communiez souventdans le temps des tribulations ;
les anciens chrétiens se préparaient au martyr par de fréquentes communions.
Conférez avec votre direc-teur, ou avec quelques personnes spirituelles,
car un mot d'encouragement vous ranimera; mais gar-dez-vous de conférer
avec une personne imparfaite, car elle ne ferait que vous troubler, surtout
si vous avez reçu quelqu'un jure ou souffert quelque persécu-tion.
Mais ayez toujours recours à Dieu, visitez le St.rSacrement, et priez-le
de vous donner la grâce de vous conformer à sa sainte volonté. Il a
promis de consoler tous les malheureux qui l'implorent. Venite ad me omnes
qui laboratis, et onerati estis, et ego reficiam voi, (Mat. xi. 28.) Venez
à moi, a-t-il dit, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous
soulagerai.
5ANCTIÏIÊE.
PRIERE.
Mon Dieu, je vous offre les peines
de Jésus , votre fils, en expiation de mes péchés1. Voici l'agneau qui
s'immola, pour votre gloire et pour notre salut, sur l'autel du calvaire.
Pour l'amour de cette chore vic-time, pardonnez-moi tous les déplaisirs
que je vous ai donnés, grands ou petits; car je m'en repends de tout mon
cœur. Dieu infiniment bon, vous m'appelez à vous, j'abandonne le inonde
pour vous suivre, ô mon trésor, ô ma vie ! Je renonce aux biens, aux
plaisirs, aux honneurs, pour n'aimer que vous. O mon souverain bien, je
voue aime plus que tout autre bien! Ο mon Jésus, ne permettez pas que
je vous résiste davantage ni que je sois ingrate envers vous, pour tous
les nombreux bienfaits dont vous m'a-vez comblée. Découvrez-moi toujours
de plus en plus les grandeurs de votre bonté, afin que je vous aime toujours
davantage, ô aimable infini ! Vous avez été amoureux de mon âme ; pourrai-je
aimer autre chose que vous? Non, ô mon rédempteur, et à l'avenir je
ne ne veux vivre que pour vous, je ne veux aimer que vous. Ο Marie, ma
mère! aidez-moi, obtenez-moi la grâce d'être fidèle à ma promesse.
§. m.
De la patience dans les tentatione.
Ο ma sœur! Dieu est mécontent
de votre conduite passée, et vous-même vous la blâmez. Si la mort vous
frappait à présent, vous ne mourriez pas contente.
LA BELIGIECSE
Puisque vous êtes résolue ( du
moins je le pense ) à mieux servir et aimer Dieu à l'avenir, préparez-vous
à combattre vos tentations. Le St.-Esprit vous en aver-tit en ces mots
: Mon fils, en vous donnant au service de Dieu, préparez votre âme à
la tentation. Fili, acce-dens ad servitutem Dei, prépara animam tuam ad
tentatio-nem. (Eccl.i: 1.) Les religieuses, au dire du pYophète, sont
le mets le plus agréable au démon. Cibus ejus elec-tus. ( Abac. ι. 16.
) L'ennemi se donne plus de peine pour prendre ude religieuse que cent
séculières. Pour-quoi ? 1° Parce qu'en faisant son esclave d'une épouse
de Jésus-Christ, il en reçoit plus de gloire. 2° Parce qu'en faisant
tomber une religieuse, il espère, par son mauvais exemple, en attirer
beaucoup d'autres dans le piège.Le Seigneur, de son côté, permet que
les âmes qu'il aime le plus, soient le plus en butte aux tenta-tlofts.St.-Jérôme
fut Irès-tourmenté par les tentations du démon ,'àu milieu des pénitences
et des oraisons qu'il faisait dans la solitude de la Palestine , où il
s'é-tait retiré : « J'étais seul, dit-il, et mon cœur était » plein
d'amertume, mes membres arides et décharnés » étaient couverts d'un
sac, la peau de mon corps était » noire comme celle d'un nègre ; la
terre dure était * mon lit, j'y souffrais plus que je n'y reposais; ma
» nourriture était à peine suffisante, et pourtant mon » cœur était
embrasé de dësrrs coupables. Mon seul » refuge était de recourir à
Jésus-Christ et d'implorer » son aide. »
II. Dieu permet que nous soyons
tentés pour notre bien. Premièrement, pour que nous soyons plus hum-bles.
L'Ecclésiastique a dit : Qui non est tentatus quid scit?\ Ecc. xxxivv9-
) Que .sait celui qui n'est pas tenté? personne tie connaît mieux sa
faiblesse que celui qui est, ten,té. St.-Augustin rapporte que St.-
SANCTIFIÉE.
Pierre, avant d'être tenté, présuma
trop de lui-même, se vantant d'avoir le courage de supporter la mort plutôt
que de renier Jésus-Christ. Mais lorsqu'il fut tenté, il le renia' lâchement,
et connut alors sa fai-blesse. Petrus, qui ante tentationem prœsumit de
se, in tentatione didicit se. ( In. ps. 36. ) Le Seigneur ayant favorisé
St.-Paul de ses célestes révélations, permit qu'il fût assailli de
ces tentations déshonnêtes qui hu-milient le plus l'homme. De peur que
la grandeur de mes révélations, avoue-t-il lui-même, ne me causât de
relèvement, Dieu a permis que je ressentisse dans ma chair un aiguillon,qui
est l'ange de Satan, pour me donner des soufflets. Et ne multitudo revelationum
ex-tollat me, datus est mihi stimulus carnis mecs, angelus Sata-na;·,
qui me colaphizet. ( 2. Cor. xu. 7. )
III. 2°. Le Seigneur permet que
nous soyons tentés pour nous enrichir de plus démérites. Beaucoup de
religieuses se tourmentent de scrupules, à cause des mauvaises pensées
qui les assaillissent. Mais elles se tourmentent à tort, car elles savent
que les mauvaises pensées ne sont pas des péchés, c'est le consentement
seul qui en est un. Quelques fortes que soient les tenta-tions elles ne
souillent pas notre âme, quand elles viennent sans qu'il y ait de notre
faute, et que nous la chassons. Ste.-Catherine de Sienne, la B. Anj^èle
de Foligno, furent long-tems tentées de luxure, mais au lieu d'affaiblir
leur pureté, ces tentations l'aug-mentèrent beaucoup. Chaque fois que
nous repous-sons une tentation, nous gagnons un degré de grâce qui nous
vaudra un degré de gloire dans le ciel. Ainsi, dit St;-Bernard, autant
de tentations vaincues ici bas, autant nous aurons de couronnes dans l'autre
vie. Quoties vincimus toties coronantur. Le Seigneur dit à Ste.-Mathilde
: Toutes les tentations que l'on repousse avec
LA RELIGIEUSE
ma grâce sont autant de diamants
pour mon dia-dème. On lit dans les chroniques de l'ordre de Ci-taux ,
que tandis qu'un religieux était assailli, pen -dant toute une nuit, de
tentations impudiques qu'il surmontait, un autre religieux convers, eut
cette vi-sion : II vit un beau jeune homme, qui lui remit une couronie
de diamants, et lui dit : Va trouver un tel et donne-lui cette couronne
qu'il a gagnée cette nuit. Le religieux convers fit part de sa vision
à son abbé qui appela le religieux tenté, et, instruit de la résis-tance
qu'il avait faite, il comprit clairement que c'é-tait la récompense que
le Seigneur lui avait préparée dans le.cijel. La Ste.-Vierge révéla
à Ste.-Brigitte, que lorsqu'elle s'efforçait de chasser les mauvaisespensées,
quoiqu'elle ne les chassât pas entièrement de son es-prit, elle méritait
une grande récompense, pour les efi'orts qu'elle faisait. Tamen pro illo
conata coronam in coelis recipies. ( Blosius, mon. spir. e. iu. §. Ιχ·
)
IV. D ieu est fidèle, et il ne
souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais il vous
fera tirer avan-tage de la tentation même afin que vouspuissiezpersé-vérer.Fidelis
autem Deus est quinonpaiieturvostentari supra id quod potestis , sed faciet
etiam cumientationeproventum. (i.Cpr.x.13.) St.-Jérôme dit quela tempête
la plus dan-gereusepourun navire, c'est un long calme plat; c'est-à-dire
que la tempête des tentations empêche l'homme de pourrir dans l'inaction,
car alors, renouvelant ses bonnes résolutions, faisant des prières, des
actes de confiance et de résignation , il s'attache davantage à Dieu.
On rapporte, dans les vies des SS. Pères, (§. 7.) qu'un jeune homme étant
très-tourmenté de tenta-tions charnelles , son directeur lui dit : Mon
fils , veux-tu que je prie Dieu qu'il te délivre de tes tenta-tions et
te rende la paix? Le bon jeune homme lui ré-
SANCTIFIEE.
pondit : « Mon père, mes tentations
me font beau-» coup souffrir, mais elles me sont utiles , car elles »
me font exercer continuellement beaucoup d'actes » de vertu. Je fais plus
d'oraisons qu'auparavant, je » jeûne plus souvent, je veille plus long-temps,
et je » mortifie ma chair. Il vaut donc mieux que vous » priiez Dieu
de m'aider à supporter ces tentations » avec patience, et à m'en servir
pour avancer dans » la voie du salut. » Recevons donc nos tentations
avec résignation, en pensant que Dieu les permet pour notre bien. L'Apôtre
étajit plusieurs fois assailli de tentations , pria Dieu de l'en délivrer
, mais Dieu répondit : Ma grûce te suffit. Propter quod per Dominum rogavi
ut discederet à me et dixit mihi \ sufficit tibi gratia mea, nam virtus
in infirmitate perficitur, (II. cor. xii. 8.9.) Mais, dites-vous, St.-Paul
était saint. Comment résis-taient les saints aux tentations ? dit St.-Augustin,
est-ce avec leur propres forces ou avec celles de Dieu? An isti in seipsis
possunt, an non in Domino ? ( Conf. 1. vm. c. 11. ) Les saints se sont
confiés en Dieu et ils ont vaincu. Abandonnez-vous donc , continue le
Saint, entre les mains de Dieu, et ne craignez pas. 11 vous a mis sur le
champ de bataille , il ne vous abandon-nera pas pour vous laisser perdre
: Projice te in eum ; noli metuere, non se subtrahet ut codas. ( Loc. cit.
)
Y. Mais venons à la pratique et
voyons quels sont les moyens et les armes à employer pour ne pas suc-comber.
Le seul, le plus important de ces moyens, je puis même ajouter l'unique,
l'indispensable pour surmonter les tentations, c'est de recourir à Dieu
par la prière. St.-Augustin, parlant de la nécessité d'être humble
pour être véritablement disciple de Jésus-Christ, dit : Si vous me demandez
qu'elle est la pre-mière vertu d'un chrétien, je vous répondrai : La
pre-
ΙΑ RELIGIEUSE
mière, c'est l'humilité , la seconde,
c'est l'humilité, la troisième, c'est l'humilité, et tant que vous m'in-terrogerez,
je vous ferai toujours la même réponse : Si quœras quidquid sit primum
in disciplina Christi ? res-pondebo : primum est humilitas; quid secundum?
Humili-tas. Quid tertìftm? Humilitas. Et quoties interrogabit, to-ties
hoc dicam. ( Ep. 56. ) Or, si vous me demandez aussi quel est le moyen
de vaincre les tentations, je vous répondrai : Le premier moyen, c'est
la prière ; le second, c'est la prière, le troisième, c'est la prière.
Tous me le demanderiez mille fois, que je répondrais toujours de même.
On ne repousse surtout les tenta-tions impures, dit le sage, qu'avec la
prière : Et ut scivi, quoniam aliter non possem esse continens, nisi Deus
det.... add Dominum et deprecatus sum illum. ( Sap. tui. 21. ) Comme j'ai
vu que je ne pouvais observer la continence, sans que Dieu ne m'en fasse
le don , je me suis adressé au Seigneur, et je la lui ai demandée. St.-Jérôme
a dit : Statim ut libido tititlaverit sensum, erumpamus in vocem : Domine
auxiliator meus. ( Ep. ad Eustoc.) Aussitôt que nos sens sont excités
par la pas-sion dangereuse, disons : Seigneur secourez-moi, ne permettez
pas que je vous offense ! L'abbé Isaïe ex-hortait ainsi ses disciples
à dire dans leurs tentations, Seigneur, venez à mon secours : Deus, in
adjutorium meum intende. Il ajoutait que ces paroles sont un moyen efficace.
Dieu ne peut manquer a la promesse qu'il nous a faite d'exaucer celui qui
le prie : criez vers moi, et je vous exaucerai : Clama ad me et exau-diamte.
(Job. xxxm. 3. ) Invoquez-moi, et je vous dé-livrerai : Invoca me et eruam
te. ( Ps, XLIX. 15. ) De-mandez et il vous sera donné : Petite et dabitur
vobis. C herchez et vous trouverez. ÇtttWi'ie et invenietis. (Mat. vu.
7. ) Car celui qui demande reçoit : Omnis enim qui
SABCTIFlÉE.
377
petit accipit (Luc. xi. 10.) Demandez
tout ce que vous voudrez et il vous sera accordé. Quodcumque volueritis
pttitis , ei fiet vobis. ( Jo. xv. 7. )
VI. On lit dans les
sentences des SS. Pères(au §.4) que St.-Pacôme avait entendu un démon
qui disait aux autres : Quand je tente mon moine, il me prête l'oreille
et ne recourt pas à Dieu : Aussi succombe-t-il souvent. Un autre démon
se plaignait de ce qu'il ne pouvait rien avec son moine, parc<î que
celui-ci re-courait aussitôt à Dieu , et qu'il était victorieux. Ο
mes frères ! ajoutait le Saint, résistez aux tentations en invoquant
le nom de Jésus-Christ. Mais résistez au plutôt et sans discourir avec
votre tentation. Un jeune moine se plaignait à un vieux d'être tenté
d'im-pudicité , ( au §.,12. ) le vieux pria pour lui et apprit d'un ange
que le moine n'était tenté que parce qu'il s'arrêtait à raisonner sur
sa tentation.Le jeune moine, ayant été repris de cette négligence, s'en
corrigea , et il ne fut plus tenté. Dum parvus est hostis interfice, dit
St.-Jérôme. (Ep. xxu. ad. Eust. ) Quand le lion est pe-tit on le tue
facilement, mais non quand il est grand. Secoueztout de suite les mauvaises
tentations, comme on secoue les étincelles que lance le charbon ardent.
Si une reine était attaquée par un nègre son esclave , elle lui tournerait
le dos avec dédain. Faites de même quand le démon vous tente ; tournez-lui
le dos, invo-quez le nom de Jésus et de Marie, et vous le chasse-rez.
St.-François de Sales a dit : Dès que vous êtes tenté, imitez les enfants;
quand ils voient le loup ils courent se jeter dans les bras de leur père
ou de leur mère, ou au moins ils crient : Au secours; de même Recourez
avec confiance à Jésus et à Marie.
VII. Il est bon aussi de faire
le signe de la croix dans les tentations. St.-Augustin a dit : Omnia dœmo-
5j>8
LA RELIGIEUSE
num machinamenta virtute crucis
ad nihilum rediguniur. (De sym. e. 1. ) Jésus, ec mourant sur la croix,
détrui-sit les forces de l'enfer ; c'est pour cela que le signe de l'instrument
de son supplice met en fuite les dé-' nions. St.-Athanase raconte que
St.-Antoine , abbé, faisait le signe de la croix, lorsqu'il était assailli
par les démons, et leur disait : Que sert de vous fatiguer à me tenter
? Le signe de la croix me met à l'abri de vos coups. St.-Grégoire de
Nazianze, raconte aussi que'Julien l'Apostat, connaissant la vertu du signe
de la croix, le faisait chaque fois que le démon venait l'é-pouvanter,
et le mettait en fuite, quoiqu'il fût ennemi de Jésus-Christ. Ad crucem
confugii, eaque adversus ter-rores consignât. ( Orat. in jul. )
VIII. Le second moyen de vaincre
les
tentations , c'est de s'humilier et de se défier de ses propres forces.
Le Seigneur ne permet que nous soyons tentés que pour que nous nous humilions.
Quand nous sommes attaqués, humilions-nous et disons:Seigneur, les of-fenses
que je vous ai faites m'ont mérité ce tourment. On lit dans les vies
des Pères du désert, qu'une jeune anachorète, appelée Sara, éprouvant
de fortes tenta-tions d'impureté , ne pria jamais Dieu d'en être déli-vrée
, elle ne lui demandait que du courage. Plus le démon la serrait de près,
plus elle s'humiliait. L'en-nemi ne pouvant la faire tomber dans le péché,
tâcha, mais vainement, de la faire tomber dans la vanité : il dit alors
à haute voix : Sara, tu as vaincu. Mais l'hum-ble servante de Dieu répondit
: Non, esprit malin, ce n'est pas moi qui t'ai vaincu, c'est Jésus-Christ.(Erib.
Ros. p. p. 1. 3.) Humilions-nous , recourons à Dieu avec confiance : Protector
est omnium sperantium in se. ( Ps. xvii. 31. ) II a promis de secourir
ceux qui espè-rent en lui. Je l'ai délivré, dit-il ailleurs, parce qu'il
SANCTIFIEE.
3^9
a espéré en moi. Quoniam in me
speravit liberabo eum. (Ps. is. ìl\. ) Quand nous sommes assaillis de
tenta-tions et de la crainte de perdre Dieu, disons : In te, Domine, speravi,
non confundar in œternum. ( Ps. 30.) Seigneur, j'ai placé toute ma confiance
en vous, je ne serai pas confondu ni abandonné de viître grâce. Ste.-Thérèse
dit que lorsque les démons voient que nous les méprisons ils perdent
leur force. Quand ils nous font croire que nous ne pourrons jamais exécuter
ce qu'il est nécessaire de faire pour devenir saints, di-sons-leur, par
un sentiment de défiance de nous-mêmes, mais pleins de confiance en Dieu
: Omnia possum in eo qui me confortat. (Phil. iv. 13.) Je ne puis rien
par moi-même , mais je puis tout avec l'aide de Dieu.
IX. Le troisième moyçn contre
les tentations, c'est de les révéler à notre père spirituel. Quand
les volevirs sont découverts ils fuient. St.-Philippe de Néri disait
qu'une tentation découverte est à moitié vaincue. St.-Àntonin (P. m.
til. xxiv. §. 7.) raconte que frère Ruf-fin, compagnon de St.-François,
éprouva une forte tentation de désespoir, car il croyait que tout ce
qu'il faisait pour son salut était peine perdue. Le malheu-reux moine
n'en disait rien à St.-François, son supé-rieur, et la tentation augmentait.
Le démon lui appa-rut un jour, sous la forme de Jésus-Christ, et lui
dit : Sache que toi, ton supérieur et ses moines, vous êtes tous damnés.
St.-François ayant connu le fait, fit appeler Ruffin qui lui avoua
sa tentation. Le Saint lui dit de ne pas y faire attention. Le démon revint,
mais se voyant négligé il se sauva; Jésus-Christ appa-rut alors réellement
à Ruffin, et l'assura de sa grâce.
X. Le quatrième moyen, c'est
de fuir les occasions. St.-Basile dit que celui qui se trouve dans le combat
malgré lui, est secouru de Dieu, mais que celui qui
38θ
Là. RELIGIEUSE
se jette volontairement dans la
mêlée, est abandonné de Dieu. L'ecclésiastique a dit : Qui amat periculum
in illo peribit. ( m. 27. ) Qui aime le danger et le cherche y périt.
Il sert peu alors de se confier en Dieu, car c'est une confiance téméraire
et digne de châtiment, lorsqu'on s'est mis soi-même dans le danger.
XI. Il faut observer encore deux
choses très-impor-tantes. 1° Qu'il y a des tentations que l'on ne peut
vaincre que par des actes tout-à-fait contraires. La tentation de vengeance
se vainc en faisant du bien à notre ennemi. La tentation de vanité se
vainc par l'humilité. Celle de l'envie en se réjouissant du bien des
autres, et ainsi du reste. Les tentations contre la foi , ou contre la
chasteté, doivent être vaincues par le mépris, et en faisant des actes
de confiance, de douleur, ou d'amour. St.-Jean Climaque raconte ( Gradu.
33. ) qu'un moine étant assailli d'une tenta-tion de "blasphème, s'adressa
à un saint père, et lui dit tous les affreux blasphémés qui lui passaient
par la tête. Je me charge de tous ces péchés ( dit le saint vieil-lard
) et dorénavant n'y songe plus. Le moine depuis n'eut plus de tentations.
Il ne faut pas, lorsqu'on est tenté d'incontinence, lutter corps à corps
avec sa ten-tation , et répéter cent fois : je ne céderai pas, je l'empor-terai.
Car tous ces efforts ne font que rappeler plus vivement à la mémoire
tous·les objets qui peuvent sé-duire. Il vaut mieux prendre la résolution
de mourir plutôt mille fois que d'offenser Dieu, il faut renou-veller
le vœu de chasteté * recourir ensuite à Dieu par des actes d'espérance
ou d'amour, et invoquer très-souvent les noms de Jésus et de Marie.
XII. 2° Les tentations les plus
dangereuses son celles qui ont une apparence de bien, car elles nous entraî-nent
dans l'abîme à notre insu. Bonus, dit Sf.-Ber-
SANCTIFIÉE.
381
ι\Άτά, nunquam nisi bcni simulatione
deceptus est. (Serm. LX. in Cant.) Ce n'est que par l'apparence du bien
que le démon trompe les âmes qui ont toujours de bonnes intentions. St.-Bonaventure
raconte (vie de St.-Franc. c. 10. ) qu'il y avait un moine si fidèle à
la règle du silence, qu'il ne parlait pas, même en se confessant, E_et
qu'il ne s'exprimait que par signes. Le supérieur-géné-ral fit à St.-François
l'éloge de ce moine, mais le saint répondit : Ordonnez-lui de se confesser
deux fois par semaine. Le supérieur le lui ordonna, mais le moine ne voulut
pas obéir et fut si obstiné que, pour, ne pas obéir, il quitta le couvent.
Une tentation très-dan-gereuse, c'est celle qui excite une religieuse,à
s'atta-cher plus qu'il n'est convenable à son père spirituel, sous prétexte
qu'il est'Saint. Ce démon lui fera croire que ses rapports avec son directeur
là mèneront à la perfection. Elle fait tant qu'elle parvient à obtenir
qu'il vienne la voir plus souvent. Le démon lui inspire alors une affection
qui semble toute spirituelle, puis il établit entre les deux une familiarité
honnête, et enfin il lesfaittomber dans ses filets. Mais nous avons déjà
traité cette matière ; je finis en vous rappelant que le moyen le plus
efficace de repousser les tenta-tions,"c'est de recourir à Dieu par la
prière, et de lui demander la force de vaincre le démon ; nos prières
nous feront triofïiphêr dePenfer. Laudans inoocabo Do-minum, et ab inimicis
mus salvus ero, (Ps. xvu. 4.) J'in-voquerai le Seigneur p>ar nies louanges,
et je serai délivré de mes ennemis.
58a
LA RELIGIEUSE
PRIÈRE.
Ο mon Dieu ! je ne veux plus résister
à l'amour que vous me portez. Vous m'avez épargnée lorsque je vous offensais;
ô mon Jésus, faites que je ne vous offense plus ; faites que je cesse
d'être ingrate ou que je cesse de vivre. Je crois que vous voulez mon
salut, et moi je veux me sauver, pour aller chanter vos miséricordes dans
le ciel. Seigneur, ne m'abandon-nez pas. Je sais que vous ne m'abandonnerez
ja-mais, si je ne suis pas la première à vous quitter; mais je connais
ma faiblesse et je tremble pour moi-même. Par cette mort amère, que vous
avez souf-ferte pour moi, accordez-moi la grâce de recourir à vous dans
toutes mes tentations. Je vous aime, bonté infinie! et j'espère vous
aimer toujours. Char-gez-moi des chaînes de votre amour, afin que mon
âme ne se sépare plus de vous. Ο Marie ! vous vous appeliez la mère
de la persévérance ; c'est vous qui dispensez cette vertu aux hommes;
je vous la demande et j'espère que vous me l'obtiendrez.
CHAPITRE XIV..
De la Résignation à la volonté
de Dieu. S- !■
Du prix de la résignation à la
volonté de Dieu.
I. St.-Jean-Chrysostôme dit que
toute la perfection de notre amour pour Dieu consiste dans notre rési-gnation
à sa sainte volonté. La haine sépare les vo-
SANCTIFIÉE.
333
lontés des ennemis, niais l'amour
unit celles des amis ; de telle sorte que l'un veut ce que veut l'autre.
Idem velle, et idem nolle, firma amicitia est. Vouloir ou ne pas vouloir
ce que l'un veut ou ne veut pas, est l'effet de l'amitié la plus solide,
écrivit St.-Jérôme à Démé-triade. Aussi le Sage a dit : Fideles in
dilectione acquies-cent illi. (Sap. πι. 9.) Les âmes qui aiment Dieu
veu-lent tout ce qu'il veut. Le sacrifice de notre volonté , qui est la
chose la plus précieuse que nous ayons, est le sacrifice le plus agréable
au Seigneur. C'est aussi celui qu'il nous demande : Prœbe, fili mi, cor
tuummihi. (Prov. xxiii. 26. ) Mon fils, donne-moi ton cœur, c'est-à-dire
ta volonté. Quelque chose que nous donnions à I)ieu,sinous nous réservons
notre volonté,elle ne pourra jamais le satisfaire, et voici une comparaison
qui expli-quera ma pensée. Si vous avez deux servantes, dont l'une veut
toujours travailler, mais selon ses goûts, et dont l'autre travaille moins,
mais toujours selon votre volonté, à coup sûr vous préférerez la seconde,
et vous ferez peu de cas de la première. Combien de fois nous nous trompons
es faisant un œuvre de notre goût, et que nous croyons être pour la
gloire de Dieu! La plus grande gloire que nous puissions rendre à Dieu,
c'est de nousconformeràsa volonté. LeB. Heuri Suzon disait : Dieu est
moin» glorifié quand nous abon-dons en inspirations et en consolations,
que lorsque nous nous soumettons à son bon plaisir. La B. Etienne de Soncino
vit, parmi les séraphins, les âmes de plu-sieurs personnes qu'elle avait
connues, et Dieu lui ré-véla qu'elles n'avaient été élevées à un
si haut rang que parce qu'elles avaient toujours suivi sa volonté.
II. La malice du péché consiste
à vouloir ce que Dieu ne veut pas ; car alors, dit St.-Anselme, nous cherchons
à ravir en quelque manière à Dieu sa cou-
384
lA RELIGIEUSE
ronne. Cum homo vult aliquid per
propriam voluntatem, Deo aufert quasi suam coronam; sicut enim corona soli
regi competit, sic propria voluntas soli Deo. (Lib. de sini. e. 8. ) Qui
veut suivre sa propre volonté, arrache à Dieu sa couronne, parce que
la couronne n'appartenant qu'aux rois, jl n'appartient qu'à Dieu de faire
sa propre volonté. Samuel dit à Saûl que c'est presque une ido-lâtrie
que de ne pas vouloir se conformer à la volonté de Dieu, Quasi scelus
idolatrice nolle acquiescere, ( 1. Reg. xv; 23.) parce qu'au lieu d'adorer
la volonté de Dieu, l'homme adore alors la sienne propre. Toute la malice
d'une créature consiste à résister à son créateur, et toute sa bonté
consiste à lui obéir. Qui se conforme à la volonté de Dieu devient
l'homme selon son cœur. Inveni virum secundum cor meum, qui facit omnes
voluntates thcas (2. Reg. ι. Ιίχ. ).ljne âme obéissante portera le
nom* de .ma vo-lonté. Vocabitur voluntas mea in ed. (Is. ixvi. 2.) Car
, lorsque notre volonté est morte en nous, celle de Dieu seul y survit.
III. Heureux ceux qui peuvent dire
comme la sainte épouse : Anima mea liquefacta est ut dilectus meus locutus
est. (Gant. v. 6. ) Mon âme s'est fondue aux paroles de mon bien-aimé.
Pourquoi fondue? le voici : Les li-quides n'ont pas de forme; ils prennent
celle du vase qui les contient. C'est ainsi que les âmes aimantes n'ont
d'autre volonté que celle de leur bien-aimé. Il faut donc avoir une volonté
docile et facile à se plier à tous les bons plaisirs de Dieu, et qui
ne connaisse pas la résistance. Un instrument n'est bon que tout autant
qu'il obéit à l'artisan qui l'emploie; sans cela, à quoi sert-il ? Si
le pinceau du peintre allait à droite quand ilk porté à gauche, et à
gauche quand il le porte à droite, ne le jeterait-il pas au feu? Les uns
metteii' leur sainteté à faire des pénitences, lés autres à com-
SANCTIFIÉE.
385
munier souvent, d'autres enfin à
faire beaucoup d'o-raisons. Mais, dit St.-Thomas, la perfection ne con-siste
qu'à se conformer à la volonté divine. Mentishu-manœperfectio in hoc
consistit, quod Deo subjiciatur. (2.2. q. 82 8.) Les pénitences, les communione,
ne sont bon-nes qu'autant que Dieu le veut; elles sont des moyens de nous
unir à sa divine volonté, mais la perfection et la sainteté ne consistent
qu'à faire ce que Dieu exige de nous. La volonté de Dieu est la règle
de la bonté de nos actions et de toute vertu. Elle sanctifie tout,même
les actions indifférentes, pourvu qu'elles soient faites pour obéira
Dieu. Voluntas Dei sanctificatio vestra, dit l'A-pôtre. (1 Thess. iv.
3.) L'accomplissement de la vo-lonté de Dieu est la sanctification de
votre âme.
IV. Je sais que les hommes se conforment
de bon gré à la volonté de Dieu dans l'adversité, mais ils ne veulent
pas s'y conformer dans la prospérité. C'est là une grande folie, car
ils souffrent doublement de leurs maux et sans mérite, puisque, soit que
nous le vou-lions, ou que nous ne le voulions pas, la volonté de Dieu
doit s'accomplir. Consilium meum stabit, et omnis voluntas mea fiet. (Isa.
XLVIII. 10. ) Si une malade ne supporte pas ses douleurs avec calme, si
elle s'irrite avec tout le monde, qu'en résulte-il ? ses douleurs di-minuent-elles?
Non, elle les augmente, car elle résiste à la volonté de Dieu et perdla
paix de l'âme. Quis resistit ei, et pacem habuit. (Job. ix. &.) En
les supportant sans se plaindre, elle se consolerait avec l'idée qu'elle
fait la volonté de Dieu^ Oh ! que celui-là plaît au Seigneur, qui dit
avec David : Obmutui, et non aperui os m.eumf quoniam tu fecisti. (Ps.
xxxvm. 10.) J'ai fermé ma bouche ô mon Dieu, je n'ai pas osé parler,
sachant que c'est vous qui l'avez voulu ainsi. Dieu seul peut faire
386
LA BELIGJEUSE
iiotre bien, nul ne nous aime plus
que lui, soyons donc persuadés qu'en tout il n'agit que pour notre bien
et parce qu'il nous aime. Beaucoup de choses qui nous semblent des malheurs
nous sembleraient des grâces, si nous connaissions le but dans lequel
Dieu les fait. Le roi Manasses qui fut chassé de son royaume et devint
l'esclave du roi d'Assyrie, se trouva bien malheureux. Cependant, de-là
résulta s«a félicité éternelle, car il se repentit de ses péchés
et en fit pé-nitence devant Dieu : Qui postquam coangustatus-est, oravit
Dominum Deum suum, et egit poenitentiam valde coram Deo. ( II. Par. xxxin.
12. ) Nous avons des ver-tiges ; il nous semble que tout va à l'envers
et nous ne nous apercevons pas que ce ne sont pas les objets qui tournent,
mais notre tête malade et notre amour-propre qui nous les fait voir autrement
qu'ils ne sont. Vous dites : Tout va d rebours de mes désirs ! Non, ma
sœur, c'est vous qui allez à rebours, c'est votre vo-lonté , car tout
ce que Dieu fait, il le fait pour votre bien, mais vous ne voulez pas le
croire.
V. Où trouverons^nous quelqu'un
qui prenne à cœur 'notre bien plus que Dieu ? Tantôt il se compare
à un berger qui va à la recherche d'une brebis égarée: ( Luc. xv. ίι.)
tantôt à une mèrequi ne peut oublier son fils. Numquid oblivisci potest
mulier infantem, suum , ut non misereatur filio uterì suc ? ( Isa. x'iix.
16. ) Tan-tôt à une poule qui couvre de ses ailes tous ses pous-sins
: Jérusalem, Jérusalem, dit-il, combien de fois ai-je voulu rassembler
tes enfaiis comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes et tu ne
l'as pas voulu? Jerusalem , Jerusalem, quoties volai congregare filios
tuos , quemadmodum gallina congregat pullos suos sub alas, et noluisti?
( Mat. xxui. 37. ) Dieu, dit Da-vid , noui çuveloppj d) sa volonté p.mrnous
défen -
SANCTIFIÉE.
38y
dre des coups de nos ennemis. Ut
scutb bonm voluntatis tum coronasti nos. ( Ps. ν. 13. ) Pourquoi ne nous
li-vrons-nous pas à la volonté de ce bon père ? Ne serait-il pas· fou
cet aveugle qui, errant au bord des abîmes, repousserait la main d'un
père qui l'aime, pour aller au hasard selon son caprice? Heureux ceux
qui se lais-sent guider par le Seigneur! Le P. St.-Jure raconte, dans-
son Trésor Spirituel, qu'un jeune homme qui voulait entrer dans la Compagnie
de Jésus , fut refusé, parce qu'il lui manquait un œil. Qui n'aurait
cru que ce défaut était un grand malheur pour lui ? Cepen-dant il lui
valut le sort le plus heureux, car on ne le reçut qu'à condition qu'il'
irait aux Indes comme mis-sionnaire; il y alla en effet et y reçut le
palme du martyre. Le véu-. .p. Balthazar Alvarez disait à ce pro-1·
pos : le royaume des cieux est le royaume des estro-piés, de ceux qui
sont tentés et méprisés. Laissons-nous donc conduire par le Seigneur
comma des aveu-gles, sûrs qu'il nous mènera au ciel. Ste.-Thérèse di-sait
: Le Seigneur ne nous envoie jamais une peine qu'il ne la paie par quelque
faveur, pourvu que nous L'acceptions avec résignation^-
;>
:..:.
i VI. Oh ! qu'ils sont tranquilles
ceux qui se confor-ment à la volonté. de Dieu ! Ne roulant que ce que
Dieu veut ^ ils ont toujours ce qu'ils veulent, car tout ce qui arrive
en ce monde arrive par la volonté de Dieu. Le Panormitàin raconte que
le roi Alphonse ( surnommé le Grand ) dit une fois que le plus heu-reux
des hommes était celui qui se conformait à la volontéde Dieu. D'où
viennent nos inquiétudes sinon de ce que les choses n'arrivent pas comme
nous le voulons, et que nous résistons à la volonté divine ? Ad justam
legem, dit St.-Bernaid, Dei pertinuit, ut qui d Deo noluit suaviter regi
, pœnaiiter d seipso rtgeretur.
388
LA RELIGIEUSE
( Ep. xxi. ad Char. ) Dieu permet
avec raison que ce-lui qui refuse de se soumettre à sa douce direction
devienne triste et malheureux , aussitôt qu'il veut se gouverner lui-même.
Celui qui ne veut que ce que Dieu veut, voit toujours ses désirs accomplis,
il est toujours tranquille dans la prospérité comme dans l'adversité.
Quand vous voyez une personne triste, di-tes sans craindre de vous tromper,
que c'est parce qu'elle n'est pas résignée à la volonté divine. Les
saints sont gais, même dans les tourmens, pourquoi ? Parce qu'ils sont
résignés. Non contristabit justum quidquid ei acciderit. ( Prov. xii.
21. ) Le cardinal Pétrucci a dit : «Ce monde est un théâtre de ruines;
ses délices et ses jeux semblent des plaisirs et sont des tourmens , mais
les tourmens de Dieu semblent des peines et sont des plaisirs.
VII. Salvien disait en parlant des
saints : Humiles sunt, sancti, hoc volunt ; pauperes sunt, paupertate delectantur
; itaque quidquid acciderit, jam beati dicendi sunt. Ils sont humiliés
, ils s'en réjouissent ; s'ils sont plongés dans la misère, ils s'y
plaisent, quelque malheur qui les accable , ils en sont contents. Ainsi
ils sont bienheu-reux, même dès cette vie. Les sens éprouveront de vi-ves
peines lorsqu'ils seront contrariés de cette sorte mais la partie inférieure
seule souffrira et la partie su-périeure jouira de la paix. Les saints,
dit le P. Rodri-guez, sont semblables au mont Olympe dont les flancs sont
sujets à la foudre et aux orages, mais dont le front est éternellement
serein. Dans toutes les don-leurs de sa passion, le Sauveur conserva toujours
le calme intérieur. Plus les saints souffrent, plus ils sont joyeux, parce
qu'ils savent qu'en acceptant leurs souf-frances avec soumission , ils
se rendent plus agréables à Dieu qu'ils aiment par dessus tout. David
l'a dit, vo-
SANCTIFIÉE.
389
tre verge Seigneur, et votre bâton
sont ma consola-tion. Virgo, tua et baculus tuus ipsa me consolata sunt.
( Ps. xxii. iv. ) Ste Thérèse disait : Quel plus grand plaisir que d'avoir
quelques preuves qu'on est agréa-ble à Dieu? Le P. Avila nous a laissé
par écrit : Un Dieu soit loué, prononcé dans l'adversité, vaut mieux
que six mille actions de grâce dans la prospérité.
VITI. J'accepte, dites-vous, toutes
les croix que Dieu m'envoie, pertes, douleurs, maladies, mais comment supporter
les mauvais traitemens et les persécutions ? Celui qui me persécute offense
Dieu , car Dieu ne veut pas le péché. Ο ma sœur ! ignorez-vous que
c'est Dieu qui fait tout cela ? Bona et mala, vita et mors, rf Deo sunt.
( Ecc. xii. 1A ) La prospérité et l'adversité, la mort et la vie viennent
de Dieu. Faites attention à ceci : Notre être physique fait le matériel
de nos ac-tions , notre être moral dirige le physique par la rai-son ;
or, l'être moral de celle qui vous persécute com-met le péché et ne
le commet que par l'effet de sa ma-lice ; mais son être physique n'agit
que par le con-cours divin, de sorte que Dieu ne veut pas son péché,
mais il veut que vous souffriez cette persécution , et c'est lui qui vous
l'envoie. Quand on enleva à Job tous ses bestiaux, Dieu ne voulait pas
le péché des voleurs, mais il voulait que Job souffrit cette perte ;
le Sei-gneur m'avait donné ces biens, s'écria-t-il, le Sei-gneur me les
a enlevés ; que le nom du Seigneur soit béni, il est arrivé comme il
a plu au Seigneur. Domi-nus dedit, Dominus abstulit; sit nomen Domini benedic-tum;
sicut Domino placuit, ita factum eft. ( 1. 21. ) St.-Augustin remarque
que Job ne dit pas: Le Seigneur m'avait donné et le diable m'a enlevé·;
mais le Sei-gneur m'avait donné et le Seigneur m'a enlevé : Do-minus
dedit et diabolus abstulit sed Dominus dedit et Do-
39O
LA· RELIGIEUSE
wunMi«/wftt/tt.(Conc.2.irips.32.)Dieunevoulait.pasnon'
plus le péché des Juifs qui firent mourir Jésus-Christ, mais Jésus^Christ
dit à St.-Pierre : Ne voulez-vous pas que je boive le calice que mon Père
m'a'donné ?; Calicem quem. dedit mild pater non vis ut bibant illum}?
( Jo. xvm. 11.) C'est-à-dire que la mort ne lui était pas donnée par
les Juifs, mais qu'elle lui était en-voyée par son père éternel. St.-Dorothée
dît que ce-lui qui est maltraité par quelqu'un, et s'çn venge:, fait
comme le chien qui étant poursuivi à coups de pierre, mort la pierre
qui le frappe et non la m;iin qui la lançai Dans tous les mauvais traitements
qne nous recevons reconnaissons donc la main de Dieu, et! ré-signons-noBs
à sa sainte volonté.
PRIÈRE.
Mon bien-aimé Rédempteur, vous
avez souffert par amour p^ur^mo/i toute», sortes d'injures et de douleurs
et moi je vous ai délaissé pour les plaisirs du monde. Je VQMf remercie
de m'avoir attendu jusqu'à présent. Si i'é.tais mort ^lore,i je ne pourrais
plus vous aimer. Puisque je Je puis, je veux maintenant vous aimer de tout
mon cœw.Açcueillez-moi, ô mon amour, main-tenant que je reviens à vous,
le cœur touché et plein de douleur des déplaisirs que je vous ai donnés;
ne me rçjetez point. Si, lorsque je méprisais votre amouBj vous n'avez
pas laissé de courir après moi, cpkhment craindrai-je d'être rejetée
maintenant que je ue sou-r pire qu'après ce divin amour ! Vous m'avez
supportée pour que je me repentisse,: je .me repends etije veux V.QU8
aimer» Je vous aime de tout mon coeur, ô amour de mon âme, j'éprouve
une douleur profonde de vous avoir offensé. À l'avenir je me propose
de ne plus voiw
SASCTÌFIÉE.
3gt
offenser sciemment et de faire tout
ce que vous vou-drez. Votre volonté sera désormais l'unique objet de
mon amour. Dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour vous être agréable
, je suis prête à tout. Je veux vous aimer sincèrement ; j'embrasse
toutes les croix que vous m'enverrez. Châtiez-moi en cette vie , afin
que je puisse vous aimer éternellement dans l'autre. Mon Dieu faites que
je sois fidèle. Marie , je me recom-mande à vous, ne cessez de prier
Jésus pour moi
S· n.
En quoi il faut surtout se rrsigner.
I. Nous avons déjà vu combien
la résignation nous rend chers à Dieu et nous aide à faire notre salut.
Ve-nons-en à la pratique et voyons eu quoi et comment il faut nous résigner.
1° II faut se résigner1 à la volonté de Dieu dans les moindres choses.
Par exemple, souf-frir une parole qui blesse, une mouche qui pique^un chien
qui aboie, un caillou qui nous fait trébucher, une chandelle qui s'éteint,
un habit qui se déchire etc.. Il vaut mieux supporter avec résignation
ces petites cho-ses, que les grandes, d'abord, parce queles premières
sont plus fréquentes et ensuite parce que nous nous ac-coutumons par là
à nous résigner dans les plusdifûciles.
II. 2° Résignons-nous quand
nous sommes malades. Qui veut plaire à Ditu, doit en chercher les occasions.
C'est pour cela que les bonnes âmes appellent grâces ce que le monde
appelle malheur. Les malades qui souffrent et ne se conforment pas à la
volonté de Dieu sont les:plus malheureux, des hommes, non parce
qu'ils souffrent, mais parce qu'ils ne voient pas com-bien de grâces Dieu
leur accorde en les faisant souf-frir. Ils changent en poisons
les médecines qu'ils
5ga
LA BEUGIE^SE
prennent, car les maux du corps
sont les remèdes les plus efficaces pour guérir les maux de l'âme. Dolor
vul-neris abstergit mala, dit le sage ( Prov. xx. 30. ) Le P. Balthazar
Alvarez dit que celui qui se résigne à la volonté de Dieu dans les souffrances
, court la poste pour s'unir à Dieu. Le Seigneur dit à Ste.-Gertrude
que quand il voyait une âme malheureuse, il appro-chait d'elle; et que
c'est son plaisir de demeurer avec les malades et les malheureux, comme
dit David : Juxta est Dominus iis quitribulato sunt corde. (Ps.xxxm. 19.
) Dieu aime à être près des malheureux : Cum ipso sum in tribulatione.
( Ps. XL. 15. ) Je suis avec ce-lui qui est dans la tribulation.
III. Quand nous sommes malades,
nous devons prendre les remèdes que nous prescrivent les méde-cins ,
parce que Dieu même le veut. Mais nous de-vons ensuite nous résignera
sa volonté. Nous pouvons lui demander la santé pour le servir, mais en
le lais-sant faire de nous tout ce qu'il lui plaira, c'est là le meilleur
moyen d'obtenir la grâce de guérir. Celui qui, dans ses prières, ne
cherche pas Dieu mais se cherche lui-même , ne sera pas exaucé ; au contraire
» celui qui ne cherche que Dieu et ne veut faire que sa vo-lonté sera
exaucé. Exqiûûti Dominum et exaudivit me. ( Psal. xxxiii. 5. ) Le Seigneur
apparut à Ste.-Gertrude malade, et lui demanda si elle voulait la santé;
elle mit la main sur son cœur et dit : Voici ce que je veux ; je veux
votre volonté. ( Op. St.-Ger. 1. m. c. 53. ) Le remède universel pour
toutes les maladies, c'est cette belle parole : Que votre volonté soit
faite : Fiat vo-luntas tua! Ste.-Liduvine, étendue sur son lit et toute
couverte de plaies , disait : Seigneur, c'est ma joie d'être accablée
de souffrances, car ma seule consola-tion est de faire votre volonté.
Une âme tiède ne peut
parvenir à un tel degré de perfection,
mais les âmes aimantes y arrivent. Qu'il est doux de souffrir pour l'objet
aimé 1 C'est cet aigre-doux si précieux aux âme* aimantes et qui rendait
si agréables aux martyrs les tortures, les coups de fouets et les lames
ardentes. St.-Episette, martyr, tandis que les tirans lui faisaient déchirer
les chairs avec des ongles de fer , et brûler les côtés avec des torches
ardentes, répétait sans cesse et sans perdre la paix intérieure : Que
votre volonté soit faite en moi, ô mon Dieu, que votrevolonté soit faite
! (flosv. in vit. pp. 1. 1. ) St.-Bonaventure raconte dans la vie de St.-François,
(c. 14. ) qu'un jour que ce saint était très-souffrant, un moine fort
simple lui dit : Mon^ere priez Dieu de vous traiter plus doucement, il
me semble qu'il appesantit trop sa main sur vous. Le Saint lui ré-pondit
: Mon frère, si je ne savais que ce que vous dites, est l'effet de votre
simplicité , je ne voudrais plus vous voir, puisque vous osez blâmer
ce que fait le Seigneur. Il sauta hors du lit, se jeta à terre et dit
en la baisant : Je vousremercie, Seigneur, de mes souf-frances, et vous
prie de les augmenter si c'est votre plaisir, car je ne cherche que votre
volonté.
IV. 3°. Il faut nous conformer
à la volonté de Dieu pour les défauts que nous avons; le jugement lent,
la mémoire ingrate , la vue basse , l'ouïe dure , peu d'habileté dans
les fouctions de l'emploi, la santé dé-licate. Répondons à ceux qui
nous les reprochent : C'est Dieu qui nous a faits, et nous ne nous sommes
pas fait nous-mêmes. Ipse fecit nos, non ipsinos. ( Ps. xcix. 3.) Nous
sommes pauvres, nous devons nous contenter de l'aumône que nous fait le
Seigneur. Que diriez-vous si un pauvre se plaignait de ce que l'habit qu'on
lui donne n'est pas assez riche, ou le pain assez blanc ? Prenons avec
reconnaissance ce que Dieu
nous donne, ne pouvait-il pas nous
laisser dans notre ■néant? ne pouvait-il pas, au lieu de nous faire
hom-ines, nous créer crapauds, moucherons, herbe sau-vage ? Oh ! que de
fois la laideur ou l'ignorance, ont été utiles à plusieurs pour se sauver
! Souvent la beauté et l'esprit ont été pour d'autres des occasions
de se perdre. Combien de fois le génie, la noblesse, les richesses ont
enorgueilli l'homme et l'ont précipité danslecrimeîConteiitons-nous
des biens queDieulaisse tomber sur nous et n'en demandons pas d'autres.
Le B. Henri Snson disait : J'aimerais mieux être le plus vil des animaux
de la terré avec la volonté de Dieu, que sérapiiin avec ma volonté.
Nous devons aspirer au plus haut point de perfection possible, mais nous
de-vons nous contenter du seul degré que Dieu veut que nous atteignions.
: V. 4°· Résignons-nous surtout
dans les désolations d'esprit qui sont les peines les plus cruelles, pour
uile âme qui aime Dieu. Il ne faut pas nous inquiéter en disant' : «
Je ne m'affligerais pas si je savais que je ne suis si désolée que parce
que Dieu le veut, mais je crains qu'il ne se soit éloigné de moi à cause
de mes péchés. » C'est la volonté de Dieu, vous répondrai-je que vous
acceptiez cette peine; châtiment bu non, acceptez-le et Dieu sera content.
Pour vous délivrer de toute inquiétude, sachez aussi qu'il y a deux espè-ces
d'aridité, une aridité des sens qu'il n'est pas tou-jours en notre pouvoir
de vaincre et qui alors ne dé-plaît pas à Dieu ; et une autre aridité
qui dépend de nctre volonté ( c'est la tiédeur volontaire ) et que par
conséquent nous pouvons vaincre. Nous avons déjà parlé de cette dernière
dans les chap. V et VI. Mais quant à la première, peu importe que nous
soyons incapables d'élever notre esprit à Dieu et de faire des
SANCTIFIEE.
3g5
actes d'amour, de contrition, de
conformité à sa vo-lonté, pourvu que nous les fassions avec bonne vo-lonté
; fussent-ils secs, arides et presqu'imperceptibles, ces actes plairont
à Dieu. Si nous ne pouvons faire autre chose dans cet état d'obstiurité',
anéantissons -nous devant Dieu et avouons-lui nos misères; jetons-nous
entre ses mains comme une pierre qu'on jette dans un abîme, sans savoir
ou elle ira; nous trouverons alors la paix. Prious-le toujours dansl'étatdeténèbreset
dans celui de lumière et disons : Seigneur conduisez-moi par où il vous
plaira, faites-moi exécuter votre volonté, je ne veux rien de plus. Toute
âme qui s'in-quiète dans l'aridité montre qu'elle ne s'est pas encore
entièrement abandonnée à la volonté de Dieu. Ste.-Thérèse disait
: Tout ce qu'on doit chercher en priant c'est de conformer sa volonté
à celle de Dieu.. G'est en cela seulement que consiste la perfection.
Ceux qui feront ainsi recevront de grandes grâces de Dieu.: Ste- Marie
Magdeleine de Pazzi disait que nos oraisons ne doivent être que sur la
conformité à la volonté* divine.
VI. Épouse du Seigneur, dans vos
oraisons, offrez-vous à' Dieu avec le désir de soufl'rir promptement,
et pour son amour, toute espèce de peines d'esprit et de corps;, les maladies,
le déshonneur, la persécu-tion ; prjez-lè de vous donner la force de
faire toujours sa sainte volonté. Quand il vous arrive quelque ad-versité,
disent les maîtres de la vie spirituelle, faites-en le sujet de vos oraisons
et répétez les actes de con-formité à la volonté de Dieu. C'est là
ce que faisaient tous les saints, St.-Pierre· d'Alcantara, lorsqu'il en-trait
dans son lit, faisait,comme s'il était à l'agonie et disait : Seigneur,
que votre volonté s'accomplisse en. moi. Dominé, fiai in me voluntas
tua. Et il avait inten.
3Q6
LA RELIGIEUSE
tion que chaque battement de son
cœur fût un acte de résignation. Oh ! qu'ils sont agréables à Dieu
ces ac-tes de conformité à sa volonté. Ce n'est pas qu'il aime nos souffrances,
mais c'est qu'il y trouve la mesure de notre amour. Quand Dieu commanda
à Abraham d'immoler Isaac, il ne voulait pas le sang d'Isaac, mais il
voulait savoir si Abraham serait prompt à exé-cuter son ordre. Voilà
ce que Dieu veut de nous tous, c'est que nous tenions notre volonté toujours
unie à la sienne.Quelques religieuses, en lisant les livres mys-tiques,
se passionnent pour l'union surnaturelle appe-lée passive, mais je voudrais
qu'elles désirassent l'union active, c'est-à-dire la véritable conformité
à la volonté de Dieu , en laquelle consiste la véritable union de de
l'âme avec son créateur (selon Ste-Thérèse.). Les personnes, dit la
Sainte, qui ont l'union active, ac-quièrent peut-être plus de mérite,
parce que c'est avec peine qu'elles l'ont obtenue ; et tout ce dont elles
manquent ici bas, le Seigneur le leur prépare dans le ciel. Le cardinal
Pétrucci dit que l'on peut parvenir, sans la contemplation infuse et avec
la grâce ordi-naire , à anéantir sa propre volonté et à la transformer
en celle de Dieu; et que nous ne devons demander à Dieu que de faire en
nous sa volonté, car c'est en cela que consiste toute la sainteté. C'est
là mourir à nous-mêmes, renoncer à nos désirs, à nos goûts, pour
ne vivre qu'en la volonté de Dieu. L'Apôtre a dit : Vivo au-tem jam non
ego vivit vero in me Christus. (Gal. II. 20.) Je ne vis plus de ma vie,
mnis de celle de Jésus-Christ, car je ne veux que ce qu'il veut.
VII. Tâchez donc, ô ma sœur,
surtout dans ce qui répugne à vos sens , de répéter toujours ces paroles
du Sauveur : Ita, domine, quoniam sic fuit placitum ante te. (Mat. π.
26. ) Ainsi soit-il, puisqu'ainsi \ous l'avez
SANCTIFIÉE.
Si)?
voulu. Un bon religieux, dont parle
Césaire , faisait beaucoup de gracies,· son supérieur lui ayant de-mandé
ce qu'il avait fait d'assez extraordinaire pour que Dieu lui accordât
cette grâce ; il répondit : Je ne fais que me conformer à sa volonté
et d tout recevoir de ses mains. Mais, reprit l'abbé, avant hier le couvent
fit une grande perte et vous n'en fûtes pas ému. Non, répon-dit le moine
, parce que je pensai que c'était la volonté de Dieu. L'Abbé connut
alors pourquoi ce moine était si cher à Dieu. Quand vous êtes tourmentée
parla crainte de quelque malheur à venir, dites : Seigneur, je veux ce
que vous voulez, faites de moi, et de ce que j'ai, toot ce qu'il vous plaira.
S. Grégoire raconte (Dial.l. m. c. 16.) que le démon tourmenta pendant
trois ans, sous la forme d'un serpent, un bon religieux qui souffrait beaucoup
de cela, mais qui n'en perdit pas le prix. Il disait à l'ennemi : Fais
de moi ce que tu veux, si Dieu le permet. Que votre prière se réduise
à ces mots : Fiat voluntas tua. Répétez-la en vous levant et en vous
cou-chant ; dans vos méditations, dans vos communions et dans les visites
au S.-Sacrement, dites toujours fiat voluntas tua. Ste.-Gertrude répétait
300 fois par jour : Mon Jésus que votre volonté soit faite et non la
mienne.
VIII. Vous êtes heureuse si vous
faites toujours ainsi ; si vous êtes toujours résignée à la volonté
di-vine , votre vie sera douce et votre mort plus douce encore. Blosius
dit que celui qui fait à l'instant de la mort un acte de conformité à
la volonté divine, se délivre de l'enfer et même du purgatoire, eût-il
com-mis les crimes les plus affreux : Hoc si facere potuerit neque infernum
neque purgatorium subibit, etiam si totius mundi peccata commisisset (
Bios, de Consol. Pulsill. e. 34.) La raison en est que celui qui accepte
la mort avec résignation acquiert un mérite semblable à ce-
5g8
Là RELIGIEUSE
lui des martyrs qui donnèrent volontairement
leur vie pour Jésus-CliriEt. Celui qui meurt en se confor-mant à Dieu,
meurt content, même au sein des dou-leurs: Un religieux de Citeaux était
près de mourir, Res chairs se pourrissaient sur lui et lui causaient des
douleurs horribles. Mais il en remerciait Dieu. Quand il fut à l'agonie
et que ses douleurs redoublèrent, il se mit à chanter avec une plus grande
joie. Les frères l'entouraient, étonnés de le voir dans une telle allé*-gresse,
au milieu de souffrances si affreuses, etils furent témoins de son dernier
soupir qu'il rendit en disant : Diligentibus deum omnia cooperantur in
bonum. (Rom. vin. 28.) Pour ceux qui aiment Dieu, tout devient un sujet
de mérites et de consolation, car il est certain que Dieu ne nous envoie
de -croix, que pour notre bien. Il dil un jour à Ste.-Gatherine de Sienne:
«Je » ne puis vouloir que ce qui vous est utile. J'ai créé » l'homme
de plein gré, de mon propre mouvement, » c'est pour cela que je l'aime
avec excès. Je ne vous t comble de tribulations que pour votre bien, que
je » désire plus que vous-même. » Une sainte femme, rongée d'ulcère?,
était sur le point de mourir ; l'évêque qui l'assistait ne pouvait retenir
ses larmes à l'aspect de ses souffrances, mais elle riait et s'étonnait
de le voir pleurer. LVvêque, de son côté, s'étonnait de voir rire la
femme. Il lui demanda : pourquoi riez-vous ? Elle répondit: « Si une
princesse emprisonnée savait qu'elle » ne pourrait rentrer dans ses états
que lorsque son ■> cachotserait détruit, ne se réjouira it-ellè pas
en en » voyant crouler les murs? De même, sur le point de ι sortir du
cachot de mon corps, je me réjouis et je » ris. »
IX. Je ne m'arrêterai pasjdavantage
sur la volonté de Dieu, parce que j'en ai déjà fait un traité à party
in-
SANCTIFIER..
09g
séré dans mes Visites au St.-Sacrement.
Si vous avez ce petit ouvrage, je vous prie de le lire, même plu-sieurs
fois, parce que notre .salut et notre perfection consistent seulement a
nous unir à la volonté de Dieu. Est vita in voluntate ejus. (Ps.xxix.
6.) Notre vie spi-rituelle est toute dans la volonté de Dieu.
X. Je vous prie, en dernierlieu,
de faire toutes vos ac-tions dans le seul but d'obéir, à Dieu, car, par
là, ja-mais vous ne vous troublerez, quand Ie3 choses n'irpnt pas au gré
de vos désirs. Vous serez toujours tranquille, et vous plairez à.Dieu.
Savez-vous ce que. c?est que de plaire à Dieu? Le P. Torres· vous l'apprend·.C'est
plaire à ce cœur paternel à qui nous devons tout, à cet oeil divin,
si inquiet pour notre bien ; c'est con-tenter cette volonté toujours occupée
de notre bonr heur. Plaire à Dieu, c'est la fin pour laquelle il nous
à créés, c'est le terme où doivent tendre tous nos dé-sirs, c'est
la règle de toutes nos actions. Plaire à Dieu, c'est tout ce que cherchent
les Saints j c'est ce qui a porté tant de vierges à se consacrer à lui
dans le, cloître, et tant d'anachorètes à se retirer dans les dé-serts,
c'est ce qui empêche ceux qui sont persécutes, de sentir les calomnies,
les injures, et qui rend doux aux martyrs les tourmens et la mort même.
Plaire à Dieu, c'est ce qui porte une àrnè fervente à aller au devant
des privations, de la doulfiar, des calomnies les plus infâmes, delà
mort la plus douloureuse et de l'enfer lui-même. Plaire à Dieu, c'est
préférable atout intérêt, àtouf bonheur, à ce point quesî les Saints
etla Ste.-Vierge, en première ligne, savaient être plus agréables à
Dieu dans l'enfer, que dans le paradis , ils se précipiteraient dans ces
tourmens éternels, pour procurer à Dieu cette plus grande satisfaction.
Voilà ce que veulent dire ces mots : plaire à Dieu.
4θΟ
LA RELIGIEUSE
PRIÈRE.
Ο mon Jésus, ayez pitié de moi!
Malheureuse ! Que de fois, pour satisfaire ma volonté contre la vôtre,
je me suis condamnée à l'enfer ! Si alors vous m'aviez fait mourir, je
serais maintenant dans ce gouffre, à maudire et à haïr votre sainte
volonté. Mais non, je la bénis, je l'aime et veux l'aimer toujours. Mon
Ré-dempteur, pardonnez-moi ! Je ne veux plus vous of-fenser, dites ce
que vous voulez que je fasse , et don-nez-moi votre grâce pour l'accomplir.
Fiat voluntas tua. Faites-moi faire toute ma vie votre volonté, car vous
ne voulez quemonbien et mon salut. Père éternel, par l'amour de Jésus-Christ,
qui m'a enseigné à vous prier en son nom, je ne vous demande qu'une seule
grâce : Fiat voluntas tua, fiat voluntas tua, fiat voluntas tua. Puissé-je
toujours vivre et mourir en faisant votre vo-lonté ! Ο Marie ! gloire
à vous, qui fîtes toujours la volonté de Dieu parfaitement! Ο ma mère,
obtenez-moi, pendant le reste de ma vie , de faire toujours la volonté
de Dieu, j'espère cette grâce de votre inter-cession.
CHAPITRE XV.
De l'oraison mentale.
§· i.
Oc la nécessité de l'oraison mentale
pour les religieuses.
I. La vie des religieuses doit-être
une vie d'oraison. Il est difficile , disons mieux, il est moralement im-possible
qu'une religieuse , qui n'aime pas l'oraison, soit jamais une bonne religieuse.
Si vous voyez une religieuse tiède, dites : elle ne fait pas oraison,
et vous ne vous tromperez pas. Le démon fait tous ses efforts pour,
B1NCTIÏIÊE.
Hoi
dégoûter les religieuses de l'oraison;
s'il s'en rend maî-tre sur ce point, il triomphe bientôt sur tous les
autres. St.-Philippe de Néri disait : Une religieuse sans oraison, est
une religieuse sans raison : J'ajoute, ce n'es* plus une religieuse, c'est
un cadavre de religieuse. Sans orai-son , 1°. pas de lumières, celui
qui tient les yeux fer-més , dit St.-Augustin , ne peut voir le chemin
qui mène à la patrie. Les vérités éternelles sont des cho-ses spirituelles,
invisibles aux yeux des corps, mais el-les sont visibles aux yeux de l'âme;
c'est-à-dire par la pensée et par la méditation. Celui qui ne fait pas
d'o-raison mentale ne les voit pas, et ne voit pas non plus, par conséquent,
l'importance du salut éternel et les moyens à prendre pour l'obtenir.
Ce qui perd tant d'âmes, c'est la négligence à méditer sur l'œuvre
im-portante de leur salut, et à chercher les moyens de l'opérer : la
terre est plongée dans la désolation, parce qu'il n'est personne qui
réfléchisse dans son cœur : Desolatione desolata ett omnis terra,quianullus
est qui re-cogitet corde. (Jér. xii. 11.) Mais au contraire celui qui
a sans cesse présentes à l'esprit les vérités de la foi, la mort, le
jugement, l'éternité heureuse ou malheu-reuse qui l'attend, ne tombe
plus dans le péché. Sou-venez-vous de vos fins dernières et vous ne
pécherez jamais. Memorare novissima tua et 'maternum non pecca-bis. (Ec.
vu. 40. ) Approchez de Dieu, disait David, et vous serez éclairés. Accedite
ad eum ei illuminamini; (Ps. xxxvi. €.) et ailleurs, le Sauveur a dit
: Que vos reins soient ceints et portez des lampes ardentes dans vos mains
: Sint lumbi vestri prœcincti et lucerna arden-tes in manibus vestris.
( Luc. xu. 35. ) Ces lampes, dit St.-Bonaventure , sont précisément la
méditation : Oratio est lucerna. Car Dieu nous parle dans l'oraison
et nous éclaire dans le chemin
du salut : votre parole vin.
26
4θ2
LA BEMGIEI'SE
est la lampe qui dirige mes pas
: Lucerna pedibus mets verbum tuum. (Ps. cxvm. 105.).
II. St.-Bonaventure compare l'oraison
mentale à un miroir qui nous montre toutes les taches susceptibles de
dégrader notre âme, et Ste.-Thérèse écrivant à l'évêque d'Osma
(Lettre 8.) : « Nous croyons parfois, dit-elle, être exempts d'imperfections,
mais lorsque Dieu désille les yeux de notre ârae, comme il a cou- ' tume
de le faire par l'oraison, nous apercevons tous nos défauts. Qui ne fait
pas d'oraisons ne connaît pas ses défauts et ne les déleste pas, nous
dit St.-Bernard; Seipsum non exhorret, quia non sentit. Une connaît pas
non
plus les dangers que court son salut éternel et par la même raison
il ne songe pas à les éviter. Mais s'il s'adonne à l'oraison, il voit
promptement ses dé-fauts, les écueils qui entravent sa marche, les dan-gers
qui l'environnent et les voyant il pense à les évi-ter. David, en méditant
sur l'éternité , apprit à prati · quer la vertu et à fuir le vice
: Cogitaei dies antiquos, et annos œternos in mente habiti, et exercitabar,
et scope-bam spiritum meum. (Ps. LXXVI. 5.)Écoutezl'JÉpouse des Cantiques
: Les fleurs ont apparu sur notre terre;le tems de li taille est arrivé,
nous avons entendu la voix de la tourterelle : Flores apparuerunt in terM
nos-tra, tempus putationis advenit; vox turturis audita est in terra nostra.
(Cant. II. 12.) Quand' l'âme se retire comme une
polombe solitaire pour se recueillir dans l'oraison et s'entretenir avec
Dieu, les fleurs, c'est-à-dire les bons désirs apparaissent, et alors
vient le tems de la taille, c'est-à-dire de la réforme des défauts que
l'oraison nous révèle. Croyez, dit St,-Bernard, que le temps de la réforme
est arrivé, si la méditation vous la révèle : tempus putationis adesse,
si meditatio prœivit, (De cons. L π. Çh,. 6 ) Car, dit ailjeurs.le même
saint,
«ANCTIFIÉE.
4°3
la méditation règle nos penchants,
dirige nos actions et corrige nos défauts : Consideratio regit affectus,
diri-git actus, conigit excessus. (Ibid. 1. ι. ch. 7.)
III. 2°. Sans oraison nous
n'avons pas la force de résister aux tentations de l'ennemi, ni de pratiquer
les vertus chrétiennes. L'oraison est pour l'âme ce que le feu
est pour le fer ; quand il est froid sa dureté est extrême et rend impossible
tout travail ; mais le feu l'amollit et le rend comme docile à la volonté
du forgeron. Faher ignitum ferrum iciibiisnwlUresaUgit. Le ^vénérable
Barthélémy des Martyrs ass-irait (de Gradu doct. spir. cap. 26.) que,
pour observer les conseils et les préceptes divins, il faut avoir un cœur
tendre, c'est-à-dire facile à recevoir l'impression des inspira-tions
célestes et prompt à les mettre en pratique. Sa-lomon disait à Dieu
: vous donnerez à votre serviteur un coeur docile ; Dabis ergo servo tuo
cor docile. { 3 Reg. m. 9.) Notre cœur est maintenant par lui-même dur
et indocile, à cause du péché, et enclin aux plaisirs des sens ; il
répugne à se soumettre aux lois de l'esprit comme l'a éprouvé l'Âpôtre
: je sens dans mes mem-bres une autre loi en opposition à la loi de mon
esprit; Video autem aliam legem in membris meis, repugnantem legi mentis
meœ. (Rom. vu. 23.) Mais l'homme qui se rend docile aux influences de
la grâce qui se communique à lui dans l'oraison, considérant la divine
bonté, l'amour immense que Dieu lui porte et les bienfaits incalcu-lables
dont il l'a comblé, s'enflamme, s'attendrit et trouve ainsi une grande
facilité à suivre la voix qui se fait entendre à lui. Sans oraison
le cœur reste dur, rétif, désobéissant et ne peut manquer de se perdre.
Le cœur dur finira mal, et celui qui aime le danger y périra ; Ccr durum
liabebit maie itt novissimo, et qui amat periculum peribit in illo. (Ecc.
πι. 27.) Aussi St.-Ber-
LA RELIGIEUSE
nard exhortait-il Eugène, qui devint
pape plus tard, à ne jamais négliger l'oraison pour les affaires extérieu-res
: Timeo tibi, Eugeni, ne multitudo negotiaruTìif, inter-missa oratione
et consideratione, te ad cor durum perdu-cat; quod seipsum non exhorret,
quia, non sentit. (Lib. ι. de cons, ad Eug.)
IV. Quelques personnes, regardant
comme perdu le temps de l'oraison, pensent qu'il vaudrait mieux le consacrer
à ce qu'elles appellent des œuvres utiles. Mais ces personnes ignorent
que l'âme puise dans l'oraison la force de repousser le démon et de prati-quer
la vertu, comme l'écrivait St.-Bernard : Ex hoc otio vires proveniunt.
C'est pour cela que l'époux des cantiques défend de troubler le sommeil
de son épouse, jusqu'à ce qu'elle s'éveille elle-même ; ne sus-citetis
neque evigilare faciatis dilectam, donec ipsa velit (Cant. HI. 5. ) II.
dit : Donec ipsa velit, jusqu'à ce qu'elle le veuille elle-même, parce
que le repos ou sommeil que goûte l'âme dans l'oraison est tout vo-lontaire,
mais n'en est pas moins nécessaire pour la vie spirituelle. Qui ne dort
pas n'a pas la force de supporter la fatigue de la marche et tombe au mi-lieu
du chemin. Ceux qui ne se reposent pas et ne prennent pas de forces dans
l'oraison , en manquent pour opérer le bien, pour résister aux tentations
et font des chutes fréquentes. On lit dans la vie de la vén. sœur Marie
Crucifiée qu'étant un jour en oraison elle entendit le démoa se vanter
d'avoir fait manquer une religieuse à la méditation commune, et que l'ayant
tentée ensuite sur des choses graves, la pauvre fille était sur le point
de succomber; aussitôt la servante de Dieu accourt à elle, et, avec l'assistance
d'une grâce toute particulière, la délivre du piège où elle était
engagée. On voit dans quel danger se précipite la
SANCTIFIEE.
4°5
religieuse qui abandonne l'oraison.
Ste-Thérèse dit : L'dme infidèle qui laisse l'oraison mentale n'a pas
be-soin du démon pour la porter dans l'enfer, car elle s'y plorige de
ses propres mains. L'abbé Dioclès disait ; Celui qui laisse l'oraison
devient bientôt brute ou démon.
V. Si nous ne prions pas Dieu, il
ne nous donne pas sa grâce, et, sans sa grâce, nous ne pouvons pas observer
ses préceptes. C'est pourquoi l'Apôtre exhor-tait ses disciples à prier
sans cesse : Sine intermissione, orate, (ι. Thess. 5.) Nous sommes tous
de pauvres mendians; Ego autem mendicus sum et pauper. (Ps. 39. ) Les pauvres
n'ont d'autres richesses que les aumônes qu'ils demandent aux riches;
la prière est notre ri-chesse , c'est par elle que nous obtenons de Dieu
le don de sa grâce. Sans la prière, dit St.-Chrysostôme^ il est absolument
impossible de bien vivre: Simpliciter impossibile est absque precationis
prœsidïo cum virtute de-gere. D'où vient, dit le savant Abelly , l'effrayante
corruption des mœurs dont nous sommes témoins , sinon de ce qu'on né
fait pas oraison ? Dieu,dit St. -Gré-goire, veut bien nous enrichir de
ses grâces, mais il veut être prié, forcé par nos prières et vaincu
par notre importunité : Vult Dens rogari, vult cogi, vult quadam importunatite
vinci. (In Ps. pœnit. 6.) Il est' impossible que celui qui prie exactement
tombe dans le péché : Impossibile est, hominem congruo precantem stu-dio
unquam peccare, dit St. Chrysostôme. (Horn. 79. ad pop. Ant.) Il dit ailleurs
que quand les démons nous voient prier ils cessent de nous tenter : Si
nos càmpe-rerint deprecatione munitos illico résiliant. ( Lib. ι. dé
orando Deo. )
Vï. De cette nécessité absolue
de priei' vient la né-cessité morale de l'oraison mentale, car sans elle,
4θ6
ΙΑ BEtlCIEUSE
distraits par les affaires extérieures
très-peu connais-sent leurs besoins .spirituels, les dangers qui compro-mettent
leur salut, les moyens à prendre pour vaincre les tentations et même
l'obligation ou nous sommes tous de prier. On abandonne bientôt ce sain!
exercice et on se perd sans retour, te grand Evéque Palafox dit dans ses
notes sur les lettres de Ste.-Thérèse: (Lib. vin. n°. 10. ) « Comment
la charité peut-elle subsis-ter si Dieu ne nous dor η e la persévérance
? Comment Dieu nous donnera-t-il la persévérance si nous ne 'la lui demandons
? Et comment la lui demanderons-nous sans l'oraison ? Sans oraison il n'y
a pas de com-munications entre Dieu et nous, pour nous mainte-nir dans
la vertu. » Le Cardinal Bellarmin dit qu'il est moralement impossible
que celui qui ne médite pas vive exempt de péché. Je ne fais pas d'oraison
men-tale, dites-vous, mais je fais beaucoup de prières vo-cales. Écoutez
la réponse de St.-Augustin : Pour obtenir la grâce, il ne suffit pas
de prier avec les lèvres, il faut encore prier avec le cœur. A ces paroles
de David : J'élèverai ma voix vers le Seigneur; Voce mcâ ad dopûnum
clamavi, ( Ps. 141. ) ce Saint fait cette re-marque : Beaucoup crient mais
ce n'est pas avec leur voix, e'est-à-dire avec la voix intérieure du
coeur, mais avec la voix du corps, c'est votre pensée qui est le cri qui
s'élève jusqu'au Seigneur; criez dans votre cœur, carc'estlà que Dieu
écoute. Molli clamant non votesuâml corporis. Cogitatio tuaclamorestad
Dominum. Clamaintàs, ubi Deusaudit. ( In Ps. v. 30.) L'Apôtre disait
: Priant en tout temps en esprit, Orantes omni tempore in spiritu. (Eph,
vi, ^8.) On fatties prières vocalesavec la voix du corps, et non p^intavec
celle du cœur et alors on est distrait, surtout si elles sont nombreuses
et si on ne s'est pas formé auparavant à l'oraison mentale ;
c'est pour
SASCT1F1ÉE.
407
cela que Dieu les écoute peu et
les exauce rare-ment. Beaucoup de personnes disent leur rosaire, l'office
de la Ste.-Vierge, et font d'autres œuvres exté-rieures de dévolion
et cependant restent toujours dans le même état de péché. Mais celui
qui s'applique à l'oraison mentale ne peut pas, en même temps, s'a-donner
au péché : ou il abandonnera l'oraison, ou il renoncera au péch£. Un
grand serviteur de Dieu di-sait : L'oraison mentale et le péché ne peuvent
pas demeurer ensemble. L'expérience ne prouve-t-elle pas que ceux qui
font l'oraison mentale tombent ra-rement dans la disgrâce de Dieu, ou
que si par ha-sard ils y tombent, bientôt ils se ravisent en conti-nuant
l'oraison et retournent à Dieu. Qu'une âme soit relâchée autant que
vous pourrez le supposer, dit Ste.-Thérèse, si elle persévère dans
l'oraison le Sei-gneur la conduira aux portes du salut.
VÏI. Tous les saints sont devenus
saints par l'oraison mentale. C'est une heureuse fournaise où l'âme s'em-brase
de l'amour de Dieu. Pendant ma méditation le feu s'enflammera. In meditatione
meâ exardescet ignis* ( Ps. xxxvui. ίχ· ) St.-Vincent de Paule disait
que ce serait un miracle de voir un pécheur entendre lés sermons de la
mission, en suivre les exercices spiri-tuels et ne se convertir pas ; et
eependan t celui qui prêche n'est qu'un homme, tandis que, dans l'oraison
mentale, celui qui parle c'est Dieu. Je le conduirai, dit-il, dans la solitude
et je parlerai à son cœur. Dàcam eam in solitudinem et loquar ad cor
ejus. (Os. 11.'74. ) Sté.-Catherine de Bologne1'disait : CeÎle qui ne
fait pas l'oraison élant privée du lien qui atta-che l'âme à Dieu,
iî ne sera pas difficile au démon qui la trouvera seule et isolée de
l'environner de ses filets. Elle ajoutait : Comment croire qu'une âme
ΙΑ ItELIGIEUSE
aime réellement Dieu, lorsqu'elle
néglige de commu-niquer avec lui dans l'oraison ? Qu'est-ce qui em-brasait
les saints de l'amour de Dieu, sinon l'oraison ? Par ce moyen St.rPierre
d'Alcantara éprouvait une telle ardeur,qu'une fois s'étant précipité
dans un étang gelé pour se rafraîchir, l'eau commença à bouillir,
comme si elle eût été dans une chaudière et sur le feu. St.-Philippe
de Néri éprouvait une telle agita-tion, qu'il faisait trembler la maison
qu'il habitait. St.-Louis de Gonzague éprouvait, dans l'oraison, nn tel
sentiment d'amour de Dieu, que sa figure paraissait enflammée et que son.
cœur battait avec tant de violence qu'on aurait dit qu'il voulait sortir
de sas poi'rine. Ex oratione* Ait St.-Laurent Justinien, fuga-tur tentatio,
abscedit tristitia, virtus reparatur, excitatur fervor, it divini amoris
flamma succreseit. ( De cas. conn. cap. XXII. n° Ιχ. ) L'oraison chasse
les tenta-tions et la tristesse, excite la ferv««r engourdie, ra-nime
la vertu trop peu défiante et augmente l'aimable flamme de l'amour divin.
Aussi St.-Louis de Gonza-gue disait avec raison que celui qui ne fait pas
beau-coup d'oraison ne parviendra jamais àunhaut degré de vertu.
VIII. Une âme d'oraison , disait
David, est comme un arbre planté au bord d'un courant d'eau, qui donne
des fruits dan» son temps ; toutes ses ac-tions prospèrent devant Dieu.
Beatus vir qui in lege ejus meditabitur, die ac nocte ! et erit tanquam
lignum quod plantatum est secus decursus aquarum? quod fructum suum daliit
in tempore suo, et folium ejus non defluet et omnia quascumque faciet,
prosperabantur. ( Ps. i. &. ) Re-marquez ee mot, in tempore suo, qui
veut dire dans le temps ou il faudra supporter telle douleur, tel af-front,
etc. St.-Jean Chrysostôme compare L'orais on
SAWCTIFIÉE.
4°9
à tine fontaine qui coule au milieu
d'un jardin. Comme ce jardin; toujours arrosé par une onde pure, est constamment
vert et fleuri! Telle est une âme d'oraison; on la voit croître sans
cesse en bons désire et en fleurs de vertu. D'où reçoit-elle tous ces
biens ? De l'oraison qui l'arrose sans cesse. Emissiones tum pa-radisus
malorum punicorum cumpomorum fructibus... fons hortorum, puteus aquarum
viventium qux fluit impetu de Libano. ( Cant. iv. v. 13. ) Mais que l'eau
vienne à manquer à ce jardin , voyez comme tout sèche promptement, les
fleurs et les plantes, et les fruits, Poiirquoi ? parce quo la source est
desséchée. Telle personne, quand elle faisait des oraisons, était humble,
modeste, pieuse et mortifiée : elle abandonne ce saint exercice, et tout-à-coup
elle devient libre dans ses regards et ses paroles, sans piété, ne fréquentant
plus ni l'église ni les sacremens, sans mortifications, ai-mant toutes
les vanités du monde, ses sociétés, ses jeux , ses plaisirs. Pourquoi
cela ? La source s'est desséchée et l'esprit a perdu son principe de
vie. Anima mea sine aqua tibi , defecit spiritus meus. ( Ps. CXLII. 6.
) Elle a quitté l'oraison : le jardin s'est flétri, et le mal ne fait
qu'augmenter. Quand l'âme aban-donne l'oraison, dit St.-Chrysostôme,
non-seulement je la donne pour malade, mais pour morte. Quisquis non orat
Deum nec divino ejus colloquio capit assidue frui, is mnrtum ett.... Animm
mors est non provolvi coram Deo. ( Chrys. lib. 1 de orando Deo).
IX. Le même docteur dit que l'oraison
est la racine de la vigne féconde. Radix vUis frugiferœ. St.-Jean Climaque
dit : Oratio est propugnaculum adversas im-petum afflictionum, virtutum
scaturigo , gratiarum con-ciliatrix ( Gradu. 28. ) Ruffìn assure que tout
le pro-
/jtO
ΙΑ RELIGIEUSE
fit spirituel de l'âme vient de
l'oraison mentale : Om-nis profectus spiritualis, ex meditatione procedit.
( In Ps. 36. ) Et Person ajoute que celui qui ne médite pas ne peut, sans
miracle, vivre en chrétien : Abs-que meditationis exercitio nullas, secluso
miraculo Dei, ad christiana religionis normam attingit. ( de med. cons.
7 ) Jérémie a dit en pariant de l'oraison : Sedebit solitarius et tacebit,
quia levavit super se. (Th. m 28. ) C'est-â-dire que l'âme ne peut s'attacher
à Dieu si elle ne s'éloi»ne pas des créatures, si elle ne s'assied
pas, c'est-à-dire si elle ne s'avrêle pa,< à contempler la bonté
et l'amour de son Dieu. Mais quand, soli-taire , elle se renferme dans
l'oraison, quand elle garde le silence, quand elle cesse de penser au monde,
alors elle s'élève au-dessus d'elle-même. Levavit su-per se, et, après
l'oraison, elle se trouve toute autre qu'auparavant. St-Ignace- de Loyola
disait : qXie l'oraison mentale est la voie la plus courte pour arri-ver
à la perfection , et en effet, plus on avance dans l'oraison plus on avance
dans la perfection. Dansl'orai-S)n, l'âme se remplit de saintes pensées,
de désirs, d'affections, de résolutions saintes et d'amour pour Dieu.
Elle y sanctifie ses passions, ses goûts, son attachement aux choix d'ici-bas,
et tous les intérêts de son amour-propre. En nous adonnant à l'oraison
, nous pouvons aussi sauver beaucoup de pécheurs, en priant pour eux,
comme le faisaient Ste-Thérèse , Ste-Marie-Magdeleiiic de Pazzi, et comme
ne man-quent pas de le faire les âmes qui aiment Dieu et qui jamais ne
se lassent île recommander au Seigneur, dans leurs prières, les infidèles,
les hérétiques et tous les pauvres pécheurs, et de lui demander, parses
prêtres, l'esprit qui doit les convertir. Par l'oraison, nous pouvons
encore acquérif le mérite de beaucoap
SASCTIPIÉE,
41 '
d'œuvres que nous ne faisons pas
, par le seul désir de lesiaire; car ainsi que le Seigneur punit les mau-vais
désirs , de même il récompense les bons.
X. Il ne faut pas faire d'oraisons
pour obtenir des consolations et des douceurs spirituelles, mais seu-lement
pour plaire à Dieu et pour apprendre de lui "ce qu'il veut que nous fassions
pour son service. Le P. Alvarez , disait : Aimer Dieu ,'ce n'est pas rece-voir
ses faveurs , mais le servir pour lui plaire" 11 ajoutait que les consolations
de Dieu sont comme, le rafraîchissement que prend un voyageur dans son
chemin, ce n'est pas pour s'arrêter, mais pour con-tinuer sa route avec
plus de vitesse. Quand dcnc vous êtes tiède dans l'oraison et, que, malgré
cela, vous la continuez avec courage , sachez que vous étés agréable
à Dieu'et que vous récoltez une ample mois-son de mérites. Òites-lui
alors : ô mon Jésus! pourquoi me traitez-vous ainsi ? Vous m'avez privée
de tout, de la fortune de mes parents et de m'a volonté et je m'en suis
dépouillée volontiers pour vous acquérir. Pourquoi maintenant me privez-vous
aussi de vous ? Dites-lui tout cela* avec humilité, et il vous fera com-prendre
que vous aimant beaucoup, tout ce qu'il fait, il le fait pour votre bien.
Le P. Torres disait : L'âme court et vole à la perfection, quand on porte
la croix sans consolations.
4 13
ΙΑ BELIGIEI'SB
PRIERE.
Ο mon Jésus, vous m'avez aimée
au milieu des souf-frances, moi aussi, je veux vous aimer au milieu des
souffrances. Vous avez répandu tout votre sang pour obtenir mon amour;
pourrais-je ne répondre que fai-blement à tant d'amour, comme je l'ai
fait si sou-vent? Non, mon Rédempteur, il n'en sera point ainsi , Je vous
ai assez négligé par le passé ; je vous consacre tout mon cœur; vous
seul êtes digne de tout mon amour; je ne veux aimer que vous. Ο mon Dieu
! puisque vous me voulez toute pour vous, donnez-moi la force de vous servir
comme vous le méritez, pen-dant le reste de ma vie. Pardonnez-moi ma tiédeur
et mes infidélités passées. Que de fois j'u quitté l'o-raison pour
satisfaire mes caprices ! que de fois, pou-vant vous plaire et m'entretenir
avec vous , j'ai préféré la conversation des créatures , et vous ai
déplu ! Que ne puis-je retrouver tant d'années que j'ai perdues ! Du
moins, ô mon Sauveur ! le reste de mes jours vous sera entièrement consacré.
Je vous aime, ômon Jésus, mon bien suprême ! Vous serez toujours, comme
vous auriez dû être sans cesse, l'unique objet de mes affec-tions. O
Marie , mire du bel amour, obtenez-moi la grâce d'aimer votre fils et
de consacrer le reste de ma vie à son amour ! Il vous accorde tout ce
que vous lui demandez, j'attends cette grâce de vous.
SANCTIFIEE.
S- IL
Pratique de l'oraison mentale.
I. Nous avons démontré plus haut
la nécessité de l'oraison mentale pour une religieuse, et l'abondance
des biens spirituels qu'elle peut en tirer; considérons-en maintenant
la pratique, quant au lieu, au temps, et à la manière. 1° Le lieu doit
être retiré. Notre Sau-veur à dit : Tu autem cam oraveris, intra in
cubiculum tuum, et clauso ostio, ora patremtuum.(Mai. vi. 6.)Quand vous
voulez prier, renfermez-vous dans votre cham-bre, et là, priez votre père.
St.-Bernard a dit que le silence et l'éloignement des fracas du monde
ob lige en quelque sorte l'âme à penser aux biens du ciel : Silentium
et d strepitu quies cogit coelestia meditari. II vaut mieux pour les religieuses
qu'elles prient dans le chœur en présence du St.-Sacrement. Le P. Avila
di-sait qu'il ne connaissait pas de lieu qui portât plus au recueillement
qu'une église où réside Jésus , dans le très-Saint-Sacrement. Pour
bien prier, il faut au si-lence extérieur joindre le silence intérieur,
c'est-à-dire nous détacher des affections terrestres. Le Seigneur dit
un jour à Ste.-Thérèse, au sujet des gens attachés au monde : Je voudrais
leur parler, mais les créatures font tant de bruit à leurs oreilles,
qu'elles ne laissent pas à ma voix un seul moment pour se faire entendre.
Au § II, ce sujet swa traité plus au long, en parlant de la solitude
du cœur.
II. St.-Isidore disait
qu'en général le temps le plus propre à la prière est le
matin et le soir : Mane et
4 14
LA RELIGIEUSE
vespere tempus orationis opportunum.
( De summo bo-no, e. 7. ) Mais le matin, dit St.-Grégoire, est le mo-ment
le plus favorable, parce que, ajoute ce saint, l'oraison précédant les
affaires, le péché trouve plus difficilement entrée dans le cœur. Sioratio
negotia pra-eessent, peccatum aditum non inveniet. Le vén. P. Caraffa,
fondateur de la Congrégation des pieux ouvriers , di-sait, à ce sujet,
qu'un acte fervent d'amour de Dieu , fait le matin dans l'oraison, suffit
pour conserver l'âmé dans la ferveur, pendant tout le cours de la journée.
Le soir l'oraison n'est pas moins nécessaire, comme l'observe St.-Jérôme.
Non prius corpus quiescat quam anima rescaiur. (Ep. xxii. ad. Eustoc.)
Le corps ne doit pas prendre de repos avant que l'âme ne soit fortifiée
par l'oraison qui est sa nourriture. D'ailleurs, en tout temps et en tout
lieu , les religieuses peuvent prier, même en travaillant et en marchant.
III. Les saints avaient coutume
d'employer à l'orai-son tout le tems que n'exigeaient point les occupa-tions
de leur état. St.-François de Borgia y consacrait huit heures par jour,
parce que ses supérieurs ne lui accordaient pas plus de temps. Quand les
huit heures étaient remplies, il demandait, comme une aumône, la permission
de continuer encore pendant quelques momens : de qrâce, dfc'ait-il , encore
un^etit quart d'heure. St.-Philippe de Néri employait les nuits en-tières
à la prière. St.-Antonin abbé passait aussi toute la nuit eu oraison,
et, quand le soleil se levait ( ce qui était la fin du temps qui lui était
accordé), il se plai-gnait que le soleil se levait trop promptement. Le
P. Alvarez disait qu'une âme remplie d'amour de Dieu, lorsqu'elle cesse
de prier, doit être dans un état aussi violent qu'une «pierre hors du
centre de gravitation; car, sur la terre, nous1 devons imiter autant quepossi-
SANCTIFIÉE.
Ί 1 5
ble l'occupation des élus qni contemplent
Dieu sans interruption. Quand à la posture la plus convenable pour pratiquer
l'oraison , c'est de s'ageneuiller, mais si cette position devenait la
source de distractions fré-quentes, par les douleurs qu'elle causerait,
on pourrait demeurer modestement assis , selon la pensée de St.-Jean de
la Croix.
IV. Mais venons à quelque
chose de plus spécial : Combien de temps doit consacrer à l'oraison une
re-ligieuse qui tend à la perfection ? Le P. Torres assi-gnait, aux religieuses
qu'il dirigeait, une heure d'orai-son le matin , une autre heure dans la
journée, et une demi-heure pendant la nuit ,· à moins qu'une ma-ladie
ou une occupation, imposée par l'obéissance, ne les en dispensât. Si
vous trouvez ce temps trop long , il suffira, je crois, que vous fassiez
une heure d'oraison, outre celles de la communauté. Le Seigneur désire
que, parfois, nous négligions l'oràison pour exercer quelques œuvres
de charité envers le prochain ; mais, dit St.-Laurent Justinien : Cum
caritas urget, se expo-nit proximo, tic tamen uti continue anhelet ad cubilis
sponsi reditum. ( De casto. çonj. c. n. c. n. 7. ) Quand la charité le
demande, l'épouse de Jésus-Christ va ser-vir son prochain, mais
toujours et partout elle désire retourner aux pieux entretiens avec son
époux dans sa cellule. Le P. Caraffa,qui fut général de la Compagnie
de Jésus, donnait à l'oraison toutes les minutes qu'il pouvaii dérober
aux affaires.
V. L'oraison fatigue la religieuse
qui reste attachée au monde, et plaît à celles qui n'aime rien autre
que-Dieu. Mais comment croire qu'une religieuse n'aime que Dieu, quand
elle passe volontiers des heures en-tières à s'entretenir avec un parent
ou avec toute, au7
il 16
LA RELIGIEUSE
tre personne, et qu'elle rie peut
faire une heure d'o-raison,outre celles de la communauté?Ces entretiens
de Dieu ne causent ni tristesse, ni ennui à ceux qui l'aiment
véritablement. Non enim habet amaritu-dinem conversatio illius, nec tœdium
convictus illius, sed lestitiam et gaudium. ( Sap. vin. 16.
) L'oraison , dit St.-Jean Climaque, est-elle autre chose qu'un
entretien familier et une sainte unionavecDieu ? Oratio estfamiliarisconversatioetconjunctiocumDeo.
(Gradu.28) Dans l'oraison, dit S.-Jean Chrysostôme, l'âme s'entre-tient
avec Dieu , et Dieu s'entretient avec l'âme. Qu'elle est douce et paisible
la vie des religieuses qui aiment l'oraison et fuient les amusements terrestres
! Si vous ne pouvez le croire , Gustate et videte quoniam suavis est Dominus.
( Ps. χχχίπ. 9. ) Essayez et vous verrez combien le Seigneur est bon.
Pour celui qui laisse tout pour être tout à lui seul. Du reste, le but
que nous devons nous proposer dans l'oraison, n'est pas d'y trouver des
consolations, mais d'y apprendre de Dieu ce qu'il exige de nous, nous dépouillant
de tout amour-propre. Ad preparandum te ad orationem, dit St.-Climaque
, exue voluntates tuas. ( Grad. 28. ) Pour se préparer à l'oraison, il
faut renoncer à sa vo-lonté et dire à Dieu .* Loquere, Domine, quia
audit servus iuus.(i.Reg. m. 10. ) Dites-moi, Seigneur, cequevous voulez-vous
que je fasse, je suis prête à tout ce que vous désirez ; et il faut
le dire avec une ferme résolution , car, sans cela, Dieu ne se communiquera
pas à vous. VI. Quant à la manière de faire l'oraison mentale, je veux
supposer que VJUS en êtes déjà instruite, cepen-dant j'indiquerai ici
les choses principales pour les jeunes commençantes qui liront ce livre.
L'oraison se divise en trois parties : La préparation , la méditation
et la conclusion. La préparation contient trois actes,
SANCTIFIÉE.
4 I 7
1° Acte de foi snr la présence
de Dieu, et acte d'adora-tiOri. 2° Acte d'humilité et de regret de' Ses
péchés. 3° Acte de demande de lumières. Dites ï"Mon Dieu, jt Vous
crois présent devant moi, et je vous adore de touX men reèar. ( Tâchez
de faire cet acte avec «ne vive foi, ' car l'idée dei la présence de
Dieu nous préservé des d istra-trons. Un grand serviteur de Dieu , le
cardinal ftarac·'-cittlo, évêque d'Anvers , disait que lorsqu'on «ist'dis-trait
, c'est qu'on n'a pas bien fait l'acte de foi; ) WiSei-'gheurje mériterais
Wêtre maintenant dans lrenfe^,çôAh iou-tes les injures η uije vous
ai faites. Je m'en repends t/f toutmon casur. Àyez pitié de moi. 3°
Pire éternel, au nent de j;èsta Vt dé Marié, éclairez~moi dans mon
oraison, afin qu'elle vie soit avantageuse. Il faut ensuite se récommanfler
à'la Vierge Marie par un ave, à St.-Joseph, à son d»ge gardien et à
son saint patron. Ces actes; dït'St.-ï'raïi-tiôig de Sales, doivent
être fervents, mais courts, et l'on doitue ntetti* aussitôt à la méditation.'.
■■■■''
Vil; Pour se livrer à la méditation,
il feutbârmir toute 'pensée étrangère et dire avec St.-Bernard :£*-petiote
lue, cogitationes mets: Ό mes pensées ! attendez un moment; àp^s ma
prière'j'irai vous reprendre; Pen-dant l'ofaisoti ne pas laisser errer
sort esprit sut· àe$ objeWdiTers, et, si l'on est interroBipUipar qniélqué
distraction, ne pas s'en inquiéter, ne pas l* chasser avec colère, mais
la repousser' doucement et retour ner à Dieu. Le démon nous: tourmente
beaucoup par des distractions fréquentes, pendant nos ora'isoiie; afin
qbenousles abandonnions. Celui qui'laisse Torafsoti, psircie qu'il est
distrait ; ' doit savoir qu'il satisfait le 'dé-sOon. ïl est impossible,
dit Cassien, que nousne'so^oiis qwelquefois distfaiïs dans l'oraison,
mais n'THrenon·-^cijspas, qutnique fréquentes qu'elles soient. St.-Fran-çois'!dé
Sslles'tliti: Quand ménie, dans nas oraisonsi, vin.
37
4 ■ 8
LA RELIGIEUSE
nous ne ferions pas autre chose
que de chasser sans cesse les distractions et les tentations, l'oraison
n'en serait pas moins excellente. St.-Augustin a dit qae les distractions
involontaires ne nous frustrent pas du fruit de l'oraison. Evagatio mentis
quœ fit prœter propo-situm, orationis fructum non tollit, (in Reg. 3.)
Si vous vous apercevez que les distractions sont volontaires, remédiez
à ce défaut en les chassant, mais n'aban-donnez pas l'oraison.
VIII. Quand au choix du sujet de
Poraison, il faut commencer par méditer les mystères et les vérités
de la foi, où notre âme trouve le plus d'aliment et de faci-lité. Mais
le sujet le plus propre à la méditation , pour une religieuse qui tend
à la perfection , c'est la pas-sion de Jésus-Christ. Blosius dit que
le Seigneur ré-véla à plusieurs saintes, entr'autres à Ste.-Gertrude,
à Ste.-Brigitte, à Ste.-Mathilde et à Ste.-Catherine de Sienne, qu'il
aimait à voir une âme méditer sur sa passion. St.-François de Sales
disait que la passion de notre Sauveur doit-être la méditation ordinaire
de tous les chrétiens, à combien plus forte raison des épouses de Jésus-Christ
? Oh ! quel beau livre que la passion de Jésus ! là, bien mieux que dans
tous les au-tres livres, on apprend à connaître la malice du pé-ché
, la miséricorde et l'amour de Dieu pour les hom-mes. C'est pour cela
que j'ai le projet de mettre à la fin de cet ouvrage quelques pieuses
réflexions, sur les textes des Saints Évangélistes, relatifsà la passion
du Sauveur. Si Jésus-Christ a souffert la flagellation, le couronnement
d'épines, le crucifiement et toutes les douleurs de sa passion, il a eu
en vue, sans doute, de nous offrir ces mystères douloureux pour sujet
de mé-ditation , afin que, les ayant sans cesse présents à l'es-prit,
nous y puisions des sentimens d'amour et de re-
SANCTIFIÉE.
419
connaissance pour le Seigneur. Quand
la religieuse est en son particulier, elle peut se servir de quelques livres
pieux, pour faire son oraison. Ste.-Thérèse suivit cette méthode pendant
17 ans; elle lisait un peu, puis elle méditait; semblable à la colombe
qui puise une onde pure dans un clair ruisseau, et lè,ve les yeux au ciel.
IX. L'utilité de l'oraison
mentale, consiste moins dans la méditation que dans les affections, les
prières et les résolutions, qui sont les trois effets principaux de i'oraison.
Ste.-Thérèse disait : Le profit de Came n'est pas de penser beaucoup
d Dieu, mais de l'aimer beau-coup, et cet amour s'acquierten prenant la
résolution de travailler beaucoup pour lui. Les maîtres de la vie spirituelle
disent, au sujet de l'oraison, que la médi-tation est comme l'aiguille,
qui tire après elle un fil d'or, composé d'affections, de résolutions
et, de priè-res. Quand vous avez médité sur un point, et que vouz
vous sentez touchée de quelques bons senti-timens, élevez votre cœur
à Dieu, et offrez-lui un bon acte d'humilité, de confiance ou de remerciement,
et répétez surtout, dans votre oraison, les actes de coo-trition et d'amour.
Ces deux actes sont une chaîne d'or qui lie l'âme à Dieu. Un acte d'amour
parfait suffit pour nous obtenir la rémission de tous nos péchés. Caritas
operit multitudinem peccatorum, (i. Petr..ύ. 8,.) Le Seigneur n'a-t-il
pas déclaré qu'il ne peut haïr ceux qui l'aiment? Ego diligentes me
diligo. (Prov. vui. 17.) La vén. sœur Marie Crucifiée ( Vie e. 10 )
vit uu jour un globe de feu consumer aussitôt la paille qu'on en avait
approchée, ce qui lui fit comprendre que lors-qu'un âme dit un acte sincère
d'amour de Dieu, tous ses péchés sont pardonnes. Le docteur Angélique
uqu> apprend que chaque acte d'amour nous fait acquérir
420
LA DELICIEUSE
un nouveau degré de gloire. Quilibet
actus caritatis me-retur vitam œternam. Les actes d'amour consistent à
dire, par exemple : « 0 mon Dieu, je vous aime par-dessus toutes choses.
Je vous aime de tout mon cœur. Je me réjouis de votre félicité. Je
voudrais vous voir aimé de tout le monde. Je ne veux que ce que vous voulez.
Faites-moi connaître ce que voulez de moi. Je suis prêt à le faire.
Faites de moi, et de ce que je possède, tout ce qu'il vous plaira. »
Ce dernier acte d'offrande, est surtout agréable à Dieu. Ste.-Thérese
le répétait 50 fois par jour. Remarquez que je ne parle ici que de l'oraison
ordinaire, car, si votre âme était Unie à Dieu, par un recueillement
surnaturel ou \in-fus, sans aucune pensée particulière de quelqu'une
des vérités éternelles ou de quique mystère divin, il ne faudrait pas
vous forcer de faire d'autres actes que ceux que vous indique si doucement
la voix de Dieu. Il suffit de rester seulement unieà Dieu avec une amou-reuse
attention , craignant d'interrompre l'opéra-tion divine par des actes
ou dés paroles. Ceci ne peut s'appliquer cependant qu'à ùtie âme appelée
par Dieu à une oraison surnaturelle : car si telle n'est pas rio-tre vocation,
nous ne devons pas nous-écarter de la règle ordinaire de l'oraison, qui
consiste, comme nous l'avons dit, en méditations et'âflections. Il vaut
mieux que les personnes habituées à l'oraison s'appliquent à faire désaffections,
que de longs discours.
'
X. Il faut surtout,dans l'oraison,
répéter les mêmes prières, demander à Dieu avec humilité et confiance
sa grâce, c'est-à-dire, ses inspirations, la resigna-tion, la persévérance,
mais surtout le don de son amour. St.-Frauçois de Sales, disait que lorsqu'on
a obtenu l'amour de Dieu on a reçu toutes les grâces; <î^r ceux qui
aiment Dieu de tout leur cœur sans
SANCTIFIEE.
4 21
qu'on les y oblige, éviteront d'eux-mêmes
de lui faire la moindre offense, et feront tous leurs efforts pour lui
être agréables. Si vous êtes plongée dans l'aridité et la sécheresse,
au point de vous sentir comme incapa-ble de faire des actes pieux; il suffit
que vous disiez : Ο mon Jésus, miséricorde! Seigneur, par pitié, à
mon aide ! et cette courte prière, sera peut-être pour vous la plus utile
et la plus fructueuse. Le P. Paul Se-gneri disait que pendant ses études
de théologie, il ne faisait dans ses oraisons qu'affections et réflexions,
mais, ( ce sont ses propres paroles) Dieu m'ouvrit les yeux; dès- lorf
je me mis d faire des prières; et s'il y à quel-que bien en moi, je reconnais
le devoir d cette habitude de me recommander d Dieu. Faites de même, deman-dez
lui ses grâces au nom de Jésus-Christ, et vous les obtiendrez. Le souverain
médecin, notre Sauveur, ne peut manquer à la promesse qu'il nous a faite
: En vé-rité je vous le dis , si vous demandez quelque chose à mon père
en mon nom, il vous le donnera, Amen , amendieo vobis, si quid petieritis
patrem, in nomine meo, dabit vobis. (Jo.xyi. 23.) Enrésumé,vosoraisonsdoivent
consister en actes et en prières. La Vierge Marie Cruci-fiée disait,
dansun moment d'extase, quela prière est la respiration de l'âme, de
même 4ue lorsqu'on respire, ' tantôt on hume l'air, tantôt on le repousse,
ainsi l'âme par la prière, aspire la grâce de Dieu, et par les actes
d'offrande et d'amour, se livre tout entière à Dieu.
XI. En terminant l'oraison il est
essentiel de pren-dre toujours quelque résolution particulière, comme,
par exemple, de se corrriger d'un défaut dans lequel on tombe plus souvent,
de mieux pratiquer quelque vertu , de souffrir l'importun ité de telle
sœur , d'obéir plus exactement à une autre, de se mortifier
422
LA DELICIEUSE
en tel point. Ne cessez de répéter
ces résolutions, jusqu'au moment où vous aurez acquis une vertu, ou déraciné
un vice. Après l'oraison , il est essentiel de mettre en pralique les
lésolutions qu'on a prises, aussitôt que l'occasion s'en présente. Il
est bon, en outre, de renouveler, avant la fin de l'oraison, les vœux
de sa profession ; c'est une pratique très-agréable à Dieu. Selon la
doctrine de St.-Thomas, la religieuse ayant donné à Dieu, le jour de
sa profession , par le moyen des vœux, ses biens, son corps et sa volonté,
est dès-lors absoute de tous ses péchés. Celle qui re-nouvelle ses vœux
obtient le même résultat; c'est pourquoi je vous engage à le renouveller,
cet enga-gement , non-seulement dans vos oraisons , mais encore dans vos
communions, dans vos visites au St.-Sacrement, quand vous vous levez et
quand vous vous mettez au lit.
XII. La conclusion de l'oraison
consiste 1° à re-mercier Dieu des lumières qu'on a reçues; 2° à se
proposer d'être fidèle aux résolutions qu'on a prises. 3° à demander
au Père Éternel pour l'amour de Jésus et de Marie, la grâce de persévérer.
A la fin de l'orai-son , il faut avoir soin de recommander les âmes du
purgatoire et les pécheurs. St.-Jean Chrysostôme disait qu'il ne savait
rien qui prouvât mieux l'amour d'une âme pour Jésits-Christ que son
zèle à lui re-commander ses frères : Nihil declarat, quis sit amans
Chrii.fi, quam si fratrum curam aget. (Hom. 3. ) St.-François de Sales
dit qu'en finissant l'oraison on doit y choisir un bouquet de fleurs dont
on respire le par-fum, pendant le reste delà journée; c'est-à-dire une
ou deux pensées, qui ont le plus frappé, et s'en nourrir pendant tout
le jour. Les oraisons jaculatoires les plus chères à Dieu sont celles
d'amour, de résignation
SANCTIFIEE.
!\·ΙΑ
et d'offrande de soi-même. Tachez
do ne faire aucune action sans l'offrir d'abord à Dieu, et de ne pas rester
un quart d'heure, dans quelqu'occupation que vous soyez engagé, sans élever
votre âme à Dieu, par quel-que bonne pensée. Dans un moment de repos,
comme quand vous attendez quelqu'un ; quand vous vous promenez dans un
jardin, comme quand une infir-mité vous oblige à rester au lit, unissez-vous
à Dieu autant que vous le pourrez. Par le silence, la solitude, et le
souvenir de la présence de Dieu, on peut conser-ver l'impression des sentiments
d'amour que l'on a conçus dans l'oraison. Nous parlerons plus en détail
de cela dans le chapitre suivant.
XIII. Pour que les religieuses deviennent
des âmes d'oraison,ilest indispensable qu'elle n'en abandonnent jamais
la pratique, même dans les moments d'aridité. Ste.-Thérèse nous a laissé
sur cela quelque chose d'ad-mirable. Le démon sait, dit-elle dans un de
ses éciits, que les âmes qui s'appliquent d l'oraison avec persévérance,
sont perdues pour lui. Et ailleurs : Je tiens pour certain que celui qui
persévère dans l'oraison, quelqu'entrave que le dé-mon mette à sa,
marche, par le péché, parviendra, par la grâce de Dieu, au port du salut.
Elle dit encore : Celui qui ne s'arrête pas dans le chemin de l'oraison,
atteindra au but, quoiqu'un peu tard. L'amour de Dieu ne consiste pas,
dit-elle de nouveau, d languir de tendresse, mais d le servir avec humilité.
Et enfin dans un autre ouvrage : « Le Seigneur éprouve ceux qui l'aiment,
par l'ari-dité et les tentations. Bien que toute la vie soit pleine d'aridité,
l'âme ne doit pas abandonner la prière ; il viendra un temps où le tout
vous sera payé avec usure. » Le docteur Angélique dit que la vraie dévo-tion
ne consiste pas dans le sentiment, mais dans le désir et la résohition
de se conformer soudain à toutes
4^4
LA BEL1GIKUSE
les volontés de Dieu. Telle fut
JLa prière de Jésus-Christ dans le jardin, prière aride et pleine d'ennui,
et pour-tant la plus pieuse et la plus méritoire que l'on ait ja-mais
faite dans le inonde. La voici : Non quod ego volo, fed quod lu. (Marc
: xiv. 36.) Non ma volonté, mais la vôtre. Ainsi, ma bien-ainiée sœur,
dans un temps d'a-ridité, n'abandonnez jamais l'orai.son. Si parfois vous
ne pouvez résister à l'ennui qui vous accable, au moins reprenez vous-y
de temps en temps; et, par là même, exercez-vous à prier; bien que vos
prière* vous paraissent sans résultat et sans fruit. Il faudra direct
répéter, » 0 mon Jésus, miséricorde ; Seigneur, ayez pitié de moi.
Priez, et ne doutez pas que Dieu ne voue entende et ne vous exauce. Quand
vous vous livrez à l'oraison, ne vous proposez jamais pour fin votre goût
et yotre propre satisfaction, mais seulement de plaire à Dieu et de connaître
ce qu'il attend, de vous. Et pour cela priez-le toujours qu'il vous fasse
connaître s,a vo-lonté; et vous donne la force de la remplir. Voilà
tout ce que nous devons chercher dans la prière, la cou-naissance des
volontés du Seigneur et la force néces-saire pour les exécuter.
PRIERE.
mon Jésus! pour vous foire
aimer des homines, n'avez pu faire davantage. Il suffit de savoir
que ι vous ayez voulu devenir homme-, c'est-à-dire un vej-mjsseau, comme
nous sommes tous. Vous ave^ voulu mcqer une vie de douleur et d'ignominie
pendant 33 ans, et enfin la terminer sur un bois infâme : vous avez aussi
voulu vous mettre sous les espèces du pain,
SANCTIFIEE.
pour devenir ainsi la nourriture
de nos ânies. Et com-
ment, après cela , avez-vous pu
rencontre gratitude, même chez les chrétiens, qui vérité et qui, malgré
cela, vous aiment s
heureuse! comme eux, par le passé,
ie me suis mon-trée ingrate; je me suis appliquée seulem' tisfaire ,
sans me rappeler ni vous ni v<
Maintenant je connais ma faute et
je m'ei toute mon âme. Mon Jésus, pardonnez-n nant je vous aime, et je
vous aime tant, rerais la mort et mille morts à la douleu
vous aimer. Je vous remercie de
la lumière dont vous m'avez éclairée. Donnez-moi la force, ô Dieu de
mon
âme , de croître de plus en plus
dans ν Agréez , pour vous aimer mon pauvre vrai qu'un temps fut où il
vous a méprisé tenant il adore votre bonté, il vous aime rien autre
chose que de vous aimer. Ο M de Dieu, aidez-moi; je mets toute ma co votre
intercession.
r tant d'in-
roient cette
peu ? Mai-
nt à me sa-tre amour, repends de
oi. Mainte-jue je préfé-de ne plus
itre amour. iœur. Il est mais main-it
ne désire ie, ô mère fiance dans
FIH DTI TOME
HUITIEME.
TABLE
DES CHAPITRES ET DES PARAGRAPHES
C0HTEHU9 DANS CE VOLUME.
CHAPITRE I.
paiïe· Du mérite des Vierges
qui se consacrent à Dieu.
1
CHAPITRE II.
Avantages de l'état religieux.
21
CHAPITRE III.
La religieuse doit être toute à
Dieu.
41
CHAPITRE IV.
Désir de la perfection.
58
CHAPITRE V,
Danger de se perdre d'une religieuse
imparfaite , qui ne redoute pas les suites de ses imperfections.
76
CHAPITRE VI.
Suite du même sujet.
90
TABLE
page.
CHAPITRE VII.
De la ^mortification intérieure
ou du renoncement à
son amour pfopfe.
J04
S I. Du détachement de sa propre
volonté.
117
S II. De VobéisiMèe: '
129
S III. De l'obéissance due aux
supérieurs.
136
§ IV. De l'obéissance due aux
règles.
147
§ V. Des quat/e degrés de l'obéissance
parfaite. 165
CHAPITRE VIII.
De la mortification des sens.
18Ô § I. De la mortification des f^tu$tet de la modestie
en général
192
De la modestie en général.
199
§ II. De la mortification de ta
bouche.
204 § III. De la mortification de l'ouïe , de l'odorat
et du toucher.
219
CHAPITRE IX.
De la pauvreté religieuse.
%\. De la perfection de la pauvreté.
224
§ II. Des degrés et de la pratique
de la pauvreté parfaite.
238
CHAPITRE X.
Du détachement des7'parens et du
reste des hommes. §1. Du détachement des parens.
251
WES CHAPITSES.
4'3Ô
page. $ IL Du détachement du séculier
et tnêtne deo du·
tres religieuses.
260
CHAPITRE XI.
De la sainte humilité.
i'I. Des avantages de l'humilité.
271
ξ II. De l'humilité d'esprit ou
dujugement.
280
§ III. De l'humilité de volonté,
ou d'affection. 289
§ IV. Suite du même sujet et plus
particulièrement du support des mépris.
'
300
CHAPITRE XII.
De la charité du prochain.
§ I De la charité envers le prochain,
et surtout de
la manière déjuger ses actions.
314
§ II. De ta charité qu'on doit
pratiquer dans ses
paroles.
323
§ III. De la charité qu'on doit
pratiquer dans ses
actions et avec qui il faut la pratiquer.
333
CHAPITRE XIII.
De la patience.
§ I. De lapaticHce en général.
§44
§ II. De la patience dans les maladies,
la pauvreté,
le mépris et les afflictions.
359
§ III. De la patience dans les
tentations.
371
CHAPITRE XIV.
De la résignation à la volonté
de Dieu.
% I. Du prix de la résignation
à la volonté de Dieu. 382
TABLE DES
CHAPITRES.
page. § II. En quoi il faut surtout
se résigner.
391
CHAPITRE XV.
De l'oraison mentale.
§ I. De la nécessité de l'oraiscn
mentale pour les
religieuses.
401
§ II. Pratique de l'oraison mentale.
413
FIN DE LA TABLE DES CHAPITRES.
AU IUM , IMFBIMEEIE
DE βίΧΟΝ ET Cie.