JesusMarie.com
Alphonse de Liguori
La Véritable Epouse de Jésus
La religieuse Sanctifiée
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CHAPITRE PREMIER.
Du mérite des Vierges qui se consacrent à Dieu.

ï. Les Vierges qui ont le bonheur de se vouer à l'a-mour de Jésus et qui lui consacrent le lys de leur pureté, sont aussi chères à Dieu que les anges. Erunt sicut angeli Dei in Casio. ( Mal. 22. 30. ). Telle est la puis-sance de la chasteté.  Qui cOnserve long-tenis cette vertu, dit S.-Ambroise, est un ange, qui la perd est un démon. Castitas angelos facit : qui eam servavit, an-gelus est ; qui perdidit, diabolus. (S. Ambr. lib. 1 de Off.) Baroniusraconte (Ann.480, num. 23.in Comp. ) qu'à la mort d'une jeune vierge nommée Georgia on vit voltiger autour d'elle des essaims de colombes, et que lorsque le corps fut porté à l'église, elles le sui-virent et se perchèrent sur le toit, au-dessus de l'en-droit ou le corps était déposé. Elles ne se retirèrent que lorsqu'on l'eut enseveli. On crut généralement que ces colombes étaient des anges envoyés pour ser-vir de cortège a ce corps virginal. C'est avec raison que la virginité est appelée vertu angélique et cé-leste , car, dit S.-Ambroise, cette vertu n'a trouvé que dans le ciel, le modèle de ce qu'elle exerce sur la terre. Elle ne trouve même son exercice que dans ie ciel, car c'est là qu'est son époux. E caste accersiit,
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quad   imitaretui·   in   terris , usum quœsivit è caelo, qua spmsum sibiinieirit in Caelo. (S. Ambr. lib. de Virg.)
II. De plus, une vierge qui consacre sa virginité à Jésus Christ , devient l'épouse de Jésus-Christ. Aussi l'Apôtre a-t-il dit, en parlant à ses disciples : Despondi vos uni vira virginem castam exhibere Christo. (2. Cor. 11. 2.) J'ai promis à Jésus-Christ de lui pré-senter vos âmes, comme autant de chastes épouses. Jésus lui-même a dit dans la parabole des Vierges qu'il veut être qualifié du titre de leur époux. Exie-runt obviam sponso... Introierunt cum eo ad nuptias /"Mat. 25. 1.10.) C'est pour cela que N.-S. qui se fait ap-peler par les autres , Maître , Pasteur ou Père ; veut être appelé Époux par les vierges. S.-Grégoire de Na-zianze a composé à ce sujet ce beau vers : Castqque virginitas decoratur conjuge Christo. Un tel mariage se fait par l'entremise de la foi. Sponiabo te mihi in fide. (Osée, 2. 20. ) Cette vertu de la chasteté , les hom-mes ne l'ont acquise que par les mérites de Jésus-Christ; et il est dit dans l'Apocalypse que les vierges suivent l'Agneau. Sequuntur agnum quocumque ierit. ( \1χ· 4· ) La divine mère révéla à une âme pieuse qu'une épouse de Jésus-Christ doit aimer toutes les vertus, mais surtout la pureté , parce que c'est la plus propre à ta rendre digne de son divin époux. S.-Antoine de Padoue nous apprend.que toutes les âmes sont en général les épouses de Jésus-Christ, comme l'écrivit avant lui S.-Bernard. Sponsa nos ipsi sumus et omnes umul una sponsa et animœ singulorum quasi singulœ sponsœ ( Serm. 2. in Dom. Post. Epiph. ) Mais que les vierges consacrées à Dieu, le sont plus particulièrement : Omnes animée sponsœ sunt ChmtL tpecialids tamen virgines. (3. Ant. Pad. Serm. de Virg.) S.-Fulgence appelle Jésus-Christ époux de toutes
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les Vierges :   llnus omnium sacrarum virginum sponsus. (S. Fulg. Ep. 3. Cap. h.)
III. Une jeune fille qui veut s'établir, ei elle est pru-dente , choisit  parmi   ses pirétendans celui qui lui paraît le plus digne de la posséder et le plus capable de la rendre heureuse en ce monde. La religieuse, en faisant sa profession , épouse Jésus-Christ lui-même. Le pontife lui adresse ces paroles. Je vous unis d Jé-sus-Christ qui'vous gardera chaste et pure. Rtcetez, en qualité de sa: compagne, Panneau de li fidélité, afin que si vous le servez fidêl'tnent , vous obteniez la couronne éter-nelle. Demandons à la divine épouse des Cantiques , quelles  sont les qualités de son époux, car elle en est bien instruite. Dites-moi, ô sainte épouse , quel est votre bien aimé , l'unique objet de vôtre amour , celui qui vous rend heureuse et fortunée par dessus toutes les femmes. Qualis est dilectus tuns ex dilecto , 6 pulcherrima mulierum ? ( Cant. 5. 9. ) Elle répond : Di-lectus meus candidus et rubicundus, electas ex mitlibus. Mon b'en aimé est blanc comme l'innocence , il est ver-meil parce qu'il brûle d'amour pour ses épouses ; il est si beau et si parfait, il est si bon et si affable, qu'il est de tous les époux le plus doux et le plus ai-mable. Illo Tiihil gloriosids , dit S.-Eucher, nihil pul-chrius, nihil mngnificenUus.  Songez, s'écria S.-Ignace martyr, ô Vierges bienheureuses qui vous êtes con-sacrées à Jésus, songez que vous avez un époux tel que ni le ciel ni la terre ne peuvent vous en offrir d'aussi riche, d'aussi beau, d'aussi aimable. Virgi-nes agnoscant cui se consecrarunt sponso nimirum t,j,eciosis-stmo ,  nobilissimo ,   opulenthsimo ; amahiliorem   nee  in
cœlo nee in terris invenire nunquam poterunt ; ( S.-lgti!'
Mart. Ep. Ad Ant. ) C'est pour cela, que là B. Claire de  Montefalcó
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disait que sa virginité lui était si chère qu'elle préfé-rerait souffrir en cette vie toutes les peines de l'enfer, plutôt que de la perdre. La glorieuse Ste-Agnès, se-lon S.-Ambroise, refusa la main du fils du préfet de Rome, qu'on lui offrait en mariage, disant : Sponsum offertis? Meliorem reperi. Ste-Domitille, nièce de l'em-pereur Domitien , fit la même réponse à certaines personnes qui l'engagaient vivement à épouser le comte Aurélien , qui, quoique païen,, consentait à lui laisser professer la religion chrétienne. Dites-moi, poursuivit la sainte, si l'on donnait à choisir à une jeune personne , entre un roi et un paysan , lequel préférerait-elle ? Si je me mariais à Aurélien , il me faudrait renoncer aux noces du roi des cieux; ne se-rait-ce pas une grande folie à moi ? Allez dire à Au-rélien , qu'il n'espère jamais m'obtenir. Pour rester fidèle à Jésus-Christ à qui elle avait donné sa virgi-nité , elle aima mieux expirer dans les flammes, où son barbare amant la fit périr. ( Croiset, 12 Mai.) La vierge Ste-Suzanne répondit dans les mêmes termes aux ambassadeurs de Dioclétien qui voulaient la faire impératrice, en lui donnant pour époux Maximin , son gendre, qu'il avait proclamé César. ( Cioiset. 11 apût. ) Sur son refus, Dioclétien la fit mourir. Beau-coup d'autres vierges rejetèrent l'alliance de puissans monarques, pour épouser Jésus-Christ : LaB. Jeanne, infante de Portugal, refusa la main de Louis XI, roi de France,, la B. Agnès refusa Ferdinand II, empe-reur , Elisabeth s fille du roi de Hongrie, refusa Henri, archiduc d'Autriche, etc.
V. Les vierges qui se consacrent à Jésus-Christ^ appartiennent entièrement à Dieu , d'âme et de corps. S.-Paul l'a dit : Mulier innupta et virgo cogitat quœ Domini funi ut sint sancta corpore et spiritu ; quas
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autem nupta est, cogitat qnœ sunt mundi et quomodo pla-ceat tiro. (Cor. 7. 34.) La vierge qui s'est donnée à Dieu , ne pense qu'à Dieu et à être toute à Dieu, mais la femme mariée appartenant au monde ne peut songer et s'appliquer qu'aux choses du mon-de. l'Apôtre ajoute : Porro hoc ad utilitatem vestram dico.. Ad quod honestum est et quod facultatem prasbeat sine impedimento Dominum obsecrandi. Les pauvres mè-res de famille trouvent donc bien des obstacles à la sainteté , et plus elles sont illustres dans le monde , plus ces obstacles sont nombreux.
VI. Pour être sainte , il faut qu'une femme fré-quente les sacremens, qu'elle fasse beaucoup d'orai-sons mentales qu'elle pratique beaucoup de mortifi-cations intérieures et extérieures , qu'elle reçoive avec joie le mépris , les humiliations, la pauvreté ; enfin qu'elle ne songe qu'à faire ce qui peut plaire à Dieu; c'est pourquoi il est nécessaire qu'elle soit tout-à-fait détachée des choses d'ici-bas, mais quels loisirs, quels secours , quel recueillement peut trou-ver une femme mariée, pour être sans cesse occupée de Dieu. Nupta cogitât quas sunt mundi. La femme ma-riée doit penser aux soins de sa maison , à élever ses enfans, à contenter son mari, tous les parens de celui-ci, parfois plus importuns encore que son mari lui-même; de sorte que, selon l'Apôtre, son cœur est partagé entre son mari, ses enfans et Dieu. Com-ment une femme mariée aurait-elle le temps de faire beaucoup de prières puisque souvent le fems lui manque pour les affaires du ménage ? Le mari veut être servi, il gronde, il s'emporte si on ne le sert Pas à la minute : Les domestiques troublent la paix intérieure par leurs propos et leurs querelles ; les en-fans , s'ils sont petits , pleurent, crient, demandent
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«ans cesse ; s'ils sont grands, ils sont une cause éter-nelle de craintes et d'inquiétudes, taniôt parce qu'ils ont de mauvaises connaissances, tantôt parce qu'ils sont malades : essayez donc de faire oraison et de vous recueillir parmi tant de troubles et de tour-ments ! A peine l'épouse peut-elle aller communier les dimanches. Elle a pour elle la bonne volonté , mais il lui Kcra/noralement impossible de travailler assiduement au salut de son Time. Il est vrai qu'elle pourrait mériter beaucoup par la privation même du bonheur de prier le Seigneur , en supportant avec patience et résignation la servitude où elle est ré-duite ; elle le pourrait, mais au milieu de tant de tracas et de distractions, sans oraisons, sans lec-ture spirituelle ni sacrements, il lui sera très-difficile d'avoir jamais cette résignation et cette patience.
VII. Mais plût à Dieu que les femmes mariées n'en-courussent d'autre blâme que celui d'être empêchées dans leurs désirs de dévotion, d'oraisons, de com-munion fréquente ! Le pire de tous leurs maux, c'est qu'elles sont sans cesse en danger de perdre leur âme et la grâce de Dieu. Il faut qu'elles tiennent leur rang , qu'elles paient leurs domestiques , qu'elles tiennent maison , qu'elles conversent au moins dan» les visites , avec toute sorte de gens ; et chez elles il faut qu'elles reçoivent les parens, les alliés, les amis de leurs maris..... Oh ! que d'occasions de perdre Dieu ! Les jeunes personnes ne connaissent pas tous les dangers auxquels elles s'exposent en se mariant, mais les femmes mariées les connaissent et leurs confesseurs aussi.
■VIII. Laissonsdecôtélavie malheureuse que mènent toutes les femmes mariées , toutes, sans exception. Moi qui, pendant longues années, ai écouté lesconfes-
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done de tant de femmes de tous le» rangs , nobles et plébéiennes, pauvres et riches, il ne me souvient pas d'en avoir trouvé une qui fût contente de son sort. Les mauvais trait emens de leur maris, la mauvaise condui-te des enfans, les besoins d'une maison, l'assujétisse-ment à une belle-mère, les douleurs de l'enfantement, les jalousies de l'époux, les scrupules de conscience sur la fuite des occasions , sur l'éducation des enfans, tout cela forme une tempête horrible et continuelle dans laquelle elles sont forcées de vivre , tout en dé-plorant leur malheureux sort et en s'accusant de s'y être elles-mêmes vouées. Dieu veuille que cet orage n'emporte pas leur âme et qu'elles ne soient pas con-damnées à un double enfer dans ce monde et dans l'autre ! Voilà l'avenir que se préparent ces aveugles jeunes filles qui restent dans le monde. Eh ! quoi, dira-t-on , parmi tant de femmes mariées, est-ce qu'il n'y en a pas de saintes? Oui, il y en a quelques-unes, mais lesquelles ? Celle qui devient sainte au milieu de ces tortures , en les souffrant pour le Sei-gneur , en lui offrant ses douleurs dont elle ne se plaint pas. Mais où sont-elles ces femmes parfaites ? Elles sont aussi rares que les corbeaux blancs. Et celles-là même se repentent d'être restées dans le monde, quand elles pouvaient consacrer leur virginité à Dieu et vivre tranquilles et heureuses.
IX. Le sort b plus heureux, le rang le plus élevé auxquels puisse prétendre une jeune personne , c'est donc de renoncer au monde et de s'unir à Jésus-Christ. Elle sera l'exemple de tous les dangers aux-quels les femmes mariées sont sans cesse exposées, leurs pensées n'ont pour objet ni leurs enfans , ni les hommes de la terre , ni les richesses , ni la toi-lette ;  car tandis qu'il faut aux femmes mariées de
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beaux habits pour briller aux bals et aux spectacles? et pour plaire à leurs maris , les vierges de Jésus-Christ se contentent d'une simple robe qui les couvre y elles donneraient même scandale, si elles aimaient le" faste et si elles cherchaient à relever leurs charmes par des parures. Les vierges ehrétiennes n'ont pas de ménage à garder, pas d'enfans * pas de mari à soigner. Tous leurs désirs n'ont d'autre but que de plaire à Jésus-Christ à qui elles ont livré leur âme, leur cœur et tout leur amour. Elles sont libres de tout respect humain , de toute sujétion , elles vivent loin des bruits de la terre , elles ont tout le tems de communier ,. de faire leurs oraisons , de lire des li-vres spirituels. Elles sont plus à même de travailler à l'œuvre de leur salut et de méditer. Qam enim est virgo r dit Théodoret , ab inutUibus cogitationibus liberam habet animam, La vierge n'a autre chose à faire que de s'entretenir sans eesse familièrement avec Dieu. C'est ce qu'écrivit l'apôtre, dit Œcumenius : Ut sit sancta corpore et spiritu} QEcumenius, ajoute '.Corpore sancta propter castitatem, spiritu sancta propter familiari" talem, cum Dee. N'eût-elle pas d'autre récompense à espérer f dit S,-Anselme , la vierge devrait se trouver heureuse d'être délivrée des soucis de ce monde eï de pouvoir penser continuellement à Dieu : Si nulla merces amplior virginem sequeretur, sufficerethœc sola prcs* latio : Cogitat qnm Domini sunt. ( S-.-Ans, Cor. 7 ). Le saint ajoute en conséquence que les vierges consacrées au Seigneur jouiront non seulement d'une gloire im-mense dans le ciel, mais aussi d'une paix inaltérable sur la terre : Non solum in futuro secuto gloriam, sed et-in presenti requiem habet virginitas. ( Loc. Cit. ).
X. Les saintes vierges qui tendent à la perfection sont les favorites de Jésus-Christ, car elles lui ont
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livré leur âme et leur corps et ne pensent en cette vie qu'à lui plaire. C'est parce que S.-Jean était vierge qu'il fut appelé le favori de Jésus-Christ. Quem diligebat Jesus. ( Jo. 13-23 ). L'Église chante ces mots sur lui : Virgo est electus d Dominot atque in* ter ceteros magL· dilectus. (In die 27. Dec. Resp. noct. 1). Les vierges sont nommées les prémices de Dieu : Virgines enim sunt ; Hi sequuntur Agnum quocumque ierit. Hi empli sunt ex hominibus primitice Deo et agno. ( Apoc. 1Z| ). Mais pourquoi les vierges sont-elles les prémices de Dieu ? Le cardinal Hugon nous l'ap-prend; c'est que, comme les premiers fruits sont les plus agréables, ( Sicut primitias fructuum delectabiliores sunt), ainsi les vierges consacrées à Dieu lui sont les plus agréables et les plus chères.
XI. On dit aussi que l'époux divin paît parmi les lys. Qui pascitur inter Mia. ( Cant. 1. 16 ). Ces lys sont les vierges pures qui se vouent au Seigneur. Un sage interprète des Livres sacrés remarque sur ce passage des Cantiques, que comme le démon se repaît des souillures de l'impudicité, de même Jésus-Christ se nourrit des lys de la chasteté. Sicut diabolus cœno libi-dinis saginatur , ita Christus castimonia liliis pascitur. Le vénérable Bède affirme que le chant des vierges plaît à l'agneau divin plus que le chant des saints : Cantus d virginibus modulait suaviorem. Agno harmo-niam effeciunt quam si omnes alii sancti canere contende-rent. (Beda in Αρ. 14. ίχ. ). Il n'y a pas de paroles assez fortes pour faire l'éloge de la chasteté : Non est digna ponderatio continentis animce. ( Ecc. Q, 15 ). Le cardinal Hugon observe qu'on accorde une dispense pour tous les autres vœux , mais non, pour celui de chasteté, parce que rien ne peut en égaler le prix. Inde est quod votum continentia;, non habet dispensatio.-
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nem , quia non habet compensationem.' La très-sainte Marie nous le montre bien par ce qu'elle répondit à l'Ange. Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco. ( Luc. 134 ). Car elle aimait mieux renoncer à la gloire d'être la mère d'un Dieu , qu'à sa virginité.
XII. S.-Cyprien dit que la virginité est la reine de toutes les vertus et est la possession de tous les biens. Virginitas est regina virtutum , possessio omnium bonorum. ( S.-Cyp. de Virg. ) S.-Éphrem dit à ce su-jet : Hanc si amaveris d Domino in omnibus prosperaberis ( De Virg. Cap. 9. ) Les vierges qui se conservent pures pour Jésus-Christ sont secondées par lui dans tout ce qu'elles font. S. Bernardin de Sienne ajoute que la virginité a le pouvoir de rendre le divin époux visible aux yeux de l'âme , même en ce monde : Virginitas praeparat animam ad thendum in praesenti Jesum tponsum per fit/em ei in futuro per gloriam. Quelle est brillante la gloire que Jésus prépare dans le Ciel, à celles de ses épouses qui lui ont consacré leur virginité sur la terre ! Dieu montra à la vénérable Lucrèce Orsini le lieu sublime où sont placées les jeunes personnes qui lui consacrent leur virginité ; c'est pourquoi elle s'écriait : Oh ! que les vierges sont chères à Dieu et à sa mère Marie ! Les docteure nous apprennent que les vierges sont couronnées dans le ciel d'une auréole , marque éclatante de gloire et de béatitude. Il est dit dans l'Apocalypse au sujet des vierges : Et nemo poterat dicere canticum nisi illa centum quadragenla quatuor millia qui empli sunt de terra. ( 14. 3 ). S.-Augustin, qui a commenté ce pas-sage , dit que les joies que Dieu accorde aux vierges ne sont pas données aux autres saintes qui ne sont pas mortes vierges. Gaudia propria virginum Christi non tant eadem non virginum,   quamvis Christi, nam sunt alia
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XIII.  Mais pour être sainte , et digne du titre d'é-pouse de Jésus ,  il ne suffit pas  qu'une vierge  soit pure et ait assez d'huile dans sa lampe,   c'est à dire dans son cœur pour le tenir toujours  allumé du feu de l'amour divin. Quelques-unes, qui étaient vierges, mais folles et manquant d'huile , furent rejetées par le divin époux qui leur dit en face : Nescio vos.  Toute vierge qui veut être l'épouse du Rédempteur ne doit avoir ici-bas  d'autre   soin ,   d'autres   pensées que d'aimer Jésus-Christ et de lui plaire. S.-Bernard dit que Jésus étant notre Maître , veut que nous le crai-gnions ; qu'étant netre Père il veut être honoré, qu'é-tant notre Époux il veut être aimé. Si sponsum s e exhi-beat, mutabit vocem ac dicet, si ego sponsus ubi est amor? Exigit ergo Deus timeri ul Dominus , honorari ut Pater, ut Sponsas amari. ( Serm. 83, in Cant ).
XIV. Pour être fidèle à son époux et conserver sans tache le lys de sa virginité il faut que la Vierge prenne differens moyens.   Les  moyens principaux sont la Prière , la Communion, la Mortification et la Solitude. Nous en parlerons en détail dans le courant de cet ouvrage ; nous allons en donner ici un simple aperçu. Le premier moyen d'aimer Jésus-Christ, c'est l'Oraison mentale, c'est là la douce fournaise où l'âme s'em-brâse de l'amour divin. In meditatione meâ exardescet ignis. { Vs. 38. l\ ).   Dans les tentations contre la pu-reté il faut tout aussitôt avoir recours à Dieu par la prière. La vénérable sœur Cécile Gastelli disait : sans la  prière on ne peut conserver la pureté. Salomon avait dit avant elle :  Et ut  scivi  quoniam  aliter non possem  esse continens,   nisi Deus  det...   add Dominum. (Sap. 8. 21.) Le second moyen, c'est la Communion. EUeestcelien,ditS.-Bonaventure,danslequelleroidu ttel introduit ses épouses, et leur apprend à aimer le
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prochain plus que soi-même, et Dieu plus que toute chose. Le troisième moyen, c'est la Mortification. Sicut lilium inter spinas, sic arnica mea inter filias. (Cant. 22. ) Comme le lys se conserve parmi les épines, ainsi une vierge ne se maintiendra pare que par les mortifications. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi a dit la même chose. La chasteté ne fleurit qu'au milieu des épines. Qu'une religieuse n'espère pas pouvoir se conserver fidèle à Dieu au milieu des divertissement, des attachemens terrestres, de la société des gens du inonde, satisfaisant le sens du goût, de la vue et de l'ouie. Il faut qu'elle soit sans cesse sur les épines de la mortification. Saint-Basile dit au sujet des vierges; Nulla in parte mcec liari convenit virginem ; non lingua, non aure, non oculis, non tactu, multoque minus animo. Pour se conserver pure, une vierge doit être chaste dans ses discours, et s'abstenir, autant que possible, de parler avec des hommes; elle doit éviter d'enten-dre toute conversation mondaine, elle doit savoir contenir ses regards et ne jamais regarder un homme en face ; fuir tout attouchement sur elle-même ou sur les autres ; elle doit surtout être pure dans son âme, chasser toute pensée déshonnête et recourir aussitôt qu'elle en est assaillie , à l'assistance de Jé-sus et de Marie. De même qu'une reine, à qui un es-clave déclarerait son amour, lui tournerait le dos avec mépris, ainsi doit faire l'épouse de Jésus quand une pensée impure vient la tenter. Il faut aussi qu'elle mortifie son corps par le jeûne, par les absti-nences, les disciplines et autres pénitences. Si sa santé trop faible se refuse à de telles mortifications , elle doit du moins endurer sans se plaindre les douleurs, le mépris et les mauvais traitemèns qu'elle reçoit.  lies épouses de l'agneau suivent partout ses
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traces : Sequuntur agnum , quocumque ierit. ( Apoc. 14. 4- ) Jésus-Christ tant qu'il demeura sur terre marcha dans un sentier non de roses, mais de ron-ces, non d'honneurs, mais d'opprobres; c'est pour cela que les vierges saintes ont aimé le mépris et ont reçu les tourmens et la mort avec un sourire de re-connaissance et de joie.
XV. Le quatrième moyen, c'est la Solitude. Le Seigneur dit que les joues de sa fiancée sont aussi belles que celles de la tourterelle. Pulchra sunt gence tum sicut turturis.^ Cant. 1. 9. ). Parce que la tourte-relle fuit la compagnie des autres oiseaux et aime la retraite. Une religieuse ne brille de tout l'éclat de sa beauté qu'autant qu'elle est seule et qu'elle fuit les regards des hommes. Sainte Marie-Madeleine de Pazzi disait que la chasteté est une fleur qui n'éclôt que dans les jardins fermés et parmi les épines. Les sens d'une religieuse doivent être aussi clos que le monastère où elle vit : elle ne doit paraître aux gril-les et aux portes que pour son office et pour obéir à ses supérieures. Saint-Jérôme dit que le divin époux est jaloux; il ne veut pas que sa bien-aimée montre son visage aux hommes. Zetotiput est Jesus, non vult ab aliis videri faciem tuam. ( Ep. ad Eust. ). Il éprouve un vif chagrin lorsque son épouse s'entretient avec les gens du monde. Les vierges saintes ne font pas ainsi; elles aiment à se cacher, et lorsqu'elles sont forcées d'exposer leur visage aux regards mortels, elles le défigurent et le meurtrissent, aimant mieux être évitées dès hommes que d'en être recherchées. Bollandus rapporte que Sainte-Andregésine, vierge , pour être haïe, priait Dieu de la rendre difforme; elle fut exaucée et fut aussitôt couverte d'une lèpre si puante   qu'elle inspirait l'horreur et le dégoût à
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tout te monde. Jacques de Vitry raconte ( In Spec. Exemp. 19. ) que Ste.-Euphémie étant aimée d'un grand Seigneur, pour se délivrer de ses importunités, se coupa le nez et les lèvres avec un couteau, disant: vains attraits, vous ne me donnerez plus désormais l'occasion de pécher. S.-Antonin raconte et Baronius confirme ( An. 670. Num. 39. ) que Ste - Ebbe, abbesse du couvent de Collingam , et toutes ses religieuses , au nombre de trente, craignant que les barbares n'envahissent le pays, se coupèrent les lèvres jusqu'au nez. Les Barbares vinrent et les trouvant si difformes, mirent de dépit le feu au mo-nastère et ies firent toutes périr dans les flammes. Aussi l'Église les a-t-elles inscrites au nombre des martyrs. Une telle mutilation n'est pas permise en tout tems, ces saintes ne l'exécutèrent que par ins-piration de l'Esprit saint. C'est là un exemple de ce qu'ont fait les épouses de Jésus-Christ, pour ne pas être recherchées par les hommes. Les religieuses doivent donc tâcher de fuir les regards profanes. Quand elles s'unissent à Jésus-Christ, elles renoncent au monde et à toutes ses vanités; elles en font le ser-ment lorsqu'on leur dit : Abrenuniias huic secuto et om-nibus vanitatibus ejusîet qu'elles répondent : Abrenuntio! — Ainsi donc, ô Épouse de Jésus, dit S.-Jerôme, si tu RS renoncé au monde, tiens ta parole et ne te con-forme pas aux vanités du siècle : Nunc autem quia secutum reliquisti, serva fesdns quod spopond'uti el noli conformari huic secuto. ( S.-Hier. Ep. 8, ad Démet. ).
XVI. Si donc vous voulez vous conserver pure com-me doit être une épouse de Jésus, fuyez les occasions, ayez-une sainte ignorance de tout ce qui s'oppose à la pureté. Ne lisez aucun livre capable de troubler le repos dflivotre âmp. Si vous entendez à la grili-e «ce
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discours peu conformes à votre état, fuyez aussitôt, ou du moins tâchez de changer de conversation sans quoi vous aurez beaucoup à souffrir pour chasser les tentations qui vous assailliront ; si un tison ne brûle pas, du moins il noircit. Des choses qui semblent nul-les, comme un regard, une parole d'amour, un pe-tit présent, peuvent être l'étincelle qui allume l'infer-nal incendie où vous resterez consumée. Méfiez-vous de vous-même : en cette matière on ne prend jamais assez de précautions, croyez-en un homme qui en a vu beaucoup d'autres se perdre. Ne dites pas: Je m'ar-rêterai Id, car vous vous trouverez bientôt le fond de l'abîme presqu'à votre inçu. Si dans de pareilles occasions, vous n'êtes pas tombée par le passé, trem-blez pour l'avenir. Les Saints se sont enfoncés dans les déserts pour conserver pure leur chasteté, et vous, vous ne craignez pas de vous exposer a»jx tentations? Si vous êtes jeune, comment espérer de vous conser-ver pure en conversant avec des jeunes gens sur des sujets mondains, en plaisantant avec eux, en sou-riant à certains propos qui devraient vous couvrir de rougeur ! Fuyez , fuyez. Soyez aussi très-sincère avec votre confesseur , confiez-lui vos tentations et les. occasions qui les ont causées, demandez-lui ses conseils pour avoir la force de leur résister.
XVII. La joie de Jésus-Christ est grande au jour où il s'un:.t à une vierge. Les saints Cantiques nous l'ap- s prennent. Egredemini et videte fîliœ S ion regem Salomo-nem in diademate quo coronavit illum mater sua in dit desponsationis illius et in die letitim cordis tjas. ( Cant. 3. 11. ). Mais cela ne s'applique qu'à celles qui se vouent sans réserve à l'amour de ce divin époux et se préparent ainsi à leurs noces. IL veut que le ciel en-twsr se réjouisse et soit en fête: Gaudeamus et exulte-
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mus ei demus gloriam ei, quia venerunt nupt'ue agni et uxor ejus preparavit se. ( Apo. 19. Ί. ). Les ornemens dont Jésus veut que ses épouses soient parées , sont les vertus saintes, et surtout la charité et la pureté : Mwenulas aureas faciemus tibi, vermiculatas argento. ( Cant. 1. 10. ). Les chaînes d'or mêlées d'argent sont l'emblème de la pureté et de la chasteté. Ce sont là les bijoux et les habits précieux dont le Seigneur vêtira ses épouses comme l'a dit S te. -Agnès : Dexte-ram meam et collum meum cinxit lapidibus pretiosis. In-duit me Dominus cyclade auro texta et immensis monili' bus ornavit me. (Resp. in fest. S.-Agn. 21. Jean. )
XVIII. Les gens du monde cherchent le monde ; mais les épouses de Dieu ne cherchent que Dieu, c'est pourquoi on peut dire d'elles : Hwc est generatio quaerentium eum. (Psal. 23. 6.). Ces religieuses,pauvres et humbles, que vous voyez renfermées dans ce mo-nastère, sont ces âmes qui ne cherchent que Dieu. Ο Epouses en Rédempteur, s'écrie S.-Thomas de Ville-neuve, vous ne devez pas discuter entre vous sur vo-tre naissance, vos talens, votre office; celle qui est la plus humble, la plus pauvre , la plus obéissante, est aussi la plus chère au divin époux. In hoc ad invicem zelnte , quœnam huic sponso carior, quœnam familìarior existât, quœ humilior, quas obedientior. S.-Jérôme écri-vant à la vierge Eustochium qui voulait se consa-crer à Jésus-Christ, lui dit : Filia accedens ad servitu-tem Dei prwmonet te spiritus sanctus. Sta in justitiâ et prœpara animam tuam ad tentationem, in humilitatem pa-tientiam habe,quoniam in igne probatur aurum. Nemoaulem potest duobus Dominis servire. Terram itaque jam despi-ciens et Chjfisio copulaia , cantabis ; Pars mea Dominus. ( S. Hier. ep. 22. ad Eust. ). Ma fille , puisque tu vas servir Dieu, il faut te préparer à souffrir avec
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humilité et patience, car c'est au feu que l'on éprouve l'or. Nul ne peut servir deux maîtres, le monde et Dieu. Puisque tu t'es dédiée au Seigneur, il faut que tu laisses le monde, et que, devenue l'épouse du Ré-dempteur, tu chantes sans cesse ces mots : Dieu seul est mon unique trésor, mon unique bien. C'est pour cela que le jour de la profession on donne aux reli-gieuses un nouveau nom, pour leur apprendre que dès-lors elles meurent au monde pour ne vivre plus qu'en Jésus-Christ, qui est mort pour elles. C'est ce que tous les hommes devraient faire, comme dit S.-Paul : Pro   omnibus mortuus est Christus, ut qui vivunt jam non  fibi vivant sed Dei  qui pro ipsis mortuus est. ( 2. Cor. 5. 15. ). Mais si tout le monde ne le fait pas, du moins la religieuse doit le faire,  puisqu'elle a été choisie par le Rédempteur pour son épouse. La vénérable  sœur Françoise   Farnèse   n'avait pas de moyen plus efficace pour enflammer ses religieuses de l'amour de Jésus-Christ, et les pousser à la per-fection ν II est certain , disait-elle, que Dieu vous a choisies pour être saintes, puisqu'il vous a faites ses épouses.
XIX. S.-Augustin parle ainsi à une vierge consa-crée à Dieu : Ο Vierge fortunée, si tu ne connais tout ton bonheur, lis ce qu'en disent les saints. Sache que tu as pour époux l'objet le plus beau du ciel et de la terre, et qu'il t'a donné un gage éclatant de l'a-mour qu'il te porte , en te choisissant parmi tant de jeunes fiiles pour son épouse favorite , afin que tu le payes du retour qui lui est dû. Si ignoras te , ô nimis felix inter mulieres , ex judicio sanctorum perpende. Spon-sum habes pulcherrimam. Misit pignus amoris; in ipso munere poteris agnoscere quo affectu illum diligere debeas. ( S.-Aug.Tom.ix. dedil. Deo,Cap. Ιχ. ). Saint-Bernard
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ajoute : Nihil tibi et mundo obliviscere omnium : soli omnium serves te ipsam, quem ex omnibus tibi elegisti. ( In Cant. Serm. 40. ). Ο Épouse de Jésus, cesse de penser à toi-même et au monde , tu n'es plus à toi ni au monde, mais à ce Dieu à qui tu t'es donnée. Oublie toute chose et conserve-toi pour cet époux que tu t'es choisi sur terre. Elegit te Deus tuus ( continue le Saint ) et quot abjectœ sunt, qatz hanc, quce tibi data est, gratiam consequi non potuerunt! omnibus illis Redemp tor et sponsus tuus te protulit ; non quia tu dignior illis sed quia prœ omnibus dilexit te. Tu as choisi Dieu mais Dieu a été le premier à te choisir pour sa com pagne. Combien d'autres jeunes filles qu'il a laissées dans le monde, n'ont pu obtenir l'honneur qu'il t'a accordé ! Ton Rédempteur t'a préférée à toutes, non parce que tu en étais plus digne qu'elles, mais parce qu'il t'a aimée plus qu'elles. Propterea, dicit Dominus; Ecce tempus tuum·, tempus amantium. Hcec igitur recolens in corde tuo , in eo reponas spem tuam et dilectionem tuam) qui in caritate perpetua dilexit te, et attraxit te miserans Jesus, sponsus tuus. Le Seigneur te dii que la vie qui te reste , tu dois l'employer à l'aimer ; que tout ton amour, toute ton espérance doivent être placés en Jésus-Christ, ton époux, qui t'aime depuis l'éternité; et qui, par sa seule bonté, t'a mise au monde et t'a appelée à l'aimer.
XX. Ο Épouse de Jésus, lorsque le n^onde réclame tes affections, réponds-lui avec Sainte-Agnès. Discede d me, pabulum mortis, quia jam ab alio amalore prceventa sitm. Éloigne-toi de moi, appât de l'enfer ; tu de-mandes mon amour, mais je ne puis aimer que mon Dieu, qui est le premier qui m'ait aimée. Ce sont là les sentiments qu'exprime la novice, en recevant le voile. Posuit signum in faciem meam ut nullum prmter
eum
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amatorem admittam, mon époux a couvert mon front de ce  voile , afin que ne voyant personne et n'étant vue de personne je n'aime que Jésus, et ne sois aimée que de lui. L'épouse de Jésus doit nourrir un saint orgueil dans son cœur, dit S.-Jérôme; Dei sponsa proferas ,  disce superbiam sanctam. Scito  te illis esse meliorem et dic : Inveni quem quœrebat anima mea. , tenebo eum et non dimittam.   ( Ep. 22. ) Puisque tu es l'épouse d'un Dieu, dit le Saint, apprends à être sain-tement fière. Les épouses du monde s'enorgueillisent de leur union avec des nobles et des riches ; tu peux te glorifier d'avoir un meilleur sort, car tu es l'épouse du Roi des cieux.Dis avec joie et fierté : J'ai trouvé qui aime   mon   âme ,  je  l'enlacerai toujours  des liens de mon amour, et jamais je ne le laisserai s'échapper de mes bras.   L'amour enchaîne notre âme à Dieu. Caritatem habete quod est vinculum perfectionis. ( Coloss. m. là- ).
XXI. Il est beau le sort d'une Vierge qui peut se dire : Ipsi sum desponsata cui angeli servient : Celui que les anges s'honorent de servir dans le ciel est mon époux. Annulo suo subarrhavitme, et tanquam sponsam de-coravit me corona. Mon Créateur s'est uni à moi ; il est le souverain de l'univers, il a ceint mon front de la couronne royale. Mais, ô vous qui lisez ces pages , Épouse de mon Dieu, observez que cette couronne n'est pas éternelle , tant que vous êtes sur terre ; vous pouvez la perdre par votre faute. Tene quod habes, ut nemo accipiat coronam tuam. ( Αρ. in. 11. ) Gardez-la soigeusement afin que personne ne vous la dérobe ; détachez-vous des créatures et rapprochez-vous toujours plus de Jésus-Christ, par votre amour, par la prière; suppliez-le de ne pas permettre que vous l'abandonniez jamais. Jesu, misponse, ne permitlas me
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separari a te. Et quand les créatures voudront prendre place dans votre cœur et en chasser Jésus-Christ, dites avec l'Apôtre : Quis me separabit d caritate Chris-ti? Neque mors, neque vita , neque creatura alia poterit me separare d caritate Dei.
PRIERE.
Ο mon Jésus, mon Rédempteur et mon Dieu , comment ai-je mérité d'être appelée, moi pauvre pécheresse , à vivre ici bas dans votre demeure, et à recevoir la couronne éternelle dans le ciel, tandïs-que vous laissez en proie aux orages du monde tant d'autres jeunes personnes, plus innocentes que moi ? Seigneur, puisque vous m'avez accordé une faveur si haute, faites que j'en connaisse tout le prix, afin que je vous en sois reconnaissante , et que je réponde par mon amour à celui que vous m'avez montré. Vous m'avez préférée à tant d'autres ; il est donc juste que je vous préfère à tout. Vous vous êtes donné entière-ment à moi, il est juste que je me donne entière-ment à vous, et que vous soyez l'unique objet de mon amour. Oui, Jésus, je vous aime par-dessus tout, et je ne veux aimer que vous seul. Vous vous êtes donné à moi sans réserve, je me donne à vous sans réserve. Acceptez-moi, Seigneur, et ne dédaignez pas d'être aimé d'un cœur qui jadis aima les créa-tures et qui les a même préférées à vous. Ο Dieu in-finiment bon, acceptez-moi et gardez-moi. Sans votre secours, je serais sans cesse en danger de vous trahir. Puisque vous m'avez choisie pour votre épouse, faites que je vous soie fidèle et agréable. Ο flammes d'amour qui embrasez le cœur de Jésus ! entrez dans mon cœur et détruisez-y tous les sentimens qui ne
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sont pas pour Jésus; faites que je ne vive que pour aimer cet époux adorable , qui sacrifia ses jours pour être aimé de moi. Ο mère de Jésus, puisque je suis l'épouse de votre fils, vous êtes aussi ma mère. Mais si c'est par votre intercession que je me suis arra-chée au monde, et que je me suis retirée dans l'asile du Seigneur; si c'est vous qui m'avez donné pour épouse à votre divin fils, secourez-moi, ne m'aban-donnez pas. Faites que ma vie et ma mort soient celles d'une véritable épouse de Jésus-Christ.
CHAPITRE Π.
Avantages de l'état religieux.
I. On peut appliquer aux religieuses ce qui est dit dans la Bible, sur le peuple d'Israël, à l'époque où il fut délivré de la tyrannie de Pharaon et qu'il sortit d'Egypte : Dux fuisti in misericordia populo quem redemisti et portasti eum in fortitudine tuâ ad habitacu-lum sanctum tuum. ( Exod. xv. 15. ) Comme les juifs étaient anciennement les favoris de Dieu, par opposition aux Égyptiens, de même les religieux sont les favoris de Dieu, respectivement aux gens du monde. Ainsi que les Juifs sortirent d'Egypte, pays de souffrance et d'esclavage , et où Dieu était ignoré ; de même les religieux sortent du monde qui récom-pense ses serviteurs, par des fatigues et des ennuis , et sous l'empire duquel le Seigneur est méconnu. Les Juifs furent guidés à la Terre promise par une colonne de feu qui marchait à leur tète, dans le désert; les religieux sont conduits par l'Esprit-Saint à la religion qui est pour eux la Terre promise
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du ciel. Au ciel, il n'y a plus de désirs des richesse* terrestres ni des plaisirs sensuel», point de volonté propre ; dans la religion, les portes sont fermées à toutes sortes de désirs et l'on ne voit régner que la pauvreté, la chasteté et l'obéissance. Au ciel, on ne fait autre chose que de chanter les louanges de Dieu; au couvenl, tout ce qu'on fait ne tend qu'à rendre gloire à Dieu et à lui plaire. Laudat Deum, dit S.-Au-gustin, cum agis negotium, laudas cam cibum el potum capta, laudas eam requiescis et dormis. ( in Psal. 146. ) Ο Religieuses, vous louez le Seigneur lorsque vous· soignez les affaires du couvent, lorsque vous vous présentez à la sacristie, au tour, à la porte ; vous· ' louez Dieu quand vous allez à table; vous louez Dieu, lorsque vous vous livrez au sommeil; vous louez Dieu dans tout ce que vous faites. Une paix univer- , selle règne dans le ciel, car les Élus trouvert en Dieu tout leur bonheur ; dans Iescouvens , on né recherche que Dieu et l'on trouve en Dieu cette paix ineffable; bien au-dessus de toutes les pompes et de toutes les délices du monde. Ste.-Madelaine de Pazzi avait raison de dire que la religieuse doit être fîère de SOD état, car la vocation pour la vie monastique est la grâce ïa plus chère que Dieu puisse accorder à une âme après le baptême.
II. Vous devez donc regarder votre position comme au-dessus des trônes de la terre. Votre état est un rempart contre les tentations, vos exercices de piété vous acquièrent chaque {our de nouvelles couronnes de gloire ; vous êtes les épouses de Dieu, pendant cette vie, et après votre mort vous serez les r3Înes de l'empire des cieux. Comment avez-vous pu obtenir l'honneur d'être préférées pay le Seigneur à tant d'autres personnes, plus dignes que vous d'être se·
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épouses ? Vous seriez bien ingrates, si vous ne lui rendiez pas grâces, à chaque instant, de sa bonté. Personne n'a mieux décrit que S.-Bernard les biens que procure l'état monastique. Nonne hœc est religio sancta, in qua homo vivit purius, cadit rarius, surgit velo-cius, incedit cautids , irroratur frequentius , quiescit se-curius , moritur confidentids , purgatur citius , remune-ratur copiosius. (S.-Bern. de bono Rei.) Examinons ces saintes paroles une à une, et dévoilons les trésors que chacune d'elles contient.
III. 1° La religieuse vivit purids. Toutes les œuvres que fait un religieux sont certainement les plus pures et les plus agréables à Dieu. La pureté des œuvres ne consiste qu'à les faire uniquement pou* plaire à Dieu ; de sorte que plus il entre dans nos actions de volonté de Dieu , et moins de notre volonté, plus elles sont agréables à Dieu. Quelques saintes et pieuses que soient les œuvres d'un séculier , il y a toujours plus de volonté propre que dans celles d'une reli-gieuse. Le séculier fait ses oraisons quand bon lui semble ; il communie , entend la messe , fait la lec-ture spirituelle , la discipline , dit l'office quand il veut Mais la religieuse fait tous ces exercices quand l'Obéissance l'exige, c'est-à-dire quand Dieu l'exige, puisque c'est Dieu lui-même qui lui commande l'o-béissance. Par conséquent quand la religieuse obéit à sa règle, à sa supérieure, quand elle fait ses oraisons, quand elle travaille, quand elle marche, quand elle se nourrit, quand elle se délasse, elle ac-quiert sans pesse de nouveaux mérites, parce que, faisant toutes ses actions , non de sa propre volonté, mais par obéissance , elle fait la volonté de Dieu , et Dieu l'en récompense.
IV- ©h ι que de fois la propre volonté a gâté les meil-
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leures œuvres ! Lorsqu'au jour du Jugement les âmes réclameront le prix de ce qu'elles auront fait et qu'elles diront: Quare jejunavimus et non aspeaisti, hu-miliavimus animas nostras ei nescisti? ( Is. iv»n. 3. ) Combien il y en aura à qui l'on répondra ces mots : Eece in die jejunii vestri invenitur voluntas vestra. ( Ibid.) Le Seigneur leur dira : Qu'attendez-vous ?— Une ré-compense ? — Vous l'avez déjà eue, en suivant votre volonté, puisque vous avez agi plutôt pour vous satis-faire que pour m'étre agréable. L'abbé Gilbert dit que les moindres œuvres des religieux valent mieux que les plus considérables des séculiers ; Quod infl-mum est in vobis, fortids secularibus. ( Gil. Ser. 87. ) En outre, S.-Bernard a dit que si un séculier faisait la quatrième partie de ce que fait une religieuse on le regarderait comme saint. Credo nullum hie esse qui, si quartam partem eorum qua! facit in secuto actita-retf non adoraretur ut sanctus. ( Serm. t\· in Ps. ) On a vu plusieurs fois des jeunes filles qui brillaient dans le monde comme de nouveaux soleils, n'être plus que de faibles lueurs dans le cloître, comparative-ment aux autres religieuses, leurs compagnes. C'est précisément parce que toutes ses œuvres sont faite» dans le but de plaire à Dieu que la religieuse lui ap-partient véritablement. La vénérable mère Marie f fondatrice du monastère de Toulouse , disait que pour deux raisons elle estimait beaucoup sa vocation : d'abord parce qu'une religieuse est toujours en pré-sence de Jésus-CBrist, qui demeure près d'elle dans }e très-Saint-Sacrement ; ensuite parce que, par soi» vœu d'obéissance y elle est toute à Dieu , ayant sacri-fié par ce vœu toutes ses volontés, et toute sa per-sonne à Dieu.
Y. 2" Cadit varias. Là religieuse , vivant loin da
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monde est moins sujette à tomber. S.-Antoine , abbé, vit le monde plein de pièges, et l'apotre S.-Jean dit avant lui que l'on ne recherche ici bas que plai-sirs sensuels, richesses , et honneurs terrestres. Omne quod est in mundo concupiscentia carnis est ( c'est-à-dire les voluptés ) concupiscentia oculorum ( c'est-à-dire les richesses ) et superbia vitas ( c'est-à-dire les hon-neurs qui rendent l'homme fier et vain dans cette vie ). Par le moyen des saints vœux de la profession , les religieux ferment ces sources empoisonnées ; par le vœu de chasteté ils ferment la porte aux plai-sirs des sens ; par le vœu de pauvreté, ils se délivrent de tout désir des vains trésors, et par le vœu d'obéis-sance , ils étouffent en eux toute ambition d'hon-neurs terrestres et passagers.
VI. Il est vrai que même au milieu de la société on pourrait vivre détaché des biens mondains ; mais, selon une ancienne maxime, qui touche d la poix reste englué. Totus mundus in maligno positus est, dit S.-Jean. S.-Ambroise s'explique ainsi : ceux qui vivent dans le monde, traînent leurs existence sous le joug tyran-nique du péché. L'air du monde est un air infect et mortel pour l'âme, et quiconque le respire contracte infailliblement quelque maladie morale. Les conve-nances sociales, les mauvais exemples , les mauvais propos sont autant d'appâts qui nous attirent vers la terre et nous éloignent de Dieu. Chacun sait que les mauvaises occasions, si fréquentes dans le monde, sont la cause la plus ordinaire de la perte des âmes. La religieuse qui vit renfermée dans un cloître est seule exempte de ces occasions dangereuses. Ste. Ma-deleine de Pazzi , embrassait et baisait souvent les «urs de son couvent en s'écriant : Ο murs ! δ murs eacrés qui me protégez contre les   tentations de l'enfer !
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Quand la bienheureuse Marie Orsini voyait rire quel-que religieuse dans son couvent : Riez, disait-elle, riez, m<i sœur ; vous avez bien raison de rire ; vous êtes d l'abri des orages du monde.
VII.  3° Surgit velocius. Si par malheur une religieuse tombe dans quelque péché, du moins elle a de puis-sants secours pour en sortir. La règle qui l'oblige à se confesser, la méditation où on lui rappelle les véri-tés éternelles, les exemples de ses vertueuses compa-gnes   et les remontrances de sa supérieure sont un grand secours pour se corriger. Vœ soli, dit le S.-Es-prit ,    quia   cum ceciderit   non habet   sublevantem se. ( Ecc. iv. 10. ). Dans le monde, quand nous péchons nous ne trouvons personne  qui nous  avertisse  et nous reprenne,  et souvent nos chutes sont mortel-les; mais, dans l'état monastique, si unus ceciderit ab al-tero fulcietur. ( Ib. 6. ).Si une religieuse commet quel-que faute, ses compagnes accoureront aussitôt pour l'aider à l'expier.   Juvatur d sociis ad resurgendum, dit S.-Thomas l'Angélique, au sujet des religieux;
VIII. 4° Incedit cautids. Oh! combien une religieuse est] plus à même de gagner le paradis que les premiers monarques de la terre ! Les rois ont de grandes ri-chesses , des divertissements , des honneurs,  des ar-mées , des seigneurs poxir les servir !  mais il n'ont personne qui corrige leurs défauts, ou qui leur rap-pelle leurs devoirs ; tous tremblent de parler devant eux, de peur de tomber dans leur disgrâce ; plu-sieurs même, pour obtenir plus de faveur, applau-dissent et encouragent les vices du monarque. Dans l'état monastique, au contraire, quand une religieuse faillit, toutes ses compagnes sont là pour la secourir et la remettre dans le bon chemin. Les supérieures , les zélatrices, ses propres compagnes l'avertiront de
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ea faute, et les bons exemples de ses sœurs seront autant de corrections de son erreur. Ces secours né-cessaires pour le salut de l'âme , qui est la seule chose importante dans ce monde, sont à coup sûr plus précieux et plus désirables que toutes les gran-deurs et les gloires de la terre.
XI. De même que les séculiers trouvant dans le monde beaucoup d'obstacles à faire le bien> ainsi les religieuses trouvent dans le couvent beaucoup d'obstacles à faire le mal. L'étroite surveillance dont les supérieures entourent leurs religieuses, en les pré-servant des fautes légères , les empêche de tomber dans les fautes graves ; de sorte qu'elles parviennent à repousser la tentation du péché véniel, et acquiè-rent par là une force invincible pour résister aux pé-chés mortels. S'il arrive qu'elles y succombent par faiblesse, si elles perdent quelques pouces de ter-rain , du moins elles ne se rendent pas encore ; cette petite perte leur donne au contraire plus d'ardeur à se fortifier et à se prémunir contre les attaques de l'enfer; par leurs chutes, elles apprendront à connaî-tre leur faiblesse; elles s'humilient, elles se défient d'elles-mêmes, et recourent plus souvent à Jésus-Christ et à sa divine mère Marie. Ces chutes ne leur seront donc pas très-nuisibîes , car le Seigneur , voyant leur humiliation, leur tendra aussitôt la main pour les relever. Cum ceciderit ( Justus ) non collidetur quia Dominus supponit manum fuam( Psal. xxxvi. 2Zj. ). Elles leur seront même profitables , parce qu'elle» leur inspireront une juste défiance de leurs forces et une plus vive confiance en Dieu. Le bienheureux Gilles Franciscain , disait qu'il valait mieux obtenir un seul degré de grâce , dans l'état monastique , où l'on peut monter plus haut encore et ou  l'on ne peut
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descendre que dix degrés dans le monde, où l'on ne peut guère aller plus haut et où l'on risque à chaque instant de descendre.
X.  5° Irroratur frequentiae. Oh mon Dieu ! de com-bien de lumières, de combien de douceurs et de joies, Jésus arrose l'âme de ses épouses ; tantôt dans leur prière, tantôt dans la communion , tantôt au fond de leur cœur , en présence du Saint-Sacrement ou dans leur cellule , devant leur crucifix! Les âmes qui restent dans le monde sont des arbres plantés dans une terre aride , où la rosée du ciel ne tombe que rarement.  Pauvres séculiers !   vous   voudriez   prier long-temps, méditer long-temps, entendre souvent la parole de Dieu, jouir d'un peu de solitude, d'un peu de recueillement, vous voudriez vous rapprocher de Dieu, mais cela ne vous est pas permis. Vos affaires domestiques , vos parents , les convenances sociales, les visites de vos amis, vous en empêchent. Les reli-gieuses ,  au contraire , sont d'heureux arbrisseaux, plantés dans une terre féconde, que continuellement rafraîchit la céleste rosée. Le Seigneur assiste et aide sans cesse ses épouses par ses lumières, par des ins-pirations ,   et des consolations spirituelles,  qu'elles trouvent dans leurs méditations, dans les sermons, dans la lecture des saints livres, et même dans le bon exemple de leurs compagnes. C'est donc avec raison que la mère Catherine de Jésus, disait, quand on lui rappelait les peines qu'elle avait dû endurer avant de fonder son monastère : Dieu  nia amplement récompensée de tous mes maux, par une seule heure de re-tipion dans la maison de sa Irës-sainte mère.
XI.  6° Quiescit securiut. Les biens du monde ne peu-vent remplir nos cœurs. Les bêtes qui ont été créées pour la terre se contentent des biens qu'elle leur offre,
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mais l'homme qui a été créé pour Dieu n'est heu-reux qu'avec Dieu. L'expérience nous le prouve. Si ces biens satisfaisaient l'homme , les riches et les princes qui regorgent de richesses , d'honneurs et de plaisirs seraient heureux; loin de là, ils sont les plus misérables des êtres; car plus on abonde en richesses et en dignités, plus on est accablé de craintes et de douleurs. L'empereur Théodose étant entré sans se faire connaître dans la cellule d'un moine solitaire lui dit : Mon pire , savez-vous qui je suis ? Je suis l'em-pereur Théodose. Puis il ajouta : Oh! que je vous porte envie, heureux solitaires , qui menez dans ces grottes une vie tranquille, exempte des inquiétudes du monde ! Je suis grand sur la terre, je suis empereur; mais fâchez qu'il n'y a pas un seul jour oà j'aie pu prendre paisible-ment ma nourriture.
XII.  Comment vivrait-on en paix dans le monde , puisque c'est un lieu de peines , de trouble, et de craintes? On y jouit de quelques misérables plaisirs, mais ils épuisent l'âme sans la satisfaire ;  ils flattent les sens pendant quelques heures, mais bientôt ils fa-tiguent , ils   dégoûtent. C'est pour cela que les plus puissants dans le monde sont les plus malheureux ; car, plus ils sont élevés, plus ils sont près de la fou-dre. Disons donc plutôt que, loin d'être un jardin de délices, le monde est un abîme de tourments; car là régnent et s'agitent toutes sortes de passions b l'am-bition des honneurs, l'avidité des richesses , l'amour effréné des plaisirs; et, comme on ne peut jamais ob-tenir ce que l'on convoite, et que, si on l'obtient, on en est bientôt lassé, quiconque se nourrit des biens du monde, se nourrit de fiel et de poison.
XIII.  Heureux donc la religieuse qui aime Dieu et sait apprécier la grâce qu'il lui a faite , en l'enlevant
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au monde pour la transporter dans le cloître \ dans le cloître, où uniquement occupée à dompter ses passions, à se mortifier , à se renoncer elle-même , elle jouit de ce calme céleste qui, selon l'expression de l'apôtre, est plus enivrant cent fois que les plaisirs des sens. Pax Dei quce exsuperat omnem senium. ( Phil. iv. 7. ). Cherchez parmi les personnes les plus heureuses de la terre, parmi les princesses et les reines, s'il en est une aussi heureuse que cette humble religieuse qui, dépouillée de tout lien ter-restre , ne songe qu'à plaire au Seigneur. La pauvreté ne l'effraie pas, car c'est la seule richesse qu'elle convoite; la mortification des sens ne l'afflige pas, car elle n'est entrée en religion que pour les morti-fier et les combattre; le joug de l'obéissance ne lui pèse pas, car le sacrifice de sa volonté est le présent le plus agréable qu'elle ait pu faire à Dieu, en pronon-çant ses vœux. Elle ne s'irrite pas d'être humiliée, parce que c'est dans ce seul but qu'elle est entrée dans la maison de Dieu. E legi abjeclus esse in Domo Dei met magis quam habitare in tabernaculis peccatorum. ( Ps. Lxxxiu. 11. ) Loin de l'attrister, la solitude la console parce qu'elle la délivre des troubles et des dangers du monde. Elle ne gémit pas de se voir hu-miliée , dédaignée et malade, parce que toutes ses souffrances la rendent encore plus chère à Jésus-Christ, L'observance des règles, les lois rigides du monastère sont pour elle des ailes légères avec les-quelles elle s'élance vers son divin époux. Oh! qu'elles sont heureuses de pouvoir consacrer leur cœur tout entier à Dieu , et de pouvoir dire avec S.-Fran-çois : Deus meus et omnia !
XIV. Il est vrai que quelques religieuses mènent des jours malheureux, même dans le cloître ; pour-
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quoi cela? Parce qu'elles ne vivent pas en véritables religieuses. Être bonne religieuse et être heureuse sont deux choses inséparables. Le bonheur des reli-gieuses consiste donc à savoir conformer toujours leur volonté à celle de Dieu; celles qui ne se soumet-tent pas à la volonté du Seigneur ne peuvent être contentes, parce que Dieu ne console pas les âmes re-belles à sa volonté. C'est une maxime familière qu'une religieuse jouit dans le cloître d'un paradis anticipé; ou y endure par avance les peines de l'enfer. Qu'est-ce que l'enfer ? C'est d'être privé de Dieu , de ne pouvoir faire sa propre -volonté, d'être vu de mauvais œil par ceux avec qui l'on vit, d'être méprisé, châ-tié, d'être renfermé dans un lieu d'où l'on ne peut sortirjenfin, c'est devivredans des peines éternelles, sans jamais goûter une heure de repos véritable. Tout cela arrive à une mauvaise religieuse } de sorte que l'infortunée endure, dès cette vie, les tourments de l'enfer. Qu'est-ce que le paradis ? C'est de vivre loin des troubles du monde , de s'entretenir avec les saints, d'être uni avec le Seigneur, et de jouir avec Dieu d'une paix sans fin. Une bonne religieuse pos-sède tous ces biens, c'est pourquoi elle jouit d'a-vance sur la terre du Paradis.
XV. H est vrai aussi que les bonnes religieuses elles-mêmes ont des croix à souffrir ici-bas ; car ce monde est un lieu de mérites, et, par conséquent, un lieu de souffrances. Les incommodités de la vie com-mune les tourmentent:, les réprimandes de leur su-périeure, la privation ds tout plaisir les contrarient? la mortification de leurs sens leur conte, leur amour-propre murmure quand elles reçoivent à tort des hu-miliations et des déplaisirs de la part de leurs com-pagnes. Mais tous ces chagrins sont des délices pour
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elles , parce qu'en les recevant elles savent qu'elles font la volonté de Dieu. S.-Bonaventure dit que l'a-mour est comme le miel qui rend douces les choses les plus amères. Le vénérable César de Bust, écrivit la lettre suivante à un de ses neveux qui était moine : Mon cher neveu , quand tu regardes le ciel, soutiens-toi du paradis; quand tu vois le monde , souviens-toi de l'enfer, od l'on souffre éternellement sans espoir de soulagement ; quand tu vois ton coûtent, souviens-toi du purgatoir* οά l'on souffre., mais en paix et avec la certitude d'être heu-reux bientôt. Quelle douce chose de souffrir avec une conscience tranquille, avec la certitude que chacune de nos souffrances sera un jour une pierre précieuse, dont nous ornerons notre diadème de gloire.
XVI. Notre Dieu est reconnaissant et fidèle,  il ré-compense même sur terre , par des douceurs inté-rieures ce que l'on souffre pour l'amour de lui. L'ex-périence prouve que les religieuses qui demandent aux créatures des consolations et des joies sont les plus malheureuses ; au contraire celles qui se mor-tifient le plus éprouvent le plus de contentement. Soyons convaincus que Dieu seul peut faire notre bonheur,  et qu'envain nous le cherchons dans les plaisirs des sens, dans les honneurs, dans les riches-ses.   Dieu   seul peut   nous   rendre  heureux.   Qui trouve Dieu , trouve tout.   Ste.-Scholaslique  disait que si les hommes savaient combien sont paisibles les religieux dans leurs monastères, le monde entier deviendrait une solitude ; ou bien comme disait Ste.-Madelainede Pazzi,  ils escaladeraient  les couvents et renonceraient à tousles biens terrestres. S.-Laurent Justinien   dit   que   le  Seigneur   tient  cachée aux hommes là félicité des religieux, parce que sans cela ils embrasseraient tous cet état ;  Consulto Deus gra-
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tiam religionis occultavit ; nam si ejus félicitât cognoscere -tar omnes, relicto secuto, ad eam concurrermt.
XVII. La solitude et le calme dont elle remplit nos cœurs ne sont-ils pas des avants-goûts du Paradis pour toute âme qui aime Dieu ! Le P. Charles de Lor-raine , de la compagnie de Jésus, et, issu d'une race royale, disait que Dieu le dédommageait largement des biens du monde auxquels il avait renoncé par la paix dont il le faisait jouir dans sa cellule, et parfois il y éprouvait une si vive allégresse , qu'il en dansait de joie. Le B. Séraphin de Ascoli, capucin, disait qu'il n'aurait pas donné un pouce de son cordon pour tous les empires de la terre. Arnold de Citeaux, comparant les richesses et les honneurs de la cour qu'il avait quittés avec les consolations qu'il ressen-tait dans le monastère, s'écriait : Fous avez pro-mis , ô mon Jésus , de rendre au centuple tout ce que l'on abandonne pour vous et vous tenez parole. Les moines de S. Bernard menaient une vie très-austère, mais Dieu leur accordait de si douces caresses qu'ils crai-gnaient d'être récompensés ici bas du peu qu'ils fai-saient pour lui. Rapprochez-vous de Dieu, embrassez sans pâlir les croix qu'il vous envoie , tendez à la per-fection , et ayez la force de fuir les occasions dange-reuses. Pour obtenir cette force , priez toujours, priez dans la méditation , ou dans la communion ,en visitant le S.-Sacrement ; priez surtout quand le démon vous tente; faisant ainsi, vous entrerez dans le nom-bre de ces âmes plus heureuses que les princesses et les impératrices de la terre.
XVIÏI. Priez le Seigneur de voue donner cet er-prit de relgion qui fait agir non pas suivant les pen-chans naturels, mais selon les impulsions de la grâce,
c'est-à-dire dans  le seul but de plaire à Dieu. Que
VU!.                                                                       3
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servirait de porter l'habit de religieuse et de vivre selon l'esprit du monde, de conserver tous les senti -mens d'un cœur séculier? Ce serait, dit S.-Bernard avoir un cœur d'apostat: Apostasia cordis , sub habita religionis cor seculare gerere. {Serai. v.inPs. 90). L'esprit d'une religieuse consiste donc à observer exacte-ment la règle , à obéir aux ordres de la supérieure, à servir la religion avec ardeur. Quelques religieuses voudraient être des saintes , mais en suivant leurs volontés, en parlant rarement, en faisant l'oraison , en lisant des livres spirituels , sans être occupées à aucun emploi matériel; de sorte que si on les met au tour, ou à la porte, elles se plaignent d'être distraites de leurs exercices de piété, et par fois elles refusent obstinément d'obéir, en alléguant que de telles occu-pations sont pour elles des occasions de péché. Ce n'est pas là le véritable esprit d'une religieuse. Ce qui est selon la volonté de Dieu ne peut jamais être nuisible. D'ailleurs l'esprit d'une religieuse consiste à vivre tout-à-fait séparée du commerce des hommes, à avoir un grand zèle pour l'oraison, un grand amour pour le silence , pour le recueillement, une grande horreur pour les jouissances sensuelles, beaucoup de charité envers le prochain et enfin une vive affec-tion au Seigneur, plus forte que tous nos penchants et toutes nos passions. C'est-là l'esprit des parfaites religieuses. Celles qui n'ont pas cet esprit doivent nourrir le désir de l'avoir, se faire violence et deman-der sans cesse à Dieu la grâce de l'acquérir. Enfin l'esprit religieux consiste à chasser de son cœur tout ce qui n'est pas Dieu et à ne désirer que Dieu.
XIX. 7° Moritur confidentia*. Quelques jeunes per-sonnes craignent de se faire religieuses de peur d'avoir un jour à s'en repentir. Mais je voudrais qu'en
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Choisissant cet état elles songeassent, non a la courte durée de la vie, mais à l'heure de la mort d'où dé-pend le bonheur éternel ou l'éternel malheur, et je leur demande si elles croient subir une mort plus tranquille dans une maison séculière, entourées de séculiers, inquiètes sur le sort de leurs enfants, af-fligées de mille scrupules de conscience, plutôt que dans la maison de Dieu, assistées par leurs compa-gnes qui leur parleraient continuellement de Dieu, qui prieraient pour elles et les encougeraient à mourir. Regardez cette princesse qui meurt dans son palais , dans une salle richement décorée , envi-ronnée de ses officiers, de son époux, de ses enfants, de ses parents qui la soignent; de l'autre côté regardez cette religieuse qui meurt dans un couvent, mortifiée, humiliée, loin de ses parents, libre de tout attache-ment terrestre , n'ayant plus ni biens, ni volonté ; dites, laquelle des deux pensez-vous qui meure la plus contente? Est-ce l'opulente princesse ou la pauvre re-ligieuse ? La jouissance de grands honneurs, de grandes richesses dans le monde ne console pas à l'heure de la mort, au contraire elle afflige et met en doute le salut éternel. Mais la pauvreté, les humiliations , les péni-tences, le détachement des biens de la terre, rendent la mort douce et aimable et fortifient l'espérance d'aller jouir de cette félicité véritable qui n'a pas de terme.
XX. Jésus-Christ a promis que celui qui aban-donne sa niaison et ses parents pour l'amour de lui aura la vie éternelle : Omnis qui reliquerit domum vel fratres aut patrem etc. propter nometn meum centuplum ac-cipiet et vitam œternam possidebit. ( Matth. xix. 29.) Un religieux de la compagnie de Jésus souriait à l'ins-tant de la mort ; les autres religieux qui l'assistaient voyant ce sourire , craignirent qu'il ne se fît quelque
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vaine illusion et lui demandèrent pourquoi il agissait
ainsi. Le mourant répondit : Comment ne sour irais-je pas,
étant sûr du Paradis? Le Seigneur n'a-t-ilpas promis la vie
éternelle ά qui laissera le monde pour lui? J'ai tout quitté
pour Dieu; Dieu ne peut manquer d sa parole. Je souris
parce que te paradis m'eit assuré. S.-Jean Chrysostomo
avait dit la même chose, en  écrivant à un moine :
Impossibile est mentiri Deum. Promisit autem ille vilam
aternum ista relinquentibus: Tu reliquisti omnia ista; quid
igitur prohibet de hujusmodi promissione esse   securum ?
(S.-Chrys. Lib. des Prov.) Dieu ne peut mentir; il a
promis la vie éternelle à qui  abandonne le monde
pour lui ; vous l'avez abandonné ;  comment pour-
riez-vous douter de cette promesse?
XXI. S.-Bernard dit qu'il est facile de passer d'une cellule au ciel ; il est bien difficile, disait-il, qu'un moine mourant dans sa cellule ne soit pas sauvé, parce qu'il est bien difficile de persévérer jusqu'à la mort, lorsqu'on n'est pas destiné pour le ciel. Est facitis via de cellâ in cœlum , moriens enim via; unquam aliquis è cellâ in infernum descendit, quia vix unquam nisi ê cielo prœdestinatus in ea usque ad mortem persistit. ( S.-Bern. Trac, de vit solit. ) S.-Laurent Justinien disait que la religion est la porte du paradis, car, être religieux, est un signe que l'on est déjà choisi pour être le compagnon des bienheureux. Illius cœlestis civi-tatis iste est introitus ; magnum quippe electionis indicium est, hujus fraternitatis habere consortium. (C. 7. de Dis. Mon.iGérard, frère de S.-Bernard avait raison, lorsque, mourant dans son monastère, il chantait, car Dieu lui-même a dit : Beati mortui qui in Domino moriun-tur. ( Apoe. xiv. 13.) Quels sont ceux qui meurent en Dieu? Ne sont-ce pas les moines qui, par leurs vœux, et surtout par celu i de l'obéissance meurent
SANCTIFIÉE.                                           3y
au monde, et renoncent à toutes leurs volontés? Le père Fr. Suarez qui avait fait par obéissance tant de bien dans la religion disait en mourant qu'il n'eût jamais cru que la mort fût si agréable et si douce.
XXII.  8° Purgatur citius. S.-Thomas nous apprend ( 22. Qu.   Ult. A. m.   ad.  3. ) que la profession de moine nous purge de tous les péchés commis dans le monde : Rationabiliter autem dici potest, quod est per ingressum religionis quod aliquis consequatur remissionem omnium peccatorum. Il en apporte cette raison  qu'en entrant dans la religion nous nous donnons entière-ment au service divin : In satisfactionem pro omnibus peccatis sufficit, quod aliquis se totaliter divinis  obsequiis mancipet per religionis ingressum, quas excedit omne genus satisfactionis. On lit dans les vies des SS. Pères que les moines reçoivent en ce  jour solennel la môme grâce  que  les nouveaux baptisés :   Unde legitur in vitis patrum quod eamdem gratiam consequuntur religio-nem intrantes , quam consequuntur baptizati. Les péchés commis par les religieuses dans le couvent, elles les expient pendant leur vie, par leurs bonnes œuvres d'oraisons, de communions et de mortifiations qu'elles exercent tous les jours. Dans le cas où une religieuse n'achèverait pas de se laver en ce monde de toutes ses fautes, il serait peu pour elle d'être condamnée à  quelques années de purgatoire.   Les   nombreux saints sacrifices que le monastère offre à Dieu après sa mort, les prières de ses sœurs la tireront bien vite de ces peines.
XXIII.  9°. Remuneratur copiosiàs. Les mondains sont aveugles et ne connaissent pas l'importance de la vie éternelle, au prix de laquelle la vie mortelle n'est qu'un point. S'ils en sentaient toute l'importance ils abandonneraient sur le champ leurs maisons et leurs
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royaumes pour se retirer dans quelque cloître , afin de ne plus s'occuper que de leur salut qu'il est si difficile de faire, en restant dans le monde. Bénissez donc et remerciez sans cesse votre Dieu qui vous à donné la force de sortir d'Egypte, et de vous réfugier daus sa maison ; montrez-lui-en votre reconnaissance en le servant avec un zèle équivalent à la grâce qu'il vous a faite. Mettez d'un côté tous les. biens du monde et de l'autre tous ceux que Dieu prépare dans le ciel à celle qui abandonne pour lui les choses de la terre, et vous verrez qu'il y a plus de rapport entre un grain de sable et la terre entière , qu'entre ces biens mondains, qui passent si vite , et les biens du ciel qui durent éternellement.
XXIV. Jésus-Christ a promis de donner, à ceux qui se consacrent à lui, le centuple des biens qu'ils abandonnent dans ce monde, et la vie éternelle dans l'autre. Qui peut douter de sa promesse ? Il est fi-dèle à sa parole ; et d'ailleurs il est plus libéral dans la récompense des bonnes œuvres que rigoureux dans la punition des mauvaises. S'il a promis de ne pas laisser sans récompense un verre d'eau que l'on don-nerait pour son amour; Quisquis enim potum dederit vobis calicem aqua in nomine meo, non perdet mercedem tuam; (Marc. ix. 4Q. ) comment laisserait-il donc sans salaire tant de bonnes œuvres ,, tant d'actes de charité» tant d'abstinences , d'oraisons , d'offices» de lectures spirituelles que font chaque jour les religieu-ses qui tendent à la perfection. De plus, comme ces œuvres sont faites par obéissance et pour obser-ver les vœux f elles· ont plus de mérites que les. bonnes œuvres des séculiers. Un frère de la compa-gnie de Jésus , appelé frère Lacci, apparut après sa mort à une personne et lui dit qu'il était sauvé , ainsi
SANCTIFIEE.                                 3g
que le roi Philippe II, mais qu'autant le rang de Philippe avait été au-dessus du sien sur terre, aut-nt il était au-dessous dans le ciel.
XXY. Le martyre enduré pour la foi est un grand mérite ; mais l'état monastique est plus méritoire en-core. Un martyr souffre les tourments pour ne pas perdre son âme, mais une religieuse les souffre pour se rendre plus agréable à Dieu, de sorte que si le martyr est martyr de la foi, la religieuse est martyre de la perfection. Il est vrai que l'état monastique a beaucoup perdu de son antique splendeur ; cepen-dant les âmes chères à Dieu, qui marchent dans la voie de la perfection ,   et édifient l'église par leur sainteté, ne se trouvent encore que dans les maisons religieuses. Où trouver en effet dans le monde de» hommes qui se lèvent de nuit pour faire oraison et chanter les louanges de Dieu, qui emploient cinq ou six heures de la journée en exercices pieux, qui fas-sent des jeûnes, des abstinences, des mortifications, qui observent un silence absolu , qui n'aient de vo-lonté que celle des autres ? Tout cela est observé par les religieuses dans tous les couvents, car dans tous es couvents, quelques relâchés qu'ils soient, il se trouve des religieuses qui seront choisies au jour du jugement pour juger les autres, à cause de leur obéis-sance et de leurs vertus. Il est certain que tout ce que fait une âme pieuse dans le monde ne peut être comparé à ce que fait une religieuse. S.-Cyprien eut donc raison de dire que les vierges de Dieu sont les fleurs du jardin de l'église, et la plus noble partie du troupeau de Jésus-Christ. Flos est iste ecclesiastici ger-m inis.... illustrior portio gregis Christi. ( S.-Cyp. Lib. de H ab.   Virg.  ) S.-Grégoire de Nazianze dit que les moines sont les prémices du troupeau de Dieu, les
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colonnes et la couronne de la foi et les peries de l'é-glise. Sunt gregis Domini primitiœ, columnas et corona fidei, margarltœ templi. ( Orat. UH. in Jul. ) Je tiens pour certain que les sièges des Séraphins, laissés vides par la défection des compagnons de Lucifer, ne se-ront occupés que parles personnes religieuses. Parmi les soixante personnes inscrites le siècle dernier dans le catalogue des saints et des bienheureux, il n'y en a guère que cinq ou six, qui n'aient pas été religieuses. Malheur au monde 5 dit un jour Jésus à S-te-Thérèse , *'il n'y avait pas de moines /( Rib. Lib. Vit. vi. C. 12. }. Ruffîn a dit que le inonde n'existe qae par le mérite des moines. Dubitari non debet, ipsorum meritis adhuc itare mundum. ( Ruf. Prol. In vit. Patr. ) Lorsque le démon vous effraie , en vous montrant l'esclavage de la règle , l'abnégation de vous-même et la vie morti-fiée qu'il vous faut mener, pour vous sauver, levez les yeux au ciel et l'aspect des béatitudes éternelles vous donnera la force et le courage nécessaires pour supporter vos peines. Un jour mettra fin aux tour-mens, aux mortifications, aux misères de cette vie ; il oe restera que les délices du paradis qui seront éternelles.
PRIERE,
Ο Dieu de mon âme î je vois que vous voulez mon salut à tout prix, mes péchés m'avaient déjà perdue.. je m'étais condamnée de moi-même à l'enfer; mais au lieu de m'envoyer en enfer, comme je le méritais , vous m'avez tendu une main paternelle pour me tirer du péché et des dangers du monde. Vous m'avez pla-cée dans votre demeure , parmi vos épouses. J'es-père, ô mon époux! aller chanter dans le ciel le» mi-
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séricordes que vous m'avez faites. Ο mon Jésus! pourquoi vous ai-je offensé ? Aidez-moi , Seigneur, car je veux vous aimer et faire tout mon possible pour vous plaire. Vous n'avez rien épargné pour ga-gner mon cœur; il est juste que je fasse tous mes ef-forts pour \ous être agréable. Vous vous êtes donné à moi sans réserve; je me donne à vous sans ré-serve ; mon âme est éternelle et je veux être éternel-lement unie à vous, et, si l'amour est le lien par le-quel les âmes s'enchaînent à vous, je vous aime, ô bien suprême, je vous aime, ômon Rédempteur, je je vous aime, ò mon époux, je vous aime, ô mon trésor, ô mon amour! Je vous aime et j'espère vous aimer à jamais. Vos mérites font toute mon espérance. Je compte sur votre protection, Marie mère de Dieu et ma mère ; vous m'avez obtenu le pardon de mes pé-chés: maintenant je suis dans la grâce de Dieu, je suis religieuse, faites que je devienne sainte. Ainsi j'espère. Ainsi soiWl.
CHAPITRE III.
La religieuse doit être toute à Dieu.
I. Plutarque dit (Quest. Rom. 49.) qu'à Rome, lors-que la jeune fiancée arrivait à la maison de son époux, elle lui parlait ainsi : Ubi tu cajus, ego caja. Ce qui signifiait : Ta volonté sera toujours la mienne. C'est là ce que Jésus-Christ exige de chacune, de ses épouses : Prœbe cor tuum mihi. ( Prov. xxiu. 26. ). Ma fille et mon épouse, je ne te demande que ton cœur, c'est-à-dire ta volonté. Quand Dieu créa nos premiers pères, Adam et Eve , dit l'ecclésiaste , po-
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suit oculum suum super corda illorum. ( xvn. 7. ). Il ne jeta pas les yeux sur leurs mains , mais sur leurs cœurs, parce que foutes les œuvres extérieures, si elles ne viennent du cœur et ne sont accompagnées d'une foi vive , n'ont aucune valeur devant Dieu. Toute la gloire d'une épouse est d'unir son cœur à celui de Dieu. Omnis gloria ejus ab initis. ( Psal. Z|Z|. ). C'est par là qu'une religieuse est véritablement toute à Dieu.
II. S.-Bernard dit que Dieu , en sa qualité de notre souverain , exige la crainte, en sa qualité de notre père , le respect, et en qualité d'époux , l'amour. Exigit Deus timeri ut Dominus, honorari ut Pater,  ut sponsus amari. ( Serm. 83. ). Aussi, Jésus-Cnrist par-donne-t-il aux vierges , ses épouses , tous leurs défauts excepté le   manque d'amour,  c'est-à-dire  qu'il ne veut pas que leur cœur aime autre chose que lui.C'est pourquoi, lorsqu'elles font leur profession, et qu'elles reçoivent le saint voile, le piètre leur dit : Accipe ve-Iwn , ut nullum amatorem prœier eum admillas. Recevez ce voile , afin qu'à dater d'aujourd'hui, vous ne re-gardiez plus la créature, et que vous chassiez de vo-tre cœur tout sentiment qui n'est pas pour Dieu. l'E-glise veut que la religieuse change  de nom, pour qu'elle oublie le monde et se regarde comme morte aux choses du monde, et que son cœur répète ce que prononcent   ses  lèvres : Regnum mundi  et  om-nem ornatum secuti contempsi, propter amorem Domini mei Jesu-C'/tristi, quem vidi, quem amavì, in quem credi-di , quim dilexi. J'ai méprisé le monde et ses pompes pour l'amour de Jésus, mon époux, à qui j'ai donné tout mon amour, car il est l'objet le plus parfait et le plus aimable du ciel et de la terre. Discede à me pa-bulum mortis, quia ab alio amatore prœventa sum. Toutes
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les religieuses doivent répéter ces mots de Ste.-Agnès , lorsque quelqu'objet terrestre veut s'emparer d'une partie de l'amour qu'elles ont voué à leur divin époux : Éloigne-toi, doivent-elles s'écrier, objet fu-neste qui veux empoisonner mon cœur et me con-duire à la mort. Éloigne-toi, car j'ai choisi un amant plus noble , plus fidèle , plus aimable que toi. Il a été le premier à m'aimer et s'est rendu maître de tout mon cœur. Tu es une créature vile et misérable et je suis unie au roi tout-puissant du ciel et de la terre. Ipsi desponsata sum cui angeli serviunt.
III. Notre cœur ne peut rester vide d'amour ; il faut qu'il aime Dieu ou les créatures; s'il n'aime les créatures, il aime Dieu. C'est pour cela que le St.-Esprit nous exhorte à mettre tous nos soins à affran-chir nos cœurs de tout sentiment qui n'est pas pour Dieu. Omni custodia serva cor tuum , quia ex ipso vita proctdi. ( Prov. ιν. 23. ). Tant que notre cœur aimera Dieu, il vivra ; mais s'il voue son amour aux créa-tures, il mourra. Pour être sainte, une âme doit se purger de tout ce qui n'est pas Dieu. Les anciens Pè-res du désert, lorsque quelqu'un venait pour être reçu dans leur société, lui faisaient cette demande ? Affersne cor vacuum , ut possit illud spiritus sanctus im-plere ? Car tout cœur qui garde encore quelqu'atta-chement à la terre, ne peut être plein de l'amour di-vin. Si l'on porte à la fontaine une cruche pleine de sable, on ne pourra la remplir d'eau que lorsque le sable sera ôté. Ο mon Dieu ! pourquoi tant de reli-gieuses approchent-elles si souvent de l'autel sans ja-mais y puiser l'amour divin ? Parce que leurs cœurs sont pleins de tene, c'est-à-dire d'attachement pour la vanité, pour leur propre volonté, pour leurs pa-rents ou pour toute   autre créature. Si elles   n'en
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ôtent la terre, l'amour de Dieu n'y pourra entrer. Donnez-moi une âme qui n'aime rien de tout ce qui est au monde , elle sera bientôt pleine de l'amour divin. Il faut donc prier toujours, comme faisait David. Cor mundum créa in me Deus. ( Psal. 50. ). Seigneur faites que mon cœur soit vide d'affection pour tout ce qui n'est pas vous. Vœ duplici corde , dit Dieu, ( Eccl. II. 14· )· Malheur ( dit S. Augustin ) à qui partage en deux son cœur, et en donne une partie à Dieu et l'autre au démon. Vat duplici cerde qui de suo partem faciunt Deo , partem diabolo. ( De Subst. Dil. Num. [χ. ). Car, dit le saint, Dieu s'irrite avec raison contre ceux qui le placent sur la même ligne que son ennemi ; c'est pourquoi il sortira de leurs cœurs et les laissera en proie au démon. Iratus Deus quia sit tibi pari cum diabolo , discedit et totum diabolus possidet. Au moins, ajoute le saint, toute âme qui aime quel-que chose après Dieu ne peut être toute à Dieu ; plus elle aimera celte chose, moins elle aimera Dieu. minas te amat, qui tecum aliquid aliud amat.
IV. Enfin , le moindre attachement pour les créa-tures empêche l'âme d'être toute à Dieu. Tant que Ste.-Thérèse nourrit dans son cœur une passion dé-sordonnée ( quoiqu'elle ne fût pas impure ) pour un de ses parens, elle ne fut pas entièrement à Dieu ; mais, lorsqu'elle se détacha de toutes les créatures, et consacra son cœur à Dieu seul, elle mérita d'enten-dre la voix de Dieu qui lui disait, Thérèse, mainte-nant tu es toute d moi et je suis tout d toi. Le B, Jo-seph Calasanz, disait que celui qui ne donne pas son cœur tout entier à Jésus-Christ, ne lui donne rien ; et il avait raison , car notre cœur est déjà trop petit pour aimer un Dieu infini. Et il y a encore des gens assez insensés pour partager leur cœur en deux et en
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donner une moitié à Dieu et une partie aux créatu-res! Non , s'écriait le bienheureux Gilles : Una uni; cette âme, ce cœur que nous avons, il est de notre devoir de le donner tout entier à cet être qui seul, mérite notre amour, et qui a tant fait et tant souf-fert pour nous forcer de l'aimer. Le père Nierem-berg dit qu'il n'était pas nécessaire que Jésus-Christ fît tant de sacrifices pour nous sauver; une seule goutte de son sang, une seule larme de ses yeux, une seule prière de sa bouche eût suffi pour sauver le monde et des milliers de mondes, mais le divin époux à voulu répandre son sang , et donner sa vie , non-seulement pour nous sauver , mais aussi pour que nous l'aimassions de tout notre cœur. Il aurait pu envoyer un de ses anges pour racheter nos péchés; mais il ne l'a pas fait, dit Hugues de St-Yictor, il a voulu, ô homme, être à la fois ton Créateur et ton Rédempteur, pour que tu ne partageasses pas ton amour entre lui, ton Créateur, et son ange , ton Ré-dempteur. Ne amorem divideres, tibi factus est Creator et Redemptor. ( In. Lib. Sent. )
V. .Le Seigneur veut être aimé de tous les hommes et de tout leur cœur. A chacun d'eux, il a intimé ce précepte : Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo. ( Slat. χχχπ. 37. ) Mais ce doux précepte, il l'a intimé principalement à ses épouses. Le vénérable père Jo-seph de la Croix répondit à un de ses religieux, qui disait avoir pris cet état pour sauver son âme : Non mon fils , vous ne devez pas dire pour sauver votre âme , di-tes plutôt pour devenir un saint ; le seul but d'un religieux doit être d'aimer Dieu au suprême degré. Si une religieuse n'aime Dieu de tout son cœur, qui donc l'aimera plus qu'elle? Quel choix a du faire le Seigneur avant ίβ
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vous élire pour ses épouses. Il a dû vous choisir d'a-bord au milieu de la foule innombrable des créatures vivantes. Ensuite, il a dû vous choisir en dehors de tout ceux qui naissent parmi les infidèles et les héré-tiques, vous faisant naître filles de sa sainte Eglise. Il a dû vous choisir en dehors de tant de milliers d'hommes qui vivent dans le monde, c'est-à-dire dans un danger continuel de perdre Dieu et le Para-dis; il vous a éclairées de sa lumière; il vous a com-blées de grâces pour vous appeler à l'état monastique. Si donc vous» n'aimez votre Dieu de tout votre cœur, si vous n'êtes toutes à lui, qui le sera ? Hœc est genera-tio quœrentium dominum. ( Ps. xxxni. 6. ) En voyant tant de vierges, qui, issues d'un sang illustre, née dans le luxe et les plaisirs, ont tout abandonné, se sont renfermées dans un monastère , et condamnées à vivre pauvrement, peut-on s'empêcher de dire : Hœc est generatio quœrentium Dominum. Ce sont là de ces âmes qui ne cherchent que Dieu.
VI. Il faut donc, dit S.-Bernard,puisque Dieu vous a appelées au rang de sesépouses, que vous ne pensiez qu'à l'aimer. Nihil tibi et mundo : obliviscere omnium ; soli omnium serves te ipsam quem ex omnibus tibi elegisti. ( Serm. Z|0. In Cant.) Maintenant que vous vous êtes consacrées à Jésus-Christ, vous n'avez plus rien à at-tendre du inonde; oubliez-le, et tâchez de garder vo-tre cœur tout entier à ce Seigneur qui vous a choisies pour cet effet, entre tous les êtres. J'ai dit : votre cœur tout entier parce que Jésus veut que son épouse soit un jardin fermé, une source scellée : Hortus conclusus, fons signatus soror, mea sponsa. (Cant. ìv. 11.) Jardin fermé qui n'admet dans ses bocages que son divin maître : Hortus conclusus qui neminem nisi dilectum admittit. (Gi-lib Serai. 35 in Can. ) Source scellée, car cet époux
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est jaloux et ne veut souffrir dans le cœur de sa bien-aimée, d'autre amour que le sien. Poneme ut signaculum super cor tuum, ut signaculum super brachium tuum quia fortis ut mors dilectio. (Cant. vm. 6. ) Je veux, dit-elle, que tu m'imprimes comme un cachet sur ton cœur et sur ton bras, afin que tu n'aimes que moi seul, et que tu ne fasses rien que pour me plaire. Écoutons S.-Grégoire : Super cor et super brachium sponsa dilectus ut signaculum ponitur, quia in sancta anima quantam ab ea diligatur, et voluntate et actione designatur. Le bien-aimé se pose comme un cachet sur le cœur et sur le bras de l'épouse, parce que c'est au moyen de sa volonté et de ses œuvres qu'elle doit faire connaître son amour. Quand l'amour est fert il chasse tous les sentiments qui ne tendent pas à Dieu. Quia fortis ut mors dilectio. Comme il n'y a pas de puissance au monde qui résiste à la mort, lorsque le moment fixé pour sa venue est arrivé, de même il n'y a pas d'obstacle et d'entraves que ne surmonte et ne brise l'amour divin, quand il a pris racine dans un cœur. Si dederit homo omnem subs-tantiam domus SUUS pro dilectione quasi nihil despiciet eam. ( Cant. vm. 7. ) Un cœur aimé de Dieu, rejette avec mépris tout ce que lui offre le monde ; il repousse et abhorre tout ce qui n'est pas Dieu. Quand la maison brûle,dit S.-François de Sales, on jette tous les meu-bles par la fenêtre ; c'est-à-dire que, lorsqu'une âme est embrasée de l'amour divin, elle n'a besoin ni de sermons, ni de lectures spirituelles; elle se dépouille d'elle-même de tous les biens terrestres, pour ne pos-séder et n'aimer que Dieu, son bien suprême.
VII. Dites-moi, ma sœur , n'est-il pas digne de t out votre amour celui qui a perdu la vie pour vous sur la croix et vous a tant de fois donné son corps dans la sainte communion ? De combien de grâces
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spéciales il vous a enrichie ! Songez, dit S. Jean Chry. sostôme, qu'il vous a donné tout son être, qu'il ne s'est rien réservé pour lui. Totum Ubi dedit, nihil sibi retinuit. Cette pensée était toute-puissante sur S.-Bernard pour le faire redoubler d'ardeur à aimer Dieu. Il disait souvent : Totus mihi datus , totus in meos usas ex-pensus. Mon Seigneur s'est donné entièrement à moi: il est mort pour l'amour de moi, il est donc juste que je meure pour l'amour de lui. Dilectus meus mihi et ego illi. (Cant. II. 16) Mon bien-aimé s'est donné tout entier à moi ; il est juste que je me donne tout à lui. Ste.-Marie-Madelaine de Pazzi disait que les religieu-ses , devant être les épouses du crucifix, ne doivent regarder que le crucifix dans toutes leurs actions et pendant toute leur vie et songer sans cesse à l'amour infini que leur a porté leur divin époux. Tandis qu'il accomplissait l'œuvre de notre rédemption il dit : Nunc princeps hujus mundi ejicietur fords. (Joan. χ». 31.) S. Augustin remarque en cet endroit que Jésus ne voulait pas dire qu'après sa mort le démon sortirait de ce monde : Non ita, sed extra corda credentium; (Tract. A· in Ep. ad Jo.), mais bien qu'il sortirait du cœur de tous les fidèles. Jésus est mort pour tous , mais surtout pour les Vierges, ses épouses. Un Dieu s'est donné tout à vous sans réserve, vous seriez bien ingrate, si vous hésitiez à lui donner en échange votre cœur et si vous étiez froides à son amour. Dites-lui souvent : Ο mon Jésus! vous vous êtes donné à moi sans réserve , vous m'avez donné tout votre sang, toutes vos sueurs, tous vos mérites; enfin il ne vous est rien resté; je me donne toute à vous; je vous cède tous les biens que peut m'offrir la terre, je vous donne toutes mes satisfactions, je vous donne mon corps, mon âme, ma volonté, ma liberté ; je
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n'ai plus rien à vous donner. Si je possédais autre chose, je vous le donnerais. Je renonce à tout ce que m'offre le monde et ie déclare que vous seul me suffisez. Oh! quelle échange avantageuse pour nous qu* celle de notre amour contre Γ amour de Dieu ! disait Ste.-Thérèse. Mais , pour mitait-elle , si nous nu donnons pas à Dieu tout notre amour , il ne nous versera pas non plus tous les trésors du sien.
VIII. Une épouse de Jésus-Christ ne doit chanter d'autre cantique que celui dont parle David : Cantate Domino canticum novum. (Ps. txxxxv. 1. ) S. Augustin dit : Quid habet canticum novum, nisi amorem novum ? ( Serm. 256. de Temp. ) Que signifie cantique nou-veau? n'est-ce pas un amour nouveau? Les chants anciens sont l'amour des créatures et de nous-même, que nous éprouvons dès notre naissance parce que le péché originel nous donne dès-lors l'inclination au mal, comme l'observe le S.-Esprit: Sensus enim et cogitatio humani cordis prona sunt ab adolescentià suo. ( Gen. 8. y Le chant nouveau c'est l'amour de notre coeur que nous consacrons à Dieu. S.-Augustin nous y exhorte en ces termes : Vox hujus cantoris est sancti amoris : ipsum amemus propter ipsum. La voix de notre cœur qui doit chanter les louanges de notre Dieu n'est autre chose que la ferveur de l'amour que nous devons lui porter , parce qu'il en est digne. Jésus crucifié veut que ses épouses soient crucifiées à toutes les choses de ce monde, et quand le monde met devant nos yeux ses pompes et ses délices nous devons nous écrier avec S .-Paulin : Habeant sibi divi-tias suas divites , régna sua reges , nobis Christus regnum et gloria est. Que les riches jouissent de leurs trésors, les rois de leurs royaumes ; Notre royaume c'est vin.                                                   4
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le ciel, notre gloire c'est d'aimer Jésus-Christ, qui nous est plus cher que tous les empires de la terre. L'épouse de Jésus ne doit chercher que l'amour, ne doit vivre que d'amour, elle ne doit désirer que d'aimer toujours d'avantage, elle doit sans cesse languir d'amour, au chœur, dans sa cellule, au dortoir, au jardin , en tous lieux; son amour doit être si ar-dent que ses flammes s'étendent jusqu'au delà des murs du monastère, son époux bien-aimé l'invite à cet amour par son exemple. Heureuse la religieuse qui peut dire comme S.-François : Deus meus et omnia. Mon Dieu ! comment envierais-je les biens de la terre, après vous avoir obtenu, vous le plus grand des biens ? Deus meus et omnia ! Que sont les honneurs, les richesses, les plaisirs ? Vous êtes ma gloire , mon trésor, mes délices ; vous êtes tout pour moL Quid mihi est in ccelo et d te quid volui super terrant? Deus cordis met, et parsméa ! Deus in aternum! (Ps. LXXII. 26.) Où trouverai-je dans le ciel ou sur la terre un objet aussi digne d'amour que vous et qui m'ait comblée d'autant de faveurs ^ Vous seul devez donc être le souverain de mon âme, vous seul devez y régner et la gouverner , elle ne doit obéir qu'à vos saintes lois et à vos désirs.Inveniquem diligit anima tnea, tenui eum nec dimittam ( Cant. m. 4· ) J'ai trouvé qui m'aime véritablement et qui peut me satisfaire. Le monde avec tous ses plaisirs, l'enfer avec tous ses tourments feraient de vains efforts pour me séparer de vous. Jamais je ne vous quitterai, ô moi) époux. Tenui eum nec dimittam. Je veux vous tenir toujours enlacé des liens de mon amour; je veux vivre et mourir unie à vous.
IX. Pour parvenir à la perfection et pour jouir de la paix véritable de la conscience, il faut mourir au
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monde et à soi-même. Beati mortui, qui in Domino mo-riuntur (Apoc. xiv. 13.). Mais comme on ne peut mourir sans douleurs, si l'on yeut mourir au monde et se détacher de ses biens , il faut se préparer à souffrir. C'est pour cela que le royaume du ciel est comparé, dans l'Écriture sainte, à un trésor qu'on ne peut acquérir qu'en vendant tout ce que l'on pos-sède, ou à une ville où l'on n'entre qu'avec peine et avec effort parce que la porte est étroite ; ou bien encore à un palais, dont les pierres , c'est-à-dire les âmes qui le composent, doivent être taillées à coups de ciseau ; on le compare aussi à un banquet pour lequel on est forcé de négliger toutes ses affaires, à un prix distiné au plus habile coureur, à un dia-dème que l'on n'obtient qu'en combattant et en rem-portant la victoire. Enfin , pour mourir au inonde, il faut faire mourir l'amour-propre. S.-Augustin dit que plus l'amour-propre est petit plus l'amour divin est grand; la mort de l'amour-propre est le dernier effort de la charité : Nutrimentum caritatis est diminutio cupiditatis ; perfectio, nulla cupiditas (Lib. LXXXI, QU. 36.) La charité ne se mesure pas à la tendresse, mais à la force. Un ardent amour , dit le même saint, sur-monte toute chose : Nihil tdm durum quod non amoris igné vincatur. (S. Aug. in Jo. Tract, xxxxvut. 3. ) II dit encore : In eo quod amatur, aut non laboratur,aut ipse tabor amatur. ( De Bono. Vid. Cap. 21. ) Une âme qui aime Dieu ne souffre pas, lorsqu'elle souffre pour Dieu, ou si elle souffre, elle aime sa douleur même ; le S. Docteur dit dans ses confessions que, lorsqu'il se consacra à Dieu, la perle même des biens terrestres lui causa une jouissance inconnue, et tandis qu'avant sa conversion il craignait de les perdre, après les avoir quittés il les haïssait. Quam suave subito factum est ca
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rere suavUati/ms nugarum ! et quas amittere metus fuerat « jam dimittere gaudium erat ( Lib. 9. ). Tout devient agréable à une religieuse qui a donné tout son cœur à Dieu ; la pauvreté, l'obéissance , les {notifications * mais celle qui ne se. contente pas de Dieu trouve tout insupportable.
X. Il est vrai que tout le bien que nous faisons vient de Dieu; sans sa grâce nous ne pouvons pas même dire Jésus , selon l'Apôtre; cependant le Seigneur veut que nous mettions aussi la main à l'œuvre, et que nous coopérions à l'acquisition de notre salut. Bien des âmes désirent devenir saintes ; mais elles voudraient que Dieu fît tout; qu'il les rendît saintes sans qu'elles éprouvassent ni peines ni fatigues. Cela ne se peut; la loi divine est appelée un joug, un joug se porte à deux; c'est-à-dire qu'il faut que Dieu nous aide d'un côté et que nous nous aidions de l'autre; il faut même que, pour porter ce joug et acquérir le ciel ; nous nous fassions violence; Regnum caelorum vim patitur,et violenti rapiunt Mud. (Matt. χι. 12.) S.Paul dit que l'on ne peut recevoir la couronne sans com-battre, autant qu'il est nécessaire pour mettre en dé-route les ennemis de notre salut. C'est pourquoi , épouse bénie du Seigneur, je vous dis : Tene quod habes, ut nemo accipiat coronam tuam, (Apoc. m. 11.). Puis-que Jésus-Christ vous a choisie pour son épouse, tâchez de tenir bon, et de ne pas vous laisser enlever par le démon cette couronne de reine, qu'il vous pré-pare dans le ciel, mais de devenir, semblable à votre époux,;-car tous lee :prédestinés doivent lui être sem-blables: : Quos praescivit et prcgtlestinavit, conformes fieri imaginis filii sui. ( Rom. vm. 29.) Il vous devance , couronné d'épines,, courbé sous le faix de la croix, déchiré par les verges, et c'est dans.: cet état qu'il
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vous inv,ite à le suivre et à mortifier vos sens. Qui vult venire post me, abneget semetipsum (Matt. xvi. 2Z(.). Il va à la mort pour vous ; vous aussi vous devez vous dévouer à la mort pour lui, et dire avec S.-François : Ο bone Jesu, moriar amore amoris tui, quiamoreamorismei dignatus esmori. Ο boa Jésus ! il est juste que je meure pour votre amour , puisque vous êtes mort pour l'ar mour de mon amour. Oui, dit l'Apôtre, il est juste que vous mouriez à vous-mêmes, et que vous ne viviez plus que pour ce Dieu qui est mort pour vous. Qui vivunt jam non sibi vivant, sed ei qui pro ipsis mortuus est. ( II. Cor. ν. 15. ) II est vrai que yqus êtes bien faible pour exécuter tant de choses, mais la puissance divine vous aidera, si.vous vous confiez en la bonté de votre époux. Quand le démon vous tente et cher-che à vous remplir de défiance, en vous disant : Com-ment supporteras-tu cette vie mortifiée , te refusant tout, jusqu'aux plus innocents plaisirs ? Répondez-lui alors avec S.-Paul. Omnia possum in eo qui me confortat. (Phil. ìv. 13.) Je n'ai la force de rien faire, mais ce Seigneur qui,m'a appelée à l'aimer me prêtera les forces qu'il exige, de moi. Ste.-Thérèse a dit : «A moins que nous ne fassions défaut, ne craignons pas que Dieu nous refuse, ses secours.» Oh, paon Dieu! si une religieuse n'est pas sainte qui Je sera ? Offrez vous donc souvent à Dieu avec vine résolution ferme de lui obéir e.n tout, ,et .priez-le de yous aider de sa grâce. Il a promis d'accorder tout ce qu'on lui de-mande avec confiance : Omnia quacumque orantes petitis , credite, quia accipietis , et evenient vobis. ( Marc. χι. 24. )
XI. Que craignez-vous P ayez courage; Dieu vous a déjà tirée du monde, il a rompu les filets qui vous en-yeloppaient^ il vous a appelée à,,lui., et yous promet
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mille grâces et mille secours, si vous lui êtes fidèle. Vous avez déjà quitté le siècle, vous avez fait le plus; le moins qui vous reste à faire ( disait Ste-Thérèse à ses Sœurs ) c'est de devenir des saintes. Décidez-vous ; rompez avec le monde. Eh quoi ! après l'avoir quitté et renoncé aux biens qu'il vous offrait, après vous être privée de votre liberté en vous renfermant pour toujours dans le cloître ; poor de viles satisfactions , pour de vains caprices, vous vous mettriez en danger de tout perdre, votre àme, le paradis et Dieu ? d'é-pouse du roi des cieux , vous consentiriez à devenir l'esclave de Lucifer, qui vous tourmenterait dans cette vie et dans l'autre. Prenez un partij, dis-je, et tremblez que cette page que vous lisez, ne soit le der-nier appel que vous envoie le Seigneur. Ne résistez plus à la voix de Dieu. Peut-être que, ei vous résistez cette foi», Dieu va vous abandonner. Résolution! ré-solution ! Ste-Thérèse disait : Le démon a peur des âmes résolues. Ayez courage : bien des âmes, dit S.-Bernard, ne sont pas saintes, parce qu'elles ne s'arment pas de courage. Courage et confiance en Dieu. Une volonté forte triomphe de tout. Oh ! que voue seriez heureuse, si, obéissant à la voix de Dieu qui TOUS appelle, et vous donnant toute entière à Jésus-Christ, vous pouviez lui dire en mourant ce que disait Ste.-Agnès : Domine qui abstulisti d me amorem secuti, accipe animammeam. O mon Dieu ! qui m'avez délivrée de l'amour de monde , afin que je vous donnasse mon cœur tout entier, recevez mon âme, afin que j'aille vous aimer avec ardeur dans le ciel, où je ne craindrai plus de me séparer de vous, ô Dieu infiniment bon !
XII. Que toutes les religieuses ne suivent-elles l'exemple de la vénérable Françoise Farnèse,qtrit ayant mené d'abord une vie imparfaite, jeta un jour
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les yeux sur la relation du martyre des Franciscains au Japon ; touchée et convertie, elle s'écria : Et nous, mes sœurs , que ferons-nous ? n'aurons-nous fui la maison paternelle, nos parens, nos amis, nos plaisirs, que pour venir nous damner entre ces quatre murs, et y nourrir l'amour des choses du monde que nous ne possédons pas ? Elle résolut dès-lors d'en finir avec le monde , de se donner toute à Dieu, et d'établir cette admirable réforme dont elle fut la directrice. Chose déplorable, dit S.-Jérôme, les hommes étudient à fond toutes les sciences mondaines , et en sont encore à l'alphabet de celle des saints ! In omnibus mundi stu-diis non satiantur homines, et in virtutum studio tantam caspisse sufficiet? ( Ad Demetr. ) Tout chrétien est obligé de tendre à la perfection. Christianum cum dico, perfectum dico, dit S.-Ambroise. ( Serm. XII. in Ps. 118.) Cette obligation nous est imposée, parce que nous devons aimer Dieu de toutes nos forces. Étant obligés de nous maintenir dans la grâce de Dieu, nous sommes obligés aussi de nous perfectionner sans cesse dans l'amour divin, car ceux qui n'avancent pas dans la voie du Seigneur, à coup sûr reculent, et se-mettent en danger de tomber dans le péché. Ceci s'adresse principalement aux religieux qui sont obligés, plus que les autres hommes, de parvenir à la perfec-tion, à cause des grâces plus nombreuses qu'ils oat reçues et de la facilité qu'ils ont de devenir saints, au moyen des vœux et des règles de la religion qu'ils ont promis d'observer.
XIII. Mais pour parvenir à la perfection, il ne suf-fit pas d'en avoir le désir simple et inefficace ; il faut s'en donner la peine et prendre les moyens nécessaires pour y arriver. Il ne s'agit pas d'exécuter des choses difficiles   et extraordinaires; on n'a  qu'à  faire les
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exercices ordinaires avec attention, observer les rè-gles avec exactitude, et pratiquer les vertus chré-tiennes. Il est vrai qu'il ne suffit pas à une religieuse, qui veut être sainte, d'observer ce que commande la règle; la règle est faite même pour les âmes faibles ; il faut donc y ajouter, avec la permission dvi directeur, des actes de charité, de mortification etc. S.-Bernard dit : Perfectum non potest esse nisi singulare. Une reli-gieuse qui ne fait que ce que les autres font, ne par-viendra jamais à un haut degré de perfection. Il faut donc que vous vous fassiez violence et qu'avec intrépi-dité vous affrontiez les difficultés de la perfectio*.
XIV. Voici les moyens principaux d'y parvenir. 1° Ayez un désir ardent de devenir sainte. 2° Ayez une entière confiance en Jésus-Christ, et en sa divine mère. 3" Fuyez toute sorte de péché volontaire; mais après avoir commis un péché ne vous découragez pas. Repentez-vous et poursuivez votre chemin. W Rompez toute attache aux créatures, à votre volonté, à votre estime propre. 5° Travaillez toujours à résister à vos penchants. 6° Observez les règles avec fidélité, quel-ques minutieuses qu'elles soient. 7° Faites vos exer-cices ordinaires avec le plus de perfection possible. 8" Tâchez, avec la permission de votre directeur, de communier souvent , de faire beaucoup d'oraison mentale et toutes les mortifications corporelles qu'il vous accordera'. 9° Préférez toujours les actes que vous croirez les plus agréables à Dieu, et les plus contraires à l'amour propre. 10° Recevez avec joie, de la main de Dieu, tous les chagrins qui vous surviennent. 11° Aimez et traitez bien quiconque vous persécute. 12° Tâchez d'employer pour Dieu tous vos moments 13° Offrez tout ce que vous faites à Dieu, avec les mé rites de Jésus-Christ. 14° Offrez vous vous-même
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Dieu, pour qu'il fasse de vous et de tout ce qui est à vous, tout ce que bon lui semblera. 15" Protestez sou-vent que vous ne voulez que le bon plaisir et l'amour du Seigneur. 16° Priez toujours et recommandez-vous avec confiance à Jésus-Christ et à la sainte Vierge; ayez une confiance et une teudresse spéciale envers Marie, Je finis en disant que le V. P. D. An-toine Torres, revenu d'une extase d'amour, parla eu ces termes à une religieuse, sa pénitente : Ma fille ai-mez voire épouse f car il est le seul objet qui mérite d'être aimé.
PRIÈRE.
Ο mon Dieu! 6 mon amant trop aimable, ό amour infini, digne d'un amour infini, quand pourrai-je vous aimer autant que vous m'avez aimée ! Vous n'avez plus de preuves à me donner pour me convaincre de votre amour; vous n'avez rien négligé pour m'obliger à vous aimer, vous avez été jusqu'à répandre votre sang et donner votre vie ; et je serais insensible à tant de tendresse ? Pardonnez-moi, ô Jésus, si par le passé j'ai été une ingrate, préférant mes misérables satisfac-tions à l'amour que je vous devais. De grâce , mon Seigneur et mon époux, découvrez-moi de plus en plus la grandeur de votre amabilité , afin que je de-vienne toujours plus amoureuse de vous, et que je vous serve comme vous le méritez. Vous m'ordonnez de vous aimer, et je ne désire que de vous aimer. Loquere Domine, quia audit servus tuus. Parlez, dites ce que vous exigez de moi, je vous obéirai en tout; je ne veux plus résister à votre bonté et aux grâces que vous m'avex accordées. Votis vous êtes donné tout à moi, je mç
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donne toute à vous. Acceptez-moi Seigneur, ne me re-fusez pas. Je mériterais d'être repoussée , à cause des nombreuses infidélités dont je me suis rendue cou-pable. Mais le désir que vous m'inspirez d'être à vous me montre que vous voulez bien de moi. Je vous aime, ô Dieu infini ! je vous aime,ô Dieu infiniment aimable! Vous êtes et serez toujours mon seul amour, mon seul amant. Et puisque vous avez promis d'accorder tout ce qu'on veus demande, petite et accipietis, je Tous demande la même grdce que vous demandait S.-Ignace; Amorem tui solum, cum gratia tuâ mihi dones et dives sum satis. Donnez-moi votre amour et votre grâce; faites que je vous aime, et aimez-moi, et je suis cont ente; j e ne veux rien de plus. Ο M arie, qui êtes toute à Dieu, quel est votre bonheur ! Obtenez-moi, par l'amour que vous porte le Seigneur, la grâce de ne plus aimer désormais que lui.
CHAPITRE IV.
Désir de la perfection.
I. Le premier moyen que doit employer une reli-gieuse pour parvenir à la perfection et être toute à Dieu, c'est de désirer ardemment sa perfection. Ainsi que le chasseur qui tue sa proie au vol, ajuste tou-jours l'oiseau avant de tirer le coup, ainsi pour attein-dre à la perfection, il faut toujours avoir les yeux au plus haut degré de sainteté auquel on puisse arriver. David s'écriait : Quisdabit mihi pennas sicut columbœ; volabo et requiescam. ( Ps. LIV. 7. ) Qui me prêtera les ailes de la colombe pour m'élancer au ciel, et, libre des entraves terrestres, m'aller reposer au sein de Dieu.
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Les pieux désirs sont les ailes bienheureuses qui em-Dortent l'âme des saints loin du monde , au faite de
perfection, au repos éternel. Mais comment le saint désir fait-il voler l'âme vers Dieu? S*-Laurent Justi-nien nous l'apprend. Vires subministrat, pamam exhibet leviorem. Le saint désir donne la force de gravir les sen-tiers escarpés du mont de la perfection. Au contraire, celui qui n'aspire pa» à la perfection, et doute d'ypou-voir atteindre, ne fera jamais rien pour y parvenir. Celui qui, voyant une haute montagne, ne brûle pas du désir d'en atteindre la cime , ou il est sûr de trou-ver un trésor, ne fera pas un pas pour y monter, et restera au bas , dans l'insouciance et l'inaction. De même, celui qui ne désire pas avec ardeur d'acquérir le trésor de la perfection, et que les fatigues de la route effraient, languira éternellement dans la tiédeur, et n'avancera jamais dans le chemin du salut.
II. Celui qui ne s'efforce pas d'avancer dans la voie de Dieu, comme disent tous les maîtres de la vie spi-rituelle, reculera toujours et courra risque de se per-dre. Salomon nous l'observe en ces termes : Justorum autem semita quasi lux crescit , usque ad perfectum diem, via impiorum tenebrosa; nesciunt ubi corruant. ( Prov. iv. 18. ) Les saints avancent dans leur voie, comme la lu-mière du soleil qui grandit toujours, depuis l'aurore jusqu'au jour pariait. La voie des impies, au contraire, est ténébreuse, en sorte qu'ils marchent sans savoir où ils vont. Non progredi, reverti est, dit S.- Augustin. Dans les voies spirituelles, ne pas avancer c'est reculer. St-Grégoire nous explique très-bien ceci par une compa-raison. Celui, nous dit ce saint, qui, placé dans une nacelle au milieu d'un fleuve, ne ferait aucun effort pour résister au courant, et voudrait cependant rester au même point, sans avancer ni reculer, serait néces->
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saireraent entraîné en arrière, parce que le courant l'emporterait avec lui. Depuis le péché d'Adam, l'homme , dès sa naissance, est enclin au mal. Semus ■enim et cogitatio humani cordis in malum prona sunt ab ■adulescentia suâ. ( Genes. 21. ) S'il ne fait effort et ne tâche de se perfectionner de plus en plus le tor-rent de la concupiscence ^'entraînera toujours en ar-rière, S.-Bernard dit : Non vis proficere ? Vis ergo defi-cere? nequaquam. (Ep. 253.) Ame religieuse, dit-il, tu ne veux pas faire de progrès dans la vertu ;, tu Veux donc reculer? Tu réponds que non. Que veux-tu donc faire? Quid ergo vis? inquis : Vivtr-e velo et manere quo perveni; neepejor fieri patior nec melior cupio. Tu dis : je veux rester dans l'état où je me trouve : je ne yeux être ni mieux ni pire. Hoc trgo vis quod esse non potest. Tu veux donc une chose impossible ; car dans la voie de Dieu, il faut avancer et faire des progrès dans la vertu ou reculer et tomber dans la fange des vices.
III. Il est donc nécessaire, dit l'apôtre, de ne ja-mais s'arrêter dans la voie du salut, il faut toujours courir, par la pratique de la vertu, jusqu'à ce qu'on ait conquis la vie éternelle. Sic currite ut comprehenda-tis. ( I. Cor. ix. 1l\. ) Souvenons-nous que, si nous nous perdons^ c'est par notre faute, car Dieu veut que nous soyons tous saints et parfaits. Haec est enim voluntas Dei sanctificatio vestra. ( II. Thes. l\2>. ) II nous ordonne d'être parfaits et saints : Estote ergo vos per-fecti, sicut et pater vester coelestis perfectus «rf(Matt. v. 48.). Sancti eritis , quçniam ego sanctus sum. ( Lev. χι. 1\1χ·, ) J)eson coté, il nous promet et nous donne réellement, pour l'exécution de tous ses commandements, les se-cours nécessaires, pourvu que nous les lui demandions, pomme nous l'apprend le concile de Trente :Deus im-pgssifafia nonjubef, sed jubendo monet et facere quod possis
SISCTIFIÉE.                                tìi
il petere quod non possis et adjuxat ut possis. ( Sess. vi. C. 13. ) Dieu n'ordonne pas des choses impossibles, car, en nous imposant ses préceptes, il n'exige de nous que ce que nous pouvons exécuter avec la grâce ordi-naire; maisquand il nous faut une plus grande grâce, il nous exhorte à l'implorer ; et, alors, il nous accorde son aide pour que nous puissions accomplir Ce qu'il nous commande. Pfenez donc courage. Le V. P. Tor-res, pieux ouvrier de l'Évangile, écrivait à Une reli-gieuse , sa pénitente : Ma fille, c'est à nous à donner des ailes à nos désirs, c'est à nous à notis détacher de la terre pour Voler Vers l'époux bién-aimé dé nos âmes, qui nous attend dans l'heureuse patrie de l'éternité. IV. S.-Augustin dit que la vie d'un bon chrétien est un désir perpétuel de perfection. Tota vita christiani bonisarìcluth desiderium est. (Tract. lv. in ι. Ερ. Joan.) De sorte que celui qui ne nourrit pas dans son cœur le désir de se rendre Saint, sera chrétien, mais non pas bon chrétien ; etsi cela ne s'applique pas générale-ment à tous, il regarde plus particulièrement les re-ligieux qui, bien qu'ils ne soient pas obligés à être parfaits ,  doivent néanmoins tendre à la perfection d'une manière spéciale : c'est précisément ce qu'en-seigne S. Thomas. Qui statum religionis assumit, non <e-netur habere perfectam caritatem, sed tenetur ad hoc ten' dere. ( II. 2. Qu. 186. ) Le même saint nous apprend comment une religieuse doit faire pour parvenir à la perfection. Non tenetur ( religiosus ) ad omnia exercitia quibus ad perfectionem pervenitur , sed aa illa qua determi-nata sunt ei taxala secundum regulam quam professus est. (Ibid. ) Ellen'est pas tenue à pratiquer tous les exer-cices qui servent à acquérir la perfection ; mais seu-lement ceux qui sont prescrits par la règle dont elle a fait profession. Elle est donc obligée, outre les engage-
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ments, à faire l'oraison de ses vœux, les communions, les mortifications commandées par la règle5 au silence et à tous les autres exercices que suit la communauté. Y. Quelques-unes diront sans doute : mais notre règle ne nous oblige pas sous peine de péché. Je ré-ponds à cela : Les docteurs disent généralement que quoique la règle n'oblige pas sous peine de péché, néanmoins celui qui l'enfreint, sans cause suffisante qui l'excuse, n'est pas facilement, surtout en prati-que, exempt de péché, au moins véniel. La raison en est, que, lorsqu'on transgresse, volontairement et sans motif plausible, la règle, c'est par passion ou par pa-resse, et cette transgression doit être régardée au moins comme faute légère; de là. S.-François de Sales dit, dans ses entretiens: qwebien que larèglede la Visita-tion n'obligeât pas scas peine de péché , cependant il ne notait comment excuser de faute xëniele les transgressions , car en transgressant la règle, la religieuse déshonore'^les choses de Dieu, dément sa profession, trouble la communauté et dis-sipe les fruits du bon exemple que chacune d'elles doit don-ner. De sorte que, selon le Saint, quand on trans-gresse la règle en présence des autres religieuses, on ajoute à sa faute le péché de scandale. En outre, si la transgression fréquente de quelque point causait un grand dommage à la règle générale, elle pourrait de-venir même péché mortel. Cela le serait encore si on la transgressait par dédain. S.-Thomas remarque que l'habitude de transgresser la règle , conduit à la mé-priser. C'est ce qu'on répond à ces religieuses trop tièdes, qui s'excusent de leurs transgressions, en disant que la règle n'oblige pas sous peine de péché. D'ail-leurs , les religieuses, fidèles observatrices, ne recher-chent pas si la règle oblige ou n'oblige pas sous peine de péché ; il leur suffit pour l'observer scrupuleuse-
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ment dé savoir que cette règle est imposée par Dieu j et que Dieu aime à voir qu'on l*observe.
VI. Enfin, Comme on ne parvient à posséder par-faitement une science ou un art, qu'après avoir eu le désir ardent de l'acquérir, de même il n'y a jamais eu de saint qui soit parvenu à la sainteté sans un grand désir de l'acquérir. En général, disait Ste.-Thérèse , Dieu n'accorde beaucoup de faveurs signalées qu'à ceux qui ont vivement désiré son amour. Et le Pro-phète royal a dit : Beatus vir cujus est auxilium abs te; ascensiones in corde suo disposuit in vàlle lacrymarum..i ibunt de virtute in virtutem. ( Ps. LXXXIII. 6. ) Heureux l'homme qui a pris la résolution [clans son cœur de monter, pendant sa vie mortelle, de degré en degré t jusqu'à la perfection 1 Dieu l'aidera puissamment et il marchera toujours de vertu en vertu. Ainsi ont fait les saints, et surtout S.-André d'Avellino ,  qui fit vœu d'aller toujours en avant dans là voie de la perfection ! In via Christiana* perfectionis semper ulterids progrediendL ( Lect. Off. in d. Fest. ) Ste-Thérèse disait : Dieu ne laisse pas sans récompense, même dans cette vie, tout bon désir. Ainsi les saints, par le moyen des bons dé-sirs sont parvenus en peu de temps à un point emi-nent de perfection. Consummatus in brevi ewplevit tempora *n«/ia.(Sap. iv. 13.) S-Louis de Gonzague, parvint en peu d'années ( car sa vie ne fut que de 25 ans ) à un tel degré de perfection que Ste.-Madeleine de Pazzi le voyant en esprit dans le ciel, dit : Qu'il lui semblait, pour ainsi dire, qu'il n'y avait pas en Paradis de saint qui jouît d'une plus grande gloire que lui. Elle apprit alors qu'il était arrivé à cet état, par le vif désir qu'il avait eu en cette vie d'arriver à aimer Dieu, autant que Dieu mérite d'être aimé, et que voyant qu'il n'y pouvait parvenir, parce que Dieu mérite un amour in-
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fini, ce ]eune saint avait souffert sur la terre un con-tinuel martyre d'amour, qui l'avait ensuite élevé au rang sublime qu'il occupait parmi les élus.
VII. Les œuvres de Ste-Thérèse, sur cette matière, nous fournissent beaucoup d'autres preuves aussi im-portantes que celtes que nous venoûs de donner. Cette Sainte dit dans un endroit ': 'Nos pensées doivent être grandes, carde là doit dériver n&tre bonheur. Ailleurs, elle dit : // ne faut pas laisser s'éteindre îes désirs ; mais espérer en Dieu, qu'en faisant tous nos efforts, nous parviendrons feu d peu ait hut'glorieux que tous lés saints aiteignent avec sa grâce. Dans un autre endroit elle "dit : Sa divine ma-jesté est l'amie des âmes généreuses, pourvu qu'elles se dé-fient d'elles-mêmes.Cette sainte assurait, d'après son ex-périence, qu'elle n'avait pas vu d'âme faible et lâche qui eût fait, en beaucoup d'années, autant de chemin que d'autres âmes courageuses en font eh peu de jours. Pour acquérir ce courage, il sera très-utile de lire les vies des saints, et surtout de ceux qui, de grands pécheurs qu'ils étaient, sont devenus de grands saints, tels que Stê.-Mâdeleine, S.^Augustin, Ste.-Pélagie , Ste.-Marie Égyptienne et principalement Ste.-Mar-guerite de Cortone, qui resta pendant de longues an-nées dans le malheureux état de damnation; mais qui cependant nourrissait toujours dans son cœur le dé-sir de se sanctifier; et, en effet, lorsqu'elle se conver-tit à Dieu, elle fit de tels progrès dans la voie de la perfection qu'elle mérita d'apprendre ( comme le Sei-gneur le lui révéla ) que non seulement elle était pré-destinée, mais qu'il lui avait déjà été préparé, dans le ciel, une place parmi les séraphins. Ste^-Thérèse dit encore ailleurs que le démon fait que nous croyons qd'ily aurait de la présomption à nourrir ces désirs élevés, et à vouloir imiter les saints ; mais elle ajoute
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que c'est là une grande erreur. Certes, ce n'est pas par orgueil que l'âme se d'.'fie d'elle-même , et, ne se confiant qu'en Dieu, s'achemine avec courage vers les hauteurs de la perfection, en disant avec l'apôtre, omnia possum in eo qui me confortat. ( Phil. ìv. 13. ) Je ne puis rien par moi-même, mais avec l'aide de Dieu, je puis tout; et pour cela je suis résolue à l'aimer avec le secours de sa grâce, comme l'ont aimé les saints.
VIII. Il est donc important d'élever nos désirs à de hauts projets, comme de vouloir aimer Dieu plus que tous les saints, de souffrir plus que tous les martyrs par amour pour lui, d'endurer et de pardonner toutes les injures; d'embrasser toute peine et toute fatigue pour sauver une âme et autres choses semblables. Quoique ces désirs ne puissent jamais s'accomplir, néanmoins ils sont d'un grand mérite auprès de Dieu, qui haït les volontés perverses , autant qu'il aime les bonnes. Déplus, l'âme, par ces désirs de choses grandes et difficiles , devient plus courageuse pour exécuter les plus faciles. Tâchons donc ue nous proposer, dès ,1e matin, de faire tout ce que nous pourrons pour le Seigneur, de supporter toutes les contrariétés qui se présenteront ; d'être toujours recueillis et occupés à des actes d'amour do Dieu. S.-François , au dire de S.-Bonaventure , faisait ainsi : II se proposait avec la grâce de Jésus, de faire de grandes choses. Ste.-Thérèse dit que, les bons désirs sont aussi agréables d Dieu que leur exécution. Oh ! qu'il vaut mieux avoir à faire à Dieu qu'au nionde ! Pour acquérir lés biens du monde les richesses, les honneurs, les éloges des homines; il ne suffit pas de les désirer ; au contraire lé désir augmente la peine, quand on ne les obtient pas; mais avec Dieu il suffît de désirer sa grâce et son amour pour les obtenir. C'est ce que disait ce courtisan de vm.                                                         5
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l'empereur, dont parle S.-Augustin. Deux courtisans, nous dit ce Saint, se trouvant dans un couvent de moines, l'un d'eux se mit à lire la vie de S.-Antoine , abbé : Legebat ( dit S.-Augustin ) et exuebatur mundo cor ejus. Il lisait, et pendant cette lecture son coeur se détachait des affections du monde. Alors , se tournant vers son compagnon, il lui dit : Quid quœrimus? ma-jor ne esse potest spes nostra qudm quod amici imperatoris òimus? et per quot pericula ad majus periculum pervenitur ; et quamdiu hoc erit? Mon ami, s'écria-t-il, que nous sommes insensés. A quoi prétendons-nous, en servant l'empereur avec tant d'ennuis, tant de soucis, tant de peines? Pouvons-nous espérer autre chose que de devenir ses amis? Et, si nous obtenons cet avantage , nous n'aurons fait que d'exposer à un plus grand dan-ger notre salut éternel. Mais non, nous n'arriverions que très-difficilement à avoir César pour ami.
Il termina ainsi -.Amicus autem Dei; si voluero, ecce nunc fio. Mais si je veux être ami de Dieu, dès à présent je le suis. Car l'amitié de Dieu, on l'a aussitôt qu'on la demande avec un désir sincère et ardent de l'obtenir.
IX. Je dis avec un désir sincère et ardent, car à quoi servent ces désirs inefficaces dont se nourrissent quel-ques âmes paresseuses qui toujours désirent et qui cependant ne font jamais un pas dans la voie de Dieu, C'est de ces âmes que parle Salomon , lorsqu'il dit : Vult et non vult, piger. ( Prov. x. l\. ) Et ailleurs : Desi-deria occidunt pigrum. ( Prov. xxi. 25. ) La religieuse tiède désire la perfection, mais ne se résout jamais à prendre les moyens de l'acquérir, d'un côté elle la désire, parce qu'elle sent combien elle est nécessaire ; 4'un autre côté elle ne la veut pas, parce qu'elle est effrayée des peines qu'il faut se donner pour l'obtenir. Par conséquent elle la veut et ne la veut pas ; elle la
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désire, mais non efficacement; et si elle désire de de-venir sainte, c'est par des moyens qui ne sont pas à sa portée. Elle dit ; Oh ! si j'étais dans un désert, je voudrais toujours prier et faire pénitence ; si -jVtais dans un autre monastère, je voudrais me renfermer dans une cellule et» ne penser qu'à Dieu, si j'avais une bonne santé, je ferais beaucoup de mortifications;^ voudrais, je voudrais, et en attendant la malheureuse ne remplit pas les devoirs de sa condition' présente. Elle fait peu oraison , sauvent même elle néglige l'oràison de la Communauté. Elle supprime ses communions ; elle va rarement au chœur; et fréquente beaucoup la grille et.le belvéder; elle souffre avec peu, de patience et de résignation ses infirmités. En sommé , elle com-met chaque jour une foule d'imperfections et'do min· quements, de propos délibéré, et elle ne cherche pas à s'en corriger. A quoi servira donc à cette religieuse de désirer tant de choses impossibles à sa position pré-sente, si elle néglige les obligations actuelles de ' Son état. Desideria occidunt pigrum. Ces désirs inutiles la conduiront plus sûrement à sa perle; car elle s'en nourrira et s'en contentera, tandis qu'elle négligera de prendre les moyens qui,pour le présent,sont nécessaires à sa perfection et à l'acquisition de sou salut éternel. S.-François-de Sales, dit très-bien à ce sujet : « Je n'approuve pas qu'une personne, attachée à un devoir ou à une vocation, s'arrête à désirer un autre-genre de. vie, étranger à ses obligations, ni qu'elle veuille pratiquer des. exercices incompatibles avec son état présent j parce que tout cela met la dissipation dans son cœur et lui fait aecomplir avec langueur les'exSéi^ cices de sa profession. »
Une religieuse  ne doit  donc  avoir l'œil attentif qu'à cette perfection, qui est propre à son état et à
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ea charge présente, qu'elle soit supérieure ou infé-rieure , malade ou bien portante, jeune ou vieille , et elle doit avoir la ferme volonté d'employer les moyens de l'acquérir. En outre, Ste.- Thérèse lui donne cet avertissement : ( Can. perf. ch. 38. ) Le démon nous fait croire que nous avons une vertu, par exem-ple , la patience parce que nous nous décidons facile-ment à souffrir pour Dieu. Il nous semble en effet que nous souffririons tout ce qui se présenterait, ce qui nous rend très-contents, car le démon nous con*· firme dans cette croyance; mais moi, je vous préviens de ne pas faire cas de cette vertu, et de ne croire que vous l'avez que lorsqu'elle aura été mise à l'épreuve, car il peut très-bien se faire qu'à la première expres-sion piquante qui vous sera adressée, votre patience vous échappe.
X. Venons-en à la pratique des moyens, qui est la chose la plus importante. Les moyens nécessaires pour parvenir à la perfection sont : 1° L'oraison mentale , méditant surtout combien Dieu mérite d'être aimé, et combien il nous a aimés , particulièrement dans la grande œuvre de la rédemption , dans laquelle un Dieu en est venu jusqu'au point de se sacrifier pour nous, de perdre la vie dans une mer de douleur et de mépris ; et, non content de cela, il s'est réduit à deve-nir notre nourriture pour gagner notre amour. Ces vérités n'enflamment nos cœurs que lorsque nous les méditons souvent. In meditatione meâ exardescet ignis. ( Ps. m. 84. ) Ainsi parlait David : Quand je m'arrête à méditer sur la bonté de mon Dieu, je me sens tout enflammé d'amour pour lui. Mais, disait à ce sujet le jeune saint Louis de Gonzague, jamais une âme parviendra à un haut degré de * perfection, si elle ne    parvient   d'abord à un  haut   degré d'oraison.
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2° II faut souvent renouveller la résolution d'avan-cer dans l'amour divin. Il faut pour cela se figurer que chaque jour est comme le premier ou nous en-trâmes dans la voie de la perfection. Ainsi faisait Da-vid , qui répétait  sans  cesse : Et  dixi, nunc cœpi. ( Ps. LXXVI. 11. ) Ce fut le dernier souvenir queS.-An-toine laissa à ses religieux : Mes enfans, leur dit-il, figurez-vous que chaque jour est le premier jour où vous commencez à servir Dieu. 3" II faut qu'on fasse sans cesse la recherche de ses défauts, mais une re-cherche rigide; comme disait S.-Augustin, sans flat-ter sa conscience : Fratres mei, discutite vos sine palpa-tione. Semper displiceat tibi quod es , si vis pervenire ad id quod non es.  ( De ver. Αρ. Serm. 15. ) II faut que ja-mais vous ne soyez contente de ce que vous êtes, afin que vous parveniez à être plus parfaite que vous n'é-tiez. Sans cela, poursuit le saint, ubi tibi placuisti, ibi re· mansisti; si vous vous trouvez contente du degré où vous êtes parvenue, vous y resterez ; car étant contente de vous-même, vous perdrez le désir d'aller plus avant. Il ajoute ensuite ces mots qui doivent effrayer toutes les âmes qui, contentes d'elles-mêmes, ne cherchent pas à aller plus loin : Si autem dixeris : sufficit; periisti; si vous dites la perfection que j'ai me suffit, vous êtes perdue ; car ne pas avancer dans la voie de Dieu est la même chose qu'aller en arrière, comme nous l'avons expliqué ci-dessus, et comme nous l'apprend S.-Ber-nard. Profecto nolle proficere , deficere est. ( Ep. CCLIII. ad Gari. ) S.-Jean Chrysostôme dit qu'il faut toujours penser aux vertus qu'on n'a pas, et non au peu de bien que l'on a fait ; car l'idée du bien qu'on a fait, ne sert qu'à nous rendre lents dans la voie du salut, et à nous remplir d'une vaine gloire qui nous fera perdre tout ce que nous-avons acquis ; segniores facit et in arrogan-
 Là BELlGIEt'SE
 extollit, ( Hera. xii. In ep.   ad Phil. ) Puis; il
ajoute : Qui currit,.......nonreputat quantum confecerit,
sed quantum desit. Qui court à grands pas vers la per-fection, ne regarde pas le chemin qu'il a fait, mais celui qui lui reste à faire pour parvenir au but. Plus les âmes pieuses approchent du terme de la vie, plus elles redoublent de· ferveur. Quasi effodientes thesaurum. C'est comme ceux, dit Job , ( m. 21. ) qui cherchent ■an trésor, plus ils ont creusé , selon l'explication de S.-Grégoire, plus ils s'animent à creuser encore, pour trouver au plutôt ce trésor tant désiré. Ainsi ceux qui tendent à la perfection, plus ils avancent, plus ils se hâtent, afin d'en obtenir plus promptement la pos-session.
XI. 4° Potir acquérir la perfection , il sera très-utile d'employer le moyen dont se servait S.-Bernard pour redoubler de ferveur, Surius écrit que ce saint avait toujours dans le cœur, et souvent sur les lèvres, cette demande qu'il s'adressaità lui-même : Bernard, qu'es-tu venu faire en religion ? Hoc semper in corde, frequen-ter etiam in ore habebat : Bernarde, ad quid venisti ? Ainsi, chaque religieuse devrait continuellement se dire a. elle-même : J?ai quitté le monde et tous les biens qu'il m'offrait pour aller me rendre sainte dans le cloî-tre, et maintenant que fais-je ? Je ne deviens pas sainte, et je suis sans cesse ea danger de me perdre par cette vie si tiède que je mène. C'est ici le lieu de rapporter ce qni arriva à la vénérable sœur Hyacinthe M arescotti, qui menait une vie très-tiède, dans le cou-vent des Bernardines de Yiterbe. Le P. Bianchetti y étant allé, comme confesseur extraordinaire, la sœur Hyacinthe voulut se confesser à lui; alors ce bon père lui dit avec sévérité : Vous êtes religieuse ? Sachez que le Paradis n'est pat fait pour les religieuses vaines et orgueil-
SANCTIFIÉE.                                          7»
luises. Hyacinthe répondit : J'ai donc laissé le monde pour me précipiter en tnfer? Oui, reprit le Père : C'est Idiademeitre qui est destinée dws pareilles. C'est Idquèvont toutesles religieuses quivivent dans leur couvent en séculières. Sœur Hyacinthe réfléchissant à ces paroles se conver-tisse confessa et pleura amèrement sur sa vie passée, et depuis elle se mit à marcher dans la voie de là per-fection. Oh ! que la pensée d'avoir quitté le monde pour se faire sainte est propre à réveiller line reli-gieuse , à l'animer pour avancer dans la vertu et sur-monter tous les obstacles qui se rencontrent en reli-gion ! Lors doue, ina chère sœur, que vous éprouverez de la difficulté à obéir, dites-vous : Mais je ne suis pas venue dans le couvent pour faire ma volo'nlé ; si j'avais voulu faire ma volonté, je serais restée dans le monde; je suis venue ici pour faire la volonté de Dieu, en obéissant à mes supérieures ; et je veux leur obéir à tout prix. Lorsque votre pauvreté vous sera à charge, dites-vous : Je né suis pas venue ici pour aVoir mes aises, et vivre dans le luxe, mais bien pour être pau-vre, par amour pour mon Jésus, qui, paramour pour moi, voulut encore être plus pauvre que moi. Quand vous recevrez quelque injureou quelque réprimande, dites-vous : Je ne suis entrée en religion que pour être humiliée comme je le mérite, pour mes péchés, et me rendre par là plus digne de mon époux qui futHii ou-tragé et avili sur cette terre. C'est-là vivre pour Dieu et mourir au monde. Concluez-donc ainsi »Que me ser-vira d'avoir quitté le monde et de m'être renfermée entre quatre murailles, de m'être privée de ma li-berté, si je ne me fais sainte ? En menant une vie re-lâchée et large, je cours risque de me damner.
XII. 5° II faut que la religieuse considère et ranim'e dans son cœur ces anciens désirs de ferveur, et cette
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ferveur elle-même qu'elle avait en entrant dans le .monastère. Un moine ayant demandé à l'abbé Aga-jthon comment il dqvait se comporter dans son cou-vent, en reçut cette réponse : Vide qualis fueris primo die, quando existi de secuto , et talis permane. Examine comment tu étais le premier jour où tu quittas le monde, et conserve-toi d^ns cet état. Souviens-toi, ô é(pouse chérie du SeignéâSr, delà promesse que tu fis de ne désirer que Dieu, de ne vouloir que ce que yeut l'obéissance, de souffrir toute espèce de mépris çt de peines pour l'amour de Jésus-Christ. Ce raison-nement fit retrouver son ancienne ferveur à un jeune religieux , dont il est parlé dans les vies des Pères des déserts. (Part. II. g. 201.) Lorsqu'il voulut entrer en religion, sa mère s'y opposa, en,lui objectant plusieurs motifs, pour lui prouver qu'il ne devait pas l'abandon-ner ; mais le jeune homme répondait toujours : Je veux Sauver mon âme; et, inébranlable dans sa résolution, il entra en effet en religion. Mais quelque .temps après ce malheureux se ralentit et tomba dans une grande tiédeur. Sa mère mourut, et étant tombé lui-même dans une très-grave maladie, il 8e vit un jour cité au jugement de Dieu, où il trouva sa mère, qui le reprit en ces termes : Mon fils, où sont ces paroles : Je veux sauver mon dme! C'est dans ce but que tu es entré en religion, et maintenant quelle vie y mènes-tu?Le re-ligieux re. venu à lui, guérit de sa maladie, et, se ressou-venant des reproches de sa mère, sur ses anciennes résolutions, se mit à mener une vie toute sainte, et il commença à faire tant de pénitences que les autres religieux l'engageaient ensuite à se modérer; mais il leur répondait : Je n'ai pu supporter les reproches de ma mère, comment supporterai-je ceux que Jésus-Christ m'adressera au jour du jugement, si je ne ai
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pas ce qu'il attend de moi ? Il est donc très-utile de lire souvent les vies des Saints, car leurs exemples nous rendent humbles et nous font connaître notre misère, les pauvres ne connaissent leur pauvreté que lors-qu'ils voient les trésors des riches.
XIII. 6° II ne faut pas se décourager, si l'on voit que l'on n'est pas encore parvenu au point de perfec-tion que l'on voulait atteindre. C'est là une tentation du démon. S.-Philippe de Néri disait que se faire saint n'est pas l'affaire d'un jour. On raconte dans les vies des Pères du désert, qu'un moine , après être entré dans le monastère, tout plein de ferveur, se refroidit bientôt; mais, voulant revenir à sa première ferveur, et étant très-affligé, parce qu'il ne savait comment s'y prendre, il alla consulter un ancien Père. Celui-ci le consola, et, pour l'encourager, il lui raconta la parabole d'un père qui chargea son fils de nettoyer un terrain plein de broussailles et de ronces ; le fils voyant que ce travail demandait une peine infinie , perdit courage, se mit à dormir, et ensuite alla s'excuser auprès de son père, en lui disant qu'il n'était pas assez fort pour la tâche qu'il lui avait imposée. Le père lui répondit: Mon fils, je n'exige autre chose de toi, sinon que tu déblayes chaque jour, dans ce terrain, la largeur de ton corps. Le fils suivit cet ordre, et peu-à-peu le champ fut débarrassé bientôt de toutes les plantes inutiles qui l'occupaient. Que cette comparaison est belle pour nous encourager à marcher dans la voie de la perfection. Il suffit que l'on conservetoujours le vif désir d'y avancer et que l'on fasse, pour cela des efforts, parce que alors, avec le secours de Dieu, on finira par arriver insensible-ment à acquérir cette perfection désirée. S.-Bernard dit que les efforts continuels de l'âme, pour parvenir à la perfection, sont la seule perfection à laquelle
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nous pouvons atteindre en cette vie. Jugis conatus ad perfectionem, perfectio reputatur. (Ep. 253.) Il faut avoir eoin de ne jamais négliger les exercices habituels, les oraisons, les communions et les mortifications accou-tumées, surtout en tems d'aridité. Car alors Dieu met à l'épreuve les âmes fidèles. Il veut voir si, malgré la peine et l'ennui qu'elles éprouvent dans cet état de ténèbres, elles continuent à pratiquer ce qu'elles fai-saient d'abord dans l'abondance des consolations cé-lestes.
XIV. C'est un puissant moyen de parvenir à la per-fection que de tenir toujours les yeux sur les sœurs les plus fidèles à leur devoir, afin de les imiter dans les vertus plus particulières dont elles donnent le bon exemple. Ainsi que l'abeille rassemble les sucs de dif-férentes fleurs , pour en former son miel, de même, dit S.-Antoine, la religieuse doit prendre de ses com-pagnes des exemples de vertu; de l'une la modestie, de l'autre la charité, de celle-ci l'amour de la prière, de celle-là la fréquente communion, et ainsi des autres. Toute bonne religieuse doit sans cesse s'efforcer d'imi-ter et même de surpasser toutes les autres sœurs dans les vertus qu'elles pratiquent. Dans le monde, les hommes rivalisent de richesses, d'honneurs, de plai-sirs. Dans un couvent, les religieuses doivent rivaliser d'humilité, de douceur, de patience, de chajrité, d'a-mour pour la pureté , d'obéissance, enfin toute leur ambition doit être d'aimer d'avantage le Seigneur, et de lui plaire. Toutes leurs actions doivent, par consé-quent, être faites d'abord dans le but de plaire à Dieu, ensuite dans celui de donner un bon exemple à leurs sœurs, afin qu'elles en profitent et rendent gloire à Dieu : «Sic luceat lux vestra coram, hominibus ut glorificent patrem vestrum, qui in caslis est. ( Matt. ν· 16. } II faut
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donc7 que les religieuses se fassent scrupule de donner leur suffrage à toute jeune novice dont la conduite ■passée n'a pas édifié le couvent ; car, puisque les bons exemples servent à ranimer la ferveur des au!res; les mauvais exemples leur sont très-nuisibles; ils les in-duisent à tomber dans les défauts qu'elles ont chaque jour sous leurs yeux.
PRIÈRE.
Ο Cœur de mon divin Jésus , cœur épris d'amo\ir pour les hommes , cœur créé exprès pour aimer 13s hommes , comment les hommes peuvent-ils vous mépriser ainsi ? Malheureux que je suis ! puisque je suis moi-même du nombre de ces âmes ingrates qui ont vécu longues années dans le monde sans vous ai-mer. Pardonnez-moi, ô mon Jésus , de ne pas vous avoir aimé , vous qui êtes si aimable et qui m'avez tant aimé, vous qui avez tout fait pour m'obliger à vous aimer. Je mériterais d'être condamnée à ne pou-voir plus vous aimer jamais, pour avoir si long-temps dédaigné votre amour. Mais mon divin époux , in-fligez-moi toute sorte de châtiment, excepté celui-là ; accordez-moi la grâce de vous aimer et puis faites de moi ce qu'il vous plaira. Mais comment craindrais-je un tel châtiment puisque vous m'intimez vous-même la douce loi de vous aimer , mon Seigneur et mon Dieu ? Diliges. Dominum Deum tuum ea; toto corde tuo. Vous voulez que je vous aime de tout mon cœur et je ne désire pas autre chose que de vous aimer en effet de tout mon cœur. Ο cœur embrasé de mon Jésus ! allumez dans mon pauvre cœur ce feu qu'il
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apporta du ciel pour en enflammer la terre. Détruisez toutes les affections impures qui vivent en moi et m'empêchent d'être toute à lui. Mon bien-aimé Jésus, ne repoussez pas loin de vous un cœur qui vous a tant offensé et qui veut vous aimer. Faites qu'à l'a-venir je ne vive pas même un seul moment privée de votre amour , puisque vous m'avez tant aimée. Ο amour de mon Jésus ! vous êtes mon amour. J'espère vous aimer toujours et être toujours aimée de vous et cet amour, entre vous et moi, ne s'éteindra jamais. Ο mère du bel amour , ô Marie I vous qui désirez si vivement de voir votre fils bien-aimé, attachez-moi, unissez-moi si étroitement à Jésus , que je sois tout-à-fait à lui, comme il désire que je lui appartienne.
CHAPITRE V.
Danger de se perdre d'une Religieuse imparfaite , qui ne redoute pas les suites de ees imperfections.
I. Pour faire un beau jardin, il faut d'abord en dé-raciner les orties et les mauvaises herbes, et puis y mettre des plantes qui portent de bon fruit. C'est ce que dit le Seigneur à Jérémie lorsqu'il le chargea du soin de cultiver l'Église : Ecce constitui te hodie super gentes et super régna , ut evellas et destruas , et /edifices et plantes, (I. 10. ) Pour ee faire saint, il faut dono qu'une religieuse commence par arracher de son cœur tous ses défauts , et qu'elle y ensemence les vertus. Le premier pas dans la dévotion , disait Ste.-Thérèse , consiste à se défaire de ses péchés. Je ne parle pas ici de péchés graves, car j'en suppose la re-ligieuse exempte, je veux croire que jamais, pendant sa vie, elle n'a perdu la grâce sanctifiante ou que, du
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moins, après l'avoir perdue, elle l'a recouvrée, et qu'elle est dans la ferme résolution de plutôt mourir mille fois que de la perdre de nouveau. Pour éviter un tel malheur, je l'engage à avoir toujours présente à la mémoire,   cette grande maxime enseignée par St.-Basile , paf   St.-Jérôme  ,   par  St.-Augustin ,   par d'autres SS.-Pères, et fondée sur les divines écritures > qui est que Dieu a  compté à chaque personne le nombre des péchés qu'il consent à lui pardonner , et que , comme nous ne connaissons pas ce nombre, chacun de nous doit craindre qu'en ajoutant un nou-veau péché à ses anciennes fautes,  Dieu ne l'aban-donne et qu'il ne soit perdu pour toujours. Ah ! que cette pensée sera un grand frein contre la ruse du démon , qui, pour faire retomber les pécheurs dans de nouveaux péchés par l'espérance du pardon , leur dit : Tu t'en confesseras après. Oh ! Si les chrétiens avaient toujours à l'esprit cette  juste  crainte que chaque péché qu'ils font, sera peut-être celui qui doit combler la mesure, et qu'il ne leur sera pas pardonné, combien ils s'abstiendraient de retourner à leur vo-missement I Que d'âmes avec la fausse espérance du pardon se sont perdues misérablement, et sans qu'il y ait eu remède à leur damnation éternelle-.
II. Je n'entends pas parler ici non plus des péchés véniels, qui ne sont pas entièrement volontaires, mais seulement l'effet ds la fragilité humaine. Personne au monde n'en est exempt : In multis offendimus om-nes. (Jac.Ep. m. 5).Tous les hommes, même les Saints, ont commis deces fautes. Si nous disons, observe l'a-pôtre St.- Jean. ( Ep. i. 8 ) . que nous sommes sans péché, nous nous trompons et nous mentons. Nous portons avec nous urt tel penchant au mal qu'il est impossible , sans une grâce spéciale, accordée seule-
π8                                     ΙΑ   BELIGIEU8E
ment à la mère de Dieu , d'éviter, dans tout le cours de notre vie, les fautes vénielles qui se commettent fans nn plein consentement. Dieu permet ces .petites taches , même da,ns ses serviteurs , voués à son saint amour, pour les conserver dans l'humilité et pour leur faire comprendre que s'ils tombent dans ces fautes légères, malgré leurs bonnes résolutions et leprs promesses, ils en commettraient de plus consi-dérables, si la main divine n'était là pour les retenir. Lorsque nous tombons dans ces manquements , il faut nous humilier et confesser notre faiblesse et tâcher d'augmenter nos prières, afin que Dieu ait ses mains sur nous , et qu'il ne permette pas que nous tombions dans des fautes plus graves.
III. Il n'est donc question ici que des péchés vé-niels, délibérés et tout à fait volontaires. Ceux-là , on peut les éviter tous, avec l'aide de Dieu , comme font les Saints, qui vivent toujours dans la ferme résolution de souffrir la mort,plutôt que de commettre un péché véniel 5 de propos délibéré. Ste,-Catherine de Genève disait que, pour une âme qui aime Dieu sincèrement, la moindre petite faute est plus cuisante que l'enfer. Aussi elle protestait que, plutôt que de faire un péché véniel volontairement, elle se serait jetée dans une mer de feu. C'est avec raison que les Saints parlaient ainsi, car, éclairés par la lumière divine , ils savaient que la moindre offense envers Dieu est un plus grand mal que la mort et la destruction de tous les hommes et de tous les anges. Quod peccatum {Ait S.-Anselme ), peccator audebit dicere parvum ? Deum enim exhonorare quando est parvum? Qui osera dire : ce péché n'est pas grand mal, parce qu'il est léger l Comment peut-on appeler faute légère de déshonorer Dieu 1 Si un sujet disait à son roi : Je vous obéirai eu tout, excepté en
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ceci, parce que c'est peu important, quel reproche et quel châtiment ne mériterait-il pas ? Aussi, Ste.-Thé-rèse disait : Plût à Dieu que nous craignissions non le démon , mais le péché véniel, qui pent être plus dangereux pour nous que tous les démons de l'Enfer. Elle faisait cette exhortation à ses filles : Que Dieu vous préserve de tout péché délibéré, quelque petit qu'il soit. Ces paroles s'adressent particulièrement à une religieuse, et St.-Grégoire de Nazianze y ajoute : Non ignores rugam tibi unam turpiorem esse qudm maxima vulneraiisqui in mundo vivunt. (Orat. de fuco. ) Sache , dit ce Saint qu'une seule ordure dans l'âme, te rendra plus hideuse que lesgrandesplaiesne rendent difformes les séculiers. Si une cuisinière se présente devant le Roi, couverte de taches, le roi ne la gronde pas, et il la souffre, parce qu'elle est cuisinière ; mais s'il voit une seule tache sur la robe de la reine son épouse ,   il s'en irrite et s'en plaint amèrement. Jésus-Christ fait de même pour les fautes des séculiers et pour celles de ses épouses.   Malheur à toute   religieuse qui- ne tient pas compte des petits péchés ! Elle ne sera ja-mais sainte ; elle n'aura jamais la paix de l'âme. Tant que Ste.-Thérèse mena une vie imparfaite, elle ne fit aucun progrès ,  elle  était malheureuse et sans consolations  d'esprit,  comme sans repos de corps. C'est pour cela que tant de religieuses passent des jours amers et ne peuvent trouver la paix ; car d'un côté elles, sont privées des plaisirs du monde et de l'autre elles n'éprouventpas de consolations spirituelles; elles sont ayares avec Dieu, et Dieu est avare avec elles. Donnons-nous tout à Dieu et Dieu se donnera tout à nous. Ego dilecto meo et  ad me conversio  ejus. ( Cant. νπ. 10 ). -
IV, Mais il y en:a   „ qui diront : Les péchés v£i
8θ                                  ΙΑ  RELIGIEUSE \
niels, quelques nombreux qu'ils soient, în'empéche-ront de devenir sainte, mais ne me priveront pas de la grâce divine. Je serai sauvée, et c'est là tout ce que je demande. — Écoutez ce que dit St.-Augustin : Ubi dixisti sufficit , ibi periisti. Tu dis qu'il te suffît de te sauver ? En disant , il me suffit , tu es perdue. Pour comprendre cela et pour voir combien les pé-chés véniels sont dangereux, lorsqu'ils sont habituels et volontaires, il faut savoir que l'habitude des fautes légères nous entraîne aux fautes graves ; par exemple l'habitude des petites haines porte à la haine vio-lente; l'habitude des petits vols porte aux grands vols, l'habitude des affections charnelles , vénielles, porte aux affections mortelles. St.-Grégoire dit : Nunquam illic anima , quo cadit, jacet (Mor. Lib. 21 ). L'âme ne reste pas où elle tombe , elle roule toujours plus bas. Beaucoup de maladies mortelles ne proviennent pas toujours de désordres graves, mais très-souvent de pe-tits désordres ; ainsi , de grands péchés proviennent souvent de fautes légères. Le Père Alvarez dit : Ces petites médisances continues , ce.' petites aversions , ces cu-riosités condamnables , ces impatiences , ces intempérances ne tuent pas l'âme , mais la rendent tellement faible que, une grave maladie survenant ( c'est-à-dire une forte tentation ) elle n'aura pas la force de résister , et tombera infailliblement. Les péchés véniels ne séparent pas l'âme de son Dieu, mais ils l'en éloignent, et la mettent en grand danger de se perdre. Lorsque Jésus-Christ fut pris dans le jardin, St.-Pierre ne voulut pas l'abandonner et il se mit à le suivre de loin : Petrus autem sequebatur eum d longe. ( Matt. xxix. 58 ). Beau-coup de gens ne veulent pas se séparer de Jésus-Christ par des péchés mortels , mais ils ne veulent le suivre que de loin puisqu'ils ne veulent pas s'abstenir des
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péchés véniels ; aussi combien d'entre eux imitent St.-Pierre qui, arrivé à la maison du Pontife , et accusé d'être un des disciples du Rédempteur, jura trois fois qu'il ne le connaissait pas. St.-Isidore dit que Dieu permet avec raison que ceux qui ne tiennent pas compte des péchés véniels tombent dans les péchés morlels,en punition de leur négligence et de leur peu d'amour pour lui. L'Ecclésiaste fait la même re-marque : Quispernit modica paulatim rfeetV/ei(Eccl.xix.2t), qui ne craint par les petites chutes fìnira par tomber dans l'abïme.
V. Ne dites donc pas , ( c'est St.-Dorothée qui parle ), que l'habitude du péché véniel n'est pas un grand mal , mais considérez-en les conséquences ; la mauvaise habitude est une ulcère qui ronge le cœur et qui lui òtant la force de résister aux pe-tites tentations , le rend incapable de repousser les grandes. St.-Augustin écrit : Noli illa contemnere, quia minora sunt , sed time, quia plura sunt ; timenda est ruina multitudinis et nòn magnitudinis. Ne fais pas peu de cas de tés péchés parce qu'ils sont légers ; crains-les, parce qu'ils sont nombreux ; car leur nombre, sinon leur poids, te fera succomber. Tu as soin , dit ailleurs le même saint, de ne pas te laisser accabler sous le fardeau d'une grosse pierre, mais crains d'être étouffé par un tourbillon de sable , c'est-à-dire par les péchés véniels qui, lorsqu'ils sont ; habituels et nombreux nous ôtent toute crainte d'en commettre de graves. Qui ne redoute pas le1 péché est près d'y tomber. C'est pourquoi St.-Chrysostôme va jusqu'à dire que nous devons craindre les péchés véniels habituels, plus, pour ainsi dire, que les péchés mortels ; car les mortels inspirent l'horreur , tandis que nous méprisons les véniels, et que, par là ces der-viii.                                                         6
8a                           L
niers rendent ensuite notre âme si négligente, que, s'accoutumant à ne faire   aucun cas de ces fautes légères , elle finit pas par ne faire plus même cas des fautes plus graves. C'est pour cela que le St.-Esprit a dit : Capite vobis vulpes parvulas qua demoliuntur tineas. ( Cant. II. 13 ). Prenez tous ces petits renards qui détruisent nos vignes. Il ne dit pas prenez les lions , lee léopards, mais les petits renards ; parce que les lions et les léopards , on les craint et on prend les mesures nécessaires pour s'en défendre ; tandis que  les petits renards, qu'on ne craint pas, ravagent les vignobles } creusent le solet fontpérir toutes les racines. Ainsi, les petits péchés renouvelés souvent et volontaires, quoique petits, font sécher les bons désirs qui sont les racines de la vie spirituelle, et jettent l'âme dans une ruine complette. VI. Les péchés véniels   volontaires  et  habituels mettent l'âme en   danger   de  se  perdre. 1° Parce qu'ils   l'entraînent  au péché  mortel et   la rendent .ncapable de   résister aux tentations,   comme nous j'avons déjà vu. 2" Parce qu'ils nous enlèvent les se-cours divins. Nous avons toujours besoin pour, notre esprit de la lumière divine qui pousse notre volonté vers le bien ,et, pour la volonté, du secours qui la rend docile et obéissante aux mouvements de la grâce : en outre, nous avons besoin delà continuelle pro-tection de Dieu contre les attaques de l'enfer , sans quoi nous succomberions tous aux tentations du dé-mon parce que nous ne pouvons pas y résister de nous-mêmes. C'est Dieu qui nous donne cette force néces-saire   ou qui empêche le   démon de nous attaquer par des   tentations qui lui assureraient  la victoire. C'est pour cela que Jésus-Christ nous ordonne de faire cette prière : Et ne nos inducas in tentationem , c'est-à-dire que Dieu nous délivre de ces tentation8
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oil nous serions vaincus. Or , que font les péché» véniels , il nous enlèvent ces lumières , ces secours, et cette protection divine ; de sorte que l'âme, envi-ronnée e ténèbres, faible et aride, perdra le goût des choses ^ivines , s'attachera aux choses de la terre , au risque de perdre pour elle la grâce de Dieu. De plus, les péchés véniels font que Dieu permet au dé-mon de nous assaillir, par des tentations plus fortes. Toute âme qui est avare avec Dieu mérile que Dieu soit avare avec elle. Qui parce seminat, parce et metet ( 2. Cor. ix. 6 ). Qui met en terre peu de semailles doit recueillir peu de fruits. Le B. Henri Suson, dans ses visions des rochers , ( Vit. cap. 12 ), vit sur le premier de ces rochers plusieurs hommes debout ; il demanda qui ils étaient; Jésus lui répondit : Ce sont les Hides à qui il suffit de vivre sans péché mortel, et gui se contentent de cet état. Henri demanda alors s'ils se-raient sauvés. Le Seigneur répondit : S'ils meurent sans péchés graves «7s seront sauvés; mais ils sont en plus grand danger qu'ils ne pentent, car ils croient pouvoir ser-vir Dieu et vive à leur fantaisie, ce qui est. à peine paisible et leur persévérance dans la grâce est très-difficile.
VII. De propitiato peccato noli etse sine meta. ( Eccl. ν. 5. ) Le S.-Esprit nous erjgage à toujours craindre pour; les péchés pardonnes. Pourquoi celte crainte, puisque nous avons reçu le pardon. Celte crainte est nécessaire,.parce que, nonobstant ce par-don , nous avons toujours à satisfaire pour la peine temporelle de cette faute et que souvent parmi ces peines il y a la privation des secours divins. Aussi les Saints ne cessaient-ils de pleurer leurs péchés, bien que légers et déjà pardonnes, car ils craignaient top-joùrs que Dieu les en punit par la privation des. gr.â-ces nécessaires pour acquérir le salut éternel. Si lef*-
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vori d'un roi a commis quelque faute, lors même que le roi la lui aura pardonnée, il ne rentrera dans ses premières bonnes grâces, qu'après avoir donné de grandes marques de son repentir, et tâché, par ses soins plus empressés, de compenser le déplaisir qu'il lui avait causé. Il en est de même avec Dieu , quand nous l'avons offensé ; si nous ne détestons du fond du cœur notre faute, si nous ne cherchons à l'expier par beaucoup de bonnes œuvres , le Seigneur nous reti-rera sa protection et cessera de se communiquer à noue , avec cette familiarité dont it nous honorait au-paravant. Plus l'âme augmentera ensuite le nombre de ses déplaisirs envers le Seigneur, plus le Seigneur s'é-loignera d'elle, de sorte que cette âme malheureuse, se trouvant d'un côté plus faible et plus inclinée au mal, comme nous l'avons dit plus haut, et se trou-vant de l'autre côté moins aidée du secours divin, elle tombera facilement dans des fautes graves et se perdra. VIII. Si toute personne qui a l'habitude de com-mettre journellement des péchés véniels volontaires, disant qu'il lui suffit de se sauver, est en danger de se perdre, une religieuse, à plus forte raison, court ce danger lorsqu'elle se laisse aller à commettre beau-coup de ces fautes,légères à yeux ouverts, sans songer à s'amender, sans s'en inquiéter, se contentant de dire : II suffit que je me sauve. La religieuse appelée à la religion est appelée à se sauver par une vie sainte. Or, S.-Grégoire dit que celui qui est appelé à se sauver par une vie sainte, ne sera pas même sauvé, s'il ne se fait pas saint. Le Seigneur dit un jour à la B. An-gèle de Foligno : Si ceux que j'éclaire pour les faire marcher dans le chemin de la perfection détournent "jeur âme pour la faire aller dans la voie ordinaire, Ils  seront abandonnés par moi. Il est certain que
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chaque religieuse est appelée et obligée à· suivre le sentier de la perfection ; c'est pourquoi Dieu l'a favo-risée de beaucoup de grâces et d'inspirations spé-ciales. Or, si elle s'obstine à vivre habituellement dans la négligence et dans des fautes, sans songer à s'en corriger, elle sera justement privée des secours né-cessaires pour remplir les devoirs de son état, et non-seulement elle ne se fera pas sainte, mais même elle ne se sauvera pas. S.-Augustin dit que Dieu aban-donne d'ordinaire ces âmes négligentes, qui manquent ouvertement à leurs obligations, puisqu'elles les con-naissent et n'en tiennent nul compte. Deus négligentes
deserere consuetit.
IX. C'est là le sens de ce que dit le Seigneur à S.-Pierre. Si non laverote, non habebis partem mecum. (Jo.xm. ÇJ. Jésus-Christ ne parle pas ici d'un lavage matériel, piais d'un lavage spirituel des péchés véniels; car toute âme appelée à la perfection court grand risque de se perdre si elle ne s'en lave pas. Ste.-Gertrude vit le démon ramasser tous les flocons de laine qu'elle perdait, comme autant de fautes contre la pauvreté. Du moine qui laissait tomber, contre la règle, toutes les miettes de pain qui restaient sur la table, vit à sa mort le démon qui lui en montrait un sac tout plein, et espérait par là le conduire au désespoir. Il sait bien, l'ennemi de notre salut, que le compte que Dieu exige des religieux est beaucoup plus rigoureux que celui qu'il exige des séculiers. Remarquons ici en pas-sant, que plusieurs transgressions à la règle, qui se-raient des fautes légères chez les inférieures, en seront de graves chez les supérieures,si elles ne s'en corrigent pas, et n'y apportent le remède nécessaire, surtout quaud ces manquements sont nombreux et tels qu'ils peuvent amener le relâchement  dans la discipline
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générale, comme sont particulièrement les transgres-sions contre le silence, la pauvreté, le jeûne, la grille et autres semblables. Les supérieures sont obligées non-seulement à se corriger de ces fautes, mais en-core à chercher et examiner s'il en existe ailleurs, afin d'y remédier.
X.   Mais revenons à notre sujet, et examinons l'o-bligation oh est chaque religieuse de tendre à la per-fection et d'éviter même les fautes légères. Il y avait dans la Compagnie de Jésus, au temps de S.-Ignace, un frère très-négligent dans le service de Dieu : S.-Ignace le fit appeler un jour et lui dit :  Dis-moi, mon frère, qu'es-tu venu faire dans la religion? Il répondit : Je suis venu servir Dieu. Oh ! mon frère, qu'as-tu dit ? reprit le saint; si tu avais dit que tu es venu servir un cardinal, un prince de la terre, tu serais plus excusable; mais tu dis que tu es venu ser-vir Dieu et tu le sers ainsi ? Pour qu'un moine ou une religieuse deviennent saints, il leur faut une grâce particulière et abondante; mais comment Dieu se-rait-il généreux avec une religieuse qui, étant entrée au couvent pour le servir, au lieu de l'honorer le déshonore ? Sa vie même , négligente et imparfaite, semble faire croire que Dieu ne mérite pas d'être servi avec plus de zèle et d'attention ; elle déclare qu'on ne Irouve pas au service de Dieu autant de bonheur qu'on le prétend, et qui suffise à rendre une âme con-tente; en somme, elle déclare que la divine majesté n'est pas digne de tant d'amour et qu'elle n'oblige pas à préférer son bon plaisir à notre propre satis-faction.
XI.   Il est vrai, dit le père Alvarez, que même les âmes qui se sont consacrées à l'amour de Dieu n«> sont pas exemptes de tout défaut, mais aussi elle
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s'efforcent sans cesse d'amender leur vie et d'en di-minuer le nombre; mais celles qui commettent des péchés par habitude, et les renouvellent souvent sans en avoir du déplaisir et sans chercher à s'en corriger, comment pourront-elles jamais s'en délivrer et éviter les dangers de tomber dans des péchés plus graves? Le vén. P. Louis Dupont disait : J'ai commis beau-coup de péchés, mais je n'ai jamais vécu en paix avec eux. Malheur aux religieuses qui en commet-tent, qui les connaissent et vivent en paix avec eux! Tant qu'une religieuse, dit St-Bernard, commet des fautes et qu'elle les déteste, il y a espoir qu'elle se corrigera un jour et rentrera dans le bon chemin ; mais quand elle les commet et les laisse en repos dans sofa âme sans en avoir horreur, elle ira toujours mal-heureusement de mal en pire : Muscas morientes perdunt suavitatem unguenti. ( Eccl. x. 1 ). Ces mouches qui meurent, dit ce saint Chartreux, sont précisément ces fautes qui restent dans l'âme, c'est-à-dire ces rancunes habituelles, ces attachements déréglés, ces • vanités, ces gourmandises, ces regards ou ces paroles immodestes dont on se rend coupable et que l'on ne déteste pas. Or , quel mal font-elles ? elles font perdre la douceur de l'onguent, c'est-à-dire la fer-veur dans les communions, dans l'oraison, dans les visites au St.-Sacrement, de sorte que l'âme n'y trouve plus d'onction ni de consolation.
XII. De tels défatits habituels, dit S.-Augustin : sont comme une lèpre ; ils enlèvent à l'âme toute sa beauté et la rendent si hideuse qu'ils la privent des faveurs de son divin époux : Sunt velut scabies etnoslrum decus ita exterminant ut à sponsi amplexibus separent (Horn. ι. cap. 3.) De sorte que ne trouvant plus dans ses exer-cices de dévotion ni nourriture ni  enouragement elle
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les négligera et les abandonnera; et, laissant les moyens de salut éternel, elle se perdra. Et quand même elle ferait toujours les communions , les oraisons , les visites au S.-Saeiement, elle n'en retirerait que peu ou point de fruit. En elle se vérifiera ce que dit le S.-Esprit : Seminastis multam et intulistis parum.... et qui mercedes congregavit misit eas in sacculum pertusum. ( Agg. i. 6. ) Telle est le portrait de la religieuse tiède et imparfaite, elle met tous ses exercices spirituels dans un sac troué, de sorte qu'il ne lui en reste aucun mérite ; car, les faisant avec tant de défauts, elle s'ex-pose de plus en plus à être châtiée et à être privée des secours abondants que le Seigneur lui avait préparés,, si elle avait correspondu aux inspirations reçues. Omni habenti dabitur ei abundabit : ei autem, qui non ha-bet, et quod tidelur habere auferetur ab eo. (Matt. xm. 12.) Celui qui conserve, par sa correspondance, les trésors de grâce que Dieu a versés sur lui, obtiendra de nou-velles grâces et une plus grande gloire ; mais celui qui fait un mauvais usage de son talent en le laissant oisif, et ne le faisant pas valoir, Dieu le lui ôtera et le privera des grâces qu'il avait préparées pour lui.
PRIERE.
Me voici, Seigneur : .le suis une de ces âmes mal-heureuses qui méritais d'être abandonnée par vous, dans la tiédeur où je vis depuis tant d'années, privée de votre lumière et veuve de votre grâce. Mais je vois maintenant la lumière que vous m'accordez; j'en-tends votre voix qui m'appelle à vous aimer; c'est là une preuve que vous ne m'avez pas encore abandon-née ;  et puisque vous ne m'avez  pas abandonnée
SAHCtlFlÉE.                                    89
après tanl d'ingratitude envers vous, je veux désor-mais cesser d'être ingrate. Vous promettez de me par-donner si je me repends des offenses que je vous ai faites ; oui, ô mon Jésus, pardonnez-moi car je les déteste et les ai en horreur par-dessus tout ; je vou-drais être morte avant de vous avoir déplu. Vous vou-lez mon amour; je ne désire que de vous aimer. Je vous aime, ô bien suprême ! je vous aime, Dieu digne d'un amour infini! Seigneur augmentez cette lumière et le désir que vous m'inspirez d'être toute à vous. Vous êtes tout-puissant ; vous pouvez me changer, et de rebelle que je fus à vos grâces, vous pouvez me rendre une amante de votre bonté. Telle je veux être, Seigneur, et telle j'espère devenir, avec votre secours. Vous avez promis d'exaucer celui qui vous prie: je ne vous demande que la grâce d'être toute à vous et de n'aimer que vous. O mon Jésus, ô mon époux, par les mérites de votre sang, faites vous aimer d'une pauvre pécheresse que vous avez, tant aimée, et dont vousavez supporté l'ingratitude pendant tant d'années avec une si grande patience. J'espère donc, avec une ferme confiance , appuyée sur votre miséricorde, vous aimer de tout mon cœur dans cette vie et dans l'autre, où je célébrerai éternellement les miséricordes dont vous avez usé envers moi. Miseri-cordias Domini in œternum cantabo. Ο Marie, ma mère! ces grâces, celle lumière, ces désirs, cette bonne volonté que Dieu m'accorde sont l'effet des prières que vous avez faites pour moi. Continuez à prier pour moi et ne cessez de prier que lorsque vous me verrez toute à Jésus-Christ. Ainsi j'espère. Ainsi soit-il.
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CHAPITRE VI.
Suite du même sujet.
I. C'est surtout aux religieuses qui pèchent par at-tachement à quelque passion à craindre la damna-tion éternelle. 0 mon Dieu! que de religieuses, pour n'avoir pas voulu rompre certains liens qui les atta-chaient au monde, ne se font pas saintes, et mettent en grand danger leur salut éternel. Le seul but d'une religieuse, dans ses exercices de piété , dans ses oraisons, ses communions, ses lectures spirituelles et autres, doit être de vaincre ses passions, de rompre les liens terrestres, enfin d'arracher tous les obstacles qui l'arrêtent dans le chemin de la perfection. Elle doit donc demander à Dieu dans toutes ses prières la grâce de se détacher de toutes les créatures et de dompter tous ses appétits sensuels. Ainsi, elle doit s'appliquer à la mortification des sens , surtout des yeux, de la bouche et de la langue ; ainsi, elle doit étouffer toutes ses passions intérieures, c'est-à-dire l'estime de soi-même, et l'amour des plaisirs. Ainsi elle doit combattre sa propre volonté; elle doit finale-ment tâcher de faire toutes ces choses avec aisance et avec joie ; elle trouvera toujours à corriger et à perfectionner. Quelques âmes sont très-attentives à ne pas se priver d'une communion, ni d'une oraison; mais en cela elles ne cherchent qu'une espèce d'ali-mentde dévotion et une certaine sensibilité spirituelle, dont l'acquisition fait l'obiet de toute leur application. De là vient qu'elles restent toujours embarrassées dans les liens qui les tiennent attachées à la terre, qui les empêchent d'avancer dans la spiritualité et qui les font aller ainsi toujours de mal en pire.
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II. II n'ést pas rare de voir beaucoup de ces âmes finir par tomber dans la disgrâce de Dieu. Qu'on re-marque bien ici que la ruse du démon, avec les âmes spirituelles, n'est pas de les porter au commencement à commettre des péchés graves; il est content si, pour la première fois, l'âme se laisse lier avec un cheveu ; car, dit S.-frrançois , s'il la chargeait tout d'abord d'une chaîne d'esclave , elle en aurait horreur et s'enfuirait; mais comme cette malheureuse veut bien se laisser lier avec un cheveu, le dëmon réussira plus tard, à la lier avec un fil, ensuite avec une corde, et enfin il l'attachera avec une chaîne de l'enfer , et la fera son esclave. Par exemple, une religieuse est en désaccord avec une de ses sœurs et lui garde ran-cune, c'est là le cheveu ; peu après elle ne lui parle plus, ne la salue plus, c'est là le fil ; ensuite elle en dit du mal et l'insulte; c'est là la corde; enfin à une seconde attaque, elle concevra contre sa compagne une haine mortelle ; c'est là la chaîne qui la rendra l'esclave du démon. De même qu'une religieuse éprouve une affection humaine pour une personne; elle la couvrira d'abord du manteau de la reconnais-sance , après quoi viendront les petits présens réci-proques ; puis les paroles affectueuses, enfui la passion éclatera et la misérable se trouvera liée avec une chaîne de mort: tel que le joueur qui, après avoir perdu beaucoup de petites sommes, dit enfin : Va pour tout, et. perd tout ce qu'il possède; ainsi il arrive à Une âme tiède, après avoir fait beaucoup de petites pertes spirituelles, malade et trop faible pour résister aux tentations, elle dit, vapour le reste, et perd Dieu et soi-même. Oh ! que le démon prend d'empire sur nous quand il nous voit esclaves de quelque passion ! Tune maxiii'û insidiatur adversarius qiiotido viUet nobispas~
Q1                                       LA RELIGIEUSE
tionts aliquas generari,· tunc fomites movet, laqueos parai. Ainsi parle S.-Ambroise ; Notre ennemi, dit-il, épie quel est le plaisir qui nous flatte davantage ; il nous le met sour, les yeux, excite notre concupiscence et par là il tend ses filets pour nous prendre.
III.   Quand nous apprenons la perte d'une âme adonnée à la spiritualité, dit Cassien, n'allons pas nous imaginer qu'elle a succombé à la première attaque, mais sachons que   d'abord elle est tombée en   des péchés légers et que ce n'est que plus tard qu'elle s'est précipitée dans les péchés graves.  S.-Jean Chrysos-tôme dit avoir   connu plusieurs  personnes qui lui paraissaient ornées de toutes les vertus, mais qui, pour n'avoir pas fait attention aux péchés véniels, sont tom-bées dans un abîme de vices. La vén. sœur Anne de l'Incarnation vit une âme damnée qu'elle et tout le monde croyait sainte ;  cette âme avait une foule de petits insectes sur la figure, c'étaient ses premières fautes qu'elle avait négligées. Les uns disaient : Tu as commencé par nous; les autres : Tu as continué par nous; d'autres enfin : Par nous tu fes perdue. C'est ce qui faisait dire à la mère Marie Strada : Quand le démon ne peut avoir beaucoup il se contente de peu, et puis avec ce peu, il obtient beaucoup. Le serpent ne tenta pas Eve d'abord à manger du fruit défendu, mais seulement à le regarder, puis il entra en discussion avec elle, il mit en doute la menace de peine de mort, faite par le Seigneur, ot enfin il la fît tomber.   Ste-Thérèse dit que le démon se contente , au commencement, que nous lui entrouvrions la porte de notre cœur, car il saura bien après cela se la  faire ouvrir  tout-à-fait. S.-Jérôme l'avait dit avant elle : Diabolus non pugnat citò contra aliquem per grandia vitia, sed per pana, ut pos-sit  (juqmodocumqnt intrare et dominari homini, ut postea
SASCTIFIÉB.                             g5
in majora vitio, eum impellat (Ep. 40.). L'ennetni ne nous pousse pas tout d'abord à des péchés graves, mais à des légers, afin de pouvoir, de quelque manière, entrerdans notre âmeet commencera la dominer,afin de l'entraîner ensuite à des péchés plus graves. Per-sonne , dit également S.-Bernard, de bon qu'il était ne devient tout-à-coup méchant ; on commence par de petits méfaits, et ceux-ci nous mènent aux grands : Nemo repente fit turpissimus) d minimis incipiunt qui in maxima proruunt (S.-Ber. de Ord< vitas). Une petite étincelle que l'on n'a pas eu soin d'éteindre promptement, mettra le feu à toute Une forêt ; Ecce quantas ignis magnam silvam incendit] ( Jac. HI. 5. ) C'est-à-dire qu'une passion non réprimée perdra in-failliblement notre âme.
IV. 11 faut aussi bien remarquer que lorsqu'une re-ligieuse tombe en péché mortel, sa chute la met en grand danger d'être abandonnée de Dieu, car son péché ne sera pas comme ceux des séculiers, qui pè-chent dans les ténèbres du monde, mais ce sera un péché de malice, commis malgré les lumières reçues partant de sermons, de communions, de méditations, d'exemples des ferventes religieuses, d'avertissements des pères spirituels et des supérieures ; elle ne pourra donc pas alléguer son ignorance ni sa faiblesse, après avoir reçu tant de lumières et tant de secours pour cor-roborer son âme, si elle avait voulu. Selon S.-Thomas le péché de malice est celui précisément que l'on commet avec pleine connaissance de sa grièveté. C'est pour cela que ces sortes de péchés portent avec eux notre ruine, car plus la lumière accordée à notre âme aura été vive, plus notre aveuglement sera profond. En outre, dit le docteur angélique, plus notre ingratitude est grande, plus le péché est grave.
g4                                  ΙΑ  RELIGIEUSE.
Que de grâces et de bienfaits Dieu n'a-t-il pas ré-pandu sur une religieuse ? Il l'a tirée des dangers du monde, il l'a admise dans sa maison, car tous les couvents sont les maisons de Dieu ; il l'a séparée de la foule de ses servantes et la choisie pour son épouse ; il l'a enrichie de ses lumières, de ses secours exté-rieurs et intérieurs pour la rendre sainte; il s'est donné à elle tant de fois, dans la sainte communion; il lui a souvent parlé familièrement dans ses médita-tions, dans ses visites au St-Sacrement, dans ses lec-tures spirituelles; enfin il la tirée du fond de la vallée pour la placer sur le sommet de la montagne, et elle, malgré tout cela, lui a tourné le dos et est devenue son ennemie. Malheureuse! sa chute ne sera pas une simple chute , mais une ruine entière. Lorsqu'on tombe sur la plaine, on ne se fait pas grand mal, mais lorqu'on tombe d'une montagne, ou se tue. Ruina quœ de allô est, graviori casu colligitur, dit S.-Ambroise. Dieu nous dit la même chose par la voix d'Ezéchiel : Posai U in monte sancto Dei et peccasti, et eject te de monte Dei et perdidi te. (hzé. XXVIII. 14·) Ingrate, dira Dieu à la reli-gieuse, je t'ai placée sur ma sainte montagne, et de là tu t'es précipitée dans le péché; restes-y donc plon-gée, car ton ingratitude m'a porté à te chasser de de-vant ma face. La grande servante de Dieu, sœur Marie Strozzi, disait: Dieu veut que les personnes religieuses soient le miroir de tout le monde. Etant appelées d une per-fection non ordinaire, lorsqu'elles mènent une vie impar-faite, elles déshonorent Dieu. Le péché d'une religieuse, ajoutait-elle, fait horreur au paradis et oblige Dieu d lui tourner le dos, car il répudie l'épouse infidèle qui rompt le» engagements qu'elle prit le jour de sa profession, et l'aban-donne d la merci de ses passions déréglées. Oh! qu'il est
SANCTIFIÉE.                                          9&
rare qu'on se convertisse lorsqu'on a d'abord goûté le service de Dieu qu'on l'a ensuite abandonné !
V. Revenons à notre sujet. Il faut donc qu'une re-ligieuse craigne de se laisser prendre par le démon dans les chaînes de quelque passion ou de quelque péché, si léger qu'il soit ; qu'elle tremble, car la moindre attache peut être cause de sa perte. Qui va â la recherche de choses perdues se perdra, disait Ste.-Thérèse , et avec raison ; car, bien qu'elle n'eût jamais commis de faute grave, cependant Dieu lui montra le lieu qui lui était préparé dans l'enfer, si elle ne se débarrassait pas d'un attachement de pure amitié qu'elle avait conçu pour un de ses parents. Quand l'oiseau est mis en pleine liberté, il s'envole aussitôt; mais lorsqu'il est attaché, ne serait-ce que par un léger fil, il saute elsautera tou-jours jusqu'à ce qu'il s'enfonce, comme un vil cra-paud ? dans la fange. Une .religieuse qui est libre de tout lien terrestre vole et s'élancera toujours vers Dieu ; mais tant qu'elle est attachée par une affection mon-daine, elle ne pourra jamais s'élever de terre et ira toujours de mal en pire, jusqu'à ce qu'elle se soit per-due entièrement. Il faut donc se bien persuader que le salut d'une religieuse dépend de la fuite des fautes, mêmes légères, surtout si elles sont nombreuses et h a-bituelles; car tous ces petits ruisseaux formeront une rivière où elle sera misérablement noyée. Ces défauts continus, dont on ne tient pas compte, la feront tom-ber peu à peu dans l'état de tiédeur dont le Seigneur parla ainsi à l'évêque de Sardes, par la bouche de St.-Jean : Scio opera tua, quia neque frigidus, neque, calidus (Αρ. ni. 15. ). C'est là l'état d'une religieuse tiède ; elle n'ose pas entièrement tourner le dos à Dieu ; mais en attendant elle ne tient pas compte des fautes légères, elle en commet chaque jour de nouvelles ; ce .ne sont
φ                                 ΙΑ BElIGIEUSfi.
«fu'impatìences, mensonges, murmures, gourman-dises, imprécations , haines couvées dans le cœur, affections pour ses effets, amour de la grille, curio-sités, estime de soi-même, attachement à sa propre Volonté ; et toutesces imperfections ne l'occupent point ; elle ne songe pas même à s'en corriger. Utinam frigidus esses; sed quia tepidus es , neque frigidus es, neque calidus, incipiam te evomere ex ore meo. ( Apoc. ib.) Utinam fri-gidus esses, ajoute le Seigneur, c'est-à-dire : II vaudrait mieux que tu fusses privée de ma grâce, car il y au-rait plus d'espoir de guérir ; mais restant dans la tié-deur, tu es plus en danger de te damner, car tu tom-beras facilement de la tiédeur dans quelque péché mortel, et il y aura peu d'espérance d'en sortir.
VI. St.-Grégoire^ parlant d'un pécheur non encore converti, dit qu'il n'est pas sans espérance; mais par-lant d'une âme tiède, qui ne craint pas sa tiédeur, il en désespère j^Tepor qui d fervore defecit in desperatione est. La raison qu'il en donne se tire de ces paroles du Seigneur : Sed quia tepidus es incipiam te evomere; mais parce que tu es tiède, je suis près de te vomir de ma bouche. Quand une boisson est chaude ou froide on l'avale facilement; mais quand elle est tiède, elle donne envie de vomir. Toute âme tiède est en danger d'être vomie de Dieu, c'est-à-dire d'être abandonnée de la grâce. C'est ce que signifie le mot vomir, inci-piam te ecomere, puisqu'on aurait horreur de reprendre ce qu'on a vomi; et comment, demanderai-je, Dieu commence-t-il à vomir une âme ? Il cessera de lui don-ner, comme auparavant, ces rayons de foi vive, ces consolations spirituelles, ces saints désirs, ces tendres invitations ; après quoi l'âme commencera, à son tour, à négliger l'oraison, la communion, les visites du St,-Sacrement, les prières, ou bien elle les fera
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avec dégoût, ennui et distraction; elle fera tout par force, avec dissipation, inquiétude et sans dévotion. Voilà comment le Seigneur commencera à la vomir, et de la sorte, cette malheureuse ne trouvant plus de soulagement dans ses exercices pieux, elle les aban-donnera et finira par se laisser aller à des péchés gra-ves. La tiédeur, en un mot, est une fièvre étique, que l'on connaît à peine, mais qui conduit sans remède au tombeau. L'âme tombée dans la tiédeur ne pense pas à se corriger de ses fautes, qui la rendent insen-sible aux remords de conscience, et, un jour, elle se trouvera perdue sans s'en être même doutée.
VII. Donc, dira la pauvre religieuse qui est dans cet état de tiédeur, il n'y a plus d'espoir de salut pour moi, puisque, comme vous le dites, il m'est presque impossible de sortir de mes misères ? Mais écoutez ce que Jésus-Christ vous dit pour moi : Quas impos-sibilia sunt apud homines, possibilia sunt aptd Deum. ( Luc.xvm. 27. ) Ce qui est impossible aux hommes n'est pas impossible à Dieu. Qui prie et prend les moyens, obtient tout. Venons-en aux moyens. Si les péchés sont involontaires et de pure faiblesse, ils ne portent pas, comme nous l'avons dit plus haut, un jgrand dommage, pourvu que nous les détestions avec humilité. 11 faut remarquer à propos des fautes que nous commettons qu'il y a deux sortes d'humilité : une humilité sainte , qui vient de Dieu et une autre, mauvaise, qui vient du diable. L'humilité sainte est celle par laquelle l'âme connaît ses imperfections, se confond y s'anéantit devant Dieu, s'en afflige et les déteste, mais avec paix intérieure ; la vue de ses misè-res ne la décourage ni ne l'inquiète ; mais, pleine de confiance en Dieu, elle tâche de redoubler de ferveur rai.                                                       7
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pour compenser ses fautes par plus de dévouement et d'oeuvres de piété. L'humilité mauvaise, au con-traire, est celle qui bouleverse l'âme, la remplitd'in-quiétude et de découragement, et la rend ainsi faible et incapable de faire le bien. Voici ce qu'en dit Ste-Thérèse. ( Vie ch. 30 ) « La véritable humilité, quoi-que l'âme se reconnaisse mauvaise , n'excite pas le trouble ni l'inquiétude dans le cœur, mais elle le console, à la vérité elle l'afflige à cause des fautes com-mises envers Dieu, mais d'un autre côté, elle dilate le sentiment de la confiance en sa miséricorde. Un rayon de lumière porte l'âme à se confondre elle-même, et à louer Dieu, qui l'a supportée si long-temps; tandis que dans l'humilité inspirée par le démon, on n'a au-cun rayon de lumière pour le bien. Il semble que Dieu mette tout à feu et à sang. C'est là une des inventions les plus subtiles du malin esprit, »
VIII. Dans cette espèce de faute inévitable à la fai-blesse humaine, St.-Bernard dit que la crainte immo-dérée est aussi coupable et aussi reprehensible que la négligence elle-même. In hujusmodi quasi inevitabili-bus (culpis} et negligentia culpabilis est ,et titnor immode-ratus. ( Serai. 1. in Coenâ Dom. ) Nous devons donc détester de telles fautes, mais nous ne devons jamais nous décourager ; parce que Dieu les pardonne facile-ment quand on les abhorre : Septies cadit Justus et re-surget. ( Prov. xxiv. 16. ) Qui tombe par faiblesse se relève facilement, cadit et murgei.St.-Françoisde Sales dit, que comme les fautes quotidiennes se commet-tent sans délibération, elles s'expient pour ainsi dire aussi sans délibération. St.-Thomas avait dit avant lui qu'on les efface implicitement, eam aliquis ferventer movetur in Deum. (III. P. Q. IXXXVH. a. 3. ) C'est-à-dire par les actes pieux d'amour, de résignation, d'offrande
SANCTIFIEE.                              gy
et autres que l'âme spirituelle fait à Dieu. Le doc-teur angélique ajoute au même endroit que le Pater noster, le Confiteor, se frapper la poitrine , la bénédiction de l'évêque, l'eau bénite , les oraisons faites dans les églises consacrées, opèrent aussi la ré-mission des péchés légers. Mais les moyens les plus efficaces ce sont les sacremeus et particulièrement la sainte communion , dont St.-Bernardin de Sienne a dit : Contingere potest, quod tanta, devotione mens per sum-tionem sacramenti absorbeatur quod ab omnibus venialibus expurgetur ( Serm. iv. art. 3. cap. 2. )
IX. Cela s'applique surtout aux péchés involon-taires. Si ensuite, par malheur, il nous arrive de com-mettre quelque péché véniel volontaire, mais rare-ment, il ne faut pas nous décourager ni nous troubler. Tâchons de le réparer de suite, par notre repentir et par la résolution de ne plus recommencer. Si nous y retombons de nouveau renouvelons notre repentir et notre résolution, nous confiant en Dieu qui, si nous continuons à faire ainsi, finira par nous délivrer de ces chutes volontaires.St.-PhiUppe de Néri disait qu'on ne se fait pas saint en un jour. Qui n'abandonne pas le chemin de la perfection, y parviendra avec le temps, s'il ne se décourage pas. Dieu permet parfois que nous commettions de telles fautes , pour nous faire connaître notre faiblesse et même les crimes ou nous serions entraînés , s'il cessait de nous aider. De telles fautes, quoique volontaires, mais cependant commises rarement ne causent pas grand mal, ou au moins ne nous perdent pas. Mais celles que l'on commet volon-tairement et souvent, quoique vénielles, et surtout si on les commet avec quelque lien de passion, sans les détester et sans songer à s'en corriger, peuvent nous entraîner à notre perte, parce quelles supposenf
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l'âme tombée dans cette tiédeur dont ïi est si difficile de se tirer. Si une religieuse se trouve dans ce malheu-reux état, voici les moyens qu'elle doit prendre pour en sortir.
X.  Il faut 1" qu'elle ait un véritable désir de s'en délivrer. Si ce désir lui manque elle doit prier Dieu de le lui accorder,car il l'a promis -.Petite et accipietis. 2* Qu'elle tâche de connaître ses défauts et surtout son vice dominant; par exemple, si elle a de l'estime pour ellemême, le désir de briller, un ton arrogant, si elle fait son propre éloge, si elle se trouble en recevant quelque humiliation , etc. ce  sera une preuve que l'orgueil domine  en elle. Une autre est enflée d'a-mour propre , si elle se désole à la moindre maladie, si elle s'impatiente du moindre dérangement, si elle cherche à se bien nourrir et ne veut que les mets qui lui plaisent. Celle-ci est dominée par la colère, si elle s'inquiète au moindre désagrément, si elle s'en plaint et murmure. La paresse domine chez celle-là, si, pour la moindre cause, elle cesse de prier et de fré-quenter la communion, le chœur et ainsi du reste.
XI.  3° Quand la religieuse connaît son vice domi-nant, elle doit prendre une ferme résolution de s'en guérir radicalement et à tout prix. Percuties eas usque ad internecionem ( Deut. 72). Ste.-Thérèse disait : Le Seigneur n'exige de nous qu'une rétotution ferme. Il se charge de tout le reste. La Sainte dit, dans un autre en-droit, que le démon a peur des âmes déterminées et qu'il ne craint pas celles qui n'ont que des résolutions inefficaces. Elle disait aussi que le Seigneur prête ses secours à toute âme, quelque coupable qu'elle soit, qui se consacré entièrement, et avec une véritable ré-solution  à son amour.   Ce   sont  là  les résolutions-qu'une religieuse doit  prendre dans ses oraisons. La
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même Sainte disait : J'aimerais mieux une prière courte qui produit de grands effets qu'une prière longue où l'on ne prend aucune résolution fixe. A quoi servent en effet les oraisons où nous nous contentons de produire quelques affections pieuses, et certaines prières géné-rales que nous trouvons dans les livres, si nous ne nous proposons pas fermement d'éviter toute faute qui peut nous arrêter dans le chemin de la perfection,
XII.  l\° Une des résolutions les piu's nécessaires est celle de fuir les occasions de pécher. Le démon se rit de toutes nos résolutions et de toutes nos promesses, si nous ne fuyons pas les mauvaises occasions. On de-manda un jour à un démon, quel était le sermon qui lui déplaisait davantage ; il répondit : celui sur les mauvaises occasions. Que la religieuse cherche donc en elle-même quelle est l'occasion qui cause ses pé-chés , si c'est une trop grande familiarité avec telle ou telle personne du couvent ou du dehors; si ce sont tels  entretiens  dans tel endroit,   telles correspon-dances de lettres, tels cadeaux et autres choses sem-blables.Ste.-Thérèse dit que si notre âme ne s'éloigne pas des plaisirs du monde, elle ralentira bientôt le pas dans la voie du  Seigneur. Mai? si elle fuit les mauvaises occasions, elle avancera vite dans l'amour de Dieu. Cette sainte nous donne encore une autre règle ; elle dit que les religieuses ne doivent faire part de leurs tentations qu'aux âmes qui aiment la perfection, parce que si elles les confient à des âmes imparfaites elles se feront du tort, à elles-mêmes et aux autres.
XIII.  5° La religieuse doit surtout avoir soin de faire des actes de vertu opposés aux mauvais pen-chants qui la tourmentent et l'entraînent au péché.
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Par exemple : celle qui est portée à l'orgueil doit «'humilier avec tout le monde et supporter en paix les humiliations qu'elle reçoit. Celle qui a une incli-nation pour la gourmandise doit s'abstenir de tout mets friand, et ainsi de suite. Cassien nous indique aussi un moyen excellent, c'est de penser, dans l'o-raison , aux occasions qui peuvent nous arriver , comme de recevoir quelqu'outrage , ou quelqu'in-justice et de nous proposer de nous humilier et de nous résigner à la volonté de Dieu. Combien ces dis-positions sont utiles ( excepté en matière de pureté ) pour préparer notre âme à repousser les attaques qui nous arriveront à l'improviste. C'estainsi que les Saints se sont trouvés préparés à souffrir, avec joie et patience, les insultes, les railleries, les coups et les injustices qui leur ont été prodigués.
XIV. 6° II est très-avantageux aussi de faire l'exa-men particulier sur le vice qui nous domine, et de nous imposer une pénitence, chaque fois que nousy retom-bons. Ne cessons de le combattre que lorsque nous l'aurons terrassé, et disons avec David : Persequar inimicos meos et comprehendam illos ,· et non convertar donec deficiant ( P. xvii. 37. ). Je poursuivrai mes en-nemis et les atteindrai, et je ne m'en retournerai point qu'ils ne soient entièrement défaits. Du reste, après tout, quelques progrès que vous fassiez dans la vertu, dit St.-Bernard, vous vous trompez si vous croyez que, vivant dans ce corps mortel, vos vices sont morts; vous les réprimez pour quelque temps et bientôt ils pullulent de nouveau : Quantumlibet in hoc corpore ma-nens profeceris, erras, si vitia put as moriuaet non suppressa. ( Serm. 58 in cant. ) Cassien nous prévient de veiller toujours pour empêcher le vice de prendre pied chez nous; car fi nos soins diminuent, il reviendra et dorai-
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nera dans notre cœur avec bien plus d'empire qu'au-paravant.
XV. Pour dompter nos vices, quels qu'ils soient, il faut nous défier de nos forces et placer toute notre confiance en Dieu , disant avec David : Non enim in arcii meo sperabo, et gladius meus non salvabit me. ( Ps. XLHI. 7. ) Ce ne sera point dans mon arc que je met-trai non espérance, et ce ne sera point mon épée qui m e sauvera. Si nous nous confions dans nos résolu-tions , nous nous perdrons indubitablement, il est donc nécessaire que nous priions toujours, pourobte-nirles secours de Dieu, en lui disant sans cesse : Sei-gneur ayez pitié de moi, mon Dieu secourez-moi. Dieu a promis de donner à ceux qui demandent, et de se laisser trouver par ceux qui le cherchent. Petite et accipietis , quœrite et invenietis. ( Luc. xi. 9. ) Mais, je le répète, il faut toujours prier et ne cesser jamais de prier. Oportet semper orare et non deficere. (Luc. xvm. 1. ) Lorsque nous cesserons de prier, nous serons vaincus; si nous persévérons dans la prière avec le vif désir d'obtenir la grâce, quand même nous ne vaincrions pas tout de suite, cependant la victoire sera infailli-blement à nous.
PRIERE.
Ο mon Jésus ! oubliez les ingratitudes dont j'ai payé vos bienfaits; ne vous rappelez que vos mérites et les souffrances que vous avez supportées pour moi,depuis la crèche jusqu'à la croix. Je me repends de tout mon cœur des peines que je vous ai causées : dès aujour-d'hui je vous consacre ma vie ; qui ne sera employée autant que je le pourrai qu'à vous serviret à vous aimer.
Ιθ4                                   ΙΑ   BEtrGIEDSK
Je vous aime, ô mon Rédempteur ! mais trop faible-ment; augmentez en moi votre saint amour. Exaucez-moi et accordez-moi la grâce de toujours vous adresser la même prière. Ο amour de mon âme! que ne puis-je sentir mon cœur brûler sans cesse de votre amour! Je vous aj beaucoup offensé ! A l'avenir je veux vous aimer beaucoup et je ne veux aimer que vous, parce que vous seul êtes digne d'être aimé par dessus toute chose. Je ne veux vous aimer que parce que vous mé-ritez tout mon amour. Ο Marie, ma mère et mon es-pérance , secourez-moi I
CHAPITRE VII.
De la mortification intérieure on du renoncement à son nmonr-propre.
I. Il y a deux espèces d'amour propre; l'un est bon, et l'autre est mauvais.Le bon est celui par lequel nous acquérons la vie éternelle, pour laquelle Dieu nous a créés. Le mauvais est celui par lequel nous acquérons les biens de la terre , avec danger pour l'âme et dégoût des choses de Dieu. St.-Augustin a dit : Ceelestemckitatemœdificat amor Dei, us que ad contemp-tum sut; terrestrem œdificat amor sut, usque ad contemp-tum Dei. ( 1. xiv. de Civ. ch. 28. ) La cité céleste est fermée par l'amour de Dieu poussé jusqu'au mépris de nous-mêmes , la cité terrestre est fermée par l'a-mour-propre poussé jusqu'au mépris de Dieu. C'est pour cela que Jésus-Christ a dit : Qui vuli venire post me abneget semetipsum. ( St.-Matt. xvi. 24. ) La perfec-tion d'une âme consiste à se renoncer elle-même. — Abneget semetipsum. Qui ne se détache de soi-même ne
SANCTIFIEE.
pent suivre Jésus-Christ. Augmentum caritatis, dit St.-Augustin, diminutio cupiditates, perfectio nulla cupiditas. ( Lib. Lxxxin. qu. 36. ) C'est-à-dire que moins une personne désire satisfaire ses passions plus elle aime Dieu; si elle ne désire autre chose que Dieu, alors elle l'aime parfaitement. Mais il est impossible, dans l'état présent de la nature corrompue par le péché, d'être délivrés des atteintes de l'amour-propre. Jésus-Christ, parmi les hommes, et Marie,parmi les femmes, sont les seuls qui en aient été exempts ; d'ailleurs tous les saints ont eu à combattre des passions désordonnées. Tout le soin d'une religieuse doit être de réprimer les mou-vements de son amour-propre ; c'est la fonction de la mortification intérieure, comme dit St.-Augustin : re-gere motus animi.
II.  Malheur à l'âme qui se laisse mener par ses propres inclinations ! Magis nocit domesticus hostis, dit St.-Bernard. ( de anim. cap. 15. ) Le démon et le monde sont nos ennemis ; mais le pire de nos ennemis c'est l'amour-propre. Ste.-Madelaine de Pazzi disait : L'amour-propre ronge l'âme comme le ver ronge la ra-cine des plantes, de sorte qu'il les prive de fruits et de vie. ( Vie, 3e part. 1· n. ) Elle dit ailleurs : Le plus grand traître est l'amour propre ; comme Judas il nous trahit en nous baisant. Qui vainc l'amour propre,vainc tout.  Si l'on ne peut le tuer d'un seul coup, qu'on l'empoisonne. Prions donc le Seigneur comme Sa-lomon : Animm irreverenti et infrunitae, ne tradas me. (Ec. xxm. 6. ) Ο mon Dieu ! ne m'abandonnez pas à la merci de mes folles passions, car elles me feraient perdre votre sainte crainte et même la raison.
III.  Notre vie doit être une guerre continuelle. Mi-litia est vita hominis super terram. ( Job. vu. 1. ) Celui
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qui est en face de l'ennemi doit toujours tenir les armes en main pour se défendre ; car s'il cesse un seul jour de se défendre, ce jour là il sera vaincu. Il faut de plus faire attention que quelques victoires que remporte une âme sur ses passions, elle ne doit ja-mais cesser de les combattre , car les passions humai-nes, quoique terrassées souvent, ne meurent jamais. Credite mihi, dit S.-Bernard, et putata repullulant et effugata redeunt. ( In Can. Serm. 58. ) Ces mauvaises herbes de nos passions, quoique souvent fauchées, re-poussenttoujours; quoique arrachées, elles reviennent encore : les combats que nous leur livrons, les empê-chent seulement de nous violenter trop fréquemment et avec trop de force, de sorte que nous pouvons les vaincre plus facilement. Un moine alla se plaindre à l'abbé Théodore de ce que depuis huit ans il luttait contre ses passions, et n'avait pas encore pu en éteindre le feu. Théodore lui répondit : Ο mon frère, tu te plains d'une guerre de huit ans , et moi qui en ai passé soixante dans la solitude, je n'ai pas encore été un seul jour , eecempt de quelque attaque. Les passions continueront à nous tourmenter, mais, dit St.-Çrégoire, aliud est has bestias aspicere aliud intra cordis caveam tenere. ( Mor. 1. vi e. 16. ) Voir les bêtes féroces autour de nous et les entendre rugir n'est pas la même chose que de les renfermer dans son sein et d'en avoir les entrailles dévorées.
IY. Notre cœur est un jardin où toujours croissent des plantes sauvages et venimeuses; il faut donc avoir sans cesse en main la faucille de la mortification pour les couperet les enlever; sans quoi notre âme devient un taillis de ronces et d'épines. Vince teipsum. St.-Ignace répétait sans cesse ces mots et les prenait pour sujet de ses entretiens familiers, avec ses religieux :
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domptez l'amour-propre, brisez vos volontés. Il disait que parmi les personnes d'oraisons il en est peu qui se fassent saintes parce qu'elles ne triomphent pas d'elles-mêmes : Sur cent personnes d'oraisons, ce sont ses paro-les , plus de quatre-vingt-dix ne réussissent pas. Aussi, faisait-il plus de cas d'un acte de mortification de la volonté que de plusieurs heures de consolations spiri-tuelles. Gilbert dit : Quid proficit, clausos esse aditus, si in intus hostis fames cuncta contristat? ( Serm. 26. in Can. ) A quoi sert-il de tenir les portes d'une place fermées si l'ennemi intérieur, c'est-à-dire la faim, la dévore ? C'est-à-dire : A quoi sert de mortifier les sens et de faire d'autres œuvres de dévotion si l'on garde dans son cœur cette passion, cette affection à sa pro-pre volonté, cette estime de soi-même, celte ambi-tion, ces tancunes, ou tout autre ennemi qui le ra-vage?
V.  St.-François de Borgia disait que l'oraison fait pénétrer dans nos cœurs l'amour de Dieu ; mais la mortification prépare la place à l'amour, en enlevant la terre qui l'empêcherait d'entrer. Il faut ôter la teri-e qui est dans le vase, pour aller puiser l'eau à la fon-taine , sans quoi, au lieu d'eau on n'aura que de la fange. Le P. Alvarès nous donne à ce sujet une sen-tence bien remarquable : L'oraison sans mortification ett ou une illusion ou dure peu. St.-Ignace disait qu'une âme mortifiée approche plus de Dieu, en quelques mi-nutes d'oraison, qu'une âme immortifiée eu plusieurs heures. Et entendant louer une personne de ce qu'elle faisait beaucoup d'oraisons, il disait c'est signe qu'elle sera d'une grande mortification.
VI.  11 y a des religieuses qui font beaucoup d'orai-sons, de communions, de jeûnes et autres pénitences corporelles; mais qui négligent de réprimer certaines
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petites passions telles que quelques ressentimens, des aversions , la curiosité, les affections dangereuses ; elles ne savent pas supporter la moindre contrariété ni se détacher de certaines personnes et soumettre leur volonté à l'obéissance et à la volonté de Dieu. Quels progrès peuvent-elles faire dans la perfection? Ces mal-heureuses seront toujours aussi imparfaites et toujours hors dubon chemin ? Bene currunt sedextra viam, dit S.-Augue tin. Elles croient bien courir, en continuant leurs exercices pieux, mais elles se trouvèrent toujours hors de la voie de la perfection qui consiste à nous vaincre nous-mêmes. Tantum pro fides quantum tibi vim intuleris, dit Thomas à Kempis; plus tu te feras violence plus ta profiteras. Je ne blâme pas les oraisons voeales, ni les pénitences, ni les autres exercices spirituels ; mais nous devons par leur moyen tâcher de vaincre nos passions, car tous les exercices de piété ne tendent qu'à nous faire pratiquer la vertu, de sorte que dans les communions, les méditations, les visites au St.-Sacre-ment, etc., nous devons toujours prier le Seigneur de nous donner la force d'être humbles, mortifiés, obéis-sans et conformes à sa sainte volonté. Faire tout cela pour sa propre satisfaction est un défaut dans un chrétien , mais c'en est un bien plus grand pour une religieuse qui fait profession particulière de perfection et de mortification. Deus, dit Lactance, vocat ad vitam per laborem , dœmon ad mortem per delicias ( lib. vi. de Prov. e. 18. ) Dieu nous appelle à la vie éternelle par la voie de la miséricorde : le démon au contraire nous entraîne à notre perte par nos propres satisfactions.
VII. Même les choses saintes doivent être entre-prises avec un esprit qui en soit détaché, de sorte que nos projets ne réussissant pas, ou leur exécution nous étant défendue par l'obéissance, nous les aban-
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donnions volontiers et sans inquiétude. Tout attache-ment à nous-mêmes empêche l'union parfaite avec Dieu. Nous devons être tout cœur et aveo une ferme résolution , lorsque nous voulons combatre nos pas-sions et les empêcher de nous tourmenter. Ainsi la mortification intérieure et extérieure est nécessaire à la perfection ; mais avec cette différence que la morti-fication extérieure, doit êlre exercée aveo modération, tandis que l'intérieure doit être pratiquée aveo zèle et sans relâche. A quoi sert de mortifier le corps, si nous ne mortifions nos passions? Quid prodest, dit S.-Jé-rôme , ienuari abstinentiâ si animus superbia intumescit ? Quid vinum non bibere et odio inebriari. (Ep. ad Letau.) A quoi sert d'être exténué par le jeûne e t bouffi d'orgueil, sans pouvoir supporter le mépris ou le moindre refus? A quoi sert de s'abstenir du vin et puis d'être plein de b aine et de colère, à la moindre parole, à la moindre contradiction ? St.-Bernard plaint ces moines qui vê-tent humblement leurs corps etnourrissent au-dedans leurs passions ? Ils ne se dépouillent pas de leurs vices, disait-il, au contraire ils les couvrent du manteau de la pénitence.
VITI. En mortifiant notre amour-propre nous pou-vons devenir saints en peu de temps, sans crainte de nuire à notre santé, ou de nous enorgueillir, car Dieu seul est témoin des actes intérieurs. Si nous étouffons à leur naissance cette foule de désirs , d'attache-ments, de curiosités, de plaisanteries, etc. Ohï que nous recueillerons une abondante moisson de mérite* et de vertus! Quand on vous contrarie sur un point , cédez volontiers, pourvu «ependant que la gloire de Dieu n'y perde rien. Faites un sacrifice à Jésus-Christ de cette vaine estime de vous-même. Recevez-vous une lettre? réprimez l'impatience  de l'ouvrir et ne l'ou-
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vree que quelque temps après. Désirez-vous lire dans un livre la fin d'un fait intéressant ? réservez-le pour une autre fois. Avez-vous envie de dire une plaisan-terie, de cueillir une fleur, de regarder un objet? privez-vous de ce plaisir p.our l'amour de Jésus-Christ. On peut faire mille actes de ce genre par jour. Le P. Léonard de Port-Maurice rapporte qu'une servante de Dieu, en avalant un œuf fit huit actes de mortifica-tion , et qu'ensuite Dieu lui révéla que cela lui avait, valu huit degrés de grâce et huit de gloire. On dit aussi de St.-Dosithée, que, par de telles mortifications intérieures, il parvint en peu de temps à une haute perfection. Ce jeune homme étant malade ne pouvait ni jeûner ni pratiquer les autres exercices de la com-munauté, de sorte que les autres moines, étonnés de le voir si avancé dans l'union avec Dieu, lui demandèrent un jour quel exercice de vertu il faisait ; il répondit que l'exercice auquel il s'appliquait le plus était de morti-fier toutes ses volontés.
IX. Le B. Joseph Calasanze disait : La journée que l'on passe sans se mortifier est une journée perdue. Jésus-Christ, pour nous apprendre combien la mortification est nécessaire, choisit une vie toute mortifiée, dé-pourvue de tout soulagement sensible, et pleine de peine et d'ignominie. Isaïe l'a appelé avec raisou l'homme de douleurs. Virum dolorum. Notre Sauveur„ pouvait racheter les hommes au milieu des honneurs et des délices, mais il voulut les racheter au milieu des douleurs et des mépris. Proposito sibi gaudio susti-.nuit crucem. ( Héb. xii. 2. ) On lui proposa les jouis-sances, il les refusa pour nous donner l'exemple et embrassa la croix. Volve et revolve vitam Jesu, dit St.-Ber-nard, semper eum invenies in cruce. Feuilletez sans cesse la vie de Jésus-Christ, vous le trouverez toujours à
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souffrir sur la croix. Il révéla à Ste.-Catherine de Boulogne que, dès le sein de sa mère, il a commencé à souffrir les douleurs de la passion. Il choisit pour naître la saison la plus rude de l'année, et le lieu le plus misérable. Il passa une vie obscure, pauvre et méprisée; il mourut de la mort la plus pénible, la plus ignominieuse, la plus triste. Ste.-Catherine de Sienne disait que, de même qu'une mère prend une médecine amère pour guérir l'enfant qu'elle nourrit, ainsi Jésus-Christ but le calice de toutes les douleurs pour nous guérir de nos maux.
X. Jésus-Christ nous apprend qu'il s'en va à la col-line de la myrrhe, c'est-à-dire de l'amertume et des souffrances. Vadam ad montem myrrfue  ( Cant. IT. 6. ). Il nous engage à l'y suivre , si nous l'aimons. Verus ad crucifixum? dit St.-Pierre Damien,crucifixus venies, aut crucifigendum.  (Serm. 1. de exalt. S.-Cruc. ) Ο reli-gieuse ! pour aller embrasser le crucifix, il faut que vous soyez crucifiée ou prête à  l'être. Jésus parlant lui-même des vierges, ses épouses, dit à la B. Baptiste Varani ; L'époux crucifié, veut que son épouse soit crucifiée. Il faut donc que les religieuses,pour être ses véritables épouses, vivent toujours mortifiées et crucifiées. Sem-per mortificationem Jesu in corpore nostro circumferentes. ( II, Cor. rv. 10. ) C'est-à-dire que dans toutes leurs actions elles ne doivent jamais chercher à se satisfaire, mais seulement à plaire à Jésus-Christ, mortifiant pour son amour tous leurs désirs. Qui sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cum vitiis et concupiscentiis suis. ( Gal. ν. 24· ) Les. épouses du Rédempteur doivent te-nir attachées à la croix toutes leurs passions, ou bien il ne les avouera jamais en cette qualité d'épouses.
XI.   Venons maintenant à la pratique et voyons quelles sont les règles à suivre pour arriver àla mor-
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tification iatérieure. La première règle, c'est de savoir quelle est notre passion dominante qui nous fait tom-ber dans quelques défauts, et de chercher àla vaincre. St.-Grégoire dit que, pour vaincre le démon, nous de-vons nous servir des mêmes artifices dont il se sert pour  nous vaincre. Il s'efforce d'allumer  toujours davantage en nous la passion, où nous sommes en-clins; de notre côté, nous devons mettre tous nos soins à l'éteindre, cette passion.Qui dompte sa passion do-minante, domptera facilement les  autres; mais si nous nous laissons gouverner par cette passion, nous ne pouvons jamais avancer dans la perfection. Quid prosunt aquilœ olœ caplo pede"ï dit St.-Efrem; à quoi ser-vent à un aigle ses grandes ailes, si ses pattes sont liées? Oh! combien de religieuses qui pourraient vo-ler dans la voie de Dieu aussi haut que l'aigle royal, et qui, étant liées par quelque attache terrestre, ne peu-vent avancer dans la perfection. St.-Jean de la Croix dit que le moindre fil suffit ponr empêcher une âme de s'élancer vers Dieu. En outre, et ceci est pire, ceux qui se laissent dominer par leurs passions, non-seule-ment ne font pas de progrès dans la spiritualité, mais encore ils se mettent en grand danger de se perdre. Il faut donc qu'une religieuse tâche de  détruire la passion à laquelle elle se sent le  plus portée; sans cela, ses autres mortifications  ne lui seront d'aucun profit. L'une, par exemple, n'est pas avide d'argent, mais elle est jalouse de sa propre estime ; si elle ne tâche  pas de se contenir, lorsqu'elle est insultée, le mépris des richesses lui sera peu utile. Une autre, au contraire, n'est pas jalouse de l'estime, mais elle est avide d'argent; si elle ne cherche à étouffer  cette passion, sa patience dans les outrages lui portera peu de profit.
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XÎI. Déterminez-vous donc,ô sœur chérie de Dieu, à combattre, avec une ferme résolution, la passion qui vous domine ;une volonté bien déterminée et aidée de Dieu, qui ne nous abandonne jamais, triomphe de tout. St.-François deSalesétait très-colère; maisàforcede se faire violence il devint un modèle de douceur et de bonté, comme nous le lisons dans sa vie, lorsque Dieu permit, dans.tant de circonstances, qu'ilfût insulté et maltraité. Quand nous aurons terrassé une de nos passions, tâ-chons de terrasser l'autre, car une seule qui resterait dans notre cœur suffirait pour nous perdre. Joseph Calasanze disait : Si une seule passion survit dans ton cœur après avoir détruit les autres, tu seras tou-jours malheureux. St.-Cirille dit : Navis quantumcum-que intégra, nihil prodest si parvum fundo foramen relin-quat. { Apud. St.-Aug. Ep. 206. ) Si un navire  bien achevé et bien fort a un seul petit trou dans le flanc , il fera naufrage.  St.-Augustin a dit : Calca jacentem conflige cum resistente. ( In cap. vin. Rom. ) Si tu as abattu une passion, foule-la aux pieds, écrase-la et va combattre celles qui  restent.   Désirez-vtius  devenir sainte? Priez Votre supérieure et votre directeur de vous guider par la voie qu'ils jugeront la meilleure. Dites-leur de ne vous épargner aucune sorte d'épreuves, de contrarier tontes vos volontés, lorsqu'ils le jugeront utile pour vous. Volonté droite, volonté parfaite, dit le Cardinal Petrucci. Ste.-Thérèse raconte que son con-fesseur s'attachait surtout à contredire ses désirs; elle ajoute que ce fut celui qui fut le plus utile à son âme. Le démon , dit-elle , me  tenta plusieurs foiVde le quitter, mais dès que j'adhérais à sa proposition j'en éprouvais des remords plus cruels que ce que m'im-posait mon confesseur.
XÏII. La secondé règle, c'est de résister aux pals-vin.        '                                                8
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sions et de les déraciner, avant qu'elles soient bien hautes, sans quoi elles prennent une croissance ra-pide, et il n'est plus possible de les détruire. Ne cupi-ditas robur accipiat, campanula est, allide illam, dit S .-Au-gustin.(In ps. 136.)Par exemple vous vous sentez l'en-vie de répondre par une parole de colère, ou de regar-der une personne agréable; il faut résister , tout d'abord, sans quoi, dit S.-Efrem, une petite plaie com-mence à s'ouvrir, et bientôt devient un ulcère in-curable. Nisi citius passiones sustuleris ulcus officiunt. (S. Eph. de Perf. ). C'est ce que nous apprend un an-cien moine, dont parle S.~Dorothée. (Serm. 11.). Il ordonna à un deses disciples d'arracher de terre un petit cyprès et aussitôt il l'arracha. Il lui ordonna en-suite d'en arracher un autre un peu plus grand.il fallut que le disciple y employât toutes ses forces. En-fin il lui ordonna d'en arracher un autre qui avait de profondes racines ; mais le disciple se fatigua beau-coup et ne put le déraciner. Le moine lui dit alors : Sachez que telles sont nos passions ; autant il est fa-cile de les arracher dans leur jeunesse, autant il est difficile d'en venir à bout, quand elles ont pris force et établi les mauvaises habitudes. L'expérience en sert de preuve. Par exemple, qu'une religieuse reçoive un affront ; elle ne peut s'empêcher d'un mouvement de colère ; si elle éteint cette étincelle et en fait le sacri-fice à Dieu, le feu finira et elle en aura le mérite sans en être blessée ; mais si elle cède à ce mouvement et y réfléchit long-tems, cette étincelle deviendra avec le tems une incendie de haine. Un autre religieuse sent naître dans son cœur une affection pour une per-sonne. Si d'abord elle s'en éloigne, cette affection s'é-vanouira , mais si elle suit son penchant elle devien-dra bientôt coupable et tombera en péché mortel. Il
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faut donc avoir grand soin de ne pas donner à manger aux bêtes féroces qui nous dévoreraient.
XIV. La troisième règle est, comme dit Cassien , de faire changer d'objet à nos passions, afin que de vicieuses et nuisibles elles deviennent saintes ot salu-taires. Par exemple : Une religieuse a du penchant pour les personnes qui viennent la voir, qu'elle change d'objet et qu'elle tourne cette passion à l'amour de Dieu, qui est infiniment aimable et qui l'aime plus que tout le monde. Une autre est portée à s'irriter contre ceux qui la contrarient, qu'elle tourne cette colère contre ses péchés qui lui font plus de mal que tous les démons de l'enfer. Une troisième cherche à acquérir des honneurs ou des biens temporels, qu'elle prenne pour but de ses désirs les biens et les hon-neurs du paradis. Mais à cet effet, il faut souvent mé-diter les vérités de la foi, lire des livres spirituels : considérer souvent les maximes éternelles et s'en graver dans la mémoire quelques-unes qui sont fonda-mentales dans la vie spirituelle ; par exemple : tRien ne mérite d'être aimé excepté Dieu : Le péché est le seul mal que nous devons haïr. Tout ce que Dieu veut est bien. Tout finit ici-bas. Il vaut mieux ramasser une paille avec la volonté de Dieu que de convertir le monde entier sans la volonté de Dieu . Il faut faire ce que nous voudrions avoir fait d la mort. Il faut vivre sur la terre comme s'il n'y avait que nout et Dieu. » Quand l'âme est bien nourrie de maximes saintes, elle est peu troublée par les choses du monde et se trouve très-forte pour résister aux mauvais penchants. Ainsi ont fait les Saints, et quand les occasions sont venues, elles les ont trouvés insen-sibles aux biens et aux maux de la terre. Pour se vaincre soi-même et ne pas se laisser dominer par ses passions, il faut toujours prier et demander à Dieu le
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secours de sa grâce. Qui prie, obtient. Omnis qui petit, accipit. ( Huc. χι. 12. ) Prions surtout le Seigneur de nous donner son saint amour; rien n'est difficile à ce-lui qui aime Dieu. Les raisons et les considérations sont utiles pour nous porter à la pratique de la vertu ; mais une seule étincelle d'amour pour Dieu vaut mieux que mille raisons et niilie considérations pour nous faire faire ce qui peut lui être agréable. Pour agit à force de raisons, il faut fatigue et violence, mais qui aime, n'a pas de peine à faire ce qui plaît à celui qu'il aime- Qui amat non laborat.
PRIÈRE.
Mon Die'i,avec tantde secours,que j'aireçusdevous, avec tant de communions, tant de sermons , tant de bons exemples de mes sœurs, tant d'inspirations inté-rieures, tant d'invitations de votre part, je devrais être maintenant toute feu d'amour pour vous, et ce-pendant je me vois toujours aussi imparfaite et aussi misérable qu'auparavant. Ce n'est pas votre faute, mais bien la mienne , et parce que j'ai mis obstacle à votre grâce et que je me suis attachée à mes passions. Ma vie, loin de vous honorer, vous a déshonoré, mon Jésus, car on a vu en moi une dé vos épouses atta-chée au monde et à elle-même. Vous m'avez tirée du monde , et j'ai aimé le monde plus que les séculiers. Seigneur,ayez pitié de moi, ne m'abandonnez pas , je veux tne corriger. Je me repends de tout mon cœur de toutes les fois que, pour me satisfaire, je vous ai causé du déplaisir, à vous qui êtes mon souverain bien. Je veux commencer à vous aimer véritablement, et je veux commencer aujourd'hui. C'est assez avoir mi
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votre patience à l'épreuve ; maintenant je vous aime de toute mon âme. Dorénavant vous êtes et vous serez toujours l'unique objet de mon amour. Je veux tout quitter et tout faire pour vous être agréable. Dites ce que vous exigez de moi et donnez-moi votre grâce pour l'exécuter, car je veux vous plaire ; ne permettez pas que je sois ingrate aux preuves d'amour que vous m'avez données, et dont vous m'avez comme enchaî-jpée , pour m'obliger à vous aimer. Je consens à être privée de toute consolation terrestre, et à embrasser toutes les croix que vous voudrez m'cnvoyer. Disposez de moi comme il vous plaira. Je veux et espère être toute à vous, et toujours à vous. Je ne veux que vous seul, ô mon Jésus! et rien que vous seul. Ο Marie, ma bonne mère! priez votre fils de m'exaucer, puisque votre fils n'a rien à vous refuser.
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Du détachement de sa propre volonté.
I. Rien n'est plus nuisible aux religieuses qui ont consacré leur volonté à Jésus-Christ, que de se régler d'après cette propre volonté et selon leurs inclina-tions. C'est pour cela que toutes les religions se sont prémunies contre cette ennemie de la vie spirituelle , ( je veux parler de la propre volonté ) en faisant le vœu d'obéissance. Personne ne peut nous séparer de Dieu, ni tous les hommes de la terre, ni tous les:dé-mons de l'enfer, il n'y a que notre propre volonté. Cesset prcpria voluntas, dit St.-Bernard, et infernus non erit ( De ord. ■ Vit. ) Faites que les hommes n'aient plus de volonté propre et il n'y aura plus d'enfer. C'est la volonté propre qui déjruit toutes les vertus, lies-
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tructrix .magna virtutum. Ainsi l'appelle St.-Pierre Da-mien. St.-Anselme a dit aussi que la volonté de Dieu est la source d'où découlent tous les biens, aussi la volonté de l'homme est la source de tous les péchés. Voluntas Dei font totiui boni; voluntas hominis fons totius maii. Où peut-il espérer d'atteindre celui qui se met sous la direction d'un maître privé du bon sensf Tel est notre propre vouloir. St.-Bérnarddit : Qui se sibi magis-trum constituit stulto se discipulum subdit. Qui se fait le maître de soi-même et suit son amour-propre, se sou-met à l'obéissance d'un fou. St.-Antonin abbé, disait que notre amour-propre est un vin qui nous enivre et nous empêche de connaître la beauté de la vertu et la laideur des vices.
II. St.-Augustin dit que le démon, n'est démon que par sa volonté propre. Diabolus propria voluntate foetus diabolus invenitur. Les démons se servent de cette vo-lonté propre pour perdre les religieux. Cassien rap-porte que le saint abbé Achille, étant interrogé par ses disciples qui voulaient savoir ayee quelles armes les démons combattent contre les religieux, il leur ré-pondit que les démons se servent de l'orgueil contre les grands du monde, de l'avarice  contre les mar-chands , de l'intempérance contre les jeunes gens, mais contre les religieux, les armes qu'ils employent le plus souvent, ce sont leurs propres volontés. C'est avec elles qu'ils les attaquent, c'est avec elles qu'ils les renversent. L'abbé Pasteur disait encore, comme nous l'apprend Rufnn : Non pugnant dœmones nobiscum quando voluntates nostras facimus, quia voluntates nostra dmmones faciœ sunt. (Apud. Ruf. Lib. S. ) Quand nous faisons nos propres volontés, les démons cessent de nous assaillir, parce que nos volontés deviennent elles-mêmes des démons pires que ceux de l'enfer. S-Jean
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Climaque exprime la même idée : Qui sibi dux essevult. iprito duce proprio, non jam indiget dcemone tentante, quia ipse demon factus est sibi. ( Gere, de Vis. Cap. 3. ) Le religieux qui au lieu d'obéir , dédaigne la direction de son supérieur et veut se servir de guide à lui-même , n'a pas besoin que le démon le tente, car il devient lui-même son démon.
III. C'est pourquoi le St.-Esprit nous donne cet avertissement : Post concupiscentias tuas non eas et d vo-luntate tuâ avertere. ( Ecc. xvm. 30.) Ne satisfais pas tes désirs et évite toujours de suivre la volonté. Ces paroles s'adressent surtout aux religieux qui ont con-sacré leur volonté và Dieu en promettant l'obéissance aux règles et à leurs supérieurs. Dieu doit être l'uni-que objet de l'amour des religieux, et l'obéissance est le seul moyen d'avoir cet amour. Le plus grand mérite des actions d'un religieux, c'est d'être faites par obéis-sance. Ste.-Catherine de Cardone qui quitta la cour d'Espagne pour aller se cacher dans un désert où elle vécut, pendant plusieurs années, dans la pratique r".e rudes pénitences, dont la simple lecture fait frémir, ayant vu un jour un frère carme déchaussé qui traî-nait un fagot de bois, et connaissant, par une lumière divine, que ce travail, à cause de son grand âge, lui déplaisait et qu'il s'en plaignait intérieurement, lui dit pour l'encourager : Mon frère, portez ce bois avec joie, et apprenez que vous méritez plus par ce trait d'obéissance,, que moi par toutes mes pénitences. Le plus grand défaut des actions d'une religieuse, est d'être faites d'après sa propre volonté. Tritème a dit que le démon n'abhorre rien tant que l'exercice de l'obéissance : Nihil est quod diabolus plus oderit quam obedientiam. (In prol. Reg. S.-Bon. ) Ste-Thérèse di-sait : Le démon gait que l'obéissance est le remède à
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tous les maux de notre âme, voilà pourquoi il fait tout au monde pour nous en priver. Tandis que St.-Fran-çois de Sales méditait le plan des règles pour les reli-gieuses de la Visitation , quelqu'un lui dit qu'il de-vait les faire marcher nu pieds : mais le Saint répon-dit : -Yous voulez commencer par les pieds, et moi je veux commencer par la tête. St.-Philippe de Néri répé-tait souvent à ses pénitens que la sainteté consiste dans quatre doigts du front, c'est-à-dire à mortifier sa propre volonté. S.-Jérôme a dit : Tantum adjicies quantam substraxeris propria voluntati. Tu ajouteras à ta vertu tout ce que tu auras ôté à ta volonté. Que de prêtres, que de curés et d'évéques même, quoique menant une vie exemplaire dans le monde, sont entrés en religion, dans le seul but de vivre sous l'obéissance, sachant qu'ils ne pourraient faire à Dieu de sacrifice plus agréable que celui de leur volonté, en la soumet-tant à celle d'un supérieur.
IV. Heureuse la religieuse qui pourrait dire en mourant comme l'abbé Jean, je n'ai jamais fait ma vo-lonté. Ste-Madeleine de Pazzi, disait que le seul moyen de faire une douce mort, c'est de se laisser humble-ment guider par ses supérieurs. Car, dit Cassien, les religieuses doivent avoir pour but principal, de prati-quer leurs volontés. Finis cœnobitœ est omnes suas volun-tates crucifigere. De sorte que la religieuse qui ne tra-vaille pas à cela, n'est plus religieuse, elle est sacri-lège. Quel plus grand sacrilège en effet que de repren-dre à Dieu la volonté qu'on lui avait donnée? Ainsi parle St.-Bernard : Nullum sacrilegii crimen deterius est, quam in voluntate Deo semel oblata reaccipere potestatem. L'Esprit-Saint à dit, parla bouche de Samuel, que c'é-tait une espèce d'idolâtrie de suivre sa propre volonté contre celle de l'obéissance. Quasi peccatum ariolandi
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est repugnare et quasi scelus idololalvice nolle acquiescere. ( ι Reg. 15.) S.-Grégoire applique ces mots en particu-lier aux religieux désobéissants -: Quasi ergo peccatum ariolandiest repugnare ; quia cordis suisuperbi ad invtntioni-bus credunt et prœlatorum consiliis refragantur. ( S.-Grég. in loc. cit. ) Les religieux qui suivent la volonté de leur amour propre et désobéissent aux conseils de leurs supérieurs, commettent presqu'un péché d'idolâtrie, car alors ils adorent pour ainsi dire leur volonté comme un Dieu. St.-Basile ordonna que tout moine , attaché à sa volonté propre, fût séparé de la commu-nauté comme un lépreux, parce que ses mauvais exemples infectaient les autres.
V. La bienheureuse Colette disait qu'il est plus mé-ritoire de réprimer sa propre volonté que d'abandon-ner toutes les richesses de la terre. Cela doit s'appli-quer non-seulement aux choses défectueuses ou indif-férentes , mais même aux exercices qui ont une ap-parence de vertu; par exemple aux pénitences, aux oraisons, aux aumônes efautres semblables , si on les pratiquait contre l'obéissance. Cassien dit que déso-béir à ses supérieurs , pour faire des choses saintes en suivant sa propre volonté, est ordinairement fort nui-sible , parce que l'habitude des actions vicieuses, faites avec une apparence de vertu, se corrige plus difficile-ment : A remediis longiora sunt vitia quas subside virtu-tum videntur emergere. ( Cass. col. IY. cap. 20. ) Ces religieuses qui veulent se faire saintes selon leur ma-nière de voir, sont ces âmes dont parle Tsaïe, quand il dit qu'au jour du jugement, elles diront à Jésus-Christ : Quare jejunavimus et non aspexisti? ( ινιΐΐ. 3. ) Seigneur, nous avons jeune et fait pénitence, et vous ne nous en tenez pas compte. Jésus leur répondra
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qu'il ne leur doit pas de récompense pour de telles œuvres, parce qu'elles les ont faites, non pour se con-former à la volonté de Dieu, ma is par caprice. Ecce in die jejunii vestri invenitur voluntas vestra. Oh ! dit St.-Bérnard, que la propre volonté est pernicieuse, puis-que les plus belles actions, lorsqu'elles sont faites con-tre l'obéissance, deviennent mauvaises et défectueu-ses ! Grande malum propria voluntas, qua fit, ut bona tua Ubi bona non sint! Au contraire, la meilleure preuve qu'une action plaît à Dieu, c'est qu'elle soit faite par obéissance. Nicéphore raconte de St.-Siméon Stilite , qui menait une vie si pénitente et si extraordinaire, en restant nuit et jour sur une colonne en plein air , que ses supérieurs voulurent s'assurer si une telle con-duite plaisait à Dieu. Quelle preuve voulurent-ils en avoir ? Ils commandèrent au Saint de descendre de la colonne, et de venir demeurer avec les autres moines. St.-Siméon leva aussitôt le pied pour descendre, mais alors on lui dit : Restez bon père, car nous voyons que c'est la volonté de Dieu que vous persévériez dans cette pénitence. Ainsi, même les choses saintes, nous devons les vouloir sans attache de notre propre vo-lonté. St.-François de Sales disait : «Je veux peu de choses et encore j'en veuxtrès-peu. C'est-à-dire qu'une les voulait pas par amour propre , mais seulement pour plaire à Dieu, de sorte qu'il était prêt à les laisser s'il avait cru qu'elles n'étaient pas selon la volonté de Dieu. VI. Oh! qu'elle est belle la paix dont jouit une re-ligieuse qui ne veut que ce que veut l'obéissance ! St.-Dosithée , ayant consacré sa volonté à l'obéissance, jouissait d'une paix continuelle; mais craignant que le démon ne le trompât il demanda un jour à S.-Do-rothée, son maître : Mon père, dites-moi, pourquoi daps la vie que je mène, je jouis d'une si grande
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tranquillité que je n'ai plus rien à désirer sur la terre? e Mon fils, lui répondit le maître, cette paix est le fruit de l'obéissance.» Quelle plus grande joie peut avoir une religieuse qui aime Dieu, que de savoir qu'en tout ce qu'elle fait, elle fait la volonté de Dieu ! Elle peut s'appeler heureuse et dire avec le prophète; Beati su-mus Israël ; quat deo placent , manifesta sunt nobis-(Bar. iv. Ιχ. ) Je suis heureuse, parce qu'en obéissant je suis sûre de faire toujours la volonté de Dieu. Quel charme, disait Ste-Madeleine de Pazzi, renferment ces mois : volonté de Dieu I St.-Pierre Damien écrit · Gravissimum d se onus rejecit qui suant repulit volunta-tem. Qui s'est dépouillé de sa volonté, s'est débarrassé d'un poids énorme. Quis tirannus crudelior, ajoute ce saint, propria voluntate? Quel tyran plus cruel peut avoir une religieuse, que sa propre volonté qui la do-mine ? Car dans le couvent, il y a bien des choses qu'elle ne peut avoir, et cette malheureuse sera sans cesse dans l'agitation et elle se créera dans son inté-rieur une espèce d'enfer. St.-Eutiche a dit : Quid pro-dest si in loco quies et silentium sit et in habitatoribus colluctatio passionum ? si exteriora serenitas teneat et inte-riora tempestas? ( Horn. 9. ) Que sert à cette religieuse que la paix et le silence régnent dans le monastère, si les passions grondent dans son cœur ? Au-dehors· est le calme, au-dedans sont les tempêtes.
VII. D'où naissent, demande St.-Bernard, nos in-quiétudes, si ce n'est de ce que nous sommes attachés à satisfaire notre volonté. Unde turbatio, nisi quod pro-priam sequimur voluntatem ? Cassien rapporte que les anciens pères disaient souvent que tout religieux qui ne sait pas vaincre sa volonté ne persévérera pas dans la vie monastique. Du moins, dis-je, il ne peut persévé-rer avec paix et profit. L'attachement ύ la volonté est !#
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cause que beaucoup dereligiéusesmènentune vïemal-heureuse.L'une est de mauvaise humeur, parce que son confesseur ou sa supérieure ne lui plaisent pas; l'autre, parce qu'elle voudrait cet emploi et qu'elle nel'obtient pas, crie tant et fait tant qu'enfin sa supérieure le lui accorde; mais après cela elle n'a pas la paix ; et com-ment pourrait-elle l'avoir cette paix1, puisqu'au lieu d'obéir à sa supérieure, c'est la supérieure qui lui obéit ? celle-ci, au contraire, est fâchée, parce qu'on la charge d'un emploi qu'elle ne voudrait pas. Celle-là, parce qu'on lui défend de voir telle personne ou de lui écrire. Une autre parce qu'on lui impose une tâche qui lui répugne , murmuré et s'efforce de soulever ses parents et même la communauté contre les supé-rieures, et de là, elle cause un scandale et un trouble immense. Cette faute mériterait le châtiment qui fut infligé à ces deux moines, qui, comme nous le raconte Surius ( Tom. iv. 20. ) ne voulant pas accepter pour abbé le saint moine Philibert, l'un fut frappé de la fou-dre et l'aufre eut les entrailles arrachées. St.-Bernard dit : Habeto pacem cum prœiatis tuis, non detrahas eis, nec libenter audias alios detrahentes quia specialiter Deus hoc vitium punit in subditis etiam in prmsenti. ( Opus. ad. quid. ven. ) Sois en paix avec tes supérieurs, n'en dis pas de mal, et ne prête pas l'oreille au mal qu'on en dit, parce que Dieu punit d'une manière spéciale ce vice des inférieurs, même dans la vie présente. St.-Gré-goire ajoute. Facta superiorum oris gladio ferienda non iunt, quamvis reprehendenda videantur. ( In registror. 1 xn. e. 3. ) On ne doit pas censurer les actions de ses supérieurs, quand même elles paraîtraient blâ-mables. Dus non detrahes. ( Ex. xxn. 28. ) Je ne veux pas, dit Dieu, que tu parles mal des Dieux , c'est-à-dire de tes supérieurs qui tiennent ma placé sur terre.
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VIII. Mais écoutons Ste-Marie-Madeleine de Pazzi f ravie en extase; ( Vita. part. iv. c. 22. ) parlant des ravages que l'amour propre fait dans beaucoup de reli-gieuses. « Je vois, dit-elle, une multitude d'âmes parmi » lesquelles il en estune qui, au moment des'unir avec » vous, mon doux rédempteur, se> recueille en elle-» même, niais, si quelque; chose s'oppose à ses vo-» lontés, elle s'irrite et se trouble. Je vois une autre » âme, qui» lorsqu'elle entend la messe , étincelle » d'amour divin, mais si on l'avertit qu'elle a tel dé-» faut, elle ne veut pas en convenir; en elle, c'est or-» gueil et amour propre ; j'en vois une troisième qui » semble vouloir égaler St.-Antoine par son austérité j » mais si l'obéissance lui défend cette austérité, elle » s'obstine, et ne veut pas obéir. Une quatrième se » mortifie dans le réfectoire , mais se plaît dans la » mortification et aime à passer pour plus sainte que »■. les autres. Une cinquième fait étalage de grande » sagesse au parloir, et semble vouloir dépasser la sa-» gesse même de St.-Augustin; de plus elle est mesu-» rée et grave dans ses discours, afln de faire croire » à sa perfection, ete.Cette sixième est prête à quitter » toutes ses occupations .et ses aises pour servir le pro-» chain, mais, dès que la bonne œxivre est faite elle » voudrait que tout le monde l'en remerciât, et lui » en fît des éloges. » Le Seigneur , parlant de ces re-ligieuses , dit une autre fois à la même sainte : « Elles » veulent mon esprit, mais elles le veulent de la ma-» nière .qui leur con vient, et quand bon leursemble et » elles se rendent ainsi inhabiles à le recevoir.» . IX. Mais revenons à notre sujet. Ο ma sœur ! si vous voulez vous faire sainte et jouir d'une paix con-tinuelle, tâchez de combattre toujours , autant que vous le pourrez, votre volonté propre, et suivez 1$
ΐαβ                                    LA   RELIC 1 Et.S E
gle que suivent les religieuses qui aiment la perfec-tion; ne faites jamais rien pour votre satisfaction, mais tout ce que vous faites, faites-le pour plaire à Dieu ; supprimez donc vos vains désirs, et tous vos penchans. Les mondains s'efforcent de seconder au-tant que possible leurs désirs ; mais les saints s'effor-cent , autant qu'ils le peuvent, de réprimer leur vo-lonté et cherchent les occasions de la mortifier. St.-André d'Avellino fit vœu de résister sans cesse à sa propre volonté. Emisio voto suœ ipsius voluntati jugiter obsistendi, dit l'office de sa fête. Prescrivez-vous au moins un certain nombre de mortifications de votre volonté pour chaque jour. Répétez souvent ce que St.-Bernard se disait à lui-même pour s'exciter à la fer-veur : Bernarde, ad quid venisti? Dites, que suis-je venue faire dans ce monastère? Est-ce ma volonté? Non ; si je voulais vivre à mon goût, je devais rester dans le inonde ; en entrant en religion, j'ai donné à Dieu ma volonté; pour quoi prétendrai-je maintenant faire ce que je veux, et me troublerai-je quand je n'obtiens pas ce que je désire ? Consolez-vous en esprit quand vos supérieurs rejettent vos demandes ou vous impo-sent quelqu'eniploi qui répugne à votre amour propre et sachez qu'en vous conformant à l'obéissance, vous mériterez plus qu'en faisant des oraisons et des péni-tences à votre tête ; un grand serviteur de Dieu di-sait : Un acte d'abnégation à sa propre volonté, est plus méritoire que l'érection de mille hôpitaux. Ayeî sans cesse sous les yeux ce que le P. Torres, pieux ouvrier, écrivit à une religieuse sa pénitente : Une âme qui s'est donnée toute à Dieu,dit-il,n'aime rien, ne cherche rien, ne désire rien.
X. Je termine  ce chapitre par ce qu'écrivit  le même P. Torres à une autre religieuse, pour la déta-
SAKCTIFIÉE,                    .           1*7
cher d'elle-même et de toutes les créatures, afin de ne lui faire aimer que Dieu : « Puisque le Seigneur vous accorde ces belles occasions de souffrance et de dé-laissement, appliquez-vous à augmenter votre charité pour le bien-aimé de votre âme ; cet amour est fort comme la mort : fort, ear il vous sépare de toutes les créatures , de tous les respecte humains , de tout ce qu'on estime dans le monde, de vos appétits sen-suels, et de toute vous-même, afin qu'il n'y ait rien en vous qui vous empêche de vivre en portant vos pensées, vos désirs et vos affections vers le Dieu aimé. Que votre cœur n'aspire qu'à ce Dieu aimé, que vo-tre volonté ne soit que pour ce Dieu aimé ; que votre pensée ne s'élance que vers ce Dieu aimé. Si votre main travaille, si votre pied marche, que ce ne soit que pour ce Dieu aimé et avec ce Dieu aimé.... Pour obtenir cet amour de Dieu, renoncez chaque jour, aux pieds du crucifix, à tout ce que vous pouvez aimer , aux honneurs, aux .aisances, aux consolations, à vos parens; protestez que vous ne voulez d'autre honneur que les ignominies, d'autre richesse que son amour , d'autre aisance que sa croix, d'autre objet que lui seul, qui est votre époux chéri et aimé. Je veux que très-souvent, ou en allant au iardin, ou en contem-plant le ciel, Vous invitiez, par le cri de votre cœur, toutes les créatures à aimer votre bien-aimé. Je veux que vous fuyiez toute conversation ou l'on ne respire pas l'amour de Dieu. Ne remplissez pas les emplois qui ne plaisent pas à ce Dieu aimé; ne faites pas les actions qui ne tournent pas à la gloire de cet époux de votre âme, etc.
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PRIERE.
0 inOn Dieu, mon Seigneur et l'époux de mon àmê, vous m'avez tant aimée et vous m'avez donné la vo-lonté pour vous aimer, et cependant je me suis servi de cette volonté pour vous offenser et pour vous dé-plaire tant de fois. Si je ne, savais que vous êtes un Dieu d'une miséricorde infinie, je perdrais l'espé-rance de recouvrer votre grâce que j'ai perdue si mi-sérablement. Mon ingratitude méritait que vous m'a-bandonnassiez ; mais je vois que votre lumière m'é-claire encore. Je sens que vous continuez à m'appeler à votre saint amour. Me voilà, Seigneur; je ne veux plus continuer à être ingrate; je ne veux plus résister, je me donne à vous ; Recevez une âme infidèle qui n'a .fait que vous mépriser pendant tant d'années; mais qui maintenant ne désire que de vous aimer et d'être toute à vous.Secourez-moi, Jésus, inspirez-moi une douleur si vive de mes péchés, que mes jours ne se passent plus que dans les larmes et dans les soupirs, après vous avoir outragé, vous qui êtes si aimable et si bon. Que je serais malheureuse, si, après l'inspira-tion que vous me.donnez maintenant, je recommen-çais à vous trahir. Comment pourriez-vous me sup-porter encore ? Je suis accablée par la crainte où me jette cette pensée: je puis recommencer à vous offen-ser. Oh ! Seigneur ! ne le permettez pas, ne me livrez pas à une telle disgrâce, envoyez-moi tout autre châ-timent et non pas celui-là. Si vous savez que je doive vous abandonner de nouveau, faites-moi mourir à présent, que j'espère être en votre grâce. Qu'ai-je be-
SANCTIFIEE.                                      129
soin de vivre, si je ne dois vivre que pour vous offen-ser? Non, mou Dieu, je vous aime et j'espère vous ai-mer toujours, Marie, mon espérance, obtenez-moi la persévérance ou la mort.
$■ Π
De l'obéissance.
I. la vertu la plus aimée de la religieuse doit être celle de l'obéissance, car toute la perfection de la re-ligion consiste, dit St.-Bonaventure , à réprimer sa propre volonté. Tota  religionis perfectio  in voluntatis propria substractiorie consistit.  L'on ne  peut offrir à Dieu de sacrifice plus agréable que l'obéissance aux régies est aux ordres de ses supérieurs, parce que, comme là chose la plus chère que nous ayons, test notre vc-^ lonté, dit le Docteur àngélique : Nihil est homini ama-bilidsUbertate propriae voluntatis. (Qpusc. χνιιΐ. de perf. c. 10. ) de môme nous ne pouvons faire à Dieu, de don qui lui soit plus cher que celui de notre pro-pre volonté. Melior est obedientia quam victimœ , dit le St.-Esprit. ( Eccle. ir. 17. ) Dieu aime mieux l'obéis-sance que tous les sacrifices que nous pouvons lui of-frir. Celui qui offre à Dieu ses richesses en lies distri-buant en aumônes; son honneur, en supportant les mépris; son corps, en le mortifiant par les jeûnes et les pénitences, lui donne une partie de lui-même ; mais celui qui lui sacrifie sa volonté en l'assujétissant à l'obéissance, lui donne tout ce qu'il a,  et alors il peut dire à Dieu : Seigneur, après vous avoir donné ma volonté, je n'ai plus rien à Vous donner De plus St.-Grégoire dit,que parle moyen des autres vertus nous vin.                                                       9
Ι 5θ                                   Li RELIGIEUSE
donnons à Dieu tout ce que nous avons ; mais par Γο-béissance, nous nous donnon snous-mêmes tout entiers à lui. Per alias virtutes, nostraDeo impendimus , per obe-dientiam, nostneptisos. (Lib vi. in Reg. e. 2. ) Le même Docteur a dit encore que l'obéissance entraîne avec elle dans notre âme toutes les autres vertus et qu'elle les conserve. Obedientia virtus est quce ceteras rirtutes in mentem ingerit et custodit. ( Lib. xxxv. e. 22. ) Ste.-Thérèse dit que Dieu n'exige que l'obéissance d'une âme qui veut l'aimer. Elle ajoute ailleurs : Le démon sait que c'est là le remède de l'âme aussi cherche-t-il toujours à nous l'enlever.
II. Le V. P. Sertorius Caputo, disait que l'obéis-sance porte avec elle le mérite du martyre, car, comme dans le martyre on sacrifie sa tête, ainsi, par l'obéissance , on sacrifie à Dieu la volonté qui est la tête de l'âme.Le sage dit que l'homme obéissant terrasse tous ses ennemis. Vir obediens loquetur victorias, ( Prov. xxi. 28). Oui, dit St.-Grégoire , les obéissant repoussent toutes les attaques de l'enfer, car leur obéissance les assujétissant aux hommes, elle les rend supérieurs aux démons qui se perdirent parleur désobéissance. Victores sunt qui obediunt quia dum volun-tatem aliis subjiciunt, ipsis lapsis per inobedientiam angelis do-minantur. (Lib. iv. in 1. Reg. c. 10 ). Cassien ajoute que lorsqu'une personne mortifie sa propre volonté, elle détruit en elle tous les vices, parce que tous les vices viennent de sa propre volonté. Mortificatione vo-" lunlatum marcescunl titia universa. Dieu promet à celui qui renonce à sa propre volonté de le détacher de la terre et de le rendre semblable à un esprit céleste. Si avertere fecerisvoluniatem tuam.. .suslollam te super altitudi-nem terrm(ïs. ivm. 13).St.-Laurent Gustianani ajoute qu'une âme qui sacrifie à Dieu sa volonté , lui est si
SANCTIFIEE.                                      Ì3l
chère qu'il lui accorde tout ce qu'elle lui demande. Qui se Deo tradidit, voluntatem propriam immolando, omne quod poposcerit consequetur.                                    "
III. St. -Augustin dit qu'Adam s'étant perdu et ayant perdu tout le' genre humain par sa désobéissance, le Fils de Dieu se fit homme dans le but de nous ap-prendre, parson exemple, l'obéissance. Dès son enfarice il commença à obéir à Marie et à Joseph , et il leur obéit pendant toute sa Vie, jusqu'à ce'qu'enfin, par obéissance, il mourut ignominieusement sur la croix: Factus obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. ( Phil. ii. 8. ) St.-Bernard dit de ceux qui sont déso-béissants : redimunt   se ne obcdiant ; non  ira  Christus. Ille siquidem dedit vitam, ne perderet obedientiam. (Έρ.ίχΙ.) Beaucoup de personnes se fatiguent pour s'exempter de f obéissance; le Rédempteur ne fît pas ainsi , il aima mieux perdre la vie que de perdre le mérite de l'obéis-sance.  Aussi sa divine more révéla à une de ses1 ser-vantes que Jésus-Christ mourut avec Un amour spé-cial pour les âmes obéissantes.
IV.  Le véii. P. de Leonardis , fondateur de l'ordre de la mère de Dieu, étant p>ié instamment par ses disciples d'écrire et dé leur donner des'règles, écrivit sftir un papier ce mot seul : Obéissance : voulant par là lteur apprendre ce que dit le P. Sertorius Càputo, qu'en religion, obéissance et sainteté sont une même chose, et qu'être obéissant c'est'être.taint. St.-Thomas nous enseigne que le voeu d'obéissance est celui qui consti-tué véritablement le religieux. D'après   cela,   Ste-ïhérèsé disait,   qu'une religieuse  désobéissante rie peut être appelée religieuse. A quoi sert une" religieuse qui ne sait pas obéir? Il y en a beaucoup qui connais-sent la littérature, qui font des vers, qui parlent plu-eieurs langues , qui sont versées dans l'histoire , mais
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qui ne savent pas obéir. Toute religieuse qui ne sait pas obéir ne sait rien.
V. Ste-Thérèse disait aussi que l'obéissance est le chemin le plus court pour parvenir à la perfection. On raconte dans les vies des saints Pères, qu'un d'en-tre eux vit un jour deux classes d'élus; la première contenait ceux qui , ayant quitté le monde, s'étaient retirés dans le désert pour s'y exercer aux pénitences et à la prière ; la seconde contenait ceux qui, pour l'a-mour de Jésus-Christ, s'étaient plies à l'obéissance, et avaient vécu soumis à la volonté des autres. Il vit en-suite que ceux-ci jouissaient d'une plus grande gloire que les ermites; car bien que ces derniers eussent plu à Dieu par leurs exercices pieux, ils n'avaient ja-mais fait que leur volonté; au lieu que les âmes obéis-santes avaient donné à Dieu leur volonté, ce qui est le sacrifice le plus agréable qu'on puisse lui faire. St.-Dorothéedit, en parlant de St.-Dosithée son disciple, qu'ayant une santé très-faible, qui ne lui permet-tait pas de pratiquer les exercices de la communauté, comme les autres, il se voua tout-à-fait à l'obéissance en se dépouillant entièrement de sa propre volonté. Il mourut dans l'espace de cinq ans. Après sa mort, le Seigneur révéla à l'abbé, que ce saint jeune homme avait obtenu la même récompense que St-.Paulermite et que St.-Antoine abbé. Les moines s'étonnèrent que Dositheo eût acquis tant de gloire, sans faire même ce que pratiquaient les autres. Dieu leur répondit que ce jeune homme avait été si bien récompensé à cause de son obéissance. St.-Jérôme dit : Majoris est meriti, injuncta refectio , jejunio propria deliberatione suscepto. ( L. vi. in ι. Reg. c. 2. ). Il est plus méritoire devant Dieu, de manger par obéissance, que de jeûner en suivant sa propre volonté. Marie révéla la même chose
SANCTIFIÉE.                                      l33
à Ste-Brigitte ( Rev. cap. 26. ) qui craignait de dé-clièoirdansla vertu, parce que son confesseur lui avait interdit ses pénitences ordinaires ; la divine Mère l'in-vita à obéir sans crainte, disant que ceux qui font pé-nitence ont une seule récompense, mais que celui qui cesse de se mortifier par obéissance , reçoit une récompense double, savoir : une d'abord pour les pé-nitences qu'il désirait faire, l'autre ensuite, pour l'obéissance qui les lui fait supprimer.
VI.  Le B. Joseph C&lasanze disait : qu'une reli-gieuse obéissante est la pierre précieuse du couvent. Oh! que toutes les religieuses ne sont-elles obéissantes! Tous les couvents seraient des Paradis de Jésus-Christ. De plus une religieuse toujours prompte à obéir, ac-quiert des mérites immenses , car en tout elle fait la volonté de Dieu, en quoi consiste tout notre mérite. Le plus grand bien que produise la vie religieuse, c'est de nous rendre propre à acquérir des trésors éternels en tout ce que nous faisons par obéissance. Les choses même de notre choix, quand nous les faisons par es-prit d'obéissance, nous font obtenir de grands méri-tes. St.-Louis dé Gonzague disait.: que la religion est un navire à voile, où même sans s'occuper de la ma-nœuvre, on fait toujours son chemin : Έη effet, la religieuse ne mérite pas seulement lorsqu'elle jeûne, lorsqu'elle dit l'office, ou qu'elle fait oraison, mais même lorsqu'elle reposé et s'abstient du travail par obéissance ; lorsqu'elle mange, qu'elle prend la ré-création , car faisant tout par obéissance , elle fait en tout la volonté de Dieu.  Oh ! combien vaut tout acte fait pour obéir à la volonté de ses supérieurs !
VII.  Si donc vous voulez,  ntà chère s'tJeùf, vous faire sainte, et en peu de tems, vouez-vous dès àpré-sent entièrement à l'obéissance ; dépouillez-vous de
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votre propre volonté, et tâchez de n'agir que pour obéir aux règles de l'ordre, à votre supérieure, quant aux exercices extérieurs ; et à votre père spirituel , quant aux choses de votre intérieur : voici la diffé-rence qui existe entre les religieuses parfaites et les im-parfaites. Celles-ci ne font avec joie que ce qui est de leur goût et de leur choix. Elles veulent bien remplir les emplois du couvent , parce que l'oisiveté ne leur ferait pas honneur; mais elles ne veulent que ceux où elles trouvent leur propre commodité et leur propre satisfaction. Elles agissent de même pour tout le reste. En somme, elles veulent devenir saintes, mais à leur manière et selon l'inspiration de leur amour propre. Le B. Calasanze disait : Celui qui en servant Dieu cherche d satisfaire les goûts ne sert que soi-même. Mais les religieuses qui aiment la perfection ne fout pas ainsi, elles ne refusent jamais de faire ce que l'obéissance leur impose; et elles ne veulent que ce que veut l'obéissance , faites de même et vous serez bien vite sainte. Tâchez de faire tout ce que vous fai-tes par obéissance et vous ne craindrez pas de bron-cher. Les marchands font assurer les marchandises, pour que leur gain soit certain; ainsi, pour vous as-.surer des trésors dans le ciel, cherchez dans toutes VQS œuvres la garantie de l'obéissance > en les sou-mettant, à vos supérieures, sans quoi vos œuvres pour-ront vous devenir nuisibles ou du moins inutile?. St.-Anselme étant Archevêque de Cantuaria , et n'ayant pas de supérieurs, se fit assigner pour supérieur , par le Pape, un de ses chapelains, à qui il obéit toujours. C'est surtout à vous d'obéic, qui êtes religieuses et qui vous êtes consacrées à l'obéissance.
SANCTIFIÉE.                                        «35
PRIERE.
Ο mon Jésus, pour me sauver , vous avez été obéis-sant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la Croix; et moi, ingrate, pour ne pas me priver de quelque mi-sérable et vile satisfaction, je vous ai manqué de res-pect et d'obéissance. Seigneur, attendez-moi, ne m'a-bandonnez pas encore ! Je me repends de tout mon cceiir des chagrins que je vous ai causés, je vois que j'ai trop long-temps abusé de votre patience,et que je ne mériterais pas votre pardon. Mais vous ne m'avez supportée jusqu'à présent, qu'afin que je me conver-tisse un jour et que je me donnasse toute à vous ; je crois que cet heureux moment est enfin arrivé. J'en-tends votre voix qui m'invite à vous aimer, je ne veux plus y résister. Me voilà, je me livre à vous ; ne me rejetez pas, dites-moi ce qu'il faut.que je fasse pour vous plaire; rien ne me paraîtra difficile, je vous promets de ne plus manquer à l'avenir à l'obéissance que je dois à mes supérieures. Je vous aime, ô Jésus, et parce que je vous aime, je veux faire tout mon possi-ble pour vous plaire ; donnez-moi les secours néces-saires pour tenir ma promesse. Attirez-moi, et unis-sez-moi toujours de plus en plus à votre amour. Père éternel, je vous offre la passion de votre fils, et je vous prie par elle, de m'accorder toutes les grâces dont j'ai besoin pour me rendre sainte , et telle que vous voulez que je sois. Ο marie, ma mère et mon espé-rance , priez votre divin fils pour moi, afin que je ne sois pas à moi, mais toute à lui et toujours à lui.
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S· ΙΠ·
De l'obéissance due eux supérieurs.
I.   Le moyen  principal et le plus efficace pour obéir à ses supérieurs avec mérite, et comme il faut, c'est de penser qu'en leur obéissant, on obéit à Dieu lui-même, et qu'en négligeant de leur obéir, on dé-sobéit au divin Maître qui a dit, en parlant des supé-rieurs : Qui vos audit, me audit ; et qui vos spernit, me sper-nit. ( Luc. x. 16. ) Celui qui vous écoute m'écoute, et celui qui vous inéprise me méprise. Aussi l'apôtre dit à ses disciples : Non servientes quasi hominibus placentes ted ut servi Christi facientes voluntatem Dei. ( Eph. 6.) Ne servez point comme pour plàrre uniquement aux hommes, mais comme de vrais serviteur scie  Jésus-Christ, pour faire la volonté de Dieu. Lorsqu'il est im-posé à une religieuse, par son confesseur ou par sa supérieure, de faire quelque acte d'obéissance,elle né doit pas le faire seulement pour plaire aux hommes, mais principalement pour plaire à Dieu qui lui révèle sa volonté par leur bouche. Elle est plus sûre alors de faire la volonté de Dieu que si un ange descen-cendait du Ciel pour l'en  instruire. Aussi St.-Paul écrivit aux Galà'.es ( cap. i. v. 8. ) que si un ange ve-nait du ciel pour leur dire des choses contraires à cel-les qu'il leur enseignait, ils ne devaient pas le croire.
II.  St.-Bernard dit : Deusprœlator sibi (Square digna-tur. Sibimet imputât  illorum reverentiam et contemtum; obedientia qum majoribus prcebelur, Deo exhibetur ; ipsum enim dixit : Qui vos audit, me audit ; et qui vos spernit me spernit. (L. m. 2. disp. et prae.) Dieu pour notre sûreté
BASCTIFIÌE.                                       l37
et notre profit daigne égaler nos supérieurs à lui-même! et le respect ou le mépris envers eux sont comme s'ils étaient adressés à lui. Ainsi donc, ô ma sœur, rappelez-vous ce point important, que l'obéis-sance que vous accordez à vos supérieures, vous l'ac-cordez à Dieu même. Dites-moi, si Jésus en personne vous imposait quelque emploi ou quelques fonctions particulières, chercheriez-vous à vous excuser, et lui refuscriez-vous cette obéissance, ou même tarderiez -vous à vous y soumettre? Or, voici précisément ce qu'ajoute S.-Bernard : Sive Deus, sive homo vicarius Dei mandatum tradiderit, pari profecto obsequendutn est cura. (Ib. ) Si Dieu, ou l'homme qui tient la place de Dieu, vous a donné quelque ordre, vous devez l'exé-cuter avec la même diligence. St.-Jean Climaque ra-eonte( Grad. A.'Jque le supérieur d'un couvent étant à table, appela un vieux moine de quatre-vingts ans, et, pour l'exemple des autres, le fit rester debout pen-dant deux heures entières. On demanda au vieillard comment il avait pu endurer cette mortification ; il répondit : Je me figurai que j'étais devant Jésus-Christ, et qu'il m'imposait cette humiliation; ainsi je n'eus aucune idée de désobéissance.
III. Dieu veut que pour augmenter nos mérites dans cette vie, nous opérions par la voie de la foi; c'est pour cela qu'il ne nous parle pas par lui-même , mais qu'il nous révèle sa volonté par le moyen de nos supérieurs. Quand Jésus-Christ apparut à St.-Paul et le convertit, il pouvait lui dire ce qu'il voulait de lui, mais il lui dit seulement : Ingredere civitatem et ibi dicetur tihi quid te operteat facere?{ Act. ix. 7.)Entre dans »a ville , va trouver Ananie et il te dira ce que tu dois faire. C'est pour cela, disait le B. Égide, qu'on mérite davantage en obéissant aux hommes par amour pour
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Dieu qu'en obéissant à Dieu même. En outre , nous sommes plus certains de faire la volonté de Dieu, en obéissant à nos supérieurs, que si Jésus-Christ en personne venait nous parler ; car alors nous ne serions pas sûrs si c'est bien là Jésus-Christ, ou si ce n'est pas quelque malin esprit qui a revêtu sa figure pour nous tromper, tandis que, lorsque c'est notre supé-rieur qui nous parle, nous sommes certains qu'en lui obéissant, nous obéissons à Jésus-Christ, comme il l'a dit lui-même : Qui vos audit me audit. Quand même il serait douteux si la chose commandée par l'obéissance est bonne ou mauvaise, la religieuse, disent commu-nément les théologiens et les maîtres de la vie spiri-tuelle , doit obéir, et, en obéissant, elle est sûre de ne pas pécher et de plaire à Dieu. St.-Bernard dit : Quicquid vice Deipreecipit homo, quod non sit tamen cer-tavi displicere Deo, haud secus omnino accipiendum est quam si praecipiat Deus. ( Lib. m. de disp. ) Ce qu'or-donnent les hommes, pourvu qu'il soit certain que ce n'est pas une chose qui déplaît à Dieu, doit être fait comme si c'était Dieu même qui l'eût ordonné.
IV. Les religieux seront donc punis, au jour du ju-gement, de leurs désobéissances. Mais les œuvres qu'ils auront faites par obéissance , comme dit St.-Philippe de Néri, ils sont sûrs de n'en pas rendre compte, ce compte sera demandé seulement aux supérieurs qui les auront ordonnées. Le Seigneur dit un jour à Ste.-Catherine de sienne : La religieuse n'est pas obligée d me rendre compte de ce qu'elle a fait par obéissance ; ce compte je l'exigerai Je sa supérieure. Aussi , l'Apôtre a dit : Ο bedite praepositis vestris , et subjacete eh ; ipsi enim pervigilant quasirationem pro animabus veitris reddituri, ut cum gaudio hoc faciant, et non gementes; hoc enim expedit vobis. ( Heb. xiii. 17. ) Obéissez à vos supérieurs qui
SANCTIFIEE.                               «3g
vous surveillent comme devant rendre compte pour vos âmes. De sorte que vous, ôépouse du Seigneur, lorsqu'après votre mort , Jésus-Christ vous de-mandera pourquoi vous avez négligé de faire plus de pénitences , plus d'Oraisons , pourquoi vous avez fait telle ou telle action ; si, en tout' cela vous n'avez fait qu'obéir à vos supérieures, vous pourrez ré-pondre : Parce que vous m'avez ordonné de le faire , puisque vous m'avez dit qu'en obéissant à mes supé-rieurs, j'obéissais à vous-même. Ce n'est donc pas à moi que vous devez demander POTJBQUOI , mais à mes supérieures, dont j'ai suivi les ordres.
V. Il faut ici faire attention à ce qu'ajoute St.-Paul: Ut cum gaudio hoc faciant et non gementes. Ce qui signi-fie que la religieuse doit obéir sur-le-champ sans ré-pliquer , sans se plaindre et sans faire souffrir ses su-périeures. Oh ! combien les supérieurs souffrent, lors-que leurs inférieurs résistent à l'obéissance par des excuses, par des prétextes colorés , par des lamenta-tions et quelquefois même par des murmures? Que ne souffrent pas les pauvres abbesses, quand elles font la distribution des divers emplois ! D'un côté elles sont tourmentées par leurs scrupules, craignant que le respect humain ou l'appréhension de fâcher quelque religieuse ne les pousse à Iuf assigner quelqu'emploi auquel n'est pas propre celle qui le désire, et d'un au-ire côté elles gémissent de voir que, la distribution faite, l'une se plaint, l'autre s'excuse, celle-ci murmure, celle-là refuse positivement. De là vient que la supé-rieure répartit les fonctions, non selon la raison et le bien delà communauté, mais selon la prudence hu-maine, qui peut-être lui servira d'excuse pour avoir* agi ainsi, afin d'évifer un plus grand mal ; mais
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moins ses inférieures ne seront pas excusées pour avoir exercé ces emplois de leur choix par caprice et non par obéissance. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Obéissez et assujettissez-vous à ce qu'exige l'obéissance, afin que les supérieures ne gémissent pas en distribuant les charges du couvent, et puis il ajoute : Hoc enim expe-dit vobis. Car il est avantageux pour le bien de vous autres inférieures, que tout se fasse avec ordre afin que vous puissiez vous avancer dans la vie spirituelle.
VI. N'est-ce pas un grand désordre de voir certai-nes religieuses commander à leuis supérieures et leur désigner les emplois qu'elles doivent leur donner ? St.-Bernard considérant ce que dit Jésus à l'aveugle de Jéricho -.Quid vis ut tibi faciam? ( Luc. χνίπ. 41. ) Que veux-tu que je fasse pour toi? reprend cet aveu-gle : Vert cœcus quia non ewclamwoit : Absit Domine ; tu magis dic quid me facere relis. Il est vraiment aveugle, dit le Saint, car il aurait dû répondre : Non Seigneur> vous ne devez pas faire ce que je veux; mais dites-moi plutôt ce que je dois faire pour vous. Appliquons à nous-mêmes ce que dit St.-Bernard. Il y a quelques religieuses à qui l'abbesse est obligée de demander quelle fonction elles veulent remplir, mais il en est autrement des bonnes religieuses. Quand la supé-rieure leur demande quel emploi elles préfèrent, elles répondent : non, ma Mère, ce n'est pas à moi de vous dire ce que je veux faire, c'est à vous de m'ordonner ce que vous voulez que je fa?se.
VII. Si vous voulez donc, ô ma sœur, être vrai-ment obéissante et bonne religieuse : 1° Regardez vos supérieures comme les vicaires de Jésus-Christ et por-tez-leur un respect et un amour sans bornes, non pas afin d'être distinguée et préférée par eux, ou pour ne pas en être réprimandée , mais uniquement   pour
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plaire à Dieu. Vous devez obéir, non-seulement au prélat, à l'abbesse, mais encore à toutes les officières du couvent auxquelles la règle prescrit l'obéissance ; comme à l'infirmière, à la réfectorière, à la sacristine. Car, lorsqu'on obéit à l'abbesse, on peut le faire par un sentiment de respect humain, au lieu qu'en obéis-sant aux autres officières on fait preuve d'un véritable esprit d'humilité et de subordination. St.-Françoi» d'Assise remerciait surtout le Seigneur de lui avoir accordé la grâce de savoir se soumettre aux erdres du moindre novice, dans les choses où il lui aurait été désigné comme supérieur; il disait que moins le supé-rieur a d'autorité, moins il est orné de mérite et de bonnes qualités, plus nous méritons, en lui obéissant, car alors,nous n'obéissons que pour plaire à Dieu.
VIII. 2° Ne recherchez jamais la compagnie des sœurs imparfaites et qui aiment peu l'obéissance. 3° Recevez humblement les corrections et laissez à la supérieure la liberté de vous reprendre, toutes les foi» qu'il le faut. Ne soyez pas de ces religieuses qui se soulèvent au moindre avertissement qu'on leur donne; de sorte que, pour le plus petit avis, la supérieure à besoin de faire attention à elle, et d'attendre même quelquefois plusieurs mois avant de trouver l'occasion favorable de le leur faire recevoir, sans les exposer à lui manquer de respect, et à mettre tout le couvent en rumeur. Mais malheur à ces religieuses avec qui les supérieures doivent prendre tant de ménagement pour leur donner des avis. C'est là la marque d'un esprit très-imparfait. Ιχ" Quand vous recevez quelque correction, que ce soit avec humilité et sans chercher d'excuse ; et, quand même la chose se serait passée autrement que la supérieure ne pense, n'en parlez que lorsqu'elle vous en demandera les détails.  Du
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resle, nous parlerons de ceci plus tard et plus au long.
IX. 5° Chassez de votre cœur toute pensée et tout soupçon contre votre supérieure. absolument comme vous chassez les pensées contraires à la chasteté , c'est-à-dire, sans raisonner avec elles. Et quand vos compagnes parlent de ses défauts apparents, tâchez de les couvrir autant que vous le pourrez. Qu'il est scandaleux de voir par fois certaines religieuses, qui, au lieu de vénérer leur supérieure, vont épiant tou-tes ses actions, toutes ses paroles pour les discréditer et la tourner en ridicule ! Si le défaut était trop évi-dent et inexcusable : par exemple si l'abbesse était impatiente avec toutes les religieuses, soyez convain-cue que Dieu lui laisse ce défaut, non pour votre tourment , mais pour votre profit. Ste.-Gertrude priait un jour le Seigneur de délivrer son abbesse du défaut d'impatience, Dieu lui répondit qu'il permet-tait ce vice de l'abbesse, pour son bien et pour celui de ses compagnes, afin de les rendre plus humbles , et de leur faire obtenir plus de mérite. St.-Bernard nous dit : In quantum gravaris in tantum lucraris. Plus est lourd le fardeau que tu portes, plus est grand le mérite que tu acquiers. St.-Grégoire ajoute.que quand même la vie de nos supérieurs ne serait pas digne d'é-loge, nous devons toujours respecter leur rang. Ma-jorum imperia tunc etiam veneranda sunt, cum ipsi laudabi-lem non habeant vitam. ( In. ι. Reg. 2. ) Jésus-Christ l'a-vait dit, le premier, des supérieurs qui donnent un mauvais exemple: Omnia evgo quacumque dixerint vobis servate et facite ; secundum opera vero eorum nolite facere. (jMatt. 23. 3.) Faites tout ce qu'ils vous diront mais ne vous réglez point sur leur actions.
Χ.. Qu'elle est admirable cette règle de St.-François
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de Sales, qui ordonne de ne jamais rien demander , de fie jamais rien refuser. Du reste, choisissez de préfé-rence parmi les emplois du  monastère le moins ho-norable et le plus incommode ; la raison en est, qu'il y a peu de religieuses qui amassent beaucoup de méri-tes dans l'exercice de leur fonctions , qu'il y en a peu qui les remplissenl avec l'intention pure  d'obéir et d'être plus agréable à Dieu.  Les religieuses impar-faites ne considèrent dans leurs emplois que la peine qu'elles endurent, ou les avantages qu'elles y trouvent, mais les religieuses parfaites ne veulent que plaire à Dieu, et pour cela elles ne cherchent pas leurs com-modités, au contraire, elles embrassent avec joie les peines et les fatigues qui s'y rencontrent. Tâchez d'ê-tre du nombre de ces dernières. Ne croyez pas que Dieu admettra l'excuse que vous avez refusé cet em-ploi dans la crainte d'y commettre des fautes. Soyez convaincue qu'en vous faisant religieuse,  vous vous êtes engagée à servir le couvent. Si la crainte de com-mettre des péchés dans vos emplois était une excuse valable pour vous, elle le serait pour toutes les reli-gieuses. Qui donc,, alors, servirait le monastère et maintiendrait la communauté ? Ayez la bonne inten-tion de plaire à Dieu et Dieu vous aidera.
XI. En entrant donc, dans l'emploi qui vous est assigné, apportez-y l'esprit d'obéissance; ne vous lais-sez pas dominer par votre goût; n'y cherchez ni votre commodité ni votre estime, mais seulement l'obliga-tion où vous êtes d'obéir. Entrez-y encore avec une sainte confiance, sans prêter l'oreille au démon qui peut être vous dit que vous ne pourrez pas garder long-tems cet emploi; si vous avez foi en l'obéis-sance , le Seigneur vous donnera les forces qui vous manquent pour le remplir. N'allez pas vous imaginer
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non plus, que votre emploi vous fera perdre l'esprit de recueillement, lorsque vous l'exercerez par obéis-sance* Sachez que Dieu vous fera alors plus de grâce en un quart-d'heure d'oraison, que dans un autre temps en dix jours de retraite. Tâchez cependant, en remplissant vos devoirs, de trouver toujours le temps, quoiqu'il ne soit pas considérable, de vous recueillir dans l'oraison. Ne dites pas que votre emploi absorbe tous vos momens ; les religieuses actives et désireuses de l'oraison, savent trouver le temps pour l'un et pour l'autre. Ne vous chargez pas pour cela sans nécessité, comme font quelques-unes, de trop d'occupations, au point de ne pouvoir pas trouver un instant pour vous recueillir devant Dieu. Soyez attentive ensuite dans les fonctions de votre office, à être impartiale pour vos amies et surtout pour vous-même, n'abusant pas de votre position peur vous procurer des commodités que n'ont pas les autres.
XII. Il est à remarquer aussi que l'obéissance et même la perfection de l'obéissance n'empêche pas la religieuse d'exposçr à la supérieure les raisons qui s'opposent à ce qu'elle remplisse tel ou tel em-ploi, par exemple une maladie, un incapacité abso-lue ou tout autre empêchement ; car enfin la supé-rieure est une femme et non un ange, elle doit être avertie de ce qu'elle ne sait pas. Mais en ceci, il faut faire attention à deux choses bien importantes. D'a-bord » il ne faut pas lui rappeler ce qu'elle connaît déjà , car il est à croire qu'elle y a songé, et il n'est pas nécessaire qu'on lui en parle encore. En second lieu, après avoir exposé ses raisons, la religieuse doit se soumettre en paix à ce qu'ordonnera la supérieure, et cette résignation doit être visible et extérieure, afin que la supérieure n'ait pas de trouble et que l'autre
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donne le bon'exemple. Il est nécessaire pour cela que la religieuse, avant d'exposer ses excuses, se iigure que malgré ses raisons la supérieure tiendra à sa décision, et par là, eu y allant, elle sera toute prête à exécuter sans réplique ce qui lui sera imposé.
XIII. Ce n'est pas non plus un défaut, mais bien un acte de vertu, d'avoir un soin raisonnable de sa santé, quand c'est pour mieux servir Dieu. Mais c'est un défaut de s'en tourmenter, car alors l'amour pro-pre pourrait bien faire prendre pour nécessité ce qui ne l'est pas. St.-Bernard dit que certains religieux sont plutôt les disciples d'Hippoerate et de Galien que de Jésus-Christ : Puta quœso, dit-il, monachum esse, non. medicum. (■ Serm. xxx. in  cant. ) et puis il ajoute : Parce quietïtuœ. C'est-à-direqu'il vaut mieux pour vo-tre tranquillité, suivre la règle commune que de se singulariser par ce qui n'est pas nécessaire I Parce la-bori ministrantium ; tâchez  d'épargner la fatigue aux officières comme à la réfectorière, à la cuisinière, et ne les obligez pas à faire quelque chose exprès pour vous. Parce gravamini Domûs; épargnez au couvent des dépenses inutiles. St.-Basile exhortait les religieux à se conformer autant que possible à la règle commune; oh ! que cela est bien plus méritoire que les jeûnes, les disciplines, les cilices, et d'ailleurs que d'être difficile pour la nourriture. Les exceptions à la règle ont été cause du relâchement dans beaucoup de couvents. Ne vous faites pas de scrupules par la crainte de dé-truire votre santé, en mangeant des mets ordinaires ; car les docteurs disent communément, que bien qu'il ne soit pas pas permis d'abréger ses jours, unique-ment pour mourir plutôt, il est cependant bien per-mis d'éviter toute singularité, même lorsqu'elle pour-
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rait prolonger notre vie; c'est donc un acte de vertu, lorsqu'on agit ainsi pour sa propre utilité et pour l'é-diticatien des autres. St.-François d'Assises, lorsqu'on fit le célèbre chapitre appelé des Nattes, vit les dé-mons qui en faisaient un autre , disant que le meil-leur moyen de perdre les couvents, était d'y admettre des jeunes gens nobl.ee et délicats, parce qu'ils se trai-teraient sans rigueur, que peu à peu ils se relâche-raient et finiraient par faire perdre cet esprit de ferveur qui régnait alors. Les démons avaient raison. Prenez donc garde de ne pas mettre en doute le salut de votre âme en voulant soigner votre corps. Songez que si les saints avaient été aussi difficiles que vous, pour con-server leur santé, ils n'auraient jamais été saints.
PRIÈRE.
Monbien-aimé maître; vous êtes ta beauté même, la bonté même, et l'amour même; comment pour-rais-jo aimer quelque chose hors de vous? Insensée ! Je vous ai causé tant de déplaisirs dans le passé ! J'ai eu tort. Je m'en repends amèrement, je voudrais en mourir de douleur. Mon Dieu, ayez pitié de moil Mi-séricorde, Seigneur ! Mon Jésus, miséricorde ! Voilà le cri de mon âme : Miséricorde, mon Jésus; mon Jé-sus miséricorde! Mais si, par le passé, j'ai méprisé vo-tre amour, maintenant je le préfère à tous les biens du monde. Vous êtes et serez toujours l'unique objet de mon amour. Mon Jésus, mon amour, j'abandonne tout ; je ne veux que vous. Maintenant, je vous dis et j'entends vous répéter tous les instants de ma vie : Mon Dieu, je ne veux que vous et rien que vous. Mais aidez-moi à vous être fidèle. Ne faites pas attention à
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mes péchés : faites attention uniquement à l'amour dont vous m'avez aimée, en mourant pour moi sur la croix. Je fonde tout mon espoir dans les mérites de votre passion. Je vous aime, ô bonté infinie, je vous aime, mon bien suprême ; et je ne vous demande que la grâce de vous aimer; mais de vous aimer avec ar-deur et de n'aimer à Fa venir que vous seul, mon tré-sor et mon tout. Mon Jésus, je vous consacre ma vo-lonté, purifiez-la; je vous donne mon corps , conser-vez-le; je vous donne mon âme, faîtes qu'elle soit toute à vous. Consumez de votre céleste feu comme , des herbes arides, tous les vils sentiments qui usurpent dans mon cœur la place de votre amour. Ο Marie , ô ma grande avocate, je mets toute ma confiance, d'a-bord dans le mérite de votre fils, et puis dans votre intercession.
De l'obéissance due aux règle*.
1* St.-François de Sales disait : La prédestination des religieuses dépend de l'observation de leurs règles. St.-Madeleine de Pazzi, ajoutait que l'observation de la règle est le plus court chemin du salut éternel et de la sainteté. En effet, le seul moyen qu'aient les reli-gieuses de se faire saintes et de se sauver, c'est d'ob-server les règles ; toute autre voie pour elles ne les mè-nerait pas droit au but. De sorte que la religieuse qui transgresse habituellement quelqu'une des règles, quelque petite qu'elle soit, n'avancera jamais d'un pas dans la perfection, lors même qu'elle ferait beau-coup de pénitences, d'oraisons et autres œuvres pieu-ses. Elle se fatiguera, mais sans fruits, vérifiant en
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elle-même ce que dit le St.-Esprit : Disiplinam qui abjicit infelix est, et vacua est spes illorum et labo-res sine fructu. Ceux qui ne tiennent aucun compte de la discipline, c'est-à-dire, des règles du monastère, sont ma lheureux, et c'est en vain qu'ils mettent leur con-fiance dans leurs fatigues, car elles ne porteront jamais de fruit. Mais quelle folie dit Ste-Thérèse; nous n'ob-servons pas, dit-elle dans ses sentences, certaines cho-ses faciles de la règle, telles que le silence, qui ne nous fait pas de mal, et nous inventons des pénitences nou-velles, pour ne faire ensuite ni l'un ni l'autre! Le moindre mal, pour une telle religieuse, sera de ne pas avancer dans la perfection, mais le pire, dit St.-Ber-nard, sera qu'à force d'enfreindre les règles légères il lui deviendra impossible d'observer les règles les*plus importantes et qui se lient à l'observation des voeux.
II.  Qu'il est douloureux de voir certaines religieu-ses, après avoir été si bien formées et si bien instruites, pendant leur noviciat, dans l'observation des règles , les enfreindre après la profession , comme si, après s'être consacrées à Jésus-Christ, elles n'y'étaient plus obligées I Un saint auteur dit : Melius est digitum esse et tsse in corpore , quam esse oculum et evelli de corpore. II vaut mieux être le doigt et tenir au corps de la com-munauté que d'être l'œil et en être séparée ; l'œil sé-paré du corps n'est qu'un peu de pourriture. Ainsi, cette œuvre qui en apparence semble vertueuse, mais qui n'est pas conforme aux règles, ne plaira pas à Dieu ,et loin d'aider à atteindre à la perfection, y met-tra obstacle. Car ces dévotions et exercices qui s'oppo-sent à la règle, comme dit St.-Augustin, sont des pas laits hors du bon chemin, et des écarts de l'esprit.
III.  Ο ma sœur, vous avez quitté le monde pour vous faire sainte, et vous ne voyez pas que, pour ne
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pas pouvoir vous vaincre en certaines choses, non-seulement vous ne vons faites pas sainte, mais vous vous mettez en danger de vous perdre. St.-Césaire dit: Ad relinquendos dulces affectus forttssimi fuimus, et nunc ad ileclinandas negligentias infirmi sumus ! ( Hom. 8. ) Nous avons eu le courage de renoncera nos parents, à nos biens, aux plaisirs du monde, et maintenant nous n'a-vons pas la force d'observer ponctuellement la règle ? Cassien'rapporte( Lib. vu. inst. c. 19.)que St.-Basile, voyant un moine qui avait quitté sa dignité de Sénateur pour entrer en religion, et qui ensuite n'observait pas la règle , lui dit : Senatorem perdidisti et monachum non fe-cisti. Malheureux qu'as-tu fait? Tu as perdu ton titre de sénateur pour l'état de moine, et tu n'es mainte-nant pas même moine. Tertullien fait le même re-proche. Si veram pules secuti libertatem, rediisti in servitu-tem , et amisisti libertatem Christi. ( De cor. mil. ) Comme s'il eût voulu dire : Ο religieuse! vous vous êtes affranchie de l'esclavage du monde pour acquérir la liberté de Jésus-Christ, en vous dépouillant des af-fections aux créatures , ( chaînes malheureuses qui tiennent tant de pauvres Smes dans la servitude du monde ) et que faites vous maintenant ? Si vous re-gardez la liberté du sciècle comme là vraie liberté, vous êtes esclave de nouveau, et vous avez perdu la liberté des enfans de Dieu, que Jésus vous a procurée. IV. Quelques religieuses s'excusent en disant que les règles qu'elles transgressent sont de peu d'impor-tance. Je réponds premièrement qu'aucune règle ne doit être regardée comme de peu d'importance. Il faut les regarder toutes comme très-importantes, parce qu'elles ont été toutes dictées par Dieu, et ap-prouvées par l'église, comme des moyens de la per-fection religieuse à laquelle doivent aspirer toutes les
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âmes consacrées à Dieu, et parce que la violation d'une règle, quelque petite qu'elle soit, met le désor-dre dans la discipline régulière et dans la commu-nauté. La ferveur ne règne que dans les couvents où l'on observe toutes les règles ; dans ceux où elles sont négligées, l'esprit de religion a déjà disparu ou bien peu à peu il s'éteindra et disparaîtra tout-à-fait. Le père Sangiure rapporte (Erar. torn. iv. c. 5. ) que le père Oviédo étant à la tête du collège de la compagnie de Jésus , à Naples, exigeait la stricte observation des moindres règles; mais le P. Bobadilla prétendit qu'il ne fallait pas assujétir les élèves à de telles minuties et fut cause qu'on commença à se relâcher de l'anti-que rigueur. 11 ne tarda pas à s'apercevoir de son er-reur ; car les élèves, abusant d'une si grande liberté, perdirent l'esprit d'ordre et finirent par sortir de la compagnie. St.-Ignace ayant été informé de cet évé-nement, ordonna qu'on observât strictement toute les règles, et depuis lors la discipline fut rétablie.
V. Les religieuses tièdes et négligentes ne tiennent pas compte des clioses légères; mais le démon en tient bien compte pour elles. Cet ennemi de tout bien tient ure note très-exacte de ioutes leurs transgressions à la règle, afin d'être un jour leur accusateur au tribunal de Jésus-Christ. St.-Hichard, religieux, s'étant fait cou-per les cheveux hors du temps prescrit, vit le démon qui ramassait tous ces cheveux par terre, et les comp-tait un à un : ( Ap. Surium xm. sept. ) Ste.-Gertrude vit également le démon qui recueillait tous les bouts de laines qu'elle laissait tomber contre son vœu de pauvreté, et toutes les syllabes omises dans la réci-tation de l'office, par trop grande précipitation. Le B. Denis-le-Chartreux raconte encore que le démon se montra à une religieuse, ayant à la main une aiguille
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et un fil de soie qu'elle avait pris sans permission. C'est ainsi que le démon prend note de toutes les pa-roles dites dans les lieux et dans les moments consa-crés au silence, de tous les coups-d'œil curieux, et de toutes les autres transgressions à la règle que font les religieuses négligentes. Voilà pourquoi ces mal-heureuses sont toujours dans l'avidité et dans la tié-deur, pendant l'oraison, dans la communion et dans tous les exercices pieux. Ste.-Gertrude, pour un re-gard de curiosité sur une sœur, contre l'inspiration qu'elle avait eue de ne pas la regarder, éprouva, en punition de sa faute, onze jours d'avidité. Qui sème peu, recueille peu '.Qui parce seminat parce et metei. ( II. cor. îx. 6. ) Comment le Seigneur serait-il pro-digue de ses grâces et de ses consolations avec les re-ligieuses si négligentes dans son service ! Dieu leur avait peut-être préparé une grande grâce, si elles avaient été fidèles à observer telle ou telle règle; mais, à cause de leur négligence, il les en a justement pri-vées. Le B. Égide disait : Par une petite négligence , on peut perdre une grande grâce.
VI. St.-Bonaventure s'écrie : Multi pro Christo op-tant mort qui pro Christo nolunt levia pnti. Beaucoup dé-sirent donner leur vie pour Jésus-Christ, et puis il ne peuvent souffrir la moindre peine pour observer une règle facile ! Alors, dit le Saint, si on vous imposait une tâche difficile et fatigante, vous seriez plus excu-sables; mais en refusant de faire une chose aisée, quelle excuse pourrez-vous alléguer ? Pins l'observance est légère et facile ! plus une religieuse se montre défec-tueuse quand elle y manque , car elle prouve par là qu'elle est très-attachée à sa propre volonté. Mais Dieu veuille, comme je l'ai déjà dit, que cette reli-gieuse, faisant peu d'attention aux petites règles, n'ar-
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rive un jour à faire peu de cas de ses vœux, el de se perdre ainsi misérablement; Qui dissipat sepem morde-bit tum coluber. ( Ecc. χ. 8. ) Qui renverse la haie des règles est en grand danger de recevoir quelque mor-sure venimeuse du serpent. Quand une religieuse, ja-dis exemplaire, tombe dans un précipice; vous croyez peut-être que le démon l'a jetée à bas d'un seul coup ; non certainement, d'abord il l'a induite à transgres-ser les règles, à ne pas faire attention aux petites choses, et ensuite il l'a fait tomber en des fautes graves.
VII. Quelques religieuses s'excusent en disant que la règle n'oblige pas sous peine de péché. C'est là une grande erreur dont nous avons parlé chapitre IV, n* 5. Car, bien que la règle n'oblige pas sous peine de péché, cependant les docteurs disent communé-ment que la moindre infraction à la règle, sans ex-cuse valable , est au moins un péché véniel. St.-Thomas nous a dit déjà la même chose (n. 2. Qu. CLXXXVI. a. ix. ad. 1. ) Transgressio aliorum ( hors des vœux ) obligat solum ad peccatum veniale. J'ai dit : pour le moins c'est un péché véniel, parce que si la transgres-sion cause un grand scandale ou un grand dommage à la communauté, comme de troubler habituellement le silence général, d'entrer dans les cellules de ses compagnes, de manquer sous leurs yeux aux jeûnes réguliers, etc., elle pourrait devenir péché grave. Mais il est hors de doute, c'est un péché véniel. 1" Parce qu'une religieuse qui enfreint la règle quitte les moyens de sanctification à laquelle elle es! obligée de tendre sans cesse. 2* Parce qu'elle est infidèle à la promesse qu'elle a faite à Dieu , dans sa profession , d'observer les règles, et que, parson mauvais exemple, elle trouble le bon ordre de la communauté. 3* En-
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fin, et c'est ici le motif le plus sûr , parce qu'en transgressant telle règle que ce soit, elle agit d'après son amour-propre, et non d'après la volonté de Dieu. Cette transgression n'est certainement pas une œu-vre de vertu. On ne peut pas dire non plus que c'est une action indifférente. Comment nommer action indifférente celle qui est faite par propre inclination, qui donne mauvais exemple et qui trouble l'ordre et la discipline du couvent? Donc si elle n'est ni bonne ni indifférente, certainement elle est mauvaise. Si quelqu'une disait : II me suffit que ce ne soit pas un péché mortel! je lui déclare qu'elle est dans un état très-dangereux; si elle n'est pas morte, elle est ago-nisante; cette malheureuse est consumée d'une fiè-vre lente, qui, avec le temps, la conduira à la mort. ( Relisez le N° 3 du chap. vi. )
VIII. Quelques religieuses s'excusent en disant qu'elles sont anciennes, et qu'elles ne peuvent vivre avec cette rigueur qui est d'obligation pour les jeunes. On répond que toute religieuse , jeune ou vieille , se nuit à elle-même et nuit aux autres en transgressant les règles. St.-Pierre Chrisologue dit qu'un arbre qui ne porte pas de fruit, nuit par son ombre à lui-même et aux arbres fruitiers qui l'entourent. Infecunda arbor, dum fundit umbram, inimica non sibi toti sed etian palmi-tibus fit fœcundis. ( Chr. serm. cvi. ) Cela s'applique à toute religieuse qui donne mauvais exemple par l'i-nobservation des règles. Mais il faut encore marquer que les religieuses anciennes sont plus obligées à cette parfaite observance que les nouvelles; premièrement, parce qu'elles sont dans L· religion depuis un plus grand nombre d'années ; celui qui a plus étudié doit Être plus savant; ainsi, la religieuse qui a passé plus
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de temps à étudier Jésus-Christ, doit être plus avan-cée dans la science des Saints, c'est-à-dire dans la perfection de l'esprit de soumission. Ensuite, parce que l'exemple des plus anciennes a plus de force pour insinuer aux nouvelles l'observance ou l'inobservance des règles. Les .anciennes sont les flambeaux qui éclairent le couvent. Elles sont les colonnes qui sour tiennent l'observance et attirent les jeunes à leur prêter appui ; car, si celles-ci voient que les ancien-nes en font peu de cas, elles en feront peu de cas .aussi. Généralement parlant, le relâchement vient de la négligence des anciennes religieuses plutôt que des nouvelles, car ce sont elles qui en ont donné l'exemple. Que servira aux anciennes de crier et d'ex-hortei· par paroles les nouvelles à l'observance des règles, si, par le fait de leurs mauvais exemples, elles insinuent le contraire. Cil ids , dit St.-Ambroise, per-suadent oculi quam aiire?. ( Serm. 76. ) Les exemples qu'on vous met sous les yeux sont plus persuasifs que les avertissements qu'on vous prêche aux oreilles.
IX. Comment les jeunes religieuses seraient-elles bien formées à suivre la règle, quand celles qui les instruisent la détruisent par leurs mauvais exemples! Nemo inde strui potest unde désir uxUr , dit Tertullien , ( De praescr. ) quand le tyran commanda à Eléazard, d'enfreindre la loi qui défendait aux Juifs de manger de la chair de porc, ses amis, ayant pitié de ses 90 ans, le prièrent de feindre au moins d'en manger, pour échapper à la mort; mais, le saint vieillard leur répondit sagement : Prœmitli se velle in infernum ; non enim œtati nostrœ dignum est fingere. ( π. Mach. vi. 23. 1 II dit qu'il aimait mieux descendre dans l'enfer que de donner à son âge, aux jeunes gens, un exemple de
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transgression à la loi, en feignant de l'enfreindre. Jufti aspectus admonitio est, dit St.-Ambroise ( Serm. x. in Ps. 118. ). C'est pour les jeunes religieuses une le-çon bien plus profitable que tous les avertissements donnés de vive voix, de voir les plus vieilles observer avec exactitude toutes les règles, grandes et petites. Le devoir et le zèle prescrivent aux religieuses qui aiment la perfection , de maintenir l'observance des règles avec toute la rigueur possible. Quand Jésus-Christ tendit la main à Ste.-Thérèse pour l'épouser, il lui dit : Deinceps ul vera sponsa meum zelabis honorem. Dorénavant, tu Seras jalouse de mon honneur comme une fidèle épouse doit l'être ; car toute épouse de Jésus-Christ doit avoir du zèle pour l'honneur de son époux. Mais le zèle des religieuses doit éclater sur-tout dans l'observance des règles qui sont l'appui de la perfection de leur communauté, et ceci n'est pas seulement pour les supérieures, mais encore pour les simples religieuses, surtout pour celles qui ont une autorité, ne serait-ce que celle de la vieillesse. Quand St.-André d'Avellino voyait enfreindre la règle ; il en avertissait avec un ton très-haut, non-seulement ses compagnons, mais même ses supérieurs. Sœur Thé-rèse Spinelli, pénitente du P. Torres, et religieuse au couvent de la Trinité, à Naples , voyaut que plu-sieurs abus commençaient à s'introduire dans la com-, munauté, s'y opposa plusieurs fois avec zèle et cou-rage, sans avoir égard à la grandeur des personnes , ayant seulement devant les yeux l'honneur de Dieu ; ce qui lui fit souffrir beaucoup d'amertumes et'de dé-goûts. Quand il s'agit d'abus évidents et de relâche-ment dans l'observance, ce n'est ni orgueil, ni téna-cité, mais vertu et zèle de Dieu, de crier et d'empê-
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cher le  désordre,  dût-on combattre les supérieurs eux-mêmes. (1)
X. D'autres s'excusent en disant qu'elles négligent de demander les permissions nécessaires, selon la rè-gle, pour ne pas trop importuner leurs supérieures. Mais c'est là une excuse insuffisante, parce que les supérieures ne sont pas importunées, mais édifiées de voir la ponctualité des religieuses qui leur demandent des permissions, chaque fois qu'elles en ont besoin. Comment pourraient-elles être fâchées, puisqu'elles savent que ce sont des choses que leurs inférieures ne peuvent faire sans permission? Ainsi, toutes les fois que la règle vous prescrit de demander permission, demandez-la. Quand la supérieure vous la refuse, pour maintenir l'observance des règles, ne vous ir-ritez pas, mais remerciez-la et consolez-vous. Tous les passagers remercient le pilote, lorsqu'ils voient qu'il a soin de faire travailler tous les matelots , car si l'on négligeait la manœuvre , le vaisseau serait en danger de se perdre. Les règles pèsent, mais ainsi que je l'ai dit ailleurs, elle ne pèsent que comme des ailes qui nous font voler au ciel. Sarcina Christi pennas ha-bet , dit St.-Augustin. ( in Ps. 59. ) Le fardeau de Jé-sus-Christ a des ailes qui nous aident à nous élever vers le ciel. Les règles sont des liens , mais des liens d'amour qui nous unissent au bien suprême. Quand nous sommes liés, disons avec David : F unes ceciderunt mihi in prœclarif. ( Ps. xv. 6. ) Ces cordes, loin d'être ignominieuses , nous deviennent honorables et aima-
(l)_On doit user sagement et avec modération de cet avis de notre saint auteur. Un faux zèle pourrait égarer un religieux et lui faire voir partout des abus à corriger. — Note du traducievr.
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blés, car elles nous délivrent des chaînes de l'enfer. Quand nous voyons avec peine et chagrin que la rè-gle nous défend ce que notre amour propre désire ; disons gaiement avec l'Apôtre : Ego unctus in Domino. ( Eph. iv. 1. ) Je suis lié, mais j'aime mes liens , car ils m'unissent à Dieu et me servent à acquérir la cou-ronne éternelle. St.-Augustin dit : Non tibi imponeret torquem aureum, nisi primtirn in compedibus ferreis te alli-gasset. ( In Ps. 149. ) Le Seigneur ne te donnerait pas le collier d'or de la gloire éternelle, s'il ne t'avait d'a-bord enlacé des chaînes de la r ègle.
XI. Quand une sœur vous demande quelque chose que vous ne pouvez faire sans permission, vous ne devez pas hésiter à lui dire que vous ne le pouvez pas. Vous ne devez pas craindre de paraître minutieuse quand il s'agit d'éviter des fautes et surtout des trans-gressions à la règle. Si les autres sont négligentes, corrigez-les en ne l'étant pas. Ne craignez pas de tom-ber dans le péché de vaine gloire. Il est agréable à Dieu que vous soyez singulière, s'il le faut, dans l'ob-servance des règles, quelques petites qu'elles soient, afin que votre exemple serve d'aiguillon aux autres et les excite à être plus exactes et à rendre gloire à Dieu. Sic luceat lue; vestra coram hominibus, ut videant opera vestra bona et glorificent patrem vestrum qui in cœlis est. ( Matt. ν. 16. ) Vous ne pouvez faire de grandes choses pour Dieu, vous ne pouvez faire de pénitences ni d'oraisons, du moins observez toutes les règles avec exactitude, et sachez que cette exactitude vous fera faire en peu de temps de grands progrès dans la per-fection. Une grande servante de Dieu disait que l'ob-servance scrupuleuse des règles est le chemin le plus court pour parvenir à la perfection. St.-Bonaven-ture   l'a  dit   aussi :  Optima  perfectio   omnia quœqut
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servare. ( Spec part. π. e. 2. ) Plus'la religieuse sera exacte en cela, plus Dieu lui prodiguera de grâces. Ste.-Thérèse disait': Une religieuse fidèle dans l'obser-vance des moindres points de la règle, vole plutôt qu'elle ne marche à la perfection.
XII. Sl.-Augustin appelle avec raison la règle le miroir de la religion. Miroir, parce que dans l'obser-vance de la règle , les religieux peuvent connaître ce qu'ils sont. Sive justi sive injusti : utrum unusquisque proficiat: utram Deo placeat an displiceat. Ainsi parle Hu-gon de St.-Victor, qui a commenté St.-Augustin. A la manière dont la religieuse observe les règles, on peut connaître si elle aime ou non la perfection, si elle avance ou recule, si elle plaît à Dieu, ou lui déplaît. Soyez convaincue qu'étant religieuse , votre sainteté ne consiste pas à faire de grandes choses, mais qu'elle est uniquement dans l'observation exacte des règles. Par exemple, quand la règle commande de s'appli-quer à l'ouvrage, ou de se récréer, «ne religieuse ne fait pas bien si elle va prier dans le chœur ou se don-ner la discipline, (les dévotions hors de saison, sont des sacrifices de choses volées que Dieu n'accepte pas, dit le père Alvarez. Un certain capucin, pour se livrer à ses dévotions particulières, se soustrayait aux em-plois communs ; à sa mort, Jésus-Christ lui apparut en juge et ordonna que toutes ses oraisons vociles et autres dévolions faites dans le lemps des services communs fussent distribuées à ceux qui avaient Ira-vaillé pour la communauté , et qu'il ne lui en restât rien. Il apprit que, par la miséricorde divine, sa vie se prolongerait. De sorte que SA santé s'étant rétablie , il eut bien soin de se trouver très-exactement à tous les exercices de la communauté. Ste.-Madeleine de, Pazzi disait, que le meilleur moyen d'acquérir de
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grands mérites est d'assister autant que possible à toutes les réunions delà communauté. Il est vrai que, par fois , une maladie ou une occupation importante de votre charge particulière, vous exempteront de péché, en transgressant quelque règle légère , mais le plus souvent , c'est plutôt la paresse ou le peu d'a-mour pour les règles qui est cause de ces inobser-vances ; car d'autres religieuses aussi malades et peut-être plus malades que vous, et chargées des affaires du couvent, trouvent moyen d'observer les règles que vous négligez si souvent. Celui qui aime l'observance des règles, trouve temps pour tout.Ste.-Thérèse disait: Par fois le mal est petit et alors il nous semble que nous ne sommes obligés d rien.
XIII. Pour vous attacher à l'exacte observance des règles il est très-important que plusieurs fois par an vous les lisiez et les relisiez, afin de connaître quelles sont celles où vous avez manqué et que vous vous cor-rigiez. C'est là une des meilleures lectures spirituelles que vous puissiez faire. Il est utile aussi de faire chaque* jour un examen particulier sur les règles que vous avez transgressées plus fréquemment. Lorsque vous les transgressez, ne rougissez pas de vous accuser de votre faute à votre supérieure et de lui en demander la pé-nitence. Le démon dit à St.-Dominique qu'il perdait, dans le chapitre où les moines confessent leurs péchés et en reçoivent le châtiment, tout ce qu'il gagnait dans le réfectoire, au parloir et dans les autres lieux du cou-vent. Avant de vous accuser tâchez de vous disposer à recevoir toutes les réprimandes et les pénitences que l'on vous donnera. Je dis cela afin que vous ne fassiez pas comme certaines religieuses qui s'accusent de leurs péchés pour paraître humbles et scrupuleuses dans l'observance des règles, mais qui ensuite ne veulent
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pas être réprimandées. Pour bien observer les règles , remarque St.-Iguacede Loyola, (Part.vi. Const, cl.) il faut par-dessus tout les observer m spiritu amoris, non in perturbatione timoris* C'est-à-dire non par crainte des corrections de la supérieure ou pour l'admiration des sœurs mais uniquement en esprit d'amour pour plaire à Jésus-Christ.C'est pourquoi le Saint déclare qu'il avait établi exprès que ses règles n'obligent pas sous peine dépêché, ut loco timoris offensœ succédât amor, afin que l'amour et le désir de plaire à Dieu succèdent à la crainte de l'offenser. St.-Eucherdit: Illum tantum idem Dixisse te compute, in quo voluntates proprias abnegasti, et quem sine ulla regula: trasgressione duxisti. (Hom. ix. ad mon. ) Pense que tu n'as vécu que les jours où tu as renoncé à tes volontés et où tu n'a transgressé aucune règle. Ce jour seul, dit le Saint, tiens-le pour un jour de profit pour toi. S te. -Madeleine de Pazzi donne ces trois enseignemcns sur l'observance des règles. l°Aime tes règles autant que tu aimes Dieu, lui-même. 2° Fais Aummc si tu étais la seule qui dût les observer. 3" Si les autres y manquent tâche de suppléer à leur né-gligence par ton exactitude.
XIV. Enfin pour revenir à notre sujet, la perfection d'une religieuse ne consiste pas à faire de grandes choses et en grand nombre, mais à les faire bien. Ce fut une grande louange que celle que la foule adressa à Jésus-Christ en lui disant bien justement :] Bene omnia fecit ( Marc. vu. 37 ). Il n'est pas donné à tout le monde, ni en tout temps, de faire des choses diffi-ciles et extraordinaires; mais les œuvres ordinaires telles que faire l'oraison commune , l'examen de con-science, la communion, entendre la messe, réciter 1'of fice divin, remplirsachargeetautreschosescomman-dées par l'obéissance , voilà ce qui se fait par toutes
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Jes religieuses et qui se fait journellement. Or, pourvu que vous le fassiez bien, quand même ce serait tout ce qu'il y a de plus vil au monde, soyez assurée que vous deviendrez une sainte. Il ne suffit pas de faire ce que Dieu veut, il faut le faire encore comme Dieu le veut. On lit dans la chronique de C it eaux qu'une nuit que les religieux étaient à matines, St.-Bernard vit beaucoup d'anges qui prenaient note de tout ce que les moines faisaient au chœur. Ils écrivaient les œuvres des uns avec de l'or, des autres avec de l'argent, de ceux-ci avec de l'encre, deccux-là avec de l'eau; marquant par là la perfection et l'imperfection avec laquelle chacun d'eux priait. Or voyez qu'il vous en coûterait bien peu d'être parfaile,puisqu'en Défaisant que les choses ordinaires, sans rien autre, vous pouvez devenir sainte! Le Sei-gneur ne demande pas que vous vous éleviez à de hautes conlemplations,que vous vous imposiez des pénitences àeflïayer la nature, il demande seulement que ce que vous faites, vous le fassiez bien!
XV. Beaucoup de religieuses,dans les jours de dévo-tion, comme dans lesneuvaines de Noël, de laPe.itc-côte ou de la Vierge, font beaucoup d'oraisons, de jeûnes, de prières, se donnent la discipline. Toutes ces œuvres sontbonnes, mais la meilleure œuvre pour cer-taines d'entr'elles serait de faire les choses ordinaires avec plus de perfection. Cette perfection consiste en deux choses : la première à n'agir que dans le but de plaire à Dieu, car laperfection n'est pas dans ce qu'on fait extérieurement, mais dans l'intention -.Omnis gloria 'jus filias regis ab intus. ( Ps. xxxxiv. 7. ) La seconde, c'est que l'œuvre soitbien faite, c'est àdire avec promp-titude , attention et exactitude. Le premier moyen de bien faire ce que l'on fait c'est de le faire avec une foi Vive de la présence de Dieu, afin que nos actions soient' vin.                                                            11
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dignes de lui. Le second moyen c'est de faire cette œuvre comme si l'on n'avait pas autre chose à faire. Lorsqu'on fait l'oraison, on ne doit penser qu'à bien prier ; quand on dit l'office on ne doit songer qu'à le bien réciter ; quand on exerce quelqu'emploi com-mandé par l'obéissance on ne doit penser qu'à le bien exercer. Qu'on n'ait plus alors aucune pensée du passé ni de l'avenir. Par exemple . quand vous faites l'oraison, si vous vous demandez comment vous exé-cuterez cet ordre, comment vous dirigerez cette œuvre etc., c'est une tentation du démon. Le P. Avila écrivit à quelqu'un : Quand il te viendra à l'esprit quelque pensée hors de propos, dis : Dieu ne me de-mande rien de tout cela maintenant; il est donc inu-tile que j'y songe. Quand il me le demandera alors je m'en occuperai. Le troisième moyen est de faire chacune denos actions comme si elle était la dernière de la vie. St.- Antoine, abbé, répétait souvent cette ma-xime à ses disciples , afin qu'ils fissent toutes leurs œuvres avec perfection. St.-Bernard a dit : In omni opere suo dicat sibi : Si moriturus esses faceres istud? ( Iu. spec. mon.). Que dans toutes ses actions chacun se dise à soi-même : si tu devais mourir maintenant, ferais-tu cette action? ou la ferais-tu ainsi ? Et de même vous vous direz : si tu entendais la messe pour la dernière fois, serait-ce avec cette ferveur? Si c'était le dernier office que tu recitasses, le dirais-t u a vec cette attention ? Si c'était la dernière communion, la der-nière oraison, n'aurais-tu pas plus de ferveur ? St.-Ba-sile a dit aussi : Quand vous faites vos travaux de la matinée, imaginez que vous ne vivrez pas jusqu'à la nuit; et quand la nuit vient, imaginez que vous ne ver-rez pas le lendemain. On raconte d'un moine domini-cain qui avait coutume de se confesser chaque matin
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avant de dire la messe, qu'étant tombé malade, son su-périeur lui ordonna de se confesser comme pour mou-rir : il leva les mains au ciel et s'écria : que Dieu soit béni! Il y a déjà trente ans que je me confesse chaque jour comme si je devais mourir aussitôt. Beatus ille ser-vus, dit notre sauveur, quem cum venerit Dominus ejus, invenerit sic facientem (Mat. xxi. 46)· Heureux le servi-» leur que le Seigneur, quand il viendra le juger, trouvera dans cet état! Heureuse aussi la religieuse, dis-je, que la mort, arrivant à l'improviste, trouvera faisant l'ac-tion dumoment comme pour se préparera mourir.
XVI. Un autre moyen peut encore élre Irès-profi-table aux âmes faibles pour faire bien ce qu'elles font actuellement, c'est de ne jamais faire cas que du jour présent. Une chose qui fait perdre courage à beaucoup de gens, dans la voie du Seigneur, c'est l'appréhension de la peine qu'ils ressentent de l'obligation de marcher jusqu'à la mort avec tant d'exactitude et en résistant toujours à l'amour-propre. Le meilleur moyen de vaincre ces tentations est de vivre comme si on ne devait vivre qu'un jour.]Quel est l'homme au monde, qui, sachantqu'il ne doit vivre qu'un seul jour, ne s'ap-pliquerait pas à faire bien et parfaitement bien tout cequ'il rait?Ce moyen peut èlre utile aux âmes faibles, parce que les âmes fortes et ferventes dans l'amour de Dieu n'ont pas besoin de se cacher le travail, mais se réjouissent au contraire, etaiment avec ardeur à souf-frir pour plaire à Dieu. Ilest utile aussi aux religieuses qui commencent à marcher dans la vie de la perfec-tion, de penser, comme c'est vrai, que, par la bonne habitude, ce qui d'abord est difficile et pénible de-viendra dans peu de temps facile et doux. Le Saint-Esprit nous l'apprend : Ducam te per semitas œquitatis quas Wm ingressus fueris non arctabuntur gressus tui et currens
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non habebis offendiculum. (Prov. iv. 11 et 12. ). Dieu dit; Je te conduirai d'abord à travers les sentiers étroits de la vertu , mais bientôt après tu entreras dans un chemin large et facile où tu pourras courir sans obs-tacle. St.-Bernard écrivit précisément cela au pape Eugène : Primum tibi importabile videbitur aliquid ; pro· cessa temporis (si assuescas ) judicabis  non adeo grate, paulo post nec senties , paulo post etiam delectabis. ( Lib. ι. de cons. ). D'abord une chose te paraîtraimpossible, avec l'habitude elle le paraîtra plus facile, ensuite tu ne la sentiras pas même, et peu après tu y prendras goût. Selon ce que dit l'Ecclésiastique : Quia modicum laboravi et inveni mihi multam requiem. (Ecc.   LI. 35. ) Je me suis fatigué un peu et aussitôt après j'ai trouvé le repos et la paix.
PRIERE.
Mon Dieu je suis cet arbre qui méritait depuis long-tems d'entendre les paroles de l'Évangile : Succide il-lam ut quid terram occupat? Coupez cette plante qui ne porte pas de fruit, et jetez-la au feu; pourquoi lui laisser occuper cette place sur la terre ? Malheureuse ! depuis combien d'années je suis dans le monastère comblée par vous de tant de grâces pour me faire sainte; jusqu'à présent, Seigneur, quels fruits ai-je produits ? Mais vous ne voulez pas que je me désespère et que je me défie de votre miséricorde. Vous avez dit : Petite et accipietis, demandez et vous obtiendrez. Puisque vous voulez bien que je vous demande des grâces, la pro-messe que je sollicite c'est le pardon de toutes les of-fenses que je vous ai faites ; je me repens de tout mon coeur de n'avoir payé vos bienfaits que par des ingra-
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titndes. La seconde grâce que je vous demande c'est ]e don de votre amour, afin que dorénavant je vous aime de tout mon cœur, tâchant de ne vous déplaire en rien, et faisant tout ce qui peut vous êlre agréable. La troisième grâce que je vous demande, c'est la sainte persévérance dans votre amour. Je prise maintenant votre amour plus que tous les empires de la terre. Vous voulez que je sois toute à vous et je veux aussi être toute à vous. Vous vous êtes donné à moi, sur la croix et dans le sacrement de l'autel, je me donne toute à vous sans réserve. Je vous remercie de m'avoir donné la pensée de vous faire cette offrande, et puisque vous me l'inspirez, c'est signe quevous l'acceptez. Mon Jé-sus, je suis à vous et j'espère que vous serez à moi pour l'éternité. Je ne veux pas que ma volonté vive en moi, mais seulement la vôtre; c'est pourquoi je vous pro-mets d'observer dorénavant les moindres règles du couvent, car je sais qu'elles vous sont toutes agréables. Ο amour! ô amour! vous dirai-je avec Ste.-Catherine de Gènes, plus de péchés. Je vous prie de faire que je vous aime ou que je meure. Ou aimer ou mourir! Marie, ma mère, parlez à votre fils, et obtenez-moi la grâce de l'aimer ou de mourir.
S- v·
Des quatre degrés de l'obéissance parfaite.
I. Afin qu'une religieuse soit parfaitement obéis-sante il faut qu'elle obéisse avec promptitude, avec exactitude, avec joie et avec simplicité ; ce sont-là les degrés qui mènent à la parfaite obéissance. Le premier degré c'est d'obéir avec promptitude, exécutant ce φΐβ nous impose l'obéissance, sans réplique et sans
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retard. Il y a des religieuses qui ne ee déterminent à obéir qu'après avoir cherché beaucoup d'excuses ou s'êlre laissées bien prier par la supérieure. La véritable obéissance ne fait pas ainsi. Fidelis obediens, dit St.-Bernard, nescit tnoreu, parat aitres auditui, manus operi, itineri pedes. ( Serm. de Obed. ). La religieuse obéissante ne connaît pas le retard, elle ouvre ses oreilles pour entendre les ordres qu'on lui donne, elle prépare aussitôt ses mains pour l'œuvre comman-dée et ses pieds pour aller l'exécuter. La religieuse qui aime l'obéissance, en entendant le matin la cloche du réveil, ne tourne pas et ne se retourne pas dans son lit, maie elle en saute aussi tôt, comme dit Ste.-Thérèse, pour obéir à la voix de Dieu qui l'appelle. De même, en entendant les ordres que lui donne sa supérieure, elle ne cherche pas d'excuse et ne montre pas de mau-vaise humeur (ce qui afflige beaucoup les supérieures) mais promptement, et d'un air joyeux, elle répond : me voilà, je suis prête, et obéit sur-le-cliamp. Elle n'a pas besoin qu'on la prie ou qu'on lui répète plusieurs l'ois un ordre, ni qu'on lui en explique les raisons; celles avec qui il faut tous ces ménagements s'appel-lent chevaux à la bouche dure. Pour obéir à celui qui les guide, elles ont besoin qu'on les fouette plusieurs fois, et perdent ainsi la plus grande partie du mérite de cette obéissance forcée. Les autres se portent à obéir au premier mot et sans réplique.
II. Oh! combien le Seigneur récompense cetle promptitude à obéir. Il a montré plusieurs fois, môme par des prodiges surnaturels, combien il agrée cette prompte obéissance. St.-Marc, moine, fut appelle par l'abbé Silvam, son supérieur, tandis qu'il était occupé à écrire; pour pour obéir plus promptement il ne finit pas même le mot qu'il avait commencé ; à son retour
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dans sa cellule, il trouva le mot achevé et écrit en lettres d'or. ( Vita Patrum, de Ob. 5. ) Blosius rap-porte encore que, pendant l'apparition de Jésus enfant à une religieuse, celle-ci ayant été appellee aune ob-servance régulière, partit aussitôt; à son retour dans sa cellule, elle trouva Jésus-Christ âgé dé Ί1\ ans, qui lui dit : ma fille , ta prompte obéissance m'a fait gran-dir ainsi dans ton cœur. L'enfant Jésus apparntencore à une autre religieuse qui le laissa au son de la cloche pour aller au choeur, chanter vêpres, par obéissance. Elle retrouva dans sa cellule Jésus-Christ qui lui dit : Tu me retrouves parce que tu m'as laissé. Situ ne t'en étais pas allée pour obéir à la règle je serais parli moi-même d'auprès de toi. (Corn. S. Franc, cap. SO.) On raconte que St.-Colomban voulantmettre à l'épreuve plusieurs de ses moines, qui étaient malades, leur dit: Levez-vous tous, et allez battre le blé dans l'aire. Les vé-ritables obéissants se levèrent aussitôt, et allèrent bat-tre le blé, les autres malades, qui étaient aussi malades d'esprit restèrent couchés. Mais qu'arriva-t-il ? Les 'Obéissants se trouvèrent guéris et les autres restèrent malades. (Plat, die bono. stat. rei. 1. II. C. 5.) Le Sei-gneur a montré aussi combien lui déplaisent les retards apportés dans l'obéissance. Le B. Giunipero étant un jour allé planter un genévrier dans le jardin , fut ap-pelé par St.-François; il n'obéit pas aussitôt et voulut finir de planter l'arbuste qu'il avait en main; après quoi il s'en alla. Mais le saint, pour lui faire connaître son erreur de ne pas avoir obéi sur-le-champ, maudit le genévrier et lui commanda de ne pas croître davan-tage. L'arbre obéit et ne s'éleva pas d'un pouce de plus Le même auteur rapporte que de son temps on con-servait encore le genévrier dans le même couvent de la ville de Carinole οίι le fait était arrivé ; il était vert
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mais toujours petit comme il avait été planté. ( Wa-ding. ami. minor. ànn.Mccxxii. Num.ii.) Qu'il est triste de voir certaines religieuses ne pasobéirpromptement, et cela pour la seule raison que ce qu'on leur impose est commandé par l'obéissance, tandis que si ce n'é-tait pas commandé, elles le feraient avec empresse-ment, parce" que ce serait d'après leur propre volonté. Quelques religieuses n'obéissent qu'après avoir répété plusieurs fois je ne puis pas, je ne puis pas; elles di-raient beaucoup mieux: je ne veux pas, je ne veux pas. Le B. Joseph Calasanze disait : Celui qui au lieu de dire je ne veux pas, dit je ne peux pas, ne trompe pas ses supérieurs, mais il se trompe lui-même.
III. Le second degré est d'obéir avec exactitude c'est-à-dire ponctuellement et sans interprétation ; ponctuel-lement veut dire sans dérober à Dieu une partie du sa-crifice, en mutilant la victime, mais obéir avec toutes les circonstances et l'attention, et en y employant tout le tems qu'exige la chose dont on nous charge. Quelques religieuses sont ponctuelles, tant que leur supérieure est là, mais si elle est ailleurs elles obéis-sent si imparfaitement qu'on ne sait si elles n'en tirent pas plus de démérite que de mérite.Ste.-Madeleine de Pazzi disait : La religieuse n'a pas donné sa volonté aux hommes mais à Dieu et non pas par pièce et par lam-beaux maistoute entière,ponctuellement sans inlerpré-<«ii'on.Tandis que St.-Thomas d'AquinétaitàBologne, il arriva qu'un frère convers, d'un autre couvent, qui devait sortir tout de suite pour une affaire importante et qui avait du supérieur la permission de prendre pour compagnon le premier qu'il trouverait, le rencontra, et lui dit de le suivre et de l'accompagner par obéis-sance pour son supérieur. Le Saint obéit aussitôt, mais le frère convers marchant très-vite et St.-Thomas,
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lentement, à cause de l'embonpoint de son corps, il le pria de se hâter, parce qu'il s'agissait d'une affaire pressée. Le frère,ayant su ensuite quel était son com-pagnon , lui demanda plusieurs fois pardon , mais St.-Thomas ne lui montra aucun ressentiment. ( Ap. Sur. 7. Mart.) Le Saint aurait bien pu interpréter que la permission donnée par le prieur n'était pas pour lui, mais il aima mieux obéir sans réplique et sans inter-prétation et il répondit,à ceux qui lui disaient qu'il aurait pu s'exempter de cette peine,que les moines ne doivent songer qu'à suivre aveuglément les ordres des supérieurs.
IV. Cassien raconte (last. lib. ν. e. 40) que l'abbé Jean ayant chargé deux jeunes gens de porter un panier de figues à un moine âgé qui demeurait loin, ils se trompèrent de route et errèrent plusieurs jours dans le désert sans avoir de quoi se nourrir. Us auraient pu interpréter que dans ce besoin extrême ils pouvaient manger les figues destinées au moine, sans manquer à l'obéissance , mais ils ne le voulurent jamais faire et on les trouva morts à côté du panier de figues. Nous ne prétendons pas qu'on doive toujours suivre l'obéis-eanceàla lettre et qu'ilne soitpas permis d'interpréter l'intention du supérieur dans le cas où l'interprétation paraît juste et nécessaire ; mais nous disons que des interprétations sophistiques et tiraillées ne diffèrent guère de la désobéissance formelle. C'est pourquoi lors-qu'on n'est pas certain que l'intention du supérieur est toute autre, on doit obéir. Quelques religieuses, quoi-qu'elles sachent la volonté de leurs supérieures en cer-taines choses, font cependant tout ce qui leurest dicté par leur caprice et disent qu'il n'y a pas de précepte qui s'y oppose. Non, dit Albert-le-grand ; les vrais obéis-
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sants ne font pas ainsi. Verus obediens numquam prmcep~ tum expectat sed solam voluntatemprtelati sciens, vel credens exsequetur pro prœcepto. ( De virt. c. 2. ). Le véritable obéissant n'attend pas les ordres de son supérieur; mais apprenant sa volonté, elle lui tient lieu de pré-cepte et il l'exécute. C'est là le moyen le plus parfait d'obéir, carcommeditledocleurAngélique(n. q.l6Zi), la volonté du supérieur, de quelque manière qu'on la connaisse, est un précepte tacite, que doit suivre le parfait obéissant.
V. Le troisième degré est d'obéir avec joie. Obéir de mauvaise grâce et en murmurant est plutôt une faute qu'un acte de vertu. St.-Bernard dit : Si experts diju-dicare prmctptum, murmurons in corde , etiamsi exterius impleas, non est virtus, sed velamentum malitia. (Serm. 3.) Si en recevant le précepte vous murmurez inté-rieurement contre votre supérieur, vous ne faites pas un acte de vertu en l'accomplissant, c'est un manteau perfide jeté sur votre malice ; vous obéissez pour pa-raître obéissant, mais vous commettez un péché en maudissant en vous-même l'obéissance. Qu'ilest dou-loureux de voir des religieuses ne faire de bon gré que les choses qu'elles ont demandées, ou dont on lésa cent fois priées, et qu'elles acceptent parce que leur amour propre y trouve sa satisfaction !
VI. Celles qui cherchent à se faire imposer par leur supérieure la tâche qu'elles préfèrent et qui n'en fe-raient aucune autre avec plaisir, peut-on les nommer obéissantes ? St.-Ignace de Loyola disait que le sujet se trompe s'il croit qu'il observe l'obéissance en indui-sant ses supérieurs à lui assigner l'emploi qu'il désire. Il cite à ce sujet ce qu'écrivit St.-Bernard: Quisquis vel aperte vel occulte satagit, utquod habet in voluntate, hoc ei spiritualis pater injtingat ipse te seducit, si fibi quasi de ol<e-
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dienliâ blandiaiur ; neque enim in ed re ipse pmlato, sed ma-gis ei prœlatus obedit. Celui qui directement ou indirec-tement force son supérieur à la charger de l'emploi qu'il aime se trompe, s'il croit être dans la voie de l'o-béissance, car ce n'est pas l'inférieur qui obéit alors au supérieur, mais c'est le supérieur qui obéit à l'infé-rieur. Tritême appelle les religieuses qui obéissent malgré elles, des monstres du démon, monstra diaboli, parce que Satan lui-même obéit, mais forcément. Les religieuses qui obéissent ainsi sont presque pires que le démon, parce que le démon n'a pas juré obéissance à Dieu, tandis qu'elles lui ont fait ce serment, dans leurs vœux. Je voudrais demander à ces religieuses en quoi consiste leur obéissance ; est-ce àfaire seulement avec joie ce qui flatte leurs goûts?à faire en boudant et avec désordre ce qui ne leur plaît pas ! ^ uis locus obedientiœ, dit St.-Bernard, ubi tristitia cernitur amaritudo? (De virt. ob.) Peut-on appeler lieu d'obéissance un couvent où l'on n'obéit qu'en murmurant et avec dégoût?
VII. Hilarem datorem diliget Deus, dit l'Apôtre. ( 2 Cor. ix. 7. ) Dieu aime ceux qui lui offrent avec joie ce qu'ils font par amour pour lui. Les religieuses véri-tablement obéissantes exécutent avec plus de zèle les ordres qui blessent leur amour-propre parce qu'alors elles sont plus certaines de ne pas faire leur volonté , mais celle de Dieu. Quelle plus grande joie peut avoir une âme religieuse que de pouvoir dire à chaque ac-tion : en faisant ceci je me rends agréable à Dieu. Ο ma sœur! si vous désirez plaire beaucoup à Jésus-Christ, priez votre supérieure de vous commander à son gré, sans autre considération ; parla elle sera plus libre de vous employer où elle le jugera convenable et vous ac-quérerez plusde mérite dans l'obéissance à ses ordres, vous serez sûre de gagner autant dans les choses qui
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sont de votre goût que dans celles qui répugnent à votre amour propre. Répétez-vous souvent cette belle maxime de St.-François de Sales : ne rien demander ne rien refuser.
VIII. St.-Jean Climaque dit (Grad. l\.) Obedientia est sepulchrum propria voluntatis. L'obéissance est le tombeau de la propre volonté. Quelques personnes l'appellent la mort de la volonté, mais les Saints l'ap-pellent mieux encore le tombeau, parce que tant qu'un mort est hors du tombeau on peut le voir, mais s'il est enseveli, on ne le voit plus. Quelques religieuses veulent bien que leur volonté soit morte de la mort de l'obéis-sance,mais cependant elles la font paraître au-dehors. Les religieuses plus parfaites veulent que leur volonté soit non seulement morte, mais encore ensevelie et qu'elle ne paraisse jamais au-dehors. Ste-Madeleine de Pazzi l'ut admirable en cela qu'elle ne fit jamais connaî-tre à ses supérieures en quoi elle agissait avec goût ou avec répugnance. Faites de même ; montrez-vous tou-jours indifférente aux offices, aux exercices et emplois que vous impose l'obéissance; quand on vous les donne, remplissez-les avec joie. Pour les remplir avec joie, remplissez-les seulement pour plaire à Dieu. Si vous les faites pour obtenir les bonnes grâces de votre su-périeure, pour l'obliger à ne plus vous refuser ce que vous demanderez, ou pour ne pas être regardée comme peu obéissante ; en obéissant, dans ce but d'intérêt, vous contenterez votre supérieure, mais vous ne con-tenterez pas Dieu. Vous supporterez la fatigue et les embarras de l'obéissance que vous aurez pratiquée et cependant vous n'aurez pas la paix de l'âme. Je dis de plus que lorsque vous n'aurez d'autre butque de plaire à Dieu, vous pratiquerez l'obéissance avec joie, non seule-ment quand la supérieure vous donnera ses ordresavec
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douceur et politesse, mais même lorsqu'elle vous par-lera d'un ton impérieux et dur, là est le mérite. Ro-driguez raconte qu'un jour que Ste. Gertrude priait le Seigneur de délivrer l'abbesse de son couvent du dé-faut d'être dure et de l'impatience avec les religieuses; Dieu lui répondit qu'il permettait ce défaut dans sa supérieure afin de la rendre elle-même plus humble et pour que les inférieures méritassent d'avantage, en souffrant la mauvaise humeur de l'abbesse.
IX. Le quatrième et le dernier degré c'est d'obéir avec simplicité, comme dit l'apôtre : Obedite in simplicitate cordis vestri. (Eph. γι. 5.) Obéissez dans la simplicité de votre cœur. Cet simplicité consiste à assujétir son propre jugement au jugement du supérieur, regardant comme juste tout ce que le supérieur impose. Le St.-Esprit enseigne à son épouse comment elle doit obéir pour que son obéissance soit parfaite.Si ignoras te,ô pul-cherrima inter mulieres! egredere elabiposl vestigia gregum. (Cant. 1. 8. ) Ο la plus belle des femmes ! si tu ne te connais pas, si tune sais pas combien tu peux le rendre chère à mon cœur par tes œuvres, je vais te le dire : Sorsdetoi-mèine,suis les pas des jeunes brebis; observe que lorsqu'on les chasse du bercail, elles ne deman-dent pas où on les mène paître, ni pourquoi à telle heure, ni pourquoi on les fait marcher vite, ou lente-ment; elles obéissent aveuglément au berger. Ainsi doit faire la bonne religieuse, obéir sans savoir pour-quoi. Le père Pavon, de la compagnie de Jésus, disait que l'obéissance pour être parfaite doit marcher sur deux jambes qui sont la volonté et lejugemenl. Quand on obéit seulement avec la volonté et non avec le ju-gement, c'est-à-dire jugeant tout autrement que sou supérieur; une telle obéissance, disait-il, n'est pas parfaite, elle est boiteuse· Ste.-Madeleine de Pazzi di-
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sait aussi : La parfaite obéissance suppose une âme sans volonté et une volonté qui ne juge point. C'est pour cela que cette Sainte, afin d?obéir parfoitement, tâchait d'abord de captiver son esprit, et puis elle obéis-sait. Ainsi celui qui n'obéit pas avec jugement, obéira difficilement de bon gré, de sorte que son obéissance sera celle d'un esclave, faite par force, non celle d'une fille, faite paramour. C'est ce que l'Apôtre a voulu nous apprendre lorqu'ìl a dît : Cum bona voluntate servientes sicut Deo ei non hominibus. (Eph. vi. 7.) Obéissez de bon gré en vous convainquant que vous n'obéissez pas aux hommes mais à Dieu. Nous n'obéirons jamais de bon gré qu'en pensant que nous obéissons à Dieu qui ne peut se tromper dans ce^ju'il ordonne, et qui ne nous commande que ce -jui est pour notre bien.
X. St.-Thomas, le docteur Angélique, dit que le religieux doit se mettre à exécuterl'ordre de son su-périeur, quand même la chose lui semblerait impos-sible; car ce n'est pas à lui à décider si la chose est possible ou non. St.-Bernard dit: Perfecta obedientia est indiscreta. (De. Vit. sol.) L'obéissance parfaite, quant à l'inférieur, ne demande pas de discernement. Le Saint ajoute ailleurs : Novitium prudentem in congrega-tione durare impossibile eut. Un novice qui veut en obéis-sant se régler sur sa prudence ne peut rester eu com-munauté. Le Saint en donne pour raison que c'est un orgueil insupportable que de vouloir s'arroger l'office qui n'appartient qu'ausupérieur./)ii«rnerii(//)ea<iwei/, subditi obedire. C'est au supérieur à discerner ce qu'il convient de faire, l'inférieur ne doit qu'obéir. St.-Ig-nace disait un jour que si le pape lui avait ordonné de semettreenmerdansune barque sans mât, sans voites et sans rames, il l'aurait fait de suite. On lui fit obser-ver que c'aurait été se vouer volontairement à la mort
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le Saint répondit que c'est au supérieur à avoir de la prudence, et que l'inférieur ne doit avoir d'autre pru-dence que celle d'obéir sans prudence.
XI. Tout cela est bien conforme à cette parole du St.-Esprit : Quasi lutum figuli in manu Ipsius. (Ecc.xxm. 13. ) L'inférieur doit se remettre entre les mains de son supérieur comme un morceau d'argile, afin qu'il en fasse ce qu'il veut. Numquid, dit Isaïe, dicet lutum. figulo : Quid facit ? (Is. XLV. 9. ) L'argile dira-t-elle au potier : Que ferez-vous de moi ? Si cela était, le potier répondrait tassez-vous, cela ne vous regarde pas; vous ne devez qu'obéir et vous laisser façonner comme je voudrai, C'est là la réponse que mériteraient ces reli-gieuses qui veulent savoir pourquoi on leur donne telle charge , tel emploi et pourquoi pas tel autre? etc. St.-Jérôme écrivait précisément cela au moine Rustique: Nec de majorant sententia judices cujus officium est obedire. Ton devoir est d'obéir : garde-toi bien de juger de ce que font tes supérieurs. On lit dans la vie des moines de la Trappe (Prodiges de lagrâce vol. H. p. 24·) qu'un supérieur ayant ordonné à un moine, nommé Arsène, de faire des embellissemens à l'église, celui-ci trouva que c'était une dépense superflue ; mais pensant en-suite qu'il avait porté un jugement contraire à celui de son abbé, il alla s'en accuser, pleurant à chaudes lar-mes, comme d'un grand crime, et quoique l'abbé lui dît que cette faute ne lui paraissait pas grave, il ne put cependant arrêter le cours de ses pleurs.
XII. Cette obéissance aveugle, si vantée par les Saints, consiste à croire que tout ce que font les supérieurs est bien fait. 1° parce que personne ne peut se fiera son propre jugement dans les choses qui le regardent. Le proverbe dit : Nemo rectus judexsut ipuus. Nul n'est bon juge dans sa propre cause, car l'amour-propre
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empêche de distinguer le vrai du faux. 2° Parce qu'un inférieur connaît seulement ses raisons, et que le su-périeur en a beaucoup d'autres sous les yeux, ce qui rend son jugement meilleur. 3" Parce qu'un inférieur ne songe souvent qu'à son intérêt et que le supérieur doit songerau bien de tous. W Parce que les supérieurs, comme disait Ste.-Madeleine de Pazzi, reçoivent du Seigneur des grâces particulières pour le gouverne-ment de la communauté et ont pour cela des lumières qui manquent aux inférieurs.
XII. Il est dit de St.-Paul que lorsqu'il se convertit: Apertis oculis nihil videbat, ad manus autem trahebaliir. ( Act. ix. 8. ) II avait les yeux ouverts mais il ne voyait rien, desortequ'on fut forcé de le conduire par la main. Quelques religieuses veulent bien obéir; mais elles veulent voir d'abord si ce qu'on leur ordonne est bien ou mal pour elles; etsi elles trouvent que quelque chose ne leur convient pas, elles refusent d'obéir ou obéissent de mauvaise grâce et vont jusqu'à accuser la supérieure d'imprudence , de partialité ou d'indiscrétion. Tout cela vient de ce qu'elles ne veulent pas obéir aveuglé-ment et qu'elles exigent des supérieures laraisonpour laquelle on leur commande telle ou telle autre chose. Imperfecti cordis indicium est ( dit St.-Bernard ) exigere de quibusvis, rationem ( De disc.) Elle aune volonté bien imparfaite, celle qui demande la raison pour laquelle on lui impose un devoir. C'est de cette manière que le démon perdit Eve : Curprœcepit, dit-il, vobis Deus ut non comderetis de omnilignoparadisi. (Gen. m. 1.) Pour-quoi Dieu ne vous a-t-il pas permis de vous nourrir de tous les fruits d'Éden ? Si Eve avait répondu : ce n'est pas à moi d'en chercher la raison , nous ne devons qu'obéir ; la malheureuse ne se serait pas perdue ; mais elle se mit à réfléchir, elle dit : Nous pouvons man-
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ger des fruits de tous les arbres, excepté d'un seul; peut-être pour que nous ne mourrions pas, ne forte moria-mur. Le serpent voyant qu'Eve, par ce mot peut-être, mettait en doute le châtiment dont elle était menacée, lui dit: ne crains rien, tu ne mourras pas. Nequaquam ■morte moriemini, et il la conduisit ainsi à enfreindre l'ordre de Dieu.
XIII. Les religieuses vraiment obéissantes ne cher-chent ρ as les raisons de Tordre qui leur est donné,elles tiennent les yeux de l'âme ouverts pour pouvoir ju-ger, mais elles ne voient rien , et assujétissent leur ju-gement au jugement de celui qui les gouverne. St.-Jean Climaque dit que les religieux doivent bannir toute pensée contre l'obéissance à leurs supérieurs , comme ou chasse les pensées contre la chasteté, c'est-à-dire tout de suite et sans raisonner, et au lieu de les faire passer à l'épreuve de leur critique, ils doivent chercher les raisons qui peuvent prouver la justice de leur conduite. Dieu a montré plusieurs fois par des prodiges combien l'obéissance lui plait dans les reli-gieux. Sulpice-Sévère raconte (Dial, de vit. St. Mart, c. 12. ) qu'un jeune homme voulant être reçu dans un couvent, l'abbé lui commanda, pour éprouver son obéissance , d'entrer dans une fournaise ardente qui était près de là ; le jeune homme s'élança aussitôt dans le feu, sans être incommodés· ses habits même ne fu-rent pas brûlés. St.-Placide étant tombé dans un fleuve, St.-Benoît ordonna à St.-Maur de Ter tirer; ce Saint courut sur les flots et le sauva. (St.-Greg. Dial. !iv. u. ch.7.) Ces exemples ne sont pas imitables, car ce sont là des impulsions extraordinaires de la grûce, par les-quels le Seigneur fait connaître aux supérieurs et aux inférieurs sa divine volonté. Mais ils servent à nous prouver combien plaît à Dieu l'obéissance aveugle et vin.                                                       12
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sans discussion. Souvent les supérieurs, pour éprouver cette obéissance, commandent des choses ridicules et qui sont contraires à la raison naturelle. St.-François faisait planter par ses moines des chous la tête en bas, et les pieds en l'air. Il faisait tourner frère Matthieu jusqu'à le faire tomber par terre. Ste.-Thérèse éprou-vait ses filles de la même manière. On dira peut-être : à quoi sert tout cela ? A quoi Sert, dirai-je, de faire courir un jeune cheval, de l'arrêter, de le faire aller à droite et à gauche, si ce n'est à le rendre obéissant. De même les ordres bizarres servent à habituer les in-férieurs à briser leurvolonté et à soumettre leur juge-ment à l'obéissance.
XIV. Le B.Calasanze disait: N'est pas obéissant celui qui en obéissant suit sa propre volonté. Gardez-vous donc, ô ma sœur, dans toutes les actions de votre vie de croire à votre jugement contre ce que vous com-mandent vos supérieurs. St.-Phîlippe de Néri disait qu'il n'y a rien de plus dangereux que de vouloir s 3 guider par sa propre volonté. Pierre de Blois dit la même chose : Sibi solum credere pessimum est. Le plus grand malheur pour une âme est de ne Vouloir s'en rapporter qu'à soi-même, puis qu'il est impossible, ajoute Cassien, que celui qui se fie à soi-même, ne soit pas trompé par la ruse du démon. Impossibile est qui proprio fidet judicio diaboli illusione non decepi. (Cojl. χνι. cap. 11.) Delà, St.-Jean Chrysostôme disait : Nihil est quod ecclesiam Dei ita destruere potest ul quando disci-puli magistris noncoherent. (Horn.in d. S. P.) Rien n'est plus nuisible à l'église que d'avoir des disciples qui professentdessentimenscontrairesàceux des maîtres. Et je dis moi que rien hVst plusnuisible aux couvents que d'avoir des religieux d'un sentiment opposé à ce-lui de leurs supérieurs.
SANCTIFIÉE.                                       ' 79
PRIÈRE.
Mon Jésus, vous n'abandonnez jamais une âme qui vous cherché. Non dereliquisti quaerentes te, Domine. J'ai laissé le monde, pour venir vous trouver dans ce saint lieu, mais après cela je n'ai recherché que moi-même et mes goûts, quoique à votre très-grand déplaisir. Ou-bliez le passéj Seigneur, et pardonnez-moi les offenses que je vous ai faites, car je les abhorre de tout mon cœur. J'éprouve un vif désir de devenir sainte et de vous plaire en tout. Je vois déjà que ce désir est même un don qui me vient de vous. Ο mon doux époux , comment avez-vous daigne venir visiter une âme si in-grate et lui accorder tant de grâces après en avoir reçu tant d'outrages ? Je vous en remercie, Seigneur, avec un cœur attendri et confus ; soyez-en mille fois béni. Vous m'appeliez à votre amour, et je veux vous obéir. Je reconnais la grâce que vous me faites, je ne veux plus y être insensible comme jadis. Je vous aime, ô mon bien suprême, je vous aime, mon Dieu ; vous êtes mon unique trésor, mon unique amour. Donnez-moi la force de correspondre par mon amour à l'amour que vous me portez. Faites que je vous aime toujours , et que je vous aime avec ardeur et je ne vous demande plus rien. Marie, ma mère, remerciez encore votre fils en  mon nom et obtenez-moi la grâce de lui être reconnaissante pendant les jours qui me restent à vivre; ô mère de Dieu je me confie en vous.
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CHAPITRE VIII.
De la mortification des sens.
I. 11 n'y a pas de remède ; pauvres enfants d'A dam, nous serons jusqu'à Ja mort dans une guerre conti-nuelle. Caro enimconcupiscit adversas spiritum, spiritus au-tem adversas carnem. (Gal. v. 17.) La chair désire ce que ne veut pas l'esprit ; et l'esprit désire ce que ne veut pas la chair.Mais c'est le propre des brute? de sa tisfaire leurs sens; et le propre des anges de faire la volonté divine. Un saint docteur a dit avec raison que si nous nous appliquons à faire la volonté de Dieu, nous deviendrons des anges, mais si nous ne songeons qu'à satisfaire nos sens, nous deviendrons desbrutes. Il faut que l'âme foule aux pieds le corps, ou que le corps foule aux pieds l'âme. Nous devons donc traiter notre corps comme un cavalier traite un coursier indompté, lui tenantfóu-jours la bride haute, de peur qu'il né le jette dansquel-quj précipice, ou bien comme lé médecin prescrit au malade ce qu'il refuse, c'est-à-dire des remèdes, et lui refuse les mets et les boissons nuisibles qu'il désire. Un médecin qui ne fairait pas boire de médecines au malade, parce qu'elles sont amèreset lui déplaisent, et qui lui accorderait les boissons douces , parce qu'il les aime ! serait un bourreau. Les sensuels sont donc les bourreaux de leur âme , car pour ne pas faire un peu souffrir leur corps dans cette vie, ils mettent leur âme eu danger de se perdre et même ils exposent leur corps à endurer pendant toute l'éternité des peines beaucoup plus grandes. Ista caritas, dit St.-Bernard, destruit ca-ritatem, talis misericordia crudelitate plena est, quia ita
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corpori servietur ut anima juguletar. (In Αρ. ad. Guil.) Cette fausse charité , détruit la véritable charité que nous devons employer envers nous-mêmes, une telle compassion pour notre corps est une vraie cruauté,puis-que, pour servir le corps, on donnela mort à l'âme. Le même saint s'adressant aux hommes charnels qui raillent les serviteurs de Dieu, parce qu'ils mortifient leur chair , a dit : Simus nos crudeles interim non parcen-do , et vos parcendo crudelieres. ( Serm.'x. Ps. (Jui hab. ) Nous sommes cruels envers notrecorps en luiinfligeant dès pénitences , mais vous êtes bien plus cruels, vous qui le contentez dans la vie présente et le condamnez à souffrir avec votre âme des peines éternelles dans la vie future. Un saint solitaire, dont parle leP. Rodriguez, répondit à ceux qui lui demandaient pourquoi il meur-trissait son corps parla pénitence : Vexo eum qui vexât me. Je tourmente l'ennemi qui me ' tourmente et qui voudrait me donner la mort. L'abbé Moïse répondit ainsi à une personne qui le pressait de ne pas mortifier son corps : Quiescant passiones, quiescam et ego. Quand ma chair cessera de me tourmenter, jecesseraideïa mortifier.
• II. Si donc nous voulons nous sauver et être agré-ables à Dieu, nous devons changer de goût : nous de-vons nous plaire dans ce qui répugne à la chair,et nous déplaire dans ce que la chaire demande. C'est ce que Dieu dit un jour à St.-François' d'Assises : Si tu désires me posséder, reçois' les choses arriéres comme des choses douces, et le choses douces comme des choses arriéres. Il ne faut pas dire comme quelques personnes, que la per-fection ne consiste pas à meurtrir son corps, mais à mortifier sa volonté. Le P. Pinamonte répond en ces mots à ceux qui parlent ainsi : Ce n'est pas parce qu'elle est entourée d'épines que la vigne porte des
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fruits; mais ce sont les épines qui la défendent, et sans ces épines le fruit serait dérobé ; l'Ecclésiaste l'a dit (xxxvi.27.) : Ubi non est sepes diripietur possessio. Quand il n'y a pas de haies, le champ est ravagé. St.-Louisde Gonzague, quoique d'une santé très-faible, aimait tant à macérer son corps, qu'il ne cherchait que mortifica-tions et pénitences, et comme on lui dit un jour que la sainteté consistait plutôt dans l'abnégation de ses volontés que dans les mortifications, il répondit sage-ment avec l'évangile : Hœc oportet facere et Ma non omit-tere. (Mat. xxm. 23.) Il fallait faire cela et nepasomettre le reste. C'est-à-dire que quoiqu'il soit nécessaire de morlifier ses volontés, il est nécessaire aussi de mor-tifier son corps pour le tenir au frein et le rendre obéis-sant àla raison.L'Apôtredisait: Castigo corpus meum et in servitutem redigo. (I, Cor. ix. 27.) Je châtie mon corps elle réduis en servitude. Quand lecorps n'est pas mor-tifié il n'est pas obéissant à la loi. S t-Jean de la Croix, parlant de ceux qui n'aiment pas les pénitences et qui s'établissent maures de spiritualité pour les autres , qui méprisent les mortifications extérieures et en dis-suadent la pratique, dit ces paroles : Si quelqu'un ve-nait vous enseigner à vous relâcher de la mortifica-tion de la chair, n'ajoufezpas foi à sa doctrine, quand même il la confirmerait par des miracles.
III. Le monde et le démon sont les grands ennemis de notre salut éternel; mais le plus grand de nos en-nemis, c'est notre corps, parce que nous le tenons dans nos foyers. St.-Bernard a dit : Magis nocet do-mesticus hostis. ( De anima, cap. 15. ) L'ennemi domes-tique est le plus à craindre. Une place assiégée n'a pas d'ennemis plus dangereux que ceux qu'elle ren-ferme dans son sein, parce qu'il est plus difficile de se garder de ceux-ci que de ceux du dehors. Le B. J.
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Calasanze disait : II ne faut pas faire plus de cas de gon corps que d'un torchon de cuisine. En effet les Saints l'ont traité ainsi. Comme les hommes du monde ne pensent qu'à satisfaire leurs corps, par des plaisirs sensuels, ainsi les âmes amantes de Dieu ne cherchent qu'à mortifier leur chair. St -Pierre d'Al-cantara disait à son corps : Mon corps tais-toi, je ne veux te donner aucun repos en ce monde ; tu ne re* cevras de moi que tourments. Ensuite , quand nous serons en Paradis tu jouiras d'un repos sans fin. Ste.-Madelaine de Pazzi avait suivi cette maxime, puis-qu'elle dit au lit de la mort, qu'elle ne se souvenait pas d'avoir goûté d'autre satisfaction qu'en Dieu. Li-sons les vies des Saints, voyons les pénitences qu'ils ont faites, et rougissons d'être si délicats et si réservés à affliger notre chair. On lit dans les vies des Saints de la primitive Église, ( lib. ι. in w. St.-Euphr. ) qu'il y avait un couvent très-nombreux, dont les religieuses ne prenaient jamais de fruits ni de vin, quelques-unes ne mangeaient que d'un soir à l'autre, ou ne se nourrissaient qu'après deux ou trois jours d'une absti-nence rigoureuse ; elles portaient toutes le cilice et dormaient dessus. Je n'exige pas tout cela des reli-gieuses d'aujourd'hui , mais n'est-ce pas le moins qu'elles se donnent la discipline plusieurs fois la se-maine ? Qu'elles portent une chaîne sur elles, jusqu'à l'heure du dîner, qu'en hiver, pendant quelques jours de la semaine et dans lesneuvaines surtout, elles n'ap-prochent pas du feu ? qu'elles s'abstiennent des fruits et de toutes douceurs, et qiie le samedi elles jeûnent au pain et à l'eau, ou qu'elles se contentent d'un seul plat pour l'amour de la Ste.-Vierge?
IV. Mais dira quelque religieuse : Je suis  malade
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et mon directeur me défend toute sorte de pénitence. Bien, obéissez : mais au moins embrassez avec paix les douleurs que vous éprouvez et les incommodités de l'hiver et de l'été, etsi vous ne pouvez mortifier votre corps par des pénitences positives, du moins abstenez-vous de quelque plaisir licite. St.-François de Borgia , allant à la chasse au Faucon , baissait les yeux lorsque le faucon saisissait sa proie dans les airs, afin de se priver du plaisir de la voir se débattre pal-pitante sous les griffes de son vainqueur. St.-Louis de Gonzague se privait de voir les jeux les plus divertis-pans des fêtes où il se trouvait. Pourquoi ne pr-atique-riéz-vous pas aussi ces mortifications ou d'autres sem-blables ? Le corps voyant que les plaisirs licites lui sont refusés, n'aura pas l'effronterie d'en demander d'illicites ; ceux au contraire qui veulent se donner tous les plaisirs licites finissent par en prendre d'illi-cites. Le P. Vincent Carafe , disait que le Seigneur nous a donné les délices de ce monde , non pas uni-quement pour nous en faire jouir, mais encore, afin de nous donner des occasions de lui devenir agréable, en lui rendant ses propres dons par une privation vo-lontaire qui est une preuve de notre amour pour lui.
II est vrai que parfois certains plaisirs innocens ai-dent notre faiblesse humaine et nous rendent plus propres aux exercices de piété. Mais soyons convain-cus que les plaisirs sensuels sont à proprement parler les poisons de l'âme, car ils l'attachent aux. créatures, de sorte qu'on ne doit en user que comme on use des poisons. Parfois , les poisons mêmes rétablissent la santé du corps , quand ils sont bien préparés et pris à petite dose, mais ce sont toujours des remèdes com-posés avec des poisons, et c'est pour cela qu'on doit les prendre avec précaution et modération, sans at-
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tachement , mais uniquement par nécessité , afin de pouvoir mieux servir Dieu.
V. N*allons pas, pour conserver la santé du corps , perdre celle de l'âme, car l'âme est malade dès que la chair n'est pas mortifiée. St.-Bernard disait : Com-patìor infirmitatibus corporum, sed amplius metuenda infir-mitas animarum. ( Ep. 321. ) Je compatis aux infir-mités du corps, mais je compatis encore plus aux in-firmités de l'âme qui sont beaucoup plus dangereuses et bien plus à craindre. Oh! q'ie de fois les infirmités du corps nous servent de prétexte pour prendre quel-que liberté inutile 1 Ste.-Thérèse disait â ses religieu-ses : Nous n'allons pas au chœur aujourd'hui, parce que nous avons mal à la tête ; demain , parce que nous y avons eu mal, et les jours suivans de peur d'y avoir mal. ( Chem. de perf. c. 10. ) Cette sainte don-nait encore ( ehap. suivant ) cet avertissement à ses filles : Vous n'êies pas venues ici pour vous dorloter mais pour mourir à vous-mêmes pour Jésus-Christ. Si nous ne savons nous passer de la santé du corps , nous ne ferons jamais rien. Qu'importe que nous mourrions? Que de fois notre corps s'est moqué de nous! Ne nous moquerons-nous jamais de lui? Le B. Calasanze disait : Malheur à tout moine qui pré-fère la santé à la sainteté! St.-Bernard trouvait qu'il était honteux pour un moine de prendre des méde-cines chères, et que les tisanes suffisaient. Je n'en de-mande pas tant des religieuses, mais je dis que celle-là est difficilement intérieure, qui demande sans cesse médecins et médecines , et souvent ne s'en rapporte pas même à l'ordonnance du médecin ordinaire , et met ainsi le désordre dans tout le monastère. St;-Sal-vien dit : Homines Christo dediti infirmi sunt et volunt esse; si fortes fuerint, sancti esse vixpossunf.Les personnes
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adonnées à l'amour de Jésus-Christ, surtout les religi-euses, sont presque toujours malades de corps (lisez les vies de Ste.-Thérèse, de Ste.-Rose,de Ste.-Madeleine de Pazzi ) et cet état leur plait, sans quoi, dit Salvien, elles ne pourraient pas devenir saintes. La vén. Bea-trix de l'Incarnation, première fille spirituelle deSte.-Thérèse, était accablée d'infirmités et de douleurs, et cependant elle disait qu'elle n'aurait pas changé d'é-tat avec la première princesse du monde. Elle souf-frait tout sans se plaindre, ce qui porta une religieuse à lui dire en riant : Ma sœur, vous semblez un de ces pauvres qui meurent de faim , mais qui aiment mieux supporter cette faim que d'avoir la honte d'a-vouer leur pauvreté. Ainsi donc,'si nous ne pouvons faire beaucoup de mortifications corporelles, à cause de la faiblesse de notre santé, au moins recevons à bras ouverts les infirmités que Dieu nous envoie. Supportées avec patience, ces infirmités nous feront faire peut-être plus de progrès duns laperfection spirituelle que tontes les pénitences volontaires. Sle.-Sinclétique disait : De même que par les médecines on guérit les maux du corps, ainsi par les maux du corps on guérit les vices de l'âme. ( In vit. pat. lib. ni. c. 36. )
VI. Oh ! que de biens apportent à l'esprit les mor-tifications du corps ! Elles nous détachent des goûts sensuels qui blessent et qui même donnent par fois la mort à l'âme. Vulnera caritatis , disait Origène, non faciunt sentire vulnera carnis ( In cant. e. 3. ) Les bles-sures de la charité empêchent de sentir les blessures de la chair. De plus, les mortifications nous font satis-faire en cette vie pour la peine due à nos péchés. Car quoique le péché soit pardonné à celui qui a offensé Dieu, néanmoins il faut encore qu'il satisfasse pour la peine temporelle ; et celui qui ne satisfait pas eu cette
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vie aura à payer après sa mort dans le Purgatoire. Mais là les peines seront immensément plus grandes. In tribulatione maxima erant nisi poenitentiam egerint. ( Apoc. π. 22. ) Ceux qui n'auront pas l'ait pénitence de leurs péchés souffriront des peines horribles dans l'autre vie. Sl.-Antonin raconte qu'un ange demanda à un malade s'il aimait mieux rester trois jours dans le Purgatoire ou deux ans dans son lit avec la même infirmité ; le malade choisit les trois jours de Purga-toire ; mais au bout d'une heure, il se plaignait à l'ange comme si au lieu de trois jours, il lui en eût fait passer plusieurs années. L'ange lui répondit : Que dis-tu? ton corps est encore chaud sur le lit οίι tu es mort, et tu parles d'années? Sidone vous voulez souf-frir en paix, figurez-vous que vous devez vivre quinze ou vingt années, et dites : C'est ici mon purgatoire ; ce n'est pas le corps mais l'esprit qui doit l'emporter.
Vil. D'ailleurs , les mortifications élèvent l'âme à Dieu. St.-François de Sales disait que l'âme ne peut s'élever à Dieu, si la chair n'est pas mortifiée et sou-mise. St.-Thérèse nous donne sur ce sujet ces belles maximes : C'est une erreur de croire que Dieu admet à sa familiarité des gens délicats. Bonne chère et dé-votion ne s'accordent pas ensemble. Les âmes qui ai-ment Dieu véritablement ne demandent pas de repos.
ΎΙ11. Les mortifications nous acquièrent une grande gloire dans le ciel. L'Apôtre disait : si les lutteurs s'abs-tiennent de tout excès pour ne pas affaiblir leurs for-ces et ne pas perdre une misérable couronne tem-porelle, combien ne devons-nous pas nous mortifier, nous, pour acquérir une couronne immense et éter-nelle ? Uti quidem est corruptibilem coronam accipiant, nos autem incorruptam. ( 1. cor. 9. 25. ) St.-Jean vit dans le ciel tous les élus, une palme à la main ; Et patma in
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manibus eorum. ( Apoc. vii. 9.) Nous devons entendre par là, que, pour nous sauver, nous devons être mar-tyrs, du par le fer des tyrans ou par nos propres mor-tifications. Mais il faut remarquer que tout ce que nous souffrons ici bas n'est rien en comparaison de la gloire qui nous attend dans le Paradis. Non sunt condi-gnae passiones hujus temporis ad futuram gloriam quas re-velabitur in nobis ( Rom. vm. 18. ) Cette courte morti-fication nous rapportera une félicite éternelle. Momen-taneum et levé tribulationis nostrm œternum glorice pondus operatur in nobis. ( ι. cor. iv. 17. )
IX. Ranimons donc notre foi, nous n'avons que peu de temps à passer sur cette terre. No're demeure, c'est l'éternité; plus on se sera mortifié, plus on y aura de joie. St.-Pierre dit que les bienheureux sont les pierres vivantes dont est composée la Jérusalem céleste. Mais ces pierres doivent être d'abord taillées sur la terre avec le ciseau de la mortification, comme le chante l'Eglise. Sralpri salubris ictibus et tunsione plurima, fabri polita malleo hanc sawamolem construunt.Fi-gurons-nous que chaque acte de mortification est un coup de ciseau. Cette pensée rendra douce nos peines et nos fatigues. Si l'on était assuré de devenir posses-seur de tout le terrain qu'on pourrait parcourir en un jour, comme on hâterait le pas et que la fatigua du chemin serait doUce et agréable. On racoute dans le Pré spirituel qu'un moine voulait changer de cel-lule pour se trouver plus voisin de l'eau- Mais un jour qu'il sortait de son ancienne cellule pour aller pren-dre l'eau, il entendit quelqu'un qui comptait ses pas derrière lui ; il se tourna et vit un jeune homme qui lui dit : je suis un ange qui compte tes pas afin qu'au-cun ne reste sans récompense. Le moine à ces mots ne pensa plus à changer de cellule et peut-être il eût
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désiré que la sienne fût plus éloignée pour mériter da-vantage.
X. Mais les religieuses mortifiées jouissent de celte paix et de cette joie, non-seulement dans l'autre vie , mais même dans celle-ci ; et qu'elle plus grande joie peut avoir une âme qui aime Dieu que de penser qu'en se mortifiant, elle lui est très-agréable ? La pri-vation même des plaisirs des sens et cette peine sont des délices pour une^me pieuse,.non des délices des sens mais de l'esprit ! L'amour ne peut être oisif. Qui aime Dieu ne peut vivre sans lui donner sans cesse des preuves de son amour, et l'âme ne peut donner à Dieu de plus grandes preuves d'amour qu'en se privant des plaisirs temporels, qu'en lui of-frant ses peines. Une âme amoureuse de Jésus-Christ ne souffre pas en se mortifiant. Qui aime ne souffre pas,dit St.-Augustin; ψά amat non laborat, (In Man. ) et puis quel est celui, s'écrie Ste.-T»hérèse, qui voyant Jésus-Christ couvert de plaies et d'outrages,,n'embras-sera pas les mortifications et ne les désirera pas? St,-Paul disait qu'il ne voulait d'autre gloire que celle d'embrasse,r la croix de Jésus-Christ. Mihi autem absit gloriari nisi in cruce Domini nostri Jesu Christi. (Gal. vi. 14· ) c'est le signe certain pour distinguer ceux qui aiment .Jesjis-Christ, de ceux qui ne l'aiment pas. Qui ctutepi s uni Christi carnem meam crucifixerunt cum vitiis ei.concupiscentiis, ( Gal. ν. ΊΙχ. )Les gens, du monde ne songent qu'à,satisfaire leur chair , mais ceux qui sont à.Jésus-Çhrîst ne songent qu'à la mortifier et a la crucifier. Concluons ainsi, ma chère sœur: Suppose? que l'instant- de la mort est proche et que vous avez acquis très^peu pour le paradis. Tâchez donc de vous mortifier à l'avenir autant que possible, et de vous priver des, satisfactions, que Γ amour-propre vous de-
Ì'QO                                      ΙΑ  RELlGÌElieE
mande. Ne négligez aucune occasion de le faire , comme le dit le St.-Esprit. Particula boni doiïi non te prœlereat. ( Eccl. xiv. 14- ) Ne laissez pas perdre la plus petite parcelle du bien que Dieu vous donne. Pensez que cette occasion de vous mortifier, est un don que Dieu vous fait pour que vous puissiez acqué-rir plus de mérite dans l'autre vie ; pensez encore que ce que vous ne faites pas aujourd'hui Vous ne le pour-rez pas faire demain, parce que le temps passé ne revient plus.
XI. Je veux enfin votis mettre sous' les yëUx, pour vous encourager à la pénitence , ce que vit St.-Jean Climaque dans Ce monastère extraordinaire , appelé la Prison des péniterts. Voici la description qu'il en fit ensuite : ( In scalâ Parad. Grad. ) « Je vis, dit le » Saint, quelques-uns de ces moines qui passaient » debout sur leurs pieds, la nuit, en plein air, luttant » avec le sommeil. J'en vis d'autres qui tenaient les » yeux fixés au ciel et qui demandaient pardon à » Dieu en pleurant. D'autres encore , les mains liées 4 derrière le dos, tenaient la tète baissée comme in-» dignes de regarder" le ciel· D'autres, couchés sur la » cendre, avaient la tête entre leurs genoux et frap-» paient du front la terre. D'autres inondaient le pavé » de leurs larmes. D'autres recevaient les rayons brû-» lants du soleil. D'autres, brûlés par la soif, se con-» tentaient de quelques gouttes d'eau, assez pour ne » pas mourir. D'autres prenaient un morceau de » pain , puis le jetaient, disant qu'il ne méritait » pas une nourriture d'homme, celui qui a fait des » actions de brute. D'autres avaient les joues sillon-« nées par les larmes. D'autres avaient les yeux dé-» charnés et enfoncés dans la tête. D'autres se frap-» paient la poitrine si fort, qu'ils  en  crachaient le
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» sang. Enfin, je les vis tous avec des visages si pâles, » si meurtris qu'on les eût pris pour des cadavres. * Le Saint finit en disant qu'il trouve plus heureux ces moines qui, après être tombés, font pénitence, que ceux qui ne sont jamais tombés, et qui n'ont jamais fait pé-nitence. Mais que dire de ceux qui tombent et ne font pas pénitence ?
PRIÈiiE.
Mou époux , aidez-moi, donnez-moi la force de vous servir à l'avenir autrement que je n'ai fait jus-qu'à présent. Je n'ai pensé par le passé qu'à satisfaire mes goûts et mon amour-propre, sans craindre de vous offenser ; mais désormais je ne veux songer qu'à vous contenter vous seul, car vous seul méritez tout mon amour. Pour l'amour de moi, qui suis votre mi-sérable créature , vous avez choisi une vie pleine de peines et de douleurs ; vous n'avez rien épargné pour m'engager à vous aimer, et je vivrais encore dans l'ingratitude où j'ai langui pendant tant d'années ? Non , Jésus, il n'eu sera pas ainsi, je vous ai assez of-fensé. Pardonnez-moi, pardonnez-moi tout; je me re-pends de tout mon cœur de vous avoir tant offensé jus-qu'à présent par ma vie désordonnée. Je vous aime maintenant de tout mon coeur et je veux faire tout ce que je pourrai pour vous plaire en tout. Faites-moi savoir ce que vous vouto de moi, par la voix de mon directeur, car à présent je me propose et j'espère le faire avec votre grâce. Mon bien-aimé Rédempteur , remplissez ma mémoire de saintes pensées, afin que je me souvienne toujours des douleurs que vous, mon Dieu, avez souffertes pour moi; remplissez ma vo-
iga                         in RELIGIEUSE
loiité de saintes affections afin qu'elle ne s'occupe qu'à vous plaire, et ne veuille que ce que vous voulez, sans autre liberté que celle de pouvoir être toute à vous. Faites, Seigneur, que je vous aime beaucoup, parce que dès que je vous aimerai, toutes les peines seront douces et chères. Vierge sainte, et Marie, ma mère, aidez-moi àplaireà Dieu pendant les jours que j'ai encore à vivre, je me confie toute en vous.
5. I.
De la mortification des yeux et do la modestie en général.
I. Presque toutes les passions qui font la guerre à notre esprit prennent leur origine dans nos yeux mal gardés, parce que c'est la vue des objets extérieurs qui exciteleplus souvent en nous'lès passions et les afie'c-tîons désordonnées. Jòb dit en parlant des passions impures. Pepigi foedus cum oculis meis ut ne cogitarem quidem tie virgine. ( xxxi. ) J*ai pris l'engagement avec mes yeux, de ne pas peuser aux femmes. Mais pour-quoi dit-il de ne pas penser ?Il aurait dû dire plutôt, de ne pas regarder. Oui, il eut raison dé dire de ne pais penser, parce que la pensée est si unie au regard que l'un iné peut ' aller sans l'autre, et le Saint pour ne pas être tourmenté par la pensée, se proposa de ne pas regarder le visage dei femmes. St.-Augustin dit : Vi-sum sequitur cogHatio, cogitationem delectatio, delectatio-nem consensus. La pensée naît du regard, le désir de la pensée, parce que, dit St.-François de Sales, ce qu'on
SANCTIFIÉE.                                     193
ne voit pas on ne le désire pas, puis le consentement succède au désir. Si Eve n'avait pas regardé la pomme défendue, elle ne se serait pas damnée; mais comme elle la regarda et qu'elle lui parut bonne et belle, elle la prit et se perdit. Vidit quod bonum esset lignum et put-chnvtn.... et tulit. ( Gen. 111. 6. ) C'est pourquoi le dé-mon nous pousse d'abord à regarder, puis à désirer , puis enfin à consentir.
II. St.-Jérôme dit que le démon, n'a besoin que de noscommencements '.Nostris tantam initiis opus ha-bet. Il lui suffit que nous commencions à lui ouvrir la porte , il saura de lui-même achever de l'ouvrir tout-à-fait. Un regard Volontaire, fixé sur la figure d'une personne de l'autre sexe, deviendra une étincelle d'en-fer qui fera périr l'âme. St.-Bernard dit : Per oculos intrat ad mentem sagitta «moris. ( Serm. 13. } Les pre-mières flèches qui blessent les âmes chastes , et sou-vent les tuent passent par les yeux ; c'est par les yeux que se perdit David, si cher à Dieu. C'est parles yeux que se perdit Salomon, qui jadis avait été la plume du St.-Esprit. Combien d'autres se sont damnés à cause de leurs yeux. Qu'il ferme les yeux celui qui ne "veut pas pleurer un jour ,en disant avec Jérémie. Oculus meus depraedatus est animam meam. ( Thr.m. 15.) Les yeux m'ont perdu l'âme par les mauvais senti-ments qu'ils y ont introduits.Aussi St.-Grégoire a dit: Deprimendisunt oculi, quasi raptores ad culpam.(M.ov.l.%l.) Il faut réprimer ses regards , sans quoi ils seront comme des harpons d'enfer qui entraîneront l'âme au péehé presque malgré elle. Qui regarde un objet dangereux, dit le saint , Incipit veU quod noluit, cem-mence à vouloir ce qu'il ne voulait pas. L'histoire d'Holopherne nous le prouve en disant : Pulchritude vin.                                                i3
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ζ/'ΐΜ captivam fecit animam ejus. (Jud. xvi. 11.) La beauté de Judiht rendit son âme esclave. ' III. Sénèque di.sait : Pars innocentia cœcitas. La cé-citéconduit à l'innocence. Un philosophe païen, au dire de Tertullien, s'arracha volontairement les yeux pour conserver sa chasteté. Cela ne nous est pas permis, à nous, fidèles, mais si nous voulons être purs il faut que nous soyons aveugles par vertu, en nous abstenant de regarder des objets qui peuvent réveiller en nous des pensées déshonnêtes. Le St.-Esprit a dit : Ne (ircumspi-cias speciem alienam.... ex hoc concupiscentia quasi ignis exardescit. ( Eccl. ιχ. 8 et 9. ) Ne regarde pas la beauté d'autrui parce qu'après les regards viendront les mau-vais désirs qui allumeront dans ton âme un feu impur. St.- François de Sales disait : Qui ne veut pas que les ennemis entrent dans la place doit en fermer les portes.
IV. Les saints ont toujours été si cirsonspects, pour ce motif, avec leurs yeux, que, de peur de voir quelqu'ob-jet dangereux, ils les tenaient sans cesse fixés à terre, «'abstenant de regarder même les objets innocens. St·-Bernard, après un an de noviciat, ne savait pas encore si le plancher de sa cellule était en poutres ou un pla-fond. Il y avait trois fenêtres dans l'église de son cou-vent, mais il n'en connaissait pas le nombre, car ja-mais il n'y avait jeté les yeux. Ayant marché pres-qu'un jour entier sur les bords d'un lac, il demanda à ses compagnons, qui en parlaient, où étaitcelac, car il ne l'avait pas encore vu. St.-Pierre d'Âlcantara te-nait les yeux si baissés, qu'il ne connaissait pis même les moines avec qui il était en rapport, il ne les distin-guait qu'à la voix et jamais à la figure. L'attention des saints a été plus grande encore pour ne pas regarder les personnes d'un sexe différeut. St.-Hugon, évèque,
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lorsqu'il était obligé de traiter avec des femmes, ne les regardait jamais en face; Ste.-Claire aussi ne voulut jamais voir aucun homme en face; une fois qu'elle le-va les yeux pour voir l'hostie consacrée et qu'involon-tairement elle regarda le prêtre, elle en fut très-alïligée. St.-Louis deGonzague n'osait pas lever les yeux, même vers sa mère. Une dame de qualité alla trouver St.-Ar-eène dans le désert pour le prier de la recommander à Dieu, mais le saint lui tourna le dos aussitôt qu'il s'a-perçut que c'était une femme. Cette Dame lui dit ; Arsène, puisque tu ne veux pas me voir du moins sou-viens-toi de moi dans tes prières. Non, dit-il, je prie-rai Dieu qu'il m'accorde la grâce de t'oublier, afin que je ne pense plus à toi.
V. On voit par là combien sont téméraires et folles ces religieuses qui, sans être des Stes.-Claires, veulent cependant regarder à leur belveder, au parloir, à l'é-glise tous les objets qui s'offrent à leur curiosité, même les personnes de l'autre sexe et puis veulent être exemp-tes tie tentations et des dangers de pécher. L'abbé Pas-teur ayant regardé une femme qui glanait, fut pendant 40 ans tourmenté par des tentations impures. St.-Gré-goire dit que c'est pour avoir regardé imprudemment une femme que St.-Benoît .se roulait dans les épines pour se délivrer des tentations, dont un regard avait été la cause. St.-Jérôme, pendant son séjour dans la grotte de Bethléem, où il priait et se meurtrissait sans cesse, étaitconthmellementharcelépar le souvenir des dames qu'il avait vues à Rome. Comment donc pourraient être exemptes de semblables images les religieuses qui regardent sans réserve, et à plusieurs reprises, des hom-mes ? C'est le second regard, dit St.-François de Sa-les, qui est le plus nuisible. St.-Augustin a dit : Etsi oculi nostri jaciantur in aliquam, de figantar in nulla. (In.
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Reg. in. c. 28. ) Si par hasard nos yeux glissent sur quelqu'un ,   tâchons  qu'ils ne s'y arrêtent pas. St.-Ignace de Loyola réprimanda le P.Manareo,parce qu'en le congédiant, pour l'envoyer loin delà, celui-ci l'avait regardé en face. ( Lancis. Op. H. n. 30Ζμ ) II est- donc indécent pour les religieuses de regarder, même des personnes de leur sexe, surtout si elles sont jeunes. Je dis que c'est indécent, généralement parlant ; mais regarder des jeunes gens de l'autre sexe, je ne sais si on peut-être excusé de péché véniel et même de péché mortel, s'il y a danger prochain à consentir à quelque désir. Intueri non licet, dit St.-Grégoire, quod non licet concupiscere. Il n'est pas licite de regarder ce qu'il n'est pas licite de convoiter, parce que, quoiqu'on chasse les mauvaises pensées qui troublent l'esprit quand on regarde, il reste toujours une petite tache dans l'âme; Frère Roger, Franciscain, qui avait reçu le don extraor-dinaire de pureté , répondit à ceux qui lui deman-daient pourquoi il était si réservé à regarderies fem-mes : Quand on fuit les occasions, on est gardé par Dieu même, mais quand on se met soi-même dans le danger , on est abandonné de Dieu et l'on tombe dans des péchés graves. (Lib. confort'S. Fran. 2. )
YI. Si la liberté des yeux ne cause pas d'autre mal, du moins elle empêche l'âme de se recueillir dans la prière, car alors tous les souvenirs étrangers re-viennent à la mémoire et donnent1 miile distractions. Et si l'on a eu du recueillement dans l'oraison , on le perdra bientôt en laissant égarer ses yeux partout. Les religieuses qui ne sont pas recueillies ne peuvent guère exercer la vertu de l'humilité, de la patience, de la mortification et autres semblables. Il faut donc qu'elles s'abstiennent bien de regarder par curiosité les objets extérieurs qui les détournent de leurs saintes pensées:
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Qu'elles ne regardent que ceux q\ii leur parlent de Dieu. St.-Bernard dit que les yeux baissés à terre ser-vent à élever le cœur vers le ciel. St.-Grégoire de Nazianze a dit : UblChristui est, modestia est. (Ep. 193.) Où habite Jésus-Christ par son amour, là est aussi la modestie. Je ne prétends pas qu'on ne doive jamais lever les yeux ni regarder aucun objet. Je veux au con-traire qu'on regarde tout ce qui nous porte à Dieu , comme les saintes images, la campagne, les fleurs,etc. parce que ces belles créatures nous élèvent jusqu'à la contemplation du Créateur. Mais pour tout le reste une religieuse dévote doit le plus souvent tenir les ytìux baissés , surtout dans les lieux où ils peuvent rencon-trer des objets dangereux, et en causant avec des hommes, ses yeux ne doivent jamais les regaider et encore moins les fixer, comme nous l'avons dit ci-dessus avec St.-François de Sales.
VII. La modestie des yeux est non seulement né-cessaire pour son propre .intérêt niais de plus elle sert Λ l'édification des autres» Dieu seul voit notre cœur ; les hommes ne voient que nos actions extérieures et ils en sont édifiés, ou scandalisés. Ex visu cognosciturvir. (Ecc. ix. 20. ) Par la figure on connaît ce qu'est l'homme à l'intérieur. C'est pourquoi un religieux doit être comme l'Évangile le dit de St.-Jean : Lucerna ardens et lucem. Une lampe ardente et brillante. (St.-Jean v. 35.) Il doit être un flambeau qui brûle du divin amour dans son cœur et qui baisse, par sa modestie, devant ceux qui le voient. Ce qu'écrit l'Apôtre à ses disciples regarde surtout les religieuses. Spectaculum facti sumus mundo et angelis et hominibus. (I. Cor. iv. 9.) Nous sommes donnés en spectacle au monde. C'est-à-dire aux anges et aux hommes. Il dit ailleurs : Modestia vestra nota sit omnibus; Dominus prope est. Que votre mo~
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destie soit connue de tous, car le Seigneur est proche. (Phil. iv. 5.) Les religieux en effet sont attentivement observés par les anges et parles hommes, et leur mo-destie doit être connue de tout le monde. Ainsi, s'ils sont immodestes ils auront à en rendre un compte terrible à Dieu au jour du jugement. Au contraire quelle belle édification ne donne pas et combien n'excite pas à la dévotion, un religieux ou une religieuse modeste, qui tient toujours les yeux baissés. On connaît l'histoire de St.-François d'Assise qui, ayant dit à son compagnon qu'il voulait aller prêcher, sortit du couvent et après avoir fait un tour dans le pays, eu tenant toujours les yeux baissés, revint chez lui. Son compagnon lui de-manda : Et le sermon quand le ferez-vous ? Le saint répondit :Le sermon est fait par l'exemple de la modes-tie des yeux que nous avons donné à ce peuple. On lit dans la vie de St.-Louis deGonzague, que, lorsqu'il était à Rome, les étudiants attendaient le moment où il al-lait au collège et en sortait pour admirer sa modestie. VIIT. St.-Ambroise a dit que la modestie des hom-mes saints est toute puissante pour corriger les mon-dains. Plerisque justi aspectus admonitio est. ( lu ps. CXVIII.) Qu'il est beau, ajoute le saint, de pouvoir être utile aux autres, rien qu'en se montrant ! Quam pul-chrum est ut videaris et prosit ! On raconte que St.-Ber-nardin de Sienne, étant encore séculier, mettait par sa présence seule un frein à la licence de ses compa-gnons qui se disaient l'un à l'autre en le voyant: Voici Bernardin ! Silence !— St.-Grégoire de Nysse raconte de St.-Éphrem qu'on ne pouvait le voir sans éprouver un sentiment de dévotion et sans être excité à deve-nir meilleur. Innocent II étant allé rendre visite à St.-Bernard à Clairvaux , les cardinaux et le Pape même furent tellement touchés et édifiés de la vue
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du saint et des moines qui, par modestie, n'osaient le ■ver les yeux, qu'ils en versèrent des torrents de lar mes. Surius (vu. Jan.) rapporte une chose plus étonj nante de St.-Lucien, moine et martyr. 11 nous dit que ce saint, par sa modestie seule, forçait les païens embrasser la foi chrétienne. L'empereur Maximien, ayant appris ce prodige, le fit appeller, mais de peur d'être converti par son air modeste, il fit mettre voile entre lui et le saint, et ensuite il lui parla. Not| Sauveur fut le premier maître de cette modestie parce que (disent les SS. Docteurs) on lit dans Γ Évangile que Jésus, dans quelques occasions, leva les yeux pour regarder : Elevatis oculis in discipulos. Ayant levé les yeux sur ses disciples. (Luc.vi.20) Cum sublevasset ergo oculos Jesu. Lorsque Jésus eut donc levé les yeux, (Joa. vi. 5.) pour indiquer qu'ordinairement il tenait les yeux baissés. Aussi l'Apôtre, vantant la modestie de Ν. S., écrivit à ses disciples : Obsecro vos per mansue-tudinem et modestiam Christi.etc. (π. Cor. 10. 1.) Je ter-mine par ces mots qu'adressait St.-Basile à ses moines: Mes enfants, si vous voulez tenir votre àme a\i ciel, tenez vos yeux à terre. C'est pourquoi, dès l'heure de notre lever, faisons à Dieu la prière de David : Averte oculos meos ne videant vanitatem ; détournez mes yeux, pour qu'ils ne voyent pas la vanité. ( Ps. cxvni. 37. )
De la modeutic en général.
IX. Non seulement nous devons être modestes nos regards, maisaussidans toutes nos autres acli surtout dans notre habillement, dansuos déma dans nos discours, etc. Modestes dam l'habUleme
n'est pas que la religieuse doive être sale et déguenil-lée ; mais quelle édification peut donner une religieuse
dans ns, et ches, it; ce
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qui apparaît toute pimpante, les flancs serrés par un corset avec une guimpe plissée et repassée, avec des manchettes de baptiste, et des boutons d'argent ? Que peut-on penser d'une religieuse qui porte des bagues aux doigts et des cheveux bouclés t St.-Cyprien dit aux femmes du monde : Auro, monilibus, et margaritis adornatœ, ornamenta mentis perdunt (deHab. virg. 1. l\.) Les femmes qui sont parées de bijoux, d'or, de col-liers perdent tous les ornements de l'âme. Que le saint aurait bien fait d'adresser ces reproches aux reli-gieuses! Voici quels doivent être, selon St.-Grégoire de Nazianze, les ornements des femmes saintes : Mulierum ornamentum est probitate florere : colloquium cum divinis oraculis habere : fuso ei lanee operam dare : oculis et labiis vinculum injictre. (Adv. Mul. se orn.) Mener une vie pure, parler souvent à Dieu dans la prière, travailler pour fuir l'oisiveté, réprimer ses regards et sa langue par la modestie et le silence.
X.  Modestie dans la démarche. St.-Basile dit : Inces-sus sit nec segnis nec vehemens. (Ep. ad. Gr.) Pour être modeste, la demarche doit être grave, ni précipitée ni trop lente. Modestie quand on est assise. Il faut se garder de laisser aller son corps trop à l'aise sur une chaise, de croiser ses pieds et encore moins de mettre un genoux sur l'autre. Modestie dans le manger, en mangeant sans avidité, sans tourner les yeux autour de soi, pour observer ce que mangent et comme man-gent les autres.
XI.  On doit surtout être modeste dans le parler en «'abstenant de dire des mots déshonnêtes, et peu dé-cents pour l'état religieux. Il faut bien retenir que les paroles qui sentent le monde sont ineonvenantesdane la bouche d'une religieuse. St.-Basile disait : de vulgo aliquis si scurriles voces emittat haud quisquam attendit; at-
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qui vitas genus perfectum profitetur, hunc si latum unguen ab officio suo recedere visas sit, omnes confestim observant (In IV. quaes. xxu.) Si une personne du monde pr nonce un mot indécent, personne n'y fait attention parce que c'est le propre de ces gens de dire de ces pa-roles, mais si une personne qui professe la perfection, telle que les religieuses, s'éloigne d'un pouce de. sun devoir, chacun le remarque. Il faut observer plusieurs choses pour être modeste dans ses discours : 1° Fuir toutes sortes de médisance, même de choses connue 2° Quand les autres parlent ne pas les interrompt! In medio termonum, dit le St.-Esprit, non adjicias loqui. (Ecc. xi. 8.) Ne parlez pas au milieu du discours d'un autre. Quelle immodestie pour une religieuse que de vouloir toujours parler 1 Lorsque ses sœurs disent quelque chose, aussitôt elle leur coupe la parole; elle fait preuve de la sotte vanité de vouloir passer pour savoir tout, et de s'établir la maîtresse des autres. Tout cela blesse celles qui sont delà conversation. Dans les moments de récréation, surtout quand les autres gar-dent le silence, il convient de dire de temps en temps quelques paroles, car si tout le monde avait la bouche close, adieu la récréation. La bonne règle c'est de se taire quand les autres parlent, et parler quand les autres se taisent. 3° II faut s'abstenir de certaines plaisanteries qui portent sur les défauts des avares, parce que de telles plaisanteries (U'plaisenl à celJles à qui elles s'adressent. l\° Ne rien dire à sa propre Louange et si ou s'entend louer, élever son âme à Dieu et changer de discours. Si au contraire on vous contredit, ou si on vous plaisante vous ne devez pas vous en fâcher. St.-Jean-François Regis, quand ses compagnons, dans la récréation, se moquaient de lui, entretenait gaiment la conversation sur ces
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teries, afin que chacun y trouvât son amusement. 5° II faut encore parler à voix basse, afin de ne pas bles-ser les oreilles d'autrui. Ne cujusquam offendat vox for-tior. Qu'une voix trop forte ne blesse personne, dit St.-Ambroise. ( Lib. ι. de off. c. 18.) 6° II faut être modé-ré, même dans le rire. St.-Grégoire raconte qu'un jour la mère de Dieu vint prévenir une jeune vierge, ap-pelée Muse, de laisser le rire, si elle voulait lui plaire. La  Ste.-Vierge voulait parler des rires immodérés, comme dit St.-Basile : Cavendum est ab iis,  qui pietati itudent, ne in rhum effusi sint. Ceux qui s'adonnent à la piété doivent éviter le rire. ( In. reg. qu: xvn. ) Qui s'applique à la dévotion doit s'abstenir de rire im-modérément. Du reste, dit le même saint,  un rire modéré n'est pas contraire à l'honnêteté ou à la dé-votion ; c'est le reflet d'une âme sereine. Une reli-gieuse doit être modeste et dévote, mais non triste et refrognée, parce que cela déshonore la dévotion en faisant croire aux autres que la sainteté, au lieu de réjouir, afflige et tourmente.  Un air gai et content engage au contraire les autres à embrasser la dévo-tion. On raconte que les courtisans d'un monarque, ayant vu de quelle paix jouissait un vieux anachorète dans sa grotte, quittèrent le monde et allèrent vivre avec lui. ( llosign. ver. Et.) 7° Enfin ne pas parler des choses du monde,  comme de mariages,   de festins, de spectacles et d'habits pompeux; ne blâmer, ni ne vanter les mets qu'on sert au réfectoire. St.-François de Sales dit que les personnes bien élevées ne songent à la table que lorsqu'elles y sont assises. Quand les re-ligieuses pieuses entendent parler de choses nuisibles ou inutiles, elles tâchent de ramener la conversation aux choses de Dieu , comme faisait St.-Louis de Gon-zague, qui lisait chaque jour pendant une demi heure
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la "vie d'un saint ou qnelqu'autre livre de piété, pour avoir à parler dans la conversation de choses spiri-tuelles. Quand il était avec ses inférieurs , il était le premier à entamer la conversation sur des sujets saints. Quand il était avec des prêtres et des supé-rieurs , il leur proposait quelque doute comme pour s'instruire, et faisait ainsi tomber la conversation sur Dieu. Aussi ceux qui le connaissaient bien, pour se conformer à ses goûts, avaient soin pour lui faire plai-sir de parler de Dieu , si leur conversation avant son arrivée était sur un autre sujet. La langue, dit le pro-verbe , se porte où la dent fait mal. Qui porte un grand amour à un objet en parle toujours. St.-Ignace de Loyola, qui ne paraissait savoir parler que de Dieu, était surnommé te Pire qui ne parle que de Dieu.
PRIERE.
Mon Jésus , pardonnez-moi les péchés sans nombre que j'ai commis par mes immodesties . et dont je me repends de toxit mon cœur. Tout vient du peu d'amour que je vous ai porté. J'avoue que je ne mérite pas de pitié ; mais vos plaies et votre mort m'animent et m'obligent à avoir confiance en vous. Oh ! Dieu, que de fois je vous ai déplu , que de fois vous m'avez ten-dremeut pardonné! Je vous ai jure une fidélité éter-nelle et vingt fois j'ai recommencé à vous trahir. At-tendrai-je que vous m'abandonniez à cette mortelle tiédeur qui sans doute causerait ma perte ? Je veux me corriger, et pour cela je mets toute ma confiance en vous, Seigneur, et je me propose de vous deman-der toujours les secours nécessaires pour vous être fidèle. Par le passé, je me suis fiée à moi-même et
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j'ai négligé fie me recommander à vous ; telle a été la cause de mes nombreux péchés. Père Éternel, par les mérites de Jésus-Christ, ayez pitié de moi, secou-rez-moi et donnez-moi la grâce de me recomman-der à vous dans tous mes besoins. Je vous aime, ô bien suprême, et je désire de vous aimer de toutes mes forces , mais sans vous je ne puis rien. Donnez-moi votre amour, donnez-moi la sainte persévérance. J'espère tout de votre bonté infinie. Ο Marie , mère de Dieu ! vous savez combien j'ai confiance en vous : secourez-moi, ayez pitié de m,oi.
§■ «·
Le la mortification de la bouche.
I. St.-André d'Avellino disait que celui qui vuut marcher dans le chemin de la perfection , doit com-mencer par la mortification de la bouche. St.-Gré-goire l'avait déjà dit : Non adconflictum fpiritualis agonis consurgilur, si non prius gulœ appetitus domatur. (Mor. 1. xxx. c. 13.) On ne peut entreprendre la lutte contre les tentations de l'esprit, si auparavant on n'a dompté la sensualité de la bouche. Le P. Rogacci dit encore dans son traité De la seule chose nécessaire, que la mor-tification extérieure consiste principalement à mor-tifier le goût. Mais le manger flatte naturellement le goût; doit-on pour cela cesser de manger? Non; il faut manger, parce que Dieu veut que nous conser-vions ainsi la vie du corps, pour le servir tant qu'il lui plaira de nous laisser sur la terre. Mais nous ne devons nous occuper de l'entretien de notre corps, suivant le P. Vincent Carafa, que comme ferait un
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roi, qui, possédant la moitié du monde , serait né-anmoins forcé d'étriller de ses mains un cheval plu-sieurs fois le jour ; il remplirait, à la vérité, son obli-gation , mais comment ? Avec une certaine répu-gnance, et un certain dégoût, et il s'en débarasse-rait le plutôt possible. On doit manger pour vivre, et non vivre pour manger, dit St.-François de Sales. Il y en a qui semblent ne vivre quepour manger, comme fout les animaux. Celui-là, dit St.-Bernard, est brute, qui aime ce qu'aiment les brutes. L'homme qui aime la nourriture à la manière des animaux , est un être plutôt animal que spirituel et raison-nable : Adam ne mangea qu'une pomme, et il de-vint semblable aux bêtes de somme. Si les animaux, continue le même saint, eussent été doués de raison, lorsqu'ils virent Adam oublier Dieu et son bonheur éternel pour la misérable jouissance de manger un fruit, j'imagine qu'ils eussent dit : Voilà Adam deve-nu brute comme l'un de nous : puto , jumentu dicerent si loqui fas esset ; tcçe Adam, quasi unus ex nobis factus est. (S. Bern, ineant, serai, xxxv. ) C'est ce qui fai-sait dire à Ste.-Catherine de Sienne, qu'il est impos-sible à quiconque ntst point mortifié dans le manger, de conserver son innocence, puisque ce fut par Id qu'Adam, la perdit. Qu'il est triste et douloureux d'en voir tunl, qui, suivant l'expression .de St.-Paul, font leur Dieu de leur ventre! Quorum Deus venter est. ( Phil. m. 19.)
Combien de malheureux ont perdu leur âme par le vice de la gourmandise ! St.-Grégoire raconte dans ses dialogues. ( lib. ιν. c. 38. ) qu'il y avait dans un couvent de la Lycaonie «η moine dont la vie était fort exemplaire ; mais qu'au moment de sa mort, les autres religieux s'étant réunis autour de spp lit,
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pour en recueillir quelques paroles d'édification : Sd· chez, mes frères, s'écria-t-il, sachet que tandis que tous jeûniez je mangeais en cachette, et, pour m'en punir, Dieu m'a livré au démon, qui déjà me tue, et emporte mon âme. En disant ces mots, il expira. Le même saint raconte encore (Dial.l. c. iv. ) qu'une religieuse ayant remar-qué dans le jardin une belle laitue, la prit, contre la règle et la mangea; qu'aussitôt un démon s'empara d'elle et se mit à la tourmenter horriblement. Ses compagnes appelèrent le St.-Abbé Equizius, à l'ar-rivée duquel le démon s'écria : Quel mal ai*je fait ? j'étais assis sur cette laitue, et celle-ci est tenue me prendre. Mais le serviteur de Dieu le chassa par la puissance de ses exorcismes. On lit dans l'histoire de l'ordre de Citeaux ( Vincent, spec. hist. lib. vu. c. 108. ) que St.-Bernard, visitant un jour son noviciat, tira à l'é-cart un des novices, nommé Acard, et lui dit qu'un autre novice (qu'il lui montra du doigt) chercherait ce même jour à s'évader du couvent ; qu'en consé-quence il lui recommandait de le poursuivre et de l'ar-rêter, lorsqu'il le verrait fuir. En effet, la nuit sui-vante, Acard vit d'abord un démon, qui, s'étant ap-proché du novice, le tenta de gourmandise , en lui mettant sous le nez un poulet rôti. Cependant le malheureux s'éveilla, et, cédant à la tentation, prit ses vêtements, et se disposa à sortir du couvent. Alors Acard le rejoignit, mais ce fut sans succès, car le malheureux, vaincu parla gourmandise, voulut obsti-nément rentrer dans le siècle, ou (ajoute l'auteur) ft termina misérablement sa vie.
III. Ayons donc soin de ne pas nous laisser vaincre par ce vice brutal. St.-Augustin dit qu'il faut manger pour vivre , mais qu'il faut prendre la nourriture comme les médecines, c'est-à-dire en tant qu'elles sont
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nécessaires, et tien de plus. L'intempérance à table nuit beaucoup au corps et à l'âme. Quant au corps, il est certain que la plupart des maladies humaines sont occasionées par le vice de la gourmandise : les apoplexies, les diarrhées, les obstructions, les maux de tête, les douleurs d'entrailles, les points de côté , et mille autres maladies proviennent le plus souvent d'une nourriture trop abondante. Mais les maux du corps ne sont rien en comparaison de ceux que la gourmandise cause à l'âme. D'abord ce vice, comme dit le Docteur Angélique, (n. 2. Quaest. 148.) obs-curcit l'esprit, et le rend peu propre aux exercices spirituel», et surtout à l'oraison. Ainsi que le jeûne dispose l'âme à la contemplation de Dieu, et des biens éternels, de même l'intempérance l'en dé-tourne. St.-Jean Chrysostôme dit que celui qui a le ventre trop plein de nourriture est comme un navire trop chargé, qui se meut difficilement, et court ainsi le danger de se perdre, s'il survient quelque orage de tentation.
IV. St.-Bernard dit : Panem ipsum cum mensura su-me, ne onerato ventre stare ad orandum tmdeat, (In. cant. serm. LXVI. ) Tâchez de manger même le pain avec mesure, afin que votre estomac surchargé ne vous rende pas l'oraison fastidieuse. Ildit dans un autre endroit : Si ad vigilias indigestum cogis, non cantum, sed planctum potius extorquebis. (Αρ. ad Guil. ab.) Si vous faites veiller une personne qui a trop mangé , vous en obtiendrez plutôt plaintes et dégoût que le chant des louanges divines. Il faut donc que les reli-gieux mangent peu, surtout le soir à souper, car sou-vent la faim que l'on ressent alors est une fausse faim, et celui qui veut la satisfaire pleinement se sentira le matin l'estomac embarrassé, la tète pesante
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et pleine de vapeurs, ce qui le rendra incapable de dire même un ave Maria. Pensez^-vons alors que Dieu console dans l'oraison celui qui se remplit de nour-riture comme les brutes ? Divina consolatio non datur admilUntious alienam (Serai, vi.) : Les consolations di-vines ne sont point accordées à ceux qui cherchent celles de la terre.
V.  En outre, celui qui donne un libre cours à la gourmandise, le donnera aussi aux autres vices; car ayant perdu le recueillement, il péchera facilement par des paroles indécentes et des gestes dissolus ; le pire c'est qu'avec l'intempérance,  la chasteté court de grands dangers : Ventris saturitas, dit St.-Jérôrne , seminarium libidinis : La satiété du ventre est un grand foyer d'incontinence.   Cassien   dit qu'il est  impos-sible de  n# pas   éprouver des   tentations  impures quand on a l'estomac  trop  chargé : Impossibile est saturum ventrem pugnas non experiri. (In.lib.ix. c. 13.) Les saints,   pour conserver cette vertu, mortifiaient leur bouche. Le Docteur Angélique dit : Diabolui victus de gulâ, non tentat de libidine : Quand le démon est re-poussé dans  les tentations de gourmandise, il n'en donne point d'impureté.
VI.  Au contraire ceux qui ont soin de mortifier le goût,   font chaque jour des progrès dans la vie spiri-tuelle ; car, ayant mortifié le goût, ils mortifieront facilement  les autres sens, et s'exerceront dans la vertu, comme le chaule la Ste.-Eglise : Deus qui cor-porali jejanio viiia comprimis, mentes elevas, virtutes lar-giris et prœmia.  ( Praef. quadrag. ) : Ο Dieu ! qui, par le jeûne corporel , réprimez les vices, élevez les es-prits,  accordez les vertus et leurs récompenses.....
Par le moyen du jeûne, Dieu donne à l'âme la force de dompter ses vices, de se détacher des aiFections
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terrestres, de pratiquer la vertu et d'acquérir des mé-rites éternels. Ceux qui aiment les plaisirs de ce monde disent : Mais Dieu a créé ces aliments pour que nous en jouissions. Mais les saints ne parlent pas ainsi. Le P. Vincent Carafla, delà Compagnie de Jésus, disait : Le Seigneur nous a donné les délices de la terre, non seulement pour que nous en jouissions , ■mais encore pour qne nous lui en témoignions notre reconnaissance, et que nous lui prouvions notre amour , en lui rendant ses propres dons par la pri •vation que nous nous imposons. C'est la pratique des âmes saintes. Les anciens moines, selon St.-Jé-rôme, regardaient comme un vice de se nourrir d'a-liments cuits. Tout leur repas consistait en un pain d'une livre. St.-Louis de Gonzague, quoique d'une «ante très-faible, faisait trois jeûnes par semaine, au pain et à l'eau. St.-François-Xavier ne se nourrissait, dans ses missions que d'un épi de riz grillé. St.-Jean François Régis ne prenait pour nourriture qu'un peu de farine délayée dans de l'eau. St.-Pierre d'Alcantara ne prenait à ses repas qu'une tasse de bouillon. On lit dans la vie du frère Joseph de la Croix d'Alcantara, qui nous est bien connu, qu'après sa profession , il ne se nourrit pendant vingt-quatre ans que de pain et de quelques herbes ou de fruits ; eu outre il faisait tant de jeûnes au pain et à l'eau, que, forcé par ses maladies et par l'obéissance à prendre quelque chose de chaud, il se contentait d'un peu de pain, trempé dans du bouillon , et connue les médecins lui avaient ordonné de boire un peu de vin, il le mêlait avec le bouillon, pour rendre son breuvage amer et désagréable. Je ne prétends obliger aucune religieuse à imiter ces exemples pour devenir sainte ; mais je dis que celles qui satisfont leur gourmandise ne feront jamais de via.                                                        14
a 10                                   LA     RELIGIEUSE
grands progrès dans la vie spirituelle. L'action de manger se renouvelle deux fois par jour, de sorte que ceux qui ne mortifient pas leur bouche commet-tent mille imperfections chaque jour.
VII. Mais venons à la pratique. Voyons en quelles choses il faut mortifier le goût. St.-Bonaventure nous l'apprend. In qualitate, in quantilate, et modo .' Dans la qualité, la quantité et la manière. 1" In qualitate ut non delicata requirat, sed simplicia : Dans la qualité, ne recherchant pas les choses délicates, mais les plus sim-ples. Une religieuse , dit ailleurs le même Saint, qui ne se contente pas des mets qui lui sont offerts, mais qui en cherche de plus agréables, ou veut qu'ils soient autrement accommodés, prouve par là qu'elle ne con-naît point l'esprit de religion. Les religieuses morti-fiées se contentent de ce qu'on leur^donne, et quand on leur apporte plusieurs plats, elles choisissent le moins délicat. Ainsi faisait St.-Louis de Gonzague, tâchant de choisir ce qui répugnait le plus à son goût. St.-Clément d'Alexandrie a dit : Vinum et carnium sagimen , robur quidem adducunt corpori, sed animant reddunt languidum. ( Strom. 1. 7. ) Le vin et la viande donnent des forces au corps, mais ils en ôtent à l'âme. Quand à la viande, on lit dans les saints ca-nons, qu'anciennement il n'était pas permis aux moi-nes d'en goûter. Carnem monacho nec sumendi, nec gus-tandi est concessa licentia. ( De Cons. dis. 5. ) St.-Ber-nard dit en parlant de lui-même : Alistineo d carnibus, ne carnis nutriant vitia. ( Serm. txvi. in Cant. ) Je m'abstiens des viandes afin qu'elles ne nourrissent pas en moi les vices de la chair. Quand au vin , la Ste.-Écriture dit : Noli regibus dare vinum. ( Prov. xxxi. 4· ) Ne donnez pas de vin aux rois. Les rois ne sont pas seulement ceux qui gouvernent les royaumes, mais
les personnes qui domptent et soumettent à la raison leurs mauvais désirs. Le même saint dit dans un au-Ire endroit : Cui tœ?.. nonne his qui commorantur in vino et student calicibusepotantis.(?rov.xxiu. 30. ) Malheur, et malheur éternel, (car le mot vas, selon St.-Grégoire, a dans l'écriture le sens de damnation éternelle ) mal-heur à ceux qui ont le vice du vin ! Et pourquoi ? Sa-lomon le dit encorexLu&uriosa res vinum. (Prov.xx.l.) Le  vin est l'aliment de l'incontinence.  St.-Jérôme écrivit à la vierge Eustochium : Hoc primum moneo ut sponsa Christi vinum fugiat pro veneno. Vinum et adules-centia duplex incendium voluptatis est. ( Ep. 22. ) Si vous voulez vous conserver chaste, comme doit l'être une épouse du Christ, fuyez le vin comme le poison; le vin et la jeunesse sont un double aiguillon qui porte aux plaisirs illicites. Il suit de là que celui qui n'a pas l'esprit de mortification, ou qui, par faiblesse de tem-pérament, nepeut s'abstenir delaviandeetdu vin,doit du moins en user avec modération afin de n'être pas tourmenté· par des tentations impures.
VIII. Il est bon qu'une religieuse mortifiée s'abs-tienne d'assaisonnements superflus, qui ne serviraient qu'à contenter sa gourmandise. Les assaisonnement» qu'employaient les saints étaient la cendre, l'aloès et l'absinthe. Je n'exige pas de vous de telles mortifica-tions, ni beaucoup de jeûnes extraordinaires. Au con-traire, comme vous ne vivez pas seule dans un dé-^ sert, mais que vous êtes en communauté, il faut, dit Cassicn, que vous évitiez autant que possible tout ce qui n'est pas conforme aux règles ordinaires du cou-vent , car ce serait là un trait de vaine gloire. St.-Phi-lippe de Néri disait : Lorsqu'on est d table on doit man-der de tout. Il exhortait ses compagnons à fuir toute singularité comme la cause la plus ordinaire de l'or-,.
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gueil. D'ailleurs , quiconque a l'esprit de sainteté trouve bien moyen de se mortifier sans le faire voir. St.-Jean Climaque mangeait de tous les mets , mais il en goûtait plutôt qu'il n'en mangeait ; il mortifiait ainsi sa gourmandise sans danger de vanité. St.-Ber-nard dit que quelquefois celui qui vit en communauté est plus content dé pratiquer un jeûne aux yeux de ses frères qui mangent, que d'en faire sept en même temps qu'eux. Néanmoins je ne vous défends pas de faire quelque jeûne rigoureux au pain et à l'eau le vendredi, le samedi, les veilles des fêtes de la Ste.-Vierge et autres. Ces jours-là les religieuses dévotes ont contume de jeûner.
IX.  Du moins, si vous n'avez pas l'esprit de morti-fication, ou si vos maladies vous empêchent de jeû-ner, ne vous plaignez pas des mets de la communauté et mangez ceux qu'on vous présente. St<-Thomas d'A-quin ne demanda jamais de mets particuliers ; il était toujours coi.tent de ceux qu'on lui servait, et s'en nourrissait avec moderation.  St.-Ignace ne refusa ja-mais aucun plat et ne se plaignit jamais de son dîner, qu'il fût mal cuit ou mal assaisonné. C'est au supé-rieur à pourvoir à ce que les mets de la communauté soient bons ; mais la religieuse ne doit pas se plaindre s'ils sont fades ou trop salés, s'ils sont trop cuits, trop peu  abondants, ou s'ils  sentent la fumée.  Le mendiant se contente de ce qu'on lui donne, il lui suffit de ne pas mourir de faim ; ainsi h  religieuse doit recevoir ce qu'on lui présente comme vine  au-mône qui lui vient de Dieu.
X.   2° Quand à la quantité , St.-Bonaventure dit : In quantiiate at non nimium et sœpius quam decet, ut sit refectio eorpori , non onus. On ne doit pas se charger l'estomac de plus de nourriture ou plus souvent qu'il
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n'est nécessaire pour fortifier le corps, sans le sur-charger. C'est pourquoi jamais les personnes spiri-tuelles ne mangent à satiété. Sit tibi mm/eratus cibus et nunquam venter expletus, que votre nourriture soit mo-déiée et jamais à satiété , écrivait S.-Jérôme à la vierge Eustochium. ( Ep. 22. ) Quelques religieuses jeûnent un jour , et le lendemain elles mangent im-modérément. 11 vaut mieux , dit St.-Jérôme , prendre habituellement la nourriture nécessaire et ne pas faire succéder au jeûne un repas trop abondant. Le même docteur observe que l'on doit éviter la satiété, non-seulement pour les mets délicats, mais même pour les mets grossiers ; sed et in vilissimis cibis vitanda satie-tas est. (In. joy. lib. 2. ) Qu'importe qu'une religieuse ne se nourrisse pas de perdrix, mais de légumes, si ces légumes produisent le même effet que les perdrix ? Quand à la quantité de nourriture, St.-Jérôme assi-gne cette règle : Que l'on soit assez dispos de corps après le repas, pour pouvoir s'appliquer à prier ou à lire : Quando comedis, cogita quod statim tibi orandum et legendum est. ( Ep. ad. Fur. ) Un ancien père disait sagement; celui qui mange beaucoup et qui reste sur sa faim, sera plus: récompensé que celui qui mange peu el qui est rassasié. Cassien raconte qu'un jour un bon moine, ayant été obligé de s'asseoir plusieurs fois à table pour tenir compagnie à des étrangers, et ayant mangé chaque fois par convenance, il s'était levé de table, même la dernière fois, sans être rassasié. La plus belle manière de se mortifier, et la plus dif-ficile , c'est moins de renoncer tout-à-fait à un plat agréable que d'en goûter et d'en manger ti è.s-peu.
XI. Celui qui veut se réduire à une juste modéra -tion dans la nourriture, doit la diminuer peu à peu , jusqu'à ce que par l'expérience, il sente qu'il peut se
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soutenir avec telle quantité déterminée , sans en être incommodé. C'est ainsi que St.-Dorothée réduisit son disciple St.-Dosithée, à un juste degré de mortifica-tion. [Mais afin de se délivrer de tout doute sur les ieûnes et les abstinences, la règle certaine est de s'en rapporter à son directeur. St.-Bernard dit , que le mortifications que l'on fait sans la permission du di-recteur, sont plutôt des présomptions dignes de châti-ment que des œuvres dignes de récompense : Quod sine permissione patris spiritualis fit, preesumptioni deputa-hitur non mercedi. ( In. rcg. c. 49. ) Qne la règle géné-rale pour tous, et plus particulièrement pour les reli-gieuses, soit donc de manger sobrement au souper, c*r le soir la faim est souvent fausse , comme nous l'avons dit plus haut; de sorte que pour peu qu'on dé-passe la mesure, on se trouve le matin très-dérangé , la tête pesante, l'estomac malade, et par conséquent hors d'état de se livrer aux exercices spirituels.
XII.  Quand au boire, on peut observer la mortifi-cation de ne pas boire hors des repas, excepté en été, où une telle privation peut nuire à la santé. St.-Lau-rent Justinien ne buvait jamais, hors de table , même dans les chaleurs de l'été, et lorsqu'on lui demandait comment il pouvait supporter la soif, il répondait : comment supporterai-je les ardeurs du Purgatoire, si maintenant je ne puis supporter cette abstinence ? Les premiers chrétiens s'abstenaient de boire, les jours déjeune, hors du repas , qu'ils ne prenaient que le soir. Les Turcs font de même aux jeûnes de leur carême. Qu'on suive du moins la règle des médecins, de ne boire qne quatre ou cinq heures après le repasdu matin.
XIII.  3° Quand à la manière, St.-Bonaventure a dit : In modo ut non importune requiratur ( cibus') et inor-dinate sumatw, sed religiose. Il ne  faut pas demander
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la nourriture avec importunité, ni la prendre sans règle , mais avec esprit de religion : II dit, avec impor-tunité , c'est-à-dire , qu'il ne faut pas manger avant l'heure de la communauté. C'était le défaut de ce pénitent de St.-Philippe de Néri, qui ne pouvait s'abstenir de manger toujours quelque chose durant le jour, et à qui le saint dit : Mon fils, si tu ne te corriges de ce défaut, tu n'acquerras jamais l'es-prit de perfection. L'Ecclésiaste dit : Beata terra cujus principes vescuntur tempore suo. ( χ. 17. ) Heureuse la terre dont les princes mangent au temps fixé : Et moi, je dis : heureux le couvent où les religieuses ne pren-nent pas de nourriture hors du temps convenable , c'est-à-dire du dîner et du souper., Ste.-Thérèse ayant appris que quelques religieuses avaient demandé à leur provinciale la permission de tenir quelques pro-visions de bouches dans leurs cellules, leur fit une forte réprimande, en disant : Prenez garde à ce que vous allez demander : Vous détruiriez par là tout ce que vous avez fait jusqu'ici. Le mot sans règle, signi-fie qu'il ne faut pas manger avec avidité, c'est-à-dire avec les deux mâchoires, ou bien avec tant de hâto qu'une bouchée n'attende pas l'autre. Noli esse avidus in omni epulatione : Ne soyez point avide dans vos re-pas; c'est l'avertissement de l'Esprit Saint. (Eccl.xxxvn. 32. ) II ne faut encpre manger que dans le but de soutenir le corps, afin de pouvoir être propre à servir le Seigneur. Manger par pur plaisir , c'est pour le moins un péché véniel, et Innocent XI a condamné la proposition de ceux qui disaient que ce n'est pas un. péché de manger seulement pour satisfaire sa gour-mandise. Ce n'est pas un péché pour cela d'aimer le manger, car il est impossible de ne pas y prendre goût ; c'est-à-dire qu'il y a,péché à se nourrir seule-
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menI pour le plaisir qu'on y trouve , comme font les botes, sans se proposer, aucune fin honnête. De là, quand notre but est bon , nous pouvons manger niême des mets délicats sans péché, comme on peut aussi en manger de communs avec péché, quand c'est par gourmandise. On raconte dans les vies des Pères du désert, ( lib. de Prov. 25. ) qu'un saint vieil-lard, dans un monastère oh l'on avait servi à table la même nourriture à tous les religieux, en vit cepen-dant qui se nourrissaient les uns de miel, les autres de pain, quelques-uns même d'ordures. Cette vision signifia il que le miel était la nourriture de ceux qui craignaient de blesser la tempérance, 3t qui avaient Tàme élevée à Dieu par de pieuses aspirations. Ceux qui se nourrissaient de pain, étaient ceux qui, éprou-vant quelque plaisir à manger en remerciaient Dieu; enfin, ceux qui se nourrissaient d'ordures étaient ceux qui mangeaient pour le seul plaisir de manger.
XV. Il faut aussi ne pas faire de jeûnes forcés, de peur de se rendre par là incapable de servir la com-munauté et d'observer les règles , défaut où tombent souvent les novices qui, transportés de quelque fer-veur sensible, que Dieu leur envoie dans les premiers temps pour les encourager » suivre la voie de la per-fection, s'accablent de pénitences et de jeûnes exces-sifs ; d'où il arrive qu'ils tombent bientôt malades, et se rendent inhabiles au service de la communatité, ou que, par suite de leurs infirmités, ils abandonnent tout. En toute chose la discrétion est nécessaire. Le maître qui dorme son cheval à soigner à son domesti-que se fâchera si on lui donne trop ou trop peu de npurr iture ; car, dans ces deux cas, il ne peut s'en ser-vir quand il veut. St.-François de Sales disait aux re-jg'ie uses de la Visitation  : Une sobriété modérée et
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continue, vaut mieux que des abstinences forcées, faites à plusieurs reprises et entre lesquelles on com-met de graves négligences ; en outre , celles-là sont sujettes à se croire plus saintes que les autres qui ne pratiquent pas les mêmes jeûnes. Il faut fuit l'excès ; mais aussi, il est bon d'avertir, avec un grand maître de la vie spirituelle, que si l'esprit quelquefois nous trompe, en nous portant à dès mortifications excessi-ves, souvent le corps nous trompe aussi en nous por-tant à nous dégoûter et à nous exempter de tout ce qui lui déplaît.
XV. C'est une bonne mortification de s'abstenir de ce qui flatte notre goût, sans toutefois que cela nuise à la saiïté; par exemple des primeurs, et, le reste dé l'année, de quelques fruits désignés par le sort. Une ou deux fois la semaine on peut s'imposer quelque privation particulière de ce genre; laisser chaque jour quelque chose de ce qu'on nous sert à table ; laisser quelque mets délicat, après en avoir goûté , et dire qu'on ne l'aime pas, comme faisait Ste-Marie-Made-leine de Pazzi ; laisser une partie des mets que l'on préfère comme St.-Bernard nous le conseille. Unus-quisque super mensam aliquid Deo offerat : Que chacun offre à Dieu quelque chose de sa table. (In.reg. c. Z|9.) Réprimer pendant quelque temps son impatience de boire ou de manger du plat qu'on a sons les yeiix, s'abstenir de vin, de liqueurs , surtout si l'on est jeune. t>n peut faire ces sortes de .mortifications sans danger de tomber dans l'orgueil ou de nuire à sa santé ; mais l'on ne doit faire que celles que permet-tent la supérieure ou le directeur. D'ailleurs il vaut mieux faire souvent de petites abstinences que d'en faire de grandes et d'extraordinaires rarement, et de
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vivre ensuite sans mortification. Quand aux autres morfications, qu'on peut faire dans le réfectoire, lisez le chapitre 25 , où il est question du règlement  de
vie.
PRIÈRE.
Mon bien-aimé Rédempteur ! j'ai honte de paraître devant vous si pleine de défauts, et si tiède. Je devrais être maintenant, à cause des grâces que vous m'avez accordées, un séraphin d'amour. Mais quel séraphin! je suis plus imparfaite qu'auparavant; que de fois je vous ai promis de devenir sainte et d'être toute à vous; mais toutes mes promesses ont été autant de parjures. Je me console en pensant que j'ai affaire à une bonté infinie,avec vous, ômon Dieu! Seigneur, ne m'aban-donnez pas; donnez-moi de nouvelles forces; car je veux me corriger avec le secours de votre grâce. Je ne veux plus résister 4 votre tendresse, je vois que vous voulez que je sois sainte,. et moi je veux lo devenir pour vous plaire. Je vous promets de mortifier mes sens, surtout en m'abstenant... (spécifiez l'objet ). Ο mon Jésus ! vous m'avez comblée de bienfaits pour m'attirer toute à vous. Je serais une ingrate, si je vous résistais plus longtemps. Vous êtes si tendre envers moi, que je ne veux plus être aussi réseniée à votre égard, que je l'ai fait jusqu'ici. Pardonnez-moi tous les déplaisirs que je vous ai donnés, faites que je vous sois fidèle. Ο Marie ! vous fûtes toujours fidèle à Dieu, obtenez-moi de l'être le reste de mes jours.
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De la mortification de l'ouïe , de l'odorat et du toucher.
I. Quand à l'ouie, il faut se mortifier en ne prêtant pas l'oreille à des discours déshonnêtes , à des mur-mures, à des mondanités qui sans nous perdre, nous remplissent la tète de rêves et d'images bizarres, qui nous distraient et nous troublent dans la prière et dans les autres exercices de piété. Quand vous êtes dans les lieux où l'on tient de pareils discours, tâchez de les interrompre poliment, en proposant, par exemple, quelque question utile , et si vous ne réussissez pas , tâchez de vous éloigner ou du moins taisez-vous et baissez les yeux, pour montrer que de tels propos vous déplaisent. Quand à l'odorat, tâchez de fuir les odeurs de l'ambre, des pastilles, du baume , des eaux odori-férantes et autres. De telles délicatesses ne convien-nent pas même aux gens du monde. Tâchez au con-traire de supporter les 'mauvaises odeurs qui régnent dans les chambres des malades, à l'exemple des saints qui, par esprit de charité et de mortification, se trou-vent aussi heureux dans l'atmosphère puar.te des hô-pitaux , que dans les parfums sieves des jardins. Quant au toucher, tâchez d'éviter la moindre faute ; parce que, dans cette partie, la moindre faute peut causer la mort à l'âme. Il ne m'est pas permis de m'expliquer là-dessus davantage: je dis seulement que les religieuses doivent employer toutes sortes de pré-cautions pour elles-mêmes, aussi bien que pour les autres, si elles veulent conserver intact le lys de leur virginité. Quelques-unes badinent entr'elles sans au-
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cune crainte ; mais peut-on impunément jouer avec le l'eu? St.-Pierre d'Alcantara, an moment d'expirer, se sentit toucher par un, moine qui le servait : éloi-gne-toi, lui dit-il* ne me touche pas, car je vis en-core, et je puis offenser Dieu, il faut émousser ce sens par les mortifications extérieures, dont il faut parler ici en détail.                        ,
II.  Ces  mortifications extérieures se   réduisent  à quatre choses, savoir : au jeune, au cilice, à la disci-pline et aux veilles. Nous avons déjà assez parlé des jeûnes. Quant aux cilices, il en est de plusieurs sor-tes, les uns sont de crin ou en soies; mais ces der-niers sont dangereux pour les personnes d'une santé délicate, parce que, comme dit le P. S -aramelli, (tom.i. tract, π. art. i. c. Ιχ· ) ils enflamment la chair, enlè-vent à l'estomac sa chaleur naturelle et l'affaiblissent. Il y a des cilices de fils de fer ou de laiton , en forme de chaînettes. Ceux-ci sont moins nuisibles à la santé, on les porte aux bras, aux cuisses ou sur les épaules ; parce que sur la poitrine et à la ceinture , ils peuvent être dangereux. Ces espèces de cilices sont les plus or-dinaires, et tout le mondepeut les employer. Au reste les saints en ont employé d'autres. Dona Sancha Ca~ rillon, célèbre pénitente du P. Avila, portait un cilice de crin , depuis le cou jusqu'aux genoux. Ste.-Rose de Lima en portait-un long,  tissé d'aiguilles, et une, chaîne de fer à la ceiuture.  St.-Pierre   d'Alcantara portait sur les épaules une grande plaque de fer troué qui lui déchirait la chair. Ce serait donc une légère pénitence pour vous de porter une chaînette dei'er , au moins depuis le matin jusqu'à l'heure du diner.
III.  Quand aux disciplines, c'est une mortification très-approuvée par St.-François de Sales, et reçue dans toutes  les communautés religieuses des deux
SA.NCTIFIKE.                                          321
sexes. Il n'y a pas de saint, de moine , parmi les mo-dernes, qui ne se soit flagellé. Souvent St.-Louis de Gonzague se donnait la discipline jusqu'au sang, trois ibis par jour, et, à la fin de sa vie, n'ayant plus la force dei le faire de ses propres mains , il pria le P. provincial de lui faire rendre ce service par un au-tre. Ce serait donc peu de vous la donner une fois par jour ou au moins trois ou quatre fois la semaine, tou-jours cependant avec la permission de votre direc-teur.         : i
IV. Quant aux veilles par lesquelles on se prive de sommeil, on dit de Ste.-Rose, qu'afin de passer les nuits à prier, elle liait ses cheveux à un clou fiché dans le mur, de sorte que, lorsque sa tête se penchait accablée de sommeil, la douleur la forçait à se réveil-ler. On dit encore de St.-Pierre d'Alcantara , que , pendant quarante ans, il ne dormit qu'une heure, ou au plus une heure et demie par nuit, et qu'afin de ne pas succomber au sommeil, il tenait sa tête appuyée sur un morceau de bois cloué au mur. On ne doit pratiquer ces sortes de pénitences que par une grâce spéciale ; je dis même que la privation du sommeil doit être très-modérée, car lorsqu'on n'a pas assez dormi on est ordinairement incapable d'aucun exercice d'esprit, tel que l'office, l'oraison, la lecture spirituelle, comme il arrivait à St.-Charles Borromée, qui, lorsqu'il était forcé de passer les nuits en veilles , accablé par le sommeil dans le jour, dormait quel-quefois au milieu de ses fonctions publiques ; ce qui l'engagea à prolonger son repos de la nuit. On doit encore observer qu'il ne faut pas que le corps prenne tout le repos qu'il désire :, comme font les animaux qui ne cessent de dormir que lorsqu'ils n'en   ont plus  envie.   Prenez   le  sommeil  néces-
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«aire , mais rien de plus. Généralement les femmes dorment moins que les hommes; cinq ou six heures de repos leur suffisent. Je vous prie donc, 6 ma sœur, d'être promple et exacte à vous lever , dès que vous entendez la cloche du réveil, sans vous amusera vous retourner cent fois dans vos draps, comme font quel-ques-unes. Ste.-Thérèse disait que , dès qu'une reli-gieuse entend la cloche tinter, elle doit .sauter en bas du lit.
V. Les Saints employaient encore, outre la privation du sommeil, d'autres mortifications. St.-Louis de Gonzague mettait entre ses draps des morceaux de bois et des caillons. Ste.-Rose de Lima dormait sur des troncs d'arbre dont le creux était rempli de pots cassés. La vén. sœur Marie crucifiée de Sicile, posait, en dormant, sa tête sur un coussin d'épines. Je ré-pète au sujet de ces pénitences, ce que j'ai dit plus haut; elles sont extraordinaires et ne conviennent pas à tout le monde. Mais les religieuses ne doiveut pas avoir de lits trop moux. Si la paillasse leur suffit,pour-quoi le matelas? Et si un matelas leur suffit, pourquoi deux?
VI. La mortification du toucher, s'étend aussi à souffrir sans se plaindre la rigueur des saisons, le froid et le chaud. St.-Pierre d'Alcanf ara allait pendant l'hi-ver nu-pieds, la tête découverle et vêtu seulement d'une tunique en lambeaux. Si vous ne pouvez pas en faire autant ; du moins ne vous approchez pas du feu, comme faisait St.-Louis de Gonzague, quoiqu'il de-meurât en Lombardie , région très-froide ; pratiquez cette mortification au moins une fois par semaine, supportez le froid et le chaud avec patience, comme venant de Dieu. St.-François de Borgia, arrivant le soir très-tard dans un collège de la   compagnie ,
SANCTIFIEE.                           aa3
trouva la porte fermée et fut forcé de passer toute la nuit exposé au froid et à la neige qui tombait par flo-cons. Quand le jour parut, comme les religieux se désolaient sur ce qu'il avait souffert, le saint répondit : quoique mon corps ait souffert, mon âme a éprouvé de grandes consolations , car je pensais que Dieu agréait mon froid, et il me semblait que du haut du ciel il me lançait avec ses mains ces flocons de neiges.
PRIERE.
Mon adorable Rédempteur ! j'ai honte de paraître devant vous , me trouvant si attachée aux plaisirs du monde. Vous n'avez fait pendant toute votre vie que souffrir pour moi ; et moi, je n'ai pensé jusqu'ici qu'à satisfaire mes goûts, oubliant vos souffrances et l'a-mour que voils m'avez porté. Qu'ai-je eu jusqu'à pré-sent d'une religieuse ou d'une de vos épouses, que l'habit et le nom ? Je mériterais d'être chassée de ce saint lieu, où vous m'avez accordé tant de grâces et tant de lumières que je n'ai payées que par des ingra-titudes. J'ai pris mille bonnes résolutions, je vous ai promis mille fois de les observer, mais que je les ai mal mises en pratique. Ο Jésus ! donnez-moi donc des forces ; je veux faire quelque chose pour vous avant de mourir. Si la mort me frappail à présent, que je mourrais mécontente ; vous prolongez ma vie pour que je devienne sainte. Oui, je veux le devenir. Je vous aime, ô mon Dieu, mon époux! je veux vous aimer en épouse fidèle. Je ne veux songer qu'à vous plaire, pardonnez-moi mes erreurs passées; je les déteste de tout mon cœur. Ο Dieu de mon âme ! que de fois , pour me satisfaire, \e vous ai mécontenté! vous,mon
224                                    LA   EELICIEUSE
trésor et ma vie qui m'avez tant aimée. Faites que do-rénavant je sois"toute à vous. Vierge sainte, ô Marie, mon espérance, secourez moi, obtenez-moi la force de faire quelque chose pour Dieu avant que la mort me vienne surprendre.
CHAPITRE IX.
De  la pauvreté religieuse.
S· ι-
De la perfection de la pauvreté.
I. Les règles du monde sont tout opposées à celles de Dieu ; dans le monde les richesses sont la base de la grandeur , mais devant Dieu, la pauvreté est la richesse des saints. Il n'est pas certain que les riches se damnent, mais il est certain qu'il est aussi difficile qu'il se sauvent qu'ils est difficile, selon l'expression de l'Evangile, qu'un cable passe par le trou d'une aiguille. C'est pour cette raison que tous les fondateurs d'ordres ont cherché à établir dans leurs couvents le vœu de pauvreté, comme fondement du bonheur de tous. St-Ignace de Loyola appelait la pauvreté des religieux, le mur qui défend la place forte de la perfection. En effet, dans tous les monas-tères où s'est conservée la pauvreté, la perfection y a résidé, et dans ceux d'où la pauvreté a été bannie, avec elle a été bannie la perfection. C'est pour cela que le démon fait tous ses efforts pour faire tomber dans le relâchement sur la pauvreté les couvents, fi-dèles à observer ce vçeu. Stç-Thérèse donna cet avis
SAKCT1F1ÉE.                                         225
à ses religieuses, presque du haut du ciel : Tâchez d'être les amies de la pauvreté, parce que tant qu'elle durera la ferveur sera avec vous. ( Avis xix. ) Les SS. Pères appellent la pauvreté la conservatrice de toutes les vertus, car elle maintient les religieuses dans la mortification, dans l'humilité , dans le détachement et surtout dans le recueillement intérieur.
II. Il faut distinguer le vœu de pauvreté de la per-fection de la pauvreté. Le vœu exige que la religieuse ne possède pas d'effets ni d'argent, et qu'elle ne puisse pas même en faire usage sans la permission de sa supérieure. Mais c'est là un écueil où beaucoup de religieux vont échouer. Ste-Marie-Madeleine de Pazzi vit beaucoup de religieuses damnées, parce qu'elles n'avaient pas observé le vœu de pauvreté. On raconte, dans les chroniques des Capucins, qu'une fois un démon enleva , aux yeux de tout le couvent, un moine de la manche duquel on vit tomber au bré-viaire qu'il s'était approprié contre le vœu de pauvreté. St.-Cyrille raconta à St.-Augustin un événement en-core plus terrible. ( Ep. ccvi.) Il y avait dans la Thé · baïde un couvent de 200 religieuses qui ne vivaient pas selon la règle de pauvreté; c'est pourquoi St.Jérôme apparut un jour à l'une des plus fidèles d'entre elles, et lui ordonna de prévenir l'abbesse et les autres re-ligieuses de se corriger, car, sans cela, un grand châ-timent les attendait. La bonne religieuse rapporta l'avis qu'elle avait reçu ; mais on en rit dans le cou-vent. Un jour qu'elle était en oraison le saint lui ap-parut encore, lui commandant de renouveler l'avis salutaire et de sortir aussitôt du couvent si ou n'en tenait pas compte. La religieuse répéta les paroles du saint, mais l'abbesse la menaça de la chasser du cou-vent si elle parlait encore de pareilles menaces. La vin.                                                       i5
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bonne fille répondit : Oui je sortirai d'ici, sans que vous m'y forciez, car je ne veux pas m'exposer à la ruine commune qui vous attend. A peine avait-elle mis le pied dehors, que le couvent s'écroula, et que toutes les religieuses furent tuées.
III.  Malheur à qui introduit le relâchement dans la pauvreté des couvents ! Ο ma sœur ! examinez donc si vous n'avez pas de l'argent ou d'autres objets sans permission; et sachez que la permission est nulle, quand elle est pour une chose iniuste, car votre su-périeure même n'a pas alors le pouvoir de la donner. Tout ce que vous recevez de vos parents , argent ou effets, tout ce que vous gagnez ou que vous avez de vos propriétés, n'est pas à vous, mais au couvent. Vous n'avez que le simple usage des choses que vous aecorde l'abbesse 3 de sorte que si vous en disposez sans permission vous faites un vol, un vol sacrilège contre le vœu de pauvreté. Le Seigneur exige des re-ligieuses un compte rigoureux sur la pauvreté. C'est pour cela que les supérieurs, fidèles observateurs de la règle, sont si attentifs à punir toute violation du vœu de pauvreté. Cassien  dit  ( Inst. cap. xx. ) que le dépensier d'un ancien couvent ayant laissé tomber trois lentilles par terre, l'abbé l'en puait par la pri-vation  des prières en   commun,   et ne l'admit à cette participation qu'après une pénitence publique. On raconte encore<jue Renaud, prieur des Dominicains de Bologne, châtia sévèrement un convers pour avoir pris un morceau d'étoffe pour  racommoder sa tu-nique , sans permission, et qu'il fit brûler ce morceau d'étoffe au milieu du chapitre.
IV. Tout cela n'a rapport qu'au vœu de pauvret é ; mais pour atteindre à la perfection, il faut que la religieuse se dépouille de toute effection aux choses
SANCTIF1BE.                                      227
de la terre et ne s'en serve que lorsqu'elles sont né-cessaires à la conservation de son existence. C'est ce que le Sauveur répondit à ce jeune homme qui vou-lait savoir ce qu'il fallait faire pour parvenir à la per-fection :Si vis perfectus esse, vade et vende quai hahts, et da pauperibus. (Mat. χιχ. 21.) Jésus lui dit : Dépouille-toi de tout, sans exception, donne-le aux pauvres, et tu seras parfait; car, dit St.-Bonaventute, quand l'es-prit est accablé par quelque bien temporel, il ne peut s'élever jusqu'à Dieu. Cum sarcina temporalium spiritus ad Deum non potest ascendere. (Med. e. vm. ) St.-Au-gustin dit que l'amour des choses terrestres est comme une glu qui empêche l'âme de voler à Dieu. Amor re-rum terrenarum viscus est spiritualium pennarum. Mais la pauvreté continue ce saint, est une aile rapide qui nous ravit au ciel.  Magnâ paupertatis ptnnâ cilô velatur ad cœlum.   St.-Laurent-Giustiniani a  écrit : Ο beata paupertas voluntaria ! nihil possidens, nihil formidatis, sem-per hilaris , semper  abundans ,   cum omne incommodum suo   facit   profectui deservire.  ( Inst.   de rei. e.  11. ) Oh! heureuse pauvreté qui ne possède rien et qui ne craint rien !  elle est toujours gaie et  toujours dan» l'abondance^  car chaque privation qu'elle éprouve tourne à son profit.
V. Jésus-Christ pour notre bien et notre exemple voulut être pauvre ici-bas ; aussi Ste.-Marie-Made-leine de Pazzi appelait la pauvreté l'épouse de Jésus-Christ. St.-Bernard dit : Paupertas non inveniebatur c'a aelis, in terris abundabat et nesciebat homo pretium ejus. Hanc itaque Dei filius concupiscens descendit ut eam eligat sibi et nobis faciat pretiosam. ( Serm. in vig. nat.) La pauvreté ne se trouvait pas dans le ciel, elle abon-dait sur la terre, mais l'homme n'en connaissait pas la valeur ; le fils de Dieu aimant cette pauvreté in-
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connue descendit sur la terre pour l'épouser et nous la rendre chère. De là l'Apôtre dit à ses disciples : Propter vos egenus factus est, cum esset diver, ut illius inopia ■Dos divites essetis, (n. cor. vtn. 9. ) Le Rédempteur était le maître de toutes les richesses du ciel et de la terre, mais il voulutêtre pauvre, afin que, par l'exem-ple de sa pauvreté, nous devinssions riches en aimant la pauvreté qui nous fait acquérir les biens éternels en nous détachant de ceux d'ici bas. Il voulut être pauvre et toujours pauvre; pauvre dans sa naissance , car il n'eut pour palais qu'une étable froide, pour berceau qu'une crèche, pour lit qu'un peu de paille. Pauvre pendant sa vie, puisqu'il n'habita qu'un e petite mai-son, consistant en une seule chambre pour travailler et pour dormir. Pauvre dans ses habits. Pauvre dans sa nourriture. St.-Jean-Chrysostônie dit que notre Sau-veur et ses apôtres ne mangeaient que du pain d'orge comme on le voit dans l'Évangile de St.-Jean, chap. 6. Pauvre enfin à sa mort, puisqu'il ne laissa en mou-rant que ses misérables vêtemens, dont les soldats avaient déjà fait le partage avant qu'il eût rendu le dernier soupir, de sorte que pour l'ensevelir on fut obligé de lui donner un linceul et un tombeau par aumône.
VI. Jésus dit un jour à la B. Angèle de Foligno : Si ta pauvreté n'était pas un grand bien , je ne l'aurais pas choisie pour moi, et je ne l'aurais pat léguée en héritage à mes élus. Les saints aimèrent la pauvreté d'après l'exemple de Jésus-Christ. Un jour le P. de Grenade et le P. M· Avila causaient ensemble et se demandaient pourquoi St.-François d'Assises avait tant aimé la pau-vreté. Le P. de Grenade dit que c'était parce qu'il voulait se débarrasser de tout ce qui l'aurait empêché d'être uni entièrement à Dieu;' mais le P. Avila ré-
SANCTIFIÉE.                                      22g
pondit encore mieux, que St.-François avait beau-coup aimé la pauvreté, parce qu'il avait beaucoup ai-mé Jésus-Christ, et qu'une âme qui aime beaucoup Jésus-Christ ne peut s'empêcher de s'écrier avec l'A-pôtre : Omnia arbitror ut stercora, ut Christum lucrifa-ciam. (Phil. 11. 3.) Je regarde les biens du monde comme du fumier et je les abandonne pour gagner Jésus-Christ. St.-François de Sales disait plaisam-ment à ce sujet, que quand la maison est en feu on jette tous les effets par la fenêtre. Le St.-Esprit l'a-vait dit avant, en ces termes : Si dederit homo omnem substantiam pro dilectione, quasi nihil despiciet eam. (Cant. vni. 7.) Les amis de Dieu méprisent volontiers toutes choses pour l'amour qu'ils lui portent.
VII. Les saintes Écritures nous assurent partout que la récompense des pauvres est assurée et très-grande. Elle est assurée puisque Jésus-Christ a dit : Heureux les pauvres d'esprit, car le rouyaume des cieux est à eux : Βcati pauperes spiritu quoniam ipsorum est regnum caelorum. ( Mat. ν. 3. ) Aux autres béatitudes, le ciel n'est promis que dans l'avenir : Heureux ceux qui sont doux parce qu'ils posséderont la terre. Beati mi-tes, quoniam ipsi possidebunt terram. Heureux ceux qui ont le cœur pur , parce qu'ils verront Dieu ;. Beati mundi corde, quoniam ipsi Deum videbunt. Mais le bon-heur est promis dès à présent aux pauvres d'esprit. Ipsorum est regnum cœlorum, à cause des grands se-cours que Dieu envoie en cette vie aux véritables pauvres de volonté. Cornelius à Lapide dit que, par un décret divin, dès à, présent le paradis est assuré aux pauvres; de sorte que descente vie, ils y ont droit ac-quis: Ex Dei decreto ad pauperes pertinet regnum cœlorum; ipsi inillud plenum jus habent. (Corn. in. Mat. loc. cit.) récompense très-assurée et très-grande. Ste.-Thérèse^
 LA   BtXftilEVSK
disait : Moins nous possédons ici-bas, plus nous pos-séderons dans l'éternité; ou sont des demeures pro-portionnées à l'amour avec lequel nous aurons imité la vie de Jésus. ( Fond. cap. xvin. ) St-.Jean-Chrys. s'écriait : Ο feliœ commercium, ubi datur lntum, et col-ligitur aurum ! ( Lib. vu. ep. 7. ) Ο heureux marché où nous donnons de la fange , tels que sont les biens de la terre, et où nous recueillons de l'or, telles que sont les grâces divines et les récompenses éternelles! YIII.DepIus,les vrais pauvres d'esprit auront l'hon-neur de siéger auprès de Jésus-Christ, pour juger les hommes, comme ii le déclara lui-même, lorsque St.-Pierre lui dît : Eccenos reliquimus omnia, et secuti sumus te: quid ergo erit nobis? (Mat. xix. 27.) Seigneur, nous avons tout abandonné pour vous suivre, quelle récompense recevrons-nous ? Jésus lui répondit : Je vous dis en vérité que pour vous qui m'avez suivi, lorsqu'au temps de la régénération du monde et de la résurrection générale, le fils de l'homme sera assis sur le trône de sa gloire, vous serez aussi assis sur douze trônes pour juger les douze tribus d'Israël. Amen dico vobis quod vos, qui secuti estis me in regeneratione, eam se-derit filius homini)' in sede majestatis sua, sedebitis et vos super sedes 12, judicantes duodecim tribus Israel. (Mat. xix. ?8.) Tousceux qui quittent leurs biens pour Jésus-Christ en recevront le centuple dans cette vie et dans l'autre : Et omnis qui reliquerit domum.... aut agros propter no-men meum, centuplum accipiet et vitam œternamposside-bit: Et quiconque aura quitté sa maison ou ses terres à cause de mon nom en recevra le centuple et possé-dera la vie éternelle. (Mat. xix. 29.) L'apôtre dit que les pauvres de volonté, en ne désirant rien, pos-sèdent tout : Nihil habentes et omnia possidentes. Jésus-Christ compare les richesses aux épines, (Luc. vin-
SAHCTIFIEE.                                      231
ll\.) car plus nos richesses sont grandes, plus elles piquent et tourmentent l'âme, par les sollicitudes, la crainte de les perdre et le désir de les augmenter. St.-Bernard dit que tandis que les avares meurent de faim comme des mendiants, puisqu'ils ne sont jamais rassasiés des biens qu'ils convoitent, les pauvres les méprisent, car ils sont maîtres de tout, eux qui ne désirent rien : Avarus terrena esurit ui mendicus, pau-per contemnit ut dominus. ( St.-Bern. serm. it. in cant.) Oh ! qu'elle est riche la religieuse qui ne possède et ne désire rien en ce monde! Elle jouit de la paix véritable qui vaut mieux que tous les biens delà terre qui ne peuvent satisfaire le cœur humain dont Dieu seul peut remplir le vide.
IX. Les pauvres d'esprit sont doublement récom-pensés dans cette vie et dans l'autre. Mais la diffi-culté, c'est de trouver une religieuse pauvre d'esprit. Voyons et examinons en quoi consiste la pauvreté d'esprit : 1° Elle consiste non-seulement à ne rien posséder, mais même à ne désirer que Dieu seul. St.-Augustin a dit : Occurrit mihi pauper el quœro pauperem. (Serm. 110. de temp.) C'est-à-dire qu'il y avait beau-coup de pauvres de fait mais très-peu d'esprit et de dé-sir. Ste.-Thérèse parlant des religieuses qui font pa-rade de pauvreté, sans être pauvres d'esprit, disait : qu'elles trompent les autres et se trompent elles-mêmes. En effet à quoi leur servira cette pauvreté réelle ? Celui qui est pauvre de fait, mais qui désire les biens a les inconveniens de la pauvreté, sans en avoir la vertu. Celui qui désire les biens, dit St.-Philippe de Néri, ne sera jamais saint. Ο ma sœur! vous avez quitté le monde et, pour quelques baga-telles du monde, vous allez vous mettre en danger de vous perdre, ou au-moins de n'être pas sainte.
25a                                 ΙΑ  RELIGIEUSE
Contenlez-vous des plus pauvres aliments , des plus pauvres habits et travaillez à votre sainteté, sans exposer pour de viles bagatelles votre fortune éternelle. Habentes autem alimenta et quibus tegamur his contenti simus. (Tim. vi. 8.) Car, ajoute St.-Paul, nam qui vo-lunt divites fieri, incidunt intentationem et in laqueum dia-boli et desideria multa inu alia et nocita quce mergunt homines in interitum et perditionem. (Loc. cit. vers, ix.) Ceux qui désirent les biens de la terre tombent dans les filets du dénaon et dans beaucoup de désirs qui les mènent finalement à la mort et à la damnation éternelle.
X. 2° La pauvreté consiste à tenir son cœur déta-ché, non seulement des objets considérables, mais même des petites choses. Qu'un peu de boue soit at-tachée à une plume, elle ne pourra pas s'envoler au souille du vent. Ainsi, le moindre objet que pos-sède une religieuse, contre le vœu de pauvreté, l'em-pêche de s'unir parfaitement à Dieu et la prive de la paix véritable. Les épines, c'est-à-dire les richesses, pour petites qu'elles soient, blessent toujours et re-tardent les voyageurs dans leur chemin. Il n'est pas nécessaire, pour qu'une religieuse soit parfaite, qu'elle laisse de grands choses, il suffit qu'elle aban-donne le peu qu'elle possède, pourvu qu'elle n'y laisse pas son affection. St.-Pierre laissa peu , mais comme il laissa tout sans y conserver d'affection, quand il dit : Ecce nos reliquimus omnia, voilà que nous avons tout abandonné; il mérita d'entendre dire à Jésus-Christ qu'il était choisi pour être à sa droite ail jour du jugement universel : Sedebitis it vos judi-cunlts. (Mat. xix. 27) Quelques religieuses ne conser-vent pas d'affection pour l'amour des pierres pré-cieuses ou pour des vases d'or, mais pour certaines misères, pour un peu d'argent,  pour un meuble ,
SANCTIFIÉE.                                          233
un livre ou tout autre chose semblable. Elles ne se sont pas dépouillées de l'affection aux choses de la terre, elles l'ont seulement transportée des grandes aux petites; c'est pourquoi leurs inquiétudes et, leur imperfection , à cause de ces bagatelles, sont les mêmes que si c'étaient des choses importantes.
XI. Si les séculières se perdent, du moins c'est pour des choses précieuses aux yeux du monde; mais quelle pitié, dit Cassien, de voir une religieuse qui a laissé le monde, renoncé à son héritage et à sa liberté, négliger de devenir sainte par attachement à des choses viles et misérables, au jugement même des mondains. St.-Eucher dit : Exultât adversarius quan-do videt nos maxima coniempsisse ut in minimis vincere-mur. (Horn. v. ad. mon.) Oh! qu'il se réjouit, le démon, quand il voit que nous n'avons abandonné les grandes choses que pour nous laisser vaincre plus brutalement dans les petites. Cassien dit : Nous voyons des religieux qui ont méprisé de grands do-maines et qui perdent la paix de l'âme pour une aiguille, pour une plume, et qui se mettent en dan-ger de se damner pour de telles misères ! Prœdiorum magnificentiam contemnentes videmus pro acu, pro calamo commoveri, et inde occasiones mortis incurrunt. (Cass. coll. χ. e. 6. ) St.-Eucher ajoute que l'amour de la posses-sion, s'il n'est étouffé aussitôt, sera plus ardent, chez les religieux, pour les petites choses que pour les grandes. Habendi amor, nisi ad integrum resecetur, ardentior est in parvis. (Horn, iv.) Plus ardent et par conséquent plus défectueux, parce qu'une religieuse qui s'attache aux choses viles prouve qu'elle est plus avide des biens du monde que si elle était attachée aux choses pré-cieuses. Le Seigneur nous apprend que celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il possède ne sera jamais
a34                               LA   BFLICIËl'fE
son disciple. Qui non renuntiat omnibus quae possidet non potest meus esse discipulus. (Luc. xiv. 33. )
XII. 3° La pauvreté d'esprit ne consiste pas seule-ment à être pauvre, mais à aimer la pauvreté.  St-Bernard  dit : Non enim paupertas virtus reputatur, ,<ed paupertatis amor. (Ep. adduc. Con.) On n'est pas ver-tueux parce qu'on est pauvre ,-mais parce qu'on aime la pauvreté, et l'amour de la pauvreté consiste à ai-mer les effets de la pauvreté, tels que la faim, le froid et surtout le mépris qu'elle entraîne après elle. St.-Thomas dit que les pauvres d'esprit, auront l'hon-neur de juger le monde, et cela à cause de l'humilia-tion qui accompagne la pauvreté. St.-Vincent Ferrier disait que beaucoup de religieux s'enorgueillissent du titre de pauvre, mais qu'il fuient les compagnes de la pauvreté, les souffrances et les opprobres : Gloriantur de nomine paupertatis et socios paupertatis fugiunt.he P.Jo-seph Calasanze disait que celui-là n'est pas pauvre , qui ne sent point les incommodités de la pauvreté. La B. Solomée, religieuse de Ste.-Claire, disait : Les hom-mes et les anges se moqueront à l'envi de ces reli-gieuses qui veulent être pauvres et qui veulent aussi jouir des aises de la richesse , et se plaignent quand elles en sont privées. Mais, mon Dieu, quel est l'esprit de pauvreté de ces religieuses qui se lamentent si les plats ne sont pas abundans, ou s'ils sont mal assaison-nés? Qui se plaignent de leur supérieure et des offi-cières, si on ne leur donne pas un habit neuf avant que le vieux soit usé. Quelle pauvreté observent-elles, celles qui portent la laine la plus fine, qui se déso-lent si leur tunique n'est pas bien serrée et faite avec grâce, afin de faire belle figure ? Enfin dit St.-Ber-nard elles veulent être pauvres et ne  manquer de
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rien de ce qu'elles désirent. Pauperes esse volunt, eo ta-men facto ut nihil eis desit. ( 3erm. de adv. dom. )
XIII. Mais vous direz qu'il n'y a pas de vie commune dans votre couvent, et qu'il vous faut son-ger à tout, à la nourriture, aux vètemens, aux méde-cines ; que vous êtes forcée d'aller à la grille pour vendre vos travaux, et en retirer le prix pour acheter les choses qui vous manquent. Je réponds : Quoique les statuts et les usages de votre monastère vous le permettent, néanmoins vous ne devez pas vous avilir comme une femme du monde qui \a vendre sa mar-chandise et débat les prix avec colère et obstination. Cette espèce de trafic est chez quelques religieuses l'effet de l'avidité et non de la nécessité ; aussi travail-lent-elles la nuit, négligent-elles leurs emplois, lais-sent-elles le chœur, les oraisons, les sacremens et se servent-elles par fois des choses du monastère sans permission. Quand le véritable amour de Dieu règne dans une religieuse, elle trouve bien moyen de prati-quer la parfaite pauvreté, quoiqu'il n'y ait pas de vie commune dans son couvent. La vén. Hyacinthe Ma-rescotti, lorsqu'elle sortit de sa tiédeur et se voua toute à Dieu, dépouilla sa cellule de tout ce qu'il y avait, le déposa entre les mains de sa supérieure , et se vêtit d'une tunique usée et déchirée qu'on avait ôtéeà une morte.
XIV. Comme j'ai fait mention ici de la vie com-mune, qu'on me permette quelque mots sur cette ma-tière. Toutes les peines, tous les soucis qu'éprouvent les religieuses, tous les obstacles qui les arrêtent dans le chemin de la perfection, viennent de ce qu'elles veulent conserver et augmenter ce qu'elles possèdent déjà en particulier. Il faut se pourvoir de nourriture, de vètemens, de meubles, de médecines; combien
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lout cela doit-il tourmenter les pauvres religieuses ! Combien de distractions dans l'oraison, dans la com-munion ! Il est vrai que ce n'est pas pécher contre la pauvreté que d'avoir quelque argent quand on le dé-pense avec permission ; mais c'est seulement dans le cas où on le garde avec indifférence, et qu'on s'en déferait de même si la supérieure l'ordonnait. Mais cette indifférence totale est rare dans les religieuses. Quelques-unes mettent leurs épargnes en dépôt, mais si la supérieure voulait les employer aux besoins du monastère, elles mettraient tout le monde en ru-meur. Ce dépôt n'est donc qu'une fiction pour trom-per les supérieurs et Dieu, car de telles religieuses en font véritablement les propriétaires. Toutes celles qui vivent en particulier, sont exposées à ce danger. La vie commune délivre et préserve les religieuses de tous ces dangers. C'est pourquoi St.-Jean Climaque a dit : Paupertas est abdicatio sollicitudinum secuti, iter ad Deum sine impedimento ,exi>ulsio omnis iristitiœ. ( Grad. 17, ) Voilà la vie commune, c'est celle où l'on observe cette pauvreté religieuse, qui délivre de toutes les inquiétu-des des siècles, qui est une route facile , conduisant à Dieu sans obstacles, et qui chasse de l'âme toute tris-tesse , et toute agitation intérieure.
XV. Le but de tous les fondateurs d'ordres, n'a été que d'établir la vie commune dans les couvents, et tant que la vie commune y a régné, la ferveur y a régné aussi. Les théologiens Suarez, Navarre, Lessius et autres disent communément que le vœu de pau-vreté oblige les moines à être prêts à entrer dans la vie commune, si le supérieur , en ayant examiné les avantages, le juge nécessaire. Par conséquent, une religieuse qui se refuserait à CJ changement aurait sa conscience en mauvais état. Qu'elle ne craigne pas
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que dans la vie commune, il n'y aura pas moyen de vivre; qu'elle écoute ce que le Seigneur dit à Ste.-Ca-therine de Sienne : Quand les ordres religieux vi-vaient dans la pauvreté, ils n'en souffraient pas, mais maintenant qu'ils vivent en particulier, ils l'éprou-vent. Oh! que vous seriez heureuse, Si vous pouviez contribuer à établir la vie commune dans votre cou-vent !
XVI. Au reste, s'il n'y a pas de vie commune dans votre couvent, et si elle ne peut s*y établir, je ne vous oblige pas à l'observer. Ils vous est donc permis de songer modérément à votre nourriture, à vos méde-cines et! à vos autres besoins. Vous pouvez avec per-mission vendre vos travaux, afin de pouvoir suffire à votre entretien, conserver de l'argent pour vos be-soins quotidiens, en mettant le reste dans le dépôt commun, pour en faire l'abandon à la supérieure, si elle croit en avoir besoin. Vous pouvez aussi de-mander la permission de dépenser ou de recevoir jus-qu'à une certaine somme. En faisant ainsi, vous pour-rez mériter tout de même le prix décerné aux pauvres d'esprit.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus ! si par le passé mon cœur a été atta-ché aux biens de la terre , je veux dorénavant que vous soyez mon seul trésor. Dieu de mon âme, vous êtes un bien infiniment plus grand que tous les au-tres biens, vous méritez un amour infini, je vous aime plus que tout, plus que moi-même. Vous êtes l'uni-que objet de mon amour, je ne désire rien de ce monde, mais si j'avais à désirer quelque chose, je
aÔ8                                    LA   RELIGIEUSE
voudrais avoir en mon pouvoir tous les trésors et tous les royaumes de la terre , pour y renoncer et m'en priver par amour pour vous. Venez, ô mon amour , venez brûler dans mon cœur tous les sentiments qui ne sont pas pour vous. Faites qu'à l'avenir je ne voie que vous, je ne pense qu'à vous, je ne soupire que pour vous. Que cet amour qui vous a fait mou-rir sur la croix, me fasse mourir à tous mes goûts pour n'aimer que votre bonté infinie, et ne désirer que votre grâce et votre amour. Mon bien-aimé Rédemp-teur, quand me donnerai-je toute à vous, comme vous vous êtes donné tout à moi ? Je ne sais me consa-crer à vous comme je devrais le faire. Ah ! prenez-moi Seigneur, faites que je ne vive que pour vous être agréable. J'attends tout des mérites de votre sang', ô mon Jésus, et de votre intercession, ô Marie, ma mère!
S· π-
Des degrés et de la pratique de la pauvreté parfaite.
I. Ce premier degré de la parfaite pauvreté con-siste à ne rien posséder en propre', tout ce qu'a la re-ligieuse , elle doit le regarder comme emprunté, et elle doit être prête à le donner au premier signe de sa supérieure. Elle doit être enfin semblable à une sta-tue à: qui il est indifférent qu'on l'habille ou qu'on la dépouille- Celle qui s'afflige , quand l'obéissance lui enlève quelque chose , montre qu'elle ne le possédait pas avec un véritable esprit de pauvreté, ou au moins qu'elle y était attachée. Quant aux épargnes qu'elle fait, elle doit les garder comme en dépôt et ne pas les dépenser en cadeaux superflus; elle ne doit pas se
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plaindre si l'obéissance veut que ses épargnes soient employées aux besoins de la communauté ou de quel-que religieuse en particulier. Que penser d'une reli-gieuse qui, si elle voit une de ses compagnes se servir de ses effets, avec la permission de l'abbesse, met sans dessus dessous le couvent? Ο ma sœur! voyez si vous êtes bien détachée de tout ce que vous possé-dez. Demandez-vous, si l'abbesse vous empêchait de faire quelque dépense, si elle vous ôtait un meuble, un vêtement j comment vous le suporteriez? Si vous ai-mez encore quelque chose , faites comme la sœur Marie de la Croix, qui s'en privait ou le portait à sa supérieure , pour qu'elle en disposât à son gré. 11 faut être détachée , même des choses que permet l'o-béissance.
II. Le second degré , c'est de ne rien avoir de su-perflu , car toute chose superflue , sera un obstacle pour vous unir parfaitement à Dieu. Ste.-Marie-Ma-deleine de Pazzi dépouilla son petit autel de tous ses ornements, et n'y laissa que le crucifix. Ste.-Thérèse raconte que tant qu'elle avait quelque chose de super-flu chez elle, elle ne pouvait se recueillir dans l'orai-son,,jusqu'à ce qu'elle s'en fût débarrassée, sachant combien Dieu est jaloux de la pauvreté religieuse. S'il n'y a pas de parfaite communauté dans le couvent, tâchez du moins d'imiter la pauvreté des plus exem-plaires d'entre les sœurs, pour les vêtements, la nour-riture et les meubles. Vous dites : Mais tout ce que j'ai je l'ai eu avec permission. Je réponds : La permission vous en rend la propriétaire, mais n'empêche pas que vous ne perdiez le mérite de la parfaite pauvreté Vous direz : mais ce que je possède, je n'y suis pas at-tachée. Je réponds : Dès que ce que vous avez n'est pas nécessaire, ce sera un obstacle a la parfaite pau-
a4o                                     LA   RELIGIEUSE
vrcté. Vous dîtes enfin : Mais cet argent, cet objet me sert pour aider les pauvres ou mes compagnes. Je ré-ponds que la religieuse qui édifie, n'est pas celle qui α de quoi donner, mais celle qui n'a rien à donner. , St.-Thomas a dit: Bonumest facilitates pauperibus er ο gare tsedmelitls est egere cum Christo, (II. 2. qu χχχπ. a. 8. ) II est bon de donner ses effets aux pauvres, mais il Vaut m'eux être paUVre avec Jésus-Christ, et n'avoir rien à donner. La vén. sœur Amédée de Sales, disait qu'une bonne religieuse ne doit désirer jouir que des biens qu'elle reçoit de Dieu, c'est-à-dire des bons exemples, des oraisons et des secours de la vie spiri-tuelle.
III. Ο ma sœur ! si \ ous voulez plaire à votre époux, tâchez de vous défaire de tout ce qui vous est inutile, et si vous ne savez pas quels sont ces objets, priez vo · tre abbesse d'examiner votre cellule et d'en ôter tout ce qu'elle jugera superflu. Si vous aimez véritable-ment la pauvreté, je ne vous dis pas de faire la singu-lière dans le couvent, mais vous ne devez pas souffrir qu'il y ait des religieuses plus pauvres que vous ; vous devez donc tâcher d'être pauvre en tout, pauvre dans vos habits, dans vos meubles, dans vos aliments, pau-vre surtout d'argent. Quant aux habits, mettez-y toute la pauvreté possible, servez-vous-en par nécessité et non par vanité. A quoi servent lès vêtements fins des religieuses, sinon à satisfaire leur amour propre et les faire estimer de ceux qui les voyent! St.-Grégoire remarque qu'on ne met des vêtemens de prix que lorsqu'on espère être vu des autres. Cum nemo velit ibi pretiosis vestibus indui, ubi ab aliis non possit videri. Le St.-Esprit dit que la beauté d'une personne ne con-siste pas en ce qu'elle porte au dehors, mais en ce quelle possède au dedans : Omnis gloria ejus filias regis-
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ch intus. ( Ps. Z|4. ) Mais l'extérieur d'une personne en révèle l'intérieur. Exteriora signa produnt quid in animo lateat inlàs , est-il dit daiijs les revelations de Sle.-Bri-gitte. ( Rev. 1. iv. e. 13. ) Toute parure vaine décèle, une âme vaine. St.-Jean Chrisostôme, dit qu'une re-; ligieuse qui s'occupe à orner son corps prouve que son esprit est imparfait. Studium in ornando. corpore in-ternam, indicat deformitatem. ( Horn. 37. ) St.-Bernard dit, que plus on embellit le corps, plus on souille l'âme. Quanto amplius corpus ornatur, tanto interids anima fœdatur. Sle.-Madeleine de Pazzi, ( vie. cap.64.) vit beaucoup de religieuses damnées pour des péchés commis contre la pauvreté, et surtout par vanité.
IV. Je ne prétends pas que vous portiez des habits sales et déchirés; mais un habit racommodé convient à une religieuse qui a fait vœu de pauvreté. Il ne faut pas porter uu voile sale, mais il ne convient pas qu'il soit d'une blancheur éblouissante. Comment croire à la vertu d'une religieuse qui porte des manchettes de baptiste, des boutons d'argent, des bagues précieuses-au doigt, et un riche chapelet au côté ? qu'elle «ache que le mépris de la pauvreté déplaît beaucoup à Dieu., La vén. sœur Constance de la Conception , reli-gieuse carmélite , ayant jeté une fois un vieux voile déchiré, Jésus lui apparut et lui dit : C'est ainsi que tu méprises le poêle nuptial que je t'ai donné. Mais, les religieuses qui aiment Jésus-Christ ne font pas ainsi. Sœur Marguerite de la Croix , fille de l'empe-reur Maximilien II., clairiste déchaussée, ayant com-1; paru devant le duc Albert son frère avec une robera-i; commodée, celui-ci s'en étonna. Alors elle lui dit :! Mon frère, je suis plus heureuse sous cette robe en.; lambeaux que les rois sousleurs manteaux de pourpre, vin.                                           t6
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Ce que le monde méprise, Dieu l'aime et le récom-pense grandement. Violante Palombara, dame très-noble, ne portait jamais que des vêtements faits d'une toile grossière, une camisole de laine pour dormir et un chapelet de bois; en mourant elle e'écria : Que vois-je! ma robe étincelle de lumière, ma couverture est d'or et mon chapelet est de dia-mants.
V. Tâchez d'être pauvre : même dans vos meubles et dans les ustensiles de votre cellule. On lit dans les chroniques de St.-Jérôme, que quand les supérieurs trouvaient des choses curieuses, ils les jetaient au feu, les appelant idoles des religieux. Sœur Madeleine Caraffa, grande servante de Dieu , qui fut d'abord duchesse d'Andrie et puis religieuse à Naples, n'eut jamais dans sa cellule ni tableaux, ni cadeaux, ni beaucoup de livres; car,disait-elle,un seul livre suffit pour lire et pour le mettre en pratique. C'est à la confusion de certaines religieuses qui ont leur cel-lule remplie de livres spirituels et ne profitent d'au-cun. Ste.-Thérèse faisait chaque jour l'examen de sa cellule, pour voir s'il n'y avait pas quelque chose d'inutile; si elle y en trouvait, elle l'enlevait aussitôt. Ma sœur! Il y a peut-être bien des choses superflues dans votre cellule, pourquoi ne vous en dé faites-vous pas? A quoi servent ces peintures profanes? ces cor-niches dorées ? ces boîtes d'acajou ? ces ouvrages d'or ? ces vases de cristal, plus convenables à une femme du monde qu'à une religieuse ! Songez que ce qui platt maintenant à vos yeux, vous percera le cœur à l'heure de la mort; et vous en porterez la peine dans le purgatoire. Monseigneur Palafox raconte qu'un supérieur apparut à un moine et lui dit que pour le vœu de pauvreté Dieu demandait un compte exact
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de toutes les choses auxquelles on ne fait pas atten-tion dans cette vie ; il ajouta qu'il souffrait beaucoup pour avoir eu un secrétaire en noyer dans sa cellule. Quelques religieuses ont leur cellule aprovisionnée de fruits, de confitures, de liqueurs et de mille autres friandises. La vén. Jeanne de l'Annonciation à qui les médecins avaient ordonné li pâte de roses, ne voulut pas qu'on la laissât dans sa cellule et s'en fai-sait porter chaque soir la quantité nécessaire.
VI. Tâchez surtout d'être pauvre d'argent. St.-Paul compare l'amour de l'argent à l'idolâtrie. Avarus quod est idolorum servitus. (Eph.iv. ) Car l'argent de-vient le Dieu de l'avare, et son unique but. St.-Jean-Chrysostôme a dit : Contemnamus pecunias ne contem-namur à Christo. ( Horn. VIT. in c. S. ) Méprisons l'argent s>i nous ne voulons être méprisés par Jésus-Christ. Les premiers chrétiens, après avoir vendu leurs effets, en dépcsaiei.t le prix aux pieds des apôtres , (Act. iv. 34· et 35.) voulant indiquer par li que l'argent ne devait pas être dans le coeur de' l'homme, mais sous ses pieds. Quelques religieuses, sur prétexte de manquer de mille choses, ne cessent' d'amasser de l'argent. Sle.-Catherine de Sienne di-sait : Nous voulons regorger de biens, et tant que nous n'en regorgeons pas, nous nous croyons tou-jours dans le besoin. Mais les religieuses qui aiment la perfection ne font pas ainsi, elles ne veulent que le nécessaire et ne conservent que l'argent indispen-· sable. A quoi leur servirait plus d'argent, sinon à les rendre plus fières , plus difficiles, plus vaines et moins mortifiées, car elles satisferaient tous leurs caprices. Si vous avez plus d'argent qu'il ne vous en faut, donnez-le donc à l'abbesse pour qu'elle en dis-pose à son gré,ou du moins employez-le à secourir les
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religieuses plus pauvres, non pour avoir des dépen-dantes, mais par pure charité. Qu'il est honteux, dit Ste.-Catherine de Sienne, dans une de ses lettres, (Ep. xv.) que les religieuses qui devraient être des miroirs de pauvreté, nagent dans les délices comme si elles étaient dans le monde, et prétendent avoir dans le couvent plus d'aisances qu'elles n'en auraient eu dans la maison paternelle ?
VII. Il faut être encore très-circonspect dans sa dé-pense pour ne pas enfreindre le vœu de pauvreté. Certaines religieuses, se vantant d'être grandies et gé-néreuses, disent : Quand on a de quoi, on doit dépenser. Excellente maxime, qui irait bien dans,.Ja bouche d'un femme du monde, mais non d'une religieuse. Ne vous targuez pas du prétexte que vous faites ces dépenses à la gloire de Dieu dans les fêtes du cou-vent. Clément J. (dans sa Clémentine Exivi §. Rur-sus de verb, signif. ) défend aux religieux expressé-ment toute dépense superflue, même pour le culte divin. St.-Charles-Borromée ordonna expressément aussi que les ornemens des chapeiles des religieuses, fussent convenables, mais non somptueux. St.-Ber-nard demande : Quid putas? in his quœritur paenitentia , compunctio , aut intaentium admiratio? (Serm. ad. Guil.) Que pensez-vous ? est-ce la pénitence, la componc-tion ou l'admiration des étrangers que vous recher-chez ? Croyez-vous, dit-il, que cette religieuse, en faisant une fête pompeuse, cherche à honorer Dieu et à porter les autres à la dévotion , ou bien qu'elle le fait par vanité et pour qu'on admire sa magnifi-cence et son génie? St.-Bernard se fait cette objec-tion : Mais les évêques ne se font pas scrupule de dépenser immensément pour les fêtes du culte. II.ré-pond : Alia causa est Episcoporum alia monachorum; nos
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qui mundi pretiosa reliquimus, in his devotionem excitare intendimus. La position des évêques est différente de celle des moines qui professent là pauvreté. Nous qui avons laissé les biens du monde, nous devons être pauvres, même dans nos fêtes , et par les dehors de notre pauvreté, allumer la piété dans le cœur des hommes. Ο mon Dieu, que de péchés commettent les religieuses pour ces fêtes ! Elles ne se conten-tent pas des cierges, des tapisseries , de la mu-sique , elles veulent encore régaler les curieux qu'at-tire la cérémonie. Comment ne pas être révolté de voir qu'elles font passer le prêtre au parloir en sor-tant de l'autel pour lui faire prendre des rafraîchisse-ments, du chocolat, dés douceurs?
"VIII. Mais dites-vous : Que faut-il faire? ne dois-je pas imiter les autres? Je réponds : Du moins ne cher-chez pas à surpasser les autres et à augmenter le nombre des eibus, car si vous excédez dans votre dé-pense , celle qui viendra après vous, ne voudra pas faire moins pour ne pas passer pour plus pauvre que vous. N'introduisez pas des abus ; que ceux qui exis-tent vous suffisent, car vous rendrez compte à Dieu de tout ce que vous ferez. Une religieuse a commen-cé par étaler un peu de faste , celle qui l'a suivie un peu plus, une' antre encore davantage , et on est arrivé à de tels excès que des communautés entières ont perdu la ferveur et l'observance des règles. Que de religieuses sont distraites, inquiètes , sans recueil-lement, sans dévotion, pleines de vanité pendant Wute leur vie à Cause de ces dépenses ! Les Souve-rains pontifes, les saintes congrégations de Rome ont essayé mille fois de répai-er le mal, niais il n'ont rien gagné. Que puis-fe ajouter enòore? Je he puis que în'écrier : Malheur à toute religieuse qui introduit dés
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abus dans le couvent ! Que celle qui a la gestion des biens du couvent n'aille pas faire de folles dépenses pour elle-même , car ce serait blesser gravement le vœu de pauvreté. Les permissions pour les dépenses ne doivent pas être accordées par les confesseurs, mais par la supérieure ; car une religieuse ne doit obéir qu'à sa supérieure pour les choses temporelles. De plus,!a per-mission ne peut servir que pour acheter l'objet qui y est indiqué, car si on l'employait pour autre chose, ce serait une infraction au vœu de pauvreté. Celles qui font par caprice et par vanité des présens à des person-nes qui n'en ont pas besoin, blessent encore la pauvreté: Pars sacrilegii est,rem pauperum dare non pauperibus. (Ep. ad.Pam.) C'est un sacrilège que de donner le bien des pauvres, c'est-à-dire des religieuses qui n'ont rien à elles , à ceux qui ne sont pas pauvres. Les décrets apostoliques défendent aux confesseurs de recevoir des présens des religieuses, surtout s'ils sont réciproques. St.-Jérôme dit : Crebra munuscula et sudariola et fascio-las et dégustâtes cibo$,blandasque litterulas, sanctus amor non kabet. ( Ep. ad Nep. ) Le saint amour n'admet nï petits cadeaux de mouchoirs, de bonbons, de lettres affectueuses. Nous parlerons de tout ceci plus loin. Chap. X. S· 3.
IX. Le troisième degré de la pauvreté c'est de ne pas, vous plaindre, lors même que le nécessaire vous manque· Un jour la divine mère dit à une religieuse franciscaine : Ma fille, si tu as tout ce qu'il te faut,, tu n'es pas vraiment pauvre ; la véritable pauvreté consiste à avoir moins que le nécessaire. LaB. Jeanne de Chantai disait : (vie lib. HUC. 12.). Les plaintes contre la pauvreté déplaisent à Dieu et aux hommes, le ce me trouve heureuse que lorsque j'ai quelque in-dice extérieur de pauvreté. La vén. Baptiste Yernaz.-
aa chanoinesse régulière, disait qu'elle éprouvait un grand plaisir en pensant que si elle avait besoin de quel-que chose, elle ne pourrait pas se le procurer. Ste.-Marie-Madeleine de Pazzi s'affligeait quand la supé-rieure lui fournissait ce qui lui manquait. Une fois qu'elle n'avait pas de pain à table, elle en eut tant de plaisir quelle s'en accusa. Elle s'écriait par fois : Oh! que je serais heureuse si j'allais manger , et que je ne trouvasse pas de nourriture, si j'allais dormir et que je ne trouvasse pas de lit, si j'allais me vêtir et que je ne trouvasse pas d'habits! que nesuis-je dé-pourvue de tout ! Ο ma sœur ! parlez de même, quoi-que vous ayez quitté le monde et les choses super-flues, je crains cependant que vous ne soyez atta-chée à ce que vous croyez nécessaire à votre nourri-ture, à vos habits, à votre lit, car vous vous désole* quand ces choses vous manquent.
X. Mais comment seriez-vous pauvres ? vous voulez jouir du paiu de la pauvreté et vous ne vaulez man-quer de rien ! Quel pauvre, quel riche, même dan» le monde, a-t-il toujours tout ce qu'il désire ? Si vous étiez restée dans le monde, que de choses vous man-queraient î Et, dans le couvent où vous êtes venue pour souffrir et pour professer la pauvreté , vous vou-lez ne manquer de rien ? St.-François de Sales disait s Vouloir être pauvre et ne pas souffrir , c'est vouloir obtenir l'honneur delà pauvreté, et posséder l'aisance de la forlune. Mais vous dites : Si j'étais d'une bonne santé, je souffrirais tout; mais je suis malade, c'est pourquoi je ne puis concevoir que la supérieure m'ou-blie, comme si j'étais bien portante. Je vous réponds. Vous vous plaignez qu'on vous oublie, mais vous ou-bliez que vous êtes entrée dans le couvent pour souf-frir. Une religieuse doit embrasser la douleur, non
 BELIGIEUSE
seulement quand elle est bien portante, mais même quand elle est malade. On trouve dans la Constitu-tion dç Ste.-Thérèse cet article : Si quelque chose manque à nos frères malades, qu'ils se souviennent qu'ils ont embrassé la pauvreté de Jésus-Christ, c'est pourquoi ils ne doivent être traités en hommes riches ni quand il sont bien portants, ni quand il sont ma-lades. S*e.Marie-Madeleine de Pazzi parle ainsi aux religieuses : Quand même vous seriez malades ne prenez et ne faites rien qui n'ait l'apparence de la pauvreté. St.-I?ernard voulait que ses moines malades ne bussent que de simples tisannes, disant que les médecines chères ne conviennent pas à des malades pauvres. Si vous étiez restée dans le monde, je ne sais si vous auriez pu avoir le médecin et les drogues que la religion vous donne; et vous osez en exiger davantage. Allons ! soyez contente de vivre et de mourir pauvre ! et réjouissez-vous que lorsque la mort viendra, eue vous trouve pauvre. Toutes les fois que vous manquerez de quelque chose, souvenez-vous de ces paroles de la B. Jeanne de Chantai : les occasions d'exercer la pauvreté sont si rares, que lorsqu'elles se présentent, nous devons nous empresser d'en profiter avec joie.
. (ϋί. Le,quatrième et dernier degré de la pauvreté consiste à se contenter des choses les plus pauvres, de la cellule, de l'habit, du lit, des aliments les plus pauvres. Ste.-Marie-Madeleine de Pazzi se nourris-sait avec joie des restes des autres religieuses ; elle portait une robe si vieille, que la supérieure fut for-cée dé l'en faire changer par obéissance. La B. Jeanne de Chantai disait que la perfection  de la pauvreté
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pas de 1 argent, et que lorsque le plomb peut servir,
on n'emploie pas"l'étain. Cette règle doit s'appliquer à tout pour une religieuse qui veut être sainte.
XII. Nous allons rapporter en finissant, une belle instruction sur la pauvreté que le P. Antoine Torres adressa à une religieuse dé ses pénitentes : «Aimez la pauvreté comme un trésor, elle fut un trésor pour votre époux. Pratiquez-la sans cesse, parez-vous-en comme d'un bijou. Ne soyez pas tranquille si vous voyez dans le couvent une religieuse ou une converse plus pauvre que vous. Ne portez pas d'objets de luxe, n'ayez sur vous que le nécessaire. Choisissez les voiles les plus vieux et les plus usés , et que Votre chapelet même soit d'un bois grossier. Mettez la robe la plus déchirée , ne la quittez que lorsqu'elle he tiendra plus sur vous. Évitez d'avoir plus de tuniques ou plus de linge que n'en a la dernière des sœurs con-verses. Ne possédez et ne convoitez aucune cliosë, pas même les choses nécessaires, et ne les achetez qu'après en avoir demandé la permission â votre Sau-veur , attaché tout nu sur fa croix. Ne donnez jamais, ne recevez jamais rien ,· que votre supérieure ne votis le permette. N'ayez dans votre cellule qu'un pauvre lit, avec peu de draps et de couvertures, deux chafëès de pailles, un crucifix, quatre images de papier ; quelques livres choisis, qui vous seront désignés par votre directeur, et ce qui vous est absolument néces-saire, rien de plus. Examinez souvent devant le cru-cifix si vous avez bien observé le vœu de pauvreté, et si vous trouvez dans votre chambre quelque chose de superflu, portez-le à la supérieure. Ne demandez rien pour vous à vos parents. Vous pourrez leur de-mander quelque choses pour les besoins de là com-munauté, mais sans rîéh garder pour votis. CVie." lib. u.c. 11.)
 LA   BELICIEHSE
XIII. De grâce, ô ma sœur , vous qui avez renon-cé au monde, et à toutes les choses du monde, ne préférez pas la boue à Dieu. St.-Clément, évéque d'Ancire, lorsque Dioclétien lui présenta de l'argent, de l'or, et des bijoux pour qu'il reniât Jésus-Christ, poussa un long soupir en voyant que Dieu était com-paré à la boue. On raconte que lorsque le tribun offrit à St.-Basile, martyr, de la part de l'empereur Licinius, la dignité de premier Pontife, s'il consen-tait à renoncer à la foi chrétienne, il répondit : Dites à l'empereur , que, quand il m'offrirait tout son em-pire, il ne vaudrait pas ce dont il me priverait en me privant de Dieu, et en me livrant au.démon. Ο vous! qui vous êtes donnés à Dieu, faites que les choses de la terre que vous avez laissées ne vous mettent pas encore une fois en danger de perdre Dieu. Imagi-nez que Dieu est devant vous avec toutes les créa-tures, et qu'il vous dit comme à la vén. sœur Marie Crucifiée : Choisis entre elles et moi, ce que tu pré-fères. Ah! le trésor d'une religieuse, c'est Dieu! — Je finis en disant avec St.-Madeleine de Pazzi : Heu-reux les religieux qui, détachés du monde parla sainte pauvreté, peuvent dire : Dominus pars hereditatis meœl Dieu est ma part de l'héritage dans tout ce que ie désire en cette vie et en l'autre. La même sainte s'é-criait : Rien, rien que Dieu. Je ne veux Dieu que pour Dieu.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus ! je trouve tout en vous ; je ne veux et ne désire rien hors de vous. Attirez-moi toute à vous ; faites que je sois brûlée et dévorée du feu de
SAtiCTlFlÉE.                                  a5l
votre amour. Mon bien aimé Rédempteur, depuis bien des années vous me poursuivez et me voulez touîe à vous. Puisque vous avez tant de souci de mon bonheur, faites que dorénavant je n'aie d'autre souci que de vous aimer. Délivrez-moi de tous les senti-ments qui «n'éloigneraient de vous. Faites que mes pensîes n'ayent pour but que de me préserver de tout ce qui pourrait vous déplaire et de faire tout ce qui peut vous être agréable. Ο verbe incarné , vous êtes descendu sur terre pour nous embraser d'a-mour pour vous! Prenez mon cœur, enflammez-le Seigneur, éclairez-le et pliez-le à toutes vos volontés, unissez-le au vôtre, et gardez-le. Unissez-vous à moi et unissez-moi à vous par un parfait amour, que l'éternité ne puisse jamais rompre. Faites que je ne m'appartienne plus, mais que je sois à vous, toute à vous, ô mon trésor, mon amour, mon unique bien. Ο Marie ! ma mère, j'ai fondé toutes mes espérances en votre intercession.
CHAPITRE X.
Du détachement des parens et du reste des hommes. §· I-
Du détachement des parens.
I. Si l'attachement aux parents n'était bien dange-reux, Jésus-Christ ne nous l'aurait pas recommandé avec tant de soin. Dans un endroit il dit que celui qui ne hait pas ses parents, ne peut être son disciple.
Si quis venit ad me et non odit patrem suum et matrem, non potest meus esse discipulus. (Luc. xiv. 26.) Il dit dans
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un autre endroit, qu'il est venu séparer le fils de son père, et la fille de sa mère. Veni enim sepnra-e hominem, adversas patrem suum et filium adversus matrem suam. Mais pourquoi donc celte haine envers nos parents , et pourquoi nous séparer d'eux ? Le Sauveur lui-même répond à cette question : Et inimici hominis do-mestici ejus. ( Mat. χ. 36. ) Parce que les hommes et surtout les religieux n'ont pas de plus grands obs-tacles à leur vocation que leurs parents ; car, dit Sl.-Thomas, (n. 2. qu. ci.xxxix. a. 10.) frequenter amici Carnales aversantur profectui spirituali; propinqui enim car-nis in hoc negotio atnici non sunt sed inimici. L'expérience nous le prouve, St.-Charles-Borromée, quoiqu'il fût réservé dans sa conduite, et très-détaché de ses pa-rents, avouait cependant que, quand il allait les voir, il revenait moins fervent et presque indifférent aux choses de Dieu. Les maîtres de la vie spirituelle ex-hortent tous ceux qui veulent atteindre à la perfec-tion à fuir leurs parents, à ne pas se mêler de leurs affaires, et à ne pas même demander de leurs nouvel-les, quand ils sont éloignés.
II. Comment avoir la ferveur , quand on veut toujours avoir ses parents auprès de soi, quand on envoie lettres sur lettres pour les faire venir, qu'on se plaint, qu'on s'inquièle, s'ils tardent à arriver ! Comment une religieuse qui fait ainsi s'unirait-elle à Dieu ? St.-Grégoire dit : Extra cognatos quisque debet fieri, si vult parenti omnium verius jungi. (Mor. lib. vu. e. 6.) Il faut fuir ses parents quand on veut s'unir à D΀u^ père universel de tousles hommes^ St.-Bernard, après avoirdit que la Ste.-Yierge,ayant perdu son fils, le chercha vainement pendant trois jours chez ses parents, en tire la conséquence que Jésus-Christ ne réside pas là. Non invenitur Jesu inter cognatos.  Pierre
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de Blois ajoute que l'amour de nos parents nous prive de celui de Dieu. Carnalis amor extra Dei amorem citó. te capiet. Moïse en mpurant dit ces mots qui s'adres-sent surtout aux religieux : Qui dixit Patri s«o et matri suce : nescio vos et fratribus suis ignoro vos, hi custodie-runt eloquium tuum et pactum tuum servaverunt. (Deut. xxxui. 9. ) C'est-à-dire que la religieuse qui dit à ses père et mère : Je ne vous connais pas ; à ses frères : je ne sais qui vous êtes, répond à l'appel de Dieu et observe l'engagement qu'elle a pris avec Dieu, en fai-sant ses vœux, alors que Dieu lui dit comme à toutes celles qui se consacrent à lui : Audi, fdia, et vide, etin-clinaaurem tuam, et obliviscere populum tuum et domum, pafris tui, et concupiscet Rex decorem tuam. (Ps. xxxxiv. 12. ) Écoute , ô ma fille et apprends combien tu seras heureuse, si tu m'obéis, et si tu prêtes l'oreille à mes,; paroles ; oublie tes semblables et la maison paternelle et alors, moi, qui suis ten roi et ton époux, j'aimerai ta beauté. Grande premium est, s'écrie St.-Jérôme, parentis oblivisci, quia concupiscet Rex decorem tuum. ( in Reg. mon. ) La récompense qui t'est des-tinée, est immense; car tu seras chère à ton Seigneur qui le rendra heureuse dans cette vie et dans l'autre. Notre Sauveur a dit : Omnis qui reliquerit domum vel fratres aut patrem, aut matrem, propter nomen meum, centuplum accipiet et vitam celernam possidebit. (Mat. xix. 29.) Celui qui abandonne, même d'affection, ses père et mère pour moi, possédera ,1a vie éternelle dans l'autre vie, et recevra de plus le centuple dans celle-ci. Elle laissera quelques sœurs dans le monde, et elle en trouvera beaucoup dans le couvent ; elle laissera un père et une mère, et elle aura Dieu pour père et Marie pour mère, et sera aimée et traitée par eux comme uue fille.
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III.  Sachant combien ils se rendaient chers à Dieu en se détachant de leurs parents, les saints ont cher-ché à en être toujours éloignés. St.-François-Xavier,en allant aux Tndes, passa près de sa ville natale, mais il ne voulut pas y entrer, de peur de voir sa mère, ses parents et ses ainis, qui, dans leurs lettres, l'avaient instamment prié de venir leur dire un dernier adieu, car il ne devait pins les revoir! La sœur de St.-Pa-côme étant venue le voir, il lui fit dire ces mots : Tu sais que je vis encore, que ce/a te suffise. Pars. Quelques saints ne voulaient pas même lire les lettres de leurs paren's. St.-Jean-Climaque raconte que St.-Antoine, abbé, après un séjour de plusieurs années dans le dé-sert, reçut des lettres de se.« parents: il se dit à lui-même : Lirai-je ces papiers ? Ils ne m'apporteront que trouble et inquiétude ; il m'ôteroni la paix dont je jouis. Il les jeta dans le feu et s'écria : Disparaissez,sGUvcnirs de ma patrie !  Ne me rappelez plus ce que j'ai quitté. Brûlez, ô lettres de mon père ! brûlez, pour que je ne FOIS pas brû'é un jour.
IV.  Ste.-Thérèse disait : « Je ne conçois pas quelle consolation peut trouver une religieuse dans la vue de ses parents. Oulre que Dieu lui ordonne de les haïr, elle ne peut partager leurs plaisirs, et à coup sûr elle partage leurs peines. Qu'elle est belle, ô ma sœur, cette réflexion de la sainte .'Lorsque vos parents viennent à la grille, ils ne peuvent pas vous faire jouir de leurs amusements, parce que vous êtes ren-fermée et que vous ne pouvez pas y aller. Que vien-nent-ils donc faire au parloir ? Ils n'y viennent que pour vous raconter leurs maux, leurs chagrins, leurs besoins. Â quoi sert tout cela ? Cela sert à vous rem-plir d'inquiétude, de distraction, de défauts; à cha-que visite de vos parents, on vous voit pendant plu-
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sieurs jours distraite et inquiète dans la priore et dans les communions, parce que vous pensez sans cesse à ce qu'ils vous ont dit. Comment donc, vous qui avez quitté le monde pour vous rendre sainte, pouvez-vous désirer que vos parents viennent souvent vous voir? Est-ce pour qu'ils vous fassent perdre votre paix et votre avancement dans la vertu ? Quelle folie de croire qu'on ne peut pas vivre contente sans voir souvent ses parents ! Oh ! si vous vous en éloigniez, combien Jésus-Christ vous consolerait et vous rendrait heu-reuse ! Sle.-Madeleine de Pazzi disait que le fruit principal que les religieuses doivent tirer de la com-munion, c'est la haine des grilles II n'y a pas de lieu, en effet, où le démon gagne davantage avec elles qu'au parloir, comme un des esprits malins le dit un jour à la vén. sœur Marie Villam*. Ste.-Madeleine de Pazzi ' détournait ses pas du parloir , et le haïssait tellement, qu'elle ne pouvait pas même l'entendre nommer.Quand par fois elle était forcée d'y descendre elle se prenait à pleurer et disait à ses compagnes : Mes filles, priez Dieu pour moi, car on m'appelle à la grille, et elle les suppliait de venir l'appeler sous un prétexte quelconque.
V. Mais vous dites : Quoi ! je ne dois pas voir mes parents! Quand ils viennent me trouver, je dois les chasser et ne pas descendre au parloir. Je n'exige pas cela, mais si vous le faites, ferez-vous mal; sera-ce chose inconvenante et jamais pratiquée par aucune religieuse ? Plus d'une a pris cette résolution et l'a exécutée. On rapporte, vers la fin de la vie de Dona Jérôme St.-Félix ( Lib. 6. c. i. §. 4. ), écrite par le P. Torres, que cette religieuse, du couvent de Dona Alvina, était au commencement si attachée à ses pa-rents, qu'elle pensait toujours à eux, qu'elle voulait
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qu'ils vinssent souvent la voir, et envoyait chaque jour demander des nouvelles de son père. La sœur Marie Àntonia, qui était dans le même couvent, et qui était Irès-fervente, pria Dieu de la faire souffrir, et Dieu l'exauça, car il lui envoya un ulcère qui lui rongeait les chairs en lui causant des douleurs mortelles; elle s'écriait alors : Plus fort, ô mon époux, plus fort ! Sœur Àntonia, au moment de mourir promit donc à D. Jérôme, de lui obtenir la grâced'être sainte, lors-r qu'elle serait en paradis. Elle mourut, et en effet la sœur Jérôme changea de conduite, prit la résolution de ne plus voir ses parents,et resta quarante ans sans aller au parloir. Un jour que deux de ses neveux de-mandèrent à la voir, elle les fit renvoyer, et courut à la grille de l'église devant le Saint-Sacrement. Ses neveux allèrent à l'église pour la ypir par cette grille ; alors elle tira le rideau et s'enfuit ; mais elle se fit tant de violence, qu'elle tomba évanouie à terre, ( qui ne se fait pas violence , ne sera jamais saint. ) Depuis lors, sœur Jérôme fit de tels vœux au divin amour, qu'elle vécut et mourut sainte. Quand elle fut mprte, on grava son portrait, et lorsqu'on ouvrit son cada-vre, on trouva une croix sur son cœur, preuve de l'immense amour qu'elle avait porte à Jésus-Christ. Pourquoi, vous aussi, ne fuiriez-vous pas la grille ?
VI. Mais, direz-vous que si vous formez ce dessein, l'abbesse et le confesseur ne vous permettront pas de l'exécuter, et pourquoi vous le refuseraient-ils. Puis-que la chose est' faite d'inspiration divine, et quelle peut servir à l'édification des autres sœurs? Si cçpen-daut la supérieure ne,vous le permet pas. et vous or-donne de descendre a la grille, je vous conseille d'o-béir, mais dites-lui ce que dit le b. Théodore à son abbé qui .Voulait l'engager à aller voir sa mère, qui
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était venue le trouver ! Mon père, vous m'ordonnez d'aller voir ma mère, mais qui me garantit que sa visite ne sera pas nuisible à mon salut? L'abbé fut ef-frayé de ces paroles , et le délivra de l'obéissance. Je m'adresse maintenant aux abbesses et aux confes-seurs. Lorsque, sans juste cause et seulement par convenance, par caprice, ou par intérêt, ils entra-vent les progrès d'une religieuse dans la perfection , ils en sont responsables devant Dieu. Au reste, quant à vous, si on vous ordonne, ô ma sœur, de descendre, obéissez : je le répète, je n'exige pas de vous que vous ne voyez plus vos parents, mais, quand vous leur par-lez , observez les règles suivantes : 1° Avant d'aller à la grille, recommaudez-vous à Jésus crucifié, à Jésus dans le Saint-Sacrement, pour qu'il nous assiste en ce moment. 2° Gardez-vous d'imiter ces religieuses qui vont au parloir pour s'amuser, pour savoir ce qui se passe dans le monde, et qui le répètent ensuite à tou-tes les sœurs. 3° Gardez-vous bien de rien révéler des affaires du couvent, et surtout de tout ce qui a rap-port à la supérieure et à vos compagnes. h° Lorsque vos parens se mettent à parler de choses inutiles , de choses mondaines, de mariages, d'amour, de bal, etc., interrompez-les. La vén. sœur Marie Crucifiée , s'éva-nouissait lorsqu'on lui parlait de mariage. Entamez donc aussitôt quelque sujet chrétien, racontez quel-que fait arrivé, et déduisez-en une conséqtience mo-rale. Vous ne devez pas apprendre de vos parents le langage du monde, mais ils doivent apprendre de vous le langage de Dieu. Tout le temps qu'on passe aux grilles, est un temps perdu, et dont on rendra compte au Seigneur. 5° Ne priez jamais vos parents de venir vous voir, et lorsqu'ils viennent, tâchez d'abré-ger la conversation ou de prendre congé d'eux sous vin.                                                     \η
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prétexte d'une affaire; dites par exemple que. vqus devez assister une malade, faire une oraison, ils s'a-percevront alors que leur présence ne vous est pas agréable, et viendront moins souvent. Soyez certaine que moins dureront leurs visites, plus vous éviterez de défauts ; plus elles seront rares, plus vous serez re-cueillie et consolée par Jésus. La vén. sœur Catherine, chartreuse, qui s'était faite religieuse contre la volonté des ses parents, et qui en avait été abandonnée, disait: Je ne porte pas envie à mes soeurs, parce qu'elles voient leurs parents plusieurs fois par an, car je puis à chaque instant voir mon véritable père, Jésus, et ma véritable mère,Marie, et ils me remplissent de con-solation.                           ;                    ,           ■'.·'·■■;.
VII. En outre , et en dernier lieu, ayez soin de ne pas vous mêler dans les affaires de. vos parents, de mariages, de contrats, de dépenses, et de choses semblables qui vous feraient perdre la paix, le re-cueillement et peut-être même l'âme. St.-Jérôme a dit: Quanti monachorum, dum patris matrisque miseren-tur , suds animas perdiderunt ! ( In. Men. ) Combien.de religieux, pour avoir eu pitié de leurs parents, se sont perdus ! Le même saint dit encore dans un autre en-droit, que plus une religieuse est affectionnée à ses parents, plus elle est indifférente snvers Dieu. Grandis in suos pietas, impietas in Deum est. (S . Hier. ep. 28, ) Quelle impiété que de quitter Dieu, l'oraison, les ea-cremens, de se jeter dans la distraction et la tiédeur pour servir ses parents! St.-Bernard appelle les affaires de nos parens, des affaires diaboliques , et exhorte les moines à les fuir : Fugiant illorum curam tanquam dki-bolicam. ( In. cons, mon- c. 23. ) St.-Ignace de Loyola ne voulut pas s'occuper du mariage d'une de ses nièces, quoiqurelle fût héritière de sa maison.. S,t.-Francois
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de Borgia ne voulut pas écrire au pape pour la dis-pense qxi'il aurait facilement obtenue pour le mariage de son fils avec une de ses parentes , quoique de ce mariage dépendît un héritage considérable. (Vie. l.iv. c. 6. ). Nemo mittens manum ad aratrum et respiciens retro aptus est regno Dei. (Luc. 9. 62. ) Celui qui,ay ant mis la main à la charrue, regarde derrière lui, n'est pas propre au royaume de Dieu.
VIII. Tremblons, car c'est Dieu qui nous dit, que ceux qui se sont mis à son service, et s'occupent des choses du monde , ne sont plus dignes du pa-radis. Quand vos parents veulent vous mêler à leurs affaires , refuses et faites leur agréer vos excuses. Souvenez-vous de ce que dit Jésus-Christ à ce jeune homme, qui, étant appelé à le suivre, répondit qu'il voulait avant tout ensevelir son père : Laissez les morts ensevelir leurs morts , lui dit le Rédempteur. Sine ut mcrîut sepeliant mortuos suos. ( Luc. 6. 90.) Je vous dis la même chose, ô ma sœur , laissez les mondains , appelés morts , s'occuper des affaires du monde. Votre seule affaire est d'aimer Dieu et de vous rendre sainte; Dites donc à vos parents que de tels soins ne conviennent pas à votre position. Quand la Ste.-Vierge dit à Jésus-Christ, qui était resté dans le temple , mon fils, pourquoi avez-vous agi ainsi avec nous? Votre père et moi, nous vous cherchions, plongés dans la douleur. Fili, quid fecisti nobis sic? Ego et pater tuus dolentes quœrebamus te. Jésus lui répondit : Nesciebatis,quia in his quœPatrh mei sunt,oportet me esse? ( Luc. 11. 48. et 49. ) Ne saviez-vous pas que je ne dois avoir à cœur que la gloire de mon père. De même si vos parents se plaignent de ce que vous ne voulez pas les servir, dussent-ils vous appeler ingrate , sans affection pour eux, ennemie de votre maison, répon-
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dez avec courage, que vous êtes morte au monde, et que vous ne devez servir que Dieu et votre couvent, je termine par les paroles du B. Joseph Calasanze : Une religieuse qui aime ses parents, disait-il, n'a pas quitté le monde.
PRIÈRE.
Oui, mon Dieu et mon divin époux, à l'avenir je veux n'aimer et ne servir que vous. Je ne servirai les créatures que lorsque, vous me le permettrez. Sei-gneur, faites-moi connaître tout ce qui peut vous plaire, je le ferai aussitôt. Enflammez-moi toute de votre saint amour; faites que je ne veuille jamais que ce que vous voulez. Faites que je n'aime que ce que vous aimez. 'Faites que je vous dise sans cesse avec'une sincère affection : Ò mon Dieu, ô mon Dieu, je ne veux que vous et rien autre. Ò mou roi et mon époux, ô Jésus, régnez seul dans mon âme, possé-dez-ta toute enti§r3. Montrez-lui ce qu'elle doit fuir et ce qu'elle doit chercher , et faites qu'elle n'obéisse qu'à vous! Ò mon bien-aimé llédempteur, exaucçz-moi par les mérites de votre passion ! 0 reine du ciel f je me confie en vous , aidez-moi de votre interces-
sion.
S· H-
Du détachement du séculier et même des duties religieuses.
J. St.-Augustin dit que ceux qui ne veulent pas fuir les conversations dangereuses, tomberont infail-liblement dans l'abîme;. Qui familiaritaieyt. non vult ni-
JASOTIFÏÉE.                                      261
tare suspectant ciiò labitur in ruinam. (Serai. 2.in dom. ) L'exemple de Salomon doit nous faire trembler tous. Dieu l'avait tant aimé qu'il était devenu pour ainsi dire la plume qui écrivait sous la dictée duSt.-Esprit, mais pour avoir trop fréquenté dans sa vieillesse les femmes de la gentilité, il finit par adorer leurs idoles, (ni. Reg. 11. ) Cela n'est pas étonnant dit St.-Cyprien. Comment être au milieu des flammes, et ne pas brû-ler! Ο épouse du Seigneur, Fair du parloir est empoi-sonné pour vous. Dans le choeur vous respirez l'air sa-lutaire du Paradis, mais dans le parloir, vous respirez l'air sulfureux de Tenfer.Telle religieuse qui serait en-core chez ses parents, n'oserait pas Tester trois ou quatre heures en conversation avec un jeune homme; et elle ne : craint pas de le faire dans la maison de Dieu.  La maison de Dieu sera donc moins respectée qu'une maison de séculiers! Elle répond : Mais grâce à Dieu il n'y a pas de mal. Il n'y a pas de mal? Toutes les amitiés fondées sur la sympathie et sur une affec-tion sensible Vers un objet qui plaît, si elles ne font pas d'autre mal à l'âme, sont pour le moins des obs-: Iacies à la perfection. Elles font perdre l'esprit d'orai-son et le recueillement. Une religieuse qui s'est prise d'amitié pour quelqu'un, aura le corps dans l'église, mais ses pensées voleront vers l'objet aimé. Elle ces-sera d'avoir du goût pour les sacrëmens : elle perdra la sincérité dans ses confessions, car, honteuse de son attachement, ou craignant que son confesseur ne lui or-donne de la rompre, elle lui cachera la cause de sa tié-deur, et ainsi cette malheureuse tombera de mal en pire; elle perd le repos, parce que, si elle entend dire mal delà personne qu'elle aime, sonceeur bât, elle se trou-ble et la défendcontrel'agresseur.Elle perd l'obéissance, parce que, si la supérieure l'engage à faire Cesser ce'tté
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amitié, elle cherche mille excuses et n'obéit pas. Elle perd enfin l'amour de Dieu, qui veut tout notre cœur pour lui, et n'y souffre pas d'attachement étranger. C'est pourquoi il se retire des cœurs ou règne un autre nom que le sien. La vénér. sœur Françoise Farnèse disait à ses religieuses : Mes sœurs, nous nous som-mes renfermées entre quatre murs, non pour voir et être vues, mais pour nous conserver sans tache à no-tre divin époux. Plus nous nous cacherons aux yeux des hommes, plus le Seigneur se dévoilera à nos yeux dans cette Tie et dans l'autre.
II.  L'âme  court   de   grands   dangers dans celte sorte d'affection, fondée sur les qualités extérieures de la personne aimée, quand elle est d'un sexe différent. Ces affections semblent d'abord indifférentes, mais peu à peu elles deviennent défectueuses , et finissent par entraîner l'âme dans quelque péché mortel. Homo et mulier ignis et palea, et diabolus numquam sufllare ces~ sat ut accendatur. ( In. Eph. Eus. ad Damas. ) L'homme et la femme, dit St-Jérôme, sont comme le feu et la paille, et de plus le démon ne cesse de souiller pour l'enflammer. La paille, approchée du feu, n'est pas moins facile à s'enflammer que deux personnes de sexe différent qui se fréquentent familièrement : c'est môme plus facile, parce que le démon les guette et ne cesse de souffler le feu. Ste.-Thérès3 ( Vie. c. 30. ) se vit un jour dans l'enfer, et Dieu lui dit que ce lieu lui était destiné, si elle ne se défaisait pas d'une cer-taine amitié, non impure, mais seulement agréable, qui la liait à nn de ses parents.
III.  Ο vous, qui me lisez ! Si vous vous sentez dans le cœur quelque affection de ce genre, le seul remède pour en guérir est de rompre promplement ; si vous hésitez , vous êtes perdue· Les chaînes qui vous lient
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sont bien trempées et difficiles à rompre ; il faut donc les briser d'une seule secousse, ou, sans cela, vous ne Ie3 briserez jamais. Il ne sç-s'est passé entre vous et lui rien d'indécent, mais sachez que le démon ne commence pas par le dernier des excès ; il conduit lentement au bord du précipice, puis, avec un léger choc, il nous y fait tomber. Les maîtres de la vie spiri-tuelle s?accordent à dire que le seul remède à ces pé-chés, c'est de fuir les occasions. St.-Philippe de Néri disait que les ■ lâches sont les vainqueurs dans la guerre des passions, car il prennent la fuite. St»-Jé-rômeadit: Cum rœteris vitiis quis posset resistere, huic tamen non potest, nisi per fagam. ( In. reg. mon.) Nous pouvons résister aux autres vices en nous faisant vio-lence , mais le seul remède au vice de l'impureté c'est de1 fuir l'occasion et de rompre rattachement.
TV. Si, comme jé'l'espère, vous êtes libre de toute sorted'attachement, soyez toujours sur vos garde?, car vdus êtes aussi sujette à tomber dans ces filets, ou tant d'autres se sont laisséesprendre par négligence. 1° Sui-vez la'règle de Ste-Thérèse qui dit qu'une religieuse doit plutôt être grossière que polie, qu'elle doit parler peu , et faire peu de compliments. Ste.-Catherine de Sienne écrivit à une de ses nièces : Reste la tête bais-sée devant les séculiers, et sois sauvage comme un hérisson quand on te parle. Abstenez-vous aussi,quand vous êtes à la grille, de regarder et de rire immodes-tement, et surtout d'avoir une robe prétentieusement mise. Vous seriez encore plus blâmable, si vous lais-siez flotter des boucles de cheveux sur votre front , ou si vous aviez' des fleurs au sein, un éventail à la main , etsi vos pas laissaient derrière eux une longue trace de parfums. Au reste, si vous voulez fuir tout danger, abstenez-vous autant que possible de causer
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avec des séculiers. Sede solitaria shut turtur, dit St.-Bernard , nihil tibi et turbis. ( Serm. in can. ) Soyez solitaire comme la colombe, fuyez la foule bruyante et le parloir, réfugiez-vous dans le chœur et dans votre cellule. Quels rapports peut-il exister entre vous et le monde, puisque vous l'avez quitté pour Dieu ? La sœur Jeanne d'Etienne , franciscaine, disait : Si tu es l'épouse du roi des rois , ne jelte pas les yeux sur ses esclaves. C'est un crime à un esclave de re-garder la reine ; ce serait aussi un crime à la reine de se complaire aux regards de l'esclave. Ste.-Catherine de Sienne ( Ep. 158. ) dit : Nous sommes des épouses adultères, puisque nous cherchons les plaisirs de l'a-mour-propre, l'air dt notre cellule nous étouffe, nous ne semblons rttpirer qu'au parloir. St.-Jérôme vous prévient que si, en causant avec quelqu'un, vous sentez naître dans votre âme quelque sentiment désordonné, écra-sez-le «n son berceau, de peur qu'il ne devienne géant. Dum, parvus est hostis, interfice. ( Ep. 22. ) II est facile de tuer le lion quand il est à. la mamelle, mais c'est difficile et presqu'impossible, lorsqu'il est dans la force de l'âge.
V. Vous seriez très-coupable, si vous permettiez à un séculier de badiner avec vous, ( je n'entends pas avec les mains, car un tel excès ne doit pas même se supposer ) mais par des propos indécents. Ne croyez pas être exempte de blâme, parce que vous ne faites qu'écouter; en lui prêtant l'oreille, vous êtes sa com-plice et vous commettez le même péché. Si vous ne lui coupez pas aussitôt la parole , vous deviendrez pire que lui, et d'épouse de Jésus-Christ, vous de-viendrez l'épouse de Satan. Vous serez la cause de la ruine de votre couvent, parce qu'un e religieuse qui a une conduite pareille, par son exemple, en entraînera
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beaucoup d'autres dans le même abîme. Si votre frère, ou quelqu'un de vos parents mène avec lui un de ses amis, et que celui-ci vous révèle, par le langage muet des regards , les tendres sentiments que vous lui ins-pirez, ayez soin alors de baisser les yeux , de garder le silence et de prendre un air sévère ; mais le mieux serait de vous retirer aussitôt ; s'il revient encore au parloir avec votre frère, et qu'il vous fasse appeler, répondez que vous avez affaire et que vous ne pouvez pas descendre. Prenez garde! car si vous cédez, si vous consentez à le voir, je vous plains, vous êtes perdue. Si vous recevez de quelqu'un une lettre où se trouvent des paroles d'affection, déchirez-la, brû-lez-la et n'y répondez pas. Si vous êtes forcée d'y re-sonare à cause de quelque affaire importante, pre-nez un ton grave , austère ; ne témoignez pas de re-connaissance, faites comme si vous n'aviez pas com-pris le sens de ses discours. S'il revient à la grille, congédiez-le, car si vous le voyez après sa lettre, c'en est fait de vous. Vous seriez encore très-coupable si pour ne pas fâcher une de vos compagnes, vous vous exposiez à fâcher Dieu, en favorisant un attachement illicite ; si vous vous mêlez de pareilles choses, atten-dez-vous à un châtiment exemplaire comme cela arriva à une sacristine qui se chargea de faire parvenir une lettre d'une de ses amies à un séculiir pour une corres-pondance qui n'était pas sainte. Elle remit la lettre au petit clerc du couvent, mais celui-ci étant pressé, tourna letouravectant de promptitude que la malheureuseen eutla main coupée et en mourut quelques jours après.
\I. Si un religieux ou un ecclésiastique venaient vous trouver, non pour parler de Dieu, ni du bien de votre âme, mais par attachement, employez les mê-
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mes moyens pour les éloigner. Il serait bon que vous n'eussiez de rapports avec votre confesseur qu'au con-fessional; et que si vous avez un entretien avec lui il eût lieu plutôt au tour qu'à la grille. Soyez plus cir-conspecte encore avec votre directeur, parce que la Confiance qui existe entre vous et lui pourrait donner naissance à une sympathie, qui n'étant pas modérée deviendrait bientôt flamme d'enfer. N'ayez donc au-cun commerce avec votre directeur, ne lili faites pas de présents, ne vous chargez pas du soin de cuire son dîné, de racommoder son linge, etc. Ste.-Thérèse disait : Oh! combien toutes ces bagatelles troublent l'âme! Dieu veuille qu'elles ne finissent pas par nous détacher de Dieu! Si, dans votre couivént, est établi l'usage de faire des;présents au directeur, envoyez-lui deux Ou trois fois par an un petit présent, plutôt comme marque d'attention, que comme un gage d'affection. Gardez-vous svirtout de jamais laisser échapper aucune expression tendre pour lui.1
VII. Ne Vous appuyez pas de l'idée que votre direc-teur est saint. St.-Thomas d'Aquin dit, que plus une personne est sainte, plus nous devons la craindre , Car le sentiment de sa bonté nous la rendra en-core plus chère. Nec quia sanctiorem fuerint, ideo mi-nus cavendee; quo enim sancliores eo magis alliciunt. (St.-Thom. op. 64.)Le vén. Sertorius Caputo, de la com-pagnie de Jésus, disait que le démon nous rend d'a-bord amoureux de la vertu d'une personne, puis de la personne même, puis il nous pousse à notre perte. Le docteur angélique dit que l'ennemi sait bien cacher le danger, car il ne lance pas d'abord les flèches em-poisonnées, mais celles qui embrasent le cœur et y font de petites blessures; peu après les deux person-nes n'agiront plus en anges comme1 auparavant, mais
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en hommes; leurs regards se croiseront; lenrs dis-cours seront plus tendres; ils ne pourronÇplus vivre l'un sans l'autre, et cette dévotion spirituelle se chan-gera en affection charnelle. Telles sont les propres expressions du Saint.
VIII.   St.-Bonaventure indique cinq signes  aux-quels on peut reconnaître si l'affection n'est pas pure. 1* Quand  on cause longuement sur  des frivolités. 2° Quand on se regarde l'un l'autre, et qu'on se fait des éloges réciproques. 3° Quand on excuse les défauts l'un de l'autre. 4° Quand on conçoit certaines petites jalousies. 5° Quand la séparation produit de l'inquié-tude. J'ajoute : quand la grâce et la tournure de la personne nous plaisent ; quand on désire qu'elle ré-ponde à notre affection ; quand on n'aime pas que d'autres l'aperçoivent, l'écoutent et en parlent.  Le P. Pierre Consolène  de l'Oratoire  disait qu'il faut traiter  avec les  personnes  saintes de l'autre  sexe comme avec les âmes du purgatoire , de loin et sans les regarder. Quelques religieuses demeurent long-temps avec leur directeur afin de puiser dans leurs discours l'amour de Dieu et la ferveur. Mais de telles conversations trop prolongées sont un abus, et peu-vent être l'étincelle d'une passion coupable et perni-cieuse. Pour redoubler de ferveur, lisez vos livres de piété, écoulez les lectures spirituelles qu'on vous fait à table et à l'église, allez au sermon ; mais, pour vous rendre sainte , vous pouvez vous passer même de tout cela; il suffit que vous lisiez les règles avec attention et que vous les mettiez en pratique.
IX.  Ceci s'applique aux personnes du dehors; mais il est une autre espèce d'amour désordonné qui existe dans les covivents même, entre les religieuses, sur-tout les jeunes, et qui naît d'une familiarité trop in-
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time entr'elles. St. - Basile a dit : Juvenis , œqua-lium tuorum consuetudinem defugito, quantos illorum opera adversarius plerosque sempiterno igni cremandos addiwit. ( Serm. de abd. rer. etc. ) Jeune gens, dit le saint. ne liez pas d'amitié avec ceux de votre âge, car le dé-mon en profiterait pour vous entraîner dans le feu éternel. Beaucoup d'amis, dit encore ce saint, oni souvent eu entre eux, par la suite, d'autres rapports que ceux de l'amitié par où ils avaient commencé. Spirituales primo caritatis quadam specie illectus, postea in voraginem pracipites deturbavit. (Ibid.) La B. Angèle de Folïgno dit encore : « Quoique l'amour renferme tous les biens, il renferme aussi tous les maux. Je ne parle pas ici de l'amour impur que l'on a toujours soin d'é-viter, mais de l'amour qui s'établit entre deux person-nes du même sexe et qui peut dégénérer en amour désordonné ; de trop longues conversations , de trop vives protestations de tendresse deviennent nuisibles. La tendresse augmente, la raison se perd, l'un veut ce que l'autre désire, ils l'invitent au mal, ils ne sa-vent résister , et ils sont bientôt perdu? tous les deux. X. Si les amitiés extérieures des religieuses pour les séculiers, sont plus scandaleuses , celles des reli-gieu ses entre elles sont plus dangereuses et plus diffi-ciles à rompre , parce que les occasions de se voir sont plus fréquentes. Puissent-elles ne jamais commet-* tre aucun péché contre la chasteté ! Ieaïe les menace de la damnation ; il a commis l'iniquité dans la terre des saints, il ne verra pas la gloire de Dieu. In ierrâ sanctorum iniqua gessit : non videbit gloriam Domini. (Isa. xxvii. 10.) Les maîtresses des novices doivent avoir toujours les yeux ouverts sur ces sortes de choses, et ne pas craindre de soupçonner toujours le pire. Quand elles  aperçoivent   quelque  attachement   ou
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quelque familiarité entre deux jeunes filles, qu'elles tâchent d'y mettre fin, en les empêchant d'aller en-semble et qu'elles soient attentives à éviter tout le mal qui peut s'en suivre. Qu'elles les exhortent de temps en temps, et d'une manière générale à se garder , comme delà mort, de jamais cacher par honte au-cun péché en se confessant, et qu'elles leur racontent à ce sujet, quelqu'histoire de filles damnées pour avoir fait des confessions sacrilèges.
XI.  St.-Basile ordonna que toutes les religieuses de son ordre, qui avaient des amitiés particulières, fussent châtiées ; car , dit St.-Bernard, ce sont des amitiés empoisonnées et. nuisibles à la paix commune ; elles sont une source de trouble, de médisances, de dis-cordes , elles produisent les factions et les partis, de sorte qu'on donne les votes, non aux plus dignes , mais aux plus partiales.  Soyez l'amie de toutes les soeurs, servez-les toutes, soyez d'accord avec toutes, mais n'ayez:d'intimité avec aucune, ne soyez intime qu'avec Dieu. Évitez surtout celles qui vous témoi-gnent le plus d'amitié. Vous marchez dans un chemin sombre et glissant ; si vous avez une compagne qui vous pousse dans le précipice, vous êtes perdue.
XII.  Bravez tout respect humain et ne vous arrêtez pas à la malheureuse crainte du qu'en dira-t-on ? Si je romps avec une telle personne du dehors, dites-voas, si je m'éloigne d'une  telle,   ή je  me livre d la solitude, d la prière , à la mortification, que dira-t-on de moi? On me tournera en ridicule, je serai l'objet des railleries univer-selles. Combien de religieuses se sont damnées pour cette maudite crainte! Oh! quot delrusit ad inferos in-firmitas heed dit St.-Augustin. St.-François de Borgia dit : que celui qui veut se donner à Dieu doit fouler aux pieds le maudit que dirait-on? Pourquoi ne nous
 LA   RELIGIEUSE
demandons-nous jamais ce qu'en dira Jésus-Christ, ce qu'en dira la Stc.-Vierge ? Le Seigneur dit : Ma sœur et mon épouse est comme un jardin envi-ronné de murailles. Hortus conclusus, soror mea, s;onsa. (Cant. Zj. 12.) 11 apprend parces mots aux religieuses que si elles veulent être ses épouses, il faut que leurs cœurs soient des jardins fermés, où n'entre que l'a-mour de Dieu. De tous les défauts qui peuvent pren-dre entrée dans le cœur d'une religieuse, celui qui déplaît le plus à son divin époux, c'est qu'il y trouve Une affection étrangère. Dieu veut posséder son cœur tout entier. Les maris de la terre ne peuvent souffrir que leurs femmes aiment un autre qu'eux. Faites donc comme si, dans le monde, il n'y avait que vous seule, et le Seigneur que vous devez aimer.
XIII. Je ne puis m'empêcher en terminant de blâmer ces religieuses qui portent un fol amour aux bêtes, aux chats et aux chiens. Elles les veulent par-tout avec elles, à table et au lit. Elles les posent sur leur sein ; elles les baisent et vont même jusqu'à leur dire des paroles d'une tendre affection. Si leurs bêles sont malades, elles sont tristes; à leur mort, elles pleurent à chaudes larmes, et s'irritent contre celles qui peuvent en être cause. Cet attachement pour les bétes est très-déraisonnable dans les séculiers, ne le sera-t-il pas davantage dans les épouses de Jésus-Christ.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus , je vous comprends, vous voulez tout mon cœur, tout mon amour, je veux vous le don-ner tout entier. Je vous ai tant offensé que j'aurais mérité d'être abandonnée de vous, mais vous conti-
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ηϋ~ζ à m'appeler vers vous en me disant : Diliges Do-minum tuum ex ioio corde tuo: Yous aimerez le Seigneur de tout votre cœur. Je yeux vous obéir, dorénavant je ne veux aimer que vous. Ο mon Jésus 1 que ne puis-je mourir d'amour pour vous, qui êtes mort pour moi ! Vous avez donné tout votre sang pour mon sa-lut, vous avez donné votre vie, et moi, j'userais de réserve avec vous! Qu'est-ce qu'un cœur pour vous ai-mer,,ce serait même peude mille cœurs? Et jedonne-rais une partie du mien aux créatures! Non, vous le voulezentier, je vous le veuxdonner entier. Acceptez-le , 6 Jésus, mon amour, mon époux. Je suis à vous, toute à vous; faites de moi ce qu'il vous plaira. Ma-rie, mon espérance, unissez-moi à Jésus votre divin fils ; faites que je sois toute à lui. Je n'attends cette grâce que de vous seule.
CHAPITRE XL
De la sainte humilité.
Si·
Des avantages de l'humilité.
I. Les Saints appellent l'humilité la base et la gar-dienne de toutes les vertus. Quoique l'humilité ne soit pas la première des vertus par excellence, ce-pendant, dit St.-Thomas (n. 2. qu. CLXI. a. 5.), elle tient la première place comme étant le fondement de toutes les autres. De même que le fondement d'une maison doit être jeté avant la construction des mu-railles et du plafond,  ainsi, dans la vie spirituelle,
!i?2                                  Li  RELICIEIISE
l'humilité précède les autres vertus , afin de chasser l'orgueil auquel Dieu résiste : Humilitas primum lo-cum tenet in quantum expellit superbiam, cui Dens resistit, (St.-Thom. loc. cit.) St.-^régoire dit que celui qui pratique beaucoup de vertus sans humilité, est comme celui qui jette la poussière au vent qui la disperse : Qui sine humilitate virtutes congregat quasi in ventum pulverem portat. (Inps. pcen. m.)
II.  On raconte ( In spec. exem. dist. ix. ex. 199.) qu'il y avait dans un désert un ermite  d'une grande réputation de vertu ; à sa mort il fit dire à l'abbé de lui porter les saints sacrements. L'abbé y vint et un voleur aussi ; touché de cette cérémonie, le voleur n'osa pas entrer dans la cellule et dit à la porte : Que ne suis-je tel que toil Le moine l'entendit et s'écria : Oui, ta serais heureux si tu étais tel que moi! Or, qu'ar-riva-t-il ? Le voleur partit en courant pour aller se confesser, mais il tomba dans un précipice et mou-rut. L'ermite aussi mourut peu après ; le  moine, ami de l'ermite, pleura sa mort et se réjouit de celle du voleur.  On lui demanda pourquoi : il répondit que le voleur s'était sauvé par le repentir qu'il avait éprouvé de ses péchés et que son ami s'était perdu par sa superbe. 11 avait été toujours orgueilleux et comme il le fut même à ses derniers instants, il se per-dit. St.-Augustin dit que si l'humilité ne nous accom-pagne pas jusqu'au tombeau, la superbe nous déro-bera tout le bien que nous avons-fait : Nisi humilitas prcecesjerit et continetur et consecuta fuerit totum extorquet de manu superbia. (Ep. tvm. ad Dios. )
III.  Cette belle vertu de l'humilité était peu con-nue et peu aimée sur la terre où régnait l'orgueil, cause première de la perte d'Adam, et de tous ses des-cendants. Le fils de Dieu descendit du ciel pour nous
SANCTIFIÉE.                                     5?3
l'apprendre, non seulement de la voix, mais par son exemple ; il s'humilia jusqu'à se faire homme et à prendre la forme d'un esclave. Semetipsiun exinanivit, formam servi accipiens. (Phil. II. 7.) Il voulut être trai-té comme le plus vil d'entre les hommes, de sorte qu'Isaïe l'appela : Despectum et notissimum virorum. ( LUI. 3.) Le méprisé et le dernier des hommes. Voyez-le à Bethléem dans une étable, couché sur un peu de paille; voyez-le à Nazareth inconnu dans une pauvre boutique, faisant les fonctions d'un misérable artisan, voyez-le à Jérusalem flagellé comme un esclave, souf-fleté, couronné d'épines, comme un roi de comédie etenfin cloué sur la croix comme un malfaiteur. Écou-tons ce qu'il nousdit : Exemplum enim dedi vobis ut quem-admodum ego fed, iia. et eos facietis. ( Jo. xiii. 15.) Mes enfants, je n'ai souffert tant d'outrages qu'afin qu'à mon exemple vous les supportiez aussi. St.-Augustin dit au sujet de l'humilité de Jésus-Christ : Hœc medici-cina, si superbiam non curai, quid eam. caret nescio. Si cette médecine ne nous purge pas de notre orgueil, je ne connais pas d'autre remède pour en guérir. Le même saint écrivit à Dioscore : Si tu veux savoir quelle est la plus belle des vertus, celle qui nous égale à Jésus-Christ et nous unit à Dieu : Ea est prima humilitas, secunda humilitas, tertia humilitas, et quoties interrogares, hoc dicerem. La première est l'humilité, la seconde est l'humilité, la troisième est l'humilité, et si vous m'interrogez encore, je vous ferai toujours la même réponse.
IV. Les orgueilleux sont en haine et en abomina-tion au Seigneur. Abominatio Domini est omnis arro-gans. (Porv. xvi. 5.) Oui, parce que l'orgueilleux est menteur, voleur, et aveugle. Il est voleur, parce qu'il s'approprie ce qui est à Dieu. Quid habet quod non ac-viii.                                                   i8
2?Λ                                  LÀ  RELIGIEUSE
cepisti? dit l'apôtre : qu'avez vous que vous ne l'ayez reçu ? ( i. cor. iv. 7. ) Si l'on parait un cheval d'un caparaçon d'or, pourrait-il en être fier , tandis qu'à chaque instant son maître peut l'en dépouil-ler? Il est aveugle, comme dit l'Apocalypse : Tu dis : Je suis riche , et tu ne sais pas que tu es pauvre et aveugle. Dicit, dives sum, et nescis quia tu es miser et cœcus. (Ap. vin. 17.) Qu'avons-nous à nous, sinon le néant et nos péchés ? Même le peu de bien que nous faisons, dit St.-Bernard, à le juger sévèrement n'est que désordre et péché. Si distincte judicetur, in-iustitia invenietur omnis justitia nostra. Il est menteur > car toutes les bonnes qualités que l'homme reçoit de la nature telles que l'esprit, la beauté, la santé, l'ha-bileté, ou de la grâce telles que de bons désirs, une âme docile, un esprit éclairé , sont des dons du Sei-gneur. St.-Paul disait : Ce que je suis, je le suis par la grâce de Dieu. Gratia Dei sum id quod sum. ( II. cor. xv. 10.) Car, dit l'Apôtre, nous ne pouvons avoir de nous-mêmes, pas même une bonne pensée : Nonquod sufficientes simus cogitare aliquid d nobis. ( II. cor. m. 5.)
V. Malheur à toute religieuse orgueilleuse! Tant que la superbe régnera en elle, l'esprit de Dieu n'y entrera pas et le démon fera d'elle ce qu'il voudra. Le B. Joseph-Calasanze disait : Le démon se sert des religieux superbes comme d'une balle à jouer. Césaire raconte ( lib. iv. o. 5. ) qu'un possédé ayant été porté une fois dans un couvent, le prieur prit avec lui un jeune religieux qui passait pour saint, et dit ensuite au démon : Si ce religieux te commande de sortir, oseras-tu résister? L'esprit malin répondit : Je n'ai pas peur de lui. Pourquoi ? Parce qu'il est orgueilleux. Le Seigneur, pour nous délivrer de l'orgueil permet par
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fois que ses serviteurs  soient assaillis de tentations honteuses, telles que celles d'impureté   et quoiqu'ils le prient de les en délivrer, il les leur laisse ; ce qui ar-riva à St.-Paul.    Dieu a permis que je ressente dans ma chair un aiguillon, qui est l'ange de Satan, pour me donner des soufflets. C'est pourquoi j'ai prié trois fois !e Seigneur de m'en délivrer, et il m'a répondu : ma grâce vous suffit. Datus  est  mihi stimulas carnis meœ, angelus Satance qui me colaphizet, propter quod ter Dominum rogati at discederet d me ; et dixit mihi sufficit tibi gratia mea. ( ii. cor. xii. 7. ) Donc, dit St.-Jérôme, le  Seigneur ne voulut pas délivrer St.-Paul de cette tentation, pour qu'il se conservât dans l'humilité : De plus,   Dieu permet quelquefois que l'on tombe dansquelque péché, pour nous apprendre à être hum-bles. C'est ce qui arriva à David qui avoua ensuite qu'il n'était tombé,  que parce qu'il n'avait pas été humble. Priusquamhumiliare'- ego dvliqui. (Ps.cxvni.67.) VI. St.-Augustin dit : Altus est Deus, humilias te et descendit ad te, erigit te et fugit d te; (Serm. de As.) Dieu est très-haut : quand tu t'humilies, il s'abaisse jusqu'à toi, quand tu t'enorgueillis, il s'éloigne de toi. Le Prophète royal a dit : Dominus humilia respicit et alta à longe cognoscit. (Ps.cxxxvn. 6.) Le Seigneur regarde les humbles d'un œil complaisant, mais il regarde les or-gueilleux de loin, et ainsi que nous, lorsque nous voyons quelqu'un de loin,  nous ne le connaissons pas, de même Dieu ne connaît pas les orgueilleux. Il y avait dans un couvent une religieuse orgueilleuse qui dit à une de ses compagnes : L'habit que nous portons nous fait siéger au même rang, mais ?achezque vous ne seriez pas digne d'être servante dans ma maison. Com-ment croyez-vous que Dieu reçut les propos de cette i'oreilleuse ? Les orgueilleux ne réussissent pas au-
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près de Dieu, il ne peut les supporter. Dieu oliassa les anges superbes du paradis et les plongea dans l'enfer. La parole divine ne peut pas mentir : Celui qui s'é-lèvera, sera humilié. Quiautem se exaltaverit, humiliabi-tur. (Mat. xxiii. 12.) St.-PierreDamien raconte (tract, de duel.) qu'un orgueilleux, avant de se battre avec son rival, pour une terre qu'il voulait défendre à la pointe de l'épée, entendit la messe et remarqua ces mots : Qui autem se exaltaverit., humiliabitur. Il dit:-Ce-la n'est pas vrai parce que si je m'étais humilié, j'au-rais perdu l'estime et la terre que je possède. Or, qu'ar-riva-t-il? Quand il en vint aux mains avec son enne-mi , celui-ci lui perça sa langue sacrilège et Teten-dit mort à ses pieds.
VII. Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles. Deus superbis resistit, humilibus autem dat gratiam. (Jac. iv. 6.) Le Seigneur a promis d'exaucer tous ceux qui le prieront : Omnis qui pelii accipit. (Luc. xi. 10.) Mais Dieu ne peut souffrir les orgueil-leux et, dit St.-Jacques, il résiste à leurs prières. Au contraire Dieu est libéral avec les humbles : Humili-bus autim dat gratiam. Il ouvre les mains et leur ac-corde tout ce qu'ils désirent. Humiliare Deo et expecta manus ejus, dit l'écriture ( Ecc. xiii. 9. ) Humilie-toi devant Dieu et attends de sa bonté tout ce que tu demandes. St.-Augustin disait : Domine, da mihi thesau-rumhumilitatis. Seigneur, donnez-moi le trésor de l'hu-milité. L'humilité est un trésor parce que le Seigneur prodigue aux humbles toute sorte de biens. Quand le cœurde l'homme est plein de lui-même, il ne peut s'emplir des dons divins ; il faut d'abord qu'il se vide par l'idée de son néant. David a dit : Qui emittis fon-tem in convallibus, inter medium montium pertransibunt aquce. (Ps. cxxxm. 10.) Dieu fait abonder les vallées
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d'eau, c'est-à-dire les âmes humbles, mais non les montagnes, c'est-à-dire les superbes; les grâces y passent comme les nues mais ne s'y arrêtent pas. La divine mère a dit : Quia respexit humilitatem ancilla sum, fecit mihi magna qui potens est. (Luc. ι.) Le Tout-puissant m'a fait plusieurs dons à cause de l'humilité de sa servante, c'est-à-dire de mon néant. St.-Thé-rèse raconte que les plus grandes grâces qu'elle ait reçues de Dieu, Dieu les lui envoya' lorsqu'elle s'hu-miliait devant lui. La prière de l'humble dit l'Ecclé-siastique pénétre les cieux et n'en sort que lorsque Dieu l'a exaucée : Oratio humiliantis se nubespenetrabit, et non discedet, donec altissimus aspiciat. ( Ecc. xxxv. 21.) Les humbles obtiennent ce qu'ils demandent. Il n'ont pas à craindre d'être repoussés. Ne avertatur hu-milis factus confusus. (Ps. LXXIII. 21.) Le Β. Calasanze disait : Si tu veux être saint sois humble, si tu veux être très-saint, sois très-humble. Un saint homme conseilla à St.-François de Borgia, lorsqu'il était en-core séculier de ne jamais cesser de penser à ses mi-sères, s'il voulait devenir saint. Aussi le saint em-ployait-il chaque jour deux heures d'oraison à s'étu-dier et à se mépriser lui-même.
VIII. St.-Grégoire dit que l'orgueil est la marque distinctive desréprouvés,et que l'humilitéestla marque des prédestinés : Evidentissimum reproborum signum su-perbia ac contra humilitas electorum. (Lib. txxxrv. in Job. cap. 56. ) St.-Antoine abbé, voyant le monde plein des filets du démon, s'écria : Qui pourra éviter tous ces pièges? Une voix lui répondit : Antoine, l'humilité seule passe sans crainte, qui marche la tête baissée voit les dangers qu'il court. Enfui, dit le Sauveur, si nous ne devenons enfants, (non d'âge mais d'humi-lité) novis ne nous sauverons pas. Ν is efficiamini sicut
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parvuli, non intrabitis in regnum cœlorum. (Mat.xvni. 3Λ On raconte dans la vie de St.-Palémon qu'un moine ayant marché sur la braise, s'en vanta, disant à ses frères : Lequel d'entre vous peut marcher sur le feu sans se brûler"? St.-Palémon le reprit de sa fierté, mais, il ne se corrigea pas et resta enflé d'orgueil; il tomba bientôt en mille péchés et mourut dans un misérable état.
IX. Le paradis est promis aux humbles qui sont persécutés et méprisés sur la terre. Beati esiis, cum maledixerint vobis et persecuti vos fuerint... quoniam merces vestra copiosa est in ccelis. (Mat. ν. 11. et 12.) Les humbles sont heureux non seulement dans l'autre vie mais même dans celle-ci. Discite ά me, dit le Rédemp-teur, quia mitis sum et humilis corde, et invenietis requiem animabus vestris. (Mat. χι. 29.) Apprenez de moi à être humbles et doux, et vous jouirez de la paix de l'âme. Le superbe n'a jamais de paix, parce qu'il ne parvient jamais à se voir Iraité comme il le désire, quand on l'honore il n'est pas encore content, car il en voit de plus honorés que lui ; il lui manquera tou-jours l'honneur, et cette privation le tourmentera plus que ne le contentent tous les honneurs qu'on lui rend. Que d'honneurs recevait Aman à la cour du roi Assuérus qui le faisait asseoir à sa propre table"! Mais parce queMardochée ne voulut pas le saluer il se trou-va malheureux. Cum hcec omnia habeam, nihil me habere piito, quamdìà videro Mardochaeum sedentem ante fores regios. (Esther ν. 13.) Mais quels sont les honneurs que reçoivent les superbes? cène sont pas les honneurs qui réjouissent parce que ce sont des honneurs accor-dés par force et seulement par respect humain. St.-Jérôme dit : Virtutem quasi umbra sequitur, et appeti-tores sut deserens,appetit contemptores. La véritable gloire
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s'attache à la vertu, elle fuit qui la cherche et suit qui la mépi >se ; comme l'ombre suit qui la fuit et fuit qui veut la saisir.
X. L'homme humble est toujours content, parce que tous les honneurs qu'il reçoit il les croit au-dessus de son mérite, et s'il reçoit des affronts il pense qu'il en mé-rite davantage pour ses péchés, et dit avec Job : J'ai péché, j'ai vraiment offensé Dieu, et je n'ai pas été châtié comme je le méritais. Peccavi et vere deliqui et ut eram dignus non recepi. (xxxui. 27. ) S.-François de Borgia nous offre un bel exemple d'humilité : devant aller faire un voyage, on lui conseilla de se faire pré-céder par un courrier qui lui fît préparer un appar-tement dans toutes les auberges où il s'arrêterait ; le Saint répondit : Oh ! jamais je ne néglige d'envoyer mon courrier ; mais savez-vous lequel ? C'est l'idée de l'enfer que j'ai mérité ; de sorte que tous les logements que \e, trouve sont des palais en comparaison de celui oh je mériterais d'être.
PRIKRE.
Mon Dieu, comment, après tant dépêchés commis, puis-je encore nourrir tant d'orgueil. Je sais que mes fautes, après m'avoir rendue ingrate envers vous, m'ont rendue orgueilleuse. iVeprojicias med facie tuâ. Seigneur, ne me chassez pas de votre présence comme je le mérite. Ayez pitié de moi, éclairez-moi, faites que je me connaisse moi-même. Combien d'âmes de l'enfer ont moins péché que moil elles n'ont plus d'espoir de pardon et vous me l'offrez si je le désire. Oui, je le dé-sire, ô mon Rédempteur! Pardonnez-moi; je me re-pends de tout mon cœur de mon orgueil qui m'a fait
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mépriser mou prochain et vous même, ô le premier des biens. Je dis, avec St-Catherine de Sienne ; Mon Dieu ! Plus de péchés, plus de péchés. Je vou» ai as-eez offensé ; je ne veux plus abuser de votre patience. Je vous aime , Seigneur, et je veux consacrer le reste de mes jours à vous aimer et à vous plaire. Won Jé-sus, secourez-moi. Le démon qui me voit brûler du vif désir d'être toute à vous, va redoubler ses tenta-tions. Aidez-moi, ne m'abandonnez pas à moi-même. Ste.-Vierge» vous savez que je n'espère qu'en vous, ne cessez pas de m'aider de vos prières, qui obtien-nent tout ce qu'elles demandent.
S· π-
De l'humilité d'esprit on du jugement.
1. Après avoir connu les immenses avantage* de l'humilité, venons-en à la pratique et voyons ce qu'il faut faire pour acquérir cette sainte vertu. Il y a deux sorte» d'humilité : l'humilité d'esprit et l'humilité de volonté. Parlons ici de la première, sans laquelle on ne peut avoir l'humilité de volonté. L'humilité d'esprit consiste à avoir une mauvaise opinion de nous-mêmes et à nous regarder comme vils et misé-rable» que nous sommes. L'humilité, dit St.-Bernard, est une vortu par laquelle l'homme se méprise par suite de la connaissance qu'il a de lui-même. Humi-litas est virtus quâ homo sal agnitione vilescit. (Trat. degrat.) L'humilité est une vérité , dit Ste.-Thérèse, et Dieu n'aime tant les humbles que parce qu'ils aiment la vérité. 11 est vrai que nous ne sommes rien, que nous sommes ignorants ,   aveugles , incapables  d'aucune
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bonne chose ; nous n'avons à nous que le péché qui nous rend plus vils que la boue ; nous ne pouvons faire que le mal. Tout le bien que nous faisons est à Dieu et vient de Dieu. Celui qui est humble a toujours ces vérités présentes à sa pensée, et se trouve digne de tout mépris; il ne peut souffrir qu'on lui attribue un mé-rite qu'il n'a pas; il aime à se voir vilipendé et traité comme il mérite. C'est ainsi qu'il se rend cher à Dieu. Tanto quisque fit Deo pretiosor quanto sibi vilior. Plus on s'humilie plus on est agréable à Dieu, dit St.-Grégoire, ( L. xvin. mor. c. 20. ) Ste.-Marie-Madeleine de Pazzi dit que les deux pierres fondamentales de la perfection d'une religieuse, sont l'amour du Seigneur et le mépris de soi-même, et que plus on s'abaisse sur la terre plus on sera élevé au ciel.
II. Il faut donc toujours dire, avec St.-Augustin, que je me connaisse et que je vous connaisse : Noverim me noverim te, utamemleet contemnam me. (Lib. de vit .beat.) Seigneur, faites-moi connaître qui je suis et qui vous êtes. Vou3 êtes le premier des biens, et je suis la mi-sère même; je n'ai rien à moi, je ne puis rien, je ne veux rien. L'Ecclésiastique dit que Dieu n'est honoré que par les humbles : Deus ab humilibus honoratur. (m. 2. ) Oui , parce que les humbles seuls peuvent connaître son immense bonté. Si vous voulez honorer votre Dieu, ayez toujours sous les yeux vos misères, confessez avec conviction que vous n'avez à vous que le néant et la malice, et que Dieu est tout. Dites que vous n'êtes digne que d'ignominie et de châtiment, et offrez-vous à souffrir tout ce qu'il vous enverra.
IIT. Ne vous glorifiez de rien. Les saints ont fait bien autre chose que vous! Je vous exhorte donc à lire les vies des Saints, car votre orgueil baissera à la vue des grandes choses qu'ils ont faites pour Dieu. Vous aurez
a8a                         LA BELIGIEVSE
honte alors du peu de bien que vous ayez fait. Com-ment pouvons-nous nous glorifier de quelque chose, sachant que s'il y a quelque chose de bon en nous, elle nous vient de Dieu ! Si glorientur nubes , dit St.-Beruard , quod genuerint imbres, quis non irrideat ? ( Serm. 13. ) Si les nuages se vantaient d'avoir en-voyé la pluie, qui n'en rirait pas? Nous serions aussi insensés si nous nous vantions du bien que nous fai-sons. Le P.Avila raconte qu'un grand Seigneur épousa une pauvre paysanne , mais afin qu'elle ne s'enflât pas d'orgueil, en se voyant environnée de serviteurs, parée de riches habits, il voulut que ses anciens misé-rables vêtemens fussent toujours sous ses yeux. Vous devez faire de même : quand vous trouvez en vous quelque chose de bon, regardez vos anciens haillons, et souvenez-vous de ce que vous étiez naguère, con-cluez-en que tout le bien que vous avez est une au-mône de Dieu.
IV. St.-Aijgustin disait : Quisquis tibi enumerat merita sua, quid tibi enumerat nisi munera tua. ( L. 9. Conc. e. 13. ) Seigneur, celui qui vous raconte son mérite ne fait que vous rappeler vos dons. Quand Ste.-Thérèse faisait quelque bonne œuvre , ou la voyait faire par d'autres , elle se mettait aussitôt à louer Dieu, sachant que tout ce bien venait de lui. Elle observait que l'humilité n'empêche pas de connaître les grâces spéciales que le Seigneur nous a données plus abondamment qu'aux autres. Ce n'est pas là de l'orgueil dit Ste.-Thérèse, c'est de la reconnaissance. Elle sert à nous faire juger plus indignes que les au-tres, et cependant plus favorisés. La Sainte ajoute qu'une âme ne fera jamais grand'chose pour Dieu, si elle ne reconnaît avoir reçu de Dieu de grands dons. Il faut toujours distinguer ce qui est à Dieu, de
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ce qui est â nous. St.-Paul ne se faisait pas scrupule de dire qu'il avait plus travaillé pour Jésus-Christ que tous les autres apôtres. Abundantius illis omnibus labo-ravi. ( ι. cor. xv. 10. ) Mais il avouait que tout ce qu'il avait fait n'était pas son ouvrage, mais l'effet de la grâce qui l'avait aidé : Non ego autem, sed gratia Dei mecum. ( Ibid. )
Y. 2" Sachant que sans Dieu vous ne pouvez rien, ne vous confiez jamais en vos propres forces ; faites comme St.-Philippe de Néri, qui désespérait toujours de lui-même. L'orgueilleux se confie en ses forces et tombe; comme cela arriva à St.-Pierre, qui protesta à Jésus-Christ que la mort même n'aurait pu l'in-duire à le renier. Etiamsi oportueritme mori tecum, non te negabo. Mais comme il dit cela avec une folle pré-somption de sa fermeté , à peine arrivé à la demeure du grand prêtre, il renia son maître. Gardez-vous donc ; de jamais compter sur votre résolution et sur votre bonne volonté présente. Placez toute votre confiance en Dieu et dites toujours : Omnia possum in eo qui me confortat. (Phil. iv. 15. ) Je puis tout, non par moi, mais par le Seigneur qui me soutient. Isaïe le dit ( XL. 31. ) Qui sperant i?i Domino mutabunt fortitudinem : Les humbles qui se confient en Dieu, changent de force, car il se défient d'eux-mêmes, et alors il ces-sent d'être faibles el acquièrent la force de Dieu. LeB. J.Calasanze disait : Qui veut être employé par Dieu à des choses saintes, doit tâcher d'être le plus humble des hommes. Faites comme Ste.-Catherine · de Sienne qui, lorsqu'elle était tentée d'orgueil, s'hu-miliait; quand elle était tentée de défiance, elle se confiait en Dieu. Le démon furieux lui dit un jour : Sois maudite, et maudit soit celui qui t'a appris ce moyen de me vaincre. Je ne sais plus comment faire.
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pour t'attraper. ( Dial. cap. 67.) Quand le démon vous dit que vous ne devez pas craindre de tomber; trem-blez et pensez que si Dieu vous abandonne un seul instant, vous êtes perdue; quand il vous tente de dé-fiance, dites courageusement avec David : In te Do-mine speravi, non confundar in œternum. ( Ps. xxx. π. ) Seigneur, j'ai mis en vous toutes mes espérances, je ne serai jamais confondue ni privée de votre grace et livrée à l'enfer.
VI. 3° Si par malheur vous tombez dans le péché , ne vous désolez pas ; humiliez-vous, repentez-vous, et, connaissant mieux votre faiblesse, abandonnez-vous avec plus de confiance au Seigneur. Ce serait orgueil de nous irriter, de nous accuser nous-mêmes après une faute, car il semblerait alors que nous nous étonnions qu'un être aussi parfait que nous, ait pu pécher. C'est un artifice du démon qui espère nous éloigner de la voie de la perfection, en nous persuadant que nous n'y atteindrons jamais. Ayons alors une confiance encore plus vive dans le Seigneur. Que notre infidé-lité nous fasse espérer encore plus en la miséricorde divine. L'Apôtre dit : Tout contribue au bien ; omnia cooperantur in bonum. (Rom. TUI. 28. ) Le commenta-teur ajoute : même les péchés : Etiam peccata. Le Sei-gneur dit à ce sujet à Ste.-Gertrude. Quand on a une tache sur la main , on la lave et elle est plus propre qu'auparavant ; ainsi l'âme, après le péché, se purifie par le repentir et m'est plus chère que jamais. Parfois Dieu permet que les âmes encore chancelantes dans l'humilité tombent en péché; afin qu'elles apprennent à se défier d'elles-mêmes et à ne se confier qu'en son divin secours. Ο ma sœur, quand vous tombez en quelque péché, relevez-vous aussitôt par un acte d'a-mour et de douleur. Promettez de vous corriger et re-
SASCtiFlÈE.                                         a^i>
doublez de confiance en Dieu ; Dites avec Ste.-Cathe-rine de Gênes. Seigneur, voici les fruits de mon jardin, et, si vous ne m'aidez, je ferai encore pis. Mais j'espère en vous de ne plus succomber. Si vous succombez en-core, répétez cette prière et renouvelez la résolution de vous rendre sainte.
ttl. k° S'il est à votre connaissance que quelque personne est tombée dans un péché grave, ne vous enorgueillissez pas, ne vous admirez pas, plaignez-la et tremblez pour vous-même , disant avec David î Nisi quia Dominus adjuvil me, paulo minus habitasset in in* ferno anima mea. ( Ps. xcm. 17. ) Si le Seigneur ne m'avait soutenu , je serais maintenant dans l'enfer. Ne vous vantez donc jamais d'être exempte des dé-fauts que vous apercevez dans les autres; sans quoi le Seigneur, pour vous punir, permettra que vous les ayez aussi. Cassien raconte , ( Coll. H. c. 13. ) qu'un jeune moine, ayant été long-temps tourmenté par une tentation impure, alla demander du secours à un vieux père ; mais celui-ci, au lieu de lui inspi-rer du courage le désespéra par les reproches qu'il lui fit : il dit, quoi 1 un moine ose penser à de telles souillures ! Mais qu'arriva-t-il ? Le Seigneur permit que le vieux fût tenté si fort par le démon de la luxure, qu'il cou-rait comme un fou dans le monastère. L'abbé Apollon, qui avait été informé de son imprudente conduite, lui dit: Sache, mon frère, que Dieu permet ces ten-tations à cause des reproches que tu as faits au pau-vre moine qui t'avait demandé tes conseils ; et afin que tu apprennes à plaindre les autres dans leurs ten-tations. L'Apôtre dit à ses disciples que , lorsqu'on corrige un autre, on ne doit pas le faire avec mépris ; avant de faire la correction, il faut se souvenir qu'on est aussi misérable et aussi fragile que lui, et qu'on
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peut tomber comme lui, sans cela Dieu permettra qu'on soit assailli de la même tentation, et précipité dans le même péché. Fratres etsi prœoccupalus fuerit homo in aliquo dilecto, huiusmodi instruite in spiritu leni-tatis considerans teipsum ne et ta tenteris. (Gal. vi. 1. ) Cassien raconte encore, ( Lib. ν. de inst. ren. H. 30.) qu'un abbé, nommé Machète, avouait que de trois défauts dont il avait réprimandé ses frères, il en avait depuis commis deux.
VIII.  5° Regardez-vous comme la plus grande pé-cheresse du monde. Les âmes véritablement humbles et plus éclairées de la lumière divine,  connaissant mieux les divines  perfections ,  connaissent   mieux leurs misères et leurs péchés. C'est pourquoi les saints qui menaient une vie si exemplaire et si différente de celle du reste des hommes, se disaient cependant, non par exagération, mais  par conviction et avec preuves,  les plus grands pécheurs du monde. St.-François d'Assises se donnait ce titre. St.-Thonws de Villeneuve était sans cesse effrayé du compte qu'il de-vait rendre à Dieu de sa mauvaise conduite ( ce sont ses expressions. ) Ste.-Gertrude se demandait com-ment la terre ne s'ouvrait pas sous elle pour l'englou-tir, tant elle se croyait coupable! St.-Paul ermite di-sait en pleurant : Malheur à moi, pauvre pécheur, qui porte à tort le nom de moine! Le V. Avila rapporte ( Trac. v. de spir. S. c. 4· ) qu'une personne vertueuse ayant prié Dieu de lui faire voir son âme, obtint la grâce demandée et vit son âme si difforme et si noire, quoiqu'il n'y eût que des péchés véniels, qu'elle s'é-cria : Seigneur, éloignez ce monstre de mes yeux.
IX.   Gardez-vous bien  de jamais vous préférer à personne. Il suffit de se croire meilleur que les autres pour devenir pire que tous. Cœteros contempsisti, exteris
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pejor factus es, dit Tritème. Il suffit de croire qu'on a un grand mérite pour n'en plus avoir. Le mérite prin-cipal de notre humilité consiste à croire que l'on ne mérite que reproches et châtiments. Les dons et les grâces que Dieu vous a accordés, ne serviront qu'à vous faire condamner avec plus de rigueur au jour du jugement, si vous en abusez pour vous mettre au-dessus des autres. II ne suffit pas de ne plus vous mettre au-dessus des autres, il faut que vous vous disiez la dernière et la pire de toutes les sœurs. Pour-quoi donc ? D'abord, parce que vous voyez mille pé-chés dans votre âme et que vous ne connaissez pas les péchés des autres, et que peut-être la personne que vous méprisez a mille vertus cachées que vous n'avez pas. Songez aussi que, d'après les lumières et les grâces que Dieu vous a données'^ vous devriez être déjà sainte, et que si les grâces que vous avez reçues, Dieu les avait données à une infidèle , elle serait de-venue un séraphin, et que vous, vous êtes encore pleine de péchés. La pensée de votre ingratitude doit vous faire abaisser la tête sous les pieds des autres , caries péchés, dit le docteur angélique, sont plus ou moins graves, en raison de l'ingratitude de celui qui les commet. Un seul de vos péchés peut donc peser dans la balance divine plus que cent péchés d'une autre, moins favorisée que vous. Mais vous savez que vous en avez déjà commis plusieurs ; vous savez que votre vie n'a été qu'un tissu de péchés volontaires , et si on y remarque quelque bonne œuvre, elle est si chargée d'amour propre qu'elle mérite plutôt un châtiment qu'une récompense,                                               ":
X. Vous devez vous trouver indigne, comme disait Ste.-Madeleine de Pazzi, même de baiser la terre où ont passé vos sœurs. Vous devez croire que si on vous
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accablait de toutes sortes d'outrages, si vous étiez jetée dans le fond de l'enfer, foulée aux pieds de tous leg damnés, vous n'auriez pas encore ce que vous méri» tez. De l'abîme de votre misère, élevez donc toujours' la voix vers Dieu et dites : Deus in adiutorium meumiri' tende, Domine ad adjuvandum me festina* Seigneur, aidez-moi , venez à mon secours, sans quoi je suis perdue; je vous offenserai plus qu'auparavant, plus que tout le monde. Mais cette prière, répétez-la sans cesse à chaque instant, quand vous êtes dans le chœur, dans votre cellule, quand vous errez dans le couvent , quand vous allez à la grille, quand vous allez à table , quand vous sortez du lit, quand vous vous couchez, toujours, toujours : Seigneur aidez-moi , Seigneur ayez pitié de moi. Mais dès que vous cesserez de vous recommander à Dieu, vous courrez risque de devenir une scélérate ; fuyez comme la peste la moindre pen-sée, le moindre geste d'orgueil; je termine avec la parole de St.-Bernard : In anima non est timenda quan-talibet humiliatio; horrenda autem nimium vel minima elatio. ( Serm. m. in cant. ) Aucune humiliation ne doit nous faire craindre le mal, mais la moindre fierté peut nous précipiter dans un abîme de maux.
PRIERE.
Ο Dieu de mon âme l je vous remercie de me faire sentir que tout ce qu'estime le monde est fumée et vanité. Donnez-moi la force de m'en détacher avant que la mort m'en arrache. Malheureuse ! voici tant d'années que je suis dans votre demeure ; j'ai aban-donné le monde pour jne faire sainte , quel fruit en
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ai-ie tiré jusqu'à présent ? Hélas l que de plaies hi-deuses j'aperçois sur mon âme; mon Jésus, ayez pitié de moi et guérissez-moi. Vous pouvez et voulez me corriger. Vous avez promis d'oublier les outrages qu'on vous fait, lorsqu'on s'en repent. Si impias egerit pœni-tentiam, omnium inquitatum ejus non recordabor. ( Ezech. xviu. 21. ) Je me repends de tout mon cœur d'avoir méprisé voire amour, oubliez tous les chagrins que je vous ai causés. A l'avenir , je veux plutôt perdre la vie que de vous causer la moindre peine volontairement. Mon Dieu, je veux vous aimer, et si je ne vous aimais pas, qui aimerais-je ? Vous êtes si digne d'être aimé ! Vous m'avez créée , vous m'avez rachetée au prix de votre sang, vous m'avez appelée à la religion , vous m'avez comblée de vos grâces, vous méritez donc tout mon amour. Je ne veux aimer que vous. Ο ma reine et ma protectrice, Marie , aidez-moi de votre inter-cession, faites que je ne sois plus ingrate envers votre fils.
S· «I·
l)e l'humililé de volonté ou d'affection.
I. L'humilité d'esprit consiste donc , comme nous l'avons démontré, à se croire digne de mépris, et l'hu-milité de volonté consiste à désirer d'être méprisé des autres et à se plaire dans les mépris. C'est là où se trouve le plus grand mérite, car on acquiert, plus par les actes de la volonté que par ceux de l'esprit. St.-Bernard dit : Primus profectus nolle dominari, secundus velle subjici, tertius in ipsa subjectione injurias cequani-tniter pati. ( Serm. 18. ) Le premier degré d'humilité "Viu.                                                       19
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pour une religieuse, est de ne pas vouloir comman-der , le second de vouloir être soumise, le troisième, de supporter l'asservissement et les injures qu'elle re-çoit. C'est là l'humilité de cœur que Jésus-Christ nous enseigne par son exemple lorsqu'il dit j Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Discite d me quia miiis sum et humilis corde. ( Mat. xi. 29. ) Beaucoup de personnes- sont humbles de bouche» mais non de cœur. Tels sont, dit St.-Grégoire. ceux qui se disent méchants et dignes de mille supplices , mais ne le croient pas; car si quelqu'un les reprend, ils se fâ-chent et soutiennent qu'ils n'ont pas les défauts qu'on leur reproche. Cassien raconte qu'il y avait un reli-gieux qui se disait grand pécheur et indigne de vivre; mais l'abbé Sérapion, l'ayant grondé de ce que, par oisiveté, il allait errant de cellule en cellule au lieu de rester seul dans la sienne, le moine en pâlit de colère; l'abbé reprit : Mon fils, comment arrangez-vous cela? Jusqu'à présent, vous vous êtes traité de misérable et vous êtes furieux d'un avis charitable que je vous donne? Oh î que ces exemples sont fré-quents dans les couvants ! Une religieuse se dit la plus grande pécheresse du monde, digne de l'enfer, mais si l'abbesse ou quelque sœur la prévient en particulier de ses défauts, on de sa tiédeur, ou du mauvais exemple qu'elle donne, aussitôt elle se met sur la défensive et répond d'un ton fâché. Quel mal m'avez-vous jamais vu faire, vous feriez mieux de corriger les autres qui commettent toutes sortes de fautes ■ dont je suis exempte. Quoi ! vous disiez naguère que pour vos péchés, vous mériteriez l'enfer et vous ne pouvez souffrir une parole? Votre humilité n'est donc que sur vos lèvres , vous n'avez pas l'hu-milité du cœur que'Jésus-Christ recommande.
SAKCTIFIEE.                                agi
II.'  Le St.-Esprit a dit : Est qui nequiter humiliat se et   interiora  ejus plena sunt  dolo.   ( Ecc.   xix.   23. ) Quelques-uns se font humbles,   mais avec malice . non pour être corrigés et humiliés, mais pour être regardés comme humbles et en être loués. Mais, dit St.-Bernard, ce n'est pas être humble que de s'humi-lier pour être admiré ; c'est prendre le masque de l'humilité  pour déguiser l'orgueil.   St.-François de Paule  disait  que l'humilité à une belle figure  en spéculation, mais qu'elle est hideuse dans la pratique. La véritable humilité consiste à aimer  l'abjection et le mépris, de sorte que , selon St.-Jean Clima-que, il ue suffit pas, pour être humble, de dire qu'on est méchant, mais qu'il faut encore se réjouir d'être regardé comme tel. Il est bien , dit le Saint, que vous parliez mal de vous-même , mais il est mieux encore que lorsque vous entendez les autres parler mal de vous, vous leur donniez raison et y preniez plaisir. St.-Grégoire l'avait dit auparavant en ces mots : Cum se pectatorem dicit, id de se dicenti alteri non contradicit. L'homme véritablement humble se dit pécheur, et convient de ses délauts avec ceux qui les lui montrent. Enfin, dit St.-Bernard : Verus humilis vult reputari, non humilis prœdicari. [ Serm. χνι. in cant. ) L'humble de coeur ne veut pas être loué de son humilité, mais il veut être appelé vil, imparfait, digne de mépris et aime à être ainsi humilié , de sorte que les humilia-tions qu'il reçoit le rendent plus humble encore , comme le dit St.-Bernard : Humiliationem convertit in humilitatem. Lc Β. J. Calasanze disait : Qui aime Dieu ne cherehe pas à paraître saint, mais à le devenir.
III. Ο ma sœur! si vous voulez être véritablement humble de cœur et de volonté, évitez de jamais dire un mot en votre laveur, tant sur vos actions, vos ta-
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lents, vos vertus, que sur votre noblesse, vos riches-ses , vos parents. Laudet te alienas et non os tuum. ( Prov. xxvn. 2. ) Laisse-toi louer par la bouche des autres , dit le Sage, ne te loue pas toi-même, si tu veux être humble. Le proverbe dit : que notre éloge, fait par nous-même, flétrit au lieu d'honorer. Que penseriez-vous d'une religieuse qui dirait que sa fa-mille ne le cède à aucune autre, qu'elle mérite plus que les autres un emploi honorable ? Pensez que les autres tiendraient le même propos sur Votre compte, si vous leur vantiez votre mérite. Tâchez toujours de vous abaisser, et jamais de vous élever. En vous abais-sant , vous ne vous nuirez pas, mais pour peu que vous vous éleviez au-dessus de la vérité, vous pouvez vous fpire un mal infini. C'est St.-Bernard qui vous l'apprend : Grande malum si plus vero modice te extol-las. ( Serin, xxxvu. in cant. ) Quand on passe par une porte, si on baisse la tête plus qu'il n'estnécessaire on ne se fait pas de mal ; mais si on la tient d'un doigt trop haute, on heurtera contre la pierre,et on se bri-sera le crâne. Quand vous parlez de vous-même, di-tes-en plutôt du mal, faites l'aveu de vos défauts, et tâchez de dissimuler vos vertus. Au reste, le mieux à faire, c'est de ne point parler de vous, ni en bien ni en mal : regardez-vous comme une personne vile qui ne mérite pas même d'être nommée , car parfois, même en parlant de nos défauts , novis y entremêlons un orgueil fin et secret; souvent, nous n'avouons nos défauts que dans le but de faire admirer notre modes-tie et η )tre humilité. Cependant cela nes'élend pas jusqu'à la confession, car vous devez tout révéler au confesseur, défauts, tentations et mauvaises pensées. Il se présente quelquefois l'occasion d'avouer des cho-ses qui sont à votre ho ate ; n'hésitez pas à le faire ;
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le P. Villeneuve, de la compagnie de Jésus, publiait partout que son frère n'était qu'un porte-faix. Le P. Sacchini, Jésuite, ayant rencontré un jour son vieux père, qui était muletier, courut l'embras:'.er en disant à tous les assistens : Voici mon père !
IV.  Si par hasard on vous donne quelque éloge , confondez-vous, du moins intérieurement, et jetez un coup-d'œil sur tous vos défauts. St.-Grégoire dit que les orgueilleux se réjouissent même des éloges faux; mais les humbles se confondent et s'attristent même des éloges justes , comme dit David au sujet de lui-même : Exaltatus autem humiliatus sum, et conturba-tus. ( Ps. LXXXVII. 16. ) St.-Grégoire a dit : L'humble se trouble en entendant faire son éloge ,  parce  qu'il trouve qu'il manque des qualités qu'on lui attribue et parce qu'il sait que s'il a acquis quelques mérites au-près de Dieu, il en perd en s'en faisant gloire. Alors , on lui dit : Recepiiti bona in vitâ tuâ. ( Luc. xvi. 25. ) Vous en avez reçu la récompense pendant votre vie. Cet éloge vous a fait plaisir.   Il sera votre récom-pense, vous n'en aurez pas d'autre. Le sage a dit : Quomodo probatur in fornace aurum, sic probatur homo ore laudantium. ( Prov. xxvn. 2. ) On éprouve l'or au feu , et l'homme aux louanges; s'il ne prend pas plaisir aux louanges , s'il s'en afflige et les repousse comme faisaient St.-François de Borgia et St.-Louis de Gon-zague. Quand on vous prodigue les éloges et les hon-neurs, confondéz^vous , cachez-vous le front dans la poussière , et craignez que ces distinctions flatteuses ne soient cause de votre perte. L'estime des hommes est peut-être le plus grand malheur qui puisse vous arriver, elle alimente en vous l'orgueil et l'orgueil ne mène qu'à l'enfer !
V.  Ayez toujours présent à la pensée, ce que disait
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St.-François d'Assises : Jent suis que ce que je suis de~ vant Dieu. Croyez-vous qu'étant plus estimée des hom-mes , vous serez plus estimée de Dieu. Quand vous vous enflez des éloges qu'on vous donne, et que vous Vous croyez meilleure que les autres, sachez que tan-dis que les hommes vous flatteront, Dieu vous repous-sera. Les louanges d'autrui ne vous rendront pas meil-leure. St.-Augustin dit "que les opprobres, de ceux qui nous outragent ne ternissent pas notre vertu, ainsi les éloges de ceux qui nous louent s'effacent par nos dé-fauts : Nec malatn conteieniiam aanat praeconium laudantis, nec bona vulnerat convicianiis opprobrium (St.-Aug. 1. 3. contra. Pet.) Lorsque vour entendez faire votre éloge, dites avec St.-Augustin : Melius me ego novi quam illi ; sed melius Deus quam ego. ( In. ps. 25. ) Ceux-là me1 louent, mais moi qui me connais mieux qu'eux, je sais que ces louanges sont fausses , et Dieu qui me connaît mieux que je ne me coni.ais moi-même, sait que loin de mériter des éloges, je mérite tous les mé-pris de la terre et de l'enfer,
VI. En second lieu, vous devez vous garder avec non moins de soin de chercher des emplois et des honneurs dans les couvents ; et, comme disait Ste.-Ma-rie -Magdeleine de Pazzi, il faut fuir tout exercice qui a de l'apparence, l'orgueil s'y tapit. Non-seulement il faut les fuir, mais il faut en avoir horreur. Il y avait, dans un couvent de Naples, une religieuse appelée Ar-change St.-Félix àquisonconfesseurtlitun jour:Sœur Archange, les religieuses veulent vous faire abbesse. Elle répondit : Pire. que dites-tous? Et elle ajouta: Mais Dieu y pourvoira. En disant ces mots , elle fut frappée d'une attaque d'apoplexie, qui lui ôta la fa-culté d'une partie de ses membres, et elle ne fut pas abbesse. St.-Hilarion dit : Omnis secuti honov diaboli
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negotium est. {\n. Mat. vi. 3. ) Tous les honneurs de ce monde sont des pièges du démon ou il prend des milliers d'âmes pour l'enfer. Si l'avidité des honneurs cause de grands troubles parmi les hommes , elle en cause de plus grands encore dans les couvents. St·-Léon dit que les querelles des moines et des ecclé-siastiques ambitieuxont déshonoré l'Église. Corpus Ec-clesia: ambientium contentione fœdatur. ( S. Leo. ep. 1. ) Ste.-Thérèse dit', parlant des religieuses : II n'y aura jamais de ferveur où règne le point d'honneur. Elle dit ailleurs : Tout couvent où entrent le 'point d'hon-neur et l'ambition doit être regardé comme perdu" pt comme veuf de la présence du divin époux, puis elle ajoute en parlant à ses filles : S'il y a parmi vous un guide, chassez le comme la peste, ou au moins que cette religieuse, qui veut devenir le guide des autres , reste au cachot. Avant de laisser entrer l'ambition dans un monastère, je voudrais y mettre le feu, et le voir brûler. La B. Jeanne de Chantai était de ce senti-ment, elle disait : J'aimerais mieux voir mon couvent englouti  que d.'y voir entrer l'ambition des  hon-neurs.              ......
VII. Mais écoutons ce qu'a sagement écrit Pierre de Blois, dans une de ses lettres. (Ep. xiv.)ïl y décrit les tristes effets de l'ambition et Its ravages qu'elle fait dans l'âme : t L'ambition, dit cet auteur, singe la charité, mais à l'envers. La charité souffre tout, mais pour les biens éternels. L'ambition souffre mais pour les misérables honneurs de ce monde. La charité est bénigne mais envers les personnes pauvres et mépri-sées ; l'ambition est bénigne aussi seulement envers les grands qui peuvent la satisfaire. La charité souffre tout, mais pour plaire à Dieu ; l'ambition souffre tout, mais pour parvenir aux honneurs. Ο Dieul Quelles
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épines, quelles fatigues, quelles craintes, quels efforts, que de reproches, d'outrages piquants et déchirants n'a pas à supporter une religieuse pour arriver- aux postes que son ambition lui fait désirer ! La charité croit et espère tout ce qui regarde la gloire éternelle. L'ambition croit et espère tout ce qui regarde la vainc gloire de ce mende.
VIII. Mais quel est le résultat de celte malheureuse religieuse obtenant ces honneurs désirés ? Un peu de fumée qui ne la rassasie pas, qui, au lieu de l'illustrer, la noircit et la souille. Ste.-Thérèse disait : On perd l'honneur en aspirant aux honneurs; plus l'honneur qu'on reçoit est grand, plus est grande la honte de celle qui l'a recherché; car plus elle a fait pour l'ob-tenir, plus elle s'en est déclarée indigne. La B. Jeanne Chantai disait : Celles qui se croient les plus dignes des emplois en sont les plus indignes. Car l'humilité leur manque et c'est la premier/: condition qu'on demande. Dieu veuille que cet honneur obtenu ne soit pas la cause de sa ruine ! Le Père Vincent Carafla, jésuite, étant allé voir un de ses amis malade à qui on avait conféré un office très-lucratif mais très-dangereux, cet ami le pria de lui obtenir de Dieu la santé. Le P. Caraffa ré-pondit : Non , je ne veux pas trahir l'amitié qui m'at-tache à vous; Dieu vous appelé aux honneurs de l'autre vie, parce qu'il veut vous sauver; s'il vous laissait en vie avec cet emploi, je doute que vous pus-siez vous sauver. Le malade alors reçut la mort avec calme et consolation. Vix fieri potest, dit St.-Bona-venture, quod qui delectatur honore in periculo magno non sit. (Med. cap. xxxvi.) Il est difficile que ceux qui aiment les honneurs (surtout si c'est une dignité qui charge notre conscience telle que celles d'àbbesse, de vicaire, ou maîtresse des novices) ne se mettent
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en danger de se perdre. Quel est le danger de celle qui, par ambition , a brigué les emplois! Elle n'aura pas le courage de refuser aux sœurs qui l'y ont pro-mue tout ce qu'elles demanderont de juste ou d'in-juste , et elle marchera à sa damnation. De plus, Dieu n'est pas tenu à donner ses secours à celle qui se procure cette charge par intrigue; et , abandonnée de Dieu, comment pourra-t-elle la remplir dignement? Oh ! que d'abbesses seront damnées au jour du juge-ment pour avoir brigué elles-mêmes leur nomina-tion.
IX. Ο ma sœur! si vous voulez être toujours hum-ble, ne vous laissez jamais séduire pas aucun désir de gloire mondaine. Quel esprit d'humilité peut avoir une religieuse qui étale ses richesses aux yeux de tous; qui fait des dépenses folles, par faste et vanité! Quel esprit d'humilité peut avoir cette autre qui veut être qualifiée du titre d'Excellence! Si elle était hum-ble, elle dirait à chacun, même aux domestiques de ses parents, qu'elle ne veut pas de ce titre mondain ! Il est certain qu'étant religieuse , le titre de Révérence l'honore plus que celui d'Excellence, car on lui donne le premier comme à l'épouse de Jésus , et le second comme à la femme du monde. St.-François Xavier disait (vit. 1. u. c. 3. ) qu'il est indigne d'un chrétien qui doit sans cesse avoir sous les yeux les ignominies de Jésus-Christ, de se complaire aux honneur? qu'on lui rend. Or, cette conduite ne sera-t-elle pas plus indigne d'une religieuse consacrée à Jésus-Christ, qui, pendant tant d'années, a vé^u ignoré et méprisé. Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi disait ; L'honneur d'une religieuse consiste à se soumettre aux autres et à craindre de leur être préférée. Il doit y avoir, parmi les religieuses. dit St.-Thomas de Villeneuve, rivalité
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d'humilité : In hoc ad invicem zelaU , quce humilior, quis sponso carior existât. En faisant vos vœux vous avez dit : Elegi abjectus esse in domo Deimei magis quam ha-bitare in tabernaculis peccatorum. (Ps. XXVIII. ) J'ai pré-féré une vie humble, dans la maison de Dieu, à une vie brillante dans le monde. Pourquoi donc êtes-vous attachée aux vanités du monde ? Le pieux auteur de l'imitation vous prévient que si vous désirez devenir sainte, il faut que vous désiriez de vivre ignorée et dé-daignée : Âmu. msciri et pro nihilo reputari, et qu'on ne fasse aucun cas de vous dans le couvent.
X. Ne portez pas envie à celles qui ont plus d'a-dresse et d'intelligence que vous, ni à celles qui ont acquis plus d'estime, portez seulement envie à celles qui aiment Dieu plus que vous et qui sont plus hum-bles que vous. L'humilité vaut mieux que tous les éloges et les honneurs de la terre. La plus belle science d'une religieuse c'est de savoir s'humilier, de se regarder comme nulle et de passer pour telle. Dieu ne vous a pas donné plus d'esprit, car peut-être cet esprit vous aurait perdue. Contenlez-vous donc de celui que vous avez, puisqu'il vous fait aixner l'hu-milité qui est le moyen le plus sftr de vous rendre sainte. Si d'autres vous surpassent dans l'art de gou-verner et d'acquérir l'estime générale, fâchez de les surpasser dans l'humilité. Sed in humilitate superiores, dit l'Apôtre. (PliiJ. II. 3.)Qui a l'honneur de gouver-ner est en danger de s'enller de vanité de perdre la lumière de Dieu et devenir semblable aux brutes, qui ne cherchent que les vils biens de la terre et ne pen-sent pas àceux du ciel, comme le dit David : Homo cam in honore esset non intellexit; comparatus esijumentis insi-pientibus et similis factus est illis. (Ps.xtvm. 13.) Sidone vous voulez prendre le bon chemin, fuyez les hon~
neurs et embrassez les charges les plus viles. Ua,e reli-gieuse qui veut devenir sainte ne doit aspirer qu'aux plus bas emplois du monastère ; elle doit chercher à faire ce que le? autres ne veulent pas. L'épouse des Cantiques est tantôt  une solitaire, tantôt une guer-rière, tantôt une vigneronne, mais, dans toutes ces fonctions^ différentes, elle est toujours amante; tout ce que fait une religieuse, elle doit le faire pour l'a-mour de Jésus-Christ et toujours elle doit être sa chère épouse. Elle ne doit donc jamais refuser les em-plois qu'on lui assigne : Les emplois les plus vils, dans le monde, sont les plus sublimes dans les couvents et ceux queles saints préfèrent, parce qu'il sont chers à Jésus-Christ. Cassien raconte que l'abbé Paphnuce, très-estimé en Egypte, quitta son monastère pour al-ler à celui de St.-Pacôme, qui, ne le connaissant pas, le chargea de  bêcher le verger; l'abbé fut charmé _ d'être ainsi traité;   mais bientôt on sut son nom et il fut appelé à des emplois plus importants , mais il re -grettait sans cesse son obscurité première et pleurait nuit et jour sur la perte du trésor de ses humiliations. XI. Pratiquez encore l'humilité dans vos meubles et dans vos vêtemeus.  St.-Equitius portait des vête-menssivils que ceux qui ne le connaissaient pas n'au-raient pas daigné le saluer. Oh I que de pauvres habits sont édifiants ! On rapporte que les deux Macaires (Lib. de sign, η" 19.) traversant le Nil dans un ba-teau, eu compagnie de quelques séculiers richement vêtus, un de ces derniers, à la vue des misérables ha-bits des deux frères, fut si touché, qu'il quitta le monde et se fit moine.  Il faut aussi tenir les yeux baissés et parler à voix basse ; mais ces actes d'humilité exté-rieure ne sont bous qu'autant qu'ils sont accompa-gnés de l'humilité intérieure du cœur, car sans cela ce
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seraient des actes de l'orgueil le plus abominable, puis -qu'il se cacherait sous le manteau de la vertu. Multo deformior , dit St.-Jérôme, est superbia quœ sub humili-tatis signis latet. (Ep.ad. Gel.)
PRIKRE.
Mon Jésus, j'ai honte de paraître devant vous. Vous avez tant aimé les mépris et les outrages que vous avez voulu .mourir sur une croix, raillé et insulté; et moi je ne puis supporter les moindres affronts ! Vous avez été abreuvé d'ignominies, vous, innocent, et moi, pécheresse, je suis avide, insatiable d'éloges! Ο mon époux, que je suis différente de vous! Cela me fait trembler pour mon salut éternel, caries prédestinés doivent vous ressembler. Mais je ne veux pas me dé-fier de votre miséricorde; vous me secourrez et me changerez. Je me propose, avec votre grâce, de souf-frir dorénavant, pour votre amour, toutes les injures dont vous m'accablerez. Par votre exemple, vous avez rendu l'injure aimable aux âmes qui vous aiment. Je veux faire tout mon possible pour vous plaire; pardonnez-moi la peine que vou.' a causé mon Orgueil et accor-dez-moi la grâce d'être fidèle à la promesse que ie fais de ne jamais me fâcher, quelquOutrage qu'on me fasse.—Oh ! Marie, ô ma mère, vous qui fûtes si hum-ble, obtenez-moi la grâce de vous imiter.
S· iv.
Suite du mémo sujet et plus particulièrement du support des yiépris.
I. En troisième lieu, pour vous conserver dans l'hu-milité, il faut ne pas vous fâcher quand on vous re-
SANCTIFIÉE.                                       3θ1
prend. Qui se trouble aux avis qu'on lui doune n'est pas humble. Priez donc le Seigneur de vous donner la vertu de l'humilité si nécessaire à notre salut. Le P. Ro-driguez dit que quelques religieuses font comme les hérissons; quand on les touche, elles se hérissent d'é-pines, c'est-à-dire qu'aussitôt elles éclatent en paroles d'impatieDce, de reproches et en murmures. Multos novimus, dit St.~Grégoire, qui arguente nullo peccatores se confitentur, cum vero de culpâ fuerint correpti, defensionis patrocinium quarunt, ne peccatores videantur. (Mor. lib. xxu cap. 10.) J'ai connu beaucoup de personnes qui se disaient pécheresses quand on ne les reprenait pas , mais quand on leur faisait quelques réprimandes, elles se sont défendues avec acharnement et se sont effor-cées de prouver qu'elles étaient sans défauts. Beaucoup de religieuses font de même ; mais qu'elles apprennent ce que dit le Saint-Esprit : Qui odit correptionem, ves-tigium est peccatoris. (Ecc. xxi. 7.) Qui se fâche d'être re-pris ne marche pas dans la voie des justes, mais dans celle des pécheurs, c'est-à-dire dans celle de l'enfer. II. St.-Bernarddit : Medicanti irascitur qui non irascitur sagktanli. (Serm. m de nat. Dom.) Tel qui se fâche contre ceux qui le reprennent de ses défauts ne se fâche pas contre ceux qui le flattent. Le sage dit : Eo quod detraxerunt universes correptione prosperitas stultorum perdet eos. (Prov. i. 32. ) Ceux qui repoussent toute correc-tion se perdront avec la prospérité des sots ; la prospé-rité des sots est de n'être pas repris ou de ne pas te-nir compte des corrections qu'on leur fait, c'est pour-quoi ils se damnent. Le vén. B^de raconte que deux religieuses, ayant été reprises par leur supérieure, mé-prisèreet ses avis; elles allèrent de mal en pis et s'en-fuirent du couvent ; mais ayant été retrouvées et recon-duites dans la clôture, l'abbesse (qui était Ste.-Borgon-
Soa                         r.i RELIGIEUSE
tofore ) leur demanda pourquoi elles avaient commis un tel excès? elles répondirent -.pour n'avoir pas voulu profiter de vos corrections. Elles tombèrent malades et ne voulurent pas se confesser; à leurs derniers mo·* mens elles dirent : attendez un peu. Puis s'adressant aux religieuses : Ne voyez-vous pas là bas Celle foule de nègres qui viennent nous prend-e ? En effet, on vit appa-raître des fantômes horribles, qui, d'une voix sépul-chrale, appelaient les malades ; celles-ci criaient fou-jours, attenrletf attendez. Enfin elles expirèrent misé-rablement, privées des secours dé la religion.
III. St.-Jean Chrysostôme dit (Hom. LXXIX. In Mal.) que lorsque le juste tombe dans le péché, il en gémit ; le méchant en gémit aussi, non parce qu'il a offensé Dieu, mais parce que son péché est connu. Loin de s'en repentir, il ne songe qu'à se disculper' et à se dé-fendre contre ceux qui l'en reprennent. Ο ma sœur ! n'avez vous pas fait de même avec ceux qui vous ont prévenus de vos défauts ? Serez-vous toujours de même à l'avenir? Non, dit St.-Bernard, Soror, multas age gratias illi qui increpaverit te; non contristeris cum mons-traverit tihi viam satutis. ( De disc. cap. 18. ) Vous devez remercier ceux qui votis éclairent sur vos défauts ; il est injuste de vous mettre en colère contre celle qui vous indique la voie du salut. Ainsi, comme le con-seille Ste.-Marie-Magdeleine dePazzi, si cela pouvait se faire sans danger, il serait bon que vous eussiez une compagne fidèle qui vous prévint de toutes vos fautes ; à votre insu vous péchez sans cesse; le seul remède à ce mal c'est de vous humilier lorsqu'on vous a mis le doigt sur la plaie. St.-Augustin a dit ipsa est perfectio, nostra humilitas. (In. Ps. 130.) Puisque nous sommes si imparfaits dans la pratique de la vertu, soyons par-faits d"i moins à nous humilier et à nous réjouir, lors-
SANCTIFIEE.
que nous sommes repris de nos défauts. Songeons que notre orgueil souffre plus facilement les reproches que nous ne méritons pas que ceux que nous méritons, car l'amour-propre a moins de part dans les premiers que dans les autres. Quand vous êtes réprimandée, of-frez à Dieu votre confusion etvotre honte, en expiation de l'erreur que Vous avez commise. Écrasez le scorpion sur la blessure qu'il vous a faite et servez-vous de ses restes pour la guérir. Plus vous recevrez avec humilité la réprimande que l'on vous fait, plus le Seigneur sera clément envers vous.
IV. Pratiquez donc cet acte d'humilité si cher à Dieu, qui est de ne vous défendre ni de Vous excuser, quand vous êtes reprise. Ste.-Thérèse dit qu'une re-ligieuse gagne plus à recevoir une réprimande sans s'excuser qu'à entendre vingt sermons. S'il vous arrive d'être reprise pour quelque défaut, même injustement, ne vous justifiez pas, à moins que votre justification ne fût nécessaire pour faire cesser tout scandale. Une religieuse écrivit un jour au P. Antoine Torres, son directeur, de la justifier auprès de quelqu'un, d'une faute dont on l'accusait. Voici comment répondit le prêtre : nJe suis très-étonné que votre V. R. me prie de la justifier avec N. N. Les affaires de la semaine dernière auront fait oublier à V. R. que son époux fut nommé séducteur. Il est impossible que V. R. se soit souven ue de cela et m'ait écrit pour se justifier. Qu'elle en rougisse et aille pieds nuds, une corde au co-a, en demander pardon à son époux crucifié, qu'elle pro-mette de ne jamais plus se justifier ni s'excuser et de dire toujours qu'elle a tort, "dût-elle en mourir de dou-leur. Ainsi mourut pour elle son époux; ainsi elle doit chercher à posséder Jésus-Christ. » Ste.-M.-Magde-leine de Pazzi disait que c'est cesser d'être religiense
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que de s'excuser, même à bpn droit. Une religieuse, véritablement humble, évite de s'excuser de ses dé-fauts et tâche de les publier partout. On lit, dans les prodiges de la Grâce, qu'il y avait un moine qui, cha-que fois qu'il commettait une faute, s'en accusait d'a-bord à l'abbé du couvent, puis au priear et puis enfin à tous les moines rassemblés. Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi dit que toute religieuse qui découvre ses fau-tes mérite que Jésus-Christ les couvwj de son sang.
V. Z|° Si vous voulez acquérir la parfaite humilité, recevez sans plainte tous les outrages et les mau-vais traitemeris que l'on vous fait. Qui croit ferme-ment mériter toute sorte de mépris en punition de ses péchés supporte en paix l'injure. L'humiliation est la pierre de touche des saints. St.-J.*Chrysostôme dit que le moyen le plus sûr pour connaître une âme ver-tueuse c'est d'observer si elle reçoit les humiliations avec calme. Le P. Grasset raconte, dans son histoire du Japon, qu'un missionnaire, de l'ordre de St.-Augûstin, étant déguisé, lors de la dernière persécution, reçut nn soufflet sans se fâcher; aussitôt on se douta qu'il était chrétien et on l'arrêta, pavce que les idolâtres savaient qu'une si grande vertu n'était le propre que des chré-tiens. 3t.-François d'Assises disait que quelques per-sonnes mettent leur joie dans la pénitence et le jeune et ne peuvent souffrir une parole injurieuse, qui est plus profitable à l'âme que dix jours d'abstinence. Par exemple on accorde à d'autres sœurs ce qu'on vous refuse, ce que disent les autres plaît, ce que vous dites ennuie; les autres font bien tout ce qu'elles font, on les élève aux emplois les plus honorables, et l'on ne fait aucun cas de vous, on rit de tout ce que vous faites; si vous acceptez sans peine tous ces désagrémens, dit St. - Dorothée, si vous recommandez à Dieu les
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soeurs qui vous maltraitent, vous èlêk véritablement humble, car celles qui nous traitent ainsi sont les mé-decins de notre orgueil, maladie terrible qui peut vous, donner la mort. Les orgueilleux, qui se croient dignes de toute sorte d'honneurs, augmentent d'orgueil quand on les'humilie; mais les humbles, qui se trouvent di-gnes de tout mépris, redoublent d'humilité quand on les injurie. St.-Bernard a dit : Est humilis qui humilia-iioneiii convertit in humilitatem. (Serin, xxiv. in Can.) Celui qui "charge l'humiliation en humilité est vérita-blement humble.                ■-.■··■■·
Vi. Les humiliations que nous nous imposons nous-'' mêmes, telles que de baiser les pieds de ceux quenous avons offensés, dé servir lés malades, sont bonnes ; mais les meilleures sont celles que nous fontlës autres, telles que les réprimandes, les accusations, les outrages, lès railleries, quand nous les recevons sans plainte pour l'amour de Jésus-tihrist. Ιη ïgnë probatur aurum, dit le St.-Esprit, Homines tero in camino'humiliationis. (Ecc. II. 5.J L or s'éprouve au feu, la perfection des hommes' s'éprouve aux numrliatìoòs. Ste.-M.-Magdelaine de' Pazzîftîsaît: La.vertu sans'epreuven'est pas vertu, et qui' lie souffre pas le mépris' avec c'alrtië n'aura jamais l'es-prit de'perfection. ÏÏ'dntas mea dedit odorem suum': (Cant. ι. 11.) Le' nard est Une herbe aromatique^ qui ne répand de parfums que lorsqu'on la foule ou qu'on la froisse dans ses doigts. Oh! quel parfum' de sainteté épanche dans l'air une religieuse humble qui embrasse l'opprobre avec amour'et se complaît aux injures et aux mauvais traitemens! Le moine ï.a-charie, à qui l'on demanda ce qu'il fallait"faire"pour acquérir la véritable humilité ', mit un froc sous ses pieds, le foula et dit : Celui-là" est véritablement hum-ble qui se plaît à être traité comme ce froc. Qu'eller \ia.                                                    ao
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sera douce la mort de la religieuse qui aura «ouffert le mépris sans murmure ! Elle remerciera à ses derniers instants celles qui l'ont maltraitée. St.-Jean Climaque (de obed. gradu, iv) raconte qu'un bon moine, nommé Àbario que, pendant quinze ans, ses compagnons avaient raillé et vilipendé, les remercia beaucoup à l'heure de sa mort de l'avoir tant humilié et mourut avec la paix du ciel.
VII. Quelques religieuses croient être humbles parce qu'elles sont instruites de leurs misères et qu'elles se repentent de leurs fautes passées y mais elles n'aiment pas à être humiliées et ne peuvent souffrir qu'on leur manque de respect; elles refusent les emplois vils et tout ce qui ne convient pas à leur orgueil. Mais qu'est-ce que cette sorte d'humilité ? elles se disent dignes de tout et ne peuventaouffrirla moindre impolitesse; elles veulent des égards et des titres! Est qui nequiter humi-liat se, et interiora ejus plena sunt dolo. ( Ecc. xix. 23.) Telle qui s'humilie extérieurement et se "dit la dernière des créatures, veut intérieurement être plus estimée et honorée que les autres. Je pense, ô ma sœur, que vous n'êtes pas de celles-là. Si vous croyez être la pire des sœurs> souffrez qu'on vous traite, pis qu'elles. Aimez donc comme vos meilleures amies, celles qui vous mé-prisent et Vous aident à vous humilier, à vous dé-tacher de la gloire, mondaine, et par là-même à vous attacher à Dieu, en vous faisant rechercher son saint amour avant toute autre chose.
VIII. Regardez-vous comme un chien mort et pourri, qui mérite d'être abhorré de tout le monde; offrez-vous à souffrir pour Dieu toute sorte d'opprobre en expia-tion des péchés que vous avez commis et ne permettez
jamais à votre amour-propre de s'en plaindre. Songez que celle qui a osé mépriser un Dieu mérite d'être fou-
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lée aux pieds du démon. St .-B ernard disait qu'il ne con-naissait pas de remède plus propre à guérir les plaies de sa conscience que les injures et le mépris. Ego pla-gis conscientia meœ nullum judico accommodatus medica-mentum yrobris et contumeliis. ( Ep. ad. Eug. ) Réjouis-sez-vous, ô épouse du Seigneur ! quand on vous humi-lie, quand on vous outrage, quand on se rit de vous, quand on vous traite comme la phis méprisable du monastère. Ne vous défendez pas quand on vous1 ac-cuse à tort et ne vous faites pas défendre par d'autres, à moins que voire disculpation fût nécessaire à l'édifi-cation des autres. N'empêchez pas qu'on découvre vos défauts à vos supérieurs. Quand on vous humilie, ne cherchez pas laquelle de vos sœurs en est cause ; si vous la découvrez , ne lui en faites pas de reproches, ne vous en plaignez pas aux autres, et, dans vos prières, recommandez à Dieu celle qui vous méprise et vous persécute. Le P. Alvarez disait que le temps des humi-liations est le temps de s'affranchir de ses misères et d'acquérir de grands mérités. Ste.-M.-Magdeleine de Pazzi disait que les plus douces caresses dont l'époux divin enivre l'âme sont les affronts et les peines; elle ajoutait encore qu'elle était toute joueuse quand elle causait avec des personnes méprisées, sachant com-bien elles sont chères à Jésus-Christ. Elle disait à ses religieuses : Ο mes sœurs ! mettez toute votre gloire â être méprisées; répétons souventee que dit Jésus-Christ que ceux que les hommes haïssent, qu'ils injurient et per-sécutent, seront ses élus. Beau eritis, eum vos oderint ho-mines, el cam feparaverint vos et eœprobaverint et eiecerint nomen vestrum tanquam malum propter filium hominis. (Luc. vi. 22.) St.-Pierre ajoute : Si exprobramini in no-mine Christi, beati eriiit, quoniam quod esl honoris, gloriae et virtutis Dei etqai est ejus spiritus, super vos requiescit.
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(l.Petr. iv. 14·) Vous ne serez heureuse que lorsque vous serez outragée pour l'amour de Jésus-Christ, car alors vous aure? le véritable honneur, la véritable force et le véritable esprit de Jésus-Christ.
IX. Les saints ne se sont pas fait saints au milieu des éloges et des honneurs, mais au milieu des injures et des mépris. St.-Ignace, martyr et évéque, après avoir été estimé et vénéré de tout le monde, fut envoyé à Rome pour, souffrir le martyre et ne reçut pendant toute la route que des outrages des soldats qui l'escor-taient ! Il s'écria : Nunc incipio esse Christi discipulus, je commence maintenant à être le disciple de Jésus-Christ, qui fut si méprisé pour moi. St.-François de Borgia, étant une fois couché dans la même chambre que le P. Bustamant, son compagnon de voyage, ce-lui-ci, qui était asthmatique, ne fit durant toute la nuit que tousser et cracher; mais au lieu de cracher sur le mur, il lançait ses crachats sur la figure de son ami. Quand le jour parut, il s aperçut de sa méprise et s'en attristar'fton, dit leSaint, ne te désole pas de cela, car certainement dans toute cette chambre, il n'y a pas d'endroit plus digne de crachats que ma figure. Oh mon Dieu ! que fait une religieuse si elle ne sait pas souffrir un affront pour Jésus-Christ ? Une reli-gieuse qui ne sait pas supporter les injures a perdu le souvenir de Jésus-Christ crucifié. La B. Marie de de l'Incarnation dit un jour à ses religieuses en leur montrant le crucifix : Quoi ! mes sœurs, nous crain-drions de souffrir un outrage apros que Jésus en a tant soufferts ! Une autre bonne religieuse, lorsqu'elle rece-vait un affront, recourait au St.-Sacrement et disait : Seigneur, je suis une pauvre fille, je n'ai rien à vous offrir; je vous fais présent des injures que j'ai re-çues. Oh! combien Jésus-Christ aime et protège les
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personnes méprisées qui ont embrassé les mépris, comme il les console et les enrichit de grâces! Le P. D. Antoine Torres, en pensant au temps où il avait été humilié et traité de semeur de fausses doctrines ( ce qui lui fit interdire la confession pendant plusieurs années ), écrivit à un de ses amis : « Sachez que pendant tout le temps que je fus calomnié, les con-solations spirituelles qtie m'accorda le Seigneur furent si grandes que jamais je n'en eus de semblables. »
X.  Il est profitable et méritoire de recevoir le mé-pris avec joie, niais c'est aussi un moyen de gagner bien des cœurs à la foi. St.-Jean Chrysostôme a dit : Mansuetus utilis sibi et aliis. L'humble qui souffre en paix les affronts est utile à lui-même et à tous ceux qui le connaissent; car, ajoute le Saint, il n'y a rien de plus édifiant que l'humilité d'une personne qui reçoit d'un air calme les injures. Nihil ita conciliât Domino fa-miliares ut quod illum vident mansuetudine jucundum. Le P. Maffei raconte qu'un jésuite, qui prêchait au Japon, reçut un crachat au visage ; il s'essuya avec un mou-choir et continua son sermon comme si rien n'était. Un des spectateurs fut converti par le calme imper-turbable de ce père ; une religion, dit-il, qui enseigne tant d'humilité, ne peut qu'être vraie et divine. C'est ainsi que St.-François de Salles, en supportant sans plainte toutes les injures des predicants protestants , finit par convertir un grand nombre de ces hérétiques.
XI.  Lne religieuse qui habite un couvent de large observance et veut marcher dans la voie  de la per-fection, doit s'attendre  à être toute sa vie  raillée, calomniée, persécutée, haïe. Il n'y pas de remède, le St.-Esprit l'a dit : Abominantur impii eos qui inrecta sunt via.  (Prov. xxix. 21.) Ceux qui marchent dans une route large, abhorrent ceux qui marchent dans
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un sentier étroit. La raison en estque la vie des jus-tes est un continuel reproche de la vie des méchants qui voudraient que tout le monde vécût aussi libre-ment qu'eux. L'éloignement de la grille, l'observance du silence, l'assistance au chœur, le détachement d'amitiés particulières et presque toutes les actions vertueuses de cette bonne religieuse sont appelées bi-zarreries, bigotterie et même hypocrisie, pour se faire passer podr sainte. Si elle commet quelque péché (car elle est fragile et sujette toujours au péché ) , si elle répond avec impatience, si elle se plaint d'une injus-tice qu'on lui fait, aussitôt les autres crient : Voyez la sainte qui communie chaque jour, qui ne parle ja-mais, qui porte le cilice, qui est sans cesse au chœur, occupée à tromper le monde ! Elles inventent même des, mensonges pour vous accabler; mais si vous vou-lez être sainte, supportez-les, et pensez que si la pa-tience vous échappe, adieu le fruit de tant de peine ! Vous deviendriez aussi imparfaite que les autres. St.-Bernard 'lit un jour d'un moine qui passait pour saint: II l'est sans doute, mais il lui manque le meilleur de la sainteté, c'est de passer pour méchant.
XII. Le plus beau mérite des saints est d'être persé-cutés dans cette vie. Tous ceux, dit St.-Paul, qui veu-lent vivre avec piété en Jésus-Christ, souffriront la persécution. Et omne» qui pie volunt vivere in Christo Jesu persecutionem patientur, (ii. Tim. 8. 12. ) Notre Sauveur a dit : S'ils m'ont persécuté moi-même, ils vous persécuteront aussi. Si mt persecuti sunt et vos per-sequentur. (Jo. xv. 20. ) Mais vous dites : Je fais mes i.ifaires, je n'importune personne; pourquoi doit-on me persécuter ? Tous les saints ont été persécutés. Jé-sus-Christ le premier des saints a été persédutéi et vous ne voulez pas l'être. Quel plus grande grâce Dieu
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peut-il nous accorder, disait Ste.-Thérèse, que d'être traités comme le fut son filsbien-aiiné sur la terre ? Le P. Torres écrivit à une de ses pénitentes: Croyez que de toutes les grâces que Dieu peut vous accorder, la première c'est de vous rendre digne d'être calomniée Je tout le monde, elfle ne trouver de pitié chez personne. Ainsi donc, ô ma sœur! lorsque vous êtes méprisée et regardée comme une vile créature , réjouissez-vous et remerciez votre Époux de ce qu'il veut que vous soyez traitée comme il le fut lui-même en ce monde. Quand vous êtes en prière, énumerez lous les mépris et les outrages qui peuvent vous être faits et offrez-vous de les souffrir pour l'amour de Jésus-Christ, car ainsi, dans l'orai-son,^vous serez toujours prête à les recevoir avec calme.
XIII. 5° En dernier lieu, non seulement il faut re-cevoir les mépris avec calme, mais même avec joie. Le bon religieux, disait le B. Calasanze, méprise le monde et aime à être méprisé du monde. Levén. P. Louis du Pont ne pouvait d'abord concevoir com-ment une âme pouvait prendre plaisir aux mépris, mais quand il fut plus parfait il le comprit et l'éprou-va. Nous ne pouvons pas y parvenir de nous-mêmes , mais avec l'aide delà grâce, comme les apôtres qui sortirent du conseil tout remplis de joie de ce qu'ils avaient été jugés dignes de souffrir cet outrage "pour le nom de Jésus. Ibant gaudentes d conspectu concilii, quo-niam digni habiti sunt pro nomine Jesu contumeliam pati. ( Act. v. 41. ) La seconde partie, disait le Β. Calasan-ze se vérifie en quelques-uns, contumeliam pati, souf-frir les injures ; mais non la première ibant gaudentes, s'en réjouir. C'est-là ce que St.-Ignace de Loyola vint enseigner après sa moit à St.-Marie-Magdeleine de Pazzi, lui disant que îa véritable hnnailité consiste à
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nouffrréjouir de tout ce qui nous avilit et nous dés-honore.
XIV.  Les gens du monde sont moins heureux des honneurs qu'on leur rend, que les saints des mépris qu'ils reçoivent.'Lorsque le frère Genévrier, francis-cain, recevait une injure, il relevait sa robe,, et en faisait un   sac comme poury renfermer des perles. St.-Jean-François Régis,, lorsque ses moines le tour-naient en ridicule,  s'en  réjouissait et s'efforçait de donner encore" malière à leurs railleries. Les saints n'ont donc désiré et aimé que· de souffrir et d'être mé-prisés pour Jésus-Christ. Un jour le Rédempteur ap-parut à St.slean de la Croix, portant sa croix; ^ur ses épaules et couronné d'épines; il lui adressa ces mots : Jean, demande-moi ce que tu veux.  Le saint répon-dit : Seigneur, souffrir et être méprisé pour vous. Do-mine , pati et contemni pro U.   Comme s'il avait voulu dire : Seigneur, en vous voyant si outragé et si affli-gé pour l'amour des hommes, puis~je vous deniandor autre chose qu'outrage et affliction ? Dieu dit à la B. Angèle de Foligno que le signe certain pour con-naître  si  les  inspirations, viennent de  lui,   est de voir si,après les avoir reçues, l'âme cqnserveun vif désir d'être humiliée pour son amour. Jésus-Christ veut que nous ne nous ne nous troublions pas des in-jures que nous recevons et que,nous nous en réjouis-sions, à cause de,la grande récompense qu'il nous pro-pose dans le ciel. Beati estis, cum maledixerint vobis et persecuti vos fuerint.  Gaudete et exultate quoniam merces vestra copiosa est in cœlis. (Matth. ν. 11, 12.)
XV.  Quand un jeune fille est sur le point d'entrer .dans un couvent, je lui recommande, comme choses essentielles, l'obéissance et l'amour des mépris. Je me suis étendu sur cette matière parce que je cr.ois
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impossible q'une religieuse avance dans la voie de la perfection sans pratiquer ces deux vertus-, mais ai elle les pratique, j°. suis certaiu qu'elle deviendra sainte. Humilis corde, disait St.-Paul, cor Christi est. La religieuse qui est humble de cœur et qui se ré-jouit du mépris qu'elle reçoit devient le cœur de Jé-sus-Christ. 0 ma sœur, si vous voulez vous rendre sainte, sachez qu'il faut que vous soyez beaucoup humiliée et méprisée. Eussiez-vous,pour compagnes, des saintes, Dieu permettra que vous soyez contra-riée , aecusée, réprimandée, dédaignée. Jésus-Christ trouvera moyen de vous faire maltraiter pour vous rendre semblable à lui. Je vous prie donc de suivre le règlement du P. Torres : Dites chaque jour un Paieret une Avek la vie ignominieuse de Jésus-Christ. Offrez-vous à souffrir, non seulement avec calme, mais avec joie, toutes les contrariétés et les outrages qu'il vous enverra , et demandez-lui les secours né-cessaires pour les supporter sans plaintes.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus, mon amour! comment puis-je être si orgueilleuse, quand je Vous vois outragé, humilié, cloué sur une croix pour me sauver? Par le mérite de vos souffrances , faites que je connaisse ma misère afin que je rn'abhore, et que je supporte eu paix toutes les injures qui me seront adressées. Vous les avez rendues aimables par votre exemple. Faites que je connaisse votre bonté et votre amour, afin que je connaisse et que j'embrasse toute sorte de mépris pour vous être agréable. Faites que je chasse loin de
3)4                                  t'A   RELIGIEUSE
moi tout respect humain et que je ne cherche dans toutes mes actions que votre bon plaisir. Je vous aime, ô Jésus! et me propose avec votre grâce de ne plus nie fâcher ni me plaindre, lorsqu'on me fera quelques Outrages. J'attends de vous la grâce de remplir ma promesse. Marie, ma mère, secourez-moi par votre intercession, priez Jésus pour moi.
CHAPITRE XII.
De la charité du prochain.
S- i.
De la charité envers le prochain et surtout de la manière de juger seà' actions.
I. On ne peut aimer Dieu sans aimer le prochain. Le précepte qui nous commande d'aimer Dieu, nous or-donne aussi d'aimer nos frères. lit hoc mandatum habemus dDeout qui diligitDeum,diligat et fratremsuum. St.-Tho-mas d'Aquin dit que l'amour de Dieu et du prochain prend sa source dans îa charité, car la charité nous fait aimer notre prochain autant que Dieu, parce que Dieu le veut ainsi. St-Jérôme (comment, inep. ad.Gai.) rapporte que les disciples de St.-Jean l'Évangéliste lui ayant demandé pourquoi il leur recommandait si souvent l'amour fraternel, répondit: Quia prœceptum Domini est, et si sqtum fiat sufficit : parce que c'est le pré-cepte de Dieu , et si nous le suivons, il suffira pour notts sauver. Ste.-Catherine de Gênes dit un jour au Seigneur : Mon Dieu, vows m'ordonnez d'aimer mon prochain, et je ne puis aimer que vous. Le Sauveur
SASCTIFIÉE.
répondit : Ma fille, celui qui m'aime, aime toutes les choses que j'aime. En effet, quand on aime une per-sonne on aime aussi ses parents, ses domestiques, ses portraits et môme ses habits, pour la seule raison qu'elle les aime. Pourquoi donc devons-nous aimer notre prochain? parce qu'il est aimé de. Dieu. L'a-pôtre St.-Jean a dit que celui-là ment qui dit aimer Dieu et n'aime pas son prochain : Si f,Mts dixerit quo-niam diligit Deum et fratrem suum oderit, mendax est. (I. Jo. ìv. 20.) Jésus-Christ dit que la moindre charité faite envers notre prochain est faite envers lui. Quam-diu fecistis uni ex his fratribus meis minimis, mihi fecistis. (Mat. xxv. 40. ) Ste.-Catherine disait que pour con-naître combien on aime Dieu, ou n'a qxi'à voir com-bien on aime son prochain.
II. Mais la charité, cette aimable fille de Dieu , a été bannie du monde ; elle vint chercher un refuge dans les couvents; mais que serait-ce si elle était bannie même des couvents ? L'enfer est l'empire de la haine, le ciel est l'empire de l'amour, tous les élus s'y aiment l'un l'autre et se réjouissent des joies des autres comme des leurs propres. Oh! n'est-ce pas un vrai paradis que ce couvent où règne la charité? Il fait les délices de Dieu; qu'il est bon, qu'il est agréable, que des frères habitent ensemble ! Ecce quam bonum et quam jucurulam habitare fratres in unum! (Ps. cxxxn. 1.) Le Seigneur aime à voir les sœurs et les frères habiter ensemble, in unum, dans sa demeure, uni par la vo-lonté commune de le servir et de s'entr'aider à se sauver pour s'envoler ensemble au séjour des élus. St.-Luc dit que les chrétiens de son temps n'avaient qu'un seul cœur et une seule âme : M ullitudinis auterr, credentium erat' cur unum et anima una. (Act. iv. 32. ) Jésus-Christ en allant à la mort pria son père Tout-
5l6                                 LA   RELIGIEUSE
puissant que ses disciples ne formassent qu'un tout in-divisible , comme lui et son père : Pater sancte serva eos ut sint unum sicut et nos. (LXX. 17. 11. ) Ce fut là un des plus beaux fruits de la Rédemption comme le pté-dit Isaie : Habitabit lupus cum agno et pardus cum liœdo non nocebunl et non occident, (xn. 6.) Le loup habitera en paix avec l'agneau, le léopard avec le chevreuil et et ils ne se nuiront pas. C'est-à-dire que les disciples de Jésus-Christ, quoique de naticns différentes, de caractères différerts , vivront en paix ensemble , s'ef-forçant de se conformer à la volonté l'un de l'autre, par le moyen de la sainte charité. Communauté de moines ne signifie autre chose, observe un écrivain sa-cré, que comme unité. C'est-à-dire qu'ils sont unis de volonté comme s'ils l'étaient de corps. La charité seule maintient l'accord dans les couvents, car il est impos-sible que tous les frères aient les mêmes penchants et les mêmes goûts; ,1a charité marie nos cœurs, nous iait supporter mutuellement nos défauts et plier à la volonté l'un de l'autre,
III. St.-Jean-Climaque rapporte qu'il y avait près d'Alexandrie un monastère où tous les moines jouis-saient d'une paix céleste, car ils s'aimaient tous cor-dialement, par une sainte charité ; si quelqu'un d'en-tr'eux se plaignait d'un de ses frères, le premier qui passait les apaisait avec un signe de tête; mais s'ils ne se réconciliaient pias, on les exilait dans une maison voisine, et on les appelait démons indignes de rester dans le couvent. Oh ! qu'il est beau de voir des reli-gieuses faire l'éloge les unes des autres, s'entre servir, s'entr'aimer comme des vraies sœurs ! Les religieuses sont appelées sœurs, parce que la charité, sinon la naissance, les unit entr'elles, celle qui n'a pas de chariië, disait laB. Jeanne de Chantai, n'est religieuse que de
SAHCTIF1ÊE.
nom, elle est sœur d'habit, mais non de cœar. Tousles saints fondateurs et les saintes fondatrices recom-mandaient en mourant à leurs enfants la sainte cha-rité , disant que là où l'union manque Dieu manque aussi.
IV. St.-Augustin dit : Quando vides inatiqaâ fabricâ  -lapides  et ligna bene sibi cohcerere securus intres, ruinam non times. ( Ser. ccivi. ) Quand vous voyez les pierres d'une maison bien cimentées ensemble, entrez-y sans crainte,  elle ne tombera pas en ruine. Mais si les pierres ne sont pas bien jointes n'en passez pas le seuil. Le saint veut dire par cette comparaison que le bon-heur règne dans tous les couvents οίι les religieuses sont unies par la sainte charité ! M ais malheur à ceux où régnent la discorde et la guerre civile ! Monasteria sunt tartara, ajoute le Saint; de tels couvents ne sont pas l'asile de Dieu mais du diable; un trône de salut, mais un abîme de perdition. Que sert qu'un couvent soit riche, pompeux, qu'il y ait une belle église, un beau jardin, si la charité n'y est pas; c'est un enfer. Une religieuse médit de l'autre, et cherche à la sup-planter, toujours dans la crainte que la faction enne-mie l'emporte ; les soupçons et la rancune fermentent dans tous les cœurs; on ne parle,  on ne pense, dans l'oraison mentale, à la messe, à la communion, qu'à se haïr et à se nuire; pauvres oraisons! pauvres messes! pauvres communions ! ou la charité n'est pas ; il n'y a ni recueillement, ni paix, ni Dieu. Ο ma sœur ! s'il y a des factions ennemies dans votre couvent versez-en des larmes, et priez Dieu de les détruire avec sa main puissante. Car pour étouffer l'hydre de la dis-corde , il faut la main de Dieu. Au reste, si vous pou-vez rétablir la paix dans le couvent faites-le à tout prix, si vous ne le pouvez pas, restez indifférente et
3l8                                LA   RELIGIEUSE
gavdez-vous comme de k mort de mettre le doigt sur cette plaie.
V.  Je ne parle pas ici contre ces religieuses zélée* qui défendent l'observance des règles et font la guerre aux abus; celles-ci veulent le bien de la communau-té et sont du parti de Jésus-Christ : que n'eu sont-el-les toutes î Si quelqu'abus s'introduit dans le couvent, je vous exhorte à vous unir aux observances, dussiez-vousrjster seule pour défendre la cause de Dieu. Dieu saura vous récompenser de tout ce que vous aurez fait, pour peu que ce soit. Rester indifférente quand il s'agit de maintenir l'observance,  n'est pas vertu ni humilité, mais lâcheté, faiblesse et défaut d'amour de Dieu. Je parle donc de celles qui fomentent les discordes,  soutiennent les factions pour défendre leurs intérêts ou leurs amies, pour abattre letirs en-nemies, et se venger des affronts qu'elles ont reçus. Gardez-vous de prendre part à ces guerres intestines, dûssiez-vousêtre traitée d'ingrate, de lâche, d'imbé-cille , privée de tout emploi, de toute considération. Mais revenons à notre sujet. Pour conserver  la charité et la paix commune, sacrifions nos propres intérêts.  St.-Grégoire de Nazianze voyant les évêques en querelle, à son sujet, car quelques-uns le voulaient pour pa-triarche et d'autres ne le voulaient pas, leur dit : Mes frères, je veux que vous soyez en paix, et il faut que, quoiqu'innocent, je renonce à mon évèché, pour re-mettre l'ordre parmi vous, je suis prêt à le faire. Il quitta donc le siège episcopal et se retira dans la so-litude.
VI. Mais parlons de ce que doit faire une religieuse pour être  charitable envers toutes ses sœurs. Elle doit faire ce que recommande l'a?pôtre à.ses disciples: Revêtez-vous donc, comme des élue de Dieu, des en-
BAHCTIFIÉE.                                  519
trailles de miséricorde. Induite vos ergo ùcut elecii Dei viscera misericordi®.( Col. m. 12. ) II dit, revêtez-vous de charité, de même que les religieuses portent tou-jours avec elles leur robe, et en sont couvertes de la tête aux pieds, ainsi elles doivent porter partout la charité et en être toutes couvertes. Il dit : Induite vis-cera misericordia}, une religieuse doit être vêtue d'en-trailles de charité, c'est-à-dire qu'elle doit avoir au-tant de tendresse pour chacune de ses soeurs , que si elle avait pour elle une profession particulière. Quand on aime quelqu'un passionément, on en dit toujours du bien , on se réjouit de sa joie, on pleure de ses larmes, si celui que nous aimons fait quelque faute , nous le défendons avec acharnement, ou du moins nous tâchons de l'excuser. S'il fait quelques bonnes oeuvres nous les vantons partout, nous les portons aux nues. La sainte charité doit avoir en vous les effets dp la passion.                                                              -,
VII. Pratiquez donc la charité envers tout le monde. et surtout envers vos sœurs, dans vos pensées , dans vos paroles et dans vos actions. Quant aux pensées , bannissez tout mauvais soupçon , tout mauvais doute contre votre prochain. C'est un péché que de soup-çonner les autres sans raison, mais c'est un péché grave que de croire à nos soupçons, et plus grave en-core de les publier. Qui juge ainsi des autres sera jugé aussi., d'il l'Evangile : Nolite judicare et non judiçamini. ( Mat. vm.) J'ai dit,sans raison, parce que s'il y avait lieu à soupçonner et même à croire, alors ce ne se-rait pas un péché. D'ailleurs , c'est chose toujours chère à la charité que de bien juger des autres, et de chasser tout soupçon injurieux. Caritas non cogitat maiarn , dit l'Apôtre. ( 1. Cor. xui. 5. ) Néanmoins-,'ίΙ faut observer que ceci ne s'adresse pas aux supérieu- .
320                                 Là  BELÏGIEVSE
res, aux maîtresses, car, comme je l'ai dit ailleurs : il est de leur devoir de soupçonner encore plus de mal qn'il n'y en a, pour préparer d'avance le remède. Si vous n'occupez pas de place élevée, tâchez de lou-jours bien penser de vos sœurs. La B. Jeanne de Chantai disait * Regardons le bien de notre prochain et fermons les yeux au mal. Si parfois, en parlant du prochain, vous prenez le mal pour lé bien, dites avec St.-Augustin : Caritas non se multum dolet errare cum bene credit etiam de maio. ( Ps. 1A7. ) La charité aime à se tromper en jugeant bien, même ce qui est mal.Ste.-Catherine de Bologne dit un jour : Voici beaucoup d'années que je suis dans la religion et je n'ai jamais eu que de bonnes pensées sur mes sœurs , car celles même qui paraissent défectueuses, sont peut-être plus aimées de Dieu que telles autres qui paraissent par-faites. Gardez-vous bien d'épier et de chercher à sur-prendre les défauts des autres; et n'imitez pas celles qui demandent sans cesse ce qu'on dit de leurs person-nes, et s'enflent décolère et de haîne contre tout le monde. Quand vous entendez parler de vos défauts , n'écoutez pas et «e remarquez pas celles qui médisent de vous. Faites en sorte que chacune des sœurs puisse dire du bien de vous ; d'ailleurs, laissez-les dire , et quand vous les entendez vous âcctiser de quelque faute, répondez : C'est-ld le moindre de mes défauts. Oh\ si elles les connaissaient tous !... Ou bien : C'est à Dieu de me juger.                                                  *
VIIÏ. 2°. Quand votre prochain tombe malade, qu'il fait une perte douloureuse, ou qu'il éprouve tout autre grand chagrin, la charité vous commande dele plaindre, du moins avec la partie supérieure; je dis avec la partie supérieure, parfce que lorsque nous ap-prenons le malheur de nos ennefliis,   notre   nature
 oa't
rebelle en resseiït une certaine joie, mais cette Joie n'est pas vin péché, pourvu qu'elle soit aussitôt «havi-sée par la volonté. Ainsi dono, si, dans un cas sembla-ble, votre partie inférieure se réjouit des maux de votre prochain, laissez-la crier comme u..e chienne bizarre qui aboie sans raison, et faites que votre par-tie supérieure s'afflige des maux d'autrui. A la vérité, «η peut parfois se réjouir des malheurs d'une per-sonne, c'est lorsqu'on sait qu'il doit lui en revenir un .grand bie.n; par exemple, il est permis de se réjouir des rnaux d'un péçhew.pbstipé , afin qu'il se conver-tisse ou qu'il cesse de scandaliser les autres. Cepen-dant, lorsque celui qui nous a. offensé souffre, notre joie peut être coupable. ;.   .         h-, '
IX.., 3°. La chai-ité nous commande, de nous com-plaire avi bonheur d'autrui , en chassant l'envie qui nous porlç à nous en affliger.Le docteur angélique dit que Tèbièri d'autrui peut nous déplaire de quaffè ma-nières. D'abord, quand nous craignons que ce bien ne soit nuisible à nous ou aux autres, et cette crainte, quanti le mal est injuste, peut être exempte de péché, comme l'observe St.-Grégoire. Evenire plerumque potest ut non amissa caritate et inimici nostri ruina Ixtipfit ft ru>ìus ejus gloria sine'inmdice culpâ contristet ; cum et ruente eo^ quosdam bene erigi credimus et proficiente illo, piwosque injuste opprimi formidamusi ( Lib. χχιι. mor. cap. 2. ) 11 peut arriver souvent, dit,le Saint, que sans perdre la charité, nous noue réjouissions de la chute de notre ennemi ; sa chute en tire beaucoup d'autres de la misère. Il peat encore advenir que, sans envie, nous uous affligions de la prospérité de notre ami, quand il s'en sert pour opprimer les autres, Se-condement ; Lorsque le bien d'autrui ne nous afflige pas, mais: que nous regrettons de ne pas le partager ; y m.                                                       11
3aa           /                  1>    BELlGIEtlSE
ce regret l'est pas de l'envie, c'est de la vertu, quand il s'agit de biens spirituels. Troisièmement : Quand nous nous affligeons du bien de notre prochain , parce que nous l'en jugeons indigne. Cette douleur n'est pas coupable, lorsque ce bien, cette dignité* ou ce trésor peut nuire à son âme. Quatrièmement : Quand nous nous affligeons du bien d'autrui parce qu'il empêche le nôtre. Cette affliction est l'envie dont nous devons nous défendre. Le sage dit que les envieux imitent le démon qui poussa Adam au péché par dépit de le voir appelé au ciel, d'où il avait été banni. Invidia autem diaboli mors intravit in orbem ter-rarum , imitantur autem illum qui sunt ex parte ejus. ( Sap. II. 24. ) La charité nous fait réjouir du bien du prochain et nons fait regarder ses douleurs comme les nôtres:
PRIÈRE.
Ο mon rédempteur ! que je vous ressemble peu ! Vous êtes plein de charité envers vos persécuteurs, et moi toute pleine de haine envers mon prochain. Vo'is priâtes avec tant d'amour, du haut de la croix, pour ceux qui vous y^clouèrent, et moi je cherche satis cesse à me venger de ceux qui m'offensent. Pardonnez-mbi, Seigneur; je ne serai plus comme j'ai été, don-ilez-moi la force d'aimer et de servir ceux qui me hâïsSènt. Ne m'abandonnez-pas en proie à mes pas-sions. Faites que je ne me sépare plus de vous! Quel tftùrment pouf moi, si, après avoir reçu tant de grâ-ces de vous , j'étais de nouveau séparée de vous et privée de votre amour ! Ne le permettez pas, Sei-gneur, par le Sang que vous avez répandu pour moi.
SANCTIFIÉE.                                  3·ϊ3
Père éternel* parles mérites de votre fils,délivrez-moi du danger de tomber dans votre disgrâce. .S'il faut qu'un jour je vous offense, faites-moi mourir à pré-sent , que je crois être dans votre grâce. Ο Dieu d'a-mour! donnez-moi votre amour. Puissance-infinie , venez à mon secours. Miséricorde infinie, ayez pitié de moi. Bonté infinie, attirez-moi toute à vous. Je vous aime, ô bien suprême. Marie, mère de Dieu, priez Jé-sus pour moi. Votre protection est tout mon appui.
De la charité qu'on doit pratiquer dans ses parole*.
I. Quant à la charité dont nous devons user envers notre prochain dans nos discours, il faut d'abord nous abstenir de toute médisance. Le St.-Esprit a dit ; Susurro coinquinabit animam suam et in omnibus odietur. (Ecc.'Xii. 31. ) Le médisant souille sop âme et est haï de Dieu et des hommes , qui parfois l'applaudis-sent et'l'invitent à calomnier son prochain pour s'a* muser,1 et cependant le fuient et le craignent, ccr, de même qu'il médit des autres devant eux, il médira d'eux devant les autres. St.-Jérôme dit que quelques personnes qui se sont délivrées des autres vices , ne peuvent s'abstenir de médire : Qui ab aliis vitiis reces· te"imt in illud tamen incidunt. Pint à Dieu qu'il n'y eût pis dans les couvents des religieuses qui ne peuvent lécher sans écorcher, c'est-à-dire, parler sans médire. Elles médisent de tous ceux dont elles parlent. Ces mauvaises langues devraient être chassées du cloître ou du moins rester toujours renfermées dans un ca-chot, car elles troublent le silence, la dévotion et le repos de toute la communauté; elles sont la ruine des
324                                   ΙΑ   BELICIECSE
couvents. Dieu veuille que ces malheureuses ne meu-rent pas comme ce prêtre dont parle Thomas Canti de Prato. ( Apum. etc. cap. 37. ) II expira dans des convulsions furieuses, en se déchirant la langue avec les dents Un autre médisant, au moment où il allait calomnier St.-Malachie, sentit sa langue s'enfler et se remplir de vers qui la rongeaient, et il mourut dans l'espace de sept jours au milieu de douleurs inouies.
II.  Oh ! quelle est chère au contraire à Dieu et aux hommes la religieuse qui dit du bien de tout le monde. Ste.-Magdeleine de Pazzi dit que si elle en avait connu quelqu'une qui n'eût jamais médit du prochain,   elle l'aurait canonisée comme sainte. Abstenez-vous donc de la moindre médisance contre vos sœurs et surtout contre vo? supérieures, contre l'abbesse, le prélat, et le confesseur; parce que, lorsque l'on médit de ses su-périeurs , outre qu'on les déshonore, on fait perdre aux autres l'amour de l'obéissance, où au moins la sou-mission d'esprit, et si vos sœurs sont instruites par vous que vos supérieures commandent sans raison, elles refuseront de leur obéir. On médit, non seule-ment quand on dénigre la réputation du prochain, en l'accusant faussement ou en révél&nt ses fautes ca-chées , mais même lorsqu'on interprète en mal ses ac-tions vertueuses et qu'on leur prête une intention vi-cieuse. C'est médire que de nier les bonnes œuvres d'une sœur ou de lui refuser l'estime qui lui est due; quelques médisants, afin de faire croire à leurs ca-lomnies, commencent par louer leur victime et Unis-sent par la déchirer. Une telle a beaucoup d'esprit, mais elle est fi ère ; cette autre est généreuse, mais elle est vindicative, etc.
III. Tâchez de dire toujours du bien de tout le monde. Parlez des autres comme vous voudriez que les autres
SANCTIFIEE.
parlassent de vous. Quand une personne est absente, faites ce que vous enseigne Ste.-Magdeleine de Pazzi: on ne doit pas dire d'une personne absente ce qn'on ne dirait pas si elle était présente. Quand vous enten-dez une sœur médire d'une avtre, gardez-vous bien de l'y exciter ou de lui montrer du plaisir à l'entendre, car alors vous seriez complice de son péché. Répri-mandez la médisante ou interrompez la conversation, partes ou du moins n'écoutez pas. Sept aures tuas spinis, ditle St.-Esprit, linguamnequamnoli audire. ( Ec. XXVIII. 28.) Quand tu entends quelqu'un qui médit, mets sur tes oreilles une haie d'épines, afin que la médisance n'y pénètre pas. Gardez le silence, prenez un air triste, baissez les yeux à terre, et personne n'osera plus atta-quer la réputation d'autrui en votre présence. Quand vous le pouvez, la charité veut que vous preniez la défense de la personne accusée : Sicut vit'a coccinea labia lua. (Cant. iv. 7.) Ο mon épouse, je veux que tes lè-vres soient comme un bandeau vermeil, c'est-à-dire (selon Théodorète) que tes paroles couvrent le mal autant que possible, et que lorsqu'elles ne peuvent excaser l'action, qu'elles en excusent du moins l'in-tention. Excusa intentionem si opus non potes. (St.-Bern, serin, xxxx.) L'abbé Connétable, dit Surius (17 fé-vrier), était appelé Operimentum fratrum, le manteau des frères, parce que; lorsque ce bon moine entendait parler des défauts des autres, il tâchait toujours de les excuser. Les religieuses de Ste.-Thérèse disaient que partout où la sainte était, elles avaient les épaules sûres, parce qu'elles savaient qu'elle les dt'fendait.
Gai dez-vous bien de jamais rapporter à aucune de vos sœurs le mal que d'autres en ont dit. De tels rap-ports soulèvent des haines et des discordes éternelles d ans les couvents. Oh ! que les rapporteuses auront un
3a6                                  LA   RELIGIEUSE
compte sévère à rendre au jour du jugement ! Qui sème la discorde, ne recueille que haine. Le Seigneur, dit le sage, abhorre six choses. Sex sunt qiiw odit Dominus. La dernière s'applique à celui qui sème la discorde parmi ses frères, eum qui seminat inter fratres discordias. (Prov. vi. Ì6 et 19. ) Si une religieuse parle parvenu geanee, elle est plus excusable;mais celle qui de sang-froid sème la discorde et trouble la paix commune, comment serait-elle aimée de Dieu? Si vous entendez dire mal d'uns de vossœurs, faites ce que dit le St AES-prit : Audisti verbum adversus proximum tuum commoria-tur in te. (Eccles. xix. 10.) Ce que vous avez en-tendu contre votre prochain, renfermez-le dans votre âme, ou plutôt faites l'y mourir; tant qu'elle n'y sera que renfermée, elle pourra s'en échapper et se mon-trer; mais quand elle sera morte, elle ne pourra plus «ortirde son tombeau, c'est-à-dire qu'il ne faut jamais ■donner l'idée de ce que vous avez entendu, ni par des ■mots inachevés, ni par des signes de tête qui pour-raient faire soupçonner le mal plus grand encore qu'il n'est. Quelques religieuses, quand elles ont surpris un secret, souffrent jusqu'à ce qu'elles l'aient révélé comme si ime épine leur était entrée dans le iloijt et qu'elles ne pussent apaiser leur douleur qu'en l'en ar-rachant. Quand vous découvrez les défauts de quelques-unes de vos sœurs, vous pouvez les révéler à vos supé-rieurs, mais seulement lorsque c'est nécessaire pour le bien de la communauté ou de la coupable.
V. De plus, qnand voti» causez avec vos sœurs, ne les piquez jamais, même en plaisantant; les plaisan-teries déplaisent'et sont contraires à la charité et aux préceptes de Jésus-Christ, q«i a dit : faites aux autres hommes tout ce que vous voulez qu'on vous fasse à vous-même. Omnia quacumque vultis ut faciant vobis ko-
FÀNCTIF1ÉE.
mines et ros facite illis. (Mat. vu. 12.) Aimeriez-vops être tournée en ridicule comme vous y tournez votre compagne ? Non, ne le faites donc pas, tâchez encore de n'a voir jamais de disputes. Parfois on voit s'élever des querelles scandaleuses pour des choses de rien, on en vient bientôt aux troubles et aux injures. Il y a des personnes contrariantes par caractère,qui, sans aucune nécessité, mais seulement pour contredire, font des questions folles et bizarres, et violent la charité. Ne disputez point sur ce qui ne vous regarde pas, dit le Sage. De eâre quœte non molestat ne certeris.(Ecc.xi,.^.) J'ai raispn, dites-vous, je ne peux souffrir Us tottites. Voici ce que vous répond le cardinal Bellarmin : Une once de charité vaut plus que cent livres de raison. Quand, il s'agit de choses de peu d'importance, dites votre sen-timent pour entretenir la conversation, mais après cela laissez-le combattre sans le défendre. Il vaut toujours mieux céder et se conformer à ce que disent les autres. Le B. Éloi disait que dans ces sortes de dé-bats on est vainqueur quand on cède, parce qu'on est supérieur aux autres en vertu. On conserve ainsi la paix qui est un bien plus grand que le plaisir d'avoir mis les autres de son côté. St.-Éphrem disait qu'afin de maintenir la paix générale, il avait toujours cédé dans les discussions. Le B. Calusanze disait : Qui veut la paix ne doit contredire personne.
VI. De plus, si vous aimez la charité, tâchez d'être a fl'a b le et douce avec toutes sortes de gens. La douceur est la vertu de l'agneau, c'est-à-dire de Jéf-us-Christ, qui, pour cette raison, se fit appeler agneau. Soyez douce dans vos relations, non seulement avec vo,s su-périeures et avec les officières, mais,avee.toutes les sœurs, surtout avec celles qui vous ont offensée, qui vous regardent d'un mauvais œil ou pui vqus $oqt
odieuses, parce qu'elles sont grossières et ingrates. Caritas patiens est, la charité souffre tout ; ceux qui ne souffrent pas les défauts de leur prochain, n'auront jamais dé charité. 11 n'y a pas d'être vivant, quelque vertueux'qu'il soit, qni n'ait ses défauts. Combien n'en avez-voùs pas? vous voulez que les autres vous plai-gnent ; plaignez les autres aussi, excusez lettre défauts, comme dit l'apôtre : JHer alterius onera portate, (Gal. vi. 2.)Voyez comme tes mères supportent avec patience les brusqueries de ''leurs enfants, pourquoi? Parce qu'elles les aiment. Faites dé même avec vos soeurs si vous les aimez d'un amour de charité, qui étant sur-naturel, doit être plus vif que l'amour naturel. Avec qu'elle patience le Sauveur supporta la grossièreté et l'imperfection de ses disciples tout le temps qu'il vé-cut 1 Avec quelle charité il supporta Judas jusqu'à lui laver les pieds pour l'attendrir ! mais parlons de vous-même . Avec combien de charité Dieu votis a supportée! "et vous ne voulez pas supporter vos sœurs. Le médecin 'haït la maladie et aime le malade. Si vous avez la cha-rité, vous devez de même haïr le péché et aimer celui qui ïè commet. Que faire? dîtes-vous, jeressens une aversion invincible pour cette sœur et je n'ose l'aborder. 3e réponds, ayez plus de ferveur et plus de charité, et votre aver-sion cessera.                                       ■:'.■.
VII. Yenons-en à la pratique. Tâchez de réprimer vo-tre eclère autant que vous le pourrez; îve dites jamais de paroles désagréables^ ne prenez jamais de manières rudes, car parfois ces mauvaises manières déplaisent plus que les injures; quand vous recevez quelque ou-trage de vos compagnes, souffrez-le pour l'amour de Jésus-Christ qui en a tant souffert pour vous. Ο mon Dieu! qu'il est triste de voir certaines religieuses qui font totls les jours leur oraison, qui communient sou-
SA-NCImÊE.                                  329
vent, et puis qui sont sensibles à la moindre expres-sion grossière, à la moindre impolitesse. Quand sœur Marie de l'Ascension recevait quelque affront, elle allait aussitôt au St.-Sacrement et s'écriait : Ο mon épouxj je vous offre ce petit présent et vous prie de l'accepter et de pardonner à celle qui m'a offensée. Pourquoi ne faites-vous pas de même? 11 faut tout souffrir pour ne pas perdre la charité. Le B. Alvarez-disait que la vertu est faible tant qu'elle n'est pas éprouvée par les mau-vais traitemens du prochain. C'est alors qu'on voit si une âme a de la charité.
VIII.  Quand une de vos sœurs vous parle avec co-lère, vous injurie, ou vous fait des reproches, répon-dez-lui avec douceur eteïlese calmera. Responsio mollis frangit iratn. (Prov. xv. 1.) Une réponse douce brise la colère. St.-Jean-Chrysostôme dit : Igné non potest ignis exlingui, nec furor furore. (Horn, xcvm.) Le feu ne peut s'éteindre par le feu, ni la colère par la colère. Vous parle-t-on avec colère? vous répondez aveccolère. Comment auriez-vous la paix en faisant ainsi ? Vous augmentez la colère de votre agresseur et vous perdez votre charité. Répondez avec douceur et vous éteindrez le feu. Sophronius raconte que deux moines, s'étant trompés de route, entrèrent par hasard dans un champ de blé; le paysan qui le gardait les accabla d'injures ; d'abord les moines se turent, mais voyant le paysan s'enflammer de plus en plus, ils lui dirent : Frère, nous avons mal fait,pour l'amour de Dieu, pardonnez-nous, A, ces mots le paysan se calma, il leur demanda par-don de son insolence et fut si touché de l'humilité des moines, qu'il se fit moine aussi.
IX.  Par fois ,;yous croyez juste et nécessaire d'a-battre l'arrogance de quelqu'une de vos sœurs en lui répondant aigrement,  surtout;si vous êtes sa supé-
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rieure. Mais sachez qu'alors c'est plutôt la colère que la raison qui dicte vos discours. Il est vrai qu'il est permis par fois de se fâcher, lorsqu'on le fait sans -péché comme dit David : Irascimini et nolite peccare. ( Ps. iv. 5. ) Mais le difficile c'est de mettre ce conseil en pratique. Ceux qui se livrent à leur fureur, courent «ur un cheval sauvage qui n'obéit pas au frein et les porte au hasard. St.-François de Sales dit dans sa Philotée (Ph. m. c. 8. ) que les transports de colère, quelque motivés qu'ils soient, doivent toujours être modérés; il vaut mieux, dit-il, qu'on dise que tune te fâches jamais, que si on disait que tu le fâches avec raison. St.-Augustin dit que lorsqu'on ouvre la potte del'àme à la colère on ne peut plus l'en chasser, il nous ex-horte àlui en défendre l'entrée. Un philosophe, nommé Agrippin, ayant' perdu tous ses biens dit : Jfai perdu mes biens, mais je ne perdrai pas ma tranquillité. Dites de même, quand on vous outrage. L'outrage est fait ; que sert de vous fâcher! Vous vous nuisez à vous-même , vous faites plus de tort à votre réputation que ne vous en a fait l'injure. Sl.-Augustin dit que celui qui s'irrrite pour un affront se punit lui-même. Ne vous fâchez pas même po\Ar avoir péché, car c'est un péché nouveau. Le démon, dit St.-Louis de Gonzague, trouve toujours d pêcher en eau trouble, C'est-à-dire, dans une âme bouleversée par la colère.
X. -Quand une de vos sœurs vous injurie, ou vous parle avec colère répondez-lui avec douceur ; mais , ajouterai-je maintenant, si ses paroles vous irritent, gardez le'silence; car votre irritation pourrait vous faire lâcher des expressions outrageantes. St.-Bernard dit î Turbatusprce ira oculus rectum non videt. (L. n. de cons. c. 11.) L'œil troublé par la colère ne distingue pas le bien du mal.  La colère est «n voile noir qui
SAHCTIFIÉE.                                     33 »
tombe sur nos yeux et qui obscurcit tout ce que nous
Voyons. ,XlJSi celle qui MOUS a offensée, se repentant, vient
vous demander pardon, ne la recevez pas avec mau-vaise humeur, ne baissez pas les yeux à terre, ne les tournez pas avi ciel, ne repondez pas par des demi-mots. Si tous faisiez ainsi, vous offenseriet la charité, vous augmenteriez ta haine de votre sœur et vous scandaliseriez le couvent. Témoignez-lui alors une amitié vive ; et si elle s'agenouille devant vous, agenouiliez-vons aussi, et quand elle balbutie une excuse, coupez-lui la pa-role, dites : n Ο ma sœur pourquoi tout cela? vous savez que je vous aime et vous estime. Vous me demandez pardon ? Moi aussi, je vous demande pardon de vous avoir troublée par ma négligence et mon ignorance : plaignez'-moi et pardonnez-Waoi.
XII. Sivouo avez offensé quelqu'une de vos sœurs, faites tous vos efforts pour l'apaiser etpour acquérir de nouveau son amitié. St.-Bernard a dît : Sola humi-litas lœsm charitalis reparatio est. Le plus beau moyen de réparer les offenses, c'est de s'humilier. Faites-le le plutôt possible ; domptez votre honte naturelle, car plus vous attendrez, plus cette honte augmentera, et vous finirez par n'en rien faire. Jésus-Christ vous dit: Si ergo offers munus tuum ad altare, et ibi recordatus fueris àuia frater tuus habet aliquid adversus te, relinque ibi mu-
" nus tuum ante altare et inde prias reconciliare fratri tuo,, ■ei tunc veniens offeres muim« tuum. (Mat. ν. 23.) Si tu vas offrir uu don à l'autel ( c'est-à-dire communier ou entendre la messe) et qu'il te souvienne d'avoir ou-tragé ton prochain, quitte l'atttel et va te réconcilier aveoion prochain. Mais ces actes d'humiliation ne doivent être faits qu'autant qu'ils ne causent pas de nouveau désagrément àiapersanne offensées. Si cela
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est, attendez un temps plus opportun ou bien char-gez une autre sœur du soin de porler, à celle qui aété offensée, l'expression de votre repentir et de votre hu-miliation.
PRIERE.
Ο mon Dieu ! ne faites pas attention à mes péchés, ne regardez que votre fils Jésus qui a versé son .sang pour moi. Ayez pitié de moi. Seigneur, pour l'amour de Jésus, pardonnez-moi toutes les peines que je vous ai données, surtout le peu de charité que j'ai montrée envers mon prochain. Seigneur, détruisez en moi tout ce qui ne vous plaît pas, et inspirez-moi un vif désir de ne faire que votre volonté. Ο mon Jésus, ma plus grande douleur est de vous avoir aimé si peu, depuis que je suis au monde. Remplissez-moi de cette dou-leur profonde que vous éprouvâtes dans le jardin de Gethsemani pour mes péchés. Oh! fussé-je morte avant de vous offenser! Je me console en voyant que vous me laissez le temps de vous aimer encore. Oui, je veux vous aimer tout le reste de mes jours. Je vous aime, ô mon Rédempteur, ô mon unique amour ! Faites que je sois toute à vous avant l'heure de ma mort. Emparez-vous de toutes mes pensées, faites que je ne puisse aimer que vous. Mais tant que je vi-vrai, Seigneur, je serai en danger de ν JUS perdre. Quand viendra l'instant où je pourrai dire : O mon Jésus, je ne vous perdrai plus ? Attachez-moi à vous, attachez-moi si fort que je ne puisse plus nie séparer de vous. Faites-le pour cet amour que vous m'avez té-moigné en mourant pour moi sur la croix. Ο Marie, VOUS êtes si chère à Dieu qu'il ne vous refuse rien,
SANCTIFIEE.                                        333
obtenez-moi la grâce de ne plus l'offenser et de l'ai-mer de tout mon cœur. Je ne vous demande plus rien.
§. III.
De la charité qu'on doit pratiquer dans ses action» et a^ec qui il faut la pratiquer.
I. Quand à la charité dont vous devez user dans vos actions, tâchez d'être toujours prête à servir vos sœurs dans tous leurs besoins. Quelques religieuses disent qu'elles aiment leurs sœurs, mais elles ne font rien pour elles. L'apôtre St.-Jean dit à ses disciples: Mes chers enfants, n'aimons pas seulement de parole et débouche, mais par action et en vérité. Filioli met, nondUigamus verbo neque lingua sed opere et veritate. (i.Jo. 3.18.) Il ne suffit pas d'aimer son prochain avec la bou-che, il faut l'aimer de cœur et lui prouver son amour par ses actions. Justi misericordes sunt. (Prov. xui. 13.) Les saints sont pleins de charité pour tous ceux qui ont besoin d'eux. On dit que Ste.-Thérèse' tâchait chaque jour de pratiquer quelque acte de charité en-vers ses sœurs, et, lorsqu'elle y manquait le jour, elle le faisait la nuit, du moins en éclairant les religieuses <jui passaient à tâtons devant sa cellule. (Ribera. vit. 1. iv. c. 11.) Quand vous pouvez faire quelque au-mône, faites-la. L'écriture dit que l'aumône délivre l'homme de la mort, le purified-j ses péchés et lui ob tient la miséricorde de Dieu et le salut éternel. Ele-emosyna à morte liberat, et ipsa est queepurgat peccata, et facit invenire misericordiam et vitam œternatn. (Tob. xn. 9. ) St. - Cyprien remarque que le Seigneur ne recommande rien si vivement que l'aumône. Dominus
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nil crebrius mandat , quam ut insistamus in eleemosynis. (St.-Cyp. de El. in ev. ) On n'entend pas par aumône l'argent seulement mais tout les secours que l'on peut prêter au prochain en cas de besoin. St.-Jean a dit: Qui vider it fratrum suum necessitatem habere et clause-rittiscerasua ab eo, quomodo cariiasDei tnanttineo. (i.Jo. vin. 17.) Peut-on appeler charitable celui qui, voyant son frère dans le besoin et pouvant l'aider, s'y refuse ? C'est une aumône chèreàDieu, dans le* couvents, que de s'aider dans les soins du ménage. Ste.-Théodore aidait toutes ses sœurs dans leurs travaux et empê-chait les autres de l'aider. Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi, lorsqu'il y avait à faire.quelque travail extra-ordinaire, s'en chargeait à elle seule; elle aidait en-suite ses compagnes dans les emplois les plus pénibles. On disait parfois qu'elle travaillait et se fatiguait plus que quatre converses. Tâchez de l'imiler, et quand vous êtes Jasse, regardez votre époux qui porte la croix et continuez vos travaux avec joie. Le Seigneur vous aidera autant que vous aurez aidé vos soeurs , vous serez mesurée à la mesure dont vous vous serez servie pour les autres. : Quâ menturâ mensi fueritis re-mettietur vobis.(Matt. vu. 2.) St.-Jean-Chrysostôme dit que pour acquérir beaucoup de biens spirituels il faut aider son prochain. Eleemosyna est ars omnium artium qiiœstucsissima. Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi disait qu'elle était plus heureuse lorsqu'elle secourait, son prochain que lorsque son âme s'élevait au ciel par la contemplation.* Elle en donnait cette raison : Quand je suis en la contemplation, c'est Dieu qui m'aide, au lieu que lorsque j'aide le prochain, c'est moi qui aide Dieu. Le Sauveur nous apprend que tout ce que nous faisons pour notre prochain nous le faisons pour lui-même. N'acceptezni récompense, pi remerdment de
SANCTIFIÉE.                                       335
Vos sœurs et réjouissez-vous, si au lieu de remerciaient vous en recevez des malhonnêtetés et des reproches, car alors vous ferez double profit. C'est charité que d'obéir aux demandes que vos sœurs vous font, pour-vu qu'elles ne soient pas nuisibles à votre dévotion ; par exemple, si une d'elle vous détournait de vos oraisons pour jaser avec vous, ne l'écoutez pas : La charité est réglée, comme dit l'épouse des Cantiques: Ordinavit in me carilalem. (Cant. II. 4. ) Tout! ce qui peut nuire à vous ou à vos sœurs n'est pas charité.
III. Le meilleur acte de charité, c'est de vouloir le bien spirituel du prochain. Autant l'esprit l'emporte en grandeur sur le corps, autant la charité que l'on exerce envers l'âme du prochain est plus agréable à Dieu que celle que l'on fait à son corps. Cette charité s'exerce d'abord en corrigeant celui qui pèche. Qui convertit un pécheur, se sauve lui-même en sauvant le pécheur, car Dieu leur pardonnera à tous deux toutes leur fautes. St.-Jacques nous l'apprend. (Ep. v. 20. ) St.-Augustin dit que celui qui voit son prochain maltraiter et insulter son frère, et néglige de le secou-rir , se rend plus coupable par son in.iifférence que l'autre par ses injures. Tu vides eum perire et negligit, pejor es tacendo quam Me conviciande. ( De verb. Dora, serm. xvi. c. 4· ) Ne vous excusez pas en disant que vous ne savez pas faire de correction. St.-Jean-Chry-sostôme dit que,ipour corriger les autres, il n'est be-soin que d'un peu de charité. Corrigez à propos avec douceur et modestie, et vous y gagnerez. Si vous êtee le supérieur du couvent, vous y êtes obligé par de-voir, si vous n'êtes pas supérieur, vous y êtes obligé par charité. Si vous voyiez un aveugle courir vers un précipice, vous seriez un barbare si vous ne l'avertis-siez pour l'arracher à la mort temporelle. Combien est
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plus barbare celle qui, pouvant délivrerses sœurs de la mort éternelle, néglige de le faire. Si vous croyez que vos avis ne serviraient ;'i rien , avertissez votre supé-rieure. Ne dites pas : Cela ne me regarde pas, je ne veux pas m'en mêler. Ce fut là la réponse de Caïn :suis-je, dit-il, le gardien de mon frère? Num custos fratris mei sum ego ? ( Genes. iv. 9. ) Chacun est obligé à prévenir son prochain de ses erreurs. Et mandavit illis unicui-que de proximo suo. (Ecç. xvii. 12. )
IV. St.-Philippe de Néri disait que lorsqu'il s'agit d'aider le prochain , surtout dans ses besoins spiri-tuels, Dieu nous permet de négliger même nos priè-res. Un jour Ste.-Gertrude désirait rester à prier, mais il y avait un acte de charité à faire; le Seigneur lui dit : Ο Gertrude ! que veux-tu ? Veux-tu que je té serve, ou veux-tu me servir f Vie. cap. 5.) St.-Gré-goire disait : Si vous voulez aller à Dieu, faites en sorte de ne pas y aller seuls. Si ad Deum tenililis, curate ne ad Deum soli tentatis. ( Horn. 6. ) St.-Augustin dit la même chose : Si amaiis Deum rapite omnes ad amorem Dei. ( In. ps. 33. ) Si vous aimez Dieu, tâchez de ne pas être seul à l'aimer, et de le faire aimer de tout le monde, de vos parens, de vos connaissances et de vos sœurs. Une sainte religieuse peut sanctifier tout son couvent par ses discours et par son exemple. Elle ne doit faire ses exercices pieux que pour inviter les autres à l'imiter. Ne craignez pas de pécher par va-nité; tout ce qui n'a rien d'extraordinaire et qui peut-être exécuté de toute religieuse qui tend à la perfec-tion , doit être fait dans le but d'enflammer tous les cœurs de l'amour de Dieu. Que votre lumière dit Jé-sus-Christ , brille devant les hommes . afin qu'ils voyent vos bonnes œuvres, et qu'ils en glorifient vo-tre père qui est dans les cieux. Sic luceit, liuv vestra
SANCTIFIÉE.                               55?
coram homnibus ut videant opera vestra bona et glorificent patrem qui incoelis est. (Mal. 5. 6.) Ce n'est pas un acte de vanité que d'être sainte, mortifiée, observatrice exacte des règles , fidèle à la prière, à la communion, pour édifier les autres, mais c'est vu acte de charité très-agréable à Dieu.
V. Tâchez d'aider les autres par vos paroles et par vos œuvres, et surtout par vos prières. Toutes les épouses de Jésus-Christ doivent être jalouses dé son honneur comme il le dit lui-même à Ste.-Thérèse : A l'avenir, vous prendrez les intérêts de mon hon-neur comme une véritable épouse, l'einceps ut vera sponsa meum zeiabis honorem. ( In fest. noct. 2.) Si une épouse de Jésus ne prend pas sa défense qui la pren-dra? Plusieurs docteurs, appuyés de l'autorité de St.-Basile, déclarent que la promesse divine, d'exau-cer ceux qui prient, faite en ces mots : je vous dis en vérité, que si vous demandez quelque chose à mon père en mon nom, il vous l'accordera, Amen dico vobis, si quid petieritis patrem in nomine men dabit vobis, (Jo. xiv.lli· ) s'étend jusqu'à ceux pour qui l'on prie, pourvu qu'ils ne s'y opposent pas directement; ne négligez-donc ja-mais , dans l'oraison générale, dans l'action de grâce après la communion et dans vos visites au St.-Sacre-ment, de recommander à Dieu les pauvres pécheurs, les infidèles , les hérétiques et tous ceux qui vivent sans Dieu. Oh ! qu'il est doux à Jésus d'être prié par ses épo- .ses pour les pécheurs ! Il dit un jour à la véu» sœur Séraphine de Capri : Aide-moi, ô ma fille ! à sauver des âmes par tes prières. H dit à Ste.-Marie-Magde-leine de Pazzi : Vois, ô Magdeleine ! les chrétiens dans les mains du démon. Si mes favoris ne les en tiraient par leurs prières, les démons les dévoreraient. La sainte disait soti-viii.                                                        aa
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vent à ses religieuses : Ο mes sœurs , Dieu ne nous a pas tirées du monde pour prier pour nous seulement, mais pour que nous priions aussi pour les pécheurs. Elle leur disait encore : Mes sœurs, nous rendrons compte de toutes les âmes qui se perdent. Si nous lei avions chaude-dement recommandées à Dieu , peut'êlre qu'elles ne se se-raient pas damnies. On lit dans sa vie qu'il ne se pas-sait pas de ioun /qu'elle ne priât pour les pécheurs. Sœur Etienne.de Soncino iit pendant quarante ans de rudes pénitences pour les pécheurs. Oh ! combien d'âmes sont converties, non par lessermons des prêtres, mais parles prières des religieux. Dieu révéla à un pré-dicateur que l'effet qu'il produisait n'était pas dû à son éloquence , mais aux prières d'un pauvre religieux qui le servait. Priez aussi pour les prêtres, a(i ι qu'ils travaillent avec un zèle véritable au salut de leurs frères. ■ VJ. Priez pour les âmes du Purgatoire. La charité, comme djt un savant écrivain , nous obligea prier pour ces sain tes âmes, qui ont toutes besoin de nos prières. St.-Thojnas nous apprend que la charité chrétienne s'étend , non-seulement aux vivants , mais même à tous .ceux, qui sont morts dans la grâce de Dieu. Nous sommes obligés d'aider les vivants qui ont besoin de n,ous, et même les morts. Les âmes du purgatoire souffrent de, si grandes peines qu'elles surpassent tou-tes celles de cette vie, dit le docteur Angélique, et q$es ont d'autant plus besoin de notre secours, qu'elles ne,,peuvent elles-mêmes s'aider. Un religieux de Ci-tau*, apparut, après sa. mort, au sacristain de son couvent et lui dit : Aidez-moi par vos prières, car les mipnues. spnisans valeur. ( Hist, de Tord. ) Tous les fidèles doivent aider ces saintes âmes, mais surtout les religieuses que Dieu n'a renfermées dans les cou- qu'à cet effet. Ne néglige* donc jaunis dere
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commandera Dieu, dans vos prières, ces âmes embra-sées qui implorent vos secours. Faites pour elles quel-ques jeûnes et quelques mortifications. Offrez-leurles messes que vous entendez, et elles-mêmes en' retour vous obtiendront de grandes grâces du Seigneur, quand elles seront montées au ciel.
VII. Vous avez pu voir, partout cequenousavonsidit, combien la vertu de la charité est utile pour vous ren-dre sainte, et même pour votis sauver. Exercez-la en-vers votre prochain, et surtout envers vos soeurs. Si vous viviez dans un désert, cette vertu ne vous serait pas aussi nécessaire. Pour devenir sainte, il suffirait alors que vous fissiez des oraisons et des pénitences. Mais, vivant dans le couvent, en compagnie de tant de sœurs,si vous n'avez beaucoup de charité, vous com-mettrez chaque jour millepéchés,et peut-être vous vous perdrez. Qu'un vaisseau coureia pleine mer, pendant une grande tempête, les passagers ne songent qu'a s'aider les uns les autres pour éviter le naufrage. Sup-posez que votre couvent est un navire où vous devez toutes vous entr'aider pour éviter le naufrige de la mort éternelle et aborder au port du salut.
VIII. Exercez surtout votre charité envers v»\s sœurs malades, qu'elles soient sœurs de chœur ou converses. Le P. Torres avait coutume da dire : Pour savoir si l'esprit de Dieu réside dans un couvent ? demandez comment les malades y sont traités. Lorsqu'il était supé-rieur, et que ses religieux manquaient de charité en-vers les malades , il les punissait sévèrement. Oh ! combien on se rend cher à Dieu en visitant les mala-des ! Toute religieuse qui aspire à la perfection n'y parvient le plus souvent que dans le chœur ou dans l'infirmerie. Ste.-Marie-Magdeleine de Pazzi, même quand elle n'y .était pas obligée, s'occupait sans cesse
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à soigner les malades, et disait qu'elle aurait voulu être toujours dans unhôpital pourremplir un devoir si cher à Dieu. On acquiert plus de mérites à servir les ma-lades que les bien portants, parce que les malades ont plus besoin de nos soins; quelquefois les autres les abandonnent; ils sont assaillis de mille douleurs, de mille craintes.Ohîqu'il est beau de les consoler et de sou-lager leurs peines. C'est plus méritoire, parce qu'il est plus fatiguant de les servir, et que leurs chambres ex-halent un mauvais air ; ô ma sœur, ne négligez jamais l'occasion de visiter les malades et de les soigner, fus-sent-elles les dernières du couvent. Soignez-les de préférence, parce qu'ordinairement on les néglige. Consolez-les, servez-les, offrez-lear quelque présents, ne cherchez pas des remerciemens; supportez leurs impatiences et leurs grossièretés.Plus vous serez douce avec elles , plus Dieu vous aimera. On raconte, dans les chroniques des Théréfiennes, que la mère sœur Isabelle des Anges, fut vue montant au ciel sur l'aile des anges, entourée de lumière; elle dit à celle à qui elle apparut, que Dieu ne l'avait enrichie de tant de gloire, que parce qu'elle avait soigné les malades.
IX. Je vous recommande surtout la charité envers vos ennemis. Je suis bonne arec celles qui se conduisent bien d mon égard , dites-vous, mais je ne puis supporter la grossièreté et l'ingratitude. Mais les infidèles même, dit Jésus-Christ, sont reconnaissants envers ceux qui leur fDnt du bien. La vertu d'un chrétien consiste à aimer son prochain, et à faire du bien à ceux qui lui font du mal. Moi je vous dis, et c'est Jésus-Christ qui parle, aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous persécu-tent et voue calomnient. Ego autem dico tiobit -, diligite
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inimicos vestros, benefacite his qui oderunt vos el orate pro persequentibus et calumniantibus vos. ( Mat. ν. Ιύ· ) Qu'il est horrible de voir certaines religieuses· qui font chaque jour leurs oraisons, qui communient souvent, nourrir une haine invétérée contre leurs sœurs, et ne pas rougir de la montrer ! Quand on parle de leur en-nemie , elles cherchert à la décrier '; quand elles la rencontrent, elles ne la saluent pas; quand elle leur parle, elles lui tournent le dos, mais Dieu aussi leur tourne le dos. De quel œil l'agneau divin verra-t-il ces tigres furieux ? Malheur à celles qui entretiennent la haine dans leurs cœurs ! Elles souffriront un double enfer dans le monde et dans l'autre, car elles seront toujours condamnées à vivre avec celles qu'elles détes-tent.
Χ. Ο mon pirel dites-vous, cette sœur est trop inso-lente, elle est insupportable. Mais la charité ne consiste qu'à souffrir ceux qui sont insupportables. Elle vous dénigre , elle traverse vos desseins , elle flétrit votre réputation, mais vovis devez l'ignorer et lui faire au-tant d'amitié que si elle vous aimait. Parlez-lui avec douceur, et si elle vous boude, soyez la première à la saluer et tâchez de vaincre sa roideur par votre com-plaisance. Ce n'est pas là de la lâcheté , c'est de la grandeur d'âme 1 C'est ce qui plaît à Dieu. Ne m'allé-guez pas qu'elle a toit de se comporter ainsi. Celle qui ne veut porter de crois, dit Ste.-ïhérèse, que lors-qu'elle l'a mérité , doit rentrer dans le monde, où elle trouvera bientôt l'occasion de les mériter. Prati-quez la charité pour plaire à Dieu , dûssiez-vous en mourir de honte et de fatigues.                        . ■■*
XI. Si votre sœur vous a fait quelque tort positif, vengez-vous , mais comme les saints. Comment se vengeaient les saints? Écoutez St.-Paulin : Aimer son
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ennemi, c'est une vengeance digne du ciel, Inimicum diligere vindicta cœlestis est : En aimant, en louant, en servant CPUX qui les avaient haïs, diffamés , persécu-tés. Ste.- Catherine de Sienne soigna pendant long-temps une femme qui avait attaqué son honneur, et qui était tombée malade; St.-Acajus vendit ses effets pour soulager la misère d'un de ses plus grands enne-mis ; St.-Ambroise fit une pension considérable à nn sicaire chargé de l'assassiner. Venastan, gouverneur de Toscane, fit couper les mains à l'Évêque St.-Sabin , mais éprouvant aussitôt une vive douleur aux yeux, il pria le Saint de l'en guérir; celui-ci prononça une prière, et levant ses bras inondés de sang, le bé-nit et lui obtint la santé du corps et le salut de l'âme, car le gouverneur repentant se convertit à la foi. St.-Melèce ( raconte St.-rJean Chrysostôme ), se trou-vant en yoitureavec le commissaire du gouvernement, chargé de le conduire en exil, et voyant que le peu-ple voulait lapider ce commissaire, l'entouia de ses bras, le couvrit de son corps et lui sauva la rvie. Le P. Segneri raconte ( Qrist. ,istr. p. 1. dise. 20. ) qu'ïine dame Polonaise, dont le fils unique avait été tué en duel, reçu et cacha d#ns sa maison l'auteur du meur-tre, que poursuivaient les sbires; quand le danger îut passé, elle lui dit, puisque.mon fils n'est plus, vous m'en tiendrez lieu ; prenez cet .argent, fuyez loin d'ici Cf soustrayez-vous aux pouvantes de la jmttce. Vous allez me, faire observer que ces personnages sont saints, et que vous n'avez pas lettr courage. St.-Am-b,roise vousrépond : Si les forces vous manquent, de-mandez-les à Dieu et il vows les accordera. Si infir-mus a, ora: tt{tpra$ et Lftus protegit. XII. JDieu, pardonnera à ceux qui ^pardonnent à  ennem|s. Remettez, et il vous,géra remis: Di-
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mittite et dimittemini, ( Luc. vi. 37. ) La Β. Varano, franciscaine, disait : Si je pouvais ressusciter les morts, je serais moins sûre de plaire à Dieu, que je ne le suis lorsque j'éprouve le désir de faire du bien à mes persécuteurs. Le Seigneur dit à la B, Angèie de foli-gno : Le signe le plus certain de mon amour pour mes serviteurs, c'est l'amour qu'ils portent à leurs enne-mis. Ο ma sœur ! si vous ne pouvez les servir par vos actions, servez du moins par vos pi'ières tous ceux qui vous ont ofifensée, comme Aésus-Chnst vous l'ordonne par ces mots : priez pour vos persécuteurs et mes car lomniateurs. Orate pro persequentibus et calumniantibus vos. La B. Jeanne de la Croix priait continuellement pour ses ennemis, de sorte que ses soeurs disaient : Celui qui veut que la sœur Jeanne prie pour lui, n'a qu'à la maltraiter. Ste,.-Élisabeth, reine de Hongrie, ayant une fois prié pour quelqu'un qui l'avait offensée entendit Dieu lui dire : Sache que jamais tu n'as fait de prière plus méritoire. Elle te fera pardonner tous tes péchés. Imitez-la, ô ma sœur ! et vous obtiendrez le pardon et l'amour de votee divin époux.
PRIÈRE.
Ο mon Jésus, accordez-moi votre Saint amour l Çaj-tes que je reçoive sans plainte toute sorte d'aiffronts. Donnez-moi la forcé de me refuser tout ce qui ue vous plaît pas, et de supporter sans" plainte .tout ce qiji blesse mon amour-propre , les douleurs, levpiaja-dies, la perte de mes parents, de mes biens, et toutes les croix que vous m'enverrez. J'accepte tout pe ,-φΐϊ me vient de vous, les peines de'la- vie et celles de J|a mort. Faites que je ne vive que §>©jW vou»
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qu'en mourant je vous fasse avec joie le sacrifice de ma vie. Ο mon Dieu! vous m'ordonnez de ne pas vous offenser et j'aimerais mieux mourir, plutôt que de vous offenser encore. Vous m'ordonnez de vous aimer et je ne veux aimer que vous. Mais je connais ma fai-blesse; aidez-moi donc toujours de votre grâce,;ne m'abandonnez pas à moi-même ! Je vous aime, ô mon souverain bien ! et j'espère vous aimer toujours. Ο Marie, mon espérance et ma mère! obtenez-moi la grâce d'être fidèle à Dieu et de l'aimer comme le mé-rite un Dieu dont la bonté est infinie.
CECA PI Τ RE XHÎ.
De la patience en général.
I. Patientia autem opus perfectum habet ;iLa patience doit être parfaite dans ses œuvres. ( Jac. κ 4. ) La pa-tience est un parfait sacrifice que nous offrons âTKèu, car, en souffrant nos revers et nos peines, nous n'y mettons rien du nôtre, sinon d'accepter les croix qu'il nous envoie. Melior est patiens viro foHi. ( Prov.xvi. 32.)L'homme patient est plus estimable que l'homme Courageux. Tel montrera de la force et du courage !dansl'entrepriseet l'exécutionde quelque œuvre pieuse qui manquera de résignation dans l'adversité ; il vau-drait mieux pour lui qu'il fût plus courageux dans les souffrances, que hardi et persévérant dans les entre-prises. La terre est un lieu de mérites; elle n'est donc pas tin lieu de repos, mais de travail et de fatigues ;
SANCTIFIÉE·                                     545
car les mérites ne -s'acquièrent point par le repos, mais par les peines et les souffrances. La destinée de l'homme ici bas , juste ou pécheur, est de souffrir.
» Une chose manque à celuifci , une autre à celui-là ; tel est noble qui n'est pas riche ; tel au,tre est riche qui n'est pas noble ; tel autre enfin sera noble, et ri-che, qui ne jouira point de U santé.Tous, en un myt, sans excepter les lois «us-mêmes , opt à souffrir; et même les peines de ces derniers augmentent en raison de, leur élévation sur la terre. Tout notre bie» con-siste donc à supporter les «poix avec patience. C'est pourquoi le St.-Esprit npus avertit de ne pas nous rendre semblables aux brutes» qui rugisaent quand
.elles ne peuvent satisfaire leurs» penchants : Nohte fierai swui e quas Λ mului quibus non est intellect u$.(Î ρ.%χχι. 9·) Que sert de noue impatienter dans les revfirs? Npus ne faisons qu'accroître nos peines. Le bon et le mau-vais larron moururent en croix dans les mêmes souf-frances, maib le bon larron se sauva en les supportant
^avec patience ; et le mauvais larron se da,mna^ par le défaut de résignation, Una eademque tunùo, dit Sj..-Au-gustin, bonos perducit ad gloriam , malos redegit m favil-lam ; Une m*1 ma peine conduit les bons au-cie} et les méchants à l'enfer, parce que les uns la supportent sans se plaindre, et que les autres en murmurent. T , II. Il arrive souvent que pour fuir une croix qtje Dieu nous envoie, nous en trouvons une autre plus pesante : Quit timent ι ruinam irruet super toi nix; dit Job. (vi. 16. ) Ceux quj craignant la pluje seront ao rablés par la neige. Otez-moi cet emploi, dira telle religieuse , et donnez-K)pi,tputp aulrecharge. JWaisjelle aura bien plus à souffrir dans,,sp,n,nuuvel emploi, qy,e dans celui qu'elle a quitté, ou du moins ce j8era ,ayec
,peu ou po\nt,^e mér^.Pour vous,, tenez, μης)
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conduite ; embrassez avec joie les peines et les tribu-lations que Dieu vous impose; ainsi vous acquerrez plus de mérites, et vous ne sentirez pas vos croix, ou si vous les sentez, elles ne vous empêcheront point de jouir d'une paix profonde, sachant bien que quelque soit votre répugnance à souffrir, c'est néanmoins la volonté de Dieu. St.-Augustin dit que la vie d'un chrétien doit être une passion continuelle : Tota christiani vita crux est. ( Serm. xxxi. de sanct. ) Telle doit être surtout la vie des religieuses qui veulent de-venir saintes. St.-Grégoire de Pïazianzë dit que les âmes nobles mettent leurs richesses à être pauvres , leur gloire à être méprisées, leur joie ii se priver des joies du monde. C'est ce qui fait dire à St.-Jean Cli-maque que la véritable religieuse est celle qui se fait une continuelle violence. Et quand finira cette lutte "intérieure? avec la vie, répond St.-Prosper : Tunc fi-nienda pugna quando succcdet victoria : Alors finira le combat, quand on obtiendra la victoire du royaume éternel. ( De vilâ contempl. ) En outre si vous vous souvenez d'avoir offensé Dieu , et si vous avez un vrai désir de vous sauver, vous devez vous réjouir des pei-nes que Dieu vous envoie. St.-Jean Chrysostôme dit : Peccatum sanies est, pmnaferrum_ medicinale , ita peccans si non puniatur, miserrimus est. ( Horn. vi. ad pop. ant. ) Le péché est un abcès de l'âme, et si la tribulation ne vient, comme le fer du chirurgien, en extraire le pus, l'âme est perdue ; en conséquence le pécheur est bien à plaindre, lorsqu'il ne reçoit pas sur la terre le châtiment de ses péchés.
III. Comprenez donc bien , dit St.-Augustin, que quand le Seigneur vous fait souffrir, il le fait en mé-decin , et que les tribulations qu'il vous envoie ne sont pas la peine de votre condamnation, mais un
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remède pour votre salut : Intelligat homo medicum esse Deum, et medicamentum ad salutem, nonpcenamad damna' tionem. Vous devez donc remercier Dieu quand il vous châtie, parce que c'est signe qu'il vous aime et qu'il vous adopte pour sa fille. Quem diligit Dominus castigat , flagellat autem omnem filium quem recipit. (Hebr. 12. 6. ) C'est ce qui fait dire à St.-\ugustin : Gaudes? agnosce patrem blandientem ; tribularis? agnosce patrem emendantem. ( In. ps. 148. ) Êtes-vous heu-reuse ? reconnaissez la main d'un père qui vous ca-resse; êtes-vous malheureuse? reconnaissez la main d'un père qui vous châtie. \u contraire, ajoute le même docteur,~«ialheur à vous, si, après vos péchés, Dieu vous exempte de toute peine en cette vie ? C'est signe qu'il vous exclut du nombre de ses enfants : Si exceptas es d passione flagellorum, exceptus es d numero fi-liorum. (Lib. de pas. e. 5. ) Ne dites donc plus,lors-que vous êtes malheureuse, que Dieu vous a oubliée , dites plutôt que vous avez oublié vos péchés. Celui qui offense Dieu doit dire avec St.-Bonaventure. Curre , Domine, curre et vulnera servos luos vulneribus sacris, ne vulneremur ,tiuLneribus mortis. ( Stim. de div. am.c. 3 } Accourez Seigneur, et faites à vos serviteurs des bles-sures d'amour et de salut, afin qu'ils n'aient pas à éprouver des blessures de haine et de mort éternelle. IV. Soyons convaincus que Dieu ne nous envoie pas des croÏKpour nous perdre, mais pour nous sauver. Si nous ne savons pas en tirer notre profit, c'est notre faute. St.-Grégoire, expliquant ces paroles d'Ezechiel: Ils sont devemis pour moi de fer et de plomb dans le fourneau, Facti sunt mihi ferrum et plumbum in medio for-nacis ( Ez. xxii. 18. ), dit : ac si dicat purgare <eos ptr ignem tribulationis volui, ei aurum fieri quœsivi sed in fornace mihi plumbum verti sunt. J'ai tâché de les convertir en
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or par le feu cuisant de la douleur, mais je n'ai plus trouvé que du plomb dans le fourneau. Ce sont là ces pécheurs qui, après avoir mille fois mérité l'enfer, s'irritent et blasphèment quand la douleur esteuisante, et traitent Dieu de tyran Seigneur, disentails, je. ne suis pas le seul qui TOUS aie offensé; pourquoi ne vous en prenez-vous qu'à mai? Je suis trop faible pour porter une croix si lourde. Malheureux ! que dis-tu ? Tu dis : je ne suis pas le seul qwi vous:aie offensé! Si Dieu veut user de clé-mence avec lesaufres, laisse-le faire; leur tour vien-dra aussi.· Ignores-tu que le plus terrible châtiment de Dieu.pour les,pécheurs est de ne pas les punir en ce. monde, comme il nous l'apprend par la bovJche d'JÉzé-chiel : Recessit zelus meus à te), ultra non irascar tibi. (XYI. ll'l.) Je n'ai plus de zèle pour ton âme; jene m'irri-terai plus contre toi pendant ta vie. Mais, dit St.-Ber-. nard. Tunc magis irascitur Deus, eum non irascitur, volo· irascaris mihi4 palet mkerieordiarum, (Serm. xxxxm. In cant.) Jamais Dieu n'eSt plus irrité que lorsqu'il ne sévit pas eir colère contre le pécheur et ne le châtie pas. Delà, le saint s'écriait : Je veux que vous en agis-siez avecinioi en père miséricordieux et que vous me punissiez demés péchés en ce» inonde, afin que je sois ainsi ;délivré des peines éternelles. Je n'ai pas la force, dites-vous, de porter cette croix ; mais si vous ne l'a-vez pas, cette force, pourquoi;«e la pas demander à Dieu. 11 a promis d'exaucer tous ceux qui l'invoquent : Petite et dabitur vobis; demandez et il vous sera donné. (Mat. vu. 7.)
·' V< 0 m*ee&ur! quand le Seigneur permet que vous tombiez malade, q«e vous perdiez vos parents, ou qu'on vous persécute, humiliez-vous et dites avec le bon'iarron : nous recevons ce que nous avons mérité. EHpia facti»>rempimus.l{Luc. xxui; Al·) Seigneur, je
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mérite cette croix, parce que je vous ai offensé. Humi-liez-vous et consolez-vous, parce que si Dieu vous punit en cette vie, c'est qu'il veut vous pardonner en l'autre. Et hcec mihi sit consolatio (dit Job), ut affligetis me dolo-re non parcat, (vi. 10.) Je ne veux d'autre consolation que ma douleur, Seigneur! frappez-moi en ce monde* mais pardonnez-moi dans l'autre. Quand on a mérité l'enfer, comment ose-rt-on se plaindre des croix qu'on reçoit de Dieu ? Si l'on ne devait souffrir que de légères douleurs dans l'enfer 1 efciencore, comme cette peine devrait être éternelle, nous devrions lui préférerurlô peine temporelle qui doit finir, mais dans l'enfer toutes les péirtès' sont réunies, elles sont infinies et éternelles. Bien» que vous ayez conservé'votre inno-cence baptismale, vous auriezau moins mérité de faire un'long purgatoire. Oï, sachez bien ce que c'est que cette peine. St.-Thomas (In. iv. Sent. dist. xxi. ) dit que les âmes du purgatoire sont tourmentées par le même feu que lés damnés. Là-dessus, Sl.-Augustin remarque que ce feu est plus douloureux que toutes les peines delà vie. Gravior erit illi ignis quamquoHqiiod potest homo pntiin hae vita. (In Ps. xxxvn. ) RéjoUissezi vous donc d'être punie dans cette vie plutôt que dans l'autre; car si vous recevez vos croix.avec patience dans cette vie, vous souffrirez avec méritévau lieu que dans l'autre vous souffririez davantage et sans mérite; VI. Que l'idée du Paradis votis console dans vos dou1 leurs.LeB. Joseph Calasanze disait que,!.pour*gagner le paradis, toute peine et toute fatigue sont'peude choses. L'apôtre L'avait dit auparavant r Non sunt con-dignœ passiones hujus temporis ad futuram gloriam' <qùœ rê-ve labitur in nobis. Les souffrances de la vieprésénte'il'ònt pas de proportion avec cette gloire quiserauta jour dé'·1 couverte en noua. (fiom. vin. 18.) Ce seratt:peu'de
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souffrir toutes les peines du monde pour jouir un seul instant du Paradis. Combien plus devons-nous em-brasser les croix que l'on nous impose, sachant qu'une légère souffrance ici bas doit nous procurer une féli-cité éternelle ! Momentaneum et levé tribulationis nostrce aternum gloria pondus operatur innobis. (2. Cor. iv. 17. ) Ne nous attristons pas, consolons-nous plutôt quand Dieu nous accable de souffrance. Celui qui meurt avec le plus de mérites aura la plus grande récompense, et c'est pour cela que le Seigneur nous envoie des tribu-lations. Les vertus, qui sont la source des mérites, ne s'exercent que par les acles qui leur sont propres. Celui qui aie plus d'occasions-de se fâcher fait le plus d'actes de patience; celui qui reçoit le plus d'injures, fait le plus d'actes de douceur; aussi, dit St.-Jacques, Beatus qui suffert tentationem quoniam cum probatas fuerit accipiet coronam vilce. ( Jac. vi. 12.) Heureux celui qui sup-porte en paix ses peines ; car, après avoir été éprouvé ainsi, il recevra la couronne de la vie éternelle.
VII. St.-Agapyte, jeune martyr de quinze ans,s'écria, lorsque le tyran lui fit couvrir la tête de charbons ar-dents : Qu'importe qu'on brûle cette tête qui doit être cou-ronnée de gloire dans le ciel. Job disait : Si bona suscepimus de manu Domini cur non mala? nous avons reçu avec joie de la main de Dieu toute sorte de biens, pourquoi n'en recevrions-nous pas aussi toutes sortes de maxix, qui nous feront-acquérir les biens éternels du paradis ? Un soldat, ayant rencontré dans un bois un ermite tellement couvert de plaies que ses chairs tombaient en lambeaux, et qui cependant chantait, lui demanda si c'était bien lui dont les chants l'avaient frappé ? Oui, répondit-il, je chante parce qu'il n'y a pins entre Dieu et moi d'autre barrière que mon corps ; je chaule parce qu'il tombe en ruine et que l'heure s'approche
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où je verrai le Seigneur. — (In spec. Exemp. dist. ix. ex. 139)St. -Françoisd'Assises disait: Le bien 'lue/attendi est si graîid que toute peine me réjouit. Les saints se plai-sent à être malheureux en cette vie et s'affligent quand ils sont heureux. On raconte , dans les chroniques de l'ordre de Ste.-rThérèse, que lorsque la sœur Isabelle des Anges prononçait ces mots de l'office : Quando con-solaberis me, quand est-ce que vous me consolerez? (Ps. cxvm. 82.) elle les disait avec tant de précipi-tation qu'elle devançait les autres sœurs. Interrogée pourquoi elle en agissait ainsi, je crains, répondit-ellej que Dieu ne me console en cette vie.
VIII. Les tribulations qu'on éprouve en cette vie sont \ un signe de prédestinati«n. Electorum (dit St.-Gré-goire) hic est conteri quibus servatur de œternitate gaudere (Lib. xvi. Marc. 17.) H n'y a que les élus qui soient dans l'affliction ici-bas, parce que le bonheur éter-nel leur est réservé ; c'est pour cela que nous lisons dans la vie des sainls qu'ils ont tous été accablés de croix sur la terre. C'est ce qu'écrivit St.-Jérôme à la Vierge Eustochium ; Quœreet invenies singulos sanctos ad-versa perpessos. Solus Salomon in deliciis fuit et idto for-sitan corruit. (Ep^ 22.) Cherchez et vous verrez que tous les saints ont vécu dans la tribulation ; Salomon seul a vécu dans les plaisirs, et c'est peut-être pour cela, dit le Saint, qu'il se damna. L'apôtre dit que tous tes prédestinés doivent être semblables à Jésxis-Christ. Quos prœscil et prœdestinavit conformes fieri imaginis filii sui. Ceux qu'il a connus dans sa prescience éternelle, il les a aussi prédestinés pour être conformes à l'image de son (ils. (Rom. vin. 29.) Mais la vie de Jésus-Christ fut une souffrance continuelle ; donc, dit St.-Paul, si tamen compatimur ut et glorificemur, (Rom. vin. 17.) si
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nous souffrons avec JéSus-Christ, nous serons glorifiés avec Jésus-Christ.
I&. Mais j'entends si nous souffrons avec patience comme le Sauveur, cum malediceretur non maledi-éebat, cum pateretur non comminabatur; qui ne maudis-sait point lorsqu'il était maudit, et qui ne faisait pas de menaces lorsqu'on le maltraitait. (1 Pët. π. 23.) St.-Grégoire dit que c'est un signe de prédestination que de souffrir avec patience et que c'est un signe de damnation que de souffrir avec impatience. Le Sei-grteur'nous prévient que nous ne ferons notre salut qu'en souffrant avec patience. Inpatientid vestra posside-bitis animas vestras. (Luc. xxi. 19.) Soyons convaincus que Dieu ne nous afflige que pour notre bien. Il tâ-che ainsi de nous détacher des plaisirs de ce monde, qui peuvent nous faire perdre le salut éternel. St.-Au-gustin a dit : Amarus est mundus et diligitur ;"pula, sidul^-cis esset, qualiter ameretur. (Serm. de Temp.) Le monde est si amer, que toutes ses délices ne peuvent rassasier notre âme, et n'y laissent en passant que dégoûts et remords; cependant on l'aime; que serait-ce, dit le Saint, si le monde était doux?Nous aimerions tant ses vils plaisirs, que nous oublierions à jamais le paradis et Dieu. La mère qui veut sevrer son nourrisson met du fiel à ses mamelles. Dieu en agit de la sorte à notre égard; il rend amers les plaisirs de ce monde, afin que notis les fuyons et que nous nous attachions aux plai-sirs éternels dont la source est au ciel. Le Sawveur ne descendit sur la terre que pour souffrir et que pour que son exemple nous excitât à l'imiter. Christus passus est pro nobis; vobis relinquens exemplum ut sequamini ves-tigia ejus. (1 Petr. ii. 21.) Il nous appelle à le suivre : Si quisvult post ine venire abneget semetipsum, tollat crucem suam et sequatur me ( Mat. xvi. 24 ) ; comme s'il disait :
BANCTHIEE.
cehii qni ne veut pas souffrir et qui refuse la croix, ne peut prétendre à être mon disciple, ni à m; suivre au paradis.
X. Mais le but le plus noble que se propose une âme qui aime Dieu, en embrassant la souffrance^c'est de plaire à Dieu. L'ecclésiastique a dit que quelques-uns ne sont nos amis que dans la prospérité et nous abandonnent dans le malheur : Est enim amicus secun-dum tempus suum, et non permanebit in die tr ib "lationes. (vi. 8.) Mais la plus belle preuve d'amour est de souffrir volontiers pour la personne qu'on aime; le sacrifice le plus cher à Dieu est d'embrasser avec patience toutes les croix qu'il nous envoie. Caritas paûens est, omnia suffert.' (ι. Cor. xin. Ιχ.) L'imour sxipporle tout, croix extérieures, perte de la santt'·, des biens, de l'hon-neur, des parents, des amis; croix intérieures, an-goisses, tentations, douleurs, désolations d'esprit. La patience éprouve la vertu. Aussi est-il souvent question, dans les vies des Saints, de leur patience dans l'adver-sité. Le démon nous tente et Dieu aussi; mais le dé-mon nous lente pour nous perdre et Dieu pour nous éprouver. Tanquam aurum in fornace probabit illos. (Sap. in. 6.) Comme on éprouve l'or avec le feu, Dieu éprowVe votreamou!· avec le feu des tribulations. Ainsi, quand une âme est affligée, c'est qu'elle est chère à Dieu : Quin acivptus eras Deo, necesse fuit at Untniio pro*· baret te, ainsi dît l'Angeà Tobie. (Tob. i. 13.) St.-Jean Chrysostôme dit que lorsque le Seigneur nous envoie quelque peine, il nous fait une grâce plus grande que s'il nous donnait le pouvoir de ressusciter des morts : Quando Deus dat alicui ut mortuos resuscitet minus dat quiim cum occasionem patiendi. Il en donne cette raison que lorsque nous faisons des miracles, nous sommes les débiteurs de Dieu, mais que lorsque nous suppor-vni.                                                        u3
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tons nos peines avec patience, c'est Dieu qui est notre débiteur. Pro miraculis enim debitor sum Deo , et pro pa-tientia debitorem fiabeo Christum.
XI. Quand on regarde le crucifix et qu'on voit un Die» mortau milieud'un oeéande douleursetde mé-pris, comment est-il possible, si on l'aime, qu'on ne supporte paSjVolontiers, et même avec joie, toutes espèces de peines pour son amour ? Ste.-Marie-Mag-deleine de Pazzi disait : β Toutes les peines sont dou-ces quand on yoit Jésus en croix. » Juste-Lipse étant un jour tourmenté par de grandes douleurs, un de ses amis tâchait de l'engager à souffrir avec courage en lui rappelant la patience des stoïciens; mais Juste regar-da le crucifix et dit : «Voilà la vraie patience. » Gmta ignominia crucis, disait St.-Bernard, ei qui crucifixo ingratus non est. (Serm. xxv. in Gant.) Toutes les dou-leurs et les injures sont légères à qui aime le Cru-cifix. Ste.-Afra, épouse de St.-Éléazar, lui ayant de-mandé comment il pouvait supporter les injures de la populace sans s'en ressentir, répondit : «Ne pense pas que j'y sois insensible, mais je tourne les yeux vers le crucifix et je ne cesse de le regarder que lorsque je suis «aime. L'amour, dit St.-Augustin, rend tout fa-cile. Omnia facilia caritati. ( de Nat. ικίχ. ) Ste.-Catherine de Gênes disait que depuis qu'elle avait été embrasée del'amour divin, elle ne savait pas ce que c'é-tait qrfe lesisouffrances, quoiqu'elle en fût accablée, car elle pensait qu'elles lui étaient envoyées par celui qui l'aimait tant. Il y avait un bon jésuite qui, lorsque Dieu le visitait par quelques douleurs , quelque per-sécution se demandait à lui-même, dis-moi, douleur, maladie, persécution, qui t'envoie ? Est-ce Dieu ? Sois la bien-venue, r-, Et.U/Hait toujours en paix. XÏI. Concluo ne ,  Puisque bon gré mal gré il faut
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souffrir en eette vie, tâchoe s de souffrir avec mérite; c'est-à-dire avec patience.' La patience est un bouclier qui nous défend  contre toutes les peines que nous croisent les persécutions, les maladies et nosiautres misère?. Celui qui est privé de ce bouclier est attaqué de toutes ces peines.   Demandons donc au Seigneur cette patience : sans la demander nous ne l'obtiendrons pas. Quand nous tombons dans le malheur, tâchons de ne pas nous échapper en paroles d'impatience ou de plainte* Quand on couvre le feu qui brûledans un fourneau il s'éteint. Je donnerai aux vainqueurs une manne  cachée.   Vincentibus· dabo manna absconditum. (Αρ. II. 27.) Quand nous embrassons sans murmure les croix que Dieu nous envoie que de douceurs nous éprouvons dans le sein même de nos douleurs !' Dou-ceur inconnue aux mondains et qui est réservée aux amis du Seigneur.  St.-Augustin disait : II est plus doux de jouir d'une bonne conscience aμ milieu des douleurs que d'en1 avoir une mauvaise au milieu dés délices. ■ Jucundiés est gaudere de bona conscientia inter molestiae quam de ma,lâ conscientia inter delicias, (de Can-teen, rud. c.   τι. )  St.-Thérèse disait : J'ai éprouvé plusieurs foisique si je me décide fermement à faire une chose Dieu me fait trouver du plaisir à l'exécute*. Il veut que "l'âmesoit craintive d'abord, afin qjiv'elle mérite davantage.
XIII. Celui qui se résout à-souffrir powr Dieu Cesse de souffrir. Lisons les^ies des'saints et nous verrons que tous ont été désireux" de' souffrir. Ste .-Gertrude disait qu'elletétait si contente dans la souffrance qu'elle était au désespoir quand elle n'en avait pas. St«.-Thérèse disait qu'elle n'aurait pas pu vivre sânis sonf-frir, ce qui la'faisait s'écrier : « Ou souffrir ou mou-rir. » Ste:-Marie-«Magdeleine de Paz2i disait rSoufffir et
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ne pas mourir. · St.-Procope, martyr, quand le tyran fit préparer de nouvelles tortures, luidit: Tourmente-moi tant que tu voudras, et sache que pour celui qui aime Jésus-Christ, il n'y a rien d.2 plus agréable que de souffrir pour lui.(Ap.8. Sur. Jul.) St.-Gordien,selon St.-Basile, menacé de grands supplices s'il nn reniait Jésus-Christ, répondit : Je suis fâché de ne pouvoir mourir qu'une seule fois pour Jésus-Christ et il mou-rut courageusement.Ste.-Potamienne,vierge,(Ap.Poll. c. J. ) dit au tyran qui la menaçait de la faire mourir dans une chaudière de poix bouillante : Je te prie de me plonger dans cette chaudière peu à peu afin que je souffre davantage pour l'amour du Christ. Le tyrau la traita selon sa demande , de sorte que la poix arri-vant par degrés jusqu'à son cou l'étouffa. On connaît la mort de ces trois vierges, ( Baronius an. cxxu. ) appelées Foi, Espérance et Charité, qui, menacées de la mort par Antiochus, si elles ne reniaient pas le Christ, répondirent : Ignores-tu qu'il n'y arien de plus doux à un chrétien que de souffrir pour Jésus-Christ? Ste.-Foi fut d'abord flagellée, puis on lui coupa les mamelles, puis on l'exposa au feu, et enfin on la dé- , capita. Ste.-Espérance fut d'abord fouettée à coups de nerfs de bœuf, puis on lui déchira les côtes avec des peignes de fer, et enfin on la plongea dans une chaudière de poix bouillante. Ste.-Charité était la plus jeune; elle n'avait que neuf ans; le tyran espérant la vaincre par la vue des supplices, lui dit : Soyez sage si vous ne voulez pas mourir comme vos sœurs. Elle répondit ; Tu te trompes, Antiochus, tous tes tour-ments ne me feront pas renier Jésus-Christ. Le ty-ran la fit attacher à une corde, et la laissant ensuite tomber de haut,après plusieurs secousses douloureuses, il disloqua tous ses os et ses membres. Enfin on lui
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perça tout le corps avec des fers aigus, et cette sainte jeune -vierge expira ainsi au milieu de. ces tourmens.
XIV. Rapportons des exemples plus modernes. Au Japon,une femme mariée, nommée Maxence, fut mise à la torture; un des bourreaux voulant diminuer ses douleurs, elle s'y refusa. Comme elle continuait à confesser la foi, un soldat lui mit deux lois le sabre sur la gorge pour l'effrayer. Comment crois-tu m'ef-frayer, dit-elle, par une mort que je désire ? Le seul moyen de me faire peur, c'est de me laisser la vie. Eten disant ces mots elle tendit la tête au bourreau qu'il la lui trancha aussitôt. Le P. Jean B. Maciado,de la Com-pagnie de Jésus, fut mis en Chine dans une prison si humide et si incommode que pendant 40 jours il ne put goûter un instant de repos. Cependant il écrivit de là ces mots à un autre religieux : Ο mon Père, je suis si content de ma position , que je ne la change-rais pas contre celle des premiers potentats de la terre. Le P. Charles Spinola écrivit également de sa prison, où il souffrait beaucoup : » Oh ! qu'il est doux de souf-frir pour Jésus-Christ. J'ai déjà reçu la nouvelle de ma condamnation. Je vous prie de remercier la bonté di-vine du présent qu'elle me l'ait.» Π signa ainsi : «Char-les Spinola , condamné pour Jésus-Christ.» Per de temps après il fut brûlé à petit feu. On raconte que lorsqu'il fut attaché au poteau il entonna le Psaume : Laudate Dominum omnes gentes, et mourut en chantant.
XV. Mais, direz-vous, comment ces martyrs pou-vaient-ils souffrir avec tant de joie. N'élaient-ils pas de chair comme nous ? Le Seigneur les avait-il ren-dus insensibles à la douleur? Non , dit St.-Bernard : A on hoc facit stupor, sed amor; non deest dolor sed su-peratur, sed contemnitur. (Serm. 61.) Ce n'était pas par insensibilité qu'ils souffraient avec tant de joie, o'é-
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tait par amour pour Jésus; la douleur existait maie ils la bravaient et la méprisaient pour Jésus-Christ. Le Père Durazzo, Jésuite, disait : Quoique Dieu nous coûte, il n'est jamais cher. Le B. Joseph Calasanze disait que l'on ne sait pas gagner Jésus-Christ si on ne sait pas souffrir pour lui et que les âmes qni com-prennent la langage de l'amour trouvent leur bon-heurdansla douleur.
PRIÈRE.
Ο JésSus crucifié, que de peines et d'outrages vous avez soufferts pour moi! VOTIS êtes mort pour obtenir mon cœur, et j'ai, perdu votre amour pour suivre mes caprices. Ayez pitié de moi, pardonnez-moi, que votre miséricorde soit bénie, Seigneur, qui m'avez sup-portée si long temp» avec patience. Je nz vous, aimais pas alors, et je ne cherchais pas à être aimée de vous. Maintenant je vous aime de tout mon cœur et la plus gramle de mes peines c'est de vous avoir offensé, vous qui m'avez tant aimée. Oui, c'est lama peine la plus cruelle, .mais cette peine que j'éprouve.me console en me faisant espérer que vousm'avez déjà pardonné. Qhl fussé-je morte avant de vous offenser ! Ο mon Dieu ! si parle passé je ne vous ai pas aimé, maintenant je me consacre, toute à vous. Je veux tout abandonner pour n'aîmerque vous , ô mon Sauveur, digne, d'un amour infini. Je vous ai assez offensé jusqu'ici. Je consacre le reste de mes jours à vous servir. Dites-moi ce que vous voulez que je fasse, rien ne me sera difficile. Je vous aime, ô mon Rédempteur, et pour votre amour j'accepte toutes les croix qu'il vous pia»a ^e m'en voyer. Marie,, aidez-moi de votre intercession je me confie eu vous..
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§. II.
De la patience dans les maladies, la patiTreté, les  mépris et les afflictions.
I. Il faut en premier lieu pratiquer la patience daps les maladies. Les maladies sont la pierre de touche qui montre si vous êtes or ου plomb. Quelques religieuses, tant qu'elles sont bien-portajates , sont gaies, patien-tes et dévotes, mais lorsqu'elles sont visitées par,quel-que maladies elle commettrait mille péchés et sem-blent inconsolables.Elles perdent la patience avec tout le monde, même avec celles qui les soignent. ,par cha-rité, elles se désolent de la moindre douleur ou de la moindre incommodité qu'elles souffrent. Elles se plai-gnent de tout le monde, du médecin, de-leur supé-rieure et de l'infirmière ; elles disentqu'on les néglige et qu'on ne les soigne pas,, L'or pur se change §n plomb vil. «Quoi, dites-vous,· mon Dieu, }e souffre horriblement et vous voulez ni'empêcher de me plain-dre? Je ne vous défends, pas de parler de, vos souf-frances quand elles sont fortes; mais, quand elles sont légères, c'est faiblesse que de vous, en plaindre, avec toutes les sœurs et de vouloir que toutes y compatis-sent. Si les remèdes ne ν o*is. délivrent pas de vos douleurs, ne vous impatientez pas; résignez-vous à la volonté de Dieu. Une autre m'objecte : « Mais où est la charité? Mes sœurs m'ont abandonnée dans ce lit de douleur.» Pauvre malade, je vous plains, non à cause des maux que vous souffrez, mais à cause de votre impatience qui vous rend doublement malade de corps et d'âme. Vos sœurs vous ont oubliée, ffiais vous allez oublier Jésus-Christ qui mourut pour vous svy la
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croix. Que sert de vous plaindre de celle-ci et de celle-là ; ne vous plaignez que de vous-même qui aimez si peu Jésus-Chrisl et avez RI peu de patiente. Le B. Jo-seph Calasanze disait : « Si les malades étaient pa-tiens ils ne gémiraient plus.» Salvicn dit que beaucoup de personnes ne pourraient être saintes, si elles jouis-saient d'une bonne .«anté. Si fortes fuerint, sancti esse non possent. ( Lib. ι. de gub. Dei. ) On lit dans les vies des saintes que presque toutes étaient infirmesef percluses. St.-Thérèse, pendant 40 ans, n'eut pasuu jour de répit. Salvien ajoute que les personnes consacrées à Jé.sus-Christ sont malades et veulent l'être toujours. Humi-fies Christo dediti infirmi sunt et volunt esse. ( Loc. cit. ) II. Due autre dit : «Je ne me plains pas d'être ma-lade, mais je regrette de ne pouvoir communier ni al-ler au chœur, ni faire mes oraisons, et en outre je suis à charge au couvent.» Jevous réponds : pourquoi vou-lez-vous aller 'ijre l'office au chœur et aller commu-nier? Pour plaire à Dieu? Bien; mais si Dieu aime mieux que vous 11'alliez ni au chœur, ni à l'église et que vous restiez à souffrir ici, pourquoi vous désoler? Le P. Avila (Ep. H. ) écrit ainsi à un prêtre malade : Mon ami, ne comptez pas ce que vous feriez si vous étiez bien portant; mais contentez-vous d'etre ma-lade, tant qu'il plaira à Dieu. Si vous aimez la volonté de Dieu que vous importe d'être malade ou bien por-tant ? Au contraire, disait St.-François de Sales, on sert mieux le Seigneur en souffrant qu'en priant. Vous dites que vous ne pouvez pas faire d'oraisons. Pour-quoi cela ? Je conviens que vous ne poivrez pas médi-ter; mais ne pouvez-vous pas regarder le crucifix et lui offrir les peines que vous souffrez? Quelle plus belle oraison que de souffrir et de vous résigner a la volonté divine , mêlant vos douleurs à celles· de Jiisus-thrist,
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pour les offrir à Dieu? Vous dites que vous êtes inu-tile et à charge au couvenl. Mais comme vous vous conformez à la volonté de Dieu, vous devez croire que vos sœurs aussi s'y conformeront, sachant que c'est lui qui vous a fait.tomber malade. Vos plaintes ne viennent pas do l'amour pour le Seigneur, mais de l'amour-propre, parce que vous voudriez servir Dieu, non selon sa volonté mais selon la vôtre.
III. Allons ! recevez avec joie toutes les maladies que Dieu vous envoie, si vous voulez lui plaire et édifier vos soeurs. Oh ! quelle est édifiante, cette religieuse, qui, au milieu de ses souffrances et .même à l'ins-tant de la mort, conserve un front calme, ne se plaint ni des médecins, ni de ses compagnes, mais les re-mercie de leurs soins, et reçoit avec reconnaissance les remèdes qu'on lui donne,quelqu'amers qu'ils soient. Ste-Liduvine , dit Surius, resta 38 ans étendue sur une planche, couverte de plaies, rongée de douleurs, et ne se plaignit jamais. La B.Humilienne de Florence, franciscaine, infectée de plusieurs maladies doulou-reuses, levait les mains au ciel en s'écriant : Soyez béni, Seigneur, soyez béni! Ste.-Claire fut 28 ans malade, et jamais ne laissa échapper un gémissement. St.-Théo-dore eut pendant toute sa vie une large plaie sur le ventre ; il disaitque le Seigneur la lui laissait pour qu'il pût l'en remercier sans cesse. (Sur. xxn. apri.) Quand nous souffrons quelque douleur, jetons les yeux sur tant de martyrs à qui on déchira ou on brûla les chairs avec des ongles de cuivre ou de fers ardents ; comme eux, offrons à Dieu nos tourments. Il faut être aussi pa-tient dans les excès du froid et du chaud que dans les maladies. Souvent on se plaint en hiver ou en été de ce qu'on manque d'un habit ou d'un rafraîchissement
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Ne faites pas ainsi; bénissez les saisons et dites avec Daniel : Benedicite ignis et ceslus Domino ; benedicite gela et frigus Domino. ( m. v. 66 et 68. ) Bénissez le Sei-gneur, feu et chaleur; bénissez le Seigneur', gelée et froid.
IV. Recevons la mort avec patience, si notre heure est venue. Qu'est-ce que la vie sinon une continuelle tempête qui, à chaque instant, nous met en danger de nous perdre. St.-Louis de Gonzague mourut à la fleur dé ses jours; il disait à ses derniers moments : Je suis maintenant dans la grâce de Dieu : plus tard je ne sais ce que je serais devenu. Je quitte le monde sans re-gret, puisqu'il plaît à Dieu de m'appeler dans l'autre vie. Mais, dites-vous, St.-Louis- était saint, moi je ne suie qu'une pauvre pécheresse. Le père Avila vous répond que touj ceux qui sont en bonne disposition doivent désirer la mort pour éviter le danger où l'on est tou-jours de perdre la grâce de Dieu. Qu'il est doux de se ■mettre, par une bonne mort, hors de danger de perdre Dieu ! Mais, répondez-vous, jusquà ce jour je n'ai rien fait pour mon âme. Je voudrais vivre pour faire quel-que chose avant ma mort. Mais si Dieu vous appelle maintenant à lui, qui vous assure que vous ne feriez paspire qu'auparavant, si vous restiez dans ce monde? Quoiqu'il en soit, nous devons embrasser la mort avec calme quand elle arrive, parce qu'elle nous délivre du péché. Personne en ce monde n'est exempt de pé-ohé. St.-Bernard a dit : Car vitam desideramus in quâ quanto amplius vivimus tanto plus peccamus. ( Med. cap. Via. ) Pourquoi désirons-nous de vivre, sachant que plus nos jours se multiplient plus nous multiplions nos fautes ? Si BOUS aimons Dieu, nous devons brûler du désir de le voir et d'aller jouir de sa présence dans le ciel. Mais si la mort ne nous ouvre la porte du ciel
SANCTIFIÉE.                                 563
nous n'y pouvons entrer. St.-Augustin s'écriait : Ego moriar, Domine, ut te videam. Seigneur, faites-moi mou-rir afin que fc puisse vous voir.
V. En second lieu, il faut prendre patience dans les incommodités de la pauvreté, quand on est dépourvu des biens temporels. Qu'est-ce qui peut suffire à celui àqui Dieu ne suffit pas? Quid tibi sufficit, cui Dens non sufficit: Qui possède Dieu possède tout. Il peut dire alors : JV1 on Dieu est mon tout. Dens meus   et omnia. L'Apôtre dit que les saints n'ont rien et possèdent tout. Nihil habentes et omnia possidentes. (ii.Cor.vt.10.) Quand, dans vos maladies, vous manquez de remèdes et de nourriture, >quand vous manquez de feu en hiver et de vêtements, dites:. Ο mon Dieu vous me suffisez! et con-solez-vous ainsi. !.
VI.  Supportez de même la perte de vos parents, de vos biens, dé vos amis. 11 y en a qui, lorsqu'elles per-dent un livre, une bougie, une médaille, boulever-sent le couvent ei pleurent de douleur. Si elles per-dent un  de leurs parents ou une de leurs  amies, elles sont inconsolables, elles négligent les oraisons , les communions et deviennent brusques avec tout le monde; elles s'enferment dans leur cellule, ne veu-lent pas manger et chassent celles qui viennent les consoler.  Est-ce là l'amour que vous portez à Dieu ? Dieu n'était donc pas votre seul trésor, puisque la perte d'une de ses créatures vous· a ravi la paix et vous fait oublier Dieu. Que vous en revient-il de ces plaintes, de cette tristesse? Croyez-vous plaire à la défunte? Non, vous déplaisez à Dieu et à votre amie. Illui serait bien plus agréable devoir que vous vous conformez à la volonté divine et qu'au lieu de pleurer et de crier vous VQUS unissez plus- fortement à Dieu pour prier pour elle? Quelques larmes répandues sur la tombe
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d'une amie sont une faiblesse pardonnable à notre nature, mais les longs gémissements et une trop vive douleur décèlent uneâme faibleet peuattachée à Dieu. Les véritables religieuses, lorsqu'elles perdent une per-sonne chérie, ressentent de l'affliction, mais pensant que telle a été la volonté de Dieu, elles se résignent et vont en paix prierpour elle. Elles augmentent ensuite le nombre de leurs oraisons et de leur communions, elles s'unissent davantage avec Dieu, et raniment leur espérance d'aller un jour la retrouver dans la félicité du paradis.
VII. D'autres religieuses, qui paraissent plus dévotes, sont moins affligées de la perte de leurs parents ou de leurs amies, que de celle de leur directeur. Elles disent que Dieu les a abandonnées en les privant de leur guide spirituel. Quelle folie ! C'est Dieu et non pas notre confesseur qui doit nous rendre saints. Dieu veut que nous ayons un directeur pour nous faire savoir par sa bouche ce qu'il exige de nous ; mais quand il nous l'en-lève, c'est à lui de nous en trouver un autre ou d'y suppléer comme il l'entendra. Quand notre directeur nous manque, c'est une imperfection que de nous plaindre, car ces plaintes ne peuvent venir que d'une attache trop naturelle, ou d'un défaut de confiance en Dieu. Ο ma sœur! si vous avez un directeur, ne vous attachez pas à lui, soyez toujours prête aie quit-ter, dès que Dieu le voudra. Et s'il vous abandonne de lui-même, ou si la mort vous l'enlève, dites avec Job : le Seigneur me l'avait donné, le Seigneur me l'a en-levé : que son saint nom soit béni. Dominas dedit, Do-minus abstulit, iit nomen Domini benedictum. Conformez-vous alors aux règles que ce directeur vous a données, jusqu'à ce que vous en ayez trouvé un autre; en at-tendant, suivez les conseils de votre confesseur ordi-
SANCTIFIEE.
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naire, qui, généralement parlant, est votre guide le plus sûr, car c'est Dieu qui nous l'a assigné, et que c'est vous-même qui choisissez votre· directeur.
VIII. 3" II faut pratiquer la patience dans le mépris et la persécution; mais, dites-vous, je n'ai rien fait de mal, pourquoi ai-je reçu des affronts, pourquoi suis-je persécutée? Dieu ne le veut certainement pas! Sa-vez-vous ce que Jésus-Christ répondit à St.-Pierre martyr, qui se plaignait d'être mis en prison injuste-ment? Quai-je fait, disait-il, /our souffrir une telle mor-tification ? Il lui dit : Eh ! quel mal ai-je fait, moi, qui ai été mis en croix ? Puisque le Rédempteur a bien voulu recevoir la mort pour vous sauver, c'est bien le moins que vous receviez quelque mortification pour son amour. Il est vrai que Dieu haït te péché de celui qai vous injurie ou vous persécute, mais il veut que vous souffriez ces contrariétés pour son amour et pour votre bien. Quand même, dit St.-Augustin, nous serions innocents dû crime dont on nous accuse, nous avons cependant d'autres péchés qui méritent un châtiment encore plus sévère. Esto non habemus pec-catum quod objicitur; habemus tamen quod digni in nobis flagelleiw. (In ps. 68. )
XI. Tous lès saints ont été persécutés dans ce inonde. St.-Basile fut accusé d'hérésie au pape St.-Damase; St.-Cirille fut condamné comme hérétique par un concile de 40 évêques et privé de son évêché. St.-Athanase fut regardé comme sorcier-j St.-Jean Chrysostôine comme pécheur charnel; St.-Romuald, à l'âge de plus de 100 ans, fut accusé d'un péché si énorme, qu'on disait qu'il méritait d'être brûlé vif; St. - François de Sales fut accusé d'avoir un commerce impur avec une femme du monde, resta sous le poids de cette accusation pendant trois ans,
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après lesquels on reconnut son innocence.! On ra-conte qu'un jour une femme entra dans la cham-bre de. Ste. - Liduvine, et lui parla dans les termes les plus injurieux; comme la sainte conservait sa paix habituelle, cette tigrésse, écumant de rage, lui cracha sur la figure, et, devenue plus furieuse en*· core par la tranquillité inaltérable de l'autre, elle se mit à pousser des eris affreux comme une folle. L'a-pôtre l'a dit '.Omnes enim que volunt piè vivere in Christo Jesu, persecutionem patientur. (2 Tim. iu. 12i)Tews ceux qui veulent suivre Jésus-Christ doivent être persécutés. S'ils refusent la persécution, dit St.-Augustin, c'est qu'ils n'ont pas encore commencé à ι suivre J.-G. Qui a été plus innocent et plus saint que notre divin rédempteur ft Et pourtant on le calomnia, on le tor-tura, on le cloua sur une croix* St.-Paul, pour nous exciter à souffrir sans plainte la persécution, nous exhorte à avoir toujours sous les yeux le crucifix. Reco-gitate eum qui talem sustinuit à peccatorUius adversus se-metipsum contradictionem. (Hebr, xii, 3. ) Pensez donc, nous dit-il, à celui qui a souffert une si grande con-tradiction de la part des pécheurs qui se sont élevés contre lui. Si nous souffrons avec joie les persécutions, soyons assurés que Dieu prendra lui-même notre dé-fense ; et s'il permet que nous soyons flétris .dans ce monde, il nous en ré compenseralargenaent dans l'autre. X. k" En dernier lieu, il faut pratiquer la patience dans les désolations d'esprit, qui sont les peines les plus amères que puisse endurer une âme qui aime Dieu. Quand l'âme «st inondée des consolations di-vines, .le* douleurs, les pertes, les persécutions sont un baume pour elle ; elle offre ses souffrances au Sei-gneur et s'unit plus étroitement à lui. Le plus grand supplice d?un. âme qui aime vraiment, c'est de se
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voir sans dévotion, sans ferveur, sans désir; d'être tiède, évaporée dans ses oraisons et à la Ste.-Table; mais, dit Ste-Thérèse, Dieu ne leur envoie ce dégoût mortel que pour les éprouver.. Si elles continuent à marcher avec patience dans la bonne voie, malgré cette tiédeur et ces angoisses, c'est qu'elles aiment Dieu véritablement. L'aridité et les tentations sont la pierre de touche de l'âme. La B. An gèle de Fo-ligno se trouvant aride et dégoûtée, se plaignait à Dieu de ce qu'il l'avait abandonnée. Non, ma fille, lui,répondit le Seigneur, je t'aime d présent plus que jamais. Quelques 'novices se croient abandonnées de Dieu quand elles sqnt dans cet état, et se rebutent ; elles donnent alors toute liberté à leurs sens et per-dent tout ce qu'elles avaient acquis. Ne vous laissez pas tromper par le démon; quand vous êtes dans l'aridité, tenez bon, ne négligez pas vos exercices or-dinaires ; Humiliez-rvous et dites que vous méritez d'être ainsi traitée pour vos péchés; Résignez-vous toujours à la divine volonté et confiez-vous à Dieu, car plus vous serez patiente, plus vous lui serez chère. Croyez-vous que les saints aient toujours joui des consolations célestes? Sachez qu'ils ont passé la plus grande partie de leurs jours dans la désolation et. dans la privation des lumières célestes. L'expérience m'a appris à me méfier de ces âmes qui abondent en dou-ceurs spirituelles;, car souyejit elles ne font le bien que tant que durent leurs consolations,; mais quand l'aridité vient les éprouver, elles abandonnent tout et tombent dans la tiédeur.                                 ,    .
XI. Je ne refuse pas, dites-vous, cette croix, si c'est la volonté de Dieu que je la supporte, mais je crains que ce sqit un châtiment pour mes anciennes infi-délités, Que ce soit un, châtiment, c'est possibje, you/}
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dirai-je, car si vous avez mis votre affection en quel-que créature, c'est avec raison que Dieu, qui est ja-loux de posséder le cœur de ses épouses, s'est retiré de vous. Le châtiment est donc juste, et la volonté de Dieu est que vous le receviez avec soumission. Recevez le donc en paix et retranchez au plutôt ce qui en est la cause; retranchez cette affection aux créatures et cette dissipation d'esprit, ce trop grand désir de voir, déparier, d'entendre, et donnez-vous de nouveau entièrement à Dieu ; alors le Seigneur ou-bliera vos fautes passées et vous rétablira dans votre première grâce. Mais n'allez point exiger qu'il vous console par ses anciennes faveurs ; cherchez plutôt à obtenir de lui la force de lui être fidèle. Soyez per-suadée que Dieu ne vous aiTlige que pour votre avan-tage et pour éprouver votre amour. Il dit un jour à Ste.'-Gertrude qu'il aimait beaucoup les âmes qui le servaient à leurs frais; c'est-à-dire par Jes aridités et sans douceurs spirituelles.
XII. On prouve mieux son amour en suivant ceux qui nous fuient qu'en suivant ceux qui nous caressent. Mais, dit St.-Bernard : Ne timeas, ó sponsa, si paulisper subtrahit (Jésus) faciem suam; omnia coo/ierantut in bo-num; recedit ad cautelam ne incipias contemnere sodalis ut desideratus atidiàs ι/uœratur. ( In se. claus. ) Ne vous désolez pas, ô épouse de J.-C, de ce que votre époux vous cache pourun peu de temps sa face; ille fait pour votre bien, il se voile d'un nuage passager, de peur que trop de faveur ne vcusporle à mépriser vos compagnes et à vous croire meilleures qu'elles ; il le fait encore afin que vous le cherchiez avec un plus grand désir de le posséder, et que vous l'appeliez avec plus de tendresse Persévérez dans tous vos exercices, fussiez-vous accablé de douleur ou en proie à l'agonie la plus cruelle· Elle
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fut bien plus cruelle l'agonie de Jésus-Christ, au jar-din de Gethsemani, lorsqu'il se préparait à mourir, et priait pour vous! Étant tombé en agonie, il redou-blait ses prières. Foetus in agonia prolixas orabat. (Luc. xxii. 43.) Cherchez-le constamment et il se rendra à vos vœux. Expecta. Dominum quia veniens veniet, et non tardabit. (Ps. xxvi. 14·) S'il ne vient pas vous conso-ler, qu'il vous suffise qu'il vous demie force et courage pour l'aimer, saiis en recevoir de douceurs. Dieu pré-fère l'asaour constant à l'amour tendre.
XIII. Mais, dit St.-Thomas, pour supporter toute espèce de revers avec courage, il faut s'y préparer d'avance et les prévoir. Jésus-Christ avertit ainsi ses disciples : In mundo pressuram habebitis, sed confidite: ego vice mundam. (Jo. xvi. 33.) Ο mes fils, sachez que dans le monde vous serez affligés et opprimés; mais confiez-vous à moi, qui ai vaincu le monde. La pré-vision d'une fatigue, embrassée avec patience, nous la fait regarder comme un bien par rapport à la vie éter-nelle; elle ôte à notre âme tonte crainte du mal qui l'accompagne ordinairement. Ainsi ont fait les saints : ils ont embrassé leurs croix qu'ils attendaient dans l'a-venir, et quand elles sont venues, même à l'improviste, il les ont supportées a-vec force et avec tranquillité. Habituez-vous donc d'avance à accepter les croix que Dieu vous enverra probablement. Si vous craignez qu'elles ne soieut au-dessus de vos forces, priez le Seigneur de venir à votre secours et ayez toute con-fiance en lui; dites-lui : Je puis tout en celui qui me me fortifie; Omnia possum in eo qui me confortat. (Phil. iv. 13.) Cette prière vous obtiendra la force qui vous manque. Comment les saints martyrs ont-ils pu sup-porter tant de tortures et de morts douloureuses ? Eu priant, en se recommandant à Dieu. Quand vous vin.                                                        a4
3^0                               LA BEUGIEtSE
êtes courbé sous le fardeau de la croix, priez encore. Quelqu'un d'entre vous est-il triste, qu'il prie. Trista-tur aliquis vestrum? oret. Ainsi parie St.-Jacques. (Ep. v. 13.) Ëprouvez-vous quelque chagrin, quelque tenta-tion ? ne cessez de prier que lorsque votre cœur sera calme. Invoca me, dit Dieu, m dit tribulationis,eruam te et honorificabit me. (Ps. xc. 15. ) Quand tu es malheu-reux, appelle-moi à ton secours, je te délivrerai de tes peines et tu m'en rendras grâce. Quand une âme se recommande à Dieu au jour de l'adversité, Dieu la délivre de ses douleurs, ou bien il lui donne la force de les souffrir avec patience, et par là elle honore Dieu. St.-Ignace de Loyola disait que la plus grande afflic-tion qu'il eût pu éprouver en ce monde eût été de voir la Compagnie détruite; cependant un quart-d'heure d'oraison, je l'espère, ajoutait-il, m'en aurait consolé. Communiez souventdans le temps des tribulations ; les anciens chrétiens se préparaient au martyr par de fréquentes communions.  Conférez avec votre direc-teur,  ou avec quelques personnes spirituelles, car un mot d'encouragement vous ranimera; mais gar-dez-vous de conférer avec une personne imparfaite, car elle ne ferait que vous troubler, surtout si vous avez reçu quelqu'un jure ou souffert quelque persécu-tion.   Mais ayez toujours recours à Dieu, visitez le St.rSacrement, et priez-le de vous donner la grâce de vous conformer à sa sainte volonté. Il a promis de consoler tous les malheureux qui l'implorent. Venite ad me omnes qui laboratis, et onerati estis, et ego reficiam voi, (Mat. xi. 28.) Venez à moi, a-t-il dit, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous soulagerai.
5ANCTIÏIÊE.
PRIERE.
Mon Dieu, je vous offre les peines de Jésus , votre fils, en expiation de mes péchés1. Voici l'agneau qui s'immola, pour votre gloire et pour notre salut, sur l'autel du calvaire. Pour l'amour de cette chore vic-time, pardonnez-moi tous les déplaisirs que je vous ai donnés, grands ou petits; car je m'en repends de tout mon cœur. Dieu infiniment bon, vous m'appelez à vous, j'abandonne le inonde pour vous suivre, ô mon trésor, ô ma vie ! Je renonce aux biens, aux plaisirs, aux honneurs, pour n'aimer que vous. O mon souverain bien, je voue aime plus que tout autre bien! Ο mon Jésus, ne permettez pas que je vous résiste davantage ni que je sois ingrate envers vous, pour tous les nombreux bienfaits dont vous m'a-vez comblée. Découvrez-moi toujours de plus en plus les grandeurs de votre bonté, afin que je vous aime toujours davantage, ô aimable infini ! Vous avez été amoureux de mon âme ; pourrai-je aimer autre chose que vous? Non, ô mon rédempteur, et à l'avenir je ne ne veux vivre que pour vous, je ne veux aimer que vous. Ο Marie, ma mère! aidez-moi, obtenez-moi la grâce d'être fidèle à ma promesse.
§. m.
De la patience dans les tentatione.
Ο ma sœur! Dieu est mécontent de votre conduite passée, et vous-même vous la blâmez. Si la mort vous frappait à présent, vous ne mourriez pas contente.
 LA   BELIGIECSE
Puisque vous êtes résolue ( du moins je le pense ) à mieux servir et aimer Dieu à l'avenir, préparez-vous à combattre vos tentations. Le St.-Esprit vous en aver-tit en ces mots : Mon fils, en vous donnant au service de Dieu, préparez votre âme à la tentation. Fili, acce-dens ad servitutem Dei, prépara animam tuam ad tentatio-nem. (Eccl.i: 1.) Les religieuses, au dire du pYophète, sont le mets le plus agréable au démon. Cibus ejus elec-tus. ( Abac. ι. 16. ) L'ennemi se donne plus de peine pour prendre ude religieuse que cent séculières. Pour-quoi ? 1° Parce qu'en faisant son esclave d'une épouse de Jésus-Christ, il en reçoit plus de gloire. 2° Parce qu'en faisant tomber une religieuse, il espère, par son mauvais exemple, en attirer beaucoup d'autres dans le piège.Le Seigneur, de son côté, permet que les âmes qu'il aime le plus, soient le plus en butte aux tenta-tlofts.St.-Jérôme fut Irès-tourmenté par les tentations du démon ,'àu milieu des pénitences et des oraisons qu'il faisait dans la solitude de la Palestine , où il s'é-tait retiré : « J'étais seul, dit-il, et mon cœur était » plein d'amertume, mes membres arides et décharnés » étaient couverts d'un sac, la peau de mon corps était » noire comme celle d'un nègre ; la terre dure était * mon lit, j'y souffrais plus que je n'y reposais; ma » nourriture était à peine suffisante, et pourtant mon » cœur était embrasé de dësrrs coupables. Mon seul » refuge était de recourir à Jésus-Christ et d'implorer » son aide. »
II. Dieu permet que nous soyons tentés pour notre bien. Premièrement, pour que nous soyons plus hum-bles. L'Ecclésiastique a dit : Qui non est tentatus quid scit?\ Ecc. xxxivv9- ) Que .sait celui qui n'est pas tenté? personne tie connaît mieux sa faiblesse que celui qui est, ten,té.  St.-Augustin rapporte que St.-
SANCTIFIÉE.
Pierre, avant d'être tenté, présuma trop de lui-même, se vantant d'avoir le courage de supporter la mort plutôt que de renier Jésus-Christ. Mais lorsqu'il fut tenté, il le renia' lâchement, et connut alors sa fai-blesse. Petrus, qui ante tentationem prœsumit de se, in tentatione didicit se. ( In. ps. 36. ) Le Seigneur ayant favorisé St.-Paul de ses célestes révélations, permit qu'il fût assailli de ces tentations déshonnêtes qui hu-milient le plus l'homme. De peur que la grandeur de mes révélations, avoue-t-il lui-même, ne me causât de relèvement, Dieu a permis que je ressentisse dans ma chair un aiguillon,qui est l'ange de Satan, pour me donner des soufflets. Et ne multitudo revelationum ex-tollat me, datus est mihi stimulus carnis mecs, angelus Sata-na;·, qui me colaphizet. ( 2. Cor. xu. 7. )
III. 2°. Le Seigneur permet que nous soyons tentés pour nous enrichir de plus démérites. Beaucoup de religieuses se tourmentent de scrupules, à cause des mauvaises pensées qui les assaillissent. Mais elles se tourmentent à tort, car elles savent que les mauvaises pensées ne sont pas des péchés, c'est le consentement seul qui en est un. Quelques fortes que soient les tenta-tions elles ne souillent pas notre âme, quand elles viennent sans qu'il y ait de notre faute, et que nous la chassons. Ste.-Catherine de Sienne, la B. Anj^èle de Foligno, furent long-tems tentées de luxure, mais au lieu d'affaiblir leur pureté, ces tentations l'aug-mentèrent beaucoup. Chaque fois que nous repous-sons une tentation, nous gagnons un degré de grâce qui nous vaudra un degré de gloire dans le ciel. Ainsi, dit St;-Bernard, autant de tentations vaincues ici bas, autant nous aurons de couronnes dans l'autre vie. Quoties vincimus toties coronantur. Le Seigneur dit à Ste.-Mathilde : Toutes les tentations que l'on repousse avec
 LA  RELIGIEUSE
ma grâce sont autant de diamants pour mon dia-dème. On lit dans les chroniques de l'ordre de Ci-taux , que tandis qu'un religieux était assailli, pen -dant toute une nuit, de tentations impudiques qu'il surmontait, un autre religieux convers, eut cette vi-sion : II vit un beau jeune homme, qui lui remit une couronie de diamants, et lui dit : Va trouver un tel et donne-lui cette couronne qu'il a gagnée cette nuit. Le religieux convers fit part de sa vision à son abbé qui appela le religieux tenté, et, instruit de la résis-tance qu'il avait faite, il comprit clairement que c'é-tait la récompense que le Seigneur lui avait préparée dans le.cijel. La Ste.-Vierge révéla à Ste.-Brigitte, que lorsqu'elle s'efforçait de chasser les mauvaisespensées, quoiqu'elle ne les chassât pas entièrement de son es-prit, elle méritait une grande récompense, pour les efi'orts qu'elle faisait. Tamen pro illo conata coronam in coelis recipies. ( Blosius, mon. spir. e. iu. §. Ιχ· )
IV. D ieu est fidèle, et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces, mais il vous fera tirer avan-tage de la tentation même afin que vouspuissiezpersé-vérer.Fidelis autem Deus est quinonpaiieturvostentari supra id quod potestis , sed faciet etiam cumientationeproventum. (i.Cpr.x.13.) St.-Jérôme dit quela tempête la plus dan-gereusepourun navire, c'est un long calme plat; c'est-à-dire que la tempête des tentations empêche l'homme de pourrir dans l'inaction, car alors, renouvelant ses bonnes résolutions, faisant des prières, des actes de confiance et de résignation , il s'attache davantage à Dieu. On rapporte, dans les vies des SS. Pères, (§. 7.) qu'un jeune homme étant très-tourmenté de tenta-tions charnelles , son directeur lui dit : Mon fils , veux-tu que je prie Dieu qu'il te délivre de tes tenta-tions et te rende la paix? Le bon jeune homme lui ré-
SANCTIFIEE.
pondit : « Mon père, mes tentations me font beau-» coup souffrir, mais elles me sont utiles , car elles » me font exercer continuellement beaucoup d'actes » de vertu. Je fais plus d'oraisons qu'auparavant, je » jeûne plus souvent, je veille plus long-temps, et je » mortifie ma chair. Il vaut donc mieux que vous » priiez Dieu de m'aider à supporter ces tentations » avec patience, et à m'en servir pour avancer dans » la voie du salut. » Recevons donc nos tentations avec résignation, en pensant que Dieu les permet pour notre bien. L'Apôtre étajit plusieurs fois assailli de tentations , pria Dieu de l'en délivrer , mais Dieu répondit : Ma grûce te suffit. Propter quod per Dominum rogavi ut discederet à me et dixit mihi \ sufficit tibi gratia mea, nam virtus in infirmitate perficitur, (II. cor. xii. 8.9.) Mais, dites-vous, St.-Paul était saint. Comment résis-taient les saints aux tentations ? dit St.-Augustin, est-ce avec leur propres forces ou avec celles de Dieu? An isti in seipsis possunt, an non in Domino ? ( Conf. 1. vm. c. 11. ) Les saints se sont confiés en Dieu et ils ont vaincu. Abandonnez-vous donc , continue le Saint, entre les mains de Dieu, et ne craignez pas. 11 vous a mis sur le champ de bataille , il ne vous abandon-nera pas pour vous laisser perdre : Projice te in eum ; noli metuere, non se subtrahet ut codas. ( Loc. cit. )
Y. Mais venons à la pratique et voyons quels sont les moyens et les armes à employer pour ne pas suc-comber. Le seul, le plus important de ces moyens, je puis même ajouter l'unique, l'indispensable pour surmonter les tentations, c'est de recourir à Dieu par la prière. St.-Augustin, parlant de la nécessité d'être humble pour être véritablement disciple de Jésus-Christ, dit : Si vous me demandez qu'elle est la pre-mière vertu d'un chrétien, je vous répondrai : La pre-
 ΙΑ   RELIGIEUSE
mière, c'est l'humilité , la seconde, c'est l'humilité, la troisième, c'est l'humilité, et tant que vous m'in-terrogerez, je vous ferai toujours la même réponse : Si quœras quidquid sit primum in disciplina Christi ? res-pondebo : primum est humilitas; quid secundum? Humili-tas. Quid tertìftm? Humilitas. Et quoties interrogabit, to-ties hoc dicam. ( Ep. 56. ) Or, si vous me demandez aussi quel est le moyen de vaincre les tentations, je vous répondrai : Le premier moyen, c'est la prière ; le second, c'est la prière, le troisième, c'est la prière. Tous me le demanderiez mille fois, que je répondrais toujours de même. On ne repousse surtout les tenta-tions impures, dit le sage, qu'avec la prière : Et ut scivi, quoniam aliter non possem esse continens, nisi Deus det.... add Dominum et deprecatus sum illum. ( Sap. tui. 21. ) Comme j'ai vu que je ne pouvais observer la continence, sans que Dieu ne m'en fasse le don , je me suis adressé au Seigneur, et je la lui ai demandée. St.-Jérôme a dit : Statim ut libido tititlaverit sensum, erumpamus in vocem : Domine auxiliator meus. ( Ep. ad Eustoc.) Aussitôt que nos sens sont excités par la pas-sion dangereuse, disons : Seigneur secourez-moi, ne permettez pas que je vous offense ! L'abbé Isaïe ex-hortait ainsi ses disciples à dire dans leurs tentations, Seigneur, venez à mon secours : Deus, in adjutorium meum intende. Il ajoutait que ces paroles sont un moyen efficace. Dieu ne peut manquer a la promesse qu'il nous a faite d'exaucer celui qui le prie : criez vers moi, et je vous exaucerai : Clama ad me et exau-diamte. (Job. xxxm. 3. ) Invoquez-moi, et je vous dé-livrerai : Invoca me et eruam te. ( Ps, XLIX. 15. ) De-mandez et il vous sera donné : Petite et dabitur vobis. C herchez et vous trouverez. ÇtttWi'ie et invenietis. (Mat. vu. 7. ) Car celui qui demande reçoit : Omnis enim qui
SABCTIFlÉE.                                     377
petit accipit (Luc. xi. 10.) Demandez tout ce que vous voudrez et il vous sera accordé. Quodcumque volueritis pttitis , ei fiet vobis. ( Jo. xv. 7. )
VI.   On lit dans les sentences des SS. Pères(au §.4) que St.-Pacôme avait entendu un démon qui disait aux autres : Quand je tente mon moine, il me prête l'oreille et ne recourt pas à Dieu : Aussi succombe-t-il souvent. Un autre démon se plaignait de ce qu'il ne pouvait rien avec son moine, parc<î que celui-ci re-courait aussitôt à Dieu , et qu'il était victorieux. Ο mes frères ! ajoutait le Saint, résistez aux tentations en invoquant le nom de Jésus-Christ. Mais résistez au plutôt et sans discourir avec votre tentation. Un jeune moine se plaignait à un vieux d'être tenté d'im-pudicité , ( au §.,12. ) le vieux pria pour lui et apprit d'un ange que le moine n'était tenté que parce qu'il s'arrêtait à raisonner sur sa tentation.Le jeune moine, ayant été repris de cette négligence, s'en corrigea , et il ne fut plus tenté. Dum parvus est hostis interfice, dit St.-Jérôme. (Ep. xxu. ad. Eust. ) Quand le lion est pe-tit on le tue facilement, mais non quand il est grand. Secoueztout de suite les mauvaises tentations, comme on secoue les étincelles que lance le charbon ardent. Si une reine était attaquée par un nègre son esclave , elle lui tournerait le dos avec dédain. Faites de même quand le démon vous tente ; tournez-lui le dos, invo-quez le nom de Jésus et de Marie, et vous le chasse-rez. St.-François de Sales a dit : Dès que vous êtes tenté, imitez les enfants; quand ils voient le loup ils courent se jeter dans les bras de leur père ou de leur mère, ou au moins ils crient : Au secours; de même Recourez avec confiance à Jésus et à Marie.
VII.  Il est bon aussi de faire le signe de la croix dans les tentations. St.-Augustin a dit : Omnia dœmo-
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num machinamenta virtute crucis ad nihilum rediguniur. (De sym. e. 1. ) Jésus, ec mourant sur la croix, détrui-sit les forces de l'enfer ; c'est pour cela que le signe de l'instrument de son supplice met en fuite les dé-' nions. St.-Athanase raconte que St.-Antoine , abbé, faisait le signe de la croix, lorsqu'il était assailli par les démons, et leur disait : Que sert de vous fatiguer à me tenter ? Le signe de la croix me met à l'abri de vos coups. St.-Grégoire de Nazianze, raconte aussi que'Julien l'Apostat, connaissant la vertu du signe de la croix, le faisait chaque fois que le démon venait l'é-pouvanter, et le mettait en fuite, quoiqu'il fût ennemi de Jésus-Christ. Ad crucem confugii, eaque adversus ter-rores consignât. ( Orat. in jul. )
VIII. Le second moyen de vaincre les tentations , c'est de s'humilier et de se défier de ses propres forces. Le Seigneur ne permet que nous soyons tentés que pour que nous nous humilions. Quand nous sommes attaqués, humilions-nous et disons:Seigneur, les of-fenses que je vous ai faites m'ont mérité ce tourment. On lit dans les vies des Pères du désert, qu'une jeune anachorète, appelée Sara, éprouvant de fortes tenta-tions d'impureté , ne pria jamais Dieu d'en être déli-vrée , elle ne lui demandait que du courage. Plus le démon la serrait de près, plus elle s'humiliait. L'en-nemi ne pouvant la faire tomber dans le péché, tâcha, mais vainement, de la faire tomber dans la vanité : il dit alors à haute voix : Sara, tu as vaincu. Mais l'hum-ble servante de Dieu répondit : Non, esprit malin, ce n'est pas moi qui t'ai vaincu, c'est Jésus-Christ.(Erib. Ros. p. p. 1. 3.) Humilions-nous , recourons à Dieu avec confiance : Protector est omnium sperantium in se. ( Ps. xvii. 31. ) II a promis de secourir ceux qui espè-rent en lui. Je l'ai délivré, dit-il ailleurs, parce qu'il
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a espéré en moi. Quoniam in me speravit liberabo eum. (Ps. is. ìl\. ) Quand nous sommes assaillis de tenta-tions et de la crainte de perdre Dieu, disons : In te, Domine, speravi, non confundar in œternum. ( Ps. 30.) Seigneur, j'ai placé toute ma confiance en vous, je ne serai pas confondu ni abandonné de viître grâce. Ste.-Thérèse dit que lorsque les démons voient que nous les méprisons ils perdent leur force. Quand ils nous font croire que nous ne pourrons jamais exécuter ce qu'il est nécessaire de faire pour devenir saints, di-sons-leur, par un sentiment de défiance de nous-mêmes, mais pleins de confiance en Dieu : Omnia possum in eo qui me confortat. (Phil. iv. 13.) Je ne puis rien par moi-même , mais je puis tout avec l'aide de Dieu.
IX. Le troisième moyçn contre les tentations, c'est de les révéler à notre père spirituel. Quand les volevirs sont découverts ils fuient. St.-Philippe de Néri disait qu'une tentation découverte est à moitié vaincue. St.-Àntonin (P. m. til. xxiv. §. 7.) raconte que frère Ruf-fin, compagnon de St.-François, éprouva une forte tentation de désespoir, car il croyait que tout ce qu'il faisait pour son salut était peine perdue. Le malheu-reux moine n'en disait rien à St.-François, son supé-rieur, et la tentation augmentait. Le démon lui appa-rut un jour, sous la forme de Jésus-Christ, et lui dit : Sache que toi, ton supérieur et ses moines, vous êtes tous damnés.  St.-François ayant connu le fait,  fit appeler Ruffin qui lui avoua sa tentation. Le Saint lui dit de ne pas y faire attention. Le démon revint, mais se voyant négligé il se sauva; Jésus-Christ appa-rut alors réellement à Ruffin, et l'assura de sa grâce.
X.  Le quatrième moyen, c'est de fuir les occasions. St.-Basile dit que celui qui se trouve dans le combat malgré lui, est secouru de Dieu, mais que celui qui
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se jette volontairement dans la mêlée, est abandonné de Dieu. L'ecclésiastique a dit : Qui amat periculum in illo peribit. ( m. 27. ) Qui aime le danger et le cherche y périt. Il sert peu alors de se confier en Dieu, car c'est une confiance téméraire et digne de châtiment, lorsqu'on s'est mis soi-même dans le danger.
XI. Il faut observer encore deux choses très-impor-tantes. 1° Qu'il y a des tentations que l'on ne peut vaincre que par des actes tout-à-fait contraires. La tentation de vengeance se vainc en faisant du bien à notre ennemi. La tentation de vanité se vainc par l'humilité. Celle de l'envie en se réjouissant du bien des autres, et ainsi du reste. Les tentations contre la foi , ou contre la chasteté, doivent être vaincues par le mépris, et en faisant des actes de confiance, de douleur, ou d'amour. St.-Jean Climaque raconte ( Gradu. 33. ) qu'un moine étant assailli d'une tenta-tion de "blasphème, s'adressa à un saint père, et lui dit tous les affreux blasphémés qui lui passaient par la tête. Je me charge de tous ces péchés ( dit le saint vieil-lard ) et dorénavant n'y songe plus. Le moine depuis n'eut plus de tentations. Il ne faut pas, lorsqu'on est tenté d'incontinence, lutter corps à corps avec sa ten-tation , et répéter cent fois : je ne céderai pas, je l'empor-terai. Car tous ces efforts ne font que rappeler plus vivement à la mémoire tous·les objets qui peuvent sé-duire. Il vaut mieux prendre la résolution de mourir plutôt mille fois que d'offenser Dieu, il faut renou-veller le vœu de chasteté * recourir ensuite à Dieu par des actes d'espérance ou d'amour, et invoquer très-souvent les noms de Jésus et de Marie.
XII. 2° Les tentations les plus dangereuses son celles qui ont une apparence de bien, car elles nous entraî-nent dans l'abîme à notre insu. Bonus, dit Sf.-Ber-
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ι\Άτά, nunquam nisi bcni simulatione deceptus est. (Serm. LX. in Cant.) Ce n'est que par l'apparence du bien que le démon trompe les âmes qui ont toujours de bonnes intentions. St.-Bonaventure raconte (vie de St.-Franc. c. 10. ) qu'il y avait un moine si fidèle à la règle du silence, qu'il ne parlait pas, même en se confessant, E_et qu'il ne s'exprimait que par signes. Le supérieur-géné-ral fit à St.-François l'éloge de ce moine, mais le saint répondit : Ordonnez-lui de se confesser deux fois par semaine. Le supérieur le lui ordonna, mais le moine ne voulut pas obéir et fut si obstiné que, pour, ne pas obéir, il quitta le couvent. Une tentation très-dan-gereuse, c'est celle qui excite une religieuse,à s'atta-cher plus qu'il n'est convenable à son père spirituel, sous prétexte qu'il est'Saint. Ce démon lui fera croire que ses rapports avec son directeur là mèneront à la perfection. Elle fait tant qu'elle parvient à obtenir qu'il vienne la voir plus souvent. Le démon lui inspire alors une affection qui semble toute spirituelle, puis il établit entre les deux une familiarité honnête, et enfin il lesfaittomber dans ses filets. Mais nous avons déjà traité cette matière ; je finis en vous rappelant que le moyen le plus efficace de repousser les tenta-tions,"c'est de recourir à Dieu par la prière, et de lui demander la force de vaincre le démon ; nos prières nous feront triofïiphêr dePenfer. Laudans inoocabo Do-minum, et ab inimicis mus salvus ero, (Ps. xvu. 4.) J'in-voquerai le Seigneur p>ar nies louanges, et je serai délivré de mes ennemis.
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PRIÈRE.
Ο mon Dieu ! je ne veux plus résister à l'amour que vous me portez. Vous m'avez épargnée lorsque je vous offensais; ô mon Jésus, faites que je ne vous offense plus ; faites que je cesse d'être ingrate ou que je cesse de vivre. Je crois que vous voulez mon salut, et moi je veux me sauver, pour aller chanter vos miséricordes dans le ciel. Seigneur, ne m'abandon-nez pas. Je sais que vous ne m'abandonnerez ja-mais, si je ne suis pas la première à vous quitter; mais je connais ma faiblesse et je tremble pour moi-même. Par cette mort amère, que vous avez souf-ferte pour moi, accordez-moi la grâce de recourir à vous dans toutes mes tentations. Je vous aime, bonté infinie! et j'espère vous aimer toujours. Char-gez-moi des chaînes de votre amour, afin que mon âme ne se sépare plus de vous. Ο Marie ! vous vous appeliez la mère de la persévérance ; c'est vous qui dispensez cette vertu aux hommes; je vous la demande et j'espère que vous me l'obtiendrez.
CHAPITRE XIV..
De la Résignation à la volonté de Dieu. S- !■
Du prix de la résignation à la volonté de Dieu.
I. St.-Jean-Chrysostôme dit que toute la perfection de notre amour pour Dieu consiste dans notre rési-gnation à sa sainte volonté. La haine sépare les vo-
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lontés des ennemis, niais l'amour unit celles des amis ; de telle sorte que l'un veut ce que veut l'autre. Idem velle, et idem nolle, firma amicitia est. Vouloir ou ne pas vouloir ce que l'un veut ou ne veut pas, est l'effet de l'amitié la plus solide, écrivit St.-Jérôme à Démé-triade. Aussi le Sage a dit : Fideles in dilectione acquies-cent illi. (Sap. πι. 9.) Les âmes qui aiment Dieu veu-lent tout ce qu'il veut. Le sacrifice de notre volonté , qui est la chose la plus précieuse que nous ayons, est le sacrifice le plus agréable au Seigneur. C'est aussi celui qu'il nous demande : Prœbe, fili mi, cor tuummihi. (Prov. xxiii. 26. ) Mon fils, donne-moi ton cœur, c'est-à-dire ta volonté. Quelque chose que nous donnions à I)ieu,sinous nous réservons notre volonté,elle ne pourra jamais le satisfaire, et voici une comparaison qui expli-quera ma pensée. Si vous avez deux servantes, dont l'une veut toujours travailler, mais selon ses goûts, et dont l'autre travaille moins, mais toujours selon votre volonté, à coup sûr vous préférerez la seconde, et vous ferez peu de cas de la première. Combien de fois nous nous trompons es faisant un œuvre de notre goût, et que nous croyons être pour la gloire de Dieu! La plus grande gloire que nous puissions rendre à Dieu, c'est de nousconformeràsa volonté. LeB. Heuri Suzon disait : Dieu est moin» glorifié quand nous abon-dons en inspirations et en consolations, que lorsque nous nous soumettons à son bon plaisir. La B. Etienne de Soncino vit, parmi les séraphins, les âmes de plu-sieurs personnes qu'elle avait connues, et Dieu lui ré-véla qu'elles n'avaient été élevées à un si haut rang que parce qu'elles avaient toujours suivi sa volonté.
II. La malice du péché consiste à vouloir ce que Dieu ne veut pas ; car alors, dit St.-Anselme, nous cherchons à ravir en quelque manière à Dieu sa cou-
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ronne. Cum homo vult aliquid per propriam voluntatem, Deo aufert quasi suam coronam; sicut enim corona soli regi competit, sic propria voluntas soli Deo. (Lib. de sini. e. 8. ) Qui veut suivre sa propre volonté, arrache à Dieu sa couronne, parce que la couronne n'appartenant qu'aux rois, jl n'appartient qu'à Dieu de faire sa propre volonté. Samuel dit à Saûl que c'est presque une ido-lâtrie que de ne pas vouloir se conformer à la volonté de Dieu, Quasi scelus idolatrice nolle acquiescere, ( 1. Reg. xv; 23.) parce qu'au lieu d'adorer la volonté de Dieu, l'homme adore alors la sienne propre. Toute la malice d'une créature consiste à résister à son créateur, et toute sa bonté consiste à lui obéir. Qui se conforme à la volonté de Dieu devient l'homme selon son cœur. Inveni virum secundum cor meum, qui facit omnes voluntates thcas (2. Reg. ι. Ιίχ. ).ljne âme obéissante portera le nom* de .ma vo-lonté. Vocabitur voluntas mea in ed. (Is. ixvi. 2.) Car , lorsque notre volonté est morte en nous, celle de Dieu seul y survit.
III. Heureux ceux qui peuvent dire comme la sainte épouse : Anima mea liquefacta est ut dilectus meus locutus est. (Gant. v. 6. ) Mon âme s'est fondue aux paroles de mon bien-aimé. Pourquoi fondue? le voici : Les li-quides n'ont pas de forme; ils prennent celle du vase qui les contient. C'est ainsi que les âmes aimantes n'ont d'autre volonté que celle de leur bien-aimé. Il faut donc avoir une volonté docile et facile à se plier à tous les bons plaisirs de Dieu, et qui ne connaisse pas la résistance. Un instrument n'est bon que tout autant qu'il obéit à l'artisan qui l'emploie; sans cela, à quoi sert-il ? Si le pinceau du peintre allait à droite quand ilk porté à gauche, et à gauche quand il le porte à droite, ne le jeterait-il pas au feu? Les uns metteii' leur sainteté à faire des pénitences, lés autres à com-
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munier souvent, d'autres enfin à faire beaucoup d'o-raisons. Mais, dit St.-Thomas, la perfection ne con-siste qu'à se conformer à la volonté divine. Mentishu-manœperfectio in hoc consistit, quod Deo subjiciatur. (2.2. q. 82 8.) Les pénitences, les communione, ne sont bon-nes qu'autant que Dieu le veut; elles sont des moyens de nous unir à sa divine volonté, mais la perfection et la sainteté ne consistent qu'à faire ce que Dieu exige de nous. La volonté de Dieu est la règle de la bonté de nos actions et de toute vertu. Elle sanctifie tout,même les actions indifférentes, pourvu qu'elles soient faites pour obéira Dieu. Voluntas Dei sanctificatio vestra, dit l'A-pôtre. (1 Thess. iv. 3.) L'accomplissement de la vo-lonté de Dieu est la sanctification de votre âme.
IV. Je sais que les hommes se conforment de bon gré à la volonté de Dieu dans l'adversité, mais ils ne veulent pas s'y conformer dans la prospérité. C'est là une grande folie, car ils souffrent doublement de leurs maux et sans mérite, puisque, soit que nous le vou-lions, ou que nous ne le voulions pas, la volonté de Dieu doit s'accomplir. Consilium meum stabit, et omnis voluntas mea fiet. (Isa. XLVIII. 10. ) Si une malade ne supporte pas ses douleurs avec calme, si elle s'irrite avec tout le monde, qu'en résulte-il ? ses douleurs di-minuent-elles? Non, elle les augmente, car elle résiste à la volonté de Dieu et perdla paix de l'âme. Quis resistit ei, et pacem habuit. (Job. ix. &.) En les supportant sans se plaindre, elle se consolerait avec l'idée qu'elle fait la volonté de Dieu^ Oh ! que celui-là plaît au Seigneur, qui dit avec David : Obmutui, et non aperui os m.eumf quoniam tu fecisti. (Ps. xxxvm. 10.) J'ai fermé ma bouche ô mon Dieu, je n'ai pas osé parler, sachant que c'est vous qui l'avez voulu ainsi. Dieu seul peut faire
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iiotre bien, nul ne nous aime plus que lui, soyons donc persuadés qu'en tout il n'agit que pour notre bien et parce qu'il nous aime. Beaucoup de choses qui nous semblent des malheurs nous sembleraient des grâces, si nous connaissions le but dans lequel Dieu les fait. Le roi Manasses qui fut chassé de son royaume et devint l'esclave du roi d'Assyrie, se trouva bien malheureux. Cependant, de-là résulta s«a félicité éternelle, car il se repentit de ses péchés et en fit pé-nitence devant Dieu : Qui postquam coangustatus-est, oravit Dominum Deum suum, et egit poenitentiam valde coram Deo. ( II. Par. xxxin. 12. ) Nous avons des ver-tiges ; il nous semble que tout va à l'envers et nous ne nous apercevons pas que ce ne sont pas les objets qui tournent, mais notre tête malade et notre amour-propre qui nous les fait voir autrement qu'ils ne sont. Vous dites : Tout va d rebours de mes désirs ! Non, ma sœur, c'est vous qui allez à rebours, c'est votre vo-lonté , car tout ce que Dieu fait, il le fait pour votre bien, mais vous ne voulez pas le croire.
V. Où trouverons^nous  quelqu'un  qui prenne  à cœur 'notre bien plus que Dieu ? Tantôt il se compare à un berger qui va à la recherche d'une brebis égarée: ( Luc. xv. ίι.) tantôt à une mèrequi ne peut oublier son fils. Numquid oblivisci potest mulier infantem, suum , ut non misereatur filio uterì suc ? ( Isa. x'iix. 16. ) Tan-tôt à une poule qui couvre de ses ailes tous ses pous-sins : Jérusalem, Jérusalem, dit-il, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfaiis comme une poule rassemble ses petits sous ses ailes et tu ne l'as pas voulu? Jerusalem , Jerusalem, quoties volai congregare filios tuos , quemadmodum gallina congregat pullos suos sub alas, et noluisti? ( Mat. xxui. 37. ) Dieu, dit Da-vid , noui çuveloppj d) sa volonté p.mrnous défen -
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dre des coups de nos ennemis. Ut scutb bonm voluntatis tum coronasti nos. ( Ps. ν. 13. ) Pourquoi ne nous li-vrons-nous pas à la volonté de ce bon père ? Ne serait-il pas· fou cet aveugle qui, errant au bord des abîmes, repousserait la main d'un père qui l'aime, pour aller au hasard selon son caprice? Heureux ceux qui se lais-sent guider par le Seigneur! Le P. St.-Jure raconte, dans- son Trésor Spirituel, qu'un jeune homme qui voulait entrer dans la Compagnie de Jésus , fut refusé, parce qu'il lui manquait un œil. Qui n'aurait cru que ce défaut était un grand malheur pour lui ? Cepen-dant il lui valut le sort le plus heureux, car on ne le reçut qu'à condition qu'il' irait aux Indes comme mis-sionnaire; il y alla en effet et y reçut le palme du martyre. Le véu-. .p. Balthazar Alvarez disait à ce pro-1· pos : le royaume des cieux est le royaume des estro-piés, de ceux qui sont tentés et méprisés. Laissons-nous donc conduire par le Seigneur comma des aveu-gles, sûrs qu'il nous mènera au ciel. Ste.-Thérèse di-sait : Le Seigneur ne nous envoie jamais une peine qu'il ne la paie par quelque faveur, pourvu que nous L'acceptions avec résignation^-       ;>                  :..:.
i VI. Oh ! qu'ils sont tranquilles ceux qui se confor-ment à la volonté. de Dieu ! Ne roulant que ce que Dieu veut ^ ils ont toujours ce qu'ils veulent, car tout ce qui arrive en ce monde arrive par la volonté de Dieu. Le Panormitàin raconte que le roi Alphonse ( surnommé le Grand ) dit une fois que le plus heu-reux des hommes était celui qui se conformait à la volontéde Dieu. D'où viennent nos inquiétudes sinon de ce que les choses n'arrivent pas comme nous le voulons, et que nous résistons à la volonté divine ? Ad justam legem, dit St.-Bernaid, Dei pertinuit, ut qui d Deo noluit suaviter regi , pœnaiiter d seipso rtgeretur.
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( Ep. xxi. ad Char. ) Dieu permet avec raison que ce-lui qui refuse de se soumettre à sa douce direction devienne triste et malheureux , aussitôt qu'il veut se gouverner lui-même. Celui qui ne veut que ce que Dieu veut, voit toujours ses désirs accomplis, il est toujours tranquille dans la prospérité comme dans l'adversité. Quand vous voyez une personne triste, di-tes sans craindre de vous tromper, que c'est parce qu'elle n'est pas résignée à la volonté divine. Les saints sont gais, même dans les tourmens, pourquoi ? Parce qu'ils sont résignés. Non contristabit justum quidquid ei acciderit. ( Prov. xii. 21. ) Le cardinal Pétrucci a dit : «Ce monde est un théâtre de ruines; ses délices et ses jeux semblent des plaisirs et sont des tourmens , mais les tourmens de Dieu semblent des peines et sont des plaisirs.
VII. Salvien disait en parlant des saints : Humiles sunt, sancti, hoc volunt ; pauperes sunt, paupertate delectantur ; itaque quidquid acciderit, jam beati dicendi sunt. Ils sont humiliés , ils s'en réjouissent ; s'ils sont plongés dans la misère, ils s'y plaisent, quelque malheur qui les accable , ils en sont contents. Ainsi ils sont bienheu-reux, même dès cette vie. Les sens éprouveront de vi-ves peines lorsqu'ils seront contrariés de cette sorte mais la partie inférieure seule souffrira et la partie su-périeure jouira de la paix. Les saints, dit le P. Rodri-guez, sont semblables au mont Olympe dont les flancs sont sujets à la foudre et aux orages, mais dont le front est éternellement serein. Dans toutes les don-leurs de sa passion, le Sauveur conserva toujours le calme intérieur. Plus les saints souffrent, plus ils sont joyeux, parce qu'ils savent qu'en acceptant leurs souf-frances avec soumission , ils se rendent plus agréables à Dieu qu'ils aiment par dessus tout. David l'a dit, vo-
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tre verge Seigneur, et votre bâton sont ma consola-tion. Virgo, tua et baculus tuus ipsa me consolata sunt. ( Ps. xxii. iv. ) Ste Thérèse disait : Quel plus grand plaisir que d'avoir quelques preuves qu'on est agréa-ble à Dieu? Le P. Avila nous a laissé par écrit : Un Dieu soit loué, prononcé dans l'adversité, vaut mieux que six mille actions de grâce dans la prospérité.
VITI. J'accepte, dites-vous, toutes les croix que Dieu m'envoie, pertes, douleurs, maladies, mais comment supporter les mauvais traitemens et les persécutions ? Celui qui me persécute offense Dieu , car Dieu ne veut pas le péché. Ο ma sœur ! ignorez-vous que c'est Dieu qui fait tout cela ? Bona et mala, vita et mors, rf Deo sunt. ( Ecc. xii. 1A ) La prospérité et l'adversité, la mort et la vie viennent de Dieu. Faites attention à ceci : Notre être physique fait le matériel de nos ac-tions , notre être moral dirige le physique par la rai-son ; or, l'être moral de celle qui vous persécute com-met le péché et ne le commet que par l'effet de sa ma-lice ; mais son être physique n'agit que par le con-cours divin, de sorte que Dieu ne veut pas son péché, mais il veut que vous souffriez cette persécution , et c'est lui qui vous l'envoie. Quand on enleva à Job tous ses bestiaux, Dieu ne voulait pas le péché des voleurs, mais il voulait que Job souffrit cette perte ; le Sei-gneur m'avait donné ces biens, s'écria-t-il, le Sei-gneur me les a enlevés ; que le nom du Seigneur soit béni, il est arrivé comme il a plu au Seigneur. Domi-nus dedit, Dominus abstulit; sit nomen Domini benedic-tum; sicut Domino placuit, ita factum eft. ( 1. 21. ) St.-Augustin remarque que Job ne dit pas: Le Seigneur m'avait donné et le diable m'a enlevé·; mais le Sei-gneur m'avait donné et le Seigneur m'a enlevé : Do-minus dedit et diabolus abstulit sed Dominus dedit et Do-
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wunMi«/wftt/tt.(Conc.2.irips.32.)Dieunevoulait.pasnon' plus le péché des Juifs qui firent mourir Jésus-Christ, mais Jésus^Christ dit à St.-Pierre : Ne voulez-vous pas que je boive le calice que mon Père m'a'donné ?; Calicem quem. dedit mild pater non vis ut bibant illum}? ( Jo. xvm. 11.) C'est-à-dire que la mort ne lui était pas donnée par les Juifs, mais qu'elle lui était en-voyée par son père éternel. St.-Dorothée dît que ce-lui qui est maltraité par quelqu'un, et s'çn venge:, fait comme le chien qui étant poursuivi à coups de pierre, mort la pierre qui le frappe et non la m;iin qui la lançai Dans tous les mauvais traitements qne nous recevons reconnaissons donc la main de Dieu, et! ré-signons-noBs à sa sainte volonté.
PRIÈRE.
Mon bien-aimé Rédempteur, vous avez souffert par amour p^ur^mo/i toute», sortes d'injures et de douleurs et moi je vous ai délaissé pour les plaisirs du monde. Je VQMf remercie de m'avoir attendu jusqu'à présent. Si i'é.tais mort ^lore,i je ne pourrais plus vous aimer. Puisque je Je puis, je veux maintenant vous aimer de tout mon cœw.Açcueillez-moi, ô mon amour, main-tenant que je reviens à vous, le cœur touché et plein de douleur des déplaisirs que je vous ai donnés; ne me rçjetez point. Si, lorsque je méprisais votre amouBj vous n'avez pas laissé de courir après moi, cpkhment craindrai-je d'être rejetée maintenant que je ue sou-r pire qu'après ce divin amour ! Vous m'avez supportée pour que je me repentisse,: je .me repends etije veux V.QU8 aimer» Je vous aime de tout mon coeur, ô amour de mon âme, j'éprouve une douleur profonde de vous avoir offensé. À l'avenir je me propose de ne plus voiw
SASCTÌFIÉE.                                 3gt
offenser sciemment et de faire tout ce que vous vou-drez. Votre volonté sera désormais l'unique objet de mon amour. Dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour vous être agréable , je suis prête à tout. Je veux vous aimer sincèrement ; j'embrasse toutes les croix que vous m'enverrez. Châtiez-moi en cette vie , afin que je puisse vous aimer éternellement dans l'autre. Mon Dieu faites que je sois fidèle. Marie , je me recom-mande à vous, ne cessez de prier Jésus pour moi
S· n.
En quoi il faut surtout se rrsigner.
I.  Nous avons déjà vu combien la résignation nous rend chers à Dieu et nous aide à faire notre salut. Ve-nons-en à la pratique et voyons eu quoi et comment il faut nous résigner. 1° II faut se résigner1 à la volonté de Dieu dans les moindres choses. Par exemple, souf-frir une parole qui blesse, une mouche qui pique^un chien qui aboie, un caillou qui nous fait trébucher, une chandelle qui s'éteint, un habit qui se déchire etc.. Il vaut mieux supporter avec résignation ces petites cho-ses, que les grandes, d'abord, parce queles premières sont plus fréquentes et ensuite parce que nous nous ac-coutumons par là à nous résigner dans les plusdifûciles.
II.  2° Résignons-nous quand nous sommes malades. Qui veut plaire à Ditu, doit en chercher les occasions. C'est pour cela que les bonnes âmes appellent grâces ce que le monde appelle malheur. Les malades qui souffrent et ne se conforment pas à la volonté de Dieu sont les:plus malheureux, des hommes,  non parce qu'ils souffrent, mais parce qu'ils ne voient pas com-bien de grâces Dieu leur accorde en les faisant souf-frir. Ils changent en   poisons les médecines qu'ils
5ga                         LA BEUGIE^SE
prennent, car les maux du corps sont les remèdes les plus efficaces pour guérir les maux de l'âme. Dolor vul-neris abstergit mala, dit le sage ( Prov. xx. 30. ) Le P. Balthazar Alvarez dit que celui qui se résigne à la volonté de Dieu dans les souffrances , court la poste pour s'unir à Dieu. Le Seigneur dit à Ste.-Gertrude que quand il voyait une âme malheureuse, il appro-chait d'elle; et que c'est son plaisir de demeurer avec les malades et les malheureux, comme dit David : Juxta est Dominus iis quitribulato sunt corde. (Ps.xxxm. 19. ) Dieu aime à être près des malheureux : Cum ipso sum in tribulatione. ( Ps. XL. 15. ) Je suis avec ce-lui qui est dans la tribulation.
III. Quand nous sommes malades, nous devons prendre les remèdes que nous prescrivent les méde-cins , parce que Dieu même le veut. Mais nous de-vons ensuite nous résignera sa volonté. Nous pouvons lui demander la santé pour le servir, mais en le lais-sant faire de nous tout ce qu'il lui plaira, c'est là le meilleur moyen d'obtenir la grâce de guérir. Celui qui, dans ses prières, ne cherche pas Dieu mais se cherche lui-même , ne sera pas exaucé ; au contraire » celui qui ne cherche que Dieu et ne veut faire que sa vo-lonté sera exaucé. Exqiûûti Dominum et exaudivit me. ( Psal. xxxiii. 5. ) Le Seigneur apparut à Ste.-Gertrude malade, et lui demanda si elle voulait la santé; elle mit la main sur son cœur et dit : Voici ce que je veux ; je veux votre volonté. ( Op. St.-Ger. 1. m. c. 53. ) Le remède universel pour toutes les maladies, c'est cette belle parole : Que votre volonté soit faite : Fiat vo-luntas tua! Ste.-Liduvine, étendue sur son lit et toute couverte de plaies , disait : Seigneur, c'est ma joie d'être accablée de souffrances, car ma seule consola-tion est de faire votre volonté. Une âme tiède ne peut
parvenir à un tel degré de perfection, mais les âmes aimantes y arrivent. Qu'il est doux de souffrir pour l'objet aimé 1 C'est cet aigre-doux si précieux aux âme* aimantes et qui rendait si agréables aux martyrs les tortures, les coups de fouets et les lames ardentes. St.-Episette, martyr, tandis que les tirans lui faisaient déchirer les chairs avec des ongles de fer , et brûler les côtés avec des torches ardentes, répétait sans cesse et sans perdre la paix intérieure : Que votre volonté soit faite en moi, ô mon Dieu, que votrevolonté soit faite ! (flosv. in vit. pp. 1. 1. ) St.-Bonaventure raconte dans la vie de St.-François, (c. 14. ) qu'un jour que ce saint était très-souffrant, un moine fort simple lui dit : Mon^ere priez Dieu de vous traiter plus doucement, il me semble qu'il appesantit trop sa main sur vous. Le Saint lui ré-pondit : Mon frère, si je ne savais que ce que vous dites, est l'effet de votre simplicité , je ne voudrais plus vous voir, puisque vous osez blâmer ce que fait le Seigneur. Il sauta hors du lit, se jeta à terre et dit en la baisant : Je vousremercie, Seigneur, de mes souf-frances, et vous prie de les augmenter si c'est votre plaisir, car je ne cherche que votre volonté.
IV. 3°. Il faut nous conformer à la volonté de Dieu pour les défauts que nous avons; le jugement lent, la mémoire ingrate , la vue basse , l'ouïe dure , peu d'habileté dans les fouctions de l'emploi, la santé dé-licate. Répondons à ceux qui nous les reprochent : C'est Dieu qui nous a faits, et nous ne nous sommes pas fait nous-mêmes. Ipse fecit nos, non ipsinos. ( Ps. xcix. 3.) Nous sommes pauvres, nous devons nous contenter de l'aumône que nous fait le Seigneur. Que diriez-vous si un pauvre se plaignait de ce que l'habit qu'on lui donne n'est pas assez riche, ou le pain assez blanc ? Prenons avec reconnaissance ce que Dieu
nous donne, ne pouvait-il pas nous laisser dans notre ■néant? ne pouvait-il pas, au lieu de nous faire hom-ines, nous créer crapauds, moucherons, herbe sau-vage ? Oh ! que de fois la laideur ou l'ignorance, ont été utiles à plusieurs pour se sauver ! Souvent la beauté et l'esprit ont été pour d'autres des occasions de se perdre. Combien de fois le génie, la noblesse, les richesses ont enorgueilli l'homme et l'ont précipité danslecrimeîConteiitons-nous des biens queDieulaisse tomber sur nous et n'en demandons pas d'autres. Le B. Henri Snson disait : J'aimerais mieux être le plus vil des animaux de la terré avec la volonté de Dieu, que sérapiiin avec ma volonté. Nous devons aspirer au plus haut point de perfection possible, mais nous de-vons nous contenter du seul degré que Dieu veut que nous atteignions.
: V. 4°· Résignons-nous surtout dans les désolations d'esprit qui sont les peines les plus cruelles, pour uile âme qui aime Dieu. Il ne faut pas nous inquiéter en disant' : « Je ne m'affligerais pas si je savais que je ne suis si désolée que parce que Dieu le veut, mais je crains qu'il ne se soit éloigné de moi à cause de mes péchés. » C'est la volonté de Dieu, vous répondrai-je que vous acceptiez cette peine; châtiment bu non, acceptez-le et Dieu sera content. Pour vous délivrer de toute inquiétude, sachez aussi qu'il y a deux espè-ces d'aridité, une aridité des sens qu'il n'est pas tou-jours en notre pouvoir de vaincre et qui alors ne dé-plaît pas à Dieu ; et une autre aridité qui dépend de nctre volonté ( c'est la tiédeur volontaire ) et que par conséquent nous pouvons vaincre. Nous avons déjà parlé de cette dernière dans les chap. V et VI. Mais quant à la première, peu importe que nous soyons incapables d'élever notre esprit à Dieu et de faire des
SANCTIFIEE.                             3g5
actes d'amour, de contrition, de conformité à sa vo-lonté, pourvu que nous les fassions avec bonne vo-lonté ; fussent-ils secs, arides et presqu'imperceptibles, ces actes plairont à Dieu. Si nous ne pouvons faire autre chose dans cet état d'obstiurité', anéantissons -nous devant Dieu et avouons-lui nos misères; jetons-nous entre ses mains comme une pierre qu'on jette dans un abîme, sans savoir ou elle ira; nous trouverons alors la paix. Prious-le toujours dansl'étatdeténèbreset dans celui de lumière et disons : Seigneur conduisez-moi par où il vous plaira, faites-moi exécuter votre volonté, je ne veux rien de plus. Toute âme qui s'in-quiète dans l'aridité montre qu'elle ne s'est pas encore entièrement abandonnée à la volonté de Dieu. Ste.-Thérèse disait : Tout ce qu'on doit chercher en priant c'est de conformer sa volonté à celle de Dieu.. G'est en cela seulement que consiste la perfection. Ceux qui feront ainsi recevront de grandes grâces de Dieu.: Ste- Marie Magdeleine de Pazzi disait que nos oraisons ne doivent être que sur la conformité à la volonté* divine.
VI. Épouse du Seigneur, dans vos oraisons, offrez-vous à' Dieu avec le désir de soufl'rir promptement, et pour son amour, toute espèce de peines d'esprit et de corps;, les maladies, le déshonneur, la persécu-tion ; prjez-lè de vous donner la force de faire toujours sa sainte volonté. Quand il vous arrive quelque ad-versité, disent les maîtres de la vie spirituelle, faites-en le sujet de vos oraisons et répétez les actes de con-formité à la volonté de Dieu. C'est là ce que faisaient tous les saints, St.-Pierre· d'Alcantara, lorsqu'il en-trait dans son lit, faisait,comme s'il était à l'agonie et disait : Seigneur, que votre volonté s'accomplisse en. moi. Dominé, fiai in me voluntas tua. Et il avait inten.
3Q6                         LA RELIGIEUSE
tion que chaque battement de son cœur fût un acte de résignation. Oh ! qu'ils sont agréables à Dieu ces ac-tes de conformité à sa volonté. Ce n'est pas qu'il aime nos souffrances, mais c'est qu'il y trouve la mesure de notre amour. Quand Dieu commanda à Abraham d'immoler Isaac, il ne voulait pas le sang d'Isaac, mais il voulait savoir si Abraham serait prompt à exé-cuter son ordre. Voilà ce que Dieu veut de nous tous, c'est que nous tenions notre volonté toujours unie à la sienne.Quelques religieuses, en lisant les livres mys-tiques, se passionnent pour l'union surnaturelle appe-lée passive, mais je voudrais qu'elles désirassent l'union active, c'est-à-dire la véritable conformité à la volonté de Dieu , en laquelle consiste la véritable union de de l'âme avec son créateur (selon Ste-Thérèse.). Les personnes, dit la Sainte, qui ont l'union active, ac-quièrent peut-être plus de mérite, parce que c'est avec peine qu'elles l'ont obtenue ; et tout ce dont elles manquent ici bas, le Seigneur le leur prépare dans le ciel. Le cardinal Pétrucci dit que l'on peut parvenir, sans la contemplation infuse et avec la grâce ordi-naire , à anéantir sa propre volonté et à la transformer en celle de Dieu; et que nous ne devons demander à Dieu que de faire en nous sa volonté, car c'est en cela que consiste toute la sainteté. C'est là mourir à nous-mêmes, renoncer à nos désirs, à nos goûts, pour ne vivre qu'en la volonté de Dieu. L'Apôtre a dit : Vivo au-tem jam non ego vivit vero in me Christus. (Gal. II. 20.) Je ne vis plus de ma vie, mnis de celle de Jésus-Christ, car je ne veux que ce qu'il veut.
VII. Tâchez donc, ô ma sœur, surtout dans ce qui répugne à vos sens , de répéter toujours ces paroles du Sauveur : Ita, domine, quoniam sic fuit placitum ante te. (Mat. π. 26. ) Ainsi soit-il, puisqu'ainsi \ous l'avez
SANCTIFIÉE.                                       Si)?
voulu. Un bon religieux, dont parle Césaire , faisait beaucoup de gracies,· son supérieur lui ayant de-mandé ce qu'il avait fait d'assez extraordinaire pour que Dieu lui accordât cette grâce ; il répondit : Je ne fais que me conformer à sa volonté et d tout recevoir de ses mains. Mais, reprit l'abbé, avant hier le couvent fit une grande perte et vous n'en fûtes pas ému. Non, répon-dit le moine , parce que je pensai que c'était la volonté de Dieu. L'Abbé connut alors pourquoi ce moine était si cher à Dieu. Quand vous êtes tourmentée parla crainte de quelque malheur à venir, dites : Seigneur, je veux ce que vous voulez, faites de moi, et de ce que j'ai, toot ce qu'il vous plaira. S. Grégoire raconte (Dial.l. m. c. 16.) que le démon tourmenta pendant trois ans, sous la forme d'un serpent, un bon religieux qui souffrait beaucoup de cela, mais qui n'en perdit pas le prix. Il disait à l'ennemi : Fais de moi ce que tu veux, si Dieu le permet. Que votre prière se réduise à ces mots : Fiat voluntas tua. Répétez-la en vous levant et en vous cou-chant ; dans vos méditations, dans vos communions et dans les visites au S.-Sacrement, dites toujours fiat voluntas tua. Ste.-Gertrude répétait 300 fois par jour : Mon Jésus que votre volonté soit faite et non la mienne.
VIII. Vous êtes heureuse si vous faites toujours ainsi ; si vous êtes toujours résignée à la volonté di-vine , votre vie sera douce et votre mort plus douce encore. Blosius dit que celui qui fait à l'instant de la mort un acte de conformité à la volonté divine, se délivre de l'enfer et même du purgatoire, eût-il com-mis les crimes les plus affreux : Hoc si facere potuerit neque infernum neque purgatorium subibit, etiam si totius mundi peccata commisisset ( Bios, de Consol. Pulsill. e. 34.) La raison en est que celui qui accepte la mort avec résignation acquiert un mérite semblable à ce-
5g8                                  Là   RELIGIEUSE
lui des martyrs qui donnèrent volontairement leur vie pour Jésus-CliriEt. Celui qui meurt en se confor-mant à Dieu, meurt content, même au sein des dou-leurs: Un religieux de Citeaux était près de mourir, Res chairs se pourrissaient sur lui et lui causaient des douleurs horribles. Mais il en remerciait Dieu. Quand il fut à l'agonie et que ses douleurs redoublèrent, il se mit à chanter avec une plus grande joie. Les frères l'entouraient, étonnés de le voir dans une telle allé*-gresse, au milieu de souffrances si affreuses, etils furent témoins de son dernier soupir qu'il rendit en disant : Diligentibus deum omnia cooperantur in bonum. (Rom. vin. 28.) Pour ceux qui aiment Dieu, tout devient un sujet de mérites et de consolation, car il est certain que Dieu ne nous envoie de -croix, que pour notre bien. Il dil un jour à Ste.-Gatherine de Sienne: «Je » ne puis vouloir que ce qui vous est utile. J'ai créé » l'homme de plein gré, de mon propre mouvement, » c'est pour cela que je l'aime avec excès. Je ne vous t comble de tribulations que pour votre bien, que je » désire plus que vous-même. » Une sainte femme, rongée d'ulcère?, était sur le point de mourir ; l'évêque qui l'assistait ne pouvait retenir ses larmes à l'aspect de ses souffrances, mais elle riait et s'étonnait de le voir pleurer. LVvêque, de son côté, s'étonnait de voir rire la femme. Il lui demanda : pourquoi riez-vous ? Elle répondit: « Si une princesse emprisonnée savait qu'elle » ne pourrait rentrer dans ses états que lorsque son ■> cachotserait détruit, ne se réjouira it-ellè pas en en » voyant crouler les murs? De même, sur le point de ι sortir du cachot de mon corps, je me réjouis et je » ris. »
IX. Je ne m'arrêterai pasjdavantage sur la volonté de Dieu, parce que j'en ai déjà fait un traité à party in-
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séré dans mes Visites au St.-Sacrement. Si vous avez ce petit ouvrage, je vous prie de le lire, même plu-sieurs fois, parce que notre .salut et notre perfection consistent seulement a nous unir à la volonté de Dieu. Est vita in voluntate ejus. (Ps.xxix. 6.) Notre vie spi-rituelle est toute dans la volonté de Dieu.
X. Je vous prie, en dernierlieu, de faire toutes vos ac-tions dans le seul but d'obéir, à Dieu, car, par là, ja-mais vous ne vous troublerez, quand Ie3 choses n'irpnt pas au gré de vos désirs. Vous serez toujours tranquille, et vous plairez à.Dieu. Savez-vous ce que. c?est que de plaire à Dieu? Le P. Torres· vous l'apprend·.C'est plaire à ce cœur paternel à qui nous devons tout, à cet oeil divin, si inquiet pour notre bien ; c'est con-tenter cette volonté toujours occupée de notre bonr heur. Plaire à Dieu, c'est la fin pour laquelle il nous à créés, c'est le terme où doivent tendre tous nos dé-sirs, c'est la règle de toutes nos actions. Plaire à Dieu, c'est tout ce que cherchent les Saints j c'est ce qui a porté tant de vierges à se consacrer à lui dans le, cloître, et tant d'anachorètes à se retirer dans les dé-serts, c'est ce qui empêche ceux qui sont persécutes, de sentir les calomnies, les injures, et qui rend doux aux martyrs les tourmens et la mort même. Plaire à Dieu, c'est ce qui porte une àrnè fervente à aller au devant des privations, de la doulfiar, des calomnies les plus infâmes, delà mort la plus douloureuse et de l'enfer lui-même. Plaire à Dieu, c'est préférable atout intérêt, àtouf bonheur, à ce point quesî les Saints etla Ste.-Vierge, en première ligne, savaient être plus agréables à Dieu dans l'enfer, que dans le paradis , ils se précipiteraient dans ces tourmens éternels, pour procurer à Dieu cette plus grande satisfaction. Voilà ce que veulent dire ces mots : plaire à Dieu.
4θΟ                                    LA   RELIGIEUSE
PRIÈRE.
Ο mon Jésus, ayez pitié de moi! Malheureuse ! Que de fois, pour satisfaire ma volonté contre la vôtre, je me suis condamnée à l'enfer ! Si alors vous m'aviez fait mourir, je serais maintenant dans ce gouffre, à maudire et à haïr votre sainte volonté. Mais non, je la bénis, je l'aime et veux l'aimer toujours. Mon Ré-dempteur, pardonnez-moi ! Je ne veux plus vous of-fenser, dites ce que vous voulez que je fasse , et don-nez-moi votre grâce pour l'accomplir. Fiat voluntas tua. Faites-moi faire toute ma vie votre volonté, car vous ne voulez quemonbien et mon salut. Père éternel, par l'amour de Jésus-Christ, qui m'a enseigné à vous prier en son nom, je ne vous demande qu'une seule grâce : Fiat voluntas tua, fiat voluntas tua, fiat voluntas tua. Puissé-je toujours vivre et mourir en faisant votre vo-lonté ! Ο Marie ! gloire à vous, qui fîtes toujours la volonté de Dieu parfaitement! Ο ma mère, obtenez-moi, pendant le reste de ma vie , de faire toujours la volonté de Dieu, j'espère cette grâce de votre inter-cession.
CHAPITRE XV.
De l'oraison mentale.
§· i.
Oc la nécessité de l'oraison mentale pour les religieuses.
I. La vie des religieuses doit-être une vie d'oraison. Il est difficile , disons mieux, il est moralement im-possible qu'une religieuse , qui n'aime pas l'oraison, soit jamais une bonne religieuse. Si vous voyez une religieuse tiède, dites : elle ne fait pas oraison, et vous ne vous tromperez pas. Le démon fait tous ses efforts pour,
B1NCTIÏIÊE.                                          Hoi
dégoûter les religieuses de l'oraison; s'il s'en rend maî-tre sur ce point, il triomphe bientôt sur tous les autres. St.-Philippe de Néri disait : Une religieuse sans oraison, est une religieuse sans raison : J'ajoute, ce n'es* plus une religieuse, c'est un cadavre de religieuse. Sans orai-son , 1°. pas de lumières, celui qui tient les yeux fer-més , dit St.-Augustin , ne peut voir le chemin qui mène à la patrie. Les vérités éternelles sont des cho-ses spirituelles, invisibles aux yeux des corps, mais el-les sont visibles aux yeux de l'âme; c'est-à-dire par la pensée et par la méditation. Celui qui ne fait pas d'o-raison mentale ne les voit pas, et ne voit pas non plus, par conséquent, l'importance du salut éternel et les moyens à prendre pour l'obtenir. Ce qui perd tant d'âmes, c'est la négligence à méditer sur l'œuvre im-portante de leur salut, et à chercher les moyens de l'opérer : la terre est plongée dans la désolation, parce qu'il n'est personne qui réfléchisse dans son cœur : Desolatione desolata ett omnis terra,quianullus est qui re-cogitet corde. (Jér. xii. 11.) Mais au contraire celui qui a sans cesse présentes à l'esprit les vérités de la foi, la mort, le jugement, l'éternité heureuse ou malheu-reuse qui l'attend, ne tombe plus dans le péché. Sou-venez-vous de vos fins dernières et vous ne pécherez jamais. Memorare novissima tua et 'maternum non pecca-bis. (Ec. vu. 40. ) Approchez de Dieu, disait David, et vous serez éclairés. Accedite ad eum ei illuminamini; (Ps. xxxvi. €.) et ailleurs, le Sauveur a dit : Que vos reins soient ceints et portez des lampes ardentes dans vos mains : Sint lumbi vestri prœcincti et lucerna arden-tes in manibus vestris. ( Luc. xu. 35. ) Ces lampes, dit St.-Bonaventure , sont précisément la méditation : Oratio est lucerna. Car Dieu nous parle dans l'oraison
et nous éclaire dans le chemin du salut : votre parole vin.                                                       26
4θ2                                  LA   BEMGIEI'SE
est la lampe qui dirige mes pas : Lucerna pedibus mets verbum tuum. (Ps. cxvm. 105.).
II. St.-Bonaventure compare l'oraison mentale à un miroir qui nous montre toutes les taches susceptibles de  dégrader  notre âme, et Ste.-Thérèse écrivant à l'évêque d'Osma (Lettre 8.) : « Nous croyons parfois, dit-elle, être exempts d'imperfections, mais lorsque Dieu désille les yeux de notre ârae, comme il a cou- ' tume de le faire par l'oraison, nous apercevons tous nos défauts. Qui ne fait pas d'oraisons ne connaît pas ses défauts et ne les déleste pas, nous dit St.-Bernard; Seipsum non exhorret, quia non sentit. Une connaît pas non plus les dangers que court son  salut éternel et par la même raison il ne songe pas à les éviter. Mais s'il s'adonne à l'oraison, il voit promptement ses dé-fauts, les écueils qui entravent sa marche, les dan-gers qui l'environnent et les voyant il pense à les évi-ter. David, en méditant sur l'éternité , apprit à prati · quer la vertu et à fuir le vice : Cogitaei dies antiquos, et annos œternos in mente habiti, et exercitabar, et scope-bam spiritum meum. (Ps. LXXVI. 5.)Écoutezl'JÉpouse des Cantiques : Les fleurs ont apparu sur notre terre;le tems de li taille est arrivé, nous avons entendu la voix de la tourterelle : Flores apparuerunt in terM nos-tra, tempus putationis advenit; vox turturis audita est in terra nostra. (Cant.   II.  12.)  Quand' l'âme se retire comme une polombe solitaire pour se recueillir dans l'oraison et s'entretenir avec Dieu, les fleurs, c'est-à-dire les bons désirs apparaissent, et alors vient le tems de la taille, c'est-à-dire de la réforme des défauts que l'oraison nous révèle. Croyez, dit St,-Bernard, que le temps de la réforme est arrivé, si la méditation vous la révèle : tempus putationis adesse, si meditatio prœivit, (De cons. L π. Çh,. 6 ) Car, dit ailjeurs.le même saint,
«ANCTIFIÉE.                                  4°3
la méditation règle nos penchants, dirige nos actions et corrige nos défauts : Consideratio regit affectus, diri-git actus, conigit excessus. (Ibid. 1. ι. ch. 7.)
III. 2°. Sans oraison  nous n'avons pas la force de résister aux tentations de l'ennemi, ni de pratiquer les vertus chrétiennes.  L'oraison est pour l'âme ce que le feu est pour le fer ; quand il est froid sa dureté est extrême et rend impossible tout travail ; mais le feu l'amollit et le rend comme docile à la volonté du forgeron. Faher ignitum ferrum iciibiisnwlUresaUgit. Le ^vénérable Barthélémy des Martyrs ass-irait (de Gradu doct. spir. cap. 26.) que, pour observer les conseils et les préceptes divins, il faut avoir un cœur tendre, c'est-à-dire facile à recevoir l'impression des inspira-tions célestes et prompt à les mettre en pratique. Sa-lomon disait à Dieu : vous donnerez à votre serviteur un coeur docile ; Dabis ergo servo tuo cor docile. { 3 Reg. m. 9.) Notre cœur est maintenant par lui-même dur et indocile, à cause du péché, et enclin aux plaisirs des sens ; il répugne à se soumettre aux lois de l'esprit comme l'a éprouvé l'Âpôtre : je sens dans mes mem-bres une autre loi en opposition à la loi de mon esprit; Video autem aliam legem in membris meis, repugnantem legi mentis meœ. (Rom. vu. 23.) Mais l'homme qui se rend docile aux influences de la grâce qui se communique à lui dans l'oraison, considérant la divine bonté, l'amour immense que Dieu lui porte et les bienfaits incalcu-lables dont il l'a comblé, s'enflamme, s'attendrit et trouve ainsi une grande facilité à suivre la voix qui se fait entendre à lui.  Sans oraison le cœur reste dur, rétif, désobéissant et ne peut manquer de se perdre. Le cœur dur finira mal, et celui qui aime le danger y périra ; Ccr durum liabebit maie itt novissimo, et qui amat periculum peribit in illo. (Ecc. πι. 27.) Aussi St.-Ber-
 LA  RELIGIEUSE
nard exhortait-il Eugène, qui devint pape plus tard, à ne jamais négliger l'oraison pour les affaires extérieu-res : Timeo tibi, Eugeni, ne multitudo negotiaruTìif, inter-missa oratione et consideratione, te ad cor durum perdu-cat; quod seipsum non exhorret, quia, non sentit. (Lib. ι. de cons, ad Eug.)
IV. Quelques personnes, regardant comme perdu le temps de l'oraison, pensent qu'il vaudrait mieux le consacrer à ce qu'elles appellent des œuvres utiles. Mais ces personnes ignorent que l'âme puise dans l'oraison la force de repousser le démon et de prati-quer la vertu, comme l'écrivait St.-Bernard : Ex hoc otio vires proveniunt. C'est pour cela que l'époux des cantiques défend de troubler le sommeil de son épouse, jusqu'à ce qu'elle s'éveille elle-même ; ne sus-citetis neque evigilare faciatis dilectam, donec ipsa velit (Cant. HI. 5. ) II. dit : Donec ipsa velit, jusqu'à ce qu'elle le veuille elle-même, parce que le repos ou sommeil que goûte l'âme dans l'oraison est tout vo-lontaire, mais n'en est pas moins nécessaire pour la vie spirituelle. Qui ne dort pas n'a pas la force de supporter la fatigue de la marche et tombe au mi-lieu du chemin. Ceux qui ne se reposent pas et ne prennent pas de forces dans l'oraison , en manquent pour opérer le bien, pour résister aux tentations et font des chutes fréquentes. On lit dans la vie de la vén. sœur Marie Crucifiée qu'étant un jour en oraison elle entendit le démoa se vanter d'avoir fait manquer une religieuse à la méditation commune, et que l'ayant tentée ensuite sur des choses graves, la pauvre fille était sur le point de succomber; aussitôt la servante de Dieu accourt à elle, et, avec l'assistance d'une grâce toute particulière, la délivre du piège où elle était engagée. On voit dans quel danger se précipite la
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religieuse qui abandonne l'oraison. Ste-Thérèse dit : L'dme infidèle qui laisse l'oraison mentale n'a pas be-soin du démon pour la porter dans l'enfer, car elle s'y plorige de ses propres mains. L'abbé Dioclès disait ; Celui qui laisse l'oraison devient bientôt brute ou démon.
V. Si nous ne prions pas Dieu, il ne nous donne pas sa grâce, et, sans sa grâce, nous ne pouvons pas observer ses préceptes. C'est pourquoi l'Apôtre exhor-tait ses disciples à prier sans cesse : Sine intermissione, orate, (ι. Thess. 5.) Nous sommes tous de pauvres mendians; Ego autem mendicus sum et pauper. (Ps. 39. ) Les pauvres n'ont d'autres richesses que les aumônes qu'ils demandent aux riches; la prière est notre ri-chesse , c'est par elle que nous obtenons de Dieu le don de sa grâce. Sans la prière, dit St.-Chrysostôme^ il est absolument impossible de bien vivre: Simpliciter impossibile est absque precationis prœsidïo cum virtute de-gere. D'où vient, dit le savant Abelly , l'effrayante corruption des mœurs dont nous sommes témoins , sinon de ce qu'on né fait pas oraison ? Dieu,dit St. -Gré-goire, veut bien nous enrichir de ses grâces, mais il veut être prié, forcé par nos prières et vaincu par notre importunité : Vult Dens rogari, vult cogi, vult quadam importunatite vinci. (In Ps. pœnit. 6.) Il est' impossible que celui qui prie exactement tombe dans le péché : Impossibile est, hominem congruo precantem stu-dio unquam peccare, dit St. Chrysostôme. (Horn. 79. ad pop. Ant.) Il dit ailleurs que quand les démons nous voient prier ils cessent de nous tenter : Si nos càmpe-rerint deprecatione munitos illico résiliant. ( Lib. ι. dé orando Deo. )
Vï. De cette nécessité absolue de priei' vient la né-cessité morale de l'oraison mentale, car sans elle,
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distraits par les affaires extérieures très-peu connais-sent leurs besoins .spirituels, les dangers qui compro-mettent leur salut, les moyens à prendre pour vaincre les tentations et même l'obligation ou nous sommes tous de prier. On abandonne bientôt ce sain! exercice et on se perd sans retour, te grand Evéque Palafox dit dans ses notes sur les lettres de Ste.-Thérèse: (Lib. vin. n°. 10. ) « Comment la charité peut-elle subsis-ter si Dieu ne nous dor η e la persévérance ? Comment Dieu nous donnera-t-il la persévérance si nous ne 'la lui demandons ? Et comment la lui demanderons-nous sans l'oraison ? Sans oraison il n'y a pas de com-munications entre Dieu et nous, pour nous mainte-nir dans la vertu. » Le Cardinal Bellarmin dit qu'il est moralement impossible que celui qui ne médite pas vive exempt de péché. Je ne fais pas d'oraison men-tale, dites-vous, mais je fais beaucoup de prières vo-cales. Écoutez la réponse de St.-Augustin : Pour obtenir la grâce, il ne suffit pas de prier avec les lèvres, il faut encore prier avec le cœur. A ces paroles de David : J'élèverai ma voix vers le Seigneur; Voce mcâ ad dopûnum clamavi, ( Ps. 141. ) ce Saint fait cette re-marque : Beaucoup crient mais ce n'est pas avec leur voix, e'est-à-dire avec la voix intérieure du coeur, mais avec la voix du corps, c'est votre pensée qui est le cri qui s'élève jusqu'au Seigneur; criez dans votre cœur, carc'estlà que Dieu écoute. Molli clamant non votesuâml corporis. Cogitatio tuaclamorestad Dominum. Clamaintàs, ubi Deusaudit. ( In Ps. v. 30.) L'Apôtre disait : Priant en tout temps en esprit, Orantes omni tempore in spiritu. (Eph, vi, ^8.) On fatties prières vocalesavec la voix du corps, et non p^intavec celle du cœur et alors on est distrait, surtout si elles sont nombreuses et si on ne s'est pas formé auparavant à l'oraison mentale ;   c'est pour
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cela que Dieu les écoute peu et les exauce rare-ment. Beaucoup de personnes disent leur rosaire, l'office de la Ste.-Vierge, et font d'autres œuvres exté-rieures de dévolion et cependant restent toujours dans le même état de péché. Mais celui qui s'applique à l'oraison mentale ne peut pas, en même temps, s'a-donner au péché : ou il abandonnera l'oraison, ou il renoncera au péch£. Un grand serviteur de Dieu di-sait : L'oraison mentale et le péché ne peuvent pas demeurer ensemble. L'expérience ne prouve-t-elle pas que ceux qui font l'oraison mentale tombent ra-rement dans la disgrâce de Dieu, ou que si par ha-sard ils y tombent, bientôt ils se ravisent en conti-nuant l'oraison et retournent à Dieu. Qu'une âme soit relâchée autant que vous pourrez le supposer, dit Ste.-Thérèse, si elle persévère dans l'oraison le Sei-gneur la conduira aux portes du salut.
VÏI. Tous les saints sont devenus saints par l'oraison mentale. C'est une heureuse fournaise où l'âme s'em-brase de l'amour de Dieu. Pendant ma méditation le feu s'enflammera. In meditatione meâ exardescet ignis* ( Ps. xxxvui. ίχ· ) St.-Vincent de Paule disait que ce serait un miracle de voir un pécheur entendre lés sermons de la mission, en suivre les exercices spiri-tuels et ne se convertir pas ; et eependan t celui qui prêche n'est qu'un homme, tandis que, dans l'oraison mentale, celui qui parle c'est Dieu. Je le conduirai, dit-il, dans la solitude et je parlerai à son cœur. Dàcam eam in solitudinem et loquar ad cor ejus. (Os. 11.'74. ) Sté.-Catherine de Bologne1'disait : CeÎle qui ne fait pas l'oraison élant privée du lien qui atta-che l'âme à Dieu, iî ne sera pas difficile au démon qui la trouvera seule et isolée de l'environner de ses filets. Elle ajoutait : Comment croire qu'une âme
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aime réellement Dieu, lorsqu'elle néglige de commu-niquer avec lui dans l'oraison ? Qu'est-ce qui em-brasait les saints de l'amour de Dieu, sinon l'oraison ? Par ce moyen St.rPierre d'Alcantara éprouvait une telle ardeur,qu'une fois s'étant précipité dans un étang gelé pour se rafraîchir, l'eau commença à bouillir, comme si elle eût été dans une chaudière et sur le feu. St.-Philippe de Néri éprouvait une telle agita-tion, qu'il faisait trembler la maison qu'il habitait. St.-Louis de Gonzague éprouvait, dans l'oraison, nn tel sentiment d'amour de Dieu, que sa figure paraissait enflammée et que son. cœur battait avec tant de violence qu'on aurait dit qu'il voulait sortir de sas poi'rine. Ex oratione* Ait St.-Laurent Justinien, fuga-tur tentatio, abscedit tristitia, virtus reparatur, excitatur fervor, it divini amoris flamma succreseit. ( De cas. conn. cap. XXII. n° Ιχ. ) L'oraison chasse les tenta-tions et la tristesse, excite la ferv««r engourdie, ra-nime la vertu trop peu défiante et augmente l'aimable flamme de l'amour divin. Aussi St.-Louis de Gonza-gue disait avec raison que celui qui ne fait pas beau-coup d'oraison ne parviendra jamais àunhaut degré de vertu.
VIII. Une âme d'oraison , disait David, est comme un arbre planté au bord d'un courant d'eau, qui donne des fruits dan» son temps ; toutes ses ac-tions prospèrent devant Dieu. Beatus vir qui in lege ejus meditabitur, die ac nocte ! et erit tanquam lignum quod plantatum est secus decursus aquarum? quod fructum suum daliit in tempore suo, et folium ejus non defluet et omnia quascumque faciet, prosperabantur. ( Ps. i. &. ) Re-marquez ee mot, in tempore suo, qui veut dire dans le temps ou il faudra supporter telle douleur, tel af-front, etc. St.-Jean Chrysostôme compare L'orais on
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à tine fontaine qui coule au milieu d'un jardin. Comme ce jardin; toujours arrosé par une onde pure, est constamment vert et fleuri! Telle est une âme d'oraison; on la voit croître sans cesse en bons désire et en fleurs de vertu. D'où reçoit-elle tous ces biens ? De l'oraison qui l'arrose sans cesse. Emissiones tum pa-radisus malorum punicorum cumpomorum fructibus... fons hortorum, puteus aquarum viventium qux fluit impetu de Libano. ( Cant. iv. v. 13. ) Mais que l'eau vienne à manquer à ce jardin , voyez comme tout sèche promptement, les fleurs et les plantes, et les fruits, Poiirquoi ? parce quo la source est desséchée. Telle personne, quand elle faisait des oraisons, était humble, modeste, pieuse et mortifiée : elle abandonne ce saint exercice, et tout-à-coup elle devient libre dans ses regards et ses paroles, sans piété, ne fréquentant plus ni l'église ni les sacremens, sans mortifications, ai-mant toutes les vanités du monde, ses sociétés, ses jeux , ses plaisirs. Pourquoi cela ? La source s'est desséchée et l'esprit a perdu son principe de vie. Anima mea sine aqua tibi , defecit spiritus meus. ( Ps. CXLII. 6. ) Elle a quitté l'oraison : le jardin s'est flétri, et le mal ne fait qu'augmenter. Quand l'âme aban-donne l'oraison, dit St.-Chrysostôme, non-seulement je la donne pour malade, mais pour morte. Quisquis non orat Deum nec divino ejus colloquio capit assidue frui, is mnrtum ett.... Animm mors est non provolvi coram Deo. ( Chrys. lib. 1 de orando Deo).
IX. Le même docteur dit que l'oraison est la racine de la vigne féconde. Radix vUis frugiferœ. St.-Jean Climaque dit : Oratio est propugnaculum adversas im-petum afflictionum, virtutum scaturigo , gratiarum con-ciliatrix ( Gradu. 28. ) Ruffìn assure que tout le pro-
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fit spirituel de l'âme vient de l'oraison mentale : Om-nis profectus spiritualis, ex meditatione procedit. ( In Ps. 36. ) Et Person ajoute que celui qui ne médite pas ne peut, sans miracle, vivre en chrétien : Abs-que meditationis exercitio nullas, secluso miraculo Dei, ad christiana religionis normam attingit. ( de med. cons. 7 ) Jérémie a dit en pariant de l'oraison : Sedebit solitarius et tacebit, quia levavit super se. (Th. m 28. ) C'est-â-dire que l'âme ne peut s'attacher à Dieu si elle ne s'éloi»ne pas des créatures, si elle ne s'assied pas, c'est-à-dire si elle ne s'avrêle pa,< à contempler la bonté et l'amour de son Dieu. Mais quand, soli-taire , elle se renferme dans l'oraison, quand elle garde le silence, quand elle cesse de penser au monde, alors elle s'élève au-dessus d'elle-même. Levavit su-per se, et, après l'oraison, elle se trouve toute autre qu'auparavant. St-Ignace- de Loyola disait : qXie l'oraison mentale est la voie la plus courte pour arri-ver à la perfection , et en effet, plus on avance dans l'oraison plus on avance dans la perfection. Dansl'orai-S)n, l'âme se remplit de saintes pensées, de désirs, d'affections, de résolutions saintes et d'amour pour Dieu. Elle y sanctifie ses passions, ses goûts, son attachement aux choix d'ici-bas, et tous les intérêts de son amour-propre. En nous adonnant à l'oraison , nous pouvons aussi sauver beaucoup de pécheurs, en priant pour eux, comme le faisaient Ste-Thérèse , Ste-Marie-Magdeleiiic de Pazzi, et comme ne man-quent pas de le faire les âmes qui aiment Dieu et qui jamais ne se lassent île recommander au Seigneur, dans leurs prières, les infidèles, les hérétiques et tous les pauvres pécheurs, et de lui demander, parses prêtres, l'esprit qui doit les convertir. Par l'oraison, nous pouvons encore acquérif le mérite de beaucoap
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d'œuvres que nous ne faisons pas , par le seul désir de lesiaire; car ainsi que le Seigneur punit les mau-vais désirs , de même il récompense les bons.
X. Il ne faut pas faire d'oraisons pour obtenir des consolations et des douceurs spirituelles, mais seu-lement pour plaire à Dieu et pour apprendre de lui "ce qu'il veut que nous fassions pour son service. Le P. Alvarez , disait : Aimer Dieu ,'ce n'est pas rece-voir ses faveurs , mais le servir pour lui plaire" 11 ajoutait que les consolations de Dieu sont comme, le rafraîchissement que prend un voyageur dans son chemin, ce n'est pas pour s'arrêter, mais pour con-tinuer sa route avec plus de vitesse. Quand dcnc vous êtes tiède dans l'oraison et, que, malgré cela, vous la continuez avec courage , sachez que vous étés agréable à Dieu'et que vous récoltez une ample mois-son de mérites. Òites-lui alors : ô mon Jésus! pourquoi me traitez-vous ainsi ? Vous m'avez privée de tout, de la fortune de mes parents et de m'a volonté et je m'en suis dépouillée volontiers pour vous acquérir. Pourquoi maintenant me privez-vous aussi de vous ? Dites-lui tout cela* avec humilité, et il vous fera com-prendre que vous aimant beaucoup, tout ce qu'il fait, il le fait pour votre bien. Le P. Torres disait : L'âme court et vole à la perfection, quand on porte la croix sans consolations.
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PRIERE.
Ο mon Jésus, vous m'avez aimée au milieu des souf-frances, moi aussi, je veux vous aimer au milieu des souffrances. Vous avez répandu tout votre sang pour obtenir mon amour; pourrais-je ne répondre que fai-blement à tant d'amour, comme je l'ai fait si sou-vent? Non, mon Rédempteur, il n'en sera point ainsi , Je vous ai assez négligé par le passé ; je vous consacre tout mon cœur; vous seul êtes digne de tout mon amour; je ne veux aimer que vous. Ο mon Dieu ! puisque vous me voulez toute pour vous, donnez-moi la force de vous servir comme vous le méritez, pen-dant le reste de ma vie. Pardonnez-moi ma tiédeur et mes infidélités passées. Que de fois j'u quitté l'o-raison pour satisfaire mes caprices ! que de fois, pou-vant vous plaire et m'entretenir avec vous , j'ai préféré la conversation des créatures , et vous ai déplu ! Que ne puis-je retrouver tant d'années que j'ai perdues ! Du moins, ô mon Sauveur ! le reste de mes jours vous sera entièrement consacré. Je vous aime, ômon Jésus, mon bien suprême ! Vous serez toujours, comme vous auriez dû être sans cesse, l'unique objet de mes affec-tions. O Marie , mire du bel amour, obtenez-moi la grâce d'aimer votre fils et de consacrer le reste de ma vie à son amour ! Il vous accorde tout ce que vous lui demandez, j'attends cette grâce de vous.
SANCTIFIEE.
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Pratique de l'oraison mentale.
I. Nous avons démontré plus haut la nécessité de l'oraison mentale pour une religieuse, et l'abondance des biens spirituels qu'elle peut en tirer; considérons-en maintenant la pratique, quant au lieu, au temps, et à la manière. 1° Le lieu doit être retiré. Notre Sau-veur à dit : Tu autem cam oraveris, intra in cubiculum tuum, et clauso ostio, ora patremtuum.(Mai. vi. 6.)Quand vous voulez prier, renfermez-vous dans votre cham-bre, et là, priez votre père. St.-Bernard a dit que le silence et l'éloignement des fracas du monde ob lige en quelque sorte l'âme à penser aux biens du ciel : Silentium et d strepitu quies cogit coelestia meditari. II vaut mieux pour les religieuses qu'elles prient dans le chœur en présence du St.-Sacrement. Le P. Avila di-sait qu'il ne connaissait pas de lieu qui portât plus au recueillement qu'une église où réside Jésus , dans le très-Saint-Sacrement. Pour bien prier, il faut au si-lence extérieur joindre le silence intérieur, c'est-à-dire nous détacher des affections terrestres. Le Seigneur dit un jour à Ste.-Thérèse, au sujet des gens attachés au monde : Je voudrais leur parler, mais les créatures font tant de bruit à leurs oreilles, qu'elles ne laissent pas à ma voix un seul moment pour se faire entendre. Au § II, ce sujet swa traité plus au long, en parlant de la solitude du cœur.
II.  St.-Isidore  disait  qu'en général   le temps le plus propre à la prière est le matin et le soir : Mane et
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vespere tempus orationis opportunum. ( De summo bo-no, e. 7. ) Mais le matin, dit St.-Grégoire, est le mo-ment le plus favorable, parce que, ajoute ce saint, l'oraison précédant les affaires, le péché trouve plus difficilement entrée dans le cœur. Sioratio negotia pra-eessent, peccatum aditum non inveniet. Le vén. P. Caraffa, fondateur de la Congrégation des pieux ouvriers , di-sait, à ce sujet, qu'un acte fervent d'amour de Dieu , fait le matin dans l'oraison, suffit pour conserver l'âmé dans la ferveur, pendant tout le cours de la journée. Le soir l'oraison n'est pas moins nécessaire, comme l'observe St.-Jérôme. Non prius corpus quiescat quam anima rescaiur. (Ep. xxii. ad. Eustoc.) Le corps ne doit pas prendre de repos avant que l'âme ne soit fortifiée par l'oraison qui est sa nourriture. D'ailleurs, en tout temps et en tout lieu , les religieuses peuvent prier, même en travaillant et en marchant.
III. Les saints avaient coutume d'employer à l'orai-son tout le tems que n'exigeaient point les occupa-tions de leur état. St.-François de Borgia y consacrait huit heures par jour, parce que ses supérieurs ne lui accordaient pas plus de temps. Quand les huit heures étaient remplies, il demandait, comme une aumône, la permission de continuer encore pendant quelques momens : de qrâce, dfc'ait-il , encore un^etit quart d'heure. St.-Philippe de Néri employait les nuits en-tières à la prière. St.-Antonin abbé passait aussi toute la nuit eu oraison, et, quand le soleil se levait ( ce qui était la fin du temps qui lui était accordé), il se plai-gnait que le soleil se levait trop promptement. Le P. Alvarez disait qu'une âme remplie d'amour de Dieu, lorsqu'elle cesse de prier, doit être dans un état aussi violent qu'une «pierre hors du centre de gravitation; car, sur la terre, nous1 devons imiter autant quepossi-
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ble l'occupation des élus qni contemplent Dieu sans interruption. Quand à la posture la plus convenable pour pratiquer l'oraison , c'est de s'ageneuiller, mais si cette position devenait la source de distractions fré-quentes, par les douleurs qu'elle causerait, on pourrait demeurer modestement assis , selon la pensée de St.-Jean de la Croix.
IV.  Mais venons à quelque chose de plus spécial : Combien de temps doit consacrer à l'oraison une re-ligieuse qui tend à la perfection ? Le P. Torres assi-gnait, aux religieuses qu'il dirigeait, une heure d'orai-son le matin , une autre heure dans la journée, et une demi-heure pendant la nuit ,· à moins qu'une ma-ladie ou une occupation, imposée par l'obéissance, ne les en dispensât. Si vous trouvez ce temps trop long , il suffira, je crois, que vous fassiez une heure d'oraison, outre celles de la communauté. Le Seigneur désire que, parfois, nous négligions l'oràison pour exercer quelques œuvres de charité envers le prochain ; mais, dit St.-Laurent Justinien : Cum caritas urget, se expo-nit proximo, tic tamen uti continue anhelet ad cubilis sponsi reditum. ( De casto. çonj. c. n. c. n. 7. ) Quand la charité le demande,  l'épouse de Jésus-Christ va ser-vir son prochain, mais toujours et partout elle désire retourner aux pieux entretiens avec son époux dans sa cellule. Le P. Caraffa,qui fut général de la Compagnie de Jésus, donnait à l'oraison toutes les minutes qu'il pouvaii dérober aux affaires.
V.  L'oraison fatigue la religieuse qui reste attachée au monde, et plaît à celles qui n'aime rien autre que-Dieu. Mais comment croire qu'une religieuse n'aime que Dieu, quand elle passe volontiers des heures en-tières à s'entretenir avec un parent ou avec toute, au7
il 16                                   LA   RELIGIEUSE
tre personne, et qu'elle rie peut faire une heure d'o-raison,outre celles de la communauté?Ces entretiens de Dieu  ne causent ni tristesse, ni ennui  à ceux qui l'aiment véritablement. Non enim habet amaritu-dinem conversatio illius, nec tœdium convictus illius, sed lestitiam et gaudium.   ( Sap. vin. 16. ) L'oraison , dit  St.-Jean Climaque,  est-elle autre chose qu'un entretien familier et une sainte unionavecDieu ? Oratio estfamiliarisconversatioetconjunctiocumDeo. (Gradu.28) Dans l'oraison, dit S.-Jean Chrysostôme, l'âme s'entre-tient avec Dieu , et Dieu s'entretient avec l'âme. Qu'elle est douce et paisible la vie des religieuses qui aiment l'oraison et fuient les amusements terrestres ! Si vous ne pouvez le croire , Gustate et videte quoniam suavis est Dominus. ( Ps. χχχίπ. 9. ) Essayez et vous verrez combien le Seigneur est bon. Pour celui qui laisse tout pour être tout à lui seul. Du reste, le but que nous devons nous proposer dans l'oraison, n'est pas d'y trouver des consolations, mais d'y apprendre de Dieu ce qu'il exige de nous, nous dépouillant de tout amour-propre. Ad preparandum te ad orationem, dit St.-Climaque , exue voluntates tuas. ( Grad. 28. ) Pour se préparer à l'oraison, il faut renoncer à sa vo-lonté et dire à Dieu .* Loquere, Domine, quia audit servus iuus.(i.Reg. m. 10. ) Dites-moi, Seigneur, cequevous voulez-vous que je fasse, je suis prête à tout ce que vous désirez ; et il faut le dire avec une ferme résolution , car, sans cela, Dieu ne se communiquera pas à vous. VI. Quant à la manière de faire l'oraison mentale, je veux supposer que VJUS en êtes déjà instruite, cepen-dant j'indiquerai ici les choses principales pour les jeunes commençantes qui liront ce livre. L'oraison se divise en trois parties : La préparation , la méditation et la conclusion. La préparation contient trois actes,
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1° Acte de foi snr la présence de Dieu, et acte d'adora-tiOri. 2° Acte d'humilité et de regret de' Ses péchés. 3° Acte de demande de lumières. Dites ï"Mon Dieu, jt Vous crois présent devant moi, et je vous adore de touX men reèar. ( Tâchez de faire cet acte avec «ne vive foi, ' car l'idée dei la présence de Dieu nous préservé des d istra-trons. Un grand serviteur de Dieu , le cardinal ftarac·'-cittlo, évêque d'Anvers , disait que lorsqu'on «ist'dis-trait , c'est qu'on n'a pas bien fait l'acte de foi; ) WiSei-'gheurje mériterais Wêtre maintenant dans lrenfe^,çôAh iou-tes les injures η uije vous ai faites. Je m'en repends t/f toutmon casur. Àyez pitié de moi. 3° Pire éternel, au nent de j;èsta Vt dé Marié, éclairez~moi dans mon oraison, afin qu'elle vie soit avantageuse. Il faut ensuite se récommanfler à'la Vierge Marie par un ave, à St.-Joseph, à son d»ge gardien et à son saint patron. Ces actes; dït'St.-ï'raïi-tiôig de Sales, doivent être fervents, mais courts, et l'on doitue ntetti* aussitôt à la méditation.'.  ■■■■''
Vil; Pour se livrer à la méditation, il feutbârmir toute 'pensée étrangère et dire avec St.-Bernard :£*-petiote lue, cogitationes mets: Ό mes pensées ! attendez un moment; àp^s ma prière'j'irai vous reprendre; Pen-dant l'ofaisoti ne pas laisser errer sort esprit sut· àe$ objeWdiTers, et, si l'on est interroBipUipar qniélqué distraction, ne pas s'en inquiéter, ne pas l* chasser avec colère, mais la repousser' doucement et retour ner à Dieu. Le démon nous: tourmente beaucoup par des distractions fréquentes, pendant nos ora'isoiie; afin qbenousles abandonnions. Celui qui'laisse Torafsoti, psircie qu'il est distrait ; ' doit savoir qu'il satisfait le 'dé-sOon. ïl est impossible, dit Cassien, que nousne'so^oiis qwelquefois distfaiïs dans l'oraison, mais n'THrenon·-^cijspas, qutnique fréquentes qu'elles soient. St.-Fran-çois'!dé Sslles'tliti: Quand ménie, dans nas oraisonsi, vin.                                                       37
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nous ne ferions pas autre chose que de chasser sans cesse les distractions et les tentations, l'oraison n'en serait pas moins excellente. St.-Augustin a dit qae les distractions involontaires ne nous frustrent pas du fruit de l'oraison. Evagatio mentis quœ fit prœter propo-situm, orationis fructum non tollit, (in Reg. 3.) Si vous vous apercevez que les distractions sont volontaires, remédiez à ce défaut en les chassant, mais n'aban-donnez pas l'oraison.
VIII. Quand au choix du sujet de Poraison, il faut commencer par méditer les mystères et les vérités de la foi, où notre âme trouve le plus d'aliment et de faci-lité. Mais le sujet le plus propre à la méditation , pour une religieuse qui tend à la perfection , c'est la pas-sion de Jésus-Christ. Blosius dit que le Seigneur ré-véla à plusieurs saintes, entr'autres à Ste.-Gertrude, à Ste.-Brigitte, à Ste.-Mathilde et à Ste.-Catherine de Sienne, qu'il aimait à voir une âme méditer sur sa passion. St.-François de Sales disait que la passion de notre Sauveur doit-être la méditation ordinaire de tous les chrétiens, à combien plus forte raison des épouses de Jésus-Christ ? Oh ! quel beau livre que la passion de Jésus ! là, bien mieux que dans tous les au-tres livres, on apprend à connaître la malice du pé-ché , la miséricorde et l'amour de Dieu pour les hom-mes. C'est pour cela que j'ai le projet de mettre à la fin de cet ouvrage quelques pieuses réflexions, sur les textes des Saints Évangélistes, relatifsà la passion du Sauveur. Si Jésus-Christ a souffert la flagellation, le couronnement d'épines, le crucifiement et toutes les douleurs de sa passion, il a eu en vue, sans doute, de nous offrir ces mystères douloureux pour sujet de mé-ditation , afin que, les ayant sans cesse présents à l'es-prit, nous y puisions des sentimens d'amour et de re-
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connaissance pour le Seigneur. Quand la religieuse est en son particulier, elle peut se servir de quelques livres pieux, pour faire son oraison. Ste.-Thérèse suivit cette méthode pendant 17 ans; elle lisait un peu, puis elle méditait; semblable à la colombe qui puise une onde pure dans un clair ruisseau, et lè,ve les yeux au ciel.
IX.  L'utilité de l'oraison mentale, consiste moins dans la méditation que dans les affections, les prières et les résolutions, qui sont les trois effets principaux de i'oraison.   Ste.-Thérèse disait : Le profit de Came n'est pas de penser beaucoup d Dieu, mais de l'aimer beau-coup, et cet amour s'acquierten prenant la résolution de travailler beaucoup pour lui. Les maîtres de la vie spirituelle disent, au sujet de l'oraison, que la médi-tation est comme l'aiguille, qui tire après elle un fil d'or, composé d'affections, de résolutions et, de priè-res.  Quand vous avez médité sur un point, et que vouz   vous sentez touchée de quelques bons senti-timens, élevez votre cœur à Dieu, et offrez-lui un bon acte d'humilité, de confiance ou de remerciement, et répétez surtout, dans votre oraison, les actes de coo-trition et d'amour. Ces deux actes sont une chaîne d'or qui lie l'âme à Dieu. Un acte d'amour parfait suffit pour nous obtenir la rémission de tous nos péchés. Caritas operit multitudinem peccatorum, (i. Petr..ύ. 8,.) Le Seigneur n'a-t-il pas déclaré qu'il ne peut haïr ceux qui l'aiment? Ego diligentes me diligo. (Prov. vui. 17.) La vén. sœur Marie Crucifiée ( Vie e. 10 ) vit uu jour un globe de feu consumer aussitôt la paille qu'on en avait approchée, ce qui lui fit comprendre que lors-qu'un âme dit un acte sincère d'amour de Dieu, tous ses péchés sont pardonnes. Le docteur Angélique uqu> apprend que chaque acte d'amour nous fait acquérir
420                                    LA   DELICIEUSE
un nouveau degré de gloire. Quilibet actus caritatis me-retur vitam œternam. Les actes d'amour consistent à dire, par exemple : « 0 mon Dieu, je vous aime par-dessus toutes choses. Je vous aime de tout mon cœur. Je me réjouis de votre félicité. Je voudrais vous voir aimé de tout le monde. Je ne veux que ce que vous voulez. Faites-moi connaître ce que voulez de moi. Je suis prêt à le faire. Faites de moi, et de ce que je possède, tout ce qu'il vous plaira. » Ce dernier acte d'offrande, est surtout agréable à Dieu. Ste.-Thérese le répétait 50 fois par jour. Remarquez que je ne parle ici que de l'oraison ordinaire, car, si votre âme était Unie à Dieu, par un recueillement surnaturel ou \in-fus, sans aucune pensée particulière de quelqu'une des vérités éternelles ou de quique mystère divin, il ne faudrait pas vous forcer de faire d'autres actes que ceux que vous indique si doucement la voix de Dieu. Il suffit de rester seulement unieà Dieu avec une amou-reuse attention , craignant d'interrompre l'opéra-tion divine par des actes ou dés paroles. Ceci ne peut s'appliquer cependant qu'à ùtie âme appelée par Dieu à une oraison surnaturelle : car si telle n'est pas rio-tre vocation, nous ne devons pas nous-écarter de la règle ordinaire de l'oraison, qui consiste, comme nous l'avons dit, en méditations et'âflections. Il vaut mieux que les personnes habituées à l'oraison s'appliquent à faire désaffections, que de longs discours.             '
X. Il faut surtout,dans l'oraison, répéter les mêmes prières, demander à Dieu avec humilité et confiance sa grâce, c'est-à-dire, ses inspirations, la resigna-tion, la persévérance, mais surtout le don de son amour. St.-Frauçois de Sales, disait que lorsqu'on a obtenu l'amour de Dieu on a reçu toutes les grâces; <î^r ceux qui aiment Dieu  de  tout leur cœur sans
SANCTIFIEE.                                         4   21
qu'on les y oblige, éviteront d'eux-mêmes de lui faire la moindre offense, et feront tous leurs efforts pour lui être agréables. Si vous êtes plongée dans l'aridité et la sécheresse, au point de vous sentir comme incapa-ble de faire des actes pieux; il suffit que vous disiez : Ο mon Jésus, miséricorde! Seigneur, par pitié, à mon aide ! et cette courte prière, sera peut-être pour vous la plus utile et la plus fructueuse. Le P. Paul Se-gneri disait que pendant ses études de théologie, il ne faisait dans ses oraisons qu'affections et réflexions, mais, ( ce sont ses propres paroles) Dieu m'ouvrit les yeux; dès- lorf je me mis d faire des prières; et s'il y à quel-que bien en moi, je reconnais le devoir d cette habitude de me recommander d Dieu. Faites de même, deman-dez lui ses grâces au nom de Jésus-Christ, et vous les obtiendrez. Le souverain médecin, notre Sauveur, ne peut manquer à la promesse qu'il nous a faite : En vé-rité je vous le dis , si vous demandez quelque chose à mon père en mon nom, il vous le donnera, Amen , amendieo vobis, si quid petieritis patrem, in nomine meo, dabit vobis. (Jo.xyi. 23.) Enrésumé,vosoraisonsdoivent consister en actes et en prières. La Vierge Marie Cruci-fiée disait, dansun moment d'extase, quela prière est la respiration de l'âme, de même 4ue lorsqu'on respire, ' tantôt on hume l'air, tantôt on le repousse, ainsi l'âme par la prière, aspire la grâce de Dieu, et par les actes d'offrande et d'amour, se livre tout entière à Dieu.
XI. En terminant l'oraison il est essentiel de pren-dre toujours quelque résolution particulière, comme, par exemple, de se corrriger d'un défaut dans lequel on tombe plus souvent, de mieux pratiquer quelque vertu , de souffrir l'importun ité de telle sœur , d'obéir plus exactement à une autre, de se mortifier
422                                   LA   DELICIEUSE
en tel point. Ne cessez de répéter ces résolutions, jusqu'au moment où vous aurez acquis une vertu, ou déraciné un vice. Après l'oraison , il est essentiel de mettre en pralique les lésolutions qu'on a prises, aussitôt que l'occasion s'en présente. Il est bon, en outre, de renouveler, avant la fin de l'oraison, les vœux de sa profession ; c'est une pratique très-agréable à Dieu. Selon la doctrine de St.-Thomas, la religieuse ayant donné à Dieu, le jour de sa profession , par le moyen des vœux, ses biens, son corps et sa volonté, est dès-lors absoute de tous ses péchés. Celle qui re-nouvelle ses vœux obtient le même résultat; c'est pourquoi je vous engage à le renouveller, cet enga-gement , non-seulement dans vos oraisons , mais encore dans vos communions, dans vos visites au St.-Sacrement, quand vous vous levez et quand vous vous mettez au lit.
XII. La conclusion de l'oraison consiste 1° à re-mercier Dieu des lumières qu'on a reçues; 2° à se proposer d'être fidèle aux résolutions qu'on a prises. 3° à demander au Père Éternel pour l'amour de Jésus et de Marie, la grâce de persévérer. A la fin de l'orai-son , il faut avoir soin de recommander les âmes du purgatoire et les pécheurs. St.-Jean Chrysostôme disait qu'il ne savait rien qui prouvât mieux l'amour d'une âme pour Jésits-Christ que son zèle à lui re-commander ses frères : Nihil declarat, quis sit amans Chrii.fi, quam si fratrum curam aget. (Hom. 3. ) St.-François de Sales dit qu'en finissant l'oraison on doit y choisir un bouquet de fleurs dont on respire le par-fum, pendant le reste delà journée; c'est-à-dire une ou deux pensées, qui ont le plus frappé, et s'en nourrir pendant tout le jour. Les oraisons jaculatoires les plus chères à Dieu sont celles d'amour, de résignation
SANCTIFIEE.                               !\·ΙΑ
et d'offrande de soi-même. Tachez do ne faire aucune action sans l'offrir d'abord à Dieu, et de ne pas rester un quart d'heure, dans quelqu'occupation que vous soyez engagé, sans élever votre âme à Dieu, par quel-que bonne pensée. Dans un moment de repos, comme quand vous attendez quelqu'un ; quand vous vous promenez dans un jardin, comme quand une infir-mité vous oblige à rester au lit, unissez-vous à Dieu autant que vous le pourrez. Par le silence, la solitude, et le souvenir de la présence de Dieu, on peut conser-ver l'impression des sentiments d'amour que l'on a conçus dans l'oraison. Nous parlerons plus en détail de cela dans le chapitre suivant.
XIII. Pour que les religieuses deviennent des âmes d'oraison,ilest indispensable qu'elle n'en abandonnent jamais la pratique, même dans les moments d'aridité. Ste.-Thérèse nous a laissé sur cela quelque chose d'ad-mirable. Le démon sait, dit-elle dans un de ses éciits, que les âmes qui s'appliquent d l'oraison avec persévérance, sont perdues pour lui. Et ailleurs : Je tiens pour certain que celui qui persévère dans l'oraison, quelqu'entrave que le dé-mon mette à sa, marche, par le péché, parviendra, par la grâce de Dieu, au port du salut. Elle dit encore : Celui qui ne s'arrête pas dans le chemin de l'oraison, atteindra au but, quoiqu'un peu tard. L'amour de Dieu ne consiste pas, dit-elle de nouveau, d languir de tendresse, mais d le servir avec humilité. Et enfin dans un autre ouvrage : « Le Seigneur éprouve ceux qui l'aiment, par l'ari-dité et les tentations. Bien que toute la vie soit pleine d'aridité, l'âme ne doit pas abandonner la prière ; il viendra un temps où le tout vous sera payé avec usure. » Le docteur Angélique dit que la vraie dévo-tion ne consiste pas dans le sentiment, mais dans le désir et la résohition de se conformer soudain à toutes
4^4                                   LA   BEL1GIKUSE
les volontés de Dieu. Telle fut JLa prière de Jésus-Christ dans le jardin, prière aride et pleine d'ennui, et pour-tant la plus pieuse et la plus méritoire que l'on ait ja-mais faite dans le inonde. La voici : Non quod ego volo, fed quod lu. (Marc : xiv. 36.) Non ma volonté, mais la vôtre. Ainsi, ma bien-ainiée sœur, dans un temps d'a-ridité, n'abandonnez jamais l'orai.son. Si parfois vous ne pouvez résister à l'ennui qui vous accable, au moins reprenez vous-y de temps en temps; et, par là même, exercez-vous à prier; bien que vos prière* vous paraissent sans résultat et sans fruit. Il faudra direct répéter, » 0 mon Jésus, miséricorde ; Seigneur, ayez pitié de moi. Priez, et ne doutez pas que Dieu ne voue entende et ne vous exauce. Quand vous vous livrez à l'oraison, ne vous proposez jamais pour fin votre goût et yotre propre satisfaction, mais seulement de plaire à Dieu et de connaître ce qu'il attend, de vous. Et pour cela priez-le toujours qu'il vous fasse connaître s,a vo-lonté; et vous donne la force de la remplir. Voilà tout ce que nous devons chercher dans la prière, la cou-naissance des volontés du Seigneur et la force néces-saire pour les exécuter.
PRIERE.
 mon Jésus! pour vous foire aimer des homines,  n'avez pu faire davantage. Il suffit de savoir que ι vous ayez voulu devenir homme-, c'est-à-dire un vej-mjsseau, comme nous sommes tous. Vous ave^ voulu mcqer une vie de douleur et d'ignominie pendant 33 ans, et enfin la terminer sur un bois infâme : vous avez aussi voulu vous mettre sous les espèces du pain,
SANCTIFIEE.
pour devenir ainsi la nourriture de nos ânies. Et com-
ment, après cela , avez-vous pu rencontre gratitude, même chez les chrétiens, qui vérité et qui, malgré cela, vous aiment s
heureuse! comme eux, par le passé, ie me suis mon-trée ingrate; je me suis appliquée seulem' tisfaire , sans me rappeler ni vous ni v<
Maintenant je connais ma faute et je m'ei toute mon âme. Mon Jésus, pardonnez-n nant je vous aime, et je vous aime tant, rerais la mort et mille morts à la douleu
vous aimer. Je vous remercie de la lumière dont vous m'avez éclairée. Donnez-moi la force, ô Dieu de mon
âme , de croître de plus en plus dans ν Agréez , pour vous aimer mon pauvre vrai qu'un temps fut où il vous a méprisé tenant il adore votre bonté, il vous aime rien autre chose que de vous aimer. Ο M de Dieu, aidez-moi; je mets toute ma co votre intercession.
r tant d'in-
roient cette
peu ? Mai-
nt à me sa-tre amour, repends de oi. Mainte-jue je préfé-de ne plus
itre amour. iœur. Il est mais main-it ne désire ie, ô mère fiance dans
FIH   DTI  TOME   HUITIEME.
TABLE
DES CHAPITRES ET DES PARAGRAPHES
C0HTEHU9 DANS CE VOLUME.
CHAPITRE I.
paiïe· Du mérite des Vierges qui se consacrent à Dieu.           1
CHAPITRE II.
Avantages de l'état religieux.                                   21
CHAPITRE III.
La religieuse doit être toute à Dieu.                           41
CHAPITRE  IV.
Désir de la perfection.                                              58
CHAPITRE V,
Danger de se perdre d'une religieuse imparfaite , qui ne redoute pas les suites de ses imperfections.  76
CHAPITRE VI.
Suite du même sujet.                                                90
TABLE
page.
CHAPITRE VII.
De la ^mortification intérieure ou du renoncement à
son amour pfopfe.                                              J04
S I. Du détachement de sa propre volonté.               117
S II. De VobéisiMèe: '                                                    129
S III. De l'obéissance due aux supérieurs.                  136
§ IV. De l'obéissance due aux règles.                           147
§ V. Des quat/e degrés de l'obéissance parfaite.       165
CHAPITRE VIII.
De la mortification des sens.                                           18Ô § I. De la mortification des f^tu$tet de la modestie
en général                                                                    192
De la modestie en général.                                            199
§ II. De la mortification de ta bouche.                        204 § III. De la mortification de l'ouïe , de  l'odorat
et du toucher.                                                               219
CHAPITRE IX.
De la pauvreté religieuse.
%\. De la perfection de la pauvreté.                             224
§ II. Des degrés et de la pratique de la pauvreté parfaite.                                                                       238
CHAPITRE X.
Du détachement des7'parens et du reste des hommes. §1. Du détachement des parens.                                  251
WES CHAPITSES.                                   4'3Ô
page. $ IL Du détachement du séculier et tnêtne deo du·
tres religieuses.                                                    260
CHAPITRE XI.
De la sainte humilité.
i'I. Des avantages de l'humilité.                             271
ξ II. De l'humilité d'esprit ou dujugement.             280
§ III. De l'humilité de volonté, ou d'affection.         289
§ IV. Suite du même sujet et plus particulièrement du support des mépris.        '                                  300
CHAPITRE XII.
De la charité du prochain.
§ I De la charité envers le prochain,  et surtout de
la manière déjuger ses actions.                            314
§ II. De ta charité qu'on doit pratiquer dans ses
paroles.                                                                323
§ III. De la charité qu'on doit pratiquer dans ses
actions et avec qui il faut la pratiquer.                  333
CHAPITRE XIII.
De la patience.
§ I. De lapaticHce en général.                                §44
§ II. De la patience dans les maladies, la pauvreté,
le mépris et les afflictions.                                   359
§ III. De la patience dans les tentations.                371
CHAPITRE XIV.
De la résignation à la volonté de Dieu.
% I. Du prix de la résignation à la volonté de Dieu. 382
TABLE   DES   CHAPITRES.
page. § II. En quoi il faut surtout se résigner.                   391
CHAPITRE XV.
De l'oraison mentale.
§ I. De la nécessité de l'oraiscn mentale pour les
religieuses.                                                               401
§ II. Pratique de l'oraison mentale.                       413
FIN DE LA TABLE DES CHAPITRES.
AU  IUM ,   IMFBIMEEIE  DE  βίΧΟΝ ET Cie.
 
 
 
 
 
 
 
 

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