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Amy Welborn

Décoder Da Vinci
Réponse à une Imposture Esotérique
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Copyright © 2005 Michel HOURST (traduction en français)
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Autorisation de diffuser, donnée à JESUSMARIE.com, par Bruno Nougayrede, Directeur de www.librairiecatholique.com

 PREFACE

Au printemps 2003, les éditions Doubleday ont publié un roman de Dan Brown intitulé : The Da Vinci Code, publié en français sous le titre : Da Vinci Code, éditions Jean-Claude Lattès, 2004.
Soutenu par une campagne de presse particulièrement intensive, le Da Vinci Code a démarré en fanfare et la version anglaise brochée s’est vendue à près d’un million d’exemplaires ; un film tiré de ce livre devrait être réalisé bientôt par Ron Howard (Apollo 13, Un homme d’exception).
Les étagères de votre libraire habituel croulent sous les romans à suspense mais il semble que le Da Vinci Code ait quelque chose de différent : il alimente les discussions plus que ne l’ont jamais fait les romans de James Patterson ou de John Grisham. Pourquoi ?
Pour ne rien cacher, il y a, à la base, une remarquable opération publicitaire. Il faut bien se rappeler que, à notre époque, si on fait beaucoup de « battage » autour d’un produit particulier, c’est, dans la plupart des cas, qu’une société s’est donné beaucoup de mal pour organiser ce « battage » – et c’est ce qu’ont fait les éditions Doubleday bien avant que ce livre sorte.
Mais, bien sûr, il n’y a pas que cela. À partir du moment où les gens commencent à lire le Da Vinci Code, ils ne peuvent s’empêcher de se poser des questions à propos de certaines affirmations bizarres que Dan Brown avance dans son roman :

? Léonard de Vinci s’est-il vraiment servi de son art pour communiquer des connaissances secrètes à propos du Saint-Graal ?
? Est-il vrai que les évangiles ne racontent pas la véritable histoire de Jésus ?
? Jésus et Marie Madeleine étaient-ils mariés ?
? Jésus a-t-il vraiment désigné Marie Madeleine comme chef de son mouvement, et non pas Pierre ?

Ce qui semble intriguer les lecteurs, c’est que les personnages du Da Vinci Code ont des réponses à toutes ces questions ; et, dans le livre, ces réponses sont présentées comme étant fondées sur des faits et étayées par les travaux et les avis d’historiens et d’autres chercheurs. Dans son roman, Brown va même jusqu’à citer, comme références, des livres qui ont effectivement été publiés. Bien entendu, les lecteurs se demandent pourquoi ils n’ont jamais entendu parler de ces idées. Ils se demandent aussi – au cas où ce que Brown affirme serait vrai – quelles pourraient en être les implications pour leur foi. Après tout, si les évangiles sont des faux, le christianisme tout entier, tel que nous le connaissons, n’est-il pas un mensonge ?
Le présent ouvrage vise essayer de mettre un peu d’ordre dans tout cela et à examiner la vérité que cache le Da Vinci Code. Nous allons considérer les sources auxquelles Brown s’est référé et voir si elles donnent un témoignage crédible de l’histoire. Nous allons voir si cet auteur présente avec exactitude les écrits des premiers chrétiens, leurs enseignements et leurs controverses – tous domaines sur lesquels les écrits abondent et ont été étudiés pendant des siècles par des gens intelligents et à l’esprit ouvert. Nous allons étudier les cas de Jésus et de Marie Madeleine – les deux personnages qui sont au cœur de ce roman – et voir s’il y a la moindre confirmation historique de ce que le Da Vinci Code raconte à leur propos. Et, ce faisant, nous allons découvrir un remarquable nombre d’erreurs, manifestes et flagrantes, sur des questions tant importantes que secondaires, qui devraient faire sérieusement réfléchir ceux qui pensent trouver dans ce roman une source de faits avérés et non de la fiction à l’état pur.
D’un bout à l’autre, le Da Vinci Code nous laisse entendre que, peut-être, les choses ne sont pas telles qu’elles paraissent.
Lisez ce livre sans idée préconçue : vous verrez à quel point c’est vrai.

 MODE D’EMPLOI

Pour lire avec profit le livre que vous avez entre les mains, il n’est pas nécessaire d’avoir lu le Da Vinci Code : nous allons vous présenter une synthèse détaillée de l’intrigue pour que vous puissiez comprendre les principaux problèmes que pose ce roman et en discuter en connaissance de cause.
Dans Décoder Da Vinci, j’ai repris les questions le plus fréquemment posées par les lecteurs de ce roman, notamment dans les domaines théologique et historique. Tout au long de ce livre, des encadrés permettent de corriger et de clarifier beaucoup d’erreurs et inexactitudes de moindre importance contenues dans le Da Vinci Code.
Ce livre s’adresse tant aux individus qu’à des groupes de discussion. À la fin de chaque chapitre sont présentés des éléments « pour en savoir plus » et « pour faire le point » ainsi que des questions « pour en discuter ».
Aux prétentions particulières du Da Vinci Code s’oppose, dans le présent livre, un dessein plus élevé : en examinant de plus près ces prétentions, nous aurons l’occasion de revoir un certain nombre d’enseignements chrétiens de base à propos de l’identité et du ministère de Jésus, de l’histoire de l’Église primitive, du rôle des femmes dans la religion et de la relation entre la foi apostolique et notre foi aujourd’hui. Que vous ayez ou non lu le Da Vinci Code, j’espère que vous trouverez dans le présent ouvrage une occasion de mieux comprendre les racines historiques de la foi chrétienne authentique.

INTRODUCTION

Le Da Vinci Code comporte toute une série d’éléments susceptibles de retenir l’attention du lecteur : du suspense, des secrets, une énigme, l’ébauche d’une histoire d’amour et la suggestion selon laquelle le monde n’est pas tout à fait tel qu’il paraît, les « Autorités » ne voulant pas que vous connaissiez la Vérité Vraie.
Au début du roman, Robert Langdon, professeur de « symbolique religieuse » (soit dit en passant, cette discipline n’existe pas) à l’université Harvard, en visite à Paris, est appelé au Louvre où un crime vient d’avoir lieu. Le conservateur, Jacques Saunière, distingué spécialiste du culte de la Grande Déesse et du « Féminin sacré », a été trouvé mort – probablement assassiné – dans l’une des galeries.
Il semble que, avant sa mort, Saunières ait eu le temps de prendre, sur le sol, la position de L’homme de Vitruve, célèbre dessin de Léonard de Vinci qui représente un homme, bras et jambes écartés, inscrit dans un carré, lui-même inscrit dans un cercle ; il a également laissé d’autres indices, notamment des chiffres, des anagrammes et un pentacle, ce dernier tracé de son sang sur son propre corps.
Rapidement, Sophie Neveu, cryptographe et aussi petite-fille de Saunière, arrive sur les lieux du crime. Son grand-père l’avait appelée peu de temps auparavant pour lui demander de venir le voir : il souhaitait se réconcilier avec elle et lui apprendre quelque chose d’important concernant sa famille.
Sophie arrive à décrypter les indices laissés par son grand-père ; elle a avec Langdon plusieurs conversations sur le culte de la Grande Déesse, elle trouve un Indice Très Important que lui a laissé son grand-père, derrière un autre tableau de Vinci et… nous voilà embarqués.
Qui a tué Saunière ? Quel était le secret dont il était le détenteur ? Que veut-il faire comprendre à Sophie ? Pourquoi un « moine » albinos de l’Opus Dei essaie-t-il de tuer tout le monde ? Le reste du roman, qui compte au total 571 pages, cent cinq chapitres mais qui, curieusement, se déroule en un peu plus d’une journée seulement, nous emmène dans différentes parties de l’Europe, avec Sophie et Langdon qui cherchent la réponse ; celle-ci est très simple.
(Désolé de dévoiler la chute, mais c’est indispensable.)
Saunière était le grand-maître d’une curieuse société secrète appelée le « Prieuré de Sion » qui avait pour mission de préserver la vérité à propos de Jésus, de Marie Madeleine et par extension, de toute la race humaine.
Selon ce que le dit le livre, l’humanité, dès l’origine et pendant des millénaires, avait pratiqué une spiritualité fondée sur un équilibre entre le masculin et le féminin, dans laquelle on révérait les déesses et le pouvoir des femmes. C’était là tout l’objet de la mission de Jésus : il a vécu et prêché un message de paix, d’amour et d’unité de l’humanité et, pour incarner ce message, il a pris Marie Madeleine pour femme et lui a confié la direction de ce mouvement. Lorsqu’il fut crucifié, elle attendait un enfant de lui.
Jaloux du rôle de Marie Madeleine, Pierre a pris la tête d’une partie du mouvement créé par Jésus avec pour idée d’étouffer le véritable enseignement de Jésus et de le remplacer par le sien, et de supplanter Marie Madeleine à la tête du mouvement.
Marie Madeleine fut obligée de s’enfuir, elle se réfugia en France, où elle mourut. Elle et la fille de Jésus furent à l’origine de la lignée royale des Mérovingiens, les premiers rois de France ; et le véritable « Saint-Graal », c’est, non pas une coupe matérielle, mais Marie Madeleine elle-même, ainsi que le « Féminin sacré » dont elle est l’incarnation.

Est-ce la famille royale des Mérovingiens qui a fondé Paris, comme le dit Brown ? (cf. Da Vinci Code p. 322). Loin de là ! Paris fut, à l’origine, fondée par la tribu celte gauloise des Parisii, au IIIe siècle av. J.-C. On doit aux Mérovingiens d’avoir fait de Paris la capitale du royaume franc en 508 ap. J.-C.

Ainsi, cachée derrière tous les événements que nous lisons dans les livres d’histoire (lesquels sont écrits par les « vainqueurs », bien entendu !), la véritable histoire de ces deux derniers millénaires est celle de la lutte entre l’Église catholique (attention ! pas tout le christianisme : uniquement l’Église catholique) et le Prieuré de Sion. En fixant le canon des Écritures, par ses affirmations doctrinales et même par son attitude envers les femmes, l’Église s’est efforcée d’étouffer la vérité relative au Saint-Graal et, par extension, au « Féminin sacré », alors que les Templiers et le Prieuré de Sion s’efforçaient de protéger le Graal (les ossements de Marie Madeleine), sa lignée et le culte du « Féminin sacré ».
Saunière était le gardien de ce savoir, un savoir que Léonard de Vinci, lui-même membre du Prieuré, avait incorporé dans ses œuvres. Pour Saunière, il s’agissait aussi d’une affaire personnelle : il appartenait à la « lignée royale » des Mérovingiens, et donc sa petite-fille aussi. Mais, bien entendu, Sophie n’en savait rien, et elle avait même pris ses distances par rapport à son grand-père, bien des années auparavant, lorsqu’elle avait pénétré par hasard dans une pièce secrète du château en Normandie qui était la résidence secondaire de Saunière, et vu son grand-père procéder à une sorte de rite sexuel extatique avec une femme pendant que, formant cercle autour d’eux, des spectateurs masqués psalmodiaient.
Bien entendu, à la fin, nous comprenons que cette femme était la propre grand-mère de Sophie et que, ce qu’elle faisait avec Papi dans cette pièce, c’était simplement garder vivante cette foi. Nous apprenons aussi que le « Graal » – les reliques de Marie Madeleine et des documents attestant l’authenticité de la lignée – est enterré dans l’étincelante pyramide de verre conçue par l’architecte I. M. Pei, haute de 21 m, qui sert d’entrée au Musée du Louvre ; c’est là que, à la fin du roman, Langdon tombe à genoux et entend s’exprimer, pense-t-il, la sagesse immémoriale, sous la forme d’une voix féminine qui monte des entrailles de la terre.

Rien de nouveau sous le soleil
Dans une large mesure, les idées présentées dans le Da Vinci Code paraîtront nouvelles et pleines d’imagination ; pourtant, la vérité toute bête, c’est qu’il n’y a pas grand-chose de nouveau là-dedans.
En fait, Brown s’est contenté de reprendre un certain nombre de courants spéculatifs, de racontars ésotériques et d’affabulations pseudo-historiques qui ont été publiés dans d’autres livres ; il les a mélangés pour en mettre le maximum dans son livre. Quand on connaît ces autres livres, il est en fait assez choquant de voir à quel point ce livre s’en est inspiré.
Sur son site, Brown nous fournit une bibliographie, et il cite un certain nombre de ces ouvrages dans le livre lui-même. On peut, en gros, répartir ses sources en trois catégories :

1) Sang sacré et Saint-Graal : la lignée royale.
Écrit par Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln, ce livre a été publié en 1981 et il a servi de base à un programme télévisé de la British Broadcasting Corporation. Présenté comme un ouvrage factuel, il s’est attiré de nombreuses critiques : spéculations, hypothèses non fondées et documents frauduleux. Les auteurs de ce livre étaient, respectivement, un enseignant diplômé en psychologie, un romancier et un producteur de télévision.
Dans le même genre, il y a eu aussi La révélation des Templiers : les gardiens secrets de la véritable identité du Christ, de Lynn Picknett et Clive Prince, spécialistes des phénomènes paranormaux, qui ont également publié The Mammoth Book of UFOs.
Tout ce qui, dans le Da Vinci Code, concerne Jésus, Marie Madeleine, le Saint-Graal et le Prieuré de Sion est tiré de ces deux livres.

2) Le « Féminin sacré ». Depuis le XIXe siècle, certains auteurs ont avancé des spéculations sur un âge perdu de la Grande Déesse au cours duquel on vénérait le « Féminin sacré » et qui a été remplacé par un patriarcat agressif. Ces dernières années, certains auteurs ont associé ce thème avec l’idée qu’ils se faisaient de Marie Madeleine. Une Américaine appelée Margaret Starbird a consacré plusieurs livres à cette croisade d’un genre particulier. La présentation que Brown fait de Marie Madeleine s’inspire largement de l’œuvre de Starbird, et en particulier de La femme au visage d’albâtre, dont Starbird dit elle-même qu’il s’agit d’un « ouvrage de fiction ».

3) Le gnosticisme. Comme nous le verrons plus loin, le « gnosticisme », ou la « gnose », était un système intellectuel et spirituel largement répandu dans le monde ancien. Il comporte de multiples facettes mais, en gros, la plupart des formes de pensée gnostique étaient d’ordre ésotérique (la véritable connaissance étant réservée à un petit nombre – en grec, le mot gnôsis signifie « connaissance ») et anti-matériel (elles considéraient le monde physique, et donc le corps, comme mauvais).
Certains écrits des IIe au VIIIe siècles nous sont parvenus qui, manifestement, tentent une synthèse entre la pensée gnostique et la pensée chrétienne. Les spécialistes en la matière ont des avis différents sur ces écrits mais, pour la plupart d’entre eux, ces textes sont nettement plus tardifs que les évangiles ; en outre, et ceci est important, ces textes ne s’écartent guère – sinon pas du tout – de ce que nous connaissons des véritables paroles et actes de Jésus. Brown n’en tient pas compte ; il préfère s’appuyer sur une toute petite minorité d’auteurs et d’autres non-spécialistes pour qui les écrits gnostiques reflètent véritablement la réalité du mouvement qui s’est constitué à l’origine autour de Jésus. C’est sur leurs travaux à eux que Brown fonde ses descriptions de ce que Jésus a « vraiment » enseigné.
Ces sources devraient nous inspirer immédiatement une certaine méfiance. Dans sa bibliographie, on ne compte aucun ouvrage sérieux consacré à l’histoire du christianisme – pas un seul ouvrage de l’un des grands spécialistes du Nouveau Testament, non plus qu’aucun des ouvrages de référence habituels que sont censés utiliser tous ceux qui veulent étudier l’histoire de l’Église primitive. Parmi les sources relatives à l’histoire de la naissance du christianisme qu’il cite, Brown ne mentionne même pas le Nouveau Testament.
Dans ses interviews, il prétend fréquemment que son livre vise en partie à faire redécouvrir l’histoire perdue, étouffée. Il aime affirmer que « l’histoire est écrite par les vainqueurs ». Cela signifie que, si l’on considère les événements historiques comme une épreuve de force, les vainqueurs sont ceux qui laissent des documents, et c’est leur version de l’histoire qui survit. Les sources qu’utilise Brown prétendent présenter cette « histoire perdue ». Bien entendu, il y a, dans cette façon de considérer l’histoire, un grain de vérité : il n’est jamais possible de présenter l’histoire tout à fait objectivement car les êtres humains ne sont jamais tout à fait objectifs. Nous voyons toujours les événements et les relations entre eux au travers du prisme de la perspective. Par exemple, tous les témoins d’un accident de voiture en présentent une version quelque peu différente.
Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’accident.
Si les témoins d’un accident ne sont parfois pas très sûr des circonstances exactes qui l’ont précédé, et si, bien entendu, la victime en donne certainement une version différente de celle du conducteur fautif, le fait est qu’il y a vraiment eu un accident et il ne fait pas de doute que, nonobstant les limitations des observateurs, il n’en existe pas moins une vérité objective sur les causes véritables de l’accident – aussi difficile soit-il de la découvrir.
Cela vaut également pour les événements historiques. Il est vrai que, jusqu’à récemment encore, la conquête de l’Ouest américain, par exemple, était racontée dans la perspective des Européens – des « vainqueurs ». Ces dernières années, des spécialistes ont tenté de raconter l’autre face de l’histoire, telle que vue par les populations autochtones, dont le point de vue sur cette conquête est bien entendu différent. Il est indubitable que la conquête de l’Amérique du Nord par les Européens ne s’est pas déroulée exactement comme l’ont racontée les conquérants, comme la racontent les populations autochtones ou comme qui que ce soit est capable de la comprendre complètement. Il n’en reste pas moins qu’il y a eu, effectivement, une conquête, qui s’inspirait de certains motifs et qui a eu certaines conséquences ; ces motifs et ces conséquences, si nous disposons des informations appropriées, nous pouvons les percevoir – même si nous en donnons des interprétations différentes.
Cependant, dans le Da Vinci Code, Brown prétend que « l’histoire est écrite par les gagnants » pour affirmer que toute l’histoire du christianisme, à commencer par Jésus lui-même, est un mensonge, qu’elle a été écrite par ceux qui avaient décidé d’étouffer le message « réel » de Jésus. Il ne s’agit pas ici de divergences d’interprétation de la vie et du message de Jésus : Brown s’en prend aux faits eux-mêmes. Selon lui, ce que racontent le Nouveau Testament et les témoignages écrits du christianisme primitif qui nous sont parvenus ne sont pas des présentations exactes de ce qui s’est véritablement passé.
Dans le roman, Sir Leigh Teabing, présenté comme un historien, affirme de but en blanc que les « hérétiques » du christianisme primitif – ceux qui sont représentés par les écrits gnostiques que cite Brown – sont ceux qui sont restés fidèles à « l’histoire originelle de Jésus » (p. 293).
Il s’agit là d’une grave accusation, qui va trop loin. Dans le cours du présent ouvrage, nous allons examiner ces affirmations plus en détail mais, au départ, il est important de définir clairement le cadre de la discussion afin que nous puissions voir ce qui est en jeu.
Brown affirme que le mouvement que Jésus constituait avec ses disciples avait pour objectif de faire mieux prendre conscience du « Féminin sacré ». Il ajoute que, sous la direction et l’inspiration de Marie Madeleine, son mouvement s’est largement développé au cours des trois premiers siècles – jusqu’au jour où il fut brutalement réprimé par l’empereur Constantin.
Cette assertion ne repose sur rien. Elle est fausse.
Sans doute a-t-il existé une certaine diversité dans les premiers temps du christianisme ; sans doute y a-t-il eu d’intenses discussions sur la personne de Jésus et sur le sens de son message. Des témoignages écrits attestent bien, par ailleurs, que, dans certaines communautés, des femmes occupaient des postes importants au sein du christianisme – notamment les diaconesses – et que leur rôle a décru par la suite (pour être relancé dans des formes ultérieures du christianisme, soit dit en passant).
Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que rien de tout cela – cette diversité, ces changements et ces évolutions que l’on constate dans l’histoire du christianisme primitif – ne s’est passé de la manière avancée dans le Da Vinci Code. Lorsque les premiers dirigeants chrétiens ont voulu affirmer la vérité de l’enseignement chrétien, ils n’ont pas pris pour critère le sexe ou le pouvoir. Ainsi qu’en attestent leurs propres écrits, pour autant qu’on prenne la peine de les lire, il s’agissait pour eux d’être fidèles à ce que Jésus avait fait et dit.
Il est vrai que, à propos du christianisme primitif, il y a beaucoup de choses que nous ne connaissons pas ou dont nous ne sommes pas sûrs ; ce sont là des questions qui sont librement et publiquement discutées entre spécialistes sérieux depuis des années et parfois, même deux mille ans après les événements, nous découvrons de nouveaux éléments qui complètent le tableau que nous en avons.
Cela dit, dans ces ouvrages sérieux, aucun spécialiste ne prend au sérieux l’idée selon laquelle la mission de Jésus se limitait à envoyer Marie Madeleine diffuser son message relatif au « Féminin sacré ».
Aucune source crédible ne fait ne serait-ce qu’allusion à une telle hypothèse. Par contre, pour des spécialistes crédibles, la plupart des autres affirmations de Brown – depuis la nature du mythe du Graal jusqu’au Prieuré de Sion en passant par le rôle de la Grande Déesse dans le monde ancien – ne sont tout simplement pas confirmées par les témoignages dont nous disposons.
Et, comme nous le verrons à mesure que nous avancerons dans ce roman, celui-ci abonde en prétentions et affirmations bizarres et curieuses de ce genre qui ne reposent sur rien. Depuis la géographie de Paris jusqu’à la vie de Léonard de Vinci lui-même, rien ne permet de considérer ce livre comme une source aussi peu fiable que ce soit dans aucun des domaines qu’il aborde, à l’exception, peut-être, de la cryptographie.

« Ce n’est qu’un roman ! Inutile d’en faire une histoire »
Le Da Vinci Code a provoqué bien des remous et, parallèlement, beaucoup appellent à ne pas le prendre au sérieux et à laisser retomber le soufflé ; je l’ai entendu dire bien des fois.
Certains disent : « Ce n’est qu’un roman. Tout le monde sait bien que c’est de la fiction, une œuvre d’imagination. Pourquoi ne pas l’apprécier en le lisant à ce niveau ? »
À vrai dire, pour plusieurs raisons, nous ne pouvons justement pas en rester à ce niveau. D’abord, on ne peut jamais dire : « Ce n’est qu’un roman ». La culture n’est jamais anodine : la culture communique toujours quelque chose. Nous devrions toujours nous intéresser à ce que contient la culture, à l’influence qu’elle exerce sur nous, qu’il s’agisse d’art plastique, de films, de musique ou de livres.
Mais, plus spécifiquement encore, l’auteur de cet ouvrage particulier laisse entendre que, dans ce cas, c’est beaucoup plus qu’une simple œuvre d’imagination, et il encourage ses lecteurs à admettre comme avérées certaines de ses affirmations relatives à l’histoire.
Depuis longtemps d’ailleurs – en fait, depuis les tout premiers temps du christianisme –, des auteurs ont mélangé les faits connus relatifs à l’histoire de Jésus avec des récits imaginaires, phénomène que l’on peut comparer à la tradition juive des midrashim. Par exemple, les légendes concernant la Sainte Famille abondent ; l’une d’elles, notamment, raconte que le romarin a acquis son odeur suave après que Marie eut étendu son manteau pour le faire sécher sur un buisson de romarin au cours de la Fuite en Égypte.
Au long des siècles, l’art chrétien a donné d’innombrables détails intéressants et souvent éclairants qui ne se fondent en aucune manière sur les textes scripturaires ni sur la tradition chrétienne primitive. Par ailleurs, au cours de ces dernières décennies, certains romanciers ne se sont pas privés de s’inspirer de l’histoire de Jésus pour écrire leurs ouvrages : entre bien d’autres, nous citerons deux exemples bien connus : The Robe, de Lloyd C. Douglas et Le calice d’argent, de Thomas Costain ; soit dit en passant, le dernier nommé parle justement du Saint Graal.
Les ouvrages de fiction historique sont un genre très apprécié du public. Pourtant, lorsqu’il écrit de la fiction historique, l’auteur conclut implicitement un pacte avec le lecteur : il lui assure que, si son roman contient des personnages imaginaires qui ont des activités imaginaires, le cadre historique est, lui, fondamentalement exact. En fait, beaucoup de gens aiment lire les romans de fiction historique parce que c’est une manière séduisante et agréable d’apprendre l’histoire. Pour ce qui est de la vérité historique, ils s’en remettent à l’honnêteté de l’auteur.
Le Da Vinci Code est différent. Dans tous les autres exemples évoqués, tout le monde – de l’artiste au spectateur ou au lecteur – voit bien la différence entre les faits connus et les détails qui relèvent de l’imagination et admet par principe que, fondamentalement, l’auteur assume la responsabilité de raconter des choses sûres à propos de l’histoire ; c’est ce qu’on attend de lui. Dans le Da Vinci Code, les détails relevant de l’imaginaire et les fausses assertions historiques sont présentés comme des faits, comme l’aboutissement de sérieuses recherches historiques – ce qui n’est certainement pas le cas.
Comme nous l’avons fait remarquer dans le chapitre précédent, Brown présente une très longue liste des ouvrages qu’il a consultés pour écrire ce roman ; si tous ces livres sont à tonalité historique, la plupart ne sont pas de vrais livres d’histoire.
Au début de son livre, sous le titre : « Les faits », Brown donne une liste de faits qu’il reprend dans son récit. Il dit que l’Opus Dei et le Prieuré de Sion sont des organisations qui existent vraiment. Et il conclut : « Toutes les descriptions de monuments, d’œuvres d’art, de documents et de rituels secrets évoqués sont avérées. »
Il est vrai qu’il ne mentionne pas explicitement, dans cette liste, les « affirmations sur les origines du christianisme », mais cela est implicite dans le terme de « documents ». Cela dit, ce qui est plus important, c’est que les affirmations de Brown sur les origines du christianisme sont placées dans la bouche de spécialistes – Langdon et Teabing en particulier – qui, souvent, citent des auteurs contemporains et accompagnent leurs affirmations d’expressions telles que : « Les historiens constatent avec étonnement… », « Heureusement pour les historiens… », et encore : « Des spécialistes patentés croient… ».
Ces discussions ont pour fonction de communiquer au lecteur des idées tirées de Sang sacré et Saint-Graal, des livres de Margaret Starbird et d’autres encore, et de les transmettre d’une manière qui laisse entendre que ces affirmations sont fondées, acceptées par des « historiens » et des « spécialistes » du monde entier.
En outre, dans ses interviews, Brown ne fait pas tellement mystère de sa méthode et de son but. Il a dit et répété qu’il est ravi de pouvoir faire connaître aux lecteurs ce qu’il a découvert parce qu’il veut participer à la rédaction de cette « histoire perdue ». En d’autres termes, dans ses interviews, Brown laisse entendre que, dans le Da Vinci Code, il ne fait, en partie, qu’enseigner un peu d’histoire :
« Il y a deux mille ans, nous vivions dans un monde de dieux et de déesses. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde uniquement habité par des dieux. La plupart des cultures ont ôté aux femmes leur pouvoir spirituel. Dans ce roman, j’essaie de montrer comment et pourquoi ce changement s’est produit […] ainsi que les leçons que nous pourrions en tirer pour notre avenir » (www.danbrown.com).
Le plus surprenant, c’est que beaucoup de lecteurs prennent ces théories pour des faits. Pour s’en persuader, il suffit de lire les réactions des lecteurs sur Amazon.com ou de parcourir les nombreuses recensions de ce livre parues dans les journaux. Peut-être avez-vous vous-même entendu ce genre de réactions dans votre entourage et votre famille, ce qui vous a d’ailleurs poussé, au départ, à lire ce livre.
Ainsi donc : non ! ce n’est pas « qu’un roman ». Le Da Vinci Code prétend enseigner l’histoire dans le cadre d’une fiction. Considérons maintenant le plan de la leçon.

 Chapitre 1

SECRETS ET MENSONGES

Dans le Da Vinci Code, tout tourne autour de secrets : sociétés secrètes, connaissances secrètes, documents secrets et même secrets de famille.
Bien entendu, les secrets les plus importants concernent Jésus et Marie Madeleine. Les héros de Brown affirment souvent que la conception chrétienne traditionnelle de la vie et du ministère de Jésus est fausse. Cela signifierait donc que le Nouveau Testament, qui est la source de cette conception, n’est en aucune manière une source d’informations fiable.
Nous y voilà, impossible d’y échapper. Que de telles possibilités vous intriguent, soit ! Mais accorder la moindre croyance à l’une quelconque des affirmations historiques que l’on trouve dans le Da Vinci Code, cela signifie – si l’on veut être logique jusqu’au bout – rejeter les récits que le Nouveau Testament donne de Jésus, de son ministère et des débuts du christianisme.
Est-ce là une attitude raisonnable ? Est-il vraiment possible que le Nouveau Testament soit à ce point inutile ou, pire, une tromperie ?
Mais il faut encore considérer ceci : pour apprendre quelque chose sur Jésus, les sources que Brown utilise sont-elles vraiment supérieures au Nouveau Testament ?
Par exemple, tous ces autres « évangiles » que ne cessent d’évoquer les personnages de Brown, ces écrits secrets : faut-il croire qu’ils racontent la vérité sur Jésus simplement parce que lui l’affirme ? C’est ce que nous allons voir.

Les évangiles gnostiques
Comme nous l’avons déjà fait remarquer, à propos de Jésus, de Marie Madeleine et du Saint Graal, Brown tire ses idées d’ouvrages pseudo-historiques tels que Sang sacré et Saint-Graal et La révélation des Templiers. Pourtant, lorsqu’il évoque ce qu’il prétend être la véritable nature de la mission de Jésus et du rôle qu’y joue Marie Madeleine, il puise à d’autres sources.
En particulier, dans les pages 293 et suivantes, son historien, Teabing, se réfère à des livres appelés évangiles gnostiques pour démontrer la véracité de ce qu’il invente à propos de Jésus. Il affirme qu’ils relatent « le ministère de Jésus sous un angle très humain », et il cite des passages qui évoquent une relation très étroite entre Jésus et Marie Madeleine ainsi que la jalousie éprouvée par les Apôtres à propos de cette relation.
Teabing explique que tout cela révèle le véritable rôle de Marie Madeleine, qui fut pour Jésus la principale dépositaire et le principal apôtre de son message de sagesse ; et cela définit bien le cadre du conflit entre elle et Pierre, d’où l’historien en arrive tout naturellement aux autres théories reprises d’autres livres.
Mes ces livres ont-ils vraiment la valeur éminente que Brown leur accorde ? Pouvons-nous être sûrs qu’ils nous disent la vérité sur la vie de Jésus, son message et son ministère ? Et puis encore : le Jésus qui nous est présenté dans ces livres est-il vraiment aussi aimablement « humain » que le prétend Brown ?
Certes, ces « évangiles gnostiques », ainsi qu’on les appelle, existent bien. En fait, ces documents sont vieux de plusieurs siècles ; à strictement parler, ce ne sont pas des évangiles et ils sont les fruits d’un mouvement populaire diffus, difficile à cerner, qui était largement répandu aux IIe et IIIe siècles et qui s’est poursuivi pendant plusieurs centaines d’années.
Le gnosticisme – la croyance à la gnose – n’était pas un mouvement organisé. Sans doute a-t-il existé des sectes résolument gnostiques, mais les idées et modes de pensée gnostiques ont pénétré d’autres systèmes intellectuels du monde ancien. On pourrait comparer cela à un mouvement qui s’est répandu aux États-Unis depuis une vingtaine d’années, fondé sur les notions de « self-help » et de « self-esteem » – « l’affirmation de soi ». Où que l’on aille, on a l’impression qu’on ne cesse de nous enjoindre : « Deviens le meilleur de toi-même », de nous dire qu’il faut en tout s’efforcer de tirer le meilleur de soi-même. On retrouve ces idées dans les programmes de télévision, dans les films, dans la musique, dans les pratiques commerciales, dans l’enseignement et même dans les Églises. Il ne s’agit pas de quelque chose d’organisé, ce mouvement n’a pas de chefs, mais c’est une tendance qui se manifeste de différentes manières, certaines plus explicites que d’autres ; quoi qu’il en soit, c’est une réalité.
Si la pensée gnostique revêt des formes différentes en fonction des lieux et des temps, on y trouve un certain nombre de constantes :

? La source du bien, de la vie authentique, c’est le monde spirituel.
? Le monde physique et corporel est mauvais.
? L’« étincelle » spirituelle de l’être humain est condamnée à être emprisonnée dans un corps physique.
? On atteint au salut – c’est la délivrance de cet esprit emprisonné – en accédant à la connaissance (comme on l’a vu, gnôsis signifie « connaissance »).
? Seul un petit nombre de gens sont dignes de recevoir cette connaissance secrète.

Dans le monde ancien, la pensée gnostique a connu d’innombrables variations ; dans certains cas, la doctrine comportait des hiérarchies très complexes de réalités ainsi que des rites compliqués.
Bien évidemment, certains éléments gnostiques n’ont pas manqué de s’introduire dans la pensée de certains chrétiens (de même que le langage du « self-help » se retrouve parfois dans la manière dont nous parlons de notre foi). Au cours des IIe et IIIe siècles, le gnosticisme avait beaucoup de succès et il a constitué, pour les penseurs chrétiens, le premier défi théologique sérieux. En général, les versions gnostiques du christianisme dénigraient l’Ancien Testament, elles réduisaient l’importance de l’humanité de Jésus ou allaient même jusqu’à la nier, et elles ne reconnaissaient ni sa Passion, ni sa Crucifixion.
Les gnostiques mettaient leurs croyances par écrit, ils avaient de nombreux disciples, qu’ils enseignaient et faisaient participer à des rites secrets. Pendant neuf ans, le jeune Augustin fut membre de la secte gnostique des manichéens, qu’il finit par quitter après avoir démontré honnêtement les incohérences et les absurdités de l’enseignement manichéen (voir saint Augustin : Confessions, livres 3 à 5).

Contre les hérésies : Voici quelques livres, rédigés aux deuxième et troisième siècles, qui donnent une bonne idée des réponses du christianisme au gnosticisme (on les trouvera en librairie ou sur Internet) : saint Irénée : Contre les hérésies ; Tertullien : Contre Marcion ; Hippolyte de Rome : Réfutations de toutes les hérésies.

Pour nous présenter l’idée qu’il se fait de la personne réelle de Jésus, Brown se réfère à des ouvrages écrits par des auteurs qui avaient adopté des versions gnostiques du christianisme. Ce mode de pensée s’est largement répandu aux IIe et IIIe siècles ; cela signifie donc que ces ouvrages, qui sont censés révéler des connaissances authentiques mais secrètes sur Jésus, ont tous été rédigés au cours de la même période : plus de cent ans après le ministère de Jésus, bien plus tard que tous les livres qui composent le Nouveau Testament, dont la rédaction était achevée avant la fin du premier siècle.
Ainsi, pour peu que l’on soit honnête et objectif, il faut se demander -– avant de les étudier sur le fond, ce que nous ferons plus tard –, pourquoi il faudrait croire que ces documents postérieurs devraient nous en dire plus, sur les événements dont il est question ici, que des documents antérieurs.

Les « autres » évangiles
Considérons maintenant deux de ces documents, auxquels les héros de Brown accordent une importance particulière : l’Évangile de Philippe et l’Évangile de Marie, dont Teabing lit des extraits d’après lesquels Jésus et Marie Madeleine auraient eu des relations intimes, d’un genre unique, dont les Apôtres étaient jaloux.
L’Évangile de Philippe est l’un des documents découverts à Nag Hammadi, en Égypte, en 1945, scellés dans une jarre. Sans compter les doubles, cette découverte extraordinaire comportait 45 titres différents. Ils ont été écrits en copte (la langue égyptienne transcrite en caractères grecs) et copiés par des moines anonymes, et tous ces ouvrages comportent, à des degrés divers, des éléments gnostiques ; on y trouve même certains textes qui reflètent clairement des croyances chrétiennes à tendance gnostique. S’appuyant sur les dates inscrites sur certaines couvertures, les spécialistes pensent que ces documents ont été écrits entre le milieu et la fin du IVe siècle, s’il est vrai par ailleurs que, pour beaucoup de ces copies, l’original devait être plus ancien – mais pas beaucoup plus.
Ainsi que le fait remarquer Philip Jenkins dans The Hidden Gospels, la date généralement retenue par les spécialistes pour la rédaction de l’Évangile de Philippe, dont Teabing lit un extrait qui mentionne Marie Madeleine, « compagne de Jésus », ne peut pas être antérieure à 250 ap. J.-C., c’est-à-dire deux cents ans après le ministère de Jésus. On peut bien l’appeler « évangile » mais, en réalité, il n’a pas grand-chose de commun avec les évangiles canoniques ; en outre, comme la plupart des documents d’origine gnostique, il est écrit dans un style complètement différent. Les évangiles canoniques présentent un récit clair et structuré, et ils accordent une grande importance à la Passion, à la Crucifixion et à la Résurrection. L’Évangile de Philippe est un recueil de « dits de Jésus » présentés sous forme de dialogue, sans rapport évident les uns avec les autres et qui reflètent manifestement une pensée gnostique.
On peut en dire autant de l’Évangile de Marie, également découvert à Nag Hammadi. Plus court que l’Évangile de Philippe, le récit est un peu plus structuré, si on veut considérer les choses de cette façon. Jésus parle à ses disciples, puis il s’en va. Marie Madeleine essaie de leur redonner du courage en leur faisant part de certaines connaissances que Jésus lui a confiées, et ces connaissances sont bien accueillies par certains apôtres mais contestées par d’autres. Nous étudierons ce document plus en détail dans un autre chapitre mais, ici, ce qui nous intéresse, c’est la valeur qu’il peut avoir en tant que source d’information sur la vie et l’enseignement de Jésus.
Ce que Marie Madeleine évoque en particulier dans ce document, c’est la montée de l’âme qui, après la mort physique, doit passer par différents niveaux de vie. Cette conception reflète fortement la pensée gnostique de la fin du IIe siècle et c’est la raison pour laquelle, dans leur grande majorité, les spécialistes le datent de cette époque, au plus tôt.
Brown fait dire à Teabing que ces documents de Nag Hammadi, tout comme les manuscrits de la mer Morte, racontent « la véritable histoire du Graal ». À franchement parler, cette affirmation est bizarre. Sur quarante-cinq textes trouvé à Nag Hammadi, deux évoquent une relation particulière – mais qui n’est pas clairement affirmée comme maritale – entre Jésus et Marie Madeleine, et ils ne font que donner corps à des enseignements gnostiques ; par contre, il n’y est fait aucunement mention de quelconques autres détails de « l’histoire du Graal » que, selon Teabing, ils raconteraient. En outre, les manuscrits de la mer Morte (découverts en 1947, et non dans les années 1950 comme l’écrit Brown dans la version originale anglaise) ne contiennent même aucun document chrétien. Ces textes nous ont été laissés par une secte juive ascétique : les Esséniens. Malheureusement, ni Jésus, ni Marie Madeleine, ni le Graal n’y sont mentionnés.

Brown affirme que les textes de Nag Hammadi étaient rédigés sur des « rouleaux » – ce qui n’est absolument pas le cas. Il s’agissait de codex, qui sont la forme primitive du livre tel que nous le connaissons.

Voici ce que nous pouvons penser de ces écrits gnostiques : leur valeur tient à ce qu’ils nous révèlent de formes d’hybridation entre gnose et christianisme au deuxième siècle et dans les siècles suivants. Ils nous disent comment ces communautés ont utilisé l’histoire de Jésus telle que racontée dans les évangiles synoptiques (ceux de Matthieu, Marc et Luc, qui étaient déjà largement diffusés au début du second siècle) et l’ont remodelée pour l’adapter à leurs propres fins ; peut-être même peuvent-ils nous apprendre quelque chose sur les conflits qui agitaient alors ces communautés.
Cela établi, il y a en tout cas une chose qu’ils ne disent pas : ils ne nous fournissent aucun renseignement indépendant et inédit sur Jésus de Nazareth et ses premiers disciples.
Dans son livre : A Marginal Jew, John P. Meier, spécialiste des Écritures, résume bien le consensus général entre experts :
« Ce que nous trouvons dans ces documents tardifs, c’est […] une réaction aux écrits du Nouveau Testament, ou un remodelage de ces écrits, par […] des chrétiens gnostiques qui ont voulu élaborer un système mystique spéculatif. On peut inclure leurs versions des actes et des dits de Jésus dans un "corpus de documentation sur Jésus" si l’on veut qu’un tel corpus soit considéré comme rassemblant absolument tout ce que les sources anciennes ont pu attribuer à Jésus. Mais un tel corpus fait penser au filet de pêche dont il est question dans Matthieu (13, 47-48) : il s’agit d’y sélectionner les bons poissons de la tradition primitive pour les mettre dans les viviers de la recherche historique sérieuse ; quant aux mauvais poissons pêchés et inventés par la suite, il faut les rejeter dans la mer trouble de l’esprit non critique […] Assis sur le rivage, nous avons fait le tri parmi les poissons pêchés et nous avons rejetés à la mer les agrapha, les évangiles apocryphes et l’Évangile de Thomas » (p. 140).
Ainsi donc, rejetons à la mer les « évangiles » de Philippe, Marie et Thomas. Ils ne permettent en rien de nous aider à comprendre le ministère de Jésus ni de nous faire une idée de ce qu’était véritablement le christianisme à ses origines.

Pour en savoir plus

Philip JENKINS : The Hidden Gospels : How the Search for Jesus Lost Its Way, Oxford University Press, 2001.

Pour faire le point

1. Qu’est-ce que la gnose, le gnosticisme ?
2. Pourquoi ne peut-on se fier aux évangiles gnostiques pour nous informer sur Jésus ?

Pour discuter

1. Sous quelles formes la pensée de type gnostique se présente-elle aujourd’hui ?
2. Pourquoi certains préfèrent-ils croire ce que disent les écrits gnostiques à propos de Jésus plutôt que ce qu’en disent les Évangiles ?

 Chapitre 2

QUI A CHOISI LES ÉVANGILES ?

Si c’est dans le Da Vinci Code que vous avez l’intention d’apprendre l’histoire du christianisme primitif, voici la première leçon pour aujourd’hui :
Jésus était un maître à penser, un sage, mais un mortel ; au cours des premiers siècles, « sa vie a été narrée par des milliers de disciples » (p. 293).
En fait, on compte « plus de quatre-vingts évangiles » (ibid.) ; mais quatre seulement ont été retenus pour être incorporés à la Bible par l’empereur Constantin en 325 !
C’est ainsi que, selon le Da Vinci Code, après le Concile de Nicée, « des centaines de textes qui racontaient sa vie d’homme – d’homme mortel » (ibid.) ont été supprimés – par simple opportunisme politique ; quant à ceux qui continuaient à voir en Jésus un mortel prêchant une sagesse et qui, pour Teabing, racontaient « l’histoire originelle de Jésus », ils ont été qualifiés d’« hérétiques » (ibid.).
Jusqu’à présent, nous avons essayé de présenter les choses de façon mesurée et objective mais, ici, on atteint la limite, et ce n’est plus possible.
C’est faux, c’est archi-faux. On tombe dans l’imaginaire le plus complet, et aucun spécialiste, aussi laïciste soit-il, ni aucune université, aussi peu religieuse soit-elle, ne pourrait en aucune manière confirmer le récit que fait Brown de la manière dont le Nouveau Testament a été constitué.
Ce n’est pas de l’histoire sérieuse, ne vous y laissez pas prendre ! Considérez cette curieuse reconstruction du passé comme un grave avertissement supplémentaire à ne pas même envisager de considérer comme avéré rien de ce qui est écrit dans ce livre. Et profitez-en pour apprendre l’histoire bien plus intéressante de la manière dont le Nouveau Testament s’est véritablement constitué.

Il n’y a rien là de choquant
Dans le Da Vinci Code, l’historien Teabing étonne apparemment Sophie lorsqu’il déclare : « La Bible n’a pas été transmise par fax céleste » (p. 288). Une telle information est censée être étonnante et trancher radicalement sur ce qui est, d’après lui, la « version définitive ».
Ce qu’il laisse entendre, c’est que si, effectivement, la Bible n’a pas été transmise par fax céleste, complète, reliée, avec une table des matières écrite par Dieu lui-même, la seule autre possibilité que l’on puisse envisager, c’est que les Écritures se sont constituées dans le cadre d’un processus au cours duquel des dizaines de récits de la vie de Jésus, tout aussi valides les uns que les autres, ont été soit acceptés, soit rejetés par des gens dont la seule motivation était de détenir le pouvoir.
À vrai dire, ce n’est pas du tout de cette manière que les choses se sont passées.
C’est bien connu : ce processus – la fixation du canon des Écritures – n’a rien de secret. Pour vous en convaincre, il vous suffit d’aller dans une bibliothèque où un livre vous en racontera toute l’histoire en quelques minutes. En outre, ce n’est pas parce que des hommes ont participé à leur rédaction que ces livres en sont moins sacrés.
Après tout, lorsqu’il a été élevé au ciel, Jésus n’a pas laissé une Bible derrière lui. Ce qu’Il a laissé, c’est l’Église – les Apôtres, Marie, sa mère, et d’autres disciples – hommes et femmes. Aussi essentielle que soit la Bible pour les chrétiens, aussi fondamentale et certaine soit-elle comme source de révélation, il est bon – et même un peu étonnant – de se rappeler que, au cours de ces premières décennies, les chrétiens ont vécu, appris et adoré en tant que chrétiens… sans le Nouveau Testament. Ils avaient acquis leur foi en réfléchissant sur l’Ancien Testament et par le truchement d’un enseignement oral fondé sur le témoignage des Apôtres. Cette foi s’est formée et nourrie au travers de rencontres avec le Seigneur vivant, dans le baptême, dans l’Eucharistie, dans le pardon des péchés et dans la vie en communauté avec d’autres chrétiens.
C’est de cette Église – le Corps nourri par le Seigneur vivant – que sont sortis les livres du Nouveau Testament, les récits de ceux qui avaient été témoins de Jésus, récits qui finirent par être mis par écrit, sélectionnés et circonscrits.
Pas de fax venu du ciel ? Où est le problème ? Pour la pauvre Sophie, c’était peut-être quelque chose de complètement nouveau, mais ça ne l’est pas pour nous.

Dits et récits
Dès les premiers temps, les chrétiens ont accordé plus de valeur à certains textes qu’à d’autres.
Ils les appréciaient pour différentes raisons : ils avaient été rédigé à l’époque apostolique ; ils avaient authentiquement préservé les paroles et les actes de Jésus ; on pouvait s’en servir dans des liturgies, la prédication et l’enseignement pour transmettre avec exactitude, à toute la communauté chrétienne, la plénitude de la foi en Jésus.
Il convient ici de remarquer que, dans cette liste, il n’est pas question de traiter du « Féminin sacré » ni de dévaluer le pouvoir des femmes.
Quoi qu’il en soit, vers le milieu du second siècle, les chrétiens accordaient ainsi une valeur toute particulière – ancrée dans ce qu’on devait par la suite appeler la « règle de la foi » – à deux principales séries de textes : les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean, et les épîtres de Paul.
Comment savons-nous que ces écrits étaient particulièrement appréciés ? Parce qu’ils étaient lus au cours des célébrations religieuses et qu’ils sont cités dans les textes d’auteurs chrétiens qui nous sont parvenus.
Il est très important de noter que, contrairement à ce que dit Brown, il n’y avait pas 80 évangiles en circulation. Ce chiffre ne se fonde sur absolument aucun fait.
Sans doute existait-il d’autres évangiles que ceux que contient notre Nouveau Testament ; d’ailleurs, Luc le dit clairement au début du sien :
« Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous […] j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus » (Luc 1, 1-4).

Évangile – Littéralement, « évangile » signifie « bonne nouvelle ». L’Évangile est la Bonne Nouvelle de notre salut par Jésus Christ. Les évangiles sont les transcriptions de cette Bonne Nouvelle.

Les spécialistes pensent que la collecte des paroles ou « dits » de Jésus a été l’une des sources des évangiles, et quelques-uns de ces évangiles – l’Évangile de Pierre, l’Évangile des Égyptiens, l’Évangile des Hébreux – ont connu une diffusion restreinte.
Le fait est que, vers le milieu du second siècle, les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean étaient les principales sources dont s’inspiraient les chrétiens pour proclamer l’histoire de Jésus dans leur culte et leur enseignement.
Tout aussi intéressante est une autre catégorie de textes que les communautés chrétiennes lisaient au cours de leurs cérémonies, bien avant d’ailleurs que les évangiles eussent été écrits : les épîtres de Paul.
C’est vrai : les premiers textes du Nouveau Testament à avoir été écrits furent les lettres de Paul, peut-être la première épître au Thessaloniciens, rédigée vers l’an 50. Paul est devenu un disciple du Christ peut-être deux ou trois ans à peine après la mort et la résurrection de Jésus, et il a passé le reste de sa vie à voyager, fondant des communautés chrétiennes tout autour de la Méditerranée, jusqu’au moment où, pensons-nous, il est mort martyr à Rome. Il a écrit de nombreuses lettres, ou « épîtres », aux communautés qu’il avait fondées et, au fil des temps, ces communautés en ont fait des copies pour les envoyer à d’autres communautés. En fait, dès la fin du Ier siècle, une collection d’épîtres de Paul circulait déjà parmi les chrétiens.

Teabing évoque « la légendaire source Q […], document rassemblant les enseignements de Jésus, qui pourraient être écrits de sa propre main » (p. 320), un manuscrit dont « le Vatican » reconnaîtrait lui-même l’existence. La réalité n’est pas aussi choquante : il y a beaucoup d’éléments communs entre l’évangile de Matthieu et celui de Luc, mais qu’on ne retrouve pas chez Marc. Pour les spécialistes, ces deux auteurs pourraient – c’est une hypothèse – avoir utilisé un document source commun, qu’ils ont appelé « Q », correspondant au mot allemand Quelle, qui signifie « source ». C’est là une hypothèse qui ne gêne en aucune manière le Vatican, non plus que la plupart des spécialistes.

Maintenant, prenons un peu de recul et faisons le point.
Très tôt, les récits de la vie de Jésus, qui furent par la suite rassemblés pour former les quatre évangiles que nous avons aujourd’hui, étaient diffusés parmi les communautés chrétiennes, qui les recevaient comme des récits exacts de sa vie et constituaient pour elles un authentique point de contact avec le Christ vivant. Beaucoup d’épîtres de Paul circulaient aussi. Tous ces textes étaient utilisés au cours des cérémonies religieuses, concurremment à des textes de l’Ancien Testament. Des auteurs chrétiens les citaient. Ce qui a modelé la pensée, le culte et la vie des premiers chrétiens, c’est ce que ces textes racontaient de Jésus, présenté comme Celui que Dieu avait envoyé pour réconcilier le monde, comme Celui qui avait souffert, était mort, était ressuscité et continuait à vivre comme Seigneur.
Soyons très clairs : il n’y a pas eu « des centaines de documents qui racontaient sa vie d’homme – d’homme mortel » (p. 293) ; il n’y a pas eu non plus 80 évangiles dont, comme le dit Teabing, on aurait « envisagé » l’inclusion, comme s’il s’était agi d’une pile de codex et de rouleaux entassés sur la table d’une commission. Cela, c’est une certitude.
Pour en venir aux quatre évangiles que nous avons aujourd’hui et qui nous intéressent plus particulièrement, il est absolument indubitable qu’ils étaient considérés comme normatifs par la communauté chrétienne vers le milieu du second siècle. Des auteurs chrétiens tels que Justin Martyr, Tertullien et Irénée, qui ont tous écrit et enseigné à cette époque, respectivement à Rome, en Afrique du Nord et à Lyon, se réfèrent tous à ces quatre évangiles que nous considérons comme sources primaires d’information sur Jésus.
En d’autres termes, et très simplement, Constantin n’y est pour rien.

« D’innombrables traductions, additions et révisions »
Dans son exposé sur l’histoire de la Bible, après avoir annoncé que la Bible n’était pas arrivée par fax, Teabing affirme à Sophie que la Bible « a constamment évolué, à travers d’innombrables traductions, additions et révisions. On n’a jamais connu dans l’Histoire de version définitive » (p. 289).
C’est vrai : si, par « version définitive », on veut parler de « textes absolument originaux rédigés de la main de leur auteur ».
Là encore, il s’agit d’un « leurre », un point soulevé dans une discussion mais auquel personne ne croit de toute façon.
Il existe sans doute de nombreux manuscrits des différents livres du Nouveau Testament, en tout ou partie. Depuis les premiers siècles du christianisme, on en compte plus de cinq mille, les premiers datant d’environ 125 à 130 ; plus de trente, qui remontent à la fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle, contiennent « des parties substantielles de livres entiers, et deux d’entre eux contiennent la plus grande partie des évangiles, des Actes des apôtres et des épîtres de Paul » (Craig Blomberg, dans : Reasonable Faith, William Laine Craig, p. 194).
Bien entendu, on constate, entre ces manuscrits, de légères variations, mais ce qu’il est important de noter, c’est ceci :
« Les seules variantes de texte qui touchent plus d’une phrase ou deux (dans la plupart des cas, il ne s’agit que d’un mot ou d’un membre de phrase) sont Jean 7, 53 – 8, 11 et Marc 16, 9-20) […] Mais, au total, on peut reconstruire, au-delà de tout doute raisonnable, 97 à 99% du Nouveau Testament » (Reasonable Faith, p. 194).
Un peu plus loin, on lit encore ceci :
« Pour La guerre des Gaules de César (vers 50 av. J.-C.), il n’existe que neuf ou dix bons manuscrits, et les plus anciens datent de neuf cents ans après les événements qu’elle raconte. Nous ne connaissons que trente-cinq des cent quarante-deux livres de l’histoire romaine écrits par Tite-Live, que l’on trouve dans une vingtaine de manuscrits, dont le plus ancien remonte au IVe siècle [Tite-Live a vécu de 64 av. J.-C. (environ) à 12 ap. J.-C.]. Sur les quatorze livres consacrés à l’histoire romaine par Tacite, nous n’en connaissons que quatre et demi, dans deux manuscrits qui datent, respectivement, du IXe siècle et du XIe siècle. […] Cela veut dire que les témoins écrits de ce qu’ont écrit les auteurs du Nouveau Testament sont considérablement plus nombreux et anciens que les documents dont nous disposons pour tout autre texte de l’antiquité […] Absolument rien ne permet d’affirmer que les éditions modernes de référence du Nouveau Testament en grec ne correspondent pas de très près à ce qu’ont effectivement écrit les auteurs du Nouveau Testament » (ibid.).
Pour les chrétiens, les Écritures que nous connaissons nous ont été données par Dieu œuvrant au travers de canaux humains. Ces canaux sont fragiles, ils ont leurs limitations, mais ce que nous voulons souligner ici, c’est que les témoins écrits du Nouveau Testament constituent, dans une large mesure, un corpus ancien et cohérent dont les variations, dans les manuscrits, n’affectent pas le sens du texte.

La fixation du Canon des Écritures
Cela dit, il existait sans doute d’autres documents qui étaient diffusés dans les communautés chrétiennes et étaient même employés dans les liturgies. Il y avait des textes pédagogiques tels que la Didachè et Le berger d’Hermas. Il y avait aussi d’autres épîtres, écrites par d’autres Apôtres ou par des personnes qui leur étaient associées. La Première épître de Clément, écrite vers 96 et adressée par l’Église de Rome à l’Église de Corinthe, était bien connue, en particulier en Égypte et en Syrie. Il y avait même quelques autres textes qualifiés d’ « évangiles » et que différentes communautés chrétiennes utilisaient, par exemple un Évangile des Hébreux, un Évangile des Égyptiens et un Évangile de Pierre.
Pourquoi ne les retrouve-t-on pas aujourd’hui dans le Nouveau Testament ?
Il y a des raisons à cela, mais il faut bien préciser d’emblée que ces raisons n’ont rien à voir avec les machinations politiques que Brown évoque, et en tout cas rien à voir avec le Concile de Nicée ni avec Constantin. Il est également important de remarquer que ces textes gnostiques que Brown place au cœur de ses théories n’ont jamais été considérés comme canoniques par qui que ce soit – à l’exception des gnostiques qui les ont rédigés.
Comme ce fut souvent le cas, à propos d’autres questions, au cours de l’histoire du christianisme, s’il fut décidé de définir quels étaient les livres que l’Église pouvait utiliser dans sa liturgie, c’est que l’Église était confrontée à un grave problème.

Canon : ce mot vient du grec kanôn, qui signifie « règle » – C’est l’ensemble des livres dont l’Église reconnaît qu’ils ont été inspirés par Dieu et dont l’emploi est officiellement autorisé dans toute l’Église.

En fait, vers le milieu du second siècle, le problème qui se posait à l’Église était double, il venait de deux côtés à la fois : il y avait un mouvement qui visait à restreindre radicalement le nombre de livres acceptés comme « Écriture » ; et il y avait un autre mouvement qui voulait au contraire en rajouter.
Le premier à entrer en lice fut Marcion. Marcion était le fils d’un évêque – qui, soit dit en passant, l’excommunia – et il lança, à Rome, un mouvement fondé sur ses convictions personnelles : entre autres, il refusait d’admettre le Dieu décrit dans l’Ancien Testament. Il enseignait que, pour les chrétiens, les seules Écritures valides étaient dix des épîtres de Paul et une version revue et corrigée de l’évangile de Luc.
Un autre mouvement de contestation provenait du gnosticisme, dont nous avons parlé au chapitre précédent, ainsi que d’une autre hérésie : le montanisme. Ces versions du christianisme avaient leurs propres livres saints, comme nous l’avons vu, et on ne pouvait, à l’époque, s’empêcher de se demander : Quelle est leur place ? Est-ce qu’ils représentent une conception valide de Jésus ?
Donc, des pressions s’exerçaient dans les deux sens : Marcion voulait supprimer des livres, les gnostiques affirmaient que les leurs devaient jouir de la même autorité. Manifestement, il était nécessaire de clarifier la situation.
Précisons d’emblée une chose : si les détenteurs du pouvoir ont ressenti la nécessité de clarifier la situation, ce n’est pas parce qu’ils se sentaient menacés. À cette époque, le christianisme était une religion minoritaire, et les chrétiens étaient périodiquement victimes de persécutions décidées par les autorités romaines : à persévérer dans la foi dans le Christ, ils risquaient beaucoup – et jusqu’à leur vie. Rester fidèle à l’Évangile ne présentait aucun avantage – au contraire, même.

On sera peut-être surpris d’apprendre que Marcion était fils d’un évêque, surtout si l’on est tenté d’admettre l’affirmation de Brown selon laquelle, dans les premiers temps, le christianisme était hostile au mariage et à la sexualité. Dans le christianisme oriental, les prêtres – tant orthodoxes que catholiques – peuvent se marier. Cette tradition remonte à l’antiquité : certains clercs étaient mariés, d’autres ne l’étaient pas. Par exemple, saint Patrick, l’apôtre de l’Irlande, était fils d’un diacre et petit-fils d’un prêtre.

Non, si l’Église a éprouvé le besoin de clarifier la situation, c’était parce que, accepter soit la conception de Marcion, soit celle des gnostiques avait, pour le christianisme, de graves implications. Ces deux tendances représentaient, chacune à sa manière, une explication très différente et réductrice de Jésus et de son enseignement. Dans les deux cas, le christianisme se trouvait coupé de ses racines juives et le gnosticisme, en particulier, refusait de reconnaître la nature humaine de Jésus. Dans aucun texte gnostique-chrétien il n’est fait mention de la Passion et de la mort de Jésus. Ces deux tendances présentaient une image de Jésus qui était en profonde contradiction avec celle que présentaient les plus anciens souvenirs que l’on avait de lui et qui sont racontés dans les quatre évangiles, chez Paul et dans toute la vie de l’Église depuis son origine.
Pour résoudre ce problème, des responsables de l’Église commencèrent à définir plus clairement les livres qu’il convenait d’utiliser dans les églises chrétiennes, pour la liturgie et pour la catéchèse. Pendant deux siècles, cela s’est traduit par des échanges entre évêques, qui se communiquaient leurs enseignements et leurs déclarations individuelles. Cela dit, outre le cœur communément accepté des évangiles et des épîtres de Paul, il demeurait une certaine fluidité. Certains évêques, particulièrement en Occident, jugeaient inacceptable l’Épître aux Hébreux, et certains évêques de l’Orient avaient des doutes à propos de l’Apocalypse.
Pourtant, ce qui était en cause, ce n’était pas la valeur spirituelle de ces écrits. Les questions qu’on se posait étaient toujours en rapport avec les normes qui, depuis le début, étaient implicites : Quels sont les livres qui incarnent le mieux la réalité de la personne de Jésus, de ce qu’il était et de ce qu’il est pour l’Église tout entière ? Ces livres ont-ils été rédigés à l’époque des Apôtres ? Ce qu’ils disent de Jésus correspond-il à ce que nous en disent les évangiles ? Ces livres sont-ils sources d’édification pour l’Église tout entière ou ne présentent-ils plutôt qu’un intérêt local ?
Attention ! on ne disait pas : « Racontent-ils une histoire secrète à propos de Jésus et de Marie Madeleine, qu’il nous faut cacher au monde ? » Non. Apparemment, le problème n’était pas là.
En fin de compte, à mesure que le christianisme s’affermissait et que les menaces de persécutions s’éloignaient, les responsables de l’Église furent en mesure de se réunir et de prendre des décisions valant pour l’ensemble de l’Église. Vers 363, un concile se tint à Laodicée, qui confirma des siècles d’usage et de réflexion et publia une liste de livres canoniques – tous ceux que nous connaissons, à l’exception de l’Apocalypse. En 393, un concile se tint à Hippone, en Afrique du Nord et fixa le canon que nous connaissons aujourd’hui, avec l’Apocalypse, disant que tels étaient les livres que l’on pouvait lire à haute voix dans les églises, et ajoutant, il est important de le noter, que, le jour de la fête d’un martyr, on pouvait également lire sa « passion » – le récit des souffrances et de la mort de ce martyr.
363 et 393 – Constantin était mort depuis longtemps.
En résumé : Les Apôtres et d’autres disciples sont témoins de l’enseignement, du ministère, des miracles, des souffrances, de la mort et de la résurrection de Jésus. Ils préservent ce qu’ils ont vu et entendu et le transmettent. Lorsque l’on en vient à rédiger des textes, ceux-ci sont en permanence vérifiés à la lumière du récit que les premiers témoins en ont fait autrefois. Finalement, en présence d’autres enseignements qui contredisent directement ceux des anciens témoins, les dirigeants de l’Église y mettent le holà : ils déclarent que, en raison des liens entre ce groupe de livres et les Apôtres et de leur conformité avec les témoignages d’antan, ils peuvent être utilisés dans la liturgie et dans la catéchèse, laquelle consiste à transmettre la foi en Jésus.
Aucun secret, pourrions-nous ajouter. Il n’est pas question de connaissances secrètes transmises par les évêques sur l’injonction de l’empereur Constantin. Tout le processus est là, il est public, depuis les témoignages originaux jusqu’à la définition progressive du canon.
Et il n’y a pas « des milliers de récits » relatifs à Jésus qui auraient été supprimés, non plus que quatre-vingts évangiles d’ailleurs. Dans un roman, peut-être, mais pas dans la réalité.

Quelle importance ?
On pourrait penser qu’il s’agit là d’une question mineure mais, à vrai dire, ce n’est pas le cas. La version de l’histoire que donne le Da Vinci Code a perturbé beaucoup de lecteurs. Ce roman laisse entendre que la Bible que nous avons aujourd’hui a été manipulée par des dirigeants de l’Église qui auraient injustement rejeté des récits relatifs à Jésus qui étaient tout à fait valides, tout simplement parce que de tels textes représentaient pour eux une menace.
Comme on l’a vu, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. C’est vrai, des mains humaines sont intervenues pour fixer le canon mais ces décisions n’avaient pas pour but d’opprimer les femmes ou de s’accrocher au pouvoir. La motivation fondamentale de ceux qui les ont prises, c’était l’obligation qu’ils éprouvaient – très sérieusement – de veiller à ce que la vie et le message de Jésus fussent exactement et parfaitement conservés pour les générations futures, sans compter que, pour les chrétiens en tout cas, elles étaient inspirées par l’Esprit Saint. Et, bien entendu, il y avait des livres qui ne remplissaient pas ces critères : certains parce qu’ils n’étaient pas d’application universelle ou parce que l’on ne pouvait pas les faire remonter à l’époque des Apôtres. D’autres furent rejetés parce que, manifestement, ils tentaient de plaquer Jésus – dans lequel on ne reconnaît guère le Jésus que nous rencontrons dans les évangiles et chez Paul – sur de nouvelles philosophies ou de nouveaux mouvements spirituels.
Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ?

Pour en savoir plus

F. F. BRUCE et N. T. WRIGHT : The New Testament Documents : Are They Reliable ? Wm. B. Eerdmans Publishing, 2003.

Pour faire le point

1. Quel fut le processus de fixation du canon des Écritures ?
2. Quels ont été les critères appliqués pour choisir les livres à inclure dans le canon ?

Pour discuter

1. Pourquoi s’est-il avéré nécessaire de fixer un canon des Écritures ?
2. Comment expliqueriez-vous à quelqu’un que, même si la Bible n’est pas arrivée par fax du ciel, nous pouvons quand même croire qu’il s’agit véritablement de la Parole de Dieu ?
3. Quel a été le rôle de l’Église dans la fixation du canon ?

 Chapitre 3

ÉLECTION DIVINE

D’après le Da Vinci Code, le christianisme tel que nous le connaissons aujourd’hui, nous le devons, non pas à Jésus et à ses disciples, mais à l’empereur Constantin, qui régna sur l’empire romain au IVe siècle.
Est-ce vrai ?
Est-il vraiment besoin le dire ? C’est faux, bien entendu.
Il est vrai que le christianisme moderne est divers ; pourtant, au cœur de toute foi chrétienne, il y a la conviction que Jésus, pleinement divin et pleinement humain, est Celui par qui Dieu réconcilie le monde – et chacun de nous – avec Lui, et que l’on atteint au salut (ce qui signifie participer à la vie de Dieu) par la foi en Jésus, lequel n’est pas mort mais est vivant.
Par le truchement des héros de son livre, Brown voudrait nous faire croire que cette foi – cette religion – a été bâtie de toutes pièces par un empereur romain du IVe siècle. Selon lui (et comme l’explique Teabing), voici ce qui se serait passé :
Jésus était vénéré comme un maître de sagesse. Des textes affirmant sa nature purement humaine étaient largement diffusés – rappelez-vous : sa vie a été « narrée par des milliers de disciples ». Lorsque Constantin arriva au pouvoir, il jugea néfastes les conflits entre christianisme et paganisme, qui menaçaient de provoquer l’éclatement de son empire. Alors, il opta pour le christianisme, convoqua des centaines d’évêques au Concile de Nicée, qu’il obligea à affirmer que Jésus était le Fils de Dieu – pas plus difficile que ça !
Franchement, cela paraît bizarre. Reprenons tout cela en détail, puis nous étudierons la question de la divinité de Jésus.

Constantin
Constantin (v. 272 – 337) est devenu empereur de Rome en 306, et il conforta son pouvoir en 312 suite à sa victoire sur un rival, à la célèbre bataille du pont de Milvius ; l’histoire raconte qu’il aurait eu une vision, qu’il interpréta dans un sens chrétien, et que cette vision lui aurait donné force et inspiration.

On ne sait pas très bien ce que Constantin a vraiment vu ni à quel moment il a eu sa vision (avant la bataille en question ou quelque temps auparavant). Selon certains, il aurait vu les lettres grecques ? et ? (« khi-rhô ») qui, combinées : Px, sont les deux premières lettres de « Christ », en grec : ???????. Selon d’autres, il aurait vu une croix.

Jusqu’alors, de façon générale, il était illégal de pratiquer le christianisme dans l’empire romain et, en fait, jusqu’au règne de Dioclétien (303-305), mort quelques années auparavant, les chrétiens avaient été victimes de persécutions particulièrement sévères dans tout l’empire.
(À ce stade, on pourrait à bon droit se demander pourquoi l’empire romain prenait la peine d’emprisonner et de torturer des gens qui voulaient rester fidèles à un maître de sagesse – si Jésus n’était que cela. Pourquoi d’ailleurs des disciples de ce maître auraient-ils constitué une quelconque menace pour l’empire ? Celui-ci abondait en écoles et systèmes philosophiques – mais seuls les chrétiens étaient persécutés. Pourquoi ?)
Quelle qu’en soit la raison – peut-être possédait-il une faible étincelle de la vraie foi, peut-être certains membres de sa famille étaient-ils chrétiens, ou peut-être encore s’agissait-il pour lui de mystérieux calculs politiques –, l’un des premiers actes de Constantin fut de publier un édit de tolérance du christianisme, qui mit fin aux persécutions, provisoirement du moins.
Il est vrai que, pendant son règne, Constantin ne se contenta pas de tolérer le christianisme, il le favorisa. On ne sait pas très bien quels furent ses motifs. Certes, il voulait unifier l’empire qui, depuis un siècle, était sérieusement ébranlé par une succession de divisions et de conflits ; et il est certain qu’il s’est servi de la religion à cette fin. Mais peut-être aussi avait-il ressenti la force de cette religion alors que l’influence de la religion romaine traditionnelle commençait à décliner. Il est aussi possible qu’il ait été influencé par des penseurs chrétiens de son entourage, et peut-être même par certains membres de sa famille ; il n’en reste pas moins que, à un moment, Constantin décida que le christianisme serait cette force unificatrice.
Pour nous qui sommes accoutumés à la séparation de l’Église et de l’État, tout cela paraît étrange ; pourtant, dans le monde ancien, une telle séparation n’existait tout simplement pas, dans aucune culture. Chaque état considérait qu’il était soutenu, d’une manière ou d’une autre, par la faveur des dieux et se jugeait donc responsable de soutenir les institutions religieuses. Jusqu’à Constantin, ces institutions religieuses avaient été les temples des dieux romains. Lorsque Constantin décida d’accorder sa préférence et son soutien au christianisme, il adopta naturellement la même attitude vis-à-vis des institutions chrétiennes : il finança la construction d’églises et il intervint dans les affaires de l’Église à un point qui, aujourd’hui, nous paraît tout à fait surprenant.

Brown dit que c’est Constantin qui a fait du christianisme la religion officielle de l’empire romain. Ce n’est pas exact. Il a, en tant qu’empereur, fortement soutenu le christianisme, mais le christianisme n’est devenu la religion officielle de l’empire romain que sous l’empereur Théodose, qui a régné de 379 à 395.

Le Concile de Nicée
Il est vrai, par ailleurs, que Constantin a bien convoqué le Concile de Nicée, en Asie Mineure – la Turquie d’aujourd’hui – en 325. En fait, c’était la deuxième fois qu’il convoquait une assemblée des évêques. S’il est vrai que tous les évêques n’y ont pas assisté – en particulier, il y eut peu d’évêques venus de la partie occidentale de l’empire –, ce concile n’en avait pas moins pour but de prendre des décisions qui devaient affecter l’ensemble de l’Église, et c’est pourquoi il est qualifié de « concile œcuménique ».
Mais pourquoi ? Pourquoi Constantin a-t-il pris cette décision ? Eh bien ! d’après Brown, c’est parce qu’il voulait transformer le christianisme pour le rendre plus puissant et pour le faire mieux correspondre à ses propres fins. Pour lui, ce maître Jésus, aussi sage fût-il mais mortel, ne présentait aucun intérêt ; par contre, en tant que Fils de Dieu, il pourrait lui être très utile.
C’est là un aspect sur lequel il convient de s’attarder un peu car c’est quand même étonnant : voilà trois cents évêques qui se réunissent à Nicée, des évêques qui, selon Brown, croyaient que Jésus était « un prophète mortel ». Et Constantin leur dit de déclarer que Jésus est Dieu.
Ils disent : « D’accord ! Tout ce que vous voudrez ».
Une fois encore, on ne peut s’empêcher de se dire : Ce n’est pas aussi simple. Ce n’est pas logique, ce n’est pas ce que les sources disent ; en fait, ce n’est pas du tout ainsi que les choses se sont passées.
Pourquoi n’est-ce pas logique ? Peut-être parce que, quand on examine ce que faisaient les évêques avant de se réunir à Nicée – les liturgies qu’ils célébraient, les traités qu’ils écrivaient et utilisaient, les Écritures (qui, à l’époque, étaient bien établies) qui inspiraient leur prédication et qu’ils enseignaient –, on ne peut vraiment pas dire qu’ils croyaient que Jésus étaient « un prophète mortel ».

Un concile œcuménique est une assemblée d’évêques provenant de toute l’Église. On donne à ces conciles le nom du lieu où ils se sont tenus. Les catholiques reconnaissent vingt-et-un conciles œcuméniques, de Nicée au Concile Vatican II (1962-1965).

Jésus est Seigneur !
Est-il vrai que, pendant les trois siècles qui ont précédé Nicée, ce que nous appelons « christianisme » se réduisait à transmettre et diffuser la sagesse du prophète Jésus ?
Non. En fait, le christianisme n’a jamais été cela.
En étudiant les évangiles et les épîtres de Paul – tous textes qui ont été écrits entre 50 (environ) et 95, on constate que, toujours, Jésus est présenté comme un être humain en qui Dieu a demeuré d’une manière absolument unique en son genre.
Les évangiles précisent bien que les Apôtres n’ont absolument pas compris qui était Jésus – avant la Résurrection. On les voit sans cesse se poser des questions, se tromper et, bien entendu, en fidèles juifs qu’ils étaient, ils ne pouvaient considérer Jésus qu’en fonction du contexte qu’ils connaissaient : c’était un prophète (oui), un enseignant, un « fils de Dieu » et un « messie ». Dans le contexte juif, ces deux derniers termes n’impliquaient aucunement qu’il eût une nature divine : ils impliquaient simplement qu’il était le sujet d’une élection divine particulière.
Pourtant, à la lumière de la Résurrection, les Apôtres ont finalement compris ce à quoi Jésus avait fait allusion tout au long de son ministère et qu’il avait finalement explicitement affirmé, comme on peut le lire aux chapitres 14 à 17 de l’évangile de Jean : à savoir que le Père et lui étaient un.
En lisant le Nouveau Testament, on constate que cette affirmation est exprimée de multiples manières : dans les évangiles, ce sont les souvenirs de la conception virginale – unique en son genre – par l’opération du Saint-Esprit (cf. Matthieu 1-2 ; Luc 1-2) ; dans tous les récits du Baptême et de la Transfiguration de Jésus ; dans le fait que Jésus pardonnait les péchés, ce qui fit scandale car « qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? » (Marc 2,1-12 ; cf. Luc 7, 36-50) ; et aussi dans différentes paroles rapportées de lui dans les évangiles synoptiques, mais aussi chez Jean, où Jésus s’identifie au Père d’une manière qui implique que, lorsque nous rencontrons Jésus, nous rencontrons Dieu dans sa miséricorde et son amour (cf. Matthieu 10, 40 ; Jean 14, 8-14).
Si nous passons maintenant aux Actes des Apôtres et aux épîtres de Paul, qui reflètent la prédication des Apôtres et de l’Église primitive, on ne peut s’empêcher d’arriver à la conviction que, ce qu’ils prêchent fondamentalement, c’est que Jésus est, non pas un maître à penser ou un sage, mais le Seigneur (cf. par exemple Colossiens 1 ou Philippiens 2, deux épîtres qui ont été rédigées une vingtaine d’années après la résurrection de Jésus.)
(Soit dit en passant, il ne s’agit pas ici de « prouver » que Jésus est Dieu mais plutôt de montrer que les premiers chrétiens l’adoraient comme Seigneur et ne se contentaient pas d’être les disciples d’un maître de sagesse mortel. Ce que l’on peut croire à propos de Jésus ne dépend pas de moi ni, pardieu ! de Dan Brown. Pour rencontrer Jésus, il faut le chercher non pas dans un roman mais dans les évangiles eux-mêmes.)
Il suffit de consulter brièvement n’importe quelle collection de textes de cette période pour constater que, au cours des siècles suivants, les chrétiens n’ont cessé d’approfondir la conception d’un Jésus de nature à la fois mortelle et divine. Pour n’en citer qu’un exemple, Tatien était un auteur chrétien qui a vécu au second siècle ; il a écrit : « Nous ne nous comportons pas comme des fous, ô Grecs, lorsque nous annonçons que Dieu est né sous la forme d’un homme » (Discours aux Grecs).
Au cours de ces siècles, comme nous l’avons vu, ceux qui, dans le christianisme, étaient chargés de l’enseignement se voyaient obligés de préciser la foi chrétienne face aux hérésies. L’une de celles-ci, qui posa un grave problème au IIe siècle, fut le « docétisme », dont le nom dérive d’un mot grec qui signifie « je semble ». Pour les tenants du docétisme, Jésus était divin à l’exclusion de toute nature humaine authentique. Ils croyaient que sa forme humaine et ses souffrances n’avaient pas été réelles, que ce n’avaient été que des apparences. L’existence du docétisme est un cas limite qui démontre que la divinité de Jésus était certainement prise très au sérieux avant le IVe siècle.
Il ne s’agit pas ici de se plonger dans toutes les significations et implications des natures humaine et divine de Jésus mais simplement de faire remarquer les erreurs grossières contenues dans la présentation que fait Brown de la manière dont les premiers chrétiens considéraient Jésus.
Il prétend que l’idée de la divinité de Jésus a été inventée par Constantin au IVe siècle ; ainsi que le démontrent clairement les témoignages du Nouveau Testament et des trois premiers siècles de la pensée et de la liturgie chrétiennes, c’est faux. Et ceux qui veulent vraiment savoir ce que les premiers chrétiens croyaient et enseignaient feraient mieux, en fait, d’aller consulter une source primaire plutôt qu’un roman à succès.
Quelle est cette source ? C’est le Nouveau Testament, bien entendu, et tous ceux qui s’intéressent sérieusement à ces questions devraient le lire, l’étudier et le méditer.
Et puis, ne l’oublions pas : dans le Da Vinci Code, lorsqu’il discute de l’identité de Jésus, pas une seule fois Brown ne cite l’un quelconque des livres du Nouveau Testament.
Pas une seule fois.

Arius et le Concile
Cela dit, il est vrai que le Concile de Nicée a traité de la question de la divinité de Jésus, mais pas du tout comme le prétend le Da Vinci Code.
C’est évident, pour autant qu’on prenne la peine d’y réfléchir quelques minutes : il est difficile de saisir et d’exprimer cette réalité : Jésus est à la fois pleinement divin et pleinement humain ; cela pose toute une série de questions intéressantes et épineuses, des questions auxquelles l’Écriture ne donne pas des réponses directes et explicites.
Ce que le Nouveau Testament raconte, c’est l’expérience de ceux qui ont personnellement rencontré Jésus : celui qu’ils ont connu était pleinement homme et, en lui, ils ont rencontré Dieu, lui qui pardonnait les péchés comme le fait Dieu, lui qui parlait avec l’autorité de Dieu, lui qui n’a pas été vaincu par la mort. Comment expliquer cela ? Comment le définir ?
Cela a pris plusieurs siècles et, comme c’est souvent le cas, ce sont des conflits intellectuels qui ont imposé la nécessité de définir plus précisément et plus clairement l’identité de Jésus. Des idées étaient avancées : Jésus n’était pas, en fait, vraiment humain, ou encore : Dieu s’est contenté de prendre la forme d’une personne humaine, comme un costume (docétisme) ; mais, manifestement, ces idées ne concordaient pas avec le témoignage des Apôtres. En conséquence, il a fallu que des évêques et des théologiens reformulent le témoignage des Apôtres d’une manière qui fût compréhensible pour leur époque et qui répondît aux questions que les gens leur posaient.
Cela ne fut pas facile car, ainsi que nous l’avons dit, il s’agit là d’un concept qu’il nous est suprêmement difficile d’admettre. Mais il ne faut pas oublier ce sur quoi s’appuyaient fondamentalement ceux qui défendaient le savoir ancien selon lequel Jésus était à la fois pleinement humain et pleinement divin. Le principe était le suivant : Comment pouvons-nous parler de Jésus d’une manière qui soit absolument fidèle à l’image, à la fois complète et complexe, que nous donnent de lui les témoignages apostoliques ? Et c’est vrai que les évangiles nous présentent un Jésus qui a faim, qui a peur, qui se met en colère ; mais il est tout aussi vrai qu’ils nous le montrent agir avec l’autorité de Dieu et ressusciter des morts. Quel que soit le langage que nous employions pour parler de Jésus, ce langage doit être fidèle à la totalité du témoignage à la fois mystérieux et exaltant enregistré dans les évangiles et dans d’autres textes de l’Église primitive.
Au début du IVe siècle, quelqu’un proposa une manière particulièrement séduisante de résoudre ce dilemme ; il s’agissait d’un prêtre nommé Arius, qui vivait à Alexandrie, en Égypte.
Arius enseignait que Jésus n’était pas pleinement Dieu ; sans doute était-il la plus élevée des créatures de Dieu mais il ne participait pas complètement de l’identité et de la nature de Dieu. Les idées d’Arius eurent beaucoup de succès, elles se propagèrent très rapidement, et c’est pour résoudre précisément ce conflit-là – entre les disciples d’Arius et ceux qui restaient fidèles au christianisme traditionnel – que fut convoqué le Concile de Nicée.
Pour ce faire, celui-ci a réaffirmé la nature divine de Jésus, recourant pour cela à des termes philosophiques parce que c’était en recourant à un langage philosophique qu’Arius avait posé son argument. Le résultat, c’est celui que nous lisons dans le credo de Nicée, qui dit que Jésus est « Dieu [né] de Dieu, Lumière [née] de [la] lumière, engendré non pas créé, consubstantiel au Père… »
Ainsi que l’écrit Luke Timothy Johnson, spécialiste des Écritures, dans son livre :The Creed :
« C’est pourquoi, à Nicée, les évêques ont considéré qu’ils corrigeaient une distorsion et non pas qu’ils inventaient une doctrine nouvelle. Ils étaient obligés de recourir au langage philosophique de l’être parce que celui-ci était devenu le langage de l’analyse et parce que les Écritures ne fournissaient aucun terme suffisamment précis pour dire ce qui, à leur avis, devait être dit […] Dans ce sens, ils ne considéraient pas qu’ils dénaturaient le témoignage complet de l’Écriture mais plutôt qu’ils le préservaient » (p. 131).
Et, effectivement, cette décision fut confirmée par vote, que Brown évoque triomphalement : pour lui, le principe même d’un vote infirme toute cette entreprise. À vrai dire, dans les traditions juive et chrétienne, les hommes ont recouru à divers moyens pour essayer de discerner la volonté et la sagesse de Dieu. Par exemple, tant l’Ancien que le Nouveau Testaments nous racontent que des dirigeants ont été choisi par tirage au sort parce que ceux qui étaient appelés à faire de tels choix croyaient que Dieu guiderait le résultat.
Et, au rebours de ce que prétend Brown, ce ne fut même pas « un vote assez serré » : il n’y eut que deux évêques, sur environ trois cents (le nombre exact varie) pour voter en faveur de la conception restrictive de Jésus avancée par Arius.

Encore une erreur
Nous constatons donc, une fois de plus, que presque tout ce que Brown raconte sur cet aspect de l’histoire chrétienne est incorrect. Il affirme que, jusqu’au IVe siècle, le « christianisme » n’était qu’un mouvement qui s’était constitué autour des idées de Jésus, considéré comme « un prophète mortel ».
Il suffit de lire le Nouveau Testament, écrit quelques décennies après la résurrection de Jésus, pour voir que ce n’est pas le cas : les premiers chrétiens allaient prêchant que « Jésus est le Seigneur ». Brown dit que le Concile de Nicée a inventé l’idée de la divinité du Christ. C’est faux. Il aurait voulu préserver l’intégrité du témoignage ancien concernant Jésus, mystérieusement humain et divin.
Faux encore, sur tous les points.
Et ce n’est pas fini.

Pour en savoir plus

Luke Timothy JOHNSON : The Creed : What Christians Believe and Why It Matters, Doubleday, 2003.
Larry W. HURTADO : Lord Jesus Christ: Devotion to Jesus in Earliest Christianity, Wm. B. Eerdmans Publishing, 2003.

Pour faire le point

1. Quels sont les passages de l’Écriture qui révèlent ce que les premiers chrétiens croyaient à propos de Jésus ?
2. Quel fut le problème dont s’est occupé le Concile de Nicée ?

Pour discuter

1. Sur quel point portait la controverse d’Arius ?
2. Que pensez-vous du rôle de Constantin dans les affaires religieuses ?

 Chapitre 4

DES ROIS RENVERSÉS ?

Faisons une pause et dressons un premier bilan.
Au cours de notre périple dans l’histoire telle que racontée dans le Da Vinci Code avec si peu de respect pour la vérité, nous avons constaté que :

? les sources sur lesquelles Brown fait reposer ses affirmations à propos du début de l’histoire des chrétiens vont du complètement imaginaire à l’infondé, quand elles ne sont pas hors sujet ;
? dans la version qu’il donne des événements, Brown ne cite aucune source datant de la période en question – ni le Nouveau Testament, ni les écrits des évêques et des enseignants, ni les documents liturgiques, ni les récits historiques ;
? la version qu’il donne de la fixation du canon des Écritures, du Concile de Nicée, du règne de Constantin et de la conception qu’avaient les premiers chrétiens de l’identité de Jésus est complètement fausse, d’un bout à l’autre, sans aucun rapport avec une quelconque conception passée ou présente de ces événements.

Apparemment, il serait inutile d’aller plus loin. Pourtant, nous sommes évidemment bien loin d’avoir passé en revue toutes les erreurs de faits et falsifications historiques de ce livre. Alors, poursuivons.
D’ailleurs, Jésus a-t-il vraiment « renversé des rois » ?

Il a « renversé des rois et inspiré des centaines de millions de fidèles »
Il nous faut maintenant voir de plus près ce que le Da Vinci Code prétend être la réalité du ministère de Jésus. Qu’enseignait-il ? Que prétendait-il faire ?
À première vue, on pourrait penser que, pour répondre à cette question quelque peu banale, le plus normal serait d’abord de consulter les évangiles inclus dans le Nouveau Testament. Après tout, ils n’ont été rédigés que quelques décennies après la mort de Jésus et, si chacun d’entre eux souligne des aspects différents du ministère et de l’identité de Jésus, ils sont en général d’accord, sur le fond, dans la présentation qu’ils font de l’enseignement fondamental de Jésus et des principales circonstances de sa vie.
Du moins pourrait-on le penser – mais non.
Pour présenter Jésus, Brown ne s’embarrasse pas des évangiles.
Teabing explique à Sophie que, bien sûr, Jésus a vraiment existé, que « le Messie annoncé par les prophètes a renversé des rois, inspiré des centaines de millions de fidèles, et fondé l’une des philosophies les plus influentes de toute l’histoire de l’humanité […] Il est compréhensible que sa vie ait été narrée par des milliers de disciples sur la terre d’Israël » (p. 289).
C’est faux.
Nous savons quelques petites choses sur l’histoire de la Palestine et sur l’empire romain à l’époque où Jésus a vécu. Nulle part il n’est question d’un laïc de Nazareth qui aurait renversé qui que ce soit.
Ce genre de choses est difficile à estimer, mais on évalue à, au mieux, un demi-million le nombre de gens qui vivaient dans les régions où Jésus a prêché – en Galilée, au nord, et en Samarie et en Judée, au sud –, et la plupart d’entre eux n’ont probablement jamais entendu Jésus prêcher.
On est bien loin des « centaines de millions de fidèles ».
Pourquoi Teabing affirme-t-il cela ? Sur quoi se fonde-t-il ? Sur aucun document historique en tout cas. En fait, les évangiles nous donnent du ministère public de Jésus une image beaucoup plus complexe. Sans doute lui arrivait-il de rencontrer d’immenses foules, à tel point que, un jour, il fut obligé de monter dans un bateau pour prêcher. Mais il fut aussi rejeté, non seulement par certains chefs religieux mais encore par les habitants du village où il avait passé son enfance (cf. Luc 4, 29-30) ainsi que d’autres villages (cf. Matthieu 8, 34). Ses disciples le suivaient et l’écoutaient, mais ils se disputaient aussi entre eux – et ils ont pris la fuite quand les choses ont mal tourné.
Brown nous présente Jésus comme s’il était une sorte de star du rock à la manière du Ier siècle, suivi par des foules qui le portaient aux nues et qu’il ne cessait d’enflammer par sa présence.
Ce n’est pas vrai.

De quoi parlait-il ?
Dans le Da Vinci Code, Brown n’en vient jamais à énoncer directement ce que fut le message de Jésus. Dans de fréquentes allusions, il mentionne que celui-ci était considéré avec respect comme un maître à penser et un prophète, mais il n’est jamais plus précis.
Pourtant, cela laisse entendre que le véritable message de Jésus aurait été centré sur les textes gnostiques que nous avons évoqués précédemment, et aussi sur toute cette histoire du « Féminin sacré ».
C’est d’ailleurs ce qui constitue le cœur de l’ouvrage : l’ancien culte du « Féminin sacré » s’est perdu et, d’une manière ou d’une autre, Jésus, surtout dans sa relation avec Marie Madeleine, avait l’intention de le rétablir et, par son intermédiaire, de faire en sorte que le monde reprenne la bonne direction.
D’où Brown tire-t-il ces idées ? Peut-être a-t-il lu des textes de chrétiens gnostiques qui, effectivement, laissent entendre que, à son origine, l’être humain aurait été androgyne et qu’il faudrait retourner à cet état.
Nous avons déjà exposé le problème que pose une telle conception. Il est absolument impossible d’établir un lien entre les écrits de ces chrétiens gnostiques et les plus anciens témoignages concernant Jésus. Toutes les allusions que font ces textes à des dits de Jésus se fondent sur d’autres documents – le plus souvent les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc).
Pour aggraver les choses, le second problème est que Brown fait un tri sévère parmi les documents gnostiques qu’il utilise. Les textes gnostiques qui nous sont parvenus sont très variés : en effet, le gnosticisme était lui-même très divers. Cela dit, à part quelques allusions au « Féminin sacré », ce que l’on trouve le plus souvent dans les textes gnostiques, ce sont des systèmes de pensée abscons, ésotériques, dans lesquels il est question d’étincelles, de mots de passe, de forces du bien et du mal et de niveaux célestes par milliers. On y trouve aussi de l’anti-judaïsme et aussi une certaine misogynie, ce qui est quelque peu gênant.
Dans son livre : Hidden Gospels, Philip Jenkins fait remarquer que les gens qui défendent la valeur des évangiles gnostiques pour y retrouver une sorte de mouvement de Jésus centré autour du « Féminin sacré » et qui se serait perdu ne semblent jamais mentionner d’autres passages :
« Le Jésus gnostique était venu apporter la libération spirituelle et, dans les textes, on trouve à de multiples reprises des variantes sur le thème : le Sauveur est venu "détruire l’œuvre de la femme". Dans Le dialogue du Sauveur, on trouve un passage typique : "Judas dit : ‘Quand nous prions, comment devons-nous prier ?’ Le Seigneur dit : ‘Priez en un lieu où il n’y a pas de femme’". Il est bizarre de reprocher au christianisme le célibat et la haine du corps tout en refusant de voir exactement ces mêmes travers dans le gnosticisme… » (pp. 211-212).
Donc, rien ne prouve que Jésus ait renversé des rois, fondé une philosophie ou adopté le culte du « Féminin sacré ». Pourtant, les premiers témoins sont très prolixes sur ce qu’il a effectivement dit, et ce qu’ils racontent est cohérent tout au long du Nouveau Testament ainsi que dans la vie cultuelle – le point de contact entre les chrétiens et le Seigneur vivant – des premières communautés chrétiennes.
Au cœur de l’enseignement de Jésus, il y avait le Royaume – ou Règne – de Dieu. Jésus a transmis ce message dans sa prédication, dans ses paraboles et dans ses relations avec les autres. Par ses paroles et par ses actes, il a fait comprendre que Dieu est amour – amour, compassion et miséricorde pour tous. Ainsi que l’ont révélé ses paroles et ses actes, cet amour de Dieu était présent en Jésus. Là où il agissait, là était le Royaume. Nous avons part au Royaume de Dieu lorsque nous vivons en union avec Jésus et que nous modelons notre vie d’après la sienne, lorsque nous sommes des disciples qui offrent leur amour et leurs sacrifices et qui ne comptent pas ce qu’ils donnent.

« Simon Pierre leur dit : "Que Marie nous quitte, car les femmes ne sont pas dignes de la Vie." Jésus dit : "Voici que moi je l’attirerai pour la rendre mâle, de façon à ce qu’elle aussi devienne un esprit vivant semblable à vous, mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera dans le Royaume des cieux". » (Évangile selon Thomas, 114, in : Écrits apocryphes chrétiens, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 1997, p. 53). C’est ainsi que se termine le plus connu des écrits gnostiques – et ce passage n’est pas cité dans le Da Vinci Code.

Soit dit en passant, il ne s’agit pas là d’un secret. Quand on lit le Nouveau Testament, on s’aperçoit que l’image de Jésus qu’il donne est remarquablement cohérente : service de Dieu, amour, sacrifice – et joie.

Un Jésus plus humain
L’une des remarques fréquemment faites dans le Da Vinci Code, c’est que le christianisme traditionnel était résolu à supprimer les écrits gnostiques qui se réfèrent à Jésus au prétexte qu’ils présenteraient une image plus « humaine » de Jésus, celle qui aurait prédominé pendant des siècles avant que Constantin entre en scène. Et ainsi de suite à l’avenant.
Dans le chapitre précédent, nous avons vu ce qu’il fallait en penser, en soulignant que Jésus était considéré comme Seigneur, comme divin, comme le Fils de Dieu, conception qui se dégage nettement du Nouveau Testament, lequel date du Ier siècle.
Mais il est important d’approfondir un peu plus encore cette affirmation, qui s’appuie sur des écrits gnostiques, selon laquelle l’histoire officielle soulignait la dimension divine de Jésus aux dépens de sa nature humaine, que font bien ressortir les textes gnostiques. Brown le dit plusieurs fois, mais il ne fournit aucun élément spécifique pour étayer cette affirmation. Faut-il le croire ?
Peut-être bien que non. Il suffit de consacrer une heure à parcourir l’un des évangiles canoniques en parallèle avec l’un ou l’autre de ces textes gnostiques pour s’apercevoir à quel point cette affirmation est fausse.
En effet, quand on lit les écrits gnostiques, on s’aperçoit non sans surprise qu’on n’y trouve pas un Jésus particulièrement « humain ». C’est un enseignant mais il n’y a pas grand-chose en lui qui soit spécifiquement ou manifestement humain. Il communique une sagesse, il révèle des secrets et il déambule dans un brouillard aimablement spirituel, et il parle, et il parle. Et il parle encore.
C’est d’ailleurs logique : la plupart des systèmes de pensée gnostiques, en effet, rabaissaient la valeur du monde matériel, et notamment du corps humain. Par exemple, les écrits gnostiques se gardent bien de mentionner la Passion et la mort de Jésus. Personne ne vous empêche de lire les textes gnostiques ; les plus célèbres sont notamment l’Évangile de Philippe, l’Évangile de Thomas et l’Évangile de Marie, ce dernier étant peut-être aussi gnostique. Lisez tous ces longs dialogues. Et puis ouvrez le Nouveau Testament, par exemple Matthieu chapitre 26, versets 37-38 :
« Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée, il commença à ressentir tristesse et angoisse. Alors il leur dit : "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez avec moi". »
Et puis parcourez le reste des évangiles : vous y verrez Jésus manger, boire, se mettre en colère, avoir peur, éprouver des sentiments de solitude et de chagrin, souffrir et mourir.
Il faut vraiment ne rien connaître aux évangiles pour affirmer qu’ils présentent un portrait « inhumain » de Jésus. En fait, c’est tout le contraire. La raison pour laquelle les docteurs chrétiens ont tellement combattu les idées gnostiques et autres de ce genre, c’est précisément parce que ces systèmes dévalorisaient l’humanité de Jésus et, de ce fait, étaient infidèles à l’antique témoignage préservé dans le Nouveau Testament.
Mais il se peut aussi que, lorsque Brown et d’autres comme lui laissent entendre qu’il nous faut un Jésus plus « humain », un Jésus dont ils prétendent qu’il ne nous est pas présenté dans l’Évangile, ils ne se préoccupent pas des qualités que nous avons mentionnées. Il se peut qu’ils parlent de quelque chose de complètement différent. Il se peut qu’ils parlent simplement de sexualité.

Jésus était-il marié ?
Dans le chapitre suivant, nous étudierons le personnage merveilleux et intrigant de Marie Madeleine (qui, rappelons-le, est honorée comme sainte tant dans le catholicisme que dans l’orthodoxie, et non pas méprisée comme le prétend Brown) ainsi que, plus précisément, les éléments nous permettant de préciser ses relations avec Jésus.
Puisque nous en sommes à considérer les éléments généraux et l’orientation de la vie de Jésus telle que la présente le Da Vinci Code, il apparaît opportun de discuter ici de la question du mariage de Jésus en général.
Il est important d’affirmer d’emblée que, si nous émettons des doutes sur un éventuel mariage de Jésus, ce n’est pas par « crainte » ou par haine de la sexualité ; c’est très souvent ce que veulent faire croire ceux qui affirment que Jésus était marié – à savoir que, bon sang ! nous ne pouvons pas supporter l’idée que Jésus était marié parce que nous nous faisons une idée vraiment bizarre du sexe et que, rien que d’y penser, notre foi s’en trouverait ébranlée, tellement nous détestons le sexe.
Bizarre.
Il n’est question, ici, ni de crainte ni de dénégation. Il s’agit de voir ce que révèlent les textes et les meilleurs indices disponibles, du moment qu’on les considère honnêtement et objectivement. Dans le Da Vinci Code, notre ami Teabing (comme de bien entendu), explique à Sophie que, bien sûr ! Jésus était marié : « Il s’agit d’une déduction historique » (p. 307).
Où trouve-t-on cela ?
Comme nous l’avons dit, les meilleurs documents « historiques » dont nous disposons à propos de la vie de Jésus sont les évangiles canoniques, qui ont été écrits quelques décennies seulement après sa mort et sa résurrection. Ils ont leurs limites, sans doute, comme tous les documents anciens ; cependant, pour répondre à des questions sur ce que Jésus a fait et sur ce qu’il était, c’est dans ces textes qu’il faudrait commencer à chercher (des textes, nous ne nous lassons pas de le répéter, auxquels Brown ne se réfère jamais).
Et, surprise ! nulle part ils ne disent que Jésus était marié. Qu’il se soit jamais marié.
Bien sûr, on peut bâtir toute une théorie à propos de ce silence ; quelqu’un a même écrit un livre fondé sur une telle théorie, et nous avons entendu évoquer celle-ci à de nombreuses reprises : les évangiles ne parlent pas du mariage de Jésus parce que, être marié, c’était, pour les juifs de l’époque, un état normal ; on considère donc que ça allait de soi et on n’a pas jugé utile de le mentionner.
Pour Brown, cet argument pourrait aussi jouer en sens inverse : s’il n’était pas marié, les évangélistes auraient consacré quelques lignes à expliquer ou à défendre ce comportement, tant il aurait été exceptionnel.
Bien sûr, il est toujours risqué de fonder une théorie sur un silence mais on ne peut pas en rester là, il y a bien autre chose à dire à ce sujet. John Meier, de la Catholic University of America, a très bien démêlé la situation dans son livre : Jésus, un certain Juif. Nous allons reprendre ici deux de ses arguments.
Tout d’abord, Meier critique l’argument du silence parce que les évangiles ne taisent en aucune manière les autres relations de Jésus : ils mentionnent fréquemment ses père et mère et d’autres membres de sa parentèle. Ils racontent comment il est entré en contact – et même en conflit – avec des gens de Nazareth, où il avait passé toute sa vie. Luc va même jusqu’à donner le nom de certaines femmes qui faisaient partie du groupe de disciples du Christ et qui le suivaient et le servaient : Marie Madeleine, Jeanne et Suzanne (cf. Luc 8, 2 ; 3).
Étant donné que les évangiles ne font pas silence sur les liens familiaux de Jésus et sur les femmes qui le suivaient, on ne voit pas pourquoi ils ne mentionneraient pas une épouse.
Ensuite, Meier en vient à l’argument selon lequel le mariage était une norme absolue pour les juifs, et en particulier pour les rabbins, à l’époque de Jésus, et que, pour préserver sa crédibilité, il aurait fallu présenter des arguments spéciaux expliquant pourquoi il n’était pas marié, car Jésus n’aurait certainement pas été pris au sérieux s’il avait été célibataire.
Cette hypothèse est absolument sans fondement. Meier démontre qu’elle est fausse, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, Jésus n’était pas un rabbin ; ses disciples l’appelaient « rabbi » – ce qui signifie « maître » – mais, à ce que l’on sait, rien ne prouve qu’il ait été un rabbin au sens formel et institutionnel.
Cette affirmation est boiteuse, en outre, parce qu’elle correspond à une image monolithique du judaïsme au Ier siècle, image qui ne reflète pas la réalité. En fait, il y avait au moins une secte juive de cette période dont les membres pratiquaient le célibat : celles des esséniens, qui vivaient dans une communauté établie à Qumran, près de la mer Morte, et qui nous a laissé les manuscrits de la mer Morte.
De plus, une tradition est attestée dans le judaïsme : celle de personnages dont la vie était à ce point consacrée à l’œuvre de Dieu et à la Loi qu’ils étaient célibataires. On y compte le prophète Jérémie. Les traditions juives qui se sont développées à partir des textes scripturaires présentent un portrait de Moïse qui, après avoir rencontré Dieu sur le mont Sinaï, vécut en célibataire. Jean-Baptiste, presque certainement un personnage historique lui aussi, n’était pas marié ; non plus, de l’avis de la plupart des spécialistes, que Paul.
Meier conclut :
« Lorsque nous mettons en relation toutes ces tendances, nous remarquons qu’il existait, au Ier siècle ap. J.-C., un certain nombre de personnages et groupes notables qui pratiquaient le célibat : certains esséniens et qumranites, les Thérapeutes, Jean-Baptiste, Jésus, Paul, Épictète, Apollonius et divers membres vagabonds de la secte des Cyniques. Au Ier siècle ap. J.-C., le célibat était toujours un choix rare et parfois contestataire. Mais c’était un choix viable. » (p. 342).
C’est ainsi : les textes les plus fiables ne démontrent en aucune manière que Jésus était marié et, d’après ce que l’on sait du milieu social du premier siècle, absolument rien n’empêchait qu’un individu désirant se consacrer entièrement à Dieu restât célibataire.

La vérité et ses conséquences
Le Da Vinci Code prétend que le christianisme traditionnel déprécie l’humanité de Jésus, mais cette accusation est ridicule. D’un bout à l’autre, les évangiles nous présentent quelqu’un de réel, de très humain, par opposition au personnage plutôt éthéré que l’on trouve dans les écrits gnostiques. Au cours des quatre premiers siècles de l’histoire du christianisme, il y eut de nombreux conflits et controverses théologiques, qui reflètent la détermination des chrétiens responsables de l’enseignement de la doctrine à être fidèles à ce que racontaient les évangiles et, aussi mystérieux que cela puisse paraître, à affirmer que Jésus était pleinement homme.
Nous pourrions aussi jeter un bref regard sur la dévotion et l’art des chrétiens au cours des siècles, depuis cette journée prétendument fatale, en 325, où Constantin aurait rejeté dans les ténèbres l’humanité du Christ.
Tout au long des âges, la prière des chrétiens a souvent été en rapport avec Jésus par l’intermédiaire de ses « souffrances », sa compassion et sa Passion. L’art d’inspiration chrétienne nous présente un Enfant-Jésus tétant le sein de sa mère, un homme sanglant et meurtri, et même un cadavre muet, que sa mère tient dans ses bras.
L’idée que quiconque puisse prendre au sérieux l’intrigue du Da Vinci Code est riche d’enseignements : elle nous apprend que trop de gens – chrétiens ou non – n’ont absolument aucune idée du portrait que les évangiles nous tracent de Jésus, non plus que de la riche tradition de la réflexion théologique et spirituelle chrétienne sur le mystère de l’humanité de Jésus. Tout ce que ces gens peuvent savoir à propos de Jésus, ils ne l’ont pas appris dans les évangiles ni par la tradition chrétienne ; de ce fait, ils sont prêts à admettre des distorsions manifestes telles que celle que l’on trouve dans le Da Vinci Code.
Le christianisme n’accorderait aucune valeur à l’humanité de Jésus ? Pour trouver la vérité, il suffit d’aller voir ce qui est accroché au mur de l’église la plus proche : deux bouts de bois ; un homme – pas un esprit ; pas un mythe. Un homme.

Pour en savoir plus

Luke Timothy JOHNSON : Jésus sans parti pris, Éditions du Cerf, Paris 2000.

Pour faire le point

1. Pourquoi est-il faux de dire que les écrits gnostiques présentent une vision de Jésus « plus humaine » que celle des évangiles canoniques ?
2. Quels sont les indices qui permettent de penser que Jésus n’était pas marié ?

Pour discuter

1. Citez quelques-unes des réactions à l’égard de Jésus au cours de son ministère. Pourquoi, à votre avis, les gens avaient-ils des réactions différentes ?
2. Pourquoi est-il si important, pour la foi chrétienne, d’affirmer la nature pleinement humaine de Jésus ?

 Chapitre 5

MARIE DITE DE MAGDALA, OU MARIE MADELEINE

Bien entendu, le Da Vinci Code ne parle pas que de Jésus. Un autre de ses thèmes récurrents est le personnage de Marie Madeleine, dont il prétend qu’elle fut la femme de Jésus.
Avant d’en venir à ce que nous savons de Marie Madeleine (à vrai dire, pas grand-chose), voyons rapidement ce que Brown dit à son propos.
D’après lui, c’était une juive de la tribu de Benjamin ; elle avait épousé Jésus et elle eut de lui un enfant. Jésus avait eu l’intention de lui confier la direction de l’Église, celle-ci devant avoir pour but la réintégration, dans la vie et la conscience des êtres humains, du « Féminin sacré ». Après la crucifixion de Jésus, elle se serait réfugiée dans la communauté juive établie en Provence, où elle aurait trouvé protection pour elle-même et son enfant : Sarah. Son sein, c’est le « Graal ». Ses reliques se trouvent sous la pyramide de verre qui sert d’entrée au musée du Louvre. Le Prieuré de Sion et les Templiers étaient chargés de protéger son histoire et ses reliques. Les membres du Prieuré la vénèrent « comme la Déesse […] et la Mère divine » (p. 319).
Royauté juive… femme de Jésus… Saint Graal… Déesse.
Tout y est.
Considérant que Marie de Magdala n’est mentionnée qu’à de rares reprises dans les évangiles, d’où Dan Brown a-t-il pu tirer toutes ces idées ?
C’est bien simple : la réponse est donnée dans le roman. Teabing, notre érudit ami, montre sa bibliothèque et dit : « La lignée royale de Jésus a fait l’objet d’innombrables chroniques publiées par un grand nombre d’historiens » (p. 316) (où l’on retrouve la patine de l’érudition).
Il cite La révélation des Templiers et Sang sacré et Saint-Graal – deux ouvrages pseudo-historiques énonçant une théorie de la conspiration, ainsi que La déesse des évangiles et La femme au visage d’albâtre, tous deux de Margaret Starbird qui, entre autres choses, recourt à la numérologie – le total des nombres contenus dans le nom sous lequel on la connaissait – pour conclure que Marie Madeleine était honorée comme déesse chez les premiers chrétiens :
« Ils comprenaient la "théologie des nombres" du monde hellénique, les nombres codés, dans le Nouveau Testament, selon l’ancien canon de la géométrie sacrée énoncé par les pythagoriciens plusieurs siècles auparavant […] Ce n’est pas sans raison que l’épithète de Marie Madeleine comportait les nombres qui, pour les érudits de ce temps, l’identifiaient à la "déesse des évangiles" » (Mary Magdalene : The Beloved, par Margaret Starbird ; www.magdalene.org/beloved-essay.htm).
Là, il faut vraiment prendre le temps de réfléchir un peu. Selon Brown, on ne peut pas lire ou prendre les évangiles « au pied de la lettre », et son livre ne nous autorise pas un instant à croire qu’ils communiquent une quelconque vérité à propos des événements qu’ils décrivent. Mais se pourrait-il qu’ils nous disent sous une forme codée que les premiers chrétiens considéraient Marie Madeleine comme une déesse ?
Mais alors, s’ils la considéraient comme une déesse, pourquoi ne l’ont-ils pas dit ouvertement ? Pourquoi s’embêter avec cette histoire d’un Jésus crucifié-ressuscité quand on peut tout simplement adorer la Madeleine, si on y tient vraiment ? Il ne faudrait pas croire qu’il y eût une quelconque censure sociale, culturelle ou politique appliquée à ceux qui voulaient adorer une déesse. Cela ne vous valait pas d’être arrêté, emprisonné et exécuté – comme, par contre, ce fut le cas pour ceux dont la foi était centrée sur un certain autre personnage, que nous ne nommerons pas et qui, à ce que d’aucuns racontent, n’aurait été adoré qu’au IVe siècle.
Alors, une fois encore, avant de nous énerver à propos des affirmations historiques que l’on trouve dans le Da Vinci Code, il est important, comme toujours, de vérifier les sources. Pour ce qui est dit dans ce livre à propos de Marie Madeleine, en voici l’essentiel :
Marie Madeleine était la femme de Jésus, la mère de son enfant, et c’est elle le véritable « Saint-Graal » – La révélation des Templiers et Sang sacré et Saint-Graal .
Marie Madeleine était une déesse, source du « Féminin sacré » – les livres de Margaret Starbird.
C’est Marie Madeleine qui avait été placée à la tête du christianisme primitif – différents auteurs contemporains qui travaillent sur les textes gnostiques.
Avant d’entrer dans le détail de ces différents points, il ne sera pas inutile de suspendre un instant toute spéculation et de prendre le temps de consulter les ouvrages où il est question de Marie Madeleine : les évangiles.

Qui était Marie Madeleine ?
Il est indubitable que Marie Madeleine est un personnage historique. Elle est nommément citée dans les évangiles et joue un rôle extrêmement important, avec d’autres femmes, en relation avec la Passion et la Résurrection de Jésus.
Un seul évangile la mentionne en dehors du cadre des derniers jours de Jésus : c’est Luc, qui nous montre Jésus prêchant et proclamant la Bonne Nouvelle, accompagné par les Douze Apôtres,
« ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d’esprits mauvais et de maladies : Marie, appelée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les assistaient de leurs biens » (Luc 8, 2-3).
Ces femmes, semble-t-il originaires de Galilée, ont décidé de prendre parti pour Jésus et de le soutenir matériellement, notamment en lui offrant ses repas et, peut-être même, de l’argent.
Pour d’autres évocations certaines de Marie Madeleine, il nous faut aller jusqu’à la fin des évangiles qui, tous, nous la présentent témoin de la crucifixion de Jésus et assistant à son ensevelissement, puis venant au tombeau, au matin de Pâques, pour oindre son corps.

« Madeleine » n’est pas à proprement parler le nom de Marie : à cette époque, les gens n’avaient pas de nom de famille. On les identifiait en relation avec leur père ou avec leur lieu de naissance. Pour la plupart des spécialistes, Madeleine, ou « la Magdaléenne » signifie « de Magdala », qui est une ville sur le rivage occidental du lac de Galilée.

C’est là – les quatre évangiles sont tous d’accord sur ce point – que Marie Madeleine reçoit la Bonne Nouvelle, qui lui est annoncée d’abord par un ange (cf. Matthieu 28, 1-7 ; Marc 16, 1-8 ; Luc 24, 1-10) puis par Jésus lui-même, qui non seulement apparaît à Marie et aux autres femmes, leur disant de ne pas avoir peur, mais leur enjoint d’aller communiquer cette Bonne Nouvelle aux Apôtres.
Dans ce sens, effectivement, Marie Madeleine fut l’une des premières « missionnaires » ou, ainsi qu’elle est appelée par les orthodoxes, « l’égale des Apôtres », dans la mesure où elle a annoncé la Bonne Nouvelle que Jésus était ressuscité.

Mais alors, que s’est-il passé ?
On remarquera ce qui manque (à part, bien entendu, l’histoire de la déesse) dans notre liste des rares mentions qui sont faites de Marie Madeleine : n’était-elle pas une prostituée repentie ?
Cet aspect joue un grand rôle dans le Da Vinci Code : il est dit à plusieurs reprises que, si Marie Madeleine est présentée comme une prostituée, cela fait partie d’un méchant complot ourdi par l’Église pour empêcher de penser – et même de démontrer historiquement (à ce que dit l’auteur) – que Marie Madeleine occupait la première place dans le christianisme primitif.
Deux choses : il est vrai que cette association de Marie Madeleine avec la prostitution s’est développée au cours des siècles dans l’Église d’Occident (mais pas dans l’Église d’Orient). Cela dit, rien ne prouve que cela ait été inspiré (comme l’affirment Brown et ses sources) par la malignité, la misogynie ou la crainte de l’autorité féminine.
Plusieurs Marie sont mentionnées dans les évangiles, ainsi d’ailleurs que d’autres femmes qui ont joué un rôle non négligeable mais dont ils ne précisent pas le nom. Longtemps, ceux qui lisaient l’Écriture soit ont confondu les différentes Marie, soit se sont demandé s’il n’était pas justifié d’associer une Marie mentionnée à un endroit et une autre Marie – ou une autre femme – mentionnée ailleurs.
Par exemple, il y a deux récits dans lesquels une femme oint les pieds de Jésus et les essuie avec ses cheveux. En Luc 7, 36-50, Jésus rencontre une femme « qui était une pécheresse » et qui, versant des larmes de repentir, lui arrose les pieds de ses larmes et les essuie avec ses cheveux. Elle fait cette onction en signe de gratitude pour celui qui lui a pardonné ses péchés (lesquels, précisons-le, ne sont pas énoncés explicitement). En Jean 12, 1-8, alors qu’il se rend à Jérusalem, Jésus fait halte chez Lazare, qu’il a ressuscité (cf. Jean 11) et ses sœurs : Marthe et Marie. Marie oint les pieds de Jésus et les sèche avec ses cheveux : c’est une préfiguration solennelle de l’onction qu’il recevra lorsqu’il sera enseveli, quelques jours plus tard.
L’histoire de la pécheresse repentante que nous raconte Luc précède de quelques versets la mention nominale qu’il fait de Marie Madeleine, et c’est ainsi que certains – notamment le pape Grégoire Ier dans un sermon qu’il a prononcé en 591 – en sont venus à associer les deux femmes. Le problème de cette théorie, c’est que, lorsque Luc présente quelqu’un – homme ou femme – par son nom, il l’identifie immédiatement. Beaucoup de gens pensent que, si cette femme était effectivement Marie Madeleine, il aurait tout de suite donné son nom plutôt que de ne le préciser que la deuxième fois qu’il en parle.
Ensuite, comme Marie de Béthanie oint Jésus avant qu’il entre à Jérusalem, certains ont identifié cette femme avec celle dont il est question en Luc 7, puis avec la femme appelée « la Magdaléenne » en Luc 8, regroupant donc trois femmes sous un seul nom.
C’est exactement ce qui s’est passé dans l’Église d’Occident qui, depuis le début du moyen-âge jusqu’à la réforme du calendrier liturgique en 1969, a célébré la mémoire de Marie Madeleine le 22 juillet – en fait, des trois femmes mentionnées dans chacun de ces récits.
L’Église orthodoxe, par contre, n’a pas confondu ces trois femmes, elle y a toujours vu des personnages distincts. L’Église orthodoxe vénère particulièrement Marie Madeleine et la qualifie de « myrrhophore » – la « porteuse de myrrhe », qui était l’un des onguents employés pour l’onction des morts – et d’« égale des Apôtres ».
Il s’agit là d’un point extrêmement important, et même essentiel.
Selon Brown, qui le dit et le redit, Marie Madeleine fut marginalisée et diabolisée par le christianisme traditionnel qui, d’après lui, en a donné l’image d’une femme perdue, d’une prostituée, et ainsi de suite, prétendument pour la dévaloriser.
Comme beaucoup de choses que nous trouvons chez Brown, cela est non seulement faux mais complètement absurde.
Le christianisme, tant en Orient comme en Occident, honore Marie Madeleine comme une sainte.
Une sainte. Des églises lui ont été dédiées, on a prié sur ce que l’on pensait être sa tombe, devant ce qu’on pensait être ses reliques, et on lui a attribué des miracles.
Comment peut-on, au nom du ciel et de l’univers, prétendre qu’elle a été diabolisée ?
Réponse : c’est faux.
Quant au thème de la prostitution, même dans les parties de la chrétienté qui ont effectivement établi un lien entre Marie Madeleine et « la femme qui […] était une pécheresse » mentionnée en Luc 7, on n’a pas tellement insisté sur son péché parce que, bien entendu, le christianisme ne s’attarde pas sur le péché après la repentance. Voilà ce que cela signifie que de croire en Jésus. Non, ainsi que la légende l’atteste, si on se souvient de Marie Madeleine, c’est surtout pour son rôle de témoin de la résurrection de Jésus.
Avant la Renaissance, les représentations picturales de Marie Madeleine étaient plutôt sereines. C’est seulement à partir de la Renaissance que l’on commence à voir des Marie Madeleine échevelées, à moitié nues et repentantes. À partir de la Renaissance, les artistes ont de plus en plus souvent voulu donner une représentation plus réaliste de la forme humaine et intégrer plus explicitement les sentiments humains dans leurs œuvres. La façon dont Marie Madeleine était représentée dépendait beaucoup moins de la manière dont l’Église parlait d’elle que de considérations artistiques.

« Le christianisme de Madeleine »
C’est l’expression que Jane Schaberg emploie pour décrire la conception qu’elle se fait des futures possibilités du christianisme en s’appuyant sur les hypothèses qu’elle émet à propos du passé.
Schaberg et d’autres auteurs féministes de notre époque, notamment Karen King, de la faculté de théologie de l’université Harvard, se sont appuyées sur le rôle important attribué à Marie Madeleine dans quelques écrits gnostiques de la fin du IIe siècle et des siècles suivants pour affirmer qu’il révèle une lutte pour le pouvoir au sein du christianisme, entre le parti de Pierre et celui de Marie Madeleine.
C’est expressément ce que déclare Teabing dans le Da Vinci Code, affirmant que l’art de Léonard de Vinci fournit lui aussi des indices sur cette vérité, une vérité qui, fait-il remarquer, est contenue dans ces « évangiles non remaniés ».

Marie Madeleine en Provence : Selon le roman de Brown, Marie Madeleine aurait terminé sa vie en Provence, dans le sud de la France. Il est vrai que, selon certaines légendes de la tradition catholique, elle aurait bien vécu dans cette région, et on lui attribue d’ailleurs d’avoir évangélisé la population de cette région. Par contre, selon la tradition orthodoxe, elle serait allée à Éphèse où elle aurait évangélisé la région avec Jean.

Passons rapidement en revue les problèmes de logique que pose cette assertion telle qu’elle est exprimée dans le roman.
Si le parti de Pierre – dont on peut supposer qu’il est le « gagnant », de ces vainqueurs dont Brown dit qu’ils écrivent l’histoire – était à ce point décidé à éliminer Marie Madeleine et à dévaloriser son importance, pourquoi avoir quand même mentionné son rôle de premier plan dans les récits de la Résurrection, qui la présentent comme la première à avoir reçu la Bonne Nouvelle ?
Brown nous a dit auparavant que, avant que Constantin eût commis le méfait que l’on sait en 325, tous les chrétiens croyaient que Jésus étaient simplement un « homme mortel ». Si c’était le cas, qui donc alors constituait le parti de Pierre ? C’étaient probablement les « gagnants », les « vainqueurs », ce qui signifie, nécessairement, qu’ils devaient croire à la divinité de Jésus, puisque c’est cette vue qui a « gagné » – mais voilà : la divinité de Jésus n’a-t-elle pas été inventée en 325 ? Alors, où étaient tous ces gens pendant ce temps-là ?
Enfin, si c’est un véritable plaisir de mettre à nu ces incohérences logiques criantes, il nous faut quand même considérer les preuves.
Est-il prouvé qu’il y ait eu un élément chrétien orthodoxe dans un conflit pour la suprématie entre le parti de Pierre et celui de Marie Madeleine, et qui aurait eu pour conséquence de rabaisser cette dernière ?
Non. C’est de la spéculation pure et simple qui se fonde sur une lecture idéologique de textes rédigés au moins cents ans après la vie de Jésus. Il est vrai que certaines sectes gnostiques qui se sont constituées au IIe siècle ont manifestement accordé un rôle de premier plan à Marie Madeleine. Pourtant, les passages de ces écrits gnostiques qui évoquent une intimité entre Jésus et Marie Madeleine ne contiennent aucun élément que l’on puisse faire remonter au Ier siècle ; ces passages ont une fin théologique : de façon générale, ils servent à accréditer leur version particulière du christianisme et à dévaloriser le rôle de Pierre et des Apôtres.
Mais ce qui est important, c’est ceci : si des auteurs chrétiens orthodoxes de cette époque avaient été au courant de telles assertions, et si elles les avaient préoccupés, ils en auraient probablement parlé pour les réfuter ; c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait pour certaines sectes gnostiques qu’ils vitupéraient et dans lesquelles des femmes avaient des fonctions de chef ou de prophète. Pourtant, les textes que nous connaissons ne critiquent aucun groupe en particulier pour avoir attribué à Marie Madeleine la place prééminente de Pierre. En outre, il est curieux de constater que, pendant cette période – au cours de laquelle Marie Madeleine est censée avoir été diabolisée par les chrétiens orthodoxes –, nous ne trouvons que des éloges à son égard.
Hippolyte, qui écrivait à Rome à la fin du IIe siècle et au début du IIIe siècle, présente Marie Madeleine comme une Nouvelle Ève, dont il oppose la fidélité au péché d’Ève au Jardin d’Éden (cette image est d’ailleurs plus couramment employée à propos de Marie, Mère de Jésus). Il dit aussi de Marie Madeleine qu’elle fut « l’apôtre des Apôtres ». Saint Ambroise et saint Augustin, qui écrivaient environ un siècle plus tard, qualifiaient aussi Marie Madeleine de « Nouvelle Ève ».
Donc, une fois encore, rien de ce que Brown veut nous faire croire n’est logique ni cohérent. À l’époque où le parti de Marie Madeleine était censé être en lutte contre le parti de Pierre pour s’emparer de l’âme de l’Église, les Pères de l’Église sont très élogieux à son égard et ils accordent une très grande valeur aux évangiles qui racontent le rôle qui fut le sien après la Résurrection.
Dans la réalité de ce que les Écritures nous disent de Marie Madeleine ou dans la manière dont elle a été considérée dans les traditions chrétiennes tant de l’Orient que de l’Occident, il n’y a rien qui confirme aussi peu que ce soit tout ce qu’affirme Brown.
Par contre, nous ne cessons de constater, au fil de nos découvertes, que la réalité est beaucoup plus intéressante et qu’elle est une source d’inspiration beaucoup plus authentique que tout ce que les affabulations du Da Vinci Code pourraient inciter à penser.

Pour en savoir plus

Mary Ann GETTY-SULLIVAN : Women in the New Testament, Liturgical Press, 2001.

Pour faire le point

1. D’après les évangiles, qui était Marie Madeleine ?
2. Quel est le souvenir qu’a laissé Marie Madeleine tout au long de l’histoire du christianisme ?

Pour discuter

1. Qu’est-ce que les chrétiens d’aujourd’hui peuvent apprendre du rôle de premier plan joué par Marie Madeleine dans les récits de la Résurrection ?
2. Quel rôle les femmes semblent-elles jouer dans le ministère de Jésus ? Quel est l’enseignement que nous donne leur témoignage à propos de ce que cela signifie que d’être un disciple du Christ ?
 Chapitre 6

L’ÂGE DE LA GRANDE DÉESSE ?

Pour beaucoup de lecteurs, l’un des éléments les plus séduisants du Da Vinci Code, c’est l’idée du « Féminin sacré ».
Ce que Brown prétend révéler à propos du passé les intrigue : il y aurait eu, dans les ténèbres de l’histoire, une période au cours de laquelle, à tout le moins, l’humanité avait la conscience qu’il était nécessaire de maintenir l’équilibre entre l’élément masculin et l’élément féminin ; pour ce faire, les gens adoraient des divinités et esprits tant masculins que féminins. Plus intéressant encore aux yeux des lecteurs, c’est qu’il y aurait eu une époque, comme Langdon l’explique à Sophie, au cours de laquelle le monde était régi par un « paganisme matriarcal » (p. 251).
Les lecteurs se passionnent également pour ce que dit Brown à propos de la place des femmes dans le christianisme, à savoir que Jésus enseignait la réunion des aspects masculin et féminin de la réalité et que, dans les premiers temps du christianisme, c’étaient des femmes qui dirigeaient les communautés, jusqu’au moment où la « chrétienté patriarcale » a mené « une campagne de propagande qui diabolisait le "Féminin sacré", faisant disparaître à jamais la déesse de la religion moderne » (p. 251).
On comprend facilement qu’une telle conception du passé ait de quoi séduire – en particulier les femmes qui ne se sentent pas à leur place dans le christianisme en raison d’une conception de la femme qu’elles jugent (à tort ou à raison) injuste.
Bien évidemment, on peut comprendre qu’une telle présentation des choses soit séduisante. Mais à quoi bon une telle vision, comment peut-elle être source de force et d’inspiration – si elle n’est pas vraie ?

Le « Féminin sacré »
Lorsqu’il parle (et il ne s’en prive pas) du « Féminin sacré », Brown s’inspire de plusieurs courants de pensée.
Le premier est une école de pensée qui est née au cours du XIXe siècle et qui posait pour principe que le culte des déesses que pratiquaient les peuples anciens avait sa source dans un culte, plus élémentaire, d’une grande « Déesse Mère », ce qu’expliquait en partie la grande vénération qu’avaient les peuples anciens pour le mystère et la puissance de l’accouchement. Pour étayer cette théorie, ses adeptes s’appuyaient sur des artéfacts, entre autres des figurines représentant des femmes enceintes, et cette théorie a évolué au XXe siècle jusqu’au point où certains auteurs affirment, selon Charlotte Allen, :
 « Cette culture en harmonie avec la nature, respectueuse de la femme, pacifique et égalitaire, a prédominé pendant des millénaires dans ce qui est aujourd’hui l’Europe occidentale […] jusqu’à ce que des peuplades indo-européennes envahissent toute la région, y introduisant des dieux guerriers, des armes destinées à tuer des êtres humains, et la civilisation patriarcale » (The Atlantic, janvier 2001).
Pourtant, ces dernières années, ce mythe de la Déesse Mère a été fortement mis à mal par l’idéologie qui inspirait ces conclusions, par la nature ambiguë des artéfacts présentés ainsi que par la découverte, sur bon nombre des sites de fouilles évoqués à ce propos, d’armes et d’indices probants d’une division du travail entre hommes et femmes. Il n’existe aucun élément probant permettant de penser qu’une telle ère ait jamais existé.
L’une des affirmations les plus bizarres de Brown, c’est que même le judaïsme ancien accordait une place particulière au « Féminin sacré », considéré comme un aspect particulier du divin : il en veut pour preuve l’existence de rites sexuels pratiqués dans le Temple de Jérusalem.
C’est là quelque chose de très curieux, et on se demande d’où Brown a tiré cela. Il n’existe en tout cas aucun élément qui l’atteste, et cette affirmation est même en contradiction flagrante avec ce qui, selon les Écritures hébraïques, est requis de la part de ceux qui offraient des sacrifices dans le Temple et y participaient à des cérémonies : une pureté rituelle scrupuleuse, qui impliquait de s’abstenir de toute activité sexuelle pendant un certain temps avant de participer aux cérémonies. Le jésuite Gerald O’Collins, spécialiste des Écritures, démonte clairement cette affirmation :
« À propos du judaïsme, Brown énonce un certain nombre d’erreurs manifestes à propos des rites sexuels et de Dieu. Les spécialistes de l’Ancien Testament admettent que, parfois, on recourait à la prostitution pour obtenir de l’argent pour le Temple. Cela dit, il n’existe aucun indice probant qui permette de parler de prostitution sacrée ou rituelle, et absolument aucun qui permette d’affirmer que des hommes israélites venaient au Temple pour y faire l’expérience du divin et atteindre à la plénitude spirituelle en ayant des relations sexuelles avec des prêtresses (p. 388). […] Sur la même page, Brown explique que le Saint des Saints "abritait non seulement Dieu mais aussi son puissant double féminin, Shekinah". Ce terme n’apparaît nulle part en tant que tel dans la Bible, mais uniquement dans les écrits rabbiniques ultérieurs : la Shekinah, c’était la proximité de Dieu à son peuple, et non pas une quelconque princesse consorte » (America,15 décembre 2003).
O’Collins démonte de même l’affirmation qu’avance Brown dans le même passage, selon laquelle YHWH viendrait de Jéhovah – alors que, en fait, c’est exactement le contraire :
« C’est une absurdité ahurissante que d’affirmer, comme un "fait établi", que le tétragramme sacré : YHWH "est en fait dérivé de Jéhovah qui traduit l’union physique du masculin Jah et du nom pré-hébraïque d’Ève, à savoir Hava". En hébreu, YHWH s’écrit sans signe de voyelle. Les juifs ne prononçaient pas le nom sacré mais, apparemment, ces quatre consonnes devaient effectivement se prononcer "Yahweh". Au XVIe siècle, certains auteurs chrétiens commencèrent à écrire "Jéhovah", pensant, à tort, qu’ils avaient employé les voyelles correctes. Jéhovah est un nom artificiel créé il y a moins de cinq cents ans, et ce n’est certainement pas un ancien nom androgyne dont serait dérivé YHWH. » (ibid.)
Il est vrai que les cultures anciennes adoraient des déesses, ainsi que le font aujourd’hui encore certains systèmes animistes et polythéistes (notamment l’hindouisme). La plupart des divinités féminines sont des consorts de divinités masculines. Dans les systèmes anciens se reflète effectivement la conscience des principes masculin et féminin, qui sont conjoints dans la réalité des choses ; par contre, on n’y trouve aucune conscience ou révérence particulière pour le « Féminin sacré » tel que Brown le présente d’un bout à l’autre de son roman.
Quand on étudie d’un peu près le christianisme catholique et orthodoxe tel qu’il est pratiqué depuis deux mille ans, on ne peut pas dire qu’on y trouve une spiritualité totalement imprégnée de patriarcalisme aux dépens du féminin. Mais nous y reviendrons.
Enfin, on pourrait penser que des sociétés nourries d’un système spirituel du type que Brown décrit seraient profondément égalitaires. Curieusement, on ne trouve aucun exemple d’un tel égalitarisme dans les cultures anciennes qui adoraient à la fois des dieux et des déesses, ni même d’ailleurs dans celles (qui ne sont pas, et de loin, aussi répandues que le laisse entendre Brown) qui pratiquaient des rites sexuels, lesquels, selon cet auteur, étaient censés associer les principes masculin et féminin dans un tout extatique et vivificateur.

Hérétiques et sorcières
Lorsque l’ère matriarcale eut été supplantée, si l’on suit bien le scénario proposé, au cours de l’étape suivante, la vénération du Féminin aurait dû passer dans la clandestinité.
Pour ce qui est du christianisme, Brown s’appuie sur les ouvrages de différents auteurs contemporains qui ont écrit sur les femmes et le christianisme primitif pour affirmer que l’une des branches du mouvement issu de Jésus était centrée sur la femme. Selon le scénario de Brown, c’est ce que nous racontent les écrits gnostiques qui donnent à Marie Madeleine la place première et centrale.
Mais ces systèmes étaient bien éloignés du courant principal du christianisme : pour eux, le Christ et certains de ses enseignements n’étaient que des moyens pour exprimer des idées essentiellement gnostiques. Celles-ci n’avaient aucun lien direct avec les premiers témoignages chrétiens mais elles ne relevaient pas non plus d’une tradition ininterrompue qui aurait été centrée sur le « Féminin sacré ».
C’est pourtant ce qu’affirme le Da Vinci Code. Après que le christianisme orthodoxe eut « gagné » à Nicée, toujours selon ce scénario, il aurait continué à supprimer tout ce qui allait dans le sens d’une croyance païenne (en fait : la dévotion au « Féminin sacré ») ou y aurait effectué une sélection. Bien plus, ce christianisme orthodoxe aurait violemment combattu ceux qui persévéraient dans les anciennes pratiques, et notamment éliminé les sorcières.
Cinq millions pour être précis.
Oui, vous avez bien lu. Brown affirme que cette hostilité latente à l’égard des femmes, qui a mijoté pendant des siècles, a fait éruption lorsque l’Église catholique a exécuté cinq millions de femmes en trois siècles de chasse aux sorcières. (Brown ne précise pas de quels siècles il s’agit, mais on peut penser qu’il s’agit de la période entre 1500 et 1800 environ : on sait en effet que c’est à cette époque que la chasse aux sorcières fut la plus intense en Europe.)
Vous avez peut-être déjà vu ou entendu ce chiffre quelque part – on le retrouve souvent dans des discussions sur Internet à propos de tous les maux que l’on peut reprocher à l’Église catholique. Mais, comme tant d’autres choses dans ce livre, ce chiffre est faux.
Dans son article paru dans la revue Atlantic, Charlotte Allen présente une synthèse des travaux les plus récents (et extrêmement nombreux) consacrés à ce sujet : selon elle, la plupart des spécialistes sont d’accord pour dire que, au cours de cette période, il y eut environ quarante mille exécutions suite à des procès en sorcellerie ; certaines peuvent être attribuées à des organismes catholiques, d’autres à des organismes protestants, mais la plupart ont été le fait des gouvernements. Soit dit en passant, sur toutes les accusations de sorcellerie, environ vingt pour cent étaient portées contre des hommes.
« L’étude récente la plus complète sur la sorcellerie dans l’histoire, qui a été publiée en 1996, est : Witches and Neighbours, de Robin Briggs, historien à l’université d’Oxford. Briggs a passé en revue les minutes des procès de sorcellerie en Europe et il est arrivé à la conclusion que la plupart de ces procès ont eu lieu au cours d’une période relativement brève, entre 1550 et 1630, que, en majorité, ils se sont déroulés dans ce qui est aujourd’hui la France, la Suisse et l’Allemagne, trois pays fortement perturbés par les troubles religieux et politiques qui ont suivi la Réforme. Parmi les personnes accusées de sorcellerie, relativement peu nombreuses étaient les femmes cultivées : la plupart étaient pauvres et impopulaires. Dans la plupart des cas, leurs accusateurs étaient des gens ordinaires (hommes et femmes) et non pas des autorités religieuses ou civiles. En fait, de façon générale, les autorités n’aimaient pas les cas de sorcellerie, et elles ont acquitté plus de la moitié des personnes accusées. Briggs a également découvert qu’aucune des sorcières condamnées et exécutées ne l’avait été spécifiquement pour avoir pratiqué une religion paÏenne. » (Charlotte ALLEN : « The Scholar and the Goddesses » in: Atlantic Monthly, janvier 2001).
Bien entendu, il est tragique et, à nos yeux, injuste, que des hommes et des femmes aient été exécutés par qui que ce soit pour l’une quelconque de ces raisons. Cependant, à considérer l’histoire de l’humanité dans sa totalité, on constate que la plupart des sociétés n’ont pas pratiqué la liberté de pensée, de religion ou d’expression. En fait, c’est même exactement le contraire : la plupart des sociétés ont imposé des sévères restrictions à ce que ses membres pouvaient dire publiquement ou encourager d’autres à faire, et, souvent, ceux qui ne respectaient pas ces règles étaient sévèrement châtiés. Les Églises catholique et protestantes n’ont rien inventé. Bien entendu, il n’en est pas moins regrettable que, au cours de ces périodes, les Églises chrétiennes n’aient pas été de plus solides témoins de l’Évangile.

Le Malleus Maleficarum (« Marteau des sorcières ») existe-t-il vraiment ? Oui ; mais si c’est un livre important, il ne faut pas croire que, comme le prétend Brown, il ait été un manuel universel qui permettait de juger les sorcières. Il a été écrit par un dominicain, Heinrich Kramer, qui prétend s’être appuyé, pour l’écrire, sur son expérience personnelle, après avoir jugé plus de cent cas. En fait, les documents montrent qu’il n’a jugé que huit femmes et que l’évêque de la ville voisine, où il avait essayé de s’installer, l’en avait expulsé.
 
 
 

N’aurait-on pas oublié quelqu’un ?
Dans le Da Vinci Code, Brown soutient que, au cours de ces deux derniers millénaires, le christianisme a été violemment patriarcal, anti-féministe et résolu à éliminer toute trace du « Féminin sacré », sous quelque forme qu’il pût se présenter.
Apparemment, Brown n’a jamais entendu parler de Marie, Mère de Jésus.
Pour bien se rendre compte à quel point les affirmations de ce roman sont éloignées de la vérité du christianisme, il suffit de réfléchir à cette omission flagrante et très curieuse – et de se demander à quoi elle est due. La seule conclusion que l’on puisse tirer, c’est que, si Brown avait accordé ne fût-ce que la moindre attention à l’importance considérable de Marie dans la pensée et l’expression chrétiennes, cela aurait sapé à la base son affirmation selon laquelle le christianisme orthodoxe éprouve une peur mortelle pour le « Féminin sacré » – aussi a-t-il naturellement préféré faire comme si de rien n’était.
Mais la réalité est pourtant bien là. Jaroslav Pelikan spécialiste en la matière, écrit :
« Si nous pouvions redonner leur voix aux millions de femmes silencieuses du moyen-âge, les témoignages qui nous ont été transmis par celles qui ont effectivement laissé quelque chose par écrit permettent sérieusement de penser que c’est au personnage de Marie que beaucoup d’entre elles se sont identifiées – à son humilité, bien sûr, mais aussi à son courage et à sa victoire […] C’est précisément en raison du rôle qu’elle joue depuis vingt siècles que la Vierge Marie a suscité le plus de réflexions et de discussions sur le rôle et le sens de la femme qu’aucune autre femme de l’histoire de l’Occident » (Mary Through the Centuries, p. 219).
Lorsque des êtres humains essaient de comprendre Dieu et d’établir une relation à Lui, la nature humaine qui rend possible l’intimité avec Dieu – puisque les êtres humains sont faits à Son image – est précisément ce qui les limite. Notre langage est limité, et donc ce que nous pouvons dire à propos de Dieu est aussi limité : ce que nous pouvons penser de Dieu est borné par les limites de ce que nous permet d’atteindre notre existence de créatures incarnées dans l’espace, le temps et une expérience particulière dans le monde.
Mais c’est précisément dans ce monde-là, en utilisant la matière qu’Il a créée, que Dieu vient gratuitement à notre rencontre et se fait connaître. Ce que les chrétiens ont pu constater par expérience au cours des siècles, c’est que, si Marie n’est pas Dieu, parce qu’elle est la Mère de Dieu, par le rôle qu’elle a joué dans l’histoire de notre salut – par son « oui » à Dieu, son « fiat » –, sa vie nous révèle la fidélité de Dieu, Sa compassion et, oui ! la plénitude de Son amour tel qu’il s’exprime dans l’amour d’une mère.

Teabing dit que « le pictogramme d’Isis allaitant son nouveau-né Horus a servi de base aux images de la Vierge et de l’Enfant Jésus » (p. 290). À vrai dire, quand il s’agit de mères et d’enfants, il y a évidemment un certain nombre de comportements typiques qu’on retrouve nécessairement dans toute iconographie ; c’est le cas ici. Mais Teabing laisse entendre qu’il y a une relation de cause à effet : honorer Marie, c’est imiter le culte d’Isis. Non. Dans le monde romain, on établissait un lien étroit entre Isis et la prostitution ; quant à la conception « miraculeuse » qu’évoque Teabing, il y a deux possibilités : il s’agit soit de la reconstitution, par Isis, du corps démembré de son époux mort, soit de magie. Il n’y a pas grand-chose de commun entre les deux (cf. Michael P. CARROLL : The Cult of the Virgin Mary, Princeton University Press, 1986, pp. 8-9).

Le personnage de Marie, Mère de Jésus, n’est pas dépourvu de toute ambiguïté et il comporte de multiples facettes. Il y a même des chrétiens que gêne cette attention portée à Marie, considérant qu’elle empiète sur un domaine d’expression et de dévotion qui devrait être réservé à Dieu seul. C’est d’ailleurs là un argument qui vaut tout autant contre les affirmations de Brown à propos de la tradition chrétienne.
Quoi que l’on puisse penser de Marie ou de la dévotion dont elle fait l’objet, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir et admettre qu’elle joue un rôle essentiel – on pourrait dire central – dans la pensée, la prière et la dévotion des chrétiens, et cela depuis des centaines d’années.
Sur ce point encore, Brown est dans l’erreur. Le christianisme n’a pas étouffé la dévotion pour le « Féminin sacré » ; en Marie, le christianisme catholique et orthodoxe a glorifié et nourri ce concept (certains diront même qu’il est allé trop loin).
Mais ne pas vouloir le reconnaître, c’est ne pas vouloir reconnaître la vérité. Pour autant que la vérité ait une quelconque importance, évidemment.

Pour en savoir plus

Philip DAVIS : Goddess Unmasked: The Rise of Neopagan Feminist Spirituality, Spence Publishers, 1998.
Jaroslav PELIKAN : Mary Through the Ages : Her Place in the History of Culture, Yale University Press, 1996.

Pour faire le point

1. Comment peut-on démontrer la fausseté de la théorie selon laquelle, autrefois, le monde vivait dans le matriarcat qui honorait le « Féminin sacré », considéré comme force spécifiquement divine ?
2. Quel rôle Marie, Mère de Jésus, a-t-elle joué dans la spiritualité chrétienne ?

Pour discuter

1. Quel rôle Marie, Mère de Jésus, joue-t-elle dans votre spiritualité ?

 Chapitre 7

DES DIEUX VOLÉS ? LE CHRISTIANISME ET LES RELIGIONS MYSTÉRIQUES

Vous l’avez peut-être déjà lu ou entendu dire : les motifs chrétiens d’un dieu qui meurt et qui ressuscite, d’une initiation dans l’eau et d’un repas sacré n’auraient rien de nouveau. À l’époque de la naissance du christianisme, on trouvait des mythes et pratiques identiques tout autour de la Méditerranée. On pourrait donc en conclure logiquement que les chrétiens se sont contentés de copier leur Fils de Dieu ressuscité, leur baptême et leur Eucharistie sur ce qui existait déjà, de reprendre ce qui, à l’origine, n’était qu’un système philosophique pour en faire une religion nouvelle et séduisante.
Et cela leur valait d’être jeté aux lions.
Il est curieux de constater que ceux qui avancent une telle fable oublient toujours ce dernier élément.
Brown nous en donne sa propre version dans le Da Vinci Code. Elle est brève, confuse et ne tient aucun compte des faits ; mais il est vrai qu’elle peut être dérangeante – pour peu qu’on l’adopte telle quelle. Ce qu’il ne faut pas faire, bien entendu.

Les preuves
Dans le Da Vinci Code, Teabing, l’érudit de service, affirme que le système sacramentel, les pratiques rituelles et le symbolisme du christianisme que nous connaissons sont l’aboutissement d’une « métamorphose » – ou d’une adaptation – des pratiques et symboles religieux païens que les chrétiens auraient repris à leur compte.
Le premier problème que pose la version de Brown, c’est que tout cela – les images du « disque solaire du dieu égyptien » (p. 290) qui deviennent des auréoles, celles d’Isis allaitant Horus devenant Marie allaitant Jésus, ainsi que l’acte de « manger Dieu » dans la communion –, il l’attribue à Constantin (bien évidemment).
En fait, Constantin n’y est pour rien. Il est vrai que, au cours de son règne, son attitude à l’égard du christianisme et du paganisme n’a pas toujours été, diraient certains, très cohérente ; d’autres pourraient dire qu’il a fait preuve d’opportunisme. Le dieu-soleil, par exemple, continuait à être représenté sur des monnaies alors même que Constantin finançait la construction d’églises chrétiennes. Mais, au rebours de ce que dit Brown, on ne peut certainement pas dire que, « par une astucieuse fusion des dates, des rituels et des symboles païens, [Constantin] a réussi à créer une religion hybride » (p. 290).
La question demeure : même si Constantin n’a pas fait cela, à en croire de nombreux sites Internet et même quelques livres consacrés à ce sujet, il existerait une relation suspecte entre des croyances et pratiques chrétiennes et les « religions mystériques », ou « religions à mystères », qui étaient très répandues dans l’ancien Proche-Orient au cours des quatre premiers siècles ap. J.-C.
Le christianisme serait-il une histoire de plagiat ?

Mystères à propos des mystères
Ces religions à mystères auxquelles le christianisme est censé avoir dérobé ses pratiques et croyances se sont développées presque partout dans l’ancien Proche-Orient ; elles honoraient des dieux divers mais comportaient néanmoins certaines caractéristiques communes.
Elles se distinguaient du culte des dieux officiels en ce sens qu’elles exigeaient de leurs adeptes l’accomplissement public d’obligations religieuses qui devaient leur valoir la faveur des dieux. En fait, pour la plupart des spécialistes, si ces cultes mystériques ont eu du succès, c’est que la religion officiellement reconnue ne répondait pas vraiment aux besoins spirituels authentiques de leurs adeptes.
Ces religions à mystères accordaient une place importante au salut, à l’illumination et à la vie éternelle de la personne par une union au divin, que les adeptes atteignaient dans des activités cultuelles secrètes. Si elles présentent une certaine diversité, la plupart des religions mystériques avaient tendance à se concentrer sur une union au divin que l’aspirant initié atteignait en revivant des événements mythiques, dans lesquels une divinité mourant et ressuscitant jouait souvent un rôle.
Il convient ici, avant d’aller plus loin dans les détails, de préciser un peu le cadre général.

Teabing dit que l’autel des chrétiens vient « en droite ligne des religions païennes de l’Antiquité » (p. 290). La vérité est que l’on trouve des autels dans toutes les religions anciennes ; destinés aux sacrifices, ils étaient faits de pierres empilées ou de bois ou encore d’un seul bloc de pierre. Pour les chrétiens, l’Eucharistie était, en partie, un mémorial et une représentation du sacrifice du Christ. Dans le Nouveau Testament, il est à plusieurs reprises question d’autels.

En premier lieu, lorsque l’on réfléchit sur les racines de la religion chrétienne, ce qu’il faut considérer en premier, ce ne sont pas des religions ou rites païens anciens mais bien plutôt le judaïsme.
Jésus était juif et, pendant les quelque vingt premières années qui ont suivi sa mort et sa résurrection, ses disciples furent, dans leur grande majorité, des juifs. C’est au cours de ces deux premières décennies que furent jetés les fondements de la foi chrétienne à propos de Jésus, et même de la pratique chrétienne, ainsi qu’en attestent les épîtres de Paul, qui ont été écrites entre 50 et 60.
N’est-il pas alors surprenant que l’on essaie de mettre le baptême chrétien en relation avec les ablutions rituelles de religions mystériques ? Il faut se rappeler que la purification rituelle dans l’eau et pour les convertis était un élément bien établi de la pratique juive à l’époque de Jésus. Souvenons-nous de ce que faisait Jean le Baptiste, qui n’était pas un adepte de Mithra : il baptisait.
Et que dire de l’Eucharistie ? Teabing appelle cela : « manger le corps de Dieu » et prétend que, dans ce cas encore, les chrétiens avaient copié des pratiques cultuelles païennes. C’est bien entendu ignorer complètement le fait que – ainsi que le savaient fort bien d’ailleurs les premiers chrétiens – la Cène était un repas de la Pâque juive (d’après les évangiles synoptiques ; Jean place cet événement la veille de la Pâque). C’est cette Dernière Cène qu’ils faisaient revivre dans leurs propres célébrations eucharistiques, et cet acte était présenté dans un langage typiquement juif : il était question de nouvelle Alliance, de sacrifice, etc.
La seconde chose dont il faut se souvenir, c’est que la plupart des témoignages qui nous sont parvenus à propos des religions à mystères datent du IIIe au Ve siècles ; plus important encore, les fouilles archéologiques n’ont permis de retrouver que très peu d’indices de l’existence de cultes mystériques dans la Palestine du Ier siècle, lieu de naissance du christianisme.
Donc, face à de telles assertions, il faut retourner la question : si l’on vous dit que les chrétiens se sont contentés d’adapter les repas collectifs des païens pour en faire l’Eucharistie, retournez la question : Qu’est-ce qui prouve la cause et l’effet ? N’acceptez que des textes et des artéfacts qui correspondent clairement à l’époque et à l’aire géographique en question.
Il est probable qu’on ne pourra vous en fournir aucun.

Le dieu-soleil
Brown attribue à Constantin ce processus de « métamorphose », disant que, en divinisant Jésus, il s’est contenté de reprendre le culte du soleil, qui était bien établi, et l’a transformé en un culte du Fils – et le tour était joué ! Alors qu’auparavant on avait simplement un maître de sagesse mortel, on avait désormais un Fils de Dieu.
Comme nous l’avons vu, Constantin n’a pas inventé l’idée de la divinité du Christ : depuis le premier siècle, les chrétiens présentaient et adoraient Jésus comme Seigneur. Ce qui est vrai, certes, c’est que, sous le règne de Constantin mais aussi à d’autres moments, dans ses cérémonies officielles, l’empire honorait effectivement à la fois le dieu-soleil des païens et le Fils de Dieu des chrétiens.
En 274, l’empereur Aurélien avait élevé à un niveau sans précédent le culte du dieu-soleil, qualifiant cette divinité de « Seigneur de l’empire romain » et construisant en son honneur un temple grandiose à Rome (cf. W. H. C. FREND : The Rise of Christianity, p. 440).
Le culte de cette divinité s’est maintenu au cours des décennies suivantes, pendant qu’on persécutait les chrétiens, parfois férocement, jusqu’à ce que Constantin ait réussi à affermir son pouvoir dans la moitié occidentale de l’empire, en 312.
Dans son salmigondis d’ingrédients mythologiques, Brown ajoute au dieu-soleil une autre divinité païenne : Teabing affirme que les chrétiens ont pris, pour modèle de leurs croyances à propos de Jésus, le dieu païen Mithra, affirmant que des titres identiques lui étaient décernés et qu’il a été « enterré dans une caverne rocheuse, et il est ressuscité trois jours plus tard » (p. 290).
Le dieu Mithra se présentait sous de multiples formes. Au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, son culte fut essentiellement une religion mystérique et elle était largement diffusée, surtout, chez les militaires. Dans aucune des études consacrées à Mithra il n’est dit qu’on lui a attribué les titres de « Fils de Dieu » ou de « Lumière du monde », ainsi que le prétend Brown. En outre, la mythologie mithraïque ne contient aucune allusion à une mort suivie d’une résurrection. Il semblerait que Brown ait puisé cette idée dans les ouvrages d’un historien discrédité du XIXe siècle, qui n’a fourni aucune preuve écrite confirmant cette assertion. C’est chez ce même historien que Brown a trouvé la relation avec Krishna, qu’il évoque ensuite. Aucun récit de la mythologie hindoue à propos de Krishna ne raconte qu’il « a reçu en cadeau de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (ibid. ; cf. MIESEL & OLSEN : Cracking the Anti-Catholic Code).
Comme tout le monde à son époque, Constantin était persuadé qu’il devait attribuer ses succès à la faveur de puissances divines. Ce qu’on ne sait effectivement pas très bien, pour la majeure partie de son règne, c’est dans quelle mesure il faisait bien une distinction entre le dieu-soleil et le Dieu Un du christianisme. Comme le dit l’historien W. H. C. Frend, durant les années au cours desquelles il a affermi son règne et stabilisé l’empire, Constantin « n’a pas abandonné le culte qu’il rendait au dieu-soleil, même s’il se considérait le serviteur du Dieu des chrétiens » (p. 484).
Il semble pourtant que, vers la fin de sa vie, il ait fini par se décider (contrairement à ce que prétend Brown, ce ne fut pas contraint et forcé) et il se fit baptiser avant sa mort, en 337. Il n’était d’ailleurs pas inhabituel, à l’époque, que des catéchumènes attendissent d’être proches de la mort pour se faire baptiser : c’était en particulier le cas des personnes occupant des responsabilités politiques qui pouvaient les entraîner au péché, notamment en faisant mourir quelqu’un. À cette époque, les péchés commis après le baptême étaient considérés comme très graves, et la sanction pour des péchés graves était une quasi-excommunication – une exclusion de la communauté chrétienne.
Brown reprend à son compte deux affirmations spécifiques à propos du christianisme et du dieu-soleil. D’une part, il affirme que Constantin a fait célébrer la fête de Noël le 25 décembre pour supplanter la célébration par les païens, ce jour-là, de la naissance du dieu-soleil, fête instituée par l’empereur Aurélien.
Il n’existe aucune preuve qu’il y ait eu un lien délibéré, sans compter que nul texte ne mentionne que Constantin ait jamais couvert de son autorité la célébration de la naissance de Jésus le 25 décembre. La première mention qui en soit faite, à notre connaissance, c’est la célébration de Noël à cette date à Constantinople en 379 ou 380, et cette coutume s’est ensuite répandue dans toute l’Église d’Orient. Par contre, d’autres témoignages permettent de penser – comme le fait l’historien William Tighe – que le choix de la date du 25 décembre pour célébrer la naissance du Christ a pu être associé à d’autres facteurs spécifiques du christianisme.
Au IIe siècle, les chrétiens de la partie occidentale de l’empire romain avaient fixé au 25 mars la date de la crucifixion du Christ. Reprenant une ancienne tradition juive selon laquelle les grands prophètes mouraient le jour anniversaire de leur conception ou de leur naissance, le 25 mars en était venu à être considéré, en Occident, comme le jour où il avait été conçu du Saint-Esprit dans le sein de Marie (à cette date est célébrée, aujourd’hui encore, la fête de l’Annonciation). Si on y ajoute neuf mois, on arrive au 25 décembre.
Nous n’avons aucune certitude mais, ce qui est certain, c’est qu’il n’existe aucune preuve qui établirait un lien direct entre Noël et la fête instituée par l’empereur Aurélien ; on n’a commencé à célébrer Noël qu’un siècle plus tard, après que le christianisme fut devenu la religion officielle de l’empire romain.

Une mitre est une coiffe en forme d’écu que portent les évêques de l’Église latine. Teabing prétend que c’est un emprunt aux religions à mystères, mais les évêques n’ont commencé à porter des mitres qu’au XIe siècle. Dans l’Église d’Orient – la région la plus proche des cultes mystériques –, les évêques sont coiffés d’une couronne.

Et le dimanche ?
Brown affirme allègrement, par la voix de Teabing, que Constantin a simplement déplacé le jour de repos et de culte des chrétiens du samedi au dimanche, jour du soleil.
C’est idiot. Nous disposons de nombreux témoignages attestant que, dès le Ier siècle, le dimanche était un jour spécial pour les chrétiens. Bien entendu, ils ne l’appelaient pas le « jour du soleil » (Sunday). Dans le Livre de l’Apocalypse, qui fut écrit vers la fin du Ier siècle, il est appelé le « Jour du Seigneur » (dies dominicus, qui a donné en français « dimanche ») (Ap. 1, 10) ; ailleurs, il est appelé le « Premier Jour » ou même le « Huitième Jour », cette dernière appellation signifiant qu’il s’agit du huitième jour de la Création de Dieu.
Vers le milieu du IIe siècle, le mode de rassemblement des chrétiens pour l’Eucharistie le dimanche – dont il est déjà question dans les Actes des Apôtres (cf. 20, 7) – était déjà fermement établi. Justin Martyr, qui écrivait de Rome à peu près à cette époque, nous donne une description très détaillée de l’assemblée eucharistique qui se tenait ce jour-là (voir sa Grande Apologie).
Donc, bien entendu, ce n’est pas Constantin qui a fait passer la célébration de la liturgie chrétienne du samedi au dimanche ; à cette époque, il y avait déjà deux siècles que les chrétiens se réunissaient le dimanche. Ce que Constantin, par contre, a effectivement fait, c’est qu’il a institué la semaine de sept jours, qui était connue et pratiquée en certains lieux, pour servir de base au calendrier, et qu’il a décidé que le dimanche serait un jour de repos dans tout l’empire.
Auparavant, pour mesurer officiellement le temps dans l’empire romain, on se servait de trois jours principaux par mois, qui servaient de références : les calendes (premier jour), les nones (septième jour) et, bien entendu, les ides (quinzième jour).
Jusqu’alors, les juifs et certains païens qui honoraient Saturne avait fait du samedi leur jour de repos, mais c’est effectivement Constantin qui a officialisé la pratique du dimanche, comme jour de repos, sur le calendrier romain officiel.
Cela a bien sûr fait plaisir, dans une certaine mesure, aux chrétiens mais leur satisfaction a probablement été mitigée par le nom que Constantin a donné à ce jour : dies solis, jour du soleil.

Dans l’art ancien, les nimbes (souvent appelés aussi auréoles) permettaient de distinguer les dieux, et même l’empereur. Ils apparaissent dans l’art chrétien des IIIe et IVe siècles ; au début, le nimbe n’était attribué qu’aux représentations du Christ, ce qui allait de soi pour un tel symbole, en raison de l’association entre le Christ et la lumière. C’est un symbole, tout comme la couronne, et il n’est pas nécessairement en rapport avec un système religieux particulier.

Donc, effectivement, nous voyons que l’empereur, résolu à unifier l’empire et à consolider son pouvoir, paraît ne pas avoir eu d’opinion très ferme en matière de religion. Il recourait à des symboles lorsqu’ils le servaient et confortaient ses choix, du moins au cours de la première décennie – à peu près – de son règne ; par la suite, il eut une inclination plus nette en faveur du christianisme.
Par contre, ce que nous savons avec certitude, c’est que ce qu’affirme Brown est faux : ce n’est pas Constantin qui a fixé la fête de Noël au 25 décembre, et il n’a pas obligé les chrétiens à reporter leur jour de repos du samedi au dimanche.

Une question de fond
Brown voudrait nous faire croire que, pour qu’un système religieux, avec ses symboles et ses croyances, soit authentique, il doit être complètement indépendant d’autres systèmes, croyances et symboles religieux, d’un bout à l’autre.
Mais ce n’est absolument pas de cette façon que fonctionnent les systèmes religieux des hommes. Il y a certains aspects de la vie que tous les êtres humains ont en commun et qui semblent tous être intrinsèquement capables d’un sens qui évoque le transcendant.
Dans la naissance et dans la mort, nous sommes confrontés au mystère et au miracle de l’existence et de l’espérance en quelque chose de plus.
L’eau et l’huile nous offrent la purification et elles évoquent le besoin que nous éprouvons d’être purifiés.
Dans le repas partagé, nous trouvons les idées de nourriture et de communauté.
Dans la vie humaine, le nombre de mots est limité, mais la « matière » est en telle quantité qu’il nous faut recourir à des artifices pour nous aider à symboliser et rendre présentes les vérités qui nous sont révélées.
Le fait que d’autres religions ont des cérémonies de purification et des repas rituels n’a rien à voir avec la vérité ou la validité des vérités chrétiennes. Rien ne prouve, comme le laisse entendre Brown, que les éléments fondamentaux de la pensée et de la pratique chrétiennes aient été directement adaptés des religions mystériques païennes. Les racines du christianisme sont à chercher dans le judaïsme. Le christianisme est adopté et vécu par des êtres humains qui vivent dans une culture et une société humaines et, de ce fait, l’expression de leur foi ne peut être que dynamique : elle va recourir à un langage et à un symbolisme qui rendent plus compréhensibles ces croyances. Une telle dynamique renforce et approfondit la compréhension et le vécu de notre foi.
C’est du simple bon sens. C’est ainsi que va le monde et, du moins les chrétiens le croient-ils, c’est ainsi que Dieu est à l’œuvre dans le monde.

Pour approfondir

Henry CHADWICK : The Early Church, Penguin Books, 1967.
W. H. C. FREND : The Rise of Christianity, Fortress Press, 1984.
David Ewing DUNCAN : Le temps conté : la grande aventure de la mesure du temps, Nil éd. Paris 1999.

Pour faire le point

1. Qu’étaient les religions à mystères ?
2. En s’appuyant sur les découvertes archéologiques et les textes, que peut-on penser de la relation entre les croyances et symboles chrétiens et les croyances et symboles païens décrits dans le Da Vinci Code ?

Pour discuter

1. Que pouvez-vous faire, personnellement et concrètement, pour mieux connaître les racines juives de la foi chrétienne ?
2. Pouvez-vous retrouver, dans l’Ancien Testament, des cérémonies parallèles aux célébrations chrétiennes telles que le baptême et l’Eucharistie ?

 Chapitre 8

ON POURRAIT AU MOINS PENSER QU’IL NE S’EST PAS TROMPE A PROPOS DE LÉONARD DE VINCI

Et pourtant, si !
Pour se rendre compte à quel point il s’est trompé à propos de Léonard de Vinci, c’est bien simple : il suffit de prendre le nom de l’artiste.
Dans le titre déjà et tout au long du roman, Brown et ses personnages – tous des spécialistes – appellent cet artiste « Da Vinci ».
Oui mais… ce n’est pas son nom.
Que ce soit dans les livres d’histoire ou dans les ouvrages pédagogiques, nulle part on ne l’appelle ainsi.
Il s’appelait « Leonardo » et il était le fils illégitime d’un certain Piero da Vinci ; il était né en 1452 dans la ville de Vinci, proche de Florence. Donc, bien évidemment, « da Vinci » signifie « (originaire) de Vinci ».
Prétendre être un expert en matière artistique et l’appeler de bout en bout « da Vinci », c’est tout aussi crédible que si un soi-disant expert en religion affirmait que le nom de famille de Jésus était « de Nazareth ».
Prenez un quelconque livre d’histoire : vous verrez qu’on y parle de Léonard, ou Leonardo, pas de « da Vinci ». Allez dans une bibliothèque, du moins aux États-Unis, et cherchez une biographie de l’artiste ; vous ne la trouverez pas sous D ou V ; vous la trouverez sous L, comme Leonardo, ou Léonard, parce que c’est son nom.
Du moins pouvons-nous être d’accord sur ce point : un auteur qui, dans son roman, n’est même pas capable de donner son nom exact au personnage historique central n’a pas de leçon d’histoire à nous donner. Il peut nous distraire d’autres manières mais il ne faudrait surtout pas aller chercher dans le Da Vinci Code nos idées sur l’histoire, la religion ni même l’art.

Qui était Léonard ?
Il est vrai que Léonard est l’un des personnages les plus originaux de l’histoire de l’Occident. Le corpus de ses œuvres et de ses idées pourrait alimenter un grand nombre de romans ; pourtant, le véritable Léonard, tel que nous le connaissons, ne ressemble guère à l’image que Brown nous en donne.
Il affirme que Vinci était « un homosexuel flamboyant et un adepte du culte de l’ordre naturel divin – deux particularités qui le mettaient, pour l’Église de son époque, en état de péché perpétuel » (p. 62).
D’après Brown, « Vinci avait […] composé un impressionnant ensemble de tableaux à thèmes chrétiens », et il « avait accepté des centaines de commandes lucratives pour le Vatican » tout en ayant de « fréquents conflits avec Rome » (p. 62).
En réalité, le seul véritable conflit récurrent que Léonard eut avec « l’Église », ce fut sa tendance à ne pas terminer l’exécution des travaux dont il avait accepté la commande. Mais c’est là une autre question.
D’après le portrait général que nous en brosse le Da Vinci Code, on imagine un génie incompris, contestataire, obsédé par l’idée d’être rejeté par la religion chrétienne et compensant ce rejet par une production extrêmement abondante. (Et, ne l’oublions pas ! il était aussi grand maître du prieuré de Sion, une organisation qui, comme nous le verrons dans le prochain chapitre, n’a probablement jamais existé, en tout cas pas sous la forme présentée par Brown ni pour les raisons qu’il en donne.)
Ce portrait ne correspond pas vraiment au personnage qu’était en réalité Léonard, surtout si nous le replaçons dans le contexte de son époque.
Prenons d’abord l’élément à scandale : Léonard était-il un « homosexuel flamboyant » ? Rien ne le prouve. Certes, en 1476, il fut, en compagnie de trois autres personnes, accusé de sodomie avec un prostitué bien connu de Florence. Les accusations ne furent pas retenues.
C’est la seule évocation d’une éventuelle activité homosexuelle – et même sexuelle en général – que l’on trouve, à propos de Léonard, dans toutes les sources primaires qui évoquent sa vie, et notamment ses volumineux carnets. Ainsi que l’écrit Sherwin B. Nuland dans sa biographie de Léonard de Vinci :
« Cet épisode est la seule allusion à une activité sexuelle de Léonard, et ceux qui ont fait les études les plus poussées de sa vie pensent que cet événement ne s’est jamais produit » (p. 31).
Ou bien encore, comme l’a écrit Bruce Boucher, spécialiste de l’histoire de l’art, dans le New York Times, en 2003 : « Bien qu’il ait été accusé, dans sa jeunesse, de sodomie, les indications relatives à son orientation sexuelle restent hypothétiques et fragmentaires ».
Quant à cette énorme production d’œuvres d’art chrétiennes, peut-être Brown a-t-il eu accès à des sources secrètes : en effet, dans ce qui nous est parvenu, même sous la forme d’ébauches et d’esquisses, on trouve tout au plus deux douzaines de tableaux sur des thèmes chrétiens. Et, en tout cas, il n’y eut certainement pas « des centaines de commandes lucratives du Vatican ». Parmi les papes, Léonard, n’eut qu’un seul commanditaire : Léon X, vers la fin de sa vie ; la plupart du temps, il se consacra à des expériences scientifiques.
En fait, si l’on considère l’œuvre de Léonard du point de vue quantitatif, on constate que les tableaux n’y tiennent qu’une petite place ; l’essentiel est constitué par des centaines de dessins, ébauches, esquisses de machines, plans d’architecte, expériences scientifiques et inventions. Il est parfaitement ridicule de présenter Léonard comme un artiste dont la principale occupation était de peindre des tableaux consacrés à des thèmes chrétiens – et contenant, sous forme de code, des messages cachés anti-chrétiens, d’autant plus que ses tableaux sur des thèmes chrétiens ne semblent pas constituer la partie essentielle de son œuvre.

Léonard était-il hérétique ?
Le Da Vinci Code présente Léonard comme une sorte d’extrémiste religieux qui prenait plaisir à faire des pieds de nez à la tradition chrétienne par l’emploi subversif qu’il fait, dans son art, de symboles. Avant de nous laisser choquer et intriguer par une telle assertion, considérons les convictions spirituelles de Léonard dans le contexte de son époque.
Il a vécu en Italie et, pendant un certain temps, en France à l’époque de la Renaissance ; ce terme évoque, non pas la renaissance de la culture en général, comme le croient beaucoup de gens, mais, plus précisément, la renaissance de la culture classique – la philosophie, la littérature, l’art et la sensibilité générale de la Grèce et de la Rome antiques. L’une des conséquences des croisades – les guerres permanentes qui opposaient l’Occident chrétien et un islam agressif – furent l’occasion de redécouvrir des ouvrages de ce temps : les croisés ramenèrent en effet des manuscrits et des œuvres d’art qu’ils avaient pillés dans l’ancien empire d’Orient, où ils avaient été conservés.
Léonard vécut à une époque brillante, à l’activité intellectuelle foisonnante, dont l’objet premier était l’étude du monde naturel et de la vie humaine dans cet environnement, une activité que venaient enrichir des rencontres avec les civilisations grecque et romaine. Néanmoins, il ne faut pas supposer que, nécessairement, cette activité se faisait en opposition à l’Église : ce n’était pas le cas. À cette époque, l’Église était le lieu privilégié de l’activité intellectuelle, et toutes les universités étaient financées et soutenues par l’Église ; en fait, de nombreux intellectuels de cette époque qui étudiaient la culture classique étaient des clercs : prêtres, moines et même évêques.
Léonard est né et a vécu dans une culture qui s’inscrivait encore dans un cadre chrétien ; cela dit, ses carnets montrent bien qu’il ne croyait aucunement aux pratiques catholiques traditionnelles. Il est vrai qu’il a écrit à propos de Dieu et même du Christ. Dans la biographie qu’il lui a consacrée : Léonard de Vinci, Serge Bramly écrit :
« Léonard croit en Dieu – en un Dieu peu chrétien, il est vrai […] Il le découvre dans la beauté miraculeuse de la lumière, dans le mouvement harmonieux des planètes, dans l’arrangement savant des muscles et des nerfs à l’intérieur du corps, dans cet indicible chef d’œuvre qu’est l’âme. […] Léonard ne pratique pas, sans doute ; ou il pratique à sa manière. Son art […] demeure jusqu’au bout essentiellement religieux : même dans un sujet profane [non religieux], Léonard célèbre à la façon d’une messe l’œuvre sublime du Tout-Puissant, qu’il s’efforce de comprendre de refléter » (pp. 304-305).
Cela dit, Léonard était sérieusement anticlérical : il critiquait la richesse de certains clercs, l’exploitation de fidèles crédules et craintifs ainsi que la vente d’indulgences et les honneurs excessifs accordés aux saints.
Léonard a vécu à l’époque qui a précédé l’explosion du protestantisme en Occident (Martin Luther a affiché ses 95 Thèses à la porte de l’église de Wittenberg en 1517, deux ans avant la mort de Léonard) et il a exprimé des idées qui étaient à l’époque très courantes, en particulier dans les milieux intellectuels et même chez certains catholiques particulièrement pieux et attentifs qu’affligeaient les excès qu’ils observaient dans la vie de certains dignitaires de l’Église.
Donc, aussi remarquable et exceptionnel qu’ait été son génie, Léonard ne défendait pas des idées aussi contestataires et extrêmes que Brown voudrait nous le faire croire. À certains égards, c’était bien un homme de son temps : il voulait explorer son environnement de toutes les manières possibles ; il se fondait sur le monde de la nature et l’expérience humaine, qui constituaient le point de départ et de référence de sa quête ; il croyait en Dieu et, semble-t-il, au Christ ; mais il était profondément anticlérical et il méprisait les excès de la piété et de l’expression religieuse.
Mais venons-en maintenant à ces fameux tableaux et peintures.

La Vierge aux Rochers
Dans le Da Vinci Code, les deux versions de La Vierge aux Rochers, de Léonard de Vinci – dont l’une se trouve au Louvre et l’autre à la National Gallery de Londres – sont censées raconter l’histoire d’un Léonard voulant communiquer des secrets anti-chrétiens.
En fait, il suffit d’examiner ces deux tableaux pour s’apercevoir à quel point ce qu’affirme Brown est complètement à l’opposé de la vérité.
Au départ, c’est un groupe appelé la Confrérie de la Conception de la Sainte Vierge (Bramly, p. 210) qui demanda à Léonard de réaliser ce tableau devant faire partie d’un triptyque pour l’autel de la chapelle de ce groupe. Brown affirme qu’il s’agissait d’un « congrégation de sœurs ».
Non. Il s’agissait d’une « confrérie » et, surtout à cette époque, c’était un groupe d’hommes qui se constituait dans un but particulier – dans ce cas, il s’agissait de promouvoir « un dogme nouveau, celui de l’Immaculée Conception » (ibid.) (selon laquelle Dieu a préservé Marie du péché originel dès le début de sa vie). Les « sœurs » sont des femmes, pas des hommes.
Les membres de cette confrérie avaient donné des instructions détaillées sur ce qu’ils voulaient : Marie au centre, vêtue « un vêtement de brocart d’or et d’outremer, entourée de deux prophètes, avec Dieu le Père au-dessus, « pareillement vêtu d’or et d’outremer », et l’Enfant « sur une sorte d’estrade dorée » (ibid.) (on remarquera que ce n’est pas du tout ce que raconte Brown à propos des détails du contrat, p. 173). Cette commande fut passée en 1483 mais une controverse s’engagea entre Léonard et la confrérie à propos de ce tableau, et elle dura vingt-cinq ans.
Il ne semble pas que ce conflit ait été eu un quelconque rapport avec les détails que Brown mentionne, s’il est vrai par ailleurs que le style plutôt réaliste de Léonard ne s’accordait guère avec les spécifications données par la confrérie. Certes, les détails de cette histoire sont quelque peu mystérieux mais il semble que la controverse ait plutôt porté sur le règlement – Léonard ne cessait de réclamer plus d’argent, que la confrérie n’était disposée à payer.
Et pourquoi y a-t-il deux versions ? Il semblerait que, à un moment donné, l’original ait été donné. Selon certains, le doge de Milan, Ludovic Sforza, l’aurait offert soit au roi de France, soit à l’empereur d’Allemagne -– et c’est cette version qui est au Louvre. La seconde, qui est à Londres, provient directement de la chapelle de la confrérie, qui n’existe plus.
Considérons maintenant ce que Brown trouve si choquant dans ces tableaux. Il prétend que Jean-Baptiste y bénit Jésus, alors qu’on s’attendrait plutôt à l’inverse.
La vérité, la voici : dans les deux versions, c’est Jésus qui bénit Jean-Baptiste.
Ce qui, manifestement, fait fantasmer Brown, c’est que, sur ce tableau, Jean-Baptiste serait proche de Marie et que c’est lui qu’elle tiendrait dans le creux de son bras. Mais aucun étudiant en histoire de l’art ne va penser que l’autre enfant, qu’on voit à genoux les mains jointes, n’est pas Jean-Baptiste ; certes, la disposition est inhabituelle mais, sur la version de Londres, deux indices le prouvent clairement : Jean est vêtu d’une petite peau de bête et tient le bâton avec lequel il est toujours représenté ; c’est donc lui qui est béni.
Et qu’en est-il du reste du tableau qui se trouve au Louvre ? Il est certain qu’on ne comprend pas très bien pourquoi la main de Marie est au-dessus de Jésus, mais on peut penser qu’il s’agit là d’un simple geste de protection. La main de l’ange n’est pas menaçante – elle est tendue vers Jean-Baptiste, désignant le prophète que nous devons écouter.
Ce tableau est certainement très inhabituel, surtout compte tenu de ce que voulaient les commanditaires, qui ont sans doute eu du mal à y voir la relation avec l’Immaculée Conception. Cependant, comme le fait remarquer Bramly, on peut certainement y voir un rapport :
« L’Immaculée Conception, semble dire Léonard, introduit le martyre sur la croix » (Bramly, p. 216).
Donc, Brown se trompe sur l’identité du commanditaire du tableau de Léonard, ainsi que sur celle des principaux personnages représentés ; il avance une idée fausse de la nature du conflit et donne une interprétation erronée du tableau.

L’Adoration des Mages
À un certain moment, notre héros, Langdon, essaie d’expliquer les mystérieux messages de Léonard, qui seraient sources de controverses : il fait allusion à l’Adoration des Mages, qui se trouve au Musée des Offices, à Florence. Il cite un article du New York Times Magazine (la référence est exacte ; cet article a été publié le 21 avril 2001) consacré aux travaux de Maurizio Seracini, spécialiste de l’histoire de l’art, qui aurait découvert, dans ce tableau, des secrets apparemment formidables.
L’Adoration des Mages est un dessin préparatoire pour un retable commandé par un monastère de Florence ; de l’avis de la plupart des spécialistes, c’est tout ce qu’aurait fait Léonard avant d’aller s’installer à Milan. Cette ébauche est recouverte d’une couche de peinture qui, selon Seracini, cacherait le dessin que Léonard avait fait au départ. Comme le dit Brown, quand on a voulu éliminer cette couche de peinture, cela a provoqué une très sérieuse controverse.
Pourtant, la raison qu’il avance n’est absolument pas la vraie : ce n’est pas à cause de ce qu’aurait révélé le dessin -: dans l’Italie actuelle, largement sécularisée, que l’art puisse exprimer des sentiments à connotations antireligieuses ou hérétiques n’effraie guère les conservateurs de musée. Non, la controverse provoquée dans le petit monde de l’art est plus fondamentale : il y a ceux qui veulent rétablir l’art dans son état d’origine, et ceux qui s’y opposent.
Dans ce cas, lorsque furent annoncés les projets de restauration – l’élimination de la couche de surface – beaucoup de spécialistes et d’amateurs d’art, emmenés par un groupe appelé Art Watch International, ont vivement protesté, disant que cette œuvre était trop fragile pour que l’on pût envisager une telle restauration ; ils ajoutaient qu’on n’avait aucune preuve absolue que Léonard n’avait pas lui-même ajouté cette couche ; selon eux, il n’avait pas essayé d’ajouter de la couleur mais il s’agissait d’une couche préparatoire sur laquelle il comptait réaliser le reste de la peinture. Ces gens refusaient l’hypothèse selon laquelle la couche préparatoire ne pourrait pas être de la main de Léonard.
En bref, Art Watch affirmait que la restauration envisagée endommagerait l’œuvre en question à de multiples niveaux. Ce groupe et ses partisans l’emportèrent, et les plans de restauration ont été arrêtés en 2002 – mais pas pour les raisons avancées par Brown (pour plus de détails, voir ww.artwatchinternational.org).

Mona Lisa, ou La Joconde
Dans le Da Vinci Code, Langdon évoque le souvenir d’une conférence qu’il a donnée devant des prisonniers et dans laquelle il avait établi un lien entre la Joconde et l’androgynie : il leur avait expliqué qu’on avait « fait des comparaisons informatiques de ce tableau et de ses auto-portraits qui confirment certaines analogies entre les deux visages » (p. 154) ; la Joconde serait donc la représentation androgyne d’un personnage à la fois masculin et féminin qui reflétait l’idéal qu’avait Léonard de l’équilibre entre les deux. Le nom même de « Mona Lisa » serait une anagramme de divinités égyptiennes de la fertilité : Amon (masculin) et Isis (féminin) (p. 155).
Quelques remarques à ce sujet.
Il est certain qu’un mystère plane sur l’identité du personnage appelé Mona Lisa, ou encore La Joconde, dont le portrait fut réalisé entre 1503 et 1505. Il existe à ce sujet des dizaines de théories, dont aucune n’est confortée par de véritables preuves.
L’une de ces théories, en fait la plus ancienne, est qu’il s’agirait du portrait d’une femme réelle appelée Monna (ou Mona) Lisa et qui était la femme d’un Florentin appelé Francesco del Giocondo.
D’après l’article que Bruce Boucher, historien de l’art, a publié dans le New York Times, « nous ne possédons aucun portrait dont on puisse dire avec certitude qu’il s’agit de Léonard » et auquel nous pourrions comparer ce tableau, et, selon Bramly, la théorie de l’autoportrait est « la plus fantaisiste » (p. 398).
Amon (ou Ammon) était, dans l’Égypte ancienne, le dieu du soleil qui, en dépit de sa représentation phallique parfois impressionnante, n’était pas particulièrement associé à la fertilité. Lorsqu’il était associé à une divinité féminine, c’était le plus souvent, non pas avec Isis, mais avec Mout.
En outre, on peut facilement et immédiatement faire abstraction de toute relation avec le nom de ces divinités égyptiennes : il suffit de savoir que Léonard n’a pas donné de nom à ce tableau. Il ne le mentionne même pas dans ses carnets, bien qu’il soit absolument certain que c’est lui qui l’a réalisé. Ce portrait a été appelé Mona Lisa par le premier biographe de Léonard, Giorgio Vasari, qui écrivait une trentaine d’années après la mort de Léonard ; il est le seul à l’appeler « Mona Lisa » ; Léonard ne mentionne nulle part ce nom. Ainsi donc, comment donc aurait-il pu faire passer un message par l’intermédiaire d’un nom qu’il n’avait apparemment pas choisi lui-même (cf. Bramly, p. 397) ?

La Cène
Et nous arrivons maintenant au point crucial de toute cette histoire. La Cène est-elle une peinture pleine d’indications codées qui feraient comprendre que Jésus était marié à Marie Madeleine et que Pierre était furieux ?
Brown affirme que, dans cette peinture, Léonard transmet la connaissance qu’il a du fait que Jésus et Marie Madeleine étaient mariés, que cette dernière était destinée à devenir le chef de l’Église, que Pierre n’était pas d’accord et que c’était elle le véritable Saint Graal.
Pourquoi ? Parce que, en fait, le personnage généralement identifié comme Jean serait en réalité Marie Madeleine. La position relative de Jésus et de Marie Madeleine forme un « M », une main désincarnée brandit un poignard et il n’y a pas de calice. Donc, le calice, ce doit être Marie Madeleine.
Voyons cela d’un peu plus près. La Cène est peinte sur le mur d’un réfectoire (salle à manger) d’un monastère de Milan. Contrairement à ce que dit Brown, il ne s’agit pas d’une fresque. Une fresque est une peinture exécutée, avec des pigments à base aqueuse, sur un plâtre de chaux humide, qui « piège » la peinture lorsqu’elle sèche, ce qui permet d’obtenir des couleurs intenses et un effet durable. Léonard travaillait trop lentement pour utiliser la technique de la fresque, et il voulait essayer quelque chose de différent ; c’est pourquoi il a étalé, sur le mur de pierre, une mince couche de base sur laquelle il a réalisé une peinture à la détrempe. Ce fut un choix malheureux car, quelques années à peine après que la peinture eut été terminée, elle commençait déjà à pâlir et à s’écailler.
Pour bien comprendre cette peinture, il est important de voir qu’elle ne se contente pas d’illustrer la Dernière Cène en général : elle évoque un moment spécifique, mentionné dans un passage particulier de l’Ecriture.
Lorsque nous pensons à la Cène, nous l’associons immédiatement à l’institution de l’Eucharistie. Brown joue là-dessus, faisant remarquer qu’il n’y a, au milieu de cette représentation, ni coupe, ni miche de pain. Pour lui, l’absence de calice implique que c’est Marie Madeleine le Graal, et ainsi de suite.
Le problème, ici, c’est que le sujet particulier de cette peinture, ce n’est pas le moment où fut instituée l’Eucharistie. En fait, elle évoque le moment où Jésus annonce que quelqu’un va le trahir, épisode que raconte très spécifiquement l’évangile de Jean (13, 21-24) :
« Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit et il attesta : "En vérité, en vérité, je vous le dis, l’un de vous me livrera." Les disciples se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait. Un de ses disciples était installé tout contre Jésus : celui qu’aimait Jésus. Simon-Pierre lui fait signe et lui dit : "Demande quel est celui dont il parle." Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui dit : "Seigneur, qui est-ce ?" »
Ce qu’a voulu Léonard, c’est que chacun des personnages exprime une réaction particulière à cette annonce de trahison. C’est un moment particulièrement dramatique : tous les apôtres semblent s’écarter de Jésus, le laissant, en quelque sorte, isolé (comme ils le feront plus tard), parlant les uns avec les autres, se demandant qui pourrait être le traître – et cela explique que Pierre s’adresse à Jean. Mais il ne s’agit pas ici de l’institution de l’Eucharistie : en effet, à la différence des évangiles synoptiques, l’évangile de Jean ne contient pas de récit direct de l’institution de l’Eucharistie ; c’est pourquoi le calice n’apparaît pas nécessaire dans cette représentation particulière.
Quant au personnage dont on a toujours pensé qu’il s’agissait de Jean, serait-ce vraiment Marie Madeleine ?
Non. À l’époque où vivait Léonard, saint Jean était invariablement représenté comme un beau jeune homme. Pour nous, il peut présenter des aspects féminins mais, pour les gens de cette époque, il ne faisait pas de doute que c’était un homme, assis – comme saint Jean l’était toujours dans les représentations de cette scène – à côté de Jésus.

Pourquoi ne trouve-t-on pas le récit de l’institution de l’Eucharistie dans l’évangile selon saint Jean ? Pour la plupart des spécialistes, lorsque cet évangile fut écrit, à la fin du premier siècle, les chrétiens considéraient que seuls les personnes complètement initiées étaient en droit de connaître les détails de leurs rituels les plus sacrés. C’est pourquoi, par exemple, on ne révélait le Notre Père aux catéchumènes – des convertis non encore baptisés – qu’une semaine ou deux avant leur baptême ; en tout cas, ils n’étaient autorisés à participer à la liturgie dans sa totalité qu’une fois qu’ils avaient reçu ce sacrement d’initiation. On suppose donc que l’évangile de saint Jean est une expression de cette pratique.

Elizabeth Levy, spécialiste de l’histoire de l’art, nous aide à mieux comprendre cela :
« Brown fait fond d’un saint Jean représenté avec des traits délicats et sans barbe pour asseoir son affirmation fantastique selon laquelle il s’agit d’une femme. Bien sûr, si saint Jean était véritablement Marie Madeleine, on pourrait se demander quel est celui des Apôtres qui s’est excusé au moment critique. Le véritable problème, c’est que nous n’en savons pas suffisamment sur les "types". Dans son Traité de la peinture, Léonard explique que chaque personnage doit être peint en fonction de son statut social et de son âge. Il y a certaines caractéristiques qui s’appliquent à un homme sage, d’autres à une vieille femme, et d’autres encore aux enfants. Un type classique que l’on retrouve dans de nombreux tableaux de la Renaissance est l’"étudiant". Un disciple préféré ou un protégé est toujours représenté très jeune, glabre et les cheveux longs : l’idée, c’est qu’il n’a pas encore suffisamment de maturité pour trouver sa propre voie. Tout au long de la Renaissance, c’est ainsi que les artistes représentent saint Jean : il est "le disciple que Jésus aimait" – le seul qui se tiendra au pied de la croix. C’est l’"étudiant" idéal. Pour l’artiste de la Renaissance, il allait de soi que l’on représentait toujours saint Jean comme un jeune homme glabre, sans lui donner la physionomie dure et déterminée des hommes mûrs. La Dernière Cène de Ghirlandaio et celle d’Andrea del Castagno nous présentent ce type de personnage : un saint Jean jeune, aux traits délicats » (d’après un article publié sur www.zenit.org).
Historien de l’art, Bruce Boucher, dans un article publié dans l’édition du New York Times du 3 août 2003, fait remarquer qu’il y a aussi une explication à la mystérieuse main désincarnée dont Brown prétend qu’elle menace Jean/Marie Madeleine :
« Et pourtant, cette main n’est pas désincarnée. Une esquisse de La Cène et des copies de ce tableau montrent que la main et la dague appartiennent à Pierre : il s’agit là d’une référence à l’évangile de saint Jean dans lequel Pierre tire une épée pour défendre Jésus ».
Donc, oui, La Cène est une peinture évocatrice, qui nous offre de nombreuses possibilités de méditer, par exemple, sur nos propres réactions à l’égard de Jésus en contemplant les diverses réactions des apôtres. Mais elle ne raconte pas ce que Brown prétend ; tout simplement parce que rien ne le prouve.
Et, ne l’oublions pas : c’est Léonard.

Pour en savoir plus

Sherwin B. NULAND : Leonardo da Vinci, Viking Press, 2000.
Serge BRAMLY : Léonard de Vinci, J. C. Lattès, Paris 1995.
Richard TURNER : Inventing Leonardo, Knopf, 1993.

Pour faire le point

1. Quel genre de personnage était Léonard ? Dans tout ce qu’il a fait, qu’est-ce qui tient le plus de place ?
2. Quel est le sens et le symbolisme de La Cène ?

Pour discuter

1. Comment l’art peut-il nous aider à méditer sur la personne du Christ ?
2. Qu’est-ce que l’art nous enseigne sur la manière dont le message de l’Évangile est vécu à différentes époques ?

 Chapitre 9

LE GRAAL, LE PRIEURÉ ET LES TEMPLIERS

L’histoire du thème du Saint-Graal est ambiguë et mystérieuse ; il se prête facilement à de multiples variations brodées de mythologie et d’imaginaire sur un fond d’histoire d’amour. Il a joué un rôle important dans la légende (en particulier celle du roi Arthur), dans la poésie (Les idylles du roi, de Tennyson) et, bien sûr, dans l’opéra (Parsifal et Lohengrin de Richard Wagner).
Donc, à considérer les choses dans cette perspective, on ne peut reprocher à Brown d’avoir repris à son compte les théories des ouvrages déjà cités : La révélation des Templiers et Sang sacré et Saint-Graal pour les utiliser dans son roman. Sans doute cela choque-t-il certains, mais le fait d’utiliser ainsi ce thème en tant que tel correspond à la manière dont il a déjà été utilisé tout au long de l’histoire.
Pourtant, il vaut la peine d’en discuter parce que, en réalité, le Da Vinci Code franchit la frontière entre ce qui est manifestement de la fiction et ce qui pourrait être la réalité. À chaque page, l’auteur donne à ses lecteurs des éléments de preuve qui paraissent intelligents, et on finit par se demander s’il n’aurait pas raison.
Existe-t-il une tradition avérée selon laquelle le Saint-Graal serait en réalité Marie Madeleine et son sein ? Est-ce vraiment pour défendre une telle tradition qu’ont existé les Templiers et le Prieuré de Sion ?
En un mot : non.

Le Saint-Graal
Les origines du Saint-Graal sont obscures ; peut-être se trouvent-elles dans les brumes de légendes celtes évoquant des coupes de sang vivificateur. Le premier texte concernant le Graal – et l’un des plus importants – est le poème médiéval Perceval, de Chrétien de Troyes, qui a vécu au XIIe siècle.
À lire cette légende et d’autres de la même période, on s’aperçoit que ce qu’est exactement le Graal varie : c’est un vase orné de magnifiques pierres précieuses qui peut fournir en quantité illimitée nourriture et boisson ; c’est le plat dans lequel Jésus et les Apôtres ont mangé l’agneau pascal ; c’est la coupe utilisée par Jésus lors de la Cène ; c’est le vaisseau dans lequel Joseph d’Arimatie a recueilli le sang du Christ qui s’écoula lorsqu’il fut transfixé sur la croix.
Dans la légende, le Graal est souvent protégé par une femme, et son existence fut le point de départ de nombreuses « quêtes ». Dans les légendes du Graal se mélangent le folklore, le roman d’amour et la mythologie religieuse. Il existe effectivement, dans le monde, quelques coupes dont certains prétendent qu’elle est le Saint-Graal – la coupe que Jésus aurait utilisée au cours de la Cène – mais l’Église n’a jamais repris dans sa tradition ce genre de folklore.
Il est vrai que, compte tenu du fait que le Graal est souvent confié à la protection d’une femme et que, dans certains cas, elle porte l’image d’un enfant, le Graal est effectivement associé à un certain symbolisme en relation avec l’enfantement et le don de la vie. Cela dit, on ne connaît aucune tradition qui identifie explicitement, ainsi que le fait Brown, le Graal aux symboles d’une « déesse perdue », avec Marie Madeleine ou avec la lignée de Jésus (comme l’affirment les auteurs de Sang sacré et Saint-Graal ). En outre, pour la plupart des spécialistes, lorsqu’il est employé dans un contexte chrétien, ce thème est plutôt mis en relation avec la Vierge Marie : en effet, au début du moyen-âge, la dévotion pour Marie s’est développée de façon fulgurante.
Et venons-en maintenant à ce moment particulièrement tendu et choquant, à la fin du chapitre 58, où Teabing identifie Saint-Graal et « sang réal », ou « sang royal ». Il affirme que l’étymologie traditionnelle fait dériver Sangréal de San Greal – c’est-à-dire Saint-Graal –, seulement voilà : ce n’est pas vrai. Voyons ce que cela donne lorsque nous en faisons dériver sang réal : cela signifie sang royal. CQFD !
J’ai sous les yeux l’article que la Catholic Encyclopedia de 1914 a consacré au Saint-Graal. Voici ce qu’il dit :
« Dire que San greal correspond à "sang real" (sang royal) est une explication qui ne s’est répandue qu’à la fin du moyen-âge ».
Le sang royal, dans le contexte des récits traditionnels relatifs au Graal, c’est, bien entendu, le sang du Christ. Cette façon particulière de décomposer et de lire ces deux mots n’avait rien de nouveau au moyen-âge, non plus d’ailleurs qu’en 1914, et elle n’a rien de nouveau aujourd’hui non plus.

Les Templiers et le Prieuré de Sion
Ce que raconte Brown a propos des Templiers et du Prieuré de Sion, s’inspire, s’il est nécessaire de le répéter, de deux ouvrages déjà cités : La révélation des Templiers et Sang sacré et Saint-Graal. La plupart des choses qu’il affirme à propos de ces deux organisations ne sont pas fondées sur des faits.
En premier lieu, il est important de comprendre que, contrairement à ce que prétend Brown dans la page liminaire de son livre, le Prieuré de Sion n’était pas une véritable organisation dans le sens qu’il suggère. Les documents qu’il cite, et notamment la fameuse liste des grands maîtres – avec Victor Hugo et, bien sûr, Léonard – sont des faux, qui ont été déposés à la Bibliothèque Nationale, à Paris, probablement à la fin des années 1950.
Très brièvement, voici de quoi il s’agit.
Il semble qu’un certain Prieuré de Sion se soit constitué en France à la fin du 19e siècle ; il s’agissait d’un groupe politique de droite qui s’était donné pour but de lutter contre le gouvernement représentatif.
On voit réapparaître ce nom juste avant la deuxième guerre mondiale, à l’initiative d’un certain Pierre Plantard : c’était un antisémite qui voulait « purifier et rénover la France ». Dans les années 1950, Plantard commença à prétendre que, appartenant à la dynastie mérovingienne, il était l’héritier légal du trône de France. Il constitua alors un groupe appelé « Prieuré de Sion », déposa, dans des bibliothèques et archives de France, des documents falsifiés attestant de son antiquité et propagea le mythe de « la lignée royale de Jésus ».
Voici la conclusion que Laura Miller tire de toute cette histoire dans un article du New York Times (« The Da Vinci Con », 22 février 2004) :
« Tout bien considéré, la légitimité de l’histoire du Prieuré de Sion repose sur un paquet de coupures de presse et de pseudo-documents dont même les auteurs de Sang sacré et Saint-Graal pensent qu’ils ont été frauduleusement déposés à la Bibliothèque Nationale par un homme appelé Pierre Plantard. Au début des années 1970, l’un des complices de Plantard a avoué l’avoir aidé à fabriquer ces faux, y compris les arbres généalogiques présentant Plantard comme un descendant des Mérovingiens (et, peut-on penser, de Jésus-Christ) ainsi qu’une liste des "grands maîtres" du Prieuré.
Cette liste, d’une stupidité crasse, de personnages et intellectuels célèbres -– Botticelli, Isaac Newton, Jean Cocteau et, bien entendu, Léonard de Vinci [c’est bien la liste que donne Dan Brown] – ainsi qu’un prétendu historique du Prieuré de Sion remontant au IXe siècle, sont présentés, en tête du Da Vinci Code, comme des "faits".
En réalité, on a fini par s’apercevoir que Plantard était un truand, avec un casier judiciaire : il avait été condamné pour escroquerie et pour son affiliation, pendant la guerre, à des groupes de droite antisémites. Quant au véritable Prieuré de Sion, il s’agissait d’un innocent groupe d’amis partageant les mêmes opinions, qui a été fondé en 1956.
La mystification de Plantard a été dévoilée par une série de livres publiés en France ainsi que dans un documentaire réalisé par la BBC en 1996 ; mais, curieusement, ces révélations choquantes n’ont pas eu autant de succès que le livre Sang sacré et Saint-Graal ni, bien entendu, que le Da Vinci Code. »

Saint-Sulpice : Dans le Da Vinci Code, c’est dans l’église Saint-Sulpice (construite entre 1646 et 1789), à Paris, que le Prieuré de Sion cache un secret associé au Graal. L’histoire mythique d’un prieuré qui n’a jamais existé prétend démontrer cette association mais, en fait, il n’y a aucun rapport. La « ligne rose » et l’obélisque n’ont aucune signification ésotérique. En réalité, il existe, en Europe, un nombre remarquable d’églises qui servaient en même temps d’observatoires astronomiques. On perçait un petit trou dans le plafond ou dans un mur, et on suivait le mouvement du soleil le long d’une ligne tracée sur le sol. Lorsque le soleil atteignait un certain point, dans ce cas particulier l’obélisque, c’était le solstice – soit d’hiver, soit d’été. (Pour en savoir plus sur ce sujet, voir J. L. HEILBRON : The Sun in the Church, Harvard University Press, 1999.)

Donc, le Prieuré de Sion présenté comme un groupe millénaire dont la mission était de protéger le Graal n’a jamais existé.
Par contre, les Templiers ont bien existé, eux. L’Ordre des Templiers a été fondé en Terre Sainte au XIe siècle, après la conquête de Jérusalem. Son nom véritable était : les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon, et il s’agissait d’un ordre monastique dont les membres étaient tous des chevaliers. Ils étaient des « moines » dans le sens où ils prononçaient des vœux – le premier étant de protéger les sites sacrés de la Terre Sainte ainsi que les pèlerins qui s’y rendaient. En outre, ils étaient tenus de respecter une règle qui définissait leurs obligations religieuses (prière et messe quotidiennes, dirigées par des prêtres de l’Ordre) ainsi que leurs comportements :
« Certaines de ces instructions semblaient précisément viser à limiter les excès du comportement chevaleresque. Ce devaient être des hommes humbles, aux ressources limitées […] Ils ne devaient pas combattre dans des tournois ni chasser » (Michael WALSH : The Warriors of the Lord, p. 156).
Les Templiers accrurent leur pouvoir aux XIIIe et XIVe siècles – parallèlement d’ailleurs à d’autres ordres militaires, et en particulier leur principal rival : les Chevaliers Hospitaliers. Ils accumulèrent de grandes richesses et firent fonction de banquiers, notamment à Londres et à Paris.
Y avait-il un quelconque rapport entre les Templiers et la légende du Graal ? Apparemment, pas avant le XIXe siècle, où on s’intéressa de plus en plus aux sociétés secrètes, particulièrement en relation avec la franc-maçonnerie. Dans un texte intitulé : Le mystère du baphomet révélé, un Allemand appelé Joseph von Hammer-Purgstall présentait, en 1818, ce qu’il prétendait être une histoire des Templiers ; il affirmait entre autres que ceux-ci adoraient Mahomet et étaient les gardiens du Saint-Graal qui, selon cet auteur, n’était pas la coupe de la Cène mais un corpus de connaissances gnostiques et, en particulier, « une branche particulière de gnostiques qui avaient rejeté le Christ » (Walsh, p. 190). Manifestement, c’est dans ce genre d’ouvrages que puisent les spéculations modernes sur les Templiers.
Revenons-en à l’histoire authentique. Il est vrai que l’ordre des Chevaliers du Temple a été supprimé, mais les détails que Brown donne de cette affaire ne sont pas tout à fait exacts.
Il en rejette la responsabilité sur le pape Clément V mais, d’après les documents dont nous disposons, il apparaît assez clairement que c’est Philippe IV, dit le Bel, roi de France, qui décida de s’en prendre à eux, surtout parce qu’il n’avait plus d’argent alors que les Templiers en avaient beaucoup. La première mesure date du 13 octobre 1307 : Philippe le Bel ordonna l’arrestation de tous les Templiers de France – et non pas d’Europe, comme le prétend Brown, même s’il a raison à propos de l’association funeste entre cette date, qui tombait un vendredi 13, et la croyance selon laquelle une telle occurrence porte malheur.
Cette décision de Philippe le Bel irrita fort le pape Clément V parce que les Templiers s’étaient placé sous la protection du pape ; pourtant, le 22 novembre, il céda au roi de France et accepta que cette mesure fût étendue à l’ensemble de l’Europe.

Les Templiers ont-ils inventé et diffusé le style gothique en architecture afin de pouvoir communiquer l’importance du « Féminin sacré » ? Non. Aucun document n’indique que les Templiers se soient intéressés à l’architecture, sinon pour construire leurs propres églises. Le style gothique s’est élaboré et perfectionné, en gros, entre 1100 et 1500, d’abord en France : il s’agissait de rechercher des moyens de construire des églises plus robustes et plus hautes, dont les murs étaient étayés par des arcades et percés de multiples ouvertures pour laisser pénétrer le plus de lumière possible. Les structures gothiques sont riches de symboles, mais on n’y trouve pas d’éléments imitant consciemment et explicitement l’anatomie féminine.

Lorsqu’il parle des Templiers, Brown parle souvent du « Vatican » qui, pour lui, est la source des décisions des papes. Ici encore, il commet une erreur, qui prouve à quel point il connaît mal la période dont il parle. À cette époque, Clément V ne vivait pas au Vatican – et pas même en Italie : il était installé en Avignon, où il était virtuellement prisonnier du roi Philippe le Bel, qui exerçait sur lui de fortes pressions pour le contraindre à prendre des décisions dans le sens de ses propres intérêts.
Finalement, l’Ordre des Templiers fut dissous par décision du Concile de Vienne qui, au départ, ne savait pas trop que faire – jusqu’au jour où le roi Philippe arriva aux portes de la ville. Ainsi que le précise Michael Walsh, cette condamnation « n’était que provisoire, et elle n’admettait pas la culpabilité des Templiers » (op. cit., p. 173).
L’ironie de la chose, c’est que les biens des Templiers furent attribués à l’autre grand ordre militaire : les Hospitaliers ; le roi Philippe le Bel ne tira aucun avantage de son coup de force et il mourut dans l’année – ainsi d’ailleurs que le pape Clément V.
Donc, pour ce qui est des Templiers, Brown exagère considérablement l’antipathie du pape Clément V à l’égard de ce groupe, et il n’accuse pas le principal responsable : le roi de France.
Enfin, Brown commet une autre erreur grossière : il prétend que la forme circulaire de Temple Church, à Londres, est d’inspiration païenne, affirmant que les Templiers auraient décidé de « refuser » l’architecture chrétienne traditionnelle pour, à la place, honorer le soleil (p. 423).
Considérant que, d’après tous les éléments dont nous disposons, les Chevaliers du Temple étaient un groupe catholique dont les membres faisaient vœu de défendre loyalement la foi catholique, c’est très improbable. Et, en plus, c’est faux : en effet, si Temple Church a été bâtie selon un plan circulaire, c’était, très logiquement, en s’inspirant d’une église située dans un lieu qui revêtait une grande importance pour les Templiers : l’église du Saint-Sépulcre, qui a été édifiée au-dessus de l’endroit où, selon la tradition, Jésus fut enseveli, à Jérusalem.
Et, bien entendu, cette église est ronde.

Il n’est pas inutile de préciser que, à cette époque, « le Vatican » n’était pas la résidence principale du pape, même si Clément V y a vécu. Du IVe siècle au début du XIVe siècle, la résidence du pape fut le Palais du Latran. Celui-ci fut détruit par un incendie en 1308, juste avant la période de la captivité des papes en Avignon ; ce n’est qu’en 1377, lorsque les papes se furent de nouveau installés à Rome, qu’ils firent leur résidence au Vatican.

Pour en savoir plus

Roger Sherman LOOMIS : The Grail : From Celtic Myth to Christian Symbol, Princeton University Press, 1991.
Michael WALSH :The Warriors of the Lord : The Military Orders of Christendom, William B. Eerdmans Publishing, 2003.
Pour faire le point

1. Qu’est-ce que, selon la légende, pourrait être le Saint-Graal ?
2. Quel rôle les Templiers ont-ils joué dans l’histoire de la chrétienté ?

Pour discuter

1. À votre avis, qu’est-ce qui rend si fascinante la légende du Saint-Graal ?
 

Chapitre 10

LE CODE CATHOLIQUE

Quand on arrive à la fin du Da Vinci Code, on en sort avec une image de l’Église catholique bien précise – et pas très flatteuse.
Certes, à l’occasion, l’auteur essaie de couvrir ses arrières, affirmant que l’Église catholique moderne ne pratiquerait certainement pas des actes criminels ; pensez ! elle a fait tellement de bien ! Même s’il est vrai qu’elle a fait aussi tellement de mal... Et bien sûr, à la fin de l’histoire, on s’aperçoit que les méchants catholiques ne sont pas méchants du tout (à l’exception de quelques meurtres…) mais que, en réalité, ils ont été les dupes de Teabing, dont on apprend que c’était lui le « maître » qui tirait toutes les ficelles.
Mais ce retournement ne diminue en rien l’effet général du roman, qui présente l’Église catholique romaine comme une institution monolithique et étroitement contrôlée dont la mission est de propager une fiction dans un monde qui n’aspire qu’à la liberté.
Cette image donnée de l’Église catholique, on la retrouve fréquemment dans la culture populaire, même d’ailleurs quand elle ne se limite pas à l’histoire récente : il suffit pour s’en convaincre de lire l’abondante propagande anti-catholique – en textes et en images – du XIXe siècle, notamment aux États-Unis. Sur le fond, les arguments sont identiques ; seul le langage est plus fleuri et, si les clercs n’ont pas le couteau entre les dents, ils portent un chapeau de sorcier.
Cette caricature, nous la retrouvons, tout au long du Da Vinci Code, dans le portrait qui nous est fait de l’Opus Dei.

L’Opus Dei
En fait, on a l’impression que la culture contemporaine a attribué à l’Opus Dei le rôle que l’ordre des jésuites a joué pendant des siècles : un groupe rigoureusement organisé, sous les ordres directs du Vatican, qui infiltre les institutions du monde entier pour affermir son pouvoir et pour faire… qui sait quoi ?
L’ordre des jésuites a été fondé en 1534 par saint Ignace de Loyola ; ce devait être un ordre missionnaire et enseignant. Pourtant, leur réputation leur valut d’être expulsés de plusieurs pays d’Europe à la fin du XVIIIe siècle ; le pape alla même jusqu’à supprimer cet ordre dans certaines régions entre 1773 et 1814. Les méfaits attribués aux jésuites ont été la cible des auteurs anti-catholiques – laïcs et protestants – et le sont aujourd’hui encore. Le mot « jésuitisme » n’a pas vraiment une connotation positive.
Dans ce sens, l’Opus Dei a manifestement, et malheureusement, remplacé l’ordre des jésuites, dans la conscience populaire, comme représentant le secret et l’hypocrisie.
Il est vrai que certaines personnes ont fait des expériences malheureuses dans leurs relations avec l’Opus Dei : ils disent qu’ils se sont laissé manipuler pour en devenir membres et que, comme membres, ils se sentaient soumis à un contrôle excessif. Lorsque l’on veut faire un tableau complet de l’Opus Dei, il est important d’écouter ces personnes et de prendre leurs récits au sérieux. Mais ce qui est frappant, c’est que les seules sources dont s’inspire Brown pour présenter l’Opus Dei dans le Da Vinci Code, ce sont des rapports négatifs et désenchantés. Ce n’est qu’une face de la médaille – elle est certes importante, mais ce n’est pas la seule.
Dans le Da Vinci Code, Brown dit quand même un certain nombre de choses exactes à propos de l’Opus Dei : oui, son siège de New York est grand et relativement récent ; oui, ses membres sont portés sur la piété traditionnelle ; oui, c’est une prélature personnelle (nous allons y revenir).
Et, oui, certains membres pratiquent la mortification corporelle.
Mais c’est à peu près tout.
Pour commencer, corrigeons une erreur monumentale. Silas, notre géant albinos assassin, nous est présenté comme un « moine » ; d’ailleurs, ce qui le prouve, c’est qu’il porte une robe de moine.
Il n’y a pas de « moines » à l’Opus Dei .
D’abord, ce n’est pas un ordre religieux comme les dominicains, les bénédictins ou (mais oui !) les jésuites. Dans l’Église catholique, tous les moines relèvent d’un ordre religieux (il y en a d’autres) et vivent dans des monastères, des couvents ou des ermitages.
L’Opus Dei est une association de laïcs et de prêtres ; il compte d’ailleurs beaucoup plus de laïcs que de prêtres car, au départ, en 1928, il a été créé à l’intention des laïcs. Ce n’est que quinze ans plus tard que fut instituée la Société sacerdotale de la Sainte Croix, par laquelle des prêtres furent formellement incorporés à l’Opus Dei.

Un « moine » est un homme qui se retire de la société pour se consacrer à Dieu par la prière. Les femmes qui ont choisi la vie monastique s’appellent des « religieuses », des « moniales » ou des « nonnes ».

Le fondateur de l’Opus Dei fut Josémaria Escriva de Balaguer, un prêtre espagnol ; au départ, il créa un groupe qui devait aider les laïcs à vivre leur propre vocation à la sainteté dans le monde et à croître dans l’amour pour Dieu et pour tous les êtres humains.
Le premier et le mieux connu des livres du P. Escriva, dans lequel on trouve l’esprit de l’Opus Dei (qui signifie : « l’œuvre de Dieu »), est appelé Chemin.
Mais on trouve l’enseignement du P. Escriva dans d’autres livres encore, notamment dans Quand le Christ passe, dont nous extrayons le passage suivant :
« En grandissant et en vivant comme l'un d'entre nous, Jésus nous révèle que l'existence humaine, nos occupations courantes et ordinaires, ont un sens divin. Même si nous avons largement médité ces vérités, nous devons toujours admirer ces trente années de vie obscure qui constituent la plus grande partie de la vie de Jésus parmi ses frères les hommes. Années obscures, mais, pour nous, claires comme la lumière du soleil. Ou mieux, splendeur qui illumine nos journées et leur donne leur véritable dimension, puisque nous sommes des chrétiens courants, qui menons une vie ordinaire, semblable à celle de millions de gens dans les coins les plus divers du monde. » (point 14).
Ce passage donne une juste synthèse de l’esprit de l’Opus Dei ; en outre, il permet de corriger ceux qui, une fois encore, se sont laissé convaincre par Brown que le christianisme traditionnel ne fait qu’ignorer la nature humaine de Jésus et les réalités de la vie humaine.
Le Père Escriva est mort en 1975 et a été canonisé (déclaré saint) le 6 octobre 2002.
Bien entendu, ce qui intrigue les gens ou même leur paraît très bizarre, ce n’est pas cet esprit de l’Opus Dei ; ce sont d’autres aspects de la vie de ce groupe, que Brown met à l’avant-plan dans le Da Vinci Code.
Effectivement, les membres de l’Opus Dei sont répartis en plusieurs catégories, mais celles-ci correspondent simplement à différents niveaux d’engagement et différents modes de vie. Tous les membres de l’Opus Dei suivent, sous la direction d’un directeur spirituel, le même « plan de vie » qui comprend la récitation du rosaire, la messe quotidienne, des lectures spirituelles et la prière mentale. Mais tout cela, certains le pratiquent dans le contexte de la vie mariée – ce sont les surnuméraires. Les membres numéraires peuvent continuer à travailler dans le monde mais ils font vœu de célibat, donnent la plus grande partie de leur salaire à l’Opus Dei et vivent souvent en communauté, dans des maisons de l’Opus Dei. Il y a encore d’autres membres, qui ont tous un rôle particulier à jouer dans « l’Œuvre ».
Et quelle est cette œuvre ?
C’est simplement vivre l’appel de Dieu dans le monde, aussi intensément qu’on le peut. Pour cela, on peut très bien exercer une profession dans le monde, mais aussi participer à l’un des nombreux ministères assurés par l’Opus Dei dans le monde entier : écoles en tous genres, programmes de formation agricole dans les pays pauvres, cliniques et autres institutions.
L’un des aspects les plus controversés de l’Opus Dei, fréquemment mis en avant dans le Da Vinci Code, c’est la mortification corporelle, ou physique : l’utilisation d’un cilice – qui est une ceinture de crin – ou d’une lanière de cuir garnie de pointes de métal portée autour de la cuisse, et encore l’emploi de la discipline – cordelette à nœuds qui sert à se fouetter.
Pour beaucoup de gens de notre époque, ces pratiques peuvent paraître bizarres ; pourtant, il convient de remarquer que l’on trouve la mortification corporelle, considérée comme une pratique spirituelle, dans toutes les religions du monde, sous une forme ou sous une autre : le jeûne, parfois pratiqué à un degré extrême, la prière ou la méditation dans une position inconfortable et même la pratique de porter des vêtements inconfortables ou d’aller pieds nus.

L’Opus Dei est une « prélature personnelle », c’est-à-dire que les ministères (mot qui signifie « services ») qu’il assume sont placés sous la responsabilité de l’évêque placé à la tête de l’Opus Dei et non pas de l’évêque du diocèse dans lequel sont exercées ces activités. De ce point de vue, l’Opus Dei est assez semblable à un ordre religieux, comme les bénédictins ou les dominicains.

La mortification du corps à des fins spirituelles, y compris le recours à des éléments particuliers tels que ceux-là, n’a pas été inventée par l’Opus Dei : il suffit de lire la vie des saints pour constater que beaucoup se sont sentis appelés à de telles pratiques. Pourquoi ?
Certains cherchaient à se rapprocher du Christ en partageant ses souffrances. Pour d’autres, il s’agissait d’expier leurs péchés ou les péchés des autres. Pour d’autres encore, c’était un moyen de renforcer leur autodiscipline, d’atteindre un stade où leur esprit pourrait se concentrer sur Dieu et se satisfaire de Sa présence, quel que puisse être l’inconfort du corps.
C’est inhabituel mais, pour mieux en juger, on pourrait comparer cela aux « mortifications corporelles » auxquelles s’astreignent certains d’entre nous pour le bien de notre apparence physique : jeûner, souffrir à force d’exercices physiques et même se soumettre à certaines procédures – des interventions chirurgicales – sanglantes et douloureuses. Tout cela pour avoir un « beau corps » – c’est-à-dire, fondamentalement, ce que voient les autres quand ils nous regardent.
Certaines personnes pratiquant la mortification en vue d’un progrès spirituel vont même jusqu’à dire que le principe : « Il faut souffrir pour être beau » s’applique à la vie spirituelle – du moins pour eux.
Et puis, il y a aussi, autour de l’Opus Dei, une atmosphère de secret qui favorise les spéculations parce que, effectivement, certains de ses aspects restent secrets. Par exemple, l’Opus Dei ne publie pas la liste de ses membres, et il déconseille à ses membres de dire qu’ils appartiennent à l’Opus Dei.
Pour ces gens-là, la raison, ce n’est pas parce qu’ils font des choses mauvaises : cela relève d’un certain sens de l’humilité et de l’obéissance à l’Évangile. Dans l’évangile de Matthieu (cf. 6, 1-18), Jésus demande à ses disciples de vivre dans la sainteté, mais de le faire presque en secret. Quand tu fais l’aumône, dit-il, « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite. […] Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret […] Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre [et, peut-on supposer, n’ayez pas non plus l’air d’avoir faim !] […] Quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret » (Mt 6, 3-18).
C’est dans cet esprit que les membres de l’Opus Dei se gardent bien de faire montre de leurs pratiques spirituelles et leur appartenance à ce groupe. Ils considèrent que leur vocation est d’être le levain dans la pâte, la petite lumière dans le monde, et, ainsi, ils se contentent de suivre le « chemin » et accomplissent l’œuvre de Dieu dans leur vie quotidienne.

Les seuls chrétiens ?
Dans un sens, les catholiques qui lisent le Da Vinci Code devraient être flattés : après tout, selon le tableau que Brown fait du christianisme, au passé comme au présent, la seule manifestation concrète qu’en voit le monde, c’est l’Église catholique romaine.
Bien entendu, ce n’est pas tout à fait exact. Par exemple, beaucoup de décisions de portée théologique que nous avons mentionnées à propos de ce livre – la fixation du Canon des Écritures, les discussions relatives à la nature humaine et à la nature divine de Jésus – ont été prises non pas dans l’Église d’Occident mais dans l’Église d’Orient, et elles le furent, en majorité, par des évêques de l’Église de la partie orientale de l’empire romain. Les Églises catholiques orientales et les Églises orthodoxes incarnent tout autant que l’Église catholique romaine cette tradition ancienne.
Et puis, bien sûr, il y a les Églises chrétiennes qui se sont constituées dans le sillage de la Réforme protestante : si de profondes divergences les séparent du catholicisme et de l’orthodoxie – notamment à propos de la justification, du salut, des sacrements et de bien d’autres sujets encore –, ces Églises n’en ont pas moins continué à affirmer la conception doctrinale traditionnelle de la double nature – humaine et divine – de Jésus qui est affirmée dans les credos élaborés à cette époque mais qui, selon Teabing, violeraient « l’histoire réelle » de Jésus. Certaines de ces Églises, d’ailleurs, ont tout autant lutté contre les hérésies et pratiqué la chasse aux sorcières que l’Église catholique (au XVIIe siècle, par exemple, il n’y avait pas d’évêque catholique à Salem, dans l’actuel état du Massachusetts, célèbre pour ses « sorcières »).
Pourtant, on ne sait pas trop pourquoi, pour Brown, le coupable, l’ennemi des intentions authentiques de Jésus, ce n’est pas le « christianisme » en général mais la seule Église catholique, d’un bout à l’autre et sans exception. Alors pourtant que les Églises orthodoxes et protestantes affirment toutes la divinité du Christ telle que définie au Concile de Nicée et dans d’autres conciles de l’Église primitive et qu’elles acceptent toutes, plus ou moins, le même Canon des Écritures ; sans oublier que les Églises protestantes ont réduit le rôle de Marie, la Mère de Jésus, dans leur théologie et leur pratique, au point qu’on pourrait à bon droit leur reprocher d’avoir, elles aussi – et beaucoup plus que le catholicisme –, banni le « Féminin sacré » de la spiritualité.
De ce point de vue, nous avons de bonnes raisons de considérer le Da Vinci Code comme un ouvrage anti-catholique. Ce n’est pas simplement que beaucoup de choses qu’affirme Brown à propos du catholicisme ne sont pas vraies ; il va plus loin encore : il rend délibérément l’Église catholique responsable de crimes – elle aurait donné une fausse représentation de Jésus, elle aurait étouffé le « Féminin sacré » et elle aurait refusé à Marie Madeleine le rôle de chef de l’Église que lui aurait attribué Jésus –, crimes dont, si l’on suivait sa logique, il faudrait déclarer tout le christianisme coupable.
Pourquoi une telle attitude ? À mon avis, tout simplement parce que c’était plus simple. C’est en tout cas l’opinion la plus charitable que l’on puisse avoir en la matière : un livre ainsi conçu s’écrit et se lit plus facilement. Non pas qu’il soit plus vrai, qu’il corresponde mieux aux complexités de la vie réelle et de l’histoire réelle. Cela, ce serait beaucoup plus difficile que de caricaturer des méchants en robe de moine, des gens louches se promenant avec des valises pleines d’argent.
Donc, selon le Da Vinci Code, les catholiques seraient les seuls chrétiens ?
Eh bien, comme je l’ai dit, peut-être les catholiques devraient-ils se sentir flattés.
Mais on comprendra aussi qu’ils ne le soient pas vraiment..

Pour en savoir plus

Peter J. KREEFT : Catholic Christianity, Ignatius Press, 2001.

Pour faire le point
1. Qu’est-ce que l’Opus Dei ?
2. En quoi le Da Vinci Code donne-t-il une image fausse du monde chrétien ?

Pour discuter
1. À votre avis, quelle devrait être la réaction des chrétiens face à la présentation négative ou erronée que la culture donne de leur foi ?
2. Comment considérons-nous les gens qui s’efforcent de vivre effectivement le message de Jésus dans le monde moderne ?
 Épilogue

POURQUOI C’EST IMPORTANT

S’il y avait une leçon positive à tirer du phénomène déclenché par le Da Vinci Code, c’est qu’il a suscité beaucoup d’intérêt pour des questions importantes : Qui est Jésus ? Qu’est-ce qu’était le christianisme des premiers temps ? Quel est le pouvoir de l’art ? – et aussi des questions relatives à la discrimination sexuelle et à la spiritualité.
Ce qui est regrettable, c’est l’enthousiasme avec lequel les lecteurs ont adopté les assertions historiques présentées dans le Da Vinci Code.
Cet enthousiasme trahit une grave lacune, à savoir que les Églises, quelles qu’elles soient, n’ont pas réussi à communiquer à leurs membres les faits essentiels de l’histoire et de la théologie chrétiennes. La crédulité avec laquelle les lecteurs ont admis les affirmations de Brown selon lesquelles les premiers chrétiens ne considéraient pas Jésus comme Fils de Dieu, et l’implication générale que, dans sa forme et sur le fond, le christianisme n’est guère que l’aboutissement de sordides luttes pour le pouvoir – cela devrait interpeller tous ceux qui sont appelés à pratiquer un ministère.
Mais qu’enseignons-nous donc à propos de Jésus ? Enseignons-nous vraiment quelque chose ?

Une question de logique
Nombreux sont les lecteurs qui ont été perturbés par les affirmations que l’on trouve dans le Da Vinci Code à propos de la foi chrétienne. J’espère que le présent ouvrage vous aura confirmé que la foi en Jésus Seigneur est une dimension organique et fondamentale de la foi chrétienne, et cela depuis l’époque où les premiers apôtres ont commencé à prêcher la Bonne Nouvelle.
Je voudrais faire une dernière remarque pour mieux faire comprendre cela.
Une thèse fondamentale du Da Vinci Code est que, dans le christianisme, le parti « vainqueur » s’est employé à supprimer tous les faits qui, à propos de Jésus, apparaissaient gênants ou inacceptables, ou simplement indésirables.
Réfléchissons un peu à l’illogisme d’une telle assertion. Je l’ai fait, sous différents angles, tout au long de ce livre et, au bout du compte, on en arrive à ceci : le parti que Brown présente – soulignons-le, à tort – comme « vainqueur » du débat sur ce que devait être le christianisme a terriblement souffert pour tout ce qu’il croyait et affirmait à propos de Jésus.
À commencer, bien entendu, par Jésus lui-même.
À y réfléchir, si Jésus n’était que le bien brave maître à penser que nous présente Brown, pourquoi un quelconque gouvernement aurait-il pris la peine de l’exécuter ? Et, pourquoi, plus précisément, le crucifier, la crucifixion étant le mode d’exécution réservé aux criminels les plus vils et les plus ignobles ?
Et si Jésus ne fut effectivement que ce maître à penser exécuté de cette horrible manière, pourquoi ses disciples auraient-ils abandonné leur vie normale et confortable pour diffuser son enseignement, s’exposant par là-même à un sort identique ?
À considérer le cours des siècles, la vérité nous apparaît aveuglante : si des chrétiens ont été arrêtés, torturés et emprisonnés, ce pour quoi ils furent condamnés, ce n’était certainement pas pour avoir suivi un philosophe : ils ont été châtiés parce que, dans le christianisme qu’ils pratiquaient, ils adoraient un Dieu, incarné en Jésus de Nazareth, et que, de ce fait, ils ne se sentaient pas autorisés à honorer l’empereur comme un seigneur ou un dieu. Et il est indubitable que, pour l’empire, leur conception du monde, selon laquelle Dieu, par Jésus, était le seul Seigneur de l’univers constituait une menace.
Donc, la logique débouche sur une alternative.
Premier terme de cette alternative : si Brown affirme que Jésus ne fut honoré comme Seigneur qu’à partir du Concile de Nicée, on en déduit que, si c’était vrai, il n’y aurait guère eu de raisons de persécuter les chrétiens avant Constantin.
Second terme de l’alternative : si les chrétiens ne croyaient pas vraiment que Jésus fût le Seigneur, si, à la base de ce langage et de cette liturgie qui proclament Sa Seigneurie, il y avait une simple croyance en un maître à penser mortel, pourquoi n’ont-ils pas modifié ce qu’ils racontaient ? S’ils ne croyaient pas que Jésus était le Seigneur – une croyance qui, précisément, les faisait jeter aux lions ou exiler dans les mines de sel – pourquoi maintenir cette fiction ?
C’est complètement absurde.
Pour nous qui nous intéressons à qui était véritablement Jésus et à ce que le christianisme croit à son sujet, le problème est celui-ci : toute l’intrigue du Da Vinci Code laisse entendre que le christianisme tel que nous le connaissons est une pure et simple invention et que la vérité a été étouffée. C’est là quelque chose sur quoi il faut essayer de réfléchir sérieusement et logiquement.
Quel avantage les Apôtres et les premiers chrétiens pouvaient-ils tirer d’étouffer la vérité ? Cela leur valait-il honneurs et louanges ? Cela les enrichissait-il ? Y gagnaient-ils un quelconque pouvoir ? Ce qu’ils proclamaient leur permettait-il de vivre une vie plus riche et plus confortable ?
Serions-nous prêts à supporter tout ce que les premiers chrétiens ont enduré pour quelque chose dont nous saurions que c’est un mensonge ?
Et, d’ailleurs, qu’est-il advenu du corps du Christ ?

Rencontrer Jésus
Si j’ai écrit ce livre, c’est parce que je voulais aider les lecteurs curieux à passer en revue les différentes questions intéressantes que pose le Da Vinci Code.
Au centre de toutes ces questions, il y a, non pas un simple problème, mais une personne : Jésus de Nazareth. Je suis convaincu que, si beaucoup d’entre nous avons avalé avec une telle crédulité les affirmations du Da Vinci Code, c’est que nous n’avons jamais sérieusement essayé de connaître Jésus. Que nous soyons pratiquants ou pas, nous avons toujours gardé une certaine distance par rapport à lui, laissant à d’autres le soin de nous dire ce que nous devons penser de lui, et nous n’avons jamais essayé de lire nous-même un évangile d’un bout à l’autre. Et, en fin de compte, nous avons admis l’idée – si courante dans notre culture – que, de toute façon, c’est là une affaire d’avis personnel et que, au fond, il n’y a aucune vérité certaine.
Non ! Ainsi que le démontre brillamment le témoignage des premiers apôtres, il ne s’agit pas d’opinions personnelles, de mythes ou de métaphores. Pierre, Paul et – mais oui ! – Marie Madeleine n’ont pas donné leur vie pour une métaphore. Ils ont personnellement connu Jésus, ils ont bien vu que c’était un être humain et que, mystérieusement, glorieusement, il était quelque chose de plus, et ils lui ont donné leur vie – littéralement –, à lui et à la vie abondante, pleine de grâce, dont ils étaient emplis.
Si le Da Vinci Code a pu avoir des effets négatifs, cela tient au fait que, à force de parler de Jésus et de sa femme, du « Féminin sacré », et à force de spéculer sur « l’histoire vraie », on perd de vue l’Histoire Vraie.
Jésus, crucifié, mort et ressuscité, Celui dont la mort très réelle et la résurrection très réelle nous libèrent du pouvoir de notre péché très réel et de notre mort très réelle, et par qui sont réconciliés Dieu et la création.
Cela dit, cette histoire n’est pas vraiment perdue ; elle n’est d’ailleurs pas un secret, et rien n’empêche quiconque de la découvrir.
Voulez-vous en savoir plus sur Jésus ?
La vérité est à portée de votre main, comme un livre sur une étagère.
Non ! ce n’est pas le Da Vinci Code.
Ne vous laissez pas dicter vos opinions par un romancier qui prétend avoir un message à transmettre. Revenez au point de départ, allez à la source : prenez-la donc, cette Bible !
Vous verrez : vous n’avez pas fini d’être surpris.

Ce livre est la traduction, à partir de l’original américain, de l’ouvrage d’Amy Welborne: Decoding Da Vinci, from fiction to reality, publié par Our Sunday Visitor Publishing Division

Dans le présent ouvrage, les citations des Écritures sont reprises de La Bible de Jérusalem, édition de référence, Cerf/Fleurus, Paris, © 2000-2001.
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Copyright © 2005 Michel HOURST

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Illustration de couverture : Eric Schoening

« L’ignorance des Ecritures, c’est l’ignorance du Christ »
Saint Jérôme
Prologue d’Isaïe

TABLE DES MATIÈRES
Préface
Mode d’emploi de cet ouvrage
Introduction
I. Secrets et mensonges
II. Qui a choisi les évangiles ?
III. Élection divine
IV. Des rois renversés ?
V. Marie, dite de Magdala, ou Marie Madeleine
VI. L’âge de la Grande Déesse ?
VII. Des dieux volés ? Le christianisme et les religions mystériques
VIII. On pourrait au moins penser qu’il ne s’est pas trompé à propos de Léonard de Vinci
IX. Le Graal, le Prieuré et les Templiers
X. Le code catholique
Épilogue : Pourquoi c’est important

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