Copyright © 2005 Michel HOURST (traduction en français)
Tous droits réservés. À l’exception de brèves
citations aux fins de recension, aucune partie de cet ouvrage ne peut être
reproduite ou transmise par un moyen quelconque sans l’autorisation écrite
de l’éditeur et du traducteur. Écrire à :
michel.hourst@tele2.fr
pour acheter le livre édité
en papier
http://www.librairiecatholique.com/Offres/Da_Vinci_Code.asp
Autorisation
de diffuser, donnée à JESUSMARIE.com, par Bruno Nougayrede,
Directeur de www.librairiecatholique.com
PREFACE
Au printemps 2003, les éditions Doubleday ont publié un
roman de Dan Brown intitulé : The Da Vinci Code, publié en
français sous le titre : Da Vinci Code, éditions Jean-Claude
Lattès, 2004.
Soutenu par une campagne de presse particulièrement intensive,
le Da Vinci Code a démarré en fanfare et la version anglaise
brochée s’est vendue à près d’un million d’exemplaires
; un film tiré de ce livre devrait être réalisé
bientôt par Ron Howard (Apollo 13, Un homme d’exception).
Les étagères de votre libraire habituel croulent sous
les romans à suspense mais il semble que le Da Vinci Code ait quelque
chose de différent : il alimente les discussions plus que ne l’ont
jamais fait les romans de James Patterson ou de John Grisham. Pourquoi
?
Pour ne rien cacher, il y a, à la base, une remarquable opération
publicitaire. Il faut bien se rappeler que, à notre époque,
si on fait beaucoup de « battage » autour d’un produit particulier,
c’est, dans la plupart des cas, qu’une société s’est donné
beaucoup de mal pour organiser ce « battage » – et c’est ce
qu’ont fait les éditions Doubleday bien avant que ce livre sorte.
Mais, bien sûr, il n’y a pas que cela. À partir du moment
où les gens commencent à lire le Da Vinci Code, ils ne peuvent
s’empêcher de se poser des questions à propos de certaines
affirmations bizarres que Dan Brown avance dans son roman :
? Léonard de Vinci s’est-il vraiment servi de son art pour communiquer
des connaissances secrètes à propos du Saint-Graal ?
? Est-il vrai que les évangiles ne racontent pas la véritable
histoire de Jésus ?
? Jésus et Marie Madeleine étaient-ils mariés
?
? Jésus a-t-il vraiment désigné Marie Madeleine
comme chef de son mouvement, et non pas Pierre ?
Ce qui semble intriguer les lecteurs, c’est que les personnages du Da
Vinci Code ont des réponses à toutes ces questions ; et,
dans le livre, ces réponses sont présentées comme
étant fondées sur des faits et étayées par
les travaux et les avis d’historiens et d’autres chercheurs. Dans son roman,
Brown va même jusqu’à citer, comme références,
des livres qui ont effectivement été publiés. Bien
entendu, les lecteurs se demandent pourquoi ils n’ont jamais entendu parler
de ces idées. Ils se demandent aussi – au cas où ce que Brown
affirme serait vrai – quelles pourraient en être les implications
pour leur foi. Après tout, si les évangiles sont des faux,
le christianisme tout entier, tel que nous le connaissons, n’est-il pas
un mensonge ?
Le présent ouvrage vise essayer de mettre un peu d’ordre dans
tout cela et à examiner la vérité que cache le Da
Vinci Code. Nous allons considérer les sources auxquelles Brown
s’est référé et voir si elles donnent un témoignage
crédible de l’histoire. Nous allons voir si cet auteur présente
avec exactitude les écrits des premiers chrétiens, leurs
enseignements et leurs controverses – tous domaines sur lesquels les écrits
abondent et ont été étudiés pendant des siècles
par des gens intelligents et à l’esprit ouvert. Nous allons étudier
les cas de Jésus et de Marie Madeleine – les deux personnages qui
sont au cœur de ce roman – et voir s’il y a la moindre confirmation historique
de ce que le Da Vinci Code raconte à leur propos. Et, ce faisant,
nous allons découvrir un remarquable nombre d’erreurs, manifestes
et flagrantes, sur des questions tant importantes que secondaires, qui
devraient faire sérieusement réfléchir ceux qui pensent
trouver dans ce roman une source de faits avérés et non de
la fiction à l’état pur.
D’un bout à l’autre, le Da Vinci Code nous laisse entendre que,
peut-être, les choses ne sont pas telles qu’elles paraissent.
Lisez ce livre sans idée préconçue : vous verrez
à quel point c’est vrai.
MODE D’EMPLOI
Pour lire avec profit le livre que vous avez entre les mains, il n’est
pas nécessaire d’avoir lu le Da Vinci Code : nous allons vous présenter
une synthèse détaillée de l’intrigue pour que vous
puissiez comprendre les principaux problèmes que pose ce roman et
en discuter en connaissance de cause.
Dans Décoder Da Vinci, j’ai repris les questions le plus fréquemment
posées par les lecteurs de ce roman, notamment dans les domaines
théologique et historique. Tout au long de ce livre, des encadrés
permettent de corriger et de clarifier beaucoup d’erreurs et inexactitudes
de moindre importance contenues dans le Da Vinci Code.
Ce livre s’adresse tant aux individus qu’à des groupes de discussion.
À la fin de chaque chapitre sont présentés des éléments
« pour en savoir plus » et « pour faire le point »
ainsi que des questions « pour en discuter ».
Aux prétentions particulières du Da Vinci Code s’oppose,
dans le présent livre, un dessein plus élevé : en
examinant de plus près ces prétentions, nous aurons l’occasion
de revoir un certain nombre d’enseignements chrétiens de base à
propos de l’identité et du ministère de Jésus, de
l’histoire de l’Église primitive, du rôle des femmes dans
la religion et de la relation entre la foi apostolique et notre foi aujourd’hui.
Que vous ayez ou non lu le Da Vinci Code, j’espère que vous trouverez
dans le présent ouvrage une occasion de mieux comprendre les racines
historiques de la foi chrétienne authentique.
INTRODUCTION
Le Da Vinci Code comporte toute une série d’éléments
susceptibles de retenir l’attention du lecteur : du suspense, des secrets,
une énigme, l’ébauche d’une histoire d’amour et la suggestion
selon laquelle le monde n’est pas tout à fait tel qu’il paraît,
les « Autorités » ne voulant pas que vous connaissiez
la Vérité Vraie.
Au début du roman, Robert Langdon, professeur de « symbolique
religieuse » (soit dit en passant, cette discipline n’existe pas)
à l’université Harvard, en visite à Paris, est appelé
au Louvre où un crime vient d’avoir lieu. Le conservateur, Jacques
Saunière, distingué spécialiste du culte de la Grande
Déesse et du « Féminin sacré », a été
trouvé mort – probablement assassiné – dans l’une des galeries.
Il semble que, avant sa mort, Saunières ait eu le temps de prendre,
sur le sol, la position de L’homme de Vitruve, célèbre dessin
de Léonard de Vinci qui représente un homme, bras et jambes
écartés, inscrit dans un carré, lui-même inscrit
dans un cercle ; il a également laissé d’autres indices,
notamment des chiffres, des anagrammes et un pentacle, ce dernier tracé
de son sang sur son propre corps.
Rapidement, Sophie Neveu, cryptographe et aussi petite-fille de Saunière,
arrive sur les lieux du crime. Son grand-père l’avait appelée
peu de temps auparavant pour lui demander de venir le voir : il souhaitait
se réconcilier avec elle et lui apprendre quelque chose d’important
concernant sa famille.
Sophie arrive à décrypter les indices laissés
par son grand-père ; elle a avec Langdon plusieurs conversations
sur le culte de la Grande Déesse, elle trouve un Indice Très
Important que lui a laissé son grand-père, derrière
un autre tableau de Vinci et… nous voilà embarqués.
Qui a tué Saunière ? Quel était le secret dont
il était le détenteur ? Que veut-il faire comprendre à
Sophie ? Pourquoi un « moine » albinos de l’Opus Dei essaie-t-il
de tuer tout le monde ? Le reste du roman, qui compte au total 571 pages,
cent cinq chapitres mais qui, curieusement, se déroule en un peu
plus d’une journée seulement, nous emmène dans différentes
parties de l’Europe, avec Sophie et Langdon qui cherchent la réponse
; celle-ci est très simple.
(Désolé de dévoiler la chute, mais c’est indispensable.)
Saunière était le grand-maître d’une curieuse société
secrète appelée le « Prieuré de Sion »
qui avait pour mission de préserver la vérité à
propos de Jésus, de Marie Madeleine et par extension, de toute la
race humaine.
Selon ce que le dit le livre, l’humanité, dès l’origine
et pendant des millénaires, avait pratiqué une spiritualité
fondée sur un équilibre entre le masculin et le féminin,
dans laquelle on révérait les déesses et le pouvoir
des femmes. C’était là tout l’objet de la mission de Jésus
: il a vécu et prêché un message de paix, d’amour et
d’unité de l’humanité et, pour incarner ce message, il a
pris Marie Madeleine pour femme et lui a confié la direction de
ce mouvement. Lorsqu’il fut crucifié, elle attendait un enfant de
lui.
Jaloux du rôle de Marie Madeleine, Pierre a pris la tête
d’une partie du mouvement créé par Jésus avec pour
idée d’étouffer le véritable enseignement de Jésus
et de le remplacer par le sien, et de supplanter Marie Madeleine à
la tête du mouvement.
Marie Madeleine fut obligée de s’enfuir, elle se réfugia
en France, où elle mourut. Elle et la fille de Jésus furent
à l’origine de la lignée royale des Mérovingiens,
les premiers rois de France ; et le véritable « Saint-Graal
», c’est, non pas une coupe matérielle, mais Marie Madeleine
elle-même, ainsi que le « Féminin sacré »
dont elle est l’incarnation.
Est-ce la famille royale des Mérovingiens qui a fondé Paris, comme le dit Brown ? (cf. Da Vinci Code p. 322). Loin de là ! Paris fut, à l’origine, fondée par la tribu celte gauloise des Parisii, au IIIe siècle av. J.-C. On doit aux Mérovingiens d’avoir fait de Paris la capitale du royaume franc en 508 ap. J.-C.
Ainsi, cachée derrière tous les événements
que nous lisons dans les livres d’histoire (lesquels sont écrits
par les « vainqueurs », bien entendu !), la véritable
histoire de ces deux derniers millénaires est celle de la lutte
entre l’Église catholique (attention ! pas tout le christianisme
: uniquement l’Église catholique) et le Prieuré de Sion.
En fixant le canon des Écritures, par ses affirmations doctrinales
et même par son attitude envers les femmes, l’Église s’est
efforcée d’étouffer la vérité relative au Saint-Graal
et, par extension, au « Féminin sacré », alors
que les Templiers et le Prieuré de Sion s’efforçaient de
protéger le Graal (les ossements de Marie Madeleine), sa lignée
et le culte du « Féminin sacré ».
Saunière était le gardien de ce savoir, un savoir que
Léonard de Vinci, lui-même membre du Prieuré, avait
incorporé dans ses œuvres. Pour Saunière, il s’agissait aussi
d’une affaire personnelle : il appartenait à la « lignée
royale » des Mérovingiens, et donc sa petite-fille aussi.
Mais, bien entendu, Sophie n’en savait rien, et elle avait même pris
ses distances par rapport à son grand-père, bien des années
auparavant, lorsqu’elle avait pénétré par hasard dans
une pièce secrète du château en Normandie qui était
la résidence secondaire de Saunière, et vu son grand-père
procéder à une sorte de rite sexuel extatique avec une femme
pendant que, formant cercle autour d’eux, des spectateurs masqués
psalmodiaient.
Bien entendu, à la fin, nous comprenons que cette femme était
la propre grand-mère de Sophie et que, ce qu’elle faisait avec Papi
dans cette pièce, c’était simplement garder vivante cette
foi. Nous apprenons aussi que le « Graal » – les reliques de
Marie Madeleine et des documents attestant l’authenticité de la
lignée – est enterré dans l’étincelante pyramide de
verre conçue par l’architecte I. M. Pei, haute de 21 m, qui sert
d’entrée au Musée du Louvre ; c’est là que, à
la fin du roman, Langdon tombe à genoux et entend s’exprimer, pense-t-il,
la sagesse immémoriale, sous la forme d’une voix féminine
qui monte des entrailles de la terre.
Rien de nouveau sous le soleil
Dans une large mesure, les idées présentées dans
le Da Vinci Code paraîtront nouvelles et pleines d’imagination ;
pourtant, la vérité toute bête, c’est qu’il n’y a pas
grand-chose de nouveau là-dedans.
En fait, Brown s’est contenté de reprendre un certain nombre
de courants spéculatifs, de racontars ésotériques
et d’affabulations pseudo-historiques qui ont été publiés
dans d’autres livres ; il les a mélangés pour en mettre le
maximum dans son livre. Quand on connaît ces autres livres, il est
en fait assez choquant de voir à quel point ce livre s’en est inspiré.
Sur son site, Brown nous fournit une bibliographie, et il cite un certain
nombre de ces ouvrages dans le livre lui-même. On peut, en gros,
répartir ses sources en trois catégories :
1) Sang sacré et Saint-Graal : la lignée royale.
Écrit par Michael Baigent, Richard Leigh et Henry Lincoln, ce
livre a été publié en 1981 et il a servi de base à
un programme télévisé de la British Broadcasting Corporation.
Présenté comme un ouvrage factuel, il s’est attiré
de nombreuses critiques : spéculations, hypothèses non fondées
et documents frauduleux. Les auteurs de ce livre étaient, respectivement,
un enseignant diplômé en psychologie, un romancier et un producteur
de télévision.
Dans le même genre, il y a eu aussi La révélation
des Templiers : les gardiens secrets de la véritable identité
du Christ, de Lynn Picknett et Clive Prince, spécialistes des phénomènes
paranormaux, qui ont également publié The Mammoth Book of
UFOs.
Tout ce qui, dans le Da Vinci Code, concerne Jésus, Marie Madeleine,
le Saint-Graal et le Prieuré de Sion est tiré de ces deux
livres.
2) Le « Féminin sacré ». Depuis le XIXe siècle, certains auteurs ont avancé des spéculations sur un âge perdu de la Grande Déesse au cours duquel on vénérait le « Féminin sacré » et qui a été remplacé par un patriarcat agressif. Ces dernières années, certains auteurs ont associé ce thème avec l’idée qu’ils se faisaient de Marie Madeleine. Une Américaine appelée Margaret Starbird a consacré plusieurs livres à cette croisade d’un genre particulier. La présentation que Brown fait de Marie Madeleine s’inspire largement de l’œuvre de Starbird, et en particulier de La femme au visage d’albâtre, dont Starbird dit elle-même qu’il s’agit d’un « ouvrage de fiction ».
3) Le gnosticisme. Comme nous le verrons plus loin, le « gnosticisme
», ou la « gnose », était un système intellectuel
et spirituel largement répandu dans le monde ancien. Il comporte
de multiples facettes mais, en gros, la plupart des formes de pensée
gnostique étaient d’ordre ésotérique (la véritable
connaissance étant réservée à un petit nombre
– en grec, le mot gnôsis signifie « connaissance ») et
anti-matériel (elles considéraient le monde physique, et
donc le corps, comme mauvais).
Certains écrits des IIe au VIIIe siècles nous sont parvenus
qui, manifestement, tentent une synthèse entre la pensée
gnostique et la pensée chrétienne. Les spécialistes
en la matière ont des avis différents sur ces écrits
mais, pour la plupart d’entre eux, ces textes sont nettement plus tardifs
que les évangiles ; en outre, et ceci est important, ces textes
ne s’écartent guère – sinon pas du tout – de ce que nous
connaissons des véritables paroles et actes de Jésus. Brown
n’en tient pas compte ; il préfère s’appuyer sur une toute
petite minorité d’auteurs et d’autres non-spécialistes pour
qui les écrits gnostiques reflètent véritablement
la réalité du mouvement qui s’est constitué à
l’origine autour de Jésus. C’est sur leurs travaux à eux
que Brown fonde ses descriptions de ce que Jésus a « vraiment
» enseigné.
Ces sources devraient nous inspirer immédiatement une certaine
méfiance. Dans sa bibliographie, on ne compte aucun ouvrage sérieux
consacré à l’histoire du christianisme – pas un seul ouvrage
de l’un des grands spécialistes du Nouveau Testament, non plus qu’aucun
des ouvrages de référence habituels que sont censés
utiliser tous ceux qui veulent étudier l’histoire de l’Église
primitive. Parmi les sources relatives à l’histoire de la naissance
du christianisme qu’il cite, Brown ne mentionne même pas le Nouveau
Testament.
Dans ses interviews, il prétend fréquemment que son livre
vise en partie à faire redécouvrir l’histoire perdue, étouffée.
Il aime affirmer que « l’histoire est écrite par les vainqueurs
». Cela signifie que, si l’on considère les événements
historiques comme une épreuve de force, les vainqueurs sont ceux
qui laissent des documents, et c’est leur version de l’histoire qui survit.
Les sources qu’utilise Brown prétendent présenter cette «
histoire perdue ». Bien entendu, il y a, dans cette façon
de considérer l’histoire, un grain de vérité : il
n’est jamais possible de présenter l’histoire tout à fait
objectivement car les êtres humains ne sont jamais tout à
fait objectifs. Nous voyons toujours les événements et les
relations entre eux au travers du prisme de la perspective. Par exemple,
tous les témoins d’un accident de voiture en présentent une
version quelque peu différente.
Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’accident.
Si les témoins d’un accident ne sont parfois pas très
sûr des circonstances exactes qui l’ont précédé,
et si, bien entendu, la victime en donne certainement une version différente
de celle du conducteur fautif, le fait est qu’il y a vraiment eu un accident
et il ne fait pas de doute que, nonobstant les limitations des observateurs,
il n’en existe pas moins une vérité objective sur les causes
véritables de l’accident – aussi difficile soit-il de la découvrir.
Cela vaut également pour les événements historiques.
Il est vrai que, jusqu’à récemment encore, la conquête
de l’Ouest américain, par exemple, était racontée
dans la perspective des Européens – des « vainqueurs ».
Ces dernières années, des spécialistes ont tenté
de raconter l’autre face de l’histoire, telle que vue par les populations
autochtones, dont le point de vue sur cette conquête est bien entendu
différent. Il est indubitable que la conquête de l’Amérique
du Nord par les Européens ne s’est pas déroulée exactement
comme l’ont racontée les conquérants, comme la racontent
les populations autochtones ou comme qui que ce soit est capable de la
comprendre complètement. Il n’en reste pas moins qu’il y a eu, effectivement,
une conquête, qui s’inspirait de certains motifs et qui a eu certaines
conséquences ; ces motifs et ces conséquences, si nous disposons
des informations appropriées, nous pouvons les percevoir – même
si nous en donnons des interprétations différentes.
Cependant, dans le Da Vinci Code, Brown prétend que «
l’histoire est écrite par les gagnants » pour affirmer que
toute l’histoire du christianisme, à commencer par Jésus
lui-même, est un mensonge, qu’elle a été écrite
par ceux qui avaient décidé d’étouffer le message
« réel » de Jésus. Il ne s’agit pas ici de divergences
d’interprétation de la vie et du message de Jésus : Brown
s’en prend aux faits eux-mêmes. Selon lui, ce que racontent le Nouveau
Testament et les témoignages écrits du christianisme primitif
qui nous sont parvenus ne sont pas des présentations exactes de
ce qui s’est véritablement passé.
Dans le roman, Sir Leigh Teabing, présenté comme un historien,
affirme de but en blanc que les « hérétiques »
du christianisme primitif – ceux qui sont représentés par
les écrits gnostiques que cite Brown – sont ceux qui sont restés
fidèles à « l’histoire originelle de Jésus »
(p. 293).
Il s’agit là d’une grave accusation, qui va trop loin. Dans
le cours du présent ouvrage, nous allons examiner ces affirmations
plus en détail mais, au départ, il est important de définir
clairement le cadre de la discussion afin que nous puissions voir ce qui
est en jeu.
Brown affirme que le mouvement que Jésus constituait avec ses
disciples avait pour objectif de faire mieux prendre conscience du «
Féminin sacré ». Il ajoute que, sous la direction et
l’inspiration de Marie Madeleine, son mouvement s’est largement développé
au cours des trois premiers siècles – jusqu’au jour où il
fut brutalement réprimé par l’empereur Constantin.
Cette assertion ne repose sur rien. Elle est fausse.
Sans doute a-t-il existé une certaine diversité dans
les premiers temps du christianisme ; sans doute y a-t-il eu d’intenses
discussions sur la personne de Jésus et sur le sens de son message.
Des témoignages écrits attestent bien, par ailleurs, que,
dans certaines communautés, des femmes occupaient des postes importants
au sein du christianisme – notamment les diaconesses – et que leur rôle
a décru par la suite (pour être relancé dans des formes
ultérieures du christianisme, soit dit en passant).
Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que rien de tout cela – cette
diversité, ces changements et ces évolutions que l’on constate
dans l’histoire du christianisme primitif – ne s’est passé de la
manière avancée dans le Da Vinci Code. Lorsque les premiers
dirigeants chrétiens ont voulu affirmer la vérité
de l’enseignement chrétien, ils n’ont pas pris pour critère
le sexe ou le pouvoir. Ainsi qu’en attestent leurs propres écrits,
pour autant qu’on prenne la peine de les lire, il s’agissait pour eux d’être
fidèles à ce que Jésus avait fait et dit.
Il est vrai que, à propos du christianisme primitif, il y a
beaucoup de choses que nous ne connaissons pas ou dont nous ne sommes pas
sûrs ; ce sont là des questions qui sont librement et publiquement
discutées entre spécialistes sérieux depuis des années
et parfois, même deux mille ans après les événements,
nous découvrons de nouveaux éléments qui complètent
le tableau que nous en avons.
Cela dit, dans ces ouvrages sérieux, aucun spécialiste
ne prend au sérieux l’idée selon laquelle la mission de Jésus
se limitait à envoyer Marie Madeleine diffuser son message relatif
au « Féminin sacré ».
Aucune source crédible ne fait ne serait-ce qu’allusion à
une telle hypothèse. Par contre, pour des spécialistes crédibles,
la plupart des autres affirmations de Brown – depuis la nature du mythe
du Graal jusqu’au Prieuré de Sion en passant par le rôle de
la Grande Déesse dans le monde ancien – ne sont tout simplement
pas confirmées par les témoignages dont nous disposons.
Et, comme nous le verrons à mesure que nous avancerons dans
ce roman, celui-ci abonde en prétentions et affirmations bizarres
et curieuses de ce genre qui ne reposent sur rien. Depuis la géographie
de Paris jusqu’à la vie de Léonard de Vinci lui-même,
rien ne permet de considérer ce livre comme une source aussi peu
fiable que ce soit dans aucun des domaines qu’il aborde, à l’exception,
peut-être, de la cryptographie.
« Ce n’est qu’un roman ! Inutile d’en faire une histoire »
Le Da Vinci Code a provoqué bien des remous et, parallèlement,
beaucoup appellent à ne pas le prendre au sérieux et à
laisser retomber le soufflé ; je l’ai entendu dire bien des fois.
Certains disent : « Ce n’est qu’un roman. Tout le monde sait
bien que c’est de la fiction, une œuvre d’imagination. Pourquoi ne pas
l’apprécier en le lisant à ce niveau ? »
À vrai dire, pour plusieurs raisons, nous ne pouvons justement
pas en rester à ce niveau. D’abord, on ne peut jamais dire : «
Ce n’est qu’un roman ». La culture n’est jamais anodine : la culture
communique toujours quelque chose. Nous devrions toujours nous intéresser
à ce que contient la culture, à l’influence qu’elle exerce
sur nous, qu’il s’agisse d’art plastique, de films, de musique ou de livres.
Mais, plus spécifiquement encore, l’auteur de cet ouvrage particulier
laisse entendre que, dans ce cas, c’est beaucoup plus qu’une simple œuvre
d’imagination, et il encourage ses lecteurs à admettre comme avérées
certaines de ses affirmations relatives à l’histoire.
Depuis longtemps d’ailleurs – en fait, depuis les tout premiers temps
du christianisme –, des auteurs ont mélangé les faits connus
relatifs à l’histoire de Jésus avec des récits imaginaires,
phénomène que l’on peut comparer à la tradition juive
des midrashim. Par exemple, les légendes concernant la Sainte Famille
abondent ; l’une d’elles, notamment, raconte que le romarin a acquis son
odeur suave après que Marie eut étendu son manteau pour le
faire sécher sur un buisson de romarin au cours de la Fuite en Égypte.
Au long des siècles, l’art chrétien a donné d’innombrables
détails intéressants et souvent éclairants qui ne
se fondent en aucune manière sur les textes scripturaires ni sur
la tradition chrétienne primitive. Par ailleurs, au cours de ces
dernières décennies, certains romanciers ne se sont pas privés
de s’inspirer de l’histoire de Jésus pour écrire leurs ouvrages
: entre bien d’autres, nous citerons deux exemples bien connus : The Robe,
de Lloyd C. Douglas et Le calice d’argent, de Thomas Costain ; soit dit
en passant, le dernier nommé parle justement du Saint Graal.
Les ouvrages de fiction historique sont un genre très apprécié
du public. Pourtant, lorsqu’il écrit de la fiction historique, l’auteur
conclut implicitement un pacte avec le lecteur : il lui assure que, si
son roman contient des personnages imaginaires qui ont des activités
imaginaires, le cadre historique est, lui, fondamentalement exact. En fait,
beaucoup de gens aiment lire les romans de fiction historique parce que
c’est une manière séduisante et agréable d’apprendre
l’histoire. Pour ce qui est de la vérité historique, ils
s’en remettent à l’honnêteté de l’auteur.
Le Da Vinci Code est différent. Dans tous les autres exemples
évoqués, tout le monde – de l’artiste au spectateur ou au
lecteur – voit bien la différence entre les faits connus et les
détails qui relèvent de l’imagination et admet par principe
que, fondamentalement, l’auteur assume la responsabilité de raconter
des choses sûres à propos de l’histoire ; c’est ce qu’on attend
de lui. Dans le Da Vinci Code, les détails relevant de l’imaginaire
et les fausses assertions historiques sont présentés comme
des faits, comme l’aboutissement de sérieuses recherches historiques
– ce qui n’est certainement pas le cas.
Comme nous l’avons fait remarquer dans le chapitre précédent,
Brown présente une très longue liste des ouvrages qu’il a
consultés pour écrire ce roman ; si tous ces livres sont
à tonalité historique, la plupart ne sont pas de vrais livres
d’histoire.
Au début de son livre, sous le titre : « Les faits »,
Brown donne une liste de faits qu’il reprend dans son récit. Il
dit que l’Opus Dei et le Prieuré de Sion sont des organisations
qui existent vraiment. Et il conclut : « Toutes les descriptions
de monuments, d’œuvres d’art, de documents et de rituels secrets évoqués
sont avérées. »
Il est vrai qu’il ne mentionne pas explicitement, dans cette liste,
les « affirmations sur les origines du christianisme », mais
cela est implicite dans le terme de « documents ». Cela dit,
ce qui est plus important, c’est que les affirmations de Brown sur les
origines du christianisme sont placées dans la bouche de spécialistes
– Langdon et Teabing en particulier – qui, souvent, citent des auteurs
contemporains et accompagnent leurs affirmations d’expressions telles que
: « Les historiens constatent avec étonnement… », «
Heureusement pour les historiens… », et encore : « Des spécialistes
patentés croient… ».
Ces discussions ont pour fonction de communiquer au lecteur des idées
tirées de Sang sacré et Saint-Graal, des livres de Margaret
Starbird et d’autres encore, et de les transmettre d’une manière
qui laisse entendre que ces affirmations sont fondées, acceptées
par des « historiens » et des « spécialistes »
du monde entier.
En outre, dans ses interviews, Brown ne fait pas tellement mystère
de sa méthode et de son but. Il a dit et répété
qu’il est ravi de pouvoir faire connaître aux lecteurs ce qu’il a
découvert parce qu’il veut participer à la rédaction
de cette « histoire perdue ». En d’autres termes, dans ses
interviews, Brown laisse entendre que, dans le Da Vinci Code, il ne fait,
en partie, qu’enseigner un peu d’histoire :
« Il y a deux mille ans, nous vivions dans un monde de dieux
et de déesses. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde uniquement
habité par des dieux. La plupart des cultures ont ôté
aux femmes leur pouvoir spirituel. Dans ce roman, j’essaie de montrer comment
et pourquoi ce changement s’est produit […] ainsi que les leçons
que nous pourrions en tirer pour notre avenir » (www.danbrown.com).
Le plus surprenant, c’est que beaucoup de lecteurs prennent ces théories
pour des faits. Pour s’en persuader, il suffit de lire les réactions
des lecteurs sur Amazon.com ou de parcourir les nombreuses recensions de
ce livre parues dans les journaux. Peut-être avez-vous vous-même
entendu ce genre de réactions dans votre entourage et votre famille,
ce qui vous a d’ailleurs poussé, au départ, à lire
ce livre.
Ainsi donc : non ! ce n’est pas « qu’un roman ». Le Da
Vinci Code prétend enseigner l’histoire dans le cadre d’une fiction.
Considérons maintenant le plan de la leçon.
Chapitre 1
SECRETS ET MENSONGES
Dans le Da Vinci Code, tout tourne autour de secrets : sociétés
secrètes, connaissances secrètes, documents secrets et même
secrets de famille.
Bien entendu, les secrets les plus importants concernent Jésus
et Marie Madeleine. Les héros de Brown affirment souvent que la
conception chrétienne traditionnelle de la vie et du ministère
de Jésus est fausse. Cela signifierait donc que le Nouveau Testament,
qui est la source de cette conception, n’est en aucune manière une
source d’informations fiable.
Nous y voilà, impossible d’y échapper. Que de telles
possibilités vous intriguent, soit ! Mais accorder la moindre croyance
à l’une quelconque des affirmations historiques que l’on trouve
dans le Da Vinci Code, cela signifie – si l’on veut être logique
jusqu’au bout – rejeter les récits que le Nouveau Testament donne
de Jésus, de son ministère et des débuts du christianisme.
Est-ce là une attitude raisonnable ? Est-il vraiment possible
que le Nouveau Testament soit à ce point inutile ou, pire, une tromperie
?
Mais il faut encore considérer ceci : pour apprendre quelque
chose sur Jésus, les sources que Brown utilise sont-elles vraiment
supérieures au Nouveau Testament ?
Par exemple, tous ces autres « évangiles » que ne
cessent d’évoquer les personnages de Brown, ces écrits secrets
: faut-il croire qu’ils racontent la vérité sur Jésus
simplement parce que lui l’affirme ? C’est ce que nous allons voir.
Les évangiles gnostiques
Comme nous l’avons déjà fait remarquer, à propos
de Jésus, de Marie Madeleine et du Saint Graal, Brown tire ses idées
d’ouvrages pseudo-historiques tels que Sang sacré et Saint-Graal
et La révélation des Templiers. Pourtant, lorsqu’il évoque
ce qu’il prétend être la véritable nature de la mission
de Jésus et du rôle qu’y joue Marie Madeleine, il puise à
d’autres sources.
En particulier, dans les pages 293 et suivantes, son historien, Teabing,
se réfère à des livres appelés évangiles
gnostiques pour démontrer la véracité de ce qu’il
invente à propos de Jésus. Il affirme qu’ils relatent «
le ministère de Jésus sous un angle très humain »,
et il cite des passages qui évoquent une relation très étroite
entre Jésus et Marie Madeleine ainsi que la jalousie éprouvée
par les Apôtres à propos de cette relation.
Teabing explique que tout cela révèle le véritable
rôle de Marie Madeleine, qui fut pour Jésus la principale
dépositaire et le principal apôtre de son message de sagesse
; et cela définit bien le cadre du conflit entre elle et Pierre,
d’où l’historien en arrive tout naturellement aux autres théories
reprises d’autres livres.
Mes ces livres ont-ils vraiment la valeur éminente que Brown
leur accorde ? Pouvons-nous être sûrs qu’ils nous disent la
vérité sur la vie de Jésus, son message et son ministère
? Et puis encore : le Jésus qui nous est présenté
dans ces livres est-il vraiment aussi aimablement « humain »
que le prétend Brown ?
Certes, ces « évangiles gnostiques », ainsi qu’on
les appelle, existent bien. En fait, ces documents sont vieux de plusieurs
siècles ; à strictement parler, ce ne sont pas des évangiles
et ils sont les fruits d’un mouvement populaire diffus, difficile à
cerner, qui était largement répandu aux IIe et IIIe siècles
et qui s’est poursuivi pendant plusieurs centaines d’années.
Le gnosticisme – la croyance à la gnose – n’était pas
un mouvement organisé. Sans doute a-t-il existé des sectes
résolument gnostiques, mais les idées et modes de pensée
gnostiques ont pénétré d’autres systèmes intellectuels
du monde ancien. On pourrait comparer cela à un mouvement qui s’est
répandu aux États-Unis depuis une vingtaine d’années,
fondé sur les notions de « self-help » et de «
self-esteem » – « l’affirmation de soi ». Où que
l’on aille, on a l’impression qu’on ne cesse de nous enjoindre : «
Deviens le meilleur de toi-même », de nous dire qu’il faut
en tout s’efforcer de tirer le meilleur de soi-même. On retrouve
ces idées dans les programmes de télévision, dans
les films, dans la musique, dans les pratiques commerciales, dans l’enseignement
et même dans les Églises. Il ne s’agit pas de quelque chose
d’organisé, ce mouvement n’a pas de chefs, mais c’est une tendance
qui se manifeste de différentes manières, certaines plus
explicites que d’autres ; quoi qu’il en soit, c’est une réalité.
Si la pensée gnostique revêt des formes différentes
en fonction des lieux et des temps, on y trouve un certain nombre de constantes
:
? La source du bien, de la vie authentique, c’est le monde spirituel.
? Le monde physique et corporel est mauvais.
? L’« étincelle » spirituelle de l’être humain
est condamnée à être emprisonnée dans un corps
physique.
? On atteint au salut – c’est la délivrance de cet esprit emprisonné
– en accédant à la connaissance (comme on l’a vu, gnôsis
signifie « connaissance »).
? Seul un petit nombre de gens sont dignes de recevoir cette connaissance
secrète.
Dans le monde ancien, la pensée gnostique a connu d’innombrables
variations ; dans certains cas, la doctrine comportait des hiérarchies
très complexes de réalités ainsi que des rites compliqués.
Bien évidemment, certains éléments gnostiques
n’ont pas manqué de s’introduire dans la pensée de certains
chrétiens (de même que le langage du « self-help »
se retrouve parfois dans la manière dont nous parlons de notre foi).
Au cours des IIe et IIIe siècles, le gnosticisme avait beaucoup
de succès et il a constitué, pour les penseurs chrétiens,
le premier défi théologique sérieux. En général,
les versions gnostiques du christianisme dénigraient l’Ancien Testament,
elles réduisaient l’importance de l’humanité de Jésus
ou allaient même jusqu’à la nier, et elles ne reconnaissaient
ni sa Passion, ni sa Crucifixion.
Les gnostiques mettaient leurs croyances par écrit, ils avaient
de nombreux disciples, qu’ils enseignaient et faisaient participer à
des rites secrets. Pendant neuf ans, le jeune Augustin fut membre de la
secte gnostique des manichéens, qu’il finit par quitter après
avoir démontré honnêtement les incohérences
et les absurdités de l’enseignement manichéen (voir saint
Augustin : Confessions, livres 3 à 5).
Contre les hérésies : Voici quelques livres, rédigés aux deuxième et troisième siècles, qui donnent une bonne idée des réponses du christianisme au gnosticisme (on les trouvera en librairie ou sur Internet) : saint Irénée : Contre les hérésies ; Tertullien : Contre Marcion ; Hippolyte de Rome : Réfutations de toutes les hérésies.
Pour nous présenter l’idée qu’il se fait de la personne
réelle de Jésus, Brown se réfère à des
ouvrages écrits par des auteurs qui avaient adopté des versions
gnostiques du christianisme. Ce mode de pensée s’est largement répandu
aux IIe et IIIe siècles ; cela signifie donc que ces ouvrages, qui
sont censés révéler des connaissances authentiques
mais secrètes sur Jésus, ont tous été rédigés
au cours de la même période : plus de cent ans après
le ministère de Jésus, bien plus tard que tous les livres
qui composent le Nouveau Testament, dont la rédaction était
achevée avant la fin du premier siècle.
Ainsi, pour peu que l’on soit honnête et objectif, il faut se
demander -– avant de les étudier sur le fond, ce que nous ferons
plus tard –, pourquoi il faudrait croire que ces documents postérieurs
devraient nous en dire plus, sur les événements dont il est
question ici, que des documents antérieurs.
Les « autres » évangiles
Considérons maintenant deux de ces documents, auxquels les héros
de Brown accordent une importance particulière : l’Évangile
de Philippe et l’Évangile de Marie, dont Teabing lit des extraits
d’après lesquels Jésus et Marie Madeleine auraient eu des
relations intimes, d’un genre unique, dont les Apôtres étaient
jaloux.
L’Évangile de Philippe est l’un des documents découverts
à Nag Hammadi, en Égypte, en 1945, scellés dans une
jarre. Sans compter les doubles, cette découverte extraordinaire
comportait 45 titres différents. Ils ont été écrits
en copte (la langue égyptienne transcrite en caractères grecs)
et copiés par des moines anonymes, et tous ces ouvrages comportent,
à des degrés divers, des éléments gnostiques
; on y trouve même certains textes qui reflètent clairement
des croyances chrétiennes à tendance gnostique. S’appuyant
sur les dates inscrites sur certaines couvertures, les spécialistes
pensent que ces documents ont été écrits entre le
milieu et la fin du IVe siècle, s’il est vrai par ailleurs que,
pour beaucoup de ces copies, l’original devait être plus ancien –
mais pas beaucoup plus.
Ainsi que le fait remarquer Philip Jenkins dans The Hidden Gospels,
la date généralement retenue par les spécialistes
pour la rédaction de l’Évangile de Philippe, dont Teabing
lit un extrait qui mentionne Marie Madeleine, « compagne de Jésus
», ne peut pas être antérieure à 250 ap. J.-C.,
c’est-à-dire deux cents ans après le ministère de
Jésus. On peut bien l’appeler « évangile » mais,
en réalité, il n’a pas grand-chose de commun avec les évangiles
canoniques ; en outre, comme la plupart des documents d’origine gnostique,
il est écrit dans un style complètement différent.
Les évangiles canoniques présentent un récit clair
et structuré, et ils accordent une grande importance à la
Passion, à la Crucifixion et à la Résurrection. L’Évangile
de Philippe est un recueil de « dits de Jésus » présentés
sous forme de dialogue, sans rapport évident les uns avec les autres
et qui reflètent manifestement une pensée gnostique.
On peut en dire autant de l’Évangile de Marie, également
découvert à Nag Hammadi. Plus court que l’Évangile
de Philippe, le récit est un peu plus structuré, si on veut
considérer les choses de cette façon. Jésus parle
à ses disciples, puis il s’en va. Marie Madeleine essaie de leur
redonner du courage en leur faisant part de certaines connaissances que
Jésus lui a confiées, et ces connaissances sont bien accueillies
par certains apôtres mais contestées par d’autres. Nous étudierons
ce document plus en détail dans un autre chapitre mais, ici, ce
qui nous intéresse, c’est la valeur qu’il peut avoir en tant que
source d’information sur la vie et l’enseignement de Jésus.
Ce que Marie Madeleine évoque en particulier dans ce document,
c’est la montée de l’âme qui, après la mort physique,
doit passer par différents niveaux de vie. Cette conception reflète
fortement la pensée gnostique de la fin du IIe siècle et
c’est la raison pour laquelle, dans leur grande majorité, les spécialistes
le datent de cette époque, au plus tôt.
Brown fait dire à Teabing que ces documents de Nag Hammadi,
tout comme les manuscrits de la mer Morte, racontent « la véritable
histoire du Graal ». À franchement parler, cette affirmation
est bizarre. Sur quarante-cinq textes trouvé à Nag Hammadi,
deux évoquent une relation particulière – mais qui n’est
pas clairement affirmée comme maritale – entre Jésus et Marie
Madeleine, et ils ne font que donner corps à des enseignements gnostiques
; par contre, il n’y est fait aucunement mention de quelconques autres
détails de « l’histoire du Graal » que, selon Teabing,
ils raconteraient. En outre, les manuscrits de la mer Morte (découverts
en 1947, et non dans les années 1950 comme l’écrit Brown
dans la version originale anglaise) ne contiennent même aucun document
chrétien. Ces textes nous ont été laissés par
une secte juive ascétique : les Esséniens. Malheureusement,
ni Jésus, ni Marie Madeleine, ni le Graal n’y sont mentionnés.
Brown affirme que les textes de Nag Hammadi étaient rédigés sur des « rouleaux » – ce qui n’est absolument pas le cas. Il s’agissait de codex, qui sont la forme primitive du livre tel que nous le connaissons.
Voici ce que nous pouvons penser de ces écrits gnostiques : leur
valeur tient à ce qu’ils nous révèlent de formes d’hybridation
entre gnose et christianisme au deuxième siècle et dans les
siècles suivants. Ils nous disent comment ces communautés
ont utilisé l’histoire de Jésus telle que racontée
dans les évangiles synoptiques (ceux de Matthieu, Marc et Luc, qui
étaient déjà largement diffusés au début
du second siècle) et l’ont remodelée pour l’adapter à
leurs propres fins ; peut-être même peuvent-ils nous apprendre
quelque chose sur les conflits qui agitaient alors ces communautés.
Cela établi, il y a en tout cas une chose qu’ils ne disent pas
: ils ne nous fournissent aucun renseignement indépendant et inédit
sur Jésus de Nazareth et ses premiers disciples.
Dans son livre : A Marginal Jew, John P. Meier, spécialiste
des Écritures, résume bien le consensus général
entre experts :
« Ce que nous trouvons dans ces documents tardifs, c’est […]
une réaction aux écrits du Nouveau Testament, ou un remodelage
de ces écrits, par […] des chrétiens gnostiques qui ont voulu
élaborer un système mystique spéculatif. On peut inclure
leurs versions des actes et des dits de Jésus dans un "corpus de
documentation sur Jésus" si l’on veut qu’un tel corpus soit considéré
comme rassemblant absolument tout ce que les sources anciennes ont pu attribuer
à Jésus. Mais un tel corpus fait penser au filet de pêche
dont il est question dans Matthieu (13, 47-48) : il s’agit d’y sélectionner
les bons poissons de la tradition primitive pour les mettre dans les viviers
de la recherche historique sérieuse ; quant aux mauvais poissons
pêchés et inventés par la suite, il faut les rejeter
dans la mer trouble de l’esprit non critique […] Assis sur le rivage, nous
avons fait le tri parmi les poissons pêchés et nous avons
rejetés à la mer les agrapha, les évangiles apocryphes
et l’Évangile de Thomas » (p. 140).
Ainsi donc, rejetons à la mer les « évangiles »
de Philippe, Marie et Thomas. Ils ne permettent en rien de nous aider à
comprendre le ministère de Jésus ni de nous faire une idée
de ce qu’était véritablement le christianisme à ses
origines.
Pour en savoir plus
Philip JENKINS : The Hidden Gospels : How the Search for Jesus Lost Its Way, Oxford University Press, 2001.
Pour faire le point
1. Qu’est-ce que la gnose, le gnosticisme ?
2. Pourquoi ne peut-on se fier aux évangiles gnostiques pour
nous informer sur Jésus ?
Pour discuter
1. Sous quelles formes la pensée de type gnostique se présente-elle
aujourd’hui ?
2. Pourquoi certains préfèrent-ils croire ce que disent
les écrits gnostiques à propos de Jésus plutôt
que ce qu’en disent les Évangiles ?
Chapitre 2
QUI A CHOISI LES ÉVANGILES ?
Si c’est dans le Da Vinci Code que vous avez l’intention d’apprendre
l’histoire du christianisme primitif, voici la première leçon
pour aujourd’hui :
Jésus était un maître à penser, un sage,
mais un mortel ; au cours des premiers siècles, « sa vie a
été narrée par des milliers de disciples » (p.
293).
En fait, on compte « plus de quatre-vingts évangiles »
(ibid.) ; mais quatre seulement ont été retenus pour être
incorporés à la Bible par l’empereur Constantin en 325 !
C’est ainsi que, selon le Da Vinci Code, après le Concile de
Nicée, « des centaines de textes qui racontaient sa vie d’homme
– d’homme mortel » (ibid.) ont été supprimés
– par simple opportunisme politique ; quant à ceux qui continuaient
à voir en Jésus un mortel prêchant une sagesse et qui,
pour Teabing, racontaient « l’histoire originelle de Jésus
», ils ont été qualifiés d’« hérétiques
» (ibid.).
Jusqu’à présent, nous avons essayé de présenter
les choses de façon mesurée et objective mais, ici, on atteint
la limite, et ce n’est plus possible.
C’est faux, c’est archi-faux. On tombe dans l’imaginaire le plus complet,
et aucun spécialiste, aussi laïciste soit-il, ni aucune université,
aussi peu religieuse soit-elle, ne pourrait en aucune manière confirmer
le récit que fait Brown de la manière dont le Nouveau Testament
a été constitué.
Ce n’est pas de l’histoire sérieuse, ne vous y laissez pas prendre
! Considérez cette curieuse reconstruction du passé comme
un grave avertissement supplémentaire à ne pas même
envisager de considérer comme avéré rien de ce qui
est écrit dans ce livre. Et profitez-en pour apprendre l’histoire
bien plus intéressante de la manière dont le Nouveau Testament
s’est véritablement constitué.
Il n’y a rien là de choquant
Dans le Da Vinci Code, l’historien Teabing étonne apparemment
Sophie lorsqu’il déclare : « La Bible n’a pas été
transmise par fax céleste » (p. 288). Une telle information
est censée être étonnante et trancher radicalement
sur ce qui est, d’après lui, la « version définitive
».
Ce qu’il laisse entendre, c’est que si, effectivement, la Bible n’a
pas été transmise par fax céleste, complète,
reliée, avec une table des matières écrite par Dieu
lui-même, la seule autre possibilité que l’on puisse envisager,
c’est que les Écritures se sont constituées dans le cadre
d’un processus au cours duquel des dizaines de récits de la vie
de Jésus, tout aussi valides les uns que les autres, ont été
soit acceptés, soit rejetés par des gens dont la seule motivation
était de détenir le pouvoir.
À vrai dire, ce n’est pas du tout de cette manière que
les choses se sont passées.
C’est bien connu : ce processus – la fixation du canon des Écritures
– n’a rien de secret. Pour vous en convaincre, il vous suffit d’aller dans
une bibliothèque où un livre vous en racontera toute l’histoire
en quelques minutes. En outre, ce n’est pas parce que des hommes ont participé
à leur rédaction que ces livres en sont moins sacrés.
Après tout, lorsqu’il a été élevé
au ciel, Jésus n’a pas laissé une Bible derrière lui.
Ce qu’Il a laissé, c’est l’Église – les Apôtres, Marie,
sa mère, et d’autres disciples – hommes et femmes. Aussi essentielle
que soit la Bible pour les chrétiens, aussi fondamentale et certaine
soit-elle comme source de révélation, il est bon – et même
un peu étonnant – de se rappeler que, au cours de ces premières
décennies, les chrétiens ont vécu, appris et adoré
en tant que chrétiens… sans le Nouveau Testament. Ils avaient acquis
leur foi en réfléchissant sur l’Ancien Testament et par le
truchement d’un enseignement oral fondé sur le témoignage
des Apôtres. Cette foi s’est formée et nourrie au travers
de rencontres avec le Seigneur vivant, dans le baptême, dans l’Eucharistie,
dans le pardon des péchés et dans la vie en communauté
avec d’autres chrétiens.
C’est de cette Église – le Corps nourri par le Seigneur vivant
– que sont sortis les livres du Nouveau Testament, les récits de
ceux qui avaient été témoins de Jésus, récits
qui finirent par être mis par écrit, sélectionnés
et circonscrits.
Pas de fax venu du ciel ? Où est le problème ? Pour la
pauvre Sophie, c’était peut-être quelque chose de complètement
nouveau, mais ça ne l’est pas pour nous.
Dits et récits
Dès les premiers temps, les chrétiens ont accordé
plus de valeur à certains textes qu’à d’autres.
Ils les appréciaient pour différentes raisons : ils avaient
été rédigé à l’époque apostolique
; ils avaient authentiquement préservé les paroles et les
actes de Jésus ; on pouvait s’en servir dans des liturgies, la prédication
et l’enseignement pour transmettre avec exactitude, à toute la communauté
chrétienne, la plénitude de la foi en Jésus.
Il convient ici de remarquer que, dans cette liste, il n’est pas question
de traiter du « Féminin sacré » ni de dévaluer
le pouvoir des femmes.
Quoi qu’il en soit, vers le milieu du second siècle, les chrétiens
accordaient ainsi une valeur toute particulière – ancrée
dans ce qu’on devait par la suite appeler la « règle de la
foi » – à deux principales séries de textes : les évangiles
de Matthieu, Marc, Luc et Jean, et les épîtres de Paul.
Comment savons-nous que ces écrits étaient particulièrement
appréciés ? Parce qu’ils étaient lus au cours des
célébrations religieuses et qu’ils sont cités dans
les textes d’auteurs chrétiens qui nous sont parvenus.
Il est très important de noter que, contrairement à ce
que dit Brown, il n’y avait pas 80 évangiles en circulation. Ce
chiffre ne se fonde sur absolument aucun fait.
Sans doute existait-il d’autres évangiles que ceux que contient
notre Nouveau Testament ; d’ailleurs, Luc le dit clairement au début
du sien :
« Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit
des événements qui se sont accomplis parmi nous […] j’ai
décidé, moi aussi, après m’être informé
exactement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé
suivi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de
la sûreté des enseignements que tu as reçus »
(Luc 1, 1-4).
Évangile – Littéralement, « évangile » signifie « bonne nouvelle ». L’Évangile est la Bonne Nouvelle de notre salut par Jésus Christ. Les évangiles sont les transcriptions de cette Bonne Nouvelle.
Les spécialistes pensent que la collecte des paroles ou «
dits » de Jésus a été l’une des sources des
évangiles, et quelques-uns de ces évangiles – l’Évangile
de Pierre, l’Évangile des Égyptiens, l’Évangile des
Hébreux – ont connu une diffusion restreinte.
Le fait est que, vers le milieu du second siècle, les évangiles
de Matthieu, Marc, Luc et Jean étaient les principales sources dont
s’inspiraient les chrétiens pour proclamer l’histoire de Jésus
dans leur culte et leur enseignement.
Tout aussi intéressante est une autre catégorie de textes
que les communautés chrétiennes lisaient au cours de leurs
cérémonies, bien avant d’ailleurs que les évangiles
eussent été écrits : les épîtres de Paul.
C’est vrai : les premiers textes du Nouveau Testament à avoir
été écrits furent les lettres de Paul, peut-être
la première épître au Thessaloniciens, rédigée
vers l’an 50. Paul est devenu un disciple du Christ peut-être deux
ou trois ans à peine après la mort et la résurrection
de Jésus, et il a passé le reste de sa vie à voyager,
fondant des communautés chrétiennes tout autour de la Méditerranée,
jusqu’au moment où, pensons-nous, il est mort martyr à Rome.
Il a écrit de nombreuses lettres, ou « épîtres
», aux communautés qu’il avait fondées et, au fil des
temps, ces communautés en ont fait des copies pour les envoyer à
d’autres communautés. En fait, dès la fin du Ier siècle,
une collection d’épîtres de Paul circulait déjà
parmi les chrétiens.
Teabing évoque « la légendaire source Q […], document rassemblant les enseignements de Jésus, qui pourraient être écrits de sa propre main » (p. 320), un manuscrit dont « le Vatican » reconnaîtrait lui-même l’existence. La réalité n’est pas aussi choquante : il y a beaucoup d’éléments communs entre l’évangile de Matthieu et celui de Luc, mais qu’on ne retrouve pas chez Marc. Pour les spécialistes, ces deux auteurs pourraient – c’est une hypothèse – avoir utilisé un document source commun, qu’ils ont appelé « Q », correspondant au mot allemand Quelle, qui signifie « source ». C’est là une hypothèse qui ne gêne en aucune manière le Vatican, non plus que la plupart des spécialistes.
Maintenant, prenons un peu de recul et faisons le point.
Très tôt, les récits de la vie de Jésus,
qui furent par la suite rassemblés pour former les quatre évangiles
que nous avons aujourd’hui, étaient diffusés parmi les communautés
chrétiennes, qui les recevaient comme des récits exacts de
sa vie et constituaient pour elles un authentique point de contact avec
le Christ vivant. Beaucoup d’épîtres de Paul circulaient aussi.
Tous ces textes étaient utilisés au cours des cérémonies
religieuses, concurremment à des textes de l’Ancien Testament. Des
auteurs chrétiens les citaient. Ce qui a modelé la pensée,
le culte et la vie des premiers chrétiens, c’est ce que ces textes
racontaient de Jésus, présenté comme Celui que Dieu
avait envoyé pour réconcilier le monde, comme Celui qui avait
souffert, était mort, était ressuscité et continuait
à vivre comme Seigneur.
Soyons très clairs : il n’y a pas eu « des centaines de
documents qui racontaient sa vie d’homme – d’homme mortel » (p. 293)
; il n’y a pas eu non plus 80 évangiles dont, comme le dit Teabing,
on aurait « envisagé » l’inclusion, comme s’il s’était
agi d’une pile de codex et de rouleaux entassés sur la table d’une
commission. Cela, c’est une certitude.
Pour en venir aux quatre évangiles que nous avons aujourd’hui
et qui nous intéressent plus particulièrement, il est absolument
indubitable qu’ils étaient considérés comme normatifs
par la communauté chrétienne vers le milieu du second siècle.
Des auteurs chrétiens tels que Justin Martyr, Tertullien et Irénée,
qui ont tous écrit et enseigné à cette époque,
respectivement à Rome, en Afrique du Nord et à Lyon, se réfèrent
tous à ces quatre évangiles que nous considérons comme
sources primaires d’information sur Jésus.
En d’autres termes, et très simplement, Constantin n’y est pour
rien.
« D’innombrables traductions, additions et révisions »
Dans son exposé sur l’histoire de la Bible, après avoir
annoncé que la Bible n’était pas arrivée par fax,
Teabing affirme à Sophie que la Bible « a constamment évolué,
à travers d’innombrables traductions, additions et révisions.
On n’a jamais connu dans l’Histoire de version définitive »
(p. 289).
C’est vrai : si, par « version définitive », on
veut parler de « textes absolument originaux rédigés
de la main de leur auteur ».
Là encore, il s’agit d’un « leurre », un point soulevé
dans une discussion mais auquel personne ne croit de toute façon.
Il existe sans doute de nombreux manuscrits des différents livres
du Nouveau Testament, en tout ou partie. Depuis les premiers siècles
du christianisme, on en compte plus de cinq mille, les premiers datant
d’environ 125 à 130 ; plus de trente, qui remontent à la
fin du IIe siècle ou au début du IIIe siècle, contiennent
« des parties substantielles de livres entiers, et deux d’entre eux
contiennent la plus grande partie des évangiles, des Actes des apôtres
et des épîtres de Paul » (Craig Blomberg, dans : Reasonable
Faith, William Laine Craig, p. 194).
Bien entendu, on constate, entre ces manuscrits, de légères
variations, mais ce qu’il est important de noter, c’est ceci :
« Les seules variantes de texte qui touchent plus d’une phrase
ou deux (dans la plupart des cas, il ne s’agit que d’un mot ou d’un membre
de phrase) sont Jean 7, 53 – 8, 11 et Marc 16, 9-20) […] Mais, au total,
on peut reconstruire, au-delà de tout doute raisonnable, 97 à
99% du Nouveau Testament » (Reasonable Faith, p. 194).
Un peu plus loin, on lit encore ceci :
« Pour La guerre des Gaules de César (vers 50 av. J.-C.),
il n’existe que neuf ou dix bons manuscrits, et les plus anciens datent
de neuf cents ans après les événements qu’elle raconte.
Nous ne connaissons que trente-cinq des cent quarante-deux livres de l’histoire
romaine écrits par Tite-Live, que l’on trouve dans une vingtaine
de manuscrits, dont le plus ancien remonte au IVe siècle [Tite-Live
a vécu de 64 av. J.-C. (environ) à 12 ap. J.-C.]. Sur les
quatorze livres consacrés à l’histoire romaine par Tacite,
nous n’en connaissons que quatre et demi, dans deux manuscrits qui datent,
respectivement, du IXe siècle et du XIe siècle. […] Cela
veut dire que les témoins écrits de ce qu’ont écrit
les auteurs du Nouveau Testament sont considérablement plus nombreux
et anciens que les documents dont nous disposons pour tout autre texte
de l’antiquité […] Absolument rien ne permet d’affirmer que les
éditions modernes de référence du Nouveau Testament
en grec ne correspondent pas de très près à ce qu’ont
effectivement écrit les auteurs du Nouveau Testament » (ibid.).
Pour les chrétiens, les Écritures que nous connaissons
nous ont été données par Dieu œuvrant au travers de
canaux humains. Ces canaux sont fragiles, ils ont leurs limitations, mais
ce que nous voulons souligner ici, c’est que les témoins écrits
du Nouveau Testament constituent, dans une large mesure, un corpus ancien
et cohérent dont les variations, dans les manuscrits, n’affectent
pas le sens du texte.
La fixation du Canon des Écritures
Cela dit, il existait sans doute d’autres documents qui étaient
diffusés dans les communautés chrétiennes et étaient
même employés dans les liturgies. Il y avait des textes pédagogiques
tels que la Didachè et Le berger d’Hermas. Il y avait aussi d’autres
épîtres, écrites par d’autres Apôtres ou par
des personnes qui leur étaient associées. La Première
épître de Clément, écrite vers 96 et adressée
par l’Église de Rome à l’Église de Corinthe, était
bien connue, en particulier en Égypte et en Syrie. Il y avait même
quelques autres textes qualifiés d’ « évangiles »
et que différentes communautés chrétiennes utilisaient,
par exemple un Évangile des Hébreux, un Évangile des
Égyptiens et un Évangile de Pierre.
Pourquoi ne les retrouve-t-on pas aujourd’hui dans le Nouveau Testament
?
Il y a des raisons à cela, mais il faut bien préciser
d’emblée que ces raisons n’ont rien à voir avec les machinations
politiques que Brown évoque, et en tout cas rien à voir avec
le Concile de Nicée ni avec Constantin. Il est également
important de remarquer que ces textes gnostiques que Brown place au cœur
de ses théories n’ont jamais été considérés
comme canoniques par qui que ce soit – à l’exception des gnostiques
qui les ont rédigés.
Comme ce fut souvent le cas, à propos d’autres questions, au
cours de l’histoire du christianisme, s’il fut décidé de
définir quels étaient les livres que l’Église pouvait
utiliser dans sa liturgie, c’est que l’Église était confrontée
à un grave problème.
Canon : ce mot vient du grec kanôn, qui signifie « règle » – C’est l’ensemble des livres dont l’Église reconnaît qu’ils ont été inspirés par Dieu et dont l’emploi est officiellement autorisé dans toute l’Église.
En fait, vers le milieu du second siècle, le problème
qui se posait à l’Église était double, il venait de
deux côtés à la fois : il y avait un mouvement qui
visait à restreindre radicalement le nombre de livres acceptés
comme « Écriture » ; et il y avait un autre mouvement
qui voulait au contraire en rajouter.
Le premier à entrer en lice fut Marcion. Marcion était
le fils d’un évêque – qui, soit dit en passant, l’excommunia
– et il lança, à Rome, un mouvement fondé sur ses
convictions personnelles : entre autres, il refusait d’admettre le Dieu
décrit dans l’Ancien Testament. Il enseignait que, pour les chrétiens,
les seules Écritures valides étaient dix des épîtres
de Paul et une version revue et corrigée de l’évangile de
Luc.
Un autre mouvement de contestation provenait du gnosticisme, dont nous
avons parlé au chapitre précédent, ainsi que d’une
autre hérésie : le montanisme. Ces versions du christianisme
avaient leurs propres livres saints, comme nous l’avons vu, et on ne pouvait,
à l’époque, s’empêcher de se demander : Quelle est
leur place ? Est-ce qu’ils représentent une conception valide de
Jésus ?
Donc, des pressions s’exerçaient dans les deux sens : Marcion
voulait supprimer des livres, les gnostiques affirmaient que les leurs
devaient jouir de la même autorité. Manifestement, il était
nécessaire de clarifier la situation.
Précisons d’emblée une chose : si les détenteurs
du pouvoir ont ressenti la nécessité de clarifier la situation,
ce n’est pas parce qu’ils se sentaient menacés. À cette époque,
le christianisme était une religion minoritaire, et les chrétiens
étaient périodiquement victimes de persécutions décidées
par les autorités romaines : à persévérer dans
la foi dans le Christ, ils risquaient beaucoup – et jusqu’à leur
vie. Rester fidèle à l’Évangile ne présentait
aucun avantage – au contraire, même.
On sera peut-être surpris d’apprendre que Marcion était fils d’un évêque, surtout si l’on est tenté d’admettre l’affirmation de Brown selon laquelle, dans les premiers temps, le christianisme était hostile au mariage et à la sexualité. Dans le christianisme oriental, les prêtres – tant orthodoxes que catholiques – peuvent se marier. Cette tradition remonte à l’antiquité : certains clercs étaient mariés, d’autres ne l’étaient pas. Par exemple, saint Patrick, l’apôtre de l’Irlande, était fils d’un diacre et petit-fils d’un prêtre.
Non, si l’Église a éprouvé le besoin de clarifier
la situation, c’était parce que, accepter soit la conception de
Marcion, soit celle des gnostiques avait, pour le christianisme, de graves
implications. Ces deux tendances représentaient, chacune à
sa manière, une explication très différente et réductrice
de Jésus et de son enseignement. Dans les deux cas, le christianisme
se trouvait coupé de ses racines juives et le gnosticisme, en particulier,
refusait de reconnaître la nature humaine de Jésus. Dans aucun
texte gnostique-chrétien il n’est fait mention de la Passion et
de la mort de Jésus. Ces deux tendances présentaient une
image de Jésus qui était en profonde contradiction avec celle
que présentaient les plus anciens souvenirs que l’on avait de lui
et qui sont racontés dans les quatre évangiles, chez Paul
et dans toute la vie de l’Église depuis son origine.
Pour résoudre ce problème, des responsables de l’Église
commencèrent à définir plus clairement les livres
qu’il convenait d’utiliser dans les églises chrétiennes,
pour la liturgie et pour la catéchèse. Pendant deux siècles,
cela s’est traduit par des échanges entre évêques,
qui se communiquaient leurs enseignements et leurs déclarations
individuelles. Cela dit, outre le cœur communément accepté
des évangiles et des épîtres de Paul, il demeurait
une certaine fluidité. Certains évêques, particulièrement
en Occident, jugeaient inacceptable l’Épître aux Hébreux,
et certains évêques de l’Orient avaient des doutes à
propos de l’Apocalypse.
Pourtant, ce qui était en cause, ce n’était pas la valeur
spirituelle de ces écrits. Les questions qu’on se posait étaient
toujours en rapport avec les normes qui, depuis le début, étaient
implicites : Quels sont les livres qui incarnent le mieux la réalité
de la personne de Jésus, de ce qu’il était et de ce qu’il
est pour l’Église tout entière ? Ces livres ont-ils été
rédigés à l’époque des Apôtres ? Ce qu’ils
disent de Jésus correspond-il à ce que nous en disent les
évangiles ? Ces livres sont-ils sources d’édification pour
l’Église tout entière ou ne présentent-ils plutôt
qu’un intérêt local ?
Attention ! on ne disait pas : « Racontent-ils une histoire secrète
à propos de Jésus et de Marie Madeleine, qu’il nous faut
cacher au monde ? » Non. Apparemment, le problème n’était
pas là.
En fin de compte, à mesure que le christianisme s’affermissait
et que les menaces de persécutions s’éloignaient, les responsables
de l’Église furent en mesure de se réunir et de prendre des
décisions valant pour l’ensemble de l’Église. Vers 363, un
concile se tint à Laodicée, qui confirma des siècles
d’usage et de réflexion et publia une liste de livres canoniques
– tous ceux que nous connaissons, à l’exception de l’Apocalypse.
En 393, un concile se tint à Hippone, en Afrique du Nord et fixa
le canon que nous connaissons aujourd’hui, avec l’Apocalypse, disant que
tels étaient les livres que l’on pouvait lire à haute voix
dans les églises, et ajoutant, il est important de le noter, que,
le jour de la fête d’un martyr, on pouvait également lire
sa « passion » – le récit des souffrances et de la mort
de ce martyr.
363 et 393 – Constantin était mort depuis longtemps.
En résumé : Les Apôtres et d’autres disciples sont
témoins de l’enseignement, du ministère, des miracles, des
souffrances, de la mort et de la résurrection de Jésus. Ils
préservent ce qu’ils ont vu et entendu et le transmettent. Lorsque
l’on en vient à rédiger des textes, ceux-ci sont en permanence
vérifiés à la lumière du récit que les
premiers témoins en ont fait autrefois. Finalement, en présence
d’autres enseignements qui contredisent directement ceux des anciens témoins,
les dirigeants de l’Église y mettent le holà : ils déclarent
que, en raison des liens entre ce groupe de livres et les Apôtres
et de leur conformité avec les témoignages d’antan, ils peuvent
être utilisés dans la liturgie et dans la catéchèse,
laquelle consiste à transmettre la foi en Jésus.
Aucun secret, pourrions-nous ajouter. Il n’est pas question de connaissances
secrètes transmises par les évêques sur l’injonction
de l’empereur Constantin. Tout le processus est là, il est public,
depuis les témoignages originaux jusqu’à la définition
progressive du canon.
Et il n’y a pas « des milliers de récits » relatifs
à Jésus qui auraient été supprimés,
non plus que quatre-vingts évangiles d’ailleurs. Dans un roman,
peut-être, mais pas dans la réalité.
Quelle importance ?
On pourrait penser qu’il s’agit là d’une question mineure mais,
à vrai dire, ce n’est pas le cas. La version de l’histoire que donne
le Da Vinci Code a perturbé beaucoup de lecteurs. Ce roman laisse
entendre que la Bible que nous avons aujourd’hui a été manipulée
par des dirigeants de l’Église qui auraient injustement rejeté
des récits relatifs à Jésus qui étaient tout
à fait valides, tout simplement parce que de tels textes représentaient
pour eux une menace.
Comme on l’a vu, ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées.
C’est vrai, des mains humaines sont intervenues pour fixer le canon mais
ces décisions n’avaient pas pour but d’opprimer les femmes ou de
s’accrocher au pouvoir. La motivation fondamentale de ceux qui les ont
prises, c’était l’obligation qu’ils éprouvaient – très
sérieusement – de veiller à ce que la vie et le message de
Jésus fussent exactement et parfaitement conservés pour les
générations futures, sans compter que, pour les chrétiens
en tout cas, elles étaient inspirées par l’Esprit Saint.
Et, bien entendu, il y avait des livres qui ne remplissaient pas ces critères
: certains parce qu’ils n’étaient pas d’application universelle
ou parce que l’on ne pouvait pas les faire remonter à l’époque
des Apôtres. D’autres furent rejetés parce que, manifestement,
ils tentaient de plaquer Jésus – dans lequel on ne reconnaît
guère le Jésus que nous rencontrons dans les évangiles
et chez Paul – sur de nouvelles philosophies ou de nouveaux mouvements
spirituels.
Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ?
Pour en savoir plus
F. F. BRUCE et N. T. WRIGHT : The New Testament Documents : Are They Reliable ? Wm. B. Eerdmans Publishing, 2003.
Pour faire le point
1. Quel fut le processus de fixation du canon des Écritures ?
2. Quels ont été les critères appliqués
pour choisir les livres à inclure dans le canon ?
Pour discuter
1. Pourquoi s’est-il avéré nécessaire de fixer
un canon des Écritures ?
2. Comment expliqueriez-vous à quelqu’un que, même si
la Bible n’est pas arrivée par fax du ciel, nous pouvons quand même
croire qu’il s’agit véritablement de la Parole de Dieu ?
3. Quel a été le rôle de l’Église dans la
fixation du canon ?
Chapitre 3
ÉLECTION DIVINE
D’après le Da Vinci Code, le christianisme tel que nous le connaissons
aujourd’hui, nous le devons, non pas à Jésus et à
ses disciples, mais à l’empereur Constantin, qui régna sur
l’empire romain au IVe siècle.
Est-ce vrai ?
Est-il vraiment besoin le dire ? C’est faux, bien entendu.
Il est vrai que le christianisme moderne est divers ; pourtant, au
cœur de toute foi chrétienne, il y a la conviction que Jésus,
pleinement divin et pleinement humain, est Celui par qui Dieu réconcilie
le monde – et chacun de nous – avec Lui, et que l’on atteint au salut (ce
qui signifie participer à la vie de Dieu) par la foi en Jésus,
lequel n’est pas mort mais est vivant.
Par le truchement des héros de son livre, Brown voudrait nous
faire croire que cette foi – cette religion – a été bâtie
de toutes pièces par un empereur romain du IVe siècle. Selon
lui (et comme l’explique Teabing), voici ce qui se serait passé
:
Jésus était vénéré comme un maître
de sagesse. Des textes affirmant sa nature purement humaine étaient
largement diffusés – rappelez-vous : sa vie a été
« narrée par des milliers de disciples ». Lorsque Constantin
arriva au pouvoir, il jugea néfastes les conflits entre christianisme
et paganisme, qui menaçaient de provoquer l’éclatement de
son empire. Alors, il opta pour le christianisme, convoqua des centaines
d’évêques au Concile de Nicée, qu’il obligea à
affirmer que Jésus était le Fils de Dieu – pas plus difficile
que ça !
Franchement, cela paraît bizarre. Reprenons tout cela en détail,
puis nous étudierons la question de la divinité de Jésus.
Constantin
Constantin (v. 272 – 337) est devenu empereur de Rome en 306, et il
conforta son pouvoir en 312 suite à sa victoire sur un rival, à
la célèbre bataille du pont de Milvius ; l’histoire raconte
qu’il aurait eu une vision, qu’il interpréta dans un sens chrétien,
et que cette vision lui aurait donné force et inspiration.
On ne sait pas très bien ce que Constantin a vraiment vu ni à quel moment il a eu sa vision (avant la bataille en question ou quelque temps auparavant). Selon certains, il aurait vu les lettres grecques ? et ? (« khi-rhô ») qui, combinées : Px, sont les deux premières lettres de « Christ », en grec : ???????. Selon d’autres, il aurait vu une croix.
Jusqu’alors, de façon générale, il était
illégal de pratiquer le christianisme dans l’empire romain et, en
fait, jusqu’au règne de Dioclétien (303-305), mort quelques
années auparavant, les chrétiens avaient été
victimes de persécutions particulièrement sévères
dans tout l’empire.
(À ce stade, on pourrait à bon droit se demander pourquoi
l’empire romain prenait la peine d’emprisonner et de torturer des gens
qui voulaient rester fidèles à un maître de sagesse
– si Jésus n’était que cela. Pourquoi d’ailleurs des disciples
de ce maître auraient-ils constitué une quelconque menace
pour l’empire ? Celui-ci abondait en écoles et systèmes philosophiques
– mais seuls les chrétiens étaient persécutés.
Pourquoi ?)
Quelle qu’en soit la raison – peut-être possédait-il une
faible étincelle de la vraie foi, peut-être certains membres
de sa famille étaient-ils chrétiens, ou peut-être encore
s’agissait-il pour lui de mystérieux calculs politiques –, l’un
des premiers actes de Constantin fut de publier un édit de tolérance
du christianisme, qui mit fin aux persécutions, provisoirement du
moins.
Il est vrai que, pendant son règne, Constantin ne se contenta
pas de tolérer le christianisme, il le favorisa. On ne sait pas
très bien quels furent ses motifs. Certes, il voulait unifier l’empire
qui, depuis un siècle, était sérieusement ébranlé
par une succession de divisions et de conflits ; et il est certain qu’il
s’est servi de la religion à cette fin. Mais peut-être aussi
avait-il ressenti la force de cette religion alors que l’influence de la
religion romaine traditionnelle commençait à décliner.
Il est aussi possible qu’il ait été influencé par
des penseurs chrétiens de son entourage, et peut-être même
par certains membres de sa famille ; il n’en reste pas moins que, à
un moment, Constantin décida que le christianisme serait cette force
unificatrice.
Pour nous qui sommes accoutumés à la séparation
de l’Église et de l’État, tout cela paraît étrange
; pourtant, dans le monde ancien, une telle séparation n’existait
tout simplement pas, dans aucune culture. Chaque état considérait
qu’il était soutenu, d’une manière ou d’une autre, par la
faveur des dieux et se jugeait donc responsable de soutenir les institutions
religieuses. Jusqu’à Constantin, ces institutions religieuses avaient
été les temples des dieux romains. Lorsque Constantin décida
d’accorder sa préférence et son soutien au christianisme,
il adopta naturellement la même attitude vis-à-vis des institutions
chrétiennes : il finança la construction d’églises
et il intervint dans les affaires de l’Église à un point
qui, aujourd’hui, nous paraît tout à fait surprenant.
Brown dit que c’est Constantin qui a fait du christianisme la religion officielle de l’empire romain. Ce n’est pas exact. Il a, en tant qu’empereur, fortement soutenu le christianisme, mais le christianisme n’est devenu la religion officielle de l’empire romain que sous l’empereur Théodose, qui a régné de 379 à 395.
Le Concile de Nicée
Il est vrai, par ailleurs, que Constantin a bien convoqué le
Concile de Nicée, en Asie Mineure – la Turquie d’aujourd’hui – en
325. En fait, c’était la deuxième fois qu’il convoquait une
assemblée des évêques. S’il est vrai que tous les évêques
n’y ont pas assisté – en particulier, il y eut peu d’évêques
venus de la partie occidentale de l’empire –, ce concile n’en avait pas
moins pour but de prendre des décisions qui devaient affecter l’ensemble
de l’Église, et c’est pourquoi il est qualifié de «
concile œcuménique ».
Mais pourquoi ? Pourquoi Constantin a-t-il pris cette décision
? Eh bien ! d’après Brown, c’est parce qu’il voulait transformer
le christianisme pour le rendre plus puissant et pour le faire mieux correspondre
à ses propres fins. Pour lui, ce maître Jésus, aussi
sage fût-il mais mortel, ne présentait aucun intérêt
; par contre, en tant que Fils de Dieu, il pourrait lui être très
utile.
C’est là un aspect sur lequel il convient de s’attarder un peu
car c’est quand même étonnant : voilà trois cents évêques
qui se réunissent à Nicée, des évêques
qui, selon Brown, croyaient que Jésus était « un prophète
mortel ». Et Constantin leur dit de déclarer que Jésus
est Dieu.
Ils disent : « D’accord ! Tout ce que vous voudrez ».
Une fois encore, on ne peut s’empêcher de se dire : Ce n’est
pas aussi simple. Ce n’est pas logique, ce n’est pas ce que les sources
disent ; en fait, ce n’est pas du tout ainsi que les choses se sont passées.
Pourquoi n’est-ce pas logique ? Peut-être parce que, quand on
examine ce que faisaient les évêques avant de se réunir
à Nicée – les liturgies qu’ils célébraient,
les traités qu’ils écrivaient et utilisaient, les Écritures
(qui, à l’époque, étaient bien établies) qui
inspiraient leur prédication et qu’ils enseignaient –, on ne peut
vraiment pas dire qu’ils croyaient que Jésus étaient «
un prophète mortel ».
Un concile œcuménique est une assemblée d’évêques provenant de toute l’Église. On donne à ces conciles le nom du lieu où ils se sont tenus. Les catholiques reconnaissent vingt-et-un conciles œcuméniques, de Nicée au Concile Vatican II (1962-1965).
Jésus est Seigneur !
Est-il vrai que, pendant les trois siècles qui ont précédé
Nicée, ce que nous appelons « christianisme » se réduisait
à transmettre et diffuser la sagesse du prophète Jésus
?
Non. En fait, le christianisme n’a jamais été cela.
En étudiant les évangiles et les épîtres
de Paul – tous textes qui ont été écrits entre 50
(environ) et 95, on constate que, toujours, Jésus est présenté
comme un être humain en qui Dieu a demeuré d’une manière
absolument unique en son genre.
Les évangiles précisent bien que les Apôtres n’ont
absolument pas compris qui était Jésus – avant la Résurrection.
On les voit sans cesse se poser des questions, se tromper et, bien entendu,
en fidèles juifs qu’ils étaient, ils ne pouvaient considérer
Jésus qu’en fonction du contexte qu’ils connaissaient : c’était
un prophète (oui), un enseignant, un « fils de Dieu »
et un « messie ». Dans le contexte juif, ces deux derniers
termes n’impliquaient aucunement qu’il eût une nature divine : ils
impliquaient simplement qu’il était le sujet d’une élection
divine particulière.
Pourtant, à la lumière de la Résurrection, les
Apôtres ont finalement compris ce à quoi Jésus avait
fait allusion tout au long de son ministère et qu’il avait finalement
explicitement affirmé, comme on peut le lire aux chapitres 14 à
17 de l’évangile de Jean : à savoir que le Père et
lui étaient un.
En lisant le Nouveau Testament, on constate que cette affirmation est
exprimée de multiples manières : dans les évangiles,
ce sont les souvenirs de la conception virginale – unique en son genre
– par l’opération du Saint-Esprit (cf. Matthieu 1-2 ; Luc 1-2) ;
dans tous les récits du Baptême et de la Transfiguration de
Jésus ; dans le fait que Jésus pardonnait les péchés,
ce qui fit scandale car « qui peut remettre les péchés,
sinon Dieu seul ? » (Marc 2,1-12 ; cf. Luc 7, 36-50) ; et aussi dans
différentes paroles rapportées de lui dans les évangiles
synoptiques, mais aussi chez Jean, où Jésus s’identifie au
Père d’une manière qui implique que, lorsque nous rencontrons
Jésus, nous rencontrons Dieu dans sa miséricorde et son amour
(cf. Matthieu 10, 40 ; Jean 14, 8-14).
Si nous passons maintenant aux Actes des Apôtres et aux épîtres
de Paul, qui reflètent la prédication des Apôtres et
de l’Église primitive, on ne peut s’empêcher d’arriver à
la conviction que, ce qu’ils prêchent fondamentalement, c’est que
Jésus est, non pas un maître à penser ou un sage, mais
le Seigneur (cf. par exemple Colossiens 1 ou Philippiens 2, deux épîtres
qui ont été rédigées une vingtaine d’années
après la résurrection de Jésus.)
(Soit dit en passant, il ne s’agit pas ici de « prouver »
que Jésus est Dieu mais plutôt de montrer que les premiers
chrétiens l’adoraient comme Seigneur et ne se contentaient pas d’être
les disciples d’un maître de sagesse mortel. Ce que l’on peut croire
à propos de Jésus ne dépend pas de moi ni, pardieu
! de Dan Brown. Pour rencontrer Jésus, il faut le chercher non pas
dans un roman mais dans les évangiles eux-mêmes.)
Il suffit de consulter brièvement n’importe quelle collection
de textes de cette période pour constater que, au cours des siècles
suivants, les chrétiens n’ont cessé d’approfondir la conception
d’un Jésus de nature à la fois mortelle et divine. Pour n’en
citer qu’un exemple, Tatien était un auteur chrétien qui
a vécu au second siècle ; il a écrit : « Nous
ne nous comportons pas comme des fous, ô Grecs, lorsque nous annonçons
que Dieu est né sous la forme d’un homme » (Discours aux Grecs).
Au cours de ces siècles, comme nous l’avons vu, ceux qui, dans
le christianisme, étaient chargés de l’enseignement se voyaient
obligés de préciser la foi chrétienne face aux hérésies.
L’une de celles-ci, qui posa un grave problème au IIe siècle,
fut le « docétisme », dont le nom dérive d’un
mot grec qui signifie « je semble ». Pour les tenants du docétisme,
Jésus était divin à l’exclusion de toute nature humaine
authentique. Ils croyaient que sa forme humaine et ses souffrances n’avaient
pas été réelles, que ce n’avaient été
que des apparences. L’existence du docétisme est un cas limite qui
démontre que la divinité de Jésus était certainement
prise très au sérieux avant le IVe siècle.
Il ne s’agit pas ici de se plonger dans toutes les significations et
implications des natures humaine et divine de Jésus mais simplement
de faire remarquer les erreurs grossières contenues dans la présentation
que fait Brown de la manière dont les premiers chrétiens
considéraient Jésus.
Il prétend que l’idée de la divinité de Jésus
a été inventée par Constantin au IVe siècle
; ainsi que le démontrent clairement les témoignages du Nouveau
Testament et des trois premiers siècles de la pensée et de
la liturgie chrétiennes, c’est faux. Et ceux qui veulent vraiment
savoir ce que les premiers chrétiens croyaient et enseignaient feraient
mieux, en fait, d’aller consulter une source primaire plutôt qu’un
roman à succès.
Quelle est cette source ? C’est le Nouveau Testament, bien entendu,
et tous ceux qui s’intéressent sérieusement à ces
questions devraient le lire, l’étudier et le méditer.
Et puis, ne l’oublions pas : dans le Da Vinci Code, lorsqu’il discute
de l’identité de Jésus, pas une seule fois Brown ne cite
l’un quelconque des livres du Nouveau Testament.
Pas une seule fois.
Arius et le Concile
Cela dit, il est vrai que le Concile de Nicée a traité
de la question de la divinité de Jésus, mais pas du tout
comme le prétend le Da Vinci Code.
C’est évident, pour autant qu’on prenne la peine d’y réfléchir
quelques minutes : il est difficile de saisir et d’exprimer cette réalité
: Jésus est à la fois pleinement divin et pleinement humain
; cela pose toute une série de questions intéressantes et
épineuses, des questions auxquelles l’Écriture ne donne pas
des réponses directes et explicites.
Ce que le Nouveau Testament raconte, c’est l’expérience de ceux
qui ont personnellement rencontré Jésus : celui qu’ils ont
connu était pleinement homme et, en lui, ils ont rencontré
Dieu, lui qui pardonnait les péchés comme le fait Dieu, lui
qui parlait avec l’autorité de Dieu, lui qui n’a pas été
vaincu par la mort. Comment expliquer cela ? Comment le définir
?
Cela a pris plusieurs siècles et, comme c’est souvent le cas,
ce sont des conflits intellectuels qui ont imposé la nécessité
de définir plus précisément et plus clairement l’identité
de Jésus. Des idées étaient avancées : Jésus
n’était pas, en fait, vraiment humain, ou encore : Dieu s’est contenté
de prendre la forme d’une personne humaine, comme un costume (docétisme)
; mais, manifestement, ces idées ne concordaient pas avec le témoignage
des Apôtres. En conséquence, il a fallu que des évêques
et des théologiens reformulent le témoignage des Apôtres
d’une manière qui fût compréhensible pour leur époque
et qui répondît aux questions que les gens leur posaient.
Cela ne fut pas facile car, ainsi que nous l’avons dit, il s’agit là
d’un concept qu’il nous est suprêmement difficile d’admettre. Mais
il ne faut pas oublier ce sur quoi s’appuyaient fondamentalement ceux qui
défendaient le savoir ancien selon lequel Jésus était
à la fois pleinement humain et pleinement divin. Le principe était
le suivant : Comment pouvons-nous parler de Jésus d’une manière
qui soit absolument fidèle à l’image, à la fois complète
et complexe, que nous donnent de lui les témoignages apostoliques
? Et c’est vrai que les évangiles nous présentent un Jésus
qui a faim, qui a peur, qui se met en colère ; mais il est tout
aussi vrai qu’ils nous le montrent agir avec l’autorité de Dieu
et ressusciter des morts. Quel que soit le langage que nous employions
pour parler de Jésus, ce langage doit être fidèle à
la totalité du témoignage à la fois mystérieux
et exaltant enregistré dans les évangiles et dans d’autres
textes de l’Église primitive.
Au début du IVe siècle, quelqu’un proposa une manière
particulièrement séduisante de résoudre ce dilemme
; il s’agissait d’un prêtre nommé Arius, qui vivait à
Alexandrie, en Égypte.
Arius enseignait que Jésus n’était pas pleinement Dieu
; sans doute était-il la plus élevée des créatures
de Dieu mais il ne participait pas complètement de l’identité
et de la nature de Dieu. Les idées d’Arius eurent beaucoup de succès,
elles se propagèrent très rapidement, et c’est pour résoudre
précisément ce conflit-là – entre les disciples d’Arius
et ceux qui restaient fidèles au christianisme traditionnel – que
fut convoqué le Concile de Nicée.
Pour ce faire, celui-ci a réaffirmé la nature divine
de Jésus, recourant pour cela à des termes philosophiques
parce que c’était en recourant à un langage philosophique
qu’Arius avait posé son argument. Le résultat, c’est celui
que nous lisons dans le credo de Nicée, qui dit que Jésus
est « Dieu [né] de Dieu, Lumière [née] de [la]
lumière, engendré non pas créé, consubstantiel
au Père… »
Ainsi que l’écrit Luke Timothy Johnson, spécialiste des
Écritures, dans son livre :The Creed :
« C’est pourquoi, à Nicée, les évêques
ont considéré qu’ils corrigeaient une distorsion et non pas
qu’ils inventaient une doctrine nouvelle. Ils étaient obligés
de recourir au langage philosophique de l’être parce que celui-ci
était devenu le langage de l’analyse et parce que les Écritures
ne fournissaient aucun terme suffisamment précis pour dire ce qui,
à leur avis, devait être dit […] Dans ce sens, ils ne considéraient
pas qu’ils dénaturaient le témoignage complet de l’Écriture
mais plutôt qu’ils le préservaient » (p. 131).
Et, effectivement, cette décision fut confirmée par vote,
que Brown évoque triomphalement : pour lui, le principe même
d’un vote infirme toute cette entreprise. À vrai dire, dans les
traditions juive et chrétienne, les hommes ont recouru à
divers moyens pour essayer de discerner la volonté et la sagesse
de Dieu. Par exemple, tant l’Ancien que le Nouveau Testaments nous racontent
que des dirigeants ont été choisi par tirage au sort parce
que ceux qui étaient appelés à faire de tels choix
croyaient que Dieu guiderait le résultat.
Et, au rebours de ce que prétend Brown, ce ne fut même
pas « un vote assez serré » : il n’y eut que deux évêques,
sur environ trois cents (le nombre exact varie) pour voter en faveur de
la conception restrictive de Jésus avancée par Arius.
Encore une erreur
Nous constatons donc, une fois de plus, que presque tout ce que Brown
raconte sur cet aspect de l’histoire chrétienne est incorrect. Il
affirme que, jusqu’au IVe siècle, le « christianisme »
n’était qu’un mouvement qui s’était constitué autour
des idées de Jésus, considéré comme «
un prophète mortel ».
Il suffit de lire le Nouveau Testament, écrit quelques décennies
après la résurrection de Jésus, pour voir que ce n’est
pas le cas : les premiers chrétiens allaient prêchant que
« Jésus est le Seigneur ». Brown dit que le Concile
de Nicée a inventé l’idée de la divinité du
Christ. C’est faux. Il aurait voulu préserver l’intégrité
du témoignage ancien concernant Jésus, mystérieusement
humain et divin.
Faux encore, sur tous les points.
Et ce n’est pas fini.
Pour en savoir plus
Luke Timothy JOHNSON : The Creed : What Christians Believe and Why It
Matters, Doubleday, 2003.
Larry W. HURTADO : Lord Jesus Christ: Devotion to Jesus in Earliest
Christianity, Wm. B. Eerdmans Publishing, 2003.
Pour faire le point
1. Quels sont les passages de l’Écriture qui révèlent
ce que les premiers chrétiens croyaient à propos de Jésus
?
2. Quel fut le problème dont s’est occupé le Concile
de Nicée ?
Pour discuter
1. Sur quel point portait la controverse d’Arius ?
2. Que pensez-vous du rôle de Constantin dans les affaires religieuses
?
Chapitre 4
DES ROIS RENVERSÉS ?
Faisons une pause et dressons un premier bilan.
Au cours de notre périple dans l’histoire telle que racontée
dans le Da Vinci Code avec si peu de respect pour la vérité,
nous avons constaté que :
? les sources sur lesquelles Brown fait reposer ses affirmations à
propos du début de l’histoire des chrétiens vont du complètement
imaginaire à l’infondé, quand elles ne sont pas hors sujet
;
? dans la version qu’il donne des événements, Brown ne
cite aucune source datant de la période en question – ni le Nouveau
Testament, ni les écrits des évêques et des enseignants,
ni les documents liturgiques, ni les récits historiques ;
? la version qu’il donne de la fixation du canon des Écritures,
du Concile de Nicée, du règne de Constantin et de la conception
qu’avaient les premiers chrétiens de l’identité de Jésus
est complètement fausse, d’un bout à l’autre, sans aucun
rapport avec une quelconque conception passée ou présente
de ces événements.
Apparemment, il serait inutile d’aller plus loin. Pourtant, nous sommes
évidemment bien loin d’avoir passé en revue toutes les erreurs
de faits et falsifications historiques de ce livre. Alors, poursuivons.
D’ailleurs, Jésus a-t-il vraiment « renversé des
rois » ?
Il a « renversé des rois et inspiré des centaines
de millions de fidèles »
Il nous faut maintenant voir de plus près ce que le Da Vinci
Code prétend être la réalité du ministère
de Jésus. Qu’enseignait-il ? Que prétendait-il faire ?
À première vue, on pourrait penser que, pour répondre
à cette question quelque peu banale, le plus normal serait d’abord
de consulter les évangiles inclus dans le Nouveau Testament. Après
tout, ils n’ont été rédigés que quelques décennies
après la mort de Jésus et, si chacun d’entre eux souligne
des aspects différents du ministère et de l’identité
de Jésus, ils sont en général d’accord, sur le fond,
dans la présentation qu’ils font de l’enseignement fondamental de
Jésus et des principales circonstances de sa vie.
Du moins pourrait-on le penser – mais non.
Pour présenter Jésus, Brown ne s’embarrasse pas des évangiles.
Teabing explique à Sophie que, bien sûr, Jésus
a vraiment existé, que « le Messie annoncé par les
prophètes a renversé des rois, inspiré des centaines
de millions de fidèles, et fondé l’une des philosophies les
plus influentes de toute l’histoire de l’humanité […] Il est compréhensible
que sa vie ait été narrée par des milliers de disciples
sur la terre d’Israël » (p. 289).
C’est faux.
Nous savons quelques petites choses sur l’histoire de la Palestine
et sur l’empire romain à l’époque où Jésus
a vécu. Nulle part il n’est question d’un laïc de Nazareth
qui aurait renversé qui que ce soit.
Ce genre de choses est difficile à estimer, mais on évalue
à, au mieux, un demi-million le nombre de gens qui vivaient dans
les régions où Jésus a prêché – en Galilée,
au nord, et en Samarie et en Judée, au sud –, et la plupart d’entre
eux n’ont probablement jamais entendu Jésus prêcher.
On est bien loin des « centaines de millions de fidèles
».
Pourquoi Teabing affirme-t-il cela ? Sur quoi se fonde-t-il ? Sur aucun
document historique en tout cas. En fait, les évangiles nous donnent
du ministère public de Jésus une image beaucoup plus complexe.
Sans doute lui arrivait-il de rencontrer d’immenses foules, à tel
point que, un jour, il fut obligé de monter dans un bateau pour
prêcher. Mais il fut aussi rejeté, non seulement par certains
chefs religieux mais encore par les habitants du village où il avait
passé son enfance (cf. Luc 4, 29-30) ainsi que d’autres villages
(cf. Matthieu 8, 34). Ses disciples le suivaient et l’écoutaient,
mais ils se disputaient aussi entre eux – et ils ont pris la fuite quand
les choses ont mal tourné.
Brown nous présente Jésus comme s’il était une
sorte de star du rock à la manière du Ier siècle,
suivi par des foules qui le portaient aux nues et qu’il ne cessait d’enflammer
par sa présence.
Ce n’est pas vrai.
De quoi parlait-il ?
Dans le Da Vinci Code, Brown n’en vient jamais à énoncer
directement ce que fut le message de Jésus. Dans de fréquentes
allusions, il mentionne que celui-ci était considéré
avec respect comme un maître à penser et un prophète,
mais il n’est jamais plus précis.
Pourtant, cela laisse entendre que le véritable message de Jésus
aurait été centré sur les textes gnostiques que nous
avons évoqués précédemment, et aussi sur toute
cette histoire du « Féminin sacré ».
C’est d’ailleurs ce qui constitue le cœur de l’ouvrage : l’ancien culte
du « Féminin sacré » s’est perdu et, d’une manière
ou d’une autre, Jésus, surtout dans sa relation avec Marie Madeleine,
avait l’intention de le rétablir et, par son intermédiaire,
de faire en sorte que le monde reprenne la bonne direction.
D’où Brown tire-t-il ces idées ? Peut-être a-t-il
lu des textes de chrétiens gnostiques qui, effectivement, laissent
entendre que, à son origine, l’être humain aurait été
androgyne et qu’il faudrait retourner à cet état.
Nous avons déjà exposé le problème que
pose une telle conception. Il est absolument impossible d’établir
un lien entre les écrits de ces chrétiens gnostiques et les
plus anciens témoignages concernant Jésus. Toutes les allusions
que font ces textes à des dits de Jésus se fondent sur d’autres
documents – le plus souvent les évangiles synoptiques (Matthieu,
Marc et Luc).
Pour aggraver les choses, le second problème est que Brown fait
un tri sévère parmi les documents gnostiques qu’il utilise.
Les textes gnostiques qui nous sont parvenus sont très variés
: en effet, le gnosticisme était lui-même très divers.
Cela dit, à part quelques allusions au « Féminin sacré
», ce que l’on trouve le plus souvent dans les textes gnostiques,
ce sont des systèmes de pensée abscons, ésotériques,
dans lesquels il est question d’étincelles, de mots de passe, de
forces du bien et du mal et de niveaux célestes par milliers. On
y trouve aussi de l’anti-judaïsme et aussi une certaine misogynie,
ce qui est quelque peu gênant.
Dans son livre : Hidden Gospels, Philip Jenkins fait remarquer que
les gens qui défendent la valeur des évangiles gnostiques
pour y retrouver une sorte de mouvement de Jésus centré autour
du « Féminin sacré » et qui se serait perdu ne
semblent jamais mentionner d’autres passages :
« Le Jésus gnostique était venu apporter la libération
spirituelle et, dans les textes, on trouve à de multiples reprises
des variantes sur le thème : le Sauveur est venu "détruire
l’œuvre de la femme". Dans Le dialogue du Sauveur, on trouve un passage
typique : "Judas dit : ‘Quand nous prions, comment devons-nous prier ?’
Le Seigneur dit : ‘Priez en un lieu où il n’y a pas de femme’".
Il est bizarre de reprocher au christianisme le célibat et la haine
du corps tout en refusant de voir exactement ces mêmes travers dans
le gnosticisme… » (pp. 211-212).
Donc, rien ne prouve que Jésus ait renversé des rois,
fondé une philosophie ou adopté le culte du « Féminin
sacré ». Pourtant, les premiers témoins sont très
prolixes sur ce qu’il a effectivement dit, et ce qu’ils racontent est cohérent
tout au long du Nouveau Testament ainsi que dans la vie cultuelle – le
point de contact entre les chrétiens et le Seigneur vivant – des
premières communautés chrétiennes.
Au cœur de l’enseignement de Jésus, il y avait le Royaume –
ou Règne – de Dieu. Jésus a transmis ce message dans sa prédication,
dans ses paraboles et dans ses relations avec les autres. Par ses paroles
et par ses actes, il a fait comprendre que Dieu est amour – amour, compassion
et miséricorde pour tous. Ainsi que l’ont révélé
ses paroles et ses actes, cet amour de Dieu était présent
en Jésus. Là où il agissait, là était
le Royaume. Nous avons part au Royaume de Dieu lorsque nous vivons en union
avec Jésus et que nous modelons notre vie d’après la sienne,
lorsque nous sommes des disciples qui offrent leur amour et leurs sacrifices
et qui ne comptent pas ce qu’ils donnent.
« Simon Pierre leur dit : "Que Marie nous quitte, car les femmes ne sont pas dignes de la Vie." Jésus dit : "Voici que moi je l’attirerai pour la rendre mâle, de façon à ce qu’elle aussi devienne un esprit vivant semblable à vous, mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera dans le Royaume des cieux". » (Évangile selon Thomas, 114, in : Écrits apocryphes chrétiens, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 1997, p. 53). C’est ainsi que se termine le plus connu des écrits gnostiques – et ce passage n’est pas cité dans le Da Vinci Code.
Soit dit en passant, il ne s’agit pas là d’un secret. Quand on lit le Nouveau Testament, on s’aperçoit que l’image de Jésus qu’il donne est remarquablement cohérente : service de Dieu, amour, sacrifice – et joie.
Un Jésus plus humain
L’une des remarques fréquemment faites dans le Da Vinci Code,
c’est que le christianisme traditionnel était résolu à
supprimer les écrits gnostiques qui se réfèrent à
Jésus au prétexte qu’ils présenteraient une image
plus « humaine » de Jésus, celle qui aurait prédominé
pendant des siècles avant que Constantin entre en scène.
Et ainsi de suite à l’avenant.
Dans le chapitre précédent, nous avons vu ce qu’il fallait
en penser, en soulignant que Jésus était considéré
comme Seigneur, comme divin, comme le Fils de Dieu, conception qui se dégage
nettement du Nouveau Testament, lequel date du Ier siècle.
Mais il est important d’approfondir un peu plus encore cette affirmation,
qui s’appuie sur des écrits gnostiques, selon laquelle l’histoire
officielle soulignait la dimension divine de Jésus aux dépens
de sa nature humaine, que font bien ressortir les textes gnostiques. Brown
le dit plusieurs fois, mais il ne fournit aucun élément spécifique
pour étayer cette affirmation. Faut-il le croire ?
Peut-être bien que non. Il suffit de consacrer une heure à
parcourir l’un des évangiles canoniques en parallèle avec
l’un ou l’autre de ces textes gnostiques pour s’apercevoir à quel
point cette affirmation est fausse.
En effet, quand on lit les écrits gnostiques, on s’aperçoit
non sans surprise qu’on n’y trouve pas un Jésus particulièrement
« humain ». C’est un enseignant mais il n’y a pas grand-chose
en lui qui soit spécifiquement ou manifestement humain. Il communique
une sagesse, il révèle des secrets et il déambule
dans un brouillard aimablement spirituel, et il parle, et il parle. Et
il parle encore.
C’est d’ailleurs logique : la plupart des systèmes de pensée
gnostiques, en effet, rabaissaient la valeur du monde matériel,
et notamment du corps humain. Par exemple, les écrits gnostiques
se gardent bien de mentionner la Passion et la mort de Jésus. Personne
ne
vous empêche de lire les textes gnostiques ; les plus célèbres
sont notamment l’Évangile de Philippe, l’Évangile de Thomas
et l’Évangile de Marie, ce dernier étant peut-être
aussi gnostique. Lisez tous ces longs dialogues. Et puis ouvrez le Nouveau
Testament, par exemple Matthieu chapitre 26, versets 37-38 :
« Et prenant avec lui Pierre et les deux fils de Zébédée,
il commença à ressentir tristesse et angoisse. Alors il leur
dit : "Mon âme est triste à en mourir, demeurez ici et veillez
avec moi". »
Et puis parcourez le reste des évangiles : vous y verrez Jésus
manger, boire, se mettre en colère, avoir peur, éprouver
des sentiments de solitude et de chagrin, souffrir et mourir.
Il faut vraiment ne rien connaître aux évangiles pour
affirmer qu’ils présentent un portrait « inhumain »
de Jésus. En fait, c’est tout le contraire. La raison pour laquelle
les docteurs chrétiens ont tellement combattu les idées gnostiques
et autres de ce genre, c’est précisément parce que ces systèmes
dévalorisaient l’humanité de Jésus et, de ce fait,
étaient infidèles à l’antique témoignage préservé
dans le Nouveau Testament.
Mais il se peut aussi que, lorsque Brown et d’autres comme lui laissent
entendre qu’il nous faut un Jésus plus « humain », un
Jésus dont ils prétendent qu’il ne nous est pas présenté
dans l’Évangile, ils ne se préoccupent pas des qualités
que nous avons mentionnées. Il se peut qu’ils parlent de quelque
chose de complètement différent. Il se peut qu’ils parlent
simplement de sexualité.
Jésus était-il marié ?
Dans le chapitre suivant, nous étudierons le personnage merveilleux
et intrigant de Marie Madeleine (qui, rappelons-le, est honorée
comme sainte tant dans le catholicisme que dans l’orthodoxie, et non pas
méprisée comme le prétend Brown) ainsi que, plus précisément,
les éléments nous permettant de préciser ses relations
avec Jésus.
Puisque nous en sommes à considérer les éléments
généraux et l’orientation de la vie de Jésus telle
que la présente le Da Vinci Code, il apparaît opportun de
discuter ici de la question du mariage de Jésus en général.
Il est important d’affirmer d’emblée que, si nous émettons
des doutes sur un éventuel mariage de Jésus, ce n’est pas
par « crainte » ou par haine de la sexualité ; c’est
très souvent ce que veulent faire croire ceux qui affirment que
Jésus était marié – à savoir que, bon sang
! nous ne pouvons pas supporter l’idée que Jésus était
marié parce que nous nous faisons une idée vraiment bizarre
du sexe et que, rien que d’y penser, notre foi s’en trouverait ébranlée,
tellement nous détestons le sexe.
Bizarre.
Il n’est question, ici, ni de crainte ni de dénégation.
Il s’agit de voir ce que révèlent les textes et les meilleurs
indices disponibles, du moment qu’on les considère honnêtement
et objectivement. Dans le Da Vinci Code, notre ami Teabing (comme de bien
entendu), explique à Sophie que, bien sûr ! Jésus était
marié : « Il s’agit d’une déduction historique »
(p. 307).
Où trouve-t-on cela ?
Comme nous l’avons dit, les meilleurs documents « historiques
» dont nous disposons à propos de la vie de Jésus sont
les évangiles canoniques, qui ont été écrits
quelques décennies seulement après sa mort et sa résurrection.
Ils ont leurs limites, sans doute, comme tous les documents anciens ; cependant,
pour répondre à des questions sur ce que Jésus a fait
et sur ce qu’il était, c’est dans ces textes qu’il faudrait commencer
à chercher (des textes, nous ne nous lassons pas de le répéter,
auxquels Brown ne se réfère jamais).
Et, surprise ! nulle part ils ne disent que Jésus était
marié. Qu’il se soit jamais marié.
Bien sûr, on peut bâtir toute une théorie à
propos de ce silence ; quelqu’un a même écrit un livre fondé
sur une telle théorie, et nous avons entendu évoquer celle-ci
à de nombreuses reprises : les évangiles ne parlent pas du
mariage de Jésus parce que, être marié, c’était,
pour les juifs de l’époque, un état normal ; on considère
donc que ça allait de soi et on n’a pas jugé utile de le
mentionner.
Pour Brown, cet argument pourrait aussi jouer en sens inverse : s’il
n’était pas marié, les évangélistes auraient
consacré quelques lignes à expliquer ou à défendre
ce comportement, tant il aurait été exceptionnel.
Bien sûr, il est toujours risqué de fonder une théorie
sur un silence mais on ne peut pas en rester là, il y a bien autre
chose à dire à ce sujet. John Meier, de la Catholic University
of America, a très bien démêlé la situation
dans son livre : Jésus, un certain Juif. Nous allons reprendre ici
deux de ses arguments.
Tout d’abord, Meier critique l’argument du silence parce que les évangiles
ne taisent en aucune manière les autres relations de Jésus
: ils mentionnent fréquemment ses père et mère et
d’autres membres de sa parentèle. Ils racontent comment il est entré
en contact – et même en conflit – avec des gens de Nazareth, où
il avait passé toute sa vie. Luc va même jusqu’à donner
le nom de certaines femmes qui faisaient partie du groupe de disciples
du Christ et qui le suivaient et le servaient : Marie Madeleine, Jeanne
et Suzanne (cf. Luc 8, 2 ; 3).
Étant donné que les évangiles ne font pas silence
sur les liens familiaux de Jésus et sur les femmes qui le suivaient,
on ne voit pas pourquoi ils ne mentionneraient pas une épouse.
Ensuite, Meier en vient à l’argument selon lequel le mariage
était une norme absolue pour les juifs, et en particulier pour les
rabbins, à l’époque de Jésus, et que, pour préserver
sa crédibilité, il aurait fallu présenter des arguments
spéciaux expliquant pourquoi il n’était pas marié,
car Jésus n’aurait certainement pas été pris au sérieux
s’il avait été célibataire.
Cette hypothèse est absolument sans fondement. Meier démontre
qu’elle est fausse, à plusieurs niveaux. Tout d’abord, Jésus
n’était pas un rabbin ; ses disciples l’appelaient « rabbi
» – ce qui signifie « maître » – mais, à
ce que l’on sait, rien ne prouve qu’il ait été un rabbin
au sens formel et institutionnel.
Cette affirmation est boiteuse, en outre, parce qu’elle correspond
à une image monolithique du judaïsme au Ier siècle,
image qui ne reflète pas la réalité. En fait, il y
avait au moins une secte juive de cette période dont les membres
pratiquaient le célibat : celles des esséniens, qui vivaient
dans une communauté établie à Qumran, près
de la mer Morte, et qui nous a laissé les manuscrits de la mer Morte.
De plus, une tradition est attestée dans le judaïsme :
celle de personnages dont la vie était à ce point consacrée
à l’œuvre de Dieu et à la Loi qu’ils étaient célibataires.
On y compte le prophète Jérémie. Les traditions juives
qui se sont développées à partir des textes scripturaires
présentent un portrait de Moïse qui, après avoir rencontré
Dieu sur le mont Sinaï, vécut en célibataire. Jean-Baptiste,
presque certainement un personnage historique lui aussi, n’était
pas marié ; non plus, de l’avis de la plupart des spécialistes,
que Paul.
Meier conclut :
« Lorsque nous mettons en relation toutes ces tendances, nous
remarquons qu’il existait, au Ier siècle ap. J.-C., un certain nombre
de personnages et groupes notables qui pratiquaient le célibat :
certains esséniens et qumranites, les Thérapeutes, Jean-Baptiste,
Jésus, Paul, Épictète, Apollonius et divers membres
vagabonds de la secte des Cyniques. Au Ier siècle ap. J.-C., le
célibat était toujours un choix rare et parfois contestataire.
Mais c’était un choix viable. » (p. 342).
C’est ainsi : les textes les plus fiables ne démontrent en aucune
manière que Jésus était marié et, d’après
ce que l’on sait du milieu social du premier siècle, absolument
rien n’empêchait qu’un individu désirant se consacrer entièrement
à Dieu restât célibataire.
La vérité et ses conséquences
Le Da Vinci Code prétend que le christianisme traditionnel déprécie
l’humanité de Jésus, mais cette accusation est ridicule.
D’un bout à l’autre, les évangiles nous présentent
quelqu’un de réel, de très humain, par opposition au personnage
plutôt éthéré que l’on trouve dans les écrits
gnostiques. Au cours des quatre premiers siècles de l’histoire du
christianisme, il y eut de nombreux conflits et controverses théologiques,
qui reflètent la détermination des chrétiens responsables
de l’enseignement de la doctrine à être fidèles à
ce que racontaient les évangiles et, aussi mystérieux que
cela puisse paraître, à affirmer que Jésus était
pleinement homme.
Nous pourrions aussi jeter un bref regard sur la dévotion et
l’art des chrétiens au cours des siècles, depuis cette journée
prétendument fatale, en 325, où Constantin aurait rejeté
dans les ténèbres l’humanité du Christ.
Tout au long des âges, la prière des chrétiens
a souvent été en rapport avec Jésus par l’intermédiaire
de ses « souffrances », sa compassion et sa Passion. L’art
d’inspiration chrétienne nous présente un Enfant-Jésus
tétant le sein de sa mère, un homme sanglant et meurtri,
et même un cadavre muet, que sa mère tient dans ses bras.
L’idée que quiconque puisse prendre au sérieux l’intrigue
du Da Vinci Code est riche d’enseignements : elle nous apprend que trop
de gens – chrétiens ou non – n’ont absolument aucune idée
du portrait que les évangiles nous tracent de Jésus, non
plus que de la riche tradition de la réflexion théologique
et spirituelle chrétienne sur le mystère de l’humanité
de Jésus. Tout ce que ces gens peuvent savoir à propos de
Jésus, ils ne l’ont pas appris dans les évangiles ni par
la tradition chrétienne ; de ce fait, ils sont prêts à
admettre des distorsions manifestes telles que celle que l’on trouve dans
le Da Vinci Code.
Le christianisme n’accorderait aucune valeur à l’humanité
de Jésus ? Pour trouver la vérité, il suffit d’aller
voir ce qui est accroché au mur de l’église la plus proche
: deux bouts de bois ; un homme – pas un esprit ; pas un mythe. Un homme.
Pour en savoir plus
Luke Timothy JOHNSON : Jésus sans parti pris, Éditions du Cerf, Paris 2000.
Pour faire le point
1. Pourquoi est-il faux de dire que les écrits gnostiques présentent
une vision de Jésus « plus humaine » que celle des évangiles
canoniques ?
2. Quels sont les indices qui permettent de penser que Jésus
n’était pas marié ?
Pour discuter
1. Citez quelques-unes des réactions à l’égard
de Jésus au cours de son ministère. Pourquoi, à votre
avis, les gens avaient-ils des réactions différentes ?
2. Pourquoi est-il si important, pour la foi chrétienne, d’affirmer
la nature pleinement humaine de Jésus ?
Chapitre 5
MARIE DITE DE MAGDALA, OU MARIE MADELEINE
Bien entendu, le Da Vinci Code ne parle pas que de Jésus. Un
autre de ses thèmes récurrents est le personnage de Marie
Madeleine, dont il prétend qu’elle fut la femme de Jésus.
Avant d’en venir à ce que nous savons de Marie Madeleine (à
vrai dire, pas grand-chose), voyons rapidement ce que Brown dit à
son propos.
D’après lui, c’était une juive de la tribu de Benjamin
; elle avait épousé Jésus et elle eut de lui un enfant.
Jésus avait eu l’intention de lui confier la direction de l’Église,
celle-ci devant avoir pour but la réintégration, dans la
vie et la conscience des êtres humains, du « Féminin
sacré ». Après la crucifixion de Jésus, elle
se serait réfugiée dans la communauté juive établie
en Provence, où elle aurait trouvé protection pour elle-même
et son enfant : Sarah. Son sein, c’est le « Graal ». Ses reliques
se trouvent sous la pyramide de verre qui sert d’entrée au musée
du Louvre. Le Prieuré de Sion et les Templiers étaient chargés
de protéger son histoire et ses reliques. Les membres du Prieuré
la vénèrent « comme la Déesse […] et la Mère
divine » (p. 319).
Royauté juive… femme de Jésus… Saint Graal… Déesse.
Tout y est.
Considérant que Marie de Magdala n’est mentionnée qu’à
de rares reprises dans les évangiles, d’où Dan Brown a-t-il
pu tirer toutes ces idées ?
C’est bien simple : la réponse est donnée dans le roman.
Teabing, notre érudit ami, montre sa bibliothèque et dit
: « La lignée royale de Jésus a fait l’objet d’innombrables
chroniques publiées par un grand nombre d’historiens » (p.
316) (où l’on retrouve la patine de l’érudition).
Il cite La révélation des Templiers et Sang sacré
et Saint-Graal – deux ouvrages pseudo-historiques énonçant
une théorie de la conspiration, ainsi que La déesse des évangiles
et La femme au visage d’albâtre, tous deux de Margaret Starbird qui,
entre autres choses, recourt à la numérologie – le total
des nombres contenus dans le nom sous lequel on la connaissait – pour conclure
que Marie Madeleine était honorée comme déesse chez
les premiers chrétiens :
« Ils comprenaient la "théologie des nombres" du monde
hellénique, les nombres codés, dans le Nouveau Testament,
selon l’ancien canon de la géométrie sacrée énoncé
par les pythagoriciens plusieurs siècles auparavant […] Ce n’est
pas sans raison que l’épithète de Marie Madeleine comportait
les nombres qui, pour les érudits de ce temps, l’identifiaient à
la "déesse des évangiles" » (Mary Magdalene : The Beloved,
par Margaret Starbird ; www.magdalene.org/beloved-essay.htm).
Là, il faut vraiment prendre le temps de réfléchir
un peu. Selon Brown, on ne peut pas lire ou prendre les évangiles
« au pied de la lettre », et son livre ne nous autorise pas
un instant à croire qu’ils communiquent une quelconque vérité
à propos des événements qu’ils décrivent. Mais
se pourrait-il qu’ils nous disent sous une forme codée que les premiers
chrétiens considéraient Marie Madeleine comme une déesse
?
Mais alors, s’ils la considéraient comme une déesse,
pourquoi ne l’ont-ils pas dit ouvertement ? Pourquoi s’embêter avec
cette histoire d’un Jésus crucifié-ressuscité quand
on peut tout simplement adorer la Madeleine, si on y tient vraiment ? Il
ne faudrait pas croire qu’il y eût une quelconque censure sociale,
culturelle ou politique appliquée à ceux qui voulaient adorer
une déesse. Cela ne vous valait pas d’être arrêté,
emprisonné et exécuté – comme, par contre, ce fut
le cas pour ceux dont la foi était centrée sur un certain
autre personnage, que nous ne nommerons pas et qui, à ce que d’aucuns
racontent, n’aurait été adoré qu’au IVe siècle.
Alors, une fois encore, avant de nous énerver à propos
des affirmations historiques que l’on trouve dans le Da Vinci Code, il
est important, comme toujours, de vérifier les sources. Pour ce
qui est dit dans ce livre à propos de Marie Madeleine, en voici
l’essentiel :
Marie Madeleine était la femme de Jésus, la mère
de son enfant, et c’est elle le véritable « Saint-Graal »
– La révélation des Templiers et Sang sacré et Saint-Graal
.
Marie Madeleine était une déesse, source du « Féminin
sacré » – les livres de Margaret Starbird.
C’est Marie Madeleine qui avait été placée à
la tête du christianisme primitif – différents auteurs contemporains
qui travaillent sur les textes gnostiques.
Avant d’entrer dans le détail de ces différents points,
il ne sera pas inutile de suspendre un instant toute spéculation
et de prendre le temps de consulter les ouvrages où il est question
de Marie Madeleine : les évangiles.
Qui était Marie Madeleine ?
Il est indubitable que Marie Madeleine est un personnage historique.
Elle est nommément citée dans les évangiles et joue
un rôle extrêmement important, avec d’autres femmes, en relation
avec la Passion et la Résurrection de Jésus.
Un seul évangile la mentionne en dehors du cadre des derniers
jours de Jésus : c’est Luc, qui nous montre Jésus prêchant
et proclamant la Bonne Nouvelle, accompagné par les Douze Apôtres,
« ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries
d’esprits mauvais et de maladies : Marie, appelée la Magdaléenne,
de laquelle étaient sortis sept démons, Jeanne, femme de
Chouza, intendant d’Hérode, Suzanne et plusieurs autres, qui les
assistaient de leurs biens » (Luc 8, 2-3).
Ces femmes, semble-t-il originaires de Galilée, ont décidé
de prendre parti pour Jésus et de le soutenir matériellement,
notamment en lui offrant ses repas et, peut-être même, de l’argent.
Pour d’autres évocations certaines de Marie Madeleine, il nous
faut aller jusqu’à la fin des évangiles qui, tous, nous la
présentent témoin de la crucifixion de Jésus et assistant
à son ensevelissement, puis venant au tombeau, au matin de Pâques,
pour oindre son corps.
« Madeleine » n’est pas à proprement parler le nom de Marie : à cette époque, les gens n’avaient pas de nom de famille. On les identifiait en relation avec leur père ou avec leur lieu de naissance. Pour la plupart des spécialistes, Madeleine, ou « la Magdaléenne » signifie « de Magdala », qui est une ville sur le rivage occidental du lac de Galilée.
C’est là – les quatre évangiles sont tous d’accord sur
ce point – que Marie Madeleine reçoit la Bonne Nouvelle, qui lui
est annoncée d’abord par un ange (cf. Matthieu 28, 1-7 ; Marc 16,
1-8 ; Luc 24, 1-10) puis par Jésus lui-même, qui non seulement
apparaît à Marie et aux autres femmes, leur disant de ne pas
avoir peur, mais leur enjoint d’aller communiquer cette Bonne Nouvelle
aux Apôtres.
Dans ce sens, effectivement, Marie Madeleine fut l’une des premières
« missionnaires » ou, ainsi qu’elle est appelée par
les orthodoxes, « l’égale des Apôtres », dans
la mesure où elle a annoncé la Bonne Nouvelle que Jésus
était ressuscité.
Mais alors, que s’est-il passé ?
On remarquera ce qui manque (à part, bien entendu, l’histoire
de la déesse) dans notre liste des rares mentions qui sont faites
de Marie Madeleine : n’était-elle pas une prostituée repentie
?
Cet aspect joue un grand rôle dans le Da Vinci Code : il est
dit à plusieurs reprises que, si Marie Madeleine est présentée
comme une prostituée, cela fait partie d’un méchant complot
ourdi par l’Église pour empêcher de penser – et même
de démontrer historiquement (à ce que dit l’auteur) – que
Marie Madeleine occupait la première place dans le christianisme
primitif.
Deux choses : il est vrai que cette association de Marie Madeleine
avec la prostitution s’est développée au cours des siècles
dans l’Église d’Occident (mais pas dans l’Église d’Orient).
Cela dit, rien ne prouve que cela ait été inspiré
(comme l’affirment Brown et ses sources) par la malignité, la misogynie
ou la crainte de l’autorité féminine.
Plusieurs Marie sont mentionnées dans les évangiles,
ainsi d’ailleurs que d’autres femmes qui ont joué un rôle
non négligeable mais dont ils ne précisent pas le nom. Longtemps,
ceux qui lisaient l’Écriture soit ont confondu les différentes
Marie, soit se sont demandé s’il n’était pas justifié
d’associer une Marie mentionnée à un endroit et une autre
Marie – ou une autre femme – mentionnée ailleurs.
Par exemple, il y a deux récits dans lesquels une femme oint
les pieds de Jésus et les essuie avec ses cheveux. En Luc 7, 36-50,
Jésus rencontre une femme « qui était une pécheresse
» et qui, versant des larmes de repentir, lui arrose les pieds de
ses larmes et les essuie avec ses cheveux. Elle fait cette onction en signe
de gratitude pour celui qui lui a pardonné ses péchés
(lesquels, précisons-le, ne sont pas énoncés explicitement).
En Jean 12, 1-8, alors qu’il se rend à Jérusalem, Jésus
fait halte chez Lazare, qu’il a ressuscité (cf. Jean 11) et ses
sœurs : Marthe et Marie. Marie oint les pieds de Jésus et les sèche
avec ses cheveux : c’est une préfiguration solennelle de l’onction
qu’il recevra lorsqu’il sera enseveli, quelques jours plus tard.
L’histoire de la pécheresse repentante que nous raconte Luc
précède de quelques versets la mention nominale qu’il fait
de Marie Madeleine, et c’est ainsi que certains – notamment le pape Grégoire
Ier dans un sermon qu’il a prononcé en 591 – en sont venus à
associer les deux femmes. Le problème de cette théorie, c’est
que, lorsque Luc présente quelqu’un – homme ou femme – par son nom,
il l’identifie immédiatement. Beaucoup de gens pensent que, si cette
femme était effectivement Marie Madeleine, il aurait tout de suite
donné son nom plutôt que de ne le préciser que la deuxième
fois qu’il en parle.
Ensuite, comme Marie de Béthanie oint Jésus avant qu’il
entre à Jérusalem, certains ont identifié cette femme
avec celle dont il est question en Luc 7, puis avec la femme appelée
« la Magdaléenne » en Luc 8, regroupant donc trois femmes
sous un seul nom.
C’est exactement ce qui s’est passé dans l’Église d’Occident
qui, depuis le début du moyen-âge jusqu’à la réforme
du calendrier liturgique en 1969, a célébré la mémoire
de Marie Madeleine le 22 juillet – en fait, des trois femmes mentionnées
dans chacun de ces récits.
L’Église orthodoxe, par contre, n’a pas confondu ces trois femmes,
elle y a toujours vu des personnages distincts. L’Église orthodoxe
vénère particulièrement Marie Madeleine et la qualifie
de « myrrhophore » – la « porteuse de myrrhe »,
qui était l’un des onguents employés pour l’onction des morts
– et d’« égale des Apôtres ».
Il s’agit là d’un point extrêmement important, et même
essentiel.
Selon Brown, qui le dit et le redit, Marie Madeleine fut marginalisée
et diabolisée par le christianisme traditionnel qui, d’après
lui, en a donné l’image d’une femme perdue, d’une prostituée,
et ainsi de suite, prétendument pour la dévaloriser.
Comme beaucoup de choses que nous trouvons chez Brown, cela est non
seulement faux mais complètement absurde.
Le christianisme, tant en Orient comme en Occident, honore Marie Madeleine
comme une sainte.
Une sainte. Des églises lui ont été dédiées,
on a prié sur ce que l’on pensait être sa tombe, devant ce
qu’on pensait être ses reliques, et on lui a attribué des
miracles.
Comment peut-on, au nom du ciel et de l’univers, prétendre qu’elle
a été diabolisée ?
Réponse : c’est faux.
Quant au thème de la prostitution, même dans les parties
de la chrétienté qui ont effectivement établi un lien
entre Marie Madeleine et « la femme qui […] était une pécheresse
» mentionnée en Luc 7, on n’a pas tellement insisté
sur son péché parce que, bien entendu, le christianisme ne
s’attarde pas sur le péché après la repentance. Voilà
ce que cela signifie que de croire en Jésus. Non, ainsi que la légende
l’atteste, si on se souvient de Marie Madeleine, c’est surtout pour son
rôle de témoin de la résurrection de Jésus.
Avant la Renaissance, les représentations picturales de Marie
Madeleine étaient plutôt sereines. C’est seulement à
partir de la Renaissance que l’on commence à voir des Marie Madeleine
échevelées, à moitié nues et repentantes. À
partir de la Renaissance, les artistes ont de plus en plus souvent voulu
donner une représentation plus réaliste de la forme humaine
et intégrer plus explicitement les sentiments humains dans leurs
œuvres. La façon dont Marie Madeleine était représentée
dépendait beaucoup moins de la manière dont l’Église
parlait d’elle que de considérations artistiques.
« Le christianisme de Madeleine »
C’est l’expression que Jane Schaberg emploie pour décrire la
conception qu’elle se fait des futures possibilités du christianisme
en s’appuyant sur les hypothèses qu’elle émet à propos
du passé.
Schaberg et d’autres auteurs féministes de notre époque,
notamment Karen King, de la faculté de théologie de l’université
Harvard, se sont appuyées sur le rôle important attribué
à Marie Madeleine dans quelques écrits gnostiques de la fin
du IIe siècle et des siècles suivants pour affirmer qu’il
révèle une lutte pour le pouvoir au sein du christianisme,
entre le parti de Pierre et celui de Marie Madeleine.
C’est expressément ce que déclare Teabing dans le Da
Vinci Code, affirmant que l’art de Léonard de Vinci fournit lui
aussi des indices sur cette vérité, une vérité
qui, fait-il remarquer, est contenue dans ces « évangiles
non remaniés ».
Marie Madeleine en Provence : Selon le roman de Brown, Marie Madeleine aurait terminé sa vie en Provence, dans le sud de la France. Il est vrai que, selon certaines légendes de la tradition catholique, elle aurait bien vécu dans cette région, et on lui attribue d’ailleurs d’avoir évangélisé la population de cette région. Par contre, selon la tradition orthodoxe, elle serait allée à Éphèse où elle aurait évangélisé la région avec Jean.
Passons rapidement en revue les problèmes de logique que pose
cette assertion telle qu’elle est exprimée dans le roman.
Si le parti de Pierre – dont on peut supposer qu’il est le «
gagnant », de ces vainqueurs dont Brown dit qu’ils écrivent
l’histoire – était à ce point décidé à
éliminer Marie Madeleine et à dévaloriser son importance,
pourquoi avoir quand même mentionné son rôle de premier
plan dans les récits de la Résurrection, qui la présentent
comme la première à avoir reçu la Bonne Nouvelle ?
Brown nous a dit auparavant que, avant que Constantin eût commis
le méfait que l’on sait en 325, tous les chrétiens croyaient
que Jésus étaient simplement un « homme mortel ».
Si c’était le cas, qui donc alors constituait le parti de Pierre
? C’étaient probablement les « gagnants », les «
vainqueurs », ce qui signifie, nécessairement, qu’ils devaient
croire à la divinité de Jésus, puisque c’est cette
vue qui a « gagné » – mais voilà : la divinité
de Jésus n’a-t-elle pas été inventée en 325
? Alors, où étaient tous ces gens pendant ce temps-là
?
Enfin, si c’est un véritable plaisir de mettre à nu ces
incohérences logiques criantes, il nous faut quand même considérer
les preuves.
Est-il prouvé qu’il y ait eu un élément chrétien
orthodoxe dans un conflit pour la suprématie entre le parti de Pierre
et celui de Marie Madeleine, et qui aurait eu pour conséquence de
rabaisser cette dernière ?
Non. C’est de la spéculation pure et simple qui se fonde sur
une lecture idéologique de textes rédigés au moins
cents ans après la vie de Jésus. Il est vrai que certaines
sectes gnostiques qui se sont constituées au IIe siècle ont
manifestement accordé un rôle de premier plan à Marie
Madeleine. Pourtant, les passages de ces écrits gnostiques qui évoquent
une intimité entre Jésus et Marie Madeleine ne contiennent
aucun élément que l’on puisse faire remonter au Ier siècle
; ces passages ont une fin théologique : de façon générale,
ils servent à accréditer leur version particulière
du christianisme et à dévaloriser le rôle de Pierre
et des Apôtres.
Mais ce qui est important, c’est ceci : si des auteurs chrétiens
orthodoxes de cette époque avaient été au courant
de telles assertions, et si elles les avaient préoccupés,
ils en auraient probablement parlé pour les réfuter ; c’est
d’ailleurs ce qu’ils ont fait pour certaines sectes gnostiques qu’ils vitupéraient
et dans lesquelles des femmes avaient des fonctions de chef ou de prophète.
Pourtant, les textes que nous connaissons ne critiquent aucun groupe en
particulier pour avoir attribué à Marie Madeleine la place
prééminente de Pierre. En outre, il est curieux de constater
que, pendant cette période – au cours de laquelle Marie Madeleine
est censée avoir été diabolisée par les chrétiens
orthodoxes –, nous ne trouvons que des éloges à son égard.
Hippolyte, qui écrivait à Rome à la fin du IIe
siècle et au début du IIIe siècle, présente
Marie Madeleine comme une Nouvelle Ève, dont il oppose la fidélité
au péché d’Ève au Jardin d’Éden (cette image
est d’ailleurs plus couramment employée à propos de Marie,
Mère de Jésus). Il dit aussi de Marie Madeleine qu’elle fut
« l’apôtre des Apôtres ». Saint Ambroise et saint
Augustin, qui écrivaient environ un siècle plus tard, qualifiaient
aussi Marie Madeleine de « Nouvelle Ève ».
Donc, une fois encore, rien de ce que Brown veut nous faire croire
n’est logique ni cohérent. À l’époque où le
parti de Marie Madeleine était censé être en lutte
contre le parti de Pierre pour s’emparer de l’âme de l’Église,
les Pères de l’Église sont très élogieux à
son égard et ils accordent une très grande valeur aux évangiles
qui racontent le rôle qui fut le sien après la Résurrection.
Dans la réalité de ce que les Écritures nous disent
de Marie Madeleine ou dans la manière dont elle a été
considérée dans les traditions chrétiennes tant de
l’Orient que de l’Occident, il n’y a rien qui confirme aussi peu que ce
soit tout ce qu’affirme Brown.
Par contre, nous ne cessons de constater, au fil de nos découvertes,
que la réalité est beaucoup plus intéressante et qu’elle
est une source d’inspiration beaucoup plus authentique que tout ce que
les affabulations du Da Vinci Code pourraient inciter à penser.
Pour en savoir plus
Mary Ann GETTY-SULLIVAN : Women in the New Testament, Liturgical Press, 2001.
Pour faire le point
1. D’après les évangiles, qui était Marie Madeleine
?
2. Quel est le souvenir qu’a laissé Marie Madeleine tout au
long de l’histoire du christianisme ?
Pour discuter
1. Qu’est-ce que les chrétiens d’aujourd’hui peuvent apprendre
du rôle de premier plan joué par Marie Madeleine dans les
récits de la Résurrection ?
2. Quel rôle les femmes semblent-elles jouer dans le ministère
de Jésus ? Quel est l’enseignement que nous donne leur témoignage
à propos de ce que cela signifie que d’être un disciple du
Christ ?
Chapitre 6
L’ÂGE DE LA GRANDE DÉESSE ?
Pour beaucoup de lecteurs, l’un des éléments les plus
séduisants du Da Vinci Code, c’est l’idée du « Féminin
sacré ».
Ce que Brown prétend révéler à propos du
passé les intrigue : il y aurait eu, dans les ténèbres
de l’histoire, une période au cours de laquelle, à tout le
moins, l’humanité avait la conscience qu’il était nécessaire
de maintenir l’équilibre entre l’élément masculin
et l’élément féminin ; pour ce faire, les gens adoraient
des divinités et esprits tant masculins que féminins. Plus
intéressant encore aux yeux des lecteurs, c’est qu’il y aurait eu
une époque, comme Langdon l’explique à Sophie, au cours de
laquelle le monde était régi par un « paganisme matriarcal
» (p. 251).
Les lecteurs se passionnent également pour ce que dit Brown
à propos de la place des femmes dans le christianisme, à
savoir que Jésus enseignait la réunion des aspects masculin
et féminin de la réalité et que, dans les premiers
temps du christianisme, c’étaient des femmes qui dirigeaient les
communautés, jusqu’au moment où la « chrétienté
patriarcale » a mené « une campagne de propagande qui
diabolisait le "Féminin sacré", faisant disparaître
à jamais la déesse de la religion moderne » (p. 251).
On comprend facilement qu’une telle conception du passé ait
de quoi séduire – en particulier les femmes qui ne se sentent pas
à leur place dans le christianisme en raison d’une conception de
la femme qu’elles jugent (à tort ou à raison) injuste.
Bien évidemment, on peut comprendre qu’une telle présentation
des choses soit séduisante. Mais à quoi bon une telle vision,
comment peut-elle être source de force et d’inspiration – si elle
n’est pas vraie ?
Le « Féminin sacré »
Lorsqu’il parle (et il ne s’en prive pas) du « Féminin
sacré », Brown s’inspire de plusieurs courants de pensée.
Le premier est une école de pensée qui est née
au cours du XIXe siècle et qui posait pour principe que le culte
des déesses que pratiquaient les peuples anciens avait sa source
dans un culte, plus élémentaire, d’une grande « Déesse
Mère », ce qu’expliquait en partie la grande vénération
qu’avaient les peuples anciens pour le mystère et la puissance de
l’accouchement. Pour étayer cette théorie, ses adeptes s’appuyaient
sur des artéfacts, entre autres des figurines représentant
des femmes enceintes, et cette théorie a évolué au
XXe siècle jusqu’au point où certains auteurs affirment,
selon Charlotte Allen, :
« Cette culture en harmonie avec la nature, respectueuse
de la femme, pacifique et égalitaire, a prédominé
pendant des millénaires dans ce qui est aujourd’hui l’Europe occidentale
[…] jusqu’à ce que des peuplades indo-européennes envahissent
toute la région, y introduisant des dieux guerriers, des armes destinées
à tuer des êtres humains, et la civilisation patriarcale »
(The Atlantic, janvier 2001).
Pourtant, ces dernières années, ce mythe de la Déesse
Mère a été fortement mis à mal par l’idéologie
qui inspirait ces conclusions, par la nature ambiguë des artéfacts
présentés ainsi que par la découverte, sur bon nombre
des sites de fouilles évoqués à ce propos, d’armes
et d’indices probants d’une division du travail entre hommes et femmes.
Il n’existe aucun élément probant permettant de penser qu’une
telle ère ait jamais existé.
L’une des affirmations les plus bizarres de Brown, c’est que même
le judaïsme ancien accordait une place particulière au «
Féminin sacré », considéré comme un aspect
particulier du divin : il en veut pour preuve l’existence de rites sexuels
pratiqués dans le Temple de Jérusalem.
C’est là quelque chose de très curieux, et on se demande
d’où Brown a tiré cela. Il n’existe en tout cas aucun élément
qui l’atteste, et cette affirmation est même en contradiction flagrante
avec ce qui, selon les Écritures hébraïques, est requis
de la part de ceux qui offraient des sacrifices dans le Temple et y participaient
à des cérémonies : une pureté rituelle scrupuleuse,
qui impliquait de s’abstenir de toute activité sexuelle pendant
un certain temps avant de participer aux cérémonies. Le jésuite
Gerald O’Collins, spécialiste des Écritures, démonte
clairement cette affirmation :
« À propos du judaïsme, Brown énonce un certain
nombre d’erreurs manifestes à propos des rites sexuels et de Dieu.
Les spécialistes de l’Ancien Testament admettent que, parfois, on
recourait à la prostitution pour obtenir de l’argent pour le Temple.
Cela dit, il n’existe aucun indice probant qui permette de parler de prostitution
sacrée ou rituelle, et absolument aucun qui permette d’affirmer
que des hommes israélites venaient au Temple pour y faire l’expérience
du divin et atteindre à la plénitude spirituelle en ayant
des relations sexuelles avec des prêtresses (p. 388). […] Sur la
même page, Brown explique que le Saint des Saints "abritait non seulement
Dieu mais aussi son puissant double féminin, Shekinah". Ce terme
n’apparaît nulle part en tant que tel dans la Bible, mais uniquement
dans les écrits rabbiniques ultérieurs : la Shekinah, c’était
la proximité de Dieu à son peuple, et non pas une quelconque
princesse consorte » (America,15 décembre 2003).
O’Collins démonte de même l’affirmation qu’avance Brown
dans le même passage, selon laquelle YHWH viendrait de Jéhovah
– alors que, en fait, c’est exactement le contraire :
« C’est une absurdité ahurissante que d’affirmer, comme
un "fait établi", que le tétragramme sacré : YHWH
"est en fait dérivé de Jéhovah qui traduit l’union
physique du masculin Jah et du nom pré-hébraïque d’Ève,
à savoir Hava". En hébreu, YHWH s’écrit sans signe
de voyelle. Les juifs ne prononçaient pas le nom sacré mais,
apparemment, ces quatre consonnes devaient effectivement se prononcer "Yahweh".
Au XVIe siècle, certains auteurs chrétiens commencèrent
à écrire "Jéhovah", pensant, à tort, qu’ils
avaient employé les voyelles correctes. Jéhovah est un nom
artificiel créé il y a moins de cinq cents ans, et ce n’est
certainement pas un ancien nom androgyne dont serait dérivé
YHWH. » (ibid.)
Il est vrai que les cultures anciennes adoraient des déesses,
ainsi que le font aujourd’hui encore certains systèmes animistes
et polythéistes (notamment l’hindouisme). La plupart des divinités
féminines sont des consorts de divinités masculines. Dans
les systèmes anciens se reflète effectivement la conscience
des principes masculin et féminin, qui sont conjoints dans la réalité
des choses ; par contre, on n’y trouve aucune conscience ou révérence
particulière pour le « Féminin sacré »
tel que Brown le présente d’un bout à l’autre de son roman.
Quand on étudie d’un peu près le christianisme catholique
et orthodoxe tel qu’il est pratiqué depuis deux mille ans, on ne
peut pas dire qu’on y trouve une spiritualité totalement imprégnée
de patriarcalisme aux dépens du féminin. Mais nous y reviendrons.
Enfin, on pourrait penser que des sociétés nourries d’un
système spirituel du type que Brown décrit seraient profondément
égalitaires. Curieusement, on ne trouve aucun exemple d’un tel égalitarisme
dans les cultures anciennes qui adoraient à la fois des dieux et
des déesses, ni même d’ailleurs dans celles (qui ne sont pas,
et de loin, aussi répandues que le laisse entendre Brown) qui pratiquaient
des rites sexuels, lesquels, selon cet auteur, étaient censés
associer les principes masculin et féminin dans un tout extatique
et vivificateur.
Hérétiques et sorcières
Lorsque l’ère matriarcale eut été supplantée,
si l’on suit bien le scénario proposé, au cours de l’étape
suivante, la vénération du Féminin aurait dû
passer dans la clandestinité.
Pour ce qui est du christianisme, Brown s’appuie sur les ouvrages de
différents auteurs contemporains qui ont écrit sur les femmes
et le christianisme primitif pour affirmer que l’une des branches du mouvement
issu de Jésus était centrée sur la femme. Selon le
scénario de Brown, c’est ce que nous racontent les écrits
gnostiques qui donnent à Marie Madeleine la place première
et centrale.
Mais ces systèmes étaient bien éloignés
du courant principal du christianisme : pour eux, le Christ et certains
de ses enseignements n’étaient que des moyens pour exprimer des
idées essentiellement gnostiques. Celles-ci n’avaient aucun lien
direct avec les premiers témoignages chrétiens mais elles
ne relevaient pas non plus d’une tradition ininterrompue qui aurait été
centrée sur le « Féminin sacré ».
C’est pourtant ce qu’affirme le Da Vinci Code. Après que le
christianisme orthodoxe eut « gagné » à Nicée,
toujours selon ce scénario, il aurait continué à supprimer
tout ce qui allait dans le sens d’une croyance païenne (en fait :
la dévotion au « Féminin sacré ») ou y
aurait effectué une sélection. Bien plus, ce christianisme
orthodoxe aurait violemment combattu ceux qui persévéraient
dans les anciennes pratiques, et notamment éliminé les sorcières.
Cinq millions pour être précis.
Oui, vous avez bien lu. Brown affirme que cette hostilité latente
à l’égard des femmes, qui a mijoté pendant des siècles,
a fait éruption lorsque l’Église catholique a exécuté
cinq millions de femmes en trois siècles de chasse aux sorcières.
(Brown ne précise pas de quels siècles il s’agit, mais on
peut penser qu’il s’agit de la période entre 1500 et 1800 environ
: on sait en effet que c’est à cette époque que la chasse
aux sorcières fut la plus intense en Europe.)
Vous avez peut-être déjà vu ou entendu ce chiffre
quelque part – on le retrouve souvent dans des discussions sur Internet
à propos de tous les maux que l’on peut reprocher à l’Église
catholique. Mais, comme tant d’autres choses dans ce livre, ce chiffre
est faux.
Dans son article paru dans la revue Atlantic, Charlotte Allen présente
une synthèse des travaux les plus récents (et extrêmement
nombreux) consacrés à ce sujet : selon elle, la plupart des
spécialistes sont d’accord pour dire que, au cours de cette période,
il y eut environ quarante mille exécutions suite à des procès
en sorcellerie ; certaines peuvent être attribuées à
des organismes catholiques, d’autres à des organismes protestants,
mais la plupart ont été le fait des gouvernements. Soit dit
en passant, sur toutes les accusations de sorcellerie, environ vingt pour
cent étaient portées contre des hommes.
« L’étude récente la plus complète sur la
sorcellerie dans l’histoire, qui a été publiée en
1996, est : Witches and Neighbours, de Robin Briggs, historien à
l’université d’Oxford. Briggs a passé en revue les minutes
des procès de sorcellerie en Europe et il est arrivé à
la conclusion que la plupart de ces procès ont eu lieu au cours
d’une période relativement brève, entre 1550 et 1630, que,
en majorité, ils se sont déroulés dans ce qui est
aujourd’hui la France, la Suisse et l’Allemagne, trois pays fortement perturbés
par les troubles religieux et politiques qui ont suivi la Réforme.
Parmi les personnes accusées de sorcellerie, relativement peu nombreuses
étaient les femmes cultivées : la plupart étaient
pauvres et impopulaires. Dans la plupart des cas, leurs accusateurs étaient
des gens ordinaires (hommes et femmes) et non pas des autorités
religieuses ou civiles. En fait, de façon générale,
les autorités n’aimaient pas les cas de sorcellerie, et elles ont
acquitté plus de la moitié des personnes accusées.
Briggs a également découvert qu’aucune des sorcières
condamnées et exécutées ne l’avait été
spécifiquement pour avoir pratiqué une religion paÏenne.
» (Charlotte ALLEN : « The Scholar and the Goddesses »
in: Atlantic Monthly, janvier 2001).
Bien entendu, il est tragique et, à nos yeux, injuste, que des
hommes et des femmes aient été exécutés par
qui que ce soit pour l’une quelconque de ces raisons. Cependant, à
considérer l’histoire de l’humanité dans sa totalité,
on constate que la plupart des sociétés n’ont pas pratiqué
la liberté de pensée, de religion ou d’expression. En fait,
c’est même exactement le contraire : la plupart des sociétés
ont imposé des sévères restrictions à ce que
ses membres pouvaient dire publiquement ou encourager d’autres à
faire, et, souvent, ceux qui ne respectaient pas ces règles étaient
sévèrement châtiés. Les Églises catholique
et protestantes n’ont rien inventé. Bien entendu, il n’en est pas
moins regrettable que, au cours de ces périodes, les Églises
chrétiennes n’aient pas été de plus solides témoins
de l’Évangile.
Le Malleus Maleficarum (« Marteau des sorcières »)
existe-t-il vraiment ? Oui ; mais si c’est un livre important, il ne faut
pas croire que, comme le prétend Brown, il ait été
un manuel universel qui permettait de juger les sorcières. Il a
été écrit par un dominicain, Heinrich Kramer, qui
prétend s’être appuyé, pour l’écrire, sur son
expérience personnelle, après avoir jugé plus de cent
cas. En fait, les documents montrent qu’il n’a jugé que huit femmes
et que l’évêque de la ville voisine, où il avait essayé
de s’installer, l’en avait expulsé.
N’aurait-on pas oublié quelqu’un ?
Dans le Da Vinci Code, Brown soutient que, au cours de ces deux derniers
millénaires, le christianisme a été violemment patriarcal,
anti-féministe et résolu à éliminer toute trace
du « Féminin sacré », sous quelque forme qu’il
pût se présenter.
Apparemment, Brown n’a jamais entendu parler de Marie, Mère
de Jésus.
Pour bien se rendre compte à quel point les affirmations de
ce roman sont éloignées de la vérité du christianisme,
il suffit de réfléchir à cette omission flagrante
et très curieuse – et de se demander à quoi elle est due.
La seule conclusion que l’on puisse tirer, c’est que, si Brown avait accordé
ne fût-ce que la moindre attention à l’importance considérable
de Marie dans la pensée et l’expression chrétiennes, cela
aurait sapé à la base son affirmation selon laquelle le christianisme
orthodoxe éprouve une peur mortelle pour le « Féminin
sacré » – aussi a-t-il naturellement préféré
faire comme si de rien n’était.
Mais la réalité est pourtant bien là. Jaroslav
Pelikan spécialiste en la matière, écrit :
« Si nous pouvions redonner leur voix aux millions de femmes
silencieuses du moyen-âge, les témoignages qui nous ont été
transmis par celles qui ont effectivement laissé quelque chose par
écrit permettent sérieusement de penser que c’est au personnage
de Marie que beaucoup d’entre elles se sont identifiées – à
son humilité, bien sûr, mais aussi à son courage et
à sa victoire […] C’est précisément en raison du rôle
qu’elle joue depuis vingt siècles que la Vierge Marie a suscité
le plus de réflexions et de discussions sur le rôle et le
sens de la femme qu’aucune autre femme de l’histoire de l’Occident »
(Mary Through the Centuries, p. 219).
Lorsque des êtres humains essaient de comprendre Dieu et d’établir
une relation à Lui, la nature humaine qui rend possible l’intimité
avec Dieu – puisque les êtres humains sont faits à Son image
– est précisément ce qui les limite. Notre langage est limité,
et donc ce que nous pouvons dire à propos de Dieu est aussi limité
: ce que nous pouvons penser de Dieu est borné par les limites de
ce que nous permet d’atteindre notre existence de créatures incarnées
dans l’espace, le temps et une expérience particulière dans
le monde.
Mais c’est précisément dans ce monde-là, en utilisant
la matière qu’Il a créée, que Dieu vient gratuitement
à notre rencontre et se fait connaître. Ce que les chrétiens
ont pu constater par expérience au cours des siècles, c’est
que, si Marie n’est pas Dieu, parce qu’elle est la Mère de Dieu,
par le rôle qu’elle a joué dans l’histoire de notre salut
– par son « oui » à Dieu, son « fiat » –,
sa vie nous révèle la fidélité de Dieu, Sa
compassion et, oui ! la plénitude de Son amour tel qu’il s’exprime
dans l’amour d’une mère.
Teabing dit que « le pictogramme d’Isis allaitant son nouveau-né Horus a servi de base aux images de la Vierge et de l’Enfant Jésus » (p. 290). À vrai dire, quand il s’agit de mères et d’enfants, il y a évidemment un certain nombre de comportements typiques qu’on retrouve nécessairement dans toute iconographie ; c’est le cas ici. Mais Teabing laisse entendre qu’il y a une relation de cause à effet : honorer Marie, c’est imiter le culte d’Isis. Non. Dans le monde romain, on établissait un lien étroit entre Isis et la prostitution ; quant à la conception « miraculeuse » qu’évoque Teabing, il y a deux possibilités : il s’agit soit de la reconstitution, par Isis, du corps démembré de son époux mort, soit de magie. Il n’y a pas grand-chose de commun entre les deux (cf. Michael P. CARROLL : The Cult of the Virgin Mary, Princeton University Press, 1986, pp. 8-9).
Le personnage de Marie, Mère de Jésus, n’est pas dépourvu
de toute ambiguïté et il comporte de multiples facettes. Il
y a même des chrétiens que gêne cette attention portée
à Marie, considérant qu’elle empiète sur un domaine
d’expression et de dévotion qui devrait être réservé
à Dieu seul. C’est d’ailleurs là un argument qui vaut tout
autant contre les affirmations de Brown à propos de la tradition
chrétienne.
Quoi que l’on puisse penser de Marie ou de la dévotion dont
elle fait l’objet, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir et admettre qu’elle
joue un rôle essentiel – on pourrait dire central – dans la pensée,
la prière et la dévotion des chrétiens, et cela depuis
des centaines d’années.
Sur ce point encore, Brown est dans l’erreur. Le christianisme n’a
pas étouffé la dévotion pour le « Féminin
sacré » ; en Marie, le christianisme catholique et orthodoxe
a glorifié et nourri ce concept (certains diront même qu’il
est allé trop loin).
Mais ne pas vouloir le reconnaître, c’est ne pas vouloir reconnaître
la vérité. Pour autant que la vérité ait une
quelconque importance, évidemment.
Pour en savoir plus
Philip DAVIS : Goddess Unmasked: The Rise of Neopagan Feminist Spirituality,
Spence Publishers, 1998.
Jaroslav PELIKAN : Mary Through the Ages : Her Place in the History
of Culture, Yale University Press, 1996.
Pour faire le point
1. Comment peut-on démontrer la fausseté de la théorie
selon laquelle, autrefois, le monde vivait dans le matriarcat qui honorait
le « Féminin sacré », considéré
comme force spécifiquement divine ?
2. Quel rôle Marie, Mère de Jésus, a-t-elle joué
dans la spiritualité chrétienne ?
Pour discuter
1. Quel rôle Marie, Mère de Jésus, joue-t-elle dans votre spiritualité ?
Chapitre 7
DES DIEUX VOLÉS ? LE CHRISTIANISME ET LES RELIGIONS MYSTÉRIQUES
Vous l’avez peut-être déjà lu ou entendu dire :
les motifs chrétiens d’un dieu qui meurt et qui ressuscite, d’une
initiation dans l’eau et d’un repas sacré n’auraient rien de nouveau.
À l’époque de la naissance du christianisme, on trouvait
des mythes et pratiques identiques tout autour de la Méditerranée.
On pourrait donc en conclure logiquement que les chrétiens se sont
contentés de copier leur Fils de Dieu ressuscité, leur baptême
et leur Eucharistie sur ce qui existait déjà, de reprendre
ce qui, à l’origine, n’était qu’un système philosophique
pour en faire une religion nouvelle et séduisante.
Et cela leur valait d’être jeté aux lions.
Il est curieux de constater que ceux qui avancent une telle fable oublient
toujours ce dernier élément.
Brown nous en donne sa propre version dans le Da Vinci Code. Elle est
brève, confuse et ne tient aucun compte des faits ; mais il est
vrai qu’elle peut être dérangeante – pour peu qu’on l’adopte
telle quelle. Ce qu’il ne faut pas faire, bien entendu.
Les preuves
Dans le Da Vinci Code, Teabing, l’érudit de service, affirme
que le système sacramentel, les pratiques rituelles et le symbolisme
du christianisme que nous connaissons sont l’aboutissement d’une «
métamorphose » – ou d’une adaptation – des pratiques et symboles
religieux païens que les chrétiens auraient repris à
leur compte.
Le premier problème que pose la version de Brown, c’est que
tout cela – les images du « disque solaire du dieu égyptien
» (p. 290) qui deviennent des auréoles, celles d’Isis allaitant
Horus devenant Marie allaitant Jésus, ainsi que l’acte de «
manger Dieu » dans la communion –, il l’attribue à Constantin
(bien évidemment).
En fait, Constantin n’y est pour rien. Il est vrai que, au cours de
son règne, son attitude à l’égard du christianisme
et du paganisme n’a pas toujours été, diraient certains,
très cohérente ; d’autres pourraient dire qu’il a fait preuve
d’opportunisme. Le dieu-soleil, par exemple, continuait à être
représenté sur des monnaies alors même que Constantin
finançait la construction d’églises chrétiennes. Mais,
au rebours de ce que dit Brown, on ne peut certainement pas dire que, «
par une astucieuse fusion des dates, des rituels et des symboles païens,
[Constantin] a réussi à créer une religion hybride
» (p. 290).
La question demeure : même si Constantin n’a pas fait cela, à
en croire de nombreux sites Internet et même quelques livres consacrés
à ce sujet, il existerait une relation suspecte entre des croyances
et pratiques chrétiennes et les « religions mystériques
», ou « religions à mystères », qui étaient
très répandues dans l’ancien Proche-Orient au cours des quatre
premiers siècles ap. J.-C.
Le christianisme serait-il une histoire de plagiat ?
Mystères à propos des mystères
Ces religions à mystères auxquelles le christianisme
est censé avoir dérobé ses pratiques et croyances
se sont développées presque partout dans l’ancien Proche-Orient
; elles honoraient des dieux divers mais comportaient néanmoins
certaines caractéristiques communes.
Elles se distinguaient du culte des dieux officiels en ce sens qu’elles
exigeaient de leurs adeptes l’accomplissement public d’obligations religieuses
qui devaient leur valoir la faveur des dieux. En fait, pour la plupart
des spécialistes, si ces cultes mystériques ont eu du succès,
c’est que la religion officiellement reconnue ne répondait pas vraiment
aux besoins spirituels authentiques de leurs adeptes.
Ces religions à mystères accordaient une place importante
au salut, à l’illumination et à la vie éternelle de
la personne par une union au divin, que les adeptes atteignaient dans des
activités cultuelles secrètes. Si elles présentent
une certaine diversité, la plupart des religions mystériques
avaient tendance à se concentrer sur une union au divin que l’aspirant
initié atteignait en revivant des événements mythiques,
dans lesquels une divinité mourant et ressuscitant jouait souvent
un rôle.
Il convient ici, avant d’aller plus loin dans les détails, de
préciser un peu le cadre général.
Teabing dit que l’autel des chrétiens vient « en droite ligne des religions païennes de l’Antiquité » (p. 290). La vérité est que l’on trouve des autels dans toutes les religions anciennes ; destinés aux sacrifices, ils étaient faits de pierres empilées ou de bois ou encore d’un seul bloc de pierre. Pour les chrétiens, l’Eucharistie était, en partie, un mémorial et une représentation du sacrifice du Christ. Dans le Nouveau Testament, il est à plusieurs reprises question d’autels.
En premier lieu, lorsque l’on réfléchit sur les racines
de la religion chrétienne, ce qu’il faut considérer en premier,
ce ne sont pas des religions ou rites païens anciens mais bien plutôt
le judaïsme.
Jésus était juif et, pendant les quelque vingt premières
années qui ont suivi sa mort et sa résurrection, ses disciples
furent, dans leur grande majorité, des juifs. C’est au cours de
ces deux premières décennies que furent jetés les
fondements de la foi chrétienne à propos de Jésus,
et même de la pratique chrétienne, ainsi qu’en attestent les
épîtres de Paul, qui ont été écrites
entre 50 et 60.
N’est-il pas alors surprenant que l’on essaie de mettre le baptême
chrétien en relation avec les ablutions rituelles de religions mystériques
? Il faut se rappeler que la purification rituelle dans l’eau et pour les
convertis était un élément bien établi de la
pratique juive à l’époque de Jésus. Souvenons-nous
de ce que faisait Jean le Baptiste, qui n’était pas un adepte de
Mithra : il baptisait.
Et que dire de l’Eucharistie ? Teabing appelle cela : « manger
le corps de Dieu » et prétend que, dans ce cas encore, les
chrétiens avaient copié des pratiques cultuelles païennes.
C’est bien entendu ignorer complètement le fait que – ainsi que
le savaient fort bien d’ailleurs les premiers chrétiens – la Cène
était un repas de la Pâque juive (d’après les évangiles
synoptiques ; Jean place cet événement la veille de la Pâque).
C’est cette Dernière Cène qu’ils faisaient revivre dans leurs
propres célébrations eucharistiques, et cet acte était
présenté dans un langage typiquement juif : il était
question de nouvelle Alliance, de sacrifice, etc.
La seconde chose dont il faut se souvenir, c’est que la plupart des
témoignages qui nous sont parvenus à propos des religions
à mystères datent du IIIe au Ve siècles ; plus important
encore, les fouilles archéologiques n’ont permis de retrouver que
très peu d’indices de l’existence de cultes mystériques dans
la Palestine du Ier siècle, lieu de naissance du christianisme.
Donc, face à de telles assertions, il faut retourner la question
: si l’on vous dit que les chrétiens se sont contentés d’adapter
les repas collectifs des païens pour en faire l’Eucharistie, retournez
la question : Qu’est-ce qui prouve la cause et l’effet ? N’acceptez que
des textes et des artéfacts qui correspondent clairement à
l’époque et à l’aire géographique en question.
Il est probable qu’on ne pourra vous en fournir aucun.
Le dieu-soleil
Brown attribue à Constantin ce processus de « métamorphose
», disant que, en divinisant Jésus, il s’est contenté
de reprendre le culte du soleil, qui était bien établi, et
l’a transformé en un culte du Fils – et le tour était joué
! Alors qu’auparavant on avait simplement un maître de sagesse mortel,
on avait désormais un Fils de Dieu.
Comme nous l’avons vu, Constantin n’a pas inventé l’idée
de la divinité du Christ : depuis le premier siècle, les
chrétiens présentaient et adoraient Jésus comme Seigneur.
Ce qui est vrai, certes, c’est que, sous le règne de Constantin
mais aussi à d’autres moments, dans ses cérémonies
officielles, l’empire honorait effectivement à la fois le dieu-soleil
des païens et le Fils de Dieu des chrétiens.
En 274, l’empereur Aurélien avait élevé à
un niveau sans précédent le culte du dieu-soleil, qualifiant
cette divinité de « Seigneur de l’empire romain » et
construisant en son honneur un temple grandiose à Rome (cf. W. H.
C. FREND : The Rise of Christianity, p. 440).
Le culte de cette divinité s’est maintenu au cours des décennies
suivantes, pendant qu’on persécutait les chrétiens, parfois
férocement, jusqu’à ce que Constantin ait réussi à
affermir son pouvoir dans la moitié occidentale de l’empire, en
312.
Dans son salmigondis d’ingrédients mythologiques, Brown ajoute
au dieu-soleil une autre divinité païenne : Teabing affirme
que les chrétiens ont pris, pour modèle de leurs croyances
à propos de Jésus, le dieu païen Mithra, affirmant que
des titres identiques lui étaient décernés et qu’il
a été « enterré dans une caverne rocheuse, et
il est ressuscité trois jours plus tard » (p. 290).
Le dieu Mithra se présentait sous de multiples formes. Au cours
des premiers siècles de l’ère chrétienne, son culte
fut essentiellement une religion mystérique et elle était
largement diffusée, surtout, chez les militaires. Dans aucune des
études consacrées à Mithra il n’est dit qu’on lui
a attribué les titres de « Fils de Dieu » ou de «
Lumière du monde », ainsi que le prétend Brown. En
outre, la mythologie mithraïque ne contient aucune allusion à
une mort suivie d’une résurrection. Il semblerait que Brown ait
puisé cette idée dans les ouvrages d’un historien discrédité
du XIXe siècle, qui n’a fourni aucune preuve écrite confirmant
cette assertion. C’est chez ce même historien que Brown a trouvé
la relation avec Krishna, qu’il évoque ensuite. Aucun récit
de la mythologie hindoue à propos de Krishna ne raconte qu’il «
a reçu en cadeau de l’or, de l’encens et de la myrrhe » (ibid.
; cf. MIESEL & OLSEN : Cracking the Anti-Catholic Code).
Comme tout le monde à son époque, Constantin était
persuadé qu’il devait attribuer ses succès à la faveur
de puissances divines. Ce qu’on ne sait effectivement pas très bien,
pour la majeure partie de son règne, c’est dans quelle mesure il
faisait bien une distinction entre le dieu-soleil et le Dieu Un du christianisme.
Comme le dit l’historien W. H. C. Frend, durant les années au cours
desquelles il a affermi son règne et stabilisé l’empire,
Constantin « n’a pas abandonné le culte qu’il rendait au dieu-soleil,
même s’il se considérait le serviteur du Dieu des chrétiens
» (p. 484).
Il semble pourtant que, vers la fin de sa vie, il ait fini par se décider
(contrairement à ce que prétend Brown, ce ne fut pas contraint
et forcé) et il se fit baptiser avant sa mort, en 337. Il n’était
d’ailleurs pas inhabituel, à l’époque, que des catéchumènes
attendissent d’être proches de la mort pour se faire baptiser : c’était
en particulier le cas des personnes occupant des responsabilités
politiques qui pouvaient les entraîner au péché, notamment
en faisant mourir quelqu’un. À cette époque, les péchés
commis après le baptême étaient considérés
comme très graves, et la sanction pour des péchés
graves était une quasi-excommunication – une exclusion de la communauté
chrétienne.
Brown reprend à son compte deux affirmations spécifiques
à propos du christianisme et du dieu-soleil. D’une part, il affirme
que Constantin a fait célébrer la fête de Noël
le 25 décembre pour supplanter la célébration par
les païens, ce jour-là, de la naissance du dieu-soleil, fête
instituée par l’empereur Aurélien.
Il n’existe aucune preuve qu’il y ait eu un lien délibéré,
sans compter que nul texte ne mentionne que Constantin ait jamais couvert
de son autorité la célébration de la naissance de
Jésus le 25 décembre. La première mention qui en soit
faite, à notre connaissance, c’est la célébration
de Noël à cette date à Constantinople en 379 ou 380,
et cette coutume s’est ensuite répandue dans toute l’Église
d’Orient. Par contre, d’autres témoignages permettent de penser
– comme le fait l’historien William Tighe – que le choix de la date du
25 décembre pour célébrer la naissance du Christ a
pu être associé à d’autres facteurs spécifiques
du christianisme.
Au IIe siècle, les chrétiens de la partie occidentale
de l’empire romain avaient fixé au 25 mars la date de la crucifixion
du Christ. Reprenant une ancienne tradition juive selon laquelle les grands
prophètes mouraient le jour anniversaire de leur conception ou de
leur naissance, le 25 mars en était venu à être considéré,
en Occident, comme le jour où il avait été conçu
du Saint-Esprit dans le sein de Marie (à cette date est célébrée,
aujourd’hui encore, la fête de l’Annonciation). Si on y ajoute neuf
mois, on arrive au 25 décembre.
Nous n’avons aucune certitude mais, ce qui est certain, c’est qu’il
n’existe aucune preuve qui établirait un lien direct entre Noël
et la fête instituée par l’empereur Aurélien ; on n’a
commencé à célébrer Noël qu’un siècle
plus tard, après que le christianisme fut devenu la religion officielle
de l’empire romain.
Une mitre est une coiffe en forme d’écu que portent les évêques de l’Église latine. Teabing prétend que c’est un emprunt aux religions à mystères, mais les évêques n’ont commencé à porter des mitres qu’au XIe siècle. Dans l’Église d’Orient – la région la plus proche des cultes mystériques –, les évêques sont coiffés d’une couronne.
Et le dimanche ?
Brown affirme allègrement, par la voix de Teabing, que Constantin
a simplement déplacé le jour de repos et de culte des chrétiens
du samedi au dimanche, jour du soleil.
C’est idiot. Nous disposons de nombreux témoignages attestant
que, dès le Ier siècle, le dimanche était un jour
spécial pour les chrétiens. Bien entendu, ils ne l’appelaient
pas le « jour du soleil » (Sunday). Dans le Livre de l’Apocalypse,
qui fut écrit vers la fin du Ier siècle, il est appelé
le « Jour du Seigneur » (dies dominicus, qui a donné
en français « dimanche ») (Ap. 1, 10) ; ailleurs, il
est appelé le « Premier Jour » ou même le «
Huitième Jour », cette dernière appellation signifiant
qu’il s’agit du huitième jour de la Création de Dieu.
Vers le milieu du IIe siècle, le mode de rassemblement des chrétiens
pour l’Eucharistie le dimanche – dont il est déjà question
dans les Actes des Apôtres (cf. 20, 7) – était déjà
fermement établi. Justin Martyr, qui écrivait de Rome à
peu près à cette époque, nous donne une description
très détaillée de l’assemblée eucharistique
qui se tenait ce jour-là (voir sa Grande Apologie).
Donc, bien entendu, ce n’est pas Constantin qui a fait passer la célébration
de la liturgie chrétienne du samedi au dimanche ; à cette
époque, il y avait déjà deux siècles que les
chrétiens se réunissaient le dimanche. Ce que Constantin,
par contre, a effectivement fait, c’est qu’il a institué la semaine
de sept jours, qui était connue et pratiquée en certains
lieux, pour servir de base au calendrier, et qu’il a décidé
que le dimanche serait un jour de repos dans tout l’empire.
Auparavant, pour mesurer officiellement le temps dans l’empire romain,
on se servait de trois jours principaux par mois, qui servaient de références
: les calendes (premier jour), les nones (septième jour) et, bien
entendu, les ides (quinzième jour).
Jusqu’alors, les juifs et certains païens qui honoraient Saturne
avait fait du samedi leur jour de repos, mais c’est effectivement Constantin
qui a officialisé la pratique du dimanche, comme jour de repos,
sur le calendrier romain officiel.
Cela a bien sûr fait plaisir, dans une certaine mesure, aux chrétiens
mais leur satisfaction a probablement été mitigée
par le nom que Constantin a donné à ce jour : dies solis,
jour du soleil.
Dans l’art ancien, les nimbes (souvent appelés aussi auréoles) permettaient de distinguer les dieux, et même l’empereur. Ils apparaissent dans l’art chrétien des IIIe et IVe siècles ; au début, le nimbe n’était attribué qu’aux représentations du Christ, ce qui allait de soi pour un tel symbole, en raison de l’association entre le Christ et la lumière. C’est un symbole, tout comme la couronne, et il n’est pas nécessairement en rapport avec un système religieux particulier.
Donc, effectivement, nous voyons que l’empereur, résolu à
unifier l’empire et à consolider son pouvoir, paraît ne pas
avoir eu d’opinion très ferme en matière de religion. Il
recourait à des symboles lorsqu’ils le servaient et confortaient
ses choix, du moins au cours de la première décennie – à
peu près – de son règne ; par la suite, il eut une inclination
plus nette en faveur du christianisme.
Par contre, ce que nous savons avec certitude, c’est que ce qu’affirme
Brown est faux : ce n’est pas Constantin qui a fixé la fête
de Noël au 25 décembre, et il n’a pas obligé les chrétiens
à reporter leur jour de repos du samedi au dimanche.
Une question de fond
Brown voudrait nous faire croire que, pour qu’un système religieux,
avec ses symboles et ses croyances, soit authentique, il doit être
complètement indépendant d’autres systèmes, croyances
et symboles religieux, d’un bout à l’autre.
Mais ce n’est absolument pas de cette façon que fonctionnent
les systèmes religieux des hommes. Il y a certains aspects de la
vie que tous les êtres humains ont en commun et qui semblent tous
être intrinsèquement capables d’un sens qui évoque
le transcendant.
Dans la naissance et dans la mort, nous sommes confrontés au
mystère et au miracle de l’existence et de l’espérance en
quelque chose de plus.
L’eau et l’huile nous offrent la purification et elles évoquent
le besoin que nous éprouvons d’être purifiés.
Dans le repas partagé, nous trouvons les idées de nourriture
et de communauté.
Dans la vie humaine, le nombre de mots est limité, mais la «
matière » est en telle quantité qu’il nous faut recourir
à des artifices pour nous aider à symboliser et rendre présentes
les vérités qui nous sont révélées.
Le fait que d’autres religions ont des cérémonies de
purification et des repas rituels n’a rien à voir avec la vérité
ou la validité des vérités chrétiennes. Rien
ne prouve, comme le laisse entendre Brown, que les éléments
fondamentaux de la pensée et de la pratique chrétiennes aient
été directement adaptés des religions mystériques
païennes. Les racines du christianisme sont à chercher dans
le judaïsme. Le christianisme est adopté et vécu par
des êtres humains qui vivent dans une culture et une société
humaines et, de ce fait, l’expression de leur foi ne peut être que
dynamique : elle va recourir à un langage et à un symbolisme
qui rendent plus compréhensibles ces croyances. Une telle dynamique
renforce et approfondit la compréhension et le vécu de notre
foi.
C’est du simple bon sens. C’est ainsi que va le monde et, du moins
les chrétiens le croient-ils, c’est ainsi que Dieu est à
l’œuvre dans le monde.
Pour approfondir
Henry CHADWICK : The Early Church, Penguin Books, 1967.
W. H. C. FREND : The Rise of Christianity, Fortress Press, 1984.
David Ewing DUNCAN : Le temps conté : la grande aventure de
la mesure du temps, Nil éd. Paris 1999.
Pour faire le point
1. Qu’étaient les religions à mystères ?
2. En s’appuyant sur les découvertes archéologiques et
les textes, que peut-on penser de la relation entre les croyances et symboles
chrétiens et les croyances et symboles païens décrits
dans le Da Vinci Code ?
Pour discuter
1. Que pouvez-vous faire, personnellement et concrètement, pour
mieux connaître les racines juives de la foi chrétienne ?
2. Pouvez-vous retrouver, dans l’Ancien Testament, des cérémonies
parallèles aux célébrations chrétiennes telles
que le baptême et l’Eucharistie ?
Chapitre 8
ON POURRAIT AU MOINS PENSER QU’IL NE S’EST PAS TROMPE A PROPOS DE LÉONARD DE VINCI
Et pourtant, si !
Pour se rendre compte à quel point il s’est trompé à
propos de Léonard de Vinci, c’est bien simple : il suffit de prendre
le nom de l’artiste.
Dans le titre déjà et tout au long du roman, Brown et
ses personnages – tous des spécialistes – appellent cet artiste
« Da Vinci ».
Oui mais… ce n’est pas son nom.
Que ce soit dans les livres d’histoire ou dans les ouvrages pédagogiques,
nulle part on ne l’appelle ainsi.
Il s’appelait « Leonardo » et il était le fils illégitime
d’un certain Piero da Vinci ; il était né en 1452 dans la
ville de Vinci, proche de Florence. Donc, bien évidemment, «
da Vinci » signifie « (originaire) de Vinci ».
Prétendre être un expert en matière artistique
et l’appeler de bout en bout « da Vinci », c’est tout aussi
crédible que si un soi-disant expert en religion affirmait que le
nom de famille de Jésus était « de Nazareth ».
Prenez un quelconque livre d’histoire : vous verrez qu’on y parle de
Léonard, ou Leonardo, pas de « da Vinci ». Allez dans
une bibliothèque, du moins aux États-Unis, et cherchez une
biographie de l’artiste ; vous ne la trouverez pas sous D ou V ; vous la
trouverez sous L, comme Leonardo, ou Léonard, parce que c’est son
nom.
Du moins pouvons-nous être d’accord sur ce point : un auteur
qui, dans son roman, n’est même pas capable de donner son nom exact
au personnage historique central n’a pas de leçon d’histoire à
nous donner. Il peut nous distraire d’autres manières mais il ne
faudrait surtout pas aller chercher dans le Da Vinci Code nos idées
sur l’histoire, la religion ni même l’art.
Qui était Léonard ?
Il est vrai que Léonard est l’un des personnages les plus originaux
de l’histoire de l’Occident. Le corpus de ses œuvres et de ses idées
pourrait alimenter un grand nombre de romans ; pourtant, le véritable
Léonard, tel que nous le connaissons, ne ressemble guère
à l’image que Brown nous en donne.
Il affirme que Vinci était « un homosexuel flamboyant
et un adepte du culte de l’ordre naturel divin – deux particularités
qui le mettaient, pour l’Église de son époque, en état
de péché perpétuel » (p. 62).
D’après Brown, « Vinci avait […] composé un impressionnant
ensemble de tableaux à thèmes chrétiens », et
il « avait accepté des centaines de commandes lucratives pour
le Vatican » tout en ayant de « fréquents conflits avec
Rome » (p. 62).
En réalité, le seul véritable conflit récurrent
que Léonard eut avec « l’Église », ce fut sa
tendance à ne pas terminer l’exécution des travaux dont il
avait accepté la commande. Mais c’est là une autre question.
D’après le portrait général que nous en brosse
le Da Vinci Code, on imagine un génie incompris, contestataire,
obsédé par l’idée d’être rejeté par la
religion chrétienne et compensant ce rejet par une production extrêmement
abondante. (Et, ne l’oublions pas ! il était aussi grand maître
du prieuré de Sion, une organisation qui, comme nous le verrons
dans le prochain chapitre, n’a probablement jamais existé, en tout
cas pas sous la forme présentée par Brown ni pour les raisons
qu’il en donne.)
Ce portrait ne correspond pas vraiment au personnage qu’était
en réalité Léonard, surtout si nous le replaçons
dans le contexte de son époque.
Prenons d’abord l’élément à scandale : Léonard
était-il un « homosexuel flamboyant » ? Rien ne le prouve.
Certes, en 1476, il fut, en compagnie de trois autres personnes, accusé
de sodomie avec un prostitué bien connu de Florence. Les accusations
ne furent pas retenues.
C’est la seule évocation d’une éventuelle activité
homosexuelle – et même sexuelle en général – que l’on
trouve, à propos de Léonard, dans toutes les sources primaires
qui évoquent sa vie, et notamment ses volumineux carnets. Ainsi
que l’écrit Sherwin B. Nuland dans sa biographie de Léonard
de Vinci :
« Cet épisode est la seule allusion à une activité
sexuelle de Léonard, et ceux qui ont fait les études les
plus poussées de sa vie pensent que cet événement
ne s’est jamais produit » (p. 31).
Ou bien encore, comme l’a écrit Bruce Boucher, spécialiste
de l’histoire de l’art, dans le New York Times, en 2003 : « Bien
qu’il ait été accusé, dans sa jeunesse, de sodomie,
les indications relatives à son orientation sexuelle restent hypothétiques
et fragmentaires ».
Quant à cette énorme production d’œuvres d’art chrétiennes,
peut-être Brown a-t-il eu accès à des sources secrètes
: en effet, dans ce qui nous est parvenu, même sous la forme d’ébauches
et d’esquisses, on trouve tout au plus deux douzaines de tableaux sur des
thèmes chrétiens. Et, en tout cas, il n’y eut certainement
pas « des centaines de commandes lucratives du Vatican ». Parmi
les papes, Léonard, n’eut qu’un seul commanditaire : Léon
X, vers la fin de sa vie ; la plupart du temps, il se consacra à
des expériences scientifiques.
En fait, si l’on considère l’œuvre de Léonard du point
de vue quantitatif, on constate que les tableaux n’y tiennent qu’une petite
place ; l’essentiel est constitué par des centaines de dessins,
ébauches, esquisses de machines, plans d’architecte, expériences
scientifiques et inventions. Il est parfaitement ridicule de présenter
Léonard comme un artiste dont la principale occupation était
de peindre des tableaux consacrés à des thèmes chrétiens
– et contenant, sous forme de code, des messages cachés anti-chrétiens,
d’autant plus que ses tableaux sur des thèmes chrétiens ne
semblent pas constituer la partie essentielle de son œuvre.
Léonard était-il hérétique ?
Le Da Vinci Code présente Léonard comme une sorte d’extrémiste
religieux qui prenait plaisir à faire des pieds de nez à
la tradition chrétienne par l’emploi subversif qu’il fait, dans
son art, de symboles. Avant de nous laisser choquer et intriguer par une
telle assertion, considérons les convictions spirituelles de Léonard
dans le contexte de son époque.
Il a vécu en Italie et, pendant un certain temps, en France
à l’époque de la Renaissance ; ce terme évoque, non
pas la renaissance de la culture en général, comme le croient
beaucoup de gens, mais, plus précisément, la renaissance
de la culture classique – la philosophie, la littérature, l’art
et la sensibilité générale de la Grèce et de
la Rome antiques. L’une des conséquences des croisades – les guerres
permanentes qui opposaient l’Occident chrétien et un islam agressif
– furent l’occasion de redécouvrir des ouvrages de ce temps : les
croisés ramenèrent en effet des manuscrits et des œuvres
d’art qu’ils avaient pillés dans l’ancien empire d’Orient, où
ils avaient été conservés.
Léonard vécut à une époque brillante, à
l’activité intellectuelle foisonnante, dont l’objet premier était
l’étude du monde naturel et de la vie humaine dans cet environnement,
une activité que venaient enrichir des rencontres avec les civilisations
grecque et romaine. Néanmoins, il ne faut pas supposer que, nécessairement,
cette activité se faisait en opposition à l’Église
: ce n’était pas le cas. À cette époque, l’Église
était le lieu privilégié de l’activité intellectuelle,
et toutes les universités étaient financées et soutenues
par l’Église ; en fait, de nombreux intellectuels de cette époque
qui étudiaient la culture classique étaient des clercs :
prêtres, moines et même évêques.
Léonard est né et a vécu dans une culture qui
s’inscrivait encore dans un cadre chrétien ; cela dit, ses carnets
montrent bien qu’il ne croyait aucunement aux pratiques catholiques traditionnelles.
Il est vrai qu’il a écrit à propos de Dieu et même
du Christ. Dans la biographie qu’il lui a consacrée : Léonard
de Vinci, Serge Bramly écrit :
« Léonard croit en Dieu – en un Dieu peu chrétien,
il est vrai […] Il le découvre dans la beauté miraculeuse
de la lumière, dans le mouvement harmonieux des planètes,
dans l’arrangement savant des muscles et des nerfs à l’intérieur
du corps, dans cet indicible chef d’œuvre qu’est l’âme. […] Léonard
ne pratique pas, sans doute ; ou il pratique à sa manière.
Son art […] demeure jusqu’au bout essentiellement religieux : même
dans un sujet profane [non religieux], Léonard célèbre
à la façon d’une messe l’œuvre sublime du Tout-Puissant,
qu’il s’efforce de comprendre de refléter » (pp. 304-305).
Cela dit, Léonard était sérieusement anticlérical
: il critiquait la richesse de certains clercs, l’exploitation de fidèles
crédules et craintifs ainsi que la vente d’indulgences et les honneurs
excessifs accordés aux saints.
Léonard a vécu à l’époque qui a précédé
l’explosion du protestantisme en Occident (Martin Luther a affiché
ses 95 Thèses à la porte de l’église de Wittenberg
en 1517, deux ans avant la mort de Léonard) et il a exprimé
des idées qui étaient à l’époque très
courantes, en particulier dans les milieux intellectuels et même
chez certains catholiques particulièrement pieux et attentifs qu’affligeaient
les excès qu’ils observaient dans la vie de certains dignitaires
de l’Église.
Donc, aussi remarquable et exceptionnel qu’ait été son
génie, Léonard ne défendait pas des idées aussi
contestataires et extrêmes que Brown voudrait nous le faire croire.
À certains égards, c’était bien un homme de son temps
: il voulait explorer son environnement de toutes les manières possibles
; il se fondait sur le monde de la nature et l’expérience humaine,
qui constituaient le point de départ et de référence
de sa quête ; il croyait en Dieu et, semble-t-il, au Christ ; mais
il était profondément anticlérical et il méprisait
les excès de la piété et de l’expression religieuse.
Mais venons-en maintenant à ces fameux tableaux et peintures.
La Vierge aux Rochers
Dans le Da Vinci Code, les deux versions de La Vierge aux Rochers,
de Léonard de Vinci – dont l’une se trouve au Louvre et l’autre
à la National Gallery de Londres – sont censées raconter
l’histoire d’un Léonard voulant communiquer des secrets anti-chrétiens.
En fait, il suffit d’examiner ces deux tableaux pour s’apercevoir à
quel point ce qu’affirme Brown est complètement à l’opposé
de la vérité.
Au départ, c’est un groupe appelé la Confrérie
de la Conception de la Sainte Vierge (Bramly, p. 210) qui demanda à
Léonard de réaliser ce tableau devant faire partie d’un triptyque
pour l’autel de la chapelle de ce groupe. Brown affirme qu’il s’agissait
d’un « congrégation de sœurs ».
Non. Il s’agissait d’une « confrérie » et, surtout
à cette époque, c’était un groupe d’hommes qui se
constituait dans un but particulier – dans ce cas, il s’agissait de promouvoir
« un dogme nouveau, celui de l’Immaculée Conception »
(ibid.) (selon laquelle Dieu a préservé Marie du péché
originel dès le début de sa vie). Les « sœurs »
sont des femmes, pas des hommes.
Les membres de cette confrérie avaient donné des instructions
détaillées sur ce qu’ils voulaient : Marie au centre, vêtue
« un vêtement de brocart d’or et d’outremer, entourée
de deux prophètes, avec Dieu le Père au-dessus, « pareillement
vêtu d’or et d’outremer », et l’Enfant « sur une sorte
d’estrade dorée » (ibid.) (on remarquera que ce n’est pas
du tout ce que raconte Brown à propos des détails du contrat,
p. 173). Cette commande fut passée en 1483 mais une controverse
s’engagea entre Léonard et la confrérie à propos de
ce tableau, et elle dura vingt-cinq ans.
Il ne semble pas que ce conflit ait été eu un quelconque
rapport avec les détails que Brown mentionne, s’il est vrai par
ailleurs que le style plutôt réaliste de Léonard ne
s’accordait guère avec les spécifications données
par la confrérie. Certes, les détails de cette histoire sont
quelque peu mystérieux mais il semble que la controverse ait plutôt
porté sur le règlement – Léonard ne cessait de réclamer
plus d’argent, que la confrérie n’était disposée à
payer.
Et pourquoi y a-t-il deux versions ? Il semblerait que, à un
moment donné, l’original ait été donné. Selon
certains, le doge de Milan, Ludovic Sforza, l’aurait offert soit au roi
de France, soit à l’empereur d’Allemagne -– et c’est cette version
qui est au Louvre. La seconde, qui est à Londres, provient directement
de la chapelle de la confrérie, qui n’existe plus.
Considérons maintenant ce que Brown trouve si choquant dans
ces tableaux. Il prétend que Jean-Baptiste y bénit Jésus,
alors qu’on s’attendrait plutôt à l’inverse.
La vérité, la voici : dans les deux versions, c’est Jésus
qui bénit Jean-Baptiste.
Ce qui, manifestement, fait fantasmer Brown, c’est que, sur ce tableau,
Jean-Baptiste serait proche de Marie et que c’est lui qu’elle tiendrait
dans le creux de son bras. Mais aucun étudiant en histoire de l’art
ne va penser que l’autre enfant, qu’on voit à genoux les mains jointes,
n’est pas Jean-Baptiste ; certes, la disposition est inhabituelle mais,
sur la version de Londres, deux indices le prouvent clairement : Jean est
vêtu d’une petite peau de bête et tient le bâton avec
lequel il est toujours représenté ; c’est donc lui qui est
béni.
Et qu’en est-il du reste du tableau qui se trouve au Louvre ? Il est
certain qu’on ne comprend pas très bien pourquoi la main de Marie
est au-dessus de Jésus, mais on peut penser qu’il s’agit là
d’un simple geste de protection. La main de l’ange n’est pas menaçante
– elle est tendue vers Jean-Baptiste, désignant le prophète
que nous devons écouter.
Ce tableau est certainement très inhabituel, surtout compte
tenu de ce que voulaient les commanditaires, qui ont sans doute eu du mal
à y voir la relation avec l’Immaculée Conception. Cependant,
comme le fait remarquer Bramly, on peut certainement y voir un rapport
:
« L’Immaculée Conception, semble dire Léonard,
introduit le martyre sur la croix » (Bramly, p. 216).
Donc, Brown se trompe sur l’identité du commanditaire du tableau
de Léonard, ainsi que sur celle des principaux personnages représentés
; il avance une idée fausse de la nature du conflit et donne une
interprétation erronée du tableau.
L’Adoration des Mages
À un certain moment, notre héros, Langdon, essaie d’expliquer
les mystérieux messages de Léonard, qui seraient sources
de controverses : il fait allusion à l’Adoration des Mages, qui
se trouve au Musée des Offices, à Florence. Il cite un article
du New York Times Magazine (la référence est exacte ; cet
article a été publié le 21 avril 2001) consacré
aux travaux de Maurizio Seracini, spécialiste de l’histoire de l’art,
qui aurait découvert, dans ce tableau, des secrets apparemment formidables.
L’Adoration des Mages est un dessin préparatoire pour un retable
commandé par un monastère de Florence ; de l’avis de la plupart
des spécialistes, c’est tout ce qu’aurait fait Léonard avant
d’aller s’installer à Milan. Cette ébauche est recouverte
d’une couche de peinture qui, selon Seracini, cacherait le dessin que Léonard
avait fait au départ. Comme le dit Brown, quand on a voulu éliminer
cette couche de peinture, cela a provoqué une très sérieuse
controverse.
Pourtant, la raison qu’il avance n’est absolument pas la vraie : ce
n’est pas à cause de ce qu’aurait révélé le
dessin -: dans l’Italie actuelle, largement sécularisée,
que l’art puisse exprimer des sentiments à connotations antireligieuses
ou hérétiques n’effraie guère les conservateurs de
musée. Non, la controverse provoquée dans le petit monde
de l’art est plus fondamentale : il y a ceux qui veulent rétablir
l’art dans son état d’origine, et ceux qui s’y opposent.
Dans ce cas, lorsque furent annoncés les projets de restauration
– l’élimination de la couche de surface – beaucoup de spécialistes
et d’amateurs d’art, emmenés par un groupe appelé Art Watch
International, ont vivement protesté, disant que cette œuvre était
trop fragile pour que l’on pût envisager une telle restauration ;
ils ajoutaient qu’on n’avait aucune preuve absolue que Léonard n’avait
pas lui-même ajouté cette couche ; selon eux, il n’avait pas
essayé d’ajouter de la couleur mais il s’agissait d’une couche préparatoire
sur laquelle il comptait réaliser le reste de la peinture. Ces gens
refusaient l’hypothèse selon laquelle la couche préparatoire
ne pourrait pas être de la main de Léonard.
En bref, Art Watch affirmait que la restauration envisagée endommagerait
l’œuvre en question à de multiples niveaux. Ce groupe et ses partisans
l’emportèrent, et les plans de restauration ont été
arrêtés en 2002 – mais pas pour les raisons avancées
par Brown (pour plus de détails, voir ww.artwatchinternational.org).
Mona Lisa, ou La Joconde
Dans le Da Vinci Code, Langdon évoque le souvenir d’une conférence
qu’il a donnée devant des prisonniers et dans laquelle il avait
établi un lien entre la Joconde et l’androgynie : il leur avait
expliqué qu’on avait « fait des comparaisons informatiques
de ce tableau et de ses auto-portraits qui confirment certaines analogies
entre les deux visages » (p. 154) ; la Joconde serait donc la représentation
androgyne d’un personnage à la fois masculin et féminin qui
reflétait l’idéal qu’avait Léonard de l’équilibre
entre les deux. Le nom même de « Mona Lisa » serait une
anagramme de divinités égyptiennes de la fertilité
: Amon (masculin) et Isis (féminin) (p. 155).
Quelques remarques à ce sujet.
Il est certain qu’un mystère plane sur l’identité du
personnage appelé Mona Lisa, ou encore La Joconde, dont le portrait
fut réalisé entre 1503 et 1505. Il existe à ce sujet
des dizaines de théories, dont aucune n’est confortée par
de véritables preuves.
L’une de ces théories, en fait la plus ancienne, est qu’il s’agirait
du portrait d’une femme réelle appelée Monna (ou Mona) Lisa
et qui était la femme d’un Florentin appelé Francesco del
Giocondo.
D’après l’article que Bruce Boucher, historien de l’art, a publié
dans le New York Times, « nous ne possédons aucun portrait
dont on puisse dire avec certitude qu’il s’agit de Léonard »
et auquel nous pourrions comparer ce tableau, et, selon Bramly, la théorie
de l’autoportrait est « la plus fantaisiste » (p. 398).
Amon (ou Ammon) était, dans l’Égypte ancienne, le dieu
du soleil qui, en dépit de sa représentation phallique parfois
impressionnante, n’était pas particulièrement associé
à la fertilité. Lorsqu’il était associé à
une divinité féminine, c’était le plus souvent, non
pas avec Isis, mais avec Mout.
En outre, on peut facilement et immédiatement faire abstraction
de toute relation avec le nom de ces divinités égyptiennes
: il suffit de savoir que Léonard n’a pas donné de nom à
ce tableau. Il ne le mentionne même pas dans ses carnets, bien qu’il
soit absolument certain que c’est lui qui l’a réalisé. Ce
portrait a été appelé Mona Lisa par le premier biographe
de Léonard, Giorgio Vasari, qui écrivait une trentaine d’années
après la mort de Léonard ; il est le seul à l’appeler
« Mona Lisa » ; Léonard ne mentionne nulle part ce nom.
Ainsi donc, comment donc aurait-il pu faire passer un message par l’intermédiaire
d’un nom qu’il n’avait apparemment pas choisi lui-même (cf. Bramly,
p. 397) ?
La Cène
Et nous arrivons maintenant au point crucial de toute cette histoire.
La Cène est-elle une peinture pleine d’indications codées
qui feraient comprendre que Jésus était marié à
Marie Madeleine et que Pierre était furieux ?
Brown affirme que, dans cette peinture, Léonard transmet la
connaissance qu’il a du fait que Jésus et Marie Madeleine étaient
mariés, que cette dernière était destinée à
devenir le chef de l’Église, que Pierre n’était pas d’accord
et que c’était elle le véritable Saint Graal.
Pourquoi ? Parce que, en fait, le personnage généralement
identifié comme Jean serait en réalité Marie Madeleine.
La position relative de Jésus et de Marie Madeleine forme un «
M », une main désincarnée brandit un poignard et il
n’y a pas de calice. Donc, le calice, ce doit être Marie Madeleine.
Voyons cela d’un peu plus près. La Cène est peinte sur
le mur d’un réfectoire (salle à manger) d’un monastère
de Milan. Contrairement à ce que dit Brown, il ne s’agit pas d’une
fresque. Une fresque est une peinture exécutée, avec des
pigments à base aqueuse, sur un plâtre de chaux humide, qui
« piège » la peinture lorsqu’elle sèche, ce qui
permet d’obtenir des couleurs intenses et un effet durable. Léonard
travaillait trop lentement pour utiliser la technique de la fresque, et
il voulait essayer quelque chose de différent ; c’est pourquoi il
a étalé, sur le mur de pierre, une mince couche de base sur
laquelle il a réalisé une peinture à la détrempe.
Ce fut un choix malheureux car, quelques années à peine après
que la peinture eut été terminée, elle commençait
déjà à pâlir et à s’écailler.
Pour bien comprendre cette peinture, il est important de voir qu’elle
ne se contente pas d’illustrer la Dernière Cène en général
: elle évoque un moment spécifique, mentionné dans
un passage particulier de l’Ecriture.
Lorsque nous pensons à la Cène, nous l’associons immédiatement
à l’institution de l’Eucharistie. Brown joue là-dessus, faisant
remarquer qu’il n’y a, au milieu de cette représentation, ni coupe,
ni miche de pain. Pour lui, l’absence de calice implique que c’est Marie
Madeleine le Graal, et ainsi de suite.
Le problème, ici, c’est que le sujet particulier de cette peinture,
ce n’est pas le moment où fut instituée l’Eucharistie. En
fait, elle évoque le moment où Jésus annonce que quelqu’un
va le trahir, épisode que raconte très spécifiquement
l’évangile de Jean (13, 21-24) :
« Ayant dit cela, Jésus fut troublé en son esprit
et il attesta : "En vérité, en vérité, je vous
le dis, l’un de vous me livrera." Les disciples se regardaient les uns
les autres, ne sachant de qui il parlait. Un de ses disciples était
installé tout contre Jésus : celui qu’aimait Jésus.
Simon-Pierre lui fait signe et lui dit : "Demande quel est celui dont il
parle." Celui-ci, se penchant alors vers la poitrine de Jésus, lui
dit : "Seigneur, qui est-ce ?" »
Ce qu’a voulu Léonard, c’est que chacun des personnages exprime
une réaction particulière à cette annonce de trahison.
C’est un moment particulièrement dramatique : tous les apôtres
semblent s’écarter de Jésus, le laissant, en quelque sorte,
isolé (comme ils le feront plus tard), parlant les uns avec les
autres, se demandant qui pourrait être le traître – et cela
explique que Pierre s’adresse à Jean. Mais il ne s’agit pas ici
de l’institution de l’Eucharistie : en effet, à la différence
des évangiles synoptiques, l’évangile de Jean ne contient
pas de récit direct de l’institution de l’Eucharistie ; c’est pourquoi
le calice n’apparaît pas nécessaire dans cette représentation
particulière.
Quant au personnage dont on a toujours pensé qu’il s’agissait
de Jean, serait-ce vraiment Marie Madeleine ?
Non. À l’époque où vivait Léonard, saint
Jean était invariablement représenté comme un beau
jeune homme. Pour nous, il peut présenter des aspects féminins
mais, pour les gens de cette époque, il ne faisait pas de doute
que c’était un homme, assis – comme saint Jean l’était toujours
dans les représentations de cette scène – à côté
de Jésus.
Pourquoi ne trouve-t-on pas le récit de l’institution de l’Eucharistie dans l’évangile selon saint Jean ? Pour la plupart des spécialistes, lorsque cet évangile fut écrit, à la fin du premier siècle, les chrétiens considéraient que seuls les personnes complètement initiées étaient en droit de connaître les détails de leurs rituels les plus sacrés. C’est pourquoi, par exemple, on ne révélait le Notre Père aux catéchumènes – des convertis non encore baptisés – qu’une semaine ou deux avant leur baptême ; en tout cas, ils n’étaient autorisés à participer à la liturgie dans sa totalité qu’une fois qu’ils avaient reçu ce sacrement d’initiation. On suppose donc que l’évangile de saint Jean est une expression de cette pratique.
Elizabeth Levy, spécialiste de l’histoire de l’art, nous aide
à mieux comprendre cela :
« Brown fait fond d’un saint Jean représenté avec
des traits délicats et sans barbe pour asseoir son affirmation fantastique
selon laquelle il s’agit d’une femme. Bien sûr, si saint Jean était
véritablement Marie Madeleine, on pourrait se demander quel est
celui des Apôtres qui s’est excusé au moment critique. Le
véritable problème, c’est que nous n’en savons pas suffisamment
sur les "types". Dans son Traité de la peinture, Léonard
explique que chaque personnage doit être peint en fonction de son
statut social et de son âge. Il y a certaines caractéristiques
qui s’appliquent à un homme sage, d’autres à une vieille
femme, et d’autres encore aux enfants. Un type classique que l’on retrouve
dans de nombreux tableaux de la Renaissance est l’"étudiant". Un
disciple préféré ou un protégé est toujours
représenté très jeune, glabre et les cheveux longs
: l’idée, c’est qu’il n’a pas encore suffisamment de maturité
pour trouver sa propre voie. Tout au long de la Renaissance, c’est ainsi
que les artistes représentent saint Jean : il est "le disciple que
Jésus aimait" – le seul qui se tiendra au pied de la croix. C’est
l’"étudiant" idéal. Pour l’artiste de la Renaissance, il
allait de soi que l’on représentait toujours saint Jean comme un
jeune homme glabre, sans lui donner la physionomie dure et déterminée
des hommes mûrs. La Dernière Cène de Ghirlandaio et
celle d’Andrea del Castagno nous présentent ce type de personnage
: un saint Jean jeune, aux traits délicats » (d’après
un article publié sur www.zenit.org).
Historien de l’art, Bruce Boucher, dans un article publié dans
l’édition du New York Times du 3 août 2003, fait remarquer
qu’il y a aussi une explication à la mystérieuse main désincarnée
dont Brown prétend qu’elle menace Jean/Marie Madeleine :
« Et pourtant, cette main n’est pas désincarnée.
Une esquisse de La Cène et des copies de ce tableau montrent que
la main et la dague appartiennent à Pierre : il s’agit là
d’une référence à l’évangile de saint Jean
dans lequel Pierre tire une épée pour défendre Jésus
».
Donc, oui, La Cène est une peinture évocatrice, qui nous
offre de nombreuses possibilités de méditer, par exemple,
sur nos propres réactions à l’égard de Jésus
en contemplant les diverses réactions des apôtres. Mais elle
ne raconte pas ce que Brown prétend ; tout simplement parce que
rien ne le prouve.
Et, ne l’oublions pas : c’est Léonard.
Pour en savoir plus
Sherwin B. NULAND : Leonardo da Vinci, Viking Press, 2000.
Serge BRAMLY : Léonard de Vinci, J. C. Lattès, Paris
1995.
Richard TURNER : Inventing Leonardo, Knopf, 1993.
Pour faire le point
1. Quel genre de personnage était Léonard ? Dans tout
ce qu’il a fait, qu’est-ce qui tient le plus de place ?
2. Quel est le sens et le symbolisme de La Cène ?
Pour discuter
1. Comment l’art peut-il nous aider à méditer sur la personne
du Christ ?
2. Qu’est-ce que l’art nous enseigne sur la manière dont le
message de l’Évangile est vécu à différentes
époques ?
Chapitre 9
LE GRAAL, LE PRIEURÉ ET LES TEMPLIERS
L’histoire du thème du Saint-Graal est ambiguë et mystérieuse
; il se prête facilement à de multiples variations brodées
de mythologie et d’imaginaire sur un fond d’histoire d’amour. Il a joué
un rôle important dans la légende (en particulier celle du
roi Arthur), dans la poésie (Les idylles du roi, de Tennyson) et,
bien sûr, dans l’opéra (Parsifal et Lohengrin de Richard Wagner).
Donc, à considérer les choses dans cette perspective,
on ne peut reprocher à Brown d’avoir repris à son compte
les théories des ouvrages déjà cités : La révélation
des Templiers et Sang sacré et Saint-Graal pour les utiliser dans
son roman. Sans doute cela choque-t-il certains, mais le fait d’utiliser
ainsi ce thème en tant que tel correspond à la manière
dont il a déjà été utilisé tout au long
de l’histoire.
Pourtant, il vaut la peine d’en discuter parce que, en réalité,
le Da Vinci Code franchit la frontière entre ce qui est manifestement
de la fiction et ce qui pourrait être la réalité. À
chaque page, l’auteur donne à ses lecteurs des éléments
de preuve qui paraissent intelligents, et on finit par se demander s’il
n’aurait pas raison.
Existe-t-il une tradition avérée selon laquelle le Saint-Graal
serait en réalité Marie Madeleine et son sein ? Est-ce vraiment
pour défendre une telle tradition qu’ont existé les Templiers
et le Prieuré de Sion ?
En un mot : non.
Le Saint-Graal
Les origines du Saint-Graal sont obscures ; peut-être se trouvent-elles
dans les brumes de légendes celtes évoquant des coupes de
sang vivificateur. Le premier texte concernant le Graal – et l’un des plus
importants – est le poème médiéval Perceval, de Chrétien
de Troyes, qui a vécu au XIIe siècle.
À lire cette légende et d’autres de la même période,
on s’aperçoit que ce qu’est exactement le Graal varie : c’est un
vase orné de magnifiques pierres précieuses qui peut fournir
en quantité illimitée nourriture et boisson ; c’est le plat
dans lequel Jésus et les Apôtres ont mangé l’agneau
pascal ; c’est la coupe utilisée par Jésus lors de la Cène
; c’est le vaisseau dans lequel Joseph d’Arimatie a recueilli le sang du
Christ qui s’écoula lorsqu’il fut transfixé sur la croix.
Dans la légende, le Graal est souvent protégé
par une femme, et son existence fut le point de départ de nombreuses
« quêtes ». Dans les légendes du Graal se mélangent
le folklore, le roman d’amour et la mythologie religieuse. Il existe effectivement,
dans le monde, quelques coupes dont certains prétendent qu’elle
est le Saint-Graal – la coupe que Jésus aurait utilisée au
cours de la Cène – mais l’Église n’a jamais repris dans sa
tradition ce genre de folklore.
Il est vrai que, compte tenu du fait que le Graal est souvent confié
à la protection d’une femme et que, dans certains cas, elle porte
l’image d’un enfant, le Graal est effectivement associé à
un certain symbolisme en relation avec l’enfantement et le don de la vie.
Cela dit, on ne connaît aucune tradition qui identifie explicitement,
ainsi que le fait Brown, le Graal aux symboles d’une « déesse
perdue », avec Marie Madeleine ou avec la lignée de Jésus
(comme l’affirment les auteurs de Sang sacré et Saint-Graal ). En
outre, pour la plupart des spécialistes, lorsqu’il est employé
dans un contexte chrétien, ce thème est plutôt mis
en relation avec la Vierge Marie : en effet, au début du moyen-âge,
la dévotion pour Marie s’est développée de façon
fulgurante.
Et venons-en maintenant à ce moment particulièrement
tendu et choquant, à la fin du chapitre 58, où Teabing identifie
Saint-Graal et « sang réal », ou « sang royal
». Il affirme que l’étymologie traditionnelle fait dériver
Sangréal de San Greal – c’est-à-dire Saint-Graal –, seulement
voilà : ce n’est pas vrai. Voyons ce que cela donne lorsque nous
en faisons dériver sang réal : cela signifie sang royal.
CQFD !
J’ai sous les yeux l’article que la Catholic Encyclopedia de 1914 a
consacré au Saint-Graal. Voici ce qu’il dit :
« Dire que San greal correspond à "sang real" (sang royal)
est une explication qui ne s’est répandue qu’à la fin du
moyen-âge ».
Le sang royal, dans le contexte des récits traditionnels relatifs
au Graal, c’est, bien entendu, le sang du Christ. Cette façon particulière
de décomposer et de lire ces deux mots n’avait rien de nouveau au
moyen-âge, non plus d’ailleurs qu’en 1914, et elle n’a rien de nouveau
aujourd’hui non plus.
Les Templiers et le Prieuré de Sion
Ce que raconte Brown a propos des Templiers et du Prieuré de
Sion, s’inspire, s’il est nécessaire de le répéter,
de deux ouvrages déjà cités : La révélation
des Templiers et Sang sacré et Saint-Graal. La plupart des choses
qu’il affirme à propos de ces deux organisations ne sont pas fondées
sur des faits.
En premier lieu, il est important de comprendre que, contrairement
à ce que prétend Brown dans la page liminaire de son livre,
le Prieuré de Sion n’était pas une véritable organisation
dans le sens qu’il suggère. Les documents qu’il cite, et notamment
la fameuse liste des grands maîtres – avec Victor Hugo et, bien sûr,
Léonard – sont des faux, qui ont été déposés
à la Bibliothèque Nationale, à Paris, probablement
à la fin des années 1950.
Très brièvement, voici de quoi il s’agit.
Il semble qu’un certain Prieuré de Sion se soit constitué
en France à la fin du 19e siècle ; il s’agissait d’un groupe
politique de droite qui s’était donné pour but de lutter
contre le gouvernement représentatif.
On voit réapparaître ce nom juste avant la deuxième
guerre mondiale, à l’initiative d’un certain Pierre Plantard : c’était
un antisémite qui voulait « purifier et rénover la
France ». Dans les années 1950, Plantard commença à
prétendre que, appartenant à la dynastie mérovingienne,
il était l’héritier légal du trône de France.
Il constitua alors un groupe appelé « Prieuré de Sion
», déposa, dans des bibliothèques et archives de France,
des documents falsifiés attestant de son antiquité et propagea
le mythe de « la lignée royale de Jésus ».
Voici la conclusion que Laura Miller tire de toute cette histoire dans
un article du New York Times (« The Da Vinci Con », 22 février
2004) :
« Tout bien considéré, la légitimité
de l’histoire du Prieuré de Sion repose sur un paquet de coupures
de presse et de pseudo-documents dont même les auteurs de Sang sacré
et Saint-Graal pensent qu’ils ont été frauduleusement déposés
à la Bibliothèque Nationale par un homme appelé Pierre
Plantard. Au début des années 1970, l’un des complices de
Plantard a avoué l’avoir aidé à fabriquer ces faux,
y compris les arbres généalogiques présentant Plantard
comme un descendant des Mérovingiens (et, peut-on penser, de Jésus-Christ)
ainsi qu’une liste des "grands maîtres" du Prieuré.
Cette liste, d’une stupidité crasse, de personnages et intellectuels
célèbres -– Botticelli, Isaac Newton, Jean Cocteau et, bien
entendu, Léonard de Vinci [c’est bien la liste que donne Dan Brown]
– ainsi qu’un prétendu historique du Prieuré de Sion remontant
au IXe siècle, sont présentés, en tête du Da
Vinci Code, comme des "faits".
En réalité, on a fini par s’apercevoir que Plantard était
un truand, avec un casier judiciaire : il avait été condamné
pour escroquerie et pour son affiliation, pendant la guerre, à des
groupes de droite antisémites. Quant au véritable Prieuré
de Sion, il s’agissait d’un innocent groupe d’amis partageant les mêmes
opinions, qui a été fondé en 1956.
La mystification de Plantard a été dévoilée
par une série de livres publiés en France ainsi que dans
un documentaire réalisé par la BBC en 1996 ; mais, curieusement,
ces révélations choquantes n’ont pas eu autant de succès
que le livre Sang sacré et Saint-Graal ni, bien entendu, que le
Da Vinci Code. »
Saint-Sulpice : Dans le Da Vinci Code, c’est dans l’église Saint-Sulpice (construite entre 1646 et 1789), à Paris, que le Prieuré de Sion cache un secret associé au Graal. L’histoire mythique d’un prieuré qui n’a jamais existé prétend démontrer cette association mais, en fait, il n’y a aucun rapport. La « ligne rose » et l’obélisque n’ont aucune signification ésotérique. En réalité, il existe, en Europe, un nombre remarquable d’églises qui servaient en même temps d’observatoires astronomiques. On perçait un petit trou dans le plafond ou dans un mur, et on suivait le mouvement du soleil le long d’une ligne tracée sur le sol. Lorsque le soleil atteignait un certain point, dans ce cas particulier l’obélisque, c’était le solstice – soit d’hiver, soit d’été. (Pour en savoir plus sur ce sujet, voir J. L. HEILBRON : The Sun in the Church, Harvard University Press, 1999.)
Donc, le Prieuré de Sion présenté comme un groupe
millénaire dont la mission était de protéger le Graal
n’a jamais existé.
Par contre, les Templiers ont bien existé, eux. L’Ordre des
Templiers a été fondé en Terre Sainte au XIe siècle,
après la conquête de Jérusalem. Son nom véritable
était : les Pauvres Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon,
et il s’agissait d’un ordre monastique dont les membres étaient
tous des chevaliers. Ils étaient des « moines » dans
le sens où ils prononçaient des vœux – le premier étant
de protéger les sites sacrés de la Terre Sainte ainsi que
les pèlerins qui s’y rendaient. En outre, ils étaient tenus
de respecter une règle qui définissait leurs obligations
religieuses (prière et messe quotidiennes, dirigées par des
prêtres de l’Ordre) ainsi que leurs comportements :
« Certaines de ces instructions semblaient précisément
viser à limiter les excès du comportement chevaleresque.
Ce devaient être des hommes humbles, aux ressources limitées
[…] Ils ne devaient pas combattre dans des tournois ni chasser »
(Michael WALSH : The Warriors of the Lord, p. 156).
Les Templiers accrurent leur pouvoir aux XIIIe et XIVe siècles
– parallèlement d’ailleurs à d’autres ordres militaires,
et en particulier leur principal rival : les Chevaliers Hospitaliers. Ils
accumulèrent de grandes richesses et firent fonction de banquiers,
notamment à Londres et à Paris.
Y avait-il un quelconque rapport entre les Templiers et la légende
du Graal ? Apparemment, pas avant le XIXe siècle, où on s’intéressa
de plus en plus aux sociétés secrètes, particulièrement
en relation avec la franc-maçonnerie. Dans un texte intitulé
: Le mystère du baphomet révélé, un Allemand
appelé Joseph von Hammer-Purgstall présentait, en 1818, ce
qu’il prétendait être une histoire des Templiers ; il affirmait
entre autres que ceux-ci adoraient Mahomet et étaient les gardiens
du Saint-Graal qui, selon cet auteur, n’était pas la coupe de la
Cène mais un corpus de connaissances gnostiques et, en particulier,
« une branche particulière de gnostiques qui avaient rejeté
le Christ » (Walsh, p. 190). Manifestement, c’est dans ce genre d’ouvrages
que puisent les spéculations modernes sur les Templiers.
Revenons-en à l’histoire authentique. Il est vrai que l’ordre
des Chevaliers du Temple a été supprimé, mais les
détails que Brown donne de cette affaire ne sont pas tout à
fait exacts.
Il en rejette la responsabilité sur le pape Clément V
mais, d’après les documents dont nous disposons, il apparaît
assez clairement que c’est Philippe IV, dit le Bel, roi de France, qui
décida de s’en prendre à eux, surtout parce qu’il n’avait
plus d’argent alors que les Templiers en avaient beaucoup. La première
mesure date du 13 octobre 1307 : Philippe le Bel ordonna l’arrestation
de tous les Templiers de France – et non pas d’Europe, comme le prétend
Brown, même s’il a raison à propos de l’association funeste
entre cette date, qui tombait un vendredi 13, et la croyance selon laquelle
une telle occurrence porte malheur.
Cette décision de Philippe le Bel irrita fort le pape Clément
V parce que les Templiers s’étaient placé sous la protection
du pape ; pourtant, le 22 novembre, il céda au roi de France et
accepta que cette mesure fût étendue à l’ensemble de
l’Europe.
Les Templiers ont-ils inventé et diffusé le style gothique en architecture afin de pouvoir communiquer l’importance du « Féminin sacré » ? Non. Aucun document n’indique que les Templiers se soient intéressés à l’architecture, sinon pour construire leurs propres églises. Le style gothique s’est élaboré et perfectionné, en gros, entre 1100 et 1500, d’abord en France : il s’agissait de rechercher des moyens de construire des églises plus robustes et plus hautes, dont les murs étaient étayés par des arcades et percés de multiples ouvertures pour laisser pénétrer le plus de lumière possible. Les structures gothiques sont riches de symboles, mais on n’y trouve pas d’éléments imitant consciemment et explicitement l’anatomie féminine.
Lorsqu’il parle des Templiers, Brown parle souvent du « Vatican
» qui, pour lui, est la source des décisions des papes. Ici
encore, il commet une erreur, qui prouve à quel point il connaît
mal la période dont il parle. À cette époque, Clément
V ne vivait pas au Vatican – et pas même en Italie : il était
installé en Avignon, où il était virtuellement prisonnier
du roi Philippe le Bel, qui exerçait sur lui de fortes pressions
pour le contraindre à prendre des décisions dans le sens
de ses propres intérêts.
Finalement, l’Ordre des Templiers fut dissous par décision du
Concile de Vienne qui, au départ, ne savait pas trop que faire –
jusqu’au jour où le roi Philippe arriva aux portes de la ville.
Ainsi que le précise Michael Walsh, cette condamnation « n’était
que provisoire, et elle n’admettait pas la culpabilité des Templiers
» (op. cit., p. 173).
L’ironie de la chose, c’est que les biens des Templiers furent attribués
à l’autre grand ordre militaire : les Hospitaliers ; le roi Philippe
le Bel ne tira aucun avantage de son coup de force et il mourut dans l’année
– ainsi d’ailleurs que le pape Clément V.
Donc, pour ce qui est des Templiers, Brown exagère considérablement
l’antipathie du pape Clément V à l’égard de ce groupe,
et il n’accuse pas le principal responsable : le roi de France.
Enfin, Brown commet une autre erreur grossière : il prétend
que la forme circulaire de Temple Church, à Londres, est d’inspiration
païenne, affirmant que les Templiers auraient décidé
de « refuser » l’architecture chrétienne traditionnelle
pour, à la place, honorer le soleil (p. 423).
Considérant que, d’après tous les éléments
dont nous disposons, les Chevaliers du Temple étaient un groupe
catholique dont les membres faisaient vœu de défendre loyalement
la foi catholique, c’est très improbable. Et, en plus, c’est faux
: en effet, si Temple Church a été bâtie selon un plan
circulaire, c’était, très logiquement, en s’inspirant d’une
église située dans un lieu qui revêtait une grande
importance pour les Templiers : l’église du Saint-Sépulcre,
qui a été édifiée au-dessus de l’endroit où,
selon la tradition, Jésus fut enseveli, à Jérusalem.
Et, bien entendu, cette église est ronde.
Il n’est pas inutile de préciser que, à cette époque, « le Vatican » n’était pas la résidence principale du pape, même si Clément V y a vécu. Du IVe siècle au début du XIVe siècle, la résidence du pape fut le Palais du Latran. Celui-ci fut détruit par un incendie en 1308, juste avant la période de la captivité des papes en Avignon ; ce n’est qu’en 1377, lorsque les papes se furent de nouveau installés à Rome, qu’ils firent leur résidence au Vatican.
Pour en savoir plus
Roger Sherman LOOMIS : The Grail : From Celtic Myth to Christian Symbol,
Princeton University Press, 1991.
Michael WALSH :The Warriors of the Lord : The Military Orders of Christendom,
William B. Eerdmans Publishing, 2003.
Pour faire le point
1. Qu’est-ce que, selon la légende, pourrait être le Saint-Graal
?
2. Quel rôle les Templiers ont-ils joué dans l’histoire
de la chrétienté ?
Pour discuter
1. À votre avis, qu’est-ce qui rend si fascinante la légende
du Saint-Graal ?
Chapitre 10
LE CODE CATHOLIQUE
Quand on arrive à la fin du Da Vinci Code, on en sort avec une
image de l’Église catholique bien précise – et pas très
flatteuse.
Certes, à l’occasion, l’auteur essaie de couvrir ses arrières,
affirmant que l’Église catholique moderne ne pratiquerait certainement
pas des actes criminels ; pensez ! elle a fait tellement de bien ! Même
s’il est vrai qu’elle a fait aussi tellement de mal... Et bien sûr,
à la fin de l’histoire, on s’aperçoit que les méchants
catholiques ne sont pas méchants du tout (à l’exception de
quelques meurtres…) mais que, en réalité, ils ont été
les dupes de Teabing, dont on apprend que c’était lui le «
maître » qui tirait toutes les ficelles.
Mais ce retournement ne diminue en rien l’effet général
du roman, qui présente l’Église catholique romaine comme
une institution monolithique et étroitement contrôlée
dont la mission est de propager une fiction dans un monde qui n’aspire
qu’à la liberté.
Cette image donnée de l’Église catholique, on la retrouve
fréquemment dans la culture populaire, même d’ailleurs quand
elle ne se limite pas à l’histoire récente : il suffit pour
s’en convaincre de lire l’abondante propagande anti-catholique – en textes
et en images – du XIXe siècle, notamment aux États-Unis.
Sur le fond, les arguments sont identiques ; seul le langage est plus fleuri
et, si les clercs n’ont pas le couteau entre les dents, ils portent un
chapeau de sorcier.
Cette caricature, nous la retrouvons, tout au long du Da Vinci Code,
dans le portrait qui nous est fait de l’Opus Dei.
L’Opus Dei
En fait, on a l’impression que la culture contemporaine a attribué
à l’Opus Dei le rôle que l’ordre des jésuites a joué
pendant des siècles : un groupe rigoureusement organisé,
sous les ordres directs du Vatican, qui infiltre les institutions du monde
entier pour affermir son pouvoir et pour faire… qui sait quoi ?
L’ordre des jésuites a été fondé en 1534
par saint Ignace de Loyola ; ce devait être un ordre missionnaire
et enseignant. Pourtant, leur réputation leur valut d’être
expulsés de plusieurs pays d’Europe à la fin du XVIIIe siècle
; le pape alla même jusqu’à supprimer cet ordre dans certaines
régions entre 1773 et 1814. Les méfaits attribués
aux jésuites ont été la cible des auteurs anti-catholiques
– laïcs et protestants – et le sont aujourd’hui encore. Le mot «
jésuitisme » n’a pas vraiment une connotation positive.
Dans ce sens, l’Opus Dei a manifestement, et malheureusement, remplacé
l’ordre des jésuites, dans la conscience populaire, comme représentant
le secret et l’hypocrisie.
Il est vrai que certaines personnes ont fait des expériences
malheureuses dans leurs relations avec l’Opus Dei : ils disent qu’ils se
sont laissé manipuler pour en devenir membres et que, comme membres,
ils se sentaient soumis à un contrôle excessif. Lorsque l’on
veut faire un tableau complet de l’Opus Dei, il est important d’écouter
ces personnes et de prendre leurs récits au sérieux. Mais
ce qui est frappant, c’est que les seules sources dont s’inspire Brown
pour présenter l’Opus Dei dans le Da Vinci Code, ce sont des rapports
négatifs et désenchantés. Ce n’est qu’une face de
la médaille – elle est certes importante, mais ce n’est pas la seule.
Dans le Da Vinci Code, Brown dit quand même un certain nombre
de choses exactes à propos de l’Opus Dei : oui, son siège
de New York est grand et relativement récent ; oui, ses membres
sont portés sur la piété traditionnelle ; oui, c’est
une prélature personnelle (nous allons y revenir).
Et, oui, certains membres pratiquent la mortification corporelle.
Mais c’est à peu près tout.
Pour commencer, corrigeons une erreur monumentale. Silas, notre géant
albinos assassin, nous est présenté comme un « moine
» ; d’ailleurs, ce qui le prouve, c’est qu’il porte une robe de moine.
Il n’y a pas de « moines » à l’Opus Dei .
D’abord, ce n’est pas un ordre religieux comme les dominicains, les
bénédictins ou (mais oui !) les jésuites. Dans l’Église
catholique, tous les moines relèvent d’un ordre religieux (il y
en a d’autres) et vivent dans des monastères, des couvents ou des
ermitages.
L’Opus Dei est une association de laïcs et de prêtres ;
il compte d’ailleurs beaucoup plus de laïcs que de prêtres car,
au départ, en 1928, il a été créé à
l’intention des laïcs. Ce n’est que quinze ans plus tard que fut instituée
la Société sacerdotale de la Sainte Croix, par laquelle des
prêtres furent formellement incorporés à l’Opus Dei.
Un « moine » est un homme qui se retire de la société pour se consacrer à Dieu par la prière. Les femmes qui ont choisi la vie monastique s’appellent des « religieuses », des « moniales » ou des « nonnes ».
Le fondateur de l’Opus Dei fut Josémaria Escriva de Balaguer,
un prêtre espagnol ; au départ, il créa un groupe qui
devait aider les laïcs à vivre leur propre vocation à
la sainteté dans le monde et à croître dans l’amour
pour Dieu et pour tous les êtres humains.
Le premier et le mieux connu des livres du P. Escriva, dans lequel
on trouve l’esprit de l’Opus Dei (qui signifie : « l’œuvre de Dieu
»), est appelé Chemin.
Mais on trouve l’enseignement du P. Escriva dans d’autres livres encore,
notamment dans Quand le Christ passe, dont nous extrayons le passage suivant
:
« En grandissant et en vivant comme l'un d'entre nous, Jésus
nous révèle que l'existence humaine, nos occupations courantes
et ordinaires, ont un sens divin. Même si nous avons largement médité
ces vérités, nous devons toujours admirer ces trente années
de vie obscure qui constituent la plus grande partie de la vie de Jésus
parmi ses frères les hommes. Années obscures, mais, pour
nous, claires comme la lumière du soleil. Ou mieux, splendeur qui
illumine nos journées et leur donne leur véritable dimension,
puisque nous sommes des chrétiens courants, qui menons une vie ordinaire,
semblable à celle de millions de gens dans les coins les plus divers
du monde. » (point 14).
Ce passage donne une juste synthèse de l’esprit de l’Opus Dei
; en outre, il permet de corriger ceux qui, une fois encore, se sont laissé
convaincre par Brown que le christianisme traditionnel ne fait qu’ignorer
la nature humaine de Jésus et les réalités de la vie
humaine.
Le Père Escriva est mort en 1975 et a été canonisé
(déclaré saint) le 6 octobre 2002.
Bien entendu, ce qui intrigue les gens ou même leur paraît
très bizarre, ce n’est pas cet esprit de l’Opus Dei ; ce sont d’autres
aspects de la vie de ce groupe, que Brown met à l’avant-plan dans
le Da Vinci Code.
Effectivement, les membres de l’Opus Dei sont répartis en plusieurs
catégories, mais celles-ci correspondent simplement à différents
niveaux d’engagement et différents modes de vie. Tous les membres
de l’Opus Dei suivent, sous la direction d’un directeur spirituel, le même
« plan de vie » qui comprend la récitation du rosaire,
la messe quotidienne, des lectures spirituelles et la prière mentale.
Mais tout cela, certains le pratiquent dans le contexte de la vie mariée
– ce sont les surnuméraires. Les membres numéraires peuvent
continuer à travailler dans le monde mais ils font vœu de célibat,
donnent la plus grande partie de leur salaire à l’Opus Dei et vivent
souvent en communauté, dans des maisons de l’Opus Dei. Il y a encore
d’autres membres, qui ont tous un rôle particulier à jouer
dans « l’Œuvre ».
Et quelle est cette œuvre ?
C’est simplement vivre l’appel de Dieu dans le monde, aussi intensément
qu’on le peut. Pour cela, on peut très bien exercer une profession
dans le monde, mais aussi participer à l’un des nombreux ministères
assurés par l’Opus Dei dans le monde entier : écoles en tous
genres, programmes de formation agricole dans les pays pauvres, cliniques
et autres institutions.
L’un des aspects les plus controversés de l’Opus Dei, fréquemment
mis en avant dans le Da Vinci Code, c’est la mortification corporelle,
ou physique : l’utilisation d’un cilice – qui est une ceinture de crin
– ou d’une lanière de cuir garnie de pointes de métal portée
autour de la cuisse, et encore l’emploi de la discipline – cordelette à
nœuds qui sert à se fouetter.
Pour beaucoup de gens de notre époque, ces pratiques peuvent
paraître bizarres ; pourtant, il convient de remarquer que l’on trouve
la mortification corporelle, considérée comme une pratique
spirituelle, dans toutes les religions du monde, sous une forme ou sous
une autre : le jeûne, parfois pratiqué à un degré
extrême, la prière ou la méditation dans une position
inconfortable et même la pratique de porter des vêtements inconfortables
ou d’aller pieds nus.
L’Opus Dei est une « prélature personnelle », c’est-à-dire que les ministères (mot qui signifie « services ») qu’il assume sont placés sous la responsabilité de l’évêque placé à la tête de l’Opus Dei et non pas de l’évêque du diocèse dans lequel sont exercées ces activités. De ce point de vue, l’Opus Dei est assez semblable à un ordre religieux, comme les bénédictins ou les dominicains.
La mortification du corps à des fins spirituelles, y compris
le recours à des éléments particuliers tels que ceux-là,
n’a pas été inventée par l’Opus Dei : il suffit de
lire la vie des saints pour constater que beaucoup se sont sentis appelés
à de telles pratiques. Pourquoi ?
Certains cherchaient à se rapprocher du Christ en partageant
ses souffrances. Pour d’autres, il s’agissait d’expier leurs péchés
ou les péchés des autres. Pour d’autres encore, c’était
un moyen de renforcer leur autodiscipline, d’atteindre un stade où
leur esprit pourrait se concentrer sur Dieu et se satisfaire de Sa présence,
quel que puisse être l’inconfort du corps.
C’est inhabituel mais, pour mieux en juger, on pourrait comparer cela
aux « mortifications corporelles » auxquelles s’astreignent
certains d’entre nous pour le bien de notre apparence physique : jeûner,
souffrir à force d’exercices physiques et même se soumettre
à certaines procédures – des interventions chirurgicales
– sanglantes et douloureuses. Tout cela pour avoir un « beau corps
» – c’est-à-dire, fondamentalement, ce que voient les autres
quand ils nous regardent.
Certaines personnes pratiquant la mortification en vue d’un progrès
spirituel vont même jusqu’à dire que le principe : «
Il faut souffrir pour être beau » s’applique à la vie
spirituelle – du moins pour eux.
Et puis, il y a aussi, autour de l’Opus Dei, une atmosphère
de secret qui favorise les spéculations parce que, effectivement,
certains de ses aspects restent secrets. Par exemple, l’Opus Dei ne publie
pas la liste de ses membres, et il déconseille à ses membres
de dire qu’ils appartiennent à l’Opus Dei.
Pour ces gens-là, la raison, ce n’est pas parce qu’ils font
des choses mauvaises : cela relève d’un certain sens de l’humilité
et de l’obéissance à l’Évangile. Dans l’évangile
de Matthieu (cf. 6, 1-18), Jésus demande à ses disciples
de vivre dans la sainteté, mais de le faire presque en secret. Quand
tu fais l’aumône, dit-il, « que ta main gauche ignore ce que
fait ta main droite. […] Quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme
sur toi la porte, et prie ton Père qui est là, dans le secret
[…] Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre [et, peut-on
supposer, n’ayez pas non plus l’air d’avoir faim !] […] Quand tu jeûnes,
parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit
connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans
le secret » (Mt 6, 3-18).
C’est dans cet esprit que les membres de l’Opus Dei se gardent bien
de faire montre de leurs pratiques spirituelles et leur appartenance à
ce groupe. Ils considèrent que leur vocation est d’être le
levain dans la pâte, la petite lumière dans le monde, et,
ainsi, ils se contentent de suivre le « chemin » et accomplissent
l’œuvre de Dieu dans leur vie quotidienne.
Les seuls chrétiens ?
Dans un sens, les catholiques qui lisent le Da Vinci Code devraient
être flattés : après tout, selon le tableau que Brown
fait du christianisme, au passé comme au présent, la seule
manifestation concrète qu’en voit le monde, c’est l’Église
catholique romaine.
Bien entendu, ce n’est pas tout à fait exact. Par exemple, beaucoup
de décisions de portée théologique que nous avons
mentionnées à propos de ce livre – la fixation du Canon des
Écritures, les discussions relatives à la nature humaine
et à la nature divine de Jésus – ont été prises
non pas dans l’Église d’Occident mais dans l’Église d’Orient,
et elles le furent, en majorité, par des évêques de
l’Église de la partie orientale de l’empire romain. Les Églises
catholiques orientales et les Églises orthodoxes incarnent tout
autant que l’Église catholique romaine cette tradition ancienne.
Et puis, bien sûr, il y a les Églises chrétiennes
qui se sont constituées dans le sillage de la Réforme protestante
: si de profondes divergences les séparent du catholicisme et de
l’orthodoxie – notamment à propos de la justification, du salut,
des sacrements et de bien d’autres sujets encore –, ces Églises
n’en ont pas moins continué à affirmer la conception doctrinale
traditionnelle de la double nature – humaine et divine – de Jésus
qui est affirmée dans les credos élaborés à
cette époque mais qui, selon Teabing, violeraient « l’histoire
réelle » de Jésus. Certaines de ces Églises,
d’ailleurs, ont tout autant lutté contre les hérésies
et pratiqué la chasse aux sorcières que l’Église catholique
(au XVIIe siècle, par exemple, il n’y avait pas d’évêque
catholique à Salem, dans l’actuel état du Massachusetts,
célèbre pour ses « sorcières »).
Pourtant, on ne sait pas trop pourquoi, pour Brown, le coupable, l’ennemi
des intentions authentiques de Jésus, ce n’est pas le « christianisme
» en général mais la seule Église catholique,
d’un bout à l’autre et sans exception. Alors pourtant que les Églises
orthodoxes et protestantes affirment toutes la divinité du Christ
telle que définie au Concile de Nicée et dans d’autres conciles
de l’Église primitive et qu’elles acceptent toutes, plus ou moins,
le même Canon des Écritures ; sans oublier que les Églises
protestantes ont réduit le rôle de Marie, la Mère de
Jésus, dans leur théologie et leur pratique, au point qu’on
pourrait à bon droit leur reprocher d’avoir, elles aussi – et beaucoup
plus que le catholicisme –, banni le « Féminin sacré
» de la spiritualité.
De ce point de vue, nous avons de bonnes raisons de considérer
le Da Vinci Code comme un ouvrage anti-catholique. Ce n’est pas simplement
que beaucoup de choses qu’affirme Brown à propos du catholicisme
ne sont pas vraies ; il va plus loin encore : il rend délibérément
l’Église catholique responsable de crimes – elle aurait donné
une fausse représentation de Jésus, elle aurait étouffé
le « Féminin sacré » et elle aurait refusé
à Marie Madeleine le rôle de chef de l’Église que lui
aurait attribué Jésus –, crimes dont, si l’on suivait sa
logique, il faudrait déclarer tout le christianisme coupable.
Pourquoi une telle attitude ? À mon avis, tout simplement parce
que c’était plus simple. C’est en tout cas l’opinion la plus charitable
que l’on puisse avoir en la matière : un livre ainsi conçu
s’écrit et se lit plus facilement. Non pas qu’il soit plus vrai,
qu’il corresponde mieux aux complexités de la vie réelle
et de l’histoire réelle. Cela, ce serait beaucoup plus difficile
que de caricaturer des méchants en robe de moine, des gens louches
se promenant avec des valises pleines d’argent.
Donc, selon le Da Vinci Code, les catholiques seraient les seuls chrétiens
?
Eh bien, comme je l’ai dit, peut-être les catholiques devraient-ils
se sentir flattés.
Mais on comprendra aussi qu’ils ne le soient pas vraiment..
Pour en savoir plus
Peter J. KREEFT : Catholic Christianity, Ignatius Press, 2001.
Pour faire le point
1. Qu’est-ce que l’Opus Dei ?
2. En quoi le Da Vinci Code donne-t-il une image fausse du monde chrétien
?
Pour discuter
1. À votre avis, quelle devrait être la réaction
des chrétiens face à la présentation négative
ou erronée que la culture donne de leur foi ?
2. Comment considérons-nous les gens qui s’efforcent de vivre
effectivement le message de Jésus dans le monde moderne ?
Épilogue
POURQUOI C’EST IMPORTANT
S’il y avait une leçon positive à tirer du phénomène
déclenché par le Da Vinci Code, c’est qu’il a suscité
beaucoup d’intérêt pour des questions importantes : Qui est
Jésus ? Qu’est-ce qu’était le christianisme des premiers
temps ? Quel est le pouvoir de l’art ? – et aussi des questions relatives
à la discrimination sexuelle et à la spiritualité.
Ce qui est regrettable, c’est l’enthousiasme avec lequel les lecteurs
ont adopté les assertions historiques présentées dans
le Da Vinci Code.
Cet enthousiasme trahit une grave lacune, à savoir que les Églises,
quelles qu’elles soient, n’ont pas réussi à communiquer à
leurs membres les faits essentiels de l’histoire et de la théologie
chrétiennes. La crédulité avec laquelle les lecteurs
ont admis les affirmations de Brown selon lesquelles les premiers chrétiens
ne considéraient pas Jésus comme Fils de Dieu, et l’implication
générale que, dans sa forme et sur le fond, le christianisme
n’est guère que l’aboutissement de sordides luttes pour le pouvoir
– cela devrait interpeller tous ceux qui sont appelés à pratiquer
un ministère.
Mais qu’enseignons-nous donc à propos de Jésus ? Enseignons-nous
vraiment quelque chose ?
Une question de logique
Nombreux sont les lecteurs qui ont été perturbés
par les affirmations que l’on trouve dans le Da Vinci Code à propos
de la foi chrétienne. J’espère que le présent ouvrage
vous aura confirmé que la foi en Jésus Seigneur est une dimension
organique et fondamentale de la foi chrétienne, et cela depuis l’époque
où les premiers apôtres ont commencé à prêcher
la Bonne Nouvelle.
Je voudrais faire une dernière remarque pour mieux faire comprendre
cela.
Une thèse fondamentale du Da Vinci Code est que, dans le christianisme,
le parti « vainqueur » s’est employé à supprimer
tous les faits qui, à propos de Jésus, apparaissaient gênants
ou inacceptables, ou simplement indésirables.
Réfléchissons un peu à l’illogisme d’une telle
assertion. Je l’ai fait, sous différents angles, tout au long de
ce livre et, au bout du compte, on en arrive à ceci : le parti que
Brown présente – soulignons-le, à tort – comme « vainqueur
» du débat sur ce que devait être le christianisme a
terriblement souffert pour tout ce qu’il croyait et affirmait à
propos de Jésus.
À commencer, bien entendu, par Jésus lui-même.
À y réfléchir, si Jésus n’était
que le bien brave maître à penser que nous présente
Brown, pourquoi un quelconque gouvernement aurait-il pris la peine de l’exécuter
? Et, pourquoi, plus précisément, le crucifier, la crucifixion
étant le mode d’exécution réservé aux criminels
les plus vils et les plus ignobles ?
Et si Jésus ne fut effectivement que ce maître à
penser exécuté de cette horrible manière, pourquoi
ses disciples auraient-ils abandonné leur vie normale et confortable
pour diffuser son enseignement, s’exposant par là-même à
un sort identique ?
À considérer le cours des siècles, la vérité
nous apparaît aveuglante : si des chrétiens ont été
arrêtés, torturés et emprisonnés, ce pour quoi
ils furent condamnés, ce n’était certainement pas pour avoir
suivi un philosophe : ils ont été châtiés parce
que, dans le christianisme qu’ils pratiquaient, ils adoraient un Dieu,
incarné en Jésus de Nazareth, et que, de ce fait, ils ne
se sentaient pas autorisés à honorer l’empereur comme un
seigneur ou un dieu. Et il est indubitable que, pour l’empire, leur conception
du monde, selon laquelle Dieu, par Jésus, était le seul Seigneur
de l’univers constituait une menace.
Donc, la logique débouche sur une alternative.
Premier terme de cette alternative : si Brown affirme que Jésus
ne fut honoré comme Seigneur qu’à partir du Concile de Nicée,
on en déduit que, si c’était vrai, il n’y aurait guère
eu de raisons de persécuter les chrétiens avant Constantin.
Second terme de l’alternative : si les chrétiens ne croyaient
pas vraiment que Jésus fût le Seigneur, si, à la base
de ce langage et de cette liturgie qui proclament Sa Seigneurie, il y avait
une simple croyance en un maître à penser mortel, pourquoi
n’ont-ils pas modifié ce qu’ils racontaient ? S’ils ne croyaient
pas que Jésus était le Seigneur – une croyance qui, précisément,
les faisait jeter aux lions ou exiler dans les mines de sel – pourquoi
maintenir cette fiction ?
C’est complètement absurde.
Pour nous qui nous intéressons à qui était véritablement
Jésus et à ce que le christianisme croit à son sujet,
le problème est celui-ci : toute l’intrigue du Da Vinci Code laisse
entendre que le christianisme tel que nous le connaissons est une pure
et simple invention et que la vérité a été
étouffée. C’est là quelque chose sur quoi il faut
essayer de réfléchir sérieusement et logiquement.
Quel avantage les Apôtres et les premiers chrétiens pouvaient-ils
tirer d’étouffer la vérité ? Cela leur valait-il honneurs
et louanges ? Cela les enrichissait-il ? Y gagnaient-ils un quelconque
pouvoir ? Ce qu’ils proclamaient leur permettait-il de vivre une vie plus
riche et plus confortable ?
Serions-nous prêts à supporter tout ce que les premiers
chrétiens ont enduré pour quelque chose dont nous saurions
que c’est un mensonge ?
Et, d’ailleurs, qu’est-il advenu du corps du Christ ?
Rencontrer Jésus
Si j’ai écrit ce livre, c’est parce que je voulais aider les
lecteurs curieux à passer en revue les différentes questions
intéressantes que pose le Da Vinci Code.
Au centre de toutes ces questions, il y a, non pas un simple problème,
mais une personne : Jésus de Nazareth. Je suis convaincu que, si
beaucoup d’entre nous avons avalé avec une telle crédulité
les affirmations du Da Vinci Code, c’est que nous n’avons jamais sérieusement
essayé de connaître Jésus. Que nous soyons pratiquants
ou pas, nous avons toujours gardé une certaine distance par rapport
à lui, laissant à d’autres le soin de nous dire ce que nous
devons penser de lui, et nous n’avons jamais essayé de lire nous-même
un évangile d’un bout à l’autre. Et, en fin de compte, nous
avons admis l’idée – si courante dans notre culture – que, de toute
façon, c’est là une affaire d’avis personnel et que, au fond,
il n’y a aucune vérité certaine.
Non ! Ainsi que le démontre brillamment le témoignage
des premiers apôtres, il ne s’agit pas d’opinions personnelles, de
mythes ou de métaphores. Pierre, Paul et – mais oui ! – Marie Madeleine
n’ont pas donné leur vie pour une métaphore. Ils ont personnellement
connu Jésus, ils ont bien vu que c’était un être humain
et que, mystérieusement, glorieusement, il était quelque
chose de plus, et ils lui ont donné leur vie – littéralement
–, à lui et à la vie abondante, pleine de grâce, dont
ils étaient emplis.
Si le Da Vinci Code a pu avoir des effets négatifs, cela tient
au fait que, à force de parler de Jésus et de sa femme, du
« Féminin sacré », et à force de spéculer
sur « l’histoire vraie », on perd de vue l’Histoire Vraie.
Jésus, crucifié, mort et ressuscité, Celui dont
la mort très réelle et la résurrection très
réelle nous libèrent du pouvoir de notre péché
très réel et de notre mort très réelle, et
par qui sont réconciliés Dieu et la création.
Cela dit, cette histoire n’est pas vraiment perdue ; elle n’est d’ailleurs
pas un secret, et rien n’empêche quiconque de la découvrir.
Voulez-vous en savoir plus sur Jésus ?
La vérité est à portée de votre main, comme
un livre sur une étagère.
Non ! ce n’est pas le Da Vinci Code.
Ne vous laissez pas dicter vos opinions par un romancier qui prétend
avoir un message à transmettre. Revenez au point de départ,
allez à la source : prenez-la donc, cette Bible !
Vous verrez : vous n’avez pas fini d’être surpris.
Ce livre est la traduction, à partir de l’original américain, de l’ouvrage d’Amy Welborne: Decoding Da Vinci, from fiction to reality, publié par Our Sunday Visitor Publishing Division
Dans le présent ouvrage, les citations des Écritures sont
reprises de La Bible de Jérusalem, édition de référence,
Cerf/Fleurus, Paris, © 2000-2001.
Tous droits réservés.
Autant que possible, nous avons recherché les détenteurs de copyright pour les citations et obtenu leur autorisation. Si, par inadvertance, des textes ont été cités dans cet ouvrage sans référence sous une forme ou sous une autre, veuillez nous en informer par écrit afin que les prochaines éditions puissent être dûment corrigées.
Copyright © 2005 Michel HOURST
Tous droits réservés. À l’exception de brèves
citations aux fins de recension, aucune partie de cet ouvrage ne peut être
reproduite ou transmise par un moyen quelconque sans l’autorisation écrite
de l’éditeur et du traducteur. Écrire à :
michel.hourst@tele2.fr
Illustration de couverture : Eric Schoening
« L’ignorance des Ecritures, c’est l’ignorance du Christ »
Saint Jérôme
Prologue d’Isaïe
TABLE DES MATIÈRES
Préface
Mode d’emploi de cet ouvrage
Introduction
I. Secrets et mensonges
II. Qui a choisi les évangiles ?
III. Élection divine
IV. Des rois renversés ?
V. Marie, dite de Magdala, ou Marie Madeleine
VI. L’âge de la Grande Déesse ?
VII. Des dieux volés ? Le christianisme et les religions mystériques
VIII. On pourrait au moins penser qu’il ne s’est pas trompé
à propos de Léonard de Vinci
IX. Le Graal, le Prieuré et les Templiers
X. Le code catholique
Épilogue : Pourquoi c’est important