AVANT PROPOS
DU TRADUCTEUR
La Vie de Notre Seigneur Jésus Christ d'après les visions
d'Anne Catherine Emmerich, qu'offre ici aux lecteurs français le
traducteur de la Douloureuse Passion et de la Vie de la Sainte Vierge,
est le complément longtemps attendu de ces deux ouvrages, publié
l'année dernière en Allemagne par le dépositaire des
manuscrits de Clément Brentano, lequel est, autant que nous pouvons
le savoir, un religieux de la congrégation du très saint
Rédempteur, fondée par saint Alphonse de Liguori. Ce complément
est considérable, car il embrasse toute la vie publique du Sauveur,
à partir de la prédication de saint Jean Baptiste. D'après
l'étendue des deux premières parties, les seules publiées
jusqu'à présent et qui forment, suivant toute apparence,
plus des deux tiers de l'ouvrage entier, on peut présumer que le
tout n'aura pas moins de cinq ou six volumes.
Les considérations que le traducteur(1) a mises en tète
de la Douloureuse Passion et de la Vie de la sainte Vierge s'appliquent
également au présent ouvrage. Il se bornerait à y
renvoyer les lecteurs, si les questions qui se rattachent à l'appréciation
d'une oeuvre de cette nature ne se trouvaient traitées avec des
développements bien plus considérables dans la longue et
savante introduction dont l'éditeur allemand a fait précéder
la Vie de Notre Seigneur Jésus Christ. Il ne peut que s'en référer
à ce travail remarquable, où sont exposées aussi clairement
et aussi complètement que possible les règles adoptées
dans l'Eglise catholique, en ce qui touche les visions et les révélations
privées, et où l'application de ces règles aux écrits
dictés par Anne Catherine Emmerich amène une foule d'éclaircissements
du plus haut intérêt sur la vie de la pieuse extatique et
sur ses rapports avec l'homme éminent qui s'était fait son
secrétaire.
Note 1- Peut-être y aurait il lieu de faire quelques réserves
à propos de la comparaison établie par l'écrivain
allemand entre Anne Catherine Emmerich et Marie d'Agreda, quoique ses critiques,
si l'on y regarde bien, ne tendent en rien à diminuer la vénération
due à la sainte religieuse espagnole, et s'adressent surtout à
la traduction française, fort défectueuse en effet, de la
Cité mystique de Dieu.
Quant au livre lui même, il suffit de dire qu'il a la même
origine que la Douloureuse Passion et la Vie de la Sainte Vierge, qu'il
en est le complément et le lien, qu'il a le même caractère,
les mêmes mérites, qu'il est destiné à produire
la même impression. Sans doute, comme ses devanciers, il soulèvera
plus d'une objection (2), il donnera lieu à plus d'une critique
; mais, comme eux aussi, il touchera, il édifiera les âmes
simples et pieuses ; il fournira un nouvel aliment à leur dévotion,
et leur fera aimer davantage l'adorable personne de Celui qui a habité
parmi nous, plein de grâce et de vérité (Jean. 1, 14).
Telle est du moins l'espérance que nous avons conçue, et
sans laquelle nous n'eussions jamais songé à entreprendre
ce long et pénible travail.
Note 2 : Dans un avant propos qui précède la seconde
partie de la vie de N. S. J. C., l'éditeur allemand a répondu
aux principales objections qu'ont fait naître certains passages de
la première partie. La traduction de cette réponse sera mise
en tête du tome troisième, qui ne tardera pas à paraître.
Du reste, l'approbation que Mgr l'évêque de Limbourg, l'un
des plus illustres champions de l'indépendance de l'Eglise en Allemagne,
a bien voulu donner à tous les volumes publiés jusqu'à
présent, est une garantie suffisante qu'il ne s'y trouve rien de
sérieusement attaquable au point de vue de l'orthodoxie.
PRÉFACE
Lorsque Clément Brentano, il y a plus de vingt ans, publia les
visions d'Anne Catherine Emmerich sur la Douloureuse Passion de N. S. Jésus
Christ, il les appela "des méditations" pour lesquelles il ne demandait
qu'une chose, c'est qu'on y vit tout au plus "les méditations de
Carême d'une dévote religieuse", peut être aussi incomplètement
saisies et reproduites qu'inhabilement rédigées. Toutefois
la grande masse de lecteurs que ces " méditations " ont immédiatement
trouvée, les a involontairement prises pour ce qu'elles sont en
réalité, c'est à dire pour des visions ou des communications
dérivées et d'un don d'intuition surnaturelle, et non pour
le produit de l'intelligence humaine travaillant dans sa propre sphère.
On crut pouvoir trouver une garantie pour la justesse de cette appréciation
dans la courte biographie d'Anne Catherine Emmerich que Brentano avait
fait imprimer comme étant ce qui pouvait le mieux les recommander.
Il y décrivait en effet d'une manière si simple et si persuasive
les directions merveilleuses, les grâces accordées à
Anne Catherine et ses souffrances extraordinaires, que raisonnablement
il ne restait au lecteur d'autre alternative que de rejeter la biographie
comme une oeuvre d'imagination et par là même les visions
comme une illusion et une imposture, ou de reconnaître dans l'une
comme dans les autres tous les caractères de l'authenticité.
Malgré tout ce qu'il y avait là d'extraordinaire, personne
ne s'est arrêté sérieusement au premier parti car la
bénédiction attachée aux visions est trop grande et
trop évidente pour qu'on puisse en chercher l'origine dans le mensonge.
Qui les a jamais prises en main sans en retirer les consolations les plus
multipliées et une nouvelle ardeur pour la piété ?
Qui s'est laissé aller à l'impression puissante de leur vérité
na've sans se sentir pénétré d'un amour plus ardent
pour le très Saint Sacrement, pour Marie et pour l'Eglise.
Ce fait doublement consolant dans un temps comme le nôtre, et
le désir ardent ressenti par tant de personnes de posséder
aussi complètes que possible les visions d'Anne Catherine sont cause
qu'on a entrepris de publier toutes les visions qui se rapportent à
la vie de Jésus.
L'éditeur se rend parfaitement compte de la grande responsabilité
que lui impose son travail dans une matière aussi grave et aussi
féconde en conséquences : aussi n'a t il rien négligé
de ce qu'on a le droit d'exiger de quiconque se charge d'une semblable
entreprise. Non seulement il a pris la connaissance la plus exacte de toutes
les notes que Clément Brentano a écrites jour par jour avec
une conscience scrupuleuse pendant un séjour d'environ six ans auprès
d'Anne Catherine, mais il a soumis tout ce qu'il y a pris pour la présente
publication à l'examen rigoureux de théologiens compétents.
En outre, il mettra le lecteur lui même en mesure de se former avec
assurance un jugement précis et éclairé sur tout ce
dont il s'agit. C'est pourquoi dans l'introduction on donne des éclaircissements
sur le don d'intuition d'Anne Catherine et en particulier sur le caractère
et l'objet de ses visions : en outre, on y rend compte aussi exactement
que possible de la manière dont Anne Catherine a communiqué
ses visions à Clément Brentano et dont celui ci les a reproduites.
On commence par établir avant tout les principes suivant lesquels
on doit juger les visions ou les soi disant révélations,
tels qu'ils sont admis dans l'Eglise. Ils ont servi de règle à
l'éditeur pour se diriger : c'est pourquoi il prie le lecteur de
les prendre aussi pour guides dans l'appréciation de son travail.
Fête du Saint Nom de Marie, 1857.
INTRODUCTION
Anne Catherine Emmerich fut, pendant l'espace de trois ans, favorisée
de visions journalières, se succédant sans interruption dans
un enchaînement historique, sur la carrière de prédication
de Jésus Christ. Elles prirent commencement dans les derniers jours
du mois de juillet 1890 ; en outre dans les années précédentes,
Anne Catherine avait aussi vu les mystères de la vie de Jésus,
non dans des tableaux journaliers formant une série continue, mais
avec des interruptions et suivant l'ordre des dimanches et des fêtes
de l'année ecclésiastique.
Le jeudi 19 juillet 1820, le pèlerin (1) se désole encore
de ce qu'il ne lui est pas possible de se reconnaître dans les visions
sur les évangiles des dimanches parce qu'Anne Catherine les oublie
en partie, ne les raconte pas d'une manière assez circonstanciée
et n'indique point les noms des lieux, et parce qu'il ne peut pas savoir
à quelle année de la vie du Christ les visions correspondent
ni dans quel ordre les évangiles qu'on lit à l'église
sont disposés les uns par rapport aux autres.
Note 1 : C'est le nom que Clément Brentano se donne ordinairement
dans son journal, ce qui fait qu'on continue ici à le designer de
cette manière.
Ainsi Anne Catherine, le dimanche précédent sixième
après la Pentecôte, avait eu une vision sur l'évangile
de la multiplication des pains pour la nourriture des quatre mille hommes
: les jours suivants elle avait encore communiqué quelques fragments
de ses visions relatives à cet événement, qu'elle
croyait en connexion historique avec l'évangile du dimanche. Cependant
le pèlerin ne pouvait pas bien se reconnaître dans cette communication
incomplète et il écrivait dans son journal cette remarque
: "il est affligeant que le pèlerin n'ait aucun secours qui l'aide
à trouver ici quelque chose de suivi. "
Or le secours qu'il désirait devait lui être donné
quelques jours plus tard d'une façon merveilleuse et qu'il n'aurait
jamais soupçonnée : car, le 30 juillet 1820, Anne Catherine
commença, ce qui semblait au pèlerin tout à fait inattendu
et même tout à fait inou', "à voir jour par jour les
années de prédication de Jésus dans des visions où
tout était parfaitement lié, et cela sans interruption jusqu'à
la fin de mai 1821. Ces visions successives commencèrent par l'enseignement
de Jésus sur le divorce et la bénédiction donnée
aux enfants à Bethabara au delà du Jourdain, conformément
à ce qui est rapporté dans saint Matthieu (XIX, 1), et elles
comprirent le dernier voyage du Sauveur à Jérusalem pour
la fête de Pâques, la Passion, la Résurrection, l'Ascension,
la Pentecôte et quelques semaines des Actes des apôtres, conséquemment
les huit ou neuf derniers mois de la prédication de Jésus.
Le pèlerin fait précéder ses reproductions des
visions de cette époque de la remarque suivante : " Celui qui écrivait
n'était orienté ni quant à la direction des Voyages
du Seigneur, ni quant à la topographie de la Palestine : la voyante
de son côté était souvent très malade et au
milieu de ses souffrances sans mesure elle ne racontait qu'avec peine et
quelquefois en intervertissant l'ordre : souvent aussi elle oubliait quelques
jours. En outre son attention n'était dirigée ni sur les
noms de lieux, ni sur les distances, ce qui fait que dans cette période
les noms des lieux ne sont souvent désignés que d'une manière
vague et générale d'après les contrées auxquelles
ils appartiennent. "
Toutefois les visions ne cessèrent pas à la fin de mai,
mais elles passèrent à cette période de la vie de
Jésus qui commence à la mort de saint Joseph et à
la prédication publique de Jean Baptiste. Ainsi pendant quatre mois,
savoir, depuis le 2 juin jusqu'au 28 septembre 1821, Anne Catherine vit
jour par jour tous les voyages et tous les actes de Jésus aussi
bien que ceux de son saint précurseur ; elle entendit toutes ses
paroles et le pèlerin mit par écrit avec la plus scrupuleuse
exactitude tout ce qu'elle fut en état de lui raconter de ces visions.
Le 28 septembre, elle vit le baptême de Jésus dans le Jourdain,
et à partir de là elle suivit le Sauveur dans des visions
qui se succédèrent chaque jour pendant vingt et un mois et
demi, c'est à dire jusqu'au 17 juillet 1823, sur tous les chemins
où le conduisit sa sainte carrière de prédication,
en sorte qu'il y eut très peu de lacunes, et que la fin des visions
de l'année 1823 s'était exactement rejointe au commencement
de ces mêmes visions en juillet 1820.
De même que les visions, les communications au pèlerin
se succédaient journellement : seulement une fois, du 27 avril au
17 juillet 1823, Anne Catherine épuisée et presque mourante
se trouva tout à fait hors d'état de proférer une
seule parole, mais même pendant ce temps les visions ne furent pas
interrompues. Elle les eut pour la seconde fois du 21 octobre 1823 au 8
janvier 182l, et les communiqua de nouveau au pèlerin. A dater de
ce moment toute communication cessa, car la mort s'approchait avec d'horribles
souffrances, et elle mourut en effet le 19 février 1824, après
un silence continuel de quatre semaines. une seule fois pendant ce temps,
sans que rien d'extérieur eut provoquée, et comme si elle
eût fait intérieurement la revue de ses visions passées,
elle demanda, à la grande surprise de l'écrivain : " Quel
jour sommes nous, Le 14 janvier ! " lui fut il dit. " Ah ! répondit
elle, je ne suis plus capable de rien : encore quelques jours et j'aurais
fini de raconter entièrement la vie de Jésus. "
II
Avant d'entrer dans des éclaircissements sur le don d'intuition
et de traiter plus à fond de ce qu'embrassent les visions d'Anne
Catherine, il est à propos de parler des principes qui, selon Benoit
XIV (1), servent à reconnaître la vérité ou
la fausseté de prétendues visions ou révélations
et à établir le degré de valeur et d'autorité
qu'on peut accorder à celles que le jugement de l'Eglise a déclarées
véritables et authentiques. En exposant ces principes, l'éditeur
n'a d'autre dessein que de faire connaître les règles qui
l'ont dirigé dans tout le cours de son travail. Il ne prétend
nullement donner un jugement définitif sur la valeur des visions
d'Anne Catherine ; c'est chose réservée à une plus
haute autorité : mais il prie le lecteur de juger, lui aussi, d'après
les règles indiquées : c'est le plus sûr moyen d'éviter
l'exagération qui s'enthousiasme à faux et la prévention
qui rabaisse injustement, double tendance à laquelle on est également
exposé sur ce terrain.
Benoit XIV traite dans trois chapitres du discernement des visions
et des révélations : il donne d'abord les règles générales
pour reconnaître si elles sont authentiques ou non ; puis il expose
plus en détail les principes qu'on applique dans les procès
de béatification ou de canonisation, lorsqu'il est question des
visions ou des révélations d'un serviteur de Dieu.
Comme première règle, " règle d'or, " Benoit cite
les paroles de Gerson : " Quand l'humilité précède,
accompagne et suit, quand rien ne se mêle qui puisse la compromettre,
c'est un signe que les visions viennent de Dieu ou d'un de ses bons anges
: car ( ceci sont les termes de P. Tanner) la tromperie, même d'une
femme, ne peut rester longtemps cachée. Lorsque tout n'est pas fondé
sur l'humilité la plus profonde, l'édifice s'écroule
bientôt honteusement : mais là où se trouve la pure
simplicité particulièrement nécessaire à ceux
qui veulent s'unir à Dieu par un amour chaste, pur et irrépréhensible,
il ne peut y avoir ni illusion personnelle, ni tromperie provenant d'autrui.
"
Note 1 : Dans son grand ouvrage de servorum Dei beatificatione.
lib. m, c. 51, 52 et 53.
Il y a aussi une grande garantie de l'authenticité des visions
dans l'utilité qu'on voit d'autres personnes en retirer : car il
n'est pas possible qu'un mauvais arbre porte de bons fruits. S'il arrive
donc que certaines visions aient pour résultat chez ceux auxquels
elles sont communiquées plus de lumières spirituelles, l'amendement
de la vie ou un élan plus marqué vers la piété
et la dévotion, s'il en est ainsi non seulement pour quelques individus,
mais pour un grand nombre de personnes, et cela pendant un long espace
de temps, on doit voir là un témoignage assuré que
ces visions sont l'oeuvre du Saint Esprit : car des visions fausses et
mensongères ou provenant du démon ne peuvent manquer de porter
atteinte à la foi catholique et aux bonnes moeurs. On doit juger
qu'il y a illusion lorsque dans une soi disant révélation
une chose mauvaise en soi, ou même bonne en soi, est conseillée
dans l'intention d'empêcher par là quelque chose de meilleur,
ou bien encore quand il s'y rencontre des faussetés ou des contradictions
manifestes et des choses qui ne sont propres qu'à satisfaire une
vaine curiosité.
En ce qui touche l'application des règles en question à
la pieuse Anne Catherine Emmerich, il pourrait suffire de signaler l'esprit
qui domine dans ses visions sur la Douloureuse Passion, esprit qui produit
encore aujourd'hui si abondamment ces fruits qui sont donnés par
le pape Benoit XIV comme les signes de la bonté d'un arbre : mais
l'éditeur attache encore plus d'importance à l'ensemble des
visions publiées dans le présent ouvrage. Celles ci en effet
montrent au lecteur attentif la vie du Sauveur sur la terre, toute sa manière
d'agir et celle de sa sainte Mère avec tant de simplicité,
de clarté, de vérité intime, qu'après l'Ecriture
sainte, on aurait peine à citer un livre qui mette dans un jour
aussi frappant, même pour l'oeil le plus faible, le sens de ces paroles
que le Sauveur adresse à tous sans exception : "Apprenez de moi
que, je Suis doux et humble de coeur. "
N'y a t il pas une immense consolation, une satisfaction qui persiste
au milieu de toutes les traverses de la vie, a pouvoir accompagner pas
à pas notre Seigneur et Sauveur, le considérer jour par jour
dans l'accomplissement pénible de la tâche qu'il s'est imposée
sur la terre, et ranimer la trop faible ardeur de notre amour par la contemplation
de sa mansuétude et de sa miséricorde inaltérables.
Bien des personnes assurément remercieront Dieu du fond du coeur
d'avoir mis à leur portée une aussi précieuse faveur
et de leur avoir préparé dans des jours si mauvais une telle
abondance de consolations. Mais, s'il y a une chose qui n'ait pas besoin
d'autre démonstration, c'est que l'âme qui a pu devenir le
miroir d'ou devaient rayonner des images si sublimes et si sanctifiantes,
a dû nécessairement être solidement fondée dans
l'humilité et conserver sans tache et dans toute sa pureté
l'éclat de la grâce baptismale. Anne Catherine, pendant toute
sa vie, fut l'enfant toujours simple, inoffensif, innocent, qui ne ressentait
et ne comprenait autre chose dans ce monde que la misère et la détresse
des hommes, qui n'eut jamais d'autre désir que celui de souffrir
pour autrui. C'est pourquoi aussi la force de son esprit et la paix de
son âme croissaient en proportion de ses peines, au point que dans
l'excès de ses douleurs sans nom elle remerciait Dieu, toute joyeuse,
de ce qu'il craignait la rendre plus semblable à son Sauveur. Jamais
la patiente ne s'est plainte de ce qu'elle avait à supporter, mais
ce qui lui était plus sensible et plus insupportable qu'aucune de
ses souffrances, c était qu'on la louât et qu'on eût
d'elle une idée avantageuse, à tel point que dans sa dernière
agonie elle supplia instamment d'une voix mourante qu'aucune parole ne
fut dite à sa louange.
Le pape Benoit, dans la suite de son examen, traite de la créance
qu'on doit accorder à la personne qui se présente comme favorisée
de visions et de révélations.
Elle a selon lui pour conditions : d'une part, la grande vertu et la
sainteté connue par ailleurs de la personne en question ; d'autre
part, la manière dont elle se comporte pendant et après les
visions. En ce qui touche ce dernier point, Benoit XIV tire des théologiens
et des maîtres de la vie spirituelle les plus autorisés, douze
points auxquels on doit attacher une importance particulière. Il
faut examiner : 1 Si la personne favorisée n'a jamais demandé
ou désiré des visions ; et si au contraire elle a prié
Dieu de la conduire par la voie commune et n'a accepté les visions
que par obéissance, un pareil désir, d'après saint
Vincent Ferrier, proviendrait d'un orgueil secret et d'une curiosité
téméraire : il indiquerait en outre une foi faible et mal
assurée. 2 Si elle a reçu constamment de son guide spirituel
l'ordre de communiquer ses visions à des hommes instruits et clairvoyants.
3 Si elle a toujours pratiqué l'obéissance absolue envers
ses directeurs et si, à la suite de ses visions, elle a fait des
progrès dans l'humilité et l'amour de Dieu. 4 Si elle a recherché
de préférence les personnes les moins disposées à
lui donner croyance et si elle a aimé ceux qui lui avaient donné
des chagrins et des peines. 5 Si son âme a joui d'un calme et d'un
contentement parfaits et si son coeur a toujours été plein
d'un zèle ardent pour la perfection. 6 Si son directeur n'a jamais
eu à lui reprocher certaines imperfections. 7 Si elle a reçu
la promesse que Dieu exaucerait ses justes demandes et si, s'adressant
à lui avec une pleine confiance, elle a obtenu d'être exaucée
en quelque point important. 8 Si ceux qui étaient en relations avec
elle, ont été excités à aimer Dieu davantage
lorsque l'endurcissement de leur coeur n'y mettait pas obstacle. 9 Si les
visions lui ont été départies le plus ordinairement
après une longue et fervente prière, ou après la sainte
Communion, et si elles ont allumé en elle un ardent désir
de souffrir pour Dieu. 10 Si elle a crucifié sa chair et s'est réjouie
dans la tribulation, au milieu des contradictions et des souffrances. 11
Si elle a aimé la solitude et fui le commerce des hommes, si elle
a montré un détachement parfait de toutes choses. Aussi dans
la bonne et la mauvaise fortune elle a toujours conservé la même
tranquillité d'âme, et si enfin des hommes instruis n'ont
pas aperçu dans ses visions quelque chose qui s'écartât
de la règle de la foi ou qui pût paraître répréhensible
d'une façon quelconque.
Ces douze points renferment les règles les plus sûres
et les plus dignes de confiance, et il a fallu, pour les établir,
toute l'expérience d'un grand nombre de docteurs aussi savants qu'éclairés
dans les voies de la vie spirituelle. La mesure dans laquelle les conditions
qui y sont exigées se rencontrent chez une personne favorisée
de grâces extraordinaires est aussi, selon Benoit XIV, celle de l'assurance
avec laquelle on peut conclure en faveur de la véracité de
cette personne, de la confiance qu'elle mérite et en même
temps de celle que méritent ses visions. Maintenant, le lecteur
ne sera pas surpris moins agréablement que l'éditeur quand
il pourra se convaincre, à l'aide de la biographie donnée
par Clément Brentano et aussi de la présente introduction'
que ces conditions sont remplies de la manière la plus incontestable
dans toute l'existence d'Anne Catherine, et cela si parfaitement qu'elles
ne se rencontrent au même degré que chez les grands saints.
En premier lieu, les visions ne furent jamais pour Anne Catherine,
l'objet de ses désirs, mais une source de douleurs et de tribulations
indicibles, au point que souvent elle pria Dieu instamment de les lui retirer.
En outre, la grâce de la contemplation lui fut départie à
un âge si tendre que ce désir n'aurait pu naître en
elle : c'est pourquoi sa première ouverture sur les visions qui
lui ont été envoyées est celle d'un enfant plein de
na'veté qui n'en soupçonne pas la portée. En second
lieu, Anne Catherine ne pouvait être décidée à
communiquer ce qu'elle avait vu que par les ordres réitérés
de son guide spirituel. En troisième lieu, lorsque ses confesseurs
rejetaient ses visions et ne se donnaient pas la peine d'examiner quelle
valeur elles pouvaient avoir, elle s'efforçait d'y mettre fin par
tous les moyens possibles. Mais la lutte dans laquelle elle s'engageait
par là avec son guide invisible, dont les exigences ne s'arrêtaient
pas devant les idées erronées des confesseurs, était
pour elle la cause de souffrances impossibles à décrire.
En quatrième lieu, cela ne l'empêchait pas de chercher uniquement
des confesseurs dont elle n'avait à attendre que de la sévérité
et des humiliations journalières, parce qu'elle laissait à
Dieu le soin de les persuader, s'il le jugeait convenable, de la réalité
des dons gratuits qui lui étaient accordes. De plus, elle résistait
toujours autant qu'elle le pouvait à toute tentative qui pouvait
avoir pour objet de la soulager ou d'améliorer sa situation matérielle
: car du reste pour tous ceux qui lui occasionnaient des ennuis ou des
tribulations, il n'y avait chez elle que charité, patience et mansuétude.
Enfin, pour ce qui touche les autres points, il n'est pas nécessaire
de les énumérer ici suivant leur ordre, parce que l'introduction
doit s'en occuper longuement et d'une manière très détaillée.
Pour le moment l'éditeur se bornera à faire remarquer
que Dieu, dans ses desseins impénétrables, permit qu'Anne
Catherine, dans les dernières années de sa vie, fût
deux fois soumise à une enquête provoquée par les autorités
spirituelle et temporelle, sur la réalité de ses stigmates
et d'autres phénomènes merveilleux qui se produisaient chez
elle. On ne peut pas rendre ce qu'elle eut à souffrir à cette
occasion : car le siècle des lumières sembla vouloir décharger
toute sa colère sur la pauvre religieuse, qui flétrissait
sa prétendue sagesse comme un aveuglement déplorable et une
vanité insensée. Mais Anne Catherine, au milieu de ces souffrances,
resta encore l'image de son divin fiancé ! elle supporta tout en
silence et absorbée en Dieu, et se réjouit d'avoir eu, par
l'ignominie de la croix, une ressemblance de plus avec son Rédempteur.
Nous passerons maintenant au dernier des douze points, celui qui traite
de la conformité des visions avec la règle de foi de l'Eglise
; car il est juste de lui donner une attention toute particulière
quand on s'occupe de visions qui renferment en même temps des révélations.
Benoit XIV, à cet égard, s'en réfère principalement
au vénérable P. Suarez, lequel établit, comme premier
principe, qu'en matière de révélations, la question
de leur conformité à la règle de la foi et des moeurs
doit être la base de tout examen ultérieur, de telle sorte
que si l'on découvre quelque chose qui soit en contradiction avec
l'Ecriture et la tradition, avec les décisions doctrinales de l'Eglise
et l'interprétation unanime des saints Pères et des théologiens,
la soi disant révélation doit être rejetée comme
mensonge et illusion diabolique. Il en doit être ainsi, même
quand il s'agit de révélations qui, à la vérité,
ne portent pas atteinte à la foi, mais présentent des choses
impliquant contradiction ou propres seulement à satisfaire une vaine
curiosité, qui peuvent être considérées comme
le produit de l'imagination humaine, ou qui évidemment ne sont pas
en rapport avec la sagesse et les autres attributs de Dieu.
Le pape Benoit XIV soulève ensuite une question difficile :
" Que faut il penser d'une soi disant révélation où
se rencontrent des choses qui paraissent contraires, non pas précisément
à la tradition unanime des Pères et des théologiens,
mais à ce qu'on appelle communis sententia (le sentiment commun)
; qui sont tout à fait nouvelles, qui donnent comme révélés
des points sur lesquels l'Eglise n'a pas encore donné de décision
doctrinale ? " s'appuyant sur des autorités imposantes, Benoit répond
qu'il n'y a pas là motif suffisant pour rejeter, sans autre examen,
une pareille révélation comme imaginaire et trompeuse ; car,
ajoute t il :
1° une chose qui paraît contraire au sentiment le plus commun
peut être soutenue à l'aide d'une appréciation plus
approfondie et plus judicieuse, et trouver à s'appuyer sur des autorités
respectables et des raisons solides.
2° une révélation n'est pas fausse en soi, par cela
seul qu'elle fait connaître un mystère ou une circonstance
de la vie du Sauveur ou de sa sainte Mère, dont l'Ecriture sainte,
la tradition ou les écrits des saints Pères ne font pas mention.
3° On ne se met pas nécessairement en contradiction avec
les décisions du Saint Siège ou avec les Pères et
les théologiens, par cela seul qu'on explique une chose qu'ils n'expliquent
pas ou sur laquelle ils se taisent absolument.
4° Enfin, on ne doit pas poser à la toute puissance de Dieu
des limites en dehors desquelles il lui serait interdit de révéler
à un particulier ce qui, comme point de controverse théologique,
reste encore soumis au jugement de l'Eglise
Benoit XIV cite ici, entre autres choses, le fameux mémoire
du P Jean Cortesius Ossorius sur les révélations de la vénérable
Marie d'Agreda, remis par lui à l'inquisition d'Espagne, et dans
lequel il prouve longuement que les motifs allégués ne sont
pas suffisants pour faire rejeter des révélations privées,
puisqu'ils n'ont pas empêché les révélations
de sainte Brigitte et de sainte Marie Madeleine de Pazzi d'obtenir l'approbation
du Saint Siège. Toutefois Benoit XIV, après avoir cité
ces autorités, ajoute une restriction : il ne trouverait pas sans
doute dans des révélations de cette nature un obstacle à
poursuivre un procès de béatification : seulement il les
regarderait comme n'étant pas tout à fait sans mélange,
mais comme modifiées` par la manière particulière
de voir et de sentir qui existait auparavant et indépendamment de
ces révélations, chez le serviteur ou la servante de Dieu.
Conséquemment, dans l'approbation quelconque qu'on leur donnerait,
on ne devrait rien admettre qui pût laisser croire que le Saint Siège
aurait l'intention d'improuver tout ce qui pourrait être dit à
l'encontre.
Cette dernière remarque du pape Benoit XIV est de la plus haute
importance, car elle accorde que la sainteté de la vie chez une
personne favorisée de grâces extraordinaires, et la manière
dont elle se comporte à l'égard des visions et des autres
circonstances qui les accompagnent, permettent de conclure avec assurance
en faveur de l'origine divine de ces visions, lors même qu'on devrait
concéder qu'elles ont pu subir une altération quelconque,
soit dans leur passage à travers les facultés intellectuelles
de celui qui les a reçues, soit dans la communication qui en a été
faite à d'autres. En effet, avec les visions et les révélations
particulières, le contemplatif ne reçoit pas le don d'une
compréhension à l'abri de toute erreur et de tout obscurcissement,
non plus que le don de les transmettre dans leur complète intégrité
; et de là vient que les théologiens exigent, pour les juger,
une pia et modesta intelligentia. Il n'y a que les prophètes, les
apôtres, les auteurs des écrits canoniques, et, en seconde
ligne, les successeurs de saint Pierre et les conciles oecuméniques
qui aient le privilège de l'infaillibilité. Aussi rien ne
peut il être communiqué avec une certitude infaillible à
l'ensemble des fidèles que ce qui leur est présenté
à croire par l'autorité de l'Eglise, comme révélé
par Dieu pour être l'objet de la foi surnaturelle et nécessaire
au salut éternel.
Il ressort naturellement de là que des visions et des révélations
privées, lors même qu'elles sont confirmées par le
Saint Siège comme authentiques et venant de Dieu, ne peuvent prétendre
en aucune façon à être un objet de foi divine ou surnaturelle.
Elles peuvent seulement, pour ceux qui les lisent ou auxquels on les raconte,
avoir la valeur d'une autorité purement humaine, et n'exigent pas
plus de respect et de soumission que tout catholique n'a coutume d'en accorder
aux vies des saints autorisées ou aux écrits ascétiques
de pieux et saints auteurs. On ne blesse donc pas la foi catholique en
refusant son assentiment à des visions et révélations
même approuvées ou en étant d'une opinion différente,
pourvu que cela se fasse pour de bonnes raisons, sans irrévérence
et sans présomption téméraire.
Si maintenant le lecteur veut appliquer les principes qui Viennent
d'être exposés aux visions d'Anne Catherine contenues dans
le présent ouvrage, il n'y rencontrera rien qui contredise le moins
du monde la foi catholique. Au contraire, il reconnaîtra avec un
grand plaisir qu'il n'y a guère de livre qui fasse pénétrer
avec cette simplicité et cette profondeur dans les mystères
de notre sainte foi, et qui donne, même aux moins exercés,
plus de secours pour atteindre à ce grand art dont parle le bienheureux
Thomas à Kempis a In vitâ Jesu Christi meditari. "Quant à
ce qui y semblera nouveau, on s'en rendra compte sans beaucoup de peine
en le rapprochant de ce qui est ancien.
III
Dans le travail auquel nous allons maintenant nous livrer pour faire
connaître le don de contemplation que la pieuse Anne Catherine posséda
à un degré peu commun, même chez les âmes les
plus privilégiées, nous pouvons prendre pour guides ses propres
communications, avec d'autant plus de confiance qu'elles sont éclaircies
et confirmées par les dires de beaucoup de personnes favorisées
de grâces semblables.
Sainte Hildegarde, d'après son propre aveu, fut favorisée,
dès sa première jeunesse, du don de contemplation : N'étant
encore âgée que de trois ans, dit elle 1), je reçus
du Ciel une si grande lumière que mon âme en fut ébranlée
profondément ; mais j'étais trop jeune pour pouvoir rien
dire à ce sujet à dater de ma cinquième année,
j'eus une intelligence surprenante de ces visions, et quand j'en racontais
quelque chose en toute simplicité, ceux qui m'entendaient étaient
dans l'étonnement et se demandaient de qui je tenais ces choses
et d'où elles me venaient. Moi aussi, je m'étonnais beaucoup
de ce qu'ayant intérieurement des visions, je percevais en même
temps
le monde extérieur par les sens, mais je n'entendais pas dire que
pareille chose arrivât à d'autres personnes. C'est pourquoi
je fus saisie d'une grande crainte et je n'osais plus parler à d'autres
de ma lumière intérieure.
Note 1: Acta Sanctorum 17 septembris
Anne Catherine reçut cette lumière surnaturelle à
un âge encore moins avancé. Le 8 septembre 1821, qui était
le cinquante septième anniversaire de sa naissance, elle raconta
a ce sujet ce qui suit : ``Comme je suis née le 8 septembre, j'ai
eu aujourd'hui une intuition merveilleuse sur ma naissance et sur mon baptême.
J'ai ressenti à cette occasion des impressions singulières.
Je me sentais comme un enfant nouveau né dans les bras des femmes
qui me portaient à Coesfeld pour y être baptisée, et
j'étais confuse de l'impression que j'avais d'être à
la fois si petite et si faible et pourtant si vieille : car tout ce que
j'avais déjà senti et éprouvé alors, en qualité
d'enfant nouveau né, je le vis et je le connus de nouveau, toutefois
mêlé avec mon entendement actuel. Dès cette époque,
mon ange gardien se montrait à moi visiblement présent, comme
il le fit toujours plus tard. Je regardais tout autour de moi, la vieille
grange dans laquelle nous habitions, et toutes sortes de choses que je
ne vis plus par la suite, parce qu'on fit beaucoup de changements. Je me
sentis porter, et cela avec une pleine conscience, tout le long du chemin
qui va de notre chaumière de Flamske à l'église paroissiale
de Saint Jacques à Coesfeld ; je sentais tout et je regardais tout
autour de moi. Je vis accomplir sur moi toute la sainte cérémonie
du baptême, et mes yeux et mon coeur s'ouvrirent pour cela d'une
façon merveilleuse. Je vis, lorsqu'on me baptisa, mon ange gardien
et mes saintes patronnes, sainte Anne et sainte Catherine, assister à
la cérémonie. Je vis la mère de Dieu, avec le petit
enfant Jésus, auquel je fus mariée et qui me donna un anneau.
Tout ce qui est saint, tout ce qui est bénit, tout ce qui tient
à l'Eglise, se faisait déjà sentir à moi aussi
vivement que cela m'arrive à présent. Je vis ce que l'Eglise
est en soi manifesté par des images merveilleusement significatives.
Je sentis la présence de Dieu dans le très saint Sacrement.
Je vis briller dans l'église les ossements des saints, et je reconnus
les saints qui apparaissaient au dessus d'eux. Je vis tous mes ancêtres,
en remontant jusqu'au premier d'entre eux qui avait été baptisé.
Je reconnus, dans une longue série de tableaux symboliques, toutes
les épreuves de ma vie future. Lorsqu'on me rapporta de l'église
à la maison en passant par le cimetière, j'eus un sentiment
très vif de l'état des âmes dont les corps reposaient
là pour y attendre la résurrection, et je remarquai avec
respect quelques saints corps brillant d'une clarté éblouissante.
Il résulte de cette communication qu'Anne Catherine avait déjà
reçu, dans le sein de sa mère, une disposition naturelle
à la contemplation, et cela avec un si haut degré de force
et de puissance, qu'aussitôt après sa naissance sa faculté
de vision spirituelle aussi bien que les sens corporels qui lui servaient
d'instruments, étaient capables de perception et d'activité
bien au delà de la mesure ordinaire. Toutefois la contemplation
en tant que faculté purement naturelle, ne s'exerce que dans la
sphère des choses naturelles : elle se rattache à la contemplation
surnaturelle ou prophétique comme point de départ ou prédisposition,
mais non comme condition nécessaire, car cette intuition supérieure
peut être accordée par Dieu comme grâce gratuite à
une âme qui n'y a pas une prédisposition naturelle ou qui
ne la possède que dans une très faible mesure. La sphère
de la contemplation surnaturelle est le royaume de la grâce ou l'Eglise
à laquelle l'homme est incorporé par le saint baptême
: c'est pourquoi Anne Catherine ne reçoit cette lumière que
lorsqu'elle est devenue, par l'infusion de la grâce sanctifiante,
un membre vivant du corps de l'Eglise. C'est alors seulement "que ses yeux
et son coeur s'ouvrent d'une façon merveilleuse, " et qu'elle voit
les effets du sacrement, l'Eglise avec ses mystères et tout ce qui
est dans un rapport vivant avec elle. Ainsi, elle ne voit briller dans
les tombeaux les corps des âmes saintes que lorsqu'après son
baptême, elle est rapportée à travers le cimetière
; elle ne les voit pas lorsqu'on la porte à l'église. Toutefois,
quelque grande et élevée que fût la lumière
de contemplation supérieure versée avec la grâce baptismale
dans l'âme d'Anne Catherine, elle s'abaissait à la capacité
de l'enfant, et d'une façon appropriée à un âge
si tendre. C'est pourquoi elle se comporte, dans cette contemplation, comme
ferait un enfant du même âge par rapport à la lumière
qu'il perçoit naturellement. Ainsi, de même qu'un nourrisson
aussitôt qu'il connaît sa mère, cherche son sein et
se calme dans ses bras, tout cela sans en avoir la conscience, par pur
instinct naturel ; de même Anne Catherine, aussitôt après
le baptême, comprit et reconnut la mère dans le sein de laquelle
elle venait de recevoir une naissance nouvelle ; elle eut le sentiment
de ses bienfaits et de toute sa beauté, sans pouvoir juger et se
rendre compte qu'il y a une connaissance, plus méritoire en elle
même, de ces mystères, celle qui se trouve dans la lumière
de la foi. L'intelligence réfléchie de l'objet de la contemplation
marche plus tard du même pas que le développement naturel
de la conscience en général, comme on le voit par une autre
communication d'Anne Catherine ; "J'avais à peu près quatre
ans, dit elle, quand mes parents me menèrent à l'église.
Je me souviens que je croyais fermement y trouver Dieu et des hommes tout
différents de ceux que je connaissais, bien plus beaux et plus brillants.
Lorsque j'entrai, je regardai de tous les côtés, et rien n'était
comme je me l'étais imaginé. Le prêtre était
à l'autel ; je pensai que ce pouvait être Dieu ; mais je cherchai
partout la sainte vierge Marie : je me figurais que là on devait
avoir tout au dessous de soi, car c'était mon plus grand plaisir,
mais je ne trouvai pas ce que je croyais. Deux ans plus tard, j'eus encore
des idées du même genre et je ne cessais de regarder deux
filles d'un certain âge, qui portaient dés mantes et qui avaient
un air modeste et réservé ; je crus que ce pouvait bien être
ce que je cherchais, mais ce n'était pas encore cela. Je croyais
toujours que Marie devait avoir un manteau bleu de ciel, un voile blanc
et une robe blanche toute unie. J'avais eu une vision du paradis, et je
cherchai dans l'église Adam et Eve, beaux comme ils l'étaient
avant la chute, et je me dis : " Quand tu te seras confessée, tu
les trouveras. Je me confessai, mais je ne les trouvai pas. Je vis enfin
une pieuse famille noble dans l'église ; les filles étaient
vêtues de blanc : je pensai qu'elles avaient quelque chose de ce
que je cherchais et elles m'inspiraient un grand respect ; mais ce n'était
pas encore cela. J'avais toujours l'impression que tout ce que je voyais
avait été très laid et très sale. J'étais
constamment absorbée dans des pensées de ce genre, et j'en
oubliais le boire et le manger, si bien que j'entendais mes parents dire
souvent : " Qu'a donc cet enfant ? Qu'est ce qui arrive à la petite
Anne Catherine ? "
D'après ce qui vient d'être rapporté, le lecteur
peut reconnaître facilement qu'Anne Catherine, dès sa plus
tendre enfance, avait aperçu l'incomparable beauté de l'innocence
du paradis, mais qu'elle ne pouvait se rendre compte de la différence
de ce qui l'entourait présentement avec l'objet de ses contemplations,
que successivement et dans la mesure de son expérience enfantine.
Aussi dit elle une autre fois : "Avant de savoir ce que signifiait le mot
prophète, j'avais eu déjà des visions sur un chariot
merveilleux, aux roues duquel se tenaient les quatre animaux de l'Apocalypse.
Pourquoi cela ? Je ne le sais pas... J'eus des visions de si bonne heure,
que je me souviens qu'une fois mon père me prit toute petite sur
ses genoux, au coin du feu, et qu'il me dit : " Tu es dans ma petite chambre,
raconte moi quelque chose ! "Et alors je lui racontai toutes sortes d'histoires
de la Bible, et comme il n'avait rien vu de semblable ou ne l'avait pas
vu de cette façon, il se mit à pleurer. Ses larmes tombaient
sur moi et il me dit : Enfant, où as tu pris tout cela ?, Alors
je lui répondis que je voyais toutes ces choses, sur quoi il devint
silencieux et ne me dit plus rien.
Dans sa cinquième année, il arriva à Anne Catherine
ce qui était arrivé à sainte Hildegarde ; il lui vint
avec la contemplation une intelligence plus profonde de ce qu'elle voyait,
et elle fut en état de se rendre compte plus exactement du contenu
de ses visions et dé les distinguer des actes de foi ainsi que de
la certitude et du mérite attachés à la foi. Voici
ce qu'elle dit a ce sujet a Dans ma cinquième ou sixième
année, comme je méditais lé premier article du symbole
catholique : Je crois en Dieu, le Père tout puissant, qui a fait
le ciel et la terre, des tableaux de la création du ciel et de la
terre passèrent devant mon âme. Je vis la chute des anges,
la création de la terre et du paradis, celle d'Adam et d'Eve, et
la chute originelle. Je me figurai que tout le monde voyait cela, de même
que les autres objets qui nous entourent, et j'en par lai en toute simplicité
à mes parents, à mes frères et soeurs et à
mes compagnons ; mais je m'aperçus qu'on riait de moi et qu'on me
demandait si j'avais un livre où tout cela se trouvait. Alors je
commençai à prendre l'habitude de garder le silence sur ces
choses : je pensai qu'il ne convenait pas d'en parler, sans pourtant me
former à ce sujet des idées précises. J'ai eu ces
visions non seulement la nuit, mais encore en plein jour, dans les champs,
à la maison, en marchant, en travaillant, en me livrant à
toutes sortes d'occupations. Comme une fois à l'école je
disais tout na'vement, touchant la résurrection, d'autres choses
que celles qu'on nous enseignait, et cela avec assurance, croyant dans
ma simplicité que tout le monde devait savoir cela comme moi, et
ne soupçonnant nullement qu'il y avait là une faculté
qui m'était personnelle, les autres enfants tout surpris se moquèrent
de moi et portèrent plainte au magister, qui me détendit
sévèrement de me livrer à de pareilles imaginations.
" Mais je continuai à avoir ces visions sans en rien dire, comme
un enfant qui regarde des images et qui s'en rend compte à sa manière
sans trop demander ce que signifie ceci ou cela. Comme je voyais souvent
dans les images des saints ou les figures de l'histoire de la Bible les
mêmes objets représentés tantôt d'une manière,
tantôt d'une autre, sans que cela eût jamais apporté
d'altération dans ma foi, je pensais que les visions que j'avais
étaient mon livre d'images et je les contemplais en paix, pensant
toujours que tout était pour la plus grande gloire de Dieu. Eu fait
de choses touchant à la religion, je n'ai jamais rien cru que ce
que le Seigneur a révélé et proposé à
notre croyance par l'Eglise catholique, que ce soit expressément
écrit ou non. Et je n'ai jamais cru de la même manière
à ce que j'ai vu en vision. Je regardais ces choses de même
que je considérais avec dévotion les différentes crèches
de Noël, exposées en divers lieux, sans me troubler de ce que
toutes n'étaient pas faites sur le même modèle. Dans
les unes et les autres, je n'adorais que le même cher enfant Jésus,
et il en était de même pour moi quant à ces tableaux
de la création du ciel et de la terre et de la création de
l'homme ; j'y adorais Dieu le Seigneur, le créateur tout puissant
du ciel et de la terre. "
IV
Anne Catherine n'a jamais donné d'éclaircissements détaillés
sur la lumière surnaturelle dans laquelle et par laquelle elle percevait
ses visions ; elle s'est bornée à dire une fois : " Il m'a
été expliqué d'une très belle façon
comme quoi voir avec les yeux n'est point voir, et qu'il y a une autre
vue intérieure : mais maintenant cela m'est sorti de la mémoire.
"Nous pouvons donc avoir recours aux révélations de sainte
Hildegarde sur le même sujet, pour y trouver l'explication désirée.
Voici ce qu'elle dit : "Il est difficile à l'homme charnel de comprendre
de quelle manière les visions sont perçues. Depuis mon enfance
jusqu'à mon âge actuel de soixante dix ans, je n'ai pas cessé
de voir dans mon âme la lumière que Dieu m'a donnée,
mais je ne la perçois pas avec les yeux du corps, ni par les pensées
de mon coeur, ni par l'intermédiaire des cinq sens. Toutefois les
yeux du corps ne perdent pas plus leur faculté visuelle auprès
de cette lumière que les autres sens leur activité. Car la
lumière que je possède n'est point circonscrite dans l'espace,
ni matérielle, mais elle est plus éclatante que celle de
l'astre du jour : je ne vois en elle ni profondeur, ni longueur, ni largeur.
On me dit qu'elle s'appelle l'ombre de la lumière vivante ; et de
même que le soleil, la lune et les étoiles se réfléchissent
dans l'eau, de même ce qui est écrit, ce qui est dit, les
qualités et les oeuvres des hommes me deviennent visibles en elle.
Ce que j'aperçois et apprends dans cette intuition, je le conserve
longtemps ; et je vois, je perçois, je sais tout à la fois,
comme en un clin d'oeil, ce que je dois savoir et apprendre. Mais ce que
je ne contemple pas, je ne le sais pas non plus : car je suis comme une
personne qui n'a jamais reçu d'enseignement, et pour ce que je dois
écrire de cette lumière, je ne me sers d'autres paroles que
de celles que j'entends. Mais je n'entends pas ces paroles comme celles
qui rendent un son en sortant de la bouche d'un homme, je les vois comme
une flamme, comme une nuée lumineuse : dans le pur éther.
Je ne puis pas plus distinguer une forme dans cette lumière que
je ne suis en état de regarder fixement le disque du soleil. "
Outre cela, dans cette lumière, j'en vois quelquefois une autre
dont il m'est dit qu'elle s'appelle la lumière vivante. Cependant
je ne la vois pas si souvent, et je puis encore moins exprimer son essence
que celle de la première. Mais quand je la perçois, alors
toute tristesse et toute peine sensible s'évanouissent pour moi,
en sorte que je suis comme un enfant na'f, et non comme une vieille femme.
Mon âme n'est jamais privée de la première lumière,
de l'ombre de la lumière vivante, et je la vois quelquefois de même
qu'à travers un nuage transparent, je regarde le firmament sans
étoiles, et que je contemple en lui ce que je dis de l'éclat
de la lumière vivante. "
La lumière dont parle sainte Hildegarde est, suivant la doctrine
de l'école, l'irradiation de la lumière divine passant, par
l'intermédiaire d'un ange, dans l'âme du contemplatif ; par
cette lumière toutes les forces de l'âme sont élevées
au dessus de leur puissance naturelle, en sorte que l'homme est par là
rendu capable de voir comme un pur esprit incorporel, c'est à dire
indépendant de l'action des sens et des autres organes, ce que Dieu
veut lui communiquer dans cette lumière. Cette lumière confère
donc à l'âme une double faculté : la faculté
de vision surnaturelle et le milieu dans lequel celle ci peut s'exercer.
Elle est pour cette faculté ce qu'est pour les yeux du corps la
lumière du soleil, ou pour la faculté naturelle de connaître
la lumière intérieure innée dans chaque homme.
Tout, dit sainte Hildegarde, est réfléchi dans cette
lumière pour le contemplatif, c'est à dire tout ce que Dieu
veut lui faire connaître : car le choix des objets contemplés
ne dépend pas de la volonté de celui qui contemple, mais
Dieu les détermine lui même, selon la tâche particulière
imposée à l'âme favorisée d'une grâce
de cette nature. C'est donc en vertu d'une disposition divine que cette
âme voit et connaît l'avenir ou le passé, les choses
cachées ou éloignées, les mystères de l'ordre
naturel ou surnaturel, les pensées des hommes et de certains hommes
déterminés : de même aussi le degré de clarté
de l'intuition et l'exactitude avec laquelle ce qui est vu est conservé
dans la mémoire et communiqué aux autres, dépendent
de la mesure de lumière donnée par Dieu.
Ainsi donc, plus la mesure de lumière départie est grande,
plus la sphère de l'intuition est étendue. Si des objets
situés à une grande distance dans l'espace doivent y être
aperçus, elle acquiert la clairvoyance, laquelle, en tant que grâce
surnaturelle, ne doit pas être confondue avec la clairvoyance naturelle
ou le somnambulisme. Par elle, les objets eux mêmes sont aperçus,
soit par la pure vue à distance, soit que le contemplatif soit ravi
jusqu'au lieu même où les objets se trouvent, où l'événement
se passe ou s'est passé. Mais quand il s'agit de voir dans le passé
ou dans l'avenir, les images de ce qui n'existe plus ou n'existe pas encore
dans l'espace et le temps sont présentées par Dieu d'une
manière surnaturelle à l'imagination du contemplatif. Quand
donc, par exemple, un événement de l'Ancien ou du Nouveau
Testament est montré à Anne Catherine, les images des individus
qui agissent, celle des lieux et de toutes les circonstances lui sont présentées
dans la lumière infuse aussi fidèlement et aussi complètement
que dans un miroir ; de sorte qu'à certains égards elles
se gravent dans l'imagination et dans la mémoire, aussi naturellement
que si elles arrivaient à la voyante par les sens extérieurs
et par la faculté de vision naturelle, ou que si Anne catherine
avait été présente personnellement et avait figuré
comme contemporaine dans l'événement lui même. La seule
différence consiste dans le degré infiniment plus élevé
de netteté et de clarté qui trouve place dans l'intuition,
parce qu'elle voit non seulement le fait matériel, mais encore les
motifs intérieurs et leur enchaînement, ainsi que les dispositions
les plus secrètes et les sentiments intimes des personnages en action.
La clairvoyance ou le ravissement peuvent coïncider avec cette
intuition des images dans la lumière infuse, car Anne Catherine
voit les événements de la vie de Jésus au lieu précis
où ils se sont réellement passés autrefois, soit à
Jérusalem, soit en d'autres endroits de la Terre Sainte. Elle est
ravie dans ces endroits et, y étant arrivée, elle voit les
événements et les actions en tableaux qui se succèdent
avec la plus grande fidélité à l'ordre historique,
comme on peut en juger par l'exemple suivant, auquel on en pourrait joindre
infiniment d'autres. Voici ce qu'elle raconte le 10 décembre 1819
: " Cette nuit, j'ai parcouru dans plusieurs directions la terre promise,
telle qu'elle était à l'époque du Sauveur. Mes stations
ordinaires de l'Avent me conduisirent d'abord à la rencontre de
la sainte famille, en voyage pour Bethléem. Je suivais ensuite plusieurs
chemins à moi connus, allant d'un endroit du pays à l'autre,
et je vis plusieurs scènes de la vie de prédication de Notre
Seigneur, que j'avais vues en partie précédemment.
Je vis entre autres une instruction et une distribution de pain dont
je ne me rappelle que quelques détails. Sur le penchant d'une colline
beaucoup de gens étaient assis sous des arbres très grands
et très élancés, qui n'ont leur couronne de feuillage
que tout en haut au sommet. Le Seigneur Jésus était debout
devant eux sur un terrain exhaussé. Entre les arbres se trouvaient
des arbrisseaux avec des baies rouges et jaunes ressemblant à peu
près à des mûres de ronces. Plusieurs filets d'eau
descendaient de la hauteur en murmurant. Il y avait là un gazon
fin et doux comme de la soie, sous lequel le sol était tapissé
comme d'une mousse épaisse Je pris le gazon et je le touchai : d'autres
objets échappèrent à mes mains, comme si c'étaient
des images de choses passées Mais quant au gazon je le touchai Qu'est
ce donc que cela peut être ? "
Sainte Hildegarde dit de cette lumière qu'elle est incirconscrite,
immatérielle et inaccessible à nos facultés purement
naturelles : car en vertu de son essence, elle supprime pour le voyant
toute limite de temps et d'espace, et affranchit sa pensée et son
intelligence de toutes les entraves auxquelles elles sont assujetties dans
l'état ordinaire. L'avenir le plus reculé ou le passé
le plus lointain sont en elle actuellement présents, et les vérités
les plus profondes, les mystères les plus cachés de l'ordre
naturel ou surnaturel se laissent embrasser d'un seul regard jusque dans
leurs fondements. L'activité des sens et les relations avec le monde
extérieur, dont ils sont les instruments, ne sont pas nécessairement
suspendus pour celui qui contemple a l'ombre de la lumière vivante
"Tant que l'âme ne voit pas Dieu ou la vérité en elle
même, tant que ses visions ont pour objet des choses créées,
la lumière naturelle n'est point un obstacle à la lumière
surnaturelle, et c'est pourquoi il n'est pas nécessaire que le contemplatif
soit pleinement abstrait de toute activité sensible. Seulement il
arrive qu'à la clarté de la lumière surnaturelle le
monde sensible apparaît comme un rêve, et la lumière
qui lui est propre comme une nuit ténébreuse. "
Anne Catherine éclaircit d'une manière surprenante ce
qui vient d'être dit quand elle décrit ainsi sa vie visionnaire
: "Pendant mon travail (elle veut parler des travaux de couture pour les
pauvres et les malades auxquels elle s'occupait nuit et jour avec le plus
grand zèle, quand ses souffrances le permettaient), pendant mon
travail, j'ai des visions tellement continuelles, que je vois comme en
songe courir le tranchant des ciseaux et que parfois il me semble que je
coupe au beau milieu des objets dont je suis entourée dans la vision.
Ce qui m'entoure réellement est pour moi comme un rêve : tout
s'y montre si trouble, si opaque et si décousu que c'est comme un
songe informe du milieu duquel je regarde dans un monde lumineux, tout
pénétré de clarté, où les choses bonnes
et saintes réjouissent plus profondément parce qu'on voit
comment elles viennent de Dieu et vont à Dieu, et où les
choses mauvaises et impies affligent plus profondément parce qu'on
reconnaît la voie par laquelle elles vont du démon au démon,
contre Dieu et sa créature. Cette vie dans laquelle rien ne fait
obstacle, où il n'y a ni temps, ni espace, rien de matériel,
rien de caché ; cette vie où tout parle et où tout
reluit, apparaît si parfaite et si libre que la réalité
aveugle, boiteuse et bégayante y semble un vain songe. Ainsi, par
exemple, je vois toujours les reliques briller auprès de moi, et
je vois souvent comme des troupes de petites figures humaines planer au
dessus de ces reliques dans le lointain des nuages ; mais quand je reviens
à moi, je vois reparaître les formes des châsses et
des endroits où reposent ces ossements lumineux. " En ce qui touche
l'auréole des reliques, elle s'exprimait ainsi dans une autre occasion
: " Je ne puis décrire ce que je ressens, je ne vois pas seulement,
je sens une lumière, tantôt plus vive, tantôt plus pâle.
Cette lumière semble se diriger vers moi, comme la flamme suit la
direction du courant d'air. Mais je sens encore la liaison de ce rayon
avec tout un corps lumineux et de ce corps avec un monde de lumière
qui prend lui même sa source dans une autre lumière ; mais
qui peut exprimer ces choses. Ce rayon me ravit, je ne puis m'empêcher
de le presser contre mon coeur (elle portait toujours involontairement
à son coeur les fragments de reliques qu'on lui présentait)
; puis c'est comme si j'entrais, par ce rayon, dans le corps auquel il
appartient, dans les scènes de sa vie et dans ses états de
lutte, de souffrance ou de triomphe. Car dans la vision je suis la direction
qu'il plaît à Dieu de me donner. Il y a des rapports intimes,
merveilleux entre notre corps et notre âme. L'âme sanctifie
et profane le corps, autrement aucune expiation, aucune pénitence
ne pourrait s'accomplir par le corps. Comme les saints pendant leur vie
agissaient au moyen de leur corps, de même ils agissent séparés
de lui, et même encore par lui sur les croyants ; mais la foi est
la condition qui seule rend capable d'en ressentir la sainte influence.
De même qu'Anne Catherine avait des visions et reconnaissait
les reliques dans l'état de veille naturel, de même aussi
elle voyait dans toute l'église la célébration non
interrompue du saint sacrifice de la messe.
Un jour le pèlerin entra dans sa chambre pendant qu'on sonnait
la sainte messe ; elle priait dans un profond recueillement, et elle lui
dit ensuite : " Je voyais en ce moment la scène du Vendredi Saint,
le Seigneur s'offrant en victime sur la croix, avec Marie et le disciple
au pied de la croix, sur l'autel où le prêtre célébrait
la messe. Je vois cela à chaque heure du jour et de la nuit ; je
vois toute la paroisse, comment elle prie, bien ou mal ; je vois aussi
comment le prêtre remplit sa fonction. Je vois d'abord l'église
d'ici, puis les églises et les paroisses des environs, à
peu près comme on voit un arbre voisin chargé de fruits et
éclairé par le soleil, puis d'autres groupes d'arbres dans
le lointain ou toute une forêt. Je vois célébrer la
messe dans le monde, à toutes les heures du jour : je vois même
des pays lointains où on la célèbre encore tout à
fait comme du temps des apôtres. Je vis, au dessus de l'autel, une
liturgie céleste ou les anges suppléent à tout ce
qui est omis par le prêtre. J'offre aussi mon coeur en sacrifice
pour l'indévotion de l'assemblée, et je supplie le Seigneur
de faire miséricorde. Je vois beaucoup de prêtres célébrer
d'une manière déplorable. Ceux qui raides et empesés,
s'appliquent par dessus tout à être bien en règle pour
l'extérieur, sont généralement les pires, parce que
souvent cette préoccupation leur fait négliger toute dévotion
intérieure. Ils se disent toujours : " quel effet ferai je sur le
peuple ? "et ils ne pensent pas à Dieu. J'ai cette impression depuis
ma jeunesse. Quand le pèlerin est entré, j'étais à
contempler la sainte messe ; je continue à le voir et je parle comme
on le fait, lorsque sans cesser de travailler, on répond à
un enfant qui fait une question. Il m'arrive dans la journée de
voir à distance cette sainte cérémonie. Jésus
nous aime tant qu'il continue éternellement son oeuvre de rédemption
dans le saint sacrifice de l'autel, et la sainte messe est la rédemption
historique, couverte d'un voile et devenue sacrement. Toute opération
de Dieu est éternelle, mais dans ses rapports avec notre vie temporelle
qui est successive, elle est promesse avant d'entrer dans cette succession,
et quand elle est passée dans le temps fini, elle y apparaît
sous forme de mystère et s'y continue ainsi. Je voyais déjà
tout cela dès ma première jeunesse, et je croyais que tout
le monde le voyait de même. "
La communication suivante nous donne des éclaircissements encore
plus précis sur la manière dont Anne Catherine, pendant cette
double vue, restait en rapport avec les personnes qui l'entouraient. Voici
ce qu'elle dit une fois en octobre 1819 : " Depuis deux ou trois jours
je suis continuellement entre la vue sensible et celle qui est au dessus
des sens. J'ai sans cesse à me faire violence : car tout en conversant
avec ceux qui m'approchent, je vois tout à coup devant moi de tout
autres choses et de tout autres scènes. Alors mes propres paroles
me font l'effet de la voix d'une autre personne qui se ferait entendre,
sourde et mal articulée, de fond d'un tonneau vide. C'est aussi
comme si j'étais ivre et au moment de tomber : toutefois ma conversation
va tranquillement son train, et souvent elle est plus animée qu'à
l'ordinaire, sans que je sache ensuite ce que j'ai dit ; et cependant mes
discours sont bien suivis. C'est une grande fatigue pour moi que de me
tenir ainsi dans deux états à la fois. Les objets présents
que je vois avec les yeux m'apparaissent confusément : je suis à
leur égard comme une personne assoupie à laquelle il vient
un songe : l'autre vue m'entraîne impérieusement : elle est
plus lucide que la vue naturelle, et ce n'est pas par les yeux qu'elle
se produit. "
V
Sainte Hildegarde disait qu'elle ne savait rien que ce qu'elle contemplait
et ce qu'elle apprenait dans la contemplation : de même Anne Catherine
indique ses visions comme la source exclusive de ce qu'elle sait et de
toutes ses connaissances. Dans sa septième année, après
avoir fréquenté l'école quatre mois à peine,
elle fut congédiée parce que le maître déclarait
qu'il n'avait rien à lui apprendre vu qu'elle savait d'avance tout
ce qu'il devait dire avant qu'il lui donnât sa leçon. Ce fait
mérite une attention particulière, car le procédé
purement intuitif d'Anne Catherine, à toutes les époques
de sa vie et dans toutes les situations où elle se trouvait, lui
rendait presque impossible, parce qu'elle la rendait superflue, toute réflexion
rétroactive et en général toute opération discursive
de l'esprit : cela rendait souvent difficile, comme on le fera mieux voir
plus tard, la communication complète de ses visions au pèlerin.
Dans son journal de 1819, le pèlerin à consigné, à
la date du 8 mai, une observation qui trouve ici sa place : " Elle me disait,
écrit il, qu'elle n'avait jamais pu rien tirer des livres pour son
usage. Elle n'a jamais rien retenu de l'Ecriture sainte, mais elle possède
si parfaite ment la vie du Sauveur, en vertu de la grâce de la contemplation,
que souvent je ne puis m'empêcher de trembler eu pensant aux rapports
si intimes et si familiers dans lesquels je vis avec la créature
la plus merveilleuse, la plus favorisée dont on ait peut être
jamais ou' parler. Une autre fois elle racontait au pèlerin : "
Je n'ai jamais rien retenu par coeur des Evangiles ni de l'Ancien Testament
: car j'ai tout vu moi même pendant tout le cours de ma vie : j'ai
revu tous les ans les mêmes choses, exactement de la même manière
et avec les mêmes circonstances quoique souvent avec l'adjonction
d'autres scènes. Souvent je me suis trouvée à l'endroit
même avec les auditeurs et j'ai assisté à l'événement
comme y prenant part, cependant je ne suis pas restée chaque fois
à la même place : le plus souvent j'étais élevée
au dessus de la scène et je la voyais au dessous de moi. Il y avait
d'autres choses, principalement le côté mystérieux,
que je voyais intérieurement comme dans ma conscience, tandis que
certains détails m'apparaissaient en images hors de la scène.
J'avais dans tous les cas la faculté de voir à travers toutes
choses, en sorte qu'aucun corps ne pouvait cacher l'autre : sans cela il
s'y serait mis de la confusion. "
Même dans un âge plus avancé, Anne Catherine ne
pouvait pas se familiariser avec les livres : "Au couvent, disait elle,
je voulais quelquefois regarder dans les livres, mais c'était toujours
pour moi une misère. Grâce à Dieu je n'ai presque rien
lu et quand je vois un livre, il me semble que je le sais par coeur. "Cette
dernière observation s'applique surtout aux livres ascétiques
ou aux vies des saints, et elle en donne la raison dans cette remarque
singulièrement frappante sur la vie de saint François Xavier
par le P. Croiset : " il n'y a aucun saint touchant lequel j'aie tant vu
de choses ; je crois que j'ai vu toute sa vie. Ce récit qui en est
fait se présente à moi comme ces étiquettes qu'on
suspend çà et là à des fils sur un carré
de jardin ensemencé, pour savoir quelle graine a été
mise dans tel et tel endroit : mais tout le carré ressemble encore
à une terre où rien n'a poussé. Cela m'aide pourtant
à me rappeler le jardin tout couvert de fleurs que j'ai vu. "
Toutefois ce n'étaient pas seulement les choses surnaturelles
et les mystères de la foi qu'elle connaissait par les visions, mais
elle était instruite même en ce qui concernait les choses
de la vie commune d'une manière analogue à sa contemplation.
Elle parle à ce sujet d'une façon touchante dans une communication
relative au temps de son enfance : "Combien Dieu a toujours été
bon avec moi ! Je pouvais tout : il a travaillé avec moi quand j'étais
enfant. Je m'en souviens ; à l'âge de six ans je faisais déjà
comme à présent (dans sa 55ème année). Mon
frère cadet n'était pas encore né ; je gardais les
vaches et je savais qu'il me naîtrait un frère. Je ne puis
dire comment je le savais ; mais j'avais envie de faire pour ma mère
quelque chose qui pût servir à l'enfant et pourtant je n'étais
pas encore en état de coudre : j'avais pris avec moi les habits
de ma poupée et le jeune homme (son ange gardien) vint à
moi, il me donna des leçons et m'aida à faire avec les habits
de ma poupée un très joli bonnet d'enfant et d'autres petits
objets que je donnai tous à ma mère. Elle fut très
surprise que j'eusse pu en venir à bout ; elle les prit pourtant
et s'en servit : je la vis pleurer en secret et montrer tout cela à
mon père et à d'autres personnes. Elle me cacha sa surprise.
A cette époque j'ai fait aussi des bas pour de pauvres enfants avec
le jeune homme. Décembre 1819.
VI
Sainte Hildegarde a distingué une double lumière ; l'ombre
de la lumière vivante et la lumière vivante elle même.
Cette dernière, ajoutait-elle, lui était communiquée
beaucoup plus rarement Elle donne à la première le nom d'ombre
parce que celle ci moins subtile et plus accommodée à la
nature humaine est avec l'autre, qui est infiniment plus vive et plus pénétrante,
dans le même rapport que l'ombre avec la clarté du soleil.
Aussi, dès qu'elle reçoit la lumière vivante, elle
est ravie hors de la sphère de sa vie ordinaire et se trouve avec
la sérénité et la liberté d'esprit d'un enfant
auquel toutes les nécessités et les misères de ce
bas monde sont complètement étrangères, soit que dans
ce haut degré d'extase, elle soit privée de l'usage de ses
sens et tout absorbée en Dieu, soit que dans cette lumière
supérieure elle contemple des mystères qui ferment ses sens
au monde extérieur et la remplissent d'une consolation et d'une
joie merveilleuses, afin qu'elle puisse retourner ainsi fortifiée
aux fatigues de la vie terrestre. Pareille chose se retrouve dans la vie
d'Anne Catherine. Nous ne citerons qu'un exemple entre mille pour éclaircir
ce qui vient d'être dit. La veille de Noël 1819, elle vit célébrer
cette sainte fête dans l'Eglise triomphante et il lui fut permis
de prendre part à sa joie. "Sa jubilation fut alors si grande que
le pèlerin dominé par le sentiment de sa misère et
de celle de tous les pécheurs ne put s'empêcher de pleurer
: pour elle, elle rayonnait de joie ; son esprit, son langage et son visage
étaient vivifiés par une allégresse impossible à
décrire : il y avait dans son langage une telle profondeur, une
telle facilité à exprimer les choses lés plus sublimes
et les plus mystérieuses, que le pèlerin en était
remue jusqu'au fond de l'âme. Il ne peut reproduire qu'à l'état
de misérable ébauche ce que sa parole vivement colorée
ou plutôt enflammée faisait briller au sein des ténèbres
de cette vie. "
A cette catégorie appartiennent en général tontes
les visions qui mettaient Anne Catherine en relation avec l'Eglise triomphante
aux fêtes de laquelle il lui était donné de prendre
part suivant l'ordre de l'année ecclésiastique, comme cela
était arrivé autrefois à la bienheureuse Lidwine de
Schiedam, avec laquelle elle a tant de ressemblance. Dans ces occasions,
elle était tellement inondée de joie qu'elle éclatait
en chants de jubilation pour célébrer les louanges de Dieu
avec les choeurs des bienheureux. C'était aussi dans la lumière
vivante qu'elle contemplait ces autres visions où son fiancé
divin venait lui même la consoler dans ses douleurs indicibles et
où elle recevait la force nécessaire pour prendre sur elle
de nouvelles souffrances.
Sainte Hildegarde dit que son âme n'était jamais privée
de l'ombre de la lumière vivante, et cela convient aussi parfaitement
à Anne Catherine : car elle non plus n'en fut jamais privée
depuis sa plus tendre enfance et elle vivait plus dans ses visions que
dans les rapports avec le monde sensible. Etant encore au couvent,. elle
eut, jour et nuit, pendant des mois entiers des visions où elle
accomplissait dans l'oraison des travaux symboliques, ce qui ne l'empêchait
pas de se livrer en même temps à des travaux de toute espèce,
soit dans la maison, soit dans l'église. Toutefois elle ne recevait
pas par cela seul l'intelligence complète de tout ce qu'elle voyait
dans cette lumière : comme sainte Hildegarde, elle avait encore
besoin de là lumière vivante pour comprendre ce qu'elle avait
vu et en pénétrer la signification. Anne Catherine, en effet,
se comportait à l'égard de toutes ses visions d'une manière
purement passive, elle recevait la vision avec candeur et comme une personne
qui d'abord ne sait pas positivement ce qui lui est montre, ni ce qui doit
suivre, elle exprimait na'vement son admiration ou sa surprise ; souvent
aussi elle demandait avec instance que telle ou telle représentation
lui fût épargnée : " Que puis je faire de cela, moi
chétive ? disait elle. Elle reçoit ensuite l'intelligence
par la lumière vivante, ce qu'elle exprime à peu près
en ces termes a Mon fiancé me montrait tout clairement, distinctement
et intelligiblement, d'une manière plus claire que la lumière
du jour ; il me semblait alors qu'un enfant pouvait comprendre tout cela,
et maintenant je n'en puis plus rien rapporter.. Je voyais infiniment de
choses que le langage ne peut pas rendre. Comment exprimer avec la langue
ce qu'on voit autrement qu'avec les yeux ?
VII
A la grâce des visions furent unies, pour Anne Catherine, des
souffrances et des tortures dans le corps et dans l'âme dont la grandeur
fait trembler la nature humaine, même lorsque pour les supporter
courageusement pendant de longues années la patience reçoit
des secours qui l'élèvent au plus haut degré de l'héro'sme
: de là les supplications qu'elle adressait si souvent à
Dieu pour qu'il lui épargnât tel ou tel spectacle, de là
ses plaintes exprimées en ces termes : "Hélas ! pourquoi
faut il que je voie toutes ces choses ? à quoi cela peut il me servir
? Si l'on savait quelles horribles souffrances je dois endurer pour pouvoir
raconter tout cela ? " Ces souffrances avaient leur source dans sa profonde
connaissance de la sainteté de Dieu et de la misère du monde,
telle que le péché l'a fait ; et comme toutes les abominations
et toutes les misères de l'humanité pécheresse lui
étaient montrées à elle, la pure et innocente enfant,
afin qu'elle se chargeât de faire pénitence pour ces innombrables
offenses, elle crut souvent qu'elle ne pourrait résister à
la douleur de ce spectacle. Voici, par exemple, ce qu'elle raconta le 13
décembre 1819 : `' Toute cette nuit, j'ai eu à combattre
sans relâche, et je suis encore toute épuisée des efforts
que j'ai faits pour échapper aux spectacles lamentables que j'ai
vos. Mon conducteur m'a fait faire tout le tour de la terre, et cela en
passant incessamment par de grandes cavernes faites de ténèbres,
où je voyais errer une foule innombrable d'hommes adonnés
aux oeuvres de la nuit. Souvent, quand ma tristesse était telle
que je ne pouvais plus la supporter, mon guide me conduisait pour quelques
moments à la lumière, puis il me fallait rentrer dans les
ténèbres et voir de nouveau toutes les formes de l'impiété.
Souvent je m'éveillais (du sommeil extatique ) à force d'angoisse
et de terreur ; je voyais la lune briller paisiblement à la fenêtre,
et priais Dieu en gémissant de ne pas me faire voir ces horribles
images mais il me fallait de nouveau descendre dans ces affreuses ténèbres
et voir les abominations, etc. "
Le 19 juillet 1820, l'état où se trouvait alors l'Eglise
d'Espagne et les persécutions qui devaient plus tard fondre sur
elle, furent montrés à Anne Catherine dans une grande vision.
Elle en fut si profondément affligée que cette pensée
s'éveilla en elle : " Pourquoi faut il que je voie tout cela, moi,
pauvre pécheresse ; je ne puis pas le raconter, et il y a tant de
choses que je ne comprends pas ! " Alors, elle reçut cette réponse
de son conducteur " Tu demandes pourquoi tout cela " tu ne peux pas savoir
combien d'âmes liront un jour cela et seront par là consolées,
ranimées et excitées au bien. Il existe beaucoup de récits
de grâces semblables accordées à d'autres, mais la
plupart du temps ils ne sont pas faits comme il faudrait ; puis les anciennes
choses sont devenues étrangères aux hommes de ce temps, et
elles ont été discréditées par des inculpations
téméraires : ce que tu peux raconter est suffisamment intelligible,
et cela peut produire beaucoup de bien que tu ne peux pas apprécier.
Ces paroles me consolèrent.
VIII
D'après ce qui a été cité, le lecteur peut
facilement deviner combien les visions d'Anne Catherine ont embrassé
d'objets. Goerrès le père, qui avait pris connaissance des
notes du pèlerin, et qui était aussi compétent qu'aucun
de ses contemporains pour apprécier l'esprit qui inspirait la servante
de Dieu, s'exprime ainsi dans le second volume de sa Mystique, p. 348 :
" Ses visions ne se sont pas bornées à la Passion, mais,
durant trois ans, elles suivent le Seigneur pas à pas dans toutes
ses courses à travers toute la Palestine. La nature du pays, les
rivières, les montagnes, les forêts, les lieux habités,
les moeurs et les coutumes, le costume et la manière de vivre, tout
passe devant ses yeux de la manière la plus claire et la plus distincte.
Aux personnages, aux localités, aux tableaux de l'année ecclésiastique
qui servent d'intermèdes, se rattachent épisodiquement des
scènes qu'un regard jeté en arrière va chercher dans
un passé encore plus reculé, en sorte que sa vue embrasse
tout ce passé en remontant jusqu'à l'origine des choses.
Tout cet ensemble se résume dans une puissante épopée
religieuse qui, se jouant entre le ciel et la terre, se divise avec les
époques du monde et se subdivise avec les générations
humaines. C'est comme un océan, sorti d'une source cachée
pour entourer la terre de ses flots, et tandis que sa surface réfléchit
la magnificence de ses rivages et les richesses accumulées par les
siècles, il n'en reste pas moins transparent jusqu'au fond, en sorte
que le regard découvre dans ses profondeurs un monde de merveilles
et y saisit les liens intimes et cachés des choses : aussi peut
on voir là le spectacle le plus admirable, le plus riche, le plus
vaste, le plus profond et le plus saisissant qui se soit jamais produit
devant le sens contemplatif, même dans ce mode de compréhension
mystique. "Mais pour que le lecteur puisse arriver à une vue plus
claire et entrer davantage dans le détail de ce qu'embrassent les
visions d'Anne Catherine, on essayera, dans ce qui va suivre, de lui donner
une clef qui puisse lui ouvrir l'entrée de ce cercle merveilleux.
Comme on l'a déjà fait remarquer plus haut, les premières
visions de sa jeunesse appartenaient pour la plupart à l'Ancien
Testament : elle en eut plus tard sur la vie du Sauveur, d'abord rares,
puis de plus en plus fréquentes. Elle voyait tout l'Ancien Testament
dans sa signification figurative et éternelle, c'est à dire
dans la liaison intime qui le rattache par tous les points au mystère
de la très sainte Incarnation et à celui de la Rédemption.
Elle voyait ce rapport comme quelque chose de vivant qui descendait le
cours des siècles à travers des séries d'époques
et de générations déterminées par Dieu. Elle
voyait les personnages qui, dans cet ordre disposé Par Dieu étaient
appelés par lui à avancer pour leur part la plénitude
des temps toute leur histoire et tous leurs actes jusque dans les plus
petits détails. Elle connaissait la position et la signification
particulière que chacun d'eux avait dans l'ordre du salut par rapport
à son époque et par rapport au Sauveur lui même. Elle
voyait toutes les grâces que Dieu leur avait accordées, comment
Dieu les avait dirigés et comment les fruits de bénédiction
produits par l'action qu'ils avaient exercée s'étaient perpétués
de génération en génération. Elle voyait en
outre le travail de l'enfer, les formes infiniment variées et les
influences diaboliques de l'idolâtrie. Elle apercevait toutes les
perturbations suscitées par la puissance ennemie toutes les attaques
par lesquelles le royaume de Satan menaçait. dès l'origine.
l'économie du salut.
Elle voyait toutes ces images dans un rapport continuel avec le présent.
Ainsi, à la vision sur le bâton d'Elisée, se liait
pour elle la signification du bâton pastoral des évêques,
la cause de son pouvoir intérieur et de sa dignité, et la
relation de toutes ces choses avec celui qui donne à tous leur mission,
et avec la foi qui donne l'efficacité à tout pouvoir conféré
par lui.
Rien donc qui ne trouve sa place dans la sphère des visions
de cette enfant humble et na've : de même que les plus profonds mystères
de la grâce sont à découvert devant ses yeux, de même
aussi une foule de détails qui paraissent appartenir davantage au
cadre de l'Histoire Sainte sont visibles pour elle. Ainsi, par exemple,
pendant qu'elle voit le corps d'Adam dans sa gloire avant la chute et les
conséquences humiliantes que la chute entraîne pour lui dans
on rapport mystérieux avec les cinq plaies du corps du Christ, dans
les mérites infinis desquelles elle voit la restitution des cinq
effluves de lumière qu'Adam avait perdus dans la chute, mais qui
lui seront rendues dans son corps glorifié, elle voit une fois la
source du Jourdain ouverte par Melchisédech et le lit du fleuve
lui être désigné d'avance. C'est Melchisédech
qu'elle voit mesurer l'emplacement de la piscine de Bethesda, de même
que les chemins et les sentiers que les prophètes ont suivis en
annonçant le Messie, et sur lesquels lui même, pour accomplir
cette figure, devait parfaire sa sainte carrière de prédicateur.
Melchisédech sépare et conduit les familles et les races
de peuples, il pose à Sion la pierre sur laquelle doit s'élever
plus tard le sanctuaire de Dieu, il planté dans le Jourdain comme
des semences les pierres qui auront à supporter l'arche d'alliance
quand le peuple de Dieu reprendra possession de l'héritage de ses
pères et qui, après un long oubli, sortent de nouveau des
flots du Jourdain, afin que celui que figurait l'arche d'alliance, le fils
de Marie, reçoive sur elles le baptême. De même enfin
qu'Anne Catherine voit tous les événements de la vie extérieure
de Noé, Hénoch, d'Abraham et des patriarches, elle reconnaît
aussi la signification figurative de chacune de leurs actions et aperçoit
les liens intérieurs de la grâce et ses influences mystérieuses,
le noeud vivant et éternel par lequel les personnes, les générations
et les époques sont rattachées entre elles et au point central
de tous les temps, et elle met cela devant les yeux, dans des visions pleines
du sens le plus profond sur la bénédiction des patriarches,
l'arche d'alliance et les ancêtres de Marie.
C'est ainsi qu'elle arrive à l'époque de l'accomplissement,
et comme, auparavant, elle a vu ce qui est nouveau dans ce qui est ancien,
elle voit maintenant ce qui est ancien dans ce qui est nouveau : toute
la vie de l'Homme Dieu sur la terre, depuis l'instant de la très
sainte Incarnation jusqu'à celui où il monte au ciel, passe
devant ses yeux dans les tableaux les plus complets, avec tout le théâtre
de sa carrière et de ses opérations, avec toutes les personnes
qui se sont trouvées en rapport intime avec le Seigneur. Elle voit
le Seigneur dans les fruits de ses mérites infinis, elle le voit
par conséquent comme la tête de l'humanité régénérée
en lui, c'est à dire de son corps mystique, l'Eglise, et elle voit
celle ci dans toute sa hiérarchie, dans toutes ses parties et à
tous ses degrés, sans être limitée par le temps ou
l'espace. Car en Jésus Christ qu'est la tête, les rangs de
l'Eglise triomphante lui sont ouverts : elle est ravie en esprit pour assister
à ses fêtes, suivant l'ordre de l'année ecclésiastique,
et elle y reçoit des consolations qui l'aident à supporter
les fatigues de sa course sur la terre. En lui aussi les rangs de l'Eglise
souffrante lui sont ouverts ; et en les parcourant, non seulement elle
regarde, mais elle console, assiste, délie et délivre.
En lui, enfin, toutes les époques de l'Eglise lui sont présentes
ainsi que la vie de tous ses saints et l'action exercée par eux,
à partir du temps des apôtres jusqu'au moment où elle
vit, et, semblable à une abeille, elle recueille les fruits bénis
de leurs mérites pour en tirer de quoi fortifier et soulager tous
les nécessiteux de son époque.
IX
Toutes ces visions ont le caractère historique le plus rigoureux
;
ce ne sont pas des réflexions sur les événements,
c'est le reflet immédiat, complet des faits eux mêmes, lesquels
sont présentés à la voyante comme l'image dans le
miroir(1). C'est là ce qui donne aux visions d'Anne Catherine une
supériorité marquée sur les visions de Marie d'Agreda,
telles qu'elles sont consignées dans le livre si célèbre
autrefois de la Cité mystique de Dieu. Autant ces deux personnes
se ressemblent en ce qui touche la sainteté de la vie, autant est
grande d'un autre côté la différence qui existe dans
leurs prédispositions naturelles et par suite dans la manière
dont elles perçoivent la lumière d'en haut et usent du don
de contemplation qu'elles ont reçu.
La vénérable Marie d'Agreda, favorisée dès
sa jeunesse, comme Anne Catherine, d'illuminations divines, est par nature
un esprit spéculatif, viril, qu'il est tout simple de voir procéder
à la façon des théologiens et faire usage, sans avoir
besoin pour ainsi dire de les chercher, de tous les termes et de toutes
les subtilités de l'école : ce n'est qu'après une
longue préparation et après avoir longtemps exercé
ses facultés contemplatives sur tous les mystères de la foi
et de la vie spirituelle qu'elle en vient à retracer ses visions.
Note 1: Alban Stolz s'exprime ainsi dans le récit de son séjour
à Jérusalem : .. Pendant que nous faisions le chemin de la
Croix, le père Wolfgang nous dit qu'il résidait à
Jérusalem depuis six ans et qu'il avait fait des saints lieux l'objet
de ses études. à cette occasion ; il avait consulté
le livre bien connu d'Anne Catherine Emmerich : la douloureuse passion,
et il n'y avait encore rien trouvé qui fut en contradiction avec
la topographie réelle de la ville sainte. J'ajouterai que feu le
docteur Hug qui, comme tout le monde le sait, n'étendait pas plus
loin qu'il ne faut le domaine de la foi, disait un jour dans une de ses
leçons : À Il est étrange que la religieuse de Dulmen
décrive avec tant de vérité et d'exactitude les lieux
témoins de la Passion du Christ : ses dires concordent parfaitement
avec les descriptions données par Flavius Josèphe. Visite
chez Sem, Cham et Japhet par Alban Stolz.
Mais dans la contemplation même un esprit ainsi formé
et comme armé de toutes pièces ne peut pas se comporter d'une
façon purement passive : il s'empare de l'objet, non pour le regarder,
mais pour en scruter la vérité et la profondeur, en saisir
le rapport immédiat avec sa propre manière d'être et
en tirer tout le profit possible pour soi et pour autrui. Au sein de l'abondante
lumière dont elle est favorisée, Marie d'Agreda pénètre
dans les mystères contemplés et l'intelligence qu'elle en
a est aussi profonde et aussi claire que la contemplation elle même
: mais la méditation ne cesse pas d'être méditation
et ne peut s'appeler vision qu'à cause de la lumière surnaturelle
dans laquelle les mystères se manifestent a elle. Ses visions ne
sont donc pas des intuitions de faits ou d'événements dans
des tableaux strictement historiques, mais sont plutôt la perception
d'un sujet de méditation choisi par elle même dans la lumière
supérieure infuse.
Il en est tout autrement d'Anne Catherine qui, sans choix, sans désir,
n'agissant pas mais se bornant à recevoir, voit les images qui lui
sont présentées, tantôt les accueille avec une adhésion
joyeuse, tantôt s'efforce en vain d'y échapper lorsque la
peine causée par ce qu'elle voit lui semble au dessus de ses forces.
Elle est, pendant toute sa vie, la petite paysanne simple, illettrée,
tout à fait incapable de réflexion, qui ne va jamais au delà
de ce qui est immédiatement contemple ; qui vit, souffre et agit
dans la contemplation, de telle façon que le pèlerin, peu
avant sa mort, lorsqu'elle ne peut pas rendre compte d'une instruction
du Sauveur, dit en gémissant : "Je n'ai jamais vu se produire en
elle une science particulière résultant des enseignements
qu'elle avait entendus, mais seulement un ascétisme pratique toujours
semblable à lui même dans ses traits généraux.
La vie de son âme est magiquement active et passive sans raisonnement.
" Le raisonnement ne pouvait assurément être son affaire,
parce que vivant exclusivement dans la contemplation actuelle, elle n'avait
besoin d'aucune idée qui en dérivât. C'est pourquoi
dans ses visions Anne Catherine se comporte d'une manière purement
passive, elle ne les comprend pas quand elles ne lui sont pas expliquées
par son conducteur spirituel ou par son fiancé divin : c'est pourquoi
encore tout ce qu'elle raconte de ses visions se distingue par une admirable
simplicité et par une clarté qui fait presque toucher les
choses au doigt, bien qu'il y ait en même temps une profondeur mystérieuse
qui partout fait dire au lecteur : il n'y a rien là d'inventé,
rien qui soit d'invention humaine. Nulle part non plus il ne rencontre
l'ombre d'une application ornée de réflexions morales ce
qu'il trouve toujours devant lui, c'est la force irrésistible de
la vérité toute simple, qui dans son caractère rigoureusement
historique ne peut faire naître chez personne la tentation de coudre
ça et la quelque chose ou d'amplifier et de moraliser. Il en est
tout autrement dans les visions de la vénérable Marie d'Agreda.
comme elles se sont produites avec le concours de l'activité humaine,
elles pouvaient plus facilement donner lieu à ce qu'un zèle
peu éclairé ne se fît aucun scrupule de les dénaturer
par des additions insipides et des changements arbitraires, comme cela
s'est fait d'une manière qu'on ne saurait trop déplorer dans
la Cité de Dieu.(1)
Note 1: Goerres dit à ce sujet : "L'extase n'a pas pu la préserver
du faux goût de son temps. Le mauvais style italien qui commençait
à régner dans les églises. s'était répandu
au delà des Alpes comme une maladie contagieuse et l'Espagne en
avait été atteinte comme les autres pays : il a aussi trouvé
entrée dans le livre de Marie d'Agreda. L'élégance
empesée, l'enflure et la fausse emphase le déparent trop
souvent et les longues moralités qui figurent à la fin de
chaque chapitre le rendent encore plus prolixe. "Mystique, t. II, p. 352.
Nulle part la différence signalée entré les deux
contemplatives ne frappe les yeux plus vivement que dans ce que Marie d'Agreda
et Anne Catherine disent du premier article du symbole. Ce fut dans sa
cinquième année qu'Anne Catherine eut sa première
vision sur la création du monde, le paradis terrestre et nos premiers
parents : elle contempla ces tableaux profondément significatifs
avec toute la simplicité d'un enfant, et dans sa quarante huitième
année, après les avoir vus de nouveau, elle les raconta absolument
comme elle l'aurait fait dans son enfance, rapportant simplement ce qu'elle
avait vu, sans y joindre aucune réflexion et sans paraître
le moins du monde vouloir donner des explications sur des mystères
aussi difficiles à comprendre. C'est tout autre chose chez Marie
d'Agreda, qui ne voit pas le tableau historique, mais qui sait quelles
controverses théologiques préoccupent les esprits à
son époque et de combien de façons la spéculation
s'est efforcée de résoudre la question de savoir si le Fils
de Dieu se serait fait homme lorsqu'Adam n'aurait pas péché.
Elle répond à cette question d'une façon si lumineuse
et discute tous les points fondamentaux avec tant de profondeur que le
lecteur se sent très porté à croire que la réponse
lui est venue par une illumination surnaturelle.
Mais même là où elle ne donne pas de décisions
théologiques et où elle se borne à raconter des faits
comme Anne catherine, celle ci a l'avantage de la vision purement historique
et par conséquent de la pleine vérité historique.
C'est ce que le lecteur peut voir expliqué avec une clarté
surprenante dans l'extrait suivant du journal du pèlerin.
Au récit de la mort de saint Jean Baptiste fait par Anne Catherine,
à la date du 12 janvier 1823, il objectait que Marie d'Agreda raconte
la chose autrement ; elle dit en effet qu'Hérodiade avant fait fouetter
trois fois et torturer saint Jean, Jésus et Marie lui apparurent
et le guérirent, qu'il fut mis aux fers et serait bientôt
mort de faim si Jésus et Marie ne l'avaient pas nourri ; qu'en outre,
lors de son exécution, ils lui apparurent, suivis d'une troupe innombrable
d'anges, et que Marie prit dans ses mains la tête du : précurseur.
Or, voici ce qu'Anne Catherine répondit à cela :
" J'ai souvent entendu des choses de ce genre qui sont tout à
fait mal comprises : car chez plusieurs les visions ne sont pas historiques
et ne représentent pas les choses comme elles se sont passées
réellement ; mais ce sont des méditations : c'est à
tort qu'on les prend pour l'image de la réalité, ce qu'elles
ne sont point, bien que d'ailleurs elles soient vraies quant à leur
signification intérieure. Quand les visions ne sont pas fréquentes
et ne forment pas une série successive, toutes les choses y paraissent
mêlées et liées les unes aux autres, sans quoi l'on
n'embrasserait pas tout ce que contient l'ensemble. Si par exemple on doit
voir qu'un homme près d'être exécuté prie en
ces termes : " Seigneur, je remets ma tête entre vos mains, "et en
outre que Dieu exauce cette prière, il peut facilement arriver qu'on
voie l'homme décapité mettre sa tête dans les mains
du Seigneur qui se tient prés de lui, ce qui du reste se trouve
véritable dans le sens spirituel, bien qu'humainement parlant, la
tête tombe par terre aux yeux de tous les assistants. Ainsi, pour
la vénérable Marie d'Agreda, la rage d'Hérodiade peut
avoir été représentée par "les chaînes
et les entraves ; les actes honteux et les péchés commis
dans le château que Jean ressentait douloureusement par "les flagellations
et les tortures : " et la tête entre les mains de Marie peut avoir
signifié qu'au moment de sa mort, avant de naître à
la vie éternelle, Jean se souvint encore de celle dans le sein de
laquelle il avait salué et annoncé Jésus, avant sa
naissance sur la terre. On peut aussi voir toutes les pensées et
les prières d'un homme, représentées par des images
où il ne faut pas toujours voir les choses arrivées réellement.
Ce sont des méditations et elles diffèrent suivant la manière
d'être et les besoins des contemplatifs.
Si, comme on l'a déjà remarqué, on peut admettre
comme certain que la Cité de Dieu ne se trouve pas entre nos mains
dans sa forme primitive, parfaitement correspondante à la contemplation
de Marie d'Agreda, mais altérée de mille manières
par l'addition des réflexions prolixes ; si, en outre, plusieurs
lecteurs des visions présentées ici se sentent tentés
d'établir de plus près la comparaison entre celles ci et
la Cité de Dieu, c'est le cas de leur mettre sous les yeux, une
vision allégorique, d'un sens très profond dans sa simplicité,
qu'Anne Catherine eut sur cet objet.
Le 25 juillet 1822, Anne Catherine vit beaucoup de choses touchant
la vie de l'apôtre saint Jacques, et particulièrement touchant
son séjour en Espagne. Mais comme elle avait oublié les détails
d'une apparition de la mère de Dieu à Sarragosse, le pèlerin
lui lut dans l'après midi du 24 juillet le récit de cette
apparition, avec la circonstance de l'image miraculeuse apportée
par un ange, tel que le récit se trouve dans la Cité de Dieu.
Or Anne Catherine ne pouvait pas comprendre comment Marie d'Agreda, qui
était censée avoir vu la chose avec autant de détails,
ne décrivait pourtant rien et ne donnait que de pures phrases. "Je
ne sais pas ce qui en est, dit elle, mais je n'entends jamais ni Jésus,
ni Marie parler ainsi. Marie est d'une simplicité que rien ne peut
rendre : tout son être est comme un fil de soie blanche, d'une délicatesse
infinie. Je ne sens pas d'onction dans ces paroles ni dans tout ce que
j'ai lu : il n'y a là que du bruit et des ornements recherchés
: il me semble voir une belle dame avec un large éventail de toilette.
"
Le lendemain elle raconta par fragments la vision suivante sans s'apercevoir
le moins du monde de sa liaison avec les visions des jours précédents.
" Il était impossible, disait elle, d'expliquer à quoi cela
pouvait avoir trait. On finit par savoir qu'elle avait pensé au
miracle de Sarragosse, et désiré le voir de nouveau : mais
elle avait été surprise a de voir tout cela d'une autre manière,
bien plus naturelle et plus claire : seulement elle ne savait pas ce que
c'était que cette personne si larges Elle avait été
introduite par son guide dans la scène suivante qui cette nuit avait
pris la place des voyages qu'elle faisait ordinairement pour porter secours,
après les visions journalières de la vie de Jésus
: car elle était allée comme de coutume par les chemins qui
menaient aux pays où elle avait quelque chose à voir.
Elle raconta donc ce qui suit : J'ai eu aujourd'hui une curieuse histoire
d'un enfant avec un seul oeil. Je suivais avec mon conducteur le chemin
qui mène d'ici en Espagne à travers la France et, dans le
voisinage de l'Espagne, à un endroit sur le bord de la mer, où
nous devions nous embarquer, nous rencontrâmes deux personnages étranges,
un vieillard à l'air grave qui était vraiment excellent et
qui possédait tout en lui même, et une large femme, qui était
singulièrement pompeuse, prolixe, contournée et cérémonieuse.
Elle portait une robe ridiculement large, qui ressemblait par derrière
à une vieille ville. Elle était avec cela couverte de cordons
avec toute sorte de collerettes et de garnitures, et elle n'en finissait
jamais avec ce qu'elle avait à faire et à dire. Ces deux
personnages avaient près d'eux un enfant merveilleux couché
sous un buisson au bord de la mer. à vrai dire l'enfant ne leur
appartenait pas : ils l'avaient pris, trouvé ou dérobé
: enfin ils s'en étaient emparés et ils voulaient s'en faire
honneur ou le faire voir pour de l'argent. Je ne sais pas bien de quoi
il s'agissait, mais ce qu'ils se proposait fit d'en faire, surtout la femme,
n'était pas dans les règles. Je vis aussi dans une vision
qui faisait le pendant de l'autre que cette large p nue qui faisait la
dévote, et qui était très obstinée dans ses
idées, portant l'enfant qu'elle étouffait sous ses immenses
vêtements, voulait entrer dans l'église par un passage très
étroit ; mais elle n'en venait pas à bout et restait toujours
sans pouvoir avancer, dans l'étroit passage : elle était
obligée de sortir, puis elle essayait encore d'entrer avec une nouvelle
obstination, mais sans vouloir déposer ses vains ajustements.
L'enfant, lorsque je le rencontrai, avait, je crois, cinq semaines
; je le pris avec moi, car je le connaissais déjà, et je
le mis dans mon tablier. Il ne voulait pas me quitter, je lui donnai à
manger, et cette femme fut obligée de se retirer. Je ne sais plus
bien comment cela se fit, mais le bon vieillard resta toujours prés
de moi. Cet enfant était celui d'un roi céleste et d'une
impératrice de la terre : je ne sais plus cette histoire. une chose
singulière fut qu'étant avec moi, l'enfant prit une croissance
très rapide : il fut tout de suite en état de parler et de
marcher, bien qu'il n'eût que cinq mois. Dans ce voyage en Espagne,
il y avait toujours des gens près de moi, c'étaient saint
Jacques et ses disciples. Je vis dans le lointain diverses personnes du
temps actuel : quand nous passions quelque part, il venait plusieurs saints
qui avaient vécu dans cet endroit ; ils étaient surpris à
la vue de l'enfant qui partout se tenait debout et enseignait, qui donnait
toute espèce d'indications et restait toujours près de moi.
Mais ce qu'il y avait de surprenant dans cet enfant, c'est que ses yeux
étaient fermés, et qu'il avait sur le front un oeil semblable
à un soleil, semblable à l'oeil de Dieu ; et qu'en parcourant
avec moi toute l'Espagne, en passant dans les endroits où saint
Jacques était allé, il me montrait tout et m'expliquait tout.
Je vis aussi une seconde fois la scène de l'apparition de Marie
à saint Jacques, à Sarragosse, et tout s'y passait très
naturellement. "
Si nous cherchons maintenant à découvrir le sens de cette
vision, nous pouvons voir Marseille dans cet endroit au bord de la mer,
où Anne Catherine s'embarque pour l'Espagne. C'est là que
parut la première traduction de la Ciudad de Dios, sous le titre
de : La mystique cité de Dieu. Les deux étranges personnages
qu'elle rencontre symbolisent la double disposition avec laquelle furent
reçues les visions de la vénérable Marie d'Agreda.
Le vieil homme qui a tout en lui même est la vraie simplicité
qui reçoit avec une humble reconnaissance ce don précieux
de la grâce sans se permettre d'y ajouter des embellissements de
sa façon. C'est avec cette simplicité que la vénérable
Marie d'Agreda avait reçu ses visions, et les avait communiquées
à d'autres pour obéir à l'ordre de Dieu : mais ceux
ci, ne pouvant souffrir la simplicité, font subir aux visions des
remaniements qui sont indiqués d'une manière si pittoresque
par le symbole de la femme en robe à paniers comme on les portait
en Espagne au XVII siècle. C'est pourquoi ce faux zèle qui,
sacrifiant au mauvais goût de l'époque, a dénaturé
la Cité de Dieu et en a fait une pomme de discorde théologique,
n'a pas réussi à obtenir pour elle l'approbation de l'Eglise.
Le don gratuit de prophétie, tel que Marie d'Agreda l'a reçu
dans toute sa pureté, est représenté par le symbole
de l'enfant né du mariage de Jésus Christ le roi céleste
avec sa fiancée l'impératrice de la terre, c'est à
dire l'Eglise. Anne Catherine le rencontre sous un buisson au bord de la
mer : car la femme aux larges atours l'a traité comme un enfant
trouvé et en a usé indignement avec lui, s'imaginant faire
une bonne oeuvre. Cet enfant de prophétie avec la vénérable
Marie d'Agreda n'a que cinq semaines et ne sait pas encore parler : avec
Anne Catherine, il grandit au quadruple et se trouve en état de
parler et de marcher. C'est un symbole non seulement de la différence
de degré dans la grâce gratuite départie à l'une
et à l'autre, mais aussi de son caractère intime. Marie d'Agreda
parle elle même à la place de l'enfant prophétique
qui avec elle n'a pas encore l'usage de la parole, parce que, recevant
dans la contemplation la lumière de la science infuse, elle laisse
prédominer son activité propre tandis qu'avec Anne Catherine
l'enfant avant acquis promptement l'usage de la Parole Parle lui même
par sa bouche, parce qu'elle se borne à recevoir, et que son activité
même est passive. Elle nourrit l'enfant parce qu'elle use avec fidélité
et simplicité du don de la grâce, et le vieillard reste toujours
près d'elle, car le pèlerin reproduit les visions aussi fidèlement
et aussi simplement qu'Anne Catherine les lui communique.
Anne Catherine continua ainsi son récit : " Partout où
nous allions' il arrivait d'en haut des troupes entières de saints
qui avaient eu aussi des visions : tous étaient émerveillés
de l'enfant, et l'enfant me les montrait du doigt, me faisant connaître
comment chacun d'eux avait vu et prophétisé, et je vis là
combien il y a de diversité et de variété dans les
procédés. Et cela s'est fait sur toute la terre dans tous
les temps et par les prophètes de l'Ancien Testament en remontant
jusqu'à Adam. C'était incroyablement multiple et varié,
mais pourtant suivant un ordre régulier, en Sorte que je pouvais
saisir l'ensemble. Je me rappelle encore comment la mère de Samuel
pria devant l'arche d'alliance ; Héli voulait la renvoyer, car elle
avait je visage enflammé par l'ardeur de son désir, et il
la croyait ivre. Mais un rayon partit de l'arche et vint sur elle. J'y
vis comme un petit enfant, et Héli lui dit que sa prière
était exaucée et qu'elle aurait un fils. Il tenait comme
une cassette en face d'elle (1) lorsqu'il la bénit. Je vis aussi
infiniment de choses sur tous les prophètes et sur toutes les sortes
de visions et de prophéties. Mais tous s'émerveillaient à
la vue de l'enfant comme si personne encore n'avait possédé
cet enfant de la même manière que moi. "
Note 1: Vraisemblablement le vase contenant le saint mystère
de l'arche d'alliance, sur lequel beaucoup de détails seront communiqués
dans les visions relatives à la bénédiction des patriarches
et à l'arche d'alliance.
" Je vis aussi la prophétie qui émane de l'empire des
ténèbres et celle qui appartient à l'ordre naturel,
celle ci se liant de près à l'autre. Je vis ces divers règnes
comme de grosses boules rondes de couleur sombre, les unes plus obscures,
les autres plus claires, et semblables à des sphères terrestres
: toutes les choses que l'on voit ainsi en général comme
dans un seul ensemble, on les voit comme des globes terrestres. Je vis
des esprits au centre et je vis certaines influences passer d'un de ces
globes dans les autres et à travers les autres. Je vis les somnambules
magnétiques, soit dans une de ces sphères ténébreuses,
soit influencés par elle, car la plupart du temps je vis devant
le magnétiseur un esprit ténébreux venant de ces sombres
royaumes entrer dans ceux qui parlent en rêvant et en prendre possession
(2).
Note 2: En août 1821, un médecin qui était enlacé
dans les liens magiques d'une somnambule vint à Dulmen, dans l'idée
qu'il trouverait une ressemblance entre celle ci et Anne Catherine. Mais
la Soeur rejeta toutes les communications de la somnambule comme chimériques
et illusoires : le docteur ne se laissa pas persuader ; il échappa
toujours à Anne Catherine comme un homme ensorcelé. Elle
eut alors une vision touchant la somnambule et vit que ni elle ni le docteur
n'avaient de mauvaises intentions, mais que Satan les retirait tous deux
du droit chemin par les prestiges du somnambulisme. Elle vit que le docteur
filait un fit sortant de la somnambule, que celle ci y faisait un noeud
et que le docteur l'avalait. Elle vit qu'il y avait dans son intérieur
un nuage sombre, que rien en lui ne prenait d'accroissement et que tout
restait sans mouvement : que cependant il lui venait souvent à l'esprit
qu'il avait quelque chose à vomir.
Je vis que leur divination était, la plupart du temps d'origine
terrestre, et qu'il y avait là quelque chose d'indécent et
de dangereux, mais à divers degrés. Je vis des religieux
et des religieuses visionnaires auxquels arrivaient quelques rayons partant
de ces sphères ténébreuses : il y en avait plusieurs
en Espagne, jusque parmi ceux qui voyaient des choses de l'ordre spirituel,
même des représentations de la passion et de la vie du Christ.
Il s'en trouvait parmi ceux là qui se macéraient et se mortifiaient
beaucoup, et pourtant des forces venant des régions inférieures,
traversaient leurs apparitions et en altéraient le caractère
par des influences appartenant aux sphères diaboliques ou naturelles,
avec lesquelles ils se trouvaient en quelque rapport par leurs faiblesses.
Le caractère personnel de leurs supérieurs ecclésiastiques
et les sphères du ressort desquelles étaient ceux ci exerçaient
aussi une action. J'en vis qui étaient entièrement dominés
par les puissances mauvaises. "
"Je vis tous ces rapports avec des esprits et des démons jusque
parmi les anciens païens et chez les Maures et les sauvages. Si je
pouvais redire tout ce que j'ai vu, on en ferait un gros livre. "
Je vis aussi les modes tout à fait divers de l'intuition. Quelques
uns étaient subitement entourés par les figures : ils les
retraçaient sous une forme abrégée et elles restaient
tout ce temps devant eux. D'autres étaient remués au fond
de l'âme, parlaient longuement et écrivaient de grands sermons.
D'autres se sentaient intérieurement réconfortés ils
recevaient toute espèce d'images allégoriques mêlées
à des scènes historiques, et quand ils les racontaient, ils
ne savaient pas faire la distinction mais je n'en vis aucun qui eût
vu les scènes jour par jour et simplement comme elles s'étaient
passées.
Je crois que la nuit dernière, je dois avoir parcouru toute
la. terre avec l'enfant : quand j'arrivais à un endroit où
je pouvais assister des malades ou des mourants, ou rendre quelque autre
service, je quittais l'enfant et faisais mon travail : car mon guide était
toujours là. Mais je voyais dans le lointain autour de l'enfant
et aussi autour de moi beaucoup de personnes de mon temps et de ma connaissance
qui s'émerveillaient. Ce sont peut être ceux qui dans l'avenir
acquerront une connaissance plus détaillée de ces choses.
.,
"Je m'éveillai enfin après ces tableaux, et je vis l'enfant
qui était couché près de moi, ce qui me fit peur.
Je m'endormis de nouveau, et alors je me trouvai toute petite à
Flamske dans notre maison : comme je suivais mon chemin derrière
le troupeau sur la lande, je trouvai dans un buisson l'enfant redevenu
tout petit : je courus chercher de la bouillie et je lui donnai à
manger. Je vis ensuite toute une série de tableaux, comprenant toute
ma vie jusqu'au moment présent ; je vis arriver l'enfant, j'eus
une répétition complète de mes destinées, de
mes consolations et aussi de toutes les douleurs que j'ai eu à endurer
et j'étais toute brisée par la souffrance. J'eus aussi à
subir de nouveau les deux enquêtes et la dernière avec tout
ce qu'elle avait d'affreux. Je vis aussi l'enfant à Rome où
il montrait toute sorte de choses. Je vis encore l'enfant enseigner à
Munster à une autre époque. Là où était
le château, beaucoup de choses avaient disparu. Je vis une autre
manière de vivre : quelques messieurs de l'époque actuelle
passèrent devant moi : ils étaient vieux et mécontents,
et parlaient de changements qu'ils trouvaient incommodes. Je vis sous la
figure d'un enfant l'évêque qui devait commencer à
bien arranger les choses. Peut être qu'il est encore enfant : il
n'était pas du pays. à l'époque où ces dernières
choses auront lieu, je serai déjà morte. "
Dans ces tableaux j'ai souvent vu le pèlerin près de
moi. Je n'avais pas peur de lui, et l'enfant non plus : il l'accompagnait
tranquillement et sans s'étonner. Je vis aussi mon confesseur qui
souvent ne comprenait pas l'enfant et voulait le chasser ou le cacher,
mais toujours inutilement : il restait près de moi et revenait aussitôt.
Il se tenait souvent loin de lui, puis il se familiarisait de nouveau avec
lui, mais il ne le comprenait jamais parfaitement et il en avait peur.
Je vis encore que le père Lambert comprima souvent l'enfant et tout
le mal qu'on lui fit. Je vis aussi beaucoup de gens pour lesquels il fut
plus tard un sujet de grande joie et de grande admiration.
Le pèlerin ajoute ce qui suit à son compte rendu de cette
singulière vision : "D'après cette misérable esquisse
bien embrouillée, on peut juger dans quelle mesure elle a vu, et
se figurer tout ce qu'elle a vu et tout ce qui manque ici. "
Maintenant que le lecteur, pour avoir la pleine confirmation de la
vision allégorique, compare ce qu'Anne Catherine a communiqué
sur l'apparition de Marie à Sarragosse, avec ce que la Cité
de Dieu met dans la bouche de Marie d'Agreda sur le même sujet. Voici
le récit d'Anne Catherine : ((Je vis saint Jacques, accablé
de tristesse à l'approche d'une persécution qui menaçait
l'existence de la communauté chrétienne de Sarragosse, prier
pendant la nuit au bord du fleuve, devant le mur de la ville : il avait
avec lui quelques disciples qui étaient dispersés ça
et là, et couchés par terre ; je me disais : c'est comme
le Christ sur le mont des Oliviers. Jacques était couché
sur le des, les bras étendus en croix. Il priait Dieu de lui faire
connaître s'il devait rester ou fuir : il pensait à la sainte
Vierge et demandait qu'elle priât avec lui pour obtenir conseil et
assistance de son Fils qui l'exaucerait certainement. je vis alors quelque
chose resplendir dans le ciel au dessus de lui : c'était une colonne
dont la base envoyait un rayon plus brillant à deux pas en avant
des pieds de l'apôtre comme pour désigner par là une
place déterminée. Cette colonne répandait une lueur
rougeâtre où se montraient comme des veines de diverses couleurs.
Elle était haute et mince et se terminait au sommet comme par une
fleur de ils, formée de langues de feu qui se déployaient
tout autour, tandis que l'une d'elles s'agitait au loin vers le couchant
dans la direction de Compostelle. Dans cette fleur lumineuse je vis la
figure de la sainte Vierge : elle était d'une blancheur diaphane,
plus douce et plus agréable à l'oeil que le brillant de la
soie écrue, et se tenait dans l'attitude qui était habituelle
à Marie lorsqu'elle était en prière. Elle avait les
mains jointes et son long voile était relevé d'un côté
sur la tête, mais l'autre extrémité descendait jusqu'aux
talons et l'enveloppait entièrement, et ses pieds posaient légèrement
sur la fleur lumineuse formée de cinq langues de feu. Il y avait
dans ce spectacle un charme et une beauté que rien ne peut rendre.
Je vis Jacques se redresser sur ses genoux en priant, et averti intérieurement
qu'il devait aller en Galice, pour y annoncer la foi, et que la prière
de Marie l'y précéderait et s'y enracinerait comme une colonne.
Je vis alors la colonne s'élever et se perdre dans la lumière.
Jacques se leva, il appela les disciples qui vinrent à lui en toute
hâte, leur raconta l'apparition merveilleuse, et ils suivirent tous
des yeux la clarté qui s'évanouissait peu à peu. Je
vis aussi Jacques, avant son départ pour la Galice, enseigner en
ce lieu et parler de cette vision ; à l'endroit qu'avait désigné
le rayon parti de la colonne, on érigea une pierre avec un creux
où l'on planta quelque chose. Je ne vis pas d'anges accompagner
cette apparition, et je n'entendis aucune parole sortir de la bouche de
Marie ; elle se tenait debout, priant tranquillement, comme peut être
en ce moment même elle priait dans sa chambre. Je vis aussi la colonne
et l'image de la mère de Dieu qu'on révère aujourd'hui
en cet endroit comme y ayant été apportée du ciel.
Elle est toute différente : elle est belle à la vérité,
mais elle est très petite et n'est pas ressemblante. J'ai oublié
d'où elle tire son origine. Je vis aussi que ce ne fut qu'assez
tard qu'une église s'éleva à cette place et seulement
quand cette apparition eut été confirmée par un miracle.
" Pendant que je voyais cela, il se trouvait là beaucoup de saints,
et d'autres personnages qui devaient attester ce que disait l'enfant prophétique."
X
Le pèlerin fait une distinction entre les visions historiques
d'Anne Catherine et ses visions allégoriques, et outre celles ci,
il distingue encore ce qu'on appelle la clairvoyance. En ce qui touche
les visions allégoriques, on verra bientôt qu'elles ne peuvent
être nommées ainsi que par rapport à nous qui ne sommes
point contemplatifs, mais que pour Anne Catherine elles ont quelque chose
de réel, d'immédiat et d'actuel comme celles qui sont proprement
historiques.
En effet, l'intuition d'Anne Catherine étant l'oeuvre de la
grâce qui saisit l'homme tout entier, l'âme avec toutes ses
puissances se trouve introduite dans l'ordre supérieur qui lui est
ouvert par la lumière divine infuse : il s'ensuit que la faculté
de connaître n'est pas seule à percevoir et à agir,
mais qu'il en est aussi de même de la volonté ; c'est à
dire que la contemplation est aussi amour et action dans l'amour, et que
ces deux puissances agissent de concert. Mais cette action en tant que
méritoire a un double caractère. Car elle est dépendante
des lois de l'ordre surnaturel dans lequel la contemplation se meut, comme
des lois de la vie terrestre à laquelle elle continue d'appartenir
et de payer son tribut.
Un exemple servira à éclaircir ce qui vient d'être
dit. Une fois, dans ses visions sur les années de prédication
du Sauveur, Anne Catherine le voit parcourir la haute Galilée avec
six de ses disciples par une admirable nuit d'été qu'éclaire
la lumière des étoiles. Elle fait des actes d'adoration et
d'amour, elle demande pour elle même et pour l'Eglise de son temps
la communication des grâces attachées à la très
sainte vie du Sauveur sur la terre, puis dans un travail en oraison qui
s'intercale dans cette vision historique il lui est accordé de puiser
pour elle et pour d'autres à la source éternelle, inépuisable
de ces mérites de son Rédempteur : " Lorsque je me rapprochai
du Sauveur, dit elle ? je vis errer autour de moi un bétail innombrable,
des vaches, des brebis de très grande taille et de petits animaux
sauteurs avec des oreilles pointues. Je voulais rassembler les vaches,
mais elles s'échappaient toujours les unes d'un côté,
les autres de l'autre, et j'avais beaucoup à faire. une chose singulière,
c'est que ce bétail appartenait à Jésus et aux apôtres,
et qu'un des apôtres me dit de le mener à une étable
qu'il me montra. Cette étable ressemblait tout à fait aux
grandes hôtelleries où s'arrêtèrent les trois
rois dans leur voyage ; j'y fis entrer ces animaux. C'est tout en me livrant
à ce travail de bergère que je vis lé tableau du voyage
de Jésus. L'apôtre ne s'éloigna pas de Jésus
pour me parler. Ce fut plutôt une apparition. Le jour suivant Anne
Catherine continua en ces termes : " il m'a fallu maintenant faire sortir
les vaches que j'avais rassemblées hier. J'avais à les conduire
dans notre pays : la route ne me paraissait pas plus longue que celle de
Dulmen à Coesfeld. le ne passai pas parle chemin ordinaire, c'était
un chemin imaginaire. J'eus une peine et une difficulté incroyables
à rallier ces vaches et à les faire marcher ensemble. Je
voulais le savoir par couples, mais je n'en pus garder que trois fois sept
que j'amenai à bon port. Et avec quelle fatigue ! à tout
moment quelques unes retournaient leurs cornes contre moi, et j'eus une
peine infinie à en venir à bout. " Ici elle parla avec beaucoup
de détails sur la difficulté de faire rentrer les vaches
quand il pleut, et de toute la peine que cela lui donnait dans sa jeunesse.
"J'avais bien des saints où des personnes en prière qui m'aidaient,
mais je n'avais qu'un sentiment confus de leur présence : quand
je regardais de leur côté, ils n'étaient plus là.
Lorsque j'allai chercher le bétail, je vis comme du haut d'une montagne,
Jésus et les disciples se diriger le jour du sabbat vers un petit
endroit. Je remis les vaches à l'endroit où on les attendait
: elles furent reçues par des ecclésiastiques et d'autres
personnes qui les conduisirent dans plusieurs paroisses, je crois que c'était
dans les environs de Coesfeld. "
`` Mon guide m'a expliqué cette vision, et j'en ai eu beaucoup
de joie. Ce sont des prières exaucées, des grâces que
j'ai obtenues pour vingtaine paroisses qui s étaient recommandées
à mes prières. J'ai trouvé les vaches errant ça
et là dans la terre promise, ce qui veut dire que dans ce pays il
reste beaucoup de grâces et de mérites de Jésus et
des apôtres, dont on ne profite pas et qui se perdent, que je les
ai recueillis et conduits, pour ainsi dire, avec beaucoup de fatigues à
ceux qui s'étaient recommandés à mes prières.
Quand les vaches se détournaient, cela indiquait que certains pasteurs
ne persévéraient pas dans la prière, qu'ils avaient
prié avec tiédeur, que la grâce ne voulait pas aller
à eux : les zélés allaient au devant des grâces,
représentées par les vaches ( des vases vivants de la grâce,
des vases de lait). Il me fallait suppléer par des efforts extraordinaires
à la tiédeur des premiers. J'avais vingt et une de ces vaches
pour différents pays : il y en avait pour l'Irlande, pour la Hollande,
et aussi pour des endroits qui sont dans les environs de Coesfeld, d'Osnabruck
et de Paderborn."
Le lecteur voit ici comment ce qu'Anne Catherine demande pour autrui
dans ses visions doit être mérité par elle, au moyen
d'oeuvres qui satisfassent pour les offenses de ceux qui doivent participer
aux fruits de sa prière. Ces oeuvres sont à la fois image
et réalité, allégorie et histoire : car elles correspondent
à l'état supérieur d'extase dans lequel elles sont
une action essentielle, positive, avec résultat réel et effectif,
de la même manière qu'elles correspondent aux choses terrestres
auxquelles est empruntée la forme ou le mode de travail fait en
oraison, puisque celui ci se rattache aux occupations habituelles de la
contemplative dans sa jeunesse.
Il y a ainsi toute espèce de travaux de labourage, de jardinage,
propres à la vie du pâtre ou à celle du vigneron, sous
la forme desquels s'accomplissent les oeuvres d'Anne Catherine dans l'ordre
spirituel. Elle connaît en général leur sens et leur
signification et sait aussi quel en est le but : car l'état de pénurie
et de détresse où se trouvent des paroisses, des districts,
des diocèses, même des pays tout entiers, lui est montré
sous des images qui répondent aux diverses formes de travail : mais
elle ne racontait de tout cela que la moindre partie et si elle le faisait,
c'était uniquement parce que cette ouvrière humble et zélée
ne tenait aucun compte de ce qu'elle accomplissait elle même, mais
se plaisait à raconter les grâces et les miséricordes
de Dieu envers elle. Or ce ne sont pas seulement des travaux, mais encore
des souffrances et des maladies se succédant constamment les unes
aux autres, qui lui sont montrées dans les visions et dont elle
se charge dans ces visions. Elle voit dans des tableaux merveilleux la
signification spirituelle de chaque maladie et sa relation mystérieuse
avec la nature de l'offense pour laquelle Anne Catherine se charge de faire
pénitence. Ainsi ces maladies ont un double caractère, le
caractère physique conforme à l'ordre naturel, et le caractère
méritoire et expiatoire dans l'ordre surnaturel. Le premier fait
qu'elles suivent leurs cours avec tous les symptômes, toutes les
crises, toutes les douleurs, y compris celles de l'agonie, que des maladies
de ce genre amènent avec elles et qui ne cessent pas lors même
qu'Anne Catherine se trouve à l'état d'extase. Dans cet état,
au contraire tous les phénomènes intellectuels et corporels
se produisent avec d'autant plus d'intensité, puisqu'Anne Catherine
non seulement éprouve les sensations qui résultent de la
maladie, mais la voit clairement et la pénètre jusqu'au fond,
et que par dessus cela la faute étrangère qu'elle expie corporellement
par cette maladie, lui fait en même temps souffrir dans l'âme
des douleurs excessives.
Ce sont ces dernières douleurs qui ont le caractère vraiment
surnaturel, méritoire et expiatoire, parce que leur source n'est
pas la détresse du corps ou la peine sensible, mais l'ardeur du
plus pur amour de Dieu pour lequel rien n'est si intolérable que
de voir Dieu offensé et la perte des aines rachetées à
un si haut prix. La grandeur de cet amour est ce qui rend Anne Catherine
capable de prendre sur elle à la place d'autrui des souffrances
expiatoires, et ce qui donne devant Dieu à ce qu'elle fait et à
ce qu'elle souffre, la valeur d'un sacrifice pur auquel les mérites
du Sauveur communiquent un prix infini.
Un jour, Anne Catherine ayant pendant tout un mois souffert des douleurs
indicibles causées par des maladies mortelles qui s'étaient
succédées sans interruption, raconta ce qui suit : "Pendant
toute la nuit, j'ai eu une série de visions d'ensemble sur ma maladie
et sur les travaux auxquels il a fallu me livrer. J'ai vu tout cela dans
une grande plaine où je travaille ordinairement. Il reste encore
à labourer un coin qui est entouré d'une épaisse haie
d'épines avec une grande quantité de roses (3). Je me suis
vu moi même figurée dans différentes situations. J'étais
tantôt dans une chapelle, tantôt sur une croix, tantôt
sur un rocher, tantôt dans un marais ou au milieu des épines,
etc., et j'étais étouffée par des fleurs et des épines
: j'ai été aussi transpercée avec des flèches
et des lances. une fois une valse flamboyante s'exécutait sur mon
corps, qui était entouré de plumes et d'ailes, symboles de
la fièvre.
Note 3 : Les roses et les fleurs sont toujours chez Anne Catherine
les symbole ; de grandes souffrances.
Rien n'a été plus terrible pour moi que la torture des
convulsions, représentées par des globes de diverses couleurs,
qui se développaient, s'enflammaient, et se perdaient les uns dans
les autres en laissant échapper une vapeur brûlante. Je commençais
d'abord par franchir des précipices dangereux sur des ponts jonchés
de fleurs et de roses de toute espèce ; puis à ce travail
général venaient s'ajouter des douleurs qu'il fallait subir
à la place de certains malades qui demandaient des prières.
Je me vis donc livrée à des tortures de toute espèce,
et je vis beaucoup de malades guéris. Je vis que de pauvres gens
qui ne connaissent personne, qui ne peuvent écrire à personne,
et qui pourtant réclament l'intercession d'autres chrétiens,
figurent plus souvent dans ces tableaux que ceux qui connaissent quelqu'un,
se font recommander et écrivent des lettres. J'ai eu particulièrement
à m'occuper de beaucoup de personnes malades de la goutte.
Anne Catherine pouvait quelquefois donner de ces informations vagues
et générales sur les travaux et sur les maladies dont elle
se chargeait, comme aussi sur ces travaux eux mêmes et sur leur but
ou sur leur relation avec ce qui devait être procuré par eux
: mais quant au rapport intime entre telle ou telle forme de travail déterminée,
et tel ou tel résultat déterminé, le plus souvent,
dans l'état de veille ordinaire, elle pouvait à peine donner
quelques indications : "Car, avait elle coutume de dire, c'est chose difficile
à décrire. La nature tout entière et l'humanité
sont tellement déchues, assujetties à tant de liens et d'entraves,
que, s'il m'arrive de faire là (c'est à dire dans l'état
d'extase) quelque chose de tout à fait essentiel, et en comprenant
clairement ce que je fais, aussitôt que je suis éveillée
et dans l'état naturel, ces choses me paraissent aussi étranges
qu'a toute autre personne éveillée. "
XI
Le cercle des visions d'Anne Catherine ne serait pas complet, et il
manquerait une condition essentielle à ce qu'elle souffre et à
ce qu'elle fait pour expier et satisfaire, si sa sphère d'activité
n'embrassait pas, avec toutes les époques de l'Eglise, toutes ses
parties dans le monde entier, et si elle ne pouvait pas avoir devant les
yeux toute leur hiérarchie et leurs divisions, et même individuellement
les plus ignorés de ses membres nécessiteux, bien plus, si
elle ne pouvait pas s'approcher d'eux et frayer avec eux. Cette intuition
et cette action à distance n'est toutefois pas une clairvoyance
dans le sens ordinaire du mot, mais elle a pour condition l'infusion de
la lumière surnaturelle : elle est par conséquent l'oeuvre
de la grâce comme ses visions historiques : car à la vue à
distance, se lie toujours une action en vertu de laquelle Anne Catherine
porte secours, prend des souffrances sur elle, satisfait à la justice
divine, acquiert des mérites qui profitent à ceux avec lesquels
elle est dans un rapport spirituel.
Toutes les douleurs du corps et de l'âme que l'homme peut avoir
à endurer, tous les dangers qui menacent sa vie terrestre et temporelle,
ou sa vie spirituelle et éternelle, sont montrés à
Anne Catherine ; et cela non seulement dans leur généralité,
mais dans des cas particuliers s'appliquant à des personnes déterminées,
lesquelles, suivant l'ordre mystérieux établi par Dieu, doivent
être secourues par l'intermédiaire de sa fidèle servante.
Ainsi il y a dans les prisons, dans les hospices, dans les hôpitaux,
dans les cabanes où s'abrite la misère, dans les maisons
de correction, dans les bagnes et sur les navires des pirates, des pauvres
et des malades auxquels elle vient en assistance. Ce sont encore des malheureux,
délaissés et oubliés de tous, non seulement dans son
pays et dans les pays voisins, mais en Russie, en Chine et dans les îles
de l'Océan Pacifique ; dans les vallées les plus reculées
de la Suisse, du Tyrol et de la Savoie, comme sur les montagnes de la haute
Asie, que tantôt elle console, tantôt elle conduit à
l'Eglise, et par là au salut éternel. Elle assiste des mourants,
sauve des personnes en danger de mort, empêche des crimes, convertit
des pécheurs, pousse à la confession et au repentir des criminels
qui ont caché leurs péchés pendant de longues années
; mais surtout ce qui est l'objet incessant de ses contemplations et par
là même de ses souffrances expiatoires et de ses peines sans
nom, c'est tout le mal qui est fait à l'Eglise, soit par le pouvoir
temporel ou par la haine et les attaques des incrédules, soit par
le manque de conscience et la mondanité des prêtres et des
pasteurs, ou par l'indifférence, la dissipation et l'abus des grâces.
Elle va à l'encontre des menées secrètes des loges
maçonniques, qu'elle voit comme la contrepartie de l'Eglise, avec
toute leurs ramifications et toute leur histoire et qui ourdissent leurs
trames comme les fils d'une toile d'araignée ; et d'autre part elle
fait pénitence pour des fautes contre les rubriques commises dans
la sainte messe, comme pour toute irrévérence envers le très
saint Sacrement. Elle met obstacle à des vols sacrilèges
et à des profanations d'églises, assiste à des assemblées
ecclésiastiques pour empêcher au moins des mesures dictées
par une fausse sagesse humaine et un sot pédantisme. Elle voit toutes
les formes du culte rendu au monde, par lequel bien des prêtres aveuglés
deviennent les serviteurs du prince des ténèbres, et voit
dans des visions remplies de douleurs indicibles toute l'irrévérence
et le mépris avec lequel ils traitent les choses les plus saintes
et perdent toute espèce de grâces pour eux et pour leurs troupeaux.
Elle souffre pour des séminaires et des communautés religieuses
; dans les dernières années du pontificat de Pie VII, elle
fait journellement des voyages en esprit à Rome, pour consoler le
Saint Père, l'éclairer et lui dévoiler les plans de
l'impiété. Mais sa première vision de ce genre eut
lieu dans sa onzième année lorsque Marie Antoinette, l'infortunée
reine de France, lui fut montrée dans sa prison, afin qu'elle priât
pour elle.
Si le lecteur trouve inconcevable et impossible à admettre ce
don merveilleux, inou' de vue et d'action à distance, et juge qu'on
lui demande trop en voulant lui faire croire qu'Anne Catherine qui, pendant
l'espace de douze ans, fut hors d'état de quitter son lit, parcourait,
semblable à un ange gardien, toutes les parties de l'Eglise pour
assister et sauver dans leur corps et dans leur âme un nombre infini
de personnes, il éprouvera moins de répugnance à admettre
une chose aussi extraordinaire, s'il veut bien se représenter sur
quel fondement ce don reposait et de quelle manière celle qui en
était favorisée était obligée de le mériter
chaque fois comme de nouveau. C'était le plus pur, le plus saint
amour de Dieu et du prochain qui, dès ses premières années
remplissait avec une telle puissance le coeur d'Anne Catherine, que son
unique désir était de procurer la gloire de Dieu et de souffrir
pour les hommes ses frères. Elle était dès le principe
douée d'un sentiment si élevé et si vivant du travail
intérieur qui se fait dans tous les membres du corps de l'Eglise,
elle comprenait d'une façon si pénétrante comment
un membre peut opérer pour l'autre par la prière, par l'expiation,
par la pénitence, que les misères du monde, des pécheurs,
des affligés de toute espèce lui causaient la plus amère
tristesse et qu'un désir insatiable la poussait continuellement
à implorer Dieu pour toutes les nécessités du monde
et à s'offrir à lui en sacrifice pour tous. Etant encore
enfant, elle se refusait toute douceur et s'exerçait à toutes
les mortifications corporelles ; en outre, quand elle voyait pleurer des
enfants malades, elle demandait à Dieu de pouvoir prendre leurs
souffrances, et ses prières étaient la plupart du temps instantanément
exaucées. Mais si elle était témoin d'une offense
faite à Dieu, cela lui allait au coeur encore plus profondément,
et elle ne pouvait pas trouver de repos qu'elle ne l'eût réparée
aussi bien qu'il lui était possible. Etant une fois aux champs avec
d'autres enfants, elle vit que quelques uns d'entre eux se comportaient
indécemment dans leurs jeux : cela lui inspira une telle horreur
qu'elle se retira en toute bâte et se roula dans des orties pour
punir ce péché sur elle même, elle à qui Dieu
avait daigné accorder le rare privilège de ne jamais soupçonner
le moins du monde, pendant tout le cours de sa vie, ce que c'était
qu'une révolte des sens ou un désir charnel.
Toute sa manière d'être et tout son extérieur étaient
un reflet de cet amour saint et na'f, et exerçaient sur tous ceux
qui l'approchaient une influence secrète qui les faisait s'adresser
à elle avec confiance pour être assistés. " Je ne sais
pas d'où vient cela, disait elle un jour au pèlerin, mais
déjà, quand j'étais jeune fille, tous ceux qui avaient
un mal venaient à moi et me le montraient pour savoir ce que j'en
pensais. Je suçais alors les blessures et je disais que cela ne
me dégoûtait nullement (4), et que le mal se guérirait.
Du reste il me venait souvent à l'esprit toute sorte de remèdes
innocents. Au couvent une pauvre femme vint une fois me trouver : elle
avait un doigt malade ; tout son bras était devenu noir, et le docteur
K... l'avait grondée d'avoir laissé s'envenimer le mal au
point de rendre nécessaire l'amputation du doigt. Cette femme était
toute pâle, elle vint se plaindre à moi et pleurait beaucoup,
me priant de lui venir en aide. Je priai pour elle et il me vint l'idée
d'un remède. J'en fis part à la révérende mère
qui me permit d'essayer de la guérir. Je pris de la sauge, de la
myrrhe et de l'herbe de la sainte Vierge que je fis bouillir dans de l'eau
avec un peu de vin blanc, j'y ajoutai de l'eau bénite et je fis
un cataplasme pour le bras. Ce fut sans doute Dieu lui même qui m'inspira
: car le jour suivant le bras était désenflé. Quand
au doigt qui était encore très malade, je lui dis de le tremper
dans de la cendre de lessive mêlée d'huile. L'abcès
s'ouvrit, il en sortit une grosse épine et elle guérit complètement.
"
Note 4 : C'est à dire qu'elle possédait la force de surmonter
le dégoût pour l'amour de Dieu : car Anne Catherine, malgré
son humble condition et sa pauvreté, avait un sentiment si extraordinairement
délicat, touchant la pureté et la propreté extérieure,
que tous ses sens se révoltaient quand il se trouvait près
d'elle quelque chose de sale ou qui répandit une mauvaise odeur.
Il devait donc lui être très pénible de sucer des plaies,
mais sa charité surmontait tout.
Avec le don d'intuition, la sphère d'activité la plus
étendue était départie à cette charité
infatigable, qui ne reculait devant aucun sacrifice : " Dans mon enfance,
dit elle, j'étais toujours absorbée en Dieu ; mon guide me
menait prier devant des cavernes et des prisons, et quand il n'en résultait
rien, je me couchais devant l'ouverture, je pleurais sans relâche
et je criais vers Dieu les bras étendus. Je me suis toujours mortifiée
pour les pauvres âmes, je me suis toujours recueillie ; et quand
on disait ou qu'on faisait quelque chose de mal, je faisais une croix sur
ma poitrine, comme ma mère me l'avait enseigné. J'étais
intérieurement absente tout en me livrant à mes occupations,
et j'avais toujours des visions, Quand j'allais aux champs ou ailleurs
avec mes parents, je n'étais jamais sur la terre. Tout ici bas n'était
pour moi qu'un rêve obscur et confus, c'était ailleurs qu'étaient
la vérité et la clarté céleste, et il en est
encore de même aujourd'hui. Oh ! combien j'ai eu de tentations à
souffrir de la part du diable ! C'étaient des choses dont je n'avais
aucune idée. Je voyais des noces et des orgies où on commettait
les péchés les plus abominables, et j`implorais Dieu et il
me retirait ces visions. "Dans une vision elle guérit ses parents
malades ; d'autres fois elle assiste des gens à Alger ou à
Siam ; elle voit des navires en détresse, des voyageurs en péril,
et elle court à leur aide en priant. Pendant qu'elle porte secours
dans un lieu, elle voit tout à coup dans un autre, même au
delà de la mer, un danger encore plus imminent.
C'est pour elle comme si elle pouvait étendre la main jusque
là, à atteindre en esprit et y faire sentir son assistance
; et dans le fait elle l'y fait sentir. Elle se retrouve plus tard au même
endroit, voit comment elle a porté secours et si ceux qu'elle a
sauvés, ranimes, consolés, profitent de l'assistance qu'ils
ont reçue ou en conservent les fruits. En quoi consiste cette assistance
donnée par sa prière dans l'état de contemplation,
c'est ce dont le lecteur peut juger d'après la communication suivante
:
" Quand je prie en général pour ceux qui souffrent, je
fais ordinairement le Chemin de la Croix à Coesfeld et à
chaque station de la Passion du Seigneur, je prie pour une nouvelle catégorie
d'affligés, et il me vient alors des visions où les gens
qui ont besoin de secours me sont montrés autour de moi, selon la
position des lieux où ils se trouvent, car, de la station, je vois
dans le lointain une scène à droite ou à gauche. Ainsi
aujourd'hui (2 décembre 1818), je m'agenouillai à la première
station et je priai pour ceux qui se préparaient à la confession
pour la fête, afin que Dieu voulût bien leur accorder la grâce
de se repentir sincèrement de leurs péchés et de ne
rien passer sous silence. Alors je vis en différents endroits des
gens prier dans leurs maisons ou aller de côté et d'autre
pour leurs affaires ; je les vis aussi penser à leur conscience,
je vis quel était l'état de leur coeur et je les excitais
par ma prière à ne pas se rendormir dans le sommeil du péché.
Je voyais les personnes au moment même où je priais. Je vis
deux filles prier à genoux dans la même chambre, mais chacune
de son côté à la deuxième station, je priai
pour ceux auxquels leur mission et leur détresse ôtent le
sommeil, afin que Dieu leur donnât consolation et espérance.
Je vis alors dans plusieurs misérables huttes des gens qui se retournaient
sur la paille en pensant qu'ils n'avaient rien à manger pour le
lendemain. et je vis que ma prière leur procurait le sommeil. à
la troisième station, je priai pour empêcher les contestations
et les querelles, et je vis dans une maison de paysans un mari et sa femme
qui se querellaient étant au lit et qui se donnaient méchamment
de grands coups de coude. Ah ! Pensai je, cela fera une mauvaise nuit !
Alors je priai pour eux, ils s'apaisèrent, se pardonnèrent
mutuellement et se donnèrent la main. A la quatrième station,
je priai pour les voyageurs, afin qu'ils laissassent de côté
toute pensée mondaine et allassent en esprit visiter à Bethléhem
le cher enfant Jésus ; je vis alors autour de moi, dans le lointain,
plusieurs personnes voyageant dans diverses directions avec des fardeaux
sur le des, et l'un d'eux était un curieux personnage qui allait
devant lui comme un fou, avec les allures d'un paillasse ; il me semblait
avoir trop bu et s'avançait en chancelant de côté et
d'autre. Comme je priais pour lui, je le vis tomber tout de son long sur
une pierre et dire : ``C'est le diable qui a mis des pierres sur mon chemin.
Mais aussitôt il se releva, ôta son chapeau et se mit à
prier tout bas et à penser à Dieu. Je ne pus m'empêcher
de rire à la cinquième station, je priai pour les prisonniers
qui, dans leur désespoir, ne se souviennent pas du saint temps de
l'Avent et qui sont privés de cette puissante consolation ; là
aussi je fus consolée, etc. "
Voici une autre communication non moins instructive d'Anne Catherine,
qui montrera au lecteur combien lui coûtait cher chaque secours qu'elle
portait : " J'étais hier au soir si misérable et je désirais
tant qu'on me retirât de mon lit, que je me croyais au moment de
mourir ; et comme je ne recevais aucune assistance, j'offris ma peine à
Dieu pour tous les malheureux et les délaissés qui languissaient
sans secours, sans consolations et sans sacrements. J'étais complètement
éveillée et je vis tout à coup autour de moi d'innombrables
scènes de douleur, les unes tout près, les autres à
de grandes distances, sur toute la surface de la terre ; c'étaient
des gens délaissés, languissants, affamés, sans prêtres
et sans sacrements, malades, égarés, mourants, captifs, dans
des huttes, des cavernes, des cachots, sur des navires, dans le désert,
même dans de grandes villes, etc. ; j'eus un ardent désir
qu'ils fussent secourus et j'implorai Dieu à cet effet. Mais il
me fut dit : " Tu ne peux pas obtenir cela gratuitement, il y faut du travail.
"Sur quoi, m'y étant résignée, je me trouvai dans
un état épouvantable. Je me vis fortement garrottée
avec des cordes passées autour des bras, des jambes et du cou, et
je fus alors si horriblement tirée dans tous les sens, que c'était
comme si l'on m'eût arraché tous les membres et tous les nerfs.
Mon cou serré m'étranglait, ma langue était toute
raidie, les os de la poitrine se soulevaient convulsivement : j'étais
à l'agonie à force de douleurs. Je vis pendant ce temps là
le secours arriver à beaucoup, de ces malheureux, et pendant que
j'étais dans cet état on refit mon lit. " Ces souffrances
durèrent plusieurs jours ; elles allèrent même en augmentant.
Anne Catherine fut formellement crucifiée. Le pèlerin la
trouva ayant le cou et la langue tout gonflés, ce qui rendait horriblement
douloureux les vomissements continuels auxquels elle était sujette.
Aux scènes de malades succédèrent des visions relatives
à l'Eglise, et Anne Catherine eut à souffrir pour les besoins
et les misères de l'Eglise.
XII
Dans les deux cas qui viennent d'être mentionnés, l'intuition
à distance eut pour point de départ une ardente prière
pour le soulagement des douleurs d'autrui ; mais il arrivait d'autres fois
qu'Anne Catherine passait avec sa clairvoyance d'une vision historique
au présent immédiat, pour procurer à quelque affligé
la grâce éternelle, inépuisable du mystère ou
du mérite qu'elle avait contemplé dans la sainte vie du Sauveur
sur la terre. Il y avait des cas fréquents où Anne Catherine
était appelée par son guide et conduite par lui dans des
lieux déterminés et à des personnes qui avaient besoin
d'assistance. Comme, en outre, ainsi qu'on en a dit quelque chose plus
haut, elle fut conduite en esprit et en corps aux saints lieux de la Palestine,
pour ses visions historiques sur les années de prédication
du Christ, il est nécessaire de dire quelque chose de plus spécial
sur ces voyages extatiques Sur ce terrain mystérieux on peut prendre
pour guide la bienheureuse Lidwine de Schiedam, car en ce point il y a
une telle ressemblance entre elle et Anne Catherine, que des détails
un peu étendus sur la première, serviront beaucoup à
faire mieux comprendre l'autre.
La bienheureuse Lidwine ne fut favorisée de visions qu'à
un âge plus mûr et après une période d'épreuves
excessivement pénibles. Vers la fin de sa quinzième année,
elle avait été renversée sur un tas de glaçons
par une amie qui patinait et elle s'était brisé une côte.
La conséquence immédiate de cette chute fut un apostème
incurable qui la jeta sur un lit de douleur, duquel, sauf de rares exceptions
dans les deux ou trois premières années, elle ne put plus
se relever jusqu'à sa mort c'est à dire durant trente six
ans. Quelques années se passèrent d'abord pendant lesquelles
elle ne fit que gémir et se lamenter sur sa malheureuse situation,
surtout que ses anciennes compagnes, qui jouissaient d'une santé
florissante, venaient lui rendre visite. Mais enfin son confesseur parvint
à la consoler en lui montrant comment elle pouvait arriver à
une parfaite conformité à la volonté de Dieu en méditant
sur la douloureuse Passion de notre Sauveur. Il la forma à cet exercice
spirituel auquel, malgré les répugnances de la nature, elle
s'appliqua avec une grande ardeur, divisant chaque jour ses méditations,
suivant l'ordre des sept heures canoniques. Cela lui fit prendre tellement
ses propres souffrances en affection qu'elle assurait que si elle pouvait
obtenir sa guérison par une seule récitation de la Salutation
angélique, elle ne le ferait pas et ne demanderait pas à
être délivrée Le premier don qui lui fut accordé
en récompense de sa fidélité fut le don des larmes
et pendant quinze ans elle pleura amèrement sa première impatience
: mais elle reçut aussi d'abondantes consolations intérieures
qui s'accrurent en proportion de ses souffrances, lesquelles devinrent
toujours plus extraordinaires ; huit ans se passèrent ainsi et ce
ne fut qu'alors que se produisirent des visions et des extases dans lesquelles
durant vingt quatre ans elle fut chaque nuit, pendant une heure au moins,
conduite en différents lieux, tantôt dans le paradis et parmi
les bienheureux, tantôt dans le purgatoire et dans l'enfer, et aussi
dans la Terre Sainte, à Rome et tans d'autres endroits renommés
par leurs sanctuaires, comme aussi dans différentes communautés
religieuses, sur l'état spirituel desquelles elle reçut en
général comme en particulier les informations les plus exactes.
Dans ces voyages extatiques, Lidwine était accompagnée
de son guide spirituel, c'est à dire de son ange gardien, qui lui
apparaissait toujours brillant d'une clarté merveilleuse et avec
une croix sur le front, afin qu'elle ne pût pas être induite
en erreur par l'ange de ténèbres. " Lorsqu'elle fut ravie
pour la première fois, dit son biographe (5), cette inexprimable
séparation, qui retirait son esprit de la sphère de la vie
corporelle, lié causa une telle oppression dans le coeur et dans
le corps, qu'elle perdit la respiration et crut qu'elle allait mourir :
mais ensuite s'étant accoutumée aux ravissements, elle n'éprouva
plus rien de semblable. Tout le temps qu'elle était ravie aux lieux
dont il a été parlé, son corps restait couché
dans son lit comme séparé de son âme et privé
de sentiment. "
Le plus souvent, au début de ses voyages, l'ange prenant l'extatique
par la main la conduisait d'abord dans 1'Eglise de Schiedam, devant l'autel
de la sainte Vierge, puis quand Lidwine y avait fait sa prière,
il s'élançait avec elle vers l'orient Souvent le chemin passait
à travers des prairies verdoyantes pleines de fleurs d'une odeur
admirable, tellement que Lidwine hésitait à suivre le guide
qui allait devant elle, de peur de briser sous ses pas les tiges de ces
fleurs. Ce n'était qu'après avoir été avertie
qu'il n'y avait rien de semblable à craindre, qu'elle se décidait
à aller plus avant une fois il se trouva sur son chemin un fourré
si haut et si épais, qu'elle ne pouvait pas passer au travers :
cependant elle se trouva tout à coup transportée au delà
par son guide, et le voyage continua sans obstacle.
Note 5 : Acta sanctorum. 14 aprilis, c. 5.
Le vénérable biographe de Lidwine rapporte en termes
exprès que ces voyages n'avaient pas lien seulement en esprit, mais
que souvent aussi il y avait ravissement corporel. Voici ce qu'il dit à
ce sujet : "Quoique cette pieuse vierge, dans son état ordinaire,
fût dans l'impossibilité de remuer le pied, elle acquérait
de bien des façons la certitude qu'elle avait été
ravie corporellement en divers lieux. Elle racontait que par la force de
son élan spirituel, elle avait souvent été enlevée
jusqu'au plafond de sa chambre avec son corps et la couche grossière
sur laquelle elle reposait. Quelque fois aussi elle était ravie
corporellement par un guide jusqu'en Terre Sainte, où elle visitait
le Calvaire et d'autres lieux consacrés qu'elle couvrait de ses
baisers et baignait de ses larmes. Revenue de là, elle trouvait
à son réveil ses lèvres couvertes de durillons, et
son ange lui disait : "Tu portes ces marques afin que tu saches que tu
as été aussi ravie corporellement. "Une autre fois, dans
un voyage du même genre, elle fit un faux pas sur un terrain glissant
et se blessa dans sa chute à la jambe droite, qui resta enflée
plusieurs jours et où elle ressentit une vive douleur Comme une
fois elle visitait les principales églises de Rome, et qu'en allant
de l'une à l'autre elle se frayait avec les bras un passage à
travers des buissons, il lui entra dans le doigt une épine qui s'y
trouva encore au moment de son réveil. Lors de semblables lésions
corporelles elle avait coutume de dire, en répétant les paroles
de son guide : "qu'elle croyait avoir été ravie corporellement.
Comment cela se faisait il ? ajoute le biographe ; c'est ce qui n'est su
que de l'ange qui l'attestait et au témoignage duquel Lidwine s'en
référait.
Comme la bienheureuse Lidwine, Anne Catherine aussi était accompagnée
dans ses voyages extatiques par un guide qui commençait le voyage
avec elle en partant de l'église de son village ou du chemin de
la croix de Coesfeld. On peut se faire une idée générale
du caractère de ces voyages, d'après ces paroles d'Anne Catherine
a Dans mes voyages, je pars toujours d'endroits qui me sont connus pour
aller dans des pays toujours plus étrangers pour moi à mesure
que j'avance. J'ai le sentiment de distances énormes : tantôt
on passe par des chemins unis, tantôt à travers les champs,
les montagnes, les mers et les fleuves. Je dois mesurer tout cela en pieds,
souvent gravir avec effort des montagnes escarpées. Alors mes genoux
sont fatigués, mes pieds sont brûlants, je suis toujours pieds
nus ; mon guide plane tantôt en avant, tantôt près de
moi, sans remuer les pieds, parlant très peu, faisant rarement un
mouvement, si ce n'est un signe avec la main ou une inclination avec la
tête lors de ses réponses qui sont très brèves.
La plupart du temps il se trouve tout à coup près de moi,
il sort lumineux de la nuit ; j'aperçois d'abord une clarté,
puis une forme distincte : c'est comme une lanterne sourde qu'on ouvrirait
tout à coup. La nuit est dans le ciel. et une lueur voltige sur
la terre' se dirigeant vers l'endroit où nous allons. Quand j'arrive
devant de grandes eaux et que je ne sais plus comment avancer, je me trouve
tout à coup de l'autre côté et je regarde derrière
moi toute surprise. Nous passons souvent par des villes."
Dans un de ces voyages à la Terre Sainte, Anne Catherine fut
aussi une fois accompagnée par Marie enfant : " Nous étions
comme deux personnes qui marchent réellement : je lui faisais des
questions en chemin et elle m'instruisait. C'est singulier, disais je à
Marie, qu'est ce donc que cela ? Presque toutes les nuits il me faut faire
ainsi des voyages lointains où j'ai toute sorte de choses à
faire, et tout me parait si naturel et si vrai, comme maintenant que je
suis avec vous, allant dans la Palestine, et quoique pourtant je sois dans
mon lit à la maison, malade et souffrante. "Alors Marie me répond
: " Tout ce qu'on désire du fond du coeur faire et souffrir pour
mon fils, pour son Eglise et pour le prochain, on le fait réellement
dans la prière, et tu vois de quelle manière tu le fais.
Elle me dit aussi que son cher fils était toujours tout près
de nous. Anne Catherine reçut aussi une explication semblable sur
les secours qu'elle avait à procurer dans ses voyages aux gens en
détresse et aux malades : " Mon fiancé me dit que le vif
désir de donner un secours de ce genre le procurait effectivement,
et que comme en ce moment je ne pouvais pas le donner en réalité,
j'avais à le donner en esprit.
Ces voyages étaient donc réels, quoique faits en esprit,
et Anne Catherine était réellement dans les lieux où
son guide la conduisait et réellement sur les chemins par lesquels
il la menait, parce que le ravissement spirituel était en même
temps un ravissement corporel. Cela pourrait être confirmé
par des expériences presque quotidiennes : mais les faits suivants
peuvent suffire. une fois Anne catherine eut à empêcher un
vol sacrilège et à chasser les voleurs de l'ossuaire attenant
à l'église où ils s'étaient enterrés.
Au moment où elle entrait en esprit dans l'ossuaire, elle eut dans
son lit un violent accès de toux, et cela à cause de la mauvaise
odeur du tabac mie ces misérables avaient fumé là.
Le 17 janvier 1821, faisant un voyage du même genre, elle eut encore
de fréquents accès de toux et elle dit : "qu'il lui fallait
voyager si rapidement et dans tant de pays différents, et que l'air
lui faisait bien mal. " Une fois elle eut un tressaillement subit, chercha
autour d'elle, et ayant trouvé son crucifix, le mit devant elle
et dit : "Il y a là un ours qui me guette dans un buisson, à
travers lequel je dois passer ; avec ma croix, je pourrai le chasser. "Aussitôt
après elle arriva près du Jourdain et parla de la vie de
Jésus. Le mercredi des Cendres de la même année, elle
s'écria tout à coup : "Encore des danses ! "et elle se tordit
sur elle même et remua convulsivement les pieds ; ensuite elle parut
effrayée et sembla vouloir se défendre : " ces gens, dit
elle, ont un méchant petit chien qu'ils ont excité contre
moi et qui est tout furieux. "Le jour suivant elle dit : `' J'ai été
envoyée dans un village où l'on dansait encore. J'avais quelque
chose à dire à ces gens : mais la voix me manquait et je
ne pouvais que souffler. Or, c'était comme s'ils excitaient contre
moi un petit chien très méchant : d'abord j'eus grand peur,
mais ensuite il me vint à l'esprit que je n'étais pas là
avec mon corps et qu'il ne pouvait pas me mordre. Alors je me serrai dans
un petit coin, et je vis que ce chien était le diable. Je le chassai
; je pus alors remplir ma tâche et la danse se dispersa.
Mais le fait le plus remarquable est le suivant :
Le 11 janvier 1823, une fièvre inflammatoire se déclara
tout à coup chez Anne Catherine, elle eut de grandes douleurs dans
le côté et perdit souvent la respiration. Elle fit bouillir
de l'orge et des figues et en fit faire un cataplasme qu'on lui mit sur
le côté : elle but aussi de ce breuvage et cela lui procura
du soulagement. Elle dit alors : "J'ai une inflammation dans le côté
: " il y a une rupture ; j'ai entendu un craquement. Je sens couler le
sang à l'intérieur : il y a engorgement dans cette partie
du corps. Je ne puis être sauvée que par un miracle. Voici
ce qu'elle raconta ensuite, pouvant à peine respirer : " il m'a
fallu aller à la demeure du pasteur(6) (Rome), où le danger
était pressant. On voulait tuer le maître valet et le petit
chien, alors je me suis précipitée, et le couteau m'est entré
par le côté droit jusque dans le dos. Le bon maître
valet s'en allait chez lui ; un assassin vint à sa rencontre sur
des chemins par où il pouvait s'enfuir facilement ; il avait sous
son manteau un couteau triangulaire. Il feignit de vouloir aborder amicalement
le maître valet. Mais je me précipitai sous le manteau, et
je reçus le coup qui pénétra jusqu'au des. Il y eut
un craquement ; je pense qu'il doit y avoir quelque chose de brisé.
Le maître valet se détourna et tomba en faiblesse, l'autre
s'enfuit j il vint du monde autour de lui. Je crois que le misérable
se heurta à quelque chose de dur, et j'eus l'idée que le
maître valet portait une cuirasse. Lorsque j'eus détourné
le coup, le diable m'assaillit encore par là dessus ; il était
comme enragé, me poussait de côté et d'autre et m'injuriait
: Qu'as tu à faire ici. disait il : faut il que tu sois partout
? Mais j'aurai raison de toi.
Note 6 : Comme Anne Catherine désignait ordinairement le Saint
Père sous le nom du berger, elle appelait les cardinaux et les prélats
des valets de bergers ou valets en chef. Celui dont il est ici question
est della Genga, qui fut plus tard Léon XII.
De ces phénomènes, d'autres lésions matérielles
qu'Anne Catherine rapporta, par exemple, de Jérusalem, ou, dans
une course précipitée à travers les rues, elle se
blessa la rotule contre une pierre, ou qui furent la suite de travaux faits
dans ses visions, il résulte indubitablement que sa vie corporelle
était élevée au dessus de la sphère naturelle
de la même manière que les facultés de son âme.
Il n'est pas nécessaire pour cela de se figurer le ravissement corporel
d'une manière grossièrement sensible, comme si tout le corps
était enlevé : c'est seulement la vie corporelle ou le principe
vital, élevé en même temps que la vie de l'âme
au dessus de sa sphère habituelle, et, à cause de cela même,
sentant, affecté et souffrant à distance avec ses organes
sensibles de même que l'âme avec ses puissances voit et agit
à distance. De là vient que comme le dit Anne Catherine,
bien que son corps malade et souffrant reste gisant dans son lit, c'est
pourtant en lui qu'elle a le sentiment du chemin qu'elle fait, des divers
accidents du voyage, de toute la fatigue qu'elle s'y donne, et cela de
telle façon que toutes les impressions et les occurrences qui s'y
rencontrent agissent non seulement sur l'imagination, mais aussi sur le
corps lui même et y laissent des traces.
La clef de cette merveilleuse élévation de la vie corporelle
se trouve dans la grâce de la stigmatisation, cette transformation
du corps de l'homme au corps de Jésus Christ, la plus haute qui
puisse avoir lieu Sur cette terre ; elle se trouve aussi dans le Très
Saint Sacrement. Par cela même qu'Anne Catherine a reçu la
grâce de porter sur son corps les stigmates du Sauveur, c'est à
dire de prendre sur elle les souffrances et les douleurs du corps physique
du Christ, elle a été aussi rendue capable de se substituer
aux souffrances de sa vie mystique et d'exercer l'action la plus étendue
en souffrant par tout le corps de l'Eglise, et pour lui. Sa vie corporelle
se trouve donc nécessairement élevée au dessus des
conditions ordinaires de l'existence et de l'action terrestres. N'étant
plus confinée dans les bornes de l'espace, elle n'a besoin ni du
sommeil naturel, ni de la nourriture naturelle ; car, étant spiritualisée,
elle est active à la façon de l'âme, avec laquelle
elle se soutient, vit seulement et uniquement par le pain des anges et
les rafraîchissements célestes qui lui Sont quelquefois présentés
pour qu'elle ne succombe pas sous le poids des travaux pénibles
et des oeuvres expiatoires dont elle se charge.
XIII
Il en était aussi de même pour la bienheureuse Lidwine,
qui vivait dans un corps auquel manquait tout ce qu'exige la vie naturelle
pour pouvoir subsister même misérablement. Dans l'apothème
de Lidwine, dont il a été question plus haut, il s'était
formé des vers d'environ un pouce de long, qui la rongeaient en
trois endroits, au bas ventre et au dessus des hanches, et dont là
quantité était telle qu'il fallait leur donner de la bouillie
à manger pour sauver la malheureuse de leurs morsures. L'épaule
droite était atteinte de la même putréfaction ; l'avant
bras était desséché au point qu'on n'y voyait plus
qu'un os avec des nerfs et des tendons.
Ainsi Lidwine incapable de faire un mouvement et de recevoir le moindre
soulagement, était obligée de rester couchée sur le
des et toujours sur le même endroit ; car sa tête aussi était
horriblement déformée et elle ne pouvait la remuer que très
peu et très péniblement par suite de douleurs qui ne cessaient
jamais.
Elle avait sur te front une large fente qui descendait jusqu'à
la moitié du nez ; sa lèvre inférieure et son menton
étaient également fendus, et souvent il lui était
impossible de parler à raison de l'abondance du sang qui s'en échappait.
L'oeil gauche était tout à fait perdu le droit ne pouvait
pas supporter la lumière et rendait du sang quand la clarté
du jour l'atteignait. Elle avait en outre des rages de dents qui souvent
la tourmentaient sans relâche pendant des mois entiers, et dont la
violence était telle qu'elle craignait d'en perdre la raison. Elle
vomissait des morceaux de foie et de poumon, et ses intestins vides restaient
à découvert dans ce corps rongé par la pourriture
et les vers, qui, pendant dix neuf ans, ne fut réconforté
ni par la nourriture ni par la boisson, ni par le sommeil jusqu'à
ce qu'enfin le chirurgien de Marguerite de Hollande les retira, en présence
de cette princesse. On en enterra une partie, une autre fut conservée
comme souvenir de ces merveilleuses souffrances mais plus tard Lidwine
fit aussi enterrer celle là, pour mettre un terme à l'affluence
d'un grand nombre de personnes qu'attirait le désir de voir un spectacle
inou', et l'odeur suave qui s'exhalait continuellement des parties du corps
de l'extatique. Chose remarquable encore, il sortait chaque jour de ses
membres une telle abondance de sang et d'eau, que, suivant l'assertion
de son biographe, deux hommes auraient eu peine à emporter la quantité
qui s'en était écoulée pendant l'espace d'un mois.
Comme on demandait avec surprise d'où elle tirait cette abondance
de liquide, Lidwine répondit une fois : Dites moi où la vigne
prend sa sève, quoique pendant l'hiver elle paraisse desséchée
et comme morte. En outre et suivant le rapport de son biographe, il n'y
avait aucune maladie et aucune souffrance du corps que Lidwine n'eût
éprouvée, et cela avec un délaissement si extrême
qu'une fois, dans une vision, ses larmes se gelèrent, pendant que
son corps était tout à fait glacé sur la planche qui
lui servait de lit.
Le corps de cette bienheureuse vierge était donc privé
de tout ce qui pouvait prolonger son existence terrestre, mais Dieu y suppléait
d'autant plus abondamment par les dons de sa grâce, afin de donner
à tous, dans la personne de Lidwine, la preuve évidente que
le Seigneur vit et opère lui même dans les membres de son
corps mystique qui est l'Eglise selon qu'il trouve en eux des imitateurs
fidèles. Le vénérable biographe de Lidwine rapporte
que le Très Saint Sacrement, non seulement lui servait de nourriture
spirituelle, mais encore entretenait la vie de son corps : car moins elle
était en état de prendre la nourriture ordinaire, plus elle
avait faim de la manne céleste, sans laquelle elle ne croyait pas
pouvoir vivre. Il arriva une fois que le nouveau curé de Schiedam,
lui entendant dire qu'elle vivait uniquement de la grâce et non du
pain terrestre, prit ses paroles en méfiance et lui retira la sainte
communion pendant un long espace de temps ; puis enfin, ne pouvant plus
résister à ses supplications, il lui présenta une
hostie non consacrée mais il fut impossible à Lidwine de
l'avaler, elle la rejeta de sa bouche, assurant qu'il l'avait trompée,
que ce n'était pas le sacrement qu'il lui avait donné. Cela
arriva en 1408, le jour de la Nativité de la sainte Vierge. Le curé
ne se relâcha point de sa rigueur, et la bienheureuse resta privée
de la communion jusqu'à la fête de la Conception de Marie
: mais ce jour là, un ange vint à elle et la consola, en
lui promettant que bientôt elle contemplerait dans sa chair, son
Seigneur et Sauveur qui était mort et qui avait été
mis en croix pour elle. Le jour d'avant la vigile de saint Thomas, entre
huit et neuf heures du matin, comme Lidwine méditait, les yeux fermés,
une lumière extraordinaire remplit sa chambre : elle ouvrit les
yeux et vit auprès de sa couche une petite croix à laquelle
était attaché un enfant vivant, avec cinq plaies saignantes.
Elle reconnut son fiancé divin, dont la présence la combla
d'une douce joie. Lorsque la croix, en s'élevant vers le plafond
de la chambre, sembla indiquer qu'il voulait la quitter, Lidwine, enflammée
d'un ardent amour, lui cria : `` O Seigneur, si c'est vraiment vous, et
si vous voulez me quitter, laissez au moins après vous un signe
auquel je puisse reconnaître que vous avez été présent
ici. Là dessus il redescendit, se transformant en une hostie entourée
de beaux rayons de lumière, et où la place des cinq plaies
était marquée par cinq points brillants : elle resta en l'air
au dessus de la couche de Lidwine, jusqu'à ce que plusieurs personnes
eussent vu le miracle, et qu'on eût aussi fait venir le curé.
Quant à Lidwine, elle entra dans de tels transports d'allégresse,
qu'il fallut lui tenir le coeur, parce qu'il semblait que la joie allait
lé faire éclater. Elle obtint du curé, à force
de prières, de lui donner la communion avec cette hostie miraculeuse.
Ce seul fait, attesté sous serment par témoins oculaires,
peut suffire ici : on pourrait en rapporter beaucoup d'autres qui établissent
d'une manière non moins merveilleuse ce que le Seigneur opère
dans ses saints, et avec quelle fidélité il récompense
dès ce monde, ce que l'on supporte, ou ce que l'on abandonne pour
lui.
XIV
Afin que le lecteur puisse aussi se faire une juste idée de
ce que Dieu exigeait d'Anne Catherine, sa fidèle servante, pour
les grâces inconcevables qui loi avaient été départies
pour le bien de son Eglise, on donnera ci après le compte rendu
du mois de janvier 1822, d'après le journal du pèlerin. Qu'on
veuille bien, eu le lisant, avoir toujours présent à l'esprit
que les maladies qui y sont décrites étaient endurées
par un corps qui portait déjà les douloureux stigmates de
Jésus Christ, et qui, en outre, souffrait d'autres lésions
occasionnées par des accidents extérieurs, et dont chacune
était mortelle. Mais le résultat qu'elles auraient du avoir
était suspendu d'une façon miraculeuse, afin que dans les
cruelles maladies qui se succédaient sans relâche, elles servissent
à élever chaque douleur à sa pins haute puissance.
Enfin le lecteur pourra conclure facilement lui même du rapport suivant,
qu'aucun mal ne venait assaillir isolément Anne Catherine, mais
qu'il y avait toujours action commune des formes de maladie les plus diverses,
souvent les plus opposées, lesquelles étant imposées
à la patiente pour une fin toute spirituelle, se trouvaient entre
elles dans un rapport plutôt spirituel que physique..
1 au 12 janvier. Anne Catherine a été, ces jours ci,
malade à la mort. Sa maladie, accompagnée d'une fièvre
continuelle. avait pour caractères des crampes dans le bas ventre,
une toux convulsive, des sueurs excessives, des douleurs dans les membres,
la paralysie des intestins, un amaigrissement tel qu'on voyait les petites
éminences des os et des lésions douloureuses au dos. Le 13
elle eut une journée passable. Cela semblait être un passage
à un nouvel état. Le soir étant en extase, elle parla
de sa maladie d'une rare naiveté comme s'il se fût agi d'une
tierce personne racontant `` qu'elle avait été près
de la soeur Emmerich. Combien son état est triste, disait elle ;
elle a été bien près de mourir ; elle n'a dû
son salut qu'à sa patience, à la charité et aux soins
des personnes qui l'entouraient "( lesquelles, dans de pareils cas, ne
pouvaient lui être d'aucun secours). Alors, elle parla des fautes
de cette personne, qui avaient aggravé sa maladie. "Elle mange de
la soupe pour faire plaisir aux gens, dit elle, et cela lui fait grand
mal, etc. "
14 janvier. La fièvre diminue, la faiblesse augmente, l'amaigrissement
arrive à un degré qu'on ne peut s'imaginer. Elle souffre
tant, qu'elle ne peut plus rester couchée. Le 15 au soir, elle vomit
des torrents de sang. Elle ne cesse de dire qu'elle voit un feu allumé
au dessus d'elle ; qu'il y a dans le monde une lutte entre l'eau et le
vin, que cela se passe au dessus d'elle et que le feu doit décider.
Quoique Anne Catherine eût annoncé d'avance ces cruelles
maladies ainsi que leur durée qui devait se prolonger jusqu'à
la Chandeleur, elle avait pourtant toujours le sentiment des approches
de la mort, et par suite une tendance à croire qu'elle allait mourir,
de sorte qu'elle voyait avec peine que les personnes de son entourage ne
vissent pas dans cet état un pronostic certain. Mais ce sentiment
de la mort, est une preuve que dans toutes ses maladies rien n'était
épargné pour qu'elle eût à en supporter tous
les effets sur le corps et l'âme, et pour qu'elle en eût toute
la douleur, tout l'abattement, toutes les angoisses. Certainement son entourage
en jugeait la plupart du temps tout autrement, et le pèlerin fait
à ce propos l'aveu sincère que : " Ces dangers de mort continuels,
qui pourtant n'aboutissent jamais à une aggravation sérieuse
de son état, finissent par rendre très calme devant toutes
ces maladies désespérées et inexplicables, et l'on
s'habitue prés de la malade à regarder ce triste spectacle
où l'on ne comprend rien, avec un mélange de compassion,
de consolation et de patience où l'âme ne trouve aucun profit
et dans lequel on sent un arrière goût de politique humaine
qui cherche des échappatoires spécieux.
15 au 21 janvier. Sa fièvre continuelle et son incroyable dépérissement
n'ont pas cessé jusqu'au 21 : en outre, des désordres inouïs
dans le bas ventre accompagnés des phénomènes les
plus douloureux résultant des lésions dont il a été
parlé. Des crampes horribles dans lesquelles les intestins vides
se soulèvent, semblables à un paquet de cordes entortillées,
et des accès de toux convulsive qui aboutissent ordinairement à
des vomissements de sang, se succèdent presque chaque jour et quelquefois
très rapidement. à cela s'ajoute un amaigrissement qu'on
ne peut se figurer, et poussé à ce point que les petites
éminences des os sont visibles. Il est touchant de voir les stigmates
imprimés sur ce squelette, où il n'y a pas un seul point
qui ne soit douloureux et qui, jour et nuit, verse de ses membres décharnés
des flots de soeur toujours mêles de sang. Du reste, la paix de son
âme va croissant avec la faiblesse de son corps et la grandeur de
ses peines. Elle supporte tout avec une résignation touchante, et
il paraît que la réception plus fréquente du Saint
Sacrement la ranime intérieurement beaucoup depuis plusieurs jours.
Au milieu de ces souffrances, elle continue toujours à avoir des
visions, où elle travaille incessamment pour l'Eglise, et elle reste
convaincue que sa vie va prendre fin,' Le 18, elle eut une nuit un peu
meilleure et un jour d'intermittence dans la fièvre. Elle dit :
"J'ai tant prié Dieu de me secourir. Je n'ai pas reçu de
réponse précise, et il m'a été demandé
si je ne m'étais pas donnée a lui comme sa fiancée,
s'il ne pouvait 'pas faire de moi ce qu'il voulait aussitôt il m'a
ordonné "de faire un petit fagot "(c'est à dire de faire
des fascines de branchage pour boucher les ornières des chemins
dans la campagne, afin que les chariots de la moisson puissent passer plus
facilement. Cela se rapportait aux travaux faits pour l'Eglise dans les
visions).
Le 20 et le 21 elle resta en proie à une fièvre continuelle,
avec des alternatives de sueurs abondantes. Le 21, où elle avait
à faire des prières pour des malades, en union avec le Prince
de Hohenlohe, elle fut dans un état d'abstraction continuelle depuis
le matin où elle reçut la sainte communion jusqu'au soir,
mais toujours avec une fièvre ardente : toutefois, intérieurement,
elle était tout à fait calme et sereine. C'était la
fête de sainte Agnès, patronne de son couvent : elle crut
être assise à la table céleste avec elle et sainte
Emerentienne. Elle dit une fois : "il y a deux feux allumés en moi,
l'un dans la poitrine et l'autre dans tout le corps : ils se combattent,
et je ne sais pas si je me tirerai de là : cela dépend de
celui qui aura le dessus. J'ai plus d'une fois prié Dieu bien instamment
de me délivrer de ma plus grande souffrance, le mal confus que j'ai
dans le bas ventre. Mon fiancé m'a répondu d'un air sévère
: "Pourquoi aujourd'hui ? Ne serait ce pas aussi bien demain, ne t'es tu
pas donnée à moi ? ne puis je pas faire de toi ce qui me
plaît ? "Ainsi je suis encore dans l'incertitude, et maintenant je
ne veux plus rien demander pour moi, mais je m'abandonne entièrement
à lui. O quelle grâce que de pouvoir souffrir ! Heureux celui
qui est méprisé et injurié ! il n'y a rien que je
ne mérite, et je n'ai joui que de trop d'estime. Ah ! que ne suis
je couverte de crachats et foulée aux pieds dans la rue ! Je voudrais
leur baiser les pieds ! "
Lorsque le 19 au soir le docteur L... vint la voir et la questionner
sur son mal, elle dit peu de chose ; mais le pèlerin lui donna une
idée de la maladie. Plus tard, étant passée à
l'état d'extase, elle dit au pèlerin : " Comment peux tu
te mettre au milieu de mes fleurs, tu vas les écraser toutes. Elle
vit donc les indications données sur ses souffrances comme la destruction
de ses fleurs. Elle voyait souvent le commencement de nouvelles souffrances
sous l'image d'un petit garçon qui jetait des fleurs sur elle.
Le 23, elle dit : " Cette nuit, j'ai eu à faire en sus un nouveau
travail. Les souffrances se prolongent ; elle s'en réjouit et aussi
a de ce que depuis la nouvelle année elle est toujours en campagne,
et de ce qu'elle a déjà fait bien de l'ouvrage. " Son confesseur,
ému et touché des souffrances de plus en plus horribles qu'elle
éprouvait dans le bas ventre, et dont elle avait demandé
a être délivrée le jour précédent, lui
donna un peu d'huile bénite, pria sur elle et ordonna au mal de
se retirer au nom de Jésus. Le secours lui vint aussitôt :
elle se sentit entièrement soulagée, et ainsi s'accomplit
ce qui lui avait été dit pour demain. Le soir, la garde malade
vint trop près d'elle avec une mèche soufrée allumée,
ce qui fit qu'Anne Catherine fut prise d'une toux mortelle avec des vomissements
de sang, à la suite desquels elle crut s'être disloqué
quelque chose dans le corps.
Les anciens accidents au bas ventre revinrent. cependant l'huile bénite
la soulagea encore.
Maintenant les symptômes de la maladie changent. Anne Catherine
prie pour une malade dont les membres sont tout déformés
par la goutte. Elle a maintenant dans tout le corps des sueurs tout à
fait semblables à celles des goutteux ; elle ressent des douleurs
de goutte dans toutes les articulations, surtout aux mains et aux doigts,
qui sont horriblement défigurés chez cette personne. Dans
le sommeil extatique elle demande qu'on lui coupe les orteils, ils l'empêchent
de marcher ; ils sont tout tordus et rentrés en eux mêmes,
et elle craint qu'ils ne se dessèchent. En outre, elle croit porter
sur ses épaules une lourde pièce de bois triangulaire, et
prie son confesseur de la lui retirer. Celui ci lui frictionna les épaules
et dit :
" Elle n'y est plus. Mais quand il a fini ses frictions, Anne Catherine
dit : " il ne l'a qu'un peu déplacée, il faut que je supporte
aussi cela. "
27 Janvier. La maladie est toujours la même : son corps maigrit
encore, s'il est possible ; les sueurs continuent, ainsi que les douleurs
de goutte, qui changent continuellement de place, et le sentiment des pouces
et des doigts tordus. La fièvre est plus rare, pouls comme celui
d'un mourant. Le 25, elle fut prise de nausées subites et d'un fort
vomissement de sang, son corps ressemblait à une masse informe.
Elle resta ainsi plusieurs heures livrée à de grandes douleurs,
mais souffrant patiemment et priant en silence : puis cet état disparut,
et Anne Catherine dit qu'elle avait vu une personne malade dont le corps
était ainsi déformé. Elle avait prié pour elle,
et c'était alors qu'elle s'était trouvée si mal et
qu'elle était tombée dans cet état.
Le 29 janvier la fièvre semble diminuer un peu, elle est dans
un état de prostration effrayante et ressent de nouvelles douleurs
dans le bas ventre. Toutes ces souffrances et ces états correspondent
exactement à des états et à des travaux spirituels
et relatifs à l'Eglise. Anne Catherine le sait bien, mais dans l'état
de veille, elle est rarement en état d'en rendre compte.
Le 29 au soir, ses tortures augmentèrent encore après
une journée de souffrances. Elle dit tout à coup : "Qu'est
ce que cette clarté qui est au dessus de moi avec une couronne de
fleurs ? " Et aussitôt ses douleurs l'assaillirent. La douleur la
faisait trembler de tous ses membres, ses muscles se retiraient convulsivement,
tous les symptômes d'une fièvre inflammatoire se manifestaient.
Le 30 au soir, elle voit de nouveau une pluie de feu tomber sur elle,
et ses douleurs de bas ventre augmentent, prenant sans cesse de nouvelles
formes. Elle raconte le 31 au matin, que quelque chose s'est détaché
en elle, lui a monté dans le cou, et qu'elle a retiré de
son gosier avec le doigt un corps visqueux, compact de la longueur du doigt.
Elle avait eu une vision sur le danger de son état, et elle se fit
mettre sur le ventre des cataplasmes de camomille et de rue trempés
dans du vin chaud : elle se fit aussi frictionner avec de l'huile bénite.
Cet état dura trois jours, "car elle s'était chargée
de quelque chose à souffrir " disait elle. Sa plus cruelle souffrance
était dans les reins et dans la rate, et la douleur montait jusqu'aux
cavités des bras. Ses souffrances étaient grandes mais sa
patience les égalait. Tout en gémissant elle ne parlait que
de Dieu et du bonheur de souffrir, priait pour les pauvres âmes qui
avaient encore plus à souffrir qu'elle, et conseillait d'étendre
la souffrance sur toute la vie, car il est plus difficile de mourir que
de vivre.
Plus d'une fois Anne Catherine, au milieu de ses horribles douleurs
dont l'extase elle même ne diminuait pas la vivacité, s'était
soulevée le soir sur son lit et avait prié d'une manière
touchante, comme si elle en rendait grâces à Dieu. Elle trouvait
la force de supporter tout cela non seulement dans le Saint Sacrement,
mais encore dans d'autres consolations sur lesquelles elle ne s'expliqua
qu'en peu de mots dans les premiers jours du mois de février : "
Combien, disait elle, j'ai été merveilleusement soutenue
par Dieu au milieu de ces souffrances ! La plupart du temps, je voyais
devant moi ou près de moi, planer comme une table de marbre blanc
sur laquelle se trouvaient des vases de toute espèce avec des sucs
et des herbes. Je voyais tantôt un saint martyre, tantôt un
autre, homme ou femme, venir à moi et m'apprêter un remède
: c'était parfois un mélange, parfois quelque chose qu'on
pesait comme sur une balance d'or. Souvent on me donnait à sentir
des bouquets de fleurs, souvent quelque chose à sucer. Ces remèdes
calment souvent la douleur, plus souvent encore ce sont des moyens fortifiants
qui aident à supporter beaucoup de souffrances qui s'entremêlent
et qui viennent immédiatement après. Je vois cela si distinctement
et dans un ordre si régulier, que j'ai quelquefois peur que mon
confesseur en allant et venant ne renverse cette pharmacie céleste.
" Il en fut ainsi tout le temps que dura la maladie.
Tel est le compte rendu d'un seul mois : on pourrait en donner de semblables
sur tous les mois de sa vie, mais celui ci suffira au lecteur pour reconnaître
sur quel arbre de tortures sans nom ont mûri les fruits précieux
qui lui sont présentés dans les visions de cette servante
de Dieu si accomplie et favorisée de tant de grâces. Ce furent
précisément les belles visions relatives aux noces de Cana
et à l'Enfant Jésus parmi les docteurs du temple, qu'Anne
Catherine eut pendant ce mois Combien ne lui a t il pas été
difficile d'en communiquer les fragments que le pèlerin a sauvés
si fidèlement de cet océan de souffrances !
XV
Il reste encore à parler plus au long de la manière dont
les visions étaient communiquées au` pèlerin par Anne
Catherine, et de la manière dont celui ci s'y prenait pour les recueillir.
Mais ce dernier point né serait pas bien apprécié,
si l'on n'exposait pas l'ensemble des rapports dans lesquels le pèlerin
se trouvait avec Anne Catherine.
On a déjà dit plus haut qu'Anne Catherine avait eu de
visions dès sa première jeunesse, qu'elle en avait eu l'intelligence,
et en avait parlé avec une simplicité na've aux personnes
de son entourage. Mais bientôt ces communications furent repoussées,
et, malgré les fréquentes injonctions d'en faire part qui
lui furent données intérieurement, ce ne fut que dans sa
quarante troisième année qu'il arriva à Anne Catherine
de trouver quelqu'un auquel elle pût s'ouvrir conformément
aux avertissements donnés. Bien des fois elle avait demandé
à ses confesseurs de vouloir bien l'écouter pour l'amour
de Dieu ; mais elle n'avait jamais obtenu qu'aucun d'eux se donnât
la peine de prendre une connaissance approfondie de ces communications,
et d'examiner avec quelle attention quelle en pouvait être la valeur.
Elle avait lieu de se féliciter quand on ne la rebutait pas comme
un cerveau malade, infatué de rêveries extravagantes, et qu'on
se bornait à lui exprimer le désir de ne plus entendre de
pareilles choses. On peut trouver ces procédés inexplicables
et même inexcusables, car, puisqu'il s'agissait d'une personne d'une
sainteté notoire, la plus simple équité exigeait qu'on
reçût au moins ses communications comme à l'essai,
sauf à aller plus avant, après examen, en se dirigeant d'après
les règles d'une direction spirituelle éclairée j
mais on s'étonnera moins en pensant à la faiblesse humaine
prise en général, et au caractère particulier de l'époque
à laquelle vivait Anne Catherine.
Dans sa vingt huitième année, elle entra au couvent des
Augustines, à Dulmen. Elle y fut comme une apparition étrange
et tout à fait incomprise, car avec l'austérité de
la discipline claustrale et la pratique de la vie vraiment intérieure
et contemplative, on avait ` aussi perdu la règle d'après
laquelle devait être appréciée une créature
si merveilleuse et comblée de tant de grâces. La perfection
exemplaire d'Anne Catherine, loin d'être considérée
comme un modèle à imiter pour ses compagnes, faisait plutôt
qu'on l'évitait et qu'on la craignait comme un moniteur incommode
et importun. En outre, le temps de son séjour au couvent fut trop
court pour qu'elle pût accomplir une réforme semblable à
celles dont des âmes favorisées de grâces analogues
furent souvent les instruments à d'autres époques.
Lorsqu'après la suppression violente du couvent elle fut forcée
de rentrer dans le monde, ce fut un religieux français émigré,
le bon et pieux P. Lambert, qui se chargea de sa direction spirituelle.
Mais d'une part, la vieillesse, les infirmités, les soins d'une
existence précaire ; d'autre part la méfiance poussée
jusqu'à la persécution avec laquelle la'ques et ecclésiastiques
observaient Anne Catherine et la soumettaient à des enquêtes
impitoyables, jusqu'à mettre sa vie en danger, avaient rendu ce
pauvre homme tellement timide que souvent il suppliait sa fille spirituelle
de garder le silence sur ses visions, et de tout étouffer plutôt
que d'exposer elle et lui à de nouvelles vexations. Quoique pleinement
persuadé de la vérité de ses assertions et de la sainteté
de sa vie, le P. Lambert ne possédait pas la forcé d'esprit
nécessaire pour apprécier tout ce qu'il y avait là
d'important, et pour pouvoir se mettre en mesure de comprendre et de recueillir
les communications comme il l'eût fallu. Ce qui caractérise
bien toute la manière d'être de cet excellent homme, c'est
qu'au bout de quelques années, Anne Catherine fut obligée
de prendre un autre confesseur, car, accoutumé à avoir recours,
pour toutes ses affaires temporelles, aux conseils éclairés
et à l'assistance d'Anne Catherine, il en vint à peu près
à s'en remettre pour tout le reste à son intelligence supérieure,
et Anne Catherine vit bien qu'elle ne tarderait pas à conduire au
lieu d'être conduite, et qu'ainsi elle serait privée de toute
direction spirituelle Mais elle lui voua jusqu'à sa mort la sollicitude
la plus touchante et la plus dévouée, prenant ses douleurs
sur elle, lui obtenant des grâces sans nombre et lui donnant toute
espèce d'assistance ; aussi, le P. Lambert, dans sa dernière
maladie. Lorsqu'il recevait un soulagement inattendu ou une consolation
intérieure, s'écriait souvent en versant des larmes de reconnaissance
: "C'est ma Soeur qui a fait cela "
Son successeur fut un homme beaucoup plus jeune, l'ex dominicain Limberg,
religieux d'une grande piété, mais d'un caractère
difficile et scrupuleux, qui ne voulait pas entendre parler de visions,
et qui qualifiait tout simplement de rêveries tout ce qu'Anne Catherine
voulait lui exposer pour obéir à des injonctions de plus
en plus pressantes.
Même à l'époque où le pèlerin vint
entreprendre le travail si pénible de la mise en oeuvre des visions,
rien ne put décider Limberg à venir en aide a la Soeur accablée
sous le poids de ses continuelles et indicibles souffrances, et à
faire usage de son autorité de confesseur pour faciliter, régler
bien des choses, et empêcher les dérangements venant du dehors.
Il se réjouissait à la vérité, quand le pèlerin
réussissait à sauver tel ou tel récit ; mais bientôt
après il tombait dans le trouble et l'inquiétude pour peu
qu'il eût avoir à craindre que cela ne fit du bruit, ou ne
fit tenir des propos.
Les choses allèrent ainsi jusqu'au moment ou Overberg devint
le confesseur extraordinaire d'Anne Catherine. S'étant convaincu,
après un long et scrupuleux examen, de la réalité
de son état merveilleux, il ne pouvait manquer de désirer
que ses visions tussent conservées, pour le plus grand bien des
contemporains et de la postérité ; mais ses devoirs d'office
ne lui permettaient pas de quitter longtemps Munster et de se charger lui
même de ce difficile travail. Le pieux comte de Stolberg et l'évêque
de Ratisbonne, Sailer(7), arrivèrent à 1& même
conviction qu'Overberg, et ce fut par leur intermédiaire que Clément
Brentano trouva accès et accueil très bienveillant auprès
Anne Catherine.
Note 7: Sailer fit sa première visite à Anne Catherine
dans l'automne de 1818. il en parla ainsi à Kellermann, alors majordome
de la maison de Stolberg. Elle est extrêmement réservée
sur tout ce que Dieu lui communique dans ses visions : c'est l'humilité
même. La candeur et la simplicité qu'elle met dans ses récits
sont déjà, à elles seules, ses meilleures et ses plus
sûres lettres de créance. (extrait d'un manuscrit de Kellermann).
Anne Catherine parlant plus tard au docteur Wesener de la visite de
Sailer, lui dit qu'elle en avait retiré beaucoup de consolation
et un grand profit pour son âme. (Extrait du journal de Wesener.)
On doit encore, à cette occasion, mentionner avec reconnaissance
un homme qui, depuis l'année 1813 jusqu'à la mort d'Anne
Catherine fut le plus fidèle ami de celle ci : nous voulons parler
du docteur Wesener de Dulmen.
L'éditeur possède une copie de son journal, et même
le procès verbal qu'il avait dressé le 22 mars 1813 sur les
stigmates d'Anne Catherine. à dater de ce jour, il la visita journellement
pendant une suite d'années, et il tint sur ses observations médicales
un journal exact, dans lequel il consignait avec une simplicité
touchante tous les entretiens qu'Anne Catherine avait d'ordinaire avec
lui sur des sujets religieux. Comme une fois il exprimait un regret sur
ce que les saints Evangiles disent si peu de chose de la jeunesse du Sauveur,
Anne Catherine lui répondit, à ce qu'il rapporte dans son
journal du le' mai 1813 : "Je connais tout dans les plus petits détails,
comme si je l'avais vu moi même Je sais aussi très exactement
l'histoire de la mère de Jésus. "Elle s'étonnait elle
même, ajoute Wesener, de ce que tout se présentait à
elle avec des traits si vifs, quoiqu'elle n'eût pas pu lire tout
cela. Elle promit de me raconter deux choses. Le 27 mai, comme il lui rappelait
sa promesse, elle commença `` par me parler de l'assurance donnée
à sainte Anne que le Messie naîtrait de sa race. Anne, à
la vérité, avait eu plusieurs enfants, mais elle avait bien
vu que le vrai rejeton n'était pas encore venu, et pour cela elle
avait imploré l'accomplissement de la promesse, en multipliant les
jeunes, les prières et les sacrifices. Wesener continue de cette
manière à rendre compte de ce qui lui a été
communiqué jusqu'au mariage de Marie avec saint Joseph, et il termine
son compte rendu en rapportant ce que lui a dit Anne Catherine : " qu'elle
voudrait seulement être en état d'écrire, parce qu'alors,
croit elle, elle écrirait tout un livre rempli des visions qu'elle
a déjà eues. "Or, ce que donne Wesener est une fidèle
esquisse de ce que le pèlerin put recueillir plus tard à
la suite d'un récit plus détaillé d'Anne Catherine.
Wesener fut donc le premier qui, ravi de la profondeur et de la beauté
intérieure de plusieurs choses sorties de la bouche d'Anne Catherine,
mit par écrit ce qu'il put en entendre. Cela se réduit assurément
à peu de chose, mais ce peu, par sa conformité avec les rédactions
du pèlerin, non seulement quant à la substance, mais aussi
quant à la forme, en tout ce qui est essentiel, est de la plus haute
importance ; car ces notes écrites avec une grande simplicité
et tout à fait sans prétention prouvent avec quelle fidélité
consciencieuse le pèlerin a reçu et reproduit les communications
d'Anne Catherine.
Le pèlerin fut introduit par Wesener auprès d'Anne Catherine.
Voici ce que ce dernier dit à ce sujet dans son journal : "Jeudi
24 septembre 1818, le frère de M. Brentano est venu chez moi, avec
le désir de pouvoir faire connaissance avec la malade. il s'appelle
Clément, et jusqu'à ce moment il a vécu à Berlin
sans y avoir de profession. Comme il me paraît avoir très
bonne volonté, je l'ai annoncé à la malade. Celle
ci s'est montrée disposée à le recevoir tout de suite,
et je lui ai amené. "
2 octobre "La malade a pris Clément Brentano en affection, quoiqu'à
certains égards elle paraisse préférer son frère.
Du reste, ce que je prévoyais est arrivé. La maladie trouve
de l'édification et un plus grand recueillement dans ses rapports
avec Brentano, parce qu'il la préserve, par ses fréquentes
visites, de beaucoup d'ennuis venant du dehors. M. Clément Brentano
a loué un logement dans la maison de la malade, et il l'observe
avec beaucoup de soin. "
Mercredi 23 décembre. " Il y a une lacune depuis le 18 octobre
jusqu'à ce jour ; mais cette lacune est comblée par un trésor
d'expériences faites par un observateur qui m'est bien supérieur
en pénétration et en instruction : c'est M. Clément
Brentano, dont j'ai déjà parlé. "
Voyons maintenant comment le pèlerin lui même s'exprime
dans son journal sur sa première visite à Anne Catherine.
"J'arrivai à Dulmen vers dix heures Wesener, médecin de la
soeur Emmerich, m'annonça à elle afin qu'elle ne fût
pas trop intimidée. Elle se montra fort aise de me voir. Après
avoir traversé une grange et de vieux celliers, on monte par un
escalier tournant en pierre : nous frappâmes à la porte :
sa soeur, qui la sert, ouvrit la porte : nous entrâmes par la petite
cuisine dans la chambre de l'angle où elle est couchée. Elle
me tendit joyeusement ses mains stigmatisées et me dit : "voyez
comme il ressemble à son frère ! "(Elle voulait parler de
Christian Brentano avec lequel elle avait fait connaissance cinq mois auparavant
) Je ne ressentis aucune émotion pénible en voyant les cicatrices
de ses mains. Je me réjouissais de ce qu'elle portait sur elle un
signe si noble et si saint, et je me sentais porté à une
joie intérieure extraordinaire par son visage pur et candide et
par la vivacité doucement enjouée de sa conversation. J'étais
tout à fait comme chez moi, j'avais l'intelligence et le sentiment
de tout ce qui m'entourait.
Je ne trouvai dans toute sa personne aucune trace de tension ni d'exaltation,
mais un enjouement plein de simplicité pure et une espièglerie
innocente. Tout ce qu'elle dit est prompt, bref, simple, na'f, sans retours
complaisants sur elle même, avec cela plein de profondeur, plein
d'amour, plein de vie, et pourtant tout à fait rustique. On y reconnaît
une âme délicate, sensée, fraîche, chaste, éprouvée,
parfaitement saine. Elle vit au milieu de l'entourage le plus incommode
et le plus inintelligent, composé de bons ecclésiastiques,
de braves gens simples et grossiers, et d'une méchante soeur : toujours
malade à la mort, soignée d'une façon maladroite et
grossière, dirigeant tout, menant tout le ménage, travaillant,
abandonnée, martyrisée, entourée de bruit, tantôt
regardée curieusement comme une bête extraordinaire, tantôt
vexée par sa soeur comme une Cendrillon, menant une vie misérable,
mais toujours affectueuse, toujours en lutte avec d'immenses douleurs qu'elle
souffre pour les péchés d'autrui. Tout ce qui la gêne
extérieurement pourrait être changé sans qu'il y eût
la plus petite dépense à faire à ce ne sont que de
petites misères, mais qui la tourmentent comme un essaim de mouches,
et il est difficile d'y remédier. Regardant bien plus haut que toutes
ces personnes, elle honore en elles les desseins de Dieu, qui veut l'éprouver
et l'humilier. Faisant de Jésus sa société et jouissant
de son Seigneur, la fiancée de Dieu se courbe, joyeuse, sous le
fouet des valets. Elle ne se borne pas à porter les stigmates :
elle est incessamment crucifiée et prie pour ses bourreaux : il
n'y a pas jusqu'à l'affection que plusieurs lui témoignent
qui ne soit une lourde peine. "
Son confesseur, le dominicain Limberg, homme simple, innocent, humble,
du coeur le plus pur, mais peu instruit, a en elle un fardeau merveilleux
qui le porte à son tour. Que de choses inou'es, étourdissantes,
il découvre tous les jours en elle ! Si elle est en extase, et que
par hasard il approche d'elle ses doigts consacrés, elle lève
la tête et les suit des yeux, et quand il les retire elle retombe
sur elle même. Et il en est de même pour tous les prêtres
: dans l'extase, elle saisit vivement les doigts consacrés, et avec
tant de force, qu'on ne peut pas les retirer. une fois, étant tombée
en extase pendant une conversation sur le sacrement de l'Ordre, elle dit
que, même dans l'enfer, ces doigts du prêtre se reconnaissaient
encore à une marque particulière. Celui qui, comme moi, a
vu cela fortuitement sent bien que la consécration sacerdotale est
quelque chose de plus qu'une pure cérémonie : c'est un fleuve
vivant qui a sa source dans la vie de Jésus. "
Anne Catherine témoigna tout d'abord au pèlerin une naïve
et touchante confiance : car tout son intérieur était complètement
dévoilé à ses yeux : elle voyait cette âme noble
et élevée avec la plénitude des dons si rares qui
plaçaient Clément si fort au dessus de la plupart de ses
contemporains, décidée maintenant à vouer le reste
de ses jours à la tâche qu'elle même avait à
remplir, et qu'elle n'aurait pas pu mener à bien sans lui. Elle
lisait dans ses pensées les plus secrètes, les lui faisait
souvent connaître avant qu'il en eût clairement la conscience
; lui même, dans sa droiture et dans sa simplicité, n'hésitait
pas à consigner dans son journal, avec une fidélité
surprenante, celles mêmes de ces révélations qui pouvaient
le faire rougir.
Anne Catherine reçut de son conducteur spirituel l'injonction
d'être communicative à l'endroit du pèlerin et elle
avoua à celui ci a qu'elle sentait qu'elle avait eu inutilement
des grâces et des visions innombrables, parce qu'elle n'avait personne
à qui elle pût en faire part. Le Père l'avait souvent
jetée dans les plus grand doutes, parce que, sans vouloir rien examiner,
il traitait tout cela de pures rêveries : mais son ange lui avait
toujours réitéré les mêmes injonctions : il
faut que tu le dises même quand on se moquerait de toi. Si elle cherchait
à s'excuser en disant : Mais je ne sais pas m'exprimer, la réponse
était toujours : Dis le comme tu pourras. Elle avait raconté
cela au Père, mais il ne voulait pas l'écouter. "
Le pèlerin lui ayant dit une fois qu'il ne pouvait pas croire
que tout ce qu'elle avait vu depuis sa jeunesse lui eût été
donné pour elle seule, Anne Catherine en tomba d'accord : "J'ai
la même persuasion, lui dit elle, car il m'a été ordonné,
depuis longtemps déjà, de tout raconter, quand même
le monde devrait me regarder comme folle : mais personne n'avait jamais
voulu m'écouter et les choses les plus saintes que j'eusse vues
et apprises, étaient si mal entendues s et accueillies d'une façon
si injurieuse que, craignant de les exposer au mépris, je renfermais
tout en moi même avec une grande tristesse ; Plus tard, j'ai vu dans
le lointain un homme étranger (8) qui venait à moi et écrivait
beaucoup auprès de moi : cet homme, je l'ai retrouvé et reconnu
dans la personne du pèlerin. "
Note 8: C'était le 28 octobre 1818 qu'elle avait fait la première
ouverture à ce sujet : " Je vais vous faire plaisir, dit elle, j'ai
rêvé une fois que deux hommes bruns venaient me voir : ils
parlaient autrement qu'on ne fait ici : ils me montraient beaucoup d'amitié
et de confiance et restèrent très longtemps avec moi. Je
crus que c'étaient des Juifs. Le pèlerin ajoute : " C'étaient
Christian et Clément. "
"J'ai, depuis mon enfance, l'habitude de prier tous les soirs pour
tous les accidents, comme chutes, naufrages, incendies, etc., et je vois
toujours, après avoir prié, des scènes en grand nombre
ou des accidents de ce genre qui aboutissent heureusement. Mais quand j'ai
omis cette prière, j'apprends ou je vois toujours quelque grand
malheur, ce qui me fait voir non seulement la nécessité de
cette prière spéciale, mais le profit qu'il y a à
ce que je communique cette persuasion que j'ai et les avertissements intérieurs
que Je reçois à ce sujet, parce que cela peut suggérer
la pensée de cette oeuvre de charité à d'autres personnes
qui n'en voient pas les effets comme moi. "
"Les nombreuses et surprenantes communications de l'Ancien et du Nouveau
Testament, les scènes innombrables de la Vie des saints, etc., m'ont
toutes été données par la miséricorde de Dieu,
non seulement pour mon instruction, car il y a bien des choses que je ne
pouvais pas saisir, mais pour être communiquées, et pour remettre
au jour des choses cachées et plongées dans l'oubli. J'en
ai toujours reçu l'ordre à plusieurs reprises : je l'ai raconté
aussi bien que je l'ai pu, mais on ne se donnait même pas la peine
de m'écouter : il me fallait donc le renfermer en moi même
et j'oubliais nécessairement une foule de choses. Mais j'espère
que maintenant Dieu donnera ce qui sera nécessaire. "
Une autre ouverture, sur le même sujet, que fit Anne Catherine
étant en extase, mérite aussi considération : " Je
sais, dit elle, que je devrais être morte depuis de longues années,
car je viens d'avoir une vision où j'ai appris que je serais morte
il y a longtemps si tout ne devait pas être connu par le moyen du
pèlerin. Il doit tout écrire car mon affaire à moi
est de prophétiser, c'est à dire de faire connaître
les visions. Et quand le pèlerin aura tout mis en ordre et que tout
sera fini, il mourra aussi. " Ceci s'est accompli à la lettre.
Mais la communication la plus étendue et la plus caractéristique
qu'Anne Catherine ait faite sur ses visions et sur sa tâche prophétique
eut lieu le 2 février 1821. Comme le pèlerin lui parlait
des grâces singulières qu'elle recevait si abondamment et
dont une grande partie se perdait parce qu'elle était dérangée,
ou troublée, ou accablée par la souffrance : " Oui, dit elle,
mon fiancé m'a aussi dit cela cette nuit, comme je me plaignais
de ma détresse, de ma misère, de voir tant de choses que
je ne comprenais pas, etc. Il m'a dit qu'il ne me donnait pas mes visions
pour moi, qu'elles m'étaient envoyées pour que je les fisse
recueillir, et que je devais les communiquer. Ce n'est pas maintenant le
temps de faire des miracles extérieurs. Il donne ces visions et
il en a toujours agi de même, pour prouver qu'il veut être
avec son Eglise jusqu'à la fin des siècles Les visions (c'est
à dire la contemplation seule) ne sauvent personne : il faut pratiquer
la charité, la patience et toutes les vertus. Il me fit voir ensuite
une série de saints qui avaient eu des visions de toute nature,
mais qui n'étaient arrivés au salut qu'en utilisant ce qu'ils
y avaient appris. Je vis ensuite des scènes de la vie de différents
saints et je vis que la plupart du temps leurs visions avaient été
tronquées et mal comprises de ceux qui les avaient mises par écrit.
Je vis combien plusieurs d'entre eux eurent à souffrir à
ce sujet et comment sainte Thérèse craignit bien longtemps
d'être le jouet d'une illusion diabolique, par suite de l'absurdité
de ses confesseurs. Elle nomme alors sainte Thérèse, sainte
Catherine de Sienne, sainte Claire de Montefalco, sainte Brigitte, sainte
Hildegarde, sainte Véronique Giuliani, la vénérable
Marie de Jésus, etc., comme lui aYant toutes été montrées,
et Elle dit beaucoup de choses sur la nature de leurs visions, dont elle.
n'a qu'une connaissance intérieure. Elle voit que l'effet de ces
visions a été détruit en grande partie par les suppressions
ou les changements qu'y ont faits des prêtres savants, mais manquant
de simplicité et ne comprenant pas la manière dont ces tableaux
se produisent. On a souvent rejeté beaucoup de choses parce qu'on
ne pouvait pas dégager la pure vision historique d'autres représentations
qui s'y mêlaient et où le contemplatif agissait par la prière.
J'en vois d'autres étonnamment prolixes où chaque grâce
est accompagnée d'un tel flux de paroles que personne ne trouve
plus rien de substantiel qu'il puisse s'approprier. Les visions de sainte
Hildegarde ont été écrites par elle même avec
la plus grande fidélité, parce qu'avec elles elle a reçu
de Dieu le don d'écrire. Cependant, il y a beaucoup d'altérations
dans ce qui en a été imprimé. Même dans les
écrits imprimés de sainte Thérèse, on a fait
des changements. Sainte Françoise Romaine a eu beaucoup de visions
du même genre (qu'Anne Catherine), mais elles ont été
très mal reproduites. Elle a vu comment la manie des confesseurs
de tout accommoder à leur manière d'entendre l'Evangile a
fait disparaître bien des choses. Et pourtant, peu de semaines auparavant,
avant que cette injonction répétée lui eût été
faite, Anne Catherine, assaillie de douleurs innombrables et craignant
de ne pouvoir pas en supporter la violence, avait supplié Dieu de
lui retirer les visions.
Voici ce qu'elle raconta le 1er janvier 1821 : " J'ai demandé
de tout mon coeur près de la crèche que Dieu me soulageât
un peu et voulût bien me décharger d'un fardeau ; qu'au moins
il retirât à l'enfant son affreuse toux convulsive (c'était
l'enfant de son frère qui demeurait près d'elle, et dont
l'interminable toux convulsive allait bien plus au coeur d'Anne Catherine
que ses propres souffrances) : mais je n'ai pas été écoutée
et aucune espérance ne m'a été donnée ! j'ai
fait à Dieu une querelle dans les règles, je lui ai rappelé
comment il a promis de tout exaucer, et dans quels cas ; je lui ai cité
plusieurs exemples, mais il ne m'a pas écoutée et j'ai compris
que cette année je serais encore plus fortement éprouvée
qu'à l'ordinaire. Hier encore, j'ai prié Dieu ardemment de
me retirer les visions, afin d'être délivrée de l'obligation
de les raconter et de la responsabilité qui s'y attache. Mais je
n'a' pas été exaucée, et il m'a été
dit, comme de coutume je dois raconter tout ce que je serais en état
de, et cela quand même on se moquerait de moi. Je ne puis comprendre
à qui cela servira. Il m'a été dit encore que personne
n'a vu tout cela de la même manière et dans la même'
mesure que moi : que d'ailleurs ce ne sont pas mes affaires, que `c'est
l'affaire de l'Eglise. C'est un grand malheur qu'il s'en perde tant, et
il en résulte une grande responsabilité. Bien des personnes,
qui sont cause que je n'ai jamais de repos et le clergé qui manque
d'hommes et qui manque de foi pour faire cela, auront un terrible compte
à rendre. J'ai vu aussi tous les obstacles que le démon a
suscités. "
XVI
Le pèlerin était donc le premier homme pourvu de tous
les dons nécessaires que la Providence eût amené près
de la voyante, afin qu'elle dévoilât devant lui les trésors
de grâce qu'il devait maintenant recueillir au profit des contemporains
et de la postérité avec des peines et des fatigues auxquelles
probablement bien peu de ses lecteurs auraient consenti à se soumettre.
D'une part, son sens droit et lucide le préservait de l'excès
et de l'exagération, d'autre part sa foi simple et candide jointe
au sentiment inné du vrai et du beau, ainsi que les trésors
d'expérience recueillis pendant une vie agitée et mêlée
à celle des plus distingués et des meilleurs de ses contemporains
le disposait à apprécier sans prévention les phénomènes
et les faits, à ne pas renfermer dans des limites trop étroites
ce qui sortait des règles ordinaires, et à ne pas rejeter
timidement tout un ordre de choses étranger aux habitudes de la
vie commune et aux idées qui en découlent. Si le pèlerin,
avec la délicatesse de son sentiment artistique et la puissance
créatrice de son propre talent, était incapable de s'approprier
l'oeuvre d'un tiers en la corrigeant, en l'altérant ; en y effaçant
le cachet de l'originalité, il était encore bien moins homme
à traiter ainsi les tableaux merveilleux que la voyante faisait
passer devant son regard étonné et qu'il accueillait humblement
comme un don de Dieu, en versant des larmes de reconnaissance. Le goût
et la piété s'accordaient pour l'empêcher de parer
de ses propres pensées ce que la voyante lui confiait ou de réduire
à la mesure de sa lumière bornée ce qui avait été
aperçu dans la lumière vivante.
Il était trop au dessus de son temps et en même temps
trop peu théologien pour avoir en poche une " théorie de
la révélation " à appliquer avec une critique minutieuse
au mystère de la rédemption et aux miracles de l'histoire
du Rédempteur, En outre son audacieuse fantaisie poétique
avait depuis longtemps parcouru toutes les routes et s'était exercée
sur tout ce qui peut émouvoir des natures aussi richement douées
que la sienne, et il ne lui restait plus qu'à la courber sous le
joug de la croix et à la consacrer avec joie et sans réserve
au service de l'Eglise.
Du reste, plusieurs des qualités distinctives du pèlerin
n'étaient que des dons naturels, mais elles reposaient sur une base
plus profonde que ne le laissait voir extérieurement la vivacité
native de cet esprit si riche et si indépendant, et elles étaient
dominées et dirigées par un principe infiniment plus élevé
que celui qu'on voudrait trouver dans la "pure fantaisie ou le besoin poétique.
" Ce n'est pas là qu'on puise la persévérance qui
fait rester au besoin, des années entières près du
lit de douleur d'une pauvre malade luttant journellement avec la mort et
gémissant sans secours sous le poids de peines sans nom, pour n'y
recueillir souvent que bien peu de chose au prix d'humiliations pénibles.
Le pèlerin ne tarda pas à apprendre qu'il était venu
à l'école de la croix, et que cet essaim de mouches qui environnait
Anne Catherine ne l'épargnerait pas non plus, mais il n'en tenait
aucun compte et supportait des épreuves bien plus grandes encore
avec la simplicité d'un enfant et l'énergie d'un homme.
Il s'exprime à ce sujet en termes touchants, la veille de Noël
1819 : "En commençant à écrire, je ressentis une profonde
tristesse à cause des misères de cette vie, où les
suites et les effets de l'obscurcissement qui s'est fait en nous m'empêchent
de saisir et de reproduire avec calme ce que découvre dans les plus
saints mystères le regard d'une simple et na've créature,
merveilleusement favorisée de Dieu. Je ne puis sauver pour mes frères
que des ébauches grossières, des lambeaux misérables
de tableaux qui prouvent la présence et la réalité
éternelles de tous les mystères des relations divines, aujourd'hui
perdues pour nous. Et ces ébauches il me faut les dérober
et les obtenir par artifice ! Je ne puis dire ce que je sens, ce que je
vois, ce que je devine à cet égard : mais ceux qui, pendant
des années, ont étouffé et méprisé ces
grâces, ceux qui, forcés maintenant de les reconnaître
les troublent cependant e. ne les recherchent pas et n'en tiennent pas
compte, ceux là, dis je, pleureront avec moi quand leur miroir aura
été obscurci par la mort. Enfant Jésus, mon Sauveur,
donnez moi la patience. "il décrit ensuite la situation d'Anne Catherine
pendant cette sainte vigile : "Elle ressent des douleurs atroces dans toutes
ses plaies et tous ses membres. Elle les supporte et lutte avec joie. Quelquefois
elle ne peut s'empêcher de pousser des cris aigus. Ses mains et ses
doigts tremblent et se ferment convulsivement, les doigts sont froids,
la paume des mains est brûlante. Elle a fait tous ses présents
aux pauvres), fini tous ses travaux : elle place et range tout ce qui lui
reste de morceaux d'étoffe et de bouts de fil, et s'affaisse épuisée
de fatigue pour porter à la crèche son offrande de Noël,
consistant en douleurs infinies qui lui apparaissent comme des fleurs qu'elle
porte. Ces douleurs ne sont pas les effets naturels d'une maladie : ce
sont des souffrances déterminées qu'elle désire supporter
à la place d'autres personnes qui ne peuvent pas souffrir avec patience.
Elle sait que par là elle leur procure du soulagement, et elle satisfait
avec amour les dettes d'autrui envers la justice divine. J'ai ressenti
moi même l'année passée cette translation de mes propres
souffrances intérieures à Anne Catherine. Ainsi, à
l'occasion de ces saints jours où l'on fête le mystère
de notre rédemption, elle recueille pour elle une quantité
de douleurs et de souffrances qu'elle apporte au Rédempteur. C'est
ainsi qu'il lui a perce les pieds, les mains et le côté le
jour de sa propre nativité, afin qu'elle rende du sang en mémoire
de l'amour de son Sauveur duquel, le sien tire sa vie. Les paroles du pèlerin
ne peuvent rien avoir de surprenant pour le lecteur, car il aura lui même
reconnu, d'après tout ce qui a été dit plus haut,
combien, il est contraire à l'état réel des choses
de se représenter Anne Catherine comme placée dans une région
lumineuse du sein de laquelle elle aurait, dans une contemplation paisible,
raconté ses visions au pèlerin pour que celui ci les reproduisît
sans fatigue : il n'y a pas moins d'absurdité dans cette autre opinion
suivant laquelle la fantaisie puissante du poète richement doué
se serait donné carrière sur le terrain de la poésie
sacrée comme elle l'avait fait autrefois dans les régions
sans limites du monde des fables, tandis qu'Anne Catherine n'aurait fait
que prêter son nom à ce qu'il aurait rapporté de ces
excursions. Pour apprécier complètement la tâche du
pèlerin, le lecteur doit se représenter ce qui a été
dit plus haut de la vie extatique d'Anne Catherine et se rappeler qu'ayant,
dès sa jeunesse, vécu, souffert et agi dans la sphère
de la contemplation, elle n'avait jamais pu trouver l'occasion de se communiquer
à autrui avec réflexion, ni s'exercer à traduire dans
un langage intelligible pour nous ce qu'elle a perçu non dans des
parole faites pour l'oreille des hommes, mais dans l'irradiation de la
lumière vivante. Et maintenant pour la première fois, dans
les six dernières années de sa vie, il lui fallait se livrer
à cet exercice, lorsque ses souffrances et ses peines de toute espèce
devenaient de plus en plus extraordinaires, et augmentaient chaque jour
en durée et en intensité Le lecteur reconnaîtra, non
sans surprise, que le pèlerin était ; peut être le
seul homme sur la terre que Dieu pût vouloir prendre comme instrument
afin de sauver pour la postérité, fût ce même
incomplètement, les grâces attachées à l'un
des dons les plus merveilleux qui aient jamais été départis
à un mortel et les fruits de la plus sainte fidélité
et des souffrances les plus inou'es. Il fallait un esprit aussi flexible
et aussi délicat que celui du pèlerin, une oreille aussi
parfaite !n1lent exercée, capable de deviner l'harmonie tout entière
à l'aide d'un son à peine articulé, il fallait de
plus sa patience invincible et son opiniâtreté infatigable
pour dérober, dans des moments souvent bien courts, à cette
femme épuisée jusqu'à la mort les fragments de ses
visions, pour conserver chaque parole isolée, quoique souvent encore
inexpliquée, jusqu'à ce qu'une heure plus libre de souffrances
offrît l'occasion d'obtenir de la voyante le complément nécessaire
pour en révéler le sens et en donner l'intelligence. Jamais
le pèlerin n'a risqué une combinaison, jamais il n'a cherché
à compléter à l'aide d'autres communications analogues
un fragment imparfait quant au sens ou à l'expression, sans en avertir
expressément et sans expliquer tout au long de quelle manière
il a procédé encore ne l'a t il fait que dans des cas bien
rares. Il était toujours comme un enfant candide qui n'a d'autre
désir que d'entendre ce qui sort de la bouche d'une mère
remplie de sagesse et de reproduire ce qu'il a entendu avec une fidélité
aussi littérale que possible. La plupart de ces choses étaient
pour lui aussi étrangères, aussi inaccoutumées, aussi
nouvelles qu'elles peuvent l'être pour le lecteur : mais cela ne
l'empêchait pas de tout donner exactement comme il l'avait reçu.
Il ne s'est effarouché de rien, quelque contraire que ce put être
à sa manière antérieure de voir ou de penser ; il
l'acceptait avec reconnaissance comme un mineur qui tombe sur un filon
inespéré et le creuse joyeusement dans l'espoir d'y trouver
de l'or natif. Beaucoup de choses et notamment les plus belles parties
des visions de l'Ancien Testament sont accompagnées de points d'interrogation
et d'exclamation dans la première rédaction du pèlerin
parce qu'il ne les a pas bien comprises : mais il a reproduit ce qu'il
a entendu avec une extrême fidélité. L'expérience
lui avait appris qu'Anne Catherine ne voyait pas chaque mystère
ou chaque objet dans un tableau délimité, complet en lui
même, mais que souvent, suivant l'ordre des fêtes de l'année
ecclésiastique, son regard embrassait avec le temps présent
l'Ancien et le Nouveau Testament et qu'elle contemplait à une fête
telle face du mystère, à une autre fête telle autre
face, en sorte que l'ensemble n'était complet qu'après une
série de visions. C'était le cas pour les visions touchant
l'arche d'alliance, la bénédiction des Patriarches et l'état
paradisiaque, qu'Anne Catherine avait aux diverses fêtes de la Mère
de Dieu suivant leur rapport avec le saint mystère de l'incarnation
et que par conséquent elle ne communiquait que par parties. Mais
comme à la fin de l'année ecclésiastique ces parties
se réunissaient pour former un ensemble dans lequel l'une était
le complément de l'autre, il y avait là une garantie complète
tant pour la vérité des visions que pour la fidélité
parfaite de la reproduction.
Anne Catherine, la plupart du temps, faisait ses récits dans
son patois westphalien. Pendant qu'elle parlait, le pèlerin notait
sur des carrés de papier les points principaux qu'aussitôt
après il mettait au net en complétant de mémoire.
Il lisait la rédaction ainsi faite à Anne Catherine, puis
il corrigeait, complétait, effaçait d'après les indications
qu'elle lui donnait, et ne conservait rien où elle n'eût reconnu
expressément la reproduction fidèle de ce qu'elle avait dit.
On peut se figurer aisément qu'un pareil exercice répété
tous les jours, pendant plusieurs années, dut, avec là force
d'esprit et la constance du pèlerin, lui faire acquérir une
facilité particulière ; si l'on ajoute qu'il regardait son
travail comme une oeuvre sainte, à laquelle il ne manquait pas de
se préparer par la grâce et par de pieux exercices, il sera
d'autant plus permis de croire que la grâce divine non plus ne lui
aura pas fait défaut. Le scrupule consciencieux avec lequel le pèlerin
a fait tout ce travail, lui a interdit, dans les années subséquentes,
de rien répondre à ceux qui prétendaient que les visions
étaient en grande partie son oeuvre, car cela équivalait
a dire qu'un homme grave comme lui avait consacré la fin de sa vie,
en se donnant pour cela une peine incroyable, à préparer
sciemment une tromperie pour lui et pour les autres.
Afin de mettre le lecteur en mesure de mieux se rendre compte des faits,
nous lui donnerons quelques extraits du journal du pèlerin :
Un jour qu'Anne Catherine avait décrit le cercueil de saint
Jean Baptiste d'une manière peu intelligible pour le pèlerin,
il consigna dans son journal les remarques suivantes : " Elle a décrit
cela d'une façon très difficile ou même impossible
à comprendre, et il ne faut pas lui faire de questions, autrement
elle se trouble. Comme elle est très peu capable de décrire
les objets avec précision, elle attribue toutes les questions au
manque d'intelligence de l'auditeur. Elle n'a jamais été
exercée à pareille chose et n'a jamais eu de rapport qu'avec
des gens qui ne demandent pas qu'on leur donne des objets une idée
précise. On ne lui a jamais dit que ce sont deux choses différentes,
que de voir les objets et de les décrire pour autrui. Comme elle
même voit à l'instant su r une simple désignation,
elle croit tour parfaitement clair, et se figure qu'on doit comprendre
ce qu'elle dit d'une manière très confuse et même ce
que souvent elle ne dit pas, croyant l'avoir dit. il se peut du reste que
cela tienne à un état comme le sien. Certainement il en est
ainsi, car s'il y a une chose évidente dans la vie merveilleuse
d'Anne Catherine, c'est qu'il lui fallait acheter par des souffrances chaque
grâce qui lui était accordée et qu'elle ne pouvait
la rendre profitable aux autres qu'au prix de nouvelles souffrances. C'est
pourquoi elle n'avait pas reçu avec ses visions le don de les communiquer
facilement et sans fatigue ; c'est pourquoi il n'y eut jamais une assez
longue interruption dans ses souffrances pour qu'elle pût une seule
fois dire au pèlerin ce qu'il aurait tant désiré entendre
sortir de sa bouche : "Cherchons tranquillement ensemble à exprimer
cela comme il faut. "Toujours il lui fallait interroger avec précaution
et prier doucement, toujours elle se plaignait et s'étonnait qu'on
ne la comprit pas. Et si enfin, à force de prières et d'instances,
on obtenait une communication, on avait à craindre la peine et l'humiliation
d'être obligé de céder la place à quelque visite
indifférente comme celle d'une servante ou d'un enfant. Les choses
sérieuses ou nécessaires n'étaient pas respectées,
et il fallait qu'elles se retirassent avec le pauvre écrivain qui
leur avait voué le temps précieux d'une vie déjà
sur son déclin. "
Des plaintes de ce genre se représentent fréquemment
dans le journal du pèlerin, elles sont l'expression de la profonde
douleur qu'il éprouvait toutes les fois qu'un dérangement
partant du dehors venait interrompre une communication commencée.
L'impression du moment lui faisait perdre de vue ce qui avait été
si souvent répété à Anne Catherine, que ce
n'était pas la contemplation seulement, mais l'application pratique
de ce qu'elle y avait vu qui lui était profitable, ce qui lui faisait
considérer l'exercice de la charité et le support humble
et patient de toutes les contrariétés comme la principale
tache de sa vie. Quant au pèlerin, il ne croyait pas pouvoir mieux
employer, en vue de la gloire de Dieu, toutes les facultés de son
esprit et tout le temps qui lui restait à vivre, qu'en les consacrant
entièrement à la reproduction des visions : c'est pourquoi
toute interruption lui causait souvent une si amère tristesse, et
s'il survenait une série de dérangements, il lui arrivait
parfois a de passer toute la nuit à pleurer et à supplier
Dieu de venir à son aide. "
Non seulement Anne Catherine prenait souvent à son compte les
maladies d'autres personnes souffrantes, mais, dans ce cas, leurs dispositions
morales lui étaient aussi transmises, afin qu'en surmontant l'impatience,
les différentes tentations spirituelles de tristesse, de trouble,
de mauvaise humeur auxquelles tant de malades succombent, elle leur méritait
la grâce de se repentir et de se bien préparer à la
mort.
Mais pour qu'Anne Catherine ressentît réellement comme
siennes de semblables tentations, et eût de grands efforts à
faire pour les vaincre, son entourage pourvoyait abondamment à ce
qu'il ne lui manquât jamais de quoi exercer sa patience de toutes
les manières. Et maintenant que le lecteur se représente
cette pauvre femme, luttant péniblement sous le poids de ses peines
corporelles, abreuvée en outre de toutes les amertumes de l'âme,
arrivée au dernier degré de la faiblesse, et livrée
au sentiment du délaissement le plus absolu ; alors il s'expliquera
facilement que le pèlerin, au lieu de reproduire une vision, consigne
dans son journal les paroles suivantes : "C'est une expérience des
plus émouvantes que de voir une personne favorisée de tant
de grâces, si misérable, si dénuée et si débile
quand la grâce se cache pour elle. Quel pauvre vaisseau que l'homme
! de quelle miséricorde, de quelle patience Dieu use envers lui
! C'était par cette rude école de l'humilité qu'avait
à passer cette créature privilégiée, par les
mains de laquelle Dieu a daigné répandre sur son Eglise des
faveurs si innombrables. Mais le lecteur peut apprécier lui même
combien les communications devaient être défectueuses dans
un état où des douleurs extérieures et intérieures
de toute nature venaient comme un déluge oppresser l'humble servante
de Dieu.
On doit faire encore remarquer qu'Anne Catherine racontait de mémoire
dans l'état naturel ce qu'elle avait appris de a la lumière
vivante, c'est à dire pendant qu'elle était entièrement
ravie hors de ses sens ; il en était de même pour la substance
des instructions du Christ qu'elle percevait complètement et textuellement
dans ses visions ; toutefois, comme on l'a observé plus haut, non
comme des paroles qu'on entend, mais sous forme d'irradiations, de flots
de lumière émanés de la lumière vivante. Or,
comme pour pouvoir communiquer ce qu'elle avait perçu dans la contemplation,
elle était obligée de le traduire dans le langage ordinaire,
ce qu'elle reproduisait de cette manière était la plupart
du temps très défectueux. Rarement elle pouvait faire autre
chose qu'ébaucher une légère esquisse : le plus souvent
elle se bornait à dire : "il a fait une très belle instruction
que malheureusement je ne puis pas rapporter. Sa provision naturelle de
mots et d'idées était trop peu abondante pour qu'elle pût
reproduire tout ce dont elle avait eu connaissance dans la contemplation.
Si elle eût eu de bonne heure l'avantage d'une direction spirituelle
en règle, qui, appréciant sans prévention les grâces
gratuites qui lui étaient départies, l'eût exercée
à rendre un compte détaillé de ses visions et l'eût
préservée des dérangements extérieurs, on aurait
pu sauver la plus grande partie de ce qui malheureusement est aujourd'hui
perdu pour toujours par suite de l'incurie d'hommes négligents.
Très souvent Anne Catherine racontait au moment même où
elle avait ses visions lesquelles suivant ce qui a été dit
plus haut, étant aperçues " dans l'ombre de la lumière
vivante, " n'interrompaient pas ses rapports avec le monde sensible. Ainsi
par exemple, le 13 juillet 1822, dans l'après midi, étant
à l'état de veille, elle eut en même temps une vision
touchant une grande agitation à Jérusalem à l'époque
d'Elie. Le tableau s'étendit en peu de temps dans toutes les directions
de la Palestine, et il s'y mêlait une foule d'allusions et d'explications
relatives au baptême de Jean qu'elle voyait précisément
ce mois là, d'une manière suivie. Mais voyant devant elle
le pèlerin qui écrivait pendant que d'autre part ses visions
suivaient leur cours, elle ne pouvait s'empêcher de rire du contraste
entre le moment présent, et un passe antérieur de près
de trois mille ans et elle était dans un état d'excitation
enjouée. Elle raconta alors : " Il y a étonnamment de courses,
d'allées et de venues, d'envois de messagers ; tout est en mouvement
dans le temple, ils consultent une quantité d'écrits et ils
écrivent avec des plumes de roseaux. Ce sont des clameurs et des
discours sans fin : j'entends une foule de paroles et de noms hébreux
mêlés ensemble que je ne comprends pas tout de suite ; cela
me fait rire. Je vois maintenant que c'est l'époque d'Elie : on
prie pour la pluie et on crie vers Dieu ; on envoie des messagers et on
cherche partout Elie. " De même quand Anne Catherine décrivait
les voyages du Sauveur à l'époque de sa prédication,
les contrées et les villes par lesquelles il passait, tout en racontant
elle les voyait dans le plus grand détail, ainsi que toute la topographie
des montagnes, des vallées, des déserts, toutes les directions
des fleuves et des cours d'eau : mais elle les décrivait, surtout
les jours où elle était distraite par quelque aggravation
extraordinaire dans ses souffrances, d'une manière peu intelligible
pour le pèlerin. Car dans sa contemplation elle parcourait les pays
en grande hâte, indiquant dans l'air de côté et d'autre
où se trouvait tel ou tel lieu ce qui n'était pas facile
à comprendre parce que le pèlerin ne pouvait pas toujours
savoir comment elle s'orientait lorsqu'elle voyait et donnait ses descriptions.
D'autres difficultés venaient de l'idiome très peu précis
de son pays et de la brièveté des descriptions dans lesquelles
Anne Catherine indiquait un lieu avec ce seul mot : " C'est là,
" montrant en même temps du doigt comme si le pèlerin eût
dû voir ce qu'elle voyait. Mais comme il ne le voyait pas et qu'en
conséquence il lui arrivait souvent de ne pas la comprendre, elle
disait : " Cela vient de ce qu'on n'est pas homme d'église. Dans
le sens supérieur du mot, dit le pèlerin, cela est certainement
très vrai : mais dans le sens ordinaire, jamais elle n'a trouvé
un ecclésiastique qui la comprît. . .
Le pèlerin avoue lui même qu'il ne s'est jamais occupé
d'études géographiques : malgré cela il a reproduit
avec une patience et une persévérance sans exemple les indications
de ce genre données par la narratrice, et quand il lui est arrivé
de décrire plus d'une fois le même pays, il a cherché
à compléter les uns par les autres les récits d'Anne
Catherine, en sorte que le lecteur, s'il peut avoir recours aux cartes
les plus exactes, ne pourra manquer le s'étonner en voyant à
quel point les indications des visions sont précises, frappantes
et propres à concilier ce que plusieurs cartes présentent
de contradictions. Le pèlerin a pu espérer que l'incontestable
conformité des indications géographiques, topographiques
et archéologiques données dans les visions avec l'état
réel des choses, tel qu'on peut le constater à l'aide des
sources profanes, serait une arme puissante destinée à défendre
l'authenticité des visions contre les attaques de ceux qui voudraient
les rendre suspectes : c'est pourquoi il n'a pas reculé devant le
travail extrêmement pénible auquel il lui a fallu se livrer
pour donner d'une manière aussi claire et aussi détaillée
que possible ce qu'il a pu tirer des communications de la voyante.
XVII
D'après ce qui a été dit, le lecteur ne trouvera
pas étrange de voir Anne catherine elle même s'exprimer dans
ses visions sur le travail du pèlerin dans des termes où
il est merveilleusement apprécié, mais non au delà
de ce qu'il mérite. Au mois de janvier 1820, comme elle méditait
sur la vie de la bienheureuse Madeleine de Hadamar, religieuse stigmatisée
comme elle, elle raconta ce qui suit : "Je l'ai vue souffrir beaucoup à
la suite de visites et de fausses démonstrations de respect, soit
à cause du dérangement qui en était la suite, soit
parce que cela la mettait en danger de se regarder comme quelque chose,
ce dont elle était fréquemment tentée. Du reste, ce
qui la concernait fut en général très maladroitement
exagéré, ce qui lui donna beaucoup d'ennuis, comme elle me
l'a dit elle même. Je vis aussi son confesseur écrire sur
elle, mais il ne s'y prenait pas bien, et parlait bien plus de son admiration
que des choses elles mêmes. Cela me fit penser à ce que le
pèlerin écrit de moi, et je vis qu'il n'éprouvait
presque pas d'admiration, et que la plupart du temps il écrivait
moins que Je n'ai vu ; parce que je ne pouvais pas tout lui dire et que
je ne raconte jamais ce que je ne sais pas bien. " Le 3 mai 1820, comme
le pèlerin lui racontait quelque chose de la vie de sainte Véronique
Giuliani, elle lui dit : " Je n'ai jamais rien entendu ou lu sur la vie
et l'état intérieur des saints qui ne fût pauvre, grossier
et sans vie, même quand on s'efforçait de faire du beau et
de l'ingénieux, en comparaison de ce que je vois d'eux : même
ce que sainte Thérèse a écrit sur sa vie ne répond
pas à ce que je vois d'elle. Tout cela est comme un soleil de terre
jaune, comparé au soleil réel Il en est de même pour
Madeleine. Le pèlerin écrit passablement ces sortes de choses.
"
Mais jamais elle ne s'exprima sur le travail du pèlerin en termes
aussi significatifs que le 30 décembre 1819 dans un moment où
elle avait une vision sur la montagne des prophètes. Elle était
pendant ce temps couchée sans mouvement dans sa chambre mal éclairée
: mais le pèlerin ayant pris en face d'elle une feuille de son manuscrit,
elle s'écria tout à coup : " Ces papiers sont couverts de
caractères lumineux. Cela a été écrit par l'homme
que j'ai vu la nuit dernière assis et écrivant. Il devrait
aller près de cette autre personne qui a le coeur tout déchiré
et que j'ai vue dernièrement, elle lui dirait bien des choses. (C'était
d'elle qu'il s'agissait, car elle parlait d'elle même comme d'une
personne étrangère toutes les fois qu'elle avait une vision
sur son propre état.) C'est écrit avec du lait, c'est d'une
blancheur éclatante. Les écrits qui sont sur la montagne
sont écrits avec l'eau sainte et limpide ; les deux liquides se
mêleront : ce sera un mélange excellent. Oh ! si tu pouvais
voir quelle lumière les rayons partant de la mer jettent sur la
montagne des prophètes, et comment tout cela coule ensemble ! Je
ne puis pas l'exprimer. Cet homme (le pèlerin) n'écrit pas
ainsi 1ui même : il a grâce de Dieu pour cela. Nul autre ne
pourrait faire cela comme lui, il est comme s'il voyait lui même.
"
Ceci est une preuve que, de même que les reliques des saints
et les objets bénits lui apparaissaient lumineux, ce qui arrivait
aussi pour ses propres cheveux et pour les croûtes de ses stigmates,
de même elle a vu non pas allégoriquement, mais réellement
et à la lettre, écrire avec un liquide lumineux le manuscrit
où ses visions étaient relatées, et les feuilles mêmes
de ce manuscrit lui sont apparu éclatantes de lumière.
XVIII
L'éditeur, ne pouvant conclure sans dire quelque chose de son
propre travail, se bornera simplement à faire remarquer qu'il s'est
toujours appliqué avec le plus grand soin à extraire du journal
du pèlerin la rédaction première et originelle des
visions. C'est pourquoi il a tout à fait laissé de côté
la démonstration que le pèlerin a essayé de donner,
dans ses dernières années, de la coïncidence du jour
de la vision avec le jour historique de l'événement contemplé,
aussi bien que l'application de ce système à la chronologie
de l'Ancien testament. Si Anne Catherine avait été en état
de donner exactement jour par jour ses visions journalières, au
moins sous forme d'esquisses arrêtées, il n'y aurait rien
de décisif à opposer au calcul en question ; mais bien souvent
elle ne pouvait que se rappeler à grand peine et par fragments,
un jour où elle était moins dérangée qu'à
l'ordinaire, les visions de plusieurs semaines, ou même de plusieurs
mois ; en sorte que pour assigner à chaque vision un jour déterminé,
il fallait se contenter de conjecture assez incertaines. Quand donc l'éditeur
marque les jours des visions, la seule conséquence qu'on en doive
tirer, c'est qu'il donne simplement, d'après ce qui est rapporté
dans le journal, le moment où la scène dont il est question
a été vue par Anne Catherine, et, quand cela est possible,
celui où elle l'a raconté au pèlerin. Dans le texte
même on n'a pas changé un mot : seulement l'éditeur,
pour en rendre la lecture plus facile, a ajouté la division par
chapitres. les intitulés des diverses visions, et, quand cela a
paru nécessaire, des remarques explicatives.
VIE DE N. S. JESUS CHRIST.
CHAPITRE PREMIER
Scènes de la Jeunesse de Jésus jusqu'à la mort
de saint Joseph.
La sainte Famille à Nazareth. Jésus à douze ans.
il enseigne dans le temple de Jérusalem.
Mort de saint Joseph.
Jésus et Marie vont demeurer entre Capharnaum et Bethsaide.
(10 11 juillet 1819). Je vis à Nazareth la sainte Famille, composée
seulement de trois personnes, Jésus, Marie et Joseph ; depuis la
dixième jusqu'à la vingtième année de Jésus,
à peu près, je les y vis deux fois habiter une maison étrangère
; c'était comme un logement pris à loyer chez d'autres personnes.
De la vingtième à la trentième année de Jésus
environ, je les vis dans une maison où ils étaient seuls.
Il y avait dans la maison trois chambres séparées celle
de la Mère de Dieu était la plus grande et la plus agréable
: c'était là qu'ils se réunissaient pour la prière.
Du reste je les voyais rarement tous trois ensemble. Ils se tenaient debout
lorsqu'ils priaient ; ils avaient les mains croisées sur la poitrine
et semblaient parler à haute voix. Je les voyais souvent prier à
la lumière sous une lampe à plusieurs mèches. Peut
être aussi était ce une espèce de chandelier à
plusieurs branches fixé à la muraille Jésus se tenait
le plus souvent seul dans sa chambre. Joseph s'occupait dans la sienne
à des travaux de son métier. Je le voyais façonner
des bâtons et des lattes, polir des morceaux ne bois, quelquefois
même apporter une poutre, et je vis Jésus l'aider.
Marie était le plus souvent occupée à coudre faire
une espèce de tricot avec des petits bâtons. Elle était
alors assise et avait une petite corbeille près d'elle.
Je vis Jésus rechercher de plus en plus la solitude et la méditation
à mesure que le temps où il devait enseigner s'approchait.
Chacun dormait à part dans son réduit et la couche consistait
en une couverture qu'on roulait le matin.
Je vis Jésus jusque vers sa douzième année donner
toute l'assistance possible à ses parents : je le vis aussi, hors
de la maison et partout où l'occasion s'en présentait, se
montrer amical pour chacun, aider les autres et leur rendre toute espèce
de service Dans ses premières années il était un modèle
pour tous tes enfants de Nazareth. Ils l'aimaient et craignaient de lui
déplaire. Les parents de ses compagnons disaient souvent à
ceux ci lorsqu'ils se conduisaient mal ou commettaient quelque faute :
" Que dira le fils de Joseph si je lui raconte ceci ? Comme il en sera
fâché ! Quelquefois aussi ils lui portaient des plaintes amicales
contre leurs enfants en présence de ceux ci et lui disaient : "
Dis lui donc de ne plus faire ceci ou cela. " Jésus prenait cela
avec simplicité et comme par manière de jeu, puis du ton
le plus affectueux, il engageait ses amis à faire telle ou telle
chose. il priait avec eux pour leur obtenir du Père céleste
la force de se corriger, il les exhortait à faire des excuses et
à avouer leurs fautes sans délai.
La narratrice avait eu une vision étendue et très précise
sur toute la jeunesse de Jésus : mais la maladie et les dérangements
ne m'ont Permis d'en rapporter que ce qui suit :
A une lieue à peu près au nord est de Nazareth, du côté
de Séphoris, se trouve un endroit nommé Gophna : c'était
là qu'au temps de la jeunesse de Jésus, habitaient les parents
de Jean et de Jacques le Majeur. Ceux ci dans leurs premières années
étaient souvent avec Jésus jusqu'au moment où leurs
parents allèrent à Bethsaïde et où eux mêmes
devinrent Pêcheurs.
A Nazareth demeurait un homme nommé Zebedia ou Sebadia, qui
n'était pas le Zébédée, père de Jean
et de Jacques. Il avait une fille mariée à un Essénien,
parent de Joachim : je ne me souviens plus de leurs noms. Ces époux
avaient quatre fils un peu plus âgés ou un peu plus jeunes
que Jésus. Ils s'appelaient Cléophas, Jacob, Juda et Japhet
; plus tard ils sont devenus disciples de Jean Baptiste et après
sa mort disciples de Jésus. Cléophas est le même auquel
Jésus s'apparut à Emmaus en compagnie de Luc. Il était
marié et demeurait alors à Emmaus. Sa femme se réunit
plus tard aux femmes de la communauté chrétienne. Ces quatre
disciples allèrent trouver Jean vers le temps du baptême de
Jésus et ils restèrent près de lui jusqu'à
la fin. Lorsqu'André et Saturnin allèrent rejoindre Jésus
de l'autre côté au Jourdain, ils les suivirent et restèrent
avec lui toute la journée. Ils étaient aussi du nombre des
disciples de Jean que Jésus amena avec lui aux noces de Cana.
Ces jeunes gens dans leur enfance étaient aussi du nombre des
camarades de Jésus : leurs parents et eux allaient ordinairement
à Jérusalem pour la fête de Pâques en compagnie
de la sainte Famille.
(Le dimanche dans l'octave de l'Epiphanie 1820.) Le Sauveur était
d'une taille mince et élancée : son visage de forme allongée,
était tout lumineux, il paraissait d'une bonne santé, quoique
pâle. Ses cheveux d'un blond rougeâtre étaient parfaitement
lisses : ils étaient séparés sur son front ouvert
et élevé et tombaient sur ses épaules. Il portait
une longue tunique d'un gris brunâtre, qui paraissait faite au métier
et lui descendait Jusqu'aux pieds Les manches étaient assez larges
aux poignets.
(Le dimanche dans l'octave de l'Epiphanie 1822.) Jésus avait
huit ans(1) lorsqu'il alla pour la première fois à Jérusalem
avec ses parents pour la fête de Pâques : il y retourna les
années suivantes.
Déjà dans ses premiers voyages Jésus avait été
remarqué chez les amis qui leur donnaient l'hospitalité à
Jérusalem : il l'avait été aussi par des prêtres
et des docteurs. Chez beaucoup de personnes de leur connaissance à
Jérusalem, on parlait du sage et pieux enfant, de l'étonnant
fils de Joseph, comme chez nous, aux pèlerinages annuels, on remarque
telle ou telle personne simple et pieuse, ou quelque petite paysanne avisée.
et. quand elle revient, on se la rappelle.
Ainsi Jésus, lorsque dans sa douzième année il
alla à Jérusalem en compagnie de ses parents et de leurs
amis était déjà connu de diverses personnes de la
ville.
Note1 : Les commentateurs les plus autorisés de l'Ecriture admettent
également que ce ne fut pas dans sa douzième année
que Jésus alla à Jérusalem pour la première
fois.
Les parents avaient coutume pendant le voyage d'aller de côté
et d'autre avec les gens de leur pays, et à ce voyage ci, le cinquième
que faisait Jésus, ils savaient qu'il allait toujours avec les jeunes
gens de Nazareth. Or Jésus cette fois s'était séparé
de ses compagnons aux environs du mont des Oliviers et ceux ci croyaient
qu'il s'était réuni à ses parents qui venaient à
leur suites mais il était allé vers le côté
de Jérusalem qui regarde Bethléem, dans cette hôtellerie
où la sainte Famille avait logé avant la purification de
Marie. La sainte Famille le croyait en avant avec les autres personnes
de Nazareth, tandis que ceux ci croyaient qu'il suivait avec ses parents.
Jusqu'au retour tous se trouvèrent ensemble à Gophna, Marie
et Joseph furent extraordinairement inquiets de son absence. Ils retournèrent
aussitôt à Jérusalem ; sur la route et à Jérusalem,
ils s'enquirent de lui partout, mais ils ne purent pas le trouver d'abord
parce qu'il n'avait pas été là où ils séjournaient
d'habitude. Jésus avait passé la nuit dans l'hôtellerie
de la porte de Bethléem où ses parents et lui étaient
connus.
S'étant réuni là à plusieurs jeunes gens,
il était allé avec eux dans deux écoles de la ville
: le premier jour dans l'une, le second jour dans l'autre. Le troisième
jour il avait été le matin, dans une troisième école
près du temple et l'après midi, dans le temple même
où ses parents le trouvèrent. Ces écoles étaient
de différente espèce et toutes n'étaient pas précisément
des écoles où l'on enseignât la loi : on y enseignait
aussi d'autres sciences. La dernière était dans le voisinage
du temple et on y formait des prêtres et des lévites.
Jésus, par ses demandes et ses réponses, jeta les maîtres
et les rabbins dans un tel étonnement et même dans un tel
embarras qu'ils se proposèrent le troisième jour après
midi de faire humilier l'enfant Jésus sur différents points
par les rabbins les plus savants, dans le temple même et du haut
de la chaire. Les docteurs et les scribes se concertèrent ensemble
pour cela : car d'abord ils avaient pris plaisir à l'entendre ;
puis ils s'étaient irrités contre lui. Ceci eut lieu à
l'endroit où l'on enseignait publiquement, au milieu du vestibule
du temple devant le sanctuaire, dans la salle ronde où Jésus
enseigna encore plus tard. Je vis là Jésus assis sur un grand
siège qu'il ne remplissait pas tout entier à beaucoup près.
Il était entouré d'une quantité de vieux Juifs revêtus
d'habits sacerdotaux. Ils écoutaient attentivement et paraissaient
pleins de dépit : je craignais qu'ils ne voulussent mettre la main
sur lui. Le siège où il était assis était orné
de têtes brunes semblables à des têtes de chiens : elles
étaient d'un brun verdâtre et le haut était reluisant,
avec un reflet jaune. Des têtes et des figures du même genre
ornaient plusieurs longues tables ou dressoirs placés latéralement
dans cet endroit du temple et qui étaient couverts d'offrandes.
Cette pièce était si vaste et si remplie de monde qu'on n'avait
pas le sentiment qu'on fût dans une église.
Comme Jésus dans les écoles avait fait usage pour ses
réponses et ses explications d'exemples de toute espèce,
tires des choses naturelles, des arts et des sciences, on avait réuni
ici des hommes versés dans ces différentes branches des connaissances
humaines : comme ils commençaient, chacun de son côté,
à disputer avec Jésus, il leur dit que ces sortes de discussions
n'étaient pas précisément à leur place dans
le temple, mais que pourtant il leur répondrait même ici,
parce que telle était la volonté de son Père. Ils
ne comprirent pas qu'il entendait parler de son Père céleste,
mais ils crurent que Joseph lui avait ordonné de faire montre de
toutes ses connaissances.
Jésus répondit et enseigna sur la médecine et
il décrivit tout le corps humain d'une façon inconnue aux
plus savants d'entre eux : il fit de même pour l'astronomie, l'architecture,
l'agriculture, la géométrie et l'arithmétique, la
science du droit, en un mot pour tout ce qui fut mis en avant (2) il ramena
tout d'une façon si ingénieuse à la loi et à
la promesse, aux prophéties, au temple et aux mystères du
culte et du sacrifice que les uns étaient saisis d'admiration, les
autres confus et dépités, et cela alternativement tous fussent
couverts de confusion et outrés de dépit : ce qui venait
surtout de ce qu'ils entendaient des choses qu'ils n'avaient jamais sues,
ni jamais comprises de cette sorte.
Note 2 : Que le lecteur ne s'étonne pas de voir le Sauveur dans
son enseignement toucher à des objets qui y semblent si étrangers.
De ce nombre sont précisément ces sciences qui ont le plus
souvent pour résultat de faire pécher l'homme par orgueil,
si bien qu'au lieu de le conduire à Dieu, elles l'en éloignent
et le précipitent dans des ténèbres de plus en plus
épaisses. Lors donc que le Sauveur daigne s'en occuper dans son
enseignement, il présente une expiation pour cette sorte d'orgueil
et de présomption, et montre en même temps quel doit être
le point de départ et le but de toute science pour qu'elle puisse
être mise au service de Dieu et devenir par là méritoire.
Remarquons ici une fois pour toutes, ce qui n'échappera pas
au lecteur attentif, que, d'après les visions, les actes et les
opérations du Sauveur suivent un ordre progressif merveilleux. Ainsi,
par exemple, de même que le Dieu fait homme passe, afin de tout expier
et de tout sanctifier, par tous les degrés de l'âge et du
développement humain jusqu'à la parfaite virilité,
se soumettant lui même à l'ordre sous lequel, comme législateur
suprême, il a placé l'homme j de même aussi il révèle
d'une manière correspondante à cet ordre les mystères
de son action rédemptrice et acquiert sur chaque degré de
nouveaux mérites d'une valeur infinie pour le salut de tous. Si
donc le lecteur rencontre quelque chose qui lui paraisse d'abord difficile
à concevoir, l'étude comparée des détails lui
donnera une vue de l'ensemble où les difficultés disparaîtront.
Il y avait déjà deux heures qu'il enseignait ainsi, lorsque
Joseph et Marie vinrent aussi dans le temple et s'enquirent de leur enfant
près de quelques lévites qu'ils connaissaient. ils apprirent
alors qu'il était avec les scribes dans la salle où l'on
enseignait. Comme ce n'était pas un lieu où il leur fût
permis d'entrer, ils y envoyèrent le lévite pour prier Jésus
de venir, mais Jésus leur fit dire qu'il voulait finir d'abord ce
qu'il avait à faire. Marie fut très attristée de ce
qu'il ne venait pas tout de suite. C'était la première fois
qu'il faisait sentir à ses parents qu'il avait à obéir
à d'autres ordres encore qu'aux leurs. il continua à enseigner
pendant une bonne heure, et quand tous eurent été réfutés
et confondus au grand dépit de la plupart d'entre eux, il quitta
la salle et vint trouver ses parents dans le parvis des Israélites
et des femmes. Joseph était intimidé et étonné
: il ne disait rien. Mais Marie s'approcha de Jésus et lui dit :
" Mon fils, pourquoi en as tu agi ainsi envers nous, voilà que ton
père et moi nous te cherchions tout affligés.
Mais Jésus était encore plein de gravité et il
répondit : "Pourquoi me cherchiez vous ? ne saviez vous pas que
je dois m'occuper des affaires de mon Père, "ils ne comprirent pas
cela et se remirent en route avec lui pour revenir. Les assistants étaient
tout étonnés et les regardaient avec curiosité. J'étais
très inquiète, craignant qu'ils ne se saisissent de l'enfant,
car j'en vis quelques uns pleins de colère. Mais à ma grande
surprise, ils laissèrent la sainte Famille se retirer tranquillement
: la foule pressée autour d'eux s'ouvrit pour les laisser passer.
je vis tout cela très en détail, et j'entendis la plus grande
partie de ses instructions, mais la souffrance et les soucis font que je
ne puis pas tout retenir. Son enseignement fit un grand effet chez tous
les scribes : quelques uns en prirent note comme d'une chose remarquable.
On en parla beaucoup de divers côtés, et il y eut à
ce sujet bien des bavardages et des mensonges. Mais ils tinrent secrète
entre eux toute la manière dont la chose s'était passée,
ils parlèrent de Jésus comme d'un enfant inconsidéré
qu'on avait remis a sa place : il avait de belles facultés, disaient
ils, mais cela avait encore besoin d'être poli par l'éducation.
Je vis la sainte Famille revenir à Jérusalem : ils se
joignirent devant la ville à une troupe composée de trois
hommes, de deux femmes et de quelques enfants que je ne connaissais pas,
mais qui paraissaient être aussi de Nazareth. En compagnie de ces
personnes, ils suivirent encore divers chemins autour de Jérusalem
; ils allèrent au mont des Oliviers, s'arrêtèrent ça
et là dans les beaux jardins d'agrément qui s'y trouvent
et prièrent les mains croisées sur la poitrine. Je les vis
aussi passer un ruisseau sur un grand pont. Ces allées et venues
et ces prières de la petite compagnie me donnèrent tout à
fait l'idée d'un pèlerinage.
Quand Jésus fut de retour à Nazareth, je vis préparer
dans la maison d'Anne une fêle où l'on réunit tous
les jeunes garçons et les jeunes filles appartenant aux familles
de leurs parents et de leurs amis. Je ne sais pas si c'était une
fête pour se réjouir d'avoir retrouvé Jésus
; peut être aussi était ce une fête qui avait lieu après
le retour de la fête de Pâques ou bien encore qu'on célébrait
quand les garçons atteignaient leur douzième année.
Mais Jésus était là comme le principal personnage.
On avait élevé au dessus de la table de jolies cabanes
de feuillage : des guirlandes de feuilles de vigne et d'épis y étaient
suspendues : les enfants avaient aussi des raisins et des petits pains.
Il y avait à cette fête trente trois enfants, tous disciples
futurs de Jésus, et je vis qu'il y avait là quelque chose
qui se rapportait au nombre des années de la vie de Jésus,
mais je l'ai oublié comme beaucoup d'autres choses. Jésus
enseigna, et pendant toute la fête il raconta aux autres enfants
une parabole merveilleuse et qui ne fut pas comprise pour la plus grande
partie, touchant des noces où l'eau devait être changée
en vin et les convives indifférents en amis zélés,
puis encore touchant des noces où le vin devait être changé
en sang et le pain en chair, ce qui devait se perpétuer parmi les
convives jusqu'à la fin du monde pour les consoler et les fortifier
et pour établir entre eux un lien vivant. Il dit aussi à
un jeune homme de ses parents, nommé Nathanael : " Je serai à
tes noces. " C'est tout ce que j'ai retenu.
A dater de cette douzième année, Jésus fut toujours
comme le précepteur de ses compagnons : il s'asseyait souvent au
milieu d'eux, leur faisait des récits et se promenait avec eux dans
les environs. Dans sa dix huitième année, il commença
à aider saint Joseph dans les travaux de sa profession.
(Commencement de mai 1821.) Vers la trentième année de
la vie de Jésus, saint Joseph s'affaiblit de plus en plus, et je
vis plus souvent Jésus et Marie réunis près de lui.
Marie était souvent assise devant sa couche, soit par terre, soit
sur une table ronde tort basse, qui avait trois pieds et dont ils se servaient
aussi pour faire leurs repas. Je les vis manger rarement ; quand ils mangeaient,
ou qu'ils portaient à saint Joseph une réfection dans son
lit, c'étaient trois petites tranches blanches, larges d'environ
deux doigts, placées l'une près de l'autre sur une petite
assiette ou de petits fruits dans une petite écuelle : ils lui donnaient
aussi à boire d'un breuvage contenu dans une espèce de cruche.
Lorsque Joseph mourut, Marie était assise à la tête
de son lit et le tenait dans ses bras, Jésus se tenait à
la tête de son lit et le tenait dans ses bras, Jésus se tenait
à la hauteur de sa poitrine. Je vis la chambre remplie de lumière
et pleine d'anges. Il fut enveloppé dans un linceul blanc, les mains
croisées sur la poitrine, couché dans une bière étroite
et déposé dans un très beau caveau sépulcral
qu'il tenait d'un homme de bien. Peu de personnes, outre Jésus et
Marie, suivirent son cercueil : mais je le vis entouré de lumière
et accompagné par des anges.
Joseph devait mourir avant le Seigneur, car il n'aurait pu supporter
son crucifiement. Il était trop faible et trop affectueux. Il avait
déjà beaucoup souffert par suite des persécutions
que la malice secrète des Juifs fit endurer au Sauveur, depuis sa
vingtième jusqu'à sa trentième année. Ils ne
pouvaient pas le souffrir, et disaient toujours, pleins d'envie, que le
Fils du charpentier voulait tout savoir mieux que les autres parce qu'il
contredisait souvent la doctrine des pharisiens et qu'il était habituellement
entouré de jeunes gens qui s'étaient attachés à
lui.
Marie a infiniment souffert de ces persécutions. Les souffrances
de ce genre m'ont toujours paru plus grandes que des supplices corporels.
On ne peut dire avec quelle charité Jésus supportait,
dans sa jeunesse, les persécutions et les méchancetés
des Juifs.
( 2 juillet 1821. ) Joseph, le père nourricier de Notre Seigneur,
est mort depuis environ deux mois. Il est mort à Nazareth et y a
été enterré. un homme de bien lui a procuré
une très belle sépulture. Son corps fut plus tard porté
à Bethléem par des chrétiens qui l'y enterrèrent.
Il me semble que je l'y vois encore maintenant et qu'il n'a éprouvé
aucune altération.
Avant la mort de Joseph je vis Jésus aller seulement dans le
voisinage sans jamais s'éloigner beaucoup. Les derniers jours, j'ai
vu qu'après la mort de Joseph, Jésus et Marie allèrent
à Capharnaum. La maison de Nazareth était fermée.
Le lieu où ils allèrent n'était pas la ville même
de Capharnaum, mais comme un hameau de quelques maisons entre Capharnaum
et Bethsaide. C'était l'endroit où alla le père de
Pierre lorsqu'il remit à celui ci la pêcherie voisine de Bethsa'de.
Jésus reçu là une maison d'un certain Lévi
de Capharnaum. Ce Lévi aimait la sainte Famille, et il donna à
Jésus cette maison pour y demeurer. Elle était isolée
et entourée d'un fossé d'eau dormante : il y avait près
de là plusieurs autres maisons. Quelques uns des gens de Lévi
y demeuraient pour faire le service et celui ci envoyait de Capharnaum
les aliments nécessaires.
Beaucoup de jeunes gens de Nazareth s'étaient attachés
à Jésus dès le temps de son adolescence, mais ils
l'abandonnèrent les uns après les autres. Il parcourait souvent
les bords du lac avec ses compagnons ; il allait aussi à Jérusalem
pour les fêtes, et la famille de Lazare, à Bethanie, était
dès lors en relation avec la sainte Famille. C'est pourquoi les
pharisiens de Nazareth l'appelaient un vagabond et se scandalisaient à
son sujet. Lévi lui avait donné cette maison pour qu'il eût
plus de liberté, et qu'il pût y réunir ceux qui voudraient
l'entendre.
Il y avait près du lac, autour de Capharnaum, une contrée
coupée de vallées singulièrement fertiles et riantes.
On y faisait plusieurs récoltes dans l'année ; la végétation
y était admirablement belle : on y voyait en même temps des
fleurs et des fruits. Beaucoup de Juifs de distinction avaient là
des jardins et des châteaux ; Hérode aussi. Les Juifs, au
temps de Jésus, n'étaient plus comme leurs pères,
ils s'étaient fort gâtés par le commerce et les rapports
avec les pa'ens. Je n'ai jamais vu les femmes se montrer en public, pas
même pour la culture des champs, si ce n'est des personnes très
pauvres qui allaient glaner des épis. On ne les voyait que dans
les pèlerinages à Jérusalem et à d'autres lieux
de prière. C'étaient presque toujours des esclaves qui cultivaient
la terre et qui faisaient les emplettes de toute espèce. J'ai vu
toutes les villes de la Galilée dans les dernières nuits.
Là où l'on rencontre à peine aujourd'hui trois bourgades
en ruines on en trouvait alors une centaine, et la population était
innombrable.
3 juin. A midi, je vis que Marie, fille de Cléophas, qui habitait
la maison de sainte Anne, près de Nazareth, avec son troisième
mari, père de Siméon de Jérusalem, était venu
dans la maison de la sainte Vierge à Nazareth. Elle avait avec elle
Siméon, son fils du troisième lit ; les serviteurs étaient
restés dans la maison d'Anne. Je vis Jésus et Marie s'y rendre
de Capharnaum : je crois que Marie y restera et qu'elle avait seulement
accompagné Jésus à Capharnaum : elle est bien touchante
à voir quand elle le suit. J'ai aussi appris que Jésus veut
aller ces jours ci dans le pays d'Hébron, où habitait Zacharie.
José Barsabas. fils de Marie de Cléophas, de son second
mariage avec Sabas, était à la maison. Les trois fils de
son premier mariage avec Alphée, Simon, Jacques le Mineur et Thaddée,
qui ont déjà des occupations hors de la maison, y sont venus
aussi pour consoler la sainte Famille après la mort de Joseph et
pour revoir Jésus avec lequel ils n'ont eu que peu de rapport depuis
son enfance. Ils avaient quelque connaissance vague et générale
des prophéties de Siméon et d'Anne lors de la présentation
de Jésus au Temple, mais ils n'y ajoutaient pas beaucoup de foi.
Ils préférèrent s'attacher à Jean Baptiste
qui traversa le pays peu de temps après.
CHAPITRE SECOND.
Commencement de l'histoire de la prédication de Jésus
:
depuis la mort de saint Joseph jusqu'au moment où Jésus
va au Jourdain pour son baptême.
(Du 2 juin au 27 septembre 1821.)
- Jésus va à Hébron, à la mer Morte, sur
la rive orientale du Jourdain, sur la rive occidentale,
près du lac de Génésareth, à Sidon et à
Sarepta, il revient à Nazareth.
- Le sanhédrin se déclare contre Jésus.
- Jésus à Nazareth, à Capharnaûm, à
Bethsaide, à Bethulie, à Kedès, à Jezrael,
au séjour des publicains, à Kimki.
- Promenades et conversations avec l'essénien Eliud, dans la
vallée d'Esdrelon, à Nazareth, à Gophna, à
Bethanie.
- Marie la Silencieuse soeur de Lazare. - Séjour à Bethanie.
- Jésus se rend avec Lazare au lieu où l'on baptise près
du Jourdain.
Remarque de l'éditeur.
Plus d'un lecteur pourra d'abord trouver étrange que les visions
de ce chapitre lui montrent déjà le Sauveur enseignant et
opérant des miracles, tandis qu'on est généralement
habitué à se représenter la prédication de
Jésus et son action miraculeuse comme ne commençant qu'après
son baptême. Il pourrait facilement arriver qu'on voulût voir
là une contradiction entre les visions et les saints Evangiles,
parce que saint Jean (II, 11), rapporte que le Sauveur a donné commencement
à ses miracles par le changement de l'eau en vin a Cana. Cette contradiction
toutefois n'est qu'apparente, et il est facile de l'expliquer. En effet,
c'est dans les quatre mois qui, d'après les visions, se sont écoulés
depuis la mort de saint Joseph jusqu'au baptême de Jésus dans
le Jourdain, que tombe l'action publique de Jean Baptiste, le précurseur
chargé de préparer les voies du Seigneur. Celui ci commença
à baptiser et à prêcher sur les bords du Jourdain,
à peu près au moment même où Jésus, encore
inconnu et regardé seulement comme un saint docteur et un prophète
à cause de la charité inexprimable, de la majesté
et de la mansuétude qui se manifestaient dans sa personne, parcourait
la Judée, la Pérée et la Galilée, allant même
jusqu'à Sidon et à Sarepta. Dans ces courses le Sauveur suivait
les traces des anciens prophètes, visitait tous les lieux où
il s'était passé quelque chose de figuratif se rapportant
à lui, afin de donner leur accomplissement à toutes les promesses,
à toutes les préparations, à toutes les figures. En
même temps il pratiquait les oeuvres de charité les plus pénibles
et les plus humbles qu'il ne devait plus opérer de la même
manière dans les années de prédication qui devaient
suivre, parce que son temps devait être autrement employé
: mais surtout il adressait à Jean tous ceux qui l'écoutaient,
les exhortant à aller au Jourdain et à recevoir le baptême
de la main de Jean. Dans cette période, le Sauveur ne parle nulle
part de lui même, il ne révèle nulle part qu'il est
le Messie annoncé par Jean. Il parle uniquement de Jean, de la pénitence
qu'il prêche et de son baptême.
A cela correspond aussi le caractère du petit nombre de guérisons
miraculeuses dont parlent les visions de cette période. Elles font
partie de ces prodiges que Maldonat et après lui Cornélius
a Lapide rangent parmi ceux que Jésus a opérés plus
secrètement et sans avoir directement en vue de se manifester comme
le Messie attendu. Quant aux miracles opérés dans ce dernier
but, le Sauveur leur a donné commencement à Cana, ainsi que
cela est expliqué en son lieu d'après les visions de la manière
la plus profonde : mais à vouloir affirmer que le miracle de Cana
fut la première de toutes les opérations miraculeuses de
Jésus, on serait aussi peu croyable, dit Maldonat, qu'en prétendant
que la première instruction de Jésus après son baptême
fut aussi la première qu'il eût jamais faite.
(Du 3 au 22 juin. ) Comme Jésus allait de Capharnaum à
Hébron, par Nazareth, il vint dans la contrée où plus
tard il nourrit un peuple nombreux en multipliant les pains et aussi dans
le voisinage de l'endroit où il fit dans la suite une partie du
sermon sur la montagne. Vis à vis de cette montagne, à peu
près à une lieue, du côté exposé au soleil
où tout mûrit si bien, il y avait une fête populaire
dans un endroit très agréable, situé tout contre la
route (plus tard elle dit d'une manière plus précise qu'il
s'agissait des bains attenant au lac de Bethulie, situé dans le
district de Génésareth, et qu'on appelait aussi la fontaine
de Capharnaûm). Jésus en passant vit là des hommes
et des femmes séparés en groupes qui jouaient aux gageures
: l'enjeu consistait en fruits.
Ce fut là que Jésus vit Nathanaël, surnommé
Khased, debout à l'endroit où se tenaient les hommes, sous
un figuier et comme Nathanaël, en regardant jouer les femmes, était
assailli d'une tentation de la chair contre laquelle il luttait, Jésus
en passant le regarda fixement comme pour l'avertir. Nathanaël, sans
connaître Jésus, fut profondément ému de ce
regard : cet homme, pensa t il, a l'oeil pénétrant. Jésus
lui fit l'effet d'être plus qu'un homme ordinaire. Il se sentit atteint,
rentra en lui même, surmonta la tentation et fut, à dater
de ce moment, beaucoup plus fort contre lui même. Il me semble avoir
aussi vu là Nephtali, surnommé Barthélémy,
et je crois que lui aussi fut vivement touché d'un regard de Jésus.
Marie resta à Nazareth avec Marie de Cléophas, dont le
troisième mari Jonas, dirigeait le ménage dans la maison
de sainte Anne. Jésus alla avec deux de ses amis d'enfance à
Hébron, dans la Judée. Ceux ci ne lui restèrent pas
fidèles ; ils devinrent ses ennemis, et ce ne fut qu'après
la résurrection, lors de sa manifestation sur la montagne de Thébez,
en Galilée, qu'ils se convertirent et se réunirent à
la communauté chrétienne.
(5 juin. ) J'ai vu Jésus visiter Lazare à Bethanie. Lazare
paraissait beaucoup plus âgé que Jésus : il me semblait
au moins avoir huit ans de plus. il avait un grand étal de maison
avec beaucoup de serviteurs, de propriétés et de jardins.
Marthe avait sa maison à elle, et une autre soeur, nommée
Marie, qui vivait tout à fait retirée, avait aussi sa demeure
à part Madeleine habitait dans le château de Magdalum. Lazare
connaissait depuis longtemps déjà la sainte Famille : il
avait précédemment aidé Joseph et Marie dans leurs
nombreuses aumônes. Je vis aussi plus clairement que je ne l'avais
fait encore, combien Lazare a fait pour la communauté chrétienne
depuis le commencement jusqu'à la fin : c'était lui qui remplissait
la bourse que portait Judas et qui avait fait les premiers frais de tout.
Jésus fut aussi au temple à Jérusalem.
(6 juin.) à Hébron Jésus se sépara de ses
compagnons. Il dit qu'il avait un autre ami à visiter. Zacharie
et Elisabeth ne vivent plus. Jésus alla dans le désert où
Elisabeth avait porté Jean encore enfant. Il était situé
au midi entre Hébron et la mer Morte. On franchissait d'abord une
montagne élevée, couverte de cailloux blancs, et on descendait
ensuite dans une jolie vallée où il y avait des palmiers.
C'est là que je vis aller Jésus.
( 7 juin. ) Jésus est allé dans la grotte où Jean
fut d'abord conduit par Elisabeth. Il a passé ensuite une petite
rivière que Jean aussi avait traversée. Je le vis seul et
en prières, comme s'il se préparait à sa carrière
de prédication.
(8 11 juin) Je vis Jésus revenir du désert à Hébron
Partout il prêtait une main secourable. Ainsi je vis que près
d'un grand amas d'eau, c'était de l'eau salée (vraisemblablement
la mer Morte), il vint en aide à des gens embarqués sur une
espèce de radeau, au dessus duquel était dressé un
pavillon. Il y avait là des hommes, des animaux et des bagages.
Jésus les appela et poussa une poutre du rivage jusqu'à leur
embarcation. Il les aida à débarquer et travailla avec eux
à réparer leur bateau. Ces gens ne pouvaient s'imaginer qui
il était, car sans avoir rien qui le distinguât des autres
dans ses vêtements, toute sa personne était si merveilleusement
attrayante et si pleine de dignité qu'ils en étaient grandement
émus. Ils crurent d'abord que c'était Jean Baptiste, qui
avait déjà paru sur les bords du Jourdain : mais ils reconnurent
bientôt que ce n'était pas lui, car Jean était plus
brun et avait des dehors plus rudes. Jésus célébra
le sabbat à Hébron. Il congédia là ses compagnons
de voyage. il alla visiter des malades dans leurs maisons, les consola,
les assista, les soulevant, les portant, arrangeant leurs couches ; mais
je ne je vis pas guérir. il se montrait bienfaisant envers tous
et excitait partout l'admiration. Je le vis aller vers des possédés,
qui devinrent tranquilles quand il fut près d'eux : cependant il
ne chassa pas de démons. Il relevait ceux qui tombaient, donnait
à boire à ceux qui avaient soif, indiquait les sentiers et
les gués à ceux qui cheminaient, et tous étaient dans
l'admiration de ce voyageur si charitable. Dans la nuit du samedi il quitta
Hébron, et le dimanche au matin il arriva à l'embouchure
du Jourdain dans la mer Morte. Il traversa là le Jourdain et, remontant
la rive orientale du fleuve, il se dirigea vers la Galilée.
(12 juin.) Je vis Jésus dans ces derniers jours aller à
l'orient de la mer de Galilée, entre Pella et la contrée
de Gergesa. Il fait de petits voyages, et partout il se montre secourable.
Il va visiter tous 16 ; malades et même les lépreux : il les
console, arrange leur couche, les exhorte à prier, leur indique
un régime et des remèdes, et tous l'admirent. J'ai vu aussi
dans un endroit deux personnes qui avaient connaissance des prophéties
de Siméon et d'Anne, et `qui lui demandèrent si c'était
de lui qu'il s'agissait. Ordinairement des gens qui l'avaient pris en affection
l'accompagnaient d'un lieu à l'autre. Les possédés
devenaient tranquilles près de lui. Je l'ai vu cette nuit au bord
d'un petit torrent (le Hiéromax)qui tombe dans le Jourdain au dessous
de la mer de Galilée, non loin de cette montagne escarpée
de laquelle, plus tard, il précipita les pourceaux dans la mer Au
bord du torrent était une rangée de petites huttes en terre,
semblables à des cabanes de bergers ; il s'y trouvait des gens qui
construisaient des bateaux sur le rivage et qui ne pouvaient pas en venir
à bout. Je vis Jésus aller à eux et les conseiller
amicalement ; et je vis apporter des poutres, mettre là main à
leur travail, leur montrer divers procédés à employer,
et pendant le travail les exhorter à la charité et à
la patience, etc.
(20 juin.) J'ai vu Jésus plusieurs autres fois depuis que je
l'avais vu sur la rive orientale de la mer de Galilée, mais j'ai
toujours tout oublié. Il revint sur le bord occidental, et je le
vis cette nuit dans un petit endroit composé de maisons dispersées
et situé sur un plateau élevé, entre deux collines,
non loin de Capharnaum, de Magdalum et de Domna, au nord est de Séphoris.
Il s'y trouvait une synagogue. Les habitants étaient des gens dont
personne ne s'occupait ; toutefois ils n'étaient pas méchants.
Abraham avait possédé là des prairies pour les bêtes
destinées aux sacrifices ; Joseph et ses frères gardaient
leurs troupeaux dans les environs, et c'est dans cette contrée que
Joseph fut vendu. Le lieu s'appelle Dothaim et doit être distingué
de Dothan, qui est à environ quatre lieues de Samarie. C'était
maintenant un petit endroit peu habité : mais le terroir était
bon, et il s'y trouvait de nombreux pâturages qui s'étendaient
de plain pied jusqu'à la mer de Galilée. Il y avait là
une grande maison, comme une maison de fous, où demeuraient plusieurs
possédés. Ils étaient furieux et se battaient à
outrance lorsque Jésus arriva. Personne ne pouvait en venir à
bout. Jésus entra pour les visiter et s'entretint avec eux. Alors
ils devinrent parfaitement paisibles. Il leur fit une exhortation, et ils
sortirent tranquillement de cette maison pour s'en retourner chez eux Les
habitants étaient très étonnés de cela, ils
ne voulaient plus laisser partir Jésus et on l'invita à un
mariage. J'y ai vu pratiquer les mêmes usages qu'à Cana. Il
n'assista à la fête que comme un étranger qu'on honore.
Il tint des discours bienveillants et pleins de sagesse, et donna des avis
au, fiancés. Ceux ci dans la suite, se joignirent aux disciples
lors de l'apparition sur le mont Thébez.
(22 juin.) Aujourd'hui je vis notre Seigneur Jésus de retour
à Nazareth : il y visita successivement les connaissances qu'y avaient
ses parents, mais partout il fut reçu très froidement. Je
vis cette nuit qu'il voulait aller dans la synagogue pour y enseigner,
et qu'ils l'en empêchèrent : je vis aussi qu'il parla du Messie
sur une place publique devant beaucoup de monde, devant des sadducéens
et des pharisiens, disant que le Messie ne serait pas comme chacun se le
figurait d'après ses désirs : il parla aussi de Jean Baptiste,
qui était la voix dans le désert. Il avait été
accompagné depuis le pays d'Hébron par deux jeunes gens qui
portaient de longs vêtements avec une ceinture, comme les prêtres
Je les vis ici, mais ils n'allaient pas toujours avec lui. Il célébra
ici le sabbat.
(25 juin.) Je vis Jésus et Marie, en compagnie de Marie de Cléophas,
des parents de Parménas et d'autres personnes, faisant une vingtaine
en tout, quitter Nazareth et se rendre à Capharnaüm. Ils avaient
avec eux des ânes portant des bagages. La maison de Nazareth resta
parfaitement nettoyée et arrangée : comme on en avait tout
enlevé et qu'on avait seulement disposé quelques couvertures
à l'intérieur, elle me faisait l'effet d'une église
; Elle resta inhabitée. La maison de sainte Anne est toujours occupée
par le troisième époux de Marie de Cléophas ; il y
a aussi là habituellement quelques uns des fils de celle ci, lesquels
prennent soin de la maison. José Barsabas, le plus jeune, était
parti avec sa mère, et il se rendit a la pêcherie : le petit
Siméon, né du troisième mariage, était aussi
avec elle. Je vis les jours suivants Jésus et Marie dans la maison
située entre Capharnaum et Bethsaïda. Marie de Cléophas
demeurait tout près de là, et les parents de Parménas
à peu de distance.
(28 juin.) Je vis Jésus de nouveau en course ; il s'arrêta
dans un petit endroit où il parla dans la synagogue du baptême
de Jean, de l'approche du Messie et de la pénitence. Les auditeurs
murmuraient, le regardant, avec mépris, et j'en entendis quelques
uns dire : " il y a trois mois, son père, le charpentier, vivait
encore : il travaillait alors avec lui : maintenant il a un peu couru à
l'étranger, et il revient pour nous enseigner ce qu'il a appris.
Je riais en moi même de ce qu'ils croyaient qu'il était allé
en pays étranger, tandis qu'il était dans le désert
pour se préparer.
(14 juillet.) La Soeur, pendant ces jours là, ne cessa pas de
voir toutes les allées et venues de Jésus et de Jean. Elle
voit encore le Seigneur aller de lieu en lieu et se montrer particulièrement
là où Jean a passé. Il va dans les synagogues : il
enseigne, console et assiste les malades. Elle le vit à Cana, où
il avait des parents qu'il visita et où il enseigna aussi. Elle
ne le voit pas encore avec aucun de ses futurs disciples. On dirait qu'il
apprend d'abord à connaître les hommes, et qu'il continue
ce que Jean a commencé à produire en eux. Souvent un homme
de bien l'accompagne d'un lieu à l'autre.
(6 juillet. ) Je vis aujourd'hui quatre hommes parmi lesquels étaient
de futurs disciples de Jésus dans la contrée entre Samarie
et Nazareth, sous des arbres voisins de la grande route : ils attendaient
Jésus, qui était en course avec un compagnon. Ils allèrent
au devant du Seigneur et lui racontèrent qu'ils avaient été
baptisés par Jean, et qu'il parlait de l'approche du Messie. Ils
lui racontèrent encore avec quelle sévérité
il avait parlé aux soldats, et qu'il n'avait baptisé que
quelques uns d'entre eux. Il leur avait dit, entre autres choses, qu'il
ferait aussi bien de prendre des pierres dans le Jourdain et de les baptiser.
Je les vis aller plus loin avec Jésus.
(11 juillet.) Ces jours ci, je vis le Seigneur remonter vers le nord
le long de la mer de Galilée. Il parla déjà plus clairement
du Messie, et dans beaucoup d'endroits les possédés poussèrent
des cris derrière lui : il chassa aussi un démon d'un homme.
il enseigna dans des écoles.
Il fut rencontré par six personnes qui venaient du baptême
de Jean, et dont étaient Lévi, nommé plus tard Matthieu
et deux des fils des trois veuves : Nathanaël, le fiancé de
Cana, n'en était pas. Ils le connaissaient comme ayant avec lui
des rapports de parenté, et par ce qu'ils en avaient entendu dire
: ils pressentaient aussi qu'il pouvait bien être celui dont Jean
avait parlé, mais ils n'en avaient pas la certitude ils racontèrent
des choses relatives à Jean, parlèrent de Lazare et de ses
soeurs, et aussi de Magdeleine qui devait être possédée
du démon. Elle demeurait seule déjà dans son château.
ils firent route avec Jésus, dont les discours les émerveillaient.
Ceux qui allaient de Galilée vers Jean pour être baptisés,
lui racontaient ordinairement ce qu'ils savaient de Jésus et ce
qu'ils en avaient entendu dire, tandis que ceux qui venaient d'Ainon, le
lieu où Jean baptisait, faisaient à leur tour à Jésus
des récits sur Jean.
Je vis Jésus, sans ses compagnons, entrer près du lac
dans une pêcherie entourée d'une haie, où il y avait
cinq barques. Sur le rivage étaient plusieurs cabanes où
se tenaient les pêcheurs. Cette pêcherie appartenait à
Pierre ; il était dans une des cabanes avec André. Jean et
Jacques, avec leur père Zébédée et plusieurs
autres, étaient sur les barque Dans la barque qui était au
milieu se trouvait le père de la femme de Pierre avec trois de ses
fils. J'ai su tous leurs noms, mais je les ai oubliés. Le père
était surnommé le Zélateur, parce qu'il avait soutenu
sur le lac un combat contre les Romains au sujet d'un droit relatif à
la navigation ; c était de là que lui venait ce nom. Il y
avait environ trente hommes sur les barques.
Jésus suivit le chemin bordé d'une haie, qui était
entre les cabanes et les barques ; il s'entretint avec André et
avec d'autres ; je ne sais pas s'il parla aussi à Pierre. ils ne
le connaissaient pas encore. Il parla de Jean et de l'approche du Messie.
André était déjà baptisé et disciple
de Jean. Jésus leur dit qu'il reviendrait les voir.
( Du 11 au 26 juillet. ) Jésus s'éloigna du lac et se
! dirigea vers le Liban ; il prit ce parti parce qu'on parlait beaucoup
de lai dans le pays et qu'il en résultait une certaine agitation.
Plusieurs regardaient Jésus comme le Messie. D'autres parlaient
d'un autre personnage que Jean aurait désigné.
Jésus était accompagné de six à douze personnes
dont le nombre croissait ou diminuait successivement pendant le voyage.
Ils écoutaient ses instructions avec joie, et ils soupçonnaient
parfois qu'il devait être celui auquel Jean faisait allusion. Jésus
ne s'adjoignit particulièrement aucun d'eux ; à vrai dire,
il était seul, mais il semait et préparait d'avance. Dans
toutes ses courses, je vis plusieurs choses qui se rapportaient aux courses
et aux actions des prophètes, surtout d'Elie.
Je vis Jésus, avec environ dix compagnons, sur une éminence
dépendant du Liban, vis à vis d'une grande ville située
le long de la mer Méditerranée. On avait, de cette hauteur,
une vue d'une beauté incomparable. La ville paraissait placée
tout au bord de la mer, mais, quand on se trouvait dans son enceinte, on
voyait qu'elle en était bien éloignée de trois quarts
de lieue. Elle était très grande et très tumultueuse
; lorsqu'on la regardait du haut de la montagne, on croyait voir une quantité
innombrable de navires ; car, sur ses nombreux toits en terrasse, il y
avait une forêt de perches et d'échafaudages où étaient
suspendues et déployées de longues banderoles d'étoffe
rouge et d'autres étoffes de diverses couleurs, et, dans les intervalles,
on voyait une fourmilière d'hommes qui travaillaient. Le pays d'alentour
était plein de petits endroits très fertiles : tout était
couvert de fruits. Il y avait partout de grands arbres, autour desquels
régnaient des sièges, d'autres où l'on montait par
des escaliers si bien que des sociétés entières pouvaient
s'asseoir au milieu des branches, comme dans des maisons aériennes.
La plaine dans laquelle la ville se trouve, entre la montagne et la mer,
n'est pas très large.
Il y avait dans cette ville des pa'ens et des juifs qui trafiquaient
ensemble. L'idolâtrie y était très répandue.
Le Seigneur, tout en cheminant, enseigna et prêcha dans les petits
endroits, sous les grands arbres ; il parla de Jean, de son baptême
et de la pénitence.
Dans la ville, Jésus fut bien accueilli. Il y est allé
déjà une fois. Il parla dans l'école de la venue prochaine
du Messie et de la destruction des idoles. La reine Jézabel, qui
persécuta Elie avec tant d'acharnement, était de cette ville.
Jésus laissa ses compagnons à Sidon et alla dans un petit
endroit, situé plus au midi, à quelque distance de la mer.
Il veut s'y tenir quelque temps à l'écart pour prier. La
ville est toute entourée de bois d'un côté, elle a
des murs épais, et il y a des vignes à l'entour. C'est Sarepta,
où Elie fut nourri par la veuve. Je vis toute cette histoire. Il
en était résulté pour les juifs une superstition qui
avait gagné aussi les pa'ens ; c'était de faire en sorte
qu'il y eut toujours de pieuses veuves logées dans les murs qui
entouraient la ville. ils croyaient que cela les garantissait de tout danger
et leur permettait de se livrer impunément à toute espèce
de désordres. Actuellement c'étaient des vieillards qui habitaient
là. Jésus logea chez un vieillard, dans une maison pratiquée
dans la muraille. Ces vieilles gens sont des espèces d'ermites Jésus
leur parla du Messie et de Jean. Il alla aussi à la synagogue instruisit
les enfants et célébra le sabbat.
(14 juillet. ) Jésus restera encore quelque temps ici ; il ira
ensuite au baptême de Jean. Il se tient principalement chez de vieux
juifs pieux logés dans les murs de Sarepta, qui vivent là
par suite d'un vieil usage, et pour honorer le souvenir d'Elie. Ils se
livrent à la méditation et à l'interprétation
des prophéties et prient beaucoup pour l'avènement du Messie.
Jésus Leur donne des instructions sur le Messie et sur le baptême
de Jean. Ils sont pieux, mais ils ont beaucoup d'idées fausses :
ils croient, par exemple, que le Messie doit venir avec une pompe mondaine.
Jésus va souvent prier seul dans la forêt voisine de Sarepta
il enseigne dans la synagogue, et s'occupe aussi à instruire les
enfants.
Le jour suivant, la Soeur vit Jésus enseigner dans divers endroits
où il y avait beaucoup de pa'ens il exhortait les juifs à
ne pas se mêler avec les paiens. Il y avait là des gens de
bien, il y en avait aussi de très mauvais. Jésus n'est accompagné
de personne, si ce n'est parfois de quelques habitants du pays. Je le vois
souvent enseigner en plein air devant des hommes et des femmes, sur de
petits tertres ou sous des arbres.
La saison est telle dans ce pays, qu'il me semble toujours être
au mois de mai, parce que dans ta terre Promise les semailles faites pour
la seconde récolte sont en ce moment au même point où
elles sont chez nous au mois de mai. On ne coupe pas ici le blé
si près de terre : on prend la tige avec la main un peu au dessous
de l'épi, et on la coupe à peu près une coudée
plus bas. On ne bat pas le grain : les petites gerbes sont posées
verticalement, et on fait passer dessus un rouleau placé entre deux
boeufs. Le grain est beaucoup plus sec qu'ici et se détache très
facilement. Cela se fait en plein air, ou bien dans une grange ouverte
de tous côtés, et couverte seulement d'un toit de paille.
Dans ces derniers jours je vis Jésus aller au nord est de Sarepta,
dans un endroit peu éloigné du champ de bataille où
Ezéchiel, ravi en esprit, eut la vision dans laquelle il vit les
ossements des morts se ranger en ordre dans une grande plaine, puis se
revêtir de nerfs et de chair, après quoi il vint un souffle
qui leur inspira l'esprit et la vie. Il me fut expliqué que les
os qui se rassemblaient et se recouvraient de chair étaient la figure
du baptême de Jean et de son enseignement, tandis que l'esprit et
la vie qui venaient les animer signifiaient la rédemption de Jésus
et la descente du Saint Esprit.
Jésus consola les habitants de ce lieu qui étaient très
languissants et très abattus, et il leur expliqua aussi la vision
d'Ezéchiel.
De là il se dirigea encore plus au nord, jusque dans la contrée
où Jean était venu d'abord en sortant du désert. C'est
un petit village de bergers où Noémi résida assez
longtemps avec sa fille Ruth. Elle avait laissé un si bon souvenir,
que ces gens en parlaient encore. Plus tard elle demeura à Bethléem.
Le Seigneur prêcha ici avec beaucoup de chaleur. Le temps approche
où il doit se diriger vers le midi, puis se rendre à Samarie
pour son baptême. Le village des bergers est arrosé par un
petit cours d'eau derrière lequel se trouvait, à une grande
élévation, le puits du désert de Jean. Près
de ce puits, le chemin descend à pic vers le champ de bataille d'Ezéchiel
; on descend là à une grande profondeur : cela rappelle l'endroit
par où Adam et Eve furent chassés du Paradis Sur leur chemin
les arbres devenaient toujours plus petits et plus rabougris ; ensuite
il n'y avait plus que des broussailles, et tout autour d'eux était
stérile et désolé. Le Paradis était aussi élevé
que le soleil, et il descendit comme derrière une montagne qui parut
s'élever devant lui.
Le Sauveur passa par le chemin que suivit. Elle lorsqu'en partant du
torrent de Khrit, il alla à Sarepta. Il revient du village des bergers
à Sarepta. Il enseigne ça et là sur sa route et passe
devant Sidon. De Sarepta il ira bientôt au midi pour son baptême.
Il célèbre encore le sabbat à Sarepta.
(Du 27 au 29 juillet.) Après la clôture du sabbat, Jésus
partit de Sarepta pour se diriger vers la Galilée et Nazareth. Il
enseigna ça et là : en dernier lieu, je le vis enseigner
sur une colline'' Elle dit encore : Jésus est en route pour Nazareth.
Il enseigne ça et là. Il a quelquefois des compagnons. Quelquefois
il erre seul pendant la nuit. Il marche maintenant les pieds nus ; il a
avec lui ses sandales, qu'il met lors qu'il entre dans un village. Il est
à présent dans les vallées qui sont vis à vis
du mont Carmel. Il est venu une fois très près de la route
qui va de cette contrée en Egypte mais il s'est détourné
vers le levant. Je crois qu'il va à Nazareth, puis à Samarie
et au baptême. Ce voyage durera bien encore deux semaines.
La mère de Dieu, Marie de Cléophas, la mère de
Parménas et deux autres femmes, sont aussi en route pour Nazareth.
La maison de Marie est toujours silencieuse et bien en ordre : je vois
la chambre où Jésus dormait et priait habituellement.
Des femmes de Jérusalem sont aussi en route pour Nazareth :
ce sont Séraphia (Véronique), Jeanne Chusa, encore une autre,
comment s'appelle t elle donc ? et le fils de Véronique qui plus
tard se joignit aux disciples. Ils vont, je crois, pour visiter Marie.
Je les ai déjà vus à l'occasion des voyages annuels
à Jérusalem.
Il y a trois endroits où les familles pieuses vont prier tous
les ans, ce que faisaient aussi Joseph et Marie. C'est au temple de Jérusalem,
à Bethléem, près du Térébinthe, à
un endroit où l'on célèbre un fait de l'Ancien Testament,
je ne sais plus lequel(1), et au mont Carmel, où se trouve aussi
un oratoire. La famille d'Anne et d'autres personnes pieuses y passent
ordinairement en revenant de Jérusalem : c'est en général
au mois de mai. Il est arrivé là à Elle quelque chose
qui a rapport au Messie. Je ne m'en souviens pas distinctement à
présent : mais je pense que le prophète eut là la
Vision d'une grande figure de femme : c'était quelque chose qui
se rapportait à la sainte Vierge. Il y avait aussi là une
fontaine et une grotte d'Elle où la pierre était tendre :
c'était comme une chapelle. Il venait toujours là de temps
en temps des juifs pieux qui priaient pour l'avènement du Messie
: il y avait aussi des anachorètes juifs : il y eut plus tard des
ermites chrétiens.
Note 1 : La narratrice croit qu'il s'agit de Maraha, nourrice d'Abraham,
dont il sera parlé plus au long ailleurs.
(30 juillet.) J'ai été cette nuit et suis encore aujourd'hui
dans la contrée du mont Thabor : Jésus est dans une petite
ville située sur le revers occidental de la montagne, et il enseigne
dans l'école sur le baptême de Jean. Il a cinq compagnons.
Quelques uns seront plus tard ses disciples futurs. J'ai su le nom de quelques
uns. J'ai très bien vu le pays et toute la montagne.
La Mère de Dieu et les autres femmes sont a Nazareth : il en
est de même de Véronique, qui est partie précédemment
de Jérusalem avec 'ses compagnes, et qui a pris les saintes femmes
à Capharnaum. Il y a avec elle Jeanne Chusa, une soeur de la prophétesse
Anne, qui est attachée au service du temple, et un fils de Véronique,
qui plus tard alla en France.
(1er août.) Je vis le sanhédrin de Jérusalem envoyer
des messagers avec des lettres dans les principaux endroits de la Terre
Promise où il y avait des écoles juives : il avertissait
ceux qui y étaient préposés d'avoir l'oeil sur un
homme dont Jean Baptiste avait dit qu'il était celui qui devait
venir, et qu'il viendrait à son baptême. Ils devaient veiller
sur cet homme et faire des rapports sur lui : car si c'est le Messie, disaient
ils, il n'a pas besoin du baptême de Jean. Tout cela les importunait
beaucoup ; ils avaient entendu dire que c'était le même qui,
étant enfant, avait enseigné dans le temple, etc.
Je vis ces messagers arriver dans une ville située près
de la mer, à quatre lieues du chemin d'Hébron, dans la contrée
où les messagers de Mo'se et d'Aaron trouvèrent les grosses
grappes de raisin. La ville s'appelle Gaza. Je vis aussi Gaza dans l'état
où elle fut longtemps après, peut être comme elle est
à présent. Je vis peu de maisons, et seulement quelques vieilles
substructions : je vis une longue rangée de tentes qui s'étendaient,
je crois, jusqu'à la mer : il y avait beaucoup d'étoffes
et de soieries mises en vente.
Il ne reste presque plus rien de l'ancien Nazareth : mais on peut encore
reconnaître à peu près les montagnes : seulement tout
est impraticable, dégradé par les pluies et couvert de décombres.
Il y a la des rochers tout nus et surplombant tellement, qu'on est tout
enraye d'y voir monter quelqu'un. Le pays est encore fertile ; il y a beaucoup
d'animaux sauvages, spécialement des colombes : toutes les maisons
et les vignes sont couvertes de tourterelles sauvages aussi grosses que
nos pigeons domestiques.
Sur le mont Carmel, il y a encore plusieurs grottes où habitent
des ermites : il s'y trouve, en outre, un couvent. J'ai vu hier, dans la
nuit, beaucoup de choses touchant cette montagne. Les ermites sont en ce
moment très inquiets et prient beaucoup, car il y a à peu
de distance de là des soulèvements et des combats entre les
Turcs et un autre peuple voisin du Liban.
(4 août.) Jésus, accompagné de cinq disciples,
enseigna ça et là jusque dans la contrée où
est le puits de Jacob : ce fut aussi là qu'il célébra
le sabbat. Il me semble qu'il ira bientôt à Nazareth les saintes
femmes y sont.
(5 août.) Je vis Jésus quitter la contrée où
est le puits de Jacob, et revenir à Nazareth avec ses cinq compagnons.
La sainte Vierge vint à sa rencontre ; mais quand elle vit qu'il
avait des compagnons avec lui, elle resta a quelque distance et revint
sur ses pas sans l'avoir salué. J'admirai son abnégation.
Je vis Jésus enseigner ici dans l'école. Les saintes femmes
étaient présentes.
(7 août.) J'allai à Nazareth et je vis Jésus dans
la synagogue avec les cinq disciples et une vingtaine de ses compagnons
de jeunesse de Nazareth. il y avait beaucoup de monde. Les saintes femmes
n'étaient pas présentes. Il fit une instruction. J'entendis
les auditeurs murmurer et chuchoter : " il veut peut être, disaient
ils, s'établir à l'endroit où Jean baptisait et que
celui ci a abandonné, puis baptiser lui même et se faire passer
pour un personnage de même espèce. Mais ce n'est pas du tout
la même chose. Jean a vécu dans le désert : quant à
celui ci, nous le connaissons bien : ce n'est pas lui qui nous séduira
". Après avoir un peu regardé cette scène, je fus
conduite vers Jean Baptiste.
( 9 août.) Je vis que Jésus se préparait à
quitter Nazareth avec deux compagnons, pour se rendre à Bethsaïda
où il put encore réveiller quelques âmes par son enseignement.
Les saintes femmes et d'autres compagnons de Jésus sont encore à
Nazareth. Je vis Jésus dans la maison de sa mère où
ses autres amis étaient aussi rassemblés. Il leur expliqua
qu'à cause des murmures et du mécontentement qui s'étaient
élevés contre lui à Nazareth, il voulait aller à
Bethsaide, d'où il reviendrait plus tard. Je le vis quitter la maison
avec trois disciples. C'étaient Amandor, le fils de Véronique,
un fils d'une des trois veuves parentes de Jésus, son nom était
comme Sirach, et un parent de Pierre, qui fut plus tard un disciple connu.
(10 avril.) Comme le il août était la fête de sainte
Suzanne, martyre, et que la narratrice avait près d'elle une de
ses reliques, elle la vit toute la nuit près d'elle pendant son
voyage. Elle dit à cette occasion : "Suzanne a voyagé avec
moi, elle était toujours près de moi, souvent aussi elle
me parlait, mais elle était autrement que moi, à cause de
son extrême légèreté, et quand je voulais la
saisir, je ne pouvais pas. J'allais avec elle d'une scène à
l'autre et elle me donnait des consolations : mais quand j'entrai dans
une scène bien distincte, comme par exemple ici, à Bethsaide,
elle disparut.
Je vis Jésus à Bethsaïda, prêcher avec beaucoup
de force dans la synagogue, le jour du sabbat. Il leur dit qu'ils devaient
maintenant accepter ce qui leur était notifie, aller au baptême
de Jean et se purifier par la pénitence : qu'autrement il viendrait
un temps ou ils crieraient : Malheur à nous. Il y avait beaucoup
de personnes dans la synagogue, mais aucun des futurs apôtres, excepté
Philippe, si je ne me trompe. Les autres apôtres de Bethsaïda
et des environs étaient allés ailleurs pour le sabbat. Ils
se tenaient dans une maison près de la pêcherie, dans le voisinage
de Capharnaum.
Pendant l'instruction de Jésus à Bethsaïda, j'avais
prié pour que ces gens allassent au baptême de Jean et se
convertissent sincèrement. Là dessus un tableau me fut présenté.
Je vis Jean comme le préparateur qui, au moyen d'une première
ablution, enlevait les souillures les plus fortes et les plus grossières.
Je le vis se livrer à ce travail avec bien de l'énergie et
de l'activité, avec bien de la rudesse et de la sévérité,
et la peau qui le couvrait tombait tantôt d'une épaule, tantôt
de l'autre. Ce devait être un symbole figuratif, car je vis quelques
uns des baptisés desquels se détachaient des espèces
d'écailles, d'autres dont il sortait comme de noires vapeurs, et
plusieurs sur lesquels s'abaissaient des nuées lumineuses et brillantes.
De ce tableau, je revins, en compagnie de sainte Suzanne à un
autre tableau du séjour de Marie à Ephèse.
12 août. ) Je vis Jésus et ses compagnons aller entre
Bethsaïda et Capharnaum, à l'endroit où était
la maison qu'il habitait. Ils allaient ça et là dans les
maisons disséminées, et invitaient les gens à venir
entendre l'instruction. Beaucoup de personnes se rassemblèrent et
Jésus fit une longue instruction. Je ne vis pas là d'apôtres.
Elle raconta ce qui suit très tranquillement comme si cela se
passait devant ses yeux, niais on la dérangea et le récit
fut interrompu.
(13 août.) J'ai vu Jésus à Capharnaum se rendant
à l'école. Il va tout droit devant lui, sans se détourner,
comme s'il était tout à fait inconnu. Les trois disciples
marchent près de lui. Il vient des groupes de tous les côtés.
Il s'y trouve des pêcheurs. Je vois Pierre, André, et d'autres
encore dont plusieurs ont déjà été baptisés
par Jean. Ils avaient déjà vu Jésus : il s'était
entretenu avec eux près du lac avant son voyage à Sidon.
Maintenant ils avaient entendu parler de lui soit dans d'autres endroits,
soit après sa dernière instruction à Bethsaide.
Les habitants de Capharnaum étaient fort satisfait ; et désiraient
vivement savoir ce que c'était que cette nouvelle doctrine. L'école
est bien tenue Jésus monte à la place d'où l'on parle
par des degrés qui se trouvent à l'un des côtés
de la salle : une foule si nombreuse se presse autour de lui qu'il monte
encore plus haut... (Ici elle fut interrompue.)
(15 août.) Jésus a quitté Capharnaum. Je l'ai vu,
à deux lieues au midi, enseigner devant beaucoup de monde. Il n'y
avait avec lui que les trois disciples. Les futurs apôtres qui l'avaient
entendu à Capharnaum, étaient retournés au lac, sans
qu'il se fût entretenu en particulier avec aucun d'eux. Ici aussi,
il parla du baptême de Jean et de l'accomplissement de la promesse.
(16 août.) Jésus, hier et aujourd'hui, traversa la basse
Galilée, où il enseigna ça et là, se dirigeant
au midi vers Samarie. Je ne sais plus où il célébra
le sabbat.
(19 août.) Jésus fut le jour du sabbat dans une école
entre Nazareth et Séphoris. Les saintes femmes de Nazareth étaient
présentes, ainsi que la femme de Pierre et celles de quelques autres
des futurs apôtres. Plusieurs de ceux ci qui avaient reçu
le baptême de Jean, étaient venus également pour le
sabbat. il n'y avait là que quelques maisons et une école
: cet endroit n'était séparé que par une borne d'héritage
de l'ancienne maison de sainte Anne. Je ne sais plus si elle était
habitée maintenant. Ceux des futurs apôtres qui étaient
venus là pour l'entendre étaient Pierre, André, Jacques
le Mineur et Philippe, tous disciples de Jean. Philippe était de
Bethsaïda, il était assez intelligent et avait à s'occuper
de certains travaux de bureau. Parmi les femmes était l'épouse
d'un frère de la femme de Pierre. Jésus ne séjourna
pas dans cet endroit : il n'y prit pas son repas, il ne fit qu'enseigner.
Les apôtres ont vraisemblablement célébré le
sabbat dans le voisinage : car les juifs vont souvent pour le sabbat dans
d'autres lieux que celui de leur résidence ils sont venus en cet
endroit parce qu'ils ont appris que Jésus y était. Jésus
ne Leur parla pas en particulier.
(Du 19 août au 2 septembre.) Je vis Jésus avec les trois
disciples aller à Séphoris, qui est à quatre lieues
de Nazareth, en franchissant une montagne. Il logea chez sa grande tante
Maraha, soeur cadette de sainte Anne : elle avait une fille et deux fils.
Je les vis en longs vêtements blancs aller et venir dans la maison
: ils s'appellent Arastaria et Cocharia, et se sont, je crois, plus tard,
réunis aux disciples.
La sainte Vierge, Marie de Cléophas et d'autres femmes sont
aussi venues ici. On lava les pieds à Jésus. Il y eut aussi
un repas. Il coucha dans la maison de Maraha : c'était là
qu'avaient demeuré les parents de sainte Anne à Séphoris.
Séphoris est une grande : " Il s'y trouve des pharisiens, des sadducéens
et des esséniens : les trois sectes ont chacune leur école.
Cette ville a souvent eu beaucoup à souffrir dans les guerres. Aujourd'hui
il n'en reste presque plus rien.
(22 août.) Avant hier et hier Jésus enseigna ici. Ce soir
aussi, je le vis enseigner dans la synagogue et exhorter au baptême.
Les femmes se tenaient en arrière, mais dans une tribune élevée.
Je vis Jésus enseigner ici dans deux synagogues, l'une plus spacieuse
et plus élevée, l'autre plus petite. Dans la plus grande
étaient les pharisiens : ils étaient mécontents et
murmuraient contre Jésus. Les femmes étaient présentes
à cette instruction. Dans l'autre synagogue qui était plus
petite, il n'y avait pas de place réservée aux femmes : il
y fut traité amicalement. C'était vraisemblablement l'école
des Esséniens.
Un des trois disciples qui allaient avec Jésus en ce temps là
était fils d'une des trois veuves et s'appelait Eustache. Il était
essénien. Je le vois maintenant sortir d'une grotte du Carmel et
aller vers Jésus. C'est une figure pour me montrer ce qu'il est.
(23 août.) Je vis Jésus enseigner dans l'école
des sadducéens à Séphoris. je vis là une chose
merveilleuse. Il y avait à Séphoris beaucoup de démoniaques,
d'idiots et d'autres fous et possédés. On leur faisait des
instructions dans une école voisine de la synagogue, et quand les
gens raisonnables se réunissaient dans la synagogue pour l'instruction
et la prière, on les y faisait aussi entrer. Ils se tenaient derrière
les autres dans une salle à part d'où ils écoutaient
l'instruction. Il y avait parmi eux des surveillants armés de fouets
et chacun en avait un nombre plus ou moins grand à surveiller selon
qu'ils étaient plus ou moins méchants. Avant que Jésus
entrât dans l'école, je les vis pendant l'instruction des
sadducéens faire des contorsions et entrer en convulsion : je vis
aussi que les surveillants les faisaient tenir tranquilles en leur donnant
des coups de fouets quand Jésus vint, ils restèrent d'abord
très paisibles, mais au bout d'un peu de temps, quelques uns commencèrent
à dire : "(C'est Jésus de Nazareth, né à Bethléem,
visité par les sages de l'Orient, etc. Sa mère est chez Maraha,
etc. Il introduit une nouvelle doctrine qu'on ne doit pas tolérer,
etc. "C'est ainsi que ces hommes en démence décriaient toute
la vie de Jésus et parlaient de ce qui lui était arrivé
jusqu'alors. C'était tantôt l'un, tantôt l'autre et
les coups de fouet des surveillants n'y faisaient rien. Ils se mirent bientôt
a crier tous ensemble et la confusion fut générale. Jésus
dit alors qu'on les lui amenât devant la synagogue : en même
temps il envoya deux disciples dans la ville, pour faire venir tous les
gens de cette espèce qui s'y trouvaient encore, bientôt il
y eut autour de lui une cinquantaine de ces hommes et avec ceux ci une
grande foule. Les maniaques continuèrent toujours à pousser
leurs cris. Alors Jésus dit : "L'esprit qui parle ainsi par votre
bouche est d'en bas et doit retourner en bas " . A l'instant même
tous s'apaisèrent et furent guéris : j'en vis plusieurs tomber
par terre.
Je vis aussi un soulèvement dans la ville au sujet de cette
guérison. Je vis Jésus et les siens en grand danger. Le tumulte
était si grand que le Seigneur se réfugia dans une maison
et quitta la ville dans la nuit, de même que ses trois disciples
et Cocharia et Arastaria, les fils de la soeur de sainte Anne. Les saintes,
femmes quittèrent aussi la ville. La mère de Jésus
était dans la douleur et dans l'angoisse parce qu'elle voyait pour
la première fois la persécution s'élever contre lui.
Ils s'étaient donné rendez vous sous des arbres devant la
ville.
Les gens guéris par Jésus allèrent pour la plupart
au baptême de Jean, et ce fut parmi eux principalement que Jésus
plus tard trouva ici des adhérents.
(24 août.) Dans la nuit du jeudi, les trois disciples et les
fils de la soeur de sainte Anne, qui s'étaient enfuis séparément
de Séphoris, se réunirent au Seigneur sous des arbres, sur
le chemin de Bethulie. La mère de Jésus et les saintes femmes
s'étaient aussi rendues là.
Bethulie est la ville pendant le siège de laquelle Judith tua
Holopherne. Elle est au sud est de Séphoris, sur une montagne :
on y a une vue étendue de tous les côtés. Il n'y a
pas loin de là à Magdalum et au château de Madeleine
dont la vie alors n'était consacrée qu'au plaisir. Il y a
un château à Bethulie : c'est un endroit abondant en sources.
Je crois que le puits de Joseph n'est pas très loin de là.
Je vis Jésus et ses disciples entrer dans une hôtellerie
devant Bethulie. Marie et les saintes femmes l'y rejoignirent. J'entendis
Marie dire à Jésus qu'elle le priait de ne pas enseigner
ici, qu'elle était pleine d'anxiété, qu'il pouvait
encore y avoir un soulèvement. Jésus répondit qu'il
savait ce qu'il avait à accomplir. Mais Marie lui dit : " N'irons
nous pas maintenant au baptême de Jean ? " Jésus lui répondit
avec beaucoup de gravité : "Pourquoi irions nous maintenant au baptême
de Jean, En avons nous besoin ? J'irai encore là où je dois
recueillir, et je dirai quand il faudra aller au baptême de Jean.
À. Marie garda le silence comme à Cana. Ce n'est qu'après
la Pentecôte que j'ai vu les saintes femmes recevoir le baptême
à la piscine de Bethesda. Les saintes femmes entrèrent à
Bethulie. Jésus enseigna à Bethulie le jour du sabbat.
(25 août.) Je vis Jésus bien accueilli ici. Il alla à
la synagogue pour enseigner : beaucoup de personnes étaient venues
des environs, pour l'entendre. Je vis aussi beaucoup d'idiots et de possédés
sur le chemin devant la ville, et sur divers points de la route. Lorsque
Jésus passa, ils redevinrent paisibles et furent délivrés
de leurs accès, et je vis de côté et d'autre des gens
qui disaient : "Cet homme doit avoir un pouvoir semblable à celui
des anciens prophètes, pour que ces malheureux deviennent tranquilles
lorsqu'il se montre. Car ces gens sentaient qu'il les secourait, quoiqu'il
ne leur fît rien, et ils vinrent à lui dans l'hôtellerie
pour le remercier. Il enseigna et exhorta à aller au baptême
de Jean. Il parla cette fois, avec beaucoup de force tout à fait
à la façon de Jean.
(26 août.) Je vis que les habitants de Bethulie avaient beaucoup
de considération pour Jésus et pour les siens. Ils ne voulaient
pas le laisser s'arrêter devant la ville ; plusieurs se disputaient
à qui l'aurait dans sa maison, et ceux qui ne pouvaient pas l'avoir,
voulaient au moins avoir un des cinq disciples qui étaient avec
lui.
Ils restèrent près de Jésus et il leur promit
d'aller successivement chez les uns et les autres. Toutefois leur grand
empressement et leur sympathie pour Jésus n'étaient pas entièrement
désintéressés, et Jésus le leur fit remarquer
dans les instructions qu'il fit à la synagogue. Ils avaient une
arrière pensée, ils voulaient, en s'attachant au nouveau
prophète, procurer à leur ville une certaine considération
qu'elle avait perdue, je ne sais plus comment, peut être par le commerce,
les rapports ou les alliances avec les pa'ens. Ce n'était donc pas
chez eux pur amour de la vérité.
(27 août.) Jésus est parti aujourd'hui de Bethulie. Je
l'ai vu dans une vallée enseigner sous des arbres, près d'une
hôtellerie. Il n'est venu à sa suite que trois disciples et
environ vingt autres personnes. Les saintes femmes étaient déjà
allées en avant, pour se rendre à Nazareth, à ce que
je crois. Je l'ai vu quitter Bethulie parce qu'il y était trop importuné.
Il était venu des environs une foule de malades et de possédés,
et il ne voulait pas encore se manifester par des guérisons si publiques.
il partit en tournant le des à la mer de Galilée.
(29 août.) Je n'ai vu Jésus dans aucune ville ; pendant
tout ce jour, il enseigna dans une vallée, sous des arbres, à
un endroit où anciennement des esséniens ou des prophètes
avaient enseigné. il y avait là un siège de gazon
élevé, entouré de petits bancs de terre où
l'on pouvait s'asseoir pour écouter. Environ trente personnes se
tenaient autour de Jésus. Le soir, je vis le Seigneur avec ses compagnons
à une lieue de Nazareth, dans le petit endroit avec une synagogue
où il avait été dernièrement avant d'aller
à Séphoris. On l'accueillit très amicalement. Il fut
reçu dans une grande maison précédée d'une
cour. On lui lava les pieds ainsi qu'aux disciples : on leur prit leurs
habits de voyage pour les nettoyer et les battre, et on leur prépara
un repas. Jésus enseigna dans la synagogue. Les femmes étaient
à Nazareth.
(30 août.) Le jeudi 30, je vis Jésus et ses disciples
à environ quatre lieues du précédent endroit, dans
une ville de Lévites, appelée Kedès (I Paralip., VI,
72), ou Kision (Josué, XXI, 28). Quand Jésus arriva dans
ce pays, il était suivi d'environ sept possédés qui
proclamaient sa mission et son histoire encore plus clairement que ceux
de Séphoris. Il vint de la ville à sa rencontre de vieux
prêtres et des jeunes gens en longs vêtements blancs ; car
quelques uns de ceux qui l'accompagnaient, étaient arrivés
avant lui à la ville.
Jésus ne guérit pas ici les possédés, et
les prêtres les enfermèrent dans une maison pour qu'ils ne
causassent pas de trouble. J'ai su que Jésus les guérit plus
tard, après son baptême. Le Seigneur fut très bien
accueilli ici ; mais comme il voulait enseigner, ils lui demandèrent
quelle mission il avait pour cela, lui, fils de Joseph et de Marie. J'entendis
Jésus répondre d'une manier e évasive, que Celui qui
l'avait envoyé, et dont il tirait son origine, se manifesterait
lors de son baptême. Il dit encore plusieurs choses à ce sujet
et touchant le baptême de Jean sur une hauteur au milieu de la ville
; il y avait là, comme sur la colline voisine de Thébez,
un lieu destiné à l'enseignement, qui n'était pas
tout à fait en plein air, mais sous une tente ou sous un hangar
recouvert de joncs. Il y avait à peu de distance plusieurs autres
lieux habités. Elle reconnaît les noms de Késiloth,
Césarée, etc. : le Seigneur passa la nuit dans cet endroit.
(31 août.) Jésus traversa aujourd'hui une contrée
habitée par des bergers, où plus tard, après la seconde
pâque, si je ne me trompe, il guérit un lépreux. Il
enseigna dans diverses bourgades. Le soir, Jésus vint pour le sabbat
à Jezraël, un endroit consistant en divers groupes de maisons
séparés par des jardins, de vieux édifices et d'anciennes
tours. Il y passe une grande route, appelée route Royale. Plusieurs
de ses compagnons l'avaient précédé. Il en était
venu trois avec lui.
Il se trouvait dans cet endroit de stricts observateurs de la loi juive
: ce n'étaient pas des esséniens, on les nommait Naziréens.
ils avaient fait des veux pour un temps plus ou moins long et s'abstenaient
de certaines choses. Ils possédaient une grande école et
un certain nombre de maisons. Les jeunes gens vivaient en commun dans une
maison, les jeunes filles dans une autre : les gens mariés faisaient
aussi pour un temps assez long voeu de continence, et alors les hommes
couchaient dans une maison voisine de celle des jeunes gens, les femmes
dans la maison des jeunes filles. Ces gens portaient tous des vêtements
gris et blancs. Leur supérieur portait un long vêtement gris,
bordé par en bas de fruits et de houppes blanches, et une ceinture
grise avec des lettres blanches : il avait autour du bras une bande d'étoffe
grise et blanche, fort épaisse et comme tressée ; c'était
comme une serviette tordue : il y avait un bout assez court qui pendait
et qui était terminé par des bouffettes. Cet homme portait
en outre un collet ou un petit manteau, à peu près comme
Argos l'essénien, mais qui était de couleur grise et ouvert
par derrière au lieu de l'être par devant. une plaque de métal
poli était assujettie sur le devant, et on le fermait par derrière
avec des espèces de lacets ou de cordons. Des morceaux d'étoffe
tailladés recouvraient les épaules. ils avaient un bonnet
noir et brillant en forme de bourrelet, avec des lettres tracées
sur le devant : il était surmonté d'un bouton ou d'une pomme.
Ces gens avaient des chevelures et dés barbes longues, épaisses
et frisées. Je leur trouvais une grande ressemblance avec un des
apôtres, mais je ne savais plus lequel. Enfin. je me rappelai que
saint Paul portait les cheveux comme eux et était habillé
de même, lorsqu'il persécutait encore les chrétiens.
Je le vis aussi plus tard avec des naziréens : il l'était
lui même. Ils laissaient croître leurs cheveux jusqu'à
ce que leur voeu fût accompli ; alors ils les coupaient et les brûlaient
en guise de sacrifice ; ils sacrifiaient aussi des colombes. L'un pouvait
se charger d'accomplir le voeu de l'autre. Jésus célébra
le sabbat avec eux. Jezraël est séparé de Nazareth par
des montagnes. il y a à peu de distance une fontaine, près
de laquelle Saul campa autrefois avec son armée.
(1er septembre.) Jésus enseigna le jour du sabbat sur le baptême
de Jean. Il dit aussi que la piété était une belle
chose, mais que l'exagération était dangereuse que les voies
du salut sont diverses, et que la vie à part dans une communauté
donne aisément naissance à l'esprit de secte : qu'on regarde
du haut de son orgueil les pauvres frères qui ne peuvent pas suivre
et qui cependant devraient être aidés par les plus forts à
marcher en avant. Cet enseignement était nécessaire ici :
car aux extrémités de la ville il y avait des gens qui s'étaient
mêlés avec les pa'ens, et qui n'étaient ni dirigés,
ni stimulés, parce que les naziréens se tenaient à
part. Jésus alla visiter ces gens dans leurs demeures ; il les convoqua
à l'instruction et leur parla du baptême.
Le 9, je vis encore Jésus à un repas, dans la maison
des naziréens. Il fut question de la circoncision, et de ce qu'elle
était par rapport au baptême. Ce fut alors que j'entendis
Jésus parler pour la première fois du signe de l'alliance
entre Dieu et Abraham ; mais je ne puis rapporter exactement ses paroles.
Le sens de ses paroles était que ce signe avait en lui une raison
d'être qui cesserait lorsque le peuple de Dieu ne sortirait plus
selon la chair de la souche d'Abraham mais serait engendré spirituellement
dans le baptême du Saint Esprit.
Parmi les naziréens beaucoup se firent chrétiens mais
ils étaient si fortement attachés à la loi juive,
que plusieurs voulurent mêler ensemble le juda'sme et le christianisme,
et tombèrent dans l'hérésie.
Le 3, Jésus quitta Jezraël, et, après avoir marché
assez longtemps vers l'orient, il se dirigea vers le nord, vers Nazareth,
en tournant autour de la montagne qui sépare ces deux villes ; il
s'arrêta à deux lieues de Jezrael, au milieu d'une série
de maisons placées des deux côtés d'une grande route.
Cet endroit n'était habité que par des publicains ; il y
avait aussi quelques juifs pauvres demeurant sous des tentes, mais ceux
ci étaient assez éloignés de la route. Le chemin le
long duquel étaient les demeures des publicains était bordé
d'un grillage et fermé à l'entrée et à la sortie.
Il demeurait là de riches publicains qui tenaient à ferme
plusieurs douanes dans le pays et les affermaient ensuite à d'autres
publicains en sous ordre. Matthieu était un de ces derniers : il
demeurait dans un autre endroit. C'est ici qu'avait demeuré Marie,
fille de la soeur d'Elisabeth. Je crois qu'étant devenue veuve,
elle était allée à Nazareth d'abord, puis à
Capharnaum ; c'était elle qui était présente à
la mort de la sainte Vierge.
La route commerciale entre la Syrie, l'Arabie, Sidon et l'Egypte passait
par ici. On transportait ici sur des chameaux et sur des ânes, de
gros ballots de soie blanche en liasse comme du lin, de belles étoffes
blanches et bariolées, de longues bandes épaisses et tressées
dont on faisait des tapis, et aussi des aromates. On fermait l'enceinte
quand les chameaux y étaient entrés ; on déchargeait
les ballots et tout était visité. Il y avait un droit à
payer, partie en marchandises, partie en argent. C'étaient, la plupart
du temps, des pièces triangulaires ou carrées, jaunes, blanches
ou rougeâtres, sur lesquelles était l'empreinte d'une figure,
creuse d'un côté, en saillie de l'autre ; il y avait là
aussi d'autres monnaies. Je vis sur les monnaies de petites tours, une
jeune fille et aussi un enfant dans un petit navire. Quant à ces
petits bâtons d'or natif que les rois offrirent à la crèche,
je n'en vis plus depuis lors qu'entre les mains de quelques étrangers
qui allaient visiter Jean Baptiste.
Les publicains formaient comme une ligue, et lors même que même
que quelques uns gagnaient plus que les autres par leurs fraudes, tout
était partagé entre eux ils avaient dans l'aisance et vivaient
bien Les maisons étaient entourées de cours, de jardins et
de murs : ils me faisaient l'effet de riches cultivateurs de chez nous,
dans leurs habitations. Ils vivaient entre eux, et personne autre n'avait
de rapports avec eux. Ils avaient là une école et un maître.
Jésus fut bien reçu par eux et ses compagnons aussi.
Je vis arriver ici plusieurs femmes : je crois que la femme de Pierre en
était. L'une d'elles parla à Jésus. Elles repartirent
ensuite : peut être venaient elles de Nazareth ou y allaient elles,
et se chargeaient elles de quelque message pour la mère de Jésus.
Jésus alla alternativement chez l'un ou l'autre des publicains,
et il enseigna dans leur école. Il leur reprocha surtout d'extorquer
souvent des voyageurs plus que le droit de douane qui était dû.
Ils furent très honteux, et ils ne pouvaient pas comprendre d'où
il savait cela. Ils étaient plus humbles et accueillaient plus volontiers
ses enseignements que les autres juifs. Il les exhorta à recevoir
le baptême.
(5 septembre.) Le mercredi 5, Jésus quitta l'endroit habité
par les publicains, après y avoir enseigné toute la nuit.
Plusieurs d'entre eux voulaient lui faire des présents, mais il
n'accepta rien. beaucoup de ces gens partirent avec lui, ils voulaient
le suivre au baptême. il traversa ce jour là la contrée
de Dothaim, et passa devant la maison de fous où une première
fois, venant de Nazareth, il avait calmé les énergumènes
et les possédés. Comme il passait. ils l'appelèrent
par son nom en criant, et firent de violents efforts pour sortir. Jésus
commanda aux surveillants de les laisser aller, disant qu'il répondait
de toutes les conséquences. On leur rendit la liberté : tous
alors s'abaissèrent, furent délivrés et le suivirent.
Il arriva le soir à Kisloth, ville située sur le Thabor.
La plupart des habitants étaient pharisiens : ils avaient entendu
parler de lui, et se scandalisèrent de voir à sa suite des
publicains qu'ils regardaient comme des malfaiteurs, des possédés
connus comme tels, et des gens de toute espèce. Il alla dans l'école
et enseigna sur le baptême de Jean ; il dit à ceux qui l'accompagnaient
qu'avant de le suivre, ils devaient bien examiner s'ils se sentaient capables
d'aller jusqu'au bout : car il ne fallait pas croire que son chemin fût
un chemin commode : il leur raconta plusieurs paraboles relatives à
la construction des maisons. "Quand un homme veut bâtir une maison
quelque part, disait il, il faut qu'il sache si le propriétaire
du sol voudra le permettre : ils devaient donc, avant tout, expier leurs
péchés et faire pénitence. De même, quand un
homme veut bâtir une tour, il doit d'abord calculer la dépense.
Il donna beaucoup d'autres enseignements qui ne plurent pas aux Pharisiens.
Mais ils ne l'écoutaient pas ; ils se contentaient d'espionner ;
et je les vis convenir entre eux qu'ils lui donneraient un repas pour mieux
observer ce qu'il dirait.
Ils lui préparèrent un grand repas dans une salle publique.
Il y avait trois tables, les unes à côté des autres
; à droite et à gauche brûlaient des lampes ; au dessus
de la table du milieu, à laquelle était assis Jésus
avec quelques disciples et quelques pharisiens, se trouvait l'ouverture
ordinaire dans le toit ; aux deux tables latérales étaient
assis les compagnons de Jésus.
Il fallait que dans cette ville il existât une vieille coutume
en vertu de laquelle, quand on donnait un repas à un étranger,
on y invitait les pauvres, fort nombreux du reste dans cet endroit et fort
négligés ; car lorsque Jésus se fut mis à table,
il demanda aussitôt aux pharisiens où étaient les pauvres
et si ce n'était pas leur droit de prendre part au repas.
Les pharisiens furent embarrassés et dirent que depuis longtemps
cela ne se faisait plus. Alors Jésus envoya ses disciples Arastaria
et Cocharia, fils de Maraha, avec Klaia, fils de la veuve Séba,
inviter les pauvres de la ville à se rendre au repas. Cela irrita
beaucoup les pharisiens et fit beaucoup de sensation dans la ville. Plusieurs
de ces pauvres étaient déjà couchés et dormaient
; les disciples les firent lever, et je vis dans des cabanes toute espèce
de scènes joyeuses. Les pauvres étant arrivés, Jésus
et les disciples les reçurent et les servirent, et Jésus
fit une très belle instruction. Les pharisiens étaient pleins
de dépit, mais ils ne pouvaient rien empêcher, car Jésus
avait le droit pour lui et la masse du peuple était fort satisfaite
; il y avait une grande excitation dans la ville. Quand les pauvres eurent
mangé, ils emportèrent tous quelque chose avec eux pour leurs
familles. Jésus avait béni les mets ; il avait fait la prière
avec eux et les avait exhortés à aller au baptême de
Jean.
Mais il ne voulut pas rester plus longtemps dans cette ville, et le
6, il partit dans la nuit avec les siens. Or, plusieurs de ceux qui l'avaient
accompagné, s'étaient retirés, découragés
par ses avertissements ; d'autres partirent pour se rendre au baptême
de Jean.
(7 septembre.) Dans la nuit du 6 au 7, Jésus passa par deux
vallées. Je le vis parfois s'entretenir avec ses compagnons, parfois
rester en arrière et prier Dieu à genoux, puis les rejoindre
de nouveau. Le 7, dans l'après midi, je vis Jésus arriver
à un village de bergers, nommé Kimki. Il y avait là
une école, mais pas de prêtres. Ceux ci devaient venir d'un
lieu éloigné. L'école était fermée.
Jésus réunit les bergers dans une salle d'hôtellerie
et enseigna. Le sabbat était proche. Le soir, il vint des prêtres
de la secte des pharisiens, parmi lesquels quelques uns étaient
de Nazareth. Jésus enseigna sur le baptême et sur l'approche
du Messie. Les pharisiens se déclaraient fort contre lui, ils parlèrent
de sa basse extraction et cherchèrent à le rabaisser. Il
passa la nuit ici.
(8 septembre.) Jésus fit encore aujourd'hui une instruction
où il raconta plusieurs paraboles. Il demanda un grain de sénevé
qu'on lui apporta. Il dit beaucoup de choses à ce propos et leur
dit que s'ils avaient de la foi comme un grain de sénevé,
ils pourraient transporter ce poirier dans la mer. Il y avait là
un grand poirier chargé de fruits. Les pharisiens se moquaient de
ce genre d'enseignement qu'ils trouvaient guérit. Il donna des explications,
mais je les ai oubliées. il parla aussi de l'économe infidèle.
Les gens qui se trouvaient sur tout le chemin que fit Jésus
ces jours là, étaient dans l'admiration de lui ; il leur
rappelait, disaient ils, tout ce que leurs ancêtres leur avaient
transmis de l'enseignement et de la manière d'être des derniers
prophètes, mais il avait quelque chose de beaucoup plus doux.
(9 septembre.) Jésus était encore dans le village des
bergers où il célébra le sabbat. On pouvait voir de
là les montagnes de Nazareth, qui n'est guère qu'à
deux lieues. Cette bourgade consiste en maisons disséminées,
ce n'est qu'autour de la synagogue qu'on en trouve quelques unes agglomérées.
Son nom ressemble à un nom d'homme hébraïque, je l'ai
oublié(3). Il prit son logement chez de pauvres gens : la maîtresse
de la maison était hydropique.
Note 3 : Ce ne fut que le 11 septembre, qu'elle dit le nom de ce lieu,
Kimki. Parmi les noms d'hommes elle pouvait penser entre autres à
Chamaam; Kimean ou Kimhan, (II Reg. XIX, 37, etc.)
Il eut pitié d'elle et la guérit en lui mettant la main
sur la tête et sur lés joues. Elle fut entièrement
délivrée de son mal et servit à table. Il lui défendit
d'en parler jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême.
Elle lui demanda ce qui pouvait l'empêcher de l'annoncer partout.
Mais il répondit : Puisque vous voulez en parler, vous allez devenir
muette. "Et en effet elle devint muette jusqu'à ce qu'il fût
revenu de son baptême. Il y a bien encore quinze jours d'ici là,
car il me semble qu'à Bethulie ou à Jezraël il a parlé
de trois semaines.
Le 9, il enseigna encore ici dans la synagogue. Les pharisiens lui
étaient très opposés. Il parla de la venue prochaine
du Messie. Il leur dit : "Vous vous attendez à le voir venir dans
tout l'éclat d'une pompe mondaine ; mais il est déjà
venu, il apparaîtra dans la pauvreté : il apportera la vérité,
il recevra plus de blâme que de louange, car il veut la justice,
etc. Toutefois ne vous laissez pas séparer de lui, de peur que vous
ne périssiez comme ces enfants de Noé qui se moquaient de
lui lorsqu'il se fatiguait à construire l'arche qui devait les sauver
du déluge. Tous ceux qui ne se moquèrent pas de Noé,
entrèrent dans l'arche et furent sauvés. "Ensuite se tournant
vers ses disciples, il leur dit : "Ne vous séparez pas de moi, comme
Loth se sépara d'Abraham, et cherchant les meilleurs pâturages,
vint à Sodome et à Gomorrhe. Ne regardez pas les pompes du
monde que le feu du ciel détruit, afin que vous ne soyez pas changés
en statues de sel. Restez avec moi dans toutes les tribulations, je vous
viendrai toujours en aide, etc. Les pharisiens étaient de plus en
plus mécontents, et ils disaient : "Que leur promet il donc, quand
il ne possède rien lui même ! N'es tu pas de Nazareth, le
fils de Joseph et de Marie ? " il dit alors, sans s'expliquer clairement,
de qui il était fils, et qui le proclamerait : et comme ils disaient
: "Comment parles tu du Messie ici et partout où tu vas enseigner,
comme nous en avons été informés ? Crois tu que nous
devions penser que tu te donnes pour le Messie ? Et Jésus leur dit
: à cette question je n'ai qu'une réponse à faire
: Oui, vous le pensez. "il y eut alors un grand tumulte dans la synagogue
; les pharisiens éteignirent les lampes ; Jésus et ses disciples
quittèrent cet endroit et partirent dans la nuit par la grande route.
Je les vis dormir sous un arbre. Le dimanche 9, dans la soirée,
je vis Jésus avec ceux qui l'accompagnaient quitter le village des
bergers passer la nuit sous un arbre sur la grand route.
(10 septembre.) Le lundi 10, je vis sur la route se joindre à
Jésus des gens qui avaient campé sur le chemin pour l'attendre.
Ils n'étaient pas allés avec lui dans l'endroit d'où
il venait, mais une partie d'entre eux avait pris les devants. Je le vis
se détourner du chemin avec eux, et vers trois heures après
midi, je le vis se diriger vers une station de bergers, consistant seulement
en quelques cabanes, que les bergers habitaient au temps des pâturages.
Il n'y avait pas de femmes ici. Les bergers allèrent à sa
rencontre. Ils savaient sans doute sa prochaine arrivée par ceux
qui l'avaient précédé. Pendant qu'une partie d'entre
eux allait au devant de lui, les autres tuaient des oiseaux et faisaient
du
feu pour préparer un repas. Cela se passait dans une salle d'hôtellerie.
Il y avait devant le foyer un mur qui l'isolait. à l'entour régnait
un banc de gazon dont le dossier était de branches vertes tressées
ensemble. Ils conduisirent là le Seigneur et ceux qui l'accompagnaient.
Il y avait bien vingt personnes et quand ils furent tous réunis,
il devait se trouver là un bon nombre de bergers. Ils lavèrent
les pieds à tous et à Jésus dans un bassin à
part. Il avait demandé un peu plus d'eau qu'à l'ordinaire
et il donna ordre de ne pas la verser. Comme on allait se mettre à
table, Jésus demanda aux bergers qui semblaient un peu agités,
ce qui les inquiétait et s'il n'en manquait pas quelques uns parmi
eux ? Alors ils lui avouèrent qu'ils étaient inquiets parce
qu'ils avaient parmi eux deux personnes malades de la lèpre, qu'ils
craignaient que ce ne fût la lèpre impure et que Jésus,
à cause de cela, ne pût pas venir chez eux : ils les avaient
cachés pour ce motif. Jésus leur ordonna de les amener et
envoya ses disciples les chercher. Ces gens vinrent enveloppés dans
des draps de la tête aux pieds, en sorte qu'ils avaient peine à
marcher, et que chacun d'eux était conduit par deux personnes. Jésus
les exhorta et leur dit que leur lèpre ne venait pas de l'intérieur,
mais qu'elle était venue extérieurement par contagion : il
me fut expliqué, selon le sens spirituel, qu'ils n'avaient pas péché
par malice, mais entraînés par d'autres. Il ordonna de les
laver avec l'eau qui avait servi à lui laver les pieds. Quand cela
fut fait je vis tomber les croûtes de la lèpre, laissant seulement
après elles une marque sur la peau. L'eau fut ensuite jetée
dans une fosse et couverte de terre. L'un de ces lépreux était
des environs de Samarie, l'autre de... Jésus encore cette fois défendit
très sévèrement à ces braves gens de rien dire
de leur guérison, jusqu'à ce qu'il fût revenu du baptême.
Il fit ensuite une autre instruction sur Jean, sur le baptême
et sur la venue prochaine du Messie. Alors, ils lui demandèrent
en toute simplicité qui ils devaient suivre de lui, ou de Jean,
et quel était le plus grand des deux ? "il leur expliqua que le
plus grand était celui qui servait avec la plus parfaite humilité
et qui s'abaissait le plus profondément dans la charité.
Il les exhorta aussi à aller au baptême. il parla encore de
la difficulté qu'il y avait à le suivre et les congédia
tous, ne gardant avec lui que les cinq disciples. Il donna rendez vous
aux autres à un endroit situé dans le désert, non
loin de Jéricho : je crois que c'est dans la contrée d'Ophra,
où Joachim avait un pâturage. une partie de ces gens l'abandonna
tout à fait : d'autres allèrent directement trouver Jean
: d'autres enfin retournèrent d'abord chez eux pour se préparer
au baptême.
Jésus et les cinq disciples arrivèrent tard devant Nazareth,
qui était à tout au plus une petite lieue de là. Ils
n'y entrèrent pas : ils s'approchèrent du côté
de la porte qui conduisait à l'orient, vers la mer de Galilée.
Nazareth avait cinq portes. à un petit quart d'heure de la ville
était la montagne terminée de l'autre côté par
un escarpement à pic d'où ils précipitaient souvent
des criminels, et d'où ils voulurent plus tard précipiter
Jésus t. Au pied de cette montagne étaient des cabanes isolées.
Jésus ordonna aux cinq disciples d'y chercher des logements pour
eux et il entra lui même dans une d'elles pour y passer la nuit.
On leur donna de l'eau pour laver leurs pieds, un morceau de pain et une
place pour dormir. le les laissai là, le 10 au soir. La propriété
de sainte Anne était au levant de Nazareth. Les bergers avaient
fait cuire du pain sous la cendre. Ils avaient un puits creusé dans
la terre, mais qui n'était pas revêtu de maçonnerie.
Note : On montre aujourd'hui la montagne du précipice à
une demi lieue au midi de Nazareth. Nazareth doit donc avoir changé
de place, ou bien l'indication donnée par la Soeur est peu précise.
(11 septembre.) Le 10, au soir, je vis, comme je l'ai dit, Jésus
arriver devant Nazareth. La vallée qu'il avait suivie pendant la
nuit en venant de Kisloth Thabor, s'appelait Edron, et le village des bergers
avec la synagogue où les pharisiens de Nazareth l'avaient tellement
injurié, s'appelait Kimki. Les gens chez lesquels Jésus et
les cinq disciples étaient entrés devant Nazareth étaient
des esséniens, amis de la sainte Famille. Ils demeuraient là
sous des voûtes de vieux murs en ruines ; il y avait des hommes et
quelques femmes, vivant sépares et dans le célibat. Ils avaient
de petits jardins, portaient de longs vêtements blancs et les femmes
des manteaux. Ils avaient habité autrefois dans la vallée
de Zabulon, près du château d'Hérode, et ils étaient
venus ici par amitié pour la sainte famille.
Celui chez lequel Jésus entra se nommait Eliud c'était
un vieillard vénérable avec une longue barbe. Il était
veuf ; sa fille prenait soin de lui. C'était le fils d'un frère
de Zacharie. Ces gens vivaient ici très retirés ; ils fréquentaient
la synagogue de Nazareth, étaient très dévoués
à la sainte Famille, et c'était à eux qu'avait été
confiée la garde de la maison de Marie lors de son départ.
Le matin, les cinq disciples se rendirent à Nazareth visitèrent
leurs parents et leurs amis et entrèrent à l'école
: mais Jésus resta prés d'Eliud. Il pria avec lui et s'entretint
avec lui très intimement. Cet homme simple et pieux avait connaissance
de plusieurs mystères. Dans la maison de Marie il y avait avec elle
quatre femmes : sa nièce, Marie de Cléophas, Jeanne Chusa,
cousine de la prophétesse Anne, Marie, mère de Jean Marc,
parente de Siméon, et la veuve Léa. Véronique n'était
plus là, non plus que la femme de Pierre, que j'ai vue récemment
prés de l'endroit où habitent les publicains.
Le matin, je vis la sainte Vierge et Marie de Cléophas venir
trouver Jésus. Jésus tendit la main à sa mère.
Sa manière d'être avec elle était affectueuse, mais
toujours très grave et très calme. Elle était inquiète
et le pria de ne pas aller à Nazareth où l'on était
fort irrité. Les pharisiens de Nazareth qui l'avaient entendu dans
la synagogue de Kimki, avaient soulevé de nouveau les esprits contre
lui. Jésus lui dit qu'il voulait attendre ici les personnes qui
devaient aller avec lui au baptême de Jean, et qu'alors il passerait
par Nazareth. Il s'entretint encore beaucoup avec elle ce jour là
où elle vint le trouver deux ou trois fois il 1ui dit entre autres
choses qu'il irait quatre fois à Jérusalem pour la Pâque
et que la dernière fois elle aurait un grand sujet d'affliction.
Il lui révéla d'autres choses encore, mais je les ai oubliées.
Marie de Cléophas, qui était une femme de belle prestance,
lui parla, le matin, de ses cinq fils, et le pria de les prendre avec lui.
Elle lui exposa que l'un d'eux était scribe, chargé de faire
des arbitrages : il s'appelait Simon : deux autres, Jacques le Mineur et
Jude Thaddée, étaient pêcheurs : elle les avait eux
Alphée, son premier mari, qui lui avait amené un fils d'un
premier lit, nommé Matthieu, sur lequel elle pleurait amèrement
parce qu'il était publicain. De Sabas, Son second mari, elle avait
un autre fils, José Barsabas, qui était aussi pêcheur
(Elle avait encore un petit garçon, nommé Siméon,
né d'un troisième mariage avec le pécheur Jonas).
Jésus la consola, lui dit qu'ils viendraient à lui, il la
rassura aussi au sujet de Matthieu (qui avait déjà eu des
rapports avec lui lors de son voyage à Sidon). et lui dit qu'il
serait un des meilleurs.
Je vis dans l'après midi la sainte Vierge avec quelques unes
de ses parentes de Nazareth revenir à sa demeure : près de
Capharnaum. Les serviteurs étaient venus de là avec des ânes
pour la ramener. Ils prirent encore beaucoup d'objets qu'on avait laissés
à Nazareth, des couvertures, des ballots et aussi des vases : tout
était porté par les ânes dans des paniers d'écorce
d'arbre tressée. La maison de Marie à Nazareth avait, en
son absence, quelque chose de l'aspect d'une chapelle : le foyer faisait
l'effet d'un autel. On y avait placé un coffre et au dessus un vase
avec de la verdure fraîche. Maintenant, après son départ,
la maison sera habitée par les esséniens.
Je vis toute cette journée Jésus s'entretenir très
intimement avec Eliud, sur lequel j'ai appris beaucoup de choses que malheureusement
je ne puis me rappeler. Eliud l'interrogea sur sa mission, et Jésus
lui expliqua tout. Il lui dit qu'il était le Messie et s'entretint
avec lui de sa généalogie humaine et du mystère de
l'arche d'alliance. J'appris alors que cet objet mystérieux avait
été porté avant le déluge dans l'arche de Noé,
comment il s'était transmis de génération en génération,
comment il avait été retiré par intervalles, puis
rendu de nouveau, Jésus dit à ce propos que Marie en naissant
était devenue l'arche d'alliance du mystère(4). Alors Eliud,
qui pendant ce temps là parcourait divers écrits et marquait
certains passages des prophètes, que Jésus lui expliquait,
lui demanda pourquoi il n'était pas venu plus tôt. Jésus
lui répondit qu'il n'avait pu naître que d'une femme conçue
comme les hommes l'auraient été sans la chute originelle,
et que depuis les premiers parents il ne s'était rencontré
pour cela aucun couple d'époux qui fût aussi pur de part et
d'autre qu'Anne et Joachim. Il lui développa tout cela et lui fit
connaître tout ce qui avait jusque là empêche, entravé
et retardé l'oeuvre du salut.
Note 4 : Il y a plus de détails à ce sujet dans les visions
relatives à la bénédiction des patriarches et au mystère
de l'arche d'alliance.
J'appris dans ces entretiens beaucoup de choses touchant l'histoire
de l'arche d'alliance. Lorsqu'elle tombait dans les mains des ennemis,
cet objet mystérieux n'y était plus, parce que les prêtres
le retiraient toutes les fois qu'il y avait du danger, et cependant l'arche
qui l'avait contenu restait si sainte que les ennemis étaient punis
pour l'avoir propagée et obligés de la restituer. Je vis
aussi qu'une famille chargée plus particulièrement par Mo'se
de la garde de l'arche d'alliance, avait subsisté jusqu'au temps
d'Hérode. Jérémie, à l'époque de la
captivité de Babylone, fit cacher près du mont Sinai l'arche
d'alliance et d'autres objets sacrés ; et plus lard on ne la retrouva
pas. Mais la chose sainte n'y était plus. à une époque
postérieure. on fit une imitation de l'arche d'alliance : mais tout
ce qui y avait été précédemment ne s'y trouvait
pas : la verge d'Aaron, ainsi qu'une partie de l'objet mystérieux,
étaient chez les esséniens du mont Horeb ; mais le sacrement
de la bénédiction y revint par l'intermédiaire de
je ne sais plus quel prêtre. Je vis là en tableaux plusieurs
choses que Jésus expliqua à Eliud ; j'entendis une partie
de ce qu'il lui dit, mais je ne puis pas me rappeler tout.
Il dit comment il avait pris chair du germe béni que Dieu avait
retiré d'Adam avant sa chute comment ce germe béni, afin
que tout Israël méritât bien de lui, avait dû se
transmettre à travers plusieurs générations, comment
il avait été souvent retiré, et comment les vases
s'étaient ternis. je vis tout cela en réalité ; je
vis tous les a'eux de Jésus comment les patriarches au moment de
leur mort transmettaient réellement cette bénédiction
à leurs premiers nés, dans une cérémonie sacramentelle,
et comment le morceau de pain et le breuvage contenu dans la sainte coupe
qu'Abraham avait reçus de l'ange qui lui promit Isaac, étaient
une figure du très saint Sacrement de la nouvelle alliance et donnaient
la force pour coopérer à la formation de la chair et du sang
du Messie futur. je vis comment la ligne des ancêtres de Jésus
reçut ce sacrement pour concourir à l'incarnation de Dieu,
et que Jésus fit de la chair et du sang reçus de ses ancêtres
un sacrement plus sublime pour opérer l'union des hommes avec Dieu.
Jésus parla aussi beaucoup avec Eliud de la sainteté
d'Anne et de Joachim et de la conception surnaturelle de Marie sous la
porte dorée, mais je ne m'en souviens plus bien. il dit aussi qu'il
n'avait pas été conçu de Joseph, mais de Marie selon
la chair, et que la conception de celle ci provenait de ce germe pur et
béni, retiré à Adam avant la chute, qui avait été
transmis a Joseph, en Egypte, par le canal d'Abraham, puis était
arrivé dans l'arche d'alliance et de l'arche avait passé
dans Joachim et dans Anne.
Il dit que, devant racheter les hommes, il avait été
envoyé avec toute la faiblesse de la créature humaine, qu'il
sentait et éprouvait toutes choses à la façon d'un
homme ordinaire ; que, comme le serpent de Mo'se dans le désert,
il serait élevé en l'air sur la montagne du Calvaire où
le corps du premier homme avait son tombeau. Ah ! Combien il aurait d'afflictions
à endurer, et combien les hommes seraient ingrats, etc. Eliud l'interrogeait
toujours avec beaucoup de simplicité et de droiture de coeur, mais
il comprenait tout mieux que ne firent les apôtres au commencement
; il entendait tout dans un sens plus spirituel : cependant il ne pouvait
pas encore se bien rendre compte de ce qui allait se faire. Il demanda
à Jésus où serait son royaume, si ce serait à
Jérusalem, à Jéricho ou à Engaddi. Jésus
répondit que là où il était, là était
son royaume, qu'il n'avait point de royaume apparent.
J'entendis aussi aujourd'hui et le jour suivant mentionner plus d'un
passage de l'Ecriture où la lettre ne rend pas le sens intérieur,
où la prophétie exprimée par des images sensibles
est comprise trop matériellement.
Le vieillard parlait à Jésus avec beaucoup de naturel
et de simplicité : il lui raconta plusieurs choses relatives à
sa mère, comme s'il les eût ignorées, et Jésus
l'écouta avec une grande bienveillance. Il parla de saint Joachim
et de sainte Anne. Jésus dit qu'aucune femme n'avait été
plus chaste que sainte Anne, et que si elle s'était remariée
deux fois après la mort de Joachim, ç'avait été
par ordre de Dieu. Cette souche devait produire un nombre déterminé
de rejetons qui avait ainsi été complété.
Eliud raconta quelque chose touchant la mort de sainte Anne, et je
vis un tableau de sa mort. Je vis Anne, à la façon de Marie,
dans la pièce située sur le derrière de sa grande
maison, étendue sur une couche un peu exhaussée ; je vis
qu'elle était très animée, très parlante et
nullement comme une personne à l'article de la mort. Je la vis bénir
ses plus jeunes filles et les autres personnes de la maison ; celles ci
étaient dans la pièce antérieure ; je vis que Marie
était à son chevet et Jésus au pied de son lit. Elle
bénit Marie et demanda la bénédiction de Jésus
qui était arrivé à l'âge d'homme et avait une
barbe naissante. Je la vis encore parler joyeusement ; elle leva les yeux
au ciel, puis elle devint blanche comme la neige et je vis sur son front
des gouttes comme des perles. Alors je m'écriai : " Elle meurt,
elle meurt ! " Et je désirais ardemment la prendre dans mes bras.
Alors ce fut comme si elle venait à moi et reposait dans mes bras
; et en m'éveillant je croyais encore la tenir.
Eliud parla encore des vertus pratiquées par Marie dans le temple.
Je vis aussi tout cela en tableaux. Je vis que sa maîtresse Noémi
était parente de Lazare, et que cette femme, âgée d'environ
cinquante ans, était essénienne, ainsi que toutes les autres
femmes attachées au service du temple Je vis que Marie apprit près
d'elle à tricoter, qu'étant encore enfant elle allait déjà
avec elle, quand Noémi nettoyait les vases et les ustensiles tachés
par le sang des victimes, et recevait certaines portions de la chair des
animaux sacrifiés qu'elle découpait et préparait pour
l'usage des servantes du temple et des prêtres : car ceux ci tiraient
de là en partie leur nourriture. Plus tard je vis la sainte Vierge
l'aider dans tout cela. Je vis aussi que Zacharie, quand il était
de service, visitait la petite Marie : Siméon aussi la connaissait.
Je vis ainsi toute sa pieuse et humble manière de vivre et de servir
dans le temple, comme Eliud la décrivait au Seigneur.
Ils s'entretinrent encore de la conception du Messie et Eliud parla
de la visite de Marie à Elisabeth. J'appris là de nouveau
que le Sauveur a été conçu deux mois après
notre fête actuelle de Noël ainsi que je l'ai toujours vu, et
je vis aussi quelque chose que j'ai oublié sur ce qui a fait que
la fête de Noël a été mise plus tard elle raconta
en outre que Marie avait trouvé là une source, ce que j'ai
vu. J'ai vu comment la sainte Vierge, avec Elisabeth, Zacharie et Joseph
étaient allés de la maison de Zacharie dans un petit bien
qui appartenait à celui ci et où l'on manquait d'eau ; je
vis la sainte Vierge aller seule devant le jardin avec un petit bâton
; elle pria, et quand elle toucha la terre avec le petit bâton, il
en jaillit un filet d'eau qui coula autour d'un petit tertre. Lorsque Zacharie
et Joseph arrivèrent, ils enlevèrent le monticule avec une
bêche ; l'eau sortit de tous les côtés à cette
place et il y eut là une très belle fontaine. Zacharie habitait
au sud ouest de Jérusalem à environ cinq lieues.
Dans cet entretien si intime dont les intervalles étaient remplis
par la prière, je vis Eliud marquer du respect à Jésus,
mais se livrer à un enjouement na'f et ne le traiter que comme un
homme élu. La fille d'Eliud ne demeurait pas dans la même
maison que son père : elle habitait à part une grotte creusée
dans le roc.
Les esséniens qui habitaient contre la montagne étaient
environ une vingtaine ; les femmes, au nombre de cinq ou six, avaient une
habitation séparée où elles demeuraient ensemble.
Tous ces gens honoraient Eliud comme un supérieur, et ils se réunissaient
tous les jours pour faire la prière avec lui. Jésus prit
avec Eliud un repas composé de fruits, de miel et de poisson. mais
il mangea peu. Ces esséniens s'occupaient pour la plupart de tissage
et de jardinage.
La montagne au pied de laquelle ils habitaient était la plus
haute cime de l'arête sur laquelle Nazareth était bâti
; mais elle était séparée de la ville par une vallée.
Du côté opposé se trouvait un escarpement à
pic couvert de verdure et de vignobles. Au dessous de cet escarpement,
d'où plus tard les pharisiens voulurent précipiter Jésus,
il y avait des décombres, des immondices et des ossements. La maison
de Marie était située en avant dans la ville, contre une
colline, en sorte que certaines parties de la maison formaient comme des
grottes dans la colline. Cependant le haut de la maison dépassait
cette éminence, au delà de laquelle se trouvaient d'autres
habitations.
Ce soir, Marie et les femmes, en compagnie de Colaya, fils de Léa,
revinrent dans leur maison de la vallée de Capharnaum. Leurs amies
des environs vinrent au devant d'elles. La maison qu'habitait Marie, près
de Capharnaum, appartenait à un homme nommé Lévi,
qui demeurait à peu de distance de là, dans une grande maison.
La famille de Pierre l'avait louée de Lévi et cédée
à la sainte Famille ; car Pierre et André connaissaient la
sainte Famille, soit par eux mêmes, soit par Jean Baptiste, dont
ils étaient disciples. Il y avait plusieurs bâtiments adjacents
où des disciples et des parents pouvaient loger. Cette maison semblait
avoir été choisie à cause de cela. Marie de Cléophas
avait avec elle son fils Siméon petit garçon de deux ans,
né de son troisième mariage. Je crois que son père
Jonas était mort, mais je n'en suis pas bien sûre : il y a
trop de gens allant et venant : il est difficile d'en savoir au juste le
compte.
Vers le soir, Je vis Jésus aller à Nazareth avec Eliud
En avant des murs de la ville, à l'endroit où Joseph avait
Son atelier de charpentier, demeuraient de pauvres et honnêtes familles,
connues de Joseph. et où quelques uns des enfants avaient été
du nombre des compagnons de Jésus pendant son adolescence. Eliud
conduisit Jésus près d'eux. Ils donnèrent à
leurs hôtes un morceau de pain et de l'eau qui était très
fraîche. à Nazareth, l'eau était remarquablement bonne.
Je vis Jésus s'asseoir par terre chez ces gens et les exhorter à
aller au baptême de Jean. Ces gens sont un peu timides avec Jésus,
dans lequel ils ne voyaient autrefois qu'un de leurs pareils, mais qui
maintenant leur est amené d'une façon si solennelle par Eliud,
personnage très respecté parmi eux, près duquel tous
vont chercher des conseils et des consolations, et qui les exhorte au baptême.
Ils ont bien entendu parler du Messie, mais ils ne peuvent penser que ce
soit lui, etc.
Le 13 au matin je vis Jésus sortir de Nazareth avec Eliud. Ils
allèrent du côté du midi sur le chemin de Jérusalem.
On appelle cette contrée la vallée d'Esdrelon. Etant allés
à environ deux lieues au delà du petit torrent de Kison,
ils arrivèrent à un endroit consistant en une synagogue,
une hôtellerie et quelques maisons. C'est, je crois, un faubourg
de la ville d'Endor qui est tout près de là. à peu
de distance de là se trouve une fontaine renommée. Jésus
entra dans une hôtellerie. Les gens du lieu étaient peu sympathiques,
sans être précisément hostiles. Eliud aussi, de son
côté, n'avait pas grand crédit chez eux : car leurs
tendances étaient plutôt pharisiennes. Jésus dit aux
préposés qu'il voulait enseigner dans la synagogue. ils dirent
que ce n'était pas l'usage de le permettre à des étrangers.
Mais il leur déclara qu'il avait mission pour cela : il entra dans
l'école et enseigna sur le Messie, dont le royaume n'est pas de
ce monde et qui ne doit pas paraître avec une pompe extérieure
; il parla aussi du baptême de Jean. Les prêtres attachés
à la synagogue ne lui étaient pas favorables. Il se lit donner
des écrits, qu'il ouvrit, et il en expliqua divers passages des
prophètes.
Je fus encore singulièrement touchée de la conversation
intime qu'il eut avec le vieil Eliud : celui ci connaissait sa mission,
son origine surnaturelle, et il y croyait ; toutefois il ne paraissait
pas soupçonner que c'était Dieu lui même. Comme ils
marchaient ensemble, Eliud lui raconta avec beaucoup de simplicité
diverses choses touchant sa jeunesse, ce que la prophétesse Anne
lui avait dit, et ce que celle ci, après le retour de la sainte
Famille d'Egypte, avait appris de Marie, qu'elle avait visitée quelquefois
à Jérusalem Jésus lui raconta aussi des choses qu'il
ne savait pas, et ses récits étaient accompagnés d'explications
très profondes : mais tout cela se passait simplement et naturellement
: c'était la conversation d'un bon vieillard avec un jeune ami qu'il
affectionne. Pendant qu'Eliud racontait ce qu'Anne avait appris de Marie
et lui avait répété, je vis tout cela en visions,
et je me réjouis de voir que c'étaient toujours les mêmes
choses que j'avais déjà vues et dont j'avais oublié
une partie. J'ai beaucoup vu et entendu à ce sujet, mais malheureusement
j'en ai oublié la plus grande partie, parce que j'ai été
dérangée.(5)
Jésus parla aussi avec Eliud du voyage qu'il devait faire à
l'occasion de son baptême. Il avait réuni beaucoup de personnes
qu'il avait envoyées dans le désert, près d'Ophra
; quant à lui, il voulait aller seul en passant par Bethanie, où
il voulait parler à Lazare Il le nomma d'un autre nom que j'ai oublié
: il parla de son père et de ce qu'il avait été lors
de la guerre. Il dit que Lazare et ses soeurs étaient riches et
sacrifieraient tout au service de l'oeuvre du salut.
Note 5 : Les récits intercalés ici sur la fuite en Egypte,
la vie en Egypte le massacre des Innocents, le retour d'Egypte, etc., ont
été placés dans la vie de la sainte Vierge.
Lazare avait trois soeurs : Marthe, l'aînée ; Marie Madeleine,
la plus jeune, et une entre les deux qui s'appelait aussi Marie : celle
ci vivait tout à fait à part ; elle était silencieuse
et comme idiote : on ne l'appelle que Marie la Silencieuse. Jésus,
parlant d'elles, dit à Eliud que Marthe était bonne et pieuse,
et qu'elle le suivrait ainsi que son frère. Il dit de l'idiote :
"Celle là avait un grand esprit et beaucoup d'intelligence ; mais
ces dons lui ont été retirés pour son salut. Elle
n'est pas laite pour le monde et sa vie est toute intérieure, mais
elle ne pèche pas i : si je m'entretenais avec elle, elle comprendrait
les mystères les plus cachés. Elle ne survivra pas longtemps
au moment où Lazare et ses soeurs me suivront et donneront tout
pour la communauté. La plus jeune soeur, Marie, est égarée
: mais elle reviendra et surpassera Marthe, etc."
Précédemment, lorsque la narratrice vit le Seigneur dans
le voisinage de Magdalum, elle eut la vision suivante touchant Madeleine
:
" voyez un peu ! je l'aperçois au haut de son château
: derrière elle brille un corps lumineux semblable à une
lune, mais devant elle s'élève comme une montagne noire qu'elle
doit mettre sous ses pieds, car une assistance lui est donnée. Elle
est stérile, autrement ce qu'il y a de ténébreux en
elle se serait répandu au dehors et l'aurait fortement attachée
au monde. Lorsqu'elle a reconnu Jésus et fait pénitence,
elle a mis au monde beaucoup d'enfants selon l'esprit. Je vois aussi là
la Mère de Dieu : elle met le pied sur la montagne noire qui s'enfonce
: alors Madeleine est toute entière dans la clarté de la
lune, elle est toute lumineuse, mais la Mère de Dieu se tient au
dessus de la lune. La lune a une signification importante et joue un rôle
considérable : elle est en rapport avec beaucoup de mauvaises choses
qui sont en nous. Mais il y a tant à dire là dessus, que
je ne puis en parler maintenant. Quand la Mère de Dieu vint, elle
foula aux pieds le mal avec ses ténèbres ; elle a reçu
l'empire sur lui : je ne puis pas bien expliquer la chose maintenant, mais
c'est pour cela qu'elle est représentée au dessus de la lune,
ayant le serpent sous ses pieds. C'est une réalité qui nous
est ainsi montrée sous forme d'image. "
Eliud parla encore de Jean Baptiste, le cousin de Jésus : il
ne l'avait jamais vu et n'était pas encore baptisé. Ils passèrent
la nuit dans l'hôtellerie voisine de la synagogue.
(14 septembre.) Ce matin Jésus alla avec Eliud le long de la
montagne d'Hermon qui n'est pas cet Hermon où Joachim avait des
pâturages. Ils allèrent a Endor, ville en partie ruine. Déjà
près du lieu où ils avaient logé, il y avait sur le
penchant de la montagne, des restes de murs tellement larges qu'on aurait
pu y aller en voiture. La ville d'Endor était peu habitée,
pleine de décombres ; il y avait beaucoup de jardins. D'un côté
s'élevaient de grands édifices semblables à des palais
: en d'autres endroits la ville était en ruines, ayant été
dévastée par la guerre. Il me semble qu'il habitait là
une race d'hommes distincte des Juifs. Jésus n'alla pas dans la
synagogue, il n'y en avait pas ici. Il se rendit avec Eliud sur une grande
place où il y avait trois édifices contenant une quantité
de petites chambres bâties près d'un étang entouré
d'une pelouse et sur lequel flottaient de petites barques de baigneurs
: il y avait aussi une pompe près de cet étang. Cela ressemblait
à un établissement d'eaux minérales : les petites
chambres étaient habitées par des malades. Jésus alla
avec Eliud dans une de ces grandes maisons : on lui lava les pieds et on
l'hébergea. Il fit ensuite une instruction à ces gens sur
la place où on lui avait préparé un siège élevé.
Les femmes qui habitaient dans une des ailes vinrent se ranger derrière
les auditeurs. Ces gens n'étaient pas de vrais juifs : c'étaient
plutôt comme des esclaves expulsés : ils avaient à
payer un tribut sur les fruits qu'ils recueillaient. Ils étaient
restés dans la ville à la suite d'une guerre : je crois que
Sisara leur chef fut battu assez près de cette ville et ensuite
tué par une femme. (Judic.IV, 2.) Ces gens étaient répandu
dans tout le pays en qualité d'esclaves : il y en avait encore là
environ quatre cents. On leur avait fait autrefois exploiter des carrières
pour la construction du temple sous David et Salomon. Ils étaient
toujours employés à des travaux de ce genre. Le défunt
roi Hérode s'était servi d'eux pour construire un aqueduc
long de plusieurs lieues qui amenait l'eau à la montagne de Sion.
Ces gens s'assistaient constamment les uns les autres et ils étaient
charitables. Ils portaient de longues robes avec des ceintures et des capuchons
pointus qui couvraient les oreilles, comme les anciens ermites. Ils n'avaient
aucun commerce avec les juifs : mais il leur était permis d'envoyer
leurs enfants à l'école : toutefois ils étaient si
opprimés et si méprisés qu'ils n'usaient pas de ce
droit. Jésus fut très compatissant avec eux : il fit aussi
venir les malades. Ceux ci étaient assis sur des espèces
de lit semblables à mon fauteuil et` qui m'y faisaient penser y
avait un dossier mobile avec des appuis : quand ce dossier s'abaissait,
le fauteuil était comme un lit. Lorsque Jésus enseigna sur
le baptême et sur le Messie, et leur fit des exhortations à
ce sujet, ils se montrèrent très timides, disant qu'ils ne
pouvaient prétendre à de telles choses, qu'ils étaient
des cens expulsés. Alors Jésus rectifia leurs idées
au moyen d'une parabole touchant l'économe infidèle. J'en
ai oublié l'explication que j'avais bien comprise et qui m'a occupé
tout le jour. Je la retrouverai une autre fois. Il raconta aussi la parabole
du fils que son père envoie prendre possession de sa vigne : il
la racontait toujours aux pa'ens dont personne ne s'occupait. Ces gens
préparèrent un repas en plein air pour Jésus. Il y
invita les pauvres et les malades et les servit à table avec Eliud.
Ils en furent extrêmement touchés. Le soir Jésus retourna
avec Eliud à la synagogue du faubourg, ils y célébrèrent
le sabbat et y passèrent la nuit.
(15 septembre.) Aujourd'hui Jésus alla encore avec Eliud à
Endor, qui par conséquent n'était éloigné de
l'hôtellerie que de la distance qu'on pouvait parcourir un jour de
sabbat. Il y enseigna. Ces gens étaient Chananéens, et originaires
de Sichem. à ce que je crois : car j'entendis aujourd'hui prononcer
le nom de Sichémites. Ils avaient dans une salle une idole cachée
dans un souterrain, laquelle au moyen d'une mécanique que l'on faisait
jouer, sortait tout à coup de terre et venait se placer sur un autel
élégamment paré : on la faisait rentrer par le même
procédé. C'était une idole de femme qu'ils tenaient
de l'Egypte et qui s'appelait Astarté : hier j'avais pris ce nom
pour celui d'Esther. Elle avait un visage rond comme une lune. Elle avançait
les bras sur lesquels elle tenait couche devant elle un objet assez long,
emmailloté comme une chrysalide de papillon, plus épais au
milieu, et effilé aux deux extrémités : ce pouvait
bien être un poisson. Sur le des de l'idole était placé
comme un socle sur lequel était un boisseau ou une hotte qui dépassait
le haut de la tête. Il y avait dedans comme des épis dans
des cosses vertes avec d'autres feuilles vertes et des fruits. Depuis les
pieds jusqu'au bas ventre ; l'idole était comme dans un muid et
elle était entourée de pots où étaient diverses
plantes. Ils pratiquaient en secret leur culte idolâtrique, et Jésus
leur fit des reproches à ce sujet dans son instruction. Autrefois
ils sacrifiaient à leur déesse des enfants mal conformés.
à cette déesse correspondait un dieu Adonis, qui, si je ne
me trompe, était comme son mari. Ces gens étaient venus dans
le pays sous la conduite de leur chef Sisara : ils y avaient été
battus, et depuis ce temps, ils étaient répandus dans la
contrée où ils servaient comme esclaves. Ils étaient
très opprimés et très méprisés. Peu
de temps avant Jésus Christ ils avaient excité des troubles
prés du château d'Hérode dans cette partie de la Galilée,
et depuis lors ils avaient été soumis à une oppression
plus dure. Dans l'après midi Jésus revint avec Eliud dans
la synagogue pour la clôture du sabbat. Les juifs avaient très
mal pris sa visite à Endor, mais il leur reprocha très sévèrement
leur dureté envers ces hommes abandonnés, leur recommanda
d'être charitables à leur égard et les exhorta a les
mener avec eux au baptême, auquel eux mêmes, d'après
ses avis, s'étaient décidés à aller. Ils étaient
devenus plus favorables à Jésus après l'avoir entendue
le soir, Jésus revint à Nazareth avec Eliud et je les vis
s'entretenir sur la route comme l'ordinaire : souvent ils s'arrêtaient
et parlaient. Eliud raconta beaucoup de choses de la fuite en Egypte et
je vis tout cela en visions il fut amené à en parler parce
qu'il avait demandé à Jésus si son royaume ne s'étendrait
pas jusqu'à ces bonnes gens d'Egypte qui l'avaient vu enfant et
que sa présence avait touchés.
Ici je vis de nouveau que ce que j'avais vu d'un voyage fait par Jésus
en Egypte, à travers l'Asie pa'enne, après la résurrection
de Lazare, n'était pas un rêve de ma façon : car Jésus
dit à Eliud, que partout où la semence avait été
jetée, il irait avant sa fin recueillir les épis séparés.
Eliud avait aussi quelques notions sur le pain et le vin et sur Melchisédech,
il ne pouvait pas se faire une idée de ce qu'était Jésus
et il lui demanda s'il n'était pas quelque chose comme Melchisédech.
Jésus répondit : " Non ; il devait préparer mon sacrifice,
mais c'est moi même qui serai le sacrifice. "
J'appris aussi dans cet entretien que Noémi, la maîtresse
de Marie au temple, était tante de Lazare, et soeur de sa mère.
Le père de Lazare était le fils d'un roi syrien : il avait
servi dans les guerres et acquis de grands biens. Sa femme était
une juive de distinction, de la race sacerdotale d'Aaron (alliée
à sainte Anne par Manassé). Ils avaient trois châteaux
à Bethanie, près d'Herodium et à Magdalum sur la mer
de Galilée, non loin de Tibériade et de Gabara : Hérode
avait aussi un château dans le voisinage de Magdalum. Ils parlèrent
aussi du scandale que Madeleine donnait à sa famille, etc.
Jésus entra chez Eliud où se trouvaient les cinq disciples,
tous les autres esséniens et diverses personnes qui voulaient aller
au baptême.
(16 septembre.) Le matin, quand Jésus arriva avec Eliud, il
y avait beaucoup de monde rassemblé près de la maison de
celui ci ; c'étaient les autres esséniens, les cinq disciples
et plusieurs personnes qui voulaient aller au baptême. Jésus
les instruisit. Il était aussi arrivé à Nazareth des
publicains qui voulaient aller au baptême : plusieurs troupes étaient
déjà parties.
Plus tard dans la matinée, Jésus enseigna de nouveau
: il vint ensuite à lui deux pharisiens de Nazareth qui l'invitèrent
à les suivre jusqu'à l'école de la ville : ils avaient,
disaient ils, tant entendu parler de son enseignement dans le pays, qu'ils
désiraient, eux aussi, entendre ses explications sur les prophètes.
Jésus alla avec eux. Ils le conduisirent dans la maison d'un pharisien
où plusieurs autres étaient réunis. Ses cinq disciples
étaient avec lui. Les pharisiens qui formaient son auditoire furent
très bienveillants pour lui : il leur raconta de si belles paraboles,
qu'ils parurent prendre grand plaisir à son enseignement et qu'ils
le conduisirent à la synagogue. Beaucoup de gens s'y étaient
rassemblés il parla de Moise et leur expliqua des prophéties
relatives au Messie. Mais comme d'après son langage, ils soupçonnèrent
qu'il pouvait bien parler de lui même, ils furent fort scandalisés.
Ils lui donnèrent pourtant un repas chez un pharisien. Il passa
la nuit avec cinq disciples dans une hôtellerie voisine de l'école.
(7 septembre. ) Jésus enseigna aujourd'hui une troupe de publicains
qui allaient au baptême. il enseigna aussi dans la synagogue et parla
du grain de blé qui doit tomber en terre.
Les pharisiens se scandalisèrent à nouveau à son
sujet et recommencèrent leurs propos sur le fils du charpentier
Joseph.. Ils lui reprochèrent aussi ses rapports et son commerce
avec les publicains et les pécheurs, et il leur répondit
très vertement. Ils lui parlèrent en outre des esséniens,
disant que c'étaient des hypocrites qui ne vivaient pas selon la
loi. Mais Jésus leur fit voir qu'ils observaient la loi mieux que
les pharisiens et le reproche d'hypocrisie retomba sur eux. Ils étaient
arrivés à s'occuper des esséniens à propos
des bénédictions : car ils s'étaient scandalisés
de voir Jésus bénir plusieurs enfants et ils en parlèrent
parce que les bénédictions étaient fort en usage parmi
les esséniens. Or, quand Jésus entrait dans la synagogue
ou en sortait, beaucoup de femmes se présentaient devant lui avec
leurs enfants et le priaient de vouloir bien les bénir. Lorsque
Jésus demeurait encore à Nazareth, il s'occupait toujours
beaucoup des enfants, qui devenaient paisibles et silencieux près
de lui quand il les bénissait, même ceux qui, un instant auparavant,
pleuraient et se montraient ingouvernables. Les mères se souvenant
de cela lui amenaient leurs enfants et voulaient voir s'il n'était
pas devenu plus fier. il y avait là quelques enfants qui se rejetaient
et se renversaient sur eux mêmes : ils avaient comme des convulsions
et poussaient de grands cris. Mais aussitôt après sa bénédiction
ils se tinrent tranquilles. Je vis sortir de quelques uns comme une noire
vapeur. Il mettait la main sur la tête des enfants et les bénissait
à la manière des patriarches en marquant trois lignes, parlant
de la tête et des deux épaules jusqu'à la poitrine
où elles se réunissaient. Il faisait de même pour les
petites filles, mais sans leur imposer les mains. Il faisait à celles
ci un signe sur la bouche, je me disais que c'était Pour qu'elles
fussent moins bavardes : mais cela avait encore un autre sens caché.
Il passa la nuit avec ses disciples dans la maison d'un pharisien.
(18 septembre.) Hier 17, je vis Jésus passer la nuit à
Nazareth, dans la maison d'un pharisien. à ses cinq compagnons,
il s'en était joint quatre autres qui étaient aussi parents
et amis de la sainte Famille : je crois qu'il s'y trouvait des fils des
trois veuves, et un homme de Bethléem qui avait découvert
qu'il descendait de Ruth, devenue l'épouse de Booz à Bethléem.
Il les admit au nombre de ses disciples. il y avait à Nazareth deux
familles riches, où il y avait trois fils qui, dans leur jeunesse,
avaient eu des relations avec Jésus : ces fils étaient intelligents
et instruits. Les parents qui avaient assisté à l'instruction
de Jésus et qui avaient beaucoup ou' vanter sa sagesse, convinrent
entre eux que leurs enfants iraient encore aujourd'hui l'entendre et qu'ensuite
ils lui offriraient de l'argent pour qu'il leur permît de voyager
avec lui et de participer à sa science. Ces braves gens avaient
leurs fils en grande estime et pensaient que Jésus devait être
leur précepteur. Les jeunes gens vinrent aujourd'hui dans la synagogue
: tout ce qu'il y avait de gens instruits à Nazareth fit de même,
sur l'invitation des pharisiens et de ces riches personnages. Ils voulaient
mettre Jésus à l'épreuve de toute manière.
Il y avait là un docteur de la loi et un médecin, grand et
gros homme avec une longue barbe, une ceinture et un insigne qu'il portait
à l'épaule sur son vêtement. Je vis Jésus à
son entrée dans l'école bénir de nouveau plusieurs
enfants que leurs mères lui apportaient : et parmi lesquels j'en
vis de lépreux qu'il guérit. Je vis comment enseignant dans
l'école il fut interrompu plusieurs fois par les savants qui lui
proposaient toute sorte de questions compliquées, et comment il
les réduisit tous au silence par la sagesse de ses paroles. Aux
discours du docteur de la loi il fit des réponses admirables tirées
de la loi de Mo'se, et quand on parla du divorce, il le condamna entièrement.
Il dit que le mariage ne pouvait être dissous ; que, si le mari ne
pouvait pas absolument vivre avec sa femme, il pouvait se séparer
d'elle, mais qu'ils restaient toujours une seule chair et ne pouvaient
pas se remarier. Cela ne fut nullement agréable aux juifs. Le médecin
lui demanda s'il savait distinguer les tempéraments secs ou humides,
sous quelle planète un homme était né, quelles herbes
il fallait donner aux uns ou aux autres et comment était fait le
corps humain. Jésus lui répondit avec une grande sagesse,
il parla de la complexion de quelques uns des assistants, de leurs maladies
et des moyens curatifs à employer, et il dit sur le corps humain
des choses tout à fait inconnues au médecin. Il parla de
la substance spirituelle et de la manière dont elle agit sur le
corps, il dit qu'il y avait des maladies qui ne pouvaient être guéries
que par la prière et la conversion, d'autres qui avaient besoin
des secours de la médecine, et tout cela avec tant de profondeur
et dans un si beau langage que le médecin tout émerveillé
reconnut que son art était surpassé et qu'il n'avait jamais
rencontré une pareille science. Je crois qu'il suivra Jésus.
Il décrivit le corps humain avec ses membres, ses veines, ses nerfs
et ses intestins, leur destination et leurs rapports entre eux avec tant
d'exactitude quoique dans un résume rapide, et avec des vues si
profondes que le médecin se sentit tout humble devant lui. Il y
avait aussi là un astronome et il parla du cours des astres, de
l'action que les étoiles ont les unes sur les autres, de leurs influences
diverses, des comètes et des signes du ciel. Il dit aussi à
un des assistants des choses d'un sens très profond sur l'architecture.
il parla en outre du commerce et du trafic avec les peuples étrangers,
et s'exprima en termes sévères sur des modes et des frivolités
de toute espèce qui étaient venues d'Athènes. Diverses
sortes de jeux et de tours d'escamotage étaient venus de là
dans le pays : la mode s'en était répandue jusqu'à
Nazareth et dans plusieurs autres lieux. il dit que c'étaient là
des choses impardonnables, parce qu'on ne les regardait pas comme mauvaises
et qu'on n'en faisait pas pénitence.
Tous étaient ravis de la sagesse qui éclatait dans ses
discours : ses auditeurs l'engagèrent instamment à s'établir
parmi eux, promettant de lui donner une maison et de pourvoir à
tous ses besoins. Ils lui demandèrent aussi pourquoi il était
allé avec sa mère à Capharnaum. Mais il répondit
qu'il ne resterait pas ici. Il parla de sa destination et de sa mission
; dit qu'ils étaient allés à Capharnaum parce qu'il
voulait habiter un point central du pays, etc. ils ne comprirent pas tout
cela et furent fort mécontents de ce qu'il refusait d'habiter parmi
eux. Ils croyaient lui avoir fait des offres très avantageuses et
considéraient comme dicté par l'orgueil ce qu'il disait de
sa mission et de sa destination. Ils quittèrent l'école vers
le soir.
Les trois jeunes gens qui étaient âgés d'environ
vingt ans, désiraient lui parler ; mais il ne voulut pas les entendre
jusqu'à ce que ses neuf disciples fussent autour de lui : cela les
chagrina. Mais il dit qu'il en agissait ainsi pour qu'il y eût des
témoins de ce qu'il leur dirait. Alors ils lui exprimèrent
en termes réservés et très modestes leur désir
et celui de leurs parents qu'il voulût bien les prendre pour élèves,
ajoutant que leurs parents lui donneraient de l'argent et qu'eux l'accompagneraient,
le serviraient et l'assisteraient dans ses travaux... Je vis qu'il en coûtait
à Jésus de leur refuser ce qu'ils demandaient, tant à
cause d'eux mêmes, qu'à cause de ses disciples, car il avait
à leur donner des raisons qu'ils n'étaient pas encore en
état de comprendre. Il leur dit que celui qui se procurait quelque
chose à prix d'argent, voulait retirer de son argent un avantage
temporel : mais que celui qui voulait marcher dans sa voie à lui,
devait renoncer à tous les biens de ce monde ; que quiconque voulait
le suivre devait aussi abandonner ses parents et ses amis : enfin, que
ses disciples ne cherchaient point femme et ne se mariaient pas. Il leur
présenta ainsi des conditions très difficiles : ils en furent
très découragés et lui parlèrent des esséniens
parmi lesquels il y avait des gens mariés. Jésus répondit
qu'ils se conformaient à leurs règles et faisaient bien,
mais qu'ils n'avaient fait que préparer ce que son enseignement
devait mener à terme, etc. Il les congédia et les engagea
à réfléchir mûrement. Ses disciples étaient
effrayés de ses paroles et de ce qu'il avait présenté
sa doctrine comme si difficile à suivre : ils ne pouvaient pas le
comprendre et se sentaient découragés. Il alla avec eux de
Nazareth à la maison d'Eliud, et leur dit sur le chemin qu'ils ne
devaient pas perdre courage ; qu'il avait eu des raisons graves pour parler
ainsi à ces jeunes gens, qu'ils ne viendraient jamais à lui
ou qu'ils y viendraient tardivement, que pour eux ils devaient le suivre
tranquillement et ne point s'inquiéter, etc. Ils arrivèrent
ainsi à la maison d'Eliud... Je ne crois pas qu'il revienne de nouveau
voir Eliud, car on parle beaucoup et on s'agite beaucoup à Nazareth.
Ils sont irrités de ce qu'il n'a pas voulu y rester : ils s'imaginent
qu'il a appris tout cela dans ses voyages. "C'est assurément, disent
ils, un homme extraordinaire et d'un grand esprit, mais il est trop fier
pour le fils d'un charpentier. " Je vis aussi les trois jeunes gens revenir
chez eux. Les parents prirent très mal les difficultés que
Jésus avait faites, les enfants abondèrent dans le même
sens et tout se tourna en mécontentement contre lui.
(19 septembre.) Jésus enseigna de nouveau dans la maison d'Eliud.
Ses auditeurs étaient pour la plupart des esséniens : il
y avait aussi quelques étrangers qui se disposaient à recevoir
le baptême.
Les trois jeunes gens de Nazareth vinrent le trouver ici et le prièrent
encore de les prendre avec lui. Ils lui promirent de lui obéir en
tout et de le servir. Jésus refusa de nouveau et je vis qu'il était
contristé de ce qu'ils ne pouvaient pas comprendre les motifs de
son refus. Il s'entretint ensuite avec les neuf disciples qui d'après
ses instructions, se disposaient à faire encore quelques courses
et à aller après cela trouver Jean. Il leur parla de ceux
qu'il venait de rejeter, leur dit qu'ils avaient en vue certains avantages
: mais qu'ils n'étaient pas disposés à tout donner
par charité : que pour eux, ses disciples, ils ne demandaient rien
et qu'à cause de cela ils recevraient, etc. Il dit encore des choses
très belles et très profondes sur le baptême. il leur
dit de passer par Capharnaum et de dire à sa mère qu'il allait
au baptême, de s'entendre relativement à Jean, avec les disciples
de celui ci, Pierre, André, etc., et enfin d'annoncer à Jean
qu'il allait venir.
Je vis Jésus, dans la nuit du 19 au 20, marcher avec Eliud dans
la direction du sud ouest. Ce n'était pas le chemin direct. Jésus
voulait aller à Chim (6), un endroit habité par des lépreux.
Ils y arrivèrent au point du jour et je vis qu'Eliud voulait empêcher
Jésus d'aller dans ce lieu, de peur qu'il ne contractât une
impureté : il disait qu'il ne serait pas admis au baptême,
si on venait à le savoir, etc. Jésus lui répondit
qu'il connaissait sa mission, qu'il irait dans cet endroit parce qu'il
s'y trouvait un homme de bien qui désirait ardemment le voir. Il
leur fallut ici traverser le torrent de Cison. L'endroit était situé
au bord d'un petit ruisseau qui conduisait l'eau du Cison dans un petit
étang où les lépreux se lavaient. L'eau ne retournait
pas au Cison. Ce lieu était tout à fait écarté,
personne n'y allait : les lépreux habitaient dans des cabanes dispersées
: eux exceptés, il ne demeurait là que les gens chargés
de les surveiller. Eliud se tint à quelque distance et attendit
le Seigneur. Jésus alla dans une cabane écartée où
un de ces malheureux était étendu par terre, tout enveloppé
dans des draps. Jésus s'entretint avec lui. C'était un homme
de bien, j'ai oublié comment la lèpre lui était venue.
Il se redressa et fut extraordinairement touché de ce que le Seigneur
était venu à lui. Jésus lui ordonna de se mettre dans
une auge pleine d'eau qui était près de la cabane. Il obéit
et Jésus tint ses mains étendues au dessus de l'eau, alors
cet homme recouvra l'usage de ses mouvements et fut délivré
de sa lèpre : il mit d'autres vêtements et Jésus lui
défendit de parler de sa guérison jusqu'à ce qu'il
fût revenu du baptême.
Note 6 : C'est ainsi qu'elle prononça ce nom.
Cet homme accompagna Jésus et Eliud pendant quelque temps, après
quoi Jésus lui ordonna de s'en retourner. Je vis pendant la journée
Jésus et Eliud aller vers le midi en suivant la vallée d'Esdrelon.
Ils s'entretinrent ensemble à plusieurs reprises, souvent aussi
ils marchaient séparés, et semblaient prier et méditer.
La température n'est pas très agréable en ce moment
: le ciel est couvert et il y a du brouillard dans la vallée. Jésus
n'avait pas de bâton, il n'en portait jamais : les autres portaient
un bâton, souvent avec une petite pelle au bout comme ceux des bergers
: Jésus n'avait aux pieds que des sandales, d'autres avaient des
espèces de souliers plus complets dont le dessus était de
coton tressé très épais. Je les vis vers midi, se
reposer près d'une source et manger du pain.
Dans la nuit du 20 au 21 septembre, je les vis de nouveau en route,
tantôt ensemble, tantôt séparés. Je vis alors
une chose merveilleuse, une scène admirablement belle. Eliud parlait
à Jésus qui marchait devant lui de la beauté et de
la parfaite conformation de son corps. Jésus lui dit : " si tu revoyais
ce corps dans deux années d'ici, tu n'y trouverais plus ni beauté,
ni bonne apparence, tant je serai défiguré par leurs outrages
et leurs mauvais traitements. " Eliud ne comprit pas cela ; en général
il ne pouvait pas comprendre pourquoi Jésus parlait ordinairement
de son règne comme devant être de si courte durée ;
il s'imaginait toujours qu'il faudrait bien dix ans, ou peut être
vingt à Jésus pour fonder son royaume : il ne pouvait pais
avoir d'autre idée à cet égard, parce qu'il ne se
le représentait que comme un royaume terrestre. Quand ils eurent
fait encore un peu de chemin, Jésus, s'arrêtant, dit à
Eliud qui marchait tout pensif derrière lui, de se rapprocher de
lui, parce qu'il voulait lui montrer qui il était, ce que c'était
que son corps et ce que c'était que son royaume. Eliud s'arrêta
à quelques pas de Jésus, et Jésus leva les yeux au
ciel en priant. Alors une nuée descendit et les enveloppa tous deux
comme une tempête. On ne pouvait pas les voir du dehors, mais un
ciel lumineux s'ouvrit au dessus de leur tête et sembla s'abaisser
vers eux. Je vis en haut comme une ville avec des murailles resplendissantes,
je vis la Jérusalem céleste. Tout y était environné
d'une clarté ou brillaient les couleurs de l'arc en ciel. Je vis
une forme comme Dieu le Père et je vis Jésus participer à
sa lumière. Jésus apparut dans sa forme humaine, resplendissant
et diaphane. Eliud au commencement regardait en haut comme ravi en extase,
ensuite il se prosterna sur sa face jusqu'à ce que la lumière
et toute l'apparition se fussent évanouies. Alors Jésus se
remit en marche et Eliud le suivit, muet et intimidé par ce qu'il
avait vu. C'était une scène comme celle de la Transfiguration,
mais je ne vis pas Jésus s'élever de terre. Je ne crois pas
qu'Eliud ait vécu jusqu'au crucifiement de Jésus. Jésus
s'ouvrait plus avec lui qu'avec les apôtres, car il avait reçu
de grandes lumières et il était initié à beaucoup
de secrets touchant sa famille. Il l'avait accueilli comme un ami intime
et lui avait accordé un grand ascendant sur lui ; il fit aussi beaucoup
pour la communauté de Jésus. C'était l'un des plus
instruits parmi les esséniens. à l'époque de Jésus,
ils n'habitaient plus sur les montagnes autant qu'autrefois : ils s'étaient
répandus davantage dans les villes. J'eus cette belle vision à
minuit et je me réveillais dans un cruel état de souffrance.
Le matin je vis Eliud et Jésus arriver à une station de bergers.
Le jour commençait à Poindre. Les bergers étaient
déjà hors de leurs cabanes et près des troupeaux ;
ils vinrent au devant de Jésus qu'ils connaissaient et se prosternèrent
devant lui ; ils les conduisirent tous deux à un hangar où
ils avaient leurs effets. Ils leur lavèrent les pieds, leur préparèrent
une couche et mirent devant eux du pain et de petites coupes. Ils firent
aussitôt rôtir des tourterelles qui nichaient dans les cabanes
et qui étaient là en grande quantité, courant ça
et là comme des poulets. Je vis après cela Jésus renvoyer
Eliud, qui s'agenouilla devant lui pour recevoir sa bénédiction.
Les bergers étaient présents. Jésus lui dit d'attendre
en paix le terme de ses jours : car le chemin qu'il avait à parcourir
était trop pénible pour lui. Il ajouta qu'il le considérait
comme un des siens qui avait déjà fait sa part de travail
dans la vigne et qui serait récompensé dans son royaume il
expliqua ceci en racontant la parabole des ouvriers de la vigne. Eliud
était très sérieux depuis la vision de cette nuit
; il gardait le silence et son émotion était profonde. Je
crois avoir entendu qu'il ne reverrait plus Jésus sur la terre ?
je n'en suis pourtant pas sûre. (La narratrice s'est trompée
ici, car à la fête des Purim, elle vit de nouveau le Sauveur
avec Eliud ainsi que cela sera raconté plus tard.) Je crois qu'il
a été baptisé par les disciples. Eliud accompagna
encore Jésus à quelque distance du séjour des bergers.
Le Seigneur l'embrassa et il se sépara de lui avec une mâle
émotion.
On peut voir d'ici le lieu où Jésus va pour le sabbat.
Des parents de Jésus y ont habité autrefois. Cet endroit
où Jésus allait maintenant tout seul, n'était pas
Jezraël, comme je l'avais cru d'abord, parce que je voyais aussi Jezraël
; son nom était Gur et il était situé sur une montagne.
un frère de saint Joseph, qui était allé plus tard
demeurer a Zabulon et qui avait eu des rapports fréquents avec la
sainte Famille, avait habité ici. Jésus alla, sans être
remarqué, dans une hôtellerie où or lui lava les pieds
et où on lui donna à manger. Il avait une chambre pour lui
seul ; il se fit apporter de la synagogue un rouleau d'écritures
et il pria tout en lisant, tantôt agenouillé, tantôt
debout. Il n'alla pas dans l'école. Je vis une fois venir des gens
qui voulaient lui parler, mais il ne les reçut pas.
Je vis les disciples envoyés en avant par Jésus arriver
avant hier à Capharnaum ; je n'en vis pourtant là que cinq
des plus connus. Ils s'entretinrent avec Marie ; deux d'entre eux allèrent
à Bethsaide où ils prirent Pierre et André. Jacques
le Mineur, Simon, Thaddée, Jean et Jacques le Majeur étaient
aussi présents. Les disciples vantèrent la charité,
la douceur et la sagesse de Jésus ; les autres parlèrent
avec le plus grand enthousiasme de Jean Baptiste, de l'austérité
de sa vie et de son enseignement, disant qu'ils n'avaient jamais entendu
interpréter comme lui les prophètes et la loi ; Jean lui
même se montra très enthousiaste de Jean Baptiste, bien qu'il
connût Jésus : car à une époque antérieure
ses parents ne demeuraient qu'à deux lieues de Nazareth, et Jésus
l'aimait déjà quand il était enfant, ce que j'avais
ignoré jusqu'à présent. Ils célébrèrent
là le sabbat. Le dimanche 23, j'ai vu les neuf disciples, accompagnés
des six qui viennent'` d'être nommés, sur le chemin de Tibériade,
d'où ils se dirigèrent vers Ephron, par le désert,
pour gagner ensuite Jéricho et se rendre auprès de Jean.
Pierre et André relevaient les mérites de Jean Baptiste,
disant qu'il était issu d'une famille sacerdotale distinguée,
qu'il avait été instruit par des esséniens dans le
désert, qu'il ne tolérait aucun désordre, qu'il était.
Aussi austère que sage. Les disciples s'étendaient sur la
bonté de Jésus et sur sa sagesse, les autres leur objectaient
que sa condescendance donnait lieu à plus d'un désordre et
alléguaient des exemples à l'appui ; ils disaient aussi qu'il
avait été instruit par des esséniens lors des voyages
qu'il avait faits récemment, etc. Cette fois je n'entendis plus
rien dire à Jean. Ils ne firent pas ensemble tout le chemin mais
seulement quelques lieues. Je me disais pendant cette conversation que
les hommes de ce temps là étaient comme ceux d'aujourd'hui.
Le samedi 22 septembre, je vis Jésus prier seul dans l'hôtellerie
de Gur ; cet endroit n'était pas très éloigné
d'une ville appelée Mageddo et d'une plaine du même nom, et
j'ai vu précédemment que vers la fin du monde une bataille
sera livrée contre l'Antéchrist dans cette plaine. Jésus
se leva au point du jour, il roula sa couche, mit sa ceinture, laissa une
pièce de monnaie sur la couche et se mit en marche. Je le vis suivre
des sentiers qui tournaient autour de plusieurs villages. Il ne communiqua
avec personne ; je le vis passer au pied du mont Garizim, près de
Samarie ; il le laissa à gauche ; il se dirigeait vers le midi.
Je le vis à diverses reprises manger des baies et quelques fruits
et boire de l'eau qu'il puisait dans le creux de sa main ou dans une feuille
pliée de manière à la rendre concave.
Le dimanche au soir, il arriva dans une ville appelée Gophna,
placée au pied de la montagne d'Ephraim. Elle était située
sur un terrain très accidenté, et il y avait des jardins
et des champs cultivés entre les maisons. il s'y trouvait des parents
de Joachim, mais qui n'avaient pas entretenu de relations particulières
avec la sainte Famille. Jésus entra dans une hôtellerie. On
lui lava les pieds et on lui donna une petite réfection Mais bientôt
ses parents vinrent avec deux pharisiens des meilleurs de leur secte, et
ils l'emmenèrent dans leur maison. C'était une des maisons
les plus considérables de la ville. La ville elle même était
importante et elle était le siège de l'administration d'un
district. Le parent de Jésus avait aussi un emploi et il tenait
des écritures. La ville dépendait, à ce que je crois,
de Samarie. Jésus fut reçu avec déférence.
Il se trouvait là plusieurs autres personnes, et on prit un repas
dans un lieu de plaisance ; les uns marchaient, les autres se tenaient
debout. Jésus passa là la nuit. Il y avait une journée
de voyage de là à Jérusalem ; une petite rivière
coulait dans les environs. Lorsque la sainte Famille eut perdu Jésus
dans le temple, elle était venue jusqu'ici. Ne l'ayant pas trouvé
à Michmas, ils pensèrent qu'il était peut être
allé en avant pour visiter leurs cousins. Marie craignait qu'il
ne fût tombé dans l'eau.
Jésus alla à la synagogue où il demanda les écrits
d'un prophète, et il enseigna sur le baptême et sur le Messie.
Il leur expliqua une prophétie de laquelle il conclut que le temps
de l'avènement du Messie devait être arrivé ; il parla
d'événements qui devaient le précéder et qui
avaient eu lieu en effet. Il en mentionna un qui s'était passé
huit ans auparavant ; je ne sais plus bien s'il s'agissait d'une guerre
ou du sceptre retiré à Juda. Il exposa ainsi plusieurs témoignages
relatifs à des signes déjà accomplis qui devaient
précéder l'avènement du Messie : il fit mention des
différentes sectes qui existaient chez les juifs, et rappela combien
de chose' étaient devenues de vaines formalités. Il parla
ensuite de la manière dont le Messie paraîtrait au milieu
d'eux, et dit qu'ils ne le reconnaîtraient pas. Il décrivit
parfaitement tout ce qui devait se passer entre lui et Jean : il dit à
peu près que quelqu'un le désignerait, et qu'on ne le reconnaîtrait
pas : on s'attendrait à voir un brillant vainqueur, entouré
d'une pompe mondaine, et ayant auprès de lui des hommes éminents
par la science : aussi ne le reconnaîtrait on pas, lui qui devait
paraître sans éclat, sans beauté, sans richesse, sans
pompe ; qui devait avoir pour cortège des hommes simples, paysans
et ouvriers ; qui devait frayer avec des mendiants, des infirmes, des lépreux
et des pécheurs, etc. il parla longtemps dans ce sens, prouva tout
par les prophéties, présenta toutes choses comme elles devaient
se passer entre lui et Jean Baptiste, toutefois il ne dit jamais : " C'est
moi ", mais parla toujours comme s'il se fût agi d'une tierce personne.
Cette instruction remplit la plus grande partie de la journée. Les
assistants, ses parents, finirent par croire qu'il était un envoyé,
un précurseur de ce Messie.
Quand il fut de retour à la maison, ils consultèrent
en sa présence un livre où ils avaient écrit ce qui
était arrivé dans le temple, à Jésus, fils
de Marie, alors âgé de douze ans ; ils se souvinrent alors
d'une ressemblance entre ce qu'il avait dit à cette époque
et ses paroles d'aujourd'hui, et quand ils eurent relu leur écrit,
ils furent grandement étonnés.
Le maître de la maison était un veuf d'un âge avancé
et il avait deux filles veuves. J'entendis ces deux femmes dire ensemble
qu'elles avaient assisté au mariage de Joseph et de Marie, à
Jérusalem, et combien la noce avait été belle ; elles
ajoutèrent qu'Anne avait eu une grande aisance, mais que cette famille
était bien déchue. Elles parlaient de cela, comme on a coutume
de le faire dans le monde, avec une nuance de blâme et de mépris,
comme si la famille était tombée très bas. Pendant
qu'elles remémoraient longuement, comme le font les femmes, les
circonstances de ce mariage et le costume de fiancée que portait
Marie ; je vis tous les détails de ces épousailles et spécialement
de la parure nuptiale de la sainte Vierge (7). Pendant ce temps, les hommes,
comme je l'ai dit, s'occupaient de l'enseignement de Jésus enfant
dans le temple, dont on avait tenu note chez eux. Les parents de Jésus
l'avant cherché ici pleins d'inquiétude, le lieu et les circonstances
dans lesquelles il avait été retrouvé y avaient produit
un grand effet, d'autant plus que les familles étaient alliées.
Comme ses cousins s'émerveillaient de la ressemblance entre son
enseignement d'alors et celui d'aujourd'hui, et qu'ils se montraient de
plus en plus prévenus en sa faveur, Jésus leur déclara
qu'il lui fallait prendre congé d'eux, et il se mit en route malgré
leurs prières. Plusieurs hommes l'accompagnèrent. Ils eurent
à traverser une petite rivière, sur un pont en maçonnerie
qui était planté d'arbres. Ils l'accompagnèrent quelques
lieues jusqu'à une plaine où il y avait des pâturages
et par où avait passé le patriarche Joseph lorsque son père
Jacob l'envoya à Sichem vers ses frères. Jacob aussi s'était
souvent trouvé dans les endroits d'où venait Jésus.
Jésus arriva assez tard dans la soirée à un village
de bergers situé en deçà d'un petit cours d'eau, et
ses compagnons le quittèrent. L'endroit s'étendait encore
de l'autre côté de la petite rivière ; la synagogue
était de ce côté ci. Le Seigneur entra dans une hôtellerie
Deux troupes d'aspirants au baptême, qui voulaient se rendre auprès
de Jean, en passant par le désert, s'étaient réunies
ici et avaient déjà parlé de l'arrivée de Jésus.
Il s'entretint avec eux dans la soirée, et ils continuèrent
leur route le lendemain matin. On lava les pieds au Seigneur ; il prit
un peu de nourriture, puis il se retira pour prier et se reposer.
Note 7 : Tout cela se trouve rapporté dans les visions relatives
à la vie de la sainte Vierge.
(25 septembre.) Le matin il alla à l'école où
beaucoup de personnes se rassemblèrent. Il enseigna comme à
l'ordinaire sur le baptême et sur l'approche du Messie, disant toujours
qu'on ne le reconnaîtrait pas. Il leur reprocha leur attachement
opiniâtre à d'anciennes coutumes devenues de vaines formalités
; c'était un tort particulier à ces gens. Du reste, ils étaient
assez simples et prirent bien tout ce qu'il dit. Jésus se fit ensuite
conduire par le chef de la synagogue près d'une dizaine de malades.
Il n'en guérit aucun ; car il avait déjà dit à
Eliud et à ses cinq disciples qu'avant son baptême, il n'opérerait
pas de guérisons dans le voisinage de Jérusalem. C'étaient
principalement des hydropiques et des goutteux ; il y avait aussi des femmes
infirmes. Il leur fit des exhortations et dit à chacun en particulier
ce qu'il avait à faire pour le bien de son âme ; car leurs
maladies étaient, jusqu'à un certain point, des punitions
de leurs péchés. Il ordonna à quelques uns de se purifier
et d'aller au baptême.
Il y eut encore un souper dans l'hôtellerie ; plusieurs habitants
du lieu y assistaient. Avant le repas, ils parlèrent d'Hérode,
de sa liaison illégitime qu'ils blâmèrent, et ils demandèrent
à Jésus de se prononcer à ce sujet. Jésus qualifia
sévèrement la conduite d'Hérode, mais il ajouta qu'avant
de juger les autres, on devait aussi se juger soi même, et il parla
avec force des péchés qui se commettent dans le mariage.
Il y avait dans cet endroit plusieurs pécheurs notoires. Jésus
les prit en particulier les uns après les autres, et leur reprocha
sévèrement leurs adultères. Il révéla
à plusieurs leurs péchés les plus secrets ; en sorte
qu'ils furent effrayés et promirent de faire pénitence. Il
se dirigea ensuite vers Bethanie, qui était environ à six
lieues, et il alla de nouveau dans les montagnes. La température
y est maintenant comme en hiver : le brouillard est épais, le ciel
est sombre, et il y a souvent pendant la nuit une gelée blanche
très froide. Jésus a la tête enveloppée dans
un linge Il va maintenant tout à fait au levant. J'ai aussi vu Marie
et quatre des saintes femmes faisant route dans une plaine près
de Tibériade. Je les ai vues sortir de leur maison, où il
est resté quelqu'un. Elles ont deux valets de pêcheurs avec
elles. L'un va en avant, l'autre derrière ; ils portent le bagage,
un sac sur la poitrine, un autre sur le des, et un bâton sur l'épaule.
Il y a là Jeanne Chusa, Marie de Cléophas, une des trois
veuves, et encore une autre femme, je ne sais plus si c'est Marie Salomé,
ou la femme de Pierre ou celle d'André. Elles se rendent aussi à
Bethanie, elles suivent la route ordinaire, et passent devant Sichar qu'elles
laissent à droite, tandis que Jésus l'a laissée à
gauche. Les saintes femmes vont la plupart du temps l'une après
l'autre, à environ deux pas de distance, probablement parce que
la plupart des chemins, à l'exception des grandes routes, sont des
sentiers étroits à l'usage des piétons, et traversant
souvent des montagnes. Elles marchent vite, à grands pas, et n'ont
pas la démarche incertaine des gens d'ici ; c'est sans doute parce
que, dans leur pays, on est accoutumé, dès son jeune âge,
à faire de longs voyages a pied. Quand elles sont en route, elles
retroussent leur robe jusqu'à mi jambe ; leurs jambes sont enveloppées
jusqu'à la cheville avec une bande d'étoffe ; elles ont des
sandales épaisses et rembourrées, attachées sous la
plante des pieds. Elles portent sur la tête un voile assujetti autour
de la nuque par un linge long et étroit. Ce linge se croise sur
la poitrine et, revenant autour de la taille, se passe dans la ceinture
; il sert aussi à faire reposer leurs mains qu'elles y placent alternativement.
L'homme qui marche en avant prépare le chemin, ouvre des passages
dans les haies, enlève les pierres, pose des planches sur les fondrières,
veille à tout ce qui peut arriver, et commande les logements. Celui
qui va derrière remet les choses comme elles étaient.
(26 septembre.) Jésus pendant son voyage de Bethanie alla encore
dans les montagnes. Le soir il arriva, deux lieues environ au nord de Jérusalem,
dans une ville qui n'est autre chose qu'une rue d'une demi lieue de long,
passant à travers une montagne. Bethanie est bien à trois
lieues d'ici. On peut en voir d'ici les environs : car c'est beaucoup plus
bas dans la plaine. Au nord est de cette montagne s'étend un désert
d'environ trois lieues, dans la direction du désert d'Ephron. Je
vis Marie et ses compagnes loger cette nuit entre les deux déserts.
La montagne est celle où Joab et Abisai cessèrent de
poursuivre Abner lorsque celui ci entra en pourparlers avec eux. Son nom
est Amma et elle est située au nord de Jérusalem. De l'endroit
où était Jésus, la vue s'étendait au levant
et au nord : je crois qu'il s'appelait Giah ; je vis le désert de
Gabaon qui commençait au bas de la hauteur et allait rejoindre le
désert d'Ephron. Il était long d'environ trois lieues. Jésus
arriva ici le soir et entra dans une maison, désirant prendre un
peu de nourriture. On lui lava les pieds, on lui donna à boire et
on lui offrit des petits pains. il vint bientôt près de lui
plusieurs personnes qui, voyant qu'il venait de la Galilée, lui
firent des questions sur ce docteur de Nazareth dont on parlait tant et
dont Jean Baptiste disait tant de choses : ils lui demandèrent aussi
si le baptême de Jean était bon. Jésus leur fit ses
instructions accoutumées, et les exhorta au baptême et à
la pénitence : il parla du prophète de Nazareth et du Messie,
dit qu'il paraîtrait au milieu d'eux et qu'ils ne le reconnaîtraient
pas, que même ils le persécuteraient et le maltraiteraient
: qu'ils devaient bien faire attention à tout que les temps étaient
accomplis ; qu'il ne paraîtrait pas dans une pompe triomphale mais
qu'il serait pauvre et marcherait entouré d'hommes simples, etc.
: ces gens ne le reconnurent pas, mais ils l'accueillirent bien et lui
témoignèrent beaucoup de respect. C'étaient des aspirants
au baptême qui, passant par ici, avaient parlé de Jésus.
Ils lui firent la conduite sur la route après qu'il se fut reposé
environ deux heures.
Jésus arriva à Bethanie dans la nuit. Lazare avait été
quelques jours auparavant dans sa propriété de Jérusalem
située sur le penchant du Calvaire, près du côté
occidental de la montagne de Sion, mais il était de retour à
Bethanie : car il avait su par des disciples que Jésus allait arriver,
Le château de Bethanie était la propriété personnelle
de Marthe. Mais Lazare y résidait volontiers et ils faisaient ménage
ensemble. I
Ils attendaient Jésus et un repas était préparé.
Marthe habitait un bâtiment situé sur l'un des côtés
de la cour. Il y avait des hôtes dans la maison. Chez Marthe se trouvaient
Séraphia (Véronique), Marie, mère de Marc et une femme
âgée de Jérusalem. Elle avait quitté le temple
lorsque Marie y était entrée : elle y serait restée
volontiers, mais elle s'était mariée par suite d'une indication
d'en haut. Chez Lazare se trouvaient Nicodème, Jean Marc, un des
fils de Siméon, et un vieillard, nommé Obed, frère
ou neveu de la prophétesse Anne. Tous étaient secrètement
amis de Jésus, qu'ils connaissaient soit par Jean Baptiste, soit
par des relations avec sa famille, soit par les prophéties de Siméon
et d'Anne dans le temple.
Nicodème était un homme réfléchi, observateur,
très curieux, et qui fondait des espérances sur Jésus.
Tous avaient reçu le baptême de Jean. Ils étaient venus
secrètement sur l'invitation de Lazare. Nicodème par la suite
servit Jésus et son oeuvre, mais toujours en secret.
Lazare avait envoyé des serviteurs sur la roule au devant de
Jésus. Il fut joint à une demi lieue environ de Bethanie
par un vieux et fidèle domestique, devenu plus tard disciple, qui
se prosterna à ses pieds et lui dit : "Je suis le serviteur de Lazare
; si je trouve grâce devant vous, mon Seigneur, suivez moi jusque
chez lui. Jésus lui dit de se relever et le suivit. Il se montra
très amical pour cet homme, sans toutefois rien faire qui ne fût
conforme à sa dignité. Cela même avait un charme irrésistible.
On aimait l'homme et on sentait le Dieu. Le serviteur le conduisit dans
un vestibule à l'entrée du château, près " d'une
fontaine " . Tout était préparé pour le recevoir.
On lui lava les pieds et on lui mit d'autres sandales. Jésus, en
arrivant, avait une paire de sandales épaisses, rembourrées
et doublées de vert. Il les laissa ici et mit une paire de fortes
chaussures avec des courroies de cuir, qu'il continua à porter.
Le serviteur mit ensuite ses habits à l'air et les épousseta.
Quand il se fut lavé les pieds, Lazare vint avec ses amis, lui apportant
à boire et quelques aliments. Jésus embrassa Lazare et salua
les autres en leur donnant la main. Tous lé servirent avec empressement
et l'accompagnèrent à la maison : mais Lazare le mena d'abord
à l'habitation de Marthe. Les femmes qui étaient là
se prosternèrent, couvertes de leurs voiles : Jésus les releva
et dit à Marthe que sa mère viendrait ici pour l'y attendre
à son retour du baptême.
Ils se rendirent ensuite à la maison de Lazare, où ils
prirent un repas. il y avait un agneau rôti et des colombes, en outre
du miel, des petits pains, des fruits et des légumes verts. Ils
étaient placés à table sur des bancs à dossier,
toujours deux par deux : les femmes mangeaient dans une salle antérieure.
Jésus pria avant le repas et bénit tous les mets il était
très sérieux, et même triste. Il leur dit pendant le
repas que des temps difficiles approchaient, qu'il allait entrer dans une
voie laborieuse dont le terme serait douloureux. Il les exhorta à
la persévérance, puisqu'ils étaient ses amis ; car
ils devaient avoir beaucoup de souffrances à partager avec lui.
Il parla d'une façon si touchante qu'ils en furent émus jusqu'aux
larmes, mais ils ne le comprirent pas parfaitement, ils ne savaient pas
qu'il était Dieu.
Ici la narratrice interrompit son récit et dit : " Je suis toujours
surprise de ce manque d'intelligence, moi qui ai une conviction si profonde
touchant la divinité de Jésus et sa mission. Je ne puis m'empêcher
de me dire : Pourquoi donc ce que je vois si clairement devant mes yeux
n'a t il pas été montré à ces hommes ? J'ai
vu Dieu créer l'homme, tirer de lui l'élément féminin,
en faire la femme et la lui donner pour compagne, puis l'un et l'autre
tomber : j'ai vu la promesse du Messie, et la dispersion de l'humanité
engendrée dans le péché, les directions merveilleuses
et les sacrements destinés par Dieu à préparer la
venue de la sainte Vierge sur la terre. J'ai vu la bénédiction,
de laquelle le Verbe a pris chair, suivre son cours, comme une voie lumineuse,
à travers toutes les générations des ancêtres
de Marie : j'ai vu enfin le message porté par l'ange à Marie
et le rayon de la divinité qui pénétra en elle quand
elle conçut le Sauveur. Et après tout cela, combien il doit
être surprenant pour moi, indigne et misérable pécheresse,
de voir en présence de Jésus, ces saints personnages, ses
contemporains, ses amis, qui l'aiment et qui le vénèrent,
croire pourtant tous que son royaume doit être un royaume de la terre,
le regarder comme le Messie promis, mais non toutefois comme Dieu lui même
! Il était encore pour eux le fils de Joseph et de Marie : aucun
d'eux ne soupçonnait que Marie était vierge, car ils n'avaient
pas même l'idée d'une conception surnaturelle et immaculée.
Ils ne savaient même rien du mystère de l'arche d'alliance.
C'était déjà beaucoup et le signe d'une grâce
de choix qu'ils l'aimassent et le reconnussent. Les Pharisiens qui savaient
que Siméon et Anne avaient prophétisé lors de sa présentation,
qui avaient entendu le merveilleux enseignement qu'il avait donne dans
le temple étant encore enfant, étaient tout à fait
endurcis. Ils s'étaient enquis alors de la famille de l'enfant,
plus tard de celle du docteur ; mais cette famille était à
leurs yeux trop humble, trop pauvre, trop méprisable : ils voulaient
un Messie glorieux. Lazare, Nicodème et beaucoup de ses adhérents
croyaient toujours, sans en rien dire, que sa mission était de prendre
possession de Jérusalem avec ses disciples, de les délivrer
du joug des Romains et de rétablir le royaume de Juda.
Il en était alors comme aujourd'hui, où chacun croirait
voir un Sauveur dans celui qui procurerait à sa patrie l'ancien
gouvernement de prédilection et l'antique liberté. Alors
aussi ils ne savaient pas que le royaume où nous pouvons trouver
la fin de nos maux n'est pas de ce monde, qui est un lieu de pénitence.
Ils se réjouissaient par moments à la pensée que c'en
serait bientôt fait de. la grandeur et de la puissance de tel ou
tel oppresseur. Mais ils n'osaient pas parler de cela à Jésus
: car ils restaient tous confus et intimidés, parce qu'ils sentaient
bien que dans aucune de ses allures, dans aucune de ses paroles, il n'y
avait rien qui répondit à leur attente.
Après le repas ils se rendirent dans un oratoire, et ; Jésus
fit une prière où il rendit grâces de ce que son temps
était venu et de ce que sa mission commençait. Cette prière
fut très touchante, et tous versèrent des larmes. Les femmes
étaient présentes, mais se tenaient en arrière. Ils
firent encore ensemble des prières d'une application générale.
Jésus les bénit, et Lazare le conduisit au lieu où
il devait prendre son repos C'était une grande pièce où
tous les hommes couchaient et avaient des compartiments séparés
: tout y était mieux disposé que dans les maisons ordinaires.
Le lit n'était pas roulé comme il l'était ailleurs.
Il avait plus de hauteur que les lits habituels qui étaient par
terre : il était fixe, et il y avait au devant une balustrade avec
un grillage, laquelle était décorée avec des couvertures
et des franges. Au mur auquel le lit s'appuyait était suspendue
une belle natte roulée qu'on pouvait relever ou abaisser devant
le lit, sur lequel elle formait comme un toit oblique quand on cachait
la couche vide. Près du lit était une petite table servant
d'escabeau, et il y avait dans le creux du mur un bassin avec un grand
vase plein d'eau et un autre vase plus petit pour puiser et verser. une
lampe était fixée en avant du mur, et un linge à essuyer
y était suspendu. Lazare alluma la lampe, se prosterna devant Jésus
qui le bénit encore, et ils se séparèrent.
Je ne vis pas cette soeur de Lazare qu'on appelait Marie la Silencieuse
: elle ne se montrait pas en public et ne prononçait jamais une
parole devant personne ; mais quand elle était seule dans sa chambre
ou dans son jardin, elle parlait tout haut, s'adressant la parole à
elle même et à tous les objets qui l'entouraient. Il semblait
que toutes ces choses fussent vivantes : ce n'était qu'aux hommes
qu'elle ne parlait pas. En présence d'autres personnes, elle ne
faisait pas un mouvement, tenait les yeux baissés et restait comme
une statue. Elle faisait pourtant une inclination de tête pour saluer,
et sa tenue était parfaitement convenable, seulement elle était
muette. Quand elle était seule, elle se livrait à diverses
occupations, travaillait à ses vêtements, et faisait tout
cela comme une autre. Elle était très pieuse, toutefois elle
ne paraissait jamais à la synagogue, mais faisait ses prières
dans sa chambre. Je crois qu'elle avait des visions et qu'elle conversait
avec des esprits qui lui apparaissaient. Elle avait une affection indicible
pour ses frères et soeurs, particulièrement pour Madeleine.
Elle était ainsi depuis sa première jeunesse. Elle avait
des femmes qui prenaient soin d'elle, mais elle était très
propre, et il n'y avait rien en elle qui sentit la folie.
Jusqu'à présent on n'a pas parlé de Madeleine
devant Jésus : elle menait à Magdalum la vie la plus magnifique.
La nuit où Jésus arriva chez Lazare, je vis la sainte
Vierge, Jeanne Chusa, Marie de Cléophas, la veuve Léa et
Marie Salomé dans une hôtellerie entre le désert de
Gabaa et le désert d'Ephraim, à environ cinq lieues de Bethanie.
Elles dormirent dans un hangar, fermé de tous les côtés
par de légères cloisons. Il était divisé en
deux pièces : celle de devant était divisée en deux
rangées de compartiments avec des couches où les saintes
femmes s'étaient installées ; celle de derrière servait
de cuisine. Devant la maison était une cabane ouverte, dans laquelle
était un feu allumé : je crois que les hommes qui les accompagnaient
dormaient ou veillaient là À l'habitation du maître
de l'hôtellerie était dans le voisinage. Elles seront à
Bethanie demain 27 vers midi. A l'occasion de Marie de Cléophas,
je vis de nouveau qu'elle était fille de la soeur aînée
de la sainte Vierge et de Cléophas, un neveu de saint Joseph. J'ai
oublié le reste : ce Cléophas, outre cette fille, en avait
eu encore une autre qui s'était mariée, etc. Ce n'est point
le disciple d'Emmaus.
(27 septembre.) Je vis Jésus dans la maison de Lazare avec celui
ci et les amis de Jérusalem. Il n'entra pas à Bethanie, mais
il se promena dans les cours et les jardins du château. il parlait
et enseignait, tout en marchant, d'une façon très grave et
très touchante. Quelque affectueux qu'il fût, il restait toujours
plein de dignité, et ne proférait pas une parole inutile.
Tous l'aimaient et le suivaient, et cependant tous se sentaient intimidés.
C'était Lazare qui en usait le plus familièrement avec lui
: les autres étaient plus dominés par l'admiration, et se
tenaient davantage sur la réserve.
Jésus, accompagne de Lazare, alla visiter les femmes, et Marthe
le conduisit à sa soeur Marie la Silencieuse, avec laquelle il voulait
s'entretenir. Ils allèrent par une porte pratiquée dans le
mur de la grande cour dans une autre cour plantée, plus petite et
pourtant spacieuse, à laquelle l'habitation de Marie était
attenante. Jésus resta dans le petit jardin et Marthe alla chercher
sa soeur. Le petit jardin était très agréable ; au
milieu s'élevait un grand dattier : il y avait, en outre, des plantes
aromatiques et des arbustes de toute espèce. Il s'y trouvait aussi
une fontaine avec un rebord, et au milieu de la fontaine un siège
en pierre, où Marie la Silencieuse pouvait arriver en passant sur
une planche et s'asseoir sous un pavillon tendu au dessus de la fontaine.
Marthe alla la trouver et lui dit de venir dans la cour, ou quelqu'un l'attendait.
Elle obéit à l'instant, mit son voile et se rendit, sans
dire un mot, dans la cour, après quoi Marthe se retira. Elle était
grande et belle, âgée d'environ trente ans : le plus souvent
elle regardait le ciel, et si parfois elle tournait les yeux du côté
par où venait Jésus, ce n'était qu'un regard vague
et peu arrêté comme si elle eût regardé dans
le lointain. Elle ne disait jamais " je " , mais " toi " , quand elle parlait
d'elle même, comme s'il se fût agi d'une autre personne qu'elle
voyait devant elle et à laquelle elle adressait la parole. Elle
ne parla pas à Jésus et ne se prosterna pas devant lui. Jésus
lui parla le premier et ils marchèrent dans le petit jardin : à
proprement parler, ils ne s'entretenaient pas ensemble. Marie regardait
toujours en haut et parlait des choses du ciel, comme si elle les eût
vues. Jésus faisait de même : il parlait de son Père
et avec son Père. Elle ne regardait pas Jésus : seulement
en parlant elle se tournait souvent à moitié vers lui. L'entretien
qu'ils avaient ensemble était plutôt une prière, un
cantique de louange, une méditation sur des mystères, qu'un
entretien proprement dit. Marie ne paraissait pas avoir la conscience de
sa vie sur la terre : son âme était dans un autre monde pendant
que son corps demeurait ici bas.
Je me souviens, entre autres choses, que, levant les yeux au ciel,
elle parla de l'Incarnation du Christ, comme si elle avait vu cette affaire
se traiter dans le sein de la très sainte Trinité. Je ne
puis répéter ses paroles na'ves et pourtant pleines de gravité.
Elle disait, comme si elle eût eu la chose sous les veux : "Le Père
dit au Fils qu'il doit descendre parmi les hommes et que la Vierge doit
le concevoir. Puis elle décrivait la joie qui se manifestait parmi
tous les anges et la mission donnée à Gabriel de se rendre
auprès d'une vierge : elle adressait la parole aux choeurs des anges
qui tous descendaient avec Gabriel, comme un enfant qui parlerait à
une procession passant devant lui, témoignerait sa joie et louerait
le recueillement et la ferveur de ceux qui en font partie. Elle vit ensuite
l'intérieur de la chambre de la sainte Vierge, s'adressa à
elle en exprimant le désir qu'elle accueille le message de l'ange
; elle vit l'ange venir et lui annoncer le Seigneur, et elle raconta tout
cela en regardant dans le lointain, comme voyant cette scène, et
disant tout haut les pensées qui lui venaient à celle vue.
Elle s'exprima d'une façon tout à fait naive sur ce que la
sainte Vierge avait réfléchi avant de répondre : "Tu
avais fait voeu de rester vierge, dit elle ; mais si tu avais refusé
de devenir mère du Seigneur, comment aurait on fait ? aurait on
pu trouver une autre vierge' Israël, pauvre orphelin ; tu aurais eu
longtemps encore à soupirer ! "Elle se livra alors à la joie
de ce que la Vierge avait donné son consentement, et elle la combla
d'éloges ; de la, elle passa à la naissance de Jésus,
parla à l'enfant auquel elle dit : "il1 mangeras du beurre et du
miel "et entremêla ses discours d'autres passages des Prophètes
; elle parla des prophéties de Siméon et d'Anne, et continua
ainsi, toujours comme si les choses se passaient sous ses yeux, et adressant
la parole à tous, comme si elle eût été présente
à tous ces événements. Elle arriva même jusqu'au
moment présent et dit : "Maintenant, tu entres dans la voie pénible
et douloureuse, etc. )) Pendant tout cela, elle était toujours comme
si elle eût été seule, et quoiqu'elle sût que
le Seigneur était près d'elle, il semblait pourtant qu'il
ne fût pas plus rapproché que toutes les autres scènes
dont elle parlait. Jésus l'interrompait par des prières et
des actions de grâces à Dieu ; il glorifiait son père
et priai t pour les hommes ; chaque chose venait en son lieu. Tout cet
entretien fut touchant et admirable au delà de toute expression.
Jésus la quitta ; elle resta calme et immobile comme auparavant
et rentra dans son habitation. Lorsque Jésus fut revenu près
de Lazare et de Marthe, il leur parla à peu près en ces termes
: "Elle n'est pas privée de raison, mais son âme n'est pas
dans ce monde : elle ne voit pas ce monde et ce monde ne la comprend pas
: elle est heureuse, elle ne pèche pas. "
Marie la Silencieuse dans son état de contemplation purement
spirituelle ne savait réellement pas ce qui se faisait pour elle
et autour d'elle, et elle était toujours dans cet état d'absence.
Elle n'avait encore parlé devant personne comme devant Jésus
; devant tous les autres elle se taisait, non par manque d'ouverture ou
par orgueil, mais parce qu'elle ne voyait pas ces personnes de sa vue intérieure
: elle ne les voyait pas en rapport avec ce qu'elle seule voyait, les choses
du ciel et la rédemption. Parfois des amis de la maison, gens pieux
et savants, lui adressaient la parole ; alors elle prononçait bien
quelques paroles, mais elles étaient entièrement inintelligibles
pour eux : car ce n'était pas une réponse à ce qu'ils
avaient dit, c'était quelque chose qui se rapportait à cet
ensemble qu'elle voyait, mais qui restait caché aux savants. Aussi
était elle regardée par toute la famille comme imbécile,
et elle menait une vie solitaire, la seule qu'elle pût et dût
mener : car son âme n'habitait pas dans le temps. Elle s'occupait
de la culture de son jardin et de travaux à l'aiguille destinés
au temple, que Marthe lui donnait à faire ; elle était adroite
pour ces sortes de choses et elle les faisait sans sortir de son état
continuel de méditation et de contemplation. Elle priait avec beaucoup
de piété et de ferveur et avait aussi une certaine nature
de souffrances à endurer pour les péchés d'autrui,
car souvent son âme était oppressée d'un poids tellement
lourd, qu'il semblait que le monde fût tombé sur elle. Son
habitation était commode : il y avait des lits de repos et des meubles
de toute espèce ; elle mangeait peu et toujours seule. Lorsque son
frère et ses soeurs se furent mis à la suite de Jésus,
elle mourut de douleur à la vue de ses immenses souffrances qui
lui furent montrées en vision.
Marthe parla aussi à Jésus de Madeleine et du grand chagrin
qu'elle lui causait ; Jésus la consola et lui dit qu'elle reviendrait
certainement, que seulement ils ne devaient pas se lasser de prier pour
elle et de l'encourager.
Vers une heure et demie, la sainte Vierge arriva avec Jeanne Chusa,
Léa, Marie Salomé et Marie de Cléophas. L'homme qui
allait en avant annonça leur arrivée ; alors Marthe, Séraphia,
Marie, mère de Marc et Suzanne allèrent avec tout ce qui
était nécessaire les recevoir dans la salle située
à l'entrée du château, où Jésus avait
reçu la veille par Lazare. Elles se souhaitèrent la bienvenue
et on lava les pieds aux arrivantes ; les saintes femmes mirent aussi d'autres
habits et d'autres voiles. Elles étaient toutes vêtues de
laine sans teinture, blanche, jaunâtre ou brune. Elles prirent une
petite réfection et se rendirent a l'habitation de Marthe. Jésus
et les hommes vinrent les saluer ; Jésus alla à l'écart
avec la sainte Vierge et s'entretint avec elle. Il lui dit d'un ton très
affectueux et très grave que sa carrière publique allait
commencer, qu'il se rendait au baptême de Jean d'où il reviendrait
la visiter ; qu'il passerait encore quelque temps avec elle dans la contrée
de Samarie, mais qu'ensuite il irait dans le désert et y resterait
quarante jours. Lorsque Marie l'entendit parler du désert, elle
fut très attristée et le pria instamment de ne pas aller
dans cet affreux séjour pour y mourir d'inanition. Jésus
lui répondit que dorénavant elle ne devait pas essayer de
l'arrêter par des inquiétudes tout humaines ; qu'il ferait
ce qu'il avait à faire,' qu'il entrait dans une voie laborieuse
; que ceux qui étaient avec lui devaient partager ses souffrances
; que pour lui il allait maintenant où sa mission l'appelait et
qu'elle devait faire le sacrifice de tous ses sentiments personnels ; qu'il
l'aimerait comme auparavant, mais qu'il appartenait maintenant à
tous les hommes ; qu'elle devait faire ce qu'il lui dirait et que son père
céleste la récompenserait : car il fallait maintenant que
la prédiction que Siméon lui avait faite reçût
son accomplissement et qu'un glaive traversât son âme, etc.
La sainte Vierge était très sérieuse et très
attristée, mais elle était en même temps pleine de
force et de résignation à la volonté de Dieu, car
son fils était très saint et très affectueux.
Le soir il y eut encore un grand repas dans la maison de Lazare ; Simon
le pharisien et quelques autres pharisiens avaient été invités.
Les femmes mangèrent dans une pièce attenante, séparées
seulement par un grillage, en sorte qu'elles pouvaient entendre l'enseignement
de Jésus.
Jésus parla de la foi, de l'espérance, de la charité
et de l'obéissance ; ceux qui voulaient le suivre, disait il, ne
devaient pas regarder derrière eux, mais faire ce qu'il enseignait,
et supporter les souffrances qui viendraient les assaillir : quant à
lui il ne les abandonnera pas. Il de nouveau de la voie pénible
dans laquelle il entrait, dit comment il serait maltraité et persécuté
et combien tous ses amis souffriraient avec lui. Tous l'écoutèrent
avec surprise et émotion : mais. ils ne comprirent pas ce qu'il
disait des grandes souffrances à endurer ; leur foi manquait de
simplicité ; ils s'imaginaient que c'était une façon
de parler prophétique qu'il ne fallait pas prendre à la lettre.
Ses discours ne choquèrent pas les pharisiens quoiqu'ils fussent
plus prévenus que les autres, mais cette fois il ne parla qu'avec
une certaine réserve.
Après le repas, Jésus prit un peu de repos ; puis il
partit seul avec Lazare, dans la direction de Jéricho, pour aller
au baptême. Au commencement, un serviteur de Lazare les accompagna
avec une lanterne, car il faisait nuit. Après avoir marché
environ une demi heure, ils arrivèrent à une hôtellerie
qui appartenait à Lazare et où les disciples s'arrêtèrent
souvent dans la suite. Il ne faut pas la confondre avec une autre dont
j'ai fait mention plus d'une fois, parce qu'elle fut mise aussi au service
des disciples, mais qui est plus éloignée et dans une autre
direction. Quant à la salle où Jésus d'abord et ensuite
Marie furent reçus par Lazare, c'était celle où Jésus
s'arrêta et enseigna avant la résurrection de Lazare, lorsque
Madeleine alla à sa rencontre(8). Lorsqu'ils furent arrivés
à l'hôtellerie, Jésus ôta ses sandales et marcha
pieds nus Lazare, saisi de compassion parce que le chemin était
difficile et rocailleux, le pria de n'en rien faire ; mais Jésus
lui répondit d'un ton très grave : "Ne t'en inquiète
pas ; je sais ce que j'ai à faire. "Et ils s'avancèrent ainsi
dans la solitude. Je ne pouvais m'empêcher de pleurer de la pitié
que me faisait Notre Seigneur. Le de sert, avec ses gorges étroites
au milieu des rochers, s étend à cinq lieues dans la direction
de Jéricho ; puis vient la fertile vallée de Jéricho,
longue de deux lieues, où il y a pourtant aussi par intervalles
des parties incultes. De là il y a encore deux lieues jusqu'à
l'endroit où Jean baptise. Jésus allait beaucoup plus vite
que Lazare. et il était souvent une lieue en avant.
Je vis une troupe de gens qu'il avait envoyés de la Galilée
au baptême et parmi lesquels il y avait des publicains, revenir du
baptême et se rendre à Bethanie en suivant pendant quelque
temps, dans le désert, une direction parallèle à la
sienne. Je ne vis Jésus s'arrêter nulle part. il laissa Jéricho
à gauche. il y avait encore deux autres endroits, peu éloignés
du chemin qu'il suivait, mais il passa outre. Je ne me souviens pas bien
de leurs noms.
Note 8 : Il est à remarquer, à propos de ces explications,
qu'elle commença en juillet 1820, par la troisième année,
le récit de la prédication de Jésus, qui fut continué
jusqu'à son ascension, tandis que le récit de la première
année commença en 1821, pour arriver, lors de la mort, en
1824, au point d'où elle était partie en 1820. De là
vient qu'en plusieurs endroits elle fait mention d'événements
postérieurs.
Les amis de Lazare, Nicodème, le fils de Siméon, Jean
Marc, ne s'étaient guère entretenus avec Jésus pendant
la journée d'hier, mais ils ne cessaient de parler entre eux de
l'admiration que leur inspirait toute sa personne, sa sagesse, les qualités
qui le distribuaient comme homme et même son extérieur ; quand
il n'était pas là ou qu'ils marchaient derrière lui,
ils se disaient les uns aux autres : " Quel homme ! on n'en n'a jamais
vu, on n'en verra jamais de semblable ; quelle gravité, quelle douceur,
quelle sagesse, quelle pénétration, quelle simplicité
! Je ne comprends pas entièrement ce qu'il dit, et je ne puis pourtant
m'empêcher de le croire parce qu'il le dit. On ne peut pas le regarder
en face, il semble qu'il lit dans la pensée de chacun. Quelle taille
! quel port majestueux ! quelle promptitude sans qu'il y ait pourtant rien
de précipité ! Quel homme a des allures comme les siennes
? avec quelle vitesse il chemine ! il arrive sans être fatigué
et repart à son heure ! Quel homme il est devenu ! "Puis ils parlaient
de son enfance, de son enseignement dans le temple, etc. Ils répétaient
aussi ce qu'ils avaient entendu dire des dangers qu'il avait courus sur
la mer Morte, lors de son premier voyage, et de la manière dont
il avait secouru les mariniers. Mais aucun d'eux ne soupçonnait
que celui dont ils parlaient était le fils de Dieu ; ils le trouvaient
supérieur à tous les autres hommes, ils l'honoraient et il
leur inspirait une crainte respectueuse, mais il n'était à
leurs yeux qu'un homme merveilleux. Obed, de Jérusalem, était
un homme âge, neveu de la prophétesse Anne ; il était
un de ceux qu'on appelait les anciens du temple et membre du grand conseil
; c'était un homme pieux, disciple caché de Jésus
et tant qu'il vécut il aida la communauté.
J'ai vu beaucoup de choses touchant Suzanne ; voici ce que j'en ai
retenu : elle a été élevée par Marie dans le
temple, elle est riche et alliée par le sang à la sainte
Famille : car elle est fille naturelle d'un frère aîné
de saint Joseph et d'une mère issue égale. ment d'un commerce
illégitime. un prince persan, dont la famille était restée
établie à Jérusalem depuis la dernière conquête
de la Judée, avait eu la mère de Suzanne d'une juive qui
n'était pas sa femme, et il avait laissé à la mère
et à l'enfant de grands biens qu'il possédait à Jérusalem.
Je vis en vision comment la mère de Suzanne avait fait connaissance
à un bal avec un frère aîné de saint Joseph,
appelé Cléophas. C'était là qu'avait commencé
cette malheureuse liaison qui avait eu pour suite la naissance de Suzanne.
Le frère de Joseph était riche et vivait dans l'oisiveté.
Je crois qu'il était déjà marié. Mais on ne
doit pas dire ces choses, car elles sont restées assez secrètes.
Suzanne fut élevée au temple et mariée plus tard à
un homme nommé Matthias, qui était parent de l'apôtre
du même nom et qui avait un emploi public. Suzanne avait une grande
maison à l'ouest de la montagne de Sion, à peu de distance
de celle de Lazare. Entre autre. visions qui la concernaient, j'ai vu la
fête qui fut l'occasion de la chute de sa mère. à l'exception
de la danse d'Hérodiade, c'était, autant qu'il m'en souvient,
la première danse que j'eusse vue chez les Juifs. On célébrait
le jour de la fête d'un homme considérable. Je vis une grande
salle et aux deux côtés des personnes de distinction sur des
sièges élevés ; au milieu de la salle dansaient environ
vingt femmes et vingt hommes qui étaient en face les uns des autres.
Il y avait toujours deux hommes et deux femmes qui dansaient en se croisant.
Au dessus des danseurs plusieurs flambeaux étaient suspendus au
plafond, et ces flambeaux étaient placés de minière
à indiquer les figures qu'on devait faire. Les femmes qui dansaient
étaient vêtues convenablement et leurs robes avaient de longues
queues ; cependant ces habits laissaient trop voir la forme du corps. La
danse n'était pas vive et sautillante, et les danseurs ne se touchaient
pas : on allait seulement en avant et en arrière et on passait les
uns devant les autres ; il y avait une grande variété d'attitudes
et de mouvements. On avait beaucoup d'occasions de se regarder et de se
considérer, ce qui devait donner naissance à de mauvaises
pensées. Les musiciens étaient sur une extrade à côté
des danseurs ; il y avait, je crois, de chaque côté, trois
hommes ou jeunes garçons avec des flûtes. Je me souviens de
deux instruments : d'une grande caisse triangulaire, avec des cordes tendues
aux trois côtés et d'un singulier instrument à vent,
fait d'un gros roseau creux dans lequel on soufflait et auquel étaient
ajustés plusieurs cornets de différente grandeur, que l'on
attachait ou que l'on détachait suivant les circonstances ; ils
étaient placés les uns sous les autres et tournaient autour
de la tige principale On démontait l'instrument quand on l'apportait
ou qu'on le remportait.
Le matin les amis de Jérusalem revinrent à la ville ainsi
que Suzanne, Marie, mère de Marc, et Véronique. Marie et
les saintes femmes restées avec elle travailleront ensemble. Marie
était très attristée de ce que Jésus lui avait
dit. Elle raconta beaucoup de choses sur là sagesse et la vertu
merveilleuse de son fils quand il était enfant. Elles visitèrent
aussi des malades à Bethanie, les consolèrent et les assistèrent.
Elles doivent aller ensemble à Jérusalem.
TROISIEME CHAPITRE.
Jean Baptiste.
Son séjour dans le désert, il creuse une fontaine baptismale
après une Vision.
- il quitte le désert. - Lieu où Jean baptise près
d'Ainon. - Coup d'oeil sur Melchisédech.
- Hérode rend visite à Jean. - Prêtres et magistrats
près de Jean.
- On vient en foule pour se faire baptiser par lui. - Jean va baptiser
près de Jéricho.
- Envoyés de Jérusalem. - Lieu où Jean enseigne,
et fête qu'on y célèbre.
- île du Jourdain où Jésus doit être baptise.
- Coup d'oeil sur Josué. - Nouvelle visite d'Hérode à
Jean.
(De la fin de mai au 26 septembre 1821.)
(24 juin 1820.) Je vis Jean qui grandissait ; il habitait très
avant dans le désert, et il se mortifiait de toutes les manières.
Il dormait en plein air sur le rocher nu, il courait de toutes ses forces
sur des pierres ou à travers les chardons et les ronces ; il se
flagellait avec des épines ; il travaillait jusqu'à l'épuisement
à façonner des arbres et des pierres, et restait de longues
heures en prière et en contemplation. Je vis souvent des figures
lumineuses près de lui dans la solitude ; à l'âge de
dix sept ans environ. je le vis visiter secrètement et sans être
vu la maison de ses parents. Zacharie était mort, mais Elisabeth
vivait encore. Après cette visite, il s'enfonça beaucoup
plus avant dans le désert qu'il ne l'avait fait jusqu'alors : il
s'avançait toujours dans la direction du nord est et se rapprochait
de la contrée où je vois dans mes visions la merveilleuse
montagne des prophètes et les eaux qui en découlent sur la
terre. Il alla dans une contrée où longtemps après
je vis saint Jean l'Evangéliste se reposer et écrire sous
de grands arbres. Il y avait là des arbres très élevés,
et au dessous de ceux ci des arbrisseaux avec des baies dont il mangeait.
Je le vis aussi manger d'une herbe qui a cinq feuilles rondes comme celles
du trèfle et une fleur blanche. Il y avait des herbes semblables,
quoique plus petites, près de chez nous, sous des haies (c'est la
plante appelée pied de lièvre, OXALIS) : les feuilles avaient
un goût acide. J'en mangeais souvent étant enfant quand je
gardais mon troupeau, parce que dès ce temps, j'avais vu Jean en
manger. Je le vis aussi retirer du creux des arbres et de dessous la mousse
qui couvrait la terre quelque chose de brun qu'il mangeait et qui me semblait
être du miel sauvage : on en trouvait là fréquemment.
Je le vis, lorsqu'il fut devenu plus grand, porter autour des reins la
peau de mouton qu'il avait apportée avec lui : il n'eut pas d'autre
vêtement jusqu'à ce qu'il se fût tressé lui même
une couverture brune à longs poils, qu'il portait attachée
sur ses épaules. Il y avait dans cette solitude des animaux avec
une toison laineuse qui l'approchaient familièrement ; et aussi
des chameaux qui se laissaient arracher par lui les longs poils qu'ils
avaient autour du cou. Je le vis en faire des tresses avec lesquelles il
confectionna une couverture qu'il avait encore sur lui lorsqu'il parut
de nouveau au milieu des hommes pour baptiser. Je le vis dans ce désert
s'imposer des pénitences et des mortifications de plus en plus rudes
et s'adonner à la prière avec une assiduité et une
ferveur toujours croissantes.
Jean, dans tout le cours de sa vie, n'a vu le Sauveur que trois fois.
La première fois, ce fut dans le désert quand la sainte Famille
passa dans son voisinage lors de la fuite en l'Egypte. Je vis à
plusieurs reprises, le spectacle incroyablement touchant de Jean conduit
par l'esprit et accourant pour saluer son maître qu'il avait déjà
salué dans le sein de sa mère. (1) Il portait sa peau de
mouton jetée sur l'épaule et rattachée autour du corps.
Il sentit que son Sauveur était près de lui et souffrait
de la soif. Alors l'enfant pria et de son petit bâton il frappa la
terre d'où jaillit une source abondante. Jean courut en avant dans
la direction que l'eau allait prendre. il s'arrêta pour voir passer
Jésus avec Marie et Joseph, puis il sauta joyeusement et fit un
signe avec son petit drapeau.
La seconde fois qu'il vit Jésus fut lors de son baptême,
la troisième fois, lorsqu'il le vit passer le long du Jourdain et
rendit témoignage de lui. J'entendis une fois le Sauveur parler
à ses apôtres du grand empire que Jean avait sur lui même
: il dit que, même du baptême, il s'était borné
à la contempler pendant la cérémonie, quoique son
coeur fut prêt à se briser a force d'amour. Plus tard il avait
mieux aimé se retirer humblement d'auprès de lui que de céder
à son amour et de chercher à se rapprocher de lui.
Jean voyait toujours le Seigneur en esprit, car il était constamment
dans l'état prophétique. Il voyait Jésus comme l'accomplissement
de sa mission, comme la raison d'être de sa vocation prophétique.
Note 1 : Cet incident est raconté en détail dans la vie
de la sainte Vierge.
Jésus n'était pas pour lui un contemporain, un homme
vivant de la même vie ; c'était le Rédempteur du monde,
le Fils de Dieu fait homme, l'Eternel se manifestant dans le temps C'est
pourquoi la pensée de chercher à frayer avec lui ne pouvait
pas entrer dans son esprit. En outre, Jean ne se sentait pas lui même
vivant dans le temps et dans le monde, ni mêlé aux choses
de la terre, comme les autres hommes. Dès le sein de sa mère,
il s'était trouvé en contact avec les choses éternelles
et le Saint Esprit avait établi entre son Rédempteur et lui
des rapports qui existaient hors du temps. Encore enfant, il avait été
enlevé au monde, et son éducation, livrée à
des influences d'un ordre supérieur, s'était faite au sein
de la nature toute imprégnée de Dieu. il vécut séparé
des hommes, au fond des solitudes les plus reculées, ne sachant
rien, si ce n'est son Rédempteur, jusqu'à ce qu'il sortit
du désert, comme ayant reçu une nouvelle naissance et commençât
sa carrière publique, toujours austère, enthousiaste, ardent,
ne craignant rien et ne s'inquiétant de rien. La Judée est
maintenant pour lui le désert ; dans la solitude, il frayait avec
les sources, les rochers, les arbres et les bêtes sauvages, vivait
et conversait avec eux ; c'est de même qu'il parle et qu'il agit
maintenant parmi les hommes et les pécheurs, sans penser à
lui même. Il ne voit, ne connaît que Jésus ; il ne parle
que de lui. Ses discours se bornent à dire : " il vient préparer
les voies : faites pénitence, recevez le baptême. Voici l'agneau
de Dieu qui porte les péchés du monde ! "Dans le désert,
il était pur et innocent comme un enfant dans le ventre de sa mère,
il est sorti du désert pur et candide comme un enfant suspendu au
sein de sa mère. J'entendis le Seigneur dire aux apôtres :
"Il est pur comme un ange, rien d'impur n'est entré dans sa bouche,
pas plus qu'un péché ou un mensonge n'est sorti de sa bouche.
"
(Mai 1821.) Je vis que Jean eut une révélation sur le
baptême, et que par suite de cette révélation, un peu
avant de sortir du désert, il construisit une fontaine à
peu de distance des lieux habités.
Avant que Jean eut commencé à creuser cette fontaine,
je le vis devant sa grotte, au côté occidental d'un rocher
escarpé. à sa gauche était un ruisseau, peut être
une des sources du Jourdain, qui prend naissance dans une grotte au pied
du Liban, entre deux montagnes ; on voit ce ruisseau quand on est tout
auprès ; à sa droite était une place unie, ayant le
désert de tous les côtés : c'était là
que devait être la fontaine. Jean avait un genou en terre : sur l'autre,
il tenait un long rouleau d'écorce, sur lequel il écrivait
avec un roseau. un soleil ardent brillait sur sa tête. Il regardait
le Liban, qui était au couchant par rapport à lui. Pendant
qu'il écrivait ainsi, il fut comme frappé d'immobilité
: je le vis tout absorbé et comme ravi en extase. Je vis debout
devant lui un homme qui, pendant son extase, écrivait et dessinait
beaucoup de choses sur le rouleau. Lorsque Jean revint à lui, il
lut ce qui était sur le rouleau et commença à travailler
à la fontaine avec beaucoup d'ardeur. Pendant qu'il travaillait,
le rouleau était par terre, maintenu avec deux pierres qui le tenaient
étendu, et il y regardait souvent, car tout ce qu'il avait à
faire semblait y être indiqué.
à l'occasion de la fontaine et de sa situation, je vis ce qui
suit de la vie du prophète Elle. Le prophète s'était
assis tout chagrin, à cause d'une faute commise dans le désert,
et il s'endormit. Alors il vit en songe un enfant qui le poussait avec
un petit bâton, et près de lui une fontaine dans laquelle
il craignait de tomber ; car je le vis, à la suite du coup, rouler
à quelque distance. Je vis ensuite un ange le réveiller et
lui donner à boire. Cela se passa au lieu même où maintenant
Jean creusait la fontaine.
Je connus la signification des diverses couches de terre à travers
lesquelles Jean creusait la fontaine et de tous les travaux qu'il fit pour
l'achever. Tout se rapportait à la dureté et à d'autres
mauvaises qualités du coeur qu'il devait vaincre chez les hommes,
afin que la grâce du Seigneur pût agir sur eux. Je fus informée
alors que ce travail qu'il faisait, ainsi que toute sa vie et toutes ses
actions, était un symbole et une figure ; en tout cela, non seulement
il était instruit par l'Esprit Saint de ce qu'il avait à
faire, mais encore il faisait réellement ce que signifiaient ces
travaux, parce que Dieu exauçait la bonne intention qu'il y joignait.
C'était le Saint Esprit qui le poussait à tout cela, comme
les prophètes.
Il enleva le gazon circulairement et creusa avec beaucoup de soin et
d'adresse dans le sol dur et marneux un bassin spacieux, de forme ronde,
qu'il garnit de différentes pierres, excepté au milieu, à
l'endroit le plus profond, où il avait creusé jusqu'à
une petite veine d'eau. De la terre qu'il avait rejetée il fit autour
du bassin un rebord où il y avait cinq coupures. En face de quatre
de ces brèches il planta, à égale distance autour
du bassin, quatre tiges minces, dont le haut était couvert de feuilles
vertes. Elles étaient de quatre espèces différentes
et chacune signifiait quelque chose. Au milieu du bassin, il planta un
arbre d'une espèce particulière avec des feuilles effilées
et dés bouquets de fleurs en forme pyramidale avec un fruit à
pointe épineuse déjà noué. Cet arbre, un peu
flétri, avait été longtemps devant sa grotte.
Les quatre tiges qui étaient alentour me semblaient être
celles d'arbustes élancés qui portaient des baies. Il en
entoura le pied de terre un peu exhaussée. Lorsqu'en creusant le
bassin il fut arrivé à l'eau, à l'endroit où
ensuite l'arbre du milieu fut planté, il creusa une rigole allant
du ruisseau qui était près de sa grotte jusqu'au bassin ;
après quoi je le vis cueillir des roseaux dans le désert,
les ajuster les uns au bout des autres, conduire ainsi l'eau du ruisseau
dans le bassin et recouvrir de terre ce conduit qui pouvait être
fermé.
Il avait pratiqué un sentier à travers les broussailles
jusqu'à la brèche qui se trouvait en face, dans le rebord
du bassin. Ce sentier faisait le tour du bassin entre le rebord et les
quatre arbres qu'il avait plantés en face des quatre coupures du
rebord. à la coupure qui formait l'entrée, il n'y avait pas
d'arbre, De ce côté seulement la fontaine était dégagée,
des autres côtés elle n'était séparée
des broussailles et des rochers que par le sentier qui en faisait le tour.
Il planta sur les petits tertres de gazon qui étaient au pied des
quatre arbres une plante qui ne m'est pas inconnue(2). Je l'aimais beaucoup
quand j'étais enfant, et lorsque je la trouvais, je la plantais
dans le voisinage de notre maison. Elle a une tige grosse, assez élevée,
porte des globules d'un rouge brun et elle est très efficace contre
les abcès et les maux de gorge, comme je l'ai éprouvé
aujourd'hui i. Il plaça encore à l'entour des plantes de
toute espèce et de petits arbustes.
Note 2 : Sur un dessin qu'on lui montre, elle reconnaît cette
plante pour le telephium purpureum ou sedum Linnoei, (Vulg : Orpin, ou
herbe à la coupure). Elle en parla comme d'un remède contre
les ulcères scrofuleux, intérieurs et extérieurs,
spécialement au cou. Bouillie avec de la marjolaine dans de l'eau
et du vin, et appliquée comme cataplasme, elle résout les
ulcères invétérés : on en fait aussi des gargarismes
pour le mal de gorge.
Pendant tous ces travaux, il regardait de temps en temps sur le rouleau
d'écorce étendu devant lui et prenait ses mesures avec un
bâton : car il me semblait que tout y était indiqué,
même les arbres qu'il plantait. Je me souviens d'y avoir vu figuré
l'arbre du milieu ; j'ai eu aussi la signification de tout cela, mais je
l'ai oubliée.
Il travailla ainsi plusieurs semaines et ce ne fut que quand il eut
fini, qu'une petite veine d'eau commença à sourdre au fond
du bassin. L'arbre du milieu, dont les feuilles étaient flétries
et noirâtres, reverdit ; Jean prit dans un vase fait d'un grand morceau
d'écorce d'arbre et enduit de poix aux côtés, de l'eau
d'une autre source qu'il versa dans le bassin. Cette eau venait d'une source
(3) qui avait jailli du rocher près d'un de ses séjours antérieurs,
lorsqu'il avait frappé le rocher avec son petit bâton. J'ai
oublié ce qui avait pu se passer d'important à cette occasion.
J'appris aussi qu'en ce lieu où il avait séjourné
antérieurement, il n'avait pas pu creuser de fontaine, parce que
là il n'y avait que le roc pur ; et cela aussi avait sa signification.
Il fit ensuite arriver du ruisseau dans le bassin autant d'eau qu'il était
nécessaire : quand il y en avait surabondance, elle coulait par
les ouvertures sur le sol environnant et rafraîchissait les plantes.
Je vis ensuite que Jean descendit dans l'eau jusqu'à la ceinture,
saisit d'une main l'arbre du milieu et avec son bâton, qu'il avait
surmonté d'une croix et d'une banderole, frappa dans l'eau de manière
à la faire rejaillir au dessus de sa tête. Je vis que dans
ce moment il vint sur lui d'en haut une nuée lumineuse et comme
une effusion du Saint Esprit, et que deux anges parurent au bord du bassin
et lui dirent quelque chose. Je vis cela comme la dernière chose
qu'il fit dans le désert.
Note 3 : Ne serait ce pas cette source qu'étant enfant, il avait
fait jaillir avec son bâton, lorsqu'il avait vu dans une vision Jésus
souffrir de la soif pendant la fuite en Egypte ?
En juin 1820, entre autres fragments de la vie de Jean Baptiste, elle
raconta la vision suivante :
Je le vis une autre fois près d'une fosse desséchée
dans le désert. C'était alors un homme robuste parvenu à
l'âge viril. Il paraissait prier et il descendit sur lui une clarté,
comme une nuée lumineuse, qui me sembla venir de la hauteur où
sont les eaux sur la montagne des prophètes ; c'était comme
un courant d'eau lumineuse et brillante qui tombait sur lui et de là
dans le bassin. Pendant qu'il regardait cette effusion, je ne je vis plus
sur le bord du bassin, mais dans le bassin même ; il était
inondé de l'eau lumineuse, et le bassin en était tout rempli
; je le vis ensuite de nouveau se tenir sur le bord, comme au commencement.
Je ne je vis pas descendre ni remonter, et je crois que c'était
peut être une vision qu'il eut pour lui faire connaître qu'il
devait commencer à baptiser, ou bien un baptême spirituel
qu'il reçut dans la vision.
J'ai vu la fontaine dont j'ai parle servir encore après la mort
de Jésus. Lorsque les chrétiens étaient en fuite,
on baptisait là des voyageurs et des malades ; on venait aussi y
prier. à cette époque, au temps de Pierre, la fontaine était
entourée d'un mur.
(juin 1820 et juillet l821.) Bientôt après l'achèvement
de la fontaine baptismale, je vis Jean sortir du désert en montant
vers la source du Jourdain et revenir parmi les hommes.
Il produisait une impression merveilleuse. Il est de grande taille,
amaigri parle jeûne et les mortifications corporelles, mais fort
et nerveux ; il y a en lui une dignité, une pureté, une simplicité
incroyable ; il va toujours droit au but et son ton est celui du commandement.
Il a le teint brun ; son visage est maigre et tire, grave et austère
; ses cheveux sont frisés et d'un brun rougeâtre ; sa barbe
est courte. Il a au milieu du corps un drap qui l'enveloppe et qui tombe
jusqu'aux genoux. Il porte un manteau grossier de couleur brune qui parait
fait de trois morceaux. il le couvre entièrement par derrière
et il est assujetti par une courroie autour de la taille. Les bras et la
poitrine sont libres et découverts. La poitrine est toute couverte
de poils, qui sont à peu près de la couleur du manteau. Il
porte un bâton recourbé comme une houlette.
Lorsqu'il sortit du désert, je le vis d'abord établir
un petit pont sur un ruisseau. Il ne pensait pas à aller chercher
un passage qui se trouvait un peu plus bas : mais il travaillait droit
devant lui, dans la direction du chemin qu'il avait à suivre. Il
y avait là une ancienne route de grande communication. Je l'ai vu
près de Cydessa enseigner les gens qui étaient autour de
lui : ce furent les premiers pa'ens qui vinrent à son baptême.
Ils vivaient là dans l'abandon et habitaient des cabanes en terre.
C'étaient les descendants de gens de toute espèce qui s'étaient
établis là à ;'époque de t la dernière
destruction du temple avant Jésus. J'ai vu quelque chose touchant
un des derniers prophètes, qui leur avait dit qu'ils devaient demeurer
là, jusqu'à la venue d'un homme semblable à Jean,
qui leur dirait ce qu'ils auraient à faire. J'ai aussi vu que dans
la suite ils sont allés à Nazareth.
Jean allait droit aux hommes, sans que rien le détournât,
et il ne parlait que d'une chose : de la pénitence et de l'approche
du Seigneur. Tous s'étonnaient et devenaient sérieux quand
il paraissait. Sa voix était perçante comme une épée,
claire, forte, et cependant agréable. Il traitait tous les hommes,
quels qu'ils fussent. comme des enfants. Partout il allait droit son chemin
: rien ne pouvait le détourner de sa voie, il ne regardait à
rien, il n'avait besoin de rien.
Je le vis ainsi parcourir les bois et les déserts, creuser ça
et là, rouler des pierres, enlever des arbres, préparer des
lieux de repos, rassembler autour de lui les hommes qui le regardaient
avec surprise, et même aller les chercher dans leurs cabanes pour
les faire travailler avec lui. Je vis que tous le regardaient avec étonnement
et admiration, qu'il ne s'arrêtait longtemps nulle part et allait
sans cesse d'un endroit à l'autre. Je le vis suivre le bord de la
mer de Galilée, descendre la vallée du Jourdain au dessous
de Tarichée ; puis, près de Salem, aller vers Bethel par
le désert, et passer devant Jérusalem, ou il n'alla jamais,
et qu'il regardait avec tristesse et en gémissant. Tout entier à
sa mission, grave, austère, simple, inspiré, il criait sans
cesse : "Faites pénitence, préparez vous ; le Sauveur vient
!" il alla ensuite dans sa patrie par la vallée des bergers. Son
père et sa mère étaient morts : quelques jeunes gens,
ses parents du côté de Zacharie, furent ses premiers disciples.
Lorsque Jean passa par Bethsaide, Capharnaum et Nazareth, la sainte Vierge
ne le vit point : elle sortait peu de chez elle depuis la mort de saint
Joseph : mais des hommes de sa famille entendirent ses exhortations et
l'accompagnèrent quelque temps sur le chemin.
Pendant les trois mois qui précédèrent le baptême,
Jean parcourut API]y fois le pays. annonçant celui qui devait venir
après lui. il y avait dans toutes ses allures une autorité,
incroyable : il s'avançait d'un pas ferme et rapide, mais sans précipitation.
Ce n'était pas une démarche calme, comme celle du Sauveur.
Là où il n'avait rien à faire, je l'ai vu courir d'un
champ à un autre. Il entre dans les maisons, il va enseigner dans
les écoles et rassemble aussi le peuple autour de lui dans les rues
et sur les places. Je vis quelquefois des prêtres et des magistrats
l'arrêter et lui demander des explications, mais bientôt, saisis
d'étonnement et d'admiration, ils le laissaient aller librement.
Je vis que l'expression "préparer les voies du Seigneur " n'était
pas une simple figure, car je le vis commencer ses fonctions en préparant
des chemins, et parcourir tous les lieux et tous les chemins où
passèrent plus tard Jésus et ses disciples. Il enlevait ça
et là des broussailles et des pierres, et pratiquait des sentiers.
Il établissait des passages sur les ruisseaux. nettoyait leur lit.
creusait des réservoirs et des fontaines, préparait des sièges,
des lieux de repos, et faisait des toits de feuillage. Je l'ai vu faire
divers arrangements dans des endroits où, par la suite, le Seigneur
s'est reposé, a enseigné, a agi. En se livrant à ces
travaux. cet homme grave, simple et solitaire, avec son vêtement
grossier et son aspect austère, attirait sur lui l'attention des
gens de la campagne : il excitait l'étonnement dans les cabanes
ou il entrait, afin d'y emprunter les outils nécessaires pour son
travail, et où il prenait aussi des gens pour l'aider. Partout où
il allait, on l'entourait aussitôt, et il exhortait gravement et
hardiment à la pénitence, annonçant que le Messie
venait après lui et qu'il lui préparait les voies. Souvent
je le vis montrer du doigt la contrée où Jésus se
trouvait alors.
Cependant je ne les vis jamais ensemble, quoique souvent il y eût
à peine entre eux une heure de chemin. une fois je le vis à
une petite lieue de Jésus tout au plus : alors il cria aux auditeurs
qu'il n'était pas le Sauveur attendu, mais un pauvre pionnier ;
et, montrant un point de l'horizon : "C est là, dit il, que se trouve
le Sauveur. "
(4 juillet l821) Jean baptisa en divers endroits : d'abord près
d'Ainon, dans la contrée de Salem, puis à On, vis à
vis Bethabara, sur la rive occidentale du Jourdain, à peu de distance
de Jéricho : c'est là que dans quelques semaines il baptisera
Jésus. Le troisième endroit était au levant du Jourdain,
deux lieues plus au nord que le premier. Enfin, en dernier lieu, il baptisa
encore à Ainon, et c'est là qu'il fut arrêté.
Le cours d'eau (4) où Jean baptise est comme un bras du Jourdain
qui fait un détour d'environ une lieue au levant du fleuve. Ce bras
est quelquefois si étroit, qu'on peut le franchir d'un saut ; d'autres
fois il est plus large. Il peut avoir changé de lit en quelques
endroits, car alors déjà je voyais bien des places sans eau.
La courbe que fait ce bras du Jourdain renferme de petits étangs
et des fontaines qui en tirent leur eau. un de ces étangs, séparé
du bras par une chaussée, est le lieu où Jean baptise à
Ainon. Il y avait sous la chaussée des conduits par lesquels on
pouvait faire arriver l'eau ou la faire écouler. Jean avait fait
divers arrangements dans cet endroit. On avait creusé dans le rivage
une petite baie dans laquelle s'avançaient des langues de terre.
Note 4 : On lira plus bas une autre description plus détaillée
de cet endroit.
L'homme qui allait être baptisé se tenait entre deux d'entre
elles, plongé dans l'eau jusqu'à la ceinture, et s'appuyait
sur une barrière qui courait en avant de tous ces prolongements.
Jean se tenait sur l'un d'eux et versait de l'eau avec une écuelle
sur la tête du néophyte ; de l'autre côté était
un homme déjà baptisé qui mettait la main sur la tête
de celui ci. Jean avait lui même imposé les mains au premier.
Les néophytes n'avaient pas le haut du corps entièrement
nu : ils étaient enveloppés dans une espèce de drap
blanc, les épaules seules paraissaient. Il y avait aussi là
une cabane ou ils se déshabillaient et se rhabillaient. Je n'ai
pas vu baptiser de femmes ici. Jean, lorsqu'il baptise, met une longue
robe blanche.
Il y a une contrée très agréable et très
abondante en eau, où l'on donne le baptême : elle s'appelle
Salem. Le bourg même de Salem lui même est situé sur
les deux rives d'un bras du fleuve, tandis qu'Ainon, au contraire, est
au delà du Jourdain, plus au nord que Salem, plus prés du
fleuve et plus considérable. Des troupeaux paissent dans les environs
: beaucoup d'ânes broutent dans les prairies verdoyantes au bord
des eaux. Il y a eu ici, près d'Ainon et de Salem, une espèce
de terre libre, où il existait une sorte de privilège traditionnel,
à raison duquel on ne pouvait en chasser personne.
Jean avait sa cabane à Ainon sur de vieilles substructions,
sur lesquelles s'élevait autrefois un grand édifice. Ce n'étaient
plus que des ruines où l'herbe poussait : on y avait bâti
quelques cabanes. C'étaient les fondations d'un château formé
de tentes que Melchisédech avait ici. J'ai vu différentes
scènes qui se sont passées là à une époque
plus reculée : la seule chose dont je me souvienne est Abraham eut
ici une vision et érigea deux pierres : l'une où il s'agenouillait
l'autre qui était comme une espèce d'autel. Je vis ce qui
lui avait été montré : c'était une cité
de Dieu comme la Jérusalem céleste, et il en descendit des
courants d'eau sous forme de rayons. Il lui fut aussi ordonné de
prier pour l'avènement de la cité de Dieu. L'eau qui sortait
de la ville se répandait de tous les côtés. Abraham
eut cette vision environ cinq ans avant que Melchisédech bâtît
ici son château de tentes.
J'ai aussi vu que Melchisédech bâtit un château
près de Salem. C'était plutôt une grande tente avec
des galeries et des escaliers, comme le château de Mensor en Arabie
: seulement les fondements étaient en pierre et très solides.
Je crois avoir vu encore, à l'époque de Jean, les quatre
angles où étaient plantés les principaux pieux. Il
en restait seulement des fondations en pierre très solidement bâties,
lesquelles ressemblaient alors à un rempart sur lequel l'herbe a
poussé et sur lesquelles Jean avait une petite cabane de roseaux.
Ce château de tentes était un lieu où logeaient
beaucoup d'étrangers et de passants, une sorte d'hôtellerie
gratuite et magnifique au bord de ces belles eaux. Peut être Melchisédech,
que j'ai toujours vu servir de conseiller et de guide aux peuples et aux
races qui allaient d'un lieu à l'autre, avait il bâti ce château
pour y donner l'hospitalité ou pour y enseigner ; mais il y avait
dès lors quelque chose qui se rapportait au baptême.
Cet endroit était pour Melchisédech comme un point central
d'où il se rendait soit à Jérusalem où il bâtissait,
soit auprès d'Abraham, soit ailleurs : il y réunissait des
familles et des individus auxquels il assignait des résidences et
qui s'établissaient dans un endroit ou dans un autre. Ceci se passait
avant l'oblation du pain et du vin qui eut lieu, je crois, dans une vallée
au midi de Jérusalem. il bâtit cet édifice avant de
bâtir à Jérusalem. J'ai vu aussi sur la montagne du
Calvaire quelque chose touchant le baptême d'eau et le baptême
de sang : mais je l'ai oublié ainsi que les diverses significations
qui s'y rattachaient.
Melchisédech avait l'apparence d'un jeune homme d'environ vingt
cinq ans. Je le vis à différentes époques, mais jamais
plus vieux. Son extérieur tenait moins de l'homme que celui de Jésus.
Il n'avait jamais la tête couverte : sa chevelure blonde était
passée derrière ses oreilles. Je le vis souvent absent, et
alors il me semblait être ailleurs que sur la terre, par exemple
dans le paradis ou en quelque autre endroit habité par de purs esprits.
Souvent je le vis aller seul, souvent avec des gens et des bêtes
de somme. Je ne vis jamais près de lui des personnages de sa sorte,
parents ou prêtres. Là où il agissait et bâtissait,
il semblait poser la pierre fondamentale d'une grâce future, attirer
l'attention sur un lieu, commencer quelque chose qui était destiné
à un grand avenir. Je n'ai jamais beaucoup réfléchi
là dessus : je prends les choses comme elles se présentent
Une autre fois, Anne Catherine dit de Melchisédech : Il était
comme préposé à un grand nombre d'anges. Je l'ai déjà
vu antérieurement paraître en divers endroits de la Terre
Promise, lorsqu'elle était encore tout à fait déserte,
longtemps avant le temps de Sémiramis et d'Abraham ; il semblait
disposer le pays d'avance, désigner et préparer certains
lieux : ainsi je crois qu'il a ouvert la source du Jourdain. J'ai ne souvent
une vision où je voyais un homme absolument seul dans un pays et
je ne pouvais m'empêcher de me dire : `` Que fait donc cet homme
ici à une époque si reculée, quand il ne s'y trouve
encore personne ? C'est ainsi que le je vis percer une montagne pour en
faire sortir une fontaine : c'était la source du Jourdain. Il avait
pour percer un long et bel instrument qui entra comme un rayon dans la
montagne. Je le `vis ainsi ouvrir des sources en divers lieux de la terre.
Dans les premiers temps du monde, avant le déluge, je ne voyais
pas les rivières jaillir et couler comme aujourd'hui ; mais je voyais
une très grande quantité d'eau descendre d'une montagne située
à l'orient. J'ai toujours vu Melchisédech seul, excepté
lorsqu'il était occupe à réconcilier à séparer
ou à ruiner des familles et des races de peuples.
Jacob aussi avait résidé longtemps près d'Ainon
avec ses troupeaux. La citerne de la fontaine baptismale existait déjà
alors et je vis Jacob la réparer. Les restes du château de
Melchisédech étaient au bord de l'eau, près du lieu
où l'on baptisait ; dans les premiers temps du Christianisme, je
vis une église s'élever à l'endroit où Jean
avait baptisé. J'ai vu cette église subsister encore lorsque
sainte Marie Egyptienne passa par là pour aller dans le désert.
Salem était une belle ville, mais elle avait été dévastée
pendant une guerre, lors de la destruction du temple antérieure
à Jésus, si je ne me trompe. Le dernier des prophètes
avait aussi séjourné ici.
(26 28 juin.) Il y avait environ deux semaines que Jean était
devenu célèbre par sa prédication et son baptême,
lorsque je vis des messagers d'Hérode venir à lui de Callirrhoé.
Hérode habitait là un château au levant de la mer Morte
dans un lieu où il y a beaucoup de bains et de sources d'eaux chaudes.
Hérode voulait que Jean vînt le visiter : mais Jean répondit
à ses envoyés qu'il avait beaucoup à faire et que
si Hérode voulait lui parler, il n'avait qu'à venir lui même
le trouver. Après cela, je vis Hérode sur un chariot à
roues basses, surmonté d'un siège élevé d'où
il pouvait tout voir de loin comme du haut d'un trône ; il était
entouré de soldats et il allait à une petite ville, située
à environ cinq lieues au midi d'Ainon, d'où il fit inviter
Jean à venir. Jean se rendit devant cet endroit et il entra dans
une cabane qui servait aux étrangers, où Hérode vint
le trouver sans être accompagné de personne. Ils eurent un
court entretien, dont je me rappelle seulement qu'Hérode lui demanda
pourquoi il logeait à Ainon dans une si misérable cabane,
ajoutant qu'il voulait lui faire bâtir une maison ; à quoi
Jean répondit qu'il n'avait pas besoin de maison, qu'il avait ce
qu'il lui fallait et qu'il faisait la volonté d'un plus grand que
lui Il parla avec gravité et sévérité et s'en
retourna. Il se tint toujours à une certaine distance d'Hérode
et lui parla peu sans le regarder.
(30 juin.) J'ai vu que les fils d'Alphée et de Marie de Cléophas,
Simon, Jacques le Mineur et Thaddée, et le fils de son second mariage
avec Sabas, José Barsabas, se sont fait baptiser par Jean à
Ainon. André et Philippe aussi sont déjà venus le
voir. André a été baptisé par lui, Philippe
aussi, à ce que je crois. Ils sont ensuite retournés à
leurs affaires. Jean Baptiste a déjà une vingtaine de disciples.
(4 juillet.) La plupart des apôtres et plusieurs disciples ont
déjà reçu le baptême : Nathanaël pas encore,
non plus qu'un autre dont le nom ne me revient pas. Ici, on demanda si
elle ne se rappelait rien du baptême de Marie : elle répondit
que non, qu'elle n'en avait pas de souvenir distinct ; qu'elle avait une
idée confuse que Marie avait été baptisée seule
à la piscine de Bethesda (5) par l'apôtre saint Jean après
l'Ascension du Sauveur' : que toutefois elle n'en était pas sûre.
Quant aux autres femmes, elles furent toutes baptisées alors dans
la piscine de Bethesda : elle s'en souvenait parfaitement.
(4 juillet) Aujourd'hui, je vis plusieurs magistrats et prêtres
venir vers Jean des endroits environnants et de Jérusalem : ils
lui demandèrent qui il était, qui l'avait envoyé,
ce qu'il enseignait et ainsi de suite : je le vis répondre avec
une sévérité et une hardiesse extraordinaires, annoncer
la venue prochaine du Messie, et les accuser d'endurcissement et d'hypocrisie.
Ce ne fut portant pas encore cette fois qu'il employa l'expression de "
race de vipères ".
(7 11 juillet.) Je vis de trois endroits, Nazareth, Jérusalem
et Hébron, envoyer vers Jean des troupes entières de magistrats
et de pharisiens, chargés de l'interroger au sujet de sa mission
il y avait en outre un grief contre lui, c'était d'avoir occupé
de sa propre autorité le lieu où il baptisait. Beaucoup de
publicains aussi étaient allés le trouver : il les avait
baptisés et il avait fortement remue leur conscience. De ce nombre
était le publicain Lévi, appelé plus tard Matthieu,
fils d'un premier mariage d'Alphée, l'époux de Marie de Cléophas.
Note 5: Marie, la Vierge très pure, conçue sans péché,
n'avait pas besoin du sacrement de la régénération,
mais elle le voulut afin de recevoir comme mère de tous les régénérés
les sacrements de la nouvelle alliance, ainsi qu'elle avait fait auparavant
ceux de l'ancienne, et afin d'avoir dans sa gloire suprême le caractère
indélébile du sacrement de baptême.
Il fut très touché et changea de vie. On le méprisait
dans sa famille. Je vis Jean adresser à ces gens des avertissements
sévères, en renvoyer beaucoup et en baptiser aussi beaucoup.
Je vis aussi ces jours là les fils de trois veuves qui étaient
apparentées entre elles et avec la sainte Famille par naissance
et par mariage, venir au baptême de Jean Par la suite, après
le temps de Jésus, on reprocha a leurs descendants de se vanter
à tort de cette parenté ; elle était pourtant réelle.
(Elle parle de toutes ces personnes comme si elle les connaissait mieux
que ses propres parents encore vivants). Ces trois veuves, dit elle, vivaient
d'abord à Nazareth et dans la contrée du Thabor ; et elles
quittèrent ce pays, soit au temps de la jeunesse de Jésus,
lorsque leurs fils se firent pécheurs, soit plus tard pour aller
avec Marie à Capharnaum : car je vis l'une d'elles bien affligée
et pleurant beaucoup, parce que son fils, âgé de cinq ans,
qui s'appelait le petit Simon, était mort. Elles furent du nombre
des premières personnes qui s'attachèrent au Seigneur et
furent toujours amies de la sainte Vierge Elles étaient très
bonnes et très pieuses. Combien elles s'aimaient entre elles et
de quel coeur elles s'assistaient mutuellement !
Ces trois veuves étaient des cousines germaines de la mère
d'Elisabeth. Elles étaient parentes de la première femme
d'Alphée : je ne sais pas si c'était par elles mêmes
ou par leurs maris Deux de ces veuves étaient soeurs. L'une d'elles
était la mère du fiancé de Cana, Nathanaël. lequel,
devenu disciple, porta un nom qui ressemble à Amandor et auquel
Jésus enfant, revenu de Jérusalem où il avait enseigné
dans le Temple, prédit quelque chose, lors d'une fête qui
eut lieu chez sainte Anne il lui dit aussi qu'il assisterait à son
mariage (une de ces veuves est ailleurs appelée Séba et son
fils Colaya, l'un des disciples : une seconde Léa ; une fois elle
donna au fils de l'une d'elles le nom d'Eustache. Toutefois, les noms sont
fréquemment changés).
Elles avaient plusieurs fils : trois, je crois, qui furent les compagnons
d'enfance de Jésus et se firent pêcheurs : ils devinrent aussi
disciples.
(4 19 juillet.) A Dothaim, où Jésus avait calmé
les possédés furieux, des pa'ens et des juifs vivaient mêlés
ensemble depuis le temps de la captivité de Babylone. Les pa'ens
avaient leurs idoles et un autel pour les sacrifices su : une colline dans
le voisinage. Maintenant les juifs, excités par tout ce qui se disait
de la venue prochaine du Messie, lequel devait venir de Galilée,
ne voulaient plus tolérer les pa'ens dans leur voisinage. Ce bruit
avait été répandu là à la suite d'un
voyage de Jean dans ce pays, et il avait été propagé
par ceux qu'il avait baptisés. un prince voisin, résidant
à Sidon, avait envoyé des soldats pour protéger les
idolâtres et Hérode en envoya aussi pour contenir le peuple.
Ces soldats étaient des gens de toute espèce. Je vis
qu'étant à Callirrhoé, près d'Hérode,
ils lui dirent qu'ils voulaient d'abord se faire baptiser par Jean. Ce
n'était guère qu'un calcul de leur part, ils voulaient par
là obtenir plus de considération parmi le peuple. Hérode
leur répondit qu'il n'était pas précisément
nécessaire de se faire baptiser par Jean, et que comme il ne faisait
pas de miracles, il n'y avait pas lieu de lui reconnaître une mission.
Il ajouta que du reste ils pouvaient prendre des informations à
Jérusalem. Je les vis ensuite à Jérusalem. Ils s'adressèrent
à trois autorités différentes pour se renseigner,
et je vis par là qu'il y avait trois sectes différentes.
Cela se passa dans la cour du tribunal où Pierre renia le Seigneur.
Plusieurs personnages siégeaient là pour juger, et il s'y
trouvait beaucoup de monde. Les prêtres leur dirent d'un ton moqueur
qu'ils pouvaient faire comme ils l'entendraient, que cela était
tout à fait indifférent. Je vis ensuite une trentaine de
ces soldats près de Jean : il les réprimanda sévèrement,
comme s'ils eussent été incorrigibles. C'est pourquoi Jean
après leur avoir vivement reproché leur hypocrisie, n'en
baptisa qu'un petit nombre dans lesquels il vit quelques bonnes dispositions.
Il y a une grande affluence de peuple à Ainon. Pendant plusieurs
jours, Jean ne baptisa pas, mais il prêcha avec beaucoup de force
et de vivacité. De nombreuses troupes de juifs, de samaritains et
de pa'ens se tenaient séparées les unes des autres sur les
collines et sur les chaussées, les uns à l'ombre, les autres
en plein air, autour de l'endroit où Jean enseignait, et ils l'écoutaient.
Ils étaient autour de lui par centaines ; ils venaient pour l'entendre
prêcher et recevoir le baptême, après quoi ils se retiraient.
une fois entre autres je vis plusieurs pa'ens et d'autres personnes qui
étaient venues de l'Arabie et de pays encore plus à l'orient.
Ils conduisent avec eux des ânes et des moutons de grande taille.
Ils ont des parents dans le pays. Ils sont venus ici nu passent par ici,
et ils sont allés voir Jean.
Il y eut une longue délibération au sujet de Jean, dans
le grand conseil de Jérusalem. Neuf hommes furent députés
près de lui par trois autorités différentes. Anne
envoya Joseph d'Arimathie, le fils aîné de Siméon et
un prêtre qui était chargé de l'inspection des victimes
offertes en sacrifice. On envoya aussi trois membres du conseil et trois
simples particuliers. Ils devaient demander à Jean qui il était
et l'inviter à se rendre à Jérusalem. Si sa mission
était légitime, disait on, il aurait dû d'abord se
présenter au temple. Ils trouvaient à redire à l'étrangeté
de son costume, et aussi à ce qu'il baptisait des Juifs, tandis
qu'ordinairement on ne baptisait que les pa'ens. Quelques uns croyaient
que c'était Elle revenu de l'autre monde.
André et Jean l'évangéliste sont près de
Jean Baptiste. La plupart des futurs apôtres et beaucoup de disciples
ont été maintenant le trouver, excepté Pierre, qui
a été baptisé précédemment, et le traître
Judas, qui toutefois est allé déjà chez les pêcheurs
des environs de Bethsa'de, et s'est enquis de Jésus et de Jean.
Lorsque les envoyés de Jérusalem arrivèrent près
de Jean, il avait cessé de baptiser pendant trois jours, mais il
venait de s'y remettre de nouveau. Les envoyés voulaient qu'il leur
donnât audience : mais il leur dit d'attendre qu'il eût fini.
Il leur répondit vertement et en peu de mots. ils lui représentèrent
qu'il agissait de son autorité privée ; qu'il devait se présenter
à Jérusalem et s'habiller d'une manière plus convenable.
Lorsqu'ils se furent retirés, Joseph d'Arimathie et le fils de Simon
restèrent près de Jean et se firent baptiser par lui. Il
se trouvait là bien des gens qu'il ne voulait pas baptiser ; ceux
là allèrent trouver les envoyés et l'accusèrent
de partialité.
Les futurs apôtres reviennent dans leur pays, parlent beaucoup
de Jean et font plus d'attention à Jésus. Ils soupçonnent
que c'est à lui que la prédication de Jean fait allusion.
Joseph d'Arimathie, revenant à Jérusalem, rencontra Obed,
cousin de Véronique, qui était attaché au service
du temple. Il répondit à ses questions en lui racontant beaucoup
de choses touchant Jean. Obed alla aussi se faire baptiser par Jean. Comme
il était employé au temple, il resta parmi les disciples
cachés de Jésus, lorsque plus tard, il vint à lui.
Le 19 juillet, par une grande chaleur qui la fatiguait beaucoup, la
narratrice se mit à rire d'une façon qui ne lui était
pas ordinaire, et, comme on la questionnait, elle répondit : "J'ai
vu Jean passer le Jourdain pour aller baptiser des malades. Je pensais
qu'il devait avoir aussi chaud que moi. Il n'avait que son drap jeté
autour du corps et son manteau sur les épaules. Il portait, suspendue
d'un côté, une outre pleine d'eau pour le baptême, et,
de l'autre, l'écuelle avec laquelle il y puisait. Beaucoup de malades
ont été portés au bord du Jourdain, en face du lieu
où Jean baptise, sur des litières et sur des espèces
de brouettes. Ils n'étaient pas en état de passer l'eau sur
le radeau, et ils l'ont fait prier de venir. il vint avec deux disciples.
Il prépara une belle fosse séparée du Jourdain par
une chaussée en terre. Il fit ce travail lui même, car il
avait toujours une bêche avec lui. Il fit entrer l'eau par une rigole
qu'il pouvait fermer, et il y ajouta l'eau baptismale qui était
dans son outre. Il instruisit les malades et les baptisa ensuite : on les
plaçait au bord de la fontaine, et il versait de l'eau sur eux Je
le vois, après avoir baptisé les malades, revenir à
Ainon sur la rive orientale du Jourdain.
Une fois, pendant qu'il dormait couché dans sa cabane, je vis
un ange venir à lui et lui dire qu'il devait aller de l'autre côté
du Jourdain, près de Jéricho, parce que celui qui devait
venir était proche, et qu'il devait le faire connaître.
Je vis ensuite Jean et ses disciples, à l'endroit où
il baptisait, près d'Ainon, défaire les cabanes de toile
et descendre à quelques lieues plus bas sur la rive orientale du
Jourdain, après avoir traversé une bourgade, ils passèrent
le Jourdain et remontèrent un peu le long de la rive occidentale.
Il y avait là des endroits où l'on se baignait, des fosses
dont les parois étaient blanches et comme recouvertes de maçonnerie,
avec un canal qu'on ouvrait et qu'on fermait à volonté, communiquant
avec le Jourdain qui, en cet endroit n'avait pas d'îles.
Il m'a été montré qu'à cette époque
les hommes étaient disposés comme ils le sont à présent.
( Du 25 juillet au 14 août. ) Le 25 juillet dans l'après
midi, la narratrice, tout en sommeillant, dit d'une façon toute
na've, dans son patois : " Maintenant, je vais trouver Jean, l'homme qui
est près du Jourdain : il fait meilleur là qu'ici. " Plus
tard, elle dit ce qui suit : " L'endroit où l'on baptise est près
du Jourdain, entre Jéricho et Bethagla. Jean annonce l'approche
du Messie. Il y a là une centaine d'hommes, des disciples et plusieurs
pa'ens. Les uns travaillent à disposer le lieu et les cabanes, les
autres écoutent ce que dit Jean de la venue prochaine du Messie.
"
" On comprend mal les choses quand on croit qu'il baptisa près
de Bethabara (6) qui est de l'autre côté du Jourdain ; ce
qui est dit, "qu'il baptisa près de Bethabara au delà du
Jourdain, équivaut à ceci : en face de Bethabara, en remontant
le fleuve, à deux lieues environs de Jéricho et de Bethagla.
"Cette seconde place consacrée au baptême est sur la rive
occidentale du Jourdain et Bethabara est un peu plus bas, sur la rive orientale.
Note 6 : Ce Bethabara est le même lieu qui est appelé
Bethanie au delà du Jourdain, dans Saint Jean, 1,28.
Il y a environ cinq milles d'Allemagne (dix lieues) d'ici à
Jérusalem. Le chemin direct y conduit par Bethanie, à travers
un désert. On passe devant une hôtellerie qui se trouve un
peu en dehors de la route. Il y a ici un très joli pays entre Jéricho
et Bethagla. L'eau du Jourdain est belle ; elle est si claire quand on
la laisse reposer. Dans plusieurs endroits, elle a même une odeur
agréable, parce qu'il y a une quantité de boissons fleuris
sur le bord et que les lieurs tombent dans l'eau. Parfois le fleuve est
si bas et si exigu qu'il est à peine visible. Je vois près
des bords des trous profonds creusés dans les rochers J'aime tant
à être dans la Terre Promise, mais je ne sais jamais dans
quelle saison on est. Quand nous sommes ici en hiver. Là tout est
déjà en fleurs ; et, quand nous sommes en été,
la seconde moisson fleurit déjà. il y a aussi une saison
où le ciel est très nébuleux et où il pleut
beaucoup. Il y a dans le pays des montagnes au haut desquelles il fait
très froid, et, quand on se tourne d'un autre côte, tout est
vert et plein de soleil
La montagne où Jésus jeûna n'est qu'à quatre
lieues de la première grotte de Jean. Cette montagne est très
sauvage et très élevée, et il y a dans les rochers
des trous si profonds, que j'ai toujours peur d'y regarder. Le second désert
où Jean séjourna, a huit lieues de tour. Lorsqu'il creusa
la fontaine, il embellit aussi sa grotte ; elle était très
spacieuse. (Elle faisait souvent de ces observations naives).
J'ai vu encore apporter toute sorte de choses ne l'endroit où
l'on baptisait, près d'Ainon ; on arrange tout pour le mieux. On
portait aussi des malades sur des lits.
Plusieurs événements de l'Ancien Testament ont eu lieu
dans cet endroit. C'est ici qu'elle a divisé les eaux du fleuve
avec son manteau, et qu'il l'a traversé avec Elisée, lequel
a fait la même chose à son retour. Elisée s'est aussi
reposé ici. C'est encore ici que les enfants d'Israël ont passé
le fleuve.
On envoie à Jean, de Jérusalem, des gens du temple, des
pharisiens et des sadducéens ; car il est maintenant en deçà
du Jourdain et quelques lieues plus près de Jérusalem qu'auparavant.
Il a appris leur arrivée par l'ange et il rendra témoignage
de Jésus. Vers le soir, déjà, six députés
de Jérusalem sont venus au Jourdain. Ils avaient envoyé un
courrier devant eux, et fait dire à Jean de se rendre auprès
d'eux à un endroit du voisinage. Jean ne s'inquiéta pas d'eux,
et continua à baptiser et à enseigner. Il leur fit répondre
par leur courrier que s'ils voulaient lui parler, ils pouvaient venir le
trouver. Ils vinrent donc eux mêmes, mais Jean ne s'aboucha pas avec
eux ; il continua à baptiser et a prêcher : ils entendirent
sa prédication et se retirèrent. Quand il eut fini, il leur
donna rendez vous sous un hangar ou sous une tente que les disciples avaient
dressée.
Jean s'y rendit accompagne de ses disciples et de plusieurs autres
personnes, et ils lui adressèrent différentes questions,
lui demandant s'il était ceci ou cela. Je le vis toujours faire
des réponses négatives. Ils demandèrent aussi qui
était cet homme dont on parlait. Il existait, disaient ils, d'anciennes
prophéties, et maintenant le bruit courait parmi le peuple que le
Messie était venu. Jean répondit qu'il s'était levé
parmi eux quelqu'un qu'ils ne connaissaient pas ; que pour lui, il ne l'avait
jamais vu, mais qu'avant sa naissance, il lui avait commandé de
préparer ses voies et de le baptiser. Ils n'avaient qu'à
venir à un moment qu'il indiqua (dans trois semaines, je crois)
: alors celui dont il parlait serait ici pour recevoir le baptême.
Il parla encore avec beaucoup de sévérité, et leur
dit qu'ils n'étaient pas venus pour se faire baptiser, mais pour
espionner. Ils lui répondirent qu'ils savaient maintenant qui il
était, qu'il baptisait sans mission, qu'il n'était qu'un
hypocrite en habits grossiers, etc., etc. Après quoi ils se retirèrent.
Bientôt après il vint encore des envoyés du grand
conseil de Jérusalem, cette fois au nombre de vingt. Ils étaient
de toute profession ; il y avait parmi eux des prêtres avec des bonnets,
de larges ceintures et de longues bandes suspendues au bras, à l'extrémité
desquelles il y avait comme de la fourrure. Ils lui dirent avec beaucoup
d'insistance qu'ils étaient députés par le grand conseil
tout entier ; qu'il devait comparaître devant lui pour s'expliquer
sur sa vocation et sa mission. s'il n'obéissait pas au grand conseil,
disaient ils, c'était une marque qu'il n'avait pas de mission...
J'entendis Jean leur dire nettement qu'ils n'avaient qu'à attendre,
que celui qui l'avait envoyé viendrait bientôt à lui.
Il désigna Jésus clairement, disant qu'il était né
à Bethléem, qu'il avait été élevé
à Nazareth, qu'il s'était enfui en Egypte, etc. Il ne l'avait
jamais vu, ajoutait il. Ils lui reprochèrent d'être d'intelligence
avec lui, de communiquer avec lui par des messagers. Jean répondit
qu'il ne pouvait pas montrer à leurs yeux aveuglés les messagers
qu'ils s'envoyaient réciproquement ; que ces messagers n'étaient
pas visibles pour eux. Je vis les envoyés le quitter très
mécontents.
Il vient de tous les côtés de nombreuses troupes d'hommes,
pa'ens et juifs. Hérode aussi envoie souvent des émissaires
pour écouter Jean et lui rapporter ensuite ce qu'il a dit. Maintenant
tout est beaucoup mieux arrangé à l'endroit où se
donne le baptême. Jean et ses disciples ont dressé une grande
tente où les malades et les gens fatigués sont réconfortés,
et où l'on fait aussi des instructions. Ils chantent des cantiques
: je les ai entendus chanter un psaume sur le passage des enfants d'Israël
à travers la mer Rouge.
Il se forme là successivement comme une petite ville de cabanes
et de tentes. Elles sont couvertes en partie avec des peaux, en partie
avec des joncs. Il y a là un grand passage d'étrangers venant
de l'extrémité du pays où habitent les trois rois.
Ils ont beaucoup de chameaux et d'ânes, et de beaux chevaux fringants.
C'est toujours dans cet équipage qu'ils vont en Egypte. Ils ont
tous établi leur camp autour du lieu où Jean baptise, ils
écoutent ses prédications et reçoivent le baptême.
D'ici ils se rendent en troupes à Bethléem. Non loin de la
grotte de la crèche, en face de la plaine des Bergers, se trouvait
un puits portant le nom d'Abraham. Ce patriarche avait demeuré avec
Sara dans cette contrée. Etant malade, il avait éprouvé
un violent désir d'avoir de l'eau de ce puits, et quand on lui en
apporta dans une outre, il surmonta son désir pour honorer Dieu,
s'abstint de boire, et fut récompensé par une guérison
instantanée. Ce puits dut sa naissance à un miracle, mais
je l'ai oublié. Il était difficile d'y puiser de l'eau, à
cause de sa grande profondeur. Il y a un grand arbre à côté,
et près de là est la grotte où est enterrée
Maraha, nourrice d'Abraham, qui était très âgée,
et qu'il conduisait avec lui sur un chameau. C'est un lieu de pèlerinage
pour les juifs pieux, de même que le mont Carmel et le mont Moreb.
Les trois rois aussi sont venus prier là.
Il n'y avait pas encore beaucoup de Galiléens près de
Jean, excepté ceux qui devinrent plus tard disciples de Jésus.
Il vient plus de monde du pays d'Hébron : il y a aussi beaucoup
de pa'ens. C'est pour cela que Jésus, dans ses courses à
travers la Galilée, exhorte si vivement ses auditeurs à aller
au baptême de Jean.
(28 30 août.) à une petite lieue de distance de l'endroit
où Jean avait coutume de baptiser, se trouvait celui où il
enseignait. C'était un lieu sacré pour les Juifs à
cause des souvenirs qui s'y rattachaient. Il était entouré
de murs comme un jardin. Dans l'intérieur étaient des cabanes
couvertes de jonc, appuyées aux murs ; au milieu se trouvait une
pierre de forme oblongue terminée par des pans coupés à
l'une de ses extrémités. Elle était à la place
où les Israélites, après avoir passé le Jourdain,
avaient déposé pour la première fois l'arche d'alliance
et avaient célébré une fête d'actions de grâces.
Au dessus de cette pierre Jean avait dressé pour sa prédication
une grande tente soutenue par du clayonnage et couverte de roseaux. Sa
chaire à prêcher était appuyée à la pierre.
il enseignait là devant tous ses disciples lorsqu'Hérode
arriva, mais il ne se dérangea pas pour lui.
Hérode était à Jérusalem avec la femme
de son frère qui l'y avait rejoint en compagnie de sa fille Salomé,
âgée d'environ seize ans. Il désirait l'épouser
et il avait demandé inutilement au sanhédrin de déclarer
que ce mariage était illicite : ce qui l'avait mis en lutte avec
le sanhédrin. Il craignait la voix publique et voulait apaiser le
peuple par une décision de Jean le prophète. Il s'imaginait
que Jean, pour gagner ses bonnes grâces, se prononcerait en sa faveur.
Je vis Hérode avec Salomé, la fille d'Hérodiade,
les femmes de celle ci et une suite d'environ trente personnes se diriger
en grand cortège vers le Jourdain. Il était assis sur un
char ainsi que les femmes. Il avait envoyé un messager à
Jean. Mais celui ci ne voulait pas qu'il vint à l'endroit où
il baptisait, jugeant qu'un tel homme avec sa troupe de femmes et ses suivants,
profanerait la sainte cérémonie. Il discontinua donc le baptême,
se rendit avec ses disciples au lieu où il enseignait et y parla
en termes très sévères de l'affaire sur laquelle Hérode
voulait avoir son avis. Il dit qu'il lui fallait attendre celui qui devait
venir après lui, qu'il ne baptiserait plus longtemps ici, qu'il
devait faire place à celui dont il était le précurseur.
Il parla contre Hérode de telle façon que celui ci vit
bien que ses intentions lui étaient connues. Hérode lui fit
remettre un gros rouleau qui contenait l'exposé de son affaire.
On le déposa devant Jean, car il ne voulait pas souiller en le touchant
sa main consacrée à baptiser. Sur quoi je vis Hérode
se retirer fort mécontent avec sa suite. Il résidait encore
alors aux bains de Callirrhoé, à quelques lieues de l'endroit
où Jean baptisait. Il avait laissé des gens de sa suite avec
le rouleau d'écritures, pour engager Jean à en prendre connaissance,
mais ce fut inutilement. Jean revint au lieu du baptême. Les femmes
étaient magnifiquement habillées, mais assez décemment.
Madeleine avait quelque chose de plus original dans ses ajustements.
Il y a maintenant une fête de trois jours, près de la
pierre de l'arche d'alliance, où est la tente de Jean. Je ne sais
plus bien si c'est en mémoire du passage du Jourdain par les Israélites
ou si c'est à quelque autre occasion. Les disciples de Jean ornent
le lieu de la fête avec des arbres, dès guirlandes de feuillage
et des fleurs. Pierre, André, Philippe, Jacques le Mineur, Simon
et Thaddée se trouvent là ainsi que plusieurs autres futurs
disciples de Jésus. Ce lieu n'avait pas cessé d'être
un lieu sanctifié aux yeux des Juifs pieux, toutefois on l'avait
un peu oublié et négligé. Jean l'avait remis de nouveau
en honneur. Je vis le précurseur et quelques uns de ses disciples
revêtus d'habits sacerdotaux. Jean portait sur un habit de dessous
de couleur grise, un vêtement blanc, long et large, attaché
autour du corps par une espèce d'écharpe, marquetée
de jaune et de blanc : il y avait des franges à l'extrémité.
Sur les deux épaules étaient fixées comme deux pierres
précieuses longues et recourbées sur chacune desquelles étaient
les noms de six tribus d'Israël. Sur sa poitrine était un pectoral
carré, jaune r et blanc, maintenu aux quatre angles par des chaînettes
d'or et où étaient incrustées douze pierres précieuses
de différentes couleurs sur lesquelles étaient gravés
les noms des douze tribus. Sur ses épaules était jetée
une espèce d'étole, marquetée de jaune et de blanc,
avec des franges aux extrémités. Au bas de la robe pendaient
des boutons de soie jaune et blanche. Sa tête était découverte,
mais il avait sous ses vêtements autour du cou une pièce d'étoffe
légère qu'il pouvait ramener sur sa tête comme un capuchon
et qui alors descendait en pointe sur le front.
Devant la pierre de l'arche d'alliance était un petit autel,
pas tout à fait carré, creusé au milieu et recouvert
d'un grillage. Au dessous était un trou destiné à
recevoir les cendres et aux quatre coins des tuyaux creux recourbes en
forme de cornes. Plusieurs disciples étaient là avec des
vêtements blancs et de larges ceintures, habillés comme les
apôtres dans leurs premières réunions pour la célébration
du culte divin. Il y avait une espèce de sacrifice auquel ils prenaient
part comme servants. On encensait et Jean brûlait sur l'autel de
l'encens qui était portatif, des herbes et des aromates de diverses
espèces, et, aussi, je crois, des épis de blé. Tout
était orné de guirlandes de fleurs et de feuillage. Il y
avait là une multitude d'aspirants au baptême.
Les habits sacerdotaux et les ornements que portait Jean Baptiste avaient
été préparés à l'endroit où il
baptisait actuellement. Il y avait là des femmes qui vivaient à
part au bord du Jourdain : on ne leur donnait pas le baptême, mais
elles confectionnaient toute sorte d'objets et de vêtements de cérémonie
pour le précurseur. (La narratrice explique dans deux récits
postérieurs d'où venaient les pierres précieuses.)
En tout Jean semblait inaugurer une nouvelle Eglise. Il ne faisait
plus ici de ces travaux manuels auxquels il se livrait auparavant et pour
baptiser il mettait une longue robe blanche. Il n'y eut que le lieu où
fut baptisé Jésus, qu'il prépara encore de ses propres
mains avec l'aide de ses disciples.
Je vis Jean prêcher longtemps et avec beaucoup de feu au lieu
où l'on célébrait la fête. Il se tenait au haut
de sa tente revêtu de ses ornements sacerdotaux. Cette tente était
construite avec des galeries à l'entour comme les tentes des rois
en Arabie. Tout autour, au pied des murs dont ce lieu était entouré,
on avait disposé des sièges en amphithéâtre
pour les auditeurs dont le nombre était immense. Il parla du Sauveur
qui l'avait envoyé et qu'il n'avait jamais vu, et du passage à
travers le Jourdain. Il y eut encore dans la tente une offrande d'encens
et on y brûla des herbes. Je vois qu'on avait annoncé depuis
Maspha jusque dans la Galilée, que Jean ferait aujourd'hui une grande
instruction et il était venu une grande quantité de monde
Les esséniens étaient presque tous présents. La plupart
des assistants avaient de longs vêtements blancs. Je vis arriver
des hommes et des femmes. Ces femmes étaient assises sur des ânes
que les hommes conduisaient, entre des paniers où étaient
des colombes. Les hommes présentaient des pains comme offrandes
et les femmes des colombes. Jean se tenait derrière une grille et
recevait les pains : on enlevait la farine qui s'y était attachée
au dessus d'une longue table à claire voie et on les empilait sur
des plats : après quoi Jean les bénissait et les élevait
comme pour l'oblation. Ces pains étaient en suite coupés
en morceaux pour être distribués et les gens qui venaient
de plus loin en recevaient davantage comme en ayant plus besoin. La farine
enlevée de dessus lés pains et ce qui tombait quand on les
coupait allait se rendre dans une boîte placée sous la table
à claire voie : tout cela était brûlé sur l'autel.
On distribua aussi les colombes que les femmes avaient apportées.
Cela dura bien une demi journée. Toute la fête, le sabbat
compris, avait duré trois jours. Je vis après cela Jean reprendre
ses occupations dans l'endroit où il baptisait.
(23 et 24 août.) Je vis aujourd'hui Jean faire près du
Jourdain (7) à ses disciples une instruction sur l'approche du moment
où le Messie recevrait le baptême. il dit encore qu'il ne
l'avait jamais vu, etc. Il ajouta : " En témoignage de ce que je
dis, je vais vous faire voir la place où il sera baptisé.
Note 7 : La narratrice communiqua l'apparition de l'île du baptême
comme ayant eu lieu avant la fête de trois jours : mais l'éditeur
l'a placée ici parce qu'elle se lie à ce qui suit immédiatement
:
Voici que les eaux du Jourdain vont se diviser et qu'il va se former
une île. "Au même instant je vis les eaux du fleuve se diviser
et une petite île blanche de forme ovale paraître à
la surface de l'eau, sans en dépasser le niveau. C'est là
la place où les Israélites traversèrent le Jourdain
avec l'arche d'alliance : c'est aussi là qu'Elie divisa les eaux
du fleuve avec son manteau.
Je vis une grande émotion parmi les assistants : ils prièrent
et entonnèrent des cantiques de louange. Jean et les disciples placèrent
de grosses pierres dans l'eau, et par dessus des arbres et des branches
: ils firent ainsi un pont jusqu'à l'île, et jetèrent
dessus de petits cailloux blancs. Quand il fut fini, l'eau put passer au
dessous en murmurant. Jean et ses disciples plantèrent douze petits
arbres autour de l'île : ils étaient vivants, et ils les réunirent
par le haut de manière à former un berceau de feuillage.
Je les vis en outre placer entre ces arbres des arbrisseaux qui croissaient
en abondance sur les bords du Jourdain. Ils avaient des fleurs blanches
et rouges, et des fruits jaunes avec une petite couronne comme des nèfles.
C'était très agréable à voir : car les uns
étaient en fleurs, les autres étaient chargés de fruits.
L'île qui s'était élevée sur l'eau à
l'endroit où l'arche d'alliance s'était arrêtée
lors du passage du Jourdain paraissait rocailleuse ; comme le lit du fleuve
était plus découvert et les eaux plus basses qu'au temps
de Josué, je ne sais pas si l'eau se retira ou si l'île s'éleva
lorsque Jean l'appela pour être le lieu du baptême de Jésus.
A gauche, en avant du pont non pas au milieu de l'île, mais plus
près du bord, on fit une fosse dans laquelle monta une eau limpide
; quelques marches y conduisaient, et au niveau de la surface de l'eau
était une pierre rouge et polie, de forme triangulaire, sur laquelle
Jésus devait se tenir pour le baptême. à droite de
cette pierre était un beau palmier couvert de fruits, autour duquel
Jésus avait le bras passé lorsqu'il fut baptisé. Le
bord de la fontaine était orné d'une marqueterie élégante
: tout ce travail était très bien exécuté.
Je le décrirai une autre fois plus en détail.
Lorsque Josué conduisit les Israélites à travers
le Jourdain, je vis que les eaux du fleuve étaient très gonflées.
L'arche d'alliance fut portée bien en avant du peuple jusqu'au Jourdain.
Parmi les douze hommes qui l'accompagnaient et la portaient (j'ai su les
noms de tous), se trouvaient Josué, Caleb et un autre dont le nom
ressemblait à Eno'. Au bord du Jourdain, l'un d'eux se plaça
tout seul à la partie antérieure de l'arche, que deux hommes
portaient auparavant : les autres la soutenaient par derrière. Quand
il mit les pieds de l'arche dans le fleuve, l'eau qui arrivait s'arrêta
aussitôt : elle se gonfla, parut consistante comme de la gelée,
et s'accumula en s'élevant comme une montagne, à une telle
hauteur, qu'on pouvait la voir d'auprès de la ville de Zarthan,
qui est assez éloignée. Les eaux de la partie intérieure
s'écoulèrent vers la mer Morte, et l'on put traverser à
pied sec le lit du fleuve. Les Israélites qui étaient éloignés
de l'arche d'alliance allèrent passer plus bas.
L'arche d'alliance fut portée par les lévites dans le
lit du fleuve jusqu'à une place où quatre pierres quadrangulaires
se trouvaient posées régulièrement. Elles étaient
d'un rouge sanguin, et de chaque côté étaient deux
rangées de six pierres triangulaires, aussi polies que si on les
eût taillées ; il y en avait par conséquent douze de
chaque côté. Les douze lévites déposèrent
l'arche sur les quatre pierres du milieu, et se placèrent, six à
droite, six à gauche, sur les douze pierres triangulaires les plus
rapprochées, lesquelles étaient enfoncées en terre
par la pointe.
Plus loin étaient douze autres pierres, également triangulaires,
très grandes et très grosses, avec des veines de différentes
couleurs, qui formaient sur quelques unes des figures et des fleurs. Josué
choisit dans les douze tribus douze hommes qu'il chargea de porter ces
pierres sur le bord et de les déposer sur deux rangs, pour servir
de souvenir, à une place assez éloignée, près
de laquelle un village se forma plus tard. Les noms des douze tribus et
ceux des porteurs y furent gravés. Les pierres sur lesquelles se
tenaient les lévites étaient plus grosses, et quand ils quittèrent
le lit du fleuve elles furent dressées, la pointe en haut. Les pierres
portées à terre n'étaient plus visibles du temps de
Jean. Je ne sais pas si elles avaient été enterrées
ou détruites pendant la guerre. Jean avait dressé sa tente
au milieu d'elles.(8) Plus tard, une église fut bâtie là,
par Sainte Hélène, à ce que je crois.
Note 8 : Peut être le séjour de Jean en ce lieu fut il
cause qu'elles furent remises au jour ou restaurées plus tard :
saint Jérôme notamment raconte que sainte Paule étant
allée à Galgala, y avait vu ces pierres. Eusèbe aussi
en fait mention dans son Onomasticon à l'article Galgala, comme
existant encore de son temps. Quelques Pères de l'Eglise croient
que lorsque Jean Baptiste dit aux pharisiens : " Dieu peut de ces pierres
susciter des enfants à Abraham, " il leur montra ces mêmes
pierres. Jean Moschus, dans la vie des anciens Pères, livre II,
chapitre XI, dit que l'abbé Agiodule avait obtenu de Dieu la grâce
de voir les douze pierres érigées dans le Jourdain.
La place où l'arche d'alliance avait reposé dans le Jourdain
est précisément le lieu de la fontaine baptismale de Jésus
sur l'île qui a paru récemment au dessus des eaux.
Lorsque les Israélites et l'arche d'alliance eurent traversé
le fleuve, et que les douze pierres eurent été dressées,
le Jourdain recommença à couler comme auparavant.
(29 août.) Le niveau de l'eau de la fontaine baptismale était
à une telle profondeur, que du bord le baptisé ne pouvait
être vu plus bas que la poitrine. L'enfoncement n'était pas
très marqué, et le bassin octogone, qui avait environ cinq
pieds de diamètre, était entouré d'un rebord coupé
en cinq endroits, sur lequel il y avait place pour plusieurs personnes.
J'ai vu encore que les douze pierres triangulaires sur lesquelles les
lévites s'étaient tenus, et qu'ils avaient dressées
la pointe en haut, comme douze petites pyramides, montraient leurs pointes
hors de terre des deux côtés de la fontaine baptismale de
Jésus. Dans la fontaine même, au dessous de l'eau, se trouvaient
ces quatre pierres carrées sur lesquelles avait reposé l'arche
d'alliance. Je pensai alors qu'elles devaient s'être enfoncées
ou que les pierres des lévites s'étaient élevées,
car, lors du passage du Jourdain, elles étaient de niveau. Ces pierres,
à une époque antérieure. avaient montré leurs
pointes hors du Jourdain, au temps des basses eaux.
Tout près du bord de la fontaine était une pierre en
forme de pyramide, placée la pointe en bas, sur laquelle Jésus
se tenait pendant le baptême lorsque le Saint Esprit descendit sur
lui ; à sa droite, tout près du bord, s'élevait le
beau palmier autour duquel il passait le bras. Jean Baptiste se tenait
à sa gauche.
Cette pierre triangulaire où se tenait le Christ n'était
pas, autant qu'il m'en souvient, une des douze pierres dont j'ai parlé
: je crois que Jean l'avait apportée. Il y avait aussi quelque chose
de mystérieux qui s'y rapportait : elle était veinée
et fleurie. Les douze autres pierres étaient de couleurs différentes
: elles étaient également veinées et fleuries d'une
façon variée. Elles étaient plus grosses que celles
qui avaient été apportées sur le rivage. J'ai un souvenir
qui n'est pas bien précis en ce moment, mais qui me fait croire
que ces pierres étaient des pierres précieuses, ayant quelque
chose de mystérieux, et que Melchisédech les avait posées
là toutes petites à une époque où le Jourdain
n'y coulait pas encore. C'est ainsi qu'en divers lieux il avait posé
comme des fondements qui longtemps couverts de terre ou cachés sous
des marécages, parurent ensuite au jour et devinrent des lieux sanctifiés
par quelque événement.
Plus tard, dans une autre occasion, Anne Catherine compléta
cette communication en ces termes : "Melchisédech prit possession
de plusieurs points de la Terre Promise, qu'il désigna d'une certaine
façon. il mesura l'emplacement de la piscine de Bethesda. Avant
que Jérusalem existât, il posa une pierre à l'endroit
où le temple devait s'élever. Je le vis également
semer comme des grains de blé les douze pierres qui étaient
dans le Jourdain, et où se tinrent les prêtres avec l'arche
d'alliance lors du passage des enfants d'Israël : à la longue
elles prirent des accroissements.
On laissa reposer tranquillement ces précieuses pierres, considérées
comme sacrées : plus tard, elles cessèrent d'être visibles
et elles furent oubliées. à une époque postérieure
elles furent employées à orner des églises.
Je crois aussi me rappeler, quoique confusément, que c'était
de ces douze pierres ou de celles qui avaient été portées
sur le rivage qu'étaient tirées les pierres précieuses
qui ornaient le pectoral du précurseur à la fête actuelle.
(Du 3 au 17 septembre.) Après la fête, lorsque Jean était
revenu de nouveau à l'endroit où il baptisait, je vis encore
s'approcher de lui une vingtaine de personnes envoyées par toutes
les autorités de Jérusalem, pour lui demander compte de sa
façon d'agir. Ils attendirent à l'endroit où la fête
avait été célébrée et mandèrent
Jean près d'eux ; mais il ne vint pas. Je les vis le jour d'après
à une petite demi lieue en avant du lieu du baptême. Jean
ne les fit pas même entrer dans l'enceinte formée par les
nombreuses habitations qui se trouvaient à l'entour. Cette enceinte
était fermée par une barrière. Je vis Jean, après
son travail, s'entretenir avec eux en se tenant à une certaine distance.
Il leur parla comme à l'ordinaire, ne répondit pas à
toutes leurs interrogations et s'en référa à celui
qui devait bientôt venir à son baptême, qui lui était
supérieur et qu'il n'avait jamais vu.
Je vis ensuite Hérode assis sur un mulet dans une espèce
de caisse, et aussi la femme de son frère avec laquelle il vivait,
assise également sur un mulet : elle était pompeusement et
effrontément ajustée et portait un vêtement ample et
plissé. Ils vinrent ainsi, accompagnés de quelques serviteurs,
jusque dans le voisinage du lieu où Jean baptisait. La femme resta
à quelque distance sur son mulet. Hérode descendit e s'approcha
davantage ; et Jean se tenant assez loin, entra en pourparler avec lui.
Hérode discuta avec Jean : car celui ci avait prononcé récemment
une excommunication contre lui après qu'il lui eut présenté
l'écrit qui contenait l'apologie de son union illicite. Jean l'avait
exclu de toute participation au baptême et au salut apporté
par le Messie, à moins qu'il ne renonçât à ces
relations scandaleuses. Hérode lui demanda s'il connaissait un certain
Jésus de Nazareth dont on parlait dans le pays, s'il recevait des
messages de sa part, si c'était là celui dont il annonçait
toujours la venue : il le priait de lui dire ce qui en était parce
qu'il voulait s'adresser à lui pour son affaire. Jean répondit
que celui dont il parlait l'écouterait aussi peu que lui même
; qu'il était et restait un adultère, qu'il pouvait exposer
son cas à qui il voudrait, que ce ne serait jamais autre chose qu'un
adultère. Alors Hérode lui ayant demandé pourquoi
il ne s'approchait pas de lui davantage et pourquoi il lui criait toujours
de loin ce qu'il avait à lui dire ; Jean répondit : " vous
étiez déjà aveugle et l'adultère vous a rendu
plus aveugle encore : plus je m'approcherais de vous, plus votre aveuglement
augmenterait : mais quand je serai en votre pouvoir, vous ferez une chose
dont vous vous repentirez, etc. C'était une prophétie touchant
sa mort. Hérode et la femme quittèrent Jean très irrités.
J'ai vu ces derniers jours Jean dans une grande tristesse. Il semble
que sa mission touche à sa fin, car il n'agit plus avec la même
ardeur autour de lui. J'ai vu qu'il était très tourmenté
On est venu successivement tantôt de Jéricho, tantôt
de Jérusalem, tantôt de la part d'Hérode pour le chasser
du lieu où il baptise. Ses adhérents occupaient un grand
espace autour de cet endroit et ils y étaient comme campes. Maintenant
on exigeait de Jean qu'il se retirât de là et allât
de l'autre côté du Jourdain. Je vis même des soldats
d'Hérode enlever sur une certaine étendue les enceintes qu'avaient
établies les auditeurs de Jean et les en chasser. Toutefois ils
ne sont pas encore venus jusqu'à la tente dressée par Jean,
entre les douze pierres. Je vis le précurseur triste et abattu s'entre
tenir à ce sujet avec ses disciples. Il désirait ardemment
que Jésus vînt au baptême, car, disait il, il devait
se retirer devant lui et aller de l'autre côté du Jourdain
; il ajoutait qu'après cela il ne resterait plus longtemps parmi
eux. Ses disciples étaient très attristés de ces discours
et ne voulaient pas qu'il les abandonnât.
(Du 19 au 26 septembre.) Il est venu ces jours ci près de Jean,
plusieurs troupes de ceux que Jésus a dernièrement exhortés
à aller au baptême : Parménas et ses parents sont arrivés
ici de Nazareth ; il y a aussi des publicains. Je vis Jean, lorsqu'il apprit
que Jésus allait arriver. se mettre à baptiser avec une nouvelle
ardeur.
Il fit encore une belle instruction sur le Messie auquel il devait
bientôt céder la place, et il se rabaissa tellement devant
lui que ses disciples en furent tout contristés.
L'île où est la fontaine baptismale de Jésus, est
maintenant toute verdoyante : personne n'y va, si ce n'est Jean quelquefois.
Il a coupe le pont qui y mène. Après les dernières
agressions d'Hérode et des Juifs Jean était tout abattu.
Il était touchant de voir combien il perdait de sa véhémence
à mesure que Jésus approchait : mais maintenant qu'il a eu
de ses nouvelles il a repris un nouveau courage. Je crois que Jésus
pourra être ici dans huit à dix jours.
Plusieurs troupes de gens qui avaient suivi Jésus et qu'il avait
congédiés à Nazareth, sont arrivées près
de Jean. Je les ai vus dans sa tente parler de Jésus avec lui. Il
y avait une telle ardeur dans son amour pour lui, qu'il s'impatientait
presque de ce que Jésus ne disait pas plus clairement qu'il était
le Messie. C'était un sentiment tout à fait humain. Pendant
qu'il baptisait ces gens de la suite de Jésus, il reçut l'assurance
certaine que le Sauveur approchait, car une nuée lumineuse descendit
sur lui et il eut une vision où Jésus lui apparut avec tous
ses disciples autour de lui. Depuis ce moment Jean est plein d'une joie
indicible et enflammé d'un désir ardent : il regarde toujours
à l'horizon pour voir si le Seigneur n'arrive pas.
CHAPITRE QUATRIEME
Du baptême de Jésus au commencement du jeûne des
quarante jours.
- Jésus visite les lieux où s'est arrêtée
Marie dans son voyage
à Bethléem et pendant la fuite en Egypte.
- Il va à Maspha, à Dibon, à Sukkoth, à
Bethanie.
(28 septembre.) Jésus, marchant plus vite que Lazare, arriva
deux heures avant lui au lieu où Jean baptisait. Le jour commençait
à poindre lorsqu'il se trouva dans le voisinage de ce lieu, au milieu
d'une troupe de gens qui allaient aussi au baptême. Il faisait route
avec eux et ils ne le connaissaient pas : toutefois ils le regardaient
attentivement, car il y avait en lui quelque chose qui les frappait. Quand
ils arrivèrent, il était tout à fait jour. une multitude
considérable était rassemblée et Jean prêchait
avec beaucoup de feu sur l'approche du Messie, sur la pénitence
et sur ce qu'il devait se retirer bientôt. Jésus se tenait
au milieu de la foule des auditeurs. Jean eut le sentiment de sa présence
; il le vit et fut rempli d'une joie et d'une ardeur inaccoutumées
: mais il n'interrompit pas son discours et se mit ensuite à baptiser.
Il avait déjà donné le baptême à
plusieurs personnes et il était environ dix heures lorsque Jésus,
confondu dans les rangs des néophytes, descendit aussi à
son tour au réservoir. Alors Jean s'inclina devant lui et dit :
" J'ai besoin d'être baptisé par vous et c'est vous qui venez
à moi ? ". Jésus lui répondit : " Laissez faire, car
il convient que nous accomplissions toute justice, que vous me baptisiez
et que je sois baptisé par vous. " il lui dit aussi : `` Vous recevrez
baptême du Saint Esprit et du sang. " Alors Jean l'invita à
le suivre à l'île. Jésus répondit qu'il le ferait,
mais qu'alors il fallait porter dans l'autre bassin de l'eau dont tous
avaient été baptisés ; que tous ceux qui étaient
ici avec lui fussent aussi baptisés là et que l'arbre auquel
il se tiendrait fût transplanté plus tard au lieu ordinaire
du baptême afin que tous fissent comme lui.
Le Sauveur Suivit donc Jean et deux de ses disciples André et
Saturnin (André était venu ici de Capharnaum avec les neuf
disciples et compagnons du Seigneur dont il a été parlé
plus haut) il se rendit sur l'île en passant le pont et entra dans
une petite tente dressée au côté oriental de la fontaine
baptismale pour qu'on pût s'y déshabiller et s'y rhabiller.
Les disciples vinrent avec lui sur l'île, mais les hommes se tinrent
au bout du pont pendant qu'une grande foule se pressait sur le rivage.
Trois hommes environ pouvaient se tenir sur le pont à côté
les uns des autres : Lazare était l'un de ceux qui se trouvaient
le plus en avant.
La fontaine baptismale était dans une excavation octogone, descendant
en pente douce, au fond de laquelle un rebord également octogone
entourait la fontaine elle même : celle ci était en communication
avec le Jourdain par cinq conduits souterrains. L'eau entourait le rebord
tout entier et entrait dans la fontaine par des brèches qu'on y
avait laissées. Trois de ces coupures étaient visibles au
côté septentrional de la fontaine par où l'eau entrait,
les deux autres par où l'eau s'écoulait, placées au
côté méridional, étaient recouvertes, car c'était
là le lieu de la cérémonie et celui par lequel on
avait accès à la fontaine : c'est pourquoi l'on n'y voyait
pas l'eau circuler autour du rebord. De ce côté, des marches
recouvertes de gazon conduisaient jusqu'à la fontaine en descendant
la pente de l'excavation qui avait à peu près trois pieds
de hauteur.
Au sud est, sur le bord de l'eau était une pierre triangulaire
d'un rouge brillant encastrée dans le rebord de la fontaine : un
des côtés était tout contre l'eau et la pointe était
tournée vers la terre. Ce côté du rebord auquel les
marches conduisaient était un peu plus élevé que celui
du nord où étaient les trois ouvertures pour laisser arriver
l'eau. Du côté du sud ouest on descendait par une marche sur
l'autre partie du rebord qui était un peu plus basse et c'était
par là seulement qu'on pouvait y arriver. Dans la fontaine même,
devant la pierre triangulaire, s'élevait un arbre verdoyant à
la tige élancée.
L'île n'était pas parfaitement unie, mais un peu plus
élevée au milieu : elle était en partie sur fond de
rocher ; il y avait aussi des places où le sol était moins
dur. Elle était couverte de gazon. Au milieu s'élevait un
arbre dont les branches s'étendaient au loin ; les douze arbres
plantés autour de l'île s'unissaient par le sommet aux branches
de cet arbre qui était au centre, et entre ces douze arbres il y
avait une haie formée de plusieurs petits arbustes.
Les neuf disciples de Jésus qui avaient toujours été
avec lui dans les derniers temps descendirent a la fontaine et se tinrent
sur le rebord. Jésus ôta son manteau dans la tente, puis sa
ceinture et une robe de laine jaunâtre, ouverte par devant et qui
se fermait avec des lacets, puis cette bande de laine étroite qu'on
portait autour du cou, croisant sur la poitrine et qu'on roulait autour
de la tête la nuit et par le mauvais temps. Il lui restait encore
sur le corps une chemise brune faite au métier avec laquelle il
sortit et descendit au bord de la fontaine où il l'ôta en
la retirant par la tête. Il avait autour des reins une bande d'étoffe
qui enveloppait chacune des jambes jusqu'à la moitié des
pieds. Saturnin reçut tous ces vêtements et les donna à
garder à Lazare, qui se tenait au bord de l'île.
Alors Jésus descendit dans la fontaine où l'eau lui venait
jusqu'à la poitrine. Il avait le bras gauche passé autour
de l'arbre, et il tenait la main droite sur sa poitrine ; la bandelette
qui ceignait les reins était détachée aux extrémités,
et flottait sur l'eau. Jean était debout au bord méridional
de la fontaine : il tenait un plat avec un large rebord, à travers
lequel couraient trois cannelures : il se baissa, puisa de l'eau et la
fit couler en trois filets sur la tête du Seigneur. un filet coula
sur le derrière de la tête, un autre sur le milieu, le troisième
sur le front et le visage.
Je ne sais plus bien les paroles que Jean prononçait en administrant
le baptême, mais c'étaient à peu près celles
ci : "Que Jéhova, par les chérubins et les séraphins,
répande sa bénédiction sur toi, avec la sagesse, l'intelligence
et la force. "Je ne sais pas bien si ce furent précisément
ces trois derniers mots ; mais c'étaient trois dons pour l'esprit,
l'âme et le corps ; et là dedans était aussi compris
tout ce dont chacun avait besoin pour rapporter au Seigneur un esprit,
une âme et un corps renouvelés.
Pendant que Jésus sortait de la fontaine, André et Saturnin,
qui se tenaient auprès de la pierre triangulaire, à la droite
du précurseur, l'enveloppèrent d'un drap, pour qu'il s'essuyât,
et lui passèrent une longue robe baptismale de couleur blanche (1)
; et, quand il fut monté sur la pierre rouge triangulaire qui était
à droite de la fontaine, ils lui mirent la main sur les épaules
pendant que Jean la lui mettait sur la tête.
Quand cela fut fait, au moment où ils se préparaient
à remonter les degrés, la voix de Dieu se fit entendre au
dessus de Jésus, qui se tenait, seul, en prière, sur la pierre.
Il vint du ciel un grand bruit, comme le bruit du tonnerre, et tous les
assistants tremblèrent et levèrent les yeux en haut. une
noce blanche et lumineuse s'abaissa, et je vis au dessus de Jésus
une forme ailée resplendissante, dont la lumière l'inonda
comme un fleuve. Je vis aussi comme le ciel ouvert, et l'apparition du
Père céleste sous sa forme accoutumée, et j'entendis,
dans la voix du tonnerre, ces paroles : " C'est mon Fils bien aimé
en qui je me complais ".
Note 1 : Auparavant on ne mettait sur les baptisés qu'un drap
blanc de petite dimension, mais à partir du baptême de Jésus,
on en employa un plus grand.
Jésus était tout inondé de lumière, et
on pouvait à peine le regarder : toute sa personne était
transparente ; je vis aussi des anges autour de lui.
Je vis, à quelque distance, Satan paraître au dessus des
eaux du Jourdain : c'était une forme noire et ténébreuse,
semblable à un nuage, et, dans ce nuage, je vis s'agiter des dragons
noirs et d'autres bêtes hideuses qui se pressaient autour de lui.
Il semblait que, pendant cette effusion de l'Esprit Saint, tout ce qu'il
y avait de mal, de péché, de venin dans le pays tout entier,
se montrât sous des formes visibles, et se retirât dans cette
figure ténébreuse comme dans sa source. C'était un
spectacle horrible, mais rehaussant l'éclat indescriptible, la joie
et la clarté qui se répandaient sur le Seigneur et sur l'île.
La sainte fontaine brillait jusqu'au fond, et tout était transfiguré.
On vit alors les quatre pierres sur lesquelles l'arche d'alliance avait
reposé, resplendir joyeusement au fond de la fontaine : sur les
douze pierres où s'étaient tenus les lévites, se montrèrent
des anges en adoration ; car l'esprit de Dieu avait rendu témoignage,
devant tous les hommes, à la pierre vivante et fondamentale, à
la pierre angulaire de l'Eglise, pierre choisie et précieuse, autour
de laquelle nous devons être posés comme des pierres vivantes
pour former un édifice spirituel, un sacerdoce saint, afin de pouvoir
offrir à Dieu, par son fils bien aimé en qui il se complaît,
un sacrifice spirituel qui lui soit agréable.
Cependant Jésus remonta les degrés et se rendit sous
la tente voisine de la fontaine ; Saturnin lui porta ses habits que Lazare
avait gardés, et Jésus s'en revêtit. Il sortit alors
de la tente, et, entouré de ses disciples, il alla sur la partie
découverte de l'île, près de l'arbre du milieu. Pendant
ce temps, Jean parlait au peuple, en faisant éclater sa joie, et
il rendait témoignage de Jésus, proclamant qu'il était
le Fils de Dieu et le Messie promis. Il rappela toutes les promesses faites
aux patriarches et aux prophètes, lesquelles se trouvaient accomplies
maintenant ; il parla de ce qu'il avait vu, de la voix de Dieu que tous
avaient entendue, et déclara qu'il se retirerait bientôt,
lorsque Jésus reviendrait ; il dit encore que l'arche d'alliance
s'était reposée en ce lieu, lorsque Israël avait pris
possession de la Terre Promise, et qu'en ce même lieu, celui qui
était le sceau à l'alliance avait reçu le témoignage
de son Père, le Dieu tout puissant, Il dit à tous d'aller
à lui désormais, et proclama bienheureux le jour où
l'attente d'Israël avait été remplie.
Pendant ce temps, il était encore venu beaucoup de personnes
parmi lesquelles se trouvaient des amis de Jésus ; je vis dans la
foule Nicodème, Obed, Joseph d'Arimathie, Jean Marc et d'autres
encore. Jean invita André à annoncer dans la Galilée
que le Messie avait reçu le baptême. Jésus, déclara
simplement que Jean avait dit la vérité ; il ajouta qu'il
allait s'éloigner pour un peu de temps ; qu'ensuite tous les malades
et les affligés pourraient venir à lui ; qu'il voulait les
consoler et les secourir ; jusque là, ils devaient se préparer,
puis il entrerait dans le royaume que lui avait donné son Père
céleste. Jésus dit cela sous forme de parabole, prenant pour
comparaison un fils de roi, qui avant de prendre possession de son trône,
se retire à l'écart, demande l'assistance de son père,
et se recueille, etc.
Il y avait parmi les assistants quelques pharisiens qui interprétaient
ces paroles de la façon la plus ridicule. Ils disaient : " Il n'est
peut être pas le fils du charpentier, mais l'enfant substitué
de quelque roi, qui maintenant va partir, rassembler ses gens et entrer
à Jérusalem. " Cela leur paraissait étrange et extravagant,
etc.
Jean continua, ce jour là, à baptiser tous les assistants
sur l'île, dans la fontaine baptismale de Jésus. La plupart
étaient des gens qui plus tard se réunirent aux disciples
de Jésus. Ils se mettaient dans l'eau qui entourait le rebord de
la fontaine, et Jean, debout sur ce rebord, les baptisait.
Quant à Jésus, il quitta ce lieu avec les neuf disciples
et quelques autres qui se joignirent à lui ici. Lazare, André
et Saturnin le suivirent. Ils avaient, par son ordre, rempli une outre
d'eau de la fontaine où il avait été baptisé,
et ils la portaient avec eux. Les assistants se jetèrent aux pieds
de Jésus, et le supplièrent de rester avec eux. Il leur promit
de revenir et s'en alla.
( 29 et 30 septembre. ) Jésus, avec ses compagnons, fit encore
ce jour là environ deux lieues dans la direction de Jérusalem,
et il arriva à un petit endroit dont le nom ressemblait à
Bethel. Il y avait là une espèce d'hôpital où
se trouvaient beaucoup de malades, et où Jésus entra. Je
le vis prendre là de la nourriture avec ceux qui l'accompagnaient.
Il vint aussi plusieurs gens âgés. On salua Jésus très
solennellement, en qualité de prophète, car on savait déjà
par des gens venus du baptême, ce que Jean avait dit de lui. Jésus
alla avec ses disciples dans la chambre de tous les malades. Il les consola
tous et leur dit qu'il reviendrait les guérir, s'ils croyaient en
lui. Je crois qu'il en guérit un. il était tout décharné,
il avait en outre des ulcères à la tête, et une lèpre
blanche. Jésus le bénit et lui commanda de se lever ; il
se leva et s'agenouilla devant Jésus. Plusieurs personnes furent
baptisées ici par le ministère d'André et de Saturnin.
Jésus fit placer sur un escabeau, dans une pièce de la maison,
un grand bassin plein d'eau dans lequel un enfant aurait pu tenir couché
; qu'il bénit cette eau et y fit une aspersion avec une branche.
C était, je crois, avec de l'eau baptismale prise dans l'outre apportée
par les disciples.
Les néophytes se dépouillaient jusqu'à la poitrine,
courbaient la tête au dessus du bassin, et Saturnin les baptisait.
Je crois qu'il se servait d'une formule indiquée par Jésus,
et qui était autre que celle de Jean, mais je ne m'en souviens pas
bien clairement. Jésus célébra le sabbat en ce lieu
: le lendemain André partit pour la Galilée.
Quant à Jésus, il se rendit dans une ville nommée
Luz. Il alla à la synagogue, et fit un long discours où il
expliqua le sens mystérieux de plusieurs anciennes figures des Ecritures.
Je me souviens qu'il parla des enfants d'Israël, rappela qu'après
avoir traversé la mer Rouge, ils errèrent longtemps dans
le désert, à cause de leurs péchés ; qu'ensuite,
ayant traversé le Jourdain, ils possédèrent la Terre
Promise. Maintenant, disait il, le temps était venu où cela
devait arriver réellement par le baptême dans le Jourdain
: ce n'avait été alors qu'une figure, mais maintenant, s'ils
étaient fidèles et observaient les commandements de Dieu,
ils entreraient en possession de la Terre Promise et de la cité
de Dieu. Il entendait cela spirituellement de la Jérusalem céleste.
Mais eux croyaient toujours qu'il s'agissait d'un royaume de ce monde et
de leur affranchissement du joug des Romains. Il parla de l'arche d'alliance
et de la rigueur de la loi ancienne, sous laquelle celui qui s'approchait
je l'arche pour la toucher, était puni de mort : mais maintenant
la loi était accomplie, et la grâce était venue dans
la personne du Fils de l'homme il dit encore que le temps était
arrivé où l'ange devait ramener Tobie dans la Terre Promise,
après la longue captivité où il avait langui, toujours
fidèle aux préceptes divins. Il parla encore de Judith, la
veuve qui avait tranche la tète à l'Assyrien Holopherne pendant
son ivresse, et délivré Bethulie réduite à
l'extrémité : mais maintenant c'était la vierge qui,
ayant été dès l'éternité ; allait croître
et grandir, et beaucoup de têtes orgueilleuses qui menaçaient
Bethulie, allaient tomber. Il entendait parler de l'Eglise et de sa victoire
sur le prince de ce monde.
Jésus parla encore de beaucoup de symboles du même genre,
qui maintenant trouvaient tous leur accomplissement. Toutefois il ne disait
jamais : " C'est moi ", mais parlait toujours comme d'une tierce personne.
Il parla en outre de ce qu'il fallait pour le suivre, dit qu'on devait
tout quitter et ne pas s'inquiéter outre mesure de sa subsistance
; car c'était chose plus importante d'être régénéré
que de trouver à se nourrir ; que s'ils renaissaient de l'eau et
du Saint Esprit, celui là les nourrirait qui les aurait régénérés.
Il ajouta que ceux qui voulaient le suivre devaient quitter tous les leurs
et s'abstenir du mariage, car ce n'était pas le temps de semer,
mais le temps de récolter. Il parla aussi du pain céleste.
Ses auditeurs étaient saisis d'admiration et de respect, mais ils
entendaient tous ses enseignements dans un sens matériel et terrestre.
Lazare le quitta ici : les autres amis de Jérusalem l'avaient
déjà quitté près du Jourdain. Les saintes femmes,
qui étaient chez Suzanne à Jérusalem, se sont mises
en route par le désert. Je crois qu'elles vont à Thébez,
où Jésus doit les retrouver.
(1er octobre.) Jésus quitta Luz et traversa le désert.
Il alla dans la direction du midi avec ses disciples, dont une douzaine
à peu près était avec lui. Il y en a deux, outre Saturnin,
qui l'ont suivi après le baptême. Le fils de Véronique
est déjà parti hier, peut être pour porter des nouvelles
aux saintes femmes. Dans la suite de ce voyage, je vis une fois Jésus
et les disciples marcher entre deux rangées de dattiers, et comme
les disciples hésitaient à ramasser les fruits tombés
par terre et à les manger, Jésus leur dit qu'ils pouvaient
manger ces fruits en toute sécurité ; il ajouta que dorénavant
ils ne devaient pas être si scrupuleux, qu'ils devaient chercher
la pureté dans les affections de leur âme et dans leurs discours,
et non la faire dépendre de ce qui entre dans la bouche.
Je vis Jésus sur la route visiter une dizaine de malades dans
une rangée de maisons isolées, les consoler et en guérir
quelques uns. Plusieurs personnes se mirent là à sa suite.
Il vint après cela dans un petit endroit appelé Ensemès,
dont les habitants allèrent à sa rencontre. On avait déjà
annoncé l'arrivée prochaine du nouveau prophète. Il
vint beaucoup de gens tenant des enfants par la main, qui le saluèrent
et se prosternèrent devant lui. Jésus les accueillit avec
bonté. C'étaient des gens considérables de l'endroit
qui le conduisirent chez eux ; mais les pharisiens l'emmenèrent
de là à l'école. Ils étaient bien disposés
et se réjouissaient d'avoir un prophète chez eux ; mais quand
ils apprirent par les disciples que Jésus était le fils de
Joseph, le charpentier de Nazareth, ils trouvèrent dans leur for
intérieur bien des choses à blâmer en lui. Ils avaient
cru avoir affaire à un autre prophète. Comme Jésus
parla du baptême, ils lui demandèrent quel baptême était
le meilleur, le sien ou celui de Jean' Jésus répéta
ce que Jean avait dit de son baptême et de celui du Messie, mais
il ajouta que ceux qui méprisaient le baptême du précurseur
tiendraient également peu de compte du baptême du Messie.
Il ne dit pourtant jamais : " C'est moi " mais parla toujours à
la troisième personne, de même que nous le voyons, dans l'Evangile,
dire : " le Fils de l'homme . " Il prit encore un repas dans la maison
où il était entré, et fit la prière en commun
avec ses disciples avant qu'on ne se retirât pour dormir.
De Luz à Ensemès, Jésus allait dans la direction
du midi. Près d'Ensemès coulait le torrent de Cédron
: il vient de la vallée où Judas se pendit ; il coule le
long de la vallée de Josaphat, au pied de la montagne des Oliviers,
puis ensuite va à l'orient se jeter dans la mer Morte. Il y avait
ici beaucoup de montagnes : la chaîne s'étend jusqu'au mont
Amon, près du désert de Giah, où Jésus se trouvait
le soir qui précéda son arrivée à Bethanie.
(2 octobre.) Le jour suivant je vis Jésus avec ses compagnons
quitter Ensemès et entrer dans la Judée en traversant le
torrent de Cédron. Il va le plus souvent par des chemins détournés
; il me semble qu'il veut passer par les bourgades situées à
un certain rayon autour du lieu où Jean baptise, et suivre les vallées
où la sainte Vierge s'est arrêtée dans son voyage à
Bethléem avec saint Joseph. Il veut visiter Bethléem même,
et aussi quelques lieux où la sainte Vierge a passé la nuit
lors de la fuite en Egypte. Il veut enseigner et guérir dans tous
ces endroits, puis, en revenant, passer devant le lieu du baptême.
Le temps est nébuleux et assez frais : je vois parfois de la
neige ou de la gelée blanche dans les vallées profondes ;
mais du côté exposé au soleil tout est vert et riant.
Partout on voit encore des fruits sur les arbres. Le Seigneur et les disciples
en mangent sur leur chemin.
Jésus maintenant n'entre pas dans les villes, parce que déjà
partout on parle beaucoup de son baptême, de ce qui s'y est passé
et de ce qui a été dit par Jean à Jérusalem
aussi il n'est bruit que de cela. Jésus veut aussitôt après
son retour du désert, prendre la Galilée pour point de départ,
et il ne parcourt maintenant ce pays ci que dans le désir charitable
de décider encore quelques personnes à aller au baptême
il ne va pas toujours avec tous les disciples ensemble ; souvent il n'y
en a que deux avec lui. Ils se dispersent dans des maisons de bergers isolées
et écartées de la route, et ils redressent les idées
de ces gens ; car tous ont une si haute opinion de Jean, qu'ils regardent
Jésus comme n'étant que l'un de ceux qui l'assistent, et
ils le nomment seulement l'Assistant. Les disciples leur font connaître
l'apparition du Saint Esprit et les paroles qui se sont fait entendre pendant
le baptême. Ils leur disent ce que Jean a déclaré,
qu'il n'est que celui qui prépare les voies du Seigneur, et que
c'est pour cela aussi qu'il fraye le chemin avec tant d'ardeur et de véhémence
Alors les bergers et les tisserands, qui sont ici en grand nombre dans
les vallées, viennent à Jésus, et écoutent
sous des arbres et des hangars ses courtes instructions : ils se prosternent
devant lui : il les bénit et les exhorte.
Pendant qu'ils étaient en route, il expliqua aussi aux disciples,
dont quelques uns avaient entendu les paroles proférées lors
du baptême : " C'est mon Fils bien aimé" ; que son Père
céleste a dit cela de tous ceux qui ont reçu sans péché
le baptême du Saint Esprit.
Cette contrée est celle par laquelle passèrent Joseph
et Marie allant à Bethléhem. Joseph avait appris ici que
son père avait possédé des pâturages dans les
environs. Il avait fait un détour d'une journée et demie
environ du côté de Jérusalem ; il avait évité
toutes les villes, et avait préféré passer par ici
en faisant de petites journées de deux heures, parce que les maisons
de bergers étaient très rapprochées les unes des autres
: car la sainte Vierge ne pouvait ni marcher ni rester longtemps assise
sur sa selle sans se fatiguer beaucoup.
Les deux stations principales dé Jésus furent aujourd'hui
deux maisons de bergers où ses parents s'étaient adressés
alors Il arriva avant midi à cette maison où Marie avait
été mal accueillie, et il enseigna la foule qui s'était
rassemblée. Le maître de la maison en question était
un vieillard grossier ; il ne voulut pas non plus recevoir Jésus,
et il se comporta brutalement, à la façon de certains de
nos paysans qui disent souvent : " Qu'ai je à faire de ceci ou de
cela ? Je paie mes redevances et je vais à l'église ", vivant
du reste comme il leur plaît. Les gens de cette maison disaient aussi
: " Qu'avons nous besoin de cela ? Nous avons notre loi qui date de Mo'se
; c'est Dieu même qui nous l'a donnée ; il ne nous faut rien
de plus. "Alors Jésus leur parla de l'hospitalité et de la
miséricorde que tous les anciens patriarches avaient exercée,
car où serait cette bénédiction et ce qui la conserve,
si Abraham avait repoussé les anges qui la lui apportèrent
? Le Seigneur leur dit encore en paraboles : que celui qui a repoussé
la mère portant son enfant dans son sein, lorsqu'elle frappait à
la porte, épuisée par la fatigue du voyage ; celui qui s'est
moqué de son mari cherchant un gîte hospitalier, repoussait
aussi le fils et le salut venant de lui et apporté par lui. Il leur
dit cela en termes expressifs, que je vis ses paroles entrer dans le coeur
de cet homme comme un coup de foudre : car c'était là la
maison où l'on avait refusé d'accueillir Joseph et Marie
lors de leur voyage à Bethléem, et où on l'avait repoussés
avec des paroles injurieuses. Je reconnus bien la maison, et les plus vieux
parmi ceux qui étaient présents furent frappés de
stupeur : car sans nommer ni lui même ni sa mère, ni Joseph,
il avait dit sous forme de parabole tout ce qu'ils avaient fait.
Alors l'un d'eux se jeta à ses pieds et le pria de vouloir bien
entrer chez lui et y prendre de la nourriture ; car il était certainement
prophète, puisqu'il savait tout ce qui s'était passé
en ce lieu trente ans auparavant. Mais Jésus ne voulut rien accepter
de lui. il enseigna encore les bergers assemblés ; il leur dit que
toutes les actions étaient la figure et le germe de celles qui leur
succédaient ; que le repentir et la pénitence extirpaient
les vieilles racines, et que l'homme qui se convertissait renaissait dans
le baptême du Saint Esprit, et portait des fruits pour la vie éternelle.
Je les vis aller plus loin à travers les vallées, et
enseigner ça et là ; il y avait des possédés
qui le poursuivaient de leurs cris, et se taisaient à son commandement.
Dans l'après midi, Jésus arriva à une seconde
maison de bergers, placée sur une hauteur, et où la sainte
Vierge avait aussi logé. Le maître était à la
tête de plusieurs troupeaux. Des bergers et des gens qui fabriquaient
des tentes habitaient de longues rangées de maisons situées
dans ces vallées. Ils tenaient de longues bandes d'étoffe
déployées et travaillaient les uns en face des autres. Il
y avait dans ces parages beaucoup de troupeaux de montons et aussi beaucoup
d'animaux sauvages. Les colombes se promenaient en troupes comme des poulets,
ainsi qu'une autre espèce de gros oiseaux à longue queue.
On voyait aussi courir dans le désert des animaux avec de petites
cornes, qui ressemblaient à des chevreuils. Ils n'étaient
pas timides et se mêlaient aux troupeaux. Ici, Jésus fut accueilli
très amicalement Les gens de la maison ainsi que les voisins et
les enfants allèrent joyeusement à sa rencontre et se prosternèrent
devant lui. La sainte Vierge et Joseph avaient reçu dans cette maison
une hospitalité très bienveillante. Il s'y trouvait deux
jeunes gens, enfants du maître du logis qui vivait encore, et un
petit vieillard tout courbé, portant une petite houlette. Jésus
prit de la nourriture : c'étaient des fruits et des herbes qu'on
trempait dans une sauce, et des petits pains cuits sous la cendre. Ces
gens étaient pieux et éclairés.
Ils conduisirent Jésus dans la chambre où la sainte Vierge
avait passé la nuit. Ils en avaient fait depuis longtemps un oratoire.
Ce n'était autrefois qu'une division de la pièce où
ils habitaient, mais plus tard ils l'avaient séparée du reste,
et y avaient fait une entrée particulière. Ils avaient coupé
les quatre angles de la chambre qu'ils avaient ainsi rendue octogone et
surmonté la toiture d'une pointe tronquée. Au milieu, était
suspendue une lampe ; on pouvait aussi ouvrir un jour dans le toit. Devant
la lampe, était une espèce de table étroite comme
nos tables de communion, ou ils pouvaient s'appuyer en priant. C'était
joli et propre comme une chapelle. Le vieillard y conduisit Jésus
et lui montra l'endroit où sa sainte Mère avait reposé
; il lui montra encore un endroit où avait dormi sa grand mère,
sainte Anne, qui, elle aussi, s'était arrêtée là,
lorsqu'elle avait été visiter la sainte Vierge à Bethléem.
Ces gens avaient connaissance de la nativité de Jésus,
de l'adoration des rois, des prédictions de Siméon et d'Anne
dans le temple, de la fuite en Egypte et du merveilleux enseignement de
Jésus au temple. Ils avaient fête plusieurs de ces anniversaires
par des prières dans leur oratoire, et, dès le commencement,
ils avaient fidèlement cru, espéré et aimé.
Ils interrogèrent Jésus en toute simplicité et à
la façon des gens de la campagne : " Que se passe t il donc maintenant,
dirent ils, à Jérusalem, chez les grands personnages ? "
On dit que le nouveau Messie viendra, comme roi des Juifs, rétablir
le royaume et les délivrer du joug des Romains ; est ce donc que
cela aura lieu ? Jésus leur expliqua tout par une parabole sur un
fils de roi que son père envoie prendre possession de son trône,
rétablir le sanctuaire, et délivrer ses frères de
l'esclavage ; mais ils ne devaient pas reconnaître ce fils, ils devaient
le persécuter et le maltraiter ; toutefois il devait être
exalté et tirer à lui, dans le royaume de son Père
céleste, tous ceux qui observeraient ses préceptes.
Beaucoup de personnes entrèrent avec Jésus dans l'oratoire
et je crois qu'il y enseigna. Il a aussi guéri ici. Le vieux berger
le conduisit chez une voisine que la goutte retenait au lit depuis des
années. Jésus la prit par la main et lui ordonna de se lever
; elle se leva aussitôt, remercia le Seigneur à genoux, et
le reconduisit jusqu'à la porte. Elle marchait toute courbée,
comme la belle mère de Pierre.
Jésus se fit ensuite conduire par ces gens dans une vallée
très profonde, où il y avait beaucoup de malades. Il en guérit
plusieurs et donna des consolations à tous. Il guérit au
moins dix personnes. Ici je ne vis plus rien. Jésus a passé
la nuit chez les bergers.
Jean continue toujours à baptiser. L'affluence est de plus en
plus grande. L'arbre de la fontaine baptismale de Jésus a été
placé dans le grand bassin qui sert pour le baptême, et il
est d'un très beau vert. On descend dans ce bassin par des degrés
; il y entre plusieurs langues de terre sur lesquelles les gens viennent
à la suite les uns des autres. Ils arrivent par un côté
et s'en vont par l'autre.
( 3 octobre. ) Lorsque Jésus quitta la maison des bergers, qui
est à environ cinq lieues de Bethléem, ces gens l'accompagnèrent.
Ils étaient en relations intimes avec les bergers qui avaient visité
Jésus dans la crèche ; voilà pourquoi ils étaient
si bien disposés.
Le Seigneur et les disciples firent hier beaucoup de détours
; des troupes de bergers et d'ouvriers se rassemblaient ça et là
autour de lui, et il les instruisait par des comparaisons tirées
de leur profession. Il les exhortait encore au baptême et à
la pénitence, et parlait de l'approche du Messie et des jours de
salut.
Sur le chemin de Jésus, je vis au penchant de la montagne, dans
une situation favorable, beaucoup de gens occupés de divers travaux
dans les champs. Dans quelques endroits, je vis des vignes et des gens
qui y travaillaient : je vis aussi serrer le grain entassé : je
vis labourer, semer et planter. La fertilité était grande
ici, quoique dans d'autres parties de ces y allées il y eût
de la gelée blanche ou de la neige. Le blé n'était
pas en gerbes : on le coupait à un demi pied environ au dessous
de l'épi, et on attachait ensemble par le milieu deux faisceaux
d'épis, de façon à ce que la tête des épis
fît saillie des deux côtés. Ces faisceaux étaient
entassés les uns sur les autres. On ne les rapportait pas comme
si la moisson eût été faite tout récemment,
car elle était faite depuis longtemps : les épis étaient
restés accumulés en meules larges et élevées,
semblables à des collines ; et maintenant que la saison des pluies
arrivait, et qu'on préparait de nouveau la terre, on les couvrait
avec de la paille. On coupait les épis avec une faucille ; la paille
était ensuite arrachée et jetée en tas. Je vis qu'on
rentrait le grain sur des civières portées par quatre hommes
: la paille était aussi rangée et mise en faisceaux pour
être brûlée, à ce que je crois. Dans d'autres
endroits on labourait. La charrue n'avait pas de roues, et elle était
tirée par des hommes. La charrue que je vis ressemblait à
un traîneau avec trois lames tranchantes, entre lesquelles était
l'attelage. Ordinairement elle était tirée par des hommes
ou des ânes, et personne ne la tenait par derrière. On labourait
en long et en large. Leur herse que je vis était triangulaire, la
pointe était en arrière. Tout cela marchait très bien.
Là où le fond était rocailleux, on jetait un peu de
terre pardessus et la semence y poussait aussi. Les semeurs portaient leur
sac sur le cou, avec les deux extrémités sur la poitrine.
Les plantes que je vis mettre en terre étaient de l'ail et une autre
plante qui avait de grandes feuilles ; je crois que c'était un légume
: il y en avait un qu'on appelait dourra.
Les disciples rassemblaient ces gens près du chemin, et Jésus
les enseigna en paraboles où il était question de charrues,
de semence et de moisson il parla avec les disciples de la semence qu'ils
devaient répandre par le baptême. Il en désigna deux,
dont l'un était Saturnin, pour baptiser dans quelque temps près
du Jourdain. Il leur dit que c'étaient là les semailles,
et que comme les laboureurs d'ici, ils récolteraient aussi dans
deux mois. Il parla encore de la paille qui devait être jetée
au feu.
Pendant que Jésus enseignait, une troupe de travailleurs, venant
de Sichar, passa tout près du chemin. Ils avaient des pelles, des
pioches et de longues perches : ils ressemblaient à des esclaves,
et je crois qu'ils revenaient chez eux après avoir travaillé
à des édifices publies ou à des routes. Ils se tinrent
timidement à quelque distance ; ils n'osaient pas s'approcher près
des Juifs et ils écoutaient. Jésus les fit venir et dit que
son Père céleste appelait tous les hommes à lui par
son ministère : il parla de l'égalité de tous ceux
qui font pénitence et se font baptiser. Ces pauvres gens étaient
tellement touchés de sa bonté qu'ils se jetèrent à
ses pieds pour le prier de venir aussi les visiter et de les assister à
Samarie. Il répondit qu'il irait les voir, mais que maintenant il
devait se retirer à part pour se préparer à entrer
dans son royaume, suivant la mission qu'il avait reçue de son Père
céleste.
Les bergers conduisirent encore Jésus par divers chemins où
sa mère axait passé, et il connaissait ces lieux mieux que
ses conducteurs, en sorte qu'ils s'écriaient pleins d'admiration
: " Seigneur, vous êtes un prophète et un fils pieux, puisque
vous reconnaissez et suivez les traces de votre heureuse mère "Après
avoir enseigné et exhorté tout ce monde, Jésus alla
à la petite ville de Betharaba. Il y arriva dans l'après
midi sur une place découverte, et il monta sur une chaire en pierre
qui était sous des arbres. Beaucoup d'auditeurs se rassemblèrent
autour de lui et il les enseigna. C'étaient des gens bien disposés.
Ici je cessai de voir cette scène.
(1 octobre.) Jésus quitta cet endroit accompagné de plusieurs
de ses auditeurs, et marcha dans la direction de la vallée des Bergers,
qui est à environ trois lieues et demie d'ici. Je ne sais pas où
il passa la nuit ; je le vis une fois seul avec les disciples sous un hangar
ouvert : ils mangeaient des fruits, des baies rouges qu'ils avaient cueillies
et des épis, et ils buvaient de l'eau.
La nuit, ils vont chacun de leur côté ; Jésus leur
désigne un lieu où il se trouvera à tel ou tel moment,
et ils se répandent au loin dans le pays, font des rapports sur
lui, et exhortent au baptême et à la pénitence ceux
qui ne sont pas encore réalises : ces gens viennent pour la plupart
avec eux aux endroits où ces instructions doivent être faites.
Jésus aussi fait de longs circuits : je le vois souvent monter seul
sur des collines et prier, en sorte que tout le temps du voyage trouve
son emploi.
J'entendis les disciples de Jésus, à cause de sa vie
austère, de son habitude d'aller pieds nus, de ses jeûnes
et de ses veilles nocturnes dans cette saison froide et humide, l'engager
à ménager un peu son corps. Mais il les éconduisit
avec bonté et continua à faire comme auparavant.
Le matin, au crépuscule, je vis Jésus avec ses disciples
descendre par une pente escarpée dans la vallée des Bergers.
Les bergers qui habitaient là savaient déjà qu'il
allait venir. Ils avaient tous été baptisés par Jean.
Il s'en trouvait même parmi eux qui avaient eu des songes et des
visions sur l'approche du Seigneur. Quelques uns veillaient et regardaient
toujours du côté par où il devait venir. Ils le virent
tout entouré de lumière descendre dans la vallée :
car plusieurs de ces gens simples étaient favorisés de grâces
particulières. Aussitôt ils soufflèrent dans un cornet
pour réveiller et convoquer ceux qui demeuraient à distance.
Ils avaient coutume de faire ainsi dans les occasions de quelque importance.
Tous accoururent au devant du Seigneur et se prosternèrent devant
lui, allongeant humblement le cou et ayant leurs longs bâtons sous
le bras. Plusieurs avaient la face contre terre. Ils avaient des jaquettes
courtes, le plus souvent en peau de mouton, les unes ouvertes sur la poitrine,
les autres tout à fait fermées, et qui leur allaient jusqu'aux
genoux : ils portaient des sacs jetés en travers sur les épaules.
Ils saluèrent Jésus avec des passages des psaumes qui se
rapportent à l'avènement du Sauveur, et expriment la reconnaissance
d'Israël pour l'accomplissement de la promesse. Jésus fut très
affectueux avec eux, et il leur parla du bonheur de leur condition. Il
enseigna ça et là dans les cabanes qui étaient rangées
tout autour de la large vallée des prairies : ce fut le plus souvent
en paraboles tirées de la vie pastorale.
Il s'avança ensuite avec eux dans la vallée, dans la
direction de Bethléem, jusqu'à la tour des Bergers (2). Il
leur parla de la visite qu'il leur faisait maintenant, à eux qui
l'avaient salué dans son berceau, et qui s'étaient montrés
charitables envers lui et ses parents. Il enseigna aussi en paraboles,
où il parlait de pasteur et de troupeau, disant que lui aussi serait
un pasteur, rassemblerait le troupeau, le guérirait et le conduirait
jusqu'à la fin des temps.
Les bergers firent des récits sur l'apparition des anges, sur
la sainte Famille et l'Enfant ; ils racontèrent comment, eux aussi,
avaient vu l'image de l'Enfant dans l'Etoile au dessus de la grotte de
la crèche.
Note 2 : Cette tour a été décrite en détail
dans la Vie de la sainte Vierge.
Ils parlèrent aussi des rois mages qui avaient vu la tour des
Bergers dans les astres, et des nombreux présents que les rois leur
avaient faits en partant. Parmi ces présents, il y avait de grosses
étoffes pour les tentes dont ils s'étaient servis ici, à
la tour des Bergers et dans leurs cabanes. Il se trouvait là quelques
vieillards qui avaient été à la crèche dans
leur jeunesse. Ils redirent à Jésus tout ce qui s'était
passé alors.
(5 octobre.) Le jour d'après, Jésus et les disciples
furent conduits par les bergers plus près de Bethléem, à
l'endroit où demeuraient les fils survivants des trois vieux bergers
auxquels les anges étaient apparus d'abord, lors de la nativité
du Christ, et qui lui avaient présenté leurs hommages les
premiers. Ils étaient enterrés à peu de distance de
l'habitation qui était à peu près à une lieue
de la grotte de la crèche. Trois fils de ces vieux bergers étaient
vivants et déjà avancés en âge. Les autres les
respectaient beaucoup. Cette famille de bergers jouissait d'une certaine
prééminence parmi les autres, comme les trois rois parmi
leurs compagnons. Ils accueillirent Jésus avec beaucoup de joie
et d'humilité, et le conduisirent à la sépulture de
leurs pères C'était une colline où il y avait un vignoble
: elle était isolée et entourée par le bas d'une toiture
sous laquelle était l'entrée de divers celliers et de plusieurs
grottes. Plus haut, sur la colline, était la grotte sépulcrale
des vieux bergers. Le jour y entrait par en haut. Les tombeaux étaient
disposés dans le sol suivant la direction indiquée par ces
lignes : I I. Il y avait des portes qui étaient fermées Les
bergers les ouvrirent pour Jésus, et je vis les corps emmaillotés
avec leur visage noirâtre. On avait comblé les places vides
autour des cercueils en y jetant une quantité de petits fragments
de pierre.
Les bergers montrèrent aussi à Jésus leur trésor
: c'était ce qui était resté à leurs pères
des présents des trois rois : ils le conservaient enfoui dans la
grotte. Il consistait en petites barres d'or natif, enveloppées
dans des pièces d'étoffe très précieuse brochée
d'or. Ils demandèrent à Jésus s'ils devaient donner
tout cela au temple. Il leur dit de le conserver pour la communauté
qui serait le nouveau temple. Il leur dit aussi qu'un jour on élèverait
une église au dessus de ce tombeau ( ce qui fut fait par sainte
Hélène ). à cette colline commençaient des
vignobles qui s'étendaient jusqu'à Gaza. C'était le
cimetière commun des bergers.
Ils conduisirent ensuite le Seigneur à la grotte de la crèche(3),
lieu de sa nativité, qui était environ à cinq lieues
de là. On suivait, pour y aller, une vallée charmante que
longeaient trois sentiers passant entre des groupes d'arbres fruitiers
taillés.
Ils parlaient en chemin du cantique des anges, et je vis de nouveau
toutes ces scènes. Les anges apparurent en trois endroits : d'abord
aux trois bergers ; dans la nuit suivante, à la tour des Bergers,
et, enfin, près de la fontaine où Jésus avait été
reçu hier matin par les bergers. Ils se montrèrent en plus
grand nombre à la tour des bergers. C'étaient de grandes
figures qui n'avaient pas d'ailes. Sur le chemin de la grotte de la crèche,
les bergers firent entrer le Seigneur dans la grotte du tombeau de Maraha,
nourrice d'Abraham, près du grand térébinthe.
Note 3 : Ce qui concerne cette grotte se trouve tout au long dans la
Vie de la sainte Vierge.
Ils conduisirent ensuite Jésus à la grotte de la crèche.
De ce côté, qui était celui du levant, il n'y avait
pas de chemin par lequel on pût aller directement à Bethléhem
: on pouvait à peine de là voir la ville, qui était
séparée de la vallée des Bergers par des remparts
écroulés et toutes sortes de décombres, au milieu
desquels passaient des chemins creux. L'entrée de la ville la plus
rapprochée était la porte du midi, laquelle conduisait à
Hébron. En sortant de cette porte, il fallait contourner la ville
au levant pour se rendre aux environs de la crèche qui se liaient
à la vallée des Bergers. On y arrivait, de cette vallée,
sans toucher Bethléhem. La grotte de la crèche et les grottes
adjacentes appartenaient aux bergers ; de tout temps ils s'en étaient
servis pour y loger du bétail et y déposer toutes sortes
d'objets, et aucune personne de Bethléhem n'avait rien à
y faire. Joseph, dont la maison paternelle était dans la partie
méridionale de la ville, y était souvent venu dans son enfance,
et y était entré en rapport avec les bergers ; il s'y était
aussi caché de ses frères et s'y était retiré
pour prier.
Les bergers allèrent avec Jésus à la grotte, où
beaucoup de choses avaient été changées : ils en avaient
fait comme un petit oratoire. Pour que personne ne mît le pied sur
ce sol sacré, ils avaient entouré d'un grillage la place
de la crèche ; ils avaient fait un passage autour et agrandi la
grotte à cet effet. Le long de ce passage, étaient des cellules
creusées dans le rocher, comme autour d'un cloître. Les parois
et le sol avaient été tapissés avec des couvertures
laissées par les rois mages ; elles étaient de diverses couleurs,
et des pyramides étaient dessinées dans le tissu même,
en plusieurs endroits. (C'étaient vraisemblablement des triangles
de couleur différente dont on ornait souvent les murs chez les Juifs
; la Soeur mentionne souvent ce genre d'ornement, notamment en décrivant
la chambre à coucher de Marie au temple.)
Ils avaient, en outre, pratiqué deux escaliers conduisant, du
passage dont on vient de parler, au haut de la grotte de la crèche
; au dessus de la grotte proprement dite, ils avaient enlevé le
plafond avec ses ouvertures étroites pour laisser passer le jour,
et construit à la place une espèce de coupole par où
la lumière tombait d'en haut. On pouvait, par l'un des escaliers,
monter sur la colline, et de là gagner Bethléhem. Ils avaient
pu faire tous ces changements, grâce à ce que les rois mages
avaient laissés.
On était au vendredi soir, à l'ouverture du sabbat, lorsqu'ils
conduisirent là Jésus ; ils avaient allumé des lampes
dans la grotte de la crèche. La crèche elle même était
restée à son ancienne place Jésus leur montra l'endroit
où il était né, qu'ils ne connaissaient pas. Il leur
fit une instruction, et ils célébrèrent le sabbat.
Il leur dit comment son Père céleste avait désigné
ce lieu par avance, lors de la conception de Marie, et j'eus aussi connaissance
de divers événements figuratifs de l'Ancien Testament, qui
s'étaient passés en cet endroit Abraham y était venu
ainsi que Jacob. Seth, l'enfant de la promesse, y avait été
engendré après une pénitence de sept années,
et Eve l'y avait mis au monde. C'était là qu'un ange avait
dit à Eve que Dieu lui donnait ce rejeton à la place d'Abel.
Il y avait été longtemps caché aussi bien que dans
la grotte du tombeau de la nourrice Maraha, parce que ses frères
en voulaient à sa vie comme les fils de Jacob à la vie de
Joseph.
Les bergers conduisirent encore Jésus dans la grotte voisine,
où la sainte Famille avait habité quelque temps. Ils avaient
enclos avec soin la fontaine qui avait jailli là à la naissance
du Christ, et ils faisaient usage de son eau dans leurs maladies. Jésus
fit prendre de cette eau pour l'emporter.
( 7 octobre ) Remarque. A cette époque, la narratrice était
devenue malade à la mort, par suite de la douleur que lui causait
la corruption des hommes, et les visions sur la vie de Jésus, qui
se rapportaient à ces jours là paraissaient tout à
fait perdues. Le 8 octobre au soir, elle tendit la main à l'écrivain,
et lui dit comme pour le consoler : J'ai tout vu ; il est encore chez les
bergers. C'est toujours dans la souffrance qu'elle est le plus affectueuse.
Elle communiqua les fragments qui suivent.
Jésus visita aujourd'hui avec les disciples les différentes
habitations des bergers qui se trouvent dans les environs ; il y consola
et enseigna. Les disciples allaient parfois seuls dans quelques unes d'entre
elles, les unes après les autres ; ils expliquaient les enseignements
de Jésus et racontaient ce qui s'était passé à
son baptême.
Saturnin baptisa plusieurs vieillards qui n'étaient pas en état
d'aller au baptême de Jean. On mêlait pour cela de l'eau de
la fontaine baptismale de Jésus, dans l'île du Jourdain, avec
celle de la source qui était dans la grotte voisine de ha crèche.
Au baptême de Jean, on confessait ses péchés en
général, mais ceux qui recevaient le baptême de Jésus
confessaient individuellement leurs péchés les plus graves,
témoignaient leur repentir et recevaient l'absolution. Les gens
âgés s'agenouillaient ; leur corps était nu jusqu'à
la ceinture. Il y avait devant eux un grand bassin au dessus duquel ils
courbaient la tète, et on les baptisait. à ce baptême,
comme dans la formule dont Jean fit usage en baptisant Jésus, on
prononçait le nom de Jehovah, et on faisait mention des trois dons
célestes, mais on parlait aussi au nom de l'envoyé de Dieu.
Jésus, le plus souvent, passait les nuits, seul, en prière
sur les collines. A la fin de son séjour chez lest bergers, il dit
aux disciples, qu'il voulait aller seul visiter des gens qui l'avaient
accueilli avec bienveillance, lui et ses parents, lors, de leur fuite en
Egypte, ajoutant qu'il avait là des malades à guérir
et un pécheur à convertir. Aucune trace de ses saints parents
ne devait rester sans bénédiction. Il allait rechercher,
pour les mettre dans la voie du salut, tous ceux qui, autrefois, s'étaient
montrés hospitaliers et charitables envers eux. Toute bonne oeuvre,
toute oeuvre de miséricorde avait été ici une participation
à l'oeuvre du salut, et devait l'être pour toujours ; de même
qu'il visitait tous ceux qui, autrefois, s'étaient montrés
charitables envers lui et envers les siens, de même, son Père
céleste se souviendrait de tous ceux qui auraient témoigné
de la charité et fait du bien au moindre de ses frères. Il
donna rendez vous à ses disciples à un certain endroit voisin
d'une ville ou d'une montagne d'Ephraim, près d'une grotte où
ils devaient l'attendre les jours suivants.
Le 8 octobre, je vis Jésus, seul, à la frontière
du territoire d'Hérode, se diriger vers le désert, près
d'Anim ou Engannim, à deux lieues de la mer Morte, dans un pays
sauvage, mais assez fertile. (Elle dit plus tard de cette ville, qu'elle
était habitée par des gens rejetés de la société.
La fuite en Egypte eut lieu par la partie orientale de la Judée,
le retour par le côté qui longe la mer Méditerranée,
par Gaza.) On voyait, dans Et` pays, plusieurs chameaux qui paissaient
; il y en avait bien une quarantaine, et ils étaient parqués.
J'avais déjà vu Jésus sur la route, passer au milieu
de semblables troupeaux. Il y avait une espèce d'hôtellerie
pour les gens qui allaient au désert vers lequel Jésus se
dirigeait. On voyait plusieurs cabanes et hangars à côte les
uns des autres ; ces gens avaient beaucoup de chameaux et ils étaient,
je crois, chameliers de profession. Les maisons étaient adossées
à une hauteur. Il se trouvait à l'entour des fruits sauvages.
Cet endroit avait été le dernier du territoire d'Hérode
où la sainte Famille s'était arrêtée, lors de
la fuite en Egypte. Ceux qui habitaient là, quoique ce fussent de
méchantes gens qui souvent exerçaient le brigandage, avaient
pourtant bien reçu la sainte Famille. La ville voisine était
aussi habitée par des hommes de vie irrégulière qui
s'y étaient établis à la suite de quelques guerres.
Jésus entra dans la maison et demanda l'hospitalité.
Le maître s'appelait Ruben, il avait environ cinquante ans et se
trouvait déjà ici lors de la fuite en Egypte. Lorsque Jésus
lui adressa la parole et fixa les yeux sur lui, il en partit comme un rayon
qui lui entra dans la poitrine ; il fut tout bouleversé. Les paroles
et la salutation de Jésus furent comme une bénédiction,
et cet homme, tout ému, lui répondit : " Seigneur, c'est
comme si la Terre Promise venait avec vous dans ma maison. "Jésus
lui dit que s'il croyait à la promesse et n'en repoussait pas loin
de lui l'accomplissement, il aurait aussi part à la Terre Promise.
Il parla aussi des bonnes oeuvres et de leurs conséquences, lui
dit qu'il venait à lui pour lui annoncer le salut, parce que, trente
ans auparavant, sa mère et son père nourricier, fugitifs,
avaient été bien accueillis dans sa maison ; que cette bonne
action portait son fruit ; que chaque oeuvre portait le sien, bon ou mauvais.
Alors cet homme, tout bouleversé, se prosterna par terre et lui
dit : " Seigneur, comment peut il se faire que vous entriez dans la maison
d'un misérable réprouvé comme moi ? " Jésus
lui expliqua qu'il était venu pour ramener les pécheurs et
les purifier. Cet homme ne cessait de parler de la réprobation qui
le poursuivait ; il disait que tous les gens de ce lieu étaient
une race maudite et le rebut de l'humanité. Il dit encore que ses
petits enfants étaient malades, et dans un triste état. Jésus
lui répondit que s'il croyait en lui et voulait se faire baptiser,
il rendrait la santé à ses petits enfants. Il lava les pieds
de Jésus, et lui donna ce qu'il avait pour sa réfection.
Les voisins vinrent alors, et il leur dit qui était Jésus
et ce qu'il lui avait promis. Il y avait là un de ses parents qui
s'appelait Issachar. Il conduisit aussi Jésus à ses petits
enfants malades. Ils étaient ou lépreux ou perclus, et dans
un état de rachitisme complet. Jésus alla aussi voir les
femmes qui étaient malades et affligées de pertes de sang.
Il commanda aux enfants de se lever et ils furent guéris : il donna
l'ordre de leur apprêter un bain. On plaça un grand vase plein
d'eau sous une tente, et Jésus y versa un peu de l'eau baptismale
du Jourdain qu'il portait à son côté sous sa longue
robe dans deux flacons attachés avec des courroies, puis il bénit
l'eau. Les malades s'y lavèrent : tous en sortirent guéris
et remercièrent le Seigneur. Il ne les baptisa pas lui même,
mais cette ablution fut comme un ondoiement, et il les exhorta à
aller au Jourdain recevoir le baptême.
Ils lui demandèrent si le Jourdain avait donc une vertu particulière,
et il leur répondit que la voie du Jourdain avait été
mesurée et établie, et que tous les lieux saints de la Terre
Promise avaient été marqués par son Père céleste
avant qu'il y eût des habitants, bien plus, avant que cette terre
et le Jourdain existassent. Il dit à ce sujet d'admirables choses
que j'ai oubliées. Il parla en outre du mariage, s'entretint avec
les femmes, recommanda la chasteté et continence, et représenta
l'abaissement des gens de cet endroit et l'état misérable
des enfants, comme étant la suite d'unions contraires à la
règle, qui avaient lieu dans cette contrée : il parla de
la part qu'avaient les parents à l'état misérable
des enfants, des moyens d'arrêter le mal, qui étaient la pénitence
et la satisfaction, et de la renaissance par le baptême.
Il parla de tout ce qu'ils avaient fait pour la sainte Famille lors
de sa fuite, et enseigna dans les endroits ou elle avait pris sa nourriture
et s'était reposée. Joseph et Marie avaient avec eux, pendant
la fuite en Egypte, un âne et une ânesse. Il leur montra tous
leurs actes d'alors comme des figures prophétiques de ce qu'ils
faisaient actuellement pour passer de l'état de péché
à l'état de grâce. Ils apprêtèrent pour
le Seigneur un repas aussi bon que cela leur fut possible. Il se composait
d'une espèce de laitage épais semblable à du fromage
blanc, de miel, de petits pains cuits sous la cendre, de raisins et d'oiseaux.
(9 octobre.) Aujourd'hui j'ai vu Jésus revenir d'Anim en compagnie
de quelques uns de ces hommes, mais par un autre chemin. Il arriva vers
le soir près d'un endroit situé sur les deux côtés
d'une montagne ; il y avait là une vallée sauvage venant
de l'orient, et coupée de ravins profonds. Cet endroit ou cette
montagne avait un nom qui ressemblait à Ephraim ou Ephron. La direction
des montagnes était vers Gaza. Jésus était venu par
le pays d'Hébron On voyait aussi à quelque distance du chemin
qu'il avait suivi un bourg en ruines, avec une tour dont le nom ressemblait
à Malaga (vraisemblablement Malada, que Flavius Josèphe,
XVIII, 7, 2, appelle Malatha). A une lieue d'ici à peu près
était le bois de Mambré ou les anges apportèrent à
Abraham la promesse qu'il aurait un fils. La double caverne qu'il avait
achetée d'Ephron, l'Héthéen, et où était
sa sépulture, n'était pas éloignée de là
non plus que le lieu du combat de David contre Goliath.
Jésus, que ses compagnons avaient quitté, fit le tour
d'un côté de la ville, divisée en deux parties, et
ses disciples, auxquels il avait assigné cet endroit, le trouvèrent
dans la vallée, suivant un sentier escarpé. Laissant de côté
cette gorge, il les conduisit à une grotte située dans un
endroit tout à fait sauvage et d'un accès difficile, mais
très spacieuse. Ils y passèrent la nuit. C'était là
qu'avait été la sixième station de la sainte Famille
lors de la fuite en Egypte. Voici ce qu'elle dit de cet endroit, le 18
octobre : " La grotte où s'était réfugiée Marie,
près d'Ephraim, fut appelée dans la suite lieu du séjour
de Marie(4), et des pèlerins la visitaient sans qu'on sût
exactement le fait qui s'y rattachait. Plus tard. il ne demeurait là
que de pauvres gens."
Note 4 : Dans le Voyage à Jérusalem du franciscain Ant.
Gonzalez, Anvers, 1673, on lit première partie, page 556 ; qu'à
un mille d'Hébron, dans la direction de Jérusalem, à
gauche du chemin, il est allé dans un village appelé Village
de Marie, où la sainte Vierge s'est arrêtée lors de
faite en Egypte. Il est situé sur une hauteur et il y a encore une
église entière avec trois arcades et trois portes. Sur le
mur on voit encore une peinture représentant Marie avec l'Enfant,
montée sur un âne et conduite par saint Joseph : au bas de
la montagne sur laquelle sont l'église et le village, se trouve
une belle fontaine appelée la fontaine de Marie.
Jésus raconta cela aux disciples, qui, à l'aide d'une
mécanique avec laquelle on fait tourner rapidement un morceau de
bois dans un autre. avaient allumé du feu. Il leur parla de la sainteté
de ce lieu. un prophète, Samuel, si je ne me trompe, y était
souvent venu prier. David avait gardé les troupeaux de son père
dans les environs ; il avait prié dans cette grotte et y avait reçu
des ordres de Dieu, apportés par les anges : ce fut là aussi
qu'il lui fut commandé d'aller tuer Goliath. J'ai vu là d'autres
choses dont je ne me souviens plus.
Je vis que la sainte Famille, dans sa fuite, arriva là très
fatiguée et très abattue ; que la sainte Vierge en particulier
était fort triste et pleurait : ils manquaient de tout, car ils
allaient par des sentiers détournés, évitant les grandes
villes et les hôtelleries fréquentées : ce fut leur
sixième station. Ils se reposèrent là tout un jour
Il y eut là aussi plusieurs grâces miraculeuses pour leur
soulagement : une source jaillit dans la grotte, et une chèvre sauvage
vint à eux et se laissa traire. Je crois aussi qu'un ange vint les
consoler.
Jésus parla aux disciples des grandes souffrances qui les attendaient,
eux et tous ceux qui voudraient le suivre. Il parla beaucoup des peines
que sa sainte mère et lui avaient endurées ici, de la miséricorde
de son Père céleste, et de la sainteté de ce lieu.
Il ajouta qu'on y bâtirait un jour une église, et il bénit
cette grotte comme s'il l'eût consacrée. Ils mangèrent
là quelques fruits et quelques petits pains que les disciples avaient
apportés avec eux.
(10 octobre.) Ce matin, Jésus quitta la grotte, et ils se dirigèrent
vers Bethléhem, en contournant l'autre côté de la montagne
et de la bourgade. Ils arrivèrent près de quelques maisons
isolées et entrèrent dans une hôtellerie où
ils
prirent un peu de nourriture et où on leur lava les pieds. Les gens
étaient bons et curieux. Jésus enseigna sur la pénitence,
sur l'approche du salut` et sur ce qu'il fallait faire pour le suivre.
On lui demanda pourquoi sa mère avait fait le long voyage de Nazareth
à Bethléhem, lorsqu'elle aurait pu rester chez elle où
elle aurait été si bien. Alors Jésus parla de la promesse,
dit qu'il avait dû naître dans la pauvreté, à
Bethléhem, et parmi les bergers, comme étant lui même
un berger qui devait rassembler le troupeau : c'était pour cela
qu'il avait voulu parcourir ces contrées habitées par des
bergers, aussitôt après que son Père céleste
avait rendu témoignage de lui.
D'ici il alla vers la partie méridionale de Bethléhem,
qui n'était guère qu'à deux lieues, suivit quelque
temps la vallée des Bergers, là où elle se dirigeait
vers le midi, et contourna la partie occidentale de Bethléhem. Il
laissa à droite la maison paternelle de Joseph, et arriva le soir
à Maspha, petite ville aujourd'hui, et située à quelques
lieues de Bethléhem.
On pouvait voir Maspha de loin. Autour de la ville brillaient des feux
allumés dans des lanternes de fer, placées sur les routes
principales. La ville avait des remparts et des tours, et plusieurs grandes
routes la traversaient. Elle avait été longtemps un chef
lieu religieux. Judas Macchabée (Macch.,III,46) y avait présidé
à des prières solennelles avant le combat, et rappelé
à Dieu ses promesses et l'injure que lui faisaient les édits
de ses ennemis ; il avait aussi déposé, en présence
du peuple, ses vêtements sacerdotaux. Alors cinq anges lui apparurent
devant la ville et lui promirent la victoire. C'est ici aussi que les Israélites
s'assemblèrent pour combattre contre la tribu de Benjamin, à
cause des outrages faits à la femme d'un lévite qui voyageait,
et de la mort de cette femme qui en avait été la suite. Ce
crime fut commis près d'un arbre ; l'endroit était encore
entouré d'un mur et personne n'en approchait. Samuel aussi a jugé
à Maspha ; et c'est là qu'était le couvent des Esséniens,
où habitait Manahem, qui, dans son enfance, avait prédit
la royauté à Hérode. Il avait été bâti
par un Essénien du nom de Kharioth. Il vivait environ cent ans avant
Jésus Christ. C'était un homme marié des environs
de Jéricho. Il s'était séparé de sa femme,
et tous deux avaient fondé plusieurs communautés pour les
Esséniens, l'une pour les hommes, l'autre pour les femmes. Il avait
aussi établi un autre couvent à peu de distance de Bethléhem,
et il était mort. Il avait été un si saint homme,
qu'à la mort du Christ, il fut un des premiers qui sortirent de
leur tombeau et apparurent.
Il y avait en cet endroit un grand nombre d'hôtelleries, et on
y savait très promptement quand un étranger était
arrivé. Jésus était à peine dans l'hôtellerie,
que beaucoup de gens se pressèrent autour de lui. On le conduisit
à la synagogue, où il expliqua la loi. Il y avait là
des espions dont les intentions n'étaient pas droites et qui voulurent
lui tendre des pièges, parce qu'ils avaient entendu dire qu'il voulait
amener les pa'ens eux mêmes au royaume de Dieu, et qu'il avait parlé
des trois rois chez les bergers. Jésus prêcha en termes très
sévères : il dit que le temps de l'accomplissement de la
promesse était venu, que tous ceux qui renaîtraient par le
baptême, qui croiraient à celui que le Père avait envoyé
et observeraient ses préceptes, auraient part au royaume de Dieu
; mais que si les juifs ne croyaient pas, la promesse leur serait retirée
et passerait aux gentils.
Je ne sais pas bien m'exprimer, mais il dit qu'il n'ignorait pas qu'on
l'espionnait, que du reste ils pouvaient aller à Jérusalem
y rapporter ce qu'ils venaient d'entendre. Jésus dit aussi quelque
chose de Judas Macchabée, et d'autres événements arrivés
ici. Comme on lui parlait de la magnificence du temple et de la prééminence
des Juifs sur les gentils, il leur expliqua que le but de l'élection
du peuple juif et de son temple était atteint : car celui que le
Seigneur avait promis par la bouche des prophètes, était
venu pour fonder le royaume et le temple du Père céleste,
etc.
Après avoir ainsi enseigné, Jésus quitta Maspha
et alla à une lieue plus à l'est. Il passa d'abord à
travers un groupe de maisons et arriva à une ferme isolée,
chez des gens alliés à saint Joseph ; un beau fils du père
de saint Joseph, fils d'une veuve qu'il avait épousée, s'était
marié ici et ses descendants y habitaient. Ils avaient eux mêmes
des enfants, ils étaient baptisés et ils accueillirent Jésus
avec une bienveillance respectueuse. il vint aussi chez eux plusieurs voisins.
Jésus leur fit une instruction et prit un repas chez eux. Après
le repas, il sortit seul avec deux de ces hommes qui s'appelaient Aminadab
et Manassé. Ils lui demandèrent s'il connaissait leurs relations
de famille, et s'ils devaient le suivre dès à présent.
Il leur dit que non ; qu'ils devaient se borner maintenant à être
ses disciples en secret. Ils se mirent à genoux et il les bénit`.
ils se réunirent ouvertement aux disciples avant sa mort. Il passa
ici la nuit.
(1er octobre. ) Le 1er octobre, Jésus alla deux lieues plus
loin avec ses disciples, et arriva près d'une ferme qui avait été
l'avant dernier séjour de Marie avant Bethléhem, dont elle
pouvait être éloignée d'environ quatre lieues. Des
hommes de cette maison vinrent à sa rencontre et se prosternèrent
devant lui sur le chemin, pour l'inviter à venir chez eux. On l'y
accueillit avec beaucoup de joie. Ces gens allaient presque journellement
à 1a prédication de Jean. et ils savaient ce qui s'était
passé de merveilleux au baptême de Jésus. On lui prépara
un repas et un bain chaud ; ils lui avaient aussi préparé
une belle couche. Jésus enseigna ici comme à l'ordinaire.
La femme qui, trente ans auparavant, reçut ici la sainte Famille,
vivait encore. Elle habitait seule dans le bâtiment principal, ses
enfants demeuraient près de là, et lui envoyaient sa nourriture.
Quand Jésus se fut baigné, il alla visiter cette femme, elle
était aveugle et tout à fait courbée depuis plusieurs
années. Jésus parla de la miséricorde et de l'hospitalité,
des oeuvres incomplètes et de l'amour propre. Il lui représenta
le triste état où elle était, comme un châtiment
de péchés de ce genre. Elle fut très émue,
se confessa coupable, et Jésus la guérit. Il lui prescrivit
de se mettre dans l'eau où il s'était lavé. Alors
elle recouvra la vue, et redevint droite et bien portante. Il lui défendit
de parler de cela à personne.
Ces gens lui demandèrent en toute simplicité quel était
le plus grand de lui ou de Jean. Il répondit : " celui auquel Jean
rend témoignage. " Ils parlèrent aussi de l'énergie
et du zèle de Jean, puis de la belle taille et de la robuste apparence
de Jésus. Jésus leur dit que, dans moins de quatre ans, ils
ne verraient plus rien d'apparent en lui, et ne le reconnaîtraient
plus, tant ce corps serait défiguré. Il parla de l'ardeur
et du zèle de Jean, le comparant à un homme qui frappe à
la porte de ceux qui dorment avant l'arrivée du maître, à
un ouvrier qui fraye le chemin à travers le désert pour que
le roi puisse passer, à un torrent d'eau qui nettoie le lit du fleuve.
( 12 octobre. ) Le matin, dès l'aube du jour, Jésus partit
avec ses disciples et une troupe de gens qui s'étaient réunis
ici à lui ; il se dirigea vers le Jourdain, qui pouvait être
à trois lieues de distance, si ce n'est davantage. Le Jourdain coule
dans une large vallée qui s'étend bien à une demi
lieue de chaque côté. La pierre de l'arche d'alliance, placée
dans l'endroit clos de murs où l'on avait célébré
la fête dont il a été parlé, se trouvait à
une lieue à peu près en avant de l'endroit où Jean
baptisait, quand on allait directement vers Jérusalem. La cabane
de Jean, près des douze pierres, était dans la direction
de Bethabara, un peu plus au nord que la pierre de l'arche d'alliance.
Les douze pierres elles mêmes étaient à une demi lieue
de l'endroit où l'on baptisait, dans la direction de Galgala. Galgala
est sur le côté occidental de la hauteur à un point
où elle s'abaisse un peu.
Du bassin baptismal de Jean, on avait une belle vue sur les deux rives
en amont du fleuve, où la fertilité était très
grande. Le district le plus renommé par les agréments du
paysage, l'abondance des fruits et la richesse du sol se trouvait au bord
de la mer de Galilée ; ici et ; autour de Bethléem, c'étaient
plutôt des champs de blé des prairies. des plantations de
dourra, d'ail et de concombres.
Jésus avait déjà passé la pierre de l'arche
d'alliance, et, se trouvant à un quart de lieue de la cabane de
Jean, où celui ci enseignait, il passa devant une ouverture de vallée,
à un endroit d'où l'on pouvait ` voir Jean dans le lointain.
Jésus ne fut en vue du précurseur que pendant deux minutes.
Mais Jean fut saisi de l'esprit. Il montra Jésus du doigt et s'écria
`' Voici l'agneau de Dieu, qui efface les péchés du monde.
etc. "Jésus passa outre ; ses disciples étaient en groupes
séparés, en avant et en arrière. La troupe qui s'était
adjointe à lui en dernier lieu, venait ensuite. On était
au commencement de la matinée. Beaucoup de personnes ayant entendu
les paroles de Jean coururent de ce côté, mais Jésus
était déjà passé. Ils le suivirent de leurs
acclamations, mais ils ne lui parlèrent pas autrement.
( Note de l'écrivain. Comme le lundi suivant, 17 octobre, Jésus
arriva le soir à Dibon pour la fête des Tabernacles, ce soir
du 15 octobre est nécessairement le commencement du 15 du mois de
Tisri où s'ouvrait ; la fête des Tabernacles ; le jour d'aujourd'hui
est alors le 11 Tisri ou le second jour de la fête expiatoire, dans
laquelle le grand prêtre maudissait dans le temple un bouc chargé
de ses péchés et de ceux de tout le peuple, et le faisait
chasser dans le désert. La co'ncidence de cette cérémonie
avec les paroles du précurseur, jette une lumière sur les
mots : " Voici l'agneau de Dieu qui porte les péchés du monde
! " )
Lorsque ces gens revinrent, ils dirent à Jean qu'il allait bien
du monde avec Jésus. Ils avaient aussi entendu dire que ses disciples
avaient déjà baptisé ; qu'allait il advenir de tout
cela ? Jean leur répéta encore une fois qu'il quitterait
bientôt ce lieu pour faire place à Jésus, car il n'était
que le précurseur et le serviteur. Cela ne plaisait pas beaucoup
à ses disciples ; ils étaient un peu jaloux des disciples
de Jésus.
Jésus dirigea sa marche vers le nord ouest, laissa Jéricho
à droite, et alla vers Galgala, qui était à environ
deux lieues de Jéricho. Sur son chemin, il s'était arrêté
dans plusieurs endroits, où les enfants l'accompagnaient en chantant
des cantiques de louange, ou bien couraient dans les maisons pour faire
venir leurs parents.
On appelait Galgala toute la plaine située à une certaine
élévation au dessus du niveau de la vallée du Jourdain,
et elle est entourée dans une circonférence de cinq lieues,
de ruisseaux qui vont se jeter dans le fleuve. Mais l'endroit nommé
Galgala, dont Jésus s'approcha avant le soir, s'étend sur
une longueur d'environ une lieue dans la direction de la contrée
où séjournait le précurseur. Les maisons sont disséminées
et il y a des jardins dans les intervalles.
Jésus entra d'abord en avant de la ville, dans un lieu considéré
comme saint, où l'on menait les prophètes et les docteurs
renommés. Ce fut là que Josué communiqua aux enfants
d'Israël quelque chose que Mo'se, avant de mourir, avait fait connaître
à Eléazar et à lui. C'étaient six malédictions
et six bénédictions. La colline où les Israélites
furent circoncis était voisine de ce lieu et entourée d'un
mur.
Je vis à cette occasion la mort de Mo'se. Il mourut sur une
petite colline escarpée, qui est au milieu des montagnes de Nébo,
entre l'Arabie et Moab. Le camp des Israélites s'étendait
au loin à l'entoure : seulement quelques postes s'avançaient
dans la vallée qui tournait autour de la colline. Cette colline
était toute recouverte d'une plante verte comme le lierre, qui venait
en touffes assez semblables à celles du genévrier. Mo'se
s'en servait pour s'aider à monter. Josué et Eléazar
étaient près de lui. Je ne sais plus bien tout ce qui se
passa là. Je crois qu'il eut une vision de Dieu que les autres ne
virent pas. Il donna à Josué un rouleau où étaient
écrites six malédictions et six bénédictions,
qu'il devait faire connaître au peuple lorsqu'il serait entré
dans la Terre Promise. Ensuite, les ayant embrassés, il leur ordonna
de se retirer sans regarder derrière eux. Alors il se mit à
genoux les bras étendus, et il tomba mort sur le côté.
Je vis la terre s'ouvrir pour ainsi dire sous lui, et se refermer après
l'avoir reçu comme dans une belle sépulture. Lorsque Mo'se
apparut sur le Thabor au moment de la transfiguration de Jésus,
je le vis venir de cet endroit. Josué lut au peuple les six bénédictions
et les six malédictions.
Plusieurs amis de Jésus étaient venus l'attendre ici
; c'étaient Lazare, Joseph d'Arimathie, Obed, le fils d'une des
veuves de Nazareth, et d'autres encore. Il y avait ici une hôtellerie.
On lava les pieds au Seigneur et ses compagnons, et on leur offrit quelque
chose à manger.
Jésus fit une instruction devant une grande foule d'auditeurs,
parmi lesquels il y en avait plusieurs qui voulaient aller au baptême
de Jean ; c'était près du bras du fleuve, où l'on
avait ménage, contre la rive qui s'élevait en terrasse et
qui était coupée par des marches, un emplacement pour se
baigner ou faire ses ablutions. un pavillon était étendu
au dessus, et il y avait à l'entour des jardins d'agrément
avec des arbres, des massifs de verdure et du gazon. Saturnin et, je crois,
deux autres disciples auxquels Jean se joignit, baptisèrent ici
après une instruction de Jésus sur le Saint Esprit. Il parla
de ses divers attributs, et dit à quels signes on pouvait reconnaître
qu'on l'avait reçu.
Le baptême de Jean était précédé
d'une exhortation générale à la pénitence,
puis d'une protestation de repentir et d'une promesse de ne plus pécher.
Au baptême de Jésus, il n'y avait pas seulement confession
des péchés en général, mais chacun s'accusait
à part et confessait ses vices dominants, puis Jésus adressait
des exhortations et disait souvent leurs péchés en face à
ceux que l'orgueil ou la mauvaise honte retenait, afin de les porter par
là à la contrition. Jésus enseigna encore sur le passage
du Jourdain et sur la circoncision oui avait eu lieu ici, ajoutant que
le baptême s'y donnait maintenant pour ce motif, afin qu'il opérât
la circoncision du coeur chez ceux qui le recevaient ; il parla aussi de
l'accomplissement de la loi, etc.
Ceux qu'on baptisait ici n'entraient pas dans l'eau ; ils courbaient
seulement la tête au dessus ; on ne les revêtait pas non plus
d'une robe baptismale, on se bornait .`l leur mettre un drap blanc sur
les épaules. Les disciples n'avaient pas une écuelle avec
trois rainures comme Jean, mais ils puisaient trois fois avec la main dans
un bassin placé devant eux Jésus avait béni l'eau
et y avait versé de celle de son baptême. Lorsque les baptisés,
qui étaient bien au nombre de trente, sortirent de là, ils
étaient très émus et très joyeux, et disaient
qu'ils sentaient bien maintenant qu'il avaient reçu le Saint Esprit.
Jésus alla à Galgala pour le sabbat, suivi des acclamations
de la foule.
Le jour du sabbat, je vis Jésus, accompagné d'une suite
nombreuse, aller à la synagogue de Galgala. Elle était située
dans la partie orientale de la ville, du reste, très grande et très
ancienne. Elle était en forme de carré long, avec des pans
coupés : par conséquent, elle était plutôt octogone.
Elle avait trois étages où étaient des écoles
placées l'une au dessus de l'autre. Autour de chaque étage
régnait une galerie extérieure, et les escaliers montaient
au dehors le long des murs. Au dessus, dans les pans coupés de l'édifice,
se trouvaient des niches dans lesquelles on pouvait se tenir et d'où
l'on voyait à une grande distance autour de soi. La synagogue était
dégagée de deux côtés et bordée de petits
jardins. Devant l'entrée étaient un vestibule et une chaire,
comme au temple de Jérusalem. Elle était précédée
d'une cour antérieure avec un autel en plein air où on avait
sacrifié autrefois : il y avait aussi des places couvertes pour
les femmes et les enfants. On retrouvait là les traces de toute
une organisation semblable à celle du temple ; on voyait que l'arche
d'alliance y avait séjourné et qu'on y avait sacrifié.
Dans l'école d'en bas, où tout était particulièrement
bien disposé, il y avait, à l'extrémité qui
correspondait à l'emplacement du Saint des Saints dans le temple,
une colonne octogone autour de laquelle étaient des tablettes avec
des rouleaux d'écritures. Plus bas s'étendait une table qui
entourait la colonne, et au dessous se trouvait un caveau ou l'Arche d'alliance
avait reposé. Je ne sais pas si cette colonne était déjà
là à cette époque : je crois qu'elle fut placée
plus tard pour indiquer la sainteté de ce lieu qui était
encore révéré. Cette colonne était d'une belle
pierre blanche polie.
Jésus enseigna dans l'école d'en bas, devant le peuple,
les prêtres et les docteurs. Il dit, entre autres choses, que le
royaume promis avait d'abord été fondé ici, qu'on
y avait pratiqué plus tard une idolâtrie abominable, si bien
qu'il s'y trouvait a peine sept justes. Ninive était cinq fois plus
grande, et il n'y avait que cinq justes. Galgala avait été
épargnée par Dieu ; mais maintenant il ne fallait pas qu'ils
repoussassent la promesse d'un envoyé de Dieu au moment où
elle s'accomplissait ; il fallait faire pénitence et renaître
par le baptême, etc. Il ouvrit alors les écrits qui étaient
devant la colonne, et y lut des textes qu'il commenta.,
Il enseigna ensuite les jeunes gens au second étage, et puis
les enfants au troisième. Etant descendu, il enseigna encore les
femmes, sous une halle qui était sur la place, et il s'entretint
ensuite avec les jeunes filles. Il traita ici de la chasteté et
de la discipline, de la curiosité qu'il fallait surmonter, de la
décence dans les habillements, dit qu'il fallait cacher sa chevelure
et porter un voile sur la tête, au temple et à l'école.
Il parla de la présence de Dieu et de celle des anges dans les lieux
sanctifiés, et dit que les anges eux mêmes voilaient leur
visage. Il dit encore qu'au temple ou à l'école, ils étaient
présents parmi les hommes ; il expliqua en outre pourquoi les femmes
devaient avoir la tête voilée. Je l'ai oublié. Jésus
fut très affectueux envers les enfants : il les bénit et
les prit dans ses bras : ils montraient beaucoup de penchant pour lui.
Sa présence ici causa en général beaucoup de satisfaction
et de joie ; lorsqu'il quitta l'école, le peuple faisait entendre
devant lui et derrière lui des acclamations dont le sens était
à peu près celui ci : " Que la promesse s'accomplisse, qu'elle
reste avec nous, qu'elle ne nous quitte pas. "
Le 14, après que Jésus eut enseigné à Galgala,
on voulait lui amener des malades, mais il s'y refusa, disant que ce n'était
pas le lieu ni le moment, qu'il devait s'en aller, qu'il était appelé
ailleurs. Lazare et les amis de Jérusalem étaient retournés
chez eux. Il fit dire à la sainte Vierge en quel endroit il irait
la trouver avant de s'en aller au désert, je crois que c'était
à Coroza'm. Les saintes femmes n'étaient plus à Thébez,
elles étaient déjà en route pour l'endroit où
elles devaient se rencontrer avec Jésus. Mais elles n'allèrent
pas à Capharnaum, parce qu'on y tenait beaucoup de propos sur leurs
fréquents voyages.
( 14 octobre. ) à Jérusalem, il y avait de grandes contestations
touchant Jésus, dont on avait entendu beaucoup parler : car ils
avaient partout des gens à leurs gages qui leur faisaient des rapports.
Il y eut une longue délibération sur Jésus dans un
tribunal appelé le sanhédrin, qui se composait de soixante
et onze prêtres et docteurs : l'affaire fut traitée dans un
comité de vingt personnes, qui se divisaient encore cinq par cinq
pour consulter et discuter. Ils firent des recherches dans les registres
généalogiques, et il leur fut impossible de nier que Joseph
et Marie fussent de la race de David, et la mère de Marie de la
race d'Aaron ; mais, disaient ils, ces familles étaient tombées
dans l'obscurité la plus complète, et Jésus allait
ça et là avec des gens de bas étage ; il se souillait
en frayant avec des publicains et des pa'ens et caressait les esclaves.
Ils avaient ou' dire que, tout récemment, dans les environs de Bethléem,
Jésus s'était entretenu familièrement avec les Sichémites
qui revenaient de leur travail : ils supposaient qu'il pourrait bien avoir
le dessein de soulever la populace. Quelques uns prétendaient que
c'était peut être un enfant supposé, puisqu'il s'était
une fois donné pour un fils de roi. C'était une fausse interprétation
de sa parabole. Il devait avoir été instruit secrètement,
croyaient ils, et ce ne pouvait être que par le diable ; car il se
retirait souvent à part et passait les nuits, seul, dans des lieux
déserts ou sur des collines. Ils avaient déjà pris
des informations sur tout cela. Parmi ces vingt personnes, il s'en trouvait
plusieurs qui connaissaient mieux Jésus et ses adhérents,
qui avaient été fort touchées de ses discours, et
qui étaient au nombre de ses amis secrets. Mais ils ne contredisaient
pas les autres, afin de rester en position de rendre des services à
Jésus et à ses disciples auxquels, dans la suite, ils envoyèrent
fréquemment des informations. On finit par répandre dans
Jérusalem la décision suprême des vingt ; c'est ainsi
qu'on qualifiait leur opinion que Jésus devait avoir été
instruit par le diable.
Le baptême qui avait eu lieu à Galala fut annoncé
à Jean par ses disciples et représenté comme une usurpation
sur ses droits. Mais il continua à déclarer, comme toujours,
en s'humiliant profondément, qu'il céderait bientôt
la place à son Seigneur, dont il avait été le précurseur,
et auquel il avait préparé la voie. Toutefois, ses disciples
ne le comprirent pas.
Le 14, Jésus, accompagné d'une vingtaine de personnes,
s'avança à deux lieues vers le nord, dans la plaine de Galgala
: ils passèrent un cours d'eau à l'aide d'un tronc d'arbre,
après quoi ils traversèrent un bois et se dirigèrent
au levant, par un chemin qui menait au Jourdain. Ils passèrent le
fleuve sur un radeau dirigé par des rameurs. Il y avait des bancs
le long de ce radeau ; au milieu se trouvaient de grands baquets où
l'on plaçait les chameaux qui, autrement, auraient pu enfoncer leurs
pieds dans l'eau, entre les poutres. Il y avait place pour trois chameaux.
En ce moment, il n'y en avait point ; le Seigneur et ses disciples étaient
seuls. C'était le soir, et le passage se faisait aux flambeaux.
Jésus raconta la parabole du semeur, qu'il expliqua encore le lendemain.
Le passage durait bien un bon quart d'heure, car le fleuve était
très rapide en cet endroit ; il fallait d'abord remonter à
une certaine hauteur, puis se laisser porter parle courant. Le lieu où
ils abordèrent n'était pas tout à fait en face de
celui d'où ils étaient partis. Le Jourdain est un singulier
fleuve : en beaucoup d'endroits on ne peut pas le passer, et il n'y a pas
de chemin le long de ses rives escarpées. Souvent il tourne très
court, et semble couler vers un point autour duquel il fait un détour.
Souvent il est hérissé de rochers où ses eaux se brisent
en mille endroits ; il y a aussi beaucoup d'îles. Il est tantôt
trouble, tantôt limpide, selon la nature du sol.
Il y a aussi quelques chutes ; son eau est douce et tiède.
A l'endroit où ils débarquèrent, il y avait des
maisons de publicains. Il passait là une grande route qui descendait
du pays de Cédar, vers lequel se dirigeait une vallée. Jésus
entra chez des publicains qui avaient déjà reçu le
baptême de Jean. Plusieurs de ses compagnons furent choqués
de ce qu'il en agissait si familièrement avec ces gens méprisés,
et ils se tinrent à l'écart. Jésus et ses disciples
passèrent ici la nuit ; les publicains les hébergèrent
avec beaucoup d'humilité. Leurs maisons étaient dans le fond
de la vallée, tout contre le Jourdain ; un peu plus loin étaient
les hôtelleries pour les marchands et les chameaux. Il y en avait
un grand nombre pour le moment : ils se trouvaient arrêtés
là, parce qu'ils ne pouvaient pas se mettre en route à cause
de la fête des Tabernacles qui commençait le lendemain. La
plupart étaient pa'ens, mais ils étaient obligés d'observer
le repos des jours de fête.
Les publicains demandèrent à Jésus ce qu'ils devaient
faire du bien mal acquis. Jésus répondit qu'il fallait le
porter au temple : il entendait cela dans le sens spirituel, et voulait
parler de la communauté chrétienne qui se forma par la suite.
On devait acheter de cet argent un champ pour de pauvres veuves, près
de Jérusalem. Il leur expliqua aussi pourquoi ce devait être
un champ : cela se liait à un développement de la parabole
du semeur.
Le jour suivant, Jésus alla avec eux dans les environs, sans
quitter les bords du fleuve. Il parla encore là du semeur et de
la moisson à venir. C'était probablement à cause de
la fête des Tabernacles, qui est en même temps la fête
de la récolte des fruits et du vin.
J'ai oublié de dire que, tout récemment, lorsqu'il vit
faire la moisson dans la vallée des Bergers, où il parla
aux Sichémites on faisait aussi la vendange dans cet endroit.
Quand le Seigneur eut marché quelque temps avec les publicains,
et leur eut donné des enseignements dont j'ai oublié une
grande partie, je le vis, ce même jour, continuer sa route en suivant
la vallée jusqu'à un endroit peu éloigné où
s'élevaient des deux côtés des rangées de maisons
qui bordaient le chemin pendant une demi lieue en bas et en haut des montagnes.
On allait par là à Dibon, dont cet endroit semblait être
un faubourg. Dans toutes ces maisons on célébrait la fête
des Tabernacles ; à côté des maisons étaient
dressées des cabanes de feuillage, ornées de bouquets, de
guirlandes de fruits et de grappes de raisin. Je vis d'un côté
du chemin les cabanes de feuillage, et à part des cabanes plus petites
pour les femmes : de l'autre côté, celles où l'on tuait
les animaux. Dés gens portant toute espèce d'aliments traversaient
le chemin, ainsi que des troupes d'enfants, allant d'une cabane à
l'autre. Ils faisaient de la musique et chantaient ; ils étaient
couronnés de guirlandes et avaient des instruments triangulaires
avec des anneaux ; ils les faisaient sonner. Ils avaient aussi des triangles
où étaient tendues des cordes, et un instrument à
vent auquel étaient adaptés plusieurs tuyaux roulés
comme des serpents.
Jésus s'arrêtait ça et là et enseignait
: on lui offrit à manger ainsi qu'aux disciples, notamment des grappes
de raisin portées par deux personnes sur des bâtons. Le soir,
le Seigneur logea dans une hôtellerie, à l'extrémité
de cette rangée de maisons, non loin de la grande et belle synagogue
de Dibon, qui était située entre Dibon et ces habitations,
sur une large place au milieu du chemin ; elle était entourée
d'arbres. Jésus fut aussi hébergé dans une cabane
de feuillage et il y enseigna.
Le jour d'après, Jésus enseigna dans la synagogue. Il
raconta encore la parabole du semeur, il enseigna sur le baptême
et sur l'approche du royaume de Dieu, parla aussi de la fête des
Tabernacles et de la manière dont on la célébrait
ici. Il reprocha à ces gens de mêler des choses pa'ennes à
leur culte, car il y avait encore ici des Moabites, et les habitants avaient
contracté des alliances avec eux. Lorsque Jésus sortit de
la synagogue, il trouva sur la place beaucoup de malades qu'on avait apportés
dans des litières. Ils criaient : " Seigneur, vous êtes un
prophète ! vous êtes l'envoyé de Dieu, vous pouvez
nous secourir. Secourez nous, Seigneur ? " Il en guérit plusieurs.
Le soir, on lui donna, ainsi qu'aux siens, un grand repas dans l'hôtellerie.
Il y avait dans le voisinage beaucoup de marchands pa'ens qui écoutaient.
Il parla de la vocation des gentils, de l'étoile qui avait paru
dans le pays des rois mages, et du voyage qu'avaient fait les rois pour
visiter l'Enfant.
Il quitta cet endroit pendant la nuit, et alla seul prier sur une montagne.
Il donna rendez vous à ses disciples pour le jour suivant sur la
route du côté du Dibon. Dibon est à six lieues de Galgala
; c'est un endroit où il y a beaucoup de sources et de prairies
; on y voit beaucoup de jardins et de terrasses.
Remarque. Aujourd'hui, 17 octobre et les jours suivants, la narratrice,
qui était très souffrante, fut tellement gênée
et dérangée par des visites, qu'elle oublia beaucoup de choses,
et fit peut être plus d'une confusion dans son récit.
Jésus, pendant la nuit, n'alla pas par la route du commerce
qui passait par Dibon, mais il prit un chemin de traverse, à deux
lieues du Jourdain, en remontant le fleuve. Le mercredi matin, je le vis
avec les disciples passer par un misérable village dont les maisons
étaient recouvertes avec des joncs. Les habitants dormaient encore
dans les cabanes de feuillage. Le nom de cet endroit signifie la maison
de l'Hyssope.
Jésus ne fit que le traverser, mais sur le chemin, il parla
aux disciples des jugements terribles qui devaient venir, d'une époque
de détresse et de dépravation où la mère mangerait
son propre enfant. Je vis alors une scène de la destruction de Jérusalem
; je vis une femme qui alors n'était pas encore née, sortir
de cette ville, et, poussée a bout par le désespoir, faire
rôtir son enfant et le manger.
Il alla encore dans une petite ville où il enseigna ; mais les
habitants étaient mal disposés pour lui. Il se trouvait là
des espions de Jérusalem qui le contredisaient et lui reprochaient
ce qu'il disait de son Père céleste. Il s'arrêta là
quelque temps, et quitta cet endroit. Je le vis traverser une petite rivière.
Vers le soir il arriva à Sukkoth. La ville n'était pas
très grande ; mais il vint à lui une foule extraordinairement
nombreuse où se trouvaient plusieurs malades. Il enseigna dans la
synagogue, et fit donner le baptême. Outre Saturnin, quatre autres
disciples baptisaient. Lorsque Jésus passa devant Jean, il se trouva
entre autres, parmi ceux qui le suivirent, deux frères, neveux de
Joseph d'Arimathie par leur mère : l'un s'appelait Aram, le nom
de l'autre était comme Thémé ou Théméni.
Ils étaient de Jérusalem et orphelins. C'était principalement
à cause d'eux que Joseph, qui était leur tuteur, était
venu d'Arimathie. Ils avaient une part de propriété dans
le jardin où Jésus fut enseveli. Leur souvenir m'est revenu
à la fête de saint Luc. Ils furent disciples de saint Luc,
qu'ils avaient connu antérieurement, lorsqu'il voyageait encore
en qualité de médecin et de peintre, et auquel ils communiquaient
fréquemment des nouvelles de toute espèce. Ils furent aussi
avec saint Paul, mais alors ils avaient reçu d'autres noms. Ils
allèrent avec Luc en Egypte, et aussi en Bithynie, ou il fut martyrisé
: c'est un pays par rapport auquel la Judée est très élevée.
à Sukkoth, le baptême se donnait près d'une fontaine
située dans une grotte creusée dans le roc, et tournée
au couchant vers le Jourdain. Toutefois, on ne pouvait pas voir le fleuve
de là, à cause d'une colline qui interceptait la vue. L'eau
de la fontaine venait pourtant du Jourdain ; elle était très
profonde. La lumière y arrivait d'en haut par des ouvertures : devant
la grotte était un lieu de plaisance spacieux, élégamment
arrangé, avec des arbustes, des touffes de plantes aromatiques et
du gazon. Il y avait là une ancienne pierre monumentale qui avait
rapport à une apparition de Melchisédech à Abraham.
Jésus enseigna ici sur le baptême de Jean : c'était
un baptême de pénitence qui devait bientôt cesser et
être remplacé par le baptême du Saint Esprit pour la
rémission des péchés. Il leur fit faire une confession
de leurs péchés en général, après quoi
ils s'accusèrent individuellement de leurs principales transgressions
les plus graves et de leurs passions dominantes. Il en terrifia plusieurs
en leur disant les péchés dont ils s'étaient rendus
coupables. Il leur imposa les mains pour les absoudre. Ils ne furent pas
plongés dans l'eau. Près de la pierre commémorative
d'Abraham, il y avait un grand bassin au dessus duquel ceux qui devaient
être baptisés se courbaient, les épaules nées.
Celui qui administrait le baptême leur versait trois fois de l'eau
sur la tête avec la main ; un grand nombre de personnes furent baptisées
ici.
Abraham a habité à Sukkoth avec sa nourrice Maraha. Il
y avait des champs en trois endroits. Il fit déjà ici un
partage avec Loth. Ce fut ici que Melchisédech vint pour la première
fois visiter Abraham : ce fut une visite semblable à celle que lui
faisaient souvent les anges. Il lui prescrivit un triple sacrifice de colombes,
d'oiseaux à long bec et d'autres animaux. Il lui dit aussi qu'il
viendrait plus tard à lui pour faire une oblation de pain et de
vin, lui fit connaître différentes choses pour lesquelles
il fallait qu'il priât, et lui annonça aussi des événements
futurs concernant Sodome et Loth. Melchisédech, à cette époque,
n'avait plus sa résidence terrestre à Salem. Jacob aussi
demeura ici.
Pendant que Jésus était à Dibon, je vis Luc dans
la vallée de Zabulon chez Barthélémy qui y avait son
établissement. Ils parlaient du baptême de Jean que Barthélémy
avait reçu, et des bruits qui couraient sur Jésus. Luc ne
pouvait pas comprendre qu'il frayât avec des gens de si bas étage.
Je ne sais pas trop de quelle religion était Luc. Il n'était
ni juif ni pa'en : c'était un savant qui recueillait partout des
informations. Il était d'Antioche et portait un costume plutôt
romain que juif : il avait étudié en Egypte, exerçait
la médecine, recueillait des plantes, et il choisissait aussi des
idoles qu'il envoyait en Egypte. Il eut des relations fréquentes
avec les disciples de Jésus, mais ce ne fut que peu de temps avant
la mort du Sauveur qu'il s'adjoignit définitivement à eux.
(18 octobre. ) Jésus continua son voyage vers le grand Chorazim,
où il avait donné rendez vous à sa mère et
aux saintes femmes dans une hôtellerie située près
de là. Il passa par Geras où il célébra le
sabbat. Après le sabbat, il se rendit à une hôtellerie
située dans le désert, à quelques lieues de la mer
de Galilée. Les gens qui la tenaient demeuraient dans le voisinage.
On l'avait ornée comme une cabane de feuillage. Les saintes femmes
l'avaient louée depuis quelques jours et y avaient tout disposé
; elles y célébraient vraisemblablement pour leur compte
la fête des Tabernacles. Elles faisaient venir leur nourriture de
Gerasa. La femme de Pierre était avec elles ainsi que toutes les
autres, même Suzanne de Jérusalem, mais non Véronique.
Jésus s'entretint en particulier avec sa mère ; il lui dit
qu'il irait encore à Bethanie, puis au désert. Marie était
sérieuse et triste : elle le pria de ne pas aller à Jérusalem,
parce qu'elle avait entendu parler de la délibération qui
y avait eu lieu à son sujet. Jésus passa la nuit ici.
Plus tard, il enseigna sur une colline où était un siège
de pierre qui avait autrefois servi de chaire. Il y avait là beaucoup
de gens du pays et une trentaine de femmes. Celles ci se tenaient à
part toutes ensemble. l
Après l'instruction, il dit à ses compagnons qu'il se
séparerait bientôt d'eux pour un temps, qu'ils devraient alors
s'en aller chacun de leur côté, et les femmes de même,
jusqu'à ce qu'il fût de retour. Il parla aussi du baptême
de Jean qui allait cesser, et de persécutions qui l'attendaient
lui et tous les siens.
(23 octobre) Le dimanche soir, Jésus quitta l'hôtellerie
avec une vingtaine de disciples et de compagnons, et alla au sud ouest
dans un district situé à environ douze lieues. Sur sa route
étaient plusieurs villes dont j'ai oublié les noms en partie.
J'ai vu cette nuit tant de villes dont il ne reste plus trace ! Il arriva
près d'une ville devant laquelle était une hôtellerie
qui avait été louée à perpétuité
pour lui et les siens. : Marthe, qui venait de voyager pour la première
fois en compagnie des saintes femmes lorsqu'elles étaient allées
à Gerasa, avait, lors de ce voyage, tout disposé dans cette
hôtellerie. Les gens qui la tenaient demeuraient dans le voisinage.
Les amis de Jérusalem en faisaient les frais. Les femmes l'avaient
indiquée hier à Jésus, lors de son départ.
La ville est à environ neuf lieues de Jérusalem et à
six ou sept de Jéricho.
Des Esséniens demeuraient dans le voisinage de l'hôtellerie
; ils vinrent trouver Jésus, lui parlèrent et mangèrent
avec lui. Il alla aussi à la synagogue et enseigna sur le baptême
de Jean, disant que c'était un baptême de pénitence,
une première purification incomplète, cérémonie
préparatoire, comme il s'en trouve quelques unes dans la loi, et
qu'il différait du t baptême de Celui que Jean annonçait.
Je n'ai vu rebaptiser ceux qui avaient reçu le baptême de
Jean qu'après la mort de Jésus et la descente du Saint Esprit
: cela se fit à la piscine de Bethesda. Les pharisiens de l'endroit
lui demandèrent à quels signes on devait reconnaître
le Messie, et il le leur dit. Il prêcha contre les mariages mixtes
avec les Samaritains et avec les pa'ens.
Judas Iscariote, qui fut plus tard apôtre, avait assisté
ici à la prédication de Jésus. Il vint seul et non
pas avec les disciples. Après avoir écouté Jésus
deux jours de suite, et bavardé à ce sujet avec les pharisiens
qui contredisaient le Sauveur, il était allé à un
endroit voisin assez mal famé, et il avait parlé avec emphase
à un homme pieux de l'enseignement de Jésus. Cet homme fit
prier Jésus de venir le voir.
Judas s'occupait de trafic, tenait des écritures et se chargeait
de toute espèce de commissions pour les uns et les autres. Il avait
hautement vanté Jésus ici, car c'était un flatteur,
et il disait à chacun ce qu'il croyait devoir lui plaire. Il partit
avant l'arrivée de Jésus.
(24 octobre.) Jésus, sur l'invitation de l'homme dont il a été
question, se rendit chez lui avec ses disciples, après avoir fini
son instruction. Ce bourg n'était pas grand, il était d'origine
nouvelle et en assez mauvais renom, à cause des gens de toute espèce
qui l'habitaient. Il doit s'être passé près d'ici quelque
chose qui a rapport aux Benjamites : car il y avait dans le voisinage un
arbre entouré d'un mur dont personne n'approchait. il y avait aussi
un endroit où Abraham et Jacob avaient offert des sacrifices. Esau
s'y était retiré lorsque Jacob et lui se brouillèrent
au sujet de la bénédiction paternelle. Isaac résidait
alors près de Sichar.
L'homme que Jésus vint visiter ici s'appelait Ja're. C'était
un Essénien de ceux qui vivaient dans l'état de mariage.
Il avait une femme et plusieurs enfants. Ses deux fils s'appelaient Ammon
et Caleb. Il avait aussi une fille que Jésus guérit plus
tard ; mais ce n'est pas le Jaire de l'Evangile. Il était de la
race de l'Essénien Khariot, qui avait fondé les couvents
de Bethléhem et de Maspha, et il savait beaucoup de choses touchant
les parents et la jeunesse de Jésus. Il alla au devant de lui avec
son fils, et le reçut avec beaucoup de déférence.
Sa charité faisait de lui le principal personnage de cet endroit
mal famé. Il prenait soin des pauvres, instruisait, à certains
jours fixés, les enfants et les ignorants, car il n'y avait en ce
lieu ni école, ni prêtres. Il assistait aussi les malades.
Jésus mangea et logea chez lui. Le Seigneur enseigna ici, comme
à l'ordinaire, sur le baptême de Jean, l'approche du royaume
de Dieu, etc. Il alla avec Ja're voir les malades et les consola : toutefois,
il ne voulut pas opérer de guérisons. Il promit qu'il reviendrait
dans quatre mois, et qu'alors il les guérirait. Dans sa prédication,
il fit allusion aux événements qui s'étaient passés
ici, rapprocha la conduite d'Esau, qui dans son ressentiment s'était
éloigné de son frère, des sentiments de mépris
et de répulsion que cet endroit inspirait aux autres juifs. Il parla
de la miséricorde du Père céleste, en vertu de laquelle
la promesse était accomplie pour tous ceux qui croyaient à
celui qu'il avait envoyé, recevaient le baptême, faisaient
pénitence, et dit comment la pénitence interrompait les suites
des mauvaises actions.
Le soir, Jésus partit pour Bethanie, accompagné de Ja're,
des fils de celui ci et des disciples. Les premiers allèrent avec
lui jusqu'à moitié chemin. Le jour suivant, Jésus
était avec ses disciples dans une hôtellerie voisine de Bethanie.
Il y enseigna longtemps, et en prenant congé de ses auditeurs, il
parla des dangers qu'il aurait à courir ainsi que tous ceux qui
l'accompagneraient dans la carrière où il allait entrer.
Il leur dit aussi qu'ils étaient libres de le quitter, et qu'il
leur fallait mûrement réfléchir s'ils voulaient à
l'avenir persévérer avec lui.
Lazare vint ici à sa rencontre, et lorsque les disciples furent
partis pour retourner chez eux, il ne resta avec lui qu'Aram et Théméni
qui l'accompagnèrent à Bethanie, où plusieurs de ses
amis de Jérusalem l'attendaient. Les saintes femmes y étaient
aussi, entre autres Véronique.
(26 octobre.) Je vis aujourd'hui Jésus à Bethanie chez
Lazare. Nicodème, Joseph d'Arimathie, Obed, fils de Véronique,
Jean Marc et Simon le lépreux, un pharisien de Bethanie, ami de
Lazare, se trouvaient là. Jésus enseigna sur le baptême
de Jean et sur celui du Messie, sur la loi et son accomplissement, sur
toutes les sectes des juifs et sur les caractères qui les distinguaient.
On avait apporté de Jérusalem des livres de l'Ecriture, et
il leur expliqua des passages des prophètes qui se rapportaient
au Messie. Tous n'étaient pas présents à cette explication,
mais seulement Lazare et quelques uns des plus intimes. Jésus parla
de sa résidence future : ils lui conseillèrent de ne pas
s'établir à Jérusalem, et ils lui firent part de tout
ce qu'on y disait de lui. Ils l'engagèrent à résider
à Salem, parce qu'il y avait peu de pharisiens. Il parla de tous
ces lieux, et parla aussi de Melchisédech, dont le sacerdoce devait
avoir son accomplissement, ajoutant que Melchisédech avait mesuré
les chemins et posé les fondements des lieux où le Père
céleste voulait que le Fils de l'homme passât. Il leur dit
encore qu'il serait le plus souvent sur les bords du lac de Génésareth,
etc. Jésus eut cet entretien avec eux dans un lieu retiré
des appartements qui donnaient sur le jardin.
Jésus s'entretint aussi avec les femmes. Ce fut dans les anciens
appartements de Madeleine, qui avaient vue sur la route de Jérusalem.
Sur la demande de Jésus, Lazare lui amena sa soeur Marie la Silencieuse
et le laissa avec elle : les autres femmes se retirèrent dans le
vestibule.
Aujourd'hui, Marie se comporta avec Jésus tout autrement que
la première fois. Elle se prosterna devant lui et lui baisa les
pieds. Jésus la laissa faire et la releva en la prenant par la main.
Comme l'autre fois, elle parla les yeux levés au ciel, et tint les
discours les plus profonds et les plus merveilleux, ce qu'elle fit de la
façon la plus simple et la plus naturelle. Elle parla de Dieu, de
son Fils et de son royaume, comme une fille de la campagne parlerait du
père de son seigneur et de l'héritage de celui ci. Tout ce
qu'elle disait était prophétie, parce qu'elle voyait tout
devant ses yeux. Elle parla des dettes énormes qu'avait accumulées
une mauvaise administration dirigée par des serviteurs et des servantes
infidèles ; maintenant le Père avait envoyé son Fils
pour tout remettre en ordre et tout payer ; mais il devait être mal
accueilli, mourir dans les tourments, racheter son royaume au prix de son
sang, et acquitter les dettes des serviteurs, afin qu'ils pussent redevenir
les enfants de son Père Elle disait tout cela en très beaux
termes, d'une façon toute naturelle, comme si elle eût parlé
de quelque chose qui se passait près d'elle : elle s'en réjouissait,
puis elle s'attristait de ce qu'elle aussi était une servante inutile,
et de ce qu'un si rude labeur était imposé au Fils du Seigneur
et du Père miséricordieux. Elle gémissait aussi de
ce que les serviteurs ne voulaient pas comprendre cela : c'était
pourtant bien naturel et il en devait être ainsi. Elle parla encore
de la résurrection, dit que le Fils devait aller aussi visiter ces
serviteurs qui languissent dans les prisons souterraines, pour les consoler
et les délivrer après qu'il les aurait rachetés ;
qu'alors il reviendrait avec eux vers son Père, et que tous ceux
qui ne le reconnaîtraient pas comme leur Rédempteur et continueraient
leurs mauvaises pratiques, seraient jetés dans le feu quand il reviendrait
pour juger. Elle parla de la mort et de la résurrection de Lazare.
"Il quitte ce pays, disait elle, il regarde tout, et on pleure autour de
lui comme s'il ne devait jamais revenir : mais le Fils le rappelle, et
il travaille à la vigne. " Elle parla aussi de Madeleine et dit
: "La jeune fille est dans l'affreux désert où étaient
les enfants d'Israël (5), à la mauvaise place où il
fait si sombre et que le pied de l'homme n'a jamais foulée : mais
elle en sortira pour aller dans un autre désert où elle réparera
tout par la pénitence. "
Note 5 : La narratrice ne se souvient plus quel désert des enfants
d'Israël. Marie la Silencieuse comparait avec l'état de Madeleine.
Elle dit à ce sujet : " C'était un affreux endroit. Les Israélites
y vinrent après avoir fait quelque chose de mal, et Aaron dit que
personne n'y avait jamais mis le pied : ils n'y restèrent que onze
jours.
Marie la Silencieuse parlait d'elle même comme d'une prisonnière.
Son corps lui paraissait une prison. Elle ne savait pas que c'était
là la vie, et elle désirait ardemment retourner dans sa maison.
Tout était étroit ici et personne ne la comprenait ; ils
étaient comme des aveugles. Elle se résignait pourtant volontiers
à rester : elle voulait attendre tranquillement : certainement elle
ne méritait pas mieux.
Jésus lui parla très affectueusement : il la consola
et lui dit : " Tu retourneras dans la patrie après la Pâque,
lorsque je reviendrai ici. "Ensuite il lui donna sa bénédiction,
qu'elle reçut à genoux. Il lui imposa les mains, et il me
sembla qu'il lui versait quelque chose sur la tête avec une fiole
: je ne sais pas bien si c'était de l'huile ou de l'eau. J'eus l'idée
confuse que c'était un baptême. Mais je n'en puis rien dire
: cela est resté obscur pour moi, et je crois maintenant que peut
être je ne dois pas le savoir. " Après un intervalle de silence,
la narratrice continua en ces termes : " Marie la Silencieuse était
une très sainte personne. Nul ne la connaissait et ne la comprenait
; elle vivait entièrement absorbée dans des visions touchant
l'oeuvre de la Rédemption que personne ne pressentait, mais qu'elle
comprenait d'une façon tout à fait na've. On la croyait idiote.
Lorsque Jésus lui fit connaître l'époque où
elle mourrait, et lui dit qu'elle sortirait alors de sa prison pour retourner
dans sa demeure, il lui fit une onction sur le corps en vue de sa mort.
On peut induire de là que le corps a plus de valeur que beaucoup
de gens ne le croient. Jésus prit pitié de Marie la Silencieuse,
qui, étant considérée comme aliénée,
ne devait pas être embaumée. Sa sainteté était
un secret. Jésus congédia Marie la Silencieuse, et elle retourna
dans son appartement.
Jésus s'entretint ensuite avec les hommes, et leur parla du
baptême de Jean et du baptême du Saint Esprit. Je ne me souviens
d'aucune différence considérable entre le baptême de
Jean et le premier baptême donné par les disciples de Jésus
: celui ci seulement se rapportait d'une manière plus prochaine
à la rémission des péchés. Je n'ai vu rebaptiser
aucun de ceux qui avaient reçu le baptême de Jean qu'après
la descente du Saint Esprit. Avant le sabbat, les amis de Jérusalem
retournèrent à la ville. Aram et Théméni allèrent
avec Joseph d'Arimathie. Jésus leur avait dit qu'il voulait se séparer
des hommes pendant quelque temps, afin de se préparer à sa
laborieuse prédication. Il ne leur dit pas qu'il voulait jeûner.
CHAPITRE CINQUIEME.
Jésus dans le désert. Son jeûne de quarante jour.
Avant le sabbat, Jésus, accompagné de Lazare, alla à
l'hôtellerie que celui ci possédait sur le chemin du désert.
Il lui dit en particulier qu'il reviendrait dans quarante jours. à
partir de l'hôtellerie, il continua son chemin seul et pieds nus.
Il n'alla pas d'abord dans la direction de Jéricho, mais vers le
midi, comme s'il eût voulu aller à Bethléhem, en passant
entre la résidence des parents de sainte Anne et celle des parents
de saint Joseph près de Maspha : alors il se dirigea vers le Jourdain,
faisant le tour de tous les villages par des sentiers ; il passa tout contre
le lieu où l'arche d'alliance s'était arrêtée,
et où Jean avait célébré une fête.
Il commença à gravir la montagne à une lieue environ
de Jéricho ; et il entra dans une caverne spacieuse. Cette chaîne
de montagne, à partir de Jéricho, court entre le levant et
le midi, et, de l'autre côté du Jourdain, elle se dirige vers
Madian. Jésus commença son jeûne ici, près de
Jéricho ; il le continua en divers endroits situés au delà
du Jourdain et revint le terminer sur cette première montagne, qui
est celle où le diable le transporta. Au sommet de cette montagne,
on a une vue très étendue. Elle est en partie couverte de
buissons, en partie nue et sauvage. Elle ne s'élève pas jusqu'au
niveau de Jérusalem, mais sa base est située beaucoup plus
bas, et elle est dans une situation plus isolée. Lé point
lé plus élevé des hauteurs de Jérusalem est
la colline du Calvaire qui se trouve au niveau du faîte du temple.
Du côté de Bethléhem, et vers le midi, Jérusalem
aboutit à des escarpements coupés à pic : de ce côté
aussi il n'y a pas d'entrée, et tout l'emplacement est occupé
par des palais.
Jésus gravit pendant la nuit la montagne escarpée et
sauvage qu'on appelle aujourd'hui montagne de la Quarantaine. Il y a trois
crêtes et trois grottes placées l'une au dessus de l'autre.
Derrière la grotte supérieure dans laquelle entra Jésus,
l'oeil plongeait dans les sombres profondeurs d'un précipice escarpé
: toute la montagne était pleine de fentes effroyables et dangereuses.
Cette même grotte, quatre siècles auparavant avait été
habitée par un prophète dont j'ai oublié le nom. Elle
aussi, à une époque, a longtemps résidé ici
en secret : il élargit même l'une des grottes. Il descendit
de là parmi le peuple sans que personne sût d'où il
venait ; il prophétisait et pacifiait. Cent cinquante ans avant
Jésus, des Esséniens, au nombre d'environ vingt cinq, y avaient
fait leur demeure. Le camp des Israélites était au pied de
cette montagne lorsqu'ils firent le tour de Jéricho en portant l'Arche
d'alliance au son des trompettes. La fontaine dont Elisée rendit
douces les eaux amères, est aussi dans les environs. Sainte Hélène
fit disposer des chapelles dans ces grottes. J'ai vu sur le mur de l'une
d'elles une peinture représentant la Tentation. Il y eut plus tard
un couvent sur cette hauteur. Je ne puis m'imaginer comment les ouvriers
pouvaient venir travailler là.
Sainte Hélène a fait construire des églises dans
beaucoup de lieux saints de la Palestine. Ce fut elle qui bâtit l'église
placée au lieu de la naissance de sainte Anne, deux lieues avant
Séphoris. Les parents d'Anne avaient aussi une maison à Séphoris
même. Combien il est triste que la plupart de ces saints lieux aient
été tellement dévastés, que le souvenir même
s'en est perdu ! Lorsque étant jeune fille, j'allais avant le jour
dans la neige à l'église de Coesfeld, je voyais distinctement
tous ces lieux sanctifiés, et je vis souvent des hommes pieux qui
se prosternaient à terre dans le chemin devant les guerriers qui
les dévastaient, afin de les préserver de la destruction.
Les paroles de l'Ecriture : " II fut conduit par l'Esprit dans le désert,
"doivent s'interpréter ainsi : " Le Saint Esprit qui vint sur lui
dans le baptême " , en ce sens que Jésus fit participer son
humanité à tout ce qui appartient à la Divinité,
le poussa à aller dans le désert, et à se préparer,
en tant qu'homme, en présence de son Père céleste,
aux souffrances auxquelles il était appelé.
(27 et 28 octobre.) Je vis Jésus à genoux et les bras
étendus dans la grotte. Il demandait à son Père céleste
de le fortifier et de le consoler dans toutes les souffrances qui lui étaient
préparées. Il vit d'avance toutes ses souffrances, et demanda
la grâce nécessaire pour chacune d'elles en particulier. Je
vis cette vision depuis deux heures jusqu'à quatre heures trois
quarts du matin : elle contenait tant de choses, que c'était comme
si elle eut duré pour moi une année.
Je vis des représentations de toutes les peines, de toutes les
douleurs de Jésus jusqu'à sa mort. Je le vis implorer son
Père, et recevoir pour chacune d'elles la force, la consolation
et tout ce qui la rendait méritoire. Je vis s'abaisser sur lui une
nuée blanche et lumineuse aussi grande qu'une église, et
après chacune de ses prières, s'approcher de lui de grandes
figures incorporelles, lesquelles prenaient la forme humaine quand elles
étaient près de lui, lui rendaient hommage et lui apportaient
chacune une consolation et une promesse. Je ne puis exprimer tout ce que
je vis et comment je le vis. Je vis que Jésus conquit pour nous
dans le désert tout ce qui nous est donné de consolations,
d'encouragements, de secours, de victoires dans les luttes que nous avons
à soutenir ; qu'il acheta pour nous tout ce qui peut rendre méritoires
nos combats et nos triomphes ; qu'il prépara d'avance pour nous
tout ce qui fait la valeur de nos mortifications et de nos jeûnes
; qu'enfin il offrit à Dieu le Père tous les travaux et toutes
les souffrances qui l'attendaient pour donner du prix aux travaux futurs,
aux luttes spirituelles, aux efforts faits dans la prière par tous
ceux qui croiraient en lui. Je vis aussi le trésor que Jésus
amassait par là pour l'Eglise et qu'elle ouvre dans le temps du
Carême. Je vis Jésus avoir une soeur de sang pendant cette
prière, et je me trouvai moi même, lors de cette vision, ha
tête et la poitrine inondées de sang. En ce moment, le jour
commençait à poindre.
Aujourd'hui, Jésus descendit de la montagne vers le Jourdain,
entre Galgala et le lieu où Jean baptisait, qui était environ
une lieue plus au midi. Il s'embarqua lui même sur une poutre qui
se trouvait là pour traverser le Jourdain dans cet endroit étroit
et profond que je ne connaissais pas auparavant. Il passa sur la rive orientale,
puis, laissant à droite Bethabara et coupant plusieurs routes qui
conduisaient au Jourdain, il entra dans les montagnes par le désert,
en suivant des sentiers escarpés qui se dirigeaient entre le levant
et le midi il passa par une vallée qui va vers Callirrhoé,
et où il traversa une petite rivière, puis il s'avança
plus au nord, en suivant une arête de montagne jusqu'à un
endroit où l'on a en face de soi, dans la vallée, la ville
de Jachza. C'était là que les enfants d'Israël avaient
battu Sehon, roi des Amorrhéens. Dans ce combat, les Israélites
étaient trois contre seize : mais il y eut un miracle en leur faveur.
un bruit effrayant se fit entendre au dessus des Amorrhéens et les
frappa de terreur.
Jésus était alors sur des montagnes extrêmement
sauvages : c'était quelque chose d'encore plus âpre que la
montagne voisine de Jéricho. On se trouve à peu près
en face de celle ci. Le mont du désert où est Jésus
est à environ neuf lieues du Jourdain. C'est ici que Jésus
fera son jeûne de quarante jours.
Ici aussi il a prié et vu dans toute leur étendue les
souffrances qui l'attendent. Satan n'est pas encore venu près du
Sauveur. La divinité et la mission de Jésus lui sont tout
à fait cachées. Il n'a compris les paroles : ' C'est mon
Fils bien aimé dans lequel je me complais, "que comme s'il s'agissait
d'un homme, d'un prophète. Toutefois, Jésus a déjà
à souffrir des luttes intérieures fréquentes et de
diverse nature. La première tentation fut cette pensée :
" Ce peuple est trop pervers : dois je souffrir tout cela pour eux, sans
pourtant faire l'oeuvre complètement ". Mais sa charité et
sa miséricorde infinies lui firent vaincre cette tentation causée
par la vue de toutes ses souffrances.
(29 octobre.) Je vis Jésus dans une étroite grotte de
montagne située dans la contrée de Jachza. Il était
à genoux, priait sans relâche et parlait à son Père.
Je vis tous les péchés du monde entier se présenter
devant ses yeux, à partir de la chute originelle de l'homme. Tout
cela vint sur lui comme de grands nuages orageux : il vit tout ce qu'il
avait à souffrir pour cela, ce qui serait gagné et ce qui
serait perdu. Des anges vinrent encore près de lui.
Je vis Satan se glisser près de là : il s'approcha de
l'entrée de la grotte et y fit du bruit. Il avait pris la figure
d'un des fils des trois veuves que Jésus affectionnait particulièrement.
Il pensait que Jésus se mettrait en colère en voyant que
ce disciple l'avait suivi malgré sa défense. C'était
ridicule et absurde à Satan. Jésus ne tourna même pas
les yeux de son côté. Satan regarda dans la grotte et se mit
à tenir toute espèce de propos sur Jean Baptiste, qui, disait
il, en voulait beaucoup à Jésus de ce qu'il faisait baptiser
en certains endroits, ce qu'il ne lui appartenait pas de faire.
Le 30 octobre, la narratrice ne communiqua aucune vision, mais le mercredi
31 octobre, elle dit : "Jusqu'à quatre heures du matin, j'ai eu
la vision qui suit. Je vins près de Jésus dans la grotte.
Elle me parut cette fois plus spacieuse : hier je n'en avais vu que l'entrée.
Il s'y trouvait une ouverture par laquelle entrait un air pénétrant
et froid. Dans cette saison de l'année, le temps ici est très
froid et très nébuleux. La grotte était âpre
et rocailleuse et le sol très inégal. Elle était formée
d'une pierre veinée de couleurs variées, qu'on aurait prises
pour de la peinture si elle eût été polie. Aux alentours
du rocher, il venait quelques broussailles : on voyait là aussi
des quartiers de roc qui ressemblaient presque à des buissons. La
grotte était assez spacieuse pour que Jésus put s'agenouiller
et se prosterner à une place où il n'avait pas l'ouverture
au dessus de sa tête.
Lorsque je vins près de Jésus, il était étendu
la face contre terre. Je me tins longtemps près de lui, et je regardai
ses pieds que sa robe laissait découverts jusqu'aux chevilles :
ils étaient rouges et blessés par les rudes sentiers qu'il
avait suivis, car il était allé pieds nus dans le désert.
Je le vis tantôt se redresser, tantôt prier la face contre
terre. Je pus tout voir, car il était environné de lumière.
une fois un bruit partit du ciel, et une grande clarté se répandit
dans la grotte : il vint toute une troupe d'anges qui portaient divers
objets. Je me sentis tellement oppressée et accablée, qu'il
me sembla entrer, pour ainsi dire, dans la paroi du rocher : j'eus l'impression
que j'enfonçais, et je me mis à crier : "J'enfonce ! je vais
enfoncer près de mon Jésus ! "Là dessus je m'éveillai,
j'allumai ma lumière, j'entendis sonner l'heure, et je vis tout
ce qui suit étant éveillée.
Je vis les anges s'incliner devant Jésus, lui rendre hommage
et lui demander s'ils devaient lui présenter ce qu'ils étaient
chargés de lui apporter ; ils lui demandèrent aussi si c'était
toujours sa volonté de souffrir comme homme pour les hommes, ainsi
que ç'avait été sa volonté lorsqu'il était
descendu du sein de son Père céleste et s'était incarné
dans le sein de la Vierge. Jésus ayant accepté de nouveau
ces souffrances, les anges érigèrent devant lui une grande
croix dont ils avaient apporté séparément les différentes
parties. Cette croix avait la forme que je lui ai toujours vue, mais elle
se composait de quatre pièces de même que les pressoirs en
forme de croix, que je vois dans mes visions. Ainsi, la partie supérieure
de l'arbre de la croix, qui s'élève entre les deux bras,
était séparée. Je crois avoir vu là environ
vingt cinq anges. Cinq portaient la partie inférieure de la croix,
trois la partie supérieure, trois le bras gauche, trois le bras
droit, trois le morceau de bois où posaient les pieds, trois portaient
une échelle, un autre une corbeille avec des cordes et des outils,
d'autres une lance, un roseau, des verges, des fouets, une couronne d'épines,
des clous et aussi les habits dont il devait être revêtu par
dérision ; enfin tout ce qui figura dans sa passion se trouvait
là.
La croix était creuse : elle s'ouvrait comme une armoire, et
elle était remplie partout d'innombrables instruments de martyre
de toute espèce. Au milieu, à l'endroit où le coeur
de Jésus fut percé, un assemblage des instruments de supplice
les plus variés représentait toutes les tortures imaginables.
La couleur de la croix était d'un rouge de sang dont la vue causait
une émotion douloureuse. Toutes les parties et toutes les places
de cette croix étaient teintes de couleurs différentes d'après
lesquelles on pouvait reconnaître la peine qui y serait endurée
; de chacun de ces endroits partaient des rayons qui aboutissaient au coeur.
Les instruments mis chacun à leur place étaient également
la figure des tortures qu'ils devaient causer.
Il y avait en outre dans la croix des vases avec du fiel et du vinaigre,
puis aussi de l'onguent, de la myrrhe et quelque chose qui ressemblait
à des aromates ; tout cela vraisemblablement avait rapport à
la mort du Sauveur et à sa sépulture. Il y avait encore une
quantité de longues banderoles déroulées comme des
écriteaux de différentes couleurs, de la largeur de la main,
sur lesquelles étaient inscrites des souffrances de divers genres.
Les couleurs indiquaient avec leur différents degrés d'épaisseur
les ténèbres où les souffrances du Sauveur avaient
à faire pénétrer la lumière.
La couleur noire désignait ce qui devait se perdre ; la couleur
brune, ce qui était trouble, desséché, mélangé,
souillé ; la couleur rouge, ce qui était appesanti, terrestre,
sensuel ; la couleur jaune marquait la mollesse et la répugnance
à souffrir. Il y avait des bandes moitié jaunes, moitié
rouges, qui devaient devenir entièrement blanches ; d'autres étaient
complètement blanches, d'une blancheur de lait, et l'écriture
y était lumineuse ; on voyait à travers. Celles ci désignaient
ce qui était gagné, ce qui était accompli.
Tous ces rubans avec leurs couleurs donnaient comme le compte des douleurs
et des travaux de toute espèce, que Jésus aurait à
supporter dans sa carrière avec ses disciples et d'autres personnes.
On lui mit aussi devant les yeux, tous les hommes par lesquels devaient
lui venir le plus souvent des souffrances cachées ; ainsi les Pharisiens
avec leur malignité, le traître Judas, les Juifs sans pitié
pour sa mort cruelle et ignominieuse. Les anges disposèrent et firent
passer tout cela sous les yeux du Sauveur avec un respect indicible et
une solennité sacerdotale ; quand toute la passion fut figurée
et représentée devant lui, je le vis pleurer ainsi que les
anges. Ensuite les anges se retirèrent et je fus ravie dans une
vision concernant les pauvres âmes du purgatoire.
(2 novembre. ) Comme j'étais près du Seigneur, je le
vis prier, la face contre terre. Le diable avait fait apparaître
devant lui sept à huit de ses disciples. Ils entrèrent un
à un dans la grotte et dirent qu'ils avaient appris par Eustache
où il était, qu'ils l'avaient cherché pleins d'inquiétude,
qu'il ne devait pas les abandonner pour se réduire à la dernière
détresse sur le haut de cette montagne. On tenait tant de propos
sur son compte, disaient ils ; il ne devait pourtant pas se laisser imputer
telle et telle chose. Mais Jésus ne répondit rien, si ce
n'est : `` Retire toi de moi, Satan, le temps n'est pas encore venu. "
Alors tout disparut.
(3 novembre.) Je vis le Seigneur prier dans la grotte, la face contre
terre. I| était tantôt agenouillé, tantôt debout
; je l'ai vu aussi une fois couché sur le côté. Je
vis un homme très vieux, très faible, d'un aspect vénérable,
gravir péniblement la montagne escarpée. C'était chose
si difficile pour lui que j'en avais pitié. Il s'approcha de la
grotte et tomba tout épuisé à l'entrée en poussant
un gémissement plaintif. J'étais presque chagrine de ce que
Jésus ne venait pas à son aide ; mais il ne le regarda même
pas.
Le vieillard se releva lui même et dit à Jésus
qu'il était un Essénien du mont Carmel, qu'il avait entendu
parler de lui et que, quoique mourant, il était venu à sa
suite jusqu'ici. Il le priait donc de vouloir bien l'accueillir et s'entretenir
avec lui de choses saintes ; lui aussi savait ce que c'était que
jeûner et prier, disait il, quand deux personnes s'unissent ensemble
en Dieu, l'édification est plus grand, etc. Jésus ne répondit
que quelques mots, comme : " Arrière, Satan, le temps n'est pas
encore venu. " Alors, je commençai à voir que c'était
Satan, car lorsqu'il se retira et s'évanouit, je le vis devenir
sombre et plein de rage. Alors je trouvai risible qu'il se fût jeté
par terre et qu'il eût été obligé de se relever
à lui tout seul.
Satan ne connaissait pas la divinité du Christ. Il le prenait
pour un prophète ordinaire. Il avait vu sa sainteté dès
sa jeunesse et aussi la sainteté de sa mère qui ne faisait
aucune attention à Satan. Elle n'était accessible à
aucune tentation. Il n'y avait rien en elle à quoi il pût
se prendre. Elle était la plus belle des 20 vierges et des femmes,
mais elle n'avait jamais eu sciemment de prétendants, sinon lors
de l'épreuve qui fut faite dans le temple avec des branches d'arbre,
et à la suite de laquelle il lui fallut prendre un mari. Ce qui
induisait le mauvais esprit en erreur, c'était que Jésus
n'avait point vis à vis de ses disciples la même sévérité
que les pharisiens, en ce qui touchait certains usages de peu d'importance.
Il le croyait un homme parce que quelques irrégularités de
ses disciples scandalisaient les Juifs. Comme il avait souvent vu Jésus
plein de feu et d'ardeur, il chercha d'abord à l'irriter en lui
montrant ses disciples le suivant malgré lui ; l'ayant vu plein
de miséricorde, il voulut le toucher en se montrant sous la figure
d'un pauvre vieillard tombant en défaillance, puis entrer en discussion
avec lui en qualité d'Essénien.
(4 et 5 novembre.) Je vis près de la grotte une nuée
lumineuse dans laquelle j'aperçus comme des visages. Il en sortit
des anges qui avaient la forme humaine. Ils allèrent à Jésus,
le fortifièrent et le consolèrent.
Le dixième jour, 5 novembre, je vis Jésus prosterné
dans la grotte, la face contre terre. Je le vis prier agenouillé
et debout et je vis des anges entrer et sortir.
(6 novembre.) Je vis Jésus dans la grotte couché sur
le côté et je vis apparaître l'essénien Eliud
qui s'approchait de lui. C'était encore Satan, et je compris qu'il
devait avoir connaissance que tout récemment la croix avait été
présentée à Jésus, car il lui dit avoir appris
par une révélation quels terribles combats lui avaient été
montrés, combats qu'il avait bien senti être au dessus des
forces de Jésus. Il n'était pas non plus, disait il, en état
de jeûner quarante jours, c'est pourquoi il était venu, poussé
par l'affection qu'il lui portait, pour le voir encore une fois, et pour
le prier de lui permettre de lui tenir compagnie dans sa solitude, ajoutant
qu'il voulait se charger d'une partie de son voeu. Jésus ne prêta
aucune attention à tout cela. Il se releva, leva les mains au ciel
et dit : " Mon père, retirez moi cette tentation ! " Je vis alors
Satan se montrer plein de rage et disparaître.
Jésus alors se mit à genoux pour prier. Au bout de quelque
temps, je vis s'approcher trois jeunes gens(1) qui l'avaient accompagné
lorsqu'il était sorti pour la première fois de Nazareth et
qui l'avaient quitté plus tard. Ces jeunes gens s'avancèrent
d'un air timide, se prosternèrent devant Jésus et se plaignirent
de ne pouvoir trouver de repos nulle part tant qu'il ne leur avait pas
pardonné. Ils le prièrent de les prendre en pitié,
de les admettre de nouveau et de les laisser jeûner avec lui comme
pénitence. Ils voulaient, dorénavant, être les plus
fidèles de ses disciples. Ils se lamentaient très haut et
ils étaient entrés dans la grotte en faisant toute sorte
de bruit autour de lui. Jésus se releva, étendit les mains
et invoqua Dieu, et ils disparurent.
(7 et 8 novembre.) Comme je regardais Jésus qui priait à
genoux dans la grotte, je vis Satan, vêtu d'une robe resplendissante,
arriver à travers les airs et planer près de l'endroit où
le rocher était coupé à pic. De ce côté,
il n'y a pas d'entrée dans la grotte, mais seulement quelques fissures
: c'est le côté du levant.
Note 1 : Il s'agit ici de ceux qui, lors de la première sortie
du Sauveur, le suivirent jusqu'à Hébron. Cependant alors
la narratrice n'en mentionna que deux.
Jésus ne regarda pas Satan qui voulait faire l'ange : dans ce
cas, sa lumière n'est jamais transparente, mais comme étendue
à la surface et sa robe fait l'effet de quelque chose de raide,
tandis que la robe des anges paraît légère et diaphane.
Il vola à l'entrée de la grotte et dit : Je suis envoyé
par ton Père pour te consoler. "Jésus ne le regarda pas.
Alors il reparut à une des ouvertures de la grotte du côté
ou elle est tout à fait inaccessible et dit à Jésus
qu'il devait reconnaître en lui un ange à la manière
dont il planait au dessus du rocher. Mais Jésus ne tourna pas les
yeux de son côté. Alors Satan entra en fureur et fit comme
s'il eût voulu le saisir avec ses griffes à travers l'ouverture
; son aspect devint horrible, et il disparut. Mais Jésus ne le regarda
pas. Le 8, je vis Jésus s'agenouiller et prier dans la grotte.
(9 novembre.) Remarque de l'écrivain le 8 novembre 1821 : La
vision de ce jour sur le jeûne de Jésus fut continuellement
mêlée à d'autres visions où la narratrice se
livrait à ces travaux qu'elle avait coutume de faire la nuit dans
son oraison : c'est du reste ce qui arrive le plus souvent et de là
vient qu'elle a rarement le temps de faire des communications complètes.
Toute la série de ses contemplations nocturnes a la forme d'un
voyage qu'elle fait sous {a conduite de son ange gardien. Le but spirituel
de ce voyage se détermine d'après les travaux en oraison
qui lui sont assignés, suivant les circonstances de l'époque
où elle vit ou suivant le temps de l'année ecclésiastique.
Le point central de ce voyage est la Terre Promise, où elle retrouve
chaque jour ses visions sur la vie de Jésus et où la tâche
qu'elle a pour le moment, remplir dans son oraison s'unit aux mérites
de ce jour de la vie du Rédempteur. Dans ce voyage, elle passe par
les contrées où ont vécu les saints dont on fait la
fête ce jour là, elle se mêle à leur vie, unit
leurs mérites aux mérites de Jésus, et les applique
au succès des prières qu'elle a à faire pour les pays
avec lesquels ces saints ont quelque relation particulière. Il en
est ainsi sur tout le chemin qu'elle parcourt soit pour aller, soit pour
revenir et à cela se mêle la vue de tous les besoins et de
toutes les misères du présent et de l'avenir. Or depuis le
2 novembre, jour des Morts, sa principale occupation était de prier
pour l'Eglise souffrante. Elle faisait ainsi l'oeuvre d'un chrétien,
qui, priant et contemplant. suit, à travers le temps, comme un fit
conducteur, la série des jours de l'année ecclésiastique.
La vision d'aujourd'hui sur la vie de Jésus se présenta de
la manière suivante :
Je vis cette nuit Jésus prier dans la grotte, tantôt couché,
tantôt à genoux, tantôt debout. Pendant la plus grande
partie de la nuit, j'ai été dans la grotte près de
Jésus, agenouillée moi même et priant. J'ai eu une
terrible nuit. Il faisait si mauvais et si froid sur cette montagne. Il
y eut de l'orage et il est tombé beaucoup de pluie et de grésil.
J'ai vu les misères morales du monde entier et aussi ma propre abjection.
J'ai vu le triste état de l'Eglise et les chutes de tout genre des
prêtres. J'ai vu les grâces et les ressources innombrables
que Jésus nous a octroyées, et j'ai eu le sentiment de tout
ce qu'il a déjà conduis pour nous, rien que dans ce pénible
jeûne du désert. J'étais toute brisée et comme
broyée : j'éprouvais en outre pour Jésus qui était
près de moi, une compassion qui me déchirait le coeur, et
j'avais en même temps le sentiment de ma propre méchanceté.
Et pourtant au milieu de toutes ces douleurs, ma faiblesse faisait que
je ne pouvais m'empêcher de me dire de temps en temps : " Pourquoi
Jésus ne me dit il rien ? Pourquoi ne me dit il pas : Lève
toi ! " car je me croyais hors d'état de supporter toutes ces peines.
Comme j'étais prête à m'impatienter, il ne me dit
rien que ce seul mot : Patience ! et je me sentis soulagée. Je restai
là encore quelque temps étendue par terre et j'eus le sentiment
complet du désert, avec son âpre température et celui
des douleurs de Jésus. Alors à travers le froid, il m'arriva
un air tiède et une sensation agréable. Trois âmes
pleuraient près de moi dans la grotte et chacune avait deux anges
à côté d'elles : elles remercièrent à
propos de souffrances qui les avaient soulagées et disparurent.
Je les connaissais alors, maintenant je ne les connais plus. Je suis encore
dans un état misérable. Il m'a été aussi ordonné
de prier pour prévenir des malheurs imminents que j'ai vus, mais
surtout à l'occasion des mariages mixtes à propos desquels
il m'a été montré que des maux innombrables en résultent
pour l'Eglise.
(10 et 11 novembre.) Je vis Jésus comme toujours prier dans
la grotte prosterné, agenouillé ou debout. Il porte son vêtement
ordinaire. Seulement sa robe est lâche et n'est pas attachée
: il n'a pas de ceinture et il a les pieds nus. Son manteau est posé
par terre avec sa ceinture et une paire de poches comme en portent les
Juifs, et il s'y appuie quelquefois il ne mange ni ne boit : il souffre
souvent de la faim. Des anges le réconfortent. Alors il descend
sur lui comme une nuée légère, et il coule dans sa
bouche comme une espèce de rosée.
Les quarante jours, dans le désert, sont un nombre mystérieux
et se rapportant, comme les quarante années des Israélites
dans le désert, à quelque chose que j'ai oublié. Jésus
a chaque jour un nouveau travail à accomplir par sa prière
; chaque jour il conquiert pour nous de nouvelles Grâces, et ce qui
a précédé ne se représente jamais. Sans ce
travail auquel il s'est soumis, jamais notre résistance aux tentations
n'aurait pu être méritoire. Le il j'ai vu Jésus prier
comme précédemment dans différentes postures.
(12 novembre.) Je vis Satan sous la figure d'un vieil ermite du mont
Sina' venir vers Jésus dans là grotte. Il gravissait péniblement
la montagne ; il était à moitié nu ; son corps était
couvert comme de peaux de bêtes, et il avait une longue barbe ; il
y avait dans sa physionomie quelque chose de moqueur et d'astucieux. Il
lui dit qu'un Essénien du mont Carmel, qui était venu le
voir, lui avait parlé du baptême de Jésus, de sa sagesse,
de ses miracles et du jeûne rigoureux qu'il faisait actuellement.
Là dessus, malgré son grand âge, il avait entrepris
ce long voyage pour venir le trouver : il voulait s'entretenir avec lui,
d'autant plus qu'il avait une longue expérience de la mortification.
Il pensait que Jésus en avait assez fait et devait maintenant se
reposer : il voulait, lui, se charger d'une partie de ce qu'il s'était
imposé. Il dit beaucoup de choses dans ce sens. Jésus regarda
de côté et dit : "Retire toi de moi, Satan ! "Alors je vis
Satan tout ténébreux et, sous la forme d'un globe noir, rouler
avec fracas jusqu'au bas de la montagne.
Je demandai alors intérieurement comment il se faisait que la
divinité de Jésus restât si parfaitement cachée
pour Satan, et je reçus à ce sujet de belles et admirables
instructions ; je me préoccupais vivement de savoir comment je pourrais
raconter tout cela, mais je l'ai tout à fait oublié : je
vis clairement l'extrême avantage qu'il y avait pour les hommes à
ce que ni Satan, ni eux n'en eussent connaissance ; il leur fallait apprendre
à croire. Le Seigneur me dit notamment quelque chose que j'ai retenu.
"L'homme n'a pas su que le serpent qui l'a séduit était Satan,
c'est pourquoi Satan, non plus, ne doit pas savoir que c'est Dieu qui rachète
l'homme. c J'eus, à cette occasion, de très belles visions,
et je vis que Satan ne connut la divinité du Christ que lorsqu'il
délivra les âmes des limbes.
Du 14 au 16 novembre, elle fut trop malade pour pouvoir rien raconter.
Le 17, elle dit : J'ai vu tous ces jours ci Jésus prier dans la
grotte et jeûner. J'ai oublié les détails La grotte
n'est pas tout à fait au sommet de la montagne.
(18 novembre.) Je vis aujourd'hui Satan entrer dans la grotte sous
la figure d'un homme de distinction de Jérusalem (2). Il dit qu'il
venait par suite du grand intérêt qu'il lui portait, car il
situait que sa mission était de rendre la liberté aux Juifs.
Il lui raconta en outre toutes les contestations qui avaient eu lieu à
Jérusalem à son sujet et tout ce qui avait été
dit. Il venait le voir pour prendre sa cause en main. Il voulait aller
avec lui à Jérusalem où ils demeureraient ensemble
dans le palais d'Hérode (elle croit qu'il s'agit de l'Hérode
dont l'autre Hérode, qui habitait à Callirrhoé, avait
enlevé la femme). Il me sembla que c'était un agent de cet
Hérode. Il ajouta que Jésus pouvait faire venir là
ses disciples en secret et procéder à la réalisation
de ses projets. Il le pressa de venir avec lui sans retard. Il débita
tout cela à Jésus très au long. Jésus ne le
regarda pas, nais il pria avec ardeur, et je vis Satan se retirer ; sa
figure devint hideuse, et il sortit de son nez comme du feu et de la vapeur,
après quoi il disparut.
Note 2 : Dans les visions communiquées jusqu'ici, Satan démasqué
par la prière apparaît toujours sous une forme hideuse qui
correspond au mensonge dont il est convaincu. C'est comme dans la vie de
ce monde où le menteur quand il est surpris et confondu se montre
un peu différent de ce qu'il est l'ordinaire.
(19 20 novembre.) Pendant cette nuit où je fus malade à
mourir, j'étais depuis la veille au soir en contemplation prés
de Jésus dans la grotte, et je vis toute sa passion grandir devant
lui comme un arbre qui croît. J'en vis tous les détails dans
des tableaux merveilleux jusqu'à son crucifiement avec ses tortures
et ses affreuses souffrances. Dans ces représentations je vis, comme
toujours, la croix faite de cinq espèces de bois, avec des bras
insérés dans le tronc, un coin sous chaque bras et un morceau
de bois pour soutenir les pieds. La partie de l'arbre qui était
au dessus de la tête et où l'écriteau était
attaché était surajoutée, car d'abord l'arbre était
trop court pour qu'on pût placer l'inscription au dessus de la tête.
à propos de cette addition, la Soeur mentionne quelque chose comme
des feuilles : elle dit aussi une fois : " C'est placé au dessus
comme un couvercle sur un étui. "
Je vis tout cela dans un merveilleux tableau symbolique, et je vis
en outre toutes sortes de transformations mystérieuses dans le Saint
Sacrement. Je crois que Jésus eut aussi ces visions, car je vis
près de lui des anges qui vénéraient ces mystères.
Je m'éveillai alors dans les douleurs les plus cruelles, mais je
me réjouissais toujours de m'endormir de nouveau pour éprouver
ces souffrances.
Tous ces jours ci je vis Jésus dans la grotte p riant et jeûnant,
et je m'unis à lui pour prier, pour renoncer et pour surmonter toute
répugnance.
Le 28 novembre, elle dit : J'ai vu aujourd'hui des anges montrer à
Jésus, dans plusieurs tableaux, l'ingratitude des hommes, le doute,
la raillerie, l'injure, la trahison, le reniement, tout ce que devaient
faire ses amis et ses ennemis jusqu'à sa mort et après sa
mort, et tout ce qui devait se perdre de ses travaux et de ses peines.
Il vit tout cela, et dans son angoisse, il eut une soeur de sang. Pour
le consoler, ils lui montrèrent alors tout ce qui était gagné.
Ils lui montraient tout du doigt, à mesure que les tableaux se succédaient.
Le 29, elle dit : J'ai vu aujourd'hui Jésus tout épuisé
de ses luttes et plongé dans la tristesse, en considérant
la grandeur des pertes et l'inutilité de ses efforts pour le salut
d'un bien grand nombre d'hommes.
(30 novembre.) J'ai vu aujourd'hui Jésus soumis à une
tentation : il commençait à avoir grand faim et surtout à
souffrir beaucoup de la soif. Je le vis, il est vrai réconforté
quelquefois par des anges, mais jamais manger ni boire : je ne je vis jamais
non plus hors de la grotte. il n'y avait pas en lui d'amaigrissement sensible,
mais il était devenu très blanc et très pâle.
Je vis Satan s'approcher de lui sous la figure d'un vieil ermite et
lui dire : " J'ai bien faim, je vous prie de me donner des fruits qui sont
là sur la montagne devant la grotte, car je ne peux pas en cueillir
sans la permission du propriétaire (il feignait de prendre Jésus
pour le propriétaire) ; asseyons nous donc ensemble et parlons de
choses édifiantes. À, Il y avait, non pas à l'entrée,
mais ailleurs, à quelque distance, près du côté
opposé de la grotte qui regardait le levant, des figues et une espèce
de fruit semblable à la noix, mais avec une enveloppe plus molle,
comme celle des nèfles : il y avait aussi des baies. Jésus
lui dit : " Retire toi de moi ! toi qui es menteur depuis le commencement
des siècles, et n'endommage pas ces fruits '. Alors je vis l'ermite,
transformé en une petite figure noire, fuir comme un trait par dessus
la montagne et une vapeur sombre sortir de sa bouche. Je ne savais pas
qu'il pût endommager ces fruits, quoique je pensas bien qu'il laissait
après lui une odeur infecte.
Aujourd'hui, jour de la fête de saint André, elle parla
de lui et raconta ceci entre autres choses : André est allé
aujourd'hui chez un frère ou demi frère qu'il avait, indépendamment
de Pierre, et qui est devenu disciple. André s'entretint avec lui
: il était triste et inquiet de ce que Jésus était
dans le désert depuis si longtemps : il était agité
au sujet de son retour, et il avait des doutes à combattre. Il s'entretint
aujourd'hui avec son frère à ce sujet.
(2 décembre.) Satan vint encore trouver Jésus sous la
figure d'un voyageur. Il lui demanda s'il ne voulait pas manger des beaux
raisins qui étaient dans le voisinage et qui étaient si bons
pour apaiser la soif. Jésus ne répondit rien et ne tourna
même pas les yeux de son côté. Le jour d'après,
il le tenta de la même façon en lui parlant d'une source.
(3 décembre.) Vers midi, je vis Satan venir vers Jésus
dans la grotte. Il vint en qualité de savant faiseur de tours :
il lui dit qu'il venait à lui comme à un sage, et voulait
lui montrer que lui aussi savait faire quelque chose, l'engageant à
le regarder faire. Alors il lui fit voir, suspendue à son bras,
une machine semblable à une boule, ou plutôt à une
cage d'oiseau. Jésus ne le regarda pas, tourna le des et entra plus
avant dans la grotte. Ce fut la première fois que je vis pareille
chose.
J'ai vu ce qu'il y avait à voir dans la boîte. On y avait
sous les yeux un paysage ravissant, un jardin de plaisance agréable,
plantureux, plein de beaux ombrages, de sources fraîches, d'arbres
chargés de fruits et de raisins magnifiques. Tout cela était
si rapproché, qu'on semblait le toucher, et il s'y produisait des
changements à vue de plus en plus attrayants. Jésus lui tourna
le des, et Satan disparut.
Cette tentation avait encore pour but d'interrompre le jeûne
de Jésus, qui maintenant commençait à ressentir vivement
la faim et la soif. Satan ne sait pas comment s'y prendre avec lui. Il
connaît les prédictions faites à son sujet, et il sent
aussi que Jésus a autorité sur lui, mais ignore qu'il est
Dieu, qu'il est le Messie que rien ne peut empêcher de faire son
oeuvre, parce qu'il le voit jeûner, soutenir des luttes, avoir faim,
en un mot, parce qu'il le voit pauvre, sujet à bien des souffrances,
semblable en tout à un homme ordinaire. En cela, Satan est, à
quelques égards, aussi aveugle que les pharisiens : mais il le regarde
comme un saint homme que dans tous les cas il peut tenter et faire faillir.
(4 décembre.) Je vis Jésus agité et très
combattu il souffrait de la faim et de la soif. Je le vis plusieurs fois
devant la grotte. Je vis vers le soir Satan gravir la montagne sous la
figure d'un homme grand et robuste ; il avait pris en bas deux pierres
qui étaient de la grandeur de deux petits pains, mais anguleuses,
et je vis qu'en montant il les maniait et leur donnait complètement
la forme de pains. Il y avait dans son aspect quelque chose d'incroyablement
farouche lorsqu'il vint vers Jésus dans la grotte. Il tenait une
des pierres dans chaque main, et il lui parla à peu près
en ces termes : " Tu fais bien de ne pas manger de fruits, ils ne font
qu'irriter l'appétit ; mais si tu es le Fils bien aimé de
Dieu sur qui l'Esprit est descendu à son baptême, vois ces
pierres auxquelles j'ai fait prendre la forme de pains : change les maintenant
en pain." Jésus ne regarda pas Satan : je l'entendis seulement prononcer
ces paroles : " L'homme ne vit pas seulement de pain. "Je n'ai entendu
distinctement ou retenu que ces paroles : dans l'Evangile il y en a d'autres
encore qui vraisemblablement m'ont échappé, car alors je
vis Satan au comble de la rage. Il étendit ses griffes vers Jésus,
et je vis alors les deux pierres posées sur ses bras. Après
cela il s'enfuit, et je ne pus m'empêcher de rire en le voyant obligé
de remporter ses pierres.
Vers le soir du jour suivant, je vis Satan, sous la figure d'un ange
puissant, voler vers Jésus avec grand bruit Il avait une espèce
de vêtement de guerre, comme je le vois aux apparitions de saint
Michel ; mais à travers son plus grand éclat on peut toujours
distinguer quelque chose de sombre et de furieux. Il se vanta en présence
de Jésus, et lui dit à peu près : " Je veux te faire
voir qui je suis, ce que je puis, et comment les anges me portent dans
leurs mains. Voilà Jérusalem ! voilà le temple ! Je
te porterai sur son faite le plus élevé. Montre alors ce
que tu peux faire : voyons si les anges te porteront jusqu'en bas. "Pendant
qu'il parlait ainsi, il me sembla voir Jérusalem et le temple tout
contre la montagne, mais je crois que c'était seulement une vision.
Jésus ne lui fit aucune réponse. Alors Satan le prit par
les épaules et le porta à travers les airs, à Jérusalem,
mais en volant près de terre : il le posa sur la cime d'une des
quatre tours qui s'élevaient aux quatre coins de l'enceinte du temple,
et que jusqu'alors je n'avais pas remarquées.
Cette tour était du côté occidental, vis à
vis la forteresse Antonia. La montagne du temple était presque à
pic en cet endroit. Ces tours étaient comme des prisons : dans une
d'elles on gardait les vêtements précieux du grand prêtre.
Elles étaient terminées par une plate forme autour de laquelle
on pouvait marcher. Au milieu s'élevait encore une coupole creuse
que surmontait une grosse boule sur laquelle il y avait place pour deux
personnes. On pouvait de là voir au dessous de soi le temple tout
entier.
Ce fut sur ce point culminant de la tour que Satan plaça Jésus
: celui ci gardait le silence. Mais Satan vola d'en haut jusqu'au sol et
lui dit : "Si tu es le Fils de Dieu, montre ta puissance et descends à
ton tour, car il est écrit : il ordonnera à ses anges de
te porter dans leurs mains, de peur que tu ne te heurtes contre la pierre.
"Mais Jésus répondit : `` il est écrit aussi : Tu
ne tenteras pas ton Seigneur. "Sur quoi Satan revint à lui plein
de rage, et Jésus dit : " use du pouvoir qui t'a été
donné.
Alors Satan, saisi d'une nouvelle fureur, le saisit de nouveau par
les épaules et vola avec lui au dessus du désert, dans la
direction de Jéricho. Satan, cette fois, me parut voler plus lentement.
Je le vis, dans sa colère et sa rage contre Jésus, planer
tantôt haut, tantôt bas, et en vacillant, comme quelqu'un qui
veut décharger sa colère, et qui n'est pas maître de
le faire. Il porta Jésus à sept lieues de Jérusalem,
sur cette même montagne ou il avait commencé son jeûne.
J'ai vu qu'en le portant il passa tout contre le grand et vieux térébinthe
dont j'ai eu récemment près de moi une relique que j'ai reconnue.
Ce bel et grand arbre s'élève dans l'ancien jardin d'un Essénien,
de ceux qui ont autrefois habité ici : Elle aussi y séjourna.
Le térébinthe était derrière la grotte, à
peu de distance de l'escarpement à pic. Trois fois par an on fait
des entailles aux arbres de celle espèce, et on en tire un baume
d'assez médiocre qualité.
Satan posa le Sauveur au point culminant de la montagne sur un rocher
inaccessible qui surplombait : ce point est beaucoup plus haut que la grotte.
Il faisait nuit : mais pendant que Satan montrait les divers points de
l'horizon, tout était éclairé, et on voyait dans toutes
les directions les plus beaux pays du monde. Le démon parla à
peu près en ces termes : "Je sais que tu es un grand docteur, que
lu veux rassembler des disciples autour de toi et répandre ta doctrine.
Vois tous ces magnifiques pays, ces puissantes nations, et vois aussi ce
qu'est en comparaison d'eux la petite Judée. C'est là qu'il
faut aller : Je te donnerai tous ces pays si tu te prosternes devant moi
pour m'adorer. Par cette adoration, le démon entendait une posture
humble et suppliante que prenaient souvent les Juifs d'alors et en particulier
les Pharisiens devant de grands personnages et des rois quand ils voulaient
obtenir d'eux quelque chose. Le démon présentait ici à
Jésus, sur une plus grande échelle, une tentation semblable
à celle par laquelle il avait cherché à le séduire
lorsqu'il était venu le trouver, sous la figure de l'agent d'un
Hérode de Jérusalem, et l'avait engagé à venir
dans le palais que le roi avait dans cette ville, en lui promettant de
l'aider dans son entreprise. Lorsque Satan montrait ainsi les divers points
de l'horizon, on voyait apparaître de grands pays avec les mers qui
les baignaient, puis leurs villes, puis leurs monarques dans tout l'éclat
d'une pompe triomphale, avec leur cortège et leurs armées.
On voyait tout cela aussi distinctement que si l'on en eût été
tout près et même encore plus distinctement ; on était
réellement dans tous ces lieux, et chaque scène, chaque peuple
se montrait avec la pompe et l'éclat qui lui étaient propres,
avec ses moeurs et ses usages particuliers.
Satan fit ressortir les prérogatives de chaque peuple et montra
avec une insistance particulière un pays où l'on voyait de
grands et beaux hommes magnifiquement vêtus, ressemblant presque
à des géants. Je crois que c'était la Perse : il conseilla
à Jésus d'aller de préférence enseigner là.
Il lui montra là Palestine comme une petite contrée insignifiante.
C'était un spectacle merveilleux : on voyait tant de choses et si
clairement, et tout était si brillant et si magnifique !
Jésus ne dit que ces mots : "Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu,
et tu ne serviras que lui seul. Retire toi de moi, Satan. Alors je vis
Satan, sous une forme incroyablement hideuse, s'élancer du haut
du rocher dans le précipice, et disparaître comme si la terre
l'eut englouti.
Aussitôt après, je vis une troupe d'anges s'approcher
de Jésus et s'incliner devant lui : ils le portèrent, je
ne sais de quelle manière, comme sur leurs mains, et, planant doucement
avec lui près du rocher, ils le ramenèrent dans la grotte
où il avait commencé son jeûne de quarante jours. Il
y avait douze anges principaux avec d'autres troupes d'assistants qui formaient
aussi un nombre déterminé : je ne sais plus bien s'ils étaient
soixante douze, mais je suis portée à le croire : car il
y eut dans toute cette vision quelque chose qui me rappela les apôtres
et les disciples. Il y eut alors dans la grotte comme une fêle d'actions
de grâces pour une victoire et comme un festin solennel. Je vis la
grotte tapissée intérieurement de feuilles de vigne par les
anges : elle était ouverte, et une couronne triomphale de feuillage
était suspendue en l'air au dessus de la tête de Jésus.
Tout cela se fit avec un ordre et une solennité merveilleuse : tout
y était clair, symbolique et lumineux, et ce fut promptement fait,
car ce qui était planté ou apporté dans une intention
répondait comme de soi même à cette intention et se
développait suivant la destination qui lui était assignée.
Les anges apportèrent aussi une table couverte d'aliments célestes
qui, petite au commencement, s'accrut et grandit rapidement. Les mets et
les vases étaient semblables à ceux que je vois toujours
sur les tables du ciel : je vis Jésus, les douze anges principaux
et les autres aussi en prendre leur part. On ne faisait pas passer les
aliments par la bouche, et pourtant on se les assimilait ; l'essence des
fruits passait jans ceux qui les prenaient, et il y avait réfection
et participation. C'est quelque chose qu'il est impossible d'exprimer.
A l'extrémité de la table se trouvait seul un grand calice
lumineux, entouré de petites coupes : il était de la même
forme que celui qui figura à l'institution de la sainte Cène
; seulement il était plus grand et avait quelque chose de plus immatériel.
il y avait aussi une assiette avec des petits pains ronds très minces.
Je vis Jésus verser quelque chose du calice dans les coupes et y
tremper des morceaux de pain : après quoi les anges les prirent
et les emportèrent. Dans ce moment, le tableau disparut, et Jésus
quitta la grotte et descendit vers le Jourdain.
Les anges qui servaient Jésus parurent sous des formes différentes
et suivant un ordre hiérarchique : ceux qui, en dernier lieu, disparurent
avec le pain et le vin étaient en habits sacerdotaux. Je vis, dans
le même instant, des consolations : merveilleuses de toute espèce
arriver aux amis présents et futurs de Jésus. Je vis à
Cana Jésus apparaître en vision à la sainte Vierge
et la réconforter. Je vis Lazare et Marthe très émus
et remplis d'un nouvel amour pour Jésus. Je vis Marie la Silencieuse
recevoir réellement de la main d'un ange un aliment pris sur la
table du Sauveur. Je vis l'ange près d'elle, et elle reçut
ce qu'il lui apportait avec la simplicité d'un enfant. Elle avait
vu constamment toutes les souffrances et les tentations de Jésus
; sa vie se passait à les contempler et à y compatir, et
elle n'éprouva aucune surprise. Je vis aussi Madeleine singulièrement
remuée. Elle était occupée à se parer pour
une fête, lorsqu'elle fut saisie inopinément d'une vive inquiétude
sur sa vie et d'un ardent désir du salut, si bien qu'elle jeta là
sa parure, ce qui lui attira force moqueries de la part de son entourage.
Je vis aussi plusieurs des futurs apôtres réconfortés
et pleins d'ardeur. Je vis Nathanaël dans sa demeure pensant à
tout ce qu'il avait entendu dire de Jésus et très ému
à ce sujet, mais chassant encore ces pensées de son esprit.
Je vis Pierre, André et tous les autres fortifiés et touchés.
C'était une vision admirable dont je ne me rappelle que peu de chose.
Au moment où Jésus commençait son jeûne,
Marie résidait dans sa maison, près de Capharnaum. Il en
était alors comme à présent, et la faiblesse humaine
reste toujours la même. Il venait s'installer chez la sainte Vierge
des voisines indiscrètes, qui, sous prétexte de la consoler,
reprochaient à Jésus de s'en aller on ne savait ou, de la
négliger complètement, quoi que ce fût son devoir,
depuis la mort de Joseph, de prendre une profession pour soutenir sa mère,
etc. En général, on tenait beaucoup de propos sur Jésus
dans tout le pays, car les circonstances merveilleuses de son baptême,
le témoignage de Jean, les récits de ses disciples dispersés,
tout concourait à attirer l'attention sur lui. Il n'y eut autant
dé bruit à son sujet que plus tard, lors de la résurrection
de Lazare et avant sa passion.
La sainte Vierge était très sérieuse et concentrée
en elle même : lorsque Jésus était séparé
d'elle, elle avait toujours des mouvements intérieurs et des pressentiments,
et souffrait avec lui.
Vers la fin des quarante jours, Marie était allée à
Cana, en Galilée, chez les parents de la fiancée de Cana.
Ce sont des gens considérés et comme les principaux personnages
de l'endroit : ils ont une belle maison presque au centre de la ville,
qui est très agréable et bien bâtie. Elle est traversée
par une route, je crois que c'est celle de Ptolémaïs : on voit
la route descendre des hauteurs qui s'élèvent en face de
la ville. Les rues sont moins tortueuses, et le terrain moins inégal
que dans bien d'autres endroits. Le mariage doit se faire dans cette maison.
Ils en ont une autre qu'ils donnent toute meublée avec leur fille.
La sainte Vierge y habite pour le moment. Le fiancé est à
peu près de l'âge de Jésus : c'est, je crois, un fils
du premier lit d'une des trois veuves de Nazareth : il n'est pas de ceux
qui suivirent une fois Jésus jusqu'à Hébron. Il est,
chez sa mère, comme maître de la maison : il est à
la tête de son ménage. Il est maintenant près d'elle
: je crois que plus tard il doit assister son beau père dans son
emploi. Ces bonnes gens consultent la sainte Vierge pour l'éducation
de leurs enfants et ils lui confient tout : elle s'entretient aussi avec
la fiancée, qui est une belle jeune fille. Je vois celle ci se rencontrer
avec son fiancé en présence d'autres personnes, mais toujours
voilée.
Je vis Jean pendant ce temps continuer toujours à baptiser.
Hérode s'efforçait d'obtenir de lui qu'il vint le voir :
il lui envoyait aussi des messagers pour tâcher de savoir de lui
quelque chose sur Jésus. Mais Jean le traitait toujours avec aussi
peu d'égards que précédemment, et il répétait
ce qu'il avait dit de Jésus.
Des envoyés de Jérusalem sont encore venus près
de lui pour lui faire subir un interrogatoire sur Jésus et sur lui
même. Jean répondit comme toujours qu'il n'avait pas vu Jésus
de ses yeux, antérieurement à son baptême, mais qu'il
était envoyé pour lui préparer la voie.
Je vis que Jean, depuis ce temps, enseignait toujours que l'eau avait
été sanctifiée par le baptême de Jésus
et par le Saint Esprit qui était venu sur lui. J'appris que la descente
du Saint Esprit sur Jésus, pendant qu'on le baptisait, avait donné
plus de sainteté au baptême, et qu'il était alors sorti
de l'eau beaucoup de mauvais éléments. C'était pour
cela que j'avais vu la noire figure de Satan et toutes ces affreuses bêtes
se presser au sein du nuage qui était sur le Jourdain, au moment
où le Saint Esprit descendit. C'était comme un exorcisme
de l'eau. Jésus voulut recevoir le baptême, afin que l'eau
tût sanctifiée par là, car il n'en avait aucun besoin.
Le baptême de Jean fut dès lors plus pur et plus saint : c'est
pourquoi je vis Jésus baptisé dans un bassin séparé
qu'on mit en communication avec le Jourdain et avec le réservoir
où l'on baptisait tout le monde : c'est aussi pour cela que Jésus
et ses disciples y prirent de l'eau et l'emportèrent avec eux pour
qu'elle servît dans d'autres baptêmes.
CHAPITRE SIXIEME.
Commencement de la vie publique et de la prédication du Sauveur
jusqu'aux noces de Cana.
- Jésus vient sur les bords du Jourdain.
- Jésus à Ophra, à Dibon, à Eléalé,
à Bethjésimoth, à Siloh, à Kibza'm, à
Thébez, à Capharnaum.
- Il guérit à distance un jeune garçon.
- Il appelle à lui Pierre, Philippe et Nathanael.
(Du 6 au 30 décembre).
(6 décembre.) Au point du jour, je vis Jésus traverser
le Jourdain à cet endroit où le fleuve est si étroit
et où il l'avait traversé quarante jours auparavant. Il y
avait là des poutres à l'aide desquelles on pouvait passer
soi même. Ce n'était pas là le passage où aboutissait
le chemin le plus fréquenté, mais un passage secondaire.
Jésus alors descendit la rive orientale du Jourdain jusque vis à
vis de l'endroit où Jean donnait le baptême. Je vis là
Jean qui enseignait et baptisait, le montrer au doigt aussitôt et
crier : "Voici l'agneau de Dieu qui efface les péchés du
monde. " Jésus revint du bord du fleuve à Bethabara.
Cependant André et Saturnin qui étaient auprès
de Jean passèrent le fleuve en toute hâte : ils prirent le
chemin que Jésus avait pris. Ils furent suivis par un des parents
de Joseph d'Arimathie et par deux autres disciples de Jean. Lorsqu'ils
furent de l'autre côté du fleuve, ils coururent après
Jésus, et je vis Jésus se retourner, aller à leur
rencontre et leur demander ce qu'ils cherchaient. Sur quoi, André,
tout joyeux de l'avoir retrouvé, lui demanda où il demeurait,
et Jésus leur dit de le suivre, puis il les conduisit à une
hôtellerie située en avant de Bethabara, vis à vis
le fleuve ; ce fut là qu'ils s'arrêtèrent. Jésus
resta aujourd'hui à Bethabara avec les cinq disciples et il prit
ses repas avec eux. Il leur dit qu'il allait commencer sa carrière
de prédication et réunir des disciples autour de lui. André
lui parla de plusieurs personnes de sa connaissance dont il lui fit l'éloge
à cet effet ; il fit mention de Pierre, de Philippe et de Nathanaël.
Jésus parla du baptême à donner ici dans le Jourdain,
et dit que quelques uns d'entre eux auraient à baptiser dans cet
endroit, qu'il n'y avait près d'ici d'emplacement approprié
que celui où Jean baptisait, et que pourtant il né convenait
pas que celui ci fût dépossédé. Alors Jésus
parla de la destination et de la mission de Jean dont le terme était
proche, et il confirma tout ce qu'avait dit Jean de lui même et du
Messie. Jésus parla aussi de la préparation à sa prédication
publique faite dans le désert et de la préparation qui doit
précéder toute oeuvre importante. Il se montra affectueux
et confiant vis à vis des disciples, ceux ci étaient respectueux
et un peu intimidés. Ils passèrent la nuit ici.
(7 décembre.) Le matin, Jésus en compagnie des disciples,
alla de Bethabara aux maisons voisines du passage du Jourdain et il enseigna
dans une réunion. Plus tard il passa le fleuve et enseigna dans
une bourgade située à une lieue avant Jéricho. Il
n'y avait guère qu'une vingtaine de maisons. une foule d'aspirants
au baptême et de disciples de Jean allaient et venaient pour l'entendre
et pour rapporter à Jean ce qu'ils savaient de lui. Il était
environ midi lorsqu'il enseigna ici.
Jésus chargea plusieurs disciples d'aller, après le sabbat,
de l'autre côté du Jourdain, à une lieue au dessus
de Bethabara et d'y remettre en état une fontaine baptismale où
Jean, venant d'Ainon, avait donné le baptême avant d'aller
baptiser sur la rive occidentale du Jourdain en face de Bethabara. On voulut
préparer ici un repas pour Jésus j mais il partit et revint
avant le sabbat à Bethabara où il célébra le
sabbat jusqu'au samedi soir et où il enseigna dans la synagogue.
Il mangea chez le préposé de l'école et coucha dans
sa maison.
(9 décembre.) Je vis Jésus accompagné d'André,
de Saturnin et d'une foule nombreuse dans laquelle se trouvaient aussi
des disciples de Jean, aller il la fontaine baptismale située à
une lieue au nord de Bethabara, en face de la contrée de Galgala.
Cet endroit, où Jean avait baptisé quelque temps, avant d'aller
s'établir près de Jéricho, avait été
remis en état par ses disciples. La fontaine baptismale n'était
pas aussi grande que celle de Jean près de Jéricho. Il y
avait un rebord élevé avec une langue de terre qui s'avançait
dans l'eau et ou se tenait celui qui administrait le baptême. Le
rebord était entouré d'un petit canal d'ou l'on pouvait faire
entrer l'eau dans la fontaine baptismale. Il y a maintenant dans ce quartier
trois fontaines baptismales ; celle qui est au dessus de Bethabara, celle
où Jésus a été baptisé sur l'île
qui s'est élevée dans le Jourdain, et enfin celle où
Jean baptise.
Jésus arrivé ici versa dans la fontaine baptismale de
l'eau de la fontaine de l'île dans laquelle il avait été
baptisé et qu'André avait apportée dans une outre
; puis il la bénit. Tous les baptisés furent singulièrement
émus. André et Saturnin baptisèrent. Ce n'était
pas une immersion complète. Les néophytes entraient dans
l'eau près du rebord ; on leur mettait les mains sur les épaules
; le baptisant versait trois fois de l'eau sur eux avec la main et baptisait
au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ; ce que ne faisait pas
Jean qui se servait d'un vase à trois rainures. Beaucoup de personnes
venaient se faire baptiser, particulièrement des gens de la Pérée.
Jésus enseigna debout, sur un petit tertre de gazon qui se trouvait
près de là ; il parla de la pénitence, du baptême
et du Saint Esprit. Il dit : " Mon Père a envoyé le Saint
Esprit lorsque j'ai été baptisé, et il a dit : C'est
mon Fils bien aimé dans lequel je me complais. Il en dit autant
à tout homme qui aime son Père céleste et qui se repent
de ses péchés ; il envoie son Saint Esprit sur tous ceux
qui sont baptisés au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit,
et tous alors sont ses fils dans lesquels il se complaît : car il
est le père de tous ceux qui reçoivent son baptême
et reçoivent de lui par là une nouvelle naissance. ))
Je m'étonne toujours que tout soit raconté si brièvement
dans l'Evangile, et d'y voir Jésus, lorsqu'André l'a suivi
après le témoignage rendu par Jean, se rencontrer aussitôt
avec Pierre qui pourtant n'était pas là, mais en Galilée.
Ce qui m'étonne encore davantage, c'est d'y voir la Cène
et la Passion suivre de si près l'entrée à Jérusalem
du dimanche des Rameaux, lorsque dans l'intervalle j'entends Jésus
faire de si nombreuses instructions. Je pense que Jésus séjournera
bien ici une quinzaine de jours avant d'aller en Galilée.
André, à proprement parler, n'était pas encore
admis comme disciple. Jésus ne l'avait pas appelé, il était
venu de lui même et s'était offert ; il avait le désir
d'être avec Jésus : Il est plus empressé et se met
plus en avant que Pierre qui était porté à se dire
: " Je suis trop peu de chose pour cela, cela surpasse mes forces, " et
qui là dessus retournait à ses affaires. Saturnin et les
deux neveux de Joseph d'Arimathie, Aram et Théméni, s'étaient
joints à Jésus de la même manière qu'André.
Plusieurs autres disciples de Jean seraient venus à Jésus,
s'ils n'en avaient été empêchés par quelques
uns de leurs compagnons, dont l'amour propre était blessé.
Ceux ci se plaignaient à Jean, et trouvaient que Jésus commettait
une usurpation en baptisant ici, que ce n'était pas là sa
mission, et Jean avait fort à faire pour redresser leurs idées
bornées. Il leur disait de se souvenir de ses discours dans lesquels
il leur avait toujours annoncé d'avance qu'il ne faisait que préparer
le chemin, qu'il se retirerait quand les voies seraient préparées,
et que ce serait bientôt. Mais ils étaient très attachés
à Jean, et cela ne pouvait pas leur entrer dans l'esprit. Aujourd'hui,
il y avait déjà tant de monde à l'endroit où
Jésus baptisait, qu'il dit aux disciples que le lendemain il fallait
aller ailleurs. il passa encore la nuit à Bethabara, chez le chef
de la synagogue.
(10 décembre.) Ce matin, je vis Jésus, accompagné
d'une vingtaine de personnes, dont étaient André, Saturnin,
Aram et Théméni, quitter Bethabara, traverser le Jourdain
à l'endroit où était le passage le plus fréquenté
et le plus facile, et laissant Galgala à droite, se rendre dans
une ville appelée Ophra, qui était cachée dans une
étroite vallée au milieu des montagnes. Il y passait fréquemment
des gens venant du pays qui est derrière Sodome et Gomorrhe lesquels
allaient à l'orient du Jourdain, sur des chameaux chargés
de marchandises, et se faisaient baptiser par Jean. Il y avait ici un chemin
de traverse menant de la Judée au Jourdain : c'était du reste
un endroit fort peu fréquenté, situé à trois
ou quatre lieues de l'endroit où Jean baptisait : je crois qu'il
était moins éloigné de Jéricho : il y avait
environ sept lieues de là à Jérusalem. La température
y était froide et il y avait peu de soleil : la ville était
bien bâtie. Les habitants, presque tous marchands, publicains ou
contrebandiers, avaient de l'aisance : ils semblaient faire de bonnes affaires
avec les gens qui passaient. Ils n'étaient pas méchants,
mais indifférents, comme le sont souvent des marchands et des hôteliers
auxquels tout vient à souhait. Je n'avais pas encore été
dans cet endroit, je n'y avais jamais vu Jésus jusqu'à aujourd'hui.
Les habitants ne s'étaient pas encore préoccupés du
baptême de Jean. Ils n'aspiraient pas au salut : leur ville était
de celles dont on a coutume de dire : C'est un endroit ou l'on vit bien.
Lorsqu'ils approchèrent de la ville, Jésus envoya en
avant les neveux de Joseph d'Arimathie pour demander les clefs de la synagogue
et pour convoquer le peuple à venir l'entendre. Il se servait toujours
d'eux pour de semblables missions : car ils étaient avenants et
avisés. à son entrée dans la ville, des possédés
et démoniaques accoururent autour de lui et ils criaient de loin
: " Voici le prophète, Fils de Dieu, le Christ Jésus, notre
ennemi : il vient nous chasser. "Jésus leur commanda de se taire
et de se tenir tranquilles.
Ils s'apaisèrent aussitôt et l'accompagnèrent à
la synagogue qui était presque à l'autre extrémité
de la ville. Il y enseigna jusqu'au soir, et n'en sortit qu'une fois pour
prendre quelque chose. Il parla de l'approche du règne de Dieu,
de la nécessité du baptême ; il pressa vivement les
habitants de se réveiller de leur tiédeur et de leur fausse
sécurité, afin que le jugement ne les atteignît pas.
Il parla aussi fortement contre leurs pratiques usuraires, leur commerce
frauduleux, et contre les péchés habituels aux marchands
et aux publicains. Ils ne le contredirent pas, mais d'autre part ils n'étaient
pas très faciles à émouvoir : car ils étaient
esclaves de leurs habitudes mercantiles ; quelques uns, pourtant furent
très touchés et prirent d'autres sentiments. Le soir, plusieurs
d'entre eux, hommes considérables ou gens de moindre importance,
vinrent je visiter à l'endroit où il logeait, et se montrèrent
très décidés à se faire baptiser. Dès
les jours suivants ils allèrent trouver Jean. Jésus passa
la nuit dans l'hôtellerie.
(11 décembre.) Aujourd'hui Jésus quitta Ophra de bonne
heure, et revint vers Bethabara avec ses disciples. Ils se séparèrent
sur le chemin. Il envoya André en avant avec la plupart de ses compagnons,
par la roule qu'ils avaient suivie en venant ici ; lui même avec
Saturnin et le neveu de Joseph d'Arimathie (je crois qu'il n'y en avait
qu'un avec lui), passa plus près du lieu où Jean baptisait,
suivant le chemin par où il avait passé, lorsque celui ci,
pour la première fois après le baptême, avait rendu
témoignage de lui. Cette fois il n'arriva rien de particulier. Près
du chemin qui est en face du passage du Jourdain, Jésus entra dans
quelques maisons, enseigna et exhorta au baptême.
Ce ne fut que dans l'après midi qu'ils arrivèrent à
Bethabara, et je vis le même jour Jésus enseigner encore au
lieu du baptême, où André et Saturnin baptisèrent'
Comme c'étaient chaque jour de nouveaux auditeurs qui venaient pour
se faire baptiser, son enseignement était presque toujours le même
: il répéta souvent que son Père céleste disait
à tous ceux qui faisaient pénitence et recevaient le baptême
: "Voici mon Fils bien aimé ", qu'ils seraient tous ses enfants,
etc. : la plupart d'entre eux venaient du pays de Philippe le Tétrarque,
qui était un bon prince. Ses sujets étaient assez heureux,
et c'est pourquoi ils n'avaient guère pensé jusqu'alors à
se faire baptiser." Le soir, elle dit en termes peu précis : " Jésus,
après la fin de son jeûne, s'arrête ici environ vingt
jours : donc encore quinze jours, et il ira à Cana où sa
mère l'attend. "
(12 décembre.) Du 12 au 13, elle fut malade à la mort
: le 13 au soir, se trouvant mieux, elle raconta ce qui suit :
Aujourd'hui, Jésus, en compagnie de trois disciples, est parti
de Bethabara pour cette ville, où il s'était trouvé
le 15 octobre pour la fête des Tabernacles. C'était à
Dibon qu'il allait. Sur la route, il enseigna dans plusieurs maisons placées
les unes à côté des autres. Arrivé à
la ville, il enseigna dans la synagogue, qui est séparée
de la ville et située dans le fond de la vallée qu'il avait
parcourue lors de la fête des Tabernacles. Il passa la nuit dans
une hôtellerie ou une échoppe située un peu à
l'écart' où des laboureurs des environs venaient loger et
prendre leur nourriture. On fait à présent les semailles
sur le côté de la montagne qui est exposé au soleil,
et on récoltera à Pâques. Ici l'on bêche la terre,
car le sol est pierreux et sablonneux ; on ne peut pas faire usage de l'instrument
avec lequel on laboure ordinairement. On plante aussi certaines herbes,
et on a commencé à rentrer une partie de la récolte
arriérée. Jésus raconta dans la synagogue et aux laboureurs
la parabole du semeur qu'il leur expliqua. Il n'expliquait pas toujours
ses paraboles : devant les pharisiens il les racontait souvent sans commentaires.
Le 13, il était encore ici et occupé de la même
manière. Aujourd'hui, André, Saturnin et d'autres disciples
qui baptisaient hier près de Bethabara, sont allés
Ophra pour confirmer les gens de l'endroit dans les bons sentiments
que la prédication de Jésus a réveillés en
eux.
Dans l'habitation où se tient Jésus, près de Dibon,
il y a un endroit séparé où les femmes des gens de
la campagne viennent préparer leurs aliments. Ce sont tous de bonnes
gens, vivant simplement. Les habitants du pays ne sont pas bien disposés
pour Jésus, qui, lors de la fête des Tabernacles, a guéri
plusieurs malades à Dibon. Il n'était pas proprement à
Dibon même, ni chez les publicains qui demeuraient plus près
du Jourdain, mais dans la vallée qui avait une longueur d'environ
trois lieues.
(14 15 décembre.) Jésus partit aujourd'hui de l'hôtellerie
de Dibon. Ces habitations étaient disséminées dans
la vallée entre Dibon et le Jourdain, laquelle peut avoir trois
lieues de long. Il se dirigea vers le midi, et prit un chemin qui conduisait
au levant et qui était deux lieues plus au midi du Jourdain que
celui de Bethabara par lequel il était venu. Il arriva à
quatre lieues environ de Dibon, dans un endroit qui a un nom singulier.
Je ne voulais pas croire que ce fût un nom de lieu. Existe t il un
lieu ainsi nommé ?
Le nom me parut étrange parce qu'étant enfants, en conduisant
les vaches à travers champs, nous criions toujours : Hélo
! hélo ! et il me fallut entendre plusieurs fois ce nom avant de
l'accepter. Quoi donc, me disais je, c'est là Hélo ! hélo
! le cri des enfants quand ils conduisent les vaches ? Lorsque nous courions
les champs et que nous criions à nos compagnons de faire aller leurs
vaches` de tel ou tel côté, ils me criaient à leur
tour : Hélo ! hélo ? Anne Catherine Emmerich, si tu veux
venir avec nous au gué, viens donc vite : hélo ! hé,
loh loh ! Elle répéta cela en imitant les modulations du
cornet avec lequel on appelle les vaches en prononçant les noms
de tous ses compagnons d'enfance et en regrettant ce temps d'innocence
et de piété.
Jésus arriva à Eléalé avec environ sept
disciples : il doit lui en être venu quelques uns que j'ai oubliés.
André, Saturnin et d'autres qui étaient allés à
Ophra, sont revenus je ne sais plus bien où : ils doivent bientôt
venir le retrouver. Jésus entra chez le chef de la synagogue. Le
soir du sabbat, il enseigna dans la synagogue sur une parabole où
il était question de branches d'arbres vacillantes qui laissaient
tomber les fleurs et ne portaient pas de fruits. Tout ce que je me rappelle
à ce sujet, est qu'il voulut par là reprocher à ses
auditeurs que la plupart du temps le baptême de Jean ne les rendait
pas meilleurs, et qu'ils laissaient emporter par tous les vents les fleurs
de la pénitence sans qu'elles arrivassent à porter des fruits.
C'est ainsi qu'ils étaient dans cet endroit. Il choisit de préférence
cette comparaison, parce qu'ils vivaient pour la plupart du produit de
leurs arbres fruitiers. Ils allaient vendre leurs fruits très loin,
car l'endroit était écarté, et il n'y avait pas de
grande route. ils faisaient aussi beaucoup de couvertures et des broderies
grossières. Jésus, jusqu'à présent, n'avait
pas rencontré de contradicteurs ; les gens de Dibon et des alentours
l'avaient pris à gré, et ne cessaient pas de dire qu'ils
n'avaient jamais entendu personne enseigner comme lui : les vieillards
le comparaient toujours aux prophètes, de l'enseignement desquels
leurs ancêtres leur avaient parlé.
Jésus a récemment envoyé un message à sa
mère à Cana : il lui a fait dire à quel moment il
viendrait. Il n'y avait encore personne de Jérusalem près
de lui, mais la plupart de ceux qui l'avaient suivi après le baptême
de Jean, se trouvèrent de nouveau avec lui à Bethabara et
ils allaient et venaient de Jean à lui et de lui à Jean.
Le samedi 15, Jésus fit ici la clôture du sabbat.
(16 17 décembre.) Le dimanche 16, Jésus alla à
environ trois lieues vers le couchant dans un endroit nommé Bethjésimoth,
situé sur les pentes orientale et méridionale d'une montagne,
auprès d'une petite rivière, à environ une lieue du
Jourdain. Pendant qu'il était e tête pour s'y rendre, André,
Saturnin, et beaucoup d'autres disciples de Jean vinrent se joindre à
lui, et j'entendis sur le chemin le Seigneur leur parler des enfants d'Israël
qui avaient campé ici et de ce que Mo'se et Josué leur avaient
dit. Il en fit une application au temps présent et à son
enseignement. Bethjésimoth n'est pas très grand, mais très
fertile, surtout en vins.
Lorsque Jésus arriva, on venait de faire sortir des démoniaques
d'une maison où ils étaient renfermés ensemble, pour
les mener prendre l'air. Ils se mirent à faire du bruit et à
crier : " Voilà qu'il vient, le Prophète ! Il va nous chasser,
etc. " Jésus se retourna vers eux et leur commanda de se taire,
leur disant que leurs chaînes allaient tomber et qu'ils devaient
le suivre à la synagogue. Leurs chaînes tombèrent en
effet par un miracle, et ces gens, devenus tout à fait paisibles,
se prosternèrent devant Jésus, le remercièrent et
le suivirent. Il enseigna en paraboles où il était question
de la fertilité de la terre et de la culture de la vigne. Ensuite
il visita plusieurs malades dans les maisons et les guérit. Cet
endroit ne se trouve sur aucune grande route, les habitants sont obligés
de porter eux mêmes leurs fruits au marché.
(18 20 décembre.) Jésus partit aujourd'hui quoique les
habitants le priassent instamment de `rester, parce que c'était
là qu'il avait guéri pour la première fois depuis
son séjour au désert : il était accompagné
d'André, de Saturnin, des neveux de Joseph d'Arimathie, en tout
d'une douzaine de personnes. Il alla obliquement vers le nord, pendant
deux lieues, jusqu'à ce passage fréquenté du Jourdain
auquel conduisait la route de Dibon et où il avait passé
lors de la fête des Tabernacles en se rendant de Galgala à
Dibon. On mettait un temps assez long à passer parce que, vu l'escarpement
des rives, les lieux de débarquement n'étaient pas en face
l'un de l'autre. Sur la rive occidentale, je les vis faire encore à
peu près une lieue dans la direction de Samarie, puis, longeant
la base d'une montagne, arriver dans un petit endroit qui consistait en
un groupe de maisons sans école. A quelques lieues de là,
au couchant, se trouve dans un coin de la montagne le lieu où Jésus,
du 22 au 23 octobre, visita l'essénien Ja're. Ce petit endroit était
habité par des bergers et d'autres braves gens qui étaient
vêtus à peu près comme les bergers à la crèche.
Jésus enseigna sur un lieu élevé où une chaire
de pierre était dressée en plein air. Ces gens avaient reçu
le baptême de Jean.
Le 10 vers le soir, je vis Jésus arriver sur le haut d'une montagne
qui s'élevait en pente douce, à Silo, ville assez délabrée,
aux portes de laquelle se trouvaient de grandes tours en ruines. Devant
la ville, à quelque distance était un couvent d'Esséniens
a moitié détruit et en outre une maison peu éloignée
de l'entrée de la ville où jadis les Benjamites avaient renfermé
des jeunes filles qu'ils avaient enlevées à Silo, lors de
la fête des Tabernacles. La synagogue de Silo était dans une
situation très élevée, tout au haut de la ville, et
on avait de là une vue extraordinairement étendue. On voyait
les montagnes de Jérusalem, la mer de Galilée et une quantité
de montagnes. Les habitants ne me semblèrent pas bons : ils étaient
orgueilleux, pleins de présomption et d'assurance.
Je vis Jésus, avec ses compagnons qui pouvaient bien être
au nombre de douze, en y comprenant André et Saturnin, entrer dans
une grande maison qui semblait habitée par plusieurs pharisiens
et scribes. Tout au moins ils la fréquentaient, car j'en vis bien
une vingtaine rassemblés autour de lui avec leurs longues robes,
leurs ceintures et de longs appendices d'un travail grossier pendant aux
manches. Je crois qu'il trouvera ici des contradicteurs, car ils faisaient
semblant de ne pas connaître Jésus et lui adressaient des
paroles piquantes comme celle ci : "Qu'est ce à dire ? Il y a maintenant
deux baptêmes, celui de Jean et celui de Jésus, le fils du
charpentier de Galilée : lequel est donc le bon ? On entend dire
aussi que des femmes s'attachent à la mère de ce fils de
charpentier, par exemple telle veuve avec ses deux fils ( j'ai oublié
le nom ), et qu'elle court ainsi de côté et d'autre pour faire
des partisans à son fils. Quant à eux, disaient ils, ils
n'avaient que faire de semblables nouveautés, ils avaient la promesse
et leur loi. " Ils ne disaient pas ces choses ouvertement et brutalement,
mais ils traitaient Jésus avec une politesse aigre et moqueuse,
et cela me rappelait la malveillance astucieuse et cachée sous une
douceur hypocrite que j'ai souvent rencontrée sur mon chemin de
croix de la part de gens éclairés qui m'observaient comme
une personne suspecte.
A l'endroit où Jésus entra dans Silo avec les disciples
se trouvait une maison où les docteurs et les prophètes en
voyage avaient le droit de loger ; elle était attenante aux habitations
et aux écoles des pharisiens et des sadducéens de l'endroit
; c'était comme un séminaire. Elle n'était pas éloignée
du point culminant de la montagne où le tabernacle et l'arche d'alliance
avaient séjourné autrefois. Ce point culminant était
comme un rocher isolé et escarpé, termine par une vaste plate
forme, grande presque comme Dulmen (lieu où habitait la narratrice),
si je ne me trompe. Il y avait là un grand emplacement entouré
d'un mur à moitié écroulé et où se trouvaient
les restes des fondements d'un ancien édifice en pierre, élevé
au dessus du tabernacle. Peut être aussi n'y avait il eu là
qu'un beau mur et une grande halle. à la place où l'arche
d'alliance avait reposé autrefois, il y avait, sous un toit soutenu
par une arcade, une colonne comme celle de Galgala ; sous cette colonne,
se trouvait également une espèce de caveau, creusé
dans le roc, où l'arche d'alliance avait été déposée.
Sur cette hauteur, entourée d'un mur, il y avait en outre une synagogue,
et non loin de la place de l'arche d'alliance un lieu pour les sacrifices
et une fosse couverte ou l'on jetait les immondices lors de l'immolation
des victimes ; car j'entendis dire qu'il était encore permis de
sacrifier là trois ou quatre fois dans l'année.
Je ne sais plus dans quel ordre se succédèrent ici les
actes et les prédications de Jésus ; je me souviens seulement
qu'il répondit à leurs sarcasmes qu'il était celui
dont ils parlaient. Et comme il faisait mention de la voix qui s'était
fait entendre à son baptême, il dit que c'était la
voix de son père qui était aussi le père de quiconque
se repentait de ses péchés et renaissait par le baptême.
Ils ne voulaient pas le laisser aller, non plus que ses disciples, à
la place de l'arche d'alliance, parce que c'était un lieu très
saint ; il y alla pourtant et leur reprocha que leurs pères avaient
perdu l'arche d'alliance à cause de leur méchanceté
; maintenant, ajouta t il, ils continuaient à faire de même
près de cette place vide ; ils avaient violé la loi autrefois
et ils la violaient encore ; mais de même que l'arche d'alliance
s'était éloignée d'eux, de même aussi l'accomplissement
de la promesse allait s'éloigner d'eux maintenant. Comme là
dessus ils voulurent entrer en dispute avec lui en lui alléguant
des passages de la loi ; il les plaça deux par deux, les interrogea
comme des enfants, leur proposa diverses questions difficiles sur des textes
de la loi, et ils ne trouvèrent rien à répondre.
Ils étaient très confus et très irrités,
ils se poussaient les uns les autres et murmuraient, mais ils commencèrent
à se retirer. Jésus les conduisit aussi à la fosse
couverte où l'on jetait les débris qui restaient après
les sacrifices ; il la fit découvrir et la faisant servir à
une comparaison, il dit d'eux qu'ils étaient comme cette fosse,
remplis à l'intérieur d'immondices et de pourriture impropres
au sacrifice, mais proprement recouverts à l'extérieur, et
tout cela dans un endroit d'où le sanctuaire avait été
retiré à cause des péchés de leurs ancêtres.
Il leur dit, en outre, qu'il ne reviendrait plus les visiter. Tous se retirèrent
pleins de rage.
Jésus enseigna ici dans la synagogue et parla spécialement
du respect dû à la vieillesse et de la piété
filiale. Il s'exprima sévèrement à ce sujet, car les
gens. de Silo avaient depuis longtemps la mauvaise habitude, quand leurs
parents étaient arrivés à un grand âge, de les
mépriser, de les laisser de côté et de les chasser.
une route vient ici, de Bethel qui est situé au midi ; Lebona est
dans le voisinage. Il peut y avoir huit à neuf lieues d'ici à
Samarie ; la ville est bâtie tout autour du rocher, elle n'est pas
très peuplée ; il y a une école de pharisiens et une
autre appartenant à d'autres sectes. C'est ici qu'est enterré
le prophète Jonas.
(21 décembre.) Aujourd'hui dans la matinée, Jésus
sortit par l'autre côté de la ville et se dirigea vers le
nord ouest. Je vis André, Saturnin et les neveux de Joseph d'Arimathie
se séparer de lui et aller en avant vers la Galilée. André
doit aller voir Pierre et lui dire qu'il a retrouvé Jésus
; c'est ici que s'applique le verset 41 du premier chapitre de saint Jean.
Je vis Jésus accompagné des autres disciples de Jean qui
étaient avec lui, arriver à Kibza'm, le vendredi, avant le
sabbat. Cette ville est située dans la vallée, entre les
embranchements de la chaîne de montagnes qui s'étend au milieu
du pays, et qui a ici presque la forme d'une griffe de loup. Les gens de
l'endroit étaient bons, hospitaliers, et bien disposés pour
Jésus qu'ils attendaient. C'était, je crois, une ville de
lévites. Jésus entra, près de l'école, chez
un préposé.
Je vis Lazare, Marthe, Jeanne Chusa, le fils de Siméon qui avait
un emploi au temple et le vieux serviteur de Lazare arriver ici et saluer
Jésus. Ils s'étaient mis en route pour aller aux noces de
Cana et je crois qu'ils savaient par un message qu'ils rencontreraient
ici Jésus.
Jésus accueillait toujours Lazare comme un ami qu'il affectionnait
particulièrement : cependant je ne l'entendais jamais demander :
" Que fait tel ou tel de tes parents ou de les amis. " Le jour du sabbat,
Jésus enseigna en paraboles que j'ai oubliées. Kibzaim est
caché dans un coin de montagne. Les habitants vivent du produit
de leurs arbres fruitiers, et il y a en outre ici beaucoup de fabricants
de tentes et de tapis, mais je n'ai vu nulle part autant de faiseurs de
sandales. Jésus resta encore ici aujourd'hui pour le sabbat et il
guérit plusieurs malades. C'étaient des hydropiques et des
idiots qu'on lui apportait sur de petits lits devant l'école. Jésus
assista à un repas chez un lévite de distinction.
Les noces de Cana ne peuvent pas avoir lieu avant dix jours, car je
vois qu'ici et partout dans le pays, on se prépare à une
grande tête de huit jours ; c'est la fête de la dédicace
du Temple, qui se célèbre avec beaucoup de flambeaux dans
une vision relative à la Nativité du Christ, j'ai vu récemment
saint Joseph la célébrer, huit jours après, dans la
grotte de la crèche, parce que, la nuit de la naissance de Jésus,
le jour de cette fête tombait le 7 décembre. Je crois que
Jésus ira à Cana aussitôt après la fête.
J'ai vu encore que Nathanael, Philippe et d'autres disciples doivent se
rencontrer ces jours ci avec Jésus, je ne sais plus bien dans quel
endroit.
( 22 décembre. ) Le soir après le sabbat. Jésus
alla encore jusqu'à Sichar où il arriva tard et passa la
nuit dans un logement préparé pour lui. Lazare et ses compagnons
se rendirent directement de Kibza'm en Galilée.
(23 décembre.) Le jour suivant, Jésus partit de bonne
heure de Sichar et se dirigea au nord est vers Thébez. à
Sichar ou Sichem il ne put pas enseigner, il né s'y trouvait pas
de juifs, mais seulement des Samaritains et encore des gens d'une autre
espèce. Ils sont venu, ici à la suite de la captivité
de Babylone ou de quelque guerre ; ils vont au temple de Jérusalem,
mais ne prennent point part aux sacrifices. Près de Sichem sont
de beaux champs que Jacob avait achetés pour son fils Joseph. une
partie de cette contrée appartient déjà à l'Hérode
de Galilée. Il y a une frontière tracée à travers
la vallée par un mur de terre, un sentier et des poteaux. une grande
route traverse Thébez qui est une ville assez considérable.
Il s'y fait du commerce : il y passe des chameaux dont le chargement est
très élevé. C'est un singulier spectacle que de voir
ces animaux, avec leur haut bagage qui les fait ressembler à de
petites tours, gravir lentement la montagne, pendant que leur tête
sur son long cou se balance à droite et à gauche devant leur
énorme charge. On fait aussi ici le commerce de la soie crue.
Les habitants n'étaient pas mauvais et il ne résistait
pas à Jésus, mais ce n'étaient pas non plus des gens
simples et candides : ils étaient tièdes comme le sont souvent
les commerçants aisés : les prêtres et les scribes
montraient assez d'assurance et gardaient la neutralité. Lorsque
Jésus arriva dans cet endroit, des possédés et des
fous se mirent à crier : "Voici le Prophète de Galilée
! il a pouvoir sur nous : il va nous chasser. " il leur ordonna de se tenir
tranquilles et ils s'apaisèrent. Jésus logea ici près
de la synagogue et comme on le suivait et qu'on lui amenait beaucoup de
malades, il en guérit plusieurs. Il enseigna le soir dans l'école
de Thébez et prit part à la célébration de
la fête de la dédicace du Temple, qui commençait ce
soir là. On alluma sept flambeaux dans l'école et on en fit
autant dans toutes les maisons. Je vis aussi dans la campagne et sur la
route, prés des habitations des bergers, de petits fagots allumés
posés sur des perches. Thébez était admirablement
située sur une hauteur : on pouvait voir à quelque distance
la route qui coupait la montagne et les chameaux chargés qui la
descendaient : on ne voyait Pas cela dans le voisinage.
André, Saturnin et les neveux de Joseph étaient déjà
partis de Silo pour la Galilée. André était allé
dans sa famille à Bethsaïda : il avait dit à Pierre
qu'il avait retrouvé le Messie qui allait venir en Galilée
et qu'il voulait lui amener Pierre. Tous ceux là allèrent
à Arbela (1), qui s'appelle aussi Betharbel, trouver Nathanaël
Khased qui avait là des affaires, et ils le prirent pour l'emmener
avec eux à Gennabris et y célébrer la fête,
car Khased y avait alors sa résidence dans une grande maison qui
se trouvait devant la ville avec plusieurs autres. Ils parlèrent
beaucoup de Jésus, et ce fut proprement André qui les conduisit
là à la fête, parce qu'il faisait beaucoup de cas de
Nathanael ainsi qu'eux tous. Ils désiraient savoir son avis ; quant
à lui, il ne voulait pas donner beaucoup d'importance à cette
affaire.
Note 1 : Arbela était à environ une lieue et demie au
sud ouest de Tibériade, près du lac de Génésareth.
Lazare avait conduit Marthe et Jeanne Chusa près de Marie, à
Capharna>m, où elle était revenue de Cana : lui même
repartit avec le fils de Siméon pour Tibériade où
ils comptaient trouver Jésus ; le fiancé de Cana y alla aussi
à la rencontre du Seigneur. Ce fiance était fils d'une fille
de Sobé, soeur de sainte Anne : il s'appelait aussi Nathanaël
et il n'était pas de Cana, seulement il s'y mariait. La ville de
Gennabris était populeuse : une grande route y passait ; il y avait
beaucoup de trafic, et on faisait notamment le commerce de soie. Elle était
à environ deux lieues de Tibériade, mais séparée
par des montagnes, de sorte qu'il fallait aller un peu au midi, puis tourner
de nouveau vers Tibériade, entre cette ville et Emmaus. Arbela était
située entre Séphoris et Tibériade.
(24 décembre. ) Jésus partit de Thébez avant le
jour avec les disciples : il alla d'abord au levant, puis longeant les
montagnes qui sont dans la vallée du Jourdain, il se dirigea au
nord vers Tibériade. Il passa par Abel Mehula, un joli endroit où
les montagnes courent plus directement vers le nord, c'est la patrie d'Elisée.
La ville s'étend au delà d'une arête de montagnes et
je remarquai une grande différence de fertilité entre le
côté du nord et celui du midi. Les habitants étaient
assez bons. Ils avaient oui parler des miracles de Jésus à
Kibza'm et à Thébez. ils l'arrêtèrent sur le
chemin et ils témoignèrent le désir qu'il voulût
bien rester chez eux et y guérir les malades. Il y eut presque une
émeute. Jésus ne s'arrêta pas longtemps. Je crois que
cet endroit était à environ quatre lieues de Thébez.
Jésus passa près de Scythopolis et du Jourdain.
Lorsque Jésus fut parti d'Abel Mehula, André, Pierre
et Jean, pendant que leurs autres amis étaient déjà
à Gennabris, vinrent à la rencontre du Seigneur près
d'une petite ville, qui est à peu près à six lieues
de Tibériade. Pierre était venu avec Jean pêcher dans
les environs. Ils voulaient d'abord se rendre à Gennabris ; mais
André leur persuada d'aller d'abord à la rencontre du Seigneur.
André conduisit son frère à Jésus, qui lui
dit entre autres choses : " Tu es Simon, fils de Jonas ; à l'avenir
tu t'appelleras Céphas (Joan., i, 41 42). " Il lui adressa tout
d'abord ces paroles et ne s'entretint que peu de temps avec lui. à
Jean qu'il connaissait déjà depuis longtemps, il dit qu'ils
se reverraient bientôt. Là dessus Pierre et Jean partirent
pour Gennabris. André resta près de Jésus : je crois
qu'ils restèrent dans cet endroit qui pouvait être à
douze lieues de Thébez.
Ce même jour, elle dit que Jean Baptiste avait quitté
le lieu où il baptisait en deçà du Jourdain, qu'il
avait passé le fleuve et s'était remis à baptiser
à environ une lieue de Bethabara, à l'endroit où Jésus
avait fait baptiser récemment et où lui même avait
aussi baptisé précédemment. Elle avait oublié
le nom d'un endroit voisin et se rappelait seulement la syllabe ma. Ce
qui a surtout décidé Jean à baptiser là, c'est
que beaucoup de gens du pays du tétrarque Philippe, qui était
un bon prince, voulaient se faire baptiser ; mais ils ne passaient pas
volontiers le Jourdain, surtout lorsqu'ils devaient se trouver en compagnie
de beaucoup de pa'ens : du reste, le séjour de Jésus dans
cette contrée avait excité, chez beaucoup de personnes, le
désir du baptême. Ce fut aussi pour montrer qu'il ne se séparait
pas de Jésus que Jean vint baptiser au même endroit que lui.
(25 26 décembre.) Jésus vint aujourd'hui à peu
de distance de Tarichée, dans une maison appartenait à la
pêcherie et voisine du lac. Je crois qu'on y vendait ou qu'on y salait
les poissons. André y avait déjà retenu un logement,
ou peut être dépendait elle de la pêcherie affermée
par Pierre. Jésus n'entra pas dans la ville, les habitants avaient
quelque chose de farouche et de repoussant : ils ne pensaient qu'au gain
et à l'usure. Simon, qui avait un emploi dans cette ville (cananeus,
zélateur, c'était comme un défenseur des droits du
commerce), était allé à Gennabris pour la fête
avec Thaddée et Jacques le Mineur, ses frères : Jacques le
Majeur y était aussi : Lazare, Saturnin et le fils de Siméon
vinrent ici trouver Jésus, ainsi que le fiancé de Cana. Celui
ci invita à ses noces Jésus et tous ses compagnons. Le soir,
Jésus pria et célébra, dans la maison où il
était, la fête des lumières.
(06 décembre.) Dans la journée, Jésus alla avec
quelques disciples dans les montagnes du voisinage. Il s'y trouvait des
grottes dans quelques endroits, il se retira à part et pria seul.
Le matin et le soir ; il pria à la maison : dans la soirée,
il célébra la fête de la dédicace du temple
en allumant des flambeaux. La principale raison qu'eut Jésus pour
s'arrêter ces deux jours près de Tarichée fut qu'il
voulait laisser à ceux qui devaient devenir ses apôtres et
ses disciples le temps de se communiquer les bruits qu'ils avaient recueillis
ou ce qui leur avait été raconté par André
et Saturnin et de s'entendre entre eux à ce sujet.
Je vis aussi qu'André pendant que Jésus parcourait les
environs, resta à la maison et écrivit des lettres avec un
roseau sur des bandes d'écorce, à ce que je crois : on pouvait
les replier et les dérouler au moyen d'un morceau de bois fendu.
Il vint dans la' maison des hommes et aussi des jeunes gens qui cherchaient
du travail et André les employait comme messagers. Il envoya les
lettres qu'il avait écrites d'une part à Philippe et à
son demi frère Jonathan, d'autre part à Pierre et aux autres
qui étaient à Gennabris : il leur annonçait que Jésus
irait à Capharnaum pour le sabbat et il les engageait à s'y
rendre.
Jésus ne serait peut être allé à Capharnaum
que le vendredi 28, mais il vint de cette ville un message adressé
à André, pour qu'il suppliât Jésus de s'y rendre,
vu qu'un messager venu de Kadés pour implorer son assistance, l'y
attendait depuis plusieurs jours. Le fiancé Nathanaël était
déjà reparti avec quelques disciples de Jean.
(27 décembre.) Capharnaum n'est pas tout contre le lac, mais
sur la hauteur, sur le côté méridional d'une montagne
qui forme une vallée au couchant du lac, à l'endroit où
le Jourdain s'y jette. Bethsa'de est un peu au dessus de l'entrée
du Jourdain dans le lac. Aujourd'hui Jésus accompagné d'André,
de Saturnin et de quelques autres disciples de Jean, alla de la maison
de pêcheur voisine de Tarichée à Capharnaum. ils cheminaient
par groupes séparés.
Ils prirent à l'est de Magdalum la route voisine du lac, arrivèrent
par la vallée devant Capharnaum et laissèrent Bethsa'de à
droite. André rencontra en chemin son demi frère Jonathan
et Philippe qui, je crois, étaient venus au devant de lui par suite
de son message. Toutefois ils ne se réunirent pas à Jésus
sur ce chemin. Ils allèrent avec André en avant ou en arrière
de Jésus, ce dont je ne me souviens plus bien. J'entendis seulement
André leur parler d'un ton très animé et pour raconter
tout ce qu'il avait vu de Jésus : il leur dit que c'était
vraiment le Messie, que, s'ils voulaient le suivre, ils n'avaient pas besoin
de le lui demander, qu'ils devaient seulement s'examiner pour savoir s'ils
le désiraient du fond du coeur, et qu'alors il indiquerait par un
signe ou par un mot s'il les admettait.
Les saintes femmes et Marie n'étaient pas à Capharna>m,
mais chez Marie, dans la vallée qui est en avant de Capharnaum en
face du lac, et elles y célébraient la fête. Les fils
de Marie de Cléophas, Jacques le Majeur, Jean son frère et
Pierre étaient déjà arrivés là de Gennabris,
comme aussi les fils des trois veuves et d'autres futurs disciples. Khased
(Nathanaël), Thomas, Barthélémy et Matthieu n'étaient
pas là. Il s'y trouvait du reste plusieurs autres parents et amis
de la sainte Famille, qui tous étaient invités à Cana
pour les noces et qui célébraient ici le sabbat parce qu'ils
avaient entendu parler de l'arrivée de Jésus.
Jésus logeait avec André, Saturnin, quelques disciples,
Lazare et Obed, dans une maison qui appartenait à Nathanaël
le fiancé. Il y avait sur le devant une salle ouverte : les appartements
étaient sur le derrière. Les parents de Nathanael ne vivaient
plus : ils lui avaient laissé du bien. Cette maison lui appartenait
et il y résidait quand il avait des affaires à Capharnaum.
Les futurs disciples venus de Gennabris se tenaient encore à
distance avec une certaine crainte ; car d'une part, ils hésitaient
entre l'autorité qu'avait auprès d'eux le jugement de Nathanaël
Khased, et les grandes choses qu'André et les autres disciples de
Jean leur avait dites de Jésus. D'autre part la timidité
les retenait et aussi ce qu'André leur avait dit, qu'ils n'avaient
pas besoin de s'offrir, qu'ils devaient seulement écouter ses enseignements
qui ne manqueraient pas de produire sur eux leur effet. Les fils de Cléophas,
ceux qu'on appelait les frères de Jésus, allèrent
le trouver. Il enseigna et parla dans la salle antérieure.
L'homme qui avait attendu Jésus pendant deux jours, vint le
trouver ici. Il se jeta a ses pieds et dit qu'il était le serviteur
d'un homme de Cadès. Son maître suppliait Jésus de
venir guérir son petit garçon qui avait la lèpre et
qui était possédé d'un démon muet. Cet homme
était un serviteur très fidèle et il exprima la douleur
de son maître en homme qui prenait une grande part. Jésus
lui répondit qu'il ne pouvait pas aller avec lui, qu'il fallait
pourtant venir en aide à ce petit garçon, car c'était
un enfant innocent.
Il dit au serviteur qu'il fallait que son maître se couchât
sur son fils les bras étendus et fît une certaine prière
; qu'alors la lèpre se retirerait de lui : que lui, le serviteur,
devait après cela s'étendre à son tour sur l'enfant
et lui souffler dans la bouche : qu'alors une vapeur bleuâtre sortirait
de l'enfant qui recouvrerait la faculté de parler. J'ai oublié
ce qu'il lui dit de plus, mais j'ai vu le père et le serviteur guérir
l'enfant de la manière indiquée.
L'ordre était donné au père et au serviteur de
s'étendre sur l'enfant malade pour certaines raisons cachées
dont je ne me souviens plus bien clairement. Cet enfant n'était
pas né d'une union légitime ; il semblait qu'il fût
le fils du serviteur et de la femme de son maître, sans que celui-ci
le sût. Mais Jésus le savait. Chacun d'eux devait prendre
une dette de 1'enfant. Je ne puis pas expliquer cela clairement, non plus
que la manière mystérieuse dont cela se fit. La ville de
Cadès(2) était à environ six lieues au nord de Capharnaum,
près des confins de Tyr, à l'ouest de Panéas : c'était
une ancienne capitale des Chananéens, et maintenant une ville libre
où des gens poursuivis par la justice se réfugiaient. Elle
confinait à un pays appelé Kaboul qui avait été
donné par Salomon au roi des Phéniciens. Ce pays m'apparaît
ordinairement avec quelque chose de sombre, d'obscur et de sinistre, et
j'ai toujours vu Jésus l'éviter quand il allait du côté
de Tyr et de Sidon. Je crois qu'il s'y commettait beaucoup de vols et d'assassinats.
(28 29 décembre.) Le jour du sabbat, je vis et j'entendis Jésus
enseigner dans la synagogue. Il y avait une foule énorme : tous
les amis et les parents de Jésus étaient là. Son enseignement
était tout à fait nouveau pour ses auditeurs et les remuait
singulièrement. Il parla de l'approche du royaume de Dieu, de la
lumière qu'on ne doit pas mettre sous le boisseau, du semeur, de
la foi comparée à un grain de sénevé. Ce n'étaient
pas seulement ces paraboles, telles que nous les connaissons : c'en était
une exposition toute différente. Les paraboles n'étaient
que des exemples ou des comparaisons présentées en peu de
mots, dont il prenait occasion pour développer sa doctrine. J'ai
entendu dans ses instructions plus de paraboles qu'on n'en trouve dans
l'Evangile, mais cette fois c'étaient les mêmes qu'il répétait
souvent, en les commentant chaque fois d'une manière différente.
Le samedi, il enseigna de la même façon jusqu'à la
clôture du sabbat.
Note 2: Cadès ou Kedès de Nephtali s'appelait Cidissus
au temps de saint Jérôme.
Lorsque le sabbat fut fini, je vis Jésus passer près
de la synagogue et aller dans une petite vallée avec ses disciples.
C'était un endroit retiré, comme un lieu de promenade : il
y avait des arbres devant l'entrée et dans la vallée. Les
fils de Marie de Cléophas, ceux de Zébédée
et d'autres disciples se joignirent à lui ; mais Philippe, qui était
humble et timide, hésitait, restait en arrière et ne savait
pas s'il devait le suivre dans la vallée. Alors Jésus qui
marchait en avant tourna la tête vers lui et lui dit : "Suis moi
! " (Joan. I, 43) ; et Philippe, tout joyeux, se joignit aux autres : ils
étaient environ une douzaine.
Jésus enseigna dans cet endroit, près d'un arbre ; il
parla de l'appel qu'il adressait à ceux qui devaient le suivre et
de ce qu'ils avaient à faire. André, qui était extraordinairement
zélé et enthousiaste, qui avait persuadé les autres,
comme il l'était lui même, que Jésus était le
Messie, et qui se réjouissait du grand effet qu'avait produit sur
eux tous l'enseignement de Jésus le jour du sabbat, avait le coeur
si plein. qu'à chaque occasion qui se présentait il certifiait
encore à ses compagnons ce qu'il avait vu au baptême de Jésus
et ses autres miracles.
J'entendis aussi Jésus prendre le Ciel à témoin
qu'ils verraient de plus grandes choses encore, et parler au Père
céleste de sa mission.
Il parla encore de ce qu'ils auraient à faire pour le suivre,
leur dit qu'ils devaient se tenir prêts, et tout quitter quand il
les appellerait. Il ajouta qu'il prendrait soin d'eux tous et qu'ils ne
manqueraient de rien, qu'ils pouvaient continuer à exercer leur
profession, car il avait encore quelque chose à faire pour les prochaines
fêles de Pâques : mais que quand il les appellerait t ils devraient
le suivre sans s'inquiéter de rien. il donna ces explications sur
ce que ceux qui étaient là lui demandèrent en toute
simplicité ce qu'ils auraient à faire vis à vis de
leurs familles. Ainsi, par exemple, Pierre représenta qu'il ne pouvait
pas quitter immédiatement son vieux beau père (oncle de Philippe)
: Toutefois Jésus leva tous ces scrupules en déclarant qu'il
ne commencerait pas avant la fête de Pâques. Il leur dit qu'ils
devaient dès à présent renoncer à leur profession,
en tant que leur coeur y était attaché ; qu'ils pouvaient
la continuer extérieurement jusqu'à ce qu'il les appelât,
et en attendant mettre leurs affaires en état d'être remises
en d'autres mains. Il alla ensuite avec eux à l'extrémité
opposée de la vallée et se rendit à l'habitation de
sa mère, qui faisait partie d'un groupe de maisons situées
entre Capharnaum et Bethsa'de. Ses plus proches parents l'y suivirent :
leurs mères étaient aussi là.
Pendant tout ce temps, l'état de maladie de la narratrice rendit
les communications rares et incomplètes : elle se crut souvent au
moment de mourir. Son dépérissement était incroyable
Ses mains et ses pieds n'étaient qu'une charpente osseuse recouverte
d'une peau flasque.
( 30 décembre. ) Le 30, Jésus partit de très bonne
heure pour Cana avec ses disciples et ses parents. Marie et les autres
femmes prirent de leur côté un chemin plus direct et plus
court : c'était un étroit sentier qui passait plus souvent
par la montagne Les femmes suivaient de préférence des chemins
de ce genre, parce qu'elles y rencontraient moins de monde : du reste,
elles n'avaient pas besoin d'un chemin bien large : car elles marchaient
ordinairement à la suite les unes des autres. Le guide les précédait
à quelque distance : un autre les suivait. Ce chemin allait à
environ sept lieues de Capharnaum, dans la direction du sud ouest.
Jésus passa par Gennabris avec ses compagnons et fit un détour.
Ce chemin était plus large et plus commode pour enseigner en marchant,
car souvent Jésus s'arrêtait pour indiquer et expliquer quelque
chose. La route que suivait Jésus allait plus au midi que celle
que suivait Marie ; elle conduisait à Gennabris, qui est à
environ six lieues de Capharnaum, puis elle tournait au couchant vers Cana,
ce qui faisait encore trois lieues.
Gennabris était une belle ville. Il y avait une école
et une synagogue ; il s'y trouvait en outre une école de rhétorique
et on y faisait beaucoup de commerce. Nathanaël exerçait ses
fonctions d'écrivain dans une grande maison en avant de la ville
; il y avait là quelques autres maisons. Nathanaël n'alla pas
à la ville, quoique les disciples, ses amis, l'y engageassent. Jésus
enseigna ici dans la synagogue et il mangea quelque chose avec une partie
de ses disciples chez un riche pharisien. Quelques autres disciples étaient
allés en avant. Jésus avait dit à Philippe d'aller
trouver Nathanael et de le lui amener sur le chemin.
Jésus fut traité avec beaucoup d'égards à
Gennabris ; les habitants désiraient qu'il restât plus longtemps
avec eux et qu'il prît pitié de leurs malades ; il était
à certains égards leur compatriote, disaient ils ; mais il
repartit bientôt pour Cana.
Pendant ce temps, Philippe était allé trouver Nathanaël
à son bureau. Il y avait là plusieurs écrivains ;
il était assis dans une pièce qui était au haut de
la maison. Philippe n'avait pas encore parlé de Jésus à
Nathanaël, parce qu'il n'était pas avec les autres à
Gennabris. Il était en bons termes avec lui, et il lui dit avec
beaucoup d'enthousiasme et de joie que Jésus était le Messie
annoncé par les prophéties ; que ce Messie, ils l'avaient
trouvé dans la personne de Jésus de Nazareth, fils de Joseph.
Nathanaël était un homme vif et d'un caractère ouvert,
mais néanmoins ferme et tenace dans ses opinions, d'ailleurs plein
de droiture et de sincérité. Il dit à Philippe : "Que
peut il venir de bon de Nazareth ? " car il connaissait bien la réputation
des gens de Nazareth : il savait qu'il régnait dans leurs écoles
un grand esprit de contradiction et qu'on n'y trouvait guère de
sagesse. Il pensait qu'un homme qui avait fait là son éducation,
pouvait bien plaire à ses amis, gens simples et bienveillants, mais
le contenterait plus difficilement, lui qui avait des prétentions
au savoir. Philippe lui dit de venir et de voir qui était Jésus,
ajoutant qu'il allait passer près de là, sur le chemin de
Cana. Alors Nathanaël descendit avec Philippe et prit un chemin très
court sur lequel était située la maison, à quelque
distance de la grand route de Cana ; cependant Jésus s'arrêta
avec quelques disciples à l'endroit où ce chemin aboutissait
à la grand route. Philippe, depuis que Jésus l'avait appelé,
était aussi joyeux et aussi confiant qu'il avait été
craintif auparavant ; il dit à haute voix pendant qu'il approchait
de Jésus avec Nathanaël : "Maître, j'amène celui
qui demandait s'il peut venir quelque chose de bon de Nazareth. "Mais,
lorsque Nathanaël fut en sa présence, Jésus dit aux
disciples qui étaient près de lui : "Voici un véritable
israélite, chez lequel il n'y a pas d'artifice (Joan 1, 45,51).
' " Jésus dit cela d'un ton très amical et très affectueux,
et Nathanaël répondit : "D'où me connaissez vous ? "
il voulait dire par là : Comment savez vous que je suis sincère
et sans artifice, puisque nous ne nous sommes jamais parlé ? Alors
Jésus lui dit : " Avant que Philippe t'appelât je t'ai vu
sous le figuier. " Et en parlant ainsi Jésus le regarda d'une manière
très touchante et très significative.
Ce regard réveilla tout à coup chez Nathanaël le
souvenir que Jésus était ce même passant dont le regard
sérieux l'avait prémuni et lui avait communiqué une
merveilleuse force de résistance, lorsqu'étant sous un figuier
dans le jardin de plaisance des bains de Bethulie (voyez ci dessus, page
147.), il avait lutté contre la tentation après avoir regardé
de belles femmes qui jouaient avec des fruits au bord de la prairie. La
puissance de ce regard et la victoire dont il lui avait été
redevable, lui étaient restées présentes à
l'esprit ; il n'en était peut être pas de même de la
figure de cet homme, on bien, s'il avait immédiatement reconnu Jésus,
il ne pouvait pourtant pas croire qu'il eût eu cette intention en
le regardant. Mais maintenant que Jésus faisait une allusion directe
à cette circonstance et lui lançait de nouveau un regard
pénétrant, il fut tout bouleversé et saisi d'une vive
émotion ; il sentit que Jésus, lorsqu'il avait alors passé
devant lui, avait vu ses pensées et avait été pour
lui un ange gardien, car il avait le coeur si pur qu'une mauvaise pensée
le troublait beaucoup. il vit aussitôt dans Jésus son protecteur
et son sauveur, et cette connaissance que Jésus avait eue de ses
pensées suffit à son coeur sincère, prompt et reconnaissant,
pour le décider à lui rendre hommage devant tous les disciples.
Il s'humilia donc devant lui lorsqu'il eut prononcé ces paroles
et lui dit :
" Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le
Roi d'Israël. " Alors Jésus lui répondit : "Tu crois
déjà, parce que j'ai dit que je t'avais vu sous le figuier
; en vérité tu verras de plus grandes choses que cela. ''
Et il ajouta, s'adressant à tous avec affirmation : " En vérité,
en vérité, vous verrez le ciel s'ouvrir et les anges de Dieu
montant et descendant sur le Fils de l'homme. " Les autres disciples ne
comprirent pas clairement le sens des paroles de Jésus sur le figuier,
et ils ne savaient pas pourquoi Nathanaël Khased changeait si promptement
de sentiment. La chose, comme affaire de conscience, resta cachée
pour tous, excepté pour Jean à qui Nathanaël la confia
aux noces de Cana. Nathanaël demanda à Jésus s'il devait
tout quitter aussitôt pour le suivre, disant qu'il avait un frère
auquel il voulait transmettre son office. Jésus lui répéta
ce qu'il avait dit aux autres le soir du jour précédent et
l'engagea à l'accompagner aux noces de Cana.
Jésus et les disciples continuèrent alors leur route
vers Cana, et Nathanaël Khased revint chez lui faire ses préparatifs
pour se rendre aux noces ; il arriva à Cana le lendemain dans la
matinée. Les parents de la fiancée, Marie, le fiancé
et d'autres personnes encore vinrent à la rencontre de Jésus,
sur le chemin en avant de Cana et le reçurent tous respectueusement.
CHAPITRE SEPTIEME.
Noces de Cana.
(Du 31 décembre au 5 janvier 1822.)
(3 décembre.) Jésus logea avec ses disciples les plus
intimes, et notamment avec ceux qui plus tard furent ses apôtres,
dans une maison à part où Marie avait aussi logé lors
de son premier séjour. Cette maison appartenait à la tante
du fiancé, laquelle était fille de Sobé, soeur de
sainte Anne. C'était l'une des trois veuves dont il a été
parlé plusieurs fois : celle d'entre elle qui avait trois fils.
Pendant toute la cérémonie elle tint la place de la mère
du fiancé.
Ce jour là tous les autres conviés des deux sexes arrivèrent
: tous les parents de Jésus vinrent de Galilée. Jésus
seul amena vingt cinq de ses disciples. Le mariage était regardé
par lui comme une affaire qui le touchait personnellement, et il s'était
chargé des frais d'une partie des fêtes qui devaient l'accompagner.
C'était pour cela que Marie était allée si tôt
à Cana où elle aidait à faire les préparatifs.
Entre autres choses, Jésus s'était chargé de fournir
tout le vin pour les noces : voilà pourquoi Marie lui dit avec tant
de sollicitude que le vin manquait.
Quoique Jésus, âgé de douze ans, lors du banquet
donné aux enfants chez sainte Anne après son retour du temple,
eût dit au fiancé, après quelques paroles mystérieuses
sur le pain et le vin, qu'il assisterait un jour à ses noces, cet
événement avec sa haute et mystérieuse signification,
a pourtant aussi ses causes extérieures, prises en apparence dans
la marche ordinaire des choses. Il en est de même de la part prise
par Jésus à ces noces. Marie avait déjà envoyé
plusieurs messagers à Jésus pour le prier de venir à
ces noces : on tenait, ainsi qu'il arrive fréquemment parmi les
hommes, des propos contre Jésus dans sa famille et parmi ses connaissances
: sa mère, disait on, était une veuve délaissée
: il courait à droite et à gauche dans le pays et ne s'inquiétait
pas d'elle ni de sa famille. C'est pour cela qu'il voulut venir à
ces noces avec ses amis et faire honneur à ce mariage. C'est pourquoi
aussi il avait fait venir Marthe et Lazare pour aider Marie dans ses arrangements,
et Lazare faisait cette partie des frais dont Jésus s'était
chargé, ce qui n'était su que de Jésus et de Marie,
car le Sauveur avait une grande confiance dans Lazare ; il acceptait volontiers
ses dons, et celui ci de son côté était heureux de
tout donner. Jésus s'était chargé de fournir une partie
du festin, c'était un second service composé de plats recherchés,
de fruits, d'oiseaux et d'herbes de toute espèce. Il avait été
pourvu à tout cela. Je vis aussi Véronique arriver de Jérusalem
et porter à Jésus une corbeille remplie de fleurs magnifiques
et toute espèce de sucreries artistement préparées.
Le père de la fiancée était un homme aisé,
il dirigeait une grande entreprise de transports ; il avait le long de
la grande route des magasins, de vastes hôtelleries et des étables
pour les caravanes, et il employait beaucoup de monde.
Ces jours ci, Jésus s'entretint souvent en particulier avec
les disciples qui furent plus tard ses apôtres et qui étaient
logés dans la même maison que lui. Les autres disciples n'étaient
pas présents à tout ce qu'il leur disait. Ils se promenaient
beaucoup dans les environs ; alors Jésus faisait différentes
instructions aux disciples et aux conviés, et les futurs apôtres
communiquaient à leur tour aux autres les enseignements qu'ils avaient
reçus de lui. Ces promenades que faisaient les conviés donnèrent
plus de facilité pour faire les préparatifs de la fête
sans dérangements : cependant plusieurs disciples et Jésus
lui même étaient souvent dans la maison et s'occupaient à
disposer ceci ou cela, d'autant plus que plusieurs d'entre eux devaient
avoir quelque chose à faire dans la cérémonie nuptiale.
Jésus voulait à cette fête se faire connaître
de tous ses parents et amis : il voulait que tous ceux qu'il avait choisis
jusqu'alors fissent connaissance entre eux et avec les siens, ce à
quoi se prêtait la grande liberté de rapports qui s'établit
dans une fête.
Les noces commencent le soir du troisième jour après
l'arrivée de Jésus. Les épousailles doivent avoir
lieu le mercredi matin. Les fêtes de la dédicace du temple
finissent ce soir.
(1er janvier 1821.) Remarque préliminaire. La Soeur fut ces
jours ci très souffrante et très dérangée et
elle oublia beaucoup de choses. Quand elle a l'esprit tout occupé
d'une scène qu'elle a vue et qu'elle en a dit quelque chose, elle
croit plus tard avoir tout raconté, car quand elle souffre d'une
grande fatigue qui remonte à un moment antérieur, elle se
figure que cette fatigue vient de ce qu'elle a beaucoup raconté,
tandis que souvent on n'a presque rien recueilli. Aussi n'a t on souvent,
comme c'est ici le cas, que de simples fragments.
C'était aujourd'hui le deuxième jour depuis l'arrivée
de Jésus à Cana. Il y avait cent conviés, parmi lesquels
Marie, mère de Marc, Jean Marc, et Véronique qui paraissait
plus âgée que Marie. Suzanne de Jérusalem n'était
pas ici : alors, comme plus tard, elle voyageait rarement avec les autres
: elle menait une vie élégante, mais assez retirée,
à cause de son origine. Les parents de Jacques et de Jean étaient
ici, mais non ceux de Pierre et d'André. Leur demi frère
Jonathan, était présent ainsi que celles qu'on appelait les
trois veuves avec leurs fils, en général tous les parents
de sainte Anne, spécialement ses nièces et ses petits enfants,
Marie de Cléophas avec ses fils, la fille cadette d'Anne, demi soeur
de la sainte Vierge, les neveux de Joseph d'Arimathie, Obed, et quatre
disciples de Jean, Cléophas, Jacques, Jude et Japhet, compagnons
d'enfance de Jésus, et petits fils de Sabadias de Nazareth, parent
de Joachim.
Le père de la fiancée s'appelle Israël. Je ne voulais
pas redire ce nom, parce que je ne croyais pas que personne s'appelât
ainsi. Il descend de Ruth de Bethléhem. La mère de la fiancée
est un peu infirme : elle boîte d'un côté et on la soutient.
Cana est un peu plus petit que Capharnaum : cette dernière ville
est plus vivante, mais moins grande que Nazareth, dont quelques parties
sont en ruines. Cana est situé sur le côté occidental
d'une colline : c'est un endroit agréable et propre : cependant
il n'y a de gens riches qu'Israël et deux autres personnes, le reste
semble vivre de son travail et être à la solde de ceux ci.
Il y a une synagogue avec trois prêtres. Les noces se célèbrent
dans une maison destinée aux fêtes publiques et voisine de
la synagogue. Entre cette maison et la synagogue on a dresse des arcades
de feuillage, ornées de guirlandes et de fruits. Devant la maison
où doit se donner la fête, il y a un vestibule jonché
de feuillage : la salle du banquet est contiguë : c'est la pièce
antérieure de la maison, vide jusqu'au foyer qui consiste en un
mur élevé avec des degrés, où pourtant on ne
fait rien cuire, mais qui est orné comme un autel avec des vases,
des fleurs, de la vaisselle de table et d'autres objets. Derrière
ce foyer se trouve une autre partie de la salle qui en occupe à
peu près le tiers. C'étaient là que se tenaient les
femmes pendant le repas. On voyait au plafond les poutres de la maison
: elles étaient ornées de guirlandes et on pouvait y monter
pour allumer les lampes qui s'y trouvaient.
Jésus est comme le roi de la fête, il préside à
tous les divertissements et les assaisonne par des instructions. il leur
a dit qu'ils devaient, pendant ces jours, se récréer conformément
à l'usage établi, et, tout en se réjouissant, tirer
de tout de sages enseignements. il régla, en outre, toute l'ordonnance
de la fête, et dit, entre autres choses, qu'il faudrait sortir deux
fois par jour pour se récréer en plein air.
Je vis ensuite les invités à la noce, les hommes d'un
côté, les femmes de l'autre, se livrer au plaisir de la conversation
et jouer à divers jeux, sous les arbres d'un lieu de plaisance :
il y avait de l'eau dans le voisinage. Je crois que c'était un jardin
d'agrément près duquel l'on prenait des bains. Je vis les
hommes couchés par terre en cercle ; au milieu d'eux étaient
des fruits de toute espèce qu'ils jetaient et faisaient rouler suivant
certaines règles, de manière à ce qu'ils tombassent
dans des fosses qui se trouvaient au milieu d'eux, ce que quelques uns
d'entre eux tâchaient d'empêcher.
Je vis Jésus prendre part à ce jeu des fruits avec une
gravité bienveillante : il disait souvent avec un sourire quelque
chose d'instructif que les uns admiraient, que d'autres recueillaient avec
une émotion silencieuse, ou que quelques uns ne comprenaient pas
bien et se faisaient expliquer par de plus intelligents Il avait arrange
les parties de jeu et réglé les enjeux, et il faisait a chacun
sa part, accompagnant tout ce qu'il faisait de remarques pleines d'agrément
et souvent tout à fait admirables.
Les plus jeunes des assistants couraient et sautaient par dessus les
barrières de feuillage pour gagner des fruits. Les femmes étaient
assises à part et jouaient aussi avec des fruits, la fiancée
était toujours assise entre Marie et la tante du fiancé.
Le soir du premier janvier, commencement du quatrième jour du
mois de Thébet, Jésus enseigna dans la synagogue où
tous étaient rassemblés : il parla des divertissements permis,
de leur signification, de la mesure dans laquelle on devait les prendre,
du sérieux et de la sagesse qui devaient les accompagner : puis
ensuite du mariage, de l'homme et de la femme ; de la continence, de la
chasteté et du mariage spirituel. Quand il eut fini d'enseigner,
les fiancés vinrent seuls se présenter devant lui et il leur
donna des instructions particulières.
Les noces commencèrent ensuite par un repas et par des danses.
On dansait aux sons d'une musique faite par des enfants qui de temps en
temps chantaient des choeurs. Tous les danseurs avaient à la main
des mouchoirs avec lesquels les hommes et les jeunes filles se touchaient
quand ils dansaient en rang ou en cercle ; à cela près, ils
ne se touchaient jamais. Les mouchoirs du fiancé et de la fiancée
étaient noirs, ceux des autres étaient jaunes. Le fiancé
et la fiancée dansèrent d'abord seuls, puis tous dansèrent
ensemble : les jeunes filles étaient voilées, toutefois le
voile était un peu relevé sur je visage ; leurs vêtements
étaient longs par derrière, et un peu retroussés sur
le devant avec des cordons. On ne se trémoussait pas et on ne sautillait
pas comme on fait chez nous quand on danse : c'était plutôt
une marche dans différentes directions, accompagnée de mouvements
des mains, de' la tète et du corps d'accord avec la musique. Cela
me rappela les mouvements des juifs de la secte pharisienne dans leurs
prières : mais tout y était gracieux et décent. Aucun
des futurs apôtres ne prit part aux danses : mais Nathanaël
Khased, Obed, Jonathan et d'autres disciples s'y mêlèrent.
Il n'y avait, en fait de danseuses, que des jeunes filles : tout se faisait
avec un ordre admirable, et respirait une joie paisible.
(2 janvier.) Ce matin vers neuf heures eurent lieu les épousailles.
La fiancée avait été habillée par les demoiselles
d'honneur : son vêtement ressemblait à celui que portait la
Mère de Dieu lors de son mariage ; il en était de même
de sa couronne qui était seulement plus riche. Sa chevelure n'était
pas partagée en lignes minces et séparées, mais en
tresses plus épaisses. Quand sa toilette fut finie, elle fut présentée
à la sainte Vierge et aux autres femmes.
Le fiancé et la fiancée furent conduits de la synagogue
à la maison de fête et de là ramenés à
la synagogue. Il y avait dans le cortège six petits garçons
et six petites filles qui portaient des guirlandes, puis six garçons
et six filles plus âgés avec des flûtes et d'autres
instruments que j'ai décrits ailleurs. De plus, la fiancée
était accompagnée de douze jeunes filles comme demoiselles
d'honneur, et le fiancé de douze jeunes hommes. Parmi ceux ci se
trouvaient Obed fils de Véronique, les neveux de Joseph d'Arimathie,
Nathanaël Khased et quelques disciples de Jean, mais aucun des futurs
apôtres.
Les épousailles se firent devant la synagogue par le ministère
des prêtres. Les anneaux qu'ils échangèrent étaient
un présent que Marie avait fait au fiancé, et Jésus
les avait bénits chez sa mère. une circonstance qui me frappa
et que je n'avais pas observée lors des épousailles de Joseph
et de Marie, fut que le prêtre piqua le fiancé et la fiancée
avec un instrument pointu à la place du doigt annulaire de la main
gauche où devait être mis l'anneau. Il fit tomber deux gouttes
du sang du fiancé et une goutte de celui de la fiancée dans
un verre de vin où ils burent en commun, après quoi ils rendirent
le verre. On distribua différents objets, tels que des pièces
d'étoffe et des vêtements aux pauvres qui assistaient à
la cérémonie. Lorsque les fiancés furent ramenés
à la maison de fête, ils furent reçus par Jésus.
Avant le repas de noce, je vis tout le monde rassemblé dans
le jardin d'agrément : les femmes et les jeunes filles étaient
assises sur des couvertures dans une cabane de feuillage, et elles jouaient
à un jeu où l'on gagnait des fruits. Elles mettaient tour
à tour sur leurs genoux une petite planche triangulaire avec des
lettres écrites sur le bord : elles tournaient un indicateur placé
sur cette planche et leur gain se réglait Suivant l'endroit ou il
s'arrêtait.
Quant aux hommes, je vis un jeu très curieux que Jésus
lui même avait préparé pour eux dans une maison de
plaisance. Au milieu d'une salle était une table ronde autour de
laquelle étaient rangées autant de portions de fleurs, de
plantes et de fruits qu'il y avait de joueurs. Jésus avait disposé
tout cela d'avance, et chaque chose avait une signification d'un sens profond.
Sur cette table était un disque rond et mobile avec une entaille
: quand on le faisait tourner, l'entaille en s'arrêtant désignait
une des portions de fruits et celui qui avait fait tourner la gagnait comme
son lot. Au milieu de la table était placé un cep de vigne
chargé de raisins s'élevant au dessus d'une gerbe d'épis
de blé qui l'entourait, et plus la table tournait longtemps, plus
le cep de vigne et le bouquet d'épis montaient haut. Les futurs
apôtres ne prirent point part à ce jeu non plus que Lazare.
Il me fut indiqué à cette occasion, que celui qui est appelé
à enseigner les autres ou qui sait quelque chose de plus qu'eux,
ne doit pas jouer lui même, mais seulement observer les accidents
du jeu, les relever par des applications instructives et donner ainsi à
l'amusement un tour sérieux. Il y avait dans ce jeu disposé
par Jésus quelque chose de tout à fait merveilleux et qui
était plus que du hasard, car le lot qui échut à chacun
des joueurs avait un rapport très significatif avec ses qualités,
ses défauts et ses vertus, et lorsque les fruits eurent été
classés, Jésus fit à chacun un commentaire sur son
lot. Chaque lot fut comme une parabole relative à celui qui le gagnait,
et je sentis qu'en effet avec ces fruits, ils recevaient intérieurement
quelque chose. Chacun d'eux fut vivement touché et réveillé
par les paroles de Jésus, et peut être aussi parce que ces
fruits qu'ils mangèrent opéraient réellement en eux
un effet conforme à leur signification ; toutefois ce que Jésus
dit sur chaque lot ne fut pas compris par ceux que la chose ne regardait
pas : ils n'y virent que des paroles encourageantes et significatives.
Mais chacun en particulier sentit le regard du Seigneur pénétrer
profondément dans son intérieur : il en fut comme des paroles
de Jésus à Nathanaël lorsqu'il lui dit qu'il l'avait
vu sous le figuier, paroles qui le touchèrent si profondément
et dont le sens resta caché aux autres. (Malheureusement la Soeur
ne peut rien raconter de plus sur le détail des lots et sur les
explications données par Jésus.)
Je me souviens encore qu'il y avait du réséda parmi les
plantes, et aussi que Jésus dit à Nathanaël à
l'occasion de son lot : " Vois tu maintenant combien j'avais raison de
dire que tu es un véritable Israélite sans artifice ? "
Je vis un de ces lots produire un effet vraiment merveilleux. Le fiancé
Nathanaël gagna un fruit d'une singulière espèce. Il
y en avait deux sur une tige avec des sexes différents comme dans
le chanvre. L'un des fruits était assez semblable à une figue,
l'autre ressemblait plutôt à une pomme entaillée :
toutefois il n'avait pas de tête, il était creux. C'est difficile
à expliquer, c'était comme un nombril : il y avait dedans
des capsules contenant la semence, au nombre de deux, glacées l'une
au dessus de l'autre : il se trouvait, je vis, quatre noyaux dans l'une
et trois dans l'autre : au dessus croissaient en dehors de beaux filaments
blancs. Ce fruit était rougeâtre, blanc à l'intérieur,
et veiné de rouge : j'en ai vu de semblables dans le Paradis.
(Telle fut à peu près sa description vague et embrouillée
de ce fruit, dans laquelle il semble qu'elle parle tantôt du fruit
lui même, tantôt de la fleur, tantôt de tous deux en
même temps.)
Je me souviens seulement que tous furent très étonnés
quand le fiancé gagna ce fruit, que Jésus parla alors du
mariage, de la chasteté et du produit centuple de la chasteté,
et que tout cela fut dit de manière à ne point blesser les
idées des juifs sur le mariage. Toutefois, quelques uns des disciples
qui étaient Esséniens, et dont était Jacques le Mineur,
le comprirent mieux que les autres.
Je vis que les assistants s'étonnèrent plus à
propos de ce lot qu'à propos des autres, et que Jésus dit
à peu près que ces lots et que ces fruits pouvaient opérer
des merveilles encore plus grandes que leur signification ne paraissait
merveilleuse. Mais lorsque le fiancé retira ce lot pour lui et sa
fiancée, je vis arriver quelque chose de tout à fait surprenant
que je n'ose presque pas raconter. Et je vis, lorsqu'il reçut ce
lot, ressentir une commotion intérieure et pâlir : alors quelque
chose comme une sombre figure humaine, ou comme une ombre, sortit de lui
en remontant de ses pieds à sa tête, et disparut ; après
quoi, je vis en lui une clarté, une pureté et comme une transparence
qui n'y étaient pas auparavant. Personne ne sembla voir cela excepté
moi, car tous restèrent calmes comme avant, et il n'y eut aucun
mouvement parmi eux. Au même instant, je vis aussi la fiancée
qui était assise loin de là, jouant avec les femmes, tomber
comme en défaillance. Il se détacha d'elle une figure sombre,
qui m'inspirait une répugnance extraordinaire et qui parut, à
partir de ses pieds, monter en elle ou devant elle, puis sortir de sa bouche
ou se retirer à la hauteur de sa bouche. Il semblait aussi que des
habits et des parures de toute espèce lui fussent retirés.
Je ne sais pas comment j'arrivai là, mais je m'occupai avec une
sollicitude extraordinaire à éloigner bien vite cette ombre
sinistre qui m'inspirait tant d'horreur, et cette parure qui lui avait
été enlevée : j'en étais toute préoccupée
comme si j'eusse voulu cacher à tous les yeux quelque chose qui
devait faire rougir la fiancée. Cette figure ne voulait pas s'en
aller tout de suite, mais elle devint de plus en plus petite et je la poussai
avec les parures dans un vieux coffre qui était près de là.
Lorsque je l'y enfonçai, la tête seule et les épaules
paraissaient encore ; la fiancée resta très pâle, mais
comme pénétrée d'une clarté pure, et elle parut
vêtue avec une grande simplicité. Lorsque je me mêlais
à cette scène, je vis aussi une coopération de la
sainte Vierge. Elle aussi travailla à chasser cette figure sombre.
Certaines pénitences à faire se rattachaient à
chaque lot : ainsi je me souviens que le fiancé et la fiancée
devaient prendre à la synagogue quelque chose que j'ai oublié,
et faire certaines prières. La plante qui était échue
à Nathanaël Khased était un bouquet de patience.
J'ai vu, dans plusieurs autres occasions, le fruit du fiancé
: lorsque j'en parle, je vois aussi la fleur et j'en fais un mélange
dans ma description. L'effet merveilleux de ce fruit se manifesta lorsque
le fiancé en eut envoyé une part à la fiancée
et que tous deux en eurent mangé. il arriva quelque chose de semblable
à tous les autres disciples qui reçurent de ces lots et mangèrent
des fruits qui leur étaient échus. Leurs passions dominantes
opposèrent une certaine résistance et sortirent d'eux, ou
tout au moins ils se sentirent plus forts dans leu r lutte contre elles.
Il y a dans tous les fruits et les plantes un certain mystère surnaturel
qui, depuis que l'homme est tombé et a entraîné la
nature dans sa chute, est devenu un mystère naturel : il ne reste
plus qu'un souvenir de tout ce qui s'y trouvait alors dans les propriétés
; la forme, le goût et l'action de ces créatures. Dans les
songes et sur les tables du ciel, ces fruits se montrent avec les propriétés
qu'ils avaient avant la chute, toutefois ce n'est pas toujours parfaitement
clair : parce que maintenant tout est rendu confus par notre manière
actuelle de comprendre et par l'usage ordinaire que nous faisons de ces
choses.
Le fruit que les fiancés mangèrent se rapportait à
la chasteté, et la figure qui se retira d'eux était la convoitise
impure de la chair. Je ne sais pas si cette figure que je vis aurait été
vue par quelque autre personne dans un état contemplatif du même
genre : je ne sais pas s'il sortit réellement de la fiancée
un esprit sensuel, ou si ce fut seulement un symbole destiné à
me faire comprendre ce qui se passait en elle.
Remarque de l'écrivain. Comme la narratrice joua elle même
un rôle actif dans cette vision historique, ce ne fut évidemment
qu'une vision dans une vision : mais si, étant clairvoyante comme
elle l'était, elle eût été alors présente
en personne, elle aurait vraisemblablement vu la même chose et aurait
cherché à la chasser et à la cacher comme elle le
fit dans son rêve et comme elle le raconta étant éveillée,
non sans quelque répugnance. Si elle eût été
réellement présente alors, sa manière d'agir contre
ce symbole de la sensualité qui se retirait, eût été
aussi inexplicable et aussi surprenante pour les femmes qui étaient
là que le sont aujourd'hui pour nous bien des choses qu'elle fait
en rêvé. Mais dans la scène qui lui est présentée
en songe, son intervention active ne trouble pas le cours de la vision
et les assistants ne la voient point : de ce qu'elle voit la sainte Vierge
s'efforcer aussi de cacher cette figure, on peut induire que vraisemblablement
là mère de Dieu vit ce qui arrivait à la fiancée
et le vit peut être sous la même forme ou probablement sous
une forme d'un sens encore plus profond. Elle aussi, la plus pure parmi
les plus pures, désire que les assistants ne puissent pas soupçonner
la cause qui a fait tomber la fiancée en défaillance.
Lorsque la fiancée tomba en faiblesse, on ôta les pièces
les plus lourdes de son vêtement et on retira plusieurs anneaux de
ses doigts où elle en avait une quantité : on enleva aussi,
pour l'alléger, des chaînes et des agrafes qu'elle avait aux
bras et sur la poitrine. Elle ne conserva de ses bijoux que l'anneau nuptial
que lui avait donné la sainte Vierge et au cou un joyau d'or, ayant
à peu près la forme d'un arc bandé dans lequel était
enchâssée une matière noirâtre de même
nature que sur l'anneau nuptial de Marie et de Joseph : là dessus
était représentée une figure couchée, tenant
un bouton de fleur qu'elle regardait.
Aux jeux dans le jardin succéda le repas de noce. La salle dont
il a été parlé plus haut était divisée
en trois compartiments, par deux cloisons assez basses pour que les convives
passent se voir : dans chacune de ces divisions était placée
une table longue et étroite. Jésus était au haut bout
de la table du milieu. à cette table étaient assis Israël,
père de la fiancée, les cousins de celle ci, ceux de Jésus
et en outre Lazare. Les autres conviés étaient aux tables
latérales. Les femmes étaient assises dans la pièce
située derrière le foyer, mais elles pouvaient entendre toutes
les paroles du Seigneur. Le fiancé servait à table. Il y
avait pourtant aussi un maître d'hôtel portant un tablier,
et quelques domestiques. La fiancée servait les femmes, avec l'aide
de quelques servantes. Lorsque les plats furent apportés, on plaça
devant Jésus un agneau rôti ; il avait les pieds attachés
en forme de croix. Le fiancé ayant alors apporté à
Jésus une boîte où se trouvaient les couteaux à
découper, Jésus lui dit en particulier qu'il devait se souvenir
de ce repas d'enfants, donné après sa douzième fête
de Pâques où lui, Jésus, avait raconté une parabole
touchant un mariage et lui avait dit qu'il irait à ses noces, prédiction
qui s'accomplissait aujourd'hui.
Le fiancé devint alors tout pensif ; car il avait entièrement
oublié cet incident. Jésus fut pendant le repas, comme pendant
toute la durée des noces, plein d'une douce sérénité
et en même temps abondant en discours instructifs. Il expliqua le
sens spirituel de chacun des incidents du repas. Il parla des divertissements
et de l'allégresse qui préside aux fêtes. Il dit que
l'arc ne devait pas rester toujours bandé, que le champ avait besoin
d'être rafraîchi par la pluie, et il ajouta des paraboles relatives
au même objet. Il découpa ensuite l'agneau et il tint à
ce propos des discours admirables : il dit que l'agneau était mis
à part du troupeau, qu'il était choisi, non pour vivre à
son gré et perpétuer sa race, mais pour être livré
à la mort ; après quoi on le purifiait par le feu qui consumait
ce qu'il y avait en lui de grossier, et l'on coupait ses membres en morceaux
: de même il fallait que ceux qui voulaient se mettre à la
suite de l'Agneau se séparassent de ceux qui leur étaient
unis le plus étroitement parles liens de la chair. Et lorsqu'il
fit passer autour de la table les morceaux découpés et qu'on
se mit à manger l'agneau, il dit que l'Agneau serait séparé
des siens et mis en pièces afin de devenir pour eux tous une nourriture
qui les unirait par un lien commun, que de même quiconque suivrait
l'Agneau, aurait à renoncer à son pâturage, devrait
mourir à ses passions, se séparer des membres sa famille
et devenir une nourriture et un aliment d'union par l'Agneau et dans son
Père céleste, etc.
Je ne puis pas répéter exactement tout cela. (On voit
au moins là le sens général de cet enseignement.)Chacun
avait devant lui une assiette ou un pain, je ne sais pas lequel des deux.
Jésus fit aussi passer à la ronde une espèce de patène
d'un brun foncé avec un rebord jaune. Je le vis plusieurs fois prendre
en main un petit bouquet d'herbes et enseigner à cette occasion.
Jésus s'était chargé de fournir le second service
du repas de noce et sa mère et Marthe avaient pourvu à tout
; il avait dit aussi qu'il se chargeait du vin. Lorsque le second service,
qui se composait d'oiseaux, de poisson, de préparations au miel,
de fruits et d'une espèce de pâtisseries que Séraphia
(Véronique) avait apportées, eut été placé
sur la table latérale, Jésus y alla et fit les portions,
puis il revint prendre sa place. Les plats furent servis, mais le vin manquait.
Cependant Jésus enseignait. Cette partie du repas était particulièrement
confiée aux soins de la sainte Vierge, et lorsqu'elle vit que le
vin faisait défaut, elle alla à Jésus et lui rappela
avec quelque inquiétude qu'il lui avait dit qu'il pourvoirait au
vin ; alors Jésus, qui venait d'enseigner sur son Père céleste,
lui dit : " Femme, ne vous tourmentez pas, ne vous inquiétez ni
de vous, ni de moi, mon heure n'est pas encore venue. "Il n'y avait là
rien de dur pour la sainte Vierge. Il lui dit : " Femme "et non pas a ma
mère "parce qu'en ce moment il voulait agir en qualité de
Messie, en qualité de Fils de Dieu, accomplir une opération
mystérieuse en présence de ses disciples et de tous ses parents,
parce qu'il était là dans sa force divine.
Le Pèlerin résume dans la note suivante le sentiment
de la narratrice ; Jésus lui dit : " Femme " comme étant
le rejeton qui devait écraser la tête du serpent. Il voulait
aussi montrer dans cette occasion qu'il était plus qu'un fus de
Marie, une femme qui leur était connue, et il l'appela " femme "
parce qu'il allait agir en vertu de sa divinité, qu'il allait créer
ou transformer, de même qu'il se donnait à lui même
le nom de Fils de l'homme, lorsqu'il parlait de sa Passion future, sans
s'abaisser en rien par là. Dans de pareils moments où Jésus
agissait en qualité de Verbe incarné, chaque chose, par cela
même qu'il la nomme ce qu'elle est, se trouve rehaussée et
à quelques égards gratifiée d'une fonction ou d'une
dignité par l'énonciation de son nom dans une circonstance
aussi solennelle. Marie était la " femme " qui avait enfanté
celui auquel elle s'adresse ici comme au Créateur, lui demandant
du vin pour ses créatures devant lesquelles il va manifester sa
dignité suprême. Il va leur montrer ici qu'il est le Fils
de Dieu et non qu'il est le fils de Marie. Lorsqu'il mourut sur la croix
au pied de laquelle elle pleurait, il lui dit aussi : " Femme, voilà
votre fils, " lui désignant Jean par ces paroles. Jésus lui
avait dit qu'il pourvoirait au vin ; elle s'avance alors comme la figure
de celle qui intercède pour nous par excellence, et elle lui représente
que le vin fait défaut ; mais le vin qu'il voulait donner était
plus que du vin pris dans le sens ordinaire ; il avait rapport au mystère
de ce vin qu'il voulait changer plus tard en son sang. Il lui dit : " Mon
heure n'est pas encore venue, " c'est à dire, il n'est pas encore
temps, premièrement que je donne le vin promis, en second lieu,
que je change l'eau en vin, en troisième lieu, que je change le
vin en mon sang. Marie alors n'eut plus de soucis pour les hôtes
des fiancés ; elle avait prié son Fils et c'est pourquoi
elle dit aux serviteurs : "Faites tout ce qu'il vous dira. "
C'est précisément comme si la fiancée de Jésus,
l'Eglise, lui adressait cette prière : "Seigneur, vos enfants n'ont
pas de vin ; "et que Jésus ne lui répondît pas : "Ma
fiancée, "mais, " Eglise, ne t'inquiète pas, ne te trouble
pas, mon heure n'est pas encore venue ; "et encore comme si l'Eglise disait
aux prêtres : "Observez toutes ses indications et ses commandements,
car il vous viendra en aide, etc. "
Marie dit donc aux serviteurs d'attendre et d'exécuter les ordres
de Jésus : et au bout de quelque temps, Jésus ordonna aux
serviteurs d'apporter devant lui les urnes vides : il y avait trois urnes
d'eau et trois de vin, et ils montrèrent qu'elles étaient
vides en les retournant sur un bassin. Jésus leur ordonna de les
remplir toutes d'eau. Ils les portèrent à la fontaine qui
se trouvait dans un caveau et consistait en un réservoir de pierre
avec une pompe. Ces urnes étaient des vases de terre fort grands
et fort lourds, et il fallait deux hommes pour en porter une par les deux
anses. Il y avait depuis le haut jusque en bas plusieurs tuyaux fermés
avec des bondes, et quand le liquide était épuisé
jusqu'à une certaine hauteur, on retirait la bonde inférieure
et on versait. On ne levait pas les urnes pour verser, on se bornait à
les incliner un peu sur leurs bases élevées.
L'avertissement de Marie fut donné à voix basse, la réponse
de Jésus à haute voix, aussi bien que l'ordre de puiser l'eau.
Lorsque les urnes remplies d'eau furent placées toutes les six devant
le buffet, Jésus y alla et les bénit, puis étant retourné
à sa place, il dit : " Versez et portez à boire au maître
d'hôtel. "Lorsque celui ci eut goûté le vin, il alla
trouvé le fiancé et lui dit : " Ordinairement on donne le
bon vin le premier, puis lorsque les convives sont rassasiés, on
en donne de moins bon, mais vous avez réservé le meilleur
vin pour la fin ". Il ne savait pas que Jésus s'était chargé
de fournir ce vin comme toute cette partie du repas ; cela n'était
connu que de la sainte Famille et de la famille des mariés. Alors
le fiancé et le père de la fiancée en burent avec
un grand étonnement, et les serviteurs assurèrent que c'était
de l'eau qu'ils avaient puisée et dont ils avaient rempli les vases
et les coupes qui étaient sur les tables. Tous alors en burent :
mais il n'y eut point de tumulte au sujet de ce miracle ; tous les convives
gardaient un silence respectueux, et Jésus prit occasion de ce prodige
pour enseigner. Il dit entre autres choses que le monde donnait d'abord
du vin capiteux, puis profitait de l'ivresse des convives pour leur donner
un mauvais breuvage, mais qu'il n'en était pas ainsi dans le royaume
que son Père céleste lui avait donné : que là,
l'eau pure devenait un vin exquis, de même que la tiédeur
devait se changer en ferveur et en zèle énergique. Il parla,
en outre, du repas auquel il avait pris part, dans sa douzième année,
après son retour du temple, avec plusieurs de ceux qui étaient
là présents ; il rappela qu'alors il avait parlé de
pain et de vin et raconté une parabole relative à des noces
où l'eau de la tiédeur deviendrait le vin de l'enthousiasme,
ce qui s'accomplissait maintenant. Il leur dit encore qu'ils verraient
de plus grands prodiges, qu'il célébrerait la Pâque
plusieurs fois et qu'à la dernière, le vin serait changé
en sang et le pain en chair ; qu'il resterait avec eux, les consolerait
et les fortifierait jusqu'à la fin : que du reste, après
ce repas, ils lui verraient arriver des choses qu'ils ne pourraient pas
comprendre actuellement s'il les leur disait. Il ne s'exprima pas aussi
clairement que je le fais ; tout cela était enveloppé dans
des paraboles que j'ai oubliées, toutefois c'en était là
le sens. En l'écoutant ainsi parler, ils furent saisis de crainte
et d'étonnement. Mais tous étaient comme transformés
par ce vin, et je vis qu'indépendamment de l'effet du miracle qu'ils
avaient vu, le vin lui même, comme précédemment les
fruits, avait opéré intérieurement en eux, les avait
fortifiés et profondément changés. Tous les disciples,
tous ses parents, tous les convives étaient maintenant convaincus
de sa puissance, de, sa dignité et de sa mission. Ils croyaient
tous en lui, cette foi s'était répandue dans tous à
la fois, et tous ceux qui avaient bu de ce vin étaient devenus meilleurs,
plus unis et plus fervents. Il était ici pour la première
fois au milieu de la communauté qu'il formait : ce fut le premier
prodige qu'il fit au milieu d'elle et tour elle, afin de la fonder dans
la foi en lui. Voilà aussi pourquoi il est dit dans son histoire
que ce fut son premier miracle. de même que la Cène est racontée
comme le dernier, fait alors que ses disciples croyaient.
A la fin du repas, le fiancé vint encore trouver Jésus
en particulier ; il lui parla avec beaucoup d'humilité et lui déclara
qu'il se sentait mort à toute convoitise de la chair et qu'il désirait
vivre dans la continence avec son épouse, si celle ci le trouvait
bon. La fiancée vint également trouver Jésus en particulier
et lui dit la même chose. Alors Jésus les fit venir tous les
deux ensemble et leur parla du mariage, de la pureté qui est si
agréable à Dieu, et des fruits que la vie de l'esprit rend
au centuple.
Il cita beaucoup de prophètes et de saints personnages qui avaient
vécu dans la chasteté et immolé leur chair au Père
céleste, dit comment ils avaient eu pour enfants spirituels bien
des hommes égarés qu'ils avaient ramenés au bien et
comment ils avaient donné naissance à une nombreuse et sainte
postérité. Tout cela fut dit dans le sens de dissiper et
de recueillir. Ils firent voeu de continence pour trois ans, s'engageant
à vivre comme frère et soeur. Puis ils s'agenouillèrent
devant Jésus et il les bénit.
(3 janvier.) La narratrice était très gravement malade
et elle dit seulement ce qui suit : Jésus avait enseigné
dans la salle du festin. On n'alla pas, se promener en plein air ; plusieurs
disciples de Jean sont partis ainsi que Lazare et Marthe. Je les ai vus
manger quelque chose debout, tous ont leurs habits retroussés. Pendant
tout le cours de la fête, Lazare fut traité avec tous les
égards dus à un homme de distinction par le père de
la fiancée qui s'occupa personnellement beaucoup de le servir. Il
a des manières très distinguées : il est sérieux
et son attitude est à la fois réservée et bienveillante
: il est très calme, parle peu et regarde Jésus avec beaucoup
de ferveur.
Le soir de ce jour, qui était le quatrième jour des noces,
on était allé en grand cortège installer la fiancée
et le fiancé dans leur maison. On portait un candélabre avec
des flambeaux allumés dont chacun figurait une lettre ; des enfants
marchaient en avant du cortège, ils portaient sur des bandes d'étoffe
une couronne de fleurs ouverte et une autre fermée : ils les défirent
devant la maison des fiancés et semèrent les fleurs autour
d'eux. Jésus était dans la maison et les bénit. Les
prêtres étaient présents. Depuis le miracle de Jésus
lors du repas, leur contenance est très humble et ils le laissent
tout diriger.
La Soeur croit bien, toutefois sans rien affirmer, que cette installation
était une pure cérémonie, que la fiancée resta
encore chez ses parents jusqu'à la fin de la fête et des jeûnes
qui allaient commencer.
(4 janvier) Les autres hôtes sont partis pour la plupart, notamment
Marie et les saintes femmes. Nathanaël Khased, les fils de Cléophas,
appelés les frères de Jésus et d'autres disciples
étaient encore là. Le soir du 4ème jour du sabbat
et commencement du 7è de Thébet, Jésus enseigna, dans
la synagogue, sur la fête qui venait d'avoir lieu, sur l'obéissance
et les pieuses dispositions de ce couple de fiancés, etc.
( 5 janvier.) Ce jour là, qui était celui du sabbat,
Jésus enseigna deux fois dans la synagogue de Cana, et lorsqu'il
sortit, plusieurs personnes se prosternèrent devant lui et lui demandèrent
son assistance pour des malades. Il fit ici deux guérisons merveilleuses
un homme était tombé du haut d'une tour, il était
mort et tous ses membres étaient brisés. Jésus alla
à lui, rajusta ses membres, toucha les fractures et lui ordonna
de se lever et d'aller dans sa maison, ce qu'il fit après avoir
remercié : il avait une femme et des enfants. Jésus fut aussi
conduit à un possédé qui était enchaîné
à une pierre et il le délivra. Il guérit en outre
des hydropiques et une femme affligée d'une perte de sang qui était
une pécheresse publique. Les malades qu'il guérit étaient
au nombre de sept. Ces gens n'avaient pas osé venir pendant la fête
; mais lorsque le bruit se répandit qu'il partirait après
le sabbat, il fut impossible de les retenir. Les prêtres, après
le prodige des noces, le laissèrent faire tout ce qu'il voulut,
et ces miracles eurent lieu en leur présence : les disciples n'étaient
pas présents.
FIN DU PREMIER VOLUME
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