TOME DEUXIEME
HUITIEME CHAPITRE.
(Du 6 janvier au 23 mars 1822.)
Jésus revient de Cana à Capharnaûm, et enseigne
en différents endroits.- il va sur les bords du Jourdain.- il arrive
à Ono; - au lieu où l'on baptise, près de Jéricho.
- Coup d'œil sur la mer Morte et sur Melchisédech. - Jésus
enseigne en divers endroits. - Entretiens avec Lazare. - Jésus célèbre
le sabbat à Adummim, ville de refuge pour les criminels. - Jésus
à Nébo au delà du Jourdain.- il va en Galilée
et guérit à Phasael la fille d'un Essénien. - Jésus
à Jezrael - à Capharnaûm - à Gennabris - à
Béthulie - à Kisloth-Thabor - à Sunem - à Ulama
- il revient à Capharnaum. - Jésus près de sa mère.
- Fête à Capharnaum. - Jésus à Sephoris : il
assiste de loin des gens près de faire naufrage. - Jésus
à Nazareth.- La fête des Purim. - Jésus à Legio.
- il va avec Lazare sur la propriété de celui-ci à
Thirza.- il quitte Thirza.- Sa première rencontre avec le jeune
homme riche. - il va à Béthanie.
(6-13 janvier.) Lorsque le sabbat fut fini, Jésus partit avant
le jour avec ses disciples pour Capharnaum. Le fiancé, son père
et plusieurs autres l'accompagnèrent pendant quelque temps. On avait
beaucoup donné aux pauvres lors du repas de noces : car rien ne
revint une seconde fois sur la table, tout fut immédiatement distribué.
Demain et après-demain sont des jours de jeûne, et je vis
que dès avant le sabbat on faisait cuire d'avance des aliments pour
ces jours là. Tous les feux furent éteints, et toutes les
fenêtres au delà du nécessaire fermées. Les
gens aisés ont à leur foyer des places où tout se
conserve chaud sous de la cendre chaude. Jésus se trouvait, pour
ces jours de jeûne, à Capharnaum, et il y enseigna dans la
synagogue. Deux fois le jour on lui amenait des malades qu'il guérissait.
Ses disciples de Bethsaïde allèrent chez eux, et plusieurs
revinrent. Il alla aussi dans les environs et y enseigna ; pendant le temps
du repos, il était chez Marie.
Il envoya cinq de ses disciples baptiser dans le Jourdain, sur la rive
occidentale, près de Jéricho, au lieu principal où
Jean baptisait et que celui-ci avait quitté, C'étaient André,
Saturnin, Aram, Théméni et Eustache, fils de l'une des veuves.
Jésus les accompagna pendant une partie du chemin et alla ensuite
à Béthulie, où il guérit et enseigna. Il revint
après cela jusqu'à sept à huit lieues au nord-ouest
de Capharnaum vers Hanathon ; il y a près de là une montagne
destinée à la prédication. On arrivait au haut de
cette montagne par une pente douce d'environ une lieue de long. On avait
fait là des arrangements exprès pour qu'on pût y prêcher
: il s'y trouvait une chaire de pierre très élevée,
entourée de pieux, au moyen desquels on pouvait tendre au-dessus
un grand pavillon pour défendre du soleil et de la pluie. Après
chaque instruction on le remportait. Sur l'arête de la montagne s'élèvent
trois éminences : l'une d'elles est la montagne des Béatitudes.
Au lieu où Jésus et enseigne, la vue est très étendue
: on voit au-dessous de soi la mer de Galilée, et l'on peut apercevoir
Nazareth dans le lointain. La montagne est boisée et cultivée
par places, mais non au lieu où Jésus enseigna. Tout autour
sont les fondations d'une muraille ruinée, où l'on distingue
encore des restes de tours. Autour de la montagne sont des endroits appelés
Hanathon, Béthanat et Nejel, qui font l’effet d'avoir formé
ensemble une très grande ville.
Jésus avait près de lui trois disciples, un fils de la
tante du fiancé de Cana, le fils d'une autre veuve et Jonathan,
le demi frère de Pierre. C'étaient eux qui convoquaient les
gens à venir entendre l'instruction faite sur la montagne. Jésus
enseigna ici sur la diversité de l'esprit des hommes, suivant les
lieux et même suivant les familles, et sur l'esprit qu'ils recevaient
dans le baptême et qui les unissait entre eux et avec le Père
céleste, par la pénitence, la satisfaction et l'expiation.
Il leur dit aussi à quoi ils pourraient reconnaître dans quelle
mesure ils auraient reçu le Saint Esprit par le baptême.
Il enseigna en outre sur la prière et les diverses demandes,
et je m'étonnai de l'entendre déjà enseigner sur les
demandes de l'Oraison dominicale, quoiqu'il n'en eût pas encore donné
la formule. Cette instruction dura depuis midi jusqu'au soir : alors il
descendit à Béthanat, où il prit un repas et passa
la nuit. Il avait passé la nuit précédente a Hanathon.
Le jour suivant, je vis Jésus aller de Béthanat dans
la direction du lac, puis dans cette de Capharnaum. Cinq disciples de Jean
étaient venus le trouver. Ils étaient d'un pays situé
à peu de distance de la mer Méditerranée, au nord
d'Apheka, la patrie de saint Thomas. Ce n'étaient pas de vrais Juifs,
mais des espèces d'esclaves ; ils avaient été longtemps
avec Jean et venaient maintenant à Jésus.
Je vis vers midi Jésus avec huit disciples sur une colline,
entre l'embouchure du Jourdain et Bethsaide, à environ une demi
lieue du lac Ils avaient vue sur le lac, où ils voyaient Pierre,
Jean et Jacques sur leurs barques. Pierre avait une grande embarcation,
sur laquelle étaient ses serviteurs ; lui-même était
sur une petite barque qu'il dirigeait. Jean et Jacques, avec leur père,
avaient aussi une grande barque et de plus petites. Je vis encore la barque
d'André : elle était petite et se trouvait près de
celles de Zébédée. Pour lui, il était alors
sur les bords du Jourdain, où il baptisait.
Lorsque les disciples virent leurs amis sur le lac, ils voulurent descendre
pour les appeler. Mais Jésus leur ordonna de rester là. Je
les entendis dire : "Comment ces hommes peuvent-ils encore naviguer et
pêcher après avoir vu ce que vous avez fait et avoir entendu
vos enseignements ?” Et Jésus leur dit : ‘ Je ne les ai pas encore
appelés ; ils ont un métier qui fait vivre beaucoup de gens,
spécialement Pierre ; je leur ai dit de continuer à l'exercer
et de se préparer pour le moment où je les appellerai. J'ai
encore beaucoup de choses à faire jusque-là ; il faut aussi
que j'aille à Jérusalem pour la Pâque. ”
Sur le côté occidental de la colline, il y avait environ
vingt-six habitations, où demeuraient principalement des pêcheurs
et des gens de la campagne. Lorsque Jésus y arriva, un possédé
courut après lui et se mit à crier : "Le voilà ; il
vient, le prophète ; nous devons fuir devant lui ; "et il fut bientôt
entouré de plusieurs autres possédés, qui criaient
et se démenaient. Jésus leur commanda de se tenir tranquilles
et de le suivre ; il monta sur la colline et enseigna. Il y avait bien,
outre les possédés, une centaine de personnes autour de lui.
Il parla des mauvais esprits, de la résistance qu'il fallait leur
opposer et de la nécessité de se corriger. Les possédés
furent tous délivrés ; ils devinrent paisibles et le remercièrent
en pleurant ; ils disaient qu'ils ne savaient plus en quel état
ils étaient auparavant. Ces malheureux, parmi lesquels quelques-uns
étaient attachés ensemble, avaient été amenés
de divers lieux des environs, parce qu'on avait entendu parler de l'arrivée
du prophète qui était, disait-on, aussi saint que Moïse.
Ils n'auraient pas rencontré Jésus si l'un d'eux n'eût
pas brisé ses liens et n'avait pas crié après lui.
Jésus partit de là pour aller chez sa mère entre
Capharnaum et Bethsaide. La première de ces villes était
si tuée à peu de distance de cette colline, un peu plus au
nord. Le soir, lorsque le sabbat commença, Jésus enseigna
dans la synagogue de Capharnaum. Ils avaient encore une fête particulière
qui se rapportait à Tobie, lequel avait vécu dans cette contrée
et y avait fait beaucoup de bien. Il avait aussi laissé des propriétés
aux écoles et à la synagogue. Jésus enseigna sur la
reconnaissance.
Après le sabbat, je vis Jésus aller chez sa mère,
avec laquelle il s'entretint seul ; cela dura même une partie de
la nuit. Il parla de ce qu’il allait faire, lui dit qu'il irait d'abord
au Jourdain, puis à Jérusalem pour la Pâque ; qu'ensuite
il appellerait les apôtres et commencerait sa vie publique ; qu'on
le persécuterait à Nazareth ; puis de ses projets ultérieurs
et des relations que sa mère et les autres femmes auraient à
entretenir avec lui. Il y avait alors dans la maison de Marie une femme
très avancée en âge. C'était une pauvre veuve,
sa parente, que sainte Anne lui avait envoyée à la grotte
de la Crèche pour l'assister ; maintenant elle était si vieille,
que Marie la servait plutôt qu'elle ne servait Marie.
(14-20 janvier.) Aujourd'hui, je vis Jésus avec les huit disciples
se mettre en route pour le lieu du baptême, près du Jourdain.
Ils partirent avant le jour, se dirigeant vers le côté oriental
du lac. Ils franchirent de nouveau la colline, d'où ils avaient
vu les barques des futurs apôtres. Ils traversèrent le Jourdain
sur un pont très élevé. Le Jourdain coulait là
dans un lit profondément encaissé ; il entrait dans le lac
environ une demi lieue plus bas.
De l'autre côté du fleuve, dans l'angle qu'il forme avec
le lac, se trouve un village de pêcheurs, autour duquel on voit beaucoup
de filets étendus par terre ; il s'appelle le petit Chorozaim à
une petite lieue, plus au nord du lac, se trouve Bethsaide-Juliade. Le
grand Chorozaïn est à deux lieues à l'est du lac. C'était
là que Matthieu était publicain.
Jésus descendit le long de la rive orientale du lac, et il passa
la nuit à Hippos. Le lendemain, il passa devant Gadara, guérit
dans le voisinage de cette ville un possédé, qu'on lui avait
amené attaché avec des cordes, mais qui les brisa et se mit
à crier de toutes ses forces : "Jésus ! fils de David ! Jésus
! que veux-tu faire ? Tu veux nous chasser ! ‘ Jésus s'arrêta,
ordonna au démon de se taire et de sortir de cet homme il lui dit
aussi où il devait aller.
A deux lieues de Gadara, Jésus arriva au Jourdain, le passa,
et continua son voyage dans la direction du sud-ouest, laissant Scythopolis
à gauche ; il franchit une montagne du nom d'Hermon et arriva à
Jezraël, ville située au levant de la plaine d'Esdrelon (la
Soeur s'exprime ici peu clairement). Cette ville est située sur
les deux rives d'une petite rivière. Jésus y est déjà
allé une fois. Il y guérit beaucoup de malades en public,
devant la synagogue.
Je me suis trompée dernièrement en disant que Marthe
était revenue de Cana chez elle avec Lazare. Lazare alla seul, Marthe
resta encore en Galilée, à Gennabris, je crois, ou habitait
Nathanaël. Elle avait fait prier Madeleine de venir l'y trouver. Il
y avait encore là plusieurs disciples On parla des miracles de Jésus,
et lorsque Jésus vint dans la contrée de Jezraël, Marthe
engagea sa sœur à faire avec elle huit lieues de plus, jusqu'à
Jezraël. Mais Jésus n'y était plus, et elle entendit
seulement raconter ses miracles par ceux qu'il avait guéris. Alors
les deux sœurs se séparèrent et Madeleine retourna à
Magdalum.
Lazare avait, dans les environs de Samarie, une vigne, un champ et
une maison dans le voisinage du champ de Jacob ; tout cela, par la suite,
fut mis au service de Jésus et des siens pendant leurs voyages.
C'est là que plus tard les deux Sœurs vinrent trouver Jésus
lorsqu'elles le prièrent de venir à Béthanie après
la mort de Lazare. Dans les temps postérieurs, il y eut là
une chapelle consacrée à sainte Marthe.
(15 janvier.) (La Sœur était très malade et fort dérangée.)
Jésus n'est resté que quelques heures à Jezraël.
Il a enseigné dans un endroit appelé Akrabis, à deux
lieues de Silo, sur une chaire en plein air. Ce n'était qu'un village
de bergers.
Le soir du jeudi 17, je vis Jésus arriver à Haï,
qui est à peu de distance de Bethel, au levant et à quelques
lieues au nord-ouest de Jéricho ; il y a de là environ neuf
lieues jusqu'à l'endroit du baptême. Cette ville avait été
entièrement détruite à une époque antérieure
à Jésus. Elle fut rebâtie plus tard, mais sur de plus
petites dimensions. Jésus y enseigna et y guérit.
Il y avait là des pharisiens qui tenaient des discours pleins
d'aigreur. Quelques-uns d'entre eux s'étaient trouvés à
Jérusalem lorsque Jésus y avait enseigné dans sa douzième
année. Ils parlaient de cela et taxaient d'hypocrisie ce qu'il avait
fait alors, s'asseyant par terre avec les écoliers dans une assemblée
de docteurs, disputant avec eux, puis interrogeant les maîtres comme
pour recourir à leurs lumières contre ses contradicteurs,
et leur disant par exemple : "Que pensez-vous de cela ? Instruisez-nous
! Quand le Messie viendra-t-il, etc. ? ‘ les engageant ainsi dans des assertions
de toute espèce et prétendant ensuite tout savoir mieux qu'eux.
N'était-ce pas lui qui avait fait tout cela ? lui demandaient-ils.
(18 janvier). Je vis Jésus dans la matinée au lieu où
Jean baptisait précédemment, près du Jourdain, à
huit lieues au midi de Jéricho. On fit plusieurs changements dans
l'administration du baptême. L'eau fut bénie, on la prit pour
baptiser dans une auge de pierre, Jésus fit aux aspirants des instructions
préparatoires (Elle se plaint d'être trop faible, elle racontera
cela une autre fois.)
Plusieurs disciples allèrent à un petit endroit situé
au couchant, à une lieue de là : il y a là un bois
qui s'étend avec des interruptions jusqu'à Jérusalem.
Les habitants gagnent leur vie en faisant passer le fleuve et en travaillant
le bois : ils font aussi les radeaux pour le passage. L'endroit s'appelle
Ono. Jean a aussi été là ; (L'écrivain lui
demanda si ce lieu s'appelle réellement Ono : Oui, dit-elle, mais
il y a encore une plus grande ville du même nom, dans la tribu de
Benjamin elle est près de Lydda).
Note : Lydda est aussi appelée Lod (I. Esdr., II, 33. - II Esdr.,
XI, 34) à une époque postérieure ; après J.-C.,
Lydda changea de nom, pour s'appeler Diospolis.
Cet Ono, au bord du Jourdain existait déjà lorsque les
Israélites prirent Jéricho : au temps de Jésus, il
en restait peu de chose : plus tard il n'y en avait plus de trace : c'est
pourquoi ce lieu est très inconnu. Mais comme il en existait encore
un autre du même nom, on pensa qu'il y avait eu une confusion. Les
disciples annoncèrent à Ono l’arrivée de Jésus,
disant qu'il y célébrerait ce soir le sabbat et y guérirait
: ils ajoutèrent qu'il continuait l'enseignement et l’œuvre de Jean,
que celui-ci ayant posé le fondement, Jésus y mettait la
dernière main avec plus d'autorité.
Jésus fait ici son séjour ordinaire dans une hôtellerie
devant Ono, à une demi lieue de l'endroit où l’on baptise.
Il y a là un homme qui apprête les aliments, toutefois Jésus
mange froid habituellement. Le samedi il enseigna encore ici et guérit
plusieurs malades qui lui furent amenés, entre autres une femme
très exténuée qui avait une perte de sang. Je vis
Jésus aller à Ono pour le sabbat avec les disciples et enseigner
dans la synagogue devant beaucoup d’auditeurs.
Je vis pendant ces jours-là Hérode visiter Jean plusieurs
fois et celui-ci le traiter toujours avec mépris comme un adultère.
Hérode sentait intérieurement qu'il avait raison, mais sa
femme était furieuse contre Jean. Hérode habitait à
Liviade, à peu de distance du lieu où Jean baptisait maintenant.
Je vois Liviade plus au nord et plus au levant que Bethabara, pas très
loin d'Eléalé. Jean dans ses instructions parle toujours
de Jésus et renvoie à lui ses auditeurs.
(20 janvier.) Jésus revint aujourd'hui au lieu où l'on
baptisait : il instruisit et prépara les aspirants qu'André,
Saturnin et d'autres encore baptisaient alternativement. Jean ne baptisait
presque plus personne : il se bornait à enseigner et envoyait tout
le monde de l'autre côté du Jourdain au baptême de Jésus.
La plupart de ceux qui venaient au baptême de Jésus étaient
des jeunes gens de la Judée et d'Hébron. Tout se faisait
avec plus de solennité et de régularité qu'au baptême
de Jean. Le lieu où l'on passait le Jourdain n'était plus
Si rapproché : à cause du grand concours de peuple, on avait
établi le passage plus loin en aval du fleuve. D'après les
instructions de Jésus, plusieurs choses avaient été
changées à l'endroit du baptême par les disciples envoyés
d'avance de Cana. La grande enceinte établie par Jean autour d'un
réservoir en plein air n'existait plus. On baptisait à peu
de distance de là, sous une grande tente, dans la petite île
ou Jésus avait été baptisé. La fontaine baptismale
de Jésus sur cette île avait subi plusieurs changements ;
les cinq canaux qui allaient du Jourdain à cette fontaine étaient
à découvert et les quatre pierres en avaient été
retirées ainsi que la grosse pierre triangulaire veinée de
rouge qui était placée au bord, et sur laquelle se tenait
Jésus quand le Saint-Esprit descendit sur lui. Toutes ces pierres
avaient été portées au lieu où l'on baptisait
maintenant. Jean et Jésus étaient les seuls à savoir
que la place où Jésus avait été baptisé
était celle où s'était arrêtée l'arche
d'alliance, et que les pierres placées dans la fontaine étaient
celles où elle avait reposé dans le lit du Jourdain, mais
ils ne l'avaient dit à personne. De même le Seigneur seul
savait que c'étaient ces pierres qui formaient maintenant la pierre
baptismale. les Juifs avaient oublié depuis longtemps le lieu où
ces pierres reposaient et les disciples n'en avaient aucune connaissance.
André avait creusé un bassin rond dans la pierre triangulaire
: celle-ci reposait sur les quatre pierres placées au-dessous dans
une fosse pleine d'eau qui entourait cette pierre baptismale comme un fossé
: l’eau y avait été apportée de la fontaine baptismale
de Jésus sur l'île. L'eau qui était dans la pierre
triangulaire venait aussi de là et Jésus la bénissait.
Quand ceux qui devaient être baptisés descendaient dans la
fosse creusée autour des bassins triangulaires, ils avaient de l'eau
jusqu'à la poitrine.
Près de là était une espèce d'autel où
l'on plaçait les robes blanches pour les baptisés. Deux disciples
leur mettaient les mains sur les épaules ; André ou Saturnin
ou quelquefois un autre les baptisait trois fois avec de l'eau du bassin
qu'il prenait dans le creux de la main et qu'il leur versait sur la tête
au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ceux qui baptisaient
et imposaient les mains avaient de longues robes blanches avec des ceintures
et de longues bandes blanches tombant des épaules, comme de larges
étoles. Jean baptisait avec un vase à trois rainures, d'où
coulaient trois filets d'eau : et il prononçait d'autres paroles
où il était question de Jéhovah et de son envoyé.
Aucun de ceux qui avaient été baptisés par Jean ne
fut rebaptisé ici : mais je crois qu'on les rebaptisa après
la descente du Saint-Esprit lors du baptême qui eut lieu a la piscine
de Bethesda. Aucune femme ne fut baptisée ici. Ce fut aussi à
la piscine de Bethesda que la Soeur vit pour la première fois administrer
le baptême avec triple immersion.
Jésus enseignait au dehors sur un tertre au-dessus duquel une
tente était tendue pour la grande chaleur. Il parlait du baptême,
de la pénitence, de l'approche du royaume des cieux et du Messie,
dit où on devait le chercher, non parmi les grands du monde, mais
parmi les petits et les pauvres. Il appelait ce baptême une ablution,
celui de Jean un baptême pour la pénitence : il parla aussi
du baptême de feu du Saint-Esprit qui devait venir plus tard.
Les arbres et les buissons que Jean avait plantés autour de
l'île où Jésus avait été baptisé,
s'unissaient par leurs sommets et formaient un beau massif : l’arbre qui
était dans la fontaine s'élevait au-dessus de tout le reste.
Je vis sur sa cime se détacher une figure comme celle d'un petit
enfant qui sortait d'un cep de vigne, les bras étendus, et d'une
main présentait des fruits jaunes, de l'autre des roses. La Soeur
voit dans cela un ornement destiné à fêter l'ouverture
du baptême de Jésus, mais elle est trop faible pour décrire
clairement cette figure.-Le 29 janvier, je vis continuer le baptême.
(22 janvier.) Jésus est allé avec plusieurs disciples
dans la direction du midi, au couchant de la mer Morte, là où
se tenait Melchisédech lorsqu'il prit la mesure du Jourdain et des
montagnes. Longtemps avant Abraham il avait conduit ici des ancêtres
de ce patriarche : mais leur ville fut détruite avec Sodome et Gomorrhe.-Maintenant
on voyait dans une contrée sombre, désolée, parsemée
de rochers noirs et de grandes cavernes, s'étendre dans la campagne
à environ une demi lieue de la mer Morte des restes de murs avec
les tours à moitié écroulées d'une ville détruite,
Hazezon Thamar. Là où est la mer Morte, avant la destruction
de ces villes impies, il n'y avait que le Jourdain. Il était large
d'environ un quart de lieue. Les gens qui maintenant sont établis
plus à l'intérieur des terres dans des cavernes et des ruinés
de toute espèce, ne sont pas de vrais Juifs, mais des esclaves,
provenant des peuples qui ont passé par là : ils cultivent
la terre au profit des Juifs. Ils sont pauvres, timides et très
délaissés. Ils ont regardé l'arrivée de Jésus
parmi eux comme une faveur inestimable et l'ont très bien accueilli.
Jésus en a guéri beaucoup.
Aujourd'hui cette contrée est meilleure qu'à l'époque
de Jésus : mais anciennement elle était d'une beauté
et d'une fertilité incroyables. Au temps d'Abraham, la formation
de la mer Morte a fait un désert d'un des plus magnifiques pays
du monde. une quantité de villes et de bourgs étaient situés
sur la ; rive du Jourdain : une chaussée de pierres carrées
longeait le fleuve. Entre elles s'élevaient de belles montagnes
et d'agréables collines, et tout était couvert de bosquets
de dattiers, de vignes, d'arbres fruitiers et de champs de blé.
Rien ne peut rendre la beauté de ce pays. Avant que la mer Morte
n'eût paru, le Jourdain, au-dessous de l'endroit où il était
le plus large, se divisait en deux bras qui arrosaient des villes disparues.
L'un tournait à l'ouest et recevait divers cours d'eau ; l’autre
coulait vers le désert au travers duquel eut lieu la fuite en Égypte,
et arrivait jusque dans la contrée de Mara, où Moïse
rendit douce une source d'eau saumâtre, et où avaient habité
les ancêtres de sainte Anne. Il y avait entre les villes des mines
de sel : mais l'eau n'était point salée : il jaillissait
la beaucoup de sources. Les peuples buvaient et honoraient l'eau du Jourdain
jusqu'à une grande distance dans ce qui devint plus tard le désert.
Les ancêtres d'Abraham, établis anciennement à
Hazezon par Melchisédech, dégénérèrent
beaucoup, et ce fut par un second trait de la miséricorde de Dieu
qu'Abraham fut conduit dans la terre promise. Melchisédech a été
ici lorsque le Jourdain n'y était pas encore : il a tout mesuré
et déterminé. Il allait et venait souvent, et avait quelquefois
avec lui deux hommes qui semblaient être des esclaves.
(21-30 janvier.) Jésus est allé avec ses disciples dans
la direction de Bethléhem : il a suivi une partie de la vallée
des Bergers jusqu'à Betharaba, à trois lieues de l'endroit
où l'on baptise. Jésus y était déjà
allé lorsqu'il visita les bergers après le baptême.
Les habitants vivent du passage des caravanes. Cet endroit est à
environ trois lieues de Béthanie, sur les frontières des
tribus de Juda et de Benjamin.
Il y avait ici beaucoup de possédés ils couraient tout
nus dans les environs, devant cet endroit, et ils se mirent à crier
lorsque Jésus approcha. Il leur ordonna de se couvrir, et en quelques
minutes ils se firent des ceintures de feuillage. Jésus les guérit,
et envoya du bourg des gens qui leur portèrent des vêtements.
André et cinq autres disciples étaient venus ici avant
le Sauveur, et avaient dit qu'il y célébrerait le sabbat.
Il logea seul avec les disciples dans une hôtellerie gratuite, comme
il y en avait toujours alors dans les villes pour les docteurs et les rabbins
en voyage. Lazare, Joseph d'Arimathie et d'autres personnes de Jérusalem,
étaient aussi venus ici.
Jésus enseigna dans la synagogue et aussi sur la place publique
et sur les carrefours et les chemins : car il y avait ici une nombreuse
population que l'école ne pouvait pas contenir. Il guérit
beaucoup de gens affligés de diverses maladies. Les disciples les
amenaient et leur faisaient faire place dans la foule. Lazare et Joseph
d'Arimathie se tenaient à distance.
A la fin du sabbat, le Sauveur retourna encore à Ono avec les
disciples. Il passa par un petit endroit appelé Bethagla, où
les Israélites étaient venus après avoir passé
le Jourdain : car ils ne passèrent pas à une seule place,
mais sur une grande étendue, à travers le lit desséché
du fleuve. Lorsqu'ils arrivèrent ici, ils mirent leurs vêtements
en ordre et se ceignirent. Jésus passa devant la pierre de l'arche
d'alliance où Jean avait célébré la fête
dont il a été parlé plus haut.
Lazare et Joseph d'Arimathie retournèrent à Jérusalem.
Nicodème n'était pas venu : il se tenait plus à l'écart
à cause de son emploi : mais il était en secret au service
de Jésus, et plus tard il annonçait toujours à la
communauté les dangers qui la menaçaient.
(27 et 28 janvier.) Le jour d'après était le premier
jour de la fête de la nouvelle lune' et je vis qu'à Jérusalem
la classe des serviteurs et les employés avaient un jour de congé
: il y avait comme une fête de réjouissance. C'était
un jour de repos, et aujourd'hui l'on ne baptisa pas.
Le jour de la Fête de la nouvelle lune, des drapeaux suspendus
à de longues perches flottaient sur le toit des synagogues : c'étaient
des pièces d'étoffe dont les plis que le vent enflait étaient
séparés par des nœuds. Par le nombre des noeuds on indiquait
aux gens qui les voyaient de loin quel était le mois de l'année
qui commençait. Des drapeaux semblables étaient aussi arborés
en temps de guerre comme signaux de victoire ou de détresse.
Pendant tout le jour suivant, Jésus prépara au baptême,
par ses instructions, beaucoup de gens qui s'étaient réunis
ici dès la veille et avaient campé dans le voisinage. Aujourd'hui
encore on ne baptisa pas : on célèbre une fête à
propos de la mort d'un méchant roi (Alexandre Jannée). La
place où l'on doit baptiser est très bien arrangée
et ornée : je n'ai pas pu le raconter, je suis trop malade. Mais
ils restent encore longtemps ici ; je pourrai donc le voir encore et le
raconter.
(29 et 30 janvier.) Le jour suivant, André et les autres disciples
commencèrent de bonne heure à baptiser ceux que Jésus
avait préparés la veille. Lazare était revenu hier
soir avec Obed, fils de Siméon ; je vis Jésus et lui aller
seuls de grand matin dans la direction de Bethléhem, entre Bethagla
et Ophra, qui est plus au couchant. Jésus prit ce chemin, parce
que Lazare voulait lui raconter ce qu'on disait de lui à Jérusalem,
et que Jésus voulait faire savoir à Lazare, et par lui à
ses autres amis, comment ils devaient se comporter dans cette occurrence.
Ils suivirent la route qu'avaient suivie Joseph et Marie du côté
de Bethléhem, et firent environ trois lieues, jusqu'à un
groupe de pauvres demeures de bergers, situées dans une contrée
solitaire. Lazare raconta à Jésus ce qui se disait à
Jérusalem ; les uns parlaient de lui avec colère' d'autres
en se moquant, d'autres encore avec curiosité ; ils voulaient voir
disaient-ils, s'il viendrait à Pâques pour la fête,
s'il viendrait faire ses miracles dans une grande ville aussi hardiment
qu'en Galilée, au milieu d'une populace ignorante. Il raconta aussi
à Jésus ce que les pharisiens de différents lieux
avaient rapporté de lui, et comment ils l'espionnaient. Jésus
le tranquillisa sur tout cela, et lui cita divers passages des prophètes
où toutes ces choses étaient annoncées d'avance. Il
lui dit aussi que dans huit jours il serait sur les bords du Jourdain et
qu'il irait ensuite de nouveau en Galilée ; qu'il se rendrait à
Jérusalem pour la pâque, et qu'après cela il appellerait
ses disciples. Il le consola aussi touchant Madeleine, en lui disant qu'une
étincelle de la grâce était tombée en elle,
et qu'elle en serait toute enflammée.
Ils passèrent ce jour-là près des demeures des
bergers, où on leur donna du pain, du miel et des fruits. Il demeurait
là une vingtaine de veuves de bergers, ayant près d'elles
des fils déjà grands qui les assistaient dans leur vieillesse.
Leurs demeures étaient des cellules, séparées les
unes des autres et faites de branchages où il poussait encore des
feuilles. Parmi ces femmes, il y en avait quelques-unes qui l'avaient adoré
et lui avaient porté des offrandes dans la grotte de la Crèche
lors de sa naissance. Jésus enseigna ici ; il alla dans les cabanes
et guérit quelques femmes. L'une d'elles était très
vieille, très malade et très décharnée. Elle
habitait une petite cabane où elle était étendue sur
une couche de feuillage. Jésus la prit par la main et la conduisit
au dehors Ces femmes avaient un réfectoire et un oratoire communs.
Pendant que la Sœur racontait ceci le 30 janvier, à onze heures
du matin, elle dit tout à coup en regardant à sa droite :
‘ Qui donc était-ce ? ’’Mais elle se remit bientôt et reprit
en ces termes : "J'ai cru qu'il y avait là quelqu’un "J'ai vu Jésus
avec Lazare et Obed sur le chemin qu'il avait suivi, lorsque Jean s'écria
: Voici l'Agneau de Dieu ! il y avait quelques disciples en avant et quelques
autres en arrière. Lazare et Obed retournèrent à Jérusalem.
(31 janvier.) Aujourd'hui Jésus fut au lieu où l'on baptisait,
et il y enseigna. Beaucoup de gens reçurent le baptême.
(1er et 2 février.) Aujourd'hui, Jésus, avec la plupart
de ses disciples, est allé par Bethagla à Adummim. Cet endroit
est tout à fait caché dans une contrée excessivement
sauvage : ce ne sont que gorges de montagnes où le sentier, qui
court le long des rochers, est souvent si étroit, qu'un âne
peut à peine y passer. C'est un endroit entièrement caché,
à environ trois lieues de Jéricho, sur la frontière
de Juda et de Benjamin ; je ne l'avais jamais vu auparavant. Le site est
singulièrement abrupte : ç'a été autrefois
un lieu de refuge pour les malfaiteurs et les homicides, qui étaient
ici à l'abri de la peine capitale. Ils étaient ici en surveillance
jusqu'à ce qu'ils fussent amendés : plus tard on les faisait
travailler comme des esclaves à exploiter des carrières ou
à construire de grandes bâtisses. Ce lieu s'appelait, à
cause de cela, la Montée des Rouges, des hommes de sang. Cette ville
de refuge existait déjà avant David : elle prit fin après
Jésus, à l'époque des premières persécutions
de la communauté chrétienne. Plus tard, on bâtit là
un monastère, qui était comme une forteresse des premiers
religieux du Saint-Sépulcre. (Elle veut parler d'une association
qu'elle vit se former sous les premiers évêques de Jérusalem,
pour garder et honorer le Saint-Sépulcre.) Les habitants gagnaient
leur vie en vendant du vin et des fruits : c'était un affreux désert
hérissé de rochers presque entièrement nus : souvent
les vignes s'écroulaient avec les rochers. La route proprement dite
de Jéricho à Jérusalem ne passait pas par Adummim,
mais au couchant de cet endroit, et l'on ne pouvait pas y arriver par ce
coté, mais le chemin de Bethagla à Adummim était coupé
par une route qui allait de la vallée des Bergers à Jéricho
et qui passait à une demi lieue d'Adummim. Dans le voisinage de
cette jonction était un passage très étroit et très
dangereux. Il y avait là un lieu indiqué par une chaire de
pierre, où longtemps avant le Christ s'était passé
réellement ce que raconte la parabole de l'homme tombé au
pouvoir des assassins, et du bon Samaritain. Lorsque Jésus alla
à Adummim, il s'écarta un peu du chemin avec ses disciples,
et fit sur cette chaire devant ses disciples et les gens des environs une
instruction sur ce qui était arrivé en cet endroit. Il avait
célébré le sabbat à Adummim et enseigné
dans la synagogue : il avait raconté une parabole relative à
l'institution bienfaisante des lieux de refuge pour les criminels, et il
l'avait appliquée aux délais de grâce laissés
pour la pénitence sur cette terre. Il guérit aussi plusieurs
malades, notamment des hydropiques. Après le sabbat, il revint avec
les disciples à l'endroit où l'on donnait le baptême.
(3 et 4 février.) Le soir du jour suivant Jésus alla
avec ses disciples à Nébo, ville située au delà
du Jourdain, au pied de la montagne de Nébo où l'on ne peut
monter qu'en plusieurs heures. Il était venu des messagers pour
le prier d'aller là et d'y enseigner. Il s'y trouve une population
mêlée, descendant d'Egyptiens et d'Israélites qui se
sont autrefois souillés par le culte des idoles : il y a aussi des
Moabites, etc. Ils avaient été remués jusqu'à
un certain point par la prédication de Jésus : mais ils ne
voulaient pas aller à l'endroit où Jésus baptisait.
Je crois qu'ils n'osaient pas. Ils étaient fort méprisés
des Juifs à cause d'un crime de leurs ancêtres dont je ne
me souviens plus et ils n'avaient pas la permission d'aller partout, mais
seulement dans certains lieux. C'est pourquoi ils s'adressèrent
humblement à Jésus et le prièrent de baptiser chez
eux. Les disciples emportèrent dans des outres de l'eau de la fontaine
baptismale. Il n'en resta que quelques-uns comme gardiens au lieu où
l'on baptisait.
Nébo est à une demi lieue du Jourdain, dont cette ville
est séparée par une montagne, et à cinq ou six lieues
de Machérunte. Le sol n'y est pas fertile. Pour arriver à
Nébo, il faut monter à partir du bord du fleuve, puis redescendre.
Vis-à-vis du lieu du baptême, le Jourdain a pour rive une
montagne : il n'y a pas d’endroit habité ni de lieu d'abordage.
Nébo est de l'autre côté de cette montagne. C'est une
ville assez grande, bâtie sur un sol montueux, et séparée
du mont Nébo par une vallée. Il y a encore un temple païen,
mais il est fermé : on a bâti quelque chose autour.
Le lundi suivant, je vis Jésus assis sur une chaire placée
en plein air préparer les aspirants au baptême ; et je vis
aussi les disciples baptiser. La cuve baptismale était disposée
dans une citerne servant à prendre des bains dans laquelle entraient
ceux qu'on devait baptiser et qui était remplie d'eau jusqu'à
une certaine hauteur. Les disciples avaient apporté les robes baptismales
qu'ils avaient roulées autour d'eux. Pendant le baptême on
en revêtait les aspirants et elles flottaient autour d'eux. Après
la cérémonie on leur mettait encore par dessus une espèce
de petit manteau. Au baptême de Jean, c'était une sorte d'étole,
de la largeur d'un essuie-mains : à celui de Jésus cela ressemblait
plus à un petit manteau proprement dit, auquel était cousue
une étole avec des franges. (La Sœur est trop faible pour décrire
cela plus clairement.) Ce sont pour la plupart de très jeunes gens
et des vieillards d'un très grand âge qui reçoivent
le baptême : plusieurs sont refusés jusqu'à ce qu'ils
aient changé de vie. Jésus guérit plusieurs malades,
fiévreux et hydropiques qui avaient été apportés
sur des civières. Il n'y a pas chez les paiens autant de possédés
que chez les Juifs. Jésus bénit aussi l'eau que l'on buvait
ici et qui n'était pas bonne ; elle était trouble et saumâtre,
et on la recueillait dans le creux des rochers. Il y avait là un
réservoir où l'on versa de l'eau des outres. Jésus
la bénit : il donna la bénédiction en forme de croix,
et tint quelque temps la main étendue sur différents points
de la surface.
J'ai vu que les disciples de Bethsaïde et Nathanaël Khased
avaient commencé à mettre ordre à leurs affaires et
qu'ils allaient davantage à Capharnaum.
Le 5 au matin je vis Jésus et ses disciples quitter Nébo.
Ils sont restés la plus grande partie de la journée sur le
chemin long d'une lieue qui va de Nébo au passage du Jourdain ;
Jésus y a enseigné. Il y avait là des cabanes et des
tentes où les gens de Nébo vendaient aux voyageurs qui passaient
leurs fruits et leur vin : c'est devant ces gens que Jésus enseigna.
Il ne revint que le soir avec les disciples à son logement près
du lieu où l'on baptisait. C'était une maison que Lazare
avait achetée et qui n'était qu'a l'usage de Jésus.
(6 février.) Aujourd'hui Jésus a visité successivement
des paysans isolés et les a rassemblés pour leur faire des
instructions. Il y a là beaucoup de braves gens qui, lorsque Jean
baptisait, fournissaient des aliments à la multitude. Jésus
semble les visiter tous jusque dans les plus petits recoins parce qu'il
quittera bientôt ce lieu pour aller en Galilée. Le soir ils
revinrent à l'hôtellerie.
(7 février.) Le jour suivant Jésus fut chez un riche
paysan, qui habite à une demi lieue d'Ono, et dont les champs couvrent
toute une montagne. Il y a là un champ où l'on moissonne
encore sur un côté tandis que sur l'autre on va commencer
les semailles. Jésus a enseigné ici en paraboles touchant
la semence et la moisson.
Il y a chez ce paysan une vieille chaire délabrée du
temps des prophètes qui a été très bien restaurée
et dans laquelle Jésus a prêché. Plusieurs autres du
même genre ont été remises en état depuis que
Jean a baptisé ici : il le leur avait ordonné, comme une
chose qui se rapportait à sa mission de préparer les voies.
Ces chaires, comme il arrive souvent chez nous, aux images des stations,
étaient tout à fait tombées en dégradation
depuis le temps des prophètes. Elie et Elisée avaient fait
ici de longs séjours. Jésus célébrera demain
le sabbat à Ono : après cela vient une fête qui doit
concerner les fruits de la terre. J'ai vu ces jours-ci porter des corbeilles
pleines de fruits dans lés synagogues et les lieux où se
rend la justice.
A l'endroit où l'on donnait le baptême, tout a déjà
été emporté et mis en magasin par les disciples :
si je me trouve mieux, je raconterai comment cela s'est fait. Autour du
lieu où est la pierre sur laquelle l'arche d'alliance a reposé,
il y a maintenant une vingtaine d'habitations. Bethabara n'est pas tout
contre le fleuve, mais à une demi lieue du passage, cependant on
voit la ville. Du passage jusqu'au lieu où Jean baptise maintenant,
il y a bien une lieue et demie en passant par Bethabara.
(8 février.) La narratrice étant dans un état
de faiblesse toujours voisin de la mort et dans une absence d'esprit presque
complète, ne put communiquer que ce qui suit.
Le vendredi j'ai vu Jésus à Ono aller de maison en maison.
Au commencement je ne savais pas pourquoi, plus tard j'appris que ces visites
avaient rapport à la dîme qu'il exhortait ces gens à
payer et aux aumônes qui devaient être données à
la fête des fruits laquelle s'ouvrait le soir du dimanche. Le soir
il célébra le sabbat dans la synagogue.-Samedi, Jésus
Enseigne à Ono jusqu'à la clôture du sabbat.-Aujourd'hui
dimanche, commençaient les préparatifs pour la fête
de la nouvelle récolte des fruits. Cette fête s'ouvrait le
soir. Il y avait une triple fête. D'abord parce qu'aujourd'hui, la
sève montait dans les arbres, ensuite parce qu'on présentait
la dîme des fruits, et enfin on rendait des actions de grâces
pour l'abondance de la récolte. Jésus enseigna sur tout cela,
on mangea beaucoup de fruits et on donna aux pauvres des figures entières
faites avec des fruits et dressées sur les tables. Il est venu aujourd'hui
à Jésus une vingtaine de nouveaux disciples.
(12 et 13 février.) La Soeur est toujours très malade.
-Jésus à la fin de la fête quitta Ono avec vingt et
quelques disciples et se mit en route pour la Galilée.
En passant par la contrée où avait été
le champ de Jacob, il entra dans ces maisons de bergers de l'une desquelles
Joseph et Marie avaient été si durement repoussés
j lors de leur voyage à Bethléhem. Jésus avait visité
et enseigné les gens qui avaient bien accueilli ses parents : mais
il passa la nuit chez ceux de la maison inhospitalière et leur donna
des avis. La femme vivait encore : elle était malade sur sa couche
et Jésus la guérit.
Aujourd'hui, 12 février, Jésus passa par Aruma, où
il avait déjà été du 22 au 23 octobre. Jaire,
un descendant de l'Essénien Khariot, qui demeurait dans un endroit
voisin assez mal famé, je crois que c'était Phasaël,
et qui alors avait prié Jésus de guérir sa fille malade,
ce que celui-ci lui avait promis pour plus tard, avait envoyé aujourd'hui
un messager au-devant de Jésus pour lui rappeler sa promesse : sa
fille était morte. Alors Jésus laissa ses disciples continuer
seuls leur route, et leur donna rendez-vous à un lieu déterminé
où ils devaient le retrouver. Pour lui, il suivit à Phasaël
le messager de Jaïre. Lorsque Jésus entra dans la maison, on
s'apprêtait à mettre au tombeau la fille de Jaïre : elle
était déjà enveloppée de linges et de bandes
de toile, et entourée de la famille en pleurs. Jésus fit
réunir autour d'elle un plus grand nombre de gens de l'endroit,
ordonna de délier les bandes qui l'attachaient dans son linceul,
prit la morte par la main et lui commanda de se lever : alors elle se redressa
de toute sa hauteur et se leva. Elle avait environ seize ans et n'était
pas d'un bon naturel. Elle n'aimait pas son père, qui pourtant l'aimait
par-dessus tout. Elle trouvait mauvais les rapports charitables qu'il entretenait
avec des gens pauvres et méprisés. Jésus la réveilla
de la mort du corps et de l'âme : elle se corrigea et fit plus tard
partie de la communauté des saintes femmes. Jésus défendit
à tous de parler de ce miracle, et c'était pour cela qu'il
n'avait pas voulu que ses disciples y fussent présents. Ce Jaire
n'était pas le Jaïre de Capharnaum dont Jésus plus tard
ressuscita aussi la fille.
Jésus quitta ce lieu, alla vers le Jourdain qu'il traversa,.
passa au nord dans la Pérée, vint de nouveau près
de Sukkoth. sur la rive occidentale du fleuve, et se rendit à Jezraël.
Cela eut lieu le mercredi 13 février. (Jésus a donc évité
Samarie.)
La Sœur est tellement semblable à une mourante, qu'il faut lui
savoir un gré infini du peu qu'elle communique.
(14 février.) à cause de son extrême faiblesse,
elle ne dit que ce qui suit : Aujourd'hui jeudi, Jésus fut à
Jezraël ; il y enseigna et y fit plusieurs miracles en présence
d'une foule nombreuse Tous les disciples de Galilée étaient
venus là à sa rencontre :Nathanaël Khased, Nathanaël
le fiancé, Pierre, Jacques, Jean, les fils de Marie de Cléophas,
etc. Tous étaient ici. Lazare, Marthe, Séraphia (Véronique)
et Jeanne Chusa, qui étaient partis antérieurement de Jérusalem,
avaient visité Madeleine à Magdalum, et l'avaient engagée
à aller à Jezraël pour voir, si ce n'est pour entendre
cet homme merveilleux, si sage, si éloquent et si beau, ce Jésus
dont tout le pays s'occupait. Elle avait cédé aux prières
des autres femmes et les avait suivies, mais avec tout l'attirait des pompes
et des vanités mondaines. Lorsque d'une fenêtre de l'hôtellerie
elle vit Jésus s'avancer dans la rue accompagné de ses disciples,
Jésus lui lança un regard sévère, et ce regard
lui pénétra si profondément dans l'âme, et la
jeta dans une confusion et un trouble si extraordinaires, que, dominée
par le sentiment de sa misère, elle courut de l'hôtellerie
à une maison de lépreux où avaient été
aussi des femmes affligées de pertes de sang, et qui était
une espèce d'hôpital à la tête duquel était
un pharisien. Les gens de l'auberge, auxquels sa manière de vivre
était connue, disaient : "Voilà qu'elle se range parmi les
lépreux et les hémorroïsses". Mais Madeleine avait couru
à la maison des lépreux pour s'humilier, tant le regard de
Jésus l'avait ébranlée : car elle était descendue
dans une hôtellerie plus élégante que celles où
étaient les autres femmes, ce qu'elle avait fait par vanité,
pour ne pas se trouver avec tant de pauvres gens. Marthe, Lazare et les
autres femmes retournèrent avec elle à Magdalum et y célébrèrent
le sabbat suivant. Il y a là une synagogue.
(15-19 février.) Vers le soir, Jésus est arrivé
à Capharnaum pour le sabbat. Il visita sa mère auparavant.
Il enseigna ici et logea de nouveau dans la maison qui appartenait au fiancé
de Cana. Tous les disciples étaient réunis ici. Le samedi,
il enseigna jusqu'à la clôture du sabbat. On lui avait amené
de toutes les parties du pays beaucoup de malades et de possédés
: il guérit en public devant tous ses disciples, et chassa les démons
au. milieu d'une foule qui allait toujours en s'augmentant. Des envoyés
de Sidon vinrent le prier de s'y rendre. Puis il vint des gens de Césarée
de Philippe ou Panéas, qui le pressèrent vivement d'y aller
: mais il les renvoya à un autre temps. La presse devint si grande,
que le dimanche au matin il quitta Capharnaum avec quelques disciples et
s'en alla dans la montagne, à une lieue au nord de Capharnaum, entre
le lac et l'embouchure du Jourdain, dans un endroit où se trouvent
beaucoup de gorges dans lesquelles il se retira pour prier. Ce sont les
mêmes montagnes où, en revenant de la montagne de Bethanat,
il s'était arrêté avec ses disciples sur la hauteur
la plus voisine de la mer, et où il avait vu les embarcations de
Pierre et de Zébédée sur le lac.
Le soir, Jésus vint à l'habitation de sa mère,
entre Bethsaïde et Capharnaum : Lazare, Marthe et les autres femmes
de Jérusalem y étaient venus de Magdalum, pour prendre congé
et retourner à Jérusalem. Jésus les consola au sujet
de Madeleine : il dit à Marthe qu'elle se tourmentait trop : Madeleine
est très émue, cependant elle retombera encore. Elle n'avait
pas renoncé à ses parures, elle avait déclaré
que, dans sa condition, elle ne pouvait pas se vêtir aussi humblement
que les autres femmes, etc.-Aujourd'hui, dimanche soir, commençait
à Capharnaum un jour de fête relatif a la mort d'un homme
qui, en violation de la loi, avait voulu faire placer des images dans le
temple.
(18 février.) Aujourd'hui Jésus est resté quelque
temps chez sa mère, puis il est allé enseigner à Capharnaum.
On lui a encore amené là une quantité de malades dont
il a guéri plusieurs. Aujourd’hui encore, il est venu des gens pour
l'inviter à se rendre dans d'autres endroits. Il y avait ici cette
fois des pharisiens très endurcis, qui le contredisaient et lui
demandaient ce qui adviendrait de tout cela ; tout le pays, disaient-ils,
était dans l'agitation à cause de lui, maintenant qu'il enseignait
publiquement et faisait une propagande toujours croissante. Mais il leur
répondit sévèrement et leur déclara qu'il allait
prêcher et agir encore plus ouvertement.
Le soir commençait une fête commémorative de la
destruction de la tribu de Benjamin par les autres tribus, à cause
d'un crime infâme. Je vis que ce jour de fête était
observé avec une rigueur toute particulière dans la contrée
de Phasaël, où Jésus avait ressuscité la fille
de Jaïre, à Aruma, à Gabaa, etc., parce que ces événements
avaient eu lieu dans le pays. Je vis que les femmes y présentaient
certaines offrandes et prenaient une part particulière au jeune.
Dans la nuit, Nathanaël-Khased vint prendre Jésus, et ils
allèrent avec André, Pierre, les fils de Marie de Cléophas,
et ceux de Zébédée à Gennabris, séjour
de Nathanaël, où je les vis arriver le mardi matin. Nathanaël
lui avait préparé un logement. Il n'est pas entré
dans la maison de Nathanaël, qui est devant la ville et près
de laquelle ils ont passé. Nathanael le fiancé et sa femme
ont aussi été ces jours-ci à Capharnaum et à
Jezraël.
L'endroit où l'on baptisait, près d'Ono, est gardé
alternativement par des habitants de cet endroit. Jésus enseigna
à Gennabris, et y guérit des possédés tout
à fait furieux. Une route commerciale passe par cet endroit ; les
gens n'y sont pas aussi simples que ceux des bords du lac ; quoiqu'ils
n'aient pas ouvertement contredit Jésus, plusieurs ont accueilli
ses enseignements avec peu de sympathie.
Pendant que la Sœur parle ainsi, elle semble voir Gennabris et dit,
en indiquant du doigt un point éloigné : La ville est sur
une hauteur ; je puis voir huit villes dans les alentours, mais je n'en
sais pas les noms maintenant. "Outre les futurs apôtres, Jonathan,
le demi frère de Pierre, est aussi avec eux à Gennabris.
Les autres disciples s'étaient répandus à Capharnaum
et à Bethsaïde, et racontaient ce qu'ils avaient vu et entendu.
Je crois que Jésus reviendra encore une fois près de sa mère
en Galilée, et que dans une quinzaine de jours il ira dans la contrée
de Jérusalem.
(Du 20 février au 4 mars.) Aujourd'hui Jésus est allé
avec les futurs apôtres à Béthulie, qui est située
à environ trois lieues de Gennabris, à cinq de Tibériade
et à peu de distance de Jezraël. Béthulie est sur une
pente si escarpée, qu'il semble qu'elle va tomber ; il y a des restes
de murs si larges, qu'on pourrait y faire passer des chariots. Le chemin
qui mène d'ici à Nazareth passe devant le mont Thabor, dont
Béthulie n'est qu'à deux lieues au sud-est.
Nathanaël Khased a transmis à son frère ou à
un cousin l'emploi qu'il avait à Gennabris : dorénavant il
suivra le Seigneur.
Comme Jésus entrait à Béthulie, des possédés
se mirent à crier après lui. Il s'arrêta sur la place
du marche, près d'une chaire à prêcher, et il envoya
quelques-uns de ses disciples inviter le chef de la synagogue à
faire ouvrir toutes les portes de l'école il envoya d'autres disciples
de maison en maison, pour convoquer les habitants à venir l'entendre.
La synagogue avait plusieurs portes, placées entre des colonnes,
que l'on ouvrait toujours lorsqu'il y avait grande affluence de monde.
Jésus enseigna ici sur le véritable grain de froment qui
doit être mis en terre. Il occupait un logement préparé
d'avance pour lui. Les pharisiens de l'endroit ne le contredirent pas ouvertement
; toutefois ils murmuraient, et Jésus savait qu'ils s'opposaient
à ce qu'il célébrât ici le sabbat. Il dit cela
à ses disciples, ajoutant qu'il voulait aller pour le sabbat, à
deux lieues plus loin, vers le nord-ouest, dans la direction du Thabor,
dans un endroit dont le nom m'échappe en ce moment, mais où
l’on teignait de la soie dont on faisait des franges et des houppes.
Béthulie est bien la ville devant laquelle Judith coupa la tête
à Holopherne, qui en faisait le siège. C'est une histoire
véritable dont j'ai vu toute la suite. Jésus y guérit.
Tous les disciples restés en arrière s'étaient de
nouveau retrouvés ensemble ici.
(21 février.) Ce matin, Jésus avait quitté Béthulie
à cause des murmures des pharisiens ; il enseigna en plein air,
assis sur une chaire en pierre, à environ un quart de lieue en avant
de la ville. Il y avait là tout autour des murs en ruines, et cet
endroit semble avoir été compris autrefois dans l'enceinte
de la ville. Vers trois heures de l'après-midi, Jésus alla
à Kisloth, qui est située au pied du Thabor, à environ
trois lieues d'ici, et où André et d'autres disciples étaient
allés d'avance pour retenir l'hôtellerie qui est devant la
ville. Il s'était rassemblé là une grande multitude
de personnes de tous les environs.
Je vis arriver plusieurs bergers avec leurs bâtons ; il y avait
aussi des marchands de Sidon et de Tyr qui étaient là de
passage. Les miracles et la doctrine de Jésus-Christ étaient
déjà connus dans tout le pays. On accourait en foule dans
les lieux où il enseignait, et lorsqu'on avait su qu'il devait célébrer
le sabbat ici, tout ce qui était en chemin s'y était rendu.
Là où il paraissait, il se faisait toujours un grand
mouvement : on l'appelait à haute voix, on se prosternait devant
lui, on se pressait en foule pour le toucher, et c'est pourquoi, la plupart
du temps il paraissait et disparaissait inopinément pour éviter
la presse. Souvent il se séparait de ses disciples sur la roule,
les envoyait par d'autres chemins et allait seul. Dans les villes et les
bourgs, il fallait souvent lui faire faire place dans la foule. Toutefois,
il permettait à quelques-uns de l'approcher et de le toucher, et
plus d'un était par là intérieurement ému,
converti ou guéri.
Vers le soir, Jésus se rendit dans l'hôtellerie que les
disciples avaient retenue pour lui devant Kisloth Thabor, qu’il avait été
déjà deux fois. Kisloth peut être à sept lieues
de Nazareth par le chemin ordinaire, et à cinq lieues en droite
ligne. Comme les chemins, dans ce pays, suivent les contours des vallées,
et que les habitants mesurent la distance tantôt par le chemin fréquenté,
tantôt par la vue à vol d'oiseau qu’on a du haut des montagnes,
il est rare que leurs estimations s'accordent ensemble. Il y a une quantité
incroyable de lieux habités dans la Galilée ; cependant en
ne peut ordinairement en voir que quelques-uns des points élevés.
Kisloth-Thabor est principalement une ville de commerce : il y a plusieurs
riches marchands et beaucoup de pauvres gens. Il s'y trouve beaucoup d'ateliers
où l'on teint de la Soie brute dont on fait des franges et des houppes
pour les vêtements des prêtres. Ces ateliers de teinture étaient
autrefois, pour la plupart, à Tyr, sur le bord de la mer ; mais
à présent un grand nombre se sont transportés ici.
Les riches marchands emploient les pauvres gens dans les fabriques.
Devant l'hôtellerie, les disciples avaient formé une enceinte
avec de grosses cordes attachées à des pieux pour empêcher
l'invasion de la foule. Ce fut là que Jésus enseigna ; et
comme il y avait dans son auditoire de riches marchands de la ville, il
parla des richesses et des dangers de la cupidité : il leur dit
que leur état était encore plus dangereux que celui des publicains,
qui se convertissaient plutôt qu'eux ; et a ce propos, montrant du
doigt les cordes qui le séparaient de la foule : une corde semblable,
leur dit-il, entrera plus facilement dans le trou d’une aiguille qu'un
riche dans le royaume des cieux. "Ces cordes, de poil de chameau, étaient
presque grosses comme le bras, et on les avait tendues sur les pieux en
les entrelaçant quatre fois les unes dans les autres. Ces riches
auditeurs alléguèrent pour leur justification qu'ils laissaient
des aumônes sur leur gain : mais Jésus leur répondit
que l'aumône prise sur les sueurs d'autres pauvres ne leur apportait
pas de bénédiction. Cette instruction ne fut pas agréable
à ces gens.
(22 février.) Kisloth était une ville de lévites,
cédée par la tribu de Zabulon aux lévites de la race
de Mérari. L'école la plus renommée de tout le pays
se trouvait ici ; elle était très grande, et tout s'y faisait
d'une façon très solennelle. Lorsque Jésus enseignait
dans les synagogues les jours de sabbat, les prêtres du lieu l'assistaient,
lui présentaient les rouleaux d'écriture ou lisaient eux-mêmes
les textes qu'il leur indiquait. Il interrogeait et enseignait sur ces
textes. On chantait aussi, mais non pas à la manière des
pharisiens. J'entendais sa voix, dont le son se distinguait agréablement
au milieu des autres ; je ne me souviens pas de l'avoir entendu chanter
seul. Jésus enseigna le matin dans l'école. André
instruisit les enfants devant l'école dans des salles qui y étaient
attenantes, et il raconta à une foule d'étrangers qui se
pressaient autour de lui ce qu'il avait vu et entendu, de Jésus.
Jésus enseigna sur l'orgueil et la présomption. Il ne fit
pas de guérisons ici aujourd'hui, parce que, disait-il, ils s'enorgueillissaient
de ce qu'il prêchait dans leur ville, se croyant meilleurs que les
autres, et s'imaginant qu'il était venu chez eux pour ce motif,
au lieu de reconnaître qu'il venait à eux à cause de
leurs misères, pour qu'ils s'humiliassent et se corrigeassent.
Après l'instruction, il se tint devant la synagogue dans une
cour antérieure entourée de petites cellules qui dépendaient
de la synagogue, et qui ressemblent à des corps-de-garde. Il guérit
ici plusieurs enfants affligés de convulsions et d'autres maladies,
que leurs mères lui apportaient. Il les guérit à cause
de leur innocence. Il guérit aussi plusieurs femmes qui s'humilièrent
devant lui et lui dirent : Seigneur, prenez connaissance de mes fautes
et de mes péchés. Elles se prosternaient devant lui et s'accusaient.
Il y en avait parmi elles qui étaient affligées de pertes
de sang, et d'autres qui étaient tourmentées de mauvais désirs,
et demandaient à être délivrées de leurs tentations.
Le soir il célébra le sabbat dans l'école et mangea
à l'hôtellerie. Ses futurs apôtres et ses plus intimes
amis étaient avec lui à la même table ; les disciples
étaient placés ailleurs ou servaient.
(23 février.) Jésus aujourd’hui a célébré
le sabbat dans la synagogue et guéri beaucoup de malades devant
cet édifice : il alla aussi dans les maisons pour en guérir
plusieurs qu'on ne pouvait pas transporter. Les disciples l'aidaient dans
tout cela : ils apportaient les malades, les conduisaient, leur faisaient
faire place, donnaient des ordres et envoyaient des messages Tous les frais
des voyages et les aumônes sont jusqu'à présent fournis
par Lazare ; Obed, le fils de Siméon, tenait les comptes : Les petites
maisons qui sont dans le vestibule de la synagogue, et dont je parlais
hier, sont de petites cellules, où les femmes s'entretenaient seules
avec Jésus, séparées de lui par un grillage. Du reste,
c'était l'usage que des pécheresses, des pénitentes
ou des femmes impures, vinssent dans ces cellules chercher des consolations
auprès des prêtres.-Plus haut, sur la montagne du Thabor,
il n'y a pas de villes, mais des retranchements des murs et comme une forteresse
où plus d'une fois des gens de guerre se sont tenus. Le soir d'après
le sabbat, Jésus est allé avec ses futurs apôtres prendre
son repas chez un pharisien que son enseignement avait beaucoup touché
et qui était devenu bon.
(21 février.) Le dimanche, Jésus a assisté avec
ses disciples à un grand repas, donné en son honneur par
les principaux de la ville, dans la maison publique où se donnent
les fêtes. Il y a enseigné, et le même soir il q quitté
la ville pour aller à Jezraël, qui n'est guère qu'à
trois lieues de là.
(25 février). Ici, à Jezraël, ses parents et les
disciples de Bethsaide, même André et Nathanaël, se sont
séparés de lui pour retourner chez eux. Il leur dit en quel
endroit ils devaient se retrouver. une quinzaine de disciples plus jeunes
sont restés près de lui. Il enseigna et guérit ici.
Il y a ici diverses écoles ecclésiastiques et laïques.
C'est un endroit considérable. Il a enseigné entre autres
choses sur la vigne de Naboth.
(26 février.) Jésus n'est plus à Jezraël,
mais peut-être qu'il doit y revenir, car je ne le vois qu'à
une lieue et demie de là, à l'est, dans une plaine ou une
vallée longue de deux lieues et large aussi de deux lieues. Il y
a beaucoup de jardins fruitiers avec des rebords (des terrassements). C'est
une vallée extrêmement agréable et fertile : je ne
connaissais pas encore cet endroit. Ce sont pour la plupart les habitants
de Kisloth-Thabor et de Jezrael, qui sont propriétaires de ces vergers.
Il y a beaucoup de tentes, elles sont placées par intervalles deux
par deux et sont habitées par des gens de Sichar, qui gardent les
fruits et les récoltent. Je crois qu'ils sont obligés de
faire cela comme une espèce de corvée Ils se relèvent
: il y en a environ quatre par tente. Les femmes habitent ensemble, à
part des hommes, et font la cuisine pour eux. Jésus enseigna sous
une tente. Il y a aussi de bien belles fontaines et des sources d'eau vive
qui se perdent dans le Jourdain. La source principale venait de J Jezraël
et était recueillie ici dans une belle fontaine au-dessus de laquelle
était bâtie une espèce de chapelle. La source se distribue
à partir de ce réservoir dans diverses autres fontaines placées
dans la vallée où d'autres eaux s'unissent avec elle et toutes
finissent par se jeter dans le Jourdain. Il y avait ici une trentaine de
gardiens que Jésus enseigna : les femmes se tenaient à quelque
distance. Il parla de l'esclavage du péché dont ils avaient
à se délivrer. Ils étaient tout joyeux et tout émus
de ce qu'il était Venu à eux, Il était si bienveillant
et si affable pour ces pauvres gens que moi-même je ne pas m’empêcher
de pleurer. Ils lui offrirent des fruits dont lui et ses disciples mangèrent.
Ici dans quelques endroits il y a déjà des fruits mûrs,
dans d'autres les arbres sont en fleur. On voit là des fruits de
couleur brune, semblables à des figues, mais qui forment des grappes
et aussi des plantes jaunes dont on fait une espèce de bouillie.
(Elle les décrivit comme du maïs, les fruits bruns comme des
dattes ; elle parla aussi de dourra et de plusieurs herbes qu'on mange
comme en salade ; elle représenta cette contrée au midi de
Jezraël comme un jardin plantureux).
Jésus a passé dans la soirée par un quartier de
Jezraël et il est allé jusqu'à Sunem, ville ouverte
bâtie sur une colline.
(27 février.) Elle dit une autre fois que Jésus était
allé avec ses disciples à Sunem dans la soirée du
26. Sunem est à trois lieues au nord-est de Jezraël, sur une
hauteur, et n'est pas entourée de murs. Quelques disciples l'y avaient
précédé pour lui retenir un loge ment dans une hôtellerie
à l’entrée de la ville. La vallée de jardins d'où
il venait est au midi de Jezrael. Il passa par un quartier de Jezraël,
sans être remarqué, puis il se dirigea au nord-est vers Sunem.
Près de cette ville, dans un rayon de deux lieues, se trouvent deux
autres villes près d'une desquelles Jésus avait passé
en se rendant de Kisloth-Thabor à Jezraël. Elle croit que l'une
de ces deux villes pourrait être Béthulie. Elle dit que Jésus
aurait pu prendre une autre route plus à droite et donne divers
détails topographiques, comme quelqu'un qui ayant le chemin sous
les yeux, en donne une description sommaire, et que l'auditeur ne peut
pas bien comprendre parce qu'il ne connaît pas les lieux et ne les
voit pas.
Les gens de Sunem gagnaient autrefois leur vie à tisser. Ils
tissaient avec de la soie tordue des bandes étroites pour servir
de bordures, les unes unies, les autres avec des fleurs. Ce lieu n'est
pas situé dans la vallée d'Esdrelon, mais plus dans la montagne.
Il y avait ici une foule excessivement nombreuse autour de Jésus
: elle allait toujours croissant ; on le serrait de tous côtés,
les gens se prosternaient, criaient, pleuraient, l’acclamaient comme le
nouveau prophète, comme l'envoyé de Dieu. Plusieurs avaient
de bons sentiments ; d'autres étaient poussés par la curiosité
et aimaient à faire du bruit. La presse est si grande que c'est
presque comme une émeute, et comme le mouvement va toujours croissant
dans cette partie de la Galilée, il se retirera bientôt. C'est
de cet endroit qu'était la belle Abigaïl que David prit avec
lui dans sa vieillesse. Elisée avait aussi un logement ici : il
y venait souvent et il y ressuscita l'enfant de son hôtesse. Il y
a dans cette ville une hôtellerie où certains voyageurs sont
hébergés gratuitement : c'est une fondation en mémoire
d’Élisée : je ne sais plus si c'est dans la maison même
du prophète ou à la place qu'elle occupait.
Jésus enseigna dans l'école et il alla dans plusieurs
maisons pour consoler et guérir des malades. Les maisons étaient
un peu disséminées autour d'une hauteur : cette hauteur s'élevait
au milieu, dominant la ville, on y montait par un chemin sur lequel les
habitations étaient plus petites et de moindre apparence. Au haut
il n'y avait que des cabanes. Sur le sommet était une place découverte
avec une chaire, toutefois on était garanti contre le soleil par
une toile tendue sur des pieux.
(28 février.) Le matin vers dix heures, elle raconta une partie
de ce qui précède et ajouta : J'ai vu ce matin Jésus
prendre avec les disciples le chemin qui conduit à l'endroit où
est la chaire. Il y a dans la ville un concours tumultueux extrêmement
incommode. On a amené une grande quantité de malades et on
les a placés sur leurs civières le long du chemin qui mène
au haut de la montagne. Jésus y est monté à travers
la presse et les cris, et il a opéré beaucoup de guérisons.
Le peuple est monté sur les toits pour le voir et l'entendre. De
la sommité où est la chaire on a une belle vue sur le Thabor.
Jésus, ici aussi, a prêché très énergiquement
contre l'orgueil et la jactance des habitants, lesquels au lieu de se convertir,
de faire pénitence et de garder les commandements de Dieu, poussent
de vaines clameurs et ne parlent que de prophètes et d'envoyés
de Dieu venus à eux pour les visiter, s'en faisant gloire et l'attribuant
à leurs mérites ; quant à lui, il est venu pour leur
faire confesser leurs péchés, etc.
Voici ce qu'elle raconta le matin suivant : Vers trois heures de l'après-midi,
Jésus alla au nord-est à environ trois lieues d'ici dans
une ville plus grande et plus peuplée que Sunem : elle ne paraissait
pas si ancienne, les maisons étaient plus complètes et plus
liées ensemble. La ville avait de larges murailles sur lesquelles
croissaient des arbres : j'ai une idée confuse qu'elle s'appelle
Ulama, elle est à cinq lieues environ à l'est du Thabor,
et Arbela est située à environ deux lieues plus au nord.
Il y a ici dans la montagne des chemins raboteux avec des cailloux blancs
pointus et à cause de cela on fabrique dans cet endroit beaucoup
de semelles pour attacher sous les pieds.
(1er mars.) Cette ville s'appelle en effet Ulama : elle est sur une
montagne entourée d'autres montagnes et dans une contrée
impraticable. Toutefois les montagnes sont entièrement couvertes
de vignes jusqu'au sommet. J'ai aussi remarqué ici des végétaux
de la hauteur d'un arbre, très entortillés, avec des branches
grosses comme le bras. Ils ont de gros fruits en forme de poires, qui ressemblent
à des courges, et dont on fait des gourdes. (Probablement une grosse
espèce de calebasse qu'elle ne connaît pas, car elle dit à
ce propos que ce n'est pas du vrai bois.) Cette ville ne parait pas aussi
ancienne que d'autres : on dirait même qu'elle n'est pas tout à
fait achevée. Les habitants n'avaient pas l'ancienne simplicité
israélite, ils prétendaient être plus habiles et plus
fins : il semblait que des Romains ou quelque autre peuple avaient demeuré
autrefois ici. Il y eut encore une grande affluence dans cet endroit, parce
que Jésus voulait y célébrer le sabbat. Plusieurs
disciples s'étaient réunis à lui, entre autres Jonathan,
le demi frère de Pierre et les fils des trois veuves ; il y en avait
une vingtaine. Pierre vint aussi ainsi qu'André, Jean, Jacques le
Mineur, Nathanaël Khased et Nathanaël le fiancé. Jésus
les avait mandés pour qu'ils fussent présents à ses
instructions et l'assistassent dans ses guérisons à cause
de la grande turbulence de la foule. Le peuple avait pris ses mesures pour
savoir par quel chemin il viendrait et il se porta à sa rencontre.
Ils portaient des branches d'arbres, jonchaient la terre de feuillage et
avaient de longues bandes d'étoffes qu'ils plaçaient en travers
sur la route afin qu'il marchât dessus, et tous criaient au prophète.
Il y avait des gens chargés de maintenir le bon ordre. Il se trouvait
dans cette ville beaucoup de possédés qui criaient de toutes
leurs forces derrière lui et proclamaient à haute voix qui
il était. Il leur commanda de se taire Dans l'hôtellerie même,
il ne put trouver de tranquillité : les possédés y
couraient, faisaient grand bruit et criaient. Mais il leur imposa silence
et les fit emmener.
Il y avait ici trois écoles, une de docteurs de la loi, une
pour la jeunesse, et enfin la synagogue. Jésus alla le vendredi
dans différentes maisons où il guérit et donna des
consolations ; il enseigna dans l'école : il parla spécialement
de la simplicité et du respect pour les parents, car c'étaient
deux choses qu'on ne trouvait pas ici, et il les gourmanda de nouveau à
cause de leur orgueil, parce qu'ils se faisaient gloire de ce que le prophète
s'était levé au milieu d'eux, ce qui ne les empêchait
pas de perdre en vanteries frivoles le temps de la pénitence et
de l'exhortation.
(2 mars.) Le samedi il célébra le sabbat à Ulama.
Après la clôture du sabbat, les principaux de la ville lui
donnèrent un repas. Demain, qui est le 5è du mois d'adar,
Jésus guérira beaucoup de gens en public. Les apôtres
et les disciples qui étaient allés chez eux, avaient fait
seulement une visite à leurs familles ; ils étaient tous
dans le voisinage, et pendant ce temps avaient été en rapport
avec Marie, à laquelle les femmes de leur côté s'attachaient
de plus en plus étroitement.
Jean Baptiste se trouvait toujours au même endroit : le nombre
de ses adhérents ne cessait de diminuer ; Hérode venait et
envoyait souvent vers lui.
(3 mars) Ulama peut être à cinq lieues à l'est
de Séphoris. Aujourd'hui dimanche matin, vers neuf heures, Jésus
est allé avec ses disciples à un quart de lieue de la ville,
à un endroit où se trouve j au penchant d'une montagne, une
sorte de lieu de plaisance où l'on prend des bains. Cet endroit
est à peu près grand comme le cimetière de Dulmen
: il est entouré de salles et de bâtiments ; il y a là
une belle fontaine et une chaire. Il y avait donné rendez-vous aux
nombreux malades qui se trouvaient dans la ville, car à cause de
la presse, il n'y avait pas guéri. Les disciples de Jésus
s'employaient à maintenir l'ordre, et les malades étaient
couchés sur des civières dans des salles et sous des tentes.
Il était venu à leur suite tant de gens de la ville, qu'il
n'y avait pas place pour tout le monde : les préposés et
les prêtres maintenaient l'ordre. Jésus guérit beaucoup
de ces malades en allant de l'un à l'autre. Quand je dis beaucoup,
je veux dire ordinairement une trentaine : quand je dis quelques-uns ou
plusieurs, je veux dire environ une dizaine. Il prêcha ensuite sur
la mort de Moïse, en mémoire de laquelle on allait avoir un
jour de jeûne ; il parla de la Terre promise et de sa fertilité,
disant que cela ne devait pas s'entendre seulement de la nourriture des
corps, mais de celle des âmes, qu'elle est aussi féconde en
prophètes et en oracles de Dieu, et que son fruit est le salut promis
par le Seigneur, et la pénitence chez ceux qui veulent la recevoir.
Je le vis après cette instruction aller encore dans un autre édifice
voisin, où on lui amena les possédés. Ils firent grand
bruit et poussèrent des cris lorsqu'il arriva : c'étaient
pour la plupart des jeunes gens ou même des enfants. Il les fit mettre
en rang, leur recommanda d'être tranquilles, et tous furent délivrés
par ce commandement. Quelques-uns tombèrent alors comme en défaillance.
Leurs familles étaient présentes : il exhorta et donna aussi
des avis à cette occasion.
Elle dit en outre que le jour de jeûne en mémoire de la
mort de Moïse, était le mardi, 7 adar. Je vis dès le
dimanche soir mettre dans le fournil sous la cendre, comme d'ordinaire,
les aliments préparés pour le mardi. Ces jours-là
(les jours de jeûne), on mangeait une espèce particulière
de pain. Lundi, 6 adar. Ce matin je vis encore faire des préparatifs
pour le jeûne du lendemain ; Jésus avait encore aujourd'hui
enseigné dans la synagogue ; vers midi, après avoir fait
partir ses disciples d'avance, il sortit de la ville sans qu'on le vît.
Il savait prendre ses mesures pour cela. Ils allèrent à Capharnaum
sans entrer dans les villes qui étaient sur les routes. Il veut
quitter la Galilée à cause du grand bruit qu'il y excite.
Je le vis sur le chemin instruire parfois ses disciples, pendant qu'ils
se reposaient ou se tenaient autour de lui.
(5 mars.) Jésus arriva le matin chez sa mère avec ses
disciples ; ils avaient marché pendant la nuit. La femme et la soeur
de Pierre étaient là, ainsi que la fiancée de Cana
et d'autres femmes. La maison qu'habite Marie n'a rien de particulier :
elle est fort spacieuse. Elle n'y est pas seule, les veuves demeurent tout
près, et les femmes de Bethsaide et de Capharnaum, entre lesquelles
ces maisons sont situées, sont fréquemment chez elle : il
y vient aussi souvent des disciples. Je vis qu'elles célébraient
là le jour de jeûne ; on portait le deuil, et les femmes étaient
voilées. Jésus enseigna dans l'école de Capharnaum,
où se rendirent aussi les disciples et les saintes femmes. Capharnaum
est située en droite ligne de l'autre côté de la montagne,
à environ une lieue du bord de la mer de Galilée, et dans
la direction de la vallée qui passe par Bethsaide, a deux lieues
plus au midi. à une bonne demi lieue de Capharnaum, sur le chemin
de Bethsaide, sont des maisons dans l'une desquelles habite la sainte Vierge.
De Capharnaum part une belle source qui coule vers le lac ; elle se partage
en plusieurs bras près de Bethsaide et fertilise le pays. Marie
ne tient pas de maison, elle n'a pas de troupeaux, ni de terres. Elle vit
en veuve, de ce que lui donnent ses amis ; ses occupations consistent à
filer, à coudre, à travailler avec de petites baguettes,
à prier, à consoler et à instruire d'autres femmes.
Jésus était seul ce jour-là, lorsqu'il arriva chez
elle. Elle pleurait en pensant aux dangers qui le menaçaient, à
cause du grand éclat que sa prédication et ses miracles faisaient
dans le pays : car tous les murmures, tous les mauvais propos de ceux qui
n'osaient pas parler à Jésus en face, arrivaient à
elle. Il lui dit que son temps était venu, qu'il voulait quitter
ce pays et se rendre en Judée, où, après la fête
de Pâques, on se scandaliserait encore davantage à son sujet.
Ce soir commençait à Capharnaum une fête d'actions
de grâces pour la pluie : la synagogue était parée
et on y faisait sur le toit une singulière musique.
(6 mars.) Hier soir et ce matin je vis à Capharnaum qu'on parait
la synagogue et d'autres édifices publics pour une fête avec
toute espèce de pyramides de feuillage, et que sur le toit de la
synagogue et d'autres grandes maisons où il y avait des galeries,
on jouait d'un singulier instrument à vent. C'étaient les
serviteurs de la synagogue qui en jouaient des gens qui sont comme les
sacristains chez nous D'abord je ne voulais pas en parler parce que je
craignais que cela ne me fatiguât beaucoup. Cet instrument a l'aspect
d'une outre de quatre pieds de longueur à laquelle sont fixes des
tuyaux de couleur brune et des embouchures de trompettes qui lorsque l'outre
n'est pas gonflée, sont couchées tout contre : mais lorsqu'elle
est remplie d'air par un homme qui souffle dans une embouchure, deux autres
hommes placés près de lui la tiennent élevée
; ceux-ci travaillent aussi à y faire entrer de l'air avec des soufflets,
et en ouvrant et fermant différents trous, ils tirent des tuyaux
qui se dressent dans plusieurs directions un son éclatant, qui donne
plusieurs notes à la fois. (Cet instrument fait donc l'effet d'une
énorme cornemuse qui exige le concours de plusieurs personnes.)
Ceux qui se tiennent à côté ont aussi plusieurs fois
soufflé dedans.- Il y a eu aujourd'hui une fête où
l'on a rendu des actions de grâces pour la pluie déjà
accordée et où l'on en a demandé encore. Jésus
a fait dans la synagogue une très touchante instruction sur la pluie
et la sécheresse. Il y a parlé d'Elie, raconté comment
il avait fait sur le Carmel des prières pour la pluie et interrogé
six fois son serviteur, et comment la septième fois il avait vu
s'élever une petite nuée sur la mer (une autre fois elle
dit au lieu de la mer, sur le lac de Génésareth), comment
cette nuée avait été toujours grandissant et avait
enfin rafraîchi toute la contrée, et comment Elie ensuite
avait parcouru le pays. Il expliqua que l'interrogation d'Elie répétée
sept fois désignait des époques jusqu'à l'accomplissement
de la promesse : il représenta la nuée comme une figure symbolique
des temps présents, et la pluie comme l'arrivée du Messie
dont l'enseignement devait se propager et tout rafraîchir. Qui avait
soif devait boire, et qui avait préparé son champ devait
recevoir la pluie. Il dit tout cela d'une façon si touchante et
si admirable, que tous les auditeurs versèrent des larmes. Marie
aussi pleura ainsi que les saintes femmes. Moi aussi je ne pus m'empêcher
de pleurer. Les habitants de Capharnaum sont à présent très
bien disposés. Il y a trois prêtres attachés à
la synagogue, et Jésus avec ses disciples les plus intimes prend
souvent ses repas dans une maison voisine de la synagogue où habitent
ces prêtres, et où l'on donne l'hospitalité gratuitement
aux docteurs qui enseignent dans la synagogue.
Hier au soir et ce matin on y a joué encore de ce singulier
instrument. Encore aujourd'hui on a célébré la fête,
mais seulement les enfants et les jeunes gens qui se sont livrés
à des divertissements. Hier soir, Jésus avait congédié
les disciples qui étaient de sa famille et ceux de Bethsaïde,
parce qu'il voulait ce matin quitter ce pays et se diriger vers la Judée.
Il n'alla avec lui qu'une douzaine de disciples qui étaient de Nazareth
et de Jérusalem ou qui avaient été disciples de Jean.
(7-9 mars.) Je le vis aujourd'hui s'éloigner de Capharnaum dans
la direction du sud-est, comme s'il eût voulu aller entre Cana et
Séphoris. Marie et huit autres des saintes femmes lui firent la
conduite. Il y avait là Marie de Cléophas, les trois veuves,
la fiancée de Cana et la soeur de Pierre : je ne me souviens pas
des autres.-Les saintes femmes allèrent jusqu'à une petite
ville où ils prirent un repas ensemble, après quoi elles
prirent congé. Ici dans le voisinage était le puits dans
lequel Joseph fut renfermé par ses frères : l'endroit s'appelle
Dothaïm. Il y a un autre Dothaïm beaucoup plus grand, dans la
plaine d'Esdrelon, à environ cinq lieues au nord de Samarie. Dothaïm
est un petit endroit où les habitants vivaient pour la plupart du
gain que leur procuraient les commerçants qui passaient par là.
Il est situé à l’extrémité d'une vallée
peu considérable qui peut nourrir environ quatre-vingts têtes
de bétail à l'autre extrémité est le grand
édifice où Jésus une fois fit tenir tranquilles tant
de possédés : cette fois il n'y alla pas L'endroit est à
une lieue et demie au nord-est de Séphoris, et à quatre ou
cinq lieues du mont Thabor.
Les disciples étaient allés en avant pour préparer
les logements. Environ huit personnes, parmi lesquelles étaient
des prêtres, vinrent à la rencontre de Jésus et des
saintes femmes et les conduisirent dans une salle ouverte où personne
ne logeait et où tout était déjà préparé
pour le repas. Pour lui faire honneur, ils étendirent devant l'entrée
un tapis sur lequel il devait marcher. Ils lui lavèrent aussi les
pieds. Les femmes mangèrent séparément derrière
le foyer, Jésus et les disciples se mirent à table : on ne
mangea que des aliments froids, du miel et des petits pains, des herbes
vertes que l'on trempait et des fruits : on but de l'eau mélangée
avec du baume. On lui en donna des flacons à emporter ainsi qu'aux
femmes. Les prêtres de la ville le servirent de tout avec beaucoup
de charité et d'humilité, et Jésus parla de Joseph,
qui avait été vendu ici par ses frères. C'était
un spectacle singulièrement touchant. Je ne pus m'empêcher
de pleurer : c'est quelque chose de si étonnant pour moi, je vois
tout cela si près de moi ; je voudrais toujours entrer, et je ne
puis pas ; je voudrais faire ceci et cela, et je ne le puis. Les saintes
femmes, aussitôt après le repas, se mirent en route pour revenir.
Jésus prit sa more à part pour prendre congé d'elle,
puis il salua les autres. Je le vois embrasser sa mère quand ils
sont seuls, lorsqu'il la quitte ou la revoit : autrement il lui donne la
main ou s'incline amicalement.
Marie pleurait. Elle a encore l'air très jeune, mais elle est
maigre et grande : elle a le front très élevé, le
nez un peu allongé, de très grands yeux modestement baissés,
une belle bouche vermeille, un beau teint brun avec des joues colorées.
Jésus resta encore quelque temps à enseigner dans l'hôtellerie.
Les hommes qui n'avaient voulu rien recevoir pour le repas, l’accompagnèrent
jusqu'au puits de Joseph, qui est dans la vallée, à une demi
lieue environ de la ville. Ce puits n'est plus maintenant comme il était
autrefois, lorsqu'on y descendit Joseph : je crois me souvenir qu'alors
ce n'était qu'une excavation vide, avec de l'herbe sur les bords.
Maintenant c'était un réservoir carré, spacieux comme
un petit étang, et on avait élevé au-dessus un toit
supporté par des colonnes. Il était plein d'eau, et on y
conservait beaucoup de poissons. Je vis des poissons qui n'avaient pas
la tête pointue comme les nôtres, mais relevée d'une
façon très singulière : ils n'étaient pas aussi
grands que ceux de la même espèce qu'on trouvait dans la mer
de Galilée. On ne voyait pas par où l'eau arrivait. Il y
avait une enceinte autour du bâtiment, et des gens chargés
de la surveillance habitaient auprès Jésus alla près
du puits avec ses disciples : il avait raconté en marchant toutes
sortes de choses sur Joseph et ses frères, et il enseigna encore
à ce sujet au bord du puits. Je vis qu'il bénit le puits
avant de le quitter. Alors les gens de Dothaïm s'en retournèrent,
et Jésus alla avec ses disciples une lieue plus loin, à Séphoris,
où il entra chez les fils d'une soeur de sainte Anne. (La narratrice
peut à peine parler à cause d'un violent accès de
toux.)
Séphoris est située sur une montagne entourée
d'autres montagnes. La ville n'est pas très grande, toutefois plus
grande que Capharnaum. Il y a à l'entour beaucoup de métairies
isolées qui en dépendent. Jésus ne fut pas accueilli
avec beaucoup d'égards par les docteurs de la synagogue : il y avait
aussi dans la ville beaucoup de méchantes gens, et j'entendis ça
et là de mauvais propos sur ce qu'il menait une vie vagabonde et
ne restait pas près de sa mère. Il n'opéra pas de
guérisons ici et resta fort sur la réserve : cependant, le
soir du sabbat, il enseigna dans la synagogue. Aujourd'hui, il ne logea
pas chez ses cousins, mais dans le voisinage de la synagogue.
(Samedi) Aujourd'hui, jour du sabbat, Jésus enseigna dans la
synagogue. Il avait, en outre, visité séparément plusieurs
personnes et plusieurs ménages, spécialement des Esséniens
: il avait exhorté et consolé ceux-ci, parce qu'il y a ici
beaucoup de méchantes gens qui les raillent et les calomnient à
cause de leur affection pour lui il a aussi dit, dans les métairies
circonvoisines, à plusieurs d'entre eux ainsi qu'à ses cousins,
de ne pas le suivre quant à présent, mais de rester ses amis
dans le secret et de faire le bien, jusqu'à ce que sa carrière
soit achevée Ses parents faisaient ici beaucoup de bien, et assistaient
notamment la sainte Vierge à laquelle ils envoyaient beaucoup de
choses. Je l'ai vu s'entretenir avec plusieurs familles d'une façon
si affable et si cordiale, que je ne puis l'exprimer comme il faudrait.
Ses manières affectueuses me touchaient jusqu'aux larmes. Il y eut
cette nuit dans la Terre promise un terrible orage comme il y en a un ici
à présent, et je vis Jésus prier avec plusieurs autres
personnes. Il pria les bras étendus pour détourner le danger
J’eus de là une vue sur la mer de Galilée, et j'y vis une
grande tempête : les barques de Pierre, d'André et de Zébédée
étaient en grand péril. Je vis les apôtres dormir tranquillement
à Bethsaide : il n'y avait que des serviteurs sur les barques. Mais
pendant que Jésus était en prière, je le vis aussi
apparaître là sur les barques, tantôt sur l'une, tantôt
sur l'autre, tantôt sur le lac. Il semblait qu'il travaillât,
qu'il retînt, qu'il détournât. Il n'était pas
là en personne, car je ne l'y vis pas aller : il était un
peu plus haut que les mariniers en détresse, il planait sur eux.
Ces gens ne le voyaient pas, c'était son esprit qui agissait dans
la prière ; il portait secours sans que personne le sût. Peut-être
que les marins avaient eu foi en lui et l'avaient invoqué. Au commencement,
je n'ai pas bien compris cette vision. -Excitée par cette contemplation
des secours donnés par la prière de Jésus, elle aussi,
pendant ces nuits où il y eut de furieuses tempêtes, pria
longtemps les bras étendus, et se sentit tout épuisée
par l'effort qu'elle avait fait. Elle raconta qu'elle avait vu sur la mer
plusieurs navires dans la dernière détresse ; qu'elle avait
alors supplié tous les anges et tous les saints de suivre l'exemple
de Jésus et de leur venir en aide, et qu'elle avait cru aussi porter
secours à ces navires en compagnie de plusieurs esprits bienheureux.
(10-17 mars.) (La narratrice continue à être très
malade.) Jésus, aujourd'hui jusqu'à midi, a été
à Séphoris et dans les habitations d'alentour : après
midi, faisant un détour pour visiter plusieurs métairies
isolées où il a partout donné des consolations et
des enseignements, il est allé à Nazareth, qui n'est qu'à
deux lieues de Séphoris. Il avait parmi les disciples qui étaient
en ce moment près de lui, deux ou peut-être trois jeunes gens,
fils de veuves d'Esséniens. Il est entré dans la ville chez
des gens connus qui donnaient l'hospitalité, et il a visité
sans bruit plusieurs braves gens. Il vint à lui des pharisiens,
extérieurement doux et modestes, quoique malveillants au fond. Ils
lui demandèrent ce qu'il se proposait, et pourquoi il ne restait
pas avec sa mère. Il leur répondit d'un ton grave et sévère.
Tout le monde s'occupe ici à prendre ses dispositions pour un jour
de jeûne en mémoire d'Esther, qui commence ce soir, et à
faire des préparatifs pour la fête des Purim qui suit immédiatement.
Jésus avait enseigné le soir dans la synagogue. Dans la nuit,
je l'ai vu de nouveau prier les bras étendus, et apparaître
encore sur la mer de Galilée pendant un orage : cette fois la détresse
était beaucoup plus grande, et plusieurs autres navires étaient
en danger. Je vis Jésus mettre la main au gouvernait sans que le
pilote le vît.
(11 mars.) Aujourd'hui, à Nazareth, tout le monde jeûnait
et faisait pénitence. Les trois riches jeunes gens de cette ville,
qui précédemment déjà avaient inutilement fait
des instances à Jésus, vinrent le trouver encore dans la
matinée pour lui demander de les prendre pour disciples : ils se
sont presque mis à genoux devant lui : mais il les a refusés,
et leur a indiqué certaines choses à faire, après
lesquelles ils pourraient venir à lui. Il savait bien qu’ils avaient
des vues purement humaines, parce que leur intelligence ne s'élevait
pas plus haut. Ils voulaient le suivre comme un philosophe et un savant
rabbin. afin de faire honneur ensuite à la ville de Nazareth par
la grande science qu'ils auraient acquise : peut-être aussi trouvaient-ils
mauvais qu'il prît avec lui des enfants de pauvres gens de Nazareth
et non pas eux.
Je vis Jésus enseigner encore aujourd'hui dans la synagogue.
Le soir, avec le commencement du 14 adar, s'ouvrit la grande fête
de réjouissance des Purim. Jésus fut dans la soirée
chez le vieil Essénien Eliud de Nazareth, et il y resta jusqu'à
une heure avancée de la nuit. Ce saint homme paraît devoir
bientôt mourir de vieillesse. Il est extrêmement faible et
reste presque toujours couché. Je vis pendant la nuit Jésus
étendu par terre à côté de son lit, s'entretenir
avec lui, appuyé sur son coude. Cet homme est tout en Dieu.
(12 mars.) Hier soir, lorsque la fête des Purim commença
avec le 11 adar, on joua sur le toit de la synagogue d'un singulier instrument
de musique que je ne puis pas décrire, parce que je suis trop faible.
C'était comme un énorme tambour auquel des cordes étaient
adaptées. Des enfants venaient frapper dessus, et en tiraient divers
objets ; on pouvait faire avec cela toute espèce de musique. Les
enfants jouaient aussi de la harpe et de la flûte. Aujourd'hui, les
femmes et les jeunes filles jouissaient, en mémoire d'Esther, de
certains privilèges et de certains droits dans la synagogue. Elles
n'avaient pas de places séparées, et pouvaient s'approcher
du lieu où se tenaient les prêtres. Des processions d'enfants
richement habillés, les uns en blanc, les autres en rouge, vinrent
aussi dans la synagogue. Il vint en outre une jeune fille avant au cou
un ornement qui avait quelque chose d'effrayant à voir. Elle avait
autour du cou un anneau d'un rouge de sang, comme si on lui avait coupé
la tête : autour de cet anneau étaient attachés des
fils rouges terminés par des boutons qui descendaient comme des
traces de sang sur son vêtement blanc ; on eût dit que le sang
coulait de la blessure de son cou. Elle s'avança pour représenter
quelque chose comme sur un théâtre. Elle était revêtue
d'un manteau magnifique, et on lui portait la queue : d'autres jeunes filles
et des enfants la suivaient. Elle avait sur le devant de la tête
une haute coiffure terminée en pointe, et un long voile. Elle tenait
quelque chose à la main ; je ne sais pas si c'était une épée
ou un sceptre. C’était une grande et belle jeune fille. Je ne sais
plus bien ce que c'était que tout cela : il me semblait qu'elle
devait représenter Esther, et pourtant c'était aussi comme
une Judith , mais non pas celle qui tua Holopherne : car il y avait près
d'elle une servante qui portait une belle corbeille dans laquelle étaient
des présents pour le premier d'entre les prêtres. Elle lui
donna de petites plaques très artistement travaillées comme
les Juifs en portent souvent sur le front ou sur la poitrine. Dans un coin
de la synagogue, il y avait derrière un rideau, comme sur un lit
de parade, un mannequin représentant un homme : cette jeune fille
lui trancha la tête qu’elle présenta au chef des prêtres.
En vertu d'un privilège que lui donnait une ancienne coutume, elle
donna aux prêtres des avertissements sur les principales fautes qu'ils
avaient commises pendant l'année, et se retira. Il y avait encore
d'autres fêtes où les femmes avaient un semblable droit de
remontrance vis-à-vis des prêtres.
Dans la synagogue, le livre d'Esther, écrit sur un rouleau particulier,
fut lu alternativement : Jésus aussi en lut quelque chose. Les Juifs,
spécialement les enfants, avaient de petites planchettes avec des
marteaux : quand on tirait un fil, le marteau frappait un nom écrit
sur la planchette, et alors aussi on disait quelque chose : cela avait
lieu chaque fois que le nom d'Aman était prononcé.
Il y eut aussi de grands repas : il y en eut un spécialement
où Jésus assista avec les prêtres dans la maison publique.
Note : L’écrivain lut, plusieurs années après,
que plusieurs d'entre les Juifs qui,outre le jeûne en mémoire
d'Esther, fêtent, le 13 adar, la victoire de Judas Macchabée
sur Nicanor, disent qu’une soeur de Judas Macchabée appelée
Judith, coupa la tête à Nicanor il parait aussi qu'à
la fête de la dédicace du temple par Judas, ils célèbrent
dans leurs cantiques une Judith dont on ne sait pas si c’est celle de Béthulie.
Tout était orné aussi agréablement qu'à
la fête des tabernacles. Il y avait spécialement beaucoup
de guirlandes de fleurs des roses grosses comme la tête, des pyramides
entières de fleurs, et une quantité énorme de fruits.
un agneau tout entier fut servi sur la table, et je fus particulièrement
émerveillée de la grande magnificence de La vaisselle. Il
y avait des plats de plusieurs couleurs et transparents comme des pierres
précieuses. Ils semblaient faits avec d'innombrables fils de verre
de couleur entrelacés ensemble, etc. On se faisait aujourd'hui beaucoup
de cadeaux les uns aux autres ; c'étaient surtout des bijoux, des
pièces de vêtements de fête, des tuniques, des manipules,
des voiles, des ceintures : Jésus reçut une robe de fête
avec des houppes, mais il ne voulut pas la garder et la donna à
d'autres. Beaucoup faisaient aussi leurs présents aux pauvres, auxquels,
en général, on fit d'abondantes largesses.
(13 mars.) La fête continua encore aujourd'hui. Je vis ce matin,
que Jésus accompagné de ses disciples était allé
avec les prêtres à peu de distance de Nazareth dans divers
jardins de plaisance très ornés, ils avaient avec eux trois
rouleaux d'écriture et aussi le livre d'Esther ; on y fit alternativement
des lectures. Plusieurs troupes de jeunes gens et de jeunes filles les
avaient suivis : toutefois les jeunes filles n'écoutaient l'instruction
que de loin. Je vis aussi ce jour-là circuler des hommes qui recueillaient
une contribution relative à la fête de Pâques. Je vis
encore quelque chose de cet instrument mentionné hier dont j'ai
parlé comme d'un tambour et que je puis décrire un peu différemment.
Note : Suivant une communication qui sera donnée plus bas, elle
entend par là la capitation imposée par la loi à tous
les Israélites et qui devait être appliquée au temple.
Il se tenait sur trois pieds, il y avait dessus et dessous des surfaces
triangulaires, dont deux étaient au-dessus. Des tuyaux s'élevaient
et s'abaissaient à l'intérieur, le ton changeait selon ce
qu'on faisait rentrer ou sortir ; des enfants en tiraient une mélodie
régulière. Cela tenait de l'orgue à manivelle, de
la timbale et de la harpe.
(14-17 mars.) Dérangée par la visite d'une amie, la Sœur
ne put communiquer que ce qui suit : Jésus est allé ce matin
à la synagogue : on y célébrait une espèce
de fêle d'actions de grâces. Il discuta sur différents
objets avec les prêtres. Dans l'après-midi, il a fait avec
ses disciples trois ou quatre lieues au midi, dans la direction Aphéké
: il ne reviendra que demain soir à Nazareth pour le sabbat. La
petite rivière de Kison coule devant Apheké : il y a là
un grand passage de marchandises par une route qui vient d'une ville maritime.
Thomas n'était plus là alors.
Le vendredi soir Jésus était de retour à Nazareth
pour le sabbat : il y resta le samedi et le dimanche. Dans la nuit du dimanche
au lundi, je le vis pour la dernière fois près de l'Essénien
Eliud, qui était mourant.
(18-20 mars.) Ce matin Jésus partit de Nazareth avec ses disciples
: les prêtres lui tirent la conduite. Aucun d'eux ne pouvait comprendre
d'où lui était venu tant de science après une si courte
absence. Ils ne trouvaient rien à dire contre sa doctrine. J'ai
pensé alors à la manière dont ils devaient le traiter
plus tard. Plusieurs sont secrètement jaloux de lui. Jésus
suivit le chemin qu'avait suivi la sainte famille lors de la fuite en Egypte.
Il passa avec ses disciples par le petit endroit, assez voisin de Legio,
où la sainte famille entra alors, et dont j'ai dit autrefois qu'il
y habitait une race d'hommes méprisés, des espèces
d'esclaves Jésus y acheta du pain, qui se multiplia quand il le
distribua. Cela ne produisit pas un grand effet. Il ne s'arrêta pas
longtemps là : cela se fit comme en passant. Plus tard, Lazare vint
à sa rencontre sur le chemin avec quatre disciples, dont étaient
Jean Marc et Obed. Il fit avec ceux-ci environ cinq lieues, et sur le soir
ils arrivèrent sans être remarqués à une maison
de campagne ou propriété de Lazare, où tout était
préparé pour les recevoir. un intendant demeurait là.
Je crois que c'était le bien que Lazare avait à peu de distance
de l'ancien champ de Jacob. Il est contre les montagnes où l'on
passe pour aller à Samarie. Je crois que Jésus y célébrera
le sabbat ou un jour de fête. y en a-t-il un maintenant' Je croyais
d'abord que cela se passait à Béthanie, parce que je voyais
Lazare et une maison considérable entourée de jardins. (Ceci
prouve combien peu elle se souvient de l'enchaînement de la narration.)
(19 mars.) La nuit dernière je vis Jésus avec ses disciples
et Lazare qui était venu au-devant de lui entrer dans la propriété
de Lazare, située à un quart de lieue environ d'une ville,
peu considérable maintenant, mais qui était autrefois la
résidence des rois d'Israel. Cette ville est à quelques lieues
de Samarie, mais à peu près sur la même ligne. Le champ
de Jacob est de l’autre côté. Je crois que cette ville s'appelle
Thirza. Il me semble qu'un roi a habité autrefois la maison de Lazare.
C'est la maison où, dans la dernière année de la prédication
de Jésus, lorsqu'il enseigna à Samarie, Marthe et Madeleine
le reçurent et le prièrent de venir visiter leur frère
malade. C'est aussi un des premiers logements de Marie lors de son voyage
à Bethléhem.
Jésus enseigna aujourd'hui à Thirza dans la synagogue.
Les gens d'ici sont très bons. La fête que Jésus doit
célébrer ici est la fête d'une dédicace du temple,
qui a lieu le 25 adar.
(20 mars.) L'endroit s’appelle Thirza, il est à environ six
lieues de Samarie, dans un beau pays exposé au soleil levant, très
fertile en grains, en vins et surtout en fruits. Les habitants sont agriculteurs
pour la plupart et vont vendre leurs produits ailleurs. La ville était
autrefois grande et belle. Des rois y ont habité : mais le château
fut brûlé et la ville dévastée pendant la guerre.
Un roi nommé Omri a longtemps habité la maison de Lazare,
jusqu'à ce qu'on eût bâti Samarie, où il alla
alors. Cette ville est aujourd’hui petite et peu fréquentée
: je crois que de nos jours il en reste encore des vestiges. Les habitants
se tiennent fort à part des Samaritains.
Il y a sur le bien de Lazare un vieil intendant, qui est un Juif de
la vieille roche. Il va pieds nus et porte une ceinture. Marie et Joseph
allant à Bethléhem ont fait ici une de leurs premières
stations : c'est cet homme, aujourd'hui très âgé, qui
les reçut. Jésus enseigna pendant la journée dans
la synagogue de Thirza, mais il n'opéra point de guérisons.
Ce soir, 23 adar, jour du sabbat, a commencé la fête de
la dédicace du temple de Zorobabel : elle est moins solennelle que
celle de la dédicace des Macchabées. On allume encore des
flambeaux et des feux en grand nombre sur les routes, dans les champs où
sont les bergers et dans la synagogue. Jésus fut la plus grande
partie de la journée avec tous les disciples dans la synagogue de
Thirza. Il a mangé dans la maison de Lazare, mais très peu
la majeure partie des aliments était toujours distribuée
aux pauvres de Thirza, ou il y en a beaucoup. On fit de semblables distributions
pendant tout le séjour de Jésus. La ville a encore dans ses
murailles et ses anciennes tours des traces de son ancienne splendeur.
Il semble qu'autrefois elle comprenait dans son enceinte la maison de Lazare,
aujourd'hui éloignée d'un quart de lieue : on le voit à
des restes de murs et à des substructions maintenant recouverts
de jardins. Cette propriété de Lazare lui vient de son père.
Il y est, comme partout, très considéré et très
respecté, en qualité d'homme riche, pieux et éclairé.
Sa manière d'être se distingue de celle des autres hommes
: il est très sérieux et parle fort peu, mais avec beaucoup
de douceur et pourtant avec autorité.
(21 et 23 mars.) Le soir, lorsque la fête fut finie, je vis Jésus,
les disciples et Lazare quitter Thirza, et continuer leur voyage vers la
Judée : la route était celle qu'avaient faite Marie et Joseph,
allant à Bethléhem, toutefois ce n'étaient pas absolument
les mêmes chemins. Ils traversèrent la contrée montagneuse
qui longe Samarie. Je les ai vus pendant la nuit gravir une haute montagne.
C'était une nuit douce et claire, et une rosée bienfaisante
tombait sur la terre. Jésus a environ dix-huit, compagnons : ils
allaient deux à deux sur les sentiers, un groupe en avant, un autre
a la suite de Jésus, et quelques-uns entre les deux. Jésus
s'arrête souvent, il parle ou il prie, selon que le chemin s'y prête.
Ils ont marché une grande partie de la nuit, se sont reposés
le matin, et ont pris quelque chose, puis ils ont encore traversé
des montagnes où la température est froide : ils ont évité
toutes les villes. Je le vis avec environ six disciples à peu de
distance de Samarie, lorsqu'un jeune homme de cette ville se prosterna
devant lui sur le chemin et lui dit : "Sauveur des hommes qui voulez délivrer
et relever la Judée, etc." il croyait, lui aussi, à un royaume
temporel que le Christ devait établir et il lui demandait instamment
de le prendre avec lui, de lui donner un emploi près de lui. Ce
jeune homme était orphelin, mais son père lui avait laissé
de grands biens et il avait un emploi à Samarie. Jésus le
traita très amicalement : il lui dit que quand il reviendrait, il
lui dirait ce qu'il avait à faire : il ajouta que sa bonne volonté
et son humilité lui plaisaient, qu'il n'y avait rien à redire
a ce qu'il disait, etc. Mais je vis qu'il savait bien que ce jeune homme
tenait à ses richesses. Il ne lui dira ce qu'il a à faire
que quand il aura choisi tous ses apôtres : car il lui donnera par
là un enseignement. Ce jeune homme doit revenir une autre fois,
et cela se trouve dans l'Évangile.
Le soir qui précédait le sabbat je le vis arriver chez
les bergers, entre les deux déserts, à quatre ou cinq lieues
de Béthanie, à l'endroit où Marie et les saintes femmes
passèrent la nuit lorsqu'elles allèrent trouver Jésus
à Béthanie, avant le baptême. Les bergers des environs
se rassemblèrent et apportèrent des présents et de
quoi manger. La maison fut arrangée en oratoire, une lampe fut allumée
et ils restèrent la ; Jésus enseigna et célébra
le sabbat.
Dans ce voyage à travers une contrée impraticable et
déserte, Jésus a passé aussi à l'endroit où
Marie eut si froid lors du voyage de Bethléhem et où ensuite
il fit si chaud. La Sœur ne parla d'aucune autre étape dans ce voyage.
Aujourd'hui, 94 adar, on a remis au temple de Jérusalem le produit
de l'impôt qui a été perçu, lors de la fête
des Purim, à Nazareth et ailleurs.
(Samedi.) Je vis pendant toute la journée Jésus e ses
disciples célébrer le sabbat avec les bergers. Tout avait
été arrangé très convenablement pour cela il
y avait autour de Jésus, pendant qu'il enseignait une vingtaine
de bergers avec des femmes et de enfants. Tous étaient heureux et
émus, et Jésus lui même semblait plus serein parmi
ces gens simple et innocents Je crois qu'il n'y a pas loin d'ici Cariathiarim.
Après le sabbat ils prirent un léger repas et partirent pour
Béthanie qui est à quatre lieues.
NEUVIEME CHAPITRE.
Première fête de Pâques à Jérusalem.
(Du 24 mars au 14 avril.)
Première fête de Pâques à Jérusalem.-
Jésus à Béthanie.- Jésus au temple.- Jésus
enseigne chez Lazare.- Jésus au temple.- Il va à Hébron.-
Marie la silencieuse.- Jésus chasse les vendeurs du parvis du temple.-
Immolation des agneaux de Pâques au temple.- Jésus mange la
Pâque dans la maison de Lazare à Sion.- Jésus chasse
de nouveau les vendeurs du temple.- Jésus opère des Guérisons.-Commencement
de persécution.- Mort de Marie la silencieuse.- Nicodème
visite le Seigneur.- Jésus congédie les disciples pour un
tempe.- Interruption des communications quotidiennes des visions de la
soeur.
(14-27 mars.) Plusieurs des disciples étaient partis de l'hôtellerie
pour Jérusalem leur patrie. Je ne vis point d'étrangers à
Béthanie. Jésus habite toujours la même pièce
dans la maison de Lazare. C'est comme une synagogue et comme l'oratoire
de la maison : au milieu se trouve le pupitre d'usage sur lequel sont placés
les recueils de prières et autres écrits. Jésus repose
dans une petite chambre attenante.
Aujourd'hui, dans la matinée, Marthe alla à Jérusalem
chez Marie, mère de Marc, et chez les autres femmes pour annoncer
que Jésus viendrait avec Lazare, prendre son repas dans la maison
de Marie, mère de Marc. Ils y vinrent en effet vers midi. Véronique,
Jeanne Chusa, Suzanne, ceux des disciples de Jésus et de Jean, qui
étaient de Jérusalem, Jean Marc, les fils de Siméon,
le fils de Véronique, les neveux de Joseph d'Arimathie assistaient
au repas : il y avait en tout environ neuf hommes. Nicodème et Joseph
n'en. étaient pas. Jésus parla de l'approche du royaume de
Dieu, de la vocation de ses disciples, de ce qu'il fallait faire pour le
suivre et même de sa passion en termes obscurs.
La maison de Jean Marc est située en avant de la ville, du côté
du levant, en face de la montagne des Oliviers, et pour y arriver Jésus
n'avait pas besoin d'entrer dans la ville. Le soir, il retourna à
Béthanie avec Lazare. J'entendis ça et là dire dans
Jérusalem, que le nouveau prophète de Nazareth était
à Béthanie. Beaucoup se réjouissaient, d'autres se
montraient malveillants. Je vis aussi dans les jardins et sur le chemin
de la montagne des Oliviers des gens, parmi lesquels étaient des
pharisiens, qui se tenaient là pour l’entendre quand il passerait.
Peut-être qu'ils avaient entendu dire par hasard ou qu'on avait annoncé
à Béthanie qu'il viendrait à la ville, mais aucun
d'eux ne lui adressa la parole ; quelques-uns se retirèrent timidement
derrière la haie et le regardèrent passer. Ils se disaient
les uns aux autres: “ C'est le prophète de Nazareth, le fils du
charpentier Joseph. ”
Il y avait dans le jardin beaucoup de gens qui travaillaient aux haies,
à cause de l'approche de la fête on nettoyait et on arrangeait
tout, on préparait le chemins, on taillait et on relevait les haies.
Je vis aussi de tous les côtés beaucoup de Juifs pauvres e
d'ouvriers venir à Jérusalem, avec des ânes chargés
C'étaient des gens qui pendant la fête travaillaient comme
journaliers dans la ville et dans les jardins De cette classe d'hommes
était Simon qui aida Jésus à porter sa croix.
(25 mars.) Jésus alla encore aujourd'hui à Jérusalem
: il fut notamment dans la maison d'Obed, fils de Siméon, qui était
voisine du temple, et dans une autre maison en face du temple, où
avait demeuré autrefois la famille du vieux Siméon. Il prit
là des aliments que Marthe et les autres femmes avaient préparés
et envoyés. Les disciples de Jérusalem, au nombre de neuf
environ et quelques autres hommes pieux étaient présents
: Nicodème et Joseph d'Arimathie n'y étaient pas. Jésus
parla de l'approche du royaume de Dieu avec beaucoup d'onction et de gravité.
Il n'alla pas encore au temple.
Il va partout sans crainte : il est le plus souvent revêtu d'une
longue robe blanche faite au métier C'est une robe de prophète.
Souvent il a l'apparence d'un homme tout à fait ordinaire, il n'a
rien qui frappe et il n'attire pas les regards. D'autres fois il se montre
sous un aspect tout à fait extraordinaire : son visage est lumineux
et a quelque chose de surhumain. Le soir, lorsqu'il fut de retour à
Béthanie, quelques disciples de Jean, parmi lesquels était
Saturnin, vinrent à lui : ils le saluèrent et lui parlèrent
de Jean.
Il ne venait plus beaucoup de monde pour se faire baptiser par lui,
mais il avait fort à faire avec Hérode. Nicodème est
venu ce soir, chez Lazare, à Béthanie, et il a entendu Jésus
enseigner.
(26 mars.) Ce matin Jésus est allé chez Simon le Pharisien,
qui possède à Béthanie une maison de réception
ou servant à donner des fêtes. Il y a eu chez lui un grand
repas où étaient réunis Lazare, Nicodème, les
disciples de Jean et les disciples de Jérusalem: ; Marthe et les
femmes de Jérusalem étaient aussi présentes. Nicodème
ne parle presque pas en présence de Jésus, il se tient sur
la réserve et écoute avec admiration. Joseph d'Arimathie
est très ouvert et fait souvent des questions. Simon le pharisien
n'est pas mauvais, mais c'est pour le moment, un homme indécis qui
entretient des relations avec Jésus par amitié pour Lazare,
et qui pourtant se tient aussi en bons termes avec les pharisiens. à
ce repas, Jésus dit beaucoup de choses sur les, prophètes
et sur l'accomplissement des prophéties. Il parla de Jean Baptiste,
de sa conception miraculeuse, dit comment Dieu l'avait sauvé du
massacre des enfants ordonné par Hérode, et comment il était
venu pour préparer les chemins. Il parla aussi, de l'inattention
des hommes quant à l'accomplissement des temps et il dit à
ce propos : “il y a trente ans (qui s'en souvient encore sinon quelques
hommes simples et pieux ?), trois rois de l'Orient ont suivi mon étoile
avec une confiance naïve : ils sont venus cherchant un roi des Juifs
nouvellement né, et ils trouvèrent un pauvre enfant avec
de pauvres parents. Ils restèrent près de lui trois jours
! s’ils étaient venus visiter l'enfant d'un grand prince, on ne
les aurait pas si facilement oubliés. “Mais il ne dit pas expressément
que cet enfant, c'était lui.
(27 mars.) Ce matin, Jésus accompagné de Lazare et de
Saturnin, entra, à Béthanie, dans les maisons de plusieurs
pauvres et pieux malades de la classe ouvrière, et il en guérit
six Ou sept. Il y avait parmi eux des paralytiques, des hydropiques et
des hypocondriaques. Il ordonna à ceux qu'il avait guéris
de sortir de chez eux et de se mettre au soleil. La présence de
Jésus à Béthanie n'y fait pas encore d'éclat.
Même lors de ces guérisons tout resta très calme. Lazare
qui est extrêmement considéré contribue beaucoup à
ce que les gens d'ici se tiennent tranquilles.
Le soir, qui était le commencement du troisième jour
du mois de Nisan, il y eut une fête à la synagogue. Il m'a
semblé que c'était la fête de la nouvelle lune : car
il y avait une espèce d'illumination dans l'école ; c'était
comme un disque lunaire qui pendant la prière devenait de plus en
plus brillant parce qu’un homme allumait sans cesse de nouveaux flambeaux
derrière lui.
(28 mars.) aujourd'hui Jésus assista au service divin dans le
temple avec Lazare, Saturnin, Obed et d'autres disciples. On sacrifiait
un bouc, si je ne me trompe. L'apparition de Jésus au temple produit
une émotion d'une nature particulière parmi les Juifs. Ce
qu'il y a d'étonnant, c'est que chacun renferme en lui-même
ce qu'il ressent, et qu'aucun d'eux n'ose parler aux autres de l'impression
que produit sur lui sa présence. J'ai été instruite
intérieurement que Dieu dispose ainsi les choses afin de prolonger
pour le Sauveur, le temps pendant lequel il doit agir : car s'ils se communiquaient
leurs pensées, l’irritation s'accroîtrait : mais maintenant
chez plusieurs la haine et la colère sont en lutte avec une sainte
émotion : chez d'autres se produit une certaine curiosité
de le voir de plus prés, et ils s’efforcent d'entrer en rapport
avec lui par le moyen d'autres personnes, etc. Aujourd'hui il y avait un
jour de jeûne en mémoire de la mort des enfants d'Aaron.
(29 mars.) La Sœur fut ce jour-là occupée à contempler
la passion du Sauveur et à souffrir avec lui : étant dans
l'état d'extase, au milieu des souffrances les plus cruelles, elle
dit ce qui suit, tout étonnée de voir deux choses à
la fois:
Jésus est à Béthanie dans la maison de Lazare
: les disciples et plusieurs autres gens pieux sont présents. Il
enseigne dans une grande salle où il y a une chaire. Il le fait
de la même manière qu'il le faisait récemment quand
il parlait des trois rois : il appelle leur attention sur des événements
d'un temps antérieur. Il leur dit : “N'y a-t-il pas déjà
dix-huit ans, qu'un petit bakhir (cela doit vouloir dire écolier
2), disputa dans le temple d'une façon si surprenante avec les docteurs
de la loi et qu'ils furent si irrités contre lui ?” il répète
aussi ce qu'a dit le petit bakhir. Le soir Jésus célébra
le sabbat dans la synagogue de Béthanie.-Pendant qu'elle voyait
cela, elle avait aussi une vision du crucifiement et s'étonnait
de voir les deux choses à la fois. Elle ne put rien dire de plus
à cause de ses cruelles souffrances.
Note : Son ange gardien lui avait annoncé depuis longtemps,
parce qu'elle était menacée pour le vendredi saint de cette
année d'une irruption de gens malveillants, que cette fois il ne
lui serait pas donné de contempler la Passion le vendredi où
l'Église en fait mémoire, mais le jour où elle eut
lieu réellement : cela lui arriva depuis hier soir jeudi jusqu'à
ce soir. Le 14 nisan de l’année de la mort du Sauveur doit donc
être tombé le 29 mars. Nous ne parlons pas des souffrances
inexprimables de ce jour, et en général de presque tous les
jours de sa vie actuelle : le lecteur peut s'en faire une idée par
la manière imparfaite et défectueuse dont sont communiquées
ses contemplations de la vie du Sauveur.
2-Ce sont les propres termes de la narratrice.
(30-31 mars). Elle fut malade au delà de tonte expression et
le samedi elle eut de telles douleurs dans la bouche qu'elle ne put presque
rien dire.
Ce matin j'ai vu Jésus dans le temple pendant la célébration
du sabbat, avec Obed qui était attaché au service du temple
et les autres disciples de Jérusalem. (Elle était trop malade
pour s'exprimer bien distinctement : elle ne dit que ce qui suit, en s'exprimant
peu clairement.) Jésus se tenait parmi ses amis prés des
autres jeunes hommes israélites : ils se tenaient deux à
deux. Il avait un vêtement blanc fait au métier, une ceinture
et un manteau blanc qui n'était pas le même que portent les
Esséniens. Il y avait quelque chose de particulier dans sa manière
d'être. Son vêtement était d'une propreté remarquable
et paraissait très élégant, sans doute parce que c'était
lui qui le portait. Il s'unit aux chants et aux prières qui se faisaient
alternativement d'après des cahiers d'écritures. On fut de
nouveau surpris et frappé de le voir, sans pourtant lui parler.
Ils ne parlèrent même pas ouvertement de lui entre eux. Mais
je vis chez plusieurs un merveilleux mouvement intérieur. C'était
un jour de sabbat : on fit trois instructions ou prédications, sur
les enfants d'Israël, sur leur sortie d'Egypte et sur l'agneau pascal.
J'ai vu aussi sur un autel un sacrifice d'encens ; on ne pouvait pas voir
le prêtre, mais bien l'encens et le feu. J'ai vu le feu à
travers une espèce de grille au-dessus de laquelle avait été
placé comme un agneau pascal avec des ornements et des rayons :
je vis aussi le feu briller à travers. Cet autel était près
du Saint des Saints : ses cornes me paraissaient arriver jusque dans le
Saint des Saints. Je vis des pharisiens en prière rouler plusieurs
fois autour d'un de leurs bras une longue bandelette qui était proprement
un voile.
Vers deux heures après midi, Jésus avec ceux qui l’avaient
accompagné au temple entra dans une salle attenante au parvis des
Israélites, où on avait préparé une petite
collation de fruits et de pains qui étaient comme tressés
ensemble ils avaient chargé l'un d'eux d'avoir soin de tout. On
pouvait acheter et se procurer dans les salles voisines tout ce qui était
nécessaire en pareil cas. Le temple était comme une ville
: c'était si grand, on pouvait tout y trouver. Jésus enseigna
pendant ce repas. Quand les hommes se furent retirés, les femmes
à leur tour mangèrent là.
Je vis aujourd'hui quelque chose que je ne savais pas auparavant :
Lazare avait un emploi au temple, c'était à peu près
comme chez nous lorsqu’un bourgmestre est chargé de quelque chose
dans l'église. Il allait à droite et à gauche avec
une boite pour recueillir une contribution. Jésus et les siens restèrent
au temple toute l'après-midi et je ne le vis de retour à
Béthanie que vers neuf heures. Il y avait pour ce sabbat une quantité
innombrable de lampes et de flambeaux dans le temple.
J'ai déjà vu hier que Marie et les autres saintes femmes
sont parties de Capharnaum pour Jérusalem. Elles vont de Capharnaum
à Nazareth, passent près du Thabor où d'autres femmes
viennent se joindre à elles et doivent aller par Samarie. Les disciples
galiléens allaient en avant d'elles, et des serviteurs qui portaient
le bagage venaient derrière. J'ai oublié où elles
célébrèrent le sabbat. Parmi les disciples étaient
Pierre, André et son demi frère Jonathan, les fils de Zébédée,
ceux de Marie de Cléophas, Nathanaël Khased et Nathanaël
le fiancé. Je crois que ce n'est qu'au retour de la fête que
quelques-uns des disciples rencontreront Thomas et lui parleront de Jésus.
Dimanche, le 4 nisan, Jésus passa toute la matinée dans
le temple avec une vingtaine de disciples : ensuite il enseigna dans la
maison de Marie, mère de Marc, et y mangea quelque chose. Il assista
ensuite avec Lazare à un repas chez Simon le pharisien à
Béthanie.
Jean Baptiste ne vient pas à la fête, dit-elle en secouant
la tête sur une question qui lui était adressée à
ce sujet On examine déjà les agneaux, et on en rebute beaucoup.
(1-7 avril.) Dans la matinée Jésus est encore allé
au temple : dans l'après-midi il a mangé et enseigné
dans la maison de Joseph d'Arimathie. Cette maison est dans le quartier
que celle de Jean Marc. Il y a là un atelier de tailleur de pierre.
C'est un quartier un peu écarté et les pharisiens y vont
rarement : d'ailleurs personne ne craint encore de se rapprocher de Jésus
; car l'hostilité contre qui n'a pas encore éclaté.
Marie et les autres voyageurs de Galilée sont à présent
à Nazareth. -La Soeur dit encore d'une manière très
positive que Jean-Baptiste ne venait pas à Jérusalem pour
la fête de Pâques.
(2 avril.) Jésus se montre de plus en plus librement et hardiment
à Jérusalem et au temple : il s'est avancé avec Obed
entre l'autel des sacrifices et le temple, à un endroit où
l'on fait une instruction pour les prêtres sur la fête de Pâques
et ses cérémonies. Ses disciples restèrent dans le
parvis des Israélites. Les pharisiens furent très mécontents
de le voir. Il a mangé et aussi enseigné chez Joseph d'Arimathie.
Il va toujours avec assurance et s'entretient aussi avec diverses personnes
dans la rue.
Il vient beaucoup de monde à Jérusalem, surtout des ouvriers,
des journaliers, des domestiques, des marchands avec des provisions de
toute espèce. Tout autour de la ville et dans les espaces vides
on dresse beaucoup de cabanes et de tentes afin d'y héberger les
gens qui arrivent en foule pour la fête. On amène à
la ville beaucoup d'agneaux et d'autre bétail. On fait déjà
le triage des agneaux. Il vient aussi à Jérusalem un très
grand nombre de païens pour la fête.
Les saintes femmes ont été à Nazareth et maintenant
elles sont une journée de voyage plus loin dans une hôtellerie
de Thirza. Les apôtres sont en avant.
A Bethanie Jésus enseigne et guérit déjà
publiquement, on lui a amené des malades étrangers. Des parents
de Zacharie sont aussi venus le voir de la contrée d'Hébron
pour l'engager à y aller. Aujourd'hui encore il fut dans le temple,
et le soir,` après le service divin, lorsque les prêtres pour
la plupart eurent quitté le temple, il commença à
la place où il se tenait près de ses disciples à enseigner
devant ceux-ci et d'autres gens de bien. Il parla de l'approche du royaume
de Dieu, de la fête de Pâques, de l'accomplissement prochain
de toutes les prophéties et de toutes les figures, même de
celle de l'agneau pascal. Il parla d'une manière très grave
et très pénétrante, plusieurs prêtres qui étaient
encore occupés çà et là furent troublés
par ses discours et ressentirent un secret mécontentement. Cela
eut lieu le soir. Il se rendit de là à Béthanie et
partit dans la nuit avec les gens d'Hébron et quelques disciples
: il fit environ quatre lieues au midi dans la direction d'Hébron.
Dans le temple, maintenant on fait des préparatifs pour la fête
avec une grande activité : on fait for changements dans l'enceinte
intérieure : on ouvre beaucoup de passages et de salles et on enlève
de échafaudages et des cloisons. Ou peut maintenant arriver à
l'autel de tous les côtés : tout prend un autre apparence.
(Jeudi.) Dans la nuit du 3 au 4 avril, Jésus parti pour Juta
avec quelques disciples et les parents de Zacharie. Ils passèrent
entre Jérusalem et Bethléhem ; il laissèrent Bethléhem
à gauche en allant et à droite e revenant. C'était
une route de cinq lieues tout a plus. De Juta il se rendit à Hébron
qui en est tout près : il y enseigna et guérit plusieurs
personnes. y resta jusqu'au vendredi à midi : alors il revint d'Hébron
et arriva directement à Béthanie pour le sabbat. Le chemin
passait par dessus des montagne exposées au soleil et il y faisait
très chaud. Les disciples qui étaient venus d'auprès
de Jean visiter Jésus à Béthanie sont retournés
vers le précurseur.
(6 avril.) Aujourd’hui Jésus accompagné d'Obed est allé
dans le temple jusqu'au vestibule où se trouve la chaire dans laquelle
il a enseigné plus tard. Les prêtres et les lévites
étaient assis là sur des sièges circulaires autour
de la chaire du haut de laquelle on leur faisait une instruction sur la
fête de Pâques. L'apparition de Jésus excita un grand
trouble parmi les assistants, surtout lorsqu'il fit quelques objections
et quelques questions auxquelles aucun d'eux ne put répondre. Il
dit entre autres choses que le temps où la figure de l'agneau pascal
deviendrait une réalité était proche et qu'alors ce
temple et ce culte prendraient fin. Il parla de cela en termes figurés,
et pourtant d'une manière si claire pour moi que je ne pus m'empêcher
de penser vivement à l'endroit du Pange lingua où il est
dit Antiquum documentum novo cedat ritui : car Jésus dit quelque
chose d'approchant. Lorsqu'ils lui demandèrent d'où il savait
cela, il leur répondit que son Père le lui avait dit, mais
il n'expliqua pas qui il entendait par là. En tout il parla toujours
en général. Les pharisiens très courroucés
et cependant saisis d'étonnement n'osèrent rien contre lui.
Il n'était pas proprement permis aux laïques d'entrer dans
cette partie du temple, mais il y entra en qualité de prophète.
Dans la dernière année, il y a même enseigné.
Apres le sabbat, Jésus alla à Béthanie. Jusqu'à
présent, pendant ce séjour, je n'ai pas vu Jésus s'entretenir
avec Marie la silencieuse. Je crois que sa fin approche. Il semble qu'il
s'est fait un changement en elle. Elle est couchée par terre sur
des couvertures grises, et des servantes la tiennent dans leurs bras. Elle
était dans une espèce d'évanouissement. Elle me semble
plus rapprochée du monde terrestre ; elle aura encore à souffrir
sur la terre. Jusqu'à présent son esprit était toujours
absent, et ne sachant rien de ce monde, elle voyait Jésus et tous
les autres sans s'en préoccuper et sans grandes souffrances. Elle
était dans sa chambre comme dans une merveilleuse mine d'argent.
Tout était si large et si beau autour d'elle. Mais maintenant elle
parait revenue davantage à la vie réelle, elle va savoir
maintenant que ce Jésus qui est ici, à Béthanie, qui
vit dans son temps et dans son voisinage, est celui qui doit souffrir si
cruellement. Étant encore vivante, elle participera corporellement
à ses douleurs et mourra bientôt après.
Dans la nuit du samedi Jésus a visité la soeur de Lazare,
Marie la silencieuse, et s'est longtemps entretenu avec elle. Tantôt
elle était assise sur sa couche, tantôt elle marchait autour
de sa chambre. Elle maintenant toute sa raison, connaît la différence
entre ce monde et l'autre monde ; elle sait que Jésus est le Sauveur
et l'agneau pascal, et qu'il doit éprouver d'horribles souffrances.
Elle en est affligée au delà de toute expression, et le monde
se présente à et tout ténébreux et comme un
poids qui l'oppresse. Ce qui la désole surtout, c'est l'ingratitude
des hommes qu'elle prévoit. Jésus parla longtemps avec elle
de l'approche du royaume de Dieu et de ses souffrance puis il la bénit
et se retira. Elle ne tardera pas à mourir. Elle est maintenant
extraordinairement belle et grande, blanche comme la neige et lumineuse,
ses mains sont comme de l'ivoire et ses doigts sont longs et effilés.
Dans la matinée Jésus guérit publiquement à
Béthanie beaucoup de gens qu'on lui avait amenés paralytiques,
aveugles, etc., parmi lesquels des étrangers venus pour la fête.
Quelques hommes du temple vinrent le trouver et lui demandèrent
compte de sa manière d'agir : ils lui demandèrent aussi qui
lui avait donné le droit, la veille au temple, de prendre la parole
pendant l'instruction, etc. Il leur répondit d'un ton très
grave, et parla de nouveau de son Père. Les pharisiens n'osaient
pas s'attaquer à lui, ils éprouvaient un sentiment de terreur
en sa présence et ne savaient pas se rendre compte de l'effet qu'il
produisait sur eux.
Aujourd’hui il a encore enseigné dans le temple. Le soir arrivèrent
tous les disciples galiléens qui avaient été aux noces
de Cana. Marie aussi arriva, ainsi que les saintes femmes : et elles logèrent
chez Marie, mère de Marc. Lazare a acheté plusieurs agneaux
rebutés : il les a fait tuer et distribuer parmi les pauvres journaliers
et ouvriers.
(8 et 9 avril.) Jésus fut aujourd'hui au temple avec tous ses
disciples : il fit sortir de l'enceinte du parvis destiné à
la prière, et fit reculer bien en arrière dans le parvis
des gentils plusieurs vendeurs d'herbages verts, d'oiseaux, d'agneaux,
de comestibles de tout genre et d’autre objets : il le fit avec beaucoup
de charité et de bienveillance Il les avertit amicalement que c'était
très peu convenable, spécialement le bêlement des agneaux
et du bétail, et il aida lui-même avec les disciples à
transporter leurs tables et à leur trouver des places.
il guérit aussi ce jour-là à Jérusalem
beaucoup d'étrangers malades, notamment de pauvres ouvriers paralytiques
qui habitaient aux environs du Cénacle, contre la montagne de Sion.
Il y a une incroyable quantité de monde à Jérusalem.
Il y a autour de la ville des campements entiers, formés de cabanes
et de tentes. Sur de grandes places sont des constructions longues comme
des rues, où l'on peut tout avoir et où se trouve en grande
quantité ce qu'il faut pour dresser une tente et pour manger l'agneau
pascal. Ce sont comme des magasins où l'on vend et où on
loue. Des troupes de journaliers et des pauvres gens de tout Israël
sont occupés à porter ça et là des choses de
ce genre et à les mettre en place. Ces gens ont déjà
depuis quelque temps à Jérusalem et autour de la ville, fait
disparaître tout ce qui peut gêner la circulation, taillé
les haies, ouvert les chemins, aplani et délimité les lieux
de campement, disposé les places de vente et les marchés.
On a également, plusieurs semaines à l’avance, réparé
et préparé les routes et les passages difficiles dans le
pays. Tout cela se fait pour l'agneau pascal, de même que Jean Baptiste
a préparé les chemins pour le véritable Agneau de
Dieu.
(9 avril.) Jésus est encore allé au temple avec ses disciples,
et il a encore une fois fait retirer les vendeurs. Comme tout était
ouvert à cause de l'immolation prochaine des agneaux de Pâques,
beaucoup de gens s'étaient encore avancés jusqu'au parvis
où l'on priait. Jésus les fit retirer et enleva leurs tables.
Cela se fit d'une manière plus impérieuse que la fois d'avant
: les disciples faisaient faire place devant lui : il y avait là
des gens insolents qui lui résistaient en gesticulant vivement et
en se portant en avant, si bien que Jésus enleva une table de ses
propres mains. Leur résistance fut inutile : la place fut bientôt
vidée, et tout leur attirait transporté jusqu'à la
cour la plus éloignée. Il les avertit qu’il les avait deux
fois écartes avec bonté, mais que s'il les retrouvait encore
ici, il ferait usage de la force. Là-dessus les plus effrontés
l'injurièrent : De quoi se mêlait ce Galiléen, cet
écolier de Nazareth ? Ils ne le craignaient pas. Ce fut alors que
commença la retraite. Il y avait là une foule nombreuse qui
l'admirait. Les Juifs pieux lui donnaient raison et le louaient à
quelque distance. On cria : C'est le prophète de Nazareth ! Les
pharisiens, qui en furent irrités e. confus, faisaient déjà
courir sous main parmi le peuple, depuis plusieurs jours, l'avis de ne
pas s'attacher à cet étranger pendant la fête, de ne
pas courir après lui, et de ne pas en beaucoup parler. Mais le peuple
a de plus en plus lés yeux sur lui, car il y a déjà
ici un grand nombre de personnes qu'il a enseignées ou guéries.
Comme Jésus, en sortant du temple, avait guéri dans un
des vestibules un paralytique qui l'avait invoqué, celui ci entra
tout joyeux dans le temple, glorifiant Jésus et y fit un grand effet.
Jean Baptiste ne vient Pas à la fête, il n'est pas véritablement
un Juif selon la loi : puis il n'est pas comme les autres hommes, ce n'est
pour ainsi dire qu'une voix revêtue de chair. Maintenant il y a affluence
de gens qui veulent être baptisés par lui, à cause
du grand mouvement produit par la foule qui va à Jérusalem.
Ce soir il régnait une grande tranquillité à Jérusalem.
On s'occupait dans les maisons à mettre le levain de côté
et à préparer les pains azymes. Tous les ustensiles étaient
suspendus et couverts. Cela se fit aussi dans la maison de Lazare près
de la montagne de Sion où Jésus et les siens doivent manger
la Pâque. Jésus y était en personne, il enseigna sur
ce sujet et tout se fit sous sa direction : on n'y mettait pas tant d'empressement
inquiet que chez les autres Juifs. Jésus leur expliqua de quoi la
Pâque était la figure, comment ils devaient la faire. et ce
que les pharisiens y avaient ajouté mal à propos. La maladie
m'a fait oublier les détails.
(10 avril.) (Elle est toujours si malade qu'elle a peine à communiquer
ce qui suit). Jésus aujourd'hui ne fut pas dans le temple, mais
à Béthanie. En voyant tant de vendeurs se presser encore
dans le temple, je me disais que s'il était là, mal leur
en prendrait. Après le repas les agneaux de Pâques furent
immolés dans le temple. Cela se fit avec un ordre et une dextérité
merveilleux. Chacun apportait son agneau sur ses épaules ; on se
tenait en très bon ordre, il y avait suffisamment de place pour
tous : autour de l'autel se trouvaient trois cours où l'on pouvait
se tenir : entre l’autel et le temple il n'y avait personne. Devant ceux
qui immolaient les victimes étaient placées des balustrades
et des tablettes avec tout ce qui était nécessaire : toutefois
ils étaient si serrés que le sang d'un agneau rejaillissait
sur celui qui immolait l'autre : leurs habits étaient tout ensanglantés.
Les prêtres se tenaient sur plusieurs rangs jusqu'à l'autel
et les bassins pleins de sang ou vides passaient de main en main. Avant
que les Israélites vidassent les agneaux, ils les frappaient et
les périssaient d'une façon particulière, en sorte
que les entrailles se retiraient facilement en une fois, avec l'aide du
voisin qui tenait l'agneau. L'écorchement allait très vite,
ils retiraient un peu la peau et l'assujettissaient à un bâton
rond qu'ils avaient avec eux, pendaient l'agneau par la partie antérieure
du cou, et alors avec les deux mains ils faisaient tourner le bâton
sur lequel la peau s'enroulait. L'immolation fut terminée vers le
soir. Je vis le ciel rouge comme du sang au coucher du soleil.
Lazare, Obed fils de Siméon et Saturnin immolèrent les
trois agneaux que Jésus et ses disciples devaient manger. Le repas
eut lieu dans la maison de Lazare contre la montagne de Sion. C'est un
grand bâtiment avec deux ailes. Dans la salle où ils mangèrent
était aussi le four à rôtir, mais il était tout
autre que le foyer du cénacle. Il était plus haut que large,
comme les foyers dans la maison d'Anne, dans cette de Marie et à
Cana. Dans le gros mur qui s'élevait perpendiculairement étaient
des trous où l'on plaçait l'agneau dans une position verticale,
il était étendu sur du bois et comme crucifié. La
salle était bien parée, et les trois groupes mangeaient à
une table qui me frappa parce qu'elle était en forme de croix. Lazare
était assis au haut, au petit bout de la croix où. se trouvaient
aussi plusieurs plats avec des herbes amères. Les agneaux de Pâques
étaient placés, l’un entre Pierre et Jésus sur l'un
des bras de la croix : l'autre en face près d'Obed, le troisième
devant Saturnin sur le long bout. Autour de Jésus étaient
des membres de sa famille et les disciples galiléens : autour d'Obed
et de Lazare, les disciples de Jérusalem ; autour de Saturnin les
disciples de Jean. Tous ensemble étaient pour le moins une trentaine.
Cette Pâque se célébra d'une autre manière
que la dernière Pâque de Jésus. Ce fut plus à
la façon juive : tous ici tenaient des bâtons à la
main, avaient leurs vêtements retroussés et mangeaient très
vite . à là Cène, Jésus avait deux bâtons
en croix. Ils chantèrent aussi des psaumes et mangèrent debout
et très rapidement l'agneau pascal sans en rien laisser. Plus tard
ils se mirent à table Il y avait pourtant quelque chose de différent
de la manière dont les Juifs mangeaient. Jésus leur donna
des explications sur tout ce qui se faisait, et ils laissèrent de
côté divers usages ajoutés par les pharisiens. Jésus
découpa les trois agneaux et servit à table ; il dit qu'il
faisait cela à présent comme un serviteur ils restèrent
encore ensemble jusque dans la nuit, chantèrent et prièrent.
Il régnait aujourd'hui à Jérusalem un calme et
un silence sinistres : les Juifs qui n'immolaient pas se tenaient dans
leurs maisons qui toutes étaient ornées de feuillage d'un
vert sombre. Après l'immolation, cette immense quantité d'hommes
avait tant à faire dans l'intérieur des maisons et tout au
dehors était tellement silencieux. que j'en ressentis une impression
de tristesse. Je vis aujourd’hui en quel endroit l'on faisait rôtir
les agneaux pour les nombreux étrangers dont une partie était
campée devant les portes. On avait élevé à
certaines places, et aussi dans l'intérieur, de longs murs peu élevés
et assez larges pour qu'on pût se promener dessus. Dans ces murs
étaient pratiqués des fours, les uns à côté
des autres. De distance en distance se tenaient des inspecteurs qui surveillaient
tout, et près desquels on pouvait avoir à bas prix ce qui
était nécessaire. Des fours de ce genre étaient à
l'usage des voyageurs et des étrangers pour d'autres fêtes
et d'autres époques encore. Au temple, on brûlait la graisse
de l'agneau pascal, ce qui dura jusque assez avant dans la nuit ; puis,
après la première veille de la nuit, l'autel fut purifié
et les portes rouvertes de très grand matin.
(11 avril.) Jésus et ses disciples avaient passé la plus
grande partie de la nuit en prière dans la maison de Lazare. Dès
le point du jour ils allèrent au temple où on avait allumé
des lampes en grand nombre. On venait déjà de tous les côtés
y porter des offrandes. Jésus se tenait dans un vestibule avec ses
disciples, et il enseignait.
Une foule de marchands s'étaient déjà établis
jusque tout près du parvis de la prière et de celui des femmes
: ils étaient à peine à deux pas des gens qui priaient.
Comme il en arrivait encore un plus grand nombre, Jésus les arrêta
et ordonna à ceux qui se trouvaient là de se retirer. Mais
ils lui résistèrent et appelèrent à leur aide
les gardiens qui étaient dans le voisinage : ceux-ci allèrent
faire leur rapport au grand conseil, parce qu'ils n'osaient rien prendre
sur eux Mais Jésus dit aux vendeurs de se retirer, et comme ils
le défièrent insolemment, il prit sous sa robe comme une
corde faite de joncs ou d'osier très mince tordus ensemble, et tira
en arrière un anneau, ce qui fit que la moitié se déploya
en une quantité de fils comme un fouet. Il s'avança alors
vers les marchands, renversa les tables, et chassa devant lui ceux qui
résistaient : les disciples marchèrent des deux côtés
devant lui, poussèrent et enlevèrent tout : il vint alors
une foule de prêtres du conseil, et ils lui demandèrent qui
lui donnait le droit d'agir ainsi en ce lieu. Il leur dit plusieurs choses
que je ne puis pas redire exactement. dont le sens était que, quand
même le sanctuaire serait retiré du temple, quand même
sa ruine serait proche, c'était pourtant toujours un lieu sacré
; que la prière de beaucoup de justes se dirigeait vers lui, et
qu'il n'y avait pas place pour l'usure, la tromperie et le tumulte d'un
ignoble trafic. Comme il avait dit que c'était l'ordre de son Père,
ils lui demandèrent qui était son père, et il leur
répondit qu'il n'avait pas maintenant le temps de le leur expliquer.
Ils ne le comprirent pas, et aussitôt il s'éloigna d'eux et
continua à chasser les vendeurs. Cependant deux troupes de soldats
étaient arrivées, et les prêtres n'osèrent rien
tenter contre Jésus, car ils rougissaient de ce désordre.
En outre, il s'était rassemblé là beaucoup de peuple
qui donnait raison au prophète, si bien que les soldats eux-mêmes
furent obligés d'aider à éloigner les comptoirs des
vendeurs, et à enlever les tables renversées et les marchandises.
Ainsi Jésus et les disciples forcèrent les marchands à
se retirer jusque devant le vestibule le plus éloigné. Quant
à ceux qui étaient respectueux et qui se tenaient dans les
cellules pratiquées dans les murs du vestibule avec des colombes,
des petits pains et d'autres denrées du même genre, Jésus
les laissa rester où ils étaient. Il se rendit alors avec
ses disciples dans le parvis d’Israël. Cela eut lieu vers sept ou
huit heures du matin. Le soir de ce jour, on alla comme en procession couper
les prémices des gerbes dans la vallée du Cédron.
(12-14 avril). Jésus après le repas guérit aujourd'hui
dans le parvis du temple une dizaine de paralytiques et de muets et cela
causa beaucoup d'émotion ; car ils firent éclater partout
leurs transports de joie. (On voulut encore à cette occasion lui
faire rendre compte de sa conduite, mais il répondit très
sévèrement, et le peuple se montra plein d'enthousiasme pour
lui. Après le service divin il assista avec ses disciples à
l'instruction qui se faisait dans une salle du temple. On expliqua un des
livres de Moïse : il fit plusieurs fois des objections, car c'était
une espèce d'école où l'on pouvait disputer. Il réduisit
tout le monde au silence et donna une explication toute différente
de celle qui avait été présentée.
Pendant tous ces jours Jésus ne fut presque jamais auprès
de sa mère, qui résidait toujours chez Marie, mère
de Marc, et passait tout le jour dans les inquiétudes, les larmes
et les prières à cause de la sensation qu'il produisait.
Je vis alors qu'elle ne savait pas tout, quoiqu’elle pressentit tout.
(13 avril). Jésus célébra le sabbat chez Lazare
à Béthanie, où il s'était retiré après
le bruit qu'avaient occasionné ses guérisons dans le temple.
Après le sabbat, les pharisiens cherchèrent Jésus
à Jérusalem, dans la maison de Marie, mère de Marc,
afin de s'emparer de sa personne : ils ne l'y trouvèrent pas, mais
seulement sa mère et d'autres saintes femmes auxquelles ils enjoignirent,
en termes très durs, de quitter la ville, comme ses adhérentes
La mère de Jésus et les autres saintes femmes furent très
affligées : elles se retirèrent en pleurant et coururent
à Béthanie chez Marthe. Je vis Marie tout en larmes entrer
dans la chambre où se trouvait Marthe, près de sa sœur malade,
Marie la silencieuse. La mère du Sauveur tomba en défaillance,
accablée par la tristesse. Alors Marie la silencieuse qui était
tout à fait rendue à la vie extérieure et qui voyait
se produire dans la réalité ce qu'elle avait vu autrefois
en esprit, n'eut plus la force de supporter sa douleur et mourut en présence
de la sainte Vierge, de Marie de Cléophas, de Marthe et des autres.
Elle fut déposée plus tard dans un sépulcre neuf que
j'ai vu, à peu de distance de la maison de Lazare. Je n'ai pas vu
les funérailles.
Cette nuit Nicodème eut avec Jésus une entrevue ménagée
par Lazare. Auparavant déjà, il l'avait vu et entendu plus
d'une fois chez Lazare, mais il ne lui avait pas encore parlé confidentiellement.
Il vint malgré la persécution qui se déclarait contre
lui. Je vis Jésus assis par terre auprès de lui l'instruire
pendant toute la nuit.
Avant le jour Jésus alla avec Nicodème à Jérusalem
dans la maison de Lazare à Sion. Joseph d'Arimathie vint aussi l'y
trouver. Le Seigneur s'entretint avec lui : ils s’humilièrent devant
lui et lui déclarèrent qu'ils reconnaissaient bien qu'il
était plus qu'un homme. Ils promirent de le servir fidèlement
jusqu'à la fin. Jésus leur enjoignit de se tenir sur la réserve
et ils le prièrent de les maintenir dans la charité.
Il vint encore une trentaine de disciples, tous ceux qui avaient mangé
la Pâque avec lui. Il leur donna diverses instructions et divers
ordres pour l'avenir le plus prochain, ils se prirent tous par la main,
pleurèrent et essuyèrent leurs larmes avec leurs voiles,
c'est-à-dire avec la petite bande d’étoffe qu'ils portaient
autour du cou, et dont ils s'enveloppaient aussi la tête.
Le matin, Lazare conduisit la mère de Jésus dans une
hôtellerie en avant de Béthanie. Je vis le corps de Marie
la silencieuse étendu par terre et le deuil dans la maison. Les
disciples qui étaient venus de loin se rendirent bientôt dans
leur pays et là où Jésus les dirigea. Marie revint
dans la maison de Lazare : les pharisiens lui firent subir une sorte d'interrogatoire
soit dans la maison, soit dehors, là où ils la rencontrèrent,
aussi bien qu’aux autres saintes femmes : ils la menacèrent de la
chasser du pays. Là-dessus elle revint d'abord à Nazareth,
puis dans sa demeure à Capharnaum.
(Du 15 avril au 21 juin 1822.) Anne Catherine Emmerich était
épuisée au delà de tout ce qu'on peut dire par ses
souffrances physiques et spirituelles, par les douleurs du corps et celles
de l'âme : déjà dans les derniers jours elle ne put
communiquer sur la prédication de Jésus qu'un petit nombre
de détails peu précis, recueillis jour par jour par l'écrivain
avec toute la fidélité et le scrupule possibles.
Aujourd'hui, 15 avril 1822, elle raconta, pleine de tristesse, une
vision symbolique que nous laissons de côté comme n'appartenant
pas au sujet traité ici, mais après laquelle la faculté
de communiquer ce qu'elle voyait journellement lui fut retirée pour
un temps C'est qu'il devait s'opérer dans son état corporel
un changement considérable et qu'elle avait besoin de repos physique
pour s'y préparer. Alors sur le conseil exprès qu'elle lui
donna, l'écrivain fit un voyage pour voir ses amis et il revint
le 21 juin. Il trouva la malade ayant un peu meilleure apparence, toutefois
livrée aux souffrances les plus multipliées et les plus extraordinaires
du corps et de l'âme.
Il se trouva qu'elle avait vu jour par jour, dans le plus grand détail
comme auparavant, le cours de la prédication de Jésus : dans
les premiers jours elle remplit les lacunes qui se trouvaient dans le récit,
mais d'une manière très imparfaite Les personnes de son entourage
habituel, malgré leurs promesses, n'avaient rien conservé
de ce qu'elle avait communiqué par intervalles et autant qu'on put
l'induire des plaintes timides de la malade, elle fut encore empêchée
par elles de suppléer à ce qui s'était perdu, aussi
complètement qu'elle l'aurait désiré et qu'elle l'aurait
pu. Ce n'est pas un reproche, mais plutôt l'expression d'un regret
sur ce que la faiblesse humaine sait si rarement estimer à leur
juste valeur les dons de Dieu.
Au bout de quelques jours les communications journalières reprirent
leur cours à certains égards, et l’écrivain renoua
le fit du récit ainsi qu'il suit, à partir du 25 juin.
Jésus resta encore quelques jours caché à Béthanie
et à Bahurim, un petit endroit situé au nord-est de Béthanie.
C'était là que Séméi avait jeté des
pierres à David fuyant devant Absalon et l'avait accablé
d'inj0res : Jésus y allait souvent lorsqu'on le persécutait
au temple : il y vint notamment une fois qu'on voulut le lapider dans le
temple.
Le 20 novembre 1823, elle raconta ce qui suit : J'allai avec la sainte
mère de Dieu dans la Palestine actuelle et elle me montra dans leur
état présent divers lieux qu'elle avait autrefois parcourus.
Je vis alors entre autres, à une lieue au nord-est de l'ancienne
Béthanie, quelques restes de Bahurim, où Jésus était
souvent allé se cacher et prier : il s'y réfugia entre autres
fois lorsqu'on voulut le lapider dans le temple : il y resta plusieurs
jours, et Marie l'y visita. Alors cet endroit était beaucoup plus
caché : aujourd'hui la route qui mène au Jourdain y passe.
Il y a là une fontaine, appelée la fontaine des Douze
Apôtres. Près de là est la caverne de Rimnon, où
se réfugièrent les Benjamites qui avaient échappé
à l'extermination de leur tribu, et qui plus tard furent obligés
d'enlever des femmes à Siloh. Plusieurs d'entre eux s'établirent
en ce lieu, et de là vient l'origine du nom de jeunes gens de Bahurim.
C'est ici aussi que Seméi maudit David et lui jeta des pierres.
Michol fut ramenée à David jusqu'ici.
Jésus quitta Béthanie au bout de huit jours environ et
gagna par Samarie la mer de Galilée : il la traversa à l'extrémité
méridionale, au lieu où il apparut à ses disciples
après la résurrection et mangea des poissons avec eux. Il
alla ensuite au midi vers Sukkoth, dans la contrée d'Ainon, où
Jean s'était retiré en quittant le lieu où il baptisait
au-dessus de Béthabara. Pendant huit jours il parcourut ce pays
et y enseigna avec les disciples de Jean, mais il ne se rencontra pas avec
Jean lui-même. Celui-ci comprit d'après ce que ses disciples
lui rapportèrent des discours de Jésus, que ses fonctions
de précurseur tiraient à leur fin.
De Sukkoth, Jésus revint secrètement à Béthanie
: il se tint caché chez Lazare, et, ce qui me surprit, chez Simon
le pharisien : il eut encore une conférence seul à seul avec
Nicodème, et s'entretint en outre souvent avec lui et Joseph d'Arimathie.
DIXIÈME CHAPITRE.
Depuis le clôture de la première fête de Pâques,
jusqu’à l’emprisonnement de Jean Baptiste.
(Du 16 mai au 24 juillet.)
Jésus près d'Ono, sur les bords du Jourdain.- Envoyés
et lettre d'Abgare, roi d'Edesse.- Jésus lui répond.- Jésus
à l'endroit du baptême au-dessus de Béthabara.- Persécution
contre Jésus et les disciples.- Jésus va à Tyr.- Jean
est retenu en captivité par Hérode pendant quelque temps.-
Les disciples sont traduits devant les tribunaux.- Jésus à
Capharnaum près de Marie.- Il enseigne à Adama et à
Séleucie près du lac Mérom.- Reprise de la communication
journalière des visions.- Jésus à Tyr.- il quitte
Tyr et va à Sichor-Libnath. - Jésus à Adama et dans
les environs. - Jésus fait une grande instruction.-Conversion merveilleuse
d'un vieux juif endurci.-Jésus prêche sur l'économe
infidèle.- Jésus enseigne à Séleucie,- sur
la montagne voisine d'Adama. - il va à Capharnaum.- Jean Baptiste
est arrêté.- Sur Ainon et Melchisédech.- Jean en prison
à Machérunte.- Madeleine à Magdalum.- Fête de
naissance des amants de Madeleine.- Détails sur la jeunesse de Madeleine.
Ce fut environ trois semaines après Pâques que Jésus
alla de Béthanie à l'endroit où l'on baptisait, près
d'Ono. Il y était reste des surveillants pour veiller à ce
qu'on ne dérangeât rien. Des disciples s'y étaient
rassemblés de nouveau, et il y avait là beaucoup de monde.
Je vis Jésus s'asseoir, appuyé contre la chaire, et instruire
les hommes qui étaient là assis en cercle ou debout. Il avait
un grand nombre d'auditeurs, parmi lesquels étaient des disciples
de Jean. Dans quelques endroits on avait dressé des échafauds
de bois où l'on s'asseyait.
Note : Anne Catherine avait vu tout cela dans les premiers jours de
mai pendant l'absence de l'écrivain, mais elle ne le raconta qu'au
mois d'août.
Je vis une scène qui se passait dans un pays éloigné.
un roi était malade dans une ville qui n'était pas très
éloignée de Damas : il avait une maladie de peau ; mais elle
n'était pas tout à fait sortie : elle lui était tombée
sur les pieds et il boitait. Ce roi était un homme de bien, et je
vis des voyageurs lui raconter beaucoup de choses sur Jésus, sur
ses miracles et sur le témoignage de Jean. et lui dire aussi quelle
fureur il avait excitée parmi les Juifs à la fête de
Pâques. Je vis que ce roi conçut une grande affection pour
Jésus et un grand désir de le voir : il désirait être
guéri par lui, et il lui écrivit une lettre pour le prier
de venir le guérir. Je le vis aussi appeler un jeune homme de sa
cour qui savait peindre, lui donner la lettre adressée à
Jésus et lui ordonner, s'il ne pouvait pas venir en personne, de
lui rapporter son portrait. Je vis aussi qu'il lui donna des présents
et que l'envoyé monta sur un chameau, ayant avec lui six serviteurs
montés sur des mulets.
Je vis cet homme s'arrêter avec sa suite, à quelque distance
de l'endroit où Jésus enseignait, dans un lieu où
d'autres personnes avaient aussi dressé leurs tentes ; je le vis
faire des efforts inutiles pour arriver jusqu'à Jésus, car
ne pouvant pas lui parler pendant qu'il enseignait, il désirait
au moins l'entendre et aussi faire son portrait.
Il avait vainement essayé d'approcher de quelques pas, tantôt
d'un côté, tantôt d'un autre, sans pouvoir se frayer
passage à travers la foule attentive, lorsque Jésus dit à
un disciple de Jean. qui se tenait assez près de lui, de faire faire
place à cet homme qui cherchait à percer la foule sans pouvoir
y parvenir, et de le conduire à un banc peu éloigné
de lui. Le disciple conduisit l’envoyé à ce siège
et plaça aussi, de manière à ce qu'ils pussent voir
et entendre, les gens de sa suite, porteurs des présents du roi
qui consistaient en étoffes, en petites plaques d'or enfilées
les unes près des autres, et en plusieurs couples de très
beaux agneaux.
Le bon envoyé, tout joyeux de voir enfin Jésus, ne voulut
pas perdre de temps : il mit aussitôt devant lui, sur ses genoux,
son attirail de peintre, regarda Jésus avec beaucoup d'admiration
et d'attention, et se mit au travail. Il avait devant lui une planchette
blanche qui semblait être de buis ; alors il prit d'abord comme avec
un crayon l'esquisse de la tête et de la barbe de Jésus, sans
le cou ; puis il sembla l'enduire avec quelque chose d'épais' comme
de la cire : il avait aussi comme des formes qu'il appliquait fortement
dessus : ensuite il donna encore plusieurs coups de crayon, et pressa fortement
sur son enduit : il continua longtemps à travailler ainsi, mais
il ne put jamais mener son œuvre à bien. Chaque fois qu'il regardait
Jésus, son visage semblait lui causer une nouvelle surprise et il
était obligé de recommencer. Saint Luc ne peignait pas tout
à fait de cette manière : il employait aussi le pinceau.
Ce portrait-ci me parut avoir une espèce de relief sensible au toucher.
Jésus enseigna encore quelque temps, puis il envoya le disciple
à cet homme pour lui dire qu'il pouvait s'approcher davantage et
remplir sa mission. Alors celui-ci quitta son siège pour aller trouver
Jésus, et les serviteurs le suivirent avec les présents et
les agneaux il avait un vêtement court sans manteau, à peu
près comme l'un des trois rois. Son tableau était en forme
de coeur, comme un bouclier, et il le portait suspendu par un cordon au
bras gauche. Il tenait dans sa main droite l'écrit du roi qui paraissait
roulé comme ceci (en disant cela elle plia un linge d'une certaine
façon). Il s'agenouilla devant Jésus, s'inclina profondément,
ce que firent aussi les serviteurs, puis il lui dit : ‘ Votre serviteur
est l'envoyé d'Abgare, roi d'Edesse, qui est malade, et qui vous
envoie cette lettre en vous priant d'accepter ces présents de sa
part. r, Alors les gens de sa suite s'approchèrent avec les présents
: Jésus lui répondit que les bons sentiments de son maître
lui étaient agréables et il ordonna aux disciples de prendre
les présents et de les distribuer aux plus pauvres des gens qui
se trouvaient là. Ensuite Jésus déplia la lettre et
la lut. Je me souviens seulement qu'il y était dit entre autres
choses que Jésus avait le pouvoir de ressusciter les morts et que
le roi le priait de venir le guérir. Dans cette lettre la partie
sur laquelle était l'écriture semblait plus raide, mais tout
ce qui était autour était mou et souple : c'était
comme de l'étoffe, de la peau ou de la soie, sur laquelle la lettre
était attachée. Je vis aussi qu'un fil y pendait. Lorsque
Jésus eut lu la lettre il la retourna et prit un fort crayon qu'il
tira de dessous sa robe et duquel il fit sortir quelque chose comme les
paysans font sortir de l'amadou de la boite aux allumettes ; il écrivit
de l'autre côté de la lettre plusieurs mots en assez gros
caractère, puis il la replia.
Note : Probablement l'enveloppe de soie de la lettre était double
et la surface où se trouvait l'écriture en avait une semblable
de l'autre côté, car elle vit distinctement Jésus retourner
la lettre lorsqu'il écrivit, et la plier.
Jésus se fit alors donner de l'eau, se lava la figure, pressa
contre son visage l'enveloppe molle de la lettre et la donna à l'envoyé.
Celui-ci l’appliqua sur son portrait, ce que Jésus, à ce
que je crois, lui avait dit de faire, et alors le portrait devint tout
autre et parfaitement ressemblant. Le peintre fut plein de joie : je le
vis tourner le portrait vers ses plus proches voisins, puis se prosterner
devant Jésus et repartir aussitôt.
Quelques-uns de ses serviteurs restèrent en arrière et
suivirent Jésus qui après cette instruction passa le Jourdain
et alla au second endroit où Jean avait baptisé et que celui-ci
avait quitté. Ils se firent baptiser aussitôt. Je vis aussi
que l'envoyé d'Abgare passa la nuit devant une ville, près
de longues constructions en pierre qui ressemblaient à des tuileries
; que le matin suivant, quelques ouvriers y vinrent beaucoup plus tôt
qu'à l'ordinaire parce qu'ils avaient vu une lumière brillante,
comme la flamme d'un incendie, et qu'il arriva quelque chose d'extraordinaire
relativement au portrait. On accourut en foule dans cet endroit. Je crois
que le peintre montra le portrait aux assistants et je vis que le linge
que Jésus avait appliqué sur son visage en avait aussi l'empreinte
: mais en outre il était arrivé, relativement au portrait,
quelque chose qui avait motivé l'arrivée si matinale des
ouvriers : malheureusement je l'ai oublié.
Je vis aussi comment l’envoyé arriva, comment le roi vint à
sa rencontre en passant par ses jardins et fut indiciblement ému
en voyant le portrait et en lisant la lettre. Il changea aussitôt
de vie et renvoya les nombreuses femmes avec lesquelles il péchait
J'ai vu précédemment comment après la mort du
fils de ce roi, sous un méchant successeur, la face de Jésus
qui était exposée publiquement, resta longtemps cachée
par les ordres d'un saint évêque qui fit murer l'entrée
de la niche et qu'après un long intervalle de temps elle fut de
nouveau découverte : alors le portrait s'était imprimé
sur la pierre placée devant. Je ne me rappelle tout cela que confusément.
Je me souviens aussi maintenant d'une statue que l'hémorroïsse
guérie par Jésus avait fait ériger à Césarée,
comme témoignage de sa reconnaissance. Elle était de bronze
et le représentait au moment où cette femme touchait le bord
de sa robe et où il se retournait vers elle. Cette image était
placée sur un socle peu élevé, au milieu d’un petit
jardin, et quand les plantes de ce jardin avaient touché le bord
de la robe de la statue de Jésus, elles étaient cueillies
par des femmes affligées de pertes de sang et avaient la vertu de
les guérir.
La lettre d'Abgare était comme un parchemin et. taché
à une étoffe de soie de couleur, qu'on pliait à trois
reprises différentes et qu'on roulait ensuite.
D'Ono, où il avait jusqu'à présent enseigné
et préparé an baptême, Jésus alla avec ses disciples,
au-dessus de Béthabara, en face de Galgala, au lieu que Jean avait
quitté et dont les disciples que Jésus chargeait de baptiser
avaient déjà pris possession d'avance. Pendant quinze jours
environ, il fit baptiser beaucoup de monde par André, Saturnin,
Pierre e Jacques. Plusieurs disciples de Jean allèrent à
lui, et il venait plus de personnes se faire baptiser là qu'il n'en
venait à Jean. Jésus parlait du baptême d'une manière
plus sublime, et sa douceur comparée à la sévérité
et à la rudesse de Jean, fit que le public le vanta et le goûta
davantage. Il résulta de là des discussions entre quelques
disciples de Jean et des Juifs qui avaient été baptisés
par les disciples de Jésus, touchant les différents degrés
de la purification conférée par l'un ou l'autre baptême.
Les disciples de Jean étaient jaloux du succès plus grand
de Jésus et du grand nombre d'auditeurs de Jean qui venaient à
lui, et ils portèrent leurs plaintes au précurseur. Il leur
fit la réponse qui se lit dans l'évangile (Jean, III, 22-26).
Cette dispute sur la différence de la purification dans les deux
baptêmes, le témoignage important rendu à Jésus
dans la réponse de Jean, et la grande affluence qui se portait au
lieu où Jésus baptisait, produisirent une nouvelle agitation
parmi les pharisiens ; alors ils organisèrent tout un système
de persécution, de contradiction et d'oppression contre lui et ses
disciples. Ils envoyèrent des messagers à toutes les synagogues
du pays, avec des lettres qui enjoignaient de l'arrêter là
où on le trouverait, et de se saisir de ses disciples pour lés
interroger sur sa doctrine et les redresser.
Pendant que les Pharisiens s'occupaient à prendre ces mesures,
Jésus quitta sans bruit le lieu où l'on baptisait, et les
disciples, de leur côté, se dispersèrent et revinrent
chacun chez eux. Mais Jésus, sans s'arrêter nulle part, passa
le Jourdain, traversa la Samarie et la Galilée, et se rendit par
Sichor-Libnath et le pays de Khaboul, sur les frontières de Tyr.
Dans ce même temps, vers le milieu de mai, je vis Hérode
faire arrêter Jean Baptiste. Il le fit conduire par des soldats de
Sukkoth à Callirrhoë, sous le prétexte d'une invitation
pressante. Jésus le lui avait fait annoncer par des disciples peu
de temps auparavant.
Hérode le tint enfermé dans une prison souterraine de
son château. Personne ne pouvait le voir.
Le roi l'écoutait souvent. Sa femme l'avait poussé à
cet acte de violence. Lui-même avait un grand respect pour Jean,
et il désirait seulement qu'il ne le reprit pas à cause de
son mariage adultère. Le dimanche de la Trinité (2 juin),
je le vis dans sa prison. Six semaines après que Jean eut été
fait ainsi prisonnier, Hérode lui rendit la liberté.
Pendant que Jésus, voyageant avec les disciples séparés
en petites troupes, gagnait la plaine d'Esdrelon à travers la Samarie,
je vis Barthélemy, venait du baptême de Jean à Dabbeseth,
sa rencontrer les disciples qui lui parlèrent de faisait Jésus.
André particulièrement lui parla du Seigneur avec un grand
enthousiasme. Barthélémy écouta tout cela avec joie
et avec qui proposait volontiers d'enrôler parmi les disciples des
hommes instruits, se rapprocha de Jésus et lui parla de Barthélémy
comme de quelqu'un qui se mettrait volontiers à sa suite. Lorsque
Barthélémy passa devant le Seigneur, André le lui
montra. Jésus le regarda et dit à André : ‘ Je le
connais, il me suivra ; je vois du bon en lui, et je l'appellerai quand
le temps sera venu. Barthélémy résidait à Dabbeseth,
à peu de distance de Ptolémais : il était scribe.
Je le vis ensuite se rencontrer avec Thomas, lui parler de Jésus
et le bien disposer à son égard.
Pendant ce voyage fait en toute hâte vers Tyr, des disciples
et des membres de la famille de Jésus vinrent le trouver, spécialement
en Galilée et l'accompagnèrent quelque temps : quelques-uns
le quittèrent de nouveau. Il les exhorta à la persévérance
dans les épreuves qu'ils allaient avoir à subir, leur fit
connaître ce qu'il allait faire, et leur donna diverses instructions
pour les siens et pour d'autres disciples.
Jésus, en faisant ce voyage, eut à souffrir de grandes
privations ; je vis plusieurs fois Saturnin ou d'autres disciples de sa
suite apporter du pain dans une corbeille et Jésus tremper dans
l'eau des croûtes desséchées afin de pouvoir les manger.
Pendant qu'il enseignait et guérissait sur les confins de Sidon
et de Tyr, ayant avec lui quelques disciples des moins connus qui allaient
et venaient alternativement, les pharisiens mettaient leurs mesures à
exécution. On conduisait les disciples, selon le pays d'où
ils étaient, à Jérusalem ou, en Galilée, à
Gennabris devant de grandes assemblées, dans les synagogues et les
écoles, pour avoir à répondre sur Jésus, sa
doctrine, ses desseins et leurs relations avec lui. Les pharisiens les
vexèrent de toutes les façons. J'ai vu une fois Pierre, André
et Jean les mains liées, mais ils brisèrent leurs liens par
un loger mouvement, comme par miracle : ils furent renvoyés sans
bruit, comme tous ceux qu'on avait conduits à Gennabris, et se retirèrent
à Bethsaide et à Capharnaüm pour y reprendre les travaux
de leur profession.
Quand tout cela eut pris fin, Jésus revint en secret des confins
de Sidon et de Tyr à Capharnaüm dans la maison de sa mère,
et il la consola. Ses disciples vinrent le rejoindre et lui racontèrent
ce qu'ils avaient eu à souffrir. Il les rassura, leur recommanda
la persévérance, et leur promit de les appeler et de leur
donner leur mission.
Jésus alla de là, à quelques lieues au nord, dans
deux villes situées près d'un petit lac couvert de roseaux.
Je ne sais pas m'expliquer bien précisément, mais il me semble
qu'il y avait un canton étranger enclavé entre ces villes
et la Galilée. (Peut-être parce qu'elle voyait des païens
dans ces endroits.) Les deux villes sont en face l'une de l'autre ; entre
elles sont de sombres profondeurs : des rivages escarpés, une eau
trouble et marécageuse couverte de joncs ; c'est comme un petit
lac : beaucoup de bêtes sauvages se tiennent là dans le marécage
et les roseaux. Je crois que le Jourdain coule au travers : là où
sont les villes, la pièce d'eau n'est pas large ; l’une d'elles
a un nom comme celui d'Adam, elle s'appelle Adama, l’autre s'appelle, je
crois, Séleucie. Jésus séjourna longtemps et tour
à tour dans ces deux villes et dans cette contrée : il y
enseigna et il y guérit. à Adama il y a des Juifs, mais d'une
race rejetée : dans l'autre ville, ce sont des paiens ; les Juifs
n'y habitent que dans des coins, dans des trous, dans des murs en ruine.
Jésus était tantôt dans l'une de ces villes, tantôt
dans l'autre. Saturnin et deux nouveaux disciples de ce pays étaient
habituellement près de lui : on le regardait comme un prophète,
revêtu d'une vertu venant d'en haut. Il enseignait plutôt dans
des réunions particulières que dans des synagogues. Il ne
se produisait qu'avec une certaine circonspection. Il se rencontrait avec
des gens choisis dans des lieux solitaires, et c'était sans bruit
qu'il guérissait et qu'il donnait ses conseils. Ici et à
Tyr, je remarquai dans ses manières et dans sa façon d'enseigner
quelque chose qui différait de ses procédés parmi
les Juifs. On ne le connaissait pas autant et on le tenait pour un prophète.
Son œuvre était une préparation.
(25 juin.) J'ai vu Jésus se rendre d'Adama à Tyr avec
un couple de disciples. Il y avait plus d'une journée de voyage.
Je le vis partir, faire la route et entrer à Tyr. Je ne je vis s'arrêter
en chemin que dans de pauvres maisons. Jésus enseigna à Tyr
dans une hôtellerie, près de la porte du côté
de la terre. Il lui fallut franchir dans son voyage une très haute
chaîne de montagnes. Tyr est une très grande ville, qui est
bien cinq fois aussi grande que Munster. Quand on la regarde de haut en
bas, on voit une partie de la ville placée sur une pente, comme
si elle allait rouler du haut de la montagne. Jésus n'alla pas au
centre de la ville, il se tint le long des murs, du côté qui
regarde le continent. Cette partie n'était pas très peuplée,
l'hôtellerie était dans cette muraille épaisse et un
chemin la traversait.
Jésus porte une tunique brune ou grise et un manteau de laine
blanche. Il ne va pas dans la synagogue ni dans les lieux de réunions
publiques, mais il entre ça et là dans les maisons des pauvres
pratiquées dans la muraille ; il console, exhorte, guérit
et enseigne dans des réunions particulières. Deux disciples
vont et viennent entre lui et ses amis de Galilée, ce sont Saturnin
et un tout jeune homme de seize à dix-huit ans, pour lequel Marie
a de l'affection : son nom ne me revient pas. Ils ne vont pas en public
avec lui, mais ils se rencontrent avec lui comme par hasard dans quelque
hôtellerie.
Il se montre ici comme un prophète, comme un homme éclairé
d'en haut, et des païens même se laissent enseigner par lui.
Les gens se tiennent tranquilles et restent silencieux quand ils le voient
pour ne point attirer de désagréments à lui et à
eux. Je l'ai sous les yeux de temps en temps : j'ai vu le 25 qu'étant
dans une maison, il ordonna à un malade de se lever, et qu'il le
conduisit par la main : je l'ai vu aussi bénir des enfants. Je vis,
entre autres choses, qu'il tint un enfant couché sur ses bras et
le plongea dans l'eau d'un bassin. Je crois que ce fut plus qu'une guérison,
que ce fut aussi une purification. Je l'ai souvent vu plonger des enfants
dans l'eau. C'était cette fois un enfant de sept ans, Jésus
le tenait couché sur ses deux bras et le mit dans le bassin : on
l'enveloppa ensuite d'un linge blanc. Saturnin et l'autre disciple étaient
là : ils avaient quelque chose à faire, je crois qu'ils versèrent
l'eau. Les parents de l'enfant se tenaient plus à distance : c'était
comme un baptême, mais aussi comme une purification et une guérison
: je ne puis pas le dire exactement. Jésus me parut être allé
là pour y faire venir ses disciples.
(26 juin.) Aujourd'hui, il arriva à Tyr une vingtaine de disciples
galiléens. Pierre, André, Jacques le Mineur, Thaddée,
Nathanaël-Khased Nathanaël le fiancé étaient là
ainsi que tous les autres qui avaient tété aux noces de Cana
Je vis parmi eux environ six des futurs apôtres. Ils avaient voyagé
séparés en petites troupes, et étaient allés
dans des hôtelleries différentes a Tyr. Jésus alla
à eux comme par hasard et les salua.
Le soir, je vis Jésus dans un endroit voisin de Tyr, dans la
direction du nord. Je crois que c'était une dépendance de
la ville : il fallait passer l'eau. (Peut-être était-ce la
nouvelle Tyr et un canal qui la séparait de l'ancienne.) il fut
là dans une hôtellerie, et les disciples vinrent tous l'y
rejoindre. La manière dont il les salue est très touchante
: il passe devant eux successivement et leur donne la main. Ils sont très
respectueux, mais pourtant tout à fait en confiance avec lui ; ils
le traitent comme un personnage surhumain. Ils ressentaient une joie indicible
de le revoir. Il leur tint un long discours : ils lui racontèrent
ce qui s'était passé dans leur pays par rapport à
lui et à eux. Jésus les exhorta à la persévérance
: il dit aux futurs apôtres d’abord, et à tous en général,
qu'ils devaient acheter de mettre ordre à leurs affaires et propager
de plus en plus sa doctrine parmi le peuple dans les endroits qu’ils habitaient
il leur donna aussi des instructions touchant leurs femmes, et leur dit
ce que celles-ci avaient à faire. Il dit encore qu'il viendrait
bientôt près d'eux et recommencerait à se montrer en
public ; j'appris aussi qu'il ferait une grande instruction publique lorsqu'il
serait revenu près d'eux en Galilée. Je crois que ce sera
dans les environs de Tibériade, au lieu ou Jésus, après
la résurrection, mangea du poisson avec eux. J'ai aussi entendu
que ce serait le 15 ou le 25 : le nombre 5 y était. Il leur dit
encore qu'il les appellerait plus tard solennellement et leur donnerait
leur mission.
Tous mangèrent ici avec Jésus. Ils avaient apport. dans
des besaces du pain, des fruits, du miel, et aussi du poisson. Je vis aussi
que tous passèrent la nuit dans cette maison ainsi que Jésus.
Pour aller à la première ville de Tyr, Jésus avait
à passer un petit canal : mais pour venir où il était
maintenant, il lui fallait traverser un bras de mer de peu de largeur :
car ceci est tout à fait une île. Il y a plus de commerce
dans cette partie de la ville, quoiqu'elle soit beaucoup plus petite, que
dans l'autre, qui paraît très abandonnée.
(27 juin.) Ce soir, la narratrice, activement occupée à
ranger divers morceaux d’étoffe destinés à l'habillement
des pauvres, parut avoir une espèce d'absence, et dit : Je mets
tout cela en ordre, puis je reviens tout à coup à moi, et
alors je ne sais plus distinguer les couleurs, car je vois Jésus
aller et venir. Il est maintenant au nord-est de Tyr, entre des collines.
Aujourd'hui jeudi, les disciples partirent de bon matin pour retourner
en Galilée. Jésus, accompagné de Saturnin et du jeune
disciple, alla sur la terre ferme, à deux lieues au nord-est de
Tyr. Je le vois maintenant marcher entre des collines : il y a là
des paysans qui habitent dans des cabanes, parmi des arbres fruitiers :
ils sont occupés de la récolte des fruits. Le fruit était
mur sur l'un des côtés des collines, mais ne l'était
pas encore sur l'autre côté. Jésus visite ces gens
les uns après les autres, il les enseigne et les exhorte. Il se
rend maintenant avec eux dans une cabane pour y manger, et il y passera
la nuit.
J'ai oublié de parler d'une ville singulière par laquelle
Jésus passa lorsqu'il alla de Galilée à Tyr, et qu'il
laissa à gauche sur le chemin d'Adama. Elle est située au
sud-est de Tyr, dans la triste contrée (Khabul) qui sépare
Tyr de la Galilée. Elle est à droite du chemin de Tyr, dans
une position élevée entre des montagnes. Elle n'est pas très
grande ; elle est entourée d'eau, et quand les sources grossissent,
et est souvent inondée, si bien que les gens sont forcés
de se réfugier sur les toits. Son nom m'a échappé
: j'ai dans l'oreille des sons qui s'y rapportent, comme Joris, Sichor,
Libna, Ani, etc. : mais je ne puis pas, m'y retrouver.
(28 juin.) Jésus est revenu aujourd’hui avec les deux disciples
à la presqu'île de Tyr, dans la même maison où
il s'était trouvé avec les disciples. Ce n'était pas
proprement une hôtellerie, mais un lieu de' réunion pour les
Juifs. Il y a là un homme qui est comme un lecteur public : il a
un manipule qui lui pend au bras. Il y a là une école ; elle
n'est pas sur une hauteur. comme c'est l'ordinaire en Judée, mais
dans la plaine.
Il y a toujours dans les grandes villes deux hôtelleries auprès
de la porte et une au milieu de la ville. La maison où est Jésus
se trouve au milieu de l'île. Lorsqu'il y revint, il passa sur une
large chaussée qui repose sur des pieux et sur des arches en maçonnerie.
Des deux côtés de la chaussée sont des allées
d'arbres couverts de fruits jaunes. Deux chaussées semblables mènent
dans l'île. Je vis encore Jésus aller ça et là
dans les maisons, et le soir célébrer le sabbat dans une
réunion. Dans les derniers temps, je n'ai vu Jésus que tous
les deux ou trois jours, et jamais longtemps de suite : c'est pourquoi
je n'ai pas toujours vu célébrer le sabbat.
(30 juin). Hier, je ne vis pas Jésus : il célébra
le sabbat à Tyr. Aujourd'hui, après midi, je le vis dans
la maison où il s'était trouvé récemment avec
les apôtres. C'était un lieu de réunion : il y avait
un jardin où l'on prenait des bains. Aujourd'hui, il alla dans un
autre endroit. Au milieu d'une cour entourée d'un mur, et, en dedans
du mur, d'une haie d'arbrisseaux tortueux, taillés de manière
à former diverses figures, se trouvait une salle environnée
de corridors et de petites chambres. Ce jardin de plaisance où l'on
prenait des bains se trouvait au bord de l'eau qui sépare l'île
de la terre ferme. La salle ouverte sur la cour était une salle
à colonnes. On voyait dans la cour une citerne spacieuse pour les
baigneurs : il y courait de l'eau vive. On pouvait descendre par un côté
: au milieu était une colonne avec des degrés et des poignées,
de sorte qu'on pouvait descendre dans l'eau aussi profondément qu'on
voulait. De vieux Juifs habitaient ce lieu, ils étaient d'une secte
ou d'une origine décriée, mais c'étaient des gens
pieux et bons.
Il y avait ici beaucoup d'hommes, de femmes et d'enfants rassemblés
autour de Jésus : on apportait aussi des malades et spécialement
des enfants sur des lits. Mais tout cela se faisait très tranquillement
et avec beaucoup d'ordre. Les gens allaient et venaient, et les vieux habitants
de la maison les présentaient au Sauveur. Jésus fit ici une
instruction ou une exhortation. Il parla de Moïse, des prophètes,
de l'approche du Messie. Il donna des explications sur la sécheresse
qui eut lieu du temps d'Élie, la prière du prophète
pour la pluie, la nuée qui s'éleva de la mer et la pluie
qui en résulta. Il parla de l'eau et de la purification. Il guérit
beaucoup de malades et leur recommanda d'aller au baptême de Jean.
Il guérit plusieurs enfants qu'on avait apportés sur des
lits. Il prit sur ses bras plusieurs de ces enfants qu'il plongea dans
l'eau dans laquelle Saturnin avait versé auparavant d'autre eau
qu'il avait bénie. Les deux disciples les baptisèrent. Il
y avait là aussi des garçons plus avancés en âge
qui descendirent et se plongèrent en se tenant au pieu et furent
ainsi baptisés. Bien des choses se faisaient là autrement
qu'ailleurs. Plusieurs des adultes devaient se tenir à distance.
Cela dura jusqu'à l'entrée de la nuit.
(1er juillet.) Ce matin, Jésus regagna la terre ferme par la
chaussée avec les deux disciples. Il les envoya à Capharnaum
inviter six disciples à venir le joindre dans les environs de Tibériade,
pour assister à l'instruction dont j'ai parlé récemment.
Ils devaient ensuite se rendre près de Jean Baptiste. Jésus
lui-même alla seul à dix ou onze lieues au sud-est de Tyr,
dans cette ville que je l'ai vu traverser récemment et dont j'ai
dit qu'elle était souvent inondée. Jésus alla entre
le midi et levant, et laissa à sa gauche plusieurs endroits dont
un désert le séparait. Il avait à l'est sur sa gauche,
à une grande distance, le lac Mérom avec ses deux villes.
Il allait seul, cependant il rencontrait parfois sur les chemin de traverse
des voyageurs qui l'accompagnaient quelque temps et auxquels il causait
un grand étonnement. Il eut à traverser une crête de
montagnes : de l'autre côté on descendait à travers
beaucoup de broussailles et sur un gazon incroyablement haut et touffu.
Il tombe bien cinq ruisseaux dans la vallée et ils sont plus
ou moins abondants selon la saison de l'année. Il y a ici dans la
vallée beaucoup de bêtes sauvages de grande taille qui se
dispersent dans le pays quand vient l'inondation.
La ville est très grande, divisée en parties isolées,
entourée et traversée par l'eau. Il y a dans les intervalles
beaucoup de jardins et d'arbres fruitiers. La partie agglomérée
la plus considérable est bien aussi grande que Munster. à
quelque distance se trouve encore une autre grande ville. Ce pays est celui
que Salomon donna au roi Hiram. La ville, quoique libre, dépend
de Tyr à certains égards. J'ai encore oublié le nom,
mais il ressemble à Ami-Chores (Amead-Sichor), et elle est surnommée
la ville de l'eau ou la ville de la pluie. On élève dans
cet endroit beaucoup de bétail ; j'ai vu aussi beaucoup de grands
moutons à laine fine qui peuvent traverser l'eau à la nage.
On y tisse de belles étoffes de laine qui sont teintes à
Tyr. Je n'ai pas vu ici cultiver les champs, il y a seulement des vergers.
Il croît dans l'eau une espèce de blé à grande
tige dont on fait du pain : je crois qu'il vient sans culture. Il y a une
route pour aller de là en Syrie et en Arabie : aucune route ne conduit
en Galilée. Jésus alla à Tyr par un chemin de traverse
La grande ville située dans le voisinage est sur le territoire juif
Jésus n'a traversé qu'un petit coin de la terre de Khaboul.
Je vis ici deux grands ponts, l'un très élevé
et très long, servait de passage quand tout était inondé
: on pouvait descendre en bas de l'autre par les arches. Les maisons étaient
hantes et arrangées de manière qu'au temps des grandes eaux
les gens Pussent s'établir sur le toit sous des tentes.
La plupart des habitants étaient paiens et de diverses religions,
à ce que je crois : car je vis plusieurs édifices terminés
en pointe et surmontés de petits drapeaux. que je pris pour des
temples d'idoles. Ce qui me surprit, c'est qu'un assez grand nombre de
Juifs habitaient ici et même dans de grands et beaux bâtiments,
quoiqu'ils soient soumis à une certaine oppression. C'étaient,
je crois, des Juifs fugitifs.
La maison où Jésus entra était devant la ville,
du côté par où il arriva : il lui fallut pourtant d'abord
passer l'eau. Il s'était déjà mis en rapport avec
ces gens lorsqu'il avait passé là récemment. Ils me
paraissaient aussi attendre son arrivée, car ils vinrent à
sa rencontre et le reçurent avec beaucoup de déférence.
C'étaient des Juifs ; parmi eux était un homme âgé
avec une nombreuse famille : il demeurait dans une très belle maison.
C'était comme un palais avec beaucoup de bâtiments plus petits
qui en dépendaient. Par l’effet d'une crainte respectueuse, il ne
conduisit pas Jésus dans sa maison, mais dans une habitation attenante
où il était seul : il lui lava les pieds et l'hébergea.
J'ai aussi vu une grande troupe d'ouvriers, hommes, femmes et enfants,
gens de toute race, parmi lesquels des hommes bruns et noirs, arriver sur
une grande place. C'étaient vraisemblablement des esclaves de cet
homme qui revenaient de leur travail et allaient prendre leur nourriture.
Ils demeuraient dans des bâtiments latéraux peu élevés
: ils avaient avec eux des pelles et des charrettes de toute espèce
: ils portaient aussi sur leurs épaules de petites barques légères,
semblables à des baquets, au milieu desquelles il y avait un siège
avec des rames J'y vis aussi des instruments de pêche. Je crois qu'ils
étaient employés à construire des ponts et des chaussées.
Ces gens recevaient leurs aliments dans des pots : il y avait des légumes
verts et des oiseaux : il s'en trouvait parmi eux qui se nourrissaient
de poisson cru. Jésus les fit passer devant lui, leur adressa la
parole amicalement, et ils se réjouirent de voir un pareil homme.
Deux Juifs vinrent trouver Jésus avec des cahiers d'écriture
: ils mangèrent avec lui, et il leur donna diverses explications
qu'ils désiraient beaucoup avoir Je crois que c’étaient des
gens chargés d'instruire la jeunesse. Il me sembla qu'il se trouvait
une synagogue près de la maison : car il y avait un bâtiment
sur lequel était une banderole.
Jésus ira plus tard d'ici à Adama : il doit ensuite faire
un détour et aller beaucoup plus au nord. Adama et Séleucie
ne sont séparées que par une pièce d'eau trouble,
et il semble qu'autrefois elles n'aient fait qu'une ville, car il y a des
murs en ruines qui vont jusqu'au lac.
(2 juillet.) L'homme chez lequel Jésus loge est un riche Juif
; il s'appelle Siméon, et il est des environs de Samarie. Lui ou
ses ancêtres ont aidé à la construction du temple qui
est sur le mont Garizim ou se sont unis aux Samaritains ; cela les fit
chasser du pays, et ils s'établirent ici.
Jésus enseigna toute la journée près de la maison
de son hôte, sur une place publique entourée de colonnes,
au-dessus de laquelle on avait tendu des couvertures. Le maître de
la maison allait et venait : beaucoup de Juifs de tout âge et de
tout sexe étaient réunis ; je ne vis pas ici de malades ni
d'impotents : les gens sont d'un tempérament sec, maigres et de
haute taille.
Ici aussi Jésus enseigna sur le baptême, et dit que des
disciples envoyés par lui viendraient baptiser dans ce lieu il me
revient maintenant en mémoire que les quatre apôtres doivent
venir ici et que Jésus y enseignera encore Le soir, il alla de nouveau
avec son hôte sur le chemin par où les esclaves revenaient
de leur travail : il leur parla, les consola et leur raconta une parabole.
Il y avait parmi eux plusieurs braves gens qui furent très touchés,
et aussi des hommes vulgaires et grossiers qui se montraient mécontents
et hostiles : c’étaient ceux qui mangeaient le poisson cru : ils
étaient tenus plus sévèrement, et quelques-uns des
autres leur étaient préposés. Ils reçurent
de nouveau leur salaire et leur nourriture Cela me lit penser à
la parabole où le maître de la vigne paye les ouvriers. Ils
demeuraient à environ un quart de lieue de la maison de Siméon,
dans un groupe de cabanes. Siméon les faisait travailler en vertu
d'une espèce de privilège : c'était comme une corvée
qu'ils faisaient pour lui.
(3 juillet,) Ce matin je vis Saturnin et les autres disciples revenir
près de Jésus Je crois que d'autres disciples de Galilée
ont été envoyés à Jean. Jésus enseigna
encore toute la journée comme hier : il ne mangea que le matin et
le soir. Le soir, quand tous les Juifs furent partis, vingt païens
environ vinrent le trouver : dès les jours précédents,
ils l'avaient fait prier de les recevoir. La maison de Siméon était
bien a une demi lieue de la ville, et les paiens ne pouvaient aller au
delà d'une certaine tour ou d'une certaine arcade. Mais Siméon
amena ceux-ci à Jésus, qu'ils saluèrent respectueusement
et qu'ils prièrent de les instruire il s'entretint longtemps avec
eux dans une salle ; cela se prolongea si bien, que le soir vint et qu'on
alluma les lampes il les consola, raconta une espèce de parabole
relative aux trois rois, et dit que la lumière se tournerait vers
les païens.
(4 juillet.) Je vis ce matin Jésus aller avec les deux disciples
à la rencontre des apôtres qui arrivaient. Il leur fallut
d'abord franchir la montagne : ils avaient fait à peine une lieue
qu'ils étaient déjà sur le territoire de la Galilée
: ils allèrent bien jusqu'à trois ou quatre lieues en avant.
Dans l'après-midi, je vis Jésus et ses compagnons réunis
aux disciples qu'ils attendaient de Galilée dans une hôtellerie
située sur le territoire galiléen. Il en était venu
encore plusieurs autres, et aussi quelques femmes, parmi lesquelles je
reconnus Marie, mère de Marc, qui avait fait un séjour près
de la mère de Dieu, et la tante maternelle de Nathanael le fiancé,
une de celles que j'appelle les trois veuves. Parmi les sept qui étaient
venus spontanément, se trouvait Jean. Ceux qui avaient été
convoqués étaient Pierre, André, Jacques le Mineur
et Nathanaël-Khased. J'ai vu tous ceux-là avec Jésus
dans l'hôtellerie, où ils prirent quelque nourriture. Marie
n'était pas là.
(5 juillet.) Je vis hier soir, très tard, lorsqu'il faisait
déjà nuit, Jésus et ses compagnons retourner à
Sichor-libnath et les sept autres reprendre leur route vers la Galilée.
C'était une nuit d'été singulièrement agréable.
L'air était embaumé et le ciel très clair. Ils marchaient
quelquefois tous ensemble, quelquefois les uns devant, les autres derrière,
et Jésus seul au milieu. Je les vis une fois se reposer dans une
contrée extrêmement fertile, sous des arbres chargés
de fruits, dans le voisinage de prairies humides. Lorsqu'ils repartirent,
il s'éleva de la prairie un essaim d'oiseaux qui les suivit constamment.
Ces oiseaux étaient presque gros comme des poulets, avaient des
becs rouges et de longues ailes effilées, à peu près
comme celles des anges dans les tableaux, et ils avaient entre eux d singuliers
colloques. Ils accompagnèrent le Seigneur jusqu'à la ville,
où ils s'abattirent sur les eaux dans les roseaux : ils rasaient
la surface de l'eau comme des poules d'eau. Je me disais qu'ils voulaient
sans doute se faire tuer là pour Jésus.
Il y avait quelque chose d'indiciblement touchant dans cette belle
nuit, lorsque Jésus parfois s’arrêtait, priait ou enseignait,
et que les oiseaux aussi se posaient. Je les vis ainsi franchir la montagne
et descendre de l'autre côté. Je vis ce matin Siméon
aller au devant d'eux : il leur lava les pieds à tous, leur offrit
à boire et à manger dans un vestibule, et les conduisit dans
sa maison. Les oiseaux que j'ai vus appartenaient au maître de la
maison ; c'étaient des oiseaux aquatiques, mais qui s'envolaient
comme des pigeons. Pendant la journée, Jésus enseigna ici,
et le soir ils célébrèrent le sabbat dans la maison
de Siméon. Outre Jésus et les disciples, il y axait une vingtaine
de Juifs rassemblés. La synagogue était dans un caveau souterrain
où l'on descendait par des degrés : elle était arrangée
avec beaucoup de soin. Il y avait là un lecteur attitré qui
entonna les chants et fit des lectures. Après cela, Jésus
enseigna encore. Je vis plus tard les disciples et Jésus aller se
coucher : ils passèrent la nuit dans la même maison que lui.
(6 juillet.) Jésus et les disciples ne dormirent que deux heures.
Je les vis aujourd'hui au point du jour assez avancés déjà
sur le chemin qui mène au nord-ouest par des détours dans
les montagnes à une petite ville juive du pays de Khaboul. Il y
avait là des Juifs chasses de leur patrie qui avaient souvent demandé
leur réhabilitation ; mais les pharisiens ne voulaient point les
recevoir. Ils désiraient ardemment depuis longtemps que Jésus
vint les voir, mais ils ne s'en jugeaient pas dignes et à cause
de cela ils ne le lui avaient pas fait demander, mais il alla de lui-même
les visiter. Il y avait bien cinq à six lieues de chemin, à
cause des nombreux détours qu'il fallait faire à travers
les montagnes.
A l'approche de la petite ville juive, deux disciples allèrent
en avant et annoncèrent au chef de la synagogue l'arrivée
de Jésus. Quoique ce fût jour de sabbat, Jésus fit
pourtant ce voyage, car dans ce pays, il se dispensait, lorsqu'il y avait
urgence, d'observer rigoureusement la prescription relative au chemin du
sabbat.
Il alla trouver les préposés de la synagogue qui le reçurent
très humblement. Ils lui lavèrent les pieds ainsi qu'aux
disciples, et lui offrirent quelque chose à manger. Il se fit ensuite
conduire chez tous les malades et il en guérit une vingtaine. Il
y avait parmi eux des hommes très courbés, des paralytiques,
des femmes affligées de pertes de sang, des aveugles, des hydropiques'
avec tout cela beaucoup d'enfants et des lépreux.
Sur le chemin quelques possédés crièrent après
lui et il les délivra. Tout se passa du reste avec beaucoup d’ordre
et de calme. Quelques disciples aidaient ceux qui étaient guéris
à se lever, d'autres donnaient des avis aux gens qui suivaient et
se rassemblaient. Aux portes. J'ai vu Jésus exhorter certains malades
avant de les guérir, à croire et à changer de vie.
Quant à d'autres qui avaient déjà la foi, il les guérit
immédiatement. Je le vis lever les yeux au ciel et prier sur eux
: il en toucha quelques-uns ou passa la main sur eux. Je le vis aussi bénir
l'eau, en asperger lui-même les assistants et faire asperger la maison
par ses disciples. Dans quelques maisons il mangea ou but quelque chose
ainsi que les disciples. Plusieurs de ceux qui étaient guéris
se levaient, se prosternaient devant lui, l'accompagnaient pleins de joie,
comme on accompagne le saint Sacrement, mais toujours à une distance
respectueuse. Il ordonna à d'autres de rester chez eux.
Je le vis en outre ordonner à quelques-uns de se baigner dans
l'eau qu'il avait bénie : c'étaient principalement des lépreux
et des enfants. Je le vis aussi aller bénir une fontaine près
de la synagogue : on y descendait par des marches : car elle était
située à une grande profondeur : il y jeta aussi du sel qu'il
bénit. Il enseigna à cette occasion touchant Elisée,
qui avait sanctifié l'eau avec du sel, près de Jéricho,
et dit aussi ce que le sel signifiait : mais je l'ai oublié Il ordonna
aux gens de se laver plus tard avec l'eau de cette fontaine quand ils seraient
malades. Il bénissait toujours en forme de croix : les disciples
tenaient son manteau qu'il déposait souvent et lui présentaient
le sel qu'il jetait dans l'eau. Il faisait tout cela avec beaucoup de gravité
et de solennité.
J'ai bien vu à cette occasion combien l'eau bénite est
une chose sacrée, et j'aurais voulu voir là le professeur
R... qui m'a parlé une fois si légèrement de l'eau
bénite. Il m'a été dit aussi que ce même pouvoir
de guérir a été donné aux Prêtres, que
ceux qui guérissent. comme par exemple le prince de Hohenlohe, font
précisément ce que faisait Jésus, et que le peu de
foi qu'a le grand nombre, montre qu'on est bien tombé en décadence.
Je vis encore qu'on porta à Jésus sur des lits quelques
malades qu'il guérit et qu'il fit encore une instruction dans la
synagogue. Je ne je vis pas prendre de repas. Il enseigna et guérit
toute la journée. Le soir, après le sabbat, il quitta cet
endroit avec les disciples, et quand il prit congé des habitants
qui étaient tout tristes, il leur ordonna de rester là, de
ne pas l’accompagner : ils lui obéirent en toute humilité.
Il avait béni et purifié l'eau, parce qu'ils n'avaient que
de mauvaise eau, dans laquelle il y avait des serpents et des bêtes
avec de grosses têtes et de longues queues (des salamandres). Il
se rendit avec les disciples à deux lieues d'ici, à une grande
hôtellerie isolée, située dans la montagne ; il y mangèrent
et y couchèrent. Ils l'avaient laissée de côté
en venant.
(7 juillet.) Aujourd'hui beaucoup de gens vinrent avec des malades
à cette hôtellerie parce qu'ils avaient su que Jésus
devait y venir. Ils habitaient sur les deux pentes de la montagne dans
des huttes et des grottes. Sur le côté occidental qui regardait
Tyr, habitaient des païens qui, eux aussi, étaient venus :
sur le côté oriental demeuraient de pauvres Juifs. Il enseigna
sur la purification, l'ablution et- la pénitence et guérit
au moins trente malades.
Les paiens se tenaient à part et il ne les enseigna que quand
les autres furent partis. Il leur adressa des paroles très consolantes.
Cela dura jusqu'à l’après-midi Ce sont de pauvres gens, ils
ont de petits jardins et des plantations autour de leurs demeures : ils
se nourrissent de lait de brebis dont ils font du fromage qu'ils mangent
en guise de pain : en outre, ils recueillent les fruits de leurs jardins
avec d’autres fruits qui croissent sans culture et vont les vendre au marché
: plusieurs aussi portent de la bonne eau dans des outres à la petite
ville où Jésus était hier et en d'autres endroits
; car dans ce pays l'eau est très mauvaise et pleine de vilaines
bêtes : c'est pourquoi Jésus la bénit et la purifia
par sa bénédiction. Il y avait chez ces gens beaucoup de
lépreux. Jésus bénit l'eau et leur dit de s'y laver.
Vers le soir Jésus revint à Amichorès ou Sichor-libnath,
il y enseigna encore et dit qu’il baptiserait le jour suivant. La ville
d'Amichorès, surnommé ville aquatique ou ville de la pluie,
s'appelle aussi Amead Sichor Libnath : elle est à deux lieues de
Ptolémaïs, dans l'intérieur des terres, près
d'un petit lac d'une eau trouble ; il est inaccessible d'un côté
où il est bordé par une haute montagne. De ce lac sort l'eau
chargée de sable du petit fleuve Bélus, appelé aussi
Sichor Libnath, dont la source est surmontée d'un monument, et qui
se jette dans la mer près de Ptolémais. La ville est si grande
que je ne puis pas comprendre comment on sait si peu de chose sur elle.
La ville juive de Miseal n'était pas éloignée : il
y avait plusieurs autres villes à l'entour. Lorsque Jésus,
s'enfuyant du lieu où il baptisait, vint ici pour la première
fois, il passa par un endroit voisin appelé Bethsemès.
(8 juillet.) Dans la cour de Siméon, l’hôte de Jésus
il y avait un grand bassin rond plein d'eau, autour duquel on avait creusé
un fossé profond ; il était alimente par les eaux qui, dans
ce pays, sortent partout de terre, et l’eau n'en était pas bonne
; elle avait un mauvais goût. C'est pourquoi Jésus l'avait
bénie récemment, comme il avait fait dans l'autre endroit.
Le sel qu'il y jeta n'était pas comme notre sel ; c'était
comme des morceaux de pierre. Il y en avait toute une mine dans les environs.
Près de ce bassin, qui auparavant avait été vidé,
puis curé, eut lieu aujourd'hui le baptême d'environ trente
personnes. On baptisa le maître de la maison, les mâles de
sa famille et ses commensaux, quelques autres Juifs de l'endroit, en outre
plusieurs païens qui étaient allés voir Jésus
récemment, et quelques-uns des esclaves des cabanes avec lesquels
il s'était entretenu plus d'une fois quand ils revenaient du travail.
Les païens passèrent les derniers, et ils eurent d'abord à
faire certaines ablutions. Jésus versa d'abord dans le bassin un
peu de cette eau du Jourdain que lui et ses disciples portaient habituellement
avec eux, et il bénit l'eau. On fit aussi entrer dans le bassin
de l'eau du canal qui régnait à l'entour, en sorte que les
baptisés en avaient jusqu'aux genoux.
Jésus les instruisit longuement et les prépara. Ils se
présentèrent couverts de longs manteaux gris et avec des
capuchons sur la tète ; je crois que c'était une espèce
de manteau pour la prière. Quand ils entrèrent dans le fossé
qui était autour du bassin, ils déposèrent leurs manteaux
: ils n'avaient qu'un linge autour des reins, et sur le haut du corps un
petit manteau ouvert sous les bras qui couvrait la poitrine et le dos.
un disciple leur mit la main sur les épaules et un autre sur la
tête. Le baptisant leur versait plusieurs fois de l'eau du bassin
sur la tête avec une espèce de soucoupe, en invoquant, je
crois, le nom du Très-Haut. André baptisa d'abord, puis ce
fut Pierre, lequel fut remplacé par Saturnin. Cela, avec les préparations,
dura jusqu'au soir.
Quand ces gens furent partis, Jésus et les disciples sortirent
de la ville par petits groupes, comme s'ils eussent été se
promener ; ils se réunirent sur la route et allèrent au levant
vers Adama, près du lac Mérom. Je les vis se reposer la nuit
sur un beau gazon très touffu.
(9-21 juillet.) Quoique Adama me parût être à peu
de distance, Jésus dut pourtant faire encore quelques lieues, en
remontant le long d'une petite rivière, pour arriver au passage
qui avait lieu sur un radeau de poutres placé là, sans l'aide
d'aucun batelier. Ils se dirigèrent ensuite vers Adama, où
ils arrivèrent dans l'après-midi. Plusieurs des principaux
de l’endroit étaient rassemblés dans un jardin destiné
à prendre des bains : on y conduisait l'eau de la petite rivière.
Ils semblaient avoir attendu Jésus, car ils allèrent au-devant
de lui et le conduisirent à une maison qui se trouvait sur une place
au milieu de la ville : elle était entourée d'un grillage
de métal brillant et de diverses couleurs. Ils furent reçus
là, on leur lava les pieds, on battit leurs manteaux et on les nettoya
avec soin. On avait aussi préparé un repas très abondant,
il y avait spécialement beaucoup de fruits et d'herbes vertes.
Ils conduisirent ensuite Jésus à la synagogue, où
une grande partie des Juifs se rassembla. Elle avait trois étages
superposés. Les femmes se tenaient à l'arrière-plan.
Ils commencèrent par des prières et des chants adressés
à Dieu, pour indiquer qu'ils considéraient comme fait en
son honneur tout ce que ferait Jésus. Il parla des promesses divines
et de la manière dont elles s'étaient succédées
et accomplies. Il parla aussi de la grâce, dit comment la grâce
acquise à un homme par les mérites de ses ancêtres
ne se perdait pourtant pas, lors même qu'il ne méritait pas
lui-même de la recevoir, mais était donnée à
quelque autre qui en était plus digne. Il parla encore d'un acte
méritoire de leurs aïeux, accompli dans cette ville à
une époque si reculée qu'ils n'en avaient presque plus connaissance,
mais qui leur profitait encore. Ils avaient autrefois donné asile
à des étrangers chassés de leur pays.
(10 juillet.) Ce matin, les disciples parcoururent les quatre quartiers,
allant dans diverses maisons afin d'en convoquer les habitants à
une grande instruction pour le jour suivant. Ceux-ci en faisaient part
à leurs voisins. Le soir, je vis un grand repas dans une salle ouverte,
entre la cour et le jardin de la maison dans laquelle Jésus avait
été conduit d'abord. Il y avait bien cinquante convives de
la ville, et ils mangeaient à cinq tables. Jésus mangea avec
les principaux habitants, les disciples aux autres tables avec les autres
convives. Le repas était abondamment servi ; je crois que Jésus
et les disciples y avaient contribué pour quelque chose. On avait
placé sur la table des arbustes plantés dans des pots où
était de la terre. Jésus donna divers enseignements pendant
le repas : il alla aussi de table en table et s'entretint avec les conviés.
Après le repas, lorsqu'on eut desservi et dit l'action de grâces,
on laissa encore les arbustes sur la table : tous les assistants formèrent
un demi cercle devant Jésus : il les enseigna et les invita tous
à une grande instruction qu'il voulait faire le lendemain en plein
air, sur une place voisine du jardin où il avait été
reçu.
Il y avait là un tertre vert, au milieu duquel était
une chaire ombragée par un arbre ; tout autour était un grand
espace protégé contre le soleil par cinq rangées d'arbres
dont les branches se touchaient et formaient une seule masse. C'était
un lieu très agréable. Il se trouvait au côté
méridional de la ville ; le jardin des bains était plus au
sud-est. Les habitants appelaient ce jardin le lieu de la grâce,
parce qu'ils croyaient qu'autrefois une grâce leur était venue
de ce côté. Ils avaient aussi sur le côté du
nord une tradition, suivant laquelle il était venu autrefois de
cette région un grand désastre pour la ville.
La ville était toute entourée d'eau, avait le lac Mérom
au levant, et autour d'elle un canal qui se réunissait de nouveau
au lac, près du jardin des bains : cinq ponts le traversaient. La
ville n'avait pas de murailles.
Jésus logeait dans une grande hôtellerie, près
de la porte par laquelle il était entré. Les habitants avaient
coutume de très bien héberger les étrangers, et ils
croyaient que cela leur portait bonheur ; mais quand les gens leur déplaisaient,
il leur arrivait quelquefois de les mettre en prison.
Le lac Mérom, qui est au levant de la ville, est situé
dans une cavité profonde et taillée à pic, couverte
de roseaux et d'arbustes : son eau est trouble, excepté au milieu,
où le Jourdain le traverse. Beaucoup de bêtes féroces
ont là leurs repaires : on prend aussi dans le lac toute sorte d'animaux
étranges, entre autres des serpents et de grands lézards
que de pauvres gens de l'endroit promènent pour les montrer. J'ai
vu en outre des gens qui, avec un sabre court et recourbé au côté,
et armés d'épieux, vont mettre des appâts dans les
fourrés pour attirer les bêtes sauvages et les prendre ils
posent aussi des boules où il y a des crochets attachés à
des cordes : ils attirent ainsi les bêtes à eux comme avec
des hameçons et les tuent. Je les ai vus faire manger les bêtes
dans des caisses en avant desquelles était une auge avec du lait
que des serpents venaient boire. (La Sœur décrivit à cette
occasion des animaux ressemblant à des chiens de mer et faisant
de grands sauts hors de l'eau, de grosses anguilles, des lions, des tigres,
des sangliers, contre lesquels on se mettait en garde et auxquels on faisait
la chasse pour protéger les troupeaux et les jardins.)
Je crois que ces chasseurs d'animaux sont des soldats, car je vis qu'ils
n'avaient pas de femmes et qu'ils habitaient un édifice peu élevé
avec des rangées de chambres disposées autour d'une vaste
cour ; il s'y trouvait une grande arcade par laquelle j'avais vue dans
la cour du château qui était au milieu de la place publique.
J'ai seulement vu l'intérieur, je n'étais pas dedans. (C'est
ainsi qu'elle parla avec le sentiment de pudeur d'une fille de la campagne
qui parle d'une caserne.)
Les chefs qui conduisirent Jésus dans le château, habitaient
également à part des femmes, lesquelles logeaient sur le
derrière dans un édifice séparé où on
faisait la cuisine. Tous les étrangers qui venaient dans la ville
étaient conduits à cette maison où on les interrogeait.
Cette ville, avec un district d'environ vingt petits villages à
l'entour, dépendait d'une contrée que gouvernait encore un
Hérode.
Azor ou Hazor est à cinq lieues à l'ouest d'ici : Jésus
a passé devant. Cette ville est sur une montagne qui s'abaisse en
pente douce d'un côté où il y a une petite rivière.
La Sœur décrit en outre toutes les villes d'alentour, preuve de
l'exactitude avec laquelle elle voit.
Jésus parla encore ici du baptême comme d'une purification
ou d'une ablution spirituelle. Du reste Le baptême avant la Pentecôte
ne rendait pas membre de l'église On ne baptisa pas de femmes avant
cette époque, mais seulement, en compagnie d'autres enfants, quelques
petites filles de cinq, sept ou huit ans, toutefois aucune qui fût
nubile ou à la veille de l'être. Il y avait à cela
une signification mystérieuse que j'ai oublié.
J'ai appris qu'un grand jeûne approche. (Vraisemblablement le
jeûne commémoratif de la rupture des tables de la loi par
Moise, et aussi de la destruction de Jérusalem.) il tombe le 17
du mois de thamuz.
(11 juillet.) Les disciples n'avaient invité au repas que des
personnes choisies qu'ensuite Jésus avait convoquées à
l'instruction d'aujourd'hui. Plus de cent hommes d'élite se réunirent
devant la porte, autour de la chaire, sous l'ombre des arbres : il y avait
aussi plusieurs femmes derrière eux. Jésus et les disciples
arrivèrent vers les neuf heures. Ils passèrent d'abord par
le château qui est sur la place publique ; là Jésus
voyant que le chef ou seigneur de la ville voulait aller en costume officiel
et accompagné des gens de sa suite, lui dit de n'en rien faire,
mais de se présenter comme les autres en manteau long et en habit
de pénitents. Ils portaient tous de longs manteaux de laine et une
espèce de scapulaire, dont la Partie antérieure était
fendue en deux, et représentait en quelque sorte les tables de la
loi de Moïse ; tandis que la partie postérieure était
entière : l'une et l'autre étaient réunies sur les
épaules par une petite courroie. Ces pièces d'étoffe
étaient noires : je crois que les sept péchés principaux
y étaient marqués par des caractères de diverses couleurs.
Les femmes qui se tenaient en arrière. avaient la tête entièrement
voilée.
L'auditoire était déjà réuni lorsque Jésus
vint avec les disciples vers neuf heures. Quand il entra, les assistants
s'inclinèrent respectueusement : les principaux de la ville se tenaient
serrés autour de la chaire. C'était un beau siège
de pierre dont le bas était sculpté. Les disciples rangés
en cercle avaient chacun autour d'eux un groupe dans lequel se trouvaient
les femmes et ils enseignaient aussi.
Jésus leva d'abord les yeux au ciel et pria à haute voix
le Père duquel tout procède, pour que l'instruction trouvât
des cœurs contrits et sincères, puis il ordonna aux auditeurs de
répéter ses paroles, ce qu'ils firent en effet. Son instruction
dura sans interruption de neuf heures du matin jusque vers quatre heures
de l'après-midi. Il n'y eut qu'une seule pause pendant laquelle
on lui apporta des rafraîchissements. Les auditeurs se succédaient
les uns aux autres : ils arrivaient et se retiraient parfois quand ils
avaient des affaires dans la ville. Il enseigna sur la pénitence,
sur la purification et l'ablution par l'eau ; il parla aussi de Moïse,
des tables de la loi brisées par lui, du veau d'or, du tonnerre
et des éclairs sur le Sinai.
Lorsque Jésus eut achevé son instruction et que plusieurs
personnes, notamment le chef supérieur, furent retournées
à la ville, un vieux Juif, de grande taille et de bonne mine, portant
une longue barbe, vint hardiment à Jésus et lui dit : ‘ Maintenant
je veux aussi m'entretenir avec vous : vous avez expose vingt-trois vérités,
mais il y en a vingt-quatre ‘ Et alors il énonça successivement
une série d'aphorismes et commença à disputer. Jésus
lui dit : ‘ J'ai toléré votre présence ici pour que
vous puissiez vous convertir : j'aurais pu vous renvoyer devant tout le
monde car vous êtes venu sans invitation. Vous dites qu'il y a vingt-quatre
vérités et que je n'en ai enseigné que vingt-trois,
mais vous en mettez trois de trop, car il n'y en a que vingt et je les
ai enseignées. "Alors Jésus fit le compte de vingt vérités
suivant le nombre des lettres de l'alphabet hébraïque que celui-ci
avait aussi énumérées, puis il parla du péché
de ceux qui ajoutent quelque chose à la vérité, et
du châtiment qui leur est réservé. Mais le vieux Juif
ne voulut en aucune façon reconnaître son tort, et quelques-uns
des assistants l'approuvaient et l'écoutaient avec un malin plaisir.
Alors Jésus lui dit : "Vous avez un beau jardin, apportez-moi les
fruits les plus beaux et les plus sains : ils se gâteront pour preuve
de votre mauvais procédé : vous avez un corps droit et sain
: vous devez devenir contrefait parce que vous êtes dans votre tort,
afin que vous puissiez voir comment ce qu'il y a de meilleur se corrompt
et s'altère quand on ajoute quelque chose à la vérité.
Si vous pouvez opérer un seul signe, alors les vingt-quatre vérités
sont vraies. "Le Juif alors se rendit en hâte avec ses adhérents
a son jardin qui n'était pas loin de là. Il possédait
là tout ce qu'on pouvait trouver de rare et de précieux en
fait de fruits, de plantes et de fleurs en outre, derrière des grillages,
toute espèce de bêtes et d'oiseaux choisis, et au milieu un
bassin d'eau assez grand avec des poissons rares. Avec l'aide de ses amis,
il eut bientôt recueilli les plus beaux fruits, des pommes jaunissantes
et des raisins déjà mûrs dont il remplit deux petites
corbeilles : d'autres fruits plus petits furent placés dans un plat
qui semblait fait avec des fils de verre de couleur tressés ensemble
Il prit en outre avec lui dans des cages des oiseaux de diverses espèces,
et des animaux rares de la grosseur d'un lièvre et d'un petit chat.
Pendant ce temps-là, Jésus avait encore enseigné
sur l'obstination et sur les funestes effets qui se produisent quand on
ajoute à la vérité.
Lorsque le vieux Juif avec ses compagnons eut apporté toutes
ses raretés dans des corbeilles et dans des cages et les eut déposées
près de la chaire de Jésus, il y eut un grand mouvement dans
l'assemblée. Mais comme il persistait avec orgueil et opiniâtreté
dans sa première affirmation, les paroles de Jésus s'accomplirent
sur tout ce qu'il avait apporté. Un mouvement intérieur commença
à s'opérer dans les fruits, il en sortit de tous les côtés
des vers et des insectes hideux qui les dévorèrent, si bien
que d'une pomme il ne resta plus bientôt qu'un fragment de pépin
oscillant ça et là sur la tête d'un ver. Les petits
animaux qu'on avait apportés s'affaissèrent sur eux-mêmes,
rendirent du pus dont il se forma des vers qui les rongèrent et
ils ne furent plus à la fin que des morceaux de chair informes.
Tout cela était si dégoûtant, que les assistants qui
s'étaient approchés pleins de curiosité se mirent
à crier et à se détourner avec horreur, d’autant plus
que le Juif en même temps devint tout blême et tout jaune,
se tordit sur lui-même et devint tout contrefait d'un côté.
A ce prodige il y eut dans la foule de grands cris et un grand tumulte,
et le vieux Juif pleura, reconnut son tort et pria Jésus d'avoir
pitié de lui.
En ce moment, la narratrice interrompit son récit par ces paroles
: ‘ Ici je m'éveillai un moment de ma vision, mais pendant toute
l'instruction de Jésus sur la vérité, j'avais fort
à faire pour transmettre constamment ses paroles à différentes
religieuses et aussi à d'autres personnes que je devais exhorter
au respect de la vérité. Au commencement j'étais dans
notre couvent, comme autrefois, à l'infirmerie, et je disais tout
ce qui me venait à l'esprit pour exhorter à respecter la
vérité ; je m'adressai d'abord aux nonnes qui n'écoutaient
pas cela très volontiers : il vint ensuite plusieurs soldats. Mais
la révérende mère ne voulut pas les laisser entrer.
Alors je me levai, me mis à la fenêtre, et les exhortai de
là en quelques paroles à toujours dire la vérité,
ce qu'enseignait aussi Jésus. Ensuite je me trouvai dans un couvent
au-dessus de la terre, planant en l'air : d'un côté étaient
sainte Hildegarde, sainte Brigitte et plusieurs autres religieuses de la
même catégorie : j'étais seule de l'autre côté
et regardais à travers la grille avec beaucoup d'attention l'endroit
où Jésus enseignait : je voyais tout d'en haut. Lorsque le
Juif devenu contrefait cria vers le ciel pour demander grâce, je
pensai qu'il me demandait aussi de prier pour lui, parce qu'il m'avait
vue lorsque je m'étais placée à la grille, et je priai
Jésus de tout mon cœur de vouloir bien le guérir. Mais c'était
une prière pour la conversion de gens qui comme lui altèrent
obstinément la vérité. ”
Il y eut un tel tumulte que le chef supérieur qui s'était
retiré précédemment fut rappelé de la ville
pour rétablir l'ordre, lorsque le Juif confessa son tort et avoua
qu'il avait ajouté quelque chose à la vérité.
voyant le vif repentir de cet homme qui suppliait tous les assistants de
prier pour lui, Jésus bénit les objets qu'il avait apportés
et le bénit aussi lui-même. Tout revint aussitôt à
son étal antérieur ; les fruits, les animaux et l'homme qui
se prosterna devant Jésus en pleurant et en rendant grâces.
Cet homme se convertit si bien qu'il devint un des plus fidèles
adhérents de Jésus, et en convertit encore plusieurs autres.
Pour expier sa faute il distribua aux pauvres une grande partie des beaux
fruits de son jardin. Ce prodige fit une grande impression sur tous les
auditeurs qui étaient allés manger et étaient revenus.
un semblable prodige était nécessaire ici, car ces gens,
même quand ils se savaient dans l'erreur, étaient fort opiniâtres,
comme c'est le plus souvent le cas chez les gens d'extraction mêlée
; or, ceux-ci descendaient de Samaritains qui avaient contracté
des mariages mixtes avec des paiens et avaient été chassés
de Samarie. Ils ne jeûnaient pas en mémoire de la destruction
du temple de Jérusalem, mais en mémoire de leur expulsion
de Samarie. Ils reconnaissaient en pleurant qu'ils étaient tombés
dans l'erreur, mais ils ne voulaient pourtant pas en sortir.
Ils avaient accueilli Jésus avec une bienveillance marquée,
parce que conformément à une ancienne révélation
qui leur était venue des païens, plusieurs signes leur avaient
fait croire que le temps était venl1 où Dieu devait leur
accorder de grandes grâces. Cette révélation avait
eu lieu à l'endroit qu'ils appelaient le lieu de la grâce
et où était maintenant le jardin des bains. Tout ce dont
je me souviens encore, c'est que ces paiens se trouvant dans une grande
détresse avaient prié alors dans cet endroit les mains levées
vers le ciel, et qu'il leur avait été annoncé qu'ils
trouveraient grâce devant Dieu quand de nouvelles sources se jetteraient
dans le lac, qu'une nouvelle source coulerait dans la fontaine qui était
là et quand la ville s'étendrait de ce côté
jusqu'à la fontaine. Or toutes ces choses s'étaient accomplies
récemment. Cinq cours d'eau, à ce que je crois, se jetaient
alors dans le lac ou dans celui-ci et dans le Jourdain. Il s'était
encore accompli quelque chose relativement à un bras du Jourdain,
et de nouvelle eau de bonne qualité était venue remplir la
fontaine du lieu de grâce.
Jésus doit baptiser dans cet endroit et toutes ces prophéties
touchant l'eau peuvent se rapporter à la fontaine baptismale. En
outre, on n'avait ici que de mauvaise eau. Du reste la ville s'était
étendue de ce côté : la partie du nord était
dans un fond ; elle était sombre et souvent couverte par les brouillards
du marécage : il n'y avait dans ce quartier qu'une populace paienne
habitant de petites cabanes. Du côté du sud-est au contraire,
on voyait beaucoup de maisons neuves, des jardins et des bâtiments
en construction jusqu'au lieu de grâce. Le lieu de grâce était
dans un enfoncement : le terrain était uni à l'entour. Par
suite des dérangements qu'une nouvelle montagne en se formant avait
produits dans ses rivages, un bras du Jourdain s'était détourné
à l'ouest jusqu'à ce jardin : il se réunissait ensuite
à la petite rivière et revenait grossi par elle au lit principal
: il avait un parcours assez considérable ; quand l'eau du Jourdain
coula de ce côté, on y vit un des signes annoncés.
Les habitants ici n'adoraient point les idoles, les paiens mêmes
ne le faisaient qu'en secret dans des caves. C'étaient des Juifs
samaritains, mais par suite de leur séparation, ils avaient emprunté
certaines choses à d'autres sectes.
(12 juillet.) (Son état de maladie fut cause d'un peu de désordre
dans la suite de ses récits.) Je vis Jésus enseigner dans
une grande et belle synagogue au côté méridional de
la ville. Il y avait au milieu un magnifique buffet où était
renfermés les écrits contenant la loi. Les Juifs vinrent
pieds nus à la synagogue : il leur était interdit de se laver
ce jour-là : c'est pourquoi ils s'étaient lavés et
baignés la veille après l'instruction. Ils portaient aujourd'hui
à la synagogue par-dessus leurs habits du jour précédent
un long manteau noir avec un capuchon : il était ouvert sur le côté
et attache avec des cordons. Ils avaient deux manipules noirs au bras droit,
un seul au bras gauche : le manteau avait une queue. Ils priaient et chantaient
avec beaucoup de ferveur : ils s'enveloppèrent quelque temps dans
des sacs ouverts par le milieu et se prosternèrent ainsi la face
contre terre dans les passages autour de la synagogue. Les femmes en faisaient
autant dans leurs maisons.
Dès hier, tous les feux avaient été couverts :
ce ne fut que le soir que je vis un grand repas, mais sur une table non
couverte, dans l'hôtellerie de Jésus, qui mangea seul avec
ses disciples : les autres mangèrent dans une grande salle dans
la cour. On apporta des aliments froids de la maison située sur
la place du marché : Jésus enseigna sur le manger. Beaucoup
de gens vinrent alternativement se mettre à table, parmi lesquels
des boiteux et des estropiés. Il y avait sur la table de petits
plats avec de la cendre. Le vieux Juif converti donna aux pauvres beaucoup
de ses plus beaux fruits. Je ne sais pas bien si le repas de vendredi,
après midi, ou celui de jeudi était avant le Sabbat du jeûne,
mais je crois que c'était le premier. Le soir, le sabbat commença
à la synagogue.
Je vois souvent Marie dans sa vie actuelle. Elle habite la maison voisine
de Capharnaum, seule avec une servante. Des femmes de ses parentes demeurent
à peu de distance. Je la vois prier et travailler, je vois aussi
des disciples qui apportent des nouvelles et quelques-unes des saintes
femmes. Je vois que souvent elle ne reçoit pas des visiteurs de
Nazareth et de Jérusalem, qui pourtant sont venus de loin. à
Jérusalem tout est calme en ce qui touche Jésus. Lazare y
habite dans son château, il reçoit des messagers de Jésus
et des siens et leur en envoie.
(13 juillet.) J'ai vu Jésus enseigner dans la synagogue hier
soir et encore aujourd'hui : je l'ai vu ensuite avec ses disciples et une
dizaine de Juifs se promener dans les montagnes qui sont devant la ville
du côté du nord. Le pays en cet endroit était plus
âpre et plus sauvage. Je les vis s'arrêter sous des arbres
près d'une maison isolée et prendre quelques aliments qu'on
leur porta de cette maison. Jésus leur donna diverses règles
de conduite : il dit qu'il partirait bientôt et qu'il ne reviendrait
qu'une fois. Il les exhorta, entre autres choses, à ne pas tant
gesticuler pendant la prière, et avant tout à ne pas être
si sévères envers les pécheurs et les païens,
mais à être compatissants envers eux ; à ce propos
il raconta la parabole de l'économe infidèle et la leur présenta
comme une énigme. Elle les surprit fort et il leur dit pourquoi
la conduite de l'économe était louée.
Malheureusement la Sœur a oublié cette explication. Il semble
toutefois, d'après d'autres choses qu'elle a dites sur la défense
d'être rigoureux, que le Christ, par l'économe infidèle,
voulait indiquer la synagogue, et par les autres débiteurs les sectes
et les paiens. Ainsi, la synagogue doit remettre une partie de leurs dettes
aux schismatiques et aux paiens, puisqu'elle est pourvue de l'autorité
et des grâces. c'est-à-dire qu'elle possède la richesse
sans l'avoir méritée et sans y avoir droit, afin que lorsqu'elle-même
sera chassée, elle puisse avoir recours à l'intercession
des débiteurs qu'elle aura traités avec douceur. Du moins
est-il possible d'ajouter cette interprétation à beaucoup
d'autres qui peuvent être données.
Etant enfant, je voyais déjà toutes les paraboles se
produire devant mes yeux comme des tableaux vivants, et je croyais reconnaître
ça et là dans le monde où je vivais certaines figures
que j'y avais vues. Ainsi, ce fut le cas avec cet économe, que j'ai
toujours vu comme un comptable un peu bossu, avec une barbe rousse, courir
alerte et prompt, et faire écrire des sous-fermiers avec un roseau.
Quand j'allais à l'église dans la petite ville et que j'achetais
quelque chose dans une certaine boutique, j'y voyais un marchand qui avait
une figure de ce genre, en sorte qu'il me rappelait toujours cet économe
infidèle et rusé. Je ne pouvais m'empêcher de rire
sous cape quand je le voyais. De la représentation de cette parabole
je ne me rappelle que ce qui suit : L'économe infidèle habitait
dans le désert d'Arabie, à peu de distance du lieu ou les
enfants d'Israël murmurèrent Son maître, qui demeurait
très loin, peut-être au delà du mont Liban, possédait
là un terrain produisant du blé et de l’huile, situé
sur la frontière de la terre promise.
Des deux côtés habitaient deux paysans auxquels les champs
étaient affermés. L'économe était un petit
homme contrefait, alerte, avec une barbe rousse, très résolu
et très fin : il se disait : Le maître ne vient pas encore,
et là-dessus il vivait dans la débauche et laissait tout
aller de mal en pis : les deux paysans aussi dissipaient tout en débauches.
Je vis un jour le maître venir : je vis bien loin, par delà
de hautes montagnes, comme une ville magnifique et un palais : je vis une
belle route qui allait du palais directement à ce lieu en passant
par toutes les villes, et je vis le roi partir de là avec un grand
cortège de chameaux, de petites voitures basses traînées
par des ânes' et toute sa cour. Je vis cette arrivée de même
que Je vols quelquefois une route qui descend de la Jérusalem, céleste,
et c'était un roi céleste qui avait sur la terre un bien
produisant du froment et de l'huile : mais il venait, à la façon
des vieux rois patriarches, avec un grand cortège. Je le vis venir
par cette route qui descendait ; car l'intendant, le petit homme, était
accusé près de lui de tout dissiper.
Les débiteurs du maître étaient deux hommes vêtus
de longues robes boutonnées jusqu'en bas : l’intendant avait un
petit bonnet sur la tête. Le château où habitait l'intendant
était un peu plus rapproché de désert : les champs
de blé et d'oliviers, près desquels demeuraient les paysans,
étaient plus près de la terre de Chanaan. Le Seigneur descendit
près du champ de blé. Les deux débiteurs dissipaient
les revenus avec l'intendant, et ils avaient sous eux de pauvres gens qui
devaient tout leur fournir : on aurait pu les comparer à deux mauvais
curés et l'intendant à un évêque prévaricateur
: cependant il me faisait aussi l'effet d’un séculier qui est chargé
de tout administrer. L'intendant pressentit ou vit de loin l’arrivée
du maître : il fut dans une grande anxiété : il prépara
un grand repas, et il était très agité et très
affairé. Lorsque le maître fut entré dans le palais,
il lui dit : Qu'est-ce que j'entends raconter de toi ! On dit que tu dissipes
mon bien : rends-moi tes comptes, tu ne peux plus être mon économe
! "
Je vis alors l’économe faire venir en toute hâte les deux
paysans : ils avaient des cahiers d'écritures qu'ils déroulèrent.
Il leur demanda ce qu'ils devaient, car il n'en savait rien, et ils le
lui firent voir : il les fit écrire en toute hâte une reconnaissance
où leur dette était diminuée, et il se disait : si
je suis chassé, je me retirerai chez eux et Ils me nourriront, car
je ne puis pas travailler.
Je vis alors les paysans envoyer au maître leurs subordonnés
avec des chameaux et des ânes, qui étaient chargés
de grain dans des sacs et d'olives dans des paniers. Ceux qui portaient
des olives portaient aussi de l'argent : c'étaient de petits bâtons
de métal. en faisceaux de diverse grosseur, mais tenus ensemble
par des anneaux, suivant les sommes. Le maître vit d'après
ce qu'il avait reçu plusieurs fois auparavant que c'était
beaucoup trop peu, et il devina d'après le compte falsifié
quelles étaient les vues de l'intendant ; alors il se mit à
rire devant les fermiers et dit : "voyez comme cet homme est fin et habile
; il veut se faire des amis parmi ses subordonnés : les enfants
du siècle sont plus habiles dans leurs voies que les enfants de
lumière, qui font rarement pour le bien comme il a fait pour le
mal : car autrement ils seraient récompensés comme celui-ci
sera puni. "Je vis que ce bossu malhonnête perdit sa place et fut
renvoyé dans le désert. Le sol y était jaunâtre,
dur, stérile, et il y venait des aunes. (signe de stérilité
dans les visions de la soeur.) Cet homme était tout bouleversé
et tout abattu. Je vis pourtant qu'il finit par se mettre à piocher
et à travailler la terre. Les deux paysans furent aussi renvoyés.
et on leur assigna un terrain sablonneux mais un peu meilleur. Les pauvres
subordonnés eurent à cultiver les champs dévastés,
car tout leur avait été enlevé.
(14 et 15 juillet.) Aujourd'hui, Jésus et les disciples parcoururent
séparément toute la ville : Jésus la partie la plus
centrale, les disciples les parties les plus éloignées jusqu'aux
maisons des paiens. Ils allèrent presque de maison en maison, et
convoquèrent les gens qui étaient préparés,
soit à l'instruction et au baptême pour le lendemain, soit
à une grande instruction pour le surlendemain ; elle devait avoir
lie u de l'autre côté du lac, à un endroit couvert
de verdure et entouré d'une enceinte. Ils enseignèrent, tout
en faisant cette invitation. Cela se prolongea jusqu'à la chute
du jour.
Je vis ensuite les disciples hors de la ville, remonter la rive occidentale
du lac et aller visiter des pêcheurs qui pêchaient sur leurs
barques avec des flambeaux, dans un endroit où le lac s'élargissait
au-dessous de l'entrée du Jourdain. Ils attiraient les poissons
au moyen de la lumière des torches, et les prenaient avec des dards
et des hameçons. Les disciples montèrent sur les barques
pour les aider : ils enseignèrent les pêcheurs et leur dirent
de porter leur poisson à un endroit voisin de Séleucie, où
devait se faire l'instruction et où ils seraient bien payés.
cet endroit était une espèce de parc entouré de murs
et de haies, où on avait coutume d'enfermer les bêtes sauvages
qu'on prenait vivantes. On y avait creuse des fosses pour elles. Cet endroit
dépendait d'Adama et était à peu près à
une lieue et demie de Séleucie.
Vers le matin Jésus vint trouver les disciples et ils revinrent
avec lui à la ville par un chemin détourné le long
duquel était un grand nombre de cabanes : on fit dans ces cabanes
ce qu'on avait fait dans les maisons. Jésus alla avec eux dans la
ville, dans la maison du premier magistrat qui était sur la grande
place, et il prit avec eux quelque nourriture. C'étaient des petits
pains, attachés ensemble deux à deux : il y avait aussi sur
la table de petits poissons avec des têtes relevées, sur un
grand plat en forme de navire, brillant comme du verre de diverses couleurs
; et Jésus servit à chacun des disciples un de ces poissons
sur un petit pain. Autour de la table étaient des trous creusés
comme des assiettes où l'on mettait des portions.
Après ce repas, Jésus fit une instruction dans la salle
ouverte qui était en face de la cour, devant le premier magistrat
et les gens de sa maison qui devaient être baptisés.
Jésus se rendit ensuite devant la ville à un endroit
où beaucoup de personnes l'attendaient déjà et il
y prépara aussi au baptême. Les gens venaient et se retiraient
successivement par troupes séparées. Ils allèrent
de là dans la synagogue, où ils prièrent, et se mirent
de la cendre sur la tête en signe de pénitence, puis ils se
rendirent au lieu de grâce où ils firent leurs ablutions deux
par deux dans un bassin où ils étaient séparés
par des rideaux.
Quand tous eurent quitté le lieu où l'instruction avait
eu lieu, Jésus se rendit au lieu de grâce avec ses disciples.
La fontaine baptismale était ce réservoir dans lequel l'eau
venait par un bras du Jourdain. Ici aussi était le bassin, entouré
d'un fossé dans lequel deux personnes pouvaient passer l'une à
coté de l'autre à ce fossé aboutissaient cinq conduits
venant du bassin central et qu'on pouvait fermer.
Ce réservoir d'eau avec ses cinq conduits n'avait pas précisément
été arrangé ainsi pour le baptême. C'était
une forme qui se retrouvait fréquemment en Palestine et dont les
rapports avec les cinq entrées de la piscine de Béthesda,
avec la fontaine de Jean dans le désert, avec la fontaine baptismale
de Jésus et avec les cinq plaies du Sauveur doivent avoir une signification
symbolique et religieuse.
Jésus enseigna encore ici, pour préparer prochainement
au baptême. Ceux qui devaient être baptisés étaient
en manteaux longs qu'ils déposaient ; après quoi ayant les
reins enveloppés d’un linge et un petit manteau sur la poitrines
ils descendaient dans le fossé circulaire où l'on faisait
entrer l'eau du bassin du milieu. Ceux qui baptisaient elles parrains se
tenaient sur les passages. L'eau était versée trois fois
sur la tête au nom de Jéhovah et de son envoyé. Il
y avait toujours quatre disciples qui baptisaient en même temps et
deux imposaient les mains. Cela dura jusqu'au soir. Plusieurs furent refusés
et renvoyés.
(16 juillet.) Au point du jour les disciples s'embarquèrent
pour Séleucie, et l'endroit où devait avoir lieu l'instruction.
à quelque distance d'Adama, le lac, qui avait la forme d'un violon,
se rétrécissait : il avait environ un quart de lieue de large.
Séleucie, ville de moyenne grandeur, était une forteresse
: elle avait une muraille, puis un retranchement et encore une muraille.
Le côté du nord était escarpé et elle était
tout à fait inaccessible par là. Elle n'était habitée
que par des soldats païens. Je vis, dans un quartier séparé,
les femmes qui habitaient de longs bâtiments où elles avaient
chacune leur chambre. Les Juifs en petit nombre qui demeuraient ici vivaient
très retirés et logeaient dans de misérables trous
de murailles. Ils étaient chargés de travaux pénibles
et rebutants dans les fossés et le marécage.
Je ne vis pas là de synagogue, mais un temple rond. Il était
supporté par des colonnes et aussi par de grandes figures. Au milieu
s'élevait une très grosse colonne dans laquelle étaient
pratiqués des degrés qui conduisaient dans le temple. Il
y avait au-dessous des caveaux souterrains où l'on déposait,
je crois, les urnes contenant les cendres de leurs morts. Il y avait aussi
près de là une place noircie où je suppose qu'on brûlait
les cadavres. Dans le temple étaient des images de serpents avec
des visages d'hommes, des figures humaines avec des têtes de chiens,
et aussi une figure avec la lune et un poisson.
Le pays d'alentour était peu fertile, mais les gens étaient
très laborieux, ils faisaient toute espèce d'ouvrages en
cordes pour le harnachement des chevaux : il y avait là aussi plusieurs
armuriers : on fabriquait tout ce qui était à l'usage des
soldats.
Les disciples allèrent de côté et d'autre et invitèrent
les gens à l'instruction et au repas qui devait avoir lieu à
l'endroit désigné. Pendant ce temps Jésus faisait
de même dans les maisons païennes d'Adama. Les disciples se
rendirent ensuite au parc des animaux, à un endroit où il
y avait de beau gazon, des fleurs et des arbustes, et ils préparèrent
tout pour le repas avec l'aide de plusieurs pêcheurs qui avaient
déposé leur poisson dans une citerne voisine. Les tables
étaient de grandes poutres, larges d'environ deux pieds, qu'on avait
tirées du lac. Derrière le jardin étaient des foyers
où l'on faisait griller le poisson. Il semblait qu'on donnât
souvent des repas en cet endroit. car il se trouvait là, dans des
caves souterraines, des espèces d'écuelles plates en pierre
qui paraissaient formées par la nature et sur lesquelles on apportait
les mets : c'étaient des pains, du poisson, des herbes vertes et
aussi des fruits.
Quand tout cela fut préparé et qu'une centaine de paiens
furent rassemblés Jésus vint aussi en traversant le lac.
Il était suivi d'environ douze Juifs, du magistrat supérieur
et en outre de plusieurs païens d'Adama. Jésus prêcha
sur une colline. Le magistrat et les autres Juifs prirent part aux préparatifs
du repas et ils servirent à table avec les disciples. Jésus
parla de la créature humaine, dit comment elle était composée
d'un corps et d'une âme, et il traita de la nourriture corporelle
et spirituelle. Il ajouta qu'ils étaient libres d'écouter
son instruction ou de manger. Il dit cela pour les éprouver, et
alors quelques-uns allèrent se mettre à table, suivis bientôt
de plusieurs autres, en sorte qu'il n'en resta guère que le tiers
pour l'écouter. Il enseigna aussi sur la vocation des païens
et leur raconta la venue des trois rois qui ne leur étaient pas
inconnus.
Quand l'instruction et le repas furent finis, Jésus vers le
soir alla avec ses disciples et les Juifs à Séleucie qui
était au midi, à une lieue et demie environ, et qui n'était
pas tout à fait au bord du lac : les gens y étaient déjà
retournés. Il fut accueilli par les hommes les plus considérables
de la ville et on lui offrit à boire et à manger, ainsi qu'aux
disciples et aux Juifs. On les fit entrer dans la ville : Jésus
salua et enseigna les femmes païennes, à peu de distance de
la porte, dans un endroit où on avait coutume de les instruire et
où elles s'étaient rassemblées pour le voir. Elles
ont le même costume que les Juives, mais ne sont point aussi décemment
voilées ; elles ne sont pas très belles : en général
les gens de ce pays ne sont pas grands, mais vigoureux et trapus.
Jésus se rendit alors à une grande hôtellerie où
on lui avait préparé un grand festin : on en donne beaucoup
dans ce pays. Jésus, les disciples et les Juifs mangeaient seuls
à une table. Au commencement les Juifs ne voulaient pas manger ici.
Mais Jésus leur dit que ce qui entre dans la bouche, ne souille
point l’homme, que s'ils ne voulaient pas manger avec lui, ils ne se conformaient
pas à son enseignement, etc.
Il enseigna sans relâche pendant tout le repas. Les païens
avaient des tables plus hautes que les Juifs et aussi de petites tables
isolées : ils s'asseyaient sur des coussins les jambes croisées
comme les gens du pays des trois rois. Les mets étaient du poisson,
des légumes verts, du miel et des fruits. Je vis de la viande rôtie
de couleur brune.
Jésus les toucha beaucoup par son enseignement et le soir ils
furent très affligés lorsqu'il prit congé d'eux. Ils
le prièrent instamment de rester, et il leur laissa André
et Nathanaël. Les païens étaient en général
fort curieux de nouvelles choses.
Le soleil était déjà couché lorsqu'il les
quitta. Les habitations des femmes étaient appuyées par derrière
au mur de la forteresse et au rempart : le devant donnait sur une large
rue. Il y avait là de très belles maisons séparées
quelquefois par des jardins et des cours, où ces femmes faisaient
le ménage et la lessive. Jésus s'entretint avec elles dans
un lieu de réunion. Jésus à Séleucie a parlé
du baptême comme d'une ablution et comme ils voulaient le garder
plus longtemps, il dit que pour le moment ils ne pouvaient pas en porter
davantage.
(17 et 18 juillet.) Aujourd’hui je vis baptiser de nouveau à
Adama ; il y eut auparavant une fête d'actions de grâces des
nouveaux baptisés dans la synagogue où ils occupaient les
premières places et où ils chantaient des cantiques de louanges
: Jésus y enseigna. André et Nathanaël revinrent de
Séleucie. Le Juif converti s'est mis à la disposition de
Jésus, et il rend toute espèce de services. Il est parfaitement
humble et obligeant.
Jeudi. Ce matin, de très bonne heure, les quatre disciples qui
sont venus de Galilée, allèrent dans quelques villes situées
plus au nord, entre autres à Azor, à Cadès et je crois
aussi à Berotha, car je me souviens de la terminaison otha. Cadès
est au nord-ouest d'Adama à environ deux ou trois lieues, Azor ou
Khazor à deux lieues au nord-ouest de Cadès, Berotha à
l'ouest de Cadés : elles forment un triangle. Outre ces trois villes,
la Sœur en mentionne une quatrième dont elle a oublié le
nom, mais elle croit qu'un oncle de Tobie habitait dans les environs. D'Azor
descend une petite rivière qui passe aussi près de Cadès.
C'est près de Berotha que les Chananéens se rassemblèrent
pour combattre Josué. Cadès est beaucoup plus grand qu'Azor.
Entre ces deux villes est une montagne élevée sur laquelle
on a coutume d'enseigner. Les disciples ont invité à s'y
rendre, pour entendre une instruction de Jésus, les habitants de
ces villes et aussi des bergers qui habitent un groupe de maisons dans
les environs. Le quatrième endroit est Thisbé, je vois que
Tobie (Tob. 1-2) y fut autrefois fait prisonnier : la situation est très
élevée. La montagne dont j'ai parlé monte en pente
douce de Cadès à Berotha : Berotha est plus haut. Sur les
pentes de cette montagne qui regardent le nord et le midi, sont des groupes
de maisons où habitent les bergers.
Au sommet de la montagne qui est couverte de verdure se trouve une
enceinte où il y a une chaire. Quelque chose de remarquable s'est
passé là autrefois ; c'est, je crois, pendant la guerre entre
les Chananéens et Josué. Je vis que les disciples allaient
séparément dans ces endroits : dans les plus importants,
ils se rendaient chez les magistrats et les chargeaient d'inviter le peuple
à l'instruction que Jésus, le prophète de Galilée,
devait donner sur la montagne le jour d'après le sabbat : ailleurs,
ils allaient eux-mêmes inviter les gens dans leurs maisons. Parmi
les nombreuses villes que je vis, je me souviens d'Hétalon, où
dernièrement j'ai eu quelque chose à faire dans un songe.
Hétalon est au penchant oriental des premières hauteurs du
Liban.
Je vis Jésus à Adama, avec Saturnin et le disciple allié
à sa famille, visiter et guérir une grande quantité
de malades qui n'avaient pas pu venir à ses instructions et au baptême.
Il alla chez des riches et des pauvres, soit juifs, soit païens, et
il guérit des hydropiques, des perclus, des aveugles et des personnes
affligées de pertes de sang. Je me souviens particulièrement
de dix possédés, parmi lesquels il y avait des femmes : tous
étaient Juifs : je ne vis jamais autant de possédés
parmi les païens. Quelques-uns étaient des gens considérables,
enchaînés dans des chambres grillées ou dans le vestibule
des maisons. Quand Jésus s'approchait du lieu où ils étaient,
ils se mettaient à pousser des cris affreux et devenaient furieux,
mais quand il venait à eux lui-même, ils se taisaient et le
regardaient immobiles et terrifies. Je vis aussi qu'il suffisait de son
regard pour chasser d'eux le démon qui se retirait visiblement,
d'abord comme une vapeur laquelle formait ensuite une ombre hideuse de
forme humaine et disparaissait. Les assistants s'étonnaient et restaient
stupéfaits, les délivrés devenaient pâles et
tombaient en défaillance. Jésus leur adressait la parole,
les prenait par la main et leur ordonnait de se lever : alors ils avaient
l’air de sortir d'un songe, se mettaient à genoux, remerciaient
et devenaient tout autres. Jésus leur faisait des exhortations et
leur indiquait les fautes dont ils avaient à se corriger. C'est
ainsi que se passa le jeudi tout entier jusqu'au soir.
Les disciples ne revinrent à Adama que vers midi et ils prirent
un repas avec Jésus, chez le magistrat principal. Ils avaient acheté
des poissons et des pains dans les lieux qu'ils avaient visités
et avaient fait porter tout cela sur la montagne où devait avoir
lieu l'instruction, pour la nourriture des auditeurs. Jésus reçut
aussi des présents de diverses personnes. Je vis des petits bâtons
comme d'or natif. Ces dons servaient à faire les frais des repas
dans de semblables occasions. Jésus n'avait encore rien mangé
depuis le repas de Séleucie.
(19 et 20 juillet.) Je vis, hier soir, la célébration
solennelle du sabbat : Jésus enseigna dans la synagogue ; il fit
de même aujourd'hui toute la journée. Je vis les disciples
se reposer et prier avec Jésus.
Du reste il y a à Adama, un parti opposé à Jésus.
Ils ont envoyé deux pharisiens à la prédication de
Jean, pour savoir ce que celui-ci dit de Jésus, et aussi à
Bethabara et à Capharnaum. Ils ont annoncé là à
leurs pareils que Jésus parcourt maintenant leur pays, qu'il y baptise
et y fait des disciples. Ces gens sont revenus : ils racontent ce qu'ils
ont entendu dire, calomnient Jésus et murmurent contre lui, mais
ils n'ont qu'un petit nombre d'adhérents.
Ces jours derniers, ou même aujourd'hui, les principaux d'Adama
demandèrent à Jésus, pendant le repas, ce qu'il pensait
des Esséniens. Ils voulaient l'induire en tentation, parce qu'ils
croyaient avoir remarque une certaine ressemblance entre leurs principes
et les siens, et parce que Jacques le Mineur, son parent, qui était
avec lui, appartenait aux Esséniens. Ils leur firent divers reproches
touchant l'observation de la continence et spécialement touchant
le célibat. Jésus leur répondit en termes très
généraux qu'on ne pouvait rien leur reprocher : que, si telle
était leur vocation, ils étaient très louables de
la suivre : que cependant chacun avait sa vocation particulière
et que si, par exemple, un boiteux voulait marcher droit, cela ne lui réussirait
pas et ne lui siérait pas. Comme ils objectaient qu'ils donnaient
naissance à très peu de familles, Jésus leur énuméra
un grand nombre de familles d'Esséniens, et il parla de la bonne
éducation qu'ils donnaient à leurs enfants. Il parla de la
bonne et de la mauvaise propagation des races, il ne prit pas parti pour
les Esséniens, mais il ne les condamna pas non plus, et ils ne le
comprirent pas. Ils avaient eu cela en vue parce que Jésus avait
parmi eux des membres de sa famille et était en rapport avec eux,
et qu'eux aussi vivaient dans la continence.
(21 et 22 juillet.) Dans la nuit du sabbat au dimanche, avant le jour,
je vis Jésus, qui avait pris congé après le sabbat,
sans dire toutefois qu'il ne reviendrait pas, partir d'Adama, accompagné
de ses disciples et de plusieurs Juifs, et se rendre sur la montagne pour
y enseigner.
Il passa un pont près de la porte d'Adama par laquelle il était
entré. s’ils avaient passé par l'autre porte, ils auraient
eu à traverser le cours d'eau qui va d'Azor à Cadès,
et qui se jette dans le Jourdain, près d'Adama, en passant devant
la ville. Ils laissèrent Cadès à droite et se dirigèrent
vers l'ouest, gravissant des rampes de montagnes dont la pente était
douce. Il se trouvait dans ce pays de hautes arêtes de montagnes
qui formaient de grands plateaux, et il n'y avait pas autant de ravins
et de sommets abruptes et déchirés que dans la Palestine
méridionale. Thisbé, qui était située à
une grande hauteur, se trouvait à leur gauche. Tobie y avait habité
autrefois : il avait un beau-frère ou un frère de sa femme
marié là : il avait aussi résidé à Anichorès
(la ville aquatique), et il aurait pu s'y retirer ; mais il préféra
aller en captivité avec son peuple pour lui être utile. Elie
résidait aussi à Thisbé, et Jésus y avait déjà
passé une fois, si je ne me trompe. Les villes étaient ainsi
placées à peu près. (Ici elle marqua avec son doigt
sur la couverture du lit leurs diverses positions.)
La foule était déjà rassemblée sur la montagne.
Dès la soirée précédente, des gens étaient
venus après le sabbat et avaient tout préparé. Il
y avait au point le plus élevé une enceinte avec une chaire.
Ceux qui habitaient des deux côtés de la montagne les groupes
de maisons que j'ai mentionnés précédemment, s'occupaient
à préparer des tentes, et ils en avaient déjà
dressé quelques-unes avec des perches et des cordes. Ils les avaient
apportées avec eux, et ils avaient tendu des toiles au-dessus de
la chaire et en d'autres endroits. Ce lieu était mémorable,
car Josué y avait célébré une fête d'actions
de grâces après avoir vaincu les Chananéens. On avait
apporté de l'eau dans des outres, ainsi que du pain et du poisson
dans des corbeilles Ces corbeilles ressemblaient à nos ruches d'osier
; on pouvait les mettre l'une au-dessus de l'autre, et il y avait des cases
où l'on pouvait placer différentes choses.
Lorsque Jésus arriva sur le sommet de la montagne, au milieu
du peuple, il fut reçu par des acclamations a : Vous êtes
le véritable Prophète, le Sauveur, etc., lui criait-on et
quand il passait à travers la foule, on s'inclinait profondément
devant lui. Il pouvait être neuf heures quand il arriva, car il y
avait bien six ou sept lieues d'Adama jusque-là. On avait amené
beaucoup de possédés qui criaient et s'agitaient violemment.
Mais Jésus les regarda et leur commanda de se taire, et il suffit
de son regard et de son commandement pour les calmer et les guérir.
Quand Jésus fut arrivé à l'endroit où il
devait parler, le peuple ayant été placé par les disciples
et le silence s'étant établi, il adressa une prière
au Père céleste, duquel tout procède, et le peuple
pria aussi. Il parla de ce lieu, de ce qui s'y était passé,
des enfants d'Israël : il dit comment Josué avait paru là
autrefois et avait délivré ce pays des Chananéens
et de l'idolâtrie, et comment Azor avait été détruite
: il expliqua tout cela comme des symboles : maintenant la vérité
et la lumière venaient à eux avec mansuétude pour
les combler de grâces et les délivrer de l'empire du péché
; ils ne devaient pas résister comme les Chananéens, afin
que la punition divine ne tombât pas sur eux comme elle était
tombée sur Azor. Il raconta aussi une parabole, dont il fit encore
usage plus tard ; elle se trouve dans le livre des Evangiles : je crois
qu'il y était question de blé et de labourage. Il enseigna
aussi sur la pénitence et l’avènement du royaume de Dieu
; il parla cette fois plus clairement de lui-même et du Père
céleste qu'il ne l'avait fait dans ce pays.
Le fils de Jeanne Chusa et celui de Véronique vinrent le trouver
ici, envoyés par Lazare pour l'avertir à propos de deux émissaires
que les 1lharisiens de Jérusalem avaient envoyés à
Adama. Les disciples les lui amenèrent pendant une pause, et il
leur dit qu'ils ne devaient pas s'inquiéter à son sujet,
qu'il remplirait sa mission, qu'il les remerciait de leur attachement,
etc.
Les envoyés des pharisiens vinrent aussi ici avec les Juifs
mécontents d'Adama, mais Jésus ne leur parla point. Dans
sa prédication, il s'expliqua sans détour, dit qu'on l'espionnait
et qu'on le poursuivait, mais qu'on ne réussirait pas à l'empêcher
de faire ce dont le Père céleste l'avait chargé, qu'il
paraîtrait encore parmi eux, pour leur annoncer la vérité
et le royaume de Dieu, etc. Il y avait là plusieurs femmes avec
leurs enfants, et elles lui demandèrent sa bénédiction.
Les disciples avaient quelques craintes et pensaient qu'il ne devait pas
faire cela à cause des espions qui étaient présents
: Jésus leur reprocha de s’inquiéter ainsi : il leur dit
qu'il voyait de bonnes dispositions dans ces femmes, que les enfants deviendraient
bons, puis il traversa la foule et les bénit.
L'instruction dura depuis dix heures du matin jusque vers le soir,
après quoi la multitude s'assit pour manger. Il y avait d'un côté
de la montagne du feu avec des grils sur lesquels on faisait cuire le poisson
: tout était bien réglé : les habitants de chaque
ville étaient placés ensemble, puis distribués par
rues et par familles. Il y avait pour chaque rue un homme qui faisait les
parts et distribuait les aliments. Les convives isolés, ou l'un
d'eux, dans une compagnie qui mangeait ensemble, avaient un cuir roulé
qui, déployé, servait d'assiette ; ils avaient aussi des
couteaux et des cuillers en os. Les uns avaient des calebasses, les autres
des verres faits d'écorce roulée où ils recevaient
l'eau qu'on versait des outres. Plusieurs savaient se faire des verres
de ce genre sur le lieu même ou bien en route. Les préposés
recevaient les mets de la main des disciples et partageaient une portion
entre quatre ou cinq personnes assises ensemble, pour lesquelles ils mettaient
de la viande et du pain sur le cuir placé devant elles. Jésus
bénit les mets avant qu'on ne fit les parts, et il se fit ici aussi
une multiplication des aliments, car ce qu'il y avait n'aurait pas suffi,
à beaucoup près, pour les deux mille hommes qui étaient
présents. Chaque groupe ne reçut qu'une petite portion, mais
quand ils eurent mangé, tous furent rassasiés, et il y eut
encore beaucoup de restes que les pauvres recueillirent dans des corbeilles
et emportèrent avec eux.
Il y avait quelques soldats romains mêlés parmi les auditeurs
: ils étaient de ceux qui connaissaient Lentulus à Rome ou
qui étaient sous ses ordres : car il avait des soldats sous lui.
Peut-être avaient-ils été chargés par lui de
prendre des informations sur Jésus, car ils vinrent trouver les
disciples et leur demandèrent quelques-uns des pains bénis
par Jésus, pour les faire parvenir à Lentulus. Ils reçurent
de ces petits pains et les mirent dans un sac qu'ils portaient sur leurs
épaules.
Lorsque le repas prit fin, il faisait déjà nuit, et l'on
avait allumé des flambeaux. Jésus bénit le peuple
et quitta la montagne avec ses disciples. Mais il se sépara d'eux
: ils prirent un chemin plus court pour revenir à Bethsaïde
et à Capharnaum. Quant à lui, il se dirigea au sud-ouest,
avec Saturnin et le disciple son parent, vers une ville qui est à
côté de Bérotha, et qui s'appelle Zédad. Il
passa la nuit dans une hôtellerie devant cette ville.
(23 et 24 juillet.) Dans la nuit du lundi au mardi, je vis Jésus
dans la montagne avec Saturnin et l'autre disciple. Comme il marchait seul
et priait, ils lui demandèrent pourquoi il faisait ainsi, et il
leur donna des enseignements sur la prière faite en particulier
et sur la prière en général. Il leur parla comme exemple,
de serpents et de scorpions. (il dit probablement que quand un enfant demande
un poisson, son père ne lui donne pas un scorpion, etc.) Je le vis
ce jour-là dans divers petits endroits habités par des bergers,
guérir et exhorter : je le vis aussi dans une ville appelée
Hépher (Gatepher), où Jonas est né, et où habitaient,
à ce que je crois, des parents de Jésus (peut-être
est-il question des neveux de sainte Anne qui demeuraient près de
là à Séphoris). Il y fit aussi des guérisons,
puis vers le soir il alla jusqu'à Capharnaum. Il avait fait un détour,
en passant beaucoup plus au midi, et il n'arriva qu'après minuit.
Je pense en ce moment combien il était infatigable et à
quels efforts il obligeait les disciples et les apôtres. Au commencement
surtout ils étaient souvent excessivement fatigués et tombaient
de sommeil. Quelle différence avec le temps d'à présent,
où souvent les apôtres s'endorment d'ennui ! ils couraient
après les gens et au-devant d'eux parfois sur la grande route, et
leur donnaient quelques bonnes instructions ou les convoquaient à
la prédication.
Lazare, Obed, fils de Siméon, les neveux de Joseph d'Arimathie,
le fiancé de Cana et quelques autres disciples, étaient venus
dans la maison de Marie : il s'y trouvait aussi environ sept femmes, parentes
ou amies de la sainte Vierge : tous attendaient Jésus. On allait
et on venait, et on regardait sur la route par laquelle il devait venir.
Les disciples de Jean vinrent aussi et apportèrent la nouvelle de
son emprisonnement qui causa une grande tristesse. Ces disciples allèrent
au-devant de Jésus qu'ils rencontrèrent a peu de distance
de Capharnaum, et ils lui annoncèrent ce qui était arrivé.
Il les tranquillisa et vint chez sa mère.
Jésus arriva seul : il avait envoyé ses disciples en
avant. Lazare alla à sa rencontre, et lui lava les pieds dans le
vestibule de la maison. Il se trouvait là d'autres disciples : mais
ceux qui avaient été à Adama étaient tous à
leurs pêcheries.
Pendant que Jésus approchait, les disciples et tous les autres
étaient agiles, comme lorsqu'on attend quelqu'un avec impatience.
Ils étaient dans la pièce antérieure, en avant de
la chambre du foyer où habitait Marie : celle-ci était avec
eux : les autres femmes, parmi lesquelles étaient les veuves, la
fiancée de Cana, et Marie de Cléophas, se trouvaient dans
un bâtiment attenant.
Lorsque Jésus entra, les hommes s'inclinèrent profondément.
Il les salua tous et vint à sa mère, à laquelle il
tendit les mains : elle aussi s'inclina avec beaucoup de tendresse et d'humilité.
On ne se précipitait pas ici dans les bras les uns des autres ;
on restait maître de soi mais avec une simplicité affectueuse
qui donnait aux cœurs, aux attitudes et aux visages, une expression pleine
de bonté et de cordialité. Jésus alla aussi aux autres
femmes qui se voilèrent et s'agenouillèrent devant lui. Il
les bénissait toutes quand il arrivait ainsi ou qu'il partait.
Je vis apprêter un repas : les hommes étaient couchés
autour de la table : à l'autre extrémité, les femmes
étaient assises les jambes croisées On parla de l'emprisonnement
de Jean avec quelque amertume : Jésus leur en fit des reproches.
Il leur dit qu'ils ne devaient pas juger ni s'irriter, que tout cela devait
être ainsi : que si Jean n'était mis de côté,
il ne pouvait pas, lui, commencer son œuvre et aller maintenant à
Béthanie. Il dit ensuite quelque chose des gens chez lesquels il
avait été. L'arrivée de Jésus ici fut secrète,
personne n'en savait rien si ce n'est les personnes ici présentes
et quelques disciples affidés. Jésus passa la nuit, ainsi
que les autres étrangers, dans le bâtiment adjacent à
l'un des côtés de la maison, les saintes femmes dans celui
qui était de l'autre côté ou dans la maison même.
excepté quelques-unes d'entre elles qui avaient leur demeure dans
le voisinage.
(24 juillet.) Jésus resta depuis hier jusqu'à ce matin
dans la maison de Marie. Il raconta et enseigna : quelques disciples allaient
et venaient, et parmi eux quelques-uns des pêcheurs qui étaient
revenus : il leur donna à tous rendez-vous, après le sabbat
suivant, dans le voisinage de Bethoron, dans une maison isolée,
située sur une hauteur, où Jésus et Marie avaient
logé plus d'une fois.
Je le vis s'entretenir seul avec Marie : elle pleurait parce qu'il
allait du côté de Jérusalem s'exposer au danger. Il
la consola et lui dit de ne pas s'inquiéter, qu'il accomplirait
sa tâche, et que les jours de l'affliction n'étaient pas encore
venus il lui recommanda de se tenir constamment en prière ; il dit
à tous les autres qu'ils devaient s'abstenir de tout jugement et
de toute remarque sur l'emprisonnement de Jean et sur les procédés
des pharisiens envers lui, qu'autrement ils ne feraient que rendre le danger
plus grand. Il ajouta que les pharisiens aussi concouraient à l'accomplissement
des desseins de Dieu, que c'était contre eux-mêmes qu'ils
travaillaient.
Il fut aussi question de Madeleine ; on répéta ce que
Véronique avait raconté d'elle. Il leur dit qu'ils devaient
prier pour elle, n'avoir que des pensées charitables à son
égard, qu'elle viendrait bientôt, et deviendrait si bonne
qu'elle serait un modèle pour plusieurs.
Jésus partit de bonne heure pour Béthanie avec Lazare
et environ cinq disciples de Jérusalem. Aujourd'hui l'on fêtait
le commencement de la nouvelle lune : je vis à Capharnaum, et partout
où je passai, de longs draps avec des nœuds suspendus à l'extérieur
des synagogues, et d'autres édifices décorés avec
des guirlandes de fruits.
(19-22 juillet.) J'ai passé aujourd'hui, à l'occasion
de ce voyage, près de l'endroit où avait enseigné
Jean Baptiste. Je passai près de Jérusalem et j'arrivai,
par Jéricho, à la fontaine baptismale abandonnée :
elle était restée dans le même état, sauf que
la décoration était flétrie. Je vis aussi les douze
pierres des enfants d'Israël sur l'île du baptême de Jésus,
qui était restée comme auparavant, seulement les feuillages
avaient été retirés.
Je vis Hérode et sa femme, avec un cortège de soldats,
voyager de l'autre côté du Jourdain et aller vers le lieu
où Jean enseignait. Il allait de son château à Liviade,
qui était à douze lieues de chemin : il passa près
de Dibon, où il traversa les deux bras d'une petite rivière,
et par Bethzobra, d'où était la femme à laquelle la
faim fit manger son enfant. Je me souviens de cet endroit, parce que Jésus
passa par là lors de la dernière fête des Tabernacles.
Jusqu'à Dibon le chemin était très bon, plus loin
il devenait difficile et inégal, ne convenant qu'aux piétons
et aux bêtes de somme. Hérode voyageait sur un chariot long
et étroit, où l'on était assis de côté
: plusieurs autres personnes étaient assises près de lui.
Il était traîné par des ânes : les roues ordinaires
étaient des disques sans rayons, épais et bas : il y avait
encore d'autres roues plus grandes et des rouleaux attachés par
derrière. Le chemin était très inégal, et tout
cela marchait très difficilement. La femme d'Hérode était
assise sur une voiture semblable avec des femmes de chambre. Les chariots
étaient traînés par des ânes, des soldats allaient
devant et derrière ainsi que d'autres suivants.
Hérode allait là, parce que Jean prêchait de nouveau
et avec plus de netteté et de force que jamais ; il voulait l'entendre
pour savoir s'il ne disait rien contre lui. Il l'avait récemment
fait conduire près de lui et l'avait retenu assez longtemps, dans
l'espoir de le faire changer de sentiment et de l'intimider il le relâcha
par crainte de la foule innombrable de peuple qui s'était portée
pour l'entendre.
Je vis que la femme d'Hérode n'attendait qu'une occasion pour
le pousser à des mesures extrêmes contre Jean, mais qu'elle
feignait d'avoir des intentions bienveillantes, quoiqu'elle n'allât
avec lui que dans le dessein de le circonvenir. Hérode était
poussé par un motif secret : il avait appris qu'Aretas, un roi arabe,
père de la première femme répudiée par lui,
était allé trouver Jean et se tenait parmi ses disciples.
Il voulait l'observer pour voir s'il ne tramait rien là contre lui
parmi le peuple.
Cette première épouse était une femme très
belle et très vertueuse elle était en ce moment près
de son père, lequel ayant entendu parler de la prédication
de Jean et de son blâme de la conduite d'Hérode, voulait s'en
convaincre lui-même pour sa consolation : il ne paraissait pas de
manière à être remarqué, mais il était
vêtu très simplement et caché parmi les disciples de
Jean auxquels il s'était adjoint comme l'un d'entre eux.
Jean enseigne maintenant vis-à-vis Salem, à une lieue
et demie à l'est du Jourdain, à deux lieues au midi de Sukkoth,
près d'un joli petit lac ou plutôt d'un étang qui a
bien un quart de lieue de long et duquel sortent deux ruisseaux qui, après
avoir fait le tour d'une colline, vont se perdre dans le Jourdain. Sur
cette colline s'élèvent de vieux édifices d'un aspect
seigneurial et aussi d'autres habitations autour desquelles il y a des
avenues et des jardins. Cette contrée dépendait de Philippe,
mais pénétrait comme une enclave dans les terres d'Hérode,
qui, à cause de cela craignait un peu de mettre à exécution
ses desseins à l'égard de Jean Il y avait encore là
un vieux château un peu délabré : c'était, pris
en masse, un lieu de plaisance qu'on n'entretenait plus. Jean était
quelquefois à Sukkoth, ville située dans le voisinage.
L’étang qui est très limpide et très poissonneux
est à l'est de la colline : entre les deux est la fontaine baptismale,
puis vient la colline, qui se termine par une plate-forme très spacieuse
environnée de retranchements écroulés. Sur ce rebord
se trouvent les restes d'un château avec des tours, qui est encore
habité et où Hérode entra.
Au milieu de la plate-forme s'élève un tertre maçonné
avec des degrés et un rebord, et au-dessus il y a encore une élévation
recouverte d'une tente que les disciples ont dressée : c'est là
que Jean prêche. Il y a tout autour une immense affluence de gens
venus pour l'entendre, des caravanes entières venant d'Arabie avec
des chameaux et des ânes et plusieurs centaines d'hommes et de femmes
de Jérusalem et de la Judée Ces troupes vont et viennent
alternativement, - se tiennent au haut de la colline et campent sur le
rebord.
Les disciples de Jean maintiennent un grand ordre parmi tout ce monde.
Les uns sont couchés, d'autres sont à genoux, d'autres debout,
en sorte que tous peuvent voir les uns par-dessus les autres. Les païens
et les Juifs sont séparés : il en est de même des hommes
et des femmes : celles-ci se tiennent en arrière. Ceux qui se tiennent
sur le penchant sont pour la plupart accroupis, la tête appuyée
sur les genoux, ou bien couchés sur une hanche et les bras passés
autour du genou resté libre.
Depuis qu’Hérode lui a rendu la liberté, Jean semble
plein d'un nouveau feu : sa voix a un accent singulièrement agréable,
et pourtant elle est très forte et a une portée extraordinaire
de sorte qu'on ne perd pas un mot il se fait entendre très loin,
et sa parole arrive à deux mille personnes à la fois. Il
est de nouveau couvert de peaux de bêtes, et vêtu plus grossièrement
que je ne l'ai vu prés d'Ono : alors il portait souvent une longue
robe.
Il disait d'une voix tonnante comment on avait persécuté
Jésus à Jérusalem ; il montrait du doigt la haute
Galilée : C'est là, disait-il, qu'il parcourt le pays, qu'il
guérit, qu'il enseigne ; il viendra bientôt, ses persécuteurs
ne pourront rien contre lui jusqu'à ce qu'il ait achevé son
œuvre.
Hérode était assis sur une terrasse avec des degrés
attenante aux bâtiments du château, sa femme était plus
loin entourée de ses gens et de ses gardes, assise sur de beaux
coussins, protégée par un pavillon. Jean cria au peuple qu'il
ne fallait pas se scandaliser du mariage d'Hérode, qu'il fallait
l'honorer et ne pas l'imiter : cela fit plaisir à Hérode
tout en l'irritant.
(21 juillet.) Je passai de nouveau le Jourdain, près du lieu
du baptême de Jésus, et j'arrivai à travers la Pérée,
près de Jean que je vis prêcher avec encore plus de véhémence
qu'hier : il parle avec une force incroyable : sa voix est comme un tonnerre
et cependant si agréable et si intelligible ! Je crois qu'il sera
bientôt arrêté, car on dirait qu'il veut jouer de son
reste. Il a déjà dit à ses disciples que son temps
tirait à sa fin, en les exhortant toutefois à ne pas l'abandonner
et à je visiter quand il serait en prison. Il n'a rien mangé
ni bu depuis trois jours, et il n'a pas cessé de prêcher et
de parler de Jésus avec une grande véhémence.
Aujourd'hui il a publiquement reproché à Hérode
son adultère. Les disciples l'ont prié instamment de se reposer
et de prendre quelques rafraîchissements, mais il ne l'a pas voulu
: il est dans un état d'enthousiasme extraordinaire.
La foule est maintenant très grande : il y a plusieurs campements
dans le pays d'alentour. De la hauteur où Jean prêche, la
vue est merveilleusement belle : on peut apercevoir le Jourdain dans le
lointain, on voit les villes environnantes et entre elles : des champs
et des vergers. Il doit y avoir eu ici autrefois un grand édifice,
car je vois de grandes arcades sur lesquelles l'herbe a poussé :
ce sont comme des ponts ou des arches de grosses pierres. Le château
où Hérode habite est en partie détruit et dévasté,
mais on a récemment restauré deux tours et c'est là
qu'Hérode se tient.
Je crois que cet endroit pourrait bien être Ennon ou Ainon près
de Salem, car Salem est située vis-à-vis et Jean a déjà
baptisé là ; (plus haut, elle a décrit vaguement le
lieu du baptême comme une enceinte ruinée près de Salem,
au bord du Jourdain : elle ne savait pas bien d'où l'eau y venait
et disait alors que c'étaient les restes d'un château de tentes
de Melchisédech). Les sources sont très abondantes ici et
la fontaine où l'on se baigne est en très bon état
: c'est même un ouvrage d'art, car la source sort par un canal voûté
de la colline sur laquelle Jean enseigne. Le bassin ovale de la fontaine
est entouré de trois belles terrasses couvertes de verdure qui sont
coupées par cinq conduits. Quoique plus petit, il est plus beau
que celui de Béthesda à Jérusalem, où il y
a des joncs en quelques endroits et dans lequel tombent les feuilles des
arbres environnants. Ici il y a aussi des arbres, mais tout est très
bien tenu '. Le bassin de la fontaine est derrière la colline et
environ cinquante pas plus loin est le grand étang, dans lequel
il y a beaucoup de poissons, parmi lesquels de fort gros : je les ai vas
se presser du côté où Jean prêchait comme s'ils
eussent voulu l'écouter. Il y a sur l'étang de petites barques
; ce sont des poutres creusées, où deux hommes tout au plus
peuvent tenir, avec des sièges au milieu pour pêcher. J'ai
vu plus d'une fois Jean s'y embarquer avec les disciples Jean mange très
peu et des choses fort communes : quand je le voyais manger avec ses disciples,
il ne prenait presque rien. Je le vois souvent prier seul, quelquefois
aussi, pendant la nuit, couché sur le des et regardant le ciel.
(23 juillet, mardi matin.) Je me suis trouvée près de
Jean, il est arrêté. Des soldats d'Hérode l'ont emmené
; j'ai poussé des cris et j'ai couru : je voulais dire à
ses disciples consternés quel chemin ils devaient prendre pour le
suivre : ils ne le savaient pas et ne me comprenaient pas : ils couraient
ça et là et semblaient ne pas me voir.
Note : Elle voit toujours le lieu où Jean baptise très
bien entretenu, probablement par les soins des disciples et à cause
du fréquent usage.
C'est quelque chose de bien triste ; j'ai beaucoup pleuré avec
eux. Je savais bien que son arrestation était proche : c'était
pour cela qu'il se pressait tant de parler et qu'il était si animé
ces jours derniers : il a aussi pris congé d'eux. Il avait annoncé
Jésus plus clairement qu'il ne l'avait encore fait, comme quelqu'un
qui venait, à qui il devait faire place et auquel il fallait aller.
Il prêcha encore lundi, il dit à ses auditeurs qu'il serait
bientôt enlevé, qu'ils étaient des gens grossiers et
à la tête dure, qu'ils devaient se souvenir comment il était
venu d'abord ; il avait, disait-il, préparé les voies du
Seigneur, construit les ponts et les chemins, enlevé les pierres,
arrangé les fontaines pour le baptême, conduit les eaux ;
ç'avait été un travail rude et difficile, car la terre
était dure, les rochers réfractaires, le bois noueux ; et
il lui avait fallu faire tout cela avec ce peuple qui était aussi
endurci, grossier et opiniâtre. Ceux dont il avait touché
le coeur devaient maintenant aller au Seigneur, au Fils bien-aimé
du Père : celui qu'il recevrait serait reçu, celui qu'il
rejetterait serait rejeté : il venait maintenant, il allait enseigner,
baptiser et accomplir ce que lui, Jean, avait préparé. Il
reprocha encore vivement à Hérode son adultère devant
tout le peuple, et Hérode, qui d'ailleurs l'écoutait et le
respectait ressentit une vive irritation intérieure, mais n'en laissa
rien apercevoir.
Du reste ce jour-là parut être la clôture de sa
prédication, car les troupes s'en allèrent successivement
de tous les côtés ; ainsi faisaient aussi les gens venus d'Arabie
et avec eux Aretas, le beau-père d’Hérode. Hérode
n'était pas parvenu à le voir. La femme d'Hérode est
déjà partie hier ou avant-hier.
Les soldats se relayèrent plusieurs fois : il en était
arrivé de nouveaux aujourd'hui. Hérode partit aussi : il
dissimulait sa colère et il prit congé de Jean, d'un air
tout à fait amical. Il avait beaucoup de bagage qui le précédait
ou le suivait, porté par des chameaux : il monta de nouveau sur
son chariot.
Jean sentait bien que la liberté ne tarderait pas à lui
être enlevée : il ignorait que ce dût être sitôt.
Il envoya plusieurs de ses disciples avec des messages de différents
côtés : parmi ceux-ci se trouvaient les deux que Saturnin,
sur l'ordre de Jésus, lui avait envoyés de Galilée,
lorsqu'il y était venu pour convoquer, à Tyr, les futurs
apôtres. Je crois qu'Obed, fils de Siméon, était là.
Vers le soir, plusieurs des disciples étaient de retour auprès
de lui : il n'y avait plus personne dans le voisinage ; seulement on voyait
encore quelques tentes à une certaine distance. Jean entra dans
sa tente et congédia ses disciples : il voulait se reposer et se
recueillir dans la prière. Comme il faisait déjà nuit
et que les disciples s'étaient retirés, je vis s'approcher
les soldats d'Hérode, qui étaient arrivés hier, et
dont une partie était restée en arrière. Environ vingt
hommes s'avancèrent de plusieurs côtés vers la tente
après avoir placé des sentinelles sur les chemins qui y aboutissaient.
Il n'en entra d'abord qu'un seul qui parla à Jean, puis d'autres
vinrent successivement. Jean leur dit qu'il les suivrait sans résistance,
qu'il savait que son heure était venue et qu'il devait faire place
à Jésus : qu'ils n'avaient pas besoin de l'enchaîner,
qu'il allait avec eux de sa pleine volonté. Il les engagea en outre
à l'emmener sans bruit pour ne pas exciter de tumulte. Alors vingt
hommes partirent de là avec lui, marchant à grands pas. Il
n'avait que son grossier vêtement de peau et son bâton à
la main. Quelques disciples s'approchèrent pendant qu'on l'emmenait
: il les regarda comme pour prendre congé d'eux et leur dit de venir
je visiter dans sa prison.
Il y eut ensuite un grand concours de disciples et de peuple : on disait
qu'on avait enlevé Jean, on pleurait, on se lamentait. Ils voulaient
le suivre, mais ils ne savaient pas de quel côté, car les
soldats n'avaient pas tardé à quitter la route ordinaire
et avaient pris un chemin peu fréquenté, se dirigeant vers
le midi. La contusion était grande : ce n'étaient que pleurs
et gémissements ;moi aussi je pleurais avec eux, je criais à
haute voix et voulais leur dire quel chemin les soldats avaient pris, mais
on ne semblait ni me voir ni m'entendre. Les disciples se dispersèrent
de tous les côtés : ils s'enfuirent comme ceux de Jésus,
lors de son arrestation, et répandirent la nouvelle dans tout le
pays.
Je me hâtai d'aller vers Jésus, et je le trouvai avec
Saturnin et les autres disciples qui passaient près de la ville
aquatique, se dirigeant vers Gatepher. Il allait par un chemin détourné
à Capharnaum, où ses disciples étaient allés
directement. Je le vis un instant pendant qu'il marchait, puis je le perdis
de vue, et je me mis à pleurer et à gémir parce que
je l'avais perdu.
Le lieu où Jean baptisait quand il fut fait prisonnier est en
effet cet Ainon que l'Ecriture dit être voisin de Salem. Melchisédech
avait établi ses tentes sur les fondations voisines du lieu où
enseignait le précurseur. Je crois qu'il demeurait déjà
là quand Abraham vint dans le pays : c'est aussi lui qui a établi
le premier la fontaine du baptême et l'étang. Il avait en
outre posé plusieurs fondements à Jérusalem. Melchisédech
appartient aux chœurs des anges préposés aux divers pays.
Ces anges font partie de ces chœurs qui vinrent visiter les patriarches
et leur porter différents messages, entre autres à Abraham.
Ils se tiennent en face des anges Gabriel, Raphaël, Michel, etc.
L'endroit du baptême dont il vient d'être parlé
est entre Bethabara et l’embouchure de la petite rivière à
deux bras qui va de Dibon se jeter dans le Jourdain. Il était tout
au plus à deux lieues de Bethabara, en remontant le fleuve, en face
de Galgala, à environ un quart de lieue du Jourdain, dans le coin
d'une vallée.
Voici comment il était situé. (En disant cela, elle marqua
les divers points avec les plis de sa couverture).
Elle pensait que l'eau était conduite là du Jourdain
par un ruisseau ou un canal, qui allait en se rétrécissant
à partir du Jourdain, et que dans la vallée elle passait
à travers la montagne par des conduits de plomb. (Elle se trompe
le plus souvent sur le cours des rivières : vraisemblablement la
source venait de la montagne même ou, à travers la montagne,
du Jourdain dans l'étang.) L'étang est plus dégarni
que les deux autres, cependant la vallée est couverte de beaux arbres.
Je vis ce matin saint Jean conduit par les soldats à Hésebon,
dans la tour d'un château assez délabré. Il y avait
de beaux étangs et quelques allées devant ce château.
Ils avaient voyagé la nuit avec Jean, et vers le matin d'autres
soldats vinrent d'Hésebon à leur rencontre, car c'était
déjà le bruit public que Jean avait été arrêté,
et il y avait ça et là des rassemblements de peuple. Les
soldats qui conduisaient Jean ne me parurent pas être des soldats
ordinaires, mais des espèces de gardes du corps d'Hérode,
car ils avaient des casques sur la tête, des écailles et des
anneaux pour protéger la poitrine et les épaules : ils avaient
aussi de longues piques.
Je vis qu'ici beaucoup de gens se rassemblèrent devant la prison
de Jean, et que les gardes eurent fort à faire pour les chasser.
Il y avait des ouvertures au haut de la prison, et je vis que Jean, debout
dans son cachot, parlait en élevant beaucoup la voix, en sorte que
ceux qui étaient au dehors l'entendaient. Il avait, disait-il, préparé
les voies, brisé des rochers, abattu des arbres, conduit des sources,
creusé des puits, construit des ponts ; il avait eu à lutter
contre des matériaux résistants et rebelles : tel était
aussi ce peuple, et c'était pour cela qu'il était en prison.
Il ajoutait qu'ils devaient aller à celui qu’il avait annoncé,
à celui qui venait sur le chemin qu'il avait frayé ; que
quand le maître vient, ceux qui ont préparé la route
se retirent, qu'ils devaient tous aller à Jésus ; qu'il n'était
pas digne, lai, de délier les courroies de ses chaussures : que
Jésus était la lumière et la vérité,
le Fils du Père, etc. Ses disciples devaient je visiter dans sa
prison, car on n'oserait pas encore mettre la main sur lui, son heure n'était
pas encore venue, etc. Il parlait et enseignait ainsi, aussi hautement
et aussi nettement que s'il eût été encore sur sa chaire
au milieu du peuple assemblé. à la fin les gardes forcèrent
le peuple à se retirer. Il y eut à plusieurs reprises dans
la matinée grande affluence de peuple, et Jean répéta
les mêmes discours. Le soir je vis Jean, accompagné des soldats,
placé sur un chariot bas et étroit, surmonté d'une
espèce de caisse couverte, où plusieurs d'entre eux s'assirent
près de lui : ce chariot était traîné par des
ânes.
(25 juillet). Ce matin ou ce soir, à l'heure du crépuscule,
je vis conduire Jean dans la prison de Machérunte. Machérunte
est située dans un lieu très élevé et très
escarpe. Ils firent d'abord gravir à Jean un sentier très
raide, ensuite on l'introduisit dans la forteresse, non par une porte,
mais par une ouverture pratiquée dans le mur et couverte de gazon.
Ils l'y firent passer sans bruit et le firent d'abord descendre jusqu'à
une grande porte de bronze suivie d'un corridor. Il passa sous la porte
de la forteresse, et ensuite dans un grand caveau voûté qui
se trouvait sous l'édifice, et recevait le jour d'en haut par des
ouvertures : le cachot était très propre, mais entièrement
nu.
Je vis ensuite Hérode dans un château qu'avait bâti
le vieil Hérode, et où il avait une fois fait noyer des gens
dans l'étang pour se récréer. Ce château s'appelait
Hérodium. Le roi s'était caché là, tout découragé
: il ne voulait voir personne, et comme beaucoup de personnes demandaient
à lui parler pour lui faire des remontrances sur l’emprisonnement
de Jean, je le vis, inquiet et troublé, errer ça et là
dans les appartements, puis enfin se tenir caché. Sa femme n'était
pas ici.
(21 juillet.) C'est demain la fête de Madeleine. C'est pourquoi,
dans mon voyage, j'allai d'auprès de Jean vers Madeleine à
Magdalum, et il me fallut d'abord repasser le Jourdain. Je trouvai des
hôtes chez elle ; ils étaient autour d'une table, dans la
salle où sont les miroirs et les arbres verts : le repas paraissait
à sa fin. Il y avait bien une douzaine d'hommes, tant juifs que
paiens. L'un d’eux semblait avoir là son domicile et être
considéré par les autres comme le maître de la maison
ou le mari de Madeleine. Mais ce n'était qu'un amant qui s'était
impatronisé depuis quelque temps et avec lequel elle vivait : les
autres étaient des compagnons de celui-ci, des étrangers
de passage et des officiers, dont il y avait un grand nombre en cet endroit.
Il se trouvait aussi parmi eux des Romains. En général, ce
n'étaient pas des gens de distinction, mais des artistes, des officiers
et des aventuriers : Madeleine semblait être un peu déchue
par suite de sa mauvaise réputation, quoiqu'elle fût encore
très belle.
Elle était vêtue d'une façon originale et distinguée,
mais non pas très richement ; elle ne portait pas de voile. Il y
avait tous les jours ici de semblables réunions, car elle était
très hospitalière et très dépensière.
La maison et les jardins étaient négligés : tout semblait
se dégrader, à l’exception des appartements qu'elle habitait.
Au commencement Madeleine assistait au repas, et j'entendis les hommes
tenir des propos qui ressemblaient parfaitement à ceux que l'on.
tient aujourd'hui sur les choses saintes. Madeleine parla avec respect
et avec une émotion secrète de Jésus, qu'elle avait
vu une fois à Jezrael. Elle fit aussi mention de Véronique,
une femme de distinction qui lui avait fait une visite huit jours auparavant,
ainsi que de la vénération et du dévouement absolu
que celle-ci témoignait pour Jésus. Alors les hommes s'emportèrent
à toutes sortes de paroles injurieuses, et oubliant qu'ils étaient
eux-mêmes gens de mauvaise compagnie, les uns païens, les autres
juifs, violateurs de la loi, ils s'étonnèrent qu'on pût
prendre la défense de cet homme et de son entourage, disant que
la femme dont elle parlait devait être bien aveuglée pour
s'attacher à des gens de cette espèce : que Jésus
était d'une famille de petites gens tombés dans la pauvreté,
et qu'il courait le pays pieds nus, comme un fou. Après la mort
de son père, au lieu de prendra un métier honnête et
de nourrir sa mère, il l'avait laissée dans l'embarras pour
courir le pays et ameuter le peuple : il avait trouvé en Galilée
une brillante société d'ignorants et de pêcheurs paresseux,
qui laissaient aussi leurs familles dans l'embarras et le suivaient au
lieu de travailler. Mais on savait bien ce qu'il était : il avait
été chassé de Jérusalem à cause de ses
fausses doctrines et des troubles qu'il avait excités à la
fête de Pâques : sa mère aussi avait été
renvoyée chez elle Mais au lieu de profiter de cette leçon.
Il courait maintenant la haute Galilée, tournait la tête aux
gens et portait partout le trouble et le désordre. Il y avait aussi
dans cette société des Romains qui disaient qu'il était
étonnant que cet homme fit tant de bruit : qu'il avait des amis
jusque dans Rome ; qu'un homme considérable, Lentulus, était
tout engoué de lui, chargeait une quantité de gens de lui
envoyer des informations sur Jésus, et quand des navires arrivaient
de Judée, y courait aussitôt pour apprendre quelque chose
sur lui et sur ce qu'il faisait.
Au commencement, je vis ces propos refroidir les bonnes dispositions
de Madeleine : elle semblait prêter l'oreille à ces bavardages
; mais quand à la fin ils devinrent trop ignobles, elle se retira
dans une chambre voisine où elle faisait sa résidence. Ces
manières vulgaires et grossières blessaient sa fierté
: accoutumée comme elle l'était à des relations plus
relevées, elle sentit combien elle était descendue, elle
eut le sentiment de son esclavage, elle pensa aux paroles de Véronique,
à la manière d'être de ses proches à elle, elle
sentit sa misère et quand l'homme auquel elle semblait intimement
attachée : c'était un très bel homme, - la suivit
pour lui demander ce qu'elle avait, elle se mit à pleurer et demanda
qu'on la laissât seule. Ses femmes de chambre étaient auprès
d'elle : elle en avait deux, l’une qui ne valait rien, l’autre qui était
bonne, et informait habituellement sa famille de ce qu'elle faisait et
de ce qui se passait chez elle.
Je vis par là quel était alors l'état de Madeleine
: elle était profondément déchue : elle avait été
fort émue lors de sa rencontre avec Jésus à Jezraël,
mais cette impression avait été fugitive et elle était
tombée encore plus bas : toutefois, le souvenir de sa vie antérieure,
criminelle toujours, mais bien autrement brillante, rouvrait la voie à
l'émotion : elle était en proie à une lutte intérieure.
Lorsque Véronique était chez elle, elle y passait la
nuit. Cette femme âgée et respectable venait toujours la voir
lorsqu'elle allait visiter Marie ; elle était en liaison intime
avec sa famille, et cherchait à produire sur elle une bonne impression.
Les amis qui venaient ainsi la visiter n'allaient jamais dans la partie
du château où Madeleine menait sa vie dissipée : ils
allaient dans l'aile opposée, en passant sous la porte d'entrée,
et Madeleine, de son côté, se rendait auprès d'eux
par un passage pratiqué au-dessus de cette porte. Ces sortes de
visites lui étaient pénibles par un côté, parce
qu'elle recevait des avertissements qui la faisaient rougir : d'un autre
côté, elles satisfaisaient son orgueil ; elle croyait sa situation
aux yeux du monde moins mauvaise, par cela seul qu'elle n'empêchait
pas ses parents, gens de distinction et considérés, de venir
la visiter.
Je vis une fois Jacques le Majeur chez Madeleine : poussé par
un vif sentiment de compassion, quelque temps avant que Marthe l'invitât
à entendre la prédication de Jésus par laquelle elle
fut convertie, il était allé la trouver à Magdalum
pour la décider à prendre cette résolution : il voulait
voir jusqu'à quel point elle était récalcitrante :
je le vis plusieurs fois chez elle Il prenait occasion de quelque message
de la part de Marthe. Elle ne le recevait pas dans le château, mais
dans un bâtiment attenant. Elle prenait plaisir à le voir
: il avait un extérieur imposant, parlait avec gravité et
sagesse, et, quand il le fallait, avec bienveillance. Elle lui permettait
de la visiter quelquefois quand il venait dans le pays. Elle se cachait
quelque peu pour recevoir ces visites : car alors elle était engagée
dans certains liens. L'homme avec lequel elle vivait ne savait rien de
ses entretiens avec Jacques. Celui-ci ne lui parlait pas sévèrement,
mais avec égards et amicalement. Il louait son esprit et l'engageait
à aller une fois entendre Jésus, lui disant qu'on ne pouvait
rien entendre de plus ingénieux, de plus éloquent ; qu'il
y avait là quelque chose à apprendre. Elle ne devait pas,
ajoutait-il, se préoccuper de ce qu'étaient les auditeurs
et de leur manière d'être ; elle n'avait qu'à venir
vêtue comme elle l'était habituellement. Elle prenait en bonne
part ses invitations ;elle croyait vouloir en tenir compte. Elle y était,
en effet, très disposée, et pourtant plus tard elle se montra
encore très dédaigneuse quand Marthe la pressa de s’y décider.
Du reste, elle ne savait pas bien quelles étaient les relations
de Jacques. Je le vis quelquefois chez elle.
(22 juillet) Je me trouvai encore aujourd'hui à Magdalum, près
de Madeleine ; comme j'allais à Capharnaum. C'était l'après-midi,
vers le soir. Il y avait une fête chez Madeleine, et l'on y dansait
: je crois que c'était le jour de naissance de l'homme avec lequel
elle vivait alors. Il était Juif et militaire, et il se trouvait
en garnison à Magdalum.
Je vis danser environ vingt à trente couples dans une grande
et belle salle, voisine de la salle à manger. Dans cette salle aussi
il y avait des miroirs ou les danseurs pouvaient voir leurs mouvements
répétés. Sur un des côtés était
un large siège, un peu exhausse, avec des coussins et des draperies.
Madeleine s'y tenait assise, ou bien elle allait parler aux uns et aux
autres. Je ne vis pas qu'elle prît part à la danse. Elle ne
s’occupait pas beaucoup des hôtes, ni ceux-ci d'elle : cela paraissait
plutôt l'affaire de l'homme qui tranchait ici du maître : on
paraissait, du reste, se trouver là comme à une réunion
habituelle où il n'y a pas à se gêner beaucoup. La
société se composait de gens légers et frivoles ;
c'étaient des femmes et des filles vivant selon le monde et non
selon la loi, des officiers, des employés de Magdalum et des aventuriers.
Les musiciens étaient presque exclusivement des enfants des deux
sexes avec des couronnes, des flûtes et des triangles. La danse n'était
pas sautillante ou tournoyante comme chez nous, c'était une série
de figures artistement combinées, où l'on passait les uns
au milieu des autres en faisant de petits pas élastiques et avec
un mouvement continuel et gracieux de tout le corps, de la tête et
des mains. Tout cela était bien mesuré et habilement ordonné,
mais destiné à exprimer des passions et des folles de toute
espèce, et l'on y faisait continuellement parade de son corps. Lés
femmes avaient de très longues queues, mais elles n'étaient
pas voilées comme les juives de mœurs plus sévères
l'étaient en dansant ; leurs mains non plus n'étaient pas
recouvertes comme chez celles-ci ; toutefois, on ne se touchait qu'avec
des espèces de mouchoirs qu'on tenait à la main. En général,
je n'ai jamais vu même les juives de mœurs légères,
avoir en public des familiarités choquantes avec les hommes ; tandis
que chez les paiens et les Romains les rapports entre les deux sexes étaient
très indécents.
Les danseurs appartenaient à ce monde élégant
et pécheur qui vit selon la chair et recouvre sa honte et son infamie
de beaux habits et de manières gracieuses ; mais ils étaient
pourtant très inférieurs à l’entourage antérieur
de Madeleine, qui se composait plutôt de gens d'esprit, de savants
et d'artistes, où l'on lisait et composait des poésies et
des énigmes. Elle ressentait vivement en cela sa déchéance,
et prenait peu de part à ce qui se faisait.
La danse eut lieu le jour. Je les vis ensuite dans la chambre des miroirs,
devant une table richement servie. Les femmes étaient assises ensemble
d’un côté, les hommes étaient étendus de l'autre
côté, et Madeleine avait entre eux un siège formé
de coussins. Comme ils étaient à table, il vint quelques
nouveaux convives, lesquels apportèrent la nouvelle qu'Hérode
avait mis Jean en prison. Là-dessus il y eut des marques d'approbation
et des applaudissements indécents. Mais comme Madeleine en parut
affligée et le fit voir par quelques paroles, les hommes se mirent
à rire et firent des plaisanteries sur Jean. .Je vis qu'elle en
fut très mécontente : elle quitta bientôt la table
et se retira toute pensive dans une pièce entourée de coussins,
voisine de la salle à manger. C'est là que je la laissai.
Le père de Lazare était du pays où allèrent
les trois rois à leur retour de Bethléhem. Le grand-père
venait d'Egypte. Il était prince syrien : mais plus tard il fut
dépossédé. Il avait acquis à la guerre les
biens près de Jérusalem et en Galilée dont il a été
parlé ; il s'était fait juif et avait épousé
une juive de distinction appartenant à une famille de pharisiens.
Ils avaient de grands biens : le château de Lazare, à
Béthanie, était fort vaste, avec beaucoup de jardins, de
terrasses, de fontaines et une double enceinte de fossés. La famille
avait connaissance des prophéties d'Anne et de Siméon. Elle
attendait le Messie, et déjà, lorsque Jésus était
jeune, elle avait établi avec la sainte famille des relations semblables
à celles qu'on voit souvent s'établir entre des gens pieux
d'un rang élevé et d'autres gens pieux de moindre condition.
Ils avaient quinze enfants, dont six moururent de bonne heure ; neuf
arrivèrent à l'âge adulte : quatre seulement vivaient
encore à l'époque de la prédication de Jésus.
Ces quatre étaient Lazare, Marthe, plus jeune de deux ans, Marie
la silencieuse, qui avait deux ans de moins que Marthe, enfin Marie Madeleine
venue au monde cinq ans après celle-ci. J'ai appris que cette soeur
malade d'esprit n'est pas nommée, ni mentionnée dans l'Ecriture,
mais elle n'est pas en oubli devant Dieu. Elle est tout à fait inconnue
: toutefois, je l'ai vue dans les visions relatives à la vie de
Madeleine.
Madeleine, la plus jeune des soeurs, était très belle
grande et formée de bonne heure. Elle était, dès son
jeune âge, comme une grande fille ; du reste, très fantasque
et très capricieuse. Elle avait sept ans lorsque ses parents moururent.
Dès sa petite enfance elle les avait pris en aversion à cause
de leurs jeûnes rigoureux. J'ai vu beaucoup de choses de son enfance.
Elle était incroyablement vaniteuse, friande, orgueilleuse, délicate
et capricieuse : elle était singulièrement volage et se laissait
aller à tous ses penchants. Elle était en outre dépensière,
bienfaisante par l’effet de sa sensibilité naturelle ; elle avait
très bon coeur, mais se laissait séduire par tout ce qui
avait de l'éclat et de l'apparence. Sa mère l'avait assez
mal élevée, et elle tenait d'elle cette sensibilité
compatissante qui la distinguait.
La mère et les tantes de Madeleine la gâtaient, elles
la mettaient toujours en avant et voulaient qu'on admirât ses espiègleries
et ses gentillesses : elles la faisaient asseoir avec elles à la
fenêtre, où elles se tenaient souvent en grande parure. Cette
habitude de se mettre ainsi en vue fut la première origine de sa
perte. Je la voyais sans cesse à la fenêtre, ou sur les terrasses
attenantes à la maison, assise sur de beaux tapis et de riches coussins.
Elle se montrait là, dans tous ses atours, aux gens qui passaient
dans la rue. Elle commença ses coquetteries et sa vie splendide
dès l'âge de neuf ans.
A mesure que ses talents et ses charmes allaient croissant, elle attirait
de plus en plus l'attention et l'admiration. Elle voyait beaucoup de monde
; du reste, elle avait l'esprit cultivé et se plaisait à
écrire des maximes amoureuses sur de petits rouleaux de parchemin
; je la voyais compter sur ses doigts en faisant cela. Elle faisait circuler
ces écrits, en faisait ; des échanges avec ses adorateurs,
et partout on la vantait et on l'admirait.
Je n’ai jamais vu qu'elle ressentit ou inspirât un attachement
véritable : tout cela n'était que vanité, mollesse,
adoration de soi-même et jactance fondée sur sa beauté.
Je vis qu'elle était un scandale pour ses frères et sœurs
: elle les méprisait à cause de la simplicité de leur
vie, et elle rougissait d'eux.
Lorsque l'on fît le partage des biens de la famille, elle eut
dans son lot le château de Magdalum. Magdalum était une très
belle habitation de plaisance : elle y était allée souvent
dans son enfance et avait pour ce lieu une prédilection particulière.
Madeleine n'avait guère plus de onze ans lorsqu'elle alla s'y établir
en grande pompe, avec tout un attirail de servantes et de serviteurs :
ses amants la suivirent et tous ceux qui menaient avec elle une vie de
plaisir et de désordre, et par lesquels elle avait été
pervertie, irrités de ses infidélités ou dégoûtés
d'elle pour quelque autre raison, devinrent ses ennemis et ses calomniateurs.
Au commencement, ceux qui venaient la visiter a Magdalum n'étaient
pas précisément des gens de mauvaise vie, mais plutôt
des personnes riches et considérables des deux sexes, vivant selon
les maximes du monde. Mais quand cette vie dissipée devint une vie
dissolue, les gens de distinction et ceux qui tenaient à leur réputation
s'éloignèrent, et les choses ne cessèrent d'aller
de mal en pis. Le château et ses dépendances se délabrèrent
et se dégradèrent ; il n'y eut que les appartements où
Madeleine se tenait habituellement qui conservèrent leur magnificence
et leur éclat. Je vis une chambre ou les murs étaient tout
couverts de miroirs de métal, entre lesquels étaient des
arbustes verdoyants et des fleurs. Madeleine se trouva une fois dans une
grande détresse. Elle était tombée dans le mépris,
sans ressources, malade, dévorée de chagrin ; en outre elle
était délaissée et n'avait plus de courtisans. Alors
elle rechercha la solitude et le repos, recouvra sa santé et sa
beauté, et revint a son ancien genre de vie. Sa vie pécheresse
à Magdalum a duré environ quatorze ans, et elle était
dans sa vingt-cinquième année lorsqu'elle fut convertie par
la prédication de Jésus.
ONZIÈME CHAPITRE.
Jésus à Béthanie et au puits de Jacob. Dina la
Samaritaine.
(Du 5 juillet au 9 août.)
Jésus va à Béthanie avec Lazare.- Mesures prises à Béthanie afin de pourvoir aux besoins de Jésus et des apôtres pendant leurs voyages de prédication.- Jeu de loterie des femmes.- La perle perdue et retrouvée.- Jésus à Béthoron et dans la contrée voisine.- Souffrances des disciples : leurs sentiments.- Le puits de Jacob près de Sichar.- La samaritaine.
(23 juillet.) Pendant la nuit dernière, je vis Jésus avec
Lazare et les disciples de Jérusalem, au nombre de cinq, dans le
pays voisin de Béthulie. La ville était située très
haut, et je croyais qu'ils allaient la traverser : mais le chemin tournait
autour. Je les vis ensuite vers le matin, devant Jezraël, entrer dans
une métairie et un jardin qui appartenaient à Lazare. Ce
n'était qu'une espèce de pied` à terre, il y avait
pourtant un jardin. Les disciples étaient allés en avant
pour faire préparer une collation il y avait là un homme
de confiance de Lazare. Ils arrivèrent de grand matin, se lavèrent
les pieds là, nettoyèrent leurs habits, mangèrent
quelque chose et se reposèrent. En quittant Jezraël, ils traversèrent
un petit cours d'eau, laissèrent à gauche Scythopolis, puis
Salem, et se dirigèrent vers le Jourdain, en franchissant les dernières
pentes d'une montagne. Ils allèrent ensuite plus au midi que Samarie,
au delà du Jourdain, et comme il était déjà
nuit, ils se reposèrent au pied d'une hauteur qui est au bord du
fleuve et où habitaient des bergers de leur connaissance.
(26 juillet.) Je vis Jésus avec Lazare (les disciples étaient
partis séparément par des chemins plus courts) traverser
le Jourdain avant le jour et entrer dans le désert de Jéricho,
en passant entre Haï et Galgala. Ils marchèrent tout le jour
sans être vus, suivant des sentiers solitaires et évitant
les lieux habités. Quelques lieues avant Béthanie, Lazare
prit les devants et Jésus continua seul sa route. Ils contournèrent
aussi les hôtelleries que Lazare avait dans cette partie du désert.
Dans le château de Béthanie on savait déjà
que Jésus arrivait. Il y avait là Saturnin, Nicodème,
Joseph d'Arimathie et ses neveux, Jean Marc, les fils de Siméon,
les fils de Jeanne Chusa et de Véronique, et trois fils d'un employé
au temple appelé Obed, mort assez récemment : avec eux étaient
les disciples venus de Galilée, y avait avec Lazare une quinzaine
d'hommes et aussi plusieurs femmes : la veuve d'Obed, femme de distinction
âgée, qui était parente de Lazare par la mère
de celui-ci, Véronique, Jeanne Chusa, Marie, mère de Jean
Marc, Marthe et sa vieille servante, personne très intelligente
qui plus tard s"attacha à la communauté chrétienne
et servit le Sauveur. Toutes ces femmes attendaient en silence et cachées
dans le château ; elles se tenaient dans la pièce souterraine
ou grand caveau voûté où je les vis rassemblées
avant la douloureuse passion.
Jésus arriva après le repas, vers quatre heures ; il
entra par une porte de derrière dans les jardins de Lazare qui vint
le recevoir dans une salle où il lui lava les pieds. Je vis dans
cette salle un bassin dans le sol où aboutissait un conduit venant
de la maison, et je vis à l'intérieur du logis Marthe verser
de l'eau tiède qui coula dans le bassin par ce conduit : Jésus
assis sur le bord y plaça ses pieds que Lazare lava et essuya. Il
battit ensuite les habits du Seigneur, lui mit d'autres chaussures et lui
offrit à boire et à manger.
Alors Jésus se rendit avec lui dans la maison par un long berceau
de feuillage et descendit dans la pièce voûtée. Les
femmes se voilèrent et s'agenouillèrent devant lui, les hommes
firent seulement une inclination profonde. Il les salua et les bénit
tous. Aussitôt après on se mit à table. Les femmes
étaient assises d'un côté sur des coussins, les jambes
croisées.
Nicodème était extraordinairement touché et très
désireux d'entendre Jésus. Les hommes parlèrent avec
amertume de l'emprisonnement de Jean. Jésus dit que cela avait dû
arriver et que c'était la volonté de Dieu : qu'ils ne devaient
pas parler de ces sortes de choses pour ne pas se faire remarquer et attirer
par là le danger. Si Jean n'avait pas été mis de côté,
il n'aurait pas pu encore se mettre à l'œuvre. Les fleurs doivent
tomber quand le fruit vient
Ils parlèrent aussi avec amertume de l'espionnage et de la persécution
des pharisiens et Jésus leur enjoignit également à
ce sujet la paix et le silence. Il plaignit les pharisiens et raconta la
parabole de l'économe infidèle. Il me fut expliqué
que les pharisiens aussi étaient des économes infidèles,
mais qu'ils n'agissaient pas avec l'habileté de celui-ci et qu"ils
ne savaient pas se préparer un asile pour le jour où ils
seraient rejetés. Après le repas ils allèrent dans
une autre pièce où les lampes étaient allumées
: Jésus fit la prière et ils célébrèrent
le sabbat. Jésus s'entretint ensuite avec les hommes et ils allèrent
prendre du repos. Jésus ne coucha pas, comme il l'avait fait d'autres
fois, dans une pièce qui était en haut et donnait sur la
rue, mais ils dormirent dans une rangée de chambres séparées,
au-dessus desquelles passait une galerie ou un chemin. Cela me fit penser
aux maisons de Fribourg en Suisse, qui sont au-dessous de la rue.
Lorsque le silence régna et que tout fut plongé dans
le sommeil, Jésus se releva de sa couche et alla seul, sans être
vu de personne, dans la grotte du mont des Oliviers, où il lutta
dans la prière le jour de sa douloureuse passion : cette fois aussi
il y pria son Père céleste de le fortifier dans ses travaux.
Il revint à Béthanie avant le jour sans avoir été
vu.
(27 juillet.) Je vis encore Jésus caché à Béthanie
avec ses amis rassemblés. Les trois fils d'Obed qui étaient
attachés au service du temple et d'autres qui avaient affaire au
temple se rendirent à Jérusalem Ce jour-là je ne vis
personne sortir de la maison. Tout était calme et personne ne savait
que Jésus fût présent. Cette fois je ne vis pas Simon
le lépreux avec eux.
Aujourd'hui, pendant le repas, Jésus parla de son séjour
dans la haute Galilée, chez les habitants d'Amead, d'Adama et de
Séleucie : comme les hommes à cette occasion s'élevèrent
contre les sectes avec un zèle amer, il leur reprocha leur dureté
et leur raconta une parabole touchant un homme qui était tombé
entre les mains des voleurs sur le chemin de Jéricho, et dont un
Samaritain avait eu plus de pitié qu'un lévite. J'ai souvent
entendu raconter cette parabole et toujours avec de nouvelles explications.
Il parla aussi du sort qui était réservé à
Jérusalem.
Cette nuit, pendant que tout le monde reposait, Jésus alla encore
prier dans la grotte de la montagne des Oliviers. Il pleura beaucoup et
éprouva de violentes angoisses. Il était comme un fils qui
part pour de grandes entreprises et qui auparavant se jette sur le sein
de son père pour recevoir de la force et de la consolation.
Mon conducteur me dit que chaque fois que le Seigneur s'était
trouvé à Béthanie, pour peu qu'il eût une heure
de liberté, il était allé prier là pendant
la nuit, et que c'était une préparation à sa dernière
agonie sur la montagne des Oliviers. Il me fut aussi montré que
Jésus priait et pleurait là de préférence,
parce que c'était sur cette montagne qu'Adam et Eve chasses du paradis
avaient pour la première fois foulé la terre inhospitalière.
Je les vis pleurer et prier dans cette grotte. Je vis que ce fut dans le
jardin des Oliviers où il faisait des plantations, que Caïn,
dominé par son ressentiment, prit la résolution de tuer Abel.
Cela me fit penser à Judas. Je vis Cain commettre son fratricide
dans les environs de la montagne du Calvaire, et Dieu lui en demander compte
sur celle des Oliviers. Jésus était de retour à Béthanie
au point du jour. Je crois que la nuit prochaine il ira à Béthoron,
où les douze disciples sont convoqués.
(28 juillet.) Aujourd'hui, le sabbat étant passé, on
s'occupa de l'affaire qui avait principalement motivé la venue de
Jésus à Béthanie. Les saintes femmes avaient appris
avec peine combien lui et ses compagnons avaient à supporter de
privations en voyage, et comment dans le dernier voyage qu'il avait fait
en toute hâte à Tyr, il lui avait fallu tremper dans l'eau
pour pouvoir les manger, les croûtes de pain desséchées
que Saturnin avait recueillies pour lui en demandant l"aumône. C'est
pourquoi ces amies de Jésus s'étaient offertes pour lui préparer
des logements fournis de toutes les choses nécessaires et Jésus
avait accepté. Or il était venu pour s'entendre avec elles
sur ce qu'il y aurait à faire.
Lorsqu'il annonça que dorénavant il prêcherait
publiquement en tous lieux, Lazare et ses amies offrirent de nouveau de
lui préparer des logements, d'autant plus que les Juifs, excités
par les pharisiens, spécialement dans les villes des alentours de
Jérusalem, n'offraient rien à Jésus et à ses
disciples. Ils prièrent donc le Seigneur de leur indiquer les principaux
points où il devait s'arrêter pendant ses voyages de prédication
et le nombre des disciples qu'il aurait avec lui, afin de calculer là-dessus
le nombre des gîtes et la quantité des provisions. Jésus
leur fit connaître alors la direction et les temps d'arrêt
de ses voyages, et approximativement le nombre de ses disciples On résolut
de préparer une quinzaine d'hôtelleries dont la direction
serait confiée à des personnes de confiance, quelquefois
à des parents, et cela dans tout le pays, puis en dehors de la Galilée,
dans le pays de Khabul, en se dirigeant vers Tyr et au midi.
Les saintes femmes examinèrent ensemble de quel district et
de quelle espèce de soins chacune d'elles aurait à se charger.
Ainsi, elles se partagèrent le choix des hommes de confiance, la
fourniture des objets nécessaires, comme couvertures, vêtements,
chaussures, etc., leur nettoyage et leur réparation, et le soin
du pain et des autres provisions de bouche ; tout cela se fit avant et
pendant le repas : Marthe était bien là à sa place.
Après le repas, on devait tirer au sort la répartition
des frais entre elles. Je vis, quand on fut sorti de table, Jésus,
Lazare, les amis du Seigneur et les saintes femmes, se réunir en
particulier dans une grande pièce voûtée. Jésus
était assis d'un côté de la salle sur un siège
élevé : les hommes se tenaient debout ou assis autour de
lui : les femmes étaient assises à l'autre bout, sur une
terrasse avec des degrés, recouverte de tapis et de coussins. Jésus
enseigna sur la miséricorde de Dieu envers son peuple, dit comment
il avait envoyé les prophètes l'un après l"autre,
comment tous avaient été méconnus et maltraités,
comment ce peuple rejetait aussi le dernier temps de grâce, et ce
qui adviendrait de lui. Après qu'il eut longtemps parlé sur
ce sujet, quelques-uns lui dirent :"Seigneur, racontez-nous cela dans une
belle parabole." Alors Jésus raconta de nouveau la parabole du roi
qui envoya son fils à sa vigne après que tous ses serviteurs
eurent été mis à mort par des vignerons infidèles,
et comment ils firent aussi mourir le fils, etc.
A la fin de cette prédication, quelques uns des hommes sortirent,
et Jésus se promena de long en large dans la salle avec les autres
: Marthe, qui allait et venait, s'approcha de lui et lui parla avec beaucoup
d'anxiété de sa sœur Madeleine, d"après ce que Véronique
lui avait rapporté d'elle.
Pendant qu'il allait et venait dans la salle avec les hommes, les femmes
étaient assises et jouaient à une espèce de jeu de
loterie au profit de l'administration dont elles s'étaient chargées.
Elles avaient entre elles une table à roulettes placée sur
une 'extrade élevée. C'était comme une espèce
de coffre haut d"environ deux pouces. Au centre était comme une
étoile rayonnant vers cinq extrémités. Sur la face
supérieure de ce coffre, qui était creux intérieurement
et partagé en divers compartiments, cinq rainures profondes allaient
des cinq coins au centre, et entre ces rainures étaient percés
divers trous qui correspondaient à l'intérieur de la boîte.
Toutes ces femmes avaient apporté de longs cordons de perles enfilées
et beaucoup d'autres pierres précieuses, et chacune, selon que son
tour de jouer était venu, en entassait un certain nombre dans une
des rainures. Alors, l"une après l'autre, elles plaçaient
au bout des rainures, derrière la dernière perle, un joli
petit appareil qui, pressé avec la main, lançait une petite
flèche contre la perle la plus rapprochée ; cela donnait
une secousse à toute la ligne, en sorte que les perles ou les pierres
précieuses sortaient de la rangée et tombaient dans l'intérieur
de là boîte par les ouvertures ou sautaient sur d'autres rainures.
Quand toutes les perles furent ainsi poussées ailleurs, on remua
à droite et à gauche la table qui était posée
sur des roulettes : alors les perles et les pierres précieuses,
tombées dans l'intérieur, allèrent se rendre dans
plusieurs petites cassettes que l'on pouvait retirer par le bord de la
table, et dont chacune appartenait à l'une des personnes qui prenaient
part au jeu. Ainsi, chacune de ces saintes femmes tira une de ces petites
cassettes et vit ce qu'elle avait perdu de ses bijoux et gagné au
profit de la charge qu'elle avait prise.
Dans ce jeu des saintes femmes, une perle très précieuse
qui était tombée entre elles, s'était perdue elles
la cherchèrent partout avec beaucoup de soin, et la retrouvèrent
enfin à leur grand contentement : alors Jésus vint à
elles et leur raconta la parabole de la drachme perdue et retrouvée
avec tant de joie ; puis de leur perle égarée, cherchée
si soigneusement et si heureusement retrouvée, il tira une nouvelle
comparaison appliquée à Madeleine. Il l"appela une perle
plus précieuse que bien d'autres, laquelle, de la table de jeu du
saint amour, était tombée sur la terre et s'était
perdue. Avec quelle joie, dit-il, vous retrouverez cette perle précieuse
! Alors les femmes, profondément émues, lui répondirent
: Ah ! Seigneur, cette perle se retrouvera-t-elle ? et Jésus leur
dit : Il faut chercher avec encore plus de diligence que la femme de la
parabole ne cherche sa drachme et le pasteur sa brebis perdue. Sur ce discours,
toutes, vivement touchées, promirent de chercher Madeleine avec
encore plus de soin que leur perle, de se réjouir bien davantage
si elle se retrouvait, etc. Quelques-unes des femmes prièrent aujourd'hui
le Seigneur de vouloir bien admettre parmi ses disciples le jeune homme
de Samarie qui lui avait demandé cette faveur après la Pâque,
comme il passait à Samarie : elles lui parlèrent de la grande
vertu et de la science de ce jeune homme, qui était, je crois, parent
de l'une d'elles. Mais Jésus leur répondit qu'il viendrait
difficilement, et qu'il était aveugle par un côté,
entendant par là qu'il tenait trop aux biens de ce monde
Le soir, plusieurs des hommes et des femmes prirent leurs mesures pour
se rendre à Béthoron, ou Jésus voulait prêcher
le lendemain. Quant au Seigneur, il alla encore en secret sur la montagne
des Oliviers, et il y pria avec beaucoup d"ardeur, après quoi il
partit avec Lazare et Saturnin pour Béthoron, qui est éloigné
d'environ six lieues.
(29 juillet.) A une heure après minuit je vis Jésus avec
Lazare, Saturnin et deux autres traverser le désert, dans la direction
du nord-ouest, pour aller à Béthoron. Les disciples chargés
de se rendre d'avance s'étaient déjà réunis
la veille dans l'hôtellerie placée entre les deux déserts
qui se coupent ici, à environ une lieue à l'est de Béthoron,
ville située sur une montagne : dès le matin ils vinrent
à deux lieues à la rencontre de Jésus C'étaient
Pierre, André et leur demi frère Jonathan, Jacques le Majeur,
Jean, Jacques le Mineur et Jude Thaddée, qui venait avec eux pour
la première fois, puis Philippe, Nathanael Khased, et je crois aussi
le fiancé de Cana, avec un ou deux des fils des trois veuves Je
vis Jésus avec eux dans le désert ; il s'assit pendant quelque
temps sous un arbre et enseigna. Il parla de nouveau de la parabole du
maître de la vigne qui envoie son fils. Ils revinrent à l'hôtellerie
de bon matin. Je les vis manger quelque chose : Saturnin avait dans une
bourse des pièces de monnaie qu'il avait reçues des saintes
femmes, et il s'était occupé de trouver des aliments.
Vers huit heures du matin, ils allèrent à Béthoron.
Deux disciples prirent les devants : ils se rendirent à la demeure
du chef de la synagogue et demandèrent les clefs, parce que leur
maître voulait enseigner : d'autres se répandirent dans les
rues et y convoquèrent le peuple. Jésus entra avec les autres,
et la synagogue fut bientôt remplie de monde : il parla encore ici
très fortement à l'occasion de la parabole du maître
de la vigne, et dont les serviteurs avaient été tués
par les vignerons infidèles, lesquels mettent aussi à mort
son fils qu'il leur envoie : après quoi le maître donnera
sa vigne à d'autres. Il parla aussi de la persécution des
prophètes, de l'emprisonnement de Jean, ajouta qu'on le poursuivait,
lui aussi, et qu'on mettrait la main sur lui, et enfin annonça le
jugement qui menaçait Jérusalem. Ses discours produisirent
une grande émotion parmi les Juifs ; quelques-uns se réjouissaient,
d'autres étaient pleins de rage et murmuraient : "D'où celui-ci
vient-il ainsi tout à coup ? disaient-ils ; personne n'a su qu'il
dût venir. " Quelques-uns d'entre eux, ayant appris qu'il y avait
dans l'hôtellerie de la vallée des femmes qui étaient
du nombre des adhérents de Jésus, s'y rendirent pour les
interroger sur ce qu'il se proposait.;
Il guérit plusieurs malades de la fièvre et quitta la
ville au bout de quelques heures.
Véronique, Jeanne Chusa et la veuve d'Obed étaient arrivées
à l"hôtellerie et avaient préparé à manger
: le Seigneur et ses disciples mangèrent et burent debout, ils se
ceignirent et continuèrent leur route. Je le vis ce même jour
enseigner de la même manière à Kibzaïm et dans
quelques hameaux de bergers. Les disciples n'étaient pas tous à
Kibzaïm, mais ils se réunirent de nouveau dans une maison de
bergers fort spacieuse avec des dépendances, située sur les
frontières de la Samarie, et où Marie et Joseph avaient été
accueillis lors du voyage à Bethléhem, après avoir
vainement demande qu'on les reçût chez d'autres Ils mangèrent
et dormirent ici. Ils étaient environ une quinzaine. Lazare et les
femmes étaient repartis.
(30 juillet.) Aujourd"hui, je vis Jésus et les disciples, tantôt
ensemble, tantôt séparément, traverser en grande hâte
plusieurs endroits grands et petits qui se trouvaient ici dans un rayon
de quelques lieues. Je me souviens d'avoir entendu nommer Gabaa et aussi
Naïoth, qui peut être à quatre lieues de Kibzaïm,
où Jésus était hier. Dans tous ces endroits, le Seigneur
ne prit pas le temps d'enseigner dans les synagogues. Il prêcha sur
des collines en plein air, sur des places publiques et dans les rues où
le peuple se rassemblait une partie des disciples allait en avant dans
les vallées, les petits villages et les maisons de bergers disséminées,
pour convoquer le peuple aux endroits où Jésus devait s'arrêter.
Plusieurs toutefois restaient près de lui. Tout ce travail, fait
successivement en divers endroits, fut extrêmement fatigant et pénible.
Il guérit beaucoup de malades qui lui furent amenés dans
les lieux où il passait, et qui invoquèrent son assistance.
Il y avait dans le nombre plusieurs lunatiques. Beaucoup de possédés
coururent après lui en criant, et il leur ordonna de se taire et
de se retirer. Ce qui rendait la tâche de ce jour plus difficile,
c'était la mauvaise disposition du peuple et les injures des pharisiens.
Ces endroits, voisins de Jérusalem, étaient pleins de gens
qui avaient pris parti contre Jésus. Il en était alors comme
aujourd'hui dans les petits endroits où l'on répétait
des bavardages et où l'on n'approfondissait rien. Là-dessus
venait l'apparition subite de Jésus avec un grand nombre de disciples,
et sa prédication très sévère et très
menaçante : car il enseignait partout comme à Bethoron :
il parlait du temps de la grâce qui touchait à sa fin, et
le la justice qui devait venir après. Il revenait toujours sur les
mauvais traitements qu'avaient soufferts les prophètes, sur l'emprisonnement
de Jean, et sur la persécution à laquelle lui-même
était en butte. Il racontait ordinairement la parabole du maître
de la vigne qui avait envoyé son fils, et annonçait l"avènement
du royaume dont le fils du roi devait prendre possession. Il criait aussi
malheur à Jérusalem et à ceux qui ne recevraient pas
son royaume et ne feraient pas pénitence. Ces discours sévères
et menaçants étaient interrompus par beaucoup d'actes de
charité et de guérisons, et il allait ainsi d'un lieu à
l'autre.
Les disciples avaient beaucoup à endurer, ce qui leur était
parfois très pénible. Là où ils allaient et
annonçaient leur maître, ils entendaient souvent des paroles
très injurieuses : " Voilà qu'il vient encore ! que veut-il
? d'où sort-il ? ne le lui a-t-on pas défendu. En outre,
on riait d'eux, on criait après eux et on les insultait. Il y avait
pourtant des gens qui les recevaient avec joie, mais ils n'étaient
pas en grand nombre. Personne n'osait s'attaquer à Jésus
lui-même : quand il enseignait et que les disciples se tenaient autour
de lui ou le suivaient dans la rue, c'était à eux que s'adressaient
tous ceux qui voulaient faire du bruit. Ils les arrêtaient, leur
faisaient des questions ; ils n'avaient compris qu'à demi ou à
contresens les sévères paroles de Jésus, et ils voulaient
avoir des explications : au milieu de tout cela on entendait retentir aussi
des. cris de joie. C"est que le Seigneur avait guéri des malades
; cela irritait les contradicteurs et ils se retiraient. Il en fut de même
jusqu'au soir : et à tout cela se joignait une marche fatigante
et rapide, sans repos, sans nourriture, sans rien qui donnât du soulagement.
Je les vis encore aujourd'hui entrer dans la maison des bergers d'hier.
Il me semble avoir vu qu'on leur lavait les pieds.
Je remarquai que les disciples étaient encore bien faibles et
bien charnels ; que souvent, lorsque Jésus enseignait et qu'on les
interrogeait, ils chuchotaient ensemble, te comprenant pas au juste ce
qu'il voulait dire. Ils étaient peu satisfaits de la situation qui
leur était faite : ils se disaient à eux-mêmes : "
Voilà que nous avons tout laissé là, et nous nous
trouvons jetés au milieu du bruit et du tumulte. Qu'est-ce que ce
royaume dont il parle ? est-ce que réellement il en fera la conquête.
Telles étaient leurs pensées : mais ils les cachaient en
eux-mêmes : seulement ils laissaient souvent voir leur embarras.
Jean seul suivait son maître comme un enfant, entièrement
soumis et sans arrière-pensée. Et pourtant ils avaient vu
tant de miracles et en voyaient tant encore !
Il était singulièrement touchant de voir Jésus,
qui connaissait toutes leurs pensées, n'en tenir aucun compte, leur
montrer toujours le même visage, et continuer à faire son
œuvre, toujours serein, affectueux et grave.
Ils ont encore marché jusqu'à une heure très avancée,
et ils ont passé la nuit dans la vallée, en deçà
de la petite rivière qui sert de limite à la Samarie, chez
des bergers, où ils n'ont presque rien trouvé. L'eau de cette
rivière n'était pas bonne à boire ; elle était
étroite et coulait rapidement vers l'ouest, étant ici à
peu de distance de sa source qui est au pied du mont Garizim.
(31 juillet.) Aujourd'hui, Jésus passa la petite rivière
avec ses compagnons ; ils firent le tour du mont Garizim sur leur droite,
et se dirigèrent vers Sichar. André, Jacques le Majeur et
Saturnin restèrent seuls avec Jésus sur ce chemin ; tous
les autres allèrent dans d"autres directions : je ne sais plus bien
de quoi ils étaient chargés. Jésus alla au puits de
Jacob, qui est au nord du mont Garizim et au sud du mont Hébal,
dans l'héritage de Joseph, sur une petite colline à l'ouest
de laquelle se trouve Sichar, à environ un quart de lieue. Sichar
est placée dans une vallée qui se prolonge encore à
une lieue à l'ouest en longeant la ville. Samarie est située
sur une montagne à deux grandes lieues au nord-ouest de Sichar.
Plusieurs chemins creusés dans le roc viennent de divers côtés,
en montant la petite colline, aboutir au bâtiment octogone entouré
d'arbres et de bancs de gazon qui renferme le puits de Jacob. Cet édifice
est entouré d'arcades sous lesquelles une vingtaine d'hommes peuvent
trouver place. En face du chemin de Sichar, une porte ordinairement fermée
conduit sous cette galerie dans l'intérieur du bâtiment. Il
y a dans la partie supérieure du toit une ouverture au-dessus de
laquelle on met souvent une espèce de couvercle. L'intérieur
du petit bâtiment est assez spacieux pour qu'on puisse circuler commodément
entre la margelle de pierre du puits et la muraille. Le puits est fermé
avec un couvercle en bois : quand il est ouvert ? on voit un lourd cylindre
placé en travers, du côté opposé à l'entrée
: le seau à puiser y est suspendu et on le fait mouvoir assez péniblement
au moyen d'une manivelle. Vis-à-vis la porte se trouve une pompe
par laquelle on peut faire monter l'eau à la hauteur du mur de l"édifice.
Cette eau coule à l'extérieur au levant, au midi et au couchant,
dans trois petits bassins creusés sous le péristyle : les
voyageurs s'y lavent les pieds et y font leurs ablutions : on peut aussi
y faire boire le bétail.
Il était environ midi quand Jésus arriva à la
colline avec les trois disciples. Il les envoya à Sichar chercher
de quoi manger, car il avait faim. Il monta seul la colline pour les attendre.
C'était une journée très chaude, Jésus était
très fatigué et il avait soif. Il se plaça tout pensif
à quelque distance du puits, au bord du chemin qui venait de Sichar,
et la tête appuyée sur la main, il semblait attendre et désirer
quelqu'un qui ouvrit le puits et lui donnât à boire. Je vis
alors une femme samaritaine d'environ trente ans, agréable et bien
faite, qui venait de Sichar, portant une outre suspendue au bras, et gravissait
la colline pour prendre de l'eau Elle était belle, et je la regardai
avec un vrai plaisir, comme elle montait la colline à grands pas,
tant elle était gracieuse, leste et vigoureuse. Son ajustement avait
quelque chose de distingué ; on pouvait même y voir un peu
de recherché. Son vêtement rayé de bleu et de rouge,
était broché de grandes fleurs jaunes ; les manches, attachées
en deux endroits du bras avec des bracelets de couleur jaune, paraissaient
froncées autour des coudes. Elle portait un corsage blanc, orné
de lacets de soie jaunâtre. Elle avait le cou recouvert tout entier
d'une collerette de laine jaune, toute garnie de cordons de perles et de
coraux. Son voile, d'un tissu de laine fin et riche, descendait très
bas par derrière cette partie postérieure était assez
longue pour qu'elle pût la rassembler et l"attacher autour de son
corps. Ainsi ramassé, le voile se terminait en pointe par derrière,
et formait des deux côtés du corps deux plis dans lesquels
les bras et les coudes pouvaient reposer commodément. Quand elle
rapprochait les deux côtés du voile devant la poitrine, tout
le haut du corps était couvert comme d'un petit manteau.
Note : C'est ainsi qu'elle s'exprima : peut-être était-ce
cette large bandelette ornée d'or, d'argent, etc., et appelée
strophium, avec laquelle les femmes de l'antiquité avaient coutume
de se ceindre autour de la poitrine.
La tête de cette femme était toute couverte de bandelettes,
et l'on ne voyait pas ses cheveux. Cette coiffure se terminait par quelque
chose qui faisait saillie en avant du front : c'était comme une
petite tour derrière laquelle se plaçait la partie antérieure
du voile lorsqu'il était relevé : quand il était abaissé
sur je visage, il tombait jusqu'à la poitrine.
Cette femme gracieuse, agile et forte, avait rejeté sur le bras
droit son gros tablier brun de poil de chèvre ou de chameau, de
sorte qu'il couvrait un peu l'outre de peau qu'elle portait suspendue à
ce bras. C'était comme un tablier de travail dont il semble qu'on
se servait en puisant de l'eau, pour préserver les vêtements
du contact du seau ou de l'outre.
L'outre était de cuir : c'était comme un sac sans couture
: elle était un peu rebondie de deux côtés, comme si
elle eût été doublée avec des plaques de bois
cintrées : les deux autres côtés se repliaient sur
eux-mêmes quand elle était vide, comme les plis d'un portefeuille
Aux deux côtés saillants étaient assujetties des poignées
recouvertes de cuir, à travers lesquelles passait une courroie par
laquelle la femme portait l'outre à son bras. L'ouverture de l'outre
était rétrécie : on pouvait' pour y verser l'eau,
en séparer les côtés, de manière à lui
donner la forme d'un entonnoir, puis on la fermait de nouveau comme on
ferme un sac à ouvrage. L'outre, quand elle était vide, pendait
à plat sur le côté ; remplie, elle s'arrondissait et
contenait autant qu'un seau d'eau ordinaire.
Je vis donc cette femme gravir d'un pas agile la colline, où
elle allait prendre de l'eau au puits de Jacob pour elle et pour d'autres
: je l'aime beaucoup, elle est si bienveillante, si intelligente et si
franche.
Elle s'appelle Dina, elle est née d'un mariage mixte et appartient
à la secte samaritaine. Elle réside à Sichar, qui
n'est pourtant pas son lieu de naissance ; elle y porte le nom de Salomé
et on n'y sait rien de ce qui la concerne, mais on les voit sans peine
dans cet endroit, elle et son mari, à cause de leur caractère
franc, bienveillant et serviable.
A cause des détours que faisait le sentier, Dina ne put voir
le Seigneur que quand elle fut devant lui. Il était là, seul,
en proie à la soif, assis sur le chemin du puits, et son aspect
avait quelque chose de singulièrement frappant. Il était
revêtu d'une longue robe de fine laine blanche, avec une large ceinture
; elle me faisait l'effet d'une aube. C'était une robe de prophète
que les disciples portaient avec eux quand ils allaient à sa suite.
Il la mettait lorsqu'il enseignait dans des occasions solennelles ou qu'il
agissait prophétiquement.
A un tournant du chemin, Dina se trouva inopinément en face
de Jésus : elle s'arrêta court à sa vue, baissa son
voile sur son visage et hésita à passer outre : le Seigneur
était assis tout contre le chemin. Je vis aussitôt dans son
intérieur s'élever rapidement cette pensée : " un
homme ! que fait-il là ? Serait-ce une tentation ? "Jésus,
en qui elle reconnut un Juif, la regarda avec sérénité
et bienveillance, et retirant ses pieds en arrière, parce que le
chemin était très étroit, il lui dit : "Passez et
donnez-moi à boire !
Note : Dans le martyrologe romain, elle est nommée Photina.
Elle se sentit touchée de ces paroles, parce que les Juifs et
les Samaritains étaient accoutumés à ne se regarder
mutuellement qu'avec horreur ; elle s'arrêta encore un moment et
dit : "Pourquoi êtes-vous ici tout sent à cette heure ? Si
l'on me voyait ici avec vous, on s'en scandaliserait. "Jésus répondit
que ses compagnons étaient allés à la ville chercher
des aliments, et Dina lui dit : " Ce sont sans doute les trois hommes que
j'ai rencontrés ! mais ils trouveront peu de chose à cette
heure ; les Sichémites ont besoin pour eux-mêmes de ce qu'ils
ont préparé aujourd'hui. " Elle parla comme s'il y avait
aujourd'hui une fête ou un jour de jeûne à Sichar, et
nomma un autre endroit où ils auraient dû aller pour se procurer
des vivres.
Jésus lui dit encore : "Passez et donnez-moi à boire
! "Alors Dina passa devant lui : il se leva et la suivit au puits, qu'elle
ouvrit. Tout en marchant elle lui dit : "Comment vous, qui êtes Juif,
pouvez-vous demander à boire à une Samaritaine ?,' Et Jésus
lui répondit : "Si vous connaissiez le don de Dieu et si vous saviez
quel est celui qui vous demande à boire, vous lui auriez demandé
vous-même et il vous aurait donné de l"eau vive. "
Alors Dina leva le couvercle du puits, détacha le seau et dit
à Jésus qui s'assit sur le bord du puits : " Seigneur, vous
n'avez pas de vase pour puiser, et le puits est très profond ; d'où
pourriez-vous avoir de l'eau vive ? Etes-vous donc plus grand que notre
père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui y a bu lui-même
avec ses enfants et ses troupeaux ? "Comme elle parlait ainsi, j"eus une
vision où il me fut montré comment Jacob creusa ce puits
et comment l'eau jaillit devant lui. Mais la femme entendait les paroles
de Jésus comme s'appliquant à de l'eau de source : en parlant
ainsi, elle fit descendre le seau à l'aide du cylindre qui marchait
difficilement, puis le tira, et je vis qu'elle relevait ses manches avec
leurs agrafes, en sorte que l"étoffe bouffait par le haut. Alors
avec son bras nu elle vida le seau dans son outre, et présenta à
Jésus un petit cornet d'écorce rempli d'eau. Jésus,
assis sur le rebord du puits, but et loi dit : "Qui boit de cette eau aura
encore soif ; mais celui qui boira de l'eau vive que je lui donnerai n'aura
plus jamais soif. L'eau que je donne deviendra en lui une source qui jaillira
jusque dans la vie éternelle '. "
Note : Les sources d'eau montent et se déversent de nouveau
suivant la hauteur du point d'où elles sont parties. L'eau vive,
le Saint-Esprit, est descendu au puits scellé de l'humanité
du fils, de Jésus-Christ, et Jésus est monté à
son tour avec la divinité et l'humanité jusqu'à la
droite du Père. Le Seigneur lui-même a dit : "Qui croit en
moi, des torrents d'eau vive couleront de ses entrailles, comme dit l'Ecriture.
Il disait cela de l'Esprit Suint que devaient recevoir ceux qui croiraient
en lui (Joan., VII, 38-39). Mais qui a reçu le Saint-Esprit dans
une mesure égale à celle de la sainte Vierge ? Pour faire
comprendre à quelques égards dans ce qu'elle a de plus profond
la signification particulière de l'entretien de Jésus avec
la Samaritaine au puits de Jacob, nous devons remarquer que comme dans
la nature, de même dans le langage général prophétique
et biblique, aux idées d'eau, de source, de puits, de fleuves, de
fontaines, de pluie, etc., sont liées le plus souvent les idées
de fécondation, d'origine, de propagation, de bénédiction
du mariage, de maternité, etc. L'alliance de Dieu avec l'homme a
toujours dans l'Ecriture le caractère d'un mariage légitime,
sacramentel, car le contraire, qui est l'idolâtrie, est toujours
désigné par le nom de prostitution, d'union illégitime
des sexes. La mère est souvent désignée par le nom
de fontaine. Quand Dieu par la bouche de Jérémie (II, 12),
menace son peuple parce qu'il s'est uni dans l'idolâtrie et l'impureté
aux Egyptiens et aux Assyriens, il dit : " Mon peuple m'a quitté,
moi qui suis la source d'eau vive, et il s'est creusé des citernes
qui ne retiennent pas les eaux. " Isaie (XLVIII, 1), s'adressant à
son peuple parle ainsi : " Écoutez, maison de Jacob, vous qui êtes
sortie des eaux de Juda, c"est-à-dire qui êtes sa postérité.
" Balaam, prophétisant sur la race de Jacob, s'exprime en ces termes
: (Num., XXIV, 7.) L'eau découlera de ses seaux et sa bénédiction
sera comme les grandes eaux. Il est souvent parlé dans l'Ecriture
d'eau vive, de torrents d'eau (Ezéchiel, XLVII, 1 ; Joël, III,
18 ; Zach., XIV, 88 : Apocalypse, VII, 17-21 ; XI, 22, 1-17, etc.) Les
saints Pères entendent par là la grâce du Christ l'envoi
du Saint-Esprit dans le baptême. Plusieurs vieilles traductions appellent
l'ancien Testament l'ancien mariage, le nouveau, le nouveau mariage, et
cela avec un grand sens. L'Eglise aussi est une mère, nous devons
dans ses fonts baptismaux naître de nouveau de l'eau et de l'Esprit-Saint
; autrement, nous ne pouvons pas entrer dans le royaume de Dieu.
(Note de l'écrivain.)
Dina la Samaritaine était d'une humeur libre et enjouée,
et elle dit en souriant à Jésus : " Seigneur, donnez-moi
de cette eau vive, afin que je n'aie plus soif et que je n'aie plus à
me tant fatiguer pour prendre de l'eau ici ". Mais elle était pourtant
émue par ce qu'il avait dit de l'eau vive' et elle soupçonnait,
sans bien s'en rendre compte, que Jésus entendait par là
l'accomplissement de la promesse. Ainsi sa demande d'eau vive lui fut inspirée
par un mouvement prophétique du cœur. J'ai toujours senti et reconnu
que les personnages avec lesquels le Sauveur se mettait en relations ne
devaient pas être considérés seulement comme des individus
isolés, mais qu'ils étaient en outre la représentation
complète de toute une classe de personnes. Il en était ainsi,
parce que les temps étaient accomplis : c'est pourquoi Dina la Samaritaine
représentait proprement devant le Rédempteur, toute la secte
des Samaritains, séparée de la vraie foi d'Israël, qui
était la source d'eau vive.
Jésus au puits de Jacob avait soif des âmes élues
de Samarie, qu'il voulait désaltérer avec les eaux vives
dont elles s'étaient éloignées. Et c'était
ici la partie encore guérissable de la secte schismatique, qui avait
soif de cette eau vive et tendait en quelque manière la main ouverte
pour la recevoir. Samarie disait par la bouche de Dina : " Seigneur, donnez-moi
la bénédiction de la promesse, étanchez ma soif, qui
dure depuis si longtemps ; aidez-moi à trouver l'eau vive, afin
que je reçoive plus de consolation que ne m'en donne cette fontaine
terrestre de Jacob, par laquelle seule nous avons encore quelque communauté
avec les Juifs. "
Quand Dina eut ainsi parlé, Jésus lui dit : "Allez dans
votre maison, appelez votre mari et revenez. "J'entendis qu'il lui dit
cela deux fois, en ce sens qu'il n'était pas là pour l'instruire
elle toute seule. Le Sauveur disait par là à la secte : "
Samarie, appelle au près de moi celui auquel tu appartiens, celui
qui engendre de toi dans un mariage légitime, dans une sainte alliance.
n Dina répondit au Seigneur : "Je n'ai pas de mari. "
Samarie avouait au fiancé des âmes qu'elle n'avait pas
d'alliance, qu'elle n'appartenait à personne, qu'il ne sortait d'elle
aucune fleur que l'Esprit-Saint pût féconder, qu'elle n'avait
pas de mère du Messie Jésus reprit : " Vous dites bien, car
vous avez vécu avec cinq hommes, et celui avec lequel vous vivez
maintenant n'est pas votre mari ; en cela vous avez dit vrai. "Par ces
paroles, le Messie disait à la secte : "Samarie, tu dis vrai : tu
as été mariée avec les idoles de cinq peuples, ton
union actuelle avec Dieu n'est qu'une fornication et non un véritable
mariage '. "Ici Dina, baissant les veux et courbant la tête, répondit
: " Seigneur, je vois que vous êtes un prophète, "et elle
baissa de nouveau son voile. C'est ainsi que la secte samaritaine reconnut
la mission divine du Seigneur et s'avoua coupable.
Note : Ces paroles de Jésus faisaient allusion à cinq
diverses peuplades païennes que le roi d'Assyrie avait transportées
à Samarie avec leur culte idolâtrique (IV Reg., XVII, 24),
lorsque la plus grande partie du peuple eut été conduite
en captivité à Babylone. Ce qui était resté
à Samarie du peuple de Dieu s'était mélangé
avec ces païens et avait participé à leur idolâtrie,
et il s'était formé ainsi un mélange abominable du
culte de Dieu et du culte du démon. Cette circonstance que l'homme
avec lequel vivait actuellement Dina n'était pas son vrai mari,
signifiait que Samarie, à l'époque de Jésus, n'était
plus livrée au culte des idoles, mais cependant n"honorait le vrai
Dieu que d'une manière illégitime et suivant son propre caprice.
Le culte qu'elle rendait à Dieu avait été établi
par des Juifs qui, ayant contracté des mariages illicites avec des
Samaritaines et des paiennes, et s'étant rendus coupables d'autres
prévarications, étaient passés aux Samaritains. un
prêtre juif, petit-fils d'un grand-prêtre, s'était épris
de la fille d'un gouverneur paien de Samarie et l'avait épousée.
Ayant été excommunié pour ce fait, il s'était
séparé du vrai temple de Dieu avec plusieurs autres Juifs
coupables de la même faute et s'était retiré chez les
Samaritains qui l'avaient reçu à In as ouverts lui et tous
ses pareils. Alors son beau-père avait construit pour cet apostat
un temple sur le mont Garizim et l'avait établi grand-prêtre.
Ils adoraient là le vrai Dieu à leur manière et imitaient
ce qui leur convenait dans le culte israélite. L'élément
juif avait repris la prépondérance à Samarie, mais
parce que ce nouveau culte n'avait été introduit que par
des Juifs apostats, le nouveau temple avait rendu les Samaritains encore
plus abominables aux yeux des Juifs, et comme eux-mêmes ne pouvaient
nier qu'il était dit dans plusieurs écrits de l'ancien Testament
que Dieu ne voulait être adoré que dans le temple de Jérusalem,
ils rejetaient tous les livres où cela est dit expressément
et n'admettaient que ceux où leur infidélité ne paraissait
pas condamnée. Ils tombèrent par là dans des erreurs
de toute espèce et comme ils cherchaient toujours des excuses et
rougissaient jusqu'à un certain point de la vraie cause de leur
séparation, ils prétendaient s'être déjà
séparés des Juifs à une époque antérieure,
à cause de l'impiété de ceux-ci. Ils changèrent
souvent leurs professions de foi, suivant que leur intérêt
l'exigeait sous les différents maîtres auxquels ils étaient
assujettis. Si les Juifs se relevaient, ils s'appelaient les vrais et purs
Israélites des tribus d'Ephraïm et de Manassé ; si les
choses allaient mal pour les Juifs, ils ne voulaient rien avoir de commun
avec eux et se qualifiaient de peuple étranger, etc. Mais tous les
Samaritains étaient sous l'excommunication ecclésiastique
et séparés du temple et de l'alliance de Dieu avec Israel.
Ainsi donc la participation au puits terrestre de Jacob était restée
le seul lien qui rattachât les Samaritains aux Juifs et à
la promesse faite à ceux-ci, ou, en d'autres termes, ce qui subsistait
encore du sang de Jacob dans le sang des Samaritains mélangé
de tant d"impures sources paiennes, était la seule chose qui leur
conservait encore une relation avec l'œuvre du salut. Le Rédempteur
avait soif de leur salut au puits de Jacob ; Samarie y puisa de l'eau et
lui donna à boire.
Comme si Dina eût compris le sens prophétique de ces paroles
de Jésus : " Celui avec lequel tu vis maintenant n'est pas ton mari,
"c'est-à-dire, "ton union actuelle avec le vrai Dieu est illégitime,
en dehors de la loi ; le culte des Samaritains est par le péché
et l'absence d'autorité, séparé de l'alliance de Dieu
avec Jacob"" comme si elle eût compris, dis-je, la signification
de ces paroles, elle montra du doigt le midi et le temple élevé
près de là sur le mont Garizim, et cherchant à s'éclairer,
elle dit : "Nos pères ont adoré sur cette montagne et vous
dites que c'est à Jérusalem qu'on doit adorer. "Alors Jésus
la redressa en ces termes : " Femme, croyez-moi, l'heure vient où
vous n'adorerez le Père ni sur le mont Garizim, ni à Jérusalem.
" Ce qui équivalait à dire : "Samarie, l'heure vient où
l'on n'adorera Dieu ni ici, ni dans le temple de Dieu et dans le sanctuaire,
parce qu'il est présent au milieu de vous. "Puis il continua ainsi
: "Vous ne savez pas ce que vous adorez, mais nous savons ce que nous adorons,
car le salut vient des Juifs. ·, Ici il lui proposa une comparaison
tirée des arbres et de certains rejetons sauvages et inutiles qui
produisent abondamment du bois et des feuilles et ne portent pas de fruit.
Le Sauveur disait par-là à la secte : "Samarie, tu n'as rien
d"assuré dans ton culte : tu n'as pas d'alliance, pas de sacrement,
pas de gage de l'alliance, pas de fruit : les Juifs ont tout cela, ils
ont la promesse et son accomplissement, c'est d'eux que le Messie doit
naître. "
Jésus dit encore : "Mais l'heure vient et elle est déjà
venue où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit
et en vérité, car le Père veut de tels adorateurs.
Dieu est esprit et ceux qui l'adorent doivent l'adorer en esprit et en
vérité ". Le Rédempteur disait par-là : " Samarie,
l"heure vient, elle est déjà venue, où le Père
doit être adoré par les vrais adorateurs dans le Saint-Esprit,
et dans le Fils qui est la voie et la vérité ". Dina répondit
à Jésus : " Je sais que le Messie vient. Quand il viendra,
il nous manifestera toutes choses. Dans ces paroles la portion de la secte
samaritaine qui pouvait prétendre à avoir quelque part à
la promesse, disait ici, près du puits de Jacob : " J'espère
et je crois à la venue du Messie. Il nous secourra. " Jésus
lui répondit : "C'est moi, moi qui vous parle. "
Et c'était comme s'il avait dit à tous ceux de Samarie
qui voulaient se convertir : " Samarie, je suis venu au puits de Jacob
; j'ai eu soif de toi, qui es l'eau de ce puits, et comme lu m'as donné
à boire je t'ai promis de l'eau vive qui ne laisse jamais revenir
la soif : tu m'avoues, avec des sentiments de foi et d'espérance,
que aspires à cette eau. Voici que je te récompense, car
tu as apaisé la soif que j'ai de toi par le désir que tu
as de moi. Samarie, je suis la source des eaux vives, je suis le Messie
qui te parle. "
Note : Il est remarquable que saint Athanase dit aussi dans une de
ses quatre lettres à l'évêque égyptien Sérapion,
qu'adorer le Père en esprit et en vérité veut dire
adorer dans le Fils et le Saint-Esprit celui qui est à la lois trois
et un. Relativement à l'explication plus approfondie de l'entretien
entre Jésus et la Samaritaine, qui est ici intercalée dans
l'entretien lui-même, la sœur Emmerich disait : J'ai dès ma
jeunesse reçu sur ce point des explications de ce genre, mais je
n'ai pas voulu les communiquer alors pour ne pas avoir l'air d'en faire
vanité.
Lorsque Jésus dit : "C'est moi, moi qui vous parle, "Dina le
regarda tout étonnée et tremblante d'une sainte joie, puis
tout d'un coup elle se leva, laissa là son outre pleine d'eau et,
sans fermer le puits, descendit en toute hâte la colline dans la
direction de Sichar, pour annoncer à son mari et à tout le
monde ce qui lui était arrivé. Il était sévèrement
détendu de laisser ouvert le puits de Jacob, mais que lui importait
le puits de Jacob, que lui importait son vase plein d'eau terrestre ! Elle
avait goûté l'eau vive, et son coeur aimant, comblé
de joie, aspirait à désaltérer tous les autres avec
cette eau. Pendant qu'elle s'éloignait rapidement du bâtiment
du puits laissé ouvert, elle passa devant les trois disciples qui
apportaient de la nourriture et qui, depuis quelque temps déjà,
se tenaient à peu de distance de la porte, tout surpris de ce que
leur maître pouvait avoir un si long entretien. avec une femme samaritaine.
Mais leur respect pour lui les empêcha de l'interroger à ce
sujet. Dina descendit à Sichar en courant, et dit avec un grand
empressement à son mari et aux autres personnes qu'elle rencontra
dans la rue : 0 Venez au puits de Jacob, vous y verrez un homme qui m'a
dit tout ce que j'ai fait de plus secret ; venez, c'est vraiment le Messie
! "
Pendant ce temps les trois apôtres s'approchèrent de Jésus
qui était près du puits, lui offrirent des petits pains et
du miel qu'ils avaient dans leur corbeille et lui dirent : " Maître,
mangez. "Jésus se leva, quitta le puits et leur dit : " J'ai une
nourriture que vous ne connaissez pas. "Les disciples se dirent entre eux
: " Quelqu'un lui a-t-il apporté de la nourriture ? a et ils eurent
la secrète pensée que la femme samaritaine lui en avait peut-être
apporté. Jésus ne voulut pas s'arrêter là pour
manger, mais il descendit la colline dans la direction de Sichar, et pendant
que les disciples mangeaient en marchant derrière lui, il leur dit
: "Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui m'a envoyé,
afin que j'achève son œuvre. " Il voulait dire par-là qu'il
avait à convertir les gens de Sichar, du salut desquels son âme
était affamée. Il leur dit encore d'autres choses de ce genre.
Dans le voisinage de la ville, Dina, la Samaritaine, se présenta
de nouveau, courant au-devant de Jésus. Elle s'approcha de lui très
humblement, mais pleine de joie et de confiance, et Jésus lui dit
encore plusieurs choses, tantôt s'arrêtant, tantôt marchant
à pas. lents. Il lui révéla tout ce qu'elle avait
fait et tous ses sentiments intérieurs. Elle fut très émue
et promit, pour elle et pour son mari, de tout quitter et de suivre Jésus
qui lui indiqua plusieurs moyens pour expier et pour effacer ses fautes
personnelles.
Dina était une femme de condition, très intelligente,
issue d'un mariage mixte, née d'une mère juive et d'un père
païen dans un bien de campagne voisin de Damas. Elle perdit ses parents
de bonne heure et fut confiée aux soins d'une nourrice débauchée,
ce qui fit qu'elle suça avec le lait de mauvaises passions. Elle
avait eu cinq maris successivement : ils Jurent éloignés
d'elle soit par le chagrin, soit par ses amants. C'est ainsi que les choses
se passent quand on vit dans l'adultère, cherchant son plaisir de
tous les côtés ; on ne peut pas quitter l'un et on ne veut
pas fuir l'autre. On reçoit d'abord l'un en se cachant de l'autre
qui gêne : on cherche ensuite toutes les occasions de se voir, des
fêles sont arrangées et dans le tumulte de l'orgie le mari
devient la victime de l'amant : puis quand celui-ci est devenu mari, sa
condition n'est pas meilleure.
Dina avait trois filles et deux fils déjà assez grands
nés de ces mariages, ils étaient restés dans les familles
de leurs pères respectifs lorsqu'elle fut obligée de quitter
Damas. Les fils furent plus lard du nombre des soixante-douze disciples.
L'homme avec lequel elle vivait actuellement était un riche marchand,
parent d'un de ses premiers maris : comme elle était de la religion
samaritaine, elle alla avec lui à Sichar où elle tenait son
ménage et vivait avec lui dans un commerce illégitime. à
Sichar on les croyait mariés. C'était un homme robuste, d'environ
trente-six ans qui avait le teint coloré et une barbe rousse. Il
y avait beaucoup de rapports entre la vie de Dina et celle de Madeleine,
mais elle était tombée encore plus bas .
Note : Si Dina eût été comme Madeleine le rejeton
d'une famille pieuse et élevée dans les préceptes
de la vraie foi, elle ne serait pas tombée si bas. Madeleine avait
grandi protégée, cultivée dans le jardin de la loi
au milieu des plus nobles plantes : mais poussée par la vanité,
par une curiosité imprudente, par le désir de briller, elle
passa par-dessus la haie en s'appuyant sur un roseau fragile et tomba dans
le marécage avec toutes ses belles soeurs ; elle y resta enfoncée
jusqu'au moment où elle embrassa les pieds de Jésus, versa
son parfum sur sa tête et s'éleva vers la lumière au
pied de la croix de la rédemption.
Dina grandit hors du jardin de la loi, sur la lande déserte,
sans appui et sans exemples, livrée aux orages des sens et à
l"impulsion de tous ses penchants. N'étant ni greffée ni
taillée, elle serpenta comme une vigne sauvage à travers
les ronces, les épines et les pierres entassées ; les serpents
et les dragons pullulèrent sous ses branches, dont le feuillage
était riche, mais dont les fruits étaient amers, jusqu'à
ce qu'au puits de Jacob, le fils que son père avait envoyé
dans sa vigne, lui donna de l'eau vive, retrancha les pousses sauvages,
l"enta elle-même sur le vrai cep de vigne et l'enlaça à
la croix.
Madeleine, sous la loi, devint pécheresse par infidélité
à la grâce. Dina, presque étrangère à
la loi, moins gardée contre la nature déchue, tomba entièrement
sous son joug et fut entraînée à de plus grandes fautes
encore : mais elle correspondit à la grâce plus vivement et
plus promptement, par cela même qu'elle était tombée
plus bas. La grâce les chercha et les trouva toutes les deux, et
cette grâce était un fruit de la promesse, ne et cultivé
dans le jardin de la loi. Du reste, tout ce qui leur arriva fut typique
et figuratif.
Cependant, je vis aussi une fois que dans les commencements de la vie
dissolue de Madeleine à Magdalum, un de ses amants fut tué
par un autre. Mais je n'osais jamais le dire. Dina était une femme
singulièrement intelligente, franche, facilement dévouée,
attrayante, très vive et très prompte, mais toujours gênée
dans sa conscience. Son existence actuelle avait une apparence plus décente
: elle vivait seule avec cet homme qui passait pour son mari, dans une
maison séparée, entourée d'un fossé plein d'eau,
et voisine de la porte du puits ; les habitants de Sichar, sans la mépriser,
ne frayaient pourtant pas beaucoup avec elle, parce qu'elle avait des habitudes
différentes des leurs et qu'elle s'habillait un peu autrement et
avec un peu plus de recherche, ce qu'on lui passait pourtant en sa qualité
d'étrangère.
Pendant que Jésus s'entretenait avec la Samaritaine, les disciples
le suivaient, se tenant toujours à quelque distance, et se demandant
intérieurement ce qu'il pouvait avoir à dire à cette
femme. " Nous avons eu tant de peine à nous procurer des aliments,
pensaient-ils, pourquoi ne mange-t-il pas ? "
Quand on fut près de Sichar, Dina quitta le Seigneur et courut
en avant, à la rencontre de son mari et de beaucoup d'autres qui
sortaient en foule de la porte, curieux de voir Jésus : quand Jésus
s'approcha, elle se tint un peu en avant d'eux et leur montra le Seigneur.
Ces gens étaient dans la jubilation et lui souhaitaient la bienvenue
avec des cris d'allégresse. Jésus s'arrêtant leur fit
signe de se taire avec la main, il leur adressa quelques paroles amicales
et leur dit entre autres choses qu'ils devaient croire tout ce que la femme
leur avait dit. Il était, en leur parlant, si merveilleusement affectueux,
et son regard était si brillant et si pénétrant que
tous les cœurs étaient remués et attirés fortement
vers lui. Ils le prièrent instamment de venir dans leur ville et
d'y enseigner. Il le leur promit, mais il passa outre pour le moment. Tout
cela eut lieu à peu près entre trois et quatre heures de
l'après-midi.
Pendant qu'il parlait ainsi devant la porte avec les Samaritains, tous
les autres disciples, qui étaient allés prendre quelques
arrangements d'un autre côté, et parmi lesquels se trouvait
Pierre, revinrent se joindre à lui. Eux aussi furent surpris et
même assez mécontents de ce qu'il s'entretenait si longtemps
avec les Samaritains. Cela leur faisait éprouver un certain embarras
: car ils avaient été élevés dans l'idée
qu'on ne devait frayer en aucune manière avec ce peuple, et par
conséquent ils n'étaient pas accoutumés à voir
pareille chose. Ils furent tentés de se scandaliser. Ils pensaient
aux fatigues de ce jour et du jour précédent, aux injures,
aux moqueries, aux rudes privations qu'ils avaient eu à subir, et
pourtant ils savaient que les saintes femmes, à Béthanie,
avaient fait des avances considérables, et ils s'étaient
attendus à être mieux pourvus. Maintenant ils voyaient des
rapports établis avec les Samaritains et pensaient en eux-mêmes
qu'avec cette façon d'agir il n'était pas étonnant
qu'on ne les accueillît pas mieux. Ils avaient aussi toujours dans
l'esprit des idées extravagantes, toutes charnelles sur le royaume
que Jésus devait fonder, et pensaient que si tout ceci venait à
être su en Galilée, il en résulterait peut-être
des affronts pour eux, etc.
Pierre s'était beaucoup entretenu à Samarie avec le jeune
homme qui voulait être admis parmi les disciples, mais qui pourtant
hésitait toujours, et il en parla à Jésus.
Jésus alla avec eux tous à environ une demi lieue, en
faisant le tour de la ville par le côté du nord-est, et ils
se reposèrent là sous des arbres. Sur le chemin et en cet
endroit. le Seigneur leur parla de la moisson. Il leur cita un proverbe
qu'ils avaient souvent à la bouche : " encore quatre mois et la
moisson se fera. n Les paresseux, disait-il, voulaient toujours ajourner
toute espèce de travail, mais ils devaient voir que les campagnes
blanchissaient sous la moisson déjà mûre. Il entendait
parler des Samaritains et de bien d'autres qui étaient murs pour
la conversion. "Eux, ses disciples, étaient appelés à
moissonner, mais ils n'avaient pas semé : d'autres avaient semé,
savoir les prophètes, Jean et lui-même. Celui qui moissonne,
reçoit un salaire et recueille les fruits pour la vie éternelle,
en sorte que le semeur et les moissonneurs se réjouissent ensemble
: car en cette occurrence, le proverbe dit vrai : l"un sème et l'autre
recueille. Je vous ai envoyés pour moissonner ce que vous n'avez
pas cultivé, d'autres ont cultivé, vous êtes entrés
dans leur travail. "il parla ainsi aux disciples pour les encourager au
travail. Ils ne se reposèrent que peu de temps et ensuite ils se
séparèrent : il ne resta avec Jésus qu'André,
Philippe, Saturnin et Jean : les autres se dirigèrent vers la Galilée,
entre Thébez et Samarie.
Quant à Jésus, laissant Sichar à droite, il alla
avec les disciples à une lieue au sud-est, dans une plaine où
étaient disséminées, au nombre d'une vingtaine, des
maisons et des tentes habitées par des bergers ; Dans une de ces
maisons, ils trouvèrent la sainte Vierge qui les attendait avec
Marie de Cléophas, la femme de Jacques le Majeur et deux de celles
que j'appelle les veuves. Elles avaient passé là toute la
journée. Elles avaient apporté des aliments avec elles et
elles préparèrent un repas. Jésus, en voyant sa mère,
lui tendit les deux mains et elle inclina la tête devant lui ; les
autres femmes le saluèrent en faisant une inclination profonde,
les mains croisées sur la poitrine. Il y avait devant la maison
un arbre sous lequel eut lieu le repas. Ce fut en ce lieu que Jésus
bénit les enfants avant la résurrection de Lazare t.
Parmi les bergers qui demeuraient dans les environs étaient
les parents des disciples que Jésus, après la résurrection
de Lazare, prit avec lui pour sa course en Arabie et en Egypte. C'étaient
des hommes qui avaient accompagné les trois rois à Bethléhem
; lors du retour précipité de ceux-ci, ils étaient
restés dans le pays et avaient épousé des filles de
bergers établis dans les vallées voisines de Bethléhem.
Les gens qui demeuraient ici cultivaient aussi la terre sur l'héritage
de Joseph, ils le tenaient à ferme des Sichémites. Plu sieurs
de ces bergers étaient rassemblés ici : il n'y avait pas
de Samaritains.
Note : Il ne faut pas oublier que les dernières années
de la prédication ont été racontées les premières.
Peu après l'arrivée de Jésus, la sainte Vierge
le pria de guérir un enfant paralytique que les bergers du voisinage
avaient apporté. Ils avaient déjà demandé à
Marie d'intercéder pour eux ; cela arrivait souvent et rien n'était
plus touchant que de la voir implorer Jésus. Jésus fit apporter
l'enfant : les parents le portèrent sur une litière devant
la maison ; il était âgé d'environ neuf ans Jésus
exhorta les parents, et comme ils s'étaient retirés en arrière,
un peu intimidés, les disciples se rangèrent auprès
de Jésus. Il adressa la parole à l'enfant et se courba un
peu sur lui, puis il le prit par la main et le releva. L'enfant descendit
alors du lit, se mit à marcher et courut se jeter dans les bras
de ses parents qui se prosternèrent avec lui devant Jésus.
Tous ceux qui étaient là furent transportés de joie,
mais Jésus les exhorta à rendre grâces au Père
céleste. Il fit aussi une courte instruction aux bergers rassemblés
et prit avec les disciples un petit repas que les femmes avaient préparé
sous un berceau de verdure qui était devant la maison, auprès
d'un grand arbre. Marie et les femmes étaient assises à part
à l'extrémité de la table. Je crois que cette maison
deviendra peut-être un logement à l'usage de Jésus
et de ses disciples, confié aux soins des femmes de Capharnaum.
Alors des gens de Sichar s'approchèrent timidement ; Dina était
parmi eux. D'abord ils n'osaient pas approcher, parce qu'ils n'avaient
pas l'habitude de frayer avec ces bergers juifs. Mais Dina s'avança
la première, et je la vis s'entretenir avec les femmes et la sainte
Vierge. Après le repas, Jésus prit congé des saintes
femmes, qui se disposèrent aussitôt à retourner en
Galilée, où Jésus doit se rendre après-demain.
Jésus alla alors à Sichar avec Dina et les autres Samaritains.
Cette ville n'est pas très grande, mais elle a des rues larges et
des places spacieuses. La maison de prière des Samaritains est plus
ornée et plus élégamment bâtie à l'extérieur
que ne le sont les synagogues dans les petites bourgades juives.
Les femmes ne vivent pas aussi retirées que les juives ; elles
ont des relations plus fréquentes avec les hommes. Lorsque Jésus
arriva à Sichar, une grande foule de peuple l'entoura aussitôt.
Il n'entra pas dans la synagogue ; il enseigna tout en marchant dans les
rues, et sur la place publique où il y avait une chaire. Partout
l'affluence du peuple était très grande : ils étaient
pleins de joie de ce que le Messie était venu les visiter.
Dina, quoique très touchée et très recueillie,
est avec les autres femmes, se tenant aussi près que possible de
Jésus. On a maintenant des égards particuliers pour elle,
parce que c'est elle qui, la première, a trouvé Jésus.
Elle envoya l'homme avec lequel elle vit à Jésus qui lui
adressa quelques paroles d'exhortation. Cet homme se tenait devant lui
tout intimidé et rougissant de son péché. Jésus
ne s'arrêta pas longtemps à Sichar ; il sortit par la porte
opposée et enseigna encore devant la ville, dans des maisons et
des jardins qui s'étendaient assez loin dans la vallée il
s"arrêta dans une hôtellerie, à une bonne demi lieue
en avant de Sichar, et promit d'enseigner encore à Sichar le jour
suivant.
(1er août.) Jésus est retourné aujourd'hui à
Sichar, et il a enseigné tout le jour dans la ville, sur la chaire
et sur les places, devant la ville sur des collines, et le soir dans l'hôtellerie
où il était hier. Il y avait là des gens de tout le
pays ; ils venaient l'entendre tantôt dans un lieu, tantôt
dans l'autre. On entendait dire "C'est ici ou c'est là qu'il prêche
maintenant. "Le jeune homme de Samarie vint une fois l'écouter,
mais il ne lui parla pas.
Dina se tient partout en avant, et elle marche à grands pas
a travers la foule pour aller à Jésus. Elle est très
attentive, très émue et très sérieuse. Elle
s'est encore entretenue avec lui, elle veut se séparer sans délai
de son amant. Ils veulent donner tout ce qu'ils ont, s'il y consent, pour
la communauté future et pour les pauvres. Jésus lui a indiqué
ce qu'elle aura à faire. Beaucoup de gens sont touchés, et
ils disent à la Samaritaine : " Vous avez eu raison de le dire :
nous l'avons maintenant entendu nous-mêmes ; c'est le Messie." Cette
excellente femme est maintenant tout à fait sur le pinacle : combien
elle est grave et heureuse ! J'ai toujours eu pour elle une affection particulière
Jésus parla ici, comme dans les lieux où il avait été
précédemment, de la prison de Jean, de la persécution
des prophètes, du précurseur qui avait préparé
la voie, du fils envoyé dans la vigne et mis à mort par les
vignerons. Il dit très expressément qu'il était envoyé
par le Père. Il répéta aussi tout ce qu'il avait dit
à la Samaritaine auprès du puits de Jacob, parla du mont
Garizim, du salut qui vient des Juifs, de l"avènement prochain du
royaume de Dieu, de l'approche du jugement, et du châtiment des mauvais
serviteurs qui ont fait mourir le fils du maître de la vigne. Plusieurs
lui demandèrent où ils iraient se faire baptiser et purifier,
maintenant que Jean était en prison ; il leur répondit que
les disciples de Jean baptisaient de nouveau près d'Ainon, de l'autre
côté du Jourdain, et que jusqu'à ce qu'il vînt
lui-même faire baptiser, c'était là qu'ils devaient
aller. Beaucoup y allèrent dès le jour suivant.
Note : Anne Catherine aimait beaucoup la Samaritaine, et celle-ci paraissait
la payer de retour, car elle lui apparut trois fois pendant ces jours-là,
indépendamment de ses visions touchant la vie du Sauveur. Elle la
vit sous la forme d'une femme tout habillée de blanc avec une couronne
sur la tête, qui s'inclinait profondément et humblement devant
Jésus. une autre fois elle vit tout à coup Dina sous cette
même forme, comme si, étant dans la rue, elle la regardait
par la fenêtre sur son lit de douleur et lut faisait un signe amical.
Elle vit cela étant éveillée. une fois elle eut une
vision de ce genre en présence de l'écrivain. Elle avait
alors à combattre une tentation d'impatience. Au milieu de ses plaintes
à ce sujet, il semblait qu'on voulut d'en haut la distraire de sa
faiblesse et l'en faire rire : ayant encore les yeux pleins de larmes,
elle s'écria tout à coup : " Voilà la Samaritaine
devant moi et voilà Jésus ! Elle s'incline devant lui au
détour du chemin ' avec quelle humilité elle le regarde !
Elle est maintenant tout autre : elle est blanche comme la neige et modestement
vêtue. Cela n'est pas encore maintenant, c'est encore à venir.
Comme on lui faisait remarquer combien tout cela s'accordait peu avec
ses plaintes, elle ne put s"empêcher de rire et de rougir, mais avoua
qu'il lui était difficile de s'ôter de la tête cette
pensée extravagante. Des tableaux de ce genre lui sont souvent présentés
tout à coup pour la récréer : c'est ainsi qu'une tendre
mère s'applique à distraire de son chagrin son enfant malade
et gémissant, ou à le récompenser d'avoir pris sur
lui en lui montrant un livre d'images.
Vers le soir Jésus revint dans l'hôtellerie où
il était hier : il y enseigna et y dormit. Ce soir commence, à
ce que je crois, un jour de jeûne. Le jour suivant, je n'ai pas vu
manger du tout, ce soir seulement des aliments froids.
(2 août.) Ce matin Jésus enseigna des gens de toute espèce
dans l'hôtellerie et sur les collines qui sont dans le voisinage.
Il eut pour auditeurs des ouvriers, et aussi ces esclaves qu'onze mois
auparavant il avait consolés après son baptême dans
la plaine des bergers, voisine de Betharaba. Hier et encore aujourd'hui
plusieurs espions envoyés par les pharisiens du pays étaient
présents. Ils entendirent avec colère tous ses enseignements
; ils chuchotaient ensemble et murmuraient d'un air insolent ; mais ils
n'osaient pas lui adresser la parole, et lui de son côté ne
les regardait pas. Il y avait aussi là des docteurs samaritains
et d'autres gens de cette secte qui se montraient récalcitrants
et mécontents.
DOUZIÈME CHAPITRE.
Jésus sur les frontières de la Samarie et dans la basse
Galilée.
(Du 2 au 17 août 1822.)
Jésus à Ghinea.-Atharoth.-Engannim.-Naïm.-Cana.-
Le centurion de Capharnaum.-Jésus à Bethsaïde ; -au
petit Sephoris;-à Nazareth où on veut le précipiter
du haut de la montagne.
(2 et 3 août.) Dans l'après-midi, je vis Jésus
avec les cinq disciples quitter l'hôtellerie voisine de Sichar, et
laissant Thébez à gauche et Samarie à droite, aller
à six lieues de là dans une ville appelée Ghinéa
ou Ghinnim Cette ville est située sur l'autre versant des montagnes,
et sert de limite entre la Samarie et la Galilée. à trois
quarts de lieue plus près de Samarie est situé le bien de
Lazare, une grande maison dans la montagne d'où l'on peut voir très
loin.
Comme il était déjà tard, ils se rendirent en
toute hâte pour le sabbat dans la ville de Ghinéa qui est
en plaine. Ils y arrivèrent avec leurs robes retroussées,
et entrèrent aussitôt dans la synagogue, car il était
déjà près de huit heures. Les disciples partis antérieurement
étaient aussi là. Les saintes femmes avaient passé
la première nuit à Thébez, à trois lieues environ
de la maison des bergers, puis le jeudi elles étaient revenues à
Capharnaum. Il y avait, aujourd'hui vendredi, un jeûne commémoratif
des murmures des enfants d'Israël lorsque Dieu leur interdit la terre
promise : c'est pour cela que les autres disciples étaient restés
ici. Ils avaient tous reçu l'hospitalité sur la propriété
de Lazare, et au sortir de la synagogue, ils y revinrent avec Jésus
et y passèrent la nuit. C'est là que Marie entra lors de
son voyage à Bethléhem, et aussi dans un autre voyage. L'intendant
était un homme de grande taille, d'une simplicité qui rappelait
l'ancien temps : il avait plusieurs enfants Il y avait là de magnifiques
jardins avec beaucoup de fruits, et tout ce pays en général
était beau et charmant à voir. Ils prirent ici un repas et
y passèrent la nuit.
J'ai vu Jean dans sa prison, il y a deux ou trois jours : plusieurs
de ses disciples s'entretenaient avec lui. Ils ne peuvent pas arriver jusqu'à
lui, mais ils peuvent pourtant le voir et lui faire passer quelque chose
à travers la grille. Il est permis d'en laisser venir quelques-uns,
mais quand il s'en présente un grand nombre, les soldats les forcent
de s'éloigner. Ils l'interrogèrent au sujet du baptême,
et il leur ordonna de continuer à baptiser à Ainon, jusqu'à
ce que Jésus y fît baptiser lui-même. La prison de Jean
est spacieuse et claire, mais il n'a pour se reposer qu'un banc de pierre
taillé en forme de couche. Il est comme à l'ordinaire, très
grave : il a toujours eu dans je visage quelque chose de méditatif
et de mélancolique, comme mi homme qui attendait l'Agneau de Dieu,
le voyait, l'aimait et savait qu'on le mettrait à mort.
(3 août.) Aujourd'hui ils célébrèrent tous
le sabbat à Ghinéa. Jésus enseigna dans la synagogue.
On lut dans les écritures des passages relatifs à la marche
des enfants d'Israël dans le désert et à la répartition
de la terre de Chanaan. On lut aussi quelque chose de Jérémie.
Il y avait ici douze pharisiens entêtés qui disputèrent
avec Jésus. Jésus parla de l'approche du royaume de Dieu
: il dit qu'on ne devait pas se comporter par rapport à ce royaume
comme on avait fait pour la terre de Chanaan. C'est ainsi qu'il appliquait
tout au royaume de Dieu. Il ajouta qu'ils erraient encore dans le désert
et que ceux qui murmureraient contre le royaume de Dieu mourraient dans
ce désert. Il parla aussi du châtiment de Jérusalem,
dit qu'il viendrait un temps où le temple ne subsisterait plus et
où Jérusalem ne serait plus reconnaissable. Il parla encore
du maître de la signe qui avait envoyé son fils et de la manière
dont celui-ci serait repoussé et mis à mort ; il cita le
passage des psaumes sur la pierre angulaire rejetée par les architectes,
ce qu'il appliqua au fils du maître de la vigne : il parla aussi
d'Elie et d'Elisée.
Ils lui posèrent des questions insidieuses : ils lui montrèrent
un écrit et lui demandèrent ce que signifiaient les trois
jours que Jonas avait passés dans le ventre de la baleine. Il expliqua
cela d'une manière générale, mais très intelligible
pour eux disant que le Messie mis à mort reposerait trois jours
dans le tombeau, qu'il irait dans le sein d'Abraham, et ressusciterait
ensuite. Là-dessus ils se mirent à rire et la plupart quittèrent
la synagogue.
L'un d'eux écouta l'instruction jusqu'à la fin et l'invita
à un repas avec ses disciples : toutefois il espionnait encore,
quoiqu'il valût mieux que les autres. Lorsque Jésus revint
à la synagogue, on lui avait amené des malades devant la
porte et on le priait de les guérir et de faire voir un prodige.
Mais Jésus ne guérit pas ces malades et il ajouta que comme
ils ne voulaient pas croire en lui, il ne voulait pas non plus leur faire
voir de prodige. Or ils voulaient l'induire en tentation en le faisant
guérir le jour du sabbat pour l'accuser ensuite à ce sujet.
Quand le sabbat fut fini, les plus considérables des disciples
galiléens partirent pour retourner chez eux. Mais Jésus avec
Saturnin et deux autres, se rendit sur le bien de Lazare, où il
est encore. Je crois que demain il parcourra les environs et ira un peu
plus au midi dans la montagne. Il me semble que l'endroit s'appelle Atharoth.
C'était un spectacle très touchant de voir Jésus
instruire dans le jardin les enfants du maître de la maison. Il les
avait tantôt devant lui, tantôt contre lui ; quelquefois il
prenait dans ses bras deux des plus petits. Il les instruisait sur l'obéissance
envers leurs parents et sur le respect dû à la vieillesse.
Il parla aussi aux enfants des fils de Jacob et des Israélites,
leur dit qu'ils avaient murmuré et qu'à cause de cela ils
n'étaient point entrés dans la terre promise qui pourtant
était si belle : alors il leur montrait les beaux arbres et les
fruits du jardin et parlait du royaume des cieux : ce royaume leur était
promis s'ils observaient les commandements de Dieu, et c'était un
pays bien plus beau, en comparaison duquel celui qu'ils voyaient était
un désert : ils devaient donc obéir et supporter avec actions
de grâces tout ce que Dieu leur enverrait. Ils ne devaient jamais
murmurer s'ils voulaient entrer dans le royaume des cieux : ils ne devaient
jamais douter de sa beauté comme les Israélites dans le désert,
ils devaient croire que tout y était meilleur qu'ici-bas et incomparablement
plus beau. Ils devaient l'avoir toujours présent à la pensée
et le mériter par toute espèce de peines et de travaux. Voilà
à quoi Jésus s'occupa ce Jour-là.
Dans l'après-midi la soeur Emmerich raconta encore ce qui suit
sur l'instruction faite par Jésus, et à laquelle assistaient
douze pharisiens. Il parla des Israélites qui, n'étant pas
contents d'avoir Samuel pour juge, demandèrent un roi, lequel leur
fut donné dans la personne de Saul. Maintenant que la prophétie
était accomplie et que le sceptre était retiré de
Juda à cause de leur impiété, ils demandaient de nouveau
un roi et le rétablissement du royaume, et Dieu allait leur envoyer
un roi, leur véritable roi comme le maître de la vigne envoya
son fils lorsque ses serviteurs eurent été tués par
les vignerons impies : eux aussi devaient mettre à mort ce roi qui
était le leur Mais il leur en arriverait malheur, car Dieu les replacerait
sous le pouvoir des juges. Il parla encore de la destruction de Jérusalem,
de la pierre angulaire rejetée et du salut qui devait être
retiré aux Juifs.
Lorsqu'ils l'interrogèrent sur Jonas, il répondit que
leur roi serait de même trois jours dans le tombeau, et qu'ensuite
il reviendrait ; sur quoi ils se mirent à rire entre eux. Il parla
encore de la colère des Israélites dans le désert,
dit qu'ils auraient pu arriver à la terre promise par un chemin
beaucoup plus court, s'ils avaient gardé les commandements que Dieu
avait donnés sur le mont Sinaï, mais qu'à cause de leurs
péchés ils avaient toujours été ramenés
en arrière, et que les murmurateurs étaient morts dans le
désert. Maintenant que le royaume de Dieu et ses dernières
miséricordes approchaient, maintenant que leur vie était
de nouveau une course errante dans le désert, ils devaient prendre
le chemin le plus court pour arriver au royaume promis, et ce chemin leur
était montré en ce moment.
Alors trois pharisiens s'avancèrent d'un air hypocrite et lui
dirent : " Vénérable Maître, vous parlez toujours de
la voie la plus courte, dites nous quelle est cette voie plus courte. Jésus
leur répondit : "Connaissez-vous les dix commandements du Sinaï
? "- "Oui ", dirent ils. Et il reprit : " Gardez le premier d'entre eux,
aimez votre prochain comme vous-mêmes, et n'imposez pas à
ceux qui vous sont subordonnés de lourds fardeaux que vous ne portez
pas vous-mêmes. C'est là la voie. " Ce que vous dites là,
nous le savions, nous aussi, répondirent-ils." Et Jésus leur
dit : " Vous savez et vous ne faites pas, c'est là votre faute,
pour laquelle vous serez châtiés. "Alors il leur reprocha,
ce qu'ils faisaient particulièrement dans cette ville, d'imposer
aux autres une foule de fardeaux, tandis qu"eux-mêmes n'observaient
pas la loi. Il parla encore des vêtements sacerdotaux faits suivant
les prescriptions de Dieu à Moïse, et de ce qu'ils signifiaient
; il leur dit qu'ils n'accomplissaient pas ces prescriptions et y ajoutaient
en outre beaucoup de choses purement extérieures et souvent déraisonnables.
cela les rendit tous furieux, mais ils ne purent rien lui répliquer.
Souvent ils disaient entre eux : `` C'est donc là le prophète
de Nazareth ; oui, le fils du charpentier, etc. "
Le bien de Lazare était tout au plus à trois quarts de
lieue d'ici : Jésus y retourna pendant le sabbat, le matin et l'après-midi,
il enseigna les enfants et revint.
(4 août.) Le dimanche dans la matinée, Jésus fit
une très longue instruction aux enfants dans la maison de campagne
de Lazare, près de Ghinea : il y avait là d'autres enfants
du voisinage. Il instruisit d'abord les garçons, puis les filles
seules, de là manière que j'ai dite hier. Vers midi, il alla
avec les disciples au sud-est, à quatre lieues en arrière,
dans un petit endroit nommé Atharoth, situé sur un point
élevé, à environ deux lieues de Samarie.
C'était comme un chef-lieu pour les sadducéens, et ceux
qui y habitaient lors de la persécution des disciples après
la pâque, en avaient arrêté plusieurs, à l'exemple
des pharisiens de Gennabris, et les avaient tourmentés par leurs
interrogatoires. Quelques-uns de ces sadducéens avaient déjà
espionné Jésus pendant ses instructions dans l'hôtellerie
voisine de Sichar, où il avait blâmé spécialement
la dureté des pharisiens et des sadducéens envers les Samaritains.
Ils avaient dès lors formé le projet d'induire Jésus
en tentation et l'avaient engagé à célébrer
le sabbat à Atharoth. Mais il connaissait leurs premières
manœuvres et il avait continué son chemin vers Ghinéa. Après
s'être consultés avec les pharisiens de cet endroit, ils lui
envoyèrent des messagers le samedi matin. "Puisqu'il avait, disaient-ils,
si bien prêché sur la charité et si souvent répété
qu'on doit aimer son prochain comme soi-même, il devait venir à
Atharoth, guérir un malade : s'il leur faisait ce miracle, ils voulaient
tous croire en lui, ainsi que les pharisiens de Ghinéa, et propager
sa doctrine dans le pays. "
Jésus connaissait leur malice et leur fourberie. L'homme dont
ils parlaient, depuis plusieurs jours déjà, gisait immobile
et mort, et ils affirmaient devant tous les habitants de la ville qu'il
était plongé dans l'extase : sa femme même ne savait
pas qu'il fût mort. Si Jésus l'avait ressuscité, ils
auraient nié qu'il fût mort. Ils vinrent au-devant de Jésus
et le conduisirent devant la maison du défunt. Cet homme avait été
un des principaux sadducéens et il avait intrigué très
activement contre les disciples. Ils le portèrent dans la rue sur
une litière lorsque Jésus arriva. une quinzaine de sadducéens
et tout le peuple se tenaient autour de lui. Le corps avait une belle apparence,
ils l'avaient ouvert et embaumé pour tromper Jésus. Mais
Jésus leur dit : "Cet homme est mort et restera mort ; "alors ils
dirent qu'il était seulement ravi en esprit, et que s'il était
mort, il venait de mourir à l'instant. Mais Jésus reprit
: "il a nié la résurrection et il ne ressuscitera pas ici
: vous l'avez rempli d'aromates, mais voyez quels aromates ! découvrez-lui
la poitrine ! " Alors je vis l'un d'eux soulever la peau comme une soupape
sur la poitrine du mort et il en sortit une quantité de vers qui
se tordaient et se pressaient les uns contre les autres. Les sadducéens
furent outrés de colère, car Jésus révéla
tout haut et publiquement les péchés et les prévarications
de cet homme, et il dit que c'étaient les vers de sa mauvaise conscience
qu'il avait cachés jusque-là et qui maintenant lui rongeaient
le cœur. Il fit entendre aussi des paroles menaçantes sur leurs
fourberies et leurs mauvais desseins : il parla très sévèrement
des sadducéens et annonça le jugement qui allait frapper
Jérusalem et tous ceux qui n'accueilleraient pas le salut. Ils remportèrent
en toute hâte le mort dans sa maison et il s'éleva un affreux
tumulte avec beaucoup de vociférations et d'injures. Lorsque Jésus
se dirigea vers la porte avec ses disciples, la populace excitée
leur jeta des pierres par derrière : car la vue des vers et la révélation
de leur malice les avaient violemment irrités.
Je vis dans la foule de ces méchantes gens quelques personnes
bien intentionnées qui pleuraient. Dans une rue voisine demeuraient,
séparées du peuple, des femmes malades, affligées
de pertes de sang, qui croyaient en Jésus et l'imploraient de loin
: car dans leur état d'impureté légale, elles n'osaient
pas s'approcher. Comme il ne l'ignorait pas, touché de compassion,
il passa par leur rue : quand il fut passé, elles vinrent après
lui et baisèrent les traces de ses pas : il se retourna pour les
regarder et elles furent guéries.
Jésus fit encore près de trois lieues jusqu'à
une colline dans le voisinage d'Engannim : cet endroit est à peu
près sur la même ligne que Ghinéa, mais quelques lieues
plus à l'est, dans une autre vallée : c'est le chemin direct
de Nazareth par Endor et Naïm. De Naïm il y a environ sept lieues.
Jésus passa la nuit sur cette colline où plusieurs disciples
de la Galilée étaient venus à sa rencontre dans un
hangar ou hôtellerie ouverte : ils mangèrent quelque chose
que les disciples avaient apporté. C'étaient André,
Nathanaël le fiancé et deux serviteurs du centurion de Capharnaum.
Ceux-ci le prièrent très instamment de ne pas différer
d'aller chez cet homme dont le fils était fort malade. Mais il répondit
qu"il irait en temps opportun.
Ce centurion après avoir été préposé
par Hérode Antipas, à une partie de la Galilée, avait
été mis à la retraite. Il était bien disposé,
et dans la persécution, excitée récemment contre les
disciples, il avait protégé ceux-ci contre les pharisiens,
et les avait même assistés de sa bourse. Il n'avait pas encore
une foi entière, quoiqu'il crût aux miracles. Il désirait
vivement, à cause de son enfant et aussi pour faire honte aux pharisiens,
que Jésus fit un miracle en faveur de son fils : les disciples aussi
le désiraient : ils avaient dit comme lui : " C'est alors que les
pharisiens seront pleins de dépit et verront qui est celui dont
nous sommes les compagnons. "
Voilà pourquoi André et Nathanael s'étaient aussi
chargés du message, et Jésus le savait. Il leur fit, une
instruction le matin, et les deux serviteurs qui ? étaient des esclaves
païens se convertirent.
(5 et 6 août.) Aujourd'hui dimanche, dans la matinée,
Jésus séjourna encore avec les disciples dans l'hôtellerie
qui était sur la colline. Il est arrivé hier, à une
heure avancée de la nuit. Après midi les disciples retournèrent
es Galilée, et il alla avec Saturnin, le fils de la tante du fiancé
de Cana, et un jeune homme d'environ seize ans, fils de la veuve d'Obed
de Jérusalem, dans la ville voisine d'Engannim.
Jésus avait là des parents éloignés : c'étaient
des Esséniens, alliés à la famille de sainte Anne.
J'ai appris de nouveau à cette occasion que les ancêtres de
sainte Anne avaient des relations fréquentes avec les Esséniens
et qu'il y avait même eu des Esséniens parmi eux. Ces gens
reçurent Jésus avec beaucoup d'humilité, de simplicité
et de cordialité : ils demeuraient à part dans un quartier
de la ville. J'appris beaucoup de choses sur leur manière de vivre.
Ceux qui étaient mariés vivaient ensemble très strictement
: aussitôt que la femme avait conçu, ils observaient strictement
la continence. Plusieurs autres vivaient dans le célibat ; ils se
réunissaient pour les repas comme dans un couvent. Cependant ceux
de cet endroit n'observaient plus l'ancienne règle dans toute sa
rigueur : ils étaient vêtus comme les autres Juifs et allaient
avec eux aux écoles. Je vis aujourd'hui Jésus dans la synagogue.
Il y avait là des gens de bien et je ne remarquai pas de pharisiens
dans cet endroit, si ce n'est quelques espions venus d'ailleurs.
Mardi, Jésus a enseigné tout le jour dans la synagogue
d'Engannim. Une très grande quantité de personnes étaient
accourues de tout le pays : ils se reposaient par troupes devant la synagogue
qui ne pouvait pas les contenir tous et quand une troupe était sortie,
une autre la remplaçait. Il enseigna à peu près les
mêmes choses que dans tout ce voyage, seulement il ne fit pas autant
de menaces, parce que ses auditeurs avaient de bons sentiments. C'était
alors comme à présent : chaque petit endroit avait des dispositions
différentes suivant les dispositions des prêtres.
Jésus, après avoir enseigné, dit qu'il voulait
aussi guérir. Il parla de l'approche du royaume de Dieu et de la
venue du Messie. Il cita tous les passages de l'Écriture et des
prophètes, et les appliqua à l'époque. Il parla d'Élie,
de ce qu'il avait dit et vu et indiqua un calcul d'années que j'ai
oublié. Il ajouta que ce prophète avait élevé
dans une grotte un autel en l'honneur de la future mère du Messie.
Il caractérisa aussi l'époque qui ne pouvait être une
autre que l'époque présente, fit remarquer que le sceptre
avait été retiré de Juda, et mentionna aussi le voyage
des trois rois. Il dit tout cela en termes généraux, comme
s'il eût parlé d'un tiers, sans faire une mention expresse
de lui-même ni de sa mère. Il parla aussi de la compassion
et des bons procédés envers les Samaritains. Il raconta la
parabole du Samaritain, cependant il ne nomma pas Jéricho. Il dit
aussi qu'il avait éprouvé par lui-même qu'ils étaient
plus secourables envers les Juifs que ceux-ci envers eux. Il raconta l"histoire
de la femme samaritaine, et comment elle lui avait donné à
boire, ce qu'un Juif n'eût pas fait si facilement pour un Samaritain
: il parla de la manière bienveillante dont ils l'avaient accueilli.
Il annonça encore le jugement et le châtiment de Jérusalem.
Du reste, le jour de jeûne du 9 se rattachait au souvenir de la destruction
de cette capitale. Il parla en outre des publicains : il y en avait quelques-uns
qui résidaient dans le pays.
Je vis que les Esséniens avaient une espèce d'hôpital
où ils soignaient les malades : ils donnaient aussi à manger
aux pauvres sur de longues tables.
Engannim est une ville de lévites : elle est placée au
penchant d'une vallée qui court vers Jezraël, à cheval
sur un contrefort de la longue chaîne de montagnes située
au levant. Le ruisseau qui arrose la vallée coule dans la direction
du nord :Les habitants tissent des étoffes pour les vêtements
sacerdotaux. Ils confectionnent aussi des houppes, des franges de soie
et des glands qui pendent à l"extrémité de ces vêtements.
Il y a ici une très bonne population.
L'hôpital tenu par les Esséniens est rempli de malades
et d'infirmes venus de tous les côtés : ils reçoivent
tous ceux qui se présentent et, en outre des soins qu'ils leur donnent,
ils les instruisent et les rendent meilleurs. Leur établissement
est très bien organisé : ils ont toujours soin de placer
un méchant homme entre deux bons qui l'exhortent et travaillent
à le corriger. Jésus y passa et y guérit quelques
malades. Pendant que Jésus enseignait encore dans la synagogue,
on avait déjà amené de la ville et de tout le pays
une grande quantité de malades. On les plaçait le long des
maisons sur des litières et des coussins, là où Jésus
devait passer : on avait étendu des toiles sur leur tête,
et leurs parents se tenaient près d'eux Les choses étaient
ordonnées de manière à ce que les malades de chaque
catégorie fussent ensemble. C'était comme une exposition
de toutes les misères humaines.
Jésus sortit après l'instruction, et passa le long des
malades qui l'imploraient humblement : il guérit, tout en leur donnant
des instructions et des avis, une quarantaine de paralytiques, aveugles,
muets, goutteux, fiévreux, hydropiques, etc. Je ne vis pas ici de
possédés. Il enseigna ensuite en plein air à cause
de l'affluence du peuple : la presse était si grande à la
fin que les gens entraient dans les maisons, montaient sur les toits et
perçaient les murailles. Lorsque ce désordre commença,
Jésus se perdit dans la foule, quitta la ville et prit dans la montagne
un chemin de traverse très escarpé, où il ne rencontra
personne. Ses trois disciples le suivirent : ils le cherchèrent
longtemps et ils ne le rejoignirent que dans la nuit ; ils le trouvèrent
occupé à prier.
(7 août.) Je crois que Jésus a passé la nuit dans
la montagne avec les disciples : je vis qu'ils le trouvèrent en
prière et quand ils se reposèrent, ils lui demandèrent
comment ils devaient prier, alors que lui-même priait Alors il leur
enseigna brièvement quelques-unes des demandes du Pater. Il leur
dit : "Que votre nom soit sanctifié, pardonnez-nous nos offenses
comme nous pardonnons à ceux qui nous offensés et délivrez-nous
du mal. "il ajouta : "Bornez-vous maintenant à dire ces prières
et agissez en conséquence "Il leur fit d'admirables instructions
à ce sujet. Je vis qu"ils observaient fidèlement ce qu'il
leur avait prescrit, quand il ne s'entretenait pas avec eux et qu'il marchait
seul. Maintenant ils portaient toujours avec eux quelques aliments dans
leurs besaces, et je vis que quand d'autres voyageurs passaient, même
sur des chemins détournés, Jésus leur avait prescrit
d'aller à eux et de leur donner ce dont ils pouvaient avoir besoin,
surtout quand c'étaient des pauvres.
Jésus passa près de Jezraël et d'Endor, et vers
onze heures ou midi, il arriva devant Naïm Il entra sans bruit dans
une hôtellerie qui était devant la ville.
La veuve de Naïm, sœur de la femme de Jacques le Majeur, savait
par Nathanaël qu'il viendrait prochainement, et elle avait pris ses
mesures pour être avertie de son arrivée Je vis qu'elle vint
le trouver dans l'hôtellerie avec une autre veuve que je ne connaissais
pas encore. Elles se prosternèrent devant lui, couvertes de leurs
voiles, et la veuve de Naim le pria d'accueillir les offres de cette autre
bonne veuve qui voulait donner tout son bien à la caisse des saintes
femmes destinée à l'entretien des disciples et au soulagement
des pauvres : elle désirait aussi se mettre personnellement à
son service. Jésus accepta les offres de cette veuve, puis il les
instruisit et les consola toutes deux. Elles portèrent aussi quelques
dons pour un repas que prirent les disciples, et la veuve leur donna immédiatement
une somme d'argent, qu'ils envoyèrent aux saintes femmes à
Capharnaum. Jésus se reposa ici avec les disciples, car le jour
précédent, à Engannim, il s'était excessivement
fatigué à prêcher et à guérir, et depuis
lors il avait fait environ sept lieues. Je l'ai vu encore, pendant la nuit,
passer près du Thabor ; il laissa Nazareth à sa gauche et
je l'entendis de nouveau donner à ses disciples des instructions
sur la prière.
La veuve nouvellement arrivée parla à Jésus d'une
autre femme, appelée Marie, qui m'est inconnue et qui voulait aussi
donner son avoir. Jésus répondit qu'elle devait le conserver
jusqu'au temps où il en aurait besoin.
(8 août.) Aujourd'hui dès l'aube du jour, Jésus
arriva à Cana et entra chez un scribe près de la synagogue
: Il se reposa et prit quelque nourriture : la cour antérieure de
la maison fut bientôt remplie de monde, car on avait appris d'Engannim
qu'il allait venir, et tous l'attendaient.
Il enseigna toute la matinée et il était entouré
d'une grande foule de peuple quand le centurion de Capharnaum arriva. Il
vint avec plusieurs serviteurs et plusieurs mulets. Il se hâtait
beaucoup, paraissait plein d'inquiétude et de souci, et cherchait
en vain de tous les côtés à pénétrer
jusqu'à Jésus à travers la foule, mais sans pouvoir
y réussir. L'ayant inutilement tenté plusieurs fois, il se
mit à crier de toutes ses forces : `` Respectable maître,
laissez venir à vous votre serviteur ! Je suis ici comme envoyé
de mon maître de Capharnaum, je parle en son nom et comme père
de son fils : je vous supplie de venir tout de suite avec moi, car mon
fils est très malade et va mourir. "Jésus ne l'entendit pas
: mais comme il avait excité l'attention, il chercha à pénétrer
plus avant : toutefois il n'y parvint pas et se mit à crier de nouveau.
"Venez sans délai avec moi, mon fils est à la mort. "Comme
il criait de toutes ses forces, Jésus tourna la tête vers
lui et lui dit, de manière à être entendu du peuple
: " Si vous ne voyez pas des signes et des miracles, vous ne croyez pas.
Je sais ce qui vous amène : vous voulez vous glorifier et défier
les pharisiens et vous n'avez pas moins de besoins qu'eux. " Ma mission
n'est pas de faire des miracles pour remplir vos vues. Votre témoignage
ne m'est pas nécessaire : je me manifesterai quand ce sera la volonté
de mon Père, et je ferai des miracles lorsque ma mission le demandera
". Il parla longtemps sur ce ton et gourmanda cet homme devant le peuple,
lui reprochant de chercher depuis longtemps une occasion pour faire guérir
son fils par lui, afin d'en tirer gloire en face des pharisiens : "il ne
fallait pas, ajouta-t-il, demander des miracles pour soi en vue des autres,
mais il fallait croire et se convertir "
Ces discours ne produisirent aucun effet sur cet homme : il ne se laissa
pas détourner de son dessein, mais s'approcha plus près et
cria de nouveau : " Maître, à quoi bon tout cela ! venez avec
moi tout de suite, il est peut-être déjà mort. "Alors
Jésus lui dit : " Allez, votre fils est vivant ". L"homme répondit
: " est-ce bien sûr ? " et Jésus dit : " il est sain et sauf
à cette heure, sur ma parole. "
Alors l'homme le crut, il ne lui demanda plus de partir avec lui, et
retourna en toute hâte à Capharnaum. Jésus ajouta que
cette fois encore il voulait bien faire ce qui lui était demandé,
mais que si un cas semblable se représentait, il ne le ferait plus.
Je vis en cet homme, non l'officier royal lui-même, mais pourtant
le père de son fils. C'était lui qui tenait la première
place dans la maison du centurion de Capharnaum. Celui-ci n'avait pas d'enfants,
il en avait longtemps désiré, et avait adopté comme
sien un fils de cet homme de confiance et de sa femme ; l'enfant avait
alors quatorze ans. Le messager vint comme envoyé, et aussi comme
s'il eût été lui-même le maître et le père.
J'ai vu tout cela et toutes les relations entre ces personnes m'ont été
expliquées, et c'est pour cela peut-être que Jésus
le laissa si longtemps crier. Du reste ces choses étaient restées
secrètes.
L'enfant soupirait depuis longtemps après l'arrivée de
Jésus. Dans les commencements la maladie était bénigne,
alors c'était à cause des pharisiens qu'on désirait
Jésus. Depuis quinze jours l'état du malade était
devenu plus grave et le jeune homme, auquel on donnait toute sorte de remèdes,
ne cessait de dire : `` Toutes ces boissons ne me servent de rien : c'est
Jésus, le prophète de Nazareth, qui seul me guérira.
"Comme le danger devenait imminent, ils envoyèrent un message à
Samarie avec les saintes femmes, puis André et Nathanaël à
Engannim ; enfin l'intendant lui-même partit pour Cana où
il trouva Jésus. Jésus fit longtemps attendre son secours
en punition de la première intention qu'on avait eue.
De Cana à Capharnaum, il y avait une journée de voyage,
mais cet homme fit tant de diligence, qu'il arriva avant la nuit. Deux
serviteurs vinrent à sa rencontre à deux lieues avant Capharnaum,
et lui dirent que l'enfant était guéri : ils étaient
partis pour courir après lui et l'engager, dans le cas où
il n'aurait pas trouvé Jésus, à s'épargner
la fatigue et les frais d'un nouveau voyage : car à la septième
heure l'enfant s'était trouvé guéri subitement, comme
si la chose se fût faite d'elle-même : alors il leur raconta
ce qu'avait dit Jésus, et ils furent remplis d'admiration et se
rendirent avec lui à la maison. Je vis le centurion Zorobabel avec
l'enfant le recevoir sous la porte. L'enfant l'embrassa ; il raconta ce
qu'avait dit Jésus, et les serviteurs qui l'avaient accompagné
attestèrent la vérité de son récit : ce fut
pour tous une glande joie. Je vis préparer un repas. Le jeune homme
était assis entre son père adoptif et son père véritable
: la mère était présente. L'enfant aimait son vrai
père autant que son père putatif et le premier avait aussi
une grande autorité dans la maison.
Lorsque Jésus eut congédié l'homme de Capharnaum,
il guérit encore plusieurs malades qu'on avait amenés dans
une cour de la maison. Il y avait là plusieurs possédés,
mais non de la pire espèce. On conduisait souvent des possédés
à ses instructions : quand ils arrivaient, ils faisaient grand bruit
et se démenaient terriblement : mais Jésus leur ordonnait
de se tenir tranquilles, et ils devenaient très calmes ; puis au
bout d'un certain temps ils paraissaient ne pouvoir plus se maîtriser,
et ils recommençaient à entrer en convulsions : alors Jésus
leur faisait signe de la main et ils se calmaient de nouveau. Après
l"instruction il commandait à Satan de se retirer, sur quoi ordinairement
ils tombaient comme sans connaissance pendant quelques instants, puis se
réveillaient tout joyeux, le remerciaient, et ne savaient plus rien
de ce qui leur était arrivé. Ceux-là sont des gens
dont la possession n'est pas d'une mauvaise nature, qui sont possédés
sans qu'il y ait de leur faute. Je ne puis pas expliquer cela clairement,
mais j'ai vu distinctement cette fois et d'autre fois encore, comment il
arrive que près d'un méchant homme qui reste épargné
par l'effet de la miséricorde et de la longanimité divine,
souvent Satan prend possession d'un homme innocent et faible qui est parent
du premier. Il semble que celui-là prenne à sa charge une
partie du châtiment dû à l"autre. Je ne puis m'expliquer
très clairement sur ce point : cela tient à la relation qui
existe entre nous tous comme membres d'un seul et même corps ; et
c'est comme lorsqu'un membre sain contracte, en vertu d'un rapport intime
et mystérieux, une maladie qui a pour cause les péchés
d'un autre membre. Il y avait ici des possédés de cette espèce.
Ceux dont la possession est d'une mauvaise nature, sont beaucoup plus effrayants
et coopèrent avec Satan : les autres sont purement passifs ; dans
l'intervalle des accès, ils sont bons et pieux.
Jésus enseigna encore dans la synagogue où plusieurs
scribes de Nazareth qui étaient présents l"engagèrent
à venir. Ils lui dirent que le bruit des grands miracles qu'il avait
opérés dans la Judée, la Samarie et l'avant veille
à Engannim, s'était répandu dans sa patrie. Or il
savait bien qu'à Nazareth on ne croyait pas qu"un homme pût
être vraiment savant, s'il n'avait pas étudié à
l'école des pharisiens. Ils désiraient donc, disaient-ils
qu'il vint les visiter et redresser leurs idées. En lui tenant ces
discours, ils croyaient qu'il s"y laisserait prendre. Jésus leur
dit qu'il n'irait pas encore, et que quand il viendrait, ils n'auraient
pas de lui ce qu'ils désiraient. Après la synagogue il assista
à un grand repas dans la maison du père de la fiancée
de Cana ; sa fille y assistait ainsi que le fiancé Nathanael et
la veuve, tante de celui-ci. Nathanael s"était attaché à
Jésus comme son disciple, et il avait aidé à maintenir
l'ordre lors de ses prédications et de ses guérisons de malades.
Le fiancé et la fiancée demeurent seuls ; ils n'ont pas de
ménage et reçoivent leur nourriture de chez les parents de
la fiancée. (Ce sont des gens de bien : le père est un peu
boiteux. Cana est une belle ville, située sur un plateau élevé
: plusieurs grandes routes y passent. Il y a un chemin direct d'ici à
Capharnaum qui est, je crois, à une distance de sept lieues. Le
chemin s'abaisse un peu vers Capharnaüm Après le repas, Jésus
revint à son logis et guérit encore plusieurs malades qui
l'attendaient. Il ne guérit pas toujours de la même manière.
Tantôt il commande, tantôt il impose les mains ou se courbe
sur les malades : d'autres fois il leur ordonne de prendre un bain, d'autres
fois encore il mêle de la poussière avec sa salive et leur
frotte les yeux. Aux uns il donne des avis, aux autres il révèle
leurs péchés : il y en a aussi qu'il refuse de guérir.
(9 - 11 août.) Jésus alla mardi de Cana à Capharnaum
avec ses disciples : Nathanaël aussi le suivit : sa femme, sa tante
et quelques autres personnes étaient allées en avant. La
route peut être de sept lieues : elle est assez directe : vers Capharnaum
elle descend. Sur ce chemin on laisse à droite un étang ou
petit lac qui ressemble à celui d'Ainon : un ruisseau coule au milieu
: il y a sur l'eau plusieurs petites barques. à l'entour sont des
jardins et des maisons de plaisance : on aperçoit de vieilles tours
sur une montagne. C'est là que commence le magnifique et fertile
district de Génésareth. Il y a dans la plaine quelques vigies
comme celles qui sont autour de la plaine de Magdalum : prés de
la montagne où sont les tours, il y a des bains chauds.
Lorsque Jésus arriva dans le voisinage de Capharnaum, plusieurs
possédés s'agitèrent devant les portes et dans la
ville ; ils criaient : "Le prophète vient, que veut-il ici, qu'a-t-il
à faire avec nous ? "Je vis Jésus arriver vers deux heures
devant Capharnaum, et les possédés se dispersèrent.
un peu en avant de la ville on avait dressé une tente. Le centurion
vint avec le père de l'enfant et l'enfant lui-même, placé
entre eux deux, à la rencontre de Jésus ; il était
suivi de toute sa famille, de ses serviteurs, de ses subordonnés
et de ses esclaves : ceux-ci étaient des païens qu'Hérode
lui envoyait. C'était toute une procession, tous se prosternèrent
devant Jésus et lui rendirent grâces. On lava ici les pieds
à Jésus et on lui présenta a boire et à manger.
Jésus mit la main sur la tête de l'enfant agenouillé
devant lui et lui adressa quelques exhortations : il reçut alors
le nom de Jessé au lieu de celui de Joël qu'il portait auparavant
: le centurion s'appelait Zorobabel. Celui-ci pria instamment Jésus
d'entrer dans sa maison à Capharnaum et d'y accepter un repas, mais
Jésus s'y refusa et lui reprocha encore son désir de le voir
faire des miracles pour exciter le dépit d'autres personnes. Il
lui dit : " Je n'aurais pas guéri l'enfant, si la foi du messager
n'avait pas été si énergique et si pressante. "Là-dessus
Jésus continua son chemin.
Cependant Zorobabel avait fait préparer un grand festin Tous
les serviteurs et les ouvriers qui travaillaient dans les nombreux jardins
qu'il possédait dans les environs avaient été convoqués.
On leur raconta le miracle ; tous furent profondément émus
et crurent en Jésus. Pendant le repas, ces gens, ainsi que beaucoup
de pauvres auxquels on avait distribué des présents, chantèrent
un cantique de louanges dans le vestibule.
Le miracle avait été connu dès le matin dans Capharnaum.
Zorobabel en envoya la nouvelle à la mère de Jésus
et aux apôtres que je vis tous occupés de nouveau à
leurs pêcheries. Je vis aussi que la nouvelle fut portée à
la belle-mère de Pierre qui était malade et gardait le lit.
Jésus tourna autour de Capharnaüm pour gagner l'habitation
de sa mère, ou se trouvaient réunies environ cinq femmes
avec Pierre, André, Jacques et Jean. Ils allèrent au-devant
de Jésus et il y eut une grande joie à cause de son arrivée
et de ses miracles. Il prit ici un repas et se rendit aussitôt à
Capharnaum pour le sabbat avec ses disciples : les femmes restèrent
à la maison. Une grande foule de peuple et beaucoup de malades étaient
rassemblés à Capharnaum. Les possédés couraient
et criaient dans les rues lorsqu'il arriva. Il leur ordonna de se taire
et se rendit à la synagogue en passant au milieu d'eux. Après
la prière, un pharisien obstiné, du nom de Manassé,
fut appelé à faire la lecture, parce que c'était son
tour. Mais Jésus demanda les rouleaux d'écriture, et annonça
qu'il allait lire. Il lut d'abord depuis le commencement du cinquième
livre de Moïse jusqu'aux murmures des enfants d'Israël : puis
il fit une instruction sur l'ingratitude de leurs pères, sur la
miséricorde de Dieu à leur égard, et sur l'approche
du royaume de Dieu : il dit qu'on devait bien se garder aujourd'hui de
suivre leur exemple : il présenta toutes leurs marches et leurs
courses vagabondes comme des symboles des erreurs contemporaines et fit
des rapprochements entre la terre promise d'alors et le royaume de Dieu,
si voisin maintenant. Il lut ensuite le premier chapitre d'Isaïe qu'il
appliqua au temps présent : il parla des prévarications des
Juifs et de leur châtiment, rappela leur longue attente d'un prophète,
et dit comment ils allaient traiter celui qu'ils possédaient maintenant.
Il parla d'animaux de diverses espèces qui savent reconnaître
leur maître, tandis qu'eux ne reconnaîtraient pas le leur :
il dit aussi comment celui qui venait pour les secourir se ferait reconnaître,
aux mauvais traitements qu'il souffrirait d'eux, comment Jérusalem
serait châtiée, et combien la communauté des saints
serait peu nombreuse. Mais le Seigneur devait lui donner l'accroissement,
et les autres devaient être exterminés. Il les exhorta à
se convertir, à crier vers le Seigneur qui les rendrait purs quand
même ils seraient tout couverts de sang. Il parla ensuite du roi
Manassé, qui, ayant prévariqué devant Dieu et commis
des actes abominables, avait été, pour sa punition, réduit
en captivité et emmené à Babylone, mais qui s'était
converti, avait imploré Dieu et reçu son pardon. Il déplia
aussi comme par hasard un rouleau où il lut le passage d'Isaïe
(VII, 14.) "Voici que la Vierge concevra, "et il appliqua ce texte à
lui même et à la venue du Messie.
Il avait fait un commentaire semblable lors de son séjour à
Nazareth, avant son baptême, et ils s'étaient moqués
de lui, disant : "Nous ne l'avons pas vu manger beaucoup de beurre et de
miel chez son père, le pauvre charpentier. "
Les pharisiens et beaucoup d'autres personnes de Capharnaum étaient
mécontents qu'il leur fit aujourd'hui un enseignement si sévère
sur l'ingratitude ; car ils s'étaient attendus à quelques
paroles flatteuses pour l"avoir si bien reçu. L'instruction dura
assez longtemps, et lorsqu'il sortit, j'entendis deux pharisiens se dire
tout bas l'un à l'autre : "ils ont amené des malades, osera-t-il
les guérir le jour du sabbat ? "On avait éclairé la
rue avec des flambeaux et plusieurs maisons avec des lampes. Quelques habitations
de gens mal intentionnés étaient restées dans l'ombre.
Là où il passait, on avait placé des malades devant
les maisons et de la lumière à côté. Il y avait
beaucoup de tumulte et de bruit dans les rues, quelques possédés
le poursuivirent de leurs clameurs, et il les délivra par un simple
commandement. J'en vis un tout furieux qui s'élançait sur
lui et lui criait avec un visage effrayant et les cheveux dressés
sur la tète : " C'est toi ! que veux-tu ? qu'as-tu à faire
ici ? " Jésus le repoussa en arrière en lui disant : "Retire-toi,
Satan ! " Je vis alors cet homme tomber par terre si violemment qu'il aurait
dû se rompre le cou et se briser les jambes ; mais bientôt
il se releva tout changé et particulièrement calme, s'agenouilla
devant Jésus et lui rendit grâces. Jésus lui ordonna
de se corriger. Je le vis ainsi en guérir plusieurs comme il passait
devant eux.
Je le vis ensuite se diriger dans la nuit avec ses disciples vers la
maison de sa mère, et pendant qu'ils marchaient, j'entendis leur
conversation qui était toute simple et toute naturelle.
Pierre parlait de son ménage, disait qu'il avait laissé
bien des choses en souffrance dans sa pêcherie, à cause de
sa longue absence : "Pourtant, disait-il, c'était son devoir de
veiller à la subsistance de sa femme, de ses enfants et de sa belle-mère."
Jean lui répondit : "que lui aussi, ainsi que Jacques, devaient
prendre soin de leurs parents, que c'était là quelque chose
de plus important qu'une belle-mère." C'est ainsi qu'ils s"entretenaient
avec beaucoup de simplicité, quelquefois mente en badinant, et j"entendis
Jésus leur dire que le temps viendrait bientôt ou ils laisseraient
entièrement cette pêche, et où ils prendraient d'autres
poissons. Jean était plus naïf et plus confiant avec Jésus
que les autres : il était aimant et dévoué, ne s'inquiétait
pas et ne contredisait pas. Jésus alla chez sa mère, les
autres chez eux.
(10 août.) Le jour du sabbat Jésus alla de bonne heure
à Capharnaüm avec ses disciples. L'habitation de sa mère
est à environ trois quarts de lieue, du côté de Bethsaïde.
Le chemin, à partir de là, monte un peu, puis redescend vers
Capharnaum. Peu avant la porte, dans un enfoncement, se trouve une maison
qu'un pieux vieillard habite en qualité de gardien. Cette maison
est destinée à recevoir ici Jésus et ses disciples.
Tous les disciples de Bethsaïde et des environs se trouvaient à
Capharnaum. Marie et les saintes femmes s'y rendirent plus tard. Lorsque
Jésus vint dans la ville, il trouva placés sur son chemin
un très grand nombre de malades qui étaient venus la veille
et qui n'avaient pas été guéris. Il en guérit
beaucoup en se rendant à la synagogue, dans laquelle il enseigna
et expliqua entre autres choses une parabole que j'ai oubliée.
Comme, en s'en allant, il enseignait encore devant la synagogue plusieurs
personnes se prosternèrent devant lui et demandèrent le pardon
de leurs péchés. C'étaient deux femmes adultères
renvoyées par leurs maris, et environ quatre hommes parmi lesquels
se trouvaient des complices de ces femmes. Ils fondaient en larmes et voulaient
confesser leurs péchés devant le peuple assemblé.
Jésus leur dit que leurs péchés lui étaient
connus, qu'un temps viendrait où la confession publique serait prescrite,
mais que, dans la circonstance présente, elle ne pouvait amener
que du scandale et des persécutions pour eux. Il les exhorta en
outre à veiller sur eux-mêmes afin de ne pas retomber, a ne
jamais désespérer, même en cas de rechute, mais à
avoir recours à Dieu et à la pénitence. Il leur remit
aussi leurs péchés, et comme les hommes demandaient à
quel baptême ils devaient aller, s'ils devaient aller à celui
de Jean, ou attendre que ses disciples baptisassent, il leur dit d'aller
au baptême des disciples de Jean.
Les pharisiens qui étaient présents s'étonnèrent
beaucoup qu'il osât remettre les péchés, et ils lui
demandèrent des explications à ce sujet. Il les réduisit
au silence par ses réponses, et leur dit qu'il lui était
plus aisé de remettre les péchés que de guérir
: que les péchés étaient remis à celui qui
se repentait sincèrement, et qu'il lui devenait facile de ne pas
retomber, tandis que les malades qui étaient guéris corporellement,
restaient souvent avec l'âme malade et faisaient servir leur corps
au péché. Ils lui demandèrent aussi si, maintenant
que ces femmes avaient reçu le pardon de leurs péchés,
les maris qui les avaient renvoyées, devaient les reprendre. Jésus
dit que le temps ne lui permettait pas de s'expliquer à cet égard,
qu"une autre fois il donnerait des instructions sur ce point. Ils l'interrogèrent
aussi sur les guérisons opérées le jour du sabbat,
il se justifia en disant que si une de leurs bêtes de somme tombait
dans un puits le jour du sabbat, ils la retireraient, etc.
L'après-midi il se rendit avec tous les disciples dans la maison
qui était devant Capharnaum ; les saintes femmes y étaient
déjà. Il y eut un repas dont le centurion Zorobabel avait
fait les trais : il était au nombre des convives ainsi que Salathiel,
le père de l'enfant guéri. Cet enfant qui avait changé
son nom de Joël pour celui de Jessé, servait à table
; les femmes étaient à une table séparée. Jésus
parla et enseigna. On lui apporta des malades jusque dans cette maison
: on forçait l'entrée de la salle où se faisait le
repas, en implorant son secours à grands cris. Il en guérit
plusieurs. Après le repas, il alla de nouveau à la synagogue,
et je l'entendis, entre autres choses, prêcher sur Isaie et sur sa
prophétie au roi Achaz : " Voici que la Vierge concevra et enfantera
un fils. "(XII.)
Lorsqu'il quitta la synagogue, il guérit encore plusieurs personnes
dans les rues jusqu'à la nuit. Parmi celles-ci se trouvaient plusieurs
femmes affligées de pertes de sang qui se tenaient à distance,
tristes et voilées, et n'osaient pas s'approcher de lui ni du peuple.
Jésus connaissait leur état, il se tourna vers elles et les
guérit en les regardant. Il ne touchait jamais ces sortes de malades.
Il y a là un mystère que je ne puis pas expliquer maintenant.
Ce soir-là commençait un jour de jeûne.
Lorsqu'il revint avec ses disciples dans la maison de sa mère,
on y disait que le lendemain il voulait aller au lac avec eux, et j'entendis
que Pierre s'excusait à cause du mauvais état de sa barque.
Les gens auxquels il avait remis leurs péchés étaient
en habits de pénitents et voilés. à l'avant-dernier
sabbat, les Juifs étaient vêtus de noir ; tous les derniers
jours avaient été des jours de pénitence parce qu'on
y faisait commémoration de la destruction de Jérusalem :
de là aussi les paroles sévères de Jésus sur
le châtiment qui menaçait cette ville.
Lorsque Jésus, le sabbat fini, quitta Capharnaum après
ses nombreuses guérisons, pour se rendre dans la maison de sa mère,
il passa dans la ville devant un bâtiment entouré d'eau où
il y avait un pont j on y enfermait le soir les possédés
de la pire espèce. Lorsque le Sauveur passa près d'eux, ils
tirent grand bruit et crièrent : " Le voilà qui passe, que
veut-il ? pourquoi veut-il nous chasser ? "Mais Jésus leur dit :
" Taisez-vous et attendez que je revienne : c"est alors qu'il faudra partir.
" Alors ils se tinrent tranquilles.
Lorsqu'il fut parti, je vis que les pharisiens et les principaux de
la ville s'assemblèrent : le centurion Zorobabel était présent.
Ils délibérèrent sur tout ce qu'ils avaient vu, sur
ce qu'ils devaient penser de Jésus et sur les mesures qu'il fallait
prendre. a Quelle agitation et quel tumulte excite cet homme ! n disaient-ils.
`' Il n'y a plus de tranquillité possible ! Les gens abandonnent
leur travail et le suivent partout. Il trouble tout le monde par ses discours
et ses invectives. Il parle toujours de son père : mais n'est-il
pas de Nazareth, n'est-ce pas le fils d'un pauvre charpentier ? Où
prend-il tant de hardiesse et d'assurance ? Sur quel droit s'appuie-t-il
? Il guérit le jour du sabbat et trouble la paix : il remet les
péchés : sa force vient-elle d'en haut ? est-ce un art magique
dont il fait usage ? D'où tire-t-il toutes ses explications de l'Ecriture
? N'est-il pas allé à l'école à Nazareth j
il doit avoir des relations secrètes avec un peuple étranger.
Il parle toujours de l"avènement du royaume, de l'approche du Messie,
de la ruine de Jérusalem. Son père Joseph était d'origine
illustre ; peut-être est-ce un enfant supposé, le fils de
quelque homme puissant, qui cherche à se faire un parti dans le
pays et à s'emparer de la souveraineté en Judée. Il
doit avoir derrière lui des appuis mystérieux, un soutien
inconnu sur lequel il compte ; autrement, il ne pourrait pas procéder
avec tant d'assurance et de hardiesse, aller à l'encontre de tous
les usages et de toutes les autorités, comme si c'était son
droit d'en agir de la sorte. Il a fait souvent de longues absences : quelles
alliances peut-il avoir formé ? où peut-il avoir pris son
art et sa science ? qu'y a-t-il à faire avec lui ? "(XL, 11.) C'est
ainsi qu'ils parlaient entre eux dans leur dépit et se livraient
à des conjectures de toute espèce. Le centurion Zorobabel
restait très calme, et il trouva enfin moyen de les calmer aussi
; il les exhorta à ne pas s"inquiéter à ce sujet :
"Si son pouvoir vient de Dieu, " leur dit-il, " il s'affermira certainement
: s'il en est autrement, il tombera. Mais tant qu'il nous guérira
et nous fera du bien, nous devrons lui en savoir gré et remercier
celui qui l'a envoyé. " Jésus passa la nuit dans la demeure
de sa mère en avant de Capharnaum.
(11 août.) Les disciples étaient restés tous avec
Jésus dans la maison de Marie. Jésus voulait en ce jour qui
était un jour de jeûne, se promener avec eux, les instruire
et les préparer. Il alla le matin vers le lac avec une vingtaine
de disciples. Outre ceux qui étaient du pays, il y avait avec lui
ceux de Cana, les fils des veuves, Saturnin et ceux qui l'accompagnaient
ordinairement. Il n'alla pas directement au lac, qui est tout au plus à
une lieue, mais au midi en contournant la hauteur qui domine au levant
la maison de Marie. Cette montagne n'est que le prolongement de celle qui
court au nord, mais elle en est un peu séparée par une dépression
du terrain. Jésus alla au midi avec les disciples : c'était
une promenade destinée à les instruire. Il y avait là
plusieurs jolis petits cours d'eau qui des hauteurs coulaient dans le lac
: la petite rivière de Capharnaum coulait aussi dans cette direction.
Des sources abondantes coupaient ici le pays et coulaient autour de Bethsaïde.
Jésus se reposa plusieurs fois avec eux à des endroits agréables
: souvent aussi il s'arrêta pour enseigner.
Note : Ce jour de jeûne est présenté comme ayant
lieu en commémoration de à lampe du temple qui s'éteignit
sous Achaz. Comme ce fut à ce roi qu'Isaïe fit la célèbre
prédiction : " Une Vierge enfantera, " la citation de cette prophétie
faite hier soir pouvait se rapporter à l'approche de ce jour de
jeûne.
Il parla de la dîme : ils se plaignaient de grandes vexations
qui avaient eu lieu à Jérusalem à propos des dîmes
et se demandaient si cela ne pouvait pas être corrigé. Il
répondit que Dieu avait ordonné de donner au temple et à
ses ministres la dixième partie de tous les fruits, afin que les
hommes se souvinssent qu'ils n'étaient pas propriétaires,
mais seulement usufruitiers ; qu'on devait en outre, par esprit de renoncement,
donner la dîme des légumes, etc. Ses disciples parlèrent
aussi de Samarie et dirent qu'ils regrettaient d'avoir peut-être
été cause qu'il avait quitté ce pays, qu'ils ne savaient
pas que les habitants fussent aussi avides de son enseignement, et l'eussent
si bien accueilli : sans leurs instances, il y serait peut-être resté
plus longtemps. Mais Jésus leur dit que les deux jours qu'il y était
resté, avaient été suffisants, que les Sichimites
étaient très ardents et très prompts à s'émouvoir,
que parmi les convertis il n'y en avait peut-être qu'une vingtaine
qui persévérât encore, qu'il leur réservait
la moisson future, laquelle serait plus abondante.
Les disciples émus par sa dernière instruction parlèrent
avec sympathie des Samaritains et rappelèrent à leur louange
l'histoire de l'homme qui, allant à Jéricho était
tombé entre les mains des voleurs et près duquel le prêtre
et le lévite avaient passé sans s'arrêter, tandis que
le Samaritain l'avait recueilli et l'avait oint d'huile et de vin. Cette
histoire était connue, elle était arrivée réellement
près de Jéricho à une époque déjà
ancienne. La pitié qu'ils montraient pour le blessé et la
joie que leur causait l'action charitable du Samaritain donnèrent
occasion à Jésus de leur raconter une parabole du même
genre. Il commença par Adam et Eve et par la chute originelle qu'il
raconta simplement, comme elle est dans la Bible, dit comment, étant
chassés du paradis, ils vinrent eux aussi, avec leurs enfants. dans
un désert plein de voleurs et d"assassins, et comment l'homme renversé
et blessé par le péché resta gisant dans ce désert.
C'est alors que le roi du ciel et de la terre a fait tout ce qui était
possible pour venir en aide à l'homme dans son malheur. Il a envoyé
sa loi, des prêtres en grand appareil et beaucoup de prophètes,
mais tous ont passé et nul n'a secouru le malade, lequel, de son
côté, a plus d'une fois refusé toute assistance Enfin
à cet homme misérable il a envoyé son propre fils
sous un extérieur pauvre (ici il décrivit sa propre pauvreté)
: sans chaussures, sans rien pour se couvrir la tête, sans ceinture,
etc. ; et celui-ci a versé de l'huile et du vin dans les plaies
du blessé pour le guérir. Mais ceux-là mêmes
qui, pourvus de tout, n'avaient pas eu pitié du malheureux, se saisirent
du fils du roi et le mirent à mort, lui qui avait guéri le
pauvre blessé avec de l'huile et du vin. Il leur donna cette parabole
pour la méditer et lui dire ce qu'ils en pensaient, après
quoi, il la leur expliquerait. Ils ne la comprirent pas, toutefois ils
remarquèrent qu'il s'était décrit lui-même dans
la personne du fils du roi il leur venait toute sorte de pensées
et ils se demandaient entre eux, à voix basse, qui pouvait être
son père dont il parlait si souvent ?-il fit aussi allusion à
leurs préoccupations de la veille touchant leurs pêcheries,
et leur présenta l"exemple de ce fils de roi qui avait tout quitté
et qui lorsque les autres regorgeant de tout, avaient laissé languir
le pauvre blessé, l"avait oint d'huile et de vin. Il assura que
le père n'abandonnerait pas les serviteurs de son fils et qu'ils
recevraient tout en abondance quand il les rassemblerait autour de lui
dans son royaume.
Tout en disant ces choses et d'autres encore, il arriva avec eux au-dessous
de Bethsaïde à l'endroit du lac où étaient les
barques de Pierre et de Zébédée ; sur le rivage on
avait dressé plusieurs cabanes de terre pour les pêcheurs
Sur les navires étaient des esclaves païens occupés
à pêcher : il n'y avait pas de juifs parce que c'était
un jour de jeûne. Zébédée était dans
une cabane sur le rivage. Jésus leur dit de laisser là leur
pêche et de venir à terre, ce qu'ils firent. Là aussi
il enseigna.
Il remonta ensuite le lac vers Bethsaide qui est à une bonne
demi lieue d'ici. Pierre a le privilège de la pêche sur une
étendue d'une lieue le long du rivage. Entre la station des barques
et Bethsaide on rencontrait une anse : là plusieurs petits ruisseaux
se jetaient dans le lac ; c'étaient des bras de la petite rivière
qui vient de Capharnaum à travers la vallée et qui reçoit
plusieurs autres cours d'eau : devant Capharnaum elle forme un grand étang.
Jésus n'alla pas jusqu'à Bethsaïde, mais ils tournèrent
à l'ouest et se dirigèrent par la partie septentrionale de
la vallée, vers la maison de Pierre, laquelle est adossée
au côté oriental de la hauteur qui domine de l'autre côté
la maison de Marie.
Jésus alla avec Pierre dans la maison de celui-ci, où
Marie et les autres saintes femmes de la contrée étaient
réunies, ainsi que celles de Cana. Les autres disciples n'y entrèrent
pas, ils se tinrent dans le jardin qui avoisinait, ou allèrent en
avant, du côté de l'habitation de Marie. Lorsque Pierre entra
dans la maison avec Jésus, il lui dit : " Seigneur, quoique ce fût
un Jour de jeûne, vous nous avez rassasiés. " La maison de
Pierre était bien tenue, il y avait une cour et un jardin ; elle
était longue et on pouvait se promener sur le toit, d'où
l'on avait une belle vue sur le lac. Je ne vis ni la belle-fille de Pierre,
ni les fils de sa femme, je crois qu'ils étaient à l'école.
Sa femme était près des saintes femmes : elle n'avait pas
d'enfants avec elle. Sa belle-mère, une femme maladive, grande et
maigre, marchait en s"appuyant aux murs.
Jésus s'entretint longtemps avec les femmes des arrangements
à prendre sur cette partie du littoral où il avait l'intention
de résider souvent. Il les exhorta à ne Pas faire de dépenses
inutiles et pourtant a ne s'inquiéter de rien. Il lui fallait peu
de chose pour lui-même et il n'avait de besoins que pour les disciples
et pour les pauvres. Je pense qu'il se tiendra surtout ici dans la saison
d'hiver et avant ce temps, à ce que je crois, il fera encore baptiser.
Il alla avec les disciples dans la demeure de Marie où il s'entretint
encore avec eux, après quoi il se retira à part.
Le ruisseau de Capharnaum coule le long de la maison de Pierre : Il
peut de là aller jusqu'au lac avec ses instruments de pèche
sur un petit canot au milieu duquel est un siège.
Lorsque les saintes femmes apprirent de Jésus qu'il voulait
aller le surlendemain, pour le sabbat à Nazareth qui est à
neuf ou dix lieues d'ici, elles en eurent du déplaisir et témoignèrent
le désir qu'il restât ici ou du moins qu'il revînt bientôt.
Il dit qu'il ne croyait pas rester longtemps à Nazareth, vu que
les habitants seraient mécontents de lui parce qu'il ne pouvait
pas faire ce qu'ils désiraient. Il parla de plusieurs choses qu'on
lui reprocherait et sur lesquelles il appela attention de sa mère.
Il voulait lui dire d'avance ce qui arriverait. Je savais encore ces choses
il y a peu de temps, mais je les ai oubliées. Les saintes femmes
passèrent la nuit dans la maison de Pierre.
(12 août.) Jésus quitta la maison de Marie avec les disciples
et se rendit à Bethsaïde, qui était à peu près
à une petite lieue, par le côté septentrional de la
vallée, en suivant la pente de la montagne. Les saintes femmes s'y
rendirent de la maison de Pierre : elles entrèrent dans la maison
d'André, située à l"extrémité de Bethsaide,
vers le nord : elle était en bon état, mais moins grande
que celle de Pierre.
Bethsaide est une petite ville de pêcheurs dont la partie centrale
est seule tournée vers l'intérieur des terres et qui s'étend
en deux bras très minces jusqu"au lac. De la station de la barque
de Pierre, on la voit devant soi au nord. Elle est habité en grande
partie par des pêcheurs : il y a en outre des gens qui tissent des
couvertures et d'autres qui font des tentes : ce sont des gens rudes et
simples et ils me font toujours l"effet d"être ce que sont chez nous
ceux qui travaillent aux tourbières compares au reste de la population.
Les couvertures sont faites de poil de chèvre et de chameau. Les
longs poils qu'ont les chameaux sur le cou et sur la poitrine forment sur
les bords comme des franges et des galons parce qu'ils ont un brillant
agréable.
Le vieux centurion Zorobabel n'était pas ici avec eux : c'était
un homme débile et qui ne pouvait pas marcher beaucoup. Il aurait
pu venir à cheval, mais alors il n'aurait pas entendu les instructions
données en route par Jésus : d'ailleurs il n'était
pas encore baptisé. Il y avait ici beaucoup de gens des lieux environnants,
et aussi beaucoup d'étrangers venus, de l'autre côté
du lac, du pays de Khorosaïn et de Bethsaïde-Juliade qui est
en face.
Jésus enseigna ici dans la synagogue qui n'est pas très
grande, sur l'approche du royaume de Dieu et il dit assez clairement qu'il
était le roi de ce royaume, il excita comme à l'ordinaire
l'étonnement de ses disciples et des auditeurs. Il prêcha
en termes généraux comme tous ces jours-ci et guérit
plusieurs malades qu'on avait amenés devant la synagogue. Il y avait
plusieurs possédés qui lui criaient : "Jésus de Nazareth,
prophète, roi des Juifs, etc. "Jésus leur ordonna de se taire
parce que le temps n'était pas encore venu de révéler
ce qu'il était.
Lorsqu'il eut fini d'instruire et de guérir, ils allèrent
à la maison d'André pour manger, mais Jésus n'entra
pas et dit qu'il avait faim d'une autre nourriture. Il alla avec Saturnin
et un autre disciple, en remontant le lac jusqu'à une demi lieue
de la maison d'André, dans un hôpital écarté,
situé au bord de l'eau, où languissaient des lépreux,
des idiots et d'autres malheureux sans ressource et presque entièrement
délaissés. Il y en avait parmi eux qui étaient à
peu près tout nus. Personne de la ville ne le suivit parce qu'on
craignait de se souiller. Les cellules de ces pauvres gens étaient
disposées en rond autour d'une cour : ils n'en sortaient jamais
et on leur donnait à manger par des trous qui étaient aux
portes. Jésus les fit conduire dehors par le surveillant de la maison
et il fit apporter par ses disciples des couvertures et des vêtements
pour les couvrir. Il les instruisit et les consola, fit le tour en allant
de l'un à l'antre et en guérit un grand nombre par l'imposition
des mains. Il en laissa plusieurs de côté, et ordonna à
quelques-uns de se baigner et leur fit d'autres prescriptions. Ceux qu'il
avait guéris se prosternèrent devant lui et le remercièrent
en pleurant : c'était un spectacle très touchant. Jésus
prit avec lui le directeur de la maison et l'emmena chez André au
repas. Il y vint, de Bethsaïde, des parents de quelques-uns de ceux
qui avaient été guéris : ils vinrent les prendre,
pleins de joie, leur apportèrent des vêtements et les conduisirent
chez eux et dans la synagogue pour remercier Dieu.
Il y avait chez André un beau repas de gros et bons poissons.
On mangea dans une salle ouverte, les femmes étaient seules à
leur table. André s'occupait du service. Sa femme était très
affairée et très empressée, elle De sortait guère
de la maison. Elle avait une espèce d'industrie pour la confection
des cordes de filets et elle employait à cela plusieurs filles pauvres
dont elle avait formé un atelier fort bien tenu. Il y avait en outre
parmi elles de pauvres femmes mariées rejetées de la société
pour quelque faute et qui n'avaient pas d'asile ; elle en prenait pitié,
elle les occupait, les ramenait au bien et les faisait prier avec elle.
Le soir, après le repas, Jésus enseigna encore dans la
synagogue, puis il partit avec les disciples. Il passa de nouveau devant
plusieurs malades : mais il ne les guérit pas, disant que leur temps
n'était pas encore venu.
Il avait pris congé de sa mère et il alla avec les disciples
dans la maison en avant de Capharnaum, qui est à peu près
à une lieue et demie du lac. Cette maison appartient à Pierre
qui l"a mise à sa disposition. Jésus s'y entretint encore
longtemps avec les disciples et il se retira à part sur une colline
terminée en pointe aiguë, comme il y en avait plusieurs dans
cette contrée : elle était couverte jusqu'en haut d'une espèce
d'arbre semblable au genévrier et d'ifs ou de cyprès : il
y passa la nuit en prière.
Au point du jour il revint dans la maison et réveilla les disciples
avant de se mettre en route pour Nazareth : ils voulurent l'accompagner
jusqu'à une certaine distance. Capharnaüm est située
au penchant de la montagne où elle forme un demi arc de cercle.
Il y a beaucoup de jardins en terrasses et aussi des vignes : en haut croît
une espèce de blé dont la tige a la grosseur d'un roseau
: c'est un endroit considérable et d'un agréable aspect.
Il y a une grande variété de terrains dans le voisinage.
Non loin de là sont des décombres de toute espèce,
comme des ruines. La ville était autrefois plus grande ou peut-être
qu'il y avait là encore une autre ville.
(13-15 août.) Aujourd'hui mardi, Jésus alla de Capharnaum
à Nazareth, les disciples galiléens l'accompagnèrent
jusqu'à une distance de cinq lieues. Il ne cessa d'enseigner pendant
la marche. Il parla de leur destination future, et comme Pierre lui parlait
de son métier qu'il lui faudrait abandonner, il lui conseilla de
quitter le voisinage du lac et d'aller dans sa maison en avant de Capharnaum.
Ils passèrent devant plusieurs villes et aussi devant le petit lac
dont il a été fait mention dernièrement. Sur la roule,
dans une maison de bergers, deux possédés coururent vers
Jésus et le prièrent de les guérir. Ils avaient des
troupeaux dans les environs et étaient seulement tourmentés
de temps en temps par le démon ; ils étaient alors dans un
de leurs bons intervalles. Jésus ne les guérit pas : il leur
ordonna d'abord de changer de vie, et compara leur état à
celui d'un homme qui a l'estomac surchargé et qui voudrait guérir
de son mal d'estomac pour se livrer à de nouveaux excès.
Ces gens se retirèrent tout honteux. Les disciples quittèrent
Jésus deux lieues avant Séphoris, Saturnin aussi revint avec
eux dans la maison de Pierre. Il ne resta avec Jésus que deux disciples
venus de Jérusalem où ils voulaient retourner. Il alla à
Séphoris d'en bas qui est une petite ville, et entra chez des parents
de sainte Anne. Ce n'est pas la maison paternelle d'Anne, laquelle est
située entre ce Séphoris et le haut Séphoris, deux
villes situées à une lieue l'une de l'autre. Il y a dans
un rayon de cinq lieues beaucoup de maisons dépendantes de Séphoris.
Il n'alla pas cette fois au grand Séphoris. Il y a là de
grandes écoles de toutes les sectes et des tribunaux.
A Séphoris d'en bas il n'y a pas beaucoup de gens riches : on
y confectionne des draps, et les femmes font des houppes de soie et des
galons pour le temple. Tout le pays est comme un jardin de plaisance, couvert
de petits villages et de maisons de campagne disséminées,
séparées par des jardins et des avenues. Le grand Séphoris
est un lieu très important, il y a des châteaux à une
assez grande distance les uns des autres. Le pays est très beau
: on y trouve des fontaines et il nourrit un bétail nombreux.
Les parents de Jésus avaient trois fils dont un nommé
Kolaïa était disciple de Jésus: : la mère désirait
qu'il prit aussi les autres. Elle parla aussi des fils de Marie Cléophas.
Jésus lui donna des espérances à ce sujet. Ces fils
après la mort du Christ, furent ordonnés prêtres à
Éleutheropolis, par José Barsabas qui y était évêque.
(Mercredi 14 août.) Aujourd'hui Jésus enseigna ici dans
la synagogue. Il s'y trouvait beaucoup de personnes du pays environnant.
Il alla aussi dans les environs avec ses cousins et enseigna ça
et là de petites troupes de gens qui le suivaient ou l'attendaient
: en revenant il guérit plusieurs malades devant la synagogue et
y fit ensuite une instruction sur le mariage et sur le divorce. Il reprocha
aux docteurs d'ajuster toute sorte de choses à la loi, montra à
un vieux docteur dans un écrit un passage qu'il y avait intercalé,
lui en prouva la fausseté et lui ordonna de l"effacer. Je vis aussi
que le docteur s'habilla devant lui, que même il se prosterna à
ses pieds, reconnut sa faute et le remercia de son avertissement.
Jésus mangea et dormit chez ses parents, et il fut encore question
de l'admission des fils parmi les disciples. Ces gens sont, je crois, alliés
à Jésus par un des époux de Marie de Cléophas,
car j'entendis parler beaucoup ici de Joses Barabbas qui ne me parait pas
être du même père que Jacques Thaddée et Simon
le Chananéen.
(15 août.) Dans la nuit du mercredi Jésus sortit à
minuit de la maison de ses parents du petit Séphoris, et se retira
à part pour prier. Je le vis aujourd'hui entre le petit et le grand
Séphoris sur l'ancienne propriété patrimoniale de
sainte Anne. Il n'avait qu'un disciple avec lui. Ceux qui en étaient
devenus les possesseurs par des mariages n'étaient plus ses proches
alliés. Il y avait cependant une vieille femme hydropique alitée
qui tenait à lui de plus près ; un petit garçon aveugle
se tenait habituellement assis près d'elle. Il pria avec la vieille
femme à laquelle il fit répéter ses paroles : il lui
tint la main pendant à peu près une minute sur la tête
et sur la région de l'estomac, alors elle rentra complètement
en elle-même, eut une défaillance qui dura près d'une
minute, et se sentit tout à fait soulagée. Alors Jésus
lui ordonna de se lever. L'enflure de l"hydropisie ne disparut pas à
l'instant, mais la malade put marcher, et elle fut en peu de temps débarrassée
de son mal par des sueurs et des évacuations. Cette femme l'implora
en faveur de l'enfant aveugle qui avait environ huit ans ; il n'avait jamais
vu ni parlé, mais il entendait : elle louait sa piété
et son obéissance. Jésus lui mit l'index dans la bouche,
et souffla ensuite sur ses deux pouces ou peut-être les humecta avec
sa salive ; puis, priant et regardant au ciel, il les tint sur les yeux
de l'enfant qui étaient fermés ; celui-ci alors ouvrit les
yeux et la première chose qu'il vit fut Jésus, son libérateur.
L'enfant était tout bouleversé par la joie et l'étonnement
que lui causait un état si nouveau pour lui : il courut d'un pas
mal assuré vers Jésus, le remercia en bégayant et
pleura à ses pieds. Jésus lui donna des avis sur l'obéissance
et la piété filiale, lui dit qu'ayant pratiqué ces
devoirs étant aveugle, il devait les pratiquer encore plus fidèlement
maintenant qu'il voyait, et ne pas faire servir ses yeux au péché,
etc. Alors survinrent les parents et les gens de la maison, et il y eut
une grande joie et un concert de louanges.
Jésus ne guérissait pas un malade comme l'autre. Il ne
guérissait pas non plus autrement que les apôtres, les saints
des temps postérieurs et les prêtres jusqu'à notre
époque. Il imposait les mains et priait avec les malades. Mais il
faisait cela plus vite que les apôtres. Il faisait aussi ses guérisons
et ses miracles pour qu'ils servissent de modèle à ses successeurs
et à ses disciples. Il les faisait toujours d'une façon qui
était appropriée au mal et aux besoins de chacun. Il touchait
les paralytiques, leurs muscles s'assouplissaient, et il les relevait.
Dans les cas de fracture, il prenait les membres à l'endroit où
ils étaient brisés et les os se rejoignaient ensemble : quant
aux lépreux, je voyais qu'aussitôt qu'il les avait touchés,
leurs plaies se séchaient et il en tombait comme des écailles,
mais il restait des marques rouges qui disparaissaient peu à peu,
toutefois plus vite qu'à l'ordinaire et suivant le degré
où la guérison avait été méritée.
le n'ai jamais vu un homme contrefait devenir à l"instant droit
comme un cierge, ni un os disloqué se redresser tout à coup
: non qu'il n'eut pu le faire, mais il ne le faisait pas parce que ses
prodiges n'étaient pas un spectacle, mais c'étaient des œuvres
de miséricorde ; c'était une figure de sa mission, une délivrance,
une réconciliation, un enseignement, un développement, une
éducation, une rédemption : et de même qu'il voulait
la coopération des hommes pour les rendre participants de sa rédemption,
de même dans les guérisons la foi, l"espérance, l"amour,
le repentir, la conversion des cœurs, devaient se produire comme coopérant
à la réception de la grâce. à chaque état
était assigné le traitement qu'il réclamait, en sorte
que chaque maladie et sa guérison étaient le symbole, l'une
d'une maladie spirituelle, l'autre d'une guérison de l'âme,
d'un pardon et d'un amendement. Ce ne fut qu'à l'égard des
paiens que je le vis faire des miracles plus éclatants et plus extraordinaires.
Les miracles des apôtres et des saints qui vinrent ensuite avaient
quelque chose de beaucoup plus frappant, et de plus contraire à
la marché ordinaire de la nature, car les païens avaient besoin
d'être ébranlés, les juifs seulement d'être dégagés,
etc. Souvent il guérissait à distance par la prière,
souvent par un regard, et cela arrivait surtout pour des femmes affligées
de pertes de sang qui n'osaient pas s'approcher de lui, et qui d'ailleurs
ne le devaient pas d'après les lois juives. Il se conformait à
celles de ces lois qui avaient une signification mystérieuse et
non aux autres. J'ai vu à Atharoth dés femmes affligées
de perles de sang baiser la trace de ses pieds et guérir. J'en ai
vu d'autres à Capharnaum le regarder de loin et guérir.
Jésus enseigna encore ça et là dans les environs.
Vers le soir il alla à une école isolée située
prés de quelques habitations, à une égale distance
de Nazareth et du petit Séphoris. Ici le second disciple dont il
se faisait accompagner et le disciple Parménas vinrent de Nazareth
le trouver. Ils prirent un peu de nourriture, en plein air, près
d'une hôtellerie. Je vis des serviteurs de la synagogue du grand
Séphoris y apporter des rouleaux d'écritures : c'est, je
crois, parce qu'une instruction doit être faite dans cet endroit
le jour suivant. Parménas était déjà un ami
d'enfance de Jésus et il l'aurait suivi dès le principe avec
les autres disciples, s'il n'avait pas eu à Nazareth des père
et mère pauvres qu"il soutenait par toute sorte de moyens, spécialement
en portant des messages.
(16 août.) Je vis ce matin plusieurs docteurs et pharisiens du
grand et du petit Séphoris et des environs, et quelques autres personnes
encore, se réunir dans l'école isolée près
de laquelle Jésus s'était trouvé hier. Ils venaient
pour disputer avec lui sur le passage relatif au divorce qu'il avait signalé
le mercredi dans la synagogue, à l'un des docteurs, comme illicitement
intercalé. Ils avaient très mal pris cela au grand Séphoris,
car cette explication interpolée provenait de leur enseignement.
On divorçait très facilement dans cette ville, et il y avait
une maison particulière où l'on faisait entrer les femmes
séparées de leurs maris. Ce docteur qui avait confessé
sa faute, avait copié un cahier de la loi et y avait intercalé
de petites gloses pleines d'erreurs. Ils disputèrent longtemps contre
Jésus ; ils ne voulaient pas examiner pourquoi il prenait sur lui
d'effacer cela : mais il les réduisit au silence, non toutefois
à l'aveu de leur faute comme le premier. Il leur prouva qu'il était
détendu de rien interpoler, et que par conséquent il y avait
obligation d'effacer : il leur démontra la fausseté de l'explication
en question, et leur reprocha vivement la manière dont on éludait
la loi sur le divorce dans leur ville. Il dit dans quel cas il était
absolument détendu à l'homme de renvoyer sa femme, il ajouta
que quand un des conjoints avait une aversion insurmontable pour l'autre,
il pouvait y avoir séparation à l'amiable, mais que le plus
fort ne devait pas chasser l'autre contre sa volonté et sans qu'il
y eût de la faute de celui-ci. Toutefois il eut peu de succès
auprès d'eux : ils étaient dépités et enflés
d'orgueil, quoiqu'ils ne trouvassent rien a lui répondre.
Le scribe repris et converti précédemment par Jésus
se sépara tout à fait des pharisiens : il déclara
à sa communauté que dorénavant il enseignerait la
loi sans y rien ajouter, et que, s'ils le trouvaient mauvais, il se retirerait.
Le passage intercalé dans la loi sur le divorce était ainsi
conçu : " Quand l'un des deux époux a eu antérieurement
commerce avec une autre personne, le mariage n'est pas valide et cette
autre personne peut réclamer le premier comme lui appartenant, quand
même les époux vivraient en bonne intelligence. "C'est là
ce que Jésus rejeta, et il parla de la loi sur le divorce comme
donnée seulement pour un peuple grossier.
Il permettait bien de se séparer, mais non de se remarier. Or
deux des principaux pharisiens qui prenaient part à cette dispute
se trouvaient en position de profiter de ce commentaire sur la séparation
(ici elle raconta longuement, mais un peu confusément leurs rapports
matrimoniaux) : c'est pourquoi ils avaient depuis longtemps mis en circulation
de semblables additions à la loi. Cela n'était pas connu,
mais Jésus le savait et il leur dit : "Dans cette altération
de la loi ce ne sont point vos propres convoitises charnelles que vous
défendez"". Ces paroles les remplirent d'une rage inexprimable.
(16 et 17 août.) Dans l'après-midi, Jésus alla
à Nazareth qui était à environ deux lieues de l'endroit
où il se trouvait, à la même distance à peu
près que le petit Séphoris qui était situé
plus à l'est. En avant de la ville, le Seigneur entra dans la demeure
qu'occupaient les héritiers de son ami défunt, l'Essénien
Eliud. Ils lui lavèrent les pieds et lui offrirent une réfection.
C'étaient des gens paisibles, serviables et affectueux. Ils lui
dirent combien les habitants de Nazareth se réjouissaient de son
arrivée. Mais il leur répondit que cette joie ne serait pas
de longue durée, parce qu'ils ne voudraient pas entendre ce qu'il
avait à leur dire.
Il entra ensuite dans la ville : il y avait à la porte des gens
chargés de signaler son arrivée. à peine parut-il
qu'un certain nombre de pharisiens et de gens de distinction vinrent à
sa rencontre, accompagnes d'une grande foule de peuple. On le reçut
très solennellement et on voulut le conduire dans une hôtellerie
publique ou ils avaient préparé un festin pour le recevoir.
Il n'accepta pas, disant qu'il avait pour le moment autre chose a faire
; il se rendit aussitôt à la synagogue où ils le suivirent,
et où il y eut une grande affluence de peuple. Ceci se passait un
peu avant l'ouverture du sabbat.
Il enseigna sur l"avènement du royaume de Dieu et sur l'accomplissement
des prophètes, demanda le volume d'Isaïe, le déroula
et lut ce passage : (XXI, 1) a L'esprit du Seigneur est sur moi, parce
que le Seigneur m'a oint, il m'a envoyé porter la bonne nouvelle
aux pauvres, afin que je guérisse ceux qui ont le cœur oppressé,
que j'annonce aux captifs leur délivrance, et aux prisonniers leur
élargissement. (Luc, IV, 18, et Matth., V, 3.) il récita
ce passage comme s'appliquant à lui-même, faisant entendre
clairement que c'était bien sur lui qu'était l'esprit de
Dieu, lui qui était venu pour annoncer le salut aux pauvres et aux
souffrants, par qui toute injustice devait être supprimée,
les veuves consolées, les malades guéris, les pécheurs
pardonnés, etc. Cela se trouvait en partie dans le texte, et résultait
en partie des explications qu'il donnait. Son discours fut très
beau et très attachant. Tous étaient dans l"admiration :
et ce soir encore ils lui étaient très favorables. Toutefois
ils se disaient de temps en temps les uns aux autres : "il parle absolument
comme si lui-même était le Messie. "Mais l'admiration les
dominait tellement, qu'ils étaient tout fiers de l'avoir pour compatriote,
et ils l'écoutèrent avec grand plaisir. Jésus parla
encore, lorsque le sabbat s'ouvrit, sur la voix de celui qui prépare
les chemins dans le désert ', et dit comment tout devait être
égalisé et aplani.
Il alla ensuite manger avec eux : ils se montrèrent très
bienveillants pour lui. Ils lui dirent qu'il y avait là beaucoup
de malades, qu'il devrait bien les guérir ! Jésus déclina
cette proposition et ils n'insistèrent pas pour le moment, pensant
que ce serait pour le lendemain. Après le repas, il alla retrouver
les Esséniens.
Note : Isaïe, XL, 3. C'est d'après la tradition juive,
la lecture du sabbat d'aujourd'hui.
Comme ceux-ci se réjouissaient fort du bon accueil qu'on lui
avait fait, il leur dit d'attendre jusqu'au jour suivant, qu'alors ils
verraient tout autre chose.
(17 août.) Le samedi matin Jésus enseigna de nouveau dans
la synagogue. un autre 3uif voulut prendre le livre des Ecritures, parce
que c'était son tour de lire : mais Jésus demanda le volume
et prenant pour texte le Deutéronome (ch. n), il enseigna sur l"obéissance
aux commandements auxquels on ne devait rien ajouter ni rien retrancher
; il rappela comment Moïse avait répété aux enfants
d'Israel tous les préceptes donnés par Dieu et combien on
les avait mal observés. Vint ensuite la lecture des dix commandements
et l'explication du premier commandement sur l'amour de Dieu. Jésus
parla très sévèrement à ce sujet : il leur
reprocha d"ajouter toutes sortes de choses à la loi, et d'imposer
de lourds fardeaux au pauvre peuple, tandis qu'eux-mêmes n'accomplissaient
point les préceptes. Il les attaqua avec tant de force qu'ils devinrent
furieux, car ils ne pouvaient pas dire qu'il parlât contrairement
à la vérité. Mais ils murmuraient et se disaient les
uns aux autres : " Comme il est impudent ! il a quitté ce pays il
y a quelque temps à peine, et voilà qu'il se donne pour un
personnage merveilleux ! il parle comme s'il était le Messie, et
pourtant nous connaissons bien son père, le pauvre charpentier,
et nous le connaissons bien aussi : où a-t-il étudié,
Comment ose-t-il nous présenter pareille chose ?, Et ils commencèrent
à se mettre en fureur contre lui, mais en secret, car ils étaient
confondus et réduits au silence devant tout le peuple.
Jésus continua à enseigner tranquillement, et quand il
eut fini, il sortit pour aller retrouver la famille essénienne et
prendre quelque nourriture il y fut visité là par les fils
d'un homme riche qui, d'autres fois déjà, avaient demandé
instamment à être admis parmi ses disciples, mais dont les
parents ne cherchaient pour eux que la science et la réputation
humaine. Ils l'invitèrent à venir manger chez eux, ce qu'il
n'accepta pas. Ils le prièrent encore de lés admettre et
dirent qu'ils avaient accompli tout ce qu'il leur avait prescrit. Alors
il leur répondit : "Si vous avez fait cela, vous n'avez pas besoin
de venir à mon école, vous êtes maîtres vous-mêmes.
"Et là-dessus il les congédia.
Il mangea et enseigna dans le cercle de la famille, chez les Esséniens,
et ceux-ci lui racontèrent toutes les vexations qu'ils avaient à
endurer. Il leur conseilla d'aller à Capharnaum, où il comptait
résider dorénavant.
Pendant ce temps les pharisiens s'étaient consultés ensemble
et s'excitant les uns les autres, ils résolurent, si ce soir il
parlait encore aussi librement, de lui montrer qu'il n'y avait pas ici
de privilège pour lui, et de le traiter comme depuis longtemps à
Jérusalem on souhaitait qu'il fût traité. Cependant
ils espéraient encore qu'il chercherait à rester en faveur
auprès d'eux, et qu'il ferait quelque miracle par déférence
pour eux. Lorsqu'il vint à la synagogue pour la clôture du
sabbat, ils avaient amené des malades devant l'entrée. Mais
il passa au milieu d'eux et n'en guérit aucun. Dans la synagogue,
il parla comme auparavant, de l'accomplissement des temps, de sa mission,
dés derniers jours de grâce, de leur perversité, du
châtiment qui les attendait s'ils ne se corrigeaient pas ; et il
répéta qu'il était venu pour secourir, pour guérir
et pour enseigner. Comme leur colère allait toujours croissant et
qu'ils murmuraient, il leur parla ainsi : " Vous dites : médecin,
guéris-toi toi-même ; les miracles que tu as faits à
Capharnaum et ailleurs, fais-les aussi dans ta patrie ! Mais, nul n'est
prophète dans son pays. Ils s"irritèrent et murmurèrent
de plus belle : alors, il compara le temps présent à une
époque de grande famine, et les différentes villes à
de pauvres veuves, et il ajouta : "Lors de la famine qui eut lieu à
l"époque d'Elle, il y avait beaucoup de veuves dans le pays, et
pourtant le prophète ne fut envoyé à aucune d'elles,
mais seulement à la veuve de Sarepta : à l'époque
d'Elisée, il y avait beaucoup de lépreux, et il ne guérit
que Naaman, le Syrien, "comparant ainsi leur ville à un lépreux
qui ne devait pas être guéri. Cette comparaison les mit hors
d'eux-mêmes : ils se levèrent de leurs sièges en grand
tumulte et voulurent mettre la main sur lui Mais il leur dit : " Observez
ce que vous enseignez et ne violez pas le sabbat ! Plus lard, vous ferez
ce que vous avez résolu. "Alors, lui répondant par des murmures
et des invectives, ils le laissèrent poursuivre sa prédication,
quittèrent leurs places et se dirigèrent ers la porte.
Mais Jésus enseigna encore : il ajouta quelques explications
à ses dernières paroles, puis il sortit de la synagogue.
Devant la porte, une vingtaine de pharisiens furieux l'entourèrent,
le saisirent et lui dirent : "Viens maintenant avec nous à une place
d'honneur où tu pourras exposer encore ta doctrine : alors nous
te répondrons comme il faut te répondre. " Il leur dit de
le laisser libre, qu'il allait les suivre de son plein gré, et ils
partirent, l'entourant comme une garde, et suivis d'une grande foule de
peuple. Il y eut une violente explosion d'injures et d'invectives au moment
où le sabbat finit. Ils luttaient à l'envi à qui lui
adresserait les insultes les plus grossières : " Nous voulons te
répondre ! Va trouver la veuve de Sarepta. a guérir le syrien
Naaman ! Si tu es Elie, monte au ciel, nous te montrerons une bonne place
! Qui es-tu ? Pourquoi n'as-tu pas amené ici ta sequelle avec toi,
Tu n'en as pas eu le courage ? N'as-tu pas trouvé ici du pain avec
tes pauvres parents ? Et maintenant que tu es repu, tu viens nous injurier
! mais nous voulons t'entendre ! il faut que tu parles en plein air devant
tout le peuple : nous voulons te répondre ". C'est ainsi qu'on suivit,
au milieu des cris de la foule, le chemin qui conduisait au haut de la
montagne. Mais Jésus continuait à enseigner avec un grand
calme : il répondait à leurs propos par de saintes sentences
et des paroles pleines de sagesse qui tantôt les couvraient de contusion,
tantôt redoublaient leur rage.
La synagogue était à l'extrémité occidentale
de Nazareth : comme il faisait déjà nuit, ils avaient deux
falots avec eux. Ils conduisirent Jésus au côté oriental
de la synagogue ; puis, s'en éloignant, ils tournèrent dans
une large rue qui revenait au couchant et conduisait hors de la ville.
Gravissant la montagne, ils arrivèrent à une haute crête
au bas de laquelle était un marais du côté du nord,
tandis qu'au midi un rocher en saillie s'avançait au-dessus d'un
précipice. Il y avait là une place d'où ils avaient
coutume de précipiter les criminels, et c'était en ce lieu
qu'ils voulaient encore une fois interroger Jésus, puis le précipiter
du haut du rocher. Le précipice aboutissait à une gorge étroite.
Comme ils approchaient de cet endroit, je vis Jésus qui était
au milieu d'eux comme un prisonnier, s'arrêter pendant qu'ils continuaient
à marcher, vomissant des injures et des malédictions. Je
vis en cet instant prés de Jésus deux longues figures lumineuses.
Je le vis ensuite revenir un peu sur ses pas à travers la foule
qui se pressait, puis passer le long du mur de la ville sur l'arête
de la montagne de Nazareth et gagner la porte par laquelle il était
entré hier. Il revint dans la maison des Esséniens. Ceux-ci
n'avaient pas eu d"inquiétudes à son sujet : ils croyaient
en lui et l'attendaient. Il prit une petite réfection, parla de
ce qui venait de se passer, les engagea de nouveau à se retirer
à Capharnaum, leur rappela qu'il leur avait annoncé d'avance
comment on le traiterait : puis au bout d'une demi heure, il quitta la
ville, se dirigeant d'abord comme s'il eût voulu aller à Cana.
Rien n'était plus risible que l'exaspération dés
pharisiens, le trouble où ils furent et le bruit qu'ils firent lorsqu'ils
s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu d'eux. Tous se
mirent à crier : Où est-il ? Arrêtez ! Pendant que
la foule compacte se portait en avant, eux cherchaient à revenir
sur leurs pas, et il y eut sur l'étroit sentier une presse et un
tumulte incroyables. Chacun portait la main sur son voisin : ils se disputaient,
criaient, couraient dans tous les ravins, approchaient la lumière
du creux des rochers et croyaient qu'il s'était blotti quelque part.
Ils s'exposaient eux-mêmes à se rompre le cou et les jambes,
et se reprochaient mutuellement de l'avoir laissé échapper
par leur faute. Ils finirent par s'en retourner en silence, longtemps après
que Jésus fut sorti de la ville. Toutefois ils mirent des hommes
en sentinelle sur tous les points de la montagne et ils disaient en revenant.
"On voit bien ce que c'est : c'est un escamoteur : le diable est venu à
son aide, maintenant il va reparaître inopinément dans un
autre coin et mettre le désordre partout."
DOUZIÈME CHAPITRE.
Jésus sur les frontières de la Samarie et dans la basse
Galilée.
(Du 2 au 17 août 1822.)
Jésus à Ghinea.- Atharoth.- Engannim.- Naïm.- Cana.- Le centurion de Capharnaum.-Jésus à Bethsaïda -au petit Sephoris - à Nazareth où on veut le précipiter du haut de la montagne.
(2 et 3 août.) Dans l'après-midi, je vis Jésus avec
les cinq disciples quitter l'hôtellerie voisine de Sichar, et laissant
Thébez à gauche et Samarie à droite, aller à
six lieues de là dans une ville appelée Ghinéa ou
Ghinnim Cette ville est située sur l'autre versant des montagnes,
et sert de limite entre la Samarie et la Galilée. à trois
quarts de lieue plus près de Samarie est situé le bien de
Lazare, une grande maison dans la montagne d'où l'on peut voir très
loin.
Comme il était déjà tard, ils se rendirent en
toute hâte pour le sabbat dans la ville de Ghinéa qui est
en plaine. Ils y arrivèrent avec leurs robes retroussées,
et entrèrent aussitôt dans la synagogue, car il était
déjà près de huit heures. Les disciples partis antérieurement
étaient aussi là. Les saintes femmes avaient passé
la première nuit à Thébez, à trois lieues environ
de la maison des bergers, puis le jeudi elles étaient revenues à
Capharnaum. Il y avait, aujourd'hui vendredi, un jeûne commémoratif
des murmures des enfants d'Israël lorsque Dieu leur interdit la terre
promise : c'est pour cela que les autres disciples étaient restés
ici. Ils avaient tous reçu l'hospitalité sur la propriété
de Lazare, et au sortir de la synagogue, ils y revinrent avec Jésus
et y passèrent la nuit. C'est là que Marie entra lors de
son voyage à Bethléhem, et aussi dans un autre voyage. L'intendant
était un homme de grande taille, d'une simplicité qui rappelait
l'ancien temps : il avait plusieurs enfants Il y avait là de magnifiques
jardins avec beaucoup de fruits, et tout ce pays en général
était beau et charmant à voir. Ils prirent ici un repas et
y passèrent la nuit.
J'ai vu Jean dans sa prison, il y a deux ou trois jours : plusieurs
de ses disciples s'entretenaient avec lui. Ils ne peuvent pas arriver jusqu'à
lui, mais ils peuvent pourtant le voir et lui faire passer quelque chose
à travers la grille. Il est permis d'en laisser venir quelques-uns,
mais quand il s'en présente un grand nombre, les soldats les forcent
de s'éloigner. Ils l'interrogèrent au sujet du baptême,
et il leur ordonna de continuer à baptiser à Ainon, jusqu'à
ce que Jésus y fît baptiser lui-même. La prison de Jean
est spacieuse et claire, mais il n'a pour se reposer qu'un banc de pierre
taillé en forme de couche. Il est comme à l'ordinaire, très
grave : il a toujours eu dans je visage quelque chose de méditatif
et de mélancolique, comme mi homme qui attendait l'Agneau de Dieu,
le voyait, l'aimait et savait qu'on le mettrait à mort.
(3 août.) Aujourd'hui ils célébrèrent tous
le sabbat à Ghinéa. Jésus enseigna dans la synagogue.
On lut dans les écritures des passages relatifs à la marche
des enfants d'Israël dans le désert et à la répartition
de la terre de Chanaan. On lut aussi quelque chose de Jérémie.
Il y avait ici douze pharisiens entêtés qui disputèrent
avec Jésus. Jésus parla de l'approche du royaume de Dieu
: il dit qu'on ne devait pas se comporter par rapport à ce royaume
comme on avait fait pour la terre de Chanaan. C'est ainsi qu'il appliquait
tout au royaume de Dieu. Il ajouta qu'ils erraient encore dans le désert
et que ceux qui murmureraient contre le royaume de Dieu mourraient dans
ce désert. Il parla aussi du châtiment de Jérusalem,
dit qu'il viendrait un temps où le temple ne subsisterait plus et
où Jérusalem ne serait plus reconnaissable. Il parla encore
du maître de la signe qui avait envoyé son fils et de la manière
dont celui-ci serait repoussé et mis à mort ; il cita le
passage des psaumes sur la pierre angulaire rejetée par les architectes,
ce qu'il appliqua au fils du maître de la vigne : il parla aussi
d'Elie et d'Elisée.
Ils lui posèrent des questions insidieuses : ils lui montrèrent
un écrit et lui demandèrent ce que signifiaient les trois
jours que Jonas avait passés dans le ventre de la baleine. Il expliqua
cela d'une manière générale, mais très intelligible
pour eux disant que le Messie mis à mort reposerait trois jours
dans le tombeau, qu'il irait dans le sein d'Abraham, et ressusciterait
ensuite. Là-dessus ils se mirent à rire et la plupart quittèrent
la synagogue.
L'un d'eux écouta l'instruction jusqu'à la fin et l'invita
à un repas avec ses disciples : toutefois il espionnait encore,
quoiqu'il valût mieux que les autres. Lorsque Jésus revint
à la synagogue, on lui avait amené des malades devant la
porte et on le priait de les guérir et de faire voir un prodige.
Mais Jésus ne guérit pas ces malades et il ajouta que comme
ils ne voulaient pas croire en lui, il ne voulait pas non plus leur faire
voir de prodige. Or ils voulaient l'induire en tentation en le faisant
guérir le jour du sabbat pour l'accuser ensuite à ce sujet.
Quand le sabbat fut fini, les plus considérables des disciples
galiléens partirent pour retourner chez eux. Mais Jésus avec
Saturnin et deux autres, se rendit sur le bien de Lazare, où il
est encore. Je crois que demain il parcourra les environs et ira un peu
plus au midi dans la montagne. Il me semble que l'endroit s'appelle Atharoth.
C'était un spectacle très touchant de voir Jésus
instruire dans le jardin les enfants du maître de la maison. Il les
avait tantôt devant lui, tantôt contre lui ; quelquefois il
prenait dans ses bras deux des plus petits. Il les instruisait sur l'obéissance
envers leurs parents et sur le respect dû à la vieillesse.
Il parla aussi aux enfants des fils de Jacob et des Israélites,
leur dit qu'ils avaient murmuré et qu'à cause de cela ils
n'étaient point entrés dans la terre promise qui pourtant
était si belle : alors il leur montrait les beaux arbres et les
fruits du jardin et parlait du royaume des cieux : ce royaume leur était
promis s'ils observaient les commandements de Dieu, et c'était un
pays bien plus beau, en comparaison duquel celui qu'ils voyaient était
un désert : ils devaient donc obéir et supporter avec actions
de grâces tout ce que Dieu leur enverrait. Ils ne devaient jamais
murmurer s'ils voulaient entrer dans le royaume des cieux : ils ne devaient
jamais douter de sa beauté comme les Israélites dans le désert,
ils devaient croire que tout y était meilleur qu'ici-bas et incomparablement
plus beau. Ils devaient l'avoir toujours présent à la pensée
et le mériter par toute espèce de peines et de travaux. Voilà
à quoi Jésus s'occupa ce Jour-là.
Dans l'après-midi la soeur Emmerich raconta encore ce qui suit
sur l'instruction faite par Jésus, et à laquelle assistaient
douze pharisiens. Il parla des Israélites qui, n'étant pas
contents d'avoir Samuel pour juge, demandèrent un roi, lequel leur
fut donné dans la personne de Saul. Maintenant que la prophétie
était accomplie et que le sceptre était retiré de
Juda à cause de leur impiété, ils demandaient de nouveau
un roi et le rétablissement du royaume, et Dieu allait leur envoyer
un roi, leur véritable roi comme le maître de la vigne envoya
son fils lorsque ses serviteurs eurent été tués par
les vignerons impies : eux aussi devaient mettre à mort ce roi qui
était le leur Mais il leur en arriverait malheur, car Dieu les replacerait
sous le pouvoir des juges. Il parla encore de la destruction de Jérusalem,
de la pierre angulaire rejetée et du salut qui devait être
retiré aux Juifs.
Lorsqu'ils l'interrogèrent sur Jonas, il répondit que
leur roi serait de même trois jours dans le tombeau, et qu'ensuite
il reviendrait ; sur quoi ils se mirent à rire entre eux. Il parla
encore de la colère des Israélites dans le désert,
dit qu'ils auraient pu arriver à la terre promise par un chemin
beaucoup plus court, s'ils avaient gardé les commandements que Dieu
avait donnés sur le mont Sinaï, mais qu'à cause de leurs
péchés ils avaient toujours été ramenés
en arrière, et que les murmurateurs étaient morts dans le
désert. Maintenant que le royaume de Dieu et ses dernières
miséricordes approchaient, maintenant que leur vie était
de nouveau une course errante dans le désert, ils devaient prendre
le chemin le plus court pour arriver au royaume promis, et ce chemin leur
était montré en ce moment.
Alors trois pharisiens s'avancèrent d'un air hypocrite et lui
dirent : " Vénérable Maître, vous parlez toujours de
la voie la plus courte, dites nous quelle est cette voie plus courte. Jésus
leur répondit : "Connaissez-vous les dix commandements du Sinaï
? "- "Oui ", dirent ils. Et il reprit : " Gardez le premier d'entre eux,
aimez votre prochain comme vous-mêmes, et n'imposez pas à
ceux qui vous sont subordonnés de lourds fardeaux que vous ne portez
pas vous-mêmes. C'est là la voie. " Ce que vous dites là,
nous le savions, nous aussi, répondirent-ils." Et Jésus leur
dit : " Vous savez et vous ne faites pas, c'est là votre faute,
pour laquelle vous serez châtiés. "Alors il leur reprocha,
ce qu'ils faisaient particulièrement dans cette ville, d'imposer
aux autres une foule de fardeaux, tandis qu"eux-mêmes n'observaient
pas la loi. Il parla encore des vêtements sacerdotaux faits suivant
les prescriptions de Dieu à Moïse, et de ce qu'ils signifiaient
; il leur dit qu'ils n'accomplissaient pas ces prescriptions et y ajoutaient
en outre beaucoup de choses purement extérieures et souvent déraisonnables.
cela les rendit tous furieux, mais ils ne purent rien lui répliquer.
Souvent ils disaient entre eux : " C'est donc là le prophète
de Nazareth ; oui, le fils du charpentier, etc. "
Le bien de Lazare était tout au plus à trois quarts de
lieue d'ici : Jésus y retourna pendant le sabbat, le matin et l'après-midi,
il enseigna les enfants et revint.
(4 août.) Le dimanche dans la matinée, Jésus fit
une très longue instruction aux enfants dans la maison de campagne
de Lazare, près de Ghinea : il y avait là d'autres enfants
du voisinage. Il instruisit d'abord les garçons, puis les filles
seules, de là manière que j'ai dite hier. Vers midi, il alla
avec les disciples au sud-est, à quatre lieues en arrière,
dans un petit endroit nommé Atharoth, situé sur un point
élevé, à environ deux lieues de Samarie.
C'était comme un chef-lieu pour les sadducéens, et ceux
qui y habitaient lors de la persécution des disciples après
la pâque, en avaient arrêté plusieurs, à l'exemple
des pharisiens de Gennabris, et les avaient tourmentés par leurs
interrogatoires. Quelques-uns de ces sadducéens avaient déjà
espionné Jésus pendant ses instructions dans l'hôtellerie
voisine de Sichar, où il avait blâmé spécialement
la dureté des pharisiens et des sadducéens envers les Samaritains.
Ils avaient dès lors formé le projet d'induire Jésus
en tentation et l'avaient engagé à célébrer
le sabbat à Atharoth. Mais il connaissait leurs premières
manœuvres et il avait continué son chemin vers Ghinéa. Après
s'être consultés avec les pharisiens de cet endroit, ils lui
envoyèrent des messagers le samedi matin. "Puisqu'il avait, disaient-ils,
si bien prêché sur la charité et si souvent répété
qu'on doit aimer son prochain comme soi-même, il devait venir à
Atharoth, guérir un malade : s'il leur faisait ce miracle, ils voulaient
tous croire en lui, ainsi que les pharisiens de Ghinéa, et propager
sa doctrine dans le pays. "
Jésus connaissait leur malice et leur fourberie. L'homme dont
ils parlaient, depuis plusieurs jours déjà, gisait immobile
et mort, et ils affirmaient devant tous les habitants de la ville qu'il
était plongé dans l'extase : sa femme même ne savait
pas qu'il fût mort. Si Jésus l'avait ressuscité, ils
auraient nié qu'il fût mort. Ils vinrent au-devant de Jésus
et le conduisirent devant la maison du défunt. Cet homme avait été
un des principaux sadducéens et il avait intrigué très
activement contre les disciples. Ils le portèrent dans la rue sur
une litière lorsque Jésus arriva. une quinzaine de sadducéens
et tout le peuple se tenaient autour de lui. Le corps avait une belle apparence,
ils l'avaient ouvert et embaumé pour tromper Jésus. Mais
Jésus leur dit : "Cet homme est mort et restera mort ; "alors ils
dirent qu'il était seulement ravi en esprit, et que s'il était
mort, il venait de mourir à l'instant. Mais Jésus reprit
: "il a nié la résurrection et il ne ressuscitera pas ici
: vous l'avez rempli d'aromates, mais voyez quels aromates ! découvrez-lui
la poitrine ! " Alors je vis l'un d'eux soulever la peau comme une soupape
sur la poitrine du mort et il en sortit une quantité de vers qui
se tordaient et se pressaient les uns contre les autres. Les sadducéens
furent outrés de colère, car Jésus révéla
tout haut et publiquement les péchés et les prévarications
de cet homme, et il dit que c'étaient les vers de sa mauvaise conscience
qu'il avait cachés jusque-là et qui maintenant lui rongeaient
le cœur. Il fit entendre aussi des paroles menaçantes sur leurs
fourberies et leurs mauvais desseins : il parla très sévèrement
des sadducéens et annonça le jugement qui allait frapper
Jérusalem et tous ceux qui n'accueilleraient pas le salut. Ils remportèrent
en toute hâte le mort dans sa maison et il s'éleva un affreux
tumulte avec beaucoup de vociférations et d'injures. Lorsque Jésus
se dirigea vers la porte avec ses disciples, la populace excitée
leur jeta des pierres par derrière : car la vue des vers et la révélation
de leur malice les avaient violemment irrités.
Je vis dans la foule de ces méchantes gens quelques personnes
bien intentionnées qui pleuraient. Dans une rue voisine demeuraient,
séparées du peuple, des femmes malades, affligées
de pertes de sang, qui croyaient en Jésus et l'imploraient de loin
: car dans leur état d'impureté légale, elles n'osaient
pas s'approcher. Comme il ne l'ignorait pas, touché de compassion,
il passa par leur rue : quand il fut passé, elles vinrent après
lui et baisèrent les traces de ses pas : il se retourna pour les
regarder et elles furent guéries.
Jésus fit encore près de trois lieues jusqu'à
une colline dans le voisinage d'Engannim : cet endroit est à peu
près sur la même ligne que Ghinéa, mais quelques lieues
plus à l'est, dans une autre vallée : c'est le chemin direct
de Nazareth par Endor et Naïm. De Naïm il y a environ sept lieues.
Jésus passa la nuit sur cette colline où plusieurs disciples
de la Galilée étaient venus à sa rencontre dans un
hangar ou hôtellerie ouverte : ils mangèrent quelque chose
que les disciples avaient apporté. C'étaient André,
Nathanaël le fiancé et deux serviteurs du centurion de Capharnaum.
Ceux-ci le prièrent très instamment de ne pas différer
d'aller chez cet homme dont le fils était fort malade. Mais il répondit
qu"il irait en temps opportun.
Ce centurion après avoir été préposé
par Hérode Antipas, à une partie de la Galilée, avait
été mis à la retraite. Il était bien disposé,
et dans la persécution, excitée récemment contre les
disciples, il avait protégé ceux-ci contre les pharisiens,
et les avait même assistés de sa bourse. Il n'avait pas encore
une foi entière, quoiqu'il crût aux miracles. Il désirait
vivement, à cause de son enfant et aussi pour faire honte aux pharisiens,
que Jésus fit un miracle en faveur de son fils : les disciples aussi
le désiraient : ils avaient dit comme lui : " C'est alors que les
pharisiens seront pleins de dépit et verront qui est celui dont
nous sommes les compagnons. "
Voilà pourquoi André et Nathanael s'étaient aussi
chargés du message, et Jésus le savait. Il leur fit, une
instruction le matin, et les deux serviteurs qui ? étaient des esclaves
païens se convertirent.
(5 et 6 août.) Aujourd'hui dimanche, dans la matinée,
Jésus séjourna encore avec les disciples dans l'hôtellerie
qui était sur la colline. Il est arrivé hier, à une
heure avancée de la nuit. Après midi les disciples retournèrent
es Galilée, et il alla avec Saturnin, le fils de la tante du fiancé
de Cana, et un jeune homme d'environ seize ans, fils de la veuve d'Obed
de Jérusalem, dans la ville voisine d'Engannim.
Jésus avait là des parents éloignés : c'étaient
des Esséniens, alliés à la famille de sainte Anne.
J'ai appris de nouveau à cette occasion que les ancêtres de
sainte Anne avaient des relations fréquentes avec les Esséniens
et qu'il y avait même eu des Esséniens parmi eux. Ces gens
reçurent Jésus avec beaucoup d'humilité, de simplicité
et de cordialité : ils demeuraient à part dans un quartier
de la ville. J'appris beaucoup de choses sur leur manière de vivre.
Ceux qui étaient mariés vivaient ensemble très strictement
: aussitôt que la femme avait conçu, ils observaient strictement
la continence. Plusieurs autres vivaient dans le célibat ; ils se
réunissaient pour les repas comme dans un couvent. Cependant ceux
de cet endroit n'observaient plus l'ancienne règle dans toute sa
rigueur : ils étaient vêtus comme les autres Juifs et allaient
avec eux aux écoles. Je vis aujourd'hui Jésus dans la synagogue.
Il y avait là des gens de bien et je ne remarquai pas de pharisiens
dans cet endroit, si ce n'est quelques espions venus d'ailleurs.
Mardi, Jésus a enseigné tout le jour dans la synagogue
d'Engannim. Une très grande quantité de personnes étaient
accourues de tout le pays : ils se reposaient par troupes devant la synagogue
qui ne pouvait pas les contenir tous et quand une troupe était sortie,
une autre la remplaçait. Il enseigna à peu près les
mêmes choses que dans tout ce voyage, seulement il ne fit pas autant
de menaces, parce que ses auditeurs avaient de bons sentiments. C'était
alors comme à présent : chaque petit endroit avait des dispositions
différentes suivant les dispositions des prêtres.
Jésus, après avoir enseigné, dit qu'il voulait
aussi guérir. Il parla de l'approche du royaume de Dieu et de la
venue du Messie. Il cita tous les passages de l'Écriture et des
prophètes, et les appliqua à l'époque. Il parla d'Élie,
de ce qu'il avait dit et vu et indiqua un calcul d'années que j'ai
oublié. Il ajouta que ce prophète avait élevé
dans une grotte un autel en l'honneur de la future mère du Messie.
Il caractérisa aussi l'époque qui ne pouvait être une
autre que l'époque présente, fit remarquer que le sceptre
avait été retiré de Juda, et mentionna aussi le voyage
des trois rois. Il dit tout cela en termes généraux, comme
s'il eût parlé d'un tiers, sans faire une mention expresse
de lui-même ni de sa mère. Il parla aussi de la compassion
et des bons procédés envers les Samaritains. Il raconta la
parabole du Samaritain, cependant il ne nomma pas Jéricho. Il dit
aussi qu'il avait éprouvé par lui-même qu'ils étaient
plus secourables envers les Juifs que ceux-ci envers eux. Il raconta l"histoire
de la femme samaritaine, et comment elle lui avait donné à
boire, ce qu'un Juif n'eût pas fait si facilement pour un Samaritain
: il parla de la manière bienveillante dont ils l'avaient accueilli.
Il annonça encore le jugement et le châtiment de Jérusalem.
Du reste, le jour de jeûne du 9 se rattachait au souvenir de la destruction
de cette capitale. Il parla en outre des publicains : il y en avait quelques-uns
qui résidaient dans le pays.
Je vis que les Esséniens avaient une espèce d'hôpital
où ils soignaient les malades : ils donnaient aussi à manger
aux pauvres sur de longues tables.
Engannim est une ville de lévites : elle est placée au
penchant d'une vallée qui court vers Jezraël, à cheval
sur un contrefort de la longue chaîne de montagnes située
au levant. Le ruisseau qui arrose la vallée coule dans la direction
du nord :Les habitants tissent des étoffes pour les vêtements
sacerdotaux. Ils confectionnent aussi des houppes, des franges de soie
et des glands qui pendent à l"extrémité de ces vêtements.
Il y a ici une très bonne population.
L'hôpital tenu par les Esséniens est rempli de malades
et d'infirmes venus de tous les côtés : ils reçoivent
tous ceux qui se présentent et, en outre des soins qu'ils leur donnent,
ils les instruisent et les rendent meilleurs. Leur établissement
est très bien organisé : ils ont toujours soin de placer
un méchant homme entre deux bons qui l'exhortent et travaillent
à le corriger. Jésus y passa et y guérit quelques
malades. Pendant que Jésus enseignait encore dans la synagogue,
on avait déjà amené de la ville et de tout le pays
une grande quantité de malades. On les plaçait le long des
maisons sur des litières et des coussins, là où Jésus
devait passer : on avait étendu des toiles sur leur tête,
et leurs parents se tenaient près d'eux Les choses étaient
ordonnées de manière à ce que les malades de chaque
catégorie fussent ensemble. C'était comme une exposition
de toutes les misères humaines.
Jésus sortit après l'instruction, et passa le long des
malades qui l'imploraient humblement : il guérit, tout en leur donnant
des instructions et des avis, une quarantaine de paralytiques, aveugles,
muets, goutteux, fiévreux, hydropiques, etc. Je ne vis pas ici de
possédés. Il enseigna ensuite en plein air à cause
de l'affluence du peuple : la presse était si grande à la
fin que les gens entraient dans les maisons, montaient sur les toits et
perçaient les murailles. Lorsque ce désordre commença,
Jésus se perdit dans la foule, quitta la ville et prit dans la montagne
un chemin de traverse très escarpé, où il ne rencontra
personne. Ses trois disciples le suivirent : ils le cherchèrent
longtemps et ils ne le rejoignirent que dans la nuit ; ils le trouvèrent
occupé à prier.
(7 août.) Je crois que Jésus a passé la nuit dans
la montagne avec les disciples : je vis qu'ils le trouvèrent en
prière et quand ils se reposèrent, ils lui demandèrent
comment ils devaient prier, alors que lui-même priait Alors il leur
enseigna brièvement quelques-unes des demandes du Pater. Il leur
dit : "Que votre nom soit sanctifié, pardonnez-nous nos offenses
comme nous pardonnons à ceux qui nous offensés et délivrez-nous
du mal. "il ajouta : "Bornez-vous maintenant à dire ces prières
et agissez en conséquence "Il leur fit d'admirables instructions
à ce sujet. Je vis qu"ils observaient fidèlement ce qu'il
leur avait prescrit, quand il ne s'entretenait pas avec eux et qu'il marchait
seul. Maintenant ils portaient toujours avec eux quelques aliments dans
leurs besaces, et je vis que quand d'autres voyageurs passaient, même
sur des chemins détournés, Jésus leur avait prescrit
d'aller à eux et de leur donner ce dont ils pouvaient avoir besoin,
surtout quand c'étaient des pauvres.
Jésus passa près de Jezraël et d'Endor, et vers
onze heures ou midi, il arriva devant Naïm Il entra sans bruit dans
une hôtellerie qui était devant la ville.
La veuve de Naïm, sœur de la femme de Jacques le Majeur, savait
par Nathanaël qu'il viendrait prochainement, et elle avait pris ses
mesures pour être avertie de son arrivée Je vis qu'elle vint
le trouver dans l'hôtellerie avec une autre veuve que je ne connaissais
pas encore. Elles se prosternèrent devant lui, couvertes de leurs
voiles, et la veuve de Naim le pria d'accueillir les offres de cette autre
bonne veuve qui voulait donner tout son bien à la caisse des saintes
femmes destinée à l'entretien des disciples et au soulagement
des pauvres : elle désirait aussi se mettre personnellement à
son service. Jésus accepta les offres de cette veuve, puis il les
instruisit et les consola toutes deux. Elles portèrent aussi quelques
dons pour un repas que prirent les disciples, et la veuve leur donna immédiatement
une somme d'argent, qu'ils envoyèrent aux saintes femmes à
Capharnaum. Jésus se reposa ici avec les disciples, car le jour
précédent, à Engannim, il s'était excessivement
fatigué à prêcher et à guérir, et depuis
lors il avait fait environ sept lieues. Je l'ai vu encore, pendant la nuit,
passer près du Thabor ; il laissa Nazareth à sa gauche et
je l'entendis de nouveau donner à ses disciples des instructions
sur la prière.
La veuve nouvellement arrivée parla à Jésus d'une
autre femme, appelée Marie, qui m'est inconnue et qui voulait aussi
donner son avoir. Jésus répondit qu'elle devait le conserver
jusqu'au temps où il en aurait besoin.
(8 août.) Aujourd'hui dès l'aube du jour, Jésus
arriva à Cana et entra chez un scribe près de la synagogue
: Il se reposa et prit quelque nourriture : la cour antérieure de
la maison fut bientôt remplie de monde, car on avait appris d'Engannim
qu'il allait venir, et tous l'attendaient.
Il enseigna toute la matinée et il était entouré
d'une grande foule de peuple quand le centurion de Capharnaum arriva. Il
vint avec plusieurs serviteurs et plusieurs mulets. Il se hâtait
beaucoup, paraissait plein d'inquiétude et de souci, et cherchait
en vain de tous les côtés à pénétrer
jusqu'à Jésus à travers la foule, mais sans pouvoir
y réussir. L'ayant inutilement tenté plusieurs fois, il se
mit à crier de toutes ses forces : "Respectable maître, laissez
venir à vous votre serviteur ! Je suis ici comme envoyé de
mon maître de Capharnaum, je parle en son nom et comme père
de son fils : je vous supplie de venir tout de suite avec moi, car mon
fils est très malade et va mourir." Jésus ne l'entendit pas
: mais comme il avait excité l'attention, il chercha à pénétrer
plus avant : toutefois il n'y parvint pas et se mit à crier de nouveau.
"Venez sans délai avec moi, mon fils est à la mort." Comme
il criait de toutes ses forces, Jésus tourna la tête vers
lui et lui dit, de manière à être entendu du peuple
: " Si vous ne voyez pas des signes et des miracles, vous ne croyez pas.
Je sais ce qui vous amène : vous voulez vous glorifier et défier
les pharisiens et vous n'avez pas moins de besoins qu'eux. " Ma mission
n'est pas de faire des miracles pour remplir vos vues. Votre témoignage
ne m'est pas nécessaire : je me manifesterai quand ce sera la volonté
de mon Père, et je ferai des miracles lorsque ma mission le demandera
". Il parla longtemps sur ce ton et gourmanda cet homme devant le peuple,
lui reprochant de chercher depuis longtemps une occasion pour faire guérir
son fils par lui, afin d'en tirer gloire en face des pharisiens : "il ne
fallait pas, ajouta-t-il, demander des miracles pour soi en vue des autres,
mais il fallait croire et se convertir "
Ces discours ne produisirent aucun effet sur cet homme : il ne se laissa
pas détourner de son dessein, mais s'approcha plus près et
cria de nouveau : " Maître, à quoi bon tout cela ! venez avec
moi tout de suite, il est peut-être déjà mort. "Alors
Jésus lui dit : " Allez, votre fils est vivant ". L"homme répondit
: " est-ce bien sûr ? " et Jésus dit : " il est sain et sauf
à cette heure, sur ma parole. "
Alors l'homme le crut, il ne lui demanda plus de partir avec lui, et
retourna en toute hâte à Capharnaum. Jésus ajouta que
cette fois encore il voulait bien faire ce qui lui était demandé,
mais que si un cas semblable se représentait, il ne le ferait plus.
Je vis en cet homme, non l'officier royal lui-même, mais pourtant
le père de son fils. C'était lui qui tenait la première
place dans la maison du centurion de Capharnaum. Celui-ci n'avait pas d'enfants,
il en avait longtemps désiré, et avait adopté comme
sien un fils de cet homme de confiance et de sa femme ; l'enfant avait
alors quatorze ans. Le messager vint comme envoyé, et aussi comme
s'il eût été lui-même le maître et le père.
J'ai vu tout cela et toutes les relations entre ces personnes m'ont été
expliquées, et c'est pour cela peut-être que Jésus
le laissa si longtemps crier. Du reste ces choses étaient restées
secrètes.
L'enfant soupirait depuis longtemps après l'arrivée de
Jésus. Dans les commencements la maladie était bénigne,
alors c'était à cause des pharisiens qu'on désirait
Jésus. Depuis quinze jours l'état du malade était
devenu plus grave et le jeune homme, auquel on donnait toute sorte de remèdes,
ne cessait de dire : " Toutes ces boissons ne me servent de rien : c'est
Jésus, le prophète de Nazareth, qui seul me guérira.
"Comme le danger devenait imminent, ils envoyèrent un message à
Samarie avec les saintes femmes, puis André et Nathanaël à
Engannim ; enfin l'intendant lui-même partit pour Cana où
il trouva Jésus. Jésus fit longtemps attendre son secours
en punition de la première intention qu'on avait eue.
De Cana à Capharnaum, il y avait une journée de voyage,
mais cet homme fit tant de diligence, qu'il arriva avant la nuit. Deux
serviteurs vinrent à sa rencontre à deux lieues avant Capharnaum,
et lui dirent que l'enfant était guéri : ils étaient
partis pour courir après lui et l'engager, dans le cas où
il n'aurait pas trouvé Jésus, à s'épargner
la fatigue et les frais d'un nouveau voyage : car à la septième
heure l'enfant s'était trouvé guéri subitement, comme
si la chose se fût faite d'elle-même : alors il leur raconta
ce qu'avait dit Jésus, et ils furent remplis d'admiration et se
rendirent avec lui à la maison. Je vis le centurion Zorobabel avec
l'enfant le recevoir sous la porte. L'enfant l'embrassa ; il raconta ce
qu'avait dit Jésus, et les serviteurs qui l'avaient accompagné
attestèrent la vérité de son récit : ce fut
pour tous une glande joie. Je vis préparer un repas. Le jeune homme
était assis entre son père adoptif et son père véritable
: la mère était présente. L'enfant aimait son vrai
père autant que son père putatif et le premier avait aussi
une grande autorité dans la maison.
Lorsque Jésus eut congédié l'homme de Capharnaum,
il guérit encore plusieurs malades qu'on avait amenés dans
une cour de la maison. Il y avait là plusieurs possédés,
mais non de la pire espèce. On conduisait souvent des possédés
à ses instructions : quand ils arrivaient, ils faisaient grand bruit
et se démenaient terriblement : mais Jésus leur ordonnait
de se tenir tranquilles, et ils devenaient très calmes ; puis au
bout d'un certain temps ils paraissaient ne pouvoir plus se maîtriser,
et ils recommençaient à entrer en convulsions : alors Jésus
leur faisait signe de la main et ils se calmaient de nouveau. Après
l"instruction il commandait à Satan de se retirer, sur quoi ordinairement
ils tombaient comme sans connaissance pendant quelques instants, puis se
réveillaient tout joyeux, le remerciaient, et ne savaient plus rien
de ce qui leur était arrivé. Ceux-là sont des gens
dont la possession n'est pas d'une mauvaise nature, qui sont possédés
sans qu'il y ait de leur faute. Je ne puis pas expliquer cela clairement,
mais j'ai vu distinctement cette fois et d'autre fois encore, comment il
arrive que près d'un méchant homme qui reste épargné
par l'effet de la miséricorde et de la longanimité divine,
souvent Satan prend possession d'un homme innocent et faible qui est parent
du premier. Il semble que celui-là prenne à sa charge une
partie du châtiment dû à l"autre. Je ne puis m'expliquer
très clairement sur ce point : cela tient à la relation qui
existe entre nous tous comme membres d'un seul et même corps ; et
c'est comme lorsqu'un membre sain contracte, en vertu d'un rapport intime
et mystérieux, une maladie qui a pour cause les péchés
d'un autre membre. Il y avait ici des possédés de cette espèce.
Ceux dont la possession est d'une mauvaise nature, sont beaucoup plus effrayants
et coopèrent avec Satan : les autres sont purement passifs ; dans
l'intervalle des accès, ils sont bons et pieux.
Jésus enseigna encore dans la synagogue où plusieurs
scribes de Nazareth qui étaient présents l"engagèrent
à venir. Ils lui dirent que le bruit des grands miracles qu'il avait
opérés dans la Judée, la Samarie et l'avant veille
à Engannim, s'était répandu dans sa patrie. Or il
savait bien qu'à Nazareth on ne croyait pas qu"un homme pût
être vraiment savant, s'il n'avait pas étudié à
l'école des pharisiens. Ils désiraient donc, disaient-ils
qu'il vint les visiter et redresser leurs idées. En lui tenant ces
discours, ils croyaient qu'il s"y laisserait prendre. Jésus leur
dit qu'il n'irait pas encore, et que quand il viendrait, ils n'auraient
pas de lui ce qu'ils désiraient. Après la synagogue il assista
à un grand repas dans la maison du père de la fiancée
de Cana ; sa fille y assistait ainsi que le fiancé Nathanael et
la veuve, tante de celui-ci. Nathanael s"était attaché à
Jésus comme son disciple, et il avait aidé à maintenir
l'ordre lors de ses prédications et de ses guérisons de malades.
Le fiancé et la fiancée demeurent seuls ; ils n'ont pas de
ménage et reçoivent leur nourriture de chez les parents de
la fiancée. (Ce sont des gens de bien : le père est un peu
boiteux. Cana est une belle ville, située sur un plateau élevé
: plusieurs grandes routes y passent. Il y a un chemin direct d'ici à
Capharnaum qui est, je crois, à une distance de sept lieues. Le
chemin s'abaisse un peu vers Capharnaüm Après le repas, Jésus
revint à son logis et guérit encore plusieurs malades qui
l'attendaient. Il ne guérit pas toujours de la même manière.
Tantôt il commande, tantôt il impose les mains ou se courbe
sur les malades : d'autres fois il leur ordonne de prendre un bain, d'autres
fois encore il mêle de la poussière avec sa salive et leur
frotte les yeux. Aux uns il donne des avis, aux autres il révèle
leurs péchés : il y en a aussi qu'il refuse de guérir.
(9 - 11 août.) Jésus alla mardi de Cana à Capharnaum
avec ses disciples : Nathanaël aussi le suivit : sa femme, sa tante
et quelques autres personnes étaient allées en avant. La
route peut être de sept lieues : elle est assez directe : vers Capharnaum
elle descend. Sur ce chemin on laisse à droite un étang ou
petit lac qui ressemble à celui d'Ainon : un ruisseau coule au milieu
: il y a sur l'eau plusieurs petites barques. à l'entour sont des
jardins et des maisons de plaisance : on aperçoit de vieilles tours
sur une montagne. C'est là que commence le magnifique et fertile
district de Génésareth. Il y a dans la plaine quelques vigies
comme celles qui sont autour de la plaine de Magdalum : prés de
la montagne où sont les tours, il y a des bains chauds.
Lorsque Jésus arriva dans le voisinage de Capharnaum, plusieurs
possédés s'agitèrent devant les portes et dans la
ville ; ils criaient : "Le prophète vient, que veut-il ici, qu'a-t-il
à faire avec nous ? "Je vis Jésus arriver vers deux heures
devant Capharnaum, et les possédés se dispersèrent.
un peu en avant de la ville on avait dressé une tente. Le centurion
vint avec le père de l'enfant et l'enfant lui-même, placé
entre eux deux, à la rencontre de Jésus ; il était
suivi de toute sa famille, de ses serviteurs, de ses subordonnés
et de ses esclaves : ceux-ci étaient des païens qu'Hérode
lui envoyait. C'était toute une procession, tous se prosternèrent
devant Jésus et lui rendirent grâces. On lava ici les pieds
à Jésus et on lui présenta a boire et à manger.
Jésus mit la main sur la tête de l'enfant agenouillé
devant lui et lui adressa quelques exhortations : il reçut alors
le nom de Jessé au lieu de celui de Joël qu'il portait auparavant
: le centurion s'appelait Zorobabel. Celui-ci pria instamment Jésus
d'entrer dans sa maison à Capharnaum et d'y accepter un repas, mais
Jésus s'y refusa et lui reprocha encore son désir de le voir
faire des miracles pour exciter le dépit d'autres personnes. Il
lui dit : " Je n'aurais pas guéri l'enfant, si la foi du messager
n'avait pas été si énergique et si pressante. "Là-dessus
Jésus continua son chemin.
Cependant Zorobabel avait fait préparer un grand festin Tous
les serviteurs et les ouvriers qui travaillaient dans les nombreux jardins
qu'il possédait dans les environs avaient été convoqués.
On leur raconta le miracle ; tous furent profondément émus
et crurent en Jésus. Pendant le repas, ces gens, ainsi que beaucoup
de pauvres auxquels on avait distribué des présents, chantèrent
un cantique de louanges dans le vestibule.
Le miracle avait été connu dès le matin dans Capharnaum.
Zorobabel en envoya la nouvelle à la mère de Jésus
et aux apôtres que je vis tous occupés de nouveau à
leurs pêcheries. Je vis aussi que la nouvelle fut portée à
la belle-mère de Pierre qui était malade et gardait le lit.
Jésus tourna autour de Capharnaüm pour gagner l'habitation
de sa mère, ou se trouvaient réunies environ cinq femmes
avec Pierre, André, Jacques et Jean. Ils allèrent au-devant
de Jésus et il y eut une grande joie à cause de son arrivée
et de ses miracles. Il prit ici un repas et se rendit aussitôt à
Capharnaum pour le sabbat avec ses disciples : les femmes restèrent
à la maison. Une grande foule de peuple et beaucoup de malades étaient
rassemblés à Capharnaum. Les possédés couraient
et criaient dans les rues lorsqu'il arriva. Il leur ordonna de se taire
et se rendit à la synagogue en passant au milieu d'eux. Après
la prière, un pharisien obstiné, du nom de Manassé,
fut appelé à faire la lecture, parce que c'était son
tour. Mais Jésus demanda les rouleaux d'écriture, et annonça
qu'il allait lire. Il lut d'abord depuis le commencement du cinquième
livre de Moïse jusqu'aux murmures des enfants d'Israël : puis
il fit une instruction sur l'ingratitude de leurs pères, sur la
miséricorde de Dieu à leur égard, et sur l'approche
du royaume de Dieu : il dit qu'on devait bien se garder aujourd'hui de
suivre leur exemple : il présenta toutes leurs marches et leurs
courses vagabondes comme des symboles des erreurs contemporaines et fit
des rapprochements entre la terre promise d'alors et le royaume de Dieu,
si voisin maintenant. Il lut ensuite le premier chapitre d'Isaïe qu'il
appliqua au temps présent : il parla des prévarications des
Juifs et de leur châtiment, rappela leur longue attente d'un prophète,
et dit comment ils allaient traiter celui qu'ils possédaient maintenant.
Il parla d'animaux de diverses espèces qui savent reconnaître
leur maître, tandis qu'eux ne reconnaîtraient pas le leur :
il dit aussi comment celui qui venait pour les secourir se ferait reconnaître,
aux mauvais traitements qu'il souffrirait d'eux, comment Jérusalem
serait châtiée, et combien la communauté des saints
serait peu nombreuse. Mais le Seigneur devait lui donner l'accroissement,
et les autres devaient être exterminés. Il les exhorta à
se convertir, à crier vers le Seigneur qui les rendrait purs quand
même ils seraient tout couverts de sang. Il parla ensuite du roi
Manassé, qui, ayant prévariqué devant Dieu et commis
des actes abominables, avait été, pour sa punition, réduit
en captivité et emmené à Babylone, mais qui s'était
converti, avait imploré Dieu et reçu son pardon. Il déplia
aussi comme par hasard un rouleau où il lut le passage d'Isaïe
(VII, 14.) "Voici que la Vierge concevra, "et il appliqua ce texte à
lui même et à la venue du Messie.
Il avait fait un commentaire semblable lors de son séjour à
Nazareth, avant son baptême, et ils s'étaient moqués
de lui, disant : "Nous ne l'avons pas vu manger beaucoup de beurre et de
miel chez son père, le pauvre charpentier."
Les pharisiens et beaucoup d'autres personnes de Capharnaum étaient
mécontents qu'il leur fit aujourd'hui un enseignement si sévère
sur l'ingratitude ; car ils s'étaient attendus à quelques
paroles flatteuses pour l"avoir si bien reçu. L'instruction dura
assez longtemps, et lorsqu'il sortit, j'entendis deux pharisiens se dire
tout bas l'un à l'autre : "ils ont amené des malades, osera-t-il
les guérir le jour du sabbat ? "On avait éclairé la
rue avec des flambeaux et plusieurs maisons avec des lampes. Quelques habitations
de gens mal intentionnés étaient restées dans l'ombre.
Là où il passait, on avait placé des malades devant
les maisons et de la lumière à côté. Il y avait
beaucoup de tumulte et de bruit dans les rues, quelques possédés
le poursuivirent de leurs clameurs, et il les délivra par un simple
commandement. J'en vis un tout furieux qui s'élançait sur
lui et lui criait avec un visage effrayant et les cheveux dressés
sur la tète : " C'est toi ! que veux-tu ? qu'as-tu à faire
ici ? " Jésus le repoussa en arrière en lui disant : "Retire-toi,
Satan ! " Je vis alors cet homme tomber par terre si violemment qu'il aurait
dû se rompre le cou et se briser les jambes ; mais bientôt
il se releva tout changé et particulièrement calme, s'agenouilla
devant Jésus et lui rendit grâces. Jésus lui ordonna
de se corriger. Je le vis ainsi en guérir plusieurs comme il passait
devant eux.
Je le vis ensuite se diriger dans la nuit avec ses disciples vers la
maison de sa mère, et pendant qu'ils marchaient, j'entendis leur
conversation qui était toute simple et toute naturelle.
Pierre parlait de son ménage, disait qu'il avait laissé
bien des choses en souffrance dans sa pêcherie, à cause de
sa longue absence : "Pourtant, disait-il, c'était son devoir de
veiller à la subsistance de sa femme, de ses enfants et de sa belle-mère.
"Jean lui répondit : "que lui aussi, ainsi que Jacques, devaient
prendre soin de leurs parents, que c'était là quelque chose
de plus important qu'une belle-mère." C'est ainsi qu'ils s"entretenaient
avec beaucoup de simplicité, quelquefois mente en badinant, et j'entendis
Jésus leur dire que le temps viendrait bientôt ou ils laisseraient
entièrement cette pêche, et où ils prendraient d'autres
poissons. Jean était plus naïf et plus confiant avec Jésus
que les autres : il était aimant et dévoué, ne s'inquiétait
pas et ne contredisait pas. Jésus alla chez sa mère, les
autres chez eux.
(10 août.) Le jour du sabbat Jésus alla de bonne heure
à Capharnaüm avec ses disciples. L'habitation de sa mère
est à environ trois quarts de lieue, du côté de Bethsaïde.
Le chemin, à partir de là, monte un peu, puis redescend vers
Capharnaum. Peu avant la porte, dans un enfoncement, se trouve une maison
qu'un pieux vieillard habite en qualité de gardien. Cette maison
est destinée à recevoir ici Jésus et ses disciples.
Tous les disciples de Bethsaïde et des environs se trouvaient à
Capharnaum. Marie et les saintes femmes s'y rendirent plus tard. Lorsque
Jésus vint dans la ville, il trouva placés sur son chemin
un très grand nombre de malades qui étaient venus la veille
et qui n'avaient pas été guéris. Il en guérit
beaucoup en se rendant à la synagogue, dans laquelle il enseigna
et expliqua entre autres choses une parabole que j'ai oubliée.
Comme, en s'en allant, il enseignait encore devant la synagogue plusieurs
personnes se prosternèrent devant lui et demandèrent le pardon
de leurs péchés. C'étaient deux femmes adultères
renvoyées par leurs maris, et environ quatre hommes parmi lesquels
se trouvaient des complices de ces femmes. Ils fondaient en larmes et voulaient
confesser leurs péchés devant le peuple assemblé.
Jésus leur dit que leurs péchés lui étaient
connus, qu'un temps viendrait où la confession publique serait prescrite,
mais que, dans la circonstance présente, elle ne pouvait amener
que du scandale et des persécutions pour eux. Il les exhorta en
outre à veiller sur eux-mêmes afin de ne pas retomber, a ne
jamais désespérer, même en cas de rechute, mais à
avoir recours à Dieu et à la pénitence. Il leur remit
aussi leurs péchés, et comme les hommes demandaient à
quel baptême ils devaient aller, s'ils devaient aller à celui
de Jean, ou attendre que ses disciples baptisassent, il leur dit d'aller
au baptême des disciples de Jean.
Les pharisiens qui étaient présents s'étonnèrent
beaucoup qu'il osât remettre les péchés, et ils lui
demandèrent des explications à ce sujet. Il les réduisit
au silence par ses réponses, et leur dit qu'il lui était
plus aisé de remettre les péchés que de guérir
: que les péchés étaient remis à celui qui
se repentait sincèrement, et qu'il lui devenait facile de ne pas
retomber, tandis que les malades qui étaient guéris corporellement,
restaient souvent avec l'âme malade et faisaient servir leur corps
au péché. Ils lui demandèrent aussi si, maintenant
que ces femmes avaient reçu le pardon de leurs péchés,
les maris qui les avaient renvoyées, devaient les reprendre. Jésus
dit que le temps ne lui permettait pas de s'expliquer à cet égard,
qu"une autre fois il donnerait des instructions sur ce point. Ils l'interrogèrent
aussi sur les guérisons opérées le jour du sabbat,
il se justifia en disant que si une de leurs bêtes de somme tombait
dans un puits le jour du sabbat, ils la retireraient, etc.
L'après-midi il se rendit avec tous les disciples dans la maison
qui était devant Capharnaum ; les saintes femmes y étaient
déjà. Il y eut un repas dont le centurion Zorobabel avait
fait les trais : il était au nombre des convives ainsi que Salathiel,
le père de l'enfant guéri. Cet enfant qui avait changé
son nom de Joël pour celui de Jessé, servait à table
; les femmes étaient à une table séparée. Jésus
parla et enseigna. On lui apporta des malades jusque dans cette maison
: on forçait l'entrée de la salle où se faisait le
repas, en implorant son secours à grands cris. Il en guérit
plusieurs. Après le repas, il alla de nouveau à la synagogue,
et je l'entendis, entre autres choses, prêcher sur Isaie et sur sa
prophétie au roi Achaz : " Voici que la Vierge concevra et enfantera
un fils. "(XII.)
Lorsqu'il quitta la synagogue, il guérit encore plusieurs personnes
dans les rues jusqu'à la nuit. Parmi celles-ci se trouvaient plusieurs
femmes affligées de pertes de sang qui se tenaient à distance,
tristes et voilées, et n'osaient pas s'approcher de lui ni du peuple.
Jésus connaissait leur état, il se tourna vers elles et les
guérit en les regardant. Il ne touchait jamais ces sortes de malades.
Il y a là un mystère que je ne puis pas expliquer maintenant.
Ce soir-là commençait un jour de jeûne.
Lorsqu'il revint avec ses disciples dans la maison de sa mère,
on y disait que le lendemain il voulait aller au lac avec eux, et j'entendis
que Pierre s'excusait à cause du mauvais état de sa barque.
Les gens auxquels il avait remis leurs péchés étaient
en habits de pénitents et voilés. à l'avant-dernier
sabbat, les Juifs étaient vêtus de noir ; tous les derniers
jours avaient été des jours de pénitence parce qu'on
y faisait commémoration de la destruction de Jérusalem :
de là aussi les paroles sévères de Jésus sur
le châtiment qui menaçait cette ville.
Lorsque Jésus, le sabbat fini, quitta Capharnaum après
ses nombreuses guérisons, pour se rendre dans la maison de sa mère,
il passa dans la ville devant un bâtiment entouré d'eau où
il y avait un pont j on y enfermait le soir les possédés
de la pire espèce. Lorsque le Sauveur passa près d'eux, ils
tirent grand bruit et crièrent : " Le voilà qui passe, que
veut-il ? pourquoi veut-il nous chasser ? "Mais Jésus leur dit :
" Taisez-vous et attendez que je revienne : c'est alors qu'il faudra partir.
" Alors ils se tinrent tranquilles.
Lorsqu'il fut parti, je vis que les pharisiens et les principaux de
la ville s'assemblèrent : le centurion Zorobabel était présent.
Ils délibérèrent sur tout ce qu'ils avaient vu, sur
ce qu'ils devaient penser de Jésus et sur les mesures qu'il fallait
prendre. a Quelle agitation et quel tumulte excite cet homme ! n disaient-ils.
`' Il n'y a plus de tranquillité possible ! Les gens abandonnent
leur travail et le suivent partout. Il trouble tout le monde par ses discours
et ses invectives. Il parle toujours de son père : mais n'est-il
pas de Nazareth, n'est-ce pas le fils d'un pauvre charpentier ? Où
prend-il tant de hardiesse et d'assurance ? Sur quel droit s'appuie-t-il
? Il guérit le jour du sabbat et trouble la paix : il remet les
péchés : sa force vient-elle d'en haut ? est-ce un art magique
dont il fait usage ? D'où tire-t-il toutes ses explications de l'Ecriture
? N'est-il pas allé à l'école à Nazareth j
il doit avoir des relations secrètes avec un peuple étranger.
Il parle toujours de l"avènement du royaume, de l'approche du Messie,
de la ruine de Jérusalem. Son père Joseph était d'origine
illustre ; peut-être est-ce un enfant supposé, le fils de
quelque homme puissant, qui cherche à se faire un parti dans le
pays et à s'emparer de la souveraineté en Judée. Il
doit avoir derrière lui des appuis mystérieux, un soutien
inconnu sur lequel il compte ; autrement, il ne pourrait pas procéder
avec tant d'assurance et de hardiesse, aller à l'encontre de tous
les usages et de toutes les autorités, comme si c'était son
droit d'en agir de la sorte. Il a fait souvent de longues absences : quelles
alliances peut-il avoir formé ? où peut-il avoir pris son
art et sa science ? qu'y a-t-il à faire avec lui ? "(XL, 11.) C'est
ainsi qu'ils parlaient entre eux dans leur dépit et se livraient
à des conjectures de toute espèce. Le centurion Zorobabel
restait très calme, et il trouva enfin moyen de les calmer aussi
; il les exhorta à ne pas s"inquiéter à ce sujet :
"Si son pouvoir vient de Dieu, " leur dit-il, " il s'affermira certainement
: s'il en est autrement, il tombera. Mais tant qu'il nous guérira
et nous fera du bien, nous devrons lui en savoir gré et remercier
celui qui l'a envoyé. " Jésus passa la nuit dans la demeure
de sa mère en avant de Capharnaum.
(11 août.) Les disciples étaient restés tous avec
Jésus dans la maison de Marie. Jésus voulait en ce jour qui
était un jour de jeûne, se promener avec eux, les instruire
et les préparer. Il alla le matin vers le lac avec une vingtaine
de disciples. Outre ceux qui étaient du pays, il y avait avec lui
ceux de Cana, les fils des veuves, Saturnin et ceux qui l'accompagnaient
ordinairement. Il n'alla pas directement au lac, qui est tout au plus à
une lieue, mais au midi en contournant la hauteur qui domine au levant
la maison de Marie. Cette montagne n'est que le prolongement de celle qui
court au nord, mais elle en est un peu séparée par une dépression
du terrain. Jésus alla au midi avec les disciples : c'était
une promenade destinée à les instruire. Il y avait là
plusieurs jolis petits cours d'eau qui des hauteurs coulaient dans le lac
: la petite rivière de Capharnaum coulait aussi dans cette direction.
Des sources abondantes coupaient ici le pays et coulaient autour de Bethsaïde.
Jésus se reposa plusieurs fois avec eux à des endroits agréables
: souvent aussi il s'arrêta pour enseigner.
Note : Ce jour de jeûne est présenté comme ayant
lieu en commémoration de à lampe du temple qui s'éteignit
sous Achaz. Comme ce fut à ce roi qu'Isaïe fit la célèbre
prédiction : " Une Vierge enfantera, " la citation de cette prophétie
faite hier soir pouvait se rapporter à l'approche de ce jour de
jeûne.
Il parla de la dîme : ils se plaignaient de grandes vexations
qui avaient eu lieu à Jérusalem à propos des dîmes
et se demandaient si cela ne pouvait pas être corrigé. Il
répondit que Dieu avait ordonné de donner au temple et à
ses ministres la dixième partie de tous les fruits, afin que les
hommes se souvinssent qu'ils n'étaient pas propriétaires,
mais seulement usufruitiers ; qu'on devait en outre, par esprit de renoncement,
donner la dîme des légumes, etc. Ses disciples parlèrent
aussi de Samarie et dirent qu'ils regrettaient d'avoir peut-être
été cause qu'il avait quitté ce pays, qu'ils ne savaient
pas que les habitants fussent aussi avides de son enseignement, et l'eussent
si bien accueilli : sans leurs instances, il y serait peut-être resté
plus longtemps. Mais Jésus leur dit que les deux jours qu'il y était
resté, avaient été suffisants, que les Sichimites
étaient très ardents et très prompts à s'émouvoir,
que parmi les convertis il n'y en avait peut-être qu'une vingtaine
qui persévérât encore, qu'il leur réservait
la moisson future, laquelle serait plus abondante.
Les disciples émus par sa dernière instruction parlèrent
avec sympathie des Samaritains et rappelèrent à leur louange
l'histoire de l'homme qui, allant à Jéricho était
tombé entre les mains des voleurs et près duquel le prêtre
et le lévite avaient passé sans s'arrêter, tandis que
le Samaritain l'avait recueilli et l'avait oint d'huile et de vin. Cette
histoire était connue, elle était arrivée réellement
près de Jéricho à une époque déjà
ancienne. La pitié qu'ils montraient pour le blessé et la
joie que leur causait l'action charitable du Samaritain donnèrent
occasion à Jésus de leur raconter une parabole du même
genre. Il commença par Adam et Eve et par la chute originelle qu'il
raconta simplement, comme elle est dans la Bible, dit comment, étant
chassés du paradis, ils vinrent eux aussi, avec leurs enfants. dans
un désert plein de voleurs et d"assassins, et comment l'homme renversé
et blessé par le péché resta gisant dans ce désert.
C'est alors que le roi du ciel et de la terre a fait tout ce qui était
possible pour venir en aide à l'homme dans son malheur. Il a envoyé
sa loi, des prêtres en grand appareil et beaucoup de prophètes,
mais tous ont passé et nul n'a secouru le malade, lequel, de son
côté, a plus d'une fois refusé toute assistance Enfin
à cet homme misérable il a envoyé son propre fils
sous un extérieur pauvre (ici il décrivit sa propre pauvreté)
: sans chaussures, sans rien pour se couvrir la tête, sans ceinture,
etc. ; et celui-ci a versé de l'huile et du vin dans les plaies
du blessé pour le guérir. Mais ceux-là mêmes
qui, pourvus de tout, n'avaient pas eu pitié du malheureux, se saisirent
du fils du roi et le mirent à mort, lui qui avait guéri le
pauvre blessé avec de l'huile et du vin. Il leur donna cette parabole
pour la méditer et lui dire ce qu'ils en pensaient, après
quoi, il la leur expliquerait. Ils ne la comprirent pas, toutefois ils
remarquèrent qu'il s'était décrit lui-même dans
la personne du fils du roi il leur venait toute sorte de pensées
et ils se demandaient entre eux, à voix basse, qui pouvait être
son père dont il parlait si souvent ?-il fit aussi allusion à
leurs préoccupations de la veille touchant leurs pêcheries,
et leur présenta l"exemple de ce fils de roi qui avait tout quitté
et qui lorsque les autres regorgeant de tout, avaient laissé languir
le pauvre blessé, l"avait oint d'huile et de vin. Il assura que
le père n'abandonnerait pas les serviteurs de son fils et qu'ils
recevraient tout en abondance quand il les rassemblerait autour de lui
dans son royaume.
Tout en disant ces choses et d'autres encore, il arriva avec eux au-dessous
de Bethsaïde à l'endroit du lac où étaient les
barques de Pierre et de Zébédée ; sur le rivage on
avait dressé plusieurs cabanes de terre pour les pêcheurs
Sur les navires étaient des esclaves païens occupés
à pêcher : il n'y avait pas de juifs parce que c'était
un jour de jeûne. Zébédée était dans
une cabane sur le rivage. Jésus leur dit de laisser là leur
pêche et de venir à terre, ce qu'ils firent. Là aussi
il enseigna.
Il remonta ensuite le lac vers Bethsaide qui est à une bonne
demi lieue d'ici. Pierre a le privilège de la pêche sur une
étendue d'une lieue le long du rivage. Entre la station des barques
et Bethsaide on rencontrait une anse : là plusieurs petits ruisseaux
se jetaient dans le lac ; c'étaient des bras de la petite rivière
qui vient de Capharnaum à travers la vallée et qui reçoit
plusieurs autres cours d'eau : devant Capharnaum elle forme un grand étang.
Jésus n'alla pas jusqu'à Bethsaïde, mais ils tournèrent
à l'ouest et se dirigèrent par la partie septentrionale de
la vallée, vers la maison de Pierre, laquelle est adossée
au côté oriental de la hauteur qui domine de l'autre côté
la maison de Marie.
Jésus alla avec Pierre dans la maison de celui-ci, où
Marie et les autres saintes femmes de la contrée étaient
réunies, ainsi que celles de Cana. Les autres disciples n'y entrèrent
pas, ils se tinrent dans le jardin qui avoisinait, ou allèrent en
avant, du côté de l'habitation de Marie. Lorsque Pierre entra
dans la maison avec Jésus, il lui dit : " Seigneur, quoique ce fût
un Jour de jeûne, vous nous avez rassasiés. " La maison de
Pierre était bien tenue, il y avait une cour et un jardin ; elle
était longue et on pouvait se promener sur le toit, d'où
l'on avait une belle vue sur le lac. Je ne vis ni la belle-fille de Pierre,
ni les fils de sa femme, je crois qu'ils étaient à l'école.
Sa femme était près des saintes femmes : elle n'avait pas
d'enfants avec elle. Sa belle-mère, une femme maladive, grande et
maigre, marchait en s"appuyant aux murs.
Jésus s'entretint longtemps avec les femmes des arrangements
à prendre sur cette partie du littoral où il avait l'intention
de résider souvent. Il les exhorta à ne Pas faire de dépenses
inutiles et pourtant a ne s'inquiéter de rien. Il lui fallait peu
de chose pour lui-même et il n'avait de besoins que pour les disciples
et pour les pauvres. Je pense qu'il se tiendra surtout ici dans la saison
d'hiver et avant ce temps, à ce que je crois, il fera encore baptiser.
Il alla avec les disciples dans la demeure de Marie où il s'entretint
encore avec eux, après quoi il se retira à part.
Le ruisseau de Capharnaum coule le long de la maison de Pierre : Il
peut de là aller jusqu'au lac avec ses instruments de pèche
sur un petit canot au milieu duquel est un siège.
Lorsque les saintes femmes apprirent de Jésus qu'il voulait
aller le surlendemain, pour le sabbat à Nazareth qui est à
neuf ou dix lieues d'ici, elles en eurent du déplaisir et témoignèrent
le désir qu'il restât ici ou du moins qu'il revînt bientôt.
Il dit qu'il ne croyait pas rester longtemps à Nazareth, vu que
les habitants seraient mécontents de lui parce qu'il ne pouvait
pas faire ce qu'ils désiraient. Il parla de plusieurs choses qu'on
lui reprocherait et sur lesquelles il appela attention de sa mère.
Il voulait lui dire d'avance ce qui arriverait. Je savais encore ces choses
il y a peu de temps, mais je les ai oubliées. Les saintes femmes
passèrent la nuit dans la maison de Pierre.
(12 août.) Jésus quitta la maison de Marie avec les disciples
et se rendit à Bethsaïde, qui était à peu près
à une petite lieue, par le côté septentrional de la
vallée, en suivant la pente de la montagne. Les saintes femmes s'y
rendirent de la maison de Pierre : elles entrèrent dans la maison
d'André, située à l"extrémité de Bethsaide,
vers le nord : elle était en bon état, mais moins grande
que celle de Pierre.
Bethsaide est une petite ville de pêcheurs dont la partie centrale
est seule tournée vers l'intérieur des terres et qui s'étend
en deux bras très minces jusqu"au lac. De la station de la barque
de Pierre, on la voit devant soi au nord. Elle est habité en grande
partie par des pêcheurs : il y a en outre des gens qui tissent des
couvertures et d'autres qui font des tentes : ce sont des gens rudes et
simples et ils me font toujours l'effet d'être ce que sont chez nous
ceux qui travaillent aux tourbières compares au reste de la population.
Les couvertures sont faites de poil de chèvre et de chameau. Les
longs poils qu'ont les chameaux sur le cou et sur la poitrine forment sur
les bords comme des franges et des galons parce qu'ils ont un brillant
agréable.
Le vieux centurion Zorobabel n'était pas ici avec eux : c'était
un homme débile et qui ne pouvait pas marcher beaucoup. Il aurait
pu venir à cheval, mais alors il n'aurait pas entendu les instructions
données en route par Jésus : d'ailleurs il n'était
pas encore baptisé. Il y avait ici beaucoup de gens des lieux environnants,
et aussi beaucoup d'étrangers venus, de l'autre côté
du lac, du pays de Khorosaïn et de Bethsaïde-Juliade qui est
en face.
Jésus enseigna ici dans la synagogue qui n'est pas très
grande, sur l'approche du royaume de Dieu et il dit assez clairement qu'il
était le roi de ce royaume, il excita comme à l'ordinaire
l'étonnement de ses disciples et des auditeurs. Il prêcha
en termes généraux comme tous ces jours-ci et guérit
plusieurs malades qu'on avait amenés devant la synagogue. Il y avait
plusieurs possédés qui lui criaient : "Jésus de Nazareth,
prophète, roi des Juifs, etc." Jésus leur ordonna de se taire
parce que le temps n'était pas encore venu de révéler
ce qu'il était.
Lorsqu'il eut fini d'instruire et de guérir, ils allèrent
à la maison d'André pour manger, mais Jésus n'entra
pas et dit qu'il avait faim d'une autre nourriture. Il alla avec Saturnin
et un autre disciple, en remontant le lac jusqu'à une demi lieue
de la maison d'André, dans un hôpital écarté,
situé au bord de l'eau, où languissaient des lépreux,
des idiots et d'autres malheureux sans ressource et presque entièrement
délaissés. Il y en avait parmi eux qui étaient à
peu près tout nus. Personne de la ville ne le suivit parce qu'on
craignait de se souiller. Les cellules de ces pauvres gens étaient
disposées en rond autour d'une cour : ils n'en sortaient jamais
et on leur donnait à manger par des trous qui étaient aux
portes. Jésus les fit conduire dehors par le surveillant de la maison
et il fit apporter par ses disciples des couvertures et des vêtements
pour les couvrir. Il les instruisit et les consola, fit le tour en allant
de l'un à l'antre et en guérit un grand nombre par l'imposition
des mains. Il en laissa plusieurs de côté, et ordonna à
quelques-uns de se baigner et leur fit d'autres prescriptions. Ceux qu'il
avait guéris se prosternèrent devant lui et le remercièrent
en pleurant : c'était un spectacle très touchant. Jésus
prit avec lui le directeur de la maison et l'emmena chez André au
repas. Il y vint, de Bethsaïde, des parents de quelques-uns de ceux
qui avaient été guéris : ils vinrent les prendre,
pleins de joie, leur apportèrent des vêtements et les conduisirent
chez eux et dans la synagogue pour remercier Dieu.
Il y avait chez André un beau repas de gros et bons poissons.
On mangea dans une salle ouverte, les femmes étaient seules à
leur table. André s'occupait du service. Sa femme était très
affairée et très empressée, elle De sortait guère
de la maison. Elle avait une espèce d'industrie pour la confection
des cordes de filets et elle employait à cela plusieurs filles pauvres
dont elle avait formé un atelier fort bien tenu. Il y avait en outre
parmi elles de pauvres femmes mariées rejetées de la société
pour quelque faute et qui n'avaient pas d'asile ; elle en prenait pitié,
elle les occupait, les ramenait au bien et les faisait prier avec elle.
Le soir, après le repas, Jésus enseigna encore dans la
synagogue, puis il partit avec les disciples. Il passa de nouveau devant
plusieurs malades : mais il ne les guérit pas, disant que leur temps
n'était pas encore venu.
Il avait pris congé de sa mère et il alla avec les disciples
dans la maison en avant de Capharnaum, qui est à peu près
à une lieue et demie du lac. Cette maison appartient à Pierre
qui l"a mise à sa disposition. Jésus s'y entretint encore
longtemps avec les disciples et il se retira à part sur une colline
terminée en pointe aiguë, comme il y en avait plusieurs dans
cette contrée : elle était couverte jusqu'en haut d'une espèce
d'arbre semblable au genévrier et d'ifs ou de cyprès : il
y passa la nuit en prière.
Au point du jour il revint dans la maison et réveilla les disciples
avant de se mettre en route pour Nazareth : ils voulurent l'accompagner
jusqu'à une certaine distance. Capharnaüm est située
au penchant de la montagne où elle forme un demi arc de cercle.
Il y a beaucoup de jardins en terrasses et aussi des vignes : en haut croît
une espèce de blé dont la tige a la grosseur d'un roseau
: c'est un endroit considérable et d'un agréable aspect.
Il y a une grande variété de terrains dans le voisinage.
Non loin de là sont des décombres de toute espèce,
comme des ruines. La ville était autrefois plus grande ou peut-être
qu'il y avait là encore une autre ville.
(13-15 août.) Aujourd'hui mardi, Jésus alla de Capharnaum
à Nazareth, les disciples galiléens l'accompagnèrent
jusqu'à une distance de cinq lieues. Il ne cessa d'enseigner pendant
la marche. Il parla de leur destination future, et comme Pierre lui parlait
de son métier qu'il lui faudrait abandonner, il lui conseilla de
quitter le voisinage du lac et d'aller dans sa maison en avant de Capharnaum.
Ils passèrent devant plusieurs villes et aussi devant le petit lac
dont il a été fait mention dernièrement. Sur la roule,
dans une maison de bergers, deux possédés coururent vers
Jésus et le prièrent de les guérir. Ils avaient des
troupeaux dans les environs et étaient seulement tourmentés
de temps en temps par le démon ; ils étaient alors dans un
de leurs bons intervalles. Jésus ne les guérit pas : il leur
ordonna d'abord de changer de vie, et compara leur état à
celui d'un homme qui a l'estomac surchargé et qui voudrait guérir
de son mal d'estomac pour se livrer à de nouveaux excès.
Ces gens se retirèrent tout honteux. Les disciples quittèrent
Jésus deux lieues avant Séphoris, Saturnin aussi revint avec
eux dans la maison de Pierre. Il ne resta avec Jésus que deux disciples
venus de Jérusalem où ils voulaient retourner. Il alla à
Séphoris d'en bas qui est une petite ville, et entra chez des parents
de sainte Anne. Ce n'est pas la maison paternelle d'Anne, laquelle est
située entre ce Séphoris et le haut Séphoris, deux
villes situées à une lieue l'une de l'autre. Il y a dans
un rayon de cinq lieues beaucoup de maisons dépendantes de Séphoris.
Il n'alla pas cette fois au grand Séphoris. Il y a là de
grandes écoles de toutes les sectes et des tribunaux.
A Séphoris d'en bas il n'y a pas beaucoup de gens riches : on
y confectionne des draps, et les femmes font des houppes de soie et des
galons pour le temple. Tout le pays est comme un jardin de plaisance, couvert
de petits villages et de maisons de campagne disséminées,
séparées par des jardins et des avenues. Le grand Séphoris
est un lieu très important, il y a des châteaux à une
assez grande distance les uns des autres. Le pays est très beau
: on y trouve des fontaines et il nourrit un bétail nombreux.
Les parents de Jésus avaient trois fils dont un nommé
Kolaïa était disciple de Jésus: : la mère désirait
qu'il prit aussi les autres. Elle parla aussi des fils de Marie Cléophas.
Jésus lui donna des espérances à ce sujet. Ces fils
après la mort du Christ, furent ordonnés prêtres à
Éleutheropolis, par José Barsabas qui y était évêque.
(Mercredi 14 août.) Aujourd'hui Jésus enseigna ici dans
la synagogue. Il s'y trouvait beaucoup de personnes du pays environnant.
Il alla aussi dans les environs avec ses cousins et enseigna ça
et là de petites troupes de gens qui le suivaient ou l'attendaient
: en revenant il guérit plusieurs malades devant la synagogue et
y fit ensuite une instruction sur le mariage et sur le divorce. Il reprocha
aux docteurs d'ajuster toute sorte de choses à la loi, montra à
un vieux docteur dans un écrit un passage qu'il y avait intercalé,
lui en prouva la fausseté et lui ordonna de l"effacer. Je vis aussi
que le docteur s'habilla devant lui, que même il se prosterna à
ses pieds, reconnut sa faute et le remercia de son avertissement.
Jésus mangea et dormit chez ses parents, et il fut encore question
de l'admission des fils parmi les disciples. Ces gens sont, je crois, alliés
à Jésus par un des époux de Marie de Cléophas,
car j'entendis parler beaucoup ici de Joses Barabbas qui ne me parait pas
être du même père que Jacques Thaddée et Simon
le Chananéen.
(15 août.) Dans la nuit du mercredi Jésus sortit à
minuit de la maison de ses parents du petit Séphoris, et se retira
à part pour prier. Je le vis aujourd'hui entre le petit et le grand
Séphoris sur l'ancienne propriété patrimoniale de
sainte Anne. Il n'avait qu'un disciple avec lui. Ceux qui en étaient
devenus les possesseurs par des mariages n'étaient plus ses proches
alliés. Il y avait cependant une vieille femme hydropique alitée
qui tenait à lui de plus près ; un petit garçon aveugle
se tenait habituellement assis près d'elle. Il pria avec la vieille
femme à laquelle il fit répéter ses paroles : il lui
tint la main pendant à peu près une minute sur la tête
et sur la région de l'estomac, alors elle rentra complètement
en elle-même, eut une défaillance qui dura près d'une
minute, et se sentit tout à fait soulagée. Alors Jésus
lui ordonna de se lever. L'enflure de l'hydropisie ne disparut pas à
l'instant, mais la malade put marcher, et elle fut en peu de temps débarrassée
de son mal par des sueurs et des évacuations. Cette femme l'implora
en faveur de l'enfant aveugle qui avait environ huit ans ; il n'avait jamais
vu ni parlé, mais il entendait : elle louait sa piété
et son obéissance. Jésus lui mit l'index dans la bouche,
et souffla ensuite sur ses deux pouces ou peut-être les humecta avec
sa salive ; puis, priant et regardant au ciel, il les tint sur les yeux
de l'enfant qui étaient fermés ; celui-ci alors ouvrit les
yeux et la première chose qu'il vit fut Jésus, son libérateur.
L'enfant était tout bouleversé par la joie et l'étonnement
que lui causait un état si nouveau pour lui : il courut d'un pas
mal assuré vers Jésus, le remercia en bégayant et
pleura à ses pieds. Jésus lui donna des avis sur l'obéissance
et la piété filiale, lui dit qu'ayant pratiqué ces
devoirs étant aveugle, il devait les pratiquer encore plus fidèlement
maintenant qu'il voyait, et ne pas faire servir ses yeux au péché,
etc. Alors survinrent les parents et les gens de la maison, et il y eut
une grande joie et un concert de louanges.
Jésus ne guérissait pas un malade comme l'autre. Il ne
guérissait pas non plus autrement que les apôtres, les saints
des temps postérieurs et les prêtres jusqu'à notre
époque. Il imposait les mains et priait avec les malades. Mais il
faisait cela plus vite que les apôtres. Il faisait aussi ses guérisons
et ses miracles pour qu'ils servissent de modèle à ses successeurs
et à ses disciples. Il les faisait toujours d'une façon qui
était appropriée au mal et aux besoins de chacun. Il touchait
les paralytiques, leurs muscles s'assouplissaient, et il les relevait.
Dans les cas de fracture, il prenait les membres à l'endroit où
ils étaient brisés et les os se rejoignaient ensemble : quant
aux lépreux, je voyais qu'aussitôt qu'il les avait touchés,
leurs plaies se séchaient et il en tombait comme des écailles,
mais il restait des marques rouges qui disparaissaient peu à peu,
toutefois plus vite qu'à l'ordinaire et suivant le degré
où la guérison avait été méritée.
le n'ai jamais vu un homme contrefait devenir à l"instant droit
comme un cierge, ni un os disloqué se redresser tout à coup
: non qu'il n'eut pu le faire, mais il ne le faisait pas parce que ses
prodiges n'étaient pas un spectacle, mais c'étaient des œuvres
de miséricorde ; c'était une figure de sa mission, une délivrance,
une réconciliation, un enseignement, un développement, une
éducation, une rédemption : et de même qu'il voulait
la coopération des hommes pour les rendre participants de sa rédemption,
de même dans les guérisons la foi, l"espérance, l"amour,
le repentir, la conversion des cœurs, devaient se produire comme coopérant
à la réception de la grâce. à chaque état
était assigné le traitement qu'il réclamait, en sorte
que chaque maladie et sa guérison étaient le symbole, l'une
d'une maladie spirituelle, l'autre d'une guérison de l'âme,
d'un pardon et d'un amendement. Ce ne fut qu'à l'égard des
paiens que je le vis faire des miracles plus éclatants et plus extraordinaires.
Les miracles des apôtres et des saints qui vinrent ensuite avaient
quelque chose de beaucoup plus frappant, et de plus contraire à
la marché ordinaire de la nature, car les païens avaient besoin
d'être ébranlés, les juifs seulement d'être dégagés,
etc. Souvent il guérissait à distance par la prière,
souvent par un regard, et cela arrivait surtout pour des femmes affligées
de pertes de sang qui n'osaient pas s'approcher de lui, et qui d'ailleurs
ne le devaient pas d'après les lois juives. Il se conformait à
celles de ces lois qui avaient une signification mystérieuse et
non aux autres. J'ai vu à Atharoth dés femmes affligées
de perles de sang baiser la trace de ses pieds et guérir. J'en ai
vu d'autres à Capharnaum le regarder de loin et guérir.
Jésus enseigna encore ça et là dans les environs.
Vers le soir il alla à une école isolée située
prés de quelques habitations, à une égale distance
de Nazareth et du petit Séphoris. Ici le second disciple dont il
se faisait accompagner et le disciple Parménas vinrent de Nazareth
le trouver. Ils prirent un peu de nourriture, en plein air, près
d'une hôtellerie. Je vis des serviteurs de la synagogue du grand
Séphoris y apporter des rouleaux d'écritures : c'est, je
crois, parce qu'une instruction doit être faite dans cet endroit
le jour suivant. Parménas était déjà un ami
d'enfance de Jésus et il l'aurait suivi dès le principe avec
les autres disciples, s'il n'avait pas eu à Nazareth des père
et mère pauvres qu"il soutenait par toute sorte de moyens, spécialement
en portant des messages.
(16 août.) Je vis ce matin plusieurs docteurs et pharisiens du
grand et du petit Séphoris et des environs, et quelques autres personnes
encore, se réunir dans l'école isolée près
de laquelle Jésus s'était trouvé hier. Ils venaient
pour disputer avec lui sur le passage relatif au divorce qu'il avait signalé
le mercredi dans la synagogue, à l'un des docteurs, comme illicitement
intercalé. Ils avaient très mal pris cela au grand Séphoris,
car cette explication interpolée provenait de leur enseignement.
On divorçait très facilement dans cette ville, et il y avait
une maison particulière où l'on faisait entrer les femmes
séparées de leurs maris. Ce docteur qui avait confessé
sa faute, avait copié un cahier de la loi et y avait intercalé
de petites gloses pleines d'erreurs. Ils disputèrent longtemps contre
Jésus ; ils ne voulaient pas examiner pourquoi il prenait sur lui
d'effacer cela : mais il les réduisit au silence, non toutefois
à l'aveu de leur faute comme le premier. Il leur prouva qu'il était
détendu de rien interpoler, et que par conséquent il y avait
obligation d'effacer : il leur démontra la fausseté de l'explication
en question, et leur reprocha vivement la manière dont on éludait
la loi sur le divorce dans leur ville. Il dit dans quel cas il était
absolument détendu à l'homme de renvoyer sa femme, il ajouta
que quand un des conjoints avait une aversion insurmontable pour l'autre,
il pouvait y avoir séparation à l'amiable, mais que le plus
fort ne devait pas chasser l'autre contre sa volonté et sans qu'il
y eût de la faute de celui-ci. Toutefois il eut peu de succès
auprès d'eux : ils étaient dépités et enflés
d'orgueil, quoiqu'ils ne trouvassent rien a lui répondre.
Le scribe repris et converti précédemment par Jésus
se sépara tout à fait des pharisiens : il déclara
à sa communauté que dorénavant il enseignerait la
loi sans y rien ajouter, et que, s'ils le trouvaient mauvais, il se retirerait.
Le passage intercalé dans la loi sur le divorce était ainsi
conçu : " Quand l'un des deux époux a eu antérieurement
commerce avec une autre personne, le mariage n'est pas valide et cette
autre personne peut réclamer le premier comme lui appartenant, quand
même les époux vivraient en bonne intelligence. "C'est là
ce que Jésus rejeta, et il parla de la loi sur le divorce comme
donnée seulement pour un peuple grossier.
Il permettait bien de se séparer, mais non de se remarier. Or
deux des principaux pharisiens qui prenaient part à cette dispute
se trouvaient en position de profiter de ce commentaire sur la séparation
(ici elle raconta longuement, mais un peu confusément leurs rapports
matrimoniaux) : c'est pourquoi ils avaient depuis longtemps mis en circulation
de semblables additions à la loi. Cela n'était pas connu,
mais Jésus le savait et il leur dit : "Dans cette altération
de la loi ce ne sont point vos propres convoitises charnelles que vous
défendez"". Ces paroles les remplirent d'une rage inexprimable.
(16 et 17 août.) Dans l'après-midi, Jésus alla
à Nazareth qui était à environ deux lieues de l'endroit
où il se trouvait, à la même distance à peu
près que le petit Séphoris qui était situé
plus à l'est. En avant de la ville, le Seigneur entra dans la demeure
qu'occupaient les héritiers de son ami défunt, l'Essénien
Eliud. Ils lui lavèrent les pieds et lui offrirent une réfection.
C'étaient des gens paisibles, serviables et affectueux. Ils lui
dirent combien les habitants de Nazareth se réjouissaient de son
arrivée. Mais il leur répondit que cette joie ne serait pas
de longue durée, parce qu'ils ne voudraient pas entendre ce qu'il
avait à leur dire.
Il entra ensuite dans la ville : il y avait à la porte des gens
chargés de signaler son arrivée. à peine parut-il
qu'un certain nombre de pharisiens et de gens de distinction vinrent à
sa rencontre, accompagnes d'une grande foule de peuple. On le reçut
très solennellement et on voulut le conduire dans une hôtellerie
publique ou ils avaient préparé un festin pour le recevoir.
Il n'accepta pas, disant qu'il avait pour le moment autre chose a faire
; il se rendit aussitôt à la synagogue où ils le suivirent,
et où il y eut une grande affluence de peuple. Ceci se passait un
peu avant l'ouverture du sabbat.
Il enseigna sur l"avènement du royaume de Dieu et sur l'accomplissement
des prophètes, demanda le volume d'Isaïe, le déroula
et lut ce passage : (XXI, 1) a L'esprit du Seigneur est sur moi, parce
que le Seigneur m'a oint, il m'a envoyé porter la bonne nouvelle
aux pauvres, afin que je guérisse ceux qui ont le cœur oppressé,
que j'annonce aux captifs leur délivrance, et aux prisonniers leur
élargissement. (Luc, IV, 18, et Matth., V, 3.) il récita
ce passage comme s'appliquant à lui-même, faisant entendre
clairement que c'était bien sur lui qu'était l'esprit de
Dieu, lui qui était venu pour annoncer le salut aux pauvres et aux
souffrants, par qui toute injustice devait être supprimée,
les veuves consolées, les malades guéris, les pécheurs
pardonnés, etc. Cela se trouvait en partie dans le texte, et résultait
en partie des explications qu'il donnait. Son discours fut très
beau et très attachant. Tous étaient dans l"admiration :
et ce soir encore ils lui étaient très favorables. Toutefois
ils se disaient de temps en temps les uns aux autres : "il parle absolument
comme si lui-même était le Messie. "Mais l'admiration les
dominait tellement, qu'ils étaient tout fiers de l'avoir pour compatriote,
et ils l'écoutèrent avec grand plaisir. Jésus parla
encore, lorsque le sabbat s'ouvrit, sur la voix de celui qui prépare
les chemins dans le désert ', et dit comment tout devait être
égalisé et aplani.
Il alla ensuite manger avec eux : ils se montrèrent très
bienveillants pour lui. Ils lui dirent qu'il y avait là beaucoup
de malades, qu'il devrait bien les guérir ! Jésus déclina
cette proposition et ils n'insistèrent pas pour le moment, pensant
que ce serait pour le lendemain. Après le repas, il alla retrouver
les Esséniens.
Note : Isaïe, XL, 3. C'est d'après la tradition juive,
la lecture du sabbat d'aujourd'hui.
Comme ceux-ci se réjouissaient fort du bon accueil qu'on lui
avait fait, il leur dit d'attendre jusqu'au jour suivant, qu'alors ils
verraient tout autre chose.
(17 août.) Le samedi matin Jésus enseigna de nouveau dans
la synagogue. un autre 3uif voulut prendre le livre des Ecritures, parce
que c'était son tour de lire : mais Jésus demanda le volume
et prenant pour texte le Deutéronome (ch. n), il enseigna sur l"obéissance
aux commandements auxquels on ne devait rien ajouter ni rien retrancher
; il rappela comment Moïse avait répété aux enfants
d'Israel tous les préceptes donnés par Dieu et combien on
les avait mal observés. Vint ensuite la lecture des dix commandements
et l'explication du premier commandement sur l'amour de Dieu. Jésus
parla très sévèrement à ce sujet : il leur
reprocha d"ajouter toutes sortes de choses à la loi, et d'imposer
de lourds fardeaux au pauvre peuple, tandis qu'eux-mêmes n'accomplissaient
point les préceptes. Il les attaqua avec tant de force qu'ils devinrent
furieux, car ils ne pouvaient pas dire qu'il parlât contrairement
à la vérité. Mais ils murmuraient et se disaient les
uns aux autres : " Comme il est impudent ! il a quitté ce pays il
y a quelque temps à peine, et voilà qu'il se donne pour un
personnage merveilleux ! il parle comme s'il était le Messie, et
pourtant nous connaissons bien son père, le pauvre charpentier,
et nous le connaissons bien aussi : où a-t-il étudié,
Comment ose-t-il nous présenter pareille chose ?, Et ils commencèrent
à se mettre en fureur contre lui, mais en secret, car ils étaient
confondus et réduits au silence devant tout le peuple.
Jésus continua à enseigner tranquillement, et quand il
eut fini, il sortit pour aller retrouver la famille essénienne et
prendre quelque nourriture il y fut visité là par les fils
d'un homme riche qui, d'autres fois déjà, avaient demandé
instamment à être admis parmi ses disciples, mais dont les
parents ne cherchaient pour eux que la science et la réputation
humaine. Ils l'invitèrent à venir manger chez eux, ce qu'il
n'accepta pas. Ils le prièrent encore de lés admettre et
dirent qu'ils avaient accompli tout ce qu'il leur avait prescrit. Alors
il leur répondit : "Si vous avez fait cela, vous n'avez pas besoin
de venir à mon école, vous êtes maîtres vous-mêmes.
"Et là-dessus il les congédia.
Il mangea et enseigna dans le cercle de la famille, chez les Esséniens,
et ceux-ci lui racontèrent toutes les vexations qu'ils avaient à
endurer. Il leur conseilla d'aller à Capharnaum, où il comptait
résider dorénavant.
Pendant ce temps les pharisiens s'étaient consultés ensemble
et s'excitant les uns les autres, ils résolurent, si ce soir il
parlait encore aussi librement, de lui montrer qu'il n'y avait pas ici
de privilège pour lui, et de le traiter comme depuis longtemps à
Jérusalem on souhaitait qu'il fût traité. Cependant
ils espéraient encore qu'il chercherait à rester en faveur
auprès d'eux, et qu'il ferait quelque miracle par déférence
pour eux. Lorsqu'il vint à la synagogue pour la clôture du
sabbat, ils avaient amené des malades devant l'entrée. Mais
il passa au milieu d'eux et n'en guérit aucun. Dans la synagogue,
il parla comme auparavant, de l'accomplissement des temps, de sa mission,
dés derniers jours de grâce, de leur perversité, du
châtiment qui les attendait s'ils ne se corrigeaient pas ; et il
répéta qu'il était venu pour secourir, pour guérir
et pour enseigner. Comme leur colère allait toujours croissant et
qu'ils murmuraient, il leur parla ainsi : " Vous dites : médecin,
guéris-toi toi-même ; les miracles que tu as faits à
Capharnaum et ailleurs, fais-les aussi dans ta patrie ! Mais, nul n'est
prophète dans son pays. Ils s'irritèrent et murmurèrent
de plus belle : alors, il compara le temps présent à une
époque de grande famine, et les différentes villes à
de pauvres veuves, et il ajouta : "Lors de la famine qui eut lieu à
l'époque d'Elie, il y avait beaucoup de veuves dans le pays, et
pourtant le prophète ne fut envoyé à aucune d'elles,
mais seulement à la veuve de Sarepta : à l'époque
d'Elisée, il y avait beaucoup de lépreux, et il ne guérit
que Naaman, le Syrien, "comparant ainsi leur ville à un lépreux
qui ne devait pas être guéri. Cette comparaison les mit hors
d'eux-mêmes : ils se levèrent de leurs sièges en grand
tumulte et voulurent mettre la main sur lui Mais il leur dit : " Observez
ce que vous enseignez et ne violez pas le sabbat ! Plus lard, vous ferez
ce que vous avez résolu." Alors, lui répondant par des murmures
et des invectives, ils le laissèrent poursuivre sa prédication,
quittèrent leurs places et se dirigèrent ers la porte.
Mais Jésus enseigna encore : il ajouta quelques explications
à ses dernières paroles, puis il sortit de la synagogue.
Devant la porte, une vingtaine de pharisiens furieux l'entourèrent,
le saisirent et lui dirent : "Viens maintenant avec nous à une place
d'honneur où tu pourras exposer encore ta doctrine : alors nous
te répondrons comme il faut te répondre." Il leur dit de
le laisser libre, qu'il allait les suivre de son plein gré, et ils
partirent, l"entourant comme une garde, et suivis d'une grande foule de
peuple. Il y eut une violente explosion d'injures et d'invectives au moment
où le sabbat finit. Ils luttaient à l'envi à qui lui
adresserait les insultes les plus grossières : " Nous voulons te
répondre ! Va trouver la veuve de Sarepta. a guérir le syrien
Naaman ! Si tu es Elie, monte au ciel, nous te montrerons une bonne place
! Qui es-tu ? Pourquoi n'as-tu pas amené ici ta sequelle avec toi,
Tu n'en as pas eu le courage ? N'as-tu pas trouvé ici du pain avec
tes pauvres parents ? Et maintenant que tu es repu, tu viens nous injurier
! mais nous voulons t'entendre ! il faut que tu parles en plein air devant
tout le peuple : nous voulons te répondre ". C'est ainsi qu'on suivit,
au milieu des cris de la foule, le chemin qui conduisait au haut de la
montagne. Mais Jésus continuait à enseigner avec un grand
calme : il répondait à leurs propos par de saintes sentences
et des paroles pleines de sagesse qui tantôt les couvraient de contusion,
tantôt redoublaient leur rage.
La synagogue était à l'extrémité occidentale
de Nazareth : comme il faisait déjà nuit, ils avaient deux
falots avec eux. Ils conduisirent Jésus au côté oriental
de la synagogue ; puis, s'en éloignant, ils tournèrent dans
une large rue qui revenait au couchant et conduisait hors de la ville.
Gravissant la montagne, ils arrivèrent à une haute crête
au bas de laquelle était un marais du côté du nord,
tandis qu'au midi un rocher en saillie s'avançait au-dessus d'un
précipice. Il y avait là une place d'où ils avaient
coutume de précipiter les criminels, et c'était en ce lieu
qu'ils voulaient encore une fois interroger Jésus, puis le précipiter
du haut du rocher. Le précipice aboutissait à une gorge étroite.
Comme ils approchaient de cet endroit, je vis Jésus qui était
au milieu d'eux comme un prisonnier, s'arrêter pendant qu'ils continuaient
à marcher, vomissant des injures et des malédictions. Je
vis en cet instant prés de Jésus deux longues figures lumineuses.
Je le vis ensuite revenir un peu sur ses pas à travers la foule
qui se pressait, puis passer le long du mur de la ville sur l'arête
de la montagne de Nazareth et gagner la porte par laquelle il était
entré hier. Il revint dans la maison des Esséniens. Ceux-ci
n'avaient pas eu d'inquiétudes à son sujet : ils croyaient
en lui et l'attendaient. Il prit une petite réfection, parla de
ce qui venait de se passer, les engagea de nouveau à se retirer
à Capharnaum, leur rappela qu'il leur avait annoncé d'avance
comment on le traiterait : puis au bout d'une demi heure, il quitta la
ville, se dirigeant d'abord comme s'il eût voulu aller à Cana.
Rien n'était plus risible que l'exaspération dés
pharisiens, le trouble où ils furent et le bruit qu'ils firent lorsqu'ils
s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu d'eux. Tous se
mirent à crier : Où est-il ? Arrêtez ! Pendant que
la foule compacte se portait en avant, eux cherchaient à revenir
sur leurs pas, et il y eut sur l'étroit sentier une presse et un
tumulte incroyables. Chacun portait la main sur son voisin : ils se disputaient,
criaient, couraient dans tous les ravins, approchaient la lumière
du creux des rochers et croyaient qu'il s'était blotti quelque part.
Ils s'exposaient eux-mêmes à se rompre le cou et les jambes,
et se reprochaient mutuellement de l'avoir laissé échapper
par leur faute. Ils finirent par s'en retourner en silence, longtemps après
que Jésus fut sorti de la ville. Toutefois ils mirent des hommes
en sentinelle sur tous les points de la montagne et ils disaient en revenant.
"On voit bien ce que c'est : c'est un escamoteur : le diable est venu à
son aide, maintenant il va reparaître inopinément dans un
autre coin et mettre le désordre partout."
TREIZIÈME CHAPITRE.
Prédication de Jésus sur les bords du lac de Génésareth.
(Du 18 au 24 août.)
Jésus guérit des lépreux à Tarichée. - La veuve possédée à Naim. - Sa guérison opérée de loin. - Entretiens de Jésus avec ses disciples sur le chemin. - Instruction faite aux paiens, confusion des pharisiens. - Jésus dans la maison de Pierre. - Guérisons de malades. - Jésus à Capharnaum. - Humilité de Pierre.
(18 août.) Les trois disciples suivant les instructions de Jésus
avaient quitté Nazareth aussitôt après que la synagogue
eut été fermée et ils l'attendaient dans un endroit
qu'il avait désigné, sur le chemin qui va dans la direction
du levant vers Tarichée. Je vis Jésus marcher seul pendant
la nuit et rejoindre les disciples vers le matin : je vis aussi Saturnin
qui venait de Capharnaum les rencontrer et se joindre à eux il avait
été mandé ici et les autres disciples étaient
allés à sa rencontre il portait avec lui du pain, du miel
et d'autres provisions. Je les vis avec Jésus se reposer et prendre
quelque chose près d'une cabane, dans une vallée solitaire
habitée par des bergers. Jésus parla de ce qui s'était
passé à Nazareth et leur recommanda de rester paisibles et
obéissants pour ne pas faire obstacle à son travail par des
démonstrations bruyantes. Je les vis ensuite suivre des chemins
solitaires, passer devant des villes et se rendre par des vallées
à l'endroit où le Jourdain sort de la mer de Galilée.
Il y avait là une grande ville fortifiée, située au
pied d'une montagne, à l'extrémité méridionale
de la mer de Galilée, non loin de la sortie du Jourdain. Elle était
sur une langue de terre et l'eau la bordait au midi. Il s'y trouvait un
grand pont et aussi une digue : c'était une situation singulière.
De la ville au lac une plaine verdoyante descendait en pente douce. La
ville s'appelle Tarichée.
Je n'ai jamais vu Jésus ici. Il n'entra pas dans la ville, mais
il prit un sentier qui le conduisit le long d'un mur méridional,
à peu de distance d'une porte. Il y a en dehors de ce mur un groupe
de cabanes destinées à recevoir des lépreux. Ce n'était
pas proprement le mur d'enceinte de la ville ; mais un mur extérieur
de la banlieue. Il était environ quatre heures de l"après-midi
; étant encore à quelque distance de cet endroit, il dit
aux disciples : "Appelez les lépreux de loin afin qu'ils me suivent
et que je les guérisse ! mais éloignez-vous quand ils sortiront,
afin de ne pas vous souiller, et ne dites rien de ce que vous verrez ;
car vous savez quelle est la fureur des gens de Nazareth et vous ne devez
scandaliser personne. "Alors Jésus s'avança un peu dans la
direction du Jourdain et les disciples crièrent aux malades : "Sortez
et suivez le prophète de Nazareth ! Il vous viendra en aide. "Et
quand ils virent ces gens sortir ils se retirèrent en toute hâte.
Jésus marchait lentement, se rapprochant de la ville, dans la
direction du Jourdain.
Je vis cinq hommes de différents âges, en longs vêtements
blancs sans ceintures, coiffes d'un capuchon d'où s'abaissait sur
le visage un morceau d'étoffe noire, avec des trous pour les yeux,
sortir des cellules adjacentes au mur. Ils suivirent le Seigneur à
la file les uns des autres, jusqu'à un endroit isolé où
Jésus s'arrêta. Alors celui qui était en avant se prosterna
à terre et baisa le bas de sa robe ; Jésus se retourna vers
lui, lui mit la main sur la tête, pria, le bénit et lui dit
de se ranger de côté. Le second fit de même et ainsi
de suite jusqu'au cinquième. Ils découvrirent leur visage
et leurs mains et la croûte de la lèpre s'en détacha.
Jésus leur fit une exhortation sur le péché qui était
la cause de leur maladie et sur la manière dont ils devaient vivre
dorénavant, puis il leur défendit de dire qu'il les avait
guéris. Mais ils répondirent : " Seigneur, Vous vous montrez
à nous inopinément : il y a longtemps que nous vous espérions.
que nous soupirions après vous, et nous n'avions personne pour vous
parler de notre misère et vous conduire vers nous : Seigneur, vous
vous montrez si soudainement comment pourrions-nous cacher notre joie et
taire vos miracles ? "il leur dit encore qu'ils ne devaient pas en parler
jusqu'à ce qu'ils eussent fait ce que la loi commande ; qu'ils devaient
se montrer aux prêtres qui constateraient leur guérison, et
faire les offrandes et les purifications prescrites ; qu'après cela
ils pourraient dire qui les avait guéris. Ils se prosternèrent
de nouveau pour le remercier et retournèrent dans leurs cellules.
Quant à Jésus, il alla du côté du Jourdain retrouver
les disciples. Ces lépreux n'étaient pas tout à fait
renfermés, ils avaient à leur disposition un espace désigné
dans les limites duquel ils pouvaient se promener. Personne ne s'approchait
d'eux, et on ne leur parlait que de loin : on leur portait de la nourriture
à certains endroits, dans des plats qu'on ne reprenait pas, mais
qui étaient brisés et enfouis par eux : on apportait chaque
fois de nouveaux vases de peu de valeur.
Jésus s'avança encore avec les disciples dans la direction
du Jourdain à travers des bosquets et des les avenues : ils se reposèrent
dans un endroit solitaire où ils prirent quelque nourriture, et
il les enseigna. Ils i : se reposèrent assez longtemps : je crois
même qu'ils dormirent : ce ne fut que dans la nuit que je les vis
traverser le fleuve sur une poutre qui était placée là.
Pendant que Jésus était absent de Capharnaum, je vis
Marthe qui s'y rendait avec Jeanne Chusa et Véronique. à
Cana, où elles s'arrêtèrent (probablement pendant le
sabbat), une parente de la sainte famille, une veuve d'environ trente ans,
nommée Marie, vint trouver Marthe et la pria d'intercéder
pour elle auprès de Jésus. C'était cette veuve que
précédemment l'amie de la veuve de Naïm avait recommandée
à Jésus, mais sans rien obtenir encore de lui. Elle avait
vécu dans le désordre dans d'autres endroits, et elle avait
fini par empoisonner un de ses amants. On ne savait pas cela dans le pays
: quant à elle, elle avait été vivement touchée
en entendant parler de la miséricorde de Jésus à l'égard
des pécheurs, et elle ne demandait qu'à faire pénitence
et à rentrer en grâce. Elle vint chercher Marthe à
Cana, la pria de parler en sa faveur à la mère de Jésus
et lui avoua toutes ses fautes : elle apportait une partie de son bien
convertie en petits lingots d'or, et voulait en outre donner tout le reste.
Les saintes femmes, n'oubliant pas ce que Jésus leur avait dit à
Béthanie à l'occasion de la perle perdue, l'accueillirent
avec bonté et l'accompagnèrent à Capharnaum parce
qu'elle était alors possédée d'un démon muet.
Il fallait donc la surveiller : car dans ses attaques elle ne pouvait pas
appeler au secours ; elle était alors tout à fait muette,
et le démon la poussait tantôt dans le feu, tantôt dans
l'eau. Quand elle revenait à elle, elle s"asseyait ou se couchait
dans un coin et pleurait amèrement. Cette veuve était la
fille ou la petite-fille d'une sœur de sainte Anne ; du côté
paternel elle était alliée à la mère de Lazare,
qui était de Jérusalem. Elle était aussi parente de
Maroni, la veuve de Naïm, par Eliud, mari de celle-ci et fils d'une
soeur de sainte Anne : voilà pourquoi l'amie de Maroni l'avait recommandée
à Jésus, lors de son passage à Naïm.
(19 août.) Hier, comme on l'a dit, Jésus traversa le Jourdain
avec les quatre disciples au-dessous de Tarichée. Il y avait en
divers endroits du fleuve des barques sur lesquelles on passait soi-même
et elles étaient toujours ramenées à leur place par
des gens qui travaillaient sur les bords, et qui habitaient des cabanes
disséminées de loin en loin le long du fleuve sur une grande
étendue. Jésus ne suivit pas le bord du lac, mais il monta
au levant vers la ville de Galaad. Les quatre disciples qui étaient
avec lui étaient Parménas de Nazareth, Saturnin, et deux
autres déjà mentionnés qui étaient de Jérusalem,
et dont l'un s'appelait comme une ville qui a des rapports avec saint Paul,
Tarsus, ou peut-être Tharzissus ; l"autre qui était frère
du premier, avait aussi comme un nom de ville terminé par bolus
(elle dit plus tard : Aristobolus). Tharzissus devint évêque
d'Athènes. Aristobolus fut plus tard subordonné à
Barnabé : j'entendis le mot de fraternité : mais il était
seulement son frère spirituel2.
Notes :
C'est ce que dit aussi Dorotheus, dans la Synopsis discipulorum.
2 Dans plusieurs légendes, il est appelé frater Barnabae
: dans d"autres on lui donne aussi le nom de Zébédée.
Il alla souvent avec Paul et Barnabé, et, je crois, fut évêque
à Britannia. Il avait été présenté à
Jésus par Lazare, lors de son dernier voyage en Galilée,
si je ne me trompe ils étaient étrangers, Grecs, à
ce que je crois. Leur père s'était établi à
Jérusalem, il n'y avait pas longtemps. C'étaient des gens
qui faisaient le commerce maritime : leurs esclaves ou serviteurs, transportant
des marchandises sur leurs bêtes de somme, étaient venus entendre
prêcher Jean et s'étaient fait baptiser par lui. Ces serviteurs
avaient fait des rapports sur Jean et sur Jésus à leurs maîtres,
lesquels allèrent eux-mêmes trouver Jean avec leurs fils.
Le père et les fils se firent baptiser, reçurent la circoncision
et la famille revint à Jérusalem. Ils avaient quelque aisance,
et je crois que dans la suite ils donnèrent tout ce qu'ils possédaient
à la communauté. Les deux frères étaient grands,
bruns, intelligents, et ils avaient reçu une bonne éducation.
C'étaient des jeunes gens arrivés à l'âge adulte.
Je les voyais en route tout arranger et mettre en ordre avec beaucoup d'adresse
et de dextérité.
Une petite rivière descend de l'endroit où montait Jésus
: je crois qu'il la traversa. Le prophète Elie avait séjourné
là autrefois : Jésus raconta quelque chose à ce sujet.
Jésus fit des instructions aux disciples pendant toute la route
: j'en avais retenu beaucoup de choses, mais une visite que j'ai reçue
ce matin me l'a fait oublier. Il enseigna en paraboles tirées de
divers états et de divers métiers, et aussi des buissons,
des pierres, des plantes, des lieux et de ce qui se présentait sur
le chemin, Les disciples firent des questions sur diverses circonstances
où ils s'étaient trouvés avec lui à Séphoris
et à Nazareth.
Note : Dorotheus écrit à tort Béthanie.
Il leur parla du mariage, à propos de la dispute avec les pharisiens
de Séphoris et s'éleva contre le divorce. Il parla de l"irrévocabilité
du consentement, ajoutant que Moise n'avait permis la répudiation
que parce qu'il avait affaire à un peuple grossier et pécheur.
Ils l'interrogèrent encore sur le reproche qu'on lui avait fait
à Nazareth de ne pas aimer son prochain, parce qu'il n'avait pas
voulu opérer de guérisons dans sa patrie, qui était
ce qu'il avait de plus proche : ne devait-on donc pas, disaient-ils, regarder
ses compatriotes comme son prochain ? Là-dessus Jésus enseigna
fort au long sur l'amour du prochain et leur présenta des comparaisons
et des questions de toute espèce. Il tira ces comparaisons des divers
états qui sont dans le monde, et tout en parlant il montrait du
doigt certains endroits qu'on pouvait voir dans le lointain et ou ces métiers
étaient particulièrement exercés. Il dit aussi que,
quand on voulait le suivre, on devait quitter son père et sa mère
et pourtant observer le quatrième commandement ; qu'on devait traiter
sa patrie comme il avait fait à Nazareth, si elle le méritait,
et pourtant pratiquer l'amour du prochain ; que le prochain était,
avant tout, Dieu le Père céleste, et celui qu'il avait envoyé.
Il parla ensuite de l'amour du prochain selon le monde : il parla des publicains
de Galaad où ils allaient alors, lesquels aimaient pardessus tout
ceux qui leur payaient exactement la taxe : il montra Dalmanutha qui était
à leur gauche et dit : "Ces faiseurs de tentes et de tapis aiment
leur prochain quand il leur achète beaucoup de leurs produits :
mais ils laissent sans abri leurs propres pauvres.
Il tira du métier des cordonniers une comparaison qui avait
rapport à la curiosité des gens de Nazareth. Je ne la sais
plus bien : mais il disait à peu près : "Je n'ai pas besoin
de l'honneur du monde qui a de belles couleurs comme les sandales bariolées,
exposées sur les établis des cordonniers, lesquelles ensuite
sont mises sous les pieds et foulées dans la boue." Il dit encore
: "ils sont comme les cordonniers de cette ville (qu'il montrait du doigt),
leurs propres enfants les injurient et les méprisent, et ils sont
ainsi poussés vers l'étranger : s'ils ont entendu parler
des chaussures vertes à la nouvelle mode, ils en font venir par
curiosité et veulent ensuite se pavaner avec ces chaussures qui
sont foulées aux pieds comme cet honneur dont je parle." Il parla
de la même manière des pêcheurs, des architectes et
de diverses autres professions.
Ils lui demandèrent où il voulait habiter dorénavant,
et s'il voulait bâtir une maison à Capharnaum ? Il répondit
qu'il ne voulait pas bâtir sur le sable, et il parla d'une autre
ville qu'il voulait bâtir. Je ne comprenais pas toujours ce qu'ils
disaient lorsqu'ils marchaient : je comprenais mieux quand ils étaient
assis Je crois me rappeler qu'il voulait avoir un petit navire à
lui pour aller et venir sur le lac. Il voulait enseigner sur l'eau et sur
la terre.
Ils allèrent dans le pays de Galaad : Abraham y avait séjourné
avec Loth : ils avaient déjà fait un partage entre eux à
cette époque. Il leur dit quelque chose à ce sujet. Il leur
enjoignit de ne pas parler de la guérison des lépreux afin
de ne scandaliser personne, et d'éviter avec soin tout ce qui pouvait
faire de l'éclat, parce que certainement les gens de Nazareth chercheraient
à faire du bruit et soulèveraient les passions. Il voulait,
à ce que je crois, enseigner encore à Capharnaum le jour
du sabbat : c'était là qu'ils pourraient apprendre ce que
c'était que l"amour du prochain et la reconnaissance des hommes
: car il devait y être reçu d'une toute autre façon
que lorsqu'il avait guéri le fils du centurion.
Ayant fait quelques lieues au nord-est ils arrivèrent dans l'après-midi
en face de Galaad (?), au sud de Gamala. Il y avait dans cette ville des
Juifs et des paiens comme dans la plupart des villes de cette contrée.
Les disciples y seraient entrés volontiers, mais Jésus leur
dit que s'il allait aux Juifs, ils le recevraient mal et le laisseraient
manquer de tout ; que s'il allait aux païens, les Juifs s'en scandaliseraient
et le calomnieraient. Il dit aussi de cette ville qu'elle serait entièrement
détruite et qu'elle était très mauvaise. Je ne sais
à quelle occasion, peut-être par suite de ce qu"ils avaient
entendu dans l'hôtellerie les disciples lui parlèrent d'un
certain Agabus, un prophète d'Argob, résidant alors dans
les environs, qui depuis longtemps avait eu des visions relatives à
Jésus, et avait encore prophétisé à son sujet
assez récemment. Il devint plus tard son disciple. Jésus
dit de lui que ses parents étaient hérodiens et l'avaient
élevé dans cette secte mais qu'il s'était converti.
Il parla ensuite des sectes qu"il compara à des sépulcres,
beaux à l'extérieur, mais pleins de pourriture au dedans.
Les hérodiens se rencontraient fréquemment à l'est
du Jourdain, dans la Pérée, la Trachonitide et l"Iturée
: ils ne voulaient pas être connus et agissaient dans l'ombre : ils
se soutenaient les uns les autres en secret : des gens pauvres qui entraient
dans leur société étaient aussitôt secourus
et trouvaient des ressources. Ils avaient des dehors très Pharisaïques,
travaillaient sous-main à délivrer les Juifs du joug des
Romains et avaient des rapports intimes avec Hérode. Ils formaient
une société comme celle des francs-maçons. Je compris
par les paroles de Jésus, qu'ils affichaient une haute vertu et
une grande sainteté, mais que c'étaient des hypocrites.
Jésus resta avec les disciples à quelque distance de
Galaad, dans une hôtellerie de publicains : il y avait là
plusieurs publicains auxquels les païens payaient un droit Pour les
marchandises qu'ils faisaient entrer. Ils avaient aujourd"hui rencontré
çà et là plusieurs personnes sur le chemin, mais elles
ne paraissaient pas connaître Jésus et il ne leur adressa
pas la parole. Jésus enseigna ici sur l'approche du royaume de Dieu,
sur le Père qui envoie son Fils dans sa vigne et il donna clairement
à entendre qu'il était lui-même ce Fils, mais il ajouta
que tous ceux qui faisaient la volonté du Père étaient
ses enfants, ce qui les laissa encore dans l'incertitude à ce sujet
Il les exhorta aussi a recevoir le baptême et plusieurs se convertirent.
Ils lui demandèrent s'ils devaient se faire baptiser par les disciples
de Jean ; il leur répondit qu'il fallait attendre jusqu'au moment
où ses disciples baptiseraient dans cet endroit. Les disciples lui
demandèrent aussi aujourd'hui si son baptême était
autre chose que celui de Jean, parce qu'ils avaient reçu celui de
Jean. Il fit une différence et appela le sien une ablution de pénitence,
etc. (Elle ne se souvient plus bien de ce qu'il dit à ce sujet).
Dans l'instruction qu'il fit aux publicains, il y eut quelque chose
sur la sainte Trinité sur le Père. le Fils, le Saint-Esprit
et leur unité toutefois en termes tout différents. Les disciples
ici ne se firent pas de scrupules de frayer avec les publicains.
Comme Jésus, à Nazareth, avait logé chez les Esséniens
et que les pharisiens lui en avaient fait un reproche, les disciples lui
tirent des questions sur les Esséniens, et j'entendis Jésus
les louer sous forme d'interrogation. Il parla de diverses fautes contre
l'amour du prochain et la justice, en ajoutant à chaque fois : les
Esséniens font-ils ceci, les Esséniens font-ils cela ? etc.
Dans le voisinage de Galaad, quelques possédés qui couraient
autour de la ville dans une contrée déserte poursuivirent
Jésus de leurs cris. Ils étaient tout à fait abandonnés,
ils volaient et tuaient les gens qui passaient par là et commettaient
toute espèce d"abominations. Il les regarda et les bénit
: alors ils furent délivrés, coururent à lui et se
jetèrent à ses pieds. Il les exhorta au baptême et
à la pénitence, et leur dit d'attendre le moment où
ses disciples viendraient baptiser à Ainon. Près de Galaad
le sol était pierreux, c'était un fond de rocher blanc et
friable.
(20 août.) Jésus traversa aujourd'hui les montagnes à
l'extrémité méridionale desquelles se trouve Gamala
; il alla au nord-ouest dans la direction du lac. Dans cette marche à
travers les montagnes situées au levant de la mer de Galilée,
il passa à une lieue environ à l'est de Gergesa, où
plus tard il chassa les démons dans les pourceaux. Gergesa était
située dans un enfoncement résultant d'une dépression
de l'arête de la montagne, et il y avait tout auprès un marais
formé par le barrage d'un ruisseau qui se jette dans le lac près
de Magdalum, à travers un ravin. Sur le chemin Jésus parla
de cet endroit avec les disciples : il dit qu'un prophète (dont
j'ai oublié le nom) avait eu a essuyer les moqueries des gens de
Gergesa, à cause de sa taille contrefaite et qu'il leur avait dit
: "` Écoutez, vous qui vous moquez de moi ; vos enfants resteront
endurcis quand un plus grand que moi enseignera et guérira ici,
et vous n'accueillerez pas le salut avec joie à cause du chagrin
que vous causera la perte d'animaux immondes.
Note : Aujourd'hui Anne Catherine essaya de représenter, au
moyen des plis qu'elle faisait dans ça couverture, la vallée
de la petite rivière qui se jette dans le Jourdain, au midi du lac
de Génésareth, et aussi les montagnes et la position des
lieux au levant du lac. Elle fit cela pour mieux faire comprendre à
l'écrivain la direction du voyage de Jésus, et il vit avec
plaisir que beaucoup de ses indications étaient d'accord avec les
meilleures cartes. Vis-à-vis de Tarichée, dit-elle, à
une lieue dans l'intérieur des terres, se trouve Dalmanutha, située
sur une hauteur. On l'a à gauche quand on entre dans la vallée
de la petite rivière. à droite, au côté méridional
de la vallée, se trouve Gadara, placée sur une hauteur au-dessous
de laquelle un autre ruisseau s'unit au Hiéromax : la vallée
de celui-ci descend du nord derrière les montagnes placées
à l'est du lac et tourne à l'ouest vers le Jourdain. Les
montagnes au levant du lac forment plusieurs terrasses superposées.
Au point culminant on a une vue étendue sur les montagnes, le lac
et plusieurs villes. De cette hauteur en abaissant ses regards vers le
couchant, on voit dans un enfoncement Gergesa d'où part un ravin
qui aboutit au lac. Au delà du lac, au nord-ouest on voit Capharnaum
; si l'on regarde au nord, sur la rive orientale du Jourdain, on voit Bethsaïde-Juliade,
et en avant de celle-ci à peu de distance, dans la direction du
sud-est, Gerasa dominant une vallée qui descend au lac. un peu au
nord de Gerasa est le pays de Chorozaim. Au nord, par delà Gerasa,
on voit une arête élevée, se terminant par une haute
chaîne où se dressent de nombreux sommets et où il
y a beaucoup de bois et de rochers blancs ; c'est a l'ouest de cette chaîne
qu'est située Séleucie au bord du lac Mérom. Si de
la hauteur d'où j'ai vu tout cela, on regarde vers le midi, on voit
à son extrémité méridionale sur une sommité
escarpée la ville forte de Gamala, et au-dessous, à une lieue
au sud, autour d'une éminence, la ville où était allé
Jésus, et qui, si je ne me trompe, s'appelle Galaad. Galaad a une
position admirable ; la ville est étagée autour d'une hauteur.
On y voit des jardins s'élever en amphithéâtre par
dessus des temples et des maisons. Sur le point culminant s'élève
Gamala.
Cette prédiction se rapportait au Christ et aux démons
envoyés dans les pourceaux. Jésus parla à ses disciples
de ce qui l'attendait à Capharnaum. Il leur dit que les pharisiens
de Séphoris irrités de son enseignement sur le mariage avaient
envoyé à Jérusalem, que les habitants de Nazareth
avaient aussi porté des accusations contre lui et que toute une
troupe de pharisiens de Jérusalem, de Nazareth et de Séphoris,
avait été envoyée à Capharnaum, pour l'espionner
et lutter contre lui.
Aujourd'hui sur le chemin ils rencontrèrent de grands cortèges
de païens avec des mulets et des bœufs qui avaient des mufles épais,
de larges et fortes cornes, et qui marchaient la tête baissée.
Il y avait là des caravanes de commerce qui venaient de la Syrie
et de l'Arabie, et qui, arrivées dans la contrée de Gerasa,
s'embarquaient sur le lac ou passaient plus haut sur le pont du Jourdain.
Il s'y trouvait beaucoup de gens qui s'étaient adjoints à
ces caravanes pour entendre le prophète. Quelques troupes allaient
sur des chemins séparés, mais plusieurs personnes d'une troupe
vinrent à lui sur la route et lui demandèrent si le prophète
enseignait à Capharnaum. Il leur dit de ne pas aller pour le moment
à Capharnaum, mais de s'arrêter sur la pente de la montagne
au nord de Gerasa, où le prophète irait bientôt. La
manière dont il leur parla fit qu'ils lui dirent : "Seigneur, vous
aussi, vous êtes un prophète ! "et en le voyant ils furent
en doute s'il n'était pas celui qu'ils cherchaient.
Pendant ce voyage, un messager de la sainte Vierge vint trouver Jésus,
je ne sais plus bien dans quel endroit. Elle le faisait prier de venir
à Capharnaum et de délivrer la veuve Marie, que Marthe lui
avait amenée et qui était possédée d'un démon
muet. Je vis à cette occasion comment Marthe l'avait amenée
à la sainte Vierge et lui avait demandé son intercession.
La mère de Jésus jeta un regard sévère sur
cette malheureuse femme et la fit rester longtemps à une certaine
distance. Alors le repentir devint plus vif dans le cœur de la veuve et
elle l'implora en ces termes avec une grande abondance de larmes : " O
Mère du Prophète, priez votre Fils pour moi afin que je puisse
rentrer en grâce avec Dieu. "La Mère de Jésus, ayant
reconnu qu'elle était sincèrement repentante, envoya un messager
à son Fils. Mais Jésus le renvoya disant que la malade était
guérie maintenant et qu'il viendrait en temps opportun. Il la guérit
de loin comme le fils du centurion de Capharnaum. Au moment même
où il parlait ainsi, je vis la veuve tomber par terre comme morte
et les femmes la porter sur un lit : mais elle revint bientôt à
elle et se trouva complètement délivrée. Je crois
que précédemment déjà, pendant qu'elle exprimait
son repentir, d'autres démons étaient sortis d'elle. Marthe
et ses compagnes repartirent avec elle pour Béthanie, avant l'arrivée
de Jésus. Marthe l'établit dans un bâtiment voisin
de sa maison où elle avait déjà à demeure plusieurs
femmes qui préparaient des pièces d'habillement de toute
sorte pour les pauvres et pour les disciples. Elle vécut là
retirée dans la pénitence et le travail, et donna tout ce
qu'elle possédait à la communauté. Sa vie avait beaucoup
de rapports avec celle de Madeleine, sinon qu'elle avait été
mariée. Elle connaissait très bien Dina, la Samaritaine,
qui était, comme elle, de Damas.
(21 août.) Jésus vers le soir entra avec ses disciples
dans une hôtellerie, devant Gérasa. Il y avait là une
telle affluence de paiens et de voyageurs, que Jésus se retira aussitôt
à part : les disciples s'entretinrent du prophète avec les
païens et les instruisirent. Je crois confusément que Jésus
s'entretint encore ce soir avec un maître d'école juif. Gérasa
est située au penchant d'une vallée qui est a peu près
à deux lieues de l'extrémité septentrionale du lac,
et à une lieue et demie environ du lac lui-même. C'est une
ville plus grande et aussi plus propre que Capharnaum, Gérasa, comme
presque tous les lieux de cette contrée, a une population à
moitié païenne : il s'y trouve des temples. Les Juifs sont
la partie opprimée : ils ont toutefois une école et des maîtres.
Il y a ici beaucoup de commerce et d'industrie : car il y passe des caravanes
allant de Syrie et d'Asie en Egypte. J'ai vu devant la porte un bâtiment
long d'un demi quart de lieue, où l'on forge de longues barres de
fer et des tuyaux du même métal. On forgeait les barres à
plat, puis on les soudait ensemble circulairement : on fabriquait aussi
des tuyaux de plomb. On ne se servait pas de charbon de bois pour ces travaux,
mais on brûlait des masses noires qu'on tirait de terre. Il vient
ici du fer d'Argob, la patrie du prophète Agabus, car je vois qu'en
cet endroit le sol est ferrugineux : c'est un fond d'ocre jaune : je n'y
vis pas de mines.
Les païens qui passaient avaient planté leurs tentes au
nord de Gérasa, sur la pente méridionale du promontoire :
il y avait là aussi des païens de la ville, et quelques Juifs
qui se tenaient à part. Les païens étaient autrement
habillés que les Juifs : ils avaient des robes qui leur venaient
à mi jambe. Il devait y avoir parmi eux des gens riches, car je
vis des femmes qui étaient toutes coiffées de perles : quelques-unes
avaient au-dessus de leur voile les cheveux tressés avec des perles
et formant ensemble un petit réseau.
Jésus se rendit sur cette hauteur et il enseigna tout en gravissant
la montagne ; il passait le long des divers groupes, et s'arrêtait
tantôt ici, tantôt là. Il enseignait sous forme de conversation
avec les voyageurs. Il les interrogeait et laissait des réponses
instructives aux questions qu'ils lui adressaient eux-mêmes. Il leur
demandait : "D'où êtes-vous ? Quel est l'objet de votre voyage
? Qu'attendez-vous du prophète ? " Il leur enseignait ce qu'ils
avaient à faire, s'ils voulaient avoir part au salut. Il leur disait
: "Heureux ceux qui viennent chercher le salut, en faisant un voyage si
long et si pénible. Malheur à ceux parmi lesquels il se lève
et qui ne l'accueillent pas. n Il expliquait les prophéties sur
le Messie, la vocation des païens, et racontait la vocation et le
voyage des trois rois, etc. Ces gens en savaient quelque chose.
Il y avait parmi eux des gens du pays et de la ville où le serviteur
d'Abgare, roi d"Édesse, rapportant à son maître le
portrait de Jésus et sa lettre, avait passé la nuit près
d'une tuilerie. Jésus leur raconta différentes paraboles.
Il ne guérit pas de malades. Ces gens étaient pour la plupart
d'un bon naturel. Quelques-uns d'entre eux toutefois regrettaient d'être
venus : ils s'attendaient à toute autre chose de la part du prophète,
à quelque chose qui frappât davantage leur imagination.
Vers midi, Jésus alla avec les quatre disciples manger chez
un docteur juif de la secte des pharisiens, qui demeurait devant la ville.
Cet homme avait invité hier soir, ou ce matin, à venir chez
lui, mais il était trop orgueilleux pour assister aux instructions
que Jésus donnait aux paiens. D'autres pharisiens de la ville étaient
présents. Ils accueillirent Jésus avec une bienveillance
apparente, mais hypocrite, et il se présenta pendant le repas une
occasion de leur dire nettement la vérité. Un esclave ou
serviteur païen ayant apporté sur la table un beau plat de
couleurs varices, avec des gâteaux pétris d'épices
recherchées, et figurant des oiseaux, des fleurs et d'autres objets
du même genre, un des assistants fit grand bruit de ce que le plat
n'était pas propre, repoussa très grossièrement le
pauvre esclave, l"injuria et le renvoya parmi les autres serviteurs. Jésus
dit alors : " Ce n'est pas le plat, c'est ce qui est dedans qui est plein
d'impureté. "Le maître de la maison répondit que c'était
une erreur, que les gâteaux étaient très propres et
faits avec des ingrédients exquis "Jésus fit une réponse,
dont voici à peu près le sens : " Rien n'est plus impur,
car ce ne sont que des friandises pétries avec la soeur, le sang,
la moelle et les larmes des veuves, des orphelins et des pauvres. a Puis
il leur adressa des leçons sévères sur leurs intrigues,
leur prodigalité, leur cupidité et leur hypocrisie ils en
furent fort dépités : mais ils ne trouvèrent rien
à répliquer, et quittèrent la maison sauf le maître,
qui continuait à flatter hypocritement Jésus, parce qu'il
espérait découvrir quelque chose dont il put l'accuser devant
les pharisiens réunis à Capharnaum.
Vers le soir Jésus instruisit encore les Païens sur la
montagne. Ils lui demandèrent s'ils devaient se faire baptiser par
les disciples de Jean, et exprimèrent le désir de s'établir
ici dans le pays. Jésus leur conseilla d'attendre qu'ils fussent
mieux instruits pour recevoir le baptême, et d'aller d'abord de l'autre
côté du Jourdain, vers la haute Galilée, dans la contrée
d'Adama, où il y avait déjà des païens convertis
et des gens de bien, et où il devait enseigner de nouveau. Il leur
encore une instruction à la lueur des flambeaux, parce qu'il était
déjà tard, puis il les quitta.
(21-22 août.) Il se dirigea alors vers le nord-ouest, et franchissant
la montagne, il se rendit à l'endroit où les serviteurs de
Pierre l'attendaient avec une barque. Il descendit sur le bord du lac et
s'embarqua à une demi lieue à peu près au-dessous
de Bethsaide-Juliade, qui est entourée de murs comme une ville.
On était déjà à une heure avancée du
soir, et les trois mariniers qui étaient des esclaves païens
de Pierre avaient avec eux des lanternes à l'aide desquelles ils
se dirigeaient sur le lac. Jésus monta sur un petit navire que Pierre
et André avaient construit eux-mêmes pour Jésus avec
leurs serviteurs, car ils n'étaient pas seulement mariniers et pêcheurs,
ils construisaient en outre leurs barques eux-mêmes. Pierre en avait
trois, dont une était très grande, aussi longue qu'une maison.
La barque où était Jésus pouvait contenir environ
dix personnes : quant à la proportion entre la longueur et la largeur,
elle avait à peu près la forme d'un œuf. à l'avant
et à l'arrière était comme une cave fermée
où l'on pouvait déposer toutes sortes de choses, et même
se laver les pieds. Au milieu s'élevait le mât, contre lequel
venaient s'appuyer des perches partant du rebord de la barque. On pouvait
faire tourner par en haut la voile autour de ces perches. Des sièges
étaient adossés au mât. Plus tard Jésus enseigna
souvent sur cette barque : elle le fit souvent aborder au rivage en passant
au milieu des autres embarcations. Les grands navires avaient autour du
mat des plates-formes circulaires, comme des galeries superposées,
à travers lesquelles on pouvait voir ce qui se passait, et où
l'on pouvait se faire des niches séparées avec de la toile
à voiles. Les perches qui s'appuyaient aux mâts étaient
garnies d'échelons pour grimper ; des deux côtés du
navire étaient des caisses ou des tonnes flottantes, faisant l'effet
d'ailes ou de nageoires, en sorte que le bâtiment ne pouvait pas
chavirer dans la tempête : on les allégeait ou on en augmentait
le poids selon qu'on voulait que l'embarcation tirât plus ou moins
d'eau. Quelquefois elles étaient remplies d'eau, quelquefois vides
Elles servaient encore à conserver le poisson qu'on avait pris.
De l'avant et de l'arrière du navire on faisait sortir des planches
mobiles pour arriver plus facilement à ces caisses ou aux barques
voisines, et aussi pour tirer les filets. Quand on ne pêchait pas,
ces navires servaient à passer des caravanes ou des voyageurs d'un
bord du lac à l'autre. Les gens employés en sous-ordre à
la pêche et à la manœuvre étaient pour la plupart des
esclaves païens : Pierre aussi avait des esclaves.
Jésus débarqua au-dessus de Bethsaïde, non loin
de la maison des lépreux où Pierre, André, Jean, Jacques
le Majeur, Jacques le Mineur, Philippe, et un autre encore l'attendaient.
Il ne passèrent pas par Bethsaïde, mais prirent le chemin le
plus court qui passait devant l'extrémité septentrionale
de la ville, et franchissant le coteau, ils se rendirent à la maison
de Pierre dans la vallée entre Capharnaum et Bethsaide.
La mère de Jésus et les autres femmes étaient
dans cette maison. La belle-mère de Pierre était malade et
couchée. Jésus la visita, mais il ne la guérit pas
encore. On lui lava les pieds et il y eut un repas où l'on s'entretint
beaucoup de l'arrivée à Capharnaüm de quinze pharisiens
envoyés pour espionner Jésus par les principales écoles
de la Judée et de Jérusalem. Quelques endroits d'une certaine
importance en avaient envoyé chacun deux : il n'y en avait qu'un
de Séphoris ; le jeune homme de Nazareth qui, à plusieurs
reprises, avait prié Jésus de le prendre avec lui et qu'il
avait encore refusé récemment, était maintenant adjoint
en qualité de scribe à cette commission. Il s'était
marié peu de temps auparavant, et Jésus dit à ses
disciples : " voyez qui vous m'aviez recommandé ! Il vient pour
m'espionner et il voudrait être mon disciple!" Ce jeune homme avait
voulu se joindre à Jésus par vanité, et parce qu'il
n'avait pas été accueilli par lui, il se rangeait maintenant
parmi ses ennemis. Ces pharisiens devaient séjourner un certain
temps à Capharnaum. De ceux qui étaient arrivés par
couples, l"un devait revenir et faire son rapport, l'autre rester à
Capharnaum pour surveiller les actes et les enseignements de Jésus
Ils avaient déjà eu une réunion où ils avaient
fait venir le centurion Zorobabel qu'ils avaient interrogé ainsi
que plusieurs autres personnes sur les guérisons opérées
par le Sauveur et les enseignements donnés par lui. Ils ne pouvaient
pas nier les guérisons ni rejeter la doctrine : toutefois ils n'étaient
jamais satisfaits, quoi qu'il arrivât. Ils se scandalisaient de ce
que Jésus n'étudiait pas chez eux, de ce qu'il frayait avec
des gens du commun, Esséniens, pêcheurs, publicains, etc.,
de ce qu'il n'avait pas de mission de Jérusalem, de ce qu'il ne
leur demandait pas conseil comme à des savants, de ce qu'il n'était
ni pharisien, ni sadducéen, de ce qu'il avait enseigné chez
les samaritains et guéri le jour du sabbat. En un mot ils le trouvaient
en faute, parce qu'ils n'auraient pu lui rendre justice sans avoir à
se mépriser eux-mêmes. Le jeune homme de Nazareth était
surtout un ennemi acharné des Samaritains qu'il persécutait
de toutes les manières.
Les amis et parents de Jésus désiraient qu'il n'enseignât
pas à Capharnaum le jour du sabbat ; sa mère elle-même
était inquiète et disait qu'il ferait mieux d'aller encore
sur l'autre rive du lac. Dans ces occasions, Jésus répondait
brièvement et se refusait à ce qu'on lui demandait sans donner
d'explications.
Il était venu à Bethsaïde, et aussi a Capharnaüm,
une foule de malades, de païens et de juifs. Plusieurs troupes de
voyageur3 qui l'avant-veille avaient rencontré Jésus de l'autre
côté du lac l'attendaient ici. Prés de Bethsaïde.
Il y avait de grandes hôtelleries couvertes avec des toits de roseaux,
où païens et juifs logeaient séparément ; au-dessus
de cet endroit, se trouvaient des bains pour les païens, au-dessous
d'autres bains pour les juifs.
Pierre avait reçu beaucoup de malades juifs dans l'intérieur
de sa maison, et Jésus en guérit plusieurs ce matin. Il avait
dit hier soir à Pierre, qu'il devait pour aujourd'hui laisser là
sa pêche et l'aider à pêcher des hommes, que bientôt
il l'appellerait définitivement. Pierre obéit, mais cela
le mettait un peu dans l'embarras. Il avait toujours la pensée que
vivre avec le Seigneur était quelque chose de trop relevé
pour lui, que c'était au-dessus de sa portée. Il croyait,
il voyait les miracles, il s'ouvrait volontiers, faisait ce qui lui était
demandé : mais il s'imaginait qu'il n'était pas fait pour
cela, qu'il était trop simple, qu'il n'en était pas digne
; à cela se joignait une secrète inquiétude touchant
ses affaires privées. Souvent aussi il était fatigué
des reproches injurieux qui lui étaient adressés sur ce qu'un
simple pêcheur comme lui allait partout avec le prophète,
faisait de sa maison an foyer de fanatisme et de rébellion, laissait
ses affaires en souffrance. Il y avait en lui un combat intérieur,
car alors il n'était pas aussi plein d'ardeur et d'enthousiasme
qu'André et les autres. Il était pourtant plein de foi et
d'amour, mais en outre il était humble, timide, ne connaissait que
son métier et ne demandait pas mieux que de s'y tenir en toute simplicité.
Jésus alla de la maison de Pierre à l'extrémité
septentrionale de Bethsaide. Tout le chemin était couvert de malades
païens et juifs, toutefois ils étaient séparés
les uns des autres et les lépreux se tenaient à part à
une grande distance. Il y avait des aveugles, des paralytiques, des muets,
des sourds, des goutteux et particulièrement beaucoup de Juifs hydropiques.
Les guérisons se firent aujourd'hui avec plus d'ordre et de solennité
que dans d'autres occasions antérieures. La plupart des malades
étaient ici depuis deux jours, et les disciples du pays, André,
Pierre et les autres auxquels Jésus avait annoncé son arrivée,
les avaient placés commodément suivant les instructions qu'il
leur avait données d'avance : il y avait sur cette route plusieurs
massifs de verdure isolés et quelques petits jardins Jésus
enseigna et exhorta les malades qu'on portait ou qu'on amenait par troupes
autour d"eux. Plusieurs demandaient à lui confesser leurs fautes,
et il se retirait à l"écart avec eux. Je les voyais s'agenouiller
devant lui, confesser leurs fautes et pleurer. Parmi les païens, il
y en avait plusieurs qui s'étaient rendus coupables de vols et de
meurtres dans leurs voyages. Il en laissait quelques-uns couchés
par terre pendant un certain temps, allait d'abord aux autres, puis revenait
à eux et leur disait : " Lève-toi ; tes péchés
te sont remis' "Parmi les Juifs il y avait des adultères et des
usuriers. Quand il les voyait sincèrement repentants et leur avait
prescrit la restitution, il priait avec eux, leur imposait les mains et
les guérissait. Il ordonna à plusieurs de se purifier en
prenant un bain. Il envoya un certain nombre de paiens au baptême
ou vers les païens convertis de la haute Galilée. Les troupes
passaient l'une après l'autre devant lui, et les disciples maintenaient
l'ordre. Aujourd'hui je ne vis pas d'enfants en bas âge, hier près
de Gérasa, il y avait des femmes païennes avec des enfants
tout petits et d'autres un peu plus grands.
Jésus passa ensuite par Bethsaïde où il y avait
foule comme à un grand pèlerinage. Je le vis aussi guérir
dans différentes hôtelleries et sur la route. Après
cela il se rendit dans la maison d'André où une collation
était préparée. Je vis ici des enfants, la belle-fille
de Pierre, âgée d'environ dix ans, avec d'autres jeunes filles
de son âge, deux autres d'à peu prés dix et huit ans,
et un petit garçon d'André, qui avait une robe jaune avec
une ceinture. Il y avait avec eux des femmes âgées. Ils se
tenaient sous un hangar de la maison et parlaient du prophète ;
ils demandaient s'il viendrait bientôt, et couraient ça et
là regardant s'il arrivait. On les avait amenés là
pour le voir, car d'ordinaire les enfants étaient tenus très
à l'écart. Jésus en passant les regarda et les bénit.
Je le vis ensuite revenir à la maison de Pierre et guérir
en chemin beaucoup de gens : il a bien guéri aujourd'hui une centaine
de personnes, leur a remis leurs péchés et leur a. donné
des instructions sur ce qu'ils auront à faire à l'avenir.
J'ai vu encore aujourd'hui qu'il y avait une grande diversité
dans la manière dont Jésus opérait ses guérisons
: vraisemblablement, il procédait ainsi pour montrer aux disciples
comment eux-mêmes plus tard et l'Eglise jusqu'à la fin des
temps auraient à agir en pareil cas. Dans toute sa manière
d'agir, les choses se passaient d'une façon simple et naturelle
; il n'y avait rien de prestigieux, pas de métamorphoses soudaines.
Je vis dans toutes les guérisons certaines transitions conformes
à la nature des maladies et des péchés. Je vis tous
ceux sur lesquels il priait ou auxquels il imposait les mains rester calmes
et recueillis pendant quelques moments : leur guérison était
précédée comme d'une légère défaillance.
Les paralytiques se relevaient doucement, se prosternaient devant lui,
et se trouvaient guéris, mais ce n'était qu'au bout d'un
certain temps que les membres recouvraient toute leur force et toute leur
souplesse : chez quelques- uns, après quelques heures, chez d"autres
après quelques jours, etc. Je vis des hydropiques qui pouvaient
se traîner près de lui, d'autres qu'il fallait porter. Il
leur mettait la plupart du temps la main sur la tète et sur l'estomac.
Aussitôt après qu'il avait parlé, ils étaient
en état de se lever et de marcher, ils se sentaient tout allégés
et l'eau s'en allait par les sueurs. Des lépreux perdaient leurs
écailles tout de suite après leur guérison, mais il
leur restait des taches rouges aux endroits que la lèpre avait atteints.
Ceux qui recouvraient la vue, l'ouïe, la parole, se ressentaient encore
au commencement d'avoir été longtemps privés de l'usage
de ces sens. Je le vis guérir des gens enflés par la goutte
: ils n'avaient plus de douleurs et pouvaient marcher ; mais l"enflure
ne disparaissait pas à l'instant même : elle ne s'en allait
que peu à peu, quoique très promptement. Les gens affligés
de convulsions en étaient délivrés sur-le-champ :
les fièvres s'en allaient, mais les malades ne se trouvaient pas
immédiatement frais et dispos : leur guérison était
comme celle d'une plante flétrie qui reverdit, arrosée par
la pluie. Les possédés ordinairement perdaient connaissance
pendant quelques instants : en revenant à eux, ils se sentaient
délivrés, mais fatigués, quoiqu'avec je visage reposé.
Tout procédait avec ordre et tranquillité, et les prodiges
de Jésus n'avaient rien qui pût effrayer personne, si ce n'est
les incrédules et ses ennemis.
Les païens qui étaient venus ici y avaient été
poussés pour la plupart par des gens qui avaient été
au baptême et à la prédication de Jean, et aussi par
d'autres païens de la haute Galilée et des autres endroits
où Jésus avait enseigné et guéri : ils avaient
un vif désir d'être instruits. Plusieurs avaient reçu
le baptême de Jean, d'autres ne l'avaient pas reçu. Jésus
ne leur prescrivait pas la circoncision : quand ils l'interrogeaient à
ce sujet, il parlait de la circoncision du cœur et de tons les sens. Il
leur donnait des règles de conduite, il leur enseignait l'amour
du prochain, la tempérance, le détachement ; leur ordonnait
de garder les dix commandements, leur apprenait les diverses parties d'une
prière à réciter : c'était comme les demandes
du Pater, prises à part. Il leur disait en outre qu'il leur enverrait
ses disciples et je vis en effet les disciples aller principalement chez
des gens comme ceux-ci.
(23 août.) Hier soir, déjà, je vis à Bethsaïde
et à Capharnaum, déployer sur la synagogue et sur d'autres
édifices publics, des étendards avec des noeuds et des guirlandes
de fruits, parce que le dernier jour du mois d'Ab commence et que ce soir,
le mois d'Elul s'ouvre avec le sabbat. Jésus guérit encore
ce matin plusieurs Juifs malades à Bethsaide : il mangea chez Pierre,
et alla ensuite avec les disciples dans la maison que celui-ci possède
en avant de Capharnaum, tout près de la ville. Les femmes s'y étaient
rendues d'avance et beaucoup de malades l'y attendaient. Il y avait là
deux sourds auxquels Jésus mit les doigts dans les oreilles On en
amena deux autres qui pouvaient à peine marcher, dont les bras étaient
raides et immobiles et dont les mains étaient très enflées.
Jésus posa la main sur eux, fit une prière, leur prit les
deux mains auxquelles il fit faire un mouvement de haut en bas et ils furent
guéris. L'enflure ne disparut pas à l'instant, mais peu à
peu, dans l'espace de deux heures.
Il les exhorta à employer dorénavant leurs mains au service
de Dieu, car c'était à cause de leurs péchés
qu'ils étaient dans cet état. Il en guérit encore
plusieurs, puis il alla dans la ville pour le sabbat. Il s'y trouvait une
foule innombrable et l'on avait fait sortir les possédés
du lieu où ils étaient renfermés. Ils couraient au-devant
de lui dans les rues et le poursuivaient de leurs cris. Il leur ordonna
de se taire et de s'éloigner ; alors, au grand étonnement
de tous, ils le suivirent tranquillement à la synagogue et écoutèrent
ses enseignements. Les pharisiens et notamment les quinze qui étaient
nouvellement arrivés étaient assis autour de sa chaire :
on l'accueillit avec un respect simulé qui cachait une véritable
frayeur. On lui donna les Écritures et il prit pour texte un passage
d'Isaïe (XLIX), disant que Dieu n'avait pas oublié son peuple
Je me souviens qu'il y était dit que quand même une mère
oublierait son enfant, Dieu pourtant n'oublierait pas son peuple. Il lut
ce passage et les suivants, puis il les expliqua, disant que Dieu ne pouvait
pas être empêché par l'impiété des hommes
d'avoir pitié des délaissés ; que le temps dont le
prophète parle était venu, que Dieu avait toujours les yeux
fixés sur les murs de Sion. Maintenant le moment était arrivé
où les démolisseurs devaient s'enfuir et où les architectes
devaient venir. Dieu allait en rassembler un grand nombre pour orner son
sanctuaire. Beaucoup devaient être bons et pieux ; les bienfaiteurs
et les guides du pauvre peuple devaient être si nombreux que la synagogue
stérile s'écrierait : Qui m'a engendré ces enfants
? Les païens devaient se convertir à l'Eglise, les rois être
ses serviteurs. Le Dieu de Jacob devait les enlever au pouvoir de l'ennemi,
les tirer des mains de la synagogue pervertie et faire en sorte que ceux
qui s"attaqueraient au Sauveur comme des meurtriers, tourneraient leur
fureur les uns contre les autres et s'extermineraient mutuellement (Isaie,
L, 1, etc.). Il appliqua ce texte à la ruine de Jérusalem,
qui devait périr si elle n"accueillait pas le royaume de la grâce.
Demandez à Dieu s'il s'est séparé de la synagogue,
s'il l'a répudiée, s'il a vendu son peuple ! Oui, ils sont
vendus à cause de leurs péchés, la synagogue est abandonnée
à cause de ses prévarications. Il a appelé et averti,
personne n'a répondu. Mais Dieu est tout-puissant, il peut ébranler
le ciel et la terre. Jésus appliqua tout cela à son temps.
Il prouva que tout était accompli. Il dit que le Père l'avait
envoyé pour annoncer et pour apporter le salut, pour rassembler
ceux qui étaient délaissés et égarés
par la synagogue ; puis il cita comme s'appliquant à lui-même
le passage où il est dit : " Dieu le Seigneur m'a donné une
langue savante afin que je puisse ramener les délaissés,
les égarés ; il m'a ouvert les oreilles de bonne heure pour
écouter ses préceptes et je ne l'ai point contredit. "Lorsque
Jésus dit cela, les pharisiens prirent ses paroles dans un sens
tout grossier comme s'il se fût glorifié lui-même.
Quoiqu'ébranlés par son discours et se disant les uns
aux autres après l'instruction : "Jamais prophète n'a enseigné
de la sorte : "ils se mirent pourtant à chuchoter entre eux. Il
appliqua ensuite ce que dit le prophète : qu"il a travaillé
et souffert pour eux, qu'il s'est laissé frapper au visage et fouetter,
à la persécution qu'il subissait déjà et qu'il
aurait encore à subir. Il parla des mauvais traitements qu'il avait
soufferts à Nazareth : il ajouta que tous ses ennemis passeraient
et tomberaient avec leur doctrine ; car leur juge allait venir à
eux. Ceux qui avaient la crainte de Dieu devaient écouter sa voix,
les ignorants qui marchaient dans les ténèbres invoquer Dieu
et espérer ! Le jugement était proche et alors ceux qui avaient
allumé le feu seraient anéantis (Isaie, L, II). Il appliqua
encore cela à la ruine du peuple juif et de Jérusalem.
Ils ne pouvaient rien lui répondre et ils l'écoutaient
en silence, seulement ils chuchotaient ensemble d'un air moqueur et pourtant
tous étaient entraînés et remues. Il expliqua ensuite
un passage de Moïse, mais cela vient toujours en dernier lieu. Il
termina par une parabole qu'il adressa plus directement à ses disciples
et aussi au jeune scribe de Nazareth qui avait agi traîtreusement
à son égard. C'était la parabole des talents confiés
par le maître, allusion aux connaissances dont ce jeune homme était
si vain. Il en ressentit intérieurement une grande confusion, mais
il n'en devint pas meilleur. Jésus ne raconta pas tout à
fait cette parabole comme elle est dans l'Evangile, mais d"une façon
assez analogue.
Il guérit encore dans la rue devant la synagogue, puis il se
rendit dans la maison de Pierre, située devant la porte. Nathanaël
Khased, Nathanaël le fiancé et Thaddée étaient
venus de Cana pour ce sabbat. Thaddée venait souvent ici : d'habitude
il allait ça et là dans le pays, car il faisait le commerce
de filets de pêche, de toile à voiles, de cordages, etc.
La maison se remplit encore de malades pendant la nuit. Il s'y trouvait
plusieurs femmes affligées de pertes de sang, qui se tenaient à
part : on lui en conduisit quelques-unes : d'autres étaient portées
par des femmes sur une civière, tout enveloppées de linges.
Elles paraissaient pâles et souffrantes, et avaient, depuis longtemps,
un vif désir d'être secourues par lui. Je le vis cette fois
leur imposer les mains et les bénir, puis il fit dégager
de leurs enveloppes celles qui étaient couchées et leur commanda
de se lever. Elles s'aidaient les unes les autres. Il leur donna des avis
et les congédia.
On prit encore une petite collation, comme de coutume, et il s'entretint
de nouveau avec ses disciples. Lorsqu'ils furent allés se coucher,
il se retira à part pour prier pendant la nuit.
Les pharisiens, venus à Capharnaum pour l'espionner, n'avaient
pas fait connaître publiquement le but de leur mission, ils avaient
seulement interrogé en secret le centurion Zorobabel. Ils s'étaient
arrêtés là sous prétexte du sabbat que bien
des Juifs allaient célébrer ailleurs que chez eux, et surtout
dans les endroits où se trouvait un docteur célèbre
; en outre, beaucoup de personnes viennent dans la contrée de Génésareth
pour se reposer de leurs occupations et jouir de la beauté et de
la fertilité du pays.
(24 août.) Jésus alla de très grand matin à
Capharnaum ; une foule innombrable, dans laquelle étaient beaucoup
de malades, s'était rassemblée devant la synagogue. Il guérit
plusieurs personnes. Lorsqu'il entra dans la synagogue où, pendant
ce temps, les pharisiens s'étaient rassemblés, plusieurs
possédés vinrent à sa rencontre en poussant des cris,
et l'un d'eux, qui était des plus furieux, courut vers lui et s'écria
: " Qu'y a-t-il entre nous et toi, Jésus de Nazareth ? Tu viens
pour nous perdre ! Je le sais, tu es le Saint de Dieu ! ,' Jésus
lui ordonna de se taire et de s'éloigner. Cet homme se rejeta vivement
en arrière parmi les autres et il se débattit un peu : après
quoi le démon sortit de lui : il redevint calme et se jeta aux pieds
de Jésus. Alors beaucoup de gens, et notamment les disciples, dirent,
au grand scandale des pharisiens qui les écoutaient : "Qu'est-ce
donc que ce nouvel enseignement? Qui peut-être celui-ci qui a pouvoir
sur les esprits immondes?"
Il y avait une affluence si extraordinaire et une telle quantité
de malades dans la synagogue et à l'entour, que Jésus fut
obligé de prêcher à une place d'où l'on allait
vue non seulement dans l'intérieur, mais encore dans le vestibule
tout rempli d'auditeurs. Les pharisiens se tenaient autour de lui dans
la synagogue, et il adressait son enseignement au peuple qui était
dehors et vers lequel il se tournait souvent. Les salles qui entouraient
la synagogue étaient ouvertes, et il y avait autour de la cour des
édifices avec des degrés sur lesquels on se tenait pour écouter
et d'où l'on pouvait aller dans le vestibule en descendant par l'autre
côté. Au-dessous étaient des cellules et des chambres
pour les pénitents et les gens qui voulaient prier. Tout était
plein d'auditeurs, et, à certaines places, plein de malades.
Jésus prêcha encore sur des textes d'Isaïe : il parla
avec beaucoup de chaleur et il appliqua tous les passages du prophète
à l'époque présente et à lui-même.
Il dit que les temps étaient accomplis, et que le royaume de
Dieu était proche. Ils n'avaient cessé, disait-il, de soupirer
après l'accomplissement des prophéties, d'implorer le prophète
et le Messie, qui devait les soulager de leurs fardeaux, mais quand il
viendrait, ils ne voudraient pas de lui parce qu'il ne répondrait
pas aux idées fausses qu'ils s'en faisaient. Il énuméra
ensuite les signes de l"avènement du prophète, signes qu'ils
désiraient si vivement voir paraître, qui se trouvaient marqués
dans les Ecritures qu'ils lisaient dans leurs écoles, et qu'ils
appelaient de leurs prières : il leu r montra que tout était
accompli. a Les boiteux marcheront, dit-il, les aveugles verront, les sourds
entendront. Or, cela n'a-t-il pas lieu ? Que signifie cette affluence de
paiens qui veulent être instruits ? Que crient les possédés
? Pourquoi les démons s'en vont-ils ? Pourquoi tant de malades guéris
rendent-ils grâces à Dieu ? N'est-il pas persécuté
par les corrupteurs ? N'est-il pas entouré d'espions ? Ils chasseront
et mettront a mort le fils du maître de la vigne, mais que leur en
reviendra-t-il ? Si vous ne voulez pas recevoir te salut, Il ne doit pourtant
pas se perdre, et vous ne devez pas y faire obstacle pour les pauvres,
les malades, les pécheurs, les publicains, les pénitents,
les païens eux-mêmes vers lesquels il ira en se détournant
de vous. C'était à peu près en ces termes qu'il parlait.
Il dit encore : "Vous reconnaissez comme prophète Jean qu'ils ont
emprisonné : allez à lui dans sa prison, demandez-lui pour
qui il a préparé les voies et de qui il rend témoignage.'
Pendant qu'il parlait ainsi, la rage des pharisiens allait toujours croissant,
ils ne cessaient de chuchoter entre eux et de murmurer.
Or, pendant qu'il prêchait, huit hommes à moitié
infirmes en traînèrent quatre autres affligés d'une
maladie impure dans le vestibule de la synagogue, à une place où
ils pouvaient voir Jésus et entendre ce qu'il disait. C'étaient
des gens considérables de Capharnaum. à cause de leur maladie,
ils ne pouvaient être introduits que par un côté qui
était envahi par la foule, et pour ce motif les autres qui les conduisaient
durent faire ranger ceux qui étaient sur des grabats de l'autre
côté d'un ouvrage en maçonnerie et se faire faire place
à travers les gens qui se retiraient devant eux parce qu'ils étaient
impurs. Lorsque les pharisiens virent cela, ils se scandalisèrent,
et murmurèrent contre ces gens, comme contre des pécheurs
publics atteints d'une maladie impure, et se plaignirent hautement d'un
désordre à la faveur duquel des hommes de cette sorte osaient
venir dans leur voisinage. Comme ces propos, passant par la bouche du peuple,
arrivaient jusqu'aux malades, ils en furent très contristés,
et craignirent que Jésus, instruit de leurs péchés,
ne voulût pas les guérir. Ils étaient du reste pleins
de repentir et soupiraient après lui depuis longtemps. Lorsque Jésus
entendit ces murmures des pharisiens, il se tourna, tout en parlant, du
côté du vestibule où se tenaient ces malades, et cela,
au moment même où ils s'étaient sentis si découragés.
Il les regarda gravement et affectueusement, et leur cria : " Vos péchés
vous sont remis ! " Alors ces pauvres gens fondirent en larmes et les pharisiens
murmurèrent avec plus d'aigreur : "Comment ose-t-il tenir ce langage"
Comment peut-il remettre les péchés, "Mais il leur dit :
" Suivez-moi et voyez ce que je fais : pourquoi vous scandalisez-vous de
ce que j'accomplis la volonté de mon Père ? Si vous ne voulez
pas du salut, au moins ne l'enviez pas à ceux qui se repentent.
Vous vous scandalisez de ce que je guéris le jour du sabbat : est-ce
que la main du Tout-Puissant cesse le jour du sabbat de faire le bien et
de punir le mal ? est ce qu'il cesse ce jour-là, de nourrir, de
guérir, de bénir ? Ne vous envoie-t-il pas des maladies,
ne vous laisse-t-il pas mourir le jour du sabbat ? Ne vous scandalisez
pas que le Fils fasse le jour du sabbat la volonté et les œuvres
de son Père. "Quand il fut arrivé près des malades,
il fit ranger les pharisiens assez loin d'eux et leur dit : "Restez ici,
car ils sont impurs pour vous, pour moi ils ne le sont pas ; car leurs
péchés leur sont remis : et maintenant dites-moi s'il est
plus difficile de dire à un pécheur repentant : Tes péchés
te sont remis, que de dire à un malade : Lève-toi et emporte
ton lit ? ils ne trouvèrent rien à répondre, alors
Jésus s'approcha des malades, leur mit successivement la main sur
la tête, fit sur eux une courte prière, les releva en leur
prenant les mains : puis il leur ordonna de remercier Dieu, de ne plus
pécher et d'emporter leurs lits. Ils se levèrent sur leur
séant tous les quatre ; les huit qui les avaient portés et
qui, eux aussi, étaient assez infirmes, recouvrèrent toutes
leurs forces ; ils aidèrent les autres à se débarrasser
des couvertures qui les enveloppaient, et ceux-ci parurent seulement un
peu fatigués et étonnés : ils rassemblèrent
les bâtons de leurs litières, qu'ils mirent su r leurs épaules
: puis tous les douze s'en allèrent joyeux à travers la foule
émerveillée et transportée d'allégresse et
ils chantaient : " Loué soit le Seigneur, le Dieu d'Israël
: il a fait en nous de grandes choses, il a eu pitié de son peuple
et nous a guéris par son prophète."
Cependant les pharisiens, pleins de dépit et couverts de confusion,
s'en allèrent sans prendre congé. Ils étaient scandalisés
de tout ce qu'il faisait j de ce qu'il ne jugeait pas comme eux, de ce
qu'ils n'étaient pas à ses yeux les justes, les sages, les
élus, de ce qu'il frayait avec des gens qu'ils méprisaient.
Ils avaient mille objections à faire : ils lui reprochaient de ne
pas observer exactement les jeûnes, d'aller avec des pécheurs,
des paiens, des Samaritains et toute sorte de gens de bas étage,
d'être lui-même de basse extraction, de laisser trop de liberté
à ses disciples et de ne pas les tenir suffisamment en respect :
en un mot, rien n'était à leur gré et pourtant ils
ne trouvaient rien à lui répondre, ils ne pouvaient nier
sa sagesse et ses miracles surprenants, mais ils s'engageaient toujours
plus avant dans la voie de la haine et de la calomnie. Quand on considère
ainsi la vie de Jésus, on reconnaît que le peuple juif et
ses prêtres étaient alors ce que beaucoup de gens sont aujourd'hui
: si Jésus venait maintenant, il lui arriverait encore pis avec
bien des docteurs et avec la police.
La maladie de ces gens qui venaient d'être guéris, était
un écoulement impur : il en était résulté un
état de consomption, d'amaigrissement général et de
paralysie des membres, comme s'ils eussent été frappes d'apoplexie.
Les huit autres étaient en partie paralysés d'un côté.
Les lits se composaient de deux perches avec des pieds et une barre transversale.
Au milieu était tendue une natte ; on roulait le tout ensemble et
on l'emportait sur ses épaules, comme une couple de perches. Il
y avait quelque chose de singulièrement touchant à voir ces
gens passer, en chantant, à travers le peuple.
Jésus sans s'arrêter plus longtemps gagna la porte de
la ville avec les disciples et s'en alla en longeant la montagne à
la maison de Pierre près de Bethsaide ; car on l'avait fait prier
de venir en toute hâte parce qu'on croyait que la belle-mère
de Pierre allait mourir. Sa maladie s'était fort aggravée
et elle avait une fièvre ardente. Jésus alla tout droit dans
sa chambre. Il y avait d'autres personnes avec lui, parmi lesquelles était,
je crois, la fille de Pierre. Il vint auprès du lit de la malade,
du coté où reposait sa tête. et il se pencha sur la
couche. Il lui dit quelques paroles, puis il lui mit la main sur la tête
et sur la poitrine ; et le calme lui revint avec le complet usage de ses
facultés. Alors debout devant elle, il la prit par la main, la releva
sur son séant et dit : "Donnez-lui à boire." La fille de
Pierre lui donna à boire dans un vase qui avait la forme d'un navire.
Jésus bénit le breuvage : il lui ordonna de se lever et elle
se leva de sa couche qui était très basse. Elle avait la
partie inférieure du corps toute enveloppée et avait encore
par là-dessus une grande robe de chambre. Elle se débarrassa
des linges qui l'entouraient, descendit du lit et remercia le Seigneur,
ce que fit aussi toute la maison.
Ils se mirent ensuite à table et la malade, entièrement
revenue à la santé, les servit avec d'autres femmes. Il pouvait
être midi lorsqu'elle fut guérie et deux ou trois heures lorsqu'ils
mangèrent.
Après le repas Jésus accompagné de Pierre, d'André,
de Jacques, de Jean et de plusieurs autres disciples, alla se promener
au bord de la mer, à l'endroit où était la pêcherie
de Pierre ; il les enseigna et insista principalement sur ce que bientôt
ils auraient à quitter tout à fait leur travail pour le suivre.
Pierre devint alors tout soucieux. Il se jeta aux pieds de Jésus
et le pria d'avoir égard à son ignorance et à sa faiblesse
et de ne pas exiger de lui qu'il se mêlât de choses si importantes
: il n'en était pas digne, disait-il. et n'était pas en état
d'enseigner les autres. Jésus répondit qu'ils ne devaient
pas se préoccuper des choses de ce monde et que celui qui donnait
la santé aux malades leur donnerait aussi la nourriture avec la
force nécessaire pour faire ce dont ils seraient chargés.
Les autres éprouvaient un grand contentement : Pierre seul dans
son humilité et sa simplicité ne pouvait pas comprendre que,
de pêcheur, il pût devenir docteur. Ce n'était pas encore
là la vocation des apôtres rapportée dans l'Evangile.
Celle-là n'a pas encore eu lieu. Cependant Pierre a déjà
presque entièrement remis ses affaires entre les mains de Zébédée.
Après cette promenade au bord de la mer, Jésus revint à
Capharnaum et trouva une énorme quantité de malades devant
la ville autour de la maison de Pierre. Il en guérit plusieurs et
enseigna encore dans la synagogue.
Mais comme la presse devenait toujours plus grande, Jésus se
retira sans être aperçu : il gagna, près de la synagogue,
le jardin placé dans un ravin où, l'année précédente,
après le sabbat du 30 kisleu (29 décembre) il s'était
retiré avec plusieurs disciples ; il arriva par là à
une gorge sauvage d'un aspect très agréable qui s'étend,
au midi de Capharnaum, entre la demeure de Zorobabel et un petit village
qu'habitent ses serviteurs et ses ouvriers. Dans cette gorge il y avait
de belles grottes, des bosquets, des sources et des plantes de toute espèce
: on y conservait en outre beaucoup d'oiseaux et des animaux rares apprivoisés.
C'était une solitude artistement arrangée, appartenant à
Zorobabel, mais qui du reste était à l'usage du public Jésus
y passa la nuit en prière : ses disciples ne savaient pas où
il était. Les gens qui étaient à Capharnaum partirent,
les uns le soir, les autres le matin. On faisait alors la seconde
QUATORZIÈME CHAPITRE.
Jésus aux bains de Béthulie, à Jotapat, à
Dothaim et à Gennabris.
(Du 25 août au 1er septembre 1821.)
Jésus quitte Capharnaum et se rend aux bains de Béthulie. - Jésus à Jotapat. - Fête de la moisson à Dothaim. - Jean-Baptiste. - Jésus à Gennabris.
(25-27 août.) Jésus passa toute la nuit seul, en prière,
dans l'agréable solitude située derrière la demeure
du centurion Zorobabel. Pierre et d'autres disciples vinrent le trouver
de bon matin et lui dirent que beaucoup de malades réclamaient encore
son secours. Il répondit que pour le moment il devait aller plus
loin, qu'il reviendrait pour le prochain sabbat, si je ne me trompe, et
que jusque-là ils devaient continuer à exercer tranquillement
leur profession. Il les chargea d'envoyer Parménas, Saturnin, Aristobole
et Tharzissus à un certain endroit où il devait les rejoindre
aujourd'hui. Alors ils le quittèrent et il se mit seul en route.
Il suivit la vallée dans la direction du sud-ouest comme s'il eût
voulu aller à Magdalum. Il guérit deux lépreux en
passant par le petit village de Zorobabel, puis il continua son chemin.
Note : Ses souffrances lui firent oublier ce détail, qu'elle
ne communiqua que le 14 novembre, lorsque ces gens remercièrent
Jésus de leur guérison. On l'a intercalé ici.
Je l'ai vu pendant cette journée marcher, se reposer et se réunir
à ses quatre disciples. Il leur donna divers enseignements, tout
à fait dans le genre de ceux qu'il donna la dernière fois
en venant de Nazareth. J'étais si malade que j'en ai oublié
la plus grande partie. Il fit aujourd'hui cinq ou six lieues dans diverses
directions. Il fit le tour de la hauteur qui domine la vallée où
se trouve Magdalum : il laissa cet endroit à sa gauche à
deux lieues à l'est : Magdalum est située dans la vallée
au nord d'une montagne. Sur la pente méridionale de cette même
montagne se trouve, entourée de bois et de vallées, une ville
singulière : elle a un nom étrange, il me semble que ce n'est
pas un vrai nom de lieu et que je me suis méprise : cela a l'air
d'une plaisanterie : je crois qu'elle s'appelle Jotapata. Jésus
n'y était pas encore allé : je vis ce pays à vol d'oiseau.
Je croyais d'abord que Jésus irait à Gennabris, qui est située
entre des montagnes, à environ huit lieues à l'ouest de Tibériade,
mais il n'y alla pas aujourd'hui. Je le vis arriver par le côté
septentrional de la vallée, à un endroit où j'ai remarqué
récemment un joli lac et des bains. C'est la fontaine de Béthulie
ou Béthuel qui est située vers le midi de cette vallée,
et plus éloignée d'environ deux lieues dans la montagne.
Cana est à une lieue plus à l'ouest dans la vallée
au-dessous de Béthuel. Ce bain et cette vallée qui est un
lieu de plaisir dépendent de Béthulie. Beaucoup de gens considérables
et riches de la Galilée et aussi de la Judée ont ici des
maisons de plaisance et des jardins qu'ils habitent dans la belle saison.
Au midi du lac, sur la pente septentrionale des hauteurs de Béthuel,
il y a des groupes de maisons et des eaux thermales. Celles qui sont au
levant sont plus chaudes, celles qui sont au couchant plus tièdes.
Il y a un grand bassin commun à l'usage des baigneurs, et tout autour
des enceintes de toiles, où l'on a des baignoires séparées,
et d'où l'on peut, si l'on veut, se réunir dans le grand
bassin. On trouve ici plusieurs hôtelleries, on peut aussi louer
pour un temps des maisons particulières avec des jardins et l'on
a tout le reste gratuitement. La recette profite à Béthanie
et sert à entretenir l'ensemble de l'établissement. Le lac
lui-même a une eau singulièrement pure et transparente à
travers laquelle on voit le fond parsemé de beaux cailloux blancs.
Il est formé par un cours d'eau qui vient du couchant et qui au
sortir de l'étang des baigneurs, va arroser la vallée de
Magdalum. Le lac est couvert de petites barques d'agrément qui de
loin font l'effet d'une troupe de canards. Au nord sont les habitations
des baigneuses qui sont exposées au midi. Leurs promenades et les
lieux où elles prennent leur récréation confinent
aux lieux qui sont à l'usage des hommes près du ruisseau
qui coule dans le lac. Des deux côtés, la vallée descend
au lac en pente douce. Devant les habitations, devant les bains et autour
du lac s'étendent des chemins de communication, des allées,
des berceaux de verdure, des massifs avec des arbres dont les branches
couvrent un large espace : dans les intervalles, on trouve des prairies
avec un beau gazon touffu, des jardins fruitiers et potagers, et des lices.
La vue est ravissante ; le pays est très accidenté et d'une
richesse merveilleuse, surtout en raisins et en fruits. On fait ici en
ce moment la seconde récolte de l'année.
Jésus resta le soir, sur le côté du lac où
il était arrivé, dans une hôtellerie de voyageurs.
Il se trouvait là des gens de toute espèce, et il enseigna
devant l'hôtellerie avec une bonté et une mansuétude
extraordinaires : plusieurs femmes vinrent l'écouter. Il y avait
là de mauvaises gens de Jotapat qui s'en allèrent sans vouloir
l'entendre. Je ne sais plus ce qui se passa ; j'étais malade.
Le matin je vis venir plusieurs petites barques du côté
méridional du lac où étaient les bains : c'était
une société composée de gens de distinction qui venait
avec beaucoup de politesse engager Jésus à les visiter et
à les enseigner. Jésus accepta leur invitation et passa le
lac avec eux. Il alla dans une hôtellerie où il prit quelque
nourriture, et il resta là Tout le jour, tantôt se promenant,
tantôt se reposant, tantôt enseignant. Il enseigna le matin
par la fraîcheur, et le soir devant l'auberge, sous des arbres qui
s'élevaient près d'une colline. La plupart des gens qui étaient
là se tenaient autour de lui : les femmes étaient à
part, couvertes de leurs voiles. Tout se passait avec beaucoup d'ordre
et de bonne grâce : il n'y avait guère là que des personnes
riches et bien élevées', dont beaucoup avaient de bons sentiments
et des dispositions très bienveillantes ; comme il n'y avait pas
là de partis, personne ne craignait de s'ouvrir entièrement
devant les autres : tous se montraient pleins d'égards et de prévenances
envers Jésus, et s'ils témoignaient de la curiosité,
c'était avec beaucoup de courtoisie. Le premier discours qu'il leur
tint ne leur laissa que des impressions agréables et consolantes.
Son enseignement ici n'eut rien de sévère : il parla de la
purification par l'eau des bains, de leur réunion ici, des sentiments
d'intimité qui régnaient entre eux, du mystère de
l'eau, de l’ablution des péchés, du bain du baptême,
de Jean Baptiste, de l'union et de la charité réciproque
parmi les baptisés, parmi les convertis, etc., etc. Outre cela,
il assaisonna son discours de comparaisons charmantes tirées de
la belle saison, de la contrée, des montagnes, des fruits, des troupeaux
et de tout ce qui les environnait. Je les vis se former en cercle autour
de lui avec beaucoup d'ordre, puis céder la place à d'autres
auditeurs, et il reprenait devant les groupes qui se relayaient les divers
points qu'il avait déjà traites. Je ne sais plus bien dans
quel ordre tout se succéda pendant la journée. Je vis un
petit nombre de malades légèrement atteints de la goutte
se traîner dans les alentours. C'étaient pour la plupart des
fonctionnaires publics et aussi des officiers qui étaient venus
pour leur santé : je les reconnus à leur habit, lorsqu'ils
quittèrent ce lieu et retournèrent à leurs diverses
garnisons dans le voisinage, car pendant le séjour tous étaient
vêtus de la même manière,. Les hommes avaient des vêtements
très légers, faits d'une laine très fine, de couleur
jaunâtre : ils portaient une robe semblable à celle des femmes,
formée de quatre pièces séparées qui les enveloppaient
autour dés reins et s'arrêtaient aux genoux, comme formant
une espèce de haut de chausses : leurs pieds étaient nus
ou chaussés de sandales. Le haut du corps était revêtu
d'un scapulaire ouvert sur le côté, qu'une large ceinture
serrait autour du corps. Leurs épaules étaient couvertes
de manches qui ne dépassaient pas la moitié de l'avant-bras
: ils avaient la tête nue. Avec ce costume, ils portaient tous des
barbes plus ou moins longues de différentes couleurs. Je les vis
jouer à toute sorte de jeux ils s'escrimaient avec des petits bâtons
et des boucliers de feuillage. Ils luttaient les uns contre les autres,
soit par groupes, soit individuellement. Ils se défiaient à
la course et sautaient par-dessus des cordes et à travers des cerceaux,
auxquels étaient suspendues toute sorte de choses brillantes qu'il
ne fallait pas toucher, autrement elles tombaient par terre en faisant
un bruit comme celui d'une sonnette, et on perdait en proportion du nombre
des objets tombés. C'étaient souvent des fruits qui servaient
d'enjeux. J'en vis quelques-uns faire résonner des flûtes
de roseau, d'autres avaient de gros et longs tubes de jonc, dont ils faisaient
usage comme de longues-vues : ils soufflaient aussi dedans et lançaient
ainsi dans le lac des balles ou de petits dards, comme s'ils eussent tiré
sur les poissons. Ils attachaient aussi à l'extrémité
de ces tubes des boules de verre de toutes couleurs, puis les balançant
de côté et d'autre ils les faisaient miroiter au soleil ;
alors tout le paysage s'y réfléchissait renversé,
et il semblait que le lac passât sur leur tête, ce qui divertissait
tout le monde.
Il y avait ici de très beaux fruits, surtout en fait de raisins,
et je vis quelques personnes offrir les plus beaux fruits à Jésus
d'une façon très respectueuse et très bienveillante
Cette vallée est celle où Jésus vit Nathanael sous
le figuier pendant qu'il regardait les femmes. Barthélémy
se trouvait aussi là alors, et Jésus lui adressa, je crois,
un regard touchant. Il le salua aussi en passant, ce qui émut beaucoup
Barthélémy, lequel s'appelle aussi Nephtali.
Les logements des femmes sont de l'autre côté de la vallée,
leurs bains toutefois sont de celui-ci, mais plus au couchant, et les hommes
ne peuvent pas voir l'endroit où elles se baignent. Au bord du petit
ruisseau qui se jette dans le lac, je vis des petits garçons avec
des robes de laine blanche retroussées, à peu près
semblables à celle que portait Jean Baptiste étant enfant,
pousser devant eux avec des baguettes de saule bariolées des troupes
d'oiseaux aquatiques de diverses espèces. On amène l'eau
de ce ruisseau et celle du lac jusqu'aux hôtelleries placées
sur la hauteur et aux bains, à l'aide de conduits qui la font monter
dans des bassins plus élevés, et de là plus haut.
Je vis les femmes jouer à divers jeux dans la prairie. Elles portaient
toutes des tuniques de laine blanche, légères, fines et amples,
avec beaucoup de plis. Ces vêtements, quoique d'une étoffe
très mince et très légère, n'avaient rien qui
ne fût décent. Les manches étaient larges, arrêtées
par des agrafes en haut et en bas : autour des mains elles portaient des
manchettes grandes et raides comme des queues de paon. Elles avaient des
coiffures comme j'en vis une fois à Madeleine : c'était un
bonnet formé de plusieurs anneaux qui allaient toujours en diminuant
de grosseur, et qui étaient garnis de soie ou de plumes blanches
: cela ressemblait à une coquille de limaçon en plumes. Elles
ne portaient pas de voile, mais avaient sur je visage deux demi éventails
bien plissés, blancs, diaphanes, qui, rabattus, recouvraient le
nez ; des ouvertures étaient ménagées devant les yeux.
Elles pouvaient les replier tout à fait ou à moitié,
selon qu'elles voulaient se garantir du soleil. Dans la compagnie des hommes
elles les rabattaient.
Je vis ces femmes jouer à un jeu plaisant : toutes avaient autour
du corps une ceinture où était attaché un anneau :
elles se mettaient en rond, chacune tenant sa voisine par cet anneau et
conservant une main libre. On cachait un bijou dans l'herbe, et la ronde
tournait de côté et d'autre jusqu'à ce qu'une d'elles
l'aperçût. Quand elle se baissait pour le prendre, les autres
entraînaient la ronde dans un mouvement plus rapide. Celle qui venait
ensuite se baissait à son tour, tout en tâchant de ne pas
se laisser tomber ; mais parfois elles roulaient toutes les unes sur les
autres avec de grands éclats de rire.
Je vis aujourd'hui André et Jacques partir de très bon
matin de Capharnaum pour venir ici : ils arrivèrent vers midi et
s'entretinrent avec Jésus : je crois, sans en être certaine,
qu'il était question du baptême. Jésus doit, je pense,
faire baptiser à Ainon. Ils ne tardèrent pas à repartir.
Béthulie est à une lieue et demie au midi d'ici, dans
la montagne ; elle est sur une hauteur, dans un site très solitaire
et très sauvage. Elle est dominée par une grande tour d'un
aspect bizarre : il y a beaucoup de vieilles murailles et de vieilles tours
en ruines. Cette ville a dû être autrefois très forte
et plus grande qu'à présent : des arbres croissent sur les
murs qui sont assez larges pour qu'on puisse y aller en voiture. Je vis
des personnes qui, des bains, allaient s'y promener. Elle est située
à une grande hauteur, autour de la montagne. C'est là que
Judith a vécu : le camp d'Holoferne s'étendait, en parlant
du lac, par la gorge qui entoure Jotapat jusque vers Dothan qui est à
environ deux lieues au midi de Béthulie.
Le soir du premier jour quelques femmes légères vinrent
encore ici avec des hommes de Jotapat mais ils n'assistèrent pas
à l'instruction de Jésus. Ils retournèrent à
Jotapat où ils racontèrent que Jésus était
ici.
Jotapat est à peu près à une demi lieue à
l'est d'ici, ayant devant elle une montagne : elle est bâtie dans
une gorge comme dans une grande caverne. Elle est encore dominée
par une colline d'où l'on descend pour arriver dans la ville en
franchissant des fossés profonds et escarpés. C'était
comme une grande carrière au-dessus de laquelle la montagne surplombait.
Au nord de cette montagne, à une distance d'environ deux lieues,
on voyait Magdalum au bord d'une gorge : les avenues, les jardins et les
tours en ruines qui l’entouraient s'étendaient jusqu'au milieu de
cette gorge. Entre la montagne et Magdalum subsistaient encore les restes
d'un aqueduc, recouverts de végétation ;on avait à
travers ses arcades une vue très agréable sur le paysage.
Au midi de Jotapat on voyait une autre montagne d'un aspect sauvage et
à droite et à gauche de larges ravins. C'était un
endroit étrange et bizarrement caché. Beaucoup d'hérodiens
résidaient à Jotapat. Ils avaient un lieu de réunion
secret dans un mur de la forteresse. Cette secte ne se composait guère
que de gens habiles et instruits et elle avait des chefs secrets. Ils avaient
des signes de reconnaissance et, quand un membre commettait quelque trahison,
les supérieurs pouvaient en avoir connaissance, je ne sais plus
bien comment. Ils étaient les ennemis cachés des Romains
et travaillaient à préparer une rébellion en faveur
d'Hérode ; ils étaient partisans secrets des sadducéens.
mais extérieurement ils paraissaient pharisiens : ils croyaient
mener les deux partis et les conduire à leurs fins. Ils savaient
bien que l'époque du roi des Juifs était venue et ils se
proposaient à certains égards de faire servir cette croyance
à leurs desseins. Il leur était prescrit d'être extérieurement
très affables et très tolérants, mais c'étaient
réellement des fourbes et des traîtres. Ils n'avaient au fond
aucune croyance, et travaillaient sous le manteau de la religion à
préparer an royaume terrestre indépendant : Hérode
les soutenait.
Lorsque la synagogue de Jotapat apprit que Jésus était
dans le voisinage, elle envoya deux hérodiens aux bains de Béthanie
pour l'observer et l'inviter à visiter Jotapat. Je vis ces deux
personnages qui se donnaient pour des baigneurs, se rapprocher souvent
de lui et l'espionner d'un air prévenant et respectueux. Jésus
fit peu d'attention à eux. Ils l'invitèrent à venir
à Jotapat : mais il ne leur donna pas de réponse positive.
J'ai vu aussi venir ici aujourd'hui environ sept disciples de Jésus
qui précédemment l'avaient accompagné dans ses voyages
pendant une quinzaine de jours. C'étaient deux disciples de Jean,
des disciples alliés à la famille de Jésus, venus
des environs d'Hébron et un de ses cousins du petit Séphoris.
Ils l'avaient cherché dans la Galilée et le trouvèrent
ici. Je l'ai vu aussi pendant le jour s'entretenir familièrement
avec diverses personnes. Il devait y avoir parmi elles quelques-uns de
ses adhérents. Je le vis prendre une seule espèce d'aliments
avec ses disciples et parfois manger quelques-uns des fruits qu'on lui
avait donnés. Les baigneurs mangeaient tantôt dans leurs habitations,
tantôt en commun sous les arbres.
(27 août.) Les hérodiens étaient retournés
à Jotapat, et on y travaillait le peuple pour le cas où Jésus
viendrait. On disait aux habitants que Jésus, le prophète
de Nazareth, qui avait fait tant de bruit à Capharnaum le sabbat
précédent et à Nazareth celui d'avant, se trouvant
dans le voisinage, à la fontaine de Béthulie, viendrait peut-être
à Jotapat pour y célébrer aussi le sabbat. On les
mettait en garde pour qu'ils ne se laissassent pas séduire : ils
ne devaient pas, disait-on, l’accueillir avec des acclamations, ni le laisser
parler trop longtemps, mais l'interrompre par des murmures et des interpellations
toutes les fois qu'il leur dirait des choses nouvelles et difficiles à
comprendre. C'était ainsi qu'on préparait le peuple.
Jésus était encore ce matin aux bains de Béthulie.
Je le vis de nouveau faire une instruction familière. Il y avait
plusieurs hommes rangés en cercle autour de lui, il se tenait au
milieu d'eux et allait de l'un à l'autre. à quelque distance
se tenaient timidement plusieurs hommes perclus qui étaient venus
prendre les bains et qui n'avaient jamais osé aborder Jésus.
Il répéta en termes généraux ce qu'il avait
enseigné la veille et l'avant-veille, et les exhorta à se
purifier de leurs péchés. Tous l'avaient pris en affection
et ses paroles les touchaient. Plusieurs disaient : " Seigneur, quand on
vous entend, on ne peut pas vous résister." Jésus les interrogea
en ces termes : " Vous avez beaucoup entendu parler de moi et vous m'avez
entendu vous-mêmes, qui croyez-vous que je sois ? "Les uns répondirent
: "Seigneur vous êtes un prophète, "d'autres : " Vous êtes
plus qu'un prophète : aucun prophète n'enseigne comme vous,
aucun ne fait ce que vous faites. " D'autres gardaient le silence Jésus
qui savait ce qu'ils pensaient, montra du doigt ceux qui se taisaient et
dit : " Ceux-ci ont raison. " Un d'eux dit aussi : " Seigneur, vous pouvez
tout. est-il vrai. comme on le dit, que vous avez déjà ressuscité
des morts, par exemple la fille de Jaïre ? "il voulait parler de ce
Jaïre qui demeurait dans une ville voisine de Gabaa, où Jésus
avait prêché des gens si pervers. J'en ai parlé antérieurement.
" Oui » répondit Jésus, et alors cet homme demanda
pourquoi Jaïre vivait dans un endroit si mal habité. Là-dessus
Jésus parla de sources dans le désert ; il dit entre autres
choses qu'il était bon que les faibles eussent quelqu'un pour les
diriger. Les interlocuteurs étaient très en confiance. Il
leur demanda encore : "Que savez-vous de moi ? quel mal vous dit-on de
moi ? Quelques-uns répondirent : " On vous accuse de ne pas interrompre
vos oeuvres et de guérir les malades le jour du sabbat. n Alors
il leur montra un petit étang voisin près duquel des petits
bergers faisaient paître des agneaux et d'autres jeunes animaux et
il leur dit : "voyez ces petits bergers si faibles, ces jeunes agneaux
si délicats. Si l'un d'eux tombait dans le marécage et se
mettait à bêler, tous les autres ne courraient-ils pas autour
de lui en poussant des cris plaintifs : et si les jeunes garçons
n'étaient pas assez forts pour le secourir et que le fils du maître
du troupeau passât le jour du sabbat, envoyé pour garder ces
agneaux et pour les paître, n'aurait-il pas pitié de l'agneau
et ne le tirerait-il pas du bourbier? "
Alors ils levèrent tous les mains comme font les enfants au
catéchisme et s'écrièrent : "Oui, oui, il le ferait
! "Alors Jésus reprit : " Et si ce n'était pas un agneau,
si c'étaient les enfants déchus du Père céleste,
si c'étaient vos frères, si c'étaient vous-mêmes
! Le fils du Père céleste devrait-il s'abstenir de les secourir
le jour du sabbat ? "Sur quoi ils répétèrent tous
: " Oui, oui !" Et Jésus leur montrant les hommes perclus qui se
tenaient éloignés, leur dit : " voyez ces frères malades
! Dois je ne pas leur venir en aide, s'ils me demandent secours le jour
du sabbat ? Ne doivent-ils pas recevoir la rémission de leurs péchés,
s'ils se sont repentis le jour du sabbat, si le jour du sabbat ils confessent
leurs péchés et crient vers le Père qui est au ciel
? " Alors tous crièrent en levant encore les mains : "Oui, oui !
".
Cependant Jésus fit signe à ces malades et ils se traînèrent
à grand peine dans le cercle. Il leur dit quelques mots sur la foi,
fit une prière, et dit : " Etendez vos bras ! ’ ils étendirent
vers lui leurs bras malades : alors il leur passa la main sur les bras,
et souffla un instant sur leurs mains : et ils se sentirent guéris
et recouvrèrent l'usage de leurs membres. Jésus leur prescrivit
en outre de prendre un bain, et il les avertit de s'abstenir de certaines
boissons. Ils se jetèrent à ses pieds pour le remercier,
et tous les assistants se mirent à le louer et à l'exalter.
Comme il voulait se retirer, ils le prièrent de rester encore et
lui témoignèrent toute espèce d'affection et de bons
sentiments : plusieurs furent très touchés. Jésus
leur dit qu'il devait aller plus loin et continuer sa mission. Ils lui
firent quelque temps la conduite avec les disciples : puis il les bénit
et se dirigea vers Jotapat qui est située à l'est, à
environ une lieue et demie.
(27 Août.) Il arriva à Jotapat dans l'après-midi.
Il se lava les pieds et mangea quelque chose dans une hôtellerie
devant la ville. Les disciples y entrèrent avant lui, et allèrent
trouver le préposé de la synagogue, auquel ils demandèrent
les clefs pour leur maître qui voulait enseigner. Alors une foule
nombreuse se rassembla, et les scribes et les hérodiens étaient
pleins d'espoir de le prendre en faute dans son enseignement.
Lorsqu'il fut dans la synagogue, ils lui adressèrent des questions
sur l'approche du royaume de Dieu, sur le calcul et l'accomplissement des
semaines de Daniel, et sur la venue du Messie. Jésus fit à
ce sujet une longue instruction et prouva que la prophétie devait
s'accomplir à l'époque qui commençait Il parla aussi
de Jean et de ce qu'il avait prédit. Ils lui dirent alors d'un air
plein d’hypocrisie "qu'il devait s'observer un peu dans son enseignement
pour ne pas blesser les coutumes des Juifs, que l'emprisonnement de Jean
pouvait lui servir d'avertissement : que ce qu'il disait de l'accomplissement
des semaines de Daniel et de l'approche du Messie, roi des Juifs, était
excellent ; qu'ils étaient de la même opinion que lui mais
que, pourtant ils ne pouvaient trouver le Messie nulle part, de quelque
côté qu'ils tournassent leurs regards. "Or, Jésus avait
appliqué la prophétie à sa personne en termes généraux,
et ils l'avaient très bien compris ; mais ils feignaient de ne pas
l'entendre et de croire que pareille chose ne pouvait se présenter
à l'esprit de personne : car ils désiraient qu'il s'exprimât
en termes très précis, afin de pouvoir l'accuser. Alors Jésus
leur dit : "Pourquoi jouez-vous la comédie ? Pourquoi vous détournez-vous
de moi et me méprisez-vous ? Vous m'espionnez et vous voulez tramer
un nouveau complot avec les sadducéens, comme on a fait à
Jérusalem, à la fête de Pâques ? Pourquoi m'avertissez-vous,
à propos de Jean, de prendre garde à Hérode?" Alors
il énuméra en face d'eux tous les crimes d'Hérode,
tous ses meurtres, ses terreurs à propos du roi des Juifs nouvellement
né, son horrible massacre d'enfants et sa fin effrayante, puis il
rappela les méfaits de ses successeurs, l'adultère d'Antipas
et l’emprisonnement de Jean. Il parla encore de la secte secrète
et hypocrite des hérodiens, qui s'entendaient avec les sadducéens,
dit quel Messie et quel royaume de Dieu ils attendaient. Il montra dans
le lointain divers endroits, et ajouta : "ils ne pourront rien contre moi
jusqu'à ce que ma mission soit remplie. Je parcourrai encore deux
fois la Samarie, la Judée et la Galilée ; vous m'avez vu
opérer de grands prodiges, vous en verrez de plus grands encore,
et vous resterez aveugles. "Puis il parla encore du jugement, de la mort
des prophètes, de la punition de Jérusalem, etc. Cependant
les hérodiens, qui formaient une société secrète
qu'ils n'aimaient pas à voir signalée publiquement devinrent
tout pâles lorsqu'il parla des crimes d'Hérode, et qu'il dévoila
devant le peuple les secrets de leur secte. Ils gardèrent le silence
et quittèrent la synagogue les uns après les autres : il
en fut de même des sadducéens, lesquels tenaient les écoles
de la ville. Il n'y avait pas ici de pharisiens.
Alors il resta seul avec les sept disciples et avec le peuple qu’il
instruisit encore un certain temps. Plusieurs étaient touchés
et disaient qu'ils n'avaient jamais entendu enseigner ainsi, et qu'il enseignait
mieux que leurs maîtres Ils changèrent de vie et le suivirent
plus lard. Mais une grande partie du peuple, excitée par les sadducéens
et les hérodiens, se mit à murmurer et devint tumultueuse.
Jésus quitta la ville avec les disciples et s'en alla au midi par
la vallée ; puis, ayant monté pendant deux lieues, il arriva
dans une plaine où l'on faisait la moisson, entre Béthulie
et Gennabris, et il entra dans une grande maison de paysans. Cette maison
était habitée par des gens de bien qui lui étaient
connus : les saintes femmes y passaient souvent la nuit lors de leurs voyages
à Béthanie, et les porteurs de messages s'y arrêtaient
en passant.
(28 août.) Jésus a enseigné parmi les faucheurs,
les moissonneurs et les faiseuses de gerbes dans cette plaine de blé,
qui est la même où plus tard il arracha des épis avec
les disciples, ainsi qu'il est rapporté dans l’Evangile. Il alla
ça et là dans la plaine, et parla du semeur et de la semence
tombée dans un terrain pierreux : le sol ici était rocailleux.
Il dit que lui aussi était venu pour recueillir les bons épis,
et il raconta la parabole de l'ivraie arrachée au temps de la moisson.
Il compara la moisson au royaume de Dieu. Il tint ces discours pendant
les moments d'interruption dans les travaux, et il alla d'un champ à
l'autre. On laissait les chaumes très hauts : on coupait seulement
les épis qu'on liait en croix.
Le soir, après la moisson, il fit une grande instruction devant
tous les ouvriers près d'une colline. Il tira ses comparaisons d'un
ruisseau qui coulait là, et de son cours paisible, portant avec
lui la fécondité. Il parla, à cette occasion, des
eaux de la Grâce qui passent devant nous et qu'il faut conduire sur
notre champ, etc. Il envoya ensuite les deux disciples de Jean à
Ainon, aux autres disciples du précurseur, et fit dire à
ceux-ci de se rendre à Machérunte pour apaiser le peuple,
car il savait qu'un soulèvement avait éclaté devant
cette ville. Beaucoup de gens étaient venus à Ainon pour
s'y faire baptiser. Ayant appris que le prophète était en
prison, ils se dirigèrent vers Machérunte et y firent des
démonstrations bruyantes, demandant qu'on rendît la liberté
à Jean, afin qu'il pût les instruire et les baptiser ; ils
allèrent jusqu’à lancer des pierres. Les gardes fermèrent
toutes les entrées, et Hérode feignit d'être absent.
(29 août.) Jésus est entré ce soir dans une autre
maison de paysans, un peu plus rapprochée de Gennabris : il y a
enseigné aujourd'hui et hier. Il parla du petit grain de sénevé.
(La Sœur n'avait retenu de cette instruction que quelques fragments dont
on ne pouvait tirer aucun parti.) il y eut une chose qui me parut merveilleuse
: l’homme chez lequel Jésus logeait se plaignit à lui d’un
voisin qui, depuis longtemps déjà, empiétait de toute
manière sur son champ et sur ses droits : Jésus alla avec
lui dans le champ, et se fit montrer de combien il était diminué
à la longue. L’usurpation était devenue considérable,
et il se plaignit de ne pouvoir rien obtenir de cet homme. Jésus
lui demanda s’il ne lui restait pas de quoi entretenir lui et sa famille.
Il répondit que si, qu'il avait encore de quoi vivre. Alors Jésus
lui dit qu'il n'avait rien perdu en réalité, car rien ne
nous appartient en propre, et quand notre subsistance est assurée,
nous avons tout ce qu'il nous faut. Il l'engagea à donner à
son voisin encore plus que celui-ci ne demandait, afin d'assouvir son avidité.
Il ajouta que tout ce qu'il abandonnerait ici de bon cœur pour maintenir
la paix, il le retrouverait dans son royaume. Ce voisin, disait-il, avait
raison à sa manière, car il avait son royaume sur la terre,
et il cherchait pour cela à accroître ses biens terrestres
; il ne voulait rien avoir dans son royaume, à lui Jésus.
Il fallait apprendre de lui comment on devait s'agrandir et chercher à
acquérir des biens dans le royaume de Dieu. Il prit pour sujet de
comparaison un fleuve qui emporte la terre d'un de ses bords et la dépose
sur l'autre.
Ce fut un enseignement analogue à la parabole de l'économe
infidèle, où l'avidité des biens de ce monde et l'adresse
à s'enrichir étaient donnés comme exemple de ce qu'il
y avait a faire pour acquérir les biens spirituels. La richesse
terrestre était mise en face de la richesse céleste : l’enseignement
paraissait avoir quelque chose d'obscur, mais il était intelligible
pour les auditeurs et approprié aux idées, à la religion
et à la situation des Juifs, parce que tout arrivait à ce
peuple en figures sensibles.
C'était ici que se trouvait le champ dans lequel était
le puits de Joseph. Jésus raconta, d'après l'Ancien Testament,
une contestation semblable à celle dont il vient d’être parlé.
Elle avait eu lieu, je crois, entre Abraham et Loth, et Abraham céda
à Loth plus que celui-ci ne demandait. Jésus tira de là
des instructions : " Qu'étaient devenus les enfants de Loth ? demanda-t-il
; tout n'était-il pas resté à Abraham9 N'en résulte-t-il
pas que nous devrions agir comme Abraham ? N'est-ce pas à lui que
ce royaume avait été promis ? ne l'avait-il pas eu en partage
? Mais ce royaume était une figure du royaume de Dieu, et la contestation
entre Loth et Abraham une figure de la contestation présente : il
fallait donc faire comme Abraham et gagner le royaume de Dieu. "Jésus
cita le passage de l'Ecriture où il est question de ce démêlé
(Gen., XIII, 7).
Jésus enseigna encore sur ce sujet et sur le royaume de Dieu
devant tous les moissonneurs réunis. Le paysan qui avait commis
l'injustice était présent avec ses partisans : mais il n’ouvrait
pas la bouche et se tenait à distance. Il avait poussé ses
amis à interrompre de temps en temps Jésus par des questions
insidieuses. Ainsi, l’un d'eux lui demanda où il en voulait venir
avec son enseignement et ce qui adviendrait de tout cela. Je ne sais plus
bien ce que Jésus répondit, mais ce fut une réponse
évasive dont ils ne pouvaient tirer aucun parti : cela revenait
à dire que ce qui semblerait ici trop long à l'un, paraîtrait
trop court à l'autre. Il exprimait tout cela par des comparaisons
où il était question de la moisson, des semailles, de la
mise en grange, du rejet des mauvaises herbes, du pain et de la nourriture
de la vie éternelle2 etc. Cet homme, qui avait été
l'hôte de Jésus, obéit à ses enseignements :
il ne porta pas plainte contre son adversaire, donna le reste de ses biens
pour la communauté, et ses fils devinrent disciples du Sauveur.
Il fut aussi beaucoup question des hérodiens : les paysans se
plaignaient de leur espionnage continuel et de ce que, peu de temps auparavant,
ils avaient traduit en justice plusieurs personnes coupables d'adultère,
demeurant ici ou à Capharnaum, et les avaient arrêtées,
puis emmenées à Jérusalem où on devait les
juger. Ils se félicitaient à la vérité de ne
plus avoir dans leur voisinage des gens de cette espèce, mais il
leur était insupportable de se savoir constamment espionnés.
Jésus s'exprima très librement sur le compte de ces hérodiens.
Il exhorta ses auditeurs à se tenir en garde contre le péché,
et aussi contre l'hypocrisie et les jugements téméraires.
Avant de juger les autres, disait-il, on devait commencer par reconnaître
ses propres torts. Il décrivit alors les mauvaises pratiques de
ces hérodiens, et parla, d'après le chapitre du prophète
le Isaïe qui avait été lu à la synagogue le sabbat
précédent, des chiens muets qui n'aboient point, qui ne repoussent
pas le péché et qui déchirent les hommes en secret.
Il rappela que, pendant que ceux-ci livraient avec tant de zèle
les adultères à la justice, Hérode, leur ami, vivait
dans l’adultère public. Il dit aussi à quoi on pouvait reconnaître
les hérodiens : je l'ai oublié.
Il y avait des malades dans plusieurs cabanes environnantes : c'étaient
des hommes devenus perclus par excès de travail. Jésus visita
les cabanes et guérit ces braves gens : il leur dit d'aller à
l'instruction et au travail, ce qu'ils firent en chantant des cantiques
d'actions de grâce...
Jésus envoya d'ici même quelques bergers à Machérunte
pour engager les disciples de Jean a apaiser le peuple et à le renvoyer,
parce que leur tumulte pouvait amener pour Jean un emprisonnement plus
dur ou même la mort.
Hérode et sa femme étaient à Machérunte.
Je vis Hérode faire venir Jean Baptiste devant lui. Hérode
était assis dans une grande salle voisine des cachots, entouré
de gardes, d'employés, de scribes, et principalement d'hérodiens
et de sadducéens. Jean fut conduit dans cette salle par un passage,
et il se tenait debout au milieu des gardes devant la grande porte qui
était ouverte. Je vis la femme d'Hérode entrer dans la salle
: elle passa devant Jean d'un air impudent et moqueur, et alla s'asseoir
sur un siège élevé. Cette femme avait une forme de
visage autre que celle de la plupart des Juives : toutes ses formes étaient
arrêtées et anguleuses : sa tête même se terminait
en pointe. Toutes ses mines, tous ses mouvements étaient provocants
: elle avait une belle taille ; il y avait dans son ajustement quelque
chose d'exagéré et d'effronté : elle était
très serrée dans sa ceinture. On voyait toutes les formes
de son corps, et chacun de ses membres se montrait et se dérobait
tour à tour, comme s'il eût voulu se mettre en avant et attirer
l'attention sur sa beauté. Elle devait être un objet de scandale
pour tout homme vertueux, et pourtant elle attirait tous les yeux sur elle.
Hérode demanda à Jean de lui dire nettement ce qu'il
pensait de ce Jésus qui faisait tant de bruit en Galilée
; qui était cet homme et s'il venait le remplacer. On lui avait
bien dit que Jean avait parle de Jésus précédemment,
mais il n'y avait pas fait particulièrement attention : il voulait
maintenant savoir tout ce qu'il en pensait, car cet homme tenait des discours
étranges, parlait d'un royaume nouveau, se donnait à l'aide
de ses paraboles pour un fils de roi, etc., bien qu'il ne fût que
le fils d'un pauvre charpentier. Alors Jean, élevant la voix, comme
s'il eût parlé devant le peuple assemblé, rendit témoignage
de Jésus, dit que lui, Jean, était uniquement chargé
de lui préparer la voie et n'était rien en comparaison de
lui, que jamais homme ni prophète n'avait été et ne
serait ce qu'était Jésus : qu'il était le fils du
Père, le Christ, le roi des rois, le Sauveur, le restaurateur du
royaume, qu'aucun pouvoir n'était au-dessus du sien, qu'il était
l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, etc. C'est
ainsi qu'il parla de Jésus à haute voix, s'appelant son précurseur,
chargé de lui préparer les voies, et le moindre de ses serviteurs.
Il dit tout cela du ton d'un homme inspiré, et toute sa personne
prit alors quelque chose de tellement surhumain qu'Hérode lut en
proie à la plus vive anxiété et finit par se boucher
les oreilles. Il dit alors à Jean : "Tu sais que je te veux du bien,
mais tu excites des soulèvements contre moi en attaquant mon honneur
devant le peuple. Si tu veux modérer ton zèle déraisonnable
et donner un assentiment public à l'union que j'ai formée
je te rendrai la liberté et tu pourras encore enseigner et baptiser."
Mais Jean éleva de nouveau la voix avec une grande sévérité
contre Hérode, et lui dit : " Je connais vos sentiments : je sais
que vous n'ignorez pas où est la justice et que vous redoutez le
jugement qui vous menace, mais vous traînez après vous toutes
sortes de liens et vous restez captif dans les filets de l'impudicité."
A ces discours la femme d'Hérode fut saisie d'une rage inexprimable
: quant au roi, son trouble fut si grand qu’il ordonna de faire retirer
Jean en toute hâte. Il le fit conduire dans une autre prison qui
n'avait pas vue sur le dehors, en sorte qu'il ne Pouvait plus être
entendu du peuple.
Hérode tint cette audience, poussé par l'inquiétude
que lui avait inspirée le soulèvement des aspirants au baptême
et les rapports faits par les hérodiens touchant les miracles de
Jésus.
Cependant on parlait dans tout le pays de la sévère exécution
qui avait eu lieu à Jérusalem sur quelques adultères
livrés à la justice par les hérodiens de Galilée.
On disait que les petits coupables étaient punis tandis qu'on laissait
tranquilles les grands criminels ; que ces accusateurs, les hérodiens,
étaient dévoués à Hérode l'adultère,
et que celui-ci avait fait arrêter Jean parce qu'il lui avait reproché
sa coupable union. Tout cela mécontentait fort Hérode J'ai
vu juger ces adultères. On leur lut leur sentence, puis on les conduisit
dans une salle voisine et on les poussa dans un trou étroit au bord
duquel ils se tenaient. Ils tombèrent sur une lame tranchante qui
leur coupa la gorge : au-dessous dans une cave étaient des archers
qui retirèrent les corps. C'était une machine dans laquelle
ils tombaient. Jacques fut jugé dans le même endroit.
(30 août-1er septembre.) Jésus enseigna encore ce matin
parmi les laboureurs, ainsi qu'il l'avait fait hier. André, Jacques
et Jean sont venus le trouver ici. Nathanaël était dans sa
maison du faubourg de Gennabris. J'ai entendu Jésus dire aux disciples
qu'il irait prochainement du côté du Jourdain par la Samarie.
Je crois qu'ils iront à un endroit où l'on baptise. Le champ
où il enseigna hier, avait été autrefois, sous l'Ancien
Testament, le théâtre d'un combat livré à l'occasion
d'un puits : je crois que c'était le puits de Dothaïm qui n'était
pas très loin d'ici et près duquel Joseph fut vendu. Jésus
rappela à ce sujet le partage qui fut fait entre Abraham et Loth.
Les disciples demandèrent à Jésus, s'ils ne feraient
pas bien de nourrir plusieurs pauvres ouvriers perclus qui ne pouvaient
plus travailler. Jésus leur dit qu'ils feraient leur devoir, mais
qu'ils ne devaient pas s'en vanter, qu'autrement ils perdraient leur récompense.
Il alla ensuite dans les cabanes de ces malades, guérit plusieurs
d'entre eux et les envoya à l'instruction et au travail : ils vinrent
et louèrent Dieu.
Jésus n'alla à Gennabris que pour le sabbat, en sorte
qu'il se rendit directement à la synagogue. Gennabris est bien aussi
grand que Munster. Cette ville est à environ une lieue à
l'est du plateau sur lequel Jésus se trouvait : elle est située
sur le penchant d'un coteau au bas duquel sont des jardins, des bains et
des lieux de plaisance qui en dépendent. Du côté par
où Jésus vint, la ville était défendue par
des fossés pleins d'eau, profondément creusés dans
le roc. Après une demi heure de marche, Jésus arriva avec
les disciples dans l'enceinte de la ville : il y a là des murs et
une porte surmontée d'une tour. Plusieurs autres disciples des environs
s'étaient réunis là et ils entrèrent avec lui
dans la ville, au nombre de douze à peu près.
Beaucoup de pharisiens, de sadducéens et particulièrement
d’hérodiens s'étaient rassemblés pour ce sabbat. Ils
s'étaient proposé de prendre Jésus dans ses paroles
par des questions captieuses. Ils disaient entre eux que c'était
plus difficile dans les petits endroits, où il se montrait plus
hardi que dans les villes : ils se réjouissaient et se croyaient
sûrs de leur fait. Ils avaient tout préparé pour que
la foule nombreuse qui était là restât parfaitement
paisible et ne s'émût pas à l'arrivée de Jésus.
Il entra tranquillement dans la ville et les disciples lui lavèrent
les pieds devant la synagogue. Les scribes et le peuple y étaient
déjà rassemblés. On le reçut sans grandes démonstrations,
mais avec un respect affecté. Ils le laissèrent lire et expliquer.
Il lut et commenta successivement plusieurs passages d'Isaïe, pris
dans les chapitres LIV, LV et LVI. Je me souviens qu'il y était
dit comment Dieu relèverait son Eglise, comment il voulait la bâtir
magnifiquement, comment tous devaient venir y boire de l'eau et y manger
du pain gratuitement. Ils cherchaient à se rassasier dans la synagogue,
où il n'y avait pas de pain, mais c'était la parole de sa
bouche, c'est-à-dire le Messie, qui devait accomplir son oeuvre.
Dans le royaume de Dieu, dans l'Eglise, les étrangers, les païens
aussi devaient agir et porter des fruits s'ils avaient la foi. Il appela
les païens les mutiles parce qu'ils ne devaient pas avoir part à
la génération du Messie. Il appliqua beaucoup de ces textes
à son royaume, à l’Eglise et au ciel. Il compara aussi les
docteurs actuels des Juifs à des chiens muets qui ne font pas la
garde avec vigilance, mais qui s'engraissent, mangent et boivent avec excès
: il indiqua par là les hérodiens et les sadducéens
qui se contentaient d'espionner secrètement, et qui sans aboyer
se jetaient sur les hommes et sur les bergers eux-mêmes. Il parla
d'une façon très pénétrante et très
frappante.
A la fin il lut un passage du Deutéronome (XI, 29, etc.), touchant
la bénédiction et la malédiction données sur
le mont Garizim et le mont Hebal, et plusieurs autres textes touchant les
commandements et la terré promise. Mais il expliqua tout cela du
royaume de Dieu.
Un hérodien s'avança vers lui d'un air très obséquieux
et le pria de dire quel serait le nombre de ceux qui entreraient dans son
royaume. Ils voulaient l'embarrasser par cette question captieuse parce
que tous par la circoncision devaient y avoir part, parce qu'il venait
de parler à ce propos des païens et des mutilés ainsi
que de la réprobation de beaucoup de Juifs. Jésus ne fit
pas une réponse directe à cette interrogation, mais il la
tourna pour ainsi dire et finit par toucher un point qui tranchait tout
à fait la question. Il répondit en demandant à son
tour combien d'Israélites étaient sortis du désert
pour entrer dans la terre de Chanaan9 Tous n'avaient-ils pas passé
le Jourdain ? Combien d'entre eux avaient-ils en réalité
pris possession de la terre promise ? L’avaient-ils plus tard conquise
toute entière ? Ne doivent-ils pas encore maintenant la partager
en partie avec les païens9 N'en ont-ils jamais été chassés
et sur aucun point ? Il dit encore que personne n'entrerait dans son royaume
que par la voie étroite et par la porte de la fiancée : et
il me fut expliqué qu'il entendait parler de Marie et aussi de l'Eglise
dans laquelle nous sommes régénérés par le
baptême et de laquelle est né le fiancé afin qu'il
nous engendre de nouveau en elle et par elle en Dieu : mais ce sont là
des choses qu'il n'est pas possible d'exprimer. Il opposa à l'entrée
par la porte de la fiancée l'entrée par là porte dérobée.
C'était une comparaison semblable à celle du bon pasteur
et du mercenaire dans saint Jean (c. x, 1). Ici aussi il dit qu'on ne pouvait
entrer que par la porte. Les paroles de Jésus sur la croix, avant
sa mort, lorsqu'il appelle Marie la Mère de Jean et celui-ci le
fils de Marie, ont un sens mystérieux qui se rapporte à cette
nouvelle naissance de l'un dans l'autre par l'effet de la mort du Rédempteur.
Ils ne purent, ce soir-là, trouver prise sur lui : du reste
ils ne s'étaient préparés que pour la clôture
du sabbat. Rien n'est plus curieux que de voir avec quelle jactance ils
se promettent, quand ils sont ensemble, de prendre Jésus par ses
paroles et de le réduire au silence : puis quand il est là,
ils ne savent plus que dire ; ils sont profondément étonnés,
quelquefois même intérieurement persuadés mais pleins
de rage et de dépit.
Jésus quitta la synagogue fort tranquillement et ils le conduisirent
à un repas chez un pharisien. Il y raconta une parabole touchant
un festin auquel le père de famille invite les convives pour une
heure déterminée, après laquelle la porte est fermée
et on ne laisse pas entrer ceux qui arrivent trop tard.
Il alla ensuite avec les disciples passer la nuit dans la maison d'un
pharisien qui était de la connaissance d'André : c'était
un homme plein de droiture : il avait loyalement pris la défense
d'André et de quelques autres disciples, lesquels, après
les fêtes de Pâques, avaient été traduits devant
les tribunaux de cette ville. Il était encore jeune, veuf depuis
peu de temps et il ne tarda pas à se réunir aux disciples
de Jésus : il s'appelait Dinocus ou Dinotus, il avait un fils de
douze ans appelé Josaphat. Sa maison était en dehors de la
ville, du côté du couchant, Jésus était entré
dans la ville par le côté méridional : car il était
descendu du plateau vers Dothaïm qui est plus au midi que Gennabris,
et il était revenu en faisant un coude.
Je vis aujourd'hui qu'Hérode après cette audience où
il avait entendu Jean, envoya vers le peuple soulevé quelques-uns
de ses agents, lesquels représentèrent à la foule
avec beaucoup de douceur qu'elle ne devait concevoir aucune inquiétude
en ce qui touchait Jean, et l’engagèrent à se retirer paisiblement.
Ils assurèrent qu'il se trouvait bien et qu’on avait de bons procédés
à son égard. Hérode, disaient-ils, avait voulu seulement
l'avoir près de lui : leur soulèvement n'était propre
qu'à le rendre suspect et à empirer sa situation. Ils n'avaient
donc rien de mieux à faire qu'à se retirer chez eux, car
Jean repartirait bientôt pour baptiser. Comme les messagers envoyés
par Jésus et par les disciples de Jean vinrent bientôt après
leur dire ce dont ils étaient chargés pour eux, ils se dispersèrent
successivement. Cependant Hérode était très inquiet
et très agité. L'exécution des adultères à
Jérusalem avait réveillé dans le peuple le souvenir
de son mariage adultère et on murmurait hautement de ce qu'il tenait
Jean en prison pour avoir dit la vérité et protesté
au nom de la loi suivant laquelle ces hommes avaient été
mis à mort à Jérusalem. En outre, il entendait beaucoup
parler des actes et des enseignements de Jésus en Galilée,
et il lui était venu aux oreilles qu'il voulait maintenant descendre
vers le Jourdain et y enseigner. Il craignait fort que le peuple déjà
excité ne trouvât là une nouvelle cause d'agitation,
et je le vis dans son anxiété convoquer aujourd'hui une réunion
de pharisiens et d'hérodiens, afin de délibérer sur
les moyens à prendre pour empêcher Jésus de venir.
La conclusion fut qu'il envoya à Jésus huit d'entre eux,
chargés de lui donner adroitement à entendre qu'il pouvait
rester dans la haute Galilée et de l'autre côté du
lac à donner ses enseignements et à faire ses miracles, mais
qu'il ferait bien de ne pas aller sur le territoire d'Hérode, soit
en Galilée. soit plus bas sur le Jourdain. Ils devaient lui mettre
devant les yeux l'exemple de Jean et lui insinuer qu’Hérode pouvait
être facilement conduit à lui faire partager la captivité
de Jean. Cette ambassade partit aujourd'hui pour la Galilée.
(31 août.) Le matin Jésus enseigna encore dans la synagogue
sans beaucoup de contradictions, car ils voulaient l'attaquer tous ensemble
à l'instruction de midi. Il commenta encore alternativement des
textes d'Isaïe et du Deutéronome. Il se présenta une
occasion de parler du sabbat et de la manière de l'observer dignement,
et il s'étendit beaucoup sur ce sujet. Les malades de cette ville
n'avaient pas osé implorer son assistance, tant ils étaient
intimidés.
Jésus parla en outre à ceux qui l'espionnaient dans la
synagogue, de l'ambassade qu'Hérode lui envoyait, et que j'ai vu
partir hier de Machérunte. Il leur dit que quand elle arriverait,
ils pourraient dire à ces renards d'annoncer au renard qu'il n'eût
pas à s'inquiéter de lui ; qu'il pouvait sans que personne
l'en empêchât continuer comme il avait commencé et en
finir avec Jean. Quant à lui, Jésus, il ne s'occuperait pas
d'Hérode, et enseignerait là où il était, et
à Jérusalem, quand cela serait nécessaire. Il voulait
accomplir sa tâche dont il avait à rendre compte à
son Père céleste. Ils se scandalisèrent fort de ces
discours.
Après midi Jésus sortit de la maison du pharisien Dinotus
pour se promener un peu avec les disciples, et quand ils arrivèrent
devant la porte où était la maison de Nathanaël, André
entra et l'appela. Nathanaël présenta à Jésus
son cousin, un homme fort jeune encore entre les mains duquel il voulait
remettre ses affaires pour suivre entièrement Jésus. Je crois
que dès à présent il partira avec Jésus.
Après la promenade, ils rentrèrent dans la ville c'était
de ce côté qu'était la synagogue. Cependant une douzaine
de pauvres journaliers du pays affligés d'infirmités causées
par l'excès du travail avaient entendu parler des guérisons
opérées parmi des ouvriers comme eux sur le champ de moisson,
et dans l'espérance d'obtenir la même faveur, ils s'étaient
traînés à la ville et se tenaient rangés devant
la synagogue pour implorer son assistance. Jésus passa devant eux
; il les consola et les exhorta à la patience Les scribes le suivaient
de près : ils s’indignèrent que des étrangers osassent
venir demander à Jésus de les guérir quand ils avaient
réussi jusque-là à retenir les malades de la ville.
Ils rudoyèrent grossièrement ces pauvres malheureux, toutefois
avec l'apparence du zèle religieux : ils ne devaient pas, leur disaient-ils,
mettre le trouble ici par leurs démonstrations, mais se retirer
au plus tôt. Jésus avait des affaires plus importantes à
traiter, il n'avait pas maintenant le temps de s'occuper d'eux : et comme
ces pauvres malheureux ne pouvaient pas quitter la place immédiatement,
ils les firent expulser.
Jésus dans la synagogue enseigna principalement sur le sabbat
et sa sanctification ; il était, du reste, parlé de ce précepte
dans les passages d'Isaïe qui furent lus aujourd'hui. Quand il eut
enseigné à ce sujet, il montra du doigt le fossé profond
qui entourait la ville et au bord duquel leurs ânes paissaient, puis
il leur demanda ce qu'ils feraient si un de ces ânes tombait dans
le fossé le jour du sabbat ? a Ne l'en retireraient-ils pas pour
l'empêcher de mourir?, ils gardèrent le silence. a Ne feraient-ils
pas aussi cela pour un homme ? ils se turent. "Permettraient-ils qu'il
leur arrivât à eux-mêmes le jour du sabbat quelque chose
d'avantageux pour l'âme et pour le corps ? une œuvre de miséricorde
était-elle permise le jour du sabbat ? " Ils gardèrent encore
le silence. Alors Jésus reprit : " Puisque vous vous taisez, je
dois admettre que vous n'avez rien à répondre à cela.
Où sont tous les pauvres malades qui demandaient mon assistance
devant la synagogue ? Amenez-les ici !" Comme ils s'y refusaient, Jésus
leur dit : " Puisque vous ne le voulez pas, je vais le faire faire par
mes disciples." Alors ils se ravisèrent et firent chercher les malades.
Ceux-ci arrivèrent, se traînant à grand peine ; il
y en avait une douzaine, les uns perclus, les autres horriblement enflés
par l'hydropisie. Ces pauvres gens étaient tout réjouis,
car leur expulsion par les scribes les avait fort affligés.
Jésus leur ordonna de se mettre en rang et c'était une
chose touchante de voir les moins malades mettre eux-mêmes en avant
les plus malades afin que Jésus les guérît les premiers.
Jésus descendit deux marches pour aller à eux et appela les
premiers : la plupart avaient les bras paralysés. Jésus les
yeux levés au ciel, pria sur eux en silence et il passa doucement
la main le long de leurs bras : alors il imprima à leurs mains un
mouvement de haut en bas et leur ordonna de se retirer et de remercier
Dieu : ils étaient guéris. Les hydropiques pouvaient à
peine marcher. Il leur mit la main sur la tète et sur la poitrine,
ils reprirent des forces, purent s'en retourner et l'hydropisie les quitta
entièrement au bout de peu de jours.
Pendant que ceci se passait, il y avait une grande affluence de peuple
et d'autres pauvres malades qui louaient Dieu à haute voix avec
ceux qui étaient guéris. La foule était si grande
que les scribes pleins de rage et de confusion furent obligés de
faire place, et que plusieurs se retirèrent. Jésus enseigna
la foule assemblée sur l'approche du royaume, sur la pénitence
et sur la conversion jusqu'à la clôture du sabbat : et les
scribes ne l'interrompirent plus avec leurs objections et leurs subtilités.
C’était une chose extrêmement visible de voir qu'après
s'être tant vantés entre eux, ils ne prirent pas une seule
fois la parole, ne firent pas la moindre protestation contre ce que faisait
Jésus et ne trouvèrent rien à lui répondre.
Après le sabbat il y eut dans un lieu public de la ville un
grand repas, à l'occasion de la fin de la moisson, et Jésus
y fut invité avec ses disciples. Les principaux habitants y assistaient
pour la plupart ainsi que beaucoup d'étrangers et même quelques
riches paysans. On mangeait à plusieurs tables. On avait mis sur
la table de toute sorte de produits, fruits et céréales,
même des volailles, et en plus grande abondance les objets dont la
récolte avait été particulièrement productive
: il y avait aussi des animaux, les uns rôtis pour être mangés,
les autres tués et préparés, comme une image de l'abondance.
On avait donné les premières places à Jésus
et à ses disciples.
Cependant un pharisien orgueilleux avait occupé d'avance le
haut bout de la table. Jésus s'approchant de lui, lui parla tout
bas et lui demanda pourquoi il s'était mis à cette place.
Il répondit : "Parce que l'on a ici la louable coutume de placer
au haut bout les savants et les gens de distinction.’ Alors Jésus
lui dit que ceux qui s'empressaient de prendre les premières places
sur la terre ne trouveraient pas de place pour eux dans le royaume de son
Père. Il lui dit encore autre chose que j'ai oublie : sur quoi cet
homme tout confus descendit plus bas et pourtant il s'établit à
sa nouvelle place comme s'il y était venu par son propre choix.
Pendant le repas, Jésus expliqua encore quelque chose touchant le
sabbat, spécialement le texte d'Isaïe (LVIII, 7). " Donne de
ton pain a ceux qui ont faim et conduis dans ta maison ceux qui sont dans
la misère." Jésus demanda si, à cette fête qui
était une fête d'actions de grâces pour l'abondance
de la récolte, ce n'était pas la coutume d'inviter les pauvres
au repas et de partager avec eux. Il s'étonnait qu'on eût
laissé tomber cet usage : Où donc étaient les pauvres,
demanda-t-il. Puisqu'ils l'avaient invité, l’avaient placé
au haut bout et lui avaient pour ainsi dire donné la direction du
repas, il avait à s'occuper des convives qui devaient légitimement
y figurer. Il fallait faire venir les gens qu'il avait guéris et
tous les autres pauvres. Comme ils tardaient à le faire, ses disciples
allèrent dans toutes les rues appeler les pauvres. Ils arrivèrent
bientôt : Jésus et ses disciples leur donnèrent leurs
places, et les scribes se retirèrent les uns après les autres.
Mais Jésus, lés siens et quelques gens de bien servirent
les pauvres et leur distribuèrent tout ce qui restait, ce qui excita
parmi eux une grande joie. Alors il se retira avec les siens pour prendre
du repos chez le pharisien Dinotus, en avant de la partie occidentale de
la ville.
(1er septembre.) Aujourd'hui dimanche, dès le matin, d'innombrables
malades de la ville et des environs vinrent devant la maison ou logeait
Jésus, et il guérit toute la matinée. C'étaient
surtout des gens qui avaient les mains paralysées et des hydropiques.
Le pharisien Dinotus, chez lequel Jésus avait logé, était
un excellent homme, un veuf âgé d'environ trente ans, il avait
un fils d'une douzaine d'années, nommé Josaphat, qui suivit
son père lorsque celui-ci se mit définitivement à
la suite de Jésus Les jeunes garçons juifs portaient une
longue robe terminée en pointe par devant et par derrière,
et fendue par en bas comme une chemise d'homme ; la partie antérieure
était toute garnie de boutons et de lacets. Quand ils étaient
plus grands, ils avaient des espèces de chausses qui leur enveloppaient
les jambes et d'autres robes semblables à celles des adultes.
Dans l'après-midi, après avoir mangé, Jésus
prit congé de son hôte ; il le pressa contre son sein, et
cet homme fondit en larmes.
Cependant Jésus, suivi de Nathanaël, d'André, de
Jacques, de Saturnin, d'Aristobule, de Tharsissus, de Parmenas et de quatre
autres disciples, fit environ deux ou trois lieues au midi, en suivant
des vallées : il passa la nuit dans un hangar de moissonneurs qui
se trouvait inoccupé, sur le penchant d'un coteau qui. séparait
deux villes. La ville située à gauche s'appelait Ulama, celle
qui était à droite Japhia, si je ne me trompe (elle n'en
était pas bien sûre). Ulama est vis-à-vis Tarichée,
à peu près comme Gennabris vis-à-vis Tibériade.
La ville qui est à droite est située plus bas que Béthulie,
et elle en est assez éloignée, mais la montagne se dérobe
à la vue, de telle façon que Béthulie semble placée
au-dessus de cette autre ville. Celle-ci se montre en face du chemin que
suit Jésus, comme s'il y allait directement : mais il se détourne
bientôt et on la perd tout à fait de vue.
La plaine où Jésus enseigna les moissonneurs s'appelle,
dans la dernière contrée où eut lieu la contestation
à l'occasion du puits et du champ. la plaine de Dothaim. C'est véritablement
la plaine où Joseph trouva ses frères avec leurs troupeaux,
et le puits qui est en forme de carré long est la citerne dans laquelle
ils descendirent Joseph. La Sœur croit qu'elle est située dans une
vallée au midi de Béthulie, et que Dothaïm est un peu
plus loin.
QUINZIÈME CHAPITRE.
Jésus à Abelmehola et à Bezech-Ainon.
(Du 2 au 9 septembre 1822.)
Jésus à Abelmehola. - Détails relatifs à l'Ancien Testament. - Jésus à Bézech - à Ainon. - Mara la Suphanite.
(2 septembre) Le matin Jésus alla avec les disciples à
environ cinq lieues plus loin dans la direction du midi et arriva vers
les deux heures à la petite ville d'Abelmehola, lieu de naissance
du prophète Élisée. Elle était située
sur une pente du mont Hermon, en sorte que les tours étaient au
niveau de l'arête de la montagne. Elle n'était qu'à
deux lieues de Scythopolis en s'en éloignant du côté
du couchant, on arrivait dans la vallée de Jezraël. Elle était
à peu près sur la même ligne que la ville de Jezraël
elle-même. Pas très loin d'Abelmehola et plus près
du Jourdain était un endroit appelé Bezech que j'ai vu dans
le lointain en accompagnant le Seigneur. Samarie était à
plusieurs lieues au sud-ouest. Je crois qu'Abelmehola est située
dans les limites ou sur les confins de la Samarie, mais elle est habitée
par des Juifs.
Jésus et ses disciples s'arrêtèrent devant la ville
à un endroit où se reposaient les voyageurs, comme c'était
l'usage dans la Palestine, et où venaient ordinairement les prendre
des personnes hospitalières de la ville qui les recevaient dans
leurs maisons. C'est aussi ce qui arriva ici. Des gens qui passaient sur
le chemin reconnurent Jésus qui était venu ici précédemment,
à l'époque de la fête des tabernacles on à un
autre moment, et ils le dirent en rentrant chez eux. Alors un paysan aisé
de l'endroit vint avec ses serviteurs ; il apporta à boire et à
manger pour Jésus et les disciples, les invita à venir chez
lui et ils le suivirent. Il leur lava les pieds et leur donna d'autres
habits, pendant qu'il battait et nettoyait les leurs. Il fit aussi préparer
un repas, et inviter aussitôt plusieurs pharisiens avec lesquels
il était en bons termes et qui ne tardèrent pas à
paraître. Cet homme faisait de grandes démonstrations d’amitié
; mais au fond il ne valait pas grand chose : il voulait se faire gloire
devant le monde de ce que le prophète était venu chez lui
: il voulait de plus le faire examiner par les pharisiens. Ils pensaient,
les uns et les autres, que cela se ferait mieux à table en particulier
qu'à la synagogue, en présence du peuple assemblé.
Mais à peine la table était-elle préparée,
que tous les malades transportables de l'endroit se rassemblèrent
devant la maison et dans la cour, ce qui déplut fort au maître
et aux pharisiens. Il sortit et voulut les faire retirer. Mais Jésus
dit : " J'ai à prendre une autre nourriture dont je suis affamé.
"Et au lieu de se mettre à table, il sortit pour aller trouver les
malades et commença à les guérir : tous ses disciples
le suivirent. Je leur aurais su mauvais gré de ne pas le faire.
Il y avait là plusieurs possédés qui poussaient des
cris vers lui. Il les guérit d'un regard et d'un simple commandement.
Plusieurs malades étaient perclus d'une main ou des deux mains :
il leur passa la main sur les bras et leur imprima un mouvement de haut
en bas. D'autres étaient hydropiques, il leur mit la main sur la
tête et sur la poitrine. D'autres étaient atteints de consomption,
d’autres avaient de petits ulcères, qui du reste n'étaient
pas d'une nature maligne. Je l'entendis dire à quelques-uns de se
baigner, à d'autres qu'ils se porteraient tout à fait bien
sous peu de jours et il leur prescrivit certaines œuvres. Bien en arrière
d'eux, se tenaient appuyées contre un mur plusieurs femmes hydropiques
couvertes de leurs voiles et jetant timidement vers Jésus un regard
oblique ou soulevant par instants leur voile pour lui montrer un visage
défait. Jésus alla à elles en dernier lieu : il les
toucha et les guérit ; et elles se jetèrent à ses
pieds.
Tous ces gens étaient transportés de joie et chantaient
des cantiques de louange, mais les pharisiens qui étaient dans la
maison en avaient fermé toutes les ouvertures : ils s'indignaient
près de leur hôte et regardaient souvent à travers
le grillage. Ces guérisons durèrent longtemps, et, comme
ils voulurent retourner chez eux, il leur fallut traverser la cour, au
milieu des malades, des guéris et de leur jubilation, ce qui fut
pour eux un vrai crève-cœur. la foule était si grande à
la fin que Jésus fut obligé de se cacher dans la maison jusqu'à
ce qu'ils se fussent retirés.
Le jour tombait déjà lorsque cinq lévites vinrent
inviter Jésus et ses disciples à prendre leur logement dans
la maison d'école à laquelle ces lévites étaient
préposés. Ils quittèrent le paysan pharisien en le
remerciant : Jésus lui fit encore une courte admonition et se servit
d’une expression comme celle de renards qu'il avait appliquée aux
hérodiens. Cet homme ne cessa pas de faire des démonstrations
amicales. Dans la maison d'école Jésus et ses disciples mangèrent
quelque chose, puis ils dormirent dans un long corridor, étendus
sur un tapis : les couches étaient séparées par des
cloisons. Dans cette maison on faisait l'école aux garçons.
Il y avait aussi une pièce où l'on instruisait des femmes
adultes qui désiraient prendre une connaissance approfondie de la
loi de Moise pour se faire juives.
Cette école existait déjà ici dès le temps
de Jacob : elle avait été transmise de main en main aux Juifs
actuels. Je vis ce qui suit sur son origine, et à cette occasion
je vis de nouveau en esprit plusieurs scènes de l'Ancien Testament.
Voici ce que j'en ai retenu:
Isaac demeurait à peu de distance d'Hébron, dans le pays
des Héthéens, où Abraham avait acheté un champ
: il possédait de grands troupeaux et de nombreux esclaves, et il
était devenu aveugle de bonne heure. Esau et Jacob étaient
déjà des hommes faits lorsque Jacob reçut avant Esau
la bénédiction de son père, c'est-à-dire la
transmission réelle et sacramentelle d'une bénédiction
mystérieuse en vertu de laquelle il était assuré que
le Messie sortirait de sa race. Esau était déjà marié,
il avait des femmes païennes et plusieurs enfants. Il persécuta
Jacob de toutes les manières, et Rébecca envoya secrètement
celui-ci à Abelmehola où il avait des troupeaux et des serviteurs,
et où il habitait sous la tente. Rébecca avait établi
là une école pour des Chananéennes et d'autres filles
paiennes. Comme Esau, ses enfants et ses serviteurs, ainsi que d'autres
hommes au service d'Isaac, contractaient des alliances avec cette sorte
de femmes, Rébécca qui voyait cela avec répugnance
faisait instruire là dans la religion d'Abraham les jeunes filles
qui le désiraient, car ce territoire lui appartenait.
Jacob se tint longtemps caché dans cet endroit, et quand on
s'enquérait de lui, elle disait qu'il était en pays étranger
paissant les troupeaux d'autrui. Quelquefois il allait la voir la nuit
et elle le tenait caché de crainte d'Esau. Il creusa près
d'Abelmehola un puits, le même près duquel Jésus s'était
assis devant la ville Les habitants tenaient ce puits fort en honneur,
et il était toujours recouvert. Il creusa aussi près de là
une citerne en forme de carré long, dans laquelle on pouvait descendre
par des marches. Plus tard son séjour fut connu et comme on remarqua
qu'à l'exemple d'Esau, il recherchait aussi une femme chananéenne,
Isaac et Rébecca l'envoyèrent dans la patrie de celle-ci,
prés de Laban son oncle, au service duquel il se mit et dont il
épousa les filles
Rébecca n'avait placé son école si loin du pays
de Heth, où était sa demeure, que parce qu'Isaac avait des
luttes continuelles à soutenir contre les Philistins lesquels souvent
ravageaient tout chez lui. Elle avait établi là un homme
venu comme elle de la Mésopotamie, et sa propre nourrice, qui était,
je crois, la femme de cet homme Les écolières habitaient
sous des tentes, et on leur apprenait tout ce qu'une femme devait savoir
pour tenir un ménage de bergers nomades. On leur enseignait aussi
les devoirs d'une femme appartenant à la race et à la religion
d'Abraham. Elles avaient des jardins et cultivaient toute espèce
de plantes grimpantes, comme des courges, des melons, des concombres, et
aussi une espèce de blé. Elles possédaient, en outre,
des brebis de grande taille dont elles buvaient le lait.
J'ai vu aussi qu'elles apprenaient à lire et à écrire,
et avec quelle difficulté. On écrivait alors d'une façon
très étrange sur quelque chose de brun et d'épais.
Ce n'étaient pas des rouleaux de parchemin, comme plus tard, c'étaient
des morceaux d’écorce : j'en vis quelquefois prendre sur les arbres.
On y imprimait les lettres au moyen du feu. Elles avaient des boîtes
à compartiments, et je vis reluire la surface de ces compartiments
: car il y avait toute sorte de types en métal qu'on faisait chauffer
dans la flamme et qu'on imprimait successivement sur l'écorce. Voici
comment j'ai vu préparer le feu avec lequel elles les faisaient
chauffer, et qui leur servait eu outre pour la cuisine, pour rôtir,
pour faire cuire le pain, et même pour l'éclairage ; et je
pensais, à cette occasion, que tout le monde ici mettait la lumière
sous le boisseau. Dans un vase dont la forme me rappelait l'espèce
de coiffure que plusieurs idoles paiennes ont sur la tête, brûlait
une masse noire au milieu de laquelle était creusé un trou,
peut-être pour donner de l'air. Les petits cylindres qui entouraient
le vase étaient creux, et on y versait souvent un liquide qu'on
y faisait chauffer. Au-dessus de ce réchaud, elles renversaient
une espèce de boisseau, dont la partie supérieure était
mince et comme percée de petits trous : il était également
entouré de petits cylindres où l'on pouvait faire chauffer
quelque chose. Autour de ce boisseau étaient des ouvertures avec
des châssis, et quand on voulait avoir de la lumière, on ouvrait
une petite fenêtre, par laquelle arrivait la lumière de la
flamme. On ouvrait toujours par les côtés où il ne
venait pas de courant d'air comme il y en avait fréquemment sous
les tentes. Sous le bassin où était le feu il y avait un
petit cendrier dans lequel on faisait cuire des petits pains fort minces
; plus haut, sur le boisseau, on faisait chauffer dans des vases peu élevés,
l'eau dont on j faisait usage pour les bains, pour la lessive et pour la
cuisine. Elles y faisaient aussi griller et rôtir les aliments. Ces
ustensiles étaient légers et minces ; on les avait avec soi
en voyage, et on pouvait les transporter facilement d'un endroit à
l'autre. On faisait chauffer sur un réchaud de ce genre les lettres
dont on marquait les morceaux d'écorce.
Les Chananéens avaient les cheveux noirs ; ils étaient
plus basanés qu'Abraham et ses compatriotes : ceux-ci avaient le
teint plus jaune avec une nuance vermeille. Les femmes chananéennes
étaient autrement vêtues que les filles d'Israël. Elles
portaient un ample vêtement d'étoffe de laine jaunâtre
descendant jusqu'aux genoux. Il se composait de quatre morceaux qui se
réunissaient et s'attachaient au-dessous des genoux, et formaient
un large caleçon, lequel était aussi assujetti autour du
corps. Des pièces d’étoffe semblables recouvraient le des,
la poitrine et le ventre. Ces pièces étaient attachées
ensemble sur les épaulés, et cette espèce d'ample
scapulaire, ouvert sur les deux côtés, était serré
autour du corps par un lacet au-dessus duquel il bouffait. Le tout faisait
l'effet d'un large sac, lié par le milieu et s'arrêtant brusquement
au-dessous des genoux. Elles étaient chaussées de sandales,
et depuis les pieds jusqu'aux genoux s'étendaient des courroies
qui se croisaient, et entre lesquelles on voyait la jambe nue. Les bras
étaient couverts d'un morceau d'étoffe fine et transparente,
qui formait une manche assujettie par plusieurs anneaux de métal
brillant. Elles portaient sur la tête un bonnet de petites plumes
qui finissait eu pointe, et derrière lequel s’arrondissait comme
le cimier d'un casque avec un panache touffu. Elles étaient belles
et bien faites, mais du reste beaucoup plus ignorantes que les femmes de
la race d'Abraham. Quelques-unes avaient aussi de longs manteaux, plus
étroits du haut que de bas. Les femmes israélites portaient
sur la chair une pièce d'étoffe qui couvrait les reins et
enveloppait le corps : elles mettaient par là-dessus une longue
tunique, puis une longue robe boutonnée sur le devant : elles avaient
la tête couverte d'un voile.
Je vis et j'entendis aussi ce qu'apprenaient ces Chananéennes
: il s'agissait de la religion d’Abraham. Voici ce que j'en ai retenu.
On les instruisait sur la création du monde, sur celle d'Adam et
d'Eve, et leur introduction dans le paradis ; sur la tentation d'Eve par
Satan, et sur la chute du premier couple humain, amenée par la violation
de l'abstinence que Dieu leur avait prescrite. J'ai toujours vu que ce
fut de la manducation du fruit défendu que naquirent dans l'homme
toutes les convoitises coupables. On leur enseignait que Satan avait promis
à nos premiers parents une lumière et une science toutes
divines, mais que les hommes, après le péché, étaient
devenus aveugles qu'il leur était tombé comme une taie sur
les yeux qu'une faculté d'intuition qu'ils avaient antérieurement
leur avait été retirée, et que depuis lors ils travaillaient
à la soeur de leur front, enfantaient dans la douleur, et ne pouvaient
acquérir aucune science que péniblement et humblement. Elles
apprenaient encore qu’il avait été promis à la femme
un fils qui écraserait la tête du serpent : on leur parlait
d'Abel, de Caïn et des descendants de Caïn ; on leur disait comment
ils avaient dégénéré et étaient devenus
mauvais ; comment les enfants de Dieu, attirés par la beauté
des filles des hommes, s'étaient unis à elles et avaient
donné naissance à une race de géants, d'hommes forts
et impies, pratiquant la magie et versés dans toute espèce
de mauvaises sciences ; race qui avait inventé et enseigné
toutes les voluptés et toute, les maximes de la fausse sagesse,
en un mot, tout ce qui attire au péché et détourne
de Dieu ; elle avait tellement perverti et corrompu les hommes, que Dieu
avait résolu de les détruire tous, à l'exception de
Noé et de sa famille. Ce peuple avait eu sa résidence principale
sur une haute chaîne de montagnes, et il avait cherché à
s'élever toujours plus haut ; mais dans le déluge ces montagnes
s'étaient affaissées et avaient fait place à une mer.
On leur parlait ensuite du déluge ; de Noé, sauvé
dans l'arche avec ses fils Sem, Cham et,Japhet j du péché
de Cham, et de la perversité qui s'était de nouveau montrée
chez les hommes lors de la construction de la tour de Babel. L'histoire
de cette tentative. suivie de la destruction de l'édifice, de la
confusion des langues et de la séparation des hommes, devenus ennemis
les uns des autres, était rapprochée de celle de ces hommes
méchants, robustes, adonnés à la magie, qui habitaient
les hautes montagnes ; on montrait tout cela comme le résultat de
mariages illicites, détendus par la loi de Dieu, et contractés
uniquement pour satisfaire les convoitises de la chair. Sur la tour de
Babel aussi, on pratiquait la magie et l'idolâtrie, on se livrait
à l'impudicité. Par ces enseignements, les jeunes filles,
converties, étaient mises en garde contre toute union avec des idolâtres,
contre tout penchant à la superstition et à la magie, contre
l'attrait des jouissances sensuelles. contre le goût des raffinements
dangereux pour l’esprit et le corps, et enfin contre tout ce qui ne conduit
pas à Dieu ; toutes ces choses leur étaient montrées
comme faisant partie des péchés à cause desquels Dieu
avait exterminé le genre humain. On leur inculquait, au contraire.
la crainte de Dieu, l’obéissance, la soumission et la pratique simple
et fidèle des devoirs de la vie pastorale. On leur apprenait les
préceptes donnés par Dieu à Noé, par exemple,
celui de ne pas manger de chair crue ; j'ai oublié les autres. On
leur enseignait encore comment Dieu avait choisi la race d'Abraham pour
en faire sortir son peuple d'élection, au sein duquel devait naître
le Rédempteur, et comment il avait fait sortir Abraham de la terre
d’Ur et l'avait séparé du reste des hommes : comment il lui
avait envoyé des hommes blancs, c'est-à-dire des hommes qui
apparaissaient éclatants de blancheur et de lumière, et comment
ceux-ci avaient donné à Abraham le mystère de la bénédiction
de Dieu, afin que sa postérité fût élevée
au-dessus de tous les peuples de la terre. On ne faisait mention de ce
mystère qu'en termes généraux et avec une sorte de
crainte religieuse, on leur disait avec quel respect cette bénédiction
de Dieu devait être conservée dans la sainteté du mariage
chez les enfants d'Abraham, parce que d'elle devait sortir le peuple de
Dieu et la rédemption ; on leur présentait Melchisédech
comme un de ces hommes blancs dont il a été parlé,
et on leur racontait comment il avait offert du pain et du vin et béni
Abraham
Je crois que c'est Melchisédech qui a introduit dans le pays
la culture du blé et de la vigne, qui n'y existaient pas encore
mais je ne le sais plus bien exactement. On leur faisait aussi connaître
le jugement de Dieu sur Sodome et Gomorrhe.
Celles de ces Chananéennes qui se mariaient avec des hommes
appartenant à Abraham étaient instruites sur l'alliance sainte
et le signe de l'alliance de Dieu avec Abraham et sa postérité.
J'appris à cette occasion que dans ces premiers temps les filles
de pure race d'Abraham étaient marquées, elles aussi, d'un
signe sur le corps : ce qui se faisait le 25. jour après leur naissance
; c'était pour leur rappeler, à elles et à d'autres
encore, qu'elles étaient les vases sacrés du peuple de Dieu.
Cet usage ne dura pas très longtemps ; il était déjà
tombé en désuétude longtemps avant la sortie d'Egypte.
Je vis que quand une de ces Chananéennes épousait un homme
de la race d'Abraham, on lui imprimait auparavant un signe ineffaçable
sur le creux de l'estomac. Ces signes étaient divers ; c'étaient
tantôt des lignes entières, tantôt des lettres isolées.
Il semblait qu'on les marquât du sceau de leur nouvelle famille ou
des armoiries d'Abraham. Je ne sais plus les détails. Le signe de
l'alliance entre Dieu et la race d'Abraham n'avait pas été
donné par Dieu comme un signe entièrement nouveau, mais comme
le sceau sacré et perpétuel de l'alliance de Dieu avec la
postérité d'Abraham, dont il avait fait son peuple. C'était
un signe élevé à la dignité de sacrement, que
toutefois d'autres races humaines portaient aussi, comme étant simplement
la marque d'une extraction plus pure, sans qu'il y eût chez celles-ci,
comme chez les Israélites, un précepte sacré donné
par Dieu, obligatoire sous peine de retranchement. Il en était de
même du baptême, qui était comme une purification symbolique
chez d'autres peuples, et chez les Juifs eux-mêmes, avant d'être
élevé par le Rédempteur à la dignité
de sacrement régénérateur de la nouvelle alliance.
Je reconnus aussi que le signe de l'alliance donné à Abraham
existait déjà chez divers autres peuples, et notamment chez
des races sacerdotales, par exemple en Egypte et même en Chaldée
; les femmes paiennes qui épousaient des patriarches comme Céthura,
la femme noire d'Abraham, appartenaient à une de ces racés
marquées du signe en question. Je ne me souviens pas à présent
d'où les autres peuples avaient appris à distinguer aussi
leurs races par un signe particulier. Du reste, leur condition en cela
différait de celle des descendants d'Abraham, chez lesquels c'était
le sceau divin de leur union conjugale qui devait produire le plus pur
et le plus saint des fruits, puisque le Verbe lui-même devait s'y
incarner par l'opération du Saint-Esprit. La tâche la plus
sacrée de la religion était alors de coopérer avec
les desseins miséricordieux du Seigneur à l'égard
des hommes, en procurant le développement d'une race d'hommes très
pure par la séparation ou la réunion des couples humains
destinés à former une souche sanctifiée, de laquelle
sortirent tous les prophètes, tous les ancêtres de la sainte
famille, et enfin la sainte famille elle-même. Ce rejet des mauvais
éléments et cette réunion des bons éléments
dispersés pour en former de saintes générations se
continuent encore à présent dans l'union nuptiale de Jésus-Christ
avec l'Eglise, sa fiancée, et celui qui comprend bien cela doit
aussi comprendre quelle chose grave et contraire aux desseins de Dieu sont
les mariages mixtes. Ces sortes de choses paraissent bien étranges,
et cependant elles nous touchent de bien près, comme la parabole
du froment recueilli et vanné sur l'aire et des pailles jetées
au feu. Oh ! combien il est touchant de voir le saint roi Venceslas recueillir
lui-même les grains de blé les plus purs, les grappes de raisin
les plus exquises, et les offrir pour servir de matière au très
saint Sacrement de l'autel !
Dans ces temps anciens, beaucoup d'hommes avaient sur eux certains
signes semblables à des signes de naissance, et souvent parmi les
enfants il y en avait qui apportaient au monde des signes de ce genre,
comme rejetons élus de leurs races, désignés et marqués
par Dieu même pour être prophètes, ou rois, ou remplir
d'autres fonctions élevées. On en tenait grand compte, et
c'était à peu près comme il arrive encore aujourd'hui
chez les gens de la campagne, qui se livrent à toute sorte de prévisions
et d'espérances quand un enfant naît ce qu'on appelle coiffé.
Il y avait de ces enfants des deux sexes, naissant déjà avec
des marques naturelles aux endroits du corps où, sans cela, on avait
coutume de leur imprimer des marques artificielles. On voyait des enfants
mâles naître ainsi avec un signe sur la hanche. C'étaient
des hommes marqués pour une certaine destination. Il y avait des
gens qui comprenaient et recherchaient le sens de ces signes ; ils devaient
être pour les parents les titres naturels que leurs enfants apportaient
au monde, comme il y a des gens qui expliquent aujourd’hui aux paysans
les titres concernant leurs propriétés : car ces signes naturels,
eux aussi, étaient souvent falsifiés pour introduire un intrus
dans une race plus noble ou le faire arriver à quelque dignité,
ce qui pouvait avoir lés suites les plus funestes. On doit voir
dans tout cela quelque chose de semblable aux procédés dont
on se sert pour améliorer des espèces d'arbres ou des races
d'animaux. On se garde bien de marier des rejetons sauvages à des
souches de qualité supérieure ou de la laine grossière
avec des toisons plus fines : et de même qu'un jardinier soigneux
ou un propriétaire de troupeaux entendu envoient souvent bien loin
des hommes de confiance pour leur rapporter des sujets d'une espèce
plus relevée, de même nous voyons Abraham lui-même envoyer
en Mésopotamie son serviteur affidé, Eliézer, pour
y chercher une femme de noble race, et Éliézer poser sa main
sous la hanche d'Abraham et lui jurer par le seigneur du ciel et de la
terre qu'il ne prendra pas parmi les filles des Chananéens la femme
destinée à son fils Isaac.
Quoique les patriarches eux-mêmes ne prissent point chez ce peuple
de femmes légitimes, il leur arrivait pourtant souvent de marier
à des Chananéennes des gens qui leur appartenaient, et c'est
pour cela que Rébecca, sous ses tentes d'Abelmehola, faisait élever
des jeunes filles de cette nation dans la religion et les coutumes de sa
race.
Le 3, dans la matinée, Jésus alla avec les disciples
dans l'école des garçons, près de laquelle il avait
logé. Cette école était actuellement une fondation
pour les enfants juifs des deux sexes, enfants trouvés, orphelins
ou rachetés de l'esclavage. Il s'en trouvait qui avaient été
enlevés et élevés dans l'ignorance de la doctrine
israélite. Il y avait des différences d'âge chez les
garçons et plus encore chez les filles, en sorte que les grandes
instruisaient les plus petites. Parmi les maîtres de celle école
il se trouvait des pharisiens et des sadducéens, lesquels ne vinrent
qu'après Jésus.
Note : " cette occasion Anne Catherine raconta aussi touchant Abraham
que ses parents étaient païens et adoraient de petites idoles,
qu'Abraham lui-même, dans le commencement, avait eu de ces idoles.
Elle dit que le texte de l'Ecriture où Dieu le fit sortir du feu
des Chaldéens (2, Esdras, IX, 7), équivalait à dire
qu'il l’avait conservé pur au milieu d'un peuple horriblement dépravé,
l’avait préservé de l'adoration du feu, et conduit hors de
la ville d’Ur, dont le nom veut dire feu. De plus elle se rappelait confusément
une histoire d'après laquelle on avait voulu la faire périr
dans le feu comme Moise dans l'eau, lorsqu'il était enfant ; mais
sa nourrice l'avait caché parce qu'une prophétie particulière
reposait sur lui ; puis cette nourrice était morte et on lui en
avait donné une autre.
Les garçons avaient à faire, entre autres choses, un
calcul d'après le livre de Job, et ils ne pouvaient pas en venir
à bout. Jésus le leur fit comprendre à l'aide de quelques
lettres qu'il traça : il leur expliqua aussi quelque chose touchant
une certaine mesure : j'en ai oublié le nom ; je crois que c'était
celle qui désigne une route de deux lieues ou une durée de
deux heures : je ne m'en souviens plus bien.
Jésus expliqua aux garçons plusieurs choses touchant
le livre de Job ; il fit ainsi, parce que quelques rabbins avaient nié
la réalité de cette histoire, embarrassés de ce que
les Iduméens, de la race desquels venait Hérode, raillaient
et persiflaient les Juifs à ce sujet, les trouvant absurdes de croire
à la réalité de cette histoire d'un homme du pays
d'Edom, dont pourtant aucun habitant de ce pays n'avait connaissance, et
prétendant que c'était une pure fable destinée à
récréer les Israélites dans le désert. Jésus
expliqua aux enfants l'histoire de Job comme elle avait eu lieu réellement.
Il la raconta à la fois à la façon d'un prophète
et d'un maître d’école : il semblait qu'il eût les choses
devant les yeux, que ce fût sa propre histoire, qu'il eût tout
vu et tout entendu, ou que Job lui eût tout raconté : on ne
savait pas s'il avait vécu dans ce temps-là, s'il était
un ange de Dieu ou Dieu lui-même. Cela ne parut pas très étrange
aux enfants, car ils eurent bientôt le sentiment que Jésus
était un prophète : ils se souvenaient aussi de ce qu'on
leur avait dit touchant Melchisédech que nul ne savait ce qu'il
était. Malheureusement l'angoisse et la souffrance m'ont fait oublier
la plus grande partie de tout cela ; j’ai pourtant retenu quelque chose
de ce qui fut dit sur Job.
Note : Elle ne savait plus bien clairement ce que les enfants avaient
à calculer ; elle croyait tantôt qu'il s’agissait de l'époque
de Job, tantôt de sa généalogie, tantôt des divers
lieux où il avait réside, tantôt dés intervalles
entre ses épreuves.
Job était ancêtre d'Abraham du côté maternel
: il y avait quatre générations entre eux (il était
trisaïeul de la mère d'Abraham). Son histoire et ses entretiens
avec Dieu furent écrits tout au long par deux de ses plus fidèles
serviteurs, qui étaient comme ses intendants : ils les avaient recueillis
de sa propre bouche. Ces deux serviteurs s'appelaient Haï et Uis ou
Oïs. Ils écrivaient sur des écorces d'arbres. Cette
histoire fut conservée comme une chose sacrée chez ses descendants,
et elle fut transmise de génération en génération
jusqu'à Abraham : on la racontait aux Chananéennes dans l'école
de Rébecca, pour leur enseigner la soumission aux épreuves
envoyées par Dieu.
Cette histoire arriva, par Jacob et Joseph, aux enfants d'Israël
en Egypte, et Moïse en fit un abrégé approprié
à l'usage des Israélites pendant leur oppression chez les
Egyptiens, et leurs tribulations dans le désert : sous sa première
forme, elle était beaucoup plus étendue, et il s'y trouvait
beaucoup de choses qu'ils n'auraient pas comprises et qui ne leur auraient
été d'aucune utilité. Salomon la remania plus tard
entièrement, laissa beaucoup de choses de côté et ajouta
beaucoup du sien. C'est ainsi que cette histoire véritable devint
un livre d'édification rempli de la sagesse de Job, de Moïse
et de Salomon : l’on ne pouvait plus y retrouver que difficilement l'histoire
proprement dite : car elle avait été placée plus près
de la terre de Chanaan par le changement de plusieurs noms de lieux et
de peuples : c'était là ce qui faisait croire que Job était
un Iduméen.
Note : Le père de la race arménienne porte le nom d'Hai.
Job a habité différents lieux et subi ses épreuves
en trois endroits divers. La première fois il eut neuf ans de repos,
puis sept et ensuite douze, et toujours l'épreuve l'atteignit dans
une résidence différente. Son père était un
grand chef de races, il habitait dans le voisinage d'une montagne où
il fait chaud sur l'un des versants, tandis qu'il fait froid et qu'il gèle
de l'autre côté. Job était le plus jeune de treize
frères ; dans les derniers temps quelques-uns d'entre eux étaient
près de lui. C'était peu de temps avant son époque
qu'avait eu lieu la dispersion de la tour de Babel. Il ne pouvait pas rester
près de ses parents, car il avait d'autres sentiments et adorait
Dieu seul dans la nature, spécialement dans les étoiles et
les vicissitudes du jour et de la nuit. Il s'entretenait avec Dieu des
merveilles de la création et il avait un culte plus épuré.
Il alla avec les siens au nord du Caucase. Il y avait là une contrée
très misérable et beaucoup de marécages : je crois
qu'elle est habitée à présent par des gens qui ont
le nez épaté, des pommettes saillantes et de petits yeux.
C'est là que Job débuta et tout lui réussit d'abord
: il rassembla de pauvres hommes abandonnés qui habitaient les cavernes
et les bois, et qui n'avaient pour nourriture que des oiseaux et d'autres
bêtes dont ils mangeaient la chair crue. Il cultiva la terre avec
eux et il leur apprit à la remuer. Job et ses gens allaient alors
presque nus : ils n'avaient qu'une espèce de petit tablier autour
des reins. Les femmes étaient singulièrement vêtues
: elles avaient sur les seins comme des étuis, puis le corps était
nu jusqu'au nombril : elles avaient le bas du corps et les reins couverts
d'un vêtement semblable à des chausses qui étaient
larges et froncées autour des genoux : leurs jambes étaient
nues. Je vis tout cela pendant que Jésus parlait de ce peuple. Tout
réussissait à Job : il demeurait sous des tentes, ses troupeaux
se multipliaient et il lui naquit à la fois, d'abord trois fils,
puis trois filles. Il n'avait alors qu'une femme : plus tard il en eut
trois. Il n'y avait pas encore là de ville, mais il parcourait les
plaines, s'arrêtant tantôt dans un endroit, tantôt dans
l'autre. Ils ne faisaient pas de pain avec le blé, ils le mangeaient
en bouillie et grillé. Ils mangeaient encore la viande crue, mais
plus tard il leur apprit à la faire cuire.
Il était incroyablement doux, bon, juste et bienfaisant, et
il secourait tous les pauvres gens. Il était aussi très chaste
et regardait les convoitises de la chair comme une punition du péché.
Il était très familier avec Dieu qui lui apparaissait
souvent par l'intermédiaire d’un ange ou d'un homme blanc, comme
on disait alors. Il n'était pas idolâtre comme ses voisins,
qui fabriquaient différentes figures d'animaux et les adoraient.
Il avait imaginé pour son usage une représentation du Dieu
tout-puissant. C'était une figure d'enfant dont la tête était
entourée de rayons : les mains étaient placées l'une
au-dessous de l'autre : dans l'une d'elles il tenait un globe sur lequel
étaient représentés des flots et un petit navire :
je crois que ce devait être une représentation du déluge
Cette figure était brillante comme si elle eût été
faite de métal et il la portait avec lui partout. Il priait devant
elle et lui présentait une oblation de grains de blé qu'il
brûlait. La fumée s'élevait en l'air comme à
travers un entonnoir.
Je n'ai pas vu que la circoncision fût en usage chez lui : mais
quand les enfants étaient nés, on les tenait un certain temps
dans une fosse pleine d'eau ; s'ils ne pouvaient pas supporter cette épreuve
et qu'elle les rendît malades, on n'en tenait aucun compte et on
les regardait comme ayant peu de valeur. (Peut-être était-ce
un usage emprunté au souvenir du déluge.) C'est ici que Job
eut son premier malheur. Entre chacune de ses épreuves, il eut encore
des combats et des luttes à soutenir, car il était entouré
de beaucoup de races perverses. Plus tard il alla plus avant dans les montagnes
(le Caucase), où il recommença à nouveau et où
tout lui réussit encore. Dans ce nouveau séjour ses gens
et lui commençaient à être mieux vêtus et ils
étaient beaucoup plus civilisés dans leur manière
de vivre. Il y avait là un roi qui le prit en grande estime et il
accompagna une fiancée royale en Egypte avec un cortège de
chameaux et de serviteurs : il demeura environ cinq ans en Egypte où
il fut très honoré. Je crois qu'alors les Egyptiens plaçaient
les enfants dans des idoles rougies au feu et, si je ne me trompe, il fit
abolir cet usage : ce fut plus tard qu'ils fabriquèrent leurs étranges
figures de bœufs.
Lorsqu'il revint chez lui, il eut à subir sa seconde épreuve
et lorsque la troisième survint, après un intervalle de douze
ans, il habitait une contrée plus méridionale, située
à la hauteur de Jéricho, mais plus à l'orient. Je
crois que ce pays lui avait été donné après
sa seconde épreuve parce qu'il était partout très
aimé et très honoré à cause de son extrême
droiture, de sa grande crainte de Dieu et de ses lumières.
Ici encore il avait commencé à nouveau. Sur une hauteur
où le sol était fertile, couraient toute espèce de
nobles animaux, notamment des chameaux à l'état sauvage :
on les prenait là comme chez nous les chevaux indomptés dans
les bruyères.
Il s'établit sur celle hauteur, devint très riche, bâtit
une ville et prospéra de plus en plus. La ville était sur
des fondements en pierre, au-dessus desquels étaient tendues des
tentes : ce fut lorsqu'il était de nouveau en pleine prospérité
que la troisième épreuve vint l'assaillir et qu'il fut affligé
d'une si horrible maladie. L'ayant supportée comme les autres avec
beaucoup de patience et de sagesse, il revint entièrement à
la santé et il eut encore beaucoup de fils et de filles. Je crois
qu'il moulut à une époque très postérieure,
lorsqu'un peuple étranger fit irruption dans ce pays.
Quoique l’histoire de Job ait été entièrement
remaniée, il s'y trouve pourtant beaucoup de choses dites réellement
par Job, et je crois que je pourrais toutes les reconnaître. Dans
le récit où l'on voit les serviteurs arriver si promptement
les uns après les autres, les mots " comme il parlait encore " équivalent
à ceux-ci : "comme la dernière épreuve était
encore dans la mémoire des hommes, n'en était pas encore
effacée. "
Quand il est dit que Satan vint avec les enfants de Dieu et accusa
Job, ce n'est qu'une façon abrégée de parler. Il avait
alors un commerce fréquent entre les mauvais esprits et les hommes
impies auxquels les démons apparaissaient sous la forme d'hommes
blancs (la Sœur veut désigner par ces mots la figure que prenaient
les anges). C'est ainsi que de méchants voisins furent excités
contre Job ; ils le calomnièrent, ils prétendirent qu'il
ne servait pas Dieu comme il fallait, qu'ayant tout en abondance, il lui
était facile d'être bon. Alors Dieu voulut montrer que les
souffrances ne sont souvent que des épreuves, etc. (Tout ceci a
été mal retenu et n'a été expliqué que
d'une manière assez confuse.)
Les discours des amis qui entourent Job, montrent les idées
que ses malheurs faisaient naître chez les gens qui étaient
en relations d'amitié avec lui. Job attendait le Rédempteur
avec un ardent désir et il fut l'un des ancêtres de David.
Par la mère d'Abraham, qui descendait de lui, il se trouve avec
ce patriarche dans la même relation que les ancêtres de sainte
Anne avec la sainte Vierge, etc.
Jésus alla aussi dans l'école des jeunes filles : celle-ci
avaient à faire des calculs d'époques en ce qui touchait
la venue du Messie, et tous leurs calculs aboutissaient au temps présent.
Comme elles en étaient là, Jésus entra dans l'école
avec ses disciples, et son entrée fit une très vive impression.
Il enseigna sur le passage dont elles s'occupaient et expliqua tout beaucoup
plus clairement. Il dit aussi que le Messie était déjà
venu, mais qu'on ne le reconnaissait pas. Il parla du Messie inconnu et
de l'accomplissement de tous les signes de son avènement. Il s'exprima
en termes voilés sur le texte : " une Vierge, enfantera un Fils",
disant que c'était encore trop difficile à comprendre pour
elles. Il les exhorta à se regarder comme heureuses d'être
venues au monde à une époque après laquelle les patriarches
et les prophètes avaient si longtemps soupiré. Il parla encore
des persécutions et des souffrances du Messie, et leur expliqua
des passages qui s'y rapportaient. Il leur indiqua aussi d'avance un temps
qui était, je crois, celui de la prochaine fête des Tabernacles,
et leur dit de faire attention à ce qui arriverait alors à
Jéricho. Je pense qu'il leur annonça d'avance plusieurs miracles,
entre autres, celui d'une guérison d'aveugles.
Les jeunes filles étaient assises dans l'école, les jambes
croisées ; elles avaient quelquefois un genou relevé. Chacune
avait près d'elle un petit banc qui se terminait en angle. Elles
s'appuyaient par côté sur l'un des bouts : elles posaient
sur le plus large les rouleaux sur lesquels elles écrivaient ; souvent
aussi elles se levaient pour écouter.
Jésus leur fit encore un calcul sur les temps du Messie. Ce
qui rendait si difficile le calcul des garçons touchant Job, était
que, selon les Juifs, il devait être Iduméen, tandis qu'à
son époque les Iduméens n'existaient pas encore.
Il parla en outre aux enfants de Jean et du baptême et il leur
demanda s'ils ne désiraient pas être baptisés. Il raconta
aussi des paraboles à ces orphelins, il parla aux garçons
de la signification du sel et leur raconta quelque chose de l'enfant prodigue.
Il parla aux filles de la drachme perdue. Pendant que Jésus prêchait
dans l'école sur le Messie, les maîtres pharisiens y vinrent
et ils se scandalisèrent beaucoup parce qu'ils remarquèrent
qu'il appliquait tout à lui même.
Il mangea ce jour-là chez les lévites : le soir, il alla
avec eux et les enfants se promener devant la ville. Les petites filles
le suivirent, conduites par les plus grandes ; plusieurs fois il s'arrêta
jusqu'à ce qu'elles l'eussent rejoint, laissant les garçons
prendre les devants : il les enseigna en leur présentant de beaux
exemples pris dans la nature, qu'il tira de tous les objets, des arbres,
des fruits, des fleurs, des abeilles, des oiseaux, du soleil, de la terre,
de l'eau, des troupeaux et des Travaux de la campagne. Ses enseignements
aux garçons furent d'une beauté inexprimable. J'en ai oublié
les détails par suite de plusieurs dérangements. Il parla
aux garçons de Jacob, du puits creusé ici par lui, leur dit
comment l'eau vive s'épanchait maintenant vers eux, leur expliqua
ce que c'était que boucher et combler les puits, comme l'avaient
fait les ennemis d'Abraham et de Jacob, et ce que cela signifiait. Ainsi
faisaient, disait-il, ceux qui voulaient étouffer l'enseignement
et les miracles des prophètes. Il indiqua clairement par là
les pharisiens.
Il alla avec les enfants à l’ouest près de la hauteur
d'Abelmehola, à environ une lieue d'ici ; plus avant dans la vallée
se trouvait un endroit appelé Thabat.
(4 septembre.) Jésus alla ce matin à la synagogue. Tous
les pharisiens et les sadducéens de l'endroit y vinrent avec une
grande foule de peuple. Il ouvrit les Ecritures et expliqua des passages
des prophètes : ils disputèrent contre lui avec beaucoup
d'obstination, mais il les confondit tous. Cependant un homme, qui avait
les bras et les mains paralysés, s'était tramé jusqu'à
la porte de la synagogue : il avait longtemps désiré voir
Jésus et il était enfin parvenu à arriver à
l’endroit où il devait passer lorsqu'il sortirait. Quelques pharisiens
se mirent en colère contre lui et lui ordonnèrent de s'en
aller : mais comme il s'y refusait ils essayèrent de le tirer de
là. Il s'appuyait comme il pouvait à la porte et regardait
tristement du côté de Jésus qui, placé sur une
sorte d’estrade, était séparé de lui par la foule
et se trouvait d'ailleurs assez éloigné. Jésus se
tourna vers lui et lui dit : "Que me demandez-vous ?" Cet homme répondit
: "Seigneur, je vous supplie de me guérir, car vous le pouvez, si
vous le voulez. "Jésus lui dit : " Votre foi vous a guéri
: Etendez vos mains au-dessus du peuple, "et aussitôt l’homme fut
guéri à distance : il leva les mains en l’air et rendit grâces
à Dieu. Jésus lui dit alors : "Retournez chez vous, et ne
faites pas d'éclat. "Mais il répondit : " Seigneur, comment
puis-je taire un si grand bienfait ?’ Puis il partit et raconta à
tout le monde ce qui lui était arrivé. Il vint alors beaucoup
de malades devant la synagogue et Jésus les guérit lorsqu'il
sortit. Il assista ensuite à un repas avec les pharisiens qui, malgré
leur irritation intérieure, le traitèrent toujours avec beaucoup
de politesse, afin de pouvoir mieux l'espionner. Le soir, il opéra
encore des guérisons.
(5 septembre.) Jésus alla encore le matin dans l'école
d'Abelmehola. à la fin il fut entouré par les petites filles
qui se pressaient près de lui, lui prenaient la main et s'attachaient
à ses habits. Il fut extraordinairement affectueux et exhorta ces'
enfants à l'obéissance et à la crainte de Dieu. Les
plus grands se tenaient plus en arrière. Les disciples présents
étaient un peu embarrassés et soucieux, il leur tardait qu'il
se retirât. Ils pensaient, suivant les idées juives, que cette
familiarité avec les enfants ne convenait pas à un prophète
et pouvait nuire à sa réputation.
Jésus ne s'inquiéta pas d'eux, et lorsqu'il eut donné
ses instructions à tous les enfants, exhorté les adultes
et fortifié les maîtres dans le bien, il dit à un des
disciples de faire un cadeau à chacune des plus petites filles :
on leur donna des petites pièces de monnaie qui étaient attachées
ensemble ; je crois que chacune fut deux drachmes. Il bénit ensuite
les enfants en commun et ils quittèrent cet endroit, se dirigeant
au levant vers le Jourdain.
Pendant la route, Jésus enseigna encore dans la plaine, devant
des cabanes isolées, où se rassemblèrent des groupes
de laboureurs et de bergers. Ce ne fut que dans l'après-midi, vers
quatre heures, qu'ils arrivèrent devant Bezech, ville située
près du Jourdain, à peu près à deux lieues
à l'est d'Abelmehola. Elle est comme divisée en deux parties
placées des deux côtés d'un ruisseau qui tombe dans
le Jourdain.
Le pays est ici montueux et accidenté, et les maisons sont un
peu disséminées : Bezech devrait plutôt être
appelé un double village qu'une ville. Les habitants vivent isolés
et ont peu de relations au dehors : la plupart sont laboureurs et ils aplanissent
avec beaucoup de fatigue leur sol accidenté et déchiré.
En outre ils fabriquent des instruments d'agriculture pour les vendre et
confectionnent des tapis grossiers et des toiles pour les tentes.
A environ une lieue et demie d'ici, le Jourdain fait un détour
vers l'ouest comme s'il voulait couler directement vers le mont des Oliviers,
mais il se détourne bientôt et revient en arrière :
il forme ainsi une sorte de presqu'île sur sa rive orientale : il
y a là une ville et une série de maisons.-Avant que Jésus
arrivât de Galilée à Abelmehola, il avait eu une petite
rivière à traverser.-Ainon pouvait être à environ
quatre lieues de Bezech, de l'autre côté du fleuve. Jésus
entra dans une hôtellerie devant cet endroit : c'était le
premier logement préparé pour lui et ses disciples par les
soins des femmes de Béthanie qu'il eût rencontré dans
ce voyage. On y avait placé un homme pieux et animé de bons
sentiments. Il vint au devant des arrivants, leur lava les pieds et les
hébergea. Jésus alla à Bezech, où les préposés
de l'école le reçurent dans la rue. Il entra dans différentes
maisons où il guérit des malades.
(6 et 7 septembre.) Il y a ici une trentaine de disciples de Jérusalem
et des environs, qui sont venus avec Lazare, ainsi que plusieurs disciples
de Jean. Quelques uns sont venus directement de Machérunte avec
un message de Jean pour Jésus. Il le faisait prier instamment de
se manifester hautement et de déclarer qu'il était le Messie.
J'ai oublié le reste : ce n'est pas là le message qui est
mentionné dans l'Evangile. Parmi les envoyés de Jean se trouvait
le fils d'un certain Cléophas qui était veuf. Je crois que
c'est le disciple d'Emmaus qui est allié à l'autre Cléophas,
mari de la soeur aînée de la sainte Vierge. un autre disciple
était Jude Barsabas, allié à Zacharie d'Hébron.
Ses parents avaient antérieurement demeuré à Nazareth
et habitaient maintenant à Cana. Je me souviens de quelques autres
de ces disciples de Jean. Trois fils de Marie d'Héli, sœur aînée
de la sainte Vierge, étaient disciples de Jean : l’un d'eux s'appelait
Matthias ou Matthieu. Ils étaient nés si longtemps après
leur soeur Marie de Cléophas, qu'ils étaient à peine
plus âgés que ses fils. Ils suivirent le Précurseur
jusqu'à sa décollation, et se réunirent ensuite aux
disciples de Jésus. Aucun d'eux ne devint apôtre. Leur mère,
sœur très aînée de Marie, était déjà
fort âgée à cette époque, aussi vieille que
la prophétesse Anne : elle sortait peu et vivait très retirée.
Je me rappelle maintenant comment s'appelait le fils de Cléophas
d'Emmaus ; il s'appelait Azo (vraisemblablement Azor ou Hazor). Ce Cléophas
d'Emmaus était un neveu de l'autre Cléophas. Les Juifs donnaient
souvent aux enfants, lors de leur circoncision, les noms de parents proches
et particulièrement aimés.
Les deux époux qui étaient préposés à
l'hôtellerie de Bezech étaient des gens pieux qui vivaient
dans la continence, s'y étant astreints par un vœu, quoiqu'ils ne
fussent pas Esséniens. Ils avaient avec la sainte famille une alliance
qu'on tenait secrète, parce qu'elle avait été contractée
des deux côtés hors des liens du mariage. L'homme était
parent de Suzanne de Jérusalem, qui était fille naturelle
d'un frère de saint Joseph, et je crois presque qu'il était
frère de cette Suzanne. La femme était une fille illégitime
de la famille de sainte Anne : je ne sais pas si sa naissance n'était
pas la conséquence de cette faute à l'occasion de laquelle
je vis sainte Anne toute consternée, parce qu'une personne de ses
parentes qui était à son service avait été
séduite par un cousin de Joachim, accoucher avant terme de sa fille
aînée. Cette alliance des gens de l'hôtellerie avec
Jésus n'était connue que d'un petit nombre de personnes de
la famille. Les Juifs cherchaient à couvrir d'un voile charitable
les fautes de cette nature, mais les fruits de ces unions illégitimes
restaient toujours dans une position subalterne. Jésus pendant son
séjour ici s'entretint plusieurs fois en particulier avec ces gens.
Il y avait ici dix disciples de Jean parmi lesquels Matthias ou Matthieu
fils de Cléophas et ses deux frères, puis Azor fils de Cléophas
d'Emmaus et Jude Barsabas. Dix autres étaient venus avec Lazare
de Jérusalem et de Béthanie. Ce ne fut qu'à la fin
que Cléophas d'Emmaus devint tout à fait disciple et compagnon
du Sauveur, mais dès cette époque il lui était déjà
dévoué, s'entretenait souvent de lui avec Joseph d'Arimathie
et contribuait aussi à faire les frais de ses logements. Tous les
amis et les disciples présents mangèrent et passèrent
la nuit avec Jésus dans l'hôtellerie nouvellement installée.
Elle était pourvue à leur intention d'ustensiles de cuisine,
de tapis, de couches, de cloisons, et aussi de sandales et de différentes
pièces d'habillement, tout cela par les soins de Lazare et des saintes
femmes. Marthe avait dans le voisinage du désert de Jéricho
une maison habitée par des femmes qui préparaient là
toute sorte d'objets de ce genre. Elle y logeait et y faisait travailler
de pauvres veuves, de pauvres personnes ruinées qui cherchaient
une meilleure condition, et tout cela se faisait en silence et sans que
le public en fût instruit. Or ce n'était pas une petite affaire
que d'entretenir les logements nécessaires pour un si grand nombre
de personnes, d'y exercer une surveillance incessante, d'envoyer partout
des messagers ou d'inspecter soi-même.
Le matin, Jésus fit une grande instruction sur un monticule
situé au milieu du bourg, où les habitants lui avaient préparé
une chaire. Il y avait là beaucoup d'auditeurs, entre autres une
dizaine de pharisiens qui étaient venus des endroits voisins pour
l'espionner. Il enseigna avec beaucoup de douceur et de charité
| pour cette population qui était d'un bon naturel et déjà
très améliorée par l'assistance aux prédications
de Jean et par le baptême que plusieurs avaient reçu. Il les
exhorta à rester satisfaits de leur condition peu relevée,
à être laborieux et miséricordieux. Il parla du temps
de la grâce, du royaume de Dieu, du Messie, et plus clairement qu'à
l'ordinaire, de lui-même. Il parla de Jean et du témoignage
qu'il avait rendu, de son emprisonnement et de la persécution qu'il
subissait, et aussi des personnes royales auxquelles il avait reproché
leur union adultère, ce qui l'avait fait mettre en prison. Il rappela
qu'à Jérusalem on avait livré au supplice des adultères
qui n'avaient pas commis le mal avec cette publicité. Il s'exprima
d'une façon très précise et très frappante.
Il fit des exhortations pour toutes les conditions, pour tous les sexes,
pour tous les âges. un pharisien lui demanda s'il devait prendre
la place de Jean ou s'il était celui dont Jean avait parlé.
Il répondit d'une manière évasive, et lui reprocha
ses questions insidieuses.
Il fit encore plus tard une exhortation très touchante aux jeunes
garçons et aux jeunes filles. Il engagea les garçons à
user de patience les uns envers les autres, et si un autre les frappait
ou les jetait par terre, à ne pas en tirer vengeance, mais à
le souffrir patiemment, à se retirer et à pardonner. Ils
ne devaient rendre aux autres que la charité : il fallait la rendre
au double et témoigner de l'affection même à ses ennemis.
Ils ne devaient pas désirer le bien d'autrui ; mais si un de leurs
compagnons avait envie de leurs plumes, de leur écritoire, de leurs
jouets, de leurs fruits, ils devaient lui donner plus qu'il ne demandait,
et satisfaire entièrement sa cupidité aux dépens de
ce qui leur appartenait ; car, disait-il, les patients, les charitables
et les généreux auraient seuls un siège dans son royaume,
et il leur décrivait ce siège d'une façon toute appropriée
à leur âge, comme un trône magnifique.
Il parla des biens de la terre auxquels il fallait renoncer pour acquérir
les biens célestes. Il exhorta entre autres choses les jeunes filles
à s'abstenir de porter envie a leurs compagnes, à raison
de leurs avantages extérieurs ou de leurs beaux habits, et il recommanda
à tous l'obéissance, l'amour filial. la douceur et la crainte
de Dieu.
A la fin de l'instruction donnée au public, il se tourna vers
ses disciples, les exhorta et les consola avec une bonté inexprimable,
et les engagea à tout supporter avec lui et à ne se laisser
dominer par aucun soucis touchant les choses de ce monde. Il leur dit que
son Père les récompenserait magnifiquement dans le ciel,
et qu'ils posséderaient son royaume avec lui. Il parla de la persécution
qu'eux et lui auraient à souffrir en commun. Il leur dit nettement
que si les pharisiens, les sadducéens, les hérodiens les
affectionnaient et les vantaient, ils devraient reconnaître à
ce signe qu'ils s'étaient écartés de sa doctrine et
n'étaient plus ses vrais disciples. Il donna à ces diverses
sectes des surnoms caractéristiques. Il donna des éloges
aux habitants de l’endroit, principalement à raison de leur bienfaisance,
car ils prenaient souvent chez eux, comme serviteurs ou comme ouvriers,
de pauvres orphelins de l'école d'Abelmehola. Il les loua aussi
à propos d'une nouvelle synagogue qu'ils avaient bâtie en
s’imposant une contribution et aussi avec l'assistance de quelques personnes
pieuses de Capharnaum. Ensuite il guérit plusieurs malades, mangea
avec ses disciples dans l'hôtellerie, et le soir, comme le jour du
sabbat commençait, il alla à la synagogue.
Il y enseigna sur le texte d'Isaie : " Je suis votre consolateur·
(LI, 12). Il parla contre le respect humain, les exhorta à ne pas
redouter les pharisiens et les autres oppresseurs, et à ne pas oublier
que Dieu les avait créés et les avait conservés jusqu'à
présent. Il expliqua ces mots : " Je mets ma parole dans ta bouche
;" en ce sens que Dieu avait envoyé le Messie, que celui-ci était
la parole de Dieu dans la bouche de son peuple, que les paroles de ce Messie
étaient les paroles de Dieu et qu'eux, ils étaient son peuple.
Il s'appliqua tout cela à lui-même si clairement que les pharisiens
chuchotèrent entre eux, disant qu'il se donnait pour le Messie.-Il
dit ensuite que Jérusalem devait se réveiller de son ivresse,
que le temps de la colère était passé, que celui de
la grâce était venu : La synagogue stérile n'avait
engendré et mis au monde personne qui pût guider et relever
le pauvre peuple, mais maintenant les corrupteurs, les hypocrites et les
oppresseurs allaient être châtiés et réprimés.
Il fallait que Jérusalem se relevât, que Sion sortît
de son sommeil. Il appliqua tout cela dans le sens spirituel aux gens pieux
et saints, à ceux qui faisaient pénitence, à ceux
qui, passant par l'eau du baptême, traverseraient en quelque sorte
le Jourdain et entreraient dans la terre promise, dans le royaume de son
père. Aucun incirconcis, aucun impur, aucun de ceux qui ne domptent
pas leur chair, aucun pécheur ne devait plus corrompre le peuple.
Il continua ainsi à parler de la Rédemption, et du nom de
Dieu, qui devait maintenant être annoncé parmi eux, etc. Il
enseigna aussi, en prenant pour texte le Deutéronome (XVI, XVIII),
sur les juges et les magistrats, sur ceux qui faussent les lois, ceux qui
achètent ou vendent la justice, et il attaqua vivement les pharisiens
: il parla encore des prêtres, de l’idolâtrie, etc. II guérit
ensuite plusieurs malades devant la synagogue.
(7 septembre) Une grande foule de peuple était venue à
Bezech, des deux rives du Jourdain. Tous les auditeurs de Jean voulaient
maintenant entendre aussi Jésus. Il y avait là beaucoup d'aspirants
au baptême, et une grande caravane de païens qui avaient voulu
aller à Ainon, était venue du bord oriental de la mer de
Galilée pour entendre Jésus, et campait en dehors de Bezech.
Il y avait aussi une grande quantité de malades et plusieurs possédés.
Bezech n'était pas sur le bord même du Jourdain, mais à
environ trois quarts de lieue du fleuve, près d'un petit torrent
qui divisait la ville en deux parties, dont la première était
plus élevée que l'autre : celle-ci était plus rapprochée
du Jourdain. Jésus enseigna encore dans la synagogue sur des textes
d'Isaïe (LI-LII), et du Deutéronome (XVI à XXI). Il
parla de Jean et du Messie. Il indiqua les signes auxquels on reconnaîtrait
le Messie, et enseigna ici autrement qu'à l'ordinaire, car il dit
expressément qu'il était le Messie, parce qu'un fort grand
nombre des assistants était déjà très bien
préparé par les prédications de Jean. Cet enseignement
s'appuyait sur Isaïe (LII, 13, 15.) Il dit que le Messie les rassemblerait,
qu'il serait rempli de sagesse, qu'il serait exalté et glorifié
: et que de même que plusieurs avaient vu avec horreur Jérusalem
dévastée et foulée aux pieds par les païens pervers,
de même aussi son libérateur serait sans éclat parmi
les hommes, et qu'on le verrait persécuté et méprisé.
Il devait baptiser et purifier beaucoup de païens ; les rois écouteraient
ses enseignements en silence, et ceux auxquels il n'avait pas été
annoncé le verraient et recevraient sa doctrine. Il revint aussi
sur toutes ses actions et ses miracles depuis son baptême, sur la
persécution qu'il avait eu à souffrir à Jérusalem
et à Nazareth, sur les mépris, l’espionnage et les rires
moqueurs des pharisiens. Il fit mention du miracle de Cana, de la guérison
des aveugles, des muets, des sourds, des boiteux, de la résurrection
de la fille de Jaïre à Phasaël. Il montra du doigt différents
points à l'horizon, et il dit : " Ce n'est pas loin d'ici : allez
et demandez s'il n'en est pas ainsi ! "il ajouta : "Vous avez vu et reconnu
Jean : il vous a dit qu'il était son précurseur, celui qui
lui préparait la voie : Jean était-il un homme mou, délicat,
élégant ! Ou bien ressemblait-il à un homme qui tient
du désert, Habitait-il les palais, mangeait-il des mets exquis,
portait-il des vêtements précieux, parlait-il en termes choisis
? Or il a dit qu'il était le précurseur : le serviteur ne
porte-t-il pas les habits de son maître ? un rai, un seigneur brillant,
puissant et riche comme le Messie que vous attendez aurait-il un tel précurseur
Vous possédez le Rédempteur et vous ne voulez pas le reconnaître
; il ne satisfait pas votre orgueil, et parce qu'il n'est pas comme vous,
vous ne voulez pas le reconnaître ! D
Il dit encore beaucoup de choses sur le texte du Deutéronome
(XVIII,18,19) : " Je vous susciterai un prophète parmi vos frères,
et celui qui n'écoutera pas les paroles qu'il dira en mon nom, je
lui en demanderai compte. "Ce fut un enseignement plein d'autorité
et personne n'osa le contredire. Il leur dit encore : (` Jean vivait solitaire
dans le désert et n'allait visiter personne, cela ne vous convenait
pas. Je vais de lieu en lieu, j'enseigne, je guéris, et cela aussi
ne vous convient pas. Quel Messie voulez-vous ? Vous voulez tous quelque
chose de différent, vous êtes comme les enfants qui courent
dans les rues : chacun d'eux se fait un instrument à sa façon
pour y souffler : l’un un cornet en écorce. l’autre une longue flûte
de roseau. Il leur énuméra alors toute espèce de jouets
d'enfants et comment chacun voulait que tout le monde chantât sur
le même ton que lui et qu'on ne prît plaisir qu'à son
jeu .
Vers le soir, quand Jésus sortit de la synagogue, une grande
foule de malades était rassemblée devant cet édifice.
Note : Quoique l’ensemble de ce discours et la circonstance des deux
disciples envoyés par Jean rappellent tout à fait ce qui
est dit dans saint Luc (VII, 17, 36), la Sœur assurait pourtant qu'il ne
s’agissait pas ici du message raconté par l’Evangéliste,
mais seulement d'une prédication analogue : car Jésus reproduisait
très souvent, outre ses paraboles, la substance de ses enseignements
et même certains détails, comme les exemples et les comparaisons.
Plusieurs étaient couchés sur des litières, et
on avait étendu des toiles au-dessus d'eux. Jésus, accompagné
de ses disciples, alla de l'un à l'autre et les guérit. Il
se trouvait parmi eux quelques possédés qui eurent des convulsions
et poussèrent des cris en le voyant. Il les délivra en passant
devant eux, et en leur ordonnant de se taire. Il y avait là des
boiteux, des phtisiques, des hydropiques avec des abcès au cou,
semblables à des glandes, des sourds et muets. Il les guérit
tous les uns après les autres, par l'imposition des mains, cependant
il ne procédait pas de même pour tous. Quelques-uns étaient
entièrement guéris à l'instant même, seulement
il leur restait encore un peu de faiblesse ; d'autres éprouvaient
un grand soulagement, et la guérison complète suivait promptement
: tout cela, selon la nature du mal et la disposition du malade. Ceux qui
étaient guéris se retiraient en chantant un psaume de David.
Il y avait un si grand nombre de malades que Jésus ne pouvait pas
arriver jusqu'à tous : les disciples l'aidèrent en soulevant
ces pauvres gens, en les faisant mettre sur leur séant, en les dégageant
de leurs entraves ; et Jésus mit la main sur la tête d'André,
de Jean et de Jude Barsabas, prit leurs mains dans les siennes, et leur
ordonna de faire en son nom à une partie des malades ce qu'il faisait
lui-même aux autres. Ils suivirent ses instructions et en guérirent
aussi beaucoup.
Après cela Jésus se rendit avec ses disciples à
l'hôtellerie, où ils prirent un repas auquel nulle autre personne
n'assistait. Il bénit les mets qui étaient restés
et les fit porter aux pauvres païens campés devant Bezech et
à d'autres pauvres. Cette caravane de paiens avait été
catéchisée par les disciples.
(8 septembre.) Jésus enseigna et guérit encore devant
l'hôtellerie. Les gens qui allaient au baptême, la caravane
des païens et beaucoup d'autres personnes se dirigèrent vers
le Jourdain pour passer de l'autre côté. Le passage était
à une lieue et demie au midi de Bezech, près d'une ville
appelée Zarthan, qui est située au bord du Jourdain à
une lieue au-dessous de Bezech. De l'autre côté se trouve,
entre Bezech et Zarthan, un endroit appelé Adam. C'est près
de Zarthan que le Jourdain s'arrêta lorsque les enfants d'Israël
passèrent : c'est aussi là que Salomon fit couler des vases
de métal : on y exerce encore cette industrie. Au delà du
détour que le Jourdain fait à l'ouest, il y a dans une montagne,
une mine qui s'étend jusqu'à Samarie : on trouvait la quelque
chose qui chez nous s'appelle du bronze. Jésus enseigna constamment
sur la route, tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre. Comme
on lui demandait s'il ne voulait pas enseigner à Zarthan, il répondit
que d'autres en avaient un plus grand besoin : il ajouta que Jean y avait
été souvent, il leur dit de demander s'il y avait fait bonne
chère et s'il y avait mangé des mets délicats. Il
y avait là un passage du Jourdain très fréquenté
: c'est plus bas que le Jourdain tourne à l'ouest. Ils firent de
l'autre côté environ deux lieues vers le levant sur la rive
septentrionale d'une petite rivière qui se jetait dans le Jourdain
un peu au-dessous du passage. Ils traversèrent ensuite un petit
cours d'eau, après quoi ils eurent Sukkoth à leur gauche.
Ils se reposèrent sous des tentes entre Sukkoth et Ainon. Ces deux
endroits pouvaient être à quatre lieues l'un de l'autre. Jésus
avait enseigné et guéri dans l'endroit où ils avaient
passé la nuit. Après avoir traversé le Jourdain et
l'avoir remonté quelque temps, ils pouvaient, en regardant derrière
eux, entre l'ouest et le midi, voir de l'autre côté du fleuve
Salem qui leur avait été caché auparavant par l'élévation
des rives : cette ville était en face d'Ainon, un peu au-dessous
du point central du détour que le Jourdain faisait à l'ouest.
(9 septembre.) Jésus n'est arrivé à Ainon que
vers midi. Il a encore enseigné dans la matinée. Il répéta
la plupart du temps des choses qu'il avait dites ailleurs sur Jean et sur
le Messie. une foule innombrable s'était rassemblée à
Ainon ; les gens qui étaient de l'autre côté y étaient
venus ainsi que la caravane. Les païens campèrent entre la
colline sur laquelle se trouvent Ainon et le Jourdain. Il y avait aussi
ici une dizaine de pharisiens, les uns d'Ainon, les autres d'ailleurs :
parmi ceux-ci se trouvait le fils de Simon de Béthanie. Quelques-uns
étaient des gens sages et modérés.
Cette fois, j'ai mieux vu Ainon que précédemment, lorsque
je vins par le côté méridional où il n'y a pas-
beaucoup de maisons. Quand on vient du côté du nord, en descendant
la pente de la colline, cela fait l'effet d'une petite ville composée
de maisons de plaisance qui se touchent. Plusieurs de ces maisons sont
belles.
De ce côté en avant de la ville s'écoulaient les
eaux de la source qui formait la fontaine baptismale. Elle était
située à l'est de la colline, et j'ai déjà
dit ailleurs qu'elle était conduite à travers cette colline
par des tuyaux de fer On retenait les eaux quelquefois : on ne les laissait
s'écouler que selon les besoins. Il y avait là à cet
effet un château d'eau.
Ce fut là que les pharisiens parmi lesquels était Simon
fils du lépreux, vinrent à la rencontre de Jésus et
des disciples : ils les accueillirent très courtoisement et avec
beaucoup de déférence, ils les conduisirent sous une tente,
leur lavèrent les pieds, battirent leurs habits et leur présentèrent
comme réfection du miel et du pain dans un verre. Jésus n'ignorait
pas qu'il y avait parmi eux des gens bien disposés et il le leur
dit, mais en leur témoignant son regret qu'ils appartinssent à
cette secte. Il les suivit dans la ville, et ne tarda pas à entrer
dans une cour où l'attendaient en très grand nombre des malades
de toute espèce, étrangers et indigènes. Ils étaient
couchés, les uns sous des tentes, les autres dans des salles ouvertes
en face de la cour. Plusieurs pouvaient encore marcher, et Jésus
les guérit les uns après les autres, leur imposant les mains
et leur faisant des exhortations. Les disciples l'assistaient : ils apportaient
les malades, les relevaient, les débarrassant de leurs entraves
: les pharisiens étaient présents ainsi que beaucoup d'autres
personnes. Plusieurs .femmes affligées de pertes de sang se tenaient
à distance, pâles et enveloppées de leurs manteaux
: lorsque Jésus en eut fini avec les autres, il alla aussi à
elles, leur imposa les mains et les guérit. Il y avait là
des paralytiques, des hydropiques, des gens atteints de consomption, ayant
au cou et sur le corps des ulcères qui ne les rendaient pas impurs
; des muets, des sourds, en un mot des infirmes de toute espèce.
Cette cour se terminait par une vaste salle à colonnes, avec
une entrée sur la rue et j'y vis des spectateurs en grand nombre,
des pharisiens et aussi plusieurs femmes. Comme il y avait des gens de
bien parmi les pharisiens d'ici, et comme ils l'avaient accueilli avec
une déférence assez sincère, Jésus leur témoigna
des égards assez marqués, en comparaison de ce qu'il avait
fait dans d'autres endroits ; car il voulait prévenir le reproche
qu'on lui adressait de ne jamais frayer qu'avec des publicains, des pécheurs
et des mendiants : il voulait leur montrer qu'il leur rendait tout ce à
quoi ils pouvaient prétendre, lorsqu'ils se comportaient convenablement
et se montraient bien disposés. C'est pourquoi ils offrirent leur
concours pour maintenir le bon ordre parmi le peuple, et il les laissa
faire.
Je vis alors, pendant que Jésus guérissait, près
de la porte de derrière de la grande salle, s'avancer une belle
femme de moyen âge vêtue à l'étrangère.
Sa tête et ses cheveux étaient entourés d'un voile
léger semé de perles. Elle avait le haut du corps couvert
depuis le cou jusqu'aux hanches par un justaucorps qui se terminait en
forme de cœur et qui était ouvert sur les côtés. Ces
justaucorps étaient passés comme un scapulaire, rassemblés
autour de la taille, et attachés autour des hanches par des cordons
qui venaient en avant. Ce corsage était orné de lacets de
perles autour du cou et de la poitrine. De là partait une robe plissée
qui tombait jusqu'à mi-jambe, recouvrant une autre robe semblable
qui allait aux chevilles : ces deux robes étaient de fine laine
blanche, sur laquelle étaient appliquées de grandes fleurs
de couleurs variées. Les manches étaient larges et retenues
par des bracelets ; sur les épaules était agrafé un
mantelet qui tombait par dessous les deux bras jusqu'aux hanches. Par dessus
ce vêtement, elle portait un long manteau de laine blanche qui l'enveloppait
tout entière.
Elle s'avança, triste et agitée, pleine de confusion
et d'angoisse : son pâle visage était arrosé de larmes
et bouleversé par la douleur. Elle voulait aller à Jésus,
mais la foule qui se pressait l'empêchait d'arriver jusqu'à
lui : les pharisiens, d'un air affairé, allèrent à
sa rencontre "Conduisez-moi au Prophète, leur dit-elle ; qu'il me
pardonne mes péchés et me guérisse ! " Sur quoi ils
lui répondirent : " Femme, retournez chez vous ! Que cherchez-vous
ici ? Il ne vous parlera pas : comment pourrait-il vous remettre vos péchés
? il ne s'occupera pas de vous ; vous êtes une adultère. "Les
entendant parler ainsi, elle changea de couleur, son visage devint effrayant,
elle se jeta par terre, déchira son manteau du haut en bas, arracha
sa coiffure et s'écria : "Ah ! je suis donc perdue ! Voilà
qu'ils me saisissent ! ils me déchirent ! ils sont là ! ',
Alors elle montra quelque chose du doigt, se jeta à droite et à
gauche comme pour fuir, et nomma cinq démons qui entraient en elle
: le démon de son mari et quatre autres, qui étaient ceux
de quatre amants avec lesquels elle avait péché. C'était
un spectacle horrible. Quelques femmes qui se trouvaient là s'emparèrent
d'elle et la ramenèrent à sa demeure, livrée à
d'affreuses souffrances et ne cessant de sangloter. Rien de tout cela n'échappait
à Jésus ; mais il ne voulait pas humilier les pharisiens
de cet endroit. Il laissa donc faire et continua ses guérisons,
car l'heure de cette femme n'était pas encore venue.
Ensuite il traversa la ville avec les disciples et les pharisiens,
et le peuple le suivit en foule. Il gravit la hauteur où Jean avait
coutume de prêcher. C'était une colline environnée
de vieux remparts qui disparaissaient sous la végétation
et de maisons isolées : ils passèrent, en s'y rendant, près
du château à moitié ruiné, dont une tour avait
servi de logement à Hérode pendant la prédication
de Jean. Tout le rebord de la colline était déjà couvert
de personnes qui attendaient, et Jésus monta sur l’éminence
où Jean avait coutume de prêcher, et au-dessus de laquelle
on avait tendu une tente ouverte de tous les côtés. Il fit
une grande instruction dans laquelle, parcourant toute l'Ecriture, il traita
de la miséricorde de Dieu envers les hommes, et particulièrement
envers son peuple, de la manière dont il l'avait conduit, des promesses
qu'il lui avait faites ; après quoi il montra que tout était
accompli présentement. Il ne dit pourtant pas aussi clairement qu'à
Bezech qu'il était lui-même le Messie. Il parla aussi de Jean,
de sa prison, de ses travaux, et des troupes d'auditeurs se succédèrent
pour l'écouter. Il leur demanda pourquoi ils voulaient recevoir
le baptême, pourquoi ils avaient attendu jusqu'à présent,
et ce qu'ils entendaient par le baptême. Il les partagea aussi en
catégories qui devaient être baptisées, les unes plus
tôt, les autres plus lard, après avoir été catéchisées
plusieurs fois. Je me rappelle la réponse d'un groupe d'aspirants
au baptême, lorsqu'il leur demanda pourquoi ils avaient attendu jusqu'à
présent. " C'était, répondit l'un d'eux, parce que
Jean avait toujours enseigné qu'un plus grand que lui venait après
lui : ils avaient attendu celui-là pour recevoir des grâces
encore plus grandes. " Là-dessus, tous ceux qui étaient du
même sentiment levèrent les mains en l'air et formèrent
une association à laquelle Jésus donna ensuite certains enseignements,
certaines indications sur la préparation au baptême et sur
le temps où il faudrait le recevoir.
Cette instruction finit vers trois heures de l’après-midi, et
Jésus, en compagnie des disciples et des pharisiens, redescendit
de la colline à la ville, où on lui avait préparé
un grand repas dans une salle de réception publique. Lorsqu'ils
arrivèrent près de cet endroit, Jésus dit : "J'ai
faim d'antre chose ; "et il demanda, quoiqu'il le sût bien, où
demeurait la femme qu'on avait éloignée de lui le matin.
On lui montra la maison à peu de distance : alors il quitta ceux
qui l'accompagnaient et entra par la cour antérieure.
Je vis déjà dans la maison, au moment où Jésus
approchait, cette femme en proie à de cruels tourments et à
une grande angoisse. Le démon qui la possédait la poussait
d'un coin à l'autre ; elle était comme un animal effrayé
qui veut se blottir quelque part. Lorsque Jésus entra dans la cour
et s'approcha de l'endroit où elle était, elle s'enfuit par
un passage dans un cellier, et monta là dans un vase grand comme
un tonneau, plus étroit d'en haut que d'en bas : mais en cherchant
à s'y cacher, elle le brisa avec grand fracas. Je crois que c'était
un grand vase de terre. Jésus s'arrêta et cria : " Mara de
Suphan, femme de (ici il dit le nom de son mari que j'ai oublié),
je te le commandé au nom de Dieu, viens à moi. " Alors la
femme arriva tout enveloppée de la tête aux pieds, comme si
le démon la forçait de se cacher encore dans son manteau,
et vint comme un chien qui s'attend à être battu, se traînant
sur les mains jusqu'aux pieds de Jésus. Mais Jésus lui dit
: " Levez-vous. n Alors elle se leva, mais tira son manteau sur son visage
et autour de son cou avec tant de violence, qu'on eût dit qu'elle
voulait s'étrangler. Le Seigneur lui dit : " Découvrez votre
visage, "et elle retira son voile de dessus sa face. Ses traits étaient
tout bouleversés et exprimaient la terreur : elle baissait et détournait
les yeux : il semblait qu'une force intérieure la poussât
à fuir Jésus. Mais il approcha sa tête de la sienne,
il lui dit : " Regardez-moi, " et elle obéit. Je crois qu'il souffla
sur elle ; alors elle se mit à trembler. Je vis comme une vapeur
noire sortir d'elle de tous les côtés, et elle s'affaissa
sur ses genoux devant Jésus. Cependant ses servantes s'étaient
approchées au bruit de vase qui se brisait, et se tenaient à
quelque distance ; Jésus leur dit de rapporter leur maîtresse
dans la maison et de la placer sur un lit de repos. Jésus la suivit
avec deux disciples qui étaient près de lui. Il la trouva
qui fondait en larmes. Il s'approcha d'elle, lui mit la main sur la tête
et dit : "Vos péchés vous sont remis. » Elle pleura
abondamment et se releva Alors ses trois enfants vinrent dans la chambre
; c'étaient un garçon d'environ douze ans, et deux petites
filles d'à peu près neuf et sept ans : celles-ci avaient
des robes à manches courtes avec des broderies jaunes. Jésus
alla à ces enfants, leur parla amicalement, les questionna et les
enseigna. La mère leur dit : "Remerciez le Prophète, il m'a
guérie, "et les enfants se prosternèrent aux pieds de Jésus.
Il les bénit et les conduisit l'un après l'autre à
leur mère, par rang d'âge : il plaça leurs mains dans
celles de leur mère, et il me sembla que par là il enlevait
une tache à ces enfants, qu'il les légitimait en quelque
sorte : car elle les avait conçus dans l'adultère. Jésus
consola encore cette femme ; je crois qu'elle pourrait encore se réconcilier
avec son mari. Il l'exhorta à persévérer dans le repentir
et la pénitence, puis il se rendit avec les disciples au repas que
les pharisiens donnaient dans le voisinage. Cette femme était des
environs de Supha l, dans le pays des Moabites, et elle descendait d'Orpha
(Ruth, I, 1-14), veuve de Chélion, et belle-fille de Noémi
qui, sur le conseil de celle-ci, n'alla pas avec elle à Bethléhem,
tandis que Ruth, son autre belle-fille, veuve de son fils Mahalon, l'accompagna.
Note : Cette Supha doit être le lieu qui est indiqué comme
voisin de l'Aron, dans le texte hébreu du Lévitique (XXI,
14, 15) ; la Vulgate ne la nomme pas. voyez le commentaire de dom Calmet
sur ce passage. (Cette note a été écrite le 7 juillet
1838.)
Cette Orpha, veuve de Chélion, fils d'Elimélech de Bethléhem,
se remaria dans le pays de Moab, et c'était de ce mariage que descendait
Mara la Suphanite. Elle était femme d'un Juif, et riche : elle avait
vécu dans l'adultère, et avait eu successivement quatre amants,
dont étaient les enfants qu'elle avait avec elle. Son mari l'avait
chassée, gardant près de lui les enfants légitimes.
Elle demeurait à Ainon, dans une maison qui lui appartenait : depuis
longtemps déjà elle était touchée d'un vif
repentir et faisait pénitence ; elle se conduisait très bien,
vivait très retirée, et plusieurs femmes de bien d'Ainon
lui témoignaient beaucoup de bienveillance. La prédication
de Jean Baptiste contre l'adultère, à l'occasion du mariage
illicite d'Hérode, l’avait profondément remuée. Elle
était souvent possédée par cinq démons. Ils
s'emparèrent d'elle subitement, lorsque n'ayant plus d'espérance
qu'en Jésus, elle vint dans la cour où il guérissait,
et d'où les pharisiens la renvoyèrent. Abattue comme elle
l'était, elle prit pour vrai ce qu'ils lui dirent, et le désespoir
s'empara d'elle.
Je vis que cette femme, par sa descendance d'Orpha, belle-soeur de
Ruth, avait un point de contact avec David, ancêtre de Jésus,
et il me fut montré comment ce courant dévoyé, qui,
dans sa personne, avait abouti à de si grands péchés,
se purifiait avec elle par la grâce de Jésus, et entrait dans
le sein de l'Eglise. Je ne puis exprimer de quelle manière je vois
cela se perdre dans des millions de petites racines menues qui se croisent
et s'entrelacent, pais reparaître de nouveau au jour. à cette
occasion j'ai revu l'histoire de Noëmi et de Ruth, dont je dirai quelque
chose plus tard.
Jésus vint retrouver les pharisiens et les disciples, et il
se mit à table avec eux. Ils étaient quelque peu scandalisés
de ce qu'il les avait laissés là pour aller chercher cette
femme qu'ils avaient renvoyée si durement devant tant de monde :
mais ils n'en dirent rien, parce qu'ils craignaient une réprimande.
Pendant le repas, Jésus continua à les traiter avec déférence.
Il enseigna en usant fréquemment de comparaisons et de paraboles.
Vers le milieu du repas, les trois enfants de la Suphanite entrèrent
vêtus de leurs plus beaux habits : l’une des petites filles portait
un petit vase blanc, plein d'eau de senteur, et la seconde un tout semblable
plein d'huile de nard : le petit garçon portait également
un vase. Ils s'avancèrent dans la salle vers le côté
libre de la table, se prosternèrent devant Jésus et placèrent
leurs présents devant lui ; elle-même les suivait avec les
servantes : mais elle n'osait pas avancer. Elle était voilée
et portait un plat de verre brillant, avec des veines marbrées de
diverses couleurs, dans lequel étaient des aromates d'un très
grand prix, entourés de belles plantes vertes qui se tenaient debout
: ses enfants avaient aussi placé devant Jésus des plats
semblables, mais plus petits. Les pharisiens regardèrent d'un air
mécontent cette femme et ses enfants. Mais Jésus lui dit
: "Approchez-vous, Mara ! " Alors elle s'avança humblement derrière
lui, et ses enfants auxquels elle remit son présent le déposèrent
sur la table avec les autres. Jésus la remercia. Les pharisiens
murmurèrent, comme plus tard lors du présent de Madeleine,
ils se disaient que c'était là une grande prodigalité,
contraire aux règles de la modération et aux devoirs de charité
envers les pauvres. Il leur fallait trouver quelque reproche à faire
à cette pauvre femme. Jésus lui parla avec beaucoup de bonté
ainsi qu'aux enfants : il leur donna quelques fruits, après quoi
ils se retirèrent. La Suphanite, toujours voilée, se tenait
humblement derrière Jésus, et celui-ci dit aux pharisiens
que tous les dons venaient de Dieu ; que la reconnaissance donnait ce qu'elle
avait de plus précieux ; que ceci n'était pas une prodigalité,
que les gens qui recueillaient et préparaient ces aromates devaient
aussi trouver à gagner leur vie. Il ordonna ensuite à un
des disciples d'en distribuer le prix aux pauvres. Il dit encore quelque
chose sur la conversion et le repentir de cette femme, la releva dans l'estime
publique devant tout le monde et engagea les habitants à lui témoigner
de la bienveillance. Mara ne prononça pas une parole : elle ne cessait
de pleurer en silence sous son voile, puis elle se jeta sans rien dire
aux pieds de Jésus et quitta la salle du festin.
Jésus dit encore plusieurs choses profondes sur l'adultère
: lequel d’entre eux se sentait pur de l'adultère spirituel, demanda-t-il.
Il dit que Jean n'avait pas converti Hérode, tandis que cette femme
s'était convertie. Il parla de la brebis perdue et retrouvée,
etc. Il l'avait déjà consolée chez elle en lui disant
que ses enfants auraient une postérité de gens de bien, et
il lui avait fait espérer qu'elle pourrait se réunir aux
femmes qui travaillaient, près de Marthe, pour lui et ses disciples.
Après le repas, je vis de nouveau les disciples distribuer beaucoup
de choses aux pauvres. Mais Jésus se rendit encore sur le côté
occidental de la colline d'Ainon où l'on voyait à quelque
distance le camp des païens : c'était aussi, je crois, de ce
côté qu'il avait un logement sous une tente. Il enseigna de
nouveau les païens. Ainon était dans le territoire d'Hérode,
mais appartenait en propriété au tétrarque Philippe
quoique étant au delà de ses frontières. Toutefois
il s'y trouvait plusieurs soldats d'Hérode chargés de tout
observer.
A l'occasion de l'histoire de Mara de Suphan, je vis toute sa généalogie
à partir d'Orpha, veuve de Chelion, fils de Noémi (Quoique
n'ayant jamais lu le livre de Ruth, elle raconta toute l'histoire à
peu près dans les mêmes termes que la Bible. Elle a raconté
de plus ce qui suit.) Ruth ne voulait pas se séparer de Noëmi
lorsqu'elle quitta le pays de Moab. Sur le chemin, lorsqu'elle lui dit
: " Mon peuple est votre peuple, etc., " et que Noëmi lui fit encore
des représentations, Ruth lui dit avoir l'assurance qu'elle devait
rester dans Israël, car elle était née avec un signe
sur la poitrine, et elle avait appris de son mari que c'était un
signe sacré aux yeux des Israélites. Alors elle ouvrit son
vêtement et fit voir à Noëmi ce signe qui ressemblait,
je crois, à une lettre de l'alphabet. Noëmi l'embrassa et la
prit avec elle. Ruth était belle, svelte, agile, et avait une humilité
charmante.
Les épis qu'on cueillait chez Booz étaient ceux d'un
blé à grosse tige, et ils étaient plus longs que la
main Booz dormait sous une tente près des tas de blé. Elle
dit aussi l'époque de la moisson ; l’écrivain l'a oubliée.
C'est là le peu qui reste d'une vision beaucoup plus circonstanciée.
SEIZIEME CHAPITRE.
Jésus sur le bord oriental du Jourdain.
(Du 10 au 30 septembre 1822.)
- Jésus à Ramoth Galaad, - à Arga, - à Azo, - à Ephron, - à Bétharamphtha-Juliade, - à Abila, - à Gadara et à Dium.
(10 septembre.) Aujourd'hui Jésus est allé avec une douzaine
de disciples à une petite rivière nommée Jabok et
dans les endroits voisins. Parmi ses compagnons étaient les trois
disciples de Jean attachés à sa famille, dont l'un s'appelait
Matthias et était plus âgé que Jésus. André,
Jacques, Jean et plusieurs autres étaient restés à
Ainon et baptisaient. Le bassin baptismal était au levant de la
colline, de laquelle l'eau venait dans le bassin, remplissait un petit
étang qui se trouvait derrière, arrosait ensuite plusieurs
prairies en formant un petit ruisseau, puis était recueillie de
nouveau, au nord d'Ainon, dans une fontaine ` ; d'où on pouvait
la faire écouler dans le Jourdain. Je vis Jésus avec les
disciples à environ une lieue à l'est de Sukkoth, sur la
rive méridionale du Jabok, enseigner dans une ville dont je ne sais
pas bien le nom, et guérir plusieurs malades. Il y avait là
un homme qui avait un œil fermé depuis sa naissance : Jésus
humecta cet œil avec sa salive, il l'ouvrit et l'homme recouvra la vue.
Quant au nom de la ville, il me semble avoir entendu les syllabes Ka et
On, mais je ne me souviens pas bien (peut-être Kamon ?)
Jésus traversa ensuite le Jabok qui coule dans la vallée,
et se dirigea vers l'est jusque devant Mahanaïm, une ville très
propre, divisée en deux parties. Il s'arrêta devant cet endroit
près d'un puits : bientôt les préposés de la
synagogue et d'autres anciens de la ville vinrent avec un bassin plein
d'eau et des aliments. Ils lui souhaitèrent la bienvenue, lui lavèrent
les pieds ainsi qu'aux disciples et lui versèrent aussi de l'onguent
sur la tête : ils lui donnèrent à manger et à
boire, et le conduisirent dans la ville avec beaucoup de bienveillance
et de simplicité. Jésus fit une courte instruction sur le
patriarche Jacob et tout ce qui lui était arrivé dans ce
pays. Ces gens avaient été pour la plupart baptisés
par Jean. bans tous les endroits d'alentour il régnait une simplicité
patriarcale et beaucoup d'anciens usages. Jésus ne s'arrêta
pas longtemps ici.
De Mahanaïm, suivant la rive septentrionale du Jabok, il alla
à une lieue plus à l'est, a l'endroit où avait eu
lieu la rencontre de Jacob et d'Esau. La vallée s'élargissait
ici et formait un bassin. Il enseigna les disciples sur tous ces chemins.
Après une petite balte, ils repassèrent le Jabok et vinrent
sur sa rive méridionale, à peu de distance d'un endroit ou
il reçoit deux petits cours d'eau. Ils allèrent ensuite environ
deux lieues à l'est, ils avaient à main droite le désert
d'Ephraïm.
Ici, au levant de la forêt d'Ephraïm, se trouve Ramoth Galaad,
situé sur une arête de montagne de l'autre côté
de la vallée : c'est une jolie ville, régulière et
bien bâtie, dans laquelle les paiens occupaient quelques rues et
possédaient un temple. Dans cet endroit le service divin était
fait par des lévites. un disciple était allé en avant
pour annoncer l'arrivée de Jésus : les lévites et
d'autres personnes de considération l'attendaient déjà
sous une tente devant la ville, près d'un puits. Ils lavèrent
les pieds aux arrivants, leur donnèrent à manger et à
boire, et les conduisirent dans la ville où déjà beaucoup
de malades étaient rassemblés sur une place et imploraient
l'assistance de Jésus. Il en guérit plusieurs. Lorsque le
soir vint, il enseigna aussi dans la synagogue, car c'était le sabbat
où l'on fêtait le sacrifice de la fille de Jephté :
on célébrait dans cette ville, à cette occasion, une
fête de deuil a laquelle tout le peuple prenait part. Il y avait
notamment ici beaucoup de jeunes filles et aussi d'autres personnes des
environs Je dirai demain ce que je puis me rappeler de l'instruction.
Jésus et les disciples assistèrent à un repas
chez les lévites et passèrent la nuit dans une maison voisine
de la synagogue. Dans ce pays, il n'y avait pas de logements préparés
d'avance pour lui, mais à Ainon, à Kamon et à Mahanaïm,
les hôtelleries avaient été louées d'avance,
et le nombre des hôtes déterminé. Ramoth est situé
sur une colline faisant partie d'une terrasse de montagne : derrière
cette colline, dans une petite vallée, devant une muraille de rochers
escarpés, se trouve la partie de la ville que les païens habitent.
On peut reconnaître leurs maisons aux figures placées sur
les toits. Sur le toit du temple il y avait un groupe de statues. Au milieu
était une figure couronnée, portant un bassin à la
main et se tenant elle-même dans un bassin ou sur des sources. Plusieurs
figures d'enfants rangées à l'entour puisaient l'eau et se
la passaient l'un à l'autre, puis la versaient en dernier lieu dans
le bassin que tenait la figure placée au centre.
Toutes les villes de cette contrée sont plus jolies et mieux
bâties que les vieilles villes juives. Les rues forment comme u ne
étoile ; elles viennent aboutir à un point central, et les
angles sont arrondis : les murs de la ville courent aussi de même
en zigzag. Il y avait autrefois ici un lieu d'asile pour les criminels
(voyez le Deutéronome, IV, 43 ; Josué, XX, 8) : on voit un
grand édifice séparé qui devait autrefois servir à
les loger, mais il est en ruines et paraît hors d'usage. On fabrique
dans cet endroit des couvertures de toute espèce sur lesquelles
on brode des fleurs et des animaux ; on en vend une partie, le reste est
destiné au temple. Je vis beaucoup de femmes et de jeunes filles
occupées sous des tentes à ce genre de travail. Les gens
d'ici sont habillés d'une façon qui se rapproche assez de
celle des anciens patriarches. Ils sont très propres. Leurs habits
sont de laine fine, je crois avoir vu aussi des habits de soie.
(11 septembre.) Jésus assista aujourd'hui à une grande
fête en mémoire du sacrifice de la fille de Jephté.
Il alla avec ses disciples et les lévites devant le côté
oriental de la ville, sur une belle place en plein air où on avait
tout disposé pour la fête. Toute la population de Ramoth Galaad
était là rassemblée en groupes nombreux. On voyait
encore sur la colline l'autel où la fille de Jephté avait
été sacrifiée : en face étaient des sièges
de gazon en demi cercle pour les jeunes filles : il y avait aussi des sièges
pour les lévites et les juges de la ville. On se rendit à
cet endroit en longue procession. Toutes les jeunes filles de Ramoth et
beaucoup d'autres venues des villes voisines étaient à la
fêle et portaient des habits de deuil. L'une d'elles, habillée
de blanc et voilée, représentait la fille de Jephté.
Il y avait un groupe avec des vêtements de couleur sombre ; elles
avaient le menton voilé et portaient à l'avant-bras des cordons
avec des franges noires. Elles représentaient les compagnes de la
fille de Jephté, pleurant sur son sort Des petites filles semaient
des fleurs devant le cortège ; quelques-unes avaient des petites
flûtes dont elles tiraient des sons mélancoliques : on conduisait
aussi trois agneaux. C'était une fête très touchante
et très longue, entremêlée de cérémonies,
de chants et d'instructions. Tout y était très bien ordonné
: tantôt on représentait des scènes du lugubre sacrifice,
tantôt on chantait des cantiques qui s'y rapportaient, et des psaumes.
C'était en chœur que ses compagnes consolaient celle qui représentait
la fille de Jephté, ou se lamentaient sur sa destinée : elle-même
désirait et demandait la mort. Les lévites, partagés
en chœurs, eux aussi, tenaient comme un conseil à son sujet. Elle
comparaissait devant eux et prononçait quelques paroles où
elle de. mandait que le vœu de son père fût accompli. Pour
toutes ces scènes on avait des rôles écrits qu’on récitait
par cœur ou qu'on lisait.
Jésus assista à cette fête et il y prit une part
active. Il représenta lui-même le grand juge ou le grand prêtre
: tantôt il tint quelques discours appropriés à la
circonstance, tantôt il fit des instructions étendues, avant
et pendant la fête. Trois agneaux furent immolés en mémoire
de la fille de Jephté, le sang fut répandu autour de l'autel,
et la chair rôtie donnée aux pauvres. Jésus parla devant
les jeunes filles contre la vanité, et je crois qu'il fut dit à
cette occasion, du moins j'en eux le sentiment, que la fille de Jephté
aurait pu échapper à la mort, si elle eût été
moins vaine.
La fête dura jusqu'après midi. Pendant toute sa durée,
les jeunes filles se succédèrent dans le rôle de la
fille de Jephté : c'était tantôt l'une, tantôt
l'autre, qui venait se placer au milieu du cercle et s'asseoir sur le siège
de pierre, après avoir changé d'habits sous une tente avec
celle qui faisait précédemment ce personnage. Le costume
était encore le même qu'avait porté la fille de Jephté
pour le sacrifice.
Son tombeau subsistait là sur une colline, et tout auprès
était le lieu où les agneaux étaient sacrifiés.
Le tombeau était un sarcophage carré, on pouvait l'ouvrir
par en haut. Lorsque la graisse des victimes et les parties offertes en
sacrifice étaient à peu près consumées, on
portait ce qui restait avec la cendre et quelques débris au tombeau
voisin, et on le plaçait sur l’ouverture, de manière à
ce que tout cela tombât dans le sépulcre. Lorsque les agneaux
furent immolés, je vis le sang jaillir autour de l'autel et les
jeunes filles y tremper une baguette et en teindre l’extrémité
de la longue bandelette qu'elles portaient sur les épaules.
Jésus fit une instruction : "Fille de Jephté, tu aurais
dû remercier Dieu dans ta maison de la victoire qu'il avait donnée
à ton peuple, mais tu sortis poussée par la vanité
pour prendre ta part de gloire comme fille d'un vainqueur, pour étaler
tes vains ajustements dans la pompe d'une fête et te glorifier devant
les filles d'Israël. "Ce fut à peu près dans ces termes
qu'il parla. Lorsque les cérémonies de la fête prirent
fin, on alla dans un jardin de plaisance voisin où il y avait de
la verdure et des tentes : un repas y était prépare. Jésus
y prit part et se mit à une table à laquelle on faisait manger
les pauvres. Il raconta une parabole, mais comme il s'agit presque toujours
de celles que tout le monde connaît, j'oublie la plupart du temps
si c'est celle-ci ou celle-là. Les jeunes filles mangèrent
sous la même tente, mais séparées par une cloison à
hauteur d'appui. Quand on était table, on ne se voyait pas, mais
debout on pouvait se voir.
Après le repas, Jésus alla à la ville avec les
lévites et beaucoup d'autres personnes Plusieurs malades l'attendaient
et il les guérit. Il y avait parmi eux des mélancoliques
et des lunatiques il enseigna encore dans la synagogue. Il parla beaucoup
de Jacob, et aussi de Joseph vendu aux Egyptiens : il dit qu'un autre serait
vendu par un de ses frères pour la même somme : mais que celui-là
aussi accueillerait ses frères repentants et les nourrirait dans
la famille avec le pain de la vie éternelle. J'appris ainsi que
Joseph avait été vendu pour trente pièces d'argent.
Ce soir-là quelques païens de la ville demandèrent
avec beaucoup d'humilité aux disciples s'ils ne pourraient pas,
eux aussi, avoir part aux bienfaits du grand prophète ; les disciples
en parlèrent à Jésus qui leur promit d'aller les visiter
le lendemain.
Jephté était comme un bâtard, étant né
d'une mère paienne ; les enfants légitimes de son père
le chassèrent de Ramoth qui s'appelle aussi Maspha ; il se retira
alors dans la contrée voisine de Tob, où il s'associa à
d'autres gens de guerre et où il vécut de pillage Il avait
de sa femme qu’il avait perdue et qui était aussi une bâtarde
de sang païen, une fille unique qui était belle bien faite,
remarquablement spirituelle, et aussi passablement vaine. Jephté
était un homme robuste, énergique, d'une grande vivacité,
très ambitieux de la gloire des armes et esclave de sa parole. Quoique
Juif, il ressemblait à un héros païen. C'était
un instrument dans la main de Dieu. Désirant ardemment la victoire
et voulant devenir le chef du pays d'où il avait été
chassé, il fit le voeu solennel de sacrifier au Seigneur en holocauste,
quiconque, après la victoire, viendrait de sa maison à sa
rencontre. Il ne s’attendait pas à ce que ce fût sa fille
unique ; quant aux autres personnes de sa maison, il ne leur portait pas
grande affection.
Le voeu ne plut pas à Dieu, mais il le permit et il disposa
les choses pour que son accomplissement fût le châtiment de
Jephté et de sa fille et éteignit sa postérité
dans Israël. Sa fille serait peut-être devenue très mauvaise
à la suite de la victoire et de l'élévation de son
père ; au lieu qu'elle fit pénitence pendant deux mois, mourut
pour Dieu et put en outre amener son père à résipiscence
et le rendre plus pieux. Cette jeune fille, accompagnée d'un grand
cortège de vierges qui chantaient et jouaient des instruments, vint
au-devant de son père à une lieue de la ville, avant qu'il
eût vu aucune autre personne.
La fille de Jephté, lorsqu'elle sut quel sort lui était
réservé, rentra en elle-même et demanda à aller
avec ses compagnes passer deux mois dans la solitude pour y pleurer sur
ce que, mourant avec sa virginité, elle était cause que son
père n'aurait pas de descendance dans Israël, et aussi pour
se préparer à son immolation par la pénitence. Elle
alla avec plusieurs jeunes filles au delà de la vallée de
Ramoth, dans les montagnes qui sont vis-à-vis, et elle vécut
là sous la tente, priant, jeûnant et portant un habit de pénitente.
Les jeunes filles de Ramoth allaient alternativement la visiter. Elle pleura
particulièrement sur sa vanité et sa passion pour la gloire
humaine.
J'ai vu de plus qu'on tint un conseil pour savoir si on ne pourrait
pas lui laisser la vie : mais cela fut jugé impossible, car son
père l’avait vouée avec un serment solennel ; elle était
dès lors une victime qui ne pouvait être soustraite au sacrifice.
Je vis en outre qu'elle demanda elle-même l'accomplissement du vœu,
et parla d'une façon très sage et très touchante.
J'ai aussi vu son sacrifice et je m'en rappelle quelque chose. Il se fit
avec toute espèce de signes de deuil, ses compagnes chantaient autour
d'elle des lamentations. Elle s'assit au lieu même où on la
représentait à la fête On tint encore un conseil pour
voir si on ne pouvait pas lui laisser la vie : mais elle s'avança
et demanda à mourir, comme cela se fit aussi à la cérémonie
de la fête. Elle était revêtue d'une robe d'une blancheur
éclatante et toute enveloppée de la tête aux pieds,
mais depuis la tête jusqu'à la poitrine elle n'avait qu'un
voile d'une étoffe blanche, légère et transparente,
au travers de laquelle on voyait son visage, ses épaules et son
cou. Elle s'avança elle-même devant l'autel, son père
ne prit pas congé d'elle et quitta le lieu du sacrifice. Elle but
dans une coupe je ne sais quelle ligueur rouge, qui, je crois, devait la
rendre insensible. un des guerriers de Jephté devait l'immoler :
il avait les yeux bandés, je ne sais plus bien pourquoi ; c'était
peut-être pour qu'il ne la vît pas découverte ou pour
qu'il ne se troublât pas : peut-être aussi était-ce
une manière d'indiquer qu'il n'était pas un meurtrier, puisqu'il
la tuait sans voir ce qu'il faisait. Elle fut placée de façon
à ce qu'il passât le bras gauche autour d'elle : alors il
approcha de son cou un fer court et pointu et lui trancha la gorge. Après
avoir bu le breuvage rouge, elle était restée comme sans
connaissance, et ce fut alors que le guerrier la saisit. Deux de ses compagnes
vêtues aussi de blanc et qui étaient comme ses demoiselles
d'honneur, recueillirent le sang dans une coupe et le versèrent
sur l'autel. Elle fut ensuite enveloppée dans un linceul par les
vierges, et placée de tout son long sur l'autel dont la partie supérieure
était recouverte d'une grille On alluma du feu par-dessus : puis,
quand ses vêtements furent calcinés et qu'on ne vit plus qu'une
masse notre, quoique le corps lui-même ne fût pas consumé,
des hommes portèrent la grille sur le bord du tombeau ouvert qui
était près de là, et levant cette grille obliquement,
ils laissèrent glisser le corps dans le sépulcre. qui fut
fermé aussitôt. Ce sépulcre subsistait encore à
l'époque de Jésus.
Les compagnes de la fille de Jephté, ainsi que beaucoup d'assistants,
trempèrent leurs voiles et leurs linges dans son sang On recueillit
aussi une partie des cendres du sacrifice. Avant qu'elle se présentât
dans son vêtement de victime, ses compagnes lui avaient fait prendre
un bain sous une tente.
Il y avait plus de deux heures à faire dans la montagne au nord
de Ramoth pour arriver au lieu où la fille de Jephté, suivie
de ses compagnes, avait rencontré son père. Elles étaient
montées sur de petits ânes ornés de rubans et portant
plusieurs sonnettes bruyantes. L'une des jeunes filles allait en avant
de la fille de Jephté, deux autres étaient à ses côtés,
le reste suivait, chantant et jouant des instruments. Elles chantaient
le cantique de Moïse sur la défaite des Egyptiens. Lorsque
Jephté aperçut sa fille, il déchira ses vêtements
et fut inconsolable. Sa fille fut moins affligée elle resta calme
lorsqu'elle apprit le sort qui lui était réservé.
Lorsqu'elle alla au désert avec ses compagnes, lesquelles emportèrent
avec elles ce qu'il fallait d'aliments pour des personnes qui allaient
jeûner, son père s'entretint avec elle pour la dernière
fois : ce fut déjà, en quelque manière, le commencement
du sacrifice : car il lui mit la main sur la tête comme on le fait
aux victimes qui doivent être immolées, puis il lui dit seulement
ces mots : "Va-t-en, tu n'auras pas d'époux : "à quoi elle
répondit : "Non, je n'aurai pas d'époux. D Ce fut la dernière
fois qu'il loi parla. Quand elle eut cessé de vivre, il fit ériger
à Ramoth un beau monument tant en l'honneur de sa fille qu'en l’honneur
de sa victoire : il éleva un petit Temple et fonda une fête
commémorative qui devait avoir lieu chaque année le jour
du sacrifice, afin de conserver la mémoire de son funeste vœu, comme
leçon pour tous les téméraires. (Jud. XI, 39-40.)
La mère de Jephté était une paienne qui devint
juive : sa femme avait pour père un homme né d'un commerce
illégitime entre paiens et juifs : lorsqu'il fut exilé, sa
fille n'alla pas avec lui dans le pays de Tob : elle était restée
à Ramoth où elle perdit sa mère. Jephté n'était
pas encore revenu dans sa ville natale depuis que ses concitoyens l'avaient
rappelé du pays de Tob : il avait traité toutes les affaires
dans le camp de Maspha et il y avait assemblé le peuple. Il n'avait
pas encore revu sa maison ni sa fille. Lorsqu'il fit son vœu, il ne pensa
pas à elle, mais à ses autres parents qui l'avaient repoussé,
et c'est pourquoi Dieu le punit.
La fête à laquelle Jésus assista ici dura encore
quelques jours.
(12 septembre.) Aujourd'hui, de très bonne heure, je vis Jésus
aller avec ses disciples dans le quartier des paiens à Ramoth :
ils le reçurent très respectueusement à l'entrée
de leur rue. Il alla assez près de leur temple, à un endroit
ou on les enseignait, et on y amena beaucoup de malades et de vieillards
infirmes qu'il guérit. Ceux qui l'avaient fait appeler semblaient
être des savants, des prêtres et des philosophes ; ils avaient
entendu parler du voyage des trois Rois, de la manière dont ceux-ci
avaient appris par les étoiles la naissance d'on Roi des Juifs ;
car ils avaient des croyances analogues à celles des Mages et s'occupaient
aussi d'observer les astres. Il y avait à peu de distance d'ici
sur une colline, une espèce d'observatoire comme celui que j'avais
vu dans le pays des trois Rois. Ils désiraient depuis longtemps
être instruits, et maintenant c'était Jésus lui-même
qui venait les enseigner. Il leur exposa des doctrines pleines de profondeur
sur la sainte Trinité, et j'entendis ces paroles qui me frappèrent
beaucoup : "Il y en a trois qui rendent témoignage, l’eau, le sang
et l'esprit, et ces trois ne font qu'un. "Il parla encore de la chute originelle,
du Rédempteur promis, et ajouta beaucoup de choses sur les voies
de Dieu dans la conduite des hommes, sur le déluge, sur le passage
de la mer Rouge, sur celui du Jourdain, et sur le baptême. Il leur
dit que les Juifs n'avaient pas occupé la terre promise tout entière,
qu'il y était resté beaucoup de paiens, qu'il venait maintenant
pour prendre possession de ce qu'ils avaient laissé inoccupé
et l'incorporer à son royaume, non par l’épée, mais
par la charité et la grâce. Plusieurs des auditeurs furent
extraordinairement touches, et il les envoya à Ainon se faire baptiser.
Toutefois il fit baptiser ici par deux disciples sept hommes très
âgés qui n'étaient pas en état de faire ce voyage.
On apporta un bassin qu'on plaça devant eux : eux-mêmes descendirent
dans une citerne voisine où l'on prenait des bains, de manière
à être dans l'eau jusqu'aux genoux : au-dessus du bassin plein
d'eau on plaça une balustrade sur laquelle ils s'appuyaient. Deux
disciples leur mirent les mains sur les épaules. et Mathias. le
disciple de Jean (le plus âgé des trois fils de Marie d'Héli,
soeur de la sainte Vierge), leur versa successivement de l'eau sur la tête
avec une coupe qui avait une anse. Jésus apprit d’abord aux disciples
la formule qu'ils devaient réciter en donnant le baptême :
je ne m’en souviens plus bien. Ces gens étaient tous très
bien habilles : leurs vêtements étaient d'une grande blancheur
Jésus donna encore au peuple des instructions générales
sur la chasteté et sur le mariage : il parla particulièrement
aux femmes de l'obéissance, de l'humilité et de la bonne
éducation des enfants. Ces gens étaient très bons,
et quand il partit, ils l'accompagnèrent avec de grands témoignages
d’affection. Jésus revint dans la ville juive vers neuf heures,
et il opéra encore des guérisons devant la synagogue. Les
lévites n'avaient pas vu avec plaisir qu'il allât visiter
les païens ; aussi enseigna-t-il dans la synagogue, où l'on
continuait à célébrer la fêle en l'honneur de
Jephté, sur la vocation des gentils. Il dit que beaucoup d'entre
eux prendraient place dans son royaume avant les enfants d'Israël
; qu'il était venu pour rattacher à la terre promise par
la grâce, l’enseignement et le baptême, ceux des paiens que
les Israélites n'avaient pas subjugués, etc. Il parla aussi
de la victoire de Jephté et de son vœu.
Pendant que Jésus enseignait dans la synagogue, les jeunes filles
célébraient leur fête près du monument que Jephté
avait élevé à sa fille, et qui plus tard avait été
restauré et embelli, grâce au don fait par plusieurs jeunes
filles des bijoux et des ornements portés par elles aux fêtes
anniversaires. Ce monument était renfermé dans un temple
rond dont le toit avait une ouverture. C'était comme un autre temple
plus petit également circulaire. reposant sur des colonnes dégagées
et surmonté d'une espèce de coupole, à laquelle conduisait
un escalier caché dans une des colonnes. Autour de la coupole régnait
un chemin en spirale le long duquel des figures de la taille d'un enfant
représentaient le cortège triomphal de Jephté. Elles
étaient faites d'une matière mince et brillante : on aurait
dit des lames de métal : il y avait des ouvertures par lesquelles
les figures avaient l'air de regarder en bas dans le temple. Arrivé
en haut, on se trouvait sur une plate-forme circulaire en métal,
du milieu de laquelle partait une espèce de mât garni d'échelons
qui passait par l'ouverture du toit du temple, de sorte qu'en y montant
par cette ouverture, on avait la vue de la ville et des environs. La plate-forme
était assez spacieuse pour que deux jeunes filles se donnant la
main pussent circuler autour du mât auquel se tenait l'une d'elles.
Sur un piédestal, au milieu du petit temple, se trouvait la statue
en marbre blanc de la fille de Jephté, assise sur un siège
comme celui où elle se tenait avant le sacrifice. La tête
arrivait à la hauteur de la première spirale de la coupole.
Autour de la statue, il y avait assez d'espace pour que trois hommes pussent
y passer de front.
Les colonnes du petit temple étaient reliées entre elles
par de belles grilles. L'extérieur était d'une pierre marbrée
de veines de diverses couleurs. Le chemin qui tournait autour de la coupole
devenait plus blanc à mesure qu'il s'élevait.
Aujourd'hui les jeunes filles célébraient dans le temple
et autour de ce monument la fête de la fille de Jephté. La
statue qui représente celle-ci tient d'une main une draperie qu'elle
met devant ses yeux, comme si elle pleurait ; l’autre main est abaissée
et tient quelque chose qui ressemble à une branche brisée
ou à une fleur. Aujourd’hui encore c'était aux jeunes filles
que se rapportait toute l'ordonnance de la tète. Tantôt elles
étendaient des rideaux qui allaient de la circonférence du
temple au monument : puis, se formant en petits groupes séparés,
elles s'asseyaient dans plusieurs réduits qui tous aboutissaient
au point central, où l'on voyait la statue, et là elles priaient
en silence, soupiraient et gémissaient : tantôt elles chantaient
en chœur, tantôt alternativement. Ensuite elles s’étendaient
deux à deux auprès de la statue, lui jetaient des fleurs,
l’ornaient de guirlandes et chantaient des cantiques de consolation où
il était question de la brièveté de la vie. Je me
souviens de ces paroles : "Aujourd'hui c'est moi, demain ce sera toi. "Puis
elles louaient la fille de Jephté, sa force d'âme et son dévouement,
et l'exaltaient comme ayant été le prix de la victoire :
puis elles se rendaient de nouveau par groupes sur le chemin tournant au
sommet du monument et chantaient des chants de victoire : quelques-unes
montaient sur le mât, regardaient du côté par où
devait venir le vainqueur et prononçaient le terrible vœu. Alors
le cortège redescendait en pleurant prés du monument : elles
se lamentaient et consolaient la jeune vierge de ce qu'elle allait mourir
sans avol1 eu d'époux. Le tout était entremêlé
de chants d'actions de grâces à Dieu, de considérations
sur la justice divine, etc. Leurs gestes et leurs attitudes étaient
souvent très touchants, et c'était un beau spectacle que
ces scènes où se succédaient alternativement la joie,
la douleur et la prière. Il y eut aussi un repas dans le temple
: je ne vis pas les vierges se placer toutes à une même table
: mais il y avait dans l'enceinte du temple des espèces de gradins
sur lesquels elles s'assirent, les jambes croisées, de manière
à être trois l’une au-dessus de l'autre : elles avaient près
d’elles de petites tables rondes. On leur servit quelques plats singuliers
et des mets façonnés en figures ; je me souviens, par exemple
d'une figure d'agneau couché sur le des faite avec je ne sais quel
objet bon à manger, et je les vis tirer de son corps des légumes
verts et d'autres aliments.
(12-15 septembre.) Aujourd'hui Jésus, après avoir assiste
à un repas donné par les lévites partit de Ramoth
avec ses disciples et quelques autres personnes : il passa le Jabok, se
dirigeant vers le nord, puis s'élevant dans les montagnes, il fit
environ trois lieues à l'ouest, et arriva dans l'ancien royaume
de Basan, près d'une ville située entre deux pics élevés
et une longue arête de montagne. Elle s'appelle Arga et appartient
au district d'Argob, dans la demi tribu de Manassé. à une
lieue et demie ou deux lieues an levant d'Arga, près de la source
d'un ruisseau du nom d'Og, se trouve une grande ville, qui est Gérasa.
Au sud-est on voit Jabès-Galaad, située à une grande
élévation. Cette contrée est pierreuse, et de loin
on croirait qu'il n'y a pas d'arbres ; cependant, dans beaucoup d'endroits,
le sol est couvert de petits buissons verdoyants. Le royaume de Basan vient
jusqu'ici, et Arga en est la première ville ; toutefois, la demi
tribu de Manassé s'étend encore un peu au midi. à
environ une lieue au nord du Jabok, je vis une ligne frontière indiquée
par des poteaux.
Le pays de Basan a la forme d'une paire de chausses : un district appartenant
à un autre pays y pénètre profondément et y
fait une séparation. Il y a sur l'un des côtés un certain
nombre de belles villes. à l'époque de Moïse, cette
contrée appartenait au roi Og, qui était un homme d'une grandeur
démesurée. (Elle le décrit comme ayant environ huit
pieds de haut.) il était très rude et très brutal,
et on le craignait fort : il parcourait le pays et s'emparait de ce qui
lui convenait. Le ruisseau de la vallée de Gérasa s'appelle
Og.
Jésus passa la nuit avec ses compagnons à environ une
demi lieue en avant de la ville, dans un logement public placé sur
une des grandes routes commerciales qui conduisent de l'Orient vers Arga.
Pendant la nuit, lorsque tous dormaient, Jésus se leva et alla seul
prier en plein air. Arga est une grande ville, très populeuse et
extrêmement propre. Comme la plupart des villes de ce pays, dans
lesquelles habitent aussi des paiens, elle a des rues droites, larges et
construites sur un plan en forme d'étoile. Les habitants ont une`
toute autre manière de vivre que dans la Judée et la Galilée,
et des mœurs beaucoup meilleures. Il y a ici des lévites, envoyés
de Jérusalem et d'ailleurs, qui enseignent dans la synagogue, et
on les congédie de temps en temps. Quand les habitants ne sont pas
contents d'eux, ils ont le droit de se plaindre et on leur en donne d'autres.
Les mauvais sujets ne sont pas tolérés ici, et il y a un
lieu de correction où on les envoie. Les habitants ne tiennent point
proprement de ménage, c'est-à-dire qu'ils ne préparent
pas leurs aliments chez eux ; il y a de grandes cuisines communes où
l'on prépare tous les mets : ils vont y manger ou ils y font prendre
leur nourriture. On dort ici sur les toits des maisons, sous des tentes.
Il y a de grands ateliers de teinture où l'industrie est très
perfectionnée : on y fait spécialement de très beau
violet. Pour la confection et la broderie des tapis, on est ici beaucoup
plus habile et plus avancé qu'à Ramoth. Entre la ville et
les murs d'enceinte s'étendent plusieurs séries de tentes
où des femmes assises travaillent sous de longues bandes tendues.
Tout ce courant d'affaires est cause que la plus grande propreté
règne de temps immémorial dans cet endroit. On récolte
dans le pays beaucoup d'huile d'excellente qualité. Les oliviers
sont en longues rangées et ordinairement déployés
en espaliers. Il y a aussi dans les vallées qui descendent au Jourdain
de très bons pâturages avec de nombreux chameaux. C'est dans
cette contrée qu'on trouve un bois précieux qui fut employé
pour l'arche d'alliance et la table des pains de proposition. L'arbre est
à peu près gros comme moi à la ceinture : il a une
belle écorce lisse, ses branches sont pendantes comme celles du
saule, les feuilles ont à peu près la forme des feuilles
du poirier, mais elles sont beaucoup plus grandes, vertes d'un côté
et grises de l'autre, comme si elles étaient couvertes de rosée
: il a des haies comme celles de l'églantier, mais plus grosses.
Le bois est excessivement dur et compacte, et il se laisse diviser en planches
très minces, aussi minces que de l'écorce ; puis il est blanchi,
séché, et devient alors très beau et comme indestructible.
Il y a au dedans de l'arbre une très fine moelle, mais un coup de
scie fait périr le conduit de la moelle, et il ne reste rien qu'une
une veine rougeâtre dans le milieu des planches prises à l'intérieur.
On fabrique avec ce bois de petites tables et d'autres objets travaillés
en marqueterie. On possède ici des vaches et des brebis de très
grande taille. On fait aussi le commerce de myrrhe et d'autres aromates
qui toutefois ne sont pas un produit du pays, mais on les reçoit
des caravanes qui souvent se reposent ici toute une semaine et y font des
chargements. Elles laissent ici ces aromates en ballots, et on les prépare
de façon à ce qu'elles puissent être employées
par les Juifs pour embaumer les corps.
(13 septembre.) Ce matin, Jésus alla à la ville avec
les disciples, et s'assit près d'un puits. Les lévites et
les principaux de la ville, avertis par les disciples envoyés à
l'avance, l’attendaient : ils lui témoignèrent beaucoup de
respect, le conduisirent dans une tente, lui lavèrent les pieds
et lui offrirent à manger. Il alla enseigner dans la synagogue,
et guérit ensuite beaucoup de malades qui s'étaient rassemblés
là, et parmi lesquels il y avait beaucoup de phtisiques. Il alla
aussi visiter des malades dans plusieurs maisons. Vers trois heures il
y eut un repas : il mangea avec les lévites et plusieurs personnes
dans une maison publique ; les plats furent apportés de la maison
commune où on les préparait. Le soir, Jésus fit dans
la synagogue, à l'ouverture du sabbat, une instruction dont je parlerai
plus tard. Le matin, il parla beaucoup de Moïse dans le désert,
au mont Sinaï et au mont Horeb ; de la construction de l'arche d'alliance,
de la table des pains de proposition, etc., car les gens de cet endroit
avaient donné des offrandes à cet effet : il dit que leur
offrande avait été figurative, et il les exhorta, maintenant
que le temps de l'accomplissement des figures était arrivé,
à offrir aussi leurs cœurs et leurs âmes par la pénitence
et la conversion. Il établit, je ne sais plus bien comment, un rapport
entre leurs anciennes offrandes et leur état présent. Voici
quels étaient les points fondamentaux de cette instruction.
Je vis, pendant la prédication de Jésus, très
en détail et d'une manière très circonstanciée,
qu'au temps de la sortie d'Egypte, Raguel beau-père de Moise, son
beau-frère Jethro et sa femme Séphora, habitaient à
Arga avec ses deux fils et une fille. Je vis que Jethro, la femme de Moise
et ses enfants, allèrent le trouver au mont Horeb ; que Moïse
les reçut avec joie, qu'il leur raconta tout ce que Dieu avait fait
pour les tirer d'Egypte, et que Jethro offrit un sacrifice. Je vis aussi
que Moïse jugeait lui-même tous les Israélites et que
Jethro lui conseilla d'établir des juges subordonnés ; après
quoi il retourna chez lui ; mais la femme et les enfants de Moïse
restèrent près de lui. Je vis que Jethro raconta à
Arga tous les prodiges qu'il avait vus, que beaucoup de gens en conçurent
un grand respect pour le Dieu des Israélites, et que Jethro envoya
sur des chameaux des présents et des offrandes auxquels contribuèrent
beaucoup d'habitants d'Arga.
Ces présents consistaient en huile fine qu'on fit brûler
ensuite dans le tabernacle, en poils de chameaux très fins et très
longs pour filer et tisser des couvertures, et en très beau bois,
appelé setim, dont on fit plus tard les bâtons de l'arche
d'alliance et la table des pains de proposition. Je crois qu'ils envoyèrent
aussi une espèce de farine avec laquelle on St ces pains eux-mêmes
: c'était cette moelle tirée d'une plante semblable au roseau,
dont je vis Marie faire de la bouillie pour Jésus peu après
sa naissance.
Le jour du sabbat, Jésus enseigna dans la synagogue sur des
passages d'Isaie et du Deutéronome (XXI, 26). Le matin déjà
il avait parlé de Balac et du prophète Balaam, et je vis
touchant ces deux personnages beaucoup de choses que je ne peux plus coordonner.
Ce soir, dans la prédication du sabbat, il raconta sous forme d'exemple,
en prenant pour texte ce qui avait été lu de la loi de Moïse,
l’histoire de Zambri, qui fut tué par Phinées avec la femme
madianite (Num., XXV). (Anne Catherine rapporta encore d'une façon
vraiment surprenante une quantité de préceptes de Moïse
dont elle n'avait jamais rien lu ni entendu dire, tels qu'ils se trouvent
dans le Deutéronome (XXI, XXVI), et particulièrement certains
de ces préceptes correspondant à son état et à
sa manière de sentir, comme, par exemple, celui qui prescrit, lorsqu'on
prend un nid d’oiseau, de laisser aller le père et la mère
; ceux qui concernent les indigents auxquels on doit permettre de glaner
après la moisson ; les règles à suivre touchant le
prêt, touchant les objets donnés en gage par les pauvres,
etc. Jésus enseigna sur tout cela, et il insista particulièrement
sur l'obligation qu'il y a de ne pas retenir le salaire des ouvriers, parce
qu'il y a ici beaucoup d'ouvriers. Elle se réjouit fort d'apprendre
que tout cela se trouve dans la Bible, et s'étonna d'avoir si bien
entendu et retenu les paroles du Sauveur.)
(14 septembre.) Encore aujourd'hui Jésus enseigna dans l'école
sur les préceptes de Moïse, puis il guérit dans la ville,
et alla après le sabbat dans L'hôtellerie des païens
qui l'avaient fait prier instamment de les visiter. Ils le reçurent
avec beaucoup d'humilité et de cordialité, et il leur parla
de la vocation des païens, et leur dit qu'il venait maintenant pour
subjuguer ces païens qu'Israël n'avait pas vaincus. Ils l'interrogèrent
sur l’accomplissement des prophéties : entre autres choses, sur
celle d'après laquelle le sceptre devait être retiré
de Juda à l'époque du Messie : il enseigna sur ce sujet.
Ils désiraient aussi recevoir le baptême, et avaient connaissance
du voyage des trois Rois. Il les instruisit sur le baptême et leur
dit que c'était pour eux une préparation à prendre
part au royaume du Messie. Ces païens si bien disposés étaient
des voyageurs qui devaient rester là deux semaines pour attendre
le passage d'une caravane. Il y avait cinq familles et en tout trente-sept
personnes. Ils ne pouvaient pas aller à Ainon pour le baptême,
parce qu'ils craignaient de manquer la caravane. Ils demandèrent
aussi à Jésus où ils devaient s'établir, et
il leur indiqua le lieu. Je ne l'ai jamais entendu parler aux païens
de la circoncision, mais bien de la continence, et leur dire qu'ils ne
devaient avoir qu'une femme.
(15 septembre.) Aujourd'hui je vis Jésus instruire encore les
païens, qui furent ensuite baptisés par Saturnin et Juda Barsabas.
Ils descendirent dans une citerne qui servait à prendre des bains,
et se courbèrent au-dessus d'un grand bassin placé devant
eux, et que Jésus avait bénit. L'eau fut versée trois
fois sur leur tête. Je ne sais plus bien quelle fut la formule du
baptême : je crois qu'on les baptisa au nom de Jéhovah et
de son envoyé : les disciples de Jean disaient seulement : au nom
de l'envoyé de Jehovah : cependant je ne m'en souviens pas bien
exactement : je me sens trop malade et trop troublée.
Les païens étaient tous habillés de blanc : ils
offrirent à Jésus, pour la caisse des disciples, des agrafes
d'or et des pendants d'oreilles : ils faisaient le commerce d'objets de
ce genre. On en fit de l'argent qu'on distribua aux pauvres. Jésus
enseigna ensuite dans la synagogue : il guérit encore et prit un
repas avec les lévites.
(15-17 septembre.) Après le repas, Jésus, accompagné
de plusieurs personnes de l'endroit, alla à deux lieues au nord,
vers une petite ville qui s'appelait Azo l. Il y était venu beaucoup
de monde à l'occasion d'une fête en mémoire de Gédéon
qui commençait le soir même.
Note : Elle chercha longtemps le nom de cet endroit, l’appela tantôt
Gozzo. tantôt Ozo, et finit par s’arrêter au nom d'Azo, disant
qu'il n'y avait que trois lettres.
Jésus fut reçu devant la ville par les lévites
: on lui lava les pieds et on lui offrit à manger, puis il alla
à la synagogue où il enseigna. J'ai vu beaucoup de choses
relatives à cette ville et aux événements qui s'y
sont passés, pendant que Jésus et les habitants s'entretenaient
ensemble, et qu'il parlait de ces événements. J'en ai oublié
la plus grande partie ; je raconterai ce que j'ai retenu. Azo doit être
une des plus anciennes villes du pays de Basan, car j’ai vu quelque chose
concernant Samson : mais je ne sais plus bien ce que c'est : je crois qu'il
y vint faire certaines recherches ou qu'il y séjourna avec ses parents.
Azo était une place forte du temps de Jephté : elle fut détruite
pendant la guerre à l'occasion de laquelle celui-ci fut rappelé
du pays de Tob. Maintenant Azo était un petit endroit très
propre, consistant en une longue rangée de maisons : il n'y avait
pas de païens : les habitants étaient bons, actifs et polis.
On récolte ici beaucoup d'huile. Les oliviers sont devant la ville,
plantés sur des terrasses et cultivés avec soin On s'occupe
également ici à préparer et à broder des étoffes
La manière de vivre est comme celle d'Arga : les habitants se considèrent
comme des juifs de race très pure, de la tribu de Manassé,
parce qu'ils n'ont jamais d'alliances avec les païens : le chemin
qui mène à Azo descend le long d'une vallée en pente
douce dans laquelle la ville est située, à l'ouest d'une
montagne. (Elle donna beaucoup d'autres détails topographiques très
exacts à leur manière, mais impossibles à reproduire,
parce qu'il y a souvent des lacunes considérables ; et qu'elle parle
comme si ses auditeurs voyaient les lieux et les connaissaient.)
J'ai vu une curieuse histoire qui s'est passée ici, pendant
une guerre, à l'époque où Débora jugeait en
Israël et où Sisara fut mis à mort par Jahel (Judic.,
IV, 17, 20). Voici ce que j'en ai retenu : une fille qui tirait son origine
d'une femme échappée à l'extermination de la tribu
de Benjamin, avait longtemps vécu à Maspha sous des habits
d'homme, et elle était parvenue à dissimuler son sexe de
manière à tromper tout le monde. Elle avait des visions,
prophétisait, et servait souvent d'espion aux Israélites
; mais partout où ils l'employaient, les choses tournaient mal pour
eux. J'ai oublié beaucoup de choses qui la concernaient.-Il y avait
alors ici des troupes ennemies, des Madianites, à ce que je crois
: elle vint habillée en homme, ayant toute l'apparence d'un soldat
de belle prestance, et elle se donna pour Abinoëm, un des guerriers
qui s'étaient trouvés à la défaite de Sisara.
Elle venait pour espionner : déjà elle avait traversé
plusieurs campements, et elle se présenta ici dans la tente du chef
de l'armée, promettant de mettre en son pouvoir tous les Israélites.
Ordinairement elle ne buvait pas de vin, et se montrait très circonspecte
et très chaste. Mais ici elle s'enivra, ce qui fit découvrir
son sexe. Elle fut livrée et clouée sur une planche par les
mains et par les pieds. On la laissa languir quelque temps, dans ce supplice
ignominieux, puis on la jeta dans un trou, en retournant la planche sur
elle, et j'entendis dire à cette occasion : "Qu'elle soit ensevelie
ici avec son nom, "probablement parce que personne ne savait qui elle était.
Elle prophétisait et espionnait pour de l'argent. Après cela,
les ennemis descendirent vers le Jourdain.
Ce fut d'Azo que Gédéon partit pour attaquer le camp
ennemi. J'ai vu diverses circonstances de cette histoire. Gédéon
était de la tribu de Manassé ; il habitait avec son père,
prés de Silo. C'était une époque de détresse
pour Israël ; les Madianites et d'autres païens envahissaient
le pays de toutes parts, dévastaient les champs et enlevaient les
moissons. Gédéon, fils de Joas d’Ezri, qui habitait à
Ephra, était très vaillant et aussi très bienfaisant
: il battait souvent son blé un peu plus tôt que les autres
et le partageait avec les indigents. Je le vis le matin, avant le jour,
aller dans la rosée à un arbre d'une grosseur extraordinaire,
sous lequel il avait caché son aire. C’était un homme très
beau et très robuste. Le chêne couvrait de ses larges branches
une espèce de cuve fort spacieuse que formait le rocher où
il plongeait ses racines ; ce bassin était entouré d'un rebord
montueux qui s'élevait jusqu'à la hauteur des branches, en
sorte qu'on ne pouvait pas être vu de l'extérieur et qu’on
était au pied du chêne comme dans un vaste caveau. Le fond
était de rocher : tout autour, dans la paroi, étaient des
trous où le blé était conserve dans des vases d'écorce.
On battait le grain à l'aide d'un rouleau placé sur des roues
qu'on faisait tourner autour de l'arbre et auquel étaient adaptés
des marteaux de bois qui tombaient sur les épis. Il y avait dans
le haut de l’arbre un siège d'où l'on pouvait voir tout autour
de soi. Ce fut ici que Gédéon trouva un ange, un jeune homme
blanc assis sur une pierre, près du chêne. (Elle raconta alors
l'histoire d'une manière peu différente du récit de
la Bible ; seulement elle dit que Gédéon laissa l'ange attendre
tout un jour avant de revenir avec la victime et que le bois de Baal, détruit
par lui, consistait en un groupe d'arbres. Elle se réjouissait particulièrement
de la réponse de Joas aux ministres des idoles, qui demandaient
que Gédéon leur fût livré. Il y a bien des choses
qu'elle omit ou qu'elle ne vit pas jusqu'à l'irruption de Gédéon
avec trois cents hommes dans le camp des Madianites. Voici ce qu'elle en
dit : (Les Madianites occupaient le pays depuis Basan jusqu'au delà
du Jourdain : ils se tenaient dans la plaine d'Esdrelon, et la vallée
du Jourdain était couverte de chameaux qui paissaient. Cela fut
très utile à Gédéon : il observa tout avec
soin pendant plusieurs semaines et se glissa assez loin, jusque vers Azo,
avec ses trois cents hommes. Je le vis pénétrer dans le camp
des Madianites et s'arrêter près d'une tente ou il entendit
un soldat disant à l'autre : "J'ai rêvé qu'un pain
tombait du haut de la montagne et renversait la tente.-Ce n'est pas un
bon signe, répondit l'autre, sûrement Gédéon
tombera sur nous avec les Israélites. "Je vis la nuit suivante Gédéon,
accompagné un petit nombre d'hommes, partir d'ici, et faire irruption
dans le camp ; ils sonnaient de la trompette et tenaient des lampes à
la main : ses autres soldats en firent autant d'un autre côté.
La confusion se mit partout dans le camp ennemi : ils se tuaient les uns
les autres, et ils furent ensuite chassés de toutes parts et taillés
en pièces par les enfants d’Israël. La montagne, du haut de
laquelle le soldat avait vu en songe rouler un pain, se trouvait derrière
Azo : c'est aussi de là que Gédéon attaqua en personne.
La sœur raconta encore plusieurs choses touchant les fils de Gédéon,
légitimes et illégitimes ; elle parla de 'idolâtrie
dans laquelle il tomba plus tard, et aussi de la mort d'Abimélech,
mais tout cela d'une manière très sommaire. Barech était
le frère du mari de Débora.
(16 septembre.) Le matin du 24 Elul on célébra à
Azo la fête anniversaire de la victoire de Gédéon.
Devant la ville, au pied d'une colline, se trouve un grand chêne
sous lequel est un autel de pierres entassées. Entre cet arbre et
les montagnes d'où le soldat vit rouler le pain, était enterrée
la prophétesse déguisée. Ces sortes d'arbres sont
différents de nos chênes : ils portent un fruit volumineux,
qui a extérieurement une coque verte, sous laquelle se trouve un
noyau extraordinairement dur, placé aussi dans un petit réceptacle
comme nos glands. De ce noyau les Juifs du pays font des têtes à
leurs bâtons. Entre ce chêne et la ville on voyait une longue
rangée de cabanes de feuillage ornées de toutes sortes de
fruits : c'étaient des abris pour la foule de peuple qui affluait
en cet endroit. Jésus et ses disciples allèrent en procession
au chêne avec les lévites. On conduisait en avant cinq petits
chevreaux avec des guirlandes rouges autour du cou, et on les enferma dans
de petits trous fermés par des grilles, pratiqués autour
de l'arbre dans la paroi du rocher. On portait aussi des gâteaux
pour le sacrifice, et en même temps on sonnait de la trompette. On
lut divers passages de l’Écriture relatifs à Gédéon,
et on chanta des chants de triomphe, puis les chevreaux furent immolés
et dépecés : on mit aussi sur l'autel plusieurs portions
des gâteaux. On fit ensuite une aspersion autour de l'autel avec
le sang ; un des 1évites avait un roseau dans lequel il soufflait
pour allumer le bois placé sous la grille de l'autel : je pense
que c'était en mémoire de ce que l'ange avait mis le feu
au sacrifice de Gédéon en le touchant avec un bâton.
Jésus fit encore une instruction au peuple assemblé.
Ce qui resta de viande fut distribué aux pauvres. Cette fête
dura jusqu'au matin. Dans l'après-midi, Jésus alla avec les
lévites et les plus considérables des habitants dans la vallée
qui est située au midi devant la ville : il y avait là un
lieu de plaisance où l'on prenait des bains : une petite source
y jaillissait. Il s'y trouvait des femmes et des jeunes filles réunies
dans un jardin à part, où elles jouaient et se divertissaient.
un repas y était préparé, et les pauvres étaient
assis aux tables d'en haut, d'après un ancien usage. Jésus
se mit à la table des pauvres. Il raconta la parabole de l'enfant
prodigue et du veau gras que le père fit tuer pour lui.
Jésus passa la nuit sur le toit de la synagogue, sous une tente
: les gens de ce pays avaient coutume de dormir sur les toits.
La fête continua encore le jour suivant, et l'on disposa dès
lors les cabanes de feuillages pour la fête des tabernacles, qui
commence dans quinze jours. Le matin, Jésus enseigna dans la synagogue
: il guérit devant l'école beaucoup d'aveugles, de phtisiques,
et aussi plusieurs possédés d'une bonne catégorie.
Il y eut encore un repas, après quoi Jésus quitta la ville.
(17-18 septembre.) Les lévites et une trentaine de personnes
en tout accompagnèrent Jésus. Le chemin franchissait d'abord
la montagne d'où le soldat vit en songe un pain d'orge rouler dans
le camp des Madianites : ils entrèrent ensuite dans une gorge qui
les conduisit sur une haute crête de montagne très étroite
et très allongée. Ils firent encore une lieue au nord de
l'autre côté, et arrivèrent dans une vallée
près d'un joli petit étang, au bord duquel s'élevaient
quelques édifices : ce petit endroit appartient aux lévites
d'Azo. un ruisseau coule à travers l'étang, arrose la vallée
et va se jeter dans le Jourdain.
A environ six lieues au nord-est se trouve Bétharamphtha-Juliade,
qui s'étend autour d'une montagne. Pendant la route, j'ai vu cette
ville et plusieurs autres encore.
Jésus prit quelque nourriture sur le bord de l'étang.
Ils avaient apporté avec eux du poisson grillé, du miel,
du pain et une petite cruche de baume. Il fallait environ trois heures
pour venir d'Azo ici. Jésus raconta en chemin des paraboles sur
le semeur et la semence jetée dans un champ pierreux, car le sol
était très rocailleux sur toute la route. Il raconta une
parabole où il était question de pêche et de poissons
: mais je ne m'en souviens plus. Il y avait de petites barques sur l'étang,
on y pêchait à la trouble : les poissons qu'on prit furent
rapportés pour être donnés aux pauvres. à environ
une lieue et demie d'ici se trouve Ephron, ville située au penchant
d'un ravin. On ne peut pas la voir d'ici, mais on a en face de soi les
montagnes qui la dominent. Jésus se sépara ici des gens d'Azo,
qui était la meilleure ville qu'il eût visitée dans
ce pays, et il alla à Ephron. Il fut reçu, comme à
l'ordinaire, par les lévites en avant d'Ephron. Il y avait déjà
beaucoup de malades devant la ville : le Seigneur les guérit.
Note : Elle reconnut ces montagnes comme assez exactement indiquées
sur la carte de Klœde ; il lui sembla que celle dont il est question ici
était représentée sur cette carte sous la forme d'une
semelle, mais que la gorge n'y était pas marquée.
Ephron est sur une hauteur qui domine au midi un passage étroit
où coule un ruisseau qui tarit souvent. Il se rend au Jourdain que
l'on aperçoit dans le lointain à l'extrémité
de la gorge. Vis-à-vis est une montagne plus élevée
sur laquelle la fille de Jephté avec ses suivantes attendit un signal
qui devait lui annoncer la victoire de son père ; ce signal fut
donné au moyen d'une fumée abondante s'élevant dans
les airs. Là-dessus elle revint en toute hâte à Ramoth
et alla en grande pompe au-devant de son père. Jésus guérit
ici beaucoup de malades et les instruisit.
Les lévites d'ici étaient de l'ancienne secte des Réchabites,
Jésus leur reprocha d'être trop sévères et trop
rigoureux dans leurs maximes, et il conseilla au peuple de ne pas tenir
compte de plusieurs de leurs préceptes. Dans cette instruction il
fit mention de ces lévites de Bethsamès qui avaient regardé
l'arche d'alliance revenue de chez les Philistins, sans que cela leur fût
permis (peut être étaient ils en état d'impureté
ou avaient-ils été poussés par une vaine curiosité),
et qui avaient été punis pour cela : je ne sais plus comment
ce fait trouvait ici son application. Les Réchabites descendent
de Jethro, le beau-frère de Moïse. Ils vivaient autrefois sous
la tente, ne cultivaient pas la terre et ne buvaient jamais de vin. Ils
faisaient dans le temple l'office de chantres et de portiers. Ceux qui
près de Bethsamés regardèrent l'arche d'alliance,
contrairement à ce qui était prescrit, étaient des
Réchabites qui habitaient là sous la tente. Jérémie
autrefois les engagea inutilement à boire du vin dans le temple,
et leur obéissance à leurs traditions fut donnée en
exemple aux Israélites. à l’époque de Jésus,
ils n'étaient plus sous la tente, mais ils avaient encore plusieurs
usages singuliers. Ils portaient sur la chair nue un ephod ou scapulaire
de crin en guise de cilice, et par là-dessus un habit de peau, puis
en outre un beau vêtement blanc avec une ceinture très large.
Ils se distinguaient des Esséniens parce qu'ils étaient mieux
vêtus. Ils avaient des préceptes exagérés quant
à la pureté, particulièrement en ce qui touche le
mariage. Ils s'abstenaient d'en user trois jours avant d'offrir un sacrifice,
et ils se regardaient comme souillés par des désirs involontaires.
Ils avaient d'étranges usages relativement au mariage ; ils jugeaient
d'après le sang qu'on tirait à un homme, s'il devait prendre
femme ou non, et c'était en se guidant d'après ces signes
qu'ils mariaient les hommes de leur race, ou qu'ils leur imposaient parfois
le célibat. Je n'ai pas vu qu'à l'époque présente
il y en eût en Palestine, ailleurs qu'à Ephron. Autrefois
il y en avait aussi à Argob, à Jabès et dans la Judée.
Ils ne contredirent pas, se montrèrent pleins d'humilité
et prirent bien l'enseignement et les reproches de Jésus. J'ai l'idée
que la population juive, gouvernée par Judith dans l'Abyssinie,
descend en partie des Réchabites. J'ai vu quelque chose à
ce sujet : ces Juifs sont aussi pour la plupart vêtus d'habits de
peau. Il en est resté là plusieurs qui avaient été
emmenés en captivité. Jésus leur reprocha principalement
leur sévérité incroyable pour les adultères
et les meurtriers qu'ils ne voulaient admettre en aucune façon à
la réconciliation. Ils pratiquaient aussi le jeune avec une extrême
rigueur.- Il y avait ici contre la montagne beaucoup de fonderies et de
forges ; on fabriquait des pots, des rigoles et aussi des tuyaux pour les
conduites d'eau, formés de deux rigoles soudées ensemble.
Note : Ceci se rapporte à une principauté juive située
dans les montagnes de la Lune en Abyssinie ; elle y alla souvent dans ses
visions et la souveraine actuelle avec laquelle elle eut beaucoup de rapports
portait disait-elle, le nom de Judith. Elle disait que ces juifs n'avaient
pris aucune part à la mort de Jésus, qu'ils étaient
venus longtemps auparavant en Abyssinie.
(19-23 septembre.) Jésus avait encore opéré des
guérisons à Ephron : il alla ensuite avec ses disciples et
plusieurs Réchabites à cinq lieues au nord-est, à
Bétharamphtha-Juliade, une belle ville, située à une
assez grande élévation : il avait enseigné en route,
près d'une mine d'où l'on retirait le bronze qui était
mis en œuvre à Ephron. à Bétharamphtha, il y avait
aussi des Réchabites, parmi lesquels des prêtres. Ceux d'Ephron
me semblaient être subordonnés à ceux-ci. La ville
est grande et s'étend autour de la montagne. (Elle croyait la reconnaître
exactement sur la carte de Klœde). Le quartier occidental est habité
par des Juifs, le quartier oriental et une partie du haut de la ville par
les paiens. Les deux quartiers sont séparés par un chemin
bordé d’un mur et par un lieu de plaisance avec des avenues (Elle
indique les quartiers de la ville en promenant le doigt ça et là
sur la couverture de son lit, comme quelqu'un qui connaît bien ce
dont il parle, mais qui le décrit d'une manière assez confuse)
En haut, sur la montagne, se trouve un beau château avec des tours
: il y a aussi des jardins et des arbres. une femme répudiée
du tétrarque Philippe y demeurait, et les revenus de cette contrée
lui étaient assignés pour son entretien. Elle avait avec
elle cinq filles déjà grandes. Elle était de race
Jébuséenne et païenne, et descendait des rois de Gessur.
Elle s'appelait Abigail : c'était une femme déjà d'un
certain âge, forte et belle, et d'un caractère bon et bienfaisant.
Philippe était plus âgé que l'Hérode de
la Pérée et de la Galilée. C'était un païen
inoffensif, mais voluptueux ; demi frère de l'autre Hérode,
qui était né d'une autre mère. Ce Philippe avait d'abord
épousé une veuve qui avait une fille, mais le mari de cette
Abigail je visita, étant en voyage, à l'occasion d'une guerre,
à ce que je crois, ou peut-être en se rendant à Rome,
et il laissa sa femme chez lui. Elle fut pendant l’absence de son mari,
séduite et épousée par Philippe, ce qui fit mourir
le mari de chagrin. Quelques années après, la première
femme que Philippe avait répudiée à cause d'Abigail,
étant au moment de mourir, pria Philippe d'avoir au moins pitié
de sa fille. Or, le tétrarque, fatigué d’Abigaïl, épousa
cette belle-fille et renvoya Abigaïl avec ses cinq filles à
Bétharam, qu'on appelait aussi Juliade, en l’honneur d'une dame
romaine de la famille impériale. Elle vivait là, faisant
beaucoup de bien, et se montrant très favorable aux Juifs. Elle
avait un grand désir de connaître la voie du salut ; mais
elle était étroitement surveillée par quelques agents
de Philippe. Philippe avait aussi un fils. Sa femme actuelle était
beaucoup plus jeune que lui.
Jésus fut bien accueilli et bien hébergé à
Bétharam. Le matin d'après son arrivée, il guérit
beaucoup de malades juifs, enseigna le soir dans la synagogue, et le jour
suivant encore, sur les dîmes et les prémices. (Deutér.,
XXVI-XXIX, et Isaïe, LX.)
Abigaïl était en très bon renom parmi les habitants
; elle envoya des présents aux Juifs pour les aider à traiter
Jésus et ses disciples. Le premier jour du mois de Tisri, on faisait
la fête de la nouvelle année. On jouait de divers instruments
de musique au haut de la synagogue. Il y avait des harpes, mais surtout
on jouait beaucoup de certaines grandes trompettes qui avaient plusieurs
embouchures. Je vis encore ce singulier instrument avec des soufflets que
j'avais vus à la synagogue de Capharnaum. Je vis que tout était
orné de fruits et de fleurs pour la fête, et je remarquai
diverses coutumes en usage dans les différentes classes de la population.
Je vis pendant la nuit beaucoup de personnes, surtout des femmes, avec
des lumières recouvertes de boisseaux, se prosterner et prier sur
les tombeaux, habillées de longs vêtements. Tous en outre
se baignaient, les femmes dans les maisons, les hommes dans les bains publics.
Les hommes mariés et les jeunes gens se baignaient séparément,
il en était de même pour les femmes et les jeunes filles.
Les bains étaient très fréquents chez les Juifs ;
mais comme on n'avait pas partout de l'eau en abondance, on les prenait
souvent d'une manière économique. Ils se couchaient sur le
des dans dés auges et versaient de l'eau sur eux avec une coquille
: souvent c'était plutôt une ablution qu'un bain. Ils se baignèrent
aujourd'hui devant la ville, dans de l'eau tout à fait froide. Ils
avaient coutume aussi, à cette occasion, de se faire mutuellement
des présents, et on en faisait spécialement aux pauvres.
Il y eut ensuite un grand repas : on avait placé sur un long mur
beaucoup de présents, consistant en aliments, en vêtements
et en couvertures : chacun recevait de ses amis les cadeaux qui lui étaient
destinés et en donnait quelque chose aux pauvres : les Réchabites,
qui étaient là dirigeaient et réglaient tout : ils
regardaient ce que chacun distribuait aux pauvres, et ils avaient trois
registres où ils prenaient note des libéralités qui
avaient été faites, mais sans que les personnes intéressées
en eussent connaissance.
L'un de ces registres s'appelait le livre de vie, l'autre la route
du milieu, le troisième le livre de mort. Les Réchabites
avaient diverses attributions de ce genre : du reste, ils remplissaient
dans le temple l'office de portiers, de teneurs de comptes, et surtout
de chantres, et ils exerçaient ces mêmes fonctions à
la fête d'aujourd'hui : toutefois, ici et ailleurs, il y avait ordinairement
des prêtres parmi eux. Jésus reçut à Bétharamphtha
des présents consistait en habits, couvertures et pièces
de monnaie : il fit tout distribuer aux pauvres.
Pendant cette fête publique, Jésus alla visiter les païens.
Abigaïl ! 'avait fait prier instamment de venir la voir, et les Juifs
eux-mêmes, auxquels elle faisait beaucoup de bien, le prièrent
de s'entretenir avec elle. Le matin, je le vis avec quelques-uns de ses
disciples traverser la ville juive et se rendre au quartier des paiens,
en passant par un jardin public planté d'arbres, qui séparait
les deux parties de la ville, et où les Juifs et les païens
se rencontraient ordinairement pour traiter d'affaires. Abigaïl s'y
trouvait avec sa suite et ses cinq grandes filles : il y avait aussi plusieurs
jeunes filles païennes et d'autres personnes. Abigail était
une grande et forte femme d'environ cinquante ans : elle devait être
du même âge que Philippe t. Il y avait chez elle quelque chose
de triste et de languissant. Elle désirait vivement être assistée
et éclairée, mais elle ne savait par où s'y prendre,
car elle était gênée dans ses relations et espionnée
par des surveillants. Elle se prosterna devant Jésus qui la releva
et qui lui donna des enseignements à elle et à tous les assistants,
tout en se promenant de long en large. Il parla de l'accomplissement des
prophéties, de la vocation des païens et du baptême.
Je dois mentionner ici que depuis que Jésus avait quitté
Ainon, il y venait continuellement, de tous les endroits qu'il avait visités
depuis lors, des troupes de juifs et de païens pour recevoir le baptême
de la main des disciples qu'il y avait renvoyés. André, Jacques
le Mineur, Jean et les disciples de Jean Baptiste, y étaient encore
occupés à baptiser. Lazare était retourné immédiatement
chez lui. Des messagers allaient et venaient visitant Jean Baptiste dans
sa prison et rapportant ce qu'il avait dit.
Note : La Sœur dit une autre fois que Philippe était l'aîné
d'Hérode Antipas, lequel était beaucoup plus actif et plus
fort, et aussi moins gras et moins mou que son frère.
Jésus reçut d'Abigaïl, à l'endroit où
il devait enseigner, les honneurs rendus habituellement en pareille circonstance.
Elle avait chargé des serviteurs juifs de lui laver les pieds et
de lui offrir une réfection pour sa bienvenue. Elle le pria très
humblement de lui pardonner le désir qu'elle avait eu de s'entretenir
avec lui : elle lui dit que depuis longtemps elle désirait l'entendre,
et l'invita à prendre part à une fête qu'elle avait
préparée pour lui. Jésus se montra plein de bonté
envers tous, et spécialement envers elle ; toutes ses paroles aussi
bien que son aspect l'émurent profondément, car elle était
accablée de chagrins et n'avait qu'une instruction bien incomplète.
Cet enseignement des païens dura jusqu'après midi. Jésus
se rendit, sur l'invitation d'Abigaïl, dans la partie orientale de
la ville, non loin de temple des païens : il y avait là beaucoup
de bains et une espèce de fête populaire, car les païens
fêtaient aussi la nouvelle lune de ce jour avec une pompe particulière.
Il eut à suivre le chemin qui séparait la ville juive de
la ville païenne, Et le long duquel il rencontra plusieurs pauvres
malades païens qui faisaient leur demeure dans la muraille, couchés
dans des caisses pleines de paille et de balle d'avoine. Les païens
avaient ici beaucoup de pauvres. Jésus n'en guérit aucun
pour le moment.
Dans le jardin de plaisance où le festin avait lieu, Jésus
enseigna longtemps les paiens, tantôt allant et venant, tantôt
pendant le repas. Il raconta des paraboles où il était question
de bêtes de toute espèce, auxquelles il les comparait à
cause des occupations auxquelles ils se livraient et du peu de fruit qu'ils
en retiraient. Il parla du travail incessant, souvent si peu profitable
de l'araignée, de l'activité désordonnée des
fourmis et des guêpes, et l'opposa au travail si bien ordonné
des abeilles. Le repas, auquel Abigaïl prit part, fut en grande partie
distribué aux pauvres sur l'ordre de Jésus. Je vis aussi
ce même jour une grande fête dans le temple des païens,
lequel était d'une grande magnificence. Il y avait de cinq côtés
de grands péristyles ouverts, à travers lesquels on pouvait
voir ce qui se faisait. Au centre était une haute coupole. On voyait
plusieurs dieux dans différentes salles de ce temple, mais le principal
dieu s'appelait Dagon ; il avait le haut du corps comme un homme et se
terminait en poisson. Il y avait aussi là d'antres dieux avec des
figures d'animaux, mais nulle part d'aussi belles figures que chez les
Grecs et les Romains. Je vis des jeunes filles suspendre des guirlandes
aux idoles, et chanter et danser l'entour. Je vis aussi des prêtres
des idoles brûler de l'encens sur une petite table à trois
pieds. Sur la coupole de ce temple se trouvait un appareil singulier très
artistement arrangé, qu'on mettait en mouvement pendant la nuit.
C'était un globe lumineux entouré d'étoiles qui tournait
au-dessus du toit ; on pouvait le voir de l'extérieur et aussi de
l'intérieur du temple. Le cours des astres y était représenté
en partie, ainsi que la nouvelle lune ou la nouvelle année. Le mouvement
était lent, et quand la face opposée se montrait, les jeux
et les fêtes cessaient de ce côté du temple et commençaient
du côté ou la lune arrivait. Non loin du lieu ou le repas
fut donné à Jésus se trouvait un grand jardin d’agrément
où les jeunes filles jouaient j leurs robes étaient retroussées
et leurs jambes enveloppées ; elles avaient des arcs, des flèches
et de petits épieux entourés de fleurs, et couraient devant
un singulier échafaudage de branches, de fleurs et d'ornements de
toute espèce ; sans cesser leur course, elles lançaient leurs
traits sur des oiseaux qu'on y avait attachés ou sur d'autres animaux
parmi lesquels étaient des chevreaux et des bêtes ressemblant
à de petits ânes qu'on avait enfermés dans des enceintes
au pied de l'échafaudage. Tout cela servait de décoration
a une idole hideuse qui ouvrait une large gueule comme celle d'une bête
féroce ; pour le reste, elle ressemblait à un homme : elle
avait les bras pendants : elle était creuse et il y avait du feu
au-dessous. Les animaux tués étaient mis dans sa gueule ;
ils y rôtissaient et tombaient dans le feu. Ceux qui n’étaient
pas atteints étaient mis à part : je crois qu'on les regardait
alors comme sacrés, que les prêtres mettaient sur eux les
péchés du peuple et leur rendaient la liberté. C'était
quelque chose comme les animaux expiatoires des Juifs : si ce n'eût
été le supplice infligé aux animaux, et surtout l'aspect
de l'affreuse idole, l’agilité et l'adresse des jeunes filles m'auraient
beaucoup plût à voir. La fête dura jusqu'au soir, et
quand la lune se leva, les animaux furent immolés. Le soir, tout
le temple fut illuminé ainsi que le château d'Abigaïl.
Jésus enseigna encore après le repas, et il se convertit
plusieurs paiens qui allèrent à Ainon se faire baptiser.
Le soir je vis Jésus monter de nouveau la montagne, à
la lueur des flambeaux, et s'entretenir avec Abigail sous un vestibule
à colonnes, dans un jardin attenant à son château.
Il y avait près d'elle quelques agents de Philippe qui la surveillaient
constamment. Cela la gênait beaucoup dans toutes ses actions, et
elle le donna à entendre au Seigneur par un regard qu'elle jeta
sur ces hommes. Mais Jésus connaissait tout son intérieur
et les liens qui la tenaient captive. Il était touché de
compassion pour elle. Elle demanda si elle pouvait être réconciliée
avec Dieu : il y avait un point qui était pour elle l'objet d'un
remords incessant : c'était la violation de la foi conjugale envers
son légitime époux et la mort de celui-ci. Jésus la
consola et lui dit que ses péchés lui étaient remis,
qu'elle devait persévérer dans les bonnes œuvres, attendre
patiemment et prier. Elle était de la race des Jébuséens
: c'étaient des paiens qui faisaient périr leurs enfants
quand ils naissaient contrefaits, et qui avaient beaucoup de croyances
superstitieuses touchant les signes de naissance.
(23 septembre.) Dans tous les lieux où Jésus avait passé
dernièrement, on était déjà occupé à
faire des préparatifs de toute espèce pour la fête
des tabernacles. On rassemblait des lattes de tous côtés,
et à Bétharamphtha on dressait sur les toits de beaucoup
de maisons des tentes et des huttes de feuillage. Les jeunes filles étaient
occupées à se pourvoir de plantes et de fleurs, qu'elles
1nettaient dans l'eau pour les tenir fraîches. Il y a tant de jours
de jeûne avant la fête, et on a besoin de tant de choses pour
les repas dont elle est accompagnée, que l'on fait déjà
tout apporter d'avance. Plusieurs personnes se partagent le soin de fournir
tons les objets nécessaires. à cette occasion, les pauvres
sont rétribués et défrayés, et à la
fin on leur donne une belle fête et une gratification.
Dans tous ces endroits on ne voit pas de boutiques publiques. Il y
a, à Jérusalem, autour de l'enceinte extérieure du
temple, quelques endroits où se trouvent des boutiques en certain
nombre ; dans les autres villes, c'est tout au plus si l'on rencontre parfois
auprès de la porte une tente où l'on vend des couvertures
; cela se voit principalement dans les endroits où il passe des
caravanes. On ne voit pas non plus de gens assis ensemble dans les auberges,
comme chez nous. On trouve çà et là au coin d'un mur
un homme qui se tient près d'une tente, muni d'une outre ou d'une
cruche : un voyageur passe et se fait remplir un cruchon : il est rare
qu'il s’arrête pour boire. On ne rencontre pas de gens ivres dans
les rues. On voit aussi des gens qui vendent de l'eau : ils portent sur
le dos des outres suspendues des deux côtés à une perche
: quant à la vaisselle et à la ferraille, chacun va les prendre
avec des ânes aux endroits où on les confectionne.
Jésus, après son entretien d'hier avec Abigail, revint
dans la ville juive, où il passa la nuit chez les lévites.
Le lundi 2 Tisri je le vis de bon matin, sur le chemin bordé d'un
mur qui séparait le quartier des Juifs du quartier des païens,
guérir tous les pauvres païens malades qui gisaient là
si misérablement dans des trous, et les disciples leur distribuèrent
les aumônes qu'ils avaient recueillies. Plus tard, il enseigna encore
dans la synagogue pour prendre congé, et comme à cette fête
se lie une autre fête commémorative du sacrifice d'Abraham,
il parla de l'Isaac réel et véritable, ce qui toutefois ne
fut pas compris par les auditeurs. Dans tous ces endroits il parle très
clairement du Messie, mais sans dire expressément que c'est lui.
(23-26 septembre.) Jésus, accompagné des disciples et
de quelques lévites, alla à deux ou trois lieues au nord-ouest
vers une gorge par laquelle le ruisseau de Chrit se jette dans le Hiéromax
: au fond de cette gorge est la jolie ville d'Abila. Les lévites
l'accompagnèrent jusqu'à une montagne qui est à moitié
chemin et s'en retournèrent. Il était trois heures après
midi lorsque Jésus arriva devant Abila, qui est bâtie près
de la source du ruisseau de Chrit : il y fut reçu par les lévites
de la ville, auxquels s'étaient joints plusieurs Réchabites.
Il y avait en outre avec eux trois disciples de Galilée qui attendaient
Jésus, j'ai oublié ce qui les amenait. Ils le conduisirent
aussitôt dans la ville, près d'une très belle fontaine.
C'était la source du ruisseau de Chrit, autour de laquelle la ville
était bâtie. La fontaine était surmontée d'un
bel édifice reposant sur des colonnes et environnée de péristyles
qui unissaient la synagogue et d'autres bâtiments avec ce point central.
La ville s'élevait en pente douce sur les deux côtés
de la hauteur, s'étendait tout autour avec ses rues disposées
en forme d'étoiles, en sorte que de toutes les rues on pouvait voir
la fontaine. Les lévites lavèrent les pieds à Jésus
et à ses disciples, et on leur offrit la réfection d'usage.
Je vis dans les jardins voisins et près de divers édifices
des jeunes filles et des hommes occupés à faire des préparatifs
pour la fête des tabernacles.
D'ici Jésus alla avec eux plus au nord dans la vallée,
à environ une demi lieue de la ville, à un endroit où
se trouvait un large pont de pierre bâti sur le lit du ruisseau.
Sur ce pont s'élevait, en mémoire d'Elle, une espèce
de chaire surmontée d'un petit temple que supportaient huit colonnes.
Les deux rives du petit cours d'eau étaient disposées en
forme de gradins pour les auditeurs et toutes couvertes de monde. La chaire
était au haut d'une petite colonne, dans l'intérieur de laquelle
on montait. Jésus y enseigna en se tournant successivement de tous
les côtés.
On célébrait aujourd'hui dans cette ville une fête
en mémoire d'Elle, parce qu'il lui était arrivé auprès
de ce ruisseau quelque chose dont je ne me souviens plus bien. Après
l'instruction, il y eut un repas dans un jardin de plaisance où
l'on prenait des bains : mais il finit avec le sabbat, parce que le lendemain
était un jour de jeûne en mémoire du meurtre de Godolias.
C'était l'usage d'aller pleurer les morts sur leurs tombeaux
au commencement du mois de Tisri. Je vis ici quelque chose de ce genre
; je ne sais pourtant pas si c'était le jour anniversaire de la
mort d'un personnage quelconque ou une commémoration générale
des morts. Je vis sur le penchant de la montagne, à l'est de la
ville d'Abila, un beau sépulcre isolé, en avant duquel était
un petit jardin ou les femmes de trois familles d'Abila célébraient
une cérémonie funèbre. Elles étaient assises
et voilées, pleuraient, chantaient des lamentations et se prosternaient
souvent je visage contre terre : elles tuèrent aussi plusieurs oiseaux
d'un très beau plumage, les plumèrent, et brûlèrent
sur le tombeau les belles plumes brillantes qu'elles avaient arrachées.
La chair des oiseaux fut donnée aux pauvres.
Note : Godolias était un lieutenant de Nabuchodonosor bien disposé
pour les Juifs, qui fut assassiné par le roi des Ammonites Baalim.
Après le retour de la captivité, les Juifs instituèrent
un jeûne annuel le jour de sa mort (IV Reg. XXV, 24-25.)
C'était le tombeau d'une femme égyptienne dont elles
descendaient. Avant la sortie des enfants d'Israël, il y avait en
Egypte une parente illégitime du Pharaon d'alors, qui était
très attachée à Moise, et qui rendit de grands services
aux Israélites. Elle était prophétesse et dans la
dernière nuit elle découvrit à Moïse le lieu
où était la momie de Joseph. Elle avait je ne sais quel lien
de parenté avec les Israélites. On l'appelait Segola. Une
fille de cette Segola fut concubine d’Aaron, mais il se sépara d'elle
quoiqu'ils eussent des enfants, et épousa Elisabeth, fille d'Aminadab,
de la tribu de Juda. La femme répudiée avait aussi avec cet
Aminadab une relation que je ne me. rappelle plus. La fille de Segola qui
avait été bien pourvue par Aaron et par sa mère, et
qui avait emporté d'Egypte beaucoup de richesses, suivit les Israélites
et prit un autre mari. Elle s'attacha plus tard aux Madianites, spécialement
à la famille de Jethro. Ses descendants s'établirent près
d'Abila, où ils habitaient sous la tente, et son corps y fut enterre.
Abila ne fut bâtie qu'après l'époque d'Elle, et ce
fut alors que les descendants de l'Egyptienne s'y fixèrent : car
au temps d'Elle je ne vis pas la ville, elle devait donc avoir été
détruite antérieurement. Il s'y trouvait encore trois familles
de cette race. Je me souviens confusément que les trésors
laissés par Segola et le généreux emploi qu'en avaient
fait ses descendants avaient beaucoup aidé à bâtir
la ville. Voilà que la mémoire me revient. On était
au jour anniversaire de la mort de la fille de Segola : sa momie apportée
du désert avait été ensevelie ici. Les femmes offrirent
aux lévites en mémoire d'elle des pendants d'oreille et des
joyaux. Jésus fit l'éloge de cette femme, et du haut de la
chaire d'Elle il loua la bienfaisance de sa mère Segola. Les femmes
écoutaient, debout derrière les hommes. Au repas qui eut
lieu dans le jardin des bains, il était venu beaucoup de pauvres,
et chaque convive devait prendre quelque chose sur sa portion pour le leur
donner.
(24 septembre.) Ce matin je vis Jésus conduit par les lévites
dans une grande cour entourée de cellules Ou dés sourds-muets
et des aveugles étaient soignés comme dans un hôpital.
Il y avait près d'eux des gardiens et deux personnages qui paraissaient
être des médecins. Les uns étaient sourds-muets de
naissance, les autres, aveugles-nés. Plusieurs d'entre eux étaient
déjà vieux : ils étaient en tout environ une vingtaine.
Les sourds-muets étaient tout à lait comme des enfants :
chacun avait un petit jardin où il s'amusait et qu'il cultivait
: tous vinrent bientôt entourer Jésus, ils riaient et faisaient
des signes en mettant le doigt sur la bouche. Jésus écrivit
avec le doigt quelques caractères sur le sable, ils le regardèrent
attentivement, et à chaque chose qu'il écrivait, ils montraient
tel ou tel objet autour d'eux. Je crois qu'il leur fit ainsi comprendre
quelque chose relativement à Dieu. Je ne sais pas s'il traça
des signes ou des figures : j'ignore également si on les avait déjà
instruits de cette façon. Après cela Jésus leur mit
les doigts dans les oreilles et les toucha sous la langue avec les pouces
et l'index : alors ils ressentirent une commotion violente et regardèrent
autour d'eux, ils entendirent, ils pleurèrent, ils balbutièrent
et parlèrent ; puis ils se prosternèrent devant Jésus
et finirent par entonner un cantique de quelques paroles seulement, d'une
mélodie monotone, mais très touchante. Cela rappelait beaucoup
le cantique si émouvant des trois rois pendant leur voyage.
Jésus alla ensuite aux aveugles qui se tenaient rangés
en silence. Il pria et leur mit les deux pouces sur les yeux : ils ouvrirent
les yeux, virent leur sauveur et leur rédempteur, et mêlèrent
leur chant d'action de grâces à celui des sourds-muets qui
avaient maintenant la faculté de louer et d'entendre son enseignement.
C'était un spectacle plein de charme et qui remplissait le cœur
d'une joie indicible. Toute la ville accourut transportée d'allégresse,
lorsque Jésus sortit avec les gens qu'il avait guéris et
auxquels il ordonna de prendre un bain.
Lui-même se rendit à travers la ville jusqu'à la
chaire d'Elle, en compagnie de ses disciples et des lévites. Il
y eut une grande émotion dans la ville. Sur la nouvelle du prodige,
on avait mis en liberté plusieurs, possédés. à
un coin de rue plusieurs femmes idiotes coururent vers Jésus, elles
parlaient toutes à la fois avec une grande volubilité, lui
disant : "Jésus de Nazareth, prophète ! Tu es prophète
! Tu es Jésus ! Tu es le Christ, le prophète, etc." C'étaient
des folles d'un bon naturel. Jésus leur imposa silence, et elles
se turent. Il leur mit la main sur la tête, alors elles tombèrent
à genoux, pleurèrent, devinrent tout à fait calmes,
se prirent à rougir et furent emmenées paisiblement par les
leurs. Plusieurs possédés furieux se firent aussi jour à
travers la foule : il semblait qu'ils voulussent mettre Jésus en
pièces. Il les regarda : alors ils vinrent se mettre à ses
pieds comme des chiens couchants, et par un commandement il chassa les
démons dont ils étaient possédés : ils s'affaissèrent
sur eux-mêmes, et il sortit d'eux une vapeur noirâtre : puis
ils reprirent connaissance, pleurèrent, rendirent grâces et
furent ramenés chez eux par les leurs. Ordinairement Jésus
leur ordonnait de se purifier. Il enseigna encore dans la chaire qui est
sur le pont du ruisseau. Il parla beaucoup d'Elie, de Moïse et de
la sortie d'Egypte, puis des malades guéris et des prophètes
qui disaient qu'au temps du Messie les muets parleraient et les aveugles
verraient. Il parla encore de ceux qui voient ces signes et ne les comprennent
pas, etc.
Je vis à cette occasion beaucoup de choses concernant Elie :
j'en ai oublié une partie. C'était un grand homme maigre
; il avait les joues creuses, mais vermeilles, un regard brillant et perçant,
une longue barbe peu fournie, la tête chauve, et par derrière
seulement une couronne de cheveux. Sur le sommet de la tête il avait
trois grosseurs, ayant à peu près la forme d'oignons : une
au milieu, les deux autres plus en avant sur le front. Son vêtement
se composait de deux peaux de bête qui se réunissaient sur
lés épaules ; il était ouvert par le côté,
et lié autour du corps avec une corde. Il portait un bâton
à la main : le devant de ses jambes était beaucoup plus brun
que son visage. Elie séjourna ici neuf mois : il résida deux
ans et trois mois chez la veuve de Sarepta il vivait ici dans une grotte
creusée sur la pente orientale de la vallée, à peu
de distance du ruisseau. J'ai vu l'oiseau lui porter sa nourriture. Il
vint d'abord à lui une petite figure sombre ; elle sortit de terre
comme une ombre, tenant à la main un gâteau de peu d'épaisseur.
Ce n'était ni un homme, ni un animal : c'était l'ennemi qui
le tentait. Elie n'accepta pas ce pain et renvoya celui qui l’apportait
Je vis ensuite un oiseau gros comme une oie arriver dans le voisinage de
la grotte ; il portait dans ses pattes du pain et d'autres aliments qu'il
cacha en les recouvrant avec des feuilles. Il semblait que cet oiseau les
cachât pour lui-même. Ce ne pouvait pas être un corbeau,
ce devait être un oiseau aquatique, car ses pattes étaient
palmées. Sa tête était aplatie ; des deux côtés
de son bec, il y avait comme deux poches pendantes : il avait aussi sous
le bec une espèce de goitre. Il claquetait à la façon
d'une cigogne. Je vis aussi que cet oiseau était tout à fait
familier avec Elle, en sorte que celui-ci lui indiquait la droite ou la
gauche comme pour l'envoyer quelque part ou le faire venir à lui.
J'ai souvent vu des oiseaux de cette espèce près des anachorètes,
et aussi près de Zosime et de Marie Egyptienne. Lorsqu'elle demeurait
chez la veuve de Sarepta, indépendamment de la multiplication de
l’huile et de la farine, un corbeau leur apportait souvent des aliments.
Je vis Jésus aller avec les lévites à la grotte
d'Elie. Au penchant oriental de la vallée, sous une masse de rocher
qui surplombait, on voyait un étroit banc de pierre où le
prophète dormait, protégé par le rocher. La couche
était encore couverte de mousse. Lorsque le sabbat du quatrième
jour de Tisri commença et que le jour de jeûne fut passé,
il y eut dans le jardin des bains un repas à la suite duquel des
aliments furent distribués aux pauvres.
(25 septembre.) Je vis le matin Jésus enseigner et guérir
dans la synagogue. Les hommes et les jeunes gens allèrent ensuite
se baigner séparément, de même que les femmes et les
jeunes filles. Les vieilles gens restèrent chez eux, et lorsque
les autres furent de retour, je vis, vers midi, les vieillards et les femmes
âgées aller ensemble à un lieu de plaisance situé
près de la ville. Ils se conduisaient les uns les autres : il y
avait là des gens si vieux, qu'il fallait les soutenir des deux
côtés.
Je vis, Jésus en compagnie des disciples, des lévites,
des Réchabites et d'autres personnes se promener et enseigner au
milieu des vignes, sur la hauteur occidentale de la montagne, dans un rayon
d'une lieue. Il y avait sur ces montagnes, jusqu'à Gadara, beaucoup
de monticules, les uns naturels. les autres formés artificiellement
avec des amas de pierres, autour desquels les ceps étaient plantés.
Les souches étaient grosses comme le bras et assez éloignées
les unes des autres, mais les branches s'étendaient au loin. Les
grappes de raisin étaient souvent de la longueur du bras et avaient
des grains gros comme des prunes. Les feuilles étaient aussi plus
grandes que chez nous, toutefois elles paraissaient petites en comparaison
des grappes. Les lévites interrogèrent Jésus sur divers
passages des psaumes qui ont trait au Messie : ils disaient : "Vous êtes
certainement celui qui a le plus de rapports avec le Messie, vous nous
direz ce qui en est. "il s'agissait du texte : Dixit Dominus Domino meo
et encore d'un autre passage où il est question de vin changé
en sang (peut-être du texte d'Isaïe où celui qui foule
le pressoir est tout arrosé de sang : il fut lu à Gadara
le sabbat suivant. Malheureusement la Sœur avait presque tout oublié).
Jésus leur expliqua tout cela d'une manière très profonde,
et il l'appliqua à lui-même, etc. Pendant cette explication,
ils étaient assis autour d'une colline couverte de vigne et mangeaient
des grains de raisin. Les Réchabites n'avaient pas voulu en manger
avec eux, parce que le vin leur était interdit. Mais Jésus
les y engagea et même le leur enjoignit, disant que s'ils péchaient
en cela, il prenait le péché sur lui. Comme on parlait de
cette loi qui leur était imposée, on rappela qu'autrefois
Jérémie, par ordre de Dieu, leur avait donné un ordre
semblable, auquel ils n'avaient pas obéi : mais cette fois Jésus
le leur commanda, et ils le firent. Ils revinrent vers le soir. Il y eut
encore un repas ou l’on donna à manger aux pauvres : ensuite Jésus
enseigna dans la synagogue et dormit dans la maison des lévites
sous une tente dressée sur le toit.
(26 septembre.) Jeudi 15 Tisri. Jésus enseigna aujourd'hui dans
l'école : il guérit plusieurs malades, alla dans l'après-midi,
en compagnie des lévites, au midi des vignobles, dans la direction
de l'ouest, et le soir, quand le jour de jeûne fut fini il prit avec
eux en route un petit repas. Il dit ensuite adieu aux Abiléniens
et continua sa route vers Gadara. Il arriva le soir par le côté
du midi devant le quartier juif : il est séparé du quartier
païen, qui est beaucoup plus grand et où il y a bien quatre
temples d'idoles. Je reconnus tout de suite que Gadara était une
ville païenne, en voyant l'idole du dieu Baal érigée
sous un grand arbre Jésus fut très bien accueilli : il y
avait ici des pharisiens, des sadducéens et un sanhédrin
pour cette contrée, quoique la ville n'eût guère parmi
ses habitants que trois à quatre cents Juifs. Quelques nouveaux
disciples Galiléens vinrent ici rejoindre Jésus : parmi eux
étaient Nathanaël Khased, Jonathan, demi frère de Pierre,
et je crois aussi Philippe. Jésus logea devant le quartier juif,
dans une hôtellerie où on avait préparé beaucoup
de cabanes de feuillage pour la fête des tabernacles.
(27 septembre.) Ce matin, lorsque Jésus alla à la synagogue
pour y enseigner, une grande foule de malades était rassemblée
devant cet édifice : il y avait aussi plusieurs possédés
furieux. Les pharisiens et les sadducéens qui, du reste, paraissaient
très bien disposés, voulaient renvoyer ces gens, disant qu'ils
ne devaient pas être si importuns, que ce n'était pas le moment,
etc. Mais Jésus parla encore avec une grande bonté : il dit
qu'ils pouvaient rester là, qu'il était venu pour eux, et
il en guérit plusieurs.
Le sanhédrin juif de l'endroit avait pendant ce temps mis en
délibération si on laisserait enseigner un homme contre lequel
il s'élevait tant de contradiction : toutefois ils donnèrent
leur assentiment à l’unanimité Ils avaient déjà
entendu parler de lui très favorablement, surtout à propos
de la guérison opérée à distance du fils du
centurion de Capharnaum.
Les disciples nouvellement arrivés parlèrent hier soir
à Jésus d'un autre malade de Capharnaum qui, disaient-ils,
méritait fort qu'il lui vînt en aide. Jésus enseigna
ensuite dans la synagogue. Il parla beaucoup d'Elie, d'Achab, de Jézabel,
et de l'idole de Baal qui avait été érigée
à Samarie Je vis tout ce dont il parla. Après midi il y eut
un repas et il guérit encore. Le soir commença le sabbat
: l'instruction fut tirée du Deutéronome (XXIX, 10-31) et
d'Isaïe (LXI, 10 jusqu'à LXIV, 1) Il y était dit comment
Moïse, avant de transmettre sa charge à Josué, renouvela
l'alliance de Dieu avec Israël. Dans l'explication il fut fort question
de l'idolâtrie à Samarie, d'Achab, de Jézabel et d'Elle.
Jésus parla aussi de Jonas, auquel le corbeau n'avait pas apporté
de pain parce qu'il avait été désobéissant
(je crois qu'il doit s'être passé ici quelque chose de relatif
à ce prophète : mais je l'ai oublié). Il fut aussi
question de Balthazar, roi de Babylone, qui profana les vases sacrés
et vit des caractères écrits sur la muraille. Je vis tout
cela. Il enseigna longtemps et avec force sur les textes d'Isaïe,
se les appliqua à lui-même d'une manière admirable,
et dit aussi des choses très profondes sur ses souffrances et sur
son triomphe. Il parla de celui qui foule le pressoir et de son vêtement
tout rouge de sang, de travaux solitaires, de l’oppression des peuples
foulés aux pieds. Auparavant il avait parlé du renouvellement
de Sion et des gardiens veillant sur les murs de Sion : je sentis qu’il
entendait par là l’Eglise. Il enseigna d'une façon si claire
pour moi, mais si grave et si profonde, que les savants juifs furent émus
et ébranlés sans pourtant le bien comprendre. Ils se réunirent
encore dans la nuit, feuilletèrent des écritures et tinrent
toute sorte de propos, ils pensaient qu'il devait avoir fait alliance avec
quelque peuple voisin, et qu'il avait dessein de venir avant peu conquérir
la Judée avec une grande armée.
Jésus passa encore la nuit devant la ville, dans cette auberge
où les cabanes de feuillage étaient construites et rangées.
L’idole de Baal, qui était à l'entrée du quartier
païen, était en métal. Elle était assise sous
un grand arbre. Elle avait une large tête et une énorme bouche
: la tête était pointue par en haut, comme un pain de sucre,
et entourée d'une guirlande de feuilles comme d'une couronne. L'idole
était large, grosse et courte : assise comme elle l'était,
elle ressemblait à un animal, à un bœuf dressé sur
ses jambes de derrière. Elle tenait d'une main un bouquet d'épis,
de l'autre, comme une plante qui pendait, je ne sais pas si c'était
du raisin ou un végétal quelconque. Elle avait sept ouvertures
dans le corps, et se tenait assise dans une espèce de chaudière
où l'on pouvait faire du feu sous elle. Les jours de ses fêtes
on l'habillait.
Gadara est une forteresse : la ville païenne est assez grande
: elle est un peu au-dessous du point culminant de la montagne. Au pied
de cette montagne, au nord, sont des bains chauds avec de beaux bâtiments.
(28 septembre.) Le matin, je vis près de Jésus, devant
la ville, beaucoup) de malades qu'il guérit. Il y avait beaucoup
de monde sous les cabanes de feuillage. Lorsque les prêtres vinrent
à lui, il leur dit : "Pourquoi cette nuit vous êtes-vous tant
inquiétés de mon enseignement ? Pourquoi craignez-vous une
armée, puisque Dieu protège les justes ? Accomplissez la
loi et les prophètes. Pourquoi vous effrayez-vous ? "Il enseigna
ensuite comme hier dans la synagogue.
Vers midi, une femme païenne vint timidement trouver les disciples
et pria Jésus de venir chez elle guérir son enfant. Après
le repas, Jésus alla avec plusieurs disciples dans la ville païenne.
Le mari de cette femme le reçut à la porte et le fit entrer
dans sa maison. Alors la femme se jeta à ses pieds et dit : "Seigneur,
j'ai entendu parler de vous : on dit que vous faites de plus grandes choses
qu’elle. Voilà que mon unique enfant est à la mort, et notre
devineresse ne peut pas le secourir. Ayez pitié de nous ! "L'enfant
était dans un coin couché dans un petit coffre : il avait
environ trois ans. Son père était allé hier soir à
la vigne et l'enfant avec lui : il avait mangé quelques grains,
et le père l’avait rapporté pleurant et sanglotant. La mère,
jusqu'à présent, l’avait toujours tenu dans ses bras, et
avait tout essayé sans succès. Il était déjà
comme mort : il semblait même réellement mort. Alors elle
courut à la ville juive et implora Jésus. Jésus lui
dit : " Laissez-moi seul avec l'enfant et envoyez-moi deux de mes disciples.
"Jude Barsabas et Nathanael le fiancé arrivèrent. Jésus
retira l'enfant de sa couche et le prit dans ses bras : il approcha sa
poitrine de la sienne, le tenant étendu en travers contre lui et
serré contre lui : il courba son visage sur je visage de l'enfant
et souffla sur lui. Alors l'enfant ouvrit les yeux, remua, et Jésus,
le tenant élevé devant lui, ordonna aux deux disciples de
lui poser les mains sur la tête et de le bénir. Ils firent
comme il disait : alors l'enfant se trouva tout à fait guéri,
et il le ramena aux parents qui attendaient avec impatience et qui, l’ayant
embrassé, se prosternèrent en pleurant . devant Jésus.
La femme dit encore : " Le Dieu d'Israël est grand : il est au-dessus
de tous les dieux ! Mon mari me l'a déjà dit et je ne veux
plus servir d'autre Dieu. " Il se forma bientôt un rassemblement,
et on amena encore plusieurs enfants au Seigneur. Il guérit un petit
garçon d'un an en lui imposant les mains. un enfant de sept ans
avait des convulsions. ce qui le rendait comme idiot : il était
démoniaque, mais sans accès violents, et souvent il semblait
perclus et muet. Jésus le bénit et ordonna de le mettre dans
un bain mélangé de trois espèces d'eaux différentes,
puisées à la source chaude d'Amathus, qui est au nord de
la montagne de Gadara, au ruisseau de Chrit, près d'Abila, et enfin
au Jourdain. Les Juifs de l'endroit avaient dans des outres une provision
d'eau du Jourdain, prise à l'endroit où Elie avait passé
le fleuve, et dont ils faisaient usage pour les lépreux.
Les mères païennes se plaignaient de ce qu'il arrivait
bien souvent malheur à leurs enfants, et de ce que la prêtresse
ne pouvait pas toujours les guérir. Alors Jésus leur commanda
de faire venir la prêtresse en question. Cette femme vint à
contrecœur, et elle ne voulait pas entrer. Elle était entièrement
voilée. Jésus lui dit de s'approcher : mais elle ne le regarda
pas et détourna son visage : ses allures ressemblaient à
celles des possédés qu'une force intérieure pousse
à fuir la présence de Jésus, mais qui cependant lui
obéissent quand il leur ordonne de s'approcher. Jésus dit
aux paiennes et aux hommes rassemblés là : " Je veux vous
montrer ce que c'est que la science que vous révérez dans
cette femme et dans ses pratiques." Et en même temps il ordonna à
ses esprits de l'abandonner. Alors il sortit d'elle comme une vapeur noire,
et dans cette vapeu1r des figures de bêtes malfaisantes de toute
espèce, serpents, crapauds, rats, dragons, qui s'éloignaient
comme des ombres. L'était un spectacle effrayant, et Jésus
leur dit : " voyez quels enseignements vous suivez ! cependant la femme
s'affaissa sur ses genoux, se mit à pleurer et à sangloter.
Elle était devenue traitable et docile, et Jésus lui ordonna
de dire comment elle faisait pour guérir les enfants. Elle raconta,
en versant des larmes, et en partie contre sa volonté, quels enseignements
elle avait reçus, et l'on sut par là qu'elle rendait les
enfants malades par des sortilèges, afin de les guérir ensuite
et d'en faire honneur à ses dieux. Jésus-Christ lui ordonna
alors de venir avec lui et les disciples à l'endroit où était
le dieu Moloch, et il fit convoquer là plusieurs prêtres païens.
Il s'y trouva aussi une foule nombreuse, car le bruit de la guérison
des enfants s'était déjà répandu. Ce lieu n'était
pas un temple, mais une colline toute entourée de tombeaux, et le
dieu lui-même était sous terre parmi les sépulcres,
dans un caveau au-dessus duquel était un couvercle.
Note : Les tombeaux qui entouraient Moloch étaient dans le caveau
souterrain où il était placé. Je ne vis pas de cercueil.
Ces païens brûlaient les morts : il y avait là beaucoup
de grands vases, grands comme de petits tonneaux, en métal fondu,
à ce que je crois ; car cela ne ressemblait pas à de la poterie
: ils étaient remplis de cendres et d'ossements. Je vis, prés
de plusieurs, des espèces de petites poupées rembourrées
comme des momies : je crois qu'elles étaient destinées à
représenter certains morts, mais je ne sais pas si elles contenaient
quelque chose ; peut-être contenaient- elles des restes d'enfants.
En Égypte, on voyait souvent près des momies les effigies
des décédés : mais il n’en était pas ainsi
quant à la momie de Joseph : elle se trouvait à l'entrée,
comme si l'on eût eu l'intention de l'emporter ailleurs d'un moment
à l'autre. Les enfants d'Esau et les autres descendants d’Abraham
séparés du peuple de Dieu enterraient leurs morts.
Jésus dit alors aux prêtres des idoles de faire paraître
leur dieu ; et comme ils le firent monter à l'aide d'une machine.
Jésus les plaignit d'avoir un dieu qui ne pouvait pas se mouvoir
lui-même.
Il dit à la prêtresse qu'elle devait maintenant raconter
tout haut et exalter la gloire de son dieu, la manière dont on l'honorait
et ce qu'il donnait pour cela. Alors il arriva à cette femme ce
qui était arrivé au prophète Balaam, elle raconta
à haute voix toutes les abominations de ce culte et annonça
les merveilles du Dieu d'Israël devant tout le peuple. Jésus
ordonna alors à ses disciples de renverser l'idole du haut en bas,
et de la tourner dans tous les sens, ce qu'ils firent : puis il dit : "voyez
quelle idole vous servez ; voyez les esprits que vous adorez. D On vit
alors sortir de l'idole, sous les yeux de tous les assistants, toute sorte
de figures diaboliques qui tremblaient, qui rampaient et qui disparurent
enfin sous la terre près des tombeaux. Les païens furent saisis
d’horreur et couverts de confusion. Jésus leur dit : " Si vous rejetez
votre idole dans la fosse, elle tombera en morceaux. " Mais les prêtres
le prièrent de ne pas la briser : et il les laissa la redresser
et la faire redescendre. La plupart des paiens étaient très
émus et très honteux, spécialement les prêtres.
Quelques-uns pourtant étaient très mécontents : mais
le peuple était décidément du côté de
Jésus. Il leur lit encore une belle instruction et beaucoup se convertirent.
Le dieu Moloch était assis comme un bœuf sur les jambes de derrière,
il ouvrait lés bras comme quelqu'un qui veut serrer quelque chose
contre sa poitrine, et il pouvait en effet ramener ses bras à lui,
à l'aide d'une mécanique. Il était grand et gros :
c'était comme un bœuf assis : sa tête avait en haut une large
ouverture, et sur le front il portait une corne recourbée. Le dieu
était assis dans un large bassin : il avait autour du corps plusieurs
appendices qui ressemblaient à des poches ouvertes. Les jours de
fête on l'habillait. Son vêtement était fait d'une espèce
de longues bandelettes qui lui pendaient autour du cou. Lors des sacrifices
on allumait du feu dans le bassin placé au-dessous de lui. Plusieurs
lampes brûlaient constamment devant lui autour du bassin. Autrefois
on lui sacrifiait des animaux de toute espèce, qu'on faisait brûler
dans les ouvertures de son corps, ou qu'on jetait à l'intérieur
par l'ouverture de la tête. La plus belle victime qu'on pût
lui offrir était une chèvre de Syrie à longs poils.
Il y avait aussi là des appareils au moyen desquels on se faisait
descendre jusqu'au dieu. Il était tout à fait sous la terre
et au milieu des tombeaux. Son culte n'était plus en plein exercice,
on l'invoquait seulement dans les opérations magiques, et la prêtresse
spécialement s'adressait à lui pour les enfants malades.
Dans chacune des poches adhérentes à son corps, il recevait
des offrandes particulières. Autrefois on lui mettait des enfants
dans les bras, et ils étaient consumés par le feu allumé
sous la statue et dans l'intérieur qui était creux : il retirait
ses bras à lui et les étouffait pour les empêcher de
crier. Il avait une mécanique dans les jambes, et on pouvait le
mettre debout. Il était entouré de rayons.
Les païens dont Jésus avait guéri hier les enfants
à Gadara lui demandèrent ce qu'ils avaient à faire
: car ils voulaient renoncer au culte des idoles. Jésus leur parla
du baptême : il leur dit de rester tranquilles et d'attendre jusqu'à
nouvel ordre : il leur parla de Dieu, comme d'un père auquel nous
devons sacrifier nos mauvaises convoitises, et qui n'a besoin d'aucun autre
sacrifice que de celui de nos cœurs, etc. Avec les païens il disait
plus nettement qu'aux Juifs que Dieu n'a pas besoin de nos sacrifices.
Il les exhorta à se repentir et à faire pénitence.
à se montrer reconnaissants pour les bienfaits et compatissants
envers les malheureux. Il alla pour la fin du sabbat dans la ville juive,
où il prit un repas ; aussitôt après commençait
le jour de jeûne commémoratif de l'adoration du veau d'or,
qui fut observé le huit de Tisri, parce que le sept du même
mois, jour de jeûne ordinaire, coïncidait cette année
avec le sabbat.
Jésus enseigna encore à Gadara dans la matinée
du huit de Tisri : il quitta la ville dans l'après-midi. Les païens
dont il avait guéri les enfants lui adressèrent encore des
actions de grâces devant la ville païenne. Il les bénit
et descendit avec une douzaine de disciples la vallée qui est au
sud de Gadara, puis il franchit une montagne, et alla toujours dans la
direction du midi, jusqu’à un petit cours d'eau qui coule dans la
vallée, et qui vient des montagnes placées au-dessous de
Bétharamphtha-Juliade, où sont des mines situées au
levant.
Jésus s'arrêta le soir près de ce petit cours d'eau,
dans une hôtellerie, qui est a environ trois lieues au midi de Gadara.
Des gens de toute espèce étaient occupés là
à récolter des fruits : il alla parmi eux et les enseigna.
Ceux - ci étaient des Juifs il y avait aussi dans les environs une
troupe de païens qui recueillaient sur les bords du petit cours d'eau
les fleurs blanches d'une plante de haies : je ne sais pas à quel
usage elles servaient. Ils ramassaient aussi d'affreux scarabées
très grands et des insectes dont la vue me faisait horreur. Jésus
s'approcha d'eux. Ils s'éloignèrent et parurent intimidés.
J’eus alors une Vision étrange qui me fait encore frissonner : cela
me parut si abominable que je fus toute bouleversée par la frayeur
et le dégoût.
Pendant que les païens ramassaient leurs scarabées, je
jetai un regard à environ une lieue plus au midi, sur le côté
occidental d'une pente de montagne ou était une ville appelée
Dion ou Dium : là Je vis devant la porte de la ville une horrible
idole, assise sous un arbre grand comme un noyer et qui était, je
crois, un saule. Elle avait une figure à peu près humaine,
mais qui pourtant tenait plutôt du singe, avec des bras courts et
des jambes grêles. Sa tête était très pointue
par le haut, et surmontée de deux petites cornes recourbées,
comme des croissants ; elle avait un visage humain, mais horrible ; le
nez était droit et très allongé, le bas du visage
relativement très court, le menton saillant, la bouche grande et
bestiale, le corps mince, les jambes assez grêles, les pieds longs
avec des griffes aux orteils : il avait un tablier devant lui. D'une main
il tenait une coupe placée sur une tige : de l'autre une grande
figure de papillon qui paraissait sortir de sa chrysalide, et vouloir se
précipiter sur la coupe. Mais ce papillon faisait en partie l'effet
d'un oiseau, en partie celui d'un insecte dégoûtant. Par derrière,
du côté où l'idole le tenait, il était comme
une larve tordue et roulée sur elle-même. En avant de la main,
il déployait une paire d'ailes, et sa tête, où étincelaient
deux yeux rouges, se terminait par une espèce de bec ouvert. L'idole
était assise sur un trône circulaire. Entre ses jambes séparées,
il y avait un foyer dans le siège même. Le papillon étalait
partout des couleurs brillantes et variées, mais ce qui me faisait
le plus d'horreur, c'est que l'idole avait sur le front et tout autour
de la tête une guirlande comme une couronne de gros scarabées
affreusement dégoûtants et de vers ailés : ils étaient
serrés les uns contre les autres, et sur le front, entre les cornes,
il y en avait un plus gros et plus dégoûtant que tous les
autres, auxquels aboutissaient les extrémités de la guirlande.
Ils étaient brillants et de couleurs variées, mais leur forme
était horrible, et ils ressemblaient à des bêtes venimeuses,
avec leurs ventres allongés, leurs longues pattes leurs grandes
pinces et leurs aiguillons. Les bêtes de cette espèce m'inspirent
toujours de la répugnance : mais combien celles-ci me faisaient
horreur ! Je venais à peine de les regarder, et je me figurais,
parce qu'elles ne bougeaient pas, qu'elles devaient être artificielles,
lorsque tout d'un coup, au moment où Jésus passa près
des païens qui cherchaient de ces bêtes pour leur dieu au bord
de la petite rivière. Je vis toute la couronne se disjoindre et
s'envoler ; et je fus saisie de frayeur, comme si elles venaient se poser
sur moi, mais je les vis comme un sombre essaim qui se disperse, voler
de tous côtes dans des coins et des trous, et je vis aussi de noires
et hideuses figures d'esprits qui semblaient se cacher avec elles, et comme
elles, se précipiter tout effrayés dans des trous. C'étaient
les mauvais esprits qu'on honorait en Béelzébub, avec ces
scarabées. Ce qui faisait tenir les scarabées tranquilles
était, je crois, qu'on enduisait le front de l’idole avec du sang
ou quelque autre chose. (La Sœur ne peut trouver de termes qui expriment
à son gré combien ces bêtes étaient affreuses.)
(30 septembre) Le lundi vers dix heures du matin. Jésus arriva
devant Dium, qui est a une lieue au midi de l'hôtellerie voisine
du petit cours d'eau, située sur le penchant oriental de la montagne
en face du Jourdain, à deux lieues à l'est de Scythopolis.
Il arriva devant le quartier juif, beaucoup plus petit que le quartier
païen, lequel est bien bâti et possède plusieurs temples.
La ville juive est tout à fait séparée de l'autre,
et Béelzébub n'est pas de ce côté. à
l'endroit où Jésus arriva, devant la ville, les cabanes de
feuillages étaient déjà préparées en
grande partie, et ce fut sous l'une d'elles qu'il fut reçu solennellement
par les prêtres et les préposés de l'endroit : comme
à l'ordinaire, on lui lava les pieds et on lui offrit une réfection.
Il commença par visiter un grand nombre de malades qui étaient
couchés ou se tenaient debout sous les cabanes de feuillage. Les
disciples l'assistaient et maintenaient l'ordre. Il y avait des malades
de toute espèce, paralytiques, muets, aveugles, hydropiques, perclus
: il en guérit beaucoup et leur fit des exhortations. Il y en avait
parmi eux quelques-uns qui se tenaient debout, soutenus par des béquilles
à trois pieds, sur lesquelles ils pouvaient s'appuyer sans faire
usage de leurs jambes : c'était à peu près comme des
sièges à roulettes. Il alla en dernier lieu voir les femmes
malades, elle étaient couchées, accoudées ou assises,
dans un endroit plus rapproché de la ville, sous une longue cabane
de feuillage, élevée sur un banc de terre en forme de terrasse.
Ce banc était couvert d'un beau gazon très fin dont la tige
retombait et pendait comme des cheveux doux et soyeux : on y avait étendu
des tapis. Il y avait plus loin plusieurs femmes affligées de flux
de sang, tout enveloppées de leurs voiles, et aussi quelques hypocondriaques
au visage pâle, à l'air triste et sombre, et d'autres malades
encore.
Jésus leur adressa la parole avec une grande bonté ;
il les guérit l'un après l'autre, leur ordonna des bains
pour se purifier, et leur indiqua quelques moyens à prendre pour
se corriger de leurs fautes et expier leurs péchés. Il guérit
et bénit aussi plusieurs enfants que leurs mères avaient
amenés. Tout cela dura jusque dans l'après-midi, et donna
lieu à de grandes démonstrations d'allégresse. Tous
ceux qui étaient guéris partaient en chantant des cantiques
de louange, emportant leurs lits et leurs béquilles, pleins de contentement
et de joie, accompagnés de leurs parents, amis et serviteurs, joyeux
comme eux-mêmes : ils se retiraient en bon ordre à mesure
qu'ils étaient guéris, et ils entrèrent ainsi dans
la ville, ayant au milieu d'eux Jésus avec les disciples et les
lévites. L'humilité et la gravité de Jésus
dans ces occasions sont chose impossible à décrire. Les enfants
et les femmes allaient en avant, et tous chantaient le quarantième
psaume de David : "heureux celui qui sait comment il faut assister les
malheureux !" ils allèrent à la synagogue où ils rendirent
grâces à Dieu. Il y eut ensuite, sous une cabane de feuillage,
un repas de fruits, d'oiseaux, de rayons de miel et de pain grillé.
Lorsque le sabbat commença, tous se rendirent en habits de deuil
à la synagogue, car c'était le 16 du mois de Tisri, le grand
jour d'expiation des Juifs.
FIN DU TOME SECOND.
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