I
En publiant la seconde partie des visions de la pieuse Anne-Catherine,
laquelle, par la beauté et la variété des tableaux
qu'elle met sous les yeux des lecteurs les intéressera peut-être
encore plus vivement que la première, l'éditeur les prie
de ne pas perdre de vue ce qui a été dit dans l'introduction
au premier volume, pour les mettre en garde contre toute tendance, soit
à exagérer mal à propos l'importance de ces visions.
soit à les juger avec un esprit prévenu et à les condamner
de parti pris. Pour que ce but soit plus sûrement atteint et pour
qu'il n'y ait point d'obstacle aux fruits de bénédiction
que, suivant les très sages dispositions de la miséricorde
divine les visions sont appelées à produire pour tous ceux
qui ouvriront ce livre avec une véritable droiture d'intention,
l'éditeur croit devoir provoquer encore un examen approfondi sur
les points suivants.
1. Anne Catherine eut à la vérité, pendant les
trois dernières années de sa vie, des visions journalières
et non interrompues sur la vie de notre divin Sauveur, mais elle ne put
pas les communiquer jour par jour au pèlerin, ni surtout mettre
ses relations avec lui à l'abri d'interruptions et de dérangements
de toute nature. Quoiqu'il y ait eu une série de mois pendant laquelle
elle put lui raconter chaque jour ce qu'elle avait vu ces communications
n'avaient pourtant jamais lieu qu'à bâtons rompus : elles
étaient sans cesse entravées soit par des dérangements
venant du dehors, soit par les douleurs incroyables causées par
les maladies qui se succédaient continuellement chez elle et par
les expiations dont elle se chargeait : ce n'étaient jamais que
les fragments singulièrement incomplets et défectueux d'un
ensemble de visions bien autrement riche et étendu. La contemplation
n'était pas son unique mission dans ce monde : c'était bien
plus encore la souffrance expiatoire pour tout le corps de l'Eglise ; et
c'est pourquoi Anne Catherine donnait à toute oeuvre de pénitence
de charité, à tout exercice imposé à sa patience
par des circonstances extérieures, la préférence sur
sa tâche de narratrice. Embrassant dans son activité tous
les besoins de l'Eglise, elle s'appliquait bien plus à régler
intérieurement sa propre vie et à recueillir constamment
en Dieu toutes les puissances de son âme, qu'à conserver dans
sa mémoire les scènes qu'elle avait contemplées, l'ordre
dans lequel elles lui avaient été montrées et les
calculs chronologiques qui devaient en être la base, il était
d'ailleurs impossible de rien préciser dans ce genre toutes les
fois que la vision ne se rattachait pas à un moment déterminé,
mais se présentait sous forme de tableaux immenses, et pour ainsi
dire illimités, où l'Ancien et le Nouveau Testament venaient
se rejoindre aux temps modernes, ou bien lorsqu'en contemplant un fait
particulier de la vie du Sauveur elle en apercevait dans le passé
le plus reculé comme la racine la plus lointaine, avec ses diverses
ramifications Dans tous ces cas elle ne pouvait donner que de courts et
maigres fragments détaches du cadre de ces vastes tableaux, et c'était
à l'écrivain qu'était laissée la tâche
de les combiner et de les mettre en ordre ; tâche dont il s'acquittait
de son mieux, suivant le plus ou le moins de secours qu'il trouvait dans
les indications de la voyante. Le lecteur trouvera un exemple de sa manière
de procéder dans un passage du présent volume (page 43),
Ou se trouve intercalée dans le récit l'histoire de Judith
et d'Holopherne, et où sont présentés ensemble, dans
un exposé sommaire, des événements qui ne peuvent
guère avoir eu entre eux la liaison qu'on leur suppose en cet endroit.
L'éditeur déclare donc de nouveau, et de la manière
la plus formelle, qu'il n'admet nullement que la date historique de chaque
événement soit désignée par les jours du mois
marqués, donnés dans le texte, ou qu'en général
les événements de la vie de Jésus se soient réellement
succédés suivant l'ordre indiqué dans la présente
rédaction des visions, quant aux jours, aux mois et aux années.
Ce n'était que bien rarement qu'Anne Catherine, courbée
sous le poids de souffrances qui se renouvelaient continuellement pouvait
retrouver distinctement dans ses souvenirs les détails au moyen
desquels on aurait pu rattacher sans lacunes la vision de chaque jour à
celles du jour précédent et du jour suivant : la plupart
du temps ce secours faisait complètement défaut Aussi ne
doit-on pas attacher une grande importance aux transitions qui lient un
récit à l'autre, non plus qu'à l'ordre dans lequel
les événements se succèdent dans le livré ;
il n'y faut voir que les conjectures du pèlerin, qui, ayant besoin
d'un fit conducteur pour le guider dans ses pénibles travaux, essayait
de deviner, d'après l'ensemble de ce qui lui avait été
communiqué, comment chaque vision se liait à celle du jour
suivant, quoiqu'il fût obligé de se contenter de recevoir
d'Anne Catherine, en réponse à ses questions pressantes,
des indications comme celles-ci : " vous pouvez bien avoir raison. c'est
à peu près comme cela mais je ne puis m'en rendre compte
exactement. "Le lecteur tirera facilement cette conclusion en lisant plus
d'un récit du présent volume. Ainsi, la double résurrection
de la fille de Jaïre et les deux conversions de Madeleine, séparées
par sa rechute dans le péché, se suivent à si peu
de distance, qu'on trouve à peine le temps nécessaire pour
placer les événements qui ont dû se passer dans l'intervalle.
Donc, quoique l'éditeur se croie autorisé à ne
pas douter de l'origine surnaturelle des visions d'Anne Catherine, et bien
qu'il se propose d'apporter des preuves nombreuses et importantes à
l'appui de son opinion dans l'histoire détaillée de la vie
de la pieuse fille, il n'en est pas moins vrai qu'il ne prétend
attribuer aux visions présentées ici d'autre caractère
que celui d'une simple légende de la vie de Jésus, venant
s'ajouter sans ambition plus haute aux produits si nombreux de la vie contemplative
dans le sein de l'Eglise.
2. Il y a une autre raison qui porte l'éditeur à ne pas
réclamer pour les visions d'autorité supérieure à
celle d'une légende ; c'est que le pèlerin ne se présentait
pas à Anne Catherine comme un homme revêtu du pouvoir sacerdotal
de confesseur ou de directeur spirituel, mais comme un simple laïque
que la miséricorde de Dieu avait conduit avant tout pour le bien
de sa propre âme, près du lit de douleur de la malade. Anne
Catherine pratiquait la vertu d'obéissance, en matière spirituelle,
avec une telle perfection, que toutes ses actions, et même les mouvements
involontaires de son âme, étaient déterminés
et réglés par cette vertu. Ainsi, il suffisait d'un ordre
de son confesseur, donné intérieurement et non exprimé
en paroles qui arrivassent à son oreille, pour suspendre chez elle
la contemplation extatique, et pour effacer en quelque sorte de son âme
l'impression de ce qu'elle avait vu. De même l'usage et l'application
de tous ses dons gratuits étaient tellement aux ordres de cette
autorité spirituelle, qu'il aurait suffi d'une coopération
persévérante et d'injonctions précises de la part
de son confesseur, pour qu'elle rapportât ses visions d'une manière
incomparablement plus complète et plus fidèle ; mais elle
était pleinement inaccessible à toute autre influence, et
personne ne put jamais exercer sur cette âme absorbée en Dieu
une action qui pût modifier d'une manière quelconque ses intuitions
intérieures. Rien n'est donc plus contraire à la réalité
des faits que l'hypothèse complaisamment admise par quelques personnes,
suivant laquelle les riches facultés intellectuelles du pèlerin
et son ascendant personnel auraient exercé sur la pauvre religieuse
une influence assez prépondérante pour que les créations
de son imagination se communiquassent à la voyante en vertu de je
ne sais quel rapport involontaire, en sorte que celle-ci se serait bornée
à répéter ce qu'elle avait réellement reçu
de lui. Des rapports de ce genre ne sont pas impossibles à rencontrer
dans les régions inférieures où une âme peut
se trouver transportée par l'effet d'une organisation maladive ou
d'une surexcitation artificielle ; mais il n'en peut être ainsi pour
un vase d'élection de la grâce, pour une personne comme Anne
Catherine, dont le fiancé de l'Eglise avait fait son épouse
en lui octroyant ses sacrés stigmates. En outre, qui pourrait croire
sérieusement que le domicile intime d'une âme si sainte fût
resté ouvert aux empiétements d'une curiosité profane
ou aux influences même involontaires d'une personnalité étrangère
? Qui pourrait le croire, encore une fois, quand il s'agit d'une âme
d'un si grand prix aux yeux de Dieu, qu'il l'avait mise sous la protection
d'un de ses saints anges, constamment et visiblement présent.
Le pèlerin n'aurait jamais obtenu une parole d'Anne Catherine,
si les injonctions réitérées du vénérable
Overberg, son confesseur extraordinaire, et les avertissements constants
de son ange gardien ne lui avaient ouvert la bouche ; mais quelque éminent
que fut le don de compréhension intuitive propre au pèlerin,
don qui lui faisait apprécier à sa juste valeur les trésor
inestimable, caché sous des apparences si simples, dont le dépôt
lui était confié, il ne pouvait toutefois tenir lieu de ce
qui lui manquait, savoir, d'une autorité spirituelle déléguée
par l'Eglise, qui, seule, lui aurait permis de se tenir près d'Anne
Catherine comme son protecteur attitré, de la mettre à l'abri
des dérangements extérieurs qui venaient sans cesse la troubler,
de l'obliger, en qualité de directeur spirituel, à fixer
son attention sur les détails de ses visions, de lui tracer des
règles positives touchant la manière de les communiquer,
et enfin d'obtenir d'elle une reproduction complète de ce qu'elle
avait vu, au lieu de se borner à recueillir des fragments et des
lambeaux. Pour suppléer à ce pouvoir de commander au nom
de Dieu, il n'avait d'autre ressource que ses instances et ses requêtes
assidues ; mais la voyante leur accordait bien moins d'attention qu'aux
appels suppliants de tant de misères spirituelles et corporelles
qui, de près et de loin, livraient incessamment l'assaut à
son coeur brûlant de charité 'et la portaient à s'offrir
en expiation pour tous les péchés, à prendre sur elle
toutes les douleurs, dut-elle succomber à l'excès des souffrances
dont elle se chargeait ainsi. En outre, Anne Catherine n'était pas
protégée par les barrières d'un cloître, mais,
suivant l'heureuse expression du pèlerin, " elle avait été
renvoyée dans le monde avec les stigmates de l'amour crucifié,
pour y rendre témoignage à la vérité de ce
céleste amour ". C'était une lourde tâche que de porter
vivantes sur son propre corps les marques triomphales de Jésus de
Nazareth, le Fils du Dieu vivant, sous les regards du monde et des courtisans
du prince du monde. Quel courage n'exigeait pas une semblable mission :
il fallait être, pour le plus grand nombre, un scandale, une occasion
de doute et de soupçon ; pour tous, une énigme, rester élevée
en croix, comme un sujet livré à toutes les observations,
un thème pour les discours et les explications les plus extravagantes,
sur le carrefour où se croisent les chemins hantés par l'incroyance
et par la superstition, par la malice et par la simplicité, par
l'orgueil de la science humaine et la platitude servile de la médiocrité
prétentieuse. Pauvre, livrée sans secours à des maladies
incompréhensibles, martyrisée, méconnue de son entourage
immédiat qui, par cela même, la tourmentait souvent sans le
vouloir, accablée par le sentiment inévitable d'un isolement
immense, d'autant plus isolée que la foule des curieux se pressait
plus nombreuse autour d'elle, parce qu'il ne s'y trouvait personne qui
lui ressemblât ; enfin, ayant à subir sans relâche toutes
les absurdités et toutes les suspicions imaginables, et au milieu
de tout cela, constamment tenue de ne pas perdre patience un seul instant,
d'être toujours condescendante, humble, douce, sage, prudente selon
la mesure de chacun, vis-à-vis des personnes les plus diverses et
les moins disposées à s'imposer à elles-mêmes
ce qu'elles exigeaient d'elle ! C'était assurément une tâche
gigantesque pour une pauvre religieuse, née de paysans obscurs,
à une époque où le véritable esprit religieux
s'était retiré de la plupart des couvents, et où l'on
rencontrait bien peu de prêtres que les circonstances eussent mis
à même de s'instruire dans l'art de diriger des âmes
comme la sienne !
Il résulte de tout ceci, que si l'on a à déplorer
la perte irréparable de tant de magnifiques tableaux, il faut l'imputer
à l'époque elle-même et à l'entourage de la
pieuse fille, auxquels manquait ce qui eût été nécessaire
pour mieux apprécier et accueillir, comme il devait l'être,
le don qui leur était offert par la miséricorde de Dieu :
mais on sera d'autant plus tenu à la reconnaissance envers le pèlerin
pour avoir sauvé ce qui pouvait être sauvé, en y employant
toutes ses forces, et au prix des plus grandes fatigues et des plus grands
sacrifices. Encore qu'il n'ait pu recueillir dans son journal que " des
débris et des ombres ", il s'y trouve cependant assez de belles
parties pour procurer aux âmes simples une grande abondance de bénédictions
et de saintes joies.
`
II
Quelques personnes ont voulu faire un reproche à l'éditeur
d'avoir toujours cherché à reproduire avec une fidélité
scrupuleuse la rédaction primitive du pèlerin, et de l'avoir
donnée aux lecteurs telle qu'il l'a trouvée, c'est-à-dire
négligée et sans ornements ; mais qu'on veuille bien ne pas
oublier que dans tout son travail, il ne pouvait être question d'une
nouvelle rédaction des visions suivant les règles de l'art
ou celles de la théologie. En ce qui touche la forme, le pèlerin
lui-même n'a rien modifié, pour ne pas enlever à ce
qu'il avait recueilli son cachet d'originalité ; quant à
l'autre point, l'éditeur n'avait pas à s'en occuper, car
il n'aurait jamais livré ces visions à la publicité
si elles avaient eu besoin d'être préalablement remaniées
et corrigées par lui, pour pouvoir satisfaire à toutes les
exigences d'une censure théologique. Comme néanmoins quelques
lecteurs ont élevé certaines objections, il répondra
dans les pages suivantes à celles qui sont venues à sa connaissance.
I. Plus d'un lecteur a ressenti quelque défiance en retrouvant
dans les visions certains faits rapportés également dans
ce qu'on appelle les Evangiles apocryphes. C'est pourtant là quelque
chose de très simple, et on ne pourrait y trouver un motif de discréditer
les visions qu'en admettant l'hypothèse erronée suivant laquelle
tout ce que renferment les apocryphes serait fabuleux et mensonger. Or,
il n'en est pas ainsi. Les livres apocryphes sont, conformément
au langage le plus anciennement usité dans l'Eglise, ceux qui, à
raison de leur contenu, des auteurs auxquels ils ont été
attribués ou des sources auxquelles ils ont puisé leurs récits,
semblent élever la prétention d'être mis sur la même
ligne que les livres canoniques du Nouveau Testament, mais que l'Eglise,
pour prévenir toute méprise, a expressément retranchés
du canon, dont elle n'a pas voulu qu'il fût fait usage dans sa liturgie
et son enseignement, et qu'elle a par là même signalés
comme ne devant point être rangés au nombre des monuments
sur lesquels s'appuie la doctrine catholique. En agissant ainsi, elle déclarait
qu'il ne fallait y chercher ni l'autorité de la parole divine, ni
l'inspiration surnaturelle, avec son caractère d'infaillibilité
; mais elle ne disait pas pour cela qu'on ne pût, dans aucun cas,
leur accorder une crédibilité humaine, ni que ce fussent
des écrits fabuleux, mensongers, et dont il ne pût résulter
aucune édification. Plus tard, quand les sectaires et les hérétiques
s'emparèrent de ces livres, les exploitèrent à leur
profit, les altérèrent (ce que certainement ils n'auraient
pas fait, si, dès le commencement, on ne leur eût accordé
aucune autorité), lorsqu'enfin ils mirent en circulation des écrits
du même genre, les apocryphes devinrent dangereux, et il fallut se
mettre en garde contre tout usage qui pourrait en être fait. Mais
qu'il ait pu se conserver quelques débris de vérité
historique dans ce qui en est venu jusqu'à nous, c'est ce qui n'a
encore été contesté par personne. Si donc les visions
d'Anne Catherine, où sont rapportées beaucoup de choses que
ne racontent pas expressément les saints Evangiles, se trouvent
quelquefois d'accord avec les apocryphes, ce ne peut pas être une
raison pour réprouver ces visions.
2. On a vu quelque chose de nouveau et d'étrange dans ce que
les visions racontent de Melchisédech, lequel s'y montre, non comme
un personnage humain, mais comme un ange sacerdotal dont la mission et
l'action ont une signification symbolique et figurative en tant que préparant
de loin à la Rédemption. Toutefois, en considérant
la chose de plus près, cette manière de l'envisager ne vient
pas contredire l'opinion plus répandue qui ne voit en lui qu'un
homme, mais elle se place à côté d'elle avec l'avantage
très considérable d'être particulièrement favorisée
par le passage de l'Epître aux Hébreux (VII, 3), où
il est dit de Melchisédech : " Qu'il n'a ni père, ni mère,
ni généalogie, que sa vie n'a ni commencement, ni fin ".
Si toutes les conditions d'une existence et d'une personnalité terrestres
et humaines semblent ici être refusées à Melchisédech,
d'un autre côté, l'Ancien Testament parle en termes qui présupposent
nécessairement chez lui toutes les apparences humaines, lorsqu'il
dit : " Or, Melchisédech, roi de Salem, offrit du pain et du vin,
car il était prêtre du Très-Haut ; il bénit
Abraham et dit, etc. " (Genèse, XIV, 18, 19.) On peut mentionner
de très anciens auteurs ecclésiastiques, notamment Origène
et Didyme, qui ne veulent voir dans Melchisédech qu'un personnage
angélique ; toutefois, saint Jérôme, dans sa lettre
à Evagrins, cite un certain nombre de témoins importants
qui s'attachant à la manière toute humaine dont il se manifeste,
affirment que Melchisédech ne fut qu'un homme comme un autre, ce
qui ne les empêche pas de suivre les opinions les plus divergentes,
lorsqu'ils veulent exposer son origine d'une façon plus précise.
On ne doit pas s'étonner de voir prévaloir cette interprétation
quand on se souvient quel rôle est fait à Melchisédech
dans les hérésies des Gnostiques et d'autres sectaires, lesquels
le représentent tantôt comme un Eon d'un rang supérieur
à celui de Jésus-Christ lui-même, tantôt comme
le Saint-Esprit en personne, ou comme une vertu particulière de
Dieu. En présence de ces dangereuses conceptions, il était
nécessaire d'insister particulièrement sur la signification
et la position de Melchisédech en tant qu'il se montre avec l'extérieur
d'un homme semblable aux autres et de revendiquer pour lui la qualité
de personnage humain et historique, il résulte de là que
sa personnalité surhumaine et angélique fut de plus en plus
rejetée dans l'ombre, ce à quoi contribuèrent surtout
des théologiens d'une époque postérieure, lesquels
s'attachaient trop exclusivement à une opinion théologique
qui ne fut pourtant jamais universellement adoptée, celle suivant
laquelle un homme ordinaire (homo viator) pouvait seul sacrifier ou administrer
un sacrement. Mais si, d'après la doctrine des théologiens,
à la hiérarchie de l'Eglise sur la terre correspond dans
le ciel une hiérarchie angélique chargée de protéger
et de diriger la première ; si, en outre, d'après l'Ecriture
Sainte, Dieu confie aux anges certaines missions et certaines opérations
qui, par leur nature, ne dépassent pas le pouvoir de l'homme, pourquoi
un ange agissant sous forme humaine, ne pourrait-il pas aussi exercer,
par exception, une fonction sacerdotale ? Des théologiens qui soutiennent
positivement l'affirmative, distinguent à cet égard entre
la règle ordinaire (lex ordinaria) et la commission spéciale
de Dieu (commissio Dei spécialis), en vertu de laquelle des anges
peuvent, eux aussi, offrir un sacrifice de l'Ancien Testament ou administrer
des sacrements : selon eux, l'action sacerdotale attribuée à
l'ange Melchisédech, n'a rien de plus choquant que la mission merveilleuse
que, sur l'ordre de Dieu, l'archange Raphaël eut à remplir
auprès de la famille de Tobie, paraissant également sous
la forme humaine et agissant à la façon des hommes Mais ce
qui donne un poids particulier à la manière dont la chose
est représentée dans les visions d'Anne Catherine, c'est
la position extrêmement importante que, d'après elles, Melchisédech
occupe relativement à l'économie du salut pour l'Ancien Testament,
et cela d'une manière qui répond parfaitement au caractère
de l'ordre établi par Dieu à cet égard. En effet,
toutes les manifestations de Dieu dans l'Ancien Testament ont pour intermédiaires
les anges qui annoncent les mystères du salut à nos premiers
parents, aux patriarches et aux prophètes, et qui en descendant
le cours des âges jusqu'à la plénitude des temps, sont
les ordonnateurs et les exécuteurs de tout ce que Dieu a disposé
pour servir de préparation à son oeuvre. Le présent
volume fait voir cela, en ce qui touche Melchisédech, avec plus
de développements encore que le premier, notamment dans un tableau
du sens le plus profond (tome IV, page 28), où le lecteur trouvera
une confirmation de ce que disait Anne Catherine, que ses nombreuses et
surprenantes révélations sur l'Ancien Testament lui ont été
communiquées pour remettre au jour bien des choses scellées
pour ainsi dire et tombées dans l'oubli.
3. Un autre point semble présenter plus de difficulté,
c'est que les visions montrent le Sauveur dès ses premières
manifestations publiques faisant donner le baptême, même à
des païens, par les apôtres et les disciples. On serait aisément
tenté de croire qu'il y a là une contradiction avec le fait
établi par les Actes des apôtres, d'où il résulte
que le centurion Corneille, baptisé à Césarée
par saint Pierre, est le premier païen qui ait reçu le saint
sacrement du baptême. Mais cette contradiction n'existe pas en réalité,
parce que le baptême des païens dont il est question dans les
visions, est très expressément et très positivement
distingué du baptême considéré comme sacrement.
En effet, trois sortes de baptêmes sont mentionnés dans les
visions : 1° celui de saint Jean 2° le baptême préparatoire
et non sacramentel que Jésus fait donner par ses apôtres et
ses disciples ; 3° le saint baptême de l'esprit, ou le saint
sacrement de baptême qui n'est administré qu'après
la Pentecôte et la promulgation de la nouvelle alliance. Cette distinction
n'a rien d'inusité ni qui soit particulier aux visions, car elle
est déjà établie par saint Jean Chrysostome, dans
sa 28ème homélie sur l'Evangile de saint Jean, où
il entreprend de montrer que ni le baptême de Jean, ni le baptême
des apôtres avant la Pentecôte, n'ont fait participer les néophytes
au don de l'Esprit-Saint, mais que ces deux espèces de baptême
n'ont été administrées qu'en vue de gagner des adhérents
au Seigneur et de les préparer à croire en lui. C'est là
aussi, en substance, la doctrine des visions, qui va être exposée
plus au long dans les pages qui suivent, pour montrer qu'elle est d'accord
dans ses traits généraux avec le Catéchisme du concile
de Trente et l'enseignement des théologiens.
Le baptême de Jean est appelé dans les visions " une première
purification grossière, une cérémonie préparatoire
comme on en trouve dans les prescriptions de la loi, " ou encore : " un
baptême pour la pénitence. " Elles le décrivent comme
une cérémonie essentiellement semblable au baptême
de pénitence de l'Ancien Testament, et à ce qu'on appelait
le baptême des prosélytes, lequel préparait les paiens
a participer aux moyens de salut fournis par la loi ancienne, car ce n'était
que plus tard, par la circoncision, qu'ils devenaient enfants d'Abraham.
Aussi, lorsque Jean baptisait au bord du Jourdain, le sanhédrin
ne trouvait pas mauvais qu'il baptisât des païens, mais bien
qu'il baptisât aussi des Israélites : car ne voulant pas croire
à l'avènement de nouveaux moyens de salut, il ne pouvait
pas non plus admettre qu'il y eût lieu d'y préparer. Le baptême
de Jean se présente comme baptême de pénitence, parce
qu'il avait particulièrement en vue la vie passée des néophytes,
parce qu'il voulait réveiller chez eux l'horreur pour toutes les
fautes dont ils s'étaient rendus coupables, soit contre le Décalogue,
s'ils étaient Juifs, soit contre la loi naturelle, s'ils étaient
païens, et provoquer par là chez tous la résolution
de commencer une vie nouvelle dans le Messie qui leur était annoncé.
C'est pourquoi leur baptême était précédé
d'une exhortation générale à la pénitence,
et, du côté des néophytes, d'une protestation de repentir
avec la promesse de se corriger. Or, par la réception du baptême,
ils prenaient l'engagement de s'attacher à Celui dont Jean se disait
le précurseur et annonçait le royaume, et de reconnaître
sa suprématie. Le baptême de Jean n'avait d'efficacité
pour purifier et sanctifier, qu'autant qu'il était reçu avec
une, véritable douleur des péchés commis et la ferme
résolution de commencer une vie nouvelle à l'aide des secours
qu'on avait à espérer du Messie promis. Si les néophytes
allaient au Seigneur avec ces dispositions, lorsqu'il se manifestait à
eux, ils n'avaient pas besoin d'un nouveau baptême comme préparation,
parce que leur coopération fidèle en développant les
germes semés en eux par Jean les rendait capables de comprendre
successivement les mystères du nouveau royaume, d'arriver à
la vraie foi et par elle à la réception du baptême
de l'Esprit-Saint après la Pentecôte. Aussi, est-il souvent
répété dans les visions qu'aucun de ceux que Jean
avait baptisés ne reçut de nouveau le baptême, si ce
n'est après la descente du Saint-Esprit.
Lorsque le Sauveur, après son jeûne de quarante jours,
quitta le désert pour aller près du Jourdain, il prit possession,
nous disent les visions, d'un lieu où Jean s'était établi
précédemment pour baptiser ; il y fit tout remettre en ordre
par les disciples qui le suivaient, puis il y enseigna la foule qui affluait,
et la prépara au baptême, qui fut d'abord administré
par André et par Saturnin. Pour les baptisants comme pour les baptisés,
le mystère de l'Incarnation était encore un secret : ils
ignoraient que Jésus-Christ fût le Fils consubstantiel du
Dieu vivant. Ils croyaient en lui, mais seulement comme en celui touchant
lequel Jean avait dit qu'il était son précurseur et lui préparait
la voie : ils l'honoraient comme le Messie promis et attendu depuis si
longtemps, et comme le plus grand des prophètes ; toutefois, personne
ne soupçonnait qu'il fût plus qu'un homme, qu'il fût
le Fils de Dieu et de même nature que son Père. Quoique beaucoup
de néophytes eussent été témoins du prodige
qui avait signalé le baptême de Jésus et eussent entendu
les paroles : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé ! "aucun d'eux pourtant
n'osait les prendre à la lettre, et le Sauveur lui-même, au
commencement, en laissait à peu près de côté
la signification littérale et en faisait ressortir de préférence
le sens moral, pour ne pas mettre ses auditeurs en présence d'un
mystère qu'ils ne pouvaient pas encore saisir, et pour lequel une
préparation plus longue leur était d'abord absolument nécessaire.
Or, cette préparation, indépendamment de l'enseignement et
de l'action du Sauveur, était précisément le baptême
qu'il faisait donner par les disciples, lequel ne donnait pas encore la
grâce sanctifiante ou régénératrice, pas plus
qu'il n'imprimait dans l'âme un caractère ineffaçable,
mais communiquait pourtant des lumières et une force surnaturelles,
avec la grâce d'arriver par degrés à la foi véritable,
et de persévérer dans la fidélité au Sauveur
jusqu'à la descente du Saint-Esprit, nonobstant ses abaissements
et le mystère de sa mort sanglante sur la croix. En recevant ce
baptême préparatoire, les néophytes faisaient une confession
détaillée de leurs péchés, et recevaient comme
premier effet de la grâce qui leur était départie,
la douce et consolante certitude que l'envoyé de Dieu, le Messie,
était réellement présent devant eux, qu'ils voyaient
de leurs yeux celui que Moïse et les prophètes avaient annoncé,
et qu'ils n'avaient qu'à ouvrir leurs coeurs pour recevoir ses enseignements
salutaires. Toutefois, cette assurance, ainsi que la foi à la mission
divine du Messie, était encore pour tous comme enveloppée
dans les idées et les espérances héréditaires,
et devenues, pour ainsi dire, naturelles chez les Israélites touchant
la restauration de Leur ancienne gloire et de leur ancienne prospérité
: ils s'attendaient à être traités comme leurs pères,
auxquels Dieu avait jadis accordé des biens temporels de ce genre
en récompense de leur fidélité, et comme le gage visible
de la possession future des biens invisibles et éternels. Jusqu'à
ce que cette écorce fût brisée, et que la foi au mystère
du Christ eût pris racine dans leurs coeurs, sans que sa beauté
et sa pureté y fussent obscurcies par aucun mélange d'idées
étrangères, et de manière à les rendre capables
de supporter le décret rendu de toute éternité sur
la rédemption du genre humain par le sacrifice sanglant de la croix,
il leur fallait marcher sans relâche dans la voie de l'abnégation
et du détachement, et c'était précisément dans
le baptême de préparation que leur étaient accordés
les secours et les grâces nécessaires à cet effet.
On peut donc y voir un préliminaire obligé au saint sacrement
de baptême, avec lequel il se trouve dans le même rapport intérieur
que les grâces prévenantes avec la grâce infuse qui
rend enfant de Dieu, ou que le catéchuménat de l'Eglise primitive
avec la réception réelle de la sainte Eucharistie, et cette
affinité intérieure se traduit aussi au dehors, en ce que
la matière du baptême préparatoire est la même
eau consacrée qui sert à administrer plus tard le baptême
sacramentel lui-même. En effet, d'après les visions, l'eau
baptismale était consacrée, ou par une infusion de l'eau
du Jourdain où le Sauveur avait été baptisé,
ou par une bénédiction directe de celui-ci : de même
encore, toujours d'après les visions, la forme du baptême
préparatoire paraît avoir été une forme analogue
à celle qui fut usitée plus tard dans le sacrement de baptême.
Nonobstant cette similitude de la matière et de la forme, les visions
distinguent expressément ces deux baptêmes, et elles confirment
généralement la doctrine théologique suivant laquelle
la notion d'un sacrement de la nouvelle alliance, ou d'un moyen de satisfaction
agissant ex opere operato, présuppose non seulement l'institution
du Christ, mais la consommation de son oeuvre (opus consummatum). C'est
pourquoi aussi on lit dans le Catéchisme du concile de Trente :
Sacramenta novae legis ex Christi latere manantia, eam gratiam quam significant
Christi sanguinis virtute operantur.
Les sacrements de la loi nouvelle, découlant du côté
de Jésus-Christ produisent la grâce dont ils sont le signe
par la vertu du sang de Jésus Christ.
Or, tant que ce sang n'avait pas encore été versé,
la consommation de l'oeuvre très sainte de la rédemption
était toujours à venir, quoique le Sauveur conversât
déjà parmi les hommes, et tant qu'il en était ainsi,
aucun sacrement ne pouvait agir ex opere operato, c'est-à-dire être
un sacrement de la nouvelle alliance. Aussi, quelque divergentes que semblent
les opinions des théologiens sur le moment de l'institution et de
la dispensation du baptême comme sacrement, toutes s'accordent entre
elles et avec les visions, en ce sens que les unes et les autres représentent
également l'institution inchoative du sacrement, c'est-à-dire
la consécration de la matière, comme ayant eu lieu par le
baptême de Jésus dans le Jourdain, et ne font commencer qu'après
la descente du Saint-Esprit, à la Pentecôte, l'obligation
universelle du baptême comme moyen nécessaire pour devenir
enfant de Dieu.
D'après ce qui précède, on voit clairement qu'il
n'y avait pas lieu de s'occuper, à l'occasion du baptême préparatoire,
d'une question qui ne fut soulevée et décidée qu'après
la Pentecôte, celle de savoir si les païens ne devaient être
incorporés à l'Eglise par le baptême qu'après
s'être soumis à la circoncision, et avoir pris l'engagement
d'obéir à toutes les lois et observances de l'Ancien Testament.
Le Sauveur, en outre, n'obligeait pas les païens à la circoncision,
pas plus qu'il ne les en détournait, si par hasard ils la désiraient
; et ni les apôtres ni les autres Juifs ne se scandalisaient du baptême
des païens, parce que le Sauveur lui-même, lorsqu'il en expliquait
la signification, disait qu'il avait pour but de les préparer à
participer au royaume de Dieu.
Dans cette exposition, le lecteur trouvera une nouvelle preuve du merveilleux
progrès intérieur suivant lequel, d'après les visions,
se développe l'action du divin Sauveur. De même que le Seigneur
n'appela pas les saints apôtres une fois pour toutes et tout d'un
coup, mais les invita, par des appels successifs et réitérés,
à se dégager peu à peu, pour le suivre, des affaires
et des liens qui les attachaient au monde, et ne leur adressa qu'en dernier
lieu, et après les avoir ainsi préparés, les paroles
citées dans l'Evangile ; de même aussi que la plupart des
guérisons opérées par lui n'étaient pas des
transformations soudaines et violentes mais des modifications successives
arrivant par degrés à une entière délivrance,
de même il ne voulut pas produire la foi par une infusion subite
dans l'âme de ceux qui étaient appelés au salut ; il
ne voulut pas les jeter comme par force et sans leur propre coopération
dans le royaume des enfants de lumière, mais les y conduire d'une
façon appropriée aux facultés humaines, et au bon
usage qui serait fait des secours surnaturels offerts par Dieu, afin d'assurer
à chacun sa liberté tout entière, et de lui laisser
le mérite ou la culpabilité de ses actes. C'est ainsi que
nous voyons encore le Sauveur supporter avec une patience et une condescendance
incroyables les imperfections et les défauts de ses disciples :
il n'oppose que le silence à leurs murmures, à leurs impatiences,
à leurs découragements, après une journée dont
le travail leur a semblé trop pénible, parce que dans ses
rapports avec les hommes, il veut agir en tout à la manière
humaine, et nous assurer, au prix des plus rudes fatigues, le fruit de
ses divers mérites. Il en est de même de la révélation
des mystères de son royaume, qui se dévoilent plus complètement
à mesure que l'intelligence de ses disciples s'éclaire et
que leurs sentiments deviennent plus élevés et plus purs,
jusqu'au moment où toute vérité et toute grâce,
toute sanctification et toute lumière arrivent à leur terme
par la descente de l'Esprit-Saint.
4. Enfin, l'éditeur prie le lecteur bienveillant, lorsqu'il
lira le récit de la résurrection du fils de la veuve de Naïm,
tel qu'il est donné dans les visions, de ne pas perdre de vue les
observations suivantes. Les visions ne parlent pas du jeune homme comme
d'un mort à proprement parler, mais le représentent comme
" fortement enchaîné par la mort ", ou disent de lui " que
la mort avait voulu l'achever dans le tombeau ". Or, l'évangéliste
saint Luc parle simplement d'un défunt, d'un mort, et il pourrait
sembler, à la première vue, que les visions renferment une
contradiction avec le récit de l'écrivain sacré, contradiction
qui toutefois n'existe pas réellement. En effet, le jeune homme
de Naïm, à ne consulter que le point de vue humain et les données
ordinaires de l'expérience, était réellement mort.
Cependant aussi, ce que personne autre que le Sauveur ne pouvait savoir,
son âme n'était pas encore entièrement séparée
du corps ; mais il en était venu à un état tellement
voisin de la mort, qu'il ne pouvait être sauvé par aucun moyen
humain, et qu'il y fallait une intervention surnaturelle et miraculeuse.
La séparation totale de l'âme et du corps se serait, suivant
les visions, irrésistiblement accomplie dans le tombeau, sans qu'aucun
signe de vie corporelle se fût préalablement produit, tant
la mort, c'est-à-dire un ange de mort, avait fortement saisi sa
proie. Son état était donc quelque chose de plus qu'une simple
léthargie, car la léthargie implique la possibilité
d'un retour à la vie ; ici, au contraire, ce retour était
impossible : le jeune homme pouvait et devait être traité
en mort, et le nom de mort était bien celui qui lui convenait.
Ecce defunctus et Terebatur. VII, 12. Et resedit qui erat mortuus.
5. Si le saint Evangéliste avait voulu raconter le fait dans
tous ses détails, en exposer les causes internes et rapporter toutes
les paroles prononcées par le Sauveur à ce propos, il se
serait aussi expliqué clairement sur cet état mystérieux.
Mais comme il s'est borné à relater les circonstances extérieures
de cette résurrection, sans s'occuper des faits intérieurs,
il ne pouvait pas employer d'autres termes, pour désigner ce jeune
homme, que ceux de mort et de défunt.
6. Pour conclure, l'éditeur croit rendre service à bien
des lecteurs en leur faisant connaître, comme témoignage d'un
grand poids, les termes dont se servait le respectable comte Léopold
de Stolberg, en parlant de la pieuse Anne Catherine dans des lettres écrites
du vivant de celle-ci à Christian Brentano.
Sondermuhlen, le 2 juillet 1817.
Recommandez-nous, moi et tous les miens, aux prières de notre
martyre comblée de grâces, dont je serais si heureux de pouvoir
baiser encore une fois les mains marquées du signe du salut.
Le 30 septembre 1817.
En ce qui touche la sainte de Dulmen, j'ai la ferme espérance
que, comme elle est l'objet d'une miséricorde extraordinaire de
la part de Dieu, elle sera aussi l'instrument d'une miséricorde
extraordinaire. Ce n'est pas en vue d'elle seule qu'il l'a marquée
des stigmates du salut, elle était déjà marquée
dans les mains divines (Isaie, XLLX, 16), avant qu'il la marquât
elle-même ; mais le temps viendra où il fera éclater
sa gloire par elle. Dut-elle être une pierre d'achoppement pour bien
des gens qui ne veulent pas voir, il y en aura bien d'autres dont les yeux
et le coeur s'ouvriront.
CHAPITRE I
Jésus sur les confins de la Samarie et de la Judée.
Jésus se rend de la Pérée septentrionale sur les
confins de la Samarie et de la Judée. - Séjour de Jésus
à Dion, - à Jogbéha, - à Ainon, - à
Sukkoth, - à Acrabis, - à Silo, - à Koréa,
- à Ophra, - à Hareth.
(Du 1er au 16 octobre 1822.)
(1 et 2 octobre.) La narratrice fut aujourd'hui si malade et si souvent
dérangée qu'elle ne : put communiquer que ce qui suit :
Hier soir, avec le sabbat du dix de Tisri, commença la fête
de l'expiation, et toute la journée d'aujourd'hui fut consacrée
à la célébration de cette fête par les Juifs
de Dion. Jésus enseigna dans la synagogue de cette ville. Il fit
des exhortations à la pénitence et parla contre la purification
qui se borne seulement au corps sans qu'on pense à maîtriser
l'âme. Je vis que quelques Juifs se flagellaient les reins sous de
larges manteaux. Les paiens de Dion célébraient aussi une
fête avec une quantité prodigieuse de fumigations : ils se
mettaient sur des sièges sous lesquels on brûlait des parfums.
J'ai vu beaucoup de détails de la fête expiatoire à
Jérusalem. Je vis beaucoup de purifications faites par le grand
prêtre, des préparations et des abstinences pénibles,
beaucoup de sacrifices, d'aspersions de sang et d'encensements. J'ai vu
aussi le bouc émissaire, et comment on tirait au sort entre deux
boucs. L'un était sacrifié, l'autre était chassé
dans le désert : on attachait à la queue de celui-ci quelque
chose où l'on mettait le feu, à ce que je crois. Dans le
désert, il finit par se précipiter dans un gouffre. David
alla autrefois dans ce désert qui commence au delà de la
montagne des Oliviers. Aujourd'hui le grand prêtre était très
triste et dans un grand trouble : il avait désiré qu'un autre
pût faire la cérémonie à sa place ; il entra
plein d'angoisse dans le Saint des saints et demanda instamment au peuple
de prier pour lui. Le peuple pensait que le pontife devait être chargé
de quelque grand péché et craignait fort qu'il lui arrivât
malheur dans le Saint des saints. Sa conscience le tourmentait parce qu'il
avait pris part à l'assassinat de Zacharie, le père de Jean,
et son péché porta ses fruits dans son beau-fils qui condamna
Jésus. Ce n'était pas Caïphe, je crois que c'était
son beau-père.
Je vis la cérémonie dans le Saint des saints. L'objet
saint de l'arche d'alliance n'y était plus, mais il se trouvait
encore des linges et des vases de toute espèce dans l'arche qui
était moderne et tout à fait à la nouvelle mode. Les
anges étaient autrement qu'autrefois : ils étaient assis,
avec une jambe relevée et l'autre pendante, la couronne était
toujours placée entre eux.
Il y avait dans l'arche divers objets sacrés, de l'huile et
de l'encens. J'ai vu toutes les cérémonies que lit le grand
prêtre, mais je les ai oubliées. Je me souviens seulement
qu'il encensa et fit une aspersion de sang ; qu'il tira du sanctuaire un
petit linge et qu'il se blessa au doigt, ou qu'ayant du sang au doigt,
il le mêla avec de l'eau et donna ce mélange à boire
à une troupe de prêtres. C'était une espèce
de symbole figuratif de la sainte communion. Je ne sais pas bien s'il ne
mit pas aussi dans l'eau le petit linge tiré du sanctuaire. Du reste,
dans certaines occasions, on buvait de l'eau versée sur l'objet
saint comme je l'ai vu dans les mystères. Peut-être le linge
vide y suppléait-il maintenant. Je vis aussi que le grand prêtre
par une punition de Dieu était fort malade, et frappé de
la lèpre. Il y avait une grande confusion dans le temple. Dans cette
vision, j'ai aussi entendu dans le temple une prédication très
effrayante tirée de Jérémie, si je ne me trompe. J'ai
vu aussi beaucoup de choses de la vie des prophètes et touchant
l'abomination de l'idolâtrie dans Israel : je ne m'en rappelle que
ce qui suit :
Je crois qu'il était arrivé à cette même
date, ou bien qu'on rappela dans l'enseignement de ce jour qu'Elie après
sa mort avait écrit une lettre au roi Joram. J'ai vu que les Juifs
et d'autres encore n'y croyaient pas, à mais expliquaient la chose
en disant qu'Élisée, porteur de cette lettre, l'avait reçue
d'Élie comme lettre prophétique. Il m'arriva alors quelque
chose de singulier :
Je fus transportée avec rapidité, mais très doucement,
vers l'orient et en passant Je vis la montagne des prophètes toute
couverte de neige et de glace.
Note : Quand des faits du passé sont mentionnés dans une lecture du sabbat ou dans une instruction. elle les voit ordinairement à cette occasion dans des visions historiques.
Il y avait déjà des tours au-dessus, c'était peut-être
une représentation de ce qu'elle était au temps de Joram.
J'allai ensuite plus à l'orient, jusqu'au paradis, et j'y vis comme
de coutume de beaux et merveilleux animaux se promener et jouer ensemble
: je vis aussi des murailles resplendissantes et comme je l'avais vu d'autres
fois, deux hommes couchés sous la porte et dormant en face l'un
de l'autre. Je vis qu'Élie voyait en esprit tout ce qui se passait
en Palestine, qu'un ange mit devant lui un beau rouleau blanc et une plume
de roseau, qu'il se redressa et écrivit sur son genou. Je vis aussi
un petit char, comme un siège, venir de l'intérieur près
de la porte sur une colline ou sur des degrés : trois animaux blancs
d'une beauté merveilleuse y étaient attelés. Je vis
Élie y monter et se rendre rapidement en Palestine comme sur un
arc-en-ciel. Il s'arrêta au-dessus d'une maison à Samarie
; je vis qu'Élisée y priait, qu'il regarda en l'air, qu'Elie
laissa tomber la lettre devant lui et qu'il la porta au roi Joram. Les
trois animaux étaient attelés au char d'Élie, deux
par derrière et l'autre par devant. C'étaient des animaux
incroyablement beaux et gracieux, ils étaient à peu près
grands comme de petit chevreuils, blancs comme la neige, avec de longs
poils blancs et soyeux. Ils avaient des jambes très fines et très
élégantes, de petites têtes toujours en mouvement et
sur le front une jolie corne un peu recourbée en avant. C'était
des animaux semblables que j'avais vus attelés au char sur lequel
il monta au ciel.
Note : Elle ne voulait pas croire à cette vision, l'appelait
un rêve, etc., jusqu'au moment où le pèlerin lui dit
que cette lettre était mentionnée dans l'Écriture
sainte, ainsi qu'il venait de l'y voir : car il n'en savait rien auparavant
et il trouva aussi l'explication vulgaire réfutée par la
vision qui avait été montrée à la Súur.
(II Paralip. XXI, 12-15.)
Je vis aussi l'histoire d'Élisée et de la Sunamite et
beaucoup d'autres détails touchant ce prophète qui a fait
des choses encore plus merveilleuses qu'Élie. Ses manières
étaient moins rudes et ses vêtements moins grossiers que ceux
d'Élie. Élie était tout à fait un homme de
Dieu et non à la mode des hommes ; il avait quelque ressemblance
avec Jean Baptiste qui était un homme du même genre. Je vis
aussi, en ce qui touche Élisée, comment son serviteur Giezi
courut après l'homme que le prophète avait guéri de
la lèpre (Naaman). Il courut après lui pendant la nuit, pendant
qu'Elisée dormait ; il le rejoignit sur le bord du Jourdain et lui
demanda des présents au nom de son maître.
Je vis aussi, le jour suivant, le serviteur travailler tranquillement
et comme s'il eût tout ignoré, à des cloisons destinées
à séparer des cellules, et Elisée lui demander où
il était allé. Le prophète lui dit alors tout ce qu'il
avait fait et lui annonça que ses enfants et lui seraient frappés
de la lèpre.
Comme l'idolâtrie des hommes et le culte rendu par eux dès
les premiers temps aux bêtes et aux images m'étaient montrés,
ainsi que les rechutes continuelles des Israélites dans l'idolâtrie
et la grande miséricorde de Dieu dont les prophètes étaient
les instruments, et comme je m'étonnais grandement que les hommes
pussent se livrer à un culte si abominable, toutes : ces mêmes
abominations me furent montrées comme subsistant encore maintenant,
mais seulement d'une manière spirituelle. Je vis par des tableaux
innombrables dans le monde entier comment l'idolâtrie était
pratiquée au sein du christianisme, et je la vis sous des formes
presque aussi nombreuses que je l'avais vue dans les temps antérieurs.
Je vis des prêtres qui adoraient des serpents à côté
du Saint-Sacrement ; leurs diverses passions ressemblaient aux diverses
formes de ces serpents. Je vis aussi près des grands du monde et
des savants, toute espèce de bêtes semblables qu'ils arboraient
tout en se croyant au-dessus de toute religion. Je vis des crapauds et
d'autres animaux plus hideux |près de pauvres gens du commun dégradés.
Je vis |aussi des paroisses livrées à l'idolâtrie,
par exemple |une sombre église réformée dans le Nord
avec un autel vide sur lequel se tenaient des corbeaux qu'ils adoraient.
Ils ne voyaient pas ces animaux, mais leur vanité et leur orgueilleuse
présomption étaient un culte qu'ils leur rendaient. Je vis
des ecclésiastiques auxquels de petites figures grotesques, semblables
à des doguins, tournaient les feuilles de leur bréviaire
pendant qu'ils le récitaient. Je vis même chez quelques-uns
de véritables idoles de l'antiquité, comme Moloch ou Baal,
se tenir sur la table, trôner au milieu des livres, et même
leur donner quelque chose à manger.
Je vis aussi des gens simples et pieux, semblables aux prophètes,
qui étaient méprisés et tournés en ridicule
par eux.
Je vis qu'il y avait aujourd'hui autant d'abominations qu'autrefois
et que les idoles n'avaient rien d'arbitraire, mais que si l'impiété
et l'idolâtrie des hommes d'à présent prenaient jamais
une forme matérielle, si leurs sentiments se traduisaient en actions,
on reverrait les idoles de l'antiquité.
(2-3 octobre.) Ce matin Jésus enseigna encore à Dion.
Plus tard, comme il sortait de la ville, plusieurs personnes du quartier
païen qui avaient entendu parler des guérisons opérées
par lui à Gadara vinrent à lui fort timidement et lui apportèrent
des enfants qu'il guérit. Il décida les parents à
prendre la résolution d'aller au baptême. Il alla ensuite
à cinq lieues plus au midi avec environ douze disciples et traversa
le ruisseau qui descend de la vallée d'Éphron. A une demi-lieue
au midi de ce ruisseau, se trouve dans une vallée où il y
a une colline, un bourg du nom de Jogbéha ou Jarbélia, caché
au fond d'une gorge, derrière un bois.
C'est un petit endroit peu connu. Il doit son origine à un prophète
envoyé comme explorateur par Moise et Jéthro, et dont le
nom ressemble à Malachaï. Ce n'est point Malachie le dernier
des prophètes. Jéthro, beau-père de Moise, l'avait
à son service ; il était très intelligent, et Moïse
l'envoya dans ce pays. Deux ans avant que Moïse y vînt lui-même,
il s'y avança assez loin en remontant le lac et il prit toute espèce
de renseignements. A cette époque Jéthro habitait encore
du côté de la mer Rouge, et ce ne fut qu'après ses
explorations qu'il se rendit à Arca avec la femme et les enfants
de Moise. Ce Malachaï fut poursuivi comme espion ; on chercha à
s'emparer de lui et on voulut le faire périr. Il n'y avait pas encore
de ville dans cet endroit ; mais il s'y trouvait quelques habitants qui
vivaient sous la tente. Malachaï se trouvant poursuivi se jeta dans
un marécage ou dans une citerne et se mit en prières. Je
vis encore beaucoup de choses dont je ne me souviens pas bien. Ainsi je
vis un ange lui apparaître et le secourir. Il lui apporta sur une
longue et étroite banderole l'ordre de rester là trois ans
encore et de tout examiner. Les gens qui habitaient sous la tente dans
les environs le revêtirent d'habits comme les leurs ; ils portaient
de longues robes rouges et des jaquettes rouges. Il vint aussi explorer
dans la contrée de Betharamptha. Il vécut ici à la
façon de ces habitants des tentes et leur fut très utile
par les lumières qu'il leur communiqua.
Il y avait au fond de la gorge un long fossé tout plein de joncs,
et à l'endroit où Malachaï s'était caché,
se trouvait une source bouchée Je vis plus tard que cette source
se mit à jaillir au dehors et rejeta une très grande quantité
de sable ; il en sortait souvent une espèce de vapeur et de petits
cailloux. Peu à peu il se forma autour de la source une colline
qui se couvrit de gazon. Le marais fut comblé par l'éboulement
d'une montagne et on bâtit au-dessus ; c'est ainsi qu'autour de la
source au-dessus de laquelle on bâtit un bel édifice, s'éleva
la ville de Jogbeha, dont le nom signifie : " il sera élevé
". La citerne devenue marécage devait avoir été déjà
maçonnée à une époque beaucoup plus ancienne
; car il y avait des restes de murs couverts de mousse et dans ces murs
des trous comme pour y mettre des poissons ou quelque autre chose. C'était
une ruine qui ressemblait à des fondations pour un château
de tentes. Malachai apprit aux gens du pays à maçonner avec
du bitume.
Note : Vis-à-vis Jogbéha s'élève une montagne
qui est sur le bord occidental du Jourdain : à une lieue du Jourdain,
sur le coté occidental de cette montagne, est située Thirza,
l'ancienne résidence des rois d'Israël avant Samarie. Il y
avait là de belles avenues et des jardins, et on appelait cette
contrée le Jardin des Prophètes. Scythopolis est à
peu près en face de Dion. Une partie de la ville est située
sur le bord oriental du fleuve, une autre partie sur le bord occidental
à quelque distance du Jourdain : celle-ci est unie au fleuve par
un pont qui s'élève au-dessus du sol, comme s'il était
souvent inondé.Sur la rive orientale du Jourdain, est située
une ville appelée Saphon, au midi de l'embouchure du Hiéromax.
Lorsque Jésus dernièrement se rendit de Tarichée,
où il avait guéri des lépreux, à Gérasa
qui est de l'autre côté du Jourdain, il traversa l'embouchure
du Hiéromax, qu'il laissa à sa droite ainsi que Saphon qui
est de l'autre côté.
Jésus fut très bien accueilli par les habitants de ce
lieu retiré. Il y a ici des gens qui vivent à part : c'est
une secte qu'on appelle les Caraïtes. Ils portent de longs morceaux
d'étoffe jaune, comme des scapulaires, pendant derrière le
des ; avec cela ils ont des vêtements blancs et des ceintures de
peaux de bêtes non préparées. Les jeunes gens portent
un vêtement plus court et ont les jambes enveloppées. Ils
sont encore ici au nombre d'environ quatre cents hommes : ils étaient
plus nombreux, mais ils ont eu beaucoup à souffrir. Ils tirent leur
origine d'Esdras et plus anciennement de Jéthro. Un de leurs docteurs
soutint autrefois une grande dispute. (Elle articula d'une façon
peu distincte les noms d'Hillel et de Schammaï.) Ils s'attachaient
rigoureusement à la lettre de la loi et rejetaient toutes les additions
non écrites. Ils menaient une vie simple et pauvre, et tous leurs
biens étaient en commun : aucun d'eux ne pouvait se retirer en emportant
de l'argent. Ils ne souffraient pas de pauvres parmi eux ; ils pourvoyaient
à la subsistance les uns des autres, et les étrangers mêmes
étaient soutenus par eux. Ils avaient un grand respect pour la vieillesse
: il y avait parmi eux beaucoup de vieillards. Les jeunes gens étaient
très respectueux ; ils avaient des préposés auxquels
ils donnaient le nom d'anciens : ils étaient grands adversaires
des Pharisiens, qui défendaient les additions traditionnelles à
la loi.
Maspha, en Galaad, est située au levant au delà de Dion,
à deux lieues à l'ouest d'Ephron, au pied de la montagne
où la fille de Jephté vit son père au-devant duquel
elle allait. Au-dessus de Dion, se trouve l'autel qu'élevèrent
ceux de la tribu de Ruben, parce qu'ils ne voulaient pas sacrifier avec
l'autre tribu.
Jésus vit Pella à sa droite, à peu de distance,
lorsqu'en quittant Azzo il franchit la montagne du haut de laquelle le
Madianite avait vu dans son rêve rouler un pain. Pella est une grande
ville où il y a beaucoup de ruines.
Ils avaient quelque ressemblance avec les Sadducéens dans leurs
croyances, mais non pas dans leurs múurs, qui étaient très
austères ; l'un d'eux avait autrefois épousé une femme
de la tribu de Benjamin, et ils l'avaient chassé : c'était
à l'époque de la lutte contre les Benjamites. Ils ne toléraient
aucune espèce d'image, mais ils croyaient que les âmes des
morts passaient dans d'autres corps, même, je crois, dans des corps
d'animaux, et qu'elles se recréaient avec les beaux animaux du paradis.
Ils attendaient le Messie et priaient beaucoup pour son avènement,
mais ils l'attendaient comme roi temporel : ils regardaient Jésus
comme un prophète. Ils étaient d'une grande propreté,
mais ils n'attachaient aucune importance aux purifications, non plus qu'aux
observances de toute espèce concernant les plats, aux défenses
et aux préceptes qui n'étaient pas formellement écrits.
Ils vivaient strictement d'après la loi, mais ils l'interprétaient
beaucoup plus librement que les Pharisiens.
Ils vivaient ici très tranquilles et très retirés,
ne toléraient point les frivolités et le luxe des parures,
et gagnaient leur vie à faire de petits ouvrages. Le sol produisait
beaucoup d'osier avec lequel ils tressaient des corbeilles et aussi des
ruches, car il y avait dans le pays beaucoup d'abeilles. Ils faisaient
aussi des couvertures grossières et des vases de bois légers
; ils travaillaient ensemble sous de grandes tentes. Ils traitèrent
Jésus avec du miel et du pain cuit sous la cendre. Jésus
enseigna ici. Ces gens étaient à peu près par rapport
aux Juifs comme des protestants très austères et très
pieux par rapport aux catholiques ; seulement ils n'avaient pas, comme
les protestants, perdu les choses saintes. Jésus leur donna des
instructions étendues, et ils l'écoutèrent très
respectueusement ; il leur exprima aussi le désir de les voir habiter
la Judée. J'ai su beaucoup d'autres choses sur le caractère
propre de cette secte, ses croyances, son origine, ses progrès et
sa décadence, sur l'enseignement de Jésus et la manière
dont il rectifia leurs croyances : j'ai appris aussi qu'elle existe encore,
mais les dérangements que j'ai eux m'ont tout fait oublier.
( 3 octobre. ) Jésus enseigna à Jogbéha le matin
et dans l'après-midi : il y guérit plusieurs malades, entre
autres des centenaires. Il donna des éloges à ces gens, principalement
à cause de la déférence des enfants envers leurs parents
et des écoliers envers leurs maîtres, et en général
à cause de leur grand respect pour la vieillesse. Il loua aussi
le zèle avec lequel ils s'occupaient des pauvres et des malades,
lesquels étaient parfaitement soignés dans des maisons bien
tenues.
Jésus alla de là à Sukkoth, qui est à environ
sept lieues, au midi. Il laissa à droite Adama, ville située
près du Jourdain.
(4-6 octobre.) Jésus partit le matin de Sukkoth : il passa le
Jabok pour se rendre à Ainon ; c'est une roué d'environ une
lieue, mais très agréable, car elle est toujours très
animée par le passage des caravanes et celui des gens qui vont au
baptême. Le chemin est couvert de tentes et traverse de belles plaines
verdoyantes : on y rencontre maintenant une longue rangée de cabanes
de feuillage, parce que la fête des Tabernacles commence immédiatement
après le sabbat.
Note : Elle fut aujourd'hui si souffrante, si assaillie et si troublée par des ennuis extérieurs qu'elle oublia tout ce qu'elle avait vu touchant l'arrivée de Jésus à Sukkoth et ce qui s'y était passé. Elle fut principalement dérangée dans ses communications parce qu'elle entra dans la vision pour y jouer un rôle elle-même Elle reçut une mission semblable à celle de Malachai caché à Jogbéha. et elle accomplit au milieu de beaucoup de difficultés quelque chose qui sera communiqué en son temps dans l'histoire de sa vie.
Jésus enseigna et guérit ça et là sur le
chemin. Devant Ainon belle tente était dressée, et une réception
solennelle lui avait été préparée par Marie
la Suphanite : c'était le nom de la descendante d'Orpha, belle-soeur
de Ruth, qu'il avait guérie récemment.
Les gens les plus considérables de la ville et les prêtres
étaient là, ainsi que Marie avec ses enfants et ses amies.
Les hommes lavèrent les pieds à Jésus et à
ses disciples, et on leur présenta une réfection plus recherchée
que d'habitude. Les enfants de Marie et d'autres enfants s'y employaient.
Les femmes, couvertes de leurs voiles, se prosternèrent devant Jésus,
la face contre terre. Il salua amicalement et bénit tous les assistants.
Marie ne cessait de verser des larmes de joie et de reconnaissance, et
elle invita Jésus à venir dans sa maison. Lorsqu'il entra
dans la ville, les enfants de Marie, deux filles et un garçon, et
d'autres enfants encore, portaient devant et derrière lui de longues
guirlandes avec des bandelettes de laine. Jésus, avec quelques disciples,
entra dans la cour de la maison de Marie, sous un berceau de verdure :
elle se jeta de nouveau à ses pieds, pleura et rendit grâces,
ainsi que ses enfants, que le Seigneur caressa. Elle raconta à Jésus
que Dina la Samaritaine était venue à Ainon, et que son mari
s'était fait baptiser. Elle connaissait Dina, car son mari à
elle vivait à Damas avec ses trois enfants légitimes. Elle
avait bien loué et exalté Jésus avec la Samaritaine
; elle était comblée de joie, et elle montra à Jésus
de beaux vêtements sacerdotaux et une grande tiare qu'elle avait
préparés pour le temps car elle était singulièrement
habile aux travaux de ce genre, et elle était fort riche. Jésus
fut très affectueux avec elle ; il lui parla de son mari, lui dit
qu'elle devait se réunir à lui et aller le trouver parce
qu'elle avait là du bien à faire : ses enfants illégitimes
devaient être conduits ailleurs. Je crois qu'elle devait d'abord
envoyer un messager à son mari pour le prier de venir la rejoindre.
Jésus, en sortant de sa maison, alla à l'endroit où
l'on baptisait et enseigna dans la chaire. Lazare, Joseph d'Arimathie,
Véronique, les fils de Siméon et d'autres disciples de Jérusalem
vinrent aussi le trouver : ils étaient venus ici pour le sabbat.
André, Jean et quelques disciples de Jean Baptiste étaient
encore ici : Jacques le Mineur était parti. Le bon précurseur
fit encore inviter Jésus à aller à Jérusalem,
et à dire publiquement qui il était. L'ardeur de son zèle
le dévore, parce qu'il ne peut plus annoncer Jésus lui-même,
et cependant il s'y sent toujours poussé. Jésus enseigna,
puis il alla dans l'école pour célébrer le sabbat.
Il parla de la création du monde, des eaux, de la chute originelle,
et il fit une instruction très belle et très claire sur le
Messie ; il commenta aussi le chapitre XLII d'Isaïe (5-43), qu'il
appliqua d'une manière très frappante et très claire
à lui-même et au peuple. Après le sabbat, il y eut
un repas dans la maison destinée aux fêtes publiques, où
Marie la Suphanite avait fait tous les arrangements nécessaires
: la table et la maison étaient très élégamment
ornées avec de la verdure, des fleurs et des lampes ; il y avait
beaucoup de convives, parmi lesquels des gens que Jésus avait guéris
: les femmes étaient assises à part, séparées
par une cloison. Marie vint pendant le repas avec ses enfants : elle plaça
sur la table des aromates de grand prix, versa sur la tête de Jésus
un flacon d'essence parfumée et se prosterna à ses pieds.
Il fut très bienveillant, raconta des paraboles, et personne ne
blâma cette femme, car on l'aimait à cause de sa libéralité.
(5 octobre.) Jésus guérit plusieurs malades dans la matinée
: il enseigna dans la synagogue et aussi en plein air, dans un lieu où
les paiens qui avaient reçu le baptême et ceux qui l'attendaient
encore pouvaient l'entendre. Il prêcha encore dans la synagogue sur
les mêmes sujets qu'hier ; mais dans l'autre instruction il raconta,
entre autres choses, la parabole de l'enfant prodigue. Tout le peuple était
assemblé, et il parla d'une façon aussi naturelle et aussi
animée que s'il eût été le père qui retrouve
son enfant. Il étendit les bras et dit : " voyez ! le voilà
qui vient, faisons-lui fête ".
Et tout cela était si naturel, que les auditeurs regardaient
de côté et d'autre, comme si ce dont il parlait se fût
passé là réellement. Pendant qu'il parlait ainsi,
je me rappelai le vieil Overberg, quand il racontait d'une façon
si vivante l'histoire de la Bible aux enfants. Lorsqu'il fut question du
veau que le père fait tuer pour le fils qu'il a retrouvé,
il parla autrement et d'une façon plus mystérieuse ; il dit
à peu près : " Combien grand est l'amour du Père céleste
qui, pour sauver ses enfants égarés, livre son propre fils
comme victime ". Mais je ne puis pas répéter ses propres
termes. L'instruction était particulièrement à l'adresse
des pénitents, des baptisés et des païens, qui étaient
représentés ici comme l'enfant prodigue revenu à son
père, et tous les assistants étaient pleins de joie et d'affection
mutuelle. Cette instruction fit son effet et fut cause qu'à la fête
des Tabernacles, les païens furent traités ici très
amicalement.
Après le repas, Jésus alla avec les disciples et plut
sieurs personnes de la ville se promener entre Ainon et le Jourdain : il
y avait là de belles prairies couvertes de fleurs, et les païens
y avaient dressé leurs tentes. Tous parlaient encore de l'enfant
prodigue : ils étaient joyeux et heureux, et pleins de sentiments
affectueux les uns pour les autres. La clôture du sabbat commença
plutôt qu'à l'ordinaire : Jésus, auparavant, enseigna
encore et guérit quelques malades. Tout le monde se rendit ensuite
devant la ville, mais pourtant dans ses dépendances, car elle était
très irrégulière, et les maisons étaient entremêlées
d'espaces vides et de jardins. On célébrait là une
grande fête dans trois rangées de cabanes de feuillage ornées
de fleurs, d'arbustes, et de figures de toute espèce faites avec
des fruits et des rubans : il y avait aussi beaucoup de lampes. Dans la
rangée du milieu étaient assis Jésus, les disciples,
lés prêtres et les bourgeois de la ville, formant plusieurs
groupes. Dans l'une des rangées latérales étaient
assises les femmes, dans l'autre les enfants des écoles, venus de
tout le pays et divisés en trois classes : les garçons et
les filles étaient séparés ; les maîtres étaient
assis près d'eux, et chaque classe avait ses chanteurs. Ces enfants,
ornés de couronnes, circulaient autour de toutes les tables avec
des flûtes, des harpes et d'autres instruments dont ils jouaient
tout en chantant. Je vis aussi que les hommes avaient à la main
des palmes auxquelles étaient suspendus de petits grelots des branches
de saule avec des feuilles effilées et des rameaux d'un arbuste
que l'on met en pot chez nous. Ma consoeur Sontchen avait dans des pots
trois de ces arbrisseaux : ils avaient de jolies petites feuilles et ils
étaient tout jaunes (vraisemblablement les myrtes qu'elle avait
vus chez sa consoeur étaient malades : mais là ils deviennent
grands comme des lauriers. C'était un myrte, mais on lui donne chez
nous un autre nom. Dans l'autre main ils tenaient une belle pomme de couleur
jaune. (Elle lui donna le nom d'Esrog, qui est celui qu'elle a entendu.)
Ils agitaient ces branches en chantant, au commencement, au milieu et à
la fin de la fête. Ce fruit ne croît pas en Palestine, il vient
d'un pays plus chaud : on l'y trouve ça et là, dans quelques
endroits exposés au soleil, mais il n'y grossit pas et n'y mûrit
pas bien. Il leur arrive des contrées plus méridionales par
les caravanes. C'est un fruit jaune, ressemblant à un petit melon
: il y a en haut une petite couronne ; il est un peu aplati et il a des
côtes ; au milieu est la pulpe, rayée de raies rouges, et
il s'y trouve cinq petits pépins serrés les uns contre les
autres ; la tige est un peu courbée, la fleur est un grand bouquet
blanc semblable à ceux que porte chez nous le sureau d'Espagne ;
les branches qui sont sur les grandes feuilles s'enfoncent de nouveau dans
la terre et donnent naissance à de nouveaux arbres, en sorte qu'ils
forment des berceaux de feuillage ; les fruits sont sur des tiges attachées
à la branche entre les feuilles.
Les paiens, eux aussi, prirent part à cette fête, ils
avaient aussi leurs cabanes de feuillage, et ceux qui étaient baptisés
avaient les leurs prés de celles des juifs. Ils furent hébergés
amicalement par les Juifs. Tous étaient encore émus de l'instruction
sur l'enfant prodigue. Le repas se prolongea assez avant dans la nuit.
Jésus alla ça et là le long des tables : il enseignait
et, là où il manquait quelque chose, il le faisait apporter
par les disciples. On entendait partout un murmure joyeux, interrompu par
des prières et des chants. Dans toute la contrée on voyait
briller des lumières ; à Ainon aussi il y avait sur les toits
des cabanes de feuillage où les gens dormaient pendant la nuit ;
et je vis tout cela de haut. Dans les cabanes qui étaient devant
la ville, beaucoup de gens de la basse classe et de serviteurs passèrent
la nuit comme veilleurs quand la fête fut finie et que tout le monde
fut allé se reposer.
(6-9 octobre.) Dans la matinée Jésus enseigna et guérit
à Ainon, puis vers dix heures, accompagné de ses disciples
et de beaucoup d'habitants de la ville, il partit pour Sukkoth, qui était
tout au plus à une lieue. La plus grande partie de la route était
couverte de cabanes de feuillage et de tentes ; car beaucoup de gens des
environs venaient célébrer la fête ici et les caravanes
qui passaient continuellement faisaient halte pendant qu'elle durait. Sur
toute la route on était en fête. Derrière le feuillage
étaient des buffets recouverts de tentes. On pouvait se procurer
des aliments pour de l'argent. Jésus passa plusieurs heures sur
ce chemin ; car partout on le saluait et il s'arrêtait ça
et là pour enseigner ; aussi ce ne fut que vers cinq heures après
midi qu'il arriva à Sukkoth où il alla dans la synagogue.
Sukkoth était située sur le bord septentrional du Jabok.
Il le passa sur un petit pont ; dans un autre endroit il y a un bac. Sur
le bord méridional d'où Jésus venait, il y a une ville
située un peu plus au levant, ou Jésus passa récemment
en allant à Ramoth de Galaad. (Elle veut parler de Casbon.) Du même
côté que Sukkoth, plus au levant, se trouve aussi Mahanaïm.
C'est l'endroit où Jacob campa d'abord ; après quoi il alla
du côté d'Ainon jusqu'où il étendit ses pâturages.
Sukkoth était présentement une jolie ville et il y avait
une très belle synagogue. On y célébrait aujourd'hui,
outre la fête des Tabernacles, une autre fête en mémoire
de la réconciliation de Jacob et d'Esau. On s'en Occupa toute la
journée. Il était venu des gens de toute la contrée.
Parmi les enfants des écoles qui se trouvaient hier à Ainon,
il se trouvait entre autres plusieurs orphelins de l'école d'Abelmehola,
où Jésus avait enseigné récemment. Ils se trouvaient
aussi aujourd'hui à Sukkoth. C'était vraiment le jour anniversaire
de la réconciliation de Jacob et d'Esau qui tombait aujourd'hui
suivant la tradition des Juifs. La synagogue, une des plus belles que j'aie
jamais vues, était aujourd'hui encore plus magnifique avec sa grande
parure de fête, les innombrables couronnes et guirlandes de feuillage
dont elle était ornée et les belles lampes qui y brillaient.
Elle est élevée et repose sur huit colonnes. Des deux côtés
de l'édifice courent des corridors qui conduisent à des battements
d'une grande longueur où sont les habitations des lévites
et les écoles. Une partie de la synagogue est exhaussée et
il s'y trouve vers le milieu une colonne historiée, et tout autour
des cases et des compartiments où sont les livres de la loi. Derrière
tout cet attirail est placée une table que l'on peut séparer
du reste en baissant un rideau. Deux pas plus loin sont rangés les
sièges des prêtres et au milieu un siège un peu plus
élevé pour celui qui fait l'instruction. Derrière
ces sièges est un autel pour l'encens, au-dessus duquel se trouve
une ouverture pratiquée dans le toit et plus loin, à l'extrémité
de l'édifice, des tables sur lesquelles sont placées les
offrandes. Au-dessous dans le milieu de la synagogue se tiennent les hommes
rangés par classes : à gauche sur un petit exhaussement la
place des femmes séparée par un grillage, et à droite,
la place des enfants des écoles rangés suivant leur classe
et leur sexe. Toute la fête d'aujourd'hui était une fête
de la réconciliation de Dieu et des hommes ; il y avait une confession
publique des péchés, et aussi une confession privée
pour ceux qui le désiraient. Tous allaient près de l'autel
de l'encens et offraient des dons en signe de réconciliation ; ils
recevaient aussi une pénitence et faisaient certains vúux
à leur choix. Tout cela avait beaucoup de ressemblance avec notre
confession. Le prêtre qui était dans la chaire fit une instruction
sur Jacob et Esau qui aujourd'hui s'étaient réconciliés
avec Dieu et entre eux ; il parla aussi de la réconciliation de
Laban et de Jacob et du sacrifice qu'ils avaient offert, et exhorta les
auditeurs à la pénitence. Plusieurs des assistants avaient
eu le cúur touché, d'abord par l'enseignement de Jean, puis
par l'instruction que Jésus avait faite quelques jours auparavant
; seulement ils avaient attendu le jour de cette fête. Les hommes
qui se sentaient la conscience chargée allèrent derrière
l'autel et déposèrent sur les tables leurs offrandes qu'un
prêtre recevait. Ils allaient ensuite se présenter aux prêtres
derrière les coffres où étaient les livres de la loi,
et ils confessaient publiquement leurs péchés devant eux
ou s'adressaient à l'un des prêtres à ; leur choix.
Celui-ci allait avec eux près de la table derrière le rideau,
ils se confessaient à lui en secret et il leur imposait une pénitence.
On répandait en même temps l'encens sur l'autel, et la fumée
de l'encens devait s'élever d'une certaine façon où
ces gens voyaient un signe que le repentir du pécheur était
sincère et que ses péchés lui étaient remis.
Pendant ce temps le reste de l'assistance chantait et priait. Les pécheurs
faisaient une espèce de profession de foi, relativement à
la loi, à sa permanence dans Israel et au Saint des saints. Ensuite
ils se prosternaient par terre et confessaient leurs fautes, souvent avec
d'abondantes larmes.
Les femmes pénitentes venaient après les hommes, leurs
offrandes étaient reçues par les prêtres et elles faisaient
appeler les prêtres auxquels elles confessaient leurs fautes derrière
un grillage. Les Juifs s'accusaient de diverses violations de leurs observances
et aussi de leurs péchés contre les dix commandements. Il
y avait dans leur confession quelque chose de singulier que je ne sais
pas bien expliquer. Ils s'y accusaient des péchés de leurs
ancêtres et parlaient d'une âme souillée par le péché
qu'ils avaient reçue de ceux-ci et d'une âme sainte qu'ils
avaient reçue de Dieu ; il semblait qu'ils parlassent de deux âmes.
Les docteurs disaient aussi quelque chose à ce sujet : cela consistait
à peu près à dire " que leur âme pécheresse
ne demeure pas en nous et que notre âme sainte demeure en nous ".
C'était un discours où il était question d'un mélange,
d'une union et d'une séparation d'âmes saintes et d'âmes
pécheresses, dont je ne me rends plus bien compte. Mais Jésus
après cela enseigna tout autrement à ce sujet : il dit qu'il
n'en devait plus être ainsi, que leurs âmes pécheresses
ne devaient plus être en nous ; et c'était une instruction
touchante, car elle indiquait | qu'il devait, lui, satisfaire pour toutes
les âmes. Je le comprenais ainsi, mais les Juifs d'alors ne le comprenaient
pas. Ils s'accusaient ainsi des péchés de leurs ancêtres
: ils semblaient avoir l'assurance que des maux de toute espèce
en résultaient pour eux, et croire qu'eux-mêmes se trouvaient
par là dans l'habitude du péché.
Je vis à cette occasion un spectacle touchant. Déjà,
pendant que les premiers confessaient leurs fautes et faisaient leurs offrandes,
j'avais vu une femme de distinction qui occupait seule un siège
tout près de l'endroit séparé destiné aux pénitents,
manifester beaucoup d'émotion et d'inquiétude. Sa servante
était près d'elle, portant ses offrandes dans une corbeille
placée sur un escabeau. Elle avait peine à attendre que son
tour vint ; et enfin, ne pouvant plus résister à son agitation
et à son désir de réconciliation, elle franchit la
grille, précédée de la servante qui portait les offrandes,
et s'avança voilée vers les prêtres, jusqu'à
un endroit où ce n'était pas l'usage que les femmes vinssent.
Les surveillants qui se trouvaient là voulaient les faire retirer,
mais la servante ne se laissa pas arrêter ; elle pénétra
plus avant en criant : " Place ! faites place à ma maîtresse
! elle veut présenter des offrandes, elle veut faire pénitence.
Faites-lui place ! elle veut purifier son âme ! " La femme, toute
émue et toute contrite, arriva ainsi devant les prêtres dont
quelques-uns vinrent à sa rencontre, et se mettant à genoux,
elle demanda à être réconciliée. Ils la rebutèrent,
disant que ce n'était pas là sa place : cependant un jeune
prêtre la prit par la main et dit : " Je vais vous réconcilier
; si ce n'est pas ici la place de votre corps, c'est ici la place de votre
âme, puisque vous êtes pénitente ". Puis il se dirigea
avec elle vers Jésus et lui dit : " Maître, décidez
vous-même ". Alors cette femme se prosterna devant Jésus,
et il dit : " Oui, c'est ici la place de son âme, laissez cette fille
des hommes faire pénitence. "Le prêtre entra dans la tente
avec elle : puis elle en sortit, se jeta tout en pleurs la face contre
terre et dit : " Essuyez vos pieds sur moi : car je suis une adultère
! ", sur quoi les prêtres la touchèrent avec leurs pieds.
On fit venir son mari qui ne Savait rien de cela, et il fut très
touché des discours de Jésus qui était alors dans
la chaire. Il pleura pendant que sa femme, prosternée devant lui,
fondant en larmes, et plus morte que vivante, confessait sa faute, et Jésus
lui dit : " Vos péchés vous sont remis. Levez-vous, enfant
de Dieu ! "sur quoi le mari, profondément ému, tendit la
main à sa femme. Leurs mains furent alors attachées ensemble
avec le voile de la femme et la longue bandelette que l'homme portait autour
du cou : puis on leur donna une bénédiction et on les délia.
C'était comme de nouvelles épousailles. La femme, après
cette réconciliation, était comme ivre de joie. Auparavant,
en présentant son offrande, elle criait : "Priez, priez, encensez,
sacrifiez, afin que mes péchés me soient remis ! "Maintenant
elle balbutiait et récitait divers passages des psaumes : le prêtre
la ramena à son siège derrière la grille. Son offrande
consistait en un grand nombre de ces fruits précieux qui figurent
à la fête des Tabernacles : ils étaient artistement
posés les uns sur les autres, de manière à ce qu'il
n'y eut pas de froissement : elle offrit aussi du galon et des houppes
de soie pour les vêtements des prêtres. Elle fit brûler
plusieurs beaux habillements dont elle s'était parée pour
plaire à son amant. Je me disais alors : " Que n'ai-je tout cela
pour en faire des petits bonnets d'enfant ! " C'était une grande
et forte femme de belle prestance, d'un caractère vif et ardent.
A cause de la vivacité de son repentir et de la confession spontanée
qu'elle avait faite, sa faute lui fut remise, et son mari se réconcilia
sincèrement avec elle. Elle n'avait pas d'enfants de son adultère
: ses rapports avec son complice avaient été secrets. Elle
avait rompu elle-même cette relation, et même poussé
cet homme à faire pénitence. Il n'était pas nécessaire
qu'elle le nommât devant les prêtres : son mari non plus ne
devait pas le connaître, et il lui fut défendu d'interroger
sa femme à ce sujet. Le mari était pieux : il oublia et pardonna
du fond du cúur. Le peuple n'avait pas su le détail de ce
qui s'était passé, mais on avait compris qu'il arrivait quelque
chose d'extraordinaire, et on avait entendu cette femme demander à
haute voix des prières et des sacrifices. Tous prièrent du
fond du cúur et se réjouirent de ce qu'elle avait fait pénitence.
Il y avait des gens excellents dans cet endroit, comme en général
sur toute la rive orientale du Jourdain. Ils avaient beaucoup gardé
des múurs des anciens patriarches.
Jésus enseigna encore d'une façon très belle et
très touchante. Je me souviens clairement qu'il parla des péchés
des ancêtres et de la part qui nous en revient, et qu'il rectifia
quelques-unes des idées de ses auditeurs. Il se servit une fois
de cette expression : " Vos pères ont mangé du raisin vert,
et vos dents en ont été agacées ".
Les maîtres d'école furent interrogés sur les fautes
des enfants. Ceux-ci furent admonestés, et selon qu'ils s'accusaient
eux-mêmes et étaient touchés de repentir, ils recevaient
leur pardon.
Il y avait beaucoup de malades devant la synagogue, et quoiqu'il ne
fût pas d'usage de faire venir les malades lors de la fête
des Tabernacles, Jésus fit amener ceux-ci par les disciples dans
les passages qui étaient entre la synagogue et les ; habitations
des maîtres : il s'y rendit à la fin de la fête, lorsque
déjà depuis longtemps toute la synagogue était brillamment
éclairée par la lumière des lampes, et il guérit
beaucoup de malades.
Lorsqu'il entra dans ces passages, la femme réconciliée
lui envoya un messager pour lui demander quelques moments d'entretien :
Jésus alla la trouver au lieu où elle se tenait, et la prit
à part. Alors elle se prosterna devant lui et lui dit : " Maître,
l'homme avec lequel j'ai péché vous supplie de le réconcilier
". Jésus lui dit qu'après le repas, il parlerait à
cet homme dans cet endroit même.
Après la guérison des malades, il y eut un repas dans
les cabanes sur les places de la ville. Jésus, les disciples, les
lévites et les principaux personnages du lieu étaient assis
dans une grande et belle cabane : les autres à l'entour. Les hommes
et les femmes étaient séparés. On donna à manger
aux pauvres et chacun leur envoyait des meilleurs morceaux qui étaient
sur sa table. Jésus alla d'une table à l'autre, il alla aussi
a la table des femmes. La femme réconciliée était
pleine de joie et toutes ses amies l'entouraient et la félicitaient
cordialement. Pendant que Jésus visitait les tables, elle était
très agitée, ne cessait de le regarder, et craignait qu'il
n'oubliât d'admettre à la pénitence l'homme qui l'attendait
: car elle savait qu'il était déjà au rendez-vous
indiqué. Jésus s'approcha d'elle et la tranquillisa, lui
dit qu'il savait ce qui l'inquiétait et que tout se ferait en son
temps.
Peu après les convives se séparèrent et le Seigneur
se rendit à son logis attenant à la synagogue. Je vis cet
homme qui attendait dans un des passages de la synagogue : il se prosterna
devant Jésus et confessa sa faute. Jésus le consola, l'exhorta
à ne plus retomber et lui donna une pénitence. Il devait,
pendant un certain temps, remettre toutes les semaines quelque chose aux
prêtres, je ne sais plus bien pourquoi. Il s'agissait d'une oeuvre
de charité : je crois que c'était là son offrande
et qu'il avait fait un vúu à ce sujet : car il n'avait pas
fait d'offrande publique pour ne pas causer de scandale vis-à-vis
de l'homme qu'il avait si cruellement offensé et il s'était
tenu à l'écart dans le repentir et les larmes.
C'est ici, à Sukkoth, si je ne me trompe, que Jacob, se dirigeant
vers la Mésopotamie, vit deux armées campées près
de Mahanaim ; c'était une vision prophétique. Il les revit
de nouveau à son retour, et la figure eut son accomplissement, soit
dans les deux divisions qu'il fit de ses troupeaux et de sa famille, soit
dans sa troupe et celle d'Esau.
(7 octobre.) Ce matin Jésus revint de Sukkoth à Ainon,
il enseigna à l'endroit où l'on baptisait, guérit
plusieurs malades, puis visita dans les environs les gens qui étaient
dans les cabanes de feuillage et les païens. Quelques petites troupes
furent baptisées. Il n'y avait pas ici d'autre installation que
celle de Jean, lequel avait ici une tente et une pierre baptismale, de
même qu'au premier endroit où il avait baptisé, au
bord du Jourdain, près de la ville d'On. Les néophytes s'appuyaient
sur une balustrade, avançant la tête au-dessus de la fontaine
baptismale. Plusieurs font à Jésus la confession de leurs
péchés et il les absout. Il a aussi donné ce pouvoir
à quelques-uns de ses plus anciens disciples, notamment à
André. Jean l'Evangéliste ne baptise pas, il sert de témoin
et de parrain. Le soir, il y eut un repas dans les cabanes de feuillage.
Jésus partit d'Ainon le dix-sept du mois de Tisri avec un certain
nombre de ses disciples, après avoir fait une dernière instruction.
Auparavant il s'est encore entretenu avec Marie la Suphanite dans sa maison,
l'a exhortée et consolée. Cette femme est maintenant complètement
transformée, quant à son intérieur, elle est pleine
de charité, de zèle, d'humilité et de reconnaissance
et ne s'occupe plus que des malades et des pauvres. J'ai vu aujourd'hui
quelque chose que j'avais oublié ; c'est que Jésus, lorsqu'après
l'avoir guérie, il alla à Basan par Ramoth, avait envoyé
un disciple à Béthanie pour annoncer aux saintes femmes la
guérison de la Suphanite et sa réconciliation avec Dieu et
les engager à venir la visiter. J'ai aussi vu que Véronique,
Jeanne Chusa et Marthe aussi, à ce que je crois, furent ici chez
elle : maintenant elle est entièrement unie à elles et elle
en est bien heureuse. J'eus aussi une vision confuse, du moins je ne m'en
souviens que confusément, que son mari, ayant reçu un message,
vint de Damas la trouver, qu'avertie de sa venue par un messager, elle
alla au-devant de lui à deux lieues avec les enfants, et qu'ils
se réconcilièrent. Je crois qu'il vint aussi en secret dans
sa maison, mais je n'en ai pas la certitude. Il est reparti : je crois
qu'il mettra ordre à ses affaires et ira où Jésus
lui dira d'aller. Tout cela ne me revient maintenant que confusément,
cependant j'en ai connaissance.
Avant son départ, Jésus reçut encore de riches
présents de Marie et de plusieurs autres personnes. Tout cela fut
aussitôt distribué aux pauvres. Lors de sa sortie de la ville,
tout était orné de verdure et de guirlandes sur son passage.
Le peuple le saluait et chantait ses louanges : devant la ville se trouvait
Marie avec ses enfants, ainsi que beaucoup d'autres femmes et d'autres
enfants qui lui présentaient des couronnes de feuillage : je crois
que c'est l'usage à la fête des Tabernacles. Beaucoup de gens
l'accompagnèrent aussi à sa sortie d'Ainon. Il fit deux lieues
au midi le long de la vallée du Jourdain : ensuite ils traversèrent
le fleuve et se dirigèrent vers le couchant, marchèrent ainsi
pendant une demi lieue, puis allèrent de nouveau au midi après
avoir passé un ruisseau et enfin firent encore une demi lieue à
l'ouest, se dirigeant vers la montagne où ce ruisseau descend dans
la ville d'Acrabis, qui est adossée a la montagne.
Ils y arrivèrent vers le soir. Jésus fut reçu
très solennellement devant Acrabis où l'on savait qu'il devait
venir. Les cabanes de feuillage étaient dressées en cercle
devant la ville : on lui lava les pieds et on lui offrit une réfection
dans une belle et grande cabane. C'était près de là
qu'on célébrait la fête des Tabernacles : j'en ai oublié
le détail.
Je croyais d'abord que Jésus allait à Salem qui est à
environ deux lieues du Jourdain : mais il n'ira que plus tard. Salem est
un bel endroit : il s'y trouve une très belle fontaine qui est tenue
pour sainte. Melchisédech a séjourné dans les environs
: alors on donnait le nom de Salem à toute une contrée où
il habitait et répandait ses bienfaits. Le nom s'est conserve pour
Salem et pour Jérusalem où il bâtit et posa des fondements.
Melchisédech résidait principalement sur la rive occidentale
du Jourdain, à l'endroit où il entre dans la Mer Morte qui
était alors un large et beau bassin, entrecoupé et entouré
de villes, de jardins, de chaussées en pierre et de canaux.
(9 octobre ) Acrabis est un endroit assez considérable, situé
contre une montagne, à environ deux lieues du Jourdain : il y a
cinq portes et la route de Samarie à Jéricho le traverse.
Tout ce qui va de là à cette partie de la contrée
du Jourdain, doit passer par Acrabis, et c'est ce qui fait vivre les habitants.
Devant la porte ou Jésus arriva, il y avait des hôtelleries
pour les caravanes : là se trouvaient aussi les cabanes de feuillage
où il a été reçu hier. C'est encore ici devant
la porte qu'il a passé la nuit.
Note : Salem est au sud-est, à environ trois lieues du pied
du mont Garizim et à une petite lieue du Jourdain. A une lieue au
sud-ouest d'Acrabis, se trouve Silo sur une haute montagne. Jéricho
est à peu près à cinq lieues au midi, à trois
lieues environ de Galgala. La Soeur croit qu'Alexandrium est au midi de
la montagne de Garizim, sur un de ses contreforts méridionaux. Le
Garizim est fort ondulé : son profil est très dentelé
: du côté de Sichar il a un sommet extrêmement escarpé.
A partir d'Acrabis, les vallées sont très étroites,
les montagnes plus rapprochées et plus abruptes, et les endroits
habités beaucoup plus nombreux. Acrabis est un endroit que traversent
toutes les caravanes qui vont de Samarie vers Jéricho, pour passer
là le Jourdain.
Aujourd'hui je vis Jésus aller autour de la ville, car devant
chaque porte, il y avait des cabanes de feuillage : chaque quartier de
la ville avait les siennes devant la porte la plus voisine. Il alla du
levant au nord, puis au couchant et enfin au midi, qui est le côté
où se trouve Silo. On ne pouvait pas aller plus loin à cause
de la disposition de la vallée : alors il revint sur ses pas, visita
les cabanes de feuillage et enseigna ça et là.
Les habitants avaient des coutumes particulières : par exemple
en faisant leur repas du matin ils mettaient quelque chose de côté
pour les pauvres. Ils se livraient à divers travaux pendant la journée
: ces travaux étaient entremêlés de chants et de prières
et on leur disait quelques instructions. Jésus leur en fit aussi.
Lorsqu'il arriva et qu'il partit, il fut reçu et accompagné
par de jeunes garçons et des petites filles qui portaient autour
de lui des guirlandes de fleurs. C'était un usage du lieu, car les
corporations des divers quartiers portaient de semblables guirlandes lorsqu'elles
se visitaient réciproquement, pour assister à une instruction
ou à un repas.
Je vis les femmes se livrer à diverses occupations dans les
cabanes et dans leur voisinage : ainsi plusieurs étaient assises
devant de longues bandes d'étoffe et y brodaient des fleurs : j'en
vis aussi un certain nombre qui faisaient des sandales : elles se servaient
pour cela de gros poils bruns de chèvre ou de chameau tressés
ou tissés au métier. Les femmes avaient leur ouvrage assujetti
à la ceinture, c'était comme un tricot. On ajoute aux sandales
divers appendices devant et derrière : il y en a où l'on
ajuste des crochets ou des pointes pour mieux gravir les montagnes Le peuple
accueillit très bien Jésus : mais les docteurs ne montraient
pas la même cordialité que ceux de l'autre rive, à
Ainon et à Sukkoth. Ils étaient polis, mais se tenaient un
peu sur la réserve. Dans l'après-midi il alla au côté
sud-est de la ville, où il n'y avait pas de cabanes de feuillage,
mais une école et une place sur laquelle se trouvaient de, nombreux
malades. Jésus en guérit plusieurs, parmi lesquels étaient
des femmes. Ensuite les docteurs lui amenèrent ainsi qu'à
ses disciples un repas frugal dans une salle ouverte par en haut. Vers
le soir, il alla deux lieues plus loin dans la direction de Silo.
(10 octobre.) Jésus arriva hier soir à Silo, qui est
un peu au sud-ouest d'Acrabis, à une lieue seulement en ligne directe
: mais le chemin a bien deux lieues parce qu'il faut d'abord descendre
dans une vallée, puis gravit une montagne. Cette ville est dans
une situation élevée, elle s'étend tout autour de
la montagne et on y a une vue très étendue : elle est un
peu déserte et abandonnée : elle entoure une hauteur sur
laquelle était autrefois l'arche d'alliance et où l'on trouve
encore en plusieurs endroits les restes d'une ancienne splendeur.
Ici aussi les habitants étaient dans des cabanes de feuillage
devant les portes. Ils avaient entendu dire que Jésus venait et
ils l'attendaient. Ils le virent monter la montagne avec ses compagnons,
et comme il ne se dirigea pas vers la porte d'Acrabis, mais se détourna
au nord-ouest pour gagner la porte de Samarie, ils le firent savoir là
: on l'y reçut dans les cabanes de feuillage, on lui lava les pieds
et on lui offrit à manger. Jésus se rendit aussitôt
dans la ville sur la hauteur où avait été autrefois
l'arche d'alliance. Sur l'un des côtés de cet emplacement
régnait une fosse se déchargeant dans un conduit sale et
délabre, où se rendaient autrefois le sang des victimes et
les immondices. et où on jetait encore tout cela quand on faisait
des sacrifices dans cet endroit. D'un autre côté se trouvait
une très grande synagogue à moitié en ruines : il
y avait encore une école dans une partie de l'édifice et
dans une salle toute délabrée on conservait plusieurs exemplaires
de la loi et d'autres écrits. On voyait là aussi un trône
de la loi, c'était une colonne octogone historiée et au-dessous
une espèce de caveau qui avait autrefois servi de sanctuaire.
Jésus enseigna en plein air dans une belle chaire en pierre.
Sur cette hauteur on avait dressé aussi des cabanes de feuillage
et dans le voisinage étaient des hôtelleries où l'on
préparait tout ce qui devait servir aux repas dans les cabanes.
C'étaient des hommes qui faisaient la cuisine : il me sembla que
ce n'étaient pas de vrais Juifs, mais des esclaves. Jésus
passa la nuit là-haut près de la synagogue.
Le jeudi 19 Tisri, il y eut comme un jour de fête dans la fête
: je ne sais pas si c'était en vertu d'une coutume locale, je l'ai
oublié : mais un docteur devait adresser du haut de la chaire qui
était ici, des avertissements sévères qu'il fallait
écouter sans y contredire et Jésus était principalement
venu pour faire cette instruction Je vis dans la matinée tous les
Juifs, hommes, femmes ; jeunes gens, jeunes filles et enfants, venir ici
en procession de tous les groupes de cabanes de feuillage avec des guirlandes
de verdure entre chaque division, chaque famille ou chaque classe. La chaire
était surmontée d'une tenture élégante de toile
et de feuillage et il y avait une terrasse a l'entour. Jésus enseigna
jusqu'à midi. Il parla des miséricordes de Dieu envers son
peuple, de la décadence et de la dépravation de celui-ci,
des jugements prononces sur Jérusalem, des destructions du, temple
et du temps actuel comme dernier temps de grâce ; il dit que les
Juifs, s'ils ne voulaient pas accueillir la grâce maintenant, ne
trouveraient plus de grâce, en tant que peuple, jusqu'aux derniers
jours du monde, que Jérusalem serait livrée à une
destruction bien plus complète que les précédentes,
etc. Ce fut une instruction faite pour produire une profonde émotion
: tous l'écoutèrent en silence et avec frayeur, car il indiquait
clairement que c'était lui qui apportait le salut par cela même
qu'il appliquait au temps présent toutes les prophéties.
Les Pharisiens de l'endroit qui ne valaient pas mieux que ceux l'Acrabis,
et qui, eux aussi, ne l'avaient accueilli qu'avec une déférence
hypocrite et purement extérieure, gardaient le silence, frappés
d'étonnement et pleins d'irritation : une partie du peuple était
dans la joie et chantait des cantiques.
Jésus parla aussi des docteurs de la loi, la manière
dont ils altéraient les Écritures, de leurs fausses explications
et de leurs additions. Le soir, il y eut sous les cabanes de feuillage
un repas en compagnie des Pharisiens. Mais Jésus se retira à
la dérobée et descendit aux cabanes du peuple ou il donna
des enseignements et des consolations : je vis à un endroit éloigné
où les Pharisiens ne pouvaient pas l'observer, beaucoup de personnes
venir à lui, se prosterner à ses pieds, lui rendre hommage
et lui découvrir leurs maux et leurs péchés : il les
consola et leur donna des avis. C'était singulièrement touchant
à voir dans la : nuit au milieu des cabanes de feuillage tout éclairées
: on ne voyait pas de flambeaux, les lampes étaient voilées
à cause des courants d'air ; mais la lueur dorée jetait des
reflets merveilleux sur la verdure, les fruits et les personnes. De la
hauteur où se trouvait Silo, la vue s'étendait à l'entour
sur un grand nombre d'endroits ; l'on voyait partout des cabanes de feuillage
éclairées pour la fête et l'on entendait des chants
dans le voisinage et dans le lointain. Jésus ne guérit pas
ici :les Pharisiens éloignèrent les malades et le peuple
en général était intimidé. Je crois que des
Esséniens habitaient en dehors de la ville dans le voisinage de
l'entrée : je ne vis pas aujourd'hui Jésus chez eux. A Acrabis
et ici, les Pharisiens en apprenant qu'il arrivait trahissaient leurs dispositions
par des paroles comme celles-ci : " Que vient-il encore apporter de nouveau
? Qu'a-t-il encore à faire ici " ? Silo est une ancienne ville chananéenne
et je crois qu'elle existait déjà du temps de Jacob, car
Dina y vint lorsqu'elle fut enlevée pour la seconde fois par un
Jébuséen. Jésus passa la nuit près de la synagogue.
(11 octobre.) Ce matin, Jésus descendit de Silo et s'en alla
à Koréa, ville située à une lieue et demie
au sud-est et que l'on pouvait voir de Silo. Il n'y a ni murailles, ni
retranchements. Devant la ville, les Pharisiens de l'endroit vinrent à
la rencontre de Jésus pour le recevoir et ils lui amenèrent
un aveugle-né parvenu à l'âge adulte, au moyen duquel
ils voulaient le tenter. Cet aveugle portait par-dessus ses vêtements,
autour des épaules, un large drap qui paraissait de toile de lin
et qui lui enveloppait la tête. C'était un grand et bel homme.
Comme Jésus approchait, l'aveugle se dirigea vers lui, au grand
étonnement de tous les assistants et se jeta à ses pieds.
Jésus le releva et lui adressa diverses questions sur sa religion,
sur les dix commandements, sur la loi et les prophéties. L'aveugle
répondit avec une sagesse qu'on n'eut pas attendue de sa part :
c'était comme s'il eut prophétisé. Il parla aussi
des persécutions auxquelles Jésus était en butte dit
qu'il ne devait pas aller à Jérusalem parce qu'on voulait
le faire périr : tous les assistants furent terrifiés. Or
il s'était rassemblé là beaucoup de monde Jésus
lui demanda s'il désirait voir les cabanes de feuillage d'Israël,
les montagnes, le Jourdain, ses parents et amis, le temple et la ville
sainte, et lui, Jésus, en présence duquel il se trouvait.
L'aveugle répondit qu'il le voyait ; il décrivit sa personne
et son vêtement, dit qu'il l'avait vu lorsqu'il s'était approché
: il ajouta qu'il désirait voir tout le reste et qu'il savait que
Jésus pouvait le faire voir s'il voulait. Là dessus Jésus
lui posa la main sur le front, pria, fit avec le pouce un signe en forme
de croix sur ses paupières fermées, puis les ouvrit en les
relevant. Alors l'aveugle rejeta l'ample couverture qui lui enveloppait
la tête et les épaules, regarda autour lui, plein d'étonnement
et de joie et s'écria : " Les úuvres du Tout-Puissant sont
grandes " ; puis il se prosterna devant Jésus qui le bénit.
Les Pharisiens gardèrent le silence, les parents de l'aveugle le
prirent au milieu d'eux, plusieurs des assistants entonnèrent des
psaumes et l'aveugle parla et chanta, faisant encore une espèce
de prophétie sur Jésus, sur l'accomplissement de la promesse,
etc. Jésus entra dans la ville et guérit plusieurs malades
parmi lesquels d'autres aveugles, qui se tenaient entre les maisons et
l'enceinte de la ville. Il avait pris une réfection et on lui avait
lavé les pieds dans les cabanes de feuillage qui étaient
devant la ville. L'aveugle dans son enthousiasme prophétique décrivit
tout le chemin par lequel Jésus était venu ; il parla aussi
du Jourdain, de l'Esprit-Saint qui était descendu sur lui et de
la voix partie du ciel.
Le soir Jésus enseigna dans la synagogue à l'occasion
du sabbat. Il parla de la postérité de Noé, de la
construction de l'arche, de la vocation d'Abraham, et commenta des textes
d'Isaie où il était fait mention de l'alliance de Dieu avec
Noé et de l'arc-en-ciel. (Is. LIV et LV) Je vis alors très
distinctement tout ce qui faisait le sujet de son enseignement, je vis
toute la vie et toutes les générations des patriarches, les
branches collatérales qui se séparaient et comment le paganisme
prit naissance dans celles-ci. Quand je vois cela, tout me paraît
clair et bien ordonné : quand je m'éveille, je m'afflige
de ces aberrations, je ne puis m'en faire une idée, je cesse de
comprendre et j'oublie. J'ai aussi entendu Jésus parler de l'interprétation
erronée des Ecritures, des faux calculs sur les temps : il fit les
calculs très simplement et expliqua comment tout était donné
exactement dans les Ecritures. Je ne puis comprendre comment on a tellement
embrouillé et si complètement oublié tout cela.
Korea est à une lieue et demie au sud-est de Silo : la ville
est séparée en deux : une partie est sih1te à une
assez grande hauteur, sur une terrasse formée par la montagne, l'autre
dans une gorge placée plus à l'est. Celle-ci ne se lie avec
la première que par une étroite rangée de maisons.
Des Pharisiens et beaucoup de malades sont venus ici en même temps
que Jésus.
(12 octobre). Quoique la ville de Koréa soit située un
peu plus au couchant qu'Acrabis, elle est pourtant plus voisine du Jourdain
parce que le fleuve fait un coudé de ce côté. La ville
n'est pas très grande et les habitants ne sont pas riches. Ils font
de petits ouvrages de tressage, des ruches pour les abeilles, de longues
nattes de paille, d'un travail plus ou moins soigné : ils choisissent
la paille ou le jonc dont ils se servent et le font blanchir Ils font avec
des nattes des cloisons entières pour séparer les chambres
à coucher. .
Il y a plusieurs autres bourgades dans le voisinage. Les montagnes
dans cette contrée sont escarpées et déchirées.
A peu près en face d'Acrabis, de l'autre coté du Jourdain,
se trouve le pays où Jésus, à la fête des Tabernacles
de l'année dernière, a suivi une vallée pour aller
à Dibon. Le matin Jésus a enseigne dans la synagogue : plus
tard, pendant que les Juifs faisaient leur promenade accoutumée
du jour du sabbat il a guéri en parcourant leurs rangs beaucoup
de malades qu'on avait amenés dans une grande salle voisine de la
synagogue : il leur a fait aussi une instruction en commun. Ensuite il
a fait la clôture du sabbat, et il a assisté à un repas
donné dans les cabanes de feuillage, en compagnie des Pharisiens.
Pendant ce repas il eut une discussion avec les Pharisiens : il était
question de l'aveugle-né guéri la veille et de la façon
dont il avait prophétisé. Ils disaient qu'antérieurement
il avait fait diverses prédictions confuses lesquelles, je crois,
ne s'étaient pas vérifiées, et Jésus répondit
qu'alors il n'avait pas été inspiré par l'esprit de
Dieu. Dans la suite de la conversation ils en vinrent, je crois, à
parler d'Ezéchiel : ils dirent quelque chose contre lui, comme n'ayant
pas d'abord bien prophétisé sur Jérusalem. Jésus
répondit que l'esprit de Dieu n'était descendu sur lui qu'à
Babylone, au bord du fleuve Chobar, lorsqu'il lui fut ordonné d'avaler
quelque chose. Jésus finit par réduire tout à fait
les Pharisiens au silence. (Elle vit tout cela ; notamment la grande vision
d'Ezéchiel, mais elle ne le raconta pas.) à
L'aveugle guéri parcourut encore les rues de la ville, louant
Dieu, chantant des psaumes et prophétisant. Je crois qu'hier déjà
il était venu à la synagogue, avait mis une large ceinturé
autour de son corps et avait fait un vúu.
Il était devenu Nazaréen, un prêtre l'avait consacré
à cet effet. Je crois que cet homme va s'adjoindre aux disciples.
(13 octobre.) Le samedi soir, après le sabbat, lorsqu'il faisait
déjà nuit, il y a eu à Koréa une grande fête
et un grand repas i. Ce matin Jésus alla chez les parents de l'aveugle
guéri, sur l'invitation de celui-ci. Ce sont des Esséniens,
de ceux qui vivent dans l'état de mariage : ils ont une alliance
éloignée avec Zacharie et sont en rapport avec la communauté
des Esséniens de Maspha. Ils ont encore des fils et des filles,
celui qui a été guéri est le plus jeune. Ils habitent
dans un quartier séparé de la ville ; il y a dans leur voisinage,
plusieurs autres familles d'Esséniens apparentées à
la leur. Ils ont de beaux champs situés au penchant de la montagne
: ils ne cultivent que du froment et de l'orge, mais pas de seigle. Ils
ne gardent que le tiers de la récolte ; un tiers est donné
aux pauvres et le dernier tiers à la communauté qui est à
Maspha.
Ils vinrent au-devant de Jésus, le reçurent amicalement
devant leur habitation et lui donnèrent une réfection. Le
père lui fit don de son fils, le priant de l'employer comme le moindre
des serviteurs et des messagers de ses disciples, à courir devant
lui et à lui préparer les logements. Jésus l'accepta
et l'envoya aussitôt à Béthanie avec Silas et un des
disciples d'Hébron. Je crois qu'il veut procurer à Lazare
la joie de le voir guéri, car il l'a connu aveugle, si je ne me
trompe. Le père de ce jeune homme avait un nom comme Syrus, Sirius
ou Cyrus : c'était comme celui d'un roi du temps de la captivité
des Juifs.
Note : C'était la clôture de la fête des Tabernacles
qu'on célébrait le 21 de Tisri. Des dérangements l'empêchèrent
d'en rien dire de plus.
J'ai plusieurs fois oublié et retrouvé le nom du fils.
Il portait autrefois une ceinture sous sa robe, mais, après avoir
recouvré la vue, il la mit par-dessus et fit un vúu pour
un certain temps. Il avait le don de prophétie : étant aveugle,
il assistait toujours aux prédications de Jean et il avait reçu
le baptême. Souvent aussi, à Koréa, il avait réuni
autour de lui plusieurs jeunes gens qu'il enseignait et devant lesquels
il tenait des discours prophétiques sur Jésus dont il parlait
avec enthousiasme. Ses parents l'aimaient beaucoup à cause de sa
piété et de son zèle, et on le voyait toujours très
bien vêtu. Jésus, en le guérissant, lui dit : " Je
te donne une double lumière, la vue extérieure et la vue
intérieure ". Son nom me revient à présent : il s'appelait
Manahem, comme l'Essénien qui prédit à Hérode
qu'il deviendrait roi. Les Pharisiens de l'endroit se moquaient de lui
à cause de ses prophéties qu'ils appelaient des rêveries
inintelligibles et assuraient que l'élégance de ses vêtements
le rendait vain. Ils l'amenèrent eux-mêmes à la rencontre
de Jésus, parce qu'ils étaient intimement convaincus qu'il
ne pourrait pas le guérir, car on n'avait jamais vu que du blanc
dans ses yeux. Lorsqu'il fut guéri, beaucoup de gens malveillants
se mirent à dire : " Il n'a jamais été aveugle, c'est
un Essénien, il a peut-être fait vúu de jouer le rôle
d'aveugle, etc. "
Les Pharisiens qui parlèrent hier d'Ezéchiel avec Jésus,
méprisaient ce prophète, disant que c'était un serviteur
de Jérémie, qu'il avait eu dans l'école des prophètes
des rêves très obscurs et très absurdes, et que tout
était arrivé autrement qu'il ne l'avait dit. Je vis qu'alors
Ezéchiel avait eu des visions très obscures qui avaient été
interprétées tout de travers, et que l'Esprit vint sur lui
pour la première fois au bord du fleuve Khobar. Il vit d'abord dans
le fleuve la lumière du ciel ouvert, et regardant en haut, il eut
la vision du char de Dieu, etc. Manahem avait tenu aussi des discours prophétiques
d'un sens très profond sur Melchisédech, sur Malachie et
sur Jésus.
Après midi, Jésus alla à Ophra, n'ayant plus guère
avec lui que sept disciples, car les autres étaient retournés
chez eux, soit à Jérusalem, soit dans la Samarie et la Galilée.
(13 octobre.) Ophra se trouve dans un fond entre des montagnes, à
une lieue au sud-ouest de Koréa, et à peu près à
une lieue au midi de Silo. En partant de Koréa pour y aller, il
faut d'abord monter un peu, puis descendre ,. Trois routes traversent Ophra
: il y passe beaucoup de caravanes venant d'Hébron. La ville ne
se compose guère que d'auberges et de magasins. Les habitants sont
assez grossiers et intéressés. Des disciples de Jésus
étaient déjà venus ici l'année précédente,
et les habitants, depuis ce temps, s'étaient quelque peu amendés.
Lorsque Jésus y arriva, les gens de l'endroit étaient occupés
dans les vignes, des deux côtés du chemin, à recueillir
des raisins et des petits fruits de toute espèce, car il y avait
ce soir encore une grande fête.
Note : Tout au plus à deux lieues et demie à l'ouest
de Koréa, au bord de la grande plaine qui s'étend quelques
lieues à l'ouest Jusqu'à Bethoron, le long de la partie septentrionale
du désert, se trouve sur une hauteur la forteresse d'Alexandrium
qui regarde au nord-ouest le mont Garizim, au sud et à l'ouest,
la plaine en question et les montagnes de Benjamin. Marie a souvent passé
par cette plaine : il s'y trouve beaucoup d'habitations de bergers isolées
et la ville de Béthel y confine.
Je ne vis plus personne dans les cabanes de feuillage, mais je vis
les enfants, les jeunes gens et les jeunes filles passer au milieu d'elles
en procession avec des bannières : les prêtres aussi avaient
leur occupation : on retirait des cabanes les livres de prières
et les objets sacrés qu'on portait à la synagogue, et on
mettait un rouleau sur chaque siège. Pendant ce temps, je vis les
femmes assises dans les maisons, revêtues de leurs habits de fêtes
et lisant des prières.
Jésus fut aperçu par les hommes devant la porte : ils
vinrent à lui et le conduisirent dans la ville. On lui lava les
pieds, il prit un peu de nourriture à l'hôtellerie près
de la synagogue, puis il entra dans quelques maisons où il guérit
des malades et enseigna. Le soir, il y eut une grande fête dans l'école,
on lut quelque chose de tous les rouleaux, puis on fit circuler le livre
de la loi et chacun y lut à son tour : il y eut ensuite un repas
dans la maison destinée aux fêtes : il y avait des agneaux
sur la table. On mangea aussi les pommes d'Escog qui avaient servi pour
la fête. Ces pommes étaient préparées avec quelque
chose : chacune était divisée en cinq parties, lesquelles
étaient de nouveau liées ensemble avec un fil rouge. Il y
avait une pomme pour cinq personnes. Les mets étaient apprêtés
par des serviteurs du sabbat : c'étaient des espèces d'esclaves
qui n'étaient pas juifs.
(14 octobre.) Le matin, Jésus alla de maison en maison : il
adressa quelques paroles aux habitants pour les détourner de l'amour
du gain et de la cupidité, et les imita à venir entendre
l'instruction dans la synagogue. Il adressa à tous en commun une
espèce de félicitation pour la clôture de la fête.
Les gens de l'endroit étaient si adonnés à l'usure
et si grossiers, qu'on les assimilait aux Publicains. Mais ils s'étaient
déjà amendés. Dans l'après-midi, les branches
qui avaient servi à construire les cabanes furent portées
par un cortège d'enfants devant la synagogue : on en fit un tas
et l'on y mit le feu. Les Juifs observaient la manière dont la flamme
s'élevait, et tiraient de là divers présages heureux
ou défavorables. Jésus enseigna ensuite dans la synagogue
sur le bonheur d'Adam, sur sa chute et sur la promesse : il commenta aussi
des textes du livre de Josué. Il parla encore des sollicitudes exagérées,
des ils qui ne filent pas, des corbeaux qui ne sèment pas, etc.
Il mentionna Daniel et Job, comme des hommes pieux, accablés d'affaires,
et cependant dégagés de toute sollicitude mondaine.
Le soir, il y eut encore un repas dans la maison destinée aux
fêtes. Ici Jésus ne fut pas hébergé gratuitement
: les disciples payèrent tout à l'hôtellerie. Je crois
qu'il va se diriger du côté de Samarie.
Le soir du 16 octobre, Anne Catherine se ressouvint tout à coup,
au milieu d'une conversation, de quelque chose qu'elle avait vu à
Ophra, puis oublié, et elle fit la question suivante : "Chypre,
où donc cela se trouve-t-il ? C'est une île ! Il y avait un
homme de Chypre à Ophra, près de Jésus et de ses disciples.
Il venait de Machérunte, qui est à dix lieues d'Ophra ; il
avait été voir Jean, je l'ai entendu. Il fut conduit ici
par un des serviteurs du centurion Zorobabel de Capharnaum, qu'il avait
visité à sa maison de campagne, car ce centurion ne résidait
pas toujours à Capharnaum. Il a été envoyé
par un homme considérable de Chypre, qui a beaucoup entendu parler
de Jean et de Jésus, et qui voudrait avoir sur eux des renseignements
sûrs. C'est quelque chose comme le message du roi d'Edesse à
Jésus. J'ai entrevu aussi que Jésus, pendant sa vie, est
allé une fois à Chypre, mais c'est encore à venir.
Je l'y ai vu entouré de beaucoup de gens de bien.
Cet homme partit d'Ophra en toute hâte, car il devait s'embarquer
sur un navire qui allait mettre à la voile. C'était un paien
très aimable et très humble. Le serviteur du centurion l'avait,
sur sa demande, conduit à Machérunte, près de Jean,
puis à Ophra, près de Jésus. Jésus s'entretint
longtemps avec lui, et les disciples mirent par écrit, en sa présence,
tout ce qu'il désirait savoir. Son maître a pour ancêtre
un ancien roi de Chypre qui accueillit beaucoup de Juifs pendant la persécution,
et les nourrit à sa table. Cette úuvre de miséricorde
porta ses fruits dans son descendant, qui reçut la grâce de
croire en Jésus-Christ. J'ai vu comme d'un coup d'úil, que
Jésus, après la prochaine fête de Pâques, se
réfugiera à Tyr et à Sidon, s'embarquera pour cette
île et y enseignera. Je l'ai vu sur le navire, puis dans l'île
parmi des gens de bien : je crois qu'il n'y avait avec lui que des disciples
inconnus, de même que dans un voyage que je l'ai vu faire pour visiter
les trois rois, après la résurrection de Lazare.
(15 octobre.) La Súur fut dans un état de maladie et
de souffrance intérieure qui ne lui permit de raconter que ce qui
suit et d'une manière très peu précise. Je crois,
dit-elle, que Jésus est allé dans une vallée entre
Alexandrium et Lebona, ville située au midi du mont Garizim : il
a fait environ cinq lieues, venant du nord-est, et il est arrivé
par une plaine à un bois qui est à l'ouest de Salem. Je me
souviens confusément qu'il visita des habitations isolées
de paysans. Il y a dans cette contrée plusieurs belles grottes,
et c'est dans ces environs que doit être l'arbre sous lequel Gédéon
battait son blé. Le méchant Holopherne avait campé
dans ce bois : il venait de passer le Jourdain, et se trouvait là
avant qu'on en sût rien à Jérusalem. C'est ici que
le Jourdain tourne à l'ouest vers Jérusalem, tellement qu'il
irait passer devant cette ville s'il pouvait continuer à aller en
droite ligne dans cette direction. Holopherne, chef de l'armée de
Nabuchodonosor, passa le fleuve en cet endroit. Ici elle dit quelque chose
de vague sur le cours d'eau qui passe près de Béthulie pour
se jeter dans le Jourdain, et elle ajouta qu'à Béthulie il
n'y a pas de fontaines. Holopherne établit son camp tout autour
de Béthulie : il s'étendait vers Cana, Jotapat, Tarichée,
Thabor, Nazareth, etc. L'invasion d'Holopherne eut lieu en partie ici,
en partie sur l'autre rive : tout fut pris ou exterminé près
de cette ville du pays des Philistins, où David avait résidé
autrefois avec quatre cents hommes. Son nom ressemble à celui d'Aïs
ou d'Achzib, qui est près de la mer, au nord de Ptolémaïs.
Deux jours après Anne Catherine, tout en larmes à cause
d'un grand délaissement où elle se trouvait, reprit ainsi
son récit :
Le mardi l5 octobre. Jésus est allé à environ
cinq lieues au nord et il a passé la nuit chez un paysan. Je n'ai
pas vu les cabanes de feuillage tout à fait défaites, on
avait seulement retiré quelque chose aux angles. Cette contrée
est belle et fertile, la mère de Dieu a coutume d'y passer quand
elle ne passe pas par les montagnes de Samarie. Jésus logea dans
une de ces maisons de bergers où l'on avait bien accueilli Marie
lors du voyage de Bethléhem. Ce peut être un peu à
l'ouest au delà d'Acrabis. Ce n'est pas la contrée où
Jésus, la dernière fois qu'il partit de Jérusalem,
parcourut beaucoup d'endroits si rapidement, où il prêcha
avec tant de véhémence, et ou les disciples éprouvèrent
tant de fatigues et d'ennuis ; cette contrée est dans une autre
partie plus à l'ouest. Jésus se dirigeait alors vers Sichar,
à l'ouest du mont Garizim. Il avait aussi visité l'endroit
ou il à passé la nuit aujourd'hui lorsqu'après la
dernière Pâques, il s'éloigna du Jourdain pour aller
dans la direction de Tyr.
(16 octobre.) Ce matin Jésus quittant la maison de paysan où
il avait couché, alla deux lieues plus au nord, à trois lieues
environ à l'est de Sichar visiter d'autres habitations de paysans
situées près de la partie occidentale de la forêt de
Hareth qui, s'étendant du midi au nord sur une haute crête
de montagnes placée à l'ouest de Salem, borde au levant la
plaine qui est devant Sichar. (Ses souffrances lui firent oublier ce que
Jésus fit en cet endroit.)
Jésus se trouvait ici un peu plus au nord que Salem Il traversa
la forêt dans la direction du sud-est et arriva dans la plaine de
Salem. Cette forêt de grands et beaux arbres où il y a plusieurs
jolies grottes, est la forêt de Hareth où Holopherne entra
d'abord avec son armée après avoir passé le Jourdain
près d'ici. Cette invasion eut lieu pendant les derniers temps de
la démence du roi Nabuchodonosor. Béthulie recevait l'eau
du côté du nord par des conduits venant de la source près
de laquelle sont les bains. de l'autre côté. par d'autres
conduits : cette eau coule ensuite dans le Jourdain.
Note : Comme du reste elle place Béthulie sur une hauteur entre
Cana, les bains et Gennabris, cette eau mentionnée en second lieu
était peut-être une dérivation du Cison venant de Thabor,
ou empruntée à un cours d'eau qui se jette dans le Jourdain.
Elle en vint à parler de cette eau, parce que vraisemblablement
elle vit toute l'histoire de Judith ; car elle dit qu'Holopherne avait
coupé les conduits qui amenaient l'eau à Béthulie.
Judith était de la race d'Abigail, femme de Nabal et de David Le
camp d'Holopherne était au nord de Béthulie, là où
sont les bains. En sortant de la ville on traversait d'abord un plateau,
puis un ravin ; puis on arrivait au camp qui était dans la vallée,
et ce fut là que Judith tua Holopherne.
Le 27 (vraisemblablement du mois de Tisri), les ennemis entrèrent
dans le pays. Holopherne n'était pas, a proprement parler, envoyé
par Nabuchodonosor : c'était un Mède et il était en
rapport avec le roi Cyaxare près duquel était le prophète
que j'ai coutume d'appeler Etoile brillante (Zoroastre). Ce roi, dans un
festin, a rendu aux Juifs prosternés devant lui, les plats et les
vases d'or provenant du pillage du temple, qui lui avaient été
donnés. Le mari de Suzanne se trouvait là. Holopherne avait
eu l'occasion de rendre un service à ce Cyaxare qui, à cause
de cela, lui avait donné l'armée à commander. Il s'était
alors vanté de tout conquérir : c'était une espèce
de Bonaparte : il ne savait guère ce qu'étaient les Juifs.
Lorsqu'il fit irruption dans le pays, le temple était encore en
ruines et les Juifs n'étaient pas entièrement sortis de la
captivité.
Je vis toute cette histoire comme elle se trouve dans l'Ecriture. Achior
fut conduit à Béthulie par une troupe de cavaliers. Les Juifs
en furent très effrayés, ils crurent qu'ils venaient en reconnaissance
ou comme avant-garde. L'armée descendit des hauteurs et elle pénétra
jusqu'à la tribu de Benjamin Béthulie était la plus
forte place du pays : Holopherne l'investit : il voulait, après
sa chute, marcher tout droit sur Jérusalem. La tente d'Holopherne
formait comme trois chambres : on mangeait dans cette du milieu : ses gens
se tenaient dans la partie antérieure et son lit était dans
la plus reculée.
Judith, lorsqu'elle se présenta devant lui était, par
une faveur divine, si majestueusement belle qu'Holopherne fut saisi d'admiration
et même intimidé à sa vue. Le soir sa beauté
devint encore plus éclatante et lorsqu'enhardi par le vin il s'approcha
d'elle et voulut l'embrasser, il vit en elle je ne sais quoi de surhumain
qui le fit reculer effrayé Elle se montrait en outre extrêmement
avenante, parlante et enjouée et l'engageait toujours à boire
encore. Lorsqu'il fut tout à fait ivre, ses serviteurs le portèrent
dans sa chambre à coucher et Judith se retira dans la sienne qui
n'était séparée que par un rideau. Leurs lits se touchaient
par leurs extrémités. Alors les serviteurs se retirèrent.
La Súur raconta tout ce qui suit comme le fait l'Ecriture, ajoutant
seulement que Judith avait coupé aux rideaux du lit et emporté
avec elle plusieurs garnitures de perles et de pierres précieuses.
Lorsque Judith revint pendant la nuit à Béthulie avec la
tête d'Holopherne, elle monta sur une espèce de siège
en pierre qui se trouvait sur la place et d'où l'on faisait la lecture
des ordonnances. Alors elle entonna un cantique de louanges, montra la
tête d'Holopherne et parla au peuple qui s'était rassemblé
autour d'elle avec des flambeaux. Après la victoire remportée
sur l'armée ennemie, les prêtres de Jérusalem vinrent
pour rendre hommage à Judith et elle alla à Jérusalem
avec eux. L'épée d'Holopherne avec laquelle elle lui avait
donné la mort fut déposée dans le temple.
CHAPITRE SECOND
Jésus dans la Samarie
Jésus enseigne à Salem, - à Aruma, - à
Thanath, - à Silo, - à Michmethath, - à Méroz
et à Dothan. - Vocation de Judas Iscariote.
Du 16 octobre au 4 novembre 1822.
(16 - 20 octobre) En quittant son dernier séjour, Jésus
alla à deux lieues au nord, dans un endroit où se trouvait
au bord de la forêt une des hôtelleries préparées
pour lui. Je crois qu'on y avait déjà fait les dispositions
nécessaires. Il alla ensuite un peu à l'est à travers
la forêt et, franchissant une hauteur, il descendit dans les champs
où les gens de Salem travaillaient près d'énormes
monceaux de blé. Il les enseigna, puis il alla avec eux a Salem
qui était située un peu plus bas, à une lieue environ
du Jourdain.
Avant Salem on voyait déjà des jardins et de belles avenues
: la situation de cette ville est très agréable : elle n'est
pas très grande, mais plus propre et plus régulière
que beaucoup d'autres dans les environs. Elle est bâtie en forme
d'étoile autour d'une fontaine placée au centre. Toutes les
rues aboutissent à la fontaine et les avenues traversent les rues
: mais tout cela est assez mal entretenu. La fontaine est sacrée
à leurs yeux, car l'eau en était autrefois mauvaise comme
à celle qui est près de Jéricho, et Elisée
la rendit bonne comme l'autre en y jetant du sel et en y versant de l'eau
où l'on avait plongé l'objet sacré. On a bâti
au-dessus un bel édifice : au milieu de la ville, près de
la fontaine, se trouve un grand château en ruines avec de très
grandes fenêtres vides. Il y a une grosse tour ronde fort élevée,
surmontée d'une plate-forme avec une galerie au-dessus de laquelle
s'élève une perche supportant un drapeau. Aux quatre côtés
de cette tour, aux deux tiers environ de sa hauteur, de grosses boules
sont suspendues à des poutres qui font saillie en dehors des fenêtres.
Ces globes qui brillent au soleil sont placés dans la direction
de diverses villes : ils sont là comme souvenirs du temps de David.
Il résida quelque temps en ce lieu avec Michel et lorsqu'il se fut
réfugié dans le pays de Galaad, Jonathas lui faisait des
signaux relativement à Saul et à sa persécution, à
l'aide de ces boules qu'il suspendait, tantôt d'une façon,
tantôt d'une autre, suivant qu'ils en étaient convenus, et
David pouvait les voir. Je crois aussi qu'il déposa un écrit
que David y prit, mais Je ne sais plus bien le détail. La Soeur
indiqua encore diverses directions de ces boules, mais confusément.
Jésus fut très bien accueilli dans cet endroit : les
gens qu'il avait trouvés ramassant la moisson l'accompagnèrent
jusqu'à la ville et on vint de Salem à sa rencontre. On le
conduisit, lui et ses disciples, dans une maison, on leur lava les pieds
et on leur donna d'autres chaussures et d'autres habits pendant qu'on battait
et qu'on étendait les leurs. On donnait souvent ainsi aux voyageurs
des vêtements de rechange. Mais Jésus ne les accepta pas :
il avait le plus souvent un second habillement qu'un disciple portait.
Ils conduisirent ensuite Jésus à leur belle fontaine où
il prit une réfection.
Il y avait autour de la fontaine beaucoup de malades de toute espèce
; ils étaient même couchés tout le long de certaines
rues et il se mit aussitôt à opérer des guérisons.
Il alla tranquillement de l'un à l'autre et guérit jusque
vers quatre heures, après quoi il assista à un repas dans
l'hôtellerie et enseigna dans la synagogue. Il fut question dans
cette instruction de Melchisédech et aussi de Malachie qui avait
résidé ici et annoncé dans ses prophéties le
sacrifice selon l'ordre de Melchisédech. Jésus leur dit que
ce temps était proche et que ces prophètes auraient été
heureux de voir et d'entendre de telles choses, etc. Les habitants étaient
tous de moyenne condition, ni pauvres, ni riches, mais bien intentionnés
et pleins d'affection les uns pour les autres. Les docteurs de la synagogue
étaient également bien disposés. mais il y avait dans
le voisinage plusieurs Pharisiens qui venaient souvent ici et qui étaient
à charge aux docteurs de l'endroit et aux habitants. La ville avait
certains privilèges : un district qui l'entourait, et d'autres endroits
voisins lui appartenaient. Jésus séjourna volontiers ici
et il fortifia les habitants dans leurs bonnes dispositions
(17 octobre.) Le matin Jésus visita, à une lieue au sud-est
de Salem, un jardin de plaisance, situé dans l'angle formé
par le Jourdain et le petit cours d'eau qui vient d'Acrabis se jeter dans
le fleuve. Il y a dans cette contrée semée de collines trois
petits viviers l'un au-dessus de l'autre qui tirent leur eau de cette petite
rivière. Il y a ici des bains que l'on peut chauffer. Beaucoup de
personnes allèrent avec lui. On peut de là très bien
voir Ainon, de l'autre côté du Jourdain : quelques personnes
allèrent se promener sur l'autre rive du fleuve. Vers midi, ils
revinrent à Salem. Il y vint plusieurs Pharisiens d'une ville assez
grande, située à deux lieues à l'ouest prés
d'une montagne. Prés de là, à environ une lieue au
nord-est, se trouve une ville récente comme cachée dans un
coin, où habitait le pieux Jaïre dont Jésus a ressuscité
la fille, il y a peu de temps. Parmi les Pharisiens dont il vient d'être
parlé se trouvait un frère de Simon le lépreux de
Béthanie, qui était l'un des plus importants parmi les siens.
Il y avait aussi des Sadducéens. Aujourd'hui ils étaient
ici en qualité d'hôtes, car il était d'usage que les
docteurs s'invitassent réciproquement pendant les jours qui suivaient
la fête des Tabernacles. Il était venu encore des docteurs
d'autres endroits.--On donna aujourd'hui à Salem, dans une maison
destinée aux fêtes publiques, un repas auquel Jésus
assista ainsi que tous ces docteurs Ils craignaient que Jésus n'enseignât
à Salem le jour du sabbat, ce qu'ils auraient vu avec peine, parce
que par ailleurs les habitants ne les goûtaient pas beaucoup, et
le frère de Simon, à cause de cela, invita Jésus à
venir à Aruma pour le jour du sabbat, ce que celui-ci accepta. Phasaël
est une ville moderne où Hérode séjournait quand il
était dans le pays. Il y a des palmiers autour de la ville : dans
le voisinage est la source d'une petite rivière qui se jette dans
le Jourdain à peu près en face de Sukkoth. Les habitants
que Jaïre avait rendus meilleurs qu'ils n'étaient semblent
être venus là comme colons. Phasaël a été
bâti par Hérode. C'est une petite ville moderne située
au nord-est d'Aruma, enfoncée dans une gorge de la montagne et cachée
par un bois du côté de la vallée du Jourdain.
Note : En regardant une carte de Kloeden, reproduite sur une grande
échelle et où les noms des lieux n'étaient pas écrits,
elle marqua la situation d'Aruma au levant du mont Garizim, un peu plus
au nord que celle qui est donnée sur la carte ordinaire de Kloeden.
Cet endroit serait, selon elle, sur la pente septentrionale d'une montagne
près d'un bassin. La montagne s'élève au midi derrière
la ville et il n'y a pas de vue de ce côté : à l'ouest
est une autre montagne couverte de bois et il n'y a pas de vue sur Sichem
; au nord-est, entre les montagnes. on voit la plaine qui s'étend
de Sichem à Samarie : à l'est, par-dessus la côte boisée
qui sépare Aruma et Sichem, on aperçoit de l'autre côté
du Jourdain, les montagnes de Galaad. Le juge Abimélech a résidé
ici. La ville doit être ancienne, car Jacob aussi y a séjourné
lorsqu'il se cachait pour échapper à Esaû.
(18 octobre.) Aujourd'hui vendredi 27 Tisri, Jésus alla à
Aruma qui est à deux lieues de Salem, en franchissant un coteau
couvert de bois. Les Pharisiens ne le reçurent pas devant la porte.
Il entra avec sa robe relevée, par la porte de la ville, accompagné
de sept disciples les moins connus parmi ceux qui étaient avec lui.
Il fut reçu là par quelques habitants bien intentionnés,
suivant l'usage du pays : c'est là qu'on reçoit les voyageurs
qui arrivent avec leur robe relevée, car ceux qui se présentent,
la robe flottante, ont déjà reçu l'hospitalité
devant la porte. Ils le conduisirent dans une maison où ils lui
lavèrent les pieds, nettoyèrent ses habits et lui offrirent
quelque chose à manger.
De là Jésus alla à la synagogue dans le logement
des prêtres où se trouvait. frère de Simon et plusieurs
autres Pharisiens et Sadducéens venus de Thébez et d'autres
endroits. Ils prirent avec eux divers livres de l'Ecriture et allèrent
avec Jésus à un jardin de plaisance ou l'on prenait des bains,
situé devant la ville : ils s'entretinrent avec 3ésu. s sur
les passages de l'Ecriture qui devaient être lus aujourd'hui à
l'occasion du sabbat : c'était comme une préparation à
la prédication. Ils furent très polis et très obséquieux
vis-à-vis Jésus et le prièrent de donner ce soir une
instruction, mais de ne rien dire pourtant qui excitât de l'agitation
dans le peuple : du moins ils le lui donnèrent à entendre.
Jésus répondit avec beaucoup de fermeté et très
nettement qu'il enseignerait ce que contient l'Ecriture, la vérité
: il parla aussi de loups revêtus de peaux de brebis. Vers trois
heures ils allèrent prendre un repas dans la maison du frère
de Simon : il avait une femme et des enfants que Jésus salua.
Il y avait beaucoup d'étrangers des deux sexes, qui mangèrent
séparément avec les femmes. Le soir Jésus enseigna
dans la synagogue. Il parla de la vocation d'Abraham et de son voyage en
Egypte, de la langue hébraïque, de Noé, d'Héber,
de Phaleg, de Job, etc., et j'eus beaucoup de visions à l'occasion
de cette instruction. Elle roulait sur le chapitre XII de la Genèse
et sur des textes d'Isaïe. Il dit que déjà dans la personne
d'Héber Dieu avait séparé les Israélites, car
il avait donné à ce patriarche une nouvelle langue, la langue
hébraïque, qui n'avait pas de rapport avec les autres dialectes
de ce temps, afin de séparer entièrement sa race de toutes
les autres. A une époque antérieure, Héber, de même
qu'Adam, Seth et Noé, parlait la langue mère primitive ;
mais, lors de la construction de la tour de Babel, elle s'était
perdue et confondue dans plusieurs idiomes différents. Alors, Dieu
pour séparer entièrement Héber, lui donna une langue
sainte particulière, la vieille langue hébraïque : sans
elle, sa race ne serait pas restée pure et séparée
des autres. Jésus enseigna là-dessus et sur tout ce qui concernait
la vocation d'Abraham.
(19 octobre.) Jésus logeait ici dans la maison de Siméon,
frère du lépreux : Simon de Béthanie aussi est originaire
de cet endroit : celui d'ici avait de la capacité et de l'instruction
: celui de Béthanie lui était inférieur, avec de plus
grandes prétentions. Dans cette maison tout était bien ordonné,
et, quoiqu'on ne traitât pas Jésus avec la vénération
qu'inspire la foi, cependant les règles de l'hospitalité
étaient très bien observées à son égard.
Il avait une belle couche dans un endroit séparé et un oratoire
pour son usage : les vases et le linge pour la toilette étaient
très convenables, et le maître de la maison avait pris les
dispositions nécessaires pour que le service fût bien fait
; sa femme et ses enfants se montraient peu. Jaire de Phasaël, l'homme
dont Jésus avait ressuscité la fille, était aussi
venu ici pour le sabbat, et il avait parlé à Jésus
; il vit les disciples et se promena avec eux. Sa fille, ressuscitée
par Jésus, n'était pas à Phasael ; elle était
allée voir les jeunes filles de l'école d'Abelmehola : beaucoup
de jeunes filles s'y réunissaient ces jours-là, de même
que le jeudi, 26 Tisri, les hommes s'étaient rendu des visites.
Je ne sais pas quelle fête c'était. Abelmehola peut être
à cinq lieues de Phasaël. Les serviteurs de Zorobabel, le centurion
de Capharnaum, étaient aussi venus à Ainon et sur les bords
du Jourdain pour la fête des Tabernacles : cela me revient maintenant
à la mémoire. Ils avaient déjà reçu
le baptême antérieurement : l'un d'eux était allé
de Machérunte à Ophra avec cet homme de l'île de Chypre
qui voulait voir Jésus, et il était revenu avec lui à
Capharnaum. Je crois que cet homme de Chypre est devenu disciple de Jésus.
Jésus eut un disciple natif de cette île, qui s'appelait Mnason
: je ne sais pas si ce n'est pas cet homme.--Jésus enseigna encore
le matin à la synagogue sur la vocation d'Abraham et sur des textes
d'Isaïe. J'ai vu, à cette occasion, beaucoup de choses touchant
les patriarches.
A midi, il sortit de la ville pour aller dans la partie occidentale,
où se trouvait un grand édifice fort ancien : il fallait
sortir par le côté du midi et gagner la partie occidentale
en longeant les murs. Cette maison était comme une habitation commune
pour des vieillards et des veuves âgées. Ce n'étaient
pas des Esséniens, mais ils suivaient aussi un certain règlement
de vie et portaient de longs vêtements blancs. Jésus enseigna
quelque temps les uns et les autres, et les consola : j'ai oublié
les détails.
Jésus se rendit ensuite à un grand repas qui dura jusqu'au
sabbat. Je ne vois jamais Jésus manger beaucoup dans les repas de
ce genre : il va d'une table à l'autre ; il enseigne et raconte
presque tout le temps : le soir, il y eut une fête à la synagogue
et dans les maisons. Quand le sabbat fut fini, on célébra
la fête de la dédicace du temple de Salomon ; la synagogue
était toute illuminée : au milieu était une pyramide
de flambeaux. Ce n'était pas proprement le jour de cette fête,
laquelle tombait, à ce que je crois, à la fin de la fête
des Tabernacles : on la célébrait aujourd'hui par translation.
Jésus enseigna sur la Dédicace : il rappela comment Dieu
était apparu à Salomon et lui avait dit qu'il voulait maintenir
Israël et le temple, si son peuple lui restait fidèle ; mais
qu'il le détruirait s'il s'éloignait de lui. Jésus
appliqua cela au temps présent, disant que le moment était
arrivé, et que, s'ils ne se convertissaient pas, le temple serait
détruit. Il parla là-dessus avec beaucoup de force. Les Pharisiens
se virent à disputer avec lui, et prétendirent que Dieu n'avait
pas ainsi parlé à Salomon, mais que c'était une invention
poétique et une imagination de Salomon. La dispute fut très
vive, et je vis Jésus parler avec beaucoup de chaleur ; il se manifesta
dans toute sa personne quelque chose qui les intimida, au point qu'ils
osaient à peine le regarder. Il leur parla, en citant des textes
empruntés à la lecture du jour du sabbat, des altérations
et falsifications des vérités éternelles, de l'histoire
et de la chronologie des anciens peuples païens, des Egyptiens, par
exemple, et il leur demanda comment ils osaient faire des reproches à
ces païens, quand eux-mêmes en étaient arrivés
à rejeter ce qui les touchait de si près, ce qui leur avait
été transmis par une tradition si sainte, la parole du Tout
Puissant, sur laquelle était fondée son alliance avec son
saint temple, et à la traiter de fable et d'invention, suivant leurs
caprices et leurs convenances. Il certifia et répéta encore
une fois la promesse de Dieu à Salomon, et leur dit qu'à
cause de leurs altérations et de leurs interprétations criminelles,
la vengeance de Jéhova ne tarderait pas à s'accomplir : car
là où la foi à ses promesses les plus saintes était
ébranlée, là aussi étaient ébranlés
les fondements de son temple. Il leur dit : " Oui ! le temple sera renversé
et détruit, parce que vous ne croyez pas aux promesses, parce que
vous ne savez pas discerner les choses saintes et les honorer ; vous-mêmes
travaillerez à sa destruction, rien n'en sera épargné
; il sera réduit en poussière à cause de vos péchés
! " Jésus parla à peu près dans ces termes et en indiquant
que, par le nom de temple, c'était lui-même qu'il désignait,
ainsi qu'il le dit plus clairement avant sa passion : "Je le rebâtirai
en trois jours. "il ne s'exprima pas cette fois en termes aussi précis,
mais cependant assez clairs pour qu'ils sentissent dans leur effroi et
dans leur colère, ce qu'il y avait de surprenant et de mystérieux
dans ses paroles. Ils murmurèrent et furent très mécontents
; mais Jésus ne s'en inquiéta pas, et il continua son instruction
avec tant d'éloquence, qu'ils ne trouvèrent plus rien à
répondre et que, malgré eux, ils se sentirent intérieurement
dominés. Au retour de la synagogue, ils lui donnèrent la
main, cherchèrent en quelque sorte à s'excuser, et parurent
vouloir faire la paix, au moins extérieurement. Jésus prononça
encore, avec beaucoup de douceur, quelques paroles pleines de gravité,
puis il quitta l'école, dont les portes furent fermées.
Je vis Salomon devant le temple, près de l'autel : debout sur
une colonne, il parla au peuple, et adressa à Dieu une belle prière.
La colonne était assez haute pour que tout le monde put le voir.
On y montait par l'intérieur : au-dessus était une plate-forme
assez spacieuse avec une espèce de siège ; la colonne n'était
pas fixée au sol : on pouvait la transporter ailleurs. Je vis ensuite
Salomon dans le château de Sion : il n'était pas encore dans
son nouveau palais. C'était dans ce lieu que Dieu avait parlé
à David, notamment quand Nathan fut venu le trouver. Il y avait
là une terrasse surmontée d'une tente, sous laquelle il dormait.
Salomon y était en prière. Alors une lumière dont
la splendeur ne peut se rendre, vint l'entourer, et il en sortit une voix
: j'ai vu cela et j'ai entendu les paroles. Ce fut une répétition
de la promesse de Dieu, telle qu'elle se trouve consignée dans la
Bible. (III. Reg. IX, 2, etc.)
Salomon était un bel homme, bien pris dans sa taille : il ne
manquait pas d'embonpoint, et ses membres étaient moins décharnés
et moins anguleux que ceux de la plupart des gens qui l'entouraient ; ses
cheveux étaient bruns et lisses ; il avait la barbe courte et bien
tenue, des yeux bruns très perçants, un visage rond et plein
avec des joues un peu larges. A cette époque, il n'avait pas encore
cette multitude de femmes païennes auxquelles il se livra plus tard.
Il avait à la vérité plusieurs femmes, mais il s'en
abstint rigoureusement pendant tout le temps de la dédicace du temple.
Jésus ne guérit pas en public à Aruma, pour ne
pas donner de scandale : en outre les malades étaient intimidés
par la présence des Pharisiens et ils ne s'adressaient pas à
lui pendant le jour. Ce fut pour moi un spectacle singulièrement
touchant de le voir, pendant ces deux nuits, en compagnie de deux disciples,
parcourir les rues au clair de la lune, s'arrêter devant quelques
petites portes où des gens l'attendaient humblement, puis entrer
dans les cours et guérir plusieurs malades. C'étaient des
gens pieux qui croyaient en lui et lui avaient fait adresser des suppliques
par les disciples. Cela pouvait se faire sans éclat et sans bruit
: car les rues de la ville étaient très silencieuses : elles
n'étaient bordées que par les murs des cours intérieures
où il y avait de petites portes. Toutes les maisons avaient leurs
fenêtres tournées vers l'intérieur, donnant sur des
cours et de petits jardins. Les malades attendaient Jésus avec impatience.
Je me souviens entr'autres d'une femme affligée de pertes de sang
que deux servantes portèrent toute enveloppée dans une cour.
Dans cette tournée nocturne, Jésus ne s'arrêta pas
longtemps près des malades. Ordinairement pour réveiller
leur foi, il leur demandait s'ils croyaient que Dieu pouvait les guérir
et qu'il avait donné à quelqu'un pouvoir pour cela sur la
terre. Je ne puis pas bien exprimer cela. Il fit aussi baiser sa ceinture
à la femme affligée de pertes de sang et lui dit quelques
paroles dont le sens était à peu près celui-ci : "
je te guéris par le mystère de cette ceinture ", ou bien
peut-être : " par l'intention à laquelle est portée
cette ceinture, depuis le commencement jusqu'à la fin ". A d'autres
il en posait les bouts sur la tête. Cette ceinture était une
bande d'étoffe longue et large, elle était portée
tantôt dans toute sa largeur, tantôt pliée et plus étroite
; les extrémités qui se terminaient par des houppes, tantôt
étaient raccourcies, tantôt pendaient dans toute leur longueur.
La vallée qui est au levant d'Aruma et qui se dirige de l'est
à l'ouest vers Sichem, puis au nord jusqu'au delà de la montagne
qui est au nord-est de Sichem, était couverte de bois : à
l'est de cette montagne qui est au milieu d'une plaine devant Sichar était
la partie qu'on appelle le bois de Mambré. Ce fut là qu'Abraham
planta d'abord ses tentes et que Dieu lui apparut et lui promit une heureuse
postérité. Il y avait là un grand arbre, dont l'écorce
était moins rude que celle du chêne : il portait à
la fois des fleurs mâles et femelles séparées et des
fruits. Je l'ai déjà décrit dans le pays de Basan.
C'est l'arbre dont les noix servaient à faire des têtes pour
les bâtons de pèlerins. Le Seigneur apparut près de
cet arbre. C'est aussi là que Jacob enterra les idoles lorsqu'il
s'éloigna de Sichem. Mais c'est un autre arbre qui a succédé
au premier. On fait un breuvage avec le suc qui en découle.
La route en partant de Sichem longe le côté gauche du
bois et tourne autour du mont Garizim. Au nord, en avant du bois, il y
a dans la plaine une ville bâtie en mémoire du séjour
d'Abraham. Il doit en rester des traces. Elle est à trois lieues
au nord d'Aruma, à deux lieues au nord-ouest de Phasaël et
s'appelle Thanath-Silo.
(20-21 octobre.) Le matin, Jésus parla encore avec beaucoup
de sévérité contre les Pharisiens, dit qu'ils avaient
perdu l'esprit de la religion, ne tenant qu'à des coutumes et à
des observances qu'ils conservaient comme des écorces vides pendant
qu'ils laissaient le fruit se perdre. Ils soutinrent contre lui la sainteté
de ces formes, mais ils furent enfin réduits au silence lorsque
Jésus leur opposa l'exemple des paiens pour lesquels Satan a fini
par remplir des formes restées vides. Plus tard Jésus alla
à trois lieues au nord, vers une ville située dans la vallée
qui est en avant de Samarie et où Abraham vint habiter d'abord.
On trouve avant d'y arriver, une hôtellerie établie par Lazare
pour la communauté : elle est confiée aux soins d'une famille
de Nazareth alliée de loin à celle de Jésus : je ne
me rappelle plus les noms. Jésus y passa la nuit.
(21 octobre.) Aujourd'hui Jésus alla de côté et
d'autre dans les champs où des hommes et des femmes travaillaient
à amasser de grands monceaux de blé. Jésus fit une
longue instruction aux paysans assemblés : il se tenait sur un monticule
près de l'arbre d'Abraham et d'un puits creusé par ce patriarche.
Abraham avait eu une contestation pour ce puits avec un homme de Sichem
qui ne voulait pas tolérer sa présence en ce lieu et à
la suite de laquelle il alla ailleurs. Cet homme lui acheta le puits et
Jésus parla aujourd'hui du prix de cette vente à propos de
laquelle il donna des explications. Il raconta aussi une parabole sur les
différentes espèces de terroir et sur la culture qui leur
convient. Ces gens étaient des esclaves et habitaient des cabanes
mobiles pendant le temps des travaux des champs. Ils étaient de
la religion samaritaine.
La ville qui est tout auprès de cette contrée et dont
j'ai oublié le nom ne se composait autrefois que de quelques cabanes
: Abraham lorsqu'il s'éloigna établit ici les familles de
quelques-uns de ses esclaves appartenant à une catégorie
inférieure : elles s'allièrent par la suite aux habitants
du pays. Abraham avait beaucoup d'enfants des deux sexes qu'il avait eux
de plusieurs femmes avant de venir dans la terre de Chanaan Il reçut
de Dieu l'ordre de laisser les femmes et de prendre avec lui les enfants
: car se rattachant par lui à une meilleure souche, ils étaient
destinés à améliorer diverses races étrangères,
quoiqu'ils ne dussent pas contribuer à la formation du peuple de
Dieu lequel devait sortir de Sara et seulement après qu'Abraham
aurait reçu la bénédiction. Sara était réellement
soeur d'Abraham, étant fille de Tharé, mais d'une autre mère.
Sa mère tirait son origine des enfants de Joctan, fils d'Héber,
et Abraham descendait de Phaleg, un autre fils de celui-ci. Ainsi les deux
races s'unissaient de nouveau dans Abraham et Sara.
La plupart des membres de la nombreuse famille d'Abraham étaient
ses enfants : il y avait eu en Chaldée des mariages entre frères
et soeurs. Il les dota tous et prit soin d'eux. Ils étaient encore
avec lui en Egypte. Lorsqu'il habita près d'Hébron, il les
établit dans un bon pays, voisin de Zoar, sur les bords de la mer
Morte. Ce fut là que Loth pécha avec ses filles. Il s'y trouvait
plusieurs tribus inférieures et ignorantes : c'étaient comme
des esclaves dont les descendants d'Abraham devinrent plus tard les chefs
et les rois et avec lesquels leur postérité s'allia pour
relever la race. Dans tout ce qui se faisait à cette époque,
même en matière de religion, la principale préoccupation
était d'associer et de diriger les races humaines de façon
à ce qu'elles ne tombassent pas plus bas et qu'elles s'améliorassent
selon la chair et selon l'esprit.
La ville de Thanath-Silo, près de laquelle se trouvent l'hôtellerie
de Jésus et le puits d'Abraham, se rendit Coupable de trahison dans
la guerre des Machabées :
elle prit parti pour Antiochus et Judas s'en empara et le châtia
sévèrement. La mère des sept Machabées habita
aussi cet endroit : elle alla ensuite à Jérusalem Le martyre
de ses fils eut lieu à Jérusalem près de la montagne
du temple. J'ai vu beaucoup de choses à ces sujet, mais je les ai
oubliées.
Ce soir, commençait la nouvelle lune du premier de Marcheswan
et les habitants de Thanath-Silo vinrent prendre Jésus à
son logis et le conduisirent dans la ville. Il enseigna à la synagogue,
mangea avec les docteurs, et revint passer la nuit à l'hôtellerie
devant la ville. C'était la fête de la nouvelle lune, des
guirlandes de fruits étaient suspendues devant la synagogue et les
autres édifices publics.
(12 octobre.) Aujourd'hui Jésus guérit dans la ville
un très grand nombre de malades de toute espèce qui s'y étaient
rassemblés : il y en avait notamment beaucoup qui avaient un côté
paralysé ou les bras perclus : il s'y trouvait aussi des possédés
et des femmes affligées de pertes de sang. Il bénit plusieurs
enfants malades et d'autres qui ne l'étaient pas. Ceux qui avaient
les mains ou le côté paralysés avaient gagné,
la plupart du temps, leur maladie dans les travaux des champs et en se
couchant sur la terre humide après de fortes sueurs occasionnées
par le travail : j'ai vu pareille chose dans les champs voisins de Gennabris
en Galilée. Jésus se rendit ensuite dans la plaine où
l'on faisait la moisson et là aussi il opéra beaucoup de
guérisons. Vers midi les gens de la ville apportèrent des
aliments dans des corbeilles et il y eut un grand repas sous une cabane
de feuillage qui était encore debout. Jésus fit alors une
grande instruction, dirigée spécialement contre les sollicitudes
superflues et exagérées touchant la subsistance. Il cita
l'exemple des ils qui ne filent point et qui pourtant sont plus magnifiquement
vêtus que Salomon dans toute sa gloire : il dit encore beaucoup de
belles choses à propos des animaux d'espèces différentes
et des divers objets qui se rencontraient dans le pays. Il enseigna aussi
qu'on ne devait pas profaner le sabbat et les jours de fête par un
travail fait en vue du gain. Il leur était permis, disait-il, de
travailler par charité, de sauver des hommes ou des animaux, mais
ils devaient laisser la moisson et les récoltes à la garde
de Dieu et ne pas travailler le jour du sabbat chaque fois qu'il y avait
une menace de mauvais temps. Il fit sur tout cela une instruction très
belle et très détaillée ; c'était tout à
fait dans le genre du sermon sur la montagne, car il y répéta
souvent : " Bienheureux ceux-ci, bienheureux ceux-là ".
Les gens de l'endroit en avaient grand besoin, car ils étaient
extraordinairement intéressés et avides, soit comme agriculteurs,
soit comme commerçants, et ils accablaient leurs serviteurs de travail.
Etant, en outre, chargés de recueillir la dîme dans toute
la contrée, ils retenaient souvent fort longtemps ce qu'ils avaient
reçu et en tiraient des profits usuraires. Ils trafiquaient des
produits de leurs champs. Je vis aussi de vieilles gens aller de côté
et d'autre avec des ouvrages en bois, dont le voisinage de la forêt
leur facilitait la confection Je les vis spécialement faire en grande
quantité des talons de bois qu'on mettait sous les sandales. Il
n'y avait pas de Pharisiens ici. Les gens étaient quelque peu grossiers
et intéressés : ils étaient aussi très fiers
de leur descendance d'Abraham. Mais les fils qu'Abraham avait installés
ici n'avaient pas tardé à dégénérer
: ils s'étaient alliés avec les Sichémites, et lorsque
Jacob vint dans le pays, ils avaient déjà perdu l'usage de
la circoncision Jacob avait l'intention de rester à demeure dans
ces plaines, mais il en fut empêché par l'enlèvement
de Dina. Il connaissait les enfants d'Abraham qui habitaient ici, et il
leur envoya des présents. Dina était allée se promener
près du puits voisin de Salem : elle avait ensuite été
invitée à venir dans les environs par les gens auxquels son
père avait fait des présents. Elle avait des servantes avec
elle, et la curiosité la poussa à se promener seule dans
le pays : ce fut là que le Sichémite la vit et la séduisit
dans le champ ou dans la forêt. Ces sortes d'attentats étaient
alors envisagés d'un autre oeil qu'aujourd'hui : les gens de cette
époque étaient plus sensuels : ils ne faisaient pas au. tant
de résistance, ils étaient aisément entraînes,
et n'étaient retenus que par les lois sacrées de la famille
et le mystère des races. Du reste, ils ressemblaient aux troupeaux
au milieu desquels ils vivaient. Dina, l'innocente, s'éloigna du
troupeau et ce fut sa perte.
(22 octobre.) Dans la matinée, Jésus avait encore enseigne
et guéri a Thanath-Silo. Il ne faut pas s'étonner de la quantité
des malades, car à peine sait-on qu'il est quelque part, qu'on les
y amène de tous les villages et de toutes les cabanes de la contrée.
Cet endroit était habité par des Samaritains et par des Juifs
qui vivaient à part les uns des autres ; cependant les Juifs étaient
en plus grand nombre. Jésus enseigna aussi les Samaritains, mais
il se tint sur le territoire appartenant aux Juifs, pendant que les Samaritains
se tenaient à l'extrême limite de leur quartier, à
un endroit où aboutissait une rue. Il guérit aussi des Samaritains.
Les Juifs ici avaient moins de haine contre eux, parce qu'en général
ceux de cet endroit prennent les choses assez légèrement,
notamment en ce qui touche l'observation du sabbat.
Jésus guérit ici de plusieurs manières différentes.
Il guérit quelques malades à distance par un regard ou par
une parole : il en toucha quelques-uns : à d'autres il mit les mains
sur la tête : il y en eut sur lesquels il souffla, ou qu'il bénit,
ou dont il frotta les yeux avec de la salive. Plusieurs le touchèrent
et furent guéris : il rendit la santé à d'autres qui
étaient éloignes, sans même se tourner vers eux. Il
me semble que dans les derniers temps de sa vie publique. Il guérit
en général plus vite qu'au commencement. J'étais portée
à croire que les guérisons s'opéraient suivant des
modes si différents, pour montrer que son action n'était
pas liée à telle ou telle manière de procéder,
et que son pouvoir était le même, de quelque façon
qu'il s'y prît ; mais Jésus dit lui-même dans un passage
de l'Evangile que telle espèce de démons se classe autrement
que telle autre. Certainement il guérissait chaque malade de la
façon qui était appropriée son mal, à son degré
de foi et à sa nature, de même qu'aujourd'hui encore il châtie
différemment ou convertit différemment chaque pécheur.
Il ne renversait pas l'ordre de la nature. seulement il la délivrait
de ses liens. Il ne tranchait pas le noeud, il le dénouait. et il
n'y en avait aucun qu'il ne pût dénouer, car il avait les
clefs de tout, et en tant qu'il était devenu Homme-Dieu, il agissait
selon les formes humaines qu'il sanctifiait. Déjà précédemment
il m'a été enseigné que ces différents procédés
dont il usait étaient symboliques et figuratifs, pour enseigner
à ses disciples les formes qu'ils devaient suivre dans chaque occasion.
A cela se rapportent les diverses formes des bénédictions
de l'Eglise des consécrations et des sacrements.
Il y avait près de Thanath-Silo un grand nombre de jardins plantés
de figuiers. Jésus, en quittant la ville, se dirigea vers le midi
; plusieurs personnes de l'endroit l'accompagnèrent. Il suivit ensuite,
dans la direction du nord-est, une route assez large qui conduit à
Scythopolis. Il laissa alors Doch à sa droite et à sa gauche
Thébez, placée à l'extrémité orientale
de la montagne sur laquelle est située Samarie. Il descendit du
côté de la vallée du Jourdain, dans une autre vallée
où naît un cours d'eau qui se jette dans le fleuve. Il était
venu là à sa rencontre une troupe de gens désireux
de l'entendre, spécialement des ouvriers samaritains. Ils l'attendaient
et il les enseigna. A gauche sur la hauteur, était un petit endroit
consistant en une longue rangée de maisons, et qui s'appelle Aser-Michmethath.
Jésus y entra vers le soir. Abelmehola peut être à
sept lieues d'ici. Cet endroit est sur le chemin que suivaient Marie et
les saintes femmes quand elles voulaient aller en Judée par les
montagnes, sans passer par Samarie : la sainte Vierge y a aussi passé
avec saint Joseph lors de la fuite en Egypte. Ce soir-là, Jésus
alla encore au puits d'Abraham et au jardin de plaisance qui est devant
Aser-Michmethath, et il y guérit plusieurs malades, entre autres
deux Samaritains qu'on y avait amenés d'ici. Il fut très
bien accueilli par ces gens : ils étaient très bons ; chacun
d'eux voulait le recevoir chez soi, mais il entra en avant de la ville
chez une famille patriarcale dont le chef s'appelait Obed, et on l'y reçut
très affectueusement, lui et tous ses disciples. Le chemin de Thanath
Silo ici est beaucoup meilleur et plus large que celui qui mène
à Jéricho par Acrabis : celui-ci est extraordinairement étroit,
pierreux et rocailleux, au point que les bêtes de somme y passent
difficilement avec leur charge.
J'ai vu qu'au temps des Juges, il y avait une prophétesse qui
pratiquait des sortilèges de toute espèce sous l'arbre voisin
du puits d'Abraham et donnait des consultations qui réussissaient
toujours mal. Elle y faisait pendant la nuit toutes sortes de cérémonies
à la lueur des flambeaux et menait ensemble des animaux et des figures
étranges. Mais tous ses artifices frappaient à faux et ses
conseils réussissaient mal : c'est la même que, dans le dernier
voyage à Azo dans le pays de Basan, je vis clouée sur une
planche par les Madianites chez lesquels elle s'était fait passer
pour un homme. Elle habitait dans la forêt et faisait ici ses sortilèges.
Cet arbre est le même sous lequel Jacob enfouit les idoles dérobées
aux Sichémites.
J'ai vu aussi que saint Joseph, la sainte Vierge et l'enfant Jésus
se cachèrent et se reposèrent une nuit et un jour dans le
voisinage de cet arbre, lors de la fuite en Egypte. La persécution
d'Hérode était connue et il était peu sur de voyager.
Je crois aussi que dans le voyage de Bethléem, lorsque Marie souffrit
tant du froid, ce fut près de cet arbre qu'elle se sentit si réchauffée.
Comme cette nuit j'étais allé en vision de chez moi dans
cet endroit de la terre promise, pour voir le jour correspondant de la
vie de Jésus, je passai par Lebona, ville située au midi
du mont Garizim, et j'y vis saint Joseph apprendre son métier de
charpentier lorsqu'il se fut enfui d'auprès de ses frères.
Il pouvait bien avoir vingt ans : je le vis habiter et travailler dans
une vieille muraille qui allait de la ville à un rebord étroit
de montagne : c'était comme une route conduisant à un château
en ruines. Il y avait des logements dans les murs. Je le vis entre de hautes
murailles où étaient pratiquées des ouvertures, travailler
à de longues pièces de bois auxquelles on adaptait les cloisons
de clayonnage. Il était très bon et très pieux. Plus
tard il passa près d'ici avec Marie, et je crois qu'il vint une
fois visiter avec elle son ancienne résidence. Il travailla encore
dans un autre endroit avant son union avec Marie : c'était près
d'un cours d'eau qui se jette dans la mer : il me semble que ce n'était
pas loin d'Apheké, patrie de Thomas.
(24 octobre.) Aser-Michmethath est à cheval sur une arête
de montagne qui court vers la vallée du Jourdain : le versant méridional
appartient à la tribu d'Ephraïm : le versant septentrional
à celle de Manassé. Si je ne me trompe, Michmethath est sur
le côté d'Ephraïm, Aser sur celui de Manassé et
les deux ne forment qu'une seule ville, Aser-Michmethath, au milieu de
laquelle passe la limite des deux territoires. La synagogue est placée
à Aser dont les habitants ont dans leurs coutumes quelque chose
qui les distingue et les met un peu à part. Michmethath, la partie
éphraïmite de la ville, s'élève en amphithéâtre
sur le penchant de la montagne : au-dessous, dans la vallée, est
une petite rivière près de laquelle Jésus enseigna
encore les Samaritains qui étaient venus à sa rencontre.
Un peu plus haut devant la ville est une belle fontaine autour de laquelle
il y a, comme de coutume, un jardin de plaisance avec des bains. La source,
à laquelle on descend par un bel escalier, est contenue dans un
bassin revêtu de maçonnerie au milieu duquel s'élève
un bel arbre sur une terrasse ; à l'aide de ce réservoir
on peut remplir d'eau plusieurs citernes creusées à l'entour
et où l'on se baigne. Jésus guérit ici, hier soir,
deux femmes samaritaines.
Jésus reçut ici des habitants un accueil hospitalier
et il alla loger dans la maison d'un homme respectable et de moeurs patriarcales,
nommé Obed. C'était comme une maison de campagne située
en avant de Michmethath. Obed était comme le principal personnage
de l'endroit. Les habitants de cette partie de la ville étaient
pour la plupart alliés les uns aux autres et plusieurs familles
avaient pour chefs des enfants ou neveux d'Obed. Il était pour eux
tous un ami et comme un supérieur : il s'occupait de leurs affaires,
et les dirigeait dans leurs travaux agricoles et le soin de leurs troupeaux.
Sa femme vivait encore : elle habitait avec la portion féminine
de la famille une partie séparée de la maison. C'était
une petite vieille juive encore très alerte. Elle tenait une espèce
d'école et enseignait toutes sortes de travaux manuels aux jeunes
filles des autres familles. Du reste dans toute cette maison rien ne se
faisait qu'avec sagesse et charité. Obed avait dix-huit enfants
dont quelques-uns n'étaient pas encore mariés. Deux de ses
filles l'étaient à Aser, la partie de la ville qui était
sur le territoire de Manassé, et cela ne lui plaisait pas beaucoup,
comme je l'appris par ses entretiens avec Jésus, parce que les gens
y étaient moins bons et avaient une autre manière de vivre.
Le matin Jésus enseigna près de la fontaine : il y avait
bien quatre cents personnes sur la rampe de gazon qui l'entourait et où
étaient pratiqués des degrés. Il parla en termes très
clairs de l'avènement du Messie et de sa mission, de la pénitence
et du baptême. Il prépara aussi au baptême quelques
personnes parmi lesquelles étaient des enfants d'Obed. Jésus
alla ensuite dans les champs avec Obed visiter diverses habitations : il
enseigna et consola les serviteurs et les vieillards qui étaient
restés pour garder le logis pendant que les autres allaient à
sa prédication.
Obed parla beaucoup avec lui d'Abraham et de Jacob qui avaient résidé
dans cette contrée et des aventures de Dina. Les habitants de Michmethath
se considéraient comme de la race de Juda. Holopherne, l'aventurier
mède, avait entièrement dévasté cet endroit,
lors de son invasion : alors leurs ancêtres étaient venus
de la Judée s'y établir, avec la ferme résolution
d'y vivre ensemble pieusement selon les anciennes moeurs, et ils avaient
fait ainsi jusqu'à présent. Obed avait tout à fait
les moeurs des Israélites pieux : il s'attachait spécialement
à suivre l'exemple de Job ; il dotait richement ses fils et ses
filles et chaque fois qu'il mariait un de ses enfants, il faisait des aumônes
abondantes aux pauvres et au temple.
Jésus bénit beaucoup d'enfants que leurs mères
lui avaient amenés. Il y eut dans l'après-midi un grand repas
autour de la maison d'Obed et dans la cour, sous des cabanes de feuillage.
Presque tous les habitants de Michmethath y prirent part et spécialement
tous les pauvres du pays. Jésus fit le tour des tables, bénit,
enseigna et distribua des aliments avec beaucoup d'affabilité. Il
raconta des paraboles. Les femmes étaient assises à part
sous le feuillage. Jésus alla ensuite voir quelques malades dans
les maisons et les guérit. Il bénit encore beaucoup d'enfants
que leurs mères lui présentèrent successivement. Il
y avait là une très grande quantité d'enfants, surtout
près de la femme d'Obed qui les instruisait. Obed avait un petit
garçon d'environ sept ans avec lequel Jésus s'entretint beaucoup
et qu'il bénit : il vivait aux champs près d'un frère
plus âgé. Il était très pieux et s'agenouillait
souvent la nuit dans les champs pour prier. Le frère aîné
ne voyait pas cela avec plaisir, ce qui faisait de la peine à Obed.
Jésus donna des avis à ce sujet. Je me souviens confusément
que cet enfant est venu se joindre aux disciples avant la mort de Jésus.
D'Aser-Michmethath on voit à l'orient les montagnes qui sont au
delà du Jourdain, à une lieue au nord de Sukkoth et de l'embouchure
du Jabok. Dans la guerre des Machabées, Michmethath rendit de grands
services aux Juifs et fut très fidèle à leur cause.
Judas Machabée y séjourna à diverses reprises. Obed
prenait Job pour modèle en toutes choses : il menait avec les siens
une vie presque semblable suivant la justice et les vieilles moeurs patriarcales.
Les habitants de l'autre partie de la ville étaient de la tribu
d'Aser.
(25 octobre.) Jésus alla aujourd'hui avec les disciples dans
la partie septentrionale de la ville, laquelle a le nom d'Aser, et se trouve
située sur le territoire de Manassé, au versant opposé
de La montagne. Il y avait là, près de la synagogue, beaucoup
de Pharisiens assez mal disposés à l'égard de Jésus,
et d'autres hommes pleins d'orgueil. Ils s'associaient à des gens
qui avaient à lever des impôts et des redevances pour les
Romains, et se livraient ainsi à l'usure. Jésus y enseigna
dans la matinée et guérit plusieurs malades. Les Pharisiens
et ces autres orgueilleux montrèrent de la froideur et du mécontentement,
parce que Jésus s'était d'abord arrêté chez
les gens simples et rustiques de Michmethath. Ils n'aimaient pas Jésus,
et pourtant ils auraient voulu, par amour-propre, qu'en qualité
de savant, il vint chez eux avant d'aller chez leurs voisins dont ils dédaignaient
la simplicité.
Note : C'est peut-être de là qu'est venue la tradition
que Job avait en ce lieu un bien de campagne mentionné dans l'Itinerarium
Hierosolytanum.
Vers midi, Jésus, accompagné de ces gens, revint à
la fontaine qui est en avant de Michmethath, et y prépara au baptême.
Plusieurs confessèrent leurs péchés en général,
d'autres allèrent trouver Jésus en particulier, lui confessèrent
leurs péchés en détail et le prièrent de les
leur remettre en leur imposant une pénitence C'étaient Saturnin
et, si je ne me trompe, José Barsabas, qui baptisaient : d'autres
disciples imposaient les mains. Cela se faisait dans une grande citerne
destinée a prendre des bains. Après le baptême, Jésus
prit un peu de nourriture, et ils allèrent ensuite à Aser
pour le sabbat. Jésus enseigna sur des textes de la Genèse
(XVIII, 23, etc.) : il parla de la destruction de Sodome et de Gomorrhe,
et exhorta à la pénitence en termes très sévères
: il parla aussi des miracles d'Elisée. Les Pharisiens furent très
peu satisfaits, car ensuite, pendant le repas, il leur reprocha de mépriser
les Publicains, tandis qu'eux-mêmes pratiquaient l'usure, seulement
plus secrètement et avec plus d'hypocrisie. Il passa la nuit chez
Obed.
(26 octobre.) Le matin, Jésus enseigna dans la synagogue d'Aser
sur Abraham et sur Elisée : il guérit ensuite plusieurs malades,
parmi lesquels des démoniaques et des hypocondriaques. Dans l'après-midi
il y eut un grand repas dans l'hôtellerie. C'étaient les Pharisiens
qui avaient fait l'invitation, mais Jésus y convoqua beaucoup de
pauvres ainsi que les gens de Michmethath, et il fit tout payer par ses
disciples. Pendant le repas, il eut à subir de violentes contradictions
de la part des Pharisiens, et à cette occasion il raconta la parabole
du débiteur injuste qui voulait qu'on lui remît sa dette,
tout en restant sans miséricorde à l'égard de ses
débiteurs, etc. Il leur en fit l'application parce qu'ils pressuraient
les pauvres pour leur extorquer les redevances, puis faisaient des mensonges
aux Romains et s'appropriaient l'argent : en outre, ils élevaient
arbitrairement le taux des redevances et n'en rendaient que le tiers aux
Romains. Ils voulurent se justifier, mais il leur dit : " Rendez à
César ce qui est à César, et à Dieu ce qui
est à Dieu. Ils finirent par se mettre très en colère,
et par dire que cela ne le regardait pas.
(27 octobre.) Hier au soir commençait un jour de jeûne
en mémoire de ce que Nabuchodonosor fit crever les yeux à
Sédécias. Aujourd'hui Jésus resta encore à
Michmethath chez Obed, les autres allèrent se promener un peu comme
c'était la coutume les jours de jeûne. Jésus enseigna
dans la campagne chez des bergers et en outre près du puits d'Abraham.
Il parla du royaume de Dieu, dit qu'il s'éloignerait des Juifs pour
aller aux païens et que les païens auraient la préférence.
Obed lui dit à ce propos que s'il parlait ainsi aux païens,
cela pourrait les rendre orgueilleux. Jésus lui expliqua amicalement
pourquoi il leur donnait de tels enseignements et que c'était précisément
à cause de leur humilité qu'ils seraient préférés.
Il avertit aussi Obed et tous les siens de se tenir en garde contre une
certaine tendance qu'ils avaient à se croire justes et à
être contents d'eux-mêmes. Ils se séparaient des autres
à quelques égards : ils se sentaient heureux et satisfaits
de leur vie simple et modeste, de la régularité qui y présidait,
du bien qui en résultait : cela pouvait aisément, conduire
à l'orgueil. Jésus à cette occasion raconta la parabole
des talents. Il enseigna aussi les femmes dans un jardin de plaisance séparé
où elles avaient leurs bains, et où il y avait de beaux massifs
de verdure. Jésus les enseigna en leur racontant la parabole des
vierges sages et des vierges folles. Il était debout au milieu d'elles
: elles étaient assises en cercle sur une terrasse, les unes au-dessus
des autres : la plupart avaient un genou en terre et l'autre relevé,
s'appuyant dessus avec les mains. Dans de semblables occasions, toutes
les femmes avaient de longs voiles qui les enveloppaient ; ceux des riches
étaient d'étoffe plus fine et plus transparente : ceux des
pauvres d'étoffe commune et grossière. Au commencement elles
étaient entièrement voilées : pendant l'instruction
elles se découvrirent à leur commodité.
Jésus fit baptiser ici une trentaine d'hommes. C'étaient
pour la plupart des gens de service venus de loin qui ne s'étaient
rendus ici qu'après l'emprisonnement de Jean. Jésus était
allé avec les gens du pays dans les vignes qui mûrissaient
ici pour la seconde fois.
(28-31 octobre.) Le matin, Jésus quitta Michmethath avec cinq
disciples : deux disciples de Jean sont partis d'ici pour Machérunte.
Il redescendit du côté par où il était venu.
La petite rivière qui coule dans la vallée au midi d'Aser-Michmethath
a sa principale source dans la fontaine où Jésus avait fait
baptiser. Il alla à l'ouest et fit environ trois lieues dans la
vallée, longeant la base méridionale des montagnes sur lesquelles
sont situées Thébez et Samarie. Il enseigna quelques bergers
sur la route et arriva vers midi sur le bien qui composait la principale
part de Joseph dans la succession de Jacob (Genèse, XLVIII, 32).
Il est situé dans la vallée au midi de Samarie et s'étend
de l'est à l'ouest sur une largeur d'une demi lieue et sur une longueur
d'une lieue. Un ruisseau coule dans la vallée vers le couchant.
Des vignes qui sont sur la partie la plus élevée on voit
Sichem au midi, à environ deux lieues. Il y a de tout : des vignes,
des pâturages, du blé, du fruit et de l'eau : il s'y trouve
des bâtiments en bon état qui sont occupés par un métayer.
Je crois que ce bien appartient maintenant à Hérode. C'est
la maison où, il y a peu de temps, pendant que Jésus était
à Sichem, la sainte Vierge l'attendit avec les autres femmes et
où il guérit le petit garçon. (Voir le tome II, page
196.) Les gens qui habitent ici sont bons. Il fit une instruction à
une grande réunion de peuple et prit part à un repas champêtre.
Cet héritage particulier de Joseph n'était pas le champ voisin
de Sichem que Jacob acheta d'Hémor : c'était un beau territoire
à part, où habitaient des Amorrhéens qui étaient
venus en troupe s'établir là au milieu d'une autre population.
Je crois qu'il était compris dans la vente faite à Jacob,
mais il fallait le délivrer de ceux qui l'occupaient, car il ne
voulait pas les avoir pour voisins, de peur que son peuple ne se mêlât
avec eux. Il y eut à ce sujet une espèce de duel ou de combat,
non pas à mort, mais pacifique. La terre devait appartenir à
celui qui enlèverait ou briserait l'épée ou le bouclier
de son adversaire : le vaincu devait se retirer. Il y avait en outre une
autre épreuve où il s'agissait de toucher un but avec une
flèche. Jacob et le chef des Amorrhéens se mesurèrent
en présence d'une troupe de leurs gens. Jacob l'emporta sur son
adversaire et celui-ci fut obligé de se retirer. Après le
combat ils firent un traité d'alliance. Cela se passa peu de temps
après l'achat du terrain. Jacob demeura environ onze ans près
de Sichem.
Jésus en partant d'ici remonta la montagne dans la direction
du nord-est ; il alla à deux lieues à l'est de Samarie, à
Méroz, ville située au versant méridional d'une montagne
sur le côté septentrional de laquelle se trouve Atharoth.
Méroz est située un peu plus haut que Samarie, plus haut
aussi que Thébez qui est au midi, et qu'Aser-Michmethath qui est
au levant.
Jésus n'était pas encore venu à Méroz.
La ville était entourée d'un fossé desséché
dans lequel parfois s'amassait un peu d'eau de pluie. Cet endroit avait
un mauvais renom dans Israël à cause de la mauvaise foi des
habitants. J'ai entendu diverses choses concernant ce lieu, le champ de
Jacob, la prophétie de ce patriarche au moment de sa mort, et aussi
touchant l'histoire de Débora. Mais je n'en ai pas retenu grand
chose et je suis trop malade pour recueillir mes souvenirs C'est à
Méroz que s'établirent les descendants d'Aser où de
Gad, l'un et l'autre fils de Zelpha, servante de Lia. Ces fils, outre leurs
enfants légitimes, en avaient eu d'autres dont les mères
étaient des servantes et même des femmes païennes de
Sichem. C'est de ceux-ci que Méroz fut peuplée : on ne voulut
pas les admettre dans les tribus et par la suite ils se montrèrent
lâches et peu fidèles dans la guerre des Israélites
contre Sisara. Ils avaient reçu de l'argent des ennemis et n'avaient
pas pris part à la lutte. Ils furent poussés à agir
ainsi par des faux prophètes qui se trouvaient parmi eux. Ils eurent
aussi des rapports avec la prophétesse Abinuem, qui fut clouée
sur une planche à Azo par les Madianites. Dans d'autres occasions
encore, ils s'étaient rendus coupables de trahison et ils étaient
tombés par là dans le mépris. Méroz était
un endroit séparé des autres et où l'on vivait dans
l'isolement : de là venait que les habitants étaient restés
étrangers à beaucoup de bonnes choses et aussi à beaucoup
de mauvaises. Ils étaient arriérés, oubliés
et dans une sorte de décadence. J'ai vu à cette occasion
quelque chose touchant la victoire remportée sur Sisara et j'ai
entendu le cantique de Débora. Il fut composé pour elle,
au moins en partie, par un homme, par Barach, à ce que je crois,
et il fut chanté par elle devant le peuple assemblé. On prononça
alors une malédiction contre Méroz. (Judic,V , 23.) C'était
une chose dont il ne fallait pas parler aux habitants. (La Soeur croit
que dans le cantique de Débora il y avait des allusions au Messie
et aussi que Méroz ne devait être délivrée de
son opprobre qu'à la venue de Jésus.) Les habitants de Méroz
s'occupaient principalement de la préparation des peaux de bêtes.
Ils fabriquaient du cuir, et apprêtaient des fourrures qu'ils cousaient
ensemble pour en faire des vêtements : ils faisaient avec leur cuir
des sandales, des courroies, des ceintures, des boucliers, des pourpoints
de soldats. Ils allaient sur des ânes chercher les peaux, quelquefois
fort loin, et ils les apprêtaient en partie dans une citerne où
arrivait l'eau de la fontaine de la ville. Mais comme celle-ci venait elle-même
d'ailleurs par un aqueduc et qu'ils n'en avaient pas toujours en abondance
; ils tannaient les peaux à Iscariot ; ainsi s'appelait un endroit
où il y avait des marécages, situé à deux lieues
à l'est de Méroz et peu éloigné de Michmethath
dans la direction du nord. C'était un coin de terre triste et désert
ou se trouvaient quelques habitations : il y avait une gorge arrosée
par une source et se dirigeant vers la vallée du Jourdain : c'était
là qu'ils préparaient leurs cuirs. Judas ou ses parents avaient
demeuré assez longtemps dans cet endroit et il en portait le nom.
Jésus fut accueilli avec beaucoup de joie par les pauvres habitants
de Méroz qui savaient qu'il allait venir. Ils vinrent a sa rencontre
devant la ville, lui apportèrent des habits et des sandales et voulurent
nettoyer et battre ses vêtements. Jésus les remercia et alla
avec ses disciples dans une hôtellerie de la ville où on lui
lava les pieds et où on lui donna à manger. Les Pharisiens
vinrent le trouver et le soir il fit dans la synagogue devant une nombreuse
assistance une grande instruction sur le serviteur paresseux et sur le
talent enfoui. Il compara les habitants de la ville à ce serviteur.
N'ayant reçu qu'un talent, en qualité de fils des servantes,
ils auraient dû le faire fructifier, mais ils l'avaient enfoui, or,
le maître allait venir, et ils devaient se hâter de lui faire
produire quelque chose. Il leur reprocha aussi leur peu de charité
envers leurs voisins et leur haine pour les Samaritains.
Les Pharisiens ne furent pas contents de lui, mais le peuple en fut
d'autant plus satisfait : car il était fort opprimé par les
Pharisiens, et cet endroit était tellement oublié que personne
autre ne venait à leur aide .
Après l'instruction Jésus alla devant la porte orientale
de la ville dans une hôtellerie que Lazare avait fait installer pour
lui et ses disciples, près d'une propriété rurale
qu'il possédait dans ce pays. Barthélémy, Simon le
Zélateur, Jude Thaddée et Philippe vinrent l'y trouver :
ils avaient déjà auparavant parlé aux disciples, et
il les reçut amicalement. Ils prirent part au repas et passèrent
la nuit ici. Jésus avait déjà vu plusieurs fois Barthélemy
et l'avait appelé intérieurement : il avait aussi parlé
de lui aux disciples Simon et Thaddée étaient ses cousins
: Philippe était aussi allié à sa famille, et faisait
déjà partie de ses disciples, de même que Thaddée.
Il avait déjà désigné tous ceux-là pour
le suivre pendant son dernier séjour à Capharnaum, lorsque,
près de la pêcherie de Pierre, il annonça qu'il faudrait
bientôt marcher à sa suite, et que Pierre demanda si instamment
d'être laissé dans sa maison comme incapable.(Voir tome II,
p. 284.) Ce fut alors que furent dites des paroles de Pierre que l'Évangile
place beaucoup plus tard.
Judas Iscariote aussi était venu à Méroz avec
eux : toutefois ce soir il n'était pas encore près de Jésus,
mais dans une maison de la ville où il logeait souvent. Barthélémy
et Simon parlèrent à Jésus de Judas avec lequel ils
avaient fait connaissance, comme d'un homme entendu, intelligent et serviable,
qui désirait beaucoup être admis parmi ses disciples. Jésus,
en les entendant ainsi parler, soupira et parut contristé. Comme
ils l'interrogeaient à ce sujet, il dit : " il n'est pas encore
temps de parler de cela, mais il faut y réfléchir ". Il enseigna
encore les assistants pendant le repas, et ils passèrent la nuit
ici. Les disciples nouvellement arrivés venaient de Capharnaum,
où ils s'étaient réunis chez Pierre et chez André.
On leur avait donné là des commissions, et ils apportaient
à Jésus quelque argent recueilli par les saintes femmes pour
les frais du voyage et pour les aumônes. Judas les avait rencontrés
à Naïm et les avait accompagnés jusqu'ici. Il avait
fait alors connaissance avec presque tous les disciples. Il était
allé récemment dans l'île de Chypre : il y avait fait
des récits multipliés sur Jésus, sur ses miracles
et sur tous les jugements qu'on en portait, les uns l'appelant le fils
de David, les autres le Messie, et la plupart le tenant pour le plus grand
des prophètes, ce qui avait rendu les païens et les Juifs de
ce pays encore plus désireux de voir Jésus, dont on leur
avait déjà raconté beaucoup de choses merveilleuses
à la suite de son séjour à Sidon et à Tyr.
Le païen de l'île de Chypre, qui était venu dernièrement
trouver Jésus à Ophra, avait été envoyé
par son maître, par suite de ces discours de Judas, et Judas était
revenu avec lui. Pendant ce voyage, j'ai vu Judas dans une grande ville
au-dessous de Sidon, dont le nom signifie comme ville des oiseaux (Ornithopolis).
Je crois que les parents d'un disciple originaire de la Grèce y
demeuraient alors ou y vinrent plus tard : j'ai une idée confuse
que c'étaient les parents de Saturnin. A l'occasion de ce voyage,
Judas alla encore dans une autre ville de la tribu de Manassé où
Jésus a été. J'en ai oublié le nom, et je ne
sais plus bien pourquoi je vis son séjour dans cette ville. Lorsque
Judas apprit que Jésus devait venir dans la contrée de Méroz
où il était, très connu, il se rendit à Dabbeseth
près de Barthélémy qu'il connaissait déjà,
et l'engagea à aller avec lui a Méroz et à le présenter
à Jésus. Barthélémy y consentit, mais il alla
d'abord à Capharnaum avec Jude Thaddée pour voir les disciples
qui s'y trouvaient. Barthélémy, Thaddée et Philippe
se rendirent alors à Tibériade, où ils prirent avec
eux Simon le Zélateur, puis à Naïm, où ils retrouvèrent
Judas qui était venu au-devant d'eux. Il les pria de nouveau de
le proposer à Jésus comme disciple. Il leur avait plu par
son esprit avisé, son obligeance et son habit agréable.
Judas Iscariote pouvait alors avoir vingt-cinq ans. Il était
de taille moyenne, et son extérieur n'était pas déplaisant.
Il avait des cheveux très noirs et une barbe roussâtre. Il
était très soigné dans ses vêtements, et plus
recherché sous ce rapport que le commun des Juifs il était
grand parleur, officieux, et se donnait volontiers de l'importance. Il
aimait à parler sur le ton de la familiarité de gens distingués
par leur rang ou leur sainteté, et il prenait de grands airs là
où on ne le connaissait pas. Mais lorsque quelque personne mieux
informée lui donnait un démenti, il se retirait tout confus.
Il était ambitieux et intéressé.
Il avait toujours visé au succès, il aspirait à
la réputation, aux emplois, aux distinctions, à la richesse,
sans s'en rendre encore bien compte. Ce qu'il vit de Jésus l'attira
fort : les disciples ne manquaient de rien ; l'opulent Lazare prenait parti
pour Jésus ; on croyait u il fonderait un royaume : on tenait toute
sorte de propos où il était question d'un roi des Juifs,
du Messie, du Prophète de Nazareth. Les miracles et la sagesse de
Jésus étaient dans toutes les bouches : Judas fut pris d'un
grand désir d'être appelé son disciple et d'avoir part
un jour à sa gloire, qu'il croyait devoir être une gloire
selon le monde. Depuis longtemps déjà il avait recueilli
partout des renseignements sur Jésus, et il colportait les nouvelles
qui le concernaient : il avait fait connaissance avec plusieurs de ses
disciples, et enfin il s'était rapproché de lui. Il désirait
particulièrement faire partie de son entourage, parce qu'il n'avait
aucune occupation déterminée et qu'il était un demi
savant. Il s'était aussi livré aux spéculations et
au trafic, et son avoir, qu'il avait reçu de son père naturel,
touchait à sa fin. Dans les derniers temps, il avait fait toute
espèce de commissions d'affaires et de courtages pour bien des gens
qui se servaient de lui, et il déployait dans ces occasions beaucoup
d'activité et de savoir-faire. Son père était mort,
et le frère de celui-ci, nommé Siméon, vivait de la
culture de ses champs à Iscariot, un petit endroit d'environ vingt
maisons, dépendant de la ville de Méroz, et situé
à peu de distance à l'est de cette ville. Ses parents y avaient
séjourné un certain temps, et il avait résidé
le plus souvent après leur mort, ce qui lui avait fait donner le
nom d'Iscariote. Ses parents menaient une vie errante, car sa mère
était danseuse et chanteuse. Elle tirait son origine de la famille
de Jephté, de celle de sa femme, à ce que je crois, et du
pays de Tob (où Jephté s'était réfugié,
parce que c'était vraisemblablement le pays de sa femme) : c'était
la contrée où Saul avait battu les Amalécites. Sa
mère s'occupait aussi de poésie ; elle composait des chansons
et des paraboles, et les chantait en s'accompagnant de la harpe. Elle apprenait
aussi à danser à l'autres jeunes femmes, et colportait d'un
endroit à l'autre des modes et des parures de femmes. Son mari n'était
pas auprès d'elle lorsqu'elle conçut ce malheureux fils dans
les environs de Damas, à la suite d'une liaison avec un militaire
d'un grade élevé, si je ne me trompe. Je crois que son époux
légitime, un Juif de race, était alors à Pella. Lorsque,
dans le cours de sa vie errante, elle eut mis Judas au monde à Ascalon,
elle s'en débarrassa en l'exposant. C'était une histoire
comme celle de Moïse : Judas aussi, peu de temps après sa naissance,
fut exposé au bord d'un cours d'eau, et on le fit recueillir par
des gens riches et sans enfants, chez lesquels il reçut une éducation
distinguée ; mais plus tard il devint un mauvais sujet, et par suite
d'une supercherie il revint chez sa vraie mère où il fut
comme en pension. J'ai aussi une idée vague que le mari de sa mère,
un Juif qui habitait à Pella, le maudit lorsqu'il eut connaissance
de son origine. Judas possédait un peu de bien qu'il tenait de son
père naturel ; il était très avisé et savait
toute sorte de choses. Après la mort de ses parents, il résida
la plupart du temps à Iscariot, chez son oncle Siméon, qui
était tanneur, et qui se servit de lui pour son trafic. Du reste,
jusqu'à présent, il n'était pas encore tout à
fait perverti, mais il était bavard, ambitieux, cupide et inconsistant.
Il n'était pas non plus libertin ni irréligieux. mais il
se conformait exactement à toutes les observances des Juifs. Il
se présente à moi en ce moment comme un homme qui peut aussi
facilement se tourner vers le bien que vers le mal. Avec toute sa dextérité,
son affabilité et son obligeance, il avait dans je visage une expression
triste et sinistre qui avait pour cause son avarice, sa cupidité
et l'envie secrète que lui inspiraient même les vertus d'autrui.
Le 21 février 1821, Anne Catherine avait raconté ce qui
suit sur Judas qui lui faisait grande pitié : Judas est un petit
homme nerveux. ramassé, d'ailleurs officieux, adroit et parlant
volontiers. Il n'était pas précisément laid, il y
avait dans sa physionomie quelque chose d'avenant, de flatteur, et pourtant
de repoussant et de bas. Ses parents ne valaient rien : sa mère
l'avait conçu dans l'adultère ; le mari de celle-ci avait
dans son nom quelque chose comme Béel ; c'était une signification
qui se rapportait au diable. Le vrai père de Judas avait encore
du bon, et il en était venu quelque chose à Judas. Lorsque,
plus tard, il revint près de sa mère qui l'avait éloigné
de son mari, il y eut à cette occasion une querelle violente entre
les deux époux, et elle lui donna sa malédiction. Elle gagnait
sa vie à l'aide de tromperies de toute espèce : son mari
et elle étaient faiseurs de tours. Ils exerçaient toute sorte
de métiers et ils étaient tantôt à leur aise,
tantôt dans l'indigence.
Au commencement, les disciples le goûtaient assez parce qu'il
était toujours prêt à rendre service : il nettoyait
même les chaussures. Il était d'une agilité extraordinaire
et faisait, dans les premiers temps, de grandes courses pour la communauté.
Je ne l'ai jamais vu faire de miracles. Il était toujours jaloux
et envieux, et, vers la fin de la vie de Jésus, il était
las de la vie errante qu'il menait, de l'obéissance qui lui était
imposée, et de ce qu'il y avait dans cette existence de mystérieux
et d'incompréhensible pour lui.
(29 octobre.) Au milieu de la ville de Méroz, il y a un puits
très bien disposé. Il reçoit l'eau par un conduit
de la montagne voisine, située au nord de la ville. Il y a tout
autour cinq enceintes avec des réservoirs dans lesquels on fait
couler l'eau du puits au moyen de pompes. Dans la partie la plus éloignée
du centre, on trouve aussi quelques petits édifices dans lesquels
on peut prendre des bains. Tout cet espace peut être fermé.
Aujourd'hui, dans ces passages autour du puits, on avait apporté
sur leurs lits un grand nombre de malades de la ville, regardés
comme incurables, et on avait placé les plus malades dans les maisonnettes
qui sont à l'extrémité du pourtour. Il y a dans cette
ville un nombre extraordinaire de gens atteints de graves maladies, car
elle est déchue, méprisée et laissée à
l'abandon. Il s'y trouve de vieilles gens hydropiques ou paralytiques depuis
longues années et d'autres infirmes de toute espèce. Jésus
se rendit là avec ses disciples, à l'exception de Judas qui
ne lui avait pas encore été présenté. Les Pharisiens
du lieu et quelques étrangers venus d'ailleurs, étaient présents
: ils se tenaient près du réservoir du milieu d'où
l'on pouvait tout voir ; ils furent étonnés et en partie
scandalisés des miracles de Jésus, car c'étaient pour
la plupart de vieilles gens très attachés à leurs
idées : ils n'avaient jamais accueilli ce que l'on en disait qu'en
hochant la tête d'un air capable, en ricanant et en levant les épaules,
et ils n'y avaient aucune foi ; mais maintenant ils ne pouvaient s'empêcher
d'être surpris et dépités en voyant les malades incurables
de leur ville contre les maux desquels ils avaient espéré
que Jésus échouerait, remporter leurs lits et revenir chez
eux guéris et chantant des cantiques Quant à Jésus,
il enseignait ces malades, leur donnait des avis et des consolations et
ne faisait aucune attention aux Pharisiens. Toute la ville était
pleine de joie et retentissait du chant des cantiques. Cela dura jusqu'à
midi.
Alors Jésus retourna à son logement près de la
porte orientale. Sur son chemin, il fut poursuivi par les cris de quelques
possédés tout à fait furieux qu'on avait laissé
sortir du lieu où ils étaient renfermés. Jésus
leur ordonna de se taire : ils se turent aussitôt et vinrent, pleins
d'humilité, se jeter à ses pieds : il les guérit et
leur enjoignit de se purifier. Jésus, partant de son logis avec
les disciples, sortit de la ville par un chemin assez montant qui en contournait
la partie septentrionale, et alla jusqu'à une certaine distance
de la maison des lépreux, qui était de ce côté.
Il ordonna alors à ses disciples de s'éloigner, et comme
il y avait là deux chemins, ils prirent celui du nord qui s'élevait
sur la pente de la montagne. Jésus alla à la maison des lépreux,
les fit sortir, les toucha, les guérit et leur enjoignit de se présenter
aux prêtres pour la purification légale. Il prit ensuite,
au nord, un chemin qui rejoignait celui qu'avaient suivi les disciples.
Judas Iscariote était venu se joindre à eux, et Barthélémy
et Simon le Zélateur le présentèrent à Jésus,
en lui disant : " Maître, voici Judas dont nous vous avons parlé
". Jésus le regarda très amicalement, mais avec un air de
tristesse inexprimable, et Judas, s'inclinant, lui dit : " Maître,
je vous prie de me permettre d'avoir part à votre enseignement ".
Jésus lui répondit avec beaucoup de douceur ces paroles prophétiques
: " Tu peux en prendre ta part, si lu ne veux pas la laisser à un
autre ". Ce furent à peu près ses expressions et je sentis
qu'il faisait une allusion à Mathias qui prit la place de Judas
parmi les apôtres, et aussi au marché, par suite duquel il
devait vendre son maître. Les termes dont Jésus se servit
comprenaient plus de choses, mais j'y sentis cela.
Après cela Jésus parla et enseigna, et ils gravirent
tous ensemble la montagne au sommet de laquelle s'était rassemblée
u ne multitude de gens, venus de Méroz, d'Atharoth qui est située
au nord sur le penchant de la montagne et généralement de
toute la contrée : il s'y trouvait beaucoup de Pharisiens de ces
divers endroits. Déjà les jours précédents,
Jésus avait fait annoncer par les disciples qu'il ferait là
une instruction, et les disciples de Galilée y avaient été
convoqués, vraisemblablement par Judas. Jésus fit ici une
instruction sévère sur le royaume de Dieu, sur la pénitence,
sur l'abandon où était ce peuple et sur l'obligation où
ils étaient de s'arracher à leur paresse. Je savais encore
ce matin tout ce qu'il dit, mais maintenant je l'ai oublié. Il n'y
avait pas de chaire en cet endroit, on prêchait sur un monticule
entouré d'un fossé circulaire, avec un revêtement en
maçonnerie sur le bord duquel se tenaient les auditeurs.
La vue est ici très belle et très étendue : on
voit au delà de Samarie, de Méroz, de Thébez et de
Michmethath : mais on ne domine pas le mont Garizim : on a en face de soi
les vieilles tours du temple qui le surmonte. Au sud-est, la vue s'étend
jusqu'à la mer Morte ; à l'est, au delà du Jourdain
sur Galaad ; cependant en regardant de côté vers le nord on
aperçoit le Thabor et on a une échappée de vue dans
la direction de Capharnaum. Lorsque le soir vint, Jésus dit qu'il
enseignerait encore le lendemain dans ce même endroit. Beaucoup de
gens passèrent ici la nuit sous des tentes parce qu'ils étaient
trop éloignés de leurs demeures. Jésus s'en retourna
avec les disciples à l'hôtellerie qui est devant Méroz,
et tout en marchant il donna beaucoup d'enseignements sur le bon emploi
du temps, sur la longue attente du salut, sur sa proximité, sur
le renoncement à tout, sur les conditions exigées pour le
suivre, sur la charité envers les nécessiteux, etc. Dans
l'hôtellerie, Jésus prit un repas avec les disciples. Sur
la montagne il a fait distribuer aux pauvres l'argent que les disciples
avaient apporté de Capharnaum, et Je remarquai à cette occasion
que Judas regardait cet argent avec une attention où se trahissait
la cupidité. Jésus enseigna dans l'hôtellerie pendant
le repas et encore assez avant dans la nuit. Je ne l'ai pas vu aller se
coucher. Ce fut aujourd'hui la première fois que Judas fut à
table avec Jésus et passa la nuit sous le même toit.
(30 octobre.) Le matin, Jésus se rendit de nouveau au haut de
la montagne et il y fit pendant toute l'après-midi une grande instruction
à peu près dans le genre du sermon sur la montagne. Il y
avait là une grande foule de peuple. On distribua des aliments,
du pain, du miel et des poissons tirés d'étangs alimentés
par les petits cours d'eau des environs. Jésus avait chargé
ses disciples de préparer des provisions pour les pauvres vers la
fin il parla de nouveau de l'unique talent que les gens de ce pays avaient
reçu comme fils des servantes et qu'ils avaient enfoui, et il fit
de vifs reproches aux Pharisiens qui ne faisaient qu'opprimer le pauvre
peuple et le laissaient engagé dans l'ignorance et le péché
. Il se trouvait ici des Samaritains convertis et Jésus demanda
aux Pharisiens pourquoi ils les haïssaient, pourquoi ils n'avaient
pas depuis longtemps ramené ces gens à la vraie doctrine.
Les Pharisiens pleins de dépit se mirent aussi à l'attaquer,
lui reprochant particulièrement qu'il laissait trop de liberté
à ses disciples, qu'ils n'étaient pas assez stricts en ce
qui touchait les jeûnes, les ablutions, les purifications, l'observation
du sabbat, l'attention à éviter les publicains et les sectaires,
etc., qu'ils ne menaient nullement le genre de vie qu'avaient coutume de
suivre les disciples des prophètes et des docteurs de la loi.
Jésus leur répondit par le précepte sur l'amour
du prochain : aimez Dieu par-dessus toutes choses et votre prochain comme
vous-même : c'est là le principal commandement. Il demandait
de ses disciples qu'ils apprissent à l'observer au lieu de voiler
des vices intérieurs sous des observances extérieures. Comme
il s'était exprimé à cette occasion en langage un
peu allégorique, Philippe et Thaddée lui dirent : " Maître,
ils ne vous ont pas compris. "Alors Jésus parla en termes parfaitement
clairs et plaignit le pauvre peuple ignorant et pécheur de ce qu'avec
toutes leurs observances légales et extérieures, ils l'avaient
laissé se gâter à ce point : il déclara hautement
que ceux qui agissaient ainsi n'auraient pas de part à son royaume.
Il redescendit alors la montagne pour aller à son hôtellerie
qui était à peu près à une demi lieue de l'endroit
où il avait enseigné et à une égale distance
de la ville Sur son chemin on avait apporté sur des litières
une grande quantité de malades de toute espèce qui attendaient
sous des tentes ; on les avait rassemblés là de tout le pays.
Jésus les guérit en employant différents procédés
et il leur donna des consolations et des avis.
Là se trouvait aussi Lais, une veuve païenne venue de Naim,
afin d'implorer l'assistance de Jésus, pour ses deux filles, Sabia
et Athanie, qui étaient horriblement possédées par
le démon et enfermées à Naïm dans des chambres
de sa maison. J'ai vu ces pauvres créatures dans un état
de frénésie complète : elles étaient jetées
violemment de côté et d'autre, mordaient et frappaient tout
ce qui les entourait : personne ne pouvait en approcher. Quelquefois elles
restaient étendues par terre, les membres contractés par
des convulsions et livides comme des cadavres. Leur mère était
venue ici avec des serviteurs et des servantes montés sur des ânes.
Elle était à quelque distance et attendait avec la plus vive
impatience que Jésus vînt près d'elle, mais il se détournait
toujours pour aller à d'autres. Elle ne pouvait pas se contenir
et criait souvent lorsqu'il se rapprochait d'elle : " Ah ! Seigneur ayez
pitié de moi ! " Mais Jésus ne semblait pas l'entendre. Les
femmes qui étaient avec elle lui disaient qu'il fallait crier :
" Ayez pitié de mes filles ! " puisqu'elle-même n'avait rien
: mais elle répondit : " Elles sont ma chair, et s'il a pitié
de moi, il aura aussi pitié d'elles ! " et elle continua à
crier. Jésus lui dit alors : " il est convenable que je rompe le
pain aux gens de ma maison avant de le rompre aux étrangers ". Elle
répondit : " Vous avez raison, Seigneur : j'attendrai volontiers
et même je reviendrai si vous ne voulez pas m'assister aujourd'hui,
car je ne suis pas digne de votre assistance ! " Jésus avait terminé
ses guérisons, les malades emportaient leurs lits et se retiraient
en chantant des cantiques de louange : il ne se détourna pas vers
cette malheureuse femme et il sembla vouloir s'en aller : alors elle fut
fort attristée et elle se disait : " Hélas ! il ne veut pas
me porter secours ". Dans ce moment Jésus se tourna vers elle et
lui dit :
" Femme, que désirez-vous de moi ? " Elle était voilée
et se jeta à ses pieds disant : " Seigneur, secourez moi ! mes deux
filles sont à Naïm, tourmentées par le démon
: je sais que vous pouvez les secourir, si vous le voulez car tout a été
mis en votre pouvoir ". Jésus lui répondit : " Retournez
chez vous : vos filles viennent au-devant de vous. Mais purifiez-vous !
ce sont les péchés des parents qui sont sur ces enfants ".
Il lui dit ceci en particulier et elle lui répondit : " Seigneur,
je pleure depuis longtemps sur ma faute : que dois-je faire ? " Jésus
lui dit alors qu'elle devait restituer le bien mal acquis, mortifier son
corps, prier, jeûner, faire l'aumône et prendre pitié
des malades. Elle pleura beaucoup, promit de faire tout cela et partit
toute joyeuse. Les deux filles de cette femme étaient le fruit de
l'adultère, ses trois enfants légitimes vivaient loin d'elle
et elle possédait encore quelque chose qui leur appartenait. Elle
était fort riche et malgré tout son repentir elle vivait
dans le bien-être font les gens de distinction. J'eus le spectacle
de ce qui se passait à Naim : je vis les filles enfermées
dans des chambres séparées : lorsque Jésus parla à
leur mère, elles tombèrent sans connaissance, et Satan sortit
de leur corps, semblable à un sombre nuage. Je les vis pleurer abondamment,
puis, complètement transformées, appeler leurs gardiennes
et Leur faire voir qu'elles étaient guéries. Je vis qu'on
leur rendit la liberté, qu'elles prirent un bain et s'habillèrent
: puis quand elles surent que leur mère était allée
trouver le Prophète de Nazareth, elles coururent à sa rencontre,
accompagnées de beaucoup de personnes de leur connaissance. Elles
allèrent à peu près à une lieue de Naïm,
trouvèrent là leur mère et lui racontèrent
tout. La mère retourna à la ville. et les filles avec leurs
gardiennes et les serviteurs se rendirent aussitôt à Méroz,
pour se présenter devant Jésus, parce qu'elles avaient entendu
dire qu'il y enseignerait encore le lendemain. Le moment où la mère
vit ses filles venir au devant d'elle fut extrêmement touchant.
Pendant que Jésus achevait ses guérisons, Manahem, le
disciple aveugle guéri à Coréa, que Jésus avait
envoyé à Lazare, était revenu de Béthanie ici
avec les deux neveux de Joseph d'Arimathie, et Jésus s'entretint
avec eu'. Les saintes femmes leur avaient donné de l'argent et des
présents pour la bourse de la communauté. Pendant ce temps
Dina, la Samaritaine, s'était rendue près des saintes femmes
à Capharnaum, et avait apporté une riche contribution. Véronique
et Jeanne Chusa avaient aussi été à Capharnaum, près
de Marie. A leur retour elles avaient rendu visite à Madeleine,
en qui elles avaient trouvé beaucoup de changement. Elle était
triste et sa folle paraissait déjà faire place à de
meilleurs sentiments. En revenant à Béthanie elles prirent
avec elles la Samaritaine. Il y a une autre veuve âgée et
riche qui est allée trouver Marthe, et qui a donné tout son
bien pour le trésor de la communauté. Dans une occasion précédente,
j'ai parlé d'une femme âgée alliée à
Jésus, qui demeure devant Béthanie, et fait souvent des voyages
pour la communauté : c'est de celle-là qu'il s'agit : elle
s'appelle Anne et elle est fille naturelle de Cléophas, aujourd'hui
défunt, lequel l'avait eue avant son mariage avec Marie, la fille
aînée de sainte Anne. (Elle est donc, du côté
paternel, soeur de Marie de Cléophas et de ses frères, qui
sont encore distinctes de Jean, et desquels. jusqu'à présent
il a été peu parlé
Elle s'était mariée à Nazareth et était
devenue veuve. Deux de ses fils, qui furent plus tard disciples, sont aujourd'hui
employés à la pêche sur le navire de Zébédée.
Marie la Suphanite est allée trouver son mari, et je crois qu'ils
reviendront ensemble à Ainon.
Jésus fut invité à un repas par les Pharisiens,
et ils lui demandèrent si ses disciples, qui étaient des
jeunes gens sans expérience, peu faits pour frayer avec des savants,
en seraient aussi. Jésus répondit affirmativement : " car,
disait-il, quand on l'invitait, on invitait aussi ceux de sa maison : qui
ne voulait pas d'eux ne voulait pas de lui non plus ". Ils l'engagèrent
alors à amener ses disciples avec lui, et tous allèrent à
la ville, dans la maison destinée aux fêles, où Jésus
enseigna encore et expliqua des paraboles.
Le bien qu'avait Lazare dans le voisinage de l'hôtellerie consistait
en belles pièces de terre et en plusieurs vergers où il y
avait de belles avenues. Ceux qui en avaient soin y habitaient et vendaient
les fruits. Mais maintenant ils étaient en outre spécialement
chargés de l'hôtellerie. Le séjour prolongé
que Jésus devait faire ici était chose convenue avec Lazare
lors de leur dernière rencontre à Ainon. Les saintes femmes
étaient venues alors pour tout préparer, et les gens du pays
attendaient Jésus.
(31 octobre.) Le matin, Jésus enseigna à Méroz,
près du puits, et il reprocha de nouveau aux Pharisiens l'abandon
où ils laissaient le peuple. Après le repas, il alla de nouveau
sur la hauteur, et fit une instruction dans le genre de celle qui est connue
sous le nom de sermon sur la montagne : en prenant congé de ses
auditeurs, il leur expliqua de nouveau la parabole du talent enfoui. Il
y avait des gens qui campaient là depuis trois jours déjà
: ceux auxquels les provisions faisaient défaut furent rangés
à part, et les disciples leur fournirent des aliments et ce qui
leur était nécessaire. Dès hier on a prié Jésus
de visiter plusieurs autres endroits. Aujourd'hui, 'oncle de Judas, Simon
d'Iscariot, un vieillard pieux, basané et robuste, lui a demandé
de venir demain à Iscariot et Jésus le lui a promis.
Des malades qui pouvaient encore marcher étaient venus attendre
Jésus à la descente de la montagne, et il les guérit.
C'était dans un endroit peu éloigné, sur le chemin
qui était entre son logis et le bien de Lazare, un peu au-dessous
du lieu où les disciples avaient distribué des aliments.
Ici, à l'endroit même où Laïs, la païenne
de Naïm, s'était prosternée la veille devant Jésus,
l'implorant pour ses filles malades, celles-ci, Athanie et Sabia, maintenant
guéries, étaient venues attendre le Seigneur, accompagnées
de leurs serviteurs et de leurs servantes. Elles se prosternèrent
à ses pieds ainsi que toute leur suite, et lui dirent : " Seigneur,
nous ne nous sommes pas jugées dignes d'entendre vos paroles, et
nous vous attendions ici pour vous remercier au lieu même où
vous nous avez délivrées de la puissance de l'ennemi ". Jésus
leur dit de se relever, et il loua la patience, humilité et la foi
de leur mère, qui avait attendu, comme une étrangère,
qu'il eût distribué le pain à ceux de sa maison. Mais
maintenant elle appartenait aussi à sa maison car elle avait reconnu
le Dieu d'Israel dans sa miséricorde, et il était envoyé
par le Père céleste pour distribuer le pain a tous ceux qui
croiraient à sa mission et feraient pénitence. Il fit ensuite
apporter des aliments par ses disciples, présenta aux jeunes filles
et à chaque personne de leur suite un morceau de pain et une part
de poisson, et il leur fit, à cette occasion, une belle et profonde
instruction que j'ai malheureusement oubliée : après quoi
il gagna son hôtellerie avec les disciples. L'une des jeunes filles
avait vingt ans, l'autre vingt-cinq. Elles étaient très blanches
et très pâles par suite de Leur maladie et de leur vie renfermée.
(1er novembre) Le matin, Jésus partit de son hôtellerie,
et fit, en compagnie des disciples, une petite lieue à l'est pour
aller à Iscariot. Il y a là environ vingt-cinq maisons ;
elles sont situées au fond d'une gorge, sur un terrain marécageux,
et rangées en ligne le long d'une eau noirâtre et couverte
de joncs. formant, à l'aide de retenues, des mares où l'on
prépare les cuirs. Souvent il n'y a pas assez d'eau, et il faut
en faire venir d'autres sources. Le bétail de Méroz vient
ici pâturer : on tue sur place les animaux dont on a besoin, on les
écorche et on tanne leurs peaux. Cette gorge est attenante à
la partie septentrionale de Michmethath. Le métier de tanneur est
considéré par les Juifs comme un métier inférieur,
à cause de la mauvaise odeur que répand la préparation
des cuirs. Ils emploient pour tanner les peaux des animaux morts, des esclaves
païens et d'autres gens de bas étage, qui ont à Méroz
un quartier à part. A Iscariot, il n'y a que des tanneries, et il
m'a semblé que la plupart des maisons appartenaient au vieux Simon,
l'oncle de Judas.
Judas était fort aimé de son vieil oncle, et lui était
utile dans son commerce de cuirs : il l'envoyait, tantôt avec des
ânes pour acheter des peaux non préparées, tantôt
dans les villes maritimes pour y vendre des cuirs apprêtés.
Il était habile et rusé dans son métier de courtier
et de trafiquant. Il n'était pas encore perverti : s'il avait su
se vaincre sur de petites choses, il ne serait pas allé si loin
La sainte Vierge lui donna souvent des avertissements. Son caractère
était très vacillant. Il était capable d'un repentir
très vif, mais jamais durable. Il avait toujours en tête un
royaume de ce monde, et comme le succès paraissait de plus en plus
incertain, il se mit à amasser de l'argent. Il avait fait quelquefois
de bons bénéfices, et lorsque Madeleine versa son onguent
sur Jésus, il s'irrita de ce que le prix ne lui en fût pas
remis à titre d'aumône. Ce fut à la dernière
fête des Tabernacles où assista Jésus. qu'il commença
à tourner à mal. Lorsqu'il trahit Jésus pour de l'argent,
il n'imaginait pas que celui-ci fût mis à mort : il croyait
qu'il recouvrerait sa liberté ; et, quant à lui, il voulait
seulement gagner son argent. Il m'a toujours beaucoup contristée.
Judas se montrait à Iscariote très obligeant et très
serviable : il était la tout à fait comme chez lui. Son oncle,
le tanneur Simon, reçut Jésus et les disciples à l'entrée
du village : il leur lava les pieds et leur offrit la réfection
accoutumée. Cet homme est très actif et très robuste.
Jésus fut dans sa maison avec les disciples ; j'y ai vu une femme,
des enfants et des domestiques : je crois que c'est sa famille.
Jésus entra à l'autre extrémité du bourg
; il y a là, dans un champ, un jardin d'agrément où
sont encore les cabanes de feuillage. Tous les gens de l'endroit y étaient
rassemblés, et Jésus fit une instruction sur la parabole
du semeur et des divers terrains où tombe la semence : il exhorta
ses auditeurs à préparer une bonne terre pour son instruction
qu'ils avaient déjà entendue en partie sur la montagne. Il
prit aussi debout un petit repas avec ses disciples et la famille, et le
vieux Simon pria encore Jésus de faire participer son neveu Judas,
dont il vanta les qualités, à son enseignement et à
son royaume. Jésus lui fit une réponse du même genre
que celle qu'il avait faite à Judas lui-même, disant : " qu'il
était permis d'y prendre part a quiconque ne voulait pas céder
sa part à autrui ". Jésus n'opéra pas de guérisons
ici : les malades avaient été déjà guéris
sur la montagne.
Dans l'après-midi, Jésus revint avec ses disciples dans
la direction de l'ouest, presque jusqu'à l'hôtellerie à
sa gauche la montagne où il avait enseigné, et à sa
droite une autre montagne. Il laissa Atharoth à gauche, tourna un
peu au nord-est, puis encore au nord, et côtoya une montagne dans
la direction de Dothan. De cette ville, la vue plonge dans la vallée
qui est à l'est de la plaine d'Esdrelon. On a, au levant, des montagnes
au-dessus de soi, et au couchant. on domine la vallée.
Jésus était accompagné sur ce chemin par trois
groupes de personnes qui suivaient cette roule séparément,
et qui revenaient de sa prédication sur la montagne pour aller célébrer
le sabbat dans divers endroits. Il se joignit alternativement à
ces groupes. A partir de l'hôtellerie, il y avait près de
trois lieues jusqu'à Dothan. C'est un endroit qui est bien aussi
considérable que Munster. J'ai vu qu'Élisée devait
y être arrêté par les soldats de Jéroboam mais
que ceux-ci furent frappés d'aveuglement. Deux grandes routes passent
par Dothan, qui a cinq portes et autant de rues. Une de ces routes va de
la Galilée à la Samarie et à la Judée, l'autre
vient d'au delà du Jourdain, et conduit, à travers la vallée,
à Apheké et à Ptolémaïs, sur le bord de
la mer. On fait ici le commerce de bois. Les montagnes de cette contrée
et celles `1ui avoisinent Samarie sont encore très boisées
; elles sont beaucoup plus dépouillées au delà du
Jourdain, près d'Hébron et au bord de la mer Morte. je vis
dans le voisinage plusieurs endroits où l'on apprêtait le
bois. C'étaient des enfoncements de terrain recouverts de toiles
tendues : on y équarrissait des poutres qui devaient servir à
la construction des navires ; on apprêtait aussi de longues baguettes
pour les cloisons en clayonnage. Devant les portes, sur les grandes routes
qui se croisent à Dothan. on trouve plusieurs hôtelleries.
Jésus alla à la synagogue avec les disciples : on y était
déjà assemblé. Il s'y trouvait beaucoup de Pharisiens
et de docteurs. Ils devaient savoir d'avance que Jésus viendrait,
car ils se montrèrent très empressés à le recevoir
sur la place qui était devant la synagogue, à lui laver les
pieds et à lui présenter la réfection accoutumée.
Ensuite ils le firent entrer et lui donnèrent les livres de la loi.
L'instruction eut pour sujets la mort de Sara, le second mariage d'Abraham
avec Cétura. et la dédicace du temple de Salomon.
(2 novembre.) Après l'instruction du sabbat, Jésus alla
devant la ville, dans l'hôtellerie, où il trouva Nathanaël
le Fiancé, deux des fils de Cléophas et de la soeur aînée
de sa mère, et encore deux autres disciples qui tous s'étaient
réunis ici pour le sabbat, en sorte qu'il se trouvait près
de lui environ dix-sept disciples. Les gens de la maison, qui est sur les
propriétés de Lazare, près de Ginéa, et où
Jésus était allé récemment lors de son voyage
à Atharoth, étaient aussi venus ici pour le sabbat.
Dothan est une ancienne ville bien bâtie et agréablement
située : elle est adossée à des montagnes qui ne l'empêchent
pas de s'étendre, et elle voit en face d'elle la belle plaine d'Esdrelon.
En outre, les montagnes ici sont moins abruptes et moins déchirées
qu'ailleurs ; ce sont de grandes terrasses qui s'élèvent
les unes au-dessus des autres, et il y a de meilleurs chemins. Les maisons
sont bâties à l'ancienne mode comme du temps de David : plusieurs
ont, aux angles de leurs toits en terrasses, des tourelles surmontées
de grosses boules rondes, dans l'intérieur desquelles on peut s'asseoir,
et d'où la vue s'étend dans toutes les directions. C'est
du haut d'une tourelle de ce genre que David regarda Bethsabée.
Il y a aussi sur les toits des galeries avec des rosiers et même
avec des arbres.
Le matin, Jésus alla à la synagogue où il enseigna
: puis il parcourut les rues et entra dans les cours de plusieurs maisons
où se trouvaient des gens malades. Les habitants se tenaient aux
portes pour implorer son secours, et il entrait chez eux accompagné
de deux disciples. On adressait aussi aux autres disciples des demandes
qu'ils lui transmettaient. Il guérit ainsi plusieurs personnes :
il se rendit aussi à un endroit écarté où étaient
les lépreux, et il les guérit. Il y avait beaucoup de lépreux
dans la ville, peut-être à cause des rapports fréquents
avec les marchands étrangers qui passaient par là. Outre
le commerce de bois, on faisait dans cet endroit beaucoup d'autres trafics.
On y apportait des tapis, de la soie brute et des objets du même
genre, qu'on déchargeait et qu'on réexpédiait.
Je vis des marchandises de cette espèce déposées
chez un homme malade que Nathanaël de Cana, qui logeait chez lui avait
dès hier prié Jésus de visiter. Il y alla vers midi.
C'est une maison de très belle apparence, avec des cours et des
galeries : elle n'est pas loin de la synagogue. Elle est habitée
par un homme riche âgé d'environ cinquante ans. Il s'appelle
Issachar ; il est très malade d'une hydropisie et il a épousé,
il y a peu de jours, une jeune femme de vingt-cinq ans, nommée Salomé
: mais le mariage n'est pas encore consommé. Cette union a été
motivée par une prescription de la loi, dont je ne me souviens pas
à présent ; il y a entre eux une relation comme celle qui
existait entre Ruth et Booz le bien doit échoir à Salomé.
Les méchantes langues de la ville, surtout les Pharisiens. s'occupaient
beaucoup de ce mariage, et c'était le sujet de toutes les conversations.
Mais Issachar et Salomé avaient mis leur confiance en Jésus
et ils avaient déjà espéré le voir la dernière
fois qu'il avait passé dans le voisinage.
Cette maison avait déjà reçu la visite de Jésus
du vivant des parents de Salomé ; car, lorsque Marie, pendant sa
grossesse, était partie de Nazareth avec saint Joseph pour aller
voir Elisabeth, elle avait fait là sa première station. C'était
un peu avant les fêtes de Pâques. Joseph alla d'Hébron
à la fête avec Zacharie ; lorsqu'il revint à Hébron,
avant de retourner chez lui, Marie s'arrêta encore ici. Jésus,
étant encore dans le sein de sa mère, avait donc reçu
l'hospitalité dans cette maison, et il y venait aujourd'hui, trente
et un ans plus tard, en sa qualité de rédempteur, pour récompenser,
dans la personne du fils malade, cette oeuvre de charité des parents.
Salomé était l'enfant de cette maison et la veuve du
frère d'Issachar qui était lui-même veuf de la soeur
de Salomé. La maison et tout le bien devaient revenir à celle-ci.
Ils étaient tous deux sans enfants, et les seuls rejetons d'une
bonne souche. Ils se marièrent, espérant que Jésus,
dans sa bonté, guérirait Issachar. Salomé comptait
sur son alliance avec saint Joseph ; elle était originaire de Bethléhem,
et le père de Joseph avait coutume de donner le nom de frère
à son grand père, quoiqu'ils ne fussent point frères
selon la chair Elle comptait au nombre de ses ancêtres un descendant
de la famille de David, qui, je crois, avait été roi, lui
aussi. Son nom ressemblait à Ela. C'était par suite de cette
ancienne liaison que Joseph et Marie avaient logé ici.
Issachar était de la tribu de Lévi. A l'entrée
de la maison, Salomé vint au devant de Jésus avec ses suivantes
et ses serviteurs : elle se jeta à ses pieds et le pria de guérir
son mari. Jésus entra avec elle dans la chambre du malade. Il était
couché sur son lit, enveloppé dans des linges. Il était
hydropique et complètement paralysé d'un côté.
Jésus Je salua et lui parla avec bonté. Le malade se montra
très ému et très affectueux : il ne pouvait pas se
redresser. Jésus pria, le toucha et lui donna la main. Alors il
se redressa, mit un autre vêtement et se leva de son lit : puis lui
et sa femme se prosternèrent devant Jésus. Le Seigneur leur
donna des avis, les bénit et leur promit qu'ils auraient des enfants
: après quoi il sortit avec eux de la chambre, en présence
de tous les gens de la maison qui s'étaient rassemblés et
qui ressentirent une grande joie. Pendant la journée d'aujourd'hui.
on garda le silence sur cette guérison.
Jésus et les disciples prirent ici un peu de nourriture : Issachar
invita le Seigneur a loger chez lui cette nuit avec tous les siens et à
y accepter un repas après la synagogue, ce à quoi Jésus
consentit. Il alla alors à la synagogue où il enseigna, mais
vers la fin, les Pharisiens et les Sadducéens entrèrent en
dispute avec lui. A propos du mariage d'Abraham avec Cétura, il
en était venu à parler du mariage en général,
et il dit quelque chose dont je ne me souviens plus bien. Les Pharisiens
étaient d'avis que Cétura aurait dû être mieux
partagée par Abraham l. Ils En vinrent aussi à parler du
mariage d'Issachar avec Salomé et blâmèrent hautement,
comme une chose insensée, l'union d'un homme de cet âge et
si infirme avec une jeune femme. Jésus répondit qu'ils s'étaient
mariés conformément aux prescriptions de la loi, et s'étonna
qu'ils osassent blâmer leur conduite, eux qui tenaient si fort à
la loi. Ils demandèrent comment il pouvait, dans ce cas, tenir pour
l'observation de la loi. Un homme de cet âge et si malade, disaient-ils,
hors d'état d'avoir des enfants, ne pouvait pas par là même
accomplir la loi : cette union n'était qu'un scandale Jésus
leur répondit que sa foi lui avait assuré une postérité.
" Voulaient-ils mettre des bornes à la toute-puissance de Dieu ?
Ce malade avait-il contracté ce mariage par suite d'une convoitise
charnelle ou pour obéir à la loi ? s'il avait confiance en
Dieu et croyait que Dieu pouvait l'assister, il avait bien agi. Mais ce
n'était pas là la cause de leur mécontentement, ils
avaient espéré que cette famille s'éteindrait sans
héritiers et qu'ils pourraient s'approprier ses biens. Il mentionna
aussi plusieurs personnages pieux, d'un âge avancé, dont Dieu
avait récompensé la foi en leur donnant une postérité,
et dit encore beaucoup de choses sur le mariage, de manière à
réduire les Pharisiens au silence, malgré la rage dont ils
étaient pleins.
Note : Si elle avait pu dire ce qu'elle entendait par ces paroles,
on trouait certainement ici d'autres expressions. Depuis quelque temps
elle a beaucoup de peine à parler et en conséquence s'exprime
avec peu de clarté.
Lorsque le sabbat fut fini, Jésus quitta la synagogue et revint
avec ses disciples dans la maison d'Issachar, où il y eut un grand
repas. Issachar était assis à une table avec Jésus
et les disciples alliés à sa famille ; sa femme allait et
venait, s'occupant du service. Auparavant Jésus guérit encore,
à la chute du jour et à la lueur des flambeaux, plusieurs
malades qui s'étaient rassemblés devant la synagogue et près
de la maison d'Issachar.
Les autres disciples mangeaient dans une salle voisine : là,
se trouvaient Judas Iscariote, Barthélémy et Thomas avec
son frère et un beau-frère (il avait encore deux autres beaux-frères).
Ils étaient partis hier d'Apheké qui est à sept lieues,
et étaient arrivés ici le soir pour le sabbat. Ils logeaient
dans la maison d'Issachar où Thomas était bien connu par
suite de relations de commerce. Il n'avait pas encore parlé à
Jésus mais seulement à ceux des disciples qu'il connaissait,
car il n'était nullement indiscret. Jacques le Mineur aussi était
venu de Capharnaum pour le sabbat, et en outre, un certain Nathanaël,
fils d'Anne, cette fille naturelle qu'avait eue Cléophas avant son
mariage et dont j'ai dit qu'elle était à présent auprès
de Marthe. C'était le plus jeune de ses fils qui était employé
dans la pêcherie de Zébédée : il était
âgé d'environ vingt ans, très doux et très aimable
; il avait un peu du caractère de Jean. Il avait été
élevé dans la maison de son grand-père Cléophas
et on l'avait surnommé le petit Cléophas pour le distinguer
des autres Nathanaël. J'ai appris cela à ce sabbat ou j'entendis
Jésus dire : " Appelez-moi le petit Cléophas. "
On mangea au repas des oiseaux, du poisson, du miel et du pain. Il
y avait ici une quantité énorme de tourterelles et de pigeons
de toute espèce, et d'autres oiseaux de couleurs variées.
Ils couraient comme des poulets autour des maisons. Ils avaient ici de
belles excursions à faire dans les plaines de Jezraël. Pendant
le repas, Issachar parla de la mère de Jésus, rappela qu'elle
était venue dans cette maison lorsqu'il était jeune et raconta
ce que ses parents lui avaient souvent dit de sa jeunesse, de sa beauté
et de sa piété. Joseph était alors un homme déjà
avancé en âge. Il espérait que Dieu qui l'avait guéri
par l'intermédiaire du fils de Joseph, lui donnerait aussi une postérité.
Il ne connaissait pas l'origine divine de son Sauveur. Les disciples logèrent
tous ici. Il y avait autour de la maison de grands portiques avec des colonnes
: on y plaça des cloisons entre lesquelles on leur prépara
des couches. Dothan est une vieille ville fortifiée : parmi les
habitants, il y en a de très bons et de très mauvais. Dothan
avec ses solides maisons à la vieille mode fait le même effet,
par rapport aux autres villes du pays, que Cologne chez nous par rapport
aux autres villes allemandes.
(3 novembre.) Ce matin, Jésus s'est promené avec les
disciples dans les jardins qui sont devant la ville et il s'est entretenu
avec eux. Quelques disciples ont été dans la ville et aux
environs convoquer à une instruction que Jésus doit faire
vers midi et à un repas qu'Issachar donnera pour fêter sa
guérison. Thomas qui était allé avec eux, s'approcha
ici du Seigneur et le pria de le recevoir au nombre de ses disciples :
il voulait le suivre, disait-il, et faire tout ce qu'il lui dirait ; son
enseignement et ses miracles qu'il avait vus, l'avaient convaincu que Jean
et ceux de ses disciples qu'il connaissait avaient dit la vérité
par rapport à lui. Il le priait de permettre qu'il eût part
à son royaume. Jésus lui dit qu'il le connaissait et savait
d'avance qu'il viendrait à lui. Thomas ne voulait pas le croire
et assurait n'y avoir jamais pensé auparavant, car il n'était
nullement enclin à se séparer du reste des hommes ; il n'avait
pris son parti que tout récemment, convaincu par les miracles de
Jésus Le Seigneur lui répondit : " Tu parles comme Nathanael,
tu te crois sage et tu dis des choses folles. Le jardinier ne doit-il pas
connaître ses arbres, le vigneron ses ceps, et quand il cultive sa
vigne, ne doit-il pas connaître les serviteurs qu'il veut y envoyer
" ? Il parla aussi, par manière de comparaison, de ceux qui veulent
cueillir des figues sur les ronces.
Deux disciples de Jean, envoyés vers lui par le précurseur,
lesquels avaient déjà assisté à sa prédication
sur la montagne de Méroz et vu les miracles qu'il y avait opérés,
s'entretinrent également ici avec Jésus, après quoi
ils retournèrent à Machérunte. Ils faisaient partie
d'un groupe de disciples qui étaient venus y résider et auxquels
Jean faisait des instructions devant sa prison. Ils lui étaient
fortement attachés, et comme ils n'avaient encore rien vu des actions
de Jésus, Jean les lui envoya afin qu'ils reconnussent la vérité
de ce qu'il disait à son sujet. Il lui fit aussi demander par eux
de parler ouvertement et clairement, de dire qui il était et de
fonder son royaume sur la terre. Ils dirent à Jésus qu'ils
étaient persuadés de tout ce que Jean annonçait de
lui et lui demandèrent s'il ne viendrait pas bientôt le délivrer
de sa prison. Jean, disaient-ils, espérait être délivré
par lui et le désirait vivement ; il était temps qu'il établît
son royaume et rendît la liberté à leur maître
: ils croyaient que ce serait un miracle plus utile que ses autres guérisons.
Jésus leur répondit qu'il savait bien que Jean avait le désir
et l'espoir d'être délivré de cette prison, qu'il en
serait délivré en effet, mais que son précurseur qui
lui avait prépare les voies, ne croyait pas qu'il allât à
Machérunte le remettre en liberté. Ils devaient faire connaître
à Jean ce qu'ils avaient vu et lui dire qu'il accomplirait sa mission.
Je ne sais pas si Jean savait que Jésus serait crucifié
et que son royaume n'était pas de ce monde : je pense qu'il croyait,
lui aussi, que Jésus convertirait le peu e le délivrerait
et établirait sur la terre un royaume saint. Vers midi, Jésus
revint à la ville dans la maison d'Issachar, où il s'était
déjà rassemblé beaucoup de monde et où la maîtresse
de la maison et tous ses gens étaient occupés à préparer
les mets et tout ce qui était nécessaire pour le repas. En
sortant de la maison d'Issachar par la porte de derrière, on rencontrait
une place spacieuse où se trouvait une belle fontaine publique entourée
de diverses constructions. Cette fontaine était comme sainte, car
Élisée l'avait bénie : une belle chaire de pierre
s'élevait à côté et des enceintes avaient été
disposées à l'entour pour qu'un nombreux auditoire pût
entendre, à l'ombre d'arbres touffus, les instructions données
du haut de cette chaire. On y faisait plusieurs fois dans l'année,
spécialement à la Pentecôte, des prédications
publiques. Il y avait en outre, auprès de la fontaine, des armoires
et de longs bancs de pierre ou d'étroites terrasses sur lesquelles
on donnait à manger aux caravanes ou aux troupes de voyageurs qui
allaient à Jérusalem pour la fête de Pâques.
La maison d'Issachar, à raison du voisinage, avait vue sur cette
fontaine, et comme cette maison était une espèce d'entrepôt
de roulage, la partie qui donnait sur la place était disposée
en conséquence : les caravanes y embarquaient ou déballaient
des marchandises sans que ce fût pourtant une hôtellerie publique.
C'était une entreprise comme celle du père de la fiancée
de Cana en Galilée (Voir t. I p. 402) La belle fontaine qui se trouvait
là avait seulement cela source était située à
une grande profondeur et qu'il fallait se donner beaucoup de peine pour
pomper l'eau qui coulait dans des bassins placés tout autour.
Une grande quantité de personnes s'étaient rassemblées
là sur l'invitation de Jésus et d'Issachar, et Jésus
du haut de la chaire fit au peuple une instruction sur l'accomplissement
de la promesse, sur l'approche du royaume de Dieu, sur la pénitence
et la conversion et sur la manière d'implorer la miséricorde
de Dieu et d'accueillir les grâces et les miracles. Il parla aussi
d'Elisée qui avait enseigné ici, dit comment les Syriens,
ayant voulu s'emparer de lui, avaient été frappés
d'aveuglement, comment Elisée les conduisit à Samarie entre
les mains de leurs ennemis comment il les fit héberger et au lieu
de les livrer à la mort leur rendit la vue et les renvoya à
leur roi : ; il appliqua tout cela au Fils de l'homme et aux persécutions
des Pharisiens. Il enseigna encore longuement sur la prière et sur
les bonnes oeuvres, parla de la prière du Pharisien et de celle
du Publicain, dit que lorsqu'on jeûnait il fallait se bien vêtir
et se parfumer, et non faire parade de sa dévotion aux yeux du peuple.
etc., etc. Les gens de l'endroit qui étaient très vexés
par les Pharisiens et les Sadducéens furent fort consolés
par la prédication de Jésus. Mais les Pharisiens et les Sadducéens
furent transportés de rage en voyant cette réunion joyeuse
et en écoutant dans l'assistance Issachar, rendu à la santé,
s'occuper avec les siens et les disciples de Jésus, à distribuer
joyeusement des aliments au peuple qui s'était établi tout
le long des bancs de pierre, ils devinrent tellement furieux qu'ils se
précipitèrent avec impétuosité sur Jésus.
Ils firent mine de vouloir se saisir de lui et ils se mirent encore à
l'injurier pour avoir guéri le jour du sabbat Jésus les engagea
à l'écouter tranquillement ; il les fit ranger en cercle
autour de lui et, faisant usage de la façon de parler proverbiale
qui lui était familière, il dit aux plus considérables
d'entre eux : " Si vous étiez au fond de ce puits le jour du sabbat,
ne demanderiez-vous pas qu'on vous en retirât ? " Il continua son
instruction sur ce ton, en sorte qu'ils se retirèrent les uns après
les autres, couverts de confusion. Mais Jésus quitta la ville avec
quelques-uns de ses disciples et descendit dans la vallée qui court
du midi au nord, le long de la partie occidentale.
Issachar a fait d'abondantes distributions à Dothan. Il a envoyé
aux hôtelleries de la communauté des ânes chargés
de provisions de toute espèce : il a repris aux disciples leurs
provisions de bouche qui étaient trop vieilles et leur en à
donné de meilleures à la place. Il leur donna aussi pendant
le repas des coupes semblables a celles qui étaient à Cana
et des urnes aplaties faites d'une matière blanche avec des anneaux
servant à les suspendre et des bouchons faits d'une espèce
d'éponge fortement comprimée. Il y avait dedans un breuvage
rafraîchissant et aussi du baume. Il donna aussi à chacun
des disciples de l'argent destiné à des aumônes et
à d'autres dépenses.
Judas Iscariote revint d'ici chez lui ainsi que plusieurs autres disciples.
Jésus n'en garda que neuf environ avec lui, parmi lesquels étaient
Thomas, Jacques le Mineur, Jude Barsabas, Simon Thaddée, le petit
Cléophas, Nathanael, Manahem et d'autres encore.
Lorsque Jésus fut parti, il y eut une explosion de paroles et
d'injures de la part des Pharisiens. Ils dirent aux pauvres gens qui étaient
là rassemblés : " On voit bien qui il est, il s'est fait
bien payer par Issachar. Ses disciples sont des vagabonds et des paresseux
qu'il nourrit et régale aux dépens d'autrui. s'il avait quelque
idée de ses devoirs, il resterait chez lui et nourrirait sa pauvre
mère ; son père était un pauvre charpentier ; quant
à lui, un métier honnête n'est point son affaire, il
court le monde et trouble la tranquillité du pays ".
Lorsqu'Issachar faisait ses distributions, il ne cessait de dire :
" Prenez, de grâce, prenez ! Cela n'est pas à moi : cela appartient
au Père céleste : c'est lui qu'il faut remercier : ce n'est
qu'un prêt qu'il m'a fait ".
CHAPITRE TROISIÈME .
Séjour de Jésus en Galilée.
Jésus à Endor,- à Abez,- à Dabrath,- à
Giscala,- à Gabara.- Première conversion de Madeleine.
(Du 4 au 14 novembre 1822. )
(3-4 novembre.) Jésus accompagné des disciples alla d'abord
au nord-ouest, en suivant la vallée jusque vis-à-vis la petite
rivière qui l'arrose au nord : alors ils prirent une direction plus
septentrionale et après avoir fait environ cinq lieues, ils arrivèrent
dans la nuit à une hôtellerie isolée, où il
n'y avait qu'un abri, un foyer et des places pour se coucher. Il y avait
dans le voisinage un puits qui remontait aussi à Jacob. Les disciples
recueillirent des branchages et des fruits sur les hauteurs situées
à l'est, et ils allumèrent du feu. Sur le chemin, Jésus,
à plusieurs reprises, avait eu des entretiens prolongés avec
eux, ce qu'il avait fait surtout pour l'instruction de Thomas, de Simon,
de Manattem, du petit Cléophas et en général des nouveaux
disciples. Il parla des conditions exigées pour le suivre, dit qu'il
fallait abandonner tout ce qu'on avait sans regret et sans retour, mais
que, s'ils étaient bien pénétrés du peu de
valeur des biens terrestres, ils retrouveraient tout cela multiplié
par mille dans son royaume. Il leur dit aussi qu'avant de renoncer ainsi
à tout, ils devaient examiner mûrement s'ils en étaient
capables. Judas Iscariote ne plaisait pas beaucoup à quelques-uns
des disciples, notamment à Thomas : il déclara ouvertement
à Jésus, que ce Judas fils de Simon ne lui plaisait pas,
qu'il disait trop aisément oui et non : il lui demanda pourquoi
il l'avait admis quand il se montrait plus difficile pour d'autres. Jésus
répondit d'une manière évasive faisant allusion aux
décrets divins rendus de toute éternité sur lui comme
sur tous les autres.
Lorsque les disciples se furent retirés pour dormir, Jésus
alla seul dans la montagne et y pria pendant la nuit.
(4 novembre.) Aujourd'hui de grand matin, quelques habitants de Sunem,
qui est à deux lieues à l'est, vinrent trouver Jésus
à l'hôtellerie et le prièrent instamment de venir les
visiter le lendemain, car ils avaient des enfants bien dangereusement malades
; il pouvait les guérir, et précédemment ils l'avaient
déjà attendu en vain. Jésus leur répondit qu'il
ne pouvait pas y aller pour le moment, parce que d'autres l'attendaient,
mais qu'il leur enverrait de ses disciples. Ces gens répondirent
qu'ils n'y avaient pas confiance, que quelques-uns d'entre eux étaient
déjà venus chez eux et qu'ils n'avaient point opéré
la guérison désirée. Jésus les exhorta à
la patience, et ils se retirèrent.
Jésus se dirigea alors vers Endor avec les disciples. Sur le
chemin de Dothan à Endor, on trouve deux puits de Jacob, où
ses troupeaux allaient boire : il avait à ce sujet des querelles
et des combats continuels avec les Amorrhéens. Enfin, ils voulurent
aussi le chasser de l'héritage de Joseph, situé dans le voisinage
de Samarie, où Jésus s'était trouvé récemment
: mais Jacob résista et on vida la querelle dans un combat singulier
où Jacob fut vainqueur, et après lequel il y eut un traité.
Lazare a des champs près de Jezraël, avant Endor. Joachim et
Anne en avaient à deux lieues au nord-est d'Endor, et Anne accompagna
Marie jusque-là lors du voyage de Bethléhem. Ce fut là
qu'ils prirent un âne qui fut donné à saint Joseph
et qui courait en liberté devant lui. Joachim et Joseph avaient
aussi des champs qui se touchaient de l'antre côté du Jourdain,
à peu de distance de Gazer : ils avaient pour limites au sud-est
le désert et la forêt d'Ephraim.
Ce fut sur ce bien que Joachim alla se cacher pour prier lorsqu'il
revint du temple, si triste, et il y reçut l'ordre d'aller à
Jérusalem où Anne le rencontra sous la Porte-Dorée.
Jésus, en quittant l'hôtellerie où il avait passé
la nuit, fit encore deux lieues au nord dans la direction d'Endor Il n'entra
pas dans la ville, mais il resta dans une hôtellerie faisant partie
d'un groupe de maisons, qui se liait à Endor en remontant la pente
de la montagne. Il enseigna beaucoup de personnes qui se rassemblèrent
bientôt autour de lui, convoquées par les disciples : sur
la demande qui lui en fut faite, il entra dans quelques maisons et guérit
des malades dont plusieurs avaient été amenés d'Endor.
Parmi ces derniers se trouvaient des païens qui se tenaient à
quelque distance. Il vint aussi un paien d'Endor avec un petit garçon
de sept ans qui était possédé d'un démon muet
et que souvent on ne pouvait maîtriser. Lorsque cet homme s'approcha
de Jésus, l'enfant devint tout à fait furieux, s'arracha
des mains de son père et alla se blottir dans une grotte de la montagne.
Alors le père alla à Jésus, et se jeta à ses
pieds en pleurant ; sur quoi Jésus alla à la grotte et ordonna
à l'enfant de : venir devant son Seigneur. Celui-ci sortit d'un
air humble et se prosterna devant Jésus qui lui imposa les mains
et ordonna à Satan de se retirer : aussitôt l'enfant tomba
comme évanoui pour quelques moments, et je vis une sombre vapeur
sortir de lui, après quoi il se releva, courut à son père
et lui parla. Celui-ci l'embrassa et se prosterna de nouveau avec lui devant
Jésus pour lui rendre grâces. Jésus donna des avis
au père et lui enjoignit d'aller se faire baptiser à Arnon.
Jésus n'entra pas dans Endor. Le faubourg où il était,
était mieux bâti qu'Endor même, parce qu'il était
plus près de la route. Endor a quelque chose de mort et d'abandonné
: une partie de la ville est déserte et l'on y voit des murs en
ruines. Il semble que l'herbe croît dans les rues. Il s'y trouve
beaucoup de païens soumis à une sorte de servitude, à
raison de laquelle ils sont astreints à des travaux publics de toute
espèce Le peu de Juifs riches qui y habitent, viennent faire le
guet d'un air effrayé à la porte de leurs maisons et regardent
souvent derrière eux, comme s'ils craignaient qu'on ne leur dérobe
leur argent quand ils ont le des tourné.
Jésus alla d'ici à une lieue et demie ou deux lieues
au nord-est, à l'entrée d'une vallée qui va de la
plaine d'Esdrelon au Jourdain le long du versant septentrional des montagnes
de Gelboë. Il y a une arête élevée au milieu de
cette vallée : elle est arrosée par un petit cours d'eau
qui se jette dans le Jourdain : il passe d'abord au midi de cette arête,
puis il la coupe et se dirige vers le nord pour se rendre au Jourdain.
Dans cette vallée, sur une éminence isolée comme une
île, est située Abez, ville de moyenne grandeur, entourée
de jardins et d'avenues, près de laquelle passe le petit cours d'eau
: un quart de lieue plus à l'est dans la vallée, se trouve
un beau puits appelé Puits de Saul, parce que c'est là que
Saul fut blessé. Jésus n'entra pas non plus dans cette ville,
mais il contourna la pente septentrionale des montagnes de Gelboë,
et passant au midi de la ville, il se dirigea vers un groupe de maisons,
entremêlées de jardins et de champs : il y avait aussi là
de grands tas de blé. Jésus entra dans une hôtellerie
ou l'attendaient des vieillards et des femmes alliés à sa
famille : ils lui lavèrent les pieds et lui témoignèrent
une déférence sincère et affectueuse. Ils étaient
au nombre de quinze, neuf hommes et six femmes ; ils lui avaient fait dire
qu'ils désiraient se rencontrer ici avec lui. Plusieurs avaient
avec eux des serviteurs et quelques enfants. C'étaient des gens
très âgés, parents de sainte Anne, de saint Joachim
et de saint Joseph. L'un d'eux était un demi frère de Joseph,
plus jeune que lui, qui demeurait, je crois, dans la vallée de Zabulon
; un autre était le père de la fiancée de Cana ; il
y avait aussi cette parente de sainte Anne, des environs de Séphoris,
chez laquelle il avait guéri l'enfant aveugle avant son dernier
séjour à Nazareth (voir tome II, page 239 ). J'ai oublié
les autres. Ils s'étaient réunis et étaient venus
ici sur des ânes pour voir Jésus et pour lui parler. Ils désiraient
qu'il choisît quelque part un domicile stable et qu'il cessât
de courir le pays : ils voulaient lui chercher un endroit où il
pût enseigner tranquillement et où il n'y eût pas de
Pharisiens. Ils lui représentèrent le grand danger qu'il
courait, à cause de l'irritation des Pharisiens et des autres sectes
contre lui. " Nous savons bien, disaient-ils, les merveilles que vous opérez
et les grâces dont vous êtes la source, seulement choisissez
une demeure fixe pour y enseigner en repos, afin que nous se soyons pas
dans une inquiétude continuelle pour vous ". Ils se mirent alors
à lui proposer différents endroits.
Ces vieilles gens simples et pieux faisaient cette proposition à
Jésus par suite de leur grande affection pour lui ; ils étaient
scandalisés des sarcasmes incessants des malveillants qui leur étaient
répétés. Jésus s'entretint longuement avec
eux : il leur tint un langage très énergique et très
affectueux, mais tout différent de celui qu'il tenait au peuple
et à ses disciples. Il s'exprima plus nettement, il donna des éclaircissements
sur la promesse divine et sur l'obligation où il était d'accomplir
la volonté de son Père céleste : il dit qu'il n'était
pas venu pour se reposer, ni pour des individus ou pour les gens de sa
parenté, mais pour tous les hommes : que tous étaient ses
frères et ses parents que la charité ne connaissait pas le
repos, que celui qui est envoyé pour secourir doit aller à
la recherche des pauvres, qu'il ne fallait pas avoir en vue les commodités
de cette vie, que son royaume n'était pas de ce monde, etc. Il se
donna beaucoup de peine pour éclairer ces bonnes gens, que ses discours
étonnaient de plus en plus, et dans l'esprit desquels la lumière
se faisait de plus en plus. Leur affection et leur intérêt
pour lui allaient toujours croissant. Il alla séparément
avec les uns et les autres se promener à l'ombre sur la montagne,
il les instruisit, les consola, puis il s'entretint encore avec tous ensemble.
Ce fut à cela qu'il passa la journée. Ils prirent avec lui
un repas frugal, consistant en pain, en miel et en fruits secs qu'ils avaient
apportés.
Dans la soirée, les disciples lui amenèrent le fils d'un
maître d'école de l'endroit voisin. Il avait étudié
et voulait à son tour devenir maître dans quelque école.
Il pria Jésus de l'admettre parmi ses disciples, disant qu'il avait
reçu de l'éducation, qu'il pouvait dès à présent
se servir de lui et lui donner un emploi, etc. Jésus lui répondit
que cela ne se pouvait pas, que sa science n'était pas celle qui
était requise ? qu'il était trop attaché aux choses
de la terre, etc. ; bref, il le refusa ; j'ai oublié le reste.
(5 novembre.) Le matin, Jésus visita encore ses cousins et leur
donna des avis : ils partirent vers midi, se dirigeant vers le mont Thabor,
où ils se séparèrent dans diverses directions. Il
avait tout à fait réconforté, consolé et éclairé
ces bonnes gens, et quoiqu'ils n'eussent pas tout compris, ils s'étaient
tous tranquillisés intérieurement, et ils partirent avec
la ferme persuasion que ses paroles étaient des paroles divines,
que ce qu'il faisait était bien fait, et qu'il savait mieux qu'eux
par quelles voies il devait marcher Leurs adieux furent encore plus touchants
que leur première entrevue : ils prirent congé de lui en
versant des larmes et avec les témoignages de la déférence
plus affectueuse, puis, lui adressant des sourires et des gestes d'amitié,
ils remontèrent la vallée dans leur simple accoutrement de
voyage, les uns montes sur des ânes, les autres à pied, tenant
à la main de longs bât4)ils. Jésus et ses disciples
leur firent quelque temps la conduite, après les avoir aidés
à charger leur bagage et à s'asseoir sur leurs montures.
Jésus alla ensuite dans la vallée à un beau puits,
situé à un quart de lieue d'Abez, ou se trouvaient plusieurs
femmes de la ville qui étaient venues puiser de l'eau. Lorsqu'elles
le virent venir, quelques-unes allèrent en toute hâte dans
les maisons qui entouraient Abez, et bientôt il vint avec elles un
certain nombre d'hommes et de femmes apportant des bassins, des linges,
du pain et des fruits dans des corbeilles ; ils lui lavèrent les
pieds ainsi qu'aux disciples, et leur firent manger quelque chose. La foule
se grossit encore, et Jésus l'enseigna. On le conduisit ensuite
dans la ville, 'où dès la porte, il vint à sa rencontre,
de toutes les maisons et de tous les coins de rue, une foule d'enfants
des deux sexes avec des couronnes et des guirlandes de fleurs. Les disciples
qui l'entouraient trouvèrent que la presse était trop grande,
et ils voulurent éloigner les enfants. Mais Jésus leur dit
: `` Faites place et laissez les venir. ', Alors les enfants se précipitèrent
tous vers lui, et il les prit dans ses bras, les serra contre lui et les
bénit. Les pères et les mères se tenaient sur les
portes et sur les galeries des vestibules. Il alla à la synagogue,
où la foule s'assembla, et il enseigna. Le soir, il guérit
quelques malades dans les maisons : il prit aussi, sous une cabane de feuillage
encore debout, un repas auquel prirent part beaucoup de personnes de la
ville.
Avant que Jésus allât dans cette vallée, Thomas
était revenu d'Endor à Apheké, qui est située
à l'ouest d'Abez. Je vis ici quelques femmes voilées affligées
de pertes de sang, se glisser à travers la foule derrière
Jésus, baiser le bord de sa robe et guérir aussitôt.
Dans d'autres villes plus considérables. Ces sortes de femmes étaient
obligées de rester à une certaine distance : dans de petits
endroits comme celui-ci, on n'y regardait pas de si près.
(6 novembre.) J'ai oublié la plus grande partie de ce que Jésus
fit aujourd'hui. Je me souviens seulement qu'il fut très bien accueilli
ici et qu'il guérit quelques malades dans les maisons. Vers midi,
il enseigna aussi de nouveau près du puis qui est devant la ville
: il s'y trouvait beaucoup de gens du voisinage.
Il lui vint ici un messager de Cana. Le principal magistrat de la ville
le faisait prier de venir tout de suite près de son fils dangereusement
malade. Jésus le tranquillisa, et lui dit qu'il pouvait attendre
encore. Il vint ensuite deux messagers juifs de Capharnaum, envoyés
par ce païen qui avait déjà fait adresser à Jésus
par ses disciples une requête en faveur de son serviteur malade.
Ils le pressèrent vivement de vouloir bien aller avec eux à
Capharnaum, autrement le serviteur mourrait. Mais Jésus leur dit
qu'il irait en temps opportun. et que le serviteur ne mourrait pas encore.
Les messagers assistèrent ensuite à son instruction.
Les habitants d'Abez étaient, pour la plupart, originaires de
Jabez de Galaad. Ils s'étaient établis ici à l'époque
du sacerdoce d'Héli, à la suite d'une contestation entre
les habitants de Galaad : le juge qui gouvernait alors s'y rendit, et y
mit un terme en décidant qu'ils viendraient s'établir ici.
Saul fut blesse près du puits d'Abez, qu'on appelle, à cause
de cela, le puits de Saul, et il mourut sur la hauteur qui est au midi.
Les habitants sont, en général, de moyenne condition : ils
font des corbeilles et des nattes avec des joncs qui croissent en abondance
dans des marais voisins formés par l'eau qui coule des montagnes.
Ils font aussi de petites cabanes de clayonnages : en outre, ils ont des
champs qu'ils cultivent et des pâturages.
J'eus ici une vision sur l'histoire de Saul. et voici ce que je m'en
rappelle. Les Israélites se tenaient a l'ouest d'Endor près
de Jezraël, et les Philistins marchèrent contre eux de Sunem.
Le combat était delà commencé lorsque Satan avec deux
compagnons, habillés comme lui en prophètes, allèrent
à Endor trouver la sorcière à la tombée de
la nuit. Elle habitait hors de la ville dans une vieille muraille. C'était
une femme décriée, sans moyens d'existence : elle était
encore assez jeune : c'était une personne robuste, d'un aspect masculin
: je vis son mari courir le pays, portant sur son des une boite où
étaient des marionnettes, et faire des tours de toute espèce
pour amuser les soldats et d'autres gens de même sorte.
Lorsque Saul vint à elle, il était déjà
presque réduit au désespoir. Elle ne voulait pas se rendre
à son désir, croyant qu'il la dénoncerait à
Saul qui avait exterminé les faiseurs de sortilèges. Il lui
fit un serment solennel qu'il n'en serait pas ainsi. Alors elle sortit
avec lui de sa chambre qui était bien tenue et le conduisit dans
un caveau. Saul lui demanda d'évoquer l'esprit de Samuel. Elle traça
un cercle autour de Saul et de ses compagnons, dessina certains signes
autour de ce cercle et tendit de côté et d'autre devant Satan,
des fils de laine bariolée formant diverses figures. Elle se tenait
debout en face de lui et avait encore un espace libre à côté
d'elle. Devant elle était un bassin plein d'eau enfoncé dans
le sol : elle tenait en outre dans ses mains des plaques de métal,
comme des miroirs, qu'elle agitait les unes vis-à-vis des autres
et au-dessus de l'eau Elle prononçait aussi des paroles et quelquefois
elle appelait à haute voix : elle avait indiqué à
Saul, dans lequel des compartiments formés par les fils entrecroisés
devait regarder. Elle pouvait ainsi à l'aide de son art diabolique
faire apparaître des troupes d'hommes armés, des combats et
des figures de toute espèce et c'était une fantasmagorie
de ce genre qu'elle voulait produire devant Saul. Mais lorsqu'elle commença
ses prestiges, elle vit près d'elle une apparition et laissa tomber
les miroirs sur le bassin d'eau : elle fut toute bouleversée et
s'écria : " Vous m'avez trompée vous êtes Saul ". Alors
Saul lui dit qu'elle n'avait rien à craindre et lui demanda ce qu'elle
voyait. " Des saints sortent du sein de la terre. "répondit-elle.
Satan ne voyait rien et dit : " à quoi ressemble-t-il ? " La femme
saisie d'épouvante répondit : " à un vieillard en
habits sacerdotaux ". Elle tira Saul à elle et s'enfuit hors du
caveau. Mais Saul vit Samuel et tomba la face contre terre. Samuel lui
demanda pourquoi il troublait son repos et lui dit que les châtiments
de Dieu allaient l'atteindre, que le lendemain il serait près de
lui parmi les morts, que les Philistins tailleraient en pièces les
Israélites et que David deviendrait roi.
Ayant entendu ces paroles, Saul dans sa douleur et son épouvante
restait étendu par terre comme s'il eût été
mort. On le releva et on l'appuya contre le mur. Il ne voulut pas manger.
Ses compagnons cherchèrent à le persuader et la femme apporta
du pain et de la viande. Je ne l'avais pas vu tuer d'animal auparavant
: Peut-être cela m'a-t-il échappé : cependant tout
ce que j'avais vu avait pris trop peu de temps pour qu'elle eut pu le faire.
Cette femme conseilla à Saul, au lieu d'aller au combat, de se rendre
à Abez où les habitants. comme originaires de Galaad, étaient
bien disposes pour lui. Saul y alla à l'aube du jour. Cependant
les Israélites furent battus et mis en fuite sur les montagnes de
Gelboë. Ce ne fut pas le gros de l'armée qui vint à
l'endroit où était Saul, mais seulement un corps de partisans.
Saul était assis sur un char et un homme se tenait derrière
lui. Les Philistins qui se précipitaient en avant lui lancèrent
des javelots et des flèches : ils ne savaient pas que ce fût
le roi. Il fut grièvement blessé et son compagnon conduisit
le char sur la pente méridionale de la vallée, hors du chemin
où Jésus se trouvait hier avec les gens de sa parenté.
Lorsque Saul sentit que sa mort était inévitable, il pria
son compagnon de le tuer, mais celui-ci s'y refusa. Alors Saul debout dans
le char voulut se jeter sur la pointe de son épée mais il
ne put pas y réussir, empêché par un appui qui était
en avant du char. Mais son compagnon détacha cet appui qui était
mobile et qui s'abaissa : Saul alors se précipita sur son épée
et son compagnon l'imita. Sur ces entrefaites un Amalécite passa
: il reconnut Saul, prit ses ornements royaux et les porta à David.
Après le combat on mit ensemble le corps de Saul et ceux de ses
fils. Ceux-ci avaient été tués quelque temps avant
lui, dans une partie du champ de bataille située plus à l'est.
Les Philistins taillèrent les corps en morceaux et Je vis toutes
choses se passer comme la Bible le raconte. J'ai été cette
nuit sur toutes ces hauteurs de Gelboë ; ces montagnes se croisent
et s'enchevêtrent d'une façon étrange.
Le ruisseau qui est dans cette vallée s'appelle Kadummim et
il est mentionné dans le cantique de Débora. Il est arrive
ici autrefois quelque chose que j'ai vu, mais dont je ne me souviens plus.
Le prophète Malachie a séjourné ici quelque temps
et y a prophétisé. Abez est à environ trois lieues
de Scythopolis.
Dans l'après-midi Jésus s'éloigna du puits dans
la direction du levant, puis il tourna au nord. Il franchit la hauteur
qui domine la vallée du côte du nord puis ils firent trois
lieues jusqu'à une autre vallée située à l'est
du Thabor, et dans laquelle le torrent de Cison qui prend sa source sur
la pente nord-est tourne autour de la montagne avant de se rendre dans
la plaine d'Esdrelon. Au pied du Thabor, du côté du levant,
se trouve la ville de Dabrath, qui occupe un bassin formé par les
premières assises de la montagne : la vue s'étend de là,
par-dessus la haute plaine de Saron, vers la contrée où le
Jourdain sort du lac Le Cison la traverse : une partie de la ville est
bâtie en deçà du torrent.
Jésus s'arrêta dans une hôtellerie devant la ville.
Je ne l'ai pas vu aller dormir. Il enseigna jusqu'à une heure avancée
des gens réunis autour de lui.
(7 novembre.) J'ai oublié la plus grande partie de ce que fit
Jésus aujourd'hui. Je me souviens seulement qu'hier il est allé
avec les gens chez lesquels il a passé la nuit, se promener au bas
de la montagne et qu'il y a enseigné. Aujourd'hui, vers midi, il
entra dans la ville de Dabrath et beaucoup de personnes se pressèrent
autour de lui. Je ne sais plus dans quel ordre tout se succéda.
Il guérit quelques malades. Il n'y en a pas beaucoup ici, l'air
est très sain. La ville est très bien bâtie : je me
souviens d'une maison précédée d'un grand péristyle
avec des colonnes : des escaliers conduit au-dessus du péristyle
et l'on trouve là d'autres escaliers qui montent jusqu'au toit de
la maison. Je vis des gens descendre de là dans la rue lors de l'entrée
de Jésus. Derrière la ville s'élève un contrefort
du Thabor, et des chemins tortueux conduisent jusqu'au haut de ce promontoire
: il y a environ deux lieues depuis là jusqu'au sommet. Des soldats
romains sont établis dans une rue qui longe les murs de la ville.
Il y a ici un bureau pour la perception des impôts. La ville a cinq
rues dont chacune est habitée par des gens d'un métier différent.
Dabrath n'est pas sur le grand chemin : la route de commerce la plus voisine
passe à une bonne demi lieue d'ici. On y exerce cependant toute
espèce d'industries. La ville avec son revenu est une ville de lévites.
Les poteaux qui marquent les limites de la tribu d'Issachar, sont à
peine à un quart de lieue d'ici. La synagogue est sur une place
et la maison dont j'ai parlé tout à l'heure donne sur cette
place. Je me souviens que Jésus y entra et que lorsqu'il y fut reçu
je vis plusieurs personnes descendre les escaliers en toute hâte,
car c'est la demeure d'un allié de sa famille, du fils d'un des
frères ainés de saint Joseph, père nourricier du Sauveur.
Ce frère de saint Joseph s'appelait Elia : il avait cinq fils
: celui qui demeure ici se nomme Jessé et c'est déjà
un homme âgé. Sa femme vit encore et ils ont six enfants,
trois fils et trois filles. Deux des fils ont déjà dix-huit
et vingt ans. Ils s'appellent Caleb et Aaron. Leur père pria Jésus
de les prendre pour disciples et il y consentit. Ils doivent partir avec
lui quand il redescendra dans le pays. Ce Jessé est chargé
d'une perception pour les lévites et il est à la tête
d'une fabrique de drap. Il achète de la laine qui est lavée,
filée et tissée ici. Il y a toute une rue qui travaille pour
lui. Il y a aussi dans un bâtiment allongé un pressoir où
l'on exprime le suc de diverses herbes qui croissent sur le Thabor ou que
l'on fait venir d'ailleurs : les unes servent à la teinture ; les
autres à préparer des breuvages et des parfums. J'ai vu dans
des auges des cylindres creux où l'on introduit les plantes que
l'on presse avec. de lourds pilons : les tuyaux par lesquels coule le suc
ainsi exprimé aboutissent à l'extérieur de la maison
et sont pourvus de bondons. On prépare là entre autres choses
de l'huile de myrrhe. Jessé est très pieux ainsi que toute
sa famille, ses enfants vont tous les jours prier au Thabor et il va souvent
avec eux. Jésus logea chez lui avec ses disciples : il opéra
des guérisons dans la ville et enseigna dans la synagogue.
Il y avait ici des Pharisiens et des Sadducéens. Ils formaient
comme une espèce de consistoire et ils délibérèrent
ensemble sur la manière dont ils contrediraient Jésus. Le
soir, Jésus alla avec les disciples près du mont Thabor,
où une réunion d'hommes était convoquée et
il les enseigna au clair de la lune jusque très avant dans la nuit.
Sur la pente sud-est du Thabor se trouve une grotte avec un petit jardin
où le prophète Malachie a souvent résidé :
au haut de la montagne, il y a également une grotte avec un jardin
où Elle a séjourné avec ses disciples comme sur le
Carmel. J'ai vu les deux endroits. Ce sont des lieux de prière fréquentés
par les Juifs pieux.
Sur le versant septentrional du Thabor, à une grande hauteur
et tout contre la montagne, se trouve un endroit nommé Thabor, qui
a donné son nom à celle-ci. Une petite lieue plus à
l'ouest, en face de Séphoris, il y a encore un endroit fortifié.
Khasaloth est au pied de la montagne sur le versant méridional,
au nord de Naïm, ayant vue sur Apheké ; c'est là que
le territoire de Zabulon se prolonge le plus dans cette direction. Il y
a là un endroit qui, je crois, a porté plus tard le nom d'Affa
: mais je n'ai aucune certitude à cet égard. J'ai vu que
des parents de Jésus avaient habité cet endroit, notamment
une soeur d'Elisabeth, fille de la tante maternelle de sainte Anne. Elle
s'appelait Rhode, comme la servante de Marie, mère de Marc. Rhode
avait trois filles et deux fils. Une de ces deux filles était l'une
des trois veuves amies de Marie, dont il est si souvent question dans cette
histoire. Elle avait deux fils parmi les disciples. Un des deux fils de
Rhode épousa Maroni et mourut : sa veuve, restée sans enfants,
épousa en secondes noces, conformément à la loi, un
homme de la même famille, Eliud, neveu de sainte Anne. Elle eut de
lui Martial et alla s'établir à Naim. Elle devint veuve une
seconde fois, et c'est elle qui est la veuve de Naïm, dont le fils
Martial fut ressuscité par le Seigneur.
(8 novembre.) Ce matin, Jésus enseigna dans la maison de son
parent et guérit quelques malades dans la ville. Après le
repas, il enseigna sur une place devant la synagogue. Beaucoup de malades
étaient venus des environs et les Pharisiens étaient très
irrités. Il y avait à Dabrath une femme riche, appelée
Noémi. Elle avait trompé son mari et vécu dans l'adultère,
en sorte que celui-ci était mort accablé de chagrin. A présent,
elle avait un homme d'affaires auquel elle avait fait depuis longtemps
la promesse de l'épouser, mais elle le trompait et avait toujours
d'autres amants. Cette femme avait entendu Jésus prêcher à
Dothan, et il s'était fait en elle un grand changement. Elle était
pénétrée de repentir et n'avait plus qu'un désir,
c'était qu'il lui remit ses péchés et lui indiquât
une pénitence à faire. Elle avait assisté ici à
la prédication et aux guérisons de Jésus, et elle
cherchait à se rapprocher de lui, mais il se détournait toujours
d'elle. C'était une femme de distinction et qui n'était las
tombée dans le mépris public. Comme elle s'efforçait
par tous les moyens possibles de pénétrer jusqu'à
Jésus, les Pharisiens se mirent à la traverse : ils cherchèrent
à lui faire honte de son insistance et l'engagèrent à
retourner dans sa maison. Mais elle ne se laissa pas arrêter par
là : son désir ardent d'être pardonnée la mettait
comme hors d'elle-même et elle s'ouvrit passage à travers
la foule. Elle se prosterna à terre devant Jésus et s'écria
: " Seigneur, y a-t-il encore espoir de grâce et de pardon pour moi
? Seigneur, je ne puis plus vivre ainsi ! " Jésus l'engagea à
se calmer, et elle lui dit : "J'ai gravement péché contre
mon mari. J'ai trompé l'homme qui est maintenant à la tête
de ma maison, "et elle proclama ainsi sa faute devant tout le monde.- Cependant
tous ne l'entendirent pas, car Jésus s'était retiré
à l'écart, et les Pharisiens qui se pressaient en foule,
faisaient grand bruit tout autour de lui. Mais lorsque Jésus lui
dit : " Levez-vous, vos péchés vous sont remis ! "elle demanda
une pénitence. Jésus la remit à un autre moment et
elle se dépouilla de tous ses ornements. Elle avait des perles autour
de sa coiffure, des anneaux, des agrafes, des colliers et des bracelets
: elle remit tout cela aux Pharisiens pour qu'ils le donnassent aux pauvres
et elle se voîla le visage.
Jésus alla à la synagogue, car le sabbat commençait,
et les Pharisiens et les Sadducéens le suivirent pleins de dépit
L'instruction de ce soir roula sur Jacob et Esau (Genèse, XXV, 19-34.
Malachie, I et II). Jésus appliqua à son temps ce qui est
dit de la naissance de Jacob et d'Esau. Esau et Jacob étaient entrés
en lutte dans le sein de leur mère, il en était ainsi de
la synagogue et de ceux qui aspiraient à la sainteté. La
loi est rude et sauvage ; elle est née la première comme
Esau, mais elle vend son droit d'aînesse pour un plat de lentilles,
pour le parfum de quelques petites observances et pratiques extérieures
; elle le vend à Jacob qui reçoit la bénédiction,
et Jacob devient un grand peuple dont Esau doit être le serviteur,
etc. Toute cette explication fut très belle : les Pharisiens ne
trouvèrent rien à y opposer, mais ils disputèrent
contre lui bien longtemps : j'ai entendu tout cela, mais je ne puis le
rapporter.
Les Pharisiens lui reprochèrent de se faire un parti, d'établir
dans tout le pays des hôtelleries où se dépensait beaucoup
d'argent donné par de riches veuves et qui aurait pu profiter à
la synagogue et à ses docteurs. Il en sera encore de même
pour Noémi, disaient-ils : " comment peut-il lui remettre ses péchés
" ?
Jésus passa la nuit et enseigna encore chez le parent de saint
Joseph.
(9 novembre.) Ce matin, Jésus n'alla pas à la synagogue,
mais dans l'école des garçons et des filles. Ces enfants
vinrent encore près de lui, avant le repas, dans le vestibule de
la maison de son parent où il leur donna des avis et les bénit.
La femme convertie hier est aussi venue le trouver avec son intendant.
Jésus s'entretint d'abord avec chacun d'eux en particulier, puis
avec tous les deux ensemble. La femme, avec ses dispositions actuelles,
ne devait plus se marier, d'autant plus que l'homme était d'une
condition inférieure. Elle lui céda une partie de son bien
et donna le reste aux pauvres, sauf ce qui était nécessaire
pour sa subsistance. Après le repas du jour du sabbat, au moment
où les Juifs,- en général, ont l'habitude de faire
une promenade, plusieurs femmes juives vinrent chez Jessé visiter
la maîtresse de la maison et Jésus les fit jouer à
un jeu instructif, approprié au jour du sabbat : Noémi, la
convertie, était aussi là. Je ne me souviens plus de la marche
de ce jeu, mais il consistait en une série de paraboles ou d'énigmes,
dont chacune portait coup et qui les toucha profondément. On demandait,
par exemple, où chacune avait son trésor, si elle en tirait
intérêt, si elle le cachait, en faisait part à son
mari, l'abandonnait aux soins de ses domestiques, le traînait à
la synagogue, si c'était là qu'était son coeur ? On
faisait de même différentes questions sur l'éducation
des enfants, les relations avec les domestiques, etc. Je me souviens qu'il
parla aussi de l'huile et de la lampe, de la manière dont la lampe
brûle lorsqu'elle est remplie, de l'huile répandue inutilement,
tout cela entendu dans le sens spirituel ; qu'une femme, interrogée
à ce sujet, répondit toute joyeuse : " Oui, Maître,
je prends toujours grand soin de la lampe du sabbat. " et que ses voisines
se mirent à rire parce qu'elle n'avait pas du tout compris le sens
des paroles de Jésus. Il donna ensuite des explications très
frappantes sur ce qu'il avait dit, et la femme qui avait répondu
de travers, dut faire un présent pour les pauvres, ce quoi toutes
s'étaient préparées d'avance. Celle-là donna
une pièce d'étoffe.
Jésus écrivit aussi une énigme sur le sable devant
chacune d'elles et il leur fallait écrire la réponse à
côté. Il leur donna ensuite des enseignements, dans lesquels
il exposa toutes leurs mauvaises inclinations et leurs défauts d'une
façon qui les émut vivement, sans qu'aucune pourtant eût
à rougir devant les autres. Ces avis se rapportaient plus particulièrement
aux fautes qu'elles avaient commises lors de la fête des Tabernacles,
qui devenait facilement l'occasion de péché par suite de
la liberté qui y régnait et des réjouissances qui
l'accompagnaient. Plusieurs de ces femmes s'entretinrent ensuite en particulier
avec Jésus, elles confessèrent leurs manquements, le prièrent
de leur pardonner en leur imposant une pénitence et il les consola
et les réconcilia. Pendant cette instruction, les femmes étaient
assises sur des tapis et des coffres, le des appuyé contre des bancs
de pierre et rangées en demi-cercle sous les colonnes du vestibule.
Les disciples et les amis de la maison se tenaient des deux côtés
à quelque distance. On ne parlait pas très haut, parce qu'autrement
des gens de la rue auraient pu grimper sur le mur pour espionner et causer
du désordre ; car on était là en plein air. Les femmes
avaient apporté des aromates, des conserves et des parfums de toute
espèce, pour en faire présent à Jésus. Il remit
tout cela aux disciples pour être distribué aux pauvres malades
qui ne recevaient jamais de pareils cadeaux.
Avant que Jésus allât à la synagogue pour la clôture
du sabbat, des Hérodiens lui envoyèrent un message pour le
prier de se rendre à un certain endroit de la ville où ils
voulaient s'entretenir avec lui. Jésus répondit aux messagers
d'un ton sévère : `r Dites à ces hypocrites qu'ils
n'ont qu'à venir à la synagogue ouvrir contre moi leurs bouches
perfides, c'est là que je leur répondrai ainsi qu'aux autres.
"il leur donna encore d'autres sévères qualifications que
je n'ai pas retenues, puis il se rendit à l'école.
Je ne me souviens plus de l'instruction du sabbat, je sais seulement
qu'il y fut question de Jacob et d'Esau, de la grâce et de la loi,
des enfants et des serviteurs du père, qu'il parla avec tant de
force contre les Pharisiens, les Sadducéens et les Hérodiens,
que leur rage alla toujours croissant. Il compara aussi les voyages d'Isaac
d'un lieu à l'autre pendant la famine et les puits comblés
par les Philistins, à sa prédication et à la persécution
des Pharisiens ; il enseigna sur Malachie et dit comment s'accomplissait
maintenant la prédiction de ce prophète : " Mon nom sera
grand dans les limites d'Israël ; mon nom sera glorifié du
levant au couchant parmi les nations ". Il leur parla de tous les chemins
qu'il avait parcourus pour glorifier le nom du Seigneur, en deçà
et au delà du Jourdain, et ajouta qu'il les parcourrait jusqu'au
bout : puis il commenta très sévèrement ces paroles
: " Le fils doit honorer son père et le serviteur son maître.
" (Malach. I,5,6,11), etc. Ils furent couverts de confusion et ne purent
rien lui répondre.
Mais lorsque le peuple quitta la synagogue, et que Jésus à
son tour en sortit avec ses disciples, tous lui barrèrent le chemin
dans un vestibule, et lui demandèrent des explications, disant qu'il
n'était pas nécessaire que le bas peuple entendît tout
ce qu'on avait à dire. Ils lui adressèrent toute sorte de
questions captieuses, particulièrement sur ses rapports avec les
Romains qui étaient en garnison ici : je ne sais plus bien de quoi
il s'agissait. II leur répondit de manière à les réduire
au silence, et comme à la fin ils exigeaient de lui, avec un mélange
de flatteries et de menaces, qu'il cessât de parcourir le pays avec
ses disciples, d'enseigner et de guérir les malades, faute de quoi
ils l'accuseraient et le poursuivraient comme instigateur de troubles et
de soulèvements, il leur répondit : " Jusqu'à la fin,
vous trouverez à ma suite, partout où j'irai, les disciples,
les ignorants, les pécheurs, les pauvres, les malades, que vous
laissez dans l'ignorance, dans le péché, dans la pauvreté
et dans la maladie ". Comme ils ne pouvaient rien lui répondre,
ils quittèrent la synagogue avec lui et furent très polis
en apparence. Intérieurement ils étaient pleins de dépit
et tout déconcertés.
Jésus partit de là, à la lueur du crépuscule,
avec ses disciples et plusieurs personnes qui l'attendaient devant la synagogue
et il se dirigea au nord-est vers le Thabor. Il y trouva réunies
d'autres personnes parmi lesquelles étaient ses cousins. Il s'assit
au penchant de la montagne : ses auditeurs s'assirent et s'étendirent
à ses pieds : les étoiles brillaient dans un ciel serein
et il y avait même un peu de clair de lune. Il enseigna jusque bien
avant dans la nuit. Il faisait souvent ainsi pour quelques groupes de braves
gens quand ils avaient terminé une rude journée de travail.
Tout alors est plus tranquille, rien ne distrait les assistants ; le ciel,
les étoiles, la belle vue la fraîcheur agréable du
soir et le calme de la nature rendent les hommes plus recueillis : ils
entendent mieux sa voix, avouent plus aisément leurs fautes, sont
moins exposés à rougir, emportent son enseignement chez eux
et le méditent ensuite avec moins de distractions. Il en fut ainsi
particulièrement dans cette occasion, au milieu des magnifiques
aspects que présente cette belle contrée du Thabor : de plus,
cette montagne était pour les gens du pays une montagne sainte,
à cause d'Elie et de Malachie qui y avaient séjourné.
Comme Jésus revenait à son logis avec la foule, à
une heure avancée de la nuit, un marchand païen de l'île
de Chypre, qui avait assisté à son instruction, s'approcha
de lui sur le chemin. Il habitait dans les bâtiments appartenant
à Jessé avec lequel il était en relations de commerce
: jusqu'alors il s'était tenu à l'écart par discrétion.
Maintenant il vint trouver Jésus en particulier dans une salle de
la maison et Jésus s'assit avec lui comme il avait fait avec Nicodème
et répondit a toutes les questions que cet homme lui adressa avec
beaucoup d'1mmilité et un grand désir de s'instruire.
Ce païen était un homme très sage et de sentiments
très élevés : il s'appelait Cyrinus ; il parlait très
pertinemment de toutes choses et il reçut l'enseignement de Jésus
avec une humilité et une joie incroyables Jésus fut aussi
très affable et très confiant avec lui Cyrinus dit au Seigneur
qu'il avait vu depuis longtemps le néant de l'idolâtrie et
qu'il aurait voulu devenir Juif ; seulement il y avait une chose qui lui
inspirait une répugnance insurmontable : c'était la circoncision
; n'était-il donc pas possible d'arriver au salut sans la circoncision
? Jésus lui parla d'une manière très profonde et très
confidentielle sur ce mystère : il lui dit qu'il pouvait circoncire
ses sens par le retranchement des convoitises de la chair, qu'il en pouvait
faire autant pour son coeur et pour sa langue, et aller à Capharnaum
afin d'y recevoir le baptême. Là-dessus Cyrinus demanda à
Jésus pourquoi il n'enseignait pas cela publiquement : il croyait
que dans ce cas bien des païens, désireux du salut, se convertiraient
Jésus répondit que ce peuple aveuglé le mettrait à
mort, s'il parlait ainsi devant lui et il ajouta qu'il ne fallait pas scandaliser
les faibles. Il pouvait aussi naître de là des sectes de toute
espèce ; d'ailleurs, pour beaucoup de païens, cette prescription
subsistait encore comme une épreuve et un sacrifice ; mais maintenant
que le royaume de Dieu était proche, l'alliance qui avait pour signe
la circoncision corporelle, allait prendre fin et elle devait être
remplacée par la circoncision du coeur et de l'esprit. Cet homme
l'interrogea encore sur la valeur du baptême de pénitence
donné par Jean et Jésus lui dit à ce sujet quelque
chose dont je ne me souviens plus.
Cyrinus parla aussi de plusieurs personnes de Chypre, qui désiraient
vivement voir Jésus, et il se plaignit de ce que ses deux fils,
dont au reste il vanta la vertu, étaient des ennemis déclarés
du judaïsme. Jésus le consola à ce sujet et lui promit
que ses fils deviendraient de zélés ouvriers dans sa vigne,
lorsqu'il aurait accompli son oeuvre. Ils s'appelaient, à ce que
je crois, Aristarque et Trophime, et ils devinrent plus tard disciples
des apôtres, de saint Pierre ou de saint Paul, si je ne me trompe...
(Toutefois elle s'exprima à ce sujet d'une manière très
vague, mais plus tard elle dit très positivement qu'il y avait eu
deux disciples du nom d'Aristarque : ainsi, celui dont il est question
ici ne serait pas le même que celui qui est nommé dans les
Actes des apôtres). L'entretien nocturne de Jésus avec ce
païen se prolongea jusqu'au matin : il fut très touchant et
profondément instructif : cet homme était plein d'intelligence
et de généreux sentiments, et cela me rappela la nuit que
Jésus avait passée avec Nicodème.
Sur le versant méridional du Thabor, Jessé a pratiqué
dans les parois des rochers des espèces de niches pour y placer
des vases où l'on prépare des parfums tirés des herbes
et d'autres substances. Une liqueur coule de ces vases dans d'autres placés
plus bas et on la remue souvent : c'est peut-être de la distillation.
Avant midi Jésus fit avec les disciples trois lieues au nord-est
il alla visiter le territoire et le bourg de Giscala, qui est à
une petite lieue avant Béthulie. Au commencement de son voyage,
il pouvait voir au levant un endroit que je crois être Japhia, et
au couchant un autre endroit, situé au nord du bourg de Thabor.
La montagne qui est de ce côté est, si je ne me trompe, l'un
des lieux où il opéra la multiplication des pains. Giscala
est sur une éminence, mais moins élevée que celle
où se trouve Béthulie. Holopherne y a campé : le bourg
n'existait pas à cette époque : il n'y avait que quelques
maisons. Giscala est une forteresse pleine de soldats païens ; je
crois que ce sont des Romains. Hé rode est obligé de les
solder, et les Juifs habitent un petit faubourg, à un demi quart
de lieue de là Giscala n'est pas une ville comme une autre : on
y voit quelques places et quelques bâtiments entourant des enceintes
palissadées comme pour y tenir des chevaux en liberté : tout
autour s'élevait des tours isolées à plusieurs étages
; elles sont environnées de murs et une garnison peut s'y détendre.
Tout cet ensemble compose une ville singulière ; à l'une
de ces tours s'adossent des bâtiments entourés de colonnes
des quatre côtes : c'est là qu'est le temple païen. Les
Juifs qui habitent le petit faubourg en avant de la forteresse, sont en
très bons rapports avec la garnison : ils fabriquent toute sorte
d'ouvrages en cuir, des harnais pour les chevaux et des objets d'équipement
pour les soldats : ils sont les uns propriétaires, les autres surveillants
et intendants de la contrée environnante qui est d'une merveilleuse
fertilité : car c'est de là à Capharnaum que s'étend
le magnifique pays de Génésareth. La forteresse est au point
culminant de la hauteur : on y monte par des chemins couverts construits
en maçonnerie. Le quartier des Juifs est ouvert et situé
sur la pente : il est précédé d'une fontaine ou plutôt
d'un abreuvoir où l'eau arrive par des conduites. Jésus s'arrêta
d'abord près de cette fontaine avec les disciples.
Les habitants du quartier juif célébraient une fête,
car grands et petits étaient dispersés dans les jardins et
les champs d'alentour. Les enfants païens étaient aussi sortis
de la ville et s'étaient rassemblés de leur côté.
Lorsqu'on vit Jésus s'approcher de la fontaine, les magistrats vinrent
le trouver avec leur maître d'école, qui était un homme
instruit. Ils souhaitèrent la bienvenue à Jésus et
à ses disciples, leur lavèrent les pieds et leur offrirent
des fruits de diverses espèces. Jésus enseigna près
de la fontaine en paraboles touchant la récolte, car cette contrée
faisait alors sa seconde récolte de raisins et d'autres fruits.
Jésus alla aussi près des enfants païens, s'entretint
avec leurs mères, les bénit et en guérit quelques-uns
qui étaient malades. Les Juifs de Giscala célébraient
aujourd'hui une fête en mémoire de leur délivrance
d'un oppresseur qui était le fondateur de la secte sadducéenne.
Il vivait plus de deux siècles avant Jésus-Christ, j'ai oublié
son nom qui ressemblait à Man ou Melan : du moins la syllabe an
s'y trouvait et je crois qu'il commençait par une m. Un certain
Antigonus avait aussi pris part à l'établissement des Sadducéens,
mais ce n'est pas de lui dont je parle : il n'avait joué qu'un rôle
subordonné à celui du premier. Celui-ci avait un emploi dans
le sanhédrin de Jérusalem et était chargé de
maintenir les doctrines religieuses qui existaient en dehors de la loi.
Il tourmenta horriblement les gens d'ici : c'était un très
méchant homme. Il disait qu'on n'avait à espérer de
Dieu aucune récompense et qu'on devait agir en tout comme des esclaves.
Il était de ce pays : ces habitants avaient conservé de lui
de terribles souvenirs et ils célébraient une fête
en mémoire de sa mort. Je vis toute l'origine des Sadducéens
: je ne m'en souviens plus. Il y avait aussi avec lui un homme de Samarie.
Sadoch fut le continuateur de son enseignement : il était disciple
de l'autre (Antigonus) et soutenait qu'il n'y aurait pas de résurrection
: il avait aussi avec lui un Samaritain. (Elle décrit en termes
si forts la haine des habitants de Giscala et la tyrannie exercée
sur eux, qu'on doit croire qu'il avait eu là plus que des vexations
en matière de conscience.
Jésus avec ses disciples alla passer la nuit chez le chef de
la synagogue. Il enseigna encore là dans le vestibule ; on lui amena
quelques malades qu'il guérit, entre autres une vieille femme hydropique.
Le docteur de la synagogue était un excellent homme très
instruit : les gens de cet endroit avaient de l'antipathie pour les Pharisiens
et les Sadducéens et ils s'étaient procuré ce maître
eux-mêmes. Ils lui avaient fait faire des voyages jusqu'en Egypte.
Jésus s'entretint longtemps avec lui et avec les disciples : comme
il arrivait ordinairement en pareil cas, cet homme en vint à parler
de Jean. Il le vanta beaucoup et dit à Jésus que s'il avait
autant de lumières et de pouvoir qu'il en faisait paraître
et que lui en attribuait la renommée, il ne comprenait pas qu'il
ne fît rien pour remettre en liberté cet homme admirable
Aujourd'hui, Jésus, dans une belle instruction, adressa à
ses disciples des paroles prophétiques sur cet endroit. Trois zélateurs
devaient sortir de Giscala : le premier était celui qui avait fondé
la secte sadducéenne et à propos duquel les Juifs célébraient
leur fête d'aujourd'hui ; le second était un grand scélérat
encore à venir, Jean de Giscala, qui excita un grand soulèvement
en Galilée et commit des actions horribles lors du siège
de Jérusalem : j'ai vu un autre homme lui reprocher en face ses
méfaits. Il y en avait un troisième qui était vivant
et chez lequel la fureur devait se transformer en charité : celui-là
devait enseigner la vérité dans cet endroit même et
tout remettre dans la bonne voie. Ce troisième était Paul
qui était né ici, mais dont les parents étaient allés
s'établir à Tarse.
Je vis en effet qu'allant à Jérusalem, après sa
conversion, il annonça ici l'Évangile avec beaucoup de zèle.
La maison de ses parents existait encore : elle était affermée
: elle est à l'extrémité de ce faubourg la plus rapprochée
de Giscala, et il y a de ce côté une série d'enceintes
palissadées très spacieuses et de maisonnettes semblables
à des cabanes de blanchisseurs qui s'étend presque jusqu'à
Giscala. Les parents de Paul ont été, je crois, à
la tête d'une fabrique de toile. Cette maison est louée par
un officier païen du nom d'Achias, qui y habite.
(11 novembre.) On ne saurait exprimer à quel point cette contrée
est fertile : les habitants font maintenant leur seconde récolte
de vins, de fruits, d'herbes aromatiques et de coton. Il y a ici un roseau
que j'appelle toujours canne à sucre : il vient en groupes : ses
feuilles sont plus grandes en bas qu'en haut : un liquide sucré
en découle goutte à goutte comme de la résine, de
baies placées les unes au-dessus des autres.
C'est aussi dans ce pays que se trouvent les arbres sur lesquels viennent
les fruits dont on orne les cabanes de feuillage à la fête
des Tabernacles. On les appelait pommes des patriarches, parce qu'ils avaient
été apportés par les patriarches d'un pays plus chaud
situé à l'Orient. Les troncs ne s'élèvent pas
tout droit, mais tous sont, comme chez nous les arbres d'espaliers, courbes
et étendus sur des murs, quoique l'arbre ait souvent plus d'un pied
de diamètre.
(Tarse) Note : C'est ce qu'atteste une très ancienne tradition,
confirmée par saint Jérôme.
Il y a aussi beaucoup de cotonniers et des champs entiers pleins de
plantes odoriférantes, entre autres de celle dont on tire l'huile
de nard. Je crois qu'il en vient aussi chez nous dans les bons terrains
une espèce plus commune. Il y a ici beaucoup de figuiers, d'oliviers,
de ceps de vigne et des melons magnifiques qu'on voit en quantité
dans les champs et au bord du chemin. On rencontre aussi beaucoup de palmiers
et de dattiers. De nombreux troupeaux paissent au milieu de toute cette
richesse dans de belles prairies couvertes de gazon et d'herbe de toute
espèce. Il croit encore ici de grands arbres avec de grosses noix,
d'une espèce qui m'est inconnue, et un bel arbre qui fournit un
bois de charpente singulièrement solide et compacte l.
J'ai vu ce matin, Jésus aller à travers les champs et
les jardins qui sont remplis de gens faisant la récolte. De temps
à autre une troupe se rassemblait autour de lui et il les enseignait
en sentences brèves et en paraboles dont il empruntait les sujets
à leurs travaux habituels. Les enfants païens se mêlaient
ici assez familièrement avec ceux des Juifs pendant la récolte,
cependant ils étaient vêtus un peu différemment.
Dans la maison où saint Paul est né, habite maintenant
un centurion des soldats païens qui occupent la forteresse : il s'appelle
Achias et il a un fils de sept ans malade, auquel il a donné le
nom du héros juif Jephté.
Note : La Soeur décrit tout cela et bien d'autres choses avec
une grande vivacité ; elle regarde tout autour d'elle avec une sorte
d'exaltation joyeuse ; elle décrit les collines, les chemine et
tout le terrain, mais tout cela très vile et avec ses locutions
provinciales, en sorte qu'il n'a pas été possible d'en recueillir
davantage.
Achias était un homme de bien et il désirait vivement
l'assistance de Jésus, mais aucun des habitants ne voulait parler
de lui au Sauveur : quant aux disciples, les uns étaient avec leur
maître, les autres dispersés parmi les gens qui faisaient
la récolte et auxquels ils parlaient de Jésus et répétaient
quelques-uns de ses enseignements. D'autres étaient allés
en avant pour porter des messages à Capharnaum et dans la contrée
voisine. Les habitants n'aimaient pas le centurion qui habitait trop près
d'eux et ils auraient voulu le voir aller ailleurs : en général
ils n'étaient pas très affables, et même ils ne s'empressaient
guère autour de Jésus. Ainsi ils suspendaient leur travail
et l'écoutaient, mais ils ne témoignaient pas une sympathie
vive et chaleureuse. Le centurion, dans son chagrin, suivait donc Jésus
de loin et comme à la dérobée : mais le Seigneur s'étant
rapproché de lui, il s'avança, s'inclina et dit : " Maître,
ne dédaignez pas votre serviteur et prenez pitié de mon enfant
que la maladie retient au lit chez moi. "Jésus lui répondit
: " Il est convenable de distribuer le pain aux enfants de la maison avant
d'en donner aux étrangers qui se tiennent dehors". Achias lui dit
: " Seigneur, je crois que vous êtes l'envoyé de Dieu et l'accomplissement
de la promesse, je crois que vous pouvez me secourir et je sais que vous
avez dit que ceux qui croient cela sont des enfants et non pas des étrangers.
Seigneur, ayez pitié de mon enfant ". Alors Jésus lui dit
: " Votre foi vous a sauvé ". Et il alla avec quelques disciples
dans la maison natale de Paul, où Achias habitait. Cette maison
avait un peu plus d'apparence que les maisons juives ordinaires ; toutefois
elle était distribuée de même. Elle était précédée
d'un vestibule, puis on entrait dans une grande salle des deux côtés
de laquelle étaient des chambres à coucher formées
par des cloisons mobiles : on arrivait ensuite au foyer qui était
au centre de la maison et autour duquel étaient quelques grandes
chambres et quelques salles : il y avait le long des murs de larges bancs
de pierre sur lesquels étaient placés des tapis et des coussins
: les fenêtres étaient toutes dans le haut. Achias conduisit
Jésus au milieu de la maison : ses serviteurs apportèrent
devant le Seigneur l'enfant couché dans son lit. La femme d'Achias
le suivait couverte d'un voile, elle s'inclina timidement et se tint un
peu en arrière dans une attente pleine d'anxiété.
Achias était plein de joie, il appela les gens de sa maison, les
serviteurs et les servantes que la curiosité avait déjà
attirés et qui restèrent à quelque distance. Le petit
garçon était un bel enfant d'environ six ans, il avait une
longue tunique de laine et autour du cou une bande de fourrure qui était
croisée sur sa poitrine. Il était muet et complètement
paralysé, mais il Paraissait aimable et intelligent : il regarda
Jésus
Jésus adressa la parole aux parents et à tous les assistants,
il parla de la vocation des gentils, de l'approche du royaume de Dieu,
de la pénitence, de l'entrée dans la maison du Père
par le baptême. Il pria, leva l'enfant de sa couche et le prit dans
ses bras : puis il se courba vers lui, lui passa les doigts sous la langue,
et l'ayant posé à terre, il le conduisit au centurion qui
se précipita vers lui avec la mère tremblante de joie et
l'embrassa en pleurant. L'enfant étendit les bras vers ses parents
et dit : " Ah ! mon père, ah ! ma mère, je puis marcher,
je puis parler ". Jésus dit alors : " Prenez cet enfant, vous ne
savez pas quel trésor vous a été donné en lui.
Il vous est rendu et il vous sera demandé ". Ses parents le ramenèrent
près de Jésus et se jetèrent à ses pieds avec
lui, le remerciant avec larmes. Il bénit l'enfant et lui parla très
an4ectueusement. Le centurion pria Jésus d'entrer avec lui dans
une pièce voisine et d'accepter une collation, que le Seigneur prit
avec ses disciples. Ils mangèrent debout du pain, du miel et de
petits fruits, puis ils burent. Jésus s'entretint encore avec Achias
: il lui dit d'aller à Capharnaum pour y recevoir le baptême
et l'engagea à s'adresser là à Zorobabel : ce qu'il
fit plus tard avec les parents de sa maison. Le petit Jephté devint
par la suite un disciple très actif de saint Thomas.
Les soldats qui tenaient garnison à Giscala, assistèrent
comme gardes au crucifiement de Jésus. On les employait pour faire
la police dans de semblables occasions. Je ne sais plus de quel pays ils
étaient.
Note : Lorsque le pèlerin rechercha dans l'Histoire de la guerre
des Juifs de Flavius Josèphe ce qui y est dit de Gabara et de Giscala,
il y trouva, à sa grande surprise, dans le neuvième chapitre
du quatrième livre, que Titus se rendit de Giscala à un endroit
voisin appelé Cydessa, lequel appartenait aux Tyriens et s'était
toujours montrés hostile aux Galiléens. Ce voisinage de Giscala
et d'une ville prétendue tyrienne, paraissait concorder assez peu
avec les allégations d'Anne Catherine. Le pèlerin lui fit
part de sa découverte et elle lui répondit à l'instant
même : "Oui, je connais très bien Cydessa qui est à
l'ouest de Damna, à une lieue environ. On voit de là Cana
qui est au midi. Il est vrai qu'il y a des Tyriens, mais la ville est dans
la tribu de Zabulon. La chose remonte à un homme de Tyr, nommé
Livias, auquel Alexandre le Grand donna cette ville avec son district en
récompense de ses services. Elle était alors complètement
dévastée, mais Livias la restaura et y attira beaucoup de
Tyriens ses compatriotes. Ceux-ci continuèrent d'y habiter, et il
n'y avait qu'un petit nombre de Juifs. C'est ainsi que Cydessa devint une
ville païenne au milieu du territoire de Zabulon. Maintenant Cydessa
n'a plus de seigneur ; mais il y a encore des païens et un grand dépôt
de marchandises tyriennes. J'ai toujours aimé cet endroit : la position
en est si agréable et si dégagée, et on y a une si
belle vue sur la magnifique et fertile contrée d'alentour ! C'est
de là que vinrent les premiers paiens au baptême de Jean :
maintenant ils vont la prédication de Jésus sur la montagne
près de Gabara.
Jésus quitta ensuite la demeure de l'heureux Achias et parla
à ses disciples de cet enfant, disant qu'un jour il porterait des
fruits : il dit aussi de cette maison qu'il en était sorti quelqu'un
qui ferait de grandes choses dans son royaume. Jésus partit pour
Giscala, mais il n'alla pas à Bethulie qui en était tout
près, ce que je pressentis tout de suite. Il me semble toujours
que cette ville aujourd'hui dépeuplée et oubliée,
n'a plus pour habitants que des fossoyeurs. Il laissa à sa gauche
la hauteur où est Béthulie, et longeant une vallée
qui se dirige au nord-est entre des montagnes, il gagna la plaine où
sont les bains de Béthulie. De là il fit encore environ trois
lieues et arriva à Gabara, ville assez considérable, placée
au bas du revers occidental de la montagne dont le côté tourné
au sud-est cache dans ses anfractuosités ce singulier nid d'Hérodiens
qu'on appelle Jotapat, et où Jésus a été récemment
(voir t. II, p. 298). Jotapat se trouve à peu prés à
une lieue de Gabara, en tournant autour de la montagne.
Cette montagne s'élève à pic comme une muraille
derrière Gabara : on y monte par des degrés taillés
dans le roc. Les habitants de la ville travaillent du coton qui ressemble
à de la soie. Ils fabriquent des étoffes et aussi des espèces
de matelas à l'usage des gens riches avec du coton rouge, jaune
et bleu. Ces matelas sont tendus à l'aide de crochets et solidement
attachés. C'est là tout le lit. Ils salent aussi des poissons
qu'ils envoient au loin.
J'ai encore vu a Giscala que, quelque temps avant le malheureux combat
livré prés de Jezrael, Saul, avait rassemblé son armée
dans les montagnes de Gelboë, parcourut les environs de cette ville
avec quelques compagnons, cherchant des devins ; car il ne les avait pas
tous exterminés dans ce pays, mais ceux qui restaient s'étaient
enfuis à son approche. Il s'était trop avancé, et
les Philistins, avertis qu'il était dans leur voisinage, envoyèrent
un détachement qui avait faillit s'emparer de lui ; mais deux hommes
dévoués de la ville le sauvèrent et le cachèrent.
Cela fut cause ;que plus tard David accorda des faveurs à la ville.
On célébrait tous les ans une fête locale en mémoire
de cette aventure de Saul.
A Gabara, on ne fit pas à Jésus de réception particulière
: il alla dans une hôtellerie, et il vint un ou plusieurs Hérodiens
de Jotapat qui lui témoignèrent une feinte déférence
et lui adressèrent plusieurs questions insidieuses. Il leur répondit
avec une grande liberté, et il enseigna aussi dans la synagogue.
(11 novembre.) II y a environ dix jours, comme on l'a dit, Marthe,
Véronique et Jeanne Chusa, avec Anne, fille de Cléophas,
ont fait le voyage de Béthanie à Capharnaum. Sur la route,
Dina, la Samaritaine, et Marie, la Suphanite d'Ainon, se sont jointes à
elles dans une hôtellerie où elles avaient amené quelques
disciples de Jérusalem, qui étaient allés avec Lazare
trouver Jésus, près d'Ophra, si je ne me trompe. C'était
de là que provenaient les informations sur l'état moral de
Madeleine qui a été mentionné récemment. La
visite de Jacques le Majeur à Madeleine correspond au temps du séjour
de Jésus à Méroz. J'ai vu aujourd'hui que les saintes
femmes sont allées à trois lieues au midi de Capharnaum,
dans une ville de lévites appelée Damna, elles avaient une
hôtellerie, et que Marthe partit de là pour aller à
une lieue au sud-ouest voir Madeleine à Magdalum.
Magdalum, avec ses châteaux et ses jardins, est situé
au nord de la montagne à l'ouest de laquelle se trouve Gabara :
Jotapat est à une lieue au sud-est de cette dernière ville.
Magdalum est situé dans un bassin, sur la crête méridionale
d'une vallée qui va de l'ouest à l'est dans la direction
du lac de Génézareth à une demi lieue à peu
près de l'extrémité occidentale de la vallée.
La ville est bâtie sur le penchant de la montagne. Tibériade
est à deux petites lieues au sud-est de Magdalum, sur le bord du
lac. On peut aller à Magdalum d'en haut et d'en bas.
Marthe alla surtout voir Madeleine pour la déterminer à
aller avec Dina la Samaritaine et Marie la Suphanite écouter une
grande instruction que Jésus fera mercredi sur la montagne située
au delà de Gabara Madeleine la reçut assez amicalement dans
l'une des ailes de son château, qui est un peu délabré,
et elle la conduisit dans une chambre voisine de ses appartements de réception,
mais non pas précisément dans ceux-ci. Il y avait en elle
un mélange de vraie et de fausse honte : d'une part, elle rougissait
de sa soeur, pieuse, simple, mal vêtue, qui parcourait le pays avec
les adhérents de Jésus, voués aux mépris des
compagnons de plaisir de Madeleine : d'autre part, elle rougissait devant
Marthe et n'osait pas la mener dans les appartements qui étaient
le théâtre de ses folles et de ses désordres. Madeleine
avait un certain abattement moral : mais elle n'avait pas la force de rompre
avec ses habitudes : elle était pâle et un peu défaite.
Déjà, les dernières fois que j'ai porté mes
regards sur sa vie privée, sa position m'a paru moins indépendante
et moins brillante. L'homme avec lequel elle vivait dans le péché
lui était à charge, et elle se sentait un peu abaissée
par cette relation, car il avait des sentiments vulgaires. En outre, elle
avait déjà été remuée une fois par l'enseignement
de Jésus.
Marthe s'y prit avec elle d'une façon très affectueuse
et très adroite. Elle lui dit : " Dina la Samaritaine et Marie la
Suphanite, deux personnes aimables et intelligentes que tu connais, t'engagent
à aller avec elles entendre Jésus prêcher sur la montagne.
C'est si près de toi ! elles seraient bien aises d'avoir ta compagnie
dans cette occasion. Tu n'auras pas à rougir d'elles devant le peuple
: tu sais qu'elles ont bon air, que leur mise est élégante
et leurs manières distinguées. Ce sera un beau spectacle
: rien n'est plus intéressant à voir que cette multitude
innombrable écoutant la voix éloquente du Prophète,
les malades qu'il guérit, la hardiesse avec laquelle il interpelle
les Pharisiens ! Véronique, Jeanne Chusa, et la mère de Jésus,
qui te veut tant de bien, sont toutes persuadées ainsi que moi que
tu nous remercieras de cette invitation. Je pense que ce sera pour toi
une distraction agréable : tu sembles maintenant ici tout à
fait délaissée : tu ne trouves pas de gens qui sachent apprécier
ton coeur et tes talents. Où ! si tu voulais passer quelque temps
avec nous à Béthanie ! Nous entendons tant de choses merveilleuses,
et nous avons tant de bien à faire ! et tu as toujours été
si charitable et si compatissante ! Mais au moins il faut que demain tu
viennes à Damna avec nous : nous sommes à l'hôtellerie,
nous autres femmes : mais tu pourras avoir un logement a part et ne parler
qu'à celles que tu connais, etc ". Ce fut de cette manière
que Marthe parla à sa soeur, évitant avec soin tout ce qui
pouvait la blesser. Madeleine, dans sa mélancolie, accepta volontiers.
Elle fit d'abord quelques petites objections, mais elle finit par consentir,
et promit à Marthe de partir avec elle pour Damna le lendemain matin.
Elle mangea avec elle, et dans la soirée elle quitta plusieurs fois
sec appartements pour venir la visiter. Le soir, Marthe et Anne de Cléophas
adressèrent leurs prières à Dieu pour qu'il rendit
ce voyage profitable à Madeleine. Madeleine semble disposée
à recevoir une forte impression : mais je crois qu'elle retombera
encore une fois. Je n'ai pas encore vu comment Jésus la délivra
de sept démons.
(12 novembre.) Demain 23 Marcheswan, il devait y avoir une grande prédication
sur la montagne qui domine Gabara, et des disciples avaient été
envoyés pour l'annoncer plusieurs jours a l'avance : de nombreuses
troupes se rendirent sur cette montagne de tous les endroits situés
à plusieurs lieues à la ronde et campèrent tout autour
du sommet, où il y avait au haut une enceinte fermée avec
une chaire en pierre dont on n'avait pas fait usage depuis longtemps. Il
vint aussi des païens de Cydessa et de la contrée et Adama,
qui est au bord du lac Mérom. Tous ces gens portaient avec eux des
provisions de bouche en abondance, et ils amenaient un grand nombre de
malades de toute espèce. Pierre, André, Jacques, Jean, tous
les autres disciples, y compris Nathanael Khased, vinrent à Gabara
trouver Jésus : la plupart des disciples de Jean et les trois fils
de la soeur aînée de Marie y étaient aussi. Il y avait
bien là soixante disciples, amis ou parents de Jésus. Il
eut ce jour-là quelques entretiens enseigna et guérit en
divers endroits de la ville : le reste du temps se passa en promenades
et en entretiens avec les amis nouvellement arrivés. Il accueillait
les disciples alliés à sa famille et appartenant à
son intimité, en leur prenant les deux mains et en leur donnant
une accolade qui était comme un baiser fraternel.
Pierre est un caractère singulier, facilement accessible à
tout ce qui est bon et juste : il est zélé et ardent au delà
de toute expression, et quand il se fourvoie en quelque chose, qu'il parle
ou agit mal à propos, il devient au premier avertissement tout à
fait timide, craintif et réservé. André procède
avec calme, il a de la fermeté et de la persévérance,
et ne se trouble ni ne s'inquiète aisément. L'Evangile ne
donne quelques détails que sur les personnes et les disciples dont
l'individualité représente certains types dans l'Eglise.
Tout ce qui est superflu ou fait double emploi est laissé de côté.
Ainsi, les histoires de beaucoup de pécheresses ne sont représentées
que par l'histoire de Madeleine : on n'y trouve non plus que quelques paroles
particulièrement caractéristiques des apôtres. C'est
comme lorsqu'on parle d'un homme et qu'on dit de lui : Il a une tête
bien organisée, un coeur tendre, des mains actives et des pieds
agiles ; sa bile s'émeut facilement. On mentionne seulement ces
organes caractéristiques ; mais si l'on parle des genoux, des épaules,
des oreilles, de l'estomac, de la poitrine, etc., on ne leur attribue pas
une vertu ou un vice dominant. Ainsi, il est peu parlé de Marie,
il est plus souvent question de Madeleine et de Marthe, et tout cela pour
le profit et le plus grand bien des hommes de tous les temps, non de ceux
d'une époque particulière : car on passe sous silence ce
qui aurait pu édifier tel siècle ou tel peuple, mais être
un sujet de scandale pour les autres. Ainsi, ce qui est rapporté
des prédications et des enseignements de Jésus, donne seulement
les points principaux et les expressions les plus fortes d'instructions
ou d'exhortations qui duraient souvent plusieurs heures : ce sont uniquement
les résumés des doctrines qu'il exposait, des directions
et des encouragements qu'il donnait en instruisant le peuple : car il enseignait
ce qui était nécessaire à chaque catégorie
de personnes ; et comme il revenait souvent dans les mêmes endroits,
il répétait aussi les mêmes enseignements en les renforçant
et en les développant. (Tel fut le sens des explications données
par Anne Catherine dans cette occasion.)
(12 novembre.) Aujourd'hui à midi, je vis Marie Madeleine avec
sa suivante faire route de Magdalum à Damna en compagnie de Marthe
et d'Anne de Cléophas. Elle était assise sur un âne,
car elle n'avait pas l'habitude de la marche. Elle était habillée
avec élégance, mais non avec ce faste exagéré
qu'elle déploya dans une occasion postérieure, lorsqu'elle
se convertit pour la seconde fois. Damna peut être à deux
lieues de Magdalum. Elle descendit dans la même hôtellerie
que ses compagnes, mais prit un logement séparé et ne parla
pas à Marie, ni à Véronique. La Suphanite et la Samaritaine
la visitèrent tour à tour. Je les vis se traiter avec beaucoup
de courtoisie et de bienveillance mutuelles. Toutefois il y avait dans
son attitude vis-à-vis des pécheresses converties quelque
chose de particulier ; il me semblait voir un officier retrouvant un ancien
camarade qui s'est fait prêtre. Mais ce léger embarras se
dissipa bientôt en larmes et en témoignages de sympathie féminine.
Dans l'après-midi, je vis Madeleine, avec la Suphanite, la Samaritaine,
sa suivante et Anne de Cléophas, entrer dans une hôtellerie
située au pied de la montagne où devait se faire l'instruction.
Les autres femmes n'allèrent pas entendre Jésus pour ne pas
troubler Madeleine. Elles étaient venues à Damna parce qu'elles
désiraient que Jésus vînt les voir là et n'allât
pas à Capharnaum, où les Pharisiens, comme la dernière
fois (voir tome II, page 268), s'étaient réunis au nombre
de seize environ. Ils étaient, comme alors, venus de divers endroits
et demeuraient dans la même maison. Ils comptent y faire leur résidence
permanente, parce que Capharnaum est le point central des pérégrinations
de Jésus.
Le jeune Pharisien de Samarie, qui était là l'autre fois,
n'y est point cette fois-ci : il y en a un autre à sa place. A Nazareth
aussi et dans d'autres endroits, ils ont formé une ligue. Les saintes
femmes et Marie surtout étaient très inquiètes, car
les Pharisiens s'étaient déjà exprimés publiquement
en termes menaçants. Elles envoyèrent un message à
Jésus pour le prier de venir les trouver à Damna après
sa prédication et de ne pas aller à Capharnaum : il valait
mieux qu'il allât à droite ou à gauche, surtout de
l'autre côté du lac, dans les villes païennes, pour ne
pas s'exposer au danger. Mais il leur fit répondre qu'elles devaient
s'en rapporter à lui sur ce qui le touchait, qu'il savait ce qu'il
avait à faire et qu'il irait les visiter à Capharnaum.
(13 novembre, 23 Marcheswan.) Madeleine avec sa suivante, Marie la
Suphanite, Dina et Anne de Cléophas, se trouvèrent le matin
de bonne heure sur la montagne qui s'élevait du côté
de Magdalum, entourée de plusieurs collines. Une multitude innombrable
était campée tout autour et on avait apporté des vivres
sur des ânes. Des malades de toute espèce avaient été
amenés et placés ensemble suivant la nature de leurs maladies,
les uns plus près, les autres plus loin. On avait dressé,
pour les mettre à couvert, des tentes légères et des
cabanes de feuillage. Au point le plus élevé se tenaient
des disciples de Jésus, qui assignaient à chacun sa place
avec beaucoup de bienveillance et rendaient toute espèce de bons
offices. Autour de la chaire était une enceinte demi circulaire
en maçonnerie. La chaire était abritée par une couverture
: des toiles étaient tendues par endroits au-dessus des auditeurs.
Madeleine et ses quatre compagnes étaient commodément placées
à quelque distance : les femmes étaient ensemble.
Jésus arriva vers dix heures avec les disciples : les Pharisiens,
les Hérodiens et les Sadducéens vinrent en même temps.
Jésus monta dans la chaire : les disciples se tenaient d'un côté,
rangés en cercle ; les Pharisiens de l'autre côté.
Il y eut dans l'instruction plusieurs pauses pendant lesquelles les auditeurs
se retiraient pour faire place à de nouveaux arrivants. Plusieurs
choses furent répétées, et dans les intervalles, les
assistants prenaient quelques rafraîchissements : Jésus lui-même
prit une fois une petite réfection. La prédication fut une
des plus fortes et des plus véhémentes que Jésus eût
jamais faites. Avant de faire la prière, il commença par
dire à l'auditoire de ne pas se scandaliser s'il appelait Dieu son
père, car, disait-il, celui qui fait la volonté du Père
céleste est son fils, et il leur montra qu'il faisait la volonté
du Père. Là-dessus, il pria son Père à haute
voix et commença à leur prêcher la pénitence
à la manière des anciens prophètes. Il embrassa tout
ce qui s'était passé depuis le temps de la promesse : il
cita les menaces des prophètes et leur accomplissement comme figures
du temps actuel et de l'avenir prochain ; puis il prouva la venue du Messie
par l'accomplissement des prophéties. Il parla de Jean le précurseur
qui avait préparé les voies, dit avec quelle fidélité
il avait rempli sa mission et comment ils étaient toujours restés
dans l'endurcissement. Il leur reprocha tous leurs vices, leur hypocrisie
et leur idolâtrie de la chair et du péché. Il peignit
en traits pleins de vivacité les Pharisiens, les Sadducéens
et les Hérodiens. Il parla avec beaucoup de véhémence
de la colère de Dieu et du jugement qui approchait, de la destruction
de Jérusalem et du Temple, et des malheurs qui allaient fondre sur
le pays. Il cita beaucoup de passages du prophète Malachie, qu'il
interpréta et qu'il expliqua ; ses textes sur le précurseur,
sur le Messie, sur une nouvelle oblation sans tache, ce que j'entendis
du saint sacrifice de la messe, et que les Juifs ne comprirent pas. Il
parla encore du retour du Messie au dernier jour de la confiance que devaient
avoir ceux qui craignaient Dieu et des consolations qui leur étaient
réservées. Il parla aussi de la translation de la grâce
aux païens.
Il s'adressa aux disciples, les exhorta à la fidélité
et à la persévérance. Il leur dit qu'il voulait les
envoyer à tous pour enseigner la voie du salut. Il ajouta qu'ils
ne devaient pas s'attacher aux Pharisiens, ni aux Sadducéens, ni
aux Hérodiens ; il caractérisa sévèrement ceux-ci
à l'aide de comparaisons frappantes, et il les désigna clairement.
Cela fut d'autant plus déplaisant pour eux, que personne ne voulait
accepter ouvertement la qualité d'Hérodien : la plupart n'avaient
que des liens secrets avec cette secte.
Jésus, dans cette instruction, cita fréquemment les prophètes.
Il dit entre autres choses que s'ils ne voulaient pas recevoir le salut,
il leur arriverait pis qu'à Sodome et à Gomorrhe. Là-dessus,
les Pharisiens crurent pouvoir le prendre en défaut et, pendant
une pause, ils lui demandèrent si cette montagne, cette ville. tout
ce pays devaient être engloutis avec eux tous et comment il était
possible qu'il arrivât quelque chose de pire. Il répondit
qu'à Sodome les pierres s'étaient englouties, mais non pas
toutes les âmes, car ils n'avaient pas connu la promesse, n'avaient
pas reçu la loi, n'avaient pas eu de prophètes : il prononça
d'autres paroles qui me parurent s'appliquer à sa descente aux enfers
et à la délivrance d'un grand nombre d'âmes. Les Juifs
ne comprirent pas cela : mais moi, j'eus une joie d'enfant d'apprendre
que tous ces hommes n'étaient pas perdus. Quant aux Juifs actuels,
Jésus dit que tout leur avait été donné, que
Dieu les avait choisis, et avait fait d'eux son peuple, qu'ils avaient
reçu toute espèce d'avertissements et de remontrances. que
beaucoup de promesses leur avaient été faites et s'étaient
accomplies, mais que s'ils repoussaient tout cela et persistaient dans
l'incrédulité, ce ne seraient pas les pierres et les montagnes,
choses du domaine de leur Seigneur, qui seraient englouties par l'abîme,
mais leurs coeurs et leurs âmes, durs comme la pierre. Or, c'était
là quelque chose de plus terrible que le sort de Sodome.
Apres avoir si sévèrement exhorté les pécheurs
à la pénitence, et annoncé en termes si forts les
jugements de condamnation, Jésus se montra de nouveau plein d'amour
: il appela à lui tous les pécheurs et versa même des
larmes d'attendrissement. Il pria son Père de toucher les coeurs.
Où ! s'ils pouvaient venir à lui, ne fût-ce qu'une
troupe, ne fût- ce que quelques-uns, ou même un seul, quand
même il serait chargé de tous les crimes imaginables : s'il
pouvait seulement gagner une âme, il voulait tout partager avec elle,
il voulait tout donner pour elle, il la rachèterait volontiers au
prix de sa vie. Il étendit les bras vers tous, il s'écria
: " Venez, venez, vous qui êtes fatigues et chargés ; venez,
pécheurs, faites pénitence, croyez et entrez en partage du
royaume avec moi ! " Il tendit aussi les bras vers les Pharisiens et vers
tous ses ennemis, n'y en eut-il qu'un seul qui voulût venir à
lui !
Au commencement, Madeleine avait pris place près des autres
femmes, jouant son rôle de belle dame, de personne de distinction
assez maîtresse d'elle-même, ou du moins voulant paraître
telle ; toutefois, dès son arrivée, elle s'était déjà
sentie honteuse et intérieurement émue. Elle regarda d'abord
autour d'elle dans la foule : mais lorsque Jésus parut et parla,
ses yeux et son âme furent de plus en plus ravis. Elle fut fortement
ébranlée par son exhortation à la pénitence,
par sa description des vices, par ses menaces de châtiment : elle
ne pouvait pas résister5 elle tremblait et pleurait sous son voile.
Lorsqu'enfin il conjura les pécheurs de venir à lui en termes
si affectueux et si pressants, beaucoup de personnes furent transportées
: il y eut un mouvement dans l'auditoire et la foule se porta en avant
: Madeleine aussi et les autres femmes, à son exemple, se rapprochèrent
de Jésus. Mais lorsqu'il dit : " Ah ! si une seule âme voulait
venir à moi ! "Madeleine ressentit une telle émotion, qu'elle
voulut aller jusqu'à lui. Elle fit un pas en avant, mais les autres
la retinrent pour ne pas causer de trouble, et lui dirent : " Plus tard,
plus tard ! " Son agitation excita à peine l'attention de ses voisins,
parce que tous étaient comme suspendus aux lèvres de Jésus
; mais le Sauveur, ayant connaissance de l'émotion de Madeleine,
lui répondit aussitôt par des paroles de consolation, lorsqu'il
ajouta que, " quand même une seule étincelle de pénitence,
de repentir, d'amour, de foi, d'espérance, serait tombée
avec ses paroles dans une pauvre âme égaré, elle devait
porter des fruits, elle devait vivre et prendre de l'accroissement : il
voulait la nourrir, l'élever et la ramener au Père ". Ces
paroles consolèrent Madeleine : elle en fut profondément
pénétrée et reprit sa place parmi les autres.
Il était environ six heures : le soleil baissait déjà
et descendait derrière la montagne. Jésus, pendant son instruction,
était tourné vers le couchant : c'était de ce côté
que se tenait l'auditoire : il n'y avait personne derrière lui.
Il pria, bénit la foule et la congédia. Il dit aux disciples
d'acheter des aliments aux gens qui en avaient et de les distribuer aux
pauvres et aux nécessiteux : en général, ils devaient
acheter tout ce que les uns ou les autres avaient de trop et le distribuer
aux pauvres, même de manière à ce que ceux-ci eussent
quelque chose à emporter avec eux. Ils ne devaient rien laisser
perdre, mais se faire tout remettre, soit gratuitement, soit à prix
d'argent, et le donner à ceux qui en avaient besoin. Une partie
des disciples s'y employa aussitôt : la plupart des assistants donnèrent
de bon coeur et les autres vendirent volontiers. Les disciples étaient
pour la plupart connus dans le pays, ils firent ce dont ils étaient
chargés avec beaucoup de charité : ainsi les pauvres furent
bien pourvus et témoignèrent leur gratitude pour la bonté
du Seigneur. Pendant ce temps, les autres disciples allèrent avec
Jésus près des nombreux malades qui étaient couchés
sur le bord du chemin. La plupart des Pharisiens et des gens de leur sorte
revinrent à Gabara, scandalisés, touchés, étonnés,
dépités, et Simon Zabulon, le plus considérable d'entre
eux, rappela à Jésus, avant de partir, qu'il l'avait invité
à souper dans sa maison. Jésus lui répondit qu'il
irait. En attendant, ils descendirent et, pendant le chemin, ils firent
tant d'observations et de critiques sur Jésus, son enseignement
et sa personne, parce que chacun d'eux avait honte de laisser voir son
émotion aux autres, qu'à leur retour dans la ville ils avaient
tout à fait repris leur assurance et leur confiance en leur propre
justice.
Madeleine et les autres femmes suivirent Jésus : elles se tinrent
dans la foule près des femmes malades et se montrèrent disposées
à se rendre utiles selon leur pouvoir. Madeleine était très
émue et les tristes spectacles qu'elle avait sous les yeux ajoutaient
encore à son émotion. Jésus commença par s'occuper
des hommes ; ce qui dura assez longtemps. Il guérit des malades
de toute espèce : l'air retentissait des cantiques de réjouissance
chantés par ces gens qui s'en retournaient guéris et par
leurs compagnons. Lorsqu'il s'approcha des femmes malades avec ses disciples,
la foule qui se portait là et l'espace qu'il fallait pour Jésus
et les siens forcèrent Madeleine et ses compagnes de s'éloigner
un peu davantage. Cependant elle cherchait toujours à s'ouvrir un
passage dans la foule et à se rapprocher du Seigneur, mais il se
dirigeait toujours d'un autre côté.
Jésus guérit quelques femmes affligées de pertes
de sang qui se tenaient à part : ce qui alla particulièrement
au coeur de la délicate Madeleine, tout à fait étrangère
jusqu'alors au spectacle des misères humaines. Quels souvenirs,
quels sentiments de reconnaissance se réveillèrent dans l'âme
de Marie la Suphanite, lorsque six femmes, attachées ensemble trois
par trois, furent amenées à Jésus par de robustes
filles qui les traînaient de force après elle avec de longues
pièces d'étoffe ou des courroies. Ces malheureuses étaient
horriblement possédées par des esprits impurs. Ce sont les
premières femmes démoniaques que j'aie vu amener à
Jésus en public. Elles venaient les unes de Samarie, les autres
d'au delà du lac de Génésareth. Il y avait des païennes
parmi elles. Ce n'était qu'ici au haut de la montagne qu'on les
avait ainsi attachées ensemble. Elles étaient le plus souvent
douces et paisibles et elles n'essayaient pas de se faire du mal les unes
aux autres : mais quand elles venaient dans le voisinage des hommes, elles
devenaient furieuses, se précipitaient sur eux, criaient, étaient
lancées de côté et d'autre, et se roulaient par terre
dans les convulsions les plus affreuses. C'était un spectacle effrayant
: on les attacha et on les tint à l'écart pendant que Jésus
prêchait et ce ne fut que plus tard qu'on les lui amena. Lorsqu'elles
s'approchèrent de Jésus et de ses disciples, elles firent
une vive résistance : Satan redoutait le Seigneur et leur faisait
faire des contorsions horribles. Elles poussaient les cris les plus déchirants
et leurs membres se tordaient de la manière la plus affreuse. Jésus
se tourna vers elles : il leur ordonna de se taire et de rester tranquilles
: alors elles restèrent silencieuses et immobiles. Il s'approcha
d'elles, les fit délier et leur dit de se mettre à genoux
; puis il pria et leur imposa les mains et elles tombèrent sous
sa main dans une courte défaillance. Je vis alors l'ennemi sortir
d'elles comme une sombre vapeur ; elles furent relevées par leurs
proches et se tinrent voilées et fondant en larmes devant Jésus,
après quoi elles se prosternèrent à ses pieds et lui
rendirent grâces. Jésus les exhorta à se convertir,
à se purifier et à faire pénitence afin de ne pas
retomber dans un état encore plus affreux.
Le jour tombait déjà et Jésus, accompagné
de ses disciples, descendit à Gabara. Plusieurs groupes de personnes
et aussi quelques-uns des Pharisiens allaient devant et derrière
lui. Pour Madeleine, livrée tout entière à ses impressions
et ne tenant aucun compte du reste, elle le suivait de près dans
la foule des disciples et les quatre autres femmes en faisaient autant
à cause d'elle. Elle cherchait toujours à être aussi
près de Jésus que possible. Comme c'était là
quelque chose de tout à fait contraire à l'usage pour des
femmes, quelques-uns des disciples en parlèrent à Jésus.
Mais il se retourna et dit : "Laissez-les faire, ce n'est pas là
votre affaire. Jésus arriva ainsi à la ville et quand il
fut prés de la maison destinée aux fêtes publiques
dans laquelle Simon Zabulon avait fait préparer le repas, il trouva
le vestibule rempli de malades et de pauvres qui y étaient entrés
à son approche : ils implorèrent l'assistance de Jésus
qui se rendit aussitôt près d'eux, les exhorta, les consola
et les guérit. Pendant ce temps Simon Zabulon vint avec quelques
autres Pharisiens et dit à Jésus qu'il était temps
qu'il vînt au repas, qu'on l'attendait, qu'il avait fait bien assez
de choses aujourd'hui et que ces gens pouvaient être remis à
une autre fois. Mais Jésus lui dit que c'étaient là
ses hôtes, à lui, ceux qu'il avait invités et qu'il
devait d'abord assister ; qu'en invitant Jésus, Simon avait aussi
invité ceux-ci, et qu'il n'irait à son repas qu'après
les avoir secourus et avec eux. Là-dessus les Pharisiens furent
obligés de se retirer et en outre de faire dresser des tables pour
les malades guéris et les pauvres dans les salles qui entouraient
le vestibule. Jésus les guérit tous : les disciples conduisirent
ceux qui voulurent rester aux tables qu'on avait dressées pour eux,
et on leur alluma des lampes.
Madeleine et ses compagnes avaient suivi Jésus jusqu'ici, et
elles se tenaient dans une partie du vestibule qui touchait à la
salle du banquet. Cependant Jésus vint se mettre à table
avec une partie des disciples. C'était un festin opulent et Jésus
envoya souvent ses disciples porter des différents mets aux tables
des pauvres qu'ils servirent et avec lesquels ils mangèrent. Il
enseigna pendant le repas et les Pharisiens se disputèrent vivement
avec lui ; j'ai oublié à quelle occasion, parce que je regardais
toujours Madeleine qui s'était approchée de l'entrée
de la salle avec ses compagnes. Elle s'avançait toujours davantage
et les autres femmes la suivaient à quelque distance. Enfin elle
entra, humblement inclinée, la tête voilée, tenant
à la main un petit flacon de couleur blanche, qui était bouché
avec un paquet d'herbes ; elle vint d'un pas rapide se placer derrière
Jésus et lui versa le flacon sur la tête, puis elle prit à
deux mains l'extrémité de son long voile qu'elle passa sur
la tête de Jésus, comme si elle eût voulu lui lisser
les cheveux et les essuyer. Ayant fait tout cela très vite, elle
se retira quelques pas en arrière. La conversation qui était
très animée fut interrompue. Tout le monde gardait le silence,
regardant Madeleine et Jésus. L'odeur du parfum se répandait
dans la salle. Jésus était calme, mais plusieurs secouaient
la tête, regardaient Madeleine d'un air mécontent et chuchotaient.
Simon Zabulon paraissait particulièrement irrité et Jésus
lui dit : " Je sais quelles sont tes pensées, Simon : tu penses
qu'il n'est pas convenable que je me laisse oindre la tète par cette
femme. Tu te dis que c'est une pécheresse : mais tu as tort, car
son affection l'a poussée à faire ce que tu as négligé.
Tu ne m'as pas témoigné les égards dus à un
hôte ". Alors il se tourna vers Madeleine qui se tenait encore là
debout et dit : " Allez en paix ! il vous est beaucoup pardonné
". Sur quoi Madeleine revint près des autres femmes et elles quittèrent
la maison : Jésus parla d'elle aux convives, dit qu'elle était
bonne et très compatissante : il parla des jugements qu'on porte
sur autrui, de la facilité avec laquelle on condamne des fautes
connues et publiques, tandis que souvent on en cache de beaucoup plus grandes
dans le secret de sa conscience. Il enseigna encore assez longtemps, puis
il revint à son logis avec les siens.
Madeleine avait été profondément remuée
par tout ce qu'elle avait vu et entendu : elle était vaincue intérieurement
et parce qu'il y avait en elle une certaine ardeur de dévouement
et de générosité, elle avait voulu honorer Jésus
et lui témoigner combien elle était touchée. Elle
avait vu avec peine que pour lui, le plus admirable, le plus saint, le
plus éloquent des prédicateurs, le plus compatissant et le
plus secourable des thaumaturges, il n'y avait eu de la part de ces Pharisiens
aucun hommage, aucune distinction particulière, ni lorsqu'ils l'avaient
reçu comme leur hôte, ni pendant le repas qu'ils lui avaient
donné : elle se sentit intérieurement poussée à
suppléer, elle seule, à tout ce qu'ils avaient omis : car
elle n'avait pas oublié les paroles de Jésus : " Quand il
n'y en aurait qu'un seul qui fût touché et qui vint à
moi ". Elle portait habituellement sur elle, comme le font habituellement
les grandes dames du pays, le flacon, grand à peu près comme
la main, dont elle s'était servi. Elle portait un vêtement
de dessus blanc, brodé de grandes fleurs rouges et de petites feuilles
: il avait de larges manches froncées, retenues par des bracelets,
s'étalait amplement sur le des et tombait tout d'une pièce
sans être assujetti à la taille. Il était ouvert par
devant et attaché seulement au-dessus des genoux par des cordons
ou des courroies. La poitrine et le des étaient couverts d'une pièce
d'étoffe ornée de noeuds et de bijoux, placée sur
les épaules en forme de scapulaire et attachée par côtés
: là-dessous était une autre robe bariolée. Cette
fois son voile qu'ordinairement elle repliait autour du cou, se déployait
dans toute sa longueur. Sa taille était au-dessus de l'ordinaire
: quoiqu'ayant de l'embonpoint, elle était pourtant svelte : elle
avait des doigts très menus et très effilés, de petits
pieds très minces, une démarche noble, une chevelure très
belle et très abondante.
(14 novembre) Les saintes femmes sont allées aux bains de Béthulie,
une lieue plus loin que Damna. Il y a dans la vallée sur le bord
septentrional du lac, une série de maisons où Jésus
passa la nuit la dernière fois qu'il se rendit à ces bains,
venant de Capharnaüm. De ce côté sont aussi les logements
des femmes qui prennent les bains. Les saintes femmes sont parties hier
de Damna pour aller là à la rencontre de Madeleine et de
ses compagnes. Elles occupèrent ici une longue salle : il y avait
une lampe et avec des couvertures : les compartiments où des sièges
que l'on couchait étaient séparés par des rideaux.
Marthe et une autre des saintes femmes allèrent hier soir avec un
âne au-devant de Madeleine à mi-chemin de Gabara. Elles étaient
à une lieue environ de cette ville. Hier soir et cette nuit, je
vis Madeleine avec les saintes femmes. Marie aussi s'entretint avec elle.
Celle-ci parla de la prédication de Jésus, les deux autres
de l'hommage que lui avait rendu Madeleine, et de ce que le Sauveur avait
dit. Je vis les saintes femmes aller et venir et s'entretenir ensemble
: Madeleine, le plus souvent restait assise. Toutes la prièrent
de rester avec elles, ou au moins de venir passer quelque temps à
Béthanie : mais elle répondit qu'il lui fallait retourner
d'abord à Magdalum pour mettre ordre à sa maison. Cela ne
leur plaisait pas. Du reste, elle ne cessait de parler de son émotion,
de la majesté de Jésus, de son pouvoir, de sa douceur et
de ses miracles : elle sentait qu'elle devait le suivre, qu'elle menait
une vie indigne d'elle : elle voulait se réunir aux autres, etc.
Elle était très recueillie et très pensive, et pleurait
souvent : mais elle avait le coeur allégé et rasséréné.
Malgré les instances qu'on lui fit, elle voulut retourner à
Magdalum avec sa suivante. Marthe l'accompagna quelques temps puis elle
rejoignit les saintes femmes qui s'en revenaient à Capharnaüm.
Madeleine, je le crains bien, retombera encore car je l'ai vue plus tard
montrer bien de l'orgueil et de la mauvaise humeur, lorsqu'elle alla avec
Marthe entendre prêcher Jésus sur la montagne voisine de Dothaïm
: ce fut là qu'elle se convertit.
Elle est plus grande et plus belle que les autres femmes. Dina la Samaritaine
est belle aussi, mais bien plus active et plus remuante que Madeleine :
elle est très vive, très affable et très serviable
en toute occasion ; on dirait d'une servante alerte, avisée et prévenante
: elle est, avec cela, pleine d'humilité. Mais la sainte Vierge
les dépasse toutes en merveilleuse beauté : quoiqu'elle ne
soit point sans égale pour les avantages extérieurs, et que
Madeleine ait dans les traits quelque chose de plus frappant, cependant
il y a chez elle une pureté, une simplicité, une naïveté,
une gravité, une mansuétude inexprimables qui la mettent
hors de toute comparaison : elle est si merveilleusement pure, si inaccessible
à toute impression étrangère, qu'on ne voit eu elle
que l'image de Dieu réfléchie dans l'humanité. Personne
n'a de ressemblance avec elle, si ce n'est son fils. Sa physionomie se
distingue de celle des femmes qui l'entourent et de toutes celles que j'ai
jamais vues, par une expression de candeur, d'innocence, de gravité,
de sagesse, de paix et d'amabilité douce et recueillie qu'aucune
parole ne peut rendre. On voit en elle une incomparable majesté
et la simplicité innocente d'un enfant. Elle est très sérieuse,
très calme, souvent triste, jamais abattue ni agitée : les
larmes coulent doucement sur son visage paisible.
CHAPITRE QUATRIEME
- Prédication et miracles de Jésus.
- Prédication et miracles de Jésus à Capharnaum
et dans les environs. Il guérit le serviteur du centurion Cornélius.
Il ressuscite le fils de la veuve de Naim et la fille de Jaïre. Rechute
de Madeleine. Vocation de saint Matthieu. Vocation définitive de
Pierre, d'André, de Jacques et de Jean. La tempête apaisée.
Guérisons de malades. La pêche miraculeuse.
(14 novembre.) Je vis déjà dans la journée d'hier
e dans la nuit suivante plusieurs disciples qui demeuraient dans le voisinage,
retourner chez eux : Pierre André et quelques autres se rendirent
à Capharnaum et a Bethsaïde. Jésus enseigna et guérit
encore quelques malades dans l'après-midi ; puis, accompagne dl
reste des disciples et de plusieurs autres personnes, descendit, par le
côté au nord-est de la montagne de Gabara, dans la vallée
qui est au levant de Magdalum après quoi, suivant une côte
élevée qui domine la rive du lac, il arriva près d'une
colline qui termine les hauteurs méridionales de la vallée
de Capharnaum, dans la direction du lac. Il y a là un petit endroit
d'une cinquantaine d'habitations, qui fait partie d'un bien appartenant
à Zorobabel, le centurion de Capharnaum. C'est là qu'aboutit
cette gorge où sont parqués de beaux animaux de toute espèce,
et où Jésus se retira, lors de son dernier séjour
à Capharnaum, avant de quitter le pays. (Voir tome II, page 285.)
Les deux lépreux qu'il y avait guéris vinrent le trouver
et lui rendre grâces de leur guérison, car alors il ne s'était
arrêté près d'eux que fort peu de temps. Cet endroit
se composait de divers jardins séparés et entourés
de murs, et les habitations que j'ai vues, au nombre d'une cinquantaine,
étaient presque toutes des cabanes et de petits celliers pratiqués
dans les terrassements en maçonnerie qui soutenaient les jardins.
Elles n'étaient habitées que par des jardiniers, des gens
de service, des esclaves et des métayers du centurion Zorobabel,
propriétaire de ce terrain, auquel venait aboutir, de la vallée
de Capharnaum, cette gorge sauvage dont on avait fait une espèce
de parc très bien arrangé, et par laquelle Jésus était
venu ici en secret.
Il y trouva aujourd'hui l'intendant avec tous les serviteurs et le
fils de Zorobabel qu'il avait guéri : tous avaient été
baptisés. Jésus les enseigna ainsi que ses compagnons et
les habitants de l'endroit : il guérit en outre plusieurs malades,
et il prit un petit repas. A la chute du jour il se rendit dans la vallée
de Capharnaum, à la maison de sa mère : ses disciples l'avaient
quitté pour se rendre dans leurs familles. Toutes les saintes femmes
s'étaient réunies et sa présence causa une grande
joie ; Pierre et les alliés de la sainte Famille assistèrent
au repas. J'ai encore cette fois entendu Marie et les saintes femmes prier
Jésus de passer de l'autre côté du lac le lendemain
matin, à cause de la fureur dont le comité des Pharisiens
était animé contre lui Mais il les engagea à se calmer.
Marie lui recommanda de nouveau le centurion Cornélius, à
propos de son esclave malade, disant que c'était un excellent homme,
lequel, quoique païen, avait bâti une synagogue par affection
pour les Juifs : elle le pria aussi de guérir la fille de Jaïre,
le chef de la synagogue. Celui-ci demeure, à ce que je crois, dans
un petit endroit voisin de Capharnaum.
(15 novembre.) Ce matin, Jésus prit le chemin de Capharnaum
avec plusieurs disciples : il voulait aller chez le centurion Cornélius
: mais comme il arrivait devant la ville, dans le voisinage de la maison
qui appartient à Pierre, il vit venir à sa rencontre deux
Juifs que Cornélius lui avait déjà envoyés
récemment. Ils le prièrent de nouveau d'avoir pitié
du serviteur du centurion, lui disant que Cornélius le méritait
bien qu'il était l'ami des Juifs, qu'il leur avait fait bâtir
une nouvelle synagogue, et qu'il s'était trouvé honoré
de pouvoir faire cela pour eux. Jésus leur répondit qu'ils
pouvaient lui annoncer sa visite. Alors ils lui envoyèrent un messager
pour le prévenir. Cornélius habitait au nord de Capharnaum,
tout contre la ville, sur le penchant de la hauteur qui la dominait. Jésus
prit aussitôt sur sa droite le chemin qui était entre la ville
et les murs de la ville, et il passa devant la cabane d'un lépreux
auquel on avait permis de se faire un logement dans la muraille. Mais lorsque,
s'étant avance un peu plus loin, il se trouva en vue de la maison
de Cornélius, l'humble centurion vint à quelque distance
et se mit à genoux pendant que son messager courait à la
rencontre de Jésus et lui disait : " Le centurion vous fait dire
: Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit, dites
seulement une parole, et mon serviteur sera guéri, car si moi, qui
suis peu de chose et soumis à des supérieurs, je puis dire
à mes serviteurs : Faites ceci ! faites cela ! et ils le font, combien
vous est-il plus facile d'ordonner à votre serviteur de guérir,
moyennant quoi il sera guéri ! " Quand le messager eut répété
ces paroles de Cornélius, qui ne se jugeait pas digne de s'approcher
de Jésus et de lui parler lui-même, le Seigneur se tourna
vers les assistants et dit : " Je vous le dis en vérité,
je n'ai pas trouvé une telle foi parmi les Israélites. Sachez-le
donc : beaucoup viendront de l'orient et de l'occident et seront dans le
ciel avec Abraham, Isaac et Jacob, pendant que beaucoup d'enfants du royaume
de Dieu, beaucoup d'Israélites, seront repoussés dans les
ténèbres extérieures, là où il y aura
des pleurs et des grincements de dents ". Il se tourna ensuite vers le
centurion et dit : " Allez ! qu'il vous soit fait selon votre foi ! " et
le messager s'empressa de porter ces paroles au centurion agenouillé.
Celui-ci se courba jusqu'à terre, se releva et retourna chez lui.
Mais devant la maison, son serviteur vint à sa rencontre : il était
enveloppé dans un grand drap et avait un linge autour de la tête
: ce n'était pas un homme du pays, il avait le teint d'un brun jaunâtre.
Pendant ce temps, Jésus était retourné vers la cabane
du lépreux, ayant à passer devant pour entrer dans la ville.
Le lépreux sortit, se prosterna et dit : " Seigneur, si vous voulez,
vous pouvez me guérir ". Jésus lui répondit : " Etends
les mains ", puis il les toucha et lui dit : " Je le veux, sois guéri
". Alors sa lèpre se détacha et tomba, et Jésus lui
ordonna de se présenter aux prêtres pour qu'ils l'examinassent,
et de faire les offrandes prescrites, mais du reste de ne parler de cela
à personne. Cet homme, qui était très connu dans la
ville, alla alors trouver les Pharisiens pour faire examiner si sa guérison
était bien réelle : ils furent fort dépités,
lui firent subir un examen très rigoureux, et furent obligés
de le déclarer libre. Ils lui cherchèrent pourtant querelle,
et le chassèrent à peu près de leur présence.
Après cela, Jésus reprit le chemin qui conduisait au
milieu de la ville. On y avait apporté beaucoup de malades, on y
amena aussi des possédés, et il passa bien encore une heure
à opérer des guérisons. Les malades étaient
couchés sur une place, la plupart autour d'un puits où se
trouvaient des cabanes. Jésus sortit ensuite de la ville avec plusieurs
disciples, et, suivant la vallée, il se rendit à une lieue
et demie de là dans la gorge qui est au-dessus de Magdalum, non
loin de Damna : il y avait là une hôtellerie publique. Plusieurs
femmes, qui voulaient lui parler, l'y attendaient : c'étaient Maroni,
la veuve de Naïm, Laïs la païenne de Naïm, avec ses
deux filles Sabia et Athalie que Jésus, étant à Méroz,
avait guéries à distance et délivrées, et je
ne sais plus quelle autre femme. La veuve Maroni était venue supplier
Jésus de venir près de son fils Martial, âgé
de douze ans, lequel était si malade, qu'elle craignait de le trouver
mort en rentrant dans sa maison. Jésus lui dit de s'en retourner
tranquillement chez elle, et lui promit de venir : mais il ne dit pas quand.
Elle était venue avec un âne et apportait des dons pour la
communauté, qui furent portés à la ville voisine de
Damna, où l'on avait établi une hôtellerie. Jésus
la consola, et elle partit aussitôt, montée sur l'âne,
et accompagnée d'un serviteur. Naïm était à environ
neuf lieues de là. Je ne me souviens plus si, à raison du
danger imminent de son fils, elle ne continua pas son voyage ce soir après
l'ouverture du sabbat : je crois que Jésus lui en donna la permission.
C'était une femme riche, de beaucoup de vertu, et qui était
comme une Mère pour tous les enfants pauvres de Naïm. Je crois
qu'elle était nièce, non du père, mais du beau-père
de Pierre.
Barthélémy était aussi venu, amenant avec lui
le petit José, fils de sa soeur, qui était veuve, peut-être
pour le faire baptiser. Thomas était là également,
et avec lui Jephté, l'enfant d'Achias, le centurion de Giscala,
que Jésus avait guéri récemment. Thomas était
allé voir un de ses parents, et je ne sais plus à quelle
occasion il avait pris avec lui ce jeune garçon. Achias, son père,
n'y était pas, mais Judas Iscariote était venu avec eux de
Méroz. Laïs et ses deux filles avaient déjà embrassé
le judaïsme à Naïm, et avaient renoncé à
tout en présence des prêtres. Il y avait dans ces occasions
une espèce de baptême donné par les prêtres,
lequel consistait seulement en une aspersion avec un goupillon et en diverses
purifications. Quand ce cas se présentait, on baptisait aussi les
femmes chez les juifs. Mais aucune n'eut part au baptême de Jean
ni à celui de Jésus avant la Pentecôte.
Jésus s'entretint ici avec ces femmes touchant leurs projets
pour l'avenir, ce qu'il n'avait pas eu le temps de faire à Capharnaum.
A l'exception de Maroni, elles célébrèrent le sabbat
à Damna, parce qu'elles étaient trop fatiguées pour
pouvoir se rendre à Capharnaum avant qu'il fût ouvert. Jésus
leur donna des instructions et les consola : il mangea aussi avec elles,
ainsi que les disciples, un peu des aliments qu'elles avaient apportés.
Il revint ensuite à Capharnaum pour le sabbat, accompagne des disciples
et des hommes qui étaient venus le joindre : les femmes allèrent
à Damna.
Arrivé à Capharnaum, Jésus alla à la synagogue
tous les futurs apôtres étaient présents, à
l'exception de Matthieu, ainsi que beaucoup de disciples et de parents
de Jésus, et plusieurs femmes de ses parentes et de ses amies. Marie
d'Héli, soeur aînée de la sainte Vierge, était
aussi venue chez celle-ci, en compagnie d'Obed, son second mari, avec un
âne qui portait des présents. Elle habitait à Japha,
petit endroit situé à une lieue de Nazareth tout au plus,
où Zébédée avait habité autrefois et
où ses fils étaient nés. Elle s'était fait
une fête de revoir, outre les autres personnes ses trois fils, les
disciples de Jean, Jacob, Sadoch et Héliacin. Ce Jacob était
du même âge qu'André ; c'est le même qui eut une
contestation avec Paul au sujet de la circoncision, ainsi qu'un disciple
du nom de Céphas et un autre appelé Jean. Il fut fait prêtre
après la mort de Jésus : c'était l'un des plus considérables
et des plus âgés parmi les soixante-dix disciples. Il alla
avec Jacques le Majeur en Espagne, et aussi dans les îles, notamment
à Chypre et dans les contrées païennes limitrophes de
la Judée. Ce n'est pas lui, mais Jacques le Mineur, fils d'Alphée
et de Marie de Cléophas, qui fut le premier évêque
de Jérusalem.
Cette communication remarquable éclaircit d'une manière
surprenante le second chapitre de l'Epître aux Galates et confirme
la tradition rapportée par Eusèbe, selon laquelle le Céphas
mentionné par saint Paul ne serait pas saint Pierre, mais un des
soixante-dix.
Les Pharisiens et les Sadducéens avaient formé le projet
de faire aujourd'hui dans la synagogue une vive opposition à Jésus
et, à la faveur d'un tumulte préparé d'avance que
devaient exciter des gens apostés par eux, de le chasser ou de se
saisir de lui : mais les choses tournèrent tout autrement. Jésus
commença son instruction à la synagogue par une allocution
très forte et très véhémente, et il parla sans
aucun ménagement, comme quelqu'un qui a pouvoir et autorité
pour parler ainsi. La fureur des Pharisiens fut à son comble, et
ils étaient au moment de se précipiter sur lui, lorsque tout
à coup il se fit un grand mouvement dans la synagogue. Un homme
de la ville, qui était possédé d'un démon impur
et qu'on tenait enchaîné à cause de ses accès
de fureur, avait brisé ses liens pendant que ses gardiens étaient
à la synagogue. Il se jeta comme un furieux au milieu de l'assemblée,
passa, en poussant des cris horribles, à travers la foule qu'il
écarta et qui se mit aussi a crier, courut ainsi jusqu'à
la place où Jésus enseignait et s'écria : " Jésus
de Nazareth, qu'y a-t-il entre nous et toi ? Tu es venu pour nous chasser
? Je sais qui tu es ; tu es le Saint de Dieu ". Mais Jésus, sans
s'émouvoir, se tourna à peine vers lui du haut de l'extrade
; il fit un geste de menace de son côté et dit tranquillement
: " Tais-toi et sors de cet homme ". Alors l'homme resta silencieux : puis
après avoir été jeté de côté et
d'autre, il s'affaissa sur lui-même et je vis Satan se retirer de
lui comme une épaisse vapeur noire. Quant à l'homme qui avait
beaucoup pâli, et qui était complètement calmé,
il se prosterne la face contre terre et pleura.
Tous avaient vu cette scène terrible et surprenante ou éclatait
le pouvoir de Jésus. L'effroi des assistants fit bientôt place
à un murmure d'admiration : les Pharisiens avaient perdu toute leur
assurance : ils se disaient même les uns aux autres, dans leur étonnement
: " Qu'est-ce donc que cet homme ? Il commande aux esprits et ils s'en
vont ". Jésus continua à enseigner sans contradicteurs. Le
possédé délivré, dont la faiblesse et la maigreur
étaient extrêmes, fut ramené chez lui par les siens
et par sa femme qui était à la synagogue. Quand Jésus
sortit, après avoir achevé son instruction, cet homme vint
à lui, le remercia et lui demanda des conseils. Jésus lui
recommanda de renoncer à ses pratiques vicieuses, de peur qu'il
ne lui arrivât quelque chose de pis, et l'exhorta à la pénitence
et au baptême. C'est un tisserand : il confectionne de ces tissus
de coton minces et légers, que les Juifs portent autour du cou.
Il retourna à son travail ayant recouvré le calme et la santé.
Des esprits impurs de cette espèce prenaient souvent possession
des hommes qui se livraient avec excès et sans retenue à
leurs passions impures.
Après cette scène, les Pharisiens avaient perdu toute
idée d'attaquer Jésus aujourd'hui ils restèrent fort
tranquilles et il enseigna ce soir sur la lecture du sabbat, qui était
tirée du Pentateuque et du prophète Osée : cela dura
ainsi, sans aucun nouvel incident, jusqu'à la clôture, où
il parla encore avec beaucoup de force et de gravité. Son attitude
et ses paroles furent aujourd'hui beaucoup plus sévères que
de coutume, et il parla tout à fait comme quelqu'un qui a autorité.
Il se rendit ensuite à la maison de Marie, où toutes
les femmes étaient réunies, ainsi que beaucoup de ses parents
et de ses disciples. On `prit là un petit repas. J'ai compté
cette nuit toutes les saintes femmes qui, jusqu'à la mort de Jésus,
firent partie de la communauté chargée de l'assister. Il
y en eut soixante dix : cette fois, j'en ai compté déjà
trente-sept qui prennent dès à présent une part active
à cette oeuvre. Les filles de Lais de Naïm, Sabia et Athalie,
furent à la fin du nombre de celles qui se portaient partout où
leur présence pouvait être utile. Je les ai vues, au temps
de saint Etienne, parmi les fidèles qui avaient établi leur
domicile à Jérusalem.
(17 novembre.) Jésus enseigna ce matin dans la synagogue sans
que personne s'y opposât. Les Pharisiens s'étaient dit les
uns aux autres : " Nous ne pouvons rien entreprendre contre lui pour le
moment : ses partisans sont trop nombreux : nous nous bornerons à
le contredire de temps en temps, et à rendre compte de tout à
Jérusalem, puis nous attendrons qu'il vienne au Temple pour la fête
de Pâques ". Il y avait derechef un grand nombre de malades dans
les rues : les uns étaient arrivés la veille un peu avant
le sabbat, les autres, d'abord incrédules, venaient de tous les
coins de la ville sur le bruit qu'avaient fait les guérisons du
jour précédent : j'en vis aussi beaucoup qui étaient
venus plusieurs fois, mais qui n'avaient reçu qu'un soulagement
temporaire et qui revenaient. Une explication me fut donnée à
ce sujet : ces malades sont les âmes tièdes, inconstantes,
paresseuses, lesquelles se convertissent plus difficilement que les grands
pécheurs à passions violentes. Madeleine ne se convertit
qu'à grand peine après plusieurs rechutes, mais alors elle
déploya une grande énergie. La conversion de Dina fut rapide
: celle de Marie la Suphanite fut précédée de désirs
persévérants et s'accomplit tout à coup. Celle de
toutes les grandes pécheresses fut prompte et complète :
de même pour l'énergique Paul, ce fut comme un coup de foudre.
Judas fut toujours indécis et finit par se perdre. Il en est de
même pour certains maux terribles et violents, que je vois Jésus,
dans sa sagesse, faire disparaître instantanément, parce que
ceux qui en sont affectés, ou sont entièrement privés
de l'exercice de leur volonté, comme les possédés
dans leurs accès, ou sont irrésistiblement dominés
par leurs souffrances, comme dans quelques maladies très graves.
Quant à d'autres gens valétudinaires, que leurs souffrances
empêchent seulement de pécher aussi facilement et qui ne sont
pas véritablement convertis, je vois souvent, ou qu'il les renvoie
en les exhortant à se corriger, ou qu'il se borne à les soulager
un peu, afin que leur âme s'assouplisse davantage sous le poids des
chaînes qu'ils portent. Jésus pourrait les guérir tous
immédiatement, mais il ne guérit que ceux qui croient et
qui font pénitence, et souvent il les avertit de prendre garde aux
rechutes. Souvent aussi je l'ai vu guérir promptement des gens atteints
de maladies légères, quand cela était profitable pour
leur âme. Il n'est pas venu rendre la santé aux malades pour
leur rendre le péché plus facile, mais guérir les
corps afin de sauver et de racheter les âmes. Je vois toujours dans
chaque espèce de maladie une disposition divine et l'image symbolique
d'une dette personnelle ou étrangère pesant sur l'individu,
et qu'il doit payer sciemment ou à son insu, ou bien encore un capital
d'épreuves, qui lui est alloué et qu'il doit faire fructifier
par la patience, en sorte qu'à proprement parler, personne ne souffre
sans l'avoir mérité. Car nul homme ne peut se dire innocent,
puisque le Fils de Dieu a dû prendre sur lui les péchés
du monde pour qu'ils fussent effacés, et puisque nous devons porter
notre croix à sa suite afin de l'imiter en tout.
La patience poussée jusqu'à la joie au milieu des afflictions
et l'union de nos souffrances avec celles de Jésus-Christ faisant
partie des conditions de la perfection, le désir de ne pas souffrir
est déjà en lui-même une imperfection. Or, nous avons
été créés parfaits et nous devons renaître
parfaits. C'est pourquoi toute guérison est pure grâce et
miséricorde gratuite envers les pauvres pécheurs qui ont
mérité plus que la maladie, car ils ont mérité
la mort dont le Seigneur, en mourant lui-même, a sauvé ceux
qui croient en lui et qui agissent conformément à leur foi.
C'est ainsi que je vis Jésus guérir aujourd'hui beaucoup
de possédés, de paralytiques, d'hydropiques, de goutteux,
de muets, d'aveugles et d'autres personnes atteintes de graves infirmités.
Devant plusieurs malades qui pouvaient encore se tenir debout, je le vis
souvent passer outre. Il y en avait parmi eux qui avaient déjà
reçu de lui un soulagement à leurs maux, mais qui ne s'étant
pas convertis sérieusement, étaient retombés quant
au corps et quant à l'âme. Comme Jésus passait devant
eux sans s'arrêter, ils s'écrièrent : " Seigneur, Seigneur,
vous guérissez tous ces gens malades, et nous, vous ne nous guérissez
pas ! Seigneur, ayez pitié ! je suis redevenu malade ! " Alors Jésus
répondit : " Pourquoi ne tendez-vous pas vos mains vers moi " ?
Tous alors tendirent les mains vers lui en disant : " ce Seigneur, voici
nos mains ! " Mais il répondit : " Ces mains-là, vous les
tendez, il est vrai ; mais il y a les mains de votre coeur auxquelles je
ne puis atteindre : vous les retirez et les fermez, car il n'y a en vous
que ténèbres ". Là-dessus, il donna encore quelques
enseignements et en guérit plusieurs qui s'étaient convertis
: d'autres furent de nouveau soulagés : il y en eut enfin devant
lesquels il passa sans s'arrêter.
Vers midi, il s'assit avec les siens. Il y avait là plusieurs
personnes de sa parenté, notamment deux qui étaient venues
de Nazareth. Dans l'après-midi, il alla avec tous ses disciples
et ses parents faire du côté du lac une promenade pendant
laquelle il enseigna. Ils visitèrent aussi dans la partie méridionale
de la vallée de Capharnaum, un jardin de plaisance arrosé
par le ruisseau de Capharnaum, et où l'on prenait des bains : Je
crois qu'on y baptisera. J'avais pensé d'abord que ce serait dans
le voisinage de la maison de Marie, qu'il y a également une belle
fontaine baptismale. mais cela aurait occasionne trop de dérangement.
La sainte Vierge de son côté est allée se promener
près de Bethsaïde, au-dessus de la maison des lépreux,
avec plusieurs des autres femmes parmi lesquelles se trouvent Dina, Marie
la Suphanite, Laïs, Athanie. Sabia et Marthe. Une caravane de païens,
dont beaucoup de femmes font partie, a établi là son camp.
Je crois que ce sont des gens de la haute Galilée. Le sainte Vierge
les visita et leur donna des consolations et des enseignements. Les femmes
étaient assises en cercle : Marie s'asseyait ou marchait au milieu
d'elles. Elles lui adressèrent des interrogations de toute espèce
: Marie leur expliqua ce qu'elles ignoraient, les consola et leur raconta
bien des choses relatives aux patriarches, aux prophètes et à
Jésus.
Jésus enseigna une nombreuse assistance près de la hauteur
où est le jardin de Zorobabel. Il parla souvent en paraboles. Les
disciples ne le comprenaient pas encore et quand ensuite il se retira à
part avec les principaux d'entre eux, il leur expliqua une parabole où
il était question du semeur, de l'ivraie mêlée au bon
grain et du danger d'arracher le froment avec l'ivraie. C'était
entre autres Jacques le Majeur qui lui avait dit qu'on ne le comprenait
pas et qui lui avait demandé pourquoi il ne parlait pas Plus clairement.
Jésus répondit qu'il leur expliquerait tout, mais qu'a cause
des faibles et des paiens le royaume de Dieu ne devait pas être présenté
dans toute sa nudité. Puisque dès à présent
ils s'en effrayaient, parce qu'ils le trouvaient trop au-dessus de leur
portée, ils devaient apprendre à le connaître sous
le voile des paraboles ; il fallait qu'il prît croissance en eux
comme une semence dans laquelle l'épi est enveloppé et qui,
elle-même, est cachée dans le sein de la terre. · Il
leur expliqua une parabole qui faisait allusion à leur mission en
tant qu'appelés à travailler à la moisson. Il parla
des conditions nécessaires pour le suivre, leur dit que bientôt
ils l'accompagneraient tous dans ses courses et qu'il leur expliquerait
tout. Je me souviens encore que Jacques le Majeur lui dit : "Maître,
pourquoi nous expliquez-vous cela, à nous qui sommes des ignorants,
afin que nous l'enseignions aux autres ? Dites-le plutôt à
Jean Baptiste qui a une si grande foi à ce que vous êtes réellement,
et qui pourrait le propager et l'annoncer. "Je ne me souviens plus de ce
qu'il répondit à cela.
Vers le soir, Jésus retourna à la synagogue et termina
l'instruction du sabbat. Les Pharisiens avaient un peu repris courage et
vers la fin ils se mirent encore à disputer avec lui sur ce qu'il
remettait les péchés :
Il y en avait là quelques-uns qui avaient assiste au repas donné
à Gabara : ils lui reprochèrent d'avoir dit à Marie
Madeleine, que ses péchés lui étaient remis. D'où
le savait-il ? Comment cela était-il en son pouvoir ? C'était
un blasphème. Jésus les réduisit au silence par ses
réponses. Ils voulaient l'amener à dire qu'il n'était
pas un homme, qu'il était un Dieu. Mais Jésus confondait
tous leurs discours. Cela se passa dans le parvis devant la synagogue :
ils en vinrent enfin à faire grand bruit et à pousser des
clameurs tumultueuses, et Jésus se déroba au milieu de la
foule en sorte qu'ils ne surent plus ce qu'il était devenu. Il gagna
par le ravin qui était derrière la synagogue les jardins
de Zorobabel, puis il revint par des sentiers détournés dans
la maison de sa mère. Il y passa une partie de la nuit et s'entretint
avec elle et avec les autres femmes. Il fit dire de là à
Pierre et à plusieurs autres disciples qu'il irait avec eux à
Naïm, le jour suivant et leur donna rendez-vous de l'autre côté
de la vallée au-dessus de l'endroit où se tenaient les barques
de Pierre. J'ai oublié de dire qu'hier le centurion Cornélius
et son serviteur lui firent demander ce qu'il avait à faire : il
lui dit de se faire baptiser avec tous les siens.
(17 novembre.) Aujourd'hui dimanche, je vis, de très bon matin,
Jésus accompagné des futurs apôtres, d'un bon nombre
de disciples et de plusieurs autres personnes qui l'avaient suivi de Gabara
à Capharnaum, se diriger vers la plaine d'Esdrelon. Il y avait deux
troupes : l'une allait en avant, l'autre en arrière : Jésus
était la plupart du temps entre les deux avec quelques compagnons.
Il alla parfois enseigner dans les champs, là où il se trouva
des gens pour l'écouter : ils se reposèrent aussi par moments.
Le chemin passait au-dessus de la pêcherie de Pierre, coupait la
vallée de Magdalum, longeait à l'est la montagne qui domine
Gabara, puis suivait la vallée à l'est de Béthulie
et de Giscala, et traversait le territoire des deux villes qui se trouvaient
à droite et à gauche du chemin lors du récent voyage
de Dabrath à Giscala. Jésus marcha bien neuf ou dix heures
aujourd'hui. Ils entrèrent dans une maison de bergers située
sur le chemin, à trois ou quatre lieues de Naïm. Ils avaient
passé précédemment le torrent de Cison. Jésus
a fréquemment enseigné pendant la route : il a dit entre
autres choses à quoi on pouvait reconnaître les faux docteurs.
(18 novembre.) Naïm est une jolie ville avec des maisons bien
bâties : elle s'est aussi appelée Engannim. Elle est située
sur une colline agréable, près du torrent de Cison, à
une petite lieue de l'endroit où commence la montée du Thabor.
On voit Endor au sud-ouest. Jezraël est plus au midi, mais on ne peut
pas voir cette ville à cause des hauteurs qui la cachent. On a devant
soi la belle plaine d'Esdrelon. Naïm peut être à trois
ou quatre lieues au sud-est de Nazareth, sur le bord septentrional du torrent
de Cison, que Jésus avait passé en allant du nord-est à
l'ouest. Cette contrée produit une très grande abondance
de blé, de vin et de fruits, et la veuve Maroni possède toute
une montagne couverte de vignes magnifiques. Jésus arriva à
Naïm avec une trentaine de compagnons : plusieurs s'était séparés
de lui en route pour aller chez eux. Le chemin qui passait par les collines
était ici fort étroit : un groupe allait devant, un autre
derrière et Jésus entre les deux. Il était environ
neuf heures du matin, lorsqu'ils arrivèrent près de Naïm.
J'avais été récemment informée que Jésus,
étant très proche de Naïm, s'était abstenu à
dessein d'y aller quoique le jeune homme fût déjà malade,
parce qu'il devait l'arracher à la mort et par là propager
la foi.
Comme les disciples, suivant un étroit sentier, approchaient
de la porte, j'y vis arriver le corps accompagne d'une troupe de Juifs
en manteaux de deuil. J'ai toujours entendu dire que les Juifs couraient
tumultueusement lorsqu'ils portaient leurs morts en terre et c'est bien
ainsi qu'ils faisaient en cette occasion : ils s'agitaient autour du corps
comme un essaim d'abeilles. Quatre hommes le portaient dans une bière
posée sur des bâtons recourbés au milieu La bière
avait la forme d'un corps humain : elle était légère
comme une corbeille d'osier et il y avait un couvercle par-dessus. Jésus,
passant à travers les disciples qui s'étaient rangés
sur deux lignes, alla au devant de ceux qui accompagnaient le corps et
leur dit : " Arrêtez vous ". Puis mettant la main sur le cercueil,
il ajouta : " Déposez le cercueil ". Ils le mirent par terre et
se retirèrent en arrière : les disciples se tenaient des
deux côtés. La mère suivait le convoi, avec plusieurs
femmes, parmi lesquelles les trois veuves déjà mentionnées,
dont l'une avait eu pour premier mari un frère de Khasaloth ; elles
venaient de sortir de la porte et se tinrent à quelques pas du Seigneur.
Elles étaient voilées et dans une grande affliction. La mère
était en avant, elle pleurait en silence et se disait sans doute
: " Hélas ! il vient trop tard ! " Jésus lui dit d'un ton
affectueux quoique très grave : " Femme. ne pleurez pas ". Il était
touché de la douleur de tous les assistants, car on aimait beaucoup
la veuve, dans la ville, à cause de sa grande charité envers
les orphelins et les pauvres de toute espèce. Toutefois il y avait
aussi dans la foule plusieurs personnes malveillantes, et il en arrivait
encore d'autres de la ville. Jésus demanda de l'eau et une branche
d'arbre : on apporta à l'un des disciples un vase plein d'eau et
une branche d'hysope qu'on cueillit dans un jardin : on présenta
tout cela au Seigneur qui dit aux porteurs : " Ouvrez le cercueil et détachez
les bandages ". Pendant qu'ils exécutaient ses ordres, Jésus
leva les yeux au ciel et dit : " Je vous loue, mon Père, seigneur
du ciel et de la terre, de ce que vous avez caché tout cela aux
sages et aux habiles pour le manifester aux simples. Oui, mon Père
tel a été votre bon Plaisir. Toutes choses ont été
mises en mon pouvoir par le Père, et personne ne connaît le
Père si ce n'est le Fils et ceux auxquels le Fils veut le révéler.
Venez à moi, vous qui êtes fatigués et accablés
! Je vous renouvellerai. Prenez mon joug sur vous et apprenez de moi que
je suis doux et humble de coeur : vous trouverez du repos pour vos âmes,
car mon joug est doux et mon fardeau est léger ". Lorsqu'ils eurent
levé le couvercle, je vis le corps couché dans le cercueil
où il était comme emmailloté. Ils délièrent
et détachèrent les bandes d'étoffe qui l'enveloppaient,
mirent à découvert je visage et les mains en sorte que le
corps ne se trouva plus recouvert que d'un linceul. Jésus bénit
l'eau, y trempa la branche d'hyssope et aspergea l'assistance. Alors je
vis beaucoup de petites figures ténébreuses comme des insectes,
des scarabées, des crapauds, des serpents et de Petits oiseaux de
couleur sombre sortir de plusieurs personnes qui se trouvaient là.
Personne à la vérité ne sembla voir cela. mais il
y eut chez les gens plus de recueillement et d'émotion, c'était
comme si tout devenait plus serein et plus pur. Alors Jésus aspergea
le jeune homme et fit une croix sur lui avec la main. Je vis sortir du
corps une forme noire semblable à un nuage sombre, et Jésus
dit au jeune homme : " Lève-toi ". Il se mit sur son séant
et Promena autour de lui des regards curieux et étonnés.
Jésus dit alors : " Donnez-lui un vêtement ", et on l'enveloppa
d'un manteau. Il se leva tout à fait et dit : " Qu'est-ce que ceci
? Comment suis-je ici ? " On lui mit des chaussures : il marcha, puis Jésus
le prenant par la main, le conduisit dans les bras de sa mère qui
accourait en toute hâte et à laquelle il dit : " Voici que
votre fils vous est rendu, mais je vous le redemanderai quand il aura reçu
une nouvelle naissance dans le baptême ". La mère était
hors d'elle-même dans l'excès de sa joie, de son étonnement,
de sa vénération : elle ne remerciait pas, mais fondait en
larmes et serrait le jeune homme dans ses bras. On le ramena chez lui :
le peuple chantait des cantiques de louange. Jésus les suivit avec
ses disciples jusqu'à la maison de la veuve, qui est très
grande et entourée de cours et de jardins. Alors il arriva des amis
de tous les côtés : on se pressait en foule pour voir le jeune
homme. Il prit un bain et on le revêtit d'une robe blanche avec une
ceinture. On lava les pieds à Jésus et aux disciples, et
on leur offrit à manger : puis aussitôt on fit joyeusement
d'abondantes distributions aux pauvres qui s'étaient rassemblés
autour de la maison pour présenter leurs félicitations. On
leur donna des habits, du linge, du blé, du pain, des agneaux, des
oiseaux et aussi de l'argent : pendant ce temps Jésus enseigna la
foule qui s'était rassemblée dans la cour de la veuve.
Martial avec sa robe blanche était tout joyeux : il courait
ça et là, se montrait aux uns et aux autres et distribuait
des aumônes. Il avait une joie d'enfant : et il y eut des scènes
divertissantes lorsque les enfants de l'école, ses camarades, furent
conduits dans la cour par leurs maîtres et qu'il s'approcha d'eux.
Plusieurs de ces enfants furent tout effrayés, pensant que c'était
peut-être un esprit, et il courut sur eux et s'amusa à leur
faire peur en grossissant sa voix. Comme ils reculaient intimidés,
d'autres se moquèrent d'eux et firent les braves : ils lui donnèrent
la main, en regardant les peureux d'un air triomphant. C'était comme
lorsqu'un garçon déjà grand touche un cheval ou un
autre animal qui fait peur à de plus Petits que lui :
On avait préparé dans la maison et dans les cours un
repas auquel tous prirent part. Pierre en qualité de parent de la
veuve, car elle était fille du frère de son beau-père,
témoignait particulièrement sa joie et se montrait à
l'aise dans la maison où il tenait en quelque façon la place
du père de famille. Jésus, à plusieurs reprises, fit
venir le jeune homme près de lui en présence de la foule
assemblée ; je vis qu'il lui parlait de manière à
être entendu des assistants, et que ce qu'il disait faisait impression
sur eux. Je ne l'ai jamais entendu parler de ce jeune homme comme d'un
mort. Il semblait dire que la mort, introduite dans le monde par le péché,
l'avait lié et enchaîné pour l'achever ensuite dans
le tombeau : qu'il avait été jeté, les yeux fermés,
dans les ténèbres, et qu'il les aurait ouverts trop tard,
là où il n'y a plus de miséricorde, plus de secours
; mais avant qu'il n'y entrât, la miséricorde de Dieu l'avait
délivré de ses chaînes à cause de la piété
de ses parents et de quelques-uns de ses ancêtres : maintenant il
lui restait à se faire délivrer par le baptême de la
maladie du péché, afin de ne pas tomber dans une captivité
plus terrible. Comme les vertus des parents profitent plus tard à
leurs enfants, Dieu, en considération des patriarches, avait jusqu'à
présent conduit et épargné Israël : mais maintenant,
que lié et enveloppé par la mort du péché,
il se trouvait, comme ce jeune garçon, aux portes du tombeau, la
miséricorde du Seigneur était venue pour la dernière
fois visiter son peuple. Jean avait préparé les voies, crié
d'une voix forte pour réveiller les coeurs du sommeil de la mort
: le Père les prenait en pitié pour la dernière fois
et ouvrait à la vie les yeux de ceux qui ne voulaient pas les fermer
obstinément. Il compara le peuple, dans son aveuglement, à
un adolescent enveloppé dans les draps mortuaires et renfermé
dans le cercueil, au devant duquel le salut était venu près
du tombeau, lorsqu'il était déjà hors des portes de
la ville. Si les porteurs n'avaient pas écouté sa voix, s'ils
n'avaient pas déposé et ouvert le cercueil, s'ils n'avaient
pas dégagé le corps de ses liens ; si, persistant à
marcher en avant, ils avaient enterré celui qui vivait encore, quoique
fortement enchaîné par la mort ; combien cela eût été
horrible et épouvantable ! il tira de là une comparaison
avec les faux docteurs, les Pharisiens, qui éloignaient le peuple
de la vie de la pénitence, l'enlaçaient dans les liens de
leurs lois, l'enfermaient dans le cercueil de leurs coutumes, et le jetaient
ainsi dans le tombeau pour jamais. Il conjura ses auditeurs d'accueillir
les offres miséricordieuses de son Père céleste, les
exhorta à courir à la vie, à la pénitence,
au baptême.
Il y eut en cette occasion quelque chose de remarquable dans l'usage
que fit Jésus de l'eau bénite : je pense que ce fut pour
chasser les mauvais esprits qui exerçaient leur empire sur certains
d'entre les assistants, lesquels étaient ou scandalisés,
ou dévorés d'envie, ou secrètement animés d'une
joie maligne, et qui croyaient que Jésus ne réveillerait
pas ce jeune homme. Je vis cette mauvaise disposition sortir d'eux sous
la forme d'insectes de toute espèce. Lors du retour du jeune homme
à la vie, je vis aussi, au moment de l'aspersion avec l'eau bénite,
comme un petit nuage de figures ou d'ombres hideuses de diverses grandeurs
s'élever du corps et disparaître dans le sein de la terre.
Je me souviens, à cette occasion, de ce qui s'était passé
lorsque j'avais vu d'autres morts ressuscités par Jésus.
Alors il avait rappelé l'âme du mort que je voyais séparée
et éloignée de lui dans le cercle où elle devait subir
sa peine : elle venait au-dessus du corps et s'y introduisait, après
quoi il se relevait. Mais pour l'adolescent de Naïm les choses se
passèrent tout autrement : je ne vis pas l'âme séparée
du corps et s'y unir de nouveau : je vis la mort se retirer, pour ainsi
dire, du corps comme un fardeau dont le poids l'étouffait.
Après le repas, comme le soir approchait, Jésus se rendit
avec les disciples à un beau jardin que possédait la veuve
Maroni à l'extrémité méridionale de la ville.
Tout le chemin qu'il fit à travers la ville était garni de
malades de toute espèce qu'il guérit. Il y avait un grand
mouvement dans la ville. Le jour était déjà tombé
lorsque Jésus arriva au jardin. Maroni s'y trouvait avec les trois
veuves, les gens de sa maison, ses amis et quelques docteurs de la synagogue
; son fils était aussi là avec quelques autres adolescents.
Il y avait plusieurs pavillons dans le jardin : devant le plus beau dont
le toit reposait sur des colonnes, on avait placé sous des palmiers,
à une assez grande hauteur, un flambeau qui éclairait l'intérieur
de la salle. La lumière se reflétait agréablement
sur les longues palmes verdoyantes, et là où elle arrivait,
on voyait les fruits briller sur les arbres et se détacher plus
distinctement qu'en plein jour. Au commencement Jésus enseigna et
raconta en se promenant : ensuite on mangea quelques fruits, et Jésus
fit une belle instruction dans l'intérieur du pavillon. Souvent
aussi il s'entretint avec le jeune homme rappelé à la vie,
de manière à être entendu des autres. On passa dans
le jardin une charmante soirée après laquelle on revint à
la maison de Maroni, où il y eut place pour tous dans les dépendances.
(19 novembre.) Sur la nouvelle de la présence de Jésus
à Naïm et de la résurrection du jeune garçon,
beaucoup de personnes et de malades étaient venus de toute la contrée
pendant la nuit, et ils s'étaient rangés en longues files
dans la rue qui était devant la maison de Maroni. Jésus guérit
pendant une partie de la matinée et il rétablit aussi la
paix dans plusieurs familles. Il vint notamment plusieurs femmes qui demandèrent
s'il ne pouvait pas leur donner des lettres de divorce et qui portèrent
force plaintes contre leurs maris, avec lesquels elles ne pouvaient pas
vivre. C'é tait un piège que lui tendaient les Pharisiens
: réduits à la confusion par ses miracles, ils ne pouvaient
rien lui opposer, et comme pourtant ils voyaient tout cela avec une rage
secrète, ils voulaient l'induire en tentation, lui faire dire quelque
chose contre les dispositions de la loi relatives au divorce, afin de pouvoir
l'accuser à ce sujet comme enseignant de fausses rumeurs. Mais Jésus
dit aux femmes mariées qui se plaignaient : " Apportez-moi un vase
de lait et un vase d'eau. alors je vous répondrai ". Elles allèrent
dans une maison voisine et apportèrent deux écuelles lune
d'eau, l'autre de lait ; Jésus mêla ensemble les deux liquides
et dit : " Séparez-moi ceci de façon à ce que l'eau
soit d'un côté et le lait de l'autre, comme tout à
l'heure : alors je vous séparerai " Comme elles répondirent
qu'elles ne le pouvaient pas, il parla de l'indissolubilité du mariage,
dit que le divorce n'avait été permis par Moïse qu'à
cause de la dureté des coeurs ; mais il ne pouvait jamais y avoir
séparation complète, car le mari et la femme n'étaient
qu'un même corps et une même chair, et quoiqu'ils ne vécussent
pas ensemble, le mari devait pourtant nourrir la femme et les enfants,
et les époux ne devaient pas se remarier. Il alla ensuite avec elles
dans la maison de leurs maris. parla à ceux-ci en particulier, puis
aux hommes et aux femmes ensemble : il donna tort aux deux parties, mais
surtout aux femmes, et il les réconcilia : les uns et les autres
versèrent des larmes, ils ne pensèrent plus à se séparer
et trouvèrent des lors dans leur fidélité à
leurs devoirs un bonheur qu'ils n'avaient pas connu auparavant. Quant aux
Pharisiens, ils furent très dépités de ce que leurs
desseins avaient échoué.
Jésus guérit ce matin plusieurs aveugles en leur frottant
les yeux avec de la terre qu'il avait pétrie avec sa salive.
Vers midi il quitta Naim, Maroni, son fils, tous les siens, les malades
guéris, et plusieurs personnes de la ville l'accompagnèrent
; quelques-uns l'attendirent devant la porte, tenant eu main des branches
vertes, et l'accueillirent en chantant des psaumes à sa louange.
Suivi de ses disciples, il se dirigea vers le couchant, le long de la rive
septentrionale du Cison. Il avait à sa droite les montagnes qui
ferment au midi la vallée de Nazareth, et il passa un petit cours
d'eau qui va, du nord au midi, se jeter dans le Cison : on dirait qu'il
vient de Nazareth. De l'autre côté de ce petit cours d'eau
il enseigna des ouvriers occupés à ensemencer les champs.
Ce ne fut que vers le soir qu'il entra, avec ses disciples, dans le nouveau
faubourg de Mageddo, ville située au pied des montagnes, à
l'ouest desquelles s'étend la vallée de Zabulon. Il entra
dans une hôtellerie devant laquelle il enseigna encore le soir. Quand
les gens qui étaient occupes dans les champs virent Jésus
s'approcher avec son cortège je les vis courir et mettre leurs habits
qu'ils avaient quitté pour travailler.
(20 novembre) Mageddo est située sur une hauteur : c'est une
ville déchue et assez déserte. Au milieu se trouve un édifice
en ruines, où l'herbe croit sur des décombres : on y voit
encore des restes d'arcades. Ce devait être, autrefois, un château
des rois Chananéens (Josué, XII, 21. III Reg. IX, 15). J'appris
qu'Abraham avait aussi résidé dans cette contrée.
C'est dans le voisinage que le pieux roi Josias fut battu par les Egyptiens
et blessa. Je vis qu'il mourut dans cette ville. Il y a à Mageddo
un quartier moderne et animé : c'est le faubourg où Jésus
est entré. Il se compose d'une longue rangée d'édifices
au pied de la hauteur, où passe une route de commerce allant à
Ptolémais. De là vient qu'il y a là plusieurs grandes
hôtelleries : il y demeure aussi des publicains qui, ayant assisté
hier à une instruction de Jésus, sont venus le voir aujourd'hui
et ont pris la résolution de faire pénitence et de recevoir
le baptême. Les Pharisiens de l'endroit se sont scandalisés
à cette occasion. Une foule nombreuse de malades s'est rassemblée
ici, et il en est venu encore dans la matinée. Jésus leur
fit dire qu'il irait les visiter vers le soir, et chargea ses disciples
de les faire mettre en rang. Il y avait devant l'entrée de Mageddo
une grande pelouse circulaire entourée de murs et de portiques :
tout cela était un peu délabré. Les malades furent
rangés tout autour, sur leurs couches, et classés suivant
la nature de leurs maladies.
Dans l'après-midi, Jésus retourna avec les disciples
dans les champs situés à l'est de la ville, au fond d'une
vallée, et il les parcourut, enseignant en paraboles les laboureurs
occupés aux semailles. Plusieurs des disciples les plus instruits
enseignaient aussi : ils préparaient des groupes éloignés
avant que le Seigneur vînt à eux, et ils expliquaient à
ceux que Jésus quittait ; certaines choses qui n'avaient pas été
bien comprises : ils racontaient aussi quelques-uns des miracles du Seigneur.
Comme, le plus souvent, la même instruction se répétait
plusieurs fois, quand, plus tard, les gens se réunissaient et en
parlaient ensemble, tous savaient ce qui avait été dit :
seulement la doctrine avait pénétré plus avant chez
les auditeurs les plus réfléchis, qui donnaient ensuite des
explications aux autres. Comme dans ce climat si chaud ils suspendaient
souvent leur travail, Jésus enseignait pendant ces pauses ou bien
encore quand ils s'asseyaient pour prendre une réfection.
Pendant que Jésus parcourait les champs avec ses disciples,
je vis arriver des disciples de Jean, au nombre de quatre, à ce
que je crois : ils saluèrent les disciples, s'arrêtèrent
près d'eux et se mirent à écouter. Ils avaient des
bandes de fourrure autour du cou et des ceintures de cuir. Ils n'étaient
pas envoyés par Jean, quoiqu'ils fussent en rapport avec lui et
ses adhérents : c'étaient des disciples de Jean engagés
dans une fausse voie ; ils avaient des relations secrètes avec les
Hérodiens, et ils avaient mission d'espionner particulièrement
ce que Jésus enseignait touchant son royaume. Ils étaient
beaucoup plus stricts et plus obséquieux que les disciples de Jésus
: chez eux, la peau de mouton de Jean avait pris la forme d'une espèce
d'étole, et son enseignement avait donné naissance à
une secte entêtée. Vers cinq heures il vint encore une autre
troupe de disciples de Jean : ils étaient douze, dont deux envoyés
par Jean ; les autres étaient venus avec eux comme témoins.
Comme ils s'approchaient, Jésus reprit le chemin de Mageddo, et
ils suivirent les disciples : quelques-uns avaient été présents
aux derniers miracles de Jésus et étaient retournés
vers Jean. Lors qu'il eut rendu la vie au jeune homme de Naim, des disciples
de Jean qui se trouvaient dans la foule étaient allés en
toute hâte à Machérunte et avaient dit au précurseur
: " Qu'est-ce à dire et où en sommes-nous ? Voilà
ce que nous l'avons vu faire, ce que nous lui avons entendu dire ; mais
ses disciples sont beaucoup plus libres que nous en ce qui touche le jeûne
et les observances légales. Qui devons-nous suivre ? Qui est-il
? pourquoi guérit-il tout le monde, console-t-il et assiste-t-il
des étrangers, tandis qu'il ne fait pas un pas pour vous délivrer
? n
Jean avait toujours fort à faire avec ses disciples : ils ne
voulaient pas se séparer de lui, et il les envoyait souvent à
Jésus par petits groupes afin qu'ils apprissent à le connaître
et se missent a sa suite ; mais ils avaient peine à s'y résoudre,
à cause de la haute opinion d'eux-mêmes que leur mettait en
tête leur qualité de disciples de Jean. C'était aussi
pour cela qu'il faisait si souvent prier Jésus de dire ouvertement
qui il était, afin que ses disciples apprissent à le connaître
et se convertissent à lui, ainsi que tous les hommes. Comme cette
fois ils étaient revenus vers lui doutant encore, il voulut mettre
Jésus dans la nécessité de confesser hautement qu'il
était le Messie, le Fils de Dieu, et il lui envoya deux disciples
pour lui demander à ce sujet une réponse positive.
Jésus, entré dans la ville, se rendit aussitôt
à la place circulaire où étaient rassemblés
les malades de tout le pays. Il y avait parmi eux des gens de Nazareth
qui le connaissaient : des paralytiques, des aveugles, des sourds, des
muets, des malades de toute espèce, et aussi un assez grand nombre
de possédés. Il parcourut leurs rangs et il guérit
les possédés de plusieurs manières. Ceux-ci n'étaient
pas aussi furieux que ceux que j'avais vus en d'autres occasions, mais
ils avaient des convulsions et leurs membres se tordaient horriblement.
Jésus les guérit de loin par un commandement donné
en passant devant eux à quelque distance. Je vis comme à
l'ordinaire une vapeur ténébreuse sortir de leur corps :
ils tombèrent en faiblesse et se trouvèrent tout changés
en revenant à eux. La vapeur qui sortait d'eux était assez
légère, mais ensuite elle se ramassait et se condensait ;
quelquefois elle se dissipait dans l'air, quelquefois elle se perdait dans
le sein de la terre Souvent, quand le mauvais esprit sort des possédés
comme une ombre obscure ayant à peu près une forme humaine,
je ne vois pas cette ombre s'évanouir à l'instant, mais errer
parmi les hommes, puis enfin disparaître.
Comme Jésus commençait à parcourir les rangs des
malades et à opérer ses guérisons, les disciples envoyés
par Jean se présentèrent à lui avec un certain empressement,
comme chargés d'une mission. et voulurent lui adresser la parole
; mais il ne parut pas y faire attention et continua à guérir.
Cela ne leur plut pas, parce qu'ils ne savaient pas pourquoi. En général,
beaucoup des disciples de Jean avaient des idées très étroites
et comme une espèce de jalousie de métier. Jean ne faisait
pas de miracles ; Jésus en faisait : Jean parlait en termes très
relevés de Jésus, et celui-ci ne faisait rien pour le tirer
de sa prison. Après avoir été subjugués par
ses miracles et ses enseignements, ils s'y laissaient de nouveau influencer
par les propos de ceux qui disaient : " Qui est donc cet homme ? Tout le
monde ne connaît-il pas ses pauvres parents ? " Puis ils ne pouvaient
s'expliquer ce qu'il disait de son royaume : ils ne voyaient ni royaume,
ni dispositions prises pour en établir un. Comme Jean, dans sa prison,
restait considéré et entouré d'un respect presque
universel, ils pensaient que si Jésus l'y laissait languir et ne
faisait rien pour le délivrer, c'était pour mieux travailler
à étendre sa propre renommée Ils se scandalisaient
aussi de la liberté laissée à ses disciples. Plusieurs
trouvaient que c'était une humilité exagérée
de la part de Jean de vanter tellement Jésus et de les envoyer sans
cesse à lui pour le prier de se déclarer, de se faire connaître
publiquement. Comme Jésus répondait toujours d'une manière
évasive et qu'ils ne devinaient pas que Jean leur faisait faire
ces voyages pour qu'ils reconnussent Jésus, cela leur était
plus difficile qu'à l'enfant le plus simple, à cause de l'idée
qu'ils avaient d'eux-mêmes.
Pendant que Jésus guérissait les malades rangés
autour de lui, il rencontra parmi eux un homme de Nazareth qui se mit à
lui parler de gens de leur connaissance : il lui demanda s'il se souvenait
de sa vingt cinquième année, époque de la mort de
son grand-père, et il se rappelait les relations fréquentes
qu'ils avaient elles alors. Il voulait parler du second ou du troisième
mari de sainte Anne, autant que je puis m'en souvenir. Jésus ne
répondit point à tout et la. Il lui dit qu'en effet il le
connaissait, puis il en vint aussitôt à lui parler de ses
péchés et de ses souffrances, et quand il le vit repentant
et croyant, il le guérit, lui fit une exhortation et passa au malade
suivant. Quand il les eut tous passés en revue, les envoyés
de Jean qui, pendant tout ce temps, s'étaient tenus au milieu du
cercle, le regardant avec stupéfaction opérer tous ses miracles,
se présentèrent à lui et lui dirent : " Jean Baptiste
nous a envoyés vers vous, et vous fait demander si vous êtes
celui qui doit venir, ou si nous devons en attendre un autre ". Jésus
leur répondit : " Allez et annoncez à Jean ce que vous avez
vu et entendu : les aveugles voient, les sourds entendent, les boiteux
marchent, les lépreux sont purifiés, les morts se lèvent,
les veuves sont consolées, et la parole de Dieu est annoncée
aux pauvres : ce qui est tordu est redressé, et bienheureux est
celui qui ne se scandalise pas de moi ". Alors Jésus s'éloigna
d'eux, et ils se retirèrent aussitôt.
Jésus ne pouvait pas parler de lui-même plus clairement
car qui l'aurait compris ? Ses disciples étaient tous ou des hommes
simples et bons, ou de nobles et pieuses âmes, mais incapables de
recevoir une pareille révélation. Plusieurs étaient
ses parents selon la chair, et ils se seraient scandalisés ou se
seraient mis en tête des idées déraisonnables. Le peuple
n'était nullement préparé à entendre la vérité,
et Jésus était entouré d'espions ; même parmi
les disciples de Jean, les Pharisiens et les Hérodiens avaient des
affidés.
Après le départ des envoyés de Jean, Jésus
se mit à enseigner sur la place. Il avait pour auditeurs les malades
qu'il avait guéris, une foule nombreuse, plusieurs scribes de l'endroit,
ses disciples et les cinq publicains qui habitaient cette ville. Il enseigna
longtemps à la lueur des flambeaux, car les dernières guérisons
avaient clé opérées après la chute du jour.
Il prit pour point de départ de son instruction la réponse
qu'il avait faite aux disciples de Jean. Il dit comment on devait user
des bienfaits qu'on avait reçus de Dieu, prêcha la pénitence
et la conversion, et comme il savait que quelques Pharisiens qui étaient
présents avaient pris occasion de sa réponse brève
et en termes généraux aux envoyés de Jean pour dire
au peuple qu'il ne tenait aucun compte de Jean et le laissait languir dans
l'oubli pour devenir lui-même plus célèbre, il expliqua
pourquoi il avait répondu de la sorte en les renvoyant eux-mêmes
à Jean qu'ils avaient entendu et qui avait parlé de Jésus
d'une façon qui leur était connue. Pourquoi donc doutaient-ils
toujours ? Que cherchaient-ils donc près de Jean ? Il leur dit :
"Qu'êtes-vous allés voir quand vous êtes allés
à Jean ? un roseau agité par le vent ? un homme vêtu
avec recherche et magnificence ? Mais les gens richement vêtus et
qui vivent dans les délices se trouvent à la cour des rois.
Qu'avez-vous donc voulu voir quand vous l'avez été chercher
? Etait-ce un prophète ? Oui, je vous le dis, c'est plus qu'un prophète
que vous avez vu en lui. C'est celui dont il est écrit : Voici que
j'envoie mon messager devant ta face, afin qu'il prépare le chemin
devant toi. En vérité, je vous le dis, parmi les enfants
des femmes, il n'y a pas de plus grand prophète que Jean Baptiste,
et pourtant le moindre dans le royaume des cieux est plus grand que lui.
Mais à dater de Jean Baptiste le royaume des cieux souffre violence
et ceux qui usent de violence s'en emparent. Car tous les prophètes
et la loi jusqu'à Jean ont prophétisé à ce
sujet, et si vous voulez le comprendre, c'est lui qui est Élie qui
doit venir. Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre
! "
Les assistants furent très émus, ils adhéraient
aux paroles de Jésus et voulaient se faire baptiser : mais il y
avait là des docteurs de la loi qui murmuraient et qui étaient
surtout scandalisés de ce que Jésus, hier soir et ce matin,
avait frayé avec les publicains qui, ici aussi, bisaient partie
de l'auditoire. Alors il expliqua pourquoi on s'était élevé
contre lui et contre Jean, et répondit au reproche qu'on lui faisait
de fréquenter les pécheurs et les publicains, etc.
Jésus alla ensuite dans la maison d'un publicain où se
trouvaient aussi les quatre autres publicains : il y prit un repas avec
ses disciples et il enseigna. Il y avait là des gens qui étaient
complètement résolus à se convertir et à se
faire baptiser. Cette maison était tout contre la place où
Jésus avait guéri. Il y avait une autre maison de publicain
à l'entrée de la ville : d'autres étaient plus loin.
En venant de Naïm ici, on pouvait sur la première partie de
chemin voir Dabbeseth où était la demeure de Barthélémy
: plus loin, la vue était interceptée par les hauteurs de
Mageddo. Dabbeseth était à peu près à une lieue
et demie à l'ouest, près du torrent de Cison et en avant
de la vallée de Zabulon.
(21 novembre.) Jésus partit aujourd'hui pour retourner à
Capharnaum. La fête de la nouvelle lune avait déjà
commence hier. Il était accompagné par vingt-quatre disciples
et par les quatre disciples équivoques de Jean venus hier à
Mageddo. Quelques publicains de Mageddo s'étaient joints a eux :
ils voulaient être baptisés à Capharnaum. Ils allaient
très lentement et s'arrêtaient ou s'asseyaient souvent dans
des endroits agréables, car Jésus enseigna pendant tout le
chemin qui partant de Mageddo suivait au nord-est les hauteurs et traversant
la vallée qui passe devant Nazareth conduisait au versant nord-ouest
du Thabor. Son enseignement me parut destiné à préparer
les apôtres à leur vocation définitive et à
leur mission prochaine. Je m'en rappelais encore une grande partie ce matin,
mais malheureusement des dérangements m'ont fait tout oublier. Il
les exhorta beaucoup à se dégager de toute sollicitude terrestre
et à renoncer à tous les biens de ce monde. Il tint un langage
affectueux et touchant, cueillit une fleur sur le chemin et dit : " Cette
fleur n'a souci de rien ! voyez sa couleur, ses beaux filaments ! Le sage
Salomon dans sa gloire était-il plus richement vêtu . "
(Le pèlerin chercha où se trouvent dans l'Evangile ces
paroles de Jésus : mais elle lui dit : " Cela n'y est pas : il n'y
avait pas de lys ici : c'étaient d'autres fleurs. Jésus a
souvent répété quelque chose de semblable ".)
Une fois son discours fut tel que chacun des apôtres crut s'y
trouver dépeint d'une manière frappante : j'ai entendu alors
quelque chose que j'ai oublié, mais qui me fit dire en moi-même
: " Certainement Judas a du remarquer cela ". il leur parla aussi de son
royaume, dit qu'ils ne devaient pas avoir un si grand désir d'y
avoir des emplois, ni se le représenter d'une façon si terrestre.
Il parla ainsi avec intention parce que les quatre disciples de Jean, affidés
secrets des Hérodiens, observaient particulièrement ce qu'il
disait à ce sujet. Il mit en garde les disciples contre les gens
dont ils devaient se défier, et décrivit ces Hérodiens
d'une façon si claire qu'on ne pouvait pas les méconnaître.
Je regrette d'avoir oublié quelques comparaisons relatives à
leur habillement. Il dit entre autres choses qu'il fallait se défier
de certaines gens portant des peaux de brebis et de longues ceintures de
cuir. Il les désigna par un nom que je ne compris pas : il se servit
d'un mot dont on se sert chez nous pour désigner l'huile la plus
fine : c'est quelque chose comme Provence. Provence ! Qu'est-ce donc que
cela ? Il disait : " Gardez-vous des profanes qui ont des peaux de brebis
et de longues ceintures ". Il entendait parler de ces disciples de Jean,
espions des Hérodiens, qui, à l'imitation des véritables
disciples de Jean, portaient autour du cou et sur la poitrine une sorte
d'étole en peau de brebis. Il dit qu'on pouvait les reconnaître
à ce qu'ils ne regardaient personne en face et que quand eux, les
disciples, voudraient, pleins de joie et d'ardeur s'épancher, avec
ces hommes, ils les reconnaîtraient à ce signe que leur coeur
chercherait à s'échapper en se tournant de côté
et d'autre comme un animal qu'on enferme et qui cherche une ouverture pour
s'évader (il nomma ici un scarabée, un insecte que j'ai oublié).
Une fois, il courba un buisson d'épines et dit : " voyez si vous
trouverez là des fruits ". Quelques disciples y regardèrent
en toute simplicité. Mais Jésus dit : " Cherche-t-on des
figues sur les chardons et des raisins parmi les épines ? " Cheminant
ainsi, ils arrivèrent vers le soir, à trois lieues environ
de Mageddo, à un hameau composé d'une vingtaine de maisons
avec une école, et situé au pied du Thabor, contre le versant
du nord-ouest. Cet endroit est à une lieue et demie ou deux lieues
au levant de Nazareth, d'une demi lieue de la ville de Thabor, qui est
située contre le versant septentrional de la montagne. Il y a encore
un endroit au midi de celui-ci également au pied du Thabor. Les
gens d'ici étaient bienveillants : ils connaissaient Jésus
depuis sa jeunesse, du temps ou il faisait avec ses amis des promenades
dans les environs de Nazareth. C'étaient des bergers pour la plupart,
et tout en gardant leurs troupeaux ils étaient occupés à
recueillir du coton qu'ils empaquetaient pour le rapporter chez eux lorsqu'ils
virent venir Jésus. Ils accoururent en toute hâte à
sa rencontre. Je vis qu'ils avaient à la main leurs bonnets grossiers
de peau de mouton : mais dans l'école ils avaient la tête
couverte. On reçut Jésus près du puits, on lui lava
les pieds ainsi qu'aux disciples et on leur donna une réfection.
Il n'y avait pas de Synagogue dans cet endroit, mais une école et
un maître d'école. Jésus y alla et fit une instruction
aux habitants. Après cela ils mangèrent et il enseigna en
paraboles dans l'école et dans une auberge.
Cet endroit était comme la propriété d'un homme
considérable qui habitait avec sa femme dans une grande maison isolée
avec une cour. Je vis que cet homme avait commis des péchés
graves et qu'il était horriblement lépreux. Il s'était,
à cause de cela, séparé de sa femme : elle habitait
le haut de la maison et lui dans des bâtiments attenants. Il n'avait
pas fait connaître sa maladie pour ne pas avoir à subir les
ennuis de la séquestration : cependant on avait appris ce qui en
était et on feignait de n'en rien savoir. On ne l'ignorait pas dans
l'endroit et on ne suivait pas le chemin qui passait devant sa maison,
quoique ce fût la route ordinaire : on aimait mieux faire un détour.
Dans la soirée, les habitants parlèrent de cela aux disciples.
Cet homme lépreux était depuis longtemps pénétré
d'un repentir sincère et il désirait vivement que Jésus
vint : sachant son arrivée, il appela un garçon d'environ
huit ans, qui était son esclave et lui donnait ce qui lui était
nécessaire : il lui dit : " Va vers Jésus de Nazareth et
observe le moment ou il se trouvera sépare de ses disciples, devant
ou derrière eux : alors jette-toi à ses pieds et dis-lui
: Seigneur, mon maître est malade et croit que vous pouvez le secourir
si vous voulez prendre le chemin qui passe devant sa maison et où
personne ne va il vous supplie humblement d'avoir pitié de sa misère
et de prendre ce chemin, car alors il est sûr d'être guéri.
"L'enfant ; vint trouver Jésus, fit très bien la commission
dont il était chargé, et Jésus lui dit : " Dis ton
maître que j'irai demain : "puis il le prit par la main et lui mit
l'autre main sur la tête en lui donnant des éloges. Ceci se
passa comme il allait de l'école Ç à l'hôtellerie.
Jésus qui savait bien pourquoi il venait, était resté
à dessein un peu en arrière de ses disciples. L'enfant avait
une petite robe jaune.
La propriété de sainte Anne est sur une hauteur, à
une lieue à l'ouest de Nazareth, entre la vallée de Nazareth
et celle de Zabulon. Une gorge plantée d'arbres conduisait de là
à Nazareth et sainte Anne pouvait gagner la maison de Marie sans
entrer dans la ville.
(22 novembre.) Le matin, au point du jour, Jésus sortit de l'hôtellerie
avec ses disciples, et comme il voulait suivre le chemin qui passait devant
la maison du lépreux, ils lui dirent qu'il ne fallait pas aller
par là, qu'on le leur avait recommandé, etc. Mais Jésus
prit ce chemin et leur ordonna de le suivre : ils étaient effrayés
parce qu'ils craignaient qu'on tînt à ce sujet des propos
qui seraient répétés à Capharnaum. Les disciples
de Jean n'allèrent pas avec lui.
L'enfant avait guetté l'arrivée de Jésus et l'avait
annoncée à son maître. Celui-ci vint jusqu'à
un sentier qui allait de sa maison au chemin et il se tint à distance.
Lorsque Jésus approcha, il cria : " Seigneur, ne venez pas à
moi ! pourvu que vous veuillez que je sois guéri, je serai délivré
de mon mal. "Les disciples s'arrêtèrent et Jésus dit
à cet homme : "Je le veux ;"puis il alla à lui, le toucha
et s'entretint avec lui. Cet homme se prosterna devant lui et il fut purifié
: sa lèpre disparut. Il expliqua à Jésus sa situation
et Jésus lui dit de retourner près de sa femme et de reprendre
peu à peu ses relations avec les autres hommes. Il lui donna aussi
des avis touchant ses péchés, lui imposa le baptême
de pénitence et certaines aumônes. Puis il revint trouver
les disciples et leur dit que lorsqu'on croit et que l'on a le coeur pur,
on peut, pour leur venir en aide, toucher même les lépreux.
Je vis ensuite l'homme qui avait été guéri prendre
un bain et s'habiller, puis se rendre auprès de sa femme et lui
raconter le miracle de Jésus. Je vis aussi que des gens malveillants
de l'endroit allèrent l'annoncer aux Pharisiens et aux prêtres
de la ville de Thabor située à une demi lieue à l'est
; que ceux-ci ayant formé comme une commission d'enquête,
allèrent trouver ce pauvre homme, l'examinèrent rigoureusement,
lui demandèrent compte du secret qu'il avait gardé sur sa
maladie et voulurent s'assurer s'il était réellement guéri
: ils étaient poussés par leur envie contre Jésus
à faire grand bruit de cette affaire sur laquelle jusqu'alors ils
avaient notoirement fermé les veux.
Je vis toute cette journée Jésus marcher très
vite avec les disciples : seulement ils se reposèrent de temps en
temps et ils prirent une réfection. Tout en marchant il leur donna
des enseignements sur le renoncement aux biens de ce monde, parla du royaume
de Dieu en paraboles, disant qu'il ne pouvait pas encore rendre tout cela
bien intelligible pour eux, mais que le temps viendrait où ils comprendraient
tout. Il parla du dégagement des sollicitudes terrestres touchant
la nourriture et le vêtement : bientôt, leur dit-il, ils verraient
devant eux plus d'affamés que d'aliments pour les satisfaire ; ils
diraient : " Où trouver de quoi les nourrir ?", et pourtant il y
aurait surabondance. Il les engagea à bâtir des maisons qui
fussent solides. Il sembla leur dire qu'avec des sacrifices et des efforts
ils s'assureraient ces maisons, c'est-à-dire des emplois et des
dignités dans son royaume. Ils comprirent cela humainement ; cela
réjouit beaucoup Judas qui prit des airs importants et dit devant
tous les autres qu'il voulait dès à présent travailler
et faire de son mieux. Alors Jésus qui marchait s'arrêta et
dit : " Nous ne sommes pas encore au bout ; il n'en sera pas toujours comme
à présent où vous êtes bien reçus, bien
nourris et hébergés, et où vous avez tout en abondance
: un temps viendra où vous serez persécutés et chassés,
où vous n'aurez pas d'abri, pas de pain, pas de vêtements,
pas de chaussures ". Il dit encore qu'ils devaient réfléchir
mûrement, se bien préparer et tout abandonner, car il avait
des affaires importantes à traiter avec eux. Il parla de deux royaumes
qui sont opposes l'un à l'autre, dit que personne ne pouvait servir
deux maîtres à la fois, et que quiconque voulait servir dans
son royaume devait abandonner l'autre. Il parla des Pharisiens et de leurs
suppôts, il fit mention de quelque chose qu'ils portaient sur je
visage comme un masque ou comme des besicles, dit que tout leur enseignement
portait sur des formes extérieures sans vie dont ils imposaient
l'observation, laissant entièrement de côté l'intérieur,
c'est-à-dire la charité, le pardon, la miséricorde.
Quant à lui, sa doctrine était tout l'opposé de la
leur : il enseignait que l'écorce sans le fruit était morte
et stérile, qu'il fallait commencer par l'intérieur pour
accomplir la loi, que le fruit devait prendre son accroissement avec l'écorce.
Il leur donna aussi des instructions sur la prière, leur dit qu'ils
devaient prier dans la solitude et non avec ostentation, et beaucoup d'autres
choses de ce genre.
Quand il cheminait avec les disciples, il leur donnait toujours de
ces instructions préparatoires afin qu'ils comprissent mieux ce
qui se reproduisait dans ses prédications publiques et pussent ensuite
l'expliquer au peuple. Il enseignait très souvent les mêmes
choses, seulement en termes différents et suivant un autre ordre.
Parmi ceux qui l'accompagnaient aujourd'hui, ceux qui l'interrogeaient
le plus souvent étaient Jacques le Majeur et aussi Jude Barsabas
: Pierre le faisait aussi quelquefois. Judas tient souvent des discours
présomptueux : André ne s'émeut pas facilement : Thomas
réfléchit et semble se rendre compte : Jean prend tout avec
une aimable simplicité : ceux des disciples qui ont plus de savoir
se taisent, soit par discrétion, soit parce que souvent ils ne veulent
pas laisser voir qu'ils n'ont pas compris.
Marchant ainsi à travers les vallées, ils arrivèrent
un peu avant l'ouverture du sabbat à la vallée qui est au
levant de Magdalum, où ils rencontrèrent le paien Cyrinus
de Dabrath et le centurion Achias de Giscala, qui allaient se faire baptiser
à Capharnaum.
Comme on approchait déjà de Capharnaum, Jésus
enseigna les disciples : il leur dit notamment qu'ils devaient déjà
s'exercer à l'obéissance comme préparation a leur
mission et s'appliquer à instruire le peuple sur leur chemin, quand
il les enverrait quelque part. Il leur donna aussi quelques règles
générales sur la manière dont ils devaient se comporter
envers certains compagnons de voyage : il dit cela un peu avant de se séparer
des quatre Hérodiens qui l'avaient suivi et afin qu'ils l'entendissent,
comme je le vis bien. Il leur dit que quand des profanes se joindraient
à eux en route, ils les reconnaîtraient bien à leurs
manières flatteuses, souriantes, à leur promptitude à
écouter et a interroger, que ces sortes de gens ne se laissaient
pas rebuter, mais que tantôt approuvant, tantôt contredisant
doucement, ils ne cessaient de faire des questions sur les sujets qui pouvaient
provoquer des épanchements : qu'alors ils devaient prendre tous
les moyens possibles pour se débarrasser d'eux, parce qu'ils étaient
encore trop faibles et trop confiants et qu'ils pouvaient facilement tomber
dans les filets de ces espions. Pour lui, il ne cherchait pas à
les éviter, car il les connaissait et il voulait qu'ils entendissent
son enseignement. etc.
Jésus passa près du village du centurion Zorobabel, ainsi
qu'il l'avait fait lors de son départ. Le sabbat allait commencer
et ils se hâtaient. Or, il y avait ici dans les jardins, grâce
à la bonté compatissante de Zorobabel, deux jeunes scribes
d'environ vingt-cinq ans qui, par suite de leurs désordres, étaient
atteints d'une lèpre hideuse et auxquels Zorobabel, par pitié,
avait permis de résider là. Ils étaient tout à
fait perdus de réputation et leur état misérable n'excitait
que le mépris universel. Ils étaient enveloppés dans
des manteaux rouges, couverts d'ulcères et enflés d'une manière
dégoûtante. Ils étaient arrivés là à
la suite d'une vie de débauche : ils avaient d'abord fréquenté
la société de gens d'esprit qui se réunissait chez
Madeleine, à Magdalum, puis ils s'étaient tournés
d'un autre côté jusqu'au moment où ils étaient
tombes dans ce misérable état. Dernièrement, lorsque
Jésus était venu ici, ils avaient eu honte de se présenter
devant lui : mais cette fois, persuadés de son pouvoir miraculeux
et de sa bonté par les nombreuses expériences qui en avaient
été faites, ils se firent conduire dans le voisinage du chemin
où il devait passer et implorèrent son secours. Mais Jésus
passa outre et dit à deux des gens de Zorobabel, qui couraient après
lui, intercédant pour ces malheureux, qu'il fallait les conduire
à Capharnaum, a la synagogue et quand le peuple y serait assemblé,
les faire monter au-dessus des salles attenantes, hautes d'un étage,
afin qu'ils pussent de là entendre l'instruction qui serait faite
dans l'intérieur. Ils devaient rester là priant et s'excitant
au repentir jusqu'à ce qu'il les fit appeler. Les messagers retournèrent
alors sur leurs pas et conduisirent ces infortunés à Capharnaum
par le chemin le plus court celui du ravin transformé en jardin,
et ils les firent monter péniblement, par les degrés attenant
aux murs, sur la terrasse des portiques où, seuls et en plein air,
appuyés aux fenêtres qui donnaient dans, la synagogue, ils
purent entendre l'instruction de Jésus et s'exciter au repentir
en attendant leur libérateur.
Jésus et les disciples vinrent à leur tour à la
synagogue après s'être lavé les pieds et avoir détaché
leurs robes de leurs ceintures : comme le Seigneur s'approchait du pupitre
où siégeait déjà un homme qui faisait la lecture
de la loi, celui-ci se leva et fit place à Jésus qui prit
aussitôt le livre et commença à enseigner sur la rencontre
de Jacob et de Laban, la lutte avec l'ange, la réconciliation avec
Esau, et l'enlèvement de Dina : il commenta aussi des textes du
prophète Osée. Jésus ayant pris le livre pour faire
la lecture, sans faire mine de le refuser, les Pharisiens ricanèrent
comme si en cela il eût manqué à la politesse. Ils
étaient furieux de le voir reparaître, car la nouvelle de
la résurrection du jeune homme de Naim, était déjà
connue à Capharnaum, comme aussi les nombreuses guérisons
opérées par lui à Mageddo. Ils l'observèrent
attentivement, curieux de savoir ce qu'il allait entreprendre ici. Aujourd'hui
la plupart des membres de la famille de Jésus étaient à
la synagogue, ainsi que toutes les saintes femmes.
Lorsque le peuple sortit de la synagogue, suivi bientôt de Jésus,
de ses disciples et dés Pharisiens, ceux-ci voulurent encore entrer
en discussion avec lui dans le vestibule. Mais ils furent pris au dépourvu
et ne purent pas y parvenir : car Jésus, dès qu'il eut franchi
le seuil, se dirigea vers le portique au-dessus duquel se tenaient les
deux hommes impurs et leur cria de descendre. Ils furent si confus et si
intimidés a l'idée de paraître devant les Pharisiens,
qu'ils ne lui obéirent pas sur-le-champ, et Jésus leur commanda
de venir, invoquant un nom que je ne me rappelle pas. Alors au grand étonnement
de tous ils purent descendre seuls l'escalier. Le vestibule était
éclairé par des flambeaux pour la sortie de la foule, et
les Pharisiens furent transportés de rage lorsque dans l'ombre ils
reconnurent à leurs manteaux rouges ces deux pauvres pécheurs
si méprisés. Ceux-ci s'agenouillèrent tout tremblants
devant Jésus. Il leur imposa les mains, leur souffla au visage et
dit : " Vos péchés vous sont remis ". Puis il les exhorta
à la continence et au baptême de pénitence. Il leur
ordonna aussi de laisser là leur profession de scribes, parce qu'il
voulait leur enseigner la vérité et la voie. Ils se levèrent
et un changement visible s'opéra en eux : leurs ulcères se
scellèrent et les croûtes de la lèpre disparurent.
Ils remercièrent en versant des larmes et se retirèrent avec
les serviteurs de Zorobabel. Plusieurs personnes bien intentionnées
se pressèrent autour d'eux et les félicitèrent à
cause de leur pénitence et de leur guérison.
Cependant les Pharisiens étaient comme hors d'eux-mêmes
: ils poursuivaient Jésus de leur clameurs : " Tu guéris
le jour du sabbat, disaient-ils, et tu remets les péchés
! Comment peux-tu, toi, remettre les péchés ? Il a le diable
qui lui vient en aide. C'est un fou frénétique, on le voit
bien à la manière dont il court de tous côtés.
A peine a-t-il donné ici sa représentation qu'on le voit
à Naim, où il réveille les morts, puis à Mageddo,
puis encore ailleurs. Ce ne peut pas être un homme de bien ni qui
ait sa raison : il a un mauvais esprit puissant qui lui vient en aide ".
Je les entendis encore dire : " Quand Hérode en aura fini avec Jean,
le tour de celui-ci viendra s'il ne se dérobe pas par la fuite ".
Mais Jésus sortit de la en passant au milieu d'eux et j'entendis
les femmes, ses parentes et ses amies, pleurer et se lamenter à
la vue du déchaînement des Pharisiens contre lui car avant
de regagner leur logis elles l'avaient attendu dans le voisinage.
Jésus sortit de la ville en suivant le chemin qui passe au nord-est
sur la hauteur, au-dessus de la vallée où est la maison de
Marie et où il a une fois guéri des païens : on allait
par là directement de Bethsaïde a Capharnaum, sans passer par
la vallée qui fait un circuit. Il y a là des massifs de verdure
et des grottes ou il pria. Je le vis plus tard aller à la maison
de Marie, consoler et exhorter les femmes, puis sortir de nouveau et passer
la nuit en prière.
(23 novembre. ) Pierre avait appris sans doute de Marie en quel lieu
Jésus était en prière cette nuit. Je le vis ce matin
aller trouver Jésus et lui dire que Jaïre, le chef de la synagogue
de Capharnaum, étai dans sa maison. Jésus fit dire à
Jaïre de ne pas s'inquiéter, que sa fille ne mourrait pas encore,
qu'il irait le voir après le repas. Je vis ensuite le Seigneur guérir
encore quelques malades près de la maison de Pierre, et se rendre
vers neuf heures au lieu où l'on baptisait : beaucoup de personnes
s'y trouvaient réunies. Ce lieu n'était pas loin de la maison
de Pierre, toutefois plus au midi dans la vallée, dans un jardin
clos de haies où il y avait plusieurs citernes rondes servant à
prendre des bains et dans lesquelles on faisait venir l'eau du ruisseau
voisin. Il y avait là un long berceau de feuillage, divisé
par des rideaux et des cloisons portatives en petits réduits où
se déshabillaient ceux qui devaient être baptisés.
Tout était disposé pour donner le baptême. Jésus
se tenait à l'endroit le plus élevé. Les disciples
étaient tous présents avec u ne cinquante d'aspirants au
baptême. Il y avait parmi eux plusieurs personnes de la parenté
de Jésus, un homme âgé et trois jeunes gens venus de
Séphoris, l'un desquels était le jeune garçon muet
que Jésus avait guéri a Séphoris (voir t. II p. 239),
et dont une vieille parente était venue récemment trouver
le Seigneur à Abez. Il y avait en outre Cyrinus, l'homme de l'île
de Chypre, converti nouvellement à Dabrath, Achias le centurion
romain de Giscala, et son petit garçon Jephté, le centurion
Cornélius avec son esclave basané guéri par Jésus,
et plusieurs personnes de sa maison, et un certain nombre d'autres païens
de la haute Galilée. De plus un esclave presque noir de Zorobabel
ou Cornélius, cinq publicains de Mageddo, cinq adolescents parmi
lesquels José, neveu de Barthélémy, enfin tous les
lépreux ou possédés guéris dans les environs
ainsi que les deux hommes impurs guéris la veille. Ceux-ci avaient
assez mauvaise mine, ils n'avaient plus le corps enflé et couvert
d'ulcères, mais leur visage était défait et couvert
de taches noirâtres avec des marques luisantes aux endroits d'où
les croûtes étaient tombées ; la peau était
par endroits rude et écailleuse.
Tous les néophytes avaient des habits de pénitents en
laine grise, et sur la tête une espèce de drap mortuaire de
forme carrée. Jésus enseigna et prépara les néophytes
; puis ils passèrent sous le berceau de feuillage, où ils
déposèrent, chacun de leur côté, leurs habits
de pénitence pour se revêtir de robes baptismales : c'était
une tunique blanche, longue et ample : ils avaient la tête nue et
sur les épaules ce drap dont il a été parlé.
Ils allèrent, les mains croisées sur la poitrine, se placer
au bord de la citerne. André et Saturnin baptisaient ; Thomas, Barthélémy,
Jean et d'autres disciples leur mettaient les mains sur la tête et
leur servaient de parrains. Celui qui devait être baptisé
avait les épaules nues et se courbait au-dessus du puits : un disciple
apportait dans un bassin l'eau bénie par Jésus, et le baptisant
la versait par trois fois avec la main sur la tête du néophyte.
Thomas fut le parrain de Jephté, le fils d'Achias. On en baptisait
un certain nombre à la fois, et pourtant la cérémonie
dura jusqu'à deux heures de l'après-midi.
Après cela Jésus prit un peu de nourriture ainsi que
les disciples, puis il se rendit à Capharnaum et guérit plusieurs
malades sur la place qui était devant la synagogue. Pendant qu'il
était occupé à cela, Jaire, le chef de la synagogue,
vint se jeter a ses pieds, et le pria de venir en aide à sa fille
malade, qui était à toute extrémité. Or, Jésus
était occupé à opérer d'autres guérisons,
et lorsqu'il voulut suivre Jaïre, les malades le prièrent instamment
de rester et ne voulurent pas le laisser partir ; mais il leur dit qu'il
reviendrait à eux avant la clôture du sabbat. Comme il allait
partir, il vint de la maison de Jaïre des messagers qui lui dirent
: " Votre fille est morte : il n'est plus nécessaire que vous importuniez
le maître ". Mais Jésus lui dit : " Ne craignez point, croyez
en moi, et vous serez secouru ". Ils allèrent alors vers la partie
septentrionale de la ville où était la maison de Cornélius,
dont celle de Jaïre n'était pas éloignée Comme
ils étaient déjà près de celle-ci, ils virent
des gens en deuil et des pleureuses devant la porte et dans le vestibule.
Jésus ne prit avec lui pour y entrer que Pierre, Jacques le Majeur
et Jean. Dans la cour, il dit à ceux qui se lamentaient : " Pourquoi
ces pleurs et ces lamentations ? Allez-vous-en : la jeune fille n'est pas
morte, mais elle dort ". Les pleureurs commencèrent alors à
le railler, parce qu'ils savaient qu'elle était morte. Mais Jésus
leur ordonna de se retirer et de sortir de la cour, dont la porte fut fermée.
Il entra alors dans la cuisine, ou la mère affligée et sa
servante étaient occupées à préparer les linceuls
; puis, accompagné du père, de la mère et des trois
disciples, il entra dans la chambre où la jeune fille était
couchée. Jésus s'approcha du lit : les parents se tenaient
derrière lui et les disciples à sa droite, au pied de la
couche. La mère ne me plut pas ; elle n'avait aucune confiance et
restait froide. Le père n'était pas précisément
un ami dévoué de Jésus : il était de caractère
à ne pas vouloir se compromettre vis-à-vis des Pharisiens,
et ce n'étaient que l'inquiétude et la douleur qui l'avaient
porté à s'adresser à Jésus. Si le Seigneur
guérissait sa fille, se disait-il, elle lui serait rendue : dans
le cas contraire, il aurait préparé un triomphe pour les
Pharisiens. Cependant, en dernier lieu, la guérison du serviteur
de Cornélius l'avait particulièrement ému et lui avait
donné plus de confiance. La jeune fille n'était pas grande,
et la maladie l'avait fort amaigrie : elle me parut âgée de
onze ans tout au plus et petite pour son âge, surtout dans un pays
comme celui-ci où l'on trouve des filles de douze ans qui sont complètement
formées. Elle était étendue sur sa couche, enveloppée
dans un long vêtement. Jésus la prit doucement dans ses bras,
la plaça contre sa poitrine et souffla sur elle. Je vis alors quelque
chose d'extraordinaire. J'avais vu près du corps, à sa droite,
une petite forme diaphane dans une sphère lumineuse, et lorsque
Jésus souffla sur la jeune fille, je vis cette lumière s'arrêter
au-dessus d'elle et entrer dans sa bouche avec l'apparence d'une petite
figure humaine. Jésus replaça le corps sur le lit, prit le
poignet de la jeune fille comme eût fait un médecin, et lui
dit : " Jeune fille, lève-toi ! " Alors elle se mit sur son séant
dans le lit, et comme il continuait à lui tenir la main, elle se
leva tout à fait, ouvrit les yeux et descendit de sa couche ; puis
Jésus la conduisit, encore faible et chancelante, dans les bras
de ses parents qui l'avaient regardé faire, d'abord froidement,
puis avec crainte et tremblement, mais qui maintenant étaient hors
d'eux-mêmes par l'excès de leur joie. Jésus leur dit
de donner à manger à l'enfant, et de ne pas ébruiter
inutilement cette affaire ; puis, après avoir repu les remerciements
du père, il revint dans la ville. La femme était confuse
et ébahie : elle remercia à peine. Mais le bruit se répandit
parmi les pleureurs que la jeune fille était en vie. Ils quittèrent
leur poste, les uns tout confus, les autres ricanant d'une façon
ignoble, entrèrent dans la maison et virent la jeune fille manger.
Jésus, en s'en retournant, parla de cette guérison avec
les disciples et leur dit que ces gens n'avaient eu ni une foi sincère,
ni des intentions vraiment droites ; mais que leur fille avait été
rendue à la vie à cause d'elle-même et pour l'honneur
du royaume de Dieu. Il n'y avait rien de coupable dans cette mort : c'était
contre la mort de l'âme qu'elle devait se tenir en garde. Il revint
alors sur la place de la ville et guérit encore plusieurs malades
qui l'attendaient, puis il enseigna dans la synagogue jusqu'à la
clôture du sabbat. Les Pharisiens étaient tellement agités,
si pleins de dépit et de rage, qu'ils se seraient facilement portés
à mettre la main sur lui s'il s'était encore commis avec
eux après cela. Ils recommencèrent à dire que ces
miracles étaient de la sorcellerie ; mais Jésus se perdit
dans la foule et quitta la ville en passant par les jardins de Zorobabel
: les disciples, de leur côté, se dispersèrent.
La narratrice ne vit pas la guérison de l'hémorroïsse
s'opérer au milieu de la foule, dans l'intervalle compris entre
l'invitation adressée à Jésus par Jaïre et la
guérison de sa fille, quoiqu'elle se trouve ainsi placée
dans les Evangiles de saint Matthieu, de saint Marc et de saint Luc. Elle
ne vit pas cet incident aujourd'hui, et dit que la presse n'avait pas été
grande sur le chemin, ni lors du miracle : il n'y avait eu un peu de foule
que le matin, près de la maison de Pierre. Elle ne se rappelait
pas avoir vu cette guérison aujourd'hui, pas même parmi les
autres guérisons qui n'avaient rien eu de particulier. Elle dit
qu'elle se souvenait de cette guérison comme d'une vision antérieure,
et l'expression dont se servit Jésus, disant qu'il avait senti une
force sortir de lui, lui avait été ainsi expliquée
: cette femme avait eu le sentiment de la puissance divine résidant
en Jésus ; elle l'avait longtemps invoquée avec ardeur, et
elle avait touché le manteau du Sauveur avec le désir d'être
guérie et la ferme confiance qu'elle le serait, c'était alors
que ce pouvoir divin lui était venu en aide, et que Jésus
avait senti qu'une vertu sortait de lui. Cette femme est bien connue d'Anne
Catherine, et elle a parlé antérieurement d'un monument qu'elle
fit élever et des grâces qui y étaient attachées.
(24 novembre.) Jésus a encore passé une partie de la
nuit à prier à l'écart. Ces prières qu'il fait
contribuent beaucoup à convertir les pécheurs ainsi qu'à
déconcerter et à rendre impuissants les projets des Pharisiens
: car il fait tout à la manière humaine, pour que nous puissions
l'imiter. C'est pourquoi il priait son Père céleste pour
l'accomplissement de son oeuvre. Suivant toutes les probabilités
humaines, on pouvait croire que ses ennemis le mettraient en pièces.
Cependant il leur échappa, et le jour suivant, qui est le jour même
du sabbat, il guérit de nouveau devant la synagogue où il
alla ensuite enseigner.
Pourquoi ne chassaient-ils pas les malades ? Pourquoi ne lui interdisaient-ils
pas la prédication dans la synagogue ? C'est que les prophètes
et les docteurs avaient eu de tout temps le droit d'enseigner dans les
synagogues, d'assister et de guérir : ils ne pouvaient attaquer
Jésus que pour cause de blasphème et d'hérésie
: or, il leur était impossible de rien prouver contre lui sur ces
deux chefs. Quant au baptême qu'il faisait administrer, ils s'en
inquiétaient peu, et ils ne venaient pas y assister : puis la grande
roule ne passait pas par la vallée : elle conduisait à Bethsaïde
par les hauteurs. Dans la vallée il n'y avait que des sentiers à
l'usage des pécheurs et des gens de la campagne qui allaient au
lac.
Marthe, les saintes femmes de Jérusalem, Dina et d'autres encore,
étaient parties pour retourner chez elles après le départ
de Jésus pour Naïm. J'ai vu qu'il y eut près de Maroni
et de son fils une telle affluence de visiteurs, curieux de voir le ressuscité,
qu'ils furent obligés de se cacher. Je vis aussi, je ne sais plus
à quelle occasion, que Madeleine est malheureusement retombée
dans ses anciennes habitudes. Des hommes du pays sont venus lui rendre
visite. On a parlé de Jésus, de sa manière de vivre,
de ses rapports et de ses liaisons avec toute sorte de gens de bas étage
; on l'a tournée en ridicule à propos de ce qu'on a entendu
dire d'elle : en outre on l'a trouvée, beaucoup plus belle et plus
attrayante que dans les derniers temps ; car depuis quelques jours il s'est
opéré un changement avantageux dans son extérieur.
Malheureusement elle s'est laissé prendre à ces discours,
elle est en voie de s'engager de nouveau dans des relations criminelles
et de tomber plus bas qu'auparavant, comme il arrive dans les rechutes.
Ah ! pourquoi est elle revenue à Magdalum ? Elle a d'ailleurs un
très mauvais voisinage, excepté à Damna, où
se trouvent des gens de bien : à Gabara, à Jotapat et à
Tibériade, il règne beaucoup de corruption et de légèreté.
Il y a peut-être dans tout ce monde bien des ennemis de Jésus,
qui, ayant eu connaissance de la vive impression que Madeleine a ressentie
dernièrement, cherchent à la retenir dans le mal. Les quatre
Hérodiens, disciples de Jean, qui étaient récemment
près de Jésus, ont leur demeure à Jotapat : depuis
le repas, ils ne se sont plus montres.
Il y avait fête aujourd'hui chez le centurion Cornélius,
à l'occasion de la guérison de son serviteur. Un grand nombre
de païens, parmi lesquels beaucoup de pauvres, s'y rendirent. Aussitôt
après la guérison, il avait fait dire à Jésus
qu'il voulait faire offrir plusieurs holocaustes de toute espèce
d'animaux ; mais Jésus lui fit répondre qu'il ferait mieux
d'inviter ses ennemis pour se réconcilier avec eux, ses amis pour
leur dire des choses édifiantes, les pauvres pour les soulager et
leur donner un repas avec les viandes destinées aux sacrifices,
car Dieu ne prenait pas plaisir aux holocaustes, etc. Je vis, après
cela, un très grand nombre de païens passer par Bethsaïde
et par le chemin d'en haut pour se rendre à la maison de Cornélius
où la fête avait lieu. Dans la matinée, je vis Jésus
et plusieurs des disciples à l'endroit où l'on baptisait.
Saturnin eut une grande joie : il eut à baptiser deux de ses frères
cadets et son oncle qui étaient païens. Sa mère, qui
a déjà embrassé le judaïsme est venue avec eux.
Saturnin a des rois pour aïeux. Ses parents vivaient à Patras
; son père était mort : une belle-mère et deux filles
vivaient encore. Saturnin apprit d'abord par un homme d'un teint très
brun, qui était allié au plus basané des trois rois
mages, et qui avait fait le voyage avec lui l'histoire de l'étoile
et de la naissance de Jésus. Il s'était, je crois, trouvé
en rapport avec lui pendant une guerre ou dans un voyage. Là-dessus,
Saturnin alla à Jérusalem, et lorsque Jean commença
sa prédication, il fut au nombre de ses premiers disciples : puis
aussitôt que Jésus reparut après son baptême,
il alla le trouver avec André (voir tome I, page 370). Sa belle-mère
était allée plus tard à Jérusalem avec les
deux jeunes filles. Ses deux jeunes frères étaient restes
près d'un oncle, et maintenant ils venaient d'arriver. Ils étaient
riches.
Dans la matinée, on baptisa encore une douzaine d'autres néophytes.
Quand ils descendent dans le tossé qui est autour du bassin, ils
relèvent leur longue robe et s'appuient, lorsqu'ils reçoivent
le baptême, sur la margelle du bassin : ils retournent ensuite sous
les arbres et mettent d'autres vêtements. Leur longue tunique blanche
n'est, a ce que je crois, qu'un manteau baptismal sous lequel ils sont
nus jusqu'à la ceinture. Les juifs ont peu de souci des païens
baptisés : quand ceux-ci ne viennent pas demander aux prêtres
à être circoncis, ils ne font pas attention à eux,
et il leur semble d'ailleurs qu'il n'y a pas beaucoup à s'en occuper,
car ils sont fort peu zélés et n'aiment pas à se donner
de la peine. Cornélius, qui habite parmi eux et qui a fait bâtir
la synagogue, sera obligé de recevoir la circoncision, s'il veut
s'associer à eux plus étroitement.
Jésus mangea chez sa mère et s'entretint avec les femmes
qui étaient là : il dit à plusieurs malades qui voulaient
être guéris ce qu'ils avaient à faire en attendant
qu'il revint. Je le vis ensuite dans l'après-midi enseigner au bord
du lac, non loin de l'endroit où se tenaient les barques de Pierre
: il était allé là avec les disciples en franchissant
la hauteur qui se dirige vers Bethsaïde, derrière la maison
de Marie et celle de Pierre. Les bords du lac sont élevés
près de Bethsaïde : ici ils descendent en pente douce et offrent
un abord facile. Le navire de Pierre était amarré ici, aussi
bien que la petite embarcation de Jésus : elle était moins
grande et contenait au plus quinze personnes.
Une grande partie des païens qui avaient été à
la fête donnée chez Cornélius étaient rassemblés
ici. Jésus les enseigna. et comme la presse était trop grande,
il monta sur sa barque avec quelques disciples : les autres et les publicains
montèrent sur le navire de Pierre. Du haut de la barque, il raconta
aux païens et à d'autres personnes qui étaient sur la
plage, la parabole du semeur et de l'ivraie : ensuite ils s'éloignèrent.
Le navire de Pierre marchait à la rame, traînant après
lui l'embarcation de Jésus. Les disciples se relayaient pour ramer.
Jésus était assis au pied du mât, les autres autour
de lui et sur le bord du navire de Pierre. Ils lui demandèrent ce
que signifiait cette parabole et pourquoi il parlait en paraboles. Alors
il la leur expliqua. (Elle se référa ici à un texte
de saint Matthieu (XIII, 1-24) dont le pèlerin lui fit la lecture,
et dit : " il a fait cela pendant la traversée : il était
quatre heures du soir ". Je crois aussi que c'est cette fois que Jésus
appellera à lui saint Matthieu, car je les ai vus débarquer
entre la vallée de Gérasa et Bethsaïde Juliade On monta
d'abord sur une éminence, au delà de laquelle se trouvent
les demeures des publicains, placées les unes derrière les
autres. Je l'ai entendu dire en chemin qu'on se scandaliserait à
son sujet. Ce sera sans doute parce qu'il admettra parmi ses disciples
le publicain Matthieu.
(25 novembre.) Elle dit le jour suivant : " Lorsque Jésus arriva
ici, il était tout au plus cinq heures ; il était donc de
meilleure heure lorsqu'ils s'embarquèrent. A partir du rivage, il
y avait un chemin qui conduisait aux maisons des publicains, et les publicains
qui étaient avec Jésus le prirent. Quant à Jésus,
il prit à droite en suivant le bord du lac, en sorte qu'ils passèrent
devant la maison de Matthieu qui était à quelque distance.
Le chemin qu'ils suivaient avait un embranchement qui aboutissait au comptoir
de Matthieu, et quand Jésus se dirigea de ce côté,
les disciples s'arrêtèrent, n'osant pas aller plus loin. Lorsque
Matthieu, devant la maison duquel je vis des serviteurs et des publicains
occupés à examiner diverses marchandises, vit du haut d'une
éminence Jésus et les disciples venir vers lui, la honte
le prit et il rentra dans sa cabane. Mais Jésus s'approcha et l'appela
de l'autre côté du chemin. Alors Matthieu sortit plein d'empressement
: il se prosterna devant Jésus la face contre terre, et dit qu'il
ne s'était pas cru digne que Jésus lui parlât. Mais
le Seigneur lui dit : " Matthieu, lève-toi et suis-moi ". Matthieu
se leva et lui dit qu'il allait tout quitter avec joie pour le suivre puis
il alla avec Jésus jusqu'à l'endroit où les disciples
s'étaient arrêtés. Ceux-ci le saluèrent et lui
tendirent la main. Thaddée, Simon et Jacques le Mineur, étaient
particulièrement réjouis, car ils étaient ses frères
par leur père Alphée, qui, avant son mariage avec Marie de
Cléophas, avait eu Matthieu d'une première femme. Il voulait
leur donner à tous l'hospitalité, mais Jésus lui dit
qu'ils prendraient leur repas chez lui le lendemain, et ils allèrent
plus loin. Alors Matthieu revint en hâte à sa maison, qui
était à un quart de lieue du lac, dans un enfoncement du
coteau. Le petit cours d'eau qui va de Gérasa se jeter dans le lac,
passe devant à peu de distance. La vue s'y étend sur le lac
et sur la campagne. Matthieu chargea aussitôt un homme de l'embarcation
de Pierre de faire son office à sa place jusqu'à nouvel ordre.
Il était marié et avait quatre enfants. Il raconta tout à
sa femme ce qui lui arrivait d'heureux, et lui dit qu'il voulait tout quitter
et se mettre à la suite de Jésus, ce qui la réjouit
aussi beaucoup. Ensuite il ordonna de préparer le repas pour le
lendemain, et s'occupa lui-même à donner des ordres et à
faire des invitations à cet effet. Matthieu était à
peu près de l'âge de Pierre, il aurait pu être le père
de José Barsabas son jeune demi-frère. C'était un
gros homme fortement constitué : il avait la barbe et les cheveux
noirs. Depuis qu'il avait fait connaissance avec Jésus sur le chemin
de Sidon, il avait reçu le baptême de Jean et réglé
sa vie de la manière la plus consciencieuse. Jésus franchit
la hauteur qui était derrière la maison de Matthieu, et alla
au nord dans la vallée de Bethsaïde Juliade : il passa un petit
cours d'eau. Il y avait là un campement de caravanes et de païens
en voyage qu'il enseigna : ils passèrent la nuit dans une hôtellerie
de Bethsaïde Juliade.
(25 novembre.) Ce matin, Jésus enseigna encore parmi les païens
campés dans les environs : vers midi, il revint à la maison
de Matthieu, où beaucoup de publicains invités par lui s'étaient
réunis. Sur le chemin, quelques Pharisiens et des disciples de Jean
se joignirent à Jésus ; toutefois, ils n'entrèrent
pas avec lui dans la maison, mais ils allèrent avec les disciples
dans le jardin qui y était attenant, et ils leur dirent : " Comment
pouvez-vous souffrir qu'il fraye si familièrement avec des pécheurs
et des publicains ? " Ils répondirent : " Dites-le-lui vous-mêmes
! " Mais les Pharisiens répliquèrent : " il n'y a rien à
dire à un homme qui veut toujours avoir raison ".
Matthieu reçut Jésus et les siens avec beaucoup de cordialité
et d'humilité et il leur lava les pieds. Ses demi frères
l'embrassèrent tendrement. Il amena à Jésus sa femme
et ses enfants. Jésus s'entretint avec la femme et bénit
les enfants : passé cela, les enfants ne reparurent plus. Je me
suis souvent étonnée de voir que les enfants, quand il les
avait bénis, ne se remontraient plus Je vis que Jésus s'assit
et que Matthieu s'agenouilla devant lui : Jésus lui mit la main
sur la tête, le bénit et lui donna quelques avis. Matthieu
s'appelait auparavant Lévi et il reçut alors le nom de Matthieu.
Il y eut un grand repas dans une salle découverte, sur une table
disposée en forme de croix. Jésus était assis au milieu
des publicains : on se levait dans les intervalles des services et on conversait,
puis on se rasseyait quand de nouveaux plats avaient été
mis sur la table. Il vint de pauvres voyageurs qui passaient près
de là : les disciples leur distribuèrent des aliments. Le
chemin qui menait à l'endroit où l'on s'embarquait pour traverser
le lac passait devant la maison. Cependant les Pharisiens accostèrent
les disciples et il y eut entre eux des discussions qui se trouvent dans
l'Evangile de saint Luc (V. 30-39), Ils parlèrent principalement
du jeûne, parce que ce soir commençait pour les Juifs de la
stricte observance un jour de jeûne en mémoire de la destruction
des écrits de Jérémie par le roi Joachim et aussi
parce que Jésus permettait à ses disciples de cueillir des
fruits sur les chemins, ce qui ne se faisait pas chez les Juifs, spécialement
en Judée. Lorsque Jésus donna la réponse, il était
à table avec les publicains, tandis que les disciples que les pharisiens
avaient interpellés se tenaient debout ou allaient et venaient.
Jésus tourna la tête et répondit. Je crois que Jésus
passa ici la nuit et que ceux des disciples qui étaient pêcheurs
de profession restèrent dans les barques. La barque de Zébédée
était venue avec les gens qui étaient à son service.
Je ne me souviens plus bien s'ils péchèrent cette nuit, mais
j'ai l'idée vague qu'il y eut en effet une pêche.
Capharnaum est beaucoup plus animé qu'à l'ordinaire :
il y vient beaucoup d'étrangers à cause de Jésus.
Les uns sont ses adversaires, les autres ses partisans : il s'y trouve
un certain nombre de paiens qui se joignent à Zorobabel et à
Cornélius.
J'ai vu aussi cette nuit à Capharnaum beaucoup de choses relatives
à Jaïre, à sa fille et à l'hémorrhoisse,
mais j'en ai oublié la plus grande partie. Je me souviens seulement
que la fille de Jaire, pour la punition de ses parents et des gens de sa
famille, qui même après sa guérison avaient encore
accueilli Jésus avec des rires moqueurs, est de nouveau retombée,
et que Jésus vient encore une fois à son secours, c'est alors,
si je ne me trompe, qu'aura lieu la guérison de l'hémorroïsse.
Je ne sais plus bien jusqu'à quel point la jeune fille avait participé
au péché des autres, mais lorsqu'elle fut rendue à
la vie tous se montrèrent peu touchés, et la mère
en particulier se comporta d'une manière très inconvenante.
L'hémorroïsse n'est pas encore guérie. Elle est depuis
longtemps à Capharnaum et emploie plusieurs médecins : elle
est dans un état de maigreur et de dépérissement complet.
C'est une paienne, veuve d'un Juif de Panéas ou Césarée,
capitale de Philippe. Jusqu'à présent elle n'a pas eu une
foi ferme et elle est entre les mains des médecins. Mais elle vient
de faire connaissance avec Marie qui visite les malades, et celle-ci l'a
consolée et l'a beaucoup affermie dans la foi.
(26 novembre ) Ce matin Jésus alla près du lac qui est
environ à un quart de lieue de la maison de Matthieu où il
a passé la nuit. Je vis Pierre et André occupés à
disposer Leurs filets et se préparant à aller au large. Jésus
leur cria : " Venez et suivez-moi : je ferai de vous des pêcheurs
d'hommes ". Alors ils laissèrent là leur travail, abordèrent
et descendirent à terre. Jésus marcha encore un peu le long
du rivage jusqu'à l'endroit où était la barque de
Zébédée qui avec ses fils Jacques et Jean, réparait
ses filets sur le navire : Jésus leur cria aussi de venir. Alors
ils descendirent à terre. Zébédée resta dans
la barque avec les serviteurs.
Je vis que Jésus les envoya dans la montagne avec l'ordre de
donner le baptême aux païens qui le demanderaient. Il les avait
déjà préparés hier matin et avant-hier. Lui-même
alla d'un autre côté avec Saturnin et les autres disciples.
Ils devaient se retrouver ensemble, le soir, chez Matthieu. Je le vis leur
indiquer du doigt le chemin qu'ils devaient prendre. Les autres disciples
attendaient en haut près du chemin, pendant qu'il appelait ceux-ci.
Quand ils furent tous réunis, il leur ordonna d'aller baptiser dans
les endroits qu'il leur avait désignes.
Comme les Evangiles ne devaient pas contenir le récit circonstancié
de tout ce que fit Jésus avec ses disciples, mais en donner seulement
un court abrégé, cet appel adressé à certains
d'entre eux pour qu'ils eussent à laisser là leurs barques
et la pêche qu'ils allaient faire pour devenir des pêcheurs
d'hommes y est placé au commencement comme résumant toute
la vocation de Pierre, d'André, de Jean et de Jacques : après
quoi les écrivains sacrés rapportent un certain nombre de
paraboles, de miracles et de discours de Jésus, sans s'astreindre
à suivre un ordre chronologique.
Je vis Jésus et une partie des disciples, parmi lesquels Saturnin
était spécialement chargé de baptiser, se rendre dans
les environs de Bethsaïde Juliade, tandis que Pierre avec André
comme ministres du baptême, les autres pêcheurs et quelques
disciples encore, gravirent la montagne au nord-est et descendirent dans
une vallée arrosée par un petit ruisseau. Il y avait là
un campement de paiens dont Jésus, les jours précédents,
avait déjà préparé une partie au baptême.
Je vis ceux-ci aller À la rencontre des disciples auxquels ils demandèrent
le baptême, et André les baptisa d'une nouvelle manière,
différente de la précédente. On apporta dans un bassin
de l'eau puisée au ruisseau : les néophytes se rangèrent
en cercle et s'agenouillèrent, mettant les mains en croix sur la
poitrine. Il y avait parmi eux des enfants de trois à six ans, je
n'en avais jamais vu d'aussi petits en pareille circonstance. Pierre tenait
le bassin : André prenait de l'eau dans sa main, en aspergeait trois
fois la tête de trois néophytes et prononçait les paroles
sacramentelles : les autres disciples circulaient autour d'eux et leur
imposaient les mains. Ceux qui venaient d'être baptises étaient
aussitôt remplacés par d'autres. Il y eut des pauses par intervalles,
et les disciples racontèrent les paraboles qui étaient à
leur portée, parlèrent de Jésus, de ses enseignements,
de ses miracles, et expliquèrent aux Juifs ce qu'ils ne connaissaient
pas encore des lois et des promesses divines. Pierre se distinguait surtout
par le zèle et la chaleur avec laquelle il racontait : Jean parlait
aussi très bien ainsi que Jacques. Jésus, de son côté,
enseignait dans une autre vallée, et Saturnin baptisait près
de lui.
Je ne me souviens plus de ce qui suivit ce jour-là ; je me rappelle
seulement qu'ils se réunirent le soir près de la maison de
Matthieu, et qu'il y avait là une foule très nombreuse qui
se pressait autour de Jésus, ce qui fit qu'il monta dans la barque
de Pierre avec les douze futurs apôtres et Saturnin, et qu'il leur
ordonna de se diriger vers Tibériade : il fallait pour cela traverser
le lac dans toute sa largeur. Il me sembla que Jésus voulait seulement
se dérober à l'empressement de la foule et prendre quelque
repos, car il était très fatigué. Il se coucha sur
le pont dans une des cahutes placées autour du mât et où
se tiennent habituellement ceux qui sont en vedette : il s'endormit aussitôt,
tant sa fatigue était grande. Les rameurs étaient au-dessus
de lui. Le temps était très calme et très beau lorsqu'ils
quittèrent le rivage. Ils étaient à peu près
au milieu du lac lorsqu'il s'éleva une violente tempête. Je
trouvais étrange que le ciel étant tout assombri on pût
pourtant voir les étoiles. Le vent était terrible et les
vagues venaient jusque dans le navire : la voile avait été
amenée. Je vis par moments une lueur voltiger sur les flots agités
: je crois qu'il y avait aussi des éclairs. Comme le danger allait
toujours croissant, les disciples furent saisis d'une grande inquiétude
: ils éveillèrent Jésus et lui dirent : " Maître,
n'avez-vous point souci de nous ? nous périssons ". Jésus
se leva, regarda autour de lui et dit d'un ton calme et grave, comme s'il
eût parle à l'orage : " Tais-toi, fais silence ". Alors la
mer s'apaisa subitement : tous furent effrayés et se dirent à
voix basse les uns aux autres : " Quel est celui-ci qui peut commander
aux flots " ? Cependant il leur reprocha leur peu de foi parce qu'ils avaient
craint, et leur ordonna de revenir à Chorozaïn : on donne ce
nom à l'endroit où est le bureau de douanes de Matthieu,
à cause de la ville de Chorozaïn, de même que de l'autre
côté la contrée de Capharnaum jusqu'à Giscala,
s'appelle Génésareth. La barque de Zébédée
revint avec eux : une autre conduisant des passagers alla à Capharnaum.
Il était venu des messagers pour prier Jésus de venir en
toute hâle parce que Marie de Cléophas était très
malade.
(27 novembre.) Les deux barques étant revenues avant le jour
à leur point de départ, restèrent immobiles près
du rivage : Jésus et tous ses compagnons étaient endormis.
Pendant l'orage, il y avait en tout quinze hommes sur la barque avec Jésus.
Il ne faut pas s'étonner que les rameurs se tinssent au-dessus de
l'endroit où Jésus reposait et que pourtant celui-ci pût
voir au delà du navire. Comme les rames appuyées sur le bordage
élevé de la barque plongeaient profondément dans l'eau,
elles avaient de longs manches et les rameurs étaient placés
très haut : c'est pourquoi des degrés étaient disposés
autour du mât. Je vis plus tard Jésus avec les disciples gagner
par les hauteurs le midi de la vallée de Chorozaïn où
s'était rassemblée une grande foule de peuple qui allait
toujours grossissant. Cet endroit était à peu près
à une lieue au sud-ouest de Chorozaïn et un peu plus éloigné
de Gergesa qui était au midi dans une situation moins élevée.
J'ai vu pendant ces jours-là que le marais couvert de roseaux, situé
à l'est de Gergesa, et dominé au nord par la montagne de
Gamala, se déchargeait au sud-ouest dans un profond ravin qui aboutissait
au lac. C'est dans cet étang que les pourceaux dans lesquels Jésus
permit aux démons d'entrer se précipitèrent du haut
de la montagne : nais cela n'a pas encore eu lieu.
Dans l'endroit où Jésus enseigna aujourd'hui, il y avait
une chaire en pierre. Cette prédication avait été
annoncée déjà deux jours auparavant. Les troupes d'auditeurs
se succédaient les uns aux autres et il y eut certainement aujourd'hui
deux mille personnes à l'entendre. Il guérit une grande quantité
de malades, aveugles, paralytiques, muets et lépreux. Lorsqu'il
commença son instruction, plusieurs possédés qu'on
avait amenés devinrent furieux et firent grand bruit : mais il leur
commanda de se taire et de se coucher par terre : alors ils se mirent à
plat ventre comme des chiens craintifs et ne bougèrent plus jusqu'à
la fin de l'instruction après laquelle il alla à eux et les
délivra.
Parmi les nombreux malades qu'il guérit, je me souviens d'un
homme qui avait le bras tout desséché et la main tordue et
déformée. Jésus lui passa la main sur le bras, lui
prit la main, lui redressa les doigts en les pliant et les pressant doucement.
Tout cela se fit en aussi peu de temps qu'il en faut pour montrer comment
il s'y prit : aussitôt la main de cet homme se redressa, revint à
son état normal, et il put la remuer quoiqu'elle fût encore
amaigrie et faible : mais elle reprit de la force promptement.
Il y avait parmi ces gens plusieurs femmes avec des enfants de tout
âge. Jésus se fit amener successivement tous les enfants,
les bénit en passant au milieu d'eux et parla d'eux de manière
à ce que les assistants l'entendissent. Je vis que tout en parlant
il tournait et retournait un enfant dans tous les sens, pour faire voir
que les hommes devaient se laisser ainsi conduire par Dieu sans résistance,
et rester calmes et patients sous sa main. Il s'occupait beaucoup des enfants.
La plupart des assistants étaient des païens : il y avait aussi
des Juifs de la Syrie et de la Décapole que la renommée de
Jésus avait attirés et qui étaient venus en caravanes
avec leurs serviteurs, leurs enfants et leurs malades, pour se faire instruire,
guérir et baptiser. Jésus était venu ici à
leur rencontre afin que l'affluence ne fût pas trop grande à
Capharnaum. Je vis parmi eux des gens de Panéas, parents de l'hémorrhoisse
qui résidait à Capharnaum et dont il est parlé dans
L'Evangile. C'étaient l'oncle de son époux défunt,
dans la maison duquel elle s'était mariée, sa fille déjà
grande et encore une autre femme : ils s'adressèrent aux disciples
pour être conduits par eux, le soir, à Capharnaum, et ils
firent annoncer leur arrivée a leur parente malade. Ils assistèrent
à la prédication de Jésus et l'oncle fut baptisé
avec beaucoup d'autres.
On baptisa toute la journée de la même manière
qu'hier en rangeant en cercle les néophytes agenouillés.
Je vis encore baptiser beaucoup de petits garçons : ils se tenaient
rangés en cercle, vêtus de leurs petites robes et leurs petites
mains croisées sur la poitrine. On apporta l'eau de la vallée
de Chorozaïn dans des outres. A cette prédication il y avait
encore beaucoup de Pharisiens des environs qui espionnaient, et aussi de
faux disciples de Jean. Le soir, Jésus se rendit à la maison
de Matthieu avec les disciples. Il raconta encore une parabole touchant
le trésor caché dans un champ étranger : celui qui
le trouve l'y laisse et achète le champ au prix de tout ce qu'il
possède. Il faisait allusion par là au grand désir
du salut qu'avaient les païens et indiquait qu'ils attireraient à
eux le royaume de Dieu. Jésus, à cause de la foule qui le
pressait, s'assit encore dans une barque d'où il enseigna. Il ne
s'éloigna pas beaucoup du rivage, mais il revint bientôt et
passa la nuit en prière. Ils avaient pris quelque nourriture chez
Matthieu. Les disciples conduisirent de l'autre côté du lac
les parents de l'hémorroïsse. Ils passèrent aussi des
disciples de Jean, lesquels se plaignaient de ce que Jésus ne venait
pas en aide à leur maître et de ce que ses disciples ne jeûnaient
pas.
(28 novembre.) Les disciples sont revenus ce matin de leur traversée
: ils ont apporté à Jésus la nouvelle que Marie de
Cléophas était très malade dans la maison de Pierre,
que sa mère le priait de venir bientôt et qu'un très
grand nombre de malades, dont plusieurs venus de Nazareth, l'attendaient.
Jésus enseigna encore et guérit beaucoup de gens sur le bord
du lac. Il était venu encore plusieurs possédés qu'il
délivra. L'affluence est de plus en plus considérable et
l'on ne peut dire quelle persévérance infatigable il apporte
dans ses travaux charitables.
Après midi, il s'embarqua pour Bethsaïde avec tous les
apôtres. Matthieu a confié son comptoir à un des mariniers
déjà, depuis qu'il avait reçu le baptême de
Jean, il exerçait sa profession avec la plus grande probité.
Tous les autres Publicains exerçaient aussi leur emploi avec beaucoup
de droiture et de charité : ils ont donné beaucoup aux pauvres,
spécialement ces jours-ci. Judas, quant à présent,
est encore très bon ; il est singulièrement entendu et serviable
: c'est lui particulièrement qui règle les distributions
et fait les comptes. Beaucoup de païens se sont embarques encore aujourd'hui.
Ceux qui ne vont pas plus loin que Capharnaum laissent ici leurs chameaux
: ceux de ces animaux qu'on emmène sont placés, ainsi que
les ânes, sur des caisses que les navires traînent après
eux, ou remontent le long du lac pour aller passer le pont du Jourdain.
Jésus arriva vers quatre heures à Bethsaïde où
Marie l'attendait, ainsi que Maroni et son fils qui sont ici depuis deux
jours. Il prit un peu de nourriture. Les fils de Marie de Cléophas
se rendirent auprès de leur mère malade. Jésus enseigna
et guérit encore jusque dans la nuit beaucoup de gens rassemblés
devant la maison d'André.
(29 novembre.) L'affluence des étrangers et des Juifs à
Capharnaum est au delà de tout ce qu'on peut dire. De grandes troupes
sont campées dans les environs, et mon guide me disait aujourd'hui
qu'il y avait alors dans le pays jusqu'à douze mille étrangers
venus à cause de Jésus. Dans toutes les vallées, dans
tous 'es recoins du pays circonvoisin, on voit paître des chameaux
et des ânes : mais le plus souvent ils sont attaches et on place
le fourrage devant eux. Ils broutent beaucoup de bourgeons sur les haies
et y font beaucoup de dégâts. Des camps sont établis
de tous les côtés. Capharnaum s'est enrichie et agrandie depuis
que Jésus y réside : beaucoup de familles viennent s'établir
et les nombreux étrangers apportent de l'argent dans la ville. On
bâtit aussi beaucoup et les maisons de Zorobabel et de Cornélius
seront bientôt jointes à la ville sans interruption.
La maison de Pierre, qui est devant la ville et tout contre, est grande
et longue : il y a sur l'un des côtés une cour spacieuse entourée
de petits bâtiments, de salles et de hangars : le ruisseau de Capharnaum
passe devant ; de l'autre côté de la maison il est arrêté
par un barrage et forme un joli réservoir où l'on conserve
du poisson. Il y a aussi des pelouses de gazon où l'on fait blanchir
des toiles, et j'y vois des filets étendus. Une partie des maisonnettes
qui sont à l'entour est louée : il y habite aussi des domestiques
: car Pierre a des champs et du bétail et il est à la tête
d'une grande exploitation. Aussi lui est-il plus difficile qu'à
un autre de renoncer à tout ce qu'il possède, surtout avec
le vif sentiment qu'il a de son indignité. J'ai vu que deux fois
déjà, depuis le commencement de sa prédication, Jésus
a appelé les pêcheurs à lui, mais qu'ils sont toujours
retournés à leur travail. Cela, du reste, ne s'est pas fait
contrairement à sa volonté, d'autant plus qu'ils ont rendu
beaucoup de services pendant son séjour à Capharnaum en transportant
les passagers sur leurs barques et en établissant des rapports très
utiles avec les caravanes païennes : d'ailleurs tant qu'ils n'enseignaient
pas eux-mêmes, il n'était pas nécessaire qu'ils s'attachassent
complètement à lui. André qui, depuis longtemps, s'était
mis à la suite de Jean Baptiste, avait presque entièrement
laissé là ses affaires et Jésus l'employa plutôt
que Pierre à administrer le baptême. Jacques et Jean jusqu'à
présent étaient toujours revenus à Leurs filets, car
c'étaient des fils très obéissants : le vieux Zébédée
et leur mère, Marie Salomé, étaient assez préoccupés
de leur avenir : ils pensaient que leurs fils auraient quelque charge à
exercer auprès de Jésus, et ils espéraient jusqu'à
un certain point qu'il fonderait un royaume temporel. Je crois pourtant
à présent que Pierre, André, Jacques et Jean resteront
plus constamment près de Jésus ; voilà pourquoi, si
je ne me trompe, le dernier appel que Jésus, après avoir
complété le nombre des apôtres par l'adjonction de
Matthieu, a adressé à ces quatre pêcheurs pour qu'ils
eussent à laisser là leurs barques et leur travail, et pour
qu'ils allassent immédiatement baptiser, se trouve consigné
dans l'Evangile comme le signe de la vocation en vertu de laquelle ils
devenaient ses compagnons. Lorsqu'après la dernière Pâque,
Jésus, avant de se réfugier du côté de Sidon
et de Tyr, les avait réunis auprès de lui et chargés
d'administrer le baptême, ils avaient enseigné en divers lieux
: ils avaient même opéré des guérisons, mais
sans y réussir toujours, parce que leur foi était trop faible.
C'est alors qu'ils furent arrêtés et conduits devant les Pharisiens
à Gennabris. Jésus, à cette époque, leur avait
déjà enseigné à bénir l'eau pour le
baptême, et il leur avait conféré les pouvoirs nécessaires,
non par l'imposition des mains, mais par une simple bénédiction.
C'est ainsi que récemment ils ont béni l'eau baptismale à
Bethsaïde-Juliade, à Chorozaïn et à Capharnaum.
Il y a déjà, depuis deux jours, une grande quantité
de malades à Capharnaum, et il en est venu d'endroits très
reculés, car la résurrection du jeune homme de Naïm
et les autres guérisons éclatantes opérées
en grand nombre ont mis tout le monde en mouvement : on en a même
amené beaucoup de Nazareth, qu'on avait longtemps jugés incurables,
parmi lesquels des moribonds qu'on espère que Jésus sauvera.
Dans la maison que Pierre possède prés de la ville, le vestibule,
les dépendances et les hangars en sont remplis : sa femme et ses
gens ont été obligés, pendant son absence, de faire
de grandes installations pour leur donner place à tous. On a dressé
des tentes et des cabanes de feuillage et l'on a fait provision d'aliments.
La veuve de Naïm, qui est parente de Pierre, habite ici, ainsi que
Marie de Cléophas qui a une alliance avec lui par son troisième
mari. Celle-ci réside ordinairement à Cana C'est là
que Maroni, la veuve de Naïm, venant ici avec son fils, l'a prise
ainsi que le petit Siméon, enfant de huit ans, né de son
troisième mariage. Elle est arrivée ayant déjà
la fièvre, et sa maladie devient de plus en plus grave. Cependant
Jésus n'est pas encore venu la voir. Aujourd'hui il enseigna et
opéra des guérisons parmi les païens dans les environs.
Il y a ici des gens venus de la Grèce et notamment de Patras, ville
natale de Saturnin.
Aujourd'hui dans l'après-midi, avant le sabbat, plusieurs disciples
de Jean envoyés par lui sont venus de Machérunte à
Capharnaum ; ils étaient au nombre de ses disciples les plus anciens
et les plus intimes je crois que les frères de Marie de Cléophas,
Jacob, Sadoch et Eliacin, se trouvaient parmi eux. Ils firent venir les
magistrats et le comité des Pharisiens dans le parvis de la synagogue,
et leur présentèrent un rouleau de parchemin long et étroit,
ayant la forme d'un cornet : c'était une lettre que Jean leur adressait
et où il rendait témoignage à Jésus en termes
très clairs et très énergiques. Pendant qu'ils la
lisaient et qu'ils en conféraient entre eux, non sans un certain
trouble, le peuple se rassembla en foule, et les messagers lui répétèrent
à haute voix ce que Jean avait dit dans un grand discours prononcé
à Machérunte en présence de ses disciples, d'Hérode
et d'un nombreux auditoire. J'ai vu Jean faire ce discours.
Lorsque les disciples que Jean avait envoyés à Mageddo
près de Jésus, furent revenus avec la réponse de celui-ci,
et lui eurent communiqué en outre beaucoup de renseignements sur
ses miracles, son enseignement et la persécution qu'il avait à
souffrir de la part des Pharisiens, lui répétant en outre
les divers propos qui couraient sur Jésus et les plaintes que faisaient
beaucoup de gens de ce qu'il ne le délivrait pas ; Jean se sentit
poussé à rendre encore hautement témoignage à
Jésus, qu'il n'avait pu déterminer par ses interrogations
à se rendre témoignage à lui-même. Il fit donc
prier Hérode de lui permettre d'adresser un discours à ses
disciples et à quiconque voudrait l'entendre ; car, disait-il, il
se tairait bientôt pour jamais. Je vis qu'Hérode l'y autorisa
volontiers. On permit donc à tous ses disciples et à une
foule nombreuse d'entrer dans une cour du château, et Hérode
avec sa méchante femme s'assit sur une extrade environnée
de soldats. Alors Jean sortit de sa prison et les enseigna. Hérode
s'y était prêté de bon coeur : il voulait, pour se
concilier le peuple, donner à croire que la captivité de
Jean était très peu rigoureuse. J'entendis le précurseur
parler de Jésus avec un grand enthousiasme, dire de lui-même
qu'il n'avait été envoyé que pour préparer
la voie à Jésus, qu'il n'avait jamais annoncé que
lui, mais que ce peuple obstiné ne voulait pas le reconnaître.
Avaient-ils donc oublié ses enseignements à ce sujet ? il
voulait les leur répéter encore une fois en termes bien clairs,
car sa fin était proche ! Lorsqu'il dit cela, tous les assistants
furent très émus, et plusieurs de ses disciples versèrent
des larmes. Hérode fut inquiet et embarrassé, car il n'avait
nullement l'intention de le faire mourir ; quant à sa maîtresse,
elle fit la meilleure contenance qu'elle put, et Jean continua à
parler avec beaucoup de chaleur : il rappela le miracle qui avait eu lieu
lors du baptême de Jésus, et affirma qu'il était le
fils bien-aimé de Dieu que les prophètes avaient annoncé
; que tout ce qu'il enseignait était l'enseignement de son Père
; que ce qu'il faisait, le Père le faisait ; que personne n'allait
au Père que par lui, etc. Il parla longtemps sur ce ton, et réfuta
tous les reproches adressés à Jésus par les Pharisiens,
et spécialement ceux qui avaient trait à l'observation du
sabbat. Il dit que tout le monde devait sanctifier le sabbat, mais que
les Pharisiens le profanaient, parce qu'ils ne suivaient pas les enseignements
de Jésus, fils de celui qui avait institué le sabbat. Il
dit encore beaucoup de choses de ce genre et annonça Jésus
comme celui hors duquel il n'y avait pas de salut à espérer
; car quiconque ne croirait point en lui et ne suivrait pas ses enseignements
serait condamné. Il exhorta aussi tous ses disciples à se
tourner vers Jésus et à ne pas rester près de lui
sur le seuil comme frappés d'aveuglement, mais à entrer dans
le temple même.
Après avoir fini son discours, il envoya plusieurs d'entre eux
avec une lettre adressée à la synagogue de Capharnaum, lettre
dans laquelle il déclarait de nouveau que Jésus était
le Fils de Dieu, l'accomplissement de la promesse, et que tout ce qu'il
faisait et enseignait était juste et saint Il réfutait ensuite
toutes leurs objections, les menaçait du jugement de Dieu et les
exhortait à ne pas repousser le salut loin d'eux Il ordonna aussi
à ses disciples de lire au peuple une autre lettre conçue
dans les mêmes termes, et de lui répéter tout ce qu'ils
avaient entendu à Machérunte Je ils maintenant les disciples
de Jean faire tout cela a Capharnaum. Une foule très considérable
se rassembla autour d'eux, car les rues de la ville regorgeaient de gens
venus pour ce sabbat. Il y avait ici des Juifs de tous les pays : ils entendirent
avec beaucoup de plaisir les paroles de Jean touchant Jésus : beaucoup
furent transportés de joie, et leur foi prit de nouvelles forces.
Les Pharisiens furent obligés de céder au nombre : ils
ne trouvaient rien à opposer, mais ils se regardaient, haussaient
les épaules et secouaient la tête tout en affectant des dispositions
bienveillantes ; cependant ils prirent un ton d'autorité et dirent
aux disciples de Jean qu'ils ne feraient point d'opposition à Jésus
s'il ne transgressait pas les lois et s'il ne troublait pas la tranquillité
publique Sans doute il se présentait avec de merveilleux avantages,
mais ils devaient veiller au bon ordre et à ce que rien ne dépassât
la mesure. Jean était un homme de bien ; il pouvait, dans sa prison,
ignorer bien des choses ; il n'avait pas eu beaucoup de rapports avec Jésus,
etc. Là-dessus le sabbat s'ouvrit et tout le monde se porta à
la synagogue. Jésus vint aussi avec ses disciples, et tout le monde
l'écouta aujourd'hui avec beaucoup d'admiration. Il enseigna sur
l'histoire de Joseph vendu par ses frères (Genèse, XXXVII,
1-41) et sur des textes d'Amos (II, 6. --III, 9) renfermant des menaces
contre les péchés d'Israël.
Je me souviens encore qu'au commencement de l'instruction il fut question
de l'oppression des pauvres, de l'inceste et de l'impudicité. On
ne le troubla pas, et les Pharisiens l'écoutèrent avec une
envie secrète et un étonnement mal dissimulé. Le témoignage
de Jean, proclamé devant tout le peuple, les avait un peu intimidés.
Mais tout à coup des hurlements effroyables se firent entendre
dans la synagogue On y avait introduit un possédé furieux
qui était de Capharnaum : il fut tout à coup pris d'un violent
accès et voulut déchirer avec ses dents les personnes qui
étaient autour de lui. Alors Jésus se tourna de son côté
et dit : " Tais-toi ! Emmenez-le dehors ". Aussitôt cet homme redevint
parfaitement tranquille. On l'emmena : il s'assit par terre devant la synagogue
et parut tout intimidé Lorsque Jésus eut fini l'instruction
du sabbat et sortit, il alla trouver cet homme devant la porte et le délivra
du démon qui le possédait. Il se rendit ensuite avec les
disciples à la maison de Pierre qui est près du lac parce
qu'il y régnait plus de tranquillité. Ils prirent la quelque
nourriture et il enseigna. La nuit, il se retirait d'ordinaire pour prier
à l'écart.
Je n'ai jamais vu de fous proprement dits parmi ceux dont Jésus
opéra la guérison : tous étaient guéris comme
démoniaques et possédés.
Les Pharisiens se réunirent encore, ils feuilletèrent
toute espèce d'anciens écrits touchant les prophètes
leur manière de vivre, leur doctrine et leurs actions spécialement
touchant Malachie, sur lequel il subsistait encore quelques traditions
: ils cherchèrent des comparaisons avec l'enseignement de Jésus
; ils furent forces de reconnaître sa supériorité et
d'admirer ses dons, puis à la fin pourtant ils firent des critiques
sur sa doctrine.
(30 novembre.) Ce matin Jésus enseigna à la synagogue
devant un nombreux auditoire. Cependant Marie de Cléophas était
si gravement malade, que la sainte Vierge envoya prier Jésus de
venir à son secours. Il vint vers midi à la maison de Pierre,
qui est tout prés de la ville : la mère de Jésus et
la veuve de Naim s'y trouvaient, ainsi que les fils de la malade (disciples
de Jésus) et ses frères (disciples de Jean)
Personne n'était plus affligé de son état que
Siméon son fils, âgé de huit ans, né de son
troisième mariage avec Jonas, frère cadet du beau-père
de Pierre, lequel avait été employé par celui-ci sur
son navire et était mort depuis environ six mois. Jésus s'approcha
du lit de la malade, pria et lui imposa les mains : elle était extrêmement
affaiblie par la fièvre. Il la prit par la main et lui dit de cesser
d'être malade. Il ordonna e lui donner à boire, et on lui
apporta un breuvage : il voulut aussi qu'elle mangeât quelque chose.
Il donnait cet ordre à presque tous les malades qu'il guérissait,
et j'appris que cela faisait allusion au Saint Sacrement : le plus souvent
il bénissait ce qu'on leur donnait. La joie de ses fils, et spécialement
du petit Siméon, fut au delà de toute expression lorsque
leur mère se retrouva en santé, se leva et se mit à
soigner les autres malades de son sexe. Jésus se retira aussitôt
et commença à guérir les nombreux malades qui étaient
aux alentours de la maison : c'étaient, pour la plupart, des gens
abandonnés depuis longtemps des médecins et regardés
comme incurables ou même déjà moribonds On les avait
amenés de loin ; il y en aval de Nazareth que Jésus avait
connus dans sa jeunesse. Je vis des gens affaissés sur eux-mêmes,
comme s'ils eussent été morts, que d'autres apportaient sur
leurs épaules en sa présence. Je ne l'ai jamais vu guérir
tant de gens dans un état si désespéré.
Les disciples de Jean, qui étaient arrivés la veille,
vinrent le trouver ici, et s'accusèrent d'avoir été
mécontents de lui, parce qu'il n'avait pas pris à coeur la
captivité de leur maître : ils dirent quels jeûnes rigoureux
ils s'étaient imposés à la seule fin d'obtenir de
Dieu qu'il le portât à délivrer Jean. Ils me touchèrent
beaucoup par leur grand attachement pour leur maître Jésus
les consola : je ne me souviens plus de ses paroles, mais il vanta encore
Jean comme un homme de la plus haute sainteté. J'entendis ensuite
ces disciples demander à ceux de Jésus pourquoi il ne baptisait
pas lui-même quand leur maître s'était tant fatigué
a administrer le baptême. Ils répondirent à peu près
que Jean avait baptisé parce qu'il était le Baptiseur, et
que Jésus guérissait parce qu'il était le Sauveur.
Jean, en effet, n'avait pas opéré de guérisons. Il
vint aussi a Jésus des Scribes de Nazareth, qui lui firent beaucoup
de politesses et l'engagèrent à visiter de nouveau Nazareth,
sa patrie : ils semblaient vouloir s'excuser de ce qui s'y était
passé. Jésus leur répondit que nul prophète
n'était en honneur dans son pays et il leur dit d'autres choses
qui se rapportaient à cette maxime. Il alla ensuite à la
synagogue : il y fit un discours ou '1 enseigna jusqu'à la clôture
du sabbat . Il s'y trouvait un aveugle qu'il guérit en sortant.
Il revint encore chez Pierre pour le repas : Marie de Cléophas
était si bien remise qu'elle put servir à table avec les
autres C'est la femme de Pierre qui tient le ménage dans cette maison
située à la porte de la ville dans l'autre maison près
du lac, c'est sa belle-mère et sa belle-fille. Après cela,
Jésus se retira à l'écart pour prier : il permit,
sur leur demande, aux disciples qui étaient pêcheurs de profession,
d'aller à leurs barques et de pêcher pendant la nuit : car
on avait grand besoin de poisson pour nourrir l'immense quantité
d'étrangers qui étaient venus : en outre, il y avait toujours
là bien des gens qui voulaient passer le lac
(Dimanche 1er décembre.) Les disciples dont il vient d'être
parlé passèrent toute la matinée à pêcher,
et ce matin ils conduisirent en outre quelques personnes de l'autre cote
du lac : Jésus, avec les disciples restés prés de
lui, s'occupa de distribuer des aumônes à ceux des malades
guéris qui étaient pauvres, et à d'autres voyageurs
nécessiteux. Il enseignait en même temps, et remettait lui-même
à chacun ce dont il avait besoin, avec des consolations et des avis.
On distribua des vêtements, des étoffes, des couvertures,
du pain et même de l'argent. Les saintes femmes donnèrent
de leurs provisions, et le reste fut fourni par des personnes riches et
bienfaisantes. Les disciples portaient les vêtements et les pains
dans des corbeilles, et en faisaient la répartition suivant les
ordres de Jésus.
Dans l'après-midi, il enseigna près de l'endroit ou Pierre
amarrait ses barques, au milieu d'une foule extraordinairement nombreuse.
Les embarcations de Pierre et de Zébédée se tenaient
à peu de distance de la terre, et les disciples pêcheurs étaient
sur le rivage assez loin de la foule, occupés à nettoyer
leurs filets. Le petit navire de Jésus était dans le voisinage
des grandes embarcations ; mais lorsque la presse devint trop grande, car
il y a peu de place sur le rivage, a cause des rochers escarpés
qui s'élèvent à peu de distance, Jésus fit
un signe aux pêcheurs, et ils amenèrent sa barque près
du bord Pendant ce temps, un Scribe de Nazareth, qui était venu
avec les malades guéris hier par Jésus, s'approcha de lui
et lui dit : " Maître, je vous suivrai partout où vous irez
! " Jésus lui répondit : " Les renards ont leurs tanières
et les oiseaux du ciel leurs nids : mais le fils de l'homme n'a pas ou
reposer sa tête ".
Alors la barque s'approcha : il y monta avec quelques disciples qui
l'éloignèrent un peu de terre et le conduisirent tantôt
à un endroit, tantôt à un autre : Jésus enseigna
les auditeurs qui étaient sur le rivage, et il leur raconta plusieurs
paraboles touchant le royaume de Dieu, entre autres celle où le
royaume des cieux est comparé à un filet jeté dans
la mer, et celle de l'ivraie semée au milieu du froment.
Comme le soir était proche, Jésus dit à Pierre
de gagner le large et de jeter ses filets pour la pêche. Pierre répondit
d'un ton un peu découragé : " Nous avons travaillé
toute la nuit et nous n'avons rien pris cependant je jetterai les filets
sur votre parole ". Ils prirent alors leurs filets sur leurs barques et
allèrent au large. Jésus congédia le peuple, et sa
barque, sur laquelle étaient Saturnin, le fils de Véronique,
qui était arrivé la veille, et quelques autres disciples,
suivit la barque de Pierre. Il leur expliqua encore les paraboles, et lorsqu'ils
furent au large, il leur dit ou ils devaient jeter leurs flets. Puis il
s'éloigna dans sa barque, et alla prendre terre à l'endroit
du rivage le plus voisin de la maison de Matthieu.
Pendant ce temps la nuit était venue. Des flambeaux étaient
allumés au bord des navires, vis-à-vis des filets. Les pêcheurs
jetèrent les filets dans un endroit profond, et ils se dirigèrent
vers Chorozaïn : mais ils ne purent pas les retirer. Lorsqu'enfin
? à force de rames, ils les eurent fait arriver sur un bas-fond,
ils se trouvèrent tellement chargés, qu'ils rompaient par
endroits. Ils entrèrent alors avec de petits canots dans l'enceinte
des filets, prirent les poissons à la main, les mirent dans des
filets plus petits et dans des caisses qui surnageaient attachées
près des navires, puis ils hélèrent la barque de Zébédée
qui les aida dans leur travail.
Ils étaient tout stupéfaits de cette pêche : car
jamais ils n'en avaient vu de semblable. Pierre était confondu .
Il sentait que jusqu'alors ils n'avaient pas eu pour Jésus tout
le respect qui lui était dû : il comprenait combien il était
inutile de tant s'inquiéter de sa pêche, car ils n'avaient
rien pu faire en réunissant tous leurs efforts, et en obéissant
à sa parole ils avaient pris d'un seul coup de filet plus qu'ils
ne faisaient d'ordinaire en plusieurs mois. Quand le filet fut allégé,
ils le ramenèrent à terre, et furent encore stupéfaits
de la multitude de poissons qu'il contenait. Jésus était
debout sur le rivage, et Pierre, tout confus, se jeta à ses pieds
et lui dit : " Seigneur, retirez-vous de moi, parce que je suis un pécheur
". Mais Jésus répondit : " Ne crains rien, Pierre ! à
l'avenir, tu seras un pêcheur d'hommes ". Pierre était profondément
humilié en songeant à son indignité et à ses
vaines préoccupations des choses terrestres. Il était trois
ou quatre heures du matin, et le jour commençait à poindre.
(2 décembre.) Lorsque les disciples eurent mis les poissons
en lieu sûr, ils prirent un peu de sommeil sur leurs barques : quant
à Jésus, il partit seul avec Saturnin et le fils de Véronique,
et gravit à l'est le haut plateau à l'autre bout duquel s'élève
Gamala. Il se trouvait à une lieue à l'est de la chaire du
haut de laquelle il avait enseigné récemment. Il y a là
des collines et des bosquets de bois. Il donna à Saturnin et au
fils de Véronique des instructions sur la prière, et leur
indiqua d'autres points à méditer, puis il s'éloigna
et s'enfonça dans la solitude. Pour eux, ils s'entretinrent ensemble,
s'assirent, se reposèrent, marchèrent et prièrent.
Les disciples employèrent la journée à transporter
leur poisson. Une grande partie fut, sur le lieu même, distribuée
aux pauvres, et ils racontèrent à tout le monde ce qui s'était
passé. Ils en vendirent beaucoup aux païens de ce côté
du lac, et en portèrent beaucoup à Capharnaum et à
Bethsaïde. Tous étaient maintenant persuadés que leur
sollicitude au sujet de leur subsistance était insensée ;
car, de même que la mer en fureur obéissait à Jésus,
de même aussi les poissons lui obéissaient et venaient se
faire prendre à son commandement.
Vers le soir, ils revinrent aux atterrages de la rive orientale, et
Jésus, accompagné des deux disciples, se fit conduire par
eux vers Capharnaüm. Il se rendit à la maison de Pierre, devant
la ville, et y guérit jusque assez avant dans la nuit, à
la lueur des torches plusieurs malades des deux sexes. C'étaient
des gens abandonnés de tous comme impurs, et qui n'osaient pas se
faire amener en public avec les autres. Il les guérit pendant la
nuit et sans témoins dans la cour de Pierre. Il s'en trouvait parmi
eux qui étaient séquestrés depuis des années
et tombés dans le marasme.
Jésus passa le reste de la nuit en prières.
Je vis encore aujourd'hui pourquoi la fille de Jaire devait retomber
malade. Jaire est un homme tiède, indolent, qui, sans être
mauvais, est tout à fait dépourvu de zèle : il est
âgé de trente-six ans, sa femme d'environ vingt-cinq ; elle
n'est pas pieuse, mais vaine et sensuelle. La fille est une enfant délicate,
débile, élevée dans des habitudes molles et recherchées
: elle est très faible pour son âge, car, quoiqu'elle ait
bien onze ans, on la prendrait pour une enfant de huit ans, surtout comparée
aux autres jeunes Juives. Ils ont pris très légèrement
la guérison de leur fille et ne se sont pas corrigés : leur
péché principal est de manquer de retenue en présence
de cette enfant dans leurs paroles et leurs actions, et d'avoir éveillé
chez cette créature maladive des convoitises qui seront pour elle
la cause d'une rechute. Les parents de l'hémorroïsse sont encore
ici ; mais, comme elle vit conformément aux lois juives, ils n'ont
pas de rapports avec elle. C'est aussi pour cause d'impureté légale
qu'elle a quitté Panéas pour venir ici. Sa foi fait chaque
jour de nouveaux progrès.
CHAPITRE CINQUIÈME.
Prédications et miracles de Jésus (suite).
Jésus prêche sur la montagne de Bethsaide-Juliade. - Rechute
de la fille de Jaire. -Guérisons miraculeuses. -Jésus chasse
les démons dans un troupeau de porcs à Gergesa. -Premier
envoi des Apôtres. -Jésus marche sur la mer ; -il enseigne
à Hukok, -à Bethanath, -à Elcesea, -à Kiriathaim,
-à Abram.
(Du 3 au 31 décembre 1822. )
(3 décembre.) Ce matin, Jésus s'embarqua sur le lac avec
plusieurs disciples et prit terre au nord de la maison de Matthieu. Déjà
beaucoup de païens, de malades guéris par lui et de nouveaux
baptisés s'étaient rendus à la montagne qui est à
l'est de Bethsaïde-Juliade, sachant qu'il avait l'intention de prêcher
là : une partie des païens y avaient établi leur campement.
Les disciples qui étaient pêcheurs de profession et plusieurs
autres dont était Saturnin n'accompagnèrent pas Jésus
dans cet endroit : ils lui firent seulement passer le lac. Ils lui avaient
demandé s'ils devaient le suivre : car la pêche récente
les avait délivrés de tout souci touchant la nourriture :
ils sentaient que tout pouvoir lui avait été donné.
Jésus leur répondit qu'ils devaient aujourd'hui donner le
baptême aux gens restés à Capharnaum qui ne l'avaient
pas encore reçu et consacrer le reste du temps aux occupations de
leur métier : car il fallait trouver de quoi nourrir la grande multitude
d'hommes qui affluait dans tout le pays.
Avant de s'embarquer, il leur fit une instruction générale.
Il leur donna un aperçu de tout ce qu'il allait enseigner, leur
parla des huit béatitudes, et leur dit qu'il prêcherait longtemps
sur ce sujet et célébrerait le sabbat dans les intervalles
de ses prédications. Il leur dit encore touchant eux-mêmes
qu'ils étaient le sel de la terre, qu'ils étaient choisis
pour fortifier et conserver les autres, et qu'ils ne devaient pas perdre
leur vertu. Il leur expliqua cela par des exemples et des paraboles, après
quoi il s'embarqua.
Les disciples et Saturnin baptisèrent dans la vallée
de Capharnaum. Le fils de la veuve de Naïm fut baptisé : il
reçut plus tard le nom de Martial : j'ai su pourquoi, mais je ne
m'en souviens plus. Saturnin lui imposa les mains. On baptisa aussi un
grand nombre d'hommes guéris récemment. Les saintes femmes
n'avaient pas suivi Jésus. Elles restèrent près de
la veuve de Naïm et fêtèrent avec elle le baptême
de son fils.
Jésus avait avec lui le fils de Simon, les neveux de Joseph
d'Arimathie, qui étaient arrivés hier de Jérusalem,
Nathanaël qui avait fait une absence et plusieurs autres disciples.
Jésus arriva avec eux sur la montagne vers dix heures.
Quand on avait pris terre sur la rive orientale du lac, au-dessous
de l'embouchure du Jourdain, on allait a l'est en montant toujours, puis
quand on était arrivé sur la hauteur, on revenait un peu
au couchant pour gagner le lieu où devait se faire l'instruction.
On pouvait aussi arriver par le nord en passant le Jourdain sur un pont.
Mais le chemin qui menait sur la montagne de ce côté n'était
pas facile, parce que le sol était très accidenté
et coupé par des ravins. Bethsaïde Juliade est située
à l'est du Jourdain, dans l'angle qu'il forme avec le lac à
son embouchure : le rivage est très élevé au-dessus
de l'eau et un chemin y passe : mais quand on veut entrer dans la ville,
ce n'est pas là qu'on débarque, et jusqu'à présent
Jésus a toujours fait le tour.
Sur la montagne il n'y avait pas de chaire, mais un tertre entouré
d'un terrassement, et au-dessus duquel on avait tendu un pavillon pour
Jésus. Au couchant et .au sud-ouest, la vue s'étendait sur
le lac et sur les montagnes de l'autre côté : on voyait même
le sommet du Thabor. Une grande multitude d'hommes, surtout de paiens,
dont la plupart étaient baptisés, était campée
tout autour : il s'y trouvait aussi des Juifs. Ils n'étaient pas
ici très rigoureusement séparés, parce que dans cette
contrée il y avait des rapports fréquents entre eux et que
les païens y avaient le droit, comme du reste il l'avaient en Judée
depuis la domination romaine, de ne plus être autant tenus à
distance.
Jésus commença par enseigner en général
sur les huit béatitudes, puis il expliqua la première : "
Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à
eux ". Il allégua beaucoup d'exemples, raconta des paraboles et
parla aussi du Messie. Mais il traita surtout de la conversion des paiens,
cita le prophète Aggée et annonça l'accomplissement
de ce qu'il avait prédit de la consolation des Gentils, dans ce
texte : " Je mettrai les peuples en mouvement, et alors viendra pour eux
la consolation " (Aggée, II, 8.).
Il n'y eut pas de guérisons aujourd'hui, car tous les malades
avaient été guéris le jour précédant.
Les Pharisiens étaient venus dans une barque a eux et ils écoutèrent
pleins d'envie et de dépit. La foule avait apporté des aliments
et on mangeait pendant les pauses. Jésus et les disciples avaient
aussi des poissons, du pain, du miel et de petits vases avec une liqueur
ou un baume dont on versait quelques gouttes dans l'eau.
Vers le soir, les gens de Capharnaum, de Bethsaïde et des autres
endroits peu éloignés retournèrent chez eux : des
barques les attendaient sur le lac. Jésus et ses disciples descendirent
la montagne du côté du nord, se dirigeant vers la vallée
du Jourdain et s'arrêtèrent dans une hôtellerie de bergers.
Il donna encore des enseignements aux disciples pour les préparer
à leur destination future.
En ce qui touche le sermon sur la montagne, j'ai été
informée que Jésus enseignera pendant une quinzaine de jours
sur les huit béatitudes, et qu'il ira célébrer à
Capharnaum le sabbat qui se trouvera dans l'intervalle. Il ira aussi dans
la haute Galilée, où il enseignera pendant deux jours sur
l'une des béatitudes : il y dira beaucoup de choses sur les Prophètes,
le royaume de Dieu et le Messie. Les avis aux disciples continueront à
leur être donnés en particulier avant et après l'instruction.
C'est ce qui a eu lieu aujourd'hui quand il leur a dit : " Vous êtes
le sel de la terre, "et je crois que plus tard, il en sera de même
à la synagogue a propos du cinquième commandement : " Tu
ne tueras point ". Je crois aussi que la première multiplication
des pains pour les cinq mille hommes viendra à la suite de ces instructions.
Il n'est pas étonnant que les aliments aient fini par manquer, vu
la multitude toujours croissante des gens à nourrir. Ce qui est
donné dans l'Evangile sous le nom de Sermon sur la montagne, contient
les points principaux et le résumé des instructions données
aux disciples. Mais il s'est passé beaucoup de temps et il s'est
fait beaucoup de choses dans les intervalles.
(4 décembre.) Aujourd'hui, Jésus a continué son
instruction sur la montagne, et il a commencé par expliquer la seconde
des huit béatitudes La sainte Vierge, Marie de Cléophas,
Maroni de Naïm et deux autres femmes étaient présentes,
ainsi que tous les apôtres. Les saintes femmes se retirèrent
les premières. Je vis Jésus retourner au bord du lac avec
les apôtres et les disciples : il leur parla de leur vocation : ("Vous
êtes la lumière du monde "), de la ville située sur
la montagne, de la lumière sur le chandelier et de l'accomplissement
de la loi. Lorsqu'ils s'embarquèrent, il resta en arrière
avec deux disciples des moins connus, auxquels il donna des instructions,
puis il traversa le lac pour aller à Bethsaide et s'arrêta
dans la maison d'André. La mère de Dieu part demain pour
Cana avec Marie de Cléophas, Maroni de Naïm et le fils de celle-ci.
Jésus s'entretint encore avec elle et les saintes femmes avant leur
départ. On parla avec tristesse de la rechute de Madeleine, revenue
à ses égarements, et les femmes demandèrent si elles
ne devaient pas lui adresser un message. Mais Jésus répondit
qu'il fallait prendre patience. J'ai vu que la rechute de Madeleine a donné
au démon un plus grand pouvoir sur elle, et qu'elle a souvent des
attaques de nerfs et des convulsions. Satan lui livre des assauts plus
violents, parce qu'il prévoit qu'elle va lui échapper. Peut-être
est-ce en cela que consiste sa possession. Je crois que sa conversion définitive
aura lieu bientôt, pendant une instruction de Jésus, dans
un endroit qui est tout au plus à une journée de Magdalum.
(5 décembre. ) Jésus continua aujourd'hui sur la montagne
son instruction touchant la seconde béatitude, et il expliqua en
outre plusieurs passages des prophètes. Marie est partie aujourd'hui
pour Cana avec la veuve de Naïm et Marie de Cléophas. Saturnin
baptisa encore près de Capharnaum avec quelques autres disciples
: il y avait, entre autres, plusieurs Juifs d'Achaïe qui étaient
venus pour recevoir le baptême. Leurs ancêtres s'étaient
réfugiés dans ce pays à l'époque de la captivité
de Babylone. Les disciples ont dressé aujourd'hui sur la montagne
une tente séparée pour Jésus. Je les y ai vus manger
ensemble quelque chose. Ils ont apporté cette tente de Bethsaïde-Juliade
Cela me donna occasion de voir l'intérieur de cette ville. (On y
fabrique beaucoup de tentes et de grandes couvertures grossières.
C'est une jolie ville moderne, bâtie à la façon des
païens : il s'y trouve aussi des Juifs : ils sont éclairés
et d'humeur caustique. Il y a là une école où l'on
enseigne toute espèce de sciences. Jésus n'est pas allé
à Bethsaïde, mais ses habitants sont allés l'entendre
prêcher : ils sont aussi allés à Capharnaum, et c'est
là que leurs malades ont été guéris Bethsaide
a une belle situation dans l'étroite vallée du Jourdain.
Elle est bâtie en partie sur le penchant de la hauteur qui est au
levant, à une bonne demi lieue de l'endroit où le Jourdain
entre dans le lac. A une lieue au nord, il y a sur le fleuve un pont massif
en maçonnerie. Aujourd'hui, Jésus parla encore aux disciples
de leurs épreuves futures, de la persécution qu'ils auraient
à subir, etc. Il dormit sur le navire de Pierre.
Le jour de naissance d'Hérode est proche, et par conséquent
la décollation de Jean Baptiste. Car j'ai vu faire à Machérunte
des préparatifs pour la fête : on arrange et on orne les salles
: bons et mauvais voient venir la fête avec joie, mais surtout Salomé,
fille d'Hérodiade, qui prépare déjà avec d'autres
femmes des costumes de toute espèce, et qui répète
les danses qu'elle doit exécuter.
(6 décembre.) Le matin, Jésus se rendit encore du rivage
à la montagne, où il continua l'explication des huit béatitudes.
Je crois qu'arrivé à la quatrième, il interrompra
sa prédication et fera un voyage dans la haute Galilée. Du
bord du lac à l'endroit où il prêchait, il y avait
à peu près aussi loin que de Dulmen à Annenberg (une
lieue et demie) : de là à Capharnaum, la distance était
celle de Dulmen à Annenberg, près de Haltern (deux lieues
et demie).
Vers midi, je vis Jésus et les disciples au milieu d'une grande
foule à l'endroit où abordent les barques près de
chez Matthieu. Beaucoup de gens passaient de l'autre côté
du lac et je vis que dans la presse quelques femmes inconnues affligées
de pertes de sang touchèrent en secret son vêtement et furent
guéries. Il monta avec quelques disciples dans sa petite embarcation
qui fut attachée au navire de Pierre, car le temps était
orageux. Dans la barque de Jésus, il y avait place pour quinze ou
vingt personnes tout au plus. Le navire de Pierre avait de chaque côté
trois ou quatre rameurs placés au milieu ; à l'avant et à
l'arrière il y avait un gouvernait, en sorte qu'on n'avait pas besoin
de virer. Pendant la tempête on abaissait les voiles. Il y avait
un vent violent, du tonnerre et de la pluie. A cette époque de l'année,
il y a souvent du brouillard dans les vallées autour des hauteurs
; et il tombe du givre sur le versant septentrional des montagnes pendant
qu'il fait très beau sur le versant opposé : la vallée
du lac des bains, près de Béthulie, est encore charmante
et couverte de la plus belle verdure, ainsi que toute la contrée
jusqu'au Thabor.
Lorsque Jésus prit terre près de la vallée de
Capharnaum, une grande foule de peuple s'y trouvait déjà
rassemblée et lui souhaita la bienvenue. Mais il se rendit à
une maison de Capharnaum, qui se trouvait à main droite lorsqu'on
entrait par la porte qui est du côté de la vallée.
Pierre l'avait louée pour Jésus et les disciples. Elle était
entourée d'une grande cour et quand Jésus devait s'y rendre
pour enseigner et pour guérir, Pierre faisait ouvrir la porte et
on laissait entrer les malades qui l'attendaient là. Lorsqu'on sut
que Jésus était dans cette maison avec ses disciples, beaucoup
de personnes se rassemblèrent autour de lui : il vint aussi des
Pharisiens et des Scribes, et toute la cour se remplit autour du vestibule
ouvert où Jésus enseignait, assis au milieu de ses disciples
et des docteurs de la loi. Beaucoup de malades avaient été
guéris antérieurement : plusieurs d'entre eux n'avaient fait
que le toucher.
Lorsqu'il se fut assis pour enseigner, il parla entre autres choses
aux Pharisiens des deux commandements : il leur reprocha de s'en tenir
uniquement à la lettre et il leur dit comme dans le sermon sur la
montagne de l'Évangile : " Vous avez entendu qu'il a été
dit aux anciens : " Vous ne tuerez pas ". Et il leur exposa ensuite sa
doctrine sur le pardon des injures et l'amour des ennemis. Ils étaient
en pleine discussion quand on entendit du bruit sur le toit de la salle
: puis l'on vit descendre par l'ouverture ordinaire de la toiture un paralytique
couché dans son lit soutenu par des cordes que faisaient mouvoir
quatre hommes. Ils le déposèrent ainsi aux pieds de Jésus,
en criant : " Seigneur, ayez pitié d'un pauvre malade ". Les gens
qui le portaient avaient cherché inutilement depuis le commencement
à s'ouvrir un passage à travers la foule : ils avaient fini
par le hisser sur le toit à l'aide des degrés attenant au
mur de la maison, ils s'étaient procuré des cordes et l'avaient
fait descendre par l'ouverture qui était au haut de la salle. Il
y eut alors une interruption soudaine, tous les regards se portèrent
sur le malade qu'on avait ainsi introduit : les Pharisiens se scandalisèrent
de ce qui leur semblait une inconvenance, une témérité.
Mais Jésus vit avec plaisir la foi de ces gens, il s'avança
et dit au malade incapable de mouvement : " Consolez-vous, mon fils, vos
péchés vous sont remis ". Ce langage était toujours
un sujet particulier de scandale pour les Pharisiens : et ils se disaient
intérieurement : " C'est un blasphème : qui peut remettre
les péchés si ce n'est Dieu " ? Et ils avaient le coeur plein
de fiel et de colère. Mais Jésus connaissait leurs pensées
et il dit en face à chacun d'eux ce qu'il avait dans l'esprit :
il leur cita un passage d'Isaïe que j'ai oublié, et il ajouta
: " Pourquoi avez-vous dans le coeur ces mauvaises pensées " ? Quel
est le plus facile de dire à ce paralytique : vos péchés
vous sont remis : ou de lui dire : " Levez-vous, prenez votre lit et marchez
? Mais pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a le pouvoir de remettre
les péchés sur la terre, je vous le dis (et ici il se retourna
vers le paralytique), levez-vous, prenez votre lit et retournez chez vous
! " Alors cet homme se leva parfaitement guéri en leur présence,
il roula son lit, fit un faisceau des bâtons qui servaient à
le porter, prit le tout sous son bras et sur ses épaules, puis chantant
un cantique d'actions de grâces, il sortit accompagné de ses
amis au milieu des acclamations joyeuses de la multitude. Pendant ce temps,
les Pharisiens pleins de rage s'étaient retires les uns après
les autres et Jésus resta seul avec les siens au milieu du peuple.
Il parla encore quelque temps et quand le sabbat commença il se
rendit à la synagogue, accompagné de la foule. Le paralytique
guéri avait sa demeure dans un groupe de maisons isolées,
voisin de Capharnaum. A la synagogue Jésus lut et commenta l'histoire
de Joseph, expliquant les songes dans sa prison en Egypte, et celle du
jugement de Salomon. (Genèse, XLI, 1.-- III Reg. XVI, 28.) Il continua
aussi en partie le sermon sur la montagne. Tout se passa assez tranquillement.
Jaïre, le chef de la synagogue, était présent :
il était fort triste et dévoré de remords. Lorsqu'il
avait quitté sa maison, il y avait encore laissé sa fille
mourante et menacée cette fois d'une mort plus terrible : car elle
était le châtiment de ses péchés et de ceux
de ses parents. La fièvre l'avait déjà reprise le
jour du sabbat précédent. Sa mère, la soeur de celle-ci
et la mère de Jaïre, qui habitaient ensemble la maison, avaient,
aussi bien que la jeune fille elle-même, pris avec beaucoup de légèreté
la guérison opérée par Jésus : elles ne s'étaient
pas montrées reconnaissantes et ne s'étaient pas amendées.
Jaïre avait de la piété, mais il était tiède,
inconsistant et gouverné par sa femme qui était belle et
vaine : il avait laissé les choses aller au gré de celle-ci.
Les femmes de la maison étaient fort mondaines et très occupées
à se parer comme les païennes, suivant les modes les plus nouvelles.
Lorsque la jeune fille eut été rendue à la vie, ces
femmes se mirent à ricaner et à se moquer de Jésus,
et elle-même les imita. Elle était dans sa onzième
année et presque nubile. Jusqu'alors elle avait conservé
son innocence, mais plus tard le peu de retenue de ses parents en sa présence,
les festins donnés après sa guérison et où
elle avait figuré avec de riches parures, les visites fréquentes
de quelques jeunes gens qui lui faisaient la cour, ainsi que les familiarités,
les oeillades et les désirs immodestes dont elles avaient été
l'occasion, tout cela avait porte atteinte à sa pureté. Elle
fut prise d'une fièvre brûlante accompagnée d'une soif
ardente, et dans la dernière semaine elle en était arrivée
à un état de délire continuel. Elle parlait et se
lamentait sans cesse de ce que ses galants la faisaient tant souffrir.
Ainsi elle était aujourd'hui presque mourante ; ses parents, chacun
de son côté, avaient deviné que c'était une
punition de leur légèreté depuis le commencement de
la semaine, enfin ils se l'étaient avoué mutuellement et
la mère était si honteuse et tellement bouleversée
qu'elle dit elle-même à Jaïre : " Est-ce que Jésus
aura encore une fois pitié de nous " ? Puis elle engagea son mari
à adresser de nouveau au Sauveur une humble requête. Mais
Jaïre avait honte de se présenter devant lui et il attendit
jusqu'après l'instruction du sabbat : car il croyait fermement que
Jésus pourrait lui venir en aide en tout temps s'il le voulait :
peut-être aussi n'osait-il pas venir l'implorer encore en plein jour
devant tout le monde.
Lorsque Jésus sortit de la synagogue, une foule nombreuse se
pressa autour de lui. Il y avait là beaucoup de gens et de malades
qui voulaient lui parler. Jaïre s'approcha, se prosterna devant lui
plein d'affliction et le supplia d'avoir encore une fois pitié de
sa fille qu'il avait laissée mourante. Jésus lui promit d'aller
avec lui. Mais il vint de la maison de Jaïre un homme que lui envoyait
sa femme, parce qu'il tardait longtemps à revenir, ce qui avait
fait croire à celle-ci que Jésus refusait de l'accompagner
: le messager annonça que la jeune fille venait de mourir. Mais
Jésus consola Jaïre et l'exhorta à avoir confiance.
Il faisait déjà nuit : les disciples de Jésus,
ses amis et les Pharisiens curieux d'entendre ce qui se disait se pressaient
en foule autour de lui. Or l'hémorroïsse s'était glissée
dans les rangs du peuple à la faveur des ténèbres
: ses suivantes l'avaient amenée en la soutenant sous les bras.
Elle demeurait assez près de la synagogue. Des femmes affligées
de la même maladie quoique non pas au même degré, avaient
été guéries aujourd'hui même en touchant la
robe de Jésus, au milieu de la foule qui l'entourait lorsqu'il s'était
embarqué ; ces femmes s'étaient entretenues avec elle et
une foi vive s'était éveillée en elle. Elle espérait
à la faveur de l'obscurité pouvoir le toucher sans être
vue, en se glissant parmi les gens qui sortaient de la synagogue en même
temps que lui. Jésus savait ce qu'elle avait dans l'esprit, et tout
en parlant, il ralentit un peu sa marche. Alors elle fut amenée
tout près de lui : sa fille, ainsi que Léa, l'autre femme
et l'oncle de son mari se trouvaient dans son voisinage. Elle se mit à
genoux, puis s'appuyant sur une main, elle toucha de l'autre à travers
la foule l'extrémité de la robe de Jésus, et se sentit
aussitôt guérie. Cependant Jésus s'arrêta, se
tourna vers ses disciples et dit : " Qui m'a touché " ? Pierre et
les autres lui répondirent : "Vous demandez qui vous a touché
? Vous voyez bien que la foule vous entoure et vous presse de tous les
côtés ? "Mais Jésus reprit : " Quelqu'un m'a touché,
car j'ai senti qu'une vertu sortait de moi. "Alors il regarda autour de
lui et comme il s'était fait un peu de vide, la femme ne put plus
rester cachée : elle s'approcha timide et craintive, se jeta à
ses pieds, avoua devant tout le peuple ce qu'elle avait fait, et dit qu'après
avoir si longtemps souffert de sa perte de sang, elle se croyait guérie
par cet attouchement : après quoi elle le pria de lui pardonner.
Alors Jésus lui répondit : " Ayez confiance, ma fille, votre
foi vous a secouru, allez en paix et soyez délivrée de vos
souffrances ".
Elle est âgée de trente et quelques années, grande,
mais très maigre et très pâle. Elle s'appelle Enoué.
Son mari défunt était Juif : elle n'a qu'une fille, élevée
chez un oncle qui est venu ici pour recevoir le baptême, en compagnie
de cette fille et d'une belle-soeur, nommée Léa, dont le
mari est du nombre des Pharisiens ennemis de Jésus. Enoué,
devenue veuve, a voulu contracter une alliance qui a paru trop peu relevée
à sa famille, composée de gens très riches qui s'y
sont opposés. Dans ces circonstances, sa conduite n'est pas restée
sans reproche : c'est pour cela aussi qu'elle a quitté son pays
pour venir à Capharnaum.
Cependant Jésus hâta le pas pour se rendre à la
maison de Jaïre. Il avait avec lui Pierre, Jacques, Jean, Saturnin
et Matthieu. Le vestibule était rempli de nouveau de gens qui se
lamentaient et pleuraient : mais à présent ils ne se moquaient
plus. Cette fois Jésus ne dit pas : " Elle n'est qu'endormie ".
Il passa à travers tout ce monde : la mère de Jaïre,
sa femme et la soeur de celle-ci vinrent à sa rencontre en habits
de deuil, versant des larmes et timides dans leur contenance. Jésus
laissa Saturnin et Matthieu dans le vestibule, et il entra dans la chambre
où la morte était couchée, accompagne de Pierre, De
Jacques, de Jean, du père, de la mère et de la grand mère.
C'était une pièce différente de la petite chambre
où elle était la première fois. Celle ci était
située derrière le foyer. Jésus tenait une petite
branche qu'il avait fait prendre dans le jardin et il se fit apporter un
bassin plein d'eau qu'il bénit. Le corps était tout à
fait raide et l'aspect en était plus déplaisant que l'autre
fois. Alors j'avais vu l'âme se tenir tout près du corps dans
une sphère lumineuse, cette fois je ne vis pas cela. Jésus
avait dit : " Elle dort ", cette fois il ne dit rien de pareil. Elle était
morte. Il fit sur elle avec la petite branche une aspersion d'eau bénite,
il pria, puis il la prit par la main et dit : " Jeune fille, je te le commande,
lève-toi ! "
Pendant qu'il priait, je vis l'âme de la morte dans un globe
ténébreux s'approcher de sa bouche et y entrer. Elle ouvrit
les yeux, suivit la main de Jésus qui l'attirait à lui, se
redressa et descendit de sa couche : alors il la remit à ses parents
qui la reçurent en sanglotant et en versant des larmes abondantes,
et tombèrent aux pieds de Jésus. Il dit qu'il fallait lui
donner quelque chose à manger, particulièrement du raisin
et du pain. On fit comme il avait dit. Elle mangea et parla et Jésus
donna de graves avertissements à ses parents : il les exhorta à
recevoir avec reconnaissance la grâce que Dieu leur faisait, à
renoncer entièrement aux vanités et aux plaisirs du monde,
à entrer dans les voies de la pénitence qui leur était
prêchée, et enfin à cesser d'élever pour la
mort leur enfant revenue à la vie une seconde fois. Il leur reprocha
la manière dont ils s'étaient comportés, la légèreté
avec laquelle ils avaient accueilli la première grâce, leur
rappela ce qu'ils avaient fait après l'avoir reçue et comment
dans un si court espace de temps la jeune fille s'était exposée
à une mort bien plus terrible, à la mort de l'âme.
La jeune fille fut vivement touchée et versa des larmes : Jésus
lui recommanda de se tenir en garde contre la convoitise des yeux et le
péché : lorsqu'elle eut mangé du raisin et du pain
qu'il avait bénits pour elle, il lui dit qu'à l'avenir elle
ne devait plus vivre selon la chair, mais se nourrir du pain de vie, de
la parole de Dieu, faire pénitence, croire, prier et faire des oeuvres
saintes. Les parents furent très émus et un grand changement
s'opéra en eux : le père promit de renoncer à tout
pour suivre Jésus : la femme aussi et tous les autres assistants
promirent de se corriger, pleurèrent et remercièrent. Jaïre
est entièrement transformé ; il a sur-le-champ donné
aux pauvres une grande partie de ses biens. Sa fille s'appelait Salomé.
Beaucoup de gens s'étaient rassemblés devant la maison,
et Jésus dit à Jaïre qu'ils devaient s'abstenir de faire
du bruit et de tenir des propos inutiles au sujet de ce qui s'était
passé. Il parlait très souvent ainsi aux gens qu'il avait
guéris et cela pour divers motifs. C'était surtout parce
que les discours sans fin où l'on tirait vanité de la grâce
qu'on avait reçue, dissipaient l'émotion intérieure
et empêchaient de méditer sur la miséricorde de Dieu.
Il désirait que ceux qui avaient été guéris
se tinssent dans le recueillement et pensassent aux moyens de devenir meilleurs
au lieu de courir de côté et d'autre et de n'user que pour
leur divertissement, de la vie et la santé qui leur avaient été
rendues, ce qui les exposait à tomber facilement dans le péché.
Souvent aussi son but était de faire voir aux disciples qu'ils devaient
toujours éviter la vaine gloire et qu'il ne fallait jamais faire
le bien que par charité et en vue de Dieu. Quelquefois aussi c'était
pour ne pas augmenter le nombre des curieux et des importuns, et pour ne
pas attirer des malades qui n'étaient pas poussés vers lui
par l'impulsion intérieure de la foi, car plusieurs venaient pour
faire une expérience, et ils retombaient ensuite dans le péché
et la maladie, ainsi qu'il était arrivé pour la fille de
Jaïre.
Jésus accompagné des cinq disciples sortit de chez Jaire
par une porte de derrière, afin d'éviter la foule rassemblée
devant la maison. La première guérison de la jeune fille
avait eu lieu peu après midi : celle d'aujourd'hui fut opérée
après la clôture du sabbat, à la lueur des lampes.
La maison de Jaïre était au nord de la ville et Jésus
prit la direction du nord-ouest vers le mur d'enceinte. Mais deux aveugles
avec leurs conducteurs s'étaient mis à sa recherche. Il semblait
qu'ils l'eussent senti, car ils le suivaient de près et criaient
: " Jésus, Fils de David, ayez pitié de nous ". Cependant
Jésus entra dans la maison d'un homme avec lequel il était
en relations : elle faisait corps avec la muraille et il y avait de l'autre
côté une issue pour sortir de la ville. Les disciples y entraient
souvent. L'homme qui y habitait faisait l'office de gardien pour cette
partie de la ville. Les aveugles entrèrent après lui dans
la maison en répétant : " Ayez pitié de nous, Fils
de David ". Jésus se retourna vers eux et leur dit : " Croyez-vous
que je puisse faire ce que vous me demandez ? ", " Oui, Seigneur " répondirent-ils.
Il tira alors un flacon de son sein : je crois qu'il y avait dedans du
baume ou de l'huile, et il en versa dans une petite soucoupe de la grandeur
d'un écu qui était de couleur brune et peu profonde. Il la
plaça dans la paume de sa main gauche, y mit un peu de terre qu'il
remua avec le pouce et l'index de la main droite, puis il toucha les yeux
des aveugles et dit : " Qu'il vous soit fait selon votre désir ".
Alors ils ouvrirent les yeux et ils virent : après quoi ils se mirent
à genoux pour le remercier, et Jésus dit encore à
ceux-ci qu'il ne fallait pas ébruiter la chose. Il leur dit cela
cette fois pour qu'on ne vînt pas le poursuivre ici, et particulièrement
pour ne pas redoubler l'irritation des Pharisiens. Mais les cris des aveugles
pendant qu'ils le suivaient avaient déjà trahi sa présence
dans cet endroit et, en s'en retournant, ils ne cessaient de parler de
leur bonne fortune. Alors la foule arriva de nouveau.
Jésus avait à peine le temps de se reposer un peu, lorsqu'arrivèrent
plusieurs de ses parents éloignés du cote de sainte Anne,
qui habitaient les environs de Séphoris ; ils amenaient un homme
possédé par un démon muet ; ils lui avaient lié
les mains et ils le traînèrent de force dans la maison avec
des cordes passées autour de son corps. On l'avait ainsi attaché,
parce qu'il était tout à fait furieux et effrayant, et que
d'ailleurs il était sujet à se mettre dans un état
de nudité complète ; c'était un Pharisien membre de
la commission chargée d'espionner Jésus : il s'appelait Joas,
et il avait été l'un de ceux avec lesquels Jésus avait
disputé le 16 août (23 du mois d'Ob), dans l'école
isolée située entre Séphoris et Nazareth (voir tome
II, p. 241). Le démon s'était emparé de lui, il y
avait environ quinze jours, lorsque Jésus était revenu de
Naim. Alors, contrairement à sa conviction intérieure, et
uniquement pour complaire aux autres pharisiens, il s'était associé
à leurs blasphèmes contre Jésus, répétant
après eux qu'il errait dans le pays comme un insensé et qu'il
était certainement possédé du démon. Jésus
avait disputé avec lui sur le divorce, près de Séphoris.
Il était coupable de péchés d'impureté. Lorsqu'il
entra, il était comme hors de lui, et il se précipita sur
Jésus comme s'il eut voulu lui cracher au visage. Mais Jésus
lui fit un signe de la main qui le fit s'arrêter court, et il ordonna
au démon de sortir. Alors cet homme fut pris de mouvements convulsifs
: je vis une vapeur noire sortir de la bouche, et il tomba à genoux
devant Jésus ; lui avoua ses péchés et en demanda
le pardon. Jésus lui pardonna. et lui imposa pour pénitence
un certain nombre de jeûnes et d'aumônes : il dut aussi s'abstenir
pendant un temps assez long de plusieurs aliments, par exemple d'ail, dont
les Juifs mangent beaucoup. L'étonnement fut très grand parmi
les assistants, car on regardait comme très difficile de chasser
les démons muets, et les Pharisiens s'étaient déjà
donné beaucoup de peine pour le délivrer. Si ses compatriotes
de Nazareth n'étaient pas venus et ne l'avaient pas amené
à Jésus, il ne se serait jamais présenté devant
lui. Les Pharisiens furent très irrités qu'un des leurs eût
été guéri par lui, et qu'il eût confessé
publiquement son péché, auquel ils avaient participé.
Lorsqu'il se fut retiré, le bruit de sa délivrance se répandit
dans Capharnaum : on disait qu'un semblable prodige ne s'était jamais
vu dans Israël ; mais lés Pharisiens étaient transportés
de rage et disaient : " Il chasse les démons par le prince des démons
". Jésus sortit de la maison avec les disciples par la porte de
derrière, et il longea extérieurement le côté
occidental de la ville jusqu'à la maison de Pierre, où il
prit quelque nourriture et passa la nuit.
(7 décembre.) Dans la matinée, un certain nombre de paiens
et de Juifs furent baptisés à la fontaine baptismale de la
vallée qui est devant Capharnaüm ; puis Jésus enseigna
dans la synagogue. Il visita ensuite le centurion Cornélius, instruisit
et fortifia dans la foi tous les gens de sa maison. Il alla aussi chez
Jaïre, où il donna des encouragements et des avis à
la famille, spécialement à Salomé, la jeune fille
ressuscitée. Je vis qu'il la prit par la main pour la conduire devant
ses parents, et qu'il lui recommanda la vie retirée, l'obéissance,
et surtout la chasteté et la prière. Tout ce monde était
maintenant sincèrement converti. Je vis aussi que cette jeune fille
sera mariée plus tard à un Scribe de Nazareth qui est ici
maintenant, et qu'après la mort de Jésus elle se réunira
à la communauté chrétienne à Jérusalem.
Ce Scribe s'appelle Sarazeth : il est du nombre de ceux qui sont venus
de Nazareth avec des malades guéris récemment : je crois
qu'il a une alliance éloignée avec la famille de Jésus.
Jésus enseigna encore et opéra quelques guérisons
dans une maison de la ville qui est près de la porte. Il parla de
Jean aux disciples et lui rendit témoignage comme il l'avait déjà
fait récemment ; il le vanta peut-être encore davantage, dit
qu'il était pur comme un ange, que rien d'impur n'était jamais
entré dans sa bouche, et qu'il n'en était jamais sorti rien
de répréhensible ni de mensonger. Comme on lui demandait
si la vie de Jean se prolongerait encore longtemps, Jésus répondit
qu'il. mourrait quand son heure viendrait, et que son heure n'était
pas éloignée : que, du reste, il s'expliquerait plus clairement
une autre fois sur ce sujet. Les disciples furent très attristés
à cette nouvelle. Il leur dit encore différentes choses qui
se trouvent dans le sermon sur la montagne.
Il se rendit ensuite à la synagogue pour y enseigner, et comme
les Pharisiens sortirent avant la fin, il parla à ses disciples
de l'adultère, du serment et de la réponse par oui et par
non, comme on le voit dans l'Evangile, à l'endroit où est
rapporté le sermon sur la montagne (Matth. V, 31-38).
Cependant les Pharisiens lui avaient encore tendu un piège.
Il y avait dans un coin de la synagogue un homme qui avait une main desséchée
: il n'avait pas osé paraître devant Jésus, et maintenant,
quoique les Pharisiens se fussent retirés, il avait encore peur
d'eux. Les Pharisiens avaient reproché à Jésus d'être
venu ici en compagnie d'un publicain tel qu'était Matthieu, et Jésus
leur avait répondu, entre autres choses, qu'il était venu
pour consoler et convertir les pécheurs, et qu'il ne cherchait pas
à avoir des Pharisiens pour disciples. Or, ils revinrent à
la synagogue et lui dirent d'un ton railleur : " Maître, il y a ici
un homme que vous voudrez peut-être guérir ". Alors Jésus
appela l'homme à la main desséchée et lui dit de s'avancer
au milieu de l'assemblée, puis il lui dit : " Vos péchés
vous sont remis ". Les Pharisiens méprisaient cet homme qui ne jouissait
pas d'une bonne réputation, et dirent : " Sa main desséchée
ne l'a pas empêché de pécher ". Mais Jésus lui
prit la main, dont il redressa les doigts, et lui dit : " tendez votre
main ". Cet homme étendit la main : il fut guéri et s'en
alla, rendant des actions de grâces. Jésus alors le justifia
contre leurs calomnies, témoigna de la compassion pour ses faiblesses
; et dit de lui qu'il avait le coeur bon. Les Pharisiens furent couverts
de confusion et outrés de dépit : ils qualifièrent
Jésus de profanateur du sabbat, dirent qu'ils porteraient plainte
contre lui, et se retirèrent. Il y avait dans le voisinage de la
synagogue des Hérodiens avec lesquels ils se concertèrent
pour lui tendre des pièges lors de la fête de Pâques
à Jérusalem, etc. Jésus mangea et dormit dans la maison
de Pierre.
(8 décembre.) Ce matin, on a baptisé : puis Jésus
opéra quelques guérisons dans la maison qui est à
droite de la porte de la ville ; il enseigna ensuite les disciples devant
tout le peuple touchant quelques points du sermon sur la montagne. Il se
trouvait là des femmes, entre autres Léa, belle-soeur de
l'hémorrhoïsse guérie. Son mari était un Pharisien,
violent adversaire de Jésus : quant à elle, il avait produit
sur elle une vive impression. Je la vis au commencement calme et triste,
changer fréquemment de place parmi le peuple, comme si elle eût
cherché quelqu'un : mais ce n'était que l'effet du mouvement
intérieur qui la poussait à manifester ouvertement sa vénération
pour Jésus.
Dans l'après-midi, la mère de Jésus revint de
son voyage accompagnée de plusieurs des saintes femmes. Elle ne
paraît pas avoir célébré le sabbat à
Cana, puisqu'elle est déjà de retour ici. Elle avait avec
elle Marthe, Suzanne de Jérusalem, Dina la Samaritaine, et une autre
Suzanne, fille d'Alphée et de Marie de Cléophas, par conséquent
soeur des apôtres. Celle-ci était âgée d'une
trentaine d'années : elle avait de grands enfants : son mari habitait
Nazareth où les saintes femmes l'avaient prise. Elle désirait
s'associer aux femmes chargées de subvenir aux besoins de Jésus
et des siens. Marie et ses compagnes entrèrent dans la cour qui
est devant la salle où enseignait Jésus. Dans sa prédication,
il avait reproché aux Pharisiens leurs fourberies et leur impureté,
et comme il mêlait à cela l'enseignement des huit béatitudes,
il dit à ce propos : 0 Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce
qu'ils verront Dieu. "Alors Léa, voyant entrer Marie, ne put plus
se contenir et dans une espèce d'enivrement de joie, elle s'écria
au milieu de la foule : " Plus heureuses encore " (c'est ainsi que je l'ai
entendu) " plus heureuses les entrailles qui vous ont porté et les
mamelles que vous avez sucées ! " Alors Jésus la regarda
tranquillement et dit : " Heureux plutôt ceux qui entendent la parole
de Dieu et qui la gardent ! "
Après cela Jésus continua à enseigner. Léa
s'approcha de Marie et la salua : elle lui raconta, toute joyeuse, la guérison
d'Enoué, veuve de son frère, et lui dit qu'elle était
décidée à donner tout son bien à la communauté
: elle désirait que Marie demandât à son fils de convertir
son mari. C'était un Pharisien de Panéas. Marie lui parla
avec beaucoup de calme et d'abandon : elle n'avait aucune connaissance
de son acclamation : elle se retira ensuite avec les saintes femmes.
Note : Cette réponse de Jésus est une confirmation de
l'acclamation de Lea, car Jésus est lui-même la parole de
Dieu. Le mot ·` entendre équivaut à concevoir et à
porter. Or c'est ce qu'a fait Marie. "Garder · la parole, signifie
aussi la nourrir et l'allaiter maternellement. Du reste Anne Catherine
n'a pas su cette fois Jésus dire : " Qui est ma mère et qui
sont mes frères ? " (Note du pèlerin.)
Il y avait chez Marie une simplicité qu'on ne peut exprimer.
Devant le monde, Jésus ne lui donnait d'autre témoignage
de distinction que de la traiter avec déférence. Elle ne
s'empressait auprès de personne, sinon auprès des malades
et des ignorants, et elle se montrait toujours humble, recueillie, calme
et simple au delà de toute expression. Tous l'honorent, même
les ennemis de Jésus : pourtant elle ne recherche personne et elle
n'aime que le silence et la solitude.
Jésus alla ensuite, accompagné d'une grande foule de
peuple, à l'endroit où se tenaient les navires de Pierre,
et il enseigna en paraboles touchant le royaume de Dieu. Il le compara
d'abord à la semence qu'un homme jette en terre, etc., puis au grain
de sénevé, puis au levain dans la pâte. Il monta sur
son embarcation et il enseigna encore de là. Un Scribe de Nazareth,
appelé Saraseth, s'étant offert à le suivre partout
où il irait, Jésus lui dit : " Les renards ont leurs tanières,
etc. "Cet homme était le futur époux de Salomé, et
après la mort de Jésus tous deux se réunirent à
la communauté chrétienne.
Outre ce Scribe, j'en vis éconduire deux autres qui, pendant
quelque temps, avaient suivi Jésus comme disciples. L'un d'eux lui
demanda s'il n'allait pas bientôt prendre possession de son royaume.
Il avait, disait-il, donné des preuves suffisantes de sa mission
: n'était-il pas temps qu'il s'assît bientôt sur le
trône de David,
Comme Jésus, l'ayant repris à ce sujet, lui commandait
de le suivre, il répondit qu'il voulait auparavant aller prendre
congé des siens. Là-dessus Jésus lui dit : " Celui
qui met la main à la charrue, etc. ', (Luc, IX, 62). Un troisième,
qui était déjà venu trouver Jésus prés
de Séphoris, dit qu'il voulait d'abord ensevelir son père.
Jésus lui répondit : " Laissez les morts ensevelir leurs
morts ". Mais cela avait une signification particulière dont je
ne me souviens plus bien, car son père n'était pas mort réellement
; je crois que c'était une manière de parler pour indiquer
le partage des biens et les mesures à prendre pour assurer la subsistance
du père.
Vers le soir, Jésus a traversé le lac et beaucoup de
gens ont été le rejoindre successivement. Il parla encore
en présence du peuple et ordonna à ses disciples de distribuer
tout ce qu'ils avaient de pain et de poissons. Il alla ensuite dans la
montagne avec les disciples et passa la nuit en prière sous une
tente ou dans une grotte près de Chorozaïn.
(9 décembre.) Jésus a passé la nuit en prière
avec deux disciples, sous une tente dressée sur la montagne voisine
de Chorozaïn. Le matin, il se réunit aux autres disciples et
se rendit sur la hauteur où il avait déjà fait une
partie du sermon sur la montagne. Il expliqua aujourd'hui la quatrième
béatitude et le passage d'Isaïe : "Voici mon serviteur que
j'ai choisi, mon bien-aimé en qui mon âme se complaît
! Je mettrai mon esprit sur lui et il annoncera le jugement aux peuples
" (Isaïe, XLII, 1, etc. ; voir aussi Matth. XII, 17). Il y eut en
outre plusieurs guérisons remarquables que j'ai oubliées.
La foule aujourd'hui était extraordinairement nombreuse : il y avait
entre autres une troupe de soldats romains venus de diverses garnisons
du pays. Ils avaient été envoyés pour voir ce que
faisait et enseignait Jésus et pour faire des rapports à
ce sujet. Diverses personnes avaient écrit à Rome de la Gaule
et d'autres provinces pour avoir des renseignements sur le prophète
de la Judée, parce que ce pays était sous la domination romaine
: puis de Rome, on s'était adressé à cet effet aux
officiers qui tenaient garnison dans la Palestine. Ceux-ci avaient donné
commission aux gens qui étaient sous leurs ordres · il y
avait bien ici une centaine de soldats envoyés à cet effet.
Ils se tenaient là où ils pouvaient le mieux voir et le mieux
entendre.
Dans l'après-midi, Jésus, accompagné des disciples,
descendit dans la vallée qui est au midi de la montagne et où
il y avait une source. Cependant les autres disciples, avec l'aide de Marthe,
de Suzanne, de ses suivantes et des femmes de Pierre, d'André, et,
je crois aussi, de Jacques le Majeur, avaient préparé là
un repas consistant en pain et en poissons. La foule campait sur la pente,
et les divers groupes envoyaient quelqu'un chercher des aliments, à
l'exception de ceux qui avaient apporté avec eux de quoi se nourrir,
et ceux-là étaient en grand nombre. Les pains et les poissons
étaient dans des corbeilles sur une terrasse gazonnée. Jésus
bénit toutes les corbeilles et fit lui-même la distribution
avec les disciples. Il me sembla que les aliments n'étaient pas,
à beaucoup près, en quantité suffisante : cependant
tous ceux qui en avaient besoin en reçurent. J'entendis qu'on disait
dans le peuple : "Cela se multiplie entre ses mains. "Les soldats romains
demandèrent aux disciples quelques morceaux des pains bénits
par Jésus pour les envoyer à Rome en témoignage de
ce qu'il avaient vu et entendu. Jésus ordonna de leur donner de
ce qui resterait : et il se trouva assez de pains pour en donner aux plus
considérables d'entre eux qui les conservèrent soigneusement
et les emportèrent avec eux.
Cependant Jésus quitta ce lieu, accompagné des apôtres
et de quelques autres disciples, et il se rapprocha davantage du lac. Pendant
les derniers jours, il les avait souvent préparés à
leur mission, notamment dans les intervalles de ses prédications
publiques et de ses discours sur la montagne, en cheminant, pendant les
traversées, et quand il était seul avec eux. Hier déjà,
dans la maison de Capharnaum, il leur avait dit que la moisson était
considérable, qu'il y avait peu d'ouvriers dans la vigne, et qu'il
voulait les y envoyer. Cette fois, se trouvant dans un endroit écarté,
sur une belle pelouse verdoyante, il rangea ensemble les douze apôtres
suivant la désignation qui se trouve dans l'Evangile ; il donna
à Simon le nom de Pierre, à Jacques et à Jean celui
d'Enfants du tonnerre, puis il leur donna des instructions sur la manière
dont ils devraient se comporter, maintenant qu'ils allaient commencer à
guérir et à chasser les démons en son nom. Il leur
tint un discours touchant, ne leur dit rien qui pût les effrayer,
mais leur promit d'être toujours là pour les assister, et
de tout partager avec eux. Il donna pouvoir aux douze apôtres pour
guérir et pour chasser les démons, et aux autres disciples
présents pour baptiser et imposer les mains. Il leur conféra
ces pouvoirs en leur donnant une bénédiction ils pleurèrent
tous, et Jésus lui-même était très ému.
Il leur dit en finissant qu'il y avait encore beaucoup de choses à
régler, et qu'ils iraient bientôt à Jérusalem,
parce que le temps de l'accomplissement était proche. Comme ils
disaient tous avec un grand enthousiasme qu'ils voulaient faire tout ce
qu'il leur commanderait et lui être fidèles en toutes choses,
il répondit qu'il se passerait encore par la suite des choses tristes
et pénibles, et que le mal se produirait même parmi eux. Il
faisait allusion à Judas. Tout en poursuivant ces entretiens, ils
arrivèrent près du navire et s'embarquèrent. Jésus
les douze apôtres et cinq autres disciples, dont était Saturnin,
passèrent en vue d'Hippos, qui est environ à une lieue plus
au midi, et prirent terre près d'un petit endroit appelé
Magdala, qui est situé tout près du lac, un peu plus au nord
que cette gorge sombre et couverte de brouillard, dans laquelle se décharge
le marais voisin de Gergesa.
Ce village de Magdala n'est pas plus grand que Haus-Dulmen (un hameau
voisin de Dulmen). Il est adossé à un promontoire qui s'avance
dans le lac, de façon à ne voir le soleil que de midi à
son coucher L'atmosphère est humide et chargée de brouillard
; surtout dans la gorge de montagnes qui est tout près de là.
Ils n'arrivèrent pas directement au bourg : la barque de Pierre
resta contre un banc de sable séparé du rivage par un pont.
Lorsqu'ils prirent terre, plusieurs possédés accoururent
poussant des cris, demandant à Jésus ce qu'il venait faire
là, et le priant de les laisser en repos : pourtant ils étaient
venus d'eux-mêmes. Il les délivra, et après l'avoir
remercié, ils entrèrent dans le bourg, d'où sortirent
des gens qui amenaient d'autres possédés. Pierre, André,
Jean, Jacques et les cousins de Jésus allèrent avec eux et
guérirent un certain nombre de malades et de possédés,
parmi lesquels étaient des femmes convulsionnaires. Ils chassèrent
les démons et commandèrent aux maladies de se retirer au
nom de Jésus de Nazareth. J'entendis quelques-uns d'entre eux ajouter
: "auquel la tempête et la mer obéissent ", ou faire allusion
à quelque miracle du même genre. Plusieurs de ceux qu'ils
avaient guéris allèrent trouver Jésus et écoutèrent
ses exhortations et ses instructions. Il leur expliqua, ainsi qu'aux disciples,
pourquoi il y avait tant de possessions dans cet endroit. Les habitants
étaient très adonnés à leurs passions et uniquement
préoccupés des choses de cette vie. Parmi ces possédés,
il y en avait plusieurs de Gergesa, qui était située sur
la hauteur, à une lieue plus à l'est. Ils erraient çà
et là dans la campagne environnante. Il y a dans cette contrée
montueuse et accidentée beaucoup de cavernes Ou ils se tenaient.
Jésus opéra ensuite des guérisons à la chute
du jour. Il dormit sur le navire ainsi que les disciples.
Dans la matinée, Jésus alla à l'entrée
de Magdala et y opéra des guérisons : les apôtres en
opérèrent dans le village même. Il gravit alors la
hauteur située au levant, où deux jeunes possédés
qui appartenaient à des familles considérables de Gergesa,
vinrent à sa rencontre. Ils n'étaient pas encore dans un
état de fureur continuelle, ils avaient seulement des accès
fréquents. Ils ne pouvaient tenir en place et rodaient de tous les
côtés. Ils étaient déjà venus le trouver
antérieurement, lorsque, ayant quitté Tarichée et
traversé le Jourdain, il avait passé près de Gergesa
en suivant la vallée du fleuve Hiéromax ; ils avaient alors
demandé à devenir ses disciples et il les avait éconduits.
Cette fois il les délivra, et ils lui demandèrent de nouveau
à le suivre. Ils lui dirent que les possédés des environs
de Gergesa, l'avaient alors prié de venir guérir, sur quoi
il leur avait répondu qu'il viendrait en temps opportun, avaient
été mis aux fers depuis lors ; mais ils brisaient toutes
les chaînes et couraient furieux autour de la ville, répandant
partout la terreur. Eux-mêmes, disaient-ils, ne seraient pas tombés
dans ce malheureux état s'il les avait pris avec lui à cette
époque. Mais il leur répondit qu'en réalité
cela ne leur serait pas arrivé s'ils n'avaient pas péché
et s'ils ne s'étaient pas laissés aller à l'impureté.
Il les exhorta à se convertir, et leur dit de retourner chez eux
et d'annoncer comment le salut leur était venu. Alors ils se retirèrent.
Or, pendant qu'il poursuivait son chemin, enseignant sa et là des
groupes d'hommes devant des maisons et des cabanes de bergers, il vint
encore des possédés et des maniaques qui, se montrant derrière
des haies et sur des tertres élevés, criaient et gesticulaient,
lui disant de ne pas aller plus loin et de les laisser en repos : mais
il les appela et les délivra, quoique plusieurs lui demandassent
à grands cris de ne pas les chasser dans l'abîme. Quelques-uns
des apôtres opérèrent des guérisons dans la
campagne en imposant les mains aux malades, et ils donnèrent rendez
vous à ceux qui les entouraient sur la hauteur qui est au midi au
delà de Magdala.
Après le repas, je vis Jésus enseigner ici en présence
des disciples et devant une réunion d'hommes très considérable
: il les exhorta à la pénitence, parla de l'approche du royaume
de Dieu et leur reprocha leur attachement aux biens de ce monde. Il parla
de la valeur de l'âme, qui a un grand prix devant Dieu, tandis que
toutes les choses terrestres qu'un homme possède n'en ont aucun.
Autant que je pus le comprendre, il faisait allusion au troupeau de pores
qui devait bientôt se précipiter dans l'eau, car ces gens
l'invitèrent de nouveau à venir à Gergesa. Il Leur
répondit qu'il n'irait que trop tôt à leur gré,
et qu'il ne serait pas précisément le bienvenu pour eux.
Ils lui dirent de ne pas s'y rendre en passant par le ravin, parce que
deux énergumènes qui avaient brisé toutes les chaînes
erraient tout nus de ce côté, parcourant les chemins et se
cachant dans les cavernes, et qu'ils avaient déjà étranglé
des passants. Jésus répondit qu'il irait précisément
à cause d'eux, quand le temps serait venu, car c'était pour
les misérables qu'il était envoyé. Il prononça
aussi des paroles qui sont rapportées dans l'Evangile (Matth. XI,
20) à l'endroit où il est dit que si Sodome et Gomorrhe avaient
entendu et vu ce qui se faisait ici en Galilée, elles se seraient
converties. Lorsqu'il voulut partir, ses auditeurs le prièrent de
rester, disant qu'ils n'avaient jamais entendu parler avec tant de charme,
que c'était comme si le soleil levant éclairait de ses rayons
leur bourgade sombre et brumeuse (il n'y pénètre jamais).
Il fallait bien qu'il restât, car il allait être nuit. Jésus
répondit par une comparaison touchant la nuit : il ne craignait
pas cette nuit-là, mais eux devaient craindre de rester dans les
ténèbres éternelles, alors que la lumière de
la parole de Dieu était venue à eux. Il se retira ensuite
sur la barque avec les disciples, et ils firent mine de traverser le lac
dans la direction de Tibériade, mais bientôt ils revinrent
à l'est et jetèrent l'ancre à une lieue au midi du
ravin : ils mangèrent et dormirent sur le navire.
Ce Magdala n'est ni une forteresse, ni un château ; ce n'est
qu'une bourgade insignifiante, plus petite que Bethsaïde. On ne peut
pas aller de là directement dans la gorge, parce que l'une des parois
de rochers qui la forment s'avance à une grande distance dans le
lac, et qu'elle est impraticable. Il n'y a ici qu'un lieu d'abordage pour
les barques : le village tire principalement sa subsistance d'Hippos, où
il y a beaucoup de commerce et d'industrie. Il vient du levant à
Hippos une route commerciale qui passe devant Gergesa. On dit indistinctement
sur les confins de Magdala et sur les confins de Dalmanutha : ce dernier
endroit est à deux lieues au midi de l'autre, au delà de
la gorge.
(11 décembre.) Cette nuit, Jésus et les disciples ont
dormi sur la barque de Pierre : le matin il descendit à terre, et
comme il marchait le long du rivage, il vint à lui plusieurs démoniaques
qu'il guérit en leur imposant les mains. J'appris que ces gens,
qui sont adonnés à toute espèce d'affreuses pratiques
magiques, s'y préparaient souvent en mangeant d'une herbe qu'on
trouve en abondance dans la gorge qui est près d'ici et sur la pente
des montagnes voisines : elle les enivrait et leur faisait perdre la raison
; alors ils se livraient à toute espèce d'impuretés
et étaient pris de convulsions. Il y avait là une autre herbe
qui servait d'antidote, mais depuis quelque temps elle n'avait plus de
vertu, en sorte qu'ils restaient dans leur état misérable.
La contrée des Gergeséniens est un district long d'environ
cinq lieues et large d'une demi lieue, plus ou moins, qui a son histoire
à part et qui se distingue des pays voisins par le caractère
de ses habitants, dont il n'y a pas grand bien à dire. Il commence
au midi, à partir du défilé qui est entre Magdala
et Dalmanutha, ce défilé compris, et renferme, outre 'a ville
de Gergesa et celle de Gérasa, où il prend fin, une dizaine
d'endroits qui, pour la plupart, ne sont que des bourgades. Ils sont disséminés
sur une seule ligne tout du long de cet étroit district. Derrière
Gérasa il confine au territoire de Chorozaim et à une contrée
en grande partie déserte, qu'on appelle le pays de Zin. La frontière
des Gergeséniens, à l'est, est la longue arête de montagnes
à l'extrémité méridionale de laquelle s'élève
la forteresse de Gamala ; au sud, c'est le défilé, au couchant
la rive du lac, sur laquelle sont situés Dalmanutha, Magdala et
Hippos, qui n'appartiennent pas à ce district, à l'exception
du défilé qui est au midi de Magdala. Au nord se trouve Chorozain,
situé sur la première terrasse de la rive orientale du lac,
qui occupe une étroite bande de terre au-dessous de Gamala. Il ne
faut pas confondre ce district des dix bourgades avec la Décapole
ou district des dix villes, qui s'étend au loin autour du premier
et qui en est tout à fait distinct.
J'ai eu une vision sur l'histoire de cette contrée : je ne m'en
rappelle que ce qui suit. Ces dix villages appartinrent aux Israélites
jusqu'à la guerre de Gédéon contre les Madianites.
Lors de cette guerre, ils ne voulurent pas secourir Gédéon
; ils s'allièrent aux païens et Gédéon les abandonna.
Depuis ce temps les paiens y ont toujours eu la prépondérance,
et ils ont cruellement vexé et opprimé les Juifs.
Dans tous ces endroits on élève une grande quantité
de pourceaux, au grand scandale des Juifs qui y habitent : tous ces troupeaux
de plusieurs milliers de têtes vont ensemble chercher leur pâture
sur la hauteur qui domine la gorge au nord, autour d'un grand marais verdâtre,
et ils sont gardés par une centaine de porchers païens commis
à ce soin par les différents propriétaires. Ils fouillent
et se vautrent dans le marécage ; ils courent en troupes parmi les
buissons, le long de la paroi de rochers escarpée, et on les entend
de tous côtés crier et grogner. Le marais, qui est situé
à trois quarts de lieue au sud-est de Gergesa, au pied des montagnes
de Gamala, se décharge au midi dans la gorge, formant une chute
d'eau par-dessus un barrage de planches et de poutres qui arrête
le ruisseau supérieur et en fait un étang : l'eau se rend
par cette gorge à la mer de Galilée. Il y a sur le bord du
marais, et aussi sur les pentes de la gorge, plusieurs chênes d'une
grosseur énorme. Toute cette contrée n'est pas très
fertile : on cultive la vigne dans quelques endroits exposés au
soleil. Il y croît aussi une espèce de roseau dont on peut
tirer du sucre : on envoie de ces roseaux au loin.'
Ce n'est pas tant l'idolâtrie qui les met à un tel degré
en la puissance du diable que leur penchant invétéré
pour la magie. Gergesa et les bourgades environnantes sont remplies de
sorciers et de sorcières de bas étage ; ils se livrent à
toute espèce de mauvaises pratiques où figurent des chats,
des chiens, des crapauds, des serpents et d'autres animaux. Ils font apparaître
de ces bêtes ; il semble qu'eux-mêmes prennent la figure de
ces animaux et rôdent de tous côtés pour nuire au bétail
ou pour le faire mourir. Je n'ai pas le souvenir distinct de ce qui m'a
été expliqué touchant leurs abominations ; je me souviens
seulement que c'était quelque chose comme des loups garous : ils
nuisaient aux hommes, même de loin, se vengeaient à longs
intervalles de ceux qu'ils n'aimaient pas, excitaient des ouragans soudains
et des tempêtes sur le lac. Les femmes préparaient des philtres
qui donnaient la mort ou produisaient des effets ignominieux : elles faisaient
entrer comme ingrédients dans ces breuvages les ordures les plus
dégoûtantes. J'ai toujours besoin de me faire violence pour
parler de ces abominations révoltantes de la sorcellerie ; j'aime
mieux, dans ces occasions, dire simplement qu'ils s'occupent de maléfices,
de sortilèges, et s'adonnent à toute espèce de mauvaises
pratiques.
Des armées considérables ont campé ici à
plusieurs reprises : je ne me souviens plus bien des époques. Je
crois que cela a eu lieu, entre autres fois, un peu avant l'époque
de Jésus et plus tard après sa mort lors de la prise de Gamala
par Vespasien. Dans ces occasions, les gens du pays firent un si affreux
usage de leurs maléfices contre les soldats, que les généraux
furent obligés de faire venir un des derniers prophètes pour
y porter remède. Ils eurent aussi avec Balaam des rapports dont
je ne me souviens plus bien, mais à la suite desquels ils furent
si rudement châtiés par deux prophètes, que depuis
lors ils ne pouvaient plus souffrir les prophètes, et c'est pourquoi
maintenant ils ne voulaient pas entendre parler de Jésus. Aussi,
jusqu'à présent, se sont-ils toujours tenus en dehors de
ses enseignements ; Satan s'était mis en possession de cette contrée
de temps immémorial, et il s'y trouvait un nombre incalculable de
possédés, de frénétiques et d'énergumènes.
Il était, je crois, environ dix heures lorsque je vis Jésus,
en compagnie de quelques disciples, remonter le ruisseau dans la direction
de la chute d'eau qui tombe dans la gorge, sur un canot qui se trouvait
toujours là à cet effet. Cette voie était plus prompte
que la voie de terre, une partie des disciples étaient encore occupés
à opérer des guérisons. Jésus ayant débarqué
monta par la paroi septentrionale de la gorge, et les disciples se réunirent
à lui successivement. Dans une région plus élevée,
je vis, pendant que Jésus approchait, courir de côté
et d'autre deux énergumènes tout nus, dont les cheveux épars
volaient sur leurs épaules Ils se frappaient avec de grosses pierres
qu'ils se jetaient, et tantôt ils entraient dans des tombeaux qui
étaient en ce lieu, tantôt ils en sortaient furieux et se
jetaient à la tête des ossements de morts. Ils poussaient
des cris affreux, mais ils étaient comme retenus par une force secrète
: car ils ne s'enfuirent pas et même se rapprochèrent de Jésus.
s'étant arrêtés devant lui à quelque distance
derrière des haies et des pierres, ils entrèrent en fureur
et crièrent : "Venez, accourez à notre secours, puissances
et principautés ! En voici un plus fort que nous qui vient. "Jésus
leva la main de leur côté et leur commanda de se coucher par
terre. Alors ils se prosternèrent à plat ventre et je compris
que Jésus voulait qu'ils fissent ainsi par un sentiment de pudeur
à cause de leur nudité. Ils relevèrent la tète
et se mirent à crier : "Jésus, Fils du Dieu très haut,
qu'avons-nous à faire avec toi ? Pourquoi es-tu venu nous tourmenter
avant le temps, Nous t'en conjurons au nom de Dieu, ne nous tourmente pas
? "Jésus et les disciples se trouvaient maintenant près d'eux
et tout leur corps tremblait et s'agitait horriblement. Jésus ordonna
aux disciples de leur donner de quoi se couvrir, et aux possédés
de cacher leur nudité. Alors les disciples leur jetèrent
de ces bandes d'étoffe qu'ils portent autour du cou et dans lesquels
on s'enveloppe aussi la tête. et les possédés les roulèrent
autour de leurs reins, avec des tremblements convulsifs incessants et comme
forcés d'agir contrairement à leur volonté. Ils s'étaient
levés et continuaient a crier, suppliant Jésus de ne pas
les tourmenter, mais il dit : " Combien êtes-vous " ? Ils répondirent
: " Légion. " Ils parlaient aussi au pluriel par la bouche des possédés
et dirent que les convoitises de ces hommes avaient été innombrables.
Cette fois le diable disait la vérité, car ces hommes
avaient vécu dix-sept ans en rapport avec les démons et adonnés
à toute sorte de sortilèges, et pendant ce temps ils avaient
eu, par intervalles, des accès de ce genre : mais depuis deux ans,
ils avaient brisé les chaînes dont on les avait chargés
et ils erraient continuellement dans la solitude. Ils se sont aussi livrés
à tous les vices qui accompagnent la sorcellerie.
Il y avait près de là, dans un endroit exposé
au soleil, une vigne où se trouvait une grande cuve faite d'énormes
pièces de bois jointes ensemble. Elle était presque de la
hauteur d'un homme et assez large pour que douze personnes pussent se tenir
dedans. Les Gergéséniens y foulaient des raisins mêlés
avec cette herbe qui faisait perdre la raison. Le jus coulait dans des
auges plus petites, et de celles-ci dans de grands vases de terre avec
un col étroit qu'ils enterraient dans la vigne lorsqu'ils étaient
pleins. C'était là ce breuvage enivrant, empoisonné,
qui faisait tomber ceux qui en buvaient dans une espèce d'épilepsie.
La plante enivrante était à peu près de la longueur
du bras avec plusieurs feuilles grasses placées les unes au-dessus
des autres, semblables à celles de la joubarbe : elle se terminait
par un bouton. Ils faisaient usage de ce breuvage pour se procurer des
extases diaboliques. On le préparait en plein air à cause
des vapeurs enivrantes qui s'en dégageaient : cependant on dressait
alors une tente au-dessus de la Cuve. Les gens chargés de ce travail
étaient venus près de là pour s'y livrer : mais Jésus
commanda aux possédés ou plutôt à la Légion
qui résidait en eux de renverser cette cuve : ils se ruèrent
alors comme des insensés, saisirent l'énorme cuve qui était
pleine et la jetèrent sans aucune peine sur le côté,
en sorte que tout ce qui était dedans se répandit et que
les ouvriers s'enfuirent en poussant des cris d'épouvante. Les possédés
revinrent, toujours tremblants de tous leurs membres et les disciples furent
très effrayés. Les diables qui étaient dans le corps
des possédés poussaient des cris affreux, le suppliant de
ne pas les précipiter dans l'abîme et de ne pas les chasser
de cette contrée : enfin ils lui dirent : " Laisse-nous entrer dans
ces pourceaux ". Jésus répondit : " Allez ! ". A ces paroles
les malheureux possédés tombèrent par terre avec de
violentes convulsions et il sortit de tout leur corps une vapeur formant
un nuage. J'y vis d'innombrables figures d'insectes de toute espèce,
de crapauds, de vers, surtout de taupes-grillons. Je vis ce nuage s'étendre
au loin sur le pays, et au bout de quelques instants, l'énorme troupeau
de porcs, comme saisi de vertige, se mit à courir avec d'affreux
grognements pendant que les porchers le poursuivaient en poussant de grands
cris. Les pourceaux, au nombre de quelques milliers, sortaient de tous
les coins et se précipitaient de toutes les pentes à travers
les buissons : c'était comme le fracas d'un orage auquel se mêlaient
des cris d'animaux furieux. Et ce ne fut pas l'affaire de quelques minutes
seulement, mais cela dura bien deux heures, car pendant longtemps on vit
les pourceaux se ruer follement de tous côtés, se jeter les
uns sur les autres et se faire de cruelles morsures. Beaucoup se précipitèrent
dans le marais et arrivèrent à la chute d'eau qui les entraîna.
Mais tous se lancèrent furieux vers le lac.
Les disciples de Jésus étaient assez mécontents
parce qu'ils croyaient que cela rendait impure l'eau où ils avaient
coutume de pêcher, et par suite les poissons qui l'habitaient. Jésus
connaissant leur pensée leur dit de ne rien craindre, que les pourceaux
s'engloutiraient tous dans le gouffre qui était à la sortie
de la gorge. Il y avait là une espèce de lagune séparée
du lac proprement dit par un banc de sable ou une langue de terre couverte
de roseaux et de broussailles, et qui était souvent inondée
dans les grandes eaux. C'était un gouffre profond où l'eau
du lac pénétrait à travers le banc de sable, mais
qui n'avait pas d'écoulement dans le lac. Il y avait là un
tourbillon. Ce fut dans ce bassin que tous les pourceaux se précipitèrent.
Les porchers, ayant couru après eux inutilement, vinrent trouver
Jésus prés duquel ils virent les deux possédés
guéris, et ils se plaignirent vivement du dommage qui leur était
fait : mais Jésus leur répondit que le salut de ces âmes
était d'un plus grand prix que tous les pourceaux du monde. Ils
se retirèrent et allèrent dire aux propriétaires des
pourceaux que les démons attirés dans le corps des hommes
par l'impiété des habitants du pays en avaient été
chassés par lui et étaient entrés dans les pourceaux.
Il renvoya les possédés guéris dans leurs maisons
pour y prendre des vêtements, et il se dirigea vers Gergesa avec
les disciples. Plusieurs des porchers s'étaient déjà
rendus à la ville en toute hâte. On voyait courir des gens
de tous les côtés : ceux qui avaient été guéris
hier à Magdala et dans les environs étaient déjà
allés attendre Jésus à un endroit désigné,
ainsi que les deux jeunes Israélites délivrés la veille
et la plupart des Juifs de la ville. Les deux possédés guéris
revinrent décemment habillés et assistèrent à
une instruction de Jésus. C'étaient des païens considérables
de la ville : ils étaient même parents des prêtres paiens.
Les hommes chargés de préparer le vin, et dont la cuve
avait été renversée, avaient aussi couru à
la ville et ils avaient fait connaître le dommage occasionné
par les possédés : on en avait fait grand bruit, et il s'était
élevé un grand tumulte à ce sujet. Beaucoup de gens
de la ville et des environs couraient après les pourceaux pour essayer
d'en sauver quelques-uns : d'autres s'empressaient près de la cuve.
Cela dura jusque assez avant dans la nuit.
Tous les Juifs et beaucoup de païens se rassemblèrent auprès
de Jésus, qui enseigna sur une colline, à une demi lieue
environ de Gergesa. Cependant les magistrats de la ville et les prêtres
des idoles cherchèrent à retenir le peuple, et ils firent
publier que Jésus était un puissant magicien, et que sa présence
les menaçait de grands malheurs. Après avoir délibéré
entre eux, ils envoyèrent à Jésus une députation
pour lui demander de ne pas prolonger son séjour dans le pays et
de ne pas leur faire d'autre dommage : ils reconnaissaient en lui un grand
magicien, mais ils le priaient de sortir de leurs confins. Ils se plaignirent
beaucoup au sujet des pourceaux et du breuvage répandu : et ils
furent très surpris et très effrayés de voir assis
à ses pieds, parmi les auditeurs, les deux possédés
guéris. Jésus leur dit d'être sans inquiétude,
qu'il ne leur serait pas longtemps à charge, qu'il n'était
venu qu'à cause de ces malheureux possédés et de ces
malades, et qu'il savait bien que leurs animaux impurs et leur abominable
boisson avaient plus de prix à leurs yeux que le salut de leurs
âmes : mais il n'en était pas ainsi de son Père céleste,
qui lui avait donné le pouvoir de sauver ces hommes infortunés
et de détruire les pourceaux. Ensuite il leur mit devant les yeux
toutes leurs infamies, leur vie criminelle, leurs maléfices, leur
impureté, leurs usures et le culte qu'ils rendaient aux démons
: il avertit spécialement leurs femmes, qui pratiquaient secrètement
toutes ces abominations. Il les exhorta à la pénitence, au
baptême, et leur offrit le salut. Mais ils n'avaient en tête
que le dommage qu'ils avaient éprouvé et la perte de leurs
pourceaux, et ils persistèrent à lui demander d'une manière
à la fois pressante et craintive de quitter leur pays : après
quoi ils retournèrent à la ville.
Judas Iscariote se montra aujourd'hui particulièrement actif
et empressé près de ces gens : car il était connu
dans le pays. Sa mère y avait résidé avec lui un certain
temps, lorsqu'il était jeune encore, aussitôt après
qu'il eut quitté la famille dans laquelle il avait été
élevé en secret. Il avait connu alors les deux possédés.
C'est pour cela qu'antérieurement, par suite d'un souvenir confus,
je croyais qu'il s'était présenté ici à Jésus
pour la première fois.
Les Juifs du pays ressentaient une joie secrète du dommage qu'avaient
éprouvé les païens avec leurs pourceaux, car ils étaient
fort vexés par les païens et fort scandalisés de cette
quantité de pourceaux. Toutefois il avait ici beaucoup d'autres
Juifs qui avaient formé des alliances avec les paiens et s'étaient
engagés dans leurs pratiques superstitieuses.
Jésus enseigna encore et prépara ses auditeurs au baptême
: car tous ceux qui avaient été guéris hier et aujourd'hui,
notamment les deux derniers possédés, furent baptisés
ici par les disciples. Ces gens étaient fort touchés et complètement
transformés. Ils le supplièrent, ainsi que les deux jeunes
gens, de leur permettre de rester avec lui et de devenir ses disciples.
Mais lorsqu'après avoir reçu le baptême, ils lui présentèrent
leur requête, il dit aux deux possédés guéris
en dernier lieu qu'il voulait leur donner une mission : qu'ils devaient
parcourir les dix bourgades des Gergéséniens, se montrer
partout, raconter partout ce qui leur était arrivé, ce qu'ils
avaient vu et entendu, exhorter les gens à la pénitence et
au baptême et les lui envoyer : ils ne devaient pas se laisser effrayer
quand même on les poursuivrait à coups de pierres. s'ils étaient
fidèles à accomplir ce qu'il demandait d'eux, ils le reconnaîtraient
à ce signe qu'ils recevraient l'esprit de prophétie, lequel
descendrait sur eux pendant la nuit ; alors ils se lèveraient et
auraient des visions ; alors aussi ils sauraient toujours où Jésus
serait ; ils lui enverraient les gens qui auraient besoin d'être
instruits par lui ; ils imposeraient les mains aux malades et ceux-ci seraient
guéris. Ils commencèrent le jour suivant à s'acquitter
de leur mission, et plus tard ils devinrent ses disciples.
Les apôtres baptisaient ici avec de l'eau qu'ils avaient apportée
dans une outre : les choses se passaient comme la dernière fois.
Les gens s'agenouillaient en cercle autour d'eux, et ils les baptisaient
trois par trois avec de l'eau du bassin que l'un d'eux tenait, et dont
ils les aspergeaient à trois reprises avec la main. Le soir, Jésus,
avec ses disciples, alla à Gergesa chez le chef de la synagogue,
et ils y prirent quelque nourriture. Les principaux de la ville vinrent,
à cette occasion, faire des menaces à ce préposé,
afin qu'il s'efforçât de faire partir Jésus, sans quoi
ils le rendraient responsable des dommages ultérieurs que la ville
pourrait éprouver. Là-dessus Jésus partit, et ils
passèrent la nuit dans une maison de bergers. J'entendis Jésus
dire à ses disciples qu'il avait permis aux démons de renverser
la cuve et d'entrer dans les pourceaux, afin que ces païens orgueilleux
vissent qu'il était le prophète des Juifs, si opprimés
et si outragés par eux : il avait voulu aussi que le dommage qu'avaient
éprouvé tant de païens en perdant leurs pourceaux, les
rendit attentifs au danger qui menaçait leurs âmes, et que
ce peuple endormi dans l'ivresse du vice se réveillât et vînt
se faire instruire. Il avait fait renverser l'affreux breuvage comme une
des causes principales des péchés de ce peuple et de l'empire
que le démon avait sur lui.
(12 décembre.) Les apôtres ont guéri dans les environs
des hydropiques, des boiteux et des paralytiques. Quant à Jésus,
près duquel il restait toujours quelques disciples, il se rassembla
autour de lui, vers dix heures du matin, une foule de gens attirés
par ses miracles et ceux de ses disciples, et frappés surtout de
l'aventure des pourceaux : il pouvait bien, y avoir deux mille personnes.
Jésus appela encore leur attention sur leur déplorable état,
et beaucoup se convertirent. Beaucoup de Juifs aussi voulaient se séparer
des païens et quitter le pays.
Après midi, les apôtres qui avaient opéré
des guérisons vinrent à la prédication de Jésus
avec plusieurs de ceux qu'ils avaient guéris. Il s'y trouvait des
femmes portant dans des corbeilles des volailles qu'elles donnèrent
aux apôtres. Pendant que la foule se pressait autour de Jésus,
une femme de Magdala, affligée de pertes de sang, s'approcha de
lui comme la nuit tombait. Elle n'avait pas pu marcher jusqu'alors, mais
poussée par sa foi elle se traîna seule jusqu'à lui
sans le secours de personne, baisa son vêtement et fut guérie
: Jésus continua à enseigner, mais après quelque temps
il dit : " J'ai guéri quelqu'un : qui est-ce ? " Alors cette femme
s'approcha et lui témoigna sa reconnaissance. Elle avait entendu
parler de la guérison d'Enoué, et elle fit comme elle. Le
soir, Jésus s'embarqua avec les disciples et les deux jeunes Juifs
de Gergesa, qui avaient été démoniaques et qu'il avait
guéris. Il côtoya Magdala, se dirigeant au nord d'Hippos qui
n'est pas tout au bord du lac, mais sur le penchant d'une hauteur. Ils
descendirent à terre et mangèrent des oiseaux, du pain et
du miel dans une maison de bergers.
J'entendis Jésus dire aux disciples que le jour de la naissance
d'Hérode était proche et qu'il avait dessein de monter à
Jérusalem. Ils voulurent l'en dissuader, disant que la fête
de Pâques approchait et que ce serait alors le moment d'y aller.
Jésus répondit comme si son intention eût été
de ne pas se montrer en public pendant la fête. Ensuite il leur dit
de s'embarquer. Les deux jeunes gens de Gergesa le prièrent encore
de les prendre avec lui. Mais il leur dit qu'il leur avait réservé
une autre destination et il leur donna pour mission de parcourir les dix
villes (de la Décapole), depuis Cédar jusqu'à Panéas,
et d'annoncer aux Juifs ce qu'ils avaient vu et entendu. Il leur donna
sa bénédiction et leur promit comme il l'avait fait aux autres,
que s'ils accomplissaient fidèlement leur mission, l'esprit prophétique
viendrait sur eux : qu'ils sauraient où il serait, proclameraient
les jugements de Dieu et guériraient les malades en son nom. Cela
ne devait arriver pour eux comme pour les deux autres qu'après un
certain temps. Les autres devaient l'annoncer d'abord dans les dix bourgades
des Gergéséniens et plus tard aux païens de la Décapole.
Les jeunes gens le quittèrent là-dessus et il ordonna aux
disciples de se diriger vers Bethsaïde. Lui-même resta seul
à terre malgré toutes leurs prières et, côtoyant
le rivage, il se retira dans un lieu désert pour prier. Je le vis
passer entre des hauteurs escarpées : il y avait là quelques
rochers qui ressemblaient dans les ténèbres à de grands
fantômes noirs.
Il était tout à fait nuit lorsque je vis Jésus
marcher sur la mer : ce fut à peu près en face de Tibériade,
plus à l'est que le milieu du lac qu'il sembla vouloir traverser
à une certaine distance en avant de la barque des disciples. Le
vent était contraire et très violent et les disciples marchaient
à la rame avec beaucoup de peine. Ils virent une figure humaine
et furent saisis d'épouvante : ils ne savaient pas si c'était
lui ou son esprit et tous jetèrent des cris d'effroi. Mais Jésus
leur dit : " N'ayez point peur : c'est moi ". Alors Pierre lui cria : "
Seigneur, si c'est vous, ordonnez moi d'aller à vous sur l'eau !
" Jésus lui dit : " Viens ! " Et Pierre plein d'ardeur descendit
du navire par la petite échelle et se hâtant d'aller à
Jésus, s'avança à une petite distance sur l'eau agitée
comme il eût fait sur la terre ferme. Il me fit l'effet de planer
au-dessus, car les flots soulevés ne lui faisaient pas obstacle.
Mais comme il s'émerveillait et pensait plus à l'eau, au
vent et aux vagues qu'à la parole de Jésus, l'inquiétude
le prit : il commença à perdre pied et, dans son effroi,
il cria à Jésus : " Seigneur, sauvez-moi ! "alors il enfonça
jusqu'à la poitrine et étendit la main en avant. Jésus
se trouva à l'instant près de lui, le prit par la main et
lui dit : " Homme de peu de foi, pourquoi doutes-tu ? " Ils se trouvèrent
aussitôt près de la barque : ils y montèrent et Jésus
leur reprocha leur peur, à lui et aux autres. Le vent tomba immédiatement
et ils se dirigèrent vers Bethsaïde. Vraisemblablement pendant
la traversée les uns dormirent tandis que les autres ramaient. Pour
les faire monter on abaissa une échelle hors de la barque.
Note. Après cette communication le pèlerin lut à
la narratrice le passage des Évangiles où il est dit que
Jésus marcha sur la mer et que Pierre enfonça, et il lui
demanda si elle n'avait pas oublié différentes choses qui,
dans le texte sacré, sont représentées comme étant
liées à cet événement. Elle répondit
qu'elle pouvait bien avoir oublié de raconter certains détails,
mais qu'ils allaient lui revenir maintenant qu'elle les entendait lire.
Elle dit que l'incident rapporté par les Évangiles ne devait
pas être le même que celui qu'elle avait vu cette nuit et que
peut-être il lui serait représenté plus tard. Elle
ne se souvenait pas d'avoir vu cette fois les disciples se prosterner devant
Jésus dans le navire et lui dire : " Vous êtes véritablement
le Fils de Dieu ! " Dans l'Évangile Jésus marche sur l'eau
après la mort de Jean, mais ici Jean n'est pas encore mort, car
le jour de naissance d'Hérode ne tombe que dans le mois de janvier,
ce qu'elle a appris en entendant Jésus dire à ce propos qu'il
voulait aller en Judée. Dans l'Évangile ce prodige vient
après la première multiplication des pains laquelle n'a pas
encore eu lieu. A la vérité il y a eu aussi lundi une multiplication
des pains dans la vallée attenant à la montagne des huit
béatitudes, mais ce n'est pas celle des sept pains et des deux poissons
: il est arrivé seulement que la provision de pain, étant
fort au-dessous de ce qui était nécessaire, s'est pourtant
trouvée suffisante, au point qu'on a pu en donner des morceaux aux
gens de guerre romains qui voulaient les conserver comme souvenir. Cette
multiplication des pains de lundi est passée sous silence dans l'Évangile
où du reste tous les enseignements de cette prédication faite
en plusieurs fois sur les béatitudes, ainsi que les instructions
données dans les intervalles, sont résumés et donnés,
quant aux points principaux, comme une seule prédication : il en
est de même des paraboles. La multiplication des cinq pains et des
deux poissons, viendra plus tard et elle croit qu'alors il marchera sur
la mer encore une autre fois. Cette fois-ci il n'y avait pas de gens à
s'étonner de le voir arriver quoiqu'ils ne l'eussent pas vu s'embarquer,
car personne, à l'exception des disciples, ne savait qu'il était
resté sur l'autre rive du lac. Il faudra maintenant voir si en ceci
il se présentera des différences comme celles qui ont été
récemment notées en ce qui concerne la fille de Jaïre
et l'hémorroïsse.
(13 décembre.) Lorsque Jésus prit terre à Bethsaïde,
il fut accueilli par les cris de deux aveugles qui vinrent à sa
rencontre, se servant de conducteurs l'un à l'autre, contrairement
au proverbe. Il les guérit et guérit encore des muets et
des boiteux : partout où il passait, le peuple accourait en foule
avec des malades : plusieurs le touchaient et étaient guéris.
On était venu l'attendre parce qu'on savait qu'il viendrait avant
le sabbat. L'histoire des possédés et des pourceaux avait
été connue ici la veille, et elle avait fait un grand effet.
Une partie des disciples baptisa le matin, près de la maison de
Pierre, plusieurs malades guéris : pendant ce temps Jésus
continuait à opérer des guérisons sans qu'il lui fût
possible d'aller se reposer, et comme on ne pouvait pas même trouver
le temps de manger, les disciples allèrent le chercher pour tâcher
de lui faire prendre un peu de repos et de nourriture.
Comme ensuite il se dirigeait vers Capharnaüm, il vint à
sa rencontre un possédé qui était muet et aveugle
et qu'il guérit sur-le-champ. Cette guérison excita une grande
surprise, car cet homme rien qu'en approchant de Jésus, recouvra
la parole et cria : " Jésus, Fils de David, ayez pitié de
moi ". Jésus lui frotta les veux et la vue lui fut rendue. Cet homme
était possédé de plusieurs démons, car il était
entièrement tombé au pouvoir des païens de l'autre côté
du lac. Les sorciers et les jongleurs du pays des Gergéséniens
s'étaient emparés de lui, ils le traînaient partout
au bout d'une corde et le faisaient voir en divers lieux ou il était
obligé de faire toute espèce de tours de force : ils montraient
comme quoi, étant aveugle et muet, il faisait tout, comprenait tout,
allait partout, cherchait et reconnaissait tout au moyen de certaines conjurations
: car c'était le diable qui faisait tout cela en lui.
C'était ainsi que les jongleurs païens qui allaient de
Gergesa visiter les villes de la Décapole et d'autres encore faisaient
servir à leur subsistance le démon qui possédait ce
malheureux. Quand ils traversaient le lac, ils ne le prenaient pas dans
la barque, mais ils lui commandaient de la suivre à la nage comme
un chien. Personne n'avait plus souci de lui : on le regardait comme un
homme perdu. Le plus souvent il n'avait pas d'abri. Il couchait dans des
fossés et dans des trous et ceux qui l'exploitaient le maltraitaient
encore par là-dessus. Il était déjà depuis
longtemps à Capharnaum, mais il n'avait trouvé personne pour
le conduire à Jésus. Il y alla de lui-même et fut guéri.
Jésus enseigna et guérit encore au commencement du sabbat
dans la maison mentionnée précédemment, qui est près
de la porte de Capharnaüm ; il reprit quelques points déjà
traités dans le sermon sur la montagne ; il dit aussi aux apôtres
qu'il les enverrait à leur mission après le sabbat, et qu'il
leur donnerait sa bénédiction. Il voulait en garder six près
de lui et en envoyer six, en adjoignant à chaque moitié un
certain nombre de disciples.
Cependant il y eut avant le sabbat, pendant qu'il enseignait, un soulèvement
tumultueux dans la ville. Le prodige accompli sur les pourceaux et la guérison
du possédé aveugle et muet avaient produit une grande impression.
Aujourd'hui, dans l'après-midi, il était venu plusieurs barques
remplies de Juifs de Gergesa qui racontaient les merveilles qu'ils avaient
vues ; mais les Pharisiens répandaient partout que Jésus
chassait les démons par les démons. Cela déplut au
peuple, et une foule considérable se rassembla devant la synagogue.
Le possédé aveugle et muet était complètement
furieux, lorsque Jésus s'approcha de la ville : il avait couru à
sa rencontre, à travers les rues, sans être conduit par personne,
et beaucoup de gens qui le poursuivaient avaient été témoins
du miracle. Tout cela les avait tellement transportés d'admiration
qu'ils s'indignaient hautement contre les Pharisiens, lesquels, pendant
que Jésus était sur l'autre bord et maintenant encore, se
déchaînaient contre lui, l'accusant de guérir par le
moyen du diable. Je vis que plusieurs de ceux qui faisaient partie du rassemblement
portaient avec eux une arme de trait d'une forme singulière. Il
y avait une sorte de grosse crosse ronde recouverte de cuir, et aussi une
baguette : l'arme était percée de trous, et on s'en servait
pour lancer des traits de peu de longueur : c'était vraisemblablement
une espèce d'arbalète ; la baguette, insérée
transversalement dans les trous, en formait l'arc. Ces gens firent appeler
les Pharisiens et insistèrent pour qu'ils cessassent d'injurier
Jésus. Pourquoi, disait-on, ne lui rendaient-ils pas justice et
n'avouaient-ils pas qu'on n'avait jamais rien vu de pareil en Israël,
que jamais prophète n'avait opéré de semblables prodiges
? Que si ses ennemis ne se désistaient pas de leur résistance
opiniâtre, ils étaient décidés à quitter
Capharnaum, car ils ne voulaient pas supporter plus longtemps ces blasphèmes
et cette ingratitude, etc.
Les Pharisiens prirent la chose très courtoisement : il sortit
de leurs rangs un homme gros et court qui se mit à endoctriner le
peuple de la manière la plus astucieuse. Il dit qu'en effet on n'avait
jamais entendu parler dans Israël de semblables prodiges, d'actes
et d'enseignements de ce genre ; que jamais prophète n'avait rien
fait de pareil. Mais il demandait au peuple d'examiner ce qu'il fallait
penser de ces démons chassés à Gergesa, de ce possédé
délivré ici aujourd'hui et qui, à vrai dire, pouvait
être considéré comme un Gergésénien ;
car on ne pouvait apporter trop de maturité dans le jugement à
porter sur des choses de ce genre. Il fit ensuite une longue digression
sur le royaume des mauvais esprits, dit qu'il y existait une hiérarchie
et différents degrés, qu'il s'en trouvait parmi eux qui en
avaient d'autres sous leurs ordres, et que Jésus avait fait alliance
avec un des plus puissants ; car, sans cela, pourquoi n'avait-il pas guéri
depuis longtemps le possédé de Capharnaum ? Pourquoi, s'il
était le Fils de Dieu, n'avait-il pas, d'ici, chassé les
démons qui étaient dans le pays des Gergéséniens
? Or c'est ce qu'il n'avait pas fait. Il lui avait fallu d'abord aller
dans ce pays et conclure un traité avec le chef des démons
de Gergesa : il avait fallu qu'il se mît d'accord avec lui et qu'il
lui livrât les pourceaux en proie, car celui-ci était inférieur
à Béelzébub, mais pourtant d'un rang élevé.
C'était ainsi qu'après lui avoir donné satisfaction
à Gergesa, il avait pu délivrer l'homme d'ici par le moyen
de Béelzébub. Il présenta d'autres arguments du même
genre avec beaucoup d'adresse et de faconde, puis il engagea le peuple
à se calmer et à attendre la fin : d'ailleurs, ajoutait-il,
leur conduite, à eux-mêmes, montrait bien quels étaient
les fruits de tout cela : le peuple ne travaillait plus les jours ouvriers,
il courait à la suite du docteur et de ses miracles, et le jour
du sabbat était devenu un jour de bruit et de tumulte. Il fallait
donc qu'ils pensassent à la sainteté de ce jour, qu'ils se
tinssent en repos et se préparassent pour la fête qui était
proche. Il réussit par là à obtenir que la foule se
dispersât et beaucoup de gens irréfléchis furent à
moitié convaincus par son verbiage.
C'était aujourd'hui le vendredi 24 du mois de Kislen, et comme
le soir de ce jour, le commencement du sabbat coïncidait avec la fête
de la Dédicace du temple qui tombait le 25, cette fête avait
déjà commencé la veille au soir, avec le 24 Kislen.
Plusieurs pyramides formées de lampes allumées avaient été
dressées dans les maisons et les écoles : dans les jardins
aussi, dans les cours et près des fontaines on avait disposé
des lampes et des torches suivant des dessins de toute espèce. Jésus
accompagné des disciples vint à la synagogue pour le sabbat
et il enseigna sans obstacle, parce qu'on craignait le peuple, sur l'histoire
de Joseph et sur des textes d'Ezéchiel. (Genèse, XLIV, 18
- jusqu'à XLVII, 17. - Ezéch. LVII, 17, etc., etc.) Il expliqua
aussi quelque chose du prophète Daniel. Il connaissait leurs pensées
et savait tous les propos qu'ils avaient tenus au peuple, aussi il les
interpella à ce sujet et leur dit : " Tout royaume divisé
d'avec lui-même ne subsistera pas : si Satan chasse Satan, il est
divisé contre lui-même ; comment donc son royaume se maintiendrait-il
? Si je chasse les démons par Béelzébub, vos fils,
par qui les chassent-ils ? ".
Jésus les réduisit au silence par des paroles de ce genre
et il sortit de la synagogue sans qu'on l'eût vivement contredit.
Il passa la nuit dans la maison de Pierre.
Lorsque la Soeur communiqua ces paroles, le pèlerin lui lut
tout ce que les Évangélistes y ajoutent : mais elle ne se
souvint d'avoir entendu aujourd'hui que ce qu'elle venait de rapporter,
et cela comme toujours avec un peu plus de détails et de développements
La plupart du temps, quand elle mentionne de ces discours de Jésus,
le pèlerin a coutume de lui lire ce qui en est rapporté dans
l'Évangile et de noter ce dont elle se souvient. Très souvent
elle dit de certaines choses qu'elle ne les a pas entendues alors et qu'elles
ont été dites dans quelque autre circonstance analogue. Mais
quand ces circonstances ne sont pas mentionnées dans l'Évangile,
le pèlerin ne peut pas les rappeler à son souvenir, et elle-même,
avec tout ce qui vit et se remue dans son âme de merveilleux et d'inconnu,
ne revient que bien rarement sur le passé, d'où il résulte
nécessairement que c'est autant de perdu pour la narration.
(14 décembre.) Les apôtres ont aujourd'hui baptisé
de nouveau chez Pierre. Jésus accompagné de quelques disciples
visita aujourd'hui la famille de Jaïre, à laquelle il donna
des avis et des consolations. Ils sont très humbles et tout à
fait changés : ils ont fait trois parts de leur bien, une pour les
pauvres, une autre pour la communauté, la troisième pour
eux-mêmes. La vieille mère de Jaire, notamment, a été
très touchée et elle est devenue excellente. La fille ne
vint que lorsqu'on l'appela : elle était voilée et sa contenance
était très humble. Il semble qu'elle ait grandi : elle se
tient très droite et a toute l'apparence d'une personne parfaitement
guérie. C'est toutefois une personne de petite taille et d'une complexion
délicate.
Jésus alla ensuite visiter le centurion païen Cornélius,
il le consola et l'enseigna ainsi que sa famille et ses serviteurs, puis
il l'accompagna chez Zorobabel, le centurion de Capharnaum : là
aussi il enseigna et consola. La conversation tomba sur le jour de naissance
d'Hérode et sur Jean Baptiste. Zorobabel et Cornélius dirent
qu'Hérode avait invité tous les gens considérables
et eux-mêmes à venir à Machérunte pour le 8
janvier, qui était son jour de naissance : ils demandèrent
à Jésus s'il leur permettrait d'y aller Jésus leur
dit que s'ils se sentaient assurés de ne participer à rien
de ce qui se passerait là, il ne leur était pas interdit
de s'y rendre, mais que pourtant ils feraient mieux de s'excuser et de
rester chez eux, s'ils le pouvaient. Ils exprimèrent le déplaisir
que leur causaient la liaison adultère d'Hérode et la captivité
de Jean : mais ils ne doutaient pas qu'Hérode ne rendît la
liberté au précurseur à l'occasion de son jour de
naissance.
Jésus alla ensuite visiter sa mère chez laquelle se trouvaient
Suzanne, fille d'Alphée et de Marie de Cléophas, venue de
Nazareth, Suzanne de Jérusalem, Dina la Samaritaine et Marthe. Il
annonça son départ pour le lendemain. Marthe était
très affligée de la rechute de Madeleine et de l'empire que
le démon avait pris sur elle. Elle demanda à Jésus
si elle ne ferait pas bien de se rendre auprès d'elle. Mais Jésus
lui dit d'attendre encore.
J'ai vu la possession de Madeleine. Elle est souvent hors de son bon
sens, agitée par la colère ou par l'orgueil, elle frappe
et injurie ceux qui l'entourent, elle tourmente ses suivantes et ne cesse
pas de se parer avec une recherche extravagante. J'ai vu qu'elle frappait
l'homme qui vit dans sa maison où il agit en maître, et que
celui-ci à son tour la maltraitait. Par intervalles elle tombe dans
une affreuse tristesse, se répand en larmes et en sanglots, parcourt
la maison en tout sens, cherche Jésus et s'écrie : " Où
est le Maître, où est-il ? Il m'a abandonnée ! " Puis
quelques jours après, elle se montre de nouveau libre et effrontée
dans ses allures, donne des festins et se livre au péché
: car il lui arrive sans cesse de nouveaux amants poussés par la
curiosité et la malice. Elle est tout à fait sous le joug
du méchant homme qui demeure avec elle et il se fait donner de l'argent
par ses amants.
J'ai une idée vague que Lazare a mis un terme à ses prodigalités
et qu'on lui a assigné un certain revenu. Elle est dans un état
effrayant : l'orgueil, l'incontinence, la vanité, la colère
ont pris sur elle un empire qui est l'effet d'une possession manifeste.
En outre elle a des convulsions qui ressemblent à des attaques d'épilepsie.
On peut se figurer quelle est la douleur de ses proches en voyant une
personne de si noble race et si richement douée tombée dans
cet horrible état.
Rien n'est touchant comme de voir Jésus marcher le long des
rues, la robe tantôt flottante, tantôt relevée, sans
beaucoup d'action et pourtant sans aucune raideur : son allure est calme
: il semble planer plutôt que marcher : il a une simplicité
; et une majesté que n'ont pas les autres hommes. Rien dans sa démarche
qui ne soit harmonieux et assuré : pas un regard, pas un pas, pas
un geste inutile et pourtant rien d'affecté ni qui vise en rien
à l'effet.
J'ai vu de nouveau des choses que j'avais oublié de dire dernièrement
lorsque Marie fit un voyage à Cana et revint ici avec les autres
femmes. Marthe, accompagnée de Suzanne, avait visité les
hôtelleries de Galilée jusqu'à Samarie. Elle en avait
comme la surintendance. Les petits districts étaient confiés
aux soins de celles des saintes femmes qui en étaient le plus voisines.
Je les vis se réunir dans certaines hôtelleries : on apportait
sur des ânes des provisions de toute espèce. Je vis une fois
avec elles Marie la Suphanite, ce qui fit dire parmi les gens de l'endroit
que Marie Madeleine était maintenant avec les femmes qui prenaient
soin des gens attachés au prophète de Nazareth : car Marie
la Suphanite avait une grande ressemblance extérieure avec Madeleine,
et elle n'était pas très connue de ce côté du
Jourdain. De plus elle s'appelait aussi Marie ; elle avait versé
aussi des parfums sur Jésus, à un repas chez des Pharisiens
; enfin elle avait aussi une mauvaise réputation : et tout cela
1. faisait qu'on la confondait avec Madeleine dans les propos qui couraient.
Plus tard cette confusion fut faite encore plus souvent par tous ceux qui
n'avaient pas des relations intimes avec la communauté.
Les saintes femmes veillaient à ce qu'on fût pourvu de
lits, de couvertures, de vêtements de laine, de vases à boire,
de cruches de baume et d'huile, etc., car quoique Jésus eût
peu de besoins, il voulait pourtant que ses disciples ne fussent à
charge à personne et qu'ils trouvassent partout le nécessaire,
afin d'enlever tout prétexte aux reproches des Pharisiens.
Avant la clôture du sabbat Jésus alla encore dans la maison
voisine de la porte : il continua à enseigner le peuple touchant
les béatitudes et répéta beaucoup de choses déjà
dites : il a jusqu'à présent expliqué quatre des béatitudes.
Il enseigna aujourd'hui sur le texte : " Bienheureux les pauvres d'esprit
", et il fit plusieurs allusions dirigées contre les Pharisiens.
Les saintes femmes faisaient partie de son auditoire.
Après cela il instruisit encore les disciples en particulier
et leur dit qu'il leur donnerait leur mission le lendemain : six des apôtres
devaient le suivre, les six autres aller dans la haute Galilée :
dix-huit disciples devaient accompagner ceux-ci, douze autres rester près
de lui. Il voulait leur donner sa bénédiction : ils devaient
enseigner, guérir, chasser les démons, etc. Il leur donna
ensuite d'autres instructions préparatoires. En réglant ainsi
les choses, il avait pour but de prévenir la trop grande affluence
de peuple en un même endroit et de répartir en quelque sorte
le mouvement sur plusieurs points : car il ne pouvait plus rester ici,
la multitude était trop excitée, trop nombreuse, et elle
le pressait de tous les côtés. Il renvoya chez eux plusieurs
disciples qui auraient été bien aises de le suivre.
Il était arrivé un grand nombre de Gergéséniens,
notamment beaucoup de pauvres qui voulaient aller avec lui ; la plupart
d'entre eux qui étaient sans ressources et accoutumés à
une vie errante, croyaient qu'avec lui ils auraient tout en abondance.
Ils parlaient souvent entre eux de son royaume, demandaient s'il n'en prendrait
pas bientôt possession, et s'imaginaient qu'il ne tarderait pas à
recevoir l'onction royale comme Saul ou David, à occuper le royaume
d'Israël et à monter sur le trône à Jérusalem.
Là-dessus ils se berçaient d'avoir leur part des avantages
réservés en ce cas à ses partisans. Jésus s'entretint
avec ces gens et leur dit de retourner chez eux, de faire pénitence,
d'observer les lois et de mettre en pratique ce qu'ils avaient entendu.
Il leur expliqua que son royaume était tout autre chose que ce qu'ils
croyaient et que les pécheurs n'y étaient pas admis. Il congédia
ainsi, en leur donnant des consolations, plusieurs troupes d'hommes.
A la clôture du sabbat il enseigna encore dans la synagogue et
s'éleva avec force contre l'assertion des Pharisiens qu'il chassait
les démons par les démons et qu'il était possédé
d'un esprit immonde. Je l'entendis aujourd'hui les sommer de lui dire si
ses doctrines et ses actes n'étaient pas d'accord, s'il ne pratiquait
pas ce qu'il enseignait. Ils ne purent rien alléguer contre lui
et il leur dit : " Si l'arbre est bon, son fruit aussi sera bon ", et le
reste jusqu'au passage : " Vous serez condamné sur vos paroles ".
(Matth. XII, 37.)
(15 décembre.) Ce matin, vers dix heures, Jésus est parti
de Capharnaum dans la direction du nord, en compagnie des douze apôtres
et de trente disciples. Beaucoup de gens réunis en troupes prirent
aussi ce chemin. Il s'arrêta souvent pour enseigner tantôt
les uns, tantôt les autres, avant qu'ils se séparassent de
lui pour rentrer chez eux.
Vers trois heures de l'après-midi, il arriva au haut d'une belle
montagne qui est à environ trois lieues de Capharnaum et à
une moindre distance du Jourdain. Cinq chemins y conduisaient. Il a déjà
enseigné là une fois, le 10 janvier (12 de Thébet)
(t. II, p. 2). Il y a dans les environs cinq petites bourgades. Les gens
qui étaient allés de compagnie avec Jésus jusque-là,
furent congédiés par lui au bas de la montagne, et il monta
au sommet avec les siens qui s'étaient munis auparavant de quelques
provisions de bouche. Sur le point culminant, où il y avait une
chaire, Jésus fit encore aux apôtres et aux disciples une
instruction relative à leur mission. Il leur dit qu'ils auraient
désormais à communiquer aux autres les enseignements qu'ils
avaient reçus, qu'ils devaient annoncer l'approche du royaume de
Dieu, que le dernier temps laissé à la pénitence était
arrivé et que la fin de Jean Baptiste était imminente. Ils
devaient baptiser, imposer les mains, chasser les démons. Il leur
enseigna comment ils devraient se comporter dans les discussions, ce qu'ils
auraient à faire pour reconnaître et éviter les adhérents
intéressés et les faux amis. Il leur dit que quant à
présent aucun d'eux n'était plus que les autres. Dans les
endroits qu'ils visiteraient ils devaient aller chez les gens pieux, vivre
de peu et pauvrement, n'être à charge à personne, etc.
Il leur dit encore de quelle façon ils devaient se diviser et se
réunir de nouveau, comment deux apôtres et quelques disciples
devaient aller ensemble et se faire précéder d'autres disciples
chargés de convoquer le peuple et d'annoncer leur arrivée,
etc. Les apôtres portaient avec eux de petits flacons d'huile : il
leur apprit à la consacrer et à en faire usage pour guérir
les malades. (Marc, VI, 7-13. Matth. X. Luc, IX.) Il leur donna aujourd'hui
tous les enseignements qui se trouvent dans l'Évangile touchant
leur mission : il ne leur annonça encore aucun danger qu'ils eussent
à courir, il dit seulement : " Aujourd'hui vous serez les bienvenus
partout, mais il viendra un temps où l'on vous Persécutera
".
Ils s'agenouillèrent en cercle autour de lui : il pria et leur
mit les mains sur la tête : quant aux disciples il se borna à
les bénir. Ensuite ils s'embrassèrent et se séparèrent.
Il leur avait indiqué des directions et assigné un temps
où ils auraient à se rapprocher de lui : alors les disciples
devaient se remplacer tour à tour près de lui et près
des apôtres et porter des messages des uns aux autres. Les six apôtres
qui l'accompagnèrent furent Pierre, Jacques le Mineur, Jean, Philippe,
Thomas et Judas, outre douze disciples dont étaient les trois frères
Jacques, Sadoch et Eliachim, fils de Marie d'Héli, Manahem, Nathanaël,
surnommé le petit Cléophas, et plusieurs autres des plus
jeunes. Les six autres apôtres avaient avec eux dix-huit disciples,
parmi lesquels José Barsabas, Jude Barsabas, Saturnin et Nathanaël
Khased. Nathanaël, le fiancé de Cana, n'alla pas avec eux,
il était chargé d'autres affaires pour la communauté
et il exerçait son action dans un cercle plus rapproché de
lui comme Lazare. Ils pleurèrent tous en se séparant. Les
apôtres qui partaient descendirent à l'est vers le Jourdain
: je vis de ce côté un endroit nommé Lekkum à
environ un quart de lieue du fleuve. Je ne sais pas s'ils y allèrent
aujourd'hui ou s'ils commencèrent à travailler dans un des
villages voisins. Jésus, quand il eut descendu la montagne, fut
encore entouré d'une quantité de gens qui revenaient de Capharnaum
chez eux, et je crois qu'il passa ta nuit dans la petite bourgade qui est
au pied de cette montagne.
(16-18 décembre.) Ce matin je vis Jésus en compagnie
des disciples quitter ce petit endroit. Je l'ai vu au midi de Saphet, ville
située sur une haute montagne qu'on voit de loin. Cet endroit, où
l'on voit plusieurs tours demi circulaires, est situé plus haut
que le lieu où Jésus donna leur mission aux disciples. Je
croyais que Jésus voulait y aller : mais vers trois ou quatre heures,
je le vis arriver près d'un endroit qui est trois lieues plus au
midi que Saphet. Le chemin allait le plus souvent en descendant ; quelquefois
pourtant il y avait des montées. Quoique cet endroit fût sur
une colline, on ne pouvait pas le voir à cause de la quantité
d'arbres et de buissons qui l'entouraient. C'est Hukoke (Hukaka), ou plutôt
le faubourg de cette ville qui est à un quart de lieue de là.
Beaucoup de personnes vinrent au-devant de Jésus et l'accueillirent
avec beaucoup de joie, lui et ses disciples.
Non loin de là était un puits près duquel l'attendaient
un aveugle et plusieurs boiteux qui implorèrent son secours. L'aveugle
avait les yeux malpropres. Jésus lui ordonna de se laver je visage
à la fontaine : quand il eut fait cela, Jésus lui oignit
les yeux avec de l'huile, puis il cueillit une petite branche sur un arbuste,
la lui mit devant les yeux et lui demanda s'il voyait quelque chose. Cet
homme ayant répondu qu'il voyait un très grand arbre, Jésus
lui frotta les yeux de nouveau et lui répéta sa question
: alors cet homme se jeta à ses pieds transporté de joie
et lui dit : "Seigneur, je vois des montagnes, des arbres, des hommes :
je vois tout ! "Il y eut une grande allégresse parmi les assistants,
et l'aveugle fut ramené à la ville. Jésus guérit
encore les boiteux et les paralytiques qui l'entouraient, s'appuyant sur
des béquilles. Ces béquilles étaient d'un bois léger,
mais très fort : chacune d'elles avait trois pieds et se tenait
debout toute seule : on pouvait les lier ensemble de manière à
ce que les malades s'y appuyassent sur la poitrine.
Quand l'aveugle fut revenu à la ville, faisant éclater
sa joie, beaucoup de personnes en sortirent encore, parmi lesquelles les
chefs de la synagogue et les maîtres d'à côté
avec une troupe d'enfants. Jésus, suivi de la foule, se rendit à
l'école ; il y enseigna sur quelques-unes des béatitudes,
et raconta aussi des paraboles. Il exhorta tous ses auditeurs à
la pénitence, parce que le royaume de Dieu était proche,
etc. Il expliqua les paraboles en grand détail : ses disciples étaient
présents. Il leur avait dit de faire bien attention à ce
qu'il dirait, afin de le répéter lorsqu'ils se disperseraient
dans les hameaux et les maisons des environs. C'est ainsi qu'en écoutant
ses prédications publiques, ils s'instruisaient de ce qu'ils enseignaient
à leur tour dans le pays ; car les apôtres, accompagnés
de plusieurs disciples, se divisaient ordinairement pour aller guérir
et enseigner dans les bourgades voisines, après quoi ils se réunissaient
de nouveau le soir devant l'endroit où Jésus était
allé. Il entra ici avec les disciples chez le chef de la synagogue,
et ils y mangèrent du poisson, du miel, des petits pains et des
fruits.
Les apôtres en mission passèrent, je crois, la journée
d'aujourd'hui à Lekkum et dans les environs.
(17 décembre.) Hukok est à cinq lieues à peu près
au nord-ouest de Capharnaum, à cinq lieues au sud-ouest de la montagne
où les apôtres ont reçu leur mission, et à trois
lieues au sud de Saphet. Il n'y a ici que des Juifs qui sont assez bien
disposés. Ils ont reçu, pour la plupart, le baptême
de Jean. Les habitants fabriquent de belles étoffes ; ils font des
bandelettes de laine fine, et aussi des houppes et des franges de soie
: ils confectionnent beaucoup d'objets en soie : ils font, en outre, des
chaussures de tricot sous lesquelles on met des semelles et qui se plient
par le milieu : elles sont très commodes : il y a des ouvertures
par lesquelles la poussière s'échappe.
Le matin, Jésus enseigna et guérit encore dans le faubourg.
Vers midi je le vis entrer à Hukok même en compagnie de beaucoup
de personnes. Les apôtres et plusieurs disciples se répandirent
deux par deux dans la ville et dans les environs. La ville doit avoir été
autrefois une place forte. Elle est entourée de plusieurs fossés
et on y entre par un pont. De la porte on voit la synagogue, bel édifice
situé assez avant dans l'intérieur de la ville. Les fossés
sont à présent desséchés. Il y a autour de
la ville des avenues et un grand nombre d'arbres : on ne voit les maisons
que lorsqu'on en est tout près. Le préposé et ses
assesseurs du faubourg font aussi le service à la synagogue de la
ville, qui est extraordinairement belle. Elle est tout entourée
de colonnes que l'on peut dégager pour l'agrandir lorsque la foule
est considérable. Elle se termine par un hémicycle qui est
fermé. Elle est située sur une place au bout de la rue par
laquelle on entre. La ville tout entière est propre et bien bâtie.
Tout le peuple se rassembla dans la synagogue. Jésus alla auparavant
dans deux portiques séparés, et il guérit dans l'un
des hommes, dans l'autre des femmes affligées de maladies de toute
espèce. On lui amena un grand nombre d'enfants malades, dont quelques-uns
étaient dans les bras de leurs mères : il les guérit
et bénit plusieurs enfants bien portants.
Dans la synagogue, Jésus enseigna sur la prière et sur
le Messie. Il dit que le Messie était déjà dans le
monde, qu'il était leur contemporain, qu'il enseignait sa doctrine.
Il parla de l'adoration en esprit et en vérité, et je compris
qu'il s'agissait de l'adoration en esprit et en Jésus-Christ, car
il était la vérité, le vrai Dieu, le Dieu vivant incarné,
le fils conçu du Saint-Esprit. Les docteurs lui demandèrent
à ce sujet d'une façon tout amicale de dire qui il était
réellement, d'où il venait, et si ses parents et ses alliés
avaient véritablement droit à ce titre. Ils le priaient de
dire nettement s'il était bien le Messie, le Fils de Dieu. Il serait
bon, ajoutaient-ils, que les docteurs de la loi sussent à quoi s'en
tenir : ils avaient autorité sur le peuple, et il serait bon qu'ils
le reconnussent, etc. Jésus leur répondit, d'une manière
évasive, que s'il disait : " C'est moi ! " ils ne le croiraient
pas, et répéteraient qu'il est le fils de telle et telle
personne. Il ne fallait pas ajouta-t-il, faire de questions sur son origine,
mais considérer ses enseignements et ses actions : le Fils du Père
est celui qui accomplit la volonté du Père, car le Fils est
dans le Père et le Père dans le Fils, et quiconque fait la
volonté du Fils fait la volonté du Père ". Ce qu'il
dit à ce sujet, et aussi sur la prière, fut si beau, que
plusieurs s'écrièrent : " Seigneur, vous êtes le Christ
! vous êtes la vérité ! " et se prosternèrent
devant lui pour l'adorer. Mais il dit encore : " dorez le Père en
esprit et en vérité ". Puis il se rendit de la ville dans
le faubourg avec le chef de la synagogue, chez lequel il mangea et passa
la nuit ainsi que les disciples. Dans ce faubourg, il y a une école
et pas de synagogue : mais cette école est très fréquentée.
On continua à célébrer la fête des lumières
(de la Dédicace).
(18 décembre.) Ce matin, Jésus enseigna encore à
Hukok : il revint sur les interrogations qui lui avaient été
adressées pour savoir s'il était le Messie : il expliqua
la parabole du semeur, et les différentes manières dont la
semence est reçue : puis il parla du bon pasteur, qui est venu pour
chercher les brebis égarées, quand même il n'en devrait
rapporter qu'une seule sur ses épaules. Il dit que le bon pasteur
continuerait son oeuvre jusqu'au moment où ses ennemis le mettraient
à mort ; que ses serviteurs et les serviteurs de ceux-ci feraient
de même jusqu'à la fin des temps. Quand même tout cela
n'aboutirait qu'à sauver une seule brebis, l'amour y trouverait
sa joie, etc. Il parla à ce sujet d'une manière très
touchante.
Les apôtres et quelques disciples ayant pris les devants, lui-même
partit, vers midi, en compagnie de quelques autres disciples, et suivit
à peu près le chemin par lequel il était venu, se
dirigeant vers Bethanath, à une lieue et demie au sud-est de Saphet.
Comme il était à peu près à une demi lieue
de Bethanath, un aveugle vint à sa rencontre, conduit par deux jolis
enfants ils avaient de petites robes courtes de couleur jaune et de grands
chapeaux d'écorce tressée : c'étaient des fils de
Lévites. L'aveugle était un homme de condition, déjà
vieux : il attendait depuis longtemps l'arrivée de Jésus.
Il vint en toute hâte à sa rencontre lorsque ses jeunes conducteurs
le virent venir, et il lui cria de loin : "Jésus, fils de David,
secourez-moi ! ayez pitié de moi ! "Quand il fut devant lui, il
se jeta à ses pieds et dit : " Seigneur, vous me rendrez certainement
la lumière ! je vous attends depuis si longtemps ! j'avais depuis
si longtemps l'assurance intérieure que vous viendriez et que vous
me guéririez ! " Jésus lui dit : " si vous croyez, qu'il
vous soit fait selon votre foi ! " Puis il alla avec lui à une source
qui était dans le bois voisin, et lui dit de se laver les yeux.
Or, les yeux de cet homme ainsi que son front étaient pleins d'ulcères
et recouverts d'une espèce de croûte : quand il se fut lave,
cette croûte tomba, et Jésus lui oignit avec de l'huile les
yeux, le front et les tempes. Alors il recouvra la vue et rendit grâces
à Jésus, qui bénit en outre les deux enfants et dit
qu'ils annonceraient un jour la parole de Dieu.
Ils se rapprochèrent alors de la ville, devant laquelle les
apôtres et les autres disciples se réunirent à eux.
Beaucoup d'habitants de la ville s'étaient rassemblés là,
et quand ils virent l'aveugle revenir guéri, la joie fut grande
parmi eux. Cet homme s'appelle Ctésiphon : mais ce n'est pas cet
autre aveugle du même nom, également guéri par Jésus,
qui plus tard, devint disciple et alla dans les Gaules avec Lazare.
Jésus, accompagné des Lévites et de tout le peuple,
alla à la synagogue où il enseigna. On continue toujours
à célébrer la fête des Lumières, et c'est
comme un temps de vacances. Jésus commenta encore ici les paraboles
du semeur et du bon pasteur. Ses auditeurs étaient bien disposés
et heureux de l'avoir au milieu d'eux. Il logea et prit sa nourriture dans
la maison des Lévites, près de l'école. Il n'y avait
pas de Pharisiens ici. Les lévites vivaient en commun comme dans
un couvent, et ils envoyaient quelques uns des leurs en mission dans d'autres
endroits. Cette ville de Bethanath était autrefois fortifiée
et habitée par des païens que les enfants de Nephtali, au lien
de lés exterminer, avaient laissé subsister à la condition
de payer un tribut. Maintenant il n'y a plus de païens. Ils furent
chassés lorsque le temple fut rebâti et qu'Esdras et Néhémie
contraignirent les Juifs à se séparer des femmes païennes
qu'ils avaient épousées. Dieu, par la bouche des prophètes,
avait menacé les Israélites de châtiments sévères
s'ils ne renonçaient pas à ces sortes d'unions et s'ils ne
chassaient pas les païens du pays, afin de ne pas rester exposés
à la tentation de se mêler avec eux par ces mariages mixtes.
Ces menaces ont eu leur accomplissement car, autour du Thabor et dans la
chaîne qui sépare Endor de Scythopolis, là où
les montagnes sont si enchevêtrées et où je vois dans
le sein de la terre une si grande quantité d'or qu'on n'en retire
pas, les païens n'ont pas été chassés et le pays
est devenu un désert.
Lorsque Jésus alla à Abez et près d'Endor, et
que Je vis à cette occasion la défaite de Saul, j'eus un
aperçu général de cet amas confus de montagnes qui
se trouve entre Endor, Dothain, Scythopolis et Aser Michmethath. Je vis
courir là beaucoup d'ânes sauvages : je crois aussi y avoir
vu des chameaux qui, lorsqu'ils se dérobaient à un danger
par la fuite, prenaient entre leurs dents leurs petits encore inexpérimentés
et les plaçaient ainsi sur leur des. Peut-être aussi étaient
ce d'autres animaux. Je vis alors dans ces montagnes beaucoup d'airain,
ayant l'éclat de l'or, lequel n'a jamais été exploité
et doit un jour être retiré du sein de la terre ; peut-être
est-ce quelque autre métal brillant. Il m'est impossible de décrire
la manière dont ces montagnes s'enchevêtrent les unes dans
les autres. Je vis alors aussi le champ où Joseph fut vendu : c'est
dans une gorge en face de la vallée du Jourdain. A deux lieues à
l'est de Dothain et au nord d'Aser Michmethath.
J'ai vu cette nuit Marthe délibérer avec les saintes
femmes chez la sainte Vierge ; elle veut, si Jésus fait encore quelque
part une instruction solennelle, se rendre auprès de Madeleine et
essayer de la décider par tous les moyens possibles, à aller
avec elle entendre cette instruction : toutes veulent supplier Jésus
de lui venir en aide. Elle espère que sa pauvre soeur pourra revenir
à Béthanie vers Pâques.
(19 décembre.) Aujourd'hui Jésus, accompagné des
apôtres et des disciples, parcourut jusqu'au soir les environs de
Saphet ; les apôtres se dispersèrent dans le pays et ils vinrent
ensuite le rejoindre, quelquefois deux à deux, quelquefois en plus
grand nombre. De Bethanath Jésus se dirigea au nord vers Galgala,
un grand et bel endroit situé des deux côtés d'une
grande route. Il alla à la synagogue avec plusieurs disciples :
il y avait là des Pharisiens, et il parla contre eux en termes très
sévères ; il commenta tous les passages du prophète
Malachie où il est parlé du Messie, du précurseur
et du nouveau sacrifice sans tâche, et il annonça que les
temps prédits par le prophète étaient arrivés.
D'ici il se dirigea à l'est vers Elkèse lieu de naissance
du prophète Nahum, situé au nord de Saphet ; il y enseigna
quelque temps. On trouve dans le voisinage un étang formé
par une source dont l'eau se sépare en deux bras qui vont, l'un
à l'ouest, l'autre au sud, se jeter dans le Jourdain supérieur
et dans la mer de Galilée. Il y a près de cet étang
une maison de lépreux : Jésus en guérit sept à
huit et leur ordonna d'aller à Saphet se présenter aux prêtres.
Il enseigna aussi des bergers. On trouve là des prairies dont l'herbe
est d'une hauteur extraordinaire : beaucoup de chameaux vont y paître.
Jésus alla encore aujourd'hui près d'une montagne où
sont de nombreuses grottes, habitées par des païens qu'il enseigna.
Il fut en marche toute la journée enseignant et guérissant,
car partout sur sa route on lui amenait des malades.
Vers le soir il arriva à Béthan, bourgade située
à l'ouest au-dessous de la montagne de Saphet, à une lieue
environ de Bethanath d'où il était parti le matin. Ce petit
endroit est une colonie de Bethanath ; car ce sont des habitants de cette
ville qui se sont établis là : il est placé au pied
du versant occidental de la hauteur escarpée que couronne Saphet,
et du haut de laquelle le regard plonge dans l'intérieur de Bethan.
Jésus y alla chez des gens alliés à sa famille La
fille d'une soeur d'Elisabeth s'était mariée là :
je ne la connaissais pas encore. Elle avait cinq enfants dont le plus jeune
était une fille âgée d'environ douze ans ; les fils
avaient déjà dix-huit à vingt ans. Cette famille et
d'autres familles animées des mêmes sentiments s'étaient
agglomérées sous les murs de la ville et occupaient une série
d'habitations pratiquées dans le mur même ou dans le rocher
: tous appartenaient à cette catégorie d'Esséniens
qui vivaient dans l'état du mariage, et le mari de la nièce
d'Elisabeth était leur chef Cette famille avait ici un bien patrimonial
c'étaient des gens très pieux. Ils parlèrent de Jean
à Jésus et demandèrent avec inquiétude s'il
ne serait pas bientôt mis en liberté. Jésus leur répondit
d'une façon qui les rendit pensifs et mélancoliques : toutefois
Jean était venu les voir lorsqu'il quitta pour la première
fois le désert qui avoisine les sources du Jourdain, et ils étaient
allés des premiers recevoir le baptême de sa main. Ils parlèrent
aussi à Jésus de leurs fils, disant qu'ils voulaient les
envoyer prochainement partager les travaux des pêcheurs de Capharnaum
Jésus dit à ce sujet que les pêcheurs en question avaient
entrepris un autre genre de pêche, et que ces jeunes gens se joindraient
aussi à lui quand le temps serait venu. Ils ont fait partie en effet
des soixante-douze disciples. Jésus prêcha et guérit
ici Je l'entendis dire, je ne sais plus à quelle occasion, que les
autres disciples étaient sur les confins de Tyr et de Sidon, et
que lui-même voulait aller en Judée.
Je remarquai que Thomas se réjouissait fort de ce voyage, parce
qu'il prévoyait que les Pharisiens de la Judée feraient à
Jésus une opposition plus vive et qu'il espérait avoir l'occasion
de disputer contre eux. Il parla dans ce sens aux autres disciples, qui
ne voyaient pas ce projet d'aussi bon oeil. Mais Jésus blâma
son zèle excessif et lui dit que lui-même un jour se refuserait
à croire : c'était ce que Thomas ne pouvait pas se figurer.
(20 décembre.) Le matin Jésus guérit et enseigna
à Béthan en compagnie des disciples. Il expliqua dans l'école
la seconde béatitude Dans l'après-midi il donna des instructions
aux disciples sur la manière dont ils devaient enseigner. Cependant
des Pharisiens de Saphet étaient descendus pour l'inviter au sabbat.
Il expliqua encore la parabole des différents terrains sur lesquels
tombe la semence : ils ne voulurent pas comprendre ce qu'il disait du terrain
pierreux, et ils disputèrent contre lui à ce sujet ; mais
il les réduisit au silence, et quand ils l'invitèrent pour
le sabbat, il répondit qu'il irait avec eux à cause de la
brebis égarée, mais qu'eux, les Sadducéens (il y en
avait parmi eux), se scandaliseraient à son sujet. " Maître,
lui répondirent-ils, c'est notre affaire ". Il leur dit encore qu'il
les connaissait bien, et qu'il savait combien ils commettaient d'iniquités
dans le pays. Il sortit ensuite de Bethan en compagnie nombreuse et monta
à Saphet qui, de ce côté, est bâtie sur la pente
escarpée de la montagne, de façon que les maisons sont les
unes au-dessus des autres. Les chemins se trouvent plus bas que les maisons,
auxquelles on monte par des degrés taillés dans le rocher
; il y a bien une demie lieue à faire pour arriver jusqu'au sommet,
où se trouve la synagogue : il y a là un plateau d'une certaine
étendue, après lequel la montagne s'abaisse vers le nord-est
par une pente moins escarpée. A l'entrée de la ville, les
meilleurs d'entre les habitants firent à Jésus une réception
solennelle : ils portaient des branches d'arbre à la main et chantaient
des cantiques ; on lui lava les pieds ainsi qu'à ses disciples,
et on leur offrit des rafraîchissements. Il se rendit alors à
la synagogue, où une foule nombreuse était rassemblée
; car on faisait la clôture de la fête des Lumières,
en même temps qu'on célébrait celle de la nouvelle
lune et le sabbat : d'ailleurs on était venu de toutes parts pour
voir Jésus et ses disciples.
Il y avait à Saphet beaucoup de Pharisiens, de Sadducéens
et de Scribes : il s'y trouvait aussi de simples Lévites. La ville
possédait une espèce d'école pour l'enseignement de
la loi, où un grand nombre de jeunes gens s'instruisaient dans les
arts libéraux et la théologie judaïque. Thomas y avait
été deux ans auparavant en qualité d'étudiant,
et il rendit visite à un Pharisien qui avait été son
principal professeur, et qui s'étonna fort de le voir en compagnie
de gens de cette sorte. Mais Thomas parla avec tant de chaleur de la doctrine
de Jésus et de ses actions qu'il le réduisit au silence.
Des Pharisiens et des Sadducéens de Jérusalem s'étaient
introduits dans cette école : ils s'y montraient fort arrogants,
et ils étaient à charge même aux Pharisiens et aux
docteurs de l'endroit. Quelques-uns d'entre eux s'étaient joints
à ceux qui étaient allés inviter Jésus, et
ils parlaient d'un ton doucereux de sa réputation et de ses miracles,
mais en ajoutant qu'il devait bien prendre garde de causer ici du désordre
et de l'agitation ; car ils avaient vu avec dépit qu'on lui eût
fait une réception aussi solennelle. Jésus leur répondit
à ce sujet devant tout le peuple ; c'était dans le vestibule,
avant l'ouverture du sabbat : il parla en termes sévères
du trouble et du scandale qu'ils excitaient dans le pays, mais sans s'expliquer
plus clairement, et il les somma de s'expliquer et de dire s'ils avaient
à lui reprocher quelque violation de la loi, à lui qui était
envoyé par son Père pour lui donner son accomplissement.
Pendant qu'il était en discussion avec eux, sept ou huit lépreux
qu'il avait guéris la veille à Elkèse vinrent, suivant
son ordre, se présenter à l'examen des prêtres, et
Jésus dit : "voyez comment j'accomplis la loi ! J'ai commandé
à ces gens de se présenter devant vous, quoiqu'ils n'y soient
pas obligés ayant été guéris en un instant
par l'ordre de Dieu et non par la médecine humaine. "Cette coïncidence
irrita fort les Pharisiens, et ils allèrent examiner ces gens :
on se contentait, en pareil cas, de regarder leur poitrine ; s'il n'y avait
plus de lèpre, c'était un signe qu'ils étaient entièrement
purifiés. Les Pharisiens, surpris et irrités de les trouver
parfaitement sains, furent obligés de les déclarer libres.
Jésus enseigna dans la synagogue sur la lecture du sabbat, puis
sur la Genèse et sur le premier livre des Rois et aussi sur les
dix commandements : il toucha plusieurs points à propos desquels
les Pharisiens et les Sadducéens ne purent se dissimuler qu'il faisait
allusion à eux. Il parla encore de l'accomplissement des promesses,
et annonça les jugements de Dieu qui allaient frapper tous ceux
que l'exhortation à la pénitence trouverait insensibles.
Il parla de la destruction du temple et de la dévastation de plusieurs
villes. Il parla de la loi véritable qu'ils ne comprenaient pas
et de leur loi datant d'hier, comme il l'appelait, qu'il rejeta complètement.
J'eus l'impression qu'il entendait par là quelque chose de semblable
aux livres actuels des Juifs, au Talmud par exemple, parce que les gens
d'ici étudiaient des livres de ce genre et y attachaient beaucoup
d'importance.
Après la synagogue il alla avec les disciples prendre son repas
chez un Pharisien de l'endroit qui était chargé d'héberger
les docteurs et les rabbins : les autres Pharisiens mangèrent avec
lui. Pendant ce repas Jésus réprimanda sévèrement
les Pharisiens parce qu'ils reprochaient aux disciples de ne pas se laver
les mains en se mettant à table et d'omettre diverses observations
relatives aux aliments, et parce qu'ils rudoyaient les gens de service
à propos de quelques petites négligences touchant la préparation
des mets et la propreté de la vaisselle. Ce fut quelque chose de
tout à fait analogue à ce qui est rapporté dans certains
passages de l'Ecriture (par exemple Matth. XV, I, etc. Marc, VII).
Dans la matinée on avait amené de la ville avec beaucoup
de peine, à cause de la difficulté des chemins, beaucoup
de gens atteints de maladies graves, dont quelques-uns étaient très
âgés ; on les avait fait entrer dans la cour de la maison
où Jésus logeait, et il les guérit les uns après
les autres. Il y avait des sourds, des aveugles, des paralytiques, des
boiteux, des infirmes de toute espèce. Jésus opéra
ses guérisons d'aujourd'hui par la prière, par l'imposition
des mains, par des onctions d'huile bénite, et en général
avec plus de cérémonies qu'à l'ordinaire, il s'entretint
à ce sujet avec les disciples et leur apprit comment ils devaient
faire usage de ces procédés : puis il donna aux malades des
avis appropriés à l'état de chacun.
Les Pharisiens et les Sadducéens venus ici de Jérusalem
se scandalisèrent fort à ce sujet : ils voulaient renvoyer
les nouveaux malades qui arrivaient et ils commencèrent à
contester vivement, disant qu'ils ne pouvaient pas tolérer ces violations
du sabbat. Comme ils faisaient grand bruit, Jésus les interpella
et leur demanda ce qu'ils voulaient. Ils entrèrent alors en dispute
avec lui sur son enseignement, où il ne cessait de parler du père
et du fils, tandis qu'on savait bien quels étaient ses parents.
Jésus répondit, à sa manière accoutumée,
que celui qui faisait la volonté du Père était le
fils du Père, tandis que celui qui n'observait pas les commandements
n'avait pas le droit de rien décider et devait se trouver heureux
de n'être pas chassé de la maison comme un étranger
et un intrus ; mais ils mirent encore en avant des griefs de toute espèce
contre ses guérisons ; ils lui firent aussi un crime de ne s'être
pas lavé la veille avant le repas et, comme ils réclamaient
vivement contre le reproche qu'il leur avait fait de ne pas observer la
loi, la chose alla si loin que Jésus écrivit sur la muraille
en caractères qu'eux seuls pouvaient lire, leurs péchés
et leurs prévarications secrètes, ce qui les frappa de terreur.
Je ne me souviens plus bien comment il fit cela : je crois que ce fut
avec le doigt : peut-être avait-il à la main la boîte
de couleurs dont il s'était servi pour écrire sa lettre à
Abgare. Il demanda aux Pharisiens s'ils voulaient que cela restât
écrit et vînt à la connaissance de tous, ou s'ils aimaient
mieux le laisser opérer tranquillement ses guérisons, auquel
cas ils pourraient l'effacer. Cela les effraya beaucoup : alors il se remit
à guérir et eux ils effacèrent ce qu'il avait écrit
et se retirèrent. Ils avaient commis diverses malversations avec
l'argent de certaines fondations pour les veuves et les orphelins, qu'ils
avaient appliqué à des bâtisses de toute espèce.
Saphet était pourvu de plusieurs fondations de ce genre et pourtant
il s'y trouvait beaucoup de gens dans la détresse.
Le soir Jésus acheva d'enseigner dans la synagogue et il passa
la nuit dans la maison où il avait mangé. Près de
la synagogue il y a une source d'eau jaillissante. La montagne de Saphet
est couverte de bocages et de jardins déjà verdoyants : on
rencontre sur le chemin qui y mène une grande quantité de
myrtes qui répandent une odeur très agréable. Il y
a ici beaucoup de grandes maisons carrées et des substructions sur
lesquelles on dresse dés tentes. On confectionne dans la ville beaucoup
de vêtements sacerdotaux et il s'y trouve un grand nombre d'étudiants
et de savants.
(22-24 décembre.) Ce matin Jésus a visité les
dépendances extérieures de la ville qui est disséminée
sur un grand espace, et il a guéri beaucoup de malades qu'on lui
amenait sur son chemin devant les maisons. Un neveu de Joseph d'Arimathie
et un fils de Séraphia étaient déjà partis
dès l'aurore pour Kiriathaim, ville située au sud-ouest,
à trois lieues d'ici, afin d'y préparer les logements. Jésus
lui-même partit vers le midi de Saphet. Les disciples quand ils sont
en route se dispersent de côté et d'autre : Jésus enseigne
et guérit, s'arrêtant souvent. Il se dirigea vers l'ouest
entre Bethan et Elkèse, puis il prit sa route vers le midi.
Un peu en arrière d'Elkèse, où il y a une belle
fontaine, on rencontre un petit lac ovale, grand comme celui des bains
de Béthulie : il en sort un cours d'eau qui descend au midi et arrose
la vallée qui va rejoindre au sud-est, en avant de Kiriathaim, celle
de Capharnaum. Cette vallée, dont la largeur varie souvent, s'étend
jusqu'à Capharnaum sur une longueur de sept lieues. En allant à
Kiriathaim, Jésus eut à passer la petite rivière qui
sort du lac. Il vint à lui sur le chemin quelques démoniaques
qui le prièrent de les secourir. Ils dirent que les disciples n'avaient
pas pu les délivrer. Ils croyaient qu'il y réussirait mieux.
Jésus leur répondit qu'ils ne devaient pas s'en prendre aux
disciples, mais à eux-mêmes et à leur manque de foi,
et il leur commanda d'aller à Kiriathaim et de jeûner jusqu'à
ce qu'il lui plut de les guérir. Ils devaient l'attendre en faisant
pénitence. A une demi lieue environ de Kiriathaim les Lévites
de l'endroit vinrent à sa rencontre, ainsi que beaucoup de gens
de bien et les maîtres d'école en compagnie des enfants. Les
deux disciples qui avaient retenu les logements s'y trouvaient aussi. On
le reçut près d'un jardin d'agrément. C'était
un endroit où l'on prenait des bains et où l'eau du petit
cours d'eau arrivait par un canal. Il y avait dans ce jardin beaucoup de
beaux arbres, de bosquets et d'allées couvertes : il était
entouré d'un terrassement et d'une haie extrêmement épaisse.
On lava les pieds à Jésus et aux disciples et on leur offrit
une réfection.
Jésus : enseigna quelque temps les enfants et les bénit.
Il pouvait être cinq heures lorsqu'ils allèrent à la
ville. Elle est située sur une colline et domine une vallée.
En allant à la synagogue il guérit dans les rues des malades
de toute espèce rangés sur son passage. A la synagogue Jésus
enseigna de nouveau sur les béatitudes : il parla aussi du châtiment
des Lévites qui avaient porté la main à l'arche d'alliance
et dit qu'un châtiment encore plus terrible était réservé
à ceux qui porteraient la main sur le fils de Dieu dont l'arche
n'était que la figure.
Il logea ici dans l'hôtellerie qu'on avait louée pour
lui. Elle était vide et je vis les disciples la garnir d'objets
appartenant à la communauté qu'on avait envoyés ici.
On leur portait leur nourriture d'une maison de la ville où l'on
faisait aussi la cuisine pour des malades. Les Lévites mangèrent
avec eux.
(23 décembre.) Kiriathaim est une ville de Lévites. Il
n'y a pas de Pharisiens. Il s'y trouve deux familles alliées à
celle de Zacharie. Jésus les visita : ils étaient inquiets
de Jean. Jésus leur exposa tout ce qui avait précédé
la naissance de Jean, tout ce qui l'avait accompagnée, ainsi que
son genre de vie merveilleux et sa mission. Il rappela aussi à leur
souvenir beaucoup de choses relatives à la naissance du fils de
Marie, et leur fit voir que ce qui arrivait à Jean était
dans les desseins de Dieu et qu'il devait mourir quand il aurait accompli
sa mission. Il les prépara ainsi à sa mort prochaine.
Jésus rencontra près de la synagogue les deux possédés
qui étaient venus la veille et beaucoup d'autres malades qui le
conjurèrent de les guérir. Il en guérit plusieurs,
il en renvoya d'autres, après leur avoir imposé un certain
nombre de jeûnes, d'aumônes et de prières. Il donna
ici de ces sortes d'injonctions plus qu'il ne le faisait ordinairement
: ce fut peut-être parce qu'on y observait la loi plus strictement
qu'ailleurs. Il alla ensuite avec les disciples au jardin où on
l'avait reçu hier. Il y enseigna et les disciples baptisèrent.
Il y avait dans le voisinage quelques troupes de païens campés
sous des tentes qui l'attendaient ici. De Capharnaum on les avait adressés
ici. On baptisa aussi quelques Juifs guéris par Jésus : il
y eut bien en tout une centaine de personnes. Ils se tenaient dans l'eau
autour d'un bassin. Pierre et Jacques le Mineur administrèrent le
baptême, les autres imposèrent les mains.
Le soir, Jésus revint à la ville : il enseigna sur les
huit béatitudes et aussi sur les assurances trompeuses des faux
prophètes qui avaient contredit aux menaces des prophètes
véritables, tandis que les prédictions de ceux-ci s'étaient
toujours accomplies. Il répéta ses avertissements prophétiques
touchant ceux qui ne recevraient pas l'envoyé de Dieu. Les parents
de Zacharie qui étaient Lévites, mangèrent avec lui
ainsi que d'autres personnes.
(24 décembre.) Aujourd'hui vers midi, Jésus est parti
de Kiriathaim avec les disciples, se dirigeant vers le midi. Les Lévites
et les enfants des écoles l'escortèrent solennellement à
son départ comme ils l'avaient fait pour son entrée. Il y
a dans cet endroit un transit considérable de marchandises : les
habitants confectionnent des habits sacerdotaux et travaillent la soie
qui leur vient de l'étranger. Ils ont aussi de l'autre côté
de la vallée, sur le coteau méridional ou se trouve un endroit
appelé Naasson, des plantations de cannes à sucre dont ils
font le commerce. Jésus traversa la vallée et franchit ce
coteau. Les disciples se dispersèrent et se rendirent soit à
la ville qui est près de là, soit dans quelques endroits
qui sont dans la vallée plus au levant. Jésus enseigna sur
une éminence près de Naasson : il rencontra encore des gens
venant de Capharnaum, notamment des païens. Souvent des troupes entières
l'accompagnaient assez longtemps. Je le vis encore chez des bergers et
ailleurs guérir plusieurs personnes, parmi lesquelles deux hommes
tout contrefaits qui étaient couchés au bord de la route,
ayant une de leurs jambes toute contractée et l'autre étendue
dans toute sa longueur. Il les prit par la main et leur commanda de se
lever. Ils auraient désiré le suivre, mais il ne le leur
permit pas. Il traversa encore une vallée et arriva sur une hauteur
devant une ville : je crois que ce peut être Abram sur le territoire
de la tribu d'Aser. Il s'arrêta à l'entrée dans une
hôtellerie. Il y a devant la ville de beaux jardins et des espaliers.
Il entra dans l'hôtellerie avec deux disciples seulement : je crois
que les autres ne le rejoindront pas encore. La hauteur se prolonge à
l'est entre la vallée de Magdalum et le village du centurion Zorobabel,
qui est bien à sept ou huit lieues. Cette contrée, située
au levant d'un contrefort du Liban qui descend vers la vallée de
Zabulon, est très agréable et très riche en pâturages
: beaucoup de bestiaux et de chameaux paissent dans le gazon touffu. Au
levant du côté du lac il y a surtout des arbres fruitiers.
Lorsque Jésus alla de Bethanath à Galgala, il avait Thisbé
à sa droite : on laisse cette ville à gauche quand on va
de Saphet à Adama qui est près du lac Mérom.
Beaucoup de partisans d'Hérode sont déjà en route
pour Machérunte à l'occasion de la fête de ce Prince.
Je crois que Jésus fera bientôt une grande instruction
en Galilée, et que c'est peut-être là que Madeleine
se convertira. Abram est à trois lieues environ au midi de Kiriathaim.
Mais Jésus n'a pas pris le chemin direct et il a fait au moins cinq
lieues.
(25 décembre.) La ville devant laquelle Jésus est arrivé
hier, est Abram : elle est située dans l'angle qui termine au nord
le territoire de la tribu d'Aser, tout prés de l'extrémité
nord-ouest de celui de la tribu de Zabulon. Dans la vallée au nord
se trouve la limite entre Nephtali et Zabulon, qui court de l'ouest à
l'est. La ville s'étend sur la montagne au nord et au levant et
elle est traversée par une arête élevée qui
sépare Aser et Zabulon.
Sur le soir, Thomas, Jean et Nathanaël revinrent trouver .Jésus
à l'hôtellerie. Les autres disciples étaient encore
dans les villes d'alentour. La limite qui sépare les tribus d'Aser
et de Nepthali ; divise dans sa longueur la montagne sur laquelle Abram
est située : je crois l'avoir portée trop au nord hier.
Jésus resta hier soir dans l'hôtellerie qui est devant
la ville et il y enseigna. Beaucoup de personnes s'y étaient rassemblées.
Ce matin, le maître de l'hôtellerie soumit à sa décision
une contestation relative à un puits voisin qui servait à
abreuver les troupeaux et dont il avait la surveillance. Le voisinage des
tribus et la grande quantité de pâturages qui se trouvaient
sur la hauteur occasionnaient des disputes fréquentes concernant
le puits. Le maître de l'hôtellerie lui dit : " Seigneur, nous
ne vous laisserons point partir que vous n'ayez tranché notre contestation.
"Jésus rendit une décision que je ne me rappelle plus bien,
mais dont voici à peu près le sens. On devait de chaque côté
laisser en liberté la même quantité de bétail,
et le droit principal à l'usage du puits devait échoir à
ceux dont les bestiaux s'y rendraient d'eux-mêmes en plus grand nombre.
Il prit occasion de là pour leur donner des enseignements très
profonds sur l'eau vive qu'il voulait leur donner et qui devait appartenir
à ceux qui la désireraient le plus ardemment. C'était
un enseignement plus profond encore que celui qu'il avait donné
près du puits de Jacob, à Dina, la Samaritaine. Il enseigna
encore jusque vers dix heures devant la ville, puis il y entra. Abram est
divisée en deux parties situées sur deux rues et qui forment
comme deux gros bourgs : il s'y trouve beaucoup de jardins et de champs
cultivés. Les habitants et les docteurs préposés aux
écoles vinrent encore à la rencontre de Jésus devant
la ville : ils lui lavèrent les pieds, lui offrirent une réfection
et le conduisirent à la synagogue.
En y allant il guérit encore plusieurs malades couchés
le long du chemin : la plupart étaient estropiés : il y avait
aussi quelques vieillards d'une maigreur effrayante et quelques démoniaques
qui n'étaient pas furieux, mais qui erraient ça et là
murmurant entre leurs dents, répétant des mots sans suite,
toujours les mêmes, ou bien injuriant les passants : c'étaient
des gens de même espèce que ces idiots, souvent assez méchants,
qu'on voit parfois errer dans nos villes. Ils vinrent comme malgré
eux aux endroits où était Jésus, et ils répétaient
sans cesse les mêmes paroles : " Jésus de Nazareth ! Jésus
prophète ! Fils de Dieu ! Jésus de Nazareth ! " Il les délivra
en les bénissant. Dans la synagogue il enseigna et commenta une
des béatitudes, et en outre des textes du prophète Malachie
sur Jean, sur le Messie, sur le nouveau sacrifice, etc.
Il y avait ici des Pharisiens, des Sadducéens et des Lévites,
et deux synagogues dans les deux parties de la ville. Les Sadducéens
avaient leur synagogue particulière où Jésus n'enseigna
pas. Les Pharisiens furent tout à fait convenables à son
égard. Le soir, il retourna à son hôtellerie : elle
était à un bon quart de lieue de l'entrée méridionale
de la ville.
C'est une hôtellerie spéciale établie ici par Lazare
pour Jésus et ses disciples. Lazare est venu ici récemment
: il s'est rendu avec Marthe de Judée en Galilée, pour préparer
des logements en divers lieux : toutefois il est revenu sans accompagner
sa soeur à Capharnaum. L'hôtellerie est tenue par des gens
de la vallée de Zabulon, alliés à la famille de Jésus.
Ce sont des Esséniens vivant dans l'état du mariage. Le mari
descend de la famille d'un Zacharie qui fut tué entre le temple
et l'autel : la femme est petite-fille d'une des soeurs de sainte Anne,
dont le nom ne me revient pas maintenant. Ils ont de grands enfants. Ils
sont propriétaires de troupeaux et ils possèdent des pâturages
dans le voisinage de Jazer, près du champ où Joachim pria
avant la conception de Marie. Comme ils ont peu d'occupation chez eux en
ce moment, ils sont venus ici : d'autres les remplaceront plus lard. L'hôtellerie
était comme le sont toutes les autres, bien tenue, mais modestement.
On y avait pour nourriture du pain, du miel, des fruits et du poisson.
Il y a dans ses dépendances un jardin, un champ et un puits. A Abram
comme à Saphet on rencontre souvent des substructions en pierre
sur lesquelles on peut dresser des tentes : il en est de même a Kiritbaïn1
et à Naasson. Il n'y a pas de paiens dans la ville, mais seulement
sur la pente de la montagne dans quelques groupes de maisons.
(26 décembre.) Ce matin, de bonne heure, quelques-uns des apôtres
et des disciples qui s'étaient séparés de Jésus
devant Kiriathaim, sont venus ici : André et Matthieu, qui faisaient
partie d'une autre troupe, sont aussi revenus, et Thomas et Jacques le
Mineur sont allés les remplacer près des autres, lesquels
sont maintenant à Achzib, ville maritime de la tribu d'Aser, qui
est à dix ou douze lieues à l'ouest d'ici. Il est venu avec
André quinze à vingt personnes, étrangers ou malades
récemment guéris qui veulent entendre la prédication
de Jésus. Les deux apôtres ont raconté en détail
ce qui s'est passé : tout leur a réussi partout où
ils sont allés : guérisons, expulsions de démons,
prédications et baptêmes. Il vint dans la matinée,
à l'hôtellerie de Jésus, un très grand nombre
de malades et de gens avant besoin de conseils ou de consolations. C'étaient
encore pour la plupart des boiteux avec les membres tordus, de vieilles
gens tout décharnés, des démoniaques murmurant des
paroles inarticulées : il y avait aussi des femmes malades qui se
tenaient dans un endroit séparé. Les paralytiques guéris
hier par Jésus voulaient se faire ses aides auprès des autres
malades, mais il les remercia en disant qu'il était venu pour servir
et non pour être servi. Jésus guérit et enseigna toute
la matinée, et il eut ensuite à apaiser une contestation
concernant un puits. Comme les frontières des trois tribus d'Aser,
de Nephtali et de Zabulon se touchaient ici, et que l'on y faisait paître
beaucoup de troupeaux, il y avait sans cesse des démêlés
à propos des puits. Un de ces bergers se plaignait que d'autres
que lui fissent usage d'un puits creuse par ses pères : il consentait
du reste à se soumettre à la décision de Jésus,
mais il ne voulait pas aliéner complètement les droits de
ses descendants. Jésus décida (j'ai oublié sur quels
motifs) qu'il devait creuser un puits dans un autre endroit qu'il lui désigna,
disant qu'il y trouverait de meilleure eau et en plus grande abondance.
Les disciples et Jésus prirent encore un petit repas dans l'hôtellerie,
après quoi il allèrent à la ville. Sur le chemin et
jusqu'à la synagogue Jésus guérit encore plusieurs
malades. J'ai oublié de dire que, dans la matinée on a baptisé
vingt à trente Juifs et parmi eux, de ceux qui étaient venus
avec André et Matthieu. Il n'y avait pas ici de pièce d'eau
où l'on pût descendre : on les baptisa rangés en cercle
et agenouillés, avec de l'eau prise dans un bassin.
Les gens que Jésus guérit dans la ville étaient
presque tous affectés des maladies décrites plus haut : ces
maladies devaient tenir à certains égards à la situation
élevée de la ville et à la manière de vivre
de ses habitants. Il entra encore dans deux maisons pour y guérir
et il s'occupa beaucoup des enfants qui se tenaient rangés pour
l'attendre au coin des rues et partout où ils trouvaient de la place.
Il les questionna, leur donna des instructions et les bénit. Des
mères lui apportèrent aussi quelques enfants malades qu'il
guérit. Il s'était rassemblé ici beaucoup de gens
des environs.
Dans la synagogue les Pharisiens furent pleins d'égards pour
lui : ils lui cédèrent la première place, firent ranger
ses disciples autour de lui et lui présentèrent un volume
des Ecritures. Il enseigna encore sur l'une des huit béatitudes
; il parla en outre des grandes persécutions auxquelles lui et les
siens seraient en butte, ainsi que des terribles châtiments et de
la destruction dont Jérusalem et le pays étaient menacés.
Les Pharisiens l'interrompirent plusieurs fois pour le prier d'expliquer
telle ou telle de ses paroles. C'est chose assez ordinaire.
Les gens d'ici sont très laborieux, ils apprêtent du coton
pour le vendre et fabriquent de larges pièces d'étoffe de
moyenne finesse ; ils filent aussi une plante qui ressemble au lin. La
tige est plus grosse que celle du lin : on la divise dans le sens de la
longueur en parties très minces qu'on passe sur un os ou sur un
morceau de bois pointu de manière à en tirer des fils très
longs et très fins. Ils sont d'un jaune brillant et on les file
pour faire des robes. Ce n'est pas du lin ni du chanvre comme il y en a
chez nous. Ils font aussi des couvertures de tentes et des cloisons légères
en nattes.
(27 décembre.) Pendant toute la matinée et une partie
de l'après-midi, Jésus et les apôtres visitèrent
différentes maisons du quartier méridional de la ville ;
ils enseignèrent, consolèrent, réconcilièrent
et exhortèrent à l'union, à la charité, à
la concorde, etc. Quand la famille était nombreuse, l'enseignement
était pour elle seule : le plus souvent les disciples convoquaient
plusieurs familles voisines à se réunir. Tous les commensaux
de la maison étaient présents. Il pacifiait alors toutes
les querelles et réglait tous les différends. Ces visites
se faisaient la plupart du temps dans des maisons où se trouvaient
de très vieilles gens qui ne pouvaient pas quitter leurs lits pour
aller l'entendre à la synagogue. Je vis aussi des hommes très
âgés recevoir le baptême sur leurs couches. Il y en
avait deux qui ne pouvaient se mettre sur leur séant qu'avec le
secours d'autrui : ils furent baptisés avec de l'eau qu'on prit
dans un bassin.
Dès le premier jour de son arrivée à Abram, Jésus
exhorta deux couples de fiancés et assista aux fiançailles.
Aujourd'hui trois couples se réunirent dans une maison : les pères
et mères étaient présents ainsi que les plus proches
parents : les Pharisiens s'y trouvaient aussi et Jésus fit une instruction
sur le mariage. Il parla de la soumission de la femme comme prescrite par
le décret divin rendu après le péché de nos
premiers parents : il ajouta que les hommes devaient honorer dans leurs
femmes la promesse ; " que la semence de la femme écraserait la
tête du serpent ". Maintenant surtout que le temps de l'accomplissement
était proche et que la grâce allait prendre la place de la
loi, les femmes devaient obéir par un sentiment de respect et d'humilité
et les hommes commander avec amour et avec indulgence. Il dit encore dans
cette instruction qu'il ne fallait pas demander comment le péché
était entré dans le monde ; qu'il était entré
par la désobéissance, comme le salut par l'obéissance
et par la foi. Je ne puis pas bien répéter cela comme il
le dit. Il parla aussi du divorce : et que le mari et la femme n'étaient
qu'une seule chair et qu'ils ne devaient pas être séparés
: que dans le cas où il résulterait un grand mal de leur
cohabitation, ils pouvaient vivre à part l'un de l'autre, mais sans
pouvoir se remarier. Les lois, disait-il sont faites, à certains
égards, pour les peuples enfants et grossiers : mais maintenant
que l'enfance est passée et que la plénitude des temps est
arrivée, les époux séparés ne peuvent se remarier
sans violer les lois éternelles de la nature : quant à la
séparation, elle peut être tolérée pour éviter
un plus grand mal, mais seulement après une épreuve sérieuse.
Il adressa cette exhortation dans une maison de belle apparence appartenant
aux parents de l'un des couples de fiancés : tous les couples étaient
rassemblés et un rideau séparait les hommes des femmes. Jésus
se tenait à l'extrémité de ce rideau et enseignait
: les pères et les mères se tenaient aussi là, rangés,
selon leur sexe, derrière leurs enfants : quelques disciples et
quelques Pharisiens étaient debout à côté de
Jésus.
Ce fut à propos de cet enseignement sur le mariage qu'il eut
pour la première fois à éprouver quelques contradictions
de la part des Pharisiens. (Toutefois ce ne fut pas ici qu'ils commencèrent
à entrer en discussion à ce sujet) mais le soir, à
la synagogue, après la lecture du sabbat. Il enseigna à la
synagogue sur l'oppression des enfants d'Israël en Egypte et sur le
passage d'Isaie relatif à la pierre angulaire. Je ne sais plus à
propos de quoi il présenta dans son explication une comparaison
où figurait un manteau, mais cela donna lieu pour moi à une
vision qui me fut montrée pendant qu'il parlait. Je vis comme un
manteau, d'abord de petite dimension mais qui allait s'élargissant
toujours et qui finit par embrasser tout un monde avec ses habitants. Cette
vision symbolique pendant que je la regardais s'étendit jusqu'au
temps actuel et je vis des ecclésiastiques faire une déchirure
dans le manteau et regarder à travers : j'en reconnus plusieurs.
J'eus aussi une vision sur la pierre angulaire, mais je ne m'en souviens
plus bien. Dans la synagogue les Pharisiens commencèrent à
contester la doctrine qu'il avait exposée aujourd'hui sur le mariage.
Elle était selon eux trop indulgente en ce qui touche la soumission
des femmes à leurs maris, trop rigoureuse à l'endroit du
divorce : ils avaient compulsé des écrits de toute espèce
et, malgré les explications données par lui sur son enseignement,
ils se refusaient à l'accepter. Cependant leur opposition quoique
vive resta dans la limite des convenances.
Voici que je place une pierre dans les fondements de Sion, une pierre
éprouvée, angulaire, précieuse, fortement établie
dans les fondements. "(Isaïe, XXVIII, 16,)
Jésus accompagné de deux disciples assista aujourd'hui
en qualité de témoin au mariage des couples dont il a été
parlé plus haut. Ils furent conduits devant le coffre qui renfermait
le livre de la loi ; cela se fit en plein air, car on avait enlevé
la coupole qui recouvrait la synagogue. Je vis les fiancés faire
couler dans un verre de vin où ils burent, quelques gouttes de sang
tiré du doigt annulaire. Il y eut un échange d'anneaux et
encore d'autres cérémonies. Après la synagogue, les
noces commencèrent par des danses, des jeux et un festin où
Jésus et les disciples furent invités. Cela eut lieu dans
la maison destinée aux fêtes publiques, bel édifice
soutenu par des colonnes. Les couples de fiancés n'étaient
pas tous de la ville : plusieurs demeuraient dans le voisinage : il y en
avait qui appartenaient à la classe pauvre. Mais tous aujourd'hui
célébrèrent ici leurs noces ensemble : ils avaient
pris leurs mesures pour cela à la nouvelle de l'arrivée de
Jésus. Quelques-uns des jeunes époux et des parents avaient
assisté à ses prédications à Capharnaum. Du
reste, les habitants de la ville étaient bons et hospitaliers, et
les noces des pauvres célébrées avec celles des riches
furent par là plus solennelles et entraînèrent moins
de frais.
Je remarquai que les conviés apportaient certains cadeaux et
que Jésus aussi fit un présent en argent pour lui et pour
ses disciples : il lui fut renvoyé à son logis avec quelques
corbeilles remplies de pains de belle qualité : le tout fut distribué
aux pauvres par ses ordres.
On commença par des danses nuptiales très modestes et
avec des allures très lentes : les fiancées étaient
voilées, les couples se tenaient vis-à-vis les uns des autres,
et chaque fiancé dansait une fois avec sa fiancée. Les danseurs
ne se touchaient pas, mais prenaient seulement en passant le bout de certains
morceaux d'étoffe que tous avaient à la main. La danse dura
jusqu'à ce que chacun eût dansé avec tous ; puis ils
dansèrent tous ensemble. Cela dura bien une heure à cause
de la lenteur des mouvements. Le banquet vint ensuite ; alors les hommes
et les femmes se séparèrent. Les musiciens étaient
des enfants des deux sexes, portant aux bras et sur la tête des bandelettes
de laine. Ils avaient des fifres, des cors recourbés et d'autres
instruments. Les tables étaient séparées de façon
à ce qu'on pût s'entendre, mais non se voir. Jésus
vint près de la table des fiancées, et leur raconta une parabole
dans le genre de celle des Vierges sages et des Vierges folles et il l'appliqua
à la fois à la vie domestique et à la vie spirituelle.
Il dit à chacune comment elle devait soigner son nouveau ménage
et l'approvisionner de telle ou telle chose ; ses paroles, en outre, avaient
toujours un sens spirituel, et se rapportaient parfaitement au caractère
et au défaut de chacune : le symbole de la lampe y figurait aussi.
Après le repas, on joua à des jeux où il s'agissait
de deviner des énigmes. Les énigmes proposées tombaient
dans des bourses par les trous d'une planche sur laquelle on les jetait,
et chacun devait deviner celle qui était tombée dans sa bourse
ou payer une amende. Les énigmes qui n'étaient pas devinées
étaient remises au jeu, et celui qui en trouvait le mot gagnait
ce qu'elles avaient fait perdre à d'autres. Jésus les regardait
jouer, et il faisait continuellement des applications aussi agréables
qu'instructives. Malheureusement, je suis si malade et j'ai été
tellement dérangée par des visites, que j'ai oublié
les détails : sans cela je rapporterais certainement quelqu'une
de ces énigmes, car il m'a semblé cette nuit que je prenais
part au jeu.
Après la fête, Jésus alla à son hôtellerie
avec les disciples, et plusieurs personnes lui firent la conduite avec
des torches.
La ville a d'épaisses murailles et des tours. Il y a eu un jour
de jeûne depuis le jeudi soir jusqu'à l'ouverture du sabbat,
et j'ai vu que, pendant tout ce temps, on ne fit aucun repas : on se borna
à boire et à prendre une légère réfection.
(28 décembre.) Le matin, Jésus enseigna dans la synagogue,
puis il visita l'école des petits garçons et des adolescents,
les interrogea et les enseigna : après quoi il alla faire ses adieux
à plusieurs personnes. Après le repas, pendant le temps consacré
d'ordinaire à la promenade du sabbat, il visita avec deux disciples
une école de jeunes filles, qui était en même temps
un atelier de broderie. Les jeunes filles avaient de six à quatorze
ans : elles étaient en grand nombre : toutes aujourd'hui avaient
leurs beaux habits. Il y avait aussi là deux maîtres qui leur
donnaient tous les jours des enseignements sur la loi . Ils étaient
également en habits de fête, portaient de larges ceintures
et avaient au bras de longs manipules avec des franges. Une dizaine de
veuves étaient à la tête de l'établissement.
Les jeunes filles apprenaient à lire la loi, à écrire
et à compter : en outre, elles faisaient des broderies qu'on mettait
en vente. On voyait, tendues tout le long d'une enfilade de salles, de
longues bandes de diverses étoffes, de la largeur d'une aune ou
plus étroites : car quelques-unes n'avaient que la dimension d'une
large ceinture. La partie achevée était toujours repliée.
Les modèles d'après lesquels elles travaillaient étaient
devant elles, peints sur des étoffes. C'étaient des fleurs,
des feuilles, des arbustes et de grandes arabesques. L'étoffe était
un tissu de laine très fine, semblable à celui dont étaient
faits les manteaux légers des trois rois, seulement un peu plus
fort et de couleurs variées. Elles travaillaient avec de la laine
fine de diverses nuances, et aussi avec de la soie Le jaune était
une des couleurs les plus employées Elles ne se servaient pas d'aiguilles,
mais de petits crochets. Quelques-unes travaillaient aussi sur des bandes
d'étoffe blanche plus étroites. D'autres faisaient des ceintures
sur lesquelles elles brodaient des lettres : les jeunes filles se livraient
à ces occupations les unes à côté des autres
: Le travail était divisé et réparti suivant l'âge
et le talent. Je vis les plus jeunes apprêter des fils, d'autres
carder de la laine ou la filer : c'étaient toujours les plus petites
qui présentaient aux brodeuses tous les fils et les outils dont
elles avaient besoin. Aujourd'hui on ne travaillait pas : mais pendant
que les enfants faisaient voir leurs ouvrages à Jésus, et
qu'il parcourait les salles avec les maîtresses, toute l'organisation
de l'atelier me fut représentée dans une vision. J'en vis
quelques-unes montrer des figures de diverses grandeurs brodées
sur des pièces d'étoffes séparées. C'étaient
des ouvrages commandés et qui allaient être livrés.
Les païens les recherchaient et donnaient en échange des étoffes
et d'autres objets.
Quelques-unes des jeunes filles avaient leur logement dans la maison,
d'autres venaient de la ville.
La maison avait deux étages et tout y était disposé
en vue de l'établissement. Il y avait une salle pour les leçons
: Jésus y enseigna et interrogea les enfants, qui tenaient à
la main leurs petits rouleaux. Les plus petites étaient en avant
: les maîtresses se tenaient derrière. Elles s'approchèrent
les unes après les autres de la chaire de Jésus. Après
avoir béni les enfants et leur avoir donné des avis sous
forme de paraboles relatives à leurs occupations, il sortit de la
maison, et elles lui envoyèrent en présent des étoles
et des ceintures qui furent ensuite données à la synagogue.
Jésus fit la clôture du sabbat à la synagogue.
La ville était remplie de gens qui étaient `venus de tous
les environs. Plusieurs disciples avaient visité aujourd'hui des
maisons isolées dispersées autour de la ville. A la synagogue,
Jésus prit congé de tous les assistants et répéta
ce qu'il avait enseigné précédemment. Les auditeurs
étaient tous très émus et désiraient qu'il
restât encore.
Après cela Jésus alla de nouveau au lieu où l'on
célébrait les noces : il y eut encore des jeux, des instructions
et un repas ; tous les restes de ce repas et de celui de la veille furent
distribués aux pauvres, car le lendemain tout devait être
servi sur nouveaux frais. On ne dansa pas, mais les enfants firent encore
de la musique : ils avaient de petites robes jaunes, faites d'une seule
pièce, attachées par devant avec des courroies et des cordons
d'étoffe bariolée. Ici aussi Jésus prit congé
: il bénit l'assemblée et retourna à l'hôtellerie.
Aussitôt après le sabbat deux apôtres sont partis
pour Capharnaum avec un message ; deux autres se sont dirigés au
sud-est, vers Cydessa, si je ne me trompe. D'autres disciples sont allés
en avant. Jésus n'a près de lui qu'André et Matthieu,
avec deux des plus jeunes parmi les nouveaux disciples. Je crois qu'il
fera prochainement une grande instruction sur une montagne qui n'est pas
loin de Cana : elle est située à deux lieues au nord de Thabor
et domine la vallée où sont les bains de Béthulie.
A Machéronte, beaucoup d'invités sont déjà
arrivés et les fêles commencent. Il est venu des visiteurs
chez la femme d'Hérode, qui habite dans un château séparé.
Jean est plus libre qu'il ne l'était : il enseigne et se promène
dans le château ; cela fait croire à tout le monde qu'il sera
remis en liberté le jour où l'on fêtera la naissance
d'Hérode.
(29 décembre) Jésus suivit aujourd'hui pendant environ
cinq lieues le plateau de la montagne, se dirigeant au sud-est vers Dothaïm
; il n'était accompagné que d'un petit nombre de disciples
: une partie d'entre eux était allée au nord-est, vers Nephtali
; une autre partie à Arbel, qui est à deux lieues au sud-ouest
d'Abram. Sur le chemin je vis plusieurs fous à moitié nus
sortir de derrière les rochers et les buissons, en murmurant des
mots qu'ils répétaient sans cesse. et lui crier : " Fils
de Dieu ! Tu es le Fils de Dieu, le prophète ! Jésus prophète
de Nazareth ! etc. "Il ne les guérit pas et leur commanda de se
taire. Souvent des gens se joignirent à lui sur la route : il s'arrêtait
de temps en temps pour enseigner. A la fin je le vis devant Dothaïm,
entouré de beaucoup de personnes : je crois qu'ils étaient
sortis de la ville pour aller à sa rencontre. Il y avait parmi eux
beaucoup de Pharisiens. Du reste, les gens de ce pays se montrèrent
assez froids à l'égard de Jésus.
(30 décembre.) Dothaïm, où Jésus est entré
hier soir, est située sur un plateau élevé entouré
de deux collines : la vigne et l'olivier y croissent. La ville est grande,
mais les maisons ne sont pas agglomérées : il y a beaucoup
de jardins. Les gens que je vis hier en grand nombre près de Jésus,
à son arrivée devant Dothaïm, sont venus de toute la
Galilée ; car Jésus doit faire une grande prédication
près d'ici Dothaïm est à environ deux lieues de Magdalum,
à deux lieues et demie ou trois lieues de Capharnaüm, à
une lieue de Damna, à une demi lieue au nord-est de la montagne
de Béthulie : c'est sur cette montagne qu'est située Cydessa
; Holopherne y avait établi une partie de son camp. Dothaim est
à environ trois lieues au nord de Béthulie.
Marthe est allée voir Madeleine avec sa suivante ; Marie est
venue ici avec les autres femmes. Je ne me rappelle plus rien de ce que
fit Jésus aujourd'hui, sinon qu'il s'occupa avec les disciples de
toute espèce de préparatifs, à cause de la grande
prédication qu'il doit faire demain sur une hauteur voisine d'ici
il loge dans une hôtellerie établie spécialement pour
lui : il y a rencontré Lazare, qui est venu avec deux disciples
de Jérusalem, fils des frères de sa mère Je ne sais
pas si j'ai déjà fait mention de ces deux parents de Lazare
: peut-être l'ai je fait à l'occasion d'un certain Obed. Les
saintes femmes de Jérusalem étaient venues aussi en compagnie
de Lazare : elles avaient fait le voyage, soit pour préparer les
hôtelleries, soit à cause de Madeleine.
FIN DU TROISIEME VOLUME
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