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Notre-Dame des Sept Douleurs
dont la fête est le 15 septembre de chaque année

par M. L'Abbé Christian Philippe Chanut
prêtre du diocèse d'Evry, secteur de la Ferté Alais
à voir aussi ses commentaires sur les évangiles sur le site missel.free.fr

On trouve les premières traces de la dévotion aux douleurs de la Vierge, à la fin du XI siècle, particulièrement dans les écrits de saint Pierre Damien (mort en 1072), de saint Anselme (mort en 1109), d'Eadmer de Cantorbéry (mort en 1124), de saint Bernard (mort en 1153) et de moines bénédictins et cisterciens qui méditent le passage de l'Evangile qui montre Marie et Jean au pied de la Croix (Evangile selon saint Jean, XIX 25-27).

Saint Anselme écrit : " Votre peine, Vierge sacrée, a été la plus grande qu'une pure créature ait jamais endurée ; car toutes les cruautés que nous lisons que l'on a fait subir aux martyrs, ont été légères et comme rien en comparaison de votre douleur. Elle a été si grande et si immense, qu'elle a crucifié toutes vos entrailles et a pénétré jusque dans les plus secrets replis de votre coeur. Pour moi, ma très pieuse Maîtresse, je suis persuadé que vous n'auriez jamais pu en souffrir la violence sans mourir, si l'esprit de vie de votre aimable Fils, pour lequel vous souffriez de si grands tourments, ne vous avait soutenue et fortifiée par sa puissance infinie " (saint Anselme : " De l'exercice de la Vierge ", I 5)

La Compassion de la Vierge au pied de la Croix alimenta la piété des fidèles jusqu'au XV siècle et l'on connaît bien des morceaux composés sur ce thème, qui n'ont rien perdu de leur fraîcheur, quoique la plupart soient bien oubliés, puisque la dévotion privée ne s'alimente plus de prières latines. Jacopone de Todi nous a laissé le chef d'oeuvre du genre dans le Stabat Mater, poème de l'amour qui souffre sans désespérer, du contrit qui s'attache au Christ et à Marie, et qui goûte la joie surnaturelle retrouvée par son union aux douleurs du Fils et de la Mère. La messe de Notre-Dame des douleurs comprend ce poème de compassion.

Les XIII et XIV siècles ne contemplent que la douleur de Marie au pied de la Croix, comme en témoignent les écrits franciscains, singulièrement ceux qui font faire de nuit, aux pèlerins de Jérusalem, une rapide excursion (la maison de Pilate, la pierre où Marie s'évanouit, le Calvaire et le Sépulcre) qui est à la base du Chemin de Croix (voir au Vendredi Saint). Avec des franciscains, comme saint Bonaventure (1221-1274) ou saint Bernardin de Sienne (1380-1444), on trouve des dominicains, comme Jean Tauler (1294-1361), le bienheureux Henri Suso (1295-1366) ou saint Antonin (1389-1459). C'est encore l'objet unique de l'office de la Compassion de la bienheureuse Vierge Marie instituée par le concile de Cologne (1423), comme de celui que les Annonciades célébraient, au début du XV siècle, le lundi de la semaine de la Passion. A cette époque, le culte de Marie sous le titre de Mater Dolorosa prend une extension considérable, singulièrement dans les Flandres où abondent les livres liturgiques, les monuments d'art religieux et les opuscules de piété.

Il faut attendre le XIV siècle pour que l'on parle communément des sept douleurs (sept glaives) de la Vierge : la prophétie du vieillard Siméon, le massacre des Innocents et la fuite en Egypte, la perte de Jésus au Temple de Jérusalem, l'arrestation et les jugements du Christ, la mise en croix et la mort du Christ, la déposition de la croix et la mise au tombeau.

Au cours des temps, comme elle l'avait déjà fait pour ses joies, la piété populaire étendit la compassion de la Vierge à toute sa vie, mais il est assez difficile d'en suivre l'évolution. Peut-être a-t-on commencé à opposer aux cinq joies de la Vierge ses cinq douleurs : la prophétie de Siméon, la perte de Notre-Seigneur à Jérusalem, l'arrestation, la Passion et la mort du Christ. Rapidement, le nombre augmenta : on a des séries de dix, de quinze, voire de cent cinquante (chez le bienheureux Alain de La Roche, mort en 1475). Le nombre sept allait bientôt l'emporter, sans doute en rapport avec la célébration des sept joies de la Mère de Dieu que les fondateurs de lOrdre des Servites célébraient chaque samedi et que saint Louis dAnjou, franciscain et archevêque de Toulouse (mort en 1297) offrait après les Complies. Signalons quelques schémas.

Les sept heures sont une méditation des peines de la Vierge pendant la Passion : à matines, l'arrestation et les moqueries ; à prime, la comparution devant Pilate ; à tierce, la condamnation ; à sexte, la mise en croix ; à none, la mort ; à vêpres, la descente de croix ; à complies, la mise au tombeau.

Les sept glaives s'étendent à toute la vie de la Vierge : le premier glaive est la prophétie de Siméon à qui la métaphore est empruntée (Vois, cet enfant est fait pour la chute et le relèvement d'un grand nombre en IsraÎl ; il doit être un signe en but à la contradiction, et toi-même, un glaive te transpercera l',me, afin que se révèlent les pensées de bien des curs) ; le second glaive est le massacre des Innocents ; le troisième, la perte de Jésus à Jérusalem ; le quatrième, l'arrestation et les jugements du Christ ; le cinquième, la mise en croix entre deux larrons et la mort ; le sixième, la déposition de croix ; le septième, la mise au tombeau.

Les sept tristesses de la Vierge forment une série un peu différente : la prophétie de Siméon, la fuite en Egypte, la perte de Jésus au Temple, son arrestation et sa condamnation, sa mise en croix et sa mort, sa descente de croix, enfin la tristesse de la Vierge restant sur la terre après l'Ascension.

Le chiffre de sept, si aimé des symbolistes chrétiens, imposait un choix parmi les épisodes de la vie de la Vierge et l'on s'explique assez les fluctuations des auteurs ; la série suivante finit par l'emporter : la prophétie de Siméon, la fuite en Egypte, la perte de Jésus à Jérusalem, la rencontre de Jésus sur le chemin du Calvaire, le crucifiement, la descente de croix, la mise au tombeau.

Ces sept douleurs furent pour la première fois exprimées d'une façon formelle, par Jean de Coudenberghe, doyen de Saint-Gilles d'Abbenbroeck, curé de Saint-Pierre-Saint-Paul de Reimerswal, et de Saint-Sauveur de Bruges : pendant la guerre civile qui suivit la mort de Marie d'Autriche (1457-1482), duchesse de Bourgogne, il fit placer dans ses églises une image de la Vierge avec une inscription mentionnant ses sept douleurs, pour qu'on la vénérât en lui demandant la cessation des fléaux. Là, en 1492, il se forma une confrérie de Notre-Dame des Sept Douleurs, favorisée par le duc de Bourgogne, Philippe le Beau (1478-1506), dont le confesseur, le dominicain Michel François de Lille, avait composé un ouvrage sur les douleurs de Marie (1495) ; cette confrérie qui célébrait la fête de Notre-Dame des Sept Douleurs le dimanche dans l'octave de lAscension, fut approuvée par le pape Alexandre VI Borgia (1495). Cest encore à cette confrérie, dans un livre de miracles (1510), que l'on doit la première représentation de la Vierge avec les sept glaives. En action de grâce pour les miracles on établit une fête à Delft (1 octobre) et à Bruges (13 novembre) où Marguerite d'Autriche (1480-1530) fonda un couvent en l'honneur de Notre-Dame des sept douleurs.

Les artistes devaient bientôt choisir et traiter avec prédilection le plus douloureux épisode de la vie de la Vierge, quand le corps de son fils, détaché de la croix, est déposé sur ses genoux. Les Pieta, et les Mater Dolorosa abondent et si certains artistes modernes ont eu plus de virtuosité, ils n'ont jamais atteint à ce degré d'émotion ; assez souvent, avec une audace que les Primitifs peuvent seuls se permettre, les sculpteurs ont ramené le corps du Christ aux proportions de celui d'un enfant, pour montrer que, de la Crêche au Crucifiement, nous célébrons un profond et même mystère. A la Vierge, soutenue par saint Jean, personnage central des mises au tombeau monumentales, les artistes ont su donner une expression de douleur calme, bien loin du conventionnel.

La dévotion ne fit que croître. Saint Ignace de Loyola avait un culte particulier à l'image connue sous le nom de Notre-Dame du Coeur ; de 1603 à 1881, sans compter les traités, les panégyrique et les méditations, les Jésuites ne publièrent pas moins de quatre-vingt-douze ouvrages sur cette dévotion aux douleurs de Marie. En 1617, Antoinette dOrléans, aidée par le P. Joseph, fonda les Bénédictines de Notre-Dame du Calvaire (les Filles du Calvaire). Antoinette d'Orléans, fille de Léonor d'Orléans, duc de Longueville, et de Marie de Bourbon, duchesse d'Estouville, était née au château de Trie en 1572. Veuve de Charles de Gondi, marquis de Belle-Isle (1596), elle entra au monastère des Feuillantines de Toulouse où elle reçut l'habit de novice (1599) et fit profession (1601) sous le nom de Soeur Antoinette de Sainte-Scholastique ; elle fut élue prieure (1604). Henri IV la tira de son monastère (bref du pape de1605) pour quelle entreprît la réforme de l'ordre de Fontevraud, comme coadjutrice de l'abbesse de Fontevraud, léonore de Bourbon, sa tante. Elle entra à Fontevraud mais ne voulut prendre que la charge de grande-vicaire. Une bulle lui commanda d'accepter et d'exercer la coadjuterie du gouvernement et de l'administration de l'Ordre avec future succession à la charge et à la dignité d'abbesse (1607). Après la mort de l'abbesse (1611) elle refusa de lui succéder et se retira au prieuré de Lencloître, tout en conservant la coadjuterie de Fontevraud. Le pape Paul V l'autorisa à se séparer de Fontevraud (1617) et à fonder à Poitiers une nouvelle congrégation, nommée du Calvaire, ordre de Saint-Benoît, où elle entra (1617) et où elle mourut le 25 avril 1618. Elle fut inhumée aux Feuillantines de Toulouse ; en 1792, sa dépouille fut transportée à l'église Saint-Nicolas puis, en 1818, chez les Bénédictines du Saint-Sacrement d'où elle fut déposée au Calvaire de Machecoul.

La fête de la Compassion, de Notre-Dame des Douleurs ou de Notre-Dame de Pitié, ou encore de la Transfixion de Notre-Dame (du latin transfigere qui signifie transpercer. En français, cela signifie traverser d'un seul coup), est instituée au concile de Cologne (1423) contre les Hussites qui désolent les églises et détruisent les saintes images. Les Hussites, disciples de l'hérétique Jean Hus qui fut brûlé au concile de Constance (6 juillet 1415), se divisaient en deux groupes principaux : les calixtins ou utraquistes qui réclamaient la communion sous les deux espèces, et les taborites qui rejetaient la doctrine du Purgatoire et le culte des saints. Jean Hus professait que l'Eglise est un corps mystique dont Jésus-Christ est le chef et dont les justes et les prédestinés sont les membres exclusifs. Les pécheurs et les réprouvés n'en font point partie. Les justes ne peuvent être séparés de l'Eglise et l'excommunication ne prévaut pas contre eux. Enfin, quand il n'y aurait ni pape ni évêques, l'Eglise n'en subsisterait pas moins par ses élus. Ces prémisses posées, Hus en venait au problème de l'autorité civile et ecclésiastique que le péché mortel annule. Quand, par le péché, cette autorité est perdue, la révolte des fidèles est licite. Car, en réalité, seul le Christ a le droit de lier ou de délier ; seul il a le pouvoir d'absoudre, la responsabilité de l'autorité ecclésiastique se limitant à entériner le pardon. L'écriture enfin est l'unique règle de foi et de conduite. Tout ce qui n'est pas strictement dans l'Ecriture est condamnable et ne mérite ni respect ni obéissance. La fête de la Transfixion de Notre-Dame est alors fixée au vendredi après le dimanche de la Passion : " afin d'honorer l'angoisse et la douleur qu'éprouva Marie lorsque, les bras étendus sur l'autel de la Croix, notre Rédempteur Jésus-Christ s'immola pour nous et recommanda cette Mère bénie à saint Jean (...) surtout afin que soit réprimée la perfidie des impies hérétiques Hussites. " Cette fête est célébrée pour la première fois à Bruges en 1494, puis ailleurs ; elle entre en France par Paris, Angers et Poitiers. Après avoir été fixée à des dates différentes (on l'a connue en France au 17 mars, au lundi de la Passion et à la veille des Rameaux), elle est définivement marquée au vendredi de la première semaine de la Passion, avec le titre des Sept Douleurs. Benoît XIII l'étend à toute l'Eglise latine (22 avril 1727).

La fête de Notre-Dame des douleurs qui a subsisté dans la liturgie postérieure à Vatican II, vient des Servites qui l'obtinrent de Clément IX. Depuis 1668 l''Ordre des Servites commémorait les Sept Douleurs au troisième dimanche de septembre, ce qu'Innocent XI leur confirma comme un privilège propre. Adoptée par le Saint-Empire (1672) elle fut enrichie d'indulgences pour les fidèles par Clément XI (1704). Rendu à la liberté, Pie VII étendit cette fête à l'Eglise universelle (18 septembre 1814) ; lors de la réforme du bréviaire Pie X la fixa au jour octave de la Nativité de Notre-Dame, le 15 septembre (1908). Dans le calendrier festif de Paul VI, la première fête, celle du vendredi après le dimanche de la Passion, la plus ancienne, disparut, mais l'on conserva la seconde, celle du 15 septembre.

D'aucuns auraient bien voulu profiter des bouleversements que nous savons pour rejeter la Mater Dolorosa, sous prétexte que saint Ambroise affirme : " Je lis qu'elle se tenait debout, je ne lis pas qu'elle pleurât. " L'objection n'est pas nouvelle et Benoît XIV y répondait déjà, au milieu du XVIII siècle : " Plusieurs autres écrivains ne craignent point de la dépeindre arrosée de pleurs. Les larmes et les sanglots ne sont point toujours l'indice d'un courage abattu. " Les larmes de Jésus sur Jérusalem, devant le tombeau de Lazare ou à l'Agonie, seraient-elles le signe de la faiblesse du Rédempteur ? Au siècle précédent, le franciscain Ambroise Saxius soulignait : " Qu'on admette les premiers mouvements de la nature, quelques gémissements modérés et quelques larmes : l'amour ne souffre aucune atteinte, et la magnanimité conserve toute son énergie " ; saint Antonin avait dit qu'" elle se tenait debout, pleurant sans doute et noyée dans la douleur, mais calme, modeste, pleine d'une réserve virginale. "

Voyez ce qu'ajoutait à ses plaies, dans la Passion de Jésus, la compassion de sa Mère. Il la voyait, le coeur tout broyé, les mains serrées par la douleur, les yeux ruisselants de larmes, le visage crispé, la voix plaintive, mais tout le corps dressé, virile et debout auprès de son gilbet. Je la devine, la tête voilée sans doute, tant sa modestie demeurait virginale, tant sa douleur passait toute mesure. Que de gémissements dut-elle pousser, pleurant son Fils et répétant : " Jésus, mon Fils Jésus, qui me donnera de mourir avec toi et pour toi, mon Fils, mon très doux Jésus ? " Que de fois dut-elle lever respectueusement les yeux vers ces blessures sauvages, si même elle put les en détourner un instant, ou si, du moins, à travers le flot de ses larmes, elle pouvait encore les contempler !

Comment croire quelle eût pu ne pas défaillir de l'immensité de la douleur imposée à son coeur, alors que je demeure stupéfait qu'elle n'en ait pas reçu la mort ? Vivante, elle partage sa mort, la vie faisant peser sur elle une douleur plus cruelle que la mort.

" Regardez et voyez s'il y a douleur pareille à ma douleur ? " Ecoutons cette lamentation de Marie, la Vierge Mère. Contemplons cette douleur poignante et nous le verrons : il n'est pas de douleur pareille à sa douleur, si ce n'est la douleur de ce Fils où la sienne se modèle ; puisque, ô surprise à peine croyable, c'est une vraie compassion qui l'étreint, et que les mots d'une langue humaine ne sauraient exprimer. Car faisant rejaillir sur soi les douleurs, les blessures, les outrages de son Fils, elle les subissait dans sa propre personne, ressentant ce qui se trouvait dans le Christ Jésus. En son âme, debout près du Christ, elle partageait son martyre ; blessée de sa blessure, crucifiée au crucifix, percée du même glaive. Car son âme fut transpercée par le glaive de la passion du Christ. ( Saint Bonaventure )

Abbé C.P. Chanut
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