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Liste chronologique des livres de Saint Augustin
Même si saint Augustin ne porte pas, comme les papes Léon et Grégoire, le titre honorifique de «Grand», il est sans conteste le Père de l'Église le plus illustre, celui dont l'influence fut la plus déterminante pour l'Église d'Occident. Son projet théologique global est resté inégalé jusqu'à saint Thomas d'Aquin.
Les trois premières décennies de la vie de saint Augustin témoignent, certes, de talents éminents, mais rien ne laisse présager que la vie de Saint Augustin va s'inscrire dans l'histoire du monde. Quand, la nuit de Pâques 387, Saint Augustin reçoit le baptême à Milan, à l'âge de 33 ans, Saint Augustin a déjà derrière lui des années mouvementées et parfois dissipées, que Saint Augustin décrira dans ses Confessions, célèbres mondialement. Les autres ouvrages de Saint Augustin , notamment les Dialogues rédigés à Cassiciacum, les Lettres et les Sermons complètent l'autobiographie de Saint Augustin , surtout en ce qui concerne les années suivant sa conversion. Ajoutons la Vita, rédigée quelques années après la mort de Saint Augustin (432-439) par son disciple et ami Possidius, qui vécut avec Saint Augustin à Hippone, avant de devenir, en 397, évêque de Calama, mais qui, fuyant les Vandales, était présent lors de la mort de sain Augustin à Hippone, actuelle Hanaba en Algérie, le 14 août 430.
Les écrits de saint Augustin sont répertoriés dans deux catalogues sans équivalent dans l'histoire de la littérature. Vers la fin de sa vie (426/427), Saint Augustin a lui-même fait l'inventaire de ses oeuvres dans ce que Saint Augustin a appelé Retractationes (Révisions) : Saint Augustin ne se contente pas de rapporter brièvement l'histoire des origines de ses oeuvres et d'en résumer le contenu, Saint Augustin y apporte aussi des corrections et des compléments critiques. Le prologue explicite son intention : «j'entends recenser mes oeuvres, qu'il s'agisse de livres, de lettres ou de traités, avec une certaine rigueur, et relever, avec le crayon du critique, ce qui m'y déplait. » Même si saint Augustin n'a recensé effectivement que ses 93 livres, sans avoir eu le temps d'aborder ses Lettres et Traités (discours/sermons), les Retractationes n'en retracent pas moins l'évolution spirituelle de Saint Augustin , impossible à comprendre sans elles, d'où leur valeur exceptionnelle. Possidius, le biographe de Saint Augustin , complète sa Vita d'une liste (Indiculus) de ses oeuvres, à partir de la collection incomplète, mais tout de même très riche, de la bibliothèque personnelle de saint Augustin. Cette Vie est elle aussi inestimable : elle nous permet de connaître des oeuvres perdues de saint Augustin et également de déterminer l'authenticité d'écrits récemment découverts, tels, par exemple, les Sermons de saint Augustin trouvés à Mayence en 1900.
1. BIOGRAPHIE, ACTIVITÉ LITTÉRAIRE
ET PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES
DE LA PENSÉE DE SAINT AUGUSTIN
1. JUSQU'À LA CONVERSION DE SAINT AUGUSTIN
A. Jeunesse et formation de saint Augustin
Saint Augustin est né le 13 novembre 354 dans la ville de Thagaste (l'actuelle Souk Alitas, en Algérie), dans la province nord-africaine de Numidie. Saint Augustin est le fils de Patricius, fonctionnaire curial romain paien, qui s'est fait baptiser peu avant sa mort (371), et de la chrétienne fervente, Monique. Saint Augustin n'était pas enfant unique: il avait au moins un frère, du nom de Navigius, qui accompagna plus tard saint Augustin à Milan, à Cassiciacum et dans la communauté monastique de Thagaste, et une soeur, dont nous ignorons le nom. Selon la remarque des Confessions, Monique « avait élevé des fils » (IX, 9, 22 - nutrieratfilios -) et la mention ultérieure de quelques neveux et nièces donne à penser que la famille était plus nombreuse encore. Comme le voulait l'usage - retarder le baptême jusqu'à l'âge adulte -, saint Augustin ne fut pas baptisé, mais fut inscrit parmi les catéchumènes dès sa naissance, comme il était également d'usage, et sa mère l'éduqua dans la foi chrétienne. Malgré ses errements et tous ses désordres jusqu'à sa conversion, saint Augustin se considérait comme chrétien et en quête du Christ, sinon comme catholique et Monique, sa mère, ne relâcha jamais ses efforts pour le conduire et l'accompagner vers l'Église catholique. Même quand, à près de trente ans (383), saint Augustin se soustrait à l'amour et à la sollicitude maternelle, qui sans doute lui pesaient trop - il faut cependant faire preuve de la plus grande prudence et ne pas appliquer à la légère les schémas de la psychologie moderne, comme on le fait trop souvent à propos de saint Augustin - en partant à Rome sans en avertir sa mère, elle règle ses affaires domestiques et le suit à Milan. Saint Augustin rapporte dans ses Confessions (111, 11, 19) une vision de Monique, devenue célèbre, qui éclaire ses motivations : « Elle se vit donc debout sur une espèce de barre en bois et vit venir à elle un jeune homme brillant, épanoui, qui lui souriait, tandis qu'elle était, elle, chagrine et accablée sous le chagrin. "Pourquoi, lui demanda-t-il, ces airs moroses, pourquoi ces larmes chaque jour. Sur sa réponse qu'elle pleure ma perte, il la presse : qu'elle se rassure, et l'invite à bien regarder: qu'elle voie, où elle est elle-même, y suis moi aussi. » Peu après, un évêque que nous ne pouvons pas identifier la console avec ces paroles prophétiques devenues, elles aussi, célèbres : « Ce n'est pas possible que le fils de telles larmes soit perdu » (Confessions III, 12, 21).
Malgré leurs moyens financiers limités, les parents de saint Augustin mettaient leur point d'honneur à faire bénéficier leur fils, qui était manifestement doué, de la meilleure formation possible, condition nécessaire pour toute carrière professionnelle de professeur, d'avocat ou de politicien. Après l'enseignement élémentaire - lecture, écriture, calcul -, cette formation comportait deux niveaux: l'étude de la langue et de la littérature auprès du Grammaticus que saint Augustin mène à bien dans sa Thagaste natale, et l'étude de la dialectique et de la rhétorique, ainsi que des autres Artes libérales (arithmétique, musique, géométrie, astronomie, philosophie) auprès du Rbetor, que saint Augustin commence dans la ville voisine de Madaura, puis, en 370, poursuit à Carthage, capitale de la province, centre politique et culturel de l'Afrique du Nord. Dans les Confessions, saint Augustin a brossé un tableau vivant du temps de ses études. Après avoir appris spontanément et sans contrainte la langue maternelle, comme tous les petits enfants, saint Augustin regimbe contre l'apprentissage forcé, à l'école élémentaire, assorti des châtiments corporels habituels à l'époque, qui pour les parents allaient de soi. Ces contraintes font prendre en grippe à saint Augustin l'enseignement du grec que saint Augustin ne réussit jamais à parler couramment, encore que l'étendue exacte de ses connaissances soit sujette à discussions. saint Augustin ne s'enthousiasme que pour l'étude de la littérature latine où il excelle.
Vers la fin de sa seizième
année, saint Augustin doit quitter Madaura et retourner à
la maison. Saint Augustin y passe une année de
loisirs forcés, ses parents devant économiser les sommes
nécessaires à un séjour d'études prolongé
à Carthage. C'est à cette époque que saint Augustin
s'éveille à la sexualité, au grand bonheur de son
père qui se réjouit à l'idée d'avoir des petits-enfants,
comme saint Augustin le rapporte dans les Confessions (11, 3, 6); son père
ne verra pas la naissance de son petit-fils Adéodat.
Conséquence presque inévitable
de cette Situation d'oiseveté qui coïncide avec la fougue de
l'adolescence, saint Augustin s'associe à une bande de jeunes de
son âge, et ensemble ils font toutes sortes de mauvais coups.
Quand saint Augustin écrit ses Confessions - il est
alors évêque - saint Augustin revoit avec horreur
cette période de sa vie, notamment le vol de poires, devenu célèbre,
« non pas pour nous en régaler (..), mais pour faire quelque
chose de défendu ».
B. En quête de la « véritable philosophie » : manichéen
Pendant ses années d'études
à Carthage, saint Augustin n'achève pas seulement avec succès
sa formation rhétorique, mais saint Augustin fait aussi trois rencontres
décisives, qui orienteront sa vie des années durant.
Après une série d'aventures amoureuses manifestement pas
très sérieuses, à Thagaste déjà, puis
à Carthage, à partir de 372 au plus tard, l'année
de la naissance de son fils Adéodat, il entretient des relations
stables, fidèles et quasi conjugales avec une femme de très
humble condition (qu'il ne nomme jamais), qu'il ne peut épouser
car elle pourrait être un empêchement à la belle carrière
entrevue. Il ne la congédiera qu'à Milan (après
384), précisément pour s'engager dans un matrimonium digne
de son rang, pour sa carrière. Dans sa dix-neuvième
année, il lit le dialogue Hortensius de Cicéron, dont nous
ne possédons aujourd'hui que les fragments cités dans ses
Confessions. Cet ouvrage éveilla en lui « l'amour de
la sagesse » (philosophie) qu'il ne cessera de chercher jusqu'à
sa conversion, même s'il fait souvent fausse route. Pour l'homme
antique, la « philosophie » ne se réduisait jamais à
un système théorique, à une pure construction de l'esprit,
mais elle impliquait aussi une juste appréciation et conduite de
la vie (éthique), ce qui avait déjà permis aux apologistes
de présenter le christianisme sous une forme séduisante,
comme la « vraie philosophie ». En raison de son éducation,
son « amour de la sagesse » qu'il vient de découvrir,
pose tout naturellement la question du Christ, et Augustin se tourne vers
la lecture de la Bible, mais les histoires barbares de lAncien Testament
et le style si éloigné de celui de Cicéron le déçoivent
profondément. Hésita-nt, il adhère au manichéisme,
une des innombrables sectes de l'époque, qui répond apparemment
à toutes ses questions : le nom du Christ, la rationalité
et la formation, au lieu de la foi qui ne repose que sur l'autorité
de l'Église, le rejet de lAncien Testament et une réponse
plausible à la question qui le tourmente depuis longtemps déjà,
« unde malum ? », fondée sur une vision matérialiste
de Dieu et une vision dualiste du monde: le bien et le mal existent comme
deux principes (royaumes) antagonistes, également éternels,
celui de la lumière et celui des ténèbres, qui se
livrent un combat
au coeur de l'homme, parce
qu'il est composé d'esprit et de matière. Augustin
se rallie à cette doctrine neuf ans durant en tant que simple «
auditeur », ce qui n'exige pas de lui l'éthique et l'ascèse
attendues des electi, qui sans doute étaient pour beaucoup dans
l'attirance qu'éprouvait Augustin pour le manichéisme.
Monique, catholique fervente, était horrifiée de voir son
fils se tourner vers cette secte. Elle ne voulait aucun lien avec
un hérétique, au point qu'elle lui ferma un temps la porte
de sa maison quand il revint à Thagaste, vers 374/375, pour y enseigner.
C'est seulement après la vision rapportée plus haut qu'elle
reprit contact avec lui, afin de le sauver. Entre-temps, Augustin
avait trouvé gîte et couvert chez l'un des riches manichéens
de Thagaste, Romanius, qui un an plus tard le recommanda à Carthage
où il retourna après la mort d'un ami très cher.
Mais ses années d'enseignement
à Carthage déçoivent de plus en plus Augustin.
Ses élèves sont indisciplinés et, intellectuellement,
il s'éloigne chaque jour davantage du manichéisme, qui lui
avait paru si convaincant, parce que ses adeptes sont incapables de répondre
à ses critiques sur les contradictions de leur ' système
qui lui paraissent de plus en plus évidentes. Ses amis manichéens
le rassurent en lui annonçant l'arrivée de leur maître
spirituel, l'évêque Faustus, en qui, quand il arrive enfin
à Carthage, Augustin (qui a alors 29 ans) ne découvre qu'un
beau parleur sans substance, incapable de répondre à ses
questions. Mais Augustin ne rompt cependant pas encore officiellement
avec le manichéisme et part pour Rome, où il espère
plus de succès et surtout des élèves plus dociles.
C Rhéteur à Rome et à Milan : sceptique et platonicien
Le séjour dAugustin à Rome, où il arrive en 383, est bref Les élèves y sont également décevants : ils sont plus disciplinés, il est vrai, mais ils ne s'acquittent pas souvent des honoraires qu'ils doivent à leurs maîtres. Par ailleurs, dès la première année, on lui propose une opportunité extraordinaire pour l'avancement de sa carrière. La cour impériale de Milan avait chargé Symmaque, le préfet de la ville de Rome, de trouver un magister rhetoiicae pour Milan, dont la fonction consistait essentiellement à prononcer des panégyriques officiels en l'honneur de l'empereur et d'autres personnalités importantes, ainsi qu'à donner des leçons de rhétorique. Grâce aux recommandations de ses amis manichéens, Augustin obtient le poste et arrive à Milan, dès l'automne 384, pour entrer en fonction.
41. Selon le décompte d'Augustin lui-même (Confessions IV, 1, 1), tandis que COURCELLE (Recl7erches sur les Confessions 78) et BONNER (AugL I/4, p. 525) comptent dix ans.
Milan sera la dernière étape
sur le chemin qui aboutira à la conversion d'Augustin même
si lui-même n'était pas encore en mesure de le prévoir,
et qu'il faudra que, dans les deux années qui suivent, toute une
série de facteurs interviennent pour le conduire vers ce qui sera
le point culminant de son évolution. Le premier élément
fut Ambroise, l'évêque de la ville. Si Augustin s'est
entièrement détaché du manichéisme, il est
tou ' jours en quête de la vérité, c'est-à-dire
du Christ, et il est catéchumène de l'Église catholique.
C'est à ce titre qu'il assiste aux offices de l'évêque,
pas tellement - ainsi qu'il le reconnettra lui-même plus tard (Conf
V, 13, 23) parce qu'il espère enfin apprendre de lui la vérité
capable de le convaincre, mais aussi parce qu'à son arrivée
Ambroise l'avait salué amicalement et qu'Augustin veut vérifier
s'il mérite effectivement sa grande renommée d'orateur.
Ambroise se montre à ce point à la hauteur de sa réputation
qu'il surpasse les attentes dAugustin. Ses sermons lui valent non
seulement l'approbation du rhéteur accompli, mais son explication
spirituelle, platonisa-nte de lAncien Testament gagne également
le coeur d'Augustin : pour la première fois la Bible et les histoires
barbares de l'Ancien Testament, qui l'avaient rebuté et faisaient
l'objet de la critique des manichéens, trouvent un sens acceptable
à ses yeux.
Il y a donc rupture définitive
avec le manichéisme, à la grande joie de Monique, qui arrive
à Milan au printemps 385. Certes, « à la façon
des académiciens », Augustin est maintenant dans un état
de doute méthodique fondamental à l'égard de toutes
les certitudes, mais pour sa mère, le rejet de l'erreur représente
déjà le premier pas en direction de la vérité
de l'Église. Elle s'emploie dès lors à hâter
efficacement les progrès de son fils dans ce sens. Ce qu'il
faut avant tout, c'est le marier conformément à son état,
pas seulement pour sa carrière professionnelle, mais surtout dans
l'espoir qu'une fois solidement amarré dans le port du mariage,
Augustin pourrait également se décider pour le baptême
(Conf VI, 13, 23). Monique arrange donc les fiançailles d'Augustin
avec une jeune fille distinguée de Milan, mais à qui il manque
encore deux ans pour atteindre l'âge nubile (12 ans). Et Augustin
doit renvoyer sur-le-champ celle qui a partagé sa vie jusque-là,
ce qui lui est très pénible. Elle retourne en Afrique
sans leur fils Adéodat, qui reste avec son père.
Le processus conduisant Augustin
à une décision, et son déchirement intérieur
entre le désir de sagesse, c'est-à-dire d'ascèse,
et son besoin d'accomplissement sexuel auquel il lui semble toujours encore
impossible de renoncer, connaissent un nouveau temps fort lorsque, début
386, un groupe d'amis lui fait connaître les écrits des néoplatoniciens,
probablement dans la traduction du célèbre rhéteur
Marius Victorinus. Ce dernier, qui avait eu l'honneur insigne de
se voir élever une statue sur le Forum romanum, s'était converti,
vers 355, de façon spectaculaire au christianisme et le prêtre
Simplicianus le présentait à Augustin comme un modèle
(Conf VIII, 2, 3-4). Le platonisme le convainc avec son concept purement
spirituel de Dieu, comme l'Étant et le Bien, et il résout
pour lui la question de l'origine du mal comme manque (sans substance)
du Bien. Mais y manquait encore le Christ comme sauveur, et pas seulement
comme le plus sage de tous les hommes dont l'enseignement fait autorité.
C'est pourquoi Augustin se tourne à nouveau vers les Épîtres
de Paul, en qui il découvre le maître de la grâce dans
une synthèse platonicienne: « Tout ce que la lecture m'avait
fourni de vrai se trouvait, je commençai à le voir, exprimé
ici sous le patronage de ta grâce » (Conf VII, 21, 27).
Il prend conscience, pour la première fois, qu'il n'a pas à
choisir entre la raison ou la foi, mais que la foi et la raison sont complémentaires.
Plus tard, il exprimera leur fonction complémentaire dans la célèbre
formule « intellege ut credas, crede ut intellegas » (Sermon
43, 9).
C'est finalement l'exemple d'Antoine,
le père du monachisme égyptien, dont lui parlait son ami
africain Ponticianus, qui provoque la crise décisive : « Tu
as entendu ce qui arrive ?, crie-t-il en s'adressant à son ami Alypius.
Des gens sans savoir se dressent, ils s'emparent du ciel et nous, avec
notre savoir sans coeur, voici que nous nous vautrons dans la chair et
dans le sang » (Conf VIII, 8, 19), et il se précipite dans
le jardin. C'est là que se joue la scène de la conversion
bien connue. Alors quaugustin est en proie au plus grand trouble,
il entend d'une maison voisine une voix d'enfant qui crie : « Tolle,
lege, toile, lege » (prends et lis) ; comme il ne se souvient pas
d'un jeu d'enfant comportant ces paroles, il voit là un signe de
Dieu - comme Antoine en son temps - lui intimant d'ouvrir la Bible.
Il ouvre les lettres pauliniennes en Rm 13, 13s : « ... "Non en banquets
et beuveries, non en luxures et impudicités, non en contention et
jalousie, mais revêtez-vous du Christ, le Seigneur Jésus et
gardez-vous de satisfaire les plaisirs déréglés de
la chair" (... ) Aussitôt la phrase finie, les ténèbres
du monde se dissipèrent toutes comme sous une lumière de
sécurité infuse en mon coeur » (Conf VIII, 12, 29).
L'authenticité de cette scène de conversion a donné
lieu à de nombreuses discussions ; il se pourrait qu'elle se soit
pourtant effectivement produite le 1 r août 386 .[ BONNER (AugL 1/4,
p. 532), quant à lui, la situe fin août 386.]
D. Philosophie et christianisme
Les spécialistes se sont beaucoup
interrogés sur les ouvrages platoniciens
qu'Augustin connaissait, sur l'influence
qu'ils ont pu exercer sur sa pensée et sur la question de savoir
s'il s'était d'abord converti au platonicisme ou à l'Église
catholique. On pense aujourd'hui qu'Augustin a été
essentiellement influencé par les ouvrages de Plotin et non par
ceux de Porphyre - comme le voudrait notamment Wikky Theiler (1933) - et
que l'éventualité d'une alternative entre le platonisme et
le christianisme repose sur une vision erronée de la situation ecclésiastique
et théologique du iv siècle. Le christianisme du iv
siècle était empreint dès l'origine de platonisme
et, pour Augustin, la recherche de la sagesse, comme nous l'avons vu plus
haut, impliquait toujours la quête du Christ. Philosophie et
christianisme ne représentaient pas des choix s'excluant l'un l'autre,
mais bien une unité. L'absence du Christ dans les ouvrages
platoniciens constituait certes une différence essentielle mais
pour Augustin, comme pour toute l'Église, le platonisme n'en restait
pas moins le fondement philosophique de la compréhension et de l'explication
de la foi. Le message biblique devait corriger et compléter
cette philosophie, qui comportait de « grandes erreurs » incompatibles
avec le christianisme (Retr. 1, 1, 4), voire un « témoignage
déraisonnable » (Sermon 241, 6) : l'éternité
du monde, la préexistence de l'âme, l'union contre nature,
et donc violente, de l'âme avec le corps matériel, la vision
cyclique de l'histoire, etc.
2. Du BAPTÊME À L'ORDINATION PRESBYTÉRALE
A. Christianae vitae otium à
Cassiciacum et catéchuménat Comme pour Basile, Jérôme
et nombre d'autres contemporains, la
décision d'Augustin de se
faire chrétien allait de pair avec le choix d'une vie ascétique.
Avec sa mère, son fils et quelques autres parents et amis, il se
retira, au début des vacances de la moisson (23 août à
15 octobre) à Cassiciacum, la propriété de son ami
Verecundus, située non loin de Milan (peut-être l'actuelle
Cassago di Brianza, à 30 km au nord de Milan, au pied des Alpes).
Dès avant sa conversion, Augustin avait envisagé semblable
vie retirée, dans l'otium cultivé (Conf VI, 14, 34), mais
il s'agit maintenant du christianae vitae otium (Retr. 1, 1, 1), marqué
par la prière, les conversations, la lecture de la Bible et l'activité
littéraire. Les conversations deviennent des dialogues à
la façon de Platon, qui abordent des problèmes que se posent
Augustin et ses compagnons : Contra Academicos contre le scepticisme, De
beata vita sur la recherche et la connaissance de Dieu, De ordine sur la
question du mal dans la providence divine et les Soliloquia sur la quête
de Dieu et l'immortalité de l'âme.
Vers la fin des vacances, il démissionne
de sa fonction de rhéteur et, début 387, il retourne à
Milan pour se faire inscrire, avec son fils Adéodat et son ami Alypius,
sur la liste des candidats au baptême pour Pâques
387. Ce temps du catéchuménat
donne lieu à d'autres écrits, avec, notamment, le projet
d'un cycle complet de manuels des sept actes libérales, mais dont
seuls le De grammatica (aujourd'hui perdu) et plus tard le De mu-sica verront
le jour. Dans la nuit de Pâques du 24 avril 387, Augustin reçoit
le baptême des mains de l'évêque Ambroise, dans le baptistère
du dôme de Milan, avec son fils et son ami, en présence de
sa mère comblée.
B. Communauté monastique à Thagaste
Peu après son baptême,
Augustin rejoint le port romain d'Ostie pour
retourner en Afrique et y fonder
- comme Basile le Grand à Annisi - une communauté monastique
de l'otium chrétien, sur la propriété familiale de
Thagaste. Mais Monique tombe malade à Ostie où elle
meurt le 13 novembre 387, après avoir passé ses derniers
jours en conversations spirituelles avec son fils - comme Macrine avec
son frère Grégoire de Nysse - et après avoir connu
l'extase partagée de la célèbre « vision d'Ostie
». Les rigueurs du climat et l'irruption de l'usurpateur Maxime en
Italie retardent encore le passage en Afrique, et Augustin passe l'hiver
à Rome où il s'occupe à réfuter par écrit
les manichéens. En été ou automne 388, il arrive
finalement en Afrique, où il restera définitivement, avec
ses compagnons, et réalise son projet de communauté monastique
sur la propriété familiale de Thagaste : il met toute sa
fortune à la disposition de la communauté et pendant trois
ans il vit avec ses compagnons dans un otium christianum très fécond
du point de vue spirituel et littéraire.
C Ordination presbytérale à Hippone
Comme Augustin, vieil évêque
(425/426), le racontera à ses fidèles dans le Sermon 355,
la communauté était très perturbée par le fait
que bien souvent des membres de l'élite chrétienne qui y
étaient rassemblés étaient choisis pour être
évêques, en particulier lorsqu'ils passaient dans une ville
dont le siège était vacant. Aussi Augustin évitait-il
autant que possible d'entrer dans une ville sans évêque.
En janvier 391, il se rendit cependant à Hippo Regius pour y fonder
une nouvelle communauté monastique : l'évêque Valerius
étant en fonction, il n'avait aucune inquiétude. Mais
pendant la célébration liturgique, l'évêque
fit part à la communauté réunie de son souhait d'être
secondé par un prêtre: la communauté choisit Augustin
per acclamationem. Possidius, son biographe, rapporte (V Aug. 4,
2-3) qu'Augustin pleura à l'idée des grands dangers inhérents
à la fonction épiscopale, mais ses larmes furent mal interprétées,
et on chercha à le consoler en lui disant qu'une fois prêtre,
il deviendrait forcément évêque. Augustin obtint
cependant de Valerius de pouvoir mener à bien son projet initial
et on lui fit cadeau, à cet effet, d'un jardin proche de la cathédrale
où il fonda son monastère, dans lequel il vécut lui-même.
C'est sans doute pour cet établissement qu'il rédigea sa
règle monastique (cf 3' partie, chap. iii, I, 3, A).
Possidius écrit (V Aug. 5,
3-5) quaugustin fut ordonné prêtre notamment parce que Valerius,
issu d'une famille grecque, manquait d'aisance dans la prédication
en latin. La prédication étant d'ailleurs par tradition
exclusivement réservée à l'évêque, qu'elle
fût confiée à Augustin provoqua bien des critiques,
mais d'autres évêques d'Afrique du Nord ne tardèrent
pas à imiter Valerius. Augustin s'estimant insuffisamment
préparé au niveau théologique demanda un temps d'étude
pour la lecture de la Bible, ce que Valerius lui accorda. Il prononça
finalement son premier sermon devant les catéchumènes d'Hippone
le 15 mars 391 ; la date de son o rdination, que nous ne connaissons pas
avec précision, doit donc se situer fin 390/début 391.
3. PRÊTRF- ET ÉVÊQUE D'HIPPONE
A. Pasteur, politicien, ecclésiastique, théologien et ascète
Augustin a près de quarante
ans quand il est ordonné prêtre. Il est
ensuite consacré évêque
d'Hippone (entre mai 395 et août 397, d'abord comme coadjuteur de
Valerius). Ce fut à la fois un pasteur zélé,
un politicien ecclésiastique influent, un théologien hors
pair et un homme d'une grande spiritualité. Dans la communauté
monastique de Thagaste, il avait déjà renoncé à
toute possession personnelle et, prêtre à Hippone, il vivait
dans le « monastère du jardin ». Quand il devint évêque
il s'installa dans l'évêché, pour des raisons pratiques,
mais il continua de vivre en ascète ; il attendait aussi de son
clergé diocésain qu'il mène une vie monastique dans
le monastère de la cathédrale, comme en témoignent
les Sermons 355 et 356, prononcés vers la fin de sa vie (425/426),
ainsi que la Vita de Possidius (22-26).
Toute l'activité d'Augustin,
y compris ses écrits, ses controverses et sa théologie sont
au service de la pastorale. Aucune de ses oeuvres n'est qu'édifice
théorique d'un savant dans son cabinet, toutes ont été
conçues pour répondre aux besoins pratiques et pastoraux
de son diocèse et de son temps, souvent pour répondre à
des questions concrètes qui arrivaient de partout, ce qui est particulièrement
le cas de ses innombrables Sermons et Lettres. Près de six
cents Sermons ont été conservés, habituellement transcrits
par des sténographes et réunis dans la propre bibliothèque
d'Augustin. Ils ne représentent cependant qu'une fraction
des quelque trois à quatre mille Sermons prononcés effectivement
pendant une quarantaine d'années, pour tous les temps de l'année
liturgique, pour les fêtes des saints, sur l'Écriture sainte,
sur la doctrine chrétienne et sur la conduite authentiquement chrétienne.
C'est en 1990 seulement que François Dolbeau a identifié,
dans la bibliothèque de Mayence, treize Sermons disparus totalement
ou partiellement, mais dont l'authenticité est attestée par
l'Indiculus de Possidius. Dans ses Sermons, Augustin se révèle
non seulement un orateur brillant, qui sait trouver les formules qui frappent,
mais aussi un mettre pénétrant et d'une grande clarté.
Ce qu'il a poussé à l'extrême dans ses oeuvres polémiques,
pour les besoins de la discussion et pour mieux convaincre, en courant
le risque d'apparaître dogmatique et de donner lieu à des
interprétations unilatérales erronées, se retrouve
souvent dans ses prédications et ses écrits catéchétiques
sous une forme très pondérée. Pour se faire
une juste image de la théologie d'Augustin, il ne faut jamais se
contenter de ses oeuvres polémiques, mais toujours les compléter
par ses écrits pastoraux.
Agostino Trapé, l'un des
grands spécialistes d'Augustin de notre siècle, résume
ainsi la diversité de ses activités (Quasten III, P. 331s.
et EECH 1, p. 98) : « (1) pour l'Église d'Hippone : sermons,
au moins le samedi et le dimanche, souvent aussi plusieurs jours de suite
et deux fois par jour; audiences pour le clergé et le peuple, pour
décider de cas et de griefs juridiques, qui duraient souvent toute
la journée ; le souci des pauvres et des orphelins, la formation
du clergé, l'organisation des couvents d'hommes et de femmes, l'administration
des biens de l'Église, les visites aux malades, les interventions
auprès des autorités civiles en faveur des membres de la
communauté chrétienne; (2) pour l'Église d'Afrique:
nombreux voyages pour prendre part aux synodes annuels, visites aux confrères
et aux détenteurs de fonction ecclésiastiques ; (3) pour
l'Église universelle : controverses dogmatiques, réponses
à de nombreuses questions, livres innombrables sur les questions
les plus diverses, qui lui ont été posées. »
C'est surtout le corpus de ses lettres, au nombre de 299, qui reflète
la diversité de l'activité pastorale, sociale, politique
et personnelle d'Augustin pendant plus de quarante années (de 386
à sa mort, en 430). Ce n'est qu'en 1981 que Johannes Divjak
a publié 29 lettres im ortantes, récemment découvertes,
qui, depuis, ont fait l'objet d'études approfondies.
Quand il disputait avec des adversaires,
Augustin cherchait d'abord à les persuader, ensuite seulement à
l'emporter
sur eux, par souci de ne voir personne sombrer dans l'erreur. Si
les quatre grandes controverses dans lesquelles il s'est engagé
articulent au mieux son activité pastorale, qui s'étend sur
près de quarante années, elles ont aussi apporté des
éléments essentiels au développement de sa théologie.
B. Les controverses et leur théologie
1) Le manichéisme: unde malum ?
Au début de son presbytéral,
Augustin poursuit, littérairement et pratiquement, son combat contre
le manichéisme, notamment dans une Disputatio publique avec Fortunatus,
un prêtre de Carthage, qui séjournait à Hippone, où
il « induisait en erreur et aveuglait les habitants » (VAug.
6, 1). Dans cette joute rhétorique des 28 et 29 août
392, dont nous pouvons lire le déroulement dans les Acta contra
Fortunatum Manichaeum, les arguments d'Augustin ont désarçonné
Fortunatus : il ne savait plus que répondre et quitta Hippone en
homme vaincu. Une autre discussion publique du même genre,
qui l'opposa au manichéen Felix dans la cathédrale d'Hippone
du 7 au 12 décembre 404, également publiée dans les
Actes d'Augustin, mit le point final à sa controverse avec le manichéisme.
Entre ces deux dates se situe toute une série d'écrits antimanichéens,
dont les plus importants sont Contra epistolam Manichaei quam vocantfundamenti
(au début de son épiscopat) et De nature boni (399), qui
abordent surtout trois thèmes.
1. L'origine du mal comme absence
du bien dans une création fondamentalement bonne par un Dieu bon,
contre la doctrine des manichéens qui oppose deux royaumes tous
deux éternels, celui du bien et celui du mal, toujours en conflit.
2. L'identité entre le Dieu
de l'Ancien Testament et celui du Nouveau, ainsi que l'unité des
deux Testaments, contre la thèse manichéenne qui prétend
que l'Ancien Testament a été rédigé par un
Dieu mauvais et que le Nouveau Testament a été l'objet d'interpolations.
3. Enfin, la plus grande crédibilité
de la doctrine catholique.
2) Le donatisme : ecclésiologie et doctrine sacramentaire
Après la persécution
de Dioclétien, pendant laquelle nombre de clercs s'étaient
pliés à la pression étatique et avaient livré
les livres saints de l'Église (traditores), à l'occasion
de la consécration de l'évêque Cecilien de Carthage
(311/312) par un soi-disant traditor, s'était constituée
en Afrique du Nord, sous la direction de Donat, une Église enthousiaste
« des saints » : elle déniait la validité de
l'exercice de leur fonction et de l'administration des sacrements aux clercs
pécheurs, et procédait donc à de nouveaux baptêmes
; n'acceptant pas non plus l'idée que l'Église sainte pouvait
être constituée de membres pécheurs, elle se considérait
comme la seule véritable Église. Le donatisme ne s'étendit
guère en dehors de l'Afrique du Nord, mais dans cette région,
il avait réduit l'Église catholique à l'état
de minorité à l'époque da!igustin. Le donatisme
représentait donc un danger bien plus grand pour l'Église
d'Afrique du Nord que le manichéisme. Augustin ne s'en préoccupa
cependant pas avant 393 et il ne s'attaqua pas à lui avant 400.
Cela ne s'explique pas seulement par sa propre histoire, mais aussi par
le fait que, au début, Augustin s'était efforcé de
convaincre les schismatiques de rallier l'Église catholique, ce
dont témoigne son premier ouvrage sur le sujet, Psalmus contrapartem
Donati (393), qui a la forme d'un chant populaire et qui raconte, dans
des strophes alphabétiques suivies d'un refrain, l'histoire du donatisme
et de ses erreurs et qui exhorte à la réconciliation.
C'est seulement quand, vers 400, Augustin fut forcé de reconnaître
que l'Église donatiste, notamment son mouvement le plus radical,
celui des « Circoncellions » (des Berbères, travailleurs
agricoles saisonniers), refusait tout rapprochement, qu'il entreprit de
la combattre par la plume en même temps que par une politique ecclésiastique
offensive. Il ne participe pas seulement à de nombreux synodes
nord-africains qui s'occupent de ce problème, mais recommande aussi
qu'on ait recours - et recourant lui-même - aux lois et mesures coercitives
de l'empire contre les hérétiques. Les ouvrages antidonatistes
se sont multipliés entre 400 et 418 : beaucoup sont perdus et ne
nous sont connus qu'à travers les Retractationes dAugustin.
Les plus importants sont :
- De baptisrno (vers 400), qui réfute
la thèse fondamentale des donatistes, à l'origine du schisme,
selon laquelle seuls des ministres sans péché pourraient
validement exercer leur ministère et dispenser les sacrements.
Augustin fait une différence entre la validité et l'efficacité
du sacrement. Le sacrement dispensé ou reçu indignement
peut ne pas assurer (d'abord) le salut de celui qui le reçoit, mais
le baptême n'en imprime pas moins son sceau ineffaçable (character),
car le Christ seul est le dispensateur des sacrements, par la main de ses
serviteurs. Dans son Commentaire dejean (VI, 7), pour expliquer Jn
1, 33 (« c'est lui qui baptise dans l'Esprit saint »), Augustin
trouvera cette formulation célèbre pour exprimer cette théologie
: « Quand Pierre baptise, c'est le Christ qui baptise ; quand Paul
baptise, c'est le Christ qui baptise ; oui, même quand judas baptise,
c'est le Christ qui baptise. » De unitate ecclesiae (également
vers 400) contre la thèse ecclésiologique, sur laquelle repose
le schisme donatiste, qui voudrait que l'Église une et sainte ne
puisse compter que des membres également saints. Augustin,
quant à lui, établit la différence fondamentale, qui
servira désormais de critère d'orientation, entre la sainteté
intangible de l'Église, corps du Christ, qui est le fondement de
son unité (Christus totus caput et corpus), et la peccabilité
de ses membres qui fait que l'Église reste un corpus permixtum jusqu'à
son accomplissement. Mais il.ne peut y avoir qu'une seule. Église,
qui doit être l'Église universelle. Plus tard, l'ecclésiologie
d'Augustin se déploiera dans la conception de la triple communio
: l'Église terrestre, communio sanctorum, est faite de bons et de
méchants, sans que cela porte préjudice à la sainteté
du corps du Christ ; ceux qui sont déjà morts dans le Christ
constituent l'autre partie du corps du Christ, la communio justorum ; et
l'Église eschatologique, communio praedestinatorum, inclut tous
ceux qui sont appelés au salut (De civitate Dei XX, 9).
- Gesta conlationis Carthaginiensis
anno 411 et Breviculus conlationis cum donatistes. Les nombreux synodes
et les lois impériales édictées contre les donatistes
culminent dans une conférence convoquée à Carthage
par le notarius impérial Marcellinus, les 1", 3 et 8 juin 41 1,
où l'argumentation des 286 évêques catholiques présents,
dont Augustin était le porteparole, réussit, le troisième
jour, à déjouer la tactique des 285 évêques
donatistes en passant des cas particuliers disciplinaires litigieux aux
questions théologiques fondamentales. Un édit de l'empereur
Honorius, du 30 janvier 412, ordonna la répression des donatistes
par mesures coercitives mises en oeuvre par les autorités civiles.
3) Le pélagianisme : la doctrine de la grâce et de la prédestination
a. Pélage
À peine le problème
des donatistes était-il réglé, du moins en principe,
car cette Église mit longtemps à disparaître totalement,
que débutait l'autre grande controverse qui occupera Augustin jusqu'à
la fin de sa vie : la question de la doctrine de la grâce, telle
que la posa pour la première fois Pélage. Pélage,
originaire d'Irlande, s'était établi à Rome, depuis
le début des années 380, où il développa sa
théologie, très populaire au sein des cercles ascétiques,
que nous connaissons déjà à travers Jérôme.
Cette théologie était au fond une réaction optimiste
contre les tendances à la superficialité et au laxisme dans
la conduite de la vie chrétienne, dués au nombre croissant
des fidèles qui affluaient dans l'Église, désormais
Église d'État, et qui apportaient avec eux beaucoup de médiocrité
et de négligence. Pélage, quant à lui, entendait,
de façon tout à fait positive, encourager tous les chrétiens
à mettre tout leur zèle à mener une vie authentiquement
chrétienne, en soulignant l'importance de la décision volontaire
de l'homme pour le bien, en y conformant sa conduite. Il part de
l'hypothèse que, par nature, à titre de créature à
l'image de Dieu (Gn 1, 26 s), l'homme est en possession de la grâce
et a donc la capacité de se décider librement pour Dieu,
d'obéir aux commandements de Dieu, à la suite du Christ,
modèle exemplaire (exemplum) de la vie chrétienne et d'obtenir
ainsi le salut. Il ne considère donc pas la faute d'Adam comme
péché originel, se transmettant de génération
en génération, mais seulement comme la faute personnelle
dAdam et comme une incitation à l'imiter à laquelle la fermeté
de notre volonté nous permet de résister. Ce sont nos
propres mérites (mari, et non pas les sacrements, qui nous valent
la grâce de Dieu. Il récuse, dès lors, comme
inutile, le baptême des enfants, qui se répandait de plus
en plus dans la mesure où le baptême était considéré
comme indispensable au salut.
La doctrine pélagienne ne
fut pas immédiatement considérée comme hérétique
: elle ne paraissait pas toucher la théologie proprement dite, c'est-à-dire
la question de Dieu, mais semblait ne concerner que l'éthique.
C'est pourquoi, aussi, la controverse ne fut pas déclenchée
par Pélage luimême, mais par son disciple Caelestius qui,
après la chute de Rome, le 24 août 410, s'était établi
à Carthage. C'est là, en effet, qu'Augustin, le premier,
reconnut le caractère dangereux sur le plan de la'sotériologie
et de la christologie du pélagianisme, doctrine selon laquelle l'homme
est capable par lui-même de mériter son salut. En effet,
si l'homme peut parvenir au salut de lui-même, simplement parce qu'il
le décide, le Christ n'étant qu'un exemple, à quelle
fin le Fils de Dieu serait-il mort sur la croix ? Il s'agit précisément
de ce contre quoi Paul avait déjà mis en garde dans sa première
lettre aux Corinthiens (Î, 17), « la réduction à
néant de la croix du Christ » (ne evacuetur crux Christi).
Augustin rédige en 412 son premier ouvrage antipélagien,
De peccatorum mei*is et de baptisme parvulorum, où il souligne la
nécessité de la grâce de Dieu, qui précède
la volonté humaine, pour la décision dans le sens du bien,
ainsi que la nécessité absolue du bavtême Dour avoir
part à la mort du Christ sur la croix, pour triompher de la faute
originelle. Au fil de la controverse qui se poursuit, dans d'autres
oeuvres importantes, Augustin précisera les relations entre la loi
et la grâce (De spii*u et littera), ainsi qu'entre la nature et la
grâce (De nature et gratia) : l'accomplissement des commandements
divins à lui seul, sans la grâce de Dieu qui l'inspire, ne
justifie pas, et la nature et la grâce ne s'opposent nullement, mais
la grâce seule libère la nature et procure son salut (Retr.
11, 42).
La doctrine de la grâce d'Augustin
repose sur l'idée fondamentale que le péché d'Adam
n'a pas seulement été sa faute personnelle, mais qu'il a
fait de l'humanité entière une massa damnata et que cette
faute originelle se transmet de génération en génération,
non par irnitation personnelle (imitatio), mais par propagation (propagatio)
moyennant la concupiscence (concupiscentia) de l'homme. Tandis que
la nature humaine de l'état paradisiaque, créée par
Dieu, à son image et ressemblance, pouvait sans doute opter immédiatement
pour Dieu, la nature de l'homme corrompue par la faute originelle n'en
est plus capable : la grâce préalable de Dieu lui est indispensable
et le rend capable de ce choix en l'y encourageant. L'accomplissement
des commandements de Dieu lui-même n'est possible qu'avec la grâce
de Dieu qui accompagne l'homme. Mais la libre volonté de l'homme
détermine l'efficacité de la grâce. Certes, l'homme
est déjà racheté par la mort du Christ sur la croix
et il reçoit la grâce par le baptême, donc indispensable
au salut, mais l'efficacité de cette grâce dépend de
la décision de l'homme et de la conduite de sa vie. Pourtant
la seule volonté de l'homme ne peut lui gagner la grâce, que
Dieu prodigue toujours librement, qui n'est jamais due (gratuites), même
s'il est vrai également que Dieu sauve, certes, sans mérite
(bona merita), mais ne damne pas sans faute (mala merita) (Contra Iulianum,
3, 18, 35). La théologie de la grâce d'Augustin devient
problématique et l'Église la refuse quand il va jusqu'à
dire que la grâce de Dieu est irrésistible et que le salut
de l'homme individuel dépend entièrement de Dieu, qui accorderait
ou refuserait la grâce apparemment de façon arbitraire.
Cette doctrine de la prédestination, ainsi que celle de la transmission
du péché originel par la concupiscence inhérente à
l'acte de génération, furent à l'origine des deux
phases suivantes de la controverse pélagienne, ou en constituèrent
les thèmes principaux.
Le pape prit d'abord position à
plusieurs reprises dans le sens d'Augustin. Son corpus épistolaire
comporte trois lettres du pape Innocent, de janvier 417 (no 181-183), qui
répondent positivement aux lettres de deux synodes tenus à
Carthage et Milève, ainsi que de cinq évêques (no 175-177),
dont Augustin, qui souhaitent voir confirmée leur condamnation de
Pélage. Le pape excommunie Pélage et Caelestius, le
17 janvier 417. Du célèbre Sermon 13 1, qu'Augustin
a sans doute prononcé en septembre 417, on a tiré, plus tard,
l'adage « Roma locuta - causafinita », dans le sens d'une reconnaissance
unanime de l'autorité décisive du siège de Rome en
matière doctrinale. Mais cela ne correspond ni à la
teneur littérale ni à l'intention du sermon d'Augustin.
C'était exactement l'inverse. En effet, entre-temps, après
le synode de Diospolis, en Palestine (décembre 415), Zosime, le
successeur du pape Innocent (depuis mars 417), avait lui aussi réhabilité
Pélage en raison de son attitude courtoise et de son habile défense.
Mais les Africains considéraient que l'affaire avait été
réglée (causafinita) par la sentence d'Innocent, contre la
position actuelle du pape. Le pape Zosime fut contraint de s'incliner
devant la pression des Africains, qui obtinrent le 30 avril 418 la promulgation
d'un édit impérial contre Pélage et Caelestius, et
le pape dut condamner une nouvelle fois Pélage dans son Epistula
tractatoria.
b. julien déclane
L'Epistula tractatoria inaugura
la deuxième phase de la controverse pélagienne : en effet
Julien, l'évêque d'Éclane, en Italie du Sud (l'actuelle
Mirabella Eclano, près d'Avellino, en Campanie), et 18 autres évêques
se refusèrent à contresigner la condamnation. julien écrivit
deux lettres au pape Boniface (29 décembre 418 et 4 septembre 422),
lui demandant des explications, lettres qui lui valurent l'excommunication.
Il se plaignit au comes Valerius, à Ravenne, qui, comme le pape
Boniface, s'adressa à saint Augustin pour connaitre sa position
théologique (cette circonstance et bien d'autres montrent de quelle
autorité extraordinaire Augustin jouissait déjà de
son vivant. On lui écrivait ou on allait le trouver avec ses
problèmes, qu'il résolvait de façon convaincante et
durable dans tous les cas qui nous sont connus. Nombre de ses oeuvres
sont ainsi des écrits de circonstance et le corpus est plein d'échanges
de lettres de ce type).
Augustin répondit par deux
écrits qu'il mit à la disposition du comes Valerius : Contra
duas epistolaspelagianorum et De nuptiis et concupiscentia (418/ 419),
qui nous permettent de reconstituer les positions théologiques de
Julien. Augustin y réfute notamment les accusations selon
lesquelles il nierait la volonté libre, qu'en maintenant l'affirmation
du péché originel et en considérant le plaisir désordonné
comme un mal, il condamnerait le mariage et déprécierait
le baptême. C'est là le début d'un pugilat littéraire
qui s'achèvera avec la mort d'Augustin - julien répond au
premier livre du De nuptiis et concupiscentia par un ouvrage en quatre
livres, et Augustin (421/422) répond à son tour par un traité
détaillé Contra Iulianum en six livres ; Julien publie huit
autres livres contre le deuxième livre du De nuptiis et concupiscentia,
et Augustin entreprend d'y répondre (428) dans son Contra secundam
Iuliani responsionem opus imperfectum qu'il ne terminera pas. À
ce stade de la controverse pélagienne, Augustin cherche surtout
à éclaircir le concept de concupiscentia. La cohabitation
conjugale et le plaisir sexuel de l'acte de génération sont
bons du fait de leur institution et, comme tels, on ne peut que les approuver.
Mais du fait de la chute d'Adam, la concupi'scentia n'obéit plus
à son ordre originel, orienté vers Dieu : elle s'oriente,
de façon désordonnée, vers le monde matériel.
Bien que, chez le baptisé, sa culpabilité soit rachetée
par l'acte rédempteur du Christ, elle n'en demeure pas moins propension
au désordre et transmet ainsi la faute originelle.
c. Les moines dHadrumète et
de Massilia
La troisième phase du pélagianisme,
du vivant d'Augustin, n'est pas un prolongement linéaire des deux
premières : ce ne sont plus Pélage et ses disciples qui se
situent face à l'Église catholique, mais les questions théologiques
portant sur la doctrine de la grâce et de la prédestination,
soulevées par Pélage, continuent à se poser au sein
de l'Église. Le facteur déclenchant est la lettre 194
dAugustin à Sixte, prêtre romain, en 418, où, pour
des raisons de clarté et pour rendre ses arguments plus convaincants,
il accentue à ce point le caractère antipélagien de
sa doctrine de la grâce que l'on pouvait penser qu'à ses yeux
seule la grâce de Dieu non due et imméritée prédétermine
le destin de l'homme, sans même qu'il y participe. La lettre
soulève une grande inquiétude parmi les moines d'Hadrumète,
en Afrique du Nord (l'actuelle Sousse, sur la côte orientale de la
Tunisie), parce qu'ils craignent que cette théorie ne rende vains
leurs efforts ascétiques en vue d'une vie agréable à
Dieu. Augustin répond à cette inquiétude dans
son traité De gratia et libero arbitrio (426), où il explique
une nouvelle fois que la grâce de Dieu précède, certes,
la décision volontaire de l'homme, qu'elle la rend possible et qu'elle
accompagne son agir pour l'accomplir, mais que la libre décision
de l'homme n'en est pas entravée pour autant, pas plus qu'elle ne
devient superflue. Mais quelques moines d'Hadrumète se réclamèrent
de cette réponse dAugustin pour récuser le blâme fraternel,
puisque c'est la grâce de Dieu qui dirige la volonté humaine.
Augustin répond par le De correptione etgratia, où il explicite
une nouvelle fois sa théologie de la grâce et fait notamment
une différence entre l'efficacité de la grâce avant
et après la chute. En effet, si, dans l'état d'union
à Dieu, la grâce pouvait agir immédiatement, après
la chute, elle se heurte à la résistance de l'homme et fait
donc aussi appel à sa collaboration. Augustin distingue ainsi
la grâce, adiutorium sine quo non et la correction, adiutorium quo.
Ces explications répondaient
manifestement aux interrogations des moines d'Hadrumètre, mais à
Marseille, des moines s'opposèrent formellement à la doctrine
de la grâce dAugustin, opposition déclenchée précisément
par ses deux écrits destinés aux moines d'Hadrumète.
Les moines de la Gaule contin ' uaient à penser qu'Augustin exagérait
par trop le rôle de la grâce et de la prédestination
par rapport à la libre décision et aux mérites de
l'homme. En 429, Prosper d'Aquitaine et un Africain du nom de Hilaire,
amis dAugustin, le lui font savoir dans deux lettres (n- 225 et 226), et
Augustin répond (429/430) par deux autres écrits adressés
aux moines gaulois : De praedestinatione sanctorum et De dono peneverantiae.
Il y souligne que la prédestination ne signifie pas une pr ination,
mais un présavoir et une préparation de la grâce tiae
praeparatio) ; il ne s'agit pas d'une décision préalable
de Dieu décidant du destin de l'homme et éliminant la liberté
humaine. Il ne faut pas non plus, bien évidemment, tomber
dans l'excès contraire et attendre tout des mérites de l'homme
- comme Pélage. Sans la grâce imméritée
de Dieu, qui précède et qui accompagne, l'homme ne peut ni
accéder à la foi ni y persévérer. X la
différence des moines d'Hadrumète et de nombre d'autres qui
ont discuté certaines thèses d'Augustin, les moines gaulois
n'acceptent pas sa théologie. Dans le 13' livre de ses Coniationts,
Jean Cassien la conteste, et Vincent de Lérins, moine prêtre,
critique violemment Augustin dans ses Obiectiones : on peut donc penser
que le centre de l'opposition se situe dans ces deux monastères.
Après la mort dAugustin (430), Prosper d'Aquitaine et d'autres continuent
la discussion, y compris par écrit, jusqu'au concile d'Orange (529),
qui finit par condamner ce que l'on appellera « semi-pélagianisme
» à partir du xvème siècle.
4) L'arianisme
La progression des Goths et d'autres
tribus germaniques, ralliés au christianisme arien, mais aussi la
présence de soldats ariens dans l'armée romaine en Afrique
du Nord, amenèrent Augustin à s'occuper également
de l'arianisme dans les dernières années de sa vie, à
partir de 416. Point n'était besoin de développer une
nouvelle théologie, puisque le concile de Constantinople (381) avait
élucidé les fondements de la doctrine trinitaire, et Augustin
avait déjà achevé son grand traité De
trinitate dans lequel il pouvait donc puiser. Aussi ne rédigea-t-il
à cet effet que quelques écrits, mais importants :
Contra sermonem aiianorum (418),
contre le sermon d'un arien inconnu
auquel il se réfère;
Colbtio cum Maximinum arianorum
episcopum (427/428),
la mise par écrit d'une discussion
comparable aux débats d'autrefois avec les donatistes ;
et Contra Maximinum arianorum episcopum
(428)
contre Maximinus qui, à son
retour à Carthage, prétend l'avoir emporté dans une
discussion publique à Hippone.
Par-delà la doctrine trinitaire de ces traités qui, comme nous l'avons dit, ne sort pas du cadre de la théologie de la Trinité d'Augustin, on y trouve des passages christologiques qui développent et mettent à profit sa christologie qui n'a connu son plein développement qu'en 411.
5) Leporius : un cas de « prénestorianisme »
Peu avant sa mort, Augustin se trouva confronté à un problème théologique, qui ne représentait pas encore une controverse pour lui, mais dont le contenu préfigure la question nestorienne et dans lequel on voit donc volontiers un cas de « prénestorianisme ».
Leporius, prêtre moine gaulois (de Marseille ?), excommunié dans les années 418-428 par l'évêque de Marseille pour hérésie christologique, alla chercher un appui théologique auprès d'Augustin. Celui-ci reconnait « sa pieuse crainte, mais aussi son erreur par légèreté : il ne veut pas reconnaître que Dieu soit né d'une femme, que Dieu ait pu être crucifié et qu'il ait pu souffrir à la façon des hommes, par crainte que l'on puisse croire que la divinité s'est transformée en un homme ou qu'elle a été corrompue par mélange » (Epistula 219, 3). Il s'agit donc bien du problème de la communicatio idiomatum qui sera débattu à l'occasion de la crise nestorienne, mais qui, parce qu'il souligne trop la séparation des deux natures du Christ, court le danger d'aboutir à l'affirmation de deux fils. Augustin avait déjà résolu ce problème par sa théologie de 1'una persona Christi, sujet unique et commun de tous les actes, aussi bien de la divinité que de l'humanité du Christ, il pouvait donc instruire Leporius et il rédigea avec lui (ou pour lui) un Libellus emendationis seu satisfactionis. Il le renvoya chez lui avec ce libelle et avec une lettre d'accompagnement (EpistuL 219), contribuant ainsi à sa réhabilitation.
C Choix du successeur et mort
À l'âge de 72 ans, pour
prévenir toute contestation après sa mort, Augustin décida,
le 26 septembre 426, lors d'une réunion publique avec deux autres
évêques, de faire élire un coadjuteur par le clergé
et le peuple d'Hippone. Pour ce faire on rédigea un protocole
que l'on envoya au consul Theodosius et à l'empereur Valentinien
Ill pour les mettre officiellement au courant (Epistula 213). Quand
Augustin lui-même était devenu coadjuteur de Valerius, son
prédécesseur à Hippone, il avait déjà
été consacré évêque du vivant de ce dernier.
Ceux qui avaient pris cette décision et posé ce geste ignoraient
alors que le canon 8 du concile de Nicée (325) interdisait cette
procédure. Eraclius, le successeur désigné d'Augustin,
resta donc prêtre jusqu'à la mort de son prédécesseur,
mais il le déchargeait déjà de certaines de ses obligations
épiscopales. Augustin mourut le 28 août 430, dans le
troisième mois du siège d'Hippone par les Vandales, qui avaient
entrepris la conquête de l'Afrique depuis 429, en passant par Gibraltar.
Pâques 431 fut marqué par l'invitation au concile d'Éphèse,
qui témoigne une nouvelle fois de la haute estime dans laquelle
on tenait le théologien Augustin dans tout l'empire. En effet,
les synodes qui se tenaient dans la partie orientale de l'empire se passaient
habituellement - bien que oeucuméniques - de toute intervention
de l'épiscopat occidental. Dans ce cas aussi, outre Augustin
ne fut invité que Célestin, le pape de Rome, déjà
impliqué dans la controverse, qui envoya un légat.
Augustin fut très probablement
enterré dans la cathédrale d'Hippone. Vers 500, les
évêques catholiques bannis dAfrique du Nord (les Vandales
étaient ariens) ont emporté ses ossements en Sardaigne et
au VIIIème siècle Liutprand, roi des Lombards, en fit l'acquisition
et les fit transporter à Pavie, où ils sont toujours vénérés
dans l'église San Pietro in Ciel d'Oro.
Avec Ambroise, Jérôme et le pape Grégoire le Grand, Augustin est l'un des « quatre grands docteurs de l'Eglise d'Occident » et son influence sur la théologie et l'Église d'Occident est inestimable. La présentation de l'« augustinisme » remplit des bibliothèques entières.
C Ordination presbytérale à Hippone
Comme Augustin, vieil évêque
(425/426), le racontera à ses fidèles dans le Sermon 355,
la communauté était très perturbée par le fait
que bien souvent des membres de l'élite chrétienne qui y
étaient rassemblés étaient choisis pour être
évêques, en particulier lorsqu'ils passaient dans une ville
dont le siège était vacant. Aussi Augustin évitait-il
autant que possible d'entrer dans une ville sans évêque.
En janvier 391, il se rendit cependant à Hippo Regius pour y fonder
une nouvelle communauté monastique : l'évêque Valerius
étant en fonction, il n'avait aucune inquiétude. Mais
pendant la célébration liturgique, l'évêque
fit part à la communauté réunie de son souhait d'être
secondé par un prêtre: la communauté choisit Augustin
per acclamationem. Possidius, son biographe, rapporte (V Aug. 4,
2-3) qu'Augustin pleura à l'idée des grands dangers inhérents
à la fonction épiscopale, mais ses larmes furent mal interprétées,
et on chercha à le consoler en lui disant qu'une fois prêtre,
il deviendrait forcément évêque. Augustin obtint
cependant de Valerius de pouvoir mener à bien son projet initial
et on lui fit cadeau, à cet effet, d'un jardin proche de la cathédrale
où il fonda son monastère, dans lequel il vécut lui-même.
C'est sans doute pour cet établissement qu'il rédigea sa
règle monastique (cf 3' partie, chap. iii, I, 3, A).
Possidius écrit (V Aug. 5,
3-5) quaugustin fut ordonné prêtre notamment parce que Valerius,
issu d'une famille grecque, manquait d'aisance dans la prédication
en latin. La prédication étant d'ailleurs par tradition
exclusivement réservée à l'évêque, qu'elle
fût confiée à Augustin provoqua bien des critiques,
mais d'autres évêques d'Afrique du Nord ne tardèrent
pas à imiter Valerius. Augustin s'estimant insuffisamment
préparé au niveau théologique demanda un temps d'étude
pour la lecture de la Bible, ce que Valerius lui accorda. Il prononça
finalement son premier sermon devant les catéchumènes d'Hippone
le 15 mars 391 ; la date de son o rdination, que nous ne connaissons pas
avec précision, doit donc se situer fin 390/début 391.
3. PRÊTRF- ET ÉVÊQUE D'HIPPONE
A. Pasteur, politicien, ecclésiastique, théologien et ascète
Augustin a près de quarante
ans quand il est ordonné prêtre. Il est
ensuite consacré évêque
d'Hippone (entre mai 395 et août 397, d'abord comme coadjuteur de
Valerius). Ce fut à la fois un pasteur zélé,
un politicien ecclésiastique influent, un théologien hors
pair et un homme d'une grande spiritualité. Dans la communauté
monastique de Thagaste, il avait déjà renoncé à
toute possession personnelle et, prêtre à Hippone, il vivait
dans le « monastère du jardin ». Quand il devint évêque
il s'installa dans l'évêché, pour des raisons pratiques,
mais il continua de vivre en ascète ; il attendait aussi de son
clergé diocésain qu'il mène une vie monastique dans
le monastère de la cathédrale, comme en témoignent
les Sermons 355 et 356, prononcés vers la fin de sa vie (425/426),
ainsi que la Vita de Possidius (22-26).
Toute l'activité d'Augustin,
y compris ses écrits, ses controverses et sa théologie sont
au service de la pastorale. Aucune de ses oeuvres n'est qu'édifice
théorique d'un savant dans son cabinet, toutes ont été
conçues pour répondre aux besoins pratiques et pastoraux
de son diocèse et de son temps, souvent pour répondre à
des questions concrètes qui arrivaient de partout, ce qui est particulièrement
le cas de ses innombrables Sermons et Lettres. Près de six
cents Sermons ont été conservés, habituellement transcrits
par des sténographes et réunis dans la propre bibliothèque
d'Augustin. Ils ne représentent cependant qu'une fraction
des quelque trois à quatre mille Sermons prononcés effectivement
pendant une quarantaine d'années, pour tous les temps de l'année
liturgique, pour les fêtes des saints, sur l'Écriture sainte,
sur la doctrine chrétienne et sur la conduite authentiquement chrétienne.
C'est en 1990 seulement que François Dolbeau a identifié,
dans la bibliothèque de Mayence, treize Sermons disparus totalement
ou partiellement, mais dont l'authenticité est attestée par
l'Indiculus de Possidius. Dans ses Sermons, Augustin se révèle
non seulement un orateur brillant, qui sait trouver les formules qui frappent,
mais aussi un mettre pénétrant et d'une grande clarté.
Ce qu'il a poussé à l'extrême dans ses oeuvres polémiques,
pour les besoins de la discussion et pour mieux convaincre, en courant
le risque d'apparaître dogmatique et de donner lieu à des
interprétations unilatérales erronées, se retrouve
souvent dans ses prédications et ses écrits catéchétiques
sous une forme très pondérée. Pour se faire
une juste image de la théologie d'Augustin, il ne faut jamais se
contenter de ses oeuvres polémiques, mais toujours les compléter
par ses écrits pastoraux.
Agostino Trapé, l'un des
grands spécialistes d'Augustin de notre siècle, résume
ainsi la diversité de ses activités (Quasten III, P. 331s.
et EECH 1, p. 98) : « (1) pour l'Église d'Hippone : sermons,
au moins le samedi et le dimanche, souvent aussi plusieurs jours de suite
et deux fois par jour; audiences pour le clergé et le peuple, pour
décider de cas et de griefs juridiques, qui duraient souvent toute
la journée ; le souci des pauvres et des orphelins, la formation
du clergé, l'organisation des couvents d'hommes et de femmes, l'administration
des biens de l'Église, les visites aux malades, les interventions
auprès des autorités civiles en faveur des membres de la
communauté chrétienne; (2) pour l'Église d'Afrique:
nombreux voyages pour prendre part aux synodes annuels, visites aux confrères
et aux détenteurs de fonction ecclésiastiques ; (3) pour
l'Église universelle : controverses dogmatiques, réponses
à de nombreuses questions, livres innombrables sur les questions
les plus diverses, qui lui ont été posées. »
C'est surtout le corpus de ses lettres, au nombre de 299, qui reflète
la diversité de l'activité pastorale, sociale, politique
et personnelle d'Augustin pendant plus de quarante années (de 386
à sa mort, en 430). Ce n'est qu'en 1981 que Johannes Divjak
a publié 29 lettres im ortantes, récemment découvertes,
qui, depuis, ont fait l'objet d'études approfondies.
Quand il disputait avec des adversaires,
Augustin cherchait d'abord à les persuader, ensuite seulement à
l'emporter sur eux, par souci de ne voir personne sombrer dans l'erreur.
Si les quatre grandes controverses dans lesquelles il s'est engagé
articulent au mieux son activité pastorale, qui s'étend sur
près de quarante années, elles ont aussi apporté des
éléments essentiels au développement de sa théologie.
B. Les controverses et leur théologie
1) Le manichéisme: unde malum ?
Au début de son presbytéral,
Augustin poursuit, littérairement et pratiquement, son combat contre
le manichéisme, notamment dans une Disputatio publique avec Fortunatus,
un prêtre de Carthage, qui séjournait à Hippone, où
il « induisait en erreur et aveuglait les habitants » (VAug.
6, 1). Dans cette joute rhétorique des 28 et 29 août
392, dont nous pouvons lire le déroulement dans les Acta contra
Fortunatum Manichaeum, les arguments d'Augustin ont désarçonné
Fortunatus : il ne savait plus que répondre et quitta Hippone en
homme vaincu. Une autre discussion publique du même genre,
qui l'opposa au manichéen Felix dans la cathédrale d'Hippone
du 7 au 12 décembre 404, également publiée dans les
Actes d'Augustin, mit le point final à sa controverse avec le manichéisme.
Entre ces deux dates se situe toute une série d'écrits antimanichéens,
dont les plus importants sont Contra epistolam Manichaei quam vocantfundamenti
(au début de son épiscopat) et De nature boni (399), qui
abordent surtout trois thèmes.
1. L'origine du mal comme absence
du bien dans une création fondamentalement bonne par un Dieu bon,
contre la doctrine des manichéens qui oppose deux royaumes tous
deux éternels, celui du bien et celui du mal, toujours en conflit.
2. L'identité entre le Dieu
de l'Ancien Testament et celui du Nouveau, ainsi que l'unité des
deux Testaments, contre la thèse manichéenne qui prétend
que l'Ancien Testament a été rédigé par un
Dieu mauvais et que le Nouveau Testament a été l'objet d'interpolations.
3. Enfin, la plus grande crédibilité
de la doctrine catholique.
2) Le donatisme : ecclésiologie et doctrine sacramentaire
Après la persécution
de Dioclétien, pendant laquelle nombre de clercs s'étaient
pliés à la pression étatique et avaient livré
les livres saints de l'Église (traditores), à l'occasion
de la consécration de l'évêque Cecilien de Carthage
(311/312) par un soi-disant traditor, s'était constituée
en Afrique du Nord, sous la direction de Donat, une Église enthousiaste
« des saints » : elle déniait la validité de
l'exercice de leur fonction et de l'administration des sacrements aux clercs
pécheurs, et procédait donc à de nouveaux baptêmes
; n'acceptant pas non plus l'idée que l'Église sainte pouvait
être constituée de membres pécheurs, elle se considérait
comme la seule véritable Église. Le donatisme ne s'étendit
guère en dehors de l'Afrique du Nord, mais dans cette région,
il avait réduit l'Église catholique à l'état
de minorité à l'époque da!igustin. Le donatisme
représentait donc un danger bien plus grand pour l'Église
d'Afrique du Nord que le manichéisme. Augustin ne s'en préoccupa
cependant pas avant 393 et il ne s'attaqua pas à lui avant 400.
Cela ne s'explique pas seulement par sa propre histoire, mais aussi par
le fait que, au début, Augustin s'était efforcé de
convaincre les schismatiques de rallier l'Église catholique, ce
dont témoigne son premier ouvrage sur le sujet, Psalmus contrapartem
Donati (393), qui a la forme d'un chant populaire et qui raconte, dans
des strophes alphabétiques suivies d'un refrain, l'histoire du donatisme
et de ses erreurs et qui exhorte à la réconciliation.
C'est seulement quand, vers 400, Augustin fut forcé de reconnaître
que l'Église donatiste, notamment son mouvement le plus radical,
celui des « Circoncellions » (des Berbères, travailleurs
agricoles saisonniers), refusait tout rapprochement, qu'il entreprit de
la combattre par la plume en même temps que par une politique ecclésiastique
offensive. Il ne participe pas seulement à de nombreux synodes
nord-africains qui s'occupent de ce problème, mais recommande aussi
qu'on ait recours - et recourant lui-même - aux lois et mesures coercitives
de l'empire contre les hérétiques. Les ouvrages antidonatistes
se sont multipliés entre 400 et 418 : beaucoup sont perdus et ne
nous sont connus qu'à travers les Retractationes dAugustin.
Les plus importants sont :
- De baptisrno (vers 400), qui réfute
la thèse fondamentale des donatistes, à l'origine du schisme,
selon laquelle seuls des ministres sans péché pourraient
validement exercer leur ministère et dispenser les sacrements.
Augustin fait une différence entre la validité et l'efficacité
du sacrement. Le sacrement dispensé ou reçu indignement
peut ne pas assurer (d'abord) le salut de celui qui le reçoit, mais
le baptême n'en imprime pas moins son sceau ineffaçable (character),
car le Christ seul est le dispensateur des sacrements, par la main de ses
serviteurs. Dans son Commentaire dejean (VI, 7), pour expliquer Jn
1, 33 (« c'est lui qui baptise dans l'Esprit saint »), Augustin
trouvera cette formulation célèbre pour exprimer cette théologie
: « Quand Pierre baptise, c'est le Christ qui baptise ; quand Paul
baptise, c'est le Christ qui baptise ; oui, même quand judas baptise,
c'est le Christ qui baptise. » De unitate ecclesiae (également
vers 400) contre la thèse ecclésiologique, sur laquelle repose
le schisme donatiste, qui voudrait que l'Église une et sainte ne
puisse compter que des membres également saints. Augustin,
quant à lui, établit la différence fondamentale, qui
servira désormais de critère d'orientation, entre la sainteté
intangible de l'Église, corps du Christ, qui est le fondement de
son unité (Christus totus caput et corpus), et la peccabilité
de ses membres qui fait que l'Église reste un corpus permixtum jusqu'à
son accomplissement. Mais il.ne peut y avoir qu'une seule. Église,
qui doit être l'Église universelle. Plus tard, l'ecclésiologie
d'Augustin se déploiera dans la conception de la triple communio
: l'Église terrestre, communio sanctorum, est faite de bons et de
méchants, sans que cela porte préjudice à la sainteté
du corps du Christ ; ceux qui sont déjà morts dans le Christ
constituent l'autre partie du corps du Christ, la communio justorum ; et
l'Église eschatologique, communio praedestinatorum, inclut tous
ceux qui sont appelés au salut (De civitate Dei XX, 9).
- Gesta conlationis Carthaginiensis
anno 411 et Breviculus conlationis cum donatistes. Les nombreux synodes
et les lois impériales édictées contre les donatistes
culminent dans une conférence convoquée à Carthage
par le notarius impérial Marcellinus, les 1", 3 et 8 juin 41 1,
où l'argumentation des 286 évêques catholiques présents,
dont Augustin était le porteparole, réussit, le troisième
jour, à déjouer la tactique des 285 évêques
donatistes en passant des cas particuliers disciplinaires litigieux aux
questions théologiques fondamentales. Un édit de l'empereur
Honorius, du 30 janvier 412, ordonna la répression des donatistes
par mesures coercitives mises en oeuvre par les autorités civiles.
3) Le pélagianisme : la doctrine de la grâce et de la prédestination
a. Pélage
À peine le problème
des donatistes était-il réglé, du moins en principe,
car cette Église mit longtemps à disparaître totalement,
que débutait l'autre grande controverse qui occupera Augustin jusqu'à
la fin de sa vie : la question de la doctrine de la grâce, telle
que la posa pour la première fois Pélage. Pélage,
originaire d'Irlande, s'était établi à Rome, depuis
le début des années 380, où il développa sa
théologie, très populaire au sein des cercles ascétiques,
que nous connaissons déjà à travers Jérôme.
Cette théologie était au fond une réaction optimiste
contre les tendances à la superficialité et au laxisme dans
la conduite de la vie chrétienne, dués au nombre croissant
des fidèles qui affluaient dans l'Église, désormais
Église d'État, et qui apportaient avec eux beaucoup de médiocrité
et de négligence. Pélage, quant à lui, entendait,
de façon tout à fait positive, encourager tous les chrétiens
à mettre tout leur zèle à mener une vie authentiquement
chrétienne, en soulignant l'importance de la décision volontaire
de l'homme pour le bien, en y conformant sa conduite. Il part de
l'hypothèse que, par nature, à titre de créature à
l'image de Dieu (Gn 1, 26 s), l'homme est en possession de la grâce
et a donc la capacité de se décider librement pour Dieu,
d'obéir aux commandements de Dieu, à la suite du Christ,
modèle exemplaire (exemplum) de la vie chrétienne et d'obtenir
ainsi le salut. Il ne considère donc pas la faute d'Adam comme
péché originel, se transmettant de génération
en génération, mais seulement comme la faute personnelle
dAdam et comme une incitation à l'imiter à laquelle la fermeté
de notre volonté nous permet de résister. Ce sont nos
propres mérites (mari, et non pas les sacrements, qui nous valent
la grâce de Dieu. Il récuse, dès lors, comme
inutile, le baptême des enfants, qui se répandait de plus
en plus dans la mesure où le baptême était considéré
comme indispensable au salut.
La doctrine pélagienne ne
fut pas immédiatement considérée comme hérétique
: elle ne paraissait pas toucher la théologie proprement dite, c'est-à-dire
la question de Dieu, mais semblait ne concerner que l'éthique.
C'est pourquoi, aussi, la controverse ne fut pas déclenchée
par Pélage luimême, mais par son disciple Caelestius qui,
après la chute de Rome, le 24 août 410, s'était établi
à Carthage. C'est là, en effet, qu'Augustin, le premier,
reconnut le caractère dangereux sur le plan de la'sotériologie
et de la christologie du pélagianisme, doctrine selon laquelle l'homme
est capable par lui-même de mériter son salut. En effet,
si l'homme peut parvenir au salut de lui-même, simplement parce qu'il
le décide, le Christ n'étant qu'un exemple, à quelle
fin le Fils de Dieu serait-il mort sur la croix ? Il s'agit précisément
de ce contre quoi Paul avait déjà mis en garde dans sa première
lettre aux Corinthiens (Î, 17), « la réduction à
néant de la croix du Christ » (ne evacuetur crux Christi).
Augustin rédige en 412 son premier ouvrage antipélagien,
De peccatorum mei*is et de baptisme parvulorum, où il souligne la
nécessité de la grâce de Dieu, qui précède
la volonté humaine, pour la décision dans le sens du bien,
ainsi que la nécessité absolue du bavtême Dour avoir
part à la mort du Christ sur la croix, pour triompher de la faute
originelle. Au fil de la controverse qui se poursuit, dans d'autres
oeuvres importantes, Augustin précisera les relations entre la loi
et la grâce (De spii*u et littera), ainsi qu'entre la nature et la
grâce (De nature et gratia) : l'accomplissement des commandements
divins à lui seul, sans la grâce de Dieu qui l'inspire, ne
justifie pas, et la nature et la grâce ne s'opposent nullement, mais
la grâce seule libère la nature et procure son salut (Retr.
11, 42).
La doctrine de la grâce d'Augustin
repose sur l'idée fondamentale que le péché d'Adam
n'a pas seulement été sa faute personnelle, mais qu'il a
fait de l'humanité entière une massa damnata et que cette
faute originelle se transmet de génération en génération,
non par irnitation personnelle (imitatio), mais par propagation (propagatio)
moyennant la concupiscence (concupiscentia) de l'homme. Tandis que
la nature humaine de l'état paradisiaque, créée par
Dieu, à son image et ressemblance, pouvait sans doute opter immédiatement
pour Dieu, la nature de l'homme corrompue par la faute originelle n'en
est plus capable : la grâce préalable de Dieu lui est indispensable
et le rend capable de ce choix en l'y encourageant. L'accomplissement
des commandements de Dieu lui-même n'est possible qu'avec la grâce
de Dieu qui accompagne l'homme. Mais la libre volonté de l'homme
détermine l'efficacité de la grâce. Certes, l'homme
est déjà racheté par la mort du Christ sur la croix
et il reçoit la grâce par le baptême, donc indispensable
au salut, mais l'efficacité de cette grâce dépend de
la décision de l'homme et de la conduite de sa vie. Pourtant
la seule volonté de l'homme ne peut lui gagner la grâce, que
Dieu prodigue toujours librement, qui n'est jamais due (gratuites), même
s'il est vrai également que Dieu sauve, certes, sans mérite
(bona merita), mais ne damne pas sans faute (mala merita) (Contra Iulianum,
3, 18, 35). La théologie de la grâce d'Augustin devient
problématique et l'Église la refuse quand il va jusqu'à
dire que la grâce de Dieu est irrésistible et que le salut
de l'homme individuel dépend entièrement de Dieu, qui accorderait
ou refuserait la grâce apparemment de façon arbitraire.
Cette doctrine de la prédestination, ainsi que celle de la transmission
du péché originel par la concupiscence inhérente à
l'acte de génération, furent à l'origine des deux
phases suivantes de la controverse pélagienne, ou en constituèrent
les thèmes principaux.
Le pape prit d'abord position à
plusieurs reprises dans le sens d'Augustin. Son corpus épistolaire
comporte trois lettres du pape Innocent, de janvier 417 (no 181-183), qui
répondent positivement aux lettres de deux synodes tenus à
Carthage et Milève, ainsi que de cinq évêques (no 175-177),
dont Augustin, qui souhaitent voir confirmée leur condamnation de
Pélage. Le pape excommunie Pélage et Caelestius, le
17 janvier 417. Du célèbre Sermon 13 1, qu'Augustin
a sans doute prononcé en septembre 417, on a tiré, plus tard,
l'adage « Roma locuta - causafinita », dans le sens d'une reconnaissance
unanime de l'autorité décisive du siège de Rome en
matière doctrinale. Mais cela ne correspond ni à la
teneur littérale ni à l'intention du sermon d'Augustin.
C'était exactement l'inverse. En effet, entre-temps, après
le synode de Diospolis, en Palestine (décembre 415), Zosime, le
successeur du pape Innocent (depuis mars 417), avait lui aussi réhabilité
Pélage en raison de son attitude courtoise et de son habile défense.
Mais les Africains considéraient que l'affaire avait été
réglée (causafinita) par la sentence d'Innocent, contre la
position actuelle du pape. Le pape Zosime fut contraint de s'incliner
devant la pression des Africains, qui obtinrent le 30 avril 418 la promulgation
d'un édit impérial contre Pélage et Caelestius, et
le pape dut condamner une nouvelle fois Pélage dans son Epistula
tractatoria.
b. julien déclane
L'Epistula tractatoria inaugura
la deuxième phase de la controverse pélagienne : en effet
Julien, l'évêque d'Éclane, en Italie du Sud (l'actuelle
Mirabella Eclano, près d'Avellino, en Campanie), et 18 autres évêques
se refusèrent à contresigner la condamnation. julien écrivit
deux lettres au pape Boniface (29 décembre 418 et 4 septembre 422),
lui demandant des explications, lettres qui lui valurent l'excommunication.
Il se plaignit au comes Valerius, à Ravenne, qui, comme le pape
Boniface, s'adressa à saint Augustin pour connaitre sa position
théologique (cette circonstance et bien d'autres montrent de quelle
autorité extraordinaire Augustin jouissait déjà de
son vivant. On lui écrivait ou on allait le trouver avec ses
problèmes, qu'il résolvait de façon convaincante et
durable dans tous les cas qui nous sont connus. Nombre de ses oeuvres
sont ainsi des écrits de circonstance et le corpus est plein d'échanges
de lettres de ce type).
Augustin répondit par deux
écrits qu'il mit à la disposition du comes Valerius : Contra
duas epistolaspelagianorum et De nuptiis et concupiscentia (418/ 419),
qui nous permettent de reconstituer les positions théologiques de
Julien. Augustin y réfute notamment les accusations selon
lesquelles il nierait la volonté libre, qu'en maintenant l'affirmation
du péché originel et en considérant le plaisir désordonné
comme un mal, il condamnerait le mariage et déprécierait
le baptême. C'est là le début d'un pugilat littéraire
qui s'achèvera avec la mort d'Augustin - julien répond au
premier livre du De nuptiis et concupiscentia par un ouvrage en quatre
livres, et Augustin (421/422) répond à son tour par un traité
détaillé Contra Iulianum en six livres ; Julien publie huit
autres livres contre le deuxième livre du De nuptiis et concupiscentia,
et Augustin entreprend d'y répondre (428) dans son Contra secundam
Iuliani responsionem opus imperfectum qu'il ne terminera pas. À
ce stade de la controverse pélagienne, Augustin cherche surtout
à éclaircir le concept de concupiscentia. La cohabitation
conjugale et le plaisir sexuel de l'acte de génération sont
bons du fait de leur institution et, comme tels, on ne peut que les approuver.
Mais du fait de la chute d'Adam, la concupi'scentia n'obéit plus
à son ordre originel, orienté vers Dieu : elle s'oriente,
de façon désordonnée, vers le monde matériel.
Bien que, chez le baptisé, sa culpabilité soit rachetée
par l'acte rédempteur du Christ, elle n'en demeure pas moins propension
au désordre et transmet ainsi la faute originelle.
c. Les moines dHadrumète et
de Massilia
La troisième phase du pélagianisme,
du vivant d'Augustin, n'est pas un prolongement linéaire des deux
premières : ce ne sont plus Pélage et ses disciples qui se
situent face à l'Église catholique, mais les questions théologiques
portant sur la doctrine de la grâce et de la prédestination,
soulevées par Pélage, continuent à se poser au sein
de l'Église. Le facteur déclenchant est la lettre 194
dAugustin à Sixte, prêtre romain, en 418, où, pour
des raisons de clarté et pour rendre ses arguments plus convaincants,
il accentue à ce point le caractère antipélagien de
sa doctrine de la grâce que l'on pouvait penser qu'à ses yeux
seule la grâce de Dieu non due et imméritée prédétermine
le destin de l'homme, sans même qu'il y participe. La lettre
soulève une grande inquiétude parmi les moines d'Hadrumète,
en Afrique du Nord (l'actuelle Sousse, sur la côte orientale de la
Tunisie), parce qu'ils craignent que cette théorie ne rende vains
leurs efforts ascétiques en vue d'une vie agréable à
Dieu. Augustin répond à cette inquiétude dans
son traité De gratia et libero arbitrio (426), où il explique
une nouvelle fois que la grâce de Dieu précède, certes,
la décision volontaire de l'homme, qu'elle la rend possible et qu'elle
accompagne son agir pour l'accomplir, mais que la libre décision
de l'homme n'en est pas entravée pour autant, pas plus qu'elle ne
devient superflue. Mais quelques moines d'Hadrumète se réclamèrent
de cette réponse dAugustin pour récuser le blâme fraternel,
puisque c'est la grâce de Dieu qui dirige la volonté humaine.
Augustin répond par le De correptione etgratia, où il explicite
une nouvelle fois sa théologie de la grâce et fait notamment
une différence entre l'efficacité de la grâce avant
et après la chute. En effet, si, dans l'état d'union
à Dieu, la grâce pouvait agir immédiatement, après
la chute, elle se heurte à la résistance de l'homme et fait
donc aussi appel à sa collaboration. Augustin distingue ainsi
la grâce, adiutorium sine quo non et la correction, adiutorium quo.
Ces explications répondaient
manifestement aux interrogations des moines d'Hadrumètre, mais à
Marseille, des moines s'opposèrent formellement à la doctrine
de la grâce dAugustin, opposition déclenchée précisément
par ses deux écrits destinés aux moines d'Hadrumète.
Les moines de la Gaule contin ' uaient à penser qu'Augustin exagérait
par trop le rôle de la grâce et de la prédestination
par rapport à la libre décision et aux mérites de
l'homme. En 429, Prosper d'Aquitaine et un Africain du nom de Hilaire,
amis dAugustin, le lui font savoir dans deux lettres (n- 225 et 226), et
Augustin répond (429/430) par deux autres écrits adressés
aux moines gaulois : De praedestinatione sanctorum et De dono peneverantiae.
Il y souligne que la prédestination ne signifie pas une pr ination,
mais un présavoir et une préparation de la grâce tiae
praeparatio) ; il ne s'agit pas d'une décision préalable
de Dieu décidant du destin de l'homme et éliminant la liberté
humaine. Il ne faut pas non plus, bien évidemment, tomber
dans l'excès contraire et attendre tout des mérites de l'homme
- comme Pélage. Sans la grâce imméritée
de Dieu, qui précède et qui accompagne, l'homme ne peut ni
accéder à la foi ni y persévérer. X la
différence des moines d'Hadrumète et de nombre d'autres qui
ont discuté certaines thèses d'Augustin, les moines gaulois
n'acceptent pas sa théologie. Dans le 13' livre de ses Coniationts,
Jean Cassien la conteste, et Vincent de Lérins, moine prêtre,
critique violemment Augustin dans ses Obiectiones : on peut donc penser
que le centre de l'opposition se situe dans ces deux monastères.
Après la mort dAugustin (430), Prosper d'Aquitaine et d'autres continuent
la discussion, y compris par écrit, jusqu'au concile d'Orange (529),
qui finit par condamner ce que l'on appellera « semi-pélagianisme
» à partir du xvème siècle.
4) L'arianisme
La progression des Goths et d'autres
tribus germaniques, ralliés au christianisme arien, mais aussi la
présence de soldats ariens dans l'armée romaine en Afrique
du Nord, amenèrent Augustin à s'occuper également
de l'arianisme dans les dernières années de sa vie, à
partir de 416. Point n'était besoin de développer une
nouvelle théologie, puisque le concile de Constantinople (381) avait
élucidé les fondements de la doctrine trinitaire, et Augustin
avait déjà achevé son grand traité De
trinitate dans lequel il pouvait donc puiser. Aussi ne rédigea-t-il
à
cet effet que quelques écrits, mais importants :
Contra sermonem aiianorum (418),
contre le sermon d'un arien inconnu
auquel il se réfère;
Colbtio cum Maximinum arianorum
episcopum (427/428),
la mise par écrit d'une discussion
comparable aux débats d'autrefois avec les donatistes ;
et Contra Maximinum arianorum episcopum
(428)
contre Maximinus qui, à son
retour à Carthage, prétend l'avoir emporté dans une
discussion publique à Hippone.
Par-delà la doctrine trinitaire de ces traités qui, comme nous l'avons dit, ne sort pas du cadre de la théologie de la Trinité d'Augustin, on y trouve des passages christologiques qui développent et mettent à profit sa christologie qui n'a connu son plein développement qu'en 411.
5) Leporius : un cas de « prénestorianisme »
Peu avant sa mort, Augustin se trouva confronté à un problème théologique, qui ne représentait pas encore une controverse pour lui, mais dont le contenu préfigure la question nestorienne et dans lequel on voit donc volontiers un cas de « prénestorianisme ».
Leporius, prêtre moine gaulois (de Marseille ?), excommunié dans les années 418-428 par l'évêque de Marseille pour hérésie christologique, alla chercher un appui théologique auprès d'Augustin. Celui-ci reconnait « sa pieuse crainte, mais aussi son erreur par légèreté : il ne veut pas reconnaître que Dieu soit né d'une femme, que Dieu ait pu être crucifié et qu'il ait pu souffrir à la façon des hommes, par crainte que l'on puisse croire que la divinité s'est transformée en un homme ou qu'elle a été corrompue par mélange » (Epistula 219, 3). Il s'agit donc bien du problème de la communicatio idiomatum qui sera débattu à l'occasion de la crise nestorienne, mais qui, parce qu'il souligne trop la séparation des deux natures du Christ, court le danger d'aboutir à l'affirmation de deux fils. Augustin avait déjà résolu ce problème par sa théologie de 1'una persona Christi, sujet unique et commun de tous les actes, aussi bien de la divinité que de l'humanité du Christ, il pouvait donc instruire Leporius et il rédigea avec lui (ou pour lui) un Libellus emendationis seu satisfactionis. Il le renvoya chez lui avec ce libelle et avec une lettre d'accompagnement (EpistuL 219), contribuant ainsi à sa réhabilitation.
C Choix du successeur et mort
À l'âge de 72 ans, pour
prévenir toute contestation après sa mort, Augustin décida,
le 26 septembre 426, lors d'une réunion publique avec deux autres
évêques, de faire élire un coadjuteur par le clergé
et le peuple d'Hippone. Pour ce faire on rédigea un protocole
que l'on envoya au consul Theodosius et à l'empereur Valentinien
Ill pour les mettre officiellement au courant (Epistula 213). Quand
Augustin lui-même était devenu coadjuteur de Valerius, son
prédécesseur à Hippone, il avait déjà
été consacré évêque du vivant de ce dernier.
Ceux qui avaient pris cette décision et posé ce geste ignoraient
alors que le canon 8 du concile de Nicée (325) interdisait cette
procédure. Eraclius, le successeur désigné d'Augustin,
resta donc prêtre jusqu'à la mort de son prédécesseur,
mais il le déchargeait déjà de certaines de ses obligations
épiscopales. Augustin mourut le 28 août 430, dans le
troisième mois du siège d'Hippone par les Vandales, qui avaient
entrepris la conquête de l'Afrique depuis 429, en passant par Gibraltar.
Pâques 431 fut marqué par l'invitation au concile d'Éphèse,
qui témoigne une nouvelle fois de la haute estime dans laquelle
on tenait le théologien Augustin dans tout l'empire. En effet,
les synodes qui se tenaient dans la partie orientale de l'empire se passaient
habituellement - bien que oeucuméniques - de toute intervention
de l'épiscopat occidental. Dans ce cas aussi, outre Augustin
ne fut invité que Célestin, le pape de Rome, déjà
impliqué dans la controverse, qui envoya un légat.
Augustin fut très probablement
enterré dans la cathédrale d'Hippone. Vers 500, les
évêques catholiques bannis dAfrique du Nord (les Vandales
étaient ariens) ont emporté ses ossements en Sardaigne et
au VIIIème siècle Liutprand, roi des Lombards, en fit l'acquisition
et les fit transporter à Pavie, où ils sont toujours vénérés
dans l'église San Pietro in Ciel d'Oro.
Avec Ambroise, Jérôme et le pape Grégoire le Grand, Augustin est l'un des « quatre grands docteurs de l'Eglise d'Occident » et son influence sur la théologie et l'Église d'Occident est inestimable. La présentation de l'« augustinisme » remplit des bibliothèques entières.