LIVRE DIX-SEPTIÈME : DE DAVID À JÉSUS-CHRIST
Saint Augustin suit le développement de la Cité de Dieu
au temps des Rois et des Prophètes, depuis Samuel et David jusqu’à
Jésus-Christ, et il indique dans les saintes Ecritures, particulièrement
dans les livres des Rois, des Psaumes et de Salomon, les passages où
Jésus-Christ et l’Eglise sont annoncés.
LIVRE DIX-SEPTIÈME : DE DAVID À JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE PREMIER.
DU TEMPS DES PROPHÈTES.
CHAPITRE II.
CE NE FUT PROPREMENT QUE SOUS LES ROIS, QUE LA PROMESSE DE DIEU TOUCHANT
LA TERRE DE CHANAAN FUT ACCOMPLIE.
CHAPITRE III.
LES TROIS SORTES DE PROPHÉTIES DE L’ANCIEN TESTAMENT SE RAPPORTENT
TANTÔT À LA JÉRUSALEM TERRESTRE, TANTÔT À
LA JÉRUSALEM CÉLESTE, ET TANTÔT À L’UNE ET À
L’AUTRE.
CHAPITRE IV.
FIGURE DU CHANGEMENT DE L’EMPIRE ET DU SACERDOCE D’ISRAËL, ET
PROPHÉTIES D’ANNE, MÈRE DE SAMUEL, LAQUELLE FIGURAIT L’ÉGLISE.
CHAPITRE V.
ABOLITION DU SACERDOCE D’AARON NIÉDITE A HÉLI.
CHAPITRE VI.
DE L’ÉTERNITÉ PROMISE AU SACERDOCE ET AU ROYAUME DES
JUIFS, AFIN QUE, LES VOYANT DÉTRUITS, ON RECONNUT QUE CETTE PROMESSE
CONCERNAIT UN AUTRE ROYAUME ET UN AUTRE SACERDOCE DONT CEUX-LA ÉTAIENT
LA FIGURE.
CHAPITRE VII.
DE LA DIVISION DU ROYAUME D’ISRAËL PRÉDITE PAR SAMUEL A
SAÜL, ET DE CE QU’ELLE FIGURAIT .
CHAPITRE VIII.
LES PROMESSES DE DIEU A DAVID TOUCHANT SALOMON NE PEUVENT S’ENTENDRE
QUE DE JÉSUS-CHRIST.
CHAPITRE IX.
DE LA PROPHÉTIE DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME, LAQUELLE
EST SEMBLABLE A CELLE DE NATHAN DANS LE SECOND LIVRE DES ROIS.
CHAPITRE X.
LA RAISON DE LA DIFFÉRENCE QUI SE RENCONTRE ENTRE CE QUI S’EST
PASSÉ DANS LE ROYAUME DE LA JÉRUSALEM TERRESTRE ET LES PROMESSES
DE DIEU, C’EST DE FAIRE VOIR QUE CES PROMESSES REGARDAIENT UN AUTRE ROYAUME
ET UN PLUS GRAND ROI.
CHAPITRE XI.
DE LA SUBSTANCE DU PEUPLE DE DIEU, LAQUELLE SE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST
FAIT HOMME, SEUL CAPABLE DE DÉLIVRÉR SON AME DE L’ENFER.
CHAPITRE XII.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME
: « OU SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES ETC. »
CHAPITRE XIII.
LA PAIX PROMISE A DAVID PAR NATHAN N’EST POINT CELLE DU RÈGNE
DE SALOMON.
CHAPITRE XIV.
DES PSAUMES DE DAVID.
CHAPITRE XV.
S’IL CONVIENT D’ENTRER ICI DANS L’EXPLICATION DES PROPHÉTIES
CONTENUES DANS LES PSAUMES TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.
CHAPITRE XVI.
LE PSAUME QUARANTE-QUATRE EST UNE PROPHÉTIE, TANTÔT EXPRESSIVE
ET TANTÔT FIGURÉE, DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE.
CHAPITRE XVII.
DU SACERDOCE ET DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST PRÉDITS
AUX CENT NEUVIÈME ET VINGT-UNIÈME PSAUMES.
CHAPITRE XVIII.
DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SAUVEUR PRÉDITES
DANS LES PSAUMES TROIS, QUARANTE, QUINZE ET SOIXANTE-SEPT.
CHAPITRE XIX.
LE PSAUME SOIXANTE-HUIT MONTRE L’OBSTINATION DES JUIFS DANS LEUR INFIDÉLITÉ.
CHAPITRE XX.
DU RÈGNE ET DES VERTUS DE DAVID, ET DES PROPHÉTIES SUR
JÉSUS-CHRIST QUI SE TROUVENT DANS LES LIVRES DE SALOMON.
CHAPITRE XXI.
DES ROIS DE JUDA ET D’ISRAËL APRÈS SALOMON.
CHAPITRE XXII.
IDOLÂTRIE DE JÉROBOAM.
CHAPITRE XXIII.
DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RETOUR DES JUIFS.
CHAPITRE XXIV.
DES DERNIERS PROPRÈTES DES JUIFS.
CHAPITRE PREMIER.
DU TEMPS DES PROPHÈTES.
Comment se sont accomplies et s’accomplissent encore les promesses
de Dieu à Abraham à l’égard de sa double postérité,
le peuple juif, selon la chair, et toutes les nations de la terre, selon
la foi, c’est ce que le progrès de la Cité de Dieu, selon
l’ordre des temps, va nous découvrir. Nous avons fini le livre précédent
au règne de David; voyons maintenant ce qui s’est passé depuis
ce règne, dans la mesure où peut nous le permettre le dessein
que nous nous sommes proposé en cet ouvrage. Tout le temps écoulé
depuis que Samuel commença à prophétiser jusqu’à
la captivité de Babylone et au rétablissement du temple,
qui arriva soixante-dix ans après, ainsi que Jérémie
l’avait prédit 1, tout ce temps, dis-je, est le temps des Prophètes.
Bien que nous puissions avec raison appeler prophètes Noé
et quelques autres patriarches qui l’ont précédé ou
suivi jusqu’aux Rois, à cause de certaines choses qu’ils ont faites
ou dites en esprit de prophétie touchant la Cité de Dieu,
d’autant plus qu’il y en a quelques-uns parmi eux à qui l’Ecriture
sainte donne ce nom, comme Abraham 2 et Moïse 3, toutefois, à
proprement parler, le temps des Prophètes ne commence que depuis
Samuel, qui, par le commandement de Dieu, sacra d’abord roi Saül,
et ensuite David, après la réprobation de Saül. Mais
nous n’en finirions pas de rapporter tout ce que ces Prophètes ont
prédit de Jésus-Christ, tandis que la Cité de Dieu
se continuait dans le cours des siècles. Si l’on voulait surtout
considérer attentivement l’Ecriture sainte, dans les choses même
qu’elle semble ne rapporter qu’historiquement des Rois, on trouverait qu’elle
n’est pas moins attentive, si elle ne l’est plus, à prédire
l’avenir qu’à raconter le passé. Or, qui ne voit avec un
peu de réflexion quel
1. Jérém. XX, 11. — 2. Gen. XX, 7. — 3. Deut. XXXIV,
10.
travail ce serait d’entreprendre cette sorte de recherche, et combien
il faudrait de volumes pour s’en acquitter comme il faut? En second lieu,
les choses même qui ont indubitablement le caractère prophétique
sont en si grand nombre touchant Jésus-Christ et le royaume des
cieux, qui est la Cité de Dieu, que cette explication passerait
de beaucoup les bornes de cet ouvrage. Je tâcherai donc, avec l’aide
de Dieu, de m’y contenir de telle sorte, que, sans omettre le nécessaire,
je ne dise rien de superflu.
CHAPITRE II.
CE NE FUT PROPREMENT QUE SOUS LES ROIS, QUE LA PROMESSE DE DIEU TOUCHANT
LA TERRE DE CHANAAN FUT ACCOMPLIE.
Nous avons dit au livre précédent que Dieu promit deux
choses à Abraham : l’une, que sa postérité posséderait
la terre de Chanaan, ce qui est signifié par ces paroles : «
Allez en la terre que je vous montrerai, et je vous ferai Père d’un
grand peuple »; et l’autre, beaucoup plus excellente et qui regarde
une postérité, non pas charnelle, mais spirituelle, qui le
rend père, non du seul peuple juif, mais de tous les peuples qui
marchent sur les traces de sa foi. Celle-ci est exprimée en ces
termes : « En vous seront bénies toutes les nations de la
terre 1 ». Ces deux promesses lui ont été faites beaucoup
d’autres fois, comme nous l’avons montré. La postérité
charnelle d’Abraham, c’est-à-dire le peuple juif, était donc
déjà établi dans la terre promise, et, maître
des villes ennemies, il vivait sous la domination de ses rois. Ainsi, les
promesses de Dieu commencèrent dès lors à être
accomplies en grande partie, non-seulement celles qu’il avait faites aux
trois patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, mais encore celles qu’il fit
à Moïse, par qui le peuple
1. Gen. XLI, 1-3.
(363)
hébreu fut délivré de la captivité d’Egypte
et à qui toutes les choses passées furent révélées,
lorsqu’il conduisait ce peuple dans le désert. Toutefois, ce ne
fut ni sous Jésus fils de Navé 1, ce fameux capitaine qui
fit entrer les Hébreux dans la terre promise, et qui la divisa,
selon l’ordre de Dieu, entre les douze tribus, ni sous les Juges, que s’accomplit
la promesse que Dieu avait faite de donner aux Israélites toute
la terre de Chanaan, depuis le fleuve d’Egypte jusqu’au grand fleuve d’Euphrate
2. Elle ne le fut que sous David et sous son fils Salomon, dont le royaume
et toute cette étendue. Ils subjuguèrent, en effet, tous
ces peuples et en firent leurs tributaires. Ce fut donc sous ces princes
que la postérité d’Abraham se trouva établie en la
terre de Chanaan, de sorte qu’il ne manquait plus rien à l’entier
accomplissement des promesses de Dieu à cet égard, sauf cet
unique point que les Juifs la posséderaient jusqu’à la fin
des siècles; mais il fallait pour cela qu’ils demeurassent fidèles
à leur Dieu. Or, comme Dieu savait qu’ils ne le seraient pas, il.
se servit des châtiments temporels dont il les affligea pour exercer
le petit nombre des fidèles qui étaient parmi eux, afin qu’ils
instruisissent à l’avenir les fidèles des autres nations
en qui il voulait accomplir l’autre promesse par l’incarnation de Jésus-Christ
et la publication du Nouveau Testament.
CHAPITRE III.
LES TROIS SORTES DE PROPHÉTIES DE L’ANCIEN TESTAMENT SE RAPPORTENT
TANTÔT À LA JÉRUSALEM TERRESTRE, TANTÔT À
LA JÉRUSALEM CÉLESTE, ET TANTÔT À L’UNE ET À
L’AUTRE.
Ainsi toutes les prophéties, tant celles qui ont précédé
l’époque des Rois que celles qui l’ont suivie, regardent en partie
la postérité charnelle d’Abraham, et en partie cette autre
postérité en qui sont bénis tous les peuples cohéritiers
de Jésus-Christ par le Nouveau Testament, et appelés à
posséder la vie éternelle et le royaume des cieux. Elles
se rapportent moitié à la servante qui engendre des esclaves,
c’est-à-dire à la Jérusalem terrestre, qui est esclave
avec ses enfants, et moitié à la cité libre, qui est
la vraie Jérusalem, étrangère
1. Comp. saint Augustin, Quœst. in Jesum Nase, qu. 21, et saint Jérôme,
Epist. CXXIX, ad Dardanun,
2.Gen. XV, 18.
ici-bas en quelques-uns de ses enfants et éternelle dans les
cieux; mais il y en à qui se rapportent à l’une et à
l’autre, proprement à la servante et figurativement à la
femme libre.
Il y a donc trois sortes de prophéties, les unes relatives à
la Jérusalem terrestre, les autres à la céleste, et
les autres à toutes les deux. Donnons-en des exemples. Le prophète
Nathan 1 fut envoyé à David pour lui reprocher son crime
et lui en annoncer le châtiment. Qui doute que ces avertissements
du ciel et autres semblables, qui concernaient l’intérêt de
tous ou celui de quelques particuliers, n’appartinssent à la cité
de la terre? Mais lorsqu’on lit dans Jérémie : « Voici
venir le temps, dit le Seigneur, que je ferai une nouvelle alliance qui
ne sera pas semblable à celle que je fis avec leurs pères,
lorsque je les pris par la main pour les tirer d’Egypte; car ils ne l’ont
pas gardée, et c’est pourquoi je les ai abandonnés, dit le
Seigneur. Mais voici l’alliance que je veux faire avec la maison d’Israël
: « Après ce temps, dit le Seigneur, je déposerai mes
lois dans leur esprit; je les écrirai dans leur coeur, et mes yeux
les regarderont et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple 2».
Il est certain que c’est là une prophétie de cette Jérusalem
céleste où Dieu même est la récompense des justes
et où l’unique et souverain bien est de le posséder et d’être
à lui. Mais lorsque l’Ecriture appelle Jérusalem la Cité
de Dieu et annonce que la maison de Dieu s’élèvera dans son
enceinte, cela se rapporte à l’une et l’autre cité : à
la Jérusalem terrestre, parce que cela a été accompli,
selon la vérité de l’histoire, dans le fameux temple de Salomon,
et à la céleste, parce que ce temple en était la figure.
Ce genre de prophétie mixte, dans les livres historiques de l’Ancien
Testament, est fort considérable ; il a exercé et exerce
encore beaucoup de commentateurs de l’Ecriture qui cherchent la figure
de ce qui doit s’accomplir en la postérité spirituelle d’Abraham
dans ce qui a été prédit et accompli pour sa postérité
charnelle. Quelques uns portent ce goût si loin qu’ils prétendent
qu’il n’y a rien en ces livres de ce qui est arrivé après
avoir été prédit, ou même sans l’avoir été,
qui ne doive se rapporter allégoriquement à la Cité
de Dieu et à ses enfants qui sont
1. II Rois, XII, 1. — Jérém. XXX, 31-33; Hébr.
VIII, 8-10.
2. Voyez l’écrit de saint Augustin coutre Fauste le manichéen,
aux livres XII et XVI.
(364)
étrangers en cette vie. Si cela est, il n’y aura pins que deux
sortes de prophéties dans tous les livres de l’Ancien Testament,
les unes relatives à la Jérusalem céleste, et les
autres aux deux Jérusalem, sans qu’aucune se rapporte seulement
à la terrestre. Pour moi, comme il ma semble que ceux-là
se trompent fort qui excluent toute allégorie des livres historiques
de l’Ecriture, j’estime aussi que c’est beaucoup entreprendre que de vouloir
en trouver partout. C’est pourquoi j’ai dit qu’il vaut mieux distinguer
trois sortes de prophéties, sans blâmer toutefois ceux qui,
conservant la vérité de l’histoire, cherchent à trouver
partout quelque sens allégorique. Quant aux choses qui ne peuvent
se rattacher ni à l’action des hommes ni à celle de Dieu,
il est évident que l’Ecriture n’en parle pas sans dessein, et il
faut conséquemment tâcher de les rappeler à un sens
spirituel.
CHAPITRE IV.
FIGURE DU CHANGEMENT DE L’EMPIRE ET DU SACERDOCE D’ISRAËL, ET
PROPHÉTIES D’ANNE, MÈRE DE SAMUEL, LAQUELLE FIGURAIT L’ÉGLISE.
La suite des temps amène la Cité de Dieu jusqu’à
l’époque des Rois, alors que, Saül ayant été
réprouvé, David monta sur le trône, et que ses descendants
régnèrent longtemps après lui dans la Jérusalem
terrestre. Ce changement, qui arriva en la personne de Saül et de
David, figurait le remplacement de l’Ancien Testament par le Nouveau, où
le sacerdoce et la royauté ont été changés
par le prêtre et le roi nouveau et immortel, qui est Jésus-Christ.
Le grand-prêtre Héli réprouvé et Samuel mis
en sa place et exerçant ensemble les fonctions de prêtre et
de juge, et d’autre part, David sacré roi au lieu de Saül,
figuraient cette révolution spirituelle. La mère de Samuel,
Anne, stérile d’abord, et qui depuis eut tant de joie de sa fécondité,
semble ne prophétiser autre chose, quand, ravie de son bonheur,
elle rend grâces à Dieu et lui consacre son fils avec la même
piété qu’elle le lui avait voué. Voici comme elle
s’exprime : « Mon coeur a été affermi dans sa confiance
au Seigneur, et mon Dieu a relevé ma force et ma gloire. Ma bouche
a été ouverte contre mes ennemis, et je me suis réjouie
de votre salut. Car il n’est point de saint comme le Seigneur, il n’est
point de juste comme notre Dieu, il n’est de saint que vous. Ne vous glorifiez
point, et ne parlez point autrement; qu’aucune parole fière et superbe
ne sorte de votre bouche, puisque c’est Dieu qui est le maître des
sciences, et qui forme et conduit ses desseins. Il a détendu l’arc
des puissants, et les faibles ont été revêtus de force.
Ceux qui ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui
étaient affamés se sont élevés au-dessus de
la terre, parce que celle qui était stérile est devenue mère
de sept enfants, et celle qui avait beaucoup d’enfants est demeurée
sans vigueur. C’est Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie; c’est
lui qui mène aux enfers et qui en ramène. Le Seigneur rend
pauvre ou riche, abaisse ou élève ceux qu’il lui plaît.
Il élève de terre le pauvre, et tire le misérable
du fumier, afin de le faire asseoir avec les princes de son peuple et de
lui donner pour héritage un trône de gloire. Il donne à
qui fait un voeu de quoi le faire, et il a béni les années
du juste, parce que l’homme n’est pas fort par sa propre force. Le Seigneur
désarmera son adversaire, le Seigneur qui est saint. Que le sage
ne se glorifie point de sa sagesse, ni le puissant de sa puissance, ni
le riche de ses richesses; mais que celui qui eut se glorifier se glorifie
de connaître Dieu et de rendre justice au milieu de la terre. Le
Seigneur est monté aux cieux et a tonné; il jugera les extrémités
de la terre, parce qu’il est juste. C’est lui qui donne la vertu à
nos rois, et il exaltera la gloire et la puissance de son Christ 1 ».
Croira-t-on que c’est là le discours d’une simple femme qui
se réjouit de la naissance de son fils, et sera-t-on assez aveugle
pour ne pas voir qu’il est beaucoup au-dessus de sa portée? En un
mot, quiconque fait attention à ce qui est déjà accompli
de ces paroles, ne reconnaît-il pas clairement que le Saint- Esprit,
par le ministère, de cette femme (dont le nom même, en hébreu,
signifie grâce), a prédit la religion chrétienne, la
Cité de Dieu, dont Jésus-Christ est le roi et le fondateur,
et enfin la grâce même de Dieu, dont les superbes s’éloignent
pour tomber par terre et dont les humbles sont remplis pour se relever?
Il ne resterait qu’à prétendre que cette femme n’a rien prédit,
et que ce sont de simples actions de grâces qu’elle rend à
Dieu pour lui avoir
1. I Rois, II, 1-10 sec. LXX.
(365)
donné un fils; mais que signifie en ce cas ce qu’elle dit :
« Il a détendu l’arc des puissants,
et les faibles ont été revêtus de force. Ceux qui
ont du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient
affamés se sont élevés au-dessus de la terre, parce
que
celle qui était stérile est devenue mère de sept
enfants, et celle qui avait beaucoup d’enfants
n’a plus de vigueur? » Est-ce qu’Anne a eu sept enfants? Elle
n’en avait qu’un quand elle
disait cela, et n’en eut en tout que cinq, trois garçons et
deux filles 1. Bien plus, comme il
n’y avait point encore de rois parmi les Juifs, qui la porte à
dire : « C’est lui qui donne la
force à nos rois, et qui relèvera la gloire et la puissance
de son Christ », si ce n’est pas
là une prophétie?
Que 1’Eglise de Jésus-Christ, la cité du grand roi, pleine
de grâces, féconde en enfants, répète donc ce
qu’elle reconnaît avoir prophétisé d’elle il y a si
longtemps par la bouche
de cette pieuse mère! qu’elle répète: «
Mon coeur a été affermi dans sa confiance au Seigneur, et
mon Dieu a relevé ma force et ma gloire ». Son coeur a été
vraiment affermi sa puissance a été vraiment augmentée,
parce qu’elle ne l’a pas mise en elle-même, mais dans le Seigneur
son Dieu. « Ma bouche a été ouverte contre mes ennemis
» ; et en effet, la parole de Dieu n’est point captive au milieu
des chaînes et de la captivité. « Je me suis réjouie
de votre salut ». Ce salut, c’est Jésus-Christ lui-même,
que le vieillard Siméon, selon le témoignage de l’Evangile,
embrasse tout petit, mais dont il reconnaît la grandeur, quand il
s’écrie : «Seigneur, vous laisserez aller votre serviteur
en paix, parce que mes yeux ont vu votre salut 2». Que l’Eglise répète
donc: « Je me suis réjouie de votre salut; car il n’est point
de saint comme le Seigneur, il n’est point de juste comme notre Dieu »
; Dieu, en effet, n’est pas seulement saint et juste, mais la source de
la sainteté et de la justice. « Il n’est de saint que
vous »; car personne n’est saint que par lui. Ne vous glorifiez
point, et ne parlez point
hautement; qu’aucune parole fière et superbe ne sorte de votre
bouche, puisque c’est Dieu qui est le maître des sciences, et personne
ne sait ce qu’il sait ». Entendez que celui qui n’étant rien
se croit quelque chose, se trompe soi-même 3»; car ceci
1. 1 Rois, II, 20. — 2. Luc, II, 29 et 30. — 3. Galat. VI, 3.
s’adresse aux ennemis de la Cité de Dieu, qui appartiennent
à Babylone, à ceux qui présument trop de leurs forces
et se glorifient en eux-mêmes au lieu de se glorifier en Dieu. De
ce nombre sont aussi les Israélites charnels, citoyens de la Jérusalem
terrestre, qui, comme dit l’Apôtre, « ne connaissant point
la justice de Dieu 1 », c’est-à-dire la justice que Dieu donne
aux hommes, lui qui seul est juste et rend juste, « et voulant établir
leur propre justice», c’est-à-dire prétendant qu’ils
l’ont acquise par leurs propres forces sans la tenir de lui, « ne
sont point soumis à la justice de Dieu », parce qu’ils sont
superbes et qu’ils croient pouvoir plaire à Dieu par leur propre
mérite, et non par la grâce de celui qui est le Dieu des sciences,
et par conséquent l’arbitre des consciences, où il voit que
toutes les pensées des hommes ne sont que vanité, à
moins que lui-même ne les leur inspire, « Il forme et conduit
ses desseins». Quels des. seins, sinon ceux qui vont à terrasser
les superbes et à relever les humbles? Ce sont ces desseins qu’il
exécute lorsqu’il dit : « L’arc des puissants a été
détendu, et les faibles ont été revêtus de force
» . L’arc a été détendu, c’est-à-dire
que Dieu a confondu ceux qui se croyaient assez forts par eux-mêmes
pour accomplir les commandements de Dieu, sans avoir besoin de son secours.
Et ceux-là « sont revêtus de force » qui crient
à Dieu dans le fond de leur coeur: « Ayez pitié de
moi, Seigneur, parce que je suis faible 2 ». — « Ceux qui ont
du pain en abondance sont devenus languissants, et ceux qui étaient
e affamés se sont élevés au-dessus de la terre».
Qui sont ceux qui ont du pain en abondance, sinon ceux même qui se
croient puissants, c’est-à-dire les Juifs, à qui les oracles
de la parole de Dieu ont été confiés? Mais, parmi
ce peuple, les enfants de la servante sont devenus languissants, parce
que dans ces pains, c’est-à-dire dans la parole de Dieu, que la
seule nation juive avait reçue alors, ils ne goûtent que ce
qu’il y a de terrestre; au lieu que les Gentils, à qui ces pains
n’avaient pas été donnés, n’en ont pas eu plutôt
mangé que la faim dont ils étaient pressés les a fait
élever au-dessus de la terre pour y savourer tout ce qu’ils renferment
de céleste et de spirituel. Et comme si l’on demandait la cause
d’un événement si étrange : « C’est, dit-elle,
que
1. Rom. X, 3. — 2. Ps. VI, 3.
(366)
celle qui était stérile est devenue mère de sept
enfants, et que celle qui avait beaucoup enfants est demeurée sans
vigueur ». Paroles qui montrent bien que tout ceci n’est qu’une prophétie
à ceux qui savent que la perfection de toute l’Eglise est marquée
dans l’Ecriture par le nombre sept. C’est pourquoi l’apôtre saint
Jean écrit à sept Eglises 1, c’est-à-dire à
toute l’Eglise; et Salomon dit, dans les Proverbes, que « la Sagesse
s’est bâti une « maison et l’a appuyée sur sept colonnes
2 ». La Cité de Dieu était réellement stérile
chez toutes les nations, avant la naissance de ces enfants qui l’ont rendue
féconde. Nous voyons, au contraire, que la Jérusalem terrestre,
qui avait un si grand nombre d’enfants, est devenue sans vigueur, parce
que les enfants de la femme libre, qui étaient dans son sein, faisaient
toute sa force, et qu’elle n’a plus que la lettre sans l’esprit.
« C’est Dieu qui donne la mort et qui redonne la vie ».
Il a donné la mort à celle qui avait beaucoup d’enfants,
et redonné la vie à celle qui était stérile
et qui a engendré sept enfants. On peut l’entendre aussi, et mieux
encore, en disant qu’il rend la vie à ceux même à qui
il avait donné la mort, comme ces paroles qui suivent semblent le
confirmer : « C’est lui qui mène aux enfers et qui en ramène
». Ceux à qui l’Apôtre dit: « Si vous êtes
morts avec Jésus-Christ, cherchez les choses du ciel où Jésus-Christ
est assis à la droite de Dieu » » ; ceux-là,
dis-je, sont tués par le Seigneur pour leur salut, et c’est pour
eux que l’Apôtre ajoute : « Goûtez les choses du ciel,
et non pas celles de la terre , afin qu’eux-mêmes soient ceux qui,
pressés de la faim , se sont élevés au-dessus de la
terre». Car saint Paul dit encore: « Vous êtes morts
» ; et voilà comment Dieu fait mourir ses fidèles pour
leur salut: « Et votre vie, ajoute cet Apôtre, est cachée
avec Jésus-Christ et Dieu ». Et voilà comment il leur
redonne la vie. Mais sont-ce les mêmes qu’il mène aux enfers
et qu’il en ramène ? Les deux choses sont indubitablement accomplies
en celui qui est notre chef, avec qui l’Apôtre dit que notre vie
est cachée en Dieu. Car « celui qui n’a pas épargné
son propre fils, mais l’a livré à la mort pour tout le monde
4 », l’a certainement fait mourir de cette façon; et
1. Apoc. I, 4. — 2. Prov. IX, 1. — 3. Coloss. III, 1. – 4. Rom. VIII,
32.
d’autre part, comme il l’a ressuscité, il lui a redonné
la vie. Il l’a aussi mené aux enfers, et l’en a ramené, puisque
c’est lui-même qui dit dans le Prophète: « Vous ne laisserez
point mon âme dans les enfers 1 ». C’est cette pauvreté
du Sauveur qui nous a enrichis. En effet, « c’est le Seigneur qui
rend pauvre ou riche ». La suite nous explique ce que cela signifie
: « Il abaisse, est-il dit, et il élève ». Il
abaisse les superbes et élève les humbles. Tout le discours
de cette sainte femme, dont le nom signifie grâce, ne respire autre
chose que ce qui est dit dans cet autre endroit de l’Ecriture : «
Dieu résiste aux superbes, et « donne sa grâce aux humbles
».
L’Evangéliste ajoute: « Il relève le pauvre 2».
Ces paroles ne peuvent s’entendre que de celui qui, étant riche,
s’est rendu pauvre pour l’amour de nous, afin que sa pauvreté nous
enrichît 3 ». Dieu ne l’a relevé sitôt de terre
qu’afin de garantir son corps de corruption4. J’estime qu’on peut encore
lui attribuer ce qui suit: «Et il tire l’indigent de son fumier».
En effet, ce fumier d’où il a été tiré
s’entend fort bien des Juifs qui ont persécuté Jésus-
Christ, au nombre desquels se range saint Paul lui-même, dans
le temps où il persécutait l’Eglise. « Ce que je considérais
alors comme un gain, dit-il, je l’ai regardé depuis comme une perte,
à cause de Jésus-Christ, et non-seulement comme une perte,
mais comme du fumier, pour gagner Jésus-Christ 5 ». Ce pauvre
a donc été relevé de terre au-dessus de tous les riches,
et ce misérable tiré du fumier au-dessus des plus opulents,
afin de tenir rang parmi les puissants du peuple, à qui il dit :
« Vous serez assis sur douze trônes 6 », et à
qui, selon l’expression de notre sainte prophétesse, « il
donne pour héritage un trône de gloire ». Ces puissants
avaient dit: « Vous voyez que nous avons tout quitté pour
vous suivre7 ». Il fallait
qu’ils fussent bien puissants pour avoir fait un tel voeu ; mais de
qui avaient-ils reçu la force de le faire, sinon de celui dont il
est dit ici : « Il donne de quoi vouer à celui qui fait un
voeu ?» Autrement, ils seraient de ces puissants dont l’arc a été
détendu. « Il donne, dit l’Ecriture, à qui fait un
voeu de quoi le faire », parce que personne ne pourrait rien vouer
à Dieu comme il faut, s’il ne recevait
1. Ps. XV, 10. – 2. Jac., IV, 6. – 3. II Cor. VIII, 9. - 4. Ps. XV,
10 . – 5. Philipp. III, 7 et 8. – 6. – Matt. XIX, 28 . – 7. Ibid. 27.
(367)
de lui ce qu’il lui voue. « Et il a béni les années
du juste », afin, sans doute, qu’il vive sans fin avec celui à
qui il est dit: « Vos années ne finiront point 1 ».
Là, les années demeurent fixes, au lieu qu’ici elles passent,
ou plutôt elles périssent. Elles ne sont pas avant qu’elles
viennent, et quand elles sont venues, elles ne sont plus, parce qu’elles
viennent en s’écoulant. Des deux choses exprimées en ces
paroles : « Il donne à qui fait un voeu de quoi le faire,
et il a béni les années du juste », nous faisons l’une
et nous recevons l’autre; mais on ne reçoit celle-ci de sa bonté
que lorsqu’on a fait la première par sa grâce, « attendu
que l’homme n’est pas fort par sa propre force » . « Le Seigneur
désarmera son adversaire » , c’est-à-dire l’envieux
qui veut empêcher un homme d’accomplir son voeu. Comme l’expression
est équivoque, l’on pourrait entendre par son adversaire l’adversaire
de Dieu. Véritablement, lorsque Dieu commence à nous posséder,
notre adversaire devient le sien, et nous le surmontons, mais non pas par
nos propres forces, car ce que l’homme a de forces ne vient pas de lui
« Le Seigneur donc désarmera son adversaire, le Seigneur qui
est saint », afin que cet adversaire soit vaincu par les saints que
le Seigneur, qui est le saint des saints, a faits saints.
Ainsi, « que le sage ne se glorifie point de sa sagesse, ni le
puissant de sa puissance, ni le riche de ses richesses ; mais que celui
qui veut se glorifier se glorifie de connaître Dieu et de faire justice
au milieu de la terre ». Ce n’est pas peu connaître Dieu, que
de savoir que la connaissance qu’on en a est un don de sa grâce.
Aussi bien, « qu’avez-vous, dit l’Apôtre, que vous n’ayez point
reçu? Et si vous l’avez reçu, pourquoi .vous glorifiez-vous,
comme si l’on ne vous l’eût point donné 2 ? » c’est-à-dire
comme si vous le teniez de vous-même. Or, celui-là pratique
la justice qui vit bien, et celui-là vit bien qui observe les commandements
de Dieu, « qui ont pour fin la charité qui naît d’un
coeur pur, d’une bonne conscience et d’une foi sincère 3 ».
Cette charité vient de Dieu, comme le témoigne l’apôtre
saint Jean 4 ; et par conséquent le pouvoir de pratiquer la justice
vient aussi de lui. Mais qu’est-ce que
1. Ps. CI, 28. – 2. I Cor. IV, 7. – 3. I Tim. I, 5. – 4. I Jean, IV,
7.
ceci veut dire: Au milieu de la terre? Est-ce que ceux qui habitent
les extrémités de la terre ne doivent point pratiquer la
justice ? J’estime que par ces mots : au milieu de la terre, l’Ecriture
veut dire : tant que nous vivons dans ce corps, afin que personne ne s’imagine
qu’après cette vie il reste encore du temps pour accomplir la justice
qu’on n’a pas pratiquée ici-bas, et pour éviter le jugement
de Dieu. Chacun, dans cette vie, porte sa terre avec soi ; et la terre
commune reçoit cette terre particulière à la mort
de chaque homme, pour la lui rendre au jour de la résurrection.
Il faut donc pratiquer la vertu et la justice au milieu de la terre, c’est-à-dire
tandis que notre âme est enfermée dans ce corps de terre,
afin que cela nous serve pour l’avenir, « lorsque chacun recevra
la récompense du bien et du mal qu’il aura fait par le corps 1 ».
Par le corps, dit l’Apôtre, c’est-à-dire pendant le temps
qu’il a vécu dans le corps ; car les pensées de blasphème
auxquelles on consent ne sont produites par aucun membre du corps; et cependant
on ne laisse pas d’en être coupable. Nous pouvons fort bien entendre
de la même sorte cette parole du psaume: « Dieu, qui est notre
roi avant tous les siècles, a accompli l’oeuvre de notre salut au
milieu de la terre 2 », attendu que le Seigneur Jésus est
notre Dieu, et il est avant les siècles, parce que les siècles
ont été faits par lui. Il a accompli l’oeuvre de notre salut
au milieu de la terre, lorsque le Verbe s’est fait chair 3 et qu’il a habité
dans un corps de terre.
« Le Seigneur est monté aux cieux, et il a tonné
; il jugera les extrémités de la terre, parce qu’il est juste
». Cette sainte femme observe dans ces paroles l’ordre de la profession
de foi des fidèles. Notre-Seigneur Jésus. Christ est monté
au ciel, et il viendra de là juger les vivants et les morts. En
effet, comme dit l’Apôtre : « Qui est monté, si ce n’est
celui qui est descendu jusqu’aux plus basses parties de la terre ? Celui
qui est descendu est le même que celui qui est monté au-dessus
de tous les cieux, afin de remplir toutes choses de la présence
de sa majesté4 ». Il à donc tonné par ses nuées
qu’il à remplies du Saint. Esprit, quand il est monté aux
cieux. Et c’est de ces nuées qu’il parle dans le prophète
Isaïe 5, quand il menace la Jérusalem esclave, c’est
1. II Cor. V, 10 . – 2. Ps. LXXII, 12. – 3. Jean, I, 14. – 4. Ephés.
IV, 9. – 5. Isa. V, 6.
(368)
à-dire la vigne ingrate, d’empêcher qu’elles ne versent
la pluie sur elle. « Il jugera les extrémités de la
terre », c’est-à-dire même les extrémités
de la terre. Et ne jugera-t-il point aussi les autres parties de la terre,
lui qui indubitablement doit juger tous les hommes? Mais peut-être
il vaut mieux entendre par les extrémités de la terre l’extrémité
de la vie de l’homme. L’homme en effet ne sera pas jugé sur l’état
où il aura été au commencement ou au milieu de sa
vie, mais sur celui où il se trouvera vers le temps de sa mort;
d’où vient cette parole de l’Evangile, « qu’il n’y aura de
sauvé que celui qui persévérera jusqu’à la
fin 1 ». Celui donc qui persévère jusqu’à la
fin à pratiquer la justice au milieu de la terre ne sera pas condamné,
quand Dieu jugera les extrémités de la terre. « C’est
lui qui donne la force à nos rois », afin de ne les pas condamner
dans son jugement. Il leur donne la force de gouverner leur corps en rois,
et de vaincre le monde par la grâce de celui qui a répandu
son sang pour eux. « Et il relèvera la gloire et la puissance
de son Christ ». Comment le Christ relèvera-t-il la gloire
et la .puissance de son Christ? car celui dont il est dit auparavant :
« Le Seigneur est monté aux cieux et a tonné »,
est celui-là même dont il est, dit ici qu’il relèvera
la gloire et la puissance de son Christ. Quel est donc le Christ de son
Christ ? Est-ce qu’il relèvera la gloire et la puissance de chaque
fidèle, comme notre sainte prophétesse le dit elle-même
au commencement de ce cantique: « Mon Dieu a relevé ma force
et ma gloire? » Dans le fait, nous pouvons fort bien appeler des
Christs tous ceux qui ont été oints du saint chrême,
qui tous, néanmoins, avec leur chef, ne sont qu’un même Christ.
Voilà la prophétie d’Anne, mère du grand et illustre
Samuel; en lui était figuré alors le changement de l’ancien
sacerdoce, qui est accompli aujourd’hui ; car elle qui avait beaucoup d’enfants
est devenue sans vigueur, afin que celle qui était stérile
et qui est devenue mère de sept enfants eût un nouveau sacerdoce
en Jésus-Christ.
CHAPITRE V.
ABOLITION DU SACERDOCE D’AARON NIÉDITE A HÉLI.
L’homme de Dieu qui fut envoyé au grand
1. Matt. x, 22.
prêtre Héli et que l’Ecriture ne nomme pas, mais que son
ministère doit faire indubitablement
reconnaître pour prophète, parle de ceci plus clairement.
Voici ce que porte le texte sacré: «Un homme de Dieu vint
trouver Héli et lui dit: Voici ce que dit le Seigneur : Je me
suis fait connaître à la maison de votre père,
lorsqu’elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l’ai choisie
entre toutes les tribus d’Israël pour nie faire des prêtres
qui montassent à mon autel, qui m’offrissent de l’encens et qui
portassent l’éphod ; et j’ai donné à la maison de
votre père, pour se nourrir, tout ce que les enfants d’Israël
m’offrent en sacrifice. Pourquoi donc avez-vous foulé aux pieds
mon encens et mes sacrifices, et pourquoi avez-vous fait plus de cas de
vos enfants que de moi, en souffrant qu’ils emportassent les prémices
de tous les
sacrifices d’Israël? C’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur
et le Dieu d’Israël; J’avais résolu que votre maison et la
maison de votre père passeraient éternellement en ma présence.
Mais je n’ai garde maintenant d’en user de la sorte. Car je glorifierai
ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent deviendront méprisables.
Voici venir le temps que j’exterminerai votre race et celle de votre père,
de sorte qu’il n’en demeurera pas un seul qui exerce les fonctions
de la prêtrise, dans ma maison. Je les bannirai tous de mon autel,
afin que ceux qui resteront de votre maison sèchent en voyant ce
changement. Ils périront tous par l’épée; et la marque
de cela, c’est que vos enfants Ophni et Phinées mourront tous deux
en un même jour. Je me choisirai un prêtre fidèle, qui
fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent, et je lui
construirai une maison durable qui passera éternellement en la présence
de mon Christ. Quiconque restera de votre maison viendra l’adorer avec
une petite pièce d’argent et lui dira;
Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin que
je mange du pain 1».
On ne peut pas dire que cette prophétie, qui prédit si
clairement le changement de l’ancien sacerdoce, ait été accomplie
en La personne de SamueL Quoiqu’il ne fût pas d’une autre tribu que
celle que Dieu avait destinée pour servir à l’autel, il n’était
pas pourtant de
1. I Rois, II, 27 et seq.
(369)
la famille d’Aaron, dont la postérité était désignée
pour perpétuer le 1; et par conséquent tout ceci était
la figure du changement qui devait se faire par Jésus-Christ, et
appartenait proprement à l’Ancien Testament, et figurativement au
Nouveau; je dis quant à l’événement de la chose, et
non quant aux paroles. Il y eut encore depuis des prêtres de la famille
d’Aaron, comme Sadoch et Abiathar, sous le règne de David, et plusieurs
autres, longtemps avant l’époque où ce changement devait
s’accomplir en la personne de Jésus-Christ. Mais à présent
quel est celui qui contemple ces choses des yeux de la foi et qui n’avoue
qu’elles sont accomplies? Il ne reste en effet aux Juifs ni tabernacle,
ni temple, ni autel, ni sacrifice, ni par conséquent aucun de ces
prêtres qui, selon la loi de Dieu, devraient être de la famille
d’Aaron, comme le rappelle ici le Prophète: « Voici ce que
dit le Seigneur et le Dieu d’Israël: J’avais résolu que votre
maison et la maison de votre père passeraient éternellement
en ma présence; mais je n’ai garde maintenant d’en user de la sorte.
Car je glorifierai ceux qui me glorifient; et ceux qui me méprisent
deviendront méprisables ». Par la maison de votre père,
il n’entend pas parler de celui dont Héli avait pris immédiatement
naissance, mais d’Aaron, le premier grand prêtre dont tous les autres
sont descendus. Ce qui précède le montre clairement : «
Je me suis fait connaître, dit-il, à la maison de votre père,
lorsqu’elle était captive de Pharaon en Egypte, et je l’ai choisie
entre toutes les tribus d’Israël pour les fonctions du sacerdoce ».
Qui était ce père d’Héli dont la famille, après
la captivité d’Egypte, fut choisie pour le sacerdoce, sinon Aaron?
C’est donc de cette race que Dieu dit ici qu’il n’y aura plus de prêtre
à l’avenir: et c’est ce que nous voyons maintenant accompli. Que
notre foi y fasse attention, les choses sont présentes; on les voit,
on les touche, et elles sautent aux yeux, malgré qu’on en ait. «
Voici, dit le Seigneur, venir le temps que j’exterminerai votre race et
celle de votre père, en sorte qu’il n’en demeurera pas un seul qui
exerce les fonctions de la prêtrise dans ma maison ». Je les
bannirai tous de mon autel, afin que ceux qui resteront de votre maison
sèchent « en voyant ce changement ». Ce temps prédit
1. Voyez sur ce point les Rétractations, livre II ch. 43, n.
2.
est venu. Il n’y a plus de prêtre selon l’ordre d’Aaron; et quiconque
reste de cette famille, lorsqu’il considère le sacrifice des chrétiens
établis par toute la terre et qu’il se voit dépouillé
d’un si grand honneur, sèche de regret et d’envie.
Ce qui suit appartient proprement à la maison d’Héli:
« Tous ceux qui resteront de votre maison périront par l’épée;
et la marque de cela, c’est que vos enfants Ophni et Phinées mourront
tous deux en un seul jour ». Le même signe donc qui marquait
le sacerdoce enlevé à sa maison marquait aussi qu’il devait
être aboli dans la maison d’Aaron. La mort des enfants d’Héli
ne figurait la mort d’aucun homme, mais celle du sacerdoce même dans
la famille d’Aaron. Ce qui suit se rapporte au grand prêtre, dont
Samuel devint la figure en succédant à Héli, et par
conséquent on doit l’entendre de Jésus-Christ, le véritable
grand prêtre du Nouveau Testament: « Et je me choisirai un
prêtre fidèle, qui fera tout ce que mon coeur et mon âme
désirent, et je lui construirai une maison durable ». Cette
maison est la céleste et éternelle Jérusalem. «
Et elle passera, dit-il, éternellement en la présence de
mon Christ », c’est-à-dire elle paraîtra devant lui,
comme il a dit auparavant de la maison d’Aaron : « J’avais résolu
que votre maison et la maison de votre père passeraient éternellement
en ma présence». On peut encore entendre qu’elle passera de
la mort à la vie pendant tout le temps de notre mortalité,
jusqu’à la fin des siècles. Quand Dieu dit : « Qui
fera tout ce que mon coeur et mon âme désirent », ne
pensons pas que Dieu ait une âme, lui qui est le créateur
de l’âme; c’est ici une de ces expressions figurées de l’Ecriture,
comme quand elle donne à Dieu des mains, des pieds, et les autres
membres du corps. Au surplus, de peur qu’on né s’imagine que c’est
selon le corps qu’elle dit que l’homme à été fait
à l’image de Dieu, elle donne aussi à Dieu des ailes, organe
dont l’homme est privé, et elle dit: « Seigneur, mettez-moi
à l’ombre de vos ailes 1 », afin que les hommes reconnaissent
que tout cela n’est dit que par métaphore de cette nature ineffable.
« Et quiconque restera de votre maison viendra l’adorer ».
Ceci ne doit pas s’entendre proprement de la maison d’Héli, mais
1. Ps. XVI, 10.
(370)
de celle d’Aaron, qui a duré jusqu’à l’avénement
de Jésus-Christ et dont il en reste encore aujourd’hui quelques
débris. A l’égard de la maison d’Héli, Dieu avait
déjà dit que tous ceux qui resteraient de cette maison périraient
par l’épée. Comment donc ce qu’il dit ici peut-il être
vrai: « Quiconque restera de votre maison viendra l’adorer »,
à moins qu’on ne l’entende de toute la famille sacerdotale d’Aaron?
Si donc il existe de ces restes prédestinés dont un autre
prophète dit : « Les restes seront sauvés 1 »
; et l’Apôtre : « Ainsi, en ce temps même, les restes
ont été sauvés selon l’élection de la grâce
2 » ; si, dis-je, il est quelqu’un qui reste de la maison d’Aaron,
indubitablement il croira en Jésus-Christ, comme du temps des Apôtres
plusieurs de cette nation crurent en lui; et encore aujourd’hui, l’on en
voit quelques-uns, quoique en petit nombre, qui embrassent la foi et en
qui s’accomplit ce que cet homme de Dieu ajoute « Il viendra l’adorer
avec une petite pièce d’argent ». Qui viendra-t-il adorer,
sinon ce souverain prêtre qui est Dieu aussi? Car dans le sacerdoce
établi selon l’ordre d’Aaron, on ne venait pas au temple ni à
l’autel pour adorer le grand prêtre. Que veut dire cette petite pièce
d’argent, si ce n’est cette parole abrégée de la foi dont
l’Apôtre fait mention après le Prophète, quand il dit:
« Le Seigneur fera une parole courte et abrégée sur
la terre 3? » Or, que l’argent se prenne pour la parole de Dieu,
le Psalmiste en témoigne, lorsqu’il dit: « Les paroles du
Seigneur sont pures, c’est de l’argent qui a passé par le feu 4
».
Que dit donc celui qui vient adorer le prêtre de Dieu et le prêtre-Dieu?
« Donnez-moi, je vous prie, quelque part en votre sacerdoce, afin
que je mange du pain». Ce qui signifie:
Je ne prétends rien à la dignité de mes pères,
puisqu’elle est abolie; faites-moi seulement part de votre sacerdoce. «
Car j’aime mieux être méprisable dans la maison du Seigneur
5 » ; entendez: pourvu que je devienne un membre de votre sacerdoce,
quel qu’il soit. Il appelle ici sacerdoce le peuple même dont est
souverain prêtre le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ
homme. C’est à ce peuple que l’apôtre saint Pierre dit: «
Vous êtes le peuple saint et le sacerdoce royal 6 ».
1. Isa. X,22. — 2. Rom. XI, 5. — 3. Rom. IX, 28; Isa. X, 23.— 4. Ps.
XI, 7. — 5. Ps. LXXXIII, 11. — 6. I Pierre, II, 9.
Il est vrai que quelques-uns, au lieu de votre sacerdoce, traduisent
votre sacrifice, mais cela signifie toujours le même peuple chrétien.
De là vient cette parole de l’Apôtre : « Nous ne sommes
tous ensemble qu’un seul pain et qu’un seul corps en Jésus-Christ
1 » ; et celle-ci encore : « Offrez vos corps à Dieu
comme une hostie vivante 2 ». Ainsi, quand cet homme de Dieu ajoute:
« Pour manger du pain », il exprime heureusement le genre même
du sacrifice dont le prêtre lui-même dit: « Le pain que
je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair 3 ». C’est là
le sacrifice qui n’est pas selon l’ordre d’Aaron, mais selon l’ordre de
Melchisédech. Que celui qui lit ceci l’entende. Cette confession
est en même temps courte, humble et salutaire « Donnez-moi
quelque part en votre sacerdoce, « afin que je mange du pain».
C’est là cette petite pièce d’argent, parce que la parole
du Seigneur, qui habite dans le coeur de celui qui croit, est courte et
abrégée. Comme il avait dit auparavant qu’il avait donné
pour nourriture à la maison d’Aaron les victimes de l’Ancien Testament,
il parle ici de manger du pain, parce que c’est le sacrifice des chrétiens
dans le Nouveau.
CHAPITRE VI.
DE L’ÉTERNITÉ PROMISE AU SACERDOCE ET AU ROYAUME DES
JUIFS, AFIN QUE, LES VOYANT DÉTRUITS, ON RECONNUT QUE CETTE PROMESSE
CONCERNAIT UN AUTRE ROYAUME ET UN AUTRE SACERDOCE DONT CEUX-LA ÉTAIENT
LA FIGURE.
Bien que ces choses paraissent maintenant aussi claires qu’elles étaient
obscures lorsqu’elles furent prédites, toutefois il semble qu’on
pourrait faire cette objection avec quelque sorte de vraisemblance : Quelle
certitude avons-nous que toutes les prédictions des Prophètes
s’accomplissent, puisque cet oracle du ciel: « Votre maison et la
maison de votre père passeront éternellement en ma présence
», n’a pu s’accomplir? Car nous voyons bien que ce sacerdoce a été
changé, sans que cette maison puisse jamais espérer d’y rentrer,
attendu qu’il a été aboli, et que cette promesse est plutôt
pour l’autre sacerdoce qui a succédé à celui-là.
— Quiconque parle de la sorte ne comprend pas encore ou ne se souvient
pas que le sacerdoce, même
1. I Cor. X, 17. – 2. Rom. XII, 1. – 3. Jean, VI, 52.
(371)
selon l’ordre d’Aaron, était comme l’ombre du sacerdoce à
venir et éternel, et qu’ainsi, quand l’éternité lui
a été promise, cette promesse ne lui appartenait pas, mais
à celui dont il était l’ombre et la figure. Pour que l’on
ne. s’imaginât pas que l’ombre même dût demeurer, le
changement en a dû être aussi prédit.
De même, le royaume de Saül, qui fut réprouvé
et rejeté, était l’ombre du royaume à venir qui doit
subsister éternellement ; car il faut considérer comme un
grand mystère cette huile dont il fût sacré et ce chrême
qui lui donna le nom de Christ. Aussi David lui-même le respectait
si fort en Saül, qu’il frémit de crainte et se frappa la poitrine
1, au moment où ce prince étant entré dans une caverne
obscure pour un besoin, il lui coupa le bord de la robe, afin de lui faire
voir qu’il l’avait épargné, quand il pouvait s’en défaire,
et de dissiper ainsi ses soupçons et sa furieuse animosité.
Il craignait donc de s’être rendu coupable de la profanation d’un
grand mystère, seulement pour avoir touché de la sorte au
vêtement de Saül. Voici comment l’Ecriture en parle: «
Et David se frappa la poitrine, parce qu’il avait coupé le pan de
sa robe 2 ». Ceux qui l’accompagnaient lui conseillaient de tuer
Saül, puisque Dieu le livrait entre ses mains. « A Dieu ne plaise,
dit-il, que je le fasse et que je mette la main sur lui! car il est le
Christ du. Seigneur 3 ». Ce n’était donc pas proprement la
figure qu’il respectait, mais la chose figurée. Ainsi, quand Samuel
dit à Saül: « parce que vous n’avez pas fait ce que je
vous avais dit, ou plutôt ce que Dieu vous avait dit par moi, le
trône d’Israël, que Dieu vous avait préparé pour
durer éternellement, ne subsistera point pour vous ; mais le Seigneur
cherchera un homme selon son coeur, qu’il établira prince sur son
peuple, à cause que vous n’avez pas obéi à ses ordres
4» ; ces paroles, dis-je, ne doivent pas s’entendre, comme si Dieu,
après avoir promis un royaume éternel à Saut, ne voulait
plus tenir sa promesse, lorsqu’il eut péché; car Dieu n’ignorait
pas qu’il devait pécher, mais il avait préparé son
royaume pour être la figure d’un royaume éternel. C’est pourquoi
Samuel ajoute: « Votre royaume ne subsistera point pour vous ».
Celui qu’il figurait a
1. I Rois, XXIV, 6. – 2. Ibid. XXIV, 6. – 3. Ibid. 7 .- 4. Ibid. XIII,
13 et seq.
subsisté et subsistera toujours, mais non pas pour Saül
ni pour ses descendants. « Et le Seigneur, dit-il, cherchera un homme
»; c’est David, ou plutôt c’est le Médiateur même
du Nouveau Testament, qui était aussi figuré par le chrême
dont David et. sa postérité furent sacrés. Or, Dieu
ne cherche pas un homme, comme s’il ignorait où il est; mais il
s’accommode au langage des hommes et nous cherche par cela même qu’il
nous parle ainsi. Nous étions dès lors si bien connus, non-seulement
à Dieu le Père, mais à son Fils unique, qui est venu
chercher ce qui était perdu 1, qu’il nous avait élus en lui
avant la création du monde 2. Lors donc que l’Ecriture dit qu’il
cherchera, c’est comme si elle disait qu’il fera reconnaître aux
autres pour son ami celui qu’il sait déjà lui appartenir.
CHAPITRE VII.
DE LA DIVISION DU ROYAUME D’ISRAËL PRÉDITE PAR SAMUEL A
SAÜL, ET DE CE QU’ELLE FIGURAIT .
Saül pécha de nouveau en désobéissant à
Dieu, et Samuel lui porta de nouveau cette
parole au nom du Seigneur: « Parce que vous avez rejeté
le commandement de Dieu, Dieu
vous à rejeté, et vous ne serez plus roi d’Israël
3» .Comme Saül, avouant son crime, priait
Samuel de retourner avec lui pour en obtenir de Dieu le pardon: «
Je ne retournerai point
avec vous, dit-il, parce que vous n’avez point tenu compte du commandement
de Dieu.
Aussi le Seigneur ne tiendra point compte de vous, et vous ne serez
plus roi d’Israël.». Là-dessus, Samuel lui tourna le
dos et s’en alla; mais Saül le retint par le bas de sa robe, qu’il
déchira, Alors Samuel lui dit : « Le Seigneur a ôté
aujourd’hui le royaume à Israël en vous l’ôtant, et il
le donnera à un de vos proches, qui est bien au-dessus de vous,
et Israël sera divisé en deux, sans que le Seigneur change
ni se repente, car il ne ressemble pas à l’homme, qui est sujet
au repentir, et qui fait des menaces et ne les exécute pas 4 ».
Celui à qui il est dit: « Le Seigneur vous rejettera, et vous
ne serez plus roi d’Israël »; et encore: « Le Seigneur
a ôté aujourd’hui le royaume à Israël en vous
l’ôtant» ; celui-là, dis-je, régna encore
1. Luc, XIX, 10. – 2. Ephés. I, 4. – 3. I Rois, XV, 23. – 4.
Ibid. XV, 23.
(372)
quarante ans depuis, car cela lui fut dit dès le commencement
de son règne; mais Dieu entendait par là qu’aucun de sa famille
ne devait lui succéder , et il voulait attirer nos regards vers
la postérité de David, d’où est sorti, selon la chair,
le médiateur entré Dieu et les hommes, Jésus-Christ
homme.
Or, le texte de l’Ecriture ne porte pas, comme beaucoup de traductions
latines: « Le Seigneur vous a ôté le royaume d’Israël
» mais comme nous l’avons lu dans le grec : « Le Seigneur a
ôté aujourd’hui le royaume à Israël en vous l’ôtant
» ; par où l’Ecriture veut montrer que Saül représentait
le peuple d’Israël, qui était destiné à perdre
le royaume,
Notre-Seigneur Jésus-Christ devant régner spirituellement
par le Nouveau Testament.
Ainsi, quand il dit: « Et il le donnera à un de vos proches
», cela s’entend d’une parenté selon la chair. En effet, selon
la chair, Jésus-Christ a pris naissance d’Israël, aussi bien
que Saül. Ce qui suit: « Qui est bon au-dessus de vous »,
peut s’entendre, « qui est meilleur que vous»,et quelques-uns
l’ont traduit ainsi; mais je préfère cet autre sens: «
Il est bon; qu’il soit donc au-dessus de vous » ; ce qui est bien
conforme à cette autre parole prophétique: « Jusqu’à
ce que j’aie mis tous vos ennemis sous vos pieds 1 ». Au nombre des
ennemis est Israël, à qui le Christ enlève la royauté
comme à son persécuteur. Et toutefois, là aussi était
un autre Israël, en qui ne se trouva aucune malice 2, véritable
froment caché sous la paille. C’est de là que sont sortis
les Apôtres et tant de martyrs dont saint Etienne a été
le premier; de là ont pris naissance toutes ces Eglises dont parle
l’apôtre saint Paul et qui louent Dieu de sa conversion 3.
Je ne doute point que par ces mots : « Et Israël sera divisé
deux », il faille distinguer Israël ennemi de Jésus-Christ
et Israël fidèle à Jésus-Christ, Israël
appartenant à la servante et Israël appartenant à la
femme libre. Ces deux Israël étaient d’abord mêlés
ensemble, comme Abraham était attaché à la Servante,
jusqu’à ce que celle qui était stérile, ayant été
rendue féconde par la grâce de Jésus-Christ, s’écriât
: « Chassez la servante avec son fils 4 ». Il est vrai qu’Israël
fut partagé en deux à cause du péché de Salomon,
sous le règne de son fils Roboam 5, et qu’il
1. Ps. CIX, 2. — 2. Jean, I, 47.— 3. Galat. I, 24. — 4. Gen. XXI, 10.
— 5. III Rois, XXI, 10.
demeura en cet état, chaque faction ayant ses rois à
part, jusqu’à ce que toute la nation fût vaincue par les Chaldéens
et menée captive à Babylone. Mais qu’est-ce que cela fait
à Saül? Si cette menace était nécessaire, ne
devait-on l’adresser plutôt à David, dont Salomon était
fils? maintenant même, les Juifs ne sont pas divisés entre
eux, mais dispersés par toute la terre dans la société
d’une même erreur. Or, cette division, dont Dieu menace ici ce peuple
et ce royaume dans la personne de Saül qui le représentait,
doit être éternelle et immuable, selon ces paroles qui suivent:
« Dieu ne changera ni ne se repentira point, car il ne ressemble
pas à l’homme, qui est sujet au repentir, et qui fait des menaces
et ne les exécute pas ». Lorsque L’Ecriture dit que Dieu se
repent, cela ne marque du changement que dans les choses, lesquelles sont
connues de Dieu par une prescience immuable. Quand donc elle dit qu’il
ne se repent point, il faut entendre qu’il ne change point.
Ainsi l’arrêt de cette division d’Israël est un arrêt
perpétuel et irrévocable. Tous ceux qui, en tous les temps,
passent de la synagogue des Juifs à l’Eglise de Jésus-Christ,
ne faisant point partie de cette synagogue dans la prescience de Dieu.
Ainsi, tous les Israélites qui, s’attachant à Jésus-Christ,
persévèrent dans cette union, ne seront jamais avec ces Israélites
qui s’opiniâtrent toute leur vie à être ses ennemis,
et la division qui est ici prédite subsistera toujours. L’Ancien
Testament donné sur la montagne de Sinaï, et qui n’engendra
que des esclaves 1, n’a de prix qu’en ce qu’il rend hommage au Nouveau;
et tous les Juifs qui maintenant lisent Moïse ont un voile sur le
cœur 2 qui leur en dérobe l’intelligence. Mais lorsque quelqu’un
d’eux passe à Jésus-Christ, ce voile est déchiré.
En effet, ceux qui changent de la sorte changent aussi d’intention et de
désirs, et n’aspirent plus à la félicité de
la chair, mais à celle de l’esprit. C’est pourquoi, dans cette fameuse
journée des Juifs contre les Philistins 3, où le ciel se
déclara si ouvertement en faveur des premiers, à la prière
de Samuel, ce prophète, prenant une pierre, la posa entre les deux
Massephat 4, la nouvelle et l’ancienne, et l’appela Abennezer, c’est-à-dire
pierre de secours,
1. Gal. IV, 24. — 2. II Cor, III, 15. — 3. I Rois, VIII, 10, 12.
4. Saint Jérôme (De locis Hebraïcis ) place l’ancienne
Massephat dans la tribu de Gad, et la nouvelle dans la tribu de Juda, sur
les confins d’Eleuthéropolis.
(373)
parce que, dit-il, c’est jusqu’ici que Dieu nous a secourus . Or, Massephat
signifie intention, et cette pierre de secours, c’est la médiation
du Sauveur, par qui il faut passer de la vieille Massephat à la
nouvelle, c’est-à-dire de l’intention qui regardait une fausse et
charnelle habitude dans un royaume charnel, à celle qui s’en propose
une véritable et spirituelle dans le royaume des cieux par le moyen
du Nouveau Testament. Comme il n’est rien de meilleur que cette félicité,
c’est jusque-là que Dieu nous porte secours.
CHAPITRE VIII.
LES PROMESSES DE DIEU A DAVID TOUCHANT SALOMON NE PEUVENT S’ENTENDRE
QUE DE JÉSUS-CHRIST.
Il faut voir maintenant, autant que cela peut servir à notre
dessein, les promesses que
Dieu fit à David même, qui prit la place de Saül,
changement qui était la figure du changement suprême auquel
se rapporte toute l’Ecriture sainte. Toutes choses prospérant à
David, il résolut de bâtir une maison à Dieu, ce
fameux temple qui fut l’ouvrage de son fils
Salomon. Comme il était dans cette pensée, Dieu parla
au prophète Nathan, et, après lui
avoir déclaré que David ne lui bâtirait pas une
maison, et qu’il s’en était bien passé jusqu’alors : «Vous
direz, ajouta-t-il, à mon serviteur David : Voici ce que dit le
Seigneur tout-puissant : Je vous ai tiré de votre bergerie pour
vous établir le conducteur de mon
peuple. Je vous ai assisté dans toutes vos entreprises, j’ai
dissipé tous vos ennemis, et
j’ai égalé votre gloire à celle des plus grands
rois. Je veux assigner un lieu à mon peuple et l’y établir,
afin qu’il y demeure séparé des autres nations et que rien
ne trouble son repos à l’avenir. Les méchants ne l’opprimeront
plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour le conduire.
Je ferai que tous vos ennemis vous laisseront en paix, et vous me bâtirez
une maison. Car lorsque vos jours seront accomplis et que vous serez endormi
avec vos pères, je ferai sortir de votre race un roi dont j’affermi
rai le trône. C’est lui qui me construira une maison, et je maintiendrai
éternelle ment son empire. Je lui tiendrai lieu de père et
l’aimerai comme mon fils. Que s’il
1. I Rois, VII, 5, 12.
vient à m’offenser, je lui ferai sentir les effets de ma colère
et le châtierai avec rigueur; mais je ne retirerai point de lui ma
miséricorde, comme j’ai fait à l’égard de ceux dont
j’ai détourné ma face. Sa maison me sera fidèle et
son royaume durera autant que les siècles 1 ».
Quiconque s’imagine que cette promesse a été accomplie
en Salomon, se trompe gravement, et son erreur vient de ce qu’il ne s’arrête
qu’à ces paroles : « C’est lui qui me construira une maison
». En effet, Salomon a élevé un temple superbe; mais
il faut faire attention à ce qui suit: « Sa maison me sera
fidèle et son royaume durera autant que les siècles ».
Regardez maintenant le palais de Salomon, tout rempli de femmes étrangères
et idolâtres qui le portent à adorer les faux dieux avec elles;
et prenez garde d’être assez téméraires pour penser
que les promesses de Dieu ont été vaines, ou qu’il n’a pu
prévoir que ce prince et sa maison tomberaient dans de tels égarements.
Lors même que nous ne verrions point les paroles divines accomplies
en la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est né
de David selon la chair, nous ne devrions point douter qu’elles ne se rapportent
à lui, à moins que de vouloir attendre vainement un nouveau
messie, comme font les Juifs. Il est si vrai que par ce fils, qui est ici
promis à David, les Juifs mêmes n’entendent point Salomon,
que, par un merveilleux aveuglement, ils attendent encore un autre Christ
que celui qui s’est fait reconnaître pour tel par des marques si
claires et si évidentes. A la vérité, on voit aussi
en Salomon quelque image des choses à venir, en ce qu’il a bâti
le temple, qu’il a eu la paix avec tous ses voisins, comme le porte son
nom (car Salomon signifie pacifique) et que les commencements de son règne
ont été admirables; mais il faut demeurer d’accord qu’il
n’était pas Jésus-Christ lui-même et qu’il n’en était
que la figure. De là vient que l’Ecriture dit beaucoup de choses
de lui, non-seulement dans les livres historiques, mais dans le psaume
soixante-onzième qui porte son nom, lesquelles ne sauraient du tout
lui convenir, et conviennent fort bien à Jésus-Christ, pour
montrer que l’un n’était que la figure, et l’autre la vérité.
Pour n’en citer qu’un exemple, on ignore quelles étaient les bornes
du royaume de
2. II Rois, VII, 8 et seq.
Salomon, et cependant nous lisons dans ce psaume : « Il étendra
son empire de l’une à l’autre mer, et depuis le fleuve jusqu’aux
extrémités de la terre 1 » ; paroles que nous voyons
accomplies en la personne du Sauveur, qui a commencé son règne
au fleuve où il fut baptisé par saint Jean et reconnu par
les disciples, qui ne l’appelaient pas seulement Maître, mais Seigneur.
Pourquoi Salomon commença-t-il à régner du vivant
de son père David, ce qui n’arriva à aucun autre des rois
d’Israël? pour nous apprendre que ce n’est pas de lui que Dieu parle
ici, quand il dit à David : « Lorsque vos jours seront accomplis
et que vous serez endormi avec vos pères, je ferai sortir de votre
race un roi dont j’affermirai le trône». Quelque intervalle
de temps qu’il y ait entre Jésus-Christ et David, toujours est-il
certain que le premier est venu depuis la mort du second et qu’il a bâti
une maison à Dieu, non de bois et de pierre, mais d’hommes. C’est
à cette maison, ou en d’autres termes, aux fidèles, que l’apôtre
saint Paul dit: « Le temple de Dieu est saint, et c’est vous qui
êtes ce temple 2 ».
CHAPITRE IX.
DE LA PROPHÉTIE DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME, LAQUELLE
EST SEMBLABLE A CELLE DE NATHAN DANS LE SECOND LIVRE DES ROIS.
C’est pour cela qu’au psaume quatre-vingt-huitième, qui a pour
titre : Instruction pour Aethan, israélite, il est fait mention
des promesses de Dieu à David, et l’on y voit quelque
chose de semblable à ce que nous venons de rapporter du second
livre des Rois. « J’ai juré,
dit Dieu, j’ai juré à David, mon serviteur, que je ferais
fleurir éternellement sa race ».
Puis: « Vous avez parlé en vision à vos enfants,
et vous avez dit: J’ai remis mon assis-
tance dans un homme puissant, et j’ai élevé sur le trône
celui que j’ai choisi parmi mon
peuple. J’ai trouvé mon serviteur David, je l’ai oint de mon
huile sainte. Car ma main
lui donnera secours et mon bras le soutiendra. L’ennemi n’aura point
avantage sur lui,
et l’enfant d’iniquité ne lui pourra nuire. J’abattrai ses ennemis
à ses pieds et mettrai
en fuite ceux qui le haïssent. Ma vérité et ma miséricorde
seront avec lui, et je
1. Ps. LXXI, 8.— 2. I Cor. III, 17.
délivrerai sa gloire et sa puissance. J’étendrai sa main
gauche sur la mer et sa droite sur
les fleuves. Il m’invoquera et me dira: Vous êtes mon père,
vous êtes mon Dieu et mon
asile. Et je le ferai mon fils aîné et l’élèverai
au-dessus de tous les rois de la terre. Je lui conserverai toujours ma
faveur, et l’alliance que je ferai avec lui sera inviolable. J’établirai
sa race pour jamais, et son trône durera autant que les cieux 1 ».
Tout cela, sous le nom de David, doit s’entendre de Jésus-Christ,
à cause de la forme d’esclave qu’il a prise, comme médiateur,
dans le sein de la Vierge. Quelques lignes ensuite, il est parlé
des péchés de nos enfants presque dans les mêmes termes
où, au livre des Rois, il est parlé de ceux de Salomon :
« S’il vient, dit Dieu en ce livre, à s’abandonner à
l’iniquité, je le châtierai par la verge des hommes; je le
livrerai aux atteintes des enfants des hommes; cependant je ne retirerai
pas de
lui ma miséricorde 2 ». Ces atteintes sont les marques
du châtiment; et de là cette parole : « Ne touchez pas
mes christs 3». Qu’est-ce à dire, sinon : Ne blessez pas?
Or, dans le psaume où il s’agit de David en apparence, le Seigneur
tient à peu près le même langage : « Si ses enfants,
dit-il, abandonnent ma loi et ne marchent dans ma crainte, s’ils profanent
mes ordonnances et ne gardent pas mes commandements, je les châtierai,
la verge à la main, et je leur enverrai mes fléaux; mais
je ne retirerai point de lui ma miséricorde 4 ». Il ne dit
pas : Je ne retirerai pas d’eux, quoiqu’il parle de ses enfants, mais de
lui, ce qui pourtant, à le bien prendre, est la même chose.
Aussi bien on ne peut trouver en Jésus-Christ même, qui est
le chef de l’Eglise, aucun péché qui ait besoin d’indulgence
ou de punition, mais bien dans son
peuple, qui compose ses membres et son corps mystique. C’est pour cela
qu’au livre
des Rois il est parlé de son iniquité 5, au lieu qu’ici
il est parlé de celle de ses enfants, pour
nous faire entendre que ce qui est dit de son corps est dit en quelque
sorte de lui-même.
Par la même raison, lorsque Saul persécutait son corps,
c’est-à-dire ses fidèles, il lui cria
du ciel: « Saul, Saul, pourquoi me persécutez-vous 6 ».
Le psaume ajoute : « Je n’enfreindrai point mon serment, ni ne
1. Ps. LXXXVIII, 31, 34. – 2. II Rois, VII, 14, 15. – 3. Ps. CIV, 15.
– 4. Ibid. LXXXVIII, 31, 34. – 5. II Rois, VII, 14. – 6. Act. IX, 4.
(375)
profanerai mon alliance ; je ne démentirai point les paroles
qui sortent de ma bouche; j’ai
une fois juré par ma sainteté, je ne tromperai point
David; sa race durera éternellement; son trône demeurera à
jamais devant moi comme le soleil et la lune, et comme l’arc-en-ciel, témoin
fidèle de mon alliance 1 ».
CHAPITRE X.
LA RAISON DE LA DIFFÉRENCE QUI SE RENCONTRE ENTRE CE QUI S’EST
PASSÉ DANS LE ROYAUME DE LA JÉRUSALEM TERRESTRE ET LES PROMESSES
DE DIEU, C’EST DE FAIRE VOIR QUE CES PROMESSES REGARDAIENT UN AUTRE ROYAUME
ET UN PLUS GRAND ROI.
Après des assurances si certaines d’une si grande promesse,
de peur qu’on ne la crût accomplie en Salomon et qu’on ne l’y cherchât
inutilement, le Psalmiste s’écrie : « Pour vous, Seigneur,
vous les avez rejetés et anéantis 2 ». Cela est arrivé
à l’égard du royaume de Salomon en ses descendants jusqu’à
la ruine de la Jérusalem terrestre, qui était le siége
de son empire, et à la destruction du temple qu’il avait élevé.
Mais, pour qu’on n’aille pas en conclure que Dieu a contrevenu à
sa parole, David ajoute aussitôt: « Vous avez différé
votre Christ ». Ce Christ n’est donc ni David, ni Salomon, puisqu’il
est différé. Encore que tous les rois des Juifs fussent appelés
christs à cause du chrême dont on les oignait à leur
sacre, et que David lui-même donne ce nom à Saül, il
n’y avait toutefois qu’un seul Christ véritable, dont tous ceux-là
étaient la figure. Et ce Christ était différé
pour longtemps, selon l’opinion de ceux qui croyaient que ce devait être
David ou Salomon; mais il devait venir en son temps, selon l’ordre de la
providence de Dieu. Cependant le psaume nous apprend ensuite ce qui arriva
durant ce délai dans la Jérusalem terrestre, où l’on
espérait qu’il régnerait: « Vous avez, dit-il, rompu
l’alliance que vous aviez faite avec votre serviteur; vous avez profané
son temple. Vous avez renversé tous ses boulevards, et ses citadelles
n’ont pu le mettre en sûreté. Tous les passants l’ont pillé;
il est devenu l’opprobre de ses voisins. Vous avez protégé
ceux- qui l’opprimaient et donné des sujets de joie à ses
ennemis. Vous avez émoussé la pointe de
1. Ps. LXXXVIII 34-36. — 2. Ps. LXXXVIII, 37.
son épée et ne l’avez point aidé dans le combat.
Vous avez obscurci l’éclat de sa gloire et brisé son trône.
Vous avez abrégé u le temps de son règne, et il est
couvert de confusion 1». Tous ces malheurs sont tombés sur
la Jérusalem esclave, où même quelques enfants de la
liberté ont régné, quoiqu’ils ne soupirassent qu’après
la Jérusalem céleste dont ils étaient sortis et où
ils espéraient régner un jour par le moyen du Christ véritable.
Mais si l’on veut savoir comment tous ces maux lui sont arrivés,
il faut l’apprendre de l’histoire.
CHAPITRE XI.
DE LA SUBSTANCE DU PEUPLE DE DIEU, LAQUELLE SE TROUVE EN JÉSUS-CHRIST
FAIT HOMME, SEUL CAPABLE DE DÉLIVRÉR SON AME DE L’ENFER.
Le Prophète adresse ensuite une prière à Dieu;
mais sa prière même est une prophétie: «Jusques
à quand , Seigneur, détournerez-vous jusqu’à la fin?
» il faut sous-entendre
votre face ou votre miséricorde. Par la fin, sont exprimés
les derniers temps où cette
nation même croira en Jésus-Christ. Mais, avant cela,
il faut que tous les malheurs que
le Prophète a déplorés arrivent. C’est pourquoi
il ajoute : « Votre colère s’allumera comme un feu. Souvenez-vous
quelle est ma substance ». Par cette substance, l’on ne peut rien
concevoir de mieux que Jésus-Christ même, qui a tiré
de ce peuple sa substance et sa nature humaine. «Car ce n’est pas
en vain, dit-il, que vous avez créé tous les enfants des
hommes ». En effet, sans ce fils de l’homme, sans cette substance
d’Israël par qui sont sauvés plusieurs enfants des
hommes, ce serait en vain que les enfants des hommes auraient été
créés, tandis que maintenant il est vrai que toute la nature
humaine est tombée de la vérité dans la vanité
par
le péché du premier homme, d’où vient cette parole
d’un autre psaume: « L’homme est devenu semblable à une chose
vaine et chimérique; ses jours s’évanouissent comme l’ombre
2; mais ce n’est pourtant pas en vain que Dieu a créé tous
les enfants des hommes, puisqu’il en délivre plusieurs par le médiateur
Jésus, et que les autres, qu’il a prévus ne devoir pas délivrer,
il les a créés en vertu d’un dessein très-beau et
très-juste, pour servir au bien des élus, et pour relever
1. Ps. LXXXVIII, 40-46. — 2. Ps. CXLIII, 5.
(376)
par l’opposition des deux cités l’éclat et la gloire
de la céleste. Le Psalmiste ajoute : « Quel est cet homme
qui vivra et ne mourra point; il délivrera son âme des mains
de l’enfer 1 ». Quel est-il, en effet, sinon cette substance d’Israël
tirée de David, c’est-à-dire Jésus-Christ, dont l’Apôtre
dit 2 : « Une fois ressuscité des morts, il ne meurt plus,
et la mort n’a plus d’empire sur lui ». Bien qu’il vive maintenant
et qu’il ne soit plus sujet à la mort, il n’a pas laissé
de mourir; mais il a délivré son âme de l’enfer, où
il était descendu pour rompre les liens du péché qui
en retenaient quelques-uns captifs. Or, il l’a délivrée par
cette puissance dont il dit dans l’Evangile: « J’ai le pouvoir de
quitter mon âme et j’ai le pouvoir de la reprendre 3 ».
CHAPITRE XII.
COMMENT IL FAUT ENTENDRE CES PAROLES DU PSAUME QUATRE-VINGT-HUITIÈME
: « OU SONT, SEIGNEUR, LES ANCIENNES MISÉRICORDES ETC. »
Examinons maintenant la fin de ce psaume, qui est ainsi conçu
: « Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que
vous avez fait serment d’exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur,
de l’opprobre de vos serviteurs, et qu’il m’a fallu essuyer sans rien dire
les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis
m’ont faits du changement de votre Christ ». En méditant ces
paroles, il est permis de demander si elles s’appliquent aux Israélites,
qui désiraient que Dieu accomplît la promesse qu’il avait
faite à David, ou bien à la personne des chrétiens
qui sont Israélites selon l’esprit et non selon la chair. Il est
certain, en effet, qu’elles ont été dites ou écrites
du vivant d’Aethan, dont le nom est à la tête de ce psaume
et sous le règne de David; et par conséquent il n’y a point
d’apparence que l’on pût dire alors: « Seigneur, où
sont les anciennes « miséricordes que vous avez fait serment
d’exercer envers David? » à moins que le Prophète ne
se mît à la place de ceux qui devaient venir longtemps après
et à l’égard de qui ces promesses faites à David étaient
anciennes. On peut donc entendre que lorsque les Gentils persécutaient
les chrétiens, ils leur reprochaient la passion de Jésus-Christ,
que
1. Ps. LXXXVIII, 49. — 2. Rom. VI, 9.— 3. Jean, X, 18.
l’Ecriture appelle un changement, parce qu’en mourant il est devenu
immortel. On peut aussi entendre que le changement du Christ a été
reproché aux Juifs, en ce qu’au lieu qu’ils l’attendaient comme
leur sauveur, il est devenu le sauveur des Gentils. C’est ce que plusieurs
peuples, qui ont cru en lui par le Nouveau Testament, leur reprochent encore
aujourd’hui; de sorte que c’est en leur personne qu’il est dit: «
Souvenez-vous, Seigneur, de l’opprobre de vos serviteurs », parce
que Dieu, ne les oubliant pas, mais ayant compassion de leur misère,
doit les attirer un jour eux-mêmes à la grâce de1’Evangile.
Mais il me semble que le premier sens est meilleur. En effet, il ne paraît
pas à propos d’appeler serviteurs de Dieu les ennemis de Jésus-Christ
à qui l’on reproche que le Christ les a abandonnés pour passer
aux Gentils, et que cette qualité convient mieux à ceux qui,
exposés à de rudes persécutions pour le nom de Jésus-Christ,
se sont souvenus du royaume promis à la race de David, et touchés
d’un ardent désir de le posséder, ont dit à Dieu:
« Seigneur, où sont les anciennes miséricordes que
vous avez fait serment d’exercer envers David? Souvenez-vous, Seigneur,
de l’opprobre de vos serviteurs, et qu’il m’a fallu essuyer sans rien dire
les reproches de tant de nations, ces reproches injurieux que vos ennemis
m’ont faits du changement de votre Christ », ce changement étant
pris par eux pour un anéantissement. Que veut dire: Souvenez-vous,
Seigneur, sinon ayez pitié de moi, et, pour les humiliations que
j’ai souffertes avec tant de patience, donnez-moi la gloire que vous avez
promise à David avec serment. Que si nous attribuons ces paroles
aux Juifs, assurément ces serviteurs de Dieu, qui furent emmenés
captifs à Babylone après la prise de la Jérusalem
terrestre et avant la naissance de Jésus-Christ, ont pu les dire
aussi, entendant par le changement du Christ, qu’ils ne devaient pas attendre
de lui une félicité temporelle semblable à celle dont
ils avaient joui quelques années auparavant sous le règne
de Salomon, mais une félicité céleste et spirituelle
; et c’est le changement que les nations idolâtres reprochaient,
sans s’en douter, au peuple de Dieu, lorsqu’elles l’insultaient dans sa
captivité. C’est aussi ce qui se trouve ensuite dans le même
psaume et qui en fait la conclusion: « Que la bénédiction
du Seigneur (377) demeure éternellement ; ainsi soit-il, ainsi soit-il
» ; voeu très-convenable à tout le peuple de Dieu qui
appartient à la Jérusalem céleste, soit à l’égard
de ceux qui étaient cachés dans l’Ancien Testament avant
que le Nouveau ne fût découvert, soit pour ceux qui dans le
Nouveau sont manifestement à Jésus-Christ. La bénédiction
du Seigneur promise à la race de David n’est pas circonscrite dans
un aussi petit espace de temps que le règne de Salomon, mais elle
ne doit avoir d’autres bornes que l’éternité. La certitude
de l’espérance que nous en avons est marquée par la répétition
de ces mots: « Ainsi soit-il, ainsi soit-il ». C’est ce que
David comprenait bien quand il dit, au second livre des Rois, qui nous
a conduits à cette digression du Psaume: « Vous avez parlé
pour longtemps en faveur de la maison de David 1 »; et un peu après
: « Commencez donc maintenant, et bénissez pour jamais la
maison de votre serviteur, etc. 2 » parce qu’il était prêt
d’engendrer un fils dont la race était destinée à
donner naissance à Jésus-Christ, qui devait rendre éternelle
sa maison et en même temps la maison de Dieu. Elle est la maison
de David à raison de sa race, et la maison de Dieu à cause
de son temple, mais d’un temple qui est fait d’hommes et non de pierres,
et où le peuple doit demeurer éternellement avec son Dieu
et en son Dieu, et Dieu avec son peuple et en son peuple, en sorte que
Dieu remplisse son peuple et que le peuple soit plein de son Dieu, lorsque
Dieu sera tout en tous 3, Dieu, notre récompense dans la paix et
notre force dans le combat. Comme Nathan avait dit à David: «
Le Seigneur vous avertit que vous lui bâtirez une maison 4 »;
David dit ensuite à Dieu: « Seigneur tout-puissant, Dieu d’Israël,
vous avez révélé à votre serviteur que vous
lui bâtiriez une maison 5». En effet, nous bâtissons
cette maison en vivant bien, et Dieu la bâtit aussi en nous aidant
à bien vivre; car, « si le Seigneur ne bâtit lui-même
une maison, en vain travaillent ceux qui la bâtissent 6. »
Lorsque le temps de la dernière dédicace de cette maison
sera venu, alors s’accomplira ce que Dieu dit ici par Nathan: « J’assignerai
un lieu à mon peuple, et l’y établirai, afin qu’il «
y demeure séparé des autres nations et que
1. II Rois, VII, 19. – 2. Ibid. 25. – 3. I Cor. XV, 28. – 4. II Rois,
VII, 11. – 5. Ibid. 27. – 6. Ps. CXXVI, 1.
rien ne trouble son repos à l’avenir. Les méchants ne
l’opprimeront plus comme autrefois, lorsque je lui donnai des Juges pour
le conduire1 ».
CHAPITRE XIII.
LA PAIX PROMISE A DAVID PAR NATHAN N’EST POINT CELLE DU RÈGNE
DE SALOMON.
C’est une folie d’attendre ici-bas un si grand bien, ou de s’imaginer
que ceci ait été accompli sous le règne de Salomon,
à cause de la paix dont on y jouit. L’Ecriture ne relève
cette paix que parce qu’elle était la figure d’une autre; et elle-même
a eu soin de prévenir cette interprétation, lorsque, après
avoir dit: « Les méchants ne l’opprimeront plus », elle
ajoute aussitôt: « comme autrefois, lorsque je lui donnai des
Juges pour le conduire ». Ce peuple, avant d’être gouverné
par des rois, fut gouverné par des Juges, et les méchants,
c’est-à-dire ses ennemis , l’opprimaient par moments; mais, avec
tout cela, on trouve sous les Juges de plus longues paix que celle du règne
de Salomon, qui dura seulement quarante ans. Or, il y en eut une de quatre-vingts
ans sous Aod. Loin donc, loin de nous l’idée que cette promesse
regarde le règne de Salomon, et beaucoup moins celui d’un autre
roi, puisque pas un d’eux n’a joui de la paix aussi longtemps que lui ,
et que cette nation n’a cessé d’appréhender le joug des rois,
ses voisins. Et n’est-ce pas une suite nécessaire de l’inconstance
des choses du monde qu’aucun peuple ne possède un empire si bien
affermi qu’il n’ait pas à redouter l’invasion étrangère?
Ainsi, ce lieu d’une habitation si paisible et si assurée, qui est
ici promis, est un lieu éternel, et qui est dû à des
habitants éternels dans la Jérusalem libre où régnera
véritablement le peuple d’Israël ; car Israël signifie
voyant Dieu. Et nous, pénétrés du désir de
mériter une si haute récompense, que la foi nous fasse vivre
d’une vie sainte et innocente à travers ce douloureux pèlerinage!
CHAPITRE XIV.
DES PSAUMES DE DAVID.
La Cité de Dieu poursuivant son cours dans le temps, David régna
d’abord sur la Jérusa1cm terrestre, qui était une ombre et
une
1. II Rois, VII, 10.
figure de la Jérusalem à venir. Ce prince était
savant dans la musique, et il aimait l’harmonie, non pour le plaisir de
l’oreille, mais avec une intention plus élevée, pour consacrer
à son Dieu des cantiques remplis de grands mystères. L’assemblage
et l’accord de plusieurs tons différents sont en effet une image
fidèle de l’union qui enchaîne les différentes par-tics
d’une cité bien ordonnée. On sait que toutes les prophéties
de David sont contenues dans les cent cinquante psaumes que nous appelons
le Psautier. Or , les uns veulent qu’entre ces psaumes , ceux-là
seulement soient de lui qui portent son nom; d’autres ne lui attribuent
que ceux qui ont pour titre de David, et disent que ceux où on lit
à David ont été faits par d’autres et appropriés
à sa personne. Mais ce sentiment est réfuté par le
Sauveur même dans l’Evangile, lorsqu’il dit 1 que David lui-même
a appelé le Christ son Seigneur dans le psaume cent neuf, en ces
termes: « Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Asseyez-vous à
ma droite, jusqu’à ce que j’aie abattu vos ennemis sous vos pieds
2 » . Or, ce psaume n’a pas pour titre de David, mais â David.
Il lui semble donc que l’opinion la plus vraisemblable, c’est que tous
les psaumes sont de David, et que, s’il en a intitulé quelques-uns
d’autres noms que du sien, c’est que ces noms ont un sens figuratif, quant
à ceux qu’il a laissés sans y mettre de nom, c’est par une
inspiration de Dieu, dont le motif caché couvre sans doute de profonds
mystères. Il ne faut point s’arrêter à ce que certains
psaumes portent en tête les noms de quelques prophètes qui
ne sont venus que longtemps depuis David, et qui semblent toutefois y parler
; car l’esprit prophétique qui inspirait ce prince a fort bien pu
aussi lui révé1er les noms de ces prophètes, et lui
suggérer des chants qui leur étaient appropriés, comme
nous voyons 3 qu’un certain prophète a parlé de Josias et
de ses actions plus de trois cents ans avant la naissance de ce roi.
CHAPITRE XV.
S’IL CONVIENT D’ENTRER ICI DANS L’EXPLICATION DES PROPHÉTIES
CONTENUES DANS LES PSAUMES TOUCHANT JÉSUS-CHRIST ET SON ÉGLISE.
Je vois bien qu’on attend de moi que j’explique ici les prophéties
de Jésus-Christ
1. Matt. XXII, 42, — 2. Ps. CIX, I. — 3. III Rois, XIII.
et de son Eglise qui sont dans les psaumes; mais ce qui me retient,
quoique ayant déjà donné l’explication d’un de ces
divins cantiques, c’est plutôt l’abondance que le défaut de
la matière. Il serait trop long, en effet, d’expliquer ces prophéties;
et si je restreignais mon choix, j’aurais à craindre que les hommes
versés en ces problèmes ne m’accusassent d’avoir omis les
plus essentielles. D’ailleurs, un témoignage qu’on produit d’un
psaume doit être confirmé par toute la suite du psaume, afin
que , si tout ne sert pas à l’appuyer, rien au moins n’y soit contraire.
En procédant de toute autre façon, on ferait des centons
que l’on appliquerait à son sujet dans un sens tout différent
de celui que les pièces ont à leur place naturelle. Pour
montrer ce rapport de toutes les parties du psaume, avec le témoignage
qu’on en voudrait faire sortir, il serait besoin de l’expliquer tout entier.
Or, quel travail exigerait cette méthode, il est aisé de
l’imaginer, pour peu qu’on sache ce que d’autres ont entrepris en ce genre
et ce que nous avons nous-même essayé ailleurs. Que celui
qui en aura la volonté et le loisir lise ces commentaires, et il
y verra combien de grandes choses David a prophétisées de
Jésus-Christ et de son Eglise, c’est-à-dire de la cité
qu’il a fondée et de son roi.
CHAPITRE XVI.
LE PSAUME QUARANTE-QUATRE EST UNE PROPHÉTIE, TANTÔT EXPRESSIVE
ET TANTÔT FIGURÉE, DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE.
Quelles que soient, en toutes choses, la propriété et
la clarté des expressions prophétiques , il faut aussi qu’il
y en ait de figurées, et ce sont celles-là qui donnent de
l’exercice aux savants, quand ils veulent les expliquer à des esprits
moins ouverts. Il en est toutefois qui désignent, à la première
vue, le Sauveur et son Eglise, quoiqu’il y reste toujours quelque chose
d’obscur qui demande à être expliqué à loisir;
par exemple, ce passage du psaume quarante-quatre: « Mon coeur me
presse de dire de grandes choses; je veux consacrer mes ouvrages à
la gloire de mon Roi. Ma langue est comme la plume d’un écrivain
qui écrit très-vite. Vous êtes le plus beau des enfants
des hommes; les grâces sont répandues sur vos lèvres;
c’est pourquoi Dieu vous a comblé de ses (379) bénédictions
pour jamais. Très-puissant, ceignez votre épée. Beau
et gracieux comme vous l’êtes, vous ne sauriez manquer de réussir
dans vos entreprises et de vous rendre maître des coeurs. La vérité,
la douceur et la justice accompagnent vos pas, et vous signalerez votre
puissance par des actions miraculeuses. Dieu tout-puissant, que vos flèches
sont aigües ! vous en percerez le coeur de vos ennemis, et les peuples
tomberont à vos pieds. Votre trône, mon Dieu, est un trône
éternel, et le sceptre de votre empire est un sceptre de justice.
Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité; aussi votre
Dieu a rempli votre coeur de joie comme d’un heaume exquis, dont il vous
a sacré avec plus d’abondance que tous vos compagnons. Vos vêtements
sont imprégnés de myrrhe et d’aloès; des essences
de parfum s’exhalent de vos palais d’ivoire, et c’est ce qui vous a gagné
le coeur des jeunes filles au jour de votre triomphe ». Quel est
l’esprit assez grossier pour ne pas reconnaître dans ces paroles
le Christ que nous prêchons et en qui nous croyons? Qui ne le voit
désigné par ce Dieu dont le trône est éternel,
et que Dieu sacre en Dieu , c’est-à-dire d’un chrême spirituel
et invisible?Est-il un homme assez étranger à notre religion
et assez sourd au bruit qu’elle fait de toutes parts pour ignorer que le
Christ s’appelle ainsi de son sacre et de son onction? Or, ce roi une fois
reconnu, que signifient les autres traits de cette peinture symbolique,
par exemple, qu’il est le plus beau des enfants des hommes, d’une beauté
sans doute d’autant plus digne d’amour et d’admiration qu’elle est moins
corporelle ? Que veut dire cette épée , et que sont ces flèches
? c’est à quiconque sert ce
Dieu et règne par la vérité, la douceur et la
justice, à examiner ces questions à loisir. Jetez ensuite
les yeux sur son Eglise, sur cette compagne unie à un si grand époux
par un mariage spirituel et par les liens d’un amour divin, elle, dont
il est dit peu après : « La reine s’est assise à votre
droite avec un habit rehaussé d’or et de broderie. Ecoutez, ma fille,
voyez et prêtez l’oreille; oubliez votre pays et la maison de votre
père; car le roi a été pris d’amour pour votre beauté,
et il est le Seigneur votre Dieu. Les habitants de Tyr l’adoreront avec
des présents; les plus riches du peuple vous feront la cour. Toute
la gloire de la fille du roi vient du dedans, et elle est vêtue d’une
robe à franges d’or, toute couverte de broderies. On amènera
au roi les filles de sa suite; on vous offrira celles qui approchent de
plus près de sa personne. On les amènera avec joie et allégresse;
on les fera entrer dans le palais du roi. Il vous est né des enfants
à la place de vos pères; vous les établirez princes
sur tout l’univers. Ils se souviendront de votre nom, Seigneur, dans la
suite de tous les âges. C’est pourquoi tous les peuples vous loueront
éternellement et dans tous les siècles ». Je ne pense
pas que quelqu’un
soit assez fou pour s’imaginer que ceci doit s’entendre d’une simple
femme, puisque cette
femme est l’épouse de celui à qui il est dit: «
Votre trône, mon Dieu, est un trône éternel, et le sceptre
de votre empire est un sceptre de justice. Vous avez aimé la justice
et haï l’iniquité ; aussi votre Dieu a rempli votre coeur de
joie comme d’un beaume exquis, dont il vous a sacré avec plus d’abondance
que tous vos compagnons. » C’est Jésus-Christ qui a été
ainsi sacré d’une onction plus pleine que tout le reste des chrétiens
; et ceux-là sont les compagnons de sa gloire, dont l’union et la
concorde par tout l’univers sont figurées par cette reine appelée
dans un autre psaume la cité du grand roi 1. Voilà cette
spirituelle Sion dont le nom signifie
contemplation, parce qu’elle contemple les grands biens de l’autre
vie et y tourne toutes
ses pensées ;voilà cette Jérusalem céleste
dont nous avons dit tant de choses, et qui a pour
ennemie la cité du diable, Babylone, c’est-à-dire confusion.
C’est par la régénération que
cette reine est délivrée de la domination de Babylone,
et passe de la domination d’un très-
méchant prince sous celle d’un très-bon roi. On lui dit
pour cette raison : « Oubliez votre pays et la maison de votre père
». Les Israélites, qui ne sont tels que selon la chair et
non par la foi, font partie de cette cité impie, et sont ennemis
du grand roi et de la reine, son épouse. Car, puisqu’ils ont mis
à mort celui qui était venu vers eux, le Christ a été
plutôt le sauveur de ceux qu’il n’a pas vus, alors qu’il était
sur la terre revêtu d’une chair mortelle. Aussi dit-on à notre
roi dans un psaume : « Vous me délivrerez des révoltes
de ce peuple, vous m’établirez chef des
1. Ps. XLVII, 2,
(380)
nations. Un peuple que je ne connaissais point m’a servi; il m’a obéi
aussitôt qu’il a entendu parier de moi 1 » Le peuple des Gentils
que le Christ n’a pas connu lorsqu’il était au monde, et qui néanmoins
croit en lui sur ce qu’il a appris, en sorte que c’est justement qu’il
est écrit de lui : « Il m’a obéi aussitôt qu’il
a entendu parler de moi » ; car « la loi vient de l’ouïe
2 » ce peuple, dis-je, joint aux vrais Israélites selon la
chair et selon la foi, compose la cité de Dieu, qui a aussi engendré
le Christ selon la chair, quand elle n’était qu’en ces seuls Israélites.
De là était la vierge Marie, dans le sein de laquelle le
Christ a pris chair pour devenir homme. C’est de cette cité qu’un
autre psaume dit: « On dira de Sion, notre mère: Un. homme
et un homme par excellence a été fait en elle, et c’est le
Très-Haut lui-même qui l’a fondé 3 ». Quel est
ce Très-Haut, sinon Dieu? Et par conséquent le Christ, qui
est Dieu et qui l’était avant que de devenir homme dans cette cité
par l’entremise de Marle, l’a fondée lui-même dans les patriarches
et dans les Prophètes. Puis donc que le Sauveur a été
prédit si longtemps auparavant à cette cité de Dieu,
à cette reine, suivant cette parole que nous voyons maintenant accomplie
: « Il vous est né des enfants à la place de vos pères,
que vous établirez princes sur tout l’univers 4 » quelque
obscurité qu’il y ait ici dans les autres expressions figurées,
et de quelque façon qu’on les explique, elles doivent s’accorder
avec des choses qui soit si claires.
CHAPITRE XVII.
DU SACERDOCE ET DE LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST PRÉDITS
AUX CENT NEUVIÈME ET VINGT-UNIÈME PSAUMES.
C’est ainsi que dans cet autre psaume où le sacerdoce de Jésus-Christ
est déclaré ouvertement, comme ici sa royauté, ces
paroles pouvaient sembler obscures: « Le Seigneur a dit à
mon Seigneur: Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que j’abatte
vos ennemis sous vos pieds ». En effet, nous ne voyons pas Jésus-Christ
assis à la droite de Dieu le père, nous le croyons; ni ses
ennemis abattus sous ses pieds, cela ne se verra qu’à la fin du
1. Ps. XVII, 44. – 2. Rom. X, 17. – 3. Ps. LXXXVI, 5. – 4. Ps. XLIV,
18.
monde. Mais lorsque le Psalmiste chante: « Le Seigneur fera sortir
de Sion le sceptre de votre empire, et vous régnerez souverainement
au milieu de vos ennemis » ; cela est si clair qu’il faudrait être
aussi impudent qu’impie pour le nier. Nos adversaires mêmes avouent
que la loi de Jésus-Christ, que nous appelons l’Evangile, et que
nous reconnaissons pour le sceptre de son empire, est sortie de Sion. Quant
au règne qu’il exerce au milieu de ses ennemis, ceux mêmes
sur qui il l’exerce le témoignent assez par leur rage et leur jalousie.
On lit un peu après: « Le Seigneur a juré, et il ne
s’en dédira point, que vous serez le prêtre éternel
selon l’ordre de Melchisédech» ; or , puisqu’il n’y a plus
maintenant nulle part de sacerdoce ni de sacrifice selon l’ordre d’Aaron,
et qu’on offre partout sous le souverain pontife, Jésus-Christ,
ce qu’offrit Melchisédech quand il bénit Abraham 1,qui peut
ne pas voir de qui ceci est dit? Il faut donc rapporter à ces choses
claires et évidentes celles qui dans le même psaume sont un
peu obscures et que nous avons déjà expliquées dans
les sermons que nous en avons faits au peuple. Ainsi, ce que Jésus-Christ
dit dans un autre psaume où il parle de sa propre passion: «Ils
ont percé mes mains et mes pieds, et ont compté mes os; ils
m’ont considéré et regardé 2» ; cela, dis-je,
est clair, et l’on voit bien qu’il parle de son corps étendu sur
la croix, pieds et mains cloués, et servant en cet état de
spectacle à ses ennemis; d’autant plus qu’il ajoute : « Ils
ont partagé entre eux mes vêtements et jeté ma robe
au sort » : prophétie dont l’accomplissement se trouve marqué
dans le récit de I’Evangile. Les traits tout aussi clairs qui sont
dans ce psaume doivent servir de lumière aux autres; car, entre
les faits qui y sont évidemment prédits, il y en a qui s’accomplissent
encore tous les jours à nos yeux, comme ce qui suit : « Toutes
les parties de la terre se souviendront du Seigneur, et se convertiront
à lui, et toutes les autres nations du monde « lui rendront
leurs adorations et leurs hommages, parce que l’empire appartient au Seigneur,
et il dominera sur toutes les nations».
1. Gen. XIV, 18. — 2. Ps., XXI, 18.
(381)
CHAPITRE XVIII.
DE LA MORT ET DE LA RÉSURRECTION DU SAUVEUR PRÉDITES
DANS LES PSAUMES TROIS, QUARANTE, QUINZE ET SOIXANTE-SEPT.
Les oracles des psaumes n’ont pas non plus gardé le silence
sur la résurrection du Christ. Que signifient en effet ces paroles
du troisième psaume : « Je suis endormi et j’ai sommeillé,
et je me suis éveillé, parce que le Seigneur m’a pris? »
Y a-t-il quelqu’un d’assez peu sensé pour croire que le Prophète
nous aurait voulu apprendre comme une chose considérable qu’il s’est
éveillé après s’être endormi, si ce sommeil
n’était la mort, et ce réveil la résurrection de Jésus-Christ,
qu’il devait prédire de la sorte ? Le psaume quarante en parle encore
plus clairement, lorsqu’en la personne du médiateur, le Prophète,
selon sa coutume, raconte comme passées des choses qu’il prophétise
pour l’avenir, parce que, dans la prescience de Dieu, les choses à
venir sont en quelque sorte arrivées, à cause de la certitude
de leur accomplissement. « Mes ennemis, dit-il, ont fait des imprécations
contre moi: quand mourra-t-il, et quand sa mémoire sera-t-elle abolie?
S’il venait me voir, il me parlait avec déguisement, et se fortifiait
dans sa malice ; et il n’était pas plutôt sorti qu’il s’attroupait
avec les autres. Tous mes ennemis formaient des complots contre moi ; ils
faisaient tous le dessein de me perdre. Ils ont pris contre moi des résolutions
injustes; mais celui qui dort ne se réveillera-t-il pas? »
C’est comme s’il disait : Celui qui meurt ne ressuscitera-t-il pas? Ce
qui précède montre-assez que ses ennemis avaient conspiré
sa mort, et que toute cette trame avait été conduite par
celui qui entrait et sortait pour le trahir. Or, à qui ne se présente
ici le traître Judas, devenu, de disciple de Jésus, le plus
cruel de ses ennemis? Pour leur faire sentir qu’ils l’immoleraient en vain,
puisqu’il devait ressusciter, il leur dit: « Celui qui dort ne se
réveillera-t-il pas? » ce qui revient à ceci: Que faites-vous,
pauvres insensés ? ce qui est un crime pour vous n’est qu’un sommeil
pour moi. Celui qui dort ne se réveillera-t-il pas? — Et néanmoins,
pour prouver qu’un crime si énorme ne demeurerait pas impuni, il
ajoute: « Celui qui vivait avec moi dans une si grande union, en
qui j’avais mis ma confiance, et qui mangeait de mon pain, m’a mis le pied
sur la gorge. Mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi, et me rendez
la vie, et je me vengerai d’eux ». Ne voit-on pas cette vengeance,
quand on considère les Juifs expulsés de leur pays après
de sanglantes défaites depuis la mort et la passion de Jésus-Christ?
Après qu’il eut été mis à mort par eux, il
est ressuscité, et les a châtiés de peines temporelles,
en attendant celles qu’il leur réserve pour ne s’être pas
convertis, lorsqu’il jugera les vivants et les morts. Le Sauveur même
montrant le traître à ses Apôtres en lui présentant
un morceau de pain, fit mention de ce verset du psaume 1, et dit qu’il
devait s’accomplir en lui : « Celui qui mangeait de mon pain m’a
mis le pied sur la gorge ». Quant à ce qu’il ajoute : «En
qui j’avais mis ma confiance », cela ne convient pas au chef, mais
au corps; car le Sauveur connaissait bien celui dont il avait déjà
dit: « L’un de vous est le diable 2 » ; mais il a coutume d’attribuer
à sa personne ce qui appartient à ses membres, parce que
la tête et le corps ne font qu’un Christ, d’où viennent ces
paroles de l’Evangile: « J’ai eu faim, et vous m’avez donné
à manger 3 » ; ce que lui-même explique ainsi : «
Quand vous avez, dit-il, rendu ces services aux plus petits de ceux qui
sont à moi, c’est à moi que vous les avez rendus».
S’il dit qu’il avait mis sa confiance en Judas, c’est que ses disciples
avaient bien espéré de celui-ci, quand il fut mis au nombre
des Apôtres.
Quant aux Juifs, ils ne croient pas que le Christ qu’ils attendent
doive mourir. Aussi ne pensent-ils pas que celui que la loi et les Prophètes
ont annoncé soit pour nous ; mais ils prétendent qu’il doit
leur appartenir unique-nient, et qu’il sera exempt de la mort. Ils soutiennent
donc, par une folie et un aveuglement merveilleux, que les paroles que
nous venons de rapporter ne doivent pas s’entendre de la mort et de la
résurrection, niais du sommeil et du réveil. Mais le psaume
quinze leur crie : « C’est pour cela que mon coeur est plein de joie,
que ma langue se répand en « des chants d’allégresse,
et que vous ne laisserez point mon âme en enfer, et que vous ne «
permettrez pas que votre saint souffre aucune corruption ». Quel
autre parlerait avec autant de confiance de celui qui est ressuscité
le
1. Jean, XIII, 26. — 2. Ibid. VI, 71 — 3. Matt. XXV, 35.— 4. Ibid.
40
(382)
troisième jour ? Peuvent-ils l’entendre de David ? Le psaume
soixante-sept crie de son côté : « Notre Dieu est un
Dieu qui sauve, et le Seigneur même sortira par la mort ».
Que peut-on dire de plus clair ? Le Seigneur Jésus n’est-il pas
un Dieu qui sauve, lui dont le nom même signifie Sauveur? En effet,
c’est la raison qui en fut rendue quand l’ange dit à la Vierge :
«Vous enfanterez un fils que vous « nommerez Jésus,
parce qu’il sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés
1 ». Comme il a versé son sang pour obtenir la rémission
de ces péchés, il n’a pas dû autrement sortir de cette
vie que par la mort. C’est pour cette raison que le Prophète, après
avoir dit : « Notre Dieu est un Dieu qui sauve », ajoute aussitôt
: « Et le Seigneur même sortira par la mort », pour montrer
que c’était en mourant qu’il devait sauver. Or, il dit avec admiration
: « Et le Seigneur même », comme s’il disait: Telle est
la vie des hommes mortels que le Seigneur même n’en a pu sortir que
par la mort.
CHAPITRE XIX.
LE PSAUME SOIXANTE-HUIT MONTRE L’OBSTINATION DES JUIFS DANS LEUR INFIDÉLITÉ.
Certes, les Juifs ne résisteraient pas à des témoignages
si clairs confirmés par l’événement, si la prophétie
du psaume soixante-huit ne s’accomplissait en eux. Après que David
a introduit Jésus-Christ, qui dit, en parlant de sa passion, ce
que nous voyons accompli dans l’Evangile : « Ils m’ont donné
du fiel à manger, et du vinaigre à boire quand j’ai eu soif
2 » ; il ajoute: « Qu’en récompense leur table devienne
un piège et une pierre d’achoppement; que leurs yeux « soient
obscurcis, afin qu’ils ne voient point, et chargez-les de fardeaux qui
les fassent marcher tout courbés », et autres malheurs qu’il
ne leur souhaite pas, mais qu’il leur prédit comme s’il les leur
souhaitait. Quelle merveille donc qu’ils ne voient pas des choses si évidentes,
puisque leurs yeux ne sont obscurcis qu’afin qu’ils ne les voient pas?
quelle merveille qu’ils ne comprennent pas les choses du ciel, eux qui
sont toujours accablés de pesants fardeaux qui les courbent contre
terre? Ces métaphores prises du corps marquent réellement
les vices de l’esprit. Mais
1. Luc, I, 31; Matt. I, 21. — 3. Matt. XXVII, 34.
c’est assez parler des psaumes, c’est-à-dire de la prophétie
de David, et il faut mettre quelques bornes à ce discours. Que ceux
qui savent toutes ces choses m’excusent et ne se plaignent pas de moi,
si j’ai peut-être omis d’autres témoignages qu’ils estiment
encore plus forts.
CHAPITRE XX.
DU RÈGNE ET DES VERTUS DE DAVID, ET DES PROPHÉTIES SUR
JÉSUS-CHRIST QUI SE TROUVENT DANS LES LIVRES DE SALOMON.
David régna donc dans la Jérusalem terrestre, lui qui
était enfant de la céleste, et à qui l’Ecriture rend
un témoignage de gloire, parce qu’il effaça tellement ses
crimes par les humiliations d’une sainte patience qu’il est sans doute
du nombre de ces pécheurs dont il dit lui même: « Heureux
ceux dont les iniquités sont pardonnées et les péchés
couverts 1 !» A David succéda son fils Salomon, qui, comme
nous l’avons dit ci-dessus, fut couronné du vivant de son père.
La tin de son règne ne répondit pas aux espérances
que les commencements avaient fait concevoir; car la prospérité,
qui corrompt d’ordinaire les plus sages, l’emporta sur cette haute sagesse
dont le bruit s’est répandu dans tous les siècles. On reconnaît
que ce prince a aussi prophétisé dans ses trois livres, que
l’Eglise reçoit au nombre des canoniques et qui sont les Proverbes,
l’Ecclésiaste et le Cantique des cantiques. Pour les deux autres,
intitulés la Sagesse et l’Ecclésiastique, on a coutume de
les lui attribuer, à cause de quelque ressemblance de style; mais
les doctes tombent d’accord qu’ils ne sont pas de lui. Toutefois il y a
longtemps qu’ils ont autorité dans l’Eglise, surtout dans celle
d’Occident. La passion du Sauveur est clairement prédite dans celui
qu’on appelle la Sagesse. Les infâmes meurtriers de Jésus-Christ
y parlent de la sorte : « Opprimons le juste, il nous est incommode
et il s’oppose sans cesse à nos desseins; il nous reproche nos péchés
et publie partout nos crimes; il se vante de connaître Dieu et il
se nomine insolemment son fils; il contrôle jusqu’à nos pensées,
et sa vue même nous est à charge; car il mène une vie
toute différente de celle des autres, et sa conduite est tout extraordinaire.
Il nous regarde comme des bagatelles et fuit notre manière
1. Ps. XXXI, 1.
(383)
d’agir comme la peste; il estime heureuse la mort des gens de bien
et se glorifie d’avoir Dieu pour père. Voyons donc si ce qu’il dit
est vrai, et éprouvons quelle sera sa fin. S’il est vraiment fils
de Dieu, Dieu le protégera et le tirera des mains de ses ennemis.
Faisons-lui souffrir toutes sortes d’affronts et de tourments pour voir
jusqu’où vont sa modération et sa patience. Condamnons-le
à une mort ignominieuse, car nous jugerons de ses paroles par ses
actions. Voilà quelles ont été leurs pensées;
mais ils se sont trompés, parce que leur malice les a aveuglés
». Quant à l’Ecclésiastique, la foi des Gentils y est
prédite ainsi : « Seigneur, qui êtes le maître
de tous les hommes, ayez pitié de nous, et que tous les peuples
vous craignent. Etendez votre main sur les nations étrangères,
afin qu’elles reconnaissent votre personne et que vous soyez glorieux en
elles comme vous l’êtes en nous, et qu’elles apprennent avec nous
qu’il n’y a point d’autre Dieu que vous, Seigneur ». Cette prophétie
conçue en forme de souhait, nous ta voyons accomplie par Jésus-Christ;
mais comme ces Ecritures ne sont pas canoniques parmi les Juifs , elles
ont moins de force contre les opiniâtres.
Pour les autres trois livres, qui, certainement, sont de Salomon, et
que les Juifs reconnaissent pour canoniques, il serait trop long et très-pénible
de montrer comment tout ce qui s’y trouve se rapporte à Jésus-Christ
et à son Eglise. Toutefois ce discours des impies dans les Proverbes:
« Mettons le juste au tombeau et dévorons-le tout vivant;
abolissons-en la mémoire sur la face de la terre, emparons-nous
de ce qu’il possède de plus précieux 1 »; ce discours
, dis-je, n’est pas si obscur qu’on ne le puisse aisément entendre
de Jésus-Christ et de l’Eglise, qui est son plus précieux
héritage. Notre-Seigneur lui-même, dans la parabole des mauvais
vignerons, leur fait tenir un discours semblable, quand, apercevant le
fils du père de famille : « Voici, disent-ils, l’héritier
; allons, tuons-le, et nous serons maîtres de son héritage
2 »Tous ceux qui savent que Jésus-Christ est la Sagesse de
Dieu n’entendent aussi que de lui et de son Eglise cet autre endroit des
Proverbes que nous avons touché plus haut, lorsque nous parlions
de la femme stérile qui a
1. Prov. I, 11. — 2. Matt. XXI, 38.
engendré sept enfants : « La Sagesse, dit Salomon, s’est
bâti une maison, et l’a appuyée sur sep colonnes. Elle a immolé
ses victimes, mêlé son vin dans une coupe et dressé
sa table; elle a envoyé ses serviteurs pour convier hautement à
boire du vin de sa coupe, disant: « Que celui qui n’est pas sage
vienne à moi; et à ceux qui manquent de sens, elle a parlé
ainsi : Venez, mangez de mes pains, et buvez le vin que je vous ai préparé
1 ». Ces paroles nous font connaître clairement que la sagesse
de Dieu, c’est-à-dire le Verbe coéternel au Père,
s’est bâti une maison dans le sein d’une vierge en y prenant un corps,
qu’il s’est uni l’Eglise comme les membres à la tête, qu’il
a immolé les martyrs comme des victimes, qu’il a couvert une table
de pain et de vin, où se voit même le sacerdoce selon l’ordre
de Melchisédech, enfin, qu’il y a invité les fous et les
insensés, parce que, comme dit l’Apôtre: « Dieu a choisi
les faibles selon le monde pour confondre les puissants 2 ». Néanmoins,
c’est à ces faibles que la Sagesse a dit ensuite: « Quittez
votre folie afin de vivre, et cherchez la sagesse, afin d’acquérir
la vie3 ». Or, avoir place à sa table, c’est commencer d’avoir
la vie. Que peuvent signifier de mieux ces autres paroles de l’Ecclésiaste
: « L’homme n’a d’autre bien que ce qu’il boit et mange 4 ? »
qu’est-ce, dis-je, que ces paroles peuvent signifier, sinon la participation
à cette table, où le souverain prêtre et médiateur
du Nouveau Testament nous donne son corps et son sang selon l’ordre de
Melchisédech, et ce sacrifice a succédé à tous
les autres de l’Ancien Testament, qui n’étaient que des ombres et
des figures de celui-ci ? Aussi reconnaissons-nous la voix de ce même
médiateur dans la prophétie du psaume trente-neuf: «
Vous n’avez point voulu de victime ni d’offrande, mais vous m’avez disposé
un corps 5», parce que, pour tout sacrifice et oblation, son corps
est offert et servi à ceux qui y participent. Que l’Ecclésiaste
n’entende pas parler de viandes charnelles dans son invitation perpétuelle
à boire et à manger, cette parole le prouve clairement :
« Il vaut mieux aller dans une maison de deuil que dans celle où
l’on fait bonne chère 6 »; et un peu après: «
Les sages ai« ment à aller dans une maison de deuil, et
1. Prov. IX, 1-5. – 2. I Cor. I, 27. – 3. Prov. IX, 6. – 4. Ecclés.
V, 15. – 5. Ps. XXXIX, 9. – 6. Ecclés. VII, 3.
et les fous dans une maison de festins et de débauches 1 ».
Mais il vaut mieux rapporter ici de ce livre ce qui regarde les deux cités,
celle du diable et celle de Jésus-Christ, et les rois de l’une et
de l’autre : « Malheur à vous, terre, dont le roi est jeune
et dont les princes mangent dès le matin ! Mais bénie soyez-vous,
terre, dont le roi est fils des libres, et dont les princes mangent dans
le temps convenable, sans impatience et sans confusion 2 ». Ce jeune
roi est le diable, que Salomon appelle ainsi à cause de sa folie,
de son orgueil, de sa témérité, de son insolence,
et des autres vices auxquels les jeunes gens sont sujets. Jésus-Christ,
au contraire, est fils des libres, c’est-à-dire des saints patriarches
appartenant à la cité libre dont il est issu selon la chair.
Les princes de cette cité qui mangent dès le matin, c’est-à-dire
avant le temps, désignent ceux qui se hâtent de goûter
la fausse félicité de ce monde, sans vouloir attendre celle
de l’autre, qui est la seule véritable, au lieu que les princes
de la cité de Jésus-Christ attendent avec patience le temps
d’une félicité qui ne trompe point. C’est ce qu’il veut dire
par ces paroles, « sans impatience et sans confusion », parce
qu’ils ne se repaissent point d’une vaine espérance, suivant cette
parole de l’Apôtre : « L’espérance ne confond point
3 », et cette autre du psaume: « Tous ceux qui vous attendent
avec patience ne seront point confondus 4 ». Quant au Cantique des
cantiques, c’est une réjouissance spirituelle des saintes âmes
aux noces du roi et de la reine de la Cité céleste, c’est-à-dire
de Jésus-Christ et de l’Eglise mais cette joie est cachée
sous le voile de l’allégorie, afin qu’on ait plus d’envie de la
connaître et plus de plaisir à la découvrir, et d’y
voir cet époux à qui on dit au même cantique: «
Ceux qui sont justes nous aiment 5 », et cette épouse à
qui l’on dit aussi : « La charité fait vos délices
6 ». Nous passons sous silence plusieurs autres choses pour ne pas
excéder les bornes de ces, ouvrage.
CHAPITRE XXI.
DES ROIS DE JUDA ET D’ISRAËL APRÈS SALOMON.
Peu de paroles ou d’actions des autres rois qui viennent après
Salomon, soit dans Juda,
1. Eccés. VII, 5. — 2. Ibid. X, 16. — 3. Rom. V, 5.— 4. Ps.
XXIV, 3.— 5. Cant. I, 3.— 6. Ibid. VII, 6
soit dans Israël, peuvent se rapporter à Jésus-Christ
et à son Eglise. Je dis dans Juda ou dans Israël, parce que
ce furent les noms que portèrent ces deux parties du peuple, depuis
que Dieu l’eut divisé pour le crime de Salomon sous son fils Roboam
qui lui succéda. Les dix tribus 1 dont Jéroboam, esclave
de Salomon, fut établi roi, et dont Samarie était la capitale,
retinrent le nom d’Israël, qui était celui de tout le peuple.
Les deux autres tribus, Juda et Benjamin, qui étaient demeurées
à Roboam en considération de David dont Dieu ne voulait pas
entièrement détruire le royaume, et qui avaient Jérusalem
pour capitale, s’appelèrent le royaume de Juda, parce que Juda était
la tribu d’où David était issu. La tribu de Benjamin, dont
était sorti Saül, prédécesseur de David, faisait
aussi partie du royaume de Juda, qui s’appelait ainsi pour se distinguer
du royaume d’Israël qui comprenait dix tribus. Celle de Lévi,
comme sacerdotale et consacrée au service de Dieu, ne faisait partie
ni de l’un ni de l’autre royaume, et était comptée pour la
treizième. Or, ce nombre impair des tribus Venait de ce que, des
douze enfants de Jacob qui en avaient établi chacun une, Joseph
en avait fondé deux, Ephraïm et Manassé. Toutefois,
on peut dire que la tribu de Lévi appartenait plutôt au royaume
de Juda, à cause du temple de Jérusalem où elle exerçait
son ministère. Après ce partage du peuple, Roboam, fils de
Salomon, fut le premier roi de Juda, et établit le siége
de son empire à Jérusalem; et Jéroboam, son serviteur,
fut le premier roi d’Israël, et fixa sa résidence à
Samarie. Comme Roboam voulait faire la guerre à Israël sous
prétexte de rejoindre à son empire cette partie que la violence
d’un usurpateur avait démembrée, Dieu l’en empêcha
et lui fit dire par son prophète que lui-même avait conduit
tout cela; ce qui montra que ni Israël ni Jéroboam n’étaient
coupables de cette division, mais qu’elle était arrivée par
la seule volonté de Dieu, qui avait ainsi vengé le crime
de Salomon. Lors donc que les deux partis eurent reconnu que c’était
un coup du ciel, ils demeurèrent en paix; d’autant plus que ce n’était
qu’une division de royaume, et non pas de religion.
1. III Rois, XII, 24
(385)
CHAPITRE XXII.
IDOLÂTRIE DE JÉROBOAM.
Mais Jéroboam, roi d’Israël, assez malheureux pour se défier
de la bonté de Dieu, bien qu’il l’eût éprouvé
fidèle et reçu de sa main la couronne qu’il lui avait promise,
appréhenda que Roboam ne séduisît ses sujets, lorsqu’ils
iraient au temple de Jérusalem; où tout le peuple juif était
obligé par la loi de se rendre tous les ans pour sacrifier, et que
les siens ne se remissent sous l’obéissance de la lignée
royale de David. Pour empêcher cela, il introduisit l’idolâtrie
dans son royaume et fut cause que son peuple sacrifia aux idoles avec lui.
Toutefois, Dieu ne laissa pas de reprendre par ses Prophètes, non-seulement
ce prince, mais ses successeurs héritiers de son impiété,
et tout le peuple. Parmi ces prophètes s’élevèrent
Elie et Elisée, qui firent beaucoup de miracles; et comme Eue disait
à Dieu: « Seigneur, ils ont égorgé vos Prophètes,
ils ont renversé vos autels, je suis resté seul, et ils me
cherchent pour me faire mourir 1 »; il lui fut répondu qu’il
y avait encore sept mille hommes qui n’avaient point plié le genou
devant Baal.
CHAPITRE XXIII.
DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DU RETOUR DES JUIFS.
Le royaume de Juda, dont Jérusalem était la capitale,
ne manqua pas non plus de prophètes, qui parurent de temps en temps,
selon qu’il plaisait à Dieu de les envoyer, ou pour annoncer ce
qui était nécessaire, ou pour reprendre les crimes et recommander
la justice. Là se trouvèrent aussi des rois, quoiqu’en moins
grand nombre que dans Israël, qui commirent contre Dieu d’énormes
péchés qui attirèrent le courroux du ciel sur eux
et sur Jeur peuple qui les imitait; mais en récompense il y en eut
d’autres d’une vertu signalée : au lieu que tous les rois d’Israël
ont été méchants, les uns plus, les autres moins.
L’un et l’autre parti éprouvait donc diversement la bonne ou la
mauvaise fortune, ainsi que la divine Providence t’ordonnait ou le permettait;
et ils étaient affligés non-seulement de guerres étrangères,
mais de discordes civiles, où l’on voyait éclater tantôt
la justice et tantôt
1. III Rois, XIX, 10.
la miséricorde de Dieu, jusqu’à ce que sa colère,
s’allumant de plus en plus, toute cette nation fût entièrement
vaincue par les Chaldéens, et emmenée captive en Assyrie,
d’abord le peuple d’Israël, et ensuite celui de Juda, après
la ruine de Jérusalem et de son temple fameux. Ils demeurèrent
dans cette captivité l’espace de soixante-dix années; après,
ils furent renvoyés dans leur pays, où ils rebâtirent
le temple; et bien que plusieurs d’entre eux demeurassent en des régions
étrangères et reculées, ils ne furent plus depuis
divisés en deux partis, mais ils n’eurent qu’un roi qui résidait
à Jérusalem; et tous les Juifs, quelque éloignés
qu’ils fussent, se rendaient au temple à un certain temps de l’année.
Mais ils ne manquèrent pas non plus alors d’ennemis qui leur firent
la guerre; et quand le Messie vint au monde, il les trouva déjà
tributaires des Romains.
CHAPITRE XXIV.
DES DERNIERS PROPRÈTES DES JUIFS.
Tout le temps qui s’écoula depuis leur retour jusqu’à
l’avénement du Sauveur, c’est-à-dire depuis Malachie, Aggée,
Zacharie et Esdras, ils n’eurent point de prophètes parmi eux. Zacharie,
père de saint Jean-Baptiste, et Elisabeth, sa femme, prophétisèrent
au temps de la naissance du Messie avec Siméon et Anne. On peut
y joindre saint Jean-Baptiste, qui fut le dernier des Prophètes,
et qui montra Jésus-Christ, s’il ne le prédit; ce qui a fait
dire à Notre-Seigneur que « la loi et les Prophètes
ont duré jusqu’à Jean1 ».
L’Evangile nous apprend aussi que là Vierge même prophétisa
avec saint Jean; mais les Juifs infidèles ne reçoivent point
ces prophéties, quoique reçues par tous ceux d’entre eux
qui ont embrassé notre religion. C’est véritablement à
cette époque qu’Israël a été divisé en
deux, de cette division immuable prédite par Samuel et Saut. Pour
Malachie, Aggée, Zacharie et Esdras, tous les Juifs les mettent
au nombre des livres canoniques; et il ne sera pas hors de propos d’en
rapporter quelques témoignages qui concernent Jésus-Christ
et son Eglise. Mais cela se fera plus commodément au livre suivant,
et il est temps de mettre un terme à
celui-ci.
1. Matt. XI, 13
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm