LIVRE SIXIÈME. : LES DIEUX PAÏENS.
Après avoir réfuté, dans les cinq livres qui précèdent,
ceux qui veulent qu’on adore les dieux en vue des intérêts
de la vie temporelle, saint Augustin discute contre ceux qui les adorent
pour les avantages de la vie éternelle. C’est à quoi sont
consacrés les cinq livres qui suivent. L’objet particulier de celui-ci
est de faire voir quelle basse idée se faisait des dieux Varron
lui-même, le plus autorisé entre les théologiens du
paganisme. Saint Augustin, s’appuyant sur la division que fait cet écrivain
de la théologie en trois espèces la théologie mythique,
la théologie naturelle et la théologie civile, démontre
que la théologie mythique et la théologie civile ne servent
de rien pour la félicité de la vie future.
LIVRE SIXIÈME. 1
PRÉFACE.
CHAPITRE PREMIER.
DE CEUX QUI PRÉTENDENT ADORER LES DIEUX, NON EN VUE DE LA VIE
PRÉSENTE, MAIS EN VUE DE LA VIE ÉTERNELLE.
CHAPITRE II.
SENTIMENT DE VARRON TOUCHANT LES DIEUX DU PAGANISME, QU’IL NOUS APPREND
A SI BIEN CONNAÎTRE, QU’IL LEUR EUT MIEUX MARQUÉ SON RESPECT
EN N’EN DISANT ABSOLUMENT RIEN.
CHAPITRE III.
PLAN DES ANTIQUITÉS DE VARRON.
CHAPITRE IV.
IL RÉSULTE DES DISSERTATIONS DE VARRON QUE LES ADORATEURS DES
FAUX DIEUX REGARDAIENT LES CHOSES HUMAINES COMME PLUS ANCIENNES QUE LES
CHOSES DIVINES.
CHAPITRE V.
DES TROIS ESPECES DE THEOLOGIES DISTLNGUEES PAR VARRON, L’UNE MYTHIQUE
L’AUTRE NATURELLE, ET L’AUTRE CIVILE.
CHAPITRE VI.
DE LA THEOLOGIE MYTHIQUE OU FABULEUSE ET DE LA THEOLOGIE CIVILE, CONTRE
VARRON_
CHAPITRE VII.
IL Y A RESSEMBLANCE ET ACCORD ENTRE LA THÉOLOGIE MYTHIQUE ET
LA THÉOLOGIE CIVILE.
CHAPITRE VIII.
DES INTERPRÉTATIONS EMPRUNTÉES A LA SCIENCE DE LA NATURE
PAR LES DOCTEURS DU PAGANISME, POUR JUSTIFIER LA CROYANCE AUX FAUX DIEUX.
CHAPITRE IX.
DES ATTRIBUTIONS PARTICULIÈRES DE CHAQUE DIEU.
CHAPITRE X.
DE LA LIBERTÉ D’ESPRIT DE SÉNÈQUE, QUI S’EST ÉLEVÉ
AVEC PLUS DE FORCE CONTRE LA THÉOLOGIE CIVILE QUE VARRON CONTRE
LA THÉOLOGIE FABULEUSE.
CHAPITRE XII.
IL RÉSULTE ÉVIDEMIRENT DE L’IMPUISSANCE DES DIEUX DES
GENTILS EN CE QUI TOUCHE LA VIE TEMPORELLE, QU’ILS SONT INCAPABLES DE DONNER
LA VIE ÉTERNELLE.
PRÉFACE.
Je crois avoir assez réfuté, dans les cinq livres précédents,
ceux qui pensent qu’on doit honorer d’un culte de latrie 1, lequel n’est
dû qu’au seul vrai Dieu, toutes ces fausses divinités, convaincues
par la religion chrétienne d’être de vains simulacres, des
esprits immondes ou des démons, en un mot, des créatures
et non le Créateur. Je n’ignore pas toutefois que ces cinq livres
et mille autres ne puissent suffire à satisfaire les esprits opiniâtres.
La vanité ne se fait-elle pas un point d’honneur de résister
à toutes les forces de la vérité? et cependant le
vice hideux de l’obstination tourne contre les malheureux mêmes qui
en sont subjugués. C’est une maladie incurable, non par la faute
du médecin, mais par celle du malade. Quant à ceux qui pèsent
ce qu’ils ont lu et le méditent sans opiniâtreté, ou
du moins sans trop d’attachement à leurs vieilles erreurs, ils jugeront,
j’espère, que nous avons plus que suffisamment résolu la
question pro. posée, et que le seul reproche qu’on nous puisse adresser
est celui d’une surabondance excessive. Je crois aussi qu’ils se convaincront
aisément que cette haine, qu’on excite contre la religion chrétienne
à l’occasion des calamités et des bouleversements du monde,
passion aveugle ressentie par des ignorants, mais que des hommes très-savants,
possédés par une rage impie, ont soin de fomenter contre
le témoignage de leur conscience, toute cette haine est l’ouvrage
de la légèreté et du dépit, et n’a aucun motif
raisonnable.
1. Nous avons dit plus haut (livre V, ch. 15) que la théologie
chrétienne distingue deux sortes de cultes : le culte de dulie (du
grec douleia), et le culte de latrie (du grec latreia). Sans insister sur
les différences d’étymologie, nous emprunterons à
saint Augustin lui-même (Quœst. in Exod., qu. 94) la définition
précise de ces deux cultes On doit à Dieu, dit-il, le culte
de doue à titre de Seigneur; on lui doit celui de latrie à
titre de Dieu et à ce titre seul » . — Voyez plus loin le
livre X, chap. 1.
CHAPITRE PREMIER.
DE CEUX QUI PRÉTENDENT ADORER LES DIEUX, NON EN VUE DE LA VIE
PRÉSENTE, MAIS EN VUE DE LA VIE ÉTERNELLE.
Ayant donc à répondre maintenant, selon l’ordre que je
me suis prescrit, à ceux qui soutiennent qu’il faut servir les dieux
dans l’intérêt de la vie à venir et non pour les biens
d’ici-bas, je veux entrer en matière par cet oracle véridique
du saint psalmiste: « Heureux celui qui a mis son espérance
dans le Seigneur et n’a point arrêté ses regards aux choses
vaines et aux trompeuses folies 1 ». Toutefois, au milieu des vanités
et des folies du paganisme, ce qu’il y a de plus supportable, c’est la
doctrine des philosophes qui ont méprisé les superstitions
vulgaires, tandis que la foule se prosternait aux pieds des idoles et,
tout en leur attribuant mille indignités, les appelait dieux
immortels et leur offrait un culte et des sacrifices. C’est avec ces esprits
d’élite qui, sans proclamer hautement leur pensée, l’ont
au moins murmurée à demi-voix dans leurs écoles, c’est
avec de tels hommes qu’il peut convenir de discuter cette question: faut-il
adorer, en vue de la vie future, un seul Dieu , auteur de toutes les créatures
spirituelles et corporelles, ou bien cette multitude de dieux qui n’ont
été reconnus par les plus excellents et les plus illustres
de ces philosophes qu’à titre de divinités secondaires créées
par le Dieu suprême et placées de sa propre main dans les
régions supérieures de l’univers 2?
Quant à ces dieux bien différents sur lesquels je me
suis expliqué au quatrième livre 3, et dont l’emploi est
restreint aux plus minces
1. Ps. XXXIX, 5.
2. Allusion à Platon. Voyez le Tirade, traduction française,
pages 131 et suiv.
3. Chap. 11 e 21.
(119)
objets, qui pourrait être reçu à soutenir qu’ils
soient capables de donner la vie éternelle? En effet, ces hommes
si habiles et si ingénieux, qui croient que le monde leur est fort
obligé de lui avoir appris ce qu’il faut demander à chaque
dieu, de peur que, par une de ces méprises ridicules dont on se
divertit à la comédie, on ne soit exposé à
demander de l’eau à Bacchus ou du vin aux nymphes 1, voudraient-ils
que celui qui s’adresse aux nymphes pour avoir du vin, sur cette réponse:
Nous n’avons que de l’eau à donner, adressez-vous à Bacchus,
— s’avisât de répliquer: Si vous n’avez pas de vin, donnez-moi
la vie éternelle ? — Se peut-il concevoir rien de plus absurde?
et en supposant que les nymphes, au lieu de chercher, en leur qualité
de démons, à tromper le malheureux suppliant, eussent envie
de rire (car ce sont de grandes rieuses 2), ne pourraient-elles pas lui
répondre: « Tu crois, pauvre homme, que nous disposons de
la vie, nous qui ne disposons même pas de la vigne! » C’est
donc le comble de la folie d’attendre la vie éternelle de ces dieux,
dont les fonctions sont tellement partagées, pour les objets mêmes
de cette vie misérable, et dont la puissance est si restreinte et
si limitée qu’on ne saurait demander à l’un ce qui dépend
de la fonction de l’autre, sans se charger d’un ridicule digne de la comédie.
On rit quand des auteurs donnent sciemment dans ces méprises , mais
il y a bien plus sujet de rire, quand des superstitieux y tombent par ignorance.
Voilà pourquoi de savants hommes ont écrit des traités
où ils déterminent pertinemment à quel dieu ou à
quelle déesse il convient de s’adresser pour chaque objet qu’on
peut avoir à solliciter: dans quel cas, par exemple, il faut avoir
recours à Bac-chus, dans quel autre cas aux nymphes ou à
Vulcain, et ainsi de tous les autres dont j’ai fait mention au quatrième
livre, ou que j’ai cru devoir passer sous silence. Or, si c’est une erreur
de demander du vin à Cérès, du pain à Bacchus,
de l’eau à Vulcain et du feu aux nymphes, n’est-ce pas une extravagance
de demander à aucun de ces dieux la vie éternelle?
Et en effet, si nous avons établi, en traitant aux livres précédents
des royaumes de la
1. Voyez plus haut, livre IV, chap. 22.
2. Allusion à ce ver, de Virgile (Egl., III, V. 9): Et faciles
nymphœ risere... Il est douteux que faciles ait ici le sens que lui donne
saint Augustin. Voyez Servius ad . Aeneid., I, 1.
terrre, que les plus grandes divinités du paganisme ne peuvent
pas même disposer des grandeurs d’ici-bas, je demande s’il ne faut
pas pousser l’impiété jusqu’à la folie pour croire
que cette foule de petits dieux seront capables de disposer à leur
gré de la vie éternelle, supérieure, sans aucun doute
et sans aucune comparaison, à toutes les grandeurs périssables?
Car, qu’on ne s’imagine pas que leur impuissance à disposer des
prospérités de la terre tient à ce que de tels objets
sont au-dessous de leur majesté et indignes de leurs soins, non;
si peu de prix qu’on doive attacher aux choses de ce monde, c’est l’indignité
de ces dieux qui les a fait paraître incapables d’en être les
dispensateurs. Or, si aucun d’eux, comme je l’ai prouvé, ne peut,
petit ou grand, donner à un mortel des royaumes mortels comme lui,
à combien plus forte raison ne saurait-il donner à ce mortel
l’immortalité?
Il y a plus, et puisque nous avons maintenant affaire à ceux
qui adorent les dieux, non pour la vie présente, mais pour la vie
future, ils doivent tomber d’accord qu’il ne faut pas du moins les adorer
en vue de ces objets particuliers qu’une vaine superstition assigne à
chacun d’eux comme son domaine propre; car ce système d’attributions
particulières n’a aucun fondement raisonnable, et je crois l’avoir
assez réfuté. Ainsi, alors même que les adorateurs
de Juventas jouiraient d’une jeunesse plus florissante, et que les contempteurs
de cette déesse mourraient ou se flétriraient avant le temps;
alors même que la Fortune barbue couvrirait d’un duvet agréable
les joues de ses pieux serviteurs et refuserait cet ornement à tout
autre ou ne lui donnerait qu’une barbe sans agrément, nous aurions
toujours raison de dire que le pouvoir de ces divinités est enfermé
dans les limites de leurs attributions, et par conséquent qu’on
ne doit demander la vie éternelle ni à Juventas, qui ne peut
même pas donner de la barbe, ni à la Fortune barbue, incapable
aussi de donner cet âge où la barbe vient au menton. Si donc
il n’est pas nécessaire de servir ces déesses pour obtenir
les avantages dont on leur attribue la disposition (car combien ont adoré
Juventas qui ont eu une jeunesse peu vigoureuse, tandis que d’autres, qui
ne l’adorent pas, jouissent de la plus grande vigueur? et combien aussi
invoquent la Fortune barbue sans avoir de barbe, ou l’ont si laide qu’ils
(119) prêtent à rire à ceux qui l’ont belle sans l’avoir
demandée ?), comment croire que le culte de ces dieux, inutile pour
obtenir des biens passagers, où ils président uniquement,
soit réellement utile pour obtenir la vie éternelle? Ceux-là
mêmes ne l’ont pas osé dire, qui, pour les faire adorer du
vulgaire ignorant, ont distribué à chacun son emploi, de
peur sans doute, vu leur grand nombre, qu’il n’y en eût quelqu’un
d’oisif.
CHAPITRE II.
SENTIMENT DE VARRON TOUCHANT LES DIEUX DU PAGANISME, QU’IL NOUS APPREND
A SI BIEN CONNAÎTRE, QU’IL LEUR EUT MIEUX MARQUÉ SON RESPECT
EN N’EN DISANT ABSOLUMENT RIEN.
Où trouver, sur cette matière, des recherches plus curieuses,
des découvertes plus savantes, des études plus approfondies
que dans Marcus Varron, en un mot, un traité mieux divisé,
plus soigneusement écrit et plus complet? Malgré l’infériorité
de son style, qui manque un peu d’agrément, il a tant de sens et
de solidité, qu’en tout ce qui regarde les sciences profanes, que
les païens nomment libérales, il satisfait ceux qui sont avides
de choses, autant que Cicéron charme ceux qui sont avides de beau
langage. J’en appelle à Cicéron lui-même, qui, dans
ses Académiques nous apprend qu’il a discuté la question
qui fait le sujet de son ouvrage, avec Varron 1, « l’homme, dit-il,
le plus pénétrant du monde et sans aucun doute le plus savant».
Remarquez qu’il ne dit pas le plus éloquent ou le plus disert, parce
qu’à cet égard l’infériorité de Varron est
grande, mais il dit le plus pénétrant, et ce n’est pas tout:
car il ajoute, dans un livre destiné à prouver qu’il faut
douter de tout: et sans aucun doute le plus savant, comme si le savoir
de Varron était la seule vérité dont il n’y eût
pas à douter, et qui pût faire oublier à l’auteur,
au moment de discuter le doute académique, qu’il était lui-même
académicien.
Dans l’endroit du premier livre où il vante les ouvrages de
Varron, il s’adresse ainsi à cet écrivain: « Nous étions
errants et comme étrangers dans notre propre pays; tes livres ont
été pour nous comme des hôtes qui nous ont ramenés
à la maison et nous ont
1. Les quatre livres des Académiques dédiés à
Varron sont perdus sauf un fragment du livre premier.
appris à reconnaître notre nom et notre demeure. Par toi
nous avons connu l’âge de notre patrie; par toi, l’ordre et la suite
des temps; par toi, les lois du culte et les attributions des pontifes;
par toi, la discipline privée et publique; par toi, la situation
des lieux et des empires; par toi, les noms, les espèces et les
fonctions des dieux; en un mot, les causes de toutes les choses divines
et humaines 1 ». Si donc ce personnage si excellent et si rare, dont
Térentianus a dit, dans un vers élégant et précis
2, qu’il était savant de tout point; si ce grand auteur, qui a tant
lu qu’on s’étonne qu’il ait eu le temps d’écrire, et qui
a plus écrit que personne ait peut-être jamais lu; si cet
habile et savant homme avait entrepris de combattre et de ruiner les institutions
dont il traite comme de choses divines, s’il avait voulu soutenir qu’il
se trouvait en tout cela plus de superstition que de religion, je ne sais,
en vérité, s’il aurait relevé plus qu’il n’a fait
de choses ridicules, odieuses et détestables. Mais comme il adorait
ces mêmes dieux, comme il croyait à la nécessité
de les adorer, jusque-là qu’il avoue dans son livre la crainte qu’il
a de les voir périr, moins par une invasion étrangère
que par la négligence de ses concitoyens, et déclare expressément
n’avoir d’autre but que de les sauver de l’oubli en les mettant sous la
sauvegarde de la mémoire des gens de bien (précaution plus
utile, en effet, que le dévouement de Métellus pour arracher
la statue de Vesta à l’incendie 3, ou que celui d’Énée
pour dérober ses dieux pénates à la ruine de Troie),
comme une laisse pas toutefois de conserver à la postérité
des traditions contraires à la piété, et à
ce titre également réprouvées par les savants et par
les ignorants, que pouvons-nous penser, sinon que cet écrivain,
d’ailleurs si habile et si pénétrant, mais que le Saint-Esprit
n’avait pas rendu à la liberté, succombait sous le poids
de la coutume et des lois de son pays, et toutefois, sous prétexte
de rendre la religion plus respectable, ne voulait pas faire ce qu’il y
trouvait à blâmer?
1. Cicéron, Acad. quaest., lib. I, cap. 3.
2. Voyez le traité de Térentianus; De metris, section
des vers phaleuques. -
3. Voyez plus haut, livre III, ch, 18.
(120)
CHAPITRE III.
PLAN DES ANTIQUITÉS DE VARRON.
Les Antiquités de Varron 1 forment quarante et un livres: vingt-cinq
sur les choses humaines et seize sur les choses divines. Le Traité
des choses humaines est divisé en quatre parties, suivant que l’on
considère les personnes, les temps, les lieux et les actions. Sur
chacun de ces objets il y a six livres; en tout vingt-quatre, plus un premier
livre, qui est une introduction générale. Varron suit le
même ordre pour les choses divines: considérant tour à
tour les personnes qui sacrifient aux dieux, les temps, les lieux où
elles sacrifient et les sacrifices eux-mêmes, il maintient exactement
cette distinction subtile et emploie trois livres pour chacun de ces quatre
objets; ce qui fait en tout douze livres. Mais comme il fallait dire aussi
à qui sont offerts les sacrifices, car c’est là le point
le plus intéressant, il aborde cette matière dans les trois
derniers livres, où il parle des dieux. Ajoutez ces trois livres
aux douze précédents, et joignez-y encore un livre d’introduction
sur les choses divines considérées en général,
voilà les seize livres dont j’ai parlé. Dans ce qui regarde
les choses divines, sur les trois livres qui traitent des personnes, le
premier parle des pontifes; le second, des augures ; le troisième,
des quindécemvirs 2. Aux trois suivants, qui concernent les lieux,
Varron traite premièrement des autels privés; secondement,
des temples; troisièmement, des lieux sacrés. Viennent ensuite
les trois livres sur les temps, c’est-à-dire sur les jours de fêtes
publiques, où il parle d’abord des jours fériés, puis
des jeux scéniques. Enfin, les trois livres qui concernent les sacrifices
traitent successivement des consécrations, des sacrifices domestiques
et des sacrifices publics. Tout cela forme une espèce de pompe religieuse
où les dieux marchent les derniers à la suite du cortége;
car il reste encore trois livres pour terminer l’ouvrage: l’un sur les
dieux certains, l’autre sur
1.Cet ouvrage est perdu, sauf quelques rares et courts fragments, tirés
pour la plupart de saint Augustin.
2. On préposa d’abord deux magistrats nommés duumviri
sacroram à la lecture des livres sacrés et à l’interprétation
des oracles sibyllins. (Voyez Denys d’Halic., Antiq. lib. IV, cap. 62.)
Plus tard on porta le nombre de ces magistrats à dix, decemviri
sacrorum. (Voyez Tite-Live, livre VI, chap. 37, 42.) Enfin vers le temps
de Sylla, il y eut quinze magistrats nommées quindecemviri sacrorum.
Ce sont ceux dont parlent Vairon et salut Augustin. (Voyez Servius ad Aeneid.,
lib. VI, V. 73.)
les dieux incertains et le dernier sur les dieux principaux et choisis.
CHAPITRE IV.
IL RÉSULTE DES DISSERTATIONS DE VARRON QUE LES ADORATEURS DES
FAUX DIEUX REGARDAIENT LES CHOSES HUMAINES COMME PLUS ANCIENNES QUE LES
CHOSES DIVINES.
Il résulte déjà très-clairement de ce que
nous avons dit, une conséquence qui deviendra plus claire encore
par ce qui nous reste à dire: c’est que pour tout homme qui n’est
point opiniâtre jusqu’à devenir ennemi de soi-même,
il y aurait de l’impudence à s’imaginer que toutes ces belles et
savantes divisions de Varron aient quelque pouvoir pour faire espérer
la vie éternelle. Qu’est-ce, en effet, que tout cela, sinon des
institutions tout humaines ou des inventions des démons? Et je ne
parle pas des démons que les païens appellent bons démons;
je parle de ces esprits immondes et sans contredit malfaisants, qui répandent
en secret dans l’esprit des impies des opinions pernicieuses, et quelquefois
les confirment ouvertement par leurs prestiges, afin d’égarer les
hommes de plus en plus, et de les empêcher de s’unir à la
vérité éternelle et immuable. Varron lui-même
l’a si bien senti qu’il a placé dans son livre les choses humaines
avant les choses divines, donnant pour raison que ce sont les sociétés
qui ont commencé à s’établir, et qu’elles ont ensuite
établi les cultes. Or, la vraie religion n’est point une institution
de quelque cité de la terre; c’est elle qui forme la Cité
céleste, et elle est inspirée par le vrai Dieu, arbitre de
la vie éternelle, qui enseigne lui-même la vérité
à ses adorateurs.
Varron avoue donc que s’il a placé les choses humaines avant
les divines, c’est que celles-ci sont l’ouvrage des hommes, et voici comment
il raisonne: « De même, dit-il, que le peintre existe avant
son tableau et l’architecte avant son édifice, ainsi les sociétés
existent avant les institutions sociales ». Il ajoute qu’il aurait
parlé des dieux avant de parler des hommes, s’il avait voulu dans
son livre embrasser toute la nature divine ; comme s’il ne traitait que
d’une partie de la nature divine et non de cette nature tout entière
! et comme si même une partie de la nature divine ne devait pas être
mise avant la nature (121) humaine! Mais puisque dans les trois livres
qui terminent son ouvrage, il classe les dieux d’une façon si exacte
en certains, incertains et choisis, ne semble-t-il pas avoir voulu ne rien
omettre dans la nature divine? Que vient-il donc nous dire , que s’il eût
embrassé la nature divine tout entière, il eût parlé
des dieux avant de parler des hommes?car enfin, de trois choses l’une:
ou il traite de touts la nature divine, ou bien il traite d’une partie,
ou enfin ce dont il traite n’est rien de la nature divine. S’il traite
de la nature divine tout entière, elle doit sans nul doute avoir
sur la nature humaine la priorité; s’il traite d’une partie de la
nature divine, pourquoi la priorité ne lui serait-elle pas acquise
également? Est-ce que toute partie quelconque de la nature divine
ne doit pas être mise au-dessus de la nature humaine? En tout cas,
si c’est trop faire pour une partie de la nature divine que de la préférer
à la nature humaine tout entière, du moins fallait-il la
préférer à ce qui n’est qu’une partie des choses humaines,
je veux dire aux institutions des Romains; car les livres de Varron regardent
Rome et non pas toute l’humanité. Et cependant il croit bien faire
d’ajourner les choses divines, sous prétexte que le peintre précède
son tableau et l’architecte son édifice; n’est-ce pas avouer nettement
que ce qu’il appelle choses divines n’est à ses yeux, comme la peinture
et l’architecture, que l’ouvrage des hommes? Il ne reste donc plus que
la troisième hypothèse, savoir, que l’objet de son traité
n’est rien de divin, et voilà ce dont il ne serait pas convenu ouvertement,
mais ce qu’il a peut-être voulu faire entendre aux esprits éclairés.
En effet, il se sert d’une expression équivoque, qui veut dire,
dans le sens ordinaire, que l’objet de son traité n’est pas toute
la nature- divine, mais qui peut signifier aussi que ce n’est rien de vraiment
divin. Dans le fait, s’il avait traité de toute la nature divine,
le véritable ordre était, il en convient lui-même,
de la placer avant la nature humaine; et comme il est clair d’ailleurs,
sinon par le témoignage de Varron, du moins par l’évidence
de la vérité, que dans le cas même où il n’aurait
voulu traiter que d’une partie de la nature divine, elle devait encore
avoir la priorité, il s’ensuit finalement que l’objet dont il traite
n’a rien de véritablement divin. Dès lors, il ne faut pas
dire que Varron a voulu préférer les choses humaines aux
choses divines; il faut dire qu’il n’a pas voulu préférer
des choses fausses à des choses vraies. Car dans ce qu’il écrit
touchant les choses humaines, il suit l’ordre des événements,
au lieu qu’en traitant des choses divines, qu’a-t-il suivi, sinon des opinions
vaines et fantastiques? Et c’est ce qu’il a voulu finement insinuer, non-seulement
par l’ordre qu’il a suivi, mais encore par la raison qu’il en donne. Peut-être,
s’il eût suivi cet ordre sans en dire la raison, nierait-on qu’il
ait eu aucune intention semblable; mais, parlant comme il fait, on ne peut
lui supposer aucune autre pensée, et il a fait assez voir qu’il
a voulu placer les hommes avant les institutions des hommes, et non pas
la nature humaine avant la nature des dieux. Ainsi il a reconnu que l’objet
de son traité des choses divines n’est pas la vérité
qui a son fondement dans la nature, mais la fausseté qui a le sien
dans l’erreur. C’est ce qu’il a déclaré ailleurs d’une façon
plus formelle encore, comme je l’ai rappelé dans mon quatrième
livre 1, quand il dit que s’il avait à fonder un Etat nouveau, il
traiterait des dieux selon les principes de la nature; mais que, vivant
dans un Etat déjà vieux, il ne pouvait que suivre la coutume.
CHAPITRE V.
DES TROIS ESPECES DE THEOLOGIES DISTLNGUEES PAR VARRON, L’UNE MYTHIQUE
L’AUTRE NATURELLE, ET L’AUTRE CIVILE.
Que signifie-cette division de la théologie ou science des dieux
en trois espèces: l’une mythique, l’autre physique, et l’autre civile
? Le nom de théologie fabuleuse conviendrait assez à la première
espèce, mais je veux bien l’appeler mythique, du grec muthos, qui
signifie fable. Appelons aussi la seconde espèce indifféremment
physique ou naturelle, puisque l’usage l’autorise 2 et, quant à
la troisième espèce, à-la théologie politique,
nommée par Varron civile, il n’y a pas de difficulté. Voici
comment il s’explique à cet égard: « On appelle mythique
la théologie des poëtes, physique, celle des philosophes, et
civile, celle des peuples».— « Or», poursuit-il, «
dans la première espèce de théologie, il se rencontre
beaucoup de fictions contraires à la dignité
1. Au chap. 31.
2. On sait que le latin physicus vient du grec phusikos, naturel, dont
la racine est phusis, nature.
(122)
et à la nature des dieux immortels, comme, par exemple, la naissance
d’une divinité qui
sort du cerveau d’une autre divinité, ou de sa cuisse, ou de
quelques gouttes de son sang;
ou bien encore un dieu voleur, un dieu adultère, un dieu serviteur
de l’homme. Et pour tout dire, on y attribue aux dieux tous les désordres
où tombent les hommes et même les hommes les plus infâmes
1 ». Ainsi, quand Varron le peut, quand il l’ose, quand il parle
avec la certitude de l’impunité, il s’explique sans détour
sur l’injure faite à la divinité par les fables mensongères;
car il ne s’agit pas ici de la théologie naturelle ou de la théologie
civile, mais seulement de la théologie mythique, et c’est pourquoi
il a cru pouvoir la censurer librement. Voyons maintenant son opinion sur
la théologie naturelle : « La seconde espèce de théologie
que j’ai distinguée, dit-il, a donné matière à
un grand nombre de livres où les philosophes font des recherches
suries dieux, sur leur nombre, le lieu de leur séjour, leur nature
et leurs qualités : sont-ils éternels ou ont-ils commencé?
tirent-ils leur origine du feu, comme le croit Héraclite, ou des
nombres, suivant le système de Pythagore, ou des atomes, ainsi qu’Épicure
le soutient? et autres questions semblables, qu’il est plus facile de discuter
dans l’intérieur d’une école que dans le forum ». On
voit que Varron ne trouve rien à redire dans cette théologie
naturelle, propre aux philosophes; il remarque seu1ement la diversité
de leurs opinions, qui a fait naître tant de sectes opposées,
et cependant il bannit la théologie naturelle du forum et la renferme
dans les écoles, tandis qu’il n’interdit pas au peuple la première
espèce de théologie, qui est toute pleine de mensonges et
d’infamies. O chastes oreilles du peuple, et surtout du peuple romain!
elles ne peuvent entendre les discussions des philosophes sur les dieux
immortels; mais que les poètes chantent leurs fictions, que- des
histrions les jouent, que la nature des dieux soit altérée,
que leur majesté soit avilie par des récits qui les font-
tomber au niveau des hommes les, plus infâmes, on supporte tout cela;
que dis-je? on l’écoute avec joie ; et on s’imagine que ces scandales
sont agréables aux dieux et contribuent à les rendre favorables!
1. Comparez le sentiment de Varron sur les diverses espèces
de théologie, avec celui du pontife Scévola (plus haut, livre
IV, ch. 27)
On me dira peut-être: Sachons distinguer la théologie
mythique ou fabuleuse et la théologie physique ou naturelle de la
théologie civile, comme fait Varron lui-même, et cherchons
ce qu’il pense de celle-ci. Je réponds qu’en effet il y a de bonnes
raisons de mettre à part la théologie fabuleuse : c’est qu’elle
est fausse, c’est qu’elle est infâme, c’est qu’elle est indigne;
mais séparer la théologie naturelle de la théologie
civile, n’est-ce pas avouer que la théologie civile est fausse?
Si, en effet, la théologie civile est conforme à la nature,
pourquoi écarter la théologie naturelle? Si elle ne lui est
pas conforme, à quel titre la reconnaître pour vraie-? Et
voilà pourquoi Varron a fait passer les choses humaines avant les
choses divines; c’est qu’en traitant de celles-ci, il ne s’est pas conformé
à la nature des dieux, mais aux institutions des hommes. Examinons
toutefois cette théologie civile: « La troisième espèce
de théologie, dit-il, est celle que les citoyens, et surtout les
prêtres, doivent connaître et pratiquer. Elle consiste à
savoir quels sont les dieux qu’il faut adorer publiquement, et à
quelles cérémonies, à quels sacrifices chacun est,
obligé». Citons encore ce qu’ajoute Varron : «La première
espèce de théologie convient au théâtre, la
seconde au monde, la troisième à la cité». Qui
ne voit à laquelle des trois il donne la préférence?
Ce ne peut être qu’à la seconde, qui est celle des philosophes.
Elle se rapporte en effet au monde, et, suivant les philosophes, il n’y
a rien de plus excellent que le monde. Quant aux deux autres espèces
de théologie, celle du théâtre et celle de la cité,
on ne sait s’il les distingue ou s’il les confond. En effet, de ce qu’un
ordre de choses appartient à la cité, il ne s’ensuit pas
qu’il appartienne au monde, quoique la cité soit dans le monde,
et il peut arriver que sur de fausses opinions on croie et on adore dans
la cité des objets qui ne sont ni dans le monde, ni hors du monde.
Je demande en outre où est le théâtre, sinon dans la
cité? et pourquoi on l’a établi, sinon à cause des
jeux scéniques? et à quoi se rapportent les jeux scéniques,
sinon aux choses divines, qui ont tant exercé la sagacité
de Varron?
CHAPITRE VI.
DE LA THEOLOGIE MYTHIQUE OU FABULEUSE ET DE LA THEOLOGIE CIVILE, CONTRE
VARRON
O Marcus Varron ! tu es le plus pénétrant et (123) sans
aucun doute le plus savant des hommes, mais tu n’es qu’un homme, tu n’es
pas Dieu, et même il t’a manqué d’être élevé
par l’Esprit de Dieu à ce degré de lumière et de liberté
qui rend capable de connaître et d’annoncer les choses divines; tu
vois clairement qu’il faut séparer ces grands objets d’avec les
folies et les mensonges des hommes; mais tu crains de heurter les fausses
opinions du peuple et les superstitions autorisées par la coutume;
et cependant, quand tu examines de près ces vieilles croyances,
tu reconnais à chaque page et tu laisses partout éclater
combien elles te paraissent contraires à la nature des dieux, même
de ces dieux imaginaires tels que se les figure, parmi les éléments
du monde, la faiblesse de l’esprit humain. Que fait donc ici le génie
de l’homme et même le génie le plus excellent? A quoi te sert,
Varron, toute cette science si variée et si profonde pour sortir
de l’inévitable alternative où tu es placé? tu voudrais
adorer les dieux de la nature et tu es contraint d’adorer ceux de la cité
! Tu as rencontré, à la vérité, d’autres dieux,
les dieux de la fable, sur lesquels tu décharges librement ta réprobation;
mais tous les coups que tu leur portes retombent sur les dieux de la politique.
Tu dis, en effet, que les dieux fabuleux conviennent au théâtre,
les dieux naturels au monde et les dieux civils à l’Etat; or, le
monde n’est-il pas une oeuvre divine, tandis que le théâtre
et l’Etat sont des oeuvres humaines; et les dieux dont on rit au théâtre
ou à qui l’on consacre des jeux, sont-ils d’autres dieux que ceux
qu’on adore dans les temples de l’Etat et à qui on offre des sacrifices?
Combien il eût été plus sincère et même
plus habile de diviser les dieux en deux classes, les dieux naturels et
les dieux d’institution humaine, en ajoutant, quant à ceux-ci, que
si les poètes et les prêtres n’en parlent pas de la même
manière, il y ace point commun entre eux que ce qu’ils en disent
est également faux et par conséquent également agréable
aux démons, ennemis de la vérité!
Laissons donc un moment de côté la théologie physique
ou naturelle, et dis-moi s’il te semble raisonnable de solliciter et d’attendre
la vie éternelle de ces dieux de théâtre et de comédie?
Le vrai Dieu nous garde d’une si monstrueuse et si sacrilége pensée!
Quoi ! nous demanderions la vie éternelle à des diem qui
se plaisent au spectacle de leurs crimes, cl qu’on ne peut apaiser que
par ces infamies !
Non, personne ne poussera le délire jusqu’à se jeter
dans cet abîme d’impiété. La vie éternelle ne
peut donc s’obtenir ni par la théologie fabuleuse ni par la théologie
civile. L’une, en effet, imagine des fictions honteuses et l’autre les
protège; l’une sème, l’autre moissonne; l’une souille les
choses divines par les crimes qu’elle invente à plaisir, l’autre
met au rang des choses divines les jeux où ces crimes sont représentés;
l’une célèbre en vers les fictions abominables des hommes,
l’autre les consacre aux dieux mêmes par des fêtes solennelles;
l’une chante les infamies des dieux et l’autre s’y complaît; l’une
les dévoile ou les invente, l’autre les atteste pour vraies, ou,
quoique fausses, y prend plaisir; toutes deux impures, toutes deux détestables,
la théologie effrontée du théâtre étale
son impudicité, et la théologie élégante de
la cité se pare de cet étalage. Encore une fois, ira-t-on
demander la vie éternelle à une théologie qui souille
cette courte et passagère vie? ou, tout en avouant que la compagnie
des méchants souille la vie temporelle par la contagion de leurs
exemples, soutiendra-t-on que la société des démons,
à qui l’on fait un culte de leurs propres crimes, n’a rien de contagieux
ni de corrupteur? Si ces crimes sont vrais, que de malice dans les démons!
s’ils sont faux, que de malice dans ceux qui les adorent!
Mais peut-être ceux qui ne sont point versés dans ces
matières s’imagineront-ils que c’est seulement dans les poètes
et sur le théâtre que la majesté divine est profanée
par des fictions et des représentations abominables ou ridicules,
et que les mystères où président, non des histrions,
mais des prêtres, sont purs de ces turpitudes. Si cela était,
on n’eût jamais
pensé qu’il fallût faire des infamies du théâtre
des cérémonies honorables aux dieux, et jamais les dieux
n’eussent demandé de tels honneurs. .Ce qui fait qu’on ne rougit
point de les honorer ainsi sur la scène, c’est qu’on n’en rougit
pas dans les temples. Aussi, quand Varron s’efforce de distinguer la théologie
civile de la fabuleuse et de la naturelle, comme une troisième espèce,
il donne pourtant assez à entendre qu’elle est plutôt mêlée
de l’une et de l’autre que véritablement distincte de toutes deux.
Il dit en effet que les fictions des poètes sont indignes de la
croyance des peuples, et que les systèmes des philosophes sont au-dessus
de leur portée. « Et cependant», (124) ajoute-t-il,
« malgré la divergence de la théologie des poëtes
et de celle des philosophes, on a beaucoup pris à l’une et à
l’autre pour composer la théologie civile. C’est pourquoi, en traitant
de celle-ci, nous indiquerons ce qu’elle a de commun avec la théologie
des poètes, quoiqu’elle doive garder un lien plus intime avec la
théologie des philosophes». La théologie civile n’est
donc pas sans rapport avec la théologie des poètes. Il dit
ailleurs, j’en conviens, que dans les généalogies des dieux,
les peuples ont consulté beaucoup plus les poètes que les
philosophes; mais c’est qu’il parle tantôt de ce qu’on doit faire,
et tantôt de ce qu’on fait. Il ajoute que les philosophes ont écrit
pour être utiles et les poëtes pour être agréables.
Par conséquent, ce que les poètes ont écrit, ce que
les peuples ne doivent point imiter, ce sont les crimes des dieux, et cependant
c’est à quoi les peuples et les dieux prennent plaisir; car c’est
pour faire plaisir et non pour être utiles que les poètes
écrivent, de son propre aveu, ce qui ne les empêche pas d’écrire
les fictions que les dieux réclament des peuples et que les peuples
consacrent aux dieux.
CHAPITRE VII.
IL Y A RESSEMBLANCE ET ACCORD ENTRE LA THÉOLOGIE MYTHIQUE ET
LA THÉOLOGIE CIVILE.
Il est donc vrai que la théologie mythique, cette théologie
de théâtre, toute pleine de turpitudes et d’indignités,
se ramène à la théologie civile, de sorte que celle
des deux qu’on réprouve et qu’on rejette n’est qu’une partie de
celle qu’on juge digne d’être cultivée et pratiquée.
Et quand je dis une partie, je n’entends pas une partie jointe à
l’ensemble par un lien artificiel et comme attachée de force; j’entends
une partie homogène unie à toutes les autres comme le membre
d’un même corps. Voyez, en effet, les statues des dieux dans les
temples; que signifient leurs figures, leur âge, leur sexe, leurs
ornements, sinon ce qu’en disent les poètes? Si les poètes
ont un Jupiter barbu et un Mercure sans barbe, les pontifes ne les ont-ils
pas de même? Priape a-t-il des formes plus obscènes chez les
histrions que chez les prêtres, et n’est-il pas, dans les temples
où on adore l’image de sa personne, ce qu’il est sur le théâtre
où on rit du spectacle de ses mouvements? Saturne n’est-il pas vieux
et Apollon jeune sur les autels comme sur la scène? Pourquoi Forculus,
qui préside aux portes, et Limentinus, qui préside au seuil,
sont-ils mâles, tandis que Cardéa, qui veille sur les gonds,
est femelle 1? N’est-ce pas dans les livres des choses divines qu’on lit
tous ces détails que la gravité des poètes n’a pas
jugé dignes de leurs chants? N’y a-t-il que la Diane des théâtres
qui soit armée, et celle des temples est-elle vêtue en simple
jeune fille? Apollon n’est-il joueur de lyre que sur la scène, et
à Delphes ne l’est-il plus? Mais tout cela est encore honnête
en comparaison du reste, Car Jupiter lui-même, quelle idée
s’en sont faite ceux qui ont placé sa nourrice 2 au Capitole? n’ont-ils
pas de la sorte confirmé le sentiment d’Évhémère
3, qui a soutenu, eu historien exact et non en mythologue bavard, que tous
les dieux ont été originairement des hommes? Et de même
ceux qui ont donné à Jupiter des dieux pour commensaux et
pour parasites, n’ont-il pas tourné le culte des dieux en bouffonnerie?
Supposez qu’un bouffon s’avise de dire que Jupiter a des parasites à
sa table, on croira qu’il veut égayer le public. Eh bien! c’est
Varron qui dit cela, et Varron ne veut pas faire rire aux dépens
des dieux, il veut les rendre respectables; Varron ne parle pas des choses
humaines, mais des choses divines, et ce dont il est question ce n’est
pas le théâtre et ses jeux, c’est le Capitole et ses droits.
Aussi bien la force de la vérité contraint Varron d’avouer
que le peuple, ayant donné aux dieux la forme humaine, a été
con(luit à se persuader qu’ils étaient sensibles aux plaisirs
de l’homme.
D’un autre côté, les esprits du mal ne manquaient pas
à leur rôle et avaient soin de confirmer par leurs prestiges
ces pernicieuses superstitions. C’est ainsi qu’un gardien du temple d’Hercule,
étant un jour de loisir et désoeuvré, se mit à
jouer aux dés tout seul, d’une main pour Hercule et de l’autre pour
lui, avec cette condition que s’il gagnait, il se donnerait un souper et
une maîtresse aux dépens du temple, et que si la chance tournait
du côté d’Hercule, il le régalerait du souper et de
la maîtresse à ses dépens. Ce fut Hercule qui gagna,
et le gardien, fidèle à sa promesse,
1. Voyez plus haut, livre IV, chap. 9.
2. La chèvre Amalthée.
3. Evhémère, de Messine ou de Messène, florissait
vers 314 avant Jésus-Christ. Il avait exposé sa théorie
de l’origine des dieux dans un ouvrage intitulé Histoire sacrée,
dont il ne reste rien, si ce n’est quelques fragmente de la traduction
latine qu’en avait faite Ennius.
(125)
lui offrit le souper convenu et la fameuse courtisane Larentina. Or,
celle-ci, s’étant endormie dans le temple, se vit en songe entre
les bras du dieu, qui lui dit que le premier jeune homme qu’elle rencontrerait
en sortant lui payerait la dette d’Hercule. Et en effet elle rencontra
un jeune homme fort riche nommé Tarutius qui, après avoir
vécu fort longtemps avec-elle, mourut en lui laissant tous ses biens.
Maîtresse d’une grande fortune, Larentina, pour ne pas être
ingrate envers le ciel, institua le peuple romain son héritier;
puis elle disparut, et on trouva son testament, en faveur duquel on lui
décerna les honneurs divins 1.
Si les poëtes imaginaient de pareilles aventures et si les comédiens
les représentaient, on ne manquerait pas de dire qu’elles appartiennent
à la théologie mythique et n’ont rien à démêler
avec la gravité de la théologie civile. Mais lorsqu’un auteur
si célèbre rapporte ces infamies, non comme des fictions
de poètes, mais comme la religion des peuples, non comme des bouffonneries
de théâtre et de comédiens, mais comme les mystères
sacrés du temple; quand, en un mot, il les rapporte, non à
la théologie fabuleuse, mais à la théologie civile,
je dis alors que ce n’est pas sans raison que les histrions représentent
sur la scène les turpitudes des dieux, mais que c’est sans raison
que les prêtres veulent donner aux dieux dans leurs mystères
une honnêteté qu’ils n’ont pas. Quels mystères, dira-t-on?
Je parle des mystères de Junon, qui se célèbrent dans
son île chérie de Samos, où elle épousa Jupiter;
je parle des mystères de Cérès, cherchant Proserpine
enlevée par Pluton ; je parle des mystères de Vénus,
où l’on pleure la mort du bel Adonis, son amant, tué par
un sanglier; je parle enfin des mystères de la mère des dieux,
où des eunuques, nommés Galles, déplorent dans leur
propre infortune celle du charmant Atys, dont la déesse était
éprise et qu’elle mutila par jalousie 2. En vérité,
le théâtre a-t-il rien de plus obscène? et s’il en
est ainsi, de quel droit vient-on nous dire que les fictions des poètes
conviennent à la scène, et qu’il faut les séparer
de la théologie civile
1. Saint Augustin s’appuie probablement ici sur le passage, aujourd’hui
perdu, de Varron (De ling, lat., lib VI, § 23), où il était
question des fêtes appelées Larentinalia. Voyez Plutarque,
Quœst. Rom., qu. 35; et Lactance, Instit., lib. I, cap. 20.
2. Il s’agit ici des mystères de Cybèle, déesse
d’origine phrygienne, dont les prêtres s’appelaient Galles, du nom
d’un fleuve de Phrygie, suivant Pline, lib. V, cap. 22. Voyez Ovide, Fastes,
liv. IV, vers 364 et suiv.; et plus bas saint Augustin, livre VII, ch.
25 et 26.
qui convient à l’Etat, comme on sépare ce qui est impur
et honteux de ce qui est honnête et pur? Il faudrait plutôt
remercier les comédiens d’avoir épargné la pudeur
publique en ne dévoilant pas sur le théâtre toutes
les impuretés que cachent les temples. Que penser de bon des mystères
qui s’accomplissent dans les ténèbres, quand les spectacles
étalés au grand jour sont si détestables? Au surplus,
ce qui se pratique dans l’ombre par le ministère de ces hommes mous
et mutilés, nos adversaires le savent mieux que nous; mais ce qu’ils
n’ont pu laisser dans l’ombre, c’est la honteuse corruption de leurs misérables
eunuques. Qu’ils persuadent à qui voudra qu’on fait des oeuvres
saintes avec de tels instruments; car enfin ils ont mis les eunuques au
nombre des institutions qui se rapportent à la sainteté.
Pour nous, nous ne savons pas quelles sont les oeuvres des mystères,
mais nous savons quels en sont les ouvriers; nous savons aussi ce qui se
fait sur la scène, où jamais pourtant eunuque n’a paru, même
dans le choeur des courtisanes, bien que les comédiens soient réputés
infâmes
et que leur profession ne passe pas pour compatible avec l’honnêteté.
Que faut-il donc penser de ces mystères où la religion choisit
pour ministres des hommes que l’obscénité du
théâtre ne peut accueillir ?
CHAPITRE VIII.
DES INTERPRÉTATIONS EMPRUNTÉES A LA SCIENCE DE LA NATURE
PAR LES DOCTEURS DU PAGANISME, POUR JUSTIFIER LA CROYANCE AUX FAUX DIEUX.
Mais, dit-on, toutes ces fables ont un sens caché et des explications
fondées sur la science de la nature, ou, pour prendre leur langage,
des explications physiologiques 1. Comme s’il s’agissait ici de physiologie
et non de théologie, de la nature et non de Dieu! Et sans doute,
le vrai Dieu est Dieu par nature et non par opinion, mais il ne s’ensuit
pas que toute nature soit Dieu; car l’homme, la bête, l’arbre, la
pierre ont une nature, et Dieu n’est rien de tout cela 2. A ne parler en
ce moment que des mystères de la mère des dieux, si le fond
de ce système d’interprétation se réduit à
prétendre que la mère des dieux est le symbole
1. Allusion évidente aux stoïciens qui ramenaient la mythologie
à leur physiologie, c’est-à-dire à leur théologie
générale de la nature.
2. Pour entendre ici saint Augustin, il faut se souvenir que les stoïciens
identifiaient la nature et Dieu leur physiologie était panthéiste.
(126)
de la terre, qu’avons-nous besoin d’une plus longue discussion? Est-il
possible de donner plus ouvertement raison à ceux qui veulent que
tous les dieux du paganisme aient été des hommes? N’est-ce
pas dire que les dieux sont fils de la terre, que la terre est la mère
des dieux? Or, dans la vraie théologie, la terre n’est pas la mère
de Dieu, elle est son ouvrage. Mais qu’ils interprètent leurs mystères
comme il leur plaira, ils auront beau vouloir les ramener à la nature
des choses, il ne sera jamais dans la nature que des hommes servent des
femmes; et ce crime, cette maladie, cette honte sera toujours une chose
contre nature. Cela est si vrai qu’on arrache avec peine par les tortures
aux hommes les plus vicieux l’aveu d’une prostitution dont on fait profession
dans les mystères. Et d’ailleurs, si on excuse ces turpitudes, plus
détestables encore que celles du théâtre, sous prétexte
qu’elles sont des symboles de la nature, pourquoi ne pas excuser également
les fictions des poètes? car on leur a appliqué le même
système d’interprétation, et, pour ne parler que de la plus
monstrueuse et la plus exécrable de ces fictions, celle de Saturne
dévorant ses enfants, n’a-t-on pas soutenu que cela devait s’entendre
du temps, qui dévore tout ce qu’il enfante, ou, selon Varron, des
semences qui retombent sur la terre d’où elles sont sorties 1? Et
cependant on donne à cette théologie le nom de fabuleuse,
et malgré les interprétations les plus belles du monde, on
la condamne, on la réprouve, on la répudie, et on prétend
la séparer, non-seulement de la théologie physique, mais
aussi de la théologie civile, de la théologie des cités
et des peuples, sous prétexte que ses fictions sont indignes de
la nature des dieux. Qu’est-ce à dire, sinon que les habiles et
savants hommes qui ont écrit sur ces matières réprouvaient
également du fond de leur âme la théologie fabuleuse
et la théologie civile? mais ils osaient dire leur pensée
sur la première et n’osaient pas la dire sur l’autre. C’est pourquoi,
après avoir livré à la critique la théologie
fabuleuse, ils ont laissé voir que la théologie civile lui
ressemble parfaitement; de telle sorte qu’au lieu de préférer
celle-ci à celle-là, on les rejetât toutes deux; et
ainsi, sans effrayer ceux qui craignaient de nuire à
1. Selon Varron, Saturne vient de satus, semences. Voyez De lingua
lat., lib. V, § 64. Comp. Cicéron, De nat. deor., lib. II,
cap. 25; lib. III, cap. 24.
la théologie civile, on conduisait insensiblement les meilleurs
esprits à substituer la théologie des philosophes à
toutes les autres. En effet, la théologie civile et la théologie
fabuleuse sont également fabuleuses et également civiles;
toutes deux fabuleuses, si l’on regarde avec attention les folies et les
obscénités de l’une et de l’autre; toutes deux civiles, si
l’on considère que les jeux scéniques, qui sont du domaine
de la théologie fabuleuse, font partie des fêtes des dieux
et de la religion de l’Etat. Comment se fait-il donc qu’on vienne attribuer
le pouvoir de donner la vie éternelle à ces dieux convaincus,
par leurs statues et par leurs mystères, d’être semblables
aux divinités ouvertement répudiées de la fable, et
d’en avoir la figure, l’âge, le sexe, le vêtement, les mariages,
les générations et les cérémonies : toutes
choses qui prouvent que ces dieux ont été des hommes à
qui l’on a consacré des fêtes et des mystères par l’instigation
des démons, selon les accidents de leur vie et de leur mort, ou
du moins que ces esprits immondes n’ont manqué aucune occasion d’insinuer
dans les esprits leurs tromperies et leurs erreurs.
CHAPITRE IX.
DES ATTRIBUTIONS PARTICULIÈRES DE CHAQUE DIEU.
Que dire de ces attributions partagées entre les dieux d’une
façon si minutieuse et si mesquine, et dont nous avons déjà
tant parlé sans avoir épuisé la matière? Tout
cela n’est-il pas plus propre à exciter les bouffonneries d’un comédien
qu’à donner une idée de la majesté divine? Si quelqu’un
s’avisait de donner deux nourrices à un enfant, l’une pour le faire
manger et l’autre pour le faire boire, à l’exemple des théologiens
qui ont employé deux déesses pour ce double office, Educa
et Potina, ne le prendrait-on pas pour un fou qui joue chez lui une espèce
de comédie? On nous dit encore que le nom de Liber vient de ce que,
dans l’union des sexes, ce dieu aide les mâles à se délivrer
de leur semence, et que le nom de Libera, déesse qu’on identifie
avec Vénus, a une origine analogue, parce qu’on croit que les femelles
ont aussi une semence à répandre, et c’est pour cela que
dans le temple on offre à Liber les parties sexuelles de l’homme
et à Libera celle de la femme 1. Ils ajoutent qu’on
1. Cicéron et Plutarque expliquent autrement les noms de Liber
et de Libera. Voyez Cicéron, De nat. deor., lib. n, cap. 24; et
Plutarque, Quœst. Rom., qu. 104. Voyez aussi Sénèque, De
Benef., IV., cap. 8; et Arnobe, Contra gent., lib. V, p. 167 et seq.
(127)
assigne à Liber les femmes et le vin, parce que c’est Liber
qui excite les désirs. De là les incroyables fureurs des
bacchanales, et Varron lui-même avoue que les bacchantes ne peuvent
faire ce qu’elles font sans avoir l’esprit troublé. Aussi le sénat,
devenu plus sage, vit cette fête de mauvais oeil et l’abolit 1. Peut-être
en cette rencontre finit-on par reconnaître ce que peuvent les esprits
immondes sur les moeurs des hommes, quand on les adore comme des dieux.
Quoi qu’il en soit, il est certain que l’on n’oserait rien faire de pareil
sur les théâtres. On y joue, il est vrai, mais on n’y est
pas ivre de fureur, encore que ce soit une sorte de fureur de reconnaître
pour des divinités des esprits qui se plaisent à de pareils
jeux.
Mais de quel droit Varron prétend-il établir une différence
entre les hommes religieux et les superstitieux, sous prétexte que
ceux-ci redoutent les dieux comme des ennemis, au lieu que ceux-là
les honorent comme des pères, persuadés que leur bonté
est si grande qu’il leur en coûte moins de pardonner à un
coupable que de punir un innocent? Cette belle distinction n’empêche
pas Varron de remarquer qu’on assigne trois dieux à la garde des
accouchées, de peur que Sylvain ne vienne les tourmenter la nuit;
pour figurer ces trois dieux, trois hommes font la ronde autour du logis,
frappent d’abord le seuil de la porte avec une cognée, le heurtent
ensuite avec un pilon, puis enfin le nettoient avec un balai, ces trois
emblèmes de l’agriculture ayant pour effet d’empêcher Sylvain
d’entrer; car c’est le fer qui taille et coupe les arbres, c’est le pilon
qui tire du blé la farine, et c’est le balai qui sert à amonceler
les grains; et de là tirent leurs noms : la déesse Intercidona,
de l’incision faite par la cognée; Pilumnus, du pilon; Deverra,
du balai; en tout trois divinités occupées à préserver
les accouchées des violences de Sylvain. Ainsi la protection des
divinités bienfaisantes ne peut prévaloir contre la brutalité
d’un dieu malfaisant qu’à condition d’être trois contre un,
et d’opposer à ce dieu âpre, sauvage et inculte comme les
bois où il habite, les emblèmes de culture qui lui répugnent
et le font fuir. Oh! l’admirable innocence ! Oh ! la parfaite concorde
des dieux !
1. Voyez Tite-Live, lib. XXXIX, cap. 17, 18.
En vérité sont-ce là les dieux qui protégent
les villes ou les jouets ridicules dont le théâtre se divertit?
Que le dieu Jugatinus préside à l’union des sexes, je
le veux bien; mais il faut conduire l’épousée au toit conjugal,
et voici le dieu Domiducus; il faut l’y installer, voici le dieu Domitius;
et pour la retenir près de son mari, on appelle encore la déesse
Manturna. N’est-ce point assez? épargnez, de grâce, la pudeur
humaine ! laissez faire le reste dans le secret, à l’ardeur de la
chair et du sang. Pourquoi, quand les paranymphes eux-mêmes se retirent,
remplir la chambre nuptiale d’une foule de divinités? Est-ce pour
que l’idée de leur présence rende les époux plus retenus?
non; c’est pour aider une jeune fille, faible et tremblante, à faire
le sacrifice de sa virginité. Voici en effet la déesse Virginiensis
qui arrive avec le père Subigus, la mère Prèma, la
déesse Pertunda, Vénus et Priape 1. Qu’est-ce à dire?
s’il fallait absolument que les dieux vinssent en aide à la besogne
du mari, un seul dieu ne suffisait-il pas, ou même une seule déesse?
n’était-ce pas assez de Vénus, puisque c’est elle dont la
puissance est, dit-on, nécessaire pour qu’une femme cesse d’être
vierge? S’il reste aux hommes une pudeur que n’ont pas les dieux, les mariés,
à la seule pensée de tous ces dieux et de toutes ces déesses
qui viennent les aider à l’ouvrage, n’éprouveront-ils pas
une confusion qui dimninuera l’ardeur d’un des époux et accroîtra
la résistance de l’autre? D’ailleurs, si la déesse Virginiensis
est là pour dénouer la ceinture de l’épousée,
le dieu Subigus pour la mettre aux bras du mari, la déesse Préma
pour la maîtriser et l’empêcher de se débattre, à
quoi bon encore la déesse Pertunda? Qu’elle rougisse, qu’elle sorte,
qu’elle laisse quelque chose à faire au mari; car il est inconvenant
qu’un autre que lui s’acquitte de cet office. Aussi bien, si l’on souffre
sa présence, c’est sans doute qu’elle est déesse; car si
elle était divinité mâle, si elle était le dieu
Pertundus, le mari alors, pour sauver l’honneur de sa femme, aurait plus
de sujet d’appeler au secours contre lui, que les accouchées contre
Sylvain. Mais que dire d’une autre divinité, cette fois trop mâle,
de Priape, qui reçoit la nouvelle épousée
1. Rapprochez la description de saint Augustin de celle de Tertullien,
Adv. Nat., lib. II, cap. 11. Voyez aussi Arnobe, Contr. Gent., lib. IV,
p. 124; et Lactance, Inst.., lib. I, cap. 20.
(128)
sur ses genoux obscènes et monstrueux, suivant la très-décente
et très-pieuse coutume des matrones? Nos adversaires ont beau jeu
après cela d’épuiser les subtilités pour distinguer
la théologie civile de la théologie fabuleuse, la cité
du théâtre, les temples de la scène, les mystères
sacerdotaux des fictions poétiques, comme on distinguerait l’honnêteté
de la turpitude, la vérité du mensonge, la gravité
du badinage, le sérieux du bouffon, ce qu’on doit rechercher de
ce qu’on doit fuir. Nous devinons leur pensée; ils ne doutent pas
au fond de l’âme que la théologie du théâtre
et de la fable ne dépende de la théologie civile, et que
les fictions des poètes ne soient un miroir fidèle de la
théologie civile vient se réfléchir? Que font-ils
donc? n’osant condamner l’original, ils se donnent carrière à
réprouver son image, afin que les lecteurs intelligents détestent
à la fois le portrait et l’original. Les dieux, au surplus, trouvent
le miroir si fidèle qu’ils se plaisent à s’y regarder, et
qui voudra bien les connaître devra étudier à la fois
la théologie civile où sont les originaux, et la théologie
fabuleuse où sont les copies. C’est pour cela que les dieux ont
forcé leurs adorateurs, sous de terribles menaces, à leur
dédier les infamies de la théologie fabuleuse, à les
solemniser en leur honneur et à les mettre au rang des choses divines;
par où ils ont laissé voir clairement qu’ils ne sont que
des esprits impurs, et qu’en faisant d’une théologie livrée
au mépris une dépendance et un membre de la théologie
respectée, ils ont voulu rendre les pontifes complices des trompeuses
fictions des poëtes. De savoir maintenant si la théologie païenne
comprend encore une troisième partie, c’est une autre question;
il me suffit, je pense, d’avoir montré, en suivant la division de
Varron, que la théologie du théâtre et la théologie
de la cité sont une seule et même théologie, et puisqu’elles
sont toutes deux également honteuses, également absurdes,
également pleines d’erreurs et d’indignités, il s’ensuit
que toutes les personnes pieuses doivent se garder d’attendre de celle-ci
ou de celle-là la vie éternelle.
Enfin, Varron lui-même, dans son dénombrement des dieux,
part du moment où l’homme est conçu : il met en tête
Janus, et, parcourant la longue suite des divinités qui prennent
soin de l’homme jusqu’à la plus extrême vieillesse, il termine
cette série par la déesse Naenia, c’est-à-dire par
l’hymne qu’on chante aux funérailles des vieillards. Il énumère
ensuite d’autres divinités dont l’emploi ne se rapporte pas directement
à l’homme, mais aux choses dont il fait usage, comme le vivre, le
vêtement et les autres objets nécessaires à la vie;
or, dans la revue scrupuleuse où il marque la fonction propre de
chaque dieu et l’objet particulier pour lequel il faut s’adresser à
lui, nous ne voyons aucune divinité qui soit indiquée ou
nommée comme celle à qui l’on doit demander la vie éternelle,
l’unique objet pour lequel nous sommes chrétiens. Il faudrait donc
avoir l’esprit singulièrement dépourvu de clairvoyance pour
ne pas comprendre que, quand Varron développe et met au grand jour
avec tant de soin la théologie civile, quand il fait voir sa ressemblance
avec la théologie fabuleuse, et donne enfin assez clairement à
entendre que cette théologie, si méprisable et si décriée,
est une partie de la théologie civile, son dessein est d’insinuer
aux esprits éclairés qu’il faut les rejeter toutes deux et
s’en tenir à la théologie naturelle, à la théologie
des philosophes, dont nous parlerons ailleurs plus amplement au lieu convenable
et avec l’assistance de Dieu.
CHAPITRE X.
DE LA LIBERTÉ D’ESPRIT DE SÉNÈQUE, QUI S’EST ÉLEVÉ
AVEC PLUS DE FORCE CONTRE LA THÉOLOGIE CIVILE QUE VARRON CONTRE
LA THÉOLOGIE FABULEUSE.
Mais si Varron n’a pas osé répudier ouvertement la théologie
civile, quelque peu différente qu’elle soit de la théologie
scénique, cette liberté d’esprit n’a pas manqué à
Sénèque, qui florissait au temps des Apôtres, comme
l’attestent certains documents 1. Timide dans sa conduite, ce philosophe
ne l’a pas été dans ses écrits. En effet, dans le
livre qu’il a publié contre les superstitions 2, il critique la
théologie civile avec plus de force et d’étendue que Varron
n’avait fait de la théologie fabuleuse. Parlant des statues des
dieux: « On
1. Que Sénèque ait vécu au temps des Apôtres,
ce n’est pas matière à conjecture; c’est un fait connu et
certain, pour saint Augustin comme pour nous. Il est donc probable que
les documenta dont il est question ici sont les prétendues lettres
de Sénèque à saint Paul. Nous voyons, par un autre
passage de saint Augustin (Epist., 153, n. 14), qu’il ne doutait pas de
l’authenticité de ces lettres, restées suspectes à
la critique.
2. Cet ouvrage de Sénèque, mentionné aussi par
Tertullien dans son Apologétique, ch. 12, n’est pas parvenu jusqu’à
nous.
(129)
fait servir, dit-il, une matière vile et insensible à
représenter la majesté inviolable des dieux immortels; on
nous les montre sous la figure d’hommes, de bêtes, de poissons; on
ose même leur donner des corps à double sexe, et ces objets,
qui seraient des monstres s’ils étaient animés, on les appelle
des dieux ! » lien vient ensuite à la théologie naturelle,
et après avoir rapporté les opinions de quelques philosophes,
il se fait l’objection que voici : « Quelqu’un dira: me fera-t-on
croire que le ciel et la terre sont des dieux, qu’il y a des dieux au-dessus
de la lune et d’autres au dessous?Et comment écouter patiemment
Platon et Straton le Péripatéticien, l’un qui fait Dieu sans
corps, l’autre qui le fait sans âme ? » A quoi Sénèque
répond: «Trouvez- vous mieux votre compte dans les institutions
de Titius Tatius ou de Romulus ou de Tullus Hostilins? Titus Tatius a élevé
des autels à la déesse Cloacina et Romulus aux dieux Picus
et Tibérinus; Hostilius a divinisé la Peur et la Pâleur,
qui ne sont autre chose que de violentes passions de l’homme, celle-là
un mouvement de l’âme interdite, celle-ci un mouvement du corps,
pas même une maladie, une simple altération du visage »
. Aimez-vous mieux, demande Sénèque, croire à de telles
divinités, et leur donnerez-vous une place dans le ciel? Mais il
faut voir avec quelle liberté il parle de ces mystères aussi
cruels que scandaleux: « L’un, dit-il, se re tranche les organes
de la virilité; l’autre se fait aux bras des incisions. Comment
craindre la colère d’une divinité quand on se la rend propice
par de telles infamies? Si les dieux veulent un culte de cette espèce,
ils n’en méritent aucun. Quel délire, quelle aveugle fureur
de s’imaginer qu’on fléchira les dieux par des actes qui répugneraient
à la cruauté des hommes! Les tyrans, dont la férocité
traditionnelle a servi de sujet aux tragédies, ont fait déchirer
les mamelles de leurs victimes; ils ne les ont pas obligées de se
déchirer de leurs propres mains. 0na mutilé des malheureux
pour les faire servir aux voluptés des rois; mais il n’a jamais
été commandé à un esclave de se mutiler lui-même.
Ces insensés, au-contraire, se déchirent le corps au milieu
des temples, et leur prière aux dieux, ce sont des blessures et
du sang. Examinez à loisir ce qu’ils font et ce qu’ils souffrent,
vous verrez des actes si indignes de personnes d’honneur, d’hommes libres,
d’esprits sains, que vous croiriez avoir affaire à une folie furieuse,
si les fous n’étaient pas en si grand nombre. Leur multitude est
la seule caution de leur bon sens »
Sénèque rappelle ensuite avec le même courage ce
qui se passe en plein Capitole, et, en vérité, de pareilles
choses, si elles ne sont pas une folie, ne peuvent être qu’une dérision.
En effet, dans les mystères d’Egypte, on pleure Osiris perdu, puis
on se réjouit de l’avoir retrouvé et sans avoir, après
tout, rien retrouvé ni perdu, on fait paraître la même
joie et la
même douleur que si tout cela était le plus vrai du monde:
« Toutefois, dit Sénèque, cette
fureur a une durée limitée; on peut être fou une
fois l’an; mais montez au Capitole, vous
rougirez des extravagances qui s’y commettent et de l’audace avec laquelle
la folie s’étale en
public. L’un montre à Jupiter les dieux qui viennent le saluer,
l’autre lui annonce l’heure qu’il est; celui-ci fait l’office d’huissier,
celui-là joue le rôle de parfumeur et agite ses bras
comme s’il répandait des essences. Junon et Minerve ont leurs
dévotes, qui, sans se tenir
près de leurs statues et même sans venir dans leurs temples,
ne laissent pas de remuer les
doigts à leur intention, en imitant les mouvements des coiffeuses.
il y en a qui tiennent le
miroir; d’autres prient les dieux de s’intéresser à leurs
procès et d’assister aux plaidoiries ; tel autre leur présente
un placet ou leur explique son affaire. Un ancien comédien en chef,
vieillard décrépit, jouait chaque jour ses rôles au
Capitole, comme si un acteur abandonné des hommes était encore
assez bon pour les dieux. Enfin, il se trouve là toute une troupe
d’artisans de toute espèce qui travaille pour les dieux immortels
». Un peu après,
Sénèque ajoute encore : «Toutefois, si ces sortes
de gens rendent à la divinité des services inutiles, du moins
ne lui en rendent-ils pas de honteux. Mais il y a des femmes qui viennent
s’asseoir au Capitole, persuadées que Jupiter est amoureux d’elles,
et Junon elle-même, fort colérique déesse, à
ce qu’assurent les poëtes, Junon ne leur fait pas peur ».
Varron ne s’est pas expliqué avec cette liberté; il n’a
eu de courage que pour réprouver la théologie fabuleuse,
laissant à Sénèque l’honneur de battre en brèche
la théologie
1. Voyez encore dans Sénèque la lettre XCV.
(130)
civile. A vrai dire pourtant, les temples où se font ces turpitudes
sont plus détestables encore
que les théâtres, où on se contente de les figurer.
C’est pourquoi Sénèque veut que le sage, en matière
de théologie civile, se contente de cette adhésion tout extérieure
qui n’engage pas les sentiments du coeur. Voici ses propres paroles : «
Le sage observera toutes ces pratiques comme ordonnées par les lois
et non comme agréables aux dieux ». Et quelques lignes plus
bas : « Que dirai-je des alliances que nous formons entre les dieux,
où la bienséance même n’est pas observée, puisqu’on
y marie le frère avec la soeur? Nous donnons Bellone à Mars,
Vénus à Vulcain, Salacie à Neptune. Nous laissons
d’autres divinités dans le célibat, faute sans doute d’un
parti sortable ; et cependant les veuves ne manquent pas, comme Populonia,
Fulgora, Rumina, qui ne doivent pas, j’en conviens, trouver aisément
des maris. Il faudra donc se résigner à adorer cette ignoble
troupe de divinités, qu’une longue superstition n’a cessé
de grossir; mais nous n’ou huerons pas que si nous leur rendons un culte,
c’est pour obéir à la coutume plutôt qu’à la
vérité n. Sénèque avoue donc que ni les lois
ni la coutume n’avaient rien institué dans la théologie civile
qui fût agréable aux dieux ou conforme à la vérité
; mais, bien que la philosophie eût presque affranchi son âme,
il ne laissait pas d’honorer ce qu’il censurait, de faire ce qu’il désapprouvait,
d’adorer ce qu’il avait en mépris, et cela parce qu’il était
membre du sénat romain. La philosophie lui avait appris à
ne pas être superstitieux devant la nature, mais les lois et la coutume
le tenaient asservi devant la société; il ne montait pas
sur le théâtre, mais il imitait les comédiens dans
les temples : d’autant plus coupable qu’il prenait le peuple pour dupe,
tandis qu’un comédien divertit les spectateurs et ne les trompe
pas.
CHAPITRE XI.
SENTIMENT DE SÉNÈQUE SUR LES JUIFS.
Entre autres superstitions de la théologie civile, ce philosophe
condamne les cérémonies des Juifs et surtout leur sabbat,
qui lui parait une pratique inutile, attendu que rester le septième
jour sans rien faire, c’est perdre la septième partie de la vie,
outre le dommage qui peut en résulter dans les nécessités
urgentes. Il n’a osé parler toutefois, ni en bien ni en mal, des
chrétiens, déjà grands ennemis des Juifs, soit qu’il
eût peur d’avoir à les louer contre la coutume de sa patrie,
soit aussi peut-être qu’il ne voulût pas les blâmer contre
sa propre inclination. Voici comme il s’exprime touchant les Juifs: «
Les coutumes de cette nation détestable se sont propagées
avec tant de force qu’elles sont reçues parmi toutes les nations
; les vaincus ont fait la loi aux vainqueurs». Sénèque
s’étonnait, parce qu’il ignorait les voies secrètes de la
Providence. Recueillons encore son sentiment sur les institutions religieuses
des Hébreux : « Il en est parmi eux, dit-il, qui connaissent
la raison de leurs rites sacrés mais la plus grande partie du peuple
agit sans savoir ce s qu’elle fait». Mais il est inutile que j’insiste
davantage sur ce point, ayant déjà expliqué dans mes
livres contre les Manichéens1, et me proposant d’expliquer encore
en son lieu dans le présent ouvrage, comment ces rites sacrés
ont été donnés aux Juifs par l’autorité divine,
et comment, au jour marqué, la même autorité les a
retirés à ce peuple de Dieu qui avait reçu en dépôt
la révélation du mystère de la vie éternelle.
CHAPITRE XII.
IL RÉSULTE ÉVIDEMIRENT DE L’IMPUISSANCE DES DIEUX DES
GENTILS EN CE QUI TOUCHE LA VIE TEMPORELLE, QU’ILS SONT INCAPABLES DE DONNER
LA VIE ÉTERNELLE.
Si ce que j’ai dit dans le présent livre ne suffit pas pour
prouver que l’on ne doit demander la vie éternelle à aucune
des trois théologies appelées par les Grecs mythique, physique
et politique, et par les Latins, fabuleuse, naturelle et civile, si on
attend encore quelque chose, soit de la théologie fabuleuse, hautement
réprouvée par les païens eux-mêmes, soit de la
théologie civile, toute semblable à la fabuleuse et plus
détestable encore, je prie qu’on ajoute aux considérations
précédentes toutes celles que j’ai développées
plus haut, singulièrement dans le quatrième livre où
j’ai prouvé que Dieu seul peut donner la félicité.
Supposez, en effet, que la félicité fût une déesse,
pourquoi les hommes adoreraient-ils une autre qu’elle en vue de la vie
éternelle?
1. Voyez surtout les trente-trois livres Contre Fauste.
(131)
Mais comme elle est un don de Dieu, et non pas une déesse, quel
autre devons-nous invoquer que le Dieu dispensateur de la félicité,
nous qui soupirons après la vie éternelle ofi réside
la félicité véritable et parfaite? Or, il me semble
qu’après ce qui a été dit, personne ne peut plus douter
de l’impuissance où sont ces dieux honorés par de si grandes
infamies, et plus infâmes encore que le culte exigé par eux,
de donner à personne la félicité que nous cherchons.
Or, qui ne peut donner la félicité, comment donnerait-il
la vie éternelle, qui n’est qu’une félicité sans fin?
Vivre dans les peines éternelles avec ces esprits impurs, ce n’est
pas vivre, c’est mourir éternellement. Car quelle mort plus cruelle
que cette mort où on ne meurt pas? Mais comme il est de la nature
de l’âme, ayant été faite immortelle, tic conserver
toujours quelque vie, la mort suprême pour elle, c’est d’être
séparée de la vie de Dieu dans un supplice éternel.
D’où il suit que celui-là seul donne la vie éternelle,
c’est-à-dire la vie toujours heureuse, qui donne le véritable
bonheur. Concluons que, les dieux de la théologie civile étant
convaincus de ne pouvoir nous rendre heureux, il ne faut les adorer ni
pour les biens temporels, comme nous l’avons fait voir dans nos cinq premiers
livres, ni à plus forte raison pour les biens éternels, comme
nous venons de le montrer dans celui-ci. Au surplus, comme la coutume jette
dans les âmes de profondes racines, si quelqu’un n’est pas satisfait
de ce que j’ai dit précédemment contre la théologie
civile, je le prie de lire attentivement le livre que je vais y ajouter,
avec l’aide de Dieu. (132)
source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm