www.JesusMarie.com
Saint Augustin d'Hippone
Traité sur l'évangile de Saint Jean
Traités 100 à 109



CENTIÈME TRAITÉ.
SUR LES DERNIÈRES PAROLES DE LA MÊME LEÇON. (Chap. XVI, 43-45.)
 

LA VRAIE GLOIRE.
 

Le Saint-Esprit faisant connaître Jésus-Christ et donnant aux Apôtres le courage de l'annoncer, le glorifiera véritablement, car il ne peut se tromper ni sur la personne du Sauveur ni sur quoi que ce soit : gloire pure et solide, bien différente de celle que peuvent se procurer les hommes sujets à errer. Le Saint-Esprit ne se trompe pas, car, procédant du Père et du Fils, il reçoit de l'un la science de l'autre.
 
 

1. Lorsque Notre-Seigneur promit à ses disciples que le Saint-Esprit viendrait en eux, il leur dit : « Il vous enseignera toute vérité » ; ou bien, comme nous lisons dans quelques exemplaires : « Il vous conduira dans toute « vérité; car il ne parlera pas de lui-même, « mais il dira tout ce qu'il entendra ». Sur ces paroles dé notre Evangile, nous avons déjà exposé ce qu'il a plu au Seigneur de nous révéler. Maintenant, portez votre attention sur celles qui suivent : « Et il vous annoncera », dit Notre-Seigneur, « les choses à venir ». Il n'y a rien ici qui doive nous arrêter, parce que tout est facile à comprendre; il ne s'y trouve aucune difficulté dont on puisse nous demander l'explication. Mais quant à ce qu'il ajoute : « C'est lui qui me glorifiera, parce qu'il recevra du mien, et il vous l'annoncera », il ne faut pas le laisser passer sans une grande attention. « C'est lui qui me glorifiera ». Ces paroles peuvent s'entendre en ce sens, qu'en répandant la charité dans le coeur des fidèles et en faisant d'eux des hommes spirituels, il leur a fait connaître que le Fils est égal au Père, tandis qu'ils ne le connaissaient auparavant que selon la chair et croyaient qu'il était un homme comme les autres hommes. On peut encore, et sans craindre de se tromper, entendre ces paroles en ce sens, qu'après avoir puisé dans la charité une grande confiance et avoir répudié toute crainte, ils annoncèrent Jésus-Christ aux hommes et qu'ainsi sa renommée s'est répandue dans tout l'univers. Par conséquent, lorsqu'il dit : « C'est lui qui me glorifiera », c'est comme s'il disait : C'est lui qui vous enlèvera. toute crainte et vous inspirera pour moi un amour si vif que vous

m'annoncerez avec plus d'ardeur, que vous répandrez par toute la terre la bonne odeur de ma gloire, et que vous propagerez l'honneur de mon nom. Ce qu'ils devaient faire dans le Saint-Esprit, il dit que le Saint-Esprit le fera lui-même en eux; car il s'exprime encore ainsi en un autre endroit : « Ce n'est pas vous qui parlez, mais c'est l'Esprit de votre Père qui parle en vous (1) ». Le verbe grec doxasei, qui se trouve employé ici, les interprètes latins l'ont traduit, les uns par « clarifiera », les autres par « glorifiera » ; car le mot grec doza, racine du verbe doxasei, signifie tout à la fois clarté et gloire; mais comme la gloire produit l'éclat, et que l'éclat produit aussi la gloire, il s'ensuit que ces deux expressions signifient la même chose. Or, les plus célèbres des anciens auteurs latins ont défini la gloire un grand renom accompagné de louanges. Lorsque fa gloire de Jésus-Christ se fut répandue dans le monde, il ne faut pas croire qu'elle procura un avantage quelconque à Jésus; tout l'avantage fut pour le monde. Lorsqu'on loue le bien, l'avantage n'est pas pour le bien qui est louangé, mais pour ceux qui le louent.

2. Remarquez-le toutefois : il y a aussi une fausse gloire; elle est fausse quand tous ceux qui louent se trompent soit pour les choses, soit pour les hommes, soit pour les hommes et les choses. Ils se trompent pour les choses, quand ils regardent comme bon ce qui est mauvais; ils se trompent dans les hommes, quand ils regardent comme bon celui qui est mauvais; ils se trompent dans les uns et les autres, quand ils regardent comme vertu ce qui est vice, et que l'homme bon ou mauvais
 
 

1. Matth. X, 20.
 
 

81
 
 

auquel on prodigue des louanges, parce qu'on lui suppose cette fausse vertu, ne la possède pas réellement. Par exemple : donner son bien aux histrions, c'est un grand vice et non une vertu : et, vous le savez, on ne tarit pas en éloges pompeux sur le compte de ceux qui le font. Car il est écrit : « Le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et celui a qui fait le mal est béni (1) ». Ici, les louangeurs se trompent non pas relativement aux hommes, mais par rapport aux choses; car ce qu'ils croient bon est mauvais. Et ceux qui se livrent à ces honteuses largesses sont bien tels que les soupçonnent et les voient évidemment ceux qui les louent. Supposé, au contraire, quelqu'un qui feint d'être juste et ne l'est pas, puisqu'il n'agit pas pour Dieu, c'est-à-dire pour la vraie justice, et que dans tout ce qu'il paraît faire de louable devant les hommes, il ne cherche et n'aime que la gloire qui vient des hommes; si ceux qui parlent de lui fréquemment avec louanges pensent qu'il vit uniquement pour Dieu d'une manière aussi honorable, ceux-là se trompent, non sur la chose, mais sur le compte de l'homme. Ce qu'ils croient bon , est bon en effet; mais celui qu'ils croient bon, n'est pas bon réellement. Mais si, par exemple, on regardait comme bonne la connaissance de la magie, et si un homme passait pour avoir délivré sa patrie par le moyen de cet art, bien que, dans le fait, il l'ignore entièrement, et que par là il acquît auprès des impies une réputation élogieuse, c'est-à-dire la gloire; ceux qui le loueraient ainsi se tromperaient sur la chose et sur l'homme; sur la chose, car ce qu'ils regardent comme bon est réellement mauvais; sur l'homme, car il n'est pas ce qu'ils pensent : aussi la gloire acquise de ces trois manières est-elle fausse. Mais lorsqu'il s'agit d'un homme juste par Dieu et pour Dieu, c'est-à-dire véritablement juste et qu'on en parle avec louanges à cause de sa justice, sa gloire est -véritable; cependant il ne faut pas croire que ces louanges font le bonheur du juste ; ceux qu'il faut féliciter, ce sont ceux-là mêmes qui le louent; car ils jugent sainement des choses et ils aiment la justice. A bien plus forte raison, la gloire du Seigneur Jésus a profité, non pas à lui, mais à ceux auxquels a profité sa mort.

3. Toutefois la gloire dont il jouit parmi les
 
 

1. Ps. IX, 3.
 
 

hérétiques n'est pas véritable, bien que ceux-ci semblent souvent parler de lui avec louanges ; ce n'est pas une vraie gloire, parce qu'ils se trompent et sur la chose et sur la personne; en effet, ils regardent comme bon ce qui ne l'est pas, et, à leurs yeux, Jésus est ce qu'il n'est pas réellement. Que le Fils unique ne soit pas égal au Père, ce n'est pas Une bonne chose; comme ce n'est pas une bonne chose que le Fils unique de Dieu ne soit qu'un homme et ne soit pas Dieu, que la chair de la Vérité ne soit pas une vraie chair. De ces trois propositions que je viens d'énoncer, la première est soutenue par les Ariens, la seconde par les Photiniens, et la troisième par les Manichéens. Mais comme rien de tout cela n'est bon, et que Jésus-Christ n'est rien de tout cela, ils se trompent et sur la chose et sur la personne. Et ils ne donnent pas une vraie gloire à Jésus-Christ, quoique parmi eux on semble souvent parler de lui avec éloge. Tous les hérétiques, et il serait trop long de les énumérer, qui n'ont pas des sentiments vrais sur Jésus-Christ, se trompent, parce qu'ils n'ont pas non plus des idées justes sur ce qui est bien et sur ce qui est mal. Les païens, quoique plusieurs d'entre eux aient loué Jésus-Christ, se trompent également sur la personne et sur la chose, car ils parlent, non pas selon la vérité de Dieu, mais bien plutôt selon leur propre opinion; ils disent qu'il était un homme , un habile magicien. Ils méprisent les chrétiens comme des ignorants, et ils louent Jésus-Christ comme un magicien; ainsi montrent-ils ce qu'ils aiment, mais ils n'aiment pas Jésus-Christ; car ce qu'il n'était pas, c'est ce qu'ils aiment. Ils se trompent donc et sur la personne et sur la chose, puisque c'est mal d'être magicien et que Jésus-Christ ne l'était pas, puisqu'il est bon. Comme nous n'avons rien à dire ici de ceux qui méprisent et blasphèment Jésus-Christ, puisque nous parlons de la gloire dont il a été honoré dans le monde, nous dirons que le Saint-Esprit ne l'a glorifié de sa vraie gloire que dans la sainte Eglise catholique. Hors de là, en effet, c'est-à-dire chez les hérétiques et même chez certains païens, sa vraie gloire n'a pu se trouver sur la terre, pas même là où l'on semblait parler souvent de lui avec éloge. Aussi, la vraie gloire qu'il trouve dans l'Eglise catholique (82) est ainsi chantée par le Prophète : « Mon Dieu, élevez-vous au-dessus des cieux, et que votre gloire soit sur toute la terre (1) ». Qu'après son exaltation le Saint-Esprit dût venir et le glorifier, c'est ce qu'annonçait le Psalmiste, c'est ce qu'avait promis Jésus-Christ lui-même ; nous en voyons maintenant l'accomplissement.

4. Quant à ce que dit le Sauveur : « Il recevra du mien et vous l'annoncera », écoutez-le avec des oreilles catholiques, comprenez-le avec des esprits catholiques. Il ne s'ensuit pas, en effet, comme l'ont pensé quelques hérétiques, que le Saint-Esprit soit moindre que le Fils; comme si le Fils recevait du Père, et le Saint-Esprit du Fils, en raison de différences qui existeraient dans leur nature. Loin de nous de le croire; loin de nous de le dire; loin de tout coeur chrétien même de le penser. Du reste, Notre-Seigneur tranche lui-même la difficulté et nous explique aussitôt ce qu'il a voulu dire : « Toutes les
 
 

1. Ps. CVII, 6.
 
 

choses », dit-il, « qu'a le Père, sont miennes ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra du mien et vous l'annoncera ». Que voulez-vous de plus? Le Saint-Esprit reçoit donc du Père et le Fils aussi; parce que dans cette Trinité, le Fils est né du Père, et que le Saint-Esprit en procède. Celui qui n'est pas né d'un autre et qui ne procède de personne, c'est le Père seul. Mais dans quel sens le Fils unique a-t-il dit : « Toutes les choses que le Père a, sont miennes? » Certes, ce n'est pas dans le sens dans lequel il a été dit à ce fils non unique, mais l'aîné des deux : « Tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi (1) ». Nous le constaterons avec soin, si le Seigneur nous en fait la grâce, à l’occasion de ce passage où le Fils dit au Père : « Et tout ce qui est à moi est à vous, et ce qui est à vous est à moi (2) ». Il faut, en effet, terminer ce discours ; ce qui suit demandant, pour être traité, un exorde différent.
 
 

1. Luc, XV, 31. — 2. Jean, XVII, 10.

CENT UNIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « ENCORE UN PEU DE TEMPS, ET VOUS NE ME VERREZ PLUS », JUSQU'A CES AUTRES : « ET EN CE JOUR VOUS NE ME DEMANDEREZ RIEN ». (Chap. XVI, 16-23.)
 

LA VIE PRÉSENTE ET LA VIE FUTURE.
 

Entre le moment de la mort du Christ et celui de sa résurrection devaient déjà se vérifier ces paroles : « Encore un peu de temps, etc. » Mais elles ont particulièrement trait, d'abord à la vie présente, où nous gémissons, et ensuite à la vie éternelle, où nous saurons tout et où rien ne nous manquera.
 
 

1. Ces paroles de Notre-Seigneur à ses disciples : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez, parce que je vais à mon Père », étaient pour eux si obscures, avant l'accomplissement de ce qu'elles annonçaient, qu'ils se demandaient entre eux ce qu'il voulait dire, et qu'ils avouaient n'y rien comprendre. L'Evangile, en effet, ajoute : « Quelques-uns donc des disciples se dirent entre eux : Qu'est-ce qu'il nous dit : Encore un « peu de temps et vous me verrez, et encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, parce que je vais à mon Père ? Ils disaient donc : Qu'est-ce qu'il nous dit : Encore un peu de temps? Nous ne savons ce qu'il dit». Ce qui les embarrassait, c'est qu'il disait : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez pas, et encore un peu de temps et vous me verrez ». Auparavant il leur avait dit, non pas : « Encore un peu de temps » ; mais seulement : « Je vais à mon Père, et vous ne me verrez plus (1) ».
 
 

1. Jean, XVI, 10.
 
 

83
 
 

Il semblait alors leur parler clairement, et entre eux ils ne se demandèrent rien à ce sujet. Mais ce qui leur était alors caché et leur fut découvert peu après, nous est maintenant connu. Peu après, en effet, Jésus-Christ souffrit, et ils ne le virent plus ; et encore un peu après, il ressuscita, et ils le virent de nouveau. Par le mot « plus » il voulait leur faire comprendre qu'ils ne le verraient plus à l'avenir, et nous avons déjà expliqué que c'est le sens qu'il faut donner à ces paroles: «Vous ne me verrez plus»; car, à l'occasion de cet autre passage: «L'Esprit-Saint accusera le monde touchant la justice, parce que je vais au Père, et vous ne me verrez plus (1) », nous avons dit qu'ils ne le verraient plus dans un corps mortel.

2. « Mais Jésus », continue l'Evangéliste, « connut qu'ils voulaient l'interroger, et il leur dit: Vous vous demandez entre vous ce que j'ai dit : Encore un peu de temps, et vous ne me verrez pas ; et encore un peu temps, et vous me verrez. En vérité, en vérité, je vous dis que vous pleurerez et vous gémirez, vous, et le monde se réjouira; vous serez contristés , mais votre tristesse se changera en joie ». Ces paroles peuvent s'entendre en ce sens que les disciples furent contristés par la mort de Notre-Seigneur et réjouis aussitôt après par sa résurrection. Mais le monde, et par là il faut entendre ses ennemis, c'est-à-dire ceux qui le mirent à mort, le monde s'est réjoui de la mort de Jésus-Christ, pendant que ses disciples en étaient contristés. Par le mot « monde », on peut entendre la malice de ce monde, c'est-à-dire des hommes qui aiment le monde. C'est pourquoi l'apôtre saint Jacques dit dans son épître : « Quiconque voudra être ami de ce monde se rend ennemi de Dieu (2) ». Inimitiés contre Dieu en raison desquelles on n'a pas épargné même son Fils unique.

3. Le Seigneur ajoute ensuite : « Une femme, lorsqu'elle enfante, est dans la tristesse, parce que son heure est venue; mais lorsqu'elle a enfanté un fils, elle ne se souvient plus de sa douleur à cause de sa joie, « parce qu'un homme est né au monde. Et vous, vous avez maintenant de la tristesse; mais je vous verrai de nouveau, et votre coeur se réjouira, et personne ne vous ravira votre joie ». Cette comparaison ne
 
 

1. Traité XCV. — 2. Jacq. IV, 4.
 
 

paraît pas difficile à comprendre. L'explication en est toute trouvée, puisque Notre-Seigneur nous l'a donnée lui-même. L'enfantement est comparé à la tristesse, et la délivrance à la joie, qui est d'ordinaire plus grande lorsque, au lieu d'une fille, c'est un garçon qui vient au monde. Quant à ces mots : « Personne ne vous ravira votre joie n, comme Jésus lui-même est leur joie, ils nous sont expliqués par ce que dit l'Apôtre: «Jésus-Christ ressuscitant d'entre les morts ne mourra plus, et la mort n'exercera plus jamais sur lui son empire (1) ».

4. Jusque-là, nous n'avons fait que courir dans cette partie de l'Evangile que nous expliquons aujourd'hui, tant chaque chose est facile à comprendre ; mais ce qui suit demande une attention bien plus profonde. Que veulent dire en effet ces paroles : « Et en ce jour vous ne me demanderez rien? » Le mot ici employé, rogare, ne signifie pas seulement demander, il signifie encore interroger. Et l'Evangile grec, dont celui-ci est la traduction, emploie lui aussi un mot qui présente les deux sens. Ainsi le grec ne peut nous aider à découvrir le sens précis du mot latin; et quand il pourrait le faire, toute difficulté n'aurait pas disparu. Car nous voyons qu'après sa résurrection Notre-Seigneur a été interrogé et prié. Ses disciples l'ont interrogé, au moment où il montait au ciel, pour savoir quand il reviendrait et rétablirait le royaume d'Israël (2). Il était déjà dans le ciel, quand il fut prié par saint Etienne de vouloir bien recevoir son âme (3). Où est l'homme assez osé pour penser ou dire qu'il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd'hui qu'il est assis au plus haut des cieux, puisqu'on le priait lorsqu'il était sur la terre? qu'il ne faut pas prier Jésus-Christ aujourd'hui qu'il est immortel, puisqu'il fallait le prier quand il était mortel ? Ah ! mes très-chers frères, prions-le plutôt de vouloir bien résoudre lui-même cette difficulté, en faisant briller sa lumière dans nos coeurs, pour nous faire comprendre ce qu'il a voulu dire.

5. Je le pense, ces paroles: « De nouveau je vous verrai et votre coeur se réjouira, et  personne ne vous enlèvera votre joie », doivent se rapporter non pas au temps où, après sa résurrection, il leur donna sa chair à voir et à toucher (4), mais plutôt à ce temps dont il
 
 

1. Rom. VI, 9. — 2. Act. I, 6. — 3. Id. VII, 58. — 4. Jean, XX, 27.
 
 

84
 
 

avait déjà dit : « Celui qui m'aime sera aimé par mon Père, et je l'aimerai, et je me montrerai à lui (1) ». Déjà, en effet, Jésus-Christ était ressuscité, déjà il s'était montré dans sa chair à ses disciples, déjà il était assis à la droite du Père, quand l'apôtre Jean, dont nous expliquons l'Evangile, disait dans fine de ses épîtres : « Mes bien-aimés, maintenant nous sommes les enfants de Dieu, mais ce que nous serons n'est point encore apparu ; nous savons que, quand il apparaîtra, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu'il est (2) ». Cette vision n'est pas pour cette vie, mais pour la vie future; elle est,non pas du temps, mais de l'éternité. « C'est », dit celui qui est la vie, «c'est vie éternelle, de vous connaître, vous, le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé (3) ». Au sujet de cette vision et de cette connaissance, l'Apôtre nous dit: «Nous ne voyons rien maintenant a que comme dans un miroir et sous des images obscures; mais alors nous verrons face à face. Maintenant je ne le connais qu'imparfaitement, mais alors je le connaîtrai comme :(je suis connu de lui (4)». Ce fruit de tout son travail, l'Eglise l'enfante aujourd'hui par ses désirs ; alors elle le produira en le voyant. Maintenant elle l'enfante en gémissant, alors elle le produira en se réjouissant; maintenant elle l'enfante en priant, alors elle le produira en louant. Et c'est un garçon ; car c'est à ce fruit de là contemplation que se rapportent toutes les oeuvres de l'action. Seul il est libre ; car il est désiré pour lui-même et il ne se rapporte à rien autre chose. C'est lui que sert toute action, c'est à lui que se rapporte tout ce qui se fait de bien, parce que le bien se fait pour lui; on n'entre en possession de lui, et on ne le possède que pour lui-même, et ce n'est point pour autre chose. Il est la fin qui nous doit suffire : il est donc éternel; car la seule fin qui puisse nous suffire est celle qui n'a pas de fin. C'est ce qui était inspiré à Philippe, lorsqu'il disait : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit ». En promettant de le lui montrer, le Fils lui fait la promesse de se montrer lui-même : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi (5) ? » C'est donc avec raison que nous entendons ces paroles : « Personne ne vous enlèvera
 
 

1. Jean, XIV, 21. — 2. I Jean, III, 2. — 3. Jean, XVII, 3. — 4. I Cor. XIII, 12, 13. — 5. Jean, XIV, 8, 10.
 
 

votre joie», la joie de l'objet qui nous suffit.

6. Parce que nous venons de dire, il nous est, ce me semble, possible de mieux saisir ces paroles : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus, et encore un peu de temps et vous me verrez ». Ce peu de temps dont parle Notre-Seigneur, c'est tout l'espace qui renferme le temps présent. C'est pourquoi notre Evangéliste dit encore dans une de ses épîtres : « C'est la dernière heure (1) ». Et ce que Notre-Seigneur ajoute : « Parce que je vais à mon Père », doit se rapporter à la première phrase : « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus » ; et non pas à la seconde, où il dit : « et encore un peu de temps et vous me verrez ». Dès lors qu'il devait aller au Père, ils ne devaient plus le voir. Il ne dit donc pas qu'il devait mourir, et que jusqu'à sa résurrection il serait soustrait à leur vue ; mais il dit qu'il devait aller au Père ; ce qu'il fit après sa résurrection, lorsqu'après avoir conversé avec eux pendant quarante jours, il monta au ciel (2). Il dit donc « Encore un peu de temps et vous ne me verrez plus ». Et il ledit à ceux qui le voyaient corporellement, parce qu'il devait aller au Père, et qu'ils ne le verraient plus comme homme mortel, et tel qu'il était lorsqu'il leur disait ces choses. Quant à ce qu'il ajoute : « Et encore un peu de temps, et vous me verrez », c'est à toute l'Eglise qu'il le promet; comme c'est à toute l'Eglise qu'il a fait cette autre promesse : « Voici que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles (3) ». Le Seigneur ne retardera pas l'accomplissement de sa promesse : Encore un peu de temps, et nous le verrons, mais dans un état où nous n'aurons pas à le prier ni à l'interroger, parce qu'il ne nous restera rien à désirer ni rien de caché à apprendre. Ce peu de temps nous paraît long, parce qu'il n'est pas encore passé ; mais quand il sera fini, trous comprendrons combien il était court. Que notre joie ne ressemble donc pas à celle du monde dont il est dit : « Mais le monde se réjouira »; et néanmoins, pendant l'enfantement du désir de l'éternité, que notre tristesse ne soit pas sans joie; car, dit l'Apôtre : « Joyeux en espérance, patients en tribulations (5) ». En effet, la femme qui enfante, et à laquelle nous avons été comparés,
 
 

1. Jean, II, 18. — 2. Act. I, 3, 9. — 3. Matth. XXVIII, 20. —  4. Rom. XII,12.
 
 

85
 
 

ressent plus de joie à mettre au monde un enfant, qu'elle ne ressent de tristesse à souffrir sa douleur présente. Mais finissons ici ce discours. Ce qui suit offre en effet une difficulté très-épineuse ; il faut ne pas le circonscrire dans le peu de temps qui nous reste, afin de pouvoir l'expliquer avec plus de loisir, s'il plait au Seigneur de nous en faire la grâce.

CENT DEUXIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « EN VÉRITÉ, EN VÉRITÉ JE VOUS LE DIS, SI VOUS DEMANDEZ QUELQUE CHOSE AU PÈRE EN MON NOM, IL VOUS LE DONNERA », JUSQU'À CES AUTRES : « DE NOUVEAU JE LAISSE LE MONDE ET JE VAIS AU PÈRE ». (Chap. XVI, 23-28.)
 

L'HOMME SPIRITUEL.
 

Pour obtenir du Père ce qu'on lui demande, il faut d'abord connaître Jésus-Christ tel qu'il est et ne rien demander qui ne se rapporte au salut. Mais, pour cela, il faut être spirituel, et c'est ce que le Sauveur promet è ses Apôtres de leur obtenir de la part du Père ; car il les aime.
 
 

1. Il nous faut maintenant expliquer ces paroles de Notre-Seigneur : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, il vous le donnera ». Déjà, dans les premières parties de ce discours de Notre-Seigneur, et à l'occasion de ceux qui demandent certaines choses au Père au nom de Jésus-Christ et ne les reçoivent pas, nous avons dit que demander quelque chose de contraire au salut (1), ce n'est pas demander au nom du Sauveur ; car lorsque Jésus a dit : « En mon nom », il a voulu faire allusion, non pas au bruit que font les lettres et les syllables, mais à ce que ce son signifie et représente réellement. Ainsi celui qui pense de Jésus-Christ ce qu'il ne doit pas penser du Fils unique de Dieu, ne demande pas en son nom, bien qu'il prononce les lettres et les syllabes qui composent son nom; il demande au nom de celui dont il se fait l'idée au moment où il formule sa demande. Pour celui qui pense de Jésus-Christ ce qu'il en doit penser, il demande en son nom, et il reçoit ce qu'il demande, si d'ailleurs il ne demande rien de contraire à son salut éternel. Mais il le reçoit quand il doit le recevoir. Il est certaines choses qui ne sont pas refusées, mais qui sont différées, pour être
 
 

1. Traité LXXIII.
 
 

données dans un temps opportun. il faut donc entendre que, par ces paroles. « Il vous donnera, à vous », Notre-Seigneur a voulu désigner les bienfaits particuliers à ceux qui les demandent. Tous les saints, en effet, sont toujours exaucés pour eux-mêmes, mais ils ne le sont pas toujours pour tous, pour leurs amis, leurs ennemis, ou les autres; car Notre-Seigneur ne dit pas absolument : « il donnera » ; mais : « il vous donnera à vous ».

2. « Jusqu'à présent », dit Notre-Seigneur, « vous n'avez rien demandé en mon nom.  Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit entière. Cette joie qu'il appelle une joie pleine, n'est pas une joie charnelle, mais une joie spirituelle, et quand elle sera si grande qu'on ne pourra plus rien y ajouter, alors elle sera pleine. Donc tout ce que nous demandons pour nous aider à obtenir cette joie, il faut le demander au nom de Jésus-Christ, si nous comprenons bien la grâce divine, et si nous demandons vraiment la vie bienheureuse. Demander tout autre chose, c'est ne rien demander hors de là. Sans doute, il y a autre chose; mais en comparaison d'une si grande chose, tout ce que nous pourrions désirer n'est rien. On ne peut pas dire, en effet, que l'homme n'est rien, et cependant l'Apôtre dit de lui : « Il pense être quelque (86) chose, et il n'est rien (1) ». Car, en comparaison de l'homme spirituel qui sait que c'est par la grâce de Dieu qu'il est ce qu'il est, celui qui s'abandonne à de vains sentiments de lui-même n'est rien. Ainsi on peut très-bien entendre que, dans ces paroles : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera », Notre-Seigneur, par ces mots, « quelque chose », a voulu parler, non pas de toute sorte de choses, mais de quelque chose dont on ne puisse dire que ce n'est rien en comparaison de la vie éternelle. Ce qui suit : « Jusqu'à présent vous n'avez rien demandé en mon nom », peut s'entendre de deux manières. Ou bien vous n'avez pas demandé en mon nom, parce que vous n'avez pas connu mon nom comme il doit être connu; ou bien vous n'avez rien demandé, parcequ'en comparaison de ce que vous deviez demander, ce que vous avez demandé doit être regardé comme rien. Aussi, pour les exciter à demander en son nom, non pas rien, mais une joie pleine (car s'ils demandent autre chose, cette autre chose n'est rien), il leur dit : « Demandez, et vous recevrez, afin que votre a joie soit pleine » ; c'est-à-dire, demandez en mon nom que votre joie soit pleine, et vous le recevrez. Car les saints qui demandent avec persévérance ce bien-là, la miséricorde divine ne les trompera pas.

3. Notre-Seigneur continue : « Je vous ai dit ces choses en paraboles : l'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père». Je pourrais dire que cette heure dont parle Notre-Seigneur doit s'entendre du siècle futur, où nous verrons ouvertement ce que l'apôtre Paul appelle face à face; ainsi ces mots : « Je vous ai dit ces choses en paraboles », semblent n'être autre chose que ce que dit le même Apôtre : « Nous voyons maintenant par miroir en énigme (2). Je vous parlerai ouvertement », parce que c'est par le Fils que le Père se fera voir, selon ce qu'il dit lui-même ailleurs : « Et personne ne connaît le Père, si ce n'est le Fils et celui auquel le Fils voudra le révéler (3) ». Mais ce sens paraît opposé à ce qui suit : « En ce jour vous demanderez en mon nom ». Car dans le siècle futur, quand nous serons arrivés à ce royaume, où nous serons semblables à lui,
 
 

1. Galat. VI, 3. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3. Matth. XI, 27.
 
 

parce que nous le verrons tel qu'il est (1), que pourrons-nous demander, puisqu'au milieu de tous les biens nos désirs seront satisfaits (2) ? C'est pourquoi il est dit dans un autre psaume: « Je serai rassasié, quand votre gloire paraîtra (3) ». Une demande, en effet, est la preuve d'une certaine indigence; or, nulle indigence ne peut exister là où il y aura satiété complète.

4. Autant que je puis m'en rapporter à mon jugement, il n'y a donc plus qu'une chose à faire, c'est de croire que Jésus a voulu promettre à ses disciples de les rendre spirituels, de charnels et grossiers qu'ils étaient; sans les rendre néanmoins tels que nous serons, quand notre corps lui-même sera spiritualisé, mais en les rendant tels qu'était celui qui disait : « Nous prêchons la sagesse au milieu des parfaits (4) » ; et encore : « Je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels (5) » ; et encore : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'esprit qui est de Dieu, afin que nous connaissions les choses qui nous ont été données par Dieu ; choses que nous annonçons, non avec les doctes paroles de la sagesse humaine, mais avec les doctes paroles de l'esprit : appropriant les choses spirituelles aux spirituels; car l'homme animal ne perçoit pas les choses qui sont de l'esprit de Dieu ». L'homme animal ne percevant pas les choses qui sont de l'esprit de Dieu, tout ce qu'il entend sur la nature de Dieu, il l'entend de telle sorte qu'il ne peut s'imaginer qu'il soit autre chose qu'un corps, aussi grand, aussi étendu que vous voudrez, aussi lumineux, aussi beau que vous le supposez, mais enfin toujours un corps. Toutes les paroles de la Sagesse sur la substance incorporelle et immuable sont donc pour lui des paraboles : non qu'il les regarde comme telles; mais parce qu'il se fait des idées comme ceux qui entendent les paraboles et ne les comprennent pas. Mais l'homme spirituel commence à juger toutes choses et à n'être jugé par personnes,; quoique dans cette vie il voie encore par miroir et en partie, néanmoins, sans l'intermédiaire d'aucun sens du corps et sans le secours de cette imagination qui reçoit ou produit les images des corps, mais bien par la très-certaine intelligence de son âme, il comprend que Dieu
 
 

1. I Jean, III, 2. — 2. Ps. CII, 5. — 3. Id. XVI, 15. — 4. I Cor. II, 6. — 5. Id. III, 1. — 6. Id. II, 12-15.
 
 

87
 
 

n'est pas un corps, mais un esprit. A la manière si positive dont le Fils nous parle du Père, on comprend qu'il est la même nature avec celui qui l'annonce. Alors ceux qui demandent, demandent en son nom; parce que par le son de son nom ils ne comprennent pas autre chose que ce qui est désigné par ce nom, et la vanité ou la faiblesse de leur esprit ne leur fait pas imaginer que le Père est dans un lieu et que le Fils se trouve dans un autre, qu'il est debout devant lui et qu'il le prie pour nous : ils ne s'imaginent pas non plus que le Père et le Fils aient des corps, que ces corps occupent des places différentes, et que le Verbe adresse à celui dont il est le Verbe des paroles qui auraient à traverser l'espace interposé entre la bouche de celui qui parle et les oreilles de celui qui écoute; ils ne se représentent pas davantage des choses semblables à celles que forgent dans leurs coeurs les hommes charnels et grossiers. Pour les hommes spirituels, lorsqu'ils pensent à Dieu, tout ce que l'habitude de voir et de toucher des corps leur rappelle de matériel, ils le renient et le repoussent, comme on chasse des mouches importunes; ils l'éloignent des yeux de leur âme ; ils acquiescent à la vérité de cette lumière dont le témoignage et le jugement leur prouvent que ces images corporelles qui se présentent aux yeux de leur esprit, sont absolument fausses. Ceux-là peuvent en quelque manière se représenter Notre-Seigneur Jésus-Christ, en tant qu'homme intercédant pour nous auprès du Père, et en tant que Dieu nous exauçant avec le Père. C'est, j'imagine, ce que Jésus a voulu nous faire comprendre quand il a dit : « Et je ne vous dis point que je prierai le Père pour vous ». Mais l'oeil spirituel de l'âme peut seul parvenir à comprendre comment le Fils ne prie pas le Père, et comment le Père et le Fils exaucent par ensemble ceux qui les prient.

5. « Car le Père lui-même », dit Notre-Seigneur , « vous aime parce que vous m'avez aimé ». Le Père nous    aime-t-il parce que nous l'aimons, ou bien ne l'aimons-nous point parce qu'il nous aime? Notre Evangéliste va nous répondre dans son épître : « Nous aimons », dit-il, « parce qu'il nous a aimés le premier (1) ». Le motif qui nous le fait aimer, c'est donc qu'il nous a aimés le premier; c'est donc un don de Dieu que d'aimer Dieu. Il nous a donné de l'aimer, car avant d'être aimé, il nous a aimés. Nous lui déplaisions, et il nous a aimés, afin qu'il y eût en nous de quoi lui plaire. Car nous n'aimerions pas le Fils, si nous n'aimions aussi le Père. Le Père nous aime parce que nous aimons le Fils ; mais c'est du Père et du Fils que nous avons reçu la grâce d'aimer et le Père et le Fils; la charité, en effet, a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit des deux (2); et cet Esprit nous fait aimer et le Père et le Fils, et avec le Père et le Fils il se fait aimer lui-même. Ce pieux amour dont nous honorons Dieu, c'est Dieu lui-même qui l'a fait naître en nous, et il a vu qu'il était bon; c'est pourquoi il a aimé ce qu'il avait fait lui-même. Mais il n'aurait pas fait en nous ce qu'il y aime, si, avant de le faire, il ne nous avait pas aimés.

6. « Et vous avez cru », continue Notre-Seigneur, « que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde. Maintenant, je laisse le monde et je vais à mon Père ». Nous l'avons cru entièrement, et, certes, ce n'est pas difficile à croire, parce qu'en venant dans ce monde il est sorti du Père sans abandonner le Père; et il retourne au Père en laissant le monde, mais sans quitter le monde. Il est sorti du Père, parce qu'il est du Père; il est venu dans le monde, parce qu'il a montré au monde le corps qu'il avait pris dans le sein d'une vierge. Il a laissé le monde en s'éloignant de lui corporellement; il est retourné au Père par l'ascension de son humanité. Mais il n'a pas quitté le monde, car il y est présent par sa providence.
 
 

1. Jean, IV, 10. — 2. Rom. V, 5,

CENT TROISIÈME TRAITÉ.
SUR CE QUI EST DIT DEPUIS CES MOTS : « SES DISCIPLES LUI DISENT : VOICI QUE MAINTENANT VOUS PARLEZ OUVERTEMENT », JUSQU'À CES AUTRES : « MAIS AYEZ CONFIANCE, MOI J'AI VAINCU LE MONDE ». (Chap. XVI, 29-33.)
 

LA FOI DES APOTRES.
 

Les disciples de Jésus ne le comprenaient pas encore et croyaient néanmoins le comprendre ; ils voyaient briller en lui l'omniscience et, en conséquence, ils croyaient  en lui. Cependant le Sauveur leur prédit que, eu dépit de leur foi, ils le quitteront, mais seulement pour un temps.
 
 

1. A plusieurs indices répandus dans tout 1'Evangile, on reconnaît ce qu'étaient les disciples de Jésus-Christ, lorsque, leur parlant avant sa passion, il leur disait de bien grandes choses : ils étaient pourtant bien petits, mais cependant il s'adressait à eux comme il le fallait pour dire de grandes choses à des petits; car ils n'avaient pas encore reçu le Saint-Esprit comme ils le reçurent après sa résurrection , au moment où Jésus souffla sur eux, ou bien lorsque l'Esprit-Saint descendit du ciel sur eux, et par conséquent ils goûtaient plutôt les choses humaines que les choses divines; voilà pourquoi ils disaient ce que nous lisons dans la leçon d'aujourd'hui. L'Evangéliste, en effet, continue : « Ses disciples lui disent : Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles. Maintenant nous savons que vous connaissez toutes choses, et il est inutile que quelqu'un vous interroge ; voilà pourquoi nous croyons que vous êtes sorti de Dieu ». Notre-Seigneur avait dit lui-même peu auparavant : « Je vous ai dit ces choses en paraboles; l'heure vient où je ne vous parlerai pas en paraboles ». Comment donc lui disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement, et vous ne dites point de paraboles? » L'heure était-elle venue où, selon sa promesse, il ne devait plus leur parler en paraboles ? Mais la suite de ses paroles montre bien que cette heure n'avait pas encore sonné. Voici, en effet, ce qu'il dit : « Je vous ai dit ces choses en paraboles, mais l'heure vient où je ne vous parlerai plus en paraboles, je vous parlerai alors ouvertement de mon Père. En ce jour, vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que je prierai le Père pour vous; car le Père lui-même vous aime, parce que vous m'avez aimé et que vous avez cru que je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père, et je suis venu dans le monde. Maintenant, je laisse le monde et je vais à mon Père (1) ». Par toutes ces paroles, il promet encore cette heure où il ne parlera plus en paraboles, mais où il leur parlera ouvertement de son Père; heure où ils demanderont en son nom, et ou il ne priera pas le Père pour eux; car le Père les aime parce qu'ils ont eux-mêmes aimé Jésus-Christ; parce qu'ils ont cru qu'il était sorti du Père pour venir dans le monde, et que maintenant il allait laisser le monde pour retourner à son Père. Puisqu'il leur promet encore cette heure où il doit parler sans paraboles, pourquoi les disciples disent-ils : « Voici que maintenant vous parlez ouvertement et vous ne dites point de paraboles? » Evidemment, en voici la raison les choses que Jésus savait être des paraboles pour eux qui ne les comprenaient pas, ils les comprenaient si peu qu'ils ne voyaient pas même qu'ils ne les comprenaient point. Ils étaient encore de petits enfants, et ils ne pouvaient juger spirituellement de ce qui se disait, non par rapport au corps, mais par rapport à l'esprit.

2. Enfin, pour les avertir de leur âge, qui, selon l'homme intérieur, était encore peu avancé et bien faible, « Jésus leur répondit : Vous croyez maintenant; voici venir l'heure, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés
 
 

1. Jean, XVI, 25-28.
 
 

89
 
 

chacun de votre côté, et vous me laisserez seul; mais je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi ». Un peu auparavant, il avait dit : « Je laisse le monde et je vais à mon Père »; maintenant il dit : « Le Père est avec moi ». Comment aller à celui qui est avec lui? Voilà une parole claire pour celui qui comprend, une parabole pour celui qui ne comprend pas. Néanmoins, ce que les enfants sont maintenant incapables de comprendre, ils peuvent le sucer, et s'il ne leur fournit pas une alimentation solide, qu'ils ne pourraient supporter, du moins il ne les prive pas d'un lait qui leur sert de nourriture. Aux Apôtres, cet aliment donnait de savoir que Jésus connaissait toutes choses et qu'il n'avait pas besoin que quelqu'un l'interrogeât; aussi l'on peut demander pourquoi ils s'expriment ainsi. Il semble, en effet, qu'il eût fallu dire : Vous n'avez pas besoin d'interroger quelqu'un, et non pas: « Que quelqu'un vous interroge ». Ils venaient de dire : « Nous savons que vous connaissez toutes choses » ; or, évidemment, ceux qui ignorent, interrogent d'ordinaire celui qui connaît tout, afin d'apprendre de lui ce qu'ils cherchent à savoir. Mais celui qui connaît tout n'interroge pas comme s'il voulait apprendre quelque chose. Par conséquent, puisqu'ils savaient qu'il connaissait toutes choses , et qu'ils auraient dû lui dire : Vous n'avez besoin d'interroger personne, pourquoi ont-ils cru devoir lui dire : « Vous n'avez pas besoin que quelqu'un vous interroge ? » Pourquoi cela, quand nous voyons que l'un et l'autre ont été faits, c'est-à-dire que Notre-Seigneur a interrogé et qu'il a été lui-même interrogé? La solution de cette difficulté est facile à trouver. Ce n'était pas lui qui avait besoin de les interroger et d'être interrogé par eux ; c'étaient eux-mêmes. Car s'il les interrogeait, il voulait non pas apprendre d'eux quelque chose, mais bien plutôt les instruire; et puisque ceux qui l'interrogeaient voulaient apprendre quelque chose de lui, ils avaient assurément besoin de l'interroger, pour apprendre quelque chose de Celui qui connaissait tout. Il n'avait donc pas besoin que quelqu'un l'interrogeât. Pour nous, quand ceux qui veulent apprendre quelque chose de nous nous interrogent, il nous est facile de comprendre, d'après leurs questions , ce qu'ils veulent savoir. Nous avons donc besoin d'être interrogés par ceux à qui nous voulons apprendre quelque chose, afin de connaître ;les questions auxquelles nous aurons à répondre. Mais Jésus, qui connaissait tout, n'avait pas même besoin de cela; il n'avait pas besoin qu'on lui fît des questions pour connaître ce que chacun voulait apprendre de lui, parce qu'avant d'être interrogé, il connaissait la volonté de celui qui devait l'interroger. Néanmoins, il se laissait interroger afin de montrer quels étaient ceux qui l'interrogeaient, soit à ceux qui étaient présents, soit à ceux qui devaient en entendre raconter ou lire le récit: c'était encore afin de nous faire ainsi connaître quels piéges on lui tendait sans pouvoir l'y faire tomber, et aussi par quels moyens on s'approchait de lui. Prévoir les pensées des hommes et ainsi n'avoir nul besoin d'être interrogé, ce n'était pas chose difficile pour Dieu, mais c'était une grande chose aux yeux de disciples peu spirituels, comme étaient les siens; car ils lui dirent: « En cela, nous croyons que « vous êtes sorti de Dieu ». Une chose bien plus difficile à comprendre était celle à l'intelligence de laquelle il voulait les amener et les élever, lorsqu'après les avoir entendus lui dire, et lui dire avec vérité : « Vous êtes « sorti de Dieu »; il leur répondit : « Le Père est avec moi », pour ne point leur laisser croire que le Fils était sorti du Père, de façon à le quitter.

3. Enfin, pour terminer ce grand et long discours, le Christ ajoute : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi. Dans le monde vous aurez des afflictions ; mais ayez confiance, j'ai vaincu le monde ». Cette affliction devait avoir le commencement dont il leur avait parlé plus haut, quand pour leur montrer qu'ils n'étaient que de petits enfants qui ne comprenaient pas encore , qui prenaient une chose pour une autre et qui regardaient comme des paraboles les choses élevées et divines qu'il leur adressait, il leur dit : « Maintenant vous croyez? Voici venir l'heure, et elle est déjà venue, où vous vous disperserez chacun de votre côté ». Voilà le commencement de leur affliction ; mais elle ne devait pas durer toujours de cette façon; s'il leur dit : « Et vous me laisserez seul », il ne veut pas que pendant la persécution qui doit (90) suivre et qu'ils auront à souffrir dans le monde après son ascension, ils le laissent seul; mais il veut qu'ils demeurent en lui et qu'ils y trouvent la paix. Lorsque, en effet, il eut été pris par les Juifs, non-seulement ils abandonnèrent corporellement son humanité, mais leur âme elle-même abandonna la foi en lui. C'est à cela que se rapportent ces paroles : « Maintenant vous croyez? Voici venir l'heure où vous serez dispersés chacun de votre côté et où vous me laisserez». C'était, en d'autres termes, leur dire : Alors vous serez tellement troublés, que vous laisserez même ce que vous croyez maintenant. Ils en vinrent en effet à un désespoir inouï, et pour ainsi dire à une sorte d'anéantissement de leur foi première. Cléophas en fut une preuve vivante; car, s'entretenant avec Jésus sans le connaître après la résurrection, et lui racontant ce qui lui était arrivé, il lui disait : « Nous espérions qu'il rachèterait Israël (1) ». Voilà comment ils l'avaient laissé: ils avaient abandonné même la foi qu'ils avaient eue en
 
 

1. Luc, XXIV, 21.
 
 

lui. Mais dans la persécution qu'ils souffrirent après sa glorification et après la descente du Saint-Esprit, ils ne l'abandonnèrent plus : sans doute, ils s'enfuirent de ville en ville , mais ils ne s'éloignèrent plus de lui ; mais, afin de trouver la paix en lui-même au milieu de la persécution, ils ne s'éloignèrent pas de lui comme des transfuges; ils le prirent, au contraire, pour leur refuge. Quand ils eurent reçu le Saint-Esprit, alors s'accomplit en eux ce qu'il leur dit maintenant . « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde ». Ils ont eu confiance et ils ont vaincu. En qui ? En lui, évidemment. Car lui n'aurait pas vaincu le monde, si ses membres s'étaient laissé vaincre parle monde. Aussi l'Apôtre dit-il : « Rendons grâces à Dieu, qui nous donne la victoire », et ajoute-t-il aussitôt : « Par Notre-Seigneur Jésus-Christ (1)». Car le Sauveur avait dit à ses disciples : « Ayez confiance, j'ai vaincu le monde ».
 
 

1. I Cor. XV, 57.

CENT QUATRIÈME TRAITÉ.
SUR LES PAROLES SUIVANTES : « JÉSUS PARLA AINSI, ET AYANT LEVÉ LES YEUX AU CIEL IL DIT « PÈRE, L'HEURE EST VENUE, GLORIFIEZ VOTRE FILS, AFIN QUE LE FILS VOUS GLORIFIE ».
(Chap. XVII, 1.)
 

LES SOUFFRANCES, SOURCE DE GLOIRE.
 

Tout ce que Jésus avait dit, fait et disposé à l'égard de ses Apôtres, n'avait pour but que de leur faire trouver la paix en lui, même au milieu de leurs épreuves.
Pour terminer, il s'adresse à son Père, et il lui demande, puisque l'heure fixée par lui pour ses souffrances est venue, de donner à son humanité la gloire qu'elles lui mériteront.
 

1. Avant ces paroles, qu'avec l'aide de Dieu nous allons expliquer, Jésus avait dit : « Je vous ai dit ces choses, afin que vous ayez la paix en moi ». Ceci a trait non-seulement à ce qu'il venait de leur dire à l'instant, mais encore à tout ce qu'il leur avait dit,
soit depuis le moment où il les avait choisis pour ses disciples,
soit au moins depuis le moment où, après la cène, il avait commencé ce long et admirable discours.

Il leur rappelle en effet la cause pour laquelle il leur a parlé il voulait leur faire rapporter à cette fin, ou bien tout ce qu'il leur avait dit jusqu'alors, ou bien, et surtout, les dernières paroles qu'il leur avait adressées avant de mourir pour eux, et depuis que le traître était sorti du saint banquet. Il leur rappela donc que la fin de tous ses discours, c'était qu'ils eussent la paix en lui ; c'est à elle que se rapportent toutes les circonstances de notre vie de chrétiens. Cette paix n'aura point de fin; mais elle doit être la fin de toutes nos pieuses intentions et de toutes nos actions. C'est pour elle que nous sommes munis des sacrements : (91) pour elle nous sommes instruits par se: oeuvres et ses discours admirables; pour elle nous avons reçu le gage de son Esprit; pouf elle nous croyons et espérons en lui; poux elle, enfin, nous sommes enflammés de son amour, autant qu'il nous en fait la grâce. C'est elle qui nous console dans toutes nos afflictions, qui nous délivre de toutes nos peines, c'est pour elle que nous supportons courageusement toutes les tribulations, afin qu'en elle nous régnions heureusement sans tribulation aucune. C'est avec raison que Notre-Seigneur à terminé par elle ces paroles qui, pour ses disciples encore peu éclairés, étaient des paraboles, et qu'ils devaient comprendre seulement après la venue du Saint-Esprit, qu'il leur avait précédemment promis, en ces termes : « Je vous ait dit ces choses lorsque j'étais encore au milieu de vous; mais le Saint-Esprit consolateur, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et il vous rappellera tout ce que je vous dis (1) ». Cette heure était assurément celle où il leur avait promis de ne plus parler en paraboles, mais de parler ouvertement du Père. Ces mêmes paroles de Jésus-Christ devaient cesser d'être des paraboles pour ceux qui les comprendraient, grâce à la révélation du Saint-Esprit. Cependant, quand le Saint-Esprit parlerait dans leur coeur, le Fils unique ne devait pas se taire, car il vient de dire qu'à cette heure il leur parlerait ouvertement du Père, et comme ils devaient comprendre désormais, ce ne serait plus pour eux des paraboles. Mais en cela même, c'est-à-dire dans la manière dont le Fils de Dieu et le Saint-Esprit, et même la Trinité tout entière qui opère indivisiblement, parlent au coeur des hommes spirituels, se trouve une parole pour ceux qui comprennent, et une parabole pour ceux qui ne comprennent pas.

2. Quand donc il leur eut déclaré pourquoi il leur avait dit toutes ces choses, quand il leur eut dit que c'était pour leur faire trouver la paix en lui, au moment où le monde les persécuterait; quand il les eut exhortés à avoir confiance , puisqu'il avait vaincu le monde, il se trouva avoir achevé ce qu'il avait à leur dire, il s'adressa dès lors à son Père, et commença à prier. L'Evangéliste, en effet, poursuit en ces termes : « Jésus
 
 

1. Jean, XI, 25, 26.

prononça ces paroles, et ayant levé les yeux au ciel, il dit : Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils ». Notre-Seigneur, Fils unique du Père et coéternel à lui, pouvait, dans sa forme d'esclave et par elle, prier en silence, s'il l'avait jugé nécessaire; mais il a voulu être auprès de son Père notre intercesseur, de manière toutefois à ne pas oublier qu'il était aussi notre maître. Par conséquent, la prière qu'il a faite pour nous, il l'a faite pour nous instruire. Car un si grand maître devait édifier ses disciples, non-seulement en leur adressant ses leçons, mais encore en priant son Père en leur faveur. Et si ces paroles étaient à l'avantage de ceux qui devaient les entendre prononcer, elles devaient être aussi avantageuses à nous qui devions les lire dans son Evangile. Ainsi donc, quand il dit : « Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils », il montre que le temps tout entier, et tout ce qu'il faisait ou laissait faire, était à la disposition de Celui qui n'est pas soumis au temps. En effet, tout ce qui doit arriver à n'importe quelle époque, a sa cause efficiente dans la sagesse de Dieu, en qui ne se trouve aucun temps. Gardons-nous donc de croire que cette heure soit venue, amenée par la fatalité; elle est venue uniquement par l'ordre de Dieu. La connexion des astres n'a pas non plus nécessité la passion de Jésus-Christ; loin de nous la pensée que les astres puissent forcer à mourir le Créateur des astres. Le temps n'a donc pas contraint Jésus-Christ à mourir; mais Jésus-Christ a choisi son temps pour mourir; car il a fixé avec le Père dont il est né en dehors du temps, le temps où il est né de la Vierge. C'est d'accord avec cette vraie et saine doctrine que l'apôtre Paul a dit : « Mais quand est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils (Galat. IV, 4.) ». Dieu dit aussi par le Prophète : « Au temps favorable je t'ai exaucé, et au jour du salut je t'ai aidé (Isa. XLIX, 8.) ». L'Apôtre dit encore : « Voici maintenant le  temps favorable, voici maintenant le jour du salut (II Cor. VI, 2.) ». Que Jésus dise donc : « Père, l'heure est venue » ; car, avec le Père, il a disposé toutes les heures ; c'est comme s'il disait : « Père, elle est venue », l'heure que nous avons fixée ensemble pour me glorifier à cause des hommes et devant les hommes, « glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour ».
92

3. A entendre quelques-uns, le Père a glorifié le Fils, en ce que, au lieu de l'épargner, il l'a livré pour nous (Rom. VIII, 32.). Mais si le Christ a été glorifié par sa passion, combien plus ne l'a-t-il pas été par sa résurrection ? Dans sa passion, en effet, son humilité se manifeste bien plus que sa gloire ; l'Apôtre lui-même s'en porte garant dans ce passage : « Il s'est humilié lui-même, en se rendant obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix ». Ensuite il continue et, au sujet de sa glorification, il dit : « C'est pourquoi aussi Dieu l'a exalté et lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse au ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus-Christ est dans la gloire de Dieu le Père ». Voilà la glorification de Notre-Seigneur Jésus-Christ; elle a pris naissance dans sa résurrection. Dans le discours de l'Apôtre, il est question de son humilité depuis cet endroit : « Il s'est anéanti lui-même, acceptant la forme d'esclave », jusqu'à ces mots: « A la mort de la croix », et de sa gloire depuis ce passage : « C'est pourquoi aussi Dieu l'a exalté », jusqu'à ces mots : « Il est dans la gloire de Dieu le Père (Philipp. II, 7-11.) » . Car, à examiner les exemplaires en langue grecque d'après lesquels on a fait la traduction latine, dans les Epîtres des Apôtres, à la place du mot latin Gloria, gloire, on lit en grec doxa : c'est la racine du verbe grec doxason , que l'interprète latin a traduit par le mot clarifica ; il aurait pu le traduire par celui de glorifica, qui signifie la même chose. Aussi, dans l'Epître de l'Apôtre où se trouve le mot
gloria, gloire, on aurait pu mettre claritas, manifestation; car alors la signification serait la même. Mais on n'a pas voulu s'écarter de la consonnance des mots ; comme du mot claritas vient le mot clarificatio , du mot gloria vient le mot glorificatio. Pour être honoré ou glorifié, le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ Homme, s'est d'abord anéanti dans sa passion ; car il ne serait pas ressuscité d'entre les morts, s'il n'était pas mort; ses abaissements lui ont mérité la gloire, et la gloire a été pour lui la récompense de ses abaissements; mais tout cela s'est fait dans sa forme de serviteur, car dans sa forme de Dieu, il a toujours été, il sera toujours la gloire. Bien plus, il n'a jamais été comme s'il ne l'était plus, et jamais il ne sera comme s'il ne l'était pas encore, mais sans commencement et sans fin il est toujours la gloire. Aussi, quand il dit : « Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils », il faut entendre ses paroles comme s'il disait : Voici l'heure de semer l'abaissement, ne différez pas d'amener le fruit de la gloire. Mais que veut dire ce qui suit : « Afin que votre Fils vous glorifie à son tour ? » Dieu le Père a-t-il, lui aussi, supporté l'abaissement de l'incarnation et de la passion, et devait-il être, en conséquence de cela, glorifié? Comment donc le Fils pouvait-il le glorifier, puisque sa gloire éternelle n'aurait pu ni paraître plus petite sous la forme humaine, ni être plus grande dans sa forme divine ? Mais je ne veux point traiter cette question dans ce discours, car je craindrais, ou de l'allonger trop, ou d'écourter la réponse.

CENT CINQUIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : «AFIN QUE VOTRE FILS VOUS GLORIFIE », JUSQU'À CES AUTRES : « DE LA GLOIRE QUE J'AI EUE EN VOUS, AVANT QUE LE MONDE FUT ». (Chap. XVII, 1-5.)
 

GLORIFICATION DU FILS ET DU PÈRE.
 

Le Sauveur prie son Père de le glorifier comme homme en le ressuscitant, afin que lui-même glorifie son Père, en communiquant aux prédestinés la vie éternelle, c'est-à-dire, la connaissance de Dieu, et qu'en conséquence le Père place son Verbe fait homme à sa droite dans le ciel, comme il l'avait décidé de toute éternité.
 
 

1. Que le Père ait glorifié le Fils selon sa forme d'esclave, en la ressuscitant d'entre les morts et en la plaçant à sa droite, c'est ce que l'événement nous a prouvé, c'est ce dont aucun chrétien ne doute. Mais comme notre Seigneur ne se contente pas de dire : « Père, glorifiez votre Fils » ; et qu'il  ajoute : « Afin que votre Fils vous glorifie à son tour », on se demande avec raison comment le Fils a glorifié le Père, d'autant plus que l'éternelle gloire du Père n'a pas été diminuée par l'union avec la forme humaine, et n'aurait pu être augmentée dans sa perfection divine ? En elle-même, sans doute, la gloire du Père ne peut ni augmenter ni diminuer; mais, parmi les hommes, elle était assurément moins étendue, quand Dieu n'était connu que dans la Judée (1), et que, de l'Orient à l'Occident, les enfants ne louaient pas encore le nom du Seigneur (2) : comme c'est au moyen de l'Evangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ que le Père a été par le Fils annoncé aux nations, il est évident que le Fils, lui aussi, a glorifié le Père. Si le Fils était mort sans ressusciter ensuite, il n'aurait pas été glorifié par le Père; et, à son tour, il n'aurait pas glorifié le Père. Mais maintenant que le Père l'a glorifié en le ressuscitant, il glorifie le Père par la prédication de sa résurrection. C'est ce que nous découvre la suite même de ces paroles : « Glorifiez », dit-il, « votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour » ; c'était dire Ressuscitez-moi, afin que par moi vous soyez connu de l'univers entier.

2. Ensuite il fait de plus en plus connaître la manière dont le Fils glorifie le Père, et il ajoute : « Comme vous lui avez donné puissance
 
 

1. Ps. LXXV, 2. — 2. Id. CXII, 3, 1.
 
 

sur toute chair, afin qu'il communique la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés »; il dit toute chair, pour dire tout homme, car il prend la partie pour le tout. C'est ainsi que l'homme tout entier est désigné parla partie supérieure de lui-même, dans ces paroles de l'Apôtre : « Que toute âme soit soumise aux puissances supérieures (1) ». Que veulent dire ces mots : « Toute âme ? » tout homme. Si la puissance sur toute chair a été donnée à Jésus-Christ par le Père, il faut entendre que c'est selon son humanité; car, selon sa divinité, « toutes choses ont été faites par lui (2), et en lui toutes choses ont été créées au ciel et sur la terre, les choses visibles et les invisibles (3) ». Il dit donc: « Comme vous lui avez donné puissance sur toute chair », qu'ainsi votre Fils vous glorifie, c'est-à-dire qu'il vous fasse connaître à toute chair, puisque vous la lui avez donnée. Vous la lui avez donnée, en effet, de telle sorte « qu'il communique la vie éternelle à tous ceux que vous lui avez donnés ».

3. « Mais », continue Notre-Seigneur, « voici quelle est la vie éternelle, c'est qu'ils connaissent pour le seul vrai Dieu, vous et Jésus-Christ que vous avez envoyé » . L'ordre des paroles est celui-ci : « Que vous et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ, ils vous connaissent pour le seul vrai Dieu ». Naturellement, il faut sous-entendre le Saint-Esprit; il est, en effet, l'Esprit du Père et du Fils, puisqu'il est l'amour substantiel et consubstantiel des deux. Car le Père et le Fils ne sont pas deux dieux; le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux; niais la Trinité elle-même est le seul et unique vrai
 
 

1. Rom. XIII, 1. — 2. Jean, I, 3. — 3. Coloss. I, 16.
 
 

94
 
 

Dieu. Et cependant le Père n'est pas le même que le Fils, le Fils n'est pas le même que le Père, et le Saint-Esprit n'est pas le même que le Père et le Fils; puisqu'ils sont trois, le Père, le Fils et le Saint-Esprit; mais la Trinité elle-même est un seul Dieu. Si donc le Fils vous glorifie de la manière « dont vous a lui avez donné la puissance sur toute chair », et si vous la lui avez donnée de telle sorte, « que ceux que vous lui avez donnés, il leur « donne la vie éternelle », et « que cette vie éternelle soit de vous connaître », il s'ensuit que le Fils vous glorifie en vous faisant connaître à tous ceux que vous lui avez donnés. Donc, si la vie éternelle n'est autre chose que la connaissance de Dieu, plus nous avançons dans cette connaissance, plus nous tendons vers la vie. Or, nous ne mourrons pas dans la vie éternelle; la connaissance de Dieu sera donc parfaite, quand il n'y aura plus de mort à subir. Alors aura lieu la souveraine glorification de Dieu; car, alors sera sa souveraine gloire, qui en grec se dit doxa. C'est pourquoi il est dit ici: doxason, ce que les Latins ont traduit, les uns par le mot clarifica, et d'autres par le mot glorifica. « La gloire », c'est-à-dire, ce qui rend les hommes glorieux, a été définie ainsi par les anciens: La gloire est une grande renommée accompagnée de louanges. Mais si on loue un homme parce qu'on s'en rapporte sur son compte à la renommée, comment louera-t-on Dieu, lorsqu'on le verra lui-même ? C'est pourquoi il est écrit : « Bienheureux ceux qui habitent dans votre demeure, ils vous loueront dans les siècles des siècles (1)». On louera Dieu sans fin, là où on le connaîtra parfaitement; et parce qu'il y aura pour nous une parfaite connaissance de Dieu, il y aura pour lui une souveraine manifestation ou glorification.

4. Mais Dieu est d abord glorifié ici-bas, lorsqu'on l'annonce pour le faire connaître aux hommes, et que, par leur foi, les croyants le prêchent au monde. C'est pourquoi Jésus dit : « Je vous ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l'oeuvre que vous m'avez donnée à faire »; il ne dit pas : que vous m'avez commandée, mais : « que vous m'avez donnée à « faire ». Ici, il est évidemment question de la grâce; car la nature humaine, même dans son Fils unique, a-t-elle quelque chose qu'elle n'ait pas reçu ? Pour elle, n'est-ce pas un privilège
 
 

1. Ps. LXXXIII, 5.
 
 

de ne faire aucun mal et de faire tout le bien possible, et ce privilège ne lui a-t-il pas été accordé, lorsque le Verbe, qui a fait toutes choses, se l'est associée en unité de personne ? Mais comment a-t-il achevé l'oeuvre qu'il avait reçu mission d'accomplir, quand il reste encore à faire l'expérience de cette passion, par laquelle il a surtout donné à ses martyrs un exemple à suivre; ce qui a fait dire à l'apôtre Pierre : « Jésus-Christ a souffert pour nous, nous laissant a son exemple afin que nous suivions ses traces (1)? » Parce qu'il a pu dire qu'il avait achevé ce qu'il savait certainement devoir achever. C'est ainsi que, longtemps avant l'événement, il se servait, dans les prophéties, de verbes au temps passé, quand ce qu'il annonçait ne devait arriver que bien des années après : « Ils ont percé », dit-il, « mes mains « et mes pieds; ils ont compté tous mes os (2) » ; il ne dit pas : Ils perceront, ils compteront. Dans notre Evangile même, il dit : « Tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître (3) », quoiqu'en s'adressant ensuite aux mêmes hommes, il leur dise

« J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter maintenant (4) ». En effet, pour celui qui, par des causes certaines et immuables, a prédestiné tout ce qui doit arriver, on peut dire que déjà il a fait ce qu'il doit faire. Aussi un Prophète a-t-il dit de lui : « C'est lui qui a fait les choses à venir (5) ».

5. C'est encore en ce sens qu'il ajoute : « Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi aussi en vous-même, de la gloire que j'ai eue en vous, avant que le monde fût ». Plus haut il avait dit : « Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour ». Cet ordre de parole montrait que le Père devait d'abord glorifier le Fils, afin que le Fils glorifiât ensuite le Père. Maintenant, au contraire, il dit : « Je vous ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l'oeuvre que vous m'avez donnée à faire; et maintenant glorifiez-moi », comme s'il avait été le premier à glorifier le Père, à qui il demande de le glorifier lui-même à son tour. Il faut donc admettre que, dans le premier passage, il s'est servi de ces deux mots pour marquer ce qui devait arriver, et dans l'ordre
 
 

1. I Pierre,  II, 21. — 2. Ps. XXI, 17, 18. — 3. Jean, XV, 15. — 4. Id. XVI, 12. — 5. Isa. XLV, 11, suiv. les Septante.
 
 

95
 
 

où cela devait arriver : Glorifiez le Fils, afin que le Fils vous glorifie. Dans le dernier passage, au contraire, il s'est servi d'un verbe au temps passé, pour marquer une chose future; il dit effectivement : « Je vous ai glorifié sur la terre, j'ai achevé l'oeuvre que vous m'avez donnée à faire ». Puis il ajoute : « Et maintenant, Père, glorifiez-moi en vous-même » ; de là, il semble résulter qu'il ne devait être glorifié parle Père qu'après l'avoir glorifié lui-même. Par ces paroles, que veut-il donc nous faire entendre ? Le voici, c'est qu'en disant plus haut : « Je vous ai glorifié sur la terre », il parlait comme s'il avait déjà fait ce qu'il ne devait faire que plus tard, et demandait que le Père fit ce par quoi le Fils devait faire ce qu'il disait, c'est-à-dire que le Père glorifiât le Fils, de cette glorification dont le Fils, lui aussi, devait glorifier le Père. Enfin, si nous employons le futur pour des choses à venir, tandis que, dans le même cas, Notre-Seigneur a employé le temps passé , toute obscurité disparaîtra; ce sera comme s'il avait dit : Je vous glorifierai sur la terre; j'achèverai l'oeuvre que vous m'avez donnée à faire; et maintenant, vous aussi, Père, glorifiez-moi en vous-même. De cette manière tout devient aussi clair que dans le passage où il dit : « Glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie à son tour ». C'est absolument la même pensée, à cela près que, dans un endroit, il explique le mode de cette glorification, et que dans l'autre il le passe sous silence; il voulait peut-être apprendre à ceux que cela pouvait toucher, comment le Père devait glorifier le Fils, et surtout comment le Fils devait glorifier le Père. En disant, en effet, que le Père était glorifié par lui sur la terre, mais qu'il était à son tour glorifié par le Père en lui-même, il montre bien le mode dont s'opère chacune de ces glorifications. Il a glorifié le Père sur la terre, en le prêchant aux nations; et le Père l'a glorifié en lui-même, en le plaçant à sa droite. biais lorsqu'en parlant ensuite de la glorification du Père, il dit : « Je vous ai glorifié », il a préféré employer le verbe au temps passé, pour montrer comme accompli dans la prédestination, et pour faire regarder comme déjà fait ce qui devait être très-sûrement fait. En d'autres termes : Glorifié par le Père dans le Père, le Fils devait glorifier le Père sur la terre.

6. Mais cette prédestination dans la glorification dont le glorifia le Père, Notre-Seigneur nous la découvre bien plus manifestement dans ce qu'il ajoute : « De la gloire que j'ai eue en vous, avant que le inonde fût ». L'ordre des paroles est bien celui-ci : « Que j'ai eue en vous avant que le monde fût ». C'est à ceci que se rapporte ce qu'il avait dit : « Et maintenant glorifiez-moi », c'est-à-dire Comme vous m'avez glorifié alors, glorifiez-moi maintenant. Comme alors vous m'avez glorifié en prédestination, maintenant glorifiez-moi en réalité. Faites dans le monde ce qui était déjà fait en vous avant l'existence du monde; faites en son temps ce que vous aviez arrêté avant tous les temps. A en croire quelques-uns, il faut entendre ces paroles en ce sens que la nature humaine, prise par le Verbe, se changerait en Verbe, et que l'homme se transformerait en Dieu; et même, si nous examinons plus attentivement leur opinion, que l'homme s'anéantirait en Dieu. Personne n'oserait dire que par ce changement de l'homme, le Verbe de Dieu se doublerait ou qu'il y en aurait deux au lieu d'un, et que le Verbe serait plus grand qu'il n'était. Mais si la nature humaine est changée et convertie au Verbe, et que le Verbe de Dieu reste ce qu'il était et aussi grand qu'il était, que deviendra l'homme ? Ne périra-t-il pas?

7. Mais rien ne nous oblige d'admettre cette opinion, car, ce me semble, elle ne s'accorde pas avec la vérité, si par ces paroles du Fils : « Et maintenant vous, Père, glorifiez- moi en vous-même de la gloire que j'ai eue « en vous, avant que le monde fût n, nous entendons la prédestination à la gloire de la nature humaine qui est en lui et qui se réunira au Père, quand de mortelle elle sera devenue immortelle ; si, d'ailleurs, nous supposons déjà accompli dans la prédestination et avant la création du monde ce qui devait se faire dans le monde à son temps. En effet, si l'Apôtre a pu dire de nous : « Comme il nous a élus en lui-même avant la constitution du monde (1) », pourquoi regarderait-on comme faux que le Père ait glorifié notre chef, au moment où il nous élisait en lui-même pour être ses membres? Comme nous avons été élus, ainsi il a été glorifié ; car, avant que le monde fût, nous n'étions pas nous-mêmes, et Jésus-Christ homme, médiateur
 
 

1. Ephés. I, 4.
 
 
 
 

96
 
 

de Dieu et des hommes (1), n'était pas non plus. Mais Celui qui par lui-même, en tant qu'il est son Verbe, « a fait même les choses « futures et appelle les choses qui ne sont pas comme si elles étaient (2) », assurément, en tant qu'il est homme médiateur de Dieu et des hommes, Dieu le Père l'a glorifié pour nous avant la constitution du monde, puisqu'alors il nous a choisis en lui. En effet, que dit l'Apôtre? « Mais nous savons qu'à ceux qui aiment Dieu, toutes choses tournent à bien, oui, à ceux qui selon son dessein ont été appelés; car ceux qu'il a prévus, il les a aussi prédestinés à devenir conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût lui-même le premier-né au milieu de plusieurs frères ; et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés (3)».

8. Mais peut-être craindrons-nous de dire de Notre-Seigneur qu'il a été prédestiné? L'Apôtre semble, en effet, ne parler que de nous lorsqu'il dit qu'il nous fallait devenir conformes à son image. Mais le chrétien qui suit fidèlement la règle de la foi, peut-il nier que le Fils de Dieu ait été prédestiné, puisqu'on ne peut nier qu'il soit homme? Sans doute, il est juste qu'on ne lui donne pas le nom de prédestiné en tant qu'il est le Verbe de Dieu, Dieu en Dieu. Pourquoi aurait-il été prédestiné, puisque ce qu'il était, il l'était déjà, c'est-à-dire, éternel, sans commencement et sans fin? Mais ce qui devait être prédestiné, c'est ce qu'il n'était pas encore, c'est ce qu'il devait devenir en son temps, comme avant tous les temps il avait été prédestiné
 
 

1. I Tim. II, 5. — 2. Rom. IV, 17. — 3. Id. VIII, 28-30.
 
 

qu'il deviendrait. Quiconque nie que le Fils de Dieu ait été prédestiné, nie aussi qu'il soit le fils de .l'homme. Mais à cause de ces chicaneurs, écoutons encore ici ce que l'Apôtre dit au commencement de ses Epîtres. Dans la première, qui est celle aux Romains, et tout au commencement, nous lisons : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, choisi pour l'Évangile de Dieu, qu'il avait promis d'avance par ses Prophètes dans les saintes Écritures au sujet de son Fils, Fils qui lui a été fait selon la chair de la race de David, qui a été prédestiné Fils de Dieu en la puissance, selon l'esprit de sanctification, par sa résurrection d'entre les morts (1) ». Donc, même en raison de cette prédestination, il a été glorifié avant que le monde fût, afin que sa gloire vînt, auprès du Père, à la droite duquel il est assis, de sa résurrection d'entre les morts. Quand donc il vit que le temps dé la gloire qui lui était prédestinée était venu, et qu'allait s'accomplir en réalité ce qui avait été fait en prédestination, il fit cette prière : « Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi en vous de la gloire que j'ai eue en vous avant que le monde fût ». C'était dire, en d'autres termes : Cette gloire que j'ai eue en vous, c'est-à-dire, cette gloire que j'ai eue en vous dans votre prédestination, il est temps que je l'aie aussi en vous en vivant à votre droite. Mais comme l'examen de cette question nous a retenus longtemps, nous traiterons de ce qui suit dans un autre discours.
 
 

1. Rom. I, 1-4.

CENT SIXIÈME TRAITÉ
DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « J'AI MANIFESTÉ VOTRE NOM AUX HOMMES », JUSQU'A CES AUTRES : « ET ILS ONT CRU QUE VOUS M'AVEZ ENVOYÉ ». (Chap. XVII, 6.8.)
 

LA MANIFESTATION DU PÈRE.
 

Qu'il s'agisse des seuls disciples du Sauveur ou de tous les fidèles, toujours est-il que, en qualité d'homme, Jésus les avait reçus de Dieu et qu'il devait leur communiquer la connaissance de la sainte Trinité, et la foi en ce que le Père avait dit au Fils en l'engendrant.
 
 
 
 

1. Nous parlerons dans ce discours, selon que le Seigneur nous en fera la grâce, sur ces paroles qu'ajouta Notre-Seigneur : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde ». Si ces paroles s'adressaient seulement aux disciples avec lesquels il avait fait la cène, et auxquels il avait dit tant de choses avant de commencer sa prière, elles ne se rapporteraient pas à cette illustration, ou, comme tant d'autres traduisent, à cette glorification dont il parlait tout à l’heure, et par laquelle le Fils célèbre ou glorifie le Père. Quelle gloire, quelle grande gloire y aurait-il eu, pour le Père, d'être connu de douze ou plutôt de onze hommes mortels? Mais si, par ces paroles : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde », le Christ a voulu désigner tous ceux qui, croyant en lui, devaient appartenir à sa grande Eglise, composée de toutes les nations et dont il est dit au Psaume : « Dans une grande église (1) je vous confesserai », assurément, voilà bien la glorification dont le Fils glorifie le Père, lorsqu'il fait connaître son nom à toutes les nations et à tant de générations d'hommes. Et ce qu'il dit ici : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde », signifie la même chose que ce qu'il avait dit un peu auparavant: « Je vous ai glorifié sur la terre (2) ». Il a mis ici et là le passé pour le futur, car il savait bien qu'il était décidé d'avance que cela se ferait, et par conséquent il dirait avoir fait ce qu'il devait faire très-certainement.

2. Cependant, que ce soit de ceux qui étaient déjà ses disciples, et non de tous ceux qui
 
 

1. Ps. XXXIV, 18. — 2. Jean, XVII, 4.
 
 

devaient croire en lui, que Notre-Seigneur ait dit : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés du monde », c'est ce que rendent plus croyable les paroles qui suivent. En effet, après avoir dit ces mots, il ajoute : « Ils étaient vôtres, et vous me les avez donnés, et ils ont gardé votre parole. « Maintenant ils ont connu que tout ce que « vous m'avez donné, vient de vous ; car les paroles que vous m'avez données, je les leur ai données; et ils les ont reçues, et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que vous m'avez envoyé ». Sans doute il aurait pu dire toutes ces choses de tous les fidèles futurs ; car elles étaient déjà accomplies en espérance, quoiqu'elles ne dussent réellement s'accomplir que plus tard; mais ce qui prouve davantage qu'il ne voulait point faire par là allusion seulement à ses disciples d'alors, c'est ce qu'il dit peu après : « Lorsque j'étais avec eux, je les gardais en votre nom ; ceux que vous m'avez donnés, je les ai gardés et aucun d'eux n'a péri, sinon le fils de perdition, afin que l'Ecriture s'accomplit ». Il indiquait ainsi le traître Judas, car, des douze, Apôtres, il a été le seul qui ait péri. Ensuite il ajoute : « Mais maintenant je viens à vous ! » De là, il ressort évidemment qu'il faisait allusion à sa présence corporelle, quand il disait : « Lors« que j'étais avec eux, je les gardais u. On croirait, à l'entendre, que déjà il avait cessé de se trouver corporellement présent parmi eux. Ainsi a-t-il voulu indiquer son ascension qui devait avoir lieu prochainement, et de laquelle il dit : « Mais maintenant je viens à vous ». Il devait, en effet, aller s'asseoir à la droite du Père, d'où, selon la règle de la foi (98) et la saine doctrine, il doit venir avec le même corps juger les vivants et les morts. Par sa présence spirituelle, il devait rester avec eux, même après son ascension, et doit rester avec toute son Eglise en ce monde jusqu'à la consommation des siècles (1). On ne comprendrait pas bien de qui il a dit : « Lorsque j'étais avec eux, je les gardais »,. si on n'appliquait ces paroles qu'à ses disciples d'alors; comme ils croyaient en lui, il avait commencé à les garder corporellement, et il devait les abandonner corporellement, afin de les garder avec le Père d'une manière spirituelle. Il parle ensuite des autres qui sent aussi à lui, lorsqu'il dit : « Or, je prie non pas pour ceux-là seulement, mais aussi pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole ». Ceci montre bien clairement qu'il ne parlait pas de tous ses disciples lorsqu'il disait : « J'ai manifesté votre nom aux hommes que vous m'avez donnés », mais seulement de ceux qui l'écoutaient lorsqu'il prononçait ces mots.

3. Au commencement même de son discours, il avait élevé les yeux au ciel et dit : « Père, l'heure est venue, glorifiez votre Fils afin que votre Fils vous glorifie». Depuis ce moment jusqu'à celui où il prononça ces mots : « Et maintenant vous, Père, glorifiez-moi de la gloire que j'ai eue en vous, avant que le monde existât », Notre-Seigneur a voulu parler de tous ceux à qui il ferait connaître le Père, pour le glorifier. En effet, après avoir dit : « Afin que votre Fils vous glorifie », il montra comment la chose devait se faire ; car il s'exprima en ces termes : « Comme vous lui avez donné pouvoir sur toute chair, afin qu'à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle. Or, la vie éternelle, c'est de vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ (2) ». Le Père, en effet, ne peut être glorifié par la connaissance des hommes, s'ils ne connaissent aussi celui par qui il est glorifié, c'est-à-dire par qui les peuples le connaissent. Cette glorification du Père ne se borne pas aux seuls Apôtres, elle s'étend à tous les hommes, qui sont les membres dont Jésus-Christ est le chef. On ne peut entendre des seuls Apôtres ces paroles : « Comme vous lui avez donné pouvoir sur toute chair, afin qu'à tous ceux que
 
 

1. Matth. XXVIII, 20. — 2. Jean, XVII, 1-20.
 
 

vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle », il faut évidemment les entendre, de tous ceux qui, croyant en lui, obtiennent la vie éternelle.

4. Voyons donc maintenant ce qu'il dit de ses disciples qui l'entendaient. « Alors j'ai manifesté »,dit-il, «votre nom aux hommes que vous m'avez donnés ». Ils ne connaissaient donc pas le nom de Dieu, pendant qu'ils étaient Juifs? Que devient alors ce que nous lisons : « Dieu est connu dans la Judée ; son nom est grand dans Israël (1) ? » Donc « j'ai manifesté votre nom à ces hommes que vous m'avez donnés au milieu du monde », et qui m'entendent prononcer ces paroles; je leur ai manifesté, non pas ce nom par lequel on vous appelle Dieu, mais celui par lequel on vous appelle mon Père; et ce nom ne pouvait être manifesté sans que le Fils fût manifesté lui-même, car le nom par lequel il est appelé le Dieu de toute créature, n'a pu rester tout à fait inconnu à toutes les nations, même avant qu'elles crussent en Jésus-Christ. Telle est la force de la vraie divinité, qu'elle ne peut être ni absolument ni entièrement cachée à toute créature raisonnable qui a l'usage de sa raison. Excepté, en effet, un petit nombre d'hommes en qui la nature s'est trouvée trop dépravée, le genre humain tout entier confesse que Dieu est l'auteur de ce monde. En tant donc qu'il a fait ce monde composé du ciel et de la terre, Dieu était connu de toutes les nations, même avant qu'elles fussent imbues de la foi de Jésus-Christ. En tant qu'il ne doit pas être adoré avec les faux dieux d'un culte insultant pour lui, Dieu est connu dans la Judée. Mais en tant qu'il est le Père de ce Jésus-Christ, par qui il enlève les péchés du monde, ce nom précédemment caché à tous, Jésus-Christ l'a maintenant manifesté à ceux que le Père lui. même lui a donnés au milieu du monde. Pourtant, comment l'a-t-il manifesté, si elle n'est pas encore venue, cette heure dont il disait « qu'il viendra une heure, où je ne vous parlerai plus en paraboles, mais où je vous parlerai ouvertement de mon Père (2)? » Faut-il regarder comme ouvertement annoncé ce qui se dit en paraboles? Mais pourquoi dire : Je vous parlerai ouvertement, sinon parce que ce n'est point parler ouvertement que parler en paraboles ? Ne pas cacher
 
 

1. Ps. LXXV, 2. — 2. Jean, XVI, 25.
 
 
 
 

99
 
 

ce qu'on dit sous des paraboles, mais le manifester par ses paroles, c'est ce qui s'appelle parler ouvertement. Comment donc Notre-Seigneur a-t-il manifesté ce qu'il n'a pas encore dit ouvertement ? Il faut reconnaître qu'en cet endroit il emploie le temps passé pour le futur, comme il avait déjà fait en cet autre: « Tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître (1) »n. En réalité, il ne l'avait pas encore fait, mais il parlait comme s'il l'avait fait, parce qu'il savait que, d'après la prédestination, il le ferait certainement.

5. Mais que signifient ces mots : « Que vous m'avez donnés au milieu du monde? » Il a dit des Apôtres qu'ils n'étaient pas du monde: c'est là un effet de leur régénération, et non pas de leur naissance. Que signifie aussi ce qui suit : « Ils étaient à vous et vous me les avez donnés? » Y a-t-il eu un temps où ils appartenaient au Père, sans appartenir aussi à son Fils unique, et le Père a-t-il jamais eu quelque chose, sans que le Fils l'eût aussi ? Loin de nous cette pensée. Néanmoins, pendant une certaine époque, le Fils a eu, comme Dieu, ce qu'il n'avait pas comme homme ; car, avant de recevoir d'une mère la vie humaine, il possédait déjà toutes choses avec le Père. Aussi, quand il dit : « Ils étaient à vous », il n'a pas voulu se mettre de côté, puisqu'il était le Fils de Dieu et que le Père n'a jamais rien possédé sans lui; mais bien qu'il puisse tout, il attribue d'habitude tout ce qu'il petit à Celui qui l'a engendré ; car il tient son pouvoir de Celui dont il a reçu l'être, et il a toujours possédé en même temps l'être et le pouvoir, car il a toujours existé et toujours le pouvoir a été inhérent à son être. Donc, tout ce que le Père a pu, le Fils l'a toujours pu avec lui; parce que le Fils, qui a toujours existé et n'a jamais été privé du pouvoir, n'a jamais non plus été sans le Père, comme aussi le Père n'a jamais été sans lui. Et ainsi, de même que le Père éternel est tout-puissant, de même le Fils qui lui est coéternel est tout-puissant; et s'il est tout-puissant, comme le Père, il tient tout dans sa main. Ainsi devons-nous traduire, si nous voulons rendre exactement le mot grec pantokratwr : ce mot veut dire qui contient tout; or, les nôtres ne l'auraient pas traduit par tout-puissant, si ces deux mots ne signifiaient pas la même chose. Mais si l'Eternel contient
 
 

1. Jean, XV, 15.
 
 

tout, Celui qui lui est coéternel et qui contient aussi tout, peut-il posséder quelque chose de moins que lui ? Quand Jésus dit: « Et vous me les avez donnés », il montre donc que c'est en qualité d'homme qu'il a reçu la puissance de les posséder, parce que Celui qui a toujours été tout-puissant n'a pas toujours été homme. Il semble glorifier plus particulièrement le Père de ce qu'il les lui a donnés, parce que tout ce qu'il est,il le tient de Celui de qui il est. Cependant, il se les est donnés à lui-même ; c'est-à-dire, Jésus-Christ Dieu a, conjointement avec le Père, donné les hommes à Jésus-Christ homme , mais homme sans le Père. Enfin, celui qui dit en cet endroit: « Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés », avait déjà dit plus haut aux mêmes disciples : « C'est moi qui vous ai choisis du monde (1) ». Que toute pensée charnelle soit ici anéantie et disparaisse. Le Fils dit que le Père lui a donné du monde des hommes auxquels il dit ailleurs : « C'est moi qui vous ai choisis du monde ». Ceux que le Fils a, comme Dieu, choisis du monde conjointement avec le Père, le même Fils les a, comme homme, reçus du monde ; car le Père les lui a donnés. Le Père ne les aurait pas donnés au Fils, s'il ne les avait pas choisis; et comme le Fils n'a pas voulu se séparer du Père quand il a dit : « C'est moi qui vous ai choisis du monde », parce que le Père les a choisis en même temps; de même encore il n'a pas voulu se séparer du Père lorsqu'il a dit : « Ils étaient à vous », parce qu'ils étaient également au Fils. Il faut donc dire que le même Fils a, comme homme, reçu ceux qui n'étaient pas à lui, parce que, comme Dieu, il a reçu la forme d'esclave qui n'était pas à lui.

6. Notre-Seigneur continue et dit : « Et ils ont gardé votre parole ; maintenant ils ont appris que toutes les choses que vous m'avez données viennent de vous », c'est-à-dire, ils ont appris que je viens de vous. En même temps qu'il engendrait celui qui devait avoir toutes choses, le Père lui a donc donné toutes choses. « Parce que », continue-t-il, « les paroles que vous m'avez données, je les leur ai données, et ils les ont reçues »; c'est-à-dire, ils les ont comprises et retenues. On reçoit, en effet, une parole, quand on la perçoit par l'esprit. « Et ils ont connu vraiment que je suis sorti de vous, et ils ont cru que
 
 

1. Jean, XV, 19.
 
 

100
 
 

vous m'avez envoyé ». Ici il faut sous-entendre « vraiment ». Après avoir dit : « Ils ont connu vraiment », il a voulu l'expliquer, en ajoutant : « Et ils ont cru ». Ils ont donc cru « vraiment » ce qu'ils ont connu « vraiment »; car ces mots : « Je suis sorti de vous », ont le même sens que ceux-ci : « Vous m'avez envoyé ». Il avait donc dit « Ils ont connu vraiment »; mais afin de ne point laisser supposer que cette connaissance était le résultat d'une vue claire et non celui de la foi, il ajoute comme explication : « Et ils ont cru », de telle sorte que nous devons sous-entendre « vraiment », et comprendre que ces mots : « Ils ont connu vraiment », signifient : « Ils ont cru vraiment » ; en d'autres termes, ils n'ont pas cru de la manière à laquelle il faisait allusion lorsque, peu auparavant, il leur disait: « Maintenant croyez-vous? L'heure vient, et elle est déjà venue, « où vous serez dispersés chacun de votre côté et où vous me laisserez seul ». Mais « ils ont cru vraiment (1) », comme il faut croire d'une foi inébranlable, ferme, stable et courageuse; ils ne devaient plus retourner chez eux et abandonner Jésus-Christ. Ses disciples n'étaient pas encore tels qu'il les disait, en se servant du temps passé, comme si déjà ils l'étaient devenus; mais il annonçait ce qu'ils deviendraient après avoir reçu le Saint-Esprit, qui devait, selon sa promesse, leur enseigner toutes choses. Avant d'avoir reçu cet Esprit, comment gardèrent-ils sa parole ? Notre-Seigneur le leur dit, comme s'ils l'avaient déjà fait; le premier d'entre eux ne l'a-t-il pas, en effet, renié trois fois (2), quoi
 
 

1. Jean, XVI, 31, 32. — 2. Matth. XXVI, 63-74.
 
 

qu'il eût entendu de sa bouche même ce qui devait arriver à l'homme qui le renierait devant les hommes (1) ? Suivant son expression même, il leur donna donc les paroles que lui avait données le Père; mais quand ils les reçurent spirituellement dans leurs cœurs, et non pas seulement extérieurement dans leurs oreilles, c'est alors qu'ils les reçurent véritablement, parce qu'alors ils les connurent véritablement; et ils les connurent véritablement, parce qu'ils les crurent véritablement.

7. Mais comment le Père a-t-il donné ces paroles au Fils lui-même ? Par quelles paroles l'homme pourra-t-il l'expliquer ? Sans doute, la question est plus facile, si l'on croit qu'il a reçu ces paroles du Père en tant que Fils de l'homme ; et toutefois, qui racontera quand et comment celui qui est né d'une vierge a appris ces paroles ? car , même sa génération dans le sein d'une Vierge, qui la racontera? Mais si l'on croit qu'il a reçu du Père ces paroles, en tant qu'il est son Fils et qu'il lui est coéternel, on doit faire abstraction du temps; par conséquent, on ne peut supposer qu'il ai} existé un seul instant sans les avoir, ou qu'il les ait reçues de manière à avoir ce qu'il n'avait pas auparavant. En effet, tout ce que Dieu le Père a donné à Dieu le Fils, il le lui a donné en l'engendrant. Car le Père a donné au Fils ce sans quoi il ne pourrait être le Fils, comme il lui a donné d'être. Comment pourrait-il donner autrement quelques paroles à son Verbe, puisque c'est en lui qu'il a dit toutes choses d'une manière ineffable? Pour ce qui suit, il faut attendre à un autre discours.
 
 

1. Matth. X, 33.

CENT-SEPTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « MOI JE PRIE POUR EUX », JUSQU'A CES AUTRES : « AFIN QU'ILS AIENT MA JOIE ACCOMPLIE EN EUX-MÊMES ». (Chap. XVII, 9-13.)
 

REMISE DES APOTRES A LA GARDE DU PÈRE.
 

Le Sauveur prie pour ses disciples qui sont1dans le monde, mais qu'en qualité d'homme il a reçus de la part de Dieu, du milieu du monde. Le Père va le glorifier, il est sur le point de les quitter ; c'est donc au Père de veiller sur eux et de leur communiquer la plénitude de la paix et de la joie.
 
 

1. En parlant à son Père de ceux qu'il avait déjà pour disciples, le Sauveur lui dit entre autres choses : « Moi, je prie pour eux ; je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que vous m'avez donnés » . Par monde, il veut ici qu'on entende ceux qui vivent selon la concupiscence du monde, et ne sont pas à tel point privilégiés de la grâce qu'ils soient par lui choisis du milieu du monde. Aussi dit-il qu'il prie, non pour le monde, mais pour ceux que le Père lui a donnés. En effet, par cela même que le Père les lui a déjà donnés, ils n'appartiennent plus à ce monde, pour lequel il ne prie pas.

2. Il ajoute ensuite : « Parce qu'ils sont à vous ». De ce que le Père les a donnés au Fils, il ne suit pas qu'il les ait perdus; car le Fils continue et dit : « Et tout ce qui est à moi vous appartient, et tout ce qui est à  vous est à moi ». Par là, il paraît assez comment sont au Fils unique toutes les choses qui appartiennent au Père : c'est qu'il est Dieu lui-même et que, né du Père, il lui est égal. Il ne faut donc pas entendre ces paroles de la manière dont il a été dit à l'un des deux fils, c'est-à-dire à l'aîné: « Toi, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi. est à toi (1) ». Dans le premier cas, il est question de toutes les créatures placées au-dessous de la créature sainte et raisonnable, et qui sont soumises à l'autorité de l'Eglise ; or, dans cette Eglise universelle se trouvent compris ces deux fils, l'aîné et le plus jeune, avec tous les saints Anges, auxquels nous serons égaux dans le royaume de Jésus-Christ et de Dieu (2). Mais voici ce qu'a dit Jésus-Christ : « Tout ce qui est à moi est à vous, et tout ce
 
 

1. Luc, XV, 31. — 2. Matth. XXII, 30.
 
 

qui est à vous est à moi ». Ces paroles s'appliquent donc à la créature raisonnable elle-même, à cette créature qui n'est inférieure, qu'à Dieu et qui tient sous sa dépendance tout ce qui se trouve au-dessous d'elle. Cette créature raisonnable appartient à Dieu le Père, mais elle n'appartiendrait pas en même temps au Fils, si le Fils n'était pas égal au Père. C'est d'elle qu'il entendait parler, lorsqu'il disait : « Je ne prie pas pour le monde, mais pour ceux que vous m'avez donnés ; parce qu'ils sont à vous, et que tout ce qui est à moi est à vous; et que tout ce qui est à vous est à moi ». Et il est impossible que les saints dont il dit ces choses, appartiennent à d'autres qu'à celui qui les a créés et sanctifiés. Par conséquent, tout ce qui est à eux doit aussi nécessairement appartenir à Celui à qui ils appartiennent eux-mêmes. Donc, comme ils appartiennent et au Père et au Fils, c'est la preuve que le Père et le Fils sont égaux, puisqu'ils leur appartiennent également. Ce qu'il disait, en parlant du Saint-Esprit : « Tout ce que le Père possède est à moi; c'est pourquoi j'ai dit qu'il recevra de ce qui est à moi et vous l'annoncera (1) »; il le disait des choses qui appartiennent à la divinité même du Père, et dans lesquelles il lui est égal, puisqu'il a tout ce que le Père a lui-même. Car le Saint-Esprit ne devait pas recevoir d'une créature soumise au Père et au Fils ce qu'il veut indiquer par ces mots : « Il recevra du mien »; mais il le reçoit du Père dont il procède, et de qui le Fils lui-même est né.

3. « Et », ajoute Notre-Seigneur, «j'ai été glorifié en eux ». Maintenant, il parle de sa
 
 

1. Jean. XVI, 15.
 
 

102
 
 

glorification comme si elle était déjà accomplie, quoiqu'elle ne doive s'accomplir que plus tard. Tout à l'heure il demandait à son Père qu'elle s'accomplît. Mais il faut voir si c'est bien là cette glorification dont il avait dit : « Et maintenant, vous, Père, glorifiez-moi de cette glorification que j'ai eue en vous, avant que le monde fût (1) ». Oui, voilà ce qu'il faut voir. Si c'est « en vous », comment est-ce « en eux? » Ou bien, lorsqu'il s'est fait connaître à eux, ne lui ont-ils pas servi à le faire connaître à tous ses témoins qui les ont crus? Nous pouvons parfaitement admettre qu'en ce sens Notre-Seigneur avait été glorifié dans ses Apôtres. En parlant de cela comme d'un fait déjà accompli, il montre que c'était une chose prédestinée, et-il veut qu'on regarde comme certain ce qui ne devait néanmoins arriver que plus tard.

4. « Et déjà », continue Notre-Seigneur, « je ne suis plus dans le monde, et ils sont dans le monde ». Si vous ne faites attention qu'au moment où il parle, ils étaient encore dans le monde, les uns et les autres, Notre-Seigneur et ceux dont il parlait. Mais ces paroles, nous ne pouvons ni ne devons les entendre des dispositions de leur coeur et de leur conduite, en ce sens que les disciples étaient encore dans le monde, parce qu'ils aimaient encore les choses du monde, tandis que Jésus-Christ n'était déjà plus dans le monde, parce qu'il goûtait les choses divines. Il se trouve là un mot qui nous empêche absolument de les interpréter ainsi. Il ne dit pas, en effet : Je ne suis pas dans le monde; mais bien : « Déjà, je ne suis plus dans le monde ». Et il montre par là qu'il avait été dans le monde, et qu'il n'y était déjà plus. En conséquence , nous serait-il permis de croire qu'il avait, pendant quelque temps, aimé les choses du monde, et que, délivré de cette erreur, il ne les aimait plus? Qui est-ce qui pourrait admettre un sens si impie? Voici donc ce qui nous reste à admettre : Il annonce qu'il n'est déjà plus dans le monde, dans le sens dans lequel il s'y était trouvé, c'est-à-dire corporellement. Il faisait donc connaître qu'il allait bientôt s'éloigner du monde, tandis que ses disciples ne s'en éloigneraient crue plus tard, et, pour l'indiquer, il dit qu'il n'est déjà plus dans le monde
 
 

1. Jean, XVII, 1, 5.
 
 

et qu'ils y sont encore, quoiqu'ils y soient encore également les uns et les autres. Il a parlé ainsi, comme un homme qui s'adresse à des hommes, et selon le langage habituel des hommes. Ne disons-nous pas tous les jours : Il n'est déjà plus là, en parlant de quelqu'un qui doit partir bientôt ? C'est surtout de ceux qui vont mourir qu'on parle ainsi. Toutefois , Notre-Seigneur prévoyait que ces paroles pourraient embarrasser ceux qui liraient ceci ; car il ajoute :«Et je viens à vous », expliquant en quelque sorte pourquoi il a dit : « Déjà je ne suis plus dans ce monde ».

5. Notre-Seigneur recommande donc au Père ceux qu'il allait en quelque sorte abandonner par son absence corporelle : « Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m'avez donnés ». Comme homme, il prie Dieu pour les disciples qu'il a reçus de Dieu; mais faites bien attention à ce qui suit : « Afin qu'ils soient un comme nous ». Il ne dit pas : afin qu'ils soient un avec nous, ni afin que nous et eux nous soyons un, comme nous-mêmes nous sommes un ; mais il dit : « Afin qu'ils soient un comme nous ». C'est-à-dire qu'ils soient un. dans leur nature, comme nous sommes un dans la nôtre. Chose qui assurément ne serait pas vraie, s'il ne la disait pour montrer que c'est comme Dieu, et non comme homme, qu'il est de même nature que le Père, comme il le dit ailleurs : « Le Père et moi, nous sommes un (1) ». Car, en tant qu'homme, il dit : « Le Père est plus grand que moi (2) ». Mais comme, en lui, le Dieu et l'homme ne forment qu'une seule personne , nous le voyons homme quand il prie; et nous le voyons Dieu, quand il ne fait qu'un avec celui qu'il prie. Mais, dans ce qui suit, nous trouverons un passage où nous traiterons ce sujet avec plus de soin.

6. Maintenant, il continue : « Lorsque j'étais avec eux, je les gardais en votre nom ». Et comme je viens à vous, gardez-les en votre nom, ce nom dans lequel je les gardais lorsque j'étais avec eux. En tant qu'homme, le Fils gardait ses disciples au nom du Père, lorsque son humanité était présente au milieu d'eux. Mais le Père, lui aussi, gardait au nom du Fils ceux qu'il exauçait quand ils le priaient en son nom. C'est à
 
 

1. Jean, X, 30. — 2. Id, XIV, 28.
 
 

103
 
 

eux-mêmes que le même Fils avait dit: « En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous demandez quelque chose au Père en mon nom, il vous le donnera (1) ». Nous ne devons cependant pas donner à cela un sens charnel, comme si le Père et le Fils nous gardaient, chacun à son tour, la protection de l'un succédant à celle de l'autre, et le premier arrivant au moment où le second s'éloigne. Nous sommes gardés en même temps et par le Père, et par le Fils, et par le Saint-Esprit; car ils ne forment tous trois qu'un seul Dieu véritable et bienheureux. Mais l'Écriture ne nous élève qu'autant qu'elle descend jusqu'à nous, de la même manière que le Verbe, en se faisant chair, est descendu pour nous élever, mais n'est pas tombé à terre pour y rester. Si nous connaissons Celui qui est descendu vers nous, élevons-nous avec lui puisqu'il veut nous élever. Et comprenons-le bien, lorsqu'il parle ainsi, il distingue les personnes, mais il n'établit pas plusieurs natures. Quand donc le Fils gardait corporellement ses disciples , le Père, pour les garder, n'attendait pas que le Fils s'éloignât, afin de lui succéder; mais tous les deux les gardaient de leur puissance spirituelle. Et quand le Fils leur enleva sa présence corporelle, il continua avec le Père sa garde spirituelle. Lorsqu'en tant qu'homme le Fils reçut la mission de les garder, il ne les enleva pas à la garde du Père ; et quand le Père les donna à garder au Fils, il ne les donna pas séparément de Celui à qui il les donnait ;
 
 

1. Jean, XVI, 23.
 
 

il les donna au Fils en tant qu'homme, mais il n'agit pas séparément de son Fils en tant que Dieu.

7. Le Fils continue donc et dit: «Ceux que vous m'avez donnés, je les ai gardés, et  aucun d'eux n'a péri, si ce n'est le fils de perdition, afin que l'Écriture fût accomplie ». Celui qui est appelé fils de perdition, c'est celui qui a trahi Jésus-Christ; il était prédestiné à la perdition, selon l'Écriture, car elle a prophétisé de lui surtout au psaume cent huitième.

8. « Mais maintenant », dit Notre-Seigneur, « je viens à vous, et je dis ces choses dans le « monde, afin qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie ». Voilà qu'il dit : je parle dans le inonde , et pourtant, un peu auparavant il avait dit : « Déjà je ne suis plus dans le monde ». Pourquoi l'a-t-il dit ? C'est ce que nous avons alors expliqué; et même nous avons montré qu'il l'expliquait lui-même. Donc, comme il n'était pas encore parti, il était encore là, et comme il devait bientôt partir,il n'y était en quelque sorte déjà plus. Mais quelle est cette joie dont il dit : « Afin qu'ils aient en eux la plénitude de ma joie ? » C'est ce qu'il a exprimé plus haut en disant : « Afin qu'ils soient un comme nous ». Cette joie qui est la sienne, c'est-à-dire qu'il a alise en eux, il veut qu'elle y soit complète ; voilà pourquoi il dit qu'il a parlé dans le monde. Cette joie, c'est la paix et la béatitude de la vie future; et pour l'obtenir il faut vivre en celle-ci avec tempérance, justice et piété.

CENT HUITIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE JÉSUS : « JE LEUR AI DONNÉ MA PAROLE », JUSQU'À CES MOTS : « AFIN QU'ILS SOIENT, EUX AUSSI, SANCTIFIÉS EN VÉRITÉ ». (Chap. XVII, 14-19.)
 

SANCTIFICATION DES APOTRES.
 

Notre-Seigneur prie son Père de préserver du mal ses disciples et de les sanctifier dans la vérité, mais non de les retirer du monde : ainsi pourra-t-il les envoyer dans le monde , comme il y a été lui-même envoyé.
 
 

1. Notre-Seigneur s'adressant encore au Père et priant pour ses disciples, dit: « Je leur ai donné votre parole, et le monde les a pris en haine ». Ils n'avaient pas encore éprouvé (104) cette haine par les souffrances qui les attendaient dans la suite ; mais selon sa coutume, Notre-Seigneur annonçait ces choses et indiquait par un temps passé ce qui était encore à venir; il ajoute ensuite la cause pour laquelle le monde les déteste : « Parce qu'ils ne sont pas de ce monde, comme moi-même je ne suis pas de ce monde ». Cette grâce leur avait été conférée par la régénération : car par leur naissance ils étaient du monde; c'est pourquoi il leur avait déjà dit : « Je vous ai choisis du monde (1) ». Il leur avait donc été accordé de n'être pas plus du monde, que lui-même, qui les avait délivrés du monde. Pour lui, il n'a jamais été du monde ; car, même selon la forme d'esclave, il est né du Saint-Esprit qui leur a communiqué la grâce de renaître. En effet, si les disciples ne sont plus du monde, parce qu'ils ont puisé dans le Saint-Esprit une seconde vie, Notre-Seigneur n'a jamais été du monde, puisqu'il est né du Saint-Esprit.

2. « Je ne prie pas », continue-t-il, « pour que vous les enleviez du monde, mais pour que vous les préserviez du mal ». En effet, quoiqu'ils ne fussent plus du inonde, ils avaient besoin d'y demeurer encore. Il répète la même pensée. « Ils ne sont pas du monde, comme moi je ne suis pas du monde, sanctifiez-les dans la vérité ». Ainsi, en effet, seront-ils préservés du mal; voilà ce que tout à l'heure déjà il demandait pour eux. On peut faire cette question : Comment n'étaient-ils plus du monde, s'ils n'étaient pas encore sanctifiés dans la vérité ; ou bien, s'ils l'étaient déjà, pourquoi Jésus-Christ demande-t-il qu'ils le soient ? N'est-ce pas parce que, étant déjà sanctifiés, ils font des progrès dans cette sainteté et deviennent encore plus saints ? Mais si leur sainteté se perfectionne, la grâce de Dieu est loin d'y être étrangère ; car celui qui en a consacré le commencement, en consacre aussi le perfectionnement. Aussi l'Apôtre dit-il : « Celui a qui en vous a commencé la bonne oeuvre, la perfectionnera jusqu'au jour de Jésus-Christ (2) ». C'est pourquoi les héritiers du Nouveau Testament sont sanctifiés dans la vérité, dont les sanctifications de l'Ancien Testament n'étaient que les ombres ; et quand ils sont sanctifiés dans la vérité, assurément ils le sont en Jésus-Christ, qui a dit avec
 
 

1. Jean, XV, 19. — 2. Philipp. I, 6.
 
 

vérité: « C'est moi qui suis la voie, la vérité et la vie (1) ». De même en est-il quand il dit : « La vérité vous délivrera » ; car, pour expliquer ensuite ce qu'il a voulu dire, il ajoute peu après: « Si le Fils vous délivre, alors vous serez vraiment libres (2) ». II voulait montrer par là que ce qu'il appelait la vérité était ce que plus loin il appelait le Fils. Que veut-il donc dire en cet endroit : « Sanctifiez-les dans la vérité », sinon: sanctifiez-les en moi ?

3. Enfin Notre-Seigneur continue, et il ne cesse de faire entendre la même chose plus clairement : « Votre parole est la vérité ». Etait-ce dire autre chose que ceci : Je suis la vérité ? Le texte grec de l'Evangile porte le mot logos, qui se lit aussi au passage où il est dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu ». Et nous avons reconnu que le Verbe était le Fils unique de Dieu, « qui s'est fait chair et qui a habité parmi nous (3) ». C'est pourquoi on aurait pu mettre ici, et on le trouve dans quelques exemplaires : Votre Verbe est la vérité ; de même que dans quelques exemplaires il est écrit : « Au commencement était la Parole ». En grec, on lit invariablement ici et là: Logos. C'est pourquoi le Père sanctifie dans la vérité, c'est-à-dire dans son Verbe, dans son Fils unique, ses héritiers et les cohéritiers de celui-ci.

4. Mais le Sauveur parle encore des Apôtres, car il continue en ces termes « Comme vous m'avez envoyé dans le monde, et moi aussi je les ai envoyés dans le monde». Qui a-t-il envoyé, sinon ses Apôtres? Le nom même d'Apôtres, qui est un nom grec, ne signifie pas, en latin, autre chose qu'envoyés. Dieu a donc envoyé son Fils, non pas dans une chair de péché (4), mais sous la ressemblance de la chair du péché ; et son Fils a envoyé ceux qui, étant nés dans la chair du péché, ont été par lui purifiés de la tache du péché.

5. Mais par cela même que le médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ homme est devenu le chef de l'Eglise, les Apôtres sont ses membres ; c'est pourquoi Notre-Seigneur ajoute ce qui suit: «Et pour eux, je me sanctifie moi-même». Qu'est-ce à dire: «Et pour eux, je me sanctifie moi-même ? » Le voici : Je les sanctifie en moi-même, puisqu'ils ne sont autre chose que moi-même. Car, comme
 
 

1. Jean, XIV, 6. — 2. Id. VIII, 32, 36. — 3. Id. I,1,14. — 4. Rom. VIII, 3.
 
 

105
 
 

je viens de le dire, ceux dont il parle sont ses membres; et la tête et le corps ne forment qu'un seul Christ. C'est la doctrine de l'Apôtre, car il dit en parlant de la race d'Abraham : « Mais si vous êtes de Jésus-Christ, donc vous êtes la race d'Abraham ». Il avait dit plus haut : « Il ne dit pas à plusieurs de la race, mais à un seul de sa race, lequel est Jésus-Christ (1) ». Si donc la race d'Abraham n'est autre que Jésus-Christ, qu'a-t-on voulu dire à ceux auxquels l'Apôtre adressait ces paroles: « Donc vous êtes la race d'Abraham ? » Ceci évidemment : Donc vous êtes Jésus-Christ. Telle est la base du raisonnement que le même Apôtre fait dans un autre endroit : « Maintenant je me réjouis en mes souffrances pour vous, et j'accomplis ce qui manque aux souffrances de Jésus-Christ en ma chair (2) ». Il ne dit pas : à mes souffrances ; mais, aux « souffrances de Jésus« Christ », parce qu'il était an membre de Jésus-Christ; et, par ses souffrances semblables à celles que Jésus-Christ devait endurer dans tout son corps, l'Apôtre accomplissait, pour sa part, ce qui manquait à celles de Jésus-Christ. Veux-tu te convaincre que tel est le sens de ces paroles de Notre-Seigneur ? Ecoute ce qui suit. Après avoir dit : « Et c'est pour eux que je me sanctifie moi-même »,
 
 

1. Galat. III, 29,16. — 2. Coloss. I, 24.
 
 

pour nous faire entendre qu'il parlait ainsi parce qu'il les sanctifiait en lui-même, le Sauveur ajoute aussitôt : « Afin qu'ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité » ; ce qui veut dire, en moi-même, puisque la vérité c'est le Verbe, Dieu dès le commencement. C'est en ce même Verbe que le Fils de l'homme lui-même a été sanctifié dès le commencement de sa création, au moment où le Verbe s'est fait chair; car le Verbe et l'homme se sont réunis en une seule personne. Alors il s'est sanctifié lui-même, en lui-même, c'est-à-dire, lui homme, en lui Verbe ; parce que le Verbe et l'homme sont un seul Jésus-Christ qui sanctifie l'homme dans le Verbe. « Et pour eux », dit-il, c'est-à-dire pour leur avantage, parce qu'ils sont moi, comme il m'a été avantageux en moi-même parce que je suis homme sans eux : « Et je me sanctifie moi-même » ; c'est-à-dire, je les sanctifie en moi, comme moi-même, parce que en moi ils sont moi-même. « Afin qu'eux aussi soient sanctifiés dans la vérité ». Que signifient ces mots: « eux aussi », sinon, comme moi? et, « dans la vérité », sinon ce que je suis moi-même ? Ensuite, il parla non plus seulement de ses Apôtres, mais de ses autres membres. Avec la grâce de Dieu, nous expliquerons dans un autre discours la suite de ses paroles.

CENT NEUVIÈME TRAITÉ.
SUR CES PAROLES : « OR, JE NE PRIE PAS SEULEMENT POUR CEUX-LA, MAIS AUSSI POUR CEUX QUI PAR LEUR PAROLE CROIRONT EN MOI ». (Chap. XVII, 20.)
 

JÉSUS PRIE POUR TOUS LES CROYANTS.
 

Le Sauveur prie pour tous ceux qui doivent croire en lui, en acceptant la foi qu'il est venu apporter au monde, et que ses Apôtres doivent prêcher.
 
 

1. A l'approche de sa passion, le Seigneur Jésus avait prié pour ses disciples, pour ceux qu'il avait nommés ses Apôtres; il avait fait avec eux la dernière cène, et le traître Judas, désigné par le morceau de pain, était sorti avant qu'il priât pour eux; le Sauveur s'entretint alors avec eux de beaucoup de choses, puis il en vint à ceux qui devaient croire en lui, et il dit à son Père : « Or, je ne prie pas « seulement pour ceux-là u, c'est-à-dire pour les disciples qui étaient alors avec lui, « mais « pour ceux », ajouta-t-il, « qui par leur (106) parole croiront en moi ». Par là il voulait désigner tous les siens, c'est-à-dire, non-seulement ceux qui vivaient alors, mais ceux qui devaient exister plus tard. En effet, tous ceux qui, dans la suite, ont cru en lui, y ont évidemment cru sur la parole des Apôtres; et c'est sur la même parole qu'ils y croiront, jusqu'à ce qu'il vienne; il leur avait dit en effet : « Et vous me rendrez témoignage, parce que depuis le commencement vous êtes avec moi (1) ». C'est par eux que l'Évangile a été apporté aux hommes, même avant d'être écrit; et, certes, quiconque croit en Jésus-Christ, croit à l'Évangile. Donc, par ceux qu'il annonce comme devant croire en lui par la parole des Apôtres, il ne faut pas entendre seulement ceux qui ont entendu les Apôtres pendant qu'ils vivaient encore sur la terre; mais ceux qui ont vécu après leur mort, et nous-mêmes qui sommes nés longtemps après, car c'est par leur parole que nous avons cru en Jésus-Christ. Ceux qui étaient alors avec lui ont prêché aux autres la doctrine qu'ils avaient recueillie de sa propre bouche; leur parole, qui devait nous faire croire, est ainsi parvenue jusqu'à nous et partout où se trouve son Eglise, et elle parviendra de même à ceux qui nous suivront et croiront en lui, n'importe qui ils soient et où ils se trouvent.

2. Si nous n'examinions avec soin les paroles prononcées par Notre-Seigneur dans le cours de cette prière, il pourrait sembler qu'il exclut de cette prière quelques-uns des siens. En effet, comme nous l'avons démontré , il a prié d'abord pour ceux qui étaient alors avec lui, et ensuite pour ceux qui devaient croire en lui par la parole de ses Apôtres; mais on pourrait dire qu'il ne pria point pour ceux qui n'étaient pas avec lui quand il prononçait ces paroles, et ne devaient pas croire en lui par la parole des Apôtres, mais qui avaient déjà cru en lui, soit par l'intermédiaire des Apôtres, soit par quelque autre moyen. En effet, Nathanaël était-il alors avec lui? était-il avec lui, ce Joseph d'Arimathie qui réclama son corps à Pilate et que notre évangéliste Jean dit lui-même avoir été déjà au nombre de ses disciples (2) ? Étaient-elles avec lui, Marie, sa Mère, et les autres femmes qui, comme nous le lisons dans l'Évangile, étaient déjà ses disciples ? Étaient-ils avec lui,
 
 

1 Jean, XV, 27. — 2. Id. XIX, 38.
 
 

ceux dont le même évangéliste Jean nous dit: « Beaucoup crurent en lui (1) ? » D'où était donc cette multitude qui, des rameaux à la main, le précédait et le suivait lorsqu'il s'avançait assis sur un âne, et criaient : « Béni soit Celui qui vient au nom du Seigneur ? » D'où étaient ces enfants au sujet desquels, suivant lui, a été faite cette prédiction : « De la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle, vous avez parfait ma louange (2)? » D'où étaient ces cinq cents frères auxquels il ne se fût pas montré après sa résurrection (3), si déjà ils n'avaient cru en lui ? D'où étaient ces cent neuf disciples qui, réunis aux onze Apôtres, formaient cette assemblée de cent vingt, qui après son ascension attendirent et reçurent le Saint-Esprit qu'il leur avait promis (4) ». D'où étaient-ils tous ? Du nombre de ceux dont il a été dit : « Beaucoup crurent en lui ». Le Sauveur ne pria donc pas alors pour eux, puisqu'il pria pour ceux qui étaient avec lui et pour les autres qui par la parole des Apôtres devaient croire, mais n'avaient pas encore cru en lui. Or, tous ceux dont nous parlons n'étaient pas alors avec lui, et déjà auparavant ils avaient cru en lui. J'omets de parler du vieillard Siméon, qui crut en lui lorsqu'il n'était encore qu'un petit enfant; d'Anne la Prophétesse (5), de Zacharie et d'Élisabeth, qui l'annoncèrent avant qu'il naquit d'une Vierge (6); de leur fils Jean, son Précurseur, l'ami de l'Époux qui le reconnut dans le Saint-Esprit, le prêcha absent, et quand il fut présent, le fit reconnaître aux autres en le leur montrant (7). Je les passe sous silence, parce qu'on pourrait me répondre qu'il n'avait pas à prier pour eux, vu qu'ils étaient morts; qu'ils étaient sortis de cette vie avec des mérites si grands et que, reçus dans l'autre vie, ils y reposaient. On pourrait faire la même réponse pour les justes de l'ancienne loi. Car lequel d'entre eux aurait pu échapper à la damnation de tout le genre humain, opérée par un seul homme, s'il n'avait cru, par la révélation de l'Esprit-Saint, au seul Médiateur de Dieu et des hommes qui devait venir dans la chair? Mais Jésus a-t-il dû prier pour les Apôtres et ne pas le faire pour tous ceux en grand nombre qui, encore vivants, n'étaient pas alors avec
 
 

1. Jean, II, 23 ; IV, 39 ; VII, 31 ; VIII, 30 ; X, 42. — 2. Matth, XXI, 7, 16 ; Ps. VIII, 3. — 3. I Cor. XV, 6. — 4. Act. I. 15; II, 4. — 5. Luc, II, 25-38. — 6. Id. I, 41-45, 67-79. — 7. Jean, I, 19-36; III, 26-36.
 
 

107
 
 

lui et avaient néanmoins déjà cru en lui? Qui oserait le dire?

3. Il nous faut donc comprendre qu'ils ne croyaient pas encore en lui comme il voulait qu'on y crût; et en effet, Pierre lui-même, auquel Notre-Seigneur avait rendu un si grand témoignage après cette confession : « Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant », Pierre était plus disposé à croire qu'il ne mourrait pas, qu'à croire qu'il ressusciterait après sa mort. C'est pourquoi peu après Notre-Seigneur l'appela Satan (1). Ceux qui étaient déjà morts, mais qui, par la révélation du Saint-Esprit , n'avaient nullement clouté de la résurrection du Christ, étaient donc plus fidèles que ceux qui, après avoir cru qu'il rachèterait Israël, perdirent toute confiance en lui quand il fut mort. Aussi il me paraît plus raisonnable d'admettre ceci : Après sa résurrection, Notre-Seigneur ayant donné le Saint-Esprit à ses Apôtres pour les instruire, les confirmer et les établir docteurs dans l'Église, les autres ont, par le moyen de leur parole, cru comme il fallait croire en Jésus-Christ, c'est-à-dire qu'ils ont cru à sa résurrection. Et, par là, ceux qui semblaient avoir déjà cru en lui étaient réellement au nombre de ceux pour lesquels il pria en disant : « Je ne prie pas seulement pour ceux-là », mais « je prie aussi pour ceux qui, par leur parole, croiront en moi ».

Pour éclaircir encore plus cette question, il nous reste à répondre à l'objection qu'on pourrait tirer du bienheureux apôtre Paul et du larron égaré dans les voies du crime, qui devint fidèle seulement sur la croix. En effet, l'apôtre Paul nous dit qu'il a été fait apôtre non par les hommes, ni par un homme,mais par Jésus-Christ même. Et, parlant de son Evangile, il dit : « Et je ne l'ai reçu ni appris d'aucun homme, mais par la révélation que m'en a faite Jésus-Christ (2) ». Comment donc se trouvait-il au nombre de ceux dont il est dit : « Par leur parole ils croiront en moi ? » Le larron eut la foi au moment même où, quelle qu'elle fût, elle vint à manquer dans les docteurs eux-mêmes. Ainsi ce n'est point par leur parole qu'il crut en Jésus-Christ, et cependant sa foi fut telle qu'il confessa non-seulement la résurrection future, mais même le règne à venir de Celui qu'il voyait attaché
 
 

1. Matth. XVI, 16, 23. — 2. Galat. I, 1, 12.
 
 

à la croix. « Souvenez-vous de moi, lorsque « vous serez arrivé dans votre royaume (1) ».

5. Si nous devons croire que dans cette prière le Seigneur Jésus s'occupa de tous les siens alors existants ou destinés à se trouver plus tard dans cette vie qui est une « tentation sur la terre (2) », il nous reste à entendre ces mots : « Par leur parole », de la parole même de la foi qu'ils ont prêchée dans le monde. Cette parole a été appelée leur parole, parce qu'ils en ont été les premiers et les principaux prédicateurs. Ils le prêchaient déjà sur la terre lorsque, par une révélation de Jésus-Christ, Paul reçut leur parole. C'est pourquoi il annonça l'Évangile, conjointement avec eux, dans la crainte d'avoir couru ou de courir en vain, et ils lui donnèrent les mains, parce qu'en lui ils trouvèrent leur parole, quoiqu'ils ne la lui eussent pas confiée eux-mêmes; car c'était celle qu'ils prêchaient ; c'était sur elle qu'ils étaient établis (3). Au sujet de cette parole de la résurrection de Jésus-Christ, le même apôtre Paul nous dit : « Que ce soit moi, que ce soit eux, c'est ainsi que nous prêchons et c'est ainsi que vous avez cru (4) » ; et encore : « Telle est la parole de la foi que nous prêchons : Si vous confessez de bouche que Jésus est le Seigneur, et si vous croyez de coeur que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, vous serez sauvé (5) ». Dans les Actes des Apôtres, nous lisons qu'en Jésus-Christ Dieu a donné la foi à tous, en le ressuscitant d'entre les morts (6). Parce que cette parole de la foi a été premièrement et principalement prêchée par les Apôtres qui y avaient adhéré, elle a été appelée leur parole. Elle ne cesse pas d'être la parole de Dieu pour être appelée la parole des Apôtres, puisque le même Apôtre nous dit que les Thessaloniciens l'ont reçue de lui, « non comme la parole des hommes, mais comme elle est réellement, pour la parole de Dieu (7) ». C'est la parole de Dieu, parce que c'est Dieu qui l'a donnée; c'est la parole des Apôtres, parce que c'est aux Apôtres que Dieu a premièrement et principalement confié la mission de la  prêcher. Et ainsi, le larron lui-même avait dans sa foi la parole des Apôtres; en effet, elle s'appelait leur parole parce que leur office principal et premier était de la prêcher. Enfin, lorsque parmi les veuves des
 
 

1. Luc, XXIII, 42. — 2. Job, VII, 1. — 3. Galat. II, 2, 9. — 4. I Cor. XV, 11. — 5. Rom. X, 8, 9. — 6. Act. XVII, 31. — 7. I Thess. II, 13.
 
 

108
 
 

Grecs il s'éleva des murmures à propos du service des tables, Paul n'avait pas encore cru en Jésus-Christ; mais les Apôtres,qui s'étaient attachés dès le commencement au Seigneur, répondirent: « Il n'est pas bon que nous abandonnions la parole de Dieu pour le service des tables (1) ». Alors ils s'occupèrent d'ordonner des diacres pour n'être pas eux-mêmes détournés du devoir de prêcher la parole. C'est donc avec raison qu'on a appelé leur parole cette parole de la foi par laquelle tous ont cru en Jésus-Christ ou croiront en lui, n'importe d'où elle soit venue ou d'où elle vienne. Donc, dans sa prière, notre Rédempteur s'est occupé de tous ceux qu'il a rachetés, soit qu'ils fussent alors vivants dans leur chair, soit qu'ils ne dussent le devenir que plus tard. Car, en priant pour les Apôtres qui étaient alors avec lui, il y a joint ceux qui, par leur parole, devaient croire en lui. Mais ce que Notre-Seigneur dit ensuite mérite d'être traité à part dans un autre discours.
 
 

1. Act. VI, 1-4.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

www.JesusMarie.com