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Saint Augustin d'Hippone
Traité sur l'évangile de Saint Jean

TRENTE ET UNIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CE PASSAGE « QUELQUES-UNS DE JÉRUSALEM DISAIENT DONC : N’EST-IL PAS CELUI QU'ILS CHERCHAIENT A FAIRE MOURIR? » JUSQU’À CET AUTRE : « VOUS ME CHERCHEREZ ET NE ME  TROUVEREZ POINT, ET OU JE SERAI VOUS NE POUVEZ VENIR ». (Chap. VII, 25-36.)
LE CHRIST-DIEU MÉCONNU DES JUIFS.
 

Le Christ était homme; c’est pourquoi ses ennemis connaissaient à peu près tout ce qui le concernait comme tel, et voulaient l’emparer de lui : il était aussi Dieu, mais ils ignoraient qu’il le fût voilà néanmoins le motif qui les empêcha de s’emparer de lui avant l’heure qu’il avait librement fixée. Aujourd’hui, ils le méconnaissent malgré ses miracles; plus tard, après sa résurrection, ils devront le chercher sans le reconnaître davantage : cette grâce est d’abord réservée aux Gentils lui devaient croire en lui, quoiqu’ils n’eussent pas été les témoins de ses oeuvres merveilleuses.

 

1. Votre charité s’en souvient : les jours précédents, on vous a lu dans l’Evangile, et nous vous avons expliqué autant qu’il nous a été possible, le passage où il est dit que Notre-Seigneur Jésus-Christ était monté, marne en secret, au jour de fête; il ne craignait pas, avons-nous dit, de tomber aux mains des Juifs, puisqu’il avait tout pouvoir pour les empêcher de s’emparer de lui : son intention en cela était de montrer qu’il choisissait précisément pour se cacher le jour de fête célébré par les Juifs, et qu’il avait des motifs particuliers d’agir ainsi. La leçon d’aujourd’hui nous a fait voir la preuve de sa puissance là où nous n’apercevions en lui que de la timidité; car, en ce jour de fête, il se mit à parler en public de façon à étonner la multitude et à lui faire dire ce que nous tenons d’entendre lire : « N’est-ce pas celui qu’ils cherchaient à faire mourir ? Et voilà qu’il parle ouvertement, et ils ne lui disent rien: les chefs auraient-ils connu que celui-ci est véritablement le Christ? » On savait avec quelle rage ils le poursuivaient, et l’on s’étonnait de voir qu’il pouvait échapper à leurs poursuites; et comme la foule ne connaissait pas encore sa puissance divine, elle attribuait le fait de sa liberté aux lumières des princes du peuple, supposant qu’ils avaient reconnu en lui le Christ, et qu’en conséquence ils l’avaient épargné, après avoir si vivement cherché les moyens de le faire mourir.

2. Puis, après avoir dit : « Les chefs auraient-ils connu que celui-ci est véritablement le Christ? » ces hommes rentrèrent en eux-mêmes et se demandèrent si vraiment Jésus était le Christ. La réponse leur semblait négative, puisque aussitôt ils ajoutèrent : « Nous savons bien d’où vient celui-ci; mais quand le Christ viendra, nul ne saura d’où il est ». D’où était venue aux juifs cette opinion, qui, certes, n’était pas à dédaigner, et selon laquelle « personne ne devait savoir d’où était le Christ quand il viendrait? » Si nous examinons attentivement l’Ecriture, [554] nous y trouvons, mes frères, ce passage relatif au Christ : « Il sera appelé Nazaréen u. Elle a donc fait connaître, par avance, l’endroit d’où il sortirait. Si, maintenant, nous cherchons à savoir où il est né, parce que le lieu de sa naissance doit apprendre d’où il est, nous devons reconnaître que les Juifs n’en étaient pas ignorants; car les saints livres l’avaient aussi annoncé d’avance, En effet, lorsqu’après l’apparition de l’étoile, les Mages voulurent le trouver, ils se présentèrent devant le roi Hérode et lui dirent ce qu’ils voulaient et demandaient; celui-ci fit alors convoquer les docteurs de la loi, et les questionna sur l’endroit où le Christ devait naître; ils lui répondirent: « C’est à Bethléem de Juda »; ainsi lui rendirent-ils un témoignage prophétique (2). Si donc les Prophètes ont prédit, et le lieu où il s’est fait homme, et celui où sa mère l’a mis au monde, d’où est venue aux Juifs cette opinion, dont nous parlait tout à l’heure 1’Evangile: « Lorsque le Christ viendra, personne ne saura d’où il est ? » Il est évident que l’Ecriture a clairement annoncé et fait connaître l’un et l’autre; elle a prédit le lieu de la naissance de Jésus-Christ en tant qu’homme; en tant que Dieu, il était inconnu des impies, et il cherchait à se révéler aux hommes vertueux. C’est dans ce dernier sens que la foule disait: « Quand le Christ viendra, nul ne saura d’où il est ». Et cette opinion leur avait été inspirée par ce passage d’Isaïe: « Qui est-ce qui racontera sa génération (3) ? » Enfin, le Sauveur lui-même répondit à l’une et à l’autre de ces questions; il dit que les Juifs savaient d’où il était, et, aussi, qu’ils ne le savaient pas; par là, il rendit témoignage à la prophétie sacrée qui avait été faite à son sujet, et relativement à l’infirmité de sa nature humaine, et par rapport à la grandeur de sa nature divine.

3. Ecoutez donc, mes frères, le Verbe de Dieu; voyez comme il confirme devant les Juifs ce qu’ils lui ont dit; et : « Nous savons d’où est celui-ci », et, « quand le Christ viendra, nul ne saura d’où il est ». Jésus enseignait dans le temple, et il disait à haute voix: « Et vous me connaissez, et vous savez d’où je suis, et je ne suis point venu de moi-même, mais Celui qui m’a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas ». C’était dire : Vous me connaissez, et vous ne

 

1. Matth II, 23. — 2. Id. II, 1-6. — 3. Isa. LIII, 8.

 

me connaissez pas; vous savez d’où je suis, et vous ne le savez pas; vous savez d’où je suis: je suis Jésus de Nazareth; vous connaissez mes parents. Une seule chose leur échappait dans cette affaire : c’était en Marie l’union de la virginité avec la maternité, union dont Joseph était témoin; il pouvait l’attester avec d’autant plus d’assurance qu’il avait pu s’en convaincre, puisqu’il était son mari. A l’exception donc de son virginal enfantement, Jésus leur était parfaitement connu en tout ce qui concernait son humanité; les traits de son visage, son pays, sa famille, le lieu de sa naissance, ils ne les ignoraient point. C’est donc avec raison qu’il leur disait : « Et vous me connaissez, et vous savez d’où je suis», en faisant allusion à son corps, à la forme humaine sous laquelle il leur apparaissait. Et il ajoutait, avec non moins de raison, par rapport à sa divinité : « Et je ne suis point venu de moi-même, mais Celui qui m’a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas ». Voulez-vous le connaître? Croyez en celui qu’il a envoyé, et vous le connaîtrez. « Jamais », en effet, « personne n’a vu Dieu, si ce n’est son Fils unique; celui qui est dans le sein du Père a raconté ce qu’il y a vu (1) »; et encore: «Nul ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils aura voulu le révéler (2)».

4. Après avoir dit: « Mais Celui qui m’a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez point », le Sauveur voulut indiquer aux Juifs le moyen d’apprendre ce qu’ils ignoraient, et il ajouta : Mais « moi, je le connais ». Pour le connaître, apprenez donc à me connaître moi-même. Mais d’où vient que je le connais ? « De ce que je suis par lui, et qu’il m’a envoyé ». Magnifique démonstration de deux vérités ! « Je suis par lui », puisque le Fils est engendré du Père, et que tout ce qu’il est, il le tient de celui dont il est le Fils. Voilà pourquoi nous disons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Dieu de Dieu, tandis que nous appelons le Père, non pas Dieu de Dieu, mais simplement Dieu : telle est aussi la raison pour laquelle nous disons que Notre-Seigneur Jésus-Christ est Lumière de Lumière, tandis que nous appelons le Père, non pas Lumière de Lumière, mais simplement Lumière. A cela reviennent ces paroles: « Je suis par lui ». Si, maintenant, vous me

 

1. Jean, I, 18. — 2. Matth. XI, 27.

 

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voyez pareil à un autre homme, c’est « qu’il m’a envoyé ». Mais de ce que le Sauveur dit : « Il m’a envoyé », garde-toi de conclure que le Père est d’une nature différente de celle du Fils; par ces paroles, il ne fait allusion qu’à l’autorité de Celui qui l’a engendré.

5. « Ils cherchaient donc à le saisir, mais nul n’étendit la main sur lui, parce que son heure n’était pas encore venue »; c’est-à-dire, parce qu’il ne le voulait pas. Quel est, en effet, le sens de ce passage: « Son heure m’était pas encore venue? » Le Sauveur n’était point né sous l’empire de la fatalité : tu ne dois pas le croire de toi-même; à plus forte raison, de ton Créateur. Si ton heure n’est que sa volonté, son heure à lui peut-elle être autre chose que sa propre volonté ? En parlant de son heure, il n’a donc point voulu désigner un moment où il serait forcé de mourir, mais il a indiqué celui où il permettrait à ses ennemis de lui ôter la vie. Il attendait le moment de se livrer à la mort, parce qu’il avait attendu le jour où il viendrait à la vie. Ce moment, l’Apôtre en parle quand il dit: « Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils (1) ». Voilà pourquoi beaucoup disent : Pourquoi le Christ n’est-il pas venu plus tôt ? Il faut leur répondre: Parce que Celui qui dispose de tous les moments n’avait pas encore jugé que tous les temps étaient accomplis. De fait, il savait quand il devait venir. D’abord, sa venue dû être annoncée pendant une longue suite de siècles et d’années, car c’était un événement d’une suprême importance; il avait dû être prédit longtemps d’avance, parce qu’il devait toujours être un bienfait pour le monde. Il devait venir en ce monde comme le juge de l’univers; son avènement devait donc être annoncé par une suite de hérauts proportionnée à ses sublimes fonctions. Enfin, lorsque les temps ont été accomplis, il est tenu lui-même pour nous délivrer des vicissitudes des temps. Sortis du temps comme d’un état d’esclavage, nous arriverons à l’éternité, où le temps n’a plus de place, et où l’on se dit plus : Quand viendra notre heure, parce que ce jour dure sans cesse; il n’est ni précédé d’une veille, ni terminé par un lendemain. Dans le cours de cette vie, les jours s’écoulent les uns après les autres; ceux-ci

 

1. Galat. IV, 4.

 

viennent, ceux-là s’en vont; aucun d’eux n’a de durée permanente; le moment où nous parlons fait place à un autre, et, pour proférer une syllabe, il faut que nous en ayons fini avec la précédente. Nous vieillissons à mesure que les mots s’échappent de notre bouche, et il est sûr que j’ai vieilli depuis ce matin. Ainsi, dans le temps, rien de stable, rien de fixe. C’est donc pour nous un devoir d’aimer Celui qui a créé tous les temps, afin qu’il nous délivre des vicissitudes du temps, et nous fixe dans l’éternité, où l’on n’éprouve aucune de ces vicissitudes. Quelle infinie miséricorde de la part de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d’être né dans le temps à cause de nous, après avoir créé le temps; d’être apparu au milieu de tous les êtres, après les avoir fait sortir du néant; d’être devenu une de ses créatures ! Il est effectivement devenu tel, car lui, qui avait fait l’homme, s’est fait homme afin de sauver les hommes, Dans ce but, il était venu ici-bas, il était né à l’heure désignée pour son entrée en ce monde; mais l’heure de sa passion n’avait pas encore sonné; aussi ne devait-il pas encore souffrir.

6. Remarquez bien, je vous prie, que la mort du Sauveur a été non pas un effet de la nécessité, mais le résultat de sa volonté. En entendant ces paroles : « Son heure n’est pas encore venue », il en est quelques-uns parmi vous, et c’est à eux que je m’adresse en ce moment, pour s’autoriser à croire à la fatalité; ainsi, leurs coeurs s’abandonnent à l’extravagance. Remarquez bien, dis-je, que la mort du Sauveur a été le résultat de sa volonté; pour cela, reportez-vous à la considération de sa passion, mettez-vous en face de la croix. Attaché à l’instrument de son supplice, Jésus s’écria : « J’ai soif ». Les soldats l’ayant entendu, s’approchèrent de sa croix et lui présentèrent une éponge pleine de vinaigre, qu’ils avaient attachée à un roseau; le Sauveur en prit, et dit : « Tout est consommé », et, ayant incliné la tête, il rendit l’esprit. Vous voyez, par cette circonstance, que, s’il mourait, il en avait la volonté; car il attendait l’accomplissement de ce qui devait, selon les prophéties, avoir lieu avant sa mort; le Prophète avait dit en effet : « Ils m’ont donné du fiel pour ma nourriture; ils m’ont présenté du vinaigre pour étancher ma soif (1)». Il attendait que toutes ces choses

 

1. Ps. LXVIII, 22.

 

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fussent accomplies, et, quand elles le furent,  il dit « C’est fini », et il quitta volontairement la vie, parce qu’il n’était pas venu forcément en ce monde. Aussi, ce pouvoir de mourir quand il l’a voulu a-t-il étonné certaines personnes, plus que le pouvoir d’opérer des miracles. De fait, on s’approcha des crucifiés pour détacher leurs corps de l’instrument de leur supplice, parce que la lumière du sabbat commençait à briller, et l’on s’aperçut que les larrons vivaient encore. Le supplice de la croix était d’autant plus cruel, qu’on le subissait plus longtemps, et tous ceux qu’on y condamnait mouraient d’une mort très-lente. Pour ne pas laisser les brigands sur la croix, on les força à mourir, en leur brisant les jambes, et, ainsi, fut-on à même de les en détacher plus vite. On vit que le Sauveur était mort (1), et l’on s’en étonna, et des hommes qui l’avaient méprisé pendant sa vie, furent à son égard saisis d’une si vive admiration après sa mort, qu’ils s’écrièrent « Vraiment, celui-ci est le Fils de Dieu (2)» .Voici, mes frères, une autre preuve de cette puissance de Jésus : lorsque les Juifs le cherchaient, il leur dit : « Me voilà; et ils reculèrent, et ils tombèrent par terre (3) ». La puissance suprême lui appartenait donc. Et quand il mourut, il n’y était nullement forcé par l’heure; il avait, au contraire, attendu le moment favorable d’accomplir sa volonté, et non celui où, malgré lui, il perdrait nécessairement la vie.

7. « Et plusieurs, dans cette multitude, crurent en lui ». Le Sauveur guérissait les humbles et les pauvres. Pour les chefs, ils se laissaient emporter par une folie furieuse aussi ne reconnaissaient-ils pas le médecin, et, de plus, cherchaient-ils à le faire mourir. Beaucoup de personnes s’aperçurent bientôt de leur maladie propre, et reconnurent aussitôt l’efficacité du remède que Jésus leur proposait. Voyez ce que se dirent à elles-mêmes ces personnes ébranlées par les miracles du Sauveur : « Lorsque le Christ sera venu, fera-t-il plus de prodiges que celui-ci ? » Evidemment, s’il ne doit pas y avoir deux Christs, celui-ci est le Christ. Comme conséquence de ce raisonnement, elles crurent en lui.

8. En présence des témoignages que cette multitude donnait de sa foi, en entendant le

 

1. Jean, XIX, 28-33. — 2. Matth. XXVII, 51. — 3. Jean, XVIII, 6.

 

bruit confus de ces voix qui glorifiaient Jésus, les chefs « envoyèrent des soldats pour le saisir ». Pour le saisir? Malgré lui? Mais parce qu’ils ne pouvaient s’emparer de lui contre son gré, les émissaires furent envoyés pour écouter ses instructions. Qu’enseignait- il? « Jésus leur dit : Je suis encore pour un peu de temps avec vous ». Ce que vous voulez faire maintenant, vous le ferez, mais plus tard ; aujourd’hui, je ne le veux pas. Pourquoi est-ce que je n’y consens pas pour le moment? « Parce que je suis encore avec vous pour un peu de temps, et que je vais vers Celui qui m’a envoyé ». Je dois accomplir toute ma mission et arriver, par là, à ma passion.

9. « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et, là où je suis, vous ne pouvez venir ». C’était là prédire déjà sa résurrection : ils n’ont pas voulu le reconnaître quand il était au milieu d’eux, et plus tard, lorsqu’ils virent que la multitude croyait en lui, ils le cherchèrent. De grands prodiges eurent lieu, même au moment de la résurrection du Sauveur et de son ascension: alors ses disciples opérèrent des miracles éclatants, mais ils n’étaient que les instruments de Celui qui en avait tant fait lui-même, car il leur avait dit : « Vous ne pouvez rien faire sans moi (1) ». Lorsque le boiteux qui se tenait à la porte du temple, se leva à la voix de Pierre, et marcha sur ses pieds, tous furent dans l’admiration : alors, le prince des Apôtres leur adressa la parole, et leur déclara que s’il avait guéri cet homme, ce n’était point en vertu de son propre pouvoir, niais que c’était par la puissance de Celui qu’ils avaient fait mourir (2). Saisis de douleur, plusieurs lui répondirent : « Que ferons-nous (3) ». Ils se voyaient souillés d’un crime énorme d’impiété, car ils avaient mis à mort celui qu’ils auraient dû respecter et adorer: et leur crime leur semblait impossible à expier. C’était là une grande faute : à la considérer dans sa laideur, il y avait de quoi tomber dans le désespoir ; mais le désespoir leur était défendu, puisque, sur la croix, le Seigneur Jésus a bien voulu prier pour eux, et qu’il avait dit : « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu’ils font (4).» Parmi un grand nombre d’hommes qui devaient le méconnaître toujours, il en apercevait

 

1. Jean, XV, 5. — 2. Act. III, 2-16. — 3. Id. II, 37.— 4. Luc, XXIII, 31.

 

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quelques-uns, destinés à lui appartenir; il demandait leur pardon au moment même où ils l’insultaient : et ce qu’il considérait alors, ce n’était pas la mort qu’ils lui donnaient, c’était la mort qu’il endurait pour eux. Ce fut pour eux un grand bienfait que cette mort donnée par eux, et endurée pour leur salut; aussi, quand on voit que les bourreaux du Sauveur ont obtenu le pardon de leur déicide, on n’a plus le droit de désespérer du pardon de ses propres fautes. Le Christ est mort pour nous, mais avons-nous trempé nos mains dans son sang? Il est mort, victime de leur scélératesse; ils lui ont vu rendre le dernier soupir, et ils ont cru en lui, très qu’il leur eut pardonné leur crime. Pendant qu’ils s’abreuvaient du sang divin qu’ils avaient répandu, ils désespéraient de leur salut; voilà pourquoi il leur dit: « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez pas, et là, où je suis, vous ne pouvez venir », car ils devaient le chercher après sa résurrection, dans les sentiments du plus profond repentir. Il ne dit pas : Où je serai; mais «  Où je suis », parce que le Christ était toujours là où il devait retourner; il en était venu, sans pour cela s’en éloigner. A cet égard, il dit en un autre endroit: « Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme, qui est au ciel (1) ». Il ne dit pas, remarquez-le bien: Qui a été au ciel. Il parlait ici-bas, et il disait qu’il était dans le ciel. Il en est descendu sans en sortir; il y est remonté sans nous délaisser. Pourquoi vous en étonner? Il s’agit de Dieu. Par son corps, l’homme se trouve en un endroit, et il en sort; et quand il a pénétré dans un autre, il n’est plus dans celui où il se trouvait auparavant. Pour Dieu, il remplit tous les lieux; il est tout entier partout; il n’est renfermé nulle part, dans un espace quelconque. En tant qu’homme, Notre-Seigneur Jésus-Christ se trouvait sur la terre; par son infinie et invisible majesté, il était sur la terre et dans le ciel ; aussi dit-il : « Là où je suis, vous ne pouvez venir ». Il ne dit pas Vous ne pourrez venir; mais : « Vous ne pouvez venir », car alors ses interlocuteurs n’étaient pas en position de pouvoir le suivre. Et n’allez pas croire qu’il s’était primé de la sorte pour les décourager, car il avait tenu aussi à ses disciples un discours

 

1. Jean, III, 13.

 

semblable : « Là où je vais, vous ne pouvez venir (1) ». Il avait encore adressé pour eux à son Père cette prière : « Père, je désire que là où je suis, ceux-ci y soient aussi (2) ». Il avait fait entendre à Pierre la même vérité, en ces termes : « Tu ne peux maintenant me suivre où je vais, mais tu me suivras un jour (3) ».

10.  « Les Juifs dirent», non pas en s’adressant à lui, mais en s’adressant à eux-mêmes : « Où doit aller celui-ci, puisque nous ne le trouverons point? Doit-il aller vers ceux qui sont dispersés parmi les nations, et enseigner les Gentils? » Ils ne savaient ce qu’ils disaient, mais ils prophétisaient, parce que telle était la volonté du Christ. Il devait, en effet, aller parmi les nations, non pas personnellement, sans doute, mais par l’intermédiaire de ses pieds. Quels étaient ses pieds?Ceux que Saul persécutait et voulait écraser, au moment où le chef lui cria: « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » Quel est le sens de ces paroles du Sauveur: « Vous me chercherez, et vous ne me trouverez point, et là où je suis, vous ne pouvez venir? » Comment a-t-il pu dire qu’ils étaient ignorants, quand, malgré leur ignorance, ils ont prédit d’avance ce qui devait arriver? Jésus s’est exprimé de la sorte, parce qu’effectivement ils ne connaissaient point le lieu (si toutefois on peut désigner sous ce nom le sein du Père), que n’a jamais quitté le Fils unique de Dieu : ils n’étaient pas même capables d’imaginer en quel endroit était le Christ, de quel endroit il ne s’était jamais éloigné, en quel lieu il devait retourner, ni où il avait sa demeure permanente. Comment l’esprit humain serait-il à même de s’en faire une idée? Il est encore bien plus impossible à une langue humaine de l’expliquer. Les Juifs ne comprenaient donc rien à ce mystère, et cependant, à cette occasion, ils annoncèrent d’avance notre salut, puisqu’ils prédirent que le Sauveur irait vers ceux qui étaient dispersés parmi les nations, et qu’il accomplirait à la lettre ce qu’ils lisaient dans l’Ecriture sans te comprendre: « Le peuple que je ne connaissais pas, m’a servi : il a prêté une oreille attentive à ma voix (5) ». Les hommes, qui ont vu de leurs yeux l’accomplissement de cette prophétie, ne l’ont point comprise, et

 

1. Jean, XIII, 33.— 2. Id XVIII 24.— 3. Id. XIII, 36. — 4. Act. IX, 4. — 5. Ps. XVII, 45.

 

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ceux qui n’ont fait que l’entendre, en ont eu l’intelligence.

11. Nous trouvons, dans la femme affligée d’un flux de sang, le type de cette Eglise qui devait se former de nations païennes : elle touchait le Sauveur sans être aperçue. Sans la connaître, il lui rendait la santé. C’était en figure que le Christ adressait à ses disciples cette question : « Qui est-ce qui m’a touché?» Il guérit, comme il ne s’en doutait pas même, cette femme qu’il semblait ne pas connaître. Ainsi agit-il à l’égard des Gentils. Nous ne l’avons pas connu au moment où il était revêtu de notre humanité, et, toutefois, nous avons mérité de nous nourrir de sa chair et de devenir les membres de son corps. Pourquoi? Parce qu’il nous a envoyé des émissaires. Quels émissaires? Ses hérauts, ses disciples, ses serviteurs, ceux qu’il s’était rachetés après les avoir créés, mais qu’il avait rachetés pour en faire ses frères ; mais je dis encore trop peu :i1 nous a envoyé ses membres, lui-même; et, en nous envoyant ses membres, il a aussi fait de nous ses membres. Remarquez-le, néanmoins; lorsque les Juifs le voyaient au milieu d’eux et le méprisaient, son corps avait une tout autre apparence que celle sous laquelle il s’est montré au milieu de nous: cela avait été aussi dit de lui, suivant l’expression de l’Apôtre : « Car je vous déclare que Jésus-Christ a été le ministre pour le peuple circoncis, afin de vérifier la parole de Dieu et de confirmer les promesses faites à nos pères». Il a dû venir vers eux; car leurs pères en avaient reçu la promesse, et ils la leur avaient transmise : c’est pourquoi le Sauveur s’exprime lui-même ainsi : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël (2) ». Mais qu’est-ce qu’ajoute l’Apôtre ? « Les Gentils doivent glorifier Dieu de la miséricorde qu’il leur a faite ». Et le Seigneur? « J’ai d’autres brebis qui ne sont pas de ce bercail ». Le Christ avait dit : « Je ne suis envoyé que pour les brebis perdues de la maison d’Israël» : comment peut-il y avoir

 

1. Matth. XV, 21. — 2. Rom. XV, 8,9.

 

 

d’autres brebis, vers lesquelles il n’ait pas été envoyé? En s’exprimant de la sorte, il a donc voulu faire comprendre qu’il ne devait se manifester sous la forme humaine qu’aux Juifs, qui l’ont vu et mis à mort. Néanmoins, avant et après , il s’en est trouvé beaucoup parmi les Gentils pour croire en lui. Du haut de la croix, il a secoué et criblé le grain de la première récolte, pour en tirer la semence nécessaire à la seconde. Aujourd’hui, la prédication de l’Evangile et la bonne odeur de Jésus-Christ, ayant amené à la foi les disciples que devaient lui donner toutes les nations du monde, les peuples attendront que vienne de nouveau celui qui est déjà venu (1). Alors sera vu par tous celui qui a été vu par les uns, et que les autres n’ont pas contemplé : alors viendra juger les hommes celui qui est venu subir le jugement des hommes : alors enfin apparaîtra pour discerner les bons des méchants, celui qui n’a pas été reconnu à sa première apparition en ce monde. On n’a pas, en effet, discerné le Christ d’avec les impies; on l’a confondu et condamné avec eux, car il a été dit de lui « Il a été compté parmi les pécheurs (2)». Un brigand a été mis en liberté, et le Sauveur condamné à mort (3). Un scélérat a trouvé grâce malgré ses crimes; on a prononcé une sentence de mort contre celui qui a pardonné à tous les coupables, repentants de leurs fautes. Et pourtant, si tu y fais bien attention, la croix elle-même a été, pour le Christ, un vrai tribunal : placé comme un juge, entre les deux larrons, il a délivré celui des deux qui a cru en lui (4), et condamné celui qui l’a insulté. Par là, il nous a déjà fait entendre ce qu’il fera à l’égard des vivants et des morts, plaçant les uns à la droite, et les autres à la gauche, et désignant, par avance, ceux-ci dans la personne du mauvais larron, et ceux-là dans la personne du bon larron. Au moment même où il subissait le jugement des hommes, il les menaçait de celui qu’il leur ferait subir à son tour.

 

1. Gen. XLIX, 10. — 2. Isa. LIII, 12 — 3. Marc, XV, 15; Jean, XVIII, 40. — 4. Luc, XXIII, 43.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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