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Saint Augustin d'Hippone
Traité sur l'évangile de Saint Jean


QUARANTIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CET ENDROIT : « C’EST POURQUOI JÉSUS LEUR DIT : QUAND VOUS AUREZ ÉLEVÉ LE FILS DE L’HOMME » , JUSQU’À CET AUTRE : « ET VOUS CONNAITREZ LA VÉRITÉ, ET LA VÉRITÉ VOUS AFFRANCHIRA ». (Chap. VIII, 28-32.)
LE CHRIST DIEU.
 

Le Sauveur proclamait sa divinité, mais la gloire de sa résurrection et les prodiges qui devaient la suivre , étaient destinés à la faire briller d’un vif éclat, à convertir un grand nombre d’hommes. Oui, de tous ces événements devait ressortir la preuve que le Christ est, qu’il a été engendré avant tous les temps par le Père, qu’il est la vérité même. Ces événements sont pour nous un puissant motif de persévérer dans la foi; notre persévérance nous conduira des ombres de la foi à la claire vue de la vérité.

 

1. Vous avez déjà entendu lire un grand nombre de passages tirés du saint Evangile selon saint Jean, Evangile que vous voyez  entre nos mains. Ces passages, nous vous les avons expliqués de notre mieux avec le secours de la grâce divine. Nous vous l’avons dit, cet Evangéliste a choisi de préférence, comme thème de son livre, la divinité du Sauveur, selon laquelle il est égal à son Père et Fils unique de Dieu; c’est pourquoi Jean a été comparé à un aigle, parce que l’aigle est, de tous les oiseaux, celui qui s’élève le plus haut dans les airs. Apportez donc une extrême attention à écouter la suite de cet Evangile : je vous en expliquerai successivement tous les textes, comme le Seigneur me permettra de le faire.

2. Nous vous avons parlé à l’occasion de la leçon précédente, et nous vous avons dit en quel sens on doit comprendre que le Père est

 

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véridique et que le Fils est la vérité. Le Seigneur Jésus ayant dit : « Celui qui m’a envoyé est véridique (1) », les Juifs ne comprirent pas qu’il avait voulu leur parler de son Père. Il ajouta ce que vous venez d’entendre lire : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis, et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ces choses ainsi que mon Père m’a a enseigné ». Qu’est-ce que cela? Il semble n’avoir dit rien autre chose que ceci c’est, qu’après sa passion, ils sauraient qui il était. Sans aucun doute, parmi ses auditeurs, il en discernait un certain nombre qu’il connaissait, qu’il avait choisis, par un effet de sa prescience, avec ses autres saints, dès avant la constitution du monde, et qui devaient croire en lui après sa passion : voilà ceux que nous recommandons sans cesse à votre imitation, et que nous vous proposons comme vos modèles, en vous priant instamment de suivre leurs traces. Après la mort, la résurrection et l’ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ , le Saint-Esprit est descendu d’en haut; des prodiges éclatants ont été opérés au nom de Celui que les Juifs avaient persécuté et méprisé, puisqu’ils l’avaient fait mourir à la vue de ces merveilles, ces hommes furent saisis d’un sincère repentir; et alors on vit se convertir et croire au Christ ceux qui l’avaient persécuté et mis à mort, et le sang qu’ils avaient cruellement répandu, la foi en fit pour eux un breuvage; il apercevait déjà ces trois mille, ces cinq mille Juifs parmi ses auditeurs (2) au moment où il disait : « Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis ». C’était dire, sous une autre forme : J’attends, pour me faire connaître à vous, que toutes les circonstances de ma passion aient eu lieu; à l’heure opportune, vous connaîtrez que je suis. Tous ceux qui l’écoutaient ne devaient pas, pour croire en lui, attendre sa mort; car l’Evangéliste ajoute un peu après: «Comme il parlait encore, beaucoup crurent en lui », et pourtant le Fils de l’homme n’avait pas encore été élevé. Il parlait de son exaltation douloureuse, et non de son exaltation glorieuse, de son exaltation en croix, et non de son exaltation dans le ciel; parce qu’il a été élevé pendant qu’il était attaché à l’instrument de son supplice ; alors, il s’est fait

 

1. Jean, VIII, 26. — 2. Act. II, 37, 41; IV, 4.

 

obéissant jusqu’à la mort de la croix (1). Tous ces événements devaient s’accomplir de la main même de ceux qui devaient croire en lui ; car il leur avait dit : « Lorsque vous a aurez élevé le Fils de l’homme, alors vous saurez que je suis ». Pourquoi cela, sinon afin que tout homme, si criminel qu’il se reconnût intérieurement, pût nourrir encore des pensées d’espoir, en voyant le pardon accordé au crime de ceux qui avaient fait mourir le Christ?

3. Le Sauveur remarqua donc ces hommes dans la foule qui l’entourait, et il leur dit ci. Quand vous aurez élevé le Fils de l’homme, « alors vous saurez que je suis ». Vous savez  déjà ce que veut dire ce mot : « Je suis ». Il est inutile d’y revenir encore : vous parler trop longuement d’un si grand mystère, ce serait s’exposer à vous ennuyer. Rappelez. vous ces paroles : « Je suis Celui qui suis»; et: « Celui qui est m’a envoyé (2) »; et vous comprendrez ces paroles du Christ : « Alors, vous saurez que je suis », et aussi que le Père est, et que le Saint-Esprit est. C’est relativement à lui que toute la Trinité a sa raison d’être. Notre-Seigneur parlait en qualité de Fils : il ne voulut pas que ces paroles. «Alors a vous connaîtrez que je suis », pussent donner lieu et laisser prendre pied à l’erreur des Sabelliens, c’est-à-dire des Patripassiens; je vous ai dit au sujet de cette erreur : Ne vous y attachez pas, écartez-vous-en avec soin; elle consiste à prétendre, comme vous le savez, que le Père et le Fils ne diffèrent l’un de l’autre que par le nom, et qu’en réalité ils sont une seule et même chose. Pour nous faire éviter cette erreur, et afin qu’on ne le prît pas pour le Père, le Sauveur, après avoir dit : « Alors vous connaîtrez que je suis », ajouta immédiatement : « Et que je ne fais rien de moi-même, mais que je dis ces a choses comme mon Père m’a enseigné ». Devant cette porte ouverte à son erreur, le disciple de Sabellius avait déjà commencé à se réjouir ; mais à peine s’y était-il comme furtivement glissé, que la lumière de cette déclaration vint le confondre. Parce qu’il avait dit : « Je suis », tu avais cru qu’il était le Père. Ecoute, il va te prouver qu’il est le Fils : « Je ne fais rien de moi-même ». Qu’est-ce à dire : « Je ne fais rien de moi-même ? » Je ne suis pas de moi-même. Le

 

1.  Philipp. II, 8. — 2. Exod. III, 14.

 

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Fils est, en effet, Dieu engendré du       Père; mais le Père n’est pas Dieu engendré du Fils. Fils est Dieu de Dieu: le Père est Dieu, mais il n’est pas Dieu de Dieu. Le Fils est lumière de lumière : le Père est aussi lumière, mais non de lumière. Le Fils est, tuais il y a quelqu’un de qui il est : le Père est, mais il n’y a personne de qui il soit.

4. Parce que le Christ a ajouté : « Je vous dis ces choses comme mon Père m’a enseigné », qu’aucun d’entre vous, mes frères, ne se laisse aller à des pensées charnelles ; car, par un effet de la faiblesse humaine, notre manière de penser se règle d’après ce que nous avons accoutumé de faire ou de noir. Ne vous figurez donc pas que vous avez sous les yeux deux hommes, dont l’un serait le Père, et l’autre le Fils. Ne t’imagine pas que le Père parle à son Fils, comme tu fais toi-même lorsque tu parles à ton enfant, pour l’instruire et lui apprendre à parler lui-même du qu’il retienne tes paroles, qu’après les avoir retenues, il les traduise en mots, les rendant bien distinctement, syllabe par syllabe, et les portant aux oreilles des autres telles que les siennes les ont reçues. N’ayez point de pareilles idées, car vous forgeriez des idoles dans votre coeur. Il ne faut point supposer que la Trinité ait l’apparence et les membres d’un homme, une figure de chair, tous ces sens visibles, la stature et les mouvements du corps, l’usage de la langue, une parole articulée : nous ne pouvons imaginer que la forme d’esclave, dont le Fils unique de Dieu s’est revêtu quand le Verbe s’est fait chair pour habiter parmi nous (1). Ici, ô fragilité humaine, je ne t’empêche nullement d’avoir des pensées en rapport avec ce que tu connais : je t’y force, au contraire. Si ta foi est véritable, voilà ce que tu dois penser du Christ, en tant qu’il est né de la Vierge Marie, et non entant qu’engendré par Dieu le Père. On l’a vu enfant ; il a pris de l’accroissement, il a marché, il a eu faim et soif, et enfin, il a souffert, il a été attaché à la croix, il a été mis à mort, on l’a enseveli comme un autre homme, et c’est avec la forme d’un homme qu’il est ressuscité, qu’il est monté au ciel en présence de ses disciples, et qu’il viendra nous juger. La parole des anges, que cite l’Evangéliste, ne laisse aucun doute à cet égard . « Il viendra tel que vous l’avez vu monter au

 

1. Jean, I, 14.

 

ciel (1) ». Quand tu cherches à te faire une idée de la forme d’esclave dont le Christ s’est revêtu, il faut, si tu as la foi, penser à une forme humaine ; mais si tu veux te faire une idée de ce qu’il est, quand s’appliquent à lui ces paroles : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (2) » ; loin de ton esprit toute image de l’homme ! Loin de ton imagination tout objet qui se mesure à la manière d’un corps, tout ce qui peut tenir clans l’espace, ou faire partie d’une masse si démesurée qu’elle soit: que de pareilles imaginations ne trouvent jamais accès dans ton coeur. Figure-toi, si c’est possible, la beauté de la sagesse : fais-toi une idée de la beauté de la justice. Y a-t-il là une forme ? de la grandeur ? des couleurs ? Il n’y a rien de tout cela, et pourtant, la sagesse et la justice existent ; s’il en était autrement, on ne les aimerait pas, on n’en ferait nul éloge ; et si on ne les aimait pas et qu’on n’en fît pas l’éloge, elles resteraient étrangères à nos affections et à nos moeurs. Mais on voit des hommes devenir sages ; où en est la cause, sinon dans l’existence même de la sagesse ? O homme, tu ne peux voir ta sagesse avec les yeux de ton corps : tu es incapable de t’en faire une idée pareille à celle que tu te fais des objets matériels, et tu oses te représenter la sagesse de Dieu sous la forme d’un corps humain ?

5. Aussi, mes frères, comment expliquer ceci ? Le Fils a dit : « Je vous dis ces choses comme mon Père m’a enseigné ». De quelle manière le Père lui a-t-il parlé ? Lui a-t-il seulement parlé? Pour instruire son Fils, le Père a-t-il prononcé , des paroles, comme tu en prononces toi-même, lorsque tu donnes des leçons à ton enfant ? Quelles paroles peut-il adresser à sa Parole ? Les paroles qu’il adresserait à sa Parole unique seraient-elles en grand nombre ? La Parole du Père a-t-elle eu des oreilles pour les approcher de la bouche du Père ? Autant d’idées charnelles, qu’il faut éloigner de ton esprit. Je vous adresse ce discours, et peut-être avez-vous compris mes paroles : évidemment, je vous ai parlé ; mes paroles ont retenti, et le bruit qu’elles ont fait est venu frapper vos oreilles pour aller, au moyen du sens de l’ouïe, porter mes pensées jusqu’à votre coeur, si vous les avez saisies. Supposez qu’un homme,

 

1. Act. I, 11. — 2. Jean, I, 1.

 

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sachant le latin, m’ait entendu, qu’il m’ait toutefois entendu sans rien comprendre à ce que j’ai dit : cet homme n’a pas saisi ma pensée ; néanmoins le bruit des paroles sorties de ma bouche est venu frapper ses oreilles aussi bien que les vôtres : il a entendu le même bruit, les mêmes syllabes ; mais aucune idée n’a été par là éveillée dans son esprit. Pourquoi ? Parce qu’il n’a pas compris. Pour vous, si vous êtes entrés dans ma pensée, quelle en a été la cause ? J’ai fait du bruit à votre oreille, mais ai-je porté la lumière dans vos âmes ? Evidemment, si ce que j’ai dit est vrai, non-seulement cette vérité est venue frapper vos oreilles, mais encore elle a été comprise par votre intelligence : deux choses ont donc eu lieu, remarquez-les bien : vous avez entendu et vous avez compris. C’est par le moyen de mon organe que vous avez entendu ; mais par qui vous est venue l’intelligence de ce que je vous ai dit ? Je vous ai parlé à l’oreille pour vous faire entendre ; qui a parlé à votre esprit pour vous faire comprendre? On n’en peut douter; quelqu’un a parlé à votre coeur, d’abord pour que le bruit de mes paroles produise une sensation sur votre ouïe, et ensuite pour qu’un rayon de la vérité vienne répandre son éclat sur ce même coeur : quelqu’un a parlé à votre âme, et ce quelqu’un, vous ne pouvez l’apercevoir : si vous m’avez compris, mes frères, il est sûr que votre âme a aussi entendu parler. L’intelligence est un don de Dieu. Qui donc a fait entendre à votre âme mes paroles, si vous en avez saisi le sens Celui-là même à qui le Psalmiste disait « Donnez-moi l’intelligence, afin que j’apprenne à connaître vos décrets (1) ». Par exemple, l’évêque a parlé. — Qu’a-t-il dit ? demande quelqu’un. — Tu lui expliques ce qu’a dit l’évêque, et tu ajoutes : il a dit vrai. —Alors un autre qui n’a pas compris, t’adresse cette question : Qu’a dit l’évêque, ou bien, que louanges-tu dans ses paroles ? Tous les deux m’ont entendu ; j’ai parlé à l’un et à l’autre ; mais Dieu lui-même a parlé à l’un d’eux. Nous est-il permis de passer, par comparaison, du petit au grand ? Il y a entre lui et nous une si grande distance ! Néanmoins, Dieu opère en nous je ne sais quoi d’incorporel et de spirituel : ce n’est pas un son qui frappe nos oreilles, ce n’est pas une couleur

 

1. Ps. CXVIII, 73.

 

qui se fasse distinguer de nos yeux ; ce n’est pas non plus une odeur que perçoive notre odorat, ce n’est pas davantage une saveur que puisse apprécier notre palais, ni un objet dur ou tendre sur lequel puisse agir le sens du toucher : pourtant, c’est quelque chose qu’on peut facilement sentir, sans pouvoir, d’ailleurs, l’expliquer d’aucune façon. Si, comme j’avais commencé à le dire, Dieu parle à nos coeurs sans leur faire entendre aucun bruit, comment parle-t-il à son Fils ? Autant que possible, mes frères, faites-vous-en une idée dans le sens que je vous ai dit ; s’il est permis d’établir une comparaison entre les grandes choses et les petites, mettez-vous dans cet ordre d’idées. Le Père a parlé à son Fils d’une manière incorporelle, parce qu’il l’a incorporellement engendré. Il n’a pas instruit son Fils, comme s’il l’avait engendré sans lui communiquer, en même temps, la science ; mais dire qu’il l’a instruit, c’est dire qu’il l’a engendré sachant tout : par conséquent, ces paroles : «Mon Père m’a instruit », signifient: Mon Père m’a engendré, possédant la science, comme la vérité est simple de sa nature, (peu de personnes le comprennent ). Pour le Fils, être et savoir sont une seule et même chose: il tient donc la science de celui de qui il tient l’existence : il n’en a pas reçu, d’abord l’être, et ensuite le savoir ; mais, en l’engendrant il lui a communiqué la science, de la même manière qu’en l’engendrant il lui a communiqué l’existence. Car, suivant que je l’ai dit, la vérité étant simple de sa nature, être et savoir ne sont pas, pour elle, une chose et une autre, mais une seule et même chose.

6. Voilà ce que le Sauveur dit aux Juifs, puis il ajouta : « Et Celui qui m’a envoyé est avec moi ». Il l’avait déjà dit auparavant; mais la chose était si importante, qu’il ne cesse d’y revenir : « Il m’a envoyé, et il est avec moi ». S’il est avec vous, Seigneur, l’un ne s’est pas séparé de l’autre pour accomplir sa mission : vous êtes venus tous les deux. Quoique tous les deux soient ensemble, un seul, néanmoins, a été envoyé, et l’autre l’a envoyé, parce qu’être envoyé, c’est s’incarner, et que l’Incarnation est le fait, non pas du Père, mais du Fils seul. Le Père a donc envoyé le Fils, mais il ne s’en est pas, séparé; car il se trouvait là où il l’a envoyé. De fait, où n’est pas Celui qui a fait toutes [605] choses? Où n’est -pas Celui qui a dit. « Je remplis le ciel et la terre (1) ? » Mais le Père serait peut-être partout, tandis que le Fils ne se trouverait qu’à un endroit? Écoute l’Évangéliste : « Il était en ce monde, et le monde a été fait par lui (2) ». Donc, dit-il, « Celui qui m’a envoyé », Celui dont l’autorité a été la cause de mon Incarnation, parce qu’elle était exercée sur moi par mon Père, Celui-là « est avec moi et il ne m’a pas abandonné ». Pourquoi ne m’a-t-il pas abandonné ? « Il ne m’a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui lui plaît ». Son égalité avec le Père est de « toujours ». Elle ne date pas d’une époque où elle aurait commencé pour se continuer ensuite : elle est sans commencement comme sans fin. La génération de Dieu n’a pas commencé dans le temps, parce que Celui qui a été engendré a lui-même créé tous les temps.

7. « Comme il parlait de la sorte, plusieurs crurent en lui ». Pendant que je parle moi-même, puissent bon nombre de ceux qui s’inspiraient d’autres idées, me comprendre et croire en lui ! Il y a peut-être en effet des Ariens dans la multitude qui m’écoute : je n’oserais supposer qu’il s’y trouve des Sabelliens, de ces hommes qui ne voient qu’une différence de nom entre le Père et le Fils : leur hérésie est trop vieille ; elle a peu à peu perdu ses forces. Pour celle des Ariens, on croirait lui voir faire quelques mouvements, comme semble en faire un cadavre qui tombe en pourriture, ou du moins, comme en fait d’habitude un homme arrivé à ses derniers moments : il faut donc en tirer ceux qui lui restent encore fidèles, comme le Christ a tiré de l’erreur un grand nombre de ses auditeurs. La cité de Dieu ne les comptait pas au nombre de ses habitants ; mais beaucoup d’entre eux sont venus y fixer leur demeure à la suite d’une foule d’étrangers. Voilà comment, pendant que Jésus parlait, beaucoup de Juifs crurent en lui. Pendant que je parle moi-même, puissent les Ariens croire, non pas en moi, mais avec moi !

8. « Jésus disait donc aux Juifs, qui avaient cru en lui : Si vous persévérez en ma parole ». Il dit : « Si vous persévérez », parce que vous avez été initiés, parce que vous avez commencé à être dans ma parole. « Si vous persévérez », cela s’entend dans la foi qui

 

1. Jérém. XXIII, 24. — 2. Jean, I, 10.

 

s’est établie en vous, puisque vous croyez, où parviendrez-vous ? Voyez où l’on aboutit en commençant de la sorte. Tu as établi avec joie les fondements de l’édifice, dirige tes regards vers son couronnement. Pars de cette humble base, et tu arriveras à un point bien autrement élevé. La foi se fonde sur l’humilité : la connaissance, l’immortalité et l’éternité y sont étrangères ; elles ne connaissent que la grandeur, une élévation exempte de toute défaillance, une incessante stabilité. Au sein de ce séjour, on ne redoute aucun combat malheureux avec des ennemis, on n’éprouve aucune crainte de déchoir. Ce qui commence par la foi est grand, mais on le méprise, comme les ignorants ont l’habitude de tenir peu de cas des fondements d’un édifice. On creuse une fosse large et profonde, puis des pierres y sont jetées pêle-mêle ; le ciseau de l’ouvrier ne les a point polies; on n’y voit rien de remarquable. La racine d’un arbre ne charme point les yeux ; c’est d’elle, néanmoins, qu’est sorti tout ce qui, dans cet arbre, peut flatter la vue. Tu regardes la racine et tu n’éprouves aucun plaisir : tu es saisi d’admiration en considérant l’arbre. Insensé, pourquoi t’ébahir ? cet arbre n’est-il pas sorti d’une racine dont l’aspect ne dit rien à ton âme ? La foi des croyants semble avoir peu de prix, car tu n’as pas de balance pour en supputer le poids. Écoute donc, je te dirai où elle aboutit : vois combien elle est précieuse ! Le Seigneur ne dit-il pas lui-même en un autre endroit : « Si vous aviez de la foi a comme un grain de sénevé (1) ? » Quoi de plus faible, quoi de plus fort ? quoi de plus petit, quoi de plus énergique ? Vous aussi, dit-il, « si vous persévérez dans ma parole »; à laquelle vous avez cru, où parviendrez-vous ? « Vous serez véritablement mes disciples ». Quel avantage nous en revient? « Et vous arriverez à la connaissance de la  vérité ».

9. Mes frères, quelle récompense le Sauveur promet-il aux croyants ? « Et vous connaîtrez la vérité ». Eh quoi ! n’étaient-ils pas arrivés à la connaître, quand il leur parlait ? Et s’ils n’y étaient pas arrivés, comment ont-ils cru ? Ils n’ont point cru pour avoir connu la vérité , ils ont cru pour la connaître ; car nous croyons pour connaître, mais nous ne connaissons pas pour croire ;

 

1. Matth. XVII, 19.

 

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parce que nous connaîtrons ce que l’oeil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a point entendu, ce que son coeur n’a jamais compris (1). Qu’est-ce, en effet, qu’avoir la foi, si ce n’est croire ce que tu ne vois pas? La foi est donc la croyance à ce que tu ne vois pas ; la vérité est la contemplation de ce que tu as cru. Le Sauveur l’a dit lui-même ailleurs. C’est d’abord pour imposer le joug de la foi, que le Christ a vécu sur la terre. Il était homme, il s’était fait humble: tous le voyaient, mais tous ne le connaissaient pas; condamné par beaucoup, mis à mort par la multitude, il n’était regretté que d’un petit nombre, et encore le peu de personnes qui le pleuraient ne le connaissaient-ils point pour ce qu’il était en réalité. Voilà comme les éléments primitifs du corps de la foi et de l’édifice qui devait s’élever plus tard. C’est dans cette pensée que le Christ a dit quelque part: « Celui qui m’aime, observe mes commandements ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai aussi, et je me montrerai à lui (2) ». Ceux qui l’entendaient, le voyaient déjà: néanmoins, il leur promettait de se montrer à eux, s’ils l’aimaient. Il en est de même ici : « Vous connaîtrez la vérité ». Eh quoi ! ce que vous avez dit n’est-il pas la vérité ? Oui, c’est la vérité, mais on la croit encore, parce qu’on ne la voit pas. Si l’on persévère dans ce qu’on croit, on parvient à ce que l’on doit voir. Aussi le saint évangéliste Jean dit-il dans son épître : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu ; mais ce que nous serons un jour ne paraît pas encore ». Nous, sommes déjà quelque chose, et nous serons autre chose. Que serons-nous de plus que ce que nous sommes ? Ecoute : « Ce que nous serons un jour n’apparaît pas encore : nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui ». Comment cela ? « Parce que nous le verrons tel qu’il est (3) ». Magnifique promesse ! Mais c’est la récompense de la foi. Tu désires la récompense, travaille donc pour la mériter. Si tu crois, tu as le droit d’exiger la récompense de ta foi ; mais si tu ne crois pas, de quel front la demandes-tu ? « Si donc, vous persévérez dans ma parole; vous serez vraiment mes disciples », et par là, vous contemplerez la vérité même, telle qu’elle est : vous ne la connaîtrez pas au moyen de

 

1. Isa. LXIV, 4; 1 Cor. II, 9. — 1 Jean, XIV, 21. — 3. I Jean, III, 2.

 

paroles humaines :  lorsque Dieu aura fait briller à nos yeux les rayons de son éblouissante lumière, selon l’expression du Psalmiste : « Seigneur, vous avez fait briller à nos yeux l’éclat de votre visages (1) », cette lumière vous la fera voir. Nous sommes la monnaie de Dieu, mais nous ressemblons à des pièces d’or sorties du trésor divin : l’erreur a effacé les traits de la vérité que Dieu avait imprimés dans notre âme : parce qu’il nous avait formés, il est venu nous réformer; il réclame la monnaie qui lui appartient, comme César réclame la sienne ; c’est pourquoi il a dit: « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu (2) ». A César, la monnaie vous-mêmes, à Dieu. Alors donc, les traits de la vérité seront imprimés dans nos coeurs.

10. Que dirai-je maintenant à votre charité? Ah ! si seulement notre coeur soupirait tant soit peu après cette gloire ineffable ! Si nous sentions que nous sommes ici-bas en un lieu d’exil ! Si nous en gémissions au lieu de concentrer nos affections sur ce bas monde ! Si nous tendions sans cesse, par les efforts d’une âme pieuse, vers celui qui nous a appelés ! Nos désirs, c’est le fond de notre coeur : si nous leur donnons toute l’énergie possible, nous obtiendrons la récompense. Les divines Ecritures, les assemblées du peuple, la célébration des saints mystères, le saint baptême, le chant des louanges de Dieu, et les explications que nous donnons de l’Evangile contribuent non-seulement à semer et à faire germer en nous ce désir, mais encore à l’augmenter et à lui donner de telles proportions, qu’il soit capable d’embrasser ce que l’oeil de l’homme n’a point vu, ce que son oreille n’a point entendu, ce que son coeur n’a jamais compris. Mais aimez avec moi. Celui qui aime Dieu, n’aime pas beaucoup les richesses. J’ai touché du doigt la plaie, mais je n’ai pas osé dire qu’il n’aime pas les richesses; j’ai dit qu’il ne les aime pas beaucoup, comme si on pouvait leur donner ses affections, à condition de ne pas les aimer beaucoup. Ah ! si nous aimions Dieu comme nous le devons, nous n’aimerions pas du tout l’argent. La fortune serait pour toi un moyen de vivre ici-bas avec moins de difficulté, mais elle ne servi. rait pas à aiguiser tes convoitises : tu l’utiliserais à adoucir les besoins, et non à te procurer du plaisir. Aime Dieu, si ce que tu

 

1. Ps. IV, 7. — 2.Matth. XXII, 21.

 

 

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entends, si ce que tu loues a produit sur ton âme quelque impression. Sers-toi du monde, mais n’en deviens pas l’esclave. Tu y es entré, tu y fournis ta carrière, tu y es venu, non pour y rester, mais pour en sortir : tu y fais ton chemin, mais il n’est pour toi qu’une hôtellerie. Use des richesses, comme le voyageur, arrêté dans une hôtellerie, use de la table, du verre, de l’amphore, du lit dont il ne se sert qu’en passant, puisqu’il doit bientôt partir. Si vous êtes tels que je viens de le dire, que ceux d’entre vous qui le peuvent, élèvent leur coeur et m’écoutent ; si vous êtes ce que j’ai dit, vous arriverez à posséder ce que le Christ vous a promis. De votre côté, nul besoin de grands efforts, car celui qui vous a appelés est tout-puissant. Il vous a appelés, invoquez-le ; dites-lui : Vous nous avez appelés, nous vous invoquons : nous avons entendu votre voix, écoutez notre prière : conduisez-nous à la récompense que vous nous avez promise, achevez en nous ce que vous y avez commencé ; ne délaissez point vos dons, ne négligez pas votre champ: que votre moisson trouve un jour place dans vos greniers. Ici-bas les épreuves surabondent, mais celui qui a créé le monde, est plus fort qu’elles. Les épreuves surabondent, mais on n’y succombe pas, lorsqu’on espère en Celui qui n’est sujet à aucune défaillance.

11. Je vous ai, mes frères, adressé cette exhortation, parce que la liberté, dont nous parle Notre-Seigneur Jésus-Christ, n’est pas de ce monde. Voyez ce qu’il a ajouté : « Vous serez vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous affranchira ». Qu’est-ce à dire : « Elle vous affranchira? » Elle vous rendra libres. Enfin, les Juifs charnels, et qui jugeaient des paroles du Sauveur dans un sens charnel, non pas ceux qui croyaient en lui, mais ceux de l’assemblée qui n’y croyaient pas, se regardèrent comme insultés, parce qu’il leur avait dit : « La vérité vous affranchira ». Ils s’irritèrent donc de ce que le Sauveur les avait traités d’esclaves: Pourtant, ils en étaient de véritables : aussi leur explique-t-il en quoi consiste l’esclavage, et leur fait-il connaître les caractères de la liberté qu’il promet pour l’avenir. Mais , pour aujourd’hui , il serait trop long de disserter de cette liberté et de cette servitude.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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