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Saint Augustin d'Hippone
Traité sur l'évangile de Saint Jean


SOIXANTE-HUITIÈME TRAITÉ.
SUR LA MÊME LEÇON.
LES DEMEURES DE LA MAISON DE DIEU.
 

Il y a plusieurs demeures dans la maison de Dieu : préparées en droit par la prédestination, elles nous sont préparées de fait par Jésus-Christ, puisque la maison de Dieu est son royaume, que nous sommes nous-mêmes ce royaume, et que, par la grâce du Sauveur, nous nous préparons à en faire partie ; mais nous ne pouvons y parvenir effectivement qu'autant que Jésus-Christ n'est pas visible au milieu de nous, c'est-à-dire, qu'autant que nous vivons de la foi.

 

1 . Je me reconnais votre débiteur, mes très chers frères, et le temps est venu de m'acquitter de ce que je vous ai promis. Je tâcherai donc de vous montrer qu'il n'y a pas contradiction entre les deux paroles de Notre-Seigneur que nous allons citer. Il dit d'abord « Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures ; s’il en était ainsi, je vous aurais dit : Je vais vous préparer une place » ; par là, il montre suffisamment qu'il leur a parlé ainsi parce qu'il y a déjà plusieurs demeures, et qu'il n'a pas besoin d'en préparer. Puis il ajoute : « Et quand je m'en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai et je vous prendrai auprès de moi, afin que vous soyez où je serai ». Comment s'en va-t-il, et prépare-t-il une place, si déjà il y a plusieurs demeures ? Si cela n'était pas, il aurait dit : « Je vais préparer une place » ; ou bien, si cette place devait être préparée, pourquoi n'aurait-il pas eu raison de dire : Je dois la préparer? Ces demeures existent-elles déjà, et, malgré cela, ont-elles besoin d'être préparées? Car, si elles n'existaient point, Jésus aurait dit : « Je vais préparer une place ». Cependant, quoique ces demeures existent déjà, et qu'elles exigent d'être préparées, il ne va pas les préparer telles qu'elles sont. Néanmoins, s'il s'en va et qu'il les prépare comme elles doivent être, il reviendra, il prendra ses disciples auprès de lui et ils seront eux-mêmes où il sera. Ces demeures qui sont dans la maison du Père (pas d'autres, mais celles-là), comment existent-elles, sans être comme elles doivent être préparées, et comment n'existent-elles pas encore comme elles doivent être préparées ? Comment le comprendre, sinon en la même manière que le Prophète? Ne dit-il pas, en effet, que Dieu a fait les choses qui doivent se faire? Le Prophète ne dit pas : Dieu fera ce qui doit se faire ; mais : « Il a fait ce qui doit se faire (1) ». Donc il a fait ces choses, il doit les faire ; car elles ne sont pas faites, s'il ne les a pas faites; et elles ne seront pas faites, s'il ne les fait pas plus tard. Il les a donc faites par sa prédestination, et il les fera par son opération ; ainsi en est-il des disciples du Sauveur : l'Evangile nous indique suffisamment à quelle époque Notre-Seigneur les choisit; ce fut évidemment lorsqu'il les appela (2) ; et cependant, dit l'Apôtre, « il nous a choisis avant la création du monde (3) ». En les prédestinant, mais non en les appelant. « Ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés (4) » ; il les a choisis en les prédestinant avant la

 

1. Isa. XLV, 11, selon les Septante.— 2. Luc, VI, 13.— 3. Ephés. I, 4. — 4. Rom. VIII, 30.

 

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création du monde; il les a choisis en les appelant avant la fin du monde. C'est ainsi qu'il a préparé ces demeures, et qu'il les prépare; ce ne sont pas d'autres demeures, ce sont celles qu'il a préparées, qu'il prépare; car il a fait les choses qui doivent se faire, il a préparé ces demeures par sa prédestination, il les prépare par son opération. Elles existent donc déjà comme prédestinées; autrement, il aurait dit : J'irai et je les préparerai, c'est-à-dire, je les prédestinerai. Mais comme elles n'existent pas encore en tant qu'exécutées, il dit : « Et quand je m'en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, de nouveau je viendrai et vous prendrai avec moi ».

2. Mais ces demeures, il les prépare en quelque sorte par cela même qu'il prépare ceux qui doivent les habiter. En effet, quand il dit : « Dans la maison de mon Père il y a plusieurs demeures », quelle idée nous faisons-nous de cette maison de Dieu? ne la regardons-nous pas comme le temple de Dieu ? Pour savoir ce qu'est ce temple, interrogez l'Apôtre, et il vous répondra : « Le temple de Dieu est saint, et vous êtes ce temple (1) ». C'est encore le royaume de Dieu que le Fils doit donner au Père. Aussi le même Apôtre dit-il encore : « Jésus-Christ d'abord, comme les prémices ; puis ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, et qui ont cru à son avènement : ensuite viendra la fin de toutes choses, lorsqu'il aura remis son royaume à Dieu son Père (2) »; c'est-à-dire, quand il aura remis à son Père, pour le contempler, ceux qu'il aura rachetés de son sang. C'est de ce royaume des cieux qu'il est dit : « Le « royaume des cieux est semblable à un homme qui sème du bon grain dans son champ. Or, ce bon grain, ce sont les enfants du royaume ». Aujourd'hui l'ivraie se trouve mêlée au bon grain; mais à la fin le roi lui-même enverra ses anges, « et ils enlèveront de son royaume tous les scandales. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père (3) ». Le royaume brillera dans le royaume, lorsque, pour nous qui sommes ce royaume, viendra le royaume que nous demandons maintenant par ces paroles : « Que votre règne arrive (4) ». Dès cette vie déjà nous sommes appelés le royaume de Dieu; mais ce royaume ne fait encore que se

 

1. I Cor. III, 17. — 2. Id. XV, 23, 24. — 3. Matth. XIII, 24, 38-43. — 4 Id. VI, 10.

 

former; car si nous ne portions pas ce nom, il ne serait pas dit de nous: « On enlèvera de son royaume tous les scandales ». Mais ce royaume ne règne pas encore; c'est un royaume, en ce sens que lorsque tous les scandales en auront été enlevés, il possédera la royauté ; de la sorte, il en aura non pas seulement le nom, mais encore la puissance. C'est en effet à ce royaume placé à droite, qu'il sera dit à la fin : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume (1) »; c'est-à-dire, vous qui étiez un royaume, et qui ne régniez pas encore, venez et régnez. Ce que vous n'étiez qu'en espérance, soyez-le en réalité. Mais cette maison de Dieu, ce temple de Dieu, ce royaume de Dieu, ce royaume des cieux, est encore en construction; il se bâtit, il se prépare, on ne fait qu'en rassembler les éléments. En lui seront les demeures, comme les prépare encore le Seigneur; en lui sont déjà les demeures, telles que le Seigneur les a prédestinées.

3. Mais qu'est-ce que Notre-Seigneur est allé préparer, puisque c'est nous-mêmes qu'il prépare et puisque, d'ailleurs, il ne nous préparerait pas s'il nous quittait? Je comprends, Seigneur, autant que je le puis, ce que vous nous indiquez par là: pour que ces demeures soient préparées, le juste doit vivre de la foi (2). Celui, en effet, qui marche loin du Seigneur, a besoin de vivre de la foi, parce que la foi le prépare à contempler Dieu face à face (3). « Bienheureux ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (4) »; et: « La foi purifie leurs coeurs (5)». Cette première parole se trouve dans l'Evangile, et la seconde, dans les Actes des Apôtres. Or, la foi qui purifie, pendant leur pèlerinage, les cœurs de ceux qui doivent contempler Dieu, cette foi croit ce qu'elle ne voit pas; dès lors que tu vois, tu n'as plus la foi. Le croyant arasasse des mérites; celui qui voit en reçoit la récompense. Que, le Seigneur aille donc nous préparer une place; qu'il s'en aille, afin que nous ne le voyions pas ; qu'il se cache, afin que nous croyions en lui. Car une place se prépare pour nous quand nous vivons de la foi. Que la foi nous le fasse désirer, et que nos désirs nous mènent à le posséder; les désirs de la charité sont la préparation de cette demeure. Ainsi, Seigneur, préparez ce que vous

 

1. Matth. XXV, 31. — 2. Rom. I, 17. — 3. II Cor. V, 6-8. — 4. Matth. V, 8. — 5. Act. XV, 9.

 

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préparez: vous nous préparez pour vous et vous vous préparez pour nous; vous préparez une demeure pour vous dans nous-mêmes, et pour nous, au dedans de vous. Vous nous avez dit, en effet : « Demeurez en moi, et moi en vous (1) ». Selon que chacun sera entré en participation de vous-même, les uns plus, les autres moins, la diversité des mérites fera la diversité des récompenses: le nombre des demeures se comptera d'après la diversité de ceux qui les habiteront; mais tous vivront éternellement et tous seront éternellement heureux. Qu'est-ce à dire, que vous vous en allez, et que vous venez? Si je vous comprends bien, vous ne vous éloignez ni de l'endroit d'où vous partez, ni de celui d'où

 

1. Jean, XV, 4.

 

vous venez; vous vous en allez quand vous vous cachez; vous venez quand vous vous montrez. Mais si vous ne restez point pour nous guider afin que nous nous avancions de plus en plus. par une vie sainte, comment se préparera la place où nous pourrons rester toujours et jouir de vous? En voilà assez sur ce passage de l'Evangile qui nous a été lu et qui va jusqu'à ces paroles de Notre-Seigneur: « Je reviendrai et vous prendrai avec moi »: Pour ce qui suit: « Afin que vous soyez vous-mêmes où je serai, vous savez où je vais et vous en connaissez le chemin », il sera plus opportun de l'expliquer quand nous aurons examiné la question que lui fait immédiatement après un des disciples, et que nous nous serons joints à lui pour interroger le Seigneur.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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