www.JesusMarie.com
Saint Augustin d'Hippone
Traité sur l'évangile de Saint Jean


QUATRE-VINGT-NEUVIÈME TRAITÉ.
DEPUIS CES PAROLES DE NOTRE-SEIGNEUR : « SI JE N'ÉTAIS PAS VENU, ET SI JE NE LEUR AVAIS PAS PARLÉ », JUSQU'À CES AUTRES : « QUI ME HAIT, HAIT AUSSI MON PÈRE». (Chap. XV, 22, 23.)
 

L'INFIDÉLITÉ, CAUSE DE PERDITION.
 

Sous le nom de monde persécuteur, Jésus-Christ entendait les Juifs opiniâtrement aveugles, qui l'avaient vu sans vouloir le reconnaître, et qui ne pouvaient pas plus s'excuser de leur incrédulité, que ceux qui périssent pour ne l'avoir pas du tout connu ou pour n'avoir pas eu le courage de se soumettre à lui.

 

1. Le Seigneur avait dit plus haut à ses disciples: « S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi : s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre, mais ils vous feront toutes ces choses à cause de a mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas : « Celui qui m'a envoyé ». Si nous voulons savoir de qui il parlait de la sorte, nous trouvons qu'il prononça ces paroles aussitôt après avoir dit: « Si le monde vous hait, sachez a qu'il m'a haï avant vous ». Ce qu'il ajoute ici: « Si je n'étais pas venu, et si je ne leur a avais parlé, ils n'auraient point de péché », montre plus clairement qu'il parle des Juifs. C'est donc des Juifs qu'il, disait les paroles que nous avons rapportées; cela ressort de la liaison du discours. En effet, ceux dont il dit . « Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais a parlé, ils n'auraient point de péché », sont les mêmes que ceux dont il a dit :« S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi; s'ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre; mais ils vous feront toutes ces choses à cause de mon nom, parce qu'ils ne connaissent pas Celui qui m'a envoyé ». En effet, immédiatement après ces paroles Notre-Seigneur ajoute : « Si je n'étais pas venu et si je ne leur avais parlé, ils n'auraient point de péché ». Or, les Juifs ont persécuté Jésus-Christ, l'Evangile le dit formellement : c'est donc des Juifs, et non pas des gentils, que parle le Sauveur: ce sont les Juifs qu'il a voulu désigner sous le nom de ce monde qui hait le Christ et ses disciples; mais ils ne sont pas seuls à former ce monde, car le Christ nous a montré que ses disciples eux-mêmes en font partie. Or, que signifient ces paroles: « Si je n'étais pas venu,  et si je ne leur avais parlé, ils n'auraient a point de péché ? » Est-ce que les Juifs étaient sans péché, avant que Jésus-Christ vint à eux dans sa chair? Qui serait assez insensé pour le dire ? Par le nom général de péché dont se sert Notre-Seigneur, il faut entendre, non pas toute espèce de péché, mais un certain péché énorme. C'est ce péché qui retient tous les autres péchés; et quiconque ne l'a pas, tous les autres péchés lui seront remis : voici en quoi consiste le péché , c'est qu'ils n'ont pas cru en Jésus-Christ; car il était venu pour qu'on crût en lui : par conséquent, si Jésus-Christ n'était pas venu, ils n'auraient point commis ce péché. Autant sa venue en ce monde a été salutaire pour ceux qui ont cru en lui, autant elle a été funeste pour ceux qui n'ont point cru ; et comme il était le chef et le prince des Apôtres, on peut dire de lui ce qu'ils ont dit d'eux-mêmes: « Pour les uns, il a été une odeur de vie pour la vie, et pour d'autres une odeur de mort pour la mort (1) ».

2. Il ajoute: « Maintenant ils n'ont point d'excuse de leur péché » ; ces paroles pourraient nous embarrasser et nous faire demander si ceux vers lesquels Jésus-Christ n'est pas venu, et auxquels il n'a pas parlé, peuvent tirer de là une excuse de leur péché. S'ils n'en ont point, pourquoi Jésus-Christ dit il, en cet endroit, que les Juifs n'ont point d'excuse, précisément parce qu'il est venu et qu'il leur a parlé ? Mais s'ils en ont une, cette excuse les exemptera-t-elle de tout châtiment, ou bien adoucira-t-elle seulement leur peine ? Avec l'assistance de Dieu, je répondrai de mon mieux à ces questions. Ceux vers lesquels Jésus-Christ n'est pas venu, et auxquels

 

1. II Cor. II, 16.

 

48

 

il n'a pas parlé, auront une excuse non pas de tout péché, mais du péché de n'avoir pas cru en lui: de ce nombre ne sont pas ceux vers lesquels il est venu par ses disciples et auxquels il a parlé par ses disciples, comme il le fait maintenant. Car, par son Eglise, il est venu vers les nations, et par elle il leur parle. A cela se rapporte ce qu'il dit: « Qui vous reçoit me reçoit (1), et qui vous méprise me méprise (2) ». « Voulez-vous », dit l'apôtre Paul, « éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle en moi (3)? »

3. Il reste à savoir si ceux qui ont été ou qui sont prévenus par la mort avant l'arrivée de Jésus-Christ par son Eglise, ou avant d'entendre prêcher son Evangile, pourront avoir cette excuse. Ils pourront assurément l'avoir, mais ils n'éviteront point, pour cela, la damnation. « Tous ceux qui ont péché sans la loi, périront sans la loi ; et tous ceux qui ont péché sous la loi, seront jugés par la loi (4)»? Comme le mot a périr » est plus terrible que le mot être jugé, ces paroles de l'Apôtre semblent montrer que, loin de les aider, cette excuse ne fera qu'aggraver leur peine. Car ceux qui voudront s'excuser sur ce qu'ils ne l'ont pas entendu annoncer, « périront sans la loi? »

4. Mais on se demande avec raison : Ceux qui, ayant entendu la loi, l'ont méprisée, ou même lui ont résisté non-seulement en les combattant, mais en poursuivant de leur haine ceux qui la leur prêchaient, doivent-ils être rangés dans le nombre de ceux à qui l'Apôtre annonce un sort moins sévère, lorsqu'il dit « qu'ils seront jugés par la loi ». Mais si autre chose est de périr sans la loi et autre chose d'être jugé par la loi; si, d'ailleurs, le premier cas est beaucoup plus à redouter que le second; sans aucun doute, ceux dont nous parlons ne doivent certainement pas subir la peine plus légère, indiquée par l'Apôtre; ce n'est pas sous la loi qu'ils ont péché, mais ils n'ont voulu en aucune manière recevoir la loi de Jésus-Christ; autant que cela dépendait d'eux, ils ont donc voulu qu'elle fût anéantie. Ceux-là pèchent sous la loi, qui sont sous la loi, c'est-à-dire, qui la reçoivent et la reconnaissent comme sainte, qui regardent ses commandements, comme saints, justes et bons (5). C'est par faiblesse qu'ils n'accomplissent pas ce qu'elle leur

 

1. Matth. X, 40. — 2 Luc, X,10. — 3. II Cor. XIII, 3. — 4. Rom. II, 12. — 5. Id. VII, 12.

 

 

commande, sans qu'ils doutent le moins du monde de la justice de ses prescriptions. On peut en quelque manière distinguer ces sortes de gens de ceux dont il est dit qu'ils périront sans la loi ; si cependant ce que dit l'Apôtre: « Ils seront jugés par la loi », devait s'entendre comme s'il disait: ils ne périront pas, je m'étonnerais qu'il en fût ainsi; car, pour qu'il parlât en ce sens, il ne s'agissait ni des infidèles, ni des fidèles, mais seulement des gentils et des Juifs. Or, à moins de trouver leur salut dans ce Sauveur qui est venu chercher ce qui était perdu (1), les uns et les autres seront indubitablement réservés à la perdition. On peut néanmoins dire, que cette perdition sera plus complète pour les uns et moins pénible pour les autres, c'est-à-dire que, dans leur perte, les uns souffriront des peines plus graves et les autres des peines plus légères. Quel qu'il soit, il périt pour Dieu, celui qui par son supplice est privé de la béatitude que Dieu donne à ses saints; et comme il y a diversité de péchés, non moins grande est la diversité des supplices. Comment s'établit cette proportion? C'est ce que la sagesse divine juge avec plus de profondeur que l'homme ne peut l'imaginer par ses conjectures, ou (exprimer par ses paroles. Ce qui est certain, c'est que ceux vers lesquels Jésus-Christ est venu, et auxquels il a parlé, ne pourront pas s'excuser du grand péché d'infidélité, en disant: Nous ne l'avons pas vu, nous ne l'avons pas entendu , soit que cette excuse soit tout à fait rejetée par Celui dont les jugements sont impénétrables, soit qu'il l'accepte, sinon pour les délivrer de toute condamnation, au moins pour les condamner moins sévèrement.

5. « Celui qui me hait », dit Notre-Seigneur, a hait aussi mon Père ». Quelqu'un nous dira peut-être: Qui est-ce qui peut haïr celui qu'il ne connaît pas? Or, avant de dire: «Si je n'étais pas venu, et si je ne leur avais parlé, « ils n'auraient point de péché », Jésus avait dit à ses disciples : « Ils vous feront ces choses, parce qu'ils ne connaissent pas Celui qui m'a envoyé ». Comment donc, s'ils l'ignorent, peuvent-ils le haïr ? Car si ce qu'ils prennent pour lui, n'est pas lui, mais bien je ne sais quelle autre chose , ce n'est pas lui qu'ils haïssent, mais bien le fantôme qu'ils imaginent, ou plutôt dont ils supposent

 

1. Luc, XIX, 10.

 

 

faussement l'existence. Cependant si l'on ne pouvait haïr ce que l'on ne connaît pas, la Vérité même ne nous aurait pas dit de son Père, qu'on ne le connaît pas et en même temps qu'on le hait. Mais comment cela se peut-il faire? C'est ce que, avec l'aide de Dieu, nous essaierons de vous montrer; mais ce ne sera pas aujourd'hui, car il est temps de finir ce discours.
 
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

www.JesusMarie.com