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Saint Augustin d'Hippone
Contre Fauste, manichéen

LIVRE PREMIER. PROLOGUE.
 

Ce premier livre est une espèce de prologue. L'auteur y démontre que les Manichéens ne peuvent se considérer comme de vrais chrétiens.

 

CHAPITRE PREMIER. DESSEIN DE L'AUTEUR.
 

Fauste, né en Afrique, dans la ville de Milève, unissait au charme de la parole la souplesse du génie. En s'attachant à la secte des Manichéens, il s'était égaré dans les plus monstrueuses erreurs. J'avais eu occasion de le connaître, comme j'en ai parlé dans mes Confessions (1). II avait publié un livre contre la vraie foi chrétienne et la vérité catholique. Ce livre vint à tomber entre nos mains; et nos frères, après l'avoir lu, nous prièrent et nous conjurèrent au nom de la charité qui m'unissait à eux, d'y répondre. Je vais donc l'entreprendre au nom et avec l'aide du Seigneur, afin de montrer à tous ceux qui liront cet ouvrage, que le plus perçant génie et la langue la plus éloquente ne sont rien, si le Seigneur lui-même ne dirige les pas de l'homme (2). Par un juste et secret jugement de Dieu, la divine miséricorde, les intelligences les plus tardives et les plus faibles ont su comprendre cette vérité, tandis que tant d'autres génies, fiers de leur pénétration et de leur faconde, mais privés du secours de Dieu, n'ont abouti, dans leur course rapide et obstinée, qu'à s'éloigner de plus en plus de la voie de la vérité. Il m'a paru avantageux d'exposer sa doctrine et mes réponses sous notre nom respectif.

 

1. Liv. V, ch. III, VI. — 2. Ps. XXXVI, 23.

 

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CHAPITRE II. PROLOGUE DE FAUSTE.
 

Fauste. Adimantus, ce prodige de science, et le seul homme, après notre bienheureux père Manès, digne de notre attachement, ayant clairement signalé les erreurs, et dévoilé la fausseté de la superstition juive et des demi-chrétiens, nous avons jugé utile, frères bien-aimés, de vous offrir en outre un recueil de réponses courtes et frappantes à opposer aux enseignements subtils et dangereux de nos adversaires, afin que vous soyez toujours prêts à leur répondre, toutes les fois que, comme le serpent leur père, ils chercheront à vous surprendre par leurs questions captieuses. Forcés par là à rester dans la question proposée, il ne leur sera plus possible de se livrer à des divagations sans fin. Pour ne pas noyer l'intelligence des lecteurs dans des discours trop longs ou confus, je mets en regard leur doctrine avec la nôtre, sous la forme la plus claire et la plus concise.

 

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CHAPITRE III. LES MANICHÉENS SONT DE FAUX CHRÉTIENS.
 

Augustin. Vous pensez qu'on doit éviter les demi-chrétiens, tels que nous sommes, dites-vous; et nous, nous fuyons les faux chrétiens, et nous montrons que vous l'êtes. Etre quelque (145) chose à demi, c'est être imparfait sous un rapport, mais c'est n'être faux sous aucun. Quoi donc ? parce qu'il manque quelque chose à la foi de ceux que vous cherchez à séduire, s'ensuit-il qu'on doive détruire ce qu'ils possèdent déjà, et non pas plutôt édifier en eux ce qui leur manque ? C'est ainsi que s'exprimait l'Apôtre en s'adressant à des imparfaits : « Je vois avec joie votre conduite exemplaire, et ce qui manque à votre foi en Jésus-Christ (1) ». Il voyait sans doute un édifice spirituel, comme il le dit ailleurs : « Vous êtes a l'édifice que Dieu bâtit (2) » ; et il y découvrait à la fois un sujet de joie, et un stimulant à son zèle. Il se réjouissait en voyant ce qui était déjà élevé ; et il sentait son zèle s'enflammer à la pensée de ce qui restait à élever jusqu'au sommet de la perfection. Oui, ce sont véritablement des catholiques encore imparfaits, ou, comme vous le dites, des demi-chrétiens, que vous cherchez à tromper et à séduire par vos doctrines perverses. Mais s'il se rencontre encore de ces chrétiens imparfaits,

 

1. Colos. II, 5. — 2. I Cor. III, 9.

 

lors même que, en raison de l'imperfection de leur foi, ils ne pourraient répondre à vos raisonnements captieux, dès qu'ils ne découvrent en vous que de faux chrétiens, ils savent qu'il faut, non pas vous suivre, mais vous éviter. Puisque vous vous attachez à rechercher ces demi-chrétiens pour les envelopper dans vos filets, nous voulons de notre côté, montrer que vous n'êtes que de faux chrétiens ; nous voulons que les chrétiens éclairés vous démasquent en vous convainquant d'imposture, et que les moins instruits assurent leur salut en vous fuyant. Et pourquoi dites-vous que le serpent est notre père ? Oubliez-vous donc que c'est coutume parmi vous d'outrager Dieu, à cause du commandement qu'il fit à l'homme dans le paradis, et de décerner des louanges au serpent pour lui avoir ouvert les yeux par ses conseils? C'est plutôt à vous, je crois, à reconnaître pour votre père ce serpent qui n'est autre que le diable, et que vous louez si fort. Lui, malgré les injures que vous venez de lui prodiguer, il vous reconnaît pour son fils.

LIVRE DEUXIÈME. GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST.
 

Justification de ce qui est dit dans l'Évangile de la généalogie et de la naissance de Jésus-Christ selon la chair.

 

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE RETRANCHE DE L'ÉVANGILE LES GÉNÉALOGIES DU CHRIST.

CHAPITRE II. L'ÉVANGILE ENSEIGNE LA NAISSANCE CORPORELLE DE JÉSUS-CHRIST.

CHAPITRE III. LA RACE DE TÉNÈBRES.

CHAPITRE IV. LE PREMIER HOMME DES MANICHÉENS.

CHAPITRE V. LE CHRIST DES MANICHÉENS ENCHAÎNÉ AUX ASTRES ET AUX AUTRES CRÉATURES.

CHAPITRE VI. L'ÉVANGILE DES MANICHÉENS.

 

 
 
 

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE RETRANCHE DE L'ÉVANGILE LES GÉNÉALOGIES DU CHRIST.
 

Fauste. Admettez-vous l'Évangile? — Assurément. — Vous admettez donc, par conséquent, que le Christ est né ? — Non. Car de ce que je reçoive l'Évangile, il ne s'ensuit pas que j'admette que le Christ soit né. — Et pourquoi ? — Parce que l'Évangile n'a commencé d'exister et d'être ainsi nommé qu'à la prédication du Christ, et que nulle part il n'y affirme qu'il soit né de l'homme. — D'ailleurs la généalogie est si peu l'Évangile, que son auteur même n'a pas osé lui donner ce nom.Qu'a-t-il écrit en effet? «Le livre de la génération de Jésus-Christ, fils de David (1) ». Il ne dit pas: Livre de l'Évangile de Jésus-Christ; mais: « Livre de la génération » ; et on y voit paraître une étoile qui atteste une naissance (2) ; en sorte que ce récit serait mieux désigné sous le nom de Genèse que sous celui d'Évangile. Enfin voyez comme Marc, qui s'est attaché à décrire, non la génération, mais seulement la prédication du Fils de Dieu, qui est proprement l'Evangile, débute convenablement en ces termes « Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu (3) ». Ce qui démontre clairement qu'une généalogie n'est pas un Évangile. D'après Matthieu lui-même, ce fut après l'incarcération de Jean, que Jésus commença à prêcher l'Évangile du royaume (4). Il est donc certain, que tout le récit qui précède est une généalogie, et non un Evangile. Autrement, pourquoi n'a t-il pas écrit : Evangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu, sinon parce qu'il a senti qu'il n'était pas juste de donner le nom d'Évangile à une généalogie? Maintenant donc, si vous voyez assez clairement ce que vous avez ignoré jusqu'alors, que l'Évangile est tout autre chose qu'une généalogie, sachez, comme je l'ai dit, que j'admets l'Évangile, c'est-à-dire, la prédication du Christ. Sur cet Evangile faites-moi toutes les questions qu'il vous plaira, mais laissez de côté les générations. Et si vous voulez entrer

 

1. Matt. I, 1. — 2. Id. II, 2. — 3. Marc, I, 1. — 4. Matt. IV, 12,17.

 

aussi en discussion sur ce point, je ne m'y refuse pas ; je ne serai point en peine de vous répondre ; mais de votre côté sachez procéder par ordre dans vos questions. Car vous me paraissez désirer maintenant savoir si j'admets, non l'Évangile, mais les générations.

 

 

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CHAPITRE II. L'ÉVANGILE ENSEIGNE LA NAISSANCE CORPORELLE DE JÉSUS-CHRIST.
 

Augustin. Vous vous demandez en notre nom, si vous recevez l'Évangile, et vous répondez: Assurément. Vous vous demandez ensuite si vous admettez que le Christ soit né, et vous répondez : Nullement, parce que, dites-vous, la génération du Christ ne fait pas partie de l'Évangile. Que répondrez-vous donc à ce témoignage de l'Apôtre: « Souvenez-vous que Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité d'entre les morts, selon l'Évangile que je prêche (1) ? » Voyez jusqu'à quel point vous ignorez, ou vous feignez d'ignorer ce que c'est que l'Évangile, et que pour le déterminer vous suivez, non l'enseignement des Apôtres, mais vos principes erronés. Ou si vous appelez Évangile ce que les Apôtres ont ainsi appelé, vous vous écartez de l'Évangile en refusant de croire que le Christ est de la race de David ; vérité que l'Apôtre affirme être annoncée conformément à son Evangile. Or, l'Évangile de Paul était l'Évangile des autres Apôtres, et de tous les fidèles dispensateurs de ce grand mystère. Il le dit lui-même : « Soit que ce soit moi, soit que ce soient eux qui vous prêchent, voilà ce que nous prêchons, et voilà ce que vous avez cru (2) ». Tous n'ont pas écrit l'Évangile, mais tous ont annoncé l'Évangile. Ceux qui ont raconté l'origine, les actions, les paroles, les souffrances de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ont reçu à juste titre le nom d'Évangélistes. Car, d'après la signification du mot, Evangile veut dire bonne nouvelle, ou bonne annonce. Ce terme peut sans doute s'appliquer à toute bonne nouvelle ;

 

1. II Tim. II, 8. — 2. I Cor. XV, 11.

 

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mais il a été consacré à désigner proprement la prédication du Sauveur. Si donc vous annoncez autre chose, vous êtes sans contredit en dehors de l'Evangile. Ils sont assurément contre vous, les petits que vous appelez des demi-chrétiens, s'ils entendent la voix de la charité leur mère, qui leur crie par la bouche de l'Apôtre : « Si quelqu'un vient vous annoncer autre chose que ce que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème (1) ». Or, Paul a annoncé, selon son Evangile, que le Christ est de la race de David ; vous donc, qui le niez, et qui annoncez autre chose, vous êtes anathème. Qui ne voit qu'il n'y a que le plus profond aveuglement pour soutenir que le Christ n'a jamais dit qu'il était né de l'homme, quand il ne cesse, pour ainsi dire, de proclamer qu'il est fils de l'homme ?

 

 

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CHAPITRE III. LA RACE DE TÉNÈBRES.
 

Mais voici : du trésor de votre haute science, vous nous produisez je ne sais quel premier homme, qui descendit de la race de lumière pour combattre la race de ténèbres ; vous nous le représentez armé de ses eaux contre les eaux de ses ennemis, de son feu contre leur feu, de ses vents contre leurs vents. Et pourquoi ne pas dire de sa fumée contre leur fumée, et de ses ténèbres contre leurs ténèbres? Pourquoi l'armer de l'air contre la fumée, et de la lumière contre les ténèbres? Serait-ce parce que la fumée et les ténèbres sont mauvaises, que lui, essentiellement bon, n'a pu les admettre? Ces trois éléments, l'eau, le vent et le feu sont donc bons. Mais comment peuvent-ils se trouver chez la race ennemie, essentiellement mauvaise ? Vous répondez que l'eau de la race de ténèbres était mauvaise, et que celle du premier homme était bonne, et que son feu qui était bon combattit le feu de cette race qui était mauvais. Comment donc n'a-t-il pu opposer une fumée bonne à la fumée mauvaise? Est-ce que vos fictions mensongères s'évanouissent et disparaissent en fumée, comme la fumée elle-même? Votre premier homme, selon vous, combattit la nature contraire. Mais pourquoi, à ces cinq éléments que vous prêtez à la race ennemie, n'opposa-t-il qu'un élément contraire tiré des régions divines, la lumière aux ténèbres? Les

 

1. Gal. I, 8.

 

quatre autres ne sont pas contraires les uns aux autres. Car l'air n'est pas opposé à la fumée, et encore moins l'eau à l'eau, le vent au vent, le feu au feu.

 

 

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CHAPITRE IV. LE PREMIER HOMME DES MANICHÉENS.
 

Maintenant, que dire de ces sacrilèges extravagances par lesquelles vous prétendez quo votre premier homme a changé et transformé, au gré de ses ennemis, pour mieux les surprendre, les éléments qu'il portait, afin que l'empire du mensonge, ainsi que vous l'appelez, conservant sa même nature, ne pût user de ruse dans le combat, et que la substance de ta vérité trompât son adversaire, en revêtant des formes diverses? Vous voulez faire croire que Jésus-Christ est fils de ce premier homme. Vous dites que la Vérité est fille de cette fable inventée à plaisir. Ce premier homme, vous le louez pour avoir lutté avec la race son ennemie sous des formes changeantes et trompeuses ; mais si vous dites vrai, vous n'imitez pas cet homme ; et si vous l'imitez, vous êtes vous-mêmes des imposteurs. Mais notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vrai et véridique Fils de Dieu, vrai et véridique fils de l'homme, selon le témoignage qu'il a donné de lui-même, a puisé sa divinité éternelle dans le sein du vrai Dieu, et tire véritablement son origine charnelle de l'homme. Votre premier homme est inconnu dans l'enseignement apostolique. Ecoutez l'Apôtre saint Paul : « Le premier homme », dit-il, « est l'homme terrestre formé de la terre ; et le second est l'homme céleste descendu du ciel. Comme le premier homme a été terrestre, ses descendants aussi sont terrestres; et comme le second homme est céleste, ses enfants aussi sont célestes. Comme nous avons porté l'image de l'homme terrestre, portons aussi l'image de l'homme descendu du ciel (1) ». Le premier homme terrestre tiré de la terre fut Adam, formé de limon ; et le second homme céleste descendu du ciel est le Seigneur Jésus-Christ. Le Fils de Dieu est venu prendre chair pour se faire homme visible, tout en demeurant Dieu invisible; il devait être en même temps le vrai Fils de Dieu par qui nous avons été créés, et le vrai fils de l'homme par qui nous avons été

 

1. I Cor. XV, 47-49.

 

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régénérés. Pourquoi donc admettre votre premier homme imaginaire sorti je ne sais d'où, et refuser de reconnaître celui dont parle la doctrine apostolique? Doit-elle donc s'accomplir en vous, cette parole de l'Apôtre : « Ils fermeront l'oreille à la vérité, et ils l'ouvriront à des fables (1)? » Paul montre un premier homme terrestre formé de la terre ; et Manès prêche un premier pomme non terrestre, enveloppé de je ne sais quels éléments trompeurs au nombre de cinq. Et Paul dit : « Si quelqu'un vient vous prêcher autre chose que ce que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème ». Si Paul n'est pas menteur, Manès est donc anathème.

 

 

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CHAPITRE V. LE CHRIST DES MANICHÉENS ENCHAÎNÉ AUX ASTRES ET AUX AUTRES CRÉATURES.
 

Vous vous récriez en outre contre cette étoile qui conduisit les Mages au berceau du Christ, et vous ne rougissez pas, non plus de donner à votre Christ fabuleux, fils de votre premier homme imaginaire, le témoignage d'une étoile, mais de l'enchaîner à toutes les étoiles. Car, selon vous, dans le combat que votre premier homme livra à la race des ténèbres, il se mêla aux princes des ténèbres, pour s'en emparer et en faire la matière dont le monde est formé. Par suite de ces sacrilèges extravagances, vous êtes contraints d'admettre que votre Christ est enchaîné et incorporé, non-seulement au ciel et à toutes les étoiles, mais encore à la terre et à toutes ses productions, et que, loin d'être votre Sauveur, c'est de vous qu'il attend sa délivrance dans ce que vous mangez et ce que vous digérez.

En effet, entichés d'une doctrine aussi puérile qu'impie, vous persuadez à vos auditeurs de vous fournir des aliments, afin de prêter lé secours de vos dents et de vos ventres au Christ retenu captif dans ces aliments. C'est par des moyens aussi étranges que vous prétendez rompre ses liens et le rendre à la liberté. Encore n'est-il pas délivré tout entier; il reste de lui dans l'ordure quelques parties faibles et viles, destinées à être emprisonnées de nouveau dans une succession de formes corporelles et diverses, et à être enfin délivrées et purifiées par le feu qui embrasera

 

1. II Tim. IV, 4.

 

l'univers au dernier jour, si elles n'ont pu l'être pendant l'existence de ce monde. Et alors même sa délivrance ne pourra-t-elle être parfaite, dites-vous; le reste des parties les plus infimes de sa nature bonne et divine, tellement souillées que rien n'aura été capable de les purifier, sera condamné à rester éternellement attaché à l'affreux abîme des ténèbres. Et voilà des hommes qui semblent s'indigner comme d'une injure faite au Fils de Dieu, quand nous disons qu'une étoile a révélé sa naissance, comme si nous faisions dépendre cette naissance de la puissance aveugle d'une constellation; tandis qu'eux-mêmes le soumettent à l'empire des étoiles, et bien plus, le représentent tellement enchaîné et souillé dans les entraves de la matière, dans le suc de toutes les plantes, dans la putréfaction de toutes les chairs, dans le résidu de tous les aliments, qu'il ne peut être délivré et purifié, et encore très-imparfaitement, que par les hommes, c'est-à-dire par les élus de la secte, qui, en digérant, le dégagent du sein même des porreaux et des radis.

Loin de nous la pensée de regarder la naissance d'aucun homme comme soumise à l'empire fatal des étoiles; car, pour sauvegarder la justice du jugement de Dieu, nous affranchissons de toute contrainte le libre arbitre de la volonté, principe du bien ou du mal. Combien plus encore croyons-nous l'influence des astres étrangère à la génération de Celui qui est le Créateur et le Seigneur de toutes choses ! Ainsi, l'étoile qu'aperçurent les Mages à la naissance du Christ selon la chair, n'exerçait aucune puissance sur sa destinée, mais lui rendait témoignage ; elle ne le soumettait point à son empire, mais indiquait le lieu de sa présence. Elle n'était donc pas du nombre de ces étoiles qui, dès l'origine du monde, marchent dans la voie qui leur a été tracée par le Créateur; mais à la naissance du fruit miraculeux de la Vierge parut un nouvel astre qui devait servir de guide aux Mages dans la recherche du Christ, et les conduire, en marchant devant eux, jusqu'au lieu où était le Verbe de Dieu fait enfant. Quels sont d'ailleurs les astrologues qui, en rattachant à l'empire des astres la destinée des hommes à leur naissance, ont prétendu que quelqu'une des étoiles quittait son orbite et se dirigeait vers l'enfant qui venait de naître? N'enseignent-ils pas que l'homme alors est soumis à l'ordre des astres, mais que (149) l'époque de sa naissance ne peut faire déroger à cet ordre? Si donc cette étoile était de celles qui ont leur cours régulier dans les cieux, comment pouvait-elle décréter d'autorité ce que ferait le Christ qui venait de naître, quand à sa naissance elle reçut elle-même l'ordre d'interrompre sa course? Mais si, comme il est plus probable, cette étoile qui n'existait pas auparavant, parut pour annoncer le Christ, la naissance du Christ ne dépendit donc pas de son existence, mais elle-même n'exista que par suite de cette naissance. En sorte que, s'il était nécessaire de nous servir d'une telle expression, nous dirions que le Christ a été pour l'étoile le décret du destin, et non l'étoile pour le Christ. Car il a été la cause de son apparition, et elle n'a pas été celle de sa naissance. Si le terme fatum, oracle, décret, tire son origine du verbe qui signifie porter, décréter, comme le Christ est le Verbe de Dieu, en qui toutes choses ont été décrétées avant leur existence, ce ne sont donc pas les astres qui sont le fatum du Christ, mais le Christ qui est le fatum des astres, lui qui a pris la chair de l'homme créée sous le ciel, en vertu de cette même volonté par laquelle il a créé le ciel même, et qu'il a quittée et reprise par l'effet de cette même puissance avec laquelle il commande aux astres.

 

 

 

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CHAPITRE VI. L'ÉVANGILE DES MANICHÉENS.
 

Pourquoi donc ne regarderions-nous pas comme véritable Evangile le récit qui a trait à cette génération, puisqu'elle nous est annoncée comme la source de tant de biens, qu'elle est devenue le remède qui guérit notre infirmité? Est-ce parce que saint Matthieu n'a pas débuté en ces termes, comme saint Marc : « Le commencement de l'Evangile de Jésus-Christ », mais de cette manière : « Le Livre de la génération de Jésus-Christ? »  A ce titre, il faut dire que saint Jean n'a pas écrit l'Evangile, parce que lui aussi n'a pas dit : Le commencement de l'Evangile, ou le Livre de l'Evangile, mais : « Au commencement était le Verbe (1) ». Peut-être Fauste, avec son talent si remarquable pour forger des termes, a-t-il su désigner le début de saint Jean sous le titre de Verbidium, à cause du mot Verbum, comme il n'a pas craint de désigner celui de saint Matthieu sous celui de Genesidium, à cause du mot Genesis. Mais comment ne voyez-vous pas plutôt quelle impudence est la vôtre d'oser appeler Evangile vos fables interminables et impies ? Quelle bonne nouvelle, je le demande, nous apportent ces rêveries où vous débitez que Dieu ne trouva d'autre moyen de pourvoir à la sûreté et au maintien de son empire, contre les efforts de je ne sais quelle nature étrangère et ennemie, que de jeter en proie à sa voracité une partie de sa nature, laquelle devait être tellement souillée, que les plus longues épreuves et les plus cruelles souffrances ne pourraient la purifier entièrement? Une nouvelle aussi mauvaise doit-elle donc s'appeler Evangile ? Tous ceux qui ont la plus légère connaissance du grec savent que Evangile signifie Bonne nouvelle, ou Bonne annonce. Mais qu'y a-t-il de bon dans cette nouvelle qui nous apprend que Dieu, couvert d'un voile, en est réduit à gémir, jusqu'à ce que ses membres soient guéris de leurs plaies et purifiés de leurs souillures? Et quand son deuil finira, ce sera pour faire place à la cruauté. Car, que lui a fait cette portion de lui-même qui sera attachée à la masse des ténèbres? Ne devrait-elle pas être éternellement pleurée, puisqu'elle sera vouée à une damnation éternelle? Mais je ne voulais pas dire que la moindre attention suffit pour reconnaître qu'une telle nouvelle fait moins couler les larmes par sa tristesse, qu'elle ne prête à rire par sa fausseté.

 

1. Jean, I, 1.

LIVRE TROISIÈME. LES DEUX GÉNÉALOGIES.
Contrariétés apparentes entre la généalogie de saint Matthieu et celle de saint Luc.
 

CHAPITRE PREMIER. DIVERGENCES DES DEUX GÉNÉALOGIES.

CHAPITRE II. CONFIANCE MÉRITÉE PAR LES AUTEURS CHRÉTIENS.

CHAPITRE III. COMMENT SAINT JOSEPH A PU AVOIR DEUX PÈRES.

CHAPITRE IV. MYSTÈRES COMPRIS DANS LES DEUX GÉNÉALOGIES.

CHAPITRE V. INJURE FAITE PAR FAUSTE AUX ÉVANGÉLISTES QU'IL ADOPTE.

CHAPITRE VI. COMMENT LE CHRIST EST NÉ D'UNE FEMME.

 

 
 
 

 

CHAPITRE PREMIER. DIVERGENCES DES DEUX GÉNÉALOGIES.
 

Fauste. Vous admettez donc la génération ? — Longtemps j'ai fait tous les efforts pour me persuader cette étrange doctrine que Dieu est né; mais choqué de la divergence des deux évangélistes qui décrivent sa généalogie, Luc et Matthieu (1), je suis resté dans l'incertitude sur celui que je devais suivre de préférence. Il est possible, me disais-je, que n'ayant pas la science infuse, je me trompe en croyant l'erreur du côté où serait précisément la vérité, et réciproquement. Laissant donc de côté ce débat sans fin, et auquel je ne voyais pas de solution, je m'adressai à Marc et à Jean; c'étaient deux autorités pour deux autorités, évangélistes pour évangélistes. Leur début me plut à juste titre, parce qu'il n'y est question ni de David, ni de Marie, ni de Joseph. Jean dit qu'au commencement était le Verbe, que le Verbe était en Dieu, et que le Verbe était Dieu (2), désignant ainsi le Christ; et Marc s'exprime ainsi : « Evangile de Jésus-Christ, fils de Dieu (3) ». Comme s'il reprochait à Matthieu de l'avoir dit fils de David; à moins qu'ils n'annoncent chacun un Jésus différent. Telle est la raison pour laquelle je n'admets pas que le Christ soit né. Pour vous, si vous vous croyez capable de renverser cet obstacle qui m'arrête, conciliez entre eux ces évangélistes, faites que je ne puisse échapper à une entière défaite; toujours néanmoins, je regarderai comme indigne de croire que Dieu, et le Dieu des chrétiens, soit né du sein d'une femme.

 

 

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CHAPITRE II. CONFIANCE MÉRITÉE PAR LES AUTEURS CHRÉTIENS.
 

Augustin. Si votes aviez lu l'Evangile avec un zèle vraiment pieux, vous auriez préféré examiner attentivement les contradictions qui vous choquaient dans les évangélistes,

 

1. Matt. 1, 1-17; Luc, III, 23-38. — 2. Jean, I, 1. — 3. Marc, I, 1.

 

plutôt que de les condamner témérairement. Du moins, cette contradiction évidente, qui frappe de prime abord, vous aurait fait penser que si elle ne cachait u n profond mystère, il eût été difficile aux évangélistes d'obtenir dans tout l'univers cette grande autorité devant laquelle se sont inclinés les génies les plus distingués par leurs lumières. Quelle merveille, que vous ayez découvert que saint Luc et saint Matthieu ont assigné au Christ selon la chair des ancêtres différents, au nombre desquels cependant tous deux citent Joseph, qui termine la série de saint Matthieu, et commence celle de saint Luc, Joseph qui, par suite de son union sainte et virginale avec la mère du Christ, mérita d'être appelé son père, et en qui put être établie la suite de ses générations selon la ligne virile ? Quelle merveille que vous ayez découvert que saint Matthieu assigne à Joseph un père différent de celui que lui donne saint Luc, que l'un lui donne un aïeul et l'autre un autre ; et qu'en remontant la longue suite des générations jusqu'à David, le premier établit une série d'ancêtres différente de celle du second ? Une divergence aussi frappante et aussi manifeste a-t-elle donc échappé à tant d'esprits si pénétrants et si éclairés, qui ont étudié avec tant de soin les divines Ecritures? On en compte peu, il est vrai, parmi les Latins; mais n'y en a-t-il pas une foule parmi les Grecs ? Assurément, ils l'ont remarquée. Quoi de plus facile à saisir? La moindre attention n'y suffit-elle pas ? Mais saintement frappés du caractère de cette haute et éminente autorité, ils ont été convaincus que cette apparente contradiction voilait un mystère, qui serait montré à ceux qui demanderaient, refusé à ceux qui insulteraient, trouvé par ceux qui chercheraient, soustrait à ceux qui critiqueraient, ouvert à ceux qui frapperaient, fermé à ceux qui attaqueraient (1) : ils ont demandé, ils ont cherché, ils ont frappé; ils ont reçu, ils ont trouvé, ils sont entrés.

 

1. Matt. VII, 7.

 

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CHAPITRE III. COMMENT SAINT JOSEPH A PU AVOIR DEUX PÈRES.
 

Toute la question se résume à savoir comment Joseph a pu avoir deux pères. Une fois cette possibilité démontrée, il n'y a plus de raison d'accuser aucun évangéliste de fausseté, pour avoir établi différentes généalogies. D'abord, en supposant deux pères, rien d'étonnant ni de contradictoire qu'il y ait deux aïeuls, et ainsi de suite deux lignes divergentes d'ancêtres en remontant jusqu'à David, lequel avait pour fils Salomon, qui appartient à la ligne suivie par saint Matthieu, et pour autre fils Nathan, qui appartient à la ligné adoptée par saint Luc. Frappés de ce fait, certains esprits regardent comme impossible que deux hommes puissent engendrer un autre homme par le commerce charnel, et ils en concluent que la question présente est insoluble. Ils né remarquent pas que, d'après l'usage le plus fréquent et le plus répandu, le nom de père se donne, non-seulement à celui qui engendre, mais encore à celui qui adopte quelqu'un.

L'adoption était tellement entrée dans les moeurs de l'antiquité, que nous voyons des femmes même adopter des enfants issus d'un autre sein. Ainsi Sara adopte les enfants d'Agar (1); Lia ceux de sa servante (2) ; la fille de Pharaon adopte Moïse (3); Jacob lui-même adopte ses petits-fils, enfants de Joseph (4). Ce nom même d'adoption joue un très-grand rôle dans le mystère de notre foi, comme l'attestent les écrits des Apôtres. Saint Paul, parlant des mérites des Juifs : « C'est à eux, dit-il, qu'appartiennent l'adoption, la gloire, le Testament et la loi; ce sont eux qui ont les patriarches pour pères, et desquels est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu élevé au-dessus de tout, et béni dans tous les siècles (5) ». — « Nous gémissons en nous-mêmes», avait-il dit auparavant, « soupirant après l'adoption des enfants de Dieu, qui sera la rédemption de nos corps (6) ». — « Lorsque le temps a été accompli », ajoute-t-il ailleurs, « Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme, et assujéti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, et pour nous faire recevoir l'adoption des enfants (7) ». Ces témoignages, et d'autres semblables, montrent assez quel profond mystère renferme cette

 

1. Gen. XVI, 2. — 2. Id. XXX, 9-13. — 3. Ex. II, 9, 10. — 4. Gen. XLVIII, 5. — 5. Rom. IX, 4, 5. — 6. Id. VIII, 23. — 7. Gal, IV, 4, 5.

 

adoption. Dieu n'a qu'un Fils unique qu'il a engendré de sa substance, et dont il est dit, qu'« ayant la forme et la nature de Dieu, il n'a pas cru que ce fût en lui une usurpation de se dire égal à Dieu (1) ». Pour nous, il ne nous a point engendrés de sa substance: nous ne sommes que de pures créatures qu'il a, non engendrées, mais créées; et c'est pourquoi il nous a adoptés pour nous faire devenir, selon sa manière, les frères de Jésus Christ. Or, c'est le mode par lequel Dieu nous a engendrés par sa parole et par sa grâce, pour que nous fussions ses enfants, après que nous avions déjà été, non pas engendrés, mais créés et formés par lui ; c'est ce mode, dis-je, que nous appelons adoption. Ce qui a fait dire à saint Jean : « Il leur a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (2)». Le droit d'adoption ayant donc été en usage parmi nos pères et dans l'Ecriture sainte, quelle impiété et quelle folie de commencer par accuser de fausseté les évangélistes, pour avoir dressé des généalogies différentes, comme si elles ne pouvaient être vraies en même temps, avant de réfléchir, de considérer et de se convaincre, comme il est si facile, que d'après la coutume la plus universellement admise, le même homme peut avoir deux pères, l'un qui l'ait engendré de sa chair, et l'autre qui l'ait adopté pour son fils, par une disposition particulière dé sa volonté? Si le none de père ne convient pas à ce dernier, nous n'avons pas non plus le droit de dire: « Notre Père, qui êtes aux cieux», à Celui qui ne nous a point engendrés de sa substance, mais qui, d'après l'enseignement des Apôtres et la règle infaillible de la vérité, nous a adoptés par sa grâce et par sa très-miséricordieuse volonté. Car nous le connaissons et pour Dieu, et pour Seigneur, et pour Père ; pour Dieu, parce que, bien qu'issus de nos parents selon la chair, nous avons été formés par lui ; pour Seigneur, parce que nous sommes soumis à sa puissance; pour Père, parce que nous avons reçu dans son adoption une nouvelle naissance.

Il était donc facile à      ces hommes, qui apportaient un zèle religieux à l'étude des divines Lettres, de découvrir, avec la plus simple attention, dans les différentes générations du Christ, telles que les rapportent les deux évangélistes, comment Joseph a pu avoir deux pères, issus chacun d'une ligne

 

1. Philip. II, 6. — 2. Jean. I, 12.

 

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divergente. Vous le verriez assurément vous-mêmes, si l'esprit de chicane ne vous aveuglait. En interprétant les diverses parties de ce récit des évangélistes, ces hommes y ont cherché et découvert bien d'autres mystères encore; mais ces mystères sont entièrement hors de la portée de votre intelligence. Toutefois, malgré l'erreur dans laquelle vous êtes, et sans cet esprit d'opposition avec lequel vous lisez l'Evangile, la moindre réflexion suffirait pour vous faire reconnaître un fait passé en usage dans la vie commune, savoir, qu'un homme peut, par un acte de sa volonté, adopter un enfant engendré par un autre, et qu'ainsi le même homme peut avoir deux pères.

 

 

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CHAPITRE IV. MYSTÈRES COMPRIS DANS LES DEUX GÉNÉALOGIES.
 

Maintenant pourquoi saint Matthieu parle-t-il d'Abraham en descendant jusqu'à Joseph, tandis que saint Luc commence à Joseph en remontant, non plus jusqu'à Abraham, mais jusqu'à Dieu, qui a créé l'homme et qui, après lui avoir imposé ses commandements, lui a donné le pouvoir de devenir par la foi enfant de Dieu ? pourquoi le premier a placé sa généalogie au commencement de son livre, et le second après le baptême du Sauveur par saint Jean? quelle est la signification du nombre des générations selon saint Matthieu, qui en forme trois séries, de quatorze chacune, bien qu'on en retrouve une en moins dans la somme totale; et pourquoi le nombre des générations telles que saint Luc les rapporte à l'occasion du baptême du Seigneur, s'élève jusqu'à soixante-dix-sept, nombre que le Seigneur lui-même applique à la rémission des péchés, en disant : « Vous pardonnerez non-seulement sept fois, mais soixante-dix-sept fois (1)? » Ce sont là autant de questions insolubles pour vous, à moins que vous ne soyez éclairés par quelque catholique, spécialement adonné à l'étude et très-versé dans la connaissance des divines Ecritures, ou que, désabusés de vos erreurs, et animés des sentiments de la piété catholique, vous ne demandiez pour recevoir, vous ne cherchiez pour trouver, et vous ne frappiez pour entrer.

 

1. Matt. XVIII, 22.

 

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CHAPITRE V. INJURE FAITE PAR FAUSTE AUX ÉVANGÉLISTES QU'IL ADOPTE.
 

Ainsi se trouve résolue, par la double paternité de nature et d'adoption, la difficulté qui naissait, aux yeux de Fauste, de la diversité des générations, et qui consistait précisément à montrer comment Joseph pouvait avoir eu deux pères. C'est donc en vain qu'il a rejeté les deux évangélistes, pour s'attacher aux deux autres. C'était faire à ceux-ci une injure plus grave encore qu'aux premiers. Les saints n'aiment pas d'avoir pour adeptes ceux qui se montrent les contempteurs de leurs frères. L'unité est leur privilège, et ils en jouissent dans le Christ. Que l'un dise une chose, et l'autre une autre, l'un d'une manière, et l'autre d'une autre, tous ne disent que la vérité, jamais rien de contradictoire pour tout lecteur pieux qui les lit avec docilité, et qui s'attache à les expliquer, non dans un esprit de parti qui n'engendre que la chicane, mais avec un coeur sincère qui produit l'édification, Nous croyons que chaque évangéliste a voulu donner la suite des générations propres à l'un des deux pères qu'eut Joseph, selon un usage commun parmi les hommes; en quoi cette croyance est-elle contraire à la vérité? Maintenant donc que les évangélistes sont conciliés entre eux, avouez, comme Fauste s'y est engagé, que vous êtes complètement vaincus.

 

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CHAPITRE VI. COMMENT LE CHRIST EST NÉ D'UNE FEMME.
 

Cette réflexion qu'ajoute Fauste, vous arrête-t-elle encore? « Toujours je regarderai comme indigne, dit-il, de croire que Dieu, et le Dieu des chrétiens soit né ». Comme si nous croyions que la nature divine elle-même soit issue du sein d'une femme. N'ai-je pas cité plus haut le témoignage de l'Apôtre, où il dit des Juifs : « Ce sont eux qui ont les patriarches pour pères, et desquels est sorti, selon la chair, Jésus-Christ même, qui est le Dieu élevé au-dessus de tout, et béni dans tous les siècles ? » Non, le Christ Notre-Seigneur et Sauveur, vrai Fils de Dieu selon la divinité, vrai fils de l'homme selon la chair, n'est pas né de la femme en tant qu'il est ce Dieu élevé au-dessus de toutes choses et béni dans tous les siècles; mais en tant (153) qu'il nous a emprunté l'infirmité de la chair, en laquelle il devait mourir, pour la guérir en nous; non, il n'est pas né de la femme selon la forme et la nature divine qu'il possédait, de manière à pouvoir, sans usurpation, se dire l'égal de Dieu; mais selon la forme d'esclave en laquelle « il s'est anéanti lui-même » en la prenant (1). Car il ne s'est anéanti qu'en prenant cette forme d'esclave, sans perdre sa forme divine. Il a conservé sans aucune altération cette nature et cette forme divine par laquelle il est égal au Père, pendant qu'il prenait notre nature sujette au changement, en laquelle il devait naître d'une vierge. Et vous, qui avez horreur de confier la chair du Christ

 

1. Philip. II, 6.

 

au sein d'une vierge, vous ne craignez pas d'enfermer la divinité même, non-seulement dans le sein de l'homme, mais jusque dans les entrailles des chiens et des pourceaux ! Vous refusez de croire que la chair du Christ a été une seule fois conçue dans un sein virginal, où la Divinité n'a subi ni captivité, ni changement; et vous osez soutenir qu'une portion de Dieu, que la nature divine est en chaînée,     opprimée, souillée dans ce qui concourt à la génération chez les hommes et les animaux, dans toutes les productions, dans toutes les parties de la terre, des eaux et des airs, sans qu'elle puisse jamais tout entière recouvrer la liberté!

LIVRE QUATRIÈME. PROMESSES ANCIENNES.
 

Les promesses des biens temporels, renfermées dans l'Ancien Testament, figurent les biens spirituels promis dans le Nouveau. Les saints de l'ancienne Loi n'étaient pas attachés à ces biens matériels.

 
 

CHAPITRE PREMIER. OBSERVANCES ET PROMESSES TEMPORELLES DANS L'ANCIEN TESTAMENT.

CHAPITRE II. AUTORITÉ ET PROMESSES FIGURATIVES DE L'ANCIEN TESTAMENT.

 

 

 
 
 

CHAPITRE PREMIER. OBSERVANCES ET PROMESSES TEMPORELLES DANS L'ANCIEN TESTAMENT.
 

Fauste. Admettez-vous l'Ancien Testament? — Oui s'il m'assure un héritage ; autrement, je le rejette. C'est une dérision par trop grande de vouloir user d'un testament qui vous laisse déshérité. Ignorez-vous que l'Ancien Testament promet la terre de Chanaan (1) ; qu'il ne la promet qu'aux Juifs, c'est-à-dire à ceux qui sont circoncis, qui offrent des sacrifices, qui s'abstiennent de la chair de porc et de toutes les viandes que Moïse désigne comme impures, qui observent le sabbat, la solennité des azymes, et toutes les autres prescriptions de ce genre, que l'auteur de ce Testament leur a ordonné d'observer (2)? Comme toutes ces pratiques ne sont nullement du goût des chrétiens, puisqu'il n'en est pas un seul d'entre nous pour s'y soumettre, il est juste que refusant l'héritage, nous en rendions aussi le titre. Telle est la première raison qui me détermine à rejeter l'Ancien Testament; à moins que vous n'ayez quelque avis plus sage à me donner. La seconde raison, c'est que l'héritage qu'il annonce est si chétif, si matériel, et si loin de répondre aux besoins de notre âme, qu'après l'heureuse promesse du Nouveau Testament, qui m'assure le royaume des cieux et la vie éternelle, il ne m'inspirerait que le dédain, lors même qu'il me serait offert sans condition.

 

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CHAPITRE II. AUTORITÉ ET PROMESSES FIGURATIVES DE L'ANCIEN TESTAMENT.
 

Augustin. Nous savons tous que l'Ancien Testament renferme les promesses des biens temporels, et que c'est pour ce motif qu'il est ainsi appelé; nous savons que la promesse de la vie éternelle et du royaume des cieux fait partie du Nouveau. Mais ces biens temporels

 

1. Gen. XV, 18; XVII, 8. — 2. Lévit. XI, 7; Ex. XII, 20.

 

étaient la figure des biens futurs qui devaient nous être donnés, à nous qui vivons à la fin des temps. C'est là, non pas ma pensée, mais l'enseignement même des Apôtres; car saint Paul dit à ce sujet : « Toutes ces choses ont été pour nous autant de figures », et un peu plus loin: « Toutes ces choses qui leur arrivaient n'étaient que des figures; elles ont été écrites pour nous qui nous trouvons à la fin des temps (1) ». Si nous recevons l'Ancien Testament, ce n'est donc pas pour recueillir l'effet des promesses qu'il renferme, mais pour y trouver l'intelligence de celles du Nouveau. Les témoignages du premier établissent la foi au second. Ainsi quand, après sa résurrection, le Seigneur se fut montré aux yeux de ses disciples, et se fut fait toucher de leurs mains; dans la crainte qu'ils ne s'arrêtassent à la pensée que leurs sens charnels et infirmes étaient le jouet d'impressions trompeuses, il les affermit dans leur foi par les témoignages des anciennes Ecritures : « Il fallait », leur dit-il, « que tout ce qui a été écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes, s'accomplît (2) ». Notre espérance ne repose donc pas sur la promesse des biens temporels, de ces biens auxquels nous ne croyons même pas que les hommes saints et spirituels de cette époque, les patriarches et les prophètes, bornaient leurs désirs. Eclairés par l’Esprit de Dieu, ils savaient comprendre ce qui convenait à leur temps, et comment, par la disposition de la Providence, les événements et les témoignages de l'ancienne loi devenaient autant de figures et d'annonces des choses futures; leur désir se portait principalement vers le Testament Nouveau; seulement les anciennes promesses, pour mieux signifier les mystères futurs de la loi nouvelle, recevaient une application actuelle et sensible. C'est ainsi que ces grands hommes prophétisèrent, non-seulement parla parole, mais par leur vie tout entière. Quant au peuple charnel, il ne s'attachait qu'aux

 

1. I Cor. X, 6, 11. — 2. Luc, XXIV, 44.

 

155

 

promesses de la vie présente; et néanmoins il fut encore une image des choses à venir.

Mais l'intelligence de ces vérités vous échappe, parce que, comme dit le Prophète, « si vous ne croyez, vous ne comprendrez point (1) ». Vous n'avez pas été instruits dans le royaume des cieux, c'est-à-dire au sein de la véritable Eglise catholique. Si vous aviez eu ce privilège, vous sauriez tirer, du trésor des saintes Ecritures, des choses anciennes aussi bien que des choses nouvelles. Car le Seigneur dit lui-même : « C'est pourquoi tout docteur instruit de ce qui regarde le royaume des cieux, est semblable à un père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes (2) ». Ainsi, en voulant vous en tenir aux seules promesses de la loi nouvelle, vous êtes demeurés dans la

 

1. Isaïe, VII, 9. — 2. Matt. XIII, 52.

 

vétusté de la chair, et vous avez introduit la nouveauté de l'erreur. C'est contre cette nouveauté que s'élève l'Apôtre, en disant : « Fuyez les nouveautés profanes de la parole; car elles contribuent beaucoup à inspirer l'impiété. Les discours de leurs auteurs sont comme une gangrène qui répand insensiblement sa corruption. De ce nombre sont Hyménée et Philète, qui se sont écartés de la vérité, en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns (1) ». Reconnaissez dans cette source d'erreur celle d'où vous êtes sortis, vous qui prétendez qu'il n'y a de résurrection que celle qui s'opère présentement dans les âmes par la prédication de la vérité, et qui niez la résurrection future des corps, annoncée par les Apôtres.

 

1. II Tim. II, 16-18.

LIVRE CINQUIÈME. ATTACHEMENT À L'ÉVANGILE.
 

Ce ne sont pas les Manichéens, mais les vrais Catholiques, qui montrent par leur conduite leur attachement à l'Evangile.

 
 

CHAPITRE PREMIER. ACCEPTER L'ÉVANGILE, C'EST ACCOMPLIR CE QU'IL PRESCRIT.

CHAPITRE II. NE FAUT-IL PAS CROIRE AUSSI CE QU'ORDONNE L'ÉVANGILE ?

CHAPITRE III. IL FAUT PARTOUT FAIRE CE QU'IL ORDONNE.

CHAPITRE IV. LE CHRIST EST TOUT A LA FOIS FILS DE DIEU ET FILS DE L'HOMME.

CHAPITRE V. LA FOI N'EST PAS MOINS NÉCESSAIRE QUE LES OEUVRES. CONSTANCE DEVENU CATHOLIQUE, DE MANICHÉEN QU'IL ÉTAIT.

CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS DUPES OU IMPOSTEURS.

CHAPITRE VII. ORGUEIL DE FAUSTE.

CHAPITRE VIII. PRÉTENDUES PERSÉCUTIONS DE FAUSTE.

CHAPITRE IX. VERTUS RÉELLES PARMI LES CATHOLIQUES.

CHAPITRE X. EXTRAVAGANCES MANICHÉENNES.

CHAPITRE XI. LES MANICHÉENS, ADORATEURS DU SOLEIL.

 

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CHAPITRE PREMIER. ACCEPTER L'ÉVANGILE, C'EST ACCOMPLIR CE QU'IL PRESCRIT.
 

Fauste. Admettez-vous l'Evangile? — Pourquoi cette question, quand vous voyez en moi la preuve que je le reçois, je veux dire l'observation de ses préceptes? Dois-je vous demander si vous le recevez, vous en qui on ne voit aucune marque d'un homme qui reçoit l'Evangile? Moi, j'ai quitté mon père, ma mère, mon épouse, mes enfants et tout ce que l'Evangile prescrit d'abandonner (1), et vous me demandez si je reçois l'Evangile? Ignorez-vous donc encore ce qui constitue l'Evangile? Est-il autre chose que la prédication et les préceptes du Christ? Je n'ai plus voulu ni or, ni argent, j'ai cessé de porter de la monnaie dans ma ceinture, me contentant de la nourriture de chaque jour, ne m'inquiétant plus du lendemain, sans sollicitude pour savoir où je trouverais de quoi nourrir ou couvrir mon corps (2), et vous me demandez si je reçois l'Evangile? Vous voyez en moi les béatitudes du Christ qui constituent l'Evangile, et vous m'adressez une semblable question? Vous me voyez pauvre, vous me voyez doux, vous me voyez pacifique, d'un coeur pur, pleurant, ayant faim, ayant soif, supportant les haines et les persécutions pour la justice, et vous doutez si je reçois l'Evangile? Je ne m'étonne plus que Jean-Baptiste, après avoir vu Jésus, et entendu le récit de ses couvres, ait demandé encore s'il était véritablement le Christ. Il mérita que Jésus ne daignât pas lui faire savoir qu'il l'était en effet, mais qu'il se contentât de lui faire rapporter ce qu'il avait déjà entendu : « Les aveugles voient, les sourds entendent, les morts ressuscitent (3) ». Je puis à bon droit agir de même à votre égard: et, quand vous demandez si je reçois l'Evangile, me borner à. vous dire : J'ai tout quitté, mon père, ma mère, mon épouse, mes enfants, l'or, l'argent, le boire, le manger, les délices, les plaisirs : n'attendez pas d'autre

 

1. Matt. XIX, 29. —2. Id. X, 9, 10; VI, 25-34. — 3. Id. XI, 2-6.

 

réponse à vos questions, et estimez-vous heureux, si vous n'êtes pas scandalisé en moi.

 

 

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CHAPITRE II. NE FAUT-IL PAS CROIRE AUSSI CE QU'ORDONNE L'ÉVANGILE ?
 

Mais, dites-vous, recevoir l'Evangile, ce n'est pas seulement accomplir ce qu'il prescrit, mais encore croire toutes les vérités qui sont consignées, et dont la première est que Dieu est né. De même, pour admettre l'Evangile, ce n'est pas assez de croire que Jésus est; né, il faut en outre faire ce qu'il commande. Mais si vous prétendez que je ne reçois pas l'Evangile, parce que je laisse de côté la génération, je dis que vous ne le recevez pas non plus, et que vous le recevez d'autant moins que vous en méprisez les préceptes. Nous sommes donc jusqu'alors dans une condition égale, sauf à discuter les partis respectifs; et si le mépris que vous faites des préceptes ne vous empêche pas d'affirmer que vous recevez l'Evangile, pourquoi ne pourrais-je pas le dire moi-même tout en rejetant la généalogie? Si recevoir l'Evangile consiste dans ces deux points, comme vous le dites, croire les généalogies, et observer les commandements, de quel droit, vous qui êtes imparfait, jugez-vous un imparfait? L'une de ces deux conditions fait défaut à chacun de nous. Et si, comme c'est plus certain, recevoir l'Evangile, c'est uniquement en observer les divins préceptes, vous êtes injuste à double titre, vous qui, selon le proverbe, n'êtes qu'un déserteur accusant le soldat. Toutefois admettons, puisque vous le voulez, que ces deux points sont les parties d'une foi parfaite, dont l'une consiste dans la parole, c'est-à-dire, à confesser la naissance du Christ, et l'autre dans les couvres, ou l'observation des préceptes, ne voyez-vous pas que j'ai choisi la partie la plus pénible et la plus difficile, et vous la partie la plus légère et la plus facile? Rien d'étonnant que la foule du peuple se porte vers vous, et s'éloigne de moi; elle ignore assurément que le règne (157) de Dieu ne réside pas dans la parole, mais dans la vertu. Mais, dites-vous, je regarde cette partie de la foi que vous rejetez, et qui professe que le Christ est né, comme plus efficace et plus propre à procurer le salut des âmes.

 

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CHAPITRE III. IL FAUT PARTOUT FAIRE CE QU'IL ORDONNE.
 

Voyons donc, adressons-nous au Christ lui-même, et apprenons de sa propre bouche quel est pour nous le principal moyen de salut. Qui entrera dans ton royaume, ô Christ? «Celui », répond-il, « qui aura fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux (1) ». Il ne dit pas Celui qui aura confessé que je suis né. « Allez», dit-il ailleurs à ses disciples, « enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à observer tout ce que j'ai ordonné (2) ». Il ne dit pas : Leur apprenant que je suis né, mais à observer les commandements. « Vous serez mes amis », ajoute-t-il dans un autre endroit, « si vous faites ce que je vous commande ». Il ne dit pas : Si vous croyez que je suis né. Et encore : « Si vous accomplissez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour (3) ». Je pourrais citer bien d'autres passages. Et dans ces enseignements qu'il développait sur la montagne : « Bienheureux les pauvres d'esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheureux ceux qui sont pacifiques, bienheureux ceux qui ont le coeur pur, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui ont faim, bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (4) » ; nulle part il n'a dit: Bienheureux ceux qui ont confessé que je suis né. Et quand au dernier jugement il fera la séparation des agneaux d'avec les boucs, il dira à ceux qui seront à sa droite « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire, etc. » C'est pourquoi « entrez en posa session de mon royaume (5) ». Il ne dit pas Parce que vous avez cru que j'étais né, recevez le royaume. Au riche qui demandait le moyen d'arriver à la vie éternelle : «Allez », dit-il, «vendez tout ce que vous avez et suivez-moi (6) ». Il ne dit pas : Pour vivre éternellement, croyez que je suis né. Ainsi entre ces deux

 

1. Matt. VII, 21. — 2. Id. XXVIII, 19, 20. — 3. Jean, XV, 14. — 4. Matt. I, 3-10. — 5. Id. XXV, 34, 35. — 6. Id. XIX, 21.

 

parties que vous assignez à la foi, c'est à celle que j'ai adoptée que partout sont promis le royaume, la vie et la béatitude ; à la vôtre, nulle part. Ou montrez si en quelque endroit il est écrit que celui-là est bienheureux, qu'il possédera le royaume et jouira de la vie éternelle, qui aura confessé que le Christ est né d'une femme. Que ce soit une partie de la foi, toujours est-il que la béatitude ne lui est point assignée. Et que sera-ce, quand nous aurons démontré qu'elle n'est pas véritablement une partie de la foi? Vous vous trouverez les mains vides; et nous nous chargeons d'en donner la preuve. Mais c'est assez pour le triomphe de notre tâche, que les béatitudes soient la récompense de cette partie de la foi qui est la nôtre. Encore a-t-elle droit à cette autre béatitude promise à la confession par la parole, puisque nous confessons que Jésus est le Christ, Fils du Dieu vivant, selon le témoignage que Jésus en a rendu lui-même en s'adressant à Pierre: « Vous êtes bienheureux, Simon fils de Jona, car ce n'est point la chair et le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel (1) ». Nous avons donc pour nous, non plus seulement une seule, comme vous le prétendiez, mais les deux parties de la foi bien déterminées, et pour chacune nous sommes appelés bienheureux parle Christ, parce que nous pratiquons la première par les oeuvres, et que nous confessons la seconde sans blasphème.

 

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CHAPITRE IV. LE CHRIST EST TOUT A LA FOIS FILS DE DIEU ET FILS DE L'HOMME.
 

Augustin. J'ai déjà rappelé plus haut les nombreuses circonstances dans lesquelles Notre-Seigneur Jésus-Christ affirme qu'il est fils de l'homme, et l'extrême vanité avec laquelle les Manichéens inventent la fable de leur détestable erreur où il est question de je ne sais quel premier homme imaginaire, non terrestre, mais revêtu d'éléments trompeurs, contrairement à ce que dit l'Apôtre : « Le premier homme tiré de la terre est terrestre (2) » ; j'ai parlé de la vive sollicitude avec laquelle cet apôtre nous donnait cet avertissement : « Si quelqu'un vient vous annoncer autre chose que ce que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème  (3) ». Il ne nous reste donc qu'à croire que le Christ est fils de

 

1. Matt. XVI, 17. — 2. I Cor. XV, 47. — 3. Gal. I, 8.

 

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l'homme et cela conformément à l'enseignement véridique des Apôtres, et non suivant les fictions mensongères des Manichéens. Or, les Evangélistes nous apprennent qu'il est né d'une femme de la maison, c'est-à-dire; de la famille de David; Paul écrit à Timothée

« Souvenez-vous que Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité d'entre les morts, selon l'Evangile que je prêche (1) ». C'est nous dire assez clairement de quelle manière nous devons croire que le Christ est fils de l'homme, qu'étant le Fils de Dieu par qui nous avons été créés, il s'est fait le fils de l'homme en prenant notre chair, en laquelle il devait mourir pour nos péchés, et ressusciter pour notre justification (2). Lui-même se dit en même temps Fils de Dieu, et fils de l'homme. Pour ne pas m'étendre davantage, voici ce que je lis dans un passage de l'Evangile selon saint Jean : « En vérité, en vérité, je vous dis que l'heure vient, et qu'elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et où ceux qui l'entendront vivront. Car comme mon Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir en lui-même la vie; et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le fils de l'homme (3) ». Remarquez ces expressions : « Ils entendront la voix du Fils de Dieu », et, « parce qu'il est le fils de l'homme». C'est en effet en sa qualité de Fils de l'homme qu'il a reçu le pouvoir de juger; et c'est sous cette forme qu'il viendra procéder au jugement, afin qu'il puisse: être vu par les bons et par les méchants. C'est sous cette forme qu'il monta au ciel, alors que cette voix retentit aux oreilles des disciples : « Il viendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel (4) ». Car en tant que Fils de Dieu égal au Père, et un avec le Père, il ne sera pas vu des méchants : « Bienheureux », est-il écrit, « ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (5) ». Si donc il promet la vie éternelle à ceux qui croient en lui, si croire en lui, c'est croire au vrai Christ, tel qu'il s'affirme lui-même, et tel que l'annoncent les Apôtres, c'est-à-dire vrai Fils de Dieu, et vrai fils de l'homme, vous, Manichéens, qui croyez au fils faux et trompeur d'un homme faux et trompeur, qui enseignez que Dieu lui-même, effrayé par le tumulte de

 

1. II Tim. II, 8. — 2. Rom. IV, 25. — 3. Jean, V, 25-27. — 4. Act. I, 11. — 5. Matt, V, 8.

 

la race ennemie, jeta en proie à sa voracité ses membres qui ne doivent plus être entièrement purifiés, voyez à quelle distance vous êtes de la vie éternelle promise par le Christ à ceux qui croient en lui. Il a dit à Pierre, qui le proclamait fils de Dieu : « Vous êtes bienheureux, fils de Jona (1) ». S'ensuit-il qu'il n'a rien promis à ceux qui le croiraient fils de l'homme, puisqu'il est en même temps Fils de Dieu et fils de l'homme? Voici d'ailleurs la vie éternelle formellement promise à ceux qui auraient foi en lui comme fils de l'homme : « De même que Moïse éleva le serpent dans le désert, de même il faut que le fils de l'homme soit élevé; afin que tout homme qui aura cru en lui, ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (2) ». Que voulez-vous de plus? Croyez donc au fils de l'homme, pour que vous ayez la vie éternelle, parce qu'il est lui-même le Fils de Dieu qui peut donner la vie éternelle; parce qu'il est lui-même « le vrai Dieu et la vie éternelle », comme le dit saint Jean dans son épître, on il qualifie d'antéchrist celui qui nie que le Christ soit venu dans la chair (3).

 

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CHAPITRE V. LA FOI N'EST PAS MOINS NÉCESSAIRE QUE LES OEUVRES. CONSTANCE DEVENU CATHOLIQUE, DE MANICHÉEN QU'IL ÉTAIT.
 

A quoi bon nous vanter la perfection avec laquelle vous accomplissez, dites-vous, les préceptes de l'Evangile ? Et quand même vous les accompliriez véritablement, quel avantage vous en reviendrait-il, à vous qui n'avez pas la vraie foi? N'entendez-vous pas l'Apôtre s'écrier : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne me servirait de rien (4)? » Pourquoi vous enorgueillir d'un simulacre de pauvreté chrétienne, quand la charité chrétienne vous fait défaut? Les brigands, eux aussi, pratiquent entre eux ce qu'ils appellent charité; ils se doivent d'être de fidèles complices dans le crime et l'infamie; mais ce n'est pas là la charité que recommande l'Apôtre. Pour la distinguer de toute autre charité condamnable et réprouvée, il

 

1. Matt. XVI, 17. — 2. Jean, III, 14, 15. — 3. I Jean, V, 20; IV, 3. — 4. I Cor. XIII, 3.

 

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dit ailleurs : « La fin des commandements a est la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (1) ». Comment, avec une foi non sincère, pourriez-vous avoir la vraie charité? Ou quand cesserez-vous enfin d'envelopper votre foi de tous ces mensonges, par lesquels vous débitez que votre premier homme a combattu sous des formes changeantes et trompeuses, contre ses ennemis qui conservaient leur même nature, et vous insinuez que de la part du Christ qui a dit : « Je suis la vérité (2) », sa chair, sa mort sur la croix, les plaies de sa passion, les cicatrices de sa résurrection n'ont été que des apparences mensongères? Vous vous placez au-dessus de votre Christ, si, lui n'étant qu'un fourbe, vous annoncez la vérité. Et si vous prétendez suivre ses traces, comment ne pas soupçonner en vous l'imposture, et ne pas voir dans la manière dont vous prétendez observer ses préceptes, une pure supercherie? Fauste a osé avancer que vous ne portiez aucune monnaie dans vos ceintures; il est vrai peut-être que vous n'avez pas de monnaie dans vos ceintures; mais vos coffrets et vos bourses sont pleines d'or. On ne vous en ferait aucun reproche, si votre conduite n'était en contradiction avec vos doctrines. Constance, maintenant l'un de nos frères et chrétien catholique, lequel vit encore, avait rassemblé un grand nombre d'entre vous dans sa maison à Rome, pour y pratiquer les préceptes de Manès, ces préceptes aussi vains que ridicules, et pour lesquels néanmoins vous professez la plus haute estime; mais votre faiblesse ne put en supporter le joug, et chacun n'eut plus d'autre règle que ses caprices. Ceux qui voulurent persister dans la pratique de ces préceptes, se firent secte à part, et prirent le nom de Mattariens, des nattes sur lesquelles ils dormaient. Il y avait loin de ces simples nattes, aux coussins de plumes et aux couvertures de peaux de chèvre de Fauste : environné de toutes lés délicatesses, il n'avait plus que du dédain, non-seulement pour les Mattariens, mais même pour la maison de son père, citoyen pauvre de Milève. Faites donc disparaître au moins de vos écrits ce honteux déguisement, si vous n'avez pas le courage de la retrancher de vos moeurs, afin que comme votre premier homme avec la. race des ténèbres, votre bouche ne soit pas en lutte avec

 

1. I Tim. I, 5. — 2. Jean, XV, 16.

 

votre conduite, non par des éléments, mais par des doctrines mensongères.

 

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CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS DUPES OU IMPOSTEURS.
 

On répliquera peut-être que mes paroles s'adressent plutôt à ceux qui n'accomplissent pas les préceptes qui leur sont imposés, qu'à la secte elle-même livrée aux plus, folles erreurs. Eh bien ! je dis que les préceptes de Manès sont de nature telle que, si vous ne les pratiquez pas, vous êtes des imposteurs, et que si vous les pratiquez, vous n'êtes que des dupes. Assurément le Christ ne vous a pas défendu de couper un brin d'herbe, pour ne pas commettre un homicide, lui qui permit à ses disciples passant au milieu des moissons, et pressés par la faim, de cueillir quelques épis le jour du sabbat (1). C'était réfuter à la fois les Juifs de son temps, et les futurs Manichéens : ceux-ci, en permettant le fait même, et ceux-là, en le permettant au jour du sabbat. Mais Manès vous prescrit absolument de ne rien toucher de vos mains, et de vivre des homicides accomplis par autrui; homicides bien imaginaires, tandis que vous n'en commettez que de trop réels, en donnant la mort à tant d'âmes malheureuses, par vos doctrines diaboliques.

 

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CHAPITRE VII. ORGUEIL DE FAUSTE.
 

Et cependant quelle aveugle vanité, quel orgueil intolérable dans Fauste ! « Vous voyez en moi, dit-il, ces béatitudes du Christ qui constituent l'Evangile, et vous me demandez si je reçois l'Evangile? Vous me voyez, pauvre, doux, pacifique, d'un coeur pur, pleurant, ayant faim et soif, supportant les persécutions, et les haines pour la justice, et vous doutez si je reçois l'Evangile? » S'il suffisait, pour être juste, de se justifier soi-même; au moment qu'il tenait un pareil langage, cet homme prodigieux se serait élevé jusqu'aux  cieux, porté sur les ailes de son propre témoignage. Mais je n'attaque pas ici les plaisirs de Fauste, avec sa vie voluptueuse, si connue des auditeurs des Manichéens, surtout de ceux qui sont à Rome; je prends un manichéen tel que le voulait Constance, qui accomplisse véritablement les préceptes, sans

 

1. Matt. III, 1.

 

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se contenter d'en montrer l'apparence. Eh bien ! ce manichéen, que peut-il paraître à nos yeux? Pauvre d'esprit? lui qui pousse l'orgueil jusqu'à regarder son âme comme Dieu, et à ne pas avoir honte de faire Dieu captif ! Doux? lui qui préfère outrager la sublime autorité de l'Evangile, plutôt que de s'y soumettre ! Pacifique ?lui qui prétend que la nature divine elle-même, laquelle constitue toute l'essence du seul vrai Dieu, n'a pu jouir d'une paix inaltérable ! D'un coeur pur? lui dont le coeur est en proie à tant de fictions sacrilèges ! Pleurant? à moins que ce ne soit son Dieu captif et enchaîné, jusqu'à ce que ses liens venant à être rompus, il soit rendu à la liberté, tout en perdant une partie de lui-même qui sera attachée par le Père à l'abîme des ténèbres, sans qu'elle soit jamais pleurée ! Ayant faim et soif de la justice ? Fauste n'a pas même ajouté cette expression, pour ne pas laisser croire que la justice lui faisait défaut, s'il avouait qu'il avait encore faim et soif. Mais de quelle justice ont faim et soif les Manichéens, eux qui croiront pratiquer la justice parfaite en triomphant du malheur de leurs frères, voués à la damnation dans cet abîme de ténèbres, non pour des fautes volontaires, mais pour une souillure indélébile contractée au sein de la corruption ennemie, contre laquelle le Père les avait envoyés combattre.

 

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CHAPITRE VIII. PRÉTENDUES PERSÉCUTIONS DE FAUSTE.
 

Comment souffrez-vous la persécution et la haine pour la justice, vous qui faites consister la justice à répandre et à persuader de tels sacrilèges ? Oubliez-vous donc que, grâce à l'esprit de douceur ou à l'influence du christianisme, vous n'avez que bien peu ou presque rien à souffrir pour vos doctrines aussi perverses qu'impies? Comme si vous vous adressiez à des aveugles et à des insensés, vous donnez comme un témoignage éclatant de votre justice, les outrages et les persécutions qu'il vous faut subir. S'il suffit pour être plus juste, d'avoir davantage à souffrir, je ne veux pas faire remarquer ce qui saute aux yeux, que les hommes couverts de crimes et d'infamies ont à supporter des peines bien autrement graves que les vôtres. Je dis que si l'on doit regarder comme possédant la vraie foi et la vraie justice, celui qui souffre persécution pour le nom du Christ, à quelque titre que ce soit, vous êtes contraints d'avouer que le privilège d'une foi plus pure et plus parfaite revient à celui que nous montrerons comme ayant passé par des épreuves plus pénibles que les vôtres. Et j'en appelle ici à nos innombrables phalanges de martyrs, et à Cyprien lui-même à leur tête, lui dont les écrits attestent qu'il croyait au Christ né de la Vierge Marie. Pour la défense de cette foi que vous abhorrez, il a exposé sa tête au glaive et à la mort, suivi d'une foule de chrétiens qui partageaient sa croyance, et subissaient une mort semblable et plus affreuse encore. Qu'est-il arrivé à Fauste ? Convaincu, en avouant lui-même qu'il était manichéen, de concert avec quelques sectaires qui comparaissaient avec lui au tribunal du proconsul, il fut condamné, grâce à l'intervention même des chrétiens qui avaient provoqué le jugement, à la peine si légère, si on peut appeler cela une peine, d'être relégué dans une île. Chaque jour les serviteurs de Dieu se condamnent d'eux-mêmes à un pareil exil, pour se soustraire au tumulte et aux agitations du monde. Et d'ailleurs les princes, à l'occasion de quelque cérémonie publique, ont coutume d'accorder, par indulgence, la remise d'une telle peine. Peu de temps après, en effet, un décret solennel les rendait tous à la liberté. Avouez donc que la foi a été plus pure, la justice plus parfaite en ceux qui ont mérité de subir pour ces grandes causes, des épreuves plus pénibles que les vôtres, ou cessez de tirer vanité de ce qui vous rend généralement odieux. Sachez distinguer entre souffrir persécution pour le blasphème et souffrir persécution pour la justice; et examinez attentivement dans vos écrits quelle est celle de ces deux causes pour laquelle vous souffrez.

 

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CHAPITRE IX. VERTUS RÉELLES PARMI LES CATHOLIQUES.
 

Combien au contraire dans notre communion qui accomplissent véritablement ces sublimes préceptes de l'Evangile, dont vous ne prenez que l'apparence pour en imposer aux ignorants? Combien de chrétiens de l'un et de l'autre sexe, entièrement purs de tout commerce charnel ! combien qui, après avoir goûté les satisfactions de la chair, embrassent la continence ! combien qui abandonnent et (161) distribuent leurs biens ! combien qui réduisent leur corps en servitude par des jeûnes fréquents de chaque jour ou prolongés d'une manière incroyable ! Que d'associations fraternelles ne possèdent rien en propre, où tout est en commun, n'ayant d'ailleurs que le nécessaire pour la nourriture et le vêtement, et dont les membres, embrasés du feu de la charité, ne forment qu'un coeur et qu'une âme en Dieu? Et encore, dans ces diverses professions, combien d'esprits hypocrites et pervers qui se découvrent ! combien d'autres en qui ces vices restent cachés ! combien qui, après les plus louables débuts, s'abandonnent bientôt aux désirs dépravés de leur coeur ! combien pour qui l'épreuve de la tentation fait voir que ce genre de vie n'était qu'un masque qui voilait d'autres desseins ! Mais aussi combien qui, humblement et inébranlablement attachés à leur sainte résolution, persévèrent jusqu'à la fui et arrivent au salut ! A leur suite viennent, dans une condition différente, mais unis par les liens de la même charité, ceux qui, eu égard à quelque nécessité, fidèles aux conseils de l'Apôtre, ont des femmes comme n'en ayant point, qui achètent comme ne possédant pas, et qui usent de ce monde comme n'en usant pas. A dette catégorie se rattachent aussi, par un effet de la miséricorde divine, dont le trésor est inépuisable, ceux à qui il est dit : « Ne vous refusez point l'un à l'autre le devoir conjugal, si ce n'est d'un consentement mutuel, pour un temps, afin de vous adonner à l'oraison ; et ensuite vivez ensemble comme auparavant, de peur que la difficulté que vous avez de garder la continence ne donne lieu à Satan de vous tenter. Je vous dis ceci par condescendance et non par commandement (1) ». C'est à ces chrétiens que l'Apôtre adresse encore ces paroles: « C'est déjà certainement un péché parmi vous que vous ayez des procès les uns contre les autres ». Et prenant sur lui leur infirmité, il ajoute : « Si donc vous avez des différends au sujet des choses de cette vie, prenez pour juges les moindres personnes de l'Eglise (2) ». Car ceux qui, pour pratiquer la perfection, vendent ou abandonnent tous leurs biens, et suivent le Seigneur, ne sont pas les seuls pour être appelés au royaume des cieux; à cette milice chrétienne se relie par les liens mystérieux

 

1. I Cor. VII, 5, 6. — 2. Id. VI, 7, 4.

 

d'une mutuelle charité, cette foule tributaire à qui il sera dit au dernier jour : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger (1), etc. » Autrement il faudrait regarder comme voués à la damnation ceux dont l'Apôtre s'attache avec tant de soin et de sollicitude à régler la maison, recommandant aux femmes d'être soumises à leurs maris; aux maris d'aimer leurs femmes ; aux parents de bien élever leurs enfants, les instruisant et les corrigeant dans le Seigneur; aux serviteurs d'obéir avec crainte à leurs maîtres selon la chair; aux maîtres de donner à leurs serviteurs ce qui est juste et raisonnable (2). Assurément ces chrétiens, au jugement de l'Apôtre, sont loin d'être étrangers aux préceptes évangéliques, et indignes de la vie éternelle; car après cette sentence par laquelle le Seigneur exhorte les plus courageux à la perfection : « Si quelqu'un ne porte pas sa croix et ne me suit, il ne peut être mon disciple », il adresse immédiatement à ceux dont je parle ces consolantes paroles : « Celui qui recevra le juste en qualité de juste, recevra la récompense du juste; et celui qui recevra un prophète en qualité  de prophète, recevra la récompense du prophète (3) ». Non-seulement donc celui qui donnera à Timothée un peu de vin à cause de la faiblesse de son estomac et de ses fréquentes maladies (4), mais même celui qui, à l'homme le plus sain et le plus robuste, procurera un verre d'eau froide, parce qu'il est mon disciple, ne perdra pas sa récompense (5)».

 

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CHAPITRE X. EXTRAVAGANCES MANICHÉENNES.
 

Pourquoi donc abuser de la bonne foi de vos auditeurs, qui se dévouent à votre service, avec leurs femmes, leurs enfants, leurs familles, leurs maisons et leurs champs, leur disant que quiconque n'abandonne pas tout cela, ne reçoit pas l'Evangile ? Oui, vous leur annoncez, non pas la résurrection, mais le retour à la mortalité présente; vous leur promettez une naissance nouvelle qui les fera vivre de la vie de vos élus, de cette vie vaine, ridicule et sacrilège qui est la vôtre, et dont vous vous enorgueillissez tant; et ceux qui auront le mieux mérité, reviendront animer des melons, des concombres ou d'autres aliments,

 

1. Matt. XXV, 35. — 2. Coloss. III, 18; IV, l. — 3. Matt. X, 38-41. — 4. I Tim. V, 23. — 5. Matt. X, 42.

 

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afin que quand vous les mangerez et les digérerez, ils soient aussitôt purifiés. C'est bien là les éloigner de la pratique des préceptes de l'Évangile, et vous-mêmes, qui enseignez de telles folies, vous vous en écartez encore davantage. Si une doctrine aussi absurde faisait partie de la foi de l'Évangile, le Seigneur n'aurait pas dû dire : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger » ; mais : vous avez eu faim et vous m'avez mangé; ou bien j'ai eu faim et je vous ai mangés. Car, selon vos rêveries, personne n'entrera au royaume de Dieu, pour le mérite d'avoir donné à manger aux justes, mais parce qu'il aura mangé ceux qu'il désirait manger en vue du ciel, ou parce qu'il aura été mangé par ceux qui étaient pressés du même désir. S'il en était ainsi, les justes ne diraient pas : « Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, et que nous vous avons donné à manger? » Mais : Quand vous avons-nous vu avoir faim, et nous avez-vous mangés? Et au lieu de leur répondre : « Quand vous l'avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait (1) » ; le Seigneur leur dirait : Lorsque le plus petit d'entre les miens vous a mangés, c'est moi-même qui vous ai mangés.

 

1. Matt. XXV, 35-40.

 

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CHAPITRE XI. LES MANICHÉENS, ADORATEURS DU SOLEIL.
 

C'est en enseignant de telles extravagances, et en y conformant votre conduite, que vous avez l'audace et d'affirmer que vous observez les préceptes évangéliques et de rompre avec l'Église catholique, dans le sein de laquelle les petits se pressent en foule avec les grands. Tous, ils sont bénis du Seigneur; ils observent, chacun selon sa condition, les préceptes de l'Évangile, et attendent l'effet de ses promesses. Mais la haine que vous inspire votre erreur ne vous laisse apercevoir que la paille qui croît dans notre champ; vous y découvririez bientôt le froment, si vous vouliez devenir ce même froment. Parmi vous, ceux qui ne sont Manichéens qu'en apparence, sont pervers; et ceux qui le sont véritablement, ne sont remplis que de vanité. Car, quand la foi elle-même est fausse, en user avec dissimulation, c'est être imposteur; la croire vraie, c'est être dupe; une telle foi ne peut être le principe d'une vie vertueuse; parce que tout homme vit bien ou mal, selon la nature de ce qu'il aime. Pour vous, si votre coeur, au lieu de s'adonner à la convoitise des purs fantômes corporels, savait s'ouvrir à l'amour des biens spirituels et invisibles, on ne vous verrait pas, pour citer un fait bien connu, adorer ce soleil matériel, comme étant la substance divine, et la splendeur de la sagesse.

LIVRE SIXIÈME. DEUX SORTES DE PRÉCEPTES ANCIENS.
 

Deux sortes de préceptes dans l'Ancien Testament : les uns appartiennent à la vie active, les autres à la vie significative. Les chrétiens pratiquent les premiers; ils s'abstiennent des seconds, comme inutiles aujourd'hui.

 
 

CHAPITRE PREMIER. OBSERVANCES PRESCRITES DANS L'ANCIEN TESTAMENT.

CHAPITRE II. PRÉCEPTES ACTIFS ET PRÉCEPTES FIGURATIFS.

CHAPITRE III. LA CIRCONCISION CHARNELLE.

CHAPITRE IV. LE SABBAT DES JUIFS.

CHAPITRE V. SACRIFICES DE L'ANCIEN TESTAMENT.

CHAPITRE VI. ANIMAUX PURS ET ANIMAUX IMPURS.

CHAPITRE VII. POURQUOI CERTAINS ANIMAUX DÉCLARÉS IMPURS.

CHAPITRE VIII. ORIGINE DE LA CHAIR, D'APRÈS LES MANICHÉENS.

CHAPITRE IX. PAINS AZYMES, VÊTEMENTS INTERDITS AUTRES OBSERVANCES.

 

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CHAPITRE PREMIER. OBSERVANCES PRESCRITES DANS L'ANCIEN TESTAMENT.
 

        Fauste. Admettez-vous l'Ancien Testament? Mais à quel titre, moi qui n'en observe pas les préceptes? Je pense que ni vous non plus : car je rejette la circoncision comme une honte, et si je ne me trompe, vous aussi; le repos du sabbat comme superflu, et vous aussi, je crois; les sacrifices comme une idolâtrie, et vous de même, je n'en doute pas. La chair de porc n'est pas la seule dont je m'abstiens; et elle n'est pas la seule que vous mangez; moi je m'en abstiens, parce que je regarde toute viande comme impure; et vous, vous en usez, parce qu'à vos yeux rien n'est impur : sous ce double rapport, vous et moi nous annulons l'Ancien Testament. Les semaines des azymes, la scénopégie, vous et moi les avons méprisées comme des pratiques vaines et inutiles. Ne pas mêler la pourpre au lin dans les vêtements ; mettre au rang de l'adultère d'y unir la laine avec le lin; regarder comme un sacrilège de mettre sous le même joug, dans un cas de nécessité, le boeuf et l'âne; ne pas élever à la dignité de prêtre un homme chauve et roux, ou qui offre quelque autre défaut semblable, ce sont là autant de prescriptions et d'ordonnances de l'Ancien Testament, pour lesquelles, vous el moi, n'avons eu que du mépris et du dédain, et auxquelles nous n'avons pas attaché la moindre importance. Tout ce que vous objectez est commun entre nous, qu'il s'agisse de juger ce qui est mal, ou ce qui est bien, puisque vous et moi nous rejetons l'Ancien Testament. Si vous me demandez en quoi ma foi diffère de la vôtre, le voici; c'est qu'il vous plaît de mentir, et par un indigne procédé, d'exalter dans vos discours ce que vous détestez au fond du coeur; tandis que moi je ne sais pas user de dissimulation; ce que je pense, je le dis, et j'avoue franchement que j'éprouve autant d'aversion pour les auteurs de préceptes aussi absurdes, que pour les préceptes eux-mêmes.

 

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CHAPITRE II. PRÉCEPTES ACTIFS ET PRÉCEPTES FIGURATIFS.
 

Augustin. Nous avons déjà exposé plus haut dans quel sens et pour quel motif les héritiers du Nouveau Testament admettent l'Ancien (1). Maintenant que Fauste, après avoir agité la question des promesses, amène celle des préceptes, je réponds que lui et les siens ignorent complètement la différence qui existe entre les préceptes de vie pratique et les préceptes de vie figurative. Par exemple : « Vous ne convoiterez point (2) », voilà un précepte essentiellement pratique; « Tout enfant mâle sera circoncis le huitième jour (3) », c'est là un précepte symbolique. Par suite de cette ignorance, les Manichéens et tous ceux qui rejettent l'Ancien Testament n'ont pas compris que toutes les prescriptions cérémonielles imposées par Dieu à son peuple, étaient la figure des choses à venir, et parce qu'elles ont cessé d'être observées, ils les critiquent d'après ce qui s'observe de nos jours, sans penser qu'elles étaient convenables pour ces temps primitifs, alors qu'elles étaient autant de figures prophétiques des mystères qui sont maintenant dévoilés. Mais qu'ont-ils à opposer à ce témoignage de l'Apôtre : « Toutes ces choses qui leur arrivaient étaient des figures; elles ont été écrites pour nous qui vivons à la fin des temps (4)? » Par ces paroles, l'Apôtre révèle d'un côté le motif qui nous fait admettre ces Ecritures, et de l'autre, la raison qui a fait cesser pour nous l'obligation d'observer ces rites symboliques. En disant que « ces choses ont été écrites pour nous », il enseigne clairement avec quelle sollicitude nous devons nous attacher à les lire et à les comprendre, et quelle autorité nous devons leur reconnaître, puisqu'elles ont été écrites pour.

 

1. Liv. IV, cap. II. — 2. Exod. XX, 17. — 3. Gen. XVII, 10-12. — 4. I Cor. X, 6, 11.

 

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nous. Et quand il ajoute que « ces choses étaient pour nous autant de figures », « qu'elles étaient en eux autant de figures », c'est déclarer qu'une fois en possession de la réalité dévoilée, il n'est plus nécessaire que nous soyons astreints à l'observation des figures prophétiques. C'est ce qui lui fait dire dans un autre endroit : « Que personne donc ne vous condamne pour le boire et pour le manger, ou au sujet des jours de fêtes, des nouvelles lunes et des jours de sabbat, puisque toutes ces choses n'ont été que l'ombre de celles qui, devaient arriver (1) ». Par ces paroles : « Que personne ne vous condamne au sujet de ces pratiques », l'Apôtre nous apprend qu'elles ont cessé d'être désormais obligatoires; et par ces autres : « Elles étaient l'ombre des choses à venir », il montre que c'était un devoir indispensable de les observer à cette époque, où les mystères qui nous ont été depuis révélés, étaient annoncés sous le voile de ces diverses figures.

 

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CHAPITRE III. LA CIRCONCISION CHARNELLE.
 

Si les Manichéens cherchaient la justification dans la résurrection du Seigneur, laquelle s'opéra le troisième jour après celui de sa passion, et le huitième après le jour du sabbat, c'est-à-dire, après le septième, ils seraient délivrés sans doute de l'enveloppe charnelle des désirs mortels; et heureux de jouir de la circoncision du coeur, ils cesseraient de tourner en dérision la circoncision charnelle qui, sous le règne de l'Ancien Testament, en était l'ombre et la figure, bien que, sous la loi nouvelle, ils ne fissent plus un devoir de s'y soumettre et de la pratiquer. Sur quel membre en effet figurer d'une manière plus expressive le dépouillement de la concupiscence charnelle et mortelle, que sur celui qui donne naissance à l'être charnel et mortel ? Mais, comme le remarque l'Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs, et rien n'est pur pour ceux qui sont impurs et infidèles; mais leur esprit et leur conscience sont souillés». Oui, ces hommes si purs à leurs propres yeux, parce qu'ils ont ou feignent d'avoir en horreur ces membres comme impurs, ces hommes qui détestent la circoncision de la chair, que l'Apôtre appelle le « signe de la justice

 

1. Coloss. II, 16, 17. — 1. Tit. I, 15.

 

de la foi (1) », n'en font pas moins profession de croire que les membres sacrés de leur Dieu sont enchaînés à la corruption dans ces mêmes membres charnels; en réputant la chair impure, ils sont forcés d'admettre que la portion de la substance divine qui y est retenue captive, en a contracté la souillure.

Ils enseignent qu'elle doit être purifiée, et que, jusqu'au moment où elle le sera autant qu'elle peut l'être, elle subit toutes les conditions de la chair, éprouvant avec elle le poids et l'aiguillon de la souffrance, et les plaisirs des plus basses voluptés. C'est par égard pour elle, disent-ils, qu'ils n'usent pas du mariage, dans la crainte de l'engager davantage dans les liens de la chair, et de l'enfoncer plus avant dans la corruption. Mais si cette parole de l'Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs », s'applique à des hommes dont le coeur inconstant peut se pervertir, combien plus tout n'est-il pas pur pour Dieu, lui qui est inaccessible à tout changement et à toute souillure? Ces mêmes livres, que vous ne critiquez avec tant de violence que pour votre propre honte, ne disent-ils pas, en parlant de la sagesse divine, « qu'elle ne peut être susceptible de la moindre impureté, et qu'elle atteint partout à cause de sa pureté (2) ? » Comment donc, ô impure vanité, peut-il te déplaire qu'un Dieu, pour qui tout est pur, ait établi le signe de la régénération humaine dans un membre qui sert à la propagation de l'homme, quand tu oses redire que ton Dieu, pour qui rien n'est pur, voit une portion de sa nature souillée et corrompue jusque dans les infamies dont ce même membre devient l'instrument chez les impudiques? Que ne doit-il pas souffrir dans toutes les honteuses débauches, si, selon vous, il est souillé par l'union conjugale? Vous avez coutume d'ajouter : Dieu ne pouvait-il donc établir le signe de la justice de la foi ailleurs que sur ce membre? Je réponds: Et pourquoi pas sur celui-là? D'abord, puisque tout est pur pour ceux qui sont purs, combien plus pour Dieu? Ensuite l'Apôtre nous apprend que la circoncision charnelle a été donnée à Abraham comme signe de la justice de la foi. Mais vous, comment ne pas rougir quand on vous dit : Votre Dieu ne pouvait-il donc empêcher qu'une partie de sa nature fût mêlée à ces membres que vous avez en horreur ? Si ces membres réclament au milieu

 

1. Rom. IV, 11. — 2. Sag. VII, 25, 24.

 

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des hommes le voile de la pudeur, c'est par suite de la corruption et du châtiment attachés à la propagation de notre mortelle nature; les coeurs chastes les couvrent de modestie, les impudiques les livrent à l'incontinence, et Dieu y applique le sceau de la justice.

 

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CHAPITRE IV. LE SABBAT DES JUIFS.
 

 

Quant au repos du sabbat, depuis que nous a été donnée l'espérance de notre éternel repos, nous en regardons l'observation comme désormais inutile, mais non la connaissance et l'intelligence. Dans les temps prophétiques, les mystères qui nous sont maintenant dévoilés, devaient être figurés et annoncés non-seulement par la parole, mais aussi par des actions: ce signe du sabbat que nous trouvons dans l'Ecriture, était la figure de la réalité dont nous sommes en possession. Mais vous, dites-moi, pourquoi n'observez-vous pas intégralement votre repos ? Pendant leur sabbat, auquel ils n'attachent toujours qu'un sens charnel, les Juifs, non-seulement ne cueillent pas un seul fruit dans les champs, mais même n'en découpent ou n'en font cuire aucun à la maison. Mais vous, vous attendez, dans votre repos, que l'un de vos auditeurs se chargeant de pourvoir à vos repas, s'élance dans un jardin, armé du couteau ou de la faucille, et d'une main meurtrière abatte les citrouilles, vous en apporte, ô prodige ! les cadavres vivants. S'il n'y a pas là un meurtre, pourquoi craindre de le faire vous-mêmes ? Et si cueillir ces fruits, c'est leur donner la mort, comment se trouve encore en eux cette vie que vous prétendez purifier et régénérer parla manducation et la digestion? Vous recevez donc les citrouilles toutes vivantes, et vous devriez, s'il était possible, les avaler en cet état; du moins après la seule blessure qu'elles ont reçue de la main de votre auditeur quand il les a cueillies, se rendant ainsi coupable d'une faute dont votre indulgence doit le décharger, parviendraient-elles saines et entières jusqu'à l'atelier de vos entrailles, où vous pourriez reformer votre Dieu brisé dans cette attaque? Mais non; avant de les broyer sous vos dents, vous les découpez en mille parcelles, si votre goût vous y porte : comment, après ces innombrables blessures, ne pas vous croire coupables? Voyez comme il vous serait avantageux (165) de faire chaque jour ce que les Juifs observent un jour sur sept, et de vous abstenir de toute oeuvre de ce genre. Maintenant que n'ont pas à souffrir les citrouilles sur le feu, où certainement la vie qui est en elles est loin d'être régénérée? Peut-on comparer une marmite bouillonnante à de saintes entrailles ? Et cependant vous ne parlez qu'avec dérision du repos du sabbat comme superflu. Assurément il serait plus sensé de votre part, non-seulement de ne pas le blâmer dans nos pères, alors qu'il avait sa raison d'être, mais même de l'observer aujourd'hui qu'il est devenu superflu, de préférence à votre repos encore plus condamnable par l'erreur qu'il renferme, qu'absurde par sa signification. Selon votre vaine croyance, vous êtes coupables, si vous violez votre repos, et si vous l'observez, vous n'en devenez véritablement que plus vains. Car vous dites qu'un fruit éprouve le sentiment de la douleur quand il est détaché de l'arbre, découpé, broyé, cuit et mangé. Vous ne devriez donc vous nourrir que de ceux qui peuvent s'avaler crus et intacts, afin qu'ils n'aient à souffrir qu'une seule fois, quand ils sont cueillis, non par vous, mais par vos auditeurs.

Mais, dites-vous, qu'est-ce faire pour la délivrance de la vie divine, s'il faut nous restreindre aux fruits crus et tendres qui peuvent se manger ainsi ? Si, en vue d'un résultat si précieux, vous faites passer vos aliments par des souffrances si multipliées, pourquoi vous abstenir de leur causer la seule douleur qui est la première conséquence nécessaire de la fin que vous vous proposez? Un fruit peut se manger dans sa crudité, comme plusieurs d'entre vous se sont exercés à le faire, non-seulement pour les fruits, mais encore pour toutes sortes de légumes. Mais si ce fruit n'est cueilli ou ne tombe, si de quelque manière il n'est extrait de la terre ou détaché de l'arbre, il ne peut devenir un aliment. Cet acte, sans lequel vous ne pourriez lui porter secours, n'est-il pas une faute bien légère ? En est-il de même de ces nombreuses tortures que vous ne craignez pas d'infliger aux membres de votre Dieu, dans la préparation de vos aliments? L'arbre pleure, osez-vous dire sans rougir, quand on cueille son fruit. Certes la vie qui y réside connaît tout ; elle pressent quel est celui qui vient à elle. Et quand arrivent vos élus et qu'ils cueillent ses fruits, loin (166) de pleurer, il doit se réjouir, trouvant ainsi un bonheur ineffable à côté d'une douleur passagère, et échappant à un grand malheur, s'il fût tombé entre des mains étrangères. Pourquoi donc ne détachez-vous pas ce fruit quand, une fois cueilli, vous lui infligez tant de plaies et de tortures? Répondez, si vous le pouvez. D'un autre côté, le jeûne lui-même est pour vous une contradiction : il ne faut pas que soit suspendue l'activité de la fournaise où l'or spirituel se dégage du mélange impur de l'ordure, et où les membres divins voient se briser leurs misérables liens. Aussi celui-là se distingue parmi vous par la commisération, qui a pu s'accoutumer, sans préjudice pour sa santé, à prendre et à consommer la plus grande quantité d'aliments crus. Toutefois vous êtes cruels quand vous mangez, en faisant subir de si vives douleurs à vos aliments; cruels encore quand vous jeûnez, puisque vous cessez de travailler à la purification des membres divins.

 

 

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CHAPITRE V. SACRIFICES DE L'ANCIEN TESTAMENT.
 

Vous avez encore en exécration les sacrifices de l'Ancien Testament; vous les appelez une idolâtrie, et vous nous associez à cet abominable sacrilège. Je réponds d'abord, pour ce qui nous regarde, que nous ne pratiquons plus ces sacrifices, mais que nous les recevons toujours au nombre des mystères des divines Ecritures, comme étant destinés à nous donner l'intelligence de ceux dont ils étaient les symboles. Car ils ont été pour nous autant de figures, et tous, sous leurs formes diverses, annonçaient le sacrifice unique, dont nous célébrons maintenant la mémoire. Ce grand sacrifice une fois dévoilé et offert en son temps, les premiers ont cessé de faire partie du culte, mais non de faire autorité comme figures prophétiques. Car « ces choses ont été écrites pour nous, qui vivons à la fin des temps (1) ». Mais voici ce qui vous émeut dans ces sacrifices, c'est l'immolation des animaux, attendu que ces créatures ne servent en quelque sorte que conditionnellement aux usages de l'homme. Oui, vous qui refusez un morceau de pain au pauvre affamé, vous êtes pleins de compassion pour les animaux, en qui, selon vous, habitent des âmes humaines.

 

1. I Cor. X, 11.

 

Le Seigneur Jésus se montra moins sensible à leur égard, quand, à la prière que les démons lui en firent, il leur permit d'entrer dans un troupeau de pourceaux (1).

Avant d'avoir accompli dans sa passion le sacrifice de son corps, il dit encore à un lépreux qu'il venait de guérir : « Allez, montrez-vous au prêtre, et offrez votre sacrifice, comme Moïse l'a ordonné, afin que cela leur serve de témoignage (2)». Dieu a souvent témoigné, par l'organe des Prophètes, qu'il n'avait nul besoin de semblables présents, lui qui n'a besoin de rien, et la raison le conçoit facilement : c'est ce qui force l'esprit de l'homme à rechercher ce qu'il a voulu nous enseigner dans ces sacrifices, car il n'eût pas ordonné en vain de lui offrir ce dont il n'avait nul besoin, s'il n'eût voulu par là nous révéler quelque mystère dont la connaissance nous serait utile, et qui devait être annoncé sous le voile de ces figures. Ne serait-il pas plus convenable et plus honorable pour vous d'adopter la pratique de ces sacrifices, bien qu'ils ne soient plus obligatoires, mais auxquels du moins se rattachent une signification et un enseignement, que de prescrire à vos auditeurs de vous offrir les victimes vivantes de vos aliments, et de croire à de telles extravagances? Si l'Apôtre a pu dire à juste titre de quelques prédicateurs qui annonçaient l'Evangile en vue des festins, «qu'ils font leur Dieu de leur ventre (3) », quel excès d'orgueil et d'impiété de votre part, vous qui osez regarder votre ventre, non pas comme votre Dieu, mais, ce qui est d'une audace plus criminelle, comme l'instrument purificateur de Dieu ? Quelle folie d'afficher un masque de pitié, en s'abstenant de répandre le sang des animaux, pendant qu'on croit que des âmes de même nature résident dans tous les aliments, et qu'à ces aliments tout vivants on inflige de la main et des dents de si cruelles blessures!

 

 

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CHAPITRE VI. ANIMAUX PURS ET ANIMAUX IMPURS.
 

Si vous ne voulez pas vous nourrir de chair, pourquoi n'immolez-vous pas les animaux offerts à votre Dieu, afin que ces âmes, que vous regardez non-seulement comme des âmes humaines, mais des âmes divines, véritables membres de la Divinité, sortent de la

 

1. Matt. VIII, 32. — 2. Luc, V, 14. — 3. Phil. III, 19.

 

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prison de la chair, et obtiennent, par vos prières, de n'y plus rentrer ?

Pour elles, vos voeux sont-ils moins efficaces que votre ventre, et la délivrance est-elle plutôt- le partage de cette portion de la nature divine qui a mérité de passer par vos entrailles, que de celle qui avait le suffrage de vos prières? Vous n'immolez donc pas les animaux à votre ventre, parce que vous ne pouvez les absorber tout vivants, et délivrer ainsi leurs âmes par le pieux office de votre estomac. O bienheureux légumes, à qui après avoir été arrachés par la main, coupés par le fer, rôtis par le feu, broyés par les dents, il est donné cependant d'arriver tout vivants jusqu'à l'autel de vos entrailles ! Et combien sont à plaindre les animaux qui, sortant plus tôt de leurs corps, ne peuvent entrer dans les vôtres! Livrés à de pareilles extravagances, vous pensez encore que nous sommes les ennemis de l'Ancien Testament, parce que nous ne regardons aucune chair comme impure, selon cet oracle de l'Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs (1) », et cette parole du Seigneur : « Ce n'est pas ce qui entre dans votre bouche qui vous souille, mais ce qui en sort (2)». Le Seigneur ne s'adressait pas ici seulement au simple peuple, commua prétendu l'expliquer, dans ses attaques contre l'Ancien Testament, votre célèbre Adimantus, que Fauste place au premier rang après Manès; loin de la foule il exprimait la même pensée à ses disciples, d'une manière encore plus claire et plus expressive. Adimantus ayant opposé cette sentence du Seigneur à l'autorité de l'Ancien Testament, qui désigne comme impure la chair de certains animaux, dont l'usage était interdit au peuple, il craignit cette objection Pourquoi donc regardez-vous comme impure toute chair, et non pas celle de quelques animaux? pourquoi vous en abstenir absolument, puisque vous apportez vous-même le témoignage de l'Evangile, que l'homme n'est pas souillé par ce qui entre dans la bouche, descend dans les intestins et est jeté au lieu secret?

Pour se tirer d'une position où sa mauvaise foi, vivement pressée, ne pouvait tenir contre l'évidence de la vérité, il prétend que le Seigneur n'a tenu ce langage qu'à la foule, comme s'il ne confiait la vérité qu'à un petit

 

1. Tit. I, 15. — 2. Matt. XV, 11.
 

nombre et en secret, tandis qu'il abusait le peuple par des mensonges. Une telle imputation n'est-elle pas un sacrilège, et ne suffit-il pas de lire l'Evangile, pour se convaincre que le Seigneur, loin de la foule, a inculqué de la manière la plus explicite la même doctrine à ses disciples? Puisque Fauste, dès le début de son livre, témoigne de son admiration pour Adimantus, au point de ne le croire inférieur qu'à Manès seul, qu'il me suffise de demander si cet oracle par lequel le Seigneur enseigne que l'homme n'est pas souillé par ce qui entre dans la bouche, est vrai ou faux. Si les Manichéens disent qu'il est faux, pourquoi leur célèbre docteur Adimantus, le regardant comme émané de la bouche du Christ, s'en sert-il pour attaquer l'Ancien Testament ? Si, au contraire, il est vrai, pourquoi le contredire et se croire souillé en mangeant d'une chair quelconque ? A moins que rendant hommage à la vérité, ils reconnaissent que l'Apôtre n'a pas dit : Tout est pur pour les hérétiques; mais : « Tout est pur pour ceux qui sont purs ». L'Apôtre, en effet, montre immédiatement après, comment rien n'est pur pour les hérétiques : « Rien n'est pur, dit-il, pour les impurs et les infidèles; ils ont la raison et la conscience souillées (2)». Il faut conclure de là, que véritablement rien n'est pur pour les Manichéens, eux qui enseignent que la substance ou la nature même de Dieu, non-seulement a pu être souillée, mais l'a été en partie, et non-seulement souillée, mais incapable d'être entièrement délivrée et purifiée. Il est étrange de les entendre réputer toute chair impure, et dire qu'ils s'en abstiennent pour cette raison, comme si pour eux il y avait quelque chose de pur, et dans les aliments, et dans toutes les créatures. Car ils nous représentent également les légumes, les fruits et toutes les productions de la terre, la terre entière et le ciel comme souillés par le mélange de la race des ténèbres. Que ne suivent-ils donc leurs principes erronés relativement aux aliments dont ils usent ! et que, s'abstenant de tout ce qui est impur à leurs yeux, ne meurent-ils pas de faim, plutôt que de s'obstiner à proférer de pareils blasphèmes ! Evidemment, un tel sort serait préférable pour des esprits qui repoussent toute réforme et tout amendement.

 

1. Tit. I, 15.

 

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CHAPITRE VII. POURQUOI CERTAINS ANIMAUX DÉCLARÉS IMPURS.
 

Mais comment n'y a-t-il aucune contradiction entre l'Ancien Testament, qui défend l'usage de la chair de certains animaux, et ces paroles de l'Apôtre :  « Tout est pur pour ceux qui sont purs », et : « Toute créature de Dieu est bonne (1) ? » Que nos adversaires comprennent, si leur intelligence peut aller jusque-là, que l'Apôtre entendait parler des natures mêmes, et que les Livres saints n'ont déclaré impurs certains animaux que quant à leur signification, et non quant à leur nature, pour en tirer quelques figures propres à ces temps primitifs. Prenons, par exemple, le pourceau et l'agneau : par nature l'un et l'autre sont purs, parce que toute créature de Dieu est bonne; mais par signification on dira que l'agneau est pur, et le pourceau immonde. De même, quand vous prononcez ces mots, fou et sage, sous le rapport des lettres, des syllabes et du son qui les constituent, les deux mots sont purs; mais on dira que le mot fou est impur, non dans sa nature, mais dans sa signification, parce qu'il représente quelque chose d'impur. Ne pourrait-on pas voir dans l'homme fou la réalité de la figure attachée au pourceau, en sorte que cet animal et les trois lettres du mot fou désigneraient un seul et même objet? La loi a déclaré le pourceau impur, parce qu'il ne rumine pas : ce n'est point sa faute, c'est la nature qui l'a fait ainsi. Or, il est des hommes représentés par cet animal, impurs par vice, et non par nature; je veux dire ces hommes qui écoutent volontiers les paroles de la sagesse, et ensuite n'y pensent plus jamais. Ramener par le charme du souvenir, pour ainsi dire, des entrailles de la mémoire à la bouche de la réflexion, ce que l'on a entendu d'utile, n'est-ce pas en quelque sorte ruminer spirituellement? Ceux qui ne le font pas, sont désignés par ce genre d'animaux. En nous prescrivant de nous abstenir de leur chair, l'Ecriture voulait nous prémunir contre un pareil défaut. Comme la sagesse est un trésor précieux, c'est ainsi que dans un autre endroit elle fait ressortir la pureté attachée à cette action de ruminer, et l'impureté de la condition contraire : « Un trésor précieux réside toujours dans la bouche du sage; mais l'homme insensé l'engloutit (2) ».

 

1. I Tim. IV, 4. — 2. Prov. XXI, 20.

 

Ces sortes de rapprochements qui se trouvent dans les locutions et les observances figuratives, procurent aux esprits sérieux un exercice utile et agréable, en les forçant à chercher les rapports et à établir la comparaison. Sous l'Ancien Testament un grand nombre de prescriptions semblables furent non-seulement données au peuple pour son instruction, mais imposées comme pratiques obligatoires. C'était alors le temps où il fallait annoncer, aussi bien par des faits que par la parole, les mystères qui devaient être dévoilés dans les siècles postérieurs. Maintenant qu'ils ont été révélés par la bouche et dans la personne du Christ, les prescriptions onéreuses de la loi n'ont pas été imposées à la foi des nations, mais cette foi doit conserver le respect dû à l'autorité des prophéties. Voilà comment nous ne sommes pas en contradiction avec l'Ancien Testament, qui déclare impure la chair de certains animaux, tout en ne regardant aucune chair comme impure, conformément au témoignage du Seigneur et de l'Apôtre : à vous maintenant de nous dire pourquoi vous réputez toute chair impure.

 

 

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CHAPITRE VIII. ORIGINE DE LA CHAIR, D'APRÈS LES MANICHÉENS.
 

Si, selon vos principes erronés, c'est par suite du mélange de la race des ténèbres, ce n'est point la chair, mais votre Dieu lui-même qui est impur dans cette partie de sa nature qu'il fit absorber et souiller par ses ennemis pour les combattre et les réduire en captivité; et d'ailleurs, ce mélange ne rend-il pas aussi impur tout autre aliment dont vous usez? Mais la chair, dites-vous, l'est bien davantage. Il serait trop long de rappeler toutes les rêveries sur lesquelles ils étaient une pareille assertion ; ce que j'en dirai suffira, dans sa brièveté, pour montrer que ces critiques de l'Ancien Testament sont livrés à la plus aveugle folie, et pour convaincre ces accusateurs de la chair de ne penser que selon la chair, sans s'élever à aucune vérité spirituelle. Peut-être les développements que je vais donner éclaireront assez le lecteur sur leurs doctrines, pour me permettre d'être plus court dans rues réponses subséquentes. Ces hommes vains et captieux racontent donc que dans le combat où leur premier homme surprit la race des ténèbres à l'aide d'éléments trompeurs, ses princes des deux sexes furent pris en même temps, (169) servirent à la construction du monde, et furent placés pour la plupart dans les parties célestes de l'édifice, où entrèrent aussi quelques femmes enceintes; le ciel ayant commencé à tourner, les femmes ne purent supporter la rapidité du mouvement, et jetèrent leurs fruits; les avortons de l'un et de l'autre sexe tombèrent sur la terre, y vécurent, y grandirent, s'unirent entre eux et engendrèrent. Telle est, à les entendre, l'origine de toute chair qui se meut sur la terre, dans l'eau et dans l'air. Nais si la chair tire son origine du ciel, n'est-ce pas le comble de l'absurdité de l'en croire plus impure? Surtout que, à la formation du monde, les princes des ténèbres entrèrent dans la composition des diverses parties, de la base au sommet, de manière que ceux en qui se trouvait le plus grand mélange de bien, occupèrent une place plus élevée; ne doit-on pas conclure que la chair, qui a son origine dans le ciel, est plus pure que les fruits qui naissent de la terre? Ensuite quel excès de folie de prétendre que des êtres conçus avant le mélange de la vie ont été tellement vivaces, que, naissant avortons et tombant des hauteurs célestes sur la terre, ils aient pu vivre, tandis qu'après ce mélange ils ne peuvent vivre, s'ils ne naissent à terme, et meurent aussitôt, s'ils tombent d'un lieu tant soit peu élevé? Certes, si le règne de la vie a combattu contre le règne de la mort, en mêlant la vie à ces êtres, il a dû les rendre plus vivaces, et non plus sujets à la corruption. Si chaque chose trouve surtout dans sa nature le principe de l'incorruptibilité, au lieu de deux natures, l'une bonne et l'autre mauvaise, il fallait enseigner qu'il en existe deux bonnes, dont l'une plus excellente que l'autre. Comment donc nos adversaires peuvent-ils réputer la chair impure, celle du moins que tous connaissent, en la faisant descendre du ciel? Ils prétendent que les premiers corps des princes des ténèbres naquirent à la manière des vers des arbres, qui s'élevaient dans ces régions célestes, et que ces arbres étaient le produit des cinq éléments. Si les corps des animaux tirent leur première origine des arbres, et leur seconde du ciel, pourquoi les regarder comme plus impurs que les fruits des arbres? Serait-ce parce que, quand ils meurent, ils perdent leur âme, et que ce qui reste après le départ de la vie, est impur? Mais comment ne pas croire impurs, au même titre, les légumes et les fruits, qui meurent, comme nous l'avons dit, quand on les cueille ou qu'on les arrache? Ils ne veulent pas se rendre coupables de tels homicides, eux qui se gardent d'extraire aucun fruit de la terre ou de le détacher de l'arbre. De plus, ils affirment que le corps de tout animal renferme deux âmes, l'une bonne, de la race de lumière, et l'autre mauvaise, de la race de ténèbres; est-ce que, à la mort de l'animal, l'âme bonne s'enfuit, et la mauvaise reste? S'il en était ainsi, l'animal mis à mort vivrait encore comme il vivait au sein de la race des ténèbres, alors qu'il n'avait que l'âme propre à cette race, et qui l'avait fait combattre contre le règne divin. Mais si, à la mort de tout animal, les deux âmes, la bonne et la mauvaise, se séparent de la chair, pourquoi traiter cette chair d'impure, comme si l'âme bonne seule l'avait quittée ? Quand  même elle conserverait quelques restes de vie, ses restes proviennent de l'une et de l'autre vie ; ne disent-ils pas que l'ordure même entraîne avec elle quelques faibles débris des membres divins? Nulle raison donc pour eux d'affirmer que la chair est plus impure que les fruits. Mais voici: voulant faire parade d'une chasteté hypocrite, ils voient plus d'impureté dans la chair, parce qu'elle provient de l'union des sexes, comme s'il n'y avait pas pour eux un devoir d'autant plus pressant de secourir le membre divin en la mangeant, que, selon leurs principes, il y est enchaîné par des liens plus étroits. Du reste, si telle est la cause de ce caractère plus impur de la chair, qu'ils mangent celle des animaux qui naissent en dehors de l'union charnelle, tels que les vers dont les espèces sont innombrables, et dont quelques-unes qui croissent sur les arbres, sont un aliment assez en usage dans certaines populations de la Vénétie. S'ils ont une telle aversion pour la chair qui provient de l'union charnelle, que ne mangent-ils aussi les grenouilles que la terre engendre tout à coup après la pluie, afin de délivrer les membres de leur Dieu enchaînés à ces êtres? Alors ils pourraient taxer d'erreur le genre humain de ce qu'il se nourrit de poules et de colombes issues de l'accouplement des deux sexes, et rejette les grenouilles, les plus pures productions de la terre et du ciel. A en croire les rêveurs, les premiers princes des ténèbres, qui naquirent des arbres, sont plus purs que Manès lui-même, que son père et sa mère (170) ont engendré par le commerce charnel; la vermine même qui naît directement de la sueur et des exhalaisons du corps, est plus pure que tous ceux qui ont eu le malheur d'être issus d'un tel commerce. Si enfin tout ce qui naît de la chair, même en dehors de cette union, est impur à leurs yeux, parce que la chair elle-même en provient, il faudra réputer impurs les légumes et les fruits qui naissent de l'ordure avec tant d'activité et d'abondance. Je laisse ici à ceux qui croient les fruits plus purs que la chair, le soin de décider ce qu'ils veulent faire ou répondre. Car qu'est-ce que la chair rejette de plus immonde que l'ordure ? et quels aliments plus en usage que les fruits? Vous dites que la trituration et la digestion des aliments en fait sortir la vie, et qu'il en reste une faible portion dans les excréments. Comment donc vos aliments, c'est-à-dire les fruits de la terre, naissent-ils meilleurs, plus vivaces et plus abondants de ce fumier qui ne conserve qu'une si faible portion de vie ? La chair se nourrit non des immondices, mais des productions de la terre, tandis que la terre se fertilise par les ordures, et non par les fruits de la chair. Qu'ils choisissent ce qui est le plus pur, ou qu'enfin renonçant à leurs erreurs, ils cessent d'être ces hommes impurs et infidèles pour qui rien n'est pur, et se soumettent avec nous au témoignage de l'Apôtre : « Tout est pur pour ceux qui sont purs (1) ». « La terre et tout ce qu'elle contient est au Seigneur (2) ». « Toute créature de Dieu est bonne (3) ». Tous les êtres de la nature sont bons chacun dans son ordre; et ils ne peuvent être une cause de péché que pour celui qui, sortant de la règle qu'il devait suivre par l'obéissance à Dieu, en pervertit aussi l'ordre par l'abus qu'il en fait.

 

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CHAPITRE IX. PAINS AZYMES, VÊTEMENTS INTERDITS AUTRES OBSERVANCES.
 

Nos pères qui furent si agréables à Dieu, restèrent dans la règle du devoir que leur traçait l'obéissance; toutes les prescriptions établies par Dieu en rapport avec leur temps, ils les observaient comme elles leur étaient imposées. Ainsi, quoique toute chair destinée à servir d'aliment à l'homme soit pure par nature, ils s'abstenaient cependant de celle de

 

1. Tit. I, 15. — 2. Ps. XXIII, 1. — 3. Tim. IV, 4.

 

quelques animaux déclarée impure par la signification qui s'y rattachait, parce qu'il leur était défendu d'en manger; il y avait là une figure prophétique de la révélation future des mystères. De même il eût été aussi criminel pour les hommes de leur temps et de leur nation, de ne pas user des pains azymes et d'autres choses semblables, alors que ces pratiques devaient être observées, et les mystères, aujourd'hui dévoilés, être ainsi annoncés, qu'il serait insensé pour nous, sous la nouvelle alliance, de croire que ces observances prophétiques peuvent nous être utiles. Ainsi encore pour ces Livres sacrés qui ont été écrits pour nous, et doivent nous inspirer l'attachement le plus fidèle et le plus inviolable pour les mystères qui nous ont été dévoilés et manifestés, en nous les faisant voir annoncés si longtemps d'avance sous le voile de ces figures, ce serait de notre part impiété et sacrilège de les rejeter, sous prétexte que le Seigneur ne nous fait plus un devoir de pratiquer à la lettre ce qui y est écrit, mais de le comprendre et de l'observer dans le sens spirituel. Car, « ces choses ont été écrites pour nous qui vivons à la fin des siècles », ainsi que s'exprime l'Apôtre (1). Tout ce qui a été écrit avant nous, l'a été pour notre instruction (2). Sous l'Ancien Testament, c'était un péché de ne pas manger des azymes pendant les sept jours désignés par la loi; sous le Nouveau, ce n'est plus une faute; mais avec l'espérance du siècle à venir que nous avons dans le Christ, lequel fera de nous des hommes tout nouveaux en revêtant nos âmes de la justice et nos corps de l'immortalité, croire qu'alors notre condition ou nos actes se ressentiront du penchant et de la misère de l'ancienne corruption, c'est toujours un péché, durant le cours de ces sept jours qui forment le temps présent. Cette vérité, dans l'Ancien Testament, cachée sous le voile de la figure, n'était comprise que d'un petit nombre de justes; maintenant elle a paru au grand jour et est annoncée aux peuples. Ce qui était alors un précepte, est maintenant un témoignage. Ce fut autrefois un péché de ne pas célébrer la scénopégie (3); il en est autrement aujourd'hui ; mais ne pas faire partie du tabernacle de Dieu qui est l'Eglise, c'est toujours un péché; ce qui se pratiquait alors comme précepte figuratif, nous sert maintenant de témoignage manifeste.

 

1. I Cor. X, 11. — 2. Rom. XV, 4. — 3. Lév. XXIII, 34.

 

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Car le tabernacle qui fut construit alors n'eût pas été appelé le tabernacle du témoignage, si par une signification en rapport avec une vérité qui devait être révélée en son temps, il n'eût rendu témoignage à cette même vérité.

C'était un péché de mêler dans les vêtements la pourpre au lin, ou le lin à la laine; il n'en est plus ainsi; mais c'en est un assurément de mener une vie désordonnée, et de vouloir faire un mélange de professions diverses, comme si une religieuse se parait à l'égal d'une épouse, ou comme si la femme qui, n'ayant pas le don de la continence, a embrassé le mariage, voulait paraître sous l'extérieur d'une vierge, ou en un mot, comme si quelqu'un prétendait unir dans sa conduite les choses les plus disparates. Ce qui alors était figuré dans les vêtements se produit maintenant dans les moeurs. C'était le temps de la figure; c'est aujourd'hui celui de la manifestation. L'Ecriture qui imposait autrefois les observances figuratives, est donc devenue le témoin des mystères qu'elles représentaient; et ce qui se pratiquait comme prophétie, nous le lisons maintenant comme confirmation. Il n'était pas permis alors d'unir le bœuf et l'âne pour le travail (1) : on le peut aujourd'hui. L'Apôtre, rappelant le passage de l'Ecriture où il est dit qu'on ne doit point lier la bouche au bœuf qui foule le grain, fait cette réflexion : « Dieu se met-il en peine de ce qui regarde les boeufs ? » Or, à quoi bon lire dans l'Ecriture une défense qui n'existe plus ? L'Apôtre en donne immédiatement la raison: «C'est pour nous que cela a été écrit (2)». Et quelle impiété si nous ne lisions pas ce qui a été écrit pour nous ? C'était bien plus pour nous qui en.avons reçu la manifestation, que pour ceux en qui cela n'était qu'une figure.

 

1. Deut. XXII, 10. — 2. I Cor. IX, 10.

 

Assurément chacun, s'il le juge nécessaire, peut se servir en même temps du bœuf et de l'âne sans nuire à son travail; maison ne peut sans scandale envoyer ensemble un sage et un fou annoncer la parole de Dieu, si l'un n'est pour commander, et l'autre pour obéir, mais s'ils sont revêtus tous les deux de la même autorité. Nous recevons donc l'Ecriture, autrefois imposant des prescriptions sous lesquelles étaient voilés les mystères qui devaient être révélés de nos jours, et maintenant confirmant du poids de son autorité les mêmes mystères désormais mis au grand jour.

Dire que la loi avait déclaré impur l'homme chauve ou roux (1), c'était un défaut d'attention de la part de Fauste, ou l'exemplaire qu'il avait entre les mains était infidèle. Que n'a-t-il désiré avoir lui-même un front chauve, sans rougir d'y tracer le signe de la croix du Christ ! Eût-il pu croire que celui qui s'écriait : « Je suis la vérité (2) », avait succombé à de fausses blessures, et était ressuscité avec de fausses cicatrices ? Il a osé dire : « Pour moi j'ai appris à ne pas mentir : ce que je pense, je le dis ». Insensé, il n'est donc pas le disciple de son Christ, qu'il représente montrant de fausses cicatrices à ses disciples agités par le doute, lui qui veut qu'on ajoute foi à ses paroles, comme à autant d'oracles de vérité, non-seulement quand il débite ses autres inepties, mais même quand il affirme la fausseté du Christ ! Vaut-il mieux que le Christ, puisqu'il ne trompe pas comme lui? ou n'est-il pas par là même le disciple, non pas du vrai Christ, mais de l'imposteur Manès, quand il trompe là où il se vante d'avoir appris à ne pas tromper ?

 

1. Lévit. XIII, 40. — 2. Jean, XIV, 6.

LIVRE SEPTIÈME. NAISSANCE TEMPORELLE DE JÉSUS-CHRIST.
 

Nécessité de croire à la naissance temporelle de Jésus-Christ.

 
 

CHAPITRE PREMIER. GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST REJETÉE PAR FAUSTE.

CHAPITRE II. COMBIEN EST PITOYABLE L'ARGUMENTATION DE FAUSTE.

 

CHAPITRE PREMIER. GÉNÉALOGIE DE JÉSUS-CHRIST REJETÉE PAR FAUSTE.
 

Fauste. Pourquoi ne croyez-vous pas à la généalogie de Jésus ? — Pour plusieurs raisons; et la principale, c'est que lui-même ne dit nulle part avoir un père ou une parenté sur la terre ; il affirme au contraire qu'il n'est pas de ce monde, qu'il est sorti du sein de Dieu le Père, qu'il est descendu du ciel, qu'il n'a pour mère et pour frères que ceux qui font la volonté de son Père qui est dans les cieux. On voit d'ailleurs que ceux mêmes qui lui assignent une généalogie ne l'ont connu ni avant sa naissance, ni aussitôt après, ce qui eût autorisé à croire qu'ils ont écrit concernant sa personne les faits dont ils avaient été les témoins oculaires; mais quand ils s'attachèrent à lui, il était parvenu à l'adolescence et même à l'âge viril: il avait environ trente ans, si toutefois on peut sans blasphème assigner un âge à une personne divine. Or, c'est une règle commune d'examiner si celui qui se porte comme témoin de la vérité, a vu ou entendu; et comme les évangélistes ne disent pas avoir appris de sa bouche la suite de sa génération ou le fait même de sa naissance, ni l'avoir vu de leurs yeux, puisqu'ils ne l'ont connu que longtemps après, c'est-à-dire après son baptême, c'est pour moi et pour tout esprit vraiment judicieux une folie de croire tout cela, égale à celle de celui qui dans une cause appellerait en témoignage un aveugle et un sourd.

 

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CHAPITRE II. COMBIEN EST PITOYABLE L'ARGUMENTATION DE FAUSTE.
 

Augustin. La principale raison qui fait rejeter à Fauste la généalogie de Jésus-Christ, accuse sa défaite; il suffit, pour s'en convaincre, de lire ce que nous avons dit plus haut du fils de l'homme, titre que le Christ se donne si souvent à lui-même (1), et du Fils de

 

1. Matt. VIII, 20.

 

Dieu; on voit qu'il est en même temps fils de l'homme (1) ; que selon la divinité, il n'a point de parenté sur la terre, et que selon la chair, il est de la race de David, ainsi que l'enseigne l'Apôtre (2). Il faut donc croire et comprendre qu'il est sorti du sein du Père (3), et est descendu du ciel (4), et que ce Verbe fait chair a habité parmi les hommes (5) pour soutenir qu'il n'a eu sur la terre ni mère ni parenté, s'appuiera-t-on sur ces paroles : « Qui est ma mère, et qui sont mes frères (6)?» Mais il faut aussi admettre que ses disciples, à qui il donnait un exemple en sa personne, pour leur apprendre à mépriser les liens du sang en vue du royaume des cieux, n'ont pas eu de père, puisqu'il leur a dit : « N'appelez personne votre père sur la terre, parce que vous n'avez qu'un père qui est Dieu (7) ». Ce qu'il leur enseignait à faire par rapport à leurs pères, il le faisait le premier pour sa mère et ses frères; ainsi en est-il de tant. d'autres circonstances où il se donnait à nous comme exemple à imiter, et où il marchait le premier, pour nous attirer à sa suite. Voyons comme Fauste ainsi défait avec sa raison péremptoire, se traîne et s'embarrasse dans les autres. Il prétend qu'on ne doit pas croire au récit des Apôtres qui ont annoncé sa naissance divine et humaine, parce qu'ils ne se sont attachés à lui que plus tard, qu'ils ne l'ont point vu naître, et qu'ils ne disent point avoir appris de sa bouche cette circonstance. Mais comment ajoutent-ils foi, lui et les siens, à saint Jean, lorsqu'il dit : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement avec Dieu ; toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui (8) ? »Comment croient-ils d'autres passages qui leur plaisent, quoiqu'ils n'y comprennent rien ? Qu'ils nous disent où saint Jean a pu voir cela, où il assure l'avoir appris du Seigneur même. Quelle que soit, selon eux, la source où saint Jean a pu

 

1. Matt. IX, 6. — 2. Rom. I, 3 ; II Tim. II, 8. — 3. Jean, XVI, 28. — 4. Id. VI, 41. — 5. Id. I, 14. — 6. Matt. XII, 48. — 7. Id. XXIII, 9. — 8. Jean, I, 1-3.

 

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puiser cette connaissance, nous croirons que les évangélistes ont pu aussi y apprendre la naissance du Christ qu'ils ont annoncée.Je leur demanderai ensuite le motif qui leur fait croire que le Seigneur a dit: « Qui est ma mère, ou qui sont mes frères? » Si c’est parce que l'Evangéliste le rapporte, pourquoi ne le croient-ils pas quand il dit que sa mère et ses frères le cherchaient (1) ? S'il est faux dans ce qu'ils refusent de croire, comment croient-ils à son témoignage quand il affirme que le Christ a dit ce qu'ils ne veulent pas comprendre? Si saint Matthieu n'a pu connaître la naissance du Christ, parce qu'il ne s'est mis à sa suite que plus tard, comment Manès, venu tant d'années après, a-t-il pu savoir que le Christ n'était pas né ? Ils diront sans doute que l'Esprit-Saint

 

1. Matt. XII, 48, 46.

 

qui était dans Manès le savait bien. Si cet esprit eût été l'Esprit-Saint, il eût dit la vérité. Pourquoi, dans ce qui concerne le Christ, ne préférerions-nous pas nous en rapporter à ses disciples qui ont vécu avant lui, qui, non-seulement ont pu apprendre de l'Esprit-Saint, qu'il leur avait communiqué, les circonstances naturelles qu'ils ignoraient, mais qui, avec les simples lumières de la raison, ont rassemblé ce qui touche à l'origine et à la parenté du Christ selon la chair, et dont la mémoire était si récente et encore toute vivante ? Mais ces Apôtres, on nous les donne comme des témoins sourds et aveugles ! Que n'as-tu été, ô Fauste, non-seulement aveugle et sourd, pour ne pas apprendre tant d'inepties et de sacrilèges, mais encore muet, pour ne pouvoir les publier !

LIVRE HUITIÈME. OBJECTION CONTRE L'ANCIEN TESTAMENT.
 

Nouvelle objection contre l’Ancien Testament. — Réfutation.

 
 

CHAPITRE PREMIER. LA PIÈCE DE DRAP NEUF ET LE VIEIL HABIT.

CHAPITRE II. PRÉCEPTES FIGURATIFS DE L'ANCIEN TESTAMENT.

 

CHAPITRE PREMIER. LA PIÈCE DE DRAP NEUF ET LE VIEIL HABIT.
 

Fauste. Pourquoi n'admettez-vous pas l'Ancien Testament ? — Parce que j'ai été prévenu par le Nouveau : et entre l'Ancien et le Nouveau il n'y a pas de liaison, comme l'atteste l'Écriture. Car, dit-elle, « personne ne met une pièce de drap neuf à un vieil habit, autrement on le déchirera davantage (1) ». Pour éviter de produire, comme vous le faites, une plus grande scission, je ne mêle point la nouveauté chrétienne à la vétusté hébraïque. Qui ne trouverait honteux, après avoir revêtu des habits neufs, de ne pas laisser les vieux au rebut ? Aussi, quand même je serais né juif, comme les apôtres, il eût été honorable pour moi, en acceptant le Nouveau Testament, de répudier l'Ancien, comme ils l'ont fait eux-mêmes. Mais ayant reçu de la nature l'insigne bienfait de ne pas naître sous le joug de la servitude, et voyant venir à moi tout d'abord, le Christ avec le don d'une liberté parfaite, ne serais-je point malheureux, insensé et ingrat, de me vouer à l'esclavage ? Paul reproche aux Galates, revenant à la circoncision, de retourner à des observances légales si défectueuses et si impuissantes, auxquelles ils voulaient de nouveau s'assujétir (2) : puis-je admettre ce que je vois condamner dans un autre ? S'il est honteux de rentrer en servitude, il l'est davantage de s'y soumettre pour la première fois.

 
 

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CHAPITRE II. PRÉCEPTES FIGURATIFS DE L'ANCIEN TESTAMENT.
 

Augustin. Nous avons déjà suffisamment exposé pour quel motif et en quel sens nous acceptons l'autorité de l'Ancien Testament, non comme nous imposant la même servitude qu'aux Juifs, mais comme Tendant témoignage à la liberté chrétienne. Ce n'est pas moi, mais l'Apôtre qui dit : « Toutes les choses qui leur arrivaient étaient autant de

 

1. Matt. IX, 16; Luc, V, 36. — 2. Gal. IV, V.

 

figures; et elles ont été écrites pour nous qui sommes venus à la fin des temps (1) ». Nous ne sommes donc pas des esclaves accomplissant des prescriptions qui figurent notre condition présente, mais des hommes libres lisant ce qui a été écrit pour nous servir de preuves. Qui ne comprend dès lors l'erreur d'où l'Apôtre veut tirer les Galates, qui, au lieu de lire religieusement le précepte de l'Écriture sur la circoncision, s'adonnaient à la superstition en se faisant circoncire ? Non, nous ne mettons pas une pièce neuve à un vieil habit ; mais nous nous instruisons de ce qui regarde le royaume des cieux, à l'exemple de ce père de famille dont parle le Seigneur, et qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes (1). Celui-là mérite un tel reproche, qui.veut pratiquer la continence spirituelle, sans renoncer tout d'abord aux espérances de la chair. Lisez attentivement et considérez cette réponse du Seigneur à la question qu'on lui adressait sur le jeûne : « Personne ne met une pièce de drap neuf à un vieil habit (2) ». Ses disciples ne l'aimaient encore que selon la chair, car ils craignaient qu'une mort violente ne vînt le leur ravir. Et il traite de Satan Pierre qui s'opposait à sa passion, parce qu'il ne goûtait pas les choses de Dieu, mais celles des hommes (3). Vous donc qui, avec vos idées imaginaires sur le royaume de Dieu, aimez et adorez, comme un modèle qui vous est proposé, cette lumière du soleil dont l'éclat frappe les yeux de la chair, reconnaissez quelles espérances charnelles vous nourrissez ; vous verrez que vos jeûnes s'unissent à la prudence de la chair, comme à un vêtement usé. Et cependant, s'il est vrai qu'une pièce neuve ne va pas à un vieil habit, comment les membres de votre Dieu ont-ils pu rester, non pas unis et attachés, mais, ce qui est plus étonnant, mêlés et confondus avec les princes des ténèbres ? N'était-ce que vétusté des deux parties, parce que toutes deux étaient fausses, toutes deux le fruit de la prudence de la chair ? Peut-être vouliez-vous

 

1. I Cor. X, 11. — 2. Matt. XIII, 52. — 3. Id. IX, 16. — 4. Id. XV, 23.

 

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prouver que l'une était neuve et l'autre vieille, parce qu'il s'est produit une plus grande déchirure : un misérable lambeau arraché au royaume de la lumière était fixé pour un châtiment éternel à l'abîme des ténèbres. Et c'est l'artisan grossier de telles fables, qui couvre sa misère de pareils oripeaux ! c'est lui qui croit atteindre avec adresse, des traits perçants de sa langue, les oracles qui sont la base des divines Ecritures !

LIVRE NEUVIÈME. L'OLIVIER FRANC.
 

Autre objection contre l'Ancien Testament. — Réponse.

 
 

CHAPITRE PREMIER. DEUX ARBRES.

CHAPITRE II. ÊTRE ENTÉ SUR L'OLIVIER FRANC.

 

CHAPITRE PREMIER. DEUX ARBRES.
 

Fauste. Pourquoi n'admettez-vous pas l'Ancien Testament? — Si les Apôtres, nés sous son règne, ont pu s'en séparer, pourquoi ne serais-je pas libre de ne pas admettre un Testament sous lequel je ne suis pas né? Nous naissons tous gentils, et non pas juifs, ni chrétiens ; du sein de cette même gentilité les uns sont attirés par l'Ancien Testament qui les fait juifs, les autres par le Nouveau qui les initie au christianisme : c'est comme deux arbres, l'un doux et l'autre amer, qui puisent par leurs racines le suc d'une même terre, qu'ils transforment selon leur nature respective. Quand les Apôtres passent de l'amer au doux, quelle folie de ma part de quitter le doux pour l'amer ?

 
 

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CHAPITRE II. ÊTRE ENTÉ SUR L'OLIVIER FRANC.
 

Augustin. Pourquoi donc l'Apôtre qui, selon vous, a passé de l'amertume à la douceur en quittant le judaïsme, nous représente-t-il ceux d'entre le peuple qui ont refusé de croire au Christ, comme des branches séparées du tronc, et les gentils entés, comme un olivier sauvage, sur la racine de l'olivier franc, c'est-à-dire, sur la souche des saints hébreux, pour participer à la sève de cet olivier ? Voulant avertir les Gentils de ne pas se faire de la chute des Juifs un sujet de présomption, il leur parle ainsi : « Je vous dis, à vous qui êtes gentils, que tant que je serai l'Apôtre des Gentils, je travaillerai à rendre mon ministère glorieux ; je m'efforcerai d'exciter l'émulation dans l'esprit de ceux qui me sont unis selon la chair, afin d'en sauver quelques-uns. Si leur réprobation est devenue la réconciliation du monde, que sera leur rappel, sinon un retour de la mort à la vie ? Si les prémices des Juifs sont saintes, la masse l'est aussi ; et si la racine est sainte, les rameaux le sont aussi. Si quelques-unes des branches ont été rompues, et si vous, olivier sauvage, avez été enté parmi celles qui sont demeurées, et avez été rendu participant de la séve de l'olivier, vous ne devez pas vous élever de présomption contre les branches naturelles; si vous avez cet orgueil, considérez que ce n'est pas vous qui portez la racine, mais que c'est la racine qui vous porte. Ces branches, dites-vous, ont été rompues, afin que je fusse enté à leur place. Il est vrai ; elles ont été rompues à cause de leur incrédulité. Mais pour vous, qui demeurez ferme par la foi, prenez garde à ne pas vous élever, et soyez dans la crainte. Car si Dieu n'a point épargné les branches naturelles, il ne vous épargnerait pas non plus. Considérez donc la bonté et la sévérité de Dieu : sa sévérité envers ceux qui sont tombés, et sa bonté envers vous, si toutefois vous persévérez dans l'état où sa bonté vous a mis, autrement vous serez aussi retranché. Si eux-mêmes ne demeurent pas dans leur incrédulité, ils seront de nouveau entés sur leur tige, puisque Dieu est assez puissant pour les enter encore. Car si vous avez été détaché de l'olivier sauvage, votre tige naturelle pour être enté contre votre nature sur l'olivier franc, à combien plus forte raison les branches naturelles de l'olivier seront-elles entées sur leur propre tronc? Pour que vous ne soyez point sages à vos  propres yeux, je ne veux pas, mes frères, vous laissez ignorer ce mystère, qu'une partie des Juifs est tombée dans l'aveuglement, jusqu'à ce que la plénitude des Gentils soit entrée dans l'Eglise, après quoi tout Israël sera sauvé (1) ». Vous donc qui ne voulez pas être entés sur cette racine, reconnaissez que vous n'êtes pas même du nombre des rameaux détachés, comme les juifs charnels et impies, mais que vous êtes demeurés sur l'olivier sauvage. Car que rappelle l'adoration du soleil et de la lune, sinon l'olivier des Gentils ? Peut-être croyez-vous ne plus appartenir

 

1. Rom. XI, 13-16.

 

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à cet olivier sauvage, parce que vous y avez ajouté des épines d'une nouvelle espèce, et que la perversité de votre coeur, non le travail de vos mains, a forgé un faux Christ que vous deviez adorer avec le soleil et la lune. Laissez-vous donc enter sur la racine de l'olivier franc, grâce dont se réjouit pour lui-même l'Apôtre, qui par son incrédulité avait été au nombre des rameaux brisés. Il fut délivré, dit-il, en passant du judaïsme au Christ, parce que le Christ a toujours été annoncé en cette racine et en cet arbre; ceux qui n'ont pas cru en lui à son apparition, en ont été détachés ; et ceux qui ont cru y ont été entés. C'est à ceux-ci qu'il est dit, pour les prémunir contre la présomption : « Prenez garde de vous élever, mais soyez dans la crainte ; si Dieu n'a pas épargné a les branches naturelles, il ne vous épargnera pas non plus ». Et pour qu'on ne désespère pas des rameaux qui ont été détachés, il ajoute un peu plus loin : « Si eux« mêmes ne demeurent pas dans leur incrédulité, ils seront de nouveau entés sur leur tige, car Dieu est assez puissant pour les y enter encore. Car si vous avez été détaché de l'olivier sauvage, votre tige naturelle, pour être enté contre votre nature sur l'olivier franc, à combien plus forte raison les branches naturelles de l'olivier seront-elles entées sur leur propre tronc ! » Tel est le privilège dont se glorifie l'Apôtre, qui de rameau brisé, était redevenu une branche puisant à la sève de l'olivier. Qu'ils reviennent donc ceux d'entre vous que leur impiété en a séparés, pour y être entés de nouveau. Et que ceux qui n'y ont jamais été unis, se détachent de leur tige sauvage et stérile, pour participer à la fécondité de l'olivier.

LIVRE DIXIÈME. PROMESSES TEMPORELLES.
 

Encore des préceptes figuratifs.

 
 

CHAPITRE PREMIER. PROMESSES TEMPORELLES CONTENUES DANS L'ANCIEN TESTAMENT.

CHAPITRE II. CES PROMESSES SONT DES FIGURES.

CHAPITRE III. LES MANICHÉENS ET LE NOUVEAU TESTAMENT.

 

CHAPITRE PREMIER. PROMESSES TEMPORELLES CONTENUES DANS L'ANCIEN TESTAMENT.
 

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas l'Ancien Testament ? — Parce qu'il m'apprend, aussi bien que le Nouveau, à ne pas convoiter le bien d'autrui. — Mais, dites-vous, quel est le bien d'autrui que renferme l'Ancien Testament ? — Dites plutôt ce qu'il renferme qui ne soit pas à autrui. Il promet les richesses, la bonne chère, de nombreux descendants, une longue vie, et avec cela le royaume de Chanaan ; mais ces promesses s'adressent à ceux qui reçoivent la circoncision, qui observent le sabbat, qui offrent des sacrifices, qui s'abstiennent de la chair de porc, etc. Ainsi que tout chrétien laissant de côté toutes ces pratiques ridicules qui n'ont aucune efficacité pour le salut de l'âme, je reconnais que toutes les promesses qui y sont attachées ne me regardent pas, et je me rappelle le commandement : « Vous ne convoiterez pas » le bien d'autrui (1). Je laisse volontiers aux Juifs les biens qui leur appartiennent, et je me contente de l'Evangile seul et du splendide héritage du royaume des cieux. Car si je pouvais adresser ce reproche à un juif qui revendiquerait pour lui l'Evangile : Impudent, quel droit avez-vous sur cet Evangile dont vous n'observez pas les commandements? ne dois-je pas craindre que ce même juif ne me fasse le même reproche, si je m'approprie l'Ancien Testament, dont je méprise les préceptes ?

 

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CHAPITRE II. CES PROMESSES SONT DES FIGURES.
 

Augustin. Si Fauste n'a pas honte de reproduire sans cesse les mêmes inepties, je me fatigue d'avoir à donner toujours, même pour la vérité, les mêmes réponses. Pour trouver celle qui a trait à ces objections, on n'a qu'à lire ce que nous avons dit plus haut (2). Quant au juif qui viendrait me dire : De quel

 

1. Exod. XX, 17; Rom. VII, 7. — 2. Lib. VI, cap. II.

 

droit vous appropriez-vous l'Ancien Testament, dont vous n'observez pas les préceptes? je lui répondrais que les chrétiens eux-mêmes observent les préceptes de vie pratique qui y sont renfermés, mais que l'observation des préceptes symboliques n'avait sa raison d'être qu'à l'époque où ils figuraient les mystères qui sont maintenant dévoilés. S'ils ne font pas partie de mon culte religieux, je les admets cependant comme autant de témoignages, ainsi que lés promesses charnelles qui ont fait donner le titre d'Ancien à ce Testament où elles sont renfermées. Même après la révélation des biens éternels proposés à mon espérance, j'en lis la preuve dans ces promesses qui « leur étaient données comme autant de figures ; elles ont été écrites pour nous qui vivons à la fin des temps (1) ». Voilà ce que nous répondons aux Juifs; voici maintenant ce que nous objectons aux Manichéens.

 

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CHAPITRE III. LES MANICHÉENS ET LE NOUVEAU TESTAMENT.
 

Fauste prétend que nous serions fort embarrassés si les Juifs venaient nous dire Comment admettez-vous l'Ancien Testament dont vous ne gardez pas les préceptes ? Notre réponse est dans la vénération et la soumission que nous professons pour l'autorité de cette partie de l'Ecriture. Mais vous, qu'avez. vous à répondre, quand on vous dit : Comment admettez-vous l'Evangile dont vous feignez d'être les ardents sectateurs pour tromper les ignorants, tandis que, non-seulement vous ne croyez pas ce qui y est écrit, et que même vous l'attaquez de toutes vos forces? Certes, l'objection est plus insoluble pour vous relativement au Nouveau Testament, que pour nous par rapport à l'Ancien. Car nous professons que tout ce que renferme l'Ancien Testament est vrai, prescrit par Dieu, et établi selon l'opportunité des temps. Et quand on vous objecte les oracles du Nouveau, vous les récusez sans pouvoir répondre;

 

1. I Cor. X, 11.

 

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pressés par l'évidence de la vérité, vous essayez péniblement de soutenir qu'ils sont falsifiés. Quelle autre raison peut-on attendre d'esprits fourbes à qui on a fermé la bouche? Ou plutôt, quelle autre exhalaison peut s'échapper de cadavres que l'on transperce ? Et cependant Fauste avoue que ce n'est pas seulement le Nouveau Testament, mais encore l'Ancien qui lui a enseigné à ne pas convoiter le bien d'autrui, maxime qu'il ne pourrait recevoir de son Dieu. Si ce Dieu, en effet, n'a pas désiré le bien d'autrui, pourquoi a-t-il formé des siècles nouveaux sur la terre des ténèbres, où ils n'avaient jamais existé? Dira-t-il: La race des ténèbres la première a convoité mon royaume qui lui était étranger? Il l'a donc imitée, en désirant lui-même ce qui ne lui appartenait pas? Le royaume de la lumière était-il donc trop resserré ? La guerre était donc à désirer, pour trouver dans la victoire le moyen de reculer les bornes de son empire? Si la chose est bonne, elle était d'abord l'objet d'un légitime désir; mais on attendait que la race adversaire commençât elle-même les hostilités, pour l'attaquer avec une plus grande apparence de justice. Si elle est mauvaise, pourquoi votre Dieu a-t-il voulu, après la victoire, étendre son règne sur une terre étrangère, quand auparavant, content de ses limites, il jouissait d'une félicité parfaite ? Que les Manichéens ne veulent-ils apprendre de l'Ancien Testament les préceptes de vie pratique, dont fait partie celui-là même qui nous défend de convoiter le bien d'autrui ! Revenus à des sentiments plus calmes et plus modérés, ils comprendraient que l'observation des préceptes symboliques, qu'ils décrient avec tant d'amertume, avait sa raison d'être dans ces temps antérieurs. Pour nous, l'Ancien Testament est-il un bien étranger, puisque nous y lisons « les choses qui leur arrivaient en figure, et qui ont été écrites pour nous, qui vivons à la fin des temps? » Est-ce désirer le bien d'autrui que de lire ce qui est écrit pour soi ?

LIVRE ONZIÈME. RÉALITÉ DE L'INCARNATION.
 

Incarnation de Jésus-Christ. — Fauste soutient que saint Paul n'a pas enseigné l'Incarnation du Christ, ou bien qu'il a ensuite rejeté ce premier enseignement. — Saint Augustin démontre l'absurdité de cette opinion.

 
 

CHAPITRE PREMIER. OPINION DE FAUSTE.

CHAPITRE II. COMMENT ACCUSER LE TEXTE SACRÉ D'ÊTRE INTERPOLÉ ?

CHAPITRE III. NIER L'INCARNATION C'EST REJETER SAINT PAUL.

CHAPITRE IV. SAINT PAUL EST-IL TOMBÉ DANS L'ERREUR ?

CHAPITRE V. ON DOIT CHERCHER A CONCILIER LES PASSAGES OPPOSÉS EN APPARENCE.

CHAPITRE VI. SAINT PAUL N’EST PAS EN CONTRADICTION AVEC LUI-MÊME.

CHAPITRE VII. NE PAS CONNA1TRE LE CHRIST SELON LA CHAIR.

CHAPITRE VIII. PREUVE TIRÉE DU CONTEXTE.

 

CHAPITRE PREMIER. OPINION DE FAUSTE.
 

Fauste. Recevez-vous l'apôtre saint Paul? — Assurément. — Pourquoi donc ne croyez-vous pas que le Fils de Dieu est né de la race de David selon la chair (1) ? — Je ne pouvais croire que l'Apôtre se fût contredit lui-même dans ses écrits, en professant des sentiments différents sur la personne du Seigneur. Mais puisque cela vous plaît ainsi, et qu'on ne peut, sans vous effaroucher, vous parler d'interpolation dans les écrits de l'Apôtre, je soutiens néanmoins qu'il n'y a rien là d'opposé à nos doctrines. Paul, comme tant d'autres, avait pensé que Jésus était fils de David; c'était là sa première et son ancienne opinion sur la personne du Seigneur; mais à peine en a-t-il découvert la fausseté, qu'il la réforme et la rejette; il écrit aux Corinthiens : « Nous ne connaissons, dit-il, personne selon la chair; et si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte ». Remarquez toute la différence qui existe entre ces deux chapitres, dans l'un desquels il professe que Jésus est fils de David selon la chair, et dans l'autre il affirme qu'il ne connaît plus personne selon la chair. S'ils sont tous les deux de Paul, ils ne peuvent l'être que de la manière que je viens de dire; autrement l'un ou l'autre est apocryphe. Il ajoute: « C'est pourquoi si quelqu'un est devenu une nouvelle créature en Jésus-Christ, il a déposé ce qui  était vieux, et tout s'est renouvelé en lui (2) ». Vous voyez que l'Apôtre appelle ancienne et transitoire cette foi par laquelle il croyait d'abord que Jésus est issu de la race de David selon la chair ; nouvelle au contraire et permanente, cette autre foi en vertu de laquelle il ne connaît plus personne selon la chair. C'est ce qui lui fait dire ailleurs : « Quand j'étais enfant, je parlais en enfant, je jugeais en enfant, je raisonnais en enfant ; mais

 

1. Rom. I, 3. — 2. II Cor. V, 17.

 

lorsque je suis devenu homme, je me suis défait de tout ce qui tenait de l'enfant (1) ». S'il en est ainsi, peut-on nous reprocher d'embrasser cette nouvelle profession de foi de l'Apôtre qui est la meilleure, et de rejeter l'autre qui est défectueuse? S'il vous plaît à vous de croire selon ce qu'il écrit aux Romains, pourquoi ne nous serait-il pas permis d'enseigner selon ce qu'il écrit aux Corinthiens? Cette manière de vous répondre n'est qu'une concession que je fais à l'obstination de votre esprit. Car loin de la pensée de l'Apôtre de renverser jamais ce qu'il a établi, dans la crainte de se constituer lui-même prévaricateur, ainsi qu'il le proteste (2). Si toutefois ce premier sentiment est de lui, il est maintenant réformé; et s'il n'est pas possible qu'une erreur soit sortie de la bouche de Paul, il ne lui appartient pas.

 

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CHAPITRE II. COMMENT ACCUSER LE TEXTE SACRÉ D'ÊTRE INTERPOLÉ ?
 

Augustin. Voilà bien ce que je disais plus haut : quand l'évidence de la vérité ferme la bouche à nos adversaires, et que la clarté éblouissante du texte sacré ne laisse aucune issue à leur fourberie, ils répondent que le passage qu'on leur oppose est faux. O esprits ennemis de la vérité, obstinés dans leur folie ! Les témoignages des divines Ecritures que nous opposons à vos doctrines sont tellement irréfragables, que vous ne savez que répondre, sinon qu'ils sont falsifiés. Quelle autorité invoquer, quel témoignage de livre sacré ou profane produire pour combattre vos erreurs, si un semblable raisonnement doit être admis, s'il peut avoir le moindre poids? Qu'on ne reçoive point un livre, et qu'on en décline absolument l'autorité, comme le font les païens pour tous nos livres saints, les Juifs pour le Nouveau Testament, comme nous le faisons nous-mêmes pour les vôtres

 

1. Cor. XIII, 11. — 2. Galat. II, 18.

 

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et ceux que patronnent les autres sectes hérétiques, ou pour ces livres qui sont réputés apocryphes, lesquels n'ont aucun titre d'autorité même secrète, et qui, privés de toute preuve certaine d'authenticité, sont sortis de je ne sais quelle plume inconnue, ou de quels esprits présomptueux; ne pas admettre, dis-je, l'autorité de certains livres ou de certains hommes, c'est chose bien différente que de dire : Tout ce qu'a écrit cet homme juste est la vérité; il est l'auteur de cette lettre; mais dans cette même lettre ceci est de lui, et cela n'en est pas. Si on vous invite à le prouver, au lieu d'en appeler à des exemplaires plus fidèles, plus nombreux, plus anciens, ou appartenant à l'idiôme sur lequel la traduction a été faite, direz-vous : Je prouve que ceci est de lui, et que cela n'en est pas, parce que cette partie est conforme à ma doctrine, et que l'autre y est contraire? Etes-vous donc la règle de la vérité ? Tout ce qui sera contre vous, ne sera donc pas vrai ? Qu'un adversaire, par une folie semblable à la vôtre, et cependant bien propre à briser votre opiniâtreté, vienne vous dire : Tout au contraire, ce qui vous favorise est faux, et ce qui vous est opposé est vrai, que ferez-vous? Vous produirez peut-être un autre livre où tout ce que vous lirez puisse s'interpréter dans votre sens? Si vous le faites, votre adversaire, non-seulement sur un passage en particulier, mais sur tous, vous contredira en s'écriant: Votre livre est faux. Que faire? Quelle raison invoquer? quelle origine, quelle antiquité, quelle preuve de tradition constante assigner à votre livre? Essayer ne serait de votre part qu'une vaine tentative. Jugez quelle est sous ce rapport la puissance de l'autorité de l'Eglise catholique, qui a pour fondement inébranlable la succession non interrompue des évêques depuis les Apôtres jusqu'à nos jours, et le consentement unanime de tant de peuples. Ainsi, qu'une controverse s'élève sur la fidélité des exemplaires, dont quelques-uns renferment des maximes différentes, peu nombreuses d'ailleurs et bien connues de ceux qui font une étude particulière des divines lettres, la question sera tranchée d'après les exemplaires des autres pays d'où nous est venue la doctrine sacrée; si les mêmes divergences s'y rencontrent, les exemplaires plus nombreux ou plus anciens feront foi préférablement aux autres en plus petit nom tire ou de date plus récente; et si enfin le doute subsiste encore, on aura recours à la langue originale sur laquelle la traduction a été faite. C'est ainsi que procèdent ceux qui veulent résoudre les difficultés qu'ils rencontrent dans les saintes Ecritures appuyées sur une si grande autorité ; ils y trouvent une source de lumières et non une matière à chicane.

 

 

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CHAPITRE III. NIER L'INCARNATION C'EST REJETER SAINT PAUL.
 

Ce passage de l'Epître de saint Paul, que nous opposons à votre doctrine impie, et selon lequel le Fils de Dieu est de la race de David selon la chair, se lit dans tous les exemplaires de toutes les langues, anciens et nouveaux, et dans toutes les églises. Jetez donc ce masque trompeur, sous lequel Fauste, se donnant un interlocuteur qui lui demande : Recevez-vous l'apôtre Paul, répond : Oui, je le reçois. Pourquoi ne pas dire : Non, sinon parce que sa fausseté ne pouvait donner qu'une réponse fausse ? Qu'admet-il de saint Paul ? Ce n'est pas le premier homme que cet Apôtre dit être terrestre et formé de la terre, et dont il dit ailleurs: « Adam le premier homme a été créé avec une âme vivante (1) ». Fauste nous parle de je ne sais quel premier homme, non terrestre ni formé de la terre, ni créé avec une âme vivante, mais formé de la substance divine, Dieu lui-même, lequel unit ses membres, ou ses vêtements, ou ses armes, c'est-à-dire, les cinq éléments qui n'étaient autres que la substance divine, à la race des ténèbres, pour les enchaîner à la corruption. Ce qu'il reçoit de saint Paul, ce n'est pas non plus l'homme second que l'Apôtre dit être descendu du ciel, qu'il appelle le second Adam rempli d'un esprit vivificateur (2), qu'il enseigne avoir été formé de la race de David selon la chair, formé de la femme, et assujéti à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi a, dont il parle ainsi à Timothée : « Souvenez-vous que «Jésus-Christ, né de la race de David, est ressuscité d'entre les morts, selon l'Evangile que je prêché (3)». C'est sur sa résurrection qu'il s'appuie pour annoncer la nôtre : « Je vous ai enseigné tout d'abord ce que j'avais moi-même reçu, savoir, que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Ecritures ;

 

1. I Cor. XV, 45. — 2. I Cor. XV, 47. — 3. Galat. IV, 4, 5. — 4. II Tim. II, 8.

 

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qu'il a été enseveli, et qu'il est ressuscité le troisième jour, selon les mêmes Ecritures».Un peu plus loin il donne la raison de cet enseignement : « Puis donc qu'on vous a prêché que le Christ est ressuscité d'entre les morts, comment se trouve-t-il parmi vous des personnes qui osent dire que les morts ne ressuscitent point (1) ? » Or, Fauste, qui vous répond de la manière la plus affirmative, lorsque vous lui demandez s'il reçoit l'apôtre saint Paul, Fauste nie tout cela ; il ne croit pas à Jésus issu de la race de David et formé d'une femme que l'Apôtre désigne ainsi, non pour laisser entendre qu'elle ait perdu sa pureté dans l'union charnelle ou l'enfantement, mais pour se conformer à l'usage des Ecritures qui donnent toujours le nom de femme à ce sexe, ainsi que le fait la Genèse en parlant d'Eve, avant qu'elle fût connue d'Adam. « Il en forma la femme (2) ». Il n'admet ni la mort, ni la sépulture, ni la résurrection du Christ; il prétend qu'il n'eut jamais de corps mortel sujet à une mort véritable ; que ces cicatrices qu'il montra à ses disciples, lorsqu'il leur apparut plein de vie après sa résurrection, ainsi que le rapporte saint Paul, n'étaient que des cicatrices apparentes (3); que notre chair ne ressuscitera point, pour devenir un corps spirituel, comme l'enseigne le même Apôtre: «Il est mis en terre comme un corps animal, et il ressuscitera comme un corps spirituel ». Distinguant ensuite entre le corps animal et le corps spirituel, l'Apôtre expose ce que j'ai rapporté plus haut du premier et du second Adam. Puis il en infère : « Je vous dis ceci, mes frères, parce que la chair et le sang ne peuvent pas posséder le royaume de Dieu ». On eût pu croire que la forme ni la substance de la chair ne peuvent ressusciter; il explique alors ce qu'il entend par la chair et le sang, c'est-à-dire la corruption elle-même, dont la résurrection des justes sera exempte ; il le déclare immédiatement : « La corruption ne possédera point cet héritage incorruptible ». Et dans la crainte que quelqu'un ne vienne à penser que ce n'est pas le corps même confié à la terre qui ressuscitera, et que nous ne faisons, pour ainsi dire, que déposer un vêtement pour en recevoir un autre meilleur, il s'attache à démontrer clairement que le corps même sera transformé en un état plus glorieux,

 

1. I Cor. XV, 3, 4, 12. — 2. Gen. II, 22. — 3. Luc,            XXIV,     39, 40 ; I Cor. XV, 5.

 

de même que sur le Thabor, le Christ ne déposa point ses vêtements pour en prendre d'autres, mais fit resplendir ceux qu'il portait d'une lumière céleste. « Voici », dit l'Apôtre, « un mystère que je vais vous dévoiler : nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés ». Et pour ne laisser aucun doute sur ceux qui seront ainsi transformés : « En un moment », poursuit-il, « en un clin d'oeil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, tous les morts ressusciteront dans un état incorruptible, et nous serons changés ». On dira, peut-être, qu'à la résurrection, cette transformation s'opérera, non dans notre corps mortel et corruptible, mais dans notre âme. Mais l'Apôtre n'entendait pas ici parler de l'âme ; dès le début il montre qu'il est question du corps, car c'est ainsi qu'il entre en matière : « Mais, dira quelqu'un, comment les morts ressuscitent-ils? Quel sera le corps dans lequel ils reviendront ? » Il indique par là très-clairement ce dont il veut parler, et aussi il ajoute: « Il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité (1) ». Or, quand Fauste nie toutes ces vérités, quand il soumet à la corruption Dieu lui-même, dont Paul a dit : « Honneur et gloire à Dieu seul, qui est immortel et incorruptible (2) », quand, selon les abominables et sacrilèges rêveries de la secte, il enseigne que Dieu a craint de voir sa substance et sa nature tout entière souillée par là race des ténèbres, et qu'il en a livré une partie à la corruption pour préserver l'autre, comment ose-t-il encore essayer de tromper les ignorants, et les esprits moins familiarisés avec les divines Ecritures, et répondre, quand on lui demande s'il reçoit l'apôtre saint Paul, qu'il l'admet absolument, tandis qu'il n'en est rien ?

 

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CHAPITRE IV. SAINT PAUL EST-IL TOMBÉ DANS L'ERREUR ?
 

Mais, dit-il, je puis démontrer, par une preuve irréfragable, ou que saint Paul par la suite a changé de sentiment, et réformé dans son Epître aux Corinthiens la pensée émise dans l'épître aux Romains, ou qu'il n'a jamais écrit lui-même ces paroles qu'on lui prête, que le Fils de Dieu est né de la race de David selon la chair. Et quelle est cette preuve ? C'est,

 

1. I Cor. XV, 35-53. — 2. I Tim. I, 17.

 

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répond-il, qu'on ne peut admettre comme vrais en même temps ce passage de l'Epître aux Romains : « Touchant son Fils qui lui est né selon la chair, du sang de David », et cet autre de l'Epître aux Corinthiens : « C'est pourquoi nous ne connaissons plus personne selon la chair, et si nous avons connu le Christ selon la chair; nous ne le connaissons plus maintenant de cette sorte (1) ». Il nous reste donc à démontrer que ces deux passages sont également vrais, et ne renferment aucune contradiction.

Nous ne pouvons convenir que l'un des deux ne soit pas de l'Apôtre, car en ce point tous les exemplaires sont unanimes. Quelques exemplaires latins portent, il est vrai, « né de la race de David », au lieu de l'expression «formé de, etc...» qui se trouve dans les exemplaires grecs ; mais on voit que l'interprète latin s'est attaché plus au sens qu'au terme, et d'ailleurs tous les exemplaires de toutes les langues s'accordent à dire que le Christ est issu du sang de David selon la chair. D'un autre côté, loin de nous d'admettre jamais que saint Paul soit tombé dans l'erreur ou qu'il ait cru devoir réformer son sentiment. Fauste lui-même a senti tout ce qu'il y aurait d'injurieux et d'impie dans une pareille assertion, et il a mieux aimé soutenir que cette lettre de l'Apôtre avait été falsifiée par des mains étrangères, plutôt que de la supposer entachée d'erreur en sortant des siennes.

 

 

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CHAPITRE V. ON DOIT CHERCHER A CONCILIER LES PASSAGES OPPOSÉS EN APPARENCE.
 

On peut admettre que nos livres saints renferment certains passages qui semblent être en contradiction avec quelque vérité dont le sens est très-obscur et difficile à saisir ; contradiction qui n'a pas encore été éclaircie, ou que des écrivains postérieurs, comme nous, ont fait disparaître dans leurs ouvrages, qu'ils composent, non comme règles de foi, mais comme exercices propres à développer l'intelligence de la vérité. Car nous sommes du nombre de ceux à qui l'Apôtre fait cette remarque : « Si vous avez quelque sentiment différent, Dieu vous découvrira ce que vous devez en penser (2) ». Ces écrits n'imposent nullement au lecteur une croyance nécessaire,

 

1. II Cor. V, 16. — 2. Philip. III, 15.

 

mais lui laissent la liberté de son jugement. Il était avantageux qu'ils pussent se produire, et que dans la suite des temps les écrivains fissent servir le talent précieux de la parole et de la composition à traiter et à élucider les questions difficiles ; ruais à côté de ces écrits s'élève et domine l'autorité canonique de l'Ancien et du Nouveau Testament, autorité confirmée du temps des Apôtres, et formant, par la succession des évêques et la diffusion des églises, comme un tribunal supérieur devant lequel doit s'incliner toute intelligence pieuse et fidèle. Là, s'il s'offre quelque absurdité apparente, il n'est pas permis de dire: L'auteur de ce livre s'est écarté de la vérité ; mais C'est l'exemplaire qui est défectueux, ou l'interprète qui s'est trompé ou le lecteur qui ne comprend pas. Quant aux livres des écrivains postérieurs, dont le nombre est infini, mais qui ne peuvent se comparer à l'excellence sacrée des Ecritures canoniques, quand même ils s'accorderaient tous à enseigner la même vérité, leur autorité reste toujours bien inférieure. Le lecteur ou l'auditeur qui croit y découvrir des passages en opposition avec la vérité, peut-être parce qu'il ne saisit pas la pensée de l'auteur, conserve la liberté de son jugement pour approuver ce qui lui plaît, et rejeter ce qui le choque ; et à moins qu'un argument irréfragable, ou l'autorité canonique de l'Ecriture ne vienne appuyer les enseignements ou les récits contenus dans ces ouvrages, et en démontrer la certitude ou la possibilité, on peut, sans être digne de censure, refuser son assentiment ou sa foi. Bien différente est l'autorité canonique de nos livres saints ; quand même, d'après le témoignage de cette autorité même, un prophète, un apôtre, ou un évangéliste eût été seul à enseigner ce qu'il a consigné dans ses écrits, il ne serait pas permis de le révoquer en doute ; autrement il n'y aura plus aucune page qui ne puisse servir de règle à la faiblesse et à l'ignorance de l'esprit humain, si une fois l'autorité salutaire des livres canoniques est complètement renversée par le mépris, ou éludée par la chicane.

 

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CHAPITRE VI. SAINT PAUL N’EST PAS EN CONTRADICTION AVEC LUI-MÊME.
 

Vous donc, qui que vous soyez, qui avez cru voir une flagrante contradiction dans ces deux (184) passages : « Le Fils de Dieu de la race de David » ; et : « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte », quand même ils ne seraient pas tirés tous deux des lettres du même Apôtre, mais que l'un serait de Paul, l'autre de Pierre, ou d'Isaïe, ou de quelque autre apôtre ou prophète, il ne vous serait pas permis de révoquer en doute ni l'un ni l'autre, puisque tel est l'enchaînement des écrits canoniques en toutes leurs parties, que la piété la plus juste et la plus sage les admet, l'esprit le plus éclairé les perçoit, et l'étude la plus attentive les démontre comme autant d'oracles émanés de la même bouche. Maintenant qu'ils sont tirés l'un et l'autre des Epîtres canoniques de Paul, c'est-à-dire des Epîtres qui sont certainement de lui; maintenant qu'on ne peut prétendre que l'exemplaire est défectueux, puisque tous les exemplaires latins corrigés portent de même, ni que l'interprète s'est trompé, puisque tous les meilleurs exemplaires grecs sont conformes, il vous reste, à vous, d'avouer que vous ne comprenez pas, et à moi, de vous montrer comment ces deux passages ne sont nullement en contradiction, mais s'accordent parfaitement selon les règles les plus saines de la foi. Si la piété inspirait votre étude, elle découvrirait aussi à vos propres yeux sur ce point la véritable lumière.

 

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CHAPITRE VII. NE PAS CONNAÎTRE LE CHRIST SELON LA CHAIR.
 

Que le Fils de Dieu se soit fait homme dans la race de David, c'est ce que le même apôtre enseigne en plusieurs endroits, et ce que d'autres écrivains sacrés proclament de la manière la plus formelle. Quant à ces paroles « Si nous avons connu le Christ selon la chair, maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte», l'endroit même d'où elles sont tirées montre assez clairement quelle est la pensée de l'Apôtre. Notre vie future, dès maintenant réalisée dans sa plénitude en l'homme médiateur, Jésus-Christ notre Chef ressuscité, il l'envisage avec une certitude d'espérance aussi pleine que si elle lui était présente et qu'il en jouît déjà; et cette vie, comme celle du Christ, ne sera plus selon la chair. Par la chair, il n'entend pas ici cette substance de notre corps que le Seigneur, même après sa résurrection, appelait sa chair, quand il disait: « Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai (1) » ; ce qu'il désigne, c'est la corruption et la mortalité de la chair qui n'existeront plus en nous, comme elles ne sont plus dans le Christ. C'est bien là ce qu'il entendait par la chair, quand, au sujet de la résurrection, ainsi que nous l'avons remarqué précédemment, il s'exprimait d'une manière si claire : « La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu; et la corruption ne jouira pas de l'incorruptibilité ». Quand donc sera accompli ce qu'il annonce ensuite : « En un moment, en un clin d'oeil, au son de la dernière trompette, car la trompette sonnera, tous les morts ressusciteront dans un état incorruptible, et nous serons changés; il faut que ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité, et que ce corps mortel soit revêtu de l'immortalité (2) »; alors n'existera plus cette chair par laquelle il désigne, non la substance du corps, mais la corruption de la mortalité, qui disparaîtra dans cette heureuse transformation; mais bien la chair qui constitue la nature et la substance du corps, puisque c'est celle-là même qui doit ressusciter et être changée. On ne peut nier, en effet, ni ce que dit le Seigneur après sa résurrection : « Touchez et voyez qu'un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'en ai » ; ni ce que dit l'Apôtre : « La chair et le sang ne peuvent posséder le royaume de Dieu ». D'une part, il s'agit de la substance même de la chair, laquelle subsistera toujours, puisque c'est elle qui sera changée ; et de l'autre, de l'état corruptible, lequel aura cessé, puisqu'une fois transformée, la chair ne sera plus sujette à la corruption. « Nous avons donc connu le Christ selon la chair», c'est-à-dire, selon la mortalité de la chair avant sa résurrection; « mais maintenant nous ne le connaissons plus de cette sorte », parce que, comme le dit l'Apôtre, « le Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, et la mort n'aura plus d'empire sur lui (3) ».

Si le Christ n'a jamais existé selon la chair, vous en tenir à la rigueur des termes, c'est faire mentir l'Apôtre quand il dit : « Nous avons connu le Christ selon la chair»; comment connaître ce qui n'est pas? Il ne dit pas : Nous avons pensé que le Christ existait selon la chair; mais, nous avons connu. Je ne

 

1. Luc, XXIV, 39. — 2. I Cor. XV, 50-53. — 3. Rom. VI, 9.

 

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veux cependant pas presser sur les mots, pour qu'on ne puisse pas soutenir qu'il y a ici abus de langage de la part de l'Apôtre qui, au lieu de l'expression : nous avons pensé, a employé celle-ci : Nous avons connu. Ce qui m'étonne, c'est que des hommes aveugles ne voient pas, ou plutôt je serais étonné s'ils le voyaient, que s'il faut croire que le Christ n'a pas eu une chair véritable, par cette raison que l'Apôtre a dit qu'il ne connaissait plus maintenant le Christ selon la chair, il faut admettre qu'ils n'ont pas eu de chair non plus, ceux dont il dit au même endroit : « C'est pourquoi nous ne connaissons plus maintenant personne selon la chair ». Sans restreindre sa, pensée au Christ seul, il pouvait dire : « Nous ne connaissons personne selon la chair » ; mais envisageant comme présente la vie future dont il devait jouir avec ceux qui seront transformés à la résurrection: « Maintenant, dit-il, nous ne connaissons plus personne selon la chair » ; c'est-à-dire, l'espérance de notre incorruptibilité et de notre immortalité future est si certaine en nous, que dès maintenant cette seule pensée nous remplit de joie. C'est ce qui lui fait dire ailleurs: « Si vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses du ciel, où le Christ est assis à la droite de Dieu; n'ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre (1) ». Nous ne sommes pas encore évidemment ressuscités comme le Christ; et cependant l'espérance que nous avons dans le Christ, fait dire à l'Apôtre que nous sommes déjà ressuscités avec lui. De là encore : « Dans sa miséricorde, il nous a sauvés par l'eau de la régénération (2) ». Qui ne sait que, dans le bain régénérateur, nous avons reçu l'espérance du salut futur, et non le salut lui-même, qui est l'objet de la promesse? Et cependant, comme cette espérance est certaine : « Il nous a sauvés », dit l'Apôtre, comme si nous étions déjà en possession du salut. C'est ainsi qu'il s'exprime ailleurs avec tant de clarté: « Nous gémissons en nous-mêmes, attendant l'effet de notre adoption, la rédemption de nos corps, car nous sommes sauvés en espérance. Or, l'espérance qui se voit n'est plus espérance : quel est en effet celui qui espère ce qu'il voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l'attendons avec

 

1. Coloss. III, 1, 2. —  2. Tit. III, 5.

 

patience (1)». L'Apôtre ne dit pas : Nous serons sauvés, mais : Nous sommes dès maintenant sauvés, non en réalité, mais en espérance, ainsi qu'il s'exprime; de même faut-il entendre ces autres paroles : « Nous ne connaissons plus personne selon la chair », non en réalité, mais en espérance; parce que notre espérance repose dans le Christ, et qu'en lui se trouve déjà accompli ce qui fait l'objet de notre espérance. Déjà il est ressuscité, et il ne sera plus soumis à l'empire de la mort. Il est vrai qu'avant sa mort nous l'avons connu selon la chair, puisqu'à son corps était inhérente cette mortalité que l'Apôtre désigne sous le nom de chair; mais nous ne le connaissons plus de cette sorte ; son corps mortel a revêtu l'immortalité, et ne peut plus être appelé chair comme dans son premier état.

 

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CHAPITRE VIII. PREUVE TIRÉE DU CONTEXTE.
 

Pour faire ressortir davantage la vérité de ma pensée, examinons l'ensemble du texte où est renfermé cet oracle, dont nos adversaires tirent leurs fausses inductions : « La charité de Jésus-Christ nous presse », dit l'Apôtre, « considérant que si un seul est mort pour tous, tous aussi sont morts; or, Jésus-Christ est mort pour tous, afin que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et qui est ressuscité pour eux. C'est pourquoi nous ne connaissons plus personne selon la chair; et si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus maintenant de cette sorte ». Il est de toute évidence que dans ces dernières paroles, l'Apôtre avait en vue le Christ ressuscité, comme l'insinuent celles qui précèdent : « Afin que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux-mêmes,  mais pour celui qui est mort et qui est ressuscité pour eux ». Qu'est-ce à dire, qu'ils vivent non pour eux-mêmes, mais pour celui, etc. », sinon qu'ils vivent, non selon la chair, dans la convoitise des biens terrestres et corruptibles, mais selon l'esprit, dans l'espérance de la résurrection déjà réalisée pour eux dans la personne du Christ? C'est pourquoi l'Apôtre ne connaissait personne selon la chair, parmi ceux pour qui Jésus-Christ est mort et ressuscité, et qui vivent, non pour

 

1. Rom. VIII, 23-25.

 

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eux-mêmes, mais pour lui, et cela eu égard à l'espérance de l'immortalité future qu'ils attendaient : attente qui n'était plus, en Jésus-Christ, une espérance, mais une réalité ; et si l'Apôtre l'avait connu selon la chair avant sa mort, maintenant il ne le connaissait plus de cette sorte, sachant qu'il était ressuscité, et que la mort ne devait plus avoir d'empire sur lui.

Et comme c'est là ce que nous sommes en lui, sinon encore en réalité, du moins en espérance, il ajoute : « Si quelqu'un est en Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature, ce qui est vieux est passé, tout est devenu nouveau. Et ce tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec lui-même par Jésus-Christ (1) ». Ainsi donc, toute créature nouvelle, en d'autres termes, le peuple renouvelé par la foi, afin de posséder en espérance ce que plus tard il possédera complètement en réalité, trouve dans le Christ ce qu'il attend pour lui-même. Donc encore, si « tout ce qui est vieux est passé », c'est dans l'objet de l'espérance, car nous ne sommes plus à l'époque de l'Ancien Testament, où l'on attendait de Dieu un royaume éphémère et charnel;  et si « tout est devenu nouveau n, c'est aussi dans l'objet de l'espérance, car elle nous attache aujourd'hui à la promesse d'un royaume des cieux, d'où seront bannies la corruption et la mort. A la résurrection des morts, néanmoins, ce ne sera plus dans l'espérance, mais dans la réalité, que ce qui est vieux passera, puisque notre ennemie dernière, la mort, sera complètement anéantie, et que tout sera renouvelé, puisque, corruptible, ce corps revêtira l'incorruptibilité, et mortel, l'immortalité (2).

Transformation heureuse, accomplie dès maintenant dans le Christ : aussi était-ce en réalité que saint Paul ne le connaissait plus selon la chair; tandis que c'était en espérance simplement qu'il ne connaissait plus selon la chair aucun de ceux pour qui Jésus est mort et pour qui il est ressuscité. C'est par sa grâce effectivement, comme l'écrit le même Apôtre aux Ephésiens, que nous sommes sauvés.

Ce nouveau passage confirme notre sentiment; le voici : « Mais Dieu, qui est riche en miséricorde, par le grand amour dont il nous a aimés, et lorsque nous étions morts par nos péchés, nous a vivifiés dans le Christ, par la grâce duquel nous sommes sauvés ».

 

1. II Cor. V, 14-18. — 2. I Cor. XV, 26, 53.

 

Ces mots : « Nous a vivifiés dans le Christ », ont le même sens que ces autres adressés aux Corinthiens : « Afin que ceux  qui vivent, ne a vivent plus pour eux-mêmes, mais pour Celui qui est mort pour eux, et qui pour eux est ressuscité ». Quant aux paroles suivantes : « Par la grâce duquel nous sommes sauvés », elles semblent indiquer que notre salut est un fait accompli, tandis qu'il l'est seulement en espérance. Ne dit-il pas expressément ailleurs, comme je l'ai rappelé un peu plus haut : « C'est en espérance que nous sommes sauvés? » Aussi poursuit-il, et continuant à représenter l'avenir comme déjà réalisé : « Dieu, dit-il, nous a ressuscités avec lui, et nous a fait asseoir en même temps dans les cieux en Jésus-Christ » . Le Christ, sans aucun doute, siége maintenant dans le ciel, mais pas encore nous. Cependant, comme notre espoir est assuré, et nous met en quelque sorte entre les mains ce dont nous ne jouirons que plus tard, l'Apôtre a pu dire que dès maintenant nous siégeons dans le ciel, non pas en nous-mêmes, mais dans la personne du Fils de Dieu. Aussi, pour écarter l'erreur et empêcher de considérer comme accompli réellement ce qui ne l'est qu'en espérance et ne le sera que plus tard en réalité, il continue de la manière suivante : « Pour manifester dans les siècles à venir les richesses surabondances de sa grâce, par la bonté qu'il a pour nous dans le Christ Jésus (1)».

A notre interprétation se rapportent aussi ces mots : « Lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché, éveillées par la loi, agissaient dans nos membres jusqu'à leur faire porter des fruits de mort (2)». — «Lorsque nous étions dans la chair », ne semble-t-il pas exprimer qu'on n'y était plus? Mais voici le sens. Lorsque nous vivions encore avec l'espoir des biens terrestres, à l'époque où la loi, qu'il est impossible d'accomplir sans la charité spirituelle, pesait sur eux et aboutissait à multiplier leurs fautes, puisqu'ils l'enfreignaient; aussi a-t-il fallu qu'en ouvrant par bonté .un Nouveau Testament, Dieu fit surabonder la grâce (3). La même idée est contenue dans cette phrase d'une autre Epître a Ceux qui sont dans la chair, ne sauraient « plaire à Dieu ». Ce qui prouve qu'il ne s'agit pas ici de ceux qui ne sont pas encore morts, c'est ce qu'ajoute l'Apôtre : « Pour vous, vous

 

1. Ephés. II, 4-7. — 2. Rom. VII, 5. — 3. Rom. V, 20.

 

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n'êtes pas dans la chair, mais dans l'esprit (1) » . En d'autres ternies : ceux qui vivent dans l'espoir des biens charnels ne sauraient plaire à Dieu; or, vous n'avez pas, vous, cet espoir des biens matériels, mais l'espérance des biens spirituels, ou du royaume -des cieux, au sein duquel le corps lui-même, grâce à sa transformation, sera devenu comme spirituel, d'animal qu'il est aujourd'hui. « On le sème corps animal », dit le même Apôtre aux Corinthiens, « il lèvera corps spirituel (2) ».

Maintenant, si l'Apôtre ne connaissait plus selon la chair aucun de ceux qu'il assure ne vivre plus dans la chair, en ce sens qu'ils ne nourrissaient plus l'espoir des biens charnels, tout revêtus qu'ils fussent encore de leur chair corruptible et mortelle; à combien plus forte raison ne pouvait-il pas dire du Christ, qu'il ne le connaissait plus selon la chair, lui qui possède réellement dans son corps glorieux

 

1. Rom. VIII, 8, 9. — 2. I Cor. XV, 44.

 

le merveilleux changement que les autres attendaient seulement, et parce qu'il leur était promis? Ah 1 combien il est préférable, combien il est plus religieux, quand on étudie les divines Ecritures, de tout approfondir pour les mettre d'accord entre elles, que de les louer ici comme vraies, et de les condamner là comme fausses, pour n'avoir pas assez travaillé à dilucider une question qui paraît insoluble ! Eh ! quand l'Apôtre lui-même était enfant et n'avait qu'une sagesse d'enfant (1), ce qu'il disait toutefois par comparaison, il n'avait pas atteint encore le degré d'élévation spirituelle où il était monté quand, pour l'édification des églises, il écrivait, non pas des livres destinés aux exercices et aux progrès littéraires des hommes studieux, niais des Epîtres pleines d'autorité, destinées à être lues et observées comme tout ce que contient le canon ecclésiastique.

 

1. I Cor. XIII, 11.

 

Ces onze premiers livres sont traduits par M. l'abbé HUSSENOT.

LIVRE DOUZIÈME. PERSONNAGES ET FAITS PROPHÉTIQUES.
 

Les personnages et les faits de l'Ancien Testament sont tous prophétiques. — Démonstration par une foule d'exemples tirés des hommes et des choses.

 

CHAPITRE PREMIER. POURQUOI FAUSTE REJETTE LE TÉMOIGNAGE DES PROPHÈTES SUR LE CHRIST.

CHAPITRE II. LES PROPHÈTES ONT ANNONCÉ LE CHRIST : LEURS PRÉDICTIONS NOUS SONT UTILES : ILS ONT VÉCU D'UNE MANIÈRE CONFORME A LEUR DIGNITÉ.

CHAPITRE III. TEXTES DE SAINT PAUL; PAROLES DE JÉSUS-CHRIST SUR MOÏSE ET LES PROPHÈTES.

CHAPITRE IV. LES MANICHÉENS S'OBSTINENT A ADMETTRE UN FAUX CHRIST ET A REJETER LE VÉRITABLE.

CHAPITRE V. NOUS AVONS LE VRAI CHRIST ANNONCÉ PAR LES PROPHÈTES. FAUT-IL CROIRE MANÈS OU PAUL L'APOTRE ?

CHAPITRE VI. TOUTES LES NATIONS ÉTANT BÉNIES DANS LE CHRIST, FILS D'ABRAHAM, IL EST DONC LE VRAI CHRIST.

CHAPITRE VII. LES PROPHÉTIES RELATIVES AU CHRIST SONT NOMBREUSES, EN PARTIE ALLÉGORIQUES, EN PARTIE VERBALES, EN PARTIE EXPRIMÉES PAR DES FAITS; MAIS TOUTES TENDENT AU MÈME BUT, QUI EST LE CHRIST.

CHAPITRE VIII. LES SEPT JOURS DE LA CRÉATION FIGURENT LES SEPT AGES DU MONDE. ADAM ET ÈVE, FIGURE DU CHRIST.

CHAPITRE IX. L'INFIDÉLITÉ DE CAÏN, IMAGE DE L'INFIDÉLITÉ DU PEUPLE JUIF.

CHAPITRE X. AUTRE RAPPROCHEMENT ENTRE CAÏN ET LE PEUPLE JUIF.

CHAPITRE XI. LA TERRE EST STÉRILE POUR CAÏN, ET LA PASSION DU CHRIST POUR LES JUIFS.

CHAPITRE XII. CA1N NE SERA PAS TUÉ, NI LE PEUPLE JUIF EXTERMINÉ.

CHAPITRE XIII. CONTINUATION DU PARALLÈLE ENTRE CAÏN ET LE PEUPLE JUIF. IMPIÉTÉ DES MANICHÉENS IMITATEURS DE CAÏN.

CHAPITRE XIV. HÉNOCH, NOÉ. SIGNIFICATION MYSTIQUE DE L'ARCHE.

CHAPITRE XV. AUTRE SIGNIFICATION SYMBOLIQUE DE L'ARCHE DE NOÉ.

CHAPITRE XVI. L'ARCHE, FIGURE DE L'ÉGLISE.

CHAPITRE XVII. LE DÉLUGE, IMAGE DU BAPTÊME.

CHAPITRE XVIII. RAPPROCHEMENT ENTRE L'AGE DE NOÉ ET LES AGES DU MONDE.

CHAPITRE XIX. LE JOUR OU L'ARCHE S'ARRÊTA; LA HAUTEUR DES EAUX DU DÉLUGE; LEURS SIGNIFICATIONS SYMBOLIQUES.

CHAPITRE XX. CE QUE REPRÉSENTENT LE CORBEAU ET LA COLOMBE ENVOYÉS HORS DE L'ARCHE.

CHAPITRE XXI. IMPOSSIBILITÉ DE TOUT DIRE SUR CE SUJET.

CHAPITRE XXII. AUTRES SIGNES SYMBOLIQUES INDIQUÉS EN PASSANT.

CHAPITRE XXIII. NOÉ, FIGURE DU CHRIST; CHAM, DU PEUPLE JUIF.

CHAPITRE XXIV. SEM ET JAPHET REPRÉSENTENT L'ÉGLISE. APOSTROPHE AUX MANICHÉENS, ENFANTS DE CHAM.

CHAPITRE XXV. ABRAHAM, ISAAC, LE BÉLIER, FIGURES DU CHRIST.

CHAPITRE XXVI. JACOB ET L'ÉCHELLE MYSTÉRIEUSE, IMAGES DU CHRIST.

CHAPITRE XXVII. MALHEUR DE CEUX QUI NE GOUTENT PAS LES ÉCRITURES; BONHEUR DE CEUX QUI LES GOÛTENT.

CHAPITRE XXVIII. JOSEPH, LA VERGE DE MOÏSE, SYMBOLES DU CHRIST.

CHAPITRE XXIX. SIGNIFICATION MYSTIQUE DE LA SORTIE D'ÉGYPTE, DE LA PIERRE, DE LA MANNE, DE LA NUÉE.

CHAPITRE XXX. LE DÉSERT, LES PALMIERS, LES DOUZE SOURCES, LE SERPENT D'AIRAIN, L'AGNEAU PASCAL, LA LOI DONNÉE A MOÏSE. AVEUGLEMENT DE FAUSTE.

CHAPITRE XXXI. JOSUÉ, RAHAB, JÉRICHO. TRIOMPHE DE L'ÉGLISE.

CHAPITRE XXXII. ÉPOQUE DES JUGES ET DES ROIS. SAMSON, JAHEL, LA TOISON DE GÉDEON.

CHAPITRE XXXIII. NOUVEAU SACERDOCE ET NOUVELLE ROYAUTÉ ANNONCÉS. DIVISION DES TRIBUS.

CHAPITRE XXXIV. ÉLIE, LA VEUVE DE SAREPTA.

CHAPITRE XXXV. ÉLISÉE. LE FER DE LA HACHE, IMAGE DE LA PASSION ET DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST.

CHAPITRE XXXVI. SENS PROPHÉTIQUE DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DE LA RECONSTRUCTION DU TEMPLE.

CHAPITRE XXXVII. TOUT A UN      SENS DANS L'ANCIEN TESTAMENT. TÉMOIGNAGE DE L'APÔTRE.

CHAPITRE XXXVIII. PAR EXEMPLE : LA FORMATION DE LA FEMME, L'ARCHE DE NOÉ, LE SACRIFICE D'ISAAC.

CHAPITRE XXXIX. LES JUIFS LE NIENT. UNE OPINION ABSURDE DE PHILON.

CHAPITRE XL. OPINION DES PAÏENS SUR CE SUJET.

CHAPITRE XLI. PROPHÉTIES PLUS CLAIRES. BÉNÉDICTION DE LA RACE D'ABRAHAM.

CHAPITRE XLII. PROPHÉTIE DE JACOB EXPLIQUÉE.

CHAPITRE XLIII. ON NE PEUT TOUT CITER. LE CHRIST PROPHÉTISÉ DANS LES PSAUMES.

CHAPITRE XLIV. PROPHÉTIE DE DANIEL ACCOMPLIE. APPLICATION AUX JUIFS ET AUX MANICHÉENS.

CHARITRE XLV. INCONSÉQUENCE DE FAUSTE.

CHAPITRE XLVI. CARACTÈRE DE LA FOI SIMPLE.

CHAPITRE XLVII. LES MANICHÉENS NE PEUVENT JUGER LA CONDUITE DES PROPHÈTES. FOI D'ABRAIIAM PROPOSÉE POUR MODÈLE.

CHAPITRE XLVIII. CONCLUSION. LE SAINT DOCTEUR RÉPONDRA PLUS EN DÉTAIL AUX OBJECTIONS DE FRUSTE SUR LES PATRIARCHES.

 

 

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CHAPITRE PREMIER. POURQUOI FAUSTE REJETTE LE TÉMOIGNAGE DES PROPHÈTES SUR LE CHRIST.
 

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas les Prophètes? — Dis plutôt toi-même, si tu le peux, pourquoi nous devons recevoir les Prophètes. A cause, observes-tu, des témoignages prophétiques qu'ils ont rendus du Christ. Pour moi, je n'en ai point trouvé, malgré la grande attention et la vive curiosité que j'ai mises à les lire. Mais au fond, c'est le signe d'une foi bien faible que de ne pas croire au Christ sans témoin et sans preuve. Ne dites-vous pas souvent vous-mêmes, qu'il ne faut rien scruter avec trop de curiosité, parce que la foi du chrétien doit être simple et absolue? Pourquoi donc détruisez-vous ici cette simplicité de la foi, en l'appuyant sur des preuves et des témoins, et sur des témoins juifs? Que si, renonçant à cette première manière de voir, vous passez à la seconde : quel témoin vous semblera plus sûr que Dieu lui-même, disant de son Fils, non par un prophète, ni par un interprète, mais par une voix descendue du ciel, alors qu'il l'envoyait sur la terre : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; croyez à sa parole (1)? » Le Sauveur a dit aussi de lui-même : « Je suis sorti de mon Père et je suis venu dans le monde (2) » ; et bien d'autres choses de ce genre. Sur quoi les Juifs indignés lui disaient : « C'est vous qui rendez témoignage de vous-même; votre témoignage n'est pas vrai» ; et il leur répondait : « Bien que je rende témoignage de moi-même, mon témoignage est vrai, parce que je ne suis pas seul. Car et il est écrit dans votre loi que le témoignage de deux hommes est vrai. C'est moi qui rends témoignage de moi-même, mais il rend aussi témoignage de moi, mon Père qui m'a envoyé (3) ». Il ne parle pas des Prophètes. De plus, il invoque le témoignage même de ses oeuvres : « Si vous ne me croyez

 

1. Matt. III, 17; Luc, IX, 35. — 2. Jean, XVI, 28. — 3. Id. VIII, 13-18.

 

pas, croyez à mes œuvres (1) ». Il ne dit pas: Si vous ne me croyez pas, croyez aux Prophètes. Nous n'avons donc besoin d'aucun autre témoignage sur notre Sauveur; nous cherchons simplement dans les Prophètes des exemples de vie honnête, la sagesse et la vertu ; tu n'ignores pas, je le sais, que les prophètes juifs n'ont rien eu de cela: car comme je te demandais pourquoi tu penses que nous devons les recevoir, tu as habilement et poliment passé leurs oeuvres sous silence pour ne t'occuper que de leurs prédictions, oubliant ce qui est écrit : Qu'on ne cueille pas de raisins sur des épines, ni de figues sur des ronces (2). Voilà pourquoi j'ai répondu catégoriquement et avec précision à ta question Pourquoi nous ne recevons pas les Prophètes? Du reste les ouvrages de nos pères ont abondamment démontré qu'ils n'ont rien prophétisé touchant le Christ. Et pour mon compte, j'ajouterai que si les prophètes hébreux ont connu et annoncé le Christ, en menant une vie aussi criminelle, on peut justement leur appliquer ce que saint Paul dit des sages des nations : « Parce que, ayant connu Dieu, ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, ou ne lui ont pas rendu grâces, mais ils se sont perdus dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été rempli de ténèbres (3) ». Vous voyez donc que c'est peu d'avoir eu de grandes connaissances, si on n'y a conformé sa conduite.

 

 

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CHAPITRE II. LES PROPHÈTES ONT ANNONCÉ LE CHRIST : LEURS PRÉDICTIONS NOUS SONT UTILES : ILS ONT VÉCU D'UNE MANIÈRE CONFORME A LEUR DIGNITÉ.
 

Augustin. Fauste dit tout cela pour nous persuader : ou que les prophètes hébreux n'ont rien prédit du Christ ; ou que leurs prédictions, s'ils en ont fait, sont sans utilité pour nous; ou que leur conduite n'a pas répondu à leur dignité de prophètes. Nous démontrerons donc qu'ils ont prophétisé

 

1. Jean, X, 38. — 2. Matt. VII, 18. — 3. Rom. I, 21.

 

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touchant le Christ, que leur témoignage nous est d'un grand secours pour établir et affermir notre foi, et qu'ils ont vécu comme il convenait à des prophètes. La première de ces trois questions serait longue à traiter, si je voulais produire les passages de tous ces livres où le Christ a été prédit; mais j'écraserai du poids de l'autorité l'inconséquence de mon adversaire. Il rejette les prophètes hébreux, mais il confesse qu'il reçoit les Apôtres. Or, écoutons ce que dit de ces prophéties l'apôtre Paul (Paul dont Fauste, se demandant à lui-même s'il le recevait, a répondu : « Sans aucun doute (1) » : « Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, choisi pour l'Evangile de Dieu, qu'il avait promis auparavant par ses prophètes dans les saintes Ecritures, touchant son Fils qui lui est né de la race de David selon la chair (2) ». Que veut de plus notre adversaire ? A moins qu'il ne prétende peut-être qu'il s'agit ici de quelques autres prophètes, et non des hébreux? Nous pourrions dire que quels que soient ces prophètes, l'Evangile n'en a pas moins été promis touchant le Fils de Dieu qui lui est né de la race de David selon la chair, Evangile pour lequel l'Apôtre se dit choisi : et la perfidie de nos adversaires serait déjà confondue, puisque c'est sur la foi de cet Evangile que nous croyons que le Fils de Dieu est né de la race de David selon la chair. Cependant, faisons-leur voir plus clairement que c'est très-certainement des prophètes hébreux que rend témoignage ce même Apôtre dont l'autorité confondra leur orgueil.

 

 

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CHAPITRE III. TEXTES DE SAINT PAUL; PAROLES DE JÉSUS-CHRIST SUR MOÏSE ET LES PROPHÈTES.
 

« Je dis la vérité dans le Christ: je ne mens pas, ma conscience me rendant témoignage par l'Esprit-Saint, qu'il y a une grande tristesse en moi, et une continuelle douleur dans mon coeur. Car je désirais ardemment d'être moi-même anathème à l'égard du Christ pour mes frères, qui sont mes proches selon la chair, qui sont les Israélites, auxquels appartiennent l'adoption, et la gloire, et les testaments, et l'établissement de la foi, et le culte et les promesses; dont les pères sont ceux de qui est sorti, selon la chair, le Christ qui est au-dessus de toutes choses,

 

1. Voir plus haut, liv. XI. — 2. Rom. I, 1-3.

 

Dieu béni dans les siècles (1) ». Que peut-on dire de plus explicite, déclarer de plus exprès, recommander de plus saint ? Comment, en effet, les Israélites ont-ils été adoptés, si ce n'est par le Fils de Dieu ? Voilà pourquoi l'Apôtre dit aux Galates: « Mais lorsque est venue la plénitude du temps, Dieu a envoyé son Fils, formé d'une femme, soumis à la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi, pour que nous reçussions l'adoption des enfants (2) ». Et quelle est leur gloire, sinon surtout celle dont parle le même Paul aux mêmes Romains : « Qu'est-ce donc que le Juif a de plus? ou de quoi sert la circoncision ? Beaucoup, de toute manière. Premièrement, parce que c'est à eux (aux Juifs) que les oracles de Dieu ont été confiés (3) ». Que nos adversaires cherchent quels sont ces oracles de Dieu confiés aux Juifs, et qu'ils nous les montrent ailleurs que dans les prophètes hébreux. Ensuite, pourquoi l'Apôtre dit-il que les deux Testaments appartiennent principalement aux Israélites, sinon parce que l'Ancien Testament leur a été accordé et qu'il contient le Nouveau en figure? Quant à l'établissement de la loi qui a été donnée aux Israélites, nos hérétiques ont l'habitude de déchaîner contre elle leur aveugle fureur, parce qu'ils n'en comprennent pas le but providentiel, parce qu'ils ne savent pas que Dieu ne nous veut plus sous le joug de la loi, mais sous l'empire de la grâce. Qu'ils s'inclinent donc devant l'autorité de l'Apôtre, qui, en louant les Israélites et en constatant leur supériorité, compte parmi leurs biens propres l'établissement de la loi. Or, si la loi était mauvaise, il ne leur en ferait pas un honneur. Et si elle n'annonçait pas le Christ, le Seigneur lui-même ne dirait pas : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi (4) » ; et après sa résurrection, il ne lui rendrait pas ce témoignage « Il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes (5) ».

 

 

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CHAPITRE IV. LES MANICHÉENS S'OBSTINENT A ADMETTRE UN FAUX CHRIST ET A REJETER LE VÉRITABLE.
 

Mais comme les Manichéens prêchent un autre Christ, non celui qu'ont prêché les

 

1. Rom. IX, 1, 5. — 2. Gal. IV, 4, 5. — 3. Rom. III, 1, 2. — 4. Jean, V, 46. — 5. Luc, XXIV, 44.

 

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Apôtres, mais le leur propre, un Christ imposteur, inventé par le mensonge, dont les partisans connaissent parfaitement la fausseté en mentant eux-mêmes (à moins que, dans leur impudence, ils ne veuillent être crus sur parole, quand ils se reconnaissent disciples d'un imposteur) : il leur est arrivé ce que l'Apôtre dit des Juifs infidèles : « Lorsqu'ils lisent Moïse, ils ont un voile posé sur le coeur » ; et ce voile ne leur est pas enlevé, parce qu'ils ne peuvent comprendre Moïse qu'en passant au Christ, non au Christ qu'ils ont forgé dans leurs rêves, mais à celui que les prophètes hébreux ont prédit. Car le même Apôtre ajoute : « Mais lorsque  vous aurez passé au Seigneur, le voile sera enlevé (1) ». Et il n'est pas étonnant qu'ils ne croient pas au Christ ressuscité et disant : « Il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes », quand le Christ lui-même a rapporté ce qu'Abraham répondit à un riche sans pitié et tourmenté dans les enfers, qui le priait d'envoyer quelqu'un à ses frères pour les avertir de ne pas venir dans ce lieu de tortures. « Ils ont Moïse et les Prophètes », répondit Abraham ; « qu'ils les écoutent ». Et le mauvais riche ayant dit qu'ils ne croiraient pas, si quelqu'un ne ressuscitait d'entre les morts, il lui fut répondu avec une grande vérité: « S'ils n'écoutent point Moïse et les Prophètes, quand même quelqu'un des morts ressusciterait, ils ne croiraient pas (2)». Aussi ces hérétiques n'écoutant ni Moïse ni les Prophètes, non-seulement ne croient pas au Christ ressuscité d'entre les morts, mais ne veulent absolument pas croire que le Christ soit ressuscité d'entre les morts. Or, comment croiraient-ils à sa résurrection, quand ils ne croient pas à sa mort ? Et comment croiraient-ils à sa mort, quand ils ne croient pas qu'il ait pris un corps mortel?

 

 

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CHAPITRE V. NOUS AVONS LE VRAI CHRIST ANNONCÉ PAR LES PROPHÈTES. FAUT-IL CROIRE MANÈS OU PAUL L'APOTRE ?
 

Pour nous, nous ne croyons pas à ces partisans menteurs, non d'un Christ imposteur, mais d'un Christ qui n'a pas même existé. Car nous avons le Christ vrai, enseignant la

 

1. II Cor. III, 15,16. — 2. Luc, XVI, 27,31.

 

vérité, prédit parles prophètes, prêché parles Apôtres, lesquels ont appuyé leur prédication sur le témoignage de la loi et des Prophètes, ainsi qu'ils le font voir en mille endroits. C'est ce que Paul a exprimé avec beaucoup de vérité et en très-peu de mots, quand il a dit: « Mais maintenant la justice de Dieu a été manifestée, sans la loi, étant confirmée par la loi et par les Prophètes (1)».Or, quels prophètes, sinon ceux des Israélites, auxquels il déclare ouvertement qu'appartiennent les Testaments, l'établissement de la loi et les promesses? Et quel est l'objet de ces promesses, sinon le Christ ? C'est ce qu'il indique brièvement ailleurs, quand il dit, en parlant du Christ: « En effet, toutes les promesses quelconques de Dieu sont en lui (2) ». Paul me dit que l'établissement de la loi appartient aux Israélites. Il dit encore : « Car la fin de la loi est le Christ, pour justifier tout croyant (3) ». Il dit de plus en parlant du Christ: «En effet, toutes les promesses quelconques de Dieu sont en lui ». Et vous m'avancez que les prophètes israélites n'ont rien prédit du Christ? Que me reste-t-il donc à faire sinon de choisir entre croire à Manès qui me débite une longue et fabuleuse histoire contre Paul ; ou à Paul qui me crie : « Si quelqu'un vous annonce un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème (4) ? »

 

 

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CHAPITRE VI. TOUTES LES NATIONS ÉTANT BÉNIES DANS LE CHRIST, FILS D'ABRAHAM, IL EST DONC LE VRAI CHRIST.
 

On nous dira peut-être : Montrez-nous où le Christ a été prédit par les Prophètes israélites? comme si c'était une mince autorité que celle des Apôtres, quand ils nous disent que ce que nous avons lu dans les livres des Prophètes israélites s'est accompli dans le Christ; ou celle du Christ lui-même qui atteste que c'est de lui que cela a été écrit. Par conséquent, si quelqu'un ne peut donner cette démonstration, c'est une preuve que son intelligence est en défaut : car ni les Apôtres, ni le Christ, ni les saints livres ne mentent. Cependant, pour ne pas trop m'étendre et pour me borner à un seul point, je citerai ce que l'Apôtre a dit à la suite, dans le même passage : « La parole de Dieu ne peut rester sans

 

1. Rom. III, 21. — 2. II Cor. I, 20. — 3. Rom. X, 4. — 4. Gal. I, 9.

 

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effet; car tous ceux qui descendent d'Israël a ne sont pas Israélites; ni ceux qui appartiennent à la race d'Abraham ne sont pas a tous ses enfants ; mais c'est en Isaac que sera ta postérité ; c'est-à-dire, ce ne sont pas les enfants selon la chair qui sont enfants de Dieu, mais ce sont les enfants de la promesse qui sont comptés dans la postérité (1) ». Que répondront-ils à cela, quand il est dit clairement ailleurs, à Abraham, à propos de cette postérité : « Toutes les nations de la terre seront bénies dans ta postérité (2)? » En effet, s'il s'agissait, dans notre discussion, du temps où l'Apôtre écrivait : « Les promesses ont été faites à Abraham et à celui qui naîtrait de lui; il ne dit pas : A ceux qui naîtront, comme parlant de plusieurs, mais comme d'un seul : Et à celui qui, naîtra de toi, c'est-à-dire au Christ (3) » : peut-être aurait-on quelque raison de ne pas croire avant de voir toutes les nations avoir foi au Christ que l'on annonce comme étant de la race d'Abraham. Mais maintenant que nous voyons l'accomplissement de ce qui a été prédit si longtemps d'avance, maintenant que toutes les nations sont déjà bénies dans la postérité d'Abraham, à qui on avait dit, deux mille ans auparavant : « Toutes les nations seront bénies dans ta postérité » ; qui sera assez opiniâtre dans sa folie pour tenter d'introduire un autre Christ qui ne soit pas de la race d'Abraham, ou pour prétendre que les prophéties des Hébreux, de ce peuple, dont Abraham est le père, n'ont rien prédit sur le véritable Christ?

 

 

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CHAPITRE VII. LES PROPHÉTIES RELATIVES AU CHRIST SONT NOMBREUSES, EN PARTIE ALLÉGORIQUES, EN PARTIE VERBALES, EN PARTIE EXPRIMÉES PAR DES FAITS; MAIS TOUTES TENDENT AU MÈME BUT, QUI EST LE CHRIST.
 

Or, qui pourrait, je ne dis pas dans une courte réponse, telle que je suis obligé de la donner dans ce livre, mais dans le volume le plus considérable, qui pourrait, dis-je, rappeler toutes les choses glorieuses que les prophètes hébreux ont dites de Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, alors que tout ce qui est contenu dans leurs livres est dit de lui ou en vue de lui ? Mais pour exercer le lecteur et lui procurer le plaisir de la découverte, la plus

 

1. Rom. IX, 6-8. — 2. Gen. XXVI, 4. — 3. Gal. III, 16.

 

grande partie de ces choses ont une forme allégorique et énigmatique, et sont présentées tantôt sous le voile des paroles, tantôt sous l'exposé du fait. Cependant, s'il n'y avait rien de clair, le sens des passages obscurs ne se comprendrait plus. Du reste, si on réunit dans un ensemble et comme en un contexte tout ce qui est enveloppé sous les figures, il en résulte un tel accord de témoignages en faveur du Christ, que le sourd le plus obstiné est forcé de rougir.

 

 

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CHAPITRE VIII. LES SEPT JOURS DE LA CRÉATION FIGURENT LES SEPT AGES DU MONDE. ADAM ET ÈVE, FIGURE DU CHRIST.
 

Dieu, d'après la Genèse, a achevé toute son oeuvre en six jours et s'est reposé le septième (1). Les opérations divines désignent les six âges que le genre humain doit parcourir dans la succession des siècles : le premier depuis Adam jusqu'à Noé; le second, de Noé à Abraham ; le troisième, d'Abraham à David; le quatrième, de David à la transmigration de Babylone ; le cinquième, de la transmigration de Babylone à l'humble avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ; le sixième, qui court maintenant, doit s'étendre jusqu'au jour où le Très-Haut viendra juger les hommes; mais le septième s'entend du repos des saints, non pendant cette vie, mais dans l'autre, là où le mauvais riche, tourmenté dans les enfers, a vu reposer le pauvre Lazare (2); là où le jour n'a plus de déclin, parce que rien n'y est imparfait. D'après la Genèse encore, l'homme est formé le sixième jour à l'image de Dieu (3) : au sixième âge du monde apparaît notre restauration dans le renouvellement de l'esprit, selon l'image de celui qui nous a créés, ainsi que le dit l'Apôtre (4). L'homme s'est endormi et, de son côté, est formée la femme (5): le Christ meurt et l'Eglise est formée du sacrement du sang qui coule du flanc de la victime (6). Eve, qui a été formée du côté de son époux, est appelée vie et mère des vivants: et le Seigneur dit dans l'Evangile : « Si quelqu'un ne mange pas ma chair et ne boit pas mon sang, il n'aura pas la vie en lui (7)». Tout ce qu'on lit là, étudié avec soin et en détail, parle par anticipation du Christ et de l'Eglise, soit dans

 

1. Gen. II, l, 2. — 2. Luc, XVI, 23. — 3. Gen. I, 27. — 4. Col. III, 10. — 5. Gen. II, 22. — 6. Jean, XIX, 34. — 7. Jean, VI, 54.

 

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les bons, soit dans les mauvais chrétiens. Ce n'est donc pas en vain que l'Apôtre a dit : « Adam qui est la figure de l'avenir (1) » ; et encore : « L'homme laissera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, et ils seront deux en une seule chair. Ce sacrement est grand », ajoute l'Apôtre, « je dis dans le Christ et dans l'Eglise (2) ». Car qui ne voit que le Christ a ainsi laissé son Père, « lui qui, étant dans la forme de Dieu, n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu; mais qui s'est anéanti lui-même, prenant la forme d'esclave (3) » ; qu'il a aussi quitté sa mère, la synagogue des Juifs, charnellement attachée à l'Ancien. Testament et qu'il s'est uni à l'Eglise, son épouse, afin d'être deux en une seule chair, dans la paix du Nouveau Testament ? En effet, comme il est Dieu dans le Père par qui nous avons été faits, il est devenu, par l'Incarnation, participant à notre nature, afin que nous puissions être un corps l'ayant pour chef.

 

 

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CHAPITRE IX. L'INFIDÉLITÉ DE CAÏN, IMAGE DE L'INFIDÉLITÉ DU PEUPLE JUIF.
 

Comme le sacrifice de Caïn, composé des fruits de la terre, est réprouvé, et que celui d'Abel, formé des brebis et de leur graisse, est accepté : ainsi la foi du Nouveau Testament, qui loue Dieu par l'innocence de la grâce, est préférée aux oeuvres terrestres de l'Ancien Testament ; parce que, quoique les Juifs les aient d'abord bien faites, ils sont cependant coupables d'infidélité pour n'avoir pas, à l'arrivée du Christ, distingué l'époque du Nouveau Testament de celle de l'Ancien. Dieu dit en effet à Caïn : « Si tu offres bien et que tu divises mal, tu pèches ». S'il avait écouté ce que Dieu lui disait : « Tiens-toi en repos; il se tournera contre toi et tu le domineras », il eût tourné le péché de son côté, en se l'attribuant et en le confessant devant Dieu; et, par là, aidé du secours de la grâce, il l'eût dominé, au lieu d'en être dominé, et il n'eût point tué son frère innocent, après être devenu l'esclave du péché (4). De même, si les Juifs, dont tout ceci était la figure, se fussent tenus en paix; si, reconnaissant que le temps du salut par la grâce pour la rémission des péchés était arrivé, ils eussent écouté le Christ qui

 

1. Rom. V, 14. — 2. Eph. V, 31, 32. — 3. Phil. II, 6, 7. — 4. Gen. IV, 3-8.

 

leur disait : « Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades ; je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs à la pénitence (1) » ; et encore : « Quiconque commet le péché, est esclave du péché » ; puis : « Si le Fils vous met en liberté, vous serez vraiment libres (2)» si, dis-je, ils eussent écouté ces paroles, ils eussent tourné leur péché contre eux-mêmes en s'accusant et en disant au médecin, comme il est écrit dans le psaume : « J'ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi ; guérissez mon âme, parce que j'ai péché contre vous (3) », et, devenus libres, ils eussent, par l'espérance de la grâce, dominé ce même péché tant qu'il était dans leur corps mortel. Mais maintenant, ignorant la justice de Dieu et voulant établir la leur (4), enflés des oeuvres de la loi, ne s'humiliant point de leurs péchés, ils n'ont pas trouvé le repos; et, le péché régnant dans leur corps mortel de manière à ce qu'ils obéissent à ses convoitises (5), ils se sont heurtés contre la pierre de l'achoppement (6); ils se sont enflammés de haine contre celui dont ils voyaient les oeuvres agréées de Dieu; ils se sont irrités, quand l'aveugle-né, qui voyait enfin, leur disait : « Nous savons que Dieu n'exauce point les pécheurs; mais si quelqu'un l'honore et fait sa volonté, c'est celui-là qu'il exauce (7) », comme s'il leur eût dit Dieu ne regarde pas le sacrifice de Caïn, mais il regarde le sacrifice d'Abel. Ainsi Abel, le plus jeune, est tué par son frère aîné; le Christ, chef d'un peuple plus jeune, est mis à mort parle peuple Juif, plus ancien : l'un est tué dans la campagne, l'autre sur le Calvaire.

 

 

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CHAPITRE X. AUTRE RAPPROCHEMENT ENTRE CAÏN ET LE PEUPLE JUIF.
 

Dieu interroge Caïn, non comme un ignorant qui veut apprendre, mais comme un juge qui doit punir un coupable: il lui demande où est son frère. Caïn répond qu'il ne le sait pas et qu'il n'est pas son gardien, Jusqu'ici que nous répondent les Juifs, quand nous les interrogeons par la voix de Dieu, c'est-à-dire des saintes Ecritures, touchant le Christ, sinon qu'ils ne connaissent pas même celui que nous appelons le Christ? L'ignorance

 

1. Matt. IX, 12,13. — 2. Jean, VIII, 34, 36. — 4. Ps. XL, 5. — 5. Rom. X, 3. — 6. Id. VI, 12. — 7. Id. IX, 32. — 8. I Jean, IX, 31.

 

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de Caïn était feinte, la négation des Juifs est mensongère. Ils seraient en un sens les gardiens du Christ, s'ils avaient voulu recevoir et garder la foi chrétienne. Car celui qui garde le Christ dans son coeur, ne dit pas comme Caïn : « Est-ce que je suis le gardien de mon frère? — Dieu dit à Caïn : Qu'as-tu fait? La « voix du sang de ton frère crie de la terre jusqu'à moi ». C'est ainsi que la voix de Dieu confond les Juifs dans les saintes Écritures. Car le sang du Christ a une voix puissante sur la terre, puisque, après l'avoir reçu, toutes les nations répondent : Ainsi soit-il. C'est là la voix claire de ce sang; voix qu'il fait lui-même entendre par la bouche des fidèles qu'il a rachetés.

 

 

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CHAPITRE XI. LA TERRE EST STÉRILE POUR CAÏN, ET LA PASSION DU CHRIST POUR LES JUIFS.
« Dieu dit à Caïn : Maintenant tu seras maudit par la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de ton frère, versé par ta main. Après que tu l'auras cultivée, elle refusera de te donner ses fruits; tu seras gémissant et tremblant sur la terre (1) ». Dieu ne dit pas: La terre est maudite; mais : « Tu seras maudit par la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de ton frère, versé par ta main ». En effet, le peuple juif infidèle est maudit par la terre, c'est-à-dire par l'Eglise, qui a ouvert sa bouche pour la confession des péchés, à l'effet de recevoir le sang du Christ, répandu, pour la rémission des péchés, de la main d'un persécuteur qui n'a pas voulu être sous la grâce, mais sous la loi, afin d'être maudit par l'Église, c'est-à-dire, afin que l'Église comprît et fit voir qu'il est maudit, suivant l'expression de l'Apôtre : « Tous ceux qui s'appuient sur les oeuvres de la loi, sont sous la malédiction de la loi (2) ». Ensuite, après avoir dit : « Tu seras maudit par la terre, qui a ouvert sa bouche pour recevoir le sang de ton frère, versé par ta main », Dieu n'ajoute pas : Après que tu l'auras cultivée; mais il dit : «Après que tu auras cultivé la terre, elle refusera de te donner ses fruits ». D'où il suit qu'il n'est pas nécessaire d'entendre ces paroles en ce sens, que Caïn cultiverait la terre même qui avait ouvert sa bouche pour recevoir le sang

 

1. Gen. IV, 9,12. — 2. Gal. III, 10.

 

de son frère, versé par sa main ; mais il faut comprendre qu'il est maudit par cette terre, parce qu'il en cultive une qui cessera de lui donner des fruits; c'est-à-dire, l'Église reconnaît et fait voir que le peuple juif est maudit, parce que, après la mort du Christ; il observe encore la circoncision terrestre, le sabbat terrestre, les azymes terrestres, la pâque terrestre : toutes observances terrestres, qui ont une vertu secrète pour faire comprendre la grâce du Christ, laquelle n'est point accordée aux Juifs obstinés dans l'impiété et l'infidélité, parce qu'elle a été révélée par le Nouveau Testament; et comme ils ne passent point au Seigneur, on ne leur enlève pas le voile qui demeure dans la lecture de l'Ancien Testament, parce que dans le Christ seul disparaît, non la lecture de l'Ancien Testament, qui a une vertu cachée, mais le voile qui en dérobe l'intelligence (1). Voilà pourquoi, le Christ ayant souffert sur la croix, le voile du temple s'est déchiré (2), afin que, par la passion du Christ, les mystères des sacrements soient révélés aux fidèles qui viennent pour boire son sang, après avoir ouvert la bouche par la confession. Voilà pourquoi le peuple juif, à l'exemple de Caïn, cultive encore la terre, observe encore charnellement les prescriptions de la loi qui ne lui donne point ses fruits, parce qu'il ne comprend pas la grâce du Christ contenue en elle. Voilà pourquoi sur cette même terre que le Christ a portée, c'est-à-dire dans sa chair, ils ont eux-mêmes opéré notre salut en crucifiant le Christ, qui est mort pour nos péchés. Et cette même terre ne leur a point donné ses fruits, parce qu'ils n'ont pas été justifiés par la vertu de la résurrection de celui qui est ressuscité pour notre justification (3) ; parce que, « quoiqu'il ait été crucifié dans sa faiblesse, il vit cependant par la puissance de Dieu », comme le dit l'Apôtre (4). C'est donc là la vertu de cette terre, que le Christ ne manifeste point aux impies ni aux incrédules. Aussi, après sa résurrection, n'a-t-il point apparu à ceux qui l'avaient crucifié; c'est Caïn cultivant la terre pour y semer du grain, et cette même terre ne lui faisant pas voir l'effet de sa puissance: « Après que tu l'auras cultivée », est-il écrit, « elle refusera de te donner ses fruits ».

 

1. II Cor. III, 14, 16. — 2. Matt. XXVII, 51. — 3. Rom. IV, 25. — 4. II Cor. XIII, 4.

 

 

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CHAPITRE XII. CA1N NE SERA PAS TUÉ, NI LE PEUPLE JUIF EXTERMINÉ.
 

« Tu seras gémissant et tremblant sur la terre ». Qui ne voit aujourd'hui, qui ne reconnaît que ce peuple, en quelque lieu de la terre qu'il soit dispersé, gémit et s'attriste d'avoir perdu l'empire, et tremble sous une multitude de peuples chrétiens? Aussi Caïn dit-il dans sa réponse: « Mon iniquité est trop grande ; si vous me rejetez aujourd'hui de la face de la terre, je fuirai aussi votre présente, je serai gémissant et tremblant sur la terre, et quiconque me trouvera me tuera ». Il gémit vraiment et tremble qu'après avoir perdu un royaume terrestre, il ne soit encore frappé de mort temporelle. Ce mal lui paraît plus grand que d'être privé du fruit de la terre qui l'empêcherait de mourir spirituellement. Car il a des goûts charnels et il ne redoute de fuir la présence de Dieu, c'est-à-dire d'être l'objet de sa colère, que parce qu'il craint d'être tué par quiconque le rencontrera. Il a des goûts charnels, parce qu'il cultive une terre dont il ne recueille pas les fruits. Or, goûter les choses de la chair, c'est la mort (1). Mais ne comprenant pas cette mort, il gémit d'avoir perdu l'empire et craint la mort corporelle. Or, que lui répond le Seigneur? « Il n'en sera pas ainsi ; mais quiconque tuera Caïn, sera puni sept fois » ; c'est-à-dire, ce ne sera pas comme tu dis : la race impie des Juifs charnels ne mourra pas de mort corporelle. Car quiconque les exterminera en ce sens sera puni sept fois, c'est-à-dire les délivrera des sept vengeances qu'ils ont méritées pour avoir rais le Christ à mort; afin que, dans tout le cours des siècles, figuré par sept jours, la race juive ne périssant pas, les fidèles chrétiens voient clairement quel esclavage elle a mérité pour avoir, dans l'orgueil de sa puissance, mis le Seigneur à mort.

 

 

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CHAPITRE XIII. .CONTINUATION DU PARALLÈLE ENTRE CAÏN ET LE PEUPLE JUIF. IMPIÉTÉ DES MANICHÉENS IMITATEURS DE CAÏN.
 

« Et le Seigneur mit un signe sur Caïn, afin que quiconque le trouverait ne le tuât pas (2) ». C'est vraiment une chose prodigieuse que

 

1. Rom. VIII, 6. — 2. Gen. IV, 13,15.

 

toutes les nations qui ont été subjuguées par les Romains, aient adopté la religion de ce peuple et embrassé son culte et ses rites sacrilèges; et que le peuple Juif soit sous des rois païens, soit sous des princes chrétiens, n'ait jamais perdu le signe de sa loi, qui le distingue de tous les autres peuples ; et que tout empereur ou roi qui les trouve dans ses Etats, les y trouve avec ce signe et ne les tue point, c'est-à-dire ne fait rien pour qu'ils ne soient plus juifs, séparés de la communion des autres nations par le signe certain et particulier de leur culte ; à moins que quelqu'un d'entre eux ne passe au Christ, pour cesser d'être Caïn, ne pas fuir la présence de Dieu et ne pas habiter la terre de Naïd, qui signifie, dit-on, ébranlement. C'est pour conjurer ce mal que le Psalmiste fait cette prière : « Ne permettez pas que mes pieds chancellent ! »; et encore : « Que les mains des pécheurs ne m'ébranlent pas (2) ; mes oppresseurs triompheront si je suis ébranlé (3) ; le Seigneur est à ma droite, pour que je ne sois pas ébranlé (4) », et beaucoup d'autres passages de ce genre : mal qu'éprouvent tous ceux qui se soustraient à la présence de Dieu, c'est-à-dire à la miséricorde de son amour. Voilà pourquoi on lit dans le même psaume : « Et moi j'ai dit à l'heure de l'abondance : Je ne serai jamais ébranlé pour toujours ». Mais voyez ce qui suit : « Seigneur, il vous a plu de donner de la force à ma vertu ; puis vous avez détourné votre face et j'ai été troublé (5)». On comprend ainsi que c'est par la participation à la lumière divine, et non par elle-même, que toute âme est belle, agréable et vertueuse. Si les Manichéens considéraient cela et le comprenaient, ils ne tomberaient pas dans une telle impiété que de se croire la nature et la substance de Dieu. Mais ils ne le peuvent pas, parce qu'ils ne sont pas en repos, car ils ne connaissent pas le sabbat du coeur. S'ils étaient en repos, ils tourneraient, comme on le disait à Caïn, leur péché contre eux-mêmes, c'est-à-dire ils se l'imputeraient, et non à je ne sais quel peuple des ténèbres; et ainsi, par la grâce de Dieu, ils domineraient ce même péché. Mais, en résistant à la vérité, ils fuient, eux et tous ceux qui s'obstinent dans diverses erreurs, ils fuient la présence de Dieu comme Caïn, comme les Juifs maudits; ils habitent

 

1. Ps. LXV, 9. — 2. Id. XXXV, 12. — 3. Id. XII, 5. — 4. Id. XXIX, 7, 3. — 5. Id. XXIX, 7, 8.

 

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la terre d'ébranlement, c'est-à-dire dans le trouble de la chair, qui est à l'opposite de la joie de Dieu, c'est-à-dire contre Eden (1) (festin, selon les interprètes), là où est planté le paradis. Je ne dirai plus que peu de mots sur ce vaste sujet, pour ne pas prolonger outre mesure ma réponse et retarder la marche de cet ouvrage.

 

 

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CHAPITRE XIV. HÉNOCH, NOÉ. SIGNIFICATION MYSTIQUE DE L'ARCHE.
 

Pour passer sous silence bien dies choses d'autant plus douces à considérer qu'elles sont dégagées de passages plus obscurs, mais qui cependant exigent de longues dissertations, parce qu'il faut les appuyer sur un plus grand nombre de témoignages, pour laisser, dis-je, ces sujets de côté, qui ne serait excité à chercher et à découvrir le Christ dans ces livres ? qui n'éprouverait le besoin d'une foi salutaire en voyant Hénoch, le sixième à partir d'Adam, agréé du Seigneur et enlevé au ciel (2) ? et l'institution du septième jour, auquel appartient quiconque est formé, par l'avènement du Christ, dans le sixième âge du monde qui en est comme le sixième jour ? En voyant Noé sauvé avec sa famille par l'eau et parle bois (3), figure de la famille du Christ marquée, par le baptême, de la passion de la croix? Et l'arche faite de bois équarris, comme l'Église est construite de saints toujours prêts à toute sorte de bonnes oeuvres (4) ? Car un objet carré se tient ferme, de quelque côté qu'on le tourne. Et comme l'arche, à l'instar du corps humain, est six fois aussi longue qu'elle est large, et dix fois aussi longue qu'elle est haute, elle indique l'apparition du Christ dans un corps humain. Et si sa largeur est de cinquante coudées, c'est la figure de ce que dit l'Apôtre : « Notre coeur s'est dilaté (5) ». Et comment dilaté, sinon pat la charité spirituelle ? C'est pourquoi le même Apôtre dit encore: « La charité de Dieu est répandue en nos coeurs par l'Esprit-Saint qui nous a été adonné (6) ».Car c'est le cinquantième jour après sa résurrection que le Christ a envoyé le Saint-Esprit, par lequel il a dilaté les coeurs des croyants (7). L'arche est longue de trois cents coudées, afin de former six fois cinquante : de même que toute la durée des siècles est comprise

 

1. Gen. IV, 16. — 2. Id. V, 24. — 3. Id. VII, 23. — 4. II Tim. II, 21. — 5. II Cor. VI, 11. — 6. Rom. V, 5. — 7. Act. II, 1-4.

 

en six âges, pendant lesquels le Christ n'aura jamais cessé d'être prêché : prédit pendant les cinq premiers, par les prophètes, et annoncé, pendant le sixième, par l'Évangile. Elle est haute de trente coudées, nombre renfermé dix fois dans celui de la longueur ; parce que notre hauteur c'est le Christ, qui, à l'âge de trente ans, a consacré la doctrine évangélique, en affirmant qu'il était venu accomplir la loi, et non la détruire (1).Or, le coeur de la loi se révèle dans les dix préceptes: voilà pourquoi la longueur de l'arche est dix fois trente, et pourquoi Noé est le dixième descendant d'Adam (2). Si les bois de l'arche sont unis par du bitume en dedans et en dehors (3), c'est pour figurer la tolérance de la charité dans la composition de l'unité, laquelle empêche que, quand les scandales affligent l'Église, soit de la part de ceux qui sont au dedans, soit de la part de ceux qui sont au dehors, l'union fraternelle ne soit détruite et le lien de la paix ne soit brisé. En effet, le bitume est un ciment très-brûlant et très-fort, qui signifie l'ardeur de la charité, laquelle déploie une grande énergie à tout supporter pour maintenir la société spirituelle.

 

 

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CHAPITRE XV. AUTRE SIGNIFICATION SYMBOLIQUE DE L'ARCHE DE NOÉ.
 

Comme l'arche contient des animaux de toute espèce, ainsi l'Église renferme toutes les nations, figurées par la nappe qui fut montrée en vision à Pierre. S'il s'y trouve des animaux mondes et immondes (4), c'est que les bons et les méchants participent aux sacrements de l'Église. S'il y à sept couples d'animaux mondes et deux d'animaux immondes (5), ce n'est pas parce que les méchants sont en plus petit nombre que les bons, mais c'est que les bons maintiennent l'unité d'esprit dans le lien de la paix. Or, la divine Écriture nous représente l'Esprit-Saint dans sept opérations diverses : la sagesse, l'intelligence, le conseil, la force, la science, la piété et la crainte de Dieu e. C'est pourquoi le nombre de cinquante jours, fixé pour la descente du Saint-Esprit, se forme de sept fois sept qui forment quarante-neuf, auxquels on ajoute un, ce qui fait dire à l'Apôtre : « Appliqués à conserver l'unité d'esprit, par le lien de la paix (6) ». Quant aux méchants,

 

1. Matt. V, 17. — 2. Gen. V ; Luc, III, 36-38. — 3. Id. VI, 14, 15. — 4. Act. X, 11, 12. — 5.  Gen. VII, 2. — 6. Is. XI, 2, 3. — 7. Eph. IV, 3.

 

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le nombre deux, qui les figure, les fait voir enclins aux schismes, et en quelque sorte divisibles. Si Noé forme le nombre huit avec sa famille, c'est parce que l'espérance de notre résurrection s'est manifestée dans le Christ, qui est ressuscité des morts le huitième jour, c'est-à-dire le premier jour après le septième qui était le sabbat : jour qui était le troisième après sa passion, mais qui devint tout à la fois le huitième et le premier dans le nombre des jours qui forment la succession des temps.

 

 

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CHAPITRE XVI. L'ARCHE, FIGURE DE L'ÉGLISE.
 

Si, l'arche étant achevée, on y pratique en haut une ouverture d'une coudée, c'est que l'Église, qui est le corps du Christ, s'élève et se complète dans l'unité. Aussi lit-on dans l'Évangile : « Celui qui ne rassemble pas avec moi, disperse (1) ». Si on fait une porte au côté de l'arche, c'est que personne ne peut entrer que par le sacrement de la rémission des péchés, lequel a découlé du côté ouvert du Christ. Si on construit au bas de l'arche des compartiments à deux et à trois divisions, c'est pour indiquer que l'Église recueille, parmi toutes les nations, une multitude divisée en deux, à cause de la circoncision et de l'incirconcision; ou en trois, à cause des trois fils de Noé, dont la postérité remplit l'univers. On parle ici du bas de l'arche, parce que la diversité des nations ne subsiste que dans cette vie terrestre, et qu'en haut, nous sommes tous consommés dans l'unité. Et la variété a disparu, parce que le Christ est tout et dans tous, et que, dans une seule coudée, il nous rassemble tous en haut par l'unité céleste.

 

 

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CHAPITRE XVII. LE DÉLUGE, IMAGE DU BAPTÊME.
 

Le déluge arrive sept jours après l'entrée de Noé dans l'arche, parce que nous sommes baptisés dans l'espoir de l'éternel repos qui est figuré par le septième jour. Et si, en dehors de l'arche, toute chair vivant sur la terre périt par le déluge, c'est parce que, en dehors de la société de l'Église, l'eau du baptême, bien que la même, non-seulement ne procure pas le salut, mais- donne plutôt la mort. Si la pluie tombe quarante jours et quarante nuits (2),

 

1. Matt. XII, 30. — 2. Id. VII, 17, 23.

 

c'est que toute tache de péché commis contre les dix commandements de la loi, dans toute l'étendue de la terre qui est formée de quatre éléments (en effet, dix, multiplié par quatre, donne quarante); soit qu'elle ait été contractée dans la prospérité, figurée par les jours, soit qu'elle ait été contractée dans l'adversité, représentée par les nuits, est effacée par le sacrement du baptême céleste.

 

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CHAPITRE XVIII. RAPPROCHEMENT ENTRE L'AGE DE NOÉ ET LES AGES DU MONDE.
 

Pourquoi Noé avait-il cinq cents ans quand Dieu lui ordonna de construire l'arche, et six cents ans quand il y entra (1) (ce qui laisse entendre qu'il mit cent ans à cet ouvrage), sinon parce que chaque centaine d'années signifie ici un des âges du monde? Voilà pourquoi le sixième âge, qui est marqué par l'augmentation de cinq cents à six cents, construit l'Église par la prédication évangélique. Ainsi celui qui aspire à la vie doit être comme un bois équarri, prêt à toute sorte de bonnes oeuvres, et entrer dans la sainte construction; parce que le second mois de la six centième année, où Noé entra dans l'arche, désigna ce même âge, le sixième du monde; car deus mois sont renfermés dans le nombre soixante; et c'est le nombre six qui donne son nom à soixante, à six cents, à six mille, à soixante, mille, à six cent mille, à six cent fois, et ainsi de suite jusqu'à l'infini, à toute multiplication qui le prend pour point de départ.

 

 

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CHAPITRE XIX. LE JOUR OU L'ARCHE S'ARRÊTA; LA HAUTEUR DES EAUX DU DÉLUGE; LEURS SIGNIFICATIONS SYMBOLIQUES.
 

Le vingt-septième jour du mois que l'on mentionne, se rattache à la signification de la forme carrée, dont il a été parlé à propos de l'arche. Mais ici, le sens en est plus évident, parce que c'est une Trinité qui nous perfectionne, quand nous avons été préparés pour toute bonne oeuvre et en quelque sorte équarris : dans la mémoire, pour nous souvenir de Dieu; dans l'intelligence, pour le connaître; dans la volonté, pour l'aimer. Car trois, multiplié par trois, et leur produit, multiplié par

 

1. Gen. V, 31; VII, 6.

 

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trois, forment vingt-sept, qui est le carré du nombre ternaire. L'arche s'arrêta, c'est-à-dire

se reposa le septième mois (1) : c'est encore une figure du repos du septième jour. Et comme les parfaits goûtent le repos, on retrouve encore là le nombre de ce carré : car ce mystère a été indiqué par le vingt-septième jour du second mois, et l'indication est confirmée par le vingt-septième jour du septième mois, celui où l'arche s'est reposée ; en effet, ce qui a été promis en espérance, est donné en réalité. Or, comme le repos du septième jour ne fait qu'un avec la résurrection du huitième jour (car le corps une fois recouvré, le repos des saints après cette vie ne finit plus; mais l'homme tout entier, non plus en espérance, mais en réalité; renouvelé en tout sens par le salut parfait de l'immortalité et dans son esprit et dans son corps, est absorbé dans le bonheur de la vie éternelle), comme, dis-je, le repos du septième jour se confond avec la résurrection du huitième jour : c'est là le haut et profond mystère qui s'accomplit dans le sacrement de notre régénération, c'est-à-dire dans le baptême. L'eau s'est élevée jusqu'à dépasser de quinze coudées le sommet des montagnes : cela veut dire que ce sacrement dépasse toute la sagesse des orgueilleux. En effet, sept et huit font quinze. Et comme septante prend son nom de sept, et quatre-vingts de huit, ces deux nombres réunis forment les cent cinquante jours pendant lesquels l'eau s'est élevée, et nous signalent encore et nous confirment la hauteur du, baptême dans la consécration du nouvel homme pour maintenir la foi du repos et de la résurrection.

 

 

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CHAPITRE XX. CE QUE REPRÉSENTENT LE CORBEAU ET LA COLOMBE ENVOYÉS HORS DE L'ARCHE.
 

Après quarante jours, le corbeau fut lâché et ne revint pas, soit qu'il en eût été empêché par les eaux, soit qu'il eût été alléché par quelque cadavre nageant à leur surface. Ceci S'applique aux hommes dégradés par l'immonde cupidité et, par là, trop ardents pour les objets du dehors, pour les Choses du monde, ou enclins à se faire rebaptiser, ou à se laisser séduire et retenir par ceux que tue le baptême en dehors de l'arche, c'est-à-dire

 

1. Gen. VIII, 4, 14. —2. Id. VII, 20.

 

de l'Église. Si la colombe est lâchée et revient, pour n'avoir pas trouvé un lieu de repos, cela nous fait voir que le Nouveau Testament ne promet pas aux saints le repos en ce monde. En effet, elle a été lâchée après quarante jours, et ce nombre est le symbole de la vie présente. Renvoyée sept jours après, elle rapporta un rameau fécond d'olivier, image de l'opération spirituelle des sept dons : pour indiquer que quelques-uns, même de ceux qui sont baptisés en dehors de l'Église, peuvent être amenés à l'unité sur le tard, c'est-à-dire vers le soir, par la bouche de la colombe comme par le baiser de paix, pourvu toutefois que l'onction de la charité ne leur fasse pas défaut. Renvoyée encore une fois sept jours plus tard, elle n'est pas revenue (1) : ce qui signifie la fin des siècles, quand viendra le repos des saints, non plus dans le sacrement de l'espérance, qui forme le lien de l'Église en ce temps, lorsqu'on boit ce qui a coulé du côté du Christ; mais dans la perfection même du salut éternel, quand le royaume sera remis à Dieu et au Père (2), en sorte que, dans la claire contemplation de l'immuable vérité, nous n'ayons plus besoin d'aucun symbole matériel.

 

 

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CHAPITRE XXI. IMPOSSIBILITÉ DE TOUT DIRE SUR CE SUJET.
 

En y mettant même toute la brièveté que j'ai mise à parcourir ces points, il serait trop long de toucher à tout : de dire, par exemple, pourquoi c'est la six cent et unième année de Noé, c'est-à-dire après les six cents ans achevés, que l'arche s'ouvre et que le mystère jusque là caché se révèle; pourquoi on dit que la terre se dessécha le vingt-septième jour du second mois (3), comme si le baptême eût cessé d'être nécessaire, après le nombre de cinquante-sept jours (car le cinquante-septième jour est précisément le vingt-septième du second mois, nombre formé de l'union de l'esprit et du corps, et renfermant sept fois huit, plus un, à cause du lien de l'unité) ; pourquoi ceux qui étaient entrés séparés dans l'arche, en sortirent réunis; car il avait été dit que Noé entra dans l'arche, et ses fils, et sa femme et les femmes de ses fils (4): les hommes et les femmes mentionnés à part. En effet, tant que dure ce sacrement,

 

1. Gen. VIII, 6-12. — 2. I Cor. XV, 24. — 3. Gen. VIII, 13, 14. — 4. Id. VII, 7.

 

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la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair (1). Or, Noé sort avec sa femme, ses fils, et les femmes de ses fils (2), mentionnés tous ensemble, hommes et femmes; parce que, à la fin des siècles et à la résurrection des justes, le corps sera uni à l'esprit dans une paix entière et parfaite, à l'abri de tous les besoins de la mortalité et des résistances de la convoitise. C'est pourquoi, bien qu'il soit entré dans l'arche des animaux mondes et immondes ; au sortir de l'arche, on n'offre en sacrifice à Dieu que des animaux mondes (3).

 

 

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CHAPITRE XXII. AUTRES SIGNES SYMBOLIQUES INDIQUÉS EN PASSANT.
 

Ensuite, quand Dieu parle à Noé, et dessine la figure de l'Eglise, comme si le monde commençait à nouveau (car il fallait que les mêmes choses fussent exprimées de bien des manières), que signifie ce fait que la race de ce patriarche est bénie pour remplir la terre ; qu'il lui est permis de manger de tous les animaux, comme il fut dit à Pierre dans la vision de la nappe : « Tue et mange (1) » ; qu'il faut faire couler le sang avant de manger, pour indiquer qu'il ne doit point étouffer dans sa conscience, sa vie passée, mais la répandre en quelque sorte par la confession; que Dieu a établi, comme pacte entre lui et les hommes et tout être vivant, qu'il s'engage à ne.plus détruire par le déluge, un arc qui apparaît dans les nues (2), et ne brille jamais que de la lumière du soleil? C'est qu'ils ne périssent pas dans le déluge et séparés de l'Eglise, ceux qui reconnaissent la gloire du Christ dans les Prophètes et dans tous les livres saints comme dans des nuages, et ne cherchent point leur gloire propre. Mais que ceux qui adorent le soleil matériel ne s'enorgueillissent plus et qu'ils sachent que le Christ est parfois désigné par le soleil, par un lion, par un agneau, par une pierre, simplement en forme de comparaison, et non dans le sens littéral.

 

 

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CHAPITRE XXIII. NOÉ, FIGURE DU CHRIST; CHAM, DU PEUPLE JUIF.
 

Noé, enivré du jus de la vigne qu'il a plantée, est à découvert dans sa tente (2). Qui ne reconnaît

 

1. Gal. V, 17. — 2. Gen. VIII, 18. — 3. Ib. 20. — 4. Act. X, 13. — 5. Gen. IX, I, 17. — 6. Ib. 20-23.

 

 

là le Christ souffrant au milieu de son peuple? En effet, sa chair mortelle fut alors dépouillée, scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils, mais, pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Gentils, comme Sem et Japhet, vertu de Dieu et sagesse de Dieu : car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que les hommes (1). Ainsi, dans ces deux enfants, le plus vieux et le plus jeune, sont figurés deux peuples, qui portent un vêtement en marchant en arrière, à savoir le sacrement de la passion du Seigneur déjà passée et accomplie, et ils ne voient point la nudité de leur père, parce qu'ils n'ont point consenti à sa mort, et cependant, ils le couvrent d'un voile par respect, parce qu'ils savent d'où ils sont nés. Mais le fils qui est entre les deux, c'est-à-dire le peuple juif (qui est entre les deux parce que, d'une part, il n'a point maintenu la primauté des Apôtres, et que de l'autre, il n'a point été le dernier à croire parmi les peuples), a vu la nudité de son père, puisqu'il a consenti à la mort du Christ; il en a porté au dehors la nouvelle à ses frères : car c'est par lui qu'a été révélé et en quelque sorte publié, le secret contenu dans les prophéties, et c'est pourquoi il est devenu l'esclave de ses frères. En effet, qu'est-ce que ce peuple, même aujourd'hui, sinon le garde des archives des chrétiens, le porte-faix de la loi et des Prophètes en témoignage de la prédication de l'Eglise, afin que nous honorions par le sacrement ce qu'il proclame par la lettre ?

 

 

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CHAPITRE XXIV. SEM ET JAPHET REPRÉSENTENT L'ÉGLISE. APOSTROPHE AUX MANICHÉENS, ENFANTS DE CHAM.
 

Mais qui ne sera excité, ou même formé à la foi, ou confirmé en elle, en voyant la bénédiction accordée aux deux fils qui ont voilé par respect la nudité de leur père, quoi que en se détournant, comme des hommes mécontents de l'effet de la vigne maudite? « Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem ! » s’est-il dit. Car bien qu'il soit le Dieu de toutes les nations, cependant il a adopté pour ainsi dire comme nom propre, même chez les nations d'alors, le nom de Dieu d'Israël. Et d'où vient cela, sinon de la bénédiction accordée à Japhet? Car l'Eglise a rempli le monde entier par là multitude des nations ! C'était

 

1. I Cor. I, 23-25.

 

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cela, certainement cela, que signifiaient ces paroles prophétiques : « Que Dieu étende les possessions de Japhet, et qu'il habite dans les tentes de Sem (1) ». Voyez, Manichéens, voyez : voilà que l'univers entier est sous vos yeux : vous êtes frappés de stupeur, vous êtes affligés à la vue de nos peuples, parce que Dieu étend les possessions de Japhet. Voyez s'il n'habite pas dans les tentes de Sem, c'est-à-dire dans les églises construites par les Apôtres, enfants des Prophètes. Ecoutez ce que disait déjà Paul aux nations fidèles : « Vous qui étiez en ce temps-là sans Christ, séparés de la société d'Israël, étrangers aux Testaments, n'ayant point l'espérance de la promesse, et sans Dieu en ce monde». Ces paroles prouvent que Japhet n'habitait pas encore dans les tentes de Sem. Mais voyez ensuite comme l'Apôtre conclut peu après : « Vous n'êtes donc plus des hôtes et des étrangers, mais des concitoyens des saints, et de la maison de Dieu; bâtis sur le fondement des Apôtres et des Prophètes, le Christ Jésus étant lui-même la pierre principale de l'angle (2) ». Voilà comment Japhet étend ses possessions et habite dans les tentes de Sem. Et cependant, vous avez en main les épîtres des Apôtres où sont consignés ces témoignages vous les lisez, vous les prêchez. Où vous placerai-je donc, sinon dans ce mur mitoyen maudit où le Christ n'est pas la pierre angulaire? Car nous ne vous reconnaissons pas pour être du mur qui est passé de la circoncision à la foi au Christ et dont étaient les Apôtres; ni de celui qui vient de l'incirconcision, dont font partie tous les gentils, qui se rencontrent dans l'unité d'une même foi, comme dans la paix de la pierre angulaire. Néanmoins, tous ceux qui admettent et lisent certains de nos livres canoniques, où l'on voit que le Christ est né et a souffert comme homme, et ne couvrent cependant point, par l'association et le sacrement de l'unité, cette même chair mortelle mise à nu dans la passion, mais proclament dans la science de la piété et de la charité, ce dont nous tirons tous notre origine : ceux-là, dis-je, quoique ils ne s'entendent point entre eux, que les Juifs soient séparés des hérétiques, et les hérétiques les uns des autres, sont cependant utiles à l'Eglise, ou comme témoins, ou comme preuves, et sont tous pour elle dans la même

 

1. Gen. IX, 26, 27. — 2. Eph. II, 12, 19, 20.

 

condition d'esclavage. Car c'est des hérétiques qu'il a été dit : « Il faut qu'il y ait même des hérésies, afin qu'on découvre ceux d'entre vous qui sont éprouvés (1) ». Allez donc maintenant, et calomniez nos anciens livres sacrés; faites cela, fils de Cham, devenus esclaves; allez, vous qui avez méprisé dans sa nudité la chair dont vous êtes nés: car vous ne pourriez en aucune façon vous dire chrétiens, si le Christ n'avait été prédit par les Prophètes, n'était pas venu au monde, n'avait pas bu lé fruit de sa vigne, ce calice qui ne put passer loin de lui; s'il n'eût dormi dans sa passion, comme dans l'ivresse d'une folie qui est plus sage que les hommes, et qu'ainsi l'infirmité de la chair mortelle n'eût été mise à nu par un secret dessein de Dieu : chair plus forte que les hommes, et sans laquelle (c'est-à-dire si le Verbe de Dieu ne s'en fût revêtu) le nom même de chrétien, dont vous êtes si fiers, n'existerait pas sur la terre. Mais faites, je vous le répète : montrez par dérision ce que nous honorons de nos respects; que l'Eglise se serve de vous comme d'esclaves, afin qu'on découvre ceux de ses enfants qui sont éprouvés. Les Prophètes lui ont si peu caché ce qu'elle devait avoir à souffrir, que nous vous retrouvons dans leurs pages, en vos lieux et place, bouffis d'une misérable vanité, fatale aux réprouvés qu'elle séduit, mais utile pour la n1anifestation des fidèles éprouvés.

 

 

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CHAPITRE XXV. ABRAHAM, ISAAC, LE BÉLIER, FIGURES DU CHRIST.
 

Vous dites que le Christ n'a point été prédit par les Prophètes israélites; et toutes leurs pages sont pleines de prédictions qui le concernent, si vous vouliez les étudier avec piété, au lieu de les censurer avec légèreté. Qui donc, dans la personne d'Abraham, sort de sa terre et de sa parenté pour s'enrichir chez les étrangers (2), sinon Celui qui, abandonnant sa terre et sa parenté juive, dont il est né selon la chair, obtient chez les nations cette autorité et cet empire que nous lui voyons? Qui dans la personne d'Isaac, a porté le bois de son sacrifice (3), sinon celui qui a porté lui-même la croix, instrument de sa passion ? Quel était ce bélier à immoler et embarrassé dans un buisson par ses cornes, sinon celui

 

1. I Cor. XI, 19. — 2. Gen. XII, 1-3. — 3. Id. XXII, 6.

 

 

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qui, devant être immolé pour nous, a été attaché au gibet de la croix ?

 

CHAPITRE XXVI. JACOB ET L'ÉCHELLE MYSTÉRIEUSE, IMAGES DU CHRIST.
 

Et celui qui, sous la forme d'un ange, lutte avec Jacob, et, plus faible et vaincu, bénit, d'une part, son vainqueur, et de l'autre, lui touche le nerf de la cuisse et le rend boiteux (1), quel est-il, sinon celui qui s'est laissé vaincre par le peuple d'Israël et a béni ceux de ce peuple qui ont cru en lui? Or, la cuisse de Jacob, a boité dans la multitude de cette nation charnelle. Quelle est cette pierre posée sous la tête de Jacob et qu'il arrose d'huile comme pour lui donner un nom propre, sinon le Christ, chef de l'homme? Car qui ne sait que Christ veut dire oint? Le Seigneur lui-même a rappelé ce trait dans l'Evangile et fait voir très-clairement que cette figure le concernait, lorsque, ayant dit que Nathanaël était un vrai Israélite, en qui il n'y avait point d'artifices, et celui-ci, la tête, pour ainsi dire, posée sur cette pierre, et l'arrosant en un sens par sa confession, c'est-à-dire confessant que c'était le Christ : le Seigneur rappela à ce propos ce que vit alors Jacob qui fut appelé Israël par bénédiction : « En vérité, je vous le dis, vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu montant et descendant sur le Fils de l'homme (2) ». En effet, Israël avait vu, quand il avait la tête sur la pierre, des échelles dressées de la terre au ciel, par lesquelles les anges de Dieu montaient et descendaient (3). C'était la figure des évangélistes, prédicateurs du Christ, qui montent en effet quand ils s'élèvent au-dessus de toute créature pour comprendre la grandeur infinie de la divinité, et la trouver au commencement Dieu dans Dieu, par qui tout a été fait; puis descendent, pour retrouver ce Dieu formé d'une femme, soumis à la loi pour racheter ceux qui étaient sous la loi (4). Car en lui il y a des échelles dressées de la terre au ciel, de la chair à l'esprit; parce que en lui les hommes charnels, en profitant et comme en montant deviennent spirituels; et pour les nourrir de lait, les hommes spirituels eux-mêmes descendent en quelque sorte, puisqu'ils ne peuvent pas leur parler

 

1. Gen. XXXII, 24-3l. — 2. Jean. I, 47-51. — 3. Gen. XXVIII, 11-18. — 4. Gal. IV, 4, 5.

 

comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels (1). Ainsi l'on monte et l'on descend sur le fils de l'homme. En effet, le fils de l'homme est en haut, dans notre chef, qui est le Sauveur lui-même; et le fils de l'homme est en bas dans son corps, qui est l'Eglise. Et nous entendons qu'il est aussi l'échelle, puisqu'il a dit lui-même : « Je suis la voie (2) ». On monte donc jusqu'à lui, pour le comprendre dans les hauteurs, et on descend vers lui, pour nourrir les petits enfants dans ses membres. Par lui on monte et on descend : car c'est à son exemple que ses prédicateurs, non-seulement s'élèvent pour le voir en haut, mais aussi s'abaissent pour l'annoncer dans la mesure voulue. Voyez l'Apôtre monter : « Si nous sommes emportés hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu ». Voyez-le descendre : «.Si nous sommes plus retenus, c'est pour vous ». Qu'il nous dise aussi par qui il est monté et descendu : « La charité du Christ nous presse, considérant que si un seul est mort pour tous, donc tous sont morts; et il est mort pour tous, afin que ceux qui vivent, ne vivent plus pour eux; mais pour celui qui est mort pour eux et qui pour eux est ressuscité (3)».

 

 

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CHAPITRE XXVII. MALHEUR DE CEUX QUI NE GOUTENT PAS LES ÉCRITURES; BONHEUR DE CEUX QUI LES GOÛTENT.
 

Celui qui ne goûte aucune joie à contempler ces tableaux que nous offrent les saintes Ecritures, ne supporte plus la saine doctrine et se tourne vers les fables (4). Et ces fables chatouillent agréablement et de diverses manières des âmes restées puériles à tous les âges de la vie; mais nous, qui sommes le corps du Christ, reconnaissons notre voix dans ces paroles du Psalmiste: « Les impies m'ont raconté leurs fables; mais elles ne sont pas comme votre loi (5) ». Quand je parcours ces livres, quand je lis avec ardeur ces Ecritures, à la sueur du travail auquel l'homme est condamné, le Christ m'apparaît partout, ou visiblement, ou dans le mystère, et il me restaure ; par la difficulté même que j'éprouve à le trouver, il enflamme mon désir, afin que je dévore plus avidement ce que je trouve et que je conserve pour mon salut ce qui a pénétré la moelle de mes os.

 

1. I Cor. III, 1-3.— 2. Jean, XIV, 8. — 3. II Cor. V, 13-15. — 4. II Tim. IV, 3, 4. — 5. Ps. CVIII, 85.

 

 

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CHAPITRE XXVIII. JOSEPH, LA VERGE DE MOÏSE, SYMBOLES DU CHRIST.
 

C'est lui-même qui s'offre à moi dans la personne de Joseph, présenté et vendu par ses frères, puis, après les heures d'épreuve, honoré en Egypte (1). Nous avons vu, en effet, les épreuves du Christ dans ce monde (dont l'Egypte était le symbole), par les diverses souffrances des martyrs ; et maintenant nous voyons le Christ honoré dans ce même monde, et amenant tout à ses pieds par la distribution de son froment. C'est le Christ que je vois dans la verge de Moïse, qui, jetée à terre, devient serpent, et figure la mort de la terre, causée par le serpent. Mais le serpent, saisi par la queue, redevient verge (2), pour nous apprendre qu'à la fin, après avoir achevé son oeuvre, le Christ reprend sa première forme en ressuscitant, quand, la mort étant détruite par la réparation de la vie, il ne reste plus rien du serpent. Nous aussi, qui sommes son corps, nous suivons dans cette même mortalité la pente glissante du temps ; mais à la fin, la queue du siècle, pour ainsi dire, étant saisie par la main, c'est-à-dire par la puissance du jugement, pour ne plus retomber, nous serons restaurés, et la mort, le dernier ennemi, étant détruite, nous ressusciterons (3) et nous serons la verge royale dans la droite de Dieu.

 

 

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CHAPITRE XXIX. SIGNIFICATION MYSTIQUE DE LA SORTIE D'ÉGYPTE, DE LA PIERRE, DE LA MANNE, DE LA NUÉE.
 

Quant à la sortie du peuple d'Israël de l'Egypte, ce n'est plus moi, mais l'Apôtre qui prend la parole : « Car je ne veux pas que vous ignoriez, mes frères, que nos pères ont été tous sous la nuée et qu'ils ont tous passé la mer; qu'ils ont tous été baptisés sous Moïse, dans la nuée et dans la ruer; qu'ils ont tous mangé la même nourriture spirituelle et qu'ils ont tous bu le même breuvage spirituel; car ils buvaient de la pierre spirituelle qui les suivait: or, cette pierre était le Christ (4) ». En n'exposant qu'un point, il a donné la clef du reste. Car si le Christ est pierre à cause de sa fermeté, pourquoi ne serait-il pas manne, c'est-à-dire le pain vivant

 

1. Gen. XXVII-XLVII. — 2. Ex. IV, 2-4. — 3. I Cor. XV, 26. — 4. Id. X, 1-4.

 

descendu du ciel (1), qui donne la vie spirituelle à ceux qui le mangent réellement? Car les Juifs, pour avoir pris l'ancienne figure dans le sens charnel, sont morts. Mais quand l'Apôtre dit : « Ils ont mangé la même nourriture spirituelle », il fait voir qu'on doit l'entendre du Christ dans le sens spirituel; de même qu'il explique ce que signifie « le breuvage spirituel », lorsqu'il ajoute : « Or, la pierre était le Christ » : trait de lumière qui éclaire tout le reste. Pourquoi donc le Christ ne serait-il pas aussi la nuée et la colonne, comme étant debout, ferme, l'appui de notre infirmité, lumineux pendant la nuit, sombre pendant le jour; en sorte que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles (2) ? La nuée et la mer Rouge, c'est évidemment le baptême consacré par le sang du Christ; les ennemis poursuivent par derrière; les péchés passés disparaissent.

 

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CHAPITRE XXX. LE DÉSERT, LES PALMIERS, LES DOUZE SOURCES, LE SERPENT D'AIRAIN, L'AGNEAU PASCAL, LA LOI DONNÉE A MOÏSE. AVEUGLEMENT DE FAUSTE.
 

Le peuple est conduit à travers le désert ; tous les baptisés qui ne jouissent pas encore de la terre promise, mais qui espèrent et attendent par la patience ce qu'ils ne voient pas (3), sont comme dans le désert. Et là, il y a de pénibles et dangereuses tentations à soutenir, pour ne pas retourner de coeur en Egypte. Cependant le Christ n'abandonne pas; car la colonne ne s'éloigne point (4). Le bois adoucit l'amertume des eaux; car les peuples ennemis perdent leur férocité en honorant le signe de la croix du Christ. Les douze sources, qui arrosent les soixante-dix palmiers (5), figurent d'avance la grâce apostolique qui arrose les peuples, au nombre de sept multiplié par dix, parce que le décalogue de la loi est observé au moyen des sept dons du Saint-Esprit. L'ennemi qui essaie de barrer le passage, est vaincu par les mains de Moïse, étendues pour figurer la croix du Seigneur (6). Les morsures mortelles des serpents sont guéries par le simple aspect d'un serpent d'airain qu'on élève; le Seigneur en a expliqué lui-même le sens en disant : « Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut de même que le Fils de

 

1. Jean, VI, 42. — 2. Id. IX, 39. — 3. Rom. VIII, 25. — 4. Num. XIV, 14. — 5. Ex. XV, 23-27. — 6. Id. XVII.

 

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l'homme soit élevé, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (1) ». Tout cela ne crie-t-il pas? Les coeurs endurcis sont-ils tellement sourds? La pâque consiste dans l'immolation d'un agneau; le Christ est mis à mort et l'Évangile dit de lui : « Voici l'agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés du monde (2) ». Il est défendu à ceux qui font la pâque de briser les os; on ne brise pas les os du Seigneur attaché à la croix. L'Evangéliste atteste que c'est pour cela qu'il a été dit: «Vous n'en briserez aucun os (3) ». On arrose de sang les montants des portes, pour éloigner le fléau : les peuples sont marqués au front du signe de la croix du Seigneur, pour être assurés de leur salut. La loi est donnée le cinquantième jour après la célébration de la pâque; l'Esprit-Saint est descendu cinquante jours après la passion du Seigneur (4). Là, la loi est dite avoir été écrite du doigt de Dieu (5); ici le Seigneur dit de l'Esprit-Saint : « C'est par le doigt de Dieu que je chasse les démons (6)». Et Fauste crie, les yeux fermés, qu'il n'a rien trouvé dans ces livres qui ait rapport au Christ ! Niais quoi d'étonnant, qu'il ait des yeux pour lire et n'ait pas l'intelligence pour comprendre, lui qui, placé devant la porte fermée du mystère divin, frappe avec l'orgueil de l'impiété, et non avec la foi de la piété ? Ainsi soit donc, ainsi soit-il : car cela est juste. Que la porte du salut soit fermée aux orgueilleux; que vienne l'homme doux de coeur, celui à qui le Seigneur enseigne ses voies (7), et qu'il voie cela dans ces livres, et tout le reste encore, ou en totalité, ou en des parties qui lui donnent l'idée de tout.

 

 

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CHAPITRE XXXI. JOSUÉ, RAHAB, JÉRICHO. TRIOMPHE DE L'ÉGLISE.
 

Qu'il voie Jésus introduisant le peuple dans la terre promise (8) : car ce n'est pas au hasard qu'il était d'abord ainsi appelé; mais c'est par une disposition de la Providence que son nom a été changé en celui de Jésus. Qu'il voie la grappe de raisin suspendue à un bâton (9). Qu'il voie dans Jéricho, image de ce siècle mortel, une femme publique, une de celles dont le Seigneur a dit qu'elles précéderont les orgueilleux dans le royaume des cieux (10), faire

 

1. Num. XXI, 9 ; Jean, III, 14. —  2. Jean, I, 29. — 3. Ex. XII, 46 ; Jean, XIX, 36. — 4. Act. II, 1-4. — 5. Ex. XXXI, 18. — 6. Luc, XI, 20. — 7. Ps. Josué, III. — 9. Num. XIII, 24. — 10. Matt. XXI, 31.

 

descendre par la fenêtre de sa maison, comme par la bouche de son corps, un ruban écarlate (1), ce qui est certainement un signe du sang répandu pour la rémission des péchés et confesser pour assurer son salut. Qu'il voie les murs de cette ville, comparables aux remparts mortels de ce siècle, tomber après que l'arche du Testament en a fait sept fois le tour (2); comme aujourd'hui, à travers les temps qui s'écoulent en une série de sept jours, le Testament de Dieu fait le tour du monde entier; pour qu'à la fin des temps le dernier ennemi, la mort, soit détruite, et qu'une seule maison, comme l'Église unique, soit délivrée de la peste des méchants, purifiée des immondices de la fornication, par l'aveu de la confession, dans le sang du pardon.

 

 

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CHAPITRE XXXII. ÉPOQUE DES JUGES ET DES ROIS. SAMSON, JAHEL, LA TOISON DE GÉDEON.
 

Qu'il voie les époques, d'abord des Juges, puis des Rois ; comme il y aura jugement d'abord, ensuite royaume ; puis dans ces mêmes époques des Juges et des Rois, qu'il voie le Christ et l'Église figurés en raille et mille manières. Qui donc, dans la personne de Samson, tue un lion qu'il rencontre en allant demander une femme chez des étrangers (3)? sinon celui qui, devant appeler l'Église du sein des nations, a dit: « Réjouissez-vous, car j'ai vaincu le monde (4) ? » Que signifie ce rayon de miel formé dans la gueule de ce même lion tué (5)? si ce n'est ce que nous avons déjà sous les yeux : les lois mêmes du royaume terrestre, qui ci-devant frémissaient contre le Christ, maintenant détruites dans leur cruauté et prêtant appui à la douceur évangélique qui doit être prêchée ? Qu'est-ce que cette femme qui perce d'un clou les tempes de l'ennemi (6), sinon la foi de l'Église qui détruit l'empire du démon par la croix du Christ? Que signifie cette toison mouillée de rosée quand l'aire reste sèche, puis restant sèche quand l'aire est mouillée (7)? si ce n'est la race des Hébreux, qui d'abord, seule, possède dans les saints le mystère de Dieu, qui est le Christ, tandis que le reste du monde en est privé ; puis, qui en est privée à son tour, quand il est manifesté aujourd'hui au monde entier?

 

1. Jos. II. — 2. Id. VI. —3. Juges, XIV. — 4. Jean, XVI, 33. — 5. Juges, XIV, 8. — 6. Id. IV, 21. — 7. Id. VI, 37-40.

 

 

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CHAPITRE XXXIII. NOUVEAU SACERDOCE ET NOUVELLE ROYAUTÉ ANNONCÉS. DIVISION DES TRIBUS.
 

Et pour ne dire qu'un mot de l'époque des Rois, le sacerdoce dès l'abord transféré à Samuel après la réprobation d'Héli (1), et le sceptre donné à David, après la réprobation de Saül (2), ne crient-ils pas bien haut qu'un nouveau sacerdoce et une nouvelle royauté apparaîtront dans Notre-Seigneur Jésus-Christ, l'ancien sacerdoce, qui n'en était que l'ombre, ayant été réprouvé? David lui-même mangeant les pains de proposition, que les prêtres seuls avaient droit de manger (3), ne figurait-il pas le sacerdoce et l'empire réunis en une seule personne, c'est-à-dire en Jésus-Christ ? Et ces dix tribus séparées du temple, et ces deux tribus qui restent (4), n'expliquent-elles pas suffisamment ce que l'Apôtre dit de tout ce peuple : « Un reste a été sauvé; selon l'élection de la grâce (5) ? »

 

 

 

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CHAPITRE XXXIV. ÉLIE, LA VEUVE DE SAREPTA.
 

Elie est nourri pendant la famine par des corbeaux qui lui apportent du pain le matin et de la chair le soir (6) ; et dans ces livres les Manichéens ne voient pas le Christ affamé en quelque sorte de nôtre salut, à qui les pécheurs font leur confession, ayant déjà la foi comme prémices de l'esprit, puis attendant la résurrection de la chair à la fin des siècles, figurée par le soir. Elie est envoyé pour être nourri chez une veuve étrangère qui ramassait deux morceaux de bois pour mourir ensuite; ce qui nous représente le signe de la croix, non-seulement parce qu'on parle expressément de bois, mais parce qu'on en indique deux morceaux. La farine et l'huile de la veuve sont bénies (7) ; le fruit et la joie ne manquent jamais à la charité qui se dépense : car Dieu aime celui qui donne avec joie (8).

 

 

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CHAPITRE XXXV. ÉLISÉE. LE FER DE LA HACHE, IMAGE DE LA PASSION ET DE LA RÉSURRECTION DU CHRIST.
 

Des bêtes sauvages dévorent des enfants qui

 

1. I Rois, II, 27, 36. — 2. Id. XVI, 1-44. — 3. Id. XXI, 6. — 4. III Rois, XII, 16, 20. — 5. Rom. XI, 5. — 6. III Rois, XVII, 6. — 7. Id. 9-16. — 8. II Cor. IX, 7.

 

insultent Elisée et lui crient : « Tête chauve, tête chauve (1) » ; ceux gui, dans leur puérile folie, raillent le Christ crucifié sur le Calvaire, sont envahis par les démons et périssent. Elisée envoie son serviteur poser son bâton sur un enfant mort, l'enfant ne revient pas à la vie, il vient lui-même, il se couche sur l'enfant, applique ses membres sur les siens et la vie reparaît (2) ; Dieu a envoyé la loi par son serviteur, sans profit pour le genre humain, mort dans le péché; cependant elle n'a pas été envoyée sans raison, car celui qui l'a envoyée savait qu'elle devait l'être d'abord. Puis il est venu lui-même, il a pris notre forme, a participé à notre mort et nous avons été rendus à la vie. Pendant qu'on coupe du bois avec des haches, un fer échappe du manche et descend au fond du fleuve mais il revient s'emmancher au bois qu'Elisée a jeté sur l'eau (3); ainsi, quand la présence corporelle et les oeuvres du Christ abattaient les Juifs impies comme des arbres stériles (car Jean avait dit de lui : « Voilà que la cognée a été mise à la racine de l'arbre (4) »), il abandonne son corps à la suite de la passion qu'ils lui font subir, il descend dans les profondeurs de l'enfer après que ce corps a été déposé dans la sépulture ; puis son esprit rentre dans le corps comme le fer dans son manche et il ressuscite. Obligé de me restreindre, que de choses je passe sous silence ! Ceux-là seuls le savent, qui lisent l'Écriture.

 

 

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CHAPITRE XXXVI. SENS PROPHÉTIQUE DE LA CAPTIVITÉ DE BABYLONE ET DE LA RECONSTRUCTION DU TEMPLE.
 

Et cette transmigration de Babylone, que l'Esprit de Dieu ordonne par la bouche du prophète Jérémie, en recommandant aux captifs de prier pour les peuples au milieu desquels ils seront en exil (parce que la paix des uns sera la paix des autres), et de bâtir des mai sons, de planter des vignes, de cultiver des jardins (5) : peut-on ne pas reconnaître de quoi elle est la figure, quand on voit les vrais Israélites, ceux en qui il n'y a pas d'artifice (6), passer au royaume des nations par la prédication des Apôtres avec le sacrement évangélique ? Aussi l'Apôtre, copiant pour ainsi dire Jérémie, nous dit-il : « Je veux donc en premier lieu que

 

1. IV Rois, II, 23, 24. — 2. Id. IV, 29-37. — 3. Id. VI, 4-7. — 4. Matt. III, 10. — 5. Jer. XXIX, 1-7. — 6. Jean, I, 47.

 

 

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tous fassent des supplications, des adorations, « des demandes, des actions de grâces pour  tous les hommes, pour les rois et ceux qui sont en dignité, afin que nous menions une vie paisible et tranquille, en toute piété et charité ; car cela est bon et agréable au Sauveur notre Dieu, qui veut que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité (1) ». C'est par là, en effet, que ces croyants se sont construit des maisons de paix, des basiliques pour les assemblées chrétiennes, ont planté des vignes, des peuples fidèles, cultivé des jardins, où s'élève au-dessus de toutes les plantes, ce grain de sénevé, sous le vaste ombrage duquel l'insolent orgueil des Gentils eux-mêmes vient, à la façon des oiseaux du ciel, chercher refuge et repos (2). Et si, après soixante-dix ans, suivant la prophétie de ce même Jérémie, on revient de captivité et que le temple se relève' : quel est le disciple fidèle du Christ qui ne comprenne qu'après la révolution des temps, qui s'opère par la répétition des sept jours, nous aussi, c'est-à-dire l'Eglise de Dieu, nous devons sortir du pèlerinage de ce monde pour retourner à la Jérusalem céleste? Et par qui, sinon par Jésus-Christ, le vrai grand-prêtre, dont Jésus, le grand-prêtre de ce temps, qui bâtit le temple après la captivité, était la figure? Le prophète Zacharie vit ce prêtre en vêtements souillés, vaincre le démon qui l'accusait ; après quoi on lui ôta ses vêtements souillés et on lui donna un vêtement d'honneur et de gloire (3) ; comme le corps de Jésus-Christ, qui est l'Eglise, après avoir vaincu son ennemi au jugement, à la fin des temps, passera du deuil de l'exil, à la gloire du salut éternel. C'est ce qui est clairement exprimé dans le psaume de la dédicace du temple : « Vous avez changé mon deuil en joie, vous avez déchiré le sac dont j'étais enveloppé, et vous m'avez revêtu d'allégresse, afin que ma gloire vous chante et que je ne sois plus attristé (4)».

 

 

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CHAPITRE XXXVII. TOUT A UN SENS DANS L'ANCIEN TESTAMENT. TÉMOIGNAGE DE L'APÔTRE.
 

Qui pourrait indiquer, sinon dans un traité spécial, même brièvement, toutes les figures symboliques contenues dans les

 

1. I Tim. II, 1-4. — 2. Matt. XIII, 31, 32. — 3. Jer. XXIX, 10; Esd. I. — 4. Zach. III. — 5. Ps. XXIX, 12,13.

 

 

livres de l'ancienne loi et des Prophètes concernant le Christ ? A moins qu'on n'attribue à l'industrie humaine l'interprétation et l'application au Christ de tous les faits qui se sont passés dans l'ordre des temps. Peut-être des juifs ou des païens pourront-ils l'affirmer; mais tous ceux qui veulent passer pour Chrétiens doivent courber la tête sous l'autorité de l'Apôtre qui nous dit : « Toutes ces choses a leur arrivaient en figure » ; et encore : « Toutes ces choses ont été des figures de ce qui nous regarde (1)».Car si Ismaël et Isaac, qui étaient deux hommes, figuraient les deux Testaments (2) ; que faudra-t-il croire de tant de faits, qui n'avaient aucune utilité naturelle, et n'étaient nullement nécessaires? N'ont-ils aucun sens ? Si l’un de nous, qui ne savons pas l’hébreu, c'est-à-dire qui n'en connaissons pas même les caractères, en voyait un mur couvert dans un endroit honorable, serait-il assez sot pour s'imaginer que c'est une manière de peindre une muraille ? Ne comprendrait-il pas au contraire que c'est une écriture, que le sens de ces lettres lui échappe, mais qu'elles ont une signification ? Ainsi quiconque lira avec un coeur droit toutes les choses contenues dans l'Ancien Testament, en sera touché de manière à ne pouvoir douter qu'elles aient un sens.

 

 

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CHAPITRE XXXVIII. PAR EXEMPLE : LA FORMATION DE LA FEMME, L'ARCHE DE NOÉ, LE SACRIFICE D'ISAAC.
 

Par exemple : s'il fallait donner une aide à l'homme dans la personne de la femme, était-il nécessaire, était-il utile qu'elle fût formée du côté de l'homme endormi (3)? S'il fallait fabriquer une arche pour échapper au déluge, était-il besoin ou que les mesures en fussent exactement données et appliquées, ou qu'elles fussent mentionnées dans des écrits qui devaient passer à la postérité? S'il était nécessaire d'y enfermer des animaux, afin de propager les espèces, fallait-il ce nombre précis de sept couples d'animaux mondes, et de deux d'immondes? Sans doute, l'arche avait besoin d'une entrée; mais était-il nécessaire qu'elle fût pratiquée dans le côté et que l'écrivain en fît mention (4)? On donna à Abraham l'ordre d'immoler son fils; que le but de cet

 

1. I Cor. X, 10, 6. — 2. Gal. IV, 22, 21. — 3. Gen. II, 18, 21, 22. — 4. Id. VI, 14 ; VII, 3.

 

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ordre ait été de mettre son obéissance à l'épreuve pour la faire éclater aux yeux de la postérité; qu'il ait été convenable que le fils portât le bois plutôt que son père déjà vieux; que le père n'ait pas eu permission de frapper son fils et de s'infliger une perte aussi cruelle, soit : mais quand même il n'y aurait pas eu de sang répandu, Abraham en eût-il été moins éprouvé? Ou s'il était nécessaire qu'il y eût sacrifice, en quoi ce bélier embarrassé dans un buisson par ses cornes et qui apparaît tout à coup, peut-il suppléer à la victime (1)? Ainsi tout cela médité attentivement, toutes ces circonstances superflues mêlées aux nécessaires, avertissent d'abord l'âme humaine, c'est-à-dire l'âme raisonnable, qu'il y a un sens, et ensuite l'invitent à le chercher.

 

 

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CHAPITRE XXXIX. LES JUIFS LE NIENT. UNE OPINION ABSURDE DE PHILON.
 

Les Juifs eux-mêmes, qui se raillent du Christ dont nous reconnaissons la passion, ne veulent pas que tant de paroles et tant d'actions aient été des figures prophétiques; nous les forçons donc à en apprendre de nous la signification; et s'ils s'obstinent à nier qu'il y en ait une, ils ne pourront sauver ces livres d'une si grande autorité, de la honte qui s'attache à des fables absurdes. C'est ce qu'a bien compris un certain Philon, homme d'une vaste érudition, l'un de ceux que les Grecs n'hésitent pas à placer, pour l'éloquence, au niveau de Platon. Il s'est efforcé de donner quelques interprétations, non pour arriver au Christ, auquel il ne croyait pas, mais pour mieux faire ressortir quelle différence il y a entre tout rapporter au Christ, qui est réellement le seul but dé ces Ecritures, ou hasarder, en dehors de lui, des conjectures quelconques, même avec tout le talent possible. Il démontre par là combien sont vraies ces paroles de l'Apôtre : « Lorsque vous serez passé au Seigneur, le voile sera enlevé (2) ». Pour citer un trait de ce Philon : voulant faire entendre que l'arche du déluge avait été construite sur le modèle du corps humain, il en donne la description détaillée, partie par partie. Tant qu'il ne s'agit que des règles des nombres, tout cadre à merveille; rien ne l'empêchant sans doute d'y voir le Christ, puisque le Sauveur

 

1. Gen. XXII. — 2. II Cor. III, 16.

 

du genre humain a apparu dans un corps humain, mais, au fait, rien ne l'y forçait, puisque le corps des autres hommes est aussi un corps humain. Seulement, quand il en vient à la porte, pratiquée au côté de l'arche, tout son génie humain se trouve à bout de conjecture. Et comme il fallait cependant dire quelque chose, il a osé croire, il a osé dire, il a osé écrire que cette porte signifiait les parties inférieures du corps par où sortent l'urine et les excréments. Il n'est pas étonnant que n'ayant pas trouvé la porte, il se soit ainsi égaré. S'il eût passé au Christ, le voile eût été enlevé et il aurait trouvé les sacrements de l'Eglise découlant du côté de cet homme (1). Car il avait été prédit : « Ils seront deux en une seule chair (2) » : c'est pourquoi, dans l'arche, certaines choses se rapportent au Christ, d'autres à l'Eglise, mais en somme, tout revient au Christ. On peut ainsi, dans les autres interprétations des figures répandues dans toutes les divines Ecritures, étudier et comparer le sens de ceux qui y voient le Christ, et le sens de ceux qui, en dehors du Christ, s'efforcent de les détourner à toute autre signification.

 

 

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CHAPITRE XL. OPINION DES PAÏENS SUR CE SUJET.
 

Là-dessus les païens ne nous inquiètent pas; ils n'osent s'opposer à ce que nous entendions comme figures du Christ, non-seulement les paroles, mais les faits, surtout quand nous démontrons que ce que nous regardons comme prophéties, a eu son accomplissement; tandis que, de leur côté, pour faire accepter leurs fables, ils tâchent de les ramener par interprétation à je ne sais quelle physiologie ou théologie, c'est-à-dire à des raisons naturelles ou divines : laissant, d'une part, assez voir ce qu'elles sont, et de l'autre, les tenant dans l'ombre, puisqu'ils se moquent sur leurs théâtres de ce qu'ils honorent dans leurs temples, tout à la fois trop libres en fait de vices, et trop serviles en fait de superstitions.

 

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CHAPITRE XLI. PROPHÉTIES PLUS CLAIRES. BÉNÉDICTION DE LA RACE D'ABRAHAM.
 

Du reste, si l'on nous dit que ces choses n'ont pas été faites ou écrites en vue du Christ: même

 

1. Jean, XIX, 34. — 2. Gen. II, 21.

 

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en mettant de côté la parfaite coïncidence des figures avec leur accomplissement; nous pouvons encore confondre nos adversaires par d'autres prophéties claires, manifestes, comme celle-ci, par exemple: «En ta postérité toutes les nations seront bénies ». Cela a été dit à Abraham, à Isaac, à Jacob (1). C'est donc avec raison que Dieu s'écrie : « Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob (2)», puisqu'il devait accomplir, dans la bénédiction de toutes les nations, ce qu'il avait promis pour leur postérité. C'est aussi avec raison qu'Abraham, après le serment de son serviteur, lui fit poser la main sous sa cuisse (3) : sachant que de lui naîtrait la chair du Christ en qui nous ne prédisons plus que les nations seront bénies, mais en qui nous voyons qu'elles sont bénies suivant la prédiction.

 

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CHAPITRE XLII. PROPHÉTIE DE JACOB EXPLIQUÉE.
 

Je voudrais savoir, ou plutôt j'aime mieux ignorer avec quel aveuglement d'esprit, Fauste a lu le passage où Jacob, ayant appelé ses fils, leur dit : « Assemblez-vous, afin que je vous annonce ce qui doit arriver dans les derniers jours; rassemblez-vous et écoutez, fils de Jacob; écoutez Israël, votre père ». Ici personne ne peut mettre en doute que le rôle de Prophète soit en pleine évidence. Écoutons donc ce qu'il dit à son fils Juda, par la tribu duquel le Christ est venu de la race de David selon la chair », au témoignage de l'Apôtre (4): « Juda, que tes frères te louent; tes mains seront sur le dos de tes ennemis; les fils de ton père s'inclineront devant toi. Juda est comme un jeune lion, le fils de ma semence; tu étais couché et tu t'es levé, tu as dormi comme un lion et comme un lionceau; qui l'éveillera? Le prince ne manquera pas à Juda, ni le chef à sa postérité, jusqu'à ce que vienne ce qui lui a été réservé ; et il sera l'attente des nations, liant son ânon à la vigne et le fils de l'ânesse au cilice; il lavera sa robe dans le vin, et son manteau dans le sang de la vigne: ses yeux seront plus brillants que le vin et ses dents plus blanches que le lait (5) ». Que tout cela soit mensonge, que tout cela suit obscurité, si cela n'a pas brillé dans le Christ de tout l'éclat

 

1. Gen. XXII, 18, XXVI, 4, XXVIII, 14. — 2. Ex. III, 6. — 3. Gen. XXIV, 2, 9. — 4. Rom. I, 3. — 5. Gen. XLIX, 1, 2, 8-12.

 

de la lumière; s'il n'est pas loué par ses frères les Apôtres, et par tous les cohéritiers qui cherchent sa gloire et non la leur; si ses mains ne sont pas sur le dos de ses ennemis; si tous ses adversaires ne sont pas abaissés, courbés jusqu'à terre, par l'accroissement des peuples chrétiens; si les fils de Jacob ne se sont pas inclinés devant lui, dans le reste qui a été sauvé selon l'élection de la grâce (1) ; s'il n'est pas lui-même le lionceau, puisqu'il est devenu petit enfant par sa naissance : c'est pourquoi on ajoute : «Le fils de ma semence». On rend d'ailleurs raison de ce mot de lionceau, quand on dit dans un autre endroit : « Ce lionceau est plus fort que les bêtes de charge (2) » : c'est-à-dire, quoique petit, il est plus fort que des animaux plus grands. S'il n'est pas monté en se couchant sur la croix, quand il baissa la tête et rendit l'esprit; s'il n'a pas dormi comme un lion, puisqu'il n'a point été vaincu, mais vainqueur dans la mort même; et comme un lionceau, puisqu'il est mort dans ce qui était né; si celui qu'aucun homme n'a vu ni ne peut voir (3), ne l'a pas ressuscité des morts. Par ces mots, en effet : « Qui l'éveillera ? » on exprime assez l'idée de quelqu'un d'inconnu: si le prince a manqué à Juda, et le chef à sa postérité, jusqu'à ce que soit venu ce qui avait été promis et comme réservé. Il y a, en effet, des histoires authentiques et certaines, provenant des Juifs eux-mêmes, qui constatent qu'Hérode fut le premier étranger qui régna sur eux et dans le temps même où le Christ est né (4). Le roi n'a donc pas manqué à la race de Juda, jusqu'à ce que vînt ce qui lui avait été réservé: Mais comme les Juifs fidèles n'ont pas seuls profité des promesses, voyez ce qui suit : « Et il sera l'attente des nations». « Il a lui-même lié son ânon à la vigne », c'est-à-dire son peuple, en prêchant dans le cilice et en criant. « Faites pénitence : car le royaume des cieux approche (5) ». Or, nous savons que le peuple des gentils est comparé à l'ânon, sur lequel il s'assit, et qu'il conduisit dans Jérusalem (6), c'est-à-dire dans la vision de paix, en enseignant ses voies à ceux qui sont doux. S'il n'a pas lavé sa robe dans le vin : car c'est la glorieuse Église qu'il fait paraître devant lui, n'ayant ni tache ni ride (7); à qui il est dit par la voix d'Isaïe : « Quand vos péchés seraient

 

1. Rom. XI, 5. — 2. Prov. XXX, 30. — 3. I Tim. VI, 16. — 4. Matt. II, 3, 7. — 5. Id. III, 2. — 6. Id. XXI, 2-10. — 7. Eph. V, 27.

 

 

 

rouges comme l'écarlate, je les rendrai blancs comme la neige (1) ». Et comment, sinon par

la rémission des péchés? Et dans quel vin, sinon dans celui dont il est dit « qu'il sera  répandu pour beaucoup en rémission des péchés (2)? » Car il est lui-même la grappe de raisin suspendue au bois (3). Aussi voyez ce qu'on ajoute : « Et son manteau dans le sang de la vigne ». Or, que ses yeux soient plus brillants que le vin, ils le savent, ceux des membres de son corps à qui il est donné de voir, dans une sainte ivresse qui rend leur esprit étranger à tout ce que le temps entraîne dans son corps, de contempler, dis-je, l'éternelle lumière de la sagesse. C'est pourquoi nous avons cité plus haut ce mot de Paul «Car si nous sommes emportés hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu ». Cependant, comme il ajoute : « Si nous sommes plus retenus, c'est pour vous (4) », les petits enfants mêmes qu'il faut nourrir avec du lait ne sont pas délaissés (5), car on lit à la suite : « Et ses dents sont plus blanches que le lait».

 

 

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CHAPITRE XLIII. ON NE PEUT TOUT CITER. LE CHRIST PROPHÉTISÉ DANS LES PSAUMES.
 

Insensés, que répondez-vous à cela ? Car enfin tout cela est clair, cela ne réfute pas seulement vos objections calomnieuses, mais dissipe jusqu'aux moindres nuages. Cherchez d'abord dans ces livres des témoignages de ce genre, commencez par y ajouter foi. Je ne puis les rappeler tous, parce que cela dépasserait les bornes; je ne puis en citer beaucoup, parce que je serais long ; cependant je ne voudrais pas me contenter d'un petit nombre, de peur que ceux qui ne lisent pas les autres ne croient que tout se borne là, et aussi de peur que le lecteur fidèle et intelligent, en trouvant beaucoup d'autres passages plus clairs, ne me blâme d'avoir produit de préférence ceux qui ont pu me tomber sous les yeux. Vous en trouverez en effet beaucoup qui n'auront aucun besoin de commentaire, ou au moins d'un commentaire :-comme celui que je viens de faire sur les paroles de Jacob. Qui a besoin, par exemple, de commentateur, quand il lit: « Il a été conduit au sacrifice comme un agneau? » et tous ces textes si nombreux, si évidents : « Nous

 

1. Is. I, 23. — 2. Matt. XXVI, 28. — 3. Num. XIII, 24. — 4. II Cor. V, 13. — 5. Hébr. V, 12.

 

avons été guéris par ses meurtrissures; il a lui-même porté nos iniquités (1) ? » Qui ne croira pas entendre chanter l'Evangile, quand il lira: « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os; ils m'ont regardé, ils m'ont considéré attentivement; ils se sont partagé mes vêtements, ils ont tiré ma robe au sort ? » Qui donc, à moins d'être absolument aveugle, ne voit déjà l'accomplissement de cette prophétie : « Toutes les contrées de la terre se souviendront et se convertiront au Seigneur, toutes les nations se prosterneront en sa présence (2)? » Et ces mots de l'Evangile : « Mon âme est triste jusqu'à la mort (3) » ; et ceux-ci : « Maintenant mon âme est troublée (4) », ne les a-t-on pas déjà entendus dans le psaume: « Je me suis endormi tout troublé? » Et pourquoi s'est-il endormi ? Par le fait de ceux qui criaient : « Crucifiez-le, crucifiez-le ! » Le même psaume ne nous les désigne-t-il pas d'avance : « Enfants des « hommes, leurs dents sont des armes, leur « langue est un glaive aigu?, » Mais qu'ont-ils fait, en quoi ont-ils nui à celui qui devait ressusciter, monter au-dessus des cieux, et.posséder toute la terre par la gloire de son nom? Voyez si le Psalmiste a gardé le silence là-dessus: car il ajoute: « Elevez-vous, Seigneur, au-dessus des cieux, et que votre gloire éclate sur toute la terre (5) ». Qui a jamais hésité à entendre du Christ ces paroles : « Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui ; demandez-moi et je vous donnerai les nations pour héritage, et la terre entière pour empire (6) ». Qui a le droit d'appliquer à un autre les paroles de Jérémie sur la sagesse : « Il l'a donnée à son fils Jacob, et à Israël son élu : après cela, il a été vu sur la terre, il a habité avec les hommes (7) ».

 

 

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CHAPITRE XLIV. PROPHÉTIE DE DANIEL ACCOMPLIE. APPLICATION AUX JUIFS ET AUX MANICHÉENS.
 

Qui ne reconnaîtra ce même Sauveur dans Daniel, quand le fils de l'homme est offert à l'Ancien des jours et reçoit de lui un règne sans fin, pour que toutes les nations lui obéissent (8)? Bien plus, si vous faites attention au

 

1. Is. LVIII, 7, 5. — 2. Ps. XXI, 17, 18, 19, 28. — 3. Matt. XXVI, 38. — 4. Jean, XII, 27. — 5. Ps. LVI, 5, 6. — 6. Id. II, 7, 8. — 7. Bar. III, 37, 38. — 8. Dan. VII, 13,14.

 

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lieu même dont le Seigneur a parlé d'après la prophétie de Daniel : « Quand vous verrez l'abomination de la désolation, prédite par le prophète Daniel, régnant dans le lieu Saint, que celui qui lit, comprenne (1) » ; si vous supputez les semaines d'années et tenez compte de leur nombre, non-seulement vous trouverez là le Christ, mais même le temps où il a dû venir pour souffrir. Du reste, sans calcul de temps, par la seule évidence des faits accomplis, nous confondons les Juifs avec qui il s'agit d'examiner, non pas si le Christ est notre Sauveur, mais s'il est déjà venu. Or, ils sont convaincus parles faits les plus manifestes, non-seulement par la conversion si éclatante, si incontestable, de toutes les nations qui devaient  un jour lui être soumises, d'après les prédictions de l'Ecriture elle-même, (autorité irrécusable pour eux) ; mais encore par tout ce qui s'est accompli au sein de leur propre nation, par exemple, la destruction du Sanctuaire; la cessation des sacrifices, du sacerdoce, de l'onction primitive : toutes choses que Daniel avait prédites pour l'époque même où il annonçait clairement que le Saint des saints recevrait l'onction (2). Or, tomme tout cela s'est réalisé, on leur demande où est le Saint des saints, et ils ne savent que répondre. D'ailleurs comment discuteraient-ils avec nous, non pas sur la personne du Christ, mais sur le temps de son arrivée, s'ils ne savaient parfaitement qu'il a été annoncé clans leurs livres? Pourquoi demandent-ils à Jean s'il est le Christ (3)? Pourquoi disent-ils au Seigneur lui-même : « Jusqu'à quand tiendrez-vous notre esprit en suspens ? Si vous êtes le Christ, dites-le-nous ouvertement (4) ». Pourquoi Pierre, André et Philippe disent-ils à Nathanaël : « Nous avons trouvé le Messie ce qu'on interprète par le Christ (5) », sinon parce que ce nom était connu de ce peuple par les saintes Ecritures et était l'objet de son attente ? Car aucune autre nation n'a des rois et des prêtres appelés christs, et dont l'onction symbolique ne dût cesser qu'à l'arrivée de Celui dont ils étaient la figure (6). Les Juifs ne voyaient dans leurs christs que ce Christ unique en qui ils espéraient un libérateur ; mais, aveuglés par un secret dessein de la justice divine, en ne songeant qu'à sa puissance, ils n'ont pas compris l'infirmité dans

 

1. Dan. IX, 27 ; Matt. XXIV, 15. — 2. Dan. IX, 24, 27. — 3. Jean, I, 19. — 4. Id. X, 24. — 5. Id. I, 41. — 6. I Rois, X, 1, 2 ; Ex. XXIX.

 

laquelle il est mort pour mus..Aussi savons-nous que c'est d'eux que ces paroles du livre de la Sagesse ont été dites d'avance : « Condamnons-le à la mort la plus infâme : car il sera traité selon ses paroles ; s'il est vraiment Fils de Dieu, Dieu prendra sa défense, et le délivrera des mains de ses ennemis. Ils ont pensé ainsi et ils se sont trompés : car leur malice les a aveuglés (1) ». Et c'est avec la plus grande vérité qu'on peut aussi appliquer ce passage à ceux qui, au milieu de tant de témoignages, malgré un tel ensemble de prophéties, malgré tant de faits si visiblement accomplis, nous disent encore que le Christ n'a point été annoncé par les Ecritures. Et s'ils ne cessent de le .répéter, nous pouvons aussi leur donner sans fin des preuves, avec l'aide de Celui qui nous a procuré une telle abondance de témoignages contre les calomnies et les erreurs des hommes, que nous n'avons pas même besoin de revenir sur ce que nous avons déjà dit.

 

 

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CHARITRE XLV. INCONSÉQUENCE DE FAUSTE.
 

Passons, mais non sans répugnance, à un autre subterfuge de Fauste, qu'il regarde, ce me semble, comme un tour des plus heureux, et auquel le réduit l'éclat éblouissant des prophéties. Il ne faut pas qu'on s'imagine qu'il ait dit quelque choses parce qu'on se donne la peine de lui répondre. Quel est en effet l'homme assez insensé pour avancer que la foi est faible quand on ne croit pas au Christ sans témoignage? Je voudrais que les Manichéens me disent sur quel témoignage ils auraient eux-mêmes cru au Christ. Ont-ils entendu la voix du ciel dire : « Celui-ci est mon Fils (2)? » Fauste veut en effet que nous ajoutions surtout foi à cette voix, lui qui n'admet pas de témoignages humains sur le Christ, comme si la connaissance de cette voix avait pu nous parvenir sans le témoignage de l'homme, et quand il est manifeste qu'elle ne nous est pas parvenue autrement, au point de faire dire à l'Apôtre : «Mais comment invoqueront-ils Celui en qui ils n'ont point cru? Ou comment croiront-ils à celui qu'ils n'ont pas entendu ? Et comment entendront-ils, si personne ne les prêche ? Et comment prêchera-t-on, si on n'est pas envoyé?

 

1. Sag. II, 18, 21. — 2. Matt. III, 17, XVII, 5.

 

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Comme il est écrit: Qu'ils sont beaux les o pieds de ceux qui annoncent la paix, qui  annoncent le bonheur (1) ! » Vous voyez clairement comment le témoignage;des Prophètes appuie la prédication de la doctrine apostolique. Pour ne pas livrer au mépris et faire traiter de fables ce qu'annonçaient les Apôtres, on démontrait que les Prophètes l'avaient dit d'avance ; parce que, bien que les miracles vinssent à l'appui, il n'eût pas manqué de gens (comme on en entend encore aujourd'hui), qui les eussent attribués tous à la puissance de la magie, si le témoignage des Prophètes ne leur eût interdit une telle pensée. Personne, en effet, n'eût osé dire que les Apôtres s'étaient créé, à l'aide de la magie, longtemps avant leur naissance, des Prophètes pour les annoncer. Mais Fauste nous défend de croire au vrai Christ sur le témoignage des Prophètes hébreux, lui qui a cru aux erreurs des Perses sur le faux Christ.

 

 

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CHAPITRE XLVI. CARACTÈRE DE LA FOI SIMPLE.
 

Mais la doctrine catholique enseigne qu'il faut d'abord nourrir de foi simple l'esprit du chrétien, précisément pour le rendre capable de comprendre les vérités supérieures et éternelles. C'est en effet ce que dit le Prophète : « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (2)». Et cette foi simple est celle par laquelle, avant de connaître la science suréminente du Christ pour être remplis de toute la plénitude de Dieu (3), nous croyons que ce n'est pas sans raison que le mystère d'humilité, par lequel il est né et a souffert comme un homme, a été prédit si longtemps d'avance par des Prophètes, par une nation prophétique, par un peuple prophétique, par un royaume prophétique ; et que dans cette folie, qui est plus sage que les hommes, dans cette infirmité, qui est plus forte que les hommes (4), il se cache quelque chose de grand pour notre , justification et notre glorification. Là en effet sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (5), qui ne s'ouvrent point pour celui qui a rejeté avec mépris la nourriture que lui transmettait la chair de sa mère, c'est-à-dire le lait nourrissant qui lui venait par les mamelles des Apôtres et des Prophètes; qui,

 

1. Rom. X, 14, 15. — 2. Id. VII, 9. — 3. Eph. III, 19. —  4. I Cor. I, 25. — 5. Col. II, 3.

 

dédaignant la nourriture de l'enfant, comme s'il était parvenu à la maturité de l'âge, s'est précipité sur les mets empoisonnés de l'hérésie plutôt que sur l'aliment de la sagesse, pour lequel il avait la témérité de se croire disposé. Ainsi donc, ce que nous disons de la nécessité de la foi simple, n'est point en contradiction avec ce que nous disons de la nécessité de croire aux Prophètes; bien plus, ces deux points se rattachent, car il faut que l'esprit soit purifié et fortifié par la foi aux Prophètes, pour être capable de comprendre Celui qui parlait ainsi par la bouche des Prophètes.

 

 

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CHAPITRE XLVII. LES MANICHÉENS NE PEUVENT JUGER LA CONDUITE DES PROPHÈTES. FOI D'ABRAIIAM PROPOSÉE POUR MODÈLE.
 

Mais, dit-on; s'ils ont prophétisé le Christ, ils ont vécu d'une manière peu digne et peu conforme à leur dignité de prophètes. Comment le savez-vous? Etes-vous dans le cas de juger ce que c'est que de bien ou mal vivre, vous qui faites consister la justice à ne pas manger un melon insensible, plutôt que de donner à manger à un pauvre qui meurt de faim ? Quant aux enfants catholiques, avant de savoir en quoi consiste la justice parfaite de l'âme humaine, et quelle différence il y a entre celle après laquelle on soupire, et celle par laquelle on vit ici-bas : il leur suffit de penser de ces hommes ce que nous recommande la saine doctrine de l'Apôtre: « Le juste vit de la foi (1). Abraham crut à Dieu et « cela lui fut imputé à justice. Car l'Ecriture, prévoyant que Dieu justifierait les nations par la foi, l'annonça d'avance à Abraham, en disant : Toutes les nations seront bénies en ta postérité (2)». Voilà ce qu'enseigne l'Apôtre. A cette voix si claire, si connue de tout le monde, si vous vous réveilliez de vos songes trompeurs, vous suivriez les traces de notre père Abraham, et, avec toutes les nations, vous seriez bénis en sa postérité. «Car», nous dit l'Apôtre, « il reçut la marque de la circoncision, le sceau de la justice de la foi, qui est dans l'incirconcision, afin d'être le père de tous les croyants incirconcis, pour que la foi leur fût aussi imputée à justice, et afin d'être le père de la circoncision, non-seulement des circoncis, mais aussi de ceux qui

 

1. Rom. I, 17. — 2. Gal. III, 6, 8.

 

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suivent les traces de la foi qui est dans notre père Abraham, encore incirconcis (1) ». La justice de la foi d'Abraham nous ayant été offerte pour modèle, afin que nous aussi, justifiés par la foi, nous soyons en paix avec Dieu, nous devons étudier la vie de celui qui nous a donné cet exemple, et non le blâmer, de peur d'être rejetés du sein maternel de l'Eglise, comme des avortons, avant d'avoir été formés et perfectionnés par une conception solide.

 

 

 

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CHAPITRE XLVIII. CONCLUSION. LE SAINT DOCTEUR RÉPONDRA PLUS EN DÉTAIL AUX OBJECTIONS DE FRUSTE SUR LES PATRIARCHES.
 

Voilà la courte réponse que j'ai à faire à Fauste sur les moeurs des patriarches et des Prophètes, par la voix de nos petits enfants, au nombre desquels je me compte moi-même,

 

1. Rom. IV, 11, 12.

 

pourvu que je ne blâme pas la conduite des saints de l'antiquité, quand même je ne comprendrais pas le côté mystérieux de leur vie. Cette vie, les Apôtres nous l'ont recommandée avec éloge dans leur Evangile, comme ces Prophètes avaient eux-mêmes prédit les Apôtres ; en sorte que les deux Testaments se crient l'un à l'autre, comme les deux Séraphins : « Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées (1) ». Quand Fauste accusera, non pas d'une manière générale et vague, comme il l'a fait ici, mais précise et détaillée, les actes des patriarches et des Prophètes, alors le Seigneur leur Dieu, qui est aussi le nôtre, m'aidera à lui donner des réponses convenables et spéciales sur chaque point. Maintenant Fauste, le manichéen, blâme ces personnages, et Paul, l'apôtre, les loue : c'est à chacun de voir auquel ajouter foi.

 

 

1. Is. VI, 3.

LIVRE TREIZIÈME. LE CHRIST DE L’ÉVANGILE PRÉDIT.
 

C'est le Christ de l'Evangile que les prophéties ont annoncé, comme leur réalisation le prouve. — Manès n'est point son apôtre. — L'aveuglement des Juifs. — Les oracles païens. — Système absurde des Manichéens.

 
 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE REJETTE LES PROPHÉTIES SUR LE CHRIST. ON NE PEUT LES ADMETTRE SANS FAIRE UN CERCLE VICIEUX.

CHAPITRE II. COMBIEN L'OBJECTION DE FAUSTE EST RIDICULE.

CHAPITRE III. LE CHRIST ANNONCÉ PAR LES PROPHÈTES EST LE VÉRITABLE.

CHAPITRE IV. MANÈS N'EST POINT APÔTRE DU CHRIST; IL NE S'APPUIE SUR AUCUNE AUTORITÉ.

CHAPITRE V. LA RENOMMÉE QUE FAUSTE INVOQUE, LE CONFOND A L'ÉGARD DU CHRIST.

CHAPITRE VI. SYSTÈME ABSURDE DES MANICHÉENS, EXHORTATION A ENTRER DANS L'ÉGLISE.

CHAPITRE VII. LA LECTURE DES PROPHÉTIES ACTUELLEMENT RÉALISÉES, CONVAINQUERAIT UN CATÉCHUMÈNE.

CHAPITRE VIII. L'HOMME-DIEU PRÉDIT PAR LES PROPHÈTES.

CHAPITRE IX. LA CHUTE DES IDOLES PROPHÉTISÉE.

CHAPITRE X. LES PROPHÉTIES N'ONT POINT ÉTÉ FAITES APRÈS COUP.

CHAPITRE XI. EXPLICATION DE L'AVEUGLEMENT DES JUIFS.

CHAPITRE XII. LES HÉRÉTIQUES COMPARÉS A LA PERDRIX.

CHAPITRE XIII. LA VÉRITABLE ÉGLISE FACILE A RECONNAÎTRE.

CHAPITRE XIV. LE PAÏEN CONVAINCU PAR L'ACCOMPLISSEMENT DES PROPHÉTIES.

CHAPITRE XV. ORACLES PAÏENS COMPARÉS AUX PRÉDICTIONS DES PROPHÈTES.

CHAPITRE XVI. LE PETIT NOMBRE DES FIDÈLES. L'IVRAIE TOLÉRÉE PARMI LE BON GRAIN.

CHAPITRE XVII. QUI NE CROIT PAS AU CHRIST CROIRA ENCORE MOINS A MANÈS.

CHAPITRE XVIII. DÉTAILS SUR LE SYSTÈME ABSURDE DU MANICHÉISME.

 

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CHAPITRE PREMIER. FAUSTE REJETTE LES PROPHÉTIES SUR LE CHRIST. ON NE PEUT LES ADMETTRE SANS FAIRE UN CERCLE VICIEUX.
 

Fauste. Comment honorez-vous le Christ, puisque vous rejetez les Prophètes, selon les prédictions desquels on dit qu'il a dû venir ? —A y regarder de près, je ne sais si l'on peut prouver que quelques Prophètes hébreux aient annoncé notre Christ, c'est-à-dire le Fils de Dieu. Mais quand cela serait, que nous importe? Ce reproche s'adresse à ceux qui, convertis du judaïsme au christianisme, sur le témoignage des Prophètes, dites-vous, les ont ensuite mis de côté, en véritables ingrats. Quant à nous, nous sommes gentils par nature, c'est-à-dire de ceux que Paul appelle incirconcis (1), nés sous une autre loi, sous ces autres Prophètes que le paganisme appelle vates, et plus tard convertis de ceux-ci au christianisme. Nous n'avons pas été Juifs d'abord, pour passer ensuite au christianisme, en ajoutant justement foi aux Prophètes hébreux; mais nous sommes venus, attirés par la seule renommée de l'éclat des vertus et de la sagesse de notre libérateur Jésus-Christ. Si j'étais donc encore attardé dans la religion de mes pères et qu'un prédicateur vînt me prêcher le Christ d'après les Prophètes, je le regarderais certainement comme un fou, lui qui s'efforcerait de prouver des choses douteuses par d'autres plus douteuses, à moi gentil et professant un culte bien différent du sien. Qu'eût-il fallu en effet, sinon me persuader que je dois d'abord croire aux Prophètes et ensuite au Christ par les Prophètes ? Or, pour cela, il faudrait d'autres Prophètes qui me fissent croire à ceux-ci. Par conséquent, si vous voulez que, j'admette le Christ sur la foi des Prophètes, sur la foi de qui admettrai-je les Prophètes eux-mêmes? Me répondrez-vous: Sur la foi du Christ, en sorte que l'un s'appuie sur l'autre, le Christ sur les Prophètes et les Prophètes

 

1. Eph. II, 11.

 

sur le Christ? Mais un païen, libre des deux côtés, ne croirait ni aux Prophètes parlant du Christ, ni au Christ parlant des Prophètes. Donc, quiconque passe de la gentilité au christianisme ne doit rien qu'à sa foi. Et pour éclaircir par un exemple ce que nous disons ici, supposons que nous avons un païen à instruire et que nous lui disons : Croyez au Christ parce qu'il est Dieu. Comment le prouvez-vous ? répondra-t-il. — Par les Prophètes. — Quels Prophètes? — Ceux des Hébreux. — Mais je n'y crois pas du tout, nous dirait-il en souriant. — Pourquoi, répliquerons-nous, puisque le Christ confirme leurs témoignages? —Eh ! répondra-t-il en riant encore plus fort, je ne crois pas au Christ. — Que résultera-t-il de tout cela ? Ne serons-nous pas embarrassés, et le païen, se moquant de notre maladresse, ne retournera-t-il pas à ses idoles? Donc, comme je l'ai dit, les témoignages des Hébreux sont sans utilité pour l'Eglise chrétienne, composée de païens beaucoup plus que de juifs. Sans doute, s'il y a, comme on le dit, quelques prédictions touchant le Christ, venant de la Sibylle, ou de Mercure, surnommé Trismégiste, ou d'Orphée, ou de quelque autre devin du paganisme, cela pourra un peu aider à notre foi, de nous qui passons de la gentilité au christianisme ; mais les témoignages des Hébreux, à supposer qu'ils soient vrais, nous sont inutiles avant la conversion, superflus après; parce que, avant, nous n'y pouvons pas croire, et que, après, nous n'en avons nul besoin.

 

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CHAPITRE II. COMBIEN L'OBJECTION DE FAUSTE EST RIDICULE.
 

Augustin. La longueur de notre réponse précédente nous autorise à abréger celle-ci. Je pense, en effet, que celui qui l'a lue doit rire d'un homme qui débite de telles extravagances et ose encore dire que les Prophètes hébreux n'ont pas annoncé le Christ ; quand le nom même du Christ n'a existé que chez ce seul peuple, qu'il y a été (212) exclusivement réservé au roi et au prêtre (1), et qu'il n'en a disparu que lors de l'avènement de celui qu'ils figuraient (2). Que les Manichéens eux-mêmes nous disent de qui ils ont appris ce nom. Si c'est de Manès, je demande pourquoi ils ont cru à Manès, pour ne rien dire des autres; je demande pourquoi dès Africains ont cru à un Perse, quand Fauste blâme les Romains, les Grecs, ou d'autres peuples d'avoir cru à des Prophètes hébreux, à des étrangers, en ce qui concerne le Christ, et prétend que les prédictions de la Sibylle, d'Orphée ou de tout autre oracle païen seraient plus propres à inspirer la foi au Christ-: oubliant qu'on ne récite celles-ci dans aucune église, tandis que les Prophètes hébreux sont connus de tous les peuples et amènent une foule innombrable de fidèles à la foi chrétienne. Mais dire que l'es prophéties hébraïques sont incapables de déterminer les gentils à croire au Christ, quand nous voyons toutes les nations croire au Christ à cause de ces prophéties, c'est porter la folie jusqu'au ridicule.

 

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CHAPITRE III. LE CHRIST ANNONCÉ PAR LES PROPHÈTES EST LE VÉRITABLE.
 

Le Christ annoncé par les Hébreux vous déplait; et cependant tous les peuples, chez qui, selon vous, les prophéties hébraïques sont sans autorité, croient au Christ que les Hébreux ont annoncé, en recevant l'Evangile « que Dieu », nous dit l'Apôtre, « avait promis auparavant par ses Prophètes dans les saintes Ecritures, touchant son Fils, qui lui est né de la race de David selon la chair (3) ». C'est pourquoi le prophète Isaïe a dit : « Il y aura un rejeton de Jessé, qui se lèvera pour régner sur les nations : les nations espèreront en lui (4) »; et encore : « Voilà que la Vierge concevra et enfantera un fils, et il sera appelé Emmanuel (5) ce qui est interprété par Dieu avec nous (6) ». Et que nos adversaires ne s'imaginent pas que les Prophètes hébreux n'ont annoncé le Christ que comme homme; ce à quoi Fauste semble faire allusion quand il dit : Notre Christ Fils de Dieu : comme si les Hébreux n'appelaient pas aussi leur Christ Fils de Dieu. Voilà que nous démontrons, d'après

 

1. Ex. XXIX ; I Rois, X, 1 ; Ex. XIX. — 2. Dan. IX, 24. — 3. Rom. I, 2, 3. — 4. Is. XI, 10. — 5. Id. VII, 14. — 6. Matt. I, 23.

 

la prophétie hébraïque, que le Christ-Dieu est fils de la Vierge. En effet, de peur que les Juifs charnels ne crussent qu'il n'y avait autre chose dans le Christ que ce qui est né homme pour nous de la race de David, le Seigneur lui-même les ramène à la prophétie de ce même David, en leur demandant ce qu'il leur semblait du Christ, de qui ils le disaient fils : comme ils lui répondaient: « De David », de peur, dis-je, que leur foi ne se bornât là, et qu'ils ne perdissent de vue l’Emmanuel, que l'on interprète par, Dieu avec nous, il leur répliqua : « Comment donc David lui-même l'appelle-t-il, au moment de l'inspiration, son Seigneur, disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu'à ce que je fasse de vos ennemis l'escabeau de vos pieds ? (1) » Voilà, dis-je, que nous démontrons le Christ-Dieu par la prophétie hébraïque; montrez-nous, de votre côté, quelqu'une de vos prophéties qui vous ait seulement appris le nom du Christ.

 

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CHAPITRE IV. MANÈS N'EST POINT APÔTRE DU CHRIST; IL NE S'APPUIE SUR AUCUNE AUTORITÉ.
 

Car votre Manès n'a point été le prophète du Christ à venir : par le plus impudent des mensonges, il s'en dit l'apôtre ; quand il est constant que: cette hérésie est postérieure, non-seulement au temps de Tertullien, mais même à celui de Cyprien. Cependant toutes ses épîtres commencent ainsi : « Manès, apôtre de Jésus-Christ». Pourquoi avez-vous cru à sa parole pour ce qui concerne le Christ? Quel témoin de son apostolat vous a-t-il produit? Et le nom même du Christ, que nous savons n'avoir été porté que dans la nation juive par les, prêtres et par les rois, au point que ce n'est pas seulement tel ou tel homme, mais la nation entière et tout le royaume qui a été prophète du Christ et du royaume chrétien : ce nom, dis-je, pourquoi l'a-t-il pris, pourquoi. l'a-t-il usurpé, lui, qui vous défend de croire aux Prophètes hébreux pour faire de vous, faux et imposteur apôtre qu'il est, de faux disciples d'un faux christ? Qu'à la fin, pour ne pas s'entendre dire : Tu mens, il vous ait aussi produit quelques prophètes qui auraient, selon lui, annoncé son christ, j'y consens; mais que direz-vous à ce

 

1. Matt. XXII, 42-44.

 

213

 

catéchumène,dont Fauste parlait tout-à-l'heure, s'il ne veut croire ni à ces prophètes ni à lui? Invoquera-t-il en sa faveur le témoignage de nos apôtres? Ce ne seront pas eux qu'il produira, je pense, mais il ouvrira leurs livres : et tout en les ouvrant, il verra qu'ils se déclarent contre lui et non pour lui. Car là nous lisons et nous enseignons que le Christ est né de la Vierge Marie, que le Fils de Dieu est sorti de la race de David selon la chair 1. Dira-t-il que ces livres sont falsifiés? alors il attaque l'autorité de ses propres témoins. Mais s'il en produit d'autres, les livres de ceux qu'il appelle: ai Nos o apôtres», comment leur donnera-t-il l'autorité, lui qui repousse celle que les Apôtres du Christ ont eux-mêmes établie dans toutes les églises, pour être transmise à la postérité, appuyée sur leurs recommandations? Comment celui à qui je ne crois pas, me produit-il des Ecritures pour m'inspirer de la confiance en lui, et s'efforce-t-il de leur donner de l'autorité, alors que je n'ai aucune foi à sa parole?

 

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CHAPITRE V. LA RENOMMÉE QUE FAUSTE INVOQUE, LE CONFOND A L'ÉGARD DU CHRIST.
 

Si vous avez cru au Christ sur la foi de la renommée (c'est ce que, dans son extrême embarras, Fauste insinue en passant, évidemment pour ne pas être forcé à produire des livres dont l'autorité est nulle, ou à en accepter dont l'autorité lui est contraire) ; si, dis-je, vous avez cru au Christ sur la foi de la renommée, voyez si c'est là un témoin convenable, et prenez bien garde à l'abîme où vous vous précipitez, car la renommée publie de vous bien du mal auquel vous ne voulez pas qu'on croie. Et pourquoi voulez-vous qu'elle soit véridique quand elle parle du Christ, et mensongère quand elle parle de vous? Et si j'ajoute que vous êtes en contradiction avec la renommée même, à propos du Christ? En effet, il y en a une plus claire, une plus dominante encore, qui remplit les oreilles, les esprits, les langues de tous les peuples, celle qui nous fait voir dans le Christ né, suivant les Ecritures hébraïques, de la race de David, l'accomplissement de ce qui y est écrit et de ce qui a été promis à Abraham, à Isaac, à Jacob : « En ta postérité seront bénies toutes les

 

1. Matt. I, 22-25; Luc, II, 7 ; Rom. I, 3.

 

Nations (1) ». Que répondrez-vous ? A qui croirez-vous touchant le Christ, vous qui rejetez les témoins étrangers? Or, l'autorité dé nos livres, fortifiée par le consentement de tant de nations, par la succession des Apôtres, des évêques et des conciles, vous est contraire ; et celle des vôtres est nulle, parce qu'elle n'est produite que par un petit nombre d'hommes et par des hommes qui adorent un Dieu faux et un Christ menteur. Aussi s'élève-t-elle contre leur doctrine mensongère, moins qu'on ne les regarde eux-mêmes comme de faux imitateurs de leur Dieu et de leur Christ. Or, la renommée, si on la consulte fait de vous des hommes très-mauvais, et elle ne cesse de prêcher contre vous le Christ né de la race de David. Vous n'avez pas entendu la voix du Père, descendant du ciel (2), vous n'avez pas vu les oeuvres que le Christ donnait comme des témoignages en sa faveur; pour tromper sous un masque de christianisme, vous avez l'air d'accepter les livres où ces choses sont écrites, mais pour échapper aux textes qui vous y condamnent, vous les dites falsifiés. Vous nous présentez le Christ disant : « Si vous ne me croyez pas, croyez à mes oeuvres (3) »; et encore : « C'est moi qui rends témoignage de moi-même : mais il rend aussi témoignage de moi, mon Père qui m'a envoyé (4) » :et vous ne voulez pas qu'on vous le cite quand il dit : « Scrutez les Ecritures, puisque vous pensez avoir en elles la vie éternelle; car ce sont elles qui rendent témoignage de moi » ; et encore : « Si vous croyiez Moïse, vous me croiriez aussi ; car c'est de moi qu'il a écrit (5)» ; et ailleurs, « Ils ont Moïse et les Prophètes, qu'ils les écoutent » ; et encore

« S'ils n'écoutent: point Moïse et les Prophètes, quand même quelqu'un des morts ressusciterait, ils ne croiraient pas (6) ». Comment en êtes-vous venus là? Sur quoi vous appuyez-vous? Vous rejetez les Ecritures confirmées et recommandées par une si grande autorité, vous ne faites pas de miracles, et, quand vous en feriez, nous nous en défierions, d'après l'avertissement que nous adonné le Seigneur « Il s'élèvera de faux christs et de faux prophètes, et ils feront des signes et beaucoup de prodiges, en sorte qu'ils tromperont même les élus, s'il est possible : voilà que

 

1. Gen. XXII, 18, XXVI, 4, XXVIII, 14. — 2. Matt. III, 7; XVII, 5. — 3. Jean, X , 38. — 4.  Id. VIII, 18. — 5. Id. V, 39, 46. — 6. Luc, XVI, 29, 31.

 

214

 

je vous l'ai prédit (1) ». Tant il tenait à ce qu'on ne crût rien contre le témoignage des Ecritures, contre une autorité qui se démontre par les faits, qui nous montre accompli et réalisé dans la suite des temps ce qu'elle nous avait annoncé si longtemps d'avance !

 

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CHAPITRE VI. SYSTÈME ABSURDE DES MANICHÉENS, EXHORTATION A ENTRER DANS L'ÉGLISE.
 

Il ne vous reste plus qu'à présenter une raison, tellement certaine, dites-vous, tellement irréfutable, que la vérité s'en fait jour par elle-même, sans qu'il y ait besoin ni de l'appui des témoins ni de l'autorité des miracles. Que dites-vous donc? qu'enseignez-vous ? quelle est cette raison ? quelle est cette vérité? Une fable aussi longue que vaine, un jeu d'enfant, un caquet de femme, un conte de vieille : tronquée au commencement, putride au milieu, ruineuse à la fin. Quand, à propos du commencement, on vous demande ce qu'aurait fait le peuple des ténèbres au Dieu immortel, invisible, incorruptible, s'il avait refusé de combattre avec lui; quand, à propos du milieu, on vous demande comment peut être incorruptible, incapable de souillure, un Dieu dont vous mangez et digérez les membres dans les fruits et les légumes, et que vous broyez pour le purifier; quand, à propos de la fin, on vous demande ce qu'a fait une âme misérable, pour être punie d'une captivité perpétuelle dans un lieu de ténèbres, elle qui a été souillée par la faute d'un autre, et non par la sienne, et qui n'a pu se purifier, parce que son Dieu lui a manqué et l'a lui-même plongée dates le vice : quand on vous fait ces questions et que vous hésitez, et que vous ne savez que répondre, on repousse avec mépris vos livres si nombreux, si grands, si précieux, on déplore amèrement ces travaux d'antiquaires, ces misérables paperasses, ce pain mensonger. Si donc vous n'avez pour vous ni l'autorité des anciennes Ecritures, ni le pouvoir des miracles, ni la pureté des moeurs, ni l'appui de la raison, retirez-vous tout confus et revenez en confessant que le Christ est le Sauveur de tous ceux qui croient en lui ; car les temps présents nous montrent son nom et son Eglise comme les temps anciens nous les ont annoncés, non par quelque

 

1. Matt. XXIV, 24, 25.

 

imposteur sorti d'un antre ténébreux, mais par, une nation particulière, par un royaume spécial, établi et maintenu pour prédire de lui en figures tout ce que les faits expriment aujourd'hui, et afin que les Prophètes écrivissent alors ce que les Apôtres nous prêchent comme des faits accomplis.

 

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CHAPITRE VII. LA LECTURE DES PROPHÉTIES ACTUELLEMENT RÉALISÉES, CONVAINQUERAIT UN CATÉCHUMÈNE.
 

Prenez donc un gentil à instruire : tâche où Fauste a ri de notre impuissance et à laquelle il a lui-même défailli, non d'une manière ridicule, mais d'une manière déplorable. Si nous disons à ce gentil : Croyez au Christ parce qu'il est Dieu, et qu'il nous réponde: Pourquoi y croirai-je ? si de plus nous lui produisons l'autorité des Prophètes, et qu'il les répudie, parce qu'ils sont Hébreux et lui païen: nous lui prouverons alors que les Prophètes méritent confiance, parce que nous  voyons accompli ce qu'ils ont annoncé d'avance. Car il n'ignorerait pas, je pense, combien la religion chrétienne a d'abord subi de persécutions, de la part des princes de ce siècle ; ou s'il l'ignorait, on lui en donnerait facilement la preuve par l'histoire même des nations, par les lois, des empereurs ou écrites, ou connues par tradition ; et il verrait que cela avait été prédit longtemps d'avance parle Prophète: «Pourquoi les nations ont-elles frémi et les peuples ont-ils formé de vains complots? Les rois de la terre se sont levés et les princes se sont ligués contre le Seigneur et contre son Christ » : paroles qui ne s'appliquent point à David même, comme le reste du psaume le fait voir clairement. Car on y lit ce qui doit confondre les hommes les plus opiniâtres, par l'évidence même des choses: « Le Seigneur m'a dit: Vous êtes mon Fils, je vous ai engendré aujourd'hui; demandez-moi et je vous donnerai les nations en héritage, et la terre entière pour empire  (1) ». Or, personne ne peut douter que cette faveur n'a point été accordée à la nation juive, sur laquelle régna David, tandis que le nom du Christ étant répandu dans le monde entier, il est évident que la prophétie se trouve accomplie. Le catéchumène païen serait, ce me semble, ébranlé en entendant cela et bien d'autres passages des Prophètes

 

1. Ps. II, 1, 2, 7, 8.

 

qu'il serait long de produire ici. Il verrait encore les rois mêmes de la terre heureusement soumis à l'empire du Christ, toutes les nations engagées à son service; et on lui lirait l'endroit du psaume qui l'a prédit si longtemps d'avance. « Tous les rois de la terre l'adoreront, toutes les nations lui seront assujéties (1) », et s'il voulait lire le psaume en entier, sous le nom de Salomon auquel il est appliqué figurément, il découvrirait le Christ, le vrai roi de paix, car c'est là le sens du mot Salomon, et il reconnaîtrait que c'est dans le Christ que se sont accomplies toutes ces choses, évidemment bien au-dessus du mortel appelé Salomon, roi d'Israel. Et dans cet autre psaume où Dieu est dit oint par Dieu, le Christ est clairement indiqué par l'onction même : et là encore on insinue très-clairement que le Christ est Dieu, puisqu'on y parle d'un Dieu sacré par l'onction (2). Si le catéchumène voulait considérer ce qui y est dit ensuite du Christ, de l'Eglise même, il verrait que les prophéties qu'il vient de lire sont accomplies dans le monde entier; il verrait aussi que les idoles des nations disparaissent de l'univers au nom du Christ, et il apprendrait que cela a été prédit par les Prophètes : il entendrait Jérémie dire : «Ainsi donc tu leur diras : Que les dieux qui n'ont point fait le ciel et la terre disparaissent de dessus la terre, et qu'on ne les voie plus sous le ciel (3)» . Il entendrait le même prophète dire encore ailleurs: « Seigneur, ma force et mon aide, et mon refuge au jour de la tribulation, les nations viendront à vous des extrémités de la terre, et elles diront : Combien étaient fausses les idoles qu'ont possédées nos pères ; il n'y avait aucun profit à en tirer. L'homme se fera-t-il des dieux, et des dieux qui ne sont pas des dieux? Pour cela voilà que je leur montrerai dans ce temps-là, je leur montrerai ma main et ma force, et ils sauront que je suis le Seigneur (4)». En entendant ces prophéties écrites, et en jetant un coup d'oeil sur le monde entier, ai-je besoin de dire comme il serait entraîné à croire, alors que nous donnons de tout cela des preuves de fait, quand nous savons que les coeurs des fidèles sont singulièrement affermis dans leur foi par ces prédictions écrites si longtemps d'avance et accomplies sous nos yeux ?

 

1. Ps. LXXI, 11. — 2. Id. XLIV, 3. — 3. Jer. X, 11. — 4. Id. XVI, 19-21.

 

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CHAPITRE VIII. L'HOMME-DIEU PRÉDIT PAR LES PROPHÈTES.
 

Et s'il était tenté de prendre le Christ pour quelqu'un de ces grands hommes qu'on a vus, le même prophète l'aurait bientôt tiré de son erreur. Car voici ce qu'il dit ensuite : « Maudit l'homme qui met sa confiance dans l'homme, qui s'appuie sur un bras de chair et dont le coeur s'éloigne du Seigneur ; il sera comme le tamarin du désert ; il ne verra pas venir les biens, car il habitera parmi les méchants dans une terre déserte, dans une terre couverte de sel et qui ne sera pas habitée ». Et encore : « Béni l'homme qui se confie au Seigneur : le Seigneur sera son espérance ; il sera comme un arbre fertile planté sur le bord des eaux et qui y étend ses racines ; il ne craindra pas quand viendra la chaleur, et ses rameaux seront épais et nombreux ; il ne craindra point au temps de la sécheresse et il ne cessera de donner des fruits ». Evidemment quand le Prophète appelle maudit celui qui met sa confiance dans l'homme, et rend cette malédiction sensible par des comparaisons prophétiques ; quand il appelle béni l'homme qui se confie au Seigneur, et explique également cette bénédiction par des comparaisons analogues : notre païen serait peut-être troublé de nous entendre dire que le Christ est Dieu, dans le but de l'empêcher de mettre sa confiance en l'homme, et affirmer ensuite qu'il est homme, non par nature, mais pour avoir revêtu notre mortalité. C'est ainsi, en effet, que quelques-uns ont erré en reconnaissant le Christ comme Dieu, mais en le niant comme homme : et d'autres au contraire, en l'admettant comme homme et en le niant comme Dieu, ou ont fait preuve de mépris pour lui, ou, mettant leur confiance en un homme, ont encouru la malédiction dont parle le Prophète. Si donc ce gentil se troublait, il dirait que ce même prophète est opposé à notre foi, puisque nous n'affirmons pas seulement, d'après l'enseignement des Apôtres, que le Christ est Dieu et que l'on peut en toute sécurité mettre en lui sa confiance, mais que Jésus homme est aussi médiateur entre Dieu et les hommes (1) ; tandis que le Prophète n'a parlé que de Dieu et n'a fait aucune mention de la nature humaine : si, dis-je, il se sentait troublé là-dessus,

 

1. I Tim. II, 5.

 

216

 

il entendrait immédiatement et au même endroit une voix l'avertir et redresser son erreur « Le cœur est lourd en toutes choses, et il est homme, et qui le reconnaîtra (1) ? » Car le Christ est homme, il a revêtu la forme d'esclave, afin que ceux qui ont le cœur lourd fussent guéris par la foi, et qu'ils reconnussent comme Dieu celui qui s'est fait homme pour eux, afin qu'ils missent leur confiance, non en l'homme, mais en l'Homme-Dieu. Et néanmoins « le cœur est lourd en toutes choses, et il est homme, prenant la forme d'esclave. Et qui le reconnaît ? lui qui étant dans la forme de Dieu n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu (2). Et il « est homme ; parce que le Verbe a été fait chair et qu'il a habité parmi nous. Et qui le reconnaîtra?» puisque: «Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu (3) ». Et vraiment « le cœur est lourd en toutes choses», car il l'a été même chez les disciples, alors que le Christ leur disait: « Il y a si longtemps que je suis avec vous et vous ne me connaissez pas ? » Que signifient ces mots : « Il y a si longtemps que je suis

avec vous », sinon ce que dit le Prophète « Et il est homme ? » Et que veulent dire ces paroles: « Et vous ne me connaissez pas », sinon : « Et qui le reconnaîtra? » Et quel est-il, sinon celui qui dit: « Qui me voit, voit aussi mon Père (4) ? » Ainsi nous ne mettrons pas notre confiance en un homme, à cause de la malédiction formulée par le Prophète, mais nous la mettrons dans l'Homme-Dieu, c'est-à-dire dans le Fils de Dieu, le Sauveur Jésus-Christ, Médiateur entre Dieu et les hommes, moins grand que son Père en tarit qu'il a pris la forme d'esclave, et l'égal du Père en tant qu'il est dans la forme de Dieu.
 

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CHAPITRE IX. LA CHUTE DES IDOLES PROPHÉTISÉE.
 

Isaïe dit aussi: « Il sera humilié, il tombera sous l'injure des hommes, et le Seigneur seul sera grand en ce jour; ils cacheront dans les cavernes, dans les fentes des rochers et dans les profondeurs de la terre, toutes les idoles fabriquées de leurs mains, en présence de la colère de Dieu et de la majesté

 

1. Jer. XVII, 5-9. — 2. Phil. II, 7, 6. — 3. Jean,  I, 14, 1. — 4. Id. XIV, 9.

 

de sa puissance, lorsqu'il se lèvera pour briser la terre. Car en ce jour-là l'homme rejettera ses abominations d'or et d'argent, les idoles inutiles et nuisibles qu'ils avaient faites pour les adorer (1) ». Et peut-être ce païen, que nous catéchisons, qui ; selon Fauste, doit nous dire en riant: Je ne crois pas aux Prophètes hébreux, peut-être cache-t-il dans une caverne, dans une fente de rocher, ou dans le sein de la terre, quelques idoles fabriquées de sa main, ou sait-il qu'un de ses amis le fait, ou qu'on l'a fait dans sa ville, dans ses propres terres, en présence de la colère de Dieu, qui, au moyen des rois de la terre déjà engagés à son service et inclinés devant lui, selon la même prophétie, brise la terre par des lois très-sévères, c'est-à-dire réprime l'insolence du cœur humain. Comment donc dirait-il : Je ne crois pas aux Prophètes hébreux, quand il verrait accompli en lui-même ce que ces mêmes Prophètes ont prédit ?

 

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CHAPITRE X. LES PROPHÉTIES N'ONT POINT ÉTÉ FAITES APRÈS COUP.
 

Il serait bien plus à craindre qu'ébloui par une telle évidence des faits, il n'en vînt à dire que les chrétiens ont composé ces prophéties après que le monde a été témoin des événements qui en sont l'objet, afin de faire croire que ceux-ci avaient été prédits par inspiration divine, et d'empêcher qu'on les rejetât avec mépris comme des faits purement humains et arrivés par hasard. Cela serait à craindre, si le peuple Juif n'était répandu et connu partout: autre Caïn qui a été marqué d'un signe pour que personne ne le tue (2); autre Cham esclave de ses frères (3), qui porte des livres qui servent à instruire ceux-ci, et lui sont à charge à lui-même il. Car par ses livres nous prouvons que ces prophéties n'ont point été écrites par nous après les événements, mais qu'elles ont été faites autrefois et conservées dans ce royaume, et qu'elles sont maintenant manifestées et accomplies: et ce qu'elles pouvaient avoir d'un peu obscur (car toutes ces choses « leur arrivaient en figure, et elles ont été écrites pour nous, pour qui est venue la fin des temps (5) ») est maintenant éclairci et mis au jour, et ce qui restait caché sous les ombres des choses

 

1. Is. II, 17, 20. — 2. Gen. IV, 15. — 3. Id. IX, 25. — 4. Rétract. liv. II, ch. VII, n. 3. — 5. I Cor. X, 11.

 

217

 

à venir, est aujourd'hui révélé par l'éclat des faits accomplis.

 

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CHAPITRE XI. EXPLICATION DE L'AVEUGLEMENT DES JUIFS.
 

Peut-être le catéchumène manifesterait-il sa surprise de ce que ceux dont les livres contiennent ces prophéties aujourd'hui réalisées, ne vivent pas avec nous dans la communion de l'Évangile. Mais quand on lui apprendrait que cette circonstance même a été prédite par ces mêmes prophètes, quel puissant motif de foi n'y puiserait-il pas? Or, qui est assez aveugle pour ne pas voir cela? assez impudent, pour feindre qu'il ne le voit pas? Qui peut, en effet, douter que ce fait ait été prophétisé des Juifs, quand Isaïe dit : « Le boeuf connaît son maître, et l'âne son étable ; mais Israël ne m'a pas connu et mon peuple ne m'a pas compris (1) » ; ou quand on lit ces paroles rapportées par l'Apôtre: «Tout le jour j'ai tendu les mains à ce peuple incrédule et contredisant (2) » ; et surtout ce passage : « Dieu leur a donné un esprit de torpeur, des yeux pour ne pas voir, et des oreilles pour ne pas entendre et ne pas comprendre (3)», et beaucoup d'autres de ce genre? Et s'il disait: Quel péché les Juifs ont-ils commis, pour que Dieu les ait aveuglés au point de ne pas reconnaître le Christ? nous montrerions, autant que possible, à cet homme encore peu instruit, que d'autres péchés secrets; connus de Dieu, ont justement attiré cet aveuglement; non-seulement que l'Apôtre a dit de quelques hommes : « Pour cela, Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, ou au sens réprouvé, en sorte qu'ils font ce qui ne convient pas (4) » :  voulant montrer que certains péchés manifestes sont la punition d'autres péchés secrets; mais encore que les Prophètes mêmes n'ont point passé le fait sous silence. Car, pour ne pas aller plus loin, le même Jérémie, dans l'endroit où il dit : « Et il est homme et qui le reconnaîtra ? » pour que les Juifs ne puissent être excusés par cause d'ignorance («Car », dit l'Apôtre, «s'ils l'avaient connu, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de la gloire (5) »), Jérémie, dis-je, continue et montre que-leur ignorance est la punition de quelques fautes cachées ;

 

1. Is. I, 3. — 2. Rom. X, 21 ; Is. LXV, 2. — 3. Rom. XI, 8 ; Is. VI, 10. — 4. Rom. I, 24. — 5. I Cor. II, 8.

 

car il dit : « Je suis le Seigneur, qui interroge les cœurs et scrute les reins, pour rendre à  chacun selon ses voies et selon le fruit de ses oeuvres (1)» .

 

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CHAPITRE XII. LES HÉRÉTIQUES COMPARÉS A LA PERDRIX.
 

Que si ce païen se scandalisait de voir ceux qui portent le nom de chrétiens se partager entre des sectes différentes et en grand nombre, nous lui apprendrions que les Prophètes hébreux n'ont pas manqué de nous en prévenir. En effet, comme si après avoir démontré que les Juifs sont aveuglés par leur faute, il dût nécessairement lui venir en pensée que beaucoup de gens, portant le nom de chrétiens, sortiraient de la communion chrétienne, Jérémie encore, nous traçant en quelque sorte l'ordre à suivre dans l'instruction, ajoute aussitôt : « La perdrix crie, rassemble des petits dont elle n'est pas la mère, en amassant des richesses sans jugement». On sait, en effet, avec quelle avidité de dispute la perdrix, animal querelleur à l'excès, se jette elle-même dans le lacet. Ainsi les hérétiques n'aiment point à disputer, mais à vaincre à tout prix et à force d'impudence et d'obstination, rassemblant, comme dit le Prophète, ce qu'ils n'ont pas enfanté. En effet, les chrétiens, qu'ils séduisent principalement par le nom du Christ, ils les ont trouvés déjà nés par l'Évangile du Christ, et ils en font leur butin, sans jugement, et avec une témérité irréfléchie. Car ils ne comprennent pas que la vraie société chrétienne, celle qui mène au salut, qui est naturelle pour ainsi dire et radicale, est précisément celle dont ils séparent ceux dont ils composent leurs richesses. Et comme c'est de tels gens que parle l'Apôtre quand il dit : « Or, de même que Jannès et Mambrès résistèrent à  Moïse, de même ceux-ci résistent à la vérité : hommes corrompus d'esprit, qui n'ont pas été éprouvés dans la foi; mais ils n'iront pas au-delà : car leur folie sera connue de tout le monde, comme celle de ces hommes le fut aussi (2) » : de même le Prophète continue et dit de la perdrix qui rassemble des petits qui ne sont pas les siens: « Ils la quitteront au milieu de ses jours, et à ses derniers moments, elle sera une insensée » : ce qui signifie : celui qui séduisait d'abord par des promesses et par une ostentation de haute

 

1. Jer. XVII, 10. — 2. II Tim. III, 8, 9.

 

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sagesse, sera insensé, c'est-à-dire apparaîtra insensé. Alors il passera pour insensé aux yeux mêmes de ceux qui le croyaient sage, quand on le verra tel qu'il est, parce que sa folie sera connue de tout le monde.

 

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CHAPITRE XIII. LA VÉRITABLE ÉGLISE FACILE A RECONNAÎTRE.
 

Et comme s'il prévoyait que notre catéchumène demandera : A quel signe manifeste, moi petit enfant, encore incapable de discerner la vérité de tant d'erreurs, à quelle marque évidente reconnaîtrai-je l'Eglise du Christ, à laquelle je me sens forcé de croire par l'accomplissement de tant d'événements prédits? Le même prophète continue et, comprenant parfaitement ces inquiétudes, il lui apprend que l'Eglise du Christ qui a été prédite, est celle-là même qui apparaît et brille au-dessus de toutes les autres. En effet, elle est cette glorieuse demeure dont parle l'Apôtre: « Car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple (1) ». C'est pourquoi le Prophète dit : « Un trône de « gloire s'est élevé, le lieu de notre sanctification (2) ». En vue de ces émotions de petits enfants qui peuvent être séduits par des hommes, le Seigneur prévoyant l'éclatante manifestation de son Eglise, a dit : « Une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne (3) » : parce que « la demeure glorieuse s'est élevée, le lieu de notre sanctification », afin qu'on n'entende plus ceux qui entraînent dans les schismes religieux, et disent : « Voici le Christ ici, le voici là ». Car ils indiquent des divisions, en disant : « Voici qu'il est ici, ou là ». Comme cette ville est sur une montagne (et quelle est cette montagne, sinon celle qui, d'après la prophétie de Daniel, s'est formée d'une petite pierre, et est devenue une grande montagne, de manière à remplir toute la terre (4) ?) comme cette ville, dis-je, est sur une montagne, qu'on n'écoute pas ceux qui, sous prétexte d'enseigner une vérité secrète, mystérieuse, destinée au petit nombre, disent : « Le voilà dans le lieu le plus retiré de la maison, le voilà dans le désert (5) »; parce que « une ville ne peut être cachée, quand elle est située sur une montagne», parce que « une demeure glorieuse s'est élevée, le lieu de notre sanctification ».

 

1. I Cor. III, 17. — 2. Jer. XVII, 10-12. — 3. Matt. V, 14. — 4. Dan. II, 34, 35. — 5. Matt. XXIV, 23, 26.

 

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CHAPITRE XIV. LE PAÏEN CONVAINCU PAR L'ACCOMPLISSEMENT DES PROPHÉTIES.
 

Le païen voyant donc, d'après ces témoignages des Prophètes et beaucoup d'autres de ce genre, les prédictions qui ont été faites et qui sont maintenant accomplies, touchant la persécution des rois et des peuples, la foi des princes et des nations, la destruction des idoles, l'aveuglement des Juifs, l'authenticité éprouvée des livres dont ceux-ci sont les gardiens, la folie des hérétiques, l'excellence de la sainte Eglise des vrais et légitimes chrétiens: ce païen trouverait-il rien de plus digne de confiance que ces Prophètes, auxquels il donnerait sa foi en ce qui touche la divinité de Jésus-Christ? En effet si, avant l'accomplissement des faits, j'essayais de déterminer un païen à croire, sur la parole de Prophètes hébreux, à des prédictions non encore réalisées, il me dirait peut-être et à bon droit : Qu'ai-je à faire avec ces Prophètes, quand on ne me donne aucun moyen de constater leur véracité? Mais comme de si grands et si nombreux événements prédits par eux sont déjà accomplis et frappent tous les yeux, certainement, à moins d'une perversité volontaire, il ne pourrait en aucune façon ne pas tenir compte soit de ces mêmes événements qui ont dû être prévus, annoncés et recommandés à l'attention si longtemps d'avance et avec une telle solennité, soit de ceux qui ont pu les prévoir et les prophétiser. Car personne ne mérite mieux notre confiance, ou pour le passé déjà accompli, ou pour l'avenir qui ne l'est pas encore, que ceux dont la véracité a été démontrée par de si nombreux et si grands événements, objets de leurs prophéties.

 

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CHAPITRE XV. ORACLES PAÏENS COMPARÉS AUX PRÉDICTIONS DES PROPHÈTES.
 

Or, ce que la Sibylle, ou les sibylles, Orphée, je ne sais quel Mercure, ou d'autres devins, théologiens, sages ou philosophes païens ont pu dire ou prédire de vrai sur le Fils de Dieu ou sur Dieu le Père, peut sans doute avoir quelque valeur pour confondre la vanité des païens, mais ne suffit pas à faire accepter leur autorité, quand nous démontrons que nous adorons ce même Dieu sur lequel ils n'ont pu (219) garder le silence eux qui osaient enseigner aux gentils, leurs frères, à honorer les idoles et les démons, ou n'avaient pas le courage de les en empêcher. Mais nos saints auteurs ont étendu et gouverné, par l'ordre et avec l'aide de Dieu, une république, un royaume où ce qui était un culte pour les païens, était considéré comme un sacrilège. Et si, là, quelques-uns se laissaient aller à adorer les idoles et les démons, ou ils étaient punis par les lois mêmes de l'État, ou ils étaient retenus par les accents de tonnerre que faisaient librement retentir les Prophètes. Car ils adoraient le Dieu unique qui a fait le ciel et la terre, par des rites prophétiques, il est vrai, c'est-à-dire figuratifs de l'avenir; et ces rites devaient être abolis, lors de l'accomplissement des faits dont ils étaient le symbole: puisque le royaume lui-même était comme un grand prophète, où le roi et le prêtre recevaient une onction mystérieuse et symbolique (1); royaume qui n'a disparu, à l'insu des Juifs, et par cela même malgré eux, que lorsqu'est venu le Dieu oint par la grâce spirituelle au-dessus de tous ceux qui devaient y participer avec lui, le Saint des saints (2), tout à la fois vrai roi par le soin qu'il prend de nos intérêts, et vrai prêtre parce qu'il s'est lui-même offert pour nous. Ainsi donc autant il y a de distance, à l'occasion de l'avènement du Christ, entre l'annonce des anges et la confession des démons, autant il y en a entre l'autorité des Prophètes et une sacrilège curiosité.

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CHAPITRE XVI. LE PETIT NOMBRE DES FIDÈLES. L'IVRAIE TOLÉRÉE PARMI LE BON GRAIN.
 

En vertu de ces considérations et d'autres de ce genre, que nous ne faisons qu'effleurer rapidement, mais qu'il faudrait peut-être alors développer davantage et appuyer de preuves plus nombreuses pour détruire une erreur invétérée, le païen que Fauste nous donne pour catéchumène, serait certainement déterminé à croire, s'il préférait son salut à ses péchés; et une fois croyant, et placé et réchauffé dans le sein de l'Église catholique, il serait ensuite instruit de la conduite qu'il aurait à tenir, des devoirs qu'il aurait à pratiquer. Et il ne se troublerait point en voyant

 

1. Deut. XVIII, 15; Ps. II, 6 ; Id. CLX, 4 ; I Rois, X, 1 ; Ex. XXIX. — 2. Dan. IX, 24; Ps. XLIV, 8.

 

la multitude de ceux qui n'observeraient point les lois qui lui seraient imposées, bien qu'ils fussent corporellement réunis à lui dans l'Église et qu'ils participassent aux mêmes sacrements. Il saurait que l'héritage céleste se partage avec le petit nombre, bien que ses signes extérieurs soient communs à beaucoup; que bien peu possèdent la sainteté de vie et le don de la charité répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné (1) : source intérieure inaccessible à tout étranger; tandis que beaucoup prennent part au saint Sacrement dont il est dit que celui qui le mange et boit indignement, mange et boit son propre jugement (2), et encore que celui qui dédaigne de s'en nourrir n'aura point la vie en lui (3) et, par conséquent, ne parviendra point à la vie éternelle. Il saurait que ce petit nombre est ainsi appelé par comparaison à la multitude des méchants; qu'en réalité ceux qui le composent sont nombreux, et répandus par toute la terre, qu'ils croissent parmi l'ivraie et avec la paille jusqu'au jour de la moisson et de la séparation (4). Cela est dit dans l'Évangile, cela a été prédit par les Prophètes. En effet, la prophétie avait dit d'avance « Comme le lis au milieu des épines, ma bien-aimée s'élève au-dessus des jeunes filles (5) ». Et aussi : « J'ai habité dans les tentes de Cédar ; j'étais pacifique avec ceux qui haïssaient la paix (6) ». Et encore : « Marque au front ceux qui gémissent et s'affligent des iniquités qui se commettent au milieu de mon peuple (7)». Ainsi ce gentil, affermi par ce langage, déjà devenu concitoyen des saints et de la maison de Dieu, n'étant plus séparé d'Israël (8), mais véritable Israélite en qui il n'y aurait plus d'artifice (9), apprendrait à prononcer, avec un coeur simple, les paroles que le même Jérémie ajoute à la suite : « Seigneur, l'attente d'Israël, que tous ceux qui vous abandonnent soient frappés d'épouvante ». En effet, après avoir parlé de la perdrix qui crie et assemble des petits qui ne sont pas les siens, il a fait ressortir l'excellence de la ville située sur la montagne et qui ne peut se cacher, afin que les hérétiques ne séparent point l'homme de l'Église catholique, et il a dit : « Une demeure glorieuse s'est élevée, le lieu de notre sanctification ».

 

1. Rom. V, 5. — 2. I Cor. XI, 29. — 3. Jean, VI, 54. —  4. Matt. XIII, 25, 26 ; III, 12. — 5. Cant. II, 2. — 6. Ps. CXIX, 5, 7. — 7. Ez. IX, 1. — 8. Eph. II, 19, 12. — 9. Jean, I, 47.

 

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Ensuite, comme s'il lui était venu en pensée de demander : Que ferons-nous de tant de méchants qui se mêlent d'autant mieux partout aux fidèles, que la gloire du Christ brille davantage dans l'unité de tous les peuples ? il ajoute aussitôt : «Seigneur, l'attente d'Israël». Car il faut supporter avec patience, suivant le mot du Sauveur : « Laissez l’un et l'autre croître jusqu'à la moisson (1)» : de peur que par défaut de patience à tolérer les méchants, les bons, qui sont proprement le corps du Christ, ne soient délaissés; et, quand ils le sont, le Christ l'est avec eux. Aussi le Prophète ajoute-t-il : « Que tous ceux qui vous abandonnent soient frappés d'épouvante; que ceux qui se sont retirés vers la terre soient confondus ». Car la terre c'est l'homme qui a confiance en lui-même et engage les autres à y en avoir ; aussi lit-on ensuite

«Ils seront détruits, parce qu'ils ont abandonné le Seigneur, la source de la vie ». Que crie, en effet, la perdrix, sinon que c'est en elle que se trouve et que se communique la source de la vie : afin que ceux qui s'assemblent à sa voix, s'éloignent du Christ, trompés par l'espoir de le trouver, vu que déjà ils connaissaient son nom? Car elle ne rassemble pas des petits qui soient à elle ; mais pour rassembler des petits qui ne sont pas les siens, elle dit : Le salut promis par le Christ est chez moi; c'est moi qui le donnerai. Mais voyez ce qu'enseigne le Prophète : « Guérissez-moi, Seigneur, et je serai guéri ; sauvez-moi et je serai sauvé ». Ce qui fait dire à l'Apôtre: «Que personne ne se glorifie dans l'homme (2) » ; puis Jérémie ajoute : « Car vous êtes mon titre de gloire (3)». C'est ainsi que nous instruisons l'homme d'après la doctrine des Apôtres et des Prophètes, afin qu'il soit bâti sur le fondement des Apôtres et des Prophètes (4).

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CHAPITRE XVII. QUI NE CROIT PAS AU CHRIST CROIRA ENCORE MOINS A MANÈS.
 

Or, comment Fauste convaincrait-il de la divinité du Christ le païen à qui il prête ce langage : Je ne crois pas aux Prophètes parlant du Christ, ni au Christ parlant des Prophètes? Croirait-il au Christ parlant de lui-

 

1. Matt. XIII, 30. — 2. I Cor. III, 21. — 3. Jer. XVII, 13, 14. — 4. Eph.  II, 20.

 

même, lui qui ne croirait pas au Christ rendant témoignage des autres? Il serait par trop ridicule de le penser. En effet, ou il ne croirait en rien à celui qu'il jugerait indigne de confiance, ou il le croirait plutôt parlant des autres que parlant de lui-même. Peut-être Fauste, accablé ici sous le poids du ridicule, lirait-il à son homme les sibylles, Orphée et autres païens de ce genre chez qui il au rait rencontré quelque prédiction relative au Christ? Mais non : il ne le ferait pas ; car il a avoué qu'il n'en connaît point, puisqu' a dit : « S'il y a, comme on le prétend, quelques prédictions de la Sibylle, ou de Mercure appelé Trismégiste, ou d'Orphée, ou « de quelque autre devin chez les païens, concernant le Christ ». Or, Fauste, qui ne connaît pas les écrits de ces personnages, qui n'en parle même que par ouï-dire, ne les lirait certainement pas à l'homme qui lui dirait : Je ne crois ni aux Prophètes, ni au Christ. Que ferait-il donc ? Citerait-il Manès, et prêcherait-il le Christ d'après lui ? C'est ce que les Manichéens n'ont jamais fait; au contraire, c'est au nom du Christ, ce nom qui brille partout d'un doux éclat, qu'ils se sont efforcés de faire valoir Manès, comme pour frotter de miel les bords de leur coupe empoisonnée. En effet, le Christ ayant promis à ses disciples de leur envoyer le Paraclet, c'est-à-dire le consolateur ou l'avocat, l'Esprit de vérité (1), ils prennent occasion de cette promesse, pour prétendre que ce Paraclet est Manès ou dans Manès, et s'insinuer ainsi dans l'esprit des hommes qui ignorent quand l'Esprit promis par le Christ a été envoyé. Mais ceux qui ont lu le livre canonique, intitulé les Actes des Apôtres, voient qu'on y fait mention encore une fois de la promesse du Christ, et qu'elle a été remplie de la manière la plus éclatante (2). Nous demandons donc comment Fauste inspirerait à ce gentil la foi au Christ ? Car je ne pense pas qu'il y ait un homme assez aveugle pour dire : Je ne crois pas au Christ, mais je crois à Manès. Ensuite, si ce n'était en riant, ce serait avec courroux, que le gentil dirait : Quoi ! tu veux que je croie à des livres persans et tu me défends de croire à des livres hébreux? Comment donc, ô hérétique, gagnerais-tu cet homme, s'il n'avait déjà une foi quelconque au Christ quand il tombe entre tes mains, en

 

1. Jean, XIV, 16. — 2. Act. I, 8; 11, 1-4.

 

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sorte que, déjà convaincu qu'il faut croire au Christ, il se laisse séduire par Manès qui

lui semble mieux prêcher le Christ ? Ainsi voilà la perdrix rassemblant des petits qui ne sont pas les siens. Et vous ne la quittez pas encore, vous qu'elle rassemble ? Et vous ne voyez pas encore un insensé dans celui qui vous dit que les témoignages des Hébreux, fussent-ils vrais, nous sont inutiles avant la foi, et superflus après?

 

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CHAPITRE XVIII. DÉTAILS SUR LE SYSTÈME ABSURDE DU MANICHÉISME.
 

Que les croyants rejettent donc tous les livres qui les ont rendus croyants. Car si nos adversaires disent vrai, je ne vois pas pourquoi les fidèles liraient même l'Évangile du Christ. En effet, il est inutile avant la foi, puisque le gentil que Fauste, dans son erreur ridicule ou plutôt déplorable, nous amène souriant, ne croit pas au Christ. Après la foi il est superflu, puisqu'on traite de superflus les témoignages, même vrais, que l'on produit touchant le Christ à ceux qui croient déjà au Christ. Mais, peut-être direz-vous ici : Le fidèle doit lire l'Évangile pour ne pas oublier ce qu'il croit. Eh ! insensés, il faut donc aussi qu'il lise les témoignages authentiques des Prophètes, afin de ne pas oublier les motifs de sa foi ; car, s'il les oubliait, sa foi cesserait d'être ferme. Ou bien rejetez les livres de Manès, sur la foi desquels vous croyez que la lumière a lutté avec les ténèbres et que la lumière était Dieu; que la lumière avant de pouvoir enchaîner les ténèbres, a d'abord été dévorée, enchaînée, souillée, mise en pièces par elles; et qu'en mangeant, vous la restaurez, vous la dégagez, la purifiez et la guérissez, afin d'en recevoir la récompense et de ne pas être condamnés à vivre éternellement sur un globe ténébreux, avec celte qui n'aura pu être délivrée. Cette fable ridicule, vous la préconisez tous les jours et en actions et en paroles: pourquoi donc chercher à l'appui des témoignages de livres, dévorer la substance d'autrui dans des choses superflues et pour la composition de vos livres, et tenir enchaînée la substance de votre Dieu ? Brûlez tous ces manuscrits, ces étuis élégants si artistement travaillés, pour vous débarrasser d'un poids de superfluités et dégager votre Dieu qu'un manuscrit même tient enchaîné comme un esclave que l'on punit. Et si vous pouviez manger vos livres, même bouillis, quel service vous rendriez aux membres de votre Dieu ! Si cela pouvait se faire, est-ce que l'impureté de la chair vous empêcherait de dévorer ces pages? Que la pureté de l'encre, qui a pénétré la peau d'agneau, se l'impute donc. Mais vous aussi vous avez fait cela, vous qui, comme au début de vos combats, avez souillé ce qu'il y avait de pur dans votre plume, en le fixant par l'écriture sur l'impureté du parchemin, à moins que les couleurs ne vous accusent en déposant du contraire. Car vous avez préféré attaquer la lumière des pages blanches avec les ténèbres de l'encre. Est-ce vous qui devez nous en vouloir de dire cela, ou nous qui devons nous fâcher contre vous de croire à des choses qui, bon gré mal gré, produisent de telles conséquences ? Pour nous, tant pour nous rappeler les objets de notre foi, que pour soutenir notre espérance et animer notre charité, nous lisons les livres prophétiques et les livres apostoliques, deux voix qui s'accordent parfaitement; et cet accord, comme une trompette céleste, nous arrache au pesant sommeil de cette vie mortelle et nous fait aspirer à la palme de la vocation d'en haut. En effet, après avoir rappelé ce passage des livres prophétiques : « Les outrages de ceux qui vous outrageaient sont tombés sur moi (1) », l'Apôtre parle ensuite de l'utilité de ces divines leçons : « Car tout ce qui est écrit », dit-il, « a été écrit pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation des Écritures nous ayons espérance en Dieu (2) ». Mais Fauste dit le contraire. Qu'il subisse donc l'arrêt de Paul : « Si quelqu'un vous annonce un autre Evangile que celui que vous avez reçu, qu'il soit anathème (3) ! »

 

1. Ps. LXVIII, 10. — 2. Rom. IV, 4. — 3. Gal. I, 9.

LIVRE QUATORZIÈME. MOÏSE JUSTIFIÉ.
 

Moise justifié contre Fauste. — Explication de la malédiction lancée contre quiconque est suspendu au bois. — En quel sens elle tombe sur le Christ. — Les Manichéens sont idolâtres. — Explication de la malédiction de Moïse contre celui qui ne laisse point de postérité en Israël.

 

CHAPITRE PREMIER. FAUSTE REPROCHE A MOÏSE DES MALÉDICTIONS LANCÉES MAL A PROPOS.

CHAPITRE II. LE CHRIST A ÉTÉ SUSPENDU AU BOIS, IL AVAIT DONC UNE CHAIR MORTELLE.

CHAPITRE III. EN QUEL SENS LA MALÉDICTION DE MOÏSE TOMBE SUR LE CHRIST.

CHAPITRE IV. LE CHRIST A SUBI LA PEINE DU PÉCHÉ SANS LE PÉCHÉ.

CHAPITRE V. LA CHAIR DU CHRIST SEMBLABLE A LA CHAIR DU PÉCHÉ.

CHAPITRE VI. EN QUEL SENS LE CHRIST A ÉTÉ MAUDIT DE DIEU.

CHAPITRE VII. LE CHRIST VRAIMENT MAUDIT, PARCE QU'IL EST VRAIMENT MORT.

CHAPITRE VIII. VAINE DISTINCTION, IMPUTABLE AUX MANICHÉENS.

CHAPITRE IX. CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.

CHAPITRE X. LES MANICHÉENS SONT IDOLÂTRES.

CHAPITRE XI. ILS ADORENT LE SOLEIL ET LA LUNE.

CHAPITRE XII. RÉPONSE A UN DILEMME DE FAUSTE.

CHAPITRE XIII. AUTRE CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.

 

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CHAPITRE PREMIER. FAUSTE REPROCHE A MOÏSE DES MALÉDICTIONS LANCÉES MAL A PROPOS.
 

Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas Moïse? — Parce que nous aimons et honorons le Christ. Quel est, en effet, l'homme assez irréligieux pour accueillir celui qui a maudit son père? Or, bien que les blasphèmes de Moïse n'aient épargné ni choses divines, ni choses humaines, ce qui nous inspire cependant le plus d'horreur pour lui, c'est qu'il a lancé d'affreuses malédictions contre le Christ, le Fils de Dieu, qui a été suspendu au bois pour notre salut. L'a-t-il fait sciemment, ou par hasard, c'est à toi de le voir. Mais ni l'un ni l'autre ne l'excuse ni ne dispose à le recevoir. En effet, il déclare maudit quiconque est suspendu au bois (1). Et tu veux que je l'accepte, que je croie à sa parole ; lui qui a sciemment et volontairement maudit le Christ, s'il était prophète, et s'il n'était pas prophète, l'a maudit par ignorance et sans le savoir ? Choisis donc entre ces deux hypothèses : ou Moïse n'a pas été prophète et a péché par imprudence en enveloppant Dieu, sans le savoir? dans les malédictions qu'il formule contre d'autres, selon son usage; ou il était prophète, et alors il n'a point ignoré ce qui devait arriver, mais par jalousie contre notre salut qui devait avoir lieu par le bois, il a lancé contre Celui qui en est l'auteur le venin de sa bouche malfaisante. Et qui donc croira que celui qui déchire ainsi le Fils, a vu ou connu le Père; que celui qui a ignoré le terme ou l'ascension du Fils, a pu prédire son avènement? J'ajouterai encore une considération qui me frappe : c'est l'étendue et la portée de cette injure, le nombre de ceux qu'elle atteint et blesse: tous les justes et tous les martyrs, qui ont subi ce genre de mort, comme Pierre, André et tous ceux qui ont partagé leur sort. Si Moïse n'avait pas péché

 

1. Deut. XXI, 23.

 

par ignorance, faute du don de prophétie, ou si, étant prophète, il n'eût pas cédé à l'instinct de la malice et de la haine, il ne leur eût pas infligé un si cruel anathème: car il ne les déclare pas seulement maudits d'une façon vulgaire, c'est-à-dire chez les hommes, mais aussi devant Dieu. Or, si cela est, quel espoir de bénédiction reste-t-il au Christ même, ou aux Apôtres, ou à nous, s'il nous arrive d'être crucifiés en qualité de chrétiens? Enfin, à quel point n'était-il pas imprudent et dénué de l'inspiration divine, pour ne pas songer que les hommes peuvent être attachés au bois pour des causes différentes; les uns en expiation d'un forfait, les autres pour la justice et pour Dieu? Aussi a-t-il lancé sa malédiction au hasard, sur tous et sans distinction; tandis que, s'il avait eu la moindre, je ne dirai pas inspiration prophétique, mais prévoyance, et si la croix le blessait au point de former, elle seule, une exception et un supplice à part entre tous les genres de supplices, il devait simplement déclarer maudit tout scélérat, tout impie suspendu au bois, afin d'établir une distinction entre les bons et les méchants ; et encore n'eût-il pas été absolument dans le vrai, puisque c'est du gibet que le Christ a fait entrer avec lui le larron dans le paradis de son Père (1). Où est donc l'anathème: « Maudit celui qui est suspendu au bois ? » Est-ce que Barrabas, cet insigne brigand, qui non-seulement ne fut pas suspendu au bois, mais qui fut même élargi à la demande des Juifs (2), fut plus béni que celui qui monta, avec le Christ, de la croix au ciel? Dirai-je enfin que Moïse appelle maudit quiconque adore le soleil et la lune (3) ? Si donc, étant sujet d'un roi païen, je suis forcé d'adorer le soleil, que je résiste et que, craignant la malédiction attachée à cet acte, je sois condamné à être crucifié : quoi ! j'encourrai l'autre malédiction lancée par Moïse contre celui qui est suspendu au bois? Veut-il donc maudire tous

 

1. Luc, XXIII, 43. — 2. Matt. XXVII, 26. — 3. Deut. XVII, 3.

 

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les gens de bien? Pour nous, nous ne devons pas plus faire cas de ses anathèmes que de ceux d'une vieille femme en colère. C'est ainsi encore qu'il poursuit d'une même malédiction les enfants et les vierges, quand il déclare maudit celui qui ne laissera point de postérité en Israël (1). Injure, qui s'adresse encore particulièrement à Jésus, lequel étant issu selon vous, du peuple juif, n'a cependant point laissé de postérité dans sa nation, et aussi sur ses disciples, dont quelques-uns étaient mariés et qu'il a séparés de leurs femmes, tandis qu'il a défendu le mariage à ceux qu'il a trouvés vierges. En conséquence, sachez que nous avons à bon droit en abomination cette langue insolente de Moïse, qui décoche les traits de sa malice contre le Christ qui est la lumière, contre la virginité, contre tout ce qu'il y a de divin. Que si par hasard vous prétendez qu'il v a une grande différence entre un suspendu et un crucifié (car c'est là ordinairement votre principal moyen de défense), écoutez Paul, rejetant vos subterfuges : « Le Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, en devenant malédiction pour nous. Car il est écrit : Maudit quiconque est suspendu au bois (2) ».

 

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CHAPITRE II. LE CHRIST A ÉTÉ SUSPENDU AU BOIS, IL AVAIT DONC UNE CHAIR MORTELLE.
 

Augustin. Fauste, homme pieux, s'afflige de ce que le Christ a été maudit par Moïse, et pour cela il hait Moïse, parce qu'il aime le Christ. Mais avant d'expliquer avec quel profond mystère et avec quelle piété ces paroles ont été dites : « Maudit quiconque est suspendu au bois (3) », j'ai une question à faire à ces hommes pieux. Pourquoi se fâchent-ils contre Moïse, puisque cette malédiction ne tombe pas sur leur Christ ? Car si le Christ a été suspendu au bois, c'est sans doute parce qu'il a été attaché avec des clous. Aussi après sa résurrection a-t-il montré ses cicatrices à un disciple d'une foi faible (4). Or, si cela est, il avait donc un corps vulnérable et mortel : ce que les Manichéens ne veulent pas accorder. Donc encore si ces blessures, si ces cicatrices étaient fausses, il est également faux qu'il ait été suspendu au bois. Par conséquent la malédiction n'a pu l'atteindre, et ils

 

1. Deut. XXV, 5,10. — 2. Gal. III, 13. — 3. Deut. XXI, 23. — 4. Jean, XX, 27.

 

n'ont pas de raison de se fâcher contre celui qui l'a prononcée. Et si les Manichéens ont l'air de s'irriter contre celui qui a maudit la mort fausse du Christ (pour parler leur langage) ; à combien plus forte raison doit-on fuir ceux qui ne maudissent pas seulement le Christ, mais qui l'accusent? Si, en effet, il faut rejeter un homme qui lance la malédiction contre la nature mortelle, quelle horreur éprouvera-t-on pour celui qui oppose le mensonge à la vérité? Mais voyons, à l'occasion de cette calomnie des hérétiques, comment il faut expliquer ce mystère aux fidèles.

 

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CHAPITRE III. EN QUEL SENS LA MALÉDICTION DE MOÏSE TOMBE SUR LE CHRIST.
 

La mort chez l'homme est la peine du péché, ce qui lui fait donner le nom de péché; non que l'homme pèche en mourant, mais parce que c'est le péché qui est cause qu'il meurt. De même qu'on dit, dans un sens, la langue, en parlant de l'organe charnu qui se meut sous le palais entre les dents, et dans un autre sens, la langue, en parlant du langage qui se produit par elle, comme par exemple la langue grecque, la langue latine; de même encore que le mot main signifie proprement le membre que nous mettons en mouvement pour agir, et aussi l'écriture qui se forme par la main, en sorte qu'on dit : On a produit sa main (son écriture) ; on a lu sa main (son écriture) contre lui; j'ai votre main (id.), recevez votre main (id.) (1), bien que, à la rigueur, la main soit un membre du corps humain, ce qui, je pense, ne peut se dire de l'écriture, et cependant celle-ci s'appelle main, parce qu'elle est produite par la main : ainsi on appelle péché, non-seulement l'action mauvaise même, à laquelle la punition est due, mais encore la mort qui est le résultat du péché. Le Christ n'a donc point commis le péché, qui l'eût rendu digne de mort; mais, dans l'autre sens, il l'a subi, c'est-à-dire il a accepté pour nous la mort infligée par le péché à la nature humaine. C'est là ce qui l'a suspendu au bois, c'est là ce que Moïse a maudit; la mort a été condamnée, afin qu'elle cessât de régner, elle a été maudite pour périr. C'est donc par le péché du Christ entendu en ce

 

1. Cette métaphore, propre à la langue latine, ne petit se Tendre en français, où cependant on dit, en parlant de l'écriture de quelqu'un : Il a une belle main.

 

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sens qu'a été condamné notre propre péché, afin que nous fussions délivrés, afin que notre condamnation ne fût pas perpétuée par le règne du péché.

 

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CHAPITRE IV. LE CHRIST A SUBI LA PEINE DU PÉCHÉ SANS LE PÉCHÉ.
 

Comment donc Fauste s'étonne-t-il que le péché ait été maudit, que la mort ait été maudite, ainsi que la mortalité de la chair qui se trouvait dans le Christ, non par suite de son péché, mais à cause du péché de l'homme? En effet, il avait pris son corps d'Adam, puisque la Vierge Marie, mère du Christ, descendait d'Adam. Or, Dieu avait dit dans le paradis : « Au jour où vous en toucherez, vous mourrez de mort (1) ». Voilà la malédiction qui a été suspendue au bois. Que celui qui nie que le Christ soit mort, nie qu'il ait été maudit. Mais que celui qui confesse que le Christ est mort, qui ne peut nier que la mort soit le fruit du péché et que pour cela on l'appelle péché, que celui-là écoute l'Apôtre dire : « Parce que notre vieil homme a été crucifié avec lui (2) », et qu'il comprenne à qui s'adresse la malédiction de Moïse. Aussi le même apôtre dit-il du Christ en toute confiance : « Il est devenu malédiction pour nous (3) », de même, qu'il n'a -pas craint de dire : «Il est mort pour tous (4) ».Car mort a ici le même sens que maudit; parce que la mort elle-même est le fruit de la malédiction, et que tout péché est maudit ou en lui-même, parce qu'il mérite aine punition, ou dans la punition même qu'on appelle aussi péché, parce qu'elle est aussi la suite du péché. Or, le Christ a accepté notre punition sans la faute, afin de payer lui-même la dette de notre faute, et de mettre par là un terme à notre punition.

 

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CHAPITRE V. LA CHAIR DU CHRIST SEMBLABLE A LA CHAIR DU PÉCHÉ.
 

On pourrait m'accuser d'inventer, si 1'Apôtre ne nous le répétait pas si souvent, et pour réveiller ceux qui dorment, et pour réduire les calomniateurs au silence. « Dieu », nous dit-il, « a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché, afin de condamner le péché, dans la chair, par le péché

 

1. Gen. II,17. — 2. Rom. VI, 6. — 3. Gal. III,13. — 4. II Cor. V, 15.

 

même (1) ». La chair du Christ n'était donc point une chair de péché, parce qu'elle ne lui était point venue de Marie par un père mortel; mais comme la mort est le fruit du péché, cette même chair, quoique produite d'une vierge, a cependant été mortelle, et par le fait qu'elle était mortelle, elle ressemblait à la chair du péché. C'est ce que l'Apôtre appelle aussi péché et ce qui lui fait dire : « Afin de condamner le péché dans la chair, par le péché même». Et ailleurs encore : « Celui qui ne connaissait point le péché, il l'a rendu péché pour l'amour de nous, afin qu'en lui nous devinssions justice de Dieu (2) ». Pourquoi Moïse craindrait-il d'appeler maudit celui que Paul n'a pas craint d'appeler péché? Assurément le Prophète a dû prévoir et prédire cela, tout prêt à subir, avec l'Apôtre, le blâme, des hérétiques. Car quiconque reproche au Prophète d'avoir dit maudit, est censé blâmer aussi l'Apôtre d'avoir dit péché : puisque la malédiction est la compagne du péché.

 

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CHAPITRE VI. EN QUEL SENS LE CHRIST A ÉTÉ MAUDIT DE DIEU.
 

 

Il ne faut pas plus en vouloir à Moïse d'avoir ajouté de Dieu : « Maudit de Dieu quiconque est suspendu au bois ». Car si Dieu ne haïssait pifs le péché et la mort en nous, il n'eût pas envoyé son Fils pour la subir et la détruire. Est-il donc étonnant que Dieu maudisse ce qu'il hait? Car il nous accordera d'autant plus volontiers l'immortalité qui doit suivre l'avènement du Christ, qu'il a mis plus de miséricorde à haïr notre mort qui a été suspendue au bois avec le Christ mourant. Quant à ce mot quiconque: « Maudit quiconque est suspendu au bois », certainement Moïse a prévu aussi que des justes subiraient la croix; mais il a également prévu que les hérétiques nieraient un jour la réalité de la mort du Seigneur, et qu'ils chercheraient à l'exempter de cette malédiction, dans le but de le soustraire par là à une mort véritable. Si, en effet, sa mort n'a pas été vraie, la malédiction n'atteint pas le Christ suspendu au bois, puisqu'il n'a pas été vraiment crucifié. Mais au contraire, c'est de loin que Moïse crie (et depuis quel temps il leur crie : C'est, en vain que vous tergiversez !) crie, dis-je, aux hérétiques à qui la mort réelle du Christ déplaît: « Maudit

 

1. Rom. VIII, 3. — 2. II Cor. V, 21.

 

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quiconque est suspendu au bois » ; non pas tel ou tel, mais quiconque, absolument quiconque. Quoi ! même le Fils de Dieu ? Très-certainement. Et c'est justement là ce que vous ne voulez pas : c'est là le point de mire de vos efforts, votre grand moyen de séduction. Il vous déplaît que le Christ soit maudit pour nous, parce que vous ne voulez pas qu'il soit mort pour nous, car il serait exempt de la malédiction d'Adam, s'il n'avait pas subi la mort d'Adam. Mais comme il a subi la mort en tant que Fils de l'homme et pour l'homme, c'est pour cela qu'il n'a pas dédaigné d'encourir, et comme Fils de l'homme et pour l'homme, la malédiction qui accompagne le péché : lui, le Fils de Dieu toujours vivant dans sa justice propre, mais aussi mort pour nos péchés (1), dans une chair qu'il a revêtue en expiation de notre péché. C'est ainsi qu'il est toujours béni dans sa justice, et maudit, à raison de nos péchés, dans la mort qu'il a subie en expiation de nos fautes : et voilà pourquoi ce mot quiconque, afin qu'on ne puisse pas dire que le Christ n'est pas véritablement mort, si, par de stupides égards, on parvenait à lé soustraire à la malédiction qui est attachée à la mort.

 

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CHAPITRE VII. LE CHRIST VRAIMENT MAUDIT, PARCE QU'IL EST VRAIMENT MORT.
 

Mais celui qui est fidèle selon la vérité évangélique, comprend que la bouche de Moïse ne fait pas plus injure au Christ en le déclarant maudit (non dans sa majesté divine, mais selon la condition de notre nature punie, dans laquelle il a été suspendu au bois), que la bouche des Manichéens ne : fait son éloge quand ils nient qu'il ait revêtu une chair capable de subir une mort véritable. En effet, l'oracle prophétique fait ressortir la gloire de son humilité, et le prétendu respect que lui témoignent les hérétiques, fait peser sur lui l'accusation de fausseté. Si tu nies la malédiction, nie donc qu'il soit mort; et si tu nies qu'il soit mort, ce n'est plus Moïse, mais les Apôtres que tu combats. Si, au contraire, tu confesses que le Christ est mort, avoue qu'il s'est chargé de la peine de notre péché, sans avoir péché avec nous. Et quand tu entends parler de la peine du péché, crois qu'elle

 

1. Rom. IV, 25.

 

provient ou de bénédiction ou de malédiction ; dans le premier cas, désire d'y rester toujours; mais si tu souhaites d'en être délivré, pense qu'elle est le fruit de la malédiction par un arrêt de la divine justice. Confesse donc que celui que tu reconnais être mort pour nos péchés, a aussi accepté la malédiction pour nous, et que ces paroles de Moïse : « Maudit quiconque est suspendu au bois », n'ont pas d'autre sens que celui-ci : Tout homme est mortel et tout homme est mourant quand il est suspendu au bois. Le Prophète pouvait dire en effet : Maudit tout mortel, ou maudit tout homme qui meurt; mais voilà ce qu'il a voulu enseigner: parce qu'il savait que le Christ devait mourir suspendu à la croix, et qu'un jour des hérétiques diraient : Il a été suspendu à la croix, il est vrai, mais seulement en apparence, et non pour subir une mort véritable. En criant donc : « Maudit », il n'a pas voulu proclamer autre chose, sinon que le Christ est vraiment mort, sachant que la mort de l'homme coupable, qu'il a subie sans avoir péché, provient de cette malédiction : « Si vous en mangez, vous mourrez de mort (1) ». C'est encore à cela que se rapporte le serpent suspendu au bois, pour signifier que le Christ n'a pas subi une mort apparente, mais qu'il a suspendu au bois de sa passion la véritable mort, dans laquelle le serpent avait précipité l'homme par ses perfides conseils. Et c'est cette véritable mort que les Manichéens ne veulent pas voir; et voilà pourquoi ils ne sont pas guéris du venin du serpent, comme l'étaient tous ceux qui jetaient sur lui un regard dans le désert (2).

 

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CHAPITRE VIII. VAINE DISTINCTION, IMPUTABLE AUX MANICHÉENS.
 

Nous avouons cependant que les ignorants prétendent qu'autre chose est d'être suspendu au bois, autre chose, d'y être cloué. Et c'est ainsi que quelques-uns ont cherché à résoudre la question, en disant que la malédiction de Moïse s'adresse à Judas qui se suspendit à un lacet : comme s'ils savaient d'abord, si c'est à un bois ou à une pierre qu'il s'est suspendu. Mais il est vrai, comme Fauste lui-même le fait remarquer, que l'Apôtre ne permet pas d'entendre cette malédiction autrement que comme une prédiction relative au

 

1. Gen. II, 17. — 2. Num. XXI, 9.

 

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Christ. Hélas ! cette ignorance de quelques catholiques est le résultat de la séduction manichéenne. Car c'est à de tels hommes qu'ils s'adressent d'habitude, ce sont ceux-là qu'ils enveloppent du filet de leurs erreurs; tels nous étions tombés entre leurs mains, tels nous étions pris, et tels nous avons été délivrés, non par nos propres forces, mais par la miséricorde de Dieu.

 

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CHAPITRE IX. CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.
 

Mais quelles sont donc ces choses divines que Moïse a outragées, comme Fauste l'en accuse, en disant « qu'il n'a jamais rien respecté dans les choses humaines ni dans les choses divines? » Fauste a dit cela et a passé outre : il ne s'est pas donné la peine de rien prouver, il n'a pris aucun souci de rien démontrer. Or, nous savons, nous, que Moïse a décerné de pieux éloges à tout ce qui est vraiment divin, et qu'il a gouverné avec justice les choses humaines selon les besoins de son temps et dans la mesure des grâces qui lui étaient départies. Que les Manichéens me forcent à le leur apprendre, comme ils se sont eux-mêmes efforcés de prouver ce que Fauste objecte, avec précaution, il est vrai, mais par là même, imprudemment: car il se perçait de ses propres armes. Heureux, en effet, le coeur pénétrant pour la vérité, malheureux celui qui l'est contre la vérité. Fauste n'a pas dit que Moïse n'a épargné personne, ni hommes ni dieux, mais qu'il n'a rien respecté, ni « dans les choses humaines, ni dans les choses divines ? ». Si, en effet, il s'était borné à dire qu'il n'a pas respecté Dieu, il serait facile de le convaincre .de calomnie: car on prouverait que Moïse honore et prêche partout le vrai Dieu qui a fait le ciel et la terre. S'il disait que Moïse n'a épargné aucun des dieux, il se trahirait aux yeux des chrétiens, en faisant voir qu'il adore lui-même les dieux, dont Moïse a interdit le culte, et alors, les poussins se réfugiant sous les ailes de leur mère, l'Église catholique, il ne rassemblerait pas des petits qui ne sont pas les siens. Afin donc de tendre un piége aux petits enfants, il a dit que Moïse n'a rien respecté dans les choses divines, afin que les chrétiens, ne voyant pas là une idolâtrie manifeste, n'eussent pas horreur d'un impiété si opposée à la religion chrétienne, et pour trouver appui contre nous chez les païens, qui savent que Moïse a dit bien des choses vraies et justes contre les idoles et les dieux des nations, qui sont des démons.

 

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CHAPITRE X. LES MANICHÉENS SONT IDOLÂTRES.
 

Si ceci blesse les Manichéens, qu'ils se déclarent franchement adorateurs des idoles ou des démons: ce qu'ils sont, sans s'en douter, par cela même qu'ils sont hérétiques. Car c'est de telles gens que l'Apôtre a dit, «que dans les derniers temps quelques-uns abandonneront la foi, s'attachant à des esprits séducteurs, à des doctrines de démons, sous le langage menteur de l'hypocrisie (1) ». Qui, en effet, sinon les démons, amis du mensonge, persuaderait à ces hommes que le Christ a faussement souffert, est faussement mort, a montré faussement des cicatrices, c'est-à-dire qu'il n'a pas vraiment souffert, qu'il n'est pas vraiment mort, et que ses cicatrices n'étaient pas de vraies cicatrices ? Quelles doctrines portent plus évidemment le, signe des démons menteurs, que celles qui cherchent à persuader que le Fils de Dieu, c'est-à-dire la vérité même, est un imposteur ? Mais dans la doctrine de ces hérétiques se retrouve clairement le culte, sinon des démons, du moins de la créature, lequel est condamné par l'Apôtre qui nous dit : « Ils ont adoré et servi la créature au lieu du Créateur (2). »

 

 

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CHAPITRE XI. ILS ADORENT LE SOLEIL ET LA LUNE.
 

Par conséquent, à travers leurs rêves fantastiques et leurs fables, les Manichéens adorent, sans le savoir, les idoles et les démons; ils savent que, dans le soleil et dans la lune, ils servent la créature, et s'ils pensent servir aussi le Créateur, ils se trompent beaucoup: car ils servent leur fantôme, et nullement le Créateur, puisqu'ils nient que Dieu ait créé ce que l'Apôtre démontre clairement appartenir à l'ordre de la création, quand il dit, à propos de nourriture et de viande : « Car toute créature de Dieu est bonne, et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec actions de grâces (3) ». Voyez ce que c'est que la saine doctrine, en haine de laquelle vous vous tournez

 

1. I Tim. IV, 1, 2. — 2. Rom. I, 25. — 3. I Tim. IV, 4.

 

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vers des fables. Et de même que l'Apôtre trouve bonne la créature de Dieu, tout en défendant de lui rendre un culte religieux de même Moïse (qui vous semble n'avoir rien respecté de divin, uniquement, je le soupçonne, parce qu'il a défendu d'adorer le soleil et la lune (1) que vous suivez dans leur cours en vous tournant dans tous les sens pour les adorer), Moïse, dis-je, a honoré d'une vraie louange le soleil et la lune, en racontant qu'ils ont été créés par Dieu et placés dans l'ordre des corps célestes pour accomplir la mission qui leur est confiée : « Le soleil pour présider au jour, la lune pour présider à la nuit (2) ». Vos louanges menteuses, au contraire, ne font aucun plaisir au soleil ni à la lune. Le diable, créature rebelle, aime les fausses louanges; mais les puissances des cieux, qui ne sont point déchues par le péché, veulent qu'on exalte en elles celui qui les a faites; et leur vraie louange est celle qui ne préjudicie point à la gloire de leur Créateur. Or, on outrage celui-ci, quand on dit qu'elles sont ses parties, ou ses membres, ou une portion de sa substance. Car étant parfait, n'ayant besoin de rien, ne coulant nulle part, n'étant point divisé, sans étendue locale, entièrement immuable en lui-même, se suffisant à lui-même, heureux par lui-même, il a, dans son immense bonté, parlé par son Verbe et tout a été fait : il a ordonné et tout a été créé (3). Par conséquent, si les corps terrestres, dont l'Apôtre parlait quand il disait qu'il n'y a pas de nourriture immonde, si, dis-je, ces corps sont bons, « parce que toute créature de Dieu est bonne », à combien plus forte raison les corps célestes, parmi lesquels brillent le soleil et la lune, puisque le même Apôtre dit : « Il y a des corps célestes et des corps terrestres ; mais autre est la gloire des célestes, autre celle des terrestres (4)».

 

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CHAPITRE XII. RÉPONSE A UN DILEMME DE FAUSTE.
 

Moïse n'injurie donc point le soleil et la lune, quand il défend de les adorer, il les loue comme des créatures célestes, mais il loue Dieu comme le créateur des corps célestes et des corps terrestres, et il ne veut pas qu'on l'offense en adorant, à sa place, des objets qui ne sont louables que pour lui et par lui.

 

1. Deut. XVII, 3. — 2. Gen. I, 16; Ps. CXXXV, 8, 9. — 3. Ps. CXLVIII, 5. — 4. I Cor. XV, 40.

 

Mais quelle bonne fortune pour Fauste, paraît-il, de ce que Moïse appelle aussi maudit celui qui adore le soleil et la lune ! « Si donc», nous dit-il, « étant sujet d'un roi païen, je suis, forcé d'adorer le soleil, que je résiste, et que, craignant la malédiction attachée à cet acte, je sois condamné à être crucifié, j'encourrai l'autre malédiction lancée par Moïse contre celui qui est suspendu au bois ?» Aucun roi païen ne nous oblige à adorer le soleil; le soleil lui-même ne vous y obligerait pas, sil était roi sur la terre, puisqu'il vous le défend même aujourd'hui : mais comme le Créateur lui-même supporte les impies qui le blasphèment jusqu'au jour du jugement, ainsi les corps célestes supportent leurs stupides adorateurs, jusqu'au jugement de celui qui les a créés (1). Cependant, souvenez-vous qu'un roi chrétien ne peut forcer à adorer le soleil. Fauste parle d'un roi païen, parce qu'il sait parfaitement que, quand vous adorez le soleil, vous faites un acte de paganisme. Cela n'est donc pas chrétien : mais la perdrix proclame partout le nom du Christ, afin de rassembler des petits qui ne sont pas les siens (2). Voyez cependant avec quelle facilité la vérité vous répond et la saine doctrine brise le lacet en apparence inévitable de votre question à deux tranchants ! Supposons donc un homme armé du pouvoir royal, et exigeant d'un chrétien qu'il adore le soleil, sous peine d'être suspendu au bois. Si, dites-vous, j'évite la malédiction formulée par la loi contre celui qui adore le soleil, j'encours celle que cette même loi lance contre celui qui est suspendu au bois. Vous serez vraiment dans l'embarras ; mais non, non, vous n'y serez pas, vous qui adorez le soleil même sans qu'on vous y force. Quant au chrétien, bâti sur le fondement des Apôtres et des Prophètes (3), il remonte ici aux causes, il examine les deux malédictions : il voit que l'une s'adresse au corps suspendu au bois, et l'autre à l'âme qui adore le soleil. Car, bien que le corps s'incline pour adorer, c'est cependant l'âme qui rend ses hommages à ce qu'elle adore, ou feint de les lui rendre : et l'un et l'autre est pernicieux. C'est pourquoi, comme la mort a mérité la malédiction dans le corps et dans l'âme, si être suspendu au bois est la mort du corps, adorer le soleil est la mort de l'âme. Il faut donc choisir la malédiction dans la mort du corps (malédiction

 

1. Rétract. liv. II, ch. VII, n. 3. — 2. Jer. XVII, 11. — 3. Eph. II, 20.

 

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dont le corps lui-même sera délivré lors de la résurrection), et éviter la malédiction dans la mort de l'âme, pour qu'elle ne soit pas condamnée, avec son corps, au feu éternel. Car le Seigneur a lui-même tranché la question, en disant : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et ne peuvent tuer l'âme ; mais craignez plutôt celui qui peut précipiter le corps et l'âme dans la géhenne du feu (1) ». Comme s'il disait : Ne craignez point la malédiction de la mort corporelle, qui passe avec le temps; mais craignez la malédiction de la mort spirituelle, par laquelle l'âme est tourmentée éternellement avec son corps. Ainsi ces paroles : « Maudit quiconque est suspendu au bois », ne sont pas une malédiction de vieille femme, mais une prédiction de prophète. Car c'est par là que le Christ ôte la malédiction de la malédiction, aussi bien que la mort de la mort et le péché du péché. Moïse n'a donc pas blasphémé en disant : « Maudit quiconque est suspendu au bois », pas plus que les Apôtres en disant : « Il est mort (2) »; ou: « Notre vieil homme a été crucifié avec lui (3) » ; ou : « Il a condamné le péché à cause du péché (4) », ou encore : « Celui qui ne connaissait point le péché, il l'a rendu péché pour l'amour de nous (5) »; et bien d'autres choses de ce genre. Mais vous, en manifestant votre horreur pour le Christ maudit, vous témoignez de l'horreur que sa mort vous inspire. Là on voit paraître chez vous, non une malédiction de vieille femme, mais une dissimulation diabolique vous qui, pour ne pas croire à la mort du Christ, donnez la mort à votre âme. Cependant cette mort du Christ, vous la prêchez, non réelle, mais simulée : comme si vous

 

1. Matt. X, 28. — 2. II Cor. V, 14, 15. — 3. Rom. VI, 6. — 4. Id. VIII, 3. — 5. II Cor. V, 21.

 

n'osiez pas même tromper les hommes sous le nom du Christ, sans faire du Christ lui-même un imposteur.

 

CHAPITRE XIII. AUTRE CALOMNIE DE FRUSTE CONTRE MOÏSE.
 

Quant au reproche que Fauste fait à Moïse d'avoir blâmé la continence ou la virginité, en disant : « Maudit quiconque ne laissera point de postérité en Israël (1) », qu'on écoute Isaïe s'écrier : « Voici que le Seigneur dit à tous les eunuques: S'ils observent mes commandements, s'ils choisissent ce qui m'est agréable et restent fidèles à mon alliance, je leur donnerai dans ma maison et dans l'enceinte de mes murs une place d'honneur, meilleure que celle des fils et des filles; je leur donnerai un nom éternel et qui ne périra pas (2) ». Si les Manichéens voient une contradiction entre Isaïe et Moïse, qu'ils adoptent celui-ci, puisque celui-là leur déplait et ce n'est pas là un faible argument contre eux. Pour nous, il nous suffit de savoir que c'est le même Dieu qui a parlé par Moïse et par Isaïe; que maudit est celui qui ne laisse pas de postérité en Israël ; soit dans ces temps-là, quand, la race devant être propagée selon la chair, la formation d'une famille par, le chaste exercice du mariage était un devoir du citoyen ; soit maintenant, où tout homme, lié spirituellement, ne doit pas penser qu'il se suffit à lui-même, et se dispenser de travailler pour le Seigneur : car chacun, en prêchant le Christ suivant son faible pouvoir, doit engendrer des chrétiens. Ainsi cette divine sentence : « Maudit quiconque ne laisse pas de postérité en Israël », renferme dans sa merveilleuse brièveté tous les temps des deux Testaments.

 

1. Deut. XXV, 7. — 2. Is. LVI, 4, 5.

LIVRE QUINZIÈME. LES MANICHÉENS ET LES CATHOLIQUES.
 

Fauste attaque l'Ancien Testament. — L'église manichéenne n'est point la véritable. — Appel à l'Eglise catholique. — Apostrophe à l'église manichéenne. — Rêveries de cette secte. — Elle est mise en présence du Décalogue. — L'église catholique a seule l'intelligence de la Loi. — La secte prédite par saint Paul. — Invitation à revenir à la vérité.

 
 

CHAPITRE PREMIER. POURQUOI FAUSTE REJETTE L'ANCIEN TESTAMENT.

CHAPITRE II. FAUSTE INTERPRÈTE MAL UN TEXTE DE L'ÉVANGILE.

CHAPITRE III. IMPUDENCE DES MANICHÉENS. AUGUSTIN CONFESSE QU’IL A ÉTÉ DE LA SECTE. TOUCHANT APPEL A LA VÉRITABLE ÉGLISE.

CHAPITRE IV. LE SAINT DOCTEUR CONTINUE SON APPEL A L'ÉGLISE CATHOLIQUE.

CHAPITRE V. APOSTROPHE IRONIQUE A L'ÉGLISE MANICHÉENNE.

CHAPITRE VI. SUITE DE L'APOSTROPHE. RÊVERIES MANICHÉENNES.

CHAPITRE VII. LA DOCTRINE MANICHÉENNE EN PRÉSENCE DU DÉCALOGUE.

CHAPITRE VIII. LA VÉRITABLE ÉGLISE A SEULE L'INTELLIGENCE DE LA LOI.

CHAPITRE IX. CONTINUATION DU MÊME SUJET. LA SECTE MANICHÉENNÈ SÉDUITE PAR LE SERPENT.

CHAPITRE X. LES PROPHÈTES MANICHÉENS. LA SECTE PRÉDITE PAR SAINT PAUL.

CHAPITRE XI. PROMESSES DE DIEU ACCOMPLIES. INVITATION PRESSANTE À REVENIR À LA VÉRITÉ.

 

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CHAPITRE PREMIER. POURQUOI FAUSTE REJETTE L'ANCIEN TESTAMENT.
 

            Fauste. Pourquoi ne recevez-vous pas l'Ancien Testament? — Parce qu'un vase plein ne reçoit pas, mais rejette ce qu'on lui verse de trop, et qu'un estomac rassasié repousse ce qu'on y introduit. Par conséquent les Juifs, rassasiés du vieux Testament d'après les instructions de Moïse, ont repoussé le Nouveau; et nous, remplis du Nouveau, d'après l'enseignement du Christ, nous rejetons l'Ancien. Vous, vous ne recevez les deux que parce que vous n'êtes pas pleins, mais demi-pleins; et, pour vous, l'un complète moins l'autre qu'il ne le gâte; car jamais on ne remplit les vases à demi-pleins d'une matière différente, mais bien d'une matière semblable et de même nature; ainsi le vin s'ajoute au vin, le miel au miel, le vinaigre au vinaigre; et si on mêlait des substances d'une nature différente, comme du fiel à du miel, de l'eau à du vin, du poisson à du vinaigre, ce ne serait plus remplir, mais altérer. Voilà donc pourquoi nous sommes peu disposés à recevoir l'Ancien Testament; et comme notre Eglise, épouse du Christ, pauvre, il est vrai, mais mariée à un riche, se contente des biens de son époux, elle dédaigne les richesses d'amants de basse condition; les dons de l'Ancien Testament et de son auteur sont sans prix à ses yeux, et, mettant tous ses soins à sauver sa réputation, elle ne reçoit que les lettres de son époux. Permis donc à votre Eglise de s'emparer de l'Ancien Testament, elle, vierge lascive et sans pudeur, qui reçoit avec plaisir les présents et les lettres d'un étranger. Ce dieu qui est votre amant, ce corrupteur de la pudeur des Hébreux, vous promet, dans ses deux tables de pierre, de l'or, de l'argent, une chère abondante (1), et la terre des Chananéens (2). Ces sordides avantages vous ont si bien séduits, que vous péchez encore même après le Christ, et que-vous vous

 

1. Deut. VIII, 7-9. — 2. Ex. XXIII, 23.

 

montrez ingrats envers ses immenses bienfaits. Vous êtes si bien alléchés par ces faux biens. que vous brûlez, pour le Dieu des Hébreux, même après les noces du Christ. Apprenez donc que vous êtes encore maintenant dans l'erreur et trompés par ses fausses promesses. Il est pauvre, il n'a rien, il ne peut pas même vous donner ce qu'il promet : car s'il n'a pu remplir ses promesses à l'égard de sa propre épouse, je veux dire la synagogue, qui pourtant lui montrait en tout de la complaisance et le servait plus humblement qu'une servante : que pourra-t-il vous donner, à vous qui lui êtes étrangers, et rejetez fièrement le joug de ses commandements ? Du reste, continuez comme vous avez commencé, mettez une pièce neuve sur un vieux vêtement, versez du vin nouveau dans de vieilles outres (1), servez deux époux sans plaire à aucun, faites de-la foi chrétienne un centaure qui ne soit entièrement ni cheval, ni homme; mais permettez-nous de ne servir que le Christ, de nous contenter de sa dot immortelle et d'imiter l'Apôtre qui nous dit : « Notre suffisance vient de Dieu, qui nous a rendus propres à être les ministres de la nouvelle alliance (2) ». La condition du Dieu des Hébreux et la nôtre sont très-différentes: car il ne peut remplir ses promesses, et nous dédaignons de recevoir ce qu'il promet. La libéralité du Christ nous a rendus fiers à l'égard de ses flatteries. Et pour que vous ne trouviez pas ce rapprochement inconvenant, Paul nous a le premier appliqué cette comparaison tirée de l'état conjugal : « Car la femme qui est soumise à un mari, le mari vivant, est liée par la loi ; mais si son mari meurt, elle est affranchie de la loi du mari. Donc », ajoute-t-il, « son mari vivant, elle sera appelée adultère, si elle s'unit à un autre homme; mais si son mari meurt, elle n'est point adultère en s'unissant à un autre homme (3) ». Par là il fait voir que ceux qui se sont unis au Christ avant d'avoir

 

1. Matt. IX, 16, 17. — 2. II Cor. III, 5, 6. — 3. Rom. VII, 2, 3.

 

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répudié et en quelque sorte mis au tombeau l'auteur de la loi, sont coupables d'adultère spirituel. Et ceci s'adresse particulièrement aux Juifs qui ont cru, afin de les obliger à renoncer à leur ancienne superstition. Pour nous, quel besoin avons-nous de commandement là-dessus, nous qui sommes passés du paganisme au Christ, et pour qui le Dieu des Hébreux, non-seulement est mort, mais n'est même pas né? Sans doute, pour le Juif croyant; Adonis doit être mort, bien que ce soit encore une idole pour le gentil; et ainsi en est-il de tout croyant pour ce qu'il adorait avant de connaître le Christ. Mais si, après avoir rompu avec l'idolâtrie, un Juif adore encore simultanément Dieu et le Christ, il ne diffère pas de la femme sans pudeur, qui, après la mort de son mari, s'unit à deux autres à la fois.

 

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CHAPITRE II. FAUSTE INTERPRÈTE MAL UN TEXTE DE L'ÉVANGILE.
 

Augustin. Entendez cela, vous dont le coeur appartient au Christ, et voyez s'il ne faut pas que le Christ soit votre patience pour supporter un tel langage. Fauste, rempli du miel nouveau, rejette le vieux vinaigre, et Paul, rempli du vieux vinaigre, en à versé la moitié pour faire place au miel nouveau, qui ne se conservera pas, mais se gâtera. Car, vous le voyez, ce que dit l'apôtre Paul: « Serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, choisi pour l'Evangile de Dieu », c'est du miel nouveau. Mais quand- il ajouté : «Qu'il avait promis auparavant par ses Prophètes dans les saintes Ecritures, touchant son Fils qui lui est né de la race de David selon la chair (1) », c'est du vieux vinaigre. Qui pourrait supporter cela, si le même Apôtre ne nous consolait en disant : « Il faut qu'il y ait même des hérésies, afin qu'on découvre ceux d'entre vous qui sont éprouvés (2) ? » Mais quel besoin de répéter ce que nous avons déjà suffisamment exposé plus haut (3) ? D'après ce que nous avons dit, chacun peut se rappeler, ou, s'il ne s'en souvient pas, relire, que la pièce neuve et le vieux vêtement, le vin nouveau et les vieilles outres n'ont point rapport aux deux Testaments, mais aux deux vies, aux deux espérances; et que les deux Testaments sont désignés dans cette comparaison faite par le Seigneur : « C'est pourquoi tout scribe,

 

1. Rom. I, 1-3. — 2. I Cor. XI, 19. — 3. Liv. VIII.

 

instruit de ce qui touche le royaume des cieux, est semblable au père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes (1)». En effet, si quelqu'un entend nourrir deux espérances, c'est-à-dire servir Dieu en vue du bonheur terrestre et du royaume des cieux, il est certain que celle-ci ne s'accommodera pas de celle-là, et que quand une tribulation quelconque l'aura détruite, l'autre fera également défaut à l'homme, qui perdra ainsi tout à la fois. C'est ce qui a fait dire au Christ : « Personne ne peut servir deux maîtres », ce qu'il explique ensuite en disant : « Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent (2) ». Or pour ceux qui ont l'intelligence saine, l'Ancien Testament est la prophétie du Nouveau Testament. Ainsi, chez le premier peuple, les saints patriarches et les saints prophètes, qui comprenaient ce qu'ils faisaient ou ce qui se faisait par eux, avaient, dans le Nouveau Testament, l'espérance du salut éternel : car ils se rattachaient à ce qu'ils comprenaient et aimaient, ce qui n'était point encore révélé, mais déjà figuré. Au contraire, à l'Ancien Testament appartenaient ceux dont les pensées et les désirs ne s'étendaient pas au-delà des promesses temporelles qui y étaient faites, et dans lesquelles ils ne savaient pas voir la figure et la prophétie des biens éternels. Mais tout cela a déjà été dit et redit dans nos précédentes réponses.

 

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CHAPITRE III. IMPUDENCE DES MANICHÉENS. AUGUSTIN CONFESSE QU’IL A ÉTÉ DE LA SECTE. TOUCHANT APPEL A LA VÉRITABLE ÉGLISE.
 

C'est vraiment une étonnante impudence, que l'immonde et sacrilège secte, des Manichéens ose se dire la chaste épouse du Christ. Et qu'y gagne-t-elle contre les vrais et chastes membres de la sainte Eglise, sinon de leur rappeler cet avertissement de l'Apôtre : « Je vous ai fiancés à un époux unique, pour vous présenter à lui comme une chaste vierge; mais je crains que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne perdent la chasteté qui est dans le Christ (3)? » A quoi tendent en effet ces hommes qui nous annoncent un autre évangile que celui que nous avons reçu, si ce n'est à nous faire perdre la chasteté

 

1. Matt. XIII, 52. — 2. Id. VI, 24. — 3. II Cor, XI, 2, 3.

 

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que nous conservons pour le Christ, en blâmant la loi de Dieu sous prétexte de vétusté, et préconisant leur erreur sous le nom de nouveauté, comme s'il fallait rejeter tout ce qui est ancien et embrasser tout ce qui est nouveau, quand, d'un côté, l'apôtre Jean fait l'éloge de la loi ancienne (1), et que, de l'autre, Paul l'apôtre ordonne d'éviter les nouveautés profanes de paroles (2)? Pour moi, ô Eglise catholique, vraie épouse du vrai Christ, c'est à toi que je m'adresse dans la mesure de mes forces, moi ton fils et ton serviteur, établi, malgré mois indignité,' pour distribuer dans ton sein la nourriture à mes frères. Tiens-toi toujours en garde, comme tu le fais, contre la vanité impie des Manichéens, déjà expérimentée au détriment de tes enfants, et confondue par leur délivrance. Cette erreur m'avait autrefois arraché de ton sein, l'expérience m'a appris à fuir ce que je n'aurais jamais dû éprouver. Mais profite des dangers que j'ai courus, toi que je sers depuis ma délivrance. Car si ton vrai et légitime époux, du côté duquel tu as été formée, ne m'eût lavé de mes péchés dans son véritable sang, le torrent de l'erreur m'eût entraîné, et, devenu terre, j'eusse été dévoré sans ressource par le serpent. Ne te laisse pas séduire par le nom de la vérité; tu la possèdes seule et dans ton lait et dans ton pain; mais elle n'est pas dans cette autre église: il n'y en a que le none. Sans doute, tu es en sécurité pour tes fils déjà grands; mais c'est à tes petits enfants que je m'adresse, mes frères, mes fils, mes maîtres, que tu couves, en quelque sorte, sous tes ailes inquiètes, ou que tu nourris de lait comme des enfants, féconde quoique sans tache, vierge mère; c'est à ces tendres fruits que je m'adresse, pour qu'une curiosité babillarde ne les entraîne pas loin de toi, mais qu'ils anathématisent plutôt quiconque leur prêche un autre évangile que celui qu'ils ont reçu. chez toi (3), et qu'ils n'abandonnent ni le vrai Christ, le Christ véridique, en qui sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la science (4), ni l'abondance de douceur qu'il réserve à ceux qui le craignent et qu'il a préparée pour ceux qui espèrent en lui (5). Or, comment la- vérité se trouverait-elle là, dans la bouche d'un homme qui prêche un christ imposteur ? Méprise leurs insultes: car tu as la conscience d'avoir

 

1. I Jean, II, 7. — 2. I Tim. VI, 20. — 3. Gal. I, 9. —  4. Col. II, 3. — 5. Ps. XXX, 20.

 

goûté surtout la promesse de la vie éternelle parmi les présents de ton Epoux, c'est-à-dire d'avoir aimé ton Epoux lui-même, parce qu'il est lui-même la vie éternelle.

 

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CHAPITRE IV. LE SAINT DOCTEUR CONTINUE SON APPEL A L'ÉGLISE CATHOLIQUE.
 

Il n'est point vrai, comme ils le disent dans leur folie, que tu te sois livrée à un dieu étranger, te promettant une chère abondante et la terre des Chananéens; car tu sais parfaitement que, déjà figurée et prophétisée alors dans les promesses mêmes, tu as été enfantée dans la prescience des saints. Ne te trouble point de ce misérable lardon lancé contre les tables de pierre ; car tu n'as pas le cœur de pierre, que ces tables figuraient dans l'ancien peuple. En effet, tu es « la lettre » des Apôtres, « écrite, non avec de l'encre, mais avec l'esprit du Dieu vivant, non sur des tables de pierre, mais sur les tables charnelles du coeur (1) ». Paroles qui font la joie de ces hommes vains, parce qu'ils s'imaginent que l'Apôtre blâme la législation de l'Ancien Testament accommodée à son époque, ne comprenant pas que l'Apôtre parle d'après le Prophète. Car longtemps avant que ces paroles si mal comprises par leur ignorance, eussent été dites et accomplies par les Apôtres, elles avaient été énoncées par les Prophètes qu'ils rejettent. En effet, fun d'eux avait dit : « Je leur ôterai leur coeur de pierre, et je leur donnerai un cœur de chair (2) ». Qu'ils voient si ce ne sont pas là les expressions. « Non sur des tables de pierre, mais sur les tables charnelles du cœur ». Car ni là, le cœur de chair, ni ici, les tables charnelles, ne doivent s'entendre dans le sens grossier ; mais c'est que, eu comparaison de la pierre, qui est insensible, la chair sent; l'insensibilité de la pierre signifie le cœur sans intelligence, et la sensibilité de la chair est le symbole du cœur qui comprend. Mais toi, ris plutôt de ceux qui disent que la terre, le bois, la pierre sentent et vivent d'une vie plus intelligente que la chair même, qu'ils déclarent plus, stupide et plus inerte. D'où ils se voient forcés non par la vérité, mais par leur vanité, de convenir que la loi écrite sur des tables de pierre était moins immonde que leur trésor enfermé dans des

 

1. II Cor. III, 2, 8. — 2. Ez. XI, 19.

 

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peaux, dépouilles d'animaux morts. Serait-ce parce qu'ils disent, dans leurs rêveries, que les pierres sont des os de princes, qu'ils n'hésitent pas à leur préférer les cuirs des agneaux? Par conséquent, l'arche du testament était moins immonde pour renfermer les tables de pierre, qu'une peau de chevreau pour renfermer leur livre. Ris de tout cela avec une miséricordieuse compassion, pour leur apprendre à en rire et à y renoncer : car dans ces deux tables de pierre, ton coeur, qui n'est plus de pierre, sait parfaitement ce qui convenait à ce peuple à tête dure; et pourtant tu y reconnais la pierre, ton propre époux, celui que Pierre appelle : «La pierre vivante, rejetée des hommes, mais choisie et honorée de Dieu». Pour eux donc c'était a une pierre d'achoppement, « une pierre de scandale »; et pour toi c'est « la pierre qu'ont rejetée ceux qui bâtissaient et qui est devenue un sommet d'angle (1) ». Ce que ce même apôtre, Pierre explique en entier, et rappelle avoir été prédit en .entier par les Prophètes, dont ces réprouvés se détournent. Lis donc sans hésiter ces tables de pierre : ne crains pas, elles sont de ton époux. Pour d'autres cette pierre a voulu dire dureté et stupidité : pour toi elle signifie fermeté et solidité. Ces tables ont été écrites par le doigt de Dieu (2) : par le doigt de Dieu, ton époux a chassé les démons (3) ; par le doigt de Dieu, chassé aussi les doctrines des démons et des imposteurs qui cautérisent la conscience (4). Par ces tables tu repousses l'adultère, qui se dit le Paraclet pour te séduire par la sainteté du nom. Car ces tables t'ont été données le cinquantième jour après la pâque (5) ; et le cinquantième jour après la passion de ton époux, dont la pâque était là figure, le doigt de Dieu, l'Esprit-Saint, le Paraclet promis t'a été donnés. Ne crains donc pas les deux tables, où ce qui a été écrit pour toi jadis, t'a été envoyé pour que tu le reconnusses aujourd'hui ; seulement ne reste pas sous la loi, de peur que, dominée par la crainte, tu ne l'accomplisses pas; mais reste sous l'empire de la grâce, afin que l'amour soit en toi la plénitude de la loi. Car l'ami de ton époux ne faisait autre chose que relire les deux tables, quand il disait : « En effet, tu ne commettras point d'adultère, tu ne tueras point; tu ne convoiteras point; et s'il est quelque autre commandement, tout

 

1. I Pier. II, 4-8. — 2. Ex. XXXI, 18. — 3. Luc, XI, 20. — 4. I Tim. IV, 2. — 5. Ex. XX. — 5. Act. II, 1-4.

 

 

se résume dans cette parole : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour du prochain n'opère pas le mal. L'amour est donc la plénitude de la loi (1) ». Là, en effet, sont renfermés les deux préceptes de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain, expliqués dans les deux tables: Et ces deux tables t'ont été envoyées d'avance par Celui qui est venu te recommander ces deux préceptes, auxquels se rattachent toute la loi et les Prophètes (2). Dans le premier de ces préceptes se trouve ta chaste union conjugale, dans le second l'unité de tes membres; par celui-là, tu embrasses la divinité, par celui-ci, tu formes une société. Dans ces deux préceptes se trouvent renfermés les dix, dont trois se rapportent à Dieu et sept au prochain. O chaste diptyque, où, sous d'anciennes figures, ton amant et ton bien-aimé préludait pour toi au cantique nouveau, sur le psaltérion à dix cordes (3) ; annonçant, pour ainsi dire, qu'un jour ses nerfs seraient tendus pour toi sur le bois, afin que le péché fût condamné dans la chair par le péché même, et que la justification de la loi s'accomplît en toi (4) ! O diptyque conjugal, que la femme adultère ne repousse pas sans raison !

 

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CHAPITRE V. APOSTROPHE IRONIQUE A L'ÉGLISE MANICHÉENNE.
 

Et maintenant, c'est à toi que je m'adresse, secte manichéenne, menteuse et enveloppée de mensonges. Quoi ! épouse de tant d'éléments, ou plutôt femme perdue, prostituée aux démons et grosse de vanités sacriléges, quoi ! tu oses briser le mariage catholique de ton maître par ta criminelle impudicité ! Montre-nous tes corrupteurs adultères, le pondérateur porte-lumière, et l'Atlas qui porte le monde. Car tu prétends que celui-là est le maître des éléments, et tient le monde suspendu; et que celui-ci, appuyé sur un genou, soutient cette masse énorme sur de robustes épaules, sans doute, de peur que l'autre ne puisse suffire à la besogne. Où sont-ils? et s'ils existent, quand viendront-ils à toi, accablés qu'ils sont sous le poids de leur tâche? Quand viendront-ils chez toi, pour se délasser de leur fatigue excessive, pour être frottés de ta main caressante, oisive et délicate, l'un aux doigts et l'autre aux épaules? Mais tu es le

 

1. Rom. XIII, 9, 10. — 2. Matt. XXII, 37-40. — 3. Ps. XCI, 4. — 4. Rom. VIII, 3, 4.

 

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jouet de démons impurs, qui s'unissent à toi pour que tu conçoives des mensonges et enfantes des fantômes. Comment ne repousserais-tu pas le diptyque du vrai Dieu, ennemi de tes parchemins, en vertu desquels tu as aimé tant de faux dieux, d'un coeur inconstant, égaré dans les fictions de tes pensées; dans lesquels on peut retrouver tous les mensonges des poètes, moins sérieux cependant, et moins honnêtes chez toi que chez eux : puisque, faisant profession de mentir, ils ne trompent personne, tandis que tes livres fourmillant d'erreurs, séduisent les âmes encore enfantines, même chez les vieillards, les corrompent par de misérables illusions, et font que, éprouvant une vive démangeaison aux oreilles, elles les ferment à la vérité, et se tournent vers les fables (1)? Comment supporterais-tu la vaine doctrine de ces tables, où on lit pour premier commandement : « Écoute, Israël; le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu (2) », alors que te complaisant dans une si grande multitude de dieux, tu te vautres dans la honte et la fange d'un coeur adultère? Ne te rappelles-tu pas ce chant de volupté, où tu dépeins le roi très-grand sur son trône, le porte-sceptre éternel, au front couronné de fleurs et à la face rayonnante? Quand tu n'aurais qu'un amant de ce genre, tu devrais déjà rougir car une épouse pudique ne saurait agréer même un amant unique au front couronné de fleurs. Et tu ne peux pas dire qu'il y a, dans ces paroles ou dans cette image, une signification mystique : car ce qu'on fait surtout valoir à tes yeux dans Manès, c'est qu'il te dira la vérité nue et simple, en termes propres, sans figures et sans voiles. Tu chantes donc littéralement un roi porte-sceptre, couronné de fleurs. Qu'il dépose au moins son sceptre, quand il se couronne de fleurs : ce luxe et cette mollesse ne conviennent point au sceptre austère d'un roi. De plus, ce n'est pas là ton seul amant; tu continues ta chanson, et tu mentionnes douze siècles aussi ornés de fleurs; remplis de sons harmonieux et jetant des fleurs au visage de leur père. Là, tu les proclames tous les douze, grands dieux, rangés autour de lui, en quatre groupes ternaires. Mais comment ce Dieu, que vous dites entouré, peut-il être immense ; c'est ce que vous n'avez jamais su expliquer. Tu parles encore de sujets sans nombre, de troupes de dieux et de légions

 

1. II Tim. IV, 4. — 2. Deut. VI, 4.

 

d'anges, que tu prétends être, non pas créés par Dieu, mais engendré de sa propre substance.

 

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CHAPITRE VI. SUITE DE L'APOSTROPHE. RÊVERIES MANICHÉENNES.
 

Il est donc prouvé que tu adores des dieux sans nombre, et que tu rejettes la saine doctrine qui nous enseigne un Fils unique, né d'un Dieu unique, et un Esprit-Saint procédant des deux. Et non-seulement il n'est pas permis de parler de dieux sans nombre, mais pas même de trois dieux : puisque non-seulement il n'y a- qu'une seule et même substance, mais encore une seule et même opération par une seule et même substance propre, et que la distinction des personnes se révèle même par la créature matérielle. Tu ne comprends pas cela, tu ne le saisis pas : je le sais, tu es pleine, tu es enivrée, tu es saturée de fables sacrilèges. Digère donc enfin ce que trahit ton haleine, et cesse de t'ingurgiter de la sorte; en attendant, poursuis ton chant, et vois, si tu lé peux, la honte de ta fornication. La doctrine de tes démons menteurs t'a introduite dans un chimérique séjour des anges, où souffle un vent frais, et dans des champs parfumés, où les arbres et les montagnes, les mers et les fleuves donnent un doux nectar dans tout le cours des siècles. Et tu l'as cru ! et tu t'es imaginé tout cela dans ton coeur ! Et livrée à la luxure et à la débauche, tu t'es bercée de vains souvenirs ! Car quand on emploie un langage de ce genre pour exprimer l'ineffable abondance des délices spirituelles, on parle évidemment en énigme; c'est pour que l'âme qui s'occupe de ces sujets sache qu'il y a, là, quelque autre sens à chercher et à saisir, soit qu'un objet matériel soit présenté réellement aux sens du corps, comme le feu dans le buisson (1), la verge changée en serpent et le serpent redevenu verge (2), la tunique du Seigneur qui n'est point partagée par les bourreaux (3), le parfum répandu respectueusement sur les pieds ou sur la tête du Christ par une femme (4), les palmes aux mains de la multitude qui précède et suit l'âne sur lequel il est monté (5) : soit que les objets soient présentés en figures à l'esprit par des images corporelles, ou en songe, ou

 

1. Ex. III, 2. — 2. Id. IV, 2-4. — 3. Jean, XIX, 24. — 4. Matt. XXVI, 7; Jean, XII, 3. — 5. Matt. XXII, 7-9.

 

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dans le ravissement, comme à Jacob les échelles (1); à Daniel, la pierre détachée sans le travail des mains et devenue une montagne (2); à Pierre la nappe (3), et à Jean tant d'autres choses (4) : soit que le langage soit simplement figuré, comme dans le Cantique des cantiques (5); dans la parabole évangélique du père de famille qui fait les noces de son fils (6); dans celle de l'homme qui avait deux fils, l'un rangé et l'autre livré à la débauche (7), ou de l'homme qui planta une vigne et la loua à des vignerons (8). Mais tu loues précisément Manès d'être venu le dernier, non pour tenir ce langage, mais pour en donner l'explication, de manière à interpréter les anciennes figures, à présenter ses récits et ses discussions avec la plus grande clarté, sans jamais s'envelopper d'énigme et d'obscurité. Et pour justifier cette, présomption, tu prétends que les anciens, dans tout ce qu'ils ont vu, fait ou dit en figure, savaient qu'il devait venir un jour pour tout révéler, et que lui, sachant que personne ne viendrait après lui, a exposé ses sentiments sans allégories et sans détours. Que devient donc ton affection souillée par des désirs charnels, au milieu des champs et des forêts épaisses, des couronnes de fleurs et des parfums? S'il n'y a pas là d'énigmes pour la raison, il y a des, fantômes pour l'imagination ou de l'égarement pour la folie. Mais si on dit qu'il y a des énigmes, pourquoi ne fuis-tu pas l'adultère, qui te promet la vérité claire pour t’allécher, et se rit de toi par ses mensonges et ses fables quand il t’a attirée? Ses ministres, infectés aussi de ces vanités, les malheureux ! n'ont-ils pas l'habitude de mettre, pour amorce à leur hameçon, ces paroles de l'apôtre Paul : « Car c'est imparfaitement que nous connaissons, et imparfaitement que; nous prophétisons, mais quand viendra ce qui est parfait, alors s'anéantira ce qui est imparfait » ; et encore : « Nous voyons maintenant à travers un miroir, en énigme mais alors nous verrons face à face (9)». En sorte que l'apôtre Paul a imparfaitement connu, imparfaitement prophétisé ne voyant qu'à travers un miroir et en énigme : et que tout cela doit disparaître à l'arrivée de Manès, qui apportera ce qui est parfait, de manière à ce qu'on voie la vérité

 

1. Gen. XXVIII, 12. — 2. Dan. II, 34, 35. — 3. Act. X, 11. — 4. Apoc. I, etc. — 5. Cant. I, etc. — 6. Matt. XXII, 2-14. — 7. Luc, XV, 11-32. — 8. Matt, XXI, 33. — 9. Cor. XIII, 9, 10. 12.

 

face à face. O lascive, ô immonde créature, tu tiens encore ce langage saris rougir, tu te repais encore de vent, tu embrasses encore les idoles de ton coeur ? Quoi ! tu as vu face à face le roi porte-sceptre assis sur son trône, couronné de fleurs, et les troupes de dieux, et le grand porte-lumière ayant six visages et six bouches et rayonnant de lumière ; et un autre roi d'honneur, entouré des armées des anges; et un autre, amant, héros guerrier, tenant de sa droite une lance et de sa gauche un bouclier; puis un autre encore, roi glorieux qui pousse trois roues, celle du feu, celle de l'eau, et celle du vent : et le colossal Atlas, portant le monde sur ses épaules, et le soutenant de ses deux bras en s'appuyant sur un genou? As-tu réellement vu face à face ces merveilles et mille autres de ce genre, ou n'est-ce point la doctrine de démons menteurs, que des imposteurs te chantent à ton insu? Malheur à toi, infortunée ! voilà les fantômes auxquels tu te prostitues, les vanités que tu suces au lieu de la vérité; et enivrée à la coupe du serpent, tu oses insulter, à propos des deux tables de pierre, à la chaste matrone, épouse du Fils unique de Dieu; parce qu'elle n'est plus sous le joug de la loi, mais sous l'empire de la grâce, parce que, ne s'enflant point de ses oeuvres, ne se laissant pas abattre par la terreur, elle vit de foi, d'espérance et de charité, devenue Israël en qui il n'y a pas d'artifice (1), et attentive à ce qui est écrit : « Le Seigneur ton Dieu est le seul Dieu (2) »: tandis que toi, pour n'avoir pas écouté ces paroles, tu t'es prostituée à une multitude de faux dieux.

 

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CHAPITRE VII. LA DOCTRINE MANICHÉENNE EN PRÉSENCE DU DÉCALOGUE.
 

Comment ne haïrais-tu pas ces tables, où on lit pour second commandement : « Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur ton Dieu (3) », puisque tu as rangé parmi les vains imposteurs le Christ mémé, qui a daigné apparaître aux yeux de la chair dans une chair vraie et réelle; pour purger les hommes charnels de la vanité charnelle? Comment ne serais-tu pas contrariée du troisième commandement relatif au repos du sabbat, toi dont l'âme inquiète est livrée à tant de rêveries et d'illusions? Quand comprendras-tu que ces

 

1. Jean, I, 45. — 2. Deut. VI, 4. — 3. Ex. XX, 7.

 

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trois préceptes se rattachent à l'amour de Dieu? Quand les goûteras-tu? Quand les aimeras-tu ? Tu ne sais pas te contenir, tu es laide et disputeuse : tu t'es enflée, tu es devenue vaine, tu t'es ravalée, tu es sortie des bornes, tu as flétri ton honneur, tu es descendue au-dessous de ton rang. J'ai été tel moi-même dans ton sein, je te connais. Comment donc pourrais-je, aujourd'hui, t'apprendre que ces trois commandements regardent l'amour de Dieu, dé qui, par qui et en qui sont toutes choses (1)? Comment le comprendrais-tu, quand tes perverses et détestables erreurs ne te permettent pas même de connaître et d'observer les sept autres, qui concernent l'amour du prochain, la base de la société humaine ? Le premier est : « Honore ton père et ta mère » Paul en le rappelant et le renouvelant dans les mêmes termes, le nomme le premier commandement fait avec une promesse (2). Mais ton infernale doctrine t'a appris à regarder tes parents comme des ennemis, pour t'avoir enchaînée à la chair par leur union maritale, et avoir mis par là d'immondes entraves à ton dieu. Voilà pourquoi aussi vous violez le précepte suivant : « Tu ne commettras pas d'adultère », à ce point qu'il n'est rien que volis détestiez dans le mariage comme de mettre au monde des enfants, et que vous rendiez vos disciples adultères, par les précautions qu'ils prennent pour empêcher de concevoir les femmes auxquelles ils s'unissent. En effet, ils les épousent d'après les lois du mariage, suivant les règlements publics, pour avoir des enfants; mais d'après votre loi, de peur de souiller des immondices de la chair une partie de leur dieu, ils né cherchent dans le commerce des femmes que l'assouvissement d'une infâme volupté, et n'ont des enfants que malgré eux, bien que ce soit là le seul but du mariage. Comment donc ne défendrais-tu pas le mariage, selon ce que l'Apôtre a prédit de toi depuis si longtemps (3), puisque tu lui enlèves son unique raison d'être? Car en dehors de ce but, lés maris ne sont plus que de misérables libertins; les femmes, que des prostituées; le lit nuptial, qu'un lieu de débauches ; les beaux-pères, que des corrupteurs de la jeunesse. Par là même raison, en vertu de la même erreur criminelle, tu n'observes point non plus le commandement : « Tu ne tueras pas ». En effet, pour ne pas retenir dans la chair un membre de

 

1. Rom. XI, 30. — 2. Ex. XX, 12; Eph. VI, 2. — 3. I Tim. IV, 3.

 

ton dieu, tu ne donnes pas de pain à celui qui a faim, et pour éviter un homicide imaginaire, tu en commets un réel. Si donc tu rencontres un homme affamé qui peut mourir, à moins que tu ne lui donnes à manger, te voilà homicide ou d'après la loi de Dieu si tu ne lui donnes pas, ou d'après la loi de Manès si tu lui donnes. Et les autres préceptes du Décalogue, comment les observerais-tu? T'abstiens-tu du vol, quand tu enlèves, si tu le peux, le pain, un mets quelconque que le premier venu mangerait et tuerait dans ses entrailles plutôt que toi, et que tu cours à la cuisine de tes élus, pour garantir, au moyen de ce vol, ton dieu de quelque chaîne plus lourde, ou le délivrer de celle qui lui pèse? Et si tu es pris en flagrant délit, ne jures-tu pas par ton dieu même, que tu n'as rien pris? Et que peut te faire un dieu à qui tuas le droit de dire : Je me suis parjuré par toi, mais pour toi; voudrais-tu que, pour te rendre hommage, je t'eusse donné la mort? De même tu violeras le commandement : « Ne porte point de faux témoignages », à cause des membres de ton dieu, afin de les délivrer de leurs entraves, non-seulement par un témoignage, mais par un faux serment. Quant à celui qui vient ensuite : « Tu ne convoiteras point la femme de ton prochain (1) », tu dois l'accomplir: je ne vois que celui-là que ton erreur ne t'oblige pas à transgresser. Mais s'il est défendu de convoiter la femme du prochain, songe à ce que c'est que de s'offrir soi-même à la convoitise d'autrui; souviens-toi de tes beaux dieux, de tes belles déesses, qui se montrent dans le but d'exciter de violents désirs, ceux-là, de la part des femmes, princesses des ténèbres, et celles-ci de la part des dieux mâles; afin que, en excitant la soif de la jouissance et l'ardeur d'une passion criminelle, ils délivrent ton dieu prisonnier chez eux, et qui à besoin de toutes ces horribles turpitudes pour être dégagé de ses liens. Et comment, misérable, pourrais-tu observer le dernier précepte du Décalogue, qui défend de convoiter le bien d'autrui? Ton dieu lui-même ne te dit-il pas faussement qu'il prépare sur la terre étrangère des siècles nouveaux, où tu te pavaneras, après une fausse victoire, dans un faux triomphe? Et comme tu y aspires dans ta folle vanité et que tu crois cette terre du peuple des ténèbres très-rapprochée de ta propre substance, tu

 

1. Ex. XX, 13, 16, 17.

 

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convoites sans aucun doute le bien du prochain. C'est donc à juste titre que tu hais le diptyque, qui contient des commandements si bons, si opposés à ton erreur. Car tu ignores complètement, tu n'observes en aucune façon, les trois premiers qui se rapportent à l'amour de Dieu; et quant aux sept autres, sauvegarde de la société humaine, si parfois tu les respectes: ou tu obéis à un sentiment de honte, de peur d'avoir à rougir parlai les hommes; ou tu cèdes à la crainte du châtiment fixé par des lois publiques ; ou tu repousses une mauvaise action par l'effet d'une bonne habitude. Enfin la loi naturelle te rappelle combien il est injuste de faire à un autre ce que tu ne voudrais pas que l'on te fit à toi-même; mais tu sens combien ton erreur te pousse en sens contraire, soit que tu cèdes ou que tu ne cèdes pas, quand tu fais ce que tu ne veux pas permettre, ou que tu ne fais pas, parce que tu ne veux pas permettre.

 

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CHAPITRE VIII. LA VÉRITABLE ÉGLISE A SEULE L'INTELLIGENCE DE LA LOI.
 

Mais cette véritable épouse du Christ, à laquelle tu insultes avec une extrême impudence à l'occasion des deux tables de pierre, sait parfaitement la distance qu'il y a entre la lettre et l'esprit (1), ou, en d'autres termes, entre la loi et la grâce; et comme elle sert Dieu dans la nouveauté dé l'esprit, et non dans la vétusté de la lettre (2), elle n'est plus sous la loi, mais sous la grâce. L'esprit de discussion ne l'aveugle pas; elle écoute humblement les paroles de l'Apôtre, pour bien comprendre ce qu'il appelle la loi, sous l'empire de laquelle il ne veut plus que nous soyons, parce qu'elle « a été établie à cause des transgressions, jusqu'à ce que vint le rejeton pour lequel a été faite la promesse (3) » : et parce que « elle est survenue pour que le péché abondât; mais où le péché a abondé, la grâce a surabondé (4) ». Et cependant il n'appelle pas péché cette même loi, qui, sans la grâce, ne vivifie pas: en effet, elle augmente plutôt la faute en y ajoutant la rébellion : « Car où il n'y a point de loi, il n'y a point de prévarication (5) » ; et ainsi, par elle-même, quand elle est la lettre sans l'esprit, c'est-à-dire la

 

1. II Cor. II, 6. — 2. Rom. VII, 6. — 3. Gal. III, 19. — 4. Rom. V, 20. — 5. Id. IV, 15.

 

loi sans la grâce, elle ne fait que des coupables; mais l'Apôtre se propose la question qui se présenterait aux moins éclairés, et il explique sa pensée en disant: « Que dirons-nous donc?  La loi est-elle péché ? Point du tout : mais je n'ai connu le péché que par la loi ! Car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi n'eût dit: Tu ne convoiteras point. Or, prenant occasion du commandement, le péché m'a trompé et m'a tué par lui. Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là; mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort (1) ». Voilà ce que comprend celle à qui tu insultes, parce qu'elle demande avec gémissements, qu'elle cherche avec humilité, qu'elle frappe avec douceur; et ainsi elle voit qu'on ne blâme point la loi, quand on dit: « La lettre tue, mais l'esprit a vivifie (2) », pas plus qu'on ne blâme la science, quand on dit: « La science enfle, mais la charité édifie (3) ». Car l'Apôtre avait déjà dit. « Nous savons tous que nous avons une science suffisante », après quoi il ajoute: « La science enfle, mais la charité édifie (4) ». Pourquoi donc avait-il lui-même de quoi s'enfler, si ce n'est parce que la science unie à la charité, non-seulement n'enfle pas, mais affermit? Ainsi la lettre avec l'esprit, et la loi avec la grâce, ne s'appelle plus lettre et loi, dans le même sens que quand elles tuaient par elles-mêmes, le délit abondant. Aussi la loi a été appelée même « force du péché (5) », parce qu'elle en augmentait la criminelle jouissance, par l'effet de ses défenses sévères. Et pourtant, même alors, elle n'était pas mauvaise ; « mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré la mort ». Ainsi, bien des choses sont nuisibles à quelques uns, sans être mauvaises par elles-mêmes. Vous-mêmes, par exemple, quand vous avez mal aux yeux, vous fermez les fenêtres au soleil, votre dieu. Donc cette épouse du Christ, déjà morte à la loi, c'est-à-dire au péché, que la défense de la loi rendait plus abondant (car la loi, sans la grâce, donne des ordres, mais non point de secours), morte, dis-je, à cette loi, afin d'appartenir à un autre qui est ressuscité des morts, fait toutes ces distinctions sans injurier la loi, ne voulant point

 

1. Rom. VII, 7-13. — 2. II Cor. III, 6. — 3. I Cor. VIII, 1. — 4. Id. — 5. Id. XV, 56.

 

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blasphémer son auteur : ce que tu fais, toi, à l'égard de celui en qui tu ne sais pas reconnaître l'auteur du bien, quoique tu entendes l'Apôtre dire: « La loi est sainte et le commandement est saint, juste et bon ». Et voilà que l'auteur du bien est, selon toi, un des princes des ténèbres. Fais donc attention à la vérité, elle te saute aux yeux. Paul l'apôtre dit: « La loi est sainte et le commandement est saint, juste et bon ». Et son auteur est celui qui a d'abord envoyé, dans des vues profondes et mystérieuses, le diptyque dont tu te railles dans ta folie. Car cette même loi, donnée par Moïse, est devenue la grâce et la vérité par Jésus-Christ (1), quand l'esprit s'est joint à la lettre, afin que la justice de la loi commençât à s'accomplir, elle qui jusque-là n'avait fait que des coupables par la rébellion. En effet, la loi sainte, juste et bonne, n'est pas différente de celle par laquelle le péché opère la mort, et à laquelle nous devons mourir pour appartenir à un autre qui est ressuscité des morts : c'est absolument la même. Continue et lis : « Mais le péché, pour paraître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort, de sorte qu'il est devenu par le commandement une source extrêmement abondante de péché, ou péché par le commandement ». Sourde, écoute donc, aveugle, vois donc. « Il a », dit l'Apôtre, « par une chose bonne, opéré pour moi la mort ». Donc la loi est toujours bonne; soit que la grâce nuise à ceux qui sont vides, soit qu'elle profite à ceux qui sont rassasiés. Elle est toujours bonne; comme le soleil est toujours bon (parce que toute créature de Dieu est bonne (2) ), soit qu'il nuise à des yeux malades, soit qu'il flatte agréablement des yeux sains. Or, ce que la santé est aux yeux pour voir le soleil, la grâce l'est aux esprits pour accomplir la loi. Et comme les yeux sains ne meurent pas à la jouissance du soleil, mais seulement à ces rayons piquants dont l'éclat les jetait dans des ténèbres plus épaisses, ainsi l'âme sauvée par la charité de l'esprit, n'est point déclarée morte à la justice de la loi, mais seulement à la faute et à la prévarication que la loi occasionnait par la lettre, quand la grâce manquait. C'est donc d'elle qu'on dit d'abord: « La loi est bonne, si on en use légitimement », et immédiatement après

« Reconnaissant que la loi n'est pas établie

 

1. Jean, I, 17. — 2. I Tim. IV, 4.

 

pour le juste (1) » ; parce que celui qui jouit de la justice même, n'a plus besoin de la lettre qui effraie.

 

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CHAPITRE IX. CONTINUATION DU MÊME SUJET. LA SECTE MANICHÉENNÈ SÉDUITE PAR LE SERPENT.
 

Cette épouse du Christ, qui se réjouit dans l'espoir d'être entièrement sauvée, souhaite que tu te convertisses heureusement des fables à la vérité, de peur que, redoutant un Adonaï quasi adultère, tu ne restes avec l'astucieux serpent, l'adultère véritable. Car Adonaï est un mot hébreu qui signifie Seigneur, dans le sens où l'on dit que le seul Dieu est Seigneur; comme latrie est un mot grec que l'on traduit par culte, non un culte quelconque, mais celui qui n'est dû qu'à Dieu; comme Amen signifie vrai, non dans l'acception générale et vulgaire, mais dans le sens de vérité religieuse. Si on te demande d'où tu tiens ce que tu as, tu ne trouves non plus que l'hébreu ou ce qui vient de l'hébreu. L'Eglise du Christ ne craint donc. pas qu'on lui objecte tous ces termes; elle comprend et elle aime; elle n'a souci d'un insulteur ignorant; et ce qu'elle ne comprend pas, elle l'assimile à d'autres choses dont l'expérience lui a appris le sens qu'elle n'avait pas su jusque-là. Qu'on lui reproche d'aimer l'Emmanuel, elle rit de l'ignorance du blasphémateur et accepte la signification du nom dans toute sa vérité. Qu'on lui reproche d'aimer le .Messie, elle repousse un adversaire mort et s'attache à un Maître embaumé de parfums. Et elle désire que tu sois ainsi guérie de tes vaines erreurs, et bâtie sur le fondement des Apôtres et des Prophètes (2). Quand tu parles d'Hippocentaure, tu ne sais ce que tu dis; tu ne fais pas attention au fond de ta fable, lorsque tu forges dans ton imagination un monde chimérique, formé d'une partie de ton dieu et d'une partie de la terre de ténèbres. N'est-ce pas là l'hippocentaure; demi-animal et demi-dieu? En vérité, on ne peut pas même l'appeler hippocentaure. Mais examine ce que c'est, et rougis, et humilie-toi, afin d'avoir en horreur l'opprobre que te fait subir le serpent corrupteur. Car si tu n'as pas cru à son astuce sur la parole de Moïse. Paul a dû te tenir en garde contre lui, puisque; voulant, présenter au Christ la vraie Église comme une vierge chaste, il a dit :

 

1. 1 Tim. I, 8, 9. — 2. Eph. II, 20.

 

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«Je crains que comme le serpent séduisit Eve par son astuce, ainsi vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité qui est dans le Christ (1) ». Tu entendais cela, et pourtant tu as poussé si loin la folie, tu as été tellement égarée par de perfides enchantements que, quand ce même serpent inspirait telle ou  telle erreur à beaucoup d'autres sectes, il est venu à bout de te persuader qu'il est le Christ. Or, si ces sectes, enveloppées dans ses ruses variées et multiformes, sont dans l'erreur, bien qu'elles reconnaissent la vérité de ce que dit l'Apôtre combien n'es-tu pas plus corrompue, plus enfoncée dans la prostitution, toi qui prends pour le Christ celui par qui l'Apôtre du Christ proclame qu'Eve a été séduite et corrompue, afin d'avertir et de tenir en garde contre lui, la Vierge épouse du Christ? Il a rempli ton coeur de ténèbres, celui qui se vautre avec toi dans les forêts lumineuses, peuplées de fantômes. Quelles sont ses fidèles promesses ? Où sont-elles? D'où viennent-elles? O femme ivre, mais non de vin (2) !

 

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CHAPITRE X. LES PROPHÈTES MANICHÉENS. LA SECTE PRÉDITE PAR SAINT PAUL.
 

Car tu as accusé avec une impudence sacrilége le Dieu des Prophètes, de n'avoir pas tenu ses promesses aux Juifs qui le servaient. Mais tu t'es bien gardée de préciser en quoi consistent ces promesses non exécutées, de peur qu'on ne te prouve ou qu'elles le sont sans que tu le saches, ou qu'elles le seront, bien que tu n'y croies pas. Mais toi, que t'a-t-on promis, que t'a-t-on offert pour te faire croire qu'un jour tu jouiras des triomphes des siècles nouveaux sur la terre de ténèbres? Si tu montres certaines prophéties, où nous lisons que la secte manichéenne a été annoncée avec éloge, en sorte que tu voies déjà un commencement d'exécution dans le fait même de votre existence, il faut d'abord que tu nous prouves que Manès, voulant conquérir ta foi, n'a pas lui-même fabriqué ces prophéties. Car pour lui le mensonge n'a rien de honteux, et il ne peut pas hésiter à nous montrer de faux prophètes sous des peaux de brebis, lui qui fait une gloire au Christ d'avoir montré de fausses cicatrices dans ses membres. Pour

 

1. II Cor. XI, 2,3. — 2. Is. LI, 21.

 

moi, je sais que vous avez été prédits, non-seulement par les Prophètes en termes obscurs, mais par l'Apôtre en termes exprès : « Or, l'Esprit dit manifestement que, dans les derniers temps, quelques-uns abandonneront la foi, s'attachant à des esprits séducteurs et à des doctrines de démons, parlant le mensonge avec hypocrisie, ayant la conscience cautérisée, défendant le mariage et s'abstenant des aliments que Dieu a créés pour être reçus avec actions de grâces par les fidèles et par ceux qui ont connu la vérité; car toute créature de Dieu est bonne, et on ne doit rien rejeter de ce qui se prend avec actions de grâces (1) ». Or, pour ceux qui vous connaissent, il est plus clair que le soleil que tout cela s'est accompli en vous, et nous l'avons démontré plus haut dans l'occasion.

 

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CHAPITRE XI. PROMESSES DE DIEU ACCOMPLIES. INVITATION PRESSANTE À REVENIR À LA VÉRITÉ.
 

Mais celle que l'Apôtre désire présenter à son unique Epoux, le Christ, comme une chaste vierge, et qu'il tient en garde contre l'astuce du serpent qui l'a perdue, celle-là reconnaît le Dieu des Prophètes, le vrai Dieu, son Dieu; elle attend en toute confiance l'accomplissement de ses dernières promesses, elle qui en a déjà tant vu se réaliser dont elle goûte les fruits; et personne ne s'avise de dire que les prophéties qu'elle lit dans les livres hébreux ont été fabriquées à son usage pour les besoins du temps. Car quoi de plus incroyable que cette promesse faite à Abraham : « Toutes les nations seront bénies en ta postérité (2)?» Et quoi de plus certain que son accomplissement ? Or, la dernière promesse est celle que le Prophète résume en ce peu de mots: « Heureux ceux qui habitent dans votre maison ! ils vous loueront dans les siècles des siècles (3) ». En effet, quand tous les besoins auront cessé, quand la mort, le dernier ennemi, sera détruite (4), les élus en paix n'auront plus qu'à louer Dieu sans fin, dans cette demeure où personne n'entrera plus, comme personne n'en sortira plus. C'est ce que le Prophète exprime ailleurs : « Jérusalem, loue unanimement le Seigneur; Sion, loue ton Dieu, parce qu'il a fortifié les barrières de tes portes,

 

1. I Tim. IV, 1, 4. — 2. Gen. XXII, 18. — 3. Ps. LXXXIII, 5. — 4. I Cor. XV, 26.

 

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et béni tes enfants dans ton sein (1)». Les portes une fois fermées, personne n'entrera, personne ne sortira. C'est ainsi que l'Epoux lui-même dit dans l'Evangile aux vierges folles qu'il ne leur ouvrira pas, quoiqu'elles frappent (2). Cette Jérusalem, la sainte Eglise, l'épouse du Christ, est décrite plus au long dans l'Apocalypse de Jean. Permis à la chaste vierge de ne pas croire à cette promesse prophétique, si elle ne goûte déjà pas l'accomplissement de celle qui lui a été faite en ce temps par le même Prophète : « Ecoutez, ô ma fille! voyez, prêtez  l'oreille et oubliez votre peuple et la maison de votre père : car le roi sera épris de votre beauté, parce qu'il est lui-même votre Dieu, et les filles de Tyr viendront l'adorer en lui offrant des présents, les riches de la terre imploreront vos regards. Toute la gloire de la fille du roi est intérieure ; ses vêtements sont resplendissants d'or et de broderie; à sa suite des vierges seront présentées au roi, ses compagnes vous seront présentées, on les amènera avec joie et allégresse dans le temple du roi. Pour vous, à la place de vos pères, il vous est né des enfants; vous les a établirez princes sur toute la terre; ils se

 

1. Ps. CXLVII, 1, 2. — 2. Matt. XXV, 12.

 

souviendront de votre nom de génération en génération; pour cela, les peuples chanteront vos louanges pendant l'éternité et les siècles des siècles (1) ». Mais toi, infortunée victime du serpent, quand chercheras-tu seulement à comprendre ce que c'est que cette beauté intérieure de la fille du roi? Eh bien ! c'est la chasteté de l'esprit que tu as perdue, au point que tes yeux se sont ouverts pour aimer et adorer le soleil et la lune ; que, par un juste jugement de Dieu, tu as été séparée de l'arbre de vie, qui est la sagesse éternelle et intérieure, et que tu n'as plus estimé et appelé vérité et sagesse que cette lumière qui entre dans        les yeux mal ouverts, s'accroît à l'infini, prend mille formes chimériques et fabuleuses, et où s'égare ton âme impudique. Ce sont là tes fornications, exécrables au plus haut point. Et cependant, songes-y patiemment et reviens à moi, dit la Vérité. Reviens à moi; et tu seras purifiée, restaurée, si tu te perds pour toi et te rejettes en moi. Ecoute cela: car c'est ce que te dit la Vérité, laquelle n'a point lutté sous des formes trompeuses avec le peuple des ténèbres et ne l'a pas racheté au prix d'un sang imaginaire.

 

1. Ps. XLIV, 11, 18.
 
 
 

source: http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/augustin/index.htm

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